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AU XIVe SIÈCLE
PARIS
LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN
6, PLACE DE LA SORBONNE, Ve
-
1984
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721
483x
1984
BRC
La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41,
d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé
du copiste et non destinées à une utilisation collective › et , d'autre part, que les
analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration ⚫ toute
représentation ou reproduction intégrale , ou partielle, faite sans le consentement
de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause, est illicite (alinéa ler de
l'article 40 ).
Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit , consti-
tuerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du
Code Pénal.
AVANT- PROPOS
Dans le livre que voici, nous publions les communications faites à la Table
Ronde Internationale tenue du 5 au 7 novembre 1981 dans le Centre d'Études
des Religions du Livre (Laboratoire associé au C.N.R.S. , no 152) et dont le
thème était Preuve et raisons à l'Université de Paris : logique, ontologie et
théologie au XIVe siècle.
L'initiative de cette réunion revient à M. Paul Vignaux, premier directeur
du Centre ; elle s'est concrétisée aux cours des rencontres régulières rassemblant
autour de ce Maître passionné du XIVe siècle des jeunes chercheurs ; elle put
se réaliser grâce à la générosité du C.N.R.S. et à l'accueil qui lui a été réservé
par M. Pierre Hadot, actuel directeur du Centre .
Le but de cette Table Ronde , limité à l'Université de Paris au XIVe siècle ,
était double . En premier lieu , nous voulions faire le point sur les recherches
déjà effectuées. Menées en France ou à l'étranger, elles se développent avec
une vigueur grandissante . La variété des écoles doctrinales, des problèmes discu-
tés, des modes intellectuelles successives d'une part, la richesse des sources
conservées dans les bibliothèques d'autre part, ont fait des doctrines professées
alors à Paris un objet de recherches historiques fécond et stimulant . En second
lieu, le progrès des recherches de ces dernières décennies, les travaux et les mé-
thodes ouvrant des voies nouvelles nous ont incité à l'élargissement des débats
sur des domaines rarement abordés en France , tels la logique et ses liens avec
la philosophie, la théologie et les sciences ; l'emprise , d'une profondeur inégale
d'ailleurs, des écoles étrangères sur les maîtres parisiens ; l'influence exercée par
ces derniers sur les jeunes Universités de l'Europe Centrale . Nous n'avons pas
oublié que la première génération des professeurs de ces Universités venait pour
la plupart de Paris. Si, en définitive, notre but n'a pas été pleinement atteint,
c'est que ce siècle et ce milieu intellectuel sont si riches et si divers qu'un premier
colloque ne pouvait guère qu'effleurer le sujet.
Zénon KALUZA
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE
Camille BÉRUBÉ
I - LA NAISSANCE DU SCOTISME
d'Antoine André sur la Métaphysique d'Aristote, publié sous son nom en 1482,
mais édité de nouveau sous le titre d'Expositio, en 1501 , par Maurice du Port
l'attribuant cette fois à Scot , parce que , selon les éditeurs de l'Ordinatio ,
le disciple n'aurait, en somme , que repris à son compte un commentaire du
Docteur Subtil . J'avais consigné le résultat de ma première étude dans mon
livre sur la connaissance du singulier, mais puisque cela était passé inaperçu ,
il fallait reprendre le problème du crédit à accorder à Antoine André comme
témoin et interprète de Scot, là où Aristote entre en jeu . J'y reviendrai dans
la dernière partie de cette communication.
En parlant de l'école primitive , je veux me limiter à un point de vue.
J'ai essayé de comprendre dans quel esprit et selon quelles méthodes les disci-
ples de Scot ont transmis ce trésor de doctrines émanées des lèvres de leur
Maître autant que de ses écrits . Cela me paraît une condition préalable pour
rejoindre à travers eux le message original de Scot dans sa verdeur primitive ,
et comprendre ce qui fait du Docteur Subtil un des grands penseurs de l'his-
toire . Maurice du Port note, en effet, que « ipsa verba scotica habent quid
latentis energiae, ut qui se huius viri discipulus appellari cupit, is scripta ejus
legat, necesse est » 1 .
Quelque misérable que soit cette nécessité, on ne peut arriver au texte ,
et donc à la pensée de Duns Scot, qu'à travers ce que ses disciples nous en font
savoir. Duns Scot est mort précocement après une carrière d'une dizaine d'années
d'enseignement sans laisser aucun texte définitif ou pleinement mûri . Il a com-
mencé , certes, à préparer pour l'édition son commentaire sur les Sentences,
après l'avoir enseigné trois ou quatre fois . Mais l'Ordinatio, ou texte en cours
de préparation pour l'édition , est restée en chantier. Selon les éditeurs de Scot ,
ce texte n'a jamais été recopié tel quel . On en a fait une première correction
avant de le livrer aux copistes . Ce nouveau texte a été révisé à son tour, de sorte
que chaque copie est une recension nouvelle . Vers 1320 cependant, un scotiste
s'est avisé de corriger cette deuxième copie sur le livre écrit de la main de Scot
ou dicté par lui, en notant ce qu'il y trouvait suppressions , additions, renvois
aux cahiers de notes, à la Lectura d'Oxford et à la Reportatio de Paris , etc.
C'était là, pense K. Balić , une édition critique selon les idées du temps et, pour
nous, la meilleure voie d'accès au texte original . Malgré les mérites de la nouvelle
édition vaticane, tous les experts dans l'art d'éditer les textes ne sont pas d'accord
sur la méthode à employer pour la suite de l'édition . Au récent congrès scotiste
international de Salamanque, 21-27 septembre 1981 , quelques communications
ont été lues sur les problèmes actuels des éditeurs, et certains proposent des
changements de méthode et pensent arriver par un autre choix de manuscrits
de base à un texte plus voisin de celui de Scot , et qui évite ce qui leur semble
des erreurs du recenseur de l'Ordinatio .
Mais le scotisme n'a pas attendu d'avoir un texte officiel pour se déve-
lopper. A partir des années 1300 , les élèves de Scot prenaient des notes de classe
et faisaient des reportations des cours du maître . Devenus professeurs à leur
tour, ces scotistes ont donné leurs propres cours en se fondant sur leurs notes
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 11
II - SCOTISTES « INDÉPENDANTS »
Nous savons fort peu de choses sur la vie de Duns Scot . Mais, quand on
ne sait rien, on invente pour donner un cadre décent à la vie des héros . C'est
ainsi que le bruit courait au congrès scotiste de Salamanque que l'on aurait enfin
trouvé la raison du départ mystérieux de Scot pour Cologne : c'est que le supé-
rieur du Grand Couvent de Paris prenait ombrage du prestige de Scot auprès
des étudiants ! Si non è vero, è ben trovato ! comme on dit au-delà des Alpes.
Il en va de même pour les scotistes de la première période . A mesure qu'on
dépouille les archives et déchiffre les manuscrits , on redimensionne les éloges
des anciens biographes .
La source la plus ancienne sur l'ensemble des premiers scotistes se trouve
dans Compendium chronicarum Fratrum Minorum de Mariano de Florence ,
mort en 1523. Il écrit donc deux cents ans après les événements , sur la foi de
récits oraux et d'écrits antérieurs qui ne nous sont point parvenus . Ces chroni-
ques ont été utilisées par L. Wadding dans Scriptores Ordinis Minorum, édité
en 1650, complété par J.H. Sbaralea, en 1806 , et édité de nouveau avec les
annotations de Th . Accurti , en 1908 et 1921 .
A l'année 1308 , après la notice consacrée à « Johannes de Donis... qui
ab Universitate Parisiensi... Doctor Subtilis appellatur. Fuit enim toti saeculo
stupendus... », Mariano de Florence ajoute :
<< Hic etiam lacte sue sapientie multos discipulos nutrivit ; sed qui
maxime profecerunt hii fuerunt, scilicet : Franciscus Maironus,
Iohannes Occam, Gualterius quoque et Burleus, Gualterius alter,
Antonius Andreas , Iohannes Scorps, et Iohannes canonicus, quorum
ingeniis mirum in modum philosophia crevit »4 .
Pour les historiens actuels, cette liste est difficile à identifier. Plusieurs
de ces noms reviennent par la suite . Immédiatement après cette liste , nous
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 13
retrouvons en effet la mention : Alii nonnulli insignes fuerunt. Parmi les noms
mentionnés , nous trouvons des docteurs célèbres qui furent de brillants scotistes ,
tel Franciscus Rubeus de Pignano, Provinciae Marchiae. Par contre vient un
Antonius Andree Aragonus qui semble bien le même que cet Antonius Andreas
cité plus haut , mais cette fois on le dit catalan et lui consacre une note très
élogieuse :
« ...Doctor dulcissimus appellatus, doctrine sui magistri Scoti preci-
puus defensor, scripsit super omnes libros Sententiarum, et ferme
super omnes Aristotelis codices, maxime super Logicam secundum
mentem Scoti et multa Quodlibeta ».
Suit :
« Ugo de Novocastro (Newcastle)... scrutator et defensor doctrine
Scoti, scripsit egregie super quatuor Sententiarum libros et Reportata
super eosdem » 5 .
Quelques pages plus loin, nous retrouvons , à l'année 1316 , Franciscus
Mayronis appelé illuminatus sive acutus. On lui consacre une notice de seize
lignes, plus que celle sur Scot , qui en a quinze, mais à part la mention de sa subti-
lité, on ne dit rien de son scotisme . Il a le premier commencé l'Acte sorbonnique .
Ce fut sans doute une discussion solennelle devant toute l'Université . Il a écrit
subtilement sur les quatre livres des Sentences et une autre fois sur le premier
livre, ouvrage insigne qui lui donne une singulière prérogative sur tous les autres
docteurs, plus des questions subtiles sur le livre deuxième . Et la liste se prolonge :
sermons , traités sur les Décrétales, les Formalités, sur plusieurs livres de l'Écriture ,
de saint Augustin, de Denys, d'Anselme , et un insigne et long traité sur la pauvre-
té évangélique et alia quamplurima . Personnage universel qui n'a pas besoin de
recommandation comme scotiste . Il se suffit à lui-même.
De ce fait, François de Meyronnes fait l'objet de longues notices dans des
encyclopédies. Heribert Rossmann , qui dans son ouvrage Hierarchie der Welt
(1972) se propose de donner l'image et le système de François de Meyronnes ,
dit tout ce que l'on a écrit de lui : né en 1288 dans les Basses- Alpes, auditeur et
disciple de Scot à Paris de 1304 à 1307 , il commente les Sentences entre 1308
et 1318 en divers studia franciscains d'Italie . On le retrouve à Paris en 1320-
1321 comme bachelier sententiaire . En 1323 , Jean XXII intervient pour le faire
promouvoir docteur en théologie avant le délai d'attente normal et, en 1325 ,
le fait venir à la curie d'Avignon comme prédicateur . François de Meyronnes fut
ensuite Provincial des Marches et mourut en 1328 à Plaisance .
De même que Mariano de Florence parle de François de Meyronnes comme
inaugurateur de l'Actus sorbonnicus , ainsi Rossmann accorde-t- il beaucoup
d'importance aux disputes solennelles de ce franciscain avec le bénédictin
Pierre Roger, le futur Clément VI. Il semble qu'il y eut de telles disputes tant
en 1321 qu'en 1323 , et portant sur les doctrines trinitaires soutenues par les sco-
tistes, d'une part, et les thomistes dominicains et les disciples de Godefroy de
Fontaines d'autre part . Rossmann y voit des manifestations des controverses
d'écoles , mais aussi des incidences politiques entre les favoris des cours de France ,
14 C. BERUBE
culturel, sans lui imposer nos propres conceptions de la fidélité littérale ou doc-
trinale . Nous sommes cependant vis- à-vis de notre théologien catalan dans de
meilleures conditions que pour vérifier, par exemple , le degré d'indépendance
ou de fidélité relative de François de Meyronnes, Guillaume d'Alnwick ou
Jean de Ripa. Par ailleurs , cela importe beaucoup plus pour l'histoire réelle du
scotisme, aussi bien médiéval que moderne , spécialement pour ce qui est de la
philosophie scotiste, pour la bonne raison que nous disposons d'une assez ample
panoplie de textes théologiques de Duns Scot alors que l'arsenal philosophique
est peu fourni , et, au dire de ceux qui ont essayé de s'y retrouver, fort compliqué .
Scot a laissé des textes en cours de rédaction et il y a fort à parier que ceux qui
sont attribués à Duns Scot aient été auparavant remaniés par ses disciples.
Ces derniers sont donc leurs co-auteurs. Hugues Cavelles estime que le texte
de l'Expositio super XII 1. Metaphysicae était, avant le travail de correction
qu'Antoine André lui a fait subir, absolument désordonné et il compare ce
travail à celui que la digestion fait subir aux aliments pour les rendre assimila-
bles. C'est l'ampleur et la difficulté de cette digestion que notre auteur a voulu
exprimer en protestant de sa fidélité à l'intention de Scot . Il suffit de parcourir
la description des manuscrits contenant l'Ordinatio pour se rendre compte que
les recenseurs signalent à l'envie l'ampleur et la difficulté de leur travail pour
donner enfin le texte idéal que Scot aurait dû écrire . Les éditeurs de la Somme
contre les Gentils constatent le même zèle chez les thomistes pour améliorer
le texte édité personnellement par l'Aquinate , de sorte que chaque copie nou-
velle est aussi une recension nouvelle . Roger Bacon ne maugréait - il pas déjà
contre ceux qui respectent le texte des poètes anciens , mais se permettent de
corriger le texte de l'Écriture secundum caput suum, chacun à sa fantaisie ?
Pour juger de la fidélité d'Antoine André , j'ai étudié deux oeuvres intime-
ment liées entre elles, à savoir le commentaire littéral sur la Métaphysique et les
questions posées en marges du texte . Ces deux ouvrages sont censés suivre l'un et
l'autre deux oeuvres similaires de Scot . La comparaison des commentaires littéraux
de Scot et d'Antoine André nous a permis de constater les rapports assez vagues
entre les deux, laissant à penser, avec un fondement dans les textes , que Scot a
composé un commentaire littéral sur une section du livre VII de la Métaphysique
d'Aristote , celle-là même à laquelle il renvoie à sept reprises dans ses Questiones
et dans l'Oxoniense IV. Mais Antoine André a aussi sous les yeux le Quodlibet,
q. 7 (dans les questions sur la toute- puissance divine) de Scot et un texte des
Quaestiones de Scot sur les douze livres de la Métaphysique et non pas sur les
neuf premiers seulement comme c'est le cas des manuscrits actuellement connus .
Par contre , le rapport entre les Quaestiones de Scot et celles d'Antoine André
sur la Métaphysique d'Aristote est pour nous d'un grand intérêt , parce que nous
avons ici deux textes parallèles quant au libellé des questions et même quant
au nombre . De plus , le texte d'Antoine André est manifestement une abbre-
viatio du texte de Scot pour les neuf premiers livres d'Aristote , tandis que pour
le livre XII , traitant de l'unicité de Dieu et de sa toute-puissance , il suit l'Ordinatio
et le Quodlibet de Scot.
2
18 C. BERUBE
Les textes de Scot que nous analysons sont ceux publiés par Maurice du Port
en 1501 et reproduits dans les éditions de L. Wadding et L. Vivès . Le texte
d'Antoine André est celui de l'édition de Venise 1523. C'est là le texte que
Maurice du Port signale comme les Quaestiones Metaphysicae Joannis Scoti,
<< quae tot annis, nescio ne temporis injuria an hominis negligentia
sive etiam eorumdem difficultate, quasi abjectae in occulto latita-
bant, Antonius Andreas ejus discipulus, ut erat magni ingenii,
exquisitae doctrinae, acute sciteque castigavit primaria praeceptoris
sui dicta accurate eligendo, ac in ordinem resolutum fideliter diri-
gendo... Utcumque Antonius Andreas, ut in Dialecticis, ita hic et
obscuriora et difficiliora praetermisit » 19 .
Cela nous semble très vraisemblable.
La méthode d'Antoine André est simple. Il ne dit nulle part qu'il résume
un texte de Scot , ni ne nomme Duns Scot, ni ne déclare vouloir exposer la doc-
trine scotiste , à l'exception d'un seul cas sur lequel nous reviendrons . Le texte
se présente comme une composition personnelle , mais le lecteur familier avec
le texte des Quaestiones de Scot a l'impression de lire ce texte d'un bout à
l'autre . En fait, l'auteur prend dans le texte de Scot ce qui lui convient, tout en
lui donnant une forme plus concise . Il omet ce qui ne l'intéresse pas, modifie
à son gré ce qu'il juge utilisable et le met à l'endroit qui convient à son propos.
Il en résulte un texte d'une clarté remarquable et d'une lecture facile . Il faut
une comparaison continue avec le texte de Scot pour se rendre compte des modi-
fications apportées tant au texte qu'à la doctrine . C'est donc un parfait manuel !
Et de fait le succès de ce manuel scotiste est attesté par de nombreuses éditions :
une vingtaine d'éditions clairement identifiables sur vingt-quatre désignées par
Marti de Barcelonna comme celles du commentaire littéral. Ce sont, en fait , vingt
éditions des Quaestiones, plus une autre édition non mentionnée , celle de Venise
1566. Deux éditions seulement donnent le commentaire littéral, et vraisembla-
blement une troisième , celle de Paris 149520 .
Quelle est donc la qualité de témoin et d'interprète fidèle de la lettre et
de la doctrine scotiste dans cet abrégé de Scot ? Manifestement , Antoine André
pense plus à ses lecteurs qu'à l'auteur de l'original . Le texte qu'il écrit est le
sien, à lire comme tel et non comme introduction au texte de Scot. A toutes
fins pratiques , il est fait pour dispenser de l'original , en sorte que le rédacteur
expose son propre scotisme . Les protestations de fidélité littérale et doctrinale
relèvent de la propagande pour accréditer le texte nouveau auprès d'un public
sensible aux arguments d'autorité, comme le nom d'un médiéviste de réputation
internationale donne au livre d'un novice une auréole de crédibilité .
J'ai fait l'examen de quatre questions qui ont un intérêt historique en
ce qu'elles impliquent l'attitude de Duns Scot et celle d'Antoine André vis-à-vis
de l'école franciscaine antérieure , dans des cas où Scot s'en éloigne pour s'inspi-
rer d'Aristote : la connaissance du singulier et de l'universel , les preuves de l'unité
de Dieu et de la toute-puissance divine.
La connaissance du singulier et celle de l'universel sont corrélatives et inti-
mement liées chez Aristote à la question de l'objet des sens comme facultés et
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 19
des objets particuliers des sensations. Scot évoque le texte d'Aristote : « Sensus
est universalis, sentire vero singularis ». Chaque sensation atteint un objet parti-
culier, mais l'intelligence assigne à chaque sens un objet qui est commun à tous
les objets particuliers perçus . Deux explications étaient alors en cours , celle
d'Avicenne qui soutient que l'intelligence est mue par la nature «< commune » à
concevoir quelque chose de commun à tous les objets particuliers , celle d'Averroès
qui dit que l'universel n'est que dans l'esprit . Au livre VII , q. 13 , Scot pose la
question de la connaissance directe, ou per se, du singulier, par opposition à
la connaissance indirecte ou per reflexionem ad phantasmata. Il se contente
d'exposer, sans prendre position , la théorie de la connaissance directe soutenue
dans l'école franciscaine et celle de l'intellection indirecte de Thomas d'Aquin.
A la question 14, le problème est repris à fond tant du point de vue métaphy-
sique que de celui de l'état présent . Métaphysiquement parlant, le singulier est
connaissable intuitivement et abstractivement, tant dans sa nature que selon
sa différence individuelle . Dans l'état présent, la dépendance de l'intelligence
vis-à-vis des sens fait que la nature est connue universellement et abstraitement,
alors que la différence individuelle ne l'est qu'indirectement, comme l'expli-
quent, chacun à sa façon , Avicenne et Averroès en interprétant Aristote . Celui-ci ,
intéressé par la connaissance scientifique , qui est universelle , n'a rien dit de
la connaissance du singulier et de l'existant . S'il en avait parlé , il aurait sans
doute dit que l'intelligence connaît intuitivement le singulier en tant qu'existant,
puisque le singulier relève de la connaissance sensible . C'est ce qu'Aristote appelle
le simul totum, le tout concret tel qu'il est présent aux sens .
Que fait Antoine André ? Il expose clairement toute la théorie de la con-
naissance du singulier du point de vue métaphysique tout comme l'a fait Scot .
Passant à la connaissance dans l'état présent, il soutient, non la connaissance
indirecte ou per reflexionem ad phantasmata, mais la connaissance directe ,
au moins abstractive, du singulier et ne dit rien de l'intuition de l'existant que
Scot perçoit dans les «< intentions » d'Aristote . Par contre, il introduit une théo-
rie de la connaissance intellectuelle du singulier en trois étapes : celle de l'individu
vague, celle de la nature commune et celle de l'individu déterminé par les acci-
dents ou circonstances propres à tel individu , théorie que l'on retrouve dans
le De anima, attribué à Duns Scot par Wadding.
Le plus extraordinaire est qu'Antoine André réussit à établir cette doctrine
en se servant de l'exposé que Scot a fait de la théorie de l'école franciscaine de
ce temps. Tout y est à la lettre , mais en faisant soutenir aux textes l'opinion
que Scot combat formellement . Scot est ramené à l'école franciscaine antérieure
et purifié de la contamination d'Aristote21 .
La connaissance de l'universel est traitée selon la même tactique . Scot
expose d'abord deux théories qu'il qualifie d'extrêmes et qui se réclament toutes
deux d'Aristote . La première , c'est que la nature est antérieure à l'individu et
ne répugne pas à être en plusieurs individus . La nature est donc universelle . La
seconde est l'opinion d'Averroès c'est l'esprit qui fait l'universel . Après les
distinctions usuelles, Scot rappelle les théories de l'abstraction en présence :
20 C. BÉRUBÉ
NOTES
Édouard WEBER
Hervé , ayant établi dans la Question précédente les limites mesurées , pour
l'homme en sa connaissance intellective naturelle , de la connaissance de ce qu'est
Dieu, montre maintenant que ce que l'homme peut en savoir n'est pas d'évidence
26
26 E. WEBER
<< Preuve efficace s'entend en deux sens : soit en un sens absolu, soit
au sens de preuve visant l'interlocuteur (ad hominem)26 .
C'est au sens de preuve visant l'interlocuteur (ad hominem) qu'Aristote
a établi que le devenir n'est pas créé . D'où il suit qu'il n'est pas
démontrable que tout ait été fait par Dieu27 .
Hervé, en ses Qu. III et IV, s'applique au contraire à manifester que la
causalité créatrice de Dieu est démontrable par raison rigoureuse . Il y suppose
acquises les principales notions qu'il emprunte à la Physique d'Aristote et qui
concernent l'analyse du changement, motus. Il établit la qualité d'effet créé
qui appartient à toute réalité en deçà de Dieu et manifeste ainsi sur raison
fondée la réalité de la Cause première . Il s'appuie certes sur les « Cinq voies >>
de Thomas d'Aquin , mais ce qu'il en exploite laisse paraître une interprétation
assez limitée . Après avoir rappelé qu'il ne peut s'agir que de démonstration
a posteriori, celle qui procède de l'effet vers la cause, il expose les deux voies
retenues : voie d'éminence et voie de causalité .
Par voie d'éminence , le Maître breton entend tout autre chose que ce que
la formule signifie chez Thomas d'Aquin . Il désigne ainsi la démarche que son
contemporain Jean Duns Scot appelle de la sorte et axe sur le thème d'ordre
essentiel des espèces de l'être28. Par cette procédure , Hervé montre qu'au sein de
la hiérarchie des natures existantes il y a un être de nature la plus noble et
donc suprême29 . La démarche correspondante chez Thomas d'Aquin n'est autre
que la fameuse IVa via, la plus difficile des cinq à établir avec une rigueur satis-
faisante . Dans l'optique d'Anselme , Hervé déploie une dialectique qui entend
intégrer tous les degrés réels et possibles de la hiérarchie des natures créées.
La notion clef est ici celle d'ordre par soi , ordo per se. Elle sert à manifester que
dans la multiplicité des êtres aux natures diverses, il y a ordre et donc principe
d'ordre , ce qui révèle une nature première 30 .
Qualifiée de voie la plus importante, cette démarche implique la réfutation
d'une difficulté redoutable, celle d'une infinité de sujets créés dont la nature pré-
sente une noblesse de degré (réel ou possible) infiniment élevé . Hervé assure
qu'en toute hypothèse , hiérarchie finie ou infinie , on aboutit à un être de
nature suprême 31. Après confirmation, il déclare : « Ainsi il est évident qu'il
est possible de démontrer par voie d'éminence que Dieu est » 32 .
Il est intéressant de noter ici la proximité de Jacques de Metz sur cette
question ainsi résolue . Prêcheur comme Hervé , Jacques commente les Sentences
à Paris vers 1307-1308 . Plusieurs différends doctrinaux l'ont opposé à Hervé .
Toutefois, rien ne l'en sépare sur le présent problème . Jacques expose comme
Hervé les trois voies d'éminence , de causalité et de négativité (via remotionis).
Cette dernière , Hervé , en nos Questions, la passe sous silence car , dit-il , elle sup-
pose les deux autres 33. Manifestement, il n'en discerne pas le sens . Jacques , lui ,
l'explique de façon stupéfiante 34 : « Ce qui est issu du néant est susceptible
d'y être renvoyé à moins d'être conservé par un être qui n'est pas soumis à
cette possibilité » (d'anéantissement) 35 . Où l'on constate que pour être reprise
d'Albert le Grand et de Thomas d'Aquin , cette voie de négativité ne recouvre
plus qu'une dialectique simplette .
LA DEMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 31
B- Qu. VII : Est-il possible de démontrer par une raison efficace que l'être de
Dieu est infini en perfection et en puissance ?
avec vérité que Dieu peut prévenir la cause seconde et, se substituant à elle , en
assumer lui-même l'efficace . Lui seul peut démontrer la toute-puissance de Dieu
par une preuve a posteriori ou quia49 .
Toutefois, par la suite et dans la même Question, Jean Duns Scot , saisi
d'un élégant scrupule , signale l'inconvenance qu'il y a à imposer à un auteur ,
en l'occurrence à Aristote concluant à un passé infini , une sentence erronée ou
absurde en l'absence de déclarations claires. Il compense en conséquence ses
premiers arguments par d'autres qui font valoir, par des dires mêmes du Stagirite ,
une efficace souveraine chez le Premier Principe . Il atténue ainsi de façon très
nette son grief initial d'incapacité50 .
Munis de la sorte d'un repère solide dans l'enseignement d'un contempo-
rain notoire , revenons à la Qu. VII d'Hervé . La Réponse établira que les voies
empruntées par la raison naturelle pour prouver l'existence de Dieu permettent
le discernement fondé en raison d'un certain infini pour la perfection et la toute-
puissance divines . D'emblée elle souligne que tous les interlocuteurs sont d'accord
pour admettre que Dieu est tout-puissant . C'est le caractère démontrable par
la raison qui fait ici question . Hervé soumet à une critique serrée une trentaine
d'arguments conduisant à la solution négative . On en retient seulement trois :
Argument nº 2 (repris par d'autres) : puisque Dieu n'est connaissable pour
notre raison que par l'intermédiaire de ses effets créés qui sont limités et finis,
il est impossible de conclure par des raisons efficaces à l'infini de leur cause51 .
Argument no 15 si Aristote avait cru (évidente ) l'infinité de la puissance
en Dieu, il aurait admis la possibilité pour Dieu de mouvoir le ciel hors de son
lieu . Mais ceci est faux . Donc ...52 .
Argument no 17 s'il était possible de prouver l'infinité de la puissance
divine, ce serait avant tout par l'idée de production à partir de rien (ex nihilo),
c'est-à-dire sans rien présupposer. Or une production de ce genre est impossible à
démontrer par une raison efficace . Donc ... On démontre la mineure : ne peut
être prouvé par une raison efficace ce dont le contraire est sentence du Philoso-
phe . Or celui-ci a opiné pour la sentence contraire , Avicenne le dit au livre Ier
des Physiques, là où il assure que tout ce qui est fait l'est à partir d'un quelque
chose présupposé . Donc ... 53 .
Entrant dans le vif du sujet, Hervé écrit : ' raison efficace ' s'entend en deux
sens. Soit démonstration menée à partir d'évidences constatables (ex apparentibus) ;
soit raison méritant approbation (ratio probabilis), surtout lorsqu'elle aboutit à
une conclusion qui à la fois est plus digne d'approbation que ce qu'on pourrait
opposer et résout les arguments contraires avec plus de force probante que celle
qui les a fait soutenir. Le premier sens ne semble pas convenir pour la question de
l'infini divin , avertit Hervé . Mais le dernier sens peut , à son avis , être retenu54 .
La suite comporte deux moments . Le premier rappelle plusieurs thèses
fondamentales engagées ici et admises en philosophie . Retenons -en deux :
1 ) Dieu est réalité simple et est à ce titre qualifié d'Acte pur. Il est en effet
d'essence intellective et est, en vertu d'un unique principe , à la fois subsistant,
3
34 E. WEBER
sage, juste , etc. Les autres substances séparées (les Intelligences de la tradition
aristotélicienne) vérifient une disparité entre substance du sujet et qualité du
sujet doté de savoir, de justice , etc.55 .
Objecte-t-on que chez le Stagirite il y a pluralité d'actes purs, car chez lui
les multiples substances séparées sont considérées comme autant d'actes purs,
Hervé répond que c'est là une vue erronée d'Aristote56 . Si même les substan-
ces séparées sont par nature des actes simples, ce sont des actes qui reçoivent
l'être , d'après la doctrine de ceux qui estiment que l'être diffère de l'essence de
manière réelle 57 .
< Bien qu'à mon avis l'on ne puisse conclure efficacement que la
puissance créatrice est infinie, cependant une plus grande valeur
probante [major probabilitas ] revient, à mon gré , à la proposition
avancée par Frère Thomas : il y a entre n'être pas et être une dis-
tance plus grande que celle qui , pour un sujet donné , va d'une
qualité infinie à la qualité infinie contraire . Ne pas être est plus
distant d'être que ne l'est , pour un sujet , la qualité de chaleur infinie
(supposé que cela soit) par rapport à la qualité de froid . Pour faire
passer un sujet affecté d'une qualité infinie à l'acte de la qualité
infinie opposée , une puissance infinie est requise. Donc ... » 66¸
En revendiquant pour la proposition ' Dieu est , ou pour celle Dieu est
Cause efficiente première , ou encore pour ' Dieu est cause infinie ', le statut
de conclusion fondée en raison , Hervé s'est vu forcé de dégager cet espace où
s'étagent, à la mesure de leur proximité avec les principes rationnels assurés,
les multiples conclusions rationnelles qui sont jugées valables après avoir subi
le feu de la critique . On l'a noté , il s'efforce d'apprécier sereinement la valeur
probante des considérations diverses sur l'infini alors agitées . Il en juge certaines
non concluantes, mais en retient d'autres. Il utilise le terme probabilis alors
encore tout proche de probare, prouver, et l'entend visiblement comme ' sus-
ceptible d'approbation , en deçà toutefois des raisons nécessaires et efficaces76 .
Il ménage la comparaison major probabilitas, valeur plus grande de force pro-
bante, et esquisse ainsi une mise en série des degrés d'évidence et de certitude
que présentent preuves et raisons .
NOTES
1. Voir Th . Kaeppeli, Scriptores Ordinis Praed. Medii Aevi, II (Rome, 1975) , p . 231 sqq.
2. Cf. E. Krebs, Theologie und Wissenschaft nach der Lehre der Hochscholastik. An der
Hand der Defensa doctrinae D. Thomae ' des Hervaeus Natalis, B. G.P.M.A., XI , 3-4 , Münster,
1912 ; J. Koch, Durandus de S. Porciano. Forschungen zum Streit um Thomas von Aquin
zu Beginn des 14. Jahrhundert, B.G.P.M.A. , XXV, 1 , Münster, 1927 .
3. Hervei Natalis Britonis, In IV Sent. Commentaria, éd . Paris, 1647 , I , d . 3 , q . 1 , f. 32v
sqq. ; q. 2, f. 34v sqq.
4. Anselme, Proslogion, cc. 3 et 4 , Schmitt I , p. 102 sqq.
5. Augustin, De Trin. V, II, 3 (B.A. 15 , p . 428).
6. Anselm , op. cit. , c. 1 , p. 101 .
7. Gilles de Rome, In I Sent., d . 3 , a. 2 Resp . , texte reproduit par A. Daniels, Quellenbei-
träge und Untersuchungen zur Geschichte der Gottesbeweise im 13. Jahrhundert mit beson-
derer Berücksichtigung des Arguments in Proslogion des hl Anselm, B.G.P.M.A., VIII , 2,
Münster, 1909 , p . 72 sqq. Voir encore J. Paulus, « Henri de Gand et l'argument ontolo-
gique », A.H.D.L.M.A. , 10 ( 1936) , p . 265-323.
8. Hervé, ibid. , f. 34vb - 35 ra (A) . Gilles de Rome , ibid.; Daniels, p . 74-75 .
9. Hervé, ibid., f. 35a (B).
10. Ibid. , f. 35a (B-C) . Gilles de Rome , ibid. , p. 74.
11. Hervé, ibid. , (C-D) . Cf. Gilles de Rome, ibid. , p. 74 , qui explicite le sens du terme ' Dieu'
par la formule : quia est ipsum esse.
12. Je condense l'exposé d'Hervé . La réfutation de la thèse de Gilles a précédé la Responsio.
F. 35b (B) les attributs divins et le thème de Providence .
LA DÉMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 39
13. Voir J. Santeler, Der kausale Gottesbeweis bei Herveus Natalis nach dem ungedrucktem
Traktat 'De cognitione primi principii ', Innsbruck, 1930 J.-T. Mannath, « Harvey of
Nedellecs Proofs for the Existence of God : ' De cognitione primi principii ' Qu . III-IV »,
Salesianum, 31 ( 1969) , p . 46-112 ; P.-T. Stella « A proposito di Pietro da Palude (In I Sent.,
d. 43, q. 1 ) : la questione inedita ' Utrum Deum esse infinitum in perfectione et vigore possit
efficaci ratione probari ' di Erveo Natalis » , Salesianum, 22 ( 1960), p. 245-325 .
14. L. Hödl , « Die Kritik des Johannes de Polliaco an den philosophischen und theolo-
gischen ratio in der Auseinandersetzung mit den averroistischen Unterscheidungslehre.
Eine historische Studie zu den Quaestiones quodlibetales und Quaestiones ordinariae des
Johannes de Polliaco » , Miscellanea Martin Grabmann, Gedenkblatt zum 10. Todestag,
München, 1959 , p. 11-30.
15. T.-P. Stella, « Intentio Aristotelis, secundum superficiem suae litterae. La ' Replicatio
contra Magistrum Herveum Praedicatorem ' di Giovanni di Pouilly » , Salesianum, 23 (1961) ,
p. 481-528.
16. Cf. B.-F.-M. Xiberta, « De Summa theologiae Magistri Gerardi Bononiensis, ex Ordine
Carmelitarum » , Anal. Ord. Carm. V ( 1923) , p . 3-54 ; du même auteur, « Magistri Gerardi
Bononiensis, O. Carm. questio de Dei cognoscibilitate (Summa theol. , q. 13) » , Medioevo e
Rinascimento, Studi in onore di B. Nardi, Firenze , 1955 , II , p . 829-870 . D'après P. Glorieux,
Répert. des Maîtres en théol., nº 420 , II , p . 336 , Gérard de Bologne, présent à Paris proba-
blement vers 1287 , y aurait enseigné entre 1305-1308 . Il n'a pas de pensée personnelle : ses
textes sont décevants. Il se fait l'écho des propositions les plus sceptiques de son temps.
17. Voir E. Gilson, « Les seize premiers Theoremata et la pensée de Duns Scot » ,A.H.D.L.M.A.,
11 (1937-1938) , p. 5-86, notamment p. 54 sqq. pour les Théorèmes XV et XVI.
18. Pour les thèses condamnées en 1277 , voir Chartul, Univ. Paris, I , p. 543 sqq. (nº 473) :
thèses nº 80, 98 , 99 , 101 concernant le monde éternel . D'autres thèses relatives à la causa-
lité sont encore à retenir : cf. nº 21 , 46 , 60 , 142 , 195 , 199. Maïmonide, Guide des égarés,
II, c. 19 (éd. Paris, 1520 , f. Lr ; trad . franç. S. Munk , II, p. 144 sqq.).
19. Jean de Pouilly , Quodlibet III, q. 1 , texte publié par T.-P. Stella, <« Intentio Aristotelis ... » ,
p. 501.
20. Jean de Pouilly , ibid. , p. 503 , allègue Henri de Gand, Quodlibet VIII, q. 6 (éd . Paris,
1518 , f. 311ret v).
21. Jean de Pouilly , ibid., P. 504.
22. Ibid. , p . 501-503.
23. Ibid. , p. 501.
24. Ibid. , p. 503.
25. Ibid. , p. 502.
26. Aliquid probari efficaciter dupliciter potest intelligi : simpliciter vel ad hominem
(ibid. , p. 502).
27. Ibid. , p. 502-503.
28. Voir J.-T. Mannath , « Harvey of Nedellecs Proofs ... » , note 107 , p . 64, et p . 66 pour
la différence d'acception par rapport à Jean Duns Scot.
29. Texte d'Hervé : Mannath , ibid. , note 109.
30. Ibid. , p. 64 , notes 109-110.
31. Ibid. , p . 66-67 pour le texte d'Hervé, cf. notes 120-124 et p . 70 notes 136-137 .
32. Ibid. , p . 71 et note 144.
33. Ibid. , p. 62 et note 94.
34. Jacques de Metz, In I Sent. , d . 3 , q . 1 , texte édité par B. Decker (et R. Haubst) , Die
Gotteslehre des Jakob von Metz, Untersuchungen zur Dominikanertheologie zu Beginn
des 14. Jahrhunderts, B.G.P.T.M.A., XLII- 1 , Münster, 1967 , p. 111 , note 7 .
40 E. WEBER
66. Ibid. , p. 297 , 5 sqq. ; appréciation p . 298 , 13 sqq. Cf. Thomas d'Aquin , QD De poten-
tia, q. 3, a 4 ;1ª, q . 45 , a 5 .
67. Durand de Saint-Pourçain , In I Sent. , d . 43 , q . 1 , Resp . nº 7 (f. 96r) ; ibid. , les trois
raisons des contemporains (moderni theologi) , appréciées nº 10 et nº 13.
68. Durand de Saint-Pourçain, ibid. , nº 11 (f. 96rb) .
69. Hervé, ibid. , p. 299 , 8 - p . 300 , 2. Pour Eckhart, voir par exemple Qu. Paris. I (disputée
au Studium de Saint-Jacques , Hervé étant bachelier, en 1302-1303) , § 10 sqq. (LW V,
p. 46 sqq. ) ; Comment. de l'Exode, § 53 (LW II, p. 57) ; Comm. du Siracide, § 52 sqq.
(LW II, p. 280 sqq. ) , etc.
70. Ibid. , ad 21m , p . 307 , 3 sqq.
71. Cf. C. Michalski , Les sources du criticisme et du scepticisme dans la philosophie du
XIVe siècle, Cracovie, 1924.
72. Guillaume de Ware, cité par Daniels, Geschichte der Gottesbeweise ... , p . 98-104.
Voir P. Muscat , « Guill . de Ware, Quaest. inedita de unitate Dei » , Antonianum 2 ( 1927 ) ,
p. 335-350.
73. Hervé connaît cette doctrine des formes intelligibles démultipliées selon le degré plus
modeste du sujet intellectif, mais il n'en tire rien. Cf. In II Sent. , d . 3 , q. 4 , a 4 (p. 215 ) .
74. Jean Duns Scot, Lectura I, d . 2 , p. 1 , q . 1-2 , § 20 ( 16 , p. 116-117) ; cf. Ordin. I, d. 2,
q. 1-2, § 23-24 ( 2 , p. 136-137) ; Rep. Paris, I, d . 3 , q. 2 , nº 2 (Vivès, 22 , p . 98a).
75. Hervé Nédellec , Tract. de Verbo, q . 2 , a 2 (Arivaberum, f. 17va) .
76. Voir plus spécialement les textes dont la référence est notée ci-dessus notes 54 et 66.
1
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT
AT THE UNIVERSITY OF PARIS
William J. COURTENAY
2) The prohibition of 1339 was precipitated by several other crises that occur-
red in the period 1337-1347 and which were largely unrelated to Ockham or
Ockhamism. Our failure to perceive these other crises - our tendency to assume
that all the << relevant » documents address the same issue - has been , I suggest,
a major barrier preventing an adequate reconstruction of events .
44 W.J. COURTENAY
than the implications for logic . Ockham's linguistic approach to physics not
only contrasted with the quantitative , mathematical approach of many Oxford
scholars in the next generation, but it posed what appeared to be an alternative
view of the physical universe and its operations12 .
Such a picture is suggested by the remarks of Burley's contemporary,
Michael of Massa, who lectured on the Sentences at Paris in 1325-132613 .
Massa is the first Parisian author to cite Ockham by name, and although he
shared with Ockham (and with several earlier Parisian authors , such as Peter
John Olivi and Durand of St. Pourçain) the rejection of species in cognition14 ,
he was sharply critical of Ockham on a number of issues . Massa saw Ockham's
physical theory to be a revival of the ancient oneness-philosophy of the Eleatics ,
which had been rejected by Plato and Aristotle 15. One also receives the impres-
sion from Michael's commentary that Ockham's natural philosophy had won
a following at Paris, and that Michael was as much (if not more) concerned over
Parisian supporters of Ockham than he was over Ockham himself16 .
Thus, by the time Ockham was in Avignon awaiting the outcome of the
investigation into his orthodoxy, several of his works were available at Paris and
some of his views well-known17 . His «< visibility » at Paris had a particular cha-
racter that has not been sufficiently stressed . First , it was Parisian theologians
who were concerned about his ideas, for his opinions are cited only in works
written by bachelors or masters of theology . Second , these Parisian theologians
were concerned primarily about Ockham's natural philosophy and , to a lesser
extent, the related issues in his logic . They appear to have been unaware of or
unconcerned over his theological opinions . Ockham's views on the eucharist
may have entered the discussion only because of the controversial nature of his
views on the status of quantity in relation to substance and quality . Third,
there is the hint that Ockham's physics had begun to attract supporters at Paris,
whether within the Arts or Theological Faculty is difficult to determine . Massa's
Okanistae may refer to such a group, or it could also be nothing more than
the common scholastic practice of giving a plural label to one person's opi-
nions. Eventually , however, such supporters of Ockham's physics did appear.
The Tractatus de successivis, which contains the heart of Ockham's teaching
on time, motion, and place, was extracted from his Expositio in libros Physi-
corum by such followers as a concise statement of Ockham's version of the new
physics18 .
Given the revolutionary quality modern historians usually attribute to
Ockham's thought, it is perhaps surprising that there was not more mention of
him at Paris in this period . Most areas of his thought received no attention , and
many Parisian theologians ignored his logic and physics as well . By contrast, the
writings of Thomas Aquinas, John Duns Scotus , Durand of St. Pourçain , and
Pierre d'Auriole elicited almost immediate attention and, in the case of the last
two, not because a religious order promoted their thought but because the ideas
contained in their works evoked a quick and widespread response . Why did
Paris not view Ockham's thought as equally worthy of attention ?
NAY
46 W. J. COURTE
such as Bacon, Scotus , Alnwick, Burley, and others . But even this modest drift
of ideas from Oxford to Paris all but ceased in the late 1320s and early 1330s as
France and England moved towards the war that eventually brought prohibitions
in both countries against scholars going abroad for education . The Procurator's
Book of the English-German Nation at Paris , whose earliest extant record
begins in 1333 , reveals only a handful of English students left at Paris , and even
those soon disappear24 . Much of this decline in the English presence at Paris
was probably due to the disintegrating political climate, but much of it was
also due to the fact that Oxford had become not only an acceptable alternative
to Paris but a preferable one . By 1330 the developments in logic , mathematics ,
physics, and theology at Oxford were far more exciting than almost anything
comparable at Paris in the period 1328-1340 . Only John Buridan seems to conti-
nue the kind of interests pursued earlier by Marchia, Massa, Gerard Odonis , and
others from the pre- 1328 era.
item on the problem of classroom discipline, a problem that seems to have been
rampant in almost all the faculties , including Law and Medicine. During this
period of reform , and in light of the financial urgency and need to appease
Pope Benedict, the Faculty of Arts also reaffirmed its right to determine the
texts appropriate for lectures and disputations, public or private . As part of that
statute the votes were gathered to prohibit the use of the works and doctrine of
one of the principal enemies of Benedict XII , William of Ockham , whose views
were being cited by students and bachelors in the Arts Faculty29 .
If this first piece of legislation prohibiting the use of Ockham as an autho-
rity in lectures or disputations was designed in any way to appease Benedict ,
it was unsuccessful . In the following February Benedict suspended the privileges
of the University, and in the autumn of 1340, prompted probably by interested
parties at the University, Benedict began inquisitorial procedures against a num-
ber of bachelors and students in the Theological Faculty, most of them secular
theologians who may have continued to teach in the Faculty of Arts while pur-
suing their theological studies . Among those accused were Nicholas of Autrecourt
and an English student from Benedict's own monastic order, the Cistercians30 .
The University's privileges were not restored until July 134131 .
The Invasion of English Logic , Physics, and Theology : The Crisis of 1340-1347
in December 1340 was not derived from Burley, Ockham , or Buridan, all of
whom allowed for suppositio impropria and warned of the dangers that would
result from analyzing terms and propositions de virtute sermonis without regard
for usum loquendi.
The second tendency , in evidence in the Faculty of Theology, was to
restructure theological debate , Sentences commentaries and quodlibetal ques-
tions around theological sophismata in which the techniques ofthe new logic
were used, the debate conducted according to the rules of obligations , and pro-
blems of logic and natural philosophy addressed within a theological structure.
Few Parisian Sentences commentaries ever reached the stage of development
reflected in the English commentaries of Alexander Langeley , Monachus Niger,
or Nicholas Aston . But the commentary of John of Mirecourt resembled in
structure and was heavily dependent on the English commentaries of 133039 .
These two issues or tendencies - a sensationalism born of an overly strict
application of supposition theory in Arts and the restructuring of approaches
in Theology through the use of sophisms and obligations- respectively lie
behind the summoning of Autrecourt to Avignon and the December, 1340
statute of the Faculty of Arts on the one hand, and the investigation and con-
demnation of Mirecourt on the other. Neither issue was related to Ockham or
the Ockhamists, a crisis that had its own separate development, fueled perhaps
by the turmoil going on in the University at the same time.
The text of this second statute is no longer extant, but part of its content can
be reconstructed from references to it . In contrast to the statute of Septem-
ber 25 , 1339 , which concerned the use of the works and doctrine of Ockham ,
this new statute was directed « against the opinions of certain ones who are
called Ockhamists >> 41 . What was now being prohibited was the scientia Okamica,
and in its place the « scientia Aristotelis and of his Commentator Averroes » was
being required, « except in those cases that are against the faith >> 42 . The issues
on which Averroes and Ockham can be contrasted are not issues of proposi-
tional analysis but the understanding of universals, the interpretation of the
predicaments, and the effects on the understanding of physics .
The prohibition of Ockham's physics by the Arts Faculty in 1341 did not
end discussion . Thus the English-German Nation , which seems to have had these
divisions and tensions within its own ranks , went one step further in the autumn
of 1341. They established an ordinance , which many wished to be considered
a statute, requiring members of the Nation to inform on their colleagues if they
know of anyone belonging to or supporting the views of the secta Okamica43 .
Anyone holding such views would be suspended from all academic exercises
in the Nation and University. The Ordinatio of 1341 was accompanied by an
oath that had to be sworn by the candidate in Arts before the rector when
he came to incept : « You shall swear that you shall observe the statutes made
by the Faculty of Arts against the scientia Okamica, nor sustain in any way
whatsoever the said scientia and similar ones , but [sustain instead] the scientia
Aristotelis and of his Commentator Averroes , and of the other ancient commen-
tators and expositors of the said Aristotle, except in those cases that are against
the faith »> 44.
1341 represented the high point of the group opposing the adoption or
even use of Ockham's physics at the University of Paris. Within a few years
Gregory of Rimini , who would not have been bound by the statutes of the
English-German Nation or the Faculty of Arts in any case , espoused a natural
philosophy that paralleled Ockham's on many points, such as on motion, time ,
and relation45 . Moreover, between 1347 and 1365 , all references to and prohi-
bitions of the scientia Okamica were removed from the list of oaths to be
sworn by those of the English-German Nation incepting at the University of
Paris46 . For most, Ockham's physics had again become a matter of academic
debate, not a matter of official , university legislation.
The most intense stages in the crisis over Ockham's physics are associated
with the career of a German member of the English Nation , Conrad of Megenberg
(Monte Puellarum)47 . Conrad came from the area of Nürnberg and, after early
education at Erfurt , entered the Faculty of Arts as a lecturer in philosophy at
the Cistercian College of St. Bernard . He became master of Arts before 1334.
In 1337 , while teaching in the Faculty of Arts and studying theology, Conrad
wrote his Planctus ecclesiae in Germaniam, a lengthy poem which he dedicated
successively to two papal chaplains in the hope of obtaining a benefice 48. The
first part of the poem addresses the political conflict between Louis of Bavaria
52 W.J. COURTENAY
and the papacy , attempting to explain the German position in a way that
would be understood at Avignon . The political views of Marsilius of Padua and
John of Jandun are mentioned, as are those of the « Franciscans » , but Ockham
is not mentioned directly . Of greater interest is the complaint of the Church
against the corruption of the seven liberal arts that has resulted from the pride
of the clerks, from this «< Hebream » , this « vanam gloriam mundi » 49. The sin
of grammar is that «< language now stumbles into vain things, coins inanities >> .
The sin of logic is that << now any man 'paralogizes ' and deals in sophisms » 50 .
In the second part of the work Conrad continues to rant against the mendicants ,
whose stomachs are jars of wine . In particular he attacks and ridicules the
Franciscans, whom he links with plague . By contrast, Aristotle and Averroes
hold places of honor51 .
In 1342, having twice been a University nuntius at Avignon , having lec-
tured on the Sentences , and having acquired both from Benedict XII and
Louis of Bavaria benefices in Regensburg , Conrad left Paris for a teaching post as
rector of St. Stephen's School in Vienna. It was there in 1347 that he wrote his
commentary on John of Sacrobosco's Sphaera in which he attacked Ockham's
teaching that points and lines are not res distinctae inter se et a corpore52 .
Similar views were expressed later in his Economica, written between 1348 and
1352 while a canon at Regensburg. In that work Conrad attacked Ockham and
his followers << who assert that relations as well as 'place ', ' habit ', 'where ',
'when ' outside the soul are things indistinguishable from absolute things , and
affirm that quantity is the same as substance . They even call motions - in which
the actions and passions of things are formed - things indistinguishable from
permanent things »53 .
Conrad's campaign against Ockham culminated in 1354 with his Tractatus
contra Ockham. But some common themes that run from his Planctus of 1337
to his Tractatus of 1354 enable us to detect the presence of Conrad in the events
at the University of Paris between 1337 and 1342. Among the many objections
to contemporary thought portrayed in the pages of Economica, Conrad in his
third book singled out two that he felt were especially evil54 . One of these was
Ockham's reinterpretation of the predicaments. The other - an entirely separate
issue for him - was the semi-learned students and masters who in his opinion
do not know how to handle grammar, rhetoric, and logic properly . In the
Economica, therefore , he gives a fuller explanation for the decline in the liberal
arts to which he alluded in his Planctus, and suggests that the practitioners of
this misunderstanding of grammar, rhetoric, and logic pretend to be superior
to other scholars and have fared better in the world than have the << noble
intellects » , perhaps meaning himself55 .
A common approach to language is reflected in the errors Conrad lists .
In grammar he criticizes these wretches (miseri) for rejecting as meaningless
such sentences as aqua transit in fluviis » or « venti volant » because they
attribute an action to the subject that it does not in reality have . To say that
<< winds fly >> is to use an expression everyone understands, ex usu loquendi,
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 53
but de virtute sermonis the statement would be false , since winds « do not have
wings »56. The same failing comes out in the area of rhetoric , where these
miseri reject as meaningless expressions such as « bouquet of words >> or << colors
of sentences ». Again, what is being rejected are metaphors, indeed all figures
of speech. Conrad is quick to note that this attitude leads to heresy when
applied to Scripture , since the Bible uses figures of speech continually . << And if,
de virtute sermonis, these expressions are false, it would follow that rhetoric
would have no power of expression in the most beautiful kinds of metaphor >> 57 .
Finally, in logic they consider themselves learned when they have mastered
a dozen so-called insolubilia or a poor half-dozen obligationes. Even wise old
men spend their time sweating over these worthless things (vilibus insudare)58 .
These two distinct problems , the « trivial » errors and the Ockhamist
errors, were not new to Conrad in the period 1347-1354 . The former is alluded
to in the Planctus of 1337 and the latter can be surmised from Conrad's asso-
ciation with the events of 1339-1341 at Paris . At the time of the December 1340
statute, Conrad was procurator of the English-German Nation59 . Many of the
errors listed in that statute concern the rejection of all propositions that are not
true de virtute sermonis, that is , considering any proposition false that uses a
figure of speech. Moreover, some of the wording of the prologue of the statute is
reminiscent of phrases encountered in the Planctus and Economica60 .
Conrad's second complaint was met shortly after he left office as procu-
rator. In late January or early February of 1341 the Faculty of Arts passed
a statute against the scientia Okamica, and in the following months, as we have
seen, the English-German Nation, with Conrad taking an active part , attempted
to uncover and expel all those in its midst who sympathized with the physics
of Ockham61 .
It is perhaps significant that the date of Conrad's departure from Paris
(1342), probably without inception as a master of theology, was the same year
in which Gregory of Rimini returned to Paris to lecture on the Sentences, a
work in which he adopted positions that paralleled most aspects of Ockham's
physics . One also finds in the 1340s at Paris an increasing number of Ockham's
works in circulation and citations of his opinions , although often critically.
Attention was shifted from Ockham's physics to his epistemology and tea-
ching on grace and justification . But the real issues of 1342-1347 concerned
the impact of English thought after Ockham and the controversies sparked by
a revival of Augustinianism .
The transformations at Paris after 1342 are not likely to have pleased
Conrad. Ockham's physics was once again receiving a hearing . Mendicant and
monastic theologians were even more prominent than before, and their efforts
were being rewarded by university and church. In comparison , Conrad saw
his life as a struggle . He no doubt remembered his difficulties in financing his
education . His early attempts at securing benefices had been poorly rewarded .
And he now found himself surrounded by mendicants whose careers seemed
to prosper far better and more rapidly than his own . The continued anger and
54 W.J. COURTENAY
the University was the introduction of the newer English thought, an event in
which Ockham's writings played only a small part. With regard to Ockham,
attention was shifted from his views on the predicaments and physics to his
epistemology, conceptualism , and teaching on grace and justification, that is
to say, shifted exactly to those elements in Ockham that had attracted the
most attention in England and Avignon between 1318 and 1335. To that extent,
the introduction at Paris of the wider English context of Ockham's thought
was probably responsible for that shift.
If Conrad lost the battle to condemn Ockham's physics (at least until
the rise of Albertism and Thomism in the fifteenth century) , the fuller reception
of English logic and the early stirrings of humanism at Paris apparently extin-
guished the narrow approach to supposition against which the December 1340
statute was directed . It is perhaps ironic that in the victory over Conrad's second
principal concern, the preservation of metaphoric language and the validity
of figures of speech, the logical writings of Burley and Ockham - both opposed
by Conrad - may have played a more important role than the attitudes of the
rhetoricians and proto-humanists for whom poetic expression was as valuable
as scientific precision .
NOTES
Many of the interpretations and evidence presented in this paper are drawn
from a longer study jointly authored with Dr. Katherine Tachau . A more exten-
sive examination of the documents is provided there : « Ockham , Ockhamists,
and the English-German Nation at Paris , 1339-1341 » , History of Universities,
2 ( 1982), 53-96.
Miscellanea Mediaevalia, Bd.9 (Berlin , 1974) , especially the articles by N.W. Gilbert , << Ockham ,
Wyclif, and the ' via moderna ' » , p . 85-125 , and A. Gabriel « ' Via antiqua ' and ' via moderna '
and the Migration of Paris Students and Masters to the German Universities in the Fifteenth
Century » , p. 439-483.
3. Among the numerous books and articles on this problem , see : F. Ehrle , Der Sentenzen-
kommentar Peters von Candia des Pisaner Papstes Alexanders V, Franziskanische Studien,
Bh. 9 (Münster i.W. , 1925) ; C. Michalski, « Les courants philosophiques à Oxford et à
Paris pendant le XIVe siècle » , Bulletin international de l'Académie Polonaise des Sciences
et des Lettres, classe d'histoire et de philosophie , 1919-1920 (Cracow, 1922) , p . 59-88 ;
<< Les sources du criticisme et du scepticisme dans la philosophie du XIVe siècle » , Inter-
national Congress of Historical Sciences (Bruxelles, 1923-1924) , p . 241-268 ; « Le Criticisme
et le Scepticisme dans la Philosophie du XIVe siècle » , Bull. internat. de l'Acad. Pol. des
Sciences et des Lettres, classe d'hist./phil . (Cracow, 1927) , p . 41-122 ; « Les courants
critiques et sceptiques dans la philosophie du XIVe siècle » , Bull. internat. de l'Acad. Pol.,
classe d'hist./phil. (Cracow, 1927) , p . 192-242 ; « La physique nouvelle et les différents
courants philosophiques au XIVe siècle » , Bull. internat. de l'Acad. Pol., classe d'hist./phil .
Cracow, 1928), p. 93-164 ; « Le problème de la volonté à Oxford et à Paris au XIVe siècle » ,
Studia Philosophica : Commentarii Societatis Philosophicae Polonorum, vol . II (Lwow, 1937),
p. 233-367 ; E. A. Moody , « Ockham, Buridan, and Nicholas of Autrecourt : The Parisian
Statutes of 1339 and 1340 » , Franciscan Studies, 7 (1947) , 113-146 ; D. Trapp, « Augustinian
Theology of the 14th Century » , Augustiniana, 6 ( 1956) , 146-274 ; « Peter Ceffons >> ;
<< 'Modern ' and ' Modernists ' in MS Fribourg Cordeliers 26 » , Augustinianum, 5 (1965),
241-270 ; Ruprecht Paqué , Das Pariser Nominalistenstatut (Berlin, 1970) ; T. K. Scott,
<< Nicholas of Autrecourt, Buridan , and Ockhamism » , Journal ofthe History ofPhilosophy,
9 (1971 ) , 15-41 ; and N. W. Gilbert, « Ockham , Wyclif, and the ' via moderna ' ».
4. Ockham's rejection of the theory of impetus supposedly created by Francis of Marchia
and Marchia's rejection of a theory of quantity in a form found in Ockham's Reportatio
and De sacramento altaris led Anneliese Maier to believe that each was referring to the other.
In order to answer the question of how two authors, reading the Sentences simultaneously in
different universities , could have known the opinions of each other, Maier divided Ockham's
commentary on the Sentences into several stages. She saw the incomplete version of the
Ordinatio as the product of pre-Oxford lectures on the Sentences given at a studium of
the Order in 1317-1319 . The remainder of that commentary (Books II-IV) , which would
have contained Ockham's earliest treatment of quantity and the eucharist, was supposedly
lost or never written down for distribution . The next work in sequence was, for Maier,
Ockham's two treatises on the eucharist published under the title De sacramento altaris
(by 1319) . It was this treatise , argued Maier, that Marchia had read when he lectured on
the Sentences at Paris in 1319-1320 . Ockham's Reportatio on Books II-IV, in which Ockham
attacks the theory of impetus , she viewed as the Oxford lectura and dated to the years 1320-
1322. Finally, the Ordinatio was revised or completed (the so-called second redaction) by 1323.
Apart from the fact that De sacramentis cannot have been written before the summer
of 1323, since in it Aquinas is referred to as Saint Thomas, the other evidence could as
easily be explained by conjecturing a pre-Paris series of lectures on the Sentences by Marchia
or, as Stephen Brown suggested in the similar case of John of Reading, a subsequent revision
of his Parisian lectures. There is more evidence to suggest that the practice of a pre-university
reading of the Sentences developed in France before it appears in England . The examples
Maier cited to prove that Ockham could have read before Oxford are all Parisian.
The Ockham /Marchia problem may be an unnecessary question. Olivi and Ockham were
not the only authors in that period who denied separate real existence to the category of
quantity, nor are the verbal parallels close enough to Ockham's text to prove that Marchia
could only have been referring to Ockham. For example , Henry of Harclay, whose theo-
ry of universals influenced Ockham , identified quantity with extended substance in his
Quaestiones ordinariae ; see F. Pelster, « Heinrich von Harclay, Kanzler von Oxford und
seine Quästionen », Miscellanea Francesco Ehrle, I (Rome , 1924 ) , p . 307-356 ; G. Gál,
<< Henricus de Harclay : Quaestio de Significato Conceptus Universalis » , Franciscan Studies,
31 (1971 ) , 178-234 . Similarly, Ockham could have had in mind the incipient impetus theo-
ry found in Olivi or, more likely , someone writing in England shortly before 1317. Ockham's
<< tu ponis » suggests an Oxford contemporary more than a Parisian contemporary.
57
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 57
5. The parallels are given in A. Maier, « Zu einigen Problemen der Ockhamforschung »> ,
Archivum Franciscanum Historicum, 46 ( 1953) , 161-194 , reprinted with revisions in Aus-
gehendes Mittelalter, vol. I (Rome, 1964), 175-208 , esp . 196-203 . Burley may have known
Ockham's writings earlier. In his Tractatus de formis, dated between 1320 and 1323 , Burley
attacked a theory of quantity similar to Ockham's. The description of the opinion does
not seem precise enough to identify it as Ockham's opinion rather than Olivi's or Harclay's.
6. The longer version of De puritate artis logicae, written by 1329 , attacked Ockham's
view of simple supposition. See edition by Ph. Boehner : Walter Burleigh, De Puritate Artis
Logicae Tractatus Longior (St. Bonaventure, N. Y. , 1955 ) , p . 7.
7. Erfurt, CA 80 67 , fols. 123 v-134r, contains excerpts from Burley's De puritate artis
logicae tractatus longior, with the preface : « Hanc extractionem de logica Burle ordinavit
frater Ioannes Nicholai, lector de custodia Lincopensi, provinciae Daciae , quando studuit
Parisius, anno Domini Mº CCCXXIXº , de cuius logicae commendatione praemisit prolo-
gum in hunc modum : Post praecedentem summam editam a Fratre Willelmus Ockham]
compilavit Burle alium tractatum de logica, in quo pauca continentur utilia, realiter nihil,
vel sumpta de priori summa vel de Boethio in libro De categoricis et hypotheticis syllogis-
mis . Quae tamen in ipso iudicavi esse utilia, posita ultra ea quae in summa praecedenti,
vel quae sunt contra ea quae dicuntur in illa summa, ut opposita iuxta se posita magis elu-
cescant et melius, breviter in sequentibus colliguntur » . Quoted from P. Boehner, G. Gál,
and S. Brown, eds. , Summa logicae, in Opera philosophica et theologica. Opera philosophica,
I (St. Bonaventure, N. Y., 1974) , 25 *-26*.
8. Katherine Tachau has recently discovered a Sentences commentary of Parisian prove-
nance, probably to be dated before 1330, that shows familiarity with Ockham's Ordinatio
and Chatton's Reportatio. But of the seventeen extant manuscripts of Ockham's Ordinatio,
only three can be traced to fourteenth-century France (Troyes 718 , probably belonging to
the Cistercians at Paris ; Paris, Mazarine 894 , probably belonging to the Augustinians at
Paris ; and Munich, Univ. F. 52) and none can be dated before mid-century .
9. On the distinctive character of Ockham's formulation , see K. Tachau , « The Problem
of the Species in medio at Oxford in the Generation after Ockham » , in Mediaeval Studies,
44 (1982) , 394-443 ; « The Response to Ockham's and Aureol's Epistemology : 1320-1340 »,
in English Logic in Italy in the 14th and 15th Centuries, éd . A. Maierù (Naples, 1982) ,
185-217 .
10. Francis of Mayronis, Quodl. I, q . 3 (Vat. lat. 901 , fol. 7ra) : « Circa istam questionem
[Utrum Deus possit acceptare hominem in puris naturalibus existentem tanquam dignum
vita eterna] , quia de facto versatur coram Christi vicario summo pontifice , ideo reducendum
est ad memoriam illud quod dicit salvator noster eius predecessori Matth. 16º : 'quodcum-
que solveris super terram , erit solutum ' etc. et ideo ad determinandum exspectandum est
eius iudicium » . Cited from J. Koch , « Neue Aktenstücke zu dem gegen Wilhelm Ockham
in Avignon geführten Prozess » , R.T.A.M. , 7 ( 1935 ) , 350-380 ; 8 ( 1936 ) , 79-93 , 168-197 ;
reprinted in Kleine Schriften, vol . II (Rome , 1973) , p . 312 .
11. Of particular interest among the abundant literature on these aspects of Ockham's
thought are S. Moser, Grundbegriffe der Naturphilosophie bei Wilhelm von Ockham :
Kritischer Vergleich der 'Summulae in libros Physicorum ' mit der Philosophie des Aristoteles
(Innsbruck, 1932 ) ; E. A. Moody, The Logic of William of Ockham (New York , 1935 ) ;
Ph. Boehner, « Ockham's Theory of Supposition and the Notion of Truth » , Franciscan
Studies, 6 (1946) , 261-292 ; Ph. Boehner, Medieval Logic (Manchester , 1952) ; A. Maier,
Metaphysische Hintergründe der spätscholastischen Naturphilosophie (Rome, 1955) ;
H. Shapiro, Motion, Time and Place According to William Ockham (St. Bonaventure , N. Y.,
1957) ; J. A. Weisheipl, « Developments in the Arts Curriculum at Oxford in the Early
Fourteenth Century » , Mediaeval Studies, 28 ( 1966 ) , 151-175 ; Weisheipl , « Ockham and
some Mertonians » , Mediaeval Studies, 30 ( 1968) , 163-213 ; L. Price , « William of Ockham
and Suppositio Personalis » , Franciscan Studies, 30 ( 1970) , 131-140 ; J. Swiniarski , « A New
Presentation of Ockham's Theory of Supposition with an Evaluation of some Contemporary
Criticisms » , Franciscan Studies, 30 ( 1970) , 181-217 ; S. Brown , « Walter Burleigh's Treatise
de Suppositionibus and its Influence on William of Ockham » , Franciscan Studies, 32 (1972),
15-64 ; G. Leff, William of Ockham (Manchester, 1974) ; P. V. Spade , « Ockham's Rule
58 W. J. COURTE
NAY
<< The Role of English Thought in the Transformation of University Education in the Late
Middle Ages », in Rebirth, Reform , and Resilience : Universities in Transition , 1300-1700,
ed. J. M. Kittelson (Columbus , Ohio , 1984).
34. Weisheipl, « Developments in the Arts Curriculum at Oxford » ; M. A. Brown, « The
Role of the Tractatus de obligationibus in Mediaeval Logic », Franciscan Studies, 26 (1966),
26-35 ; L. M. De Rijk, « Some Thirteenth Century Tracts on the Game of Obligation »,
Vivarium, 12 ( 1974) , 94-123 ; 13 ( 1975) , 22-54 ; 14 ( 1976) , 26-49 ; P. V. Spade, « Roger
Swyneshed's Obligationes : Edition and Comments », Archives d'histoire doctrinale et
littéraire du Moyen Age, 44 ( 1977) , 243-285 ; Spade, « Richard Lavenham's Obligationes :
Edition and Comments » , Rivista critica di storia della filosofia, 33 ( 1978) , 225-242 ;
A.R. Perreiah, « Insolubilia in the Logica parva of Paul of Venice » , Medioevo , 4 (1978) ,
145-171 ; Spade, « Robert Fland's Obligationes : An Edition » , Mediaeval Studies, 42
(1980) , 41-60 ; E. Stump , « Medieval Obligationes and Aristotelian Dialectic » , unpublished
paper read at the Sewanee Mediaeval Colloquium, April 12 , 1980 ; Stump , « Obligations :
From the Beginnings to the Early Fourteenth Century » , in the Cambridge History ofLater
Medieval Philosophy, ed . N. Kretzmann , A. Kenny , and J. Pinborg (Cambridge, 1982 ) , 315-
334 ; Spade, « Obligations : Developments in the Fourteenth Century » , in the Cambridge
History of Later Medieval Philosophy, 335-341 ; Spade, « Three Theories of Obligationes :
Burley, Kilvington, and Swyneshed on Counterfactual Reasoning >» , forthcoming.
35. These works make their first appearance in Rimini's commentary, and it is uncertain
where he came in contact with them. It is probable that he encountered them in the schools
of northern Italy , which had close ties with Oxford in the second quarter of the fourteenth
century and where the first version of Rimini's commentary was drafted and probably read.
See my << The Early Stages in the Introduction of Oxford Logic into Italy », in English
Logic in Italy in the 14th and 15 Centuries, éd . A. Maierù (Naples , 1982 ) , p . 13-32. It is
also possible that he gained access to them at Paris, perhaps through the library of the
Cistercian College of St. Bernard , which was eventually rich in these sources, which main-
tained English contacts in the late 1330s and early 1340s, and with which the Augustinian
Hermits had close ties after 1340.
36. Ockham uses the distinction between de virtute sermonis and ex usu loquendi fre-
quently in his Summa logicae. His fullest treatment, however, is in his chapter De supposi-
tione impropria (Pt . I, c. 77) , p . 237 : « Et ideo multum est considerandum quando terminus
et propositio accipitur de virtute sermonis et quando secundum usum loquentium vel
secundum intentionem auctorum, et hoc quia vix invenitur aliquod vocabulum quin in
diversis locis librorum philosophorum et Sanctorum et auctorum aequivoce accipiatur ;
et hoc penes aliquem modum aequivocationis. Et ideo volentes accipere semper vocabulum
univoce et uno modo frequenter errant circa intentiones auctorum et inquisitionem veri-
tatis, cum fere omnia vocabula aequivoce accipiantur » . Similarly in Burley, De puritate
artis logicae, tractatus longior, pt. I , ch. 6 : De suppositione impropria, ed. Ph. Boehner
(St. Bonaventure, 1955) , p . 46-47 : « Et est suppositio impropria, quandocumque terminus
supponit praecise pro aliquo , pro quo de virtute sermonis non permittitur praecise suppo-
nere. Et dividitur suppositio impropria, quia quaedam est antonomastica, quaedam synecdo-
chica et quaedam metonymatica » . « Unde , quando terminus accipitur pro uno secundum
usum loquendi et pro alio de virtute sermonis, tunc est suppositio impropria ».
37. C.U.P. II , p . 505-507 , n. 1042 : « ... nulli magistri, baccalarii, vel scolares in artium
facultate legentes Parisius audeant aliquam propositionem famosam illius actoris cujus
librum legunt, dicere simpliciter esse falsam, vel esse falsam de virtute sermonis, si credide-
rint quod actor ponendo illam habuerit verum intellectum ; sed vel concedant eam , vel sen-
sum verum dividant a sensu falso , quia pari ratione propositiones Biblie absoluto sermone
essent negande, quod est periculosum » . « ... nullus dicat simpliciter vel de virtute sermonis
omnem propositionem esse falsam , que esset falsa secundum suppositionem personalem
terminorum , eo quod iste error ducit ad priorem errorem , actores enim sepe utuntur aliis
suppositionibus » . « ... nullus dicat propositionem nullam esse concedendam , si non sit
vera in ejus sensu proprio, quia hoc dicere ducit ad predictos errores, quia Biblia et actores
non semper sermonibus utuntur secundum proprios sensus eorum. Magis igitur oportet in
affirmando vel negando sermones ad materiam subjectam attendere, quam ad proprieta-
tem sermonis, disputatio namque ad proprietatem sermonis attendens nullam recipiens
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 61
propositionem , preterquam in sensu proprio, non est nisi sophistica disputatio. Disputationes
dyalectice et doctrinales, que ad inquisitionem veritatis intendunt, modicam habent de
nominibus sollicitudinem ».
38. No internal evidence in the statute of the Faculty of Arts issued on December 29 , 1340
identifies it as directed against Ockham or against Ockhamists . In fact , the cautionary
phrase added at the end of the statute to the effect that the prohibition of Ockham's
doctrine and works issued on September 25 , 1339 was still binding, suggests that those
who drafted the December 1340 statute recognized that it could be read as a vendication
of Ockham's thought.
The oft-cited external evidence, such as the rubric for the December 1340 statute or
the statement in the Procurator's Book of the English -German Nation (A.U.P. I, 44-45)
does not establish it as an anti-Ockhamist statute but proves the contrary. The rubric
occurs only in the fifteenth century copy of the Chartularium, after the rivalry of the via
antiqua and via moderna had begun to affect university politics and when the reales were
arranging and interpreting documents in their case against the nominales. The statement
in the Procurator's Book establishes that there was, in fact , a « second » statute « contra
novas opiniones quorundam , qui vocantur Occhaniste » beyond that of Sept. 25 , 1339 ,
but this second statute was drafted and promulgated «< tempore procuracionis ejusdem >» ,
that is, during the procuratorship of Henry of Unna, which occurred between January 13 ,
1341 and February 10, 1341. The December 1340 statute had already been promulgated
under the seal of the English -German Nation one month earlier. For a fuller examination
of these documents , see Courtenay and Tachau , « Ockham , Ockhamists, and the English-
German Nation at Paris , 1339-1341 » .
39. C. Michalski, Wpływ Oksfordu na filozofię Jana z Mirecourt (Cracow, 1921 ) ; G. Ouy,
Un commentateur des « Sentences » au XIVe siècle, Jean de Mirecourt, unpublished thesis,
Ecole des Chartes (Paris, 1946) ; W. J. Courtenay, « John of Mirecourt and Gregory of
Rimini on Whether God Can Undo the Past » , R.T.A.M. , 39 ( 1972) , 224-256 ; 40 (1973),
147-174 ; J. Murdoch , « Subtilitates Anglicanae ».
40. See above, note 37.
41. A.U.P. I, 44-45 « Item tempore procuracionis ejusdem sigillatum fuit statutum
facultatis contra novas opiniones quorundam , qui vocantur Occhaniste, in domo dicti procu-
ratoris, et publicatum fuit idem statutum coram Universitate apud Predicatores in sermone ».
42. C.U.P. II , 680 : « Item iurabitis quod statuta facta per Facultatem Artium contra
scientiam Okamicam observabitis, neque dictam scientiam et consimiles sustinebitis quoquo-
modo, sed scientiam Aristotelis et sui Commentatoris Averrois et aliorum commentatorum
antiquorum et expositorum dicti Aristotelis, nisi in casibus qui sunt contra fidem » .
43. A.U.P. I, 52-53 : « Item in eadem congregatione ordinatum fuit, quod nullus decetero
admitteretur ad aliquos actus legitimos in dicta nacione, nisi prius juraret quod revelaret,
si sciret aliquos de secta Occanica ad invicem conspirasse de secta vel opinionibus erroneis
fovendis, vel etiam conjuratos esse vel conventicula habere occulta, aliter nisi jure diceret
si sciret, ex tunc penam perjurii incurreret. Et hanc ordinacionem voluerunt equivalere
statuto . Facta autem est hec congregatio apud Sanctum Maturinum anno Domini supradicto,
die veneris proxima post diem sancti luce ewangeliste hora none Beate Virginis, presentibus
magistris Hugone de Duclas , Wernero Wolfram, Johanne Kinhard , Nicholao de Cosfeldia,
Gerardo de Marten , Andrea de Swecia, Conrado de Monte Puellarum, Nicholao Drukken
de Dacia, et Richardo Scoto »> .
44. See above, note 42.
45. Gregory of Rimini, Sent. I, dist. 28 , q . 2 , a.1 (Venice , 1522 ; reprint St. Bonaventure,
1955) , fol. 132 H : « Ex quibus evidenter patebit quod nulla relatio est entitas ab omni
absoluta entitate et ab omnibus entitatibus absolutis distincta » . Rimini, Sent. II , dist. 1 ,
q. 4 ; in edition by D. Trapp , Lectura super Primum et Secundum Sententiarum , vol . IV
(Berlin and New York, 1979) , p . 128 : « Nullus motus est aliqua talis res a permanentibus
distincta, ut fingit opinio [ Burley] . Secunda , quod nec ' mutatum esse est aliqua res talis,
qualem ponit. Tertia, quod nec mutatio est res a permanente distincta, ut dicit » . Rimini,
Sent. II, dist. 2, q. 1 ; in Lectura, vol. IV, p . 238-239 : « Prima est quod tempus non est
62 W.J. COURTENAY
aliqua res non permanens, sic divisibilis et successiva, ut dicit opinio [ Burley] . Secunda…
..
tempus non est res distincta formaliter inhaerens motui, ut dicit opinio. Tertia, quod ins-
tans non est ' indivisibile non durans » . For a fuller discussion see Courtenay, « Role of
English Thought ».
46. There are only three witnesses to these oaths sworn at inception in the Arts Faculty.
In the earliest list in the Registrum procuratoris for the English-German Nation covering
the period 1347-1365 (Arch . Univ. , Reg. 2 , pt . 2) the oath in question does not appear
and all references to the statutes contra scientiam Okamicam have been removed. In the
Liber Rectoris from the early fifteenth century (London , Brit. Mus. Add . 17304) there are
also no oaths contra scientiam Okamicam. Our only source is C. E. Du Boulay, Historia
Universitatis Parisiensis a Carolo M. ad nostra tempora, vol. IV (Paris, 1668 ) , p . 275 , who
took his list from the Procurator's Book of the French Nation , which is no longer extant.
Either the French Nation continued the oath contra scientiam Okamicam longer than did
the English-German Nation , or that manuscript dated from the pre- 1347 period in which
the oath was in force.
47. On Megenberg see : H. Ibach, Leben und Schriften des Konrad von Megenberg (Berlin,
1938) ; R. Scholz , Unbekannte kirchenpolitische Streitschriften aus der Zeit Ludwigs des
Bayern (1327-1354). Analysen und Texte, vol. I (Rome, 1911 ) , p . 127-140 ; vol . II (Rome,
1914) , p . 346-391 ; Konrad von Megenberg, Planctus ecclesiae in Germaniam, ed . R. Scholz.
Monumenta Germaniae Historica, C2 Staatsschriften des späteren Mittelalters , II , 1
(Leipzig, 1941 ) ; A. Pelzer and T. Kaeppeli, « L'Oeconomica de Conrad de Megenberg
retrouvée » , Revue d'histoire ecclésiastique, 45 ( 1950) , 559-616 ; J. Miethke, Ockhams
Weg zur Sozialphilosophie (Berlin , 1969 ) , 133-136 , 232 , 431 ; S. Krüger, « Krise der Zeit
als Ursache der Pest ? Der Traktat de moralitate in Alamannia des Konrad von Megenberg » ,
Festschrift für Hermann Heimpel zum 70. Geburtstag, vol. II (Göttingen , 1972) , p. 839-
883 ; A.S. McGrade, The Political Thought of William of Ockham : Personal and Institu-
tional Principles (Cambridge, 1974) , p . 4-5 ; Konrad von Megenberg, Werke : Ökonomik,
ed. S. Krüger. Monumenta Germ . Hist. , Staatsschriften des späteren Mittelalters, III , 5/1
(Stuttgart, 1973) ; III , 5/2 ( Stuttgart , 1977) ; K. Arnold , « Konrad von Megenberg als Kom-
mentator der ' Sphaera ' des Johannes von Sacrobosco » , Deutschens Archiv für Erforschung
des Mittelalters, 32 ( 1976) , 147-186.
48. Planctus ecclesiae, ed . R. Scholz, M.G.H. , SSM II , 1 ( Leipzig, 1941 ) .
49. Planctus I, ch. 13 , p . 32 : « Deus hanc maledicat Hebream » ; cf. ch. 10 , p. 30.
50. Ibid., p . 32 : « Cespitat in vanis iam lingua, monetat inanis ; Floribus est nuda, rudis
et vox , rustica cruda ; Iam paralogismat homo quilibet atque sophismat ; Ethyca marcescunt,
magis et brutalia crescunt » .
51. Ibid., p. 73 : « Sunt monachi, quorum stomachi sunt aufora Bachi, Qui fumant, male
consumant, que viscera strumant. Pregnans invidia fratrum, regnans symonia, Atque cucul-
losa vestis pestis studiosa, Omnibus est vere, nolens viciosa timere » . Ibid. , p. 74 : « Cordigeri
cum nigriferis scribunt odiose Christi de propriis, Deus, et, scis, non generose. Solvunt
hanc pestem divina prophetica, ' vestem ' cum dixere ' meum sorti misere beatam . Si ' mea ',
tunc propria, testatur philosophya » . Ibid. , p . 75-76 « Augustine tace, loquor, optime,
cum tibi pace ! Omnes doctores sancti, perdistis honores ! Summus Aristotelis et Averrois
edocuere, Sancti subtiles quod docti non potuere » . See also , p . 76 , 78, 80, 89.
52. << Sed hic est advertendum , quod secundum illos , qui negant puncta habere esse reale
preter animam et similiter lineas, sicut facit frater Wilhalmus et sui, illi dicerent, quod se-
cunda descripcio spere eciam competeret sibi secundum esse suum ymaginativum et concep-
tibile, sed ego non sum istius opinionis, et habet de hoc videri alibi , scilicet in questionibus
physicis » . Munich , Bayr. Staatsbibl. , Clm 14687 , fol 74ra, as quoted in Sabine Krüger,
<< Krise der Zeit » , p . 849 , n. 55.
53. Sevilla, Bibl. Colomb ., Ms.7-7-32 , fol. 94rb : « Aut certe dici potest, quod clericus
deficiens in statu scholastico est hic, qui naturas plurium abnegat rerum, quemadmodum
frater Wilhelmus de Occham Anglicus atque sui sequaces, qui tam relaciones quam situs,
habitus, ubi, quando , asserunt preter animam res indistinctas a rebus absolutis atque quan-
titatem eandem cum substantia rem affirmant. Motus etiam in quibus actiones rerum et
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 63
passiones firmantur dicunt res indistinctas a permanentibus rebus » . Also in Vat. Pal. lat.
1252, fol. 99г. Quoted from L. Thorndike , University Records and Life in the Middle
Ages (New York, 1971 ) , p . 409-410 , and Krüger, « Krise der Zeit » , p . 848 , n. 54. The text
is from Economica III , tr. 1 , c. 1.
54. Conrad's attack on Ockham and his followers occurs in chapters 1 and 14 , while his
attack on those who err in logic comes later in chapter 12. In light of his attitude toward
Ockham , Conrad would have made that connection in chapter 12, had the two groups
been the same.
Although the Economica was completed between 1348 and 1352, it is possible that
parts of it were drafted earlier, or that he incorporated earlier writings into the text. State-
ments in the first treatise of Book III suggest that it may have been written at Paris before
Conrad left in 1342. His description of the schools is a description of the University of Paris,
<< mater nostra venerabilis universitas Parysiensis » (ch . 3) . The leading role he gives to theolo-
gy (ch. 3 : « Supreme vero omnium scolarum cathedre…… . ad legendum libros theologicos » )
suggests ties with that faculty at the time of writing. He praises the « scole autentice >>
(e.g. Paris) and denigrate the « scole leninome » , specifically Erfurt and Vienna, which
suggests a time before his close association with Vienna and residence at Regensburg.
The fact that this portion of his work circulated separately also points to the possibility
that it may have a separate origin from the rest of the Economica. If this conjecture proves
correct, it would further explain the similarity in wording between chapter 12 and the
December 1340 statute of the Faculty of Arts. Against the conjecture, however, is the
bitter remark, ch. 12 University Records, p. 430-431 : « Sed huic nostris temporibus in
plerisque locis Theutonie cura minima subministrat quoniam scolarum rectoribus ut deceret
minime providetur nec eorum promotionibus ab episcopis intenditur ut oporteret. Qua-
propter ab hac sollicitudine illuminati viri apostatare coguntur et aliis statibus minorari »> ,
which could have been written on the eve of his departure from Paris ( 1342) or after his
departure from Vienna ( 1348).
55. Economica III, tr. 1 , ch . 12, from Thorndike, University Records, p. 431 : « Surgunt-
que miseri quidam qui se numquam dignos noverunt discipulos et quod penitus nesciunt
docere presumunt atque, quod condolendo refero , tales nobilibus ingeniis potius seductores
quam doctores preficiuntur….. Quia tamen ignorantiam propriam ignorant elatis frontibus
magistraliter incedunt et paucissima cognoscentes de quolibet disputant plene » .
56. Ibid. « Gramaticam indignis molestant derisibus affirmantes quod nulla partium
orationis constructio est transitiva... Quapropter aqua non transit in fluviis secundum eos
neque venti volant, quoniam alas non habent. Nec poterit dici quod una partium orationis
regat aliam secundum modorum significandi proportiones, quia intellectus humanus omnes
partes orationis regit et dirigit. Proprietates enim partium orationis nichil sunt ut dicunt ».
57. Ibid. : « Rethoricam eloquentiam adeo sua cecitate postergant ut nec flores verborum
nec colores sententiarum capiant sed flores in pratis crescere et colores varios pictores
componere et pulchre variare ad instar nature affirmant. Qualiter hii dulciloquia sacrarum
interpretentur scripturarum quevis ratio disposita noscit. Nec est dubium hereses ex hiis
innumeras pululare. Scriptura etenim sacra non semel uterum virginalem virgam notat et
filium inde conceptum florem appellat. Et si de virtute sermonis iste orationes false sunt,
sequitur rethoricam in pulcherrimis speciebus transsumptionis nullam ad orationes habere
virtutem et sic rethorica quasi evanuit tota ».
58. Ibid. « Loycam autem se scire divulgant cum duodena vocatorum insolubilium aut
obligationum senarium pauperem siliore grandibus impresserunt visibus cecitati. Negant hii
quaslibet consequentias tam ratione materie congruas, quia naturas rerum penitus ignorant,
quam etiam ratione forme convenientes, quoniam ad latitudinem loyce minime pervenerunt.
Quid plura tantus error est in hiis auctus ut etiam senum canicies non abhorreat hiis vilibus
insudare ».
59. A.U.P. I, 44 (Dec. 13, 1340 to Jan. 10 , 1341 ) . According to Miethke, Ockhams Weg,
p. 232, B. Michael, in a forthcoming work on Buridan, concluded that Megenberg initiated
the Arts statute of December 1340.
60. C.U.P. II , 506 : « ... nonnulli in nostra artium facultate quorundam astutiis perni-
cionis adherentes, fundati non supra firmam petram , cupientes plus sapere quam oporteat,
64 W.J. COURTENAY
quedam minus sana nituntur seminare, ex quibus errores intolerabiles nedum circa philoso-
phiam, sed et circa divinam Scripturam, ... huic morbo tam pestifero remediare cupientes
eorum fundamenta prophana et errores... ».
61. A.U.P. I , 44-45 , 52-53.
62. For Conrad's return to Avignon in 1346 , see Ibach, Leben und Schriften, p . 15 , and
Krüger, Werke : Okonomik, p. 14. Clement's letter is printed in C.U.P. II, p . 587-590.
63. C.U.P. II , 588 : « Nam nonnulli magistri et scolares artium et philosophie scientiis
insudantes ibidem, dimissis et contemptis philosophi et aliorum magistrorum et exposito-
rum antiquorum textibus, quos sequi deberent in quantum fidei catholice non obviant, ac
veris expositionibus et scripturis, quibus fulcitur ipsa scientia, ad alias varias et extraneas
doctrinas sophisticas, que in quibusdam aliis doceri dicuntur studiis, et oppiniones apparentes
non existentes et inutiles, et ex quibus fructus non capitur, se convertunt ... » .
64. C.U.P. II , 557.
65. C.U.P. II , 588 : « Plerique quoque theologi, quod deflendum est amarius, de textu
Biblie, originalibus et dictis sanctorum ac doctorum expositionibus (ex quibus vera illa
acquiritur theologia, cui non attribuendum est quicquid ab hominibus sciri potest, ubi
plane nulla vanitatis et curiositatis noxia reperitur, sed hoc quo fides saluberrima...) non
curantes, philosophicis questionibus et aliis curiosis disputationibus et suspectis oppinio-
nibus doctrinisque peregrinis et variis se involvunt, ... et ommissis necessariis supervacua
docere... pestifera pululant quandoque semina, et in perniciosam segetem, de quo profecto
dolendum est, coalescunt » .
66. On the development of these terms and the conflicting attitudes in the high and late
Middle Ages, see H.A. Oberman, Contra vanam curiositatem, Theologische Studien, 113
(Zürich, 1974) .
67. C.U.P. II , 550 (May, 1344 ) : « ... intellexerimus nonnullos in nostro Ordine legentes
ad hanc vaniloquii et curiositatis stultitiam devolutos ut spreta tam salubri solidaque doctri-
na peregrinis doctrinis et variis abducantur , adeo ut ipsam veritatis doctrinam audeant ausu
temerario frivolis lacerationibus improbare ... » . C.U.P. II , 591-592 : « Cum Ordo noster in
soliditate [ veritatis ] fundatus, de scientiis vanis et curiosis non curans veritati scientie et
doctrine semper studuerit virtute constantie inherere... ».
68. The Philobiblon of Richard de Bury, ed. and transl . by E. C. Thomas (London, 1888 ) ,
p. 89, 212 , « our English subtleties, which they denounce in public, are the subject of their
furtive vigils >>.
RATIO AND DOMINIUM ACCORDING TO
JOHN OF PARIS AND MARSILIUS OF PADUA
Janet COLEMAN
It is well known that John of Paris was a major publicist who , at the turn
of the fourteenth century, offered his contribution to the debate over the boun-
daries of sovereignty . This was a debate that had taken a particularly vicious
and explosive turn in the polemic between Philip the Fair and Boniface VIII .
John of Paris's De Potestate Regia et Papali is taken to be a via media in the then
current argument over sacerdotal and royal power, a debate that had in one
way or another been a continuous part of the political scenario throughout the
middle ages . I believe his treatise to be even more significant because of its
narrowing of the definition of potestas to mean , specifically , lordship over
material property , dominium in rebus¹ . This understanding of potestas is one
of the most far-reaching contributions to our understanding of the evolution
of the theory and practice of dominium/proprietas in the later middle ages.
Furthermore , I want to argue that it is John of Paris's narrowed definition of
potestas as dominium in rebus, its mode of acquisition , its characteristics and
potentials , that show him to be actively drawing upon a subtle and comprehen-
sive understanding of customary and especially Roman Law which had already
influenced Canon Law² . In his attempt to apply the highly formalised legal
discipline to current issues and to justify what can be shown to be the already
well-developed customary practices in the field of land law, I want to suggest
that John illuminated not only thirteenth and early fourteenth century rights
over buying and selling one's private property ; but perhaps more importantly
he informs us as to contemporary attitudes to the more general concept of
individual rights of men exercisable in the world and over their world . A brief
comparison with Marsilius of Padua's use of dominium in his Defensor Pacis,
shows how both theorists understood the theory and practice of contemporary
property law, but that John was the more faithful to current practice and
therefore , the more radical . I have recently argued elsewhere³ that it is precisely
the understanding and defence of dominium in rebus as presented by John of
Paris that was taken up in the subsequent fifteenth, sixteenth and seventeenth
centuries, in France and in England , and most specifically by John Locke
in his Second Treatise of Government4 . John of Paris should , therefore , be
5
66 J. COLEMAN
acknowledged less for having elaborated a via media, offering a picture of two
realms of jurisdiction for church and state in society ; and should be far better
known for providing the early modern and modern worlds with their defence
of private property as a man's natural and inalienable right.
We know of no reason why John of Paris, a Dominican and avid follower
of St Thomas , should have put his pen at the service of his king against pope
Boniface VIII . His name appears along with his Dominican confrères and most
of the French clergy on a petition urging the king to arraign Boniface before
a general council for the pope's alleged misdeeds . Any other connections with
the French court are unknown . But his De Potestate Regia et Papali contributed
to l'esprit laïque, c. 1302 , in that it argued for a separation of politics from
theology by insisting that civil authority was autonomous , sovereign in the
realm of temporal property, free of ecclesiastical coercion , because the origins
of the state were natural and the origins of property were prior to the state.
In his arguments that the community have the ultimate sanction of autho-
rity, he develops a line of thought that would reach a temporary terminus in
Marsilius of Padua's Defensor Pacis. But John's ' moderation ' lay in his separa-
ting the ecclesiastical and secular realms of jurisdiction regarding the different ,
respective internal structures of church and state , the differing relationship
of each to property , and the separate moral influence of each. He did not
choose , as did Marsilius, to represent the church as an organ of state where
the state alone possesses all real power . For Marsilius, the church is incapable-
either corporately or through individual members, of dominium in rebus. It
must usually rely on laymen as dispensators or stewards who have custody to
distribute the property or gifts given for the use of the ecclesiastical community.
For Marsilius, the lay human legislator has all dominium in rebus, ownership of
all temporal goods, but it can give custody to an ecclesiastic , if he is a ' perfect
person ', that is , living in supreme poverty . As we will see , John of Paris's
view allows the church, corporately, to possess dominium with the pope as
dispensator or steward . The dominium of the corporate church or of individual
priests does not, however, come to them because they are vicars of Christ and
successors of the apostles. Rather, they have dominium over temporal things by
virtue of the concession and permission granted them by pious rulers or from
the donations of the pious?.
John presents the much wider current debate about temporal sovereignty
regarding the church's and state's respective temporal affairs as an aspect of the
much narrower legal question concerning the theory and practice, the concep-
tual and the substantive meaning of dominium over things - property rights.
He establishes that the traditional and de facto independence of the monarch
and the independence of the property- holding individual, could indeed , be
vindicated de iures . This I take to be a convenient manipulation of Roman
law and it is precisely the kind of argument used a bit later by the Roman
civilian commentator Bartolus when he defends the de facto sovereignty of
the city republics in Italy against the de iure power of the Holy Roman empire .
RATIO AND DOMINIUM 67
A de facto independence can be vindicated before the law, de iure, and in pro-
perty law the parallel is with various kinds of possessio - e.g. usucapio and what
became of the notion of usufruct.
In fact, if one were to examine the evolution ofwhat is called 'West Roman
Vulgar law ' , that is, the ' degenerate ' Roman law practised between the periods
of Diocletian and Justinian , one could draw parallels especially in the field of
property and obligations (which were substantially changed from classical
Roman law), with apparent alterations in this field during the twelfth century
and thereafter. For instance , the clear classical notion of dominium as a positive
and total mastery over a thing, with its own legal ' remedy 'distinct from posses-
sion, disappeared in the post-classical period . Various kinds of limited dominium
came to be recognised ; in fact , usufruct came to be treated as a form of domi-
nium and was regarded , essentially, as the best right to possession . This is a
similar de facto to de iure shift observed in the writings of John of Paris . It is
interesting that Marsilius wants to maintain the older distinction between
ownership and use in order to support the Franciscan view of perfect poverty
against John XXII . John of Paris, on the other hand, argues for a conflation of
dominium and possessio or usufruct. Indeed, the evolution of West Roman
Vulgar law points to the distinction between an owner's and possessor's legal
remedies in the courts as having disappeared ; emphasis was placed more on the
possessor's ' dominium '10 . I shall have more to say about the use of Roman law
to support customary French and English developments of the later thirteenth
and fourteenth centuries at the end of the paper. But to begin with the text
central to our discussion , let me provide a brief setting for John of Paris's
discussion of dominium by commenting on the fate of the concept ofdominium
in the writings of twelfth and thirteenth century Canon lawyers.
In the twelfth and thirteenth centuries there was a blurring of a distinc-
tion that had been crucial to the Romans , between holding office and owning
property11 . This confusion of office and ownership paralleled a comparable
development in secular political life and is reflected in their use of the single
word - dominium to denote both proprietary right and governmental authority.
Please note that Roman lawyers used the word dominium to denote proprietary
right alone and it is significant that in English we use the derivative ' dominion '
to denote governmental authority . Now the benefice (beneficium) in the tenth
century, had come to mean a spiritual office ; but this developed further where
churches conceived of benefices as pieces of real property, bought and sold,
inherited or granted as fiefs. By the end of the twelfth century, Canon lawyers ,
who were then involved in classifying - according to revived Roman law cate-
gories- the accumulations of rules relating to the disposition of benefices ,
classified the benefice as belonging to private law, which is precisely how Roman
law saw dominium/property. (Private law pertains to persons , things and actions).
No longer is the benefice to be categorised as belonging to public law, concerned
with the public welfare with enforceable interests for the common profit or
good. Now the benefice , under private law, is protected as a proprietary right
889
68 J. COLEMAN
in the interest of the private possessor . The benefice , at least from the time
of Alexander III12 is understood by clergy and laity alike in material terms,
as property defended at law. The ecclesiastical office was less a focus of duty.
than an object of proprietary right and a source of income 13. Already then,
Canon law itself was heavily imbued with Roman property law where even
spiritual categories were ' translated ', as it were , into ius rerum, the law of
private , patrimonial rights, all those rights known to the law which are looked
on as capable of being estimated in money, an element of wealth , an asset,
an economic entity with a legally guaranteeable value 14. Let us turn, now,
to examine John of Paris's understanding of dominium.
Firstly, what is the structure of his tract and how can we relate its form
to its content ? There are twenty-five loosely connected chapters united by
the form in which one discussed the current issues of restricted sovereignty.
I do not see a programmed development of the argument as one reads chapters
one to twenty-five . Rather, the De Potestate reads like a developed determinatio
of a quodlibetal debate of the theology faculty of the university of Paris for
the end of the thirteenth - early fourteenth centuries. In other words , it is a
magisterial presentation of a selection of debated issues with a contemporary
socio-political focus 15. The chapters comprise a series of related issues argued
with citations from the Bible , Canon law, and implicitly, Roman law texts,
arranged in a scissors - and - paste fashion . The Prologue tells us that potestas in
temporal affairs is to be defined as lordship over material property, dominium in
rebus. Other foci of related interest arise in part as responses to the Bull Unam
Sanctam which, Ullmann has recently argued , established this genre of publicist
tract and served as the beginning of the line of such works . Unam Sanctam was
a papal chancery composition designed as a magisterial , systematic and logical
summary of the points made in favour of the papal plenitudo potestatis by
the Augustinian Aegidius Romanus in his De Ecclesiastica Potestate (c . 1300) 16 .
Aegidius cited biblical , theological and legal texts to support the papal under-
standing of the origins and legitimacy of property, contract , the state , and
specifically dominium and jurisdiction . John of Paris countered with an exploi-
tation of some of the same texts, showing their origins to be Roman law and
its context - civil society - to justify the civil jurisdiction over inalienable pri-
vate property rights . To oversimplify for the sake of brevity here , we can say
that John of Paris counters Giles of Rome by means of a confrontation of the
ratio of Roman , civil law, versus Canon law and theology.
Aegidius Romanus had argued as follows : before the people of faith had
had kings , they were ruled by judges and these were constituted through priestly
power, per sacerdocium. Afterwards, they were ruled by King Saul who was
made dominus through the blessings of priests. Whoever were made dominus in
lege nature were either bad and came to power through invasion and usurpation
and were Killers and oppressors of men , OR they were good kings and were also
priests like Melchisedech and Job . If we proceed further and analyse potestas,
dividing it into its four genera, the fourth potestas is with regard to being a
RATIO AND DOMINIUM 69
To summarise, Aegidius's position is, in his own words : non sufficit quod
quicumque sit generatus carnaliter nisi sit per ecclesiam regeneratus quod possit
cum iustitia rei alicui dominari nec rem aliquam possidere25 .
Turning to John of Paris we see him tackling the same series of issues
but drawing more directly on the law that supports an autonomous civil sove-
reign . He begins with eclectic citations from Aristotle's Politics saying that it
is necessary and advantageous for man to live in society such as a city or king-
dom which is self-sufficient in everything that pertains to the whole of life,
and under the government of one who rules for the common good . It is also
clear, he says, that this kind of government derives from natural law in that man
is naturally a civil or political and social animal, and the kind of government
we have been discussing, he notes, comes from natural law and the law of
nations. Prior to the first kings who exercised government - Belus and Ninus -
men lived without rule like beasts . They did not yet live ' the common life natu-
ral to them . But once they did come together they were bound by definitive
laws to live communally and these laws are called the law of nature . Much of
this is , of course , Aristotle mediated by John's magister St Thomas. There is
also a supernatural end of man and rulership here belongs to Jesus. Two kings
in separate spheres, two realms of nature and supernature have been outlined
(chapter 1 ).
It was necessary because of mankind's original sin against God to establish
certain remedies through which Christ's sacrifice could benefit mankind and
thus, the church's sacraments were instituted and the ministering priest is an
intermediary between God and man . The church resulted from original sin ;
but society and government are natural and not seen as resulting from man's
sin (chapter 2).
In chapter three he compares the structure of the church and that of
the secular realm : all priests are ordered in a hierarchy to one supreme head,
Peter's successor, the pope , and this pyramidal ordering of the ecclesiastical
structure came from Christ's own mouth and was not a decision of a council.
But although God decided there is subordination of church ministers to one
head, it does not follow that the ordinary faithful are commanded by divine
law to be subject in temporalities to any single supreme monarch . Rather do
they learn form natural instinct, which comes from God , that they should live
as citizens in society and that in order to live well together, they should choose
the sort of rulers appropriate for the sort of community in question . Neither
man's natural tendencies nor divine law commands a single , supreme , temporal
monarch for everyone . Nor is such a single monarch as suitable in the lay order
as he is in the ecclesiastical26 . Thus far we have : Man is instinctively and natu-
rally a creature who lives in society , comes together to live in common and
communally , and his instinct can lead him , depending on contingencies, to
choose ruler who best benefits the ruled . And within the secular realm there is
no divine or natural reason to have a universal unifier, i.e. an emperor. This is a
general argument for the individual monarch, France's king Philip ; a justification
RATIO AND DOMINIUM 71
from God and through nature of what France is . Furthermore , John argues that
secular powers are diverse because of the diversity of climate and differing physi-
cal constitutions of men : one man cannot possibly rule the world's temporalia be-
cause his authority, ultimately, is his sword and he cannot be everywhere at once.
John next compares the respective structures of church and state and
argues that it is important to recall that temporalities of laymen are not -in the
state communal27 , and therefore , each man is master of his own property
as it was acquired through his own industry . Consequently, there is no need
for administration of temporalia in common, for each is his own administrator :
cum quilibet rei suae sit ad libitum dispensator.
Ecclesiastical property , on the other hand , was given to the community
as a whole and it therefore requires a president, someone who presides over
the community to hold and dispose of goods on the community's behalf. John
means there is an apportionment of things to individuals prior to governments ;
lay property, discretely apportioned , results from individual labour alone in
natural society. Since he has told us that society is natural, that the law of
nations bound men to live communally and in common , then the particularisa-
tion of common property is also natural . Significantly , he describes the heads
of lay AND spiritual communities as arbiters , and it is clear that adjudication
is with respect to private property in secular society. In the church, adjudication
is with respect to orthodox faith and heresy.
The state is chronologically prior , he argues, but the priestly order is prior
in dignity . Each power has its special domain , each justifying its jurisdiction
immediately from the one superior power above , God , and this is his two power
schema, his via media. But jurisdiction is not potestas, and certainly not potestas
as defined as dominium over exterior material goods , i.e. property . He turns
to this issue , for chuch and state , in chapters six and seven , and it is these two
chapters that borrow most heavily from the quodlibetal debates , the determi-
nationes, of Godefroy of Fontaines , dated c. 1294-129628 . As I shall try to
indicate later, Godefroy was a theologian well acquainted with Roman law prin-
ciples which he tried , with some success , to apply in the vexed situation of his
native Liège . He , like John of Paris , composed in the standard theoretical genres
that, at that time , allowed for current socio-economic , legal and political issues
to be aired - the quodlibetal determinatio, in its evolved form. The quodlibetal
determinatio produced the genre of the publicist tract like the De Potestate Regia
et Papali. Some of Godefroy's earlier quodlibets show an especially close rapport
with issues debated in the quodlibets of Aegidius Romanus (c . 1285 sqq. ) .
In chapter six John turns to discuss the relative superiority of monarchy
in the order of causality. He says it remains to discuss in what way the pope
has or has not got potestas, dominium over exterior material goods .
Ubi primo ostendetur quomodo se habeat summus pontifex ad bona
exteriora quoad dominium in rebus, et secundo , dato quod non sit
verus dominus exteriorum bonorum sed dispensator simpliciter vel
in casu, an saltem habeat radicalem et primariam auctoritatem ut
superior et ut iurisdictionem exercens.
72 J. COLEMAN
In what way does the pope have dominium in rebus regarding exterior
goods , he asks . Secondly , it being given that he is not truly dominus of exterior
goods but rather the administrator or dispensor both in principle and in practice,
he asks whether the pope has at least the original and primary authority as
superior and as one who exercises jurisdiction . The Roman legal terminology
of bona exteriora, dominium in rebus, jurisdictio, is tossed of fairly lightly.
It is used in the same familiar vein in Godefroy of Fontaines's quodlibets . Roman
and Canon law concepts are extensively drawn upon by Godefroy , Aegidius and
John . John marshalls them to show that in the church community which , as a
community, is itself dominus because donations of laymen are meant to be gifts
to the church and not to individuals , individual persons in the church commu-
nity, whoever they may be , do not have dominium ; rather, principal members
have only stewardship (dispensationem habeant) except where they draw recom-
pense (faciunt fructos suos ex servitio) from service and then only according
to need and status . The pope , therefore , is a steward of communal property.
Marsilius of Padua will not allow even the ecclesiastical community to be domi-
nus or owner ; rather the lay donor maintains ownership29 . All this draws upon
the complex Roman law of property involving donatio and possessio ; it is also
the Civil law pertaining to corporations so extensively developed in the thirteenth
century by civilians and canonists alike 30. The consequences are that the pope
cannot ad libitum take away ecclesiastical goods claiming that what he ordains
is valid, according to John , because he is not dominus and has no title to the
property ; he cannot have it alienated . As dispensator of the community's goods
in whom good faith, bona fides, is required , he does not have power over goods
except in cases of necessity or utility for the ecclesia communis.
In sum the pope is only a steward of the property given to the eccle-
siastical community ; he is instituted precisely as a steward for the good of
the community ; he has a relationship to these things only as administrator in
the interests of the community ; and if he betrays the community's trust by not
acting in good faith , he must do penance by restoring the property which he
has wrongly treated as his own. This is a Roman Civil law analysis of the situa-
tion and a Roman Civil law ' remedy '. The betrayal of trust , in fact , can and
must lead to deposition , to forfeiture of the stewardhip. It is not moral turpi-
tude then, but misuse of dominium and property rights that is at issue .
Chapter seven expands the analysis to include an explanation of papal
potestas regarding lay property. The difference here is that property or goods
are not granted to the secular community as a whole , as is ecclesiastical property.
Lay property, which John acknowledges to be prior chronologically to spiritual
power and institutions, is acquired by the individual's skill , labour and own
industry. The law of nations taught men to live communally ; thereafter they
acquired ' their own ' and individuals as individuals have in these things ius et po-
testatem et verum dominium, right and power and valid lordship or sovereignty.
Ad quod declarandum considerandum est quod exteriora bona
laicorum non sunt collata communitati sicut bona ecclesiastica, sed
RATIO AND DOMINIUM 73
Consequently, each person may order his own , dispose of, administer , hold
or alienate as he wishes without injury to any other since he is dominus... et
potest quilibet de suo ordinare, disponere, dispensare, retinere, alienare pro
libito sine alterius iniuria, cum sit dominus. Property is, in the lay world, distri-
buted discretely through a process of acquisition from what was communal ,
a process of acquisition characterised by individual labour, and the right one
acquires over goods for which one has laboured is such that one can use or
alienate such goods, presumably in exchange for other goods or money. This is
the Roman Civil law understanding of ius in rem and the modes of acquisition
of property. Where is the mutuality of feudalism we well may ask ? Not only does
this fit into the formal descriptions of Roman law proceedings . To modern ears
it also sounds like the possessive individualism of English seventeenth century
thinkers like John Locke31 .
Furthermore, John of Paris says that such goods or property, once acqui-
red through the labour of the individual, have neither interconnections with
other men in society of whatever status (and thus do not depend on Aegidius'
contracts and communicatio) nor are they mutually interordered . And there
is no common head who may dispose of or administer such property since
whose ever they are may arrange for his property as he wishes. Therefore,
NEITHER PRINCE NOR POPE HAS DOMINIUM OR STEWARDSHIP IN
THE LAY WORLD . Individual property rights are inalienable ; the purpose of
civil government is subequently to preserve and protect private property. For the
reason that sometimes the peace of everyone is disturbed because of such
bona exteriora when someone usurps what is another's, and also because at
times, some men through excessive love of their own do not communicate
their property to others or place it at the service of the common welfare , a ruler
or prince has been established by the people who is then to take charge of such
situations, acting as judge , and discerning between just and unjust , and as a puni-
sher of injustice or injuries, a measurer of the just proportion owed by each to
the common good . In chapter thirteen he extends this and argues that the
civil judge judges according to those human civil laws which regulate the buying
and selling of property in order to ensure that property is put to those proper
human uses which would be neglected if everyone continued to hold everything
in common. For if things were held unreservedly in common, it would not be
easy to keep the peace among men32 . For this reason , he adds , private posses-
sion of property was introduced ' by the emperors . In natural law he notes ,
there is equal freedom and common possession for everyone in everything.
Thus, men were given the earth in common but came to differentiate private
property through labour . Their rights to particularised property existed prior
to the prince and the ruler was established by the people to prevent the discom-
forts of not having an impartial arbiter when their property was usurped by
74 J. COLEMAN
those who would take what was not their own (presumably because they had
not 'mixed their labour ' with it) , and who thereby had no just title to dominium
or its derivatives. Thus, each individual person may dispose of his own as he
wishes except in times of necessity when the prince may dispose of the indivi-
dual's goods in the interest of the common temporal good . So too the pope may
tax the faithful in extremis, for defence of the faith.
In chapter eight , John notes that having proprietary rights and lordship
over property is not the same as having jurisdiction over it : jurisdiction is the
right to decide what is just and unjust in matters pertaining to property . The
prince has this power of jurisdiction although he does not himself possess the
property in question . In Roman law terms the prince is like a municipal civil
magistrate with restricted iurisdictio but without imperium33.
Et quia non est idem habere proprietatem et dominium in bonis
exterioribus et habere iurisdictionem, id est ius discernendi quid
sit iustum vel iniustum in ipsis, sicut habent principes potestatem
iudicandi et discernendi in bonis subditorum licet non habeant
dominium in re ipsa...
content, owed a great deal to the revival of Roman law ; not only did Roman
law become an integral part of thirteenth century secular government machinery
and the ruler's ' public ' law. Because the financial and commercial ventures of
the thirteenth century actively materialised res incorporales, setting a price on
abstract concepts like duty (as I noted earlier , for instance, with the change
in beneficium from office to property), the Roman law of property and of
commercial transaction, a law notably deficient in theory but abundant in cases
and examples (viz. Vulgar Roman law) , served the economic developments that
helped to change a society based on the mutuality of feudal duties to one in
which individual rights, defensible at law, obtained . Elizabeth Vodola35 has
recently pointed out how theological conceptions like faith and belief, and
rituals like baptism and penance , were penetrated by Roman law concepts.
In this way the church was able to establish itself as authoritative in the public
sphere. At the beginning of the thirteenth century she notes that theologians
had only begun to debate the psychological effects of baptism whilst the jurists
had already assimilated baptism into the field of law36. Sacramentum was
itself a Roman legal term which referred to the act of sealing an oath ; and
the ritual of baptism incorporated a profession of faith that was formally mo-
delled on the Roman law verbal contract - stipulatio. The Decretum of Gratian
and its succession of glossators were not unaware of these Roman law origins :
Huguccio's Summa ( 1188) consciously took into account the legal terms used
in the canons, and early in the thirteenth century glosses by Alanus Anglicus
included direct legal citations . Nor was the influence of Roman law limited to
Canon law simultaneously it served Bracton in Common law England with
at least a structure , a formal, coherent structure of general notions into which
English law as practised throughout the realm could be usefully categorised
and unified . Despite the apparent randomness of English customary law, it
was Bracton's concern to demonstrate its essential coherence and rationality37 .
And it is today admitted more readily that there are numerous affinities bet-
ween the classical Roman law jurist and the early Common lawyer. In method ,
both medieval Common lawyer and Roman jurist avoided generalisations and
universal definitions. Their ratio was casuistic , developing from case to case,
and their interest was in establishing a good working set of rules38 . This was
what Canon lawyers sought to do as well . Unwritten law and church law could
be presented through the categories established by Roman law. If Roman law
was used by canonists in the thirteenth century to recast liturgical matters
into juristic form, then John of Paris can be seen to be revealing this process
and indirectly disclosing the reluctance on the part of Canonists or publicists
like Aegidius Romanus , to acknowledge their sources in proper context : these
were the imperial laws which in turn referred to nature and reason and man's
history prior to sacred history, and were all fundamentally relevant to the
issues of property rights, contracts, dominium. If baptism was a contract ,
then other more secular aspects of society could best be described in Civil
law terms as well .
76 J. COLEMAN
Pollock and Maitland42 some time ago , spoke of the assize of novel dissei-
sin in England , where appeal to a centralised royal justice was implicit , as an
example of the influence of Roman law acting immediately (or through Canon
law) on English custom regarding possession . And this is the true beginning
of a petitioning of the king as arbiter in property disputes which defined the
role of the state . In Roman law language one could describe later thirteenth
century events as follows : the dominus hardly had a real interest in some pro-
perty and had transferred the res mancipi by traditio to the user of his land ,
thereby creating a bonitary ownership. He retained some rights but they seem
to be that of jurisdictional arbitration . This is what John of Paris was, in effect,
defending in his distinction between dominium and jurisdictio. But a residual
dominium, i.e. the ULTIMATE right to a thing, was left in the hands of the king
and gave him a right to control the property of his rightfully possessing subjects
in extremis, for the survival of the state . This is very radical writing if only
because it justified recent developments during the thirteenth century , and
ofcourse, it reduced the king's arbitrium as feudal overlord .
It is well to recall that in the earlier feudal seignorial world , rights as
individual possessions were a nonsense . Property rights had no place in early
feudal court cases where mutual relationships and their relative fulfilments
were judged and whereby land was held (tenure ) for a return . But by the end
of the thirteenth century seignorial courts were the agents of the king's objective
reifying law : the tenant makes his claim regarding his right to his tenement
(possessio) ; the lord makes his claim to his right to dues or ' servitudes ' (domi-
nium, jus in re). Each plaintiff is recognised with individual, independent pro-
perties without reference to the other. The situation is now one where a tenant
de facto owns or holds his land whilst the lord has a kind of servitude over
the land , a jus in re aliena. Milsom has shown how this is true for thirteenth
century England. This can be extended to France of the same period . The fact
of dominium had passed in one hundred years from being a relative , interde-
pendent thing to an independent property defensible in the law courts where
at least the descriptive categories of remedies can be seen to follow Roman ,
Civil law procedure regarding possessory rights.
Marsilius of Padua, twenty-five years after John of Paris , was responding to
the same Civil law language of property disputes in his defence of the Franciscan
rejection of ownership of the property they used . Marsilius, thereby maintained
a distinction between dominium and usus against current practice . This position
was, strangely, conservative , for Marsilius does admit that it is more common
to use the term dominium to mean both the principle power to lay claim to
something rightfully acquired (in accordance with ' right ' taken to mean a coer-
cive command or prohibition of the human legislator) and the use or usufruct
of the thing43 . Also, he notes, 'possession ' does more commonly mean both
abstract, incorporeal ownership and the actual corporeal handling of the thing
or its use44 . But Marsilius put his distinctly defined terms - dominium, ius,
possessio, proprium, etc. , to a narrower, more polemical use - the rejection of
78 J. COLEMAN
reigned supreme, where an elected prince was like a magistrate with jurisdic-
tional powers who must conform to the law, where taxation was to be freely
discussed, agreed to and established by community representatives, where
revolt against a tyrant who by definition had broken trust with the ruled, was
legal . Lejeune has shown how such principles had penetrated local political
practice in Godefroy's Liège by the end of the thirteenth century47 . These
principles were employed not only as formulae to be imitated by those politi-
cally involved but also as justificatory formulae after the fact, seen as ready-
made for a situation that had evolved politically . Civil law formulae as expressed
by Godefroy served, then , as the theoretical justification for the behaviour of the
chapter of canons of Notre-Dame et Saint-Lambert in Liège , as described by
Lejeune48 .
Indeed , Roman Civil law procedures and formulae as, in effect, defended
by the publicist John of Paris , were not merely meant as programmatic proposals
for secular dominium in the future . John's narrowed definition of potestas as
dominium in rebus was a ratio, an explanation of what de facto and de iure
had already occurred .
NOTES
1. Prologue, De Potestate Regia et Papali, ed. Fritz Bleienstein, Frankfurter Studien zur
Wissenschaft von der Politik, Stuttgart, 1969, p. 71.
2. Brian Tierney, Foundations of the Conciliar Theory, Cambridge, 1955. Part three,
chapter 1 , argues that the De Potestate shows mainly Canonists' influence.
3. At the Oxford Political Thought conference, January, 1981 ; Hull Political Studies
Association conference, April 1981 , article forthcoming in History of Political Thought,
IV, 1983 , and Political Studies ( 1983-1984).
4. Richard Tuck, Natural Rights Theories, their origin and development, Cambridge, 1979,
argues that Locke extended the early views of Grotius, but the distinctly Lockean language
of property acquired through labour as opposed to Grotius's means of acquisition per
applicationem ' is closer to the language of John of Paris. See below. Some of the more
radical natural rights theorists like the lawyer Henry Parker in his justly famous ( 1642)
Observations and his ( 1644) Jus populi, and the even more radical William Ball's Tractatus
de Jure Regnandi et Regni ( 1645) , show some striking similarities with John of Paris. See
Tuck, p. 146f for a discussion of these radical rights theorists.
5. Introductory essay by J.A. Watt, to his translation of John of Paris, On Royal and
Papal Power, Toronto (Pontifical Institute of Mediaeval Studies) , 1971 , p . 11.
6. Marsilius of Padua, Defensor Pacis, Discourse II, c. xiv, 7, 8 , 14 , 18.
7. John of Paris, De Potestate Regia et Papali, Prologue (proemium).
8. Watt, introduction to translation, p . 63.
9. Quentin Skinner, The Foundations of Modern Political Thought, vol. I , Cambridge,
1978, p. 9f.
80 J. COLEMAN
10. E.Levy , West Roman Vulgar Law, the Law of Property (Philadelphia, 1951 ) summarised
from W.W. Buckland , A Text-Book of Roman Law from Augustus to Justinian, third edition,
revised Peter Stein , p . xix, xx . Also J. Gaudemet, Le Droit privé romain, Paris, 1974, p. 76f.
11. Francis Oakley, The Western Church in the Later Middle Ages, Cornell, Ithaca, 1979,
p. 30f.
12. Geoffrey Barraclough, Papal Provisions, Oxford , 1935, p. 83, and Corpus Juris Cano-
nici, ed. Ae. Friedberg, Lipsiae, 1879, X, 2, 13, c. 7, vol. I , p. 282-283.
13. Oakley, op. cit., p. 31.
14. Buckland, op. cit. , chapter V, p. 182.
15. P. Glorieux, La Littérature quodlibétique de 1260 à 1320, Kain, 1925 , p . 20 f.
16. Aegidius Romanus : De Ecclesiastica Potestate, ed. Richard Scholz , Leipzig, 1929,
reprint Aalen , 1961 and Walter Ullmann , « Die Bulle Unam Sanctam Rückblick und
Ausblick » , Römische Hist. Mitteilungen, XVI (1974) , p. 45 f, and « Boniface VIII and his
Contemporary Scholarship » , Journal ofTheological Studies 27 (1976), p . 58-87.
17. Scholz edition, p . 103.
18. Scholz edition, p . 104.
19. Scholz edition, p . 104-105.
20. Scholz edition, p . 70-73.
21. Scholz edition, p. 79.
22. Scholz edition, chapter xii.
23. J. Gaudemet, Le Droit privé romain, c. 3, « La classification des choses » , p. 69.
24. Scholz edition, p . 113-114.
25. Scholz edition , p . 78 , part II , c. 8.
26. Bleienstein edition, p . 81 , 11.27 – p . 82, 11.11 .
27. Bleienstein edition, p . 81 , 1.26.
28. Jean Leclercq, Jean de Paris et l'ecclésiologie du XIIIe siècle, Paris, 1942, noted the
debt to Godefroy. Quodlibets XI ( 1294) , XII ( 1295 ) , XIII ( 1296 ) and XIV (1297) edited
by J. Hoffmans, Philosophes Belges, V ( 1932).
29. Marsilius of Padua, Defensor Pacis, Discourse II, c. xiv, 22.
30. Buckland, op. cit. , p . 253f and p. 196 f. Also see Tierney, Foundations ofthe Conci-
liar Theory, passim.
31. See Tuck, on Locke's Two Treatises of Government ( 1679-1680) and Tyrrell's Patriar-
cha non Monarcha ( 1681) , p. 169-173 . See John Locke, Two Treatises of Government,
ed. Peter Laslett, Cambridge , 1963. Some of the major property statements of John of Paris
from the prologue and chapters six and seven of the De Potestate Regia et Papali were
taken over completely by Pierre d'Ailly and published as part of Gerson's Opera in the
edition prepared by Ellies du Pin, Gersonii Opera, t . I , col. 914-917 (printing d'Ailly's
De ecclesiae et cardinalium auctoritate, Constance, 1416, complete transcription – without
revealing authorship of John of Paris - of chapters six and seven ; col. 896-897 reproduces
John's prologue ; and col. 898-899 selects texts from chapter thirteen) . In Locke's library
is listed t. I ( 1690) of the du Pin edition. Locke may well have read treatises collected
together in the du Pin volumes during his continental journeys during the 1660 s. John
of Paris and d'Ailly/Gerson were read and republished for the Gallican cause numerous
times during the 16th and 17th centuries. For Locke's library contents see John Harrison
and Peter Laslett, The Library of John Locke (Oxford, 1971 ) second edition, p. 209,
number 2306. For a fuller discussion of the importance of Locke's French journey and his
likely familiarity with many of the texts and arguments of the property/sovereignty debate
of the late thirteenth and early fourteenth century, see my article in Political Studies,
(1983-4).
RATIO AND DOMINIUM 81
32. Here he cites the Decretum, D. 8 , c . 1 , quo jure : « Verum quia ob talia bona exteriora
contingit interdum pacem communem turbari dum aliquis quod est alterius usurpat , quia
etiam interdum homines quae sua sunt nimis amantes ea non communicant prout necessitati
vel utilitati patriae expedit, ideo positus est princeps a populo qui in talibus praeest ut
iudex decernens iustum et iniustum, et ut vindex iniuriarum et ut mensura in accipiendo
bona a singulis secundum iustam proportionem pro necessitate vel utilitate communi >» .
Chapter seven, Bleienstein , p . 97.
33. See Buckland, op. cit. , p. 647f and p. 668 f.
34. See Carl Stephenson and Frederick Marcham, Sources of English Constitutional His-
tory, a selection of documents, vol. I revised edition, London, 1972, p . 165 from Stubbs,
Select Charters, p. 490f ; the original document is in Anglo-Norman French.
35. E. F. Vodola, « Fides et culpa : the use of Roman law in ecclesiastical ideology » ,
Authority and Power, studies on medieval law and government presented to Walter Ullmann
on his seventieth birthday, ed . Brian Tierney and Peter Linehan, Cambridge, 1980, p . 83-98.
36. Vodola, p. 84.
37. See Peter Stein, Roman Law and English Jurisprudence, Cambridge, 1969.
38. W. W. Buckland and A. McNair, Roman Law and Common Law, a Comparison in
Outline, revised second edition, Cambridge , F. Lawson, 1952, p. xiv and Lawson's Excursus
where he says : « the difference between Roman and English law is by no means so great
as is stated in (Buckland's original) text » , p . 80.
39. J. Ph. Lévy, Le droit Romain en Anjou, Bretagne, Poitou (d'après les coutumiers), in
the series Ius Romanum Medii Aevi, pars V, 4b, Milan, 1976.
40. Robert Lopez, The Commerical Revolution of the Middle Ages, New Jersey, 1971 , and
Lester Little, Religious Poverty and the Profit Economy in Medieval Europe, Cornell,
Ithaca, 1978.
41. S.F.C. Milsom,The Legal Framework ofEnglish Feudalism , The Maitland lectures, 1972,
Cambridge, 1976.
42. F. Pollock and F. W. Maitland , History of English Law, second edition , vol. II ,
Cambridge, 1899, p . 47-50.
43. Marsilius of Padua, Defensor Pacis, Discourse II , c . xii ( 14 ii ) . I have used the English
translation of Alan Gewirth for my citations in translation : here, p. 193.
44. Discourse II , c. xii ( 19 iii).
45. Discourse II, c. xiv, 18. Gewirth translation, p . 225.
46. S.F.C. Milsom , p . 99. See also Milsom's, Historical Foundations of the Common
Law, London, 1969.
47. J. Lejeune, « De Godefroid de Fontaines à la paix de Fexhe ( 1316 ) » , Annuaire
d'Histoire Liégeoise, 6 ( 1958-1962) , p. 1215-1261 . I owe this reference to Father John
Wippel who has just published a study of Godefroy of Fontaines which I have not yet
had the opportunity to see. A xerox of Lejeune's article was kindly sent to me by prof.
Bultot of the Université Catholique de Louvain, Louvain-la- Neuve .
48. Lejeune, op. cit., p. 1248f. « Le chapitre... a découvert dans le consentement des
représentants du pays la légitimation d'un pouvoir dont il est ambitieux , mais qu'il ne pou-
vait tenir ni du sacre ni de l'investiture... Il se substitue ainsi au prince absent mais tient
son pouvoir du consentement de tous » . From 1302 until the peace of Angleur ( 1313 ) and
then to the peace of Fexhe ( 1316 ) « on voit la primauté de la communauté qui utilisent
des positions, des attitudes, des pouvoirs, l'alliance du chapitre des chanoines avec le peuple
de la ville de Liège » , p. 1254.
6
I
1
L'INTELLECT ET LE LANGAGE SELON RADULPHUS BRITO
Jean JOLIVET
dans l'intellect, des modes de signifier dans les mots (modi essendi, intelligendi,
significandi) ; 2) ces trois séries de modes sont respectivement parallèles , sembla-
bles, homologues , ou comme on voudra dire . Ces deux postulats joignent à la
description d'un fait d'expérience un double présupposé philosophique : les pen-
sées peuvent refléter correctement les choses, et les mots exprimer fidèlement
les pensées ; il suffit d'avoir noté ce refus principiel du scepticisme, dont la for-
mulation première, dans cette même problématique, est aux premières lignes
du Peri hermeneias partiellement citées plus haut7 .
Puisque les pensées représentent les choses, et les mots, les pensées ;
puisqu'aussi, selon Boèce, « signifier est constituer une intellection » , il est à
présumer que les mots doivent leur sens à une opération de l'intellect , origine
et lieu des pensées qui sont le moyen terme entre les choses et les mots . C'est
bien ce que dit Raoul : « le mode d'intelliger actif est une fonction (ratio) de
co-intellection par laquelle l'intellect se rapporte à une propriété de la chose ; et
par cette fonction qu'il possède et qu'on attribue à un son , le son est consigni-
fiant à l'égard d'une propriété de la chose »8. Cette phrase, qui prise seule
resterait énigmatique du fait de sa construction même⁹ , se précise , quant au rôle
de l'intellect , quand on la rapproche de trois autres passages . Citons-les à la
suite « l'intellect impose aux sons les modes de signifier, et il est une puissance
passive ; si donc l'intellect n'était pas déterminé par une propriété de la chose,
jamais il ne conférerait aux sons de signifier la chose sous un mode de signifier
déterminé » 10 ; « et quand on dit : la grammaire traite du discours et des modes
de signifier qui procèdent de notre intellect, je dis pour ma part : il en est bien
ainsi, mais ils ne viennent pas uniquement de notre intellect ; c'est plutôt que,
par certains modes d'être et certaines propriétés des choses, l'intellect est déter-
miné à conférer ainsi aux sons de signifier les choses sous de tels modes de
signifier »
> 11 ; <<« bien que (les modes de signifier actifs) soient dans l'intellect,
ils y sont cependant comme dans leur cause efficiente et n'en sont pas moins
dans le son signifiant comme dans leur substrat » 12. Ces trois textes disent,
de façons à peine différentes, deux choses. La première, la moins originale
(car cela remonte à Aristote, De l'âme, III , 4) , est la soumission pure de l'intel-
lect à l'objet : « puissance passive » , et donc incapable d'altérer ce qu'il reçoit,
il est d'autre part « déterminé » par cet objet. Ce à quoi il est déterminé , c'est
la seconde indication de ces quelques phrases, et elle est, du moins par rapport à
Aristote , nouvelle 13 : il l'est à conférer un sens aux sons, et ainsi donc les modes
de signifier << procèdent » de l'intellect où ils sont contenus «< comme dans leur
cause efficiente » . En d'autres termes, le caractère de signifiant advenu aux mots
résulte de la nature à la fois passive et active de l'intellect, comme l'exprime bien
un quatrième passage « l'intellect peut être mû de façon qu'il connaisse et
confère au son une certaine essence indéterminée » 14. On observera que Raoul
n'a pas ici en vue la distinction classique , et post-aristotélicienne pour sa formu-
lation du moins , entre l'intellect patient et l'intellect agent : la passivité de l'intel-
lect est bien cette simple ouverture aux choses qui fait qu'il en est du penser
comme du percevoir, ainsi que le notait Aristote (De l'âme, III , 3 , 427 a 19-20 ;
RADULPHUS BRITO : INTELLECT ET LANGAGE 85
4, 429 a 13) ; mais son activité est ici d'ordre sémantique, et non pas noétique :
l'intellect agit en tant qu'il confère un sens au matériau sonore . Nous aurons à
revenir sur ce point.
L'enjeu de ces analyses est bien uniquement grammatical . On a vu plus
haut que les modes de signifier étaient dans l'intellect comme dans leur cause
efficiente, et dans le son comme dans leur substrat. Un autre passage redit cela
autrement, en y joignant une considération importante : « les modes d'intelliger
actifs sont dans l'intellect à titre immédiat, les modes de signifier actifs n'y sont
que par la médiation du son émis car s'ils y étaient sans la médiation du son,
alors les sons n'auraient aucune disposition à se composer entre eux ou récipro-
quement » 15. La causalité de l'intellect est ici réaffirmée , mais aussitôt l'auto-
nomie au moins relative de la sphère linguistique est revendiquée : à supposer
une signification qui resterait purement noétique (ce qui est peut-être le cas
pour les anges, dirait un théologien ?), les sons n'assureraient aucune fonction
sémantique, il ne leur serait attribué nulle signification ni consignification.
Il y aurait donc, à côté de la sphère des choses, la sphère de l'intellect , et un
domaine sonore entièrement insignifiant ; ou , d'une autre façon : le réel, la logi-
que, mais pas de grammaire. Or, malgré sa nette tendance à subordonner le
langage à la pensée16 , Raoul reste un grammairien et ne peut que maintenir
la spécificité du langage, et notamment les jeux de la construction entre modes
de signifier qui dépendent certes du réel et de la pensée , mais ne s'y confondent
pas17 . Il résulte même de ce souci une difficulté à comprendre le texte qu'on
vient de citer : comment les modes de signifier actifs peuvent- ils être << dans
l'intellect » comme les modes d'intelliger actifs , alors que ceux-ci sont «< les per-
fections de l'intellect » et ceux-là « les perfections ou formes des parties du
discours » (P.M. , 157) ? La réponse est double d'une part les modes de signifier
sont dans l'intellect « comme dans leur cause efficiente » , et cette efficience n'a
de sens que par rapport à un « substrat » qui fait que leur présence à l'intellect
n'est pas immédiate ; en second lieu , mais au fond de la même façon , les modes
actifs de penser et de signifier sont « semblables » , dit Raoul, « comme la forme
de la maison qui est dans l'âme est semblable à la forme de la maison à l'exté-
rieur » (P.M. , 158 ) . Nous en revenons au même point : l'intellect fonde le langage,
mais le langage n'est pas entièrement chose d'intellect, puisque << la fonction
active de signifiant et la fonction de consignifiant sont dans le son vocal comme
dans leur substrat » 18 .
Dans la démonstration de cette proposition, Raoul place un argument
dialectique qui ne manque pas d'intérêt «< une chose (aliquid) » , dit-il , « ne se
rapporte pas formellement à une autre par ce qui est dans un autre sujet » :
un père n'est pas en relation avec son fils par la paternité qui est dans un autre
père ; or << le son vocal est signe de la chose et signe à titre accessoire (consignum)
de sa propriété ; donc il ne le sera jamais par une fonction de consignifiant qui
sera dans l'intellect, mais par quelque chose qui existe dans le son ; donc ces
modes de signifier actifs et passifs à titre formel sont dans le son vocal comme
dans leur substrat . Par conséquent, si cette fonction de signifiant ou consignifiant
86 J. JOLIVET
était dans l'intellect équivalemment au son, alors par cette fonction le son ne
serait pas signe , ou consignum, mais il serait plutôt signifié ou consignifié , car
ce qui a la fonction de terme (quod habet rationem termini) à l'égard de la fonc-
tion de signifiant ou de consignifiant ne s'appelle pas un signe , ou un consignum,
mais un signifié ou un consignifié . Mais on dit que la chose est le signifié , et la
propriété de la chose , le consignifié , parce qu'elles ont la fonction de terme
à l'égard de ces fonctions »19. Indépendamment même de son ingéniosité , ce
développement a le mérite de marquer fortement l'indépendance « subjective »
du langage par rapport à l'intellect . D'autre part , il montre de façon frappante
comment sont indissociables , dans un signe , la fonction signifiante et le subs-
trat privé de la première , le second devient un signifié, une chose . Cela revient
à exclure l'hypothèse qu'on évoquait tantôt, celle d'un domaine des sons que
n'habiterait aucun sens . Raoul, on l'a dit, reste un grammairien, quelqu'un qui
prend le langage au sérieux quelque importance qu'il accorde à l'intellect, il
est encore très en-deçà de Guillaume d'Ockham, qui fait refluer dans l'intellect
les catégories principales de la grammaire elle-même 20 .
Nous avons noté plus haut qu'en distinguant dans l'intellect une passivité
et une activité , Raoul ne voulait pas désigner par la seconde ce que les commen-
tateurs d'Aristote ont nommé l'intellect agent. Dans la même question d'où nous
avons extrait nos deux derniers textes, il se révèle que cette distinction est celle
de l'intellect spéculatif et de l'intellect pratique : « là » , dit-il (c'est- à-dire dans
l'instauration des modes de signifier) « est requise l'opération de l'intellect spécula-
tif, parce que c'est lui qui d'abord connaît la chose et sa propriété, et qui ensuite,
informé par cette connaissance, passe à l'action et à l'opération pour conférer
aux sons signification et consignification : c'est pourquoi on dit que les mots ont
une signification arbitraire et libre » . Il ajoute qu'il n'y a pourtant pas deux intel-
lects, qu' «< une seule et même intellection est spéculative et pratique » ; mais
l'intellect spéculatif connaît la chose , et quand il opère l'attribution des significa-
tions, << alors il est pratique » 21. Ce texte est tiré de la réponse à une objection
selon laquelle les modes de signifier, causés par l'intellect, ne pouvaient qu'y rester
parce que l'opération de l'intellect spéculatif ne passe pas dans une matière exté-
rieure, et que celle de l'intellect pratique a besoin d'instruments ; Raoul nie ce der-
nier point en réservant cette nécessité aux cas où la matière n'est pas «< disposée »
(propter indispositionem materiae) or le son vocal est de soi disposé à être
signe . Dans une question antérieure (q . 10) , à une objection analogue , il faisait
une réponse analogue d'où l'on peut tirer quelques formules qui confirment
et précisent la citation précédente : la construction des choses connues au
moyen des modes de connaître est une opération de l'intellect spéculatif, et
elle ne passe pas dans une matière extérieure . Mais la construction des construc-
tibles les uns avec les autres, du fait que constructible désigne un tout formé
d'un son, d'un signifié et d'un mode de signifier, n'est pas le fait de l'intellect
spéculatif mais de l'intellect pratique , dont l'opération passe à l'extérieur ...
L'intellect, avant de joindre deux constructibles , connaît l'un puis l'autre , et les
ayant saisis il les compose intellectuellement , et cette composition est l'oeuvre
RADULPHUS BRITO : INTELLECT ET LANGAGE 87
Cette lecture de Raoul le Breton étant faite, il reste à nous poser au moins
deux questions. La première concerne son originalité . Sur deux points, elle est
nulle , et on ne s'en étonnera pas : il s'agit d'une part des éléments aristotéliciens
de sa doctrine (nature de l'intellect, sa spécification en spéculatif et pratique) ;
d'autre part, plus spécialement, des postulats qu'il partage avec les autres gram-
mairiens de son école (les trois ordres de modes , leur parallélisme , l'autonomie
relative du langage) . Il n'est pas nécessaire d'insister là-dessus . Plus intéressant est
le point qui nous a retenus jusqu'ici le rôle de l'intellect dans la constitution
des signifiants comme tels . Or sur ce point aussi l'originalité de Raoul est limi-
tée ; si l'on consulte les traités de grammaire spéculative de Martin, Jean et
Boèce de Dacie , on constate qu'ils ont tous plus ou moins évoqué cette question.
Déjà le dernier cité , au-delà d'une remarque qui à elle seule resterait banale :
<< qui fait une construction dans le discours, nécessairement en fait d'abord une
dans sa pensée » 23 , décrit à peu près de la même manière que Raoul la genèse
de la signification « l'intellect en son intellection se conforme à l'être de
la chose , et au moyen de ses modes d'intelliger détermine pour soi tels modes de
signifier, qui sont semblables aux modes d'intelliger »24. Martin de Dacie montre
comment le parallélisme des modes se fonde sur la double activité , cognitive et
sémantique , de l'intellect : « l'intellect, voulant signifier à autrui sa conception,
assigne à la chose connue un son vocal , pour que sa conception , c'est-à -dire
la chose pensée , soit exprimée par le son comme par un signe . Par conséquent,
de même que le tavernier expose un cercle pour signifier qu'il a du vin , de
88 J. JOLIVET
la même façon l'intellect exprime ou signifie par un son vocal la chose pensée ;
une fois que le son lui est lié ou assigné cette chose est dite chose signifiée ,
et toutes les propriétés de la chose qu'on disait auparavant modes d'être de la
chose extérieure et modes d'intelliger de la chose pensée , sont dits maintenant
modes de signifier » 25 Martin attache une telle importance à cette activité séman-
tique de l'intellect que , selon un procédé très médiéval , il en attribue l'idée
première à Boèce (Manlius Severinus) , lui faisant dire que « l'intellect assigne
un nom aux choses qu'il a vues » , alors que dans le passage prétendûment allégué
cet auteur disait simplement : « le genre humain est le seul qui puisse assigner
des noms aux choses »26 .
Boèce de Dacie, dans le second de ses textes qu'on vient de citer , évoquait
la docilité de l'intellect aux choses, c'est-à-dire sa passivité ; mais symétriquement
il décrit son activité dans l'ordre du langage en des termes voisins de ceux qu'em-
ploiera Raoul : « les modes de signifier sont dans la dictio comme dans leur
substrat , mais dans l'âme comme dans leur cause efficiente » ; « les modes de
signifier accidentels... sont causés... par l'intellect qui considère les propriétés
des choses » ; « tous les modes de signifier qui sont dans la dictio sont causés
en elle par l'intellect , au moyen de l'assignation d'un sens au mot »27. La Somme
grammaticale de Jean de Dacie est encore plus nette sur ce point , la double
nature de l'intellect y est détaillée dans deux pages à la suite : «< notre intellect
possible , qui est en puissance à l'égard de tous les intellectibles comme la matière
est en puissance à l'égard de toutes les formes naturelles , a de nombreux concepts
et a besoin d'un signe pour les exprimer » ; « pour que le son vocal devienne
signifiant il faut un concept qui doit être signifié par le son, et un son qui signifie
ce concept. L'intellect par conséquent saisit d'abord un concept, et ce concept
est suivi d'un certain appétit de la puissance intellective ; alors l'intellect ordonne
aux organes de la puissance sensitive que celle-ci exprime le concept que l'intel-
lect a conçu alors le concept est exprimé et ainsi le son devient signifiant >» 28 .
Cette description du processus ne fait pas intervenir l'intellect pratique comme
tel et expressément , mais si le mot n'y est pas la chose est toute proche ; de
même lorsque Jean expose que « le but de l'assignation d'un sens au son vocal
est que l'homme puisse communiquer aux autres ses conceptions , en vue d'une
plus grande perfection de la vie et de l'acquisition de ce qu'il lui faut » 29 .
En résumé lorsque Raoul le Breton expose la façon dont l'intellect inter-
vient dans la constitution du langage , il ne fait que reprendre un fonds d'idées
présent déjà chez ses prédécesseurs ou quasi-contemporains . Nous les avons vus
d'accord pour attribuer à l'intellect la fonction d'assigner aux sons vocaux leur
signification et, en fonction des modes d'intelliger, leur consignification . Ce rôle
tient clairement à la situation de l'intellect : étant donné un langage où sont
exprimés les choses et leurs rapports, l'intellect à qui il revient de connaître
est nécessairement le médiateur entre ces deux sphères, et si l'on suppose une
genèse du sens dans le langage , on ne peut en attribuer l'initiative qu'à l'intellect .
Il était donc naturel que les théoriciens de la grammaire spéculative , qui tous
supposent le postulat selon lequel les trois ordres de modes sont parallèles,
RADULPHUS BRITO : INTELLECT ET LANGAGE 89
NOTES
10. < ... intellectus est imponens modos significandi vocibus et est virtus passiva ; ergo nisi
intellectus determinetur a proprietate rei numquam imponeret voces ad significandum rem
sub determinato modo significandi » , P.M. , 164 .
11. << Et cum dicitur : ' grammatica est de sermone et de modis significandi qui procedunt
ab intellectu nostro , dico licet ita sit tamen non sunt pure ab intellectu nostro, immo ex
aliquibus modis essendi et proprietatibus rerum determinatur intellectus ad sic imponendum
voces ad significandum res sub talibus modis significandi » , P.M., 92.
12. « ... quamvis (modi significandi activi) in intellectu sint, hoc tamen est sicut in causa
efficiente, nihilominus tamen sunt in voce significativa sicut in subiecto », P.M. , 151 .
13. A moins qu'on ne retienne la brève formule du Traité de l'âme , II , 8 , 420 b 33 :
σημαντικός τις ψόφος ἐστὶ ἡ φωνή, « la voix est un son pourvu de signification » (trad .
J. Tricot) ; mais les développements sur l'intellect ne contiennent rien qui la reprenne .
Il est remarquable que dans toute son enquête sur l'âme , ses parties, et l'intellect , Aristote
ait laissé de côté le langage.
14. « ...potest intellectus moveri ut intelligat et voci imponat aliquam essentiam indeter-
minatam sicut illae res habentes actum primum sunt indeterminatae ad actum secundum » ,
P.M. , 234. Il s'agit ici (q . 40 ) du pronom, qui signifie « une substance pure, c'est-à -dire sans
qualité, et de façon indéterminée » ; sont allégués à l'appui , allusivement, « tous les auteurs
de la grammaire, et Pierre Hélie » (p. 230).
15. « ... modi intelligendi activi immediate sunt in intellectu , modi autem significandi acti-
vi non nisi mediante voce prolata, quia nisi mediante voce essent in ipso, tunc voces non
haberent dispositionem componendi inter se sive ad invicem » , P.M. , 158.
16. On a vu qu'il y a identité matérielle entre les modes de penser et de signifier passifs ;
or d'autre part le mode de signifier passif ne diffère pas formellement de l'actif, puisqu'il
est une propriété de la chose en tant que consignifiée par un mot et que donc son élément
formel est la ratio consignificandi qu'est, justement, le mode de signifier actif ; enfin les
modes actifs de penser et de signifier sont «< semblables » : tout cela tend à lier étroitement
le langage à la pensée . Voir notamment les q. 19, 20, 22.
17. Le simple fait qu'il existe une grammaire, dont le « sujet » et les concepts ne sont
pas ceux de la logique, suffit à garantir cette spécificité ; voir aussi notamment la q . 4 .
18. « ... ratio significandi activa et ratio consignificandi est in voce sicut in subiecto »> ,
P.M., 160. C'est la réponse de Raoul à la q . 20 : « les modes de signifier sont- ils dans le
son vocal, ou dans la chose , ou dans l'intellect, comme dans leur substrat ? » , P.M., 159.
19. « ... vox est signum rei et consignum eius proprietatis ; ergo per rationem consigni-
ficandi quae erit in intellectu numquam vox erit consignum sed per aliquod existens in voce ;
ergo illi modi significandi activi et passivi quantum ad formale sunt in voce sicut in subiecto.
Unde si ista ratio significandi vel consignificandi esset in intellectu in comparatione ad
vocem, tunc per istam rationem significandi vel consignificandi vox non esset signum vel
consignum sed magis esset significatum vel consignificatum, quia illud quod habet rationem
termini respectu rationis significandi vel consignificandi non dicitur signum vel consignum
sed significatum vel consignificatum . Tamen sic res dicitur significatum et proprietas rei
consignificatum quia habent rationem termini respectu illarum rationum » , P.M. , 160 , 161 .
20. Voir Summa totius logicae, I , 1. Guillaume ne veut considérer dans le langage que ce
qui suffit à la logique . On pourrait dire que de ce fait il reconnaît l'autonomie de tout le
reste, mais ce reste n'est en somme qu'un résidu.
21. « ...ibi est operatio intellectus speculativi requisita, quia ille est qui primo cognoscit
rem et eius proprietatem et postea informatus cognitione rei et suae proprietatis extendit
se ad praxim et operationem et hoc ad imponendum voces ad significandum et consignifi-
candum ; et ideo dicitur quod voces significant ad placitum et a voluntate . Nec intellectus
scilicet speculativus et practicus sunt diversi, sed una et eadem intellectio est, quae est
speculativa et practica ; sed cognoscere rem pertinet ad intellectum speculativum et postea
cum se extendit ad operationem ad imponendum voces ad significandum et consignifi-
candum , tunc est practicus » , P.M. , 161. On aura remarqué la clause « ad placitum et
94 J. JOLIVET
29. << Finis etiam impositionis vocis ad significandum est ut homo communicare possit
cum aliis hominibus conceptiones suas ad maiorem perfectionem et ad sufficentiam vite »,
ibid., 178. Idée voisine chez Boèce de Dacie , Modi significandi, q . 5 ; et d'abord chez Aristote,
De l'âme, II, 8 , 420b 22.
30. Voir plus haut , note 2 ; noté par la suite D.A.
31. P.M. , 161 et 162 ; ici même, p . 86 et D.A. q . 23 , 272-273.
32. « ... intellectus...dicitur speculativus inquantum cognoscit rem abstracte, sed dicitur
practicus inquantum cognoscit illud idem in applicatione ad opus, scilicet inquantum prose-
quibile vel fugibile » , D.A., 272.
33. D.A. , 111 et 124 ; P.M. , 159.
34. D.A. , 156 et 169.
35. D.A. , 173 et 175 ; cette question demande « si ce qui est intelligé est une espèce intel-
ligible existant dans l'âme ou une chose existant hors de l'âme » .
36. D.A. , 263 et 265.
37. Voir M.-D. Chenu, La théologie comme science au XIIIe siècle, 3e éd . , Paris, 1957,
notamment p . 71 sqq.
38. C'est la seule nuance qu'il faille ajouter au développement que le Père W. Fauser
(op. cit. , 30) consacre à la liberté de Raoul à l'égard d'Aristote.
39. Il suffisait ici de considérer les rapports entre la noétique et la grammaire dans des
ouvrages qui leur sont expressément consacrés ; pour être complet, il faudrait prendre en
compte deux autres oeuvres de Raoul ses commentaires sur le Peri hermeneias et sur
les Sentences. On sait en effet que les premiers chapitres du Peri hermeneias contiennent
des indications relatives à la sémantique , et notamment au rapport entre les choses , les idées
et les mots (voir plus haut, notes 6 et 7 ) : cela est susceptible d'intéresser un grammairien
attentif à la noétique . D'autre part , les réflexions des théologiens sur le Verbe les conduisent
à traiter des rapports entre la conception et l'expression (voir par exemple Thomas d'Aquin,
Summa theologiae, la, q . 34 , a.1 , resp .; Duns Scot, Opus Oxoniense, lib . I, dist. XXVII ,
q. 3 ; et déjà Augustin , De Trinitate, IX, v11 et XV, x1) ; il est possible que Raoul ait
introduit dans son Commentaire des Sentences des remarques sur l'intellect et le langage.
Je n'ai pu avoir accès à ces deux commentaires de Raoul, mais des extraits obligeamment
fournis par Monsieur Z. Kaluza montrent que Raoul n'y traite pas de l'intellect ; d'autre
part, son Quodlibet ne contient apparemment rien qui ait pu lui fournir l'occasion de
s'exprimer sur ce sujet, ce renseignement m'a été aimablement communiqué par Monsieur
J.F. Genest. - Au cours de la discussion qui a suivi l'exposé de ces vues, Monsieur H. Hubien
a fait observer que non seulement la loi des genres, mais aussi l'attente des auditeurs , dissua-
dait le maître de traiter de grammaire (scientia sermocinalis) à propos de la noétique (scien-
tia naturalis) ; Monsieur S. Ebbesen a indiqué que le commentaire de Raoul sur Porphyre
contenait des développements (sur les intentiones) qui relèveraient plutôt du commentaire
du Traité de l'âme, composé sans doute plus tard (voir J. Pinborg, « Radulphus Brito on
Universals » , Cahiers de l'Institut du Moyen Age grec et latin, Université de Copenhague ,
35 ( 1980) , p. 56-142 édition de huit questions du commentaire de Raoul sur Porphyre ;
on n'y trouve pas, sauf erreur, de développement relatif au langage ) . Ces deux interventions
précisent utilement la situation qu'on a essayé de décrire cloisonnement didactique, mais
aussi diffusion de la noétique hors de son lieu naturel à l'occasion de thèmes qui ne sont
pas évoqués dans le Traité de l'âme, bien qu'en fait ils relèvent de l'étude de l'intellect.
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN
SUMMULAE 8
Sten EBBESEN
not be knowledge by proof. Proof is the daughter of doubt. If, and only if,
Plato doubts some proposition , can he try to prove it , i.e. to remove the doubt
by constructing a sufficiently strong syllogism with that proposition for its
conclusion8 .
In order to transform his doubt into knowledge , Plato must know some-
thing before knowing the conclusion. He must know the premisses and a logical
principle . Thus he reaches proof-knowledge of the conclusion 'every C is A
when he has assented to the premisses ` every B is A ' and ' every C is B'plus the
principle if every B is A and every C is B, then every C is A ' . Unless he be
mentally disturbed , knowledge of these three propositions, the two premisses
and the logical principle, will immediately induce him to give unwavering assent
to the conclusion , i.e. he will have knowledge by proof of it⁹ .
But still Plato may seem not to have satisfied Aristotle's requirements to
knowledge and proof. For Aristotle seems to require that we know the cause of
the state of affairs signified by the conclusion. Buridan does much to tidy up
the messy Aristotelian notion of causality in proof10 . For instance, he points
out that in geometrical proof there can be no question of causality. Most of
Aristotle's remarks about causality in connection with proof must not be taken
to literally. According to Buridan, real proof ' because of ' is in fact a very limited
class of proofs , namely that in which the conclusion is a causal proposition,
like all sleep is because of the evaporation which results from the digestion of
food and ascends to the head so as to block the channels of sensation ' or
' all sleep is for the purpose of recreating the senses - and for such a conclusion
to follow, there must, of course, be a causal proposition among the premisses¹¹ .
In this elegant way Buridan eliminates all the trouble and confusion which
Aristotle's requirement of causal knowledge might otherwise create .
Let us then leave that question aside and return to Plato and his quest for
knowledge . What sort of propositions are the premisses of his proof, and how
does he come to know them ? A premiss may itself be known by proof, but this
only pushes the question one step further back ; and one cannot continue like
that forever. Sooner or later we must come back to indemonstrable primitive
propositions . These primitive propositions must be true since one cannot know
something that is false . And they must be obviously true12 . The requirement
of obviousness (evidentia) is crucial .
Human minds are constructed in such a way that everybody in his wits is
predisposed to give unrestricted assent to certain true propositions without
having a proof of them , just as our minds are predisposed to assent to a conclu-
sion properly deduced from such propositions . The true propositions we all have
a natural propensity to assent to are obvious13 .
This is what distinguishes knowledge from faith 14. The primitive proposi-
tions we know are not truer than the primitive propositions of the Catholic faith.
Nor is a good Catholic's assent to an article of faith weaker than his assent to
a scientific proposition . But the articles of faith lack obviousness - witness the
hosts of infidels and heretics who refuse to believe in the true articles of faith
100 S. EBBESEN
while giving firm assent to false articles of faith, so firm that they are willing to
die for them. By an act of will we can firmly believe in the non-obvious and
refuse to believe in the obvious. Thus we may refuse to believe that the syllo-
gistic schema ' every B is A and every C is B , therefore every C is A ' (Barbara)
is a necessary consequence, and believe instead that God is triune 15. Yet, when
the Godhead is not involved , we had better stick to the obvious and treat Barbara
with reverence .
' Obvious ' , then, means « such that all normal people are predisposed
to give assent to it » . The propositions which possess such obviousness are of
two main types16 .
The first type consist of propositions which we endorse as soon as we
know what the constituent terms mean . This group includes the so-called first
principle, the principle of contradiction, but also nominal definitions like ' if
there is any void, every void is a space which is not occupied by any body or
bodies . Notice the hypothetical form of the definition . On a literal interpre-
tation every void is a space etc. ' is false because the subject term suppones
for nothing. Another form, in fact equivalent to the hypothetical, but less
explicit on the question of existence, is «
< ' void ' signifies ' space ... '»17. No
power can make this type of propositions false and no man can resist assenting
to them. We have no innate knowledge of such propositions. Some external
stimulus, discussion e.g. , is needed for us to form these propositions , but
this does not mean that we are taught them . The discussion just helps us under-
stand what the terms mean , and then our innate inclination to accept the truth
makes us assent .
The second, and vastly more interesting type of obviously true proposi-
tions are those that we endorse after inspection of reality. If we put a hand on
a glowing lump of coal, we do not hesitate to accept the proposition ' this lump
of coal is hot . A few similar experiences suffice to make us assent to the pro-
position this glowing lump of coal is hot ' even when the glowing lump of coal
in question is one we just see but have not touched . Thus far we have done
nothing an irrational animal could not do. But we also generalize and form the
mental proposition all glowing lumps of coal are hot ' and endorse it without
a trace of doubt .
With this second type of obvious truths the situation is basically the same
as with the first kind. We have no innate knowledge of the propositions in case,
and we are not taught the propositions . We may of course believe in a proposi-
tion on the ground that an authority endorses it although we have no personal
experience of the fact it describes. But we are not talking of belief. It might
seem as if we establish that all glowing lumps of coal are hot by means of induc-
tion . But this is not the case , for the induction which we do perform is incom-
plete and incomplete induction cannot establish the truth of any universal
proposition. What the induction does is stimulate our intellect to abstract and
form a universal proposition to which it instinctively assents . We may be com-
pared to swallows . They build nests at the right time of the year when nature
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 101
gives certain signals to their senses. But it is not the sense-impressions that make
them build nests when the time for laying eggs approaches . The external stimuli
jus activate the swallows' instinct .
Propositions of type 2 differ in an important respect from those of type 1 .
They may become false . Contingent propositions about singulars may be evident-
ly true at some time, but identical propositions formed at another time may be
false. This glowing lump of coal is hot ' may be true now but false tomorrow,
whether because the lump of coal I am pointing at has cooled, or because it
has burned so that I point at no coal at all , i.e. the subject of my proposition
suppones for nothing . Even the universal propositions, like ' all glowing lumps of
coal are hot or ' every space is occupied by some body or bodies are not uncon-
ditionally true whenever formed . They are only quasi-necessary , but only super-
natural power can make them false . If God decides to change completely the course
of nature, all our knowledge of this type of propositions will disappear ; and if
we still assent to them, the assent will be false opinion instead of knowledge .
But Buridan was not really worried about the possibility that God turns
everything upside down . Men must do the only thing they can work on the sup-
position that the world continues to function in the usual way ; and therefore
we can for all practical purposes consider the propositions which only miracles
can make false as necessary - just as Aristotle did because he did not believe
in miracles.
Let me repeat . Proof is a syllogism which produces knowledge of the
conclusion . Knowledge is an attitude to a true proposition . This attitude to
the conclusion arises instinctively as soon as we have the same attitude to
the premisses and to the logical principle governing the syllogism . Our having
this attitude to the premisses may itself be the result of a proof, but a finite
number of steps will take us back to indemonstrable propositions to which
we have the attitude of knowledge without having any proof of them.
Now, it deserves attention that this attitude, the unwavering assent, is
given not only to analytically true propositions, nor are the non- analytical
propositions to which we have this attitude all universal . Can we, then, have
knowledge by proof of genuinely contingent and even singular propositions ?
Buridan's answer is « Yes » 18 .
It is true, of course, that Aristotle seems to be of another opinion, but
that is only because he sometimes uses the word ' knowledge ', and consequently
the word ' proof ' , in a very narrow sense . In this strict sense , we only know
propositions which can be communicated to others without the presence of the
objects for which the subjects of the propositions suppone . Singular categorical
propositions do not meet this condition , for we cannot describe an individual
except by means of general terms, and so we cannot describe it qua individual .
Moreover, Aristotle demands that the propositions be such that they are true
no matter when they are formed .
It might seem to ensue that only eternal entities can be referents of the
subjects of such propositions. For (in Buridanian semantics) an affirmative
102 S. EBBESEN
proposition formed with the copula ' is is false if the subject suppones for no-
thing at the time the proposition is formed . Thus, since no void ever exists,
' every void is a space with no body in ' is never true . And worse , ' every thunder
is a sound produced in the clouds 'will be false at times when there is no thunder.
But things are not that bad. For there are several mental copulas corres-
ponding to the word ' is '19 , and there is a sense in which the sentence about
the void signifies a true proposition , namely when it is taken to be equivalent to
' if there is any void , then every void is a space etc. ' . Similarly , there is a sense
in which the sentence about thunder has a true mental counterpart whenever
pronounced ; for the mental copula may be one of atemporality or omnitempo-
rality, so that the same proposition may be expressed by means of the sentence
' whenever there is was or will be thunder, every thunder is was or will be a
sound produced in the clouds '.
The narrow Aristotelian sense of ' knowledge ' narrows the field in which
proof is possible . Yet not so much as some might think . Following the Stagirite ,
Buridan points out that a first rate Aristotelian proof of a seemingly contingent
proposition is possible by framing the proposition as a statistical claim20 . A Dane
might loosely describe summer as the season when it is hot and dry - but no
force in the world could convince any compatriot of mine that every summer
is hot and dry. However, a good causal proof of the truth on which the loose
description was founded is possible . It runs like this : Every season during
which the sun is closer to some particular climate is for the most part hot and
dry in that climate because of the virtual hotness and dryness of the sun. But
every summer in some particular climate is a season during which the sun is
nearer to that climate . Therefore every summer in some particular climate is
for the most part hot and dry in that climate because of the virtual hotness and
dryness of the sun ' .
Adding the clause ' for the most part ' in order to make a contingent propo-
sition necessary is a trick that Buridan had learned from Aristotle . But Buridan's
defence of the science of law does not come from the ancient philosopher. At
first sight it might look as if jurisprudence tries to do the impossible , viz . to
communicate knowledge in writing while using singular terms, such as Titius
and Bertha. For instance , a law-book may present a proof that Bertha should
be given to Titius and not to Robert in an intricate case of bigamy. Buridan
has recognized the fact that Titius, Bertha and Robert are dummy names, so
that the law-book's propositions about these quasi-persons are really universal ,
the dummy-names being actually general terms21 .
However, Buridan was not content with just saving statistical and legal
propositions. It would be a poor logic that would not let us have proofs of
genuinely contingent, and even singular, propositions when the world consists
of singular objects . Aristotle , of course , had the right to use the words ' know-
ledge and ' proof ' in a narrow sense since words signify ad placitum . But Buridan
saw no need to be fettered by Aristotle's terminology . The assent we give to con-
tingent and singular propositions is as firm as our assent to universal necessary
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 103
Since the question is what makes some individual know a certain proposition, it
is completely irrelevant whether some proposition p about whose truth Socrates
is more in doubt than he is about the truth of proposition q , is in some sense
better known to God or by nature than proposition q25 .
On the other hand, Buridan accepts that many other circular proofs are
not viciously circular26 . Thus Socrates may know one set of premisses proving
the conclusion p , and another set of premisses proving q. He may also know
that p and q mutually imply each other. Then he may conclude p from the first
set of premisses, and q from p plus the premiss ifp then q ' . He has then proved
q and knows q. If he then goes on to conclude q from the second set of premis-
ses, and then p from q plus ' if q, then p ', there is a sort of circularity , but not
a vicious one. He simply has two methods of proving p and q. But, it might
be objected , if he has used the first method, he already knows p and q. Hence
the second set of proofs cannot be real proofs , for a proof is a syllogism which
produces knowledge of its conclusion . Well, says Buridan, it is true that only
the first set of proofs produces the knowledge, but since neither of the sets
of proofs has any claim to priority , we had better accept them both as proofs
and amend the definition of proof so as to read every proof is a syllogism
which produces knowledge of its conclusion unless this conclusion is already
known by means of another proof '27 . And it is not useless to know two ways
of proving the same conclusion . An extra proof consolidates our knowledge, for
-
even firm knowledge may become firmer. It is not quite clear to me how
Buridan thinks this may happen, but I suppose that he imagines a situation in
which some unjustified doubt arises about the strength of one of the proofs ;
then that doubt will not make us doubt the conclusion , because we know there
is another proof of it.
Buridan was a devout Christian, no doubt about that . But he was not
inclined to sacrifice human knowledge on the altar of faith. When conflicts
between knowledge and faith show their head, his normal reaction is to say that
our quest for knowledge must go on unimpeded by theological considerations,
just as we should not let our knowledge of logic seduce us into doubtingCatholic
doctrine about the Holy Trinity. On this background, we might expect that he
would gladly admit that we cannot prove God's existence , the proposition
' God exists ' being an article of faith and not a proposition we can know by hu-
man knowledge . Did not Aristotle say that we must presuppose that the subject
of the conclusion of our proof exists ?
Contrary to what we might expect, Buridan thinks it is possible to prove
that God exists28 . Does X exist ' is as good a question as any , and one that can,
in principle , be answered by means of a proof. The notion that we must presup-
pose the existence of the subject of the conclusion is due to a misinterpretation
of Aristotle29 .
But, some had argued, a proof that God is presupposes that it is contra-
dictory for something else to be and God not to be, e.g. that it is contradictory
that there should be movement and no mover . But this is not contradictory.
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 105
<< Ignoramus >> , sneers Buridan at the man who says that . « Do you really think
that all principles should be reducible to the principle of contradiction ? » 30 .
But, say the people who do not believe in proofs of God's existence , try
any middle term you wish , and you will see that you cannot pull off the trick.
Let ` B ' be the middle term , and let us try a first figure syllogism : ' Every B
is and God is B, therefore God is ' . Don't you see that nobody who denies or
doubts God's existence can consider the minor obviously true ? ' God is B'
can only be accepted by somebody who already accepts God's existence And
since syllogisms in other figures prove nothing if they cannot be reduced to first
figure syllogisms , the failure of the first figure syllogism shows that the whole
enterprise is futile 31 .
Buridan has two answers to this argument32 . Both explicitly assume that
propositions about ' est tertio adiacens ' are provable .
The first answer, then, consists in pointing out that the petitio principii
can be avoided by using a conditional major (which implies no existential claim)
and an assertoric minor de est tertio adiacente . Thus : ' If some cause is first
and uncaused, God is ; but some cause is first and uncaused ; therefore God is '.
The major is obviously true because , as a matter of fact , it is just a conditiona-
lized nominal definition (we are to assume that ' God ' and ' first and uncaused
cause signify exactly the same)33 . The minor, ' some cause is first and uncaused '
is also obviously true, either immediately, or because it is provable , being about
est tertio adiacens ' . Since hypothetical syllogisms are as good as categorical
ones, and the syllogistic form of this particular argument is impeccable and one
even an atheist should know, he ought to be convinced by the argument.
The second answer consists in pointing out that a syllogism can yield
more than one conclusion, because whatever follows from the consequent fol-
lows from the antecedent ; and so any set of premisses yielding the conclusion
that some cause is uncaused or that a mover of the heavens is eternal, also yields
the conclusion that there is some uncaused cause or that there is an eternal
mover of the heavens. For on Buridan's semantics, there always follows a propo-
sition ' de est secundo adiacente from a true affirmative proposition ' de est
tertio adiacente ' , since he holds that an affirmative proposition cannot be true
unless the subject suppones for something ; i.e., no predication is true unless
a referent of the subject term exists . To all appearance , Buridan thought that
it would be possible to construct a categorical syllogism which would prove
that some cause is first or uncaused , but it is difficult to imagine what such a
syllogism would look like 34 .
I am afraid no inveterate atheist would be convinced by Buridan's proofs.
Even the hypothetical proof presupposes an extraordinary amount of benevolent
co-operation by the atheist. He must accept that some such phrase as ' first and
uncaused cause ' is a sufficient nominal definition of the word ' god ' as used
by people who believe in God . He must accept that some cause is first and
uncaused ' (or its analogue , if another nominal definition of ' god ' is chosen)
is obviously true, being either self-evident or even provable . He must accept that
106 S. EBBESEN
' some cause is first and uncaused ' (or its analogue) implies an existential claim
- otherwise he has no reason to assent to the allegedly analytical major ` if some
cause is first and uncaused , God is '.
The only real argument for accepting ' there is a first and uncaused cause '
that I have found in Buridan is this : if we do not accept this proposition, our
whole philosophy of causality breaks down, for it requires a first cause35 .
Supposing that the theory of causality provides sufficient explanation of the
phenomena it is supposed to explain , this is sufficient reason for positing an
entity as required by the theory ; but hardly sufficient reason for claiming that
it evidently exists .
In fact, ' God ' fails to satisfy Buridan's own requirements of a supponing
term . According to Summulae 4.1.2, a term, 'T ', suppones only if it is possible
to point at a thing and truly say, ' This is T '. But , as Buridan himself remarks ,
we cannot point at God . He therefore introduces a rider to his definition of
a supponing term, with the explicit purpose of making ' God ' a supponing term .
A term is also supponing, he says, if we can truly affirm it of an anaphoric pro-
noun referring to some other term . Thus ' God ' is a supponing term because
the proposition ' a first cause exists and it is God ' is true36 . Unless this means
that the term to which the pronoun refers can be shown to be truly predicable
of a demonstrative pronoun, the fundament of Buridan's notion of supposition
crumbles , and the test for supposition becomes ridiculous. If ' first cause ' can
be a supponing term without being truly predicable of ' this ' , there must be
another term , ' X ' , such that ' X exists and it is a first cause ' is true -and infinite
regress is possible ; or else it must be an indemonstrable, obvious truth that
' first cause ' is a supponing term , whatever that means when no pointing is pos-
sible so that it is not true to say, ' This is a first cause ' But then, would it not
be simpler to make the direct claim that it is an indemonstrable, obvious truth
that God is a supponing term ? On the other hand, if we suppose that Buridan
meant what he must have meant, namely that a term , ' T'suppones if it is truly
predicable of a pronoun that refers to a term which is truly predicable of a de-
monstrative pronoun , this rider to the definition of supponing terms does not
make ' God ' one . For you can no more point at the first cause than at God.
The proofs of God's existence are the subject of the very last paragraph of
Buridan's Summulae . He no doubt decided to treat the subject there in order to
be able to end on a pious key . But piety made him draw the limits of proof too
wide . His semantics is of a sort that does not work well unless existence is re-
served for corporeal entities , as it was in the philosophy of his great predecessors,
the Stoics .
I do not think Buridan knew much about the Stoics, though he may have
picked up a little in Seneca and elsewhere . But it is remarkable how many points
of contact there are in matters of doctrine , and even terminology sometimes.
Like the Stoics, Buridan fought to get rid of hypostatized universals . Like
them he required individual referents for his terms and operated (in principle) with
token propositions only . Like them, he then turned his attention to conditional
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 107
propositions as the basis of proof, and hence , like them, tended to favour hypo-
thetical syllogisms over categorical ones. Complete conditionalizing of a state-
ment about individual entities makes the proposition suitable for scientific
proof without raising problems of existential commitment. Thus ' If Socrates.
sits, Socrates and the sitting Socrates are the same thing ' becomes a possible
object of scientific enquiry37 . Buridan's incompletely conditionalized temporal
propositions ( whenever there is was or will be thunder, thunder is was or will
be a sound produced in the clouds ' ) have an existential commitment, but a
weak one, and no commitment to universal entities.
Buridan's obviously true propositions are very similar to the Stoics'
<< cognitive >> propositions, arising from катαληяTikai pavтaσía . His interpre-
tation of Aristotelian èπOTηun (scientia) as unwavering assent cannot but
remind us of the Stoic interpretation of ἐπιστήμη as unwavering συγκατάθεσις .
Finally, I should like to mention that there is one more case , besides the
proof of God's existence , in which Buridan does not without hesitation follow
the principle of leaving the supernatural to the theologians. It regards the possi-
bility of separately existing accidents. Faith declares that in the eucharist the
bread's accidents are present without its substance . This, of course , is a mi-
racle, but Buridan does not swiftly conclude that therefore it is irrelevant to
philosophy38. Why ? I suspect he had two reasons. One being that it is an every-
day miracle , not one that only the few and chosen are allowed to see. Another
that the idea of demolishing the Aristotelian distinction between substance and
accidents was not quite distasteful to Buridan . His theory of predication hardly
requires such a distinction. In fact, he seriously considered the possibility of
accepting ` ens ', or, even better, ' quid ' or ' aliquid as the highest genus with
' substance ' as one species and non-connotative accidental terms as another39 .
If that does not smack of Stoicism , nothing does.
APPENDIX
Summulae 8.12.6 , edited from ms . Kraków BJ 662 (= K), ff. 125v B - 126r B,
with some corrections gathered from ms . Uppsala UB C.609 (= U) , f. 112r A-B.
Haec ultima pars expedit se breviter de quaestionibus quia est et si est, quia
sufficienter dictum est de eis per istum tractatum et tractatum de syllogismis,
nisi quod aliqui dubitaverunt de quaestione si est , et dixerunt quod impossibile
est demonstrare A esse vel A non esse , ut Deum esse vel vacuum non esse. Si
enim demonstres Deum esse, sit B medium , et erit syllogismus sic in prima figura :
' omne B est et Deus est B , ergo Deus est ' . Apparet statim quod in minori propo-
sitione est petitio principii, quoniam propositio de est tertio adiacente supponit
istam de est secundo adiacente. Unde nullus potest scire Deum esse B putans
Deum non esse vel dubitans Deum esse . Et aliae figurae non probant nisi possunt
reduci ad primam . Similiter2 si vis demonstrare quod vacuum non est, sit etiam
B medium, et erit syllogismus in prima figura : nullum B est , vacuum est B,
ergo vacuum non est - et apparet statim quod³ si conclusio est vera , vacuum
non esse, tunc4 minor est falsa dicens vacuum esse B, quia est affirmativa et
subiectum pro nullo supponit ; ergo syllogismus iste non est demonstratio,
cum non sit ex veris.
Ad hoc est duplex responsio , supponendo hoc quod omnes communiter
supponunt et dicunt , scilicet quod propositio de est tertio adiacente sit demons-
trabilis .
Prima responsio est quod si ad demonstrandum est secundo adiacens non
valeret demonstratio categorica, tamen adhuc valeret hypothetica, scilicet sic :
' si aliqua causa est prima et incausata, Deus est ; sed aliqua causa est prima et
incausata ; ergo Deus est '. Maior ponatur5 nota per quid nominis, ponendo quod
idem omnino significet iste terminus ' Deus ' et ista oratio6 causa prima et
incausata 7. Minor autem ponatur8 manifesta⁹ vel demonstrabilis, cum sit de
est tertio adiacente . Et sequitur quod erit conclusio manifesta et scita , cum prius
esset dubia. Similiter de vacuo arguam sic : ' si omnis locus est plenus corpore
vel corporibus, vacuum non est ' - hoc patet ex quid nominis huius10 nominis
'vacuum sed omnis locus est plenus corpore vel corporibus'- ponatur quod
hoc sit manifestum vel demonstrabile et demonstraretur , et11 sequitur conclusio ,
quae erit scita per istum syllogismum.
Secunda responsio est quia una potestas syllogismorum est posse plura
concludere quicquid enim sequitur ad consequens sequitur ad antecedens.
Ponamus ergo quod sint duae propositiones exinvicem 12 manifeste consequentes ,
una de est tertio adiacente , alia de est secundo adiacente , et13 ambae dubiae.
K 126r B Tunc per quascumque praemissas scitas concludetur , // scietur et demonstrabitur
illa de est tertio adiacente , per easdem concludetur, scietur, et per consequens
demonstrabitur illa de est secundo adiacente . Verbi gratia , per quascumque
praemissas scitas tu facies scire quod motor est aeternus, facies etiam scire quod
motor aeternus est ; et quaecumque praemissae demonstrabunt quod nullus
locus est vacuus , illae demonstrabunt quod nullus locus vacuus est .
Haec ergo de divisionibus, definitionibus et demonstrationibus sufficiant
cum eius adiutorio qui est benedictus, trinus et unus Pater et Filius et Spiritus
Sanctus, cui debetur laus et gloria et gratiarum actio in saecula saeculorum .
Amen. Amen .
NOTES
1. I am very grateful to professor H. Hubien for having put his unpublished editions of the
quaestiones on APr. and APo. , and of the greater part of Summulae 8 at my disposition.
For the remaining part of Summulae 8 and for treatises 1-3 & 5-7 I have used mss. Kraków
BJ 662 and Uppsala C.609 (in the case of treatise 6 in a transcription by Mr N.J. Green-
Pedersen). Treatise 4 is available in M. E. Reina : ` Giovanni Buridano, « Tractatus de Suppo-
sitionibus » ', Rivista critica di storia della filosofia, 12 ( 1957) , 175-208 & 323-352 . For
the quaestiones on the Metaphysics, I have used In Metaphysicen Aristotelis Questiones
argutissimae Magistri Ioannis Buridani, Paris , 1588 (rp . Minerva : Frankfurt-am-Main, 1964 ,
with title Johannes Buridanus, Kommentar zur Aristotelischen Metaphysik). References
will be of these forms : Q.APO . 1.5 = Quaestiones super Analytica Posteriora , super librum I,
quaestio 5 ; Summulae 8.5.3 = Summulae, tractatus 8 , capitulum 5 , pars 3 .
2. E.g. , Summulae 8.7.1 . Buridan actually distinguished three senses of ' demonstratio ' :
1) demonstratio communiter dicta = syllogismus faciens scire (suam conclusionem, si non
sit iam scita per aliam demonstrationem) ; 2) demonstratio proprie dicta = syllogismus fa-
ciens scire mansive (suam conclusionem...) ; 3) demonstratio propriissime = syllogismus
faciens scire mansive et propter quid (suam conclusionem… ).
3. Summulae 8.7.2 . Cf. Q. Metaph. 2.4.
4. That syllogisms are molecular propositions is said, e.g., in Summulae 1.8.6 . and 8.7.2.
5. See, e.g. Summulae 8.4.2-3.
6. Summulae 8.3.7 , 8.4.3 ; Q. APo. 1.32 ; Q. Metaph. 4.2.
7. Summulae 8.4.2-3 . Cf. Q. Metaph. 4.2.
8. Summulae 8.3.3 ; cf. 8.3.7 .
9. Summulae 8.3.7 , 8.4.2 , 8.5.2.
10. Summulae 8.8 . No causality in geometry : 8.8.6 .
11. Summulae 8.8.3 . Causal propositions are introduced in 1.8.6.
12. Summulae 8.4.2, 8.5.2.
13. Summulae 8.4.4, 8.5.3-4.
14. Summulae 8.4.4 , cf. 8.4.2 ; Q. APo. 1.32 ; Q. Metaph. 1.2 .
15 Summulae 8.4.2 . Buridan also mentions the schema of the expository syllogism , ' this
C is A and this same C is B, therefore B is A ' . On the influence of trinitarian doctrine on
14 th c . theory of syllogistic, see N.J. Green-Pedersen in Université de Copenhague, Cahiers
de l'Institut du Moyen-Age grec et latin, 37 ( 1981 ) 49 f. In Q. APr. 1.6 , Buridan overcomes
the theological difficulty by simply making an exception for ' divine terms ' : they are not
permissible sustituends for A, B, and C.
16. On primitive propositions and our cognition of them, see Summulae 6.1.4 , 8.4.4 , 8.5
(especially 8.5.3-4 ) , 8.6.3 ; Q. APo. 1.2, 2.5 , 2.11 ; Q. Metaph . 1.5 , 1.8 , 2.1 , 2.2.
17. For the nominal definition of ' void ', see Summulae 8.2.3 , 8 5.3 ; Q. Metaph. 2.4 ;
Q. Apr. 1.25.
18. See, in particular , Summulae 8.5.3 , 8.7.5 , 8.7.7 , 8.7.9 .
19. For ' X is Y ' = ' if X is , X is Y ' , see Summulae 8.5.3 ; Q. Metaph . 2.4 . Cf. Q. APr. 1.25.
On the omni -or a- temporal copula (complexive concept) signified by ' is ' in sentences
whose subject has natural supposition , and on the paraphrase of such sentences by means of
temporal ones, see Summulae 4.3.4 (p. 206-208 Reina) , 8.6.1 ; Q. APr. 1 25 ; Q.APO 1.16-18 .
20. Summulae 8.10.5 (whence the example about the summer).
110 S. EBBESEN
Elizabeth KARGER
Selon l'analyse récusée par Buridan , ' hominis ' est le sujet de cet énoncé ,
alors que, selon l'auteur , le sujet de (1) est ' hominis asinus'et << principalement >> 4
' asinus '.
D'aucuns jugeront peut-être que l'intérêt de ce débat réside dans l'occasion
qu'il fournit de mettre en évidence la difficulté de la tâche à laquelle s'est épui-
sée la logique scolastique - tâche qui aurait consisté à remédier aux insuffisances
de la logique aristotélicienne .
Tel cependant n'est pas notre propos principal . Notre objectif dans l'étu-
de de ce texte, fut de découvrir plutôt les divergences doctrinales en raison
desquelles les théoriciens en présence proposent, pour les énoncés concernés,
des analyses aussi différentes, et en particulier de dégager ce qui rend incom-
patibles les deux concepts de sujet présupposés par l'une et l'autre des positions
adverses .
Nous présentons donc ici les résultats de cette étude . Nous commencerons
par exposer l'essentiel de l'argumentation par laquelle , d'après Buridan, ces
logiciens anonymes défendent leur thèse ; nous serons ainsi en mesure de déga-
ger les éléments principaux d'une certaine doctrine logico- grammaticale . Nous
passerons en second lieu à l'examen des objections que Buridan oppose aux
raisons de ses adversaires, découvrant à travers elles ainsi que dans la défense
112 E. KARGER
la première prémisse est hominis '. Cependant ceci n'est que l'effet d'un exem-
ple favorable . Il suffirait de choisir tel autre syllogisme à termes obliques pour
constater qu'au contraire la théorie aristotélicienne assortie de l'analyse S - L des
énoncés à terme oblique , n'est pas toujours applicable . Comme nous reviendrons
sur ce problème dans la dernière partie de cet essai, nous remettons à plus tard
l'exposé et la discussion d'un exemple . Le lecteur constatera rétrospectivement
que ce type d'argument ne saurait aboutir.
Il reste une dernière catégorie d'arguments « faibles » , encore que le texte
n'en contienne qu'un seul exemples . L'argument en question dépend entière-
ment d'une définition qu'on trouve dans la Summa Logicae⁹ d'Ockham , selon
laquelle le sujet d'un énoncé est le terme (éventuellement complexe ) qui précède
la copule, le prédicat étant le terme qui la suit . Cherchant à appliquer cette
définition à l'énoncé suivant :
les logiciens visés par Buridan se croient autorisés à exclure ` homo ' comme sujet
possible de (4) sous prétexte qu'autrement une partie du prédicat - notamment
` equum '- précèderait la copule , contrairement à la définition invoquée . Mais
on peut évidemment rétorquer que si ' equum'était comme le veulent ces
logiciens - le sujet de (4), une partie du prédicat serait encore placée avant
la copule , cette fois-ci ' homo '10 . Tout ce qu'on peut conclure , c'est que la défi-
nition d'Ockham est insuffisante dans la mesure où elle ne permet , en l'absence
de postulats complémentaires , d'identifier le sujet et le prédicat que dans les cas
les plus simples d'énoncés catégoriques.
Si (1) est un énoncé universel, alors son sujet est ` hominis '.
La démonstration de ce lemme est simple , puisqu'elle ne repose que sur
une prémisse que voici :
` cet homme-ci court et cet homme-là court et... ', la conjonction devant comp-
ter autant de membres qu'il y a d'hommes, mais de cet homme-ci court ', on ne
peut inférer tout homme court '13 .
Mais il suffit d'invoquer (A) pour « prouver » que si ( 1 ) est un énoncé
universel , alors le sujet de ( 1 ) est hominis ' puisque , comme on peut le vérifier¹4,
'hominis 'est le seul terme distribué dans ( 1 ) .
Afin de démontrer la légitimité de l'analyse S -L - du moins appliquée
à (1) , il ne resterait qu'à montrer que ( 1 ) est un énoncé universel .
C'est bien l'intention des logiciens cités par Buridan . Pour ce faire 15 , ils
s'appuient - implicitement il est vrai sur une seconde prémisse , qui comporte
deux clauses, et que voici :
(B) i . Tout énoncé catégorique général est soit indéfini, soit particulier, soit
universel.
ii. Un énoncé est indéfini si et seulement si son sujet est « employé seul » ,
particulier si et seulement si son sujet est « affecté » 16 d'un syncatégorème
« particularisant » , universel si et seulement si son sujet est affecté d'un synca-
tégorème « universalisant » (voir note 3 ).
Ainsi nous proposons-nous de nous inspirer du texte pour mettre sur pied
une argumentation d'où l'on puisse valablement conclure ce qu'on veut démon-
trer, c'est-à -dire que le sujet de ( 1 ) est ` hominis '.
Dans ce but , nous posons d'abord les deux prémisses supplémentaires
(C) et (D) que voici :
-
(C) Si un énoncé est indéfini ou particulier, son sujet — s'il « suppose » 17 —
a une suppositio « determinata » .
Mais si nous avons pu ainsi établir sur la base des prémisses indiquées et
de la Règle d'ordre - l'exclusive légitimité de l'analyse S - L en ce qui concerne
l'énoncé ( 1 ) , nous ne pouvons étendre cette conclusion à tous les énoncés à
terme oblique . Ce n'est pas par cet argument en effet qu'on pourrait imposer
cette analyse pour l'énoncé suivant :
puisque, comme on peut le vérifier , il est compatible avec les prémisses (A) à
(D) ainsi qu'avec la Règle d'ordre que le sujet de (6) soit ' hominis ', `' asinus ',
ou 'hominis asinus '.
Néanmoins , ayant démontré , sur la base indiquée , que l'analyse S - L
s'impose pour un énoncé à terme oblique , on légitimera le choix de cette analyse
116 E. KARGER
pour tous les énoncés de ce type si on peut montrer qu'en aucun cas un conflit
ne s'ensuit avec l'une des prémisses indiquées ou avec la Règle d'ordre . Mais il
suffit de recenser les trois cas possibles : le terme par lequel débute l'énoncé est
ou bien affecté d'un syncatégorème universalisant, ou bien affecté d'un syncaté-
gorème particularisant, soit encore employé seul . Mais dans les trois cas toutes
les prémisses ainsi que la Règle d'ordre sont respectées si on considère comme
sujet le terme initial et lui seul . En effet, dans le premier cas, l'énoncé sera
universel et son sujet aura, comme on peut le vérifier , une supposition « confusa
et distributiva » ; dans le second , l'énoncé sera particulier et , on peut encore le
vérifier, son sujet aura une supposition « determinata » ; dans le troisième cas ,
l'énoncé sera indéfini et son sujet aura, comme il convient , une supposition
« determinata ».
Les prémisses (A) à (D) et la Règle d'ordre sont donc suffisants à justifier
l'analyse S- L des énoncés à terme oblique . Cependant l'analyse d'un énoncé
catégorique est incomplète tant qu'on n'en a pas identifié aussi le prédicat.
Mais admettant que le sujet de (6) - par exemple - soit hominis ' , quel doit
être son prédicat ?
La réponse à cette question présuppose , d'après les logiciens visés par
Buridan, une reformulation22 préalable de (6) , étant entendu que le nouvel
énoncé doit être équivalent à l'énoncé initial .
La reformulation proposée pour (6) est :
L'analyse que Buridan propose pour les énoncés à terme oblique est toute
autre . Selon lui , rappelons-le , le sujet d'un énoncé de ce type comme de tout
énoncé catégorique est obligatoirement au nominatif ou du moins est -ce
le cas du terme « principalement » sujet de l'énoncé . Ainsi le sujet de ( 1 ) par
exemple est hominis asinus ' , et principalement ' asinus '.
La tâche de l'auteur est évidemment double réfuter la position rivale et
justifier la sienne .
Des objections adressées par Buridan à l'encontre des logiciens dont nous
venons d'exposer les thèses , on peut distinguer quatre catégories . Les premières
prennent pour cible tel ou tel point de l'argumentation présentée , les secondes
contestent , sur le propre terrain de l'adversaire , le bien-fondé de l'analyse S - L
des énoncés à terme oblique , celles de la troisième catégorie dénoncent certaines
faiblesses des reformulations proposées pour ces énoncés, tandis que celle (car il
n'y en a qu'une) de la catégorie qui reste conteste une partie de l'assise doctri-
nale sur laquelle repose l'argument que nous avons tenu pour « le meilleur » en
faveur de l'analyse proposée par ses adversaires.
Nous nous dispenserons d'exposer les objections du premier groupe27 ,
car elles concernent dans leur ensemble des raisons dont nous avons déjà signalé
la médiocrité .
Les objections appartenant au second groupe28 prennent pour cible l'ana-
lyse proposée appliquée non à ( 1 ) mais à (6) , cible facile puisque - nous l'avons
vu - il est logiquement indifférent de considérer comme sujet de (6) ` asinus ',
118 E. KARGER
'hominis ' ou ' hominis asinus ' . Nous avons , en défense de cette analyse de
(6) , allégué l'avantage d'un traitement uniforme de tous les énoncés à terme
oblique ; mais encore fallait-il que ce traitement s'imposât dans certains cas ,
ce qui semblait bien se vérifier pour l'énoncé ( 1 ) . Aussi est-ce aux arguments
établissant la validité de l'analyse proposée de ( 1 ) que Buridan aurait dû réserver
ses objections .
Les objections réunies dans le troisième groupe29 sont mieux ajustées
puisqu'elles dénoncent les faiblesses de ce qui constitue une annexe indispen-
sable à la thèse adverse , notamment la nécessité de reformuler sous forme
<< canonique » les énoncés à terme oblique . Les règles qui régissent ces reformu-
lations conduiraient, selon l'une de ces objections30 , à une réitération indéfinie
de la même opération . Le prétendu prédicat , par exemple , de (6a) , ` cuius asinus
currit ' devrait être reformulé selon le même principe qui a présidé à la reformu-
lation de (6) . Cette objection toutefois ne porte que si on considère ce prétendu
prédicat non comme tel , mais bien comme un énoncé grammaticalement com-
plet , auquel cas on découvre qu'il s'agit encore d'un énoncé à terme oblique .
Mais on jugerait mieux du contenu de cette objection si on en donnait une
version directe : on ferait valoir que dans les reformulations proposées l'expres-
sion censément prédicat n'a pas la forme voulue - c'est-à -dire celle d'un terme
(éventuellement complexe) qui pourrait occuper indifféremment la position
antérieure ou postérieure à la copule dans un énoncé «< canonique >> .
A cette objection , il serait possible de parer et de sauver ainsi l'essentiel
de la thèse adverse . Il suffirait d'imposer aux énoncés considérés une reformu-
lation qui assure au prédicat du nouvel énoncé la forme d'un terme au sens
indiqué . Les modifications à apporter à l'énoncé initial seraient , il est vrai ,
beaucoup plus nombreuses et la spécification d'un algorithme permettant
d'obtenir l'énoncé voulu pourrait représenter un problème ardu . Néanmoins ,
ne s'agissant pas ici de notre propos principal , nous supposerons ce problème
soluble 31. Reprenant les mêmes exemples que plus haut , notre suggestion
consiste à reformuler (6) comme suit :
Mais il nous reste à voir auparavant les raisons que donne Buridan à l'appui
de la première de ces deux thèses , selon laquelle - rappelons-le- l'analyse cor-
recte des énoncés à terme oblique impose à leur sujet du moins << principal >> -
d'être au nominatif.
L'auteur invoque 36 une sorte de dictum selon lequel le sujet est ce dont
quelque chose est dit et le prédicat ce qui est dit du sujet, cela par l'intermé-
diaire de la copule . Quelques lignes plus loin , on apprend que l'analyse que
ce dictum commande est une analyse grammaticale. Dans la mesure où ce dictum
pourrait avoir la fonction d'apporter une justification de la thèse soutenue ,
on s'attendrait à ce qu'il représente un principe transcendant à la grammaire
au nom duquel on pourrait légitimer l'analyse retenue par l'auteur des énoncés
120 E. KARGER
logiques nouvelles d'énoncés catégoriques, et rompt ainsi avec les cadres étroits
de l'«
< orthodoxie » logique , Buridan fait preuve d'un sens logique bien plus
aigu ; néanmoins , et l'absence de théories élaborées, à la mesure de ces sugges-
tions innovatrices, sa position effective n'en est-elle pas moins insuffisante.
NOTES
1. Edité par Maria Elena Reina, dans Rivista Critica di Storia della Filosofia , 1957, p. 191-196.
2. Par ' énoncés catégoriques ', nous entendons les énoncés catégoriques « simples » , c'est-
à-dire ceux qui ne sont pas équivalents à des énoncés « hypothétiques » ; cf. Ockham ,
Summa logicae II , ch. 11 sqq.
3. Les énoncés concernés devraient être décrits plus précisément comme suit : il s'agit
d'énoncés dont le segment initial est formé soit par un terme singulier ou général à un cas
<< oblique » , soit par une séquence de deux mots dont l'un est un syncatégorème « univer-
salisant » ('omnis ', ` quilibet ') ou bien « particularisant » (`aliquis )' et le second un terme
général, ces deux mots figurant au même cas « oblique » . On notera que, étant donné
cette définition, l'énoncé :
quilibet hominis asinus currit
n'est pas un énoncé de la catégorie de ceux qui nous intéressent , car le syncatégorème qui
précède ' hominis ' n'est pas au même cas que ce terme.
4. Au lieu d'écrire qu'un terme est « principalement » sujet dans un énoncé , Buridan
écrit en fait que le prédicat de l'énoncé « est dit principalement » de ce terme. Nous avons
choisi de nous exprimer autrement par souci de brièveté.
5. Cf. lignes 257 à 263 et 283 à 287.
6. Cf. lignes 263 à 279 et 287 à 296.
7. Cf. Buridan, Tractatus de consequentiis, édité par H. Hubien (Publications universitaires,
Louvain, 1976) , p . 98. Il faut signaler que les formes syllogistiques admises sous cette appel-
lation par Buridan sont plus nombreuses que celles autorisées, sous une désignation semblable,
par Aristote (cf. Premiers Analytiques I , 36) ou même par Ockham (Summa logicae, III.1 ,
ch. 9, 12 et 15, Editions du Franciscan Institute, 1974).
8. Cf. lignes 279 à 282.
9. I, 31 , éd . cit.
10. Le fait que, selon cette analyse, ' homo fasse partie du prédicat de (4) , s'ensuit des
lignes 247 à 249.
11. Cf. lignes 253 à 257.
12. Cf. lignes 255-256.
13. Cf. Ockham, Summa logicae I , 70 et Buridan , Tractatus de suppositionibus, éd. cit. ,
p. 187 et 324.
14. Cf. Buridan, Tractatus de consequentiis, p. 99 , éd. cit. Ou bien Ockham se trompe lors-
qu'il désigne ' hominis asinus ' comme étant l'expression « distribuée » dans (1 ) , ou bien il
donne un autre sens à ce terme technique (cf. Summa logicae, éd . cit., I , 73 ).
15. Cf. lignes 257 à 269.
16. Nous disons qu'un terme est « affecté » par un syncatégorème lorsque ce dernier
précède le terme considéré et est au même cas que lui. Un terme est « employé seul »
lorsqu'il n'est affecté d'aucun syncatégorème.
124 E. KARGER
17. Un terme qui ne s'applique à aucun objet ne suppose pas, selon Buridan, ou ne suppose
pour rien, selon Ockham. Ainsi les prémisses (A) et (C) comportent la « présupposition »
que le terme sujet de l'énoncé suppose. Pourtant il n'y a rien d'illégitime à ce que le sujet
d'un énoncé ne s'applique à aucun objet ; la théorie de Buridan , comme celle d'Ockham ,
prévoit que les énoncés catégoriques affirmatifs sont faux en ce cas, les énoncés négatifs
étant vrais. Ce à quoi nous sommes confrontés, c'est bien à l'un des défauts majeurs des
logiques parentes de celles d'Ockham , celui de comporter des théories qui, apparemment
développées indépendamment les unes des autres, pourraient bien être incompatibles. Dans
un travail antérieur ( « Conséquences et inconséquences de la supposition vide dans la logique
d'Ockham » in Vivarium, 1978), nous avons parlé à ce propos de la coexistence, du moins
chez Ockham , de deux « logiques » . La logique à laquelle nous puisons ici serait évidem-
ment celle des termes « non-vides ».
18. Cf. Summa logicae, éd. cit. , I, 71.
19. Cf. Traité des suppositions, éd . cit ., p . 187 et 323.
20. Cf. Ockham, Summa logicae, I , 70.
21. Une règle de ce genre est admise par Buridan, cf. Tractatus de consequentiis, éd. cit.,
p. 99 ; Sophisms on Meaning and Truth (éd . T.K. Scott, Appleton Century Crofts, 1966),
p. 107 ; Traité des suppositions, p . 325-326.
22. L'énoncé primitif est dit « résolu » ( « resolvi » ) ou « exposé » ( « exponitur » ) par
sa reformulation, cf. lignes 296 à 303.
23. Un terme général a une suppositio « confusa tantum » seulement si une inférence est
valide ayant pour prémisse l'énoncé contenant ce terme, et, pour conclusion, un énoncé
formé par substitution au terme considéré d'un terme singulier disjonctif dont chaque mem-
bre renvoie à l'un des objets auxquels s'applique ce terme général et si les inférences ayant
chacune pour prémisse un énoncé singulier formé par substitution au terme considéré d'un
terme singulier renvoyant à l'un des objets auxquels s'applique le terme général et pour
conclusion l'énoncé général sont également valides. Cf. Summa logicae, éd . cit., I , 70 .
24. 'Asinus'a dans ( 1 ) une suppositio confusa tantum et dans (5 ) une suppositio deter-
minata.
25. Cf. Jan Pinborg, Logik und Semantik im Mittelalter, Frommann-Holzboog, 1972 , p.88.
26. On comprend pourquoi nous avons choisi cette même appellation pour renvoyer à
l'analyse des énoncés à terme oblique qui présuppose ce concept de sujet.
27. Les lignes 387 à 404 et 439 à 448 concernent l'identification erronée des contraires
et contradictoires d'un énoncé donné. Les lignes 404 à 439 concernent le postulat également
erroné que la théorie aristotélicienne du syllogisme assortie de l'analyse S- L des énoncés à
terme oblique suffit à rendre compte des syllogismes à termes obliques. Signalons toutefois,
à propos des lignes 387 à 404 , que si Buridan identifie avec exactitude le contradictoire
de ( 1 ) , il semble - à moins que le texte ne soit corrompu - qu'il se trompe lorsqu'il identifie
le contraire de (1 ) comme devant être :
nullius hominis nullus asinus currit,
le contraire recherché aurait dû être, semble-t-il :
cuiuslibet hominis nullus asinus currit
ce qui paraît bien équivalent au
nullius hominis asinus currit
que proposait l'adversaire.
28. Lignes 315 à 328 et lignes 368 à 378.
29. Lignes 328 à 368.
30. Lignes 353 à 356.
31. Le problème n'est pas sans rappeler celui d'éliminer les variables du calcul des prédicats
(cf. V.O. Quine, Variables explained away in Selected Logic Papers, Ramdom House , 1966 )
ou les pronoms d'une langue naturelle (cf. P. Geach , Reference and Generality, Cornell
ÉTUDE D'UN TEXTE DE JEAN BURIDAN 125
University Press, 1962, ch. 5 ) ; dans le cas qui nous occupe, le problème consiste en effet
en partie à éliminer le pronom à un cas oblique introduit par une première reformulation
d'un énoncé à terme oblique.
32. Lignes 338 à 341.
33. Lignes 356 à 368.
34. Signalons que le choix de ce style de reformulation aurait sauvegardé les logiciens cités
par Buridan de certaines erreurs qu'ils commettent et dont nous avons précédemment donné
un exemple. Ceci à condition également de reformuler d'abord un énoncé à terme oblique
avant de faire porter sur lui une opération logique. Soit par exemple à déterminer la contra-
dictoire de (1 ) : on procéderait sans erreur si on reformulait d'abord ( 1 ) , obtenant l'énoncé
suivant :
(1a) Omnis homo habet asinum qui currit
dont la contradictoire que voici :
(1b) Aliquis homo non habet asinum qui currit
est bien également la contradictoire de ( 1 ) .
35. Lignes 379 à 387.
36. Lignes 306 à 315 ; voir aussi lignes 419 à 439.
37. On lit, lignes 310 et 311 de notre texte : « secundum grammaticam cui nulla scientia
potest contradicere ».
38. Cf. Ockham, Summa logicae, II , ch. 2, 3 et 4. Buridan, Sophisms on Meaning and
Truth, éd . cit ., p . 90, 91 , 93 .
39. Il ne servirait à rien de recourir ici à la propriété que peut avoir un terme d'être « con-
tracté » dans sa supposition par un terme qui l'accompagne (cf. Tractatus de consequentiis,
éd. cit. , p . 99) . Car on ne voit pas comment la classe des ânes serait « contractée » de ma-
nière appropriée , du moins ce ne pourrait être par l'appartenance de ceux-ci à tout homme.
40. Cf. Sophisms on Meaning and Truth, éd . cit., p. 84.
41. Cf. Ockham, Summa logicae, III.1 , ch. 9 , 12 et 15 .
42. Cf. Buridan, Tractatus de consequentiis, éd. cit. , p . 100.
1
!
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS
Alain de LIBERA
qui s'analyse en :
(3.1) Socrate court
et
(3.2) Aucun être différent de Socrate ne court
les << exceptives » , comme :
(4) Tous sauf Platon sont blancs
qui s'analyse en :
(4.1 ) Platon n'est pas blanc
et
L'extrême intérêt de l'approche de celui qu'on appelle parfois le «< petit >>
Albert vient de ce qu'elle nous est parvenue sous des formes différentes , tant par
le genre littéraire ou pédagogique que par le parti ultime qu'elles recèlent .
A notre connaissance , Albert de Saxe s'est exprimé au moins trois fois.
sur la question des propositions i/d : la première , dans sa Somme de logique,
oeuvre connue sous le titre de Logique très utile (Perutilis logica) sans doute dû
à un éditeur du XVe siècle ; la deuxième dans ses Sophismata, recueil cons-
tituant la principale contribution du XIVe siècle parisien à un genre surtout
illustré, à cette époque , par des anglais comme Guillaume de Heytesbury ou
Richard de Kilvington8 ; la troisième , dans son exposition d'un traité sur les
Consequentiae, manuel ayant servi de base à son enseignement de la logique à
l'Université de Paris.
Chacun de ces textes a ses lois , sa finalité et son accent propres. Les
Consequentiae nous proposent une version purement pédagogique destinée
aux débutants . La Logica nous offre une présentation doctrinale d'ensemble
qui récapitule les doctrines et les évalue d'un point de vue que l'on appellera
- pour des raisons qui apparaîtront - <«< linguistique » . Les Sophismata nous
livrent une autre présentation encore , dont la polarité désormais fournie par
l'exercice hautement technicisé de la « dispute » , s'ordonne à un point de vue
que l'on doit cette fois - qualifier de « logique » . Il est rare qu'un auteur nous
montre ainsi sinon trois aspects de sa pensée , du moins trois aspects de son
activité et de sa méthode . Nous présenterons donc chacun des trois , sans privi-
légier le contenu supposé de la « doctrine » par rapport aux conditions réelles
de son emploi.
Les Consequentiae conservées aux f. 59vb - 78rb du ms. lat . 14715 de
la Bibliothèque nationale de Paris ne sont pas un traité d'Albert9 . Il s'agit d'une
Expositio, c'est-à-dire du commentaire d'un traité compilé par un anglais désigné
sous le nom de « Suton » au f. 60va. Ce « Suton » est , sans aucun doute possible ,
le Mertonien Guillaume de Sutton 10 , mort en 1349, auquel deux oeuvres ont jus-
qu'ici pu être attribuées : le Breviloquium de suppositionibus et le Breviloquium
de consequentiis11 dans lequel nous reconnaissons le texte «< exposé >> par Albert .
Pour le contenu doctrinal , Sutton , dont l'activité de logicien se situe approxi-
mativement entre 1330 et 1340, n'est guère original 12. Albert lui-même nous
dit que les trois sources principales du maître anglais sont Aristote et des «< logi-
ciens modernes » : il nomme Ockham et Burleigh 13. A bien y regarder, pourtant,
on constate que la source principale de ces Consequentiae est Gauthier Burleigh.
En effet , le premier lemme commenté : « Quoniam in Sophismatibus... » , dans
la version d'Albert , « Quia in Sophismatibus ... » , dans la version du commen-
taire de Vienne , Dominikanerkloster 160/130, reprend manifestement l'incipit
des Consequentiae de Burleigh conservées, notamment dans le ms. latin 6441
de la Bibliothèque nationale de Paris 14. Par ailleurs, les grandes articulations de
9
130 A. DE LIBERA
Enfin , dans le cas des événements ponctuels , «< commencer » est exposé par
une affirmative au présent doublée d'une négative au passé , i.e. pour ( 10) Instans
nunc incipit esse :
( 10.1 ) Instans nunc est et ( 10.2) immediate ante hoc non fuit
tandis que «< finir » est exposé par une affirmative au présent doublée d'une
négative au futur, i.e. pour ( 11 ) Instans nunc desinit esse :
( 11.1 ) Instans nunc est et ( 11.2 ) immediate post hoc non erit
Comme on le voit , permanents et successifs ne commencent pas de la mê-
me façon mais finissent identiquement, alors que permanents et instantanés
finissent différemment mais commencent de la même façon21 .
Ainsi donc, le choix entre les différentes possibilités logiques d'exposition
par copulatio repose-t-il , en définitive , sur des raisons extra-logiques . Si les per-
manents n'ont qu'une seule exposition pour «< commencer » (position du présent ,
négative du passé) , c'est pour la raison physique , empruntée à Aristote et Averroes ,
que les réalités permanentes ont une limite gauche intrinsèque (primum esse ou
primum quod sic) ; si les successifs en ont une autre , c'est qu'ils ont une limite
gauche extrinsèque (ultimum non esse ou ultimum quod non) . En revanche ,
si les permanents et les successifs finissent de la même façon, c'est qu'ils ont
une limite droite extrinsèque (primum non esse ou primum quod non) , alors
que les instantanés ont un traitement spécial car ils ont une limite gauche et
une limite droite intrinsèques, c'est-à-dire à gauche un primum esse, à droite
un ultimum esse, et le tout indissociablement ( « indivisibiliter >> ). La combi-
natoire logique est donc restreinte , spécialisée par des critères physiques . En fin
de compte , c'est le recours au livre VI de la Physique d'Aristote qui tranche
le dilemme logico-linguistique de l'exponibilité des inceptives/désitives : la typo-
logie physique des mobiles précise et limite à elle seule les possibilités formelles
de l'analyse .
Son point de départ est sémantique . Certains adverbes sont comme inclus
dans la signification de certaines formes verbales. Ainsi de frequenter dans legito,
forme dite << fréquentative » de lego, laquelle ne signifie justement rien d'autre
que frequenter lego. Or, et telle est la solution, à côté d'adverbes de temps
comme heri (hier) ou cras (demain) qui orientent l'axe temporel , il existe des
adverbes qu'on pourrait appeler d' « évaluation temporelle » qui, plutôt que
de désigner une portion limitée du temps, expriment le caractère récent ou
prochain d'un événement, c'est-à -dire indiquent ou situent la distance de cet
événement référé à partir du point d'énonciation (maintenant) . Ces adverbes
sont diu (locatif de dius = dies) , iam, olim, quondam, dudum, statim, nuper,
etc. Pour exposer correctement les propositions inceptives et désitives, il suffit
de considérer que les verbes aspectuels «< commencer » et « finir » contien-
nent implicitement un adverbe de temps , du type de nuper (récemment ),
statim (aussitôt, tout de suite) ou diu (longtemps) . L'analyse consiste alors à
remplacer le syncatégorème immediate par l'un des adverbes implicitement
contenus dans la signification du verbe . Soit pour « commencer » : (6) Sor nunc
incipit esse :
(6.1 ) Sor nunc est et (6.2.1 ) nuper ante hoc non erat
et pour «
< finir » : (7) Sor nunc desinit esse :
(7.3) Sor nunc est et (7.4) statim post hoc non erit29
Cette solution s'appuie visiblement sur la signification courante des mots .
Et, de fait, «< commencer d'être » c'est bien «< être depuis peu » et «< cesser
d'être » , c'est << bientôt ne plus être » . Mais elle s'appuie aussi sur leur usage
et si l'on ose dire sur leur usage rationnel . En effet , si nous ne disons pas d'un
homme immobile qu'il «< commence à bouger » , ou d'un homme mort qu'il
<< finit de vivre » , il n'y a non plus aucune raison de dire d'une réalité qui n'est
pas, qu'elle «< commence » , ni d'ailleurs qu'elle « finit , « d'être » . Dans un cas,
on dit qu'elle commencera bientôt d'être , dans l'autre qu'elle a déjà fini. Cet
usage constant se vérifie dans l'expérience linguistique de chacun . Une chose
qui commence d'avoir lieu , n'a pas encore commencé tant qu'elle n'a pas
lieu , faute de quoi des formes comme « commencer , à commencer à ...
commencer » seraient inévitables 30 .
La troisième doctrine, retenue par Albert , est donc, comme la deuxième ,
une simplification de la première . La typologie des mobiles y est également
écartée et une seule exposition est retenue pour chaque verbe . En fait , c'est
celle d'Ockham , ni plus ni moins, si l'on s'en tient aux formules : position du
présent, négation du passé pour incipit, position du présent, négation du futur
pour desinit. L'axe épistémologique en est , toutefois, différent puisque c'est
l'usage, et lui seul, qui dicte la formulation . Cette analyse , qui consiste à inter-
préter la proposition inceptive comme un futur périphrastique et la désitive
comme un passé immédiat , évite donc un double écueil : celui d'une décision pure-
ment (méta) physique sur l'existence des indivisibles , celui d'un choix purement
logique de formules que le moindre «< cas » met en contradiction avec l'usage .
134 A. DE LIBERA
II
II
équiforme de (6) . Ainsi de la proposition (13) a incipit esse , dont la forme logi-
que est identique à celle de (6) . Dans ce cas, en effet, il suffit de remplacer a
par motus pour obtenir (8 ) Motus incipit esse, proposition équiforme de (6)
et qui, pourtant, n'a pas les mêmes conditions de vérité , puisque l'inceptio de
Socrate a une limite gauche intrinsèque (primum quod sic), alors que celle du
mouvement, réalité successive , a une limite gauche extrinsèque (ultimum quod
non). On a donc ici une contradiction . Si l'on considère , par exemple avec
Albert de Saxe , que l'exposition de (6) par position du présent et négation du
passé est suffisante et formelle, c'est faux , car ( 13) en est falsifiée pour le cas
où a signifie un mouvement ; pourtant, si l'on considère que l'exposition de ( 8)
par négation du présent et position du futur est suffisante et formelle, c'est
encore faux , car ( 13) en est à nouveau falsifiée pour le cas où a signifie Socrate .
La conclusion est simple aucune copulative quelle qu'elle soit, et a fortiori
aucune conjonction de copulatives , ne saurait rendre compte des propositions
inceptives/désitives, car aucune ne permet d'en assurer l'exposition formelle48 .
C'est pour garantir cet aspect formel que Marsile d'Inghen propose
l'analyse par les causes de vérité , analyse qui doit expliquer le sens de toute
proposition inceptive , c'est-à-dire le sens de n'importe quelle inceptive donnée
et de toutes ses équiformes.
Cette analyse est la suivante : une affirmative de incipit doit être expliquée
par une disjonctive composée de deux copulatives dont la première consiste
en une position du présent plus une négation du passé, tandis que la seconde
consiste en une négation du présent et une position du futur . La solution de
Marsile consiste ainsi à former une seule proposition à l'aide de deux analyses
différentes, tantôt réservées par Burleigh et Albert de Saxe, l'une aux réalités
permanentes, l'autre aux réalités successives .
Bien qu'elle semble parer d'avance à toute éventualité , l'Anonyme ne s'en
satisfait pas. Pour lui , la disjonction marsilienne n'est « ni bonne ni formelle ».
Afin de réfuter le Maître parisien, notre auteur reprend un sophisme bien connu ,
qu'il emprunte à nouveau - semble-t-il - à « Maître Hugo » , i.e.
( 14 ) Creans incipit esse deus
Dans l'analyse marsilienne , cette proposition devient :
( 14.1 ) Creans nunc est deus et immediate ante hoc non fuit deus vel (14.2) Creans
nunc non est deus et immediate post hoc erit deus.
Le « cas » du sophisme est la situation standard où Dieu est sur le point de créer
( <« iam non creat sed immediate post hoc creabit » ) . Dans ce cas précis , le second
membre de la disjonction est vrai (i.e. ( 14.2 ) ) . La disjonction tout entière est
donc vraie, alors qu'il s'agit d'une proposition « impossible » . Le sophisma ( 14),
proposition équiforme de ( 15) a incipit esse b, n'est donc pas formellement
expliqué par la disjonction qui explique la proposition princeps ( 15) . La doctrine
de Marsile n'est donc pas recevable telle quelle49 . Il faut la reformuler.
C'est ce que fait l'Anonyme : l'explication suffisante et formelle d'une pro-
position de incipit est donnée par une disjonctive composée de deux copulatives
138 A. DE LIBERA
dont la seconde exprime le primum quod sic (primum instans esse) et la première
l'ultimum quod non (ultimum instans non esse). Toutefois, dans la première
copulative , la position du futur doit être effectuée avant la négation du présent
(du moins si l'infinitif est au présent) , de même que dans la seconde la négation
du passé doit aussi être effectuée avant la position du présent . De plus, le second
exposant de chaque copulative doit être préfacé d'un relatif d'identité qui
rappelle le sujet du premier50 .
Ainsi , le sens de (6) est-il le suivant :
(6.3 ) Sortes immediate post hoc erit et idem nunc non est vel (6.4) Sortes
immediate ante hoc non fuit et idem nunc est
La différence avec Marsile est claire . Dans l'analyse de l'Anonyme , <« idem »
signifie la même chose que si l'on avait la formule développée : «< idem Sor-
tes qui immediate post hoc erit » , de même dans la seconde copulative ,
<«< idem >> signifie la même chose que « idem Sortes qui immediate ante hoc
non fuit >> .
Si nous revenons maintenant au sophisme ( 14) , nous voyons que l'analyse
correcte en est :
( 14.3) Creans immediate post hoc erit deus et idem nunc non est deus vel
(14.4) Creans immediate ante hoc non fuit deus et idem nunc est deus
I
Et nous voyons aussi que l'une et l'autre copulative composant la disjonction est
fausse, puisque dans le cas de ( 14.3) on a l'équivalent de :
(14.3.1 ) Creans immediate post hoc erit deus et idem creans quod immediate
post hoc erit, non est deus
et que, dans le cas de ( 14.4) on a :
( 14.4.1 ) Creans immediate ante hoc non fuit Deus et idem creans quod imme-
diate ante hoc non fuit, nunc est deus
En effet, on ne peut à la fois affirmer et nier d'un même individu qu'il est celui
qui sera ce qu'il sera ou qu'il n'était pas celui qui est devenu ce qu'il est. Plus
exactement, et pour en revenir au « < cas » ex hypothesi la proposition (16)
Deus creabit est vraie à l'instant t (= maintenant) . Ce qui revient à dire que
( 17 ) Deus creat sera vraie à t + 1. Mais cette donnée ne s'accorde pas avec
(14.3.1 ) et ( 14.3) qui , précisément, posent que celui dont il est vrai de dire à t
qu'il est celui dont il sera vrai de dire à t + 1 qu'il est celui qui crée n'est pas
aussi celui dont il est vrai de dire à t qu'il est celui dont il sera vrai de dire à
t + 1 qu'il est Dieu . De même, ex hypothesi, s'il est vrai à t + 1 que ( 16) « Dieu
crée », cela revient à dire qu'à t ( 18) « Dieu ne crée pas encore » est également
vraie . Mais cette donnée cette fois ne s'accorde pas avec ( 14.4.1 ) et ( 14.4) qui,
précisément , posent que celui dont il sera vrai de dire à t + 1 qu'il est celui dont
il aura été vrai de dire à t qu'il est celui qui créera n'est pas celui dont il sera vrai
de dire à t + 1 qu'il est celui dont il aura été vrai de dire à t qu'il est celui qui
sera Dieu. L'une et l'autre copulative étant, dans l'hypothèse, fausse , la dis-
jonction est donc fausse et le sophisme est refusé51 .
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 139
III
Tel est le sens d'une analyse disjonctive dont chaque copulative disjointe exprime
d'avance chaque type de limitation possible (intrinsèque ou extrinsèque) d'un
commencement ou d'une fin.
L'accentuation du caractère formel de l'analyse , d'Albert à l'Anonyme,
bien marquée par le recours final à la notion de propositions équiformes , corres-
pond sans doute à ce qu'on pourrait appeler une « logicisation » progressive de
la problématique des exponibles . Cette logicisation ne tient ni à la complexité
ni à la difficulté croissante des doctrines mais plutôt , selon nous, à l'effort
constant de simplification qu'elles mettent en oeuvre . De fait, au lieu d'offrir
plusieurs expositions simples et faciles, mais qui volent en éclat au moindre
sophisma, une doctrine comme celle de Marsile , retouchée par son commen-
tateur, vise manifestement à atteindre le plus haut degré formel de généralité
et de compréhension possible . Que cette simplification théorique soit souvent
plus difficile que bien des doctrines antérieures, plus faciles mais moins com-
préhensives et donc aussi moins simples, est incontestable, du moins si l'on
mesure le simple à l'aune de ce qu'il simplifie, c'est-à-dire au nombre des choses
qu'il réunit. Qu'elle perde, du même coup, un contact avec l'usage si heureu-
sement noué par Albert , est non moins incontestable . Par rapport au Saxon,
Marsile d'Inghen entraîne la problématique des exponibles dans le sens de
la logique plutôt que dans celui de la linguistique . Des travaux plus récents
que les nôtres montreraient que l'alternative demeure56 .
NOTES
G. Burleigh, De puritate..., ed. cit., p. 191 , 16-29 ; 192 , 4-6 ; 192 , 6-18 ; 193 , 6 ; 194, 6.
Pour la définition des res permanentes et successive, cf. ibid. , p. 191 , 10-15 . L'autorité
d'Averroes mentionnée supra est également citée par Burleigh, p. 191 , 21 sqq. et attribuée
à Aristote (Phys ., VI , 5 , 236a 7 sqq .). Pour des réflexions plus spécifiques sur la typologie
des mobiles , cf. G. Burleigh, De primo et ultimo instanti (Inc. « Queritur utrum sit dare
primum et ultimum instans rei permanentis sui esse ... » ) . Liste des mss. dans Weisheipl,
< Repertorium ... » , p . 205. Texte de l'édition de Venise (1501 ) dans H. et C. Shapiro,
Arch. f. Gesch. der Philosophie, 47 ( 1965 ) , p. 159-173 .
22. Nous avons suivi les deux manuscrits parisiens, Bibl. nat. lat ., 14715 , f. 31va-32va
et 18430, f. 35vb- 36vb . L'édition de Venise (1522) reproduite par Olms (Hildesheim , 1974)
n'est guère fiable . Nous citerons ici le ms. 14715 ( = A) , indiquant le cas échéant les leçons
de 18430 ( B).
23. L'éditeur d'Albert (Petrus Sanitus ) indique au f. 22B : «< huius opinionis est Petrus
Hispanus 70 sue logice , quantum ad propositiones de incipit » . En réalité , le Tractatus
(ed. L. M. De Rijk, Assen, 1972) ne contient rien de tel. On notera que les Syncategoremata
de Pierre donnent effectivement la théorie développée par Burleigh , p. 193 , 6 ; 194, 6,
mais uniquement dans la version imprimée du XVe siècle utilisée par J. Mullally (dans
Peter ofSpain : Tractatus Syncategorematum and selected anonymous treatises, Milwaukee,
Wis. , 1964 ) et citée par Kretzmann , « Incipit/ desinit » , p . 110-114 et S. Knuuttila &
A.I. Lehtinen, « Change and contradiction : A fourteenth century controversy » , Synthese,
40 ( 1979) , p . 193. En revanche, ce n'est pas le cas de la tradition manuscrite (texte dans
H.A.G. Braakhuis, De 13de Eeuwse Tractaten over syncategorematische Termen (Diss.) ,
I, Leyde, 1979, p . 284) . De fait, Pierre distingue « desinit » pour les res permanentes et
les res successive : « Sed hoc verbum ' desinit ' exponitur sic cum permanentibus : nunc
ultimo est, vel sic est et de cetero non erit, ut ' desinit esse albus ' ; nunc ultimo est albus,
vel sic est albus et de cetero non erit albus ; et sic ponit presens et privat futurum. Cum
rebus autem successivis exponitur sic nunc ultimo fuit, vel sic non est sed ante hoc fuit,
ut ' desinit currere ' : non currit, sed ante hoc cucurrit ; et sic privat presens et ponit prete-
ritum ». Pour Henri de Gand, cf. Syncategoremata, ed . H.A.G. Braakhuis, op. cit. , I, p . 370.
24. Cf. Bibl. nat. lat . , 14715 , f. 31vb . Notamment : « Alii aliter dicunt quod [om. A]
eodem modo incipit et desinit debent exponi in permanentibus et successivis , scilicet , tam
de rebus quarum esse acquiritur simul seu impartibiliter quam etiam de rebus quarum esse
acquiritur partibiliter. Unde uniformiter isti exponunt incipit hic et ibi per positionem
de presenti et remotionem de preterito. Verbi gratia : Sor incipit esse, exponunt sic : Sor
nunc est et ipse immediate ante hoc non erat. Similiter Sor incipit esse albus, exponunt :
Sor nunc est albus et immediate ante hoc non erat albus. Similiter [ om. B] et desinit per
remotionem de presenti et positionem de preterito [ et desinit ... preterito om. A] : Sor
desinit esse Sor nunc non est et immediate ante hoc fuit . Similiter [ sic AJ : Sor desinit
esse albus Sor nunc non est albus et immediate ante hoc fuit albus >>.
25. Pour tout ceci, cf. G. d'Ockham, Summa logicae, II , 19 , ed . G. Gal & S. F. Brown,
(Opera philosophica 1 ) , St-Bonaventure, N.-Y. , 1974 , p . 310 , 5-9 ; 311 , 1-22 et 312 , 65 ;
313 , 70.
26. « Et notandum quod isti de ista opinione [ expositione A] imaginantur quod instans
sit una res indivisibilis in tempore . Et ideo quando dicunt : nunc non est et immediate post
hoc erit, vel nunc est et immediate ante hoc non fuit, per li « nunc » intelligunt unam rem
indivisibilem in tempore. Et similiter per li «< hoc » demonstrant illam . Sed notandum quod
communiter talia indivisibilia sicut punctus, instans negantur, de quo magis pertinet conside-
rare ad metaphysicum quam ad logicum » [ A 31vb , B 36ra] . On notera que l'édition de Venise
dit : « ... de quibus deteriore ( ! ) magis pertinet ad mathematicum ( !) quam ad logicum » .
27. << Breviter : ista expositio non videtur esse bona [bene esse A] . Nam per istam expositio-
nem oporteret concedere quod quamdiu aliqua res esset generabilis et corruptibilis , tamdiu
inciperet esse . Et sic iam hec esset concedenda : Sor incipit esse adhuc, posito quod fuit [om. A]
per centum annos . Nam Sor nunc est et immediate ante hoc non fuit , demonstrando per ly
« hoc » precise tempus per quod fuit, puta centum annos . Modo contra consuetum modum
loquendi est concedere tales propositiones, in eo quod incipere esse est de novo esse, sed de
novo esse est non diu fuisse, sed Sor qui fuit per centum annos satis diu fuit » [ A 32ra, B 36rb].
144 A. DE LIBERA
28. « Et ergo est alius modus qui ceteris videtur esse melior et probabilior exponendi
propositiones de incipit et desinit » [ A 32ra] , « Et ideo est alius modus qui ceteris videtur
esse probabilior etc. » [ B 36rb] .
29. « Pro quo sciendum , sicut quidam dicunt [om. B] , quod sicut quedam sunt [om. A]
adverbia temporis de preterito, ut « heri » et aliqua de futuro, ut « cras » ita aliqua sunt qui
[et A] consignificant tempus breve, sicut « nuper » , « statim » et consimilia et qui [om. A
aliqua B] consignificant tempus longum, ut « diu » , « olim » , « quondam » , etc. Secundo,
sciendum est quod nihil prohibet talia adverbia quandoque includi in aliquibus verbis. Unde
sicut hoc adverbium « frequenter » includitur in isto verbo « legito » , quia est idem quod
<< frequenter lego » , ita [om. A] huiusmodi [omnis di ! A] adverbia « nuper », « statim » et
similia possunt includi in aliquibus verbis. Istis notatis , dico primo quod sic est de istis verbis
incipit et desinit quia in eis includuntur adverbia consignificantia tempus breve . Unde
<<< incipit >> idem est quod [ per hoc A] : est et nuper ante [ inv. A] non erat. Similiter « desinit >
tantum valet sicut est et statim post non erit. Et isto modo exponenda sunt ista verba
<« incipit » et « desinit » vel propositiones in quibus ponuntur. Patet hoc primo ex communi
modo [et usu B] loquendi . Unde , idem est incipere esse sicut de novo esse [om. A] vel
noviter esse . Modo , esse de novo vel noviter esse non est aliud nisi modo esse et nuper ante
non fuisse [nunquam ante hoc fuisse B] . Similiter : desinere esse, non est aliud quam cessare
et non est aliud quam statim post non esse. Item. Incipere [om. A] idem est quod principiare
vel principum habere . » [ 32ra-rb A, 36rb-va B].
30. « Secundo dico quod semper tales propositiones debent exponi per affirmativam de
presenti. Patet : quando enim res nondum est, non dicimus quod incipit esse, quamvis bene
ante dicamus et statim incipiet esse [ quamvis... esse om. A] . Unde quando homo quiescit
non incipit moveri, ergo quando homo non movetur non debemus dicere quod incipit move-
ri, sed hoc debemus quando movetur et non diu fuit motus . Et ergo ista : Sor incipit moveri
debet exponi Sor nunc movetur et non est diu quod non movebatur. Similiter quando ali-
quid non est, non dicimus quod desinit esse, sed quod iam desiniit esse, sicut dicimus
quando homo non est quod homo « est mortuus » . Sed quando aliqua res est et statim post
hoc non erit, tunc proprie desinit esse . Et ergo semper desinit exponendum est per positio-
nem de presenti et remotionem de futuro cum ista additione : statim post hoc. Et incipit
semper est exponendum per positionem de presenti et remotionem de preterito, cum ista
additione nuper ante hoc. » [ 32rb A, 36va B].
31. « Et quia sermo non habet virtutem (vigorem B) nisi ex usu loquendi, sequitur quod
hec est propria expositio huius verbi «< incipit » et similiter « desinit » » (ibid. ).
32. Cf. Ockham, Summa logicae, ed. cit., II , 19 , p . 311 , 21-31 et 313 , 70-74.
33. Nous nous appuyons sur le ms. lat. 16134 de la Bibl. nat. de Paris qui contient égale-
ment (f. 56 sqq. ) les Sophismata de Kilvington et (f. 81 sqq. ) ceux de Heytesbury. L'édition
parisienne de 1502 (reproduite par Olms , Hildesheim , 1975) est très peu fiable . On notera,
entre autres choses, que les sophisma CXXVIII à CXXXIII compris ne figurent pas dans le
ms. parisien qui, à la place , donne : (f. 45ra) « Sortes incipit esse albior quam ipsemet incipit
esse »
> , << Sortes incipiet esse ita albus sicut ipsemet erit » , « Sortes incipiet esse ita albus
sicut Plato erit albus » et (f. 45vb) « Sortes erit albior quam Plato erit albus » . Noter aussi
que l'édition parisienne contient deux sophisma CXXXVIII , en fait 135 et 136 (sur ce point,
cf. Kretzmann , « Socrates is whiter ... » , p . 13, note 18.
34. On peut y ajouter les quatre sophismes mentionnés supra. Les 12 autres sont compris
entre les nº CXXVIII et CXLVIII de l'édition de 1502. Ce sont : « Sortes est albior quam
Plato incipit esse albus » , « Sortes est albior quam Plato immediate post hoc erit >» , << Sortes
incipit esse albior quam Plato incipit esse albus » , « Sortes immediate post a erit senior quam
Plato erit immediate post a », « Sortes prius incipit habere esse quam incepit hebere fuisse »,
<< A spacium incipit esse pertransitum » , « A spacium incipiet esse pertransitum a Sorte » ,
<< Sortes incipiet pertransisse a spacium » , « A corpus incipiet esse bipedale » , « A et b sua
medietas simul desinunt esse » , « A incipit esse simul album et nigrum » , « A incipit esse
super b ». Pour tout ceci, cf. Bibl. nat. , 16134, f. 46va-49ra.
35. << Quedam alia sophismata perscrutatione solebant fieri de «< incipit » et « desinit >>
que licet tracta ( ! ) sint per quosdam modernorum , tamen quia illi minus bene, ut michi
videtur, solvunt quasdam difficiles argumentationes que fiunt ad ipsa, placuit etiam michi
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 145
ea tractare magis lucide si possim, propter utilitatem scolarium ad exercitum proprii intel-
lectus » (Bibl. nat., lat 16134 , f. 46va).
36. Cf. Bibl. nat. lat. , 16134 , f. 42vb-43ra.
37. Ibid., f. 43ra.
38. Ibid. << Tertio modo possunt exponi propositiones de incipit et desinit ... quem modum
exponendi inter ceteros reputo veriorem ». Cf. supra note 28.
39. << His dictis dico quod sic est de istis verbis « incipit » et « desinit » quod in eis inclu-
duntur adverbia significantia tempus breve, et secundum hoc « incipit » exponeretur sic :
Sortes incipit esse, id est : Sortes modo est et non est diu quod non erat . Similiter : Sortes
desinit esse exponitur sic : Sortes modo [non add. ms ] est et statim post non erit » [f. 43ra] ,
<< Secundo dico quod secundum hoc semper tales propositiones debent exponi per affirmati-
vam de presenti, quando enim res non est non dicimus quod incipit esse , quamvis bene
dicamus quod statim incipiet [ -at ms] esse, sicut quando homo quiescit non [ enim add. ms]
dicimus quod ipse incipit moveri , sed quando movetur et non diu fuit in motu , bene dicimus
ipsum incipere moveri. Ergo ista : Sortes incipit moveri debet sic exponi : Sortes nunc move-
tur et non est diu quod non [om. ms] movebatur. Similiter quando aliquid non est, non
dicimus quod desinit esse, sed quod iam desiniit esse, sicut quando mortuus est homo,
non dicimus illum hominem desinere esse, sed bene dicimus quod iam desiniit esse. Et secun-
dum hoc desinit est exponendum per affirmativam de presenti et negativam de futuro »
[f. 43rb] « Tertio dico quod non aliter exponendum est incipit et desinit in permanentibus
et successivis sed utrobique eodem modo » [ibid.] .
40. << Et sic vise sunt tres expositiones propositionum in quibus ponuntur « incipit >>
et << desinit » et licet ista expositio ex communi modo loquendi concludatur [ excludatur
editio parisiensis] , tamen quia inusitata est nolo ea uti in sequentibus >» [ f. 43rb] , « Revertar
ergo ad primam expositionem qua volo uti in sequentibus . Nam ista usitata est et secundum
illam precisius loqui possumus ymaginando instantia indivisibilia in tempore licet talia
in rei veritate non sint. Nichilominus expedit ea imaginari propter meliorem et faciliorem
traditionem scientiarum, sicut astrologi imaginantur multos circulos in celo qui in rei veri-
tate ibi non sunt et geometre imaginantur puncta indivisibilia, licet in rei veritate nulla sint
talia . Tamen in dictis scientiis expedit talia imaginari propter meliorem et faciliorem tradi-
tionem istarum scientiarum . Ita in proposito ( ...) » [ f. 43va] . Sur la querelle des indivisibles,
cf. Marsile d'Inghen , Questiones subtilissime Iohannis Marsilii Inguen super octo libros
physicorum secundum nominalium viam, Lyon , 1518 , l . VI , q . 3 , f. LXVIrb-va.
41. Cf. Bibl. nat. , 16134 , f. 42vb , notamment : « Et talis expositio de « desinit » bene
verificaretur pro instanti indivisibili si aliquid tale poneretur » . Pour « la plus vraie » , ibid. ,
f. 43rb : « Quarto dico quod secundum hoc omne quod incipit prius incipiebat, et omne
quod desinit adhuc desinet et adhuc erit. Et hoc est propter hoc quod in infinitum tempus
est divisibile, et non est dare primam partem temporis simpliciter nec etiam ultimam ».
42. Sur les règles de la conjonction et de la disjonction , cf. par exemple Perutile compen-
dium totius logice Ioannis Buridani cum preclarissima solertissimi viri Iohannis Dorp expo-
sitione, Venise, 1499 : « Ad veritatem copulative requiritur utramque cathegoricam esse
veram. Ad falsitatem copulative sufficit unam esse falsam. Ad veritatem disiunctive sufficit
quod una pars eius sit vera. Ad falsitatem eius requiritur quod utraque sit falsa » .
43. R. Strode, Logica, ms . Oxford , Bodleian Library, Canon. 219 , f. 26va. Cité par Maierù,
Terminologia logica..., p . 478.
44. P. Mantuanus, Logica, Padoue , 1477-1480 , f. 47rb-va . Cf. pour cet auteur A. de Libéra,
<< Appolinaire Offredi critique de Pierre de Mantoue le Tractatus de instanti et la logi-
que du changement » , dans English Logic in Italy in the 14th and 15th Centuries, ed . by
A. Maierù, Naples , 1982 , p . 253-291 .
45. A. Maierù , op. cit., p . 479. Le Textus dialectices est conservé dans l'édition de Vienne ,
1516, sous le titre de Parvorum logicalium liber, continens perutiles Petri Hispani tractatus
priorum sex et Marsilii dialectices documenta, cum utilissimis commentariis per Conradum
Pschlacher congestis. Cf. à ce propos Maierù, p. 33-34 , note 102.
10
146 A. DE LIBERA
46. Il existe au moins deux versions imprimées du Commentum. La première est due à
N. Resler, la seconde (Haguenau , 1495 ) est due à H. Gran, c'est elle qui est reproduite
dans l'édition Minerva G.M.B.H., Francfort, 1967. Il n'existe aucune différence notable
entre les deux textes. L'incipit du Commentaire des Consequentiae de Marsile « Circa
primam partem consequentiarum queritur utrum diffinitio consequentiae a posteriori sit
bona... » (dont tout ce qui suit est tiré) ne correspond à aucun des nombreux incipit
mentionnés par M. Markowski , op. cit. , p . 341. On peut penser qu'il s'agit d'une oeuvre
allemande du fait que certains prénoms comme Caspar sont substitués ici ou là aux habituels
Sor et Plato .
47. «< Maître Hugo » a laissé différentes questions sur les propriétés des termes (voir à ce
sujet Markowski, Buridanica quae in codicibus manu scriptis bibliothecarum Monacensium
asservantur, Polska Akademia Nauk , Instytut Filozofii i Socjologii, Wroclaw-Varsovie-
Cracovie, 1981 , p . 148) . Il doit être distingué de Hugo Kym (cf. Markowski, ibid. , p . 134).
48. Anon., De consequentiis, ed . 1487 , Ila pars, a. 4. Autrement dit l'exposition suffisante
et formelle d'incipit n'est ni celle qui, du point de vue physique, correspond au primum
quod sic (définissant l'inceptio des res permanentes) , ni celle qui correspond à l'ultimum
quod non (définissant celle des res successive) , ni la conjonction des deux qui, elle, ne corres-
pond à rien (du moins si l'on écarte l'hypothèse qu'il existe des états contradictoires dans
la nature).
49. De consequ. , loc. cit., notamment : « Consequenter notandum quod etiam expositio
magistri Marsilii qui exponit propositiones de incipit affirmativas per unam disiunctivam
compositam ex duabus copulativis, et prima pars prime copulative ponit positionem de
presenti et secunda remotionem de preterito , et prima pars secunde copulative ponit remo-
tionem de presenti et secunda positionem de futuro , non est bona et formalis . Quia alias illa
deberet concedi : «< creans incipit esse deus » , quia haberet sic exponi secundum Marsilium :
<< creans nunc est deus et immediate ante hoc non fuit deus vel creans nunc non est deus
et idem immediate post hoc erit deus » . Modo illa secunda copulativa est vera in casu
Sophismatis et tamen predicta propositio est impossibilis » .
50. Quel que soit le type d'exposition (suffisante ou formelle) , du moins si le sujet est
<« commun, singulier ou connotatif » , car si c'est un terme « singulier et absolu »> , ce n'est
que dans le cas de l'exposition formelle qu'on a besoin d'ajouter un relatif.
51. De cons., loc. cit., Sophisma. Autrement dit, selon l'Anonyme, le seul sens acceptable
(dans l'hypothèse) de (14) est : incipiens esse deus est creans quod est vel immediate post
hoc erit. Et il est clair que l'analyse formelle de ( 14 ) exprime justement le contraire, i.e.
le fait qu'«< incipiens » et « creans » ne dénotent pas le même individu .
52. Sans doute Marsile est-il influencé par la thèse « physique » traditionnelle qui veut que
res permanentes et res successive finissent de la même façon, i.e. par un primum quod non.
53. De cons., Ila pars, a.5 . Notamment : « Et ista expositio non valet quia alias , illa nun-
quam esset vera : « aliquid desinit esse » , quia semper prima pars copulative esset falsa, illa
videlicet : <«< aliquid nunc non est ». Similiter illa esset falsa : « motus desinit esse » . Similiter,
posito casu quod deus annihilaret formam et ly « desinit » importat instans pro quo anni-
hiletur, tunc ista esset vera : « Sortes desinit esse Sortes » , et tamen exponens esset falsa >>.
54. De Cons., ibid. L'Anonyme donne quatre arguments contre « Hugo » . Le principal
est le suivant : « Sic etiam ponatur casus quod Sortes et Plato dealbentur adequate per
istam horam , sed in fine hore Sortes desinat albus fieri et albedo Platonis consequenter
intendatur, tunc ista est vera : « Sortes desinit esse ita albus sicut Plato » , et tamen iterum
exponens esset falsa ».
55. Si l'on en juge par ce qu'il écrit, la doctrine soutenue par l'Anonyme est également
celle qui prévaut à son époque : « Ergo communiter » (c'est moi qui souligne) « tales propo-
sitiones de desinit exponuntur per unam disiunctivam compositam ex duabus copulativis
quarum prima exprimit primum instans non esse, alia ultimum instans esse, et taliter quod
ista de futuro vel de preterito preponatur huic de presenti et subiecto addatur relativum
idemptitatis in secunda exponente ( ...) Et sic partes copulative debent esse diversarum
qualitatum et sic semper sunt ibi due affirmative et due negative . Et illa in qua ponitur
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 147
ly « immediate ante hoc » est affirmativa, sed illa in qua ponitur « immediate post hoc » est
negativa » (De cons., loc. cit). La différence entre cette doctrine et celle de Marsile d'Inghen
tient, probablement, au fait qu'elle admet deux façons de finir correspondant chacune à
deux grands types de processus achèvement temporel (res permanens, res successiva),
achèvement instantané (res instantanea). L'Anonyme réintroduit donc, semble-t-il , une
tripartition des mobiles que Marsile avait abandonnée : « Sed primum instans non esse rei est
pro quo res iam non est et eadem immediate ante hoc fuit. Et per tale instans sive pro tali
instanti, quelibet res temporaliter desinens esse desinit esse, sive sit permanens sive suc-
cessiva. Et propter hoc Magister Marsilius exponit propositiones de desinit per unam copu-
lativam exprimentem primum instans non esse, sicut patebit in sequenti articulo. Sed
ultimum instans esse rei est instans pro quo res iam est et eadem immediate post hoc non
erit, et pro tali instanti res instantanea desinit esse, ut quelibet res indivisibilis desinens esse
sicut momentum in motu, instans in tempore » (De cons. , Ila pars, a. 4).
56. Sur ce point, cf. essentiellement F. Nef, « Les verbes aspectuels du français : remarques
sémantiques et esquisse d'un traitement formel » , Semantikos, 4-1 , 1980, notamment
p. 22 sqq. Voir également Le temps grammatical (R. Martin et F. Nef éds .) , Langages
64, 1981.
1
J
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN
SUR LES UNIVERSITÉS D'EUROPE CENTRALE *
Mieczysław MARKOWSKI
Bien que les bibliothèques de Prague conservent de nos jours peu d'exem-
plaires du commentaire de Buridan (et de ses versions remaniées) sur l'Organon
d'Aristote , il est à noter que , dans les dernières décennies du XIVe siècle , Prague
disposait d'une grande quantité de cet ouvrage . Car, c'est de Prague que provien-
nent de nombreux manuscrits qui se trouvent actuellement à la Bibliothèque
Jagellone 19 , à la Bibliothèque nationale d'Autriche 20 et à la Bibilothèque
Amplonienne21 , pour ne mentionner que celles - ci . Ajoutons enfin que , de
tous les ouvrages logiques de Buridan, c'est indéniablement son commentaire
authentique sur l'Ars vetus et la version pragoise qui jouirent du plus grand
succès à Prague .
En ce qui concerne les commentaires de Buridan sur les oeuvres de philo-
sophie naturelle d'Aristote , seuls certains d'entre eux ont été utilisés dans les
universités d'Europe centrale . La plus grande « popularité » revint à son com-
mentaire sur la Physique. Bien que les études sur Jean Buridan soient assez
poussées , on attribue à cet auteur la paternité d'au moins six commentaires
différents sur la Physique22 . Si nous ne tenons compte que de commentaires
rédigés sous forme de questions, il est à noter que seuls les commentaires dits
quaestiones longae ou de tertia lectura, imprimés en 1509 comme subtilissimae
quaestiones, sont des oeuvres authentiques de Buridan . C'est sous cette forme
qu'ils furent non seulement connus23 , mais aussi copiés à Prague , dès 136624.
Les Quaestiones indiquées par Annelise Maier25 comme la première rédaction
du commentaire de Buridan sur la Physique ne sont pas de ce philosophe.
En nous fondant sur les résultats d'une analyse interne du texte , nous avons
cherché à démontrer, dans un autre article , qu'il s'agit là du commentaire ,
recherché depuis longtemps , de Nicole Oresme 26. Ce texte est conservé dans
trois manuscrits27 .
Il nous semble également que la rédaction de ce que l'on appelle Quaestio-
nes breves super octo libros Physicorum n'a pas été faite par Jean Buridan , mais
qu'elle provient plutôt du milieu universitaire pragois28 , où elle fut rédigée
vers 136729. Le manuscrit de Cracovie étant le plus ancien , toutes les autres
copies connues de cet abrégé sont plus récentes et sont surtout conservées
dans les bibliothèques d'Europe centrale 30. Dans le cas de notre texte , il ne s'agit
pas seulement d'une rédaction abrégée ; son rédacteur renonce , en outre , à cer-
taines thèses relatives à la philosophie naturelle de Buridan , comme , par exemple,
l'explication du mouvement des corps célestes par la théorie de l'impetus.
Vers 1370 on a également remanié à Prague les commentaires de Buridan
sur le De anima31 et le De generatione et corruptione32 . Notons que ces deux
ouvrages n'ont pas joui d'une popularité comparable à celle du commentaire
sur la Physique dont nous venons de parler.
Au cours de la seconde phase apparaissent , nous l'avons dit , les quaestiones
brevissimae ou puncta. Le maître pragois Jean Isner est l'auteur d'un tel com-
mentaire sur la Physique, dépourvu , en outre , des thèses principales de la nouvelle
physique 33. C'est aussi à Prague que l'on a rédigé un commentaire du même
genre sur le De anima34 .
152 M. MARKOWSKI
jusqu'en 145299 , avec la via Marsiliana100 . Si nous nous penchons , par exem-
ple , sur le commentaire de Frédéric Schön de Nuremberg sur la Physique101 ,
commentaire qui fut la base de l'enseignement universitaire en 1422 , nous y
voyons clairement qu'outre Marsile d'Inghen, Frédéric citait Jean Buridan et
Nicole Oresme , tout comme Thomas d'Aquin et Albert le Grand . Seule l'étude
approfondie du petit nombre d'oeuvres des professeurs de Heidelberg , tel
Conrad de Susato 102 et Jean Juff de Butzbach 103 , permettra de mieux connaî-
tre les courants doctrinaux de cette université .
Le fait que les plus éminents des premiers professeurs de l'Université
d'Erfurt provinssent de Prague exerça une influence très nette sur l'orientation
doctrinale de cet établissement . Parmi les manuels de philosophie , étudiés dans
les premières années de l'existence de l'Université et conservés jusqu'à aujour-
d'hui , on trouve aussi bien des écrits authentiques de Jean Buridan que leurs
rédactions pragoises . Du nombre considérable de ces écrits, mentionnons tout
d'abord le Compendium totius logicae 104 , accompagné du commentaire de
Jean Dorp 105 , ou sous une autre forme 106 , et le commentaire sur l'Ars vetus 107 .
Les oeuvres de Buridan du domaine de la philosophie naturelle devaient
être parfaitement bien connues . Nous pensons ici notamment aux commentaires
sur les textes suivants : la Physique 108 , le De generatione et corruptione 109 ,
les Meteora110 , le De anima111 , les Parva naturalia112 , le De motu animalium113,
le De physionomia114 et les Secreta mulierum115 . Des rédactions pragoises ,
donc modifiées, on utilisait à Erfurt un commentaire sur la Physique116 et un
autre sur le De anima117.
Bien que les commentaires de Jean Buridan sur la Métaphysique n'eussent
pas joui d'une très grande popularité dans les universités d'Europe centrale ,
ils n'en furent pas moins connus du milieu universitaire d'Erfurt118 .
Quant au commentaire de Buridan sur l'Ethique à Nicomaque, il exerça
une forte influence non seulement à l'Université de Vienne , mais aussi à celle
d'Erfurt119 où on a également connu son commentaire sur la Rhétorique
d'Aristote 120. Le nombre de textes de Buridan conservés jusqu'à présent à
Erfurt est assez considérable et il est à supposer qu'il fut encore plus grand au
début du XVe siècle . Il convient enfin de souligner que les textes authentiques
y sont plus nombreux que leurs rédactions pragoises.
En 1449 , les ouvrages de Jean Buridan et de Marsile d'Inghen 121 servaient
encore de manuels approuvés pour les travaux des étudiants . Cependant , lors
de la rédaction des statuts du collège Porta caeli, on leur permit d'utiliser à côté
des oeuvres des grands représentants de la via moderna, Guillaume d'Ockham
excepté les écrits des représentants de la via antiqua, Albert le Grand , Thomas
d'Aquin, Alexandre de Hales , Gilles de Rome et Henri de Gand 122. Par cela-
même , on créa la base de la formation d'une via communis. Mais les textes
philosophiques conservés jusqu'à nos jours permettent de constater que les théo-
ries psychologiques de Buridan y furent traitées d'une façon particulière 123 ,
notamment au début du XVe siècle . Vers 1420 , le buridanisme commença
à disparaître de l'Université d'Erfurt . On y voit alors les essais de rédiger
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN 157
NOTES
41. Quaestiones surper I , II , IV-X, XII libros « Metaphysicorum » Aristotelis (clcr 699,
f. 2ra-140va).
42. Commentarius super I-X libros « Ethicorum » Aristotelis (clcr 1899 , f. 1r- 165v) .
43. Quaestiones Pragenses super I-VIII libros « Metaphysicorum » Aristotelis (clcr 738,
f. 122ra-28 2rb).
44. Cf. W. Tomek, Geschichte der Prager Universität, p. 139.
45. Quaestiones Wiennenses secundum Ioannem Buridanum super I-VIII libros « Physi-
corum » Aristotelis (clpr 724 / IV . F. 18 / a. 1449-1450 , f. 1r-130r).
46. << Isto modo intitulantur libri « Physicorum » per communem scolam Wiennensem et
specialiter per magistrum Buridanum » (ibid. , f. 132r).
47. Clpr 927/V . F. 5 / , a. 1444-1445 , f. 1r- 192v ; cf. G.B. Korolec, Repertorium commen-
tariorum medii aevi in Aristotelem Latinorum quae in Bibliotheca olim UniversitatisPragensis
nunc Státní Knihovna ČSR vocata asservantur, Wrocław, 1977, p . 51 .
48. F. Šmahel, <« Paris und Prag um 1450. Johannes Versor und seine böhmischen Schüler >>,
Studia Źródłoznawcze, XXV ( 1980) , p . 67 .
49. Cf. M. Markowski, Burydanizm w Polsce w okresie przedkopernikańskim. Studium z
historii filozofii i nauk ścisłych na Uniwersytecie Krakowskim w XV wieku, Wrocław, 1971 ,
p. 200-203.
50. Clcr 688 , f. 2ra-83ra.
51. Clcr 1946 , f. 89r-121v.
52. « Exercicium librorum « Phisicorum » magistri Serpentis, edicionis per titulos et per
conclusiones iuxta cursum alme Universitatis Studii Cracoviensis » (clcr 688 , f. 2г).
53. Cf. M. Markowski, « Sprache und Logik im Mittelalter » , dans Miscellanea mediaevalia.
Band 13/1 : Sprache und Erkenntnis im Mittelalter, Berlin, 1981 , p. 48-49.
54. Quaestiones super « Isagogen » Porphyrii (clcr 1900, f. 1r-123v) ; Quaestiones super
<< Praedicamenta » Aristotelis (ibid. , f. 124v-272v).
55. Quaestiones Cracovienses secuncum Benedictum Hesse de Cracovia super « Isagogen »
Porphyrii (clcr 2037 , p . 1-254 ; clcr 2455 , f. 1r-114r ; clcr 2043 , p. 1a-240b) ; Quaestiones
Cracovienses secundum Benedictum Hesse de Cracovia super « Praedicamenta » Aristotelis
(clcr 2037, p. 254-514 ; clcr 2455 , f. 114v-219v ; clcr 2043 , p . 241a-456a) ; Quaestiones
Cracovienses secundum Benedictum Hesse de Cracovia super I-II libros « De interpretatione »
Aristotelis (clcr 2037 , p . 514-691 ; clcr 2455 , f. 219v-291r ; clcr 2043 , p. 456b-606a).
56. Clwsc 301 / 241 / , f. 46ra- 114vb.
57. Cf. Z. Kuksewicz , « Komentarz Pawła z Worczyna do « De anima » , Materiały i Studia
Zaktadu Historii Filozofii Starożytnej i Średniowiecznej, X ( 1969) , p . 13-14 .
58. Clcr 2013 , f. 4r-189r ; Quaestiones Cracovienses secundum Benedictum Hesse de
Cracovia super I -III libros « De anima » Aristotelis (clcr 2100, f. 150r-216v).
59. Cf. Z. Kuksewicz , Filozofia duszy . Dzieje filozofii średniowiecznej w Polsce, V , Wrocław,
1975 , p. 23-24.
60. Clcr 1367, f. 1ra- 148rb ; clcr 2376 , f. 1r-373r.
61. Cf. M. Markowski, Filozofia przyrody w pierwszej połowie XV wieku. Dzieje filozofii
średniowiecznej w Polsce, IV , Wrocław, 1976 , p . 140.
62. Quaestiones Cracovienses secundum Benedictum Hesse de Cracovia super I-VIII libros
<< Physicorum » Aristotelis (clcr 2376 , f. 1r-373r ; clcr 2100 , f. 1r-148r ; clcr 1982, f. 140r-
305v ; clcr 2097 , f. 205r-361r). Exercitium Cracoviense super I-VIII libros « Physicorum >>
Aristotelis (clcr 1905 , f. 1r-229r).
63. Clcr 720, f. 1ra- 194vb ; clcr 741 , f. 11ra-209vb ; cler 2000, f. 1r-317v. Cf. J. Rebeta,
Komentarz Pawła z Worczyna do « Etyki nikomachejskiej » Arystotelesa z 1424 roku,
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN 161
Wrocław, 1970, p . 217-229 ; J.B. Korolec, Filozofia moralna. Dzieje filozofii średniowiecznej
w Polsce, t. VII , Wrocław, 1980, p. 13-14.
64. Clcr 2003 , f. 7r-248 v ; cf. Z. Włodek , Filozofia bytu. Dzieje filozofii średniowiecznej
w Polsce, t. III , Wrocław, 1977 , p . 11-12 .
65. Cf. M. Markowski, Burydanizm ..., p . 203-208 ; S. Swieżawski, Dzieje filozofii euro-
pejskiej w XV Wieku, t. I : Poznanie, Warszawa, 1974 , p . 261 , 199.
66. Clw 5420 (ante a. 1395) , f. 1ra-165rb ; clw 5466 (XIV ex.) , f. 1ra-168va ; clw 5365
(XV in.) , f. 1ra- 148rb.
67. Clw 5408 (a. 1397) , f. 220ra-231rb.
68. Ibid. , f. 231rb-238vb.
69. Clw 5375 (XIV4) , f. 17ra-31vb ; clm 6962 (a. 1385 ) , f. 10ra-44va.
70. Quaestiones super I-VIII libros « Topicorum » Aristotelis (clm 12707 / XV³/, f. 100ra-
135rb) ; Tractatus de differentia universalis ad individuum (clm 18789/ a. 1486 / , f. 105r-
122r) ; Tractatus de relationibus (clm 18789/ a. 1486 /, f. 187v-202r).
71. Quaestiones Pragenses accurtatae secundum « Quaestiones Ioannis Buridani super
Isagogen Prophyrii » (clw 5377 / XIV ex./ , f. 1ra-5va ; clw 5375 / XIV4 /, f. 1ra-4rb) ; Quaes-
tiones Pragenses accurtatae secundum « Quaestiones Ioannis Buridani super Praedicamenta
Aristotelis » (clw 5377 , f. 6ra-17va ; clw 5375 , f. 4rb-11ra) ; Quaestiones Pragenses accurta-
tae secundum « Quaestiones super I-II libros De interpretatione Aristotelis » (clw 5377,
f. 17vb-25vb ; clw 5375 , f. 17ra-31vb) .
72. Quaestiones Pragenses secundum Ioannem Buridanum super I librum « Analyticorum
priorum » Aristotelis (clw 5333 / XIV ex./ f. 71ra-91vb).
73. Clmel 1395 (a . 1431-1432) , p. 708-758 ; cf. clm 19818 (ca a. 1439 ) , f . 1 r-10r.
74. Clw 3846 (a . 1459) , f. 204r-215v.
75. Cf. M. Markowski, « Abhandlungen zur Logik an der Universität Wien in den Jahren
1365-1500 » Studia Mediewistyczne, 22-1 ( 1983 ) , p . 53-77 .
76. Ibid.
77. Die Statuten der Artistenfakultät vom 1. April 1389, dans A. Lhotsky , Die Wiener
Artistenfakultät 1365-1497, Wien , 1965 , p . 255 .
78. Clw 5458 (XIV3/4) , f. 1ra- 154rb ; clw 5367 (XIV ex .) , f. 1va-110va ; clw 5338 (XV
in .) , f. 1ra-211vb ; clwd 107/73 (XV in.) , f. 2ra- 186rb ; clfr-praed 52 (a . 1368) , f. 1ra-138rb.
79. Clw 5424 (a. 1390) , f. 1ra-163rb ; clw 5332 (a. 1413) , f. 72v-218rb ; clw 5112 (a. 1411-
1414 ), f. 1ra-180rb.
80. Clw 5186 (a. 1381 ) , f. 115ra- 198ra ; clw 5440 (XIV4 ) , f. 1ra-47vb ; clw 5333 (XIV ex.) ,
f. 1ra-70va ; clw 5375 (XIV4 ) , f. 36ra-69rb (tantum libri I-V) .
81. Clw 5186 (a. 1380) , f. 1ra- 112vb.
82. Clw 5190 (XV ex .) , f. 1ra-112vb.
83. Clv-pal 1037 (a. 1422) , f. 1г-87г.
84. Clmel 1395 (XV² ) , p . 181-192 ; ibid. , p . 506-673.
85. Clm 497 (ca a. 1430 ) , f. 1r-257r.
86. Clm 19674 (a. 1439 ), f. 3r-183r.
87. Clw 4950 (a. 1439) , f. 1r-390r.
88. Clw 4950 (a. 1439 ) , f. 1r-390v ; clm 19847 (a. 1448) , f. 2r-268v.
89. Clm 6029 (a. 1491 ) , f. 1r-229v.
90. Clw 4951 (ca a. 1501 ) , f. 164r-223v.
91. Clw 3976 (XV¹ ) , f. 1ra- 126va.
11
162 M. MARKOWSKI
Max LEJBOWICZ
Je remercie vivement Guy Beaujouan , Jean Jolivet et Franz - Joseph Meissmer des
remarques et informations dont ils ont bien voulu me faire bénéficier durant la rédaction
définitive de ce texte.
166 M. LEJBOWICZ
le biais d'un procédé littéraire , l'évêque de Lisieux met son lecteur en de-
meure de pratiquer une de ces « vanitez qui ne sont pas sciences fors a parler
improprement » 7 . d'
Je n'ignore pas ce que mes interrogations peuvent avoir d'inconvenant ,
après le révolution scientifique des XVIe et XVIIe siècles. La coupure dans M
les différents modes de penser est depuis lors telle qu'il est aujourd'hui difficile d
de se pencher sur des textes , médiévaux ou non , autrement qu'en termes d'exclu- 2
sion . Au monde scientifique doté de procédures régulières d'exposition et de d
démonstration s'oppose abruptement le monde magique et divinatoire avec
ses phénomènes aberrants et insaisissables8 . L'intérêt du texte qui nous occupe
est, me semble -t-il , de permettre d'établir un réseau de rapports entre ces deux 9
mondes le plus souvent disjoints.
imparfaits qui, après travail , seraient amendables ; elle vise le projet lui-même52 :
Oresme démontre , grâce à l'incommensurabilité, que les entreprises calendaire
et tabulaire seront toujours imparfaites.
De son côté, Jean de Murs ne s'est pas contenté , comme Oresme , d'ad-
mettre l'efficience des astres et de nier celle de l'astrologie . Il a préféré se donner
les moyens de son savoir , et il a mis en oeuvre les règles astrologiques pour
rédiger des pronostics, au moins à deux reprises53 ; il est en cela représentatif
des astronomes praticiens de son temps, tel Jean de Saxe , Firmin de Belleval ,
Levi ben Gerson , Geoffroy de Meaux , qui , tous , ont doublé leur pratique astro-
nomique d'une pratique astrologique54 .
Ainsi , Oresme élabore une construction mathématique qui lui interdit
l'exercice d'une astrologie dont il admet les fondements ; qui freine la réalisa-
tion d'un calendrier plus exact ; et qui, enfin, suspecte la rigueur des tables ,
sans pour autant proposer des solutions de rechange il affine ainsi une ratio-
nalité à qui échappe le réel, alors que Jean de Murs parvient à une domestication
de ce réel par une rationalité moindre55 .
L'attitude d'Oresme a des incidences plus larges que la seule application
critique de l'incommensurabilité aux tables et au calendrier. On sait que , dans
le fameux chapitre 25 du livre II du Livre du ciel et du monde, il avance , pour
justifier la rotation de la terre , des arguments plus solides que ceux qu'il utilise
pour la nier ; et pourtant, pour finir, il s'en tient à la thèse traditionnelle de
l'immobilité du globe terrestre . Les médiévistes voient généralement dans ce
passage une heureuse application de la technique du contra. Sans doute . J'y
verrai aussi, en relation avec les développements précédents, une difficulté à
penser dans toute son ampleur la rationalité du monde56 .
L'activité mathématique d'Oresme et ce que je pense être son pastiche
d'une consultation divinatoire ont au moins un trait commun . Dans les deux
cas, l'auteur dote son travail de règles propres , et il laisse ensuite se dérouler
une série d'enchaînements purement spéculatifs. Jean de Murs, pour sa part,
emprunte les règles de son travail à un corpus lui préexistant , et il les éprouve
ensuite dans un affrontement avec les données matérielles : sa créativité dérive
d'un rapport tumultueux avec le monde , d'où il fait émerger un ordre concret.
Cette comparaison serait incomplète si, pour conclure , je ne faisais pas
intervenir un autre pan des préoccupations d'Oresme , celles dont témoignent
l'auteur du Tractatus de mutationibus monetarum et le traducteur-commentateur,
à l'initiative de Charles V , de l'Ethique, de La Politique et des Économiques,
l'ensemble de ces ouvrages prouvant une fort bonne conscience des réalités
politiques et une réelle proximité avec les maîtres du pouvoir . Rien de tel
chez Jean de Murs, dont on peut cependant avoir un vague aperçu des idées
politiques par la lecture de ses deux pronostics astrologiques , surtout de celui
adressé au pape Clément VI : l'impression créée par cette prose est plutôt fâ-
cheuse ; et elle devient franchement pénible lorsqu'on compare ces textes aux
développements d'Oresme sur la vie de la cité . Jean de Murs , du moins dans
ses deux pronostics connus , ne semble pas avoir compris que la sociabilité a
176 M. LEJBOWICZ
NOTES
et la dernière partie ; à ce stade du traité, une telle rupture n'appelle donc pas de réserve de
la part d'Oresme, comme s'il mettait au même niveau la force démonstrative du modèle
euclidien et celle du procédé littéraire. Par la suite, cependant, mais juste à quelques lignes
de la fin (De com. , III , Grant, p. 320 et 322, 1. 468-476) , il établit une hiérarchie dans
leur valeur dialectique (voir p. 169 de mon texte).
2. De com. , III , Grant, p. 284 , 1. 7-10. Il n'est pas inutile de rappeler certaines des définitions
données par Oresme au début de la première partie de son traité, qui, dans ces préliminaires,
s'inspire partiellement des Éléments d'Euclide dans la version usuelle de la scolastique ,
celle de Campanus de Novare : « Quantitates dicuntur commensurabiles quarum est aliqua
mensura communis vel quarum proportio est sicut numeri ad numerum, ut si una est bipe-
dalis et altera trium pedum ; incommensurabiles sunt quarum nulla est communis mensura
nec ipsarum proportio est sicut numerorum, sicut sunt dyameter et costa quadrati quarum
proportio est medietas duple, que solum in continuis et numquam in numeris reperitur.
Commensurabilitatem et incommensurabilitatem motuum circularium accipio penes quanti-
tatem angulorum descriptorum circa centrum aut centra, sive in respectu circulationum ,
quod idem est, ita quod illa moventur commensurabiliter que in temporibus equalibus des-
cribunt angulos commensurabiles circa centrum sive que in temporibus commensurabilibus
suas circulationes perficiunt. Et circulationes sunt incommensurabiles que in temporibus
incommensurabilibus fuerint complete, et quibus describuntur temporibus equalibus anguli
incommensurabiles circa centrum » (De com. , I , Grant, p. 176 et 178, 1. 18-31 ).
3. De com., III, Grant, p. 322, 1. 475.
4. Ibid. , 1. 479-481.
5. Livre de divinacions, c. XII, Coopland, p. 94. Propos semblables dans le Tractatus
contra astrologos, c. IV, Pruckner, p. 233, 1. 31 et c. VI , Pruckner, p. 242, 1. 13-20 (respec-
tivement Coopland , p . 130 et 138) ; dans la Quaestio contra divinatores horoscopios,
arg. 44, Caroti, p. 244-245 et arg. 55 , Caroti, p. 250-251 , art. 7-10 et 12-13 , Caroti, p . 265-
266 ; dans le De configurationibus qualitatum et motuum, I , 39, Clagett, p . 266 , 1. 39-41 et
II, 35 , Clagett, p. 372, 1. 6.
6. L. de div., c. I, Coopland, p. 54.
7. Ibid. , p. 54. On peut regretter que dans son Intr. ou dans ses Comment. - au total
200 pages - à l'édition du De com. , E. Grant n'ait rien dit sur le rêve comme forme d'expres-
sion et comme genre littéraire dans la culture médiévale ; ni sur le paradoxe rhétorique que
constitue pour un aristotélicien la présentation sous forme judiciaire d'un discours délibé-
ratif, tout entier organisé pour la persuasion. Sur le rêve dans la littérature médiévale , je n'ai
malheureusement pas pu consulter F. X. Newmann, Somnium. Medieval theories of drea-
ming and the form of vision poetry, Ph. D. dissertation, Univers. of Princeton, 1963. Utiles
informations dans S. Collin, « L'emploi des clefs des songes dans la littérature médiévale » ,
Bulletin philologique et historique (année 1967) , Paris : Bibl. nat. , 1969 , vol. II , p . 851-866 ,
qui établit l'indépendance des rêves mentionnés dans la littérature par rapport aux clefs
des songes alors en usage, indépendance dont Oresme est un nouvel exemple ; et dans
J. Le Goff, « Les rêves dans la culture et la psychologie collective de l'Occident médiéval » ,
Scolies, 1 (1971 ) , p. 123-130 repris dans Pour un autre Moyen Age, Paris : Gallimard (Bibl.
des histoires), 1977, p . 299-306 et A. Paradis, « Les oniromanciens et leurs traités des
rêves », dans Aspects de la marginalité au Moyen Age (éd . G.-H. Allard ), Actes du jer
Colloque de l'Institut d'études médiévales de l'Université de Montréal, 6-7 avril 1974,
Montréal : les Ed. de l'Aurore, 1975 , p. 118-127 à partir de sources différentes, l'un et
l'autre soulignent le statut ambigu du rêve chez les médiévaux dans des termes applicables
à Nicole Oresme : la condamnation de l'oniromancie s'accompagne de la reconnaissance
du rêve prophétique et de l'utilisation littéraire du rêve.
8. Au sens strict, il convient évidemment de distinguer la magie – -qui prétend avoir une
action sur les choses et sur les êtres selon des procédures particulières, et la divination -
qui prétend fournir, selon des techniques également particulières, des informations inac-
cessibles par les voies habituelles. Bien qu'il fasse cette distinction, Oresme la juge peu
significative, et il préfère les considérer comme liées l'une à l'autre (voir mon texte p. 168
et la note 18).
12
178 M. LEJBOWICZ
(II , 29, Clagett, p. 348 , 1. 47-51 ). Il n'en reste pas moins que la magie conserve son domaine
propre, plus large que celui de la divination (De conf. , II , 31 ). La synonymie partielle , chez
Oresme, des groupes lexicaux « divinatio » et « magia » se déduit de l'inanité de la divination
en tant que telle, de l'efficacité de la magie dans certaines conditions, et de l'appui que celle-
ci apporte à celle-là . Précisons qu'il s'agit là d'une conception qui remonte aux débuts du
christianisme, pour ce qui concerne les auteurs chrétiens.
19. L. Thorndike, III , p. 428-432 ; A. Maier, An der Grenze von Scholastik und Natur-
wissenschaft, Roma : Ed. di Storia a Letteratura (Raccolta di Studi e Testi, 41) , 19522
(lère éd. : 1943) , p . 289-353 , notamment p. 325-327 et « La doctrine de Nicolas d'Oresme
sur les ' Configurationes intensionum ' » , Revue des sciences philosophiques et théologiques,
32 (1948) , 52-67, repris dans Ausgehendes Mittelalter. Gesammelte Aufsätze zur Geistes-
geschichte des 14. Jahrhunderts I, Roma : Ed . di Storia e Letteratura (Raccolta di Studi e
Testi, 97) , 1964, p. 335-352, notamment à partir de la page 349 ; M. Clagett, Intro. à l'éd.
du De conf. , p. 40-45 et S. Caroti, op. cit. , p. 571-584 , plus spécialement p . 576-577 et
580-584.
20. De com., III , Grant, p. 284, 1. 2-7 . Ces quelques lignes soulignent combien il est dange-
reux, pour saisir la problématique oresmienne, de valoriser les deux premières parties du
De com. sous prétexte qu'elles s'insèrent plus aisément dans l'histoire des sciences.
21. Ibid. , p. 320 et 322, 1. 468-474.
22. Voir supra, la citation correspondant à la note 4 .
23. E. Grant, Intr. , p. 68 a relevé les passages où les deux muses avancent des arguments
esthétiques (beauté du ciel et musique céleste) . Mais on pourrait multiplier les citations
tirées de l'ensemble des oeuvres d'Oresme traitant peu ou prou d'astronomie , et qui, toutes,
ont au moins une phrase sur la beauté du ciel. Je m'en tiendrai au prologue du De com. , qui
exprime en termes lyriques une véritable émotion cosmologique devant la splendeur céleste.
24. De com. , III , Grant, p. 318 , 1. 421-434.
25. Ibid. , p. 314 et 316 , 1. 368-415.
26. Ibid. , p. 310, 1. 331-335 . Plus loin, à propos de l'expérience des marteaux de Pythagore
mentionnée par Macrobe , il écrit : «< ...(Pictagoras malleorum proportionem quesivit quantita
temque eorum per pondera novit » (Ibid ., p. 314 , 1.382-383) ; il faut donc comprendre que la
commensurabilité des corps célestes avancée par Géométrie se réfère aux poids des corps
célestes (Grant, Com. au De com. , p. 355 , parle plus précisément de quantité de matière :
j'ai retenu cette expression dans mon texte). La même particularité - commensurabilité
des corps et incommensurabilité des mouvements - est reprise dans le De com. , III, Grant,
p. 316, l. 397-398 et dans le L. du ciel, II , 18 , Menut et Denomy, p . 480, 1. 135-157 : c'est
dire qu'elle semble importante à Oresme, en dépit de sa contradiction (voir mon commen-
taire, p. 170-171 ). Il est clair, cependant, qu'une fois admise l'existence d'une musique
céleste , l'analogie avec la production, convenablement comprise, des sons terrestres autorise
une seule explication de ses différentes hauteurs sonores : elles sont produites par la quan-
tité de matière des corps célestes (thèse d'Oresme) , non par leurs vitesses (thèse que combat
Oresme. Dans le L. du ciel, II , 18 , Menut et Denomy , p . 480, en reprenant les propos tenus
dans le De com. , Oresme prolonge la métaphore en ajoutant que les différentes vitesses des
corps célestes induisent l'intensité des sons de la musique des sphères). Je ne connais pas
d'étude qui traite de l'histoire de la musique céleste durant le moyen âge. Les quelques
renseignements glanés sur ce sujet dans J. Chailley, Histoire musicale au Moyen Age, Paris :
P.U.F. (Collect. Hier) , 19692 , p . 18-24 et V. Zoubov, « Nicole Oresme et la musique » ,
Mediaeval and Renaissance Studies, 5 (1961 ) , p. 96-107 , et plus spécialement p . 98-100,
ne sont pas suffisants pour tenter d'évaluer la place d'Oresme dans ce courant intellectuel,
même si l'on a recours à la bibliographie spécialisée que donnent ces deux auteurs. L'un
des aspects essentiels de cette théorie musico-astronomique me semble avoir été dégagé
pour la première fois par P. Tannery , Recherches sur l'histoire de l'astronomie ancienne,
Paris Gauthier-Villars, 1893 (Reprints G. Olms, 1976 ) , p . 323-336 , puis repris et confirmé
par P. Duhem, II , p . 8-17 et par P. Boyancé, Etudes sur le songe de Scipion. Essais d'histoire
et de psychologie religieuses, Limoges : Impr . A. Bontemps, 1936 , p . 104-115 : d'inspiration
évidemment pythagoricienne, la mise en rapport effective et terme à terme des planètes et
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 181
des notes de la gamme a été faite au IVe siècle av. J.-C. dans des milieux littéraires et reli-
gieux , non dans les milieux scientifiques, qui, au contraire, l'ont combattue. Sans suivre les
avatars de cette relation jusqu'à Oresme, je soulignerai deux points, qui entrent directement
dans le cadre de la présente étude. Le grand maître de Navarre s'efforce de dépouiller la
théorie de la musique des sphères des illogismes qu'elle contient au regard des connaissances
acquises dans la production des sons ; mais il ne s'arrête pas sur le fait que la rationalité
mathématique dont il est l'instigateur lui permettrait de rejeter en bloc cette invention
mystico-poétique (deux grandeurs quelconques inconnues sont probablement dans des
rapports incommensurables). Stoppé à mi-course dans le nettoyage des écuries célestes,
il ne sera pas le héros de la conquête sidérale que fut, par exemple un Johannes Kepler, dont
il est comme le négatif : surenchérissant sur le délire baroque de la musique des sphères et
s'en tenant aux seules vitesses des planètes, le Mathématicien Impérial a cependant découvert
les trois lois qui portent son nom (sur l'apparent paradoxe de Kepler, voir : A. Koyré,
La révolution astronomique. Copernic, Kepler, Borelli, Paris : Hermann (Hist. de la pensée,
III) , 1961 , p. 328-345 ; J.-C. Pecker, « La méthode de Kepler est-elle une non-méthode ? »,
Quatrième centenaire de la naissance de Johannes Kepler, Paris : Sté astronomique de
France, 1973, p. 99-129 et plus spécialement p. 106-109 ; et G. Simon, Kepler astrono-
me astrologue, Paris : Gallimard ( Bibl . des sciences humaines), 1979 , p . 405-425 ; et sur
l'importance des recherches musicales chez Kepler M. Dickreiter, Der Musiktheoretiker
Johannes Kepler, Bern/München : Francke (Heidelberger Studien zur Musikwissenschaft),
1974 ). Je reviens brièvement dans mon texte, en me cantonnant au XIVe siècle, sur les
rapports complexes qui se nouent entre le rationnel et l'irrationnel au cours d'une recherche
scientifique.
26bis. « ...irrationalitate et regularitate commixtis » (De com. , III , Grant , p. 310, 1. 336)
<< ...[irrationalium et regularium proportio] congrua commixtio » (Ibid. , p. 312 , l. 341 ) .
27. Au chap. II du L. de div. , Oresme a divisé en 6 parties l'astrologie ; si la première
recouvre une des matières qu'étudie ce que nous appelons de nos jours l'astronomie , les
5 autres relèvent proprement de l'astrologie ; elles ne sont pas pour autant toutes les 5
parquées dans le domaine de l'erreur ; et celles qui se situent dans le champ de la vérité
- les 2º, 3º et 4e - ne sont pas toutes placées au même niveau de pertinence cognitive.
Autres citations pour en rester au L. de div. sans faire appel aux études de L. Thorndike ou
de S. Caroti << ...astrologie , qui samble estre la plus raisonnable entre tielx divinements...>>
(c. IX , Coopland, p. 80) . « (...) Car d'astronomie, qui est la plus vraisamblable (parmi les
sciences divinatoires) » (c. XI , Coopland, p . 86).
28. De com., I , Grant, p. 240 et 242, 1. 814-824. E. Grant, « Scientific Thought in Four-
teenth-Century Paris : Jean Buridan and Nicole Oresme » , Machaut's World : Science
and Art in the Fourteenth Century (ed . M.P. Cosman and B. Chandler) , New-York : The
New-York Academy of Sciences (Annals of the New-York Academy of Sciences, vol. 314),
1978, p. 105-124, repris dans son recueil Studies in Medieval Science and NaturalPhilosophy,
London Variorum Reprints, 1981 (article XV) , a montré que, dans le L. du ciel, Oresme
utilise l'incommensurabilité des mouvements célestes pour rejeter l'éternité du monde
telle que la justifie Aristote. Ce débat n'est qu'effleuré dans le De com. , I , Grant, p. 242,
1. 821-824, et, naturellement, à propos de la Grande Année : son examen dépasse l'analyse
de la troisième partie du De com.
29. Pour cette impossibilité : De com. , II , Grant, p. 248 et 250 , 1. 4-23.
30. De com. , III , Grant, p. 304 , 1. 263-266 (c'est Arithmétique qui parle) ; ibid. , p. 320,
1. 448-450 (c'est Géométrie qui parle). La même idée est exprimée plus vigoureusement
dans l'Ad pauca respicientes, II , 19 , Grant, p . 424 et 426 , 1. 228-250.
31. L. de div. , c. II, Coopland, p. 54.
32. Il convient cependant de remarquer qu'en dehors de ses traités scientifiques, Oresme,
pour attaquer les croyances astrales, se sert de l'incommensurabilité uniquement dans le
premier des trois textes spécialement écrits contre l'astrologie et la divination (T. c. astr.,
c. IV , Pruckner, p. 234, 1. 28 ; p. 235 , 1. 2 = Coopland, p. 131 ) . L'absence de cet argument
dans le L. de div . et dans la Q. c. div. permet de supposer qu'à la longue il ne l'a plus
trouvé pertinent ce qui évidemment amène à s'interroger sur son auto-critique (voir mes
hypothèses aux p. 172-174).
182 M. LEJBOWICZ
je remarque toutefois ceci : pour développer ses conceptions sur le pouvoir différenciateur
de l'oreille, Oresme s'appuie sur Boèce, De musica (De conf. , II, 15 , Clagett, p. 304 et 306) ;
or, ce traité est cité dans le De com. III, Grant p. 300 et commentaires p. 346-347, mais
pour illustrer d'autres points. Ne peut-on pas penser, dans la perspective bibliographique de
M. Clagett, qu'Oresme n'a pas, dans le De com. , développé les arguments du De musica qui
auraient affiné sa démonstration, mais en l'amenant à modifier certains de ses choix ?
D'autre part, dans le L. du ciel, qui date de la fin de sa vie, Oresme reprend les résultats du
De com. (voir ma note 11 , 2e partie), sans les nuancer comme auraient dû l'y inciter ses
réflexions sur la perception faites dans le De conf. Ainsi, tout comme le De com. élimine
certains passages du De musica, le L. du ciel élimine certains passages du De conf. Il semble
donc que la chronologie des oeuvres d'Oresme ne modifie pas en leur fond mes remarques
sur les occultations commises par le grand maître de Navarre dans le De com. et relatives
aux phénomènes perceptifs. Voir aussi, sur l'importance du De conf. , ma note 56.
43. << Intentio in hoc libello est loqui de precisis et punctualibus aspectibus mobilium
circulariter motorum, et non de aspectibus prope punctum de quibus communiter intendunt
astrologi qui non curant nisi quod non sit sensibilis defectus quamvis modicus error imper-
ceptibilis multiplicatus per magnum tempus notabilem defectum efficiat » (De com. , I ,
Grant, p. 178 , 1. 45-49) . Dans le même sens : ibid. , p . 190 et 192, 1. 210-217 ; p. 246, 1. 879-
882 ; III, p. 284 , 1. 10-18 et 286 , 1. 33-36.
44. Ibid. , III, p. 316 , 1. 409-414 . Autre reconnaissance d'un déterminisme astral, toujours
dans la bouche de Géométrie : ibid. , p. 320, 1. 454-456. Même affirmation dans une glose
du L. du ciel, II , 18, Menut et Denomy , p . 480 et 482, l. 165-170 : Oresme s'appuie cette
fois sur Aristote, Mét. , I, 2 , 339 a 21-23.
45. Nicole Oresme cite ou évoque, à plusieurs reprises, le passage du De divinatione, II ,
56, parag. 115 (éd . Falconer , Loeb classical library, p . 500) , où Cicéron, traitant de l'ambiguïté
des oracles , les place sous le patronage d'Apollon : T. c. astr. , c. 6 , Pruckner, p. 242, 1. 12-20=
Coopland, p. 138 (c'est ce texte qui est cité plus bas, p. 174 ) ; L. de div. , c. XII , Coopland,
p. 94 et 96 ; De conf. , I, 39, Clagett, p. 266 , 1. 39-42 ; L. de pol. , 275 b-c, Menut, p. 317b.
46. Le L. de pol. « La table des notables » , s. v. Responses des diex, Menut , p. 367b.
47. Isidore de Séville, Orig. , I , 34, 13, illustre l'amphibologie par la réponse d'Apollon à
Pyrrhus, dans le temple de Delphes. Selon J. Fontaine, Isidore de Séville et la culture classi-
que dans l'Espagne wisigothique, Paris : Et. augustiniennes, 1959 , 2 t ., p. 134, l'évêque
wisigothique utilise, en les transformant, les textes des deux grammairiens, Charisius et
Diomède. Je ne me suis pas engagé plus avant dans une telle direction , les réflexions d'Oresme
sur l'amphibologie semblant ignorer cette tradition des arts du langage ; de surcroît, la
troisième partie du De com. , qui ne mentionne même pas l'amphibologie , s'en tient au
quadrivium ; plus précisément, trois des arts de ce groupe - l'arithmétique, la géométrie
et la musique sont mis au service du quatrième, l'astronomie ; cette prééminence mérite
d'être soulignée, encore qu'elle paraisse inévitable dans un débat sur la cinématique des
corps célestes. Il serait cependant intéressant de voir si les variations des traités de grammaire
au sujet de l'amphibologie reflètent les aléas de la lutte contre la divination menée au sein
de la société globale. Dans un autre domaine, mais selon cette même méthode, on sait que
les médiévaux ont très largement commenté le principe delphique d'auto-connaissance.
Or, P. Courcelle, Connais-toi toi-même , de Socrate à Saint-Bernard, Paris : Et. augustiniennes,
1974-1975, 3 t., p. 286-288 , 291 et 721 , nous l'apprend : Hélinand de Froidmont est
l'auteur médiéval qui a le plus insisté sur les dangers de cette formule, donnée précisément
par Apollon, démon aux oracles suspects (Hélinand de F., Chron. , VIII , c. 8 , publié dans
la patrologie en dehors de la Chronique, sous le titre De cognitione sui, PL, 212, col. 721-
732). Or, Hélinand a effectivement rédigé une Disputatio contra mathematicos, témoin du
renouveau du savoir et des pratiques divinatoires concomitantes, durant le XIIe siècle, ainsi
que des polémiques qui se sont aussitôt élevées entre moderni et antiqui (Hélinand de F.,
Chron., VI , c. 5-51 , omis dans l'éd . de la Chronique faite dans la patrologie , mais éd .
depuis par M. H. Malewicz , Mediaevalia philosophica Polonorum , XX ( 1974 ), p . 34-
91 ). Une enquête systématique sur l'Apollon médiéval, qui à ma connaissance n'a jamais
été faite , pourrait peut-être renseigner sur les variations des attitudes à l'endroit de la
divination.
184 M. LEJBOWICZ
tables. Quant à Alphonse X, mauvais roi, il ne lui reste même plus ses tables, dans ce chapitre
VIII tout au moins ; on les retrouve au c . V, Coopland , p.62 et 64 et au c . XIV, id., p. 108 qui
lui répond elles permettent d'expliquer que le prince dont le nom désigne une réalisation
prestigieuse n'en est pas nécessairement l'auteur. Ne doit-on pas s'étonner qu'un point de
vue aussi raisonnable ait eu besoin d'un deuxième ouvrage pour s'exprimer ?
52. J. Plassard, op. cit. , parle de résistances psychologiques pour expliquer le retard dans
l'adoption de la réforme. Ne faudrait-il pas aussi incriminer des arguments scientifiques
du type de ceux d'Oresme ? Grant, Intr. , p . 64 , n. 98, mentionne les auteurs qui, sur le
calendrier, ont adopté le point de vue de l'évêque de Lisieux (Pierre d'Ailly , Nicolas de Cues,
Jean Gerson) : ce ne sont pas là des opposants sans moyen.
53. Les deux pronostics traitent d'événements collectifs. L'un interprète une série de con-
jonctions des trois planètes supérieures dans le signe du Verseau , en 1345 (le 1er mars entre
Mars et Jupiter à 15 degrés ; le 4, entre Mars et Saturne, à 17 degrés, et le 20 entre Jupiter
et Saturne, sans précision du degré) ; il a été publié par H. Pruckner, Studien zu den astro-
logischen Schriften des Heinrich von Langenstein, Leipzig/Berlin : Teubner, 1933 , p. 222-
226. L'autre, qui se trouve dans une lettre spécialement adressée au pape Clément VI, porte
sur les conjonctions de Jupiter et de Saturne, à 8 degrés du Scorpion, le 30 octobre 1365
(les effets de cette première conjonction seront décuplés dans le passage de Mars dans ce
signe, durant la même année), et de Mars avec Saturne, à 21 degrés du Cancer, le 8 juin 1357,
tandis que Jupiter rétrograde des Poissons en Verseau ; de larges extraits en ont été traduits
par P. Duhem, IV, p . 35-37 , mais avec de grossières erreurs de technique astrologique dont
certaines ont été relevées par L. Thorndike, III , p. 319 , n. 81. On crédite aussi J. de Murs
d'une géomancie ; mais le doute subsiste sur cette attribution (Th. Charmasson, Recherches
sur une technique divinatoire la géomancie dans l'Occident médiéval, Genève/Paris :
Droz/Champion (Centre de recherches d'histoire et de philologie de la IVe section de
I'E.P.H.E. ) , 1980, p. 169-176 , spécialement p. 169) . Replacés dans l'ensemble de la produc-
tion écrite de J. de Murs, ces textes astrologiques occupent peu de place. Sans évoquer
d'hypothétiques manuscrits encore à découvrir, je m'en tiens au fait qu'aussi minces soient-
ils, ces textes témoignent d'une tournure d'esprit étrangère à Oresme, mais commune aux
astronomes praticiens du début du XIVe siècle (voir la note suivante). La génération sépa-
rant J. de Murs et ses confrères contemporains de Nicole Oresme est une des données
matérielles des différences intellectuelles établies dans mon texte (aux novateurs enthou-
siastes succèdent les précautionneux).
54. Jean de Saxe participe avantageusement à la mise en forme et à la diffusion des tables
alphonsines et commente également le traité astrologique d'al-Qabisi, Liber isagogicus
(dernier état de la question sur cet auteur : E. Poulle , Dict. ofSc. Biogr. , VII ( 1973 ) , p. 139a-
141b). Firmin de Belleval est désigné par une bulle papale pour préparer avec J. de Murs
la réforme du calendrier (J. Plassard, op. cit. , p. 178-179 et 181 ; P. Duhem, IV, p. 52-60) ,
mais il rédige aussi un pronostic sur la triple conjonction de 1345 (H. Pruckner, op. cit.,
p. 80-81 et, pour l'édition du texte, p. 220-221 ) ainsi qu'un traité d'astrologie météorolo-
gique, De mutatione aeris (P. Duhem, IV, p. 41-42 ; L.Thorndike , III , p. 271-279). Les titres
des travaux consacrés à Levi ben Gerson par R. Goldstein sont suffisamment éloquents :
The astronomical tables of Levi ben Gerson, Hamden (Connecticut) : Archon Books, 1974
(l'auteur admet que L. ben Gerson est l'inventeur d'un instrument astronomique, le bâton
de Jacob, grâce auquel il a pu faire des observations très précises pour établir ses tables) ;
et « Astronomical and astrological themes in the philosophical works of Levi ben Gerson » ,
Arch. intern. d'hist. des sc. , 26 ( 1976) , p. 221-224 ; L. ben Gerson a également fait un pro-
nostic sur la triple conjonction de 1345 : elle a été traduite en latin par celui qui avait
déjà traduit les premiers chapitres de ses tables, le moine augustinien Pierre d'Alessandria
(Ch. Touati, La pensée philosophique et théologique de Gersonide, Paris : les éd . de Minuit.
1973 , p . 58 ) . Pour G. de Meaux , voir la note 50 , ainsi que L. Thorndike , III , p . 281-
293 et H. Pruckner, op. cit. , p . 78-80 et, pour l'édition du texte du pronostic astrologique,
p. 215-219.
55. On peut comparer la sécheresse d'Oresme déclarant les tables imparfaites dans leur
principe mais commodes dans leurs usages (voir les citations de la note 51 ) aux propos
de J. de Murs sur le même sujet, qui donnent l'impression de vouloir noyer le poisson
(
Quadripartitum numerorum, IV, I , 24 , éd. Grant, p. 370, 1. 45-53).
186 M. LEJBOWICZ
56. Je suis parfaitemens conscient que le De conf. infirme mon interprétation. Mais ce
traité exceptionnel est le sommet de la production mathématique d'Oresme ; j'entends
par là une conquête qu'il n'a pas prolongée, et pire encore, qu'il a dû délaisser. Le lecteur
aura remarqué que j'ai opposé au schématisme des thèses du De com. les développements
infiniment plus riches du De conf. , en précisant (n. 42) que l'antériorité d'un traité sur
l'autre ne modifiait pas substantiellement mon argumentation. En essayant de situer le
De conf. par rapport à la Q. c. div. , M. Clagett conclut : « Hence we must conclude either
1) that by 1370 Oresme had completely abandoned , or had little confidence in, the confi-
guration doctrine as a possible explanation, or 2) that the work (Q. c. div.) was written prior
to his application of the doctrine to specific phenomena. My inclination is to accept the
latter conclusion, and therefore to mistrust 1370 as the composition date (de la Q. c. div. ) »
(Intr. , p. 129). J'essaie de montrer dans un article à paraître (en m'appuyant sur l'accrois-
sement de la culture astrologique d'Oresme et en développant la critique que S. Caroti
adresse sur ce point à M. Clagett) que la Q. c. div. a bien été écrite après le L. de div., et
par conséquent, après le De conf. Autrement dit , je suis porté à éliminer la deuxième
hypothèse de M. Clagett pour retenir la première. Ainsi, si le De conf. montre un Oresme
plus riche que le portrait que j'en adresse dans ces pages, le fait qu'il ait finalement aban-
donné les thèses qu'il y défendait va cependant dans le sens général de mon interprétation ;
et, d'une certaine manière, il l'accentue loin qu'il y ait eu chez Oresme impossibilité de
penser la rationalité du monde, il s'est plutôt produit un abandon de cette voie, après
une tentative extrêmement fructueuse.
57. L. de pol., III , 14 , 96c, Menut , p . 137a (Oresme dit emprunter cette idée au Defensor
pacis) et Id., 97c, Menut , p . 137b . J'ai malheureusement eu connaissance trop tard de la
belle étude d'Eugenia Paschetto, Demoni e prodigi. Note su alcuni scritti di Witelo e di
Oresme, Torino , G. Giappichelli , 1978 , notamment la première partie, Linguaggio e Magia
nel De configurationibus di Oresme, p . 7-39 (qui reprend et développe sa communication
au VIe Congrès international de philosophie médiévale , Bonn , 1977 , dont les actes ont paru
dans les Miscellanea Mediaevalia ; voir t . 13/2 ( 1981 ) , 648-656 ) pour faire état de ses ana-
lyses dans mon texte . Je compte revenir sur ce très intéressant travail .
LA TROMPERIE DIVINE
Tullio GREGORY
On sait que la littérature théologique du XIVe siècle fait une large place
aux discussions sur la tromperie divine, en particulier autour de la thématique
imposée par Ockham -et reprise par ses successeurs - de la potentia Dei absoluta
et de ses limites . L'analyse d'Ockham - qui se pose comme exégèse du credo in
unum Deum Patrem omnipotentem – ne se limite pas à la discussion de la possi-
bilité de connaître ce qui n'existe pas en réalité , comme on l'a plusieurs fois
souligné, les controverses sur la potentia Dei absoluta viennent modifier profon-
dément à la fois la problématique théologique traditionnelle et toute la structure
physico-métaphysique du cosmos aristotélicien du problème de la grâce et de
l'odium Dei à celui de la possibilité de la création d'un infini en acte , c'est tout
le système théologico-philosophique avec les équilibres qui avaient été laborieu-
sement atteints au cours du XIIIe siècle qui entre en crise . La tromperie divine
n'est donc qu'un aspect du problème plus vaste de la toute -puissance divine
dans ses rapports avec le monde des créatures et ses lois.
Mais ce n'est pas sur ce thème central , essentiel pour comprendre l'impor-
tance de la pensée d'Ockham et des divers aspects qu'elle assuma au cours de
plusieurs siècles, que j'ai l'intention de m'arrêter ; je voudrais seulement faire
part de quelques observations qui peut - être pourront contribuer à mieux replacer
le thème même de la tromperie divine dans la tradition théologique , et d'en
comprendre les différentes manifestations et perspectives.
Le fait d'avoir insisté sur la connaissance de ce qui n'existe pas par rapport
à l'hypothèse que Dieu peut causer en nous la notitia d'un objet sans que celui-ci
soit présent à nos sens , a peut-
être enfermé dans des limites trop étroites la
tromperie divine. En effet, si celle-ci et donc la toute-puissance divine -
se limitait à nous faire apparaître comme présent ce qui n'est pas, à mettre en
nous la species sans l'objet correspondant , ou à modifier directement nos organes
des sens par une action qui remplace celle de l'objet , l'action de Dieu , quant à
ses effets sur nous , ne serait pas fondamentalement différente de celle du presti-
digitateur ou , si l'on veut , du diable . La comparaison n'est pas absente de la
littérature théologique on la trouve par exemple dans un précieux texte de
Jean Rodington , le Commentaire au premier livre des Sentences, que Bruno Nardi
a étudié et en partie publié , il y a trente ans , en appendice au petit volume
188 T. GREGORY
Soggetto e oggetto del conoscere nella filosofia antica e medievale , mais qui est
tombé dans un oubli injuste même de la part des spécialistes :
« Quod autem deus possit facere unam rem apparere aliam, probatur :
non minoris potentie est deus quam dyabolus vel ioculator ; sed isti
faciunt apparere quod non est, et unam rem apparere aliam ; ergo
deus potest facere quod appareat homini quod homo non sit substan-
tia et huiusmodi et quod homo non sit homo » 1 .
Du reste , la comparaison entre l'action de Dieu et celle du démon – ou
des anges est un thème très discuté dans la littérature théologique , surtout
par rapport aux pouvoirs de ces êtres intermédiaires auxquels Dieu a confié
l'homme pour le protéger et le tenter . Et il est dommage que les nombreuses
études sur le problème de la connaissance dans la philosophie médiévale n'aient
pas tenu compte de cette discussion qui , à elle seule , aurait pu mettre en évi-
dence les fortes limites d'une théorie de la connaissance fondée sur la doctrine
aristotélicienne de la species et la précarité de la position de l'homme dans
un univers où il se trouve soumis à l'action d'êtres qui lui sont supérieurs.
Thomas d'Aquin , par exemple , pose la question de savoir si les anges et les
démons peuvent enseigner quelque chose à l'homme2 il admet - étant en
cela cohérent avec tout son système , où les anges bons et méchants sont do-
tés d'une possibilité d'action différente et supérieure à celle de l'homme -
qu'ils ne peuvent pas , bien sûr, créer les species (activité réservée à Dieu) , mais
ont toutefois la possibilité d'utiliser des species existantes ou d'agir de façon
différente non seulement sur les sens extérieurs mais aussi directement sur
l'imagination de façon à faire apparaître ce qui n'est pas . Et s'il ne peut y
avoir de deceptio dans l'action de l'ange parce qu'il est bon, mais seulement
une erreur éventuelle de l'homme qui peut juger existant quelque chose qui
n'est pas , les démons dans leur volonté maligne peuvent agir de façon analogue
à celle des anges de sorte que « aliqua faciunt hominibus apparere quae in
rerum exteriorum veritate non subsistunt » ; ainsi , les uns comme les autres
peuvent par ce moyen , à travers des signa sensibles et des species imaginariae,
agir indirectement sur l'intellect : « immutare hominis intellectum ad aliquid
intelligendum » ³ .
Bonaventure développe une thèse semblable : l'action des anges et des
démons se limite toujours à la sphère de la connaissance sensible (les anges
peuvent aussi éclairer la ratio inferior) et, dans ce domaine , l'homme leur est
totalement assujetti . Le démon , contrairement à l'ange , abuse les sens , modifie
les fantasmata et ainsi séduit la raison et l'induit en erreur4 .
Le problème de la connaissance de ce qui n'existe pas - thème de la pensée
d'Ockham -- n'est donc pas lié en soi à la discussion de potentia Dei absoluta :
il naît plus simplement je dirais même nécessairement --- à l'intérieur d'un
univers dans lequel existent entre Dieu et l'homme des êtres intermédiaires
auxquels l'homme est soumis . Angélologie et démonologie constituent un point
de référence non seulement dans la discussion théologique , mais dans toute
la discussion philosophique , dans la mesure où anges et démons constituent
LA TROMPERIE DIVINE 189
ockhamiste insistera sur cette possibilité qu'a Dieu de créer une proposition
fausse dans l'intellect et d'en provoquer l'assentiment . Woodham est radical :
« Deus non potest de potentia ordinata fallere ; de absoluta tamen posset causan-
do in mente alicuius falsum assensum » 18. C'est là le signe même de la toute-
puissance divine « respiciendo ad virtutem voluntatis concedo quod Deus
potest fallere et decipere, id est voluntarie causare errorem in mente hominis et
facere eum credere aliter quam res se habet » , écrira Holkot , et après lui , avec
des accents différents , Pierre d'Ailly et Gabriel Biel19 . Pierre d'Ailly insistera
encore sur la possibilité - que d'autres avaient déjà discutée -– d'une tromperie
même sur le premier principe logique comme preuve de la toute -puissance
divine « Deus mediantibus causis secundis et de suo posse absoluto potest
causare errorem de primo principio » ; il peut aussi « assensum vel dissensum
causare » en rapport au « primum principium » : ce qui non seulement n'im-
plique aucune contradiction , mais au contraire « videtur favere articulo de
omnipotentia dei » 20
Que cette très large possibilité d'intervention divine dans nos processus
cognitifs mette en doute toute connaissance évidente (evidentia absoluta simpli-
citer), c'est la conclusion que même Pierre d'Ailly reconnaît volontiers , laissant
la possibilité d'une evidentia secundum quid seu conditionata21 .
Le caractère contingent radical de toute loi naturelle mène à l'exclusion
de l'evidentia simplex et avec elle du concept aristotélicien de science :
c'est ce qu'un demi-siècle plus tôt avait soutenu de la manière la plus radicale
Nicolas d'Autrecourt , en repoussant - contre Bernard d'Arezzo , disciple de
Pierre Auriol - la distinction entre une evidentia secundum quid et une évidence
absolue , à cause de l'impossibilité de distinguer à chaque fois ce qui relève
de l'ordre naturel ou surnaturel , ex suppositione naturae ou de potentia Dei
absoluta l'hypothèse d'une connaissance possible de ce qui n'existe pas fausse
toute certitude basée sur la supposition d'une adaequatio avec une réalité extra-
mentale ; c'est non seulement l'existence du recteur qui est mise en doute , mais
aussi tout le système de la philosophie d'Aristote qui ne peut être certain d'au-
cune des conclusions démontrées dans sa philosophie : « Aristoteles in tota
philosophia sua naturali et metaphysica vix habuit talem certitudinem [ connais-
sance évidente] de duabus conclusionibus et fortasse nec de una ». La certitude
d'Aristote et des philosophes dérive en effet de la prémisse que « non crederent
Deum posse impedire effectum causarum naturalium » 22. D'ailleurs la position
de Pierre d'Ailly vis-à -vis de la philosophie d'Aristote ne sera pas différente :
<< In philosophia seu doctrina Aristotelis nulle vel pauce sunt rationes evidenter
demonstrative ... Item sequitur quod philosophia Aristotelis seu doctrina magis
debet dici opinio quam scientia » 23 .
Ainsi la discussion sur la toute-puissance divine mettait en difficulté non
seulement la doctrine des species comme moyen de connaissance , mais surtout
tout système logique , physique et métaphysique qui, en tant que construc-
tion humaine , ne pouvait jamais exclure le Dieu biblique et chrétien . Ce n'est
pas un hasard si quelques maîtres ockhamistes mettaient en évidence dans
LA TROMPERIE DIVINE 193
13
194 T. GREGORY
NOTES
1. B. Nardi, Soggetto e oggetto del conoscere nella filosofia antica e medievale. Seconda
edizione riveduta e accresciuta di un'appendice su Giovanni di Rodington e il dubbio iper-
bolico di Cartesio, Roma, 1952, p . 80.
Pour certains textes et problèmes présentant des aspects analogues à ceux qui sont
traités ici, ainsi que pour la bibliographie correspondante , je me permets de renvoyer à mon
essai : « Dio ingannatore e genio maligno. Nota in margine alle Meditationes di Descartes »,
Giornale critico della filosofia italiana, LIII ( 1974) , p. 477-516.
2. Thomas d'Aquin discute en plusieurs endroits le problème de la possibilité d'inter-
vention de la part d'anges ou de démons sur les processus cognitifs de l'homme : voir en
particulier Summa theol. I , q . 111 , a. 14 ; I , II , q . 80 , a. 2 ; Quaestiones disp. de malo , q . 16 ,
a. 11-12 ; Quaestio disp. de magistro, 3 (éd . T. Gregory, Roma, 1965 , p. 80 sqq. ) .
3. Thomas d'Aquin, Quaestiones disp. de malo, q . 16 , a. 11 resp. ; a. 12 resp.
4. Bonaventure, II Sent., dist. 8 , p. 2 , art. unicus, q. 3-4 ; dist. 10, a. 2 , q . 2 ; a. 3 , q. 2.
5. Rappelons les observations d'Et. Gilson, Le Thomisme. Introduction à la philosophie
de Saint Thomas d'Aquin, Paris, 19485 , p . 222 sur la position centrale et essentielle dans
le système thomiste des purs esprits créés. Ces observations conservent leur valeur pour tous
les philosophes médiévaux et devrait-on dire - pour tous les philosophes chrétiens qui
admettent les anges et les démons. Sur cette question, qui semble avoir été oubliée, proba-
blement à cause des nombreux problèmes qu'elle comporte vis-à-vis de la conception
générale du monde et de l'homme, voir l'étude récente - orientée vers une « poétique du
sensible » de S. Breton, « Faut-il parler des anges ? » Revue des sciences philosophiques
et théologiques, LXIV ( 1980 ) , p. 225-239 (cf. p. 225 : « Il ne semble pas que , sur ce sujet,
les théologiens soient de nos jours plus diserts que les philosophes, comme s'ils avaient à
jeter un voile pudique sur les parties honteuses de leur discipline ») .
6. Petri Lombardi Sententiae in IV libris distinctae, Grottaferrata, 1971 , lib. II , d . 8 , c. 4,
p. 369.
7. G. Biel, In II Sent. , d. 8 , q. 2 (Commentarii doctissimi in IIII Sententiarum libros,
Brixiae, 1574 , vol . II , p . 62vb sqq. , en particulier p. 63rb-va).
8. Nous nous référons à l'article désormais classique de P. Vignaux , « Nominalisme » ,
dans Dictionnaire de théologie catholique, XI , col. 768.
Les textes fondamentaux d'Ockham concernant ce problème se trouvent dans les
Quodlibeta (en particulier V, q . 5 ; VI, q . 6 ) et dans le Commentaire sur les Sentences
(Scriptum in librum primum Sententiarum, prol. , q . 1 , ed . G. Gál- S . Brown, St. Bonaventure,
N.-Y. , 1967, I, p. 30 sqq.).
9. J. O'Callaghan, « The second Question of the Prologue to Walter Chatton's Commen-
tary on the Sentences. On intuitive and abstractive knowledge » , dans Nine mediaeval
Thinkers. A collection of hitherto unedited texts, Toronto, 1955 , p. 233-269 (pour le texte
cité , p. 246).
10. Sur ce problème et quelques textes s'y rapportant, je me permets de renvoyer à mon
<< Dio ingannatore e genio maligno » , p . 501-505 .
11. J. Buridani In Metaphysicen Aristotelis Quaestiones argutissimae, éd . J. Bade, 1518 ,
q. 12, f. XXIvb.
12. Roberti Holkot In quatuor libros Sententiarum questiones argutissimae, Lugduni,
1518, I Sent. , q. 1 , a. 6 R ; cf. Petri de Alliaco Questiones super primum, tertium et quar-
tum Sententiarum, Parisius , s.d. , éd . J. Petit, I Sent. , q . 12 , a. 3 , p . 188 ra-b .
13. Cf. J. O'Callagham , art. cit., p. 269 .
LA TROMPERIE DIVINE 195
Jean-François GENEST
Les chercheurs, trop peu nombreux , qui ont jusqu'à présent étudié la place
occupée par l'hypothèse du Dieu trompeur dans la spéculation théologique de
la fin du Moyen Age , se sont surtout attachés à dégager la structure et la portée
de l'argumentation mise en oeuvre par quelques-uns de ses tenants¹ . En revanche ,
l'histoire de cette opinion reste à écrire . Ce qu'on en connaît pour le moment
tient en peu de mots . Née à Oxford vers la fin de la décennie 1320-1330 , elle
a été vigoureusement combattue à Paris par Grégoire de Rimini , où elle est
devenue pour le moins suspecte après la condamnation de Jean de Mirecourt
( 1347). Néanmoins, elle a connu un renouveau de faveur sur le continent à
la fin du XIVe siècle avec Pierre d'Ailly, puis au siècle suivant avec Gabriel Biel.
Enfin, ses prolongements au début des temps modernes concernent non seule-
ment l'histoire du cartésianisme² , mais aussi celle des polémiques autour de
la casuistique relâchée³ .
Quantité de sources manuscrites conservent la trace de ces disputes , mais
la plupart sont encore inexplorées4 . C'est le cas de l'oeuvre de Pierre de Ceffons5 .
On sait que ce moine de Clairvaux , d'esprit curieux et de tempérament non-
conformiste , a lu les Sentences au collège Saint-Bernard au cours de l'année
universitaire 1348-1349 , donc au lendemain de la condamnation de son confrère
Jean de Mirecourt . Dans sa monumentale lectura, mise en ordre vers 1353 à
la demande de quelques amis, notamment l'abbé de Clairvaux , Bernard de Laon ,
Pierre de Ceffons a consacré une question entière à l'hypothèse du Dieu trom-
peur Utrum Deus possit aliquem decipere seu ipse possit decipi (livre Ier,
dist. 44 , q . 3)6 . Il y revient à plusieurs reprises dans le livre II , à propos de
la révélation des futurs contingents7 . Ces textes , où l'auteur se montre remar-
quablement informé sur les doctrines régnantes et les décisions officielles ,
méritent d'être tirés de l'oubli . Ils comblent, en effet , quelques - unes des lacunes
qui affectent notre connaissance des condamnations de 1347. Ils permettent
en outre de mieux comprendre pourquoi une doctrine , que nul ne se hasar-
dait à soutenir ouvertement à cette date , a pu trouver un regain de succès
une trentaine d'années plus tard .
198 J.-F. GENEST
Quod satis erat possibile quod per volitionem creatam Christus aliquid voluit
et nunquam sic debuit evenire16.
Quod Christus potuit dicere falsum et etiam asseruisse assertione creata, tam
vocali quam mentali¹7.
Quod possibile est Christum secundum voluntatem creatam errasse, et forte
secundum hominem mendacium protulisse 18 .
II
augustinien, seuls les méchants ont le triste privilège de pouvoir tromper leurs
semblables . Mais si des malfaiteurs voulaient tuer ton père ou ta mère , et te
demandaient où ils se trouvent , n'aurais-tu pas le droit de leur faire une réponse
fausse ? Pourquoi ne dirait-on pas le faux à ceux qui méritent d'être trompés41 ?
Ainsi pourrait-on soutenir la thèse de la neutralité morale de la tromperie42 .
Licéité des ruses de guerre43 , astuces des chasseurs 44 , et même cette uni-
verselle puissance de dissimulation par laquelle subsiste le monde animal45 :
Pierre de Ceffons s'amuse à développer ces arguments, auxquels en définitive
il n'accordera pas grande valeur, mais qui sont pour lui prétexte à étaler ses
lectures : pêle-mêle , il cite Végèce , Frontin et Tite- Live , Solin et Barthélemy
l'Anglais . Mais voici un argument purement théologique et d'un tout autre poids,
car fondé sur l'omnipotence divine érigée en attribut souverain : l'homme
est entièrement soumis à Dieu , comme l'argile dans la main du potier ; pour-
quoi ne pourrait-il lui faire croire indifféremment le vrai ou le faux , selon son
bon plaisir46 ?
Plaçons-nous donc dans l'hypothèse la plus radicale , celle où Dieu pourrait
tromper de potentia ordinata ; autrement dit , et comme le soutient Holcot,
non seulement il posséderait ce pouvoir, mais de fait il en userait . Quel inconvé-
nient en résulterait-il ? Aucun. C'est du moins ce que répondraient certains.
Quand bien même ce que Dieu dit serait faux, si toutefois il m'ordonne de le
croire, s'il joint au précepte une menace au cas où je refuserais mon assentiment,
et une promesse au cas où je le donnerais , alors que m'importe que l'objet de
la croyance soit en lui-même vrai ou faux ? Sufficit mihi quod credam firmiter
sic esse47 . Jamais conception purement pragmatique de la foi n'avait été énoncée
sous une forme si abrupte . La révélation n'a plus ici pour fonction d'exprimer
une vérité, mais de susciter une conduite . Pure hypothèse d'école ? L'exemple
donné pour illustrer cette conception montre qu'il n'en est rien. Etait-il vrai ou
faux qu'Abraham immolerait son fils ? Faux , comme l'a montré la suite de
l'histoire . Si néanmoins Abraham a cru qu'il allait sacrifier Isaac, en quoi cela
lui a-il nui48 ? L'argument venait de Robert Holcot , polémiquant contre son
socius franciscain William Chitterne49, et il était destiné à prouver une des thèses
auxquelles le dominicain anglais était le plus attaché : l'homme peut être justifié
et sauvé in fide falsa, tout comme il peut être damné pour une croyance véri-
dique , car le mérite de la foi ne tient pas à la vérité de son objet , mais à la seule
soumission de la volonté50 .
S'ensuit-il , comme l'objectait Grégoire de Rimini après s. Augustin, que
l'Écriture perdrait toute autorité ? - Nullement. De ce que Dieu puisse tromper
quelquefois, on ne conclut pas qu'il pourrait tromper toujours51 . - Mais , faisait
encore observer Grégoire de Rimini , si Dieu pouvait dire le faux , il lui serait
loisible , par exemple , d'énoncer des propositions contradictoires et d'ordonner
qu'on les croie simultanément , donc d'obliger à l'impossible. - Pourquoi non ?
répondrait le protervus beaucoup accordent en effet que Dieu pourrait obliger
sa créature à l'impossible , si tel est son bon plaisir . La réplique est assortie
d'un exemple très cru52 . Mais sans aller jusqu'à cette extrémité , le contradicteur
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 203
parerait l'objection en soutenant que Dieu pourrait tromper dans certains cas,
non dans d'autres53 . C'est au fond ce que dira Pierre d'Ailly54 .
Si les arguments ne manquent pas en faveur de l'hypothèse radicale selon
laquelle Dieu peut tromper de potentia ordinata, à plus forte raison en trouvera-
t-on pour tenir l'opinion modérée , celle de Fitzralph et Wodeham , qui accordent
à Dieu la faculté de tromper de potentia absoluta. Cette voie permettrait d'éviter
les inconvénients signalés tout à l'heure , car elle offre à la croyance toutes
les garanties de la certitude morale . Il suffit de substituer à la véracité de droit
la véracité de fait. On accorde une ferme confiance à la parole d'un homme,
dont on sait qu'il pourrait mentir, mais dont l'expérience a montré qu'il était
constamment vérace : pourquoi exiger davantage de Dieu55 ? Le fort des parti-
sans de cette opinion moyenne , c'est qu'elle paraît la seule à respecter la contin-
gence des futurs révélés. En voulant prouver qu'il est absolument impossible à
Dieu de dire le faux, on prouve trop, car on lui retire le pouvoir inamissible
de faire que ce qui est à venir n'arrive pas . Si l'argument était valide , il faudrait
en conclure que tout ce que Dieu révèle se réalisera nécessairement56 . L'objec-
tion revient à quatre reprises dans la bouche de l'adversaire . Manifestement ,
c'est à elle que Pierre de Ceffons accorde le plus de poids .
III
Soit une proposition révélée , donc vraie , mais portant sur un futur, donc
dépendant de la liberté divine , par exemple celle -ci : Resurrectio erit. Comment
soutenir qu'elle est contingente, c'est-à -dire qu'elle peut être fausse , sans pour
autant tomber dans la conclusion que Dieu peut être trompeur ? Sitôt que
l'homme a donné son assentiment à la proposition révélée , il est nécessaire
qu'il l'ait donné ; or il est contingent que le futur révélé se réalise ; donc il est
possible que l'assentiment fondé sur la révélation soit erroné .
La question n'avait cessé d'être agitée à Oxford depuis le temps de
Guillaume d'Ockham57 . Celui-ci s'était bien gardé d'affirmer que Dieu pourrait
dire le faux . Mais ses successeurs , Fitzralph , Wodeham, Holcot , bien d'autres
encore, ceux que Bradwardine appelait les «< nouveaux pélagiens » , n'avaient pas
eu le même scrupule . C'est que le débat , centré en apparence sur la toute-puissance
divine , mettait aussi en cause, et peut -être principalement , le libre-arbitre créé.
Sans ce ressort caché , on ne peut expliquer l'âpreté des disputes et les passions
qu'elles mobilisaient . Le pélagien ne répugne pas à l'hypothèse d'un Dieu trom-
peur, car c'est à ce prix qu'il achète sa propre liberté . Bien plus , chaque fois
que ses actes futurs sont en jeu , c'est à lui-même , en dernière analyse , qu'il
s'attribue la faculté de rendre Dieu trompeur : il est en mon pouvoir , dit Holcot ,
de faire qu'une prédiction me concernant , énoncée il y a un siècle , soit vraie
ou fausse , et donc que celui qui l'a proférée ait été ou non un faux prophète 58 .
Pour résoudre la difficulté sans accorder l'éventualité , fût-ce de potentia
absoluta, d'une révélation fallacieuse , de multiples réponses avaient été forgées59.
204 J.-F. GENEST
Pierre de Ceffons les connaît à peu près toutes et on voit, à le lire , celles qui n'avaient
plus cours et celles qui conservaient des partisans . Parmi les premières , figure la
thèse de la révélation conditionnelle , soutenue jadis par Guillaume d'Ockham .
Étendant à la totalité des prophéties une réponse que la tradition limitait à
la prophetia comminationis, cette opinion soutenait que toute révélation d'un
futur est subordonnée à une condition explicite ou implicite ; si le futur révélé
ne se réalise pas , c'est que la condition n'a pas été remplie . Selon une autre
réponse , imaginée à Oxford dès les origines du débat , Dieu , en révélant les futurs,
se nécessiterait lui-même à les accomplir. Aucune de ces opinions ne trouve grâce
aux yeux de Pierre de Ceffons , qui les mentionne pour mémoire et les considère
comme surannées 60 .
En revanche , il accorde beaucoup plus d'attention aux vues de Thomas de
Buckingham, auteur très lu à Paris au milieu du siècle , et qui avait avancé une
réponse tout entière construite sur l'hypothèse d'une révélation dans le Verbe .
La distinction entre révélation in Verbo et révélation in proprio genere était
traditionnelle dans le premier cas, Dieu fait participer la créature à la con-
naissance qu'il a lui-même des futurs ; dans le second , il lui révèle ceux-ci par
le truchement ordinaire de la connaissance créée . On spéculait beaucoup , au
XIVe siècle , sur les modalités de la révélation dans le Verbe61 . Reprenant
une opinion qui circulait déjà à Oxford au temps de Fitzralph, Buckingham
soutenait que dans ce type de révélation l'essence divine ne joue pas seulement
le rôle d'espèce intelligible , mais aussi de verbe pour l'intellect créé. Admis
ce présupposé (lié à une noétique rejetant la distinction entre species et visio) ,
on dira que la créature voit les futurs comme Dieu lui-même les voit , c'est-à -dire
à la fois comme devant être et pouvant néanmoins ne pas arriver. Son assenti-
ment à la proposition révélée est donc aussi contingent , non dans son être , mais
dans son objet , que le futur révélé lui-même 62. Mais si cette théorie offre l'avan-
tage de respecter l'infaillibilité de la prescience du Christ et des bienheureux ,
elle présente , entre autres inconvénients celui d'entraîner un remaniement
complet de la christologie , car il faut, comme l'avoue Buckingham , dénier au
Christ la faculté de connaître ou de vouloir les futurs révélés par des actes
semblables à ceux des autres hommes63 . De plus , et Pierre de Ceffons ne manque
pas de le faire observer , elle laisse entièrement de côté le cas le plus commun ,
celui de la révélation in proprio genere. Ainsi la difficulté subsiste64 .
De son côté, Grégoire de Rimini avait proposé deux réponses65 . La pre-
mière se fondait sur une thèse à laquelle il inclinait fortement dès l'époque de
son enseignement parisien , et à laquelle il devait plus tard se rallier ouvertement :
Dieu peut faire que ce qui est passé n'ait pas été , en ce sens que le passé demeure,
aussi bien que le futur, sous la contingence de la cause première . En d'autres
termes, il n'y a pas moins de contingence dans le passé que dans l'avenir , mais
inversement le futur n'est pas moins déterminé que le passé . Cette réponse , à
comparer à celle de Bradwardine , était probablement la seule compatible avec
les données du problème , mais les maîtres responsables des condamnations
de 1347 l'avaient expressément proscrite 66. Sachant d'ailleurs qu'elle serait
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 205
des augustins , qui lisait les Sentences à Paris en 1353 , fut condamné l'année
suivante pour avoir soutenu, entre autres «< erreurs » , que Dieu peut nécessiter
la volonté à produire un acte méritoire ; autrement, disait-il, il faudrait accorder
que Dieu peut mentir : Dixi quod Deus potest aliquem necessitare preveniendo
voluntatem ad bonum actum. (... ) Probationes sunt : Aliter... homo posset
facere Deum mendacem80 . On ne sait rien de plus de ce personnage , mais
l'épisode montre que la question restait toujours en suspens et que nulle réponse
satisfaisante ne lui était donnée . Comment, d'ailleurs , aurait-il pu en être autre-
ment , puisque les maîtres parisiens responsables des censures de 1347 , tout en
condamnant l'hypothèse du Dieu trompeur , avaient simultanément proscrit
la seule réponse plausible , celle de Grégoire de Rimini (et de Bradwardine) ,
pour qui l'opposition entre la nécessité du passé et la contingence du futur
était un faux problème , l'un et l'autre restant également suspendus à la libre
volonté divine ? En frappant cette opinion, et en obligeant en même temps
les théologiens à réfuter l'hypothèse d'une tromperie divine , les auteurs des
condamnations de 1347 avaient enfermé leurs pairs et leurs successeurs dans
un labyrinthe inextricable81 . Aussi n'est-il pas surprenant que , momentanément
écartée par voie d'autorité , l'opinion d'après laquelle Dieu pourrait tromper
ait réapparu au grand jour dans le troisième quart du siècle et trouvé, à Paris
même , un défenseur en la personne de Pierre d'Ailly .
NOTES
1. B. Nardi, Soggetto e oggetto del conoscere nella filosofia antica e medievale. Seconda
edizione riveduta e accresciuta di una appendice su « Giovanni Rodington e il dubbio iper-
bolico di Cartesio » , Rome, 1952, p . 60-67 , 70-73 et 74-91 (texte de Jean de Rodington).
T. Gregory, << Dio ingannatore e genio maligno. Nota in margine alle ' Meditationes ' di
Descartes », Giornale critico della filosofia italiana, 4e série, vol. 5 ( 1974), p. 477-516.
2. Voir en particulier l'article « Grégoire de Rimini » du Dictionnaire de Bayle.
3. A cet égard, il y aurait beaucoup à glaner dans la curieuse Dissertatio contra aequivo-
cationes du bénédictin anglais John Barnes (Paris, 1625 ; une traduction française parut
la même année) . L'auteur de ce violent pamphlet dirigé contre la casuistique des Jésuites
invite ses lecteurs à se défier de « la poix nominalistique » , et pour mieux combattre les
équivoques montre qu'un Dieu qui en userait se retirerait toute autorité. Ce serait « un Dieu
comique » et « il est plus tolérable de prescher deux dieux séparés qu'un seul Dieu cauteleux »
(Epitre dédicatoire, f. V) . Cf. M. Nédoncelle, Un moine turbulent, John Barnes, précurseur
des << Provinciales » et oecuméniste malheureux, dans Trois aspects du problème anglo-
catholique au XVIIe siècle, Paris, 1951 , p . 24-25.
4. Parmi les théologiens qui traitèrent du problème au XVe siècle , il faut citer le franciscain
Georgius Benignus, ami de Bessarion, qui fut consulté lors de la querelle lovaniste des
futurs contingents (Je remercie vivement le Professeur C. Vasoli de m'avoir communiqué
cette information).
5. Pendant près de six siècles, Pierre de Ceffons n'a survécu que par son Epistola Luciferi,
largement diffusée, mais Johann Wolff, qui l'édita en 1600 (Lectiones memorabiles, Lavingae,
p. 654-656), l'attribuait à Nicole Oresme. Sur cette satire anticléricale et la tradition littéraire
208 J.-F. GENEST
à laquelle elle se rattache, v. G. Zippel, « La lettera del diavolo al clero, dal sec. XII alla
Riforma », Bull. dell'Istituto stor. ital. per il medio evo, t. 70 (1958) , p . 125-179 . Quant à
son Commentaire des Sentences, c'est K. Michalski qui le premier en a reconnu l'intérêt
(Le problème de la volonté à Oxford et à Paris au XIVe siècle, Lwow, 1937 , p. 21 , 97-99,
127-129 ; réimpr. anast., Francfort, 1969) . Toutefois, il a fallu attendre les recherches du
P. Trapp pour que cet énorme ouvrage, conservé dans le ms. 62 de la Bibliothèque muni-
cipale de Troyes (ancien Clairvaux, I 11 ) , commence à sortir de l'ombre : v. D. Trapp ,
<< Augustinian Theology of the XIVth Century » , Augustiniana, t. 6 (1956) , p. 224-227 ;
<< Peter Ceffons of Clairvaux » , Recherches de théol. anc. et médiév. , t. 24 ( 1957) , p. 101-
153 (l'Epistola introductoria est éditée p. 128-153) ; « Gregorio de Rimini y el nomi-
nalismo », Augustinianum, t. 4 ( 1964) , p. 5-20. Le versant scientifique de l'oeuvre de
Pierre de Ceffons a été abordé par J. E. Murdoch, « ' Subtilitates Anglicanae ' in Fourteenth
Century Paris John of Mirecourt and Peter Ceffons » , dans le recueil Machaut's World :
Science and Art in the Fourteenth Century, éd. M. P. Cosman et B. Chandler, New-York,
1978, p. 51-86 (v. p. 61-68 et 77-86) . V. aussi F. Bottin, La scienza degli Occamisti, Rimini,
1982, p. 146-152. Entre temps, M. Haverals avait retrouvé dans un volume provenant de
l'abbaye du Val-Saint-Martin à Louvain, aujourd'hui à Londres, British Libr., ms. Harley
2667, f. 131-147, une collection de lettres de Pierre de Ceffons (W. Lourdaux et M. Haverals,
Bibliotheca Vallis Sancti Martini in Lovanio, t . I , Die bewaarde Handschriften, Louvain,
1978, p. 642-649) . Cette correspondance, dont M. André Vernet prépare l'édition, est riche
en realia. Pour les autres écrits de Pierre de Ceffons jadis conservés à Clairvaux, v. A. Vernet
et J.-F. Genest, La bibliothèque de l'abbaye de Clairvaux du XIIe au XVIIIe siècle, t. I,
Paris, 1979, p. 160-161 et 885.
6. Troyes, Bibl. mun. 62, f. 68rb-70ra. Description matérielle du ms. dans le Catalogue
des manuscrits... (datés), t. 5 , Paris, 1965, p. 613 (mais la conjecture selon laquelle il s'agi-
rait d'un autographe nous paraît totalement exclue par la note du copiste à la fin du livre III,
f. 206 : « Vinum scriptori debetur de meliori ») .
7. Utrum sequatur : Deus revelavit angelo bono quod salvabitur, igitur salvabitur (f. 121ra-
121va). Utrum Deus potuerit revelare angelo suam culpam antequam rueret (f. 121va-121vb).
Utrum sequatur : Deus revelavit angelo quod perpetuo erit beatus, igitur oppositum non
potest facere de potencia sua ordinata (f. 121vb- 122va).
8. << Idcirco dicunt aliqui quod Deus potest aliquem decipere , sed nec illud admittitur
communiter. » (Troyes, Bibl. mun. 62, f. 69vb).
9. << Ideo pro illa opinione (scil . Augustini) arguo et non fingam soluciones ad raciones
istas, ne forsan nimis videar favere opinioni adverse, que nunc non esset in hoc studio grata ».
(f. 69rb).
10. F. 122va.
11. En voici trois exemples, tirés du livre II et relatifs à d'autres thèses condamnées :
1) << Hoc recito , quia non audeo exprimere omnia que concipio et timeo istos benedictos
articulos in tanta multitudine condempnatos. Si igitur non sit aliquis articulus, et non displi-
ceat superioribus, posset aliqualiter sustineri quod Deus, de sua potentia absoluta, potest
revelare dampnacionem Sorti. » (f. 121vb) . 2) « Dico ergo tenendo sicut communiter in hoc
studio tenetur in hiis diebus, quod (angeli) non fuerunt necessitati ad peccandum...Nam est
articulus : Quod angelus nunquam habuit unde stare posset, [ error] . » (f. 122ra). On notera
au passage qu'il s'agit là d'un articulus posterior omis par Hugolin d'Orvieto. 3 ) « Fortassis
hoc diceret ille antiquus doctor, qui dixit quod quantum est ex parte Dei, ipse posset facere
de corrupta virginem . Istud tamen non tenetur Parisius. » (f. 122va) . Cette dernière allusion
est la plus ancienne référence connue à l'article de praeteritione rei, qui ne figure pas, non
plus, dans la liste d'Hugolin , et dont seul André de Neufchâteau nous a conservé la teneur
(v. la note 21 ) .
12. F. Stegmüller, « Die zwei Apologien des Jean de Mirecourt » , dans Recherches de théol.
anc. et médiév. , t . 5 ( 1933) , p . 40-78 , 192-204 . G. Tessier, Jean de Mirecourt, extr. de
l'Hist. littér. de la France, t. 40, Paris, 1966 , p . 36-46.
13. F. Ehrle , I più antichi statuti della Facoltà Teologica dell'Università di Bologna,
Bologne, 1932, p. 66-73. La liste éditée par Ehrle est pour l'essentiel conforme à celle
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 209
cum intentione fallendi, debet intelligi de intentione deordinata fallendi, qualis in Deo
esse non potest. » (Grégoire de Rimini, loc. cit. , f. 166ra).
28. << Secundo potest dici quod accipiendo sic mendacium, videlicet pro falsa significatione
[cum intentione] fallendi precise sine pluri, consequens non est falsum loquendo de Dei
potentia absoluta, sed de ordinata tantum ; et sic intelligende dicerentur omnes auctoritates
Apostoli et Augustini. » (ibid. ).
29. « Si vero nulla predictarum viarum placeat, inveniatur alia melior. Et si invenire quis
non possit, potius judico confitendum esse ignorantiam, quam precipitandum se in tam
horrendam auribus fidelium sententiam, qualis est si dicatur Deum posse mentiri, aut dicere
falsum , aut decipere, cum omnis scriptura catholica canonis et sanctorum clamet oppositum »
(loc. cit. , f. 168ra).
30. Alphonse Vargas de Tolède, In Ium Sententiarum, dist. 42-44 , art. 2. Ed. de Venise,
1490 ; réimpr. anast., 1952, col. 636-637 , 641-644 .
31. Cf. supra, note 19.
32. Le nom de « Johannes Scotus » apparaît dans la lectura de Grégoire de Rimini au 1. II,
dist. 7 , q. 3 et 4 (éd. cit. , f. 57ra, « quidam socius » ; f. 64ra, « quidam valens bachalarius
mecum in lectura concurrens », etc.; éd . D. Trapp, t. 5 , Berlin - New-York, 1979, p. 121 , 162),
et dans celle d'Alphonse Vargas (col. 615) . Ce bachelier – Jean de Rate – devait faire une
brillante carrière (v. D.E.R. Watt, A Biographical Dictionary of Scottish Graduates to
A.D. 1410, Oxford , 1977 , p . 465-466 , et l'article de W. J. Courtenay et K. Tachau cité
plus haut, p. 55).
33. L'existence de cette détermination a déjà été notée par P. Glorieux , « Jean de Falisca.
La formation d'un maître en théologie au XIVe s. » , Archives d'hist. doctr. et litt. du
Moyen Age, t. 33 (1966) , p. 52-53 . Le texte s'en trouve dans le ms. lat. 16408 de la Bibl. nat.
de Paris, f. 194v- 195v : « Magister Johannes Scotus determinavit de illa materia, Utrum Deus
possit decipere aliquem. Probata sua conclusione quod non, quia nullis dictis Dei non aliunde
notis haberemus assentire indubitanter, removit duas soluciones... Una esset quod... dato
quod possit fallere, nunquam est ita quod fallet... Alia solucio est hec, quod potest de
potencia absoluta, non ordinata ... Secunda conclusio fuit quod de facto non decipit... >>
Pour l'attribution de ce cahier à Etienne Gaudet, v. Z. Kaluza, Thomas de Cracovie, Wroclaw,
1978, p. 84-94.
34. W.J. Courtenay, « John of Mirecourt and Gregory of Rimini on Whether God Can
Undo the Past » , II , Recherches de théol, anc. et médiév. , t. 40 (1973), p. 163.
35. A la fin de sa question, Pierre de Ceffons note en effet : « Advertendum eciam quod
ad illam auctoritatem : Seduxisti me, Domine, etc. , posset dici aliter... quod verba illa non
fuerunt Jeremie in persona sua, sed in persona Psassur, ...qui Psassur fuit falsus propheta... >
(Troyes, Bibl. mun. 62, f. 70ra). Cette exégèse de Jer. XX, 7, que Holcot récuse comme
aberrante, était l'invention d'un de ses socii, en qui H. Schepers a reconnu le franciscain
William Chitterne. Cf. Robert Holcot, In IIIum Sent. , q. 1 , art. 8 (éd. de Lyon, 1518,
fol . n . iii-iiii ) , et H. Schepers, « Holcot contra dicta Crathorn » , I, Philosophisches Jahrbuch,
t. 77 (1970) , p. 342. Pierre de Ceffons avait donc sous les yeux le livre de Holcot.
36. Sur l'identité de ce personnage, à qui il faut restituer les Questions contenues dans
le ms. 505 de la Bibl. mun. de Troyes, f. 84-109v (ancien Clairvaux L 29) , v. W.J. Courtenay,
<< The ' Sentences '-Commentary of Stukle » , Traditio, t. 34 (1978) , p. 435-438. L'argument
de Stuklee : « ex nulla lege obligatur non fallere brutum, quia tunc fallens brutum volens
invidere peccaret » (Troyes, Bibl. mun. 505 , f. 103ra) a très vraisemblablement inspiré à
Pierre de Ceffons ses développements sur les ruses des chasseurs : « Quod autem decipere et
decipi possit esse sine peccato, patet, quia justus homo potest scienter decipere serpentem >>
etc. (Troyes, Bibl. mun. 62, f. 68rb-68va).
37. « Qui vellet glosare Augustinum diceret quod Augustinus non negare intendit quin
Deus possit aliqua facere ex quo sequitur quod tu decipieris et credes falsum ... Sed ista
responsio non videtur mihi scientifica, nec videtur bene salvare totaliter mentem Augustini.
Ideo brevius diceretur quod Augustinus fuit illius opinionis, et oppositum tamen aliquorum
dictorum Augustini est probabile. » (Troyes, Bibl. mun. 62, f. 69ra).
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 211
50. Cf. In Jum Sent. , q. 1 , ad 5um principale : « Non habendo respectum ad auctoritatem
(Anselmi), sed ponderando propositionem que infertur pro inconvenienti, videlicet quod homo
posset mereri per fidem falsam, concedo eam. Homo enim volendo credere certam proposi-
tionem, que precipitur esse credenda et est falsa, potest mereri ; nec pertinet ad meritum
fidei utrum sit vera an falsa, sed hoc per se pertinet ad rationem meriti fidei, quod volun-
tarie credatur sicut Deus vult credi. Posse autem Deum precipere aliquod falsum credi, non
est dubium. Similiter de facto videtur quod Abraam crediderit filium suum interficiendum
et se filium interfecturum. » (éd. cit. , fol. h, col. 2).
51. « Si potuit dicere falsum, potuit eciam per prophetas et majores Ecclesie, et adhuc
potest per majores Ecclesie, ad quos spectat determinare quid spectat ad fidem, dicere
falsum. Et per consequens licitum poterit esse cuilibet dubitare de omni determinacione
Ecclesie et dicto Scripture... Sed ad hanc confirmacionem dicerent alii de alia opinione
quod non oportet illud quod isti inferunt. Nam, esto quod Deus dixisset falsum in uno,
non sequitur quod nihil auctoritatis maneat etc. » (f. 69ra).
52. << Cum eciam dicitur quod Deus posset obligare ad credendum contradictoria...diceret
tibi ulterius : Non efficaciter improbas consequens. Nam multi dicunt quod Deus potest
obligare creaturam suam, si ei placeat, ad impossibile illi creature, quia si sua est creatura,
unde, sicut figulus habet vas ei subjectum, sic Deus creaturam suam... Et sicut tu potes
quodammodo obligare equum tuum ad impossibile, ... quod si equus non faciat, tu verbe-
rabis equum, aut occides eum sine hoc quod pecces in equum, aut sine hoc quod figulus
peccet in vas suum, sic adhuc plus, dicerent aliqui, de Deo. » (f. 69rb).
53. « ...Multi dixerunt quod esto quod Deus posset dicere falsum, non tamen qualiter-
cumque posset ea asserere vel precipere etc. , nec omne falsum posset Deus asserere, licet
aliquod et aliquod non ; et assignaretur racio de uno que assignaretur de alio. » (ibid.).
54. Pierre d'Ailly , In Ium Sent. , q. 12, art. 3 , dubitatio 3a, Utrum Deus possit rationali
creature falsitatem dicere vel eam decipere, ad rationes alterius opinionis : « Concesso quod
homo non possit teneri ad impossibile et quod non possit ambobus contradictoriis assentire,
consequenter dicendum est quod Deus non posset illud preceptum dare, ut patet, etc.;
ideo ratio non valet. » (Ed. de Strasbourg, 1490, JJ, in fine).
55. « ... Dicerent quod Deo est credendum, quia esto quod possit asserere falsum, quia
tamen de facto non asseret, nec obligabit nos ad credendum falsum, ideo sibi creditur, et
maxime quia in hiis que sunt fidei non vult dicere falsum ; ideo etc. Unde et multocies credo
firmiter homini de quo scio quod potest dicere falsum, sed tamen quia consuevit esse
verax, quando dicit mihi aliquid, statim assencio sibi. » (f. 68vb).
56. A propos de l'argument : « tunc Deus non esset credendus » : « Et adverte quod
diceret adversarius quod illud argumentum modicum convincit. Nam si convinceret, conclu-
deret quod omne revelatum a Deo necessario eveniet ; quia, dicit adversarius, si Deus dicere
posset falsum, ei non esset credendum, ita dicam tibi : Si resurreccio possit non evenire , non
tamen de facto ita erit. Similiter, esto quod Deus, dicendo quod resurreccio erit, possit me
decipere, non tamen de facto decipiet me. Posset ergo dici quod eque concludunt non posse
non evenire que Deus predixit, sicut Deum non posse astruere falsum. » (f. 68vb).
57. J.-F. Genest, « Le De futuris contingentibus de Thomas Bradwardine » , Recherches
augustiniennes, t. 14 (1979), p. 258-260, 263-265.
58. Robert Holcot, In Ilum Sent., q. 2, art. 8 : « Ad quartum concedo quod modo est
in potestate mea facere sic aliquem mortuum ante centum annos fuisse prophetam. Iste
terminus ' propheta ' est terminus connotativus cujus significatum est aliquid predicens
verum , et planum est quod si de me aliquis predixit aliquid me facturum, cum possum
facere et non facere libere, consequens est quod possum facere eum fuisse prophetam et
non fuisse prophetam , quia possum facere quod ipse dixerit verum aut falsum. » (Éd. cit.,
fol. i. viii, col. 2).
59. Le tableau le plus complet (et la critique la plus mordante) de ces solutions se trouve
au livre III du De causa Dei, chap. 33-49 (éd. H. Savile, Londres, 1618 , p. 758-808).
60. << Ad 15um ... Et idcirco dicerent aliter quidam, aut saltim quondam dixissent, quod
quidquid Christus asseruit aut juravit, necessario eveniet. Sed contra illud potest argui, quia
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 213
tunc, cum dixit Petro : « Ter me negabis » , sequitur quod Petrus non potuit non negare et
sic necessario peccasset Petrus... Et si dicat [ur] , quod quidam videntur dixisse, quod Deus
nihil revelat nisi condicionaliter... ipsos videtur posse argui, quia innuunt, secundum verba
sua, quod Christus sive Deus nunquam aliquod futurum contingens absolute revelavit. Sed
illud videtur esse falsum, quia Deus scit omnia futura contingencia absolute et sicut scit,
ita potest dicere ipse. Et similiter..., videtur quod Christus multa predixit que scribuntur
in Evangelio, et tamen nulla condicio adicitur, sed sine condicione multa predixit. » (f.69vb).
61. Cf. De causa Dei, III , 41 : Recitat diversos modos secundum diversos videndi in Verbo
(p. 783-785).
62. « Et propter hoc est alius modus dicendi illorum qui tenent quod preteritum non
potest non fuisse preteritum, quod Deum revelasse Antichristum esse futurum dependet
de futuro . Unde solitum est dicere quod omnia futura contingencia cognovit Deus ab
eterno esse futura eo modo quo sunt futura. Et sic, quando aliquis in Verbo videt aliqua
esse futura..., adhuc est contingens an illa futura sint revelata vel visa in Verbo ; immo
stat quod possint non esse visa et quod hec sit possibilis : Talia non sunt visa. Eodem modo
diceretur quod si Deus juret ac promittat, contingenter promittit et contingenter jurat.
Sic de beatis diceretur, qui vident in Verbo futura, et maxime de Christo qui fuit Deus et
homo, qui Christus quantum esse ad animam scivit in Verbo futura contingencia et con-
tingenter scivit illa. Sic correspondenter voluit et ea esse futura asseruit. » (f. 69vb). Cf.
Thomas de Buckingham, In Sent. , q. 3 , art. 1 , ad 1um (éd . de Paris, 1505 , fol. f. iiii) .
63. << Sed contra seipsum obicit (unus, scil. Buckingham) quod Christus potuit aliquid
scire per cognicionem in proprio genere, et secundum illam cognicionem voluisse et pronun-
ciasse. Et stat argumentum... Respondet dicendo quod Christus non potuit aliquid asserere
nec velle aliquid nisi per cognicionem quam habuit in Verbo . » (f. 69vb) . Cf. Thomas de
Buckingham, loc. cit. Cette réponse valut à Buckingham d'être accusé par Bradwardine
de mutiler l'humanité du Christ (De causa Dei, III , 45 , p . 790).
64. << Sed adhuc videtur mihi quod illud non evacuat totam difficultatem , quia revelet Deus
Sorti, et non in Verbo, quod Antichristus erit. Tunc Sortes hoc credet. Ponatur quod nun-
quam eveniet : tunc Christus istum decepit. » (f. 69vb).
65. Grégoire de Rimini, éd. cit. , f. 168ra, Ad tertium.
66. Voir supra, note 21.
67. << Si teneatur quod res preterita potest per divinam potentiam non fuisse , diceretur
possibile esse ut Deus nunquam illud dictum vel illud assensum causaverit ... Si hoc vero
non teneatur, [diceretur] sicut aliqui antiqui doctores dixerunt, quod possibile est illud
dictum non fuisse significativum, aut non illius significati quod est A fore, et similiter
assensum alterius non fuisse assensum seu judicium de A fore, sicut etiam dicendum esset
quod judicium quo judico Petro sedentem sedere, si conservaretur in me a Deo postquam
Petrus surrexit, non esset judicium quo judicarem Petrum sedere. » (Grégoire de Rimini,
loc. cit.).
68. Troyes, Bibl. mun. 62 , f. 69vb.
69. << Item Antissiodorensis, 30 suo, q. Utrum fidei possit subesse falsum. (...) Visio
tamem que est fides, visio similiter que est prophecia, et visio creata que videt futura, quia
sunt immediate a prima luce , que est Deus, ideo in hoc assimilantur prime luci, quia sicut
prima lux, eadem visione numero qua videt aliquid futurum, potest videre ejus oppositum,
propter indeterminatam veritatem ipsius, sic visio creata que est a prima luce. » (f. 69vb).
Cf. Guillaume d'Auxerre, Summa aurea, lib. III , tract. III , cap. 2 , q. 3 (éd. de Paris, 1500,
f. CXXXV v) .
70. << Dicunt eciam quidam quod noticia intuitiva potest esse, et non esse noticia illius
cujus prius fuit. Unde quidam magister hujus studii tenens quod nullus potest a Deo decipi
arguit contra se ; postea solvit . Arguit enim sic : « Deus potest immediate causare in aliquo
noticiam veram de aliquo contingenti complexo ; ergo potest in eo causare errorem... Verbi
gracia, si Deus revelaret alicui quod papa sedet et causaret in eo assensum quo ita crederet et
assentiret, si papa surgente illum continuet, sicut potest, assensus qui fuit veredicus fiet
error ; igitur Deus continuando illum errorem decipiet eum in quo fuit assensus. » Et hoc
214 J.-F. GENEST
Francis RUELLO
divine n'est pas la béatitude formelle de la créature » . Cette formule est rappor-
tée par Jean de Ripa lui-même dans ses Determinationes et elle est attribuée à
son maître , le franciscain Ascensius de Sainte Colombe . Celui-ci va même jusqu'à
soutenir que si l'on rejette cette thèse , on est <« hérétique » . Il s'agit pour lui
d'une << vérité de la foi catholique » et il en est persuadé à ce point qu'il assure
pouvoir le justifier d'une façon indubitable (inconcusse probare), en suivant,
dit-il, les voies que l'on emprunte habituellement pour établir les vérités de
cette sorte . Ces voies sont au nombre de dix : autorités de l'Écriture canonique ,
déterminations de l'Église , articles de foi, tradition commune de l'Église , rejet
explicite par décret de ceux qui soutiennent l'opinion opposée , docteurs authen-
tiques de l'Église , raisons fondées sur ce qu'ils ont dit et sur ce qu'ont dit d'autres
docteurs authentiques, approbation de l'école commune, raisons personnelles
efficaces et , si lui-même Ascensius était saint, confirmation par des miracles11 .
L'évocation de l'école commune qui ratifie sa propre thèse montre à l'évidence
que la thèse ripienne n'est pas celle de cette école et des maîtres qui la compo-
sent ; elle professe et ils admettent que l'essence divine n'est pas la similitude
(ou la species) de son être propre pour la créature , que cette similitude est en
revanche sola forma creata » 12. Jean de Ripa rend à son lecteur l'immense
service de transcrire l'argumentation de ce maître de l'école commune : il expose
ses << raisons » 13 , les autorités scripturaires qu'il évoque 14 , celles qu'il cite selon
l'interprétation d'Augustin 15 , certains textes de celui-ci16 , d'Ambroise et de
Grégoire 17. Nous sommes ainsi renseignés sur la thèse fondamentale de l'école
commune en la matière et sur son argumentation .
Mais de celle -ci on peut également se faire une idée par la manière dont
Jean de Ripa procède dans les objections qu'il formule contre ses propres thèses
de possibili18 . Si ces objections ne sont pas textuellement empruntées à des
théologiens de l'école - nulle part Jean de Ripa ne dit qu'il cite - leur pertinence
dialectique suppose leur conformité à l'esprit de l'école elle-même . Il est aisé
de voir que Jean de Ripa pense constamment aux théologiens de l'école commune
dans l'ensemble de son Prologue 19. On peut même avancer l'idée que selon lui
les théologiens parisiens, ses contemporains, s'entendraient avec Pierre Lombard ,
auquel il entend personnellement rester fidèle , s'ils distinguaient l'information
de l'immutation , une même forme , fût-elle divine , pouvant immuter une puis-
sance, c'est-à -dire lui être unie intentionnellement à titre d'objet, sans l'informer,
c'est-à -dire sans lui communiquer son être20. Il s'agit là d'une vérité absolument
première en théologie et en philosophie , au moins aristotélicienne21 .
L'école commune des théologiens parisiens rejette en réalité deux façons
de concevoir le rôle de l'essence divine dans la glorification de l'esprit créé et
donc dans sa béatitude . On peut, en effet, imaginer d'abord que seule l'essence
divine est cette béatitude . La première question du Prologue : « Utrum divi-
na essentia possit esse de immensa natura intellectui creato notitia theologia
beatifica >> 22 ne concerne que l'essence divine . Elle aurait pu être ainsi posée :
<«< Utrum sola divina essentia ... ». C'est la raison pour laquelle Jean de Ripa
par la suite demande : « Utrum sola divina essentia possit esse intellectui creato
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 217
notitia theologica beatifica » 23 , « Utrum sola divina essentia sit omnium relucen-
tium verorum in ipsa intellectui beato formalis notitia » 24. On trouve donc dans
le texte de Jean de Ripa de tels énoncés de «< conclusions » : « < Seule l'essence
divine peut être dans la patrie lumière formelle béatifique de l'intellect créé » 25 ,
<< Seule l'essence divine peut être dans la patrie lumière formelle qui élève
l'intellect de façon suffisante pour qu'il puisse accéder à l'inaccessible visibilité
divine »26. L'essence divine seule , c'est-à-dire à l'exclusion de toute autre forme
- c'est-à-dire de toute forme créée - peut donc être la béatitude formelle de
l'intellect bienheureux .
C'est une première manière d'expliquer la glorification de l'esprit. Mais
l'on peut dire également que si « l'essence divine seule peut être dans la patrie
lumière formelle élevant l'intellect de façon suffisante pour qu'il puisse accéder
à l'inaccessible visibilité divine », il peut toutefois exister une lumière surnaturelle
autre que l'essence divine disposant la mémoire créée à l'inaccessible vision
divine ou à la gloire27 , de telle sorte que l'essence divine est à titre principal
la béatitude formelle de la créature à titre instrumental28 .
C'est une seconde manière d'expliquer la glorification de l'esprit ; Jean de Ripa
s'attache à faire apparaître combien elle est fondée en raison . En fait, elle ratta-
che le concept de béatitude formelle à l'essence divine agissant seule à titre
principal et, non moins que la précédente , elle ne peut satisfaire l'école commune
selon laquelle et d'après les termes d'Ascensius « l'essence divine n'est pas
la béatitude formelle de la créature , car l'espèce de l'essence divine ou la raison
de la voir est seulement une forme créée »29, selon laquelle « la récompense
formelle béatifique est une essence créée » 30. Il y a donc une opposition com-
plète entre Jean de Ripa et Ascensius de Sainte Colombe , en un sens porte-parole
de l'école commune .
On disait au début qu'à cette théologie de la glorification correspondait
une théologie de la sanctification . En l'une comme en l'autre , apparaissent donc
des divergences entre Jean de Ripa et l'école commune . Le parallélisme de ces
théologies est mis en évidence dès le Prologue . Afin de montrer que toute qualité
qui est une opération vitale peut être dans un rapport d'immutation avec sa puis-
sance vitale sans être aucunement avec elle dans un rapport d'information ,
Jean de Ripa explique d'une façon générale qu'en une quelconque puissance
vitale créée le pouvoir d'être informé ( informabilitas) n'est pas identique à celui
d'être perçu (perceptibilitas) et que ces deux pouvoirs ne sont pas ordonnés
l'un à l'autre : ainsi le premier rapport peut-il exister sans le second et récipro-
quement. Il ajoute : « L'essence divine est perception vitale habituelle pour
une volonté créée , sans être pour elle de quelque manière que ce soit déité ,
entité formelle par communication de son être a fortiori, cela est-il possible
de n'importe quelle qualité créée qui est perception habituelle de ce dont elle
n'est pas l'entité par communication d'être >> .
Selon Augustin, en effet, et cela prouve l'antécédent de l'argument
l'Esprit Saint est la charité de la créature dans sa sanctification³1 ; à l'exception
de l'humanité assumée par le Verbe , il n'est donc pour aucune créature déité par
218 F. RUELLO
l'imputabilité en vue de la récompense 65. D'autre part pour toute volonté créée
le don de la charité créée infuse peut-il être un don surnaturel66 et l'agir de
la volonté créée peut-il recevoir de ce seul don l'imputabilité intrinsèque en vue
de la récompense ? »67.
C'est au quatrième article que Jean de Ripa en vient à s'interroger sur
ce que peut être l'attitude du théologien envers les trois thèses que l'on vient
d'exposer. Il précise auparavant que la question de cet article est exactement
celle-ci : « Le don surnaturel de la charité créée est-il pour la volonté principe
formel suffisant de sa gratification intrinsèque » et il rappelle que la dignité
intrinsèque du mérite par rapport à la récompense exige qu'il existe entre eux
une certaine égalité de justice commutative , de telle sorte que la vérité corres-
pond à la récompense 68. Il énonce enfin quatre conclusions selon lesquelles
1) si l'on se donne une béatitude formelle incréée - qu'elle soit ou non conférée
de fait à la créature , seul le don incréé peut être par rapport à elle principe
formel suffisant de la gratification ; 2) à chaque béatitude formelle créée peut
correspondre un don créé, principe formel suffisant par rapport à sa gratifi-
cation ; 3) le don de la charité créée est maintenant principe formel suffisant de
la gratification en vue de quelque récompense béatifique ; 4) à chaque volonté
bienheureuse , à laquelle correspond le don de la charité créée , correspond
une béatitude formelle créée , comme récompense tout à fait proportionnée
au mérite69.
Ces deux dernières conclusions sont évidemment dans la ligne des convic-
tions de l'école commune et en les justifiant Jean de Ripa les conforte ainsi
qu'il le promettait dans le court prologue de la distinction XVII question 270 ,
C'est à la suite de ces quatre conclusions qu'il réaffirme le parallélisme des
théologies de la sanctification et de la glorification : « Qui suppose le seul don
incréé gratifiant intrinsèquement la volonté créée au plan du mérite , doit en
conséquence supposer la seule récompense incréée , au plan de la récompense
formelle ; qui suppose l'un et l'autre don (incréé et créé) gratifiant intrinsè-
quement la volonté , doit, de façon correspondante , supposer une béatitude
incréée et créée , au plan de la récompense ; enfin qui suppose le seul don créé
doit , de façon correspondante , supposer la seule récompense créée , comme
récompense formelle . »71 .
Que penser de ces trois théologies de la sanctification ? « Je ne sais, dit
Jean de Ripa, quelle est la plus vraie , car chacune est possible . » Il a manifes-
tement établi cette possibilité . Mais , ajoute-t-il « la première ne m'apparaît pas
probable » . Il en donne la raison elle rend compte de la suffisante élévation
de la créature dans l'ordre de l'immutation vitale , mais il n'en est pas ainsi dans
l'ordre de l'information qui est cependant une perfection de la nature intellec-
tuelle . Jean de Ripa se souvient aussi de sa théologie de la glorification , parti-
culièrement de ce qu'il conclut sur la possibilité absolue qu'il existe pour une
même puissance deux récompenses béatifiques de raisons différentes tout en
étant récompenses formelles de cette puissance72 . Ainsi , de même qu'il n'est
pas << probable » - bien qu'il soit « possible » - que seule l'essence divine soit
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 223
connaissance théologique béatifique de l'intellect créé73 , il n'est pas << probable >>
- bien qu'il soit « possible » - que seule la charité incréée gratifie l'esprit en vue
de la béatitude. La seconde thèse lui paraît, en revanche , « probable et très
conforme à l'enseignement des Saints qui reconnaissent l'intervention des dons
créé et incréé » dans la sanctification , et qui dès lors reconnaissent une double
béatitude créée et incréée74 . La troisième thèse enfin lui paraît «< probable >> ;
elle est << la plus reçue chez les théologiens » . Pour prévenir toute compréhension
défectueuse des deux premières thèses , Jean de Ripa demande que l'on se sou-
vienne de la distinction qu'il a établie dans son Prologue et plusieurs fois rappelée
dans sa longue étude des diverses façons d'expliquer la sanctification : qu'il
s'agisse de la gratification ou de la glorification , l'essence divine ne communique
pas son être incréé, ne devient pas forme informative ; elle est exclusivement
forme immutative. Jean de Ripa rappelle donc sa distinction fondamentale entre
forme informative et forme immutative , une forme immutative pouvant ne pas
être une forme informative . Si l'on ne rejette pas cette précision , chacune des
thèses << potest satis rationaliter defensari » 75. Cette dernière remarque vise
le caractère rationnel des deux premières thèses et principalement celui de la
première que l'on attaquait alors et que l'on rejetait habituellement. Tradition-
nellement, on écartait en effet cette opinion de Pierre Lombard << quod charitas
qua Deum et proximum diligimus est Spiritus Sanctus vel quod charitas quae
est amor Dei et proximi non est aliquid creatum » . Extraite des Sentences , cette
thèse n'était pas admise dans l'ordre franciscain , si l'on en juge par les prises
de position de Bonaventure 76. Jean Duns Scot, il est vrai , se montrait rela-
tivement plus accueillant dans son Ordinatio77 et sa Lectura78 où il évoque
les attaques dirigées contre Pierre Lombard soupçonné de pélagianisme par
Richard de Mediavilla. L'opinion du Maître des Sentences, écrit celui -ci << modo
a magistris communiter non tenetur, quia rationabilis non est, et videtur appro-
pinquare errori Pelagii »79. Plus près de Jean de Ripa, Grégoire de Rimini scrute
la thèse de Lombard selon lequel non seulement les dons de l'Esprit Saint sont
dispensés, mais l'Esprit Saint lui-même est donné. Il formule quatre conclusions :
1) la personne de l'Esprit Saint est donnée elle -même et non seulement ses dons ;
2) lorsque le Saint-Esprit est donné , l'est également l'un de ses dons , à savoir
la grâce sanctifiante (gratia gratum faciens) ; de même , quand celle -ci est donnée ,
le Saint-Esprit l'est également ; 3) il est possible que l'Esprit Saint soit donné ,
sans que ses dons le soient, c'est-à-dire sans que soit octroyé un don créé ;
4) à l'inverse , il est possible que les dons de l'Esprit Saint soient accordés sans
que l'Esprit Saint soit donné . Grégoire ne présente ses deux dernières conclusions
que dans l'hypothèse de la puissance absolue de Dieu80 , car, dit-il, il n'y a pas
identité essentielle entre le don de l'Esprit Saint et tout autre don et l'Esprit
Saint n'inclut pas essentiellement le don créé81 . Mais selon Pierre Lombard,
l'Esprit Saint est la charité par laquelle nous produisons immédiatement un acte
d'amour méritoire sans le concours d'un habitus infus de charité créée . Cela
est-il possible ? Grégoire répond en se plaçant d'abord au point de vue de la puis-
sance absolue de Dieu, puis de la puissance ordonnée que nous connaissons ,
224 F. RUELLO
voulait s'appuyer sur des raisons philosophiques ou spéculatives , sur les dévelop-
pements doctrinaux de nombreux Saints et principalement d'Augustin , on
tiendrait pour plus probable que l'essence divine est dans la patrie , pour la créa-
ture raisonnable , connaissance théologique formelle et béatifique de sa propre
nature et des vrais qui brillent en elle , ainsi qu'on l'a montré dans les troisième
et quatrième questions du Prologue . »96 .
Grégoire de Rimini fait état d'une opinion << satis moderna quae tenuit
quod visio beatifica qua creatura videt Deum non est visio creata sed increata,
scilicet Deus ipse qui videtur » 97. Il l'énonce à propos de cette conclusion :
<< L'intellect perçoit n'importe quelle chose hors de lui d'une intellection essen-
tiellement distincte de lui » 98 , ce qui signifie d'une part que l'intellect connaît
n'importe quelle chose existant hors de lui d'une intellection essentiellement
distincte de lui-même 99 , d'autre part qu'il connaît n'importe quelle chose
existant hors de lui d'une intellection distincte de ce qu'il connaît 100. Cette
opinion << satis moderna » s'oppose à cette seconde partie de la conclusion et
Grégoire rapporte les trois arguments sur lesquels elle se fonde 101 et il les attaque
longuement102 . L'idée d'une vision béatifique incréée s'inscrit directement
contre la thèse selon laquelle l'essence divine ne peut être connaissance formelle
pour l'intellect de la créature 103. Jean de Ripa fait donc mention des critiques
de cette thèse par Grégoire 104 et de celles que lui adresse un certain docteur
lors de ses Vespéries 105 , pour les critiquer à son tour106 , établissant ainsi :
1) qu'il est possible absolument à l'essence divine d'être connaissance formelle
pour n'importe quelle créature intellectuelle , non par information , mais par
immutation vitale 107 ; 2) qu'il lui est possible d'être la connaissance théologique
formelle et béatifique de l'intellect créé108 ; 3) qu'il ne lui est pas possible
d'être connaissance formelle de l'intellect créé qu'elle immute vitalement , sans
qu'elle le soit selon la plénitude de l'actuation vitale , mais non pas au même
degré 109 ; 4) qu'il ne lui est pas possible de suppléer en propriété l'actuation
formelle immutative de quelque forme créée110 .
Tel est , semble-t-il , le contexte de la Quaestio ultima primae partis Prologi
au cours de laquelle Jean de Ripa confronte sa pensée à celle de l'école commune .
La lecture de cette Quaestio montre clairement que le débat reste ouvert et
d'autant plus ouvert que sur ce problème l'Église et les maîtres n'ont rien défini .
On peut dès lors soutenir «< tute » l'une et l'autre opinion , sans nuire à celle
qu'on ne choisit pas111 . Si l'on ne peut apporter que des arguments probables
à l'appui de l'école commune , on ne peut donc rien affirmer : « Hec vero sint
dicta ... solum probabiliter ista ponendo et sine assertione sobrie sapiendo » .
Mais les thèses que l'école commune rejette , si elles sont « plus probables »> ,
ne relèvent elles-mêmes que de la probabilité . Chaque thèse n'a de vérité que
celle de sa probabilité ou de sa plus grande probabilité . Chaque thèse est possi-
ble . Les seules vérités incontestables les concernant portent : 1) sur la connexion
nécessaire des théologies de la sanctification et de la béatitude : si dans la sancti-
fication, Dieu se rend présent à l'esprit en son essence et le gratifie intrinsè-
quement par immutation vitale , à plus forte raison le fait-il dans la récompense.
15
226 F. RUELLO
NOTES
1. Jean de Ripa, Lectura super primum Sententiarum Prologi quaestiones I et II. Edition
critique par Mgr André Combes (Textes philosophiques du Moyen Age, VIII) , Paris, 1961 ,
433 p. Lectura super primum Sententiarum Prologi quaestiones ultimae. Edition critique
par Mgr André Combes avec la collaboration de Francis Ruello (Textes philosophiques du
Moyen Age, XVI) , Paris, 1970, 472 p . - Je désigne les deux tomes de cet ouvrage selon le
numéro d'ordre : I ou II , suivi de l'indication de la page et de la ligne. –- Lectura super
primum sententiarum : I Sent. , dist. 14-17 ; Paris, Bibl. nat. , lat. 15369, fol. 216c-237d ;
texte transcrit par Mgr Combes, mais revu sur les manuscrits : Rome, Vatican latin 1082,
fol. 61-78 ; 6761 , fol . 154v- 177 ; Assise , Bibl. d'Etat 156 , fol. 167v-200v ; Casale Monferrato ,
Sem. episc. I B. 3. , fol . 122 v- 138 v ; Florence , Bibl . nat . , B 1.996 , fol. 188 v-210v ; Padoue,
Antoniana 190 , fol. 154-177 ; Cracovie, Bibl. Jagellon 793, fol. illisible. Conclusiones
publiées par Mgr André Combes (Études de philosophie médiévale, XLIV) , Paris, 1957,
318 p. Je les désigne par Concl. suivi de la page et de la ligne. Determinationes, Texte
critique avec introduction, notes et tables publié par Mgr André Combes (Textes philoso-
phiques du Moyen Age, IV) , Paris, 1957 , 463 p. - Je les désigne par la lettre D suivie de
la page et des lignes. - · La Lectura date de 1354-1355 ; les Determinationes de 1358-1359.
2. I, 9-305.
3. II, 29-219.
4. II, 221-275.
5. II, 277-321 .
6. II, 329, 2-3.
7. II, 335 , 2-3.
8. II, 340, 2-3.
9. II, 347 , 2-3.
10. II, 350 , 100-1.
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 227
91. Art. 4.
92. II, 350, 100-1.
93. II, 326, 93 - 327, 96.
94. II, 327, 97-98.
95. II, 320, 29-32 ; 340 , 5-6 ; 341 , 55-56 ; 347, 5-6 ; 348, 44-45 ; 349, 63-65.
96. II, 326, 89-93.
97. II Sent. , dist. 7, q. 2, art. 1 ; fol. 55Q.
98. Ibid. ; fol. 54N.
99. Ibid.
100. Ibid. ; fol. 55H.
101. Ibid. ; fol. 55Q- 56 B.
102. Ibid. , 56F N.
103. I, 289, 48 - 290, 51.
104. I, 290, 52-295 , 75.
105. I, 295 , 76 - 297, 25.
106. I , 297 , 26 - 302, 25.
107. I, 264, 16 - 265, 20. L'intellection ne suppose donc pas toujours l'information , comme
Grégoire de Rimini le laisse entendre II Sent. , dist. 7, q . 2, art. 1 ; fol. 55M N.
108. I, 272, 61-63.
109. I, 272, 67 - 273, 77.
110. I, 273 , 78-79.
111. II, 38 , 27-35 ; 350, 99-6.
112. Ibid.
113. II , 37, apparat d'après les manuscrits d'Assise (R) et Sarnano (S) ; 216 , 20 - 218 , 72.
114. I Sent. , dist. 17, q. 1 , art. 4 ; fol. 237b c.
¦
1
1
1
ETIENNE GAUDET
Zénon KALUZA
souhaitable de distinguer entre une oeuvre originale et une note prise pendant
la lecture , lorsque cette même note devient à son tour une page de l'oeuvre que
l'on aimerait appeller originale ? Ces notes , extraits , copies , etc. , ramassés par
Gaudet tout au long de ses études théologiques , donc jusqu'à son obtention
du doctorat , attestent de solides lectures des auteurs anglais et continentaux
en vue d'une future rédaction d'une question ou d'un commentaire4 .
Si, enfin, il fallait absolument indiquer la part qui est la sienne , l'on
énumérerait alors deux commentaires bibliques , l'un sur le Livre de Job, l'autre
sur la Genèse - tous deux inachevés - ; un nombre impressionnant de sermons ;
les Responsiones, c'est-à-dire les questions qu'il a discutées en tant que bachelier
formé ; les textes sur le grand schisme que l'on sait et le Commentaire sur
les Sentences. Ce dernier seulement va nous occuper désormais .
II
Quartum dubium : An fides sit dubitabilis vel infallibilis (f. 160r- 162v) ;
(Quintum dubium) : An Deus decipere potuit aut alium decipit (f. 170/
171r- 177r)6.
Notons enfin qu'il existe encore un autre texte touchant la même problé-
matique et dépendant directement de la materia de fide du Prologue . Il s'agit
d'une des sept Responsiones, précisément la troisième , discutée à la Sorbonne.
Son sujet est identique à celui de la deuxième question citée auparavant : « Utrum
expediat catholico viatori adducere rationes probabiles ad ea quae sunt fidei >>
(ms. Bibl. nat., lat. 16535 , f. 135r). J'en parlerai au moment opportun.
III
Dès que l'on veut étudier le texte lui-même , il est naturel de s'interroger
sur son état rédactionnel, la clarté de son exposé , les sources d'inspiration de
son auteur, son originalité, etc. Le cas dont il s'agit ici est à la fois simple et
compliqué. Il est simple , car c'est une chose relativement facile que de répondre
à la plupart de ces interrogations . Mais cette simplicité même rend difficile et
complique l'examen de la doctrine par l'impossibilité de distinguer nettement
la part propre de celui qu'on appelle « auteur » et ses emprunts . Non que les
sources se soient perdues, ni que l'historien soit incapable de les indiquer avec
assez de précision , mais parce que, sur le plan du texte , cette part originale n'est
que difficilement perceptible .
En reprenant le premier des trois points énumérés, remarquons tout
d'abord que le texte du Prologue de Gaudet et, en particulier, celui de la materia
de fide, n'est pas achevé. Nous en avons la matière brute , encore mal structurée
et demandant beaucoup de finitions. D'ailleurs, la dernière question finit par
une suite d'extraits non intégrés dans un corps d'article7 . Dans ces conditions ,
nous sommes obligés de nous poser la question de la cohérence et, d'abord ,
de la structure intérieure de nos textes . Notre deuxième remarque est donc
la suivante ces textes sont composés de deux manières, soit par opposition
de deux modèles copiés, comme c'est le cas pour la première question et pour
la quatrième , soit par leur juxtaposition , dans la troisième question9 . Les ques-
tions 2 et 5 ne sont que de simples copies. La cohérence qu'on aimerait découvrir
dans ces questions ne saurait être plus grande que celle entre des textes copiés
ou juxtaposés.
Tout cela suggère bien évidement que les questions de Gaudet ne sont pas
originales du tout. De fait, elles ne le sont point. Cette dernière remarque res-
semblant à une accusation, elle exige une vérification . Il manque dans ce texte
autographe des corrections d'auteur (comme on en peut voir dans les questions
sur le grand schisme par exemple ) ; on y découvre des omissions , comme par
exemple au f. 156r, où par un fâcheux homeoteleuton Gaudet a oublié de
copier la fin de la troisième conclusion et le début de la quatrième ; on y trouve
des espaces laissés blancs pour pouvoir y insérer plus tard un mot provisoi-
rement illisible . Enfin , des expressions comme haec ille de hoc et des verbes
234 Z. KALUZA
Ce texte prend fin au f. 162v par un haec de illo, suivi par quelques lignes de
ce que Gaudet appelle ici alter modus et qui auparavant (f. 162v) a été dit
modus meus. Une dizaine de lignes en tout.
La dernière question , An Deus decipere potuit, commence par cette
justification :
<< Quia in nono et 10 argumento 4i dubii de fide, quo quaerebatur
utrum esset fallibilis, agebatur an Deus decipere potuit aut alium
decipit et quia modicum de his tangebatur, ideo nunc amplius est
tangendum. Et probatur primo quod fides est fallibilis... »15.
Le texte constitue, aux f. 171r- 173r, une copie relativement fidèle des trois
articles : 6 , 7 et 8 de la q . 1 du Commentaire des Sentences, L. III , de Robert Holcot.
Au f. 173v, sans un mot d'explication , commence le texte de Guillaume de
Salvarvilla : << An quisque fidelis fidei articulis credere teneatur » , suivi d'un
extrait de Thomas Felthorp et d'un autre de Hugolin d'Orvieto 16 .
La materia de fide n'est qu'une composition des textes choisis de Holcot ,
de maître Raymond , de Salvarvilla, de Jean Scot de Rate et d'autres encore .
Guillaume de Salvarvilla, dont Gaudet attaquera plus tard l'ecclésioligie conci-
liariste , est lu et copié indépendamment des circonstances extérieures . Le temps
des violentes polémiques n'est pas encore arrivé . Quant au maître Raymond , il
est copié avant tout en tant qu'adversaire de Holcot . Hélas, pour notre << copiste >» ,
Raymond n'aurait pas répondu à tous les arguments avancés par le dominicain
anglais. Gaudet voit les lacunes , les regrette , pense les combler plus tard :
« ...illa quae desunt in praemissis , potissime in materia de fide, puta
responsiones ad aliqua opposita, in sequentibus foliis poterunt pen-
sari (?), puta ad aliquas rationes Olkot, quia non ad omnes respondet
Raymundus, ut notum est » 17.
Je ne sais point si Gaudet a réussi à contrebalancer les arguments d'Holcot .
Je ne sais rien non plus sur le texte de Raymond ni sur celui de Salvarvilla :
il ne nous en reste que les bribes conservées par Gaudet.
IV
entre les faits relatés par un chroniqueur et les articles de foi. Or, à ce propos
d'aucuns disent que pour y croire il faut que la narratio remplisse trois condi-
tions qu'elle concerne les choses vues, ressenties et éprouvées ou reconnues,
qu'elle parle donc de rebus gestis visis, perceptis et expertis. Mais une narration
historique, ayant ces trois caractères, ne suffira jamais à faire croire aux articles
de foi qui sont de loin moins évidents que les res gestae. D'ailleurs, une telle
narration ne convainc que les convaincus19 .
Dès qu'il s'agit des articles de foi et de leur rationalité , on peut envisager
deux solutions quasiment extrêmes. Selon la première , anonyme , mais rattachée
à l'opinion de Jean de Mirecourt, l'adhésion à un article de foi (par exemple
à la proposition : Deus est trinus et unus) ne se fait pas sans un acte de volonté :
nullus sine imperio voluntatis potest assentire isti20 . La seconde opinion , attri-
buée à Jean de Calore , tente de mesurer le degré de certitude des arguments
apportés à l'appui de la foi . Elle se fonde sur la distinction entre les probationes
artificiosae (syllogismes et autres loci dialectici) et les inartificiosae, et se déve-
loppe en trois conclusions : a) la preuve non codifiée par la logique a moins de
certitude que la preuve codifiée ; b) la première peut se réduire à la deuxième
puisqu'elle peut prendre la forme d'un syllogisme ; c) de telles preuves non
codifiées peuvent être complétées par d'autres éléments d'une nature tout à
fait différente , comme par exemple la sainteté personnelle , les miracles, etc.
Dans ce cas-là , elles sont aussi sûres ou même plus sûres que les preuves par
syllogisme . Les articles de foi prouvés par des arguments ainsi «< réduits, com-
plétés et confortés » sont plus probables que les affirmations qui leur sont
opposées21 .
Entre ces deux opinions «< extrêmes » , il y a une voie moyenne , choisie
par Raymond puis par Gaudet, limitée d'ailleurs à la seule foi en la parole du
Christ et de son Église . L'assentiment à cette parole possède trois caractères :
il est vrai car il se distingue de l'erreur ; il est ferme car il se distingue de l'opinion ;
enfin, il est non évident pour ne pas se laisser confondre avec la démonstration22.
Ces caractères sont aussi ceux de trois conclusions plaçant notre auteur dans
la perspective qui sera celle de Henri Totting de Oyta. Elles soutiennent que
la foi n'est pas contre la raison, ni par-dessus la raison, et qu'elle ne résulte pas
de la raison seule puisqu'à celle-ci s'ajoute le concours de la volonté23 .
Qu'est-ce qui fait donc que la foi a tant de certitude , ou qu'elle est pro-
bable ? Où se trouve le principe de l'assentiment ? La troisième question essaiera
de le découvrir en cherchant du côté de l'autorité , de la capacité humaine , de
l'acte d'adhésion et de sa nature , de l'inspiration interne . Nos textes abordent ce
problème par touches successives et le posent par une conclusion du Respondens
abruptement formulée fides Christi est probabilis24 , qui s'appuie sur trois
raisons. D'abord, on doit croire à quiconque est envoyé par Dieu . Cela est exac-
tement le cas du Christ. La première proposition est confirmée par des raisons
(patet ratione) et la seconde par des signes vus , selon le dire de l'Église . Ensuite ,
la foi chrétienne est probable puisqu'elle n'est ni légère ni déraisonnable : non est
levis aut stulta. Enfin, elle n'est en rien suspecte25 .
ÉTIENNE GAUDET 237
Si donc cette foi est probable puisque non suspecte , si toute loi ordonnant
quelque chose contre la loi naturelle est à rejeter , notre auteur (le Respondens)
en déduit que l'Église actuelle est pour les chrétiens le principe du croire car
c'est à elle qu'aboutit tout raisonnement sur ce principe . Mais si, en revanche ,
on suppose que le mal est présent dans l'Église , ce principe sera alors le révélé
par Dieu26 . Le Respondens soulève ici deux objections concernant les deux
formules. La première si ce principe est objet de foi, il n'est plus principe
car il la suppose ; s'il ne l'est pas, il est douteux et inévident et donc n'engendre
pas la foi. La deuxième si la formule proposée était vraiment le principe ,
elle aurait nécessairement engendré la foi et par là même elle l'aurait exclue .
D'autre part, on ne peut pas soutenir que ce principe est insuffisant car alors
la foi se montre insuffisamment fondée . La réponse à ces objections ne va pas
très loin, l'auteur remarque seulement que nous sommes devant l'autorité pour
soi-même talem auctoritatem esse sui ipsius auctoritatem, comme c'est le cas
de la connaissance et de l'expérience . Cela fait donc une sorte d'acte réfléchi
dont on parle à l'occasion de l'acte de connaître27 . L'objection de Gaudet
est d'une autre nature ; pour des raisons logiques , il voit dans le développement
de Respondens une petitio principii28 .
En définitive le problème reste non résolu . Des deux formules de ce prin-
cipe omne revelatum a Christo et omne traditum ab ecclesia, le Respondens
semble préférer la deuxième . Étienne Gaudet note uniquement que la ques-
tion se prête à une « bonne spéculation » et à une analyse du raisonnement
syllogistique29 .
A cet exposé Gaudet ajoute ses propres considérations . Selon lui , lorsqu'on
regarde le problème du principe du côté de notre acte de croire , on constate
que l'intellect seul ne peut pas constituer un tel principe . Il ne le serait pas
même s'il était accompagné d'un habitus de la foi infuse ou d'un acte de la
volonté , ou des deux à la fois, ou encore s'il était accompagné des deux , à la fois ,
d'une raison probable et d'un savoir (eruditio). Mais l'intellect avec la volonté ,
avec une raison probable , avec une foi acquise et coutumière (consuetudinaria)
est un bon principe d'adhésion et donc peut engendrer un ferme assentiment .
La force de la seule coutume est démontrée par les lois engendrant un assenti-
ment plus fort même que celui des premiers principes , bien que non rationnel30 .
Mais est-ce la réponse définitive ? Les doutes demeurent . Par exemple à
propos de l'autorité, on croit généralement à quelqu'un parce qu'il est véridique ,
parce qu'il sait tout, alors que Guillaume de Paris tient qu'il faut croire à Dieu
parce qu'il est Dieu et non parce qu'il est véridique . Pour éviter ce genre de diffi-
cultés, on pourrait prendre comme principe recherché la seule grâce , ou la lumière
interne, ou la vérité éternelle ; mais sont-elles suffisantes ? demande Gaudet.
Et, en poussant plus loin l'analyse théologique, n'arrive-t-on pas à la morale31 ?
D'autre part, si l'on admet que la révélation externe , le miracle , la preuve et
l'affection, dont aucun à lui seul ne peut être le principe de l'acte de croire , tou-
chent à la foi, il faut également admettre qu'ils sont tous sévèrement examinés par
la raison. Ainsi ils sont admissibles avec une raison , même incompréhensible 32 .
238 Z. KALUZA
puis partisan de la via concilii et pour cette raison l'un de ceux qui ont pré-
cipitamment quitté Paris . Des lettres de Gérard le Grand nous apprennent
qu'il nourrissait pendant son séjour parisien l'idée de partir en mission chez
les schismatiques, donc les Grecs, afin de les convertir. L'homme avait des
idées bien arrêtées . Nous savons d'autre part , je l'ai dit au début de cette com-
munication, que Gaudet a fini par devenir son adversaire pour des raisons à
la fois politiques et ecclésiologiques . Ici , dans ce brouillon , nous observons
le premier désaccord entre les deux théologiens . L'opinion de Salvarvilla est
résumée dans une seule phrase notée en marge : « La conclusion avancée par
cette doctrine est que l'assentiment à la vraie foi , à savoir à la foi formée
par la charité , a infiniment plus de certitude qu'un assentiment à une con-
clusion de raisonnement ou à un principe d'une science quelconque » . Et la
remarque sur ce sujet : « Il s'agit là de la suprême certitude et c'est un mode
extrême >» 38 . Puis à la fin de cet abrégé , Gaudet indiquera pour soi- même
une autre voie à emprunter, une voie médiane entre celle de Salvarvilla et celle
de Jean Scot de Rate39 .
La question de Salvarvilla dévoile bien et avec une certaine solennité
son dispositif scientifique . On y lit d'abord les préambules, ensuite les suppo-
sitions, enfin les conclusions dont chacune est accompagnée de trois corollaires.
Dans ses préambules, Salvarvilla détache , comme d'autres d'ailleurs , l'évidence
et la nécessité de la certitude d'un assentiment à la foi . Pour le faire , il s'appuie
sur le texte de II Tim 1 , 12 : scio enim cui credidi, et certus sum, et il évoque
l'assentiment de Dieu au sujet des futurs contingents qui est certus, tamen non
necessarius. Mais la certitude de cet assentiment exige que soient remplies trois
conditions : ce en quoi on croit doit être vrai, connu et solide . Gaudet remarque
à propos du premier préambule qu'il n'apporte rien à la compréhension des
conclusions et, avant tout, à la démonstration de l'infinité d'une telle certitude ,
celle-ci demandant la plus grande évidence . Si , d'autre part , on détache l'évidence
et la nécessité de la certitude, il ne faut pas oublier qu'elles augmentent le degré
de cette dernière . Quant au deuxième préambule , Gaudet trouve superflue la
deuxième condition , si le cognitum est pris pour le creditum, et contradictoire
avec le premier préambule , si on prend le cognitum pour l'évident (pro evidenti).
Pour Gaudet, les deux conditions suffisent40 .
Les deux premières suppositions concernent le degré de certitude d'un
assentiment. Un assentiment ferme à la vrai foi est , selon Salvarvilla, sans aucune
comparaison avec la solidité et la certitude d'un assentiment à une conclusion
nécessaire , à une connaissance ou une évidence et infiniment plus grand (maior)
que lui. La troisième admet à son tour que les articles de foi et les principes
philosophiques ou scientifiques sont également vrais bien qu'ils ne soient pas
également nécessaires41 .
La première conclusion répète les deux premières suppositions et la
deuxième pose des limites : la seule foi formée par la charité peut engendrer
un assentiment très solide , c'est - à - dire infini . La troisième ouvre d'autres
perspectives : l'assentiment dont il s'agissait jusqu'à présent n'est pas le plus.
240 Z. KALUZA
solide ; plus fort encore est celui que l'on a dans un ravissement , une vision
ou une union avec le Verbe42 .
Il est clair qu'en excluant de la certitude d'un assentiment l'évidence et
la nécessité, Guillaume de Salvarvilla n'attribue à cet assentiment aucun carac-
tère scientifique . Se place-t-il sur le terrain de la théologie envisagée comme
une science ? S'agit-il encore de la connaissance par nos facultés naturelles
d'un article de foi ou des arguments apportés à l'appui de cet article ? Malgré
les apparences, Salvarvilla a préféré choisir le terrain strictement théologique ,
il ne s'intéresse qu'à la vertu de foi. Tel est le sens de la deuxième conclusion ,
limitative , présentant sous un autre jour toute sa question . D'ailleurs , il n'est
pas exclu que Salvarvilla ait bien vu la nullité de tout autre procédé, scienti-
fique ou non, lorsqu'il s'agit de prouver scientifiquement les articles de foi.
Toutefois, je note que ses conclusions ont comme fondement une vision assez
pessimiste de la nature humaine et de ses capacités. Salvarvilla croit que l'homme
n'est pas capable d'adhérer à la vrai foi , car une telle adhésion n'est point
possible sans la charité et sans Dieu dont l'homme n'est pas, comme il dit ,
naturaliter capax :
<< anima non est naturaliter capax assensus verae fidei, quia talis
assensus non est sine caritate et Deo, cuius anima non est natura-
liter capax ».
Dans tous les textes présentés ici , on ne parle plus de la ratio cogens ou
necessaria ; la seule preuve dont il s'agit est la ratio probabilis.
Si partout on tient pour vrai le contenu des articles de foi , les arguments
que l'on apporte à l'appui de cette vérité n'ont, à proprement parler , aucun
caractère scientifique : ils ne démontrent ni l'évidence ni la nécessité de ce con-
tenu . Ils sont donc probables, plaçant ainsi les articles sur le plan de l'opinion
sujette aux doutes . Le troisième élément de ces considérations, le degré de
la certitude , dépend totalement du degré de la probabilité des arguments . La
certitude infinie dont a parlé Salvarvilla apparaît ici comme une extravagance
vulnérable à la critique d'un Gaudet fidèle à la tradition de l'École . Mais sa fidé-
lité connaît une limite fixée par le problème du principe de théologie . Tout au
long du XIVe siècle , et notamment à Paris , les théologiens étaient d'accord pour
attribuer ce caractère à l'Écriture46 . C'est ce principe qui constitue la science
théologique , c'est de lui que la démonstration tire toute sa valeur . Or , Gaudet
l'a mis en doute puisque son évidence ne s'imposait pas - d'où ses considérations
sur la valeur du testimonium et ses interrogations sur la force probante d'un
miracle , d'une illumination, etc. Il ne trouve rien , mais la situation est intéres-
sante dans la mesure où , en rejettant le principe , le théologien essaie de construire
une preuve dont la force dépend totalement de ce principe même . Il en est sans
doute conscient : sa materia de fide n'étant autre chose qu'une succession d'essais
manqués, finit sans conclure . L'impression qui se dégage à la fin de la lecture
de cette materia est celle d'une recherche coupée d'une conception de la théologie
16
242 Z. KALUZA
qui doit être science et qui ne l'est pas et ne veut être rien d'autre. Sapée par
le doute , cette théologie ne s'attache qu'à la forme du syllogisme .
On peut donc aussi légitimement penser que le débat en question est
dominé par la recherche d'une forme de preuve suffisante et convaincante , à
même de convaincre un Juif ou un infidèle . A ce titre , notre théologien copie
les << huit voies » proposées par Duns Scot ou les persuasiones inartificiosae
de Jean de Calore . Il envisage même une « preuve » où la majeure ne peut pas
être niée (quam nullus utens ratione negaret), par exemple : Deus non facit
miraculum in testimonium falsitatis, et comme mineure un miracle , celui par
exemple de la conversion de Denys à Athènes . Hélas ! la forme de syllogisme
proposée n'est plus admissible : Non sic autem arguere possunt sacerdotes aut
studentes theologiae47 . C'est parce qu'il ne trouve aucune issue qu'il se tourne
finalement vers les utilités de la raison probable , débat qui dominera les discus-
sions du dernier quart de siècle et au-delà . Et c'est dans ce climat de doute sur
les principes et de probabilité des raisons apportées par l'homme que, dix ans
après la lectura de Gaudet , Henri de Langenstein va contester discrètement
la célèbre opinion sur notre désir naturel du savoir, en affirmant : humana
natura magis fuit instituta ad credendum quam ad sciendum quo ad istum
statum48 .
L'opinion propre d'Étienne Gaudet sur l'assensus fidei appartient à la tra-
dition qui commence avec Hugolin d'Orvieto, qui, à l'époque de Gaudet , est
représentée par le maître Raymond et plus tard le sera par Henri d'Oyta, et qui
voit l'origine de l'assentiment aussi bien dans la raison que dans la volonté .
Gaudet voudrait même ajouter d'autres éléments à ces deux là pour pouvoir
mieux asseoir un acte d'adhésion.
Je pense qu'il n'est pas sans un certain intérêt pour l'histoire de la Faculté
de théologie et pour celle du Collège de la Sorbonne d'avoir eu un aperçu de
ces questions d'auteurs inconnus ou très peu connus, de maître Raymond, de
Jean Scot de Rate , de Guillaume de Salvarvilla, d'Étienne Gaudet. Il n'est pas
non plus sans un certain intérêt pour l'histoire de l'Université de Paris d'avoir
découvert qu'un désaccord entre Gaudet et Salvarvilla, qui, lui , éclatera au mo-
ment du Grand Schisme , est déjà présent sous forme des polémiques doctrinales
dans le texte analysé .
Je pense d'autre part , avoir montré assez clairement la façon de travailler
à Paris dans les années soixante du XIVe siècle . Je ne veux pas insister sur le fait
d'une certaine perte de la vigueur spéculative : elle est visible dans ces textes,
mais elle peut être le fait de Gaudet et de ses arrangements . Elle est évidente
chez Gaudet lui-même . Je veux dire une autre chose . Dans une époque où des
personnalités de la stature d'un Grégoire de Rimini, d'un Jean de Ripa et d'un
Pierre d'Ailly se font fort rares , le style de travail que nous avons observé
ici devient ordinaire . Le cas de Jean de Mirecourt est bien connu . Mais dans
les années soixante, Étienne de Chaumont travaille avec beaucoup moins d'ef-
fort encore ; il copie un texte de Bradwardine pour lui répondre avec un texte
de Buckingham . Un auteur anonyme dont j'ai étudié autrefois un traité sur
ETIENNE GAUDET 243
NOTES
Gaudet Holcot
et qui se lit dans le même manuscrit, au f. 177v. Toutefois, le texte n'est pas le même.
La remarque « scolastice » indique qu'il s'agit d'un texte scolaire, probablement, dans
notre cas, d'une dispute scolaire in capella Sorbonae, réservée exclusivement aux mem-
bres du Collège (cf. ms. lat. 16408, f. 221v dubium scolasticum in capella Sorbonae et
Mgr Glorieux, op. cit., p. 48). Le texte qui ouvre la quatrième question est donc une reprise
d'une ancienne dispute d'exercice. Son état matériel ainsi que certaines répétitions notées
déjà par Gaudet (« 60 principaliter videtur quod fides sit dubitabilis et istud aliqualiter
tactum fuit supra... ») , montrent que ce dernier l'a recopié tel quel. Au f. 161r, à l'endroit
où on lit : << Aliter dicunt alii quod (Deus) potest de potentia absoluta decipere, sed non de
ordinata » , commence le texte de Jean Scot de Rate. Il prend fin au f. 161v. Le texte copié
ici est identique avec celui du ms. lat. 16408, f. 194v- 195r : « Magister Johannes Scotus
determinavit de illa materia an Deus possit decipere aliquem », signalé déjà par Mgr Glorieux,
op. cit., p. 52-53 et cité supra, p. 197-214 par J.-F. Genest. Sur ce maître écossais, voir
D.E. R. Watt, A Biographical Dictionary of Scottish Graduates to 1410, Oxford, 1977,
p. 465-466 ; W. J. Courtenay, K. Tachau , « Ockham, Ockhamists, and the English - German
Nation », History of Universities, 2 (1982 ) , p . 53-95 . Il est également mentionné comme
socius par Grégoire de Rimini qui polémique contre lui dans son II Sent. , dist. 7, q. 1 , 3
et 4 ; cf. Gregorii Ariminensis, O.E.S.A. , Lectura super Primum et Secundum Sententiarum,
éd. D. Trapp, t. V, Berlin, New-York, 1979.
15. Ms. lat. 16535 , f. 170/171r. Les arguments 9 et 10 appartiennent au texte de Jean Scot
de Rath, f. 161r-v.
16. Gaudet : Holcot, III Sent. , q. I :
f. 170/171r-v art. 6
f. 170/171v- 172r art. 7
f. 172r-173r art. 8
17. Ibid. , f. 176r.
18. Ibid. , f. 153v : « Per credere intelligatur assentire revelatis a Deo per testimonium alte-
rius complacenter » . Une conclusion suit cette définition : « Conclusio ad dubium, quod
credere est in hominis libera potestate ; patuit per signa quae adducta fuerunt contra Olcot ».
Les signes du maître Raymond ont été cités auparavant, f. 152r, où ils interrompent le texte
de Robert Holcot (voir plus haut, note 10). Une note marginale les signale. Voici le texte :
< Ad hoc possunt adduci multa signa scilicet quod credere vel discredere sit liberum, quia est
meritorium vel demeritorium . Item de duobus aequaliter dispositis unus credit alter non .
Item idem homo (e) duobus aeque inevidentibus sibi propositis uni credit, alteri non. Ideo
adhuc potest esse quia voluntas potest remanere impedita (ms. impedita) respectu unius
ad credendum, scilicet non investigare media ad oppositum, vel non considerare ad illa iam
habita, vel cavillare, vel solvere illa, vel condemnare, aut aliter impedire ac quaerere invi-
tamenta (?) ad credendum relata per alios, quae ponuntur prima Rhetoricae, quae sunt ex
parte narrantis ut sit prudens, iustus, benivolus, ex parte audientis ut sit affectuosus rei
propositae, ut sit credulus (ms. credibilis) , ut patet primo Rhetoricae (cf. I 2, 1356a , 2-21 ;
Arist. Lat ., XXX 1-2 , p . 9-10) . Et posset deduci quomodo illa sunt in hominis potestate >>.
Le problème de la liberté de croire a été touché au f. 153v , dans un très bref texte conte-
nant sept propositions. Le même problème de la liberté est aussi celui de la division à l'inté-
rieur de l'école de la Sorbonne : d'un côté, nous avons le maître Raymond et Etienne Gaudet,
de l'autre, Guillaume de Salvervilla ; cf. plus bas, p . 240-241.
19. Ibid., f. 153v : « Dicendum quod hic sunt imaginanda duo extrema : unum quod in
potestate hominis sit nullo testimonio sine motivo ad hoc habito libere assentire, aliud
quod omnibus positis quae poni possunt, possit dissentire. Inter quae sicut media vadit
veritas, scilicet quod aliquibus positis potest assentire vel non assentire, et non omnibus. Et
in hoc est libertas, quod aliquibus et non omnibus. Et est ibi dare (?) certam latitudinem et
maximam et minimam, sicut in aliis similibus. De narratione historiali, quia videtur aliquibus
quod sufficit ad credendum, dicuntur 3ia , scilicet quod narratio articulorum non est histo-
rialis, quia narratio historialis est de rebus gestis visis, perceptis et expertis. Et licet narratio
historialis sufficiat ad credenda gesta, non tamen ad credendos articulos, quia sunt magis
inevidentes. Narratio enim historialis non convincit etiam, nisi affectatos illis rebus, ut patet,
quia historias quas una natio recipit, alia reprobat » .
246 Z. KALUZA
20. Ibid., f. 156г, Dubium secundum. Le texte commence par la négative : « Et arguo
primo quod non. Ad conclusionem demonstratam non est expediens immo superfluum
adducere rationes probabiles, igitur nec expedit ad fide credita... (f. 154r). 2º ad idem, vide-
licet quod huiusmodi rationes non expediant nec opitulentur fidei, quin potius e contrario
(f. 154r)... 3º principaliter, si tales rationes expedirent aut quia per hoc infideles repelluntur
et fideles manuducuntur, aut quia, ut aliqui fingunt, per adductionem talium rationum
removetur obstaculum, nam, ut dicunt isti, aliquam conclusionem non esse probatam est
quoddam obstaculum ad assensum illius, quia est signum de illam non esse veram (f. 154v) ».
L'ad oppositum reprend : IV Sent. , q. 3, de Robert Holcot avec cinq corollaires ; les « huit
voies » de Duns Scot, un extrait de Jean de Mirecourt et un autre de Jean de Calore. Cf.
note 11 .
21. Ibid. , f. 156г : « Sed ad oppositum quod articuli fidei sint magis probabiles suis oppo-
sitis, quidam Magister (Jean de Calore) alias declarabat, pro quo praemittebat quod secun-
dum doctores rhetoricos, maxime secundum Alfarabium, inartificiosarum probationum sunt
8 species per testes, per legem, per pactum, per iuramentum, per miraculum, per tormen-
tum, per eum in cuius ore non est inventum mendacium, per conformitatem gestuum
corporalium ad verba. Et istis 8 modis probat Scriptura articulos fidei. Per testem Actuum...
(f. 156v). Ex istis praemissis et praesuppositis ponuntur aliqua, ut concludatur intentum.
Primo quod inartificiosae probationes artificiosis sunt minus certae. Patet, quia per magis
remota. Et vocantur hic artificiosae probationes syllogismi et loci dialectici. 2º ponitur,
quod inartificiosae probationes ad artificiosas sunt reducibiles. Patet quia possunt poni
in forma syllogistica vel entymematica. 3º ponitur quod tales probationes inartificiosae sunt
supplebiles et per suppletionem possunt fieri artificiosis aeque certae vel magis , sicut dicitur
quod simplicia verba apostolorum, propter sanctitatem eorum, erant philosophicis argumen-
tis efficaciora, et miraculum de resurrectione Lazari visum fuit fortius rationibus oppositis
Aristotelis. Ex his infertur propositum, quod articuli fidei probati per probationes inarti-
ficiosas reductas et suppletas et confortatas sunt probabiliores assertationibus oppositis,
non obstante quod maior pars dissentiat, quia non acceptat probationes huiusmodi nec
reductionem, suppletionem aut confortationem, propter affectationem oppositam. Haec
ille de hoc ».
22. Ibid. , f. 156v : « Sed ista opinio et praecedens sunt quasi extreme oppositae, ideo
potest aliter dici et responderi mediando inter. Et est una positio scolastica quae (…..) capitur
tantum in proposito assensus fidei, quem de dictis Christi et suae ecclesiae habere debemus.
Qui quidem assensus habet 3 condiciones, nam est verus, propter quod differt ab errore ;
firmus, propter quod differt ab opinione ; inevidens saltem per fidem, propter quod differt
a demonstratione ».
23. L. cit. : « Tunc ponuntur 3 conclusiones. Prima est quod nulla fides Christi est contra
rationem, licet forte aliqua sit supra rationem. Patet ista conclusio , quia quaelibet ratio
improbans fidem peccat in materia vel in forma, cum claudat falsum. 2ª conclusio : nulla
fides Christi est praeter rationem. Apparet quia alias videretur irrationabile si omnino
careret ratione et omnino sine ratione crederemus, et per consequens fatue nec virtuose.
(...) Et istud satis patet ex dictis Scoti supra (cf. note 11 ) et de Calore (cf. note 21) et
aliquibus aliis supra positis. 3ª conclusio : nulla fides Christi est tantum per rationem qui-
nimo ad omnem talem concurrit libera voluntas. Unde Augustinus, ubi supra : cetera potest
homo nolens (Sup. Ioh. , XXVI , 2 ; P.L. , 35 , 1607) , etc. Et probatur ratione, nam cum
talis ratio sit inevidens, assensus, qui praecise illi inniteretur, foret dubius. Ex his fides habet
veritatem ex primo , probabilitatem ex secundo, firmitatem ex 30. Ex primo differt ab errore,
ex 2º a temeritate, ex 30 ab opinione. Ex his potest inferri triplex corollarium : quod sola
fides Christi est recta, quia sola habet 3ª praedicta ; 2m, quod talis assensus, qui descriptus
est, habendus est de solis dictis Christi, - patet ex primo ; 3m, quod talia dicta Christi soli
tali assensu sunt credenda ; patet, nam demonstrari non possunt, opinari non licet ».
24. Ibid. , f. 1571 , Tertium dubium : « Alia responsio, quae est etiam media, praemittit
quod fides potest imaginari habere probabilitatem vel ex parte creditorum, vel ex parte
tradentium, vel ex parte eius, cui creditur. Et utraque (sc. prima et secunda) habet diffi-
cultatem. Prima difficultas de creditis (est) nimis lata, eo quod multa sunt. 2ª , scilicet ex
parte tradentium, est nimis profunda, nam nec est bene clarum an apostoli addiderint
aliquid dictis Christi et an ecclesia nunc praesens addiderit aliquid dictis apostolorum et
ETIENNE GAUDET 247
Christi. Et hae duae obmittuntur. Sed de 3ª ponitur conclusio, quod fides Christi est proba-
bilis et adducuntur pro nunc tres rationes ». Je ne sais pas de quel texte cet abrégé est tiré
ni quel est son auteur, appelé tout simplement Respondens (voir la note 25). Je remarque
aussi qu'en admettant que l'opinion de ce Respondens se place entre deux extrêmes, elle
est dite media, Gaudet ne l'accepte cependant pas tout à fait et note scrupuleusement son
désaccord sur plusieurs points. - Un autre problème appelle encore quelques éclaircisse-
ments. Ce texte commence, au f. 157r, par un abrégé, annoté par Gaudet, d'une question
d'un Respondens. Au f. 158r, on lit les dicta cuiusdam magistri dont le nom, Salvarvilla,
est noté en marge. Ce même nom revient au f. 159v. Entre ces deux indications, on lit une
série de conclusions qui n'appartiennent pas à Salvarvilla car elles sont rédigées contre lui.
Sont-elles de Gaudet ? Je crois pouvoir le dire en m'appuyant sur quelques renvois aux
questions précédentes et sur le caractère inachevé de ces notes. Les mêmes critères m'obli-
gent à lui attribuer le texte du f. 157v au f. 158r. Nous avons donc : f. 1571-v, le Respondens ;
157v-158r, Gaudet ; 158r-v, Salvarvilla ; 158v- 159r, Gaudet, 159r-v, Salvarvilla ; 159v,
dernières lignes, Gaudet.
25. Ibid. , f. 157r : « Prima est ista : cuicumque misso a Deo est credendum ; Christus fuit
huiusmodi. Maior patet ratione et minor per signa experimentaliter visa, ut ecclesia recitat.
2ª ratio sit haec, quod fides nostra sit probabilis : quia non est levis aut stulta, igitur est
probabilis. Patet consequentia. Secundum Boethium omnis assensus rationabilis est per
probationem quamvis aliquando imperceptibilem. (...) Ex ista inferebat Respondens quod
fides est quaedam opinio vel non est sine opinione, nam omnis assensus per rationem non
demonstrativam est opinio. Ex isto ulterius intulit quod fides, opinio et scientia possunt
stare simul et possunt esse simul in eodem et de eodem imo sunt eiusdem speciei ; imo idem
actus numero potest esse successive scientiae, opinionis et fidei, quia harum connotata
sunt contingentia, scilicet inevidentia, formido ; nec sunt differentiae specificae sed solum
individuales. 3a ratio sit haec : fides Christi non est in aliquo suspecta, igitur est probabilis.
Antecedens patet, quia nil est ibi quin sit bene ordinatum et bene ordinans hominem ad
legem naturae, scilicet ad bonum convictum cum Christo et ad unum cultum Dei, quae duo
sunt de lege naturae » . Dans la marge, en haut de la page, Gaudet conteste la deuxième
raison : «< Contra illud quod assumit in 2ª ratione, cum dicit omnem assensum fore per
rationem saltem imperceptibilem, - contra, quia vel procedetur in infinitum vel erit aliquid
per se probatum seu creditum vel probabile, cui propter se creditur et tunc detur illud.
Non videtur posse ratio quare propter se credatur, cum non sit plus evidens, quare credibile
primum dant ; et consimiliter ut illud poterit dubitari et probari concesso quod nunquam
creditur sine motivo et ratione. Unde non credo Sorti plus quam Platoni sine causa. Dicitur
quod non procedetur in infinitum sed devenietur ad aliqua prima quamvis non evidentia,
quae bonitatis intellectus non protervi creduntur » . Toute la troisième question porte sur
ce primum, c'est-à-dire le principium credendi, sa nature et sa valeur. La troisième raison
du Respondens ajoute une coloration morale à la question. Gaudet la conteste également :
« Contra , quia fides trinitatis, eucharistiae , non videntur ordinare ad bene vivere , imo ad
cultum Dei » .
26. L. cit. « Ex isto inferebat (sc. Respondens) quod si esset aliqua lex in qua aliquid tale
foret quod non esset ordinatum ad legem naturae aut foret sibi repugnans, non foret tenen-
da, quia intentio eius esset suspecta (in marg. Corollarium de principio credendi). Ex isto
inferebat quod auctoritas ecclesiae modernae seu nunc praesentis est principium credendi
nobis seu nunc praesentibus credentibus, quia in illam resolvitur totus processus noster quo
credimus, ut apparuit in illo primo argumento (voir note 25) , nihil enim de Christo aut
primitiva ecclesia, scimus, nisi per recitationem praesentis ecclesiae. Si autem ponatur aliter,
quod malum non (ms. non malum) recedit ab auctoritate ecclesiae, foret nostrae fidei
principium istud : esse revelatum a Deo est indubitanter et firme credendum >» .
27. L. cit. : « Obicitur contra, quia vel [ est ] istud est fide creditum, vel non. Si sic, igitur
non est principium fidei, quin imo supponit fidem. Si non, igitur creditum dubie, cum non
sit evidens ; igitur non potest fidem generare, quae certa est. Item si esset principium fidei,
esset sufficiens ad generandum fidem et tunc in quocumque poneretur, necessario generaret
fidem . Si dicatur quod est principium, tamen insufficiens, sequitur tunc insufficienter funda-
tam. Et consimilem argumentum potest fieri si secundum primum modum ponatur aucto-
ritas ecclesiae principium nostrae fidei, quia aut illa auctoritas fide tenetur, et tunc oportebit
248 Z. KALUZA
quod teneatur auctoritate infallibili, et tunc generetur de illa et erit processus in infinitum ;
vel non fide creditur et sic dubie creditur. Ergo non est principium firmi assensus fidei.
Responderi potest ad hoc talem auctoritatem esse sui ipsius auctoritatem, sicut notitia
ultimate resolutiva est sui ipsius notitia et experientia sui ipsius experientia. Et sic forsan
potest dici de illo principio generali ' omne revelatum a Deo est indubitanter tenendum '
nam et ipsummet est revelatum a Deo. Et sic est reflexio et non est processus in infinitum ».
28. L. cit., Gaudet note en bas de page : « Cum arguitur : omne revelatum a Deo etc. ,
A est revelatum, videtur petitio principii, nam praemissae sunt aeque notae ut conclusio
et non plus, quia sola fide utraque. Item illae praemissae non ponuntur in canone, saltem
ita expresse, ut conclusio. Modo, ut videtur, nullum expressum in canone videtur tenendum
propter minus expressum. Definite videt quomodo in creditis pure sit ordo certitudinis ».
Et puis << Deus, Christus, ecclesia, ius ».
29. L. cit. : « Sed si (f. 157v) quaeratur quae auctoritas sit post principium talis actus,
vel Christi et apostolorum vel auctoritas ecclesiae nunc praesentis, sive quod principium sic
positum vel complexum formatum de auctoritate tali, scilicet ' omne revelatum a Christo '
etc., vel istud : ' omne traditum ab ecclesia ', etc., et videtur quod secundum ex praedictis,
quia nescimus aliqua esse auctorisata a Christo, nisi per traditionem ecclesiae » . Gaudet
ajoute ici : « Ad oppositum, quia ecclesia non est credibilis nisi quia auctorisata et fundata
a Christo. Hic est bona speculatio. Et videtur quod ad hoc dissolvendum multum expedit
considerare processum syllogisticum quo credimus et considerare an maior propositio sit
magis principium vel potius conclusio aut econtrario. Et tunc videbitur quid dicendum ».
30. Ibid. , f. 157v : « Circa huiusmodi principium credendi occurunt consideranda intellec-
tus, fides, voluntas, ratio (in marg. De principio credendi prima propositio) . Intellectus de
se non est sufficiens principium actus credendi. (2ª propositio :) Intellectus cum habitu
fidei infuso non est sufficiens... (3ª propositio :) Intellectus cum voluntate non sufficit.
Patet ex supradictis alias, in primo dubio huius materiae ; etiam quia opposito primi prin-
cipii posset quis assentire. Sed posset dici quod evidentia primi principii impedit ; sed in
neutris, sicut ' rex sedet ', ' astra sunt paria ', patuit quod non sufficiunt intellectus et volun-
tas ; de hoc supra (f. 151r, Holcot et f. 153v, Raymond) . (4ª propositio :) Item intellectus
cum voluntate, fide infusa non sufficerent, ut supra. (5ª propositio :) Item intellectus
cum voluntate, fide infusa, ratione probabili et eruditione forsan non videtur debere suf-
ficere ad assensum suum formare (?), forsan quod possent sufficere. (6ª propositon :)
Item intellectus cum voluntate, ratione, fide acquisita et consuetudinaria nulli dubium
quin de facto sufficiant, sed ante debeant (...) , quia quantam vim consuetudo habet leges
ostendunt, nam causant assensum firmiorem assensu primorum principiorum , quamvis
non rationabilem ».
31. L. cit. « Hic incidit supradicta difficultas de auctoritate. Creditur enim, sicut dicitur,
quia verax et omnisciens, nec fallere vult nec falli potest. Unde haec creduntur vel propter
se... vel per aliud . Pro huiusmodi difficultatibus evitandis posset poni quod sola gratia Dei et
eius tractus seu lux intrinseca et veritas aeterna sufficiunt ad actum credendi perfectum.
Sed utrum sufficiat gratia aliqua gratis data seu donum sapientiale ? Et an actus talis requi-
ratur sub poena peccati respectu articulorum vel sufficiat credere fide acquisita et consuetu-
dinaria, ut quamplurimi credunt, ut tangit Olkot supra, istae sunt investigationes pertinentes
ad materiam de bono morali ». Ce qui n'appartient pas à la morale sera réfuté plus loin,
en même temps que l'opinion de Salvarvilla.
32. L. cit. « Circa praedicta advertendum , quod circa credulitatem nostram occurrunt
revelatio extrinseca, miraculum, probatio, affectatio, quorum neutrum sufficit ad assensum
sine formidine de ignotis et inevidentibus. Sed inspiratio interna Dei et illuminatio seu
veritas aeterna et incommutabilis, de qua frequenter Augustinus et alii multi, ut Augustinum
allegantes, et Hibernicus in materia de intellectu agente, de Ripa in materia de lumine,
specie, visione, Gregorius... Sed ulterius hoc non videtur sufficere, nam auctoritas, experien-
tia, revelatio, inspiratio , ut videtur, ratione certantur et regulariter examinantur. Unde non
est evidens talia esse recta, ut videtur, nisi ratione, nam , ut dictum fuit, nulli assentire posse
sine ratione saltem imperceptibili (cf. note 25) . Pure tamen probabilis ratio non sufficit
voluntati non affectae aut non aliunde illuminatae. Et per consequens non sufficit mira-
culum. (...) Quaeratur etiam secundum illum modum ponendi, existentes extra gratiam,
ÉTIENNE GAUDET 249
cum non habent lumen veritatis incommutabilis credunt firmiter sicut (f. 158r) ante, ut
patet per experientiam , igitur tale lumen non requiritur ».
33. Ibid. , f. 158r : « Sed possunt dari aliqui modi. Unus modus est consimilis modo quo
assentit scientifice uni conclusioni quam recordatur se demonstravisse, tamen oblitus est
demonstrationis ; et sic Paulus perdita visione assentit visis per eum . Vel potest dici quod in
talibus perdita gratia manet quoddam donum speciale...Sed adhuc redeundo ad probabilita-
tem fidei videtur quod fide credita possunt non solum sufficienter imo evidenter probari,
nam ibi multa continentur quae sunt a philosophis demonstrata, puta Deum esse immuta-
bilem et non posse mentiri, quae, nulli dubium, fide credenda, nam ea negans peccaret
mortaliter et esset haereticus. (... ) Sed magis ad propositum : an articuli possint efficaci
ratione probari. Dicendum quod quo ad illos qui aliquo nobiscum conveniunt, puta Iudaeos,
qui recipiunt antiquum testem qui bene scire (ms. sciret) Scripturam posset, non potest
probari per lucem intrinsecam, sed bene per extrinsecam. Verbi gratia, sumo unam maiorem
quam nullus utens ratione negaret... ». Cf. p. 242.
34. L. cit. , note marginale : Ad 3m de principio credendi. L'abrégé de la question de
Salvarvilla : <« Respondenum ad principale punctum 3m de principio credendi et generaliter
omnium assensuum intellectualium in nobis ; videnda sunt dicta cuiusdam Magistri. Et sunt
ista. Convenit namque, ut ait, assentire complexis sine haesitatione, 1º ex evidentia termi-
norum, sicut principiis ; 2º ex demonstratione, sicut conclusionibus. Et his modis non assen-
titur articulis fidei. Et si dicat quis se habere demonstrationem ad articulos, vadat ad infide-
les convertendum. 30 instinctu naturali sicut naturaliter assentimus principiis moralibus,
sicut huic unicuique reddendum est, quod suum est ', est enim mentibus hominum boni
inserta cupido. Ex isto modo non contingit assentire articulis fidei, nam sunt difficiles ad
credendum et facultatem nostram excedunt. 4º modo contingit sic assentire ex syllogismo
falsographo sicut assentit goemetres quando credit quadrasse circulum et etiam quando ex
inevidenti discursu quis credit evidenter assentire conclusioni... 5º ex quodam sentire, sicut
geometra ex habitu scientifico firmiter assentit conclusionibus, quas explicite nescit demons-
trare. Et istud cognoscere non dicitur videre , quia non est evidens nec explicitum nec per
discursum. Et differt ab instinctu , quia iste acquisitus, ille est naturalis. Et sic theologus
assentit articulis et est modus loquendi ' sic sentio de isto articulo cui credo '. Et istud sentire
venit ex habitu scientiae vel fidei. Sic loquitur Apostolus Ad Phil. 20 (5) : hoc sentite in
vobis quod etc. 6º ex consuetudine, quia assentimus firmiter sine haesitatione his quae fre-
quenter audivimus... (f . 158v) 70 ex miraculis... 80 ex ratione et verisimilitudine sicut
assenserunt Aristoteles et Commentator. Sic etiam possunt articuli fidei ostendi per probabi-
lem rationem. Hanc rationem quaerebant philosophi Graeci, I Cor., c. 1 (22) : Iudaei signa
petunt, Graeci sapientiam (Gaudet note à cet endroit : « Iste non est 8us modus assen-
tiendi articulis sine haesitatione » . 9° auctoritate dicentis... 100 ex affectione ... Gaudet
note ici : « Iste non est (modus) rationabilis ; amor et odium pervertunt iudicium » ) .
11º ex revelatione... Haec autem revelatio accipitur pro aliqua supranaturali ostensione ...
(Gaudet note : « subdividitur, videtur esse auctoritas » ) . Aliter capitur revelatio pro men-
tis illustratione ad intelligendum vel assentiendum alicui, quod prius erat obscurum vel
incertum...>>.
35. Ibid. , f. 158v : « His praemissis possunt poni conclusiones. Prima sit haec, quod per
istorum maiorem partem potest quis falso assentire . Et inducitur ad aliquibus ; de ratione -
patet, nam nihil prohibet quaedam esse probabiliora quibusdam veris ; de consuetudine -
nam quis potest esse assuefactus audire falsa a principio ; de auctoritate ... ; de falsographo
non est dubium ; solum de sentire. Similiter de affectione quae vertitur per minas et promis-
siones ; de miraculis...2ª conclusio, quod ex illis 7 motivis contingit erronee assentire firmi-
ter verisimilibus, nam ex eisdem vel similibus vel aequalibus contingit firmiter assentire
quibusdam falsis, qui tamen assensus est erroneus. Igitur conclusio vera. Patet (f. 159r) con-
sequentia, nam conclusio quae innitatur falso medio est mentalis falsa, quamvis vocalis sit
vera. Istud declaratur, nam sic arguendo omnis asinus est animal, omnis homo est asinus,
ergo omnis homo est animal... Confirmatur, omnis assentiens veris per ista 7 motiva credit
se non opinari, immo credit scire per illa, cum tamen opinetur. Ergo erronee assentit. Con-
sequentia patet... Potest tamen dici quod talis non errat in conclusione sed in motivo ,
nam erronee innitatur motivo. Sed difficile est videre quin totus assensus iste sit erroneus
si processus vel medium sit erroneum. Tamen securius videtur dicendi quod talis non errat
250 Z. KALUZA
in conclusione sed in motivo, nam erronee innitatur motivo, propter quod assensus con-
clusioni seu articuli est verus ; et inquantum assentit illi argumento non errat, sed inquan-
tum innitatur motivo . ( … ) Respondeo quod ex medio erroneo seu motivo assentire
firmiter aliquo complexo contingit dupliciter vel sicut ex medio intrinseco (une mau-
vaise construction de syllogisme) ... vel sicut per medium extrinsecum (une incohérence
des prémisses, par exemple l'une provenant du Coran, l'autre de la Bible). Pro hoc et iuxta
hoc ponuntur conclusiones. Prima conclusio, quod ex erroneo motivo tamquam medio
intrinseco non concluditur mentalis articulus fidei. ( ... ) 2ª conclusio : ex erroneo mo-
tivo per medium extrinsecum (ms. extrinseco) contingit assentire mentali articulo (…… .. ;
f. 159v) 3ª, contingit ex motivo erroneo vel mere probabili arbitrari se firmiter articulis
assentire... » .
44. Ms. 16535 , f. 135r. Les trois conclusions de la tertia responsio ont déjà été publiées
(selon une abréviation du même texte) par Mgr Glorieux, op. cit., p. 90-91 où elles sont
attribuées à tort à Jean de Falisca. Voir aussi p. 236 et note 23.
45. Ibid., f. 135v. Cf. S. Augustin, De Trinit. XIV, I 3 - P.L. , 42 , 1037 (je cite la traduc-
tion de P. Agaesse, Bibl. augustinienne , 16, p. 349) . Guillaume d'Auxerre, Summa aurea,
I, Prol. (éd. J. Ribaillier, Paris-Rome, 1980, p. 15 , 15-16 , 22).
46. Voir sur ce sujet l'étude de P. de Vooght , Les sources de la doctrine chrétienne, (s.1 . ) ,
1954.
Alfonso MAIERÙ
tandis que la proposition trinitaire est logiquement possible et , qui plus est,
vraie (dans la foi)42 . La position de la Trinité peut donc être soutenue sans
apparente contradiction , même si contra protervum on ne peut evidenter prouver
qu'elle n'implique pas contradiction . En d'autres termes, d'un côté nous avons
la confirmation que la foi ne nie pas le premier principe , même si « blasphema-
verunt quidam dicentes primum principium non tenere in divinis » ; et d'un autre
côté nous avons l'affirmation que la proposition négative suivante ne pourrait
être prouvée avec évidence : « positio de trinitate non implicat contradictionem >> :
si cela se pouvait, il s'ensuivrait la possibilité de prouver avec évidence que
la position de la Trinité est possible43 . Il s'ensuit que contra protervum on ne
peut non plus prouver avec évidence la proposition négative suivante : «< positio
de trinitate non concedit propositiones mentaliter contradictorias » ; l'hérétique
endurci pourrait en effet argumenter ainsi de même que les propositions,
<< Iste Marcus currit » , « Tullius non currit » , bien que n'étant pas contradictoires
vocaliter, le sont toutefois realiter et mentaliter, puisqu'elles désignent toutes
deux le seul Ciceron , de même les propositions qu'on peut formuler en matière
de Trinité peuvent ne pas être contradictoires au niveau vocal, mais l'être au
niveau mental et réel . En l'occurence, Pierre d'Ailly retient que la position
opposée à celle de l'hérétique peut être défendue , mais pas prouvée evidenter.
Par contre , pense-t-il , contra protervum la proposition suivante peut être prouvée
evidenter : << positio de trinitate non concedit propositiones vocaliter et menta-
liter contradictorias » . Comme on l'a dit, en matière trinitaire ne se rencontrent
pas des propositions contradictoires au sens propre , c'est-à -dire qui aient la forme
requise par le «< carré » des oppositions entre propositions, forme à laquelle se
réfère l'adverbe vocaliter44 . Tout en ayant admis que « contradictio solum
mentalis est ita evidenter impossibilis sicut vocalis et realis » (ou encore : « sicut
vocalis et mentalis simul » )45 , le théologien fait maintenant appel à la corres-
pondance entre le plan mental et le plan linguistique pour exclure qu'il y ait con-
tradiction au niveau mental une fois que celle-ci a été exclue de la formulation
linguistique correspondante .
Mais une position analogue à la position trinitaire a été admise par les
philosophes antiques , tel Platon , qui retinrent que l'espèce est réellement
ses individus, et par conséquent qu'une chose , qui n'est pas Dieu , est plures
res et quaelibet illarum46 . Donc , de même qu'en théologie on admet qu'on
peut soutenir sans contradiction qu' <« una res sit tres res et quaelibet illarum » ,
de même (eadem ratione et eodem modo ) on peut admettre qu'il y a une
créature << quae sit tres res et quaelibet earum » . Qu'il puisse y avoir une telle
créature n'implique aucune contradiction manifeste in lumine naturali. Mais ,
de même que n'apparaît pas avec évidence la possibilité de la Trinité, de même
nous ne savons pas evidenter si une telle créature est possible ou non . D'autre
part, la position platonicienne ne peut «< evidenter improbari, sicut nec posi-
tio de trinitate in divinis » . On peut au contraire soutenir, sans tomber dans
la contradiction , qu'une créature une et trine puisse exister per absolutam
potentiam dei47 .
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 259
par la position trinitaire , comme on le verra dans le troisième article52 . Les deux
cas ne sont pas d'égale difficulté ; celui relatif à la Trinité est certainement
de difficulté moindre , du moment qu'il nie seulement l'apparere evidenter à
la lumière naturelle .
Nous pouvons maintenant comprendre correctement une autre affirmation
de Pierre d'Ailly, selon laquelle la foi (Sainte Écriture , définitions dogmatiques ,
ou ce qui peut en découler) permet de vérifier «< contradictoria de eadem re >>
et que cela est difficillimum à comprendre53 . L'article de la Trinité, en effet ,
ne viole pas le principe de contradiction ; la Trinité est pensable et imagina-
ble, des raisons peuvent l'appuyer même si, dans ce domaine , nous est déniée
toute évidence .
singulières n'est donc pas consequentia formalis puisqu'il n'est pas valable in
omnibus terminis. Il est évidemment valable in creaturis ; mais si le philosophe
admettait qu'une créature est «< tres res et quaelibet earum » , le syllogisme
d'exposition devrait être nié aussi in creaturis60 .
Le discours sur le syllogisme commun est plus articulé . Selon certains, il fau-
drait ramener à celui-ci le syllogisme d'exposition 61. Une fois écartée l'interprétation
selon laquelle dans les paralogismes des modes barbara et celarent se trouveraient
<< fallacia figurae dictionis vel accidentis » , et une fois rejetée l'opinion qui limite
la validité du syllogisme au monde naturel62 , notre auteur va à la recherche
d'une manière d'argumenter valable <« in omnibus terminis, tam in divinis quam
in creaturis » il faut en effet, à son avis , «< ostendere qualiter peccant et qualiter
danda sit ars formalis et generalis in omnibus terminis arguendi >» 63 . Laissant de
côté les amples développements faits par Adam Wodeham et Grégoire de Rimini
- maîtres rappelés d'ailleurs comme représentant les « Doctores moderni tam
Parisienses quam Anglicani » 64 - , Pierre d'Ailly s'efforce d' « explicare unum
brevem modum mihi placentem et apparentem inter omnes formaliorem » 65 .
Après avoir rappelé la règle aristotélicienne du syllogisme commun , c'est-
à-dire le dici de omni et de nullo, il en déduit en premier lieu qu'une prémisse
qui ne dénote pas le dici de omni et de nullo n'est pas suffisamment universelle ,
c'est-à-dire dotée de l'universalité requise pour régir le syllogisme et le rendre
bonus de forma ; en second lieu , étant admis qu'une prémisse est suffisamment
universelle , si sous le terme distribué par le syncatégorème est comprise une
chose pour laquelle ce terme n'est pas distribué , le syllogisme non valet de
forma ; et donc (tertio) tous les syllogismes proposés en cette matière pèchent
en ce qu'ils ne sont pas régis par le dici de omni ; et (quarto) qu'ils n'ont pas
de prémisses simpliciter et sufficienter universelles66 .
Il faut donc préciser quelles sont les propositions universelles et quels
sont les syncatégorèmes qui opèrent l'universalisation ou la distribution . La pro-
position universelle est double . Il y a une proposition universelle dans laquelle.
de forma le sujet est distribué simpliciter, c'est-à-dire par laquelle on dénote
que «< [de] quocumque dicitur subiectum , de eodem dicitur praedicatum, si sit
affirmativa, sicut dicendo : ' omnis res quae est a est b ' , vel ' quicquid est
a est b ' ». Et puis il y a une proposition universelle dans laquelle de forma
le sujet n'est pas distribué sic plenarie et simpliciter, mais seulement secundum
quid. Ces deux types de propositions , respectivement universelle simpliciter
et universelle secundum quid, sont équivalentes in creaturis, mais non pas in
divinis, et elles ne seraient pas même équivalentes in creaturis si on admettait
qu'une créature est « plures res et quaelibet illarum » ; ils sont donc différents
de forma.
Seul le premier type d'universalitas, ou distributio, peut permettre (requi-
ritur et sufficit) que le syllogisme soit convenablement régi . Et parce que omnis
et nullus servent seulement à distribuer les propositions universelles secun-
dum quid, ce sont d'autres syncatégorèmes qui rendent la proposition simpliciter
universelle . Ces syncatégorèmes sont : omnis res quae est, nulla res quae est,
262 ALFONSO MAIERÙ
et d'autres qui leur sont équivalents67 . Sur ces bases, notre auteur fait la critique
des solutions fournies par Grégoire de Rimini et Adam Wodeham68 .
Toutefois, pas plus que dans les passages précédents et de manière ana-
logue , les solutions avancées ici ne prétendent supprimer tous les doutes, et
en tout état de cause , elles n'apportent pas d'évidence . Dans ce cas non plus,
en effet, non est nobis evidens que le syncatégorème distributif indiqué opère
une distribution du terme sujet qui suffise à un bon syllogisme . Ce distributif,
et la distribution opérée par lui, pourraient être mis en échec par l'intervention
de Dieu dans les créatures ; en tout cas , pour que le syllogisme soit dûment régi ,
il est requis beaucoup moins de la positio de trinitate que d'un cas imaginable
quelconque in creaturis69 .
NOTES
2. Edité dans le t . I de Gerson, Opera omnia, éd. E. Dupin, Antwerpiae 1706 , col. 617D-
620D, 625C-630B (Mémoire justificatif), 620D-625C (Additif au Mémoire justificatif) ;
cf. P. Glorieux, op. cit. , p. 64.
3. La distinction des termes est dans I Sent. , q. 5 , a . 1 , B-C , éd . citée f. i3va-i4ra ; la doc-
trine de la supposition des termes in divinis et les règles qui s'y rapportent sont dans l'article
2, M-O (tertio notandum) , ibid. , f. i6vb-k lra.
4. H. G. Gelber, Logic and the Trinity : A Clash of Values in Scholastic Thought 1300-
1335, Ph. D. Diss. University of Wisconsin, 1974. A propos de l'entrée à Paris d'ouvrages
théologiques anglais entre 1338 et 1343 , cf. plus haut la communication de W. J. Courtenay.
5. Pour les rapports avec Oyta, cf. l'étude citée dans la note 7 ; pour les rapports avec
Pierre d'Ailly, voir plus loin, notes 62 et 68.
6. Cf. W. J. Courtenay , Adam Wodeham. An Introduction to his Life and Writings, (Studies
in Medieval and Reformation Thought, XXI ) , Leiden , 1978 , p . 146-147.
7. Je me permets de renvoyer à mon étude « Logica aristotelica e teologia trinataria :
Enrico Totting da Oyta », dans Studi sul XIV secolo in memoria di Anneliese Maier, a cura di
A. Maierù et A. Paravicini Bagliani, Roma , 1981 , p.481-512 . Pour l'utilisation du texte de Oyta ,
cf. J. Auer , « Die aristotelische Logik in der Trinitätslehre der Spätscholastik . Bemerkungen
zu einer Quaestio des Johannes Wuel de Pruck , Wien , 1422 » , dans Theologie in Geschichte
und Gegenwart. Michel Schmaus zum sechzigsten Geburtstag dargebracht von seinen Freun-
den und Schülern, hrsg. von J. Auer und H. Volk , München, 1957, p. 457-496.
8. Ainsi écrit L. Meier à propos de Herman Lurtz : cf. sa « Contribution à l'histoire de
la théologie à l'Université d'Erfurt » , Revue d'histoire ecclésiastique, 50 (1955) , p. 469 ;
j'ai fait moi-même une constatation analogue en étudiant Totting d’Oyta (cf. mon article,
p. 489).
9. I Sent. , q. 5 , a. 1 , B ( « prima conclusio » , éd . citée f. i3rb-va, en particulier : « Ista con-
clusio patet ex symbolis per ecclesiam factis et per eam approbatis, nec aliter probo eam »).
10. Se référer au texte dans H. Denzinger A. Schönmetzer, Enchiridion symbolorum,
Barcinone, etc., 1963 ( 32e éd . ), p . 261-262 .
11. I. Sent., q. 5 , a. 1 , D (« secunda conclusio » ) , f. i4ra-b. Sur lumen naturale- ratio
naturalis, cf. F. Oakley , The Political Thought ofPierre d'Ailly : The Voluntarist Tradition,
New Haven, 1964 , p. 30-31 , n. 59.
12. Ibid. , E, f. i4rb.
13. Ibid. , E, f. i4va on discute ici l'opinion selon laquelle, deux suppositions évidentes
étant proposées (c'est-à-dire « nulla res generat se » , dans Aug. Trin. , I , i, 1 , et «< tanta
est identitas essentiae divinae ad quamlibet personam , sicut essentiae ad seipsam » ) et
les données de la foi étant admises, « Magister evidenter concludit quod essentia divina non
generat » (f.i4rb) ; suit la réponse de Pierre d'Ailly (f.i4va) : « dico quod ex dictis supposi-
tionibus una cum omnibus manifestis in fide, ante determinationem » , etc.
14. Ibid. , E , f. i4va - b : « Si autem dicatur : quare ergo ecclesia talem positionem ita
mirabilem acceptavit et determinavit, ex quo non poterat evidenter concludi ex Scripturis
etc., dico probabiliter quod ipsa in hoc articulo et in pluribus aliis multa determinavit quae
non poterant evidenter concludi etc.; sed tales veritates deus voluit credi a catholicis, quare
voluit ipsas revelare ecclesiae et per eam determinari. Et sic quandoque determinationes
ecclesiae non semper procedunt per evidentem illationem ex Scripturis, sed per specialem
revelationem factam catholicis. Si vero quaeratur quomodo constat de tali revelatione , etc. ,
dico quod difficile est constare , nisi illis quibus revelatio fit. Ideo donum dei speciale est
credere recte ».
15. Ibid. , C (« prima conclusio » ) , f. i4ra (Hil . Trin. , II , 5 , P.L. 10 , 53 C) . Il faut avoir bien
présent le contexte ; après avoir énoncé la formule trinitaire, l'auteur poursuit (f. i3va) :
<< Sed ad sciendum quae propositiones debeant concedi secundum hanc positionem fidei,
ponam aliquas distinctiones, et inde eliciam plures propositiones satis utiles » ; ensuite,
il formule les distinctions et seize règles (propositions) relatives aux divers noms (et verbes)
employés in divinis (dont on a parlé plus haut, n . 3), et conclut (f. i4ra) : « Regulae possunt
264 ALFONSO MAIERÙ
multiplicari et poni de verbis et participiis. Sed ex praedictis satis patet quid debeat concedi
vel negari in materia de trinitate secundum positionem fidei. Verumtamen ante omnia ser-
vanda est ista regula : nullus hominum » etc.
16. Cf. Mémoire justificatif ajouté à la Quaestio de Trin. , 628A et 629D.
17. I Sent. , q. 5 , a. 2 , X, f. k3rb. Plus généralement, sur la conception que Pierre d'Ailly
a de son rôle comme membre de l'Université de Paris, cf. A. E. Bernstein, Pierre d'Ailly and
the Blanchard Affair : University and Chancellor of Paris at the Beginning of the Great
Schism (Studies in Medieval and Reformation Thought, XXIV) , Leiden, 1978.
18. Quaestio de trin., 619D.
19. J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du XIIe siècle, Bruxelles-Paris, 1948
(2e éd.), p. 279-284 ; à la p . 283, il affirme qu'une étude approfondie des auteurs qu'il
cite (pour la plupart du XIIe siècle, auxquels s'ajoutent, pour les siècles suivants, seuls
Bonaventure, Thomas d'Aquin et Wyclif) « ferait découvrir sans doute des nuances, sinon
des différences, dans le but qu'ils assignent à cette justification de leurs croyances : simple
but apologétique, ou construction théologique ».
20. I Sent. , q. 1 , a. 1 , E, f. d 1rb-va. Sur ces thèmes, cf. Meller, op. cit. , p . 85-109.
21. Ibid. , E (« prima conclusio » , « secunda conclusio » ) , f. dlva.
22. Ibid. , F (« tertia conclusio » ) , f. d 1va-d 2ra ; en particulier (f. d1vb) : « Secunda pars
conclusionis est quod loquendo de evidentia secundum quid seu conditionata vel ex suppo-
sitione, scilicet stante dei influentia generali et cursu naturae solito nulloque facto miraculo,
talia possunt esse nobis sufficienter evidentia sic quod de ipsis non habemus rationaliter
dubitare ».
23. I Sent. , q. 1 , a. 2, T, f. d6va.
24. I Sent. , q. 1 , a. 1 , O , f. d5ra : « omnis evidentia absoluta de qua in prima et secunda
conclusionibus est notitia infallibilis, sed nulla evidentia conditionata de qua in hac tertia
conclusione est infallibilis : patet clare etc. ».
25. Ibid. , K, f. d3va : « Tertia (sc. propositio) est quod de facto non est necesse eviden-
tiam de aliquo esse summam, immo in evidentia sunt gradus, quia primum principium est
evidentissimum, et deinde alia magis vel minus secundum quod magis vel minus appropin-
quant ad primum principium. Similiter de eodem potest haberi evidentia maior, vel minor,
vel propter plura media ad eandem conclusionem, vel propter intentius idem medium consi-
derare , vel propter diversam dispositionem intellectus seu naturalem seu acquisitam » .
26. I Sent. , q. 1 , a. 2, T, f. d6va : « quaedam est notitia evidens quae est de aliquo alio vero
per se noto ; alia, quae est de aliquo non per se noto sed ex alio vero vel aliis veris deducto ».
27. Ibid., S, f. d6rb : « Prima (sc. propositio) est quod impossibile est viatorem per ratio-
nem demonstrativam vel evidentem acquirere fidem ; patet : secundum Philosophum,
demonstratio est syllogismus faciens scire ; ergo talis ratio generat scientiam seu evidentiam
et non fidem. Secunda est quod impossibile est viatorem per rationem dialecticam prae-
cise vel probabilem acquirere fidem ; patet, quia talis quantum est de se solum generat
opinionem cum formidine, et non certam fidem ».
28. Ibid., AA, f. e2vb, et « Ad primam rationem principalem quaestionis » , RR , f. e7rb.
29. I Sent., q. 3 , a. 3 , DD ( « tertia conclusio » ) , f. h 3rb-va.
30. Quaestio de trin. , 619C.
31. I Sent. , q. 3, a. 3 , EE, f. h3vb : « Tertio sequitur quod articulus de unitate dei, licet
non possit nobis fieri evidens in lumine naturali, tamen hoc potest in lumine superiori ;
patet, quia in lumine supernaturali etc. ».
32. Ibid. , DD , f. h 3rb : « Tertia conclusio : quod licet nullo praedictorum modorum descri-
bendo deum, sit nobis evidens, aut possit esse, in naturali lumine tantum unum deum esse,
tamen hoc est probabile naturali ratione » ; et q. 1 , a. 2, Z , f. e2rb : « aliquid esse probabile
potest dupliciter intelligi. Uno modo simpliciter, alio modo secundum quid. Unde secundum
Philosophum illud dicitur probabile simpliciter quod videtur omnibus vel pluribus vel
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 265
maxime sapientibus. Quae descriptio sic intelligitur, quod probabile est quod, cum sit
verum et necessarium, non est tamen evidens sed apparens omnibus vel pluribus vel maxime
sapientibus. Per primam clausulam excluduntur falsa et vera contingentia, quae stricte
loquendo non dicunt probabilia, licet aliquando improprie, sicut dicit Philosophus quod
nihil prohibet falsa esse probabiliora quibusdam veris capit enim probabile improprie
pro apparenti etc. Per secundam excluduntur omnia principia et conclusiones demonstra-
tionum. Per tertiam excluduntur necessaria quae apparent falsa omnibus vel pluribus etc.
Sed alio modo et magis large aliquid dicitur probabile secundum quid quod , cum sit verum
sive necessarium sive contingens, non est tamen evidens sed apparens alicui vel aliquibus.
Et proportionabiliter posset distingui de ratione probabili, quia vel est ex probabilibus primo
modo vel secundo modo, vel simpliciter vel secundum quid etc. (… ) Quarta (sc. propositio)
est responsiva ad rationem quod non omnes theologicae veritates sunt primo modo proba-
biles, nec ad omnes possunt haberi simpliciter probabiles rationes. Patet (...) . Secundo,
quia multae sunt huiusmodi veritates quae apparent falsae omnibus vel pluribus vel maxime
sapientibus, et hoc intelligendo de sapientibus huius mundi praecise innitentibus rationi
naturali, quia isto modo accipitur ` sapiens ' in descriptione probabilis » .
33. Cf. plus haut note 26, et I Sent. , q. 1 , a. 3 HH ( « quid sit ' scibile ' proprie dictum ») ,
f. e4va-e 5ra.
34. Seul le principe général, relatif à ce qui peut être inféré de la toute-puissance de Dieu,
est posé (dans le contexte trinitaire) dans la Quaestio de Trin. cit. , 620A-B : « Tertia propo-
sitio Licet creatam naturam posse esse tria supposita non possit evidenter in via a contra-
dictionis implicatione defendi, potest tamen probabiliter , supposita fide, concedi. Prima
pars probatur : quia cum omnis propositio non implicans contradictionem sit possibilis
(...). Secunda pars probatur : quia quandocumque aliquae propositiones sic sunt similes
quod sunt aeque faciliter defensibiles, si fides cogat unam concedere, et non cogat aliam
concedere esse possibilem , per omnipotentiam divinam ; sed sic est quod istae duae propo-
sitiones natura divina est tria supposita ', et natura creata est tria supposita ', sunt
consimiliter et aeque faciliter defensibiles, ut patet ex secunda propositione, et fides cogit
concedere [ primam ] et non cogit negare secundam, vel possibilitatem suam, ut patet de se ;
igitur probabile est ex fide concedere secundam esse possibilem per omnipotentiam divinam :
aliter enim ex articulo omnipotentiae dei non posset probabiliter inferri quod aliquid
quod nec est, nec fuit, nec erit, posset per dei omnipotentiam esse vel fieri ».
35. I Sent., q. 5, GG (« ad rationes principales ») , f. k5rb.
36. I Sent., q. 1 , a. 1 , J, f. d 3ra.
37. Ibid. , H (« Ad secundam rationem » , « Secunda [ propositio ] » ) , f. d 2vb.
38. Dante, Purgatorio, III , 122.
39. I Sent. , q. 5 , a. 1 , D ( « secunda conclusio » ) , f. i4ra-b.
40. Ibid. , F (« tertia conclusio » ) , f. i4vb.
41. I Sent. , q. 5 , a. 2 , M ( « primo notandum » ) , f. i6va.
42. Ibid. , P (« prima conclusio » ) , f. k 1ra-b.
43. Ibid., P (« secunda conclusio » ) , f. klrb ; cf. aussi q. 3 , a. 3 , DD , f. h 3ra-b et EE ,
f. h 3va ; Quaestio de trin. , 620A.
44. I Sent. , q. 5 , a . 2 , P-Q, f. k 1rb-va.
45. I Sent., q. 5 , a. 2 , M , f. i6va : « Et ista (sc. contradictio propositionum ) potest poni
triplex, quia vel vocalis tantum , vel mentalis tantum , vel vocalis et mentalis simul . De
prima vero non est curandum, sed reliquae sunt ad propositum. Unde de ipsis potest dari
ista regula, quod contradictio solum mentalis est ita evidenter sicut vocalis et realis » ; P,
f. klrb «< illa positio non est contradictio manifesta neque tantum mentalis neque vocalis
et realis », et S, f. klvb : « ( ... ) tria supponuntur : primum est unum concessum in isto
articulo, scilicet quod contradictio tantum mentalis est tanta et tam evidens repugnantia
et impossibilitas sicut mentalis et vocalis simul » .
46. I Sent. , q. 5, a. 2 , Q (« tertia conclusio » ) , f. k 1va : « de facto aliqui antiqui philosophi
posuerunt quod genus est realiter omnes suae species, et species quodlibet suum individuum,
266 ALFONSO MAIERÙ
et per consequens habebant concedere quod aliqua res quae non erat deus esset plures res
et quaelibet illarum » , et X, f. k3ra : « aliqui philosophi antiqui, sicut Plato ponens ideas
(...), concedebant eandem rem universalem esse plures res singulares ». La reprise de la
position platonicienne en théologie trinitaire semble répondre à une double exigence :
avant tout, discuter de la validité de la logique aristotélicienne en matière trinitaire, et
c'est pourquoi est émise l'hypothèse d'une réalité (de type platonicien) la plus semblable
possible à la réalité trinitaire et pour laquelle serait démontrée la validité de la logique
aristotélicienne, de manière à justifier l'application de cette logique à la Trinité (à partir
de Wodeham, semble-t-il cf. A. Maierù, art. cité, p. 486-487) ; en second lieu , chercher
une réponse aux questions : en quel sens une créature est-elle imago de la Trinité ? L'est-elle
au point de constituer tria supposita en une nature ? Et Dieu peut-il faire une telle créature ?
C'est le thème de la Quaestio de trin. (voir note 34) ; cf. aussi J. Koch, « Neue Aktenstücke
zu dem gegen Wilhelm Ockham in Avignon geführten Prozess » , Recherches de Théologie
ancienne et médiévale, 7 ( 1935) , p . 376, 379 et 8 ( 1936) , p. 182-183 , 188-189 , 195.
47. I Sent. , q. 5 , a. 2 , Q ( « tertia conclusio...Secunda pars probatur » ) , f. k 1va ; cf. n. 34.
48. Ibid., Q-R , f. k 1vb ; cf. aussi Quaestio de trin. , 620C.
49. Ibid. , Q (« tertia conclusio ... Prima pars probatur » ) , f. k 1va, et R ( « secunda regula »),
f.k lvb.
50. Ibid. , Q, f. k 1va, et R , f. k lvb.
51. Ibid. , X, f. k 3ra-b : « Alio modo potest dici quod, vocando illud probabiliter sustineri
sine contradictione quod non potest duci ad contradictionem manifestam in lumine naturali
per consequentias regulatas per dici de omni et de nullo (…... ) . Alio modo potest dici quod
proprie loquendo, ad hoc quod aliquid dicatur probabiliter sine contradictione sustineri,
non sufficit illud quod nunc immediate dictum est, sed illud requiritur, et ultra hoc quod
possit imaginari et ad eius apparentiam possunt aliquae rationes probabiles fieri, ut tange-
batur in tertia conclusione primi articuli » .
52. Ibid. , S (« Tertio principaliter arguitur » ) , f. k 2rb ; et U ( « Ad 3m » ) , f. k 2vb-k 3ra ; en
particulier : <« hic potest dici quod illa positio per quam negarentur formae regulatae per dici
de omni vel de nullo non esset probabiliter sustinibilis, et tamen non posset proprie reduci
ad contradictionem contra protervum et logicum, quia fieret petitio principii ».
53. I Sent. , q. 2 , a. 3 , Y ( « Ad primam dubitationem » ), f. f5vb.
54. I Sent. , q. 5 , a. 3 , Y, f. k 3va : « Quantum ad primum, prima instantia est de syllogismis
expositoriis, sicut sunt isti : ' haec essentia est pater, haec essentia est filius, ergo filius est
pater '. Item haec essentia non generat, haec essentia est pater, ergo pater non generat '.
Item iste pater generat, iste pater est haec essentia, ergo haec essentia generat '. Item :
` iste pater generat, haec essentia non generat, ergo haec essentia non est iste pater ' ».
55. Ibid. «< Secunda instantia est de syllogismis non expositoriis, sed ex communibus
terminis, sicut sunt isti omnis essentia divina est pater, omnis filius est essentia divina,
ergo omnis filius est pater '. Item : ' nulla essentia divina generat, omnis pater est essentia
divina, ergo nullus pater generat '. Primus est in barbara, secundus in celarent, qui sunt
modi evidentissimi arguendi. Et consimiliter posset dari instantia in omnibus aliis modis ».
56. Ibid., << Tertia instantia est de consequentiis non syllogisticis sed conversivis sicut
sunt istae nulla essentia divina generat, ergo nullum generans est essentia divina ' ; ` omne
generans est essentia divina, ergo aliqua essentia divina generat '. Prima est conversio simplex,
secunda per accidens ».
57. Ibid.
58. Ibid.
59. Ibid.
60. Ibid. , Z , f. k 3vb ; pour le principe rappelé , cf. mon article, p. 482, note 4.
61. I Sent. , q. 5 , a. 3 , AA ( « Primo notantum » ) , f. k 4ra-b ; pour le principe « medio exis-
tente hoc aliquid necesse est extrema coniungi » , cf. encore mon article, p. 482, note 5 ; et
pour la réduction du syllogisme d'exposition au syllogisme commun et à la règle du dici de
omni et de nullo, voir ibid. , p. 489 et 511 , lignes 590-593.
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 267
essentia ' ; et consimiliter illa : ' omnis essentia divina est pater ' ; et sic nulla est simpliciter
et sufficienter universalis ad syllogizandum vel ad convertendum de forma, licet gratia
materiae valeat in creaturis, sic quod numquam ex vero sequitur falsum propter causam
iam saepe dictam ».
71. Ibid. , FF , f. k5rb.
72. Ibid. , FF-GG, f. k5rb.
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME
A L'UNIVERSITÉ DE PARIS
Cesare VASOLI
Les débats qui entourent les origines de l'humanisme parisien, ses liens
avec la culture italienne contemporaine et avec le monde universitaire des
Facultés et des Collèges ne sont pas nouveaux . Il faut dès à présent souligner
qu'ils ont été trop souvent conduits avec des intentions plus polémiques que
scientifiques, pour réaffirmer des thèses préétablies et célébrer de soi-disant
primats nationaux et l'antériorité de la naissance de nouvelles traditions intellec-
tuelles européennes . Certes , de vieux mythes , comme celui qui faisait remonter
l'initiation à l'humanisme de la capitale française aux guerres d'Italie et à la révé-
lation d'une civilisation inconnue et fascinante , se sont définitivement effondrés.
De même, la thèse d'une parfaite continuité entre la prétendue << Renaissance
du XIIe siècle » et les expériences humanistes parisiennes de la fin du XIVe
et des premières décennies du XVe siècle apparaît trop faible et trop fragile.
Une conscience historique plus mûre a permis de comprendre la nature toujours
très complexe des rapports entre la tradition universitaire et l'innovation huma-
niste et, notamment, entre la vocation littéraire et philologique de certains
milieux intellectuels du Moyen Age et l'expérience originale des amis et cor-
respondants français de Pétrarque , de Boccace et de Coluccio Salutati . Mais
nombreux sont les problèmes qui ne sont pas encore résolus et les zones d'ombre
qui attendent d'être éclairées grâce à des recherches organisées et systématiques.
Ceci est valable , en général, pour toutes les situations et milieux historiques
où existe un état de crise profond des intérêts et des modèles culturels et où
les structures de l'enseignement et de la transmission du savoir subissent l'impact
de besoins, d'exigences et de modes de pensée nouveaux . Sans aucun doute,
l'histoire du premier humanisme parisien n'est pas , de ce point de vue , très
différente de celle d'autres traditions similaires et a eu dans son développe-
ment les mêmes rapports difficiles avec les puissantes institutions scolastiques.
Cependant , le cas de Paris a pris , comme cela était inévitable , une signification
exemplaire ; il était au coeur de ce débat entre les «< idées » et les «< lettres >>
que le grand médiéviste Étienne Gilson¹ met au centre de bon nombre d'évé-
nements intellectuels de la fin du Moyen Age . Il ne semble pas non plus que
270 CESARE VASOLI
la perspective historique qui tend à considérer, et à mon avis à juste titre , toute
l'évolution des idées et de la culture du XIIe au XVIe siècle comme l'histoire
de la rencontre et du heurt entre cultures et traditions autonomes , expériences
philosophiques , scientifiques et linguistiques diverses (et aussi comme celle d'un
processus d'assimilation lent et controversé, de transformation et de transmission
des << documents » majeurs des différentes civilisations et de leur adaptation
aux nouveaux besoins d'une société en voie de développement rapide) soit
encore acceptée par tout le monde .
Si l'on admet ce point de vue , de nombreuses questions débattues pendant
longtemps avec un acharnement polémique peuvent paraître sinon résolues,
du moins réduites à leur incidence historique effective . Et il est , je crois , possible
d'indiquer dans le problème que nous sommes en train de traiter, quelques
grandes lignes générales qui, tout en confirmant la continuité dans le monde
des << Sorbonienses » et des grands maîtres de l'Université d'un goût pour les
<< studia literaria » et la lecture des classiques , révèlent la direction nouvelle
que cette tradition reçut de l'influence des humanistes italiens, en particulier
de Pétrarque et de ses disciples les plus directs.
Du reste , les travaux de Sabbadini² , et ceux , plus récents , de Billanovich3
et d'Ullman4 , les mises au point historiques de Gilson5 , de Combes et de
Simone7 ont pleinement mis en lumière la contribution que le milieu culturel
d'Avignon, qui était le centre crucial des événements ecclésiastiques et politiques
du XIVe siècle , a apportée dans la naissance de l'humanisme pétrarquiste et
la formation de certaines traditions littéraires et philologiques. On sait que dans
cette ville , où, dès le début du siècle , vivait une colonie prospère d'Italiens
formée de fonctionnaires de la curie , de banquiers, de juristes, d'artistes et
d'artisans (parmi lesquels se trouvait un bon nombre de Florentins au service
des grandes compagnies marchandes), les rapports entre deux cultures qui
avaient développé d'une manière différente l'héritage du savoir du XIIIe siècle
furent continus et extrêmement enrichissants .
On n'ignore pas que la bibliothèque papale d'Avignon rassemblait dès le
début du XIVe siècle de nombreux et précieux manuscrits d'oeuvres classiques8 .
Ils furent souvent à l'origine de découvertes et de débats philologiques très
importants dans l'histoire de l'humanisme . En vérité , c'est surtout sous le ponti-
ficat de Jean XXII et de ses successeurs, quand des lettrés furent attirés par les
emplois lucratifs de la cour papale et arrivèrent des quatre coins de la chrétienté ,
qu'Avignon fut vraiment une des capitales culturelles de l'Europe ainsi que le lieu
naturel de rencontre et d'assimilation entre la tradition littéraire et universi-
taire française et les nouvelles expériences faites, dès le début du siècle , par
la première génération des maîtres italiens des « artes dicendi » . Ce n'est donc
pas un hasard si c'est à Avignon que Pétrarque reçut d'un de ces maîtres ,
Convenevole da Prato , sa première éducation littéraire et que, plus tard , son
appel pour la renaissance et le renouvellement des <« studia humanitatis » obtint,
avec les propositions de ses prédécesseurs et amis padouans, un accueil immédiat
et favorable . Bien plus, pour définir les rapports entre Pétrarque et le monde
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 271
avignonnais, ses riches bibliothèques, ses recueils d ' « auctores » , ses intellectuels
et ses maîtres, il faut, je crois , suivre Billanovich . Celui-ci disait très justement
que c'est dans la cité papale que Pétrarque devint <« citoyen de l'Europe » et
entreprit son magistère qui n'avait pas de frontières nationales et se nourrissait
de mémoires, de traditions et d'expériences provenant d'un passé commun
inoubliable.
Il est certes bien vrai que Pétrarque lui-même n'épargna pas ses attaques
à la curie avignonnaise accusée de favoriser un type dépassé de culture , comme
celle représentée par le Manipulus florum de Thomas d'Irlande , un « opus vere
gallicum » et un fruit typique de la « < gallica levitas » que le poète considérait
comme le prototype d'une éducation littéraire incapable de remonter aux
leçons des Anciens et fatalement portée à les dénaturer dans l'adaptation de
<< compendia » et de « fragmenta » 10. Mais Simonell a bien analysé les motifs
et les sous-entendus de cette polémique , comme les différentes réponses que
des hommes de lettres et de culture française opposèrent aux jugements négatifs
de Pétrarque sur les « gallici scriptores » et les « gallicae litterae » . Il a montré
comment un lettré comme Pierre Bersuire , qui pouvait , sous certains aspects ,
se sentir touché par ces attaques , n'hésita pas à accueillir dans son Reductiorum
morale ces vers de l'Africa ( III , 88-262) dans lesquels est décrit le palais de
Syphax et que le poète lui-même lui avait communiqués12 . Ainsi , au-delà de
toute polémique et de tout contraste de caractère national , se nouèrent autour
d'Avignon des liens entre l'humanisme italien et l'humanisme français qui
assurèrent la pénétration rapide , même dans certains milieux parisiens , des
propositions , des méthodes, des goûts et des attitudes culturelles typiques de
la << renovatio » prônée à l'échelle européenne par Pétrarque , par ses amis et
par ses disciples.
II
des antipapes15. Il est de même significatif qu'à cette époque furent présents en
Avignon non seulement des hommes de lettres et des artistes italiens, mais aussi
d'importants hommes d'Église comme les cardinaux Galeotto Tarlati da Pietramala
et Amédée de Saluces ou le secrétaire pontifical Giovanni Moccia16 . Ils furent
attirés par la nouvelle culture et jouèrent souvent le rôle de liens entre les huma-
nistes italiens et leurs amis et collègues français . Mais la présence de Pétrarque
et de Boccace dans les milieux intellectuels français des dernières années du
XIVe siècle et du début du XVe ne peut se réduire à ces rapports , certes solides
et indiscutables , qui unirent la capitale de la papauté et celle du royaume .
Il ne s'agit pas là d'un épisode, limité aux cénacles érudits, de la diffusion de
modèles littéraires ou de préférences philologiques. Au contraire, tous les élé-
ments historiques qui sont en notre possession prouvent que l'intérêt démontré
pour les deux auteurs italiens et pour leurs disciples répondait à des exigences
profondes déjà présentes dans le monde intellectuel parisien bien avant les der-
nières décennies du XIVe siècle , et que les rapports avec Avignon et les milieux
italiens ou italianisants de cette ville les avaient singulièrement renouvelées.
On n'expliquerait pas sans cela le retentissement incontestable qu'avait eu ,
dès 1361 , la présence de Pétrarque à Paris lors de son ambassade auprès du
roi Jean et les discussions qui accueillirent la célèbre oraison au souverain , si
riche en thèmes éthiques et philosophiques « humanistes » et si nouvelle dans
les solutions doctrinales de l'antique « topos » de la fortune 17. Certainement,
l'interprétation originale que le poète avait donnée des symboles et des images
classiques bien connus de ses auditeurs contribua à susciter l'étonnement,
l'admiration, mais aussi le désaccord des intellectuels parisiens . Cependant ,
la liberté avec laquelle il recourut aux textes antiques pour confirmer l'ensei-
gnement évangélique retentit sur l'attitude des maîtres réunis autour de lui
pour poursuivre la discussion d'un sujet qui, à travers Boèce , avait influencé
si profondément la culture française des XIIe et XIIIe siècles .
On ne pourrait sans ces précédents comprendre les raisons de la fortune
exceptionnelle que rencontra le De remediis utriusque fortunae, que le roi
Charles V fit traduire , en 1376-1377 , par Jean Daudin et que Gerson cita expli-
citement dans son Sermo in dominica III Quadragesimae ; Jean de Montreuil
le considérait comme le document le plus élevé de doctrine civile , morale et
humaine 18. Il serait d'autre part également difficile de comprendre pourquoi
la réaffirmation par Pétrarque du primat des études italiennes et «< romaines >>
contre les prétentions « gallicanes » , renouvelées par Ansel Choquart, provoqua
la réponse de Jean de Hesdin ; celui-ci voulait démontrer que Paris, mère du sa-
voir théologique et philosophique , n'avait jamais dédaigné le culte des << litterae >>
et rappeler au poète italien que même les « Galli » n'avaient pas ignoré l'amour
pour les << Anciens » , pour leur savoir et pour leur éloquence ( 1369-1370) 19 .
Du reste, quand plus tard , vers 1395 , Nicolas de Clamanges écrivit une lettre
bien connue au cardinal de Pietramala, il ne cita pas explicitement Petrarque
(dont il dit ailleurs : «< illius viri raro et non libenter scripta perlego >> ) , mais
il déclara surtout que pendant longtemps la culture littéraire des « Galli » avait
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 273
III
une lettre à Guillaume Fillastre , souvent citée par Combes31 et par Simone32 ,
la culture sacrée et la culture profane ne sont pas nécessairement contrastante ni
même faites pour se combattre ou s'exclure ; en effet, un passage des Tusculanae
disputationes33 semble enseigner aux théologiens et aux hommes de lettres que
l'union entre la pensée la plus pure et la plus élevée et la perfection de style
des classiques constitue un modèle de culture sans pareil.
IV
commun avec un jeune Italien qui, au cours des années 70, était venu à Paris
pour y passer ses examens de théologie et y apporter sa fidélité envers un mode
nouveau de philosopher : l'augustin Luigi Marsili de Florence35 .
De toutes façons, un érudit comme Jean de Montreuil ne tarda pas à ras-
sembler autour de lui un groupe d'hommes de culture qui étaient comme lui
amateurs des «< litterae humanae » et du savoir théologique, des doctrines philo-
sophiques et du nouveau langage poli et éloquent appris à la lecture de Cicéron
et des autres modèles antiques. Parmi ceux-ci, les frères Gontier et Pierre Col
appartenaient à la cour où ils exerçaient de hautes charges dans la diplomatie et
l'administration de la monarchie , tandis que d'autres , comme Nicolas de Clamanges
et Gérard Machet, appartenaient à l'Université et , en particulier, au Collège de
Navarre par où passèrent , pendant les décennies qui suivirent , quelques-uns des
protagonistes des événements de l'humanisme français. Ce groupe de disciples
parisiens des << studia humanitatis » ne se limita pas à des disputes littéraires
ou à des polémiques avec les partisans intransigeants des vieilles méthodes et
de la pure tradition scolastique , mais s'efforça de nouer des liens étroits avec
le monde humaniste italien et d'établir un rapport direct avec ceux qui peuvent
être considérés comme les héritiers légitimes du magistère de Pétrarque . Ainsi,
Jean de Montreuil , l'homme qui avait longuement médité sur le De remediis
utriusque fortunae36 , en y cherchant les fondements d'une véritable sagesse
civile et éthique , entretint avec Coluccio Salutati un dialogue épistolaire parti-
culièrement important qui permet de comprendre le sens de sa vocation d'huma-
niste et de juger ses rapports avec les idées et les expériences de la seconde
génération de l'humanisme italien . Il pressa en effet Ser Coluccio de lui envoyer
quelques-unes de ses Epistolae, vite devenues un modèle classique de pensée et
d'expression37 . Il en reçut non seulement les textes désirés, mais aussi le traité
De fato etfortuna qui reprenait un sujet cher à Pétrarque en l'adaptant à la sensi-
bilité et aux exigences d'une époque historique différente et le rendait ainsi
familier à la culture humaniste européenne du milieu et de la fin du XVe siècle 38 .
Le groupe humaniste parisien qui a pris forme au cours de la dernière
décennie du XIVe siècle est désormais prêt à dialoguer avec les représentants
des milieux culturels les plus avancés d'Italie ; mais il veut aussi revendiquer
les traditions spécifiquement françaises qui peuvent trouver place dans le pro-
gramme de rénovation culturelle qu'il soutient et essaie de mettre en pratique au
cours de son inévitable affrontement avec la fonction doctrinale et les pouvoirs
de l'Université .
Il n'est donc pas étonnant que ce soit dans le cénacle des amis de
Jean de Montreuil que se déroule , au cours des premières années du XVe siècle ,
une célèbre dispute au sujet du Roman de la Rose que certains historiens ont
probablement chargé de significations idéologiques excessives, mais qui reste de
toute façon un document fort intéressant sur la mentalité des partisans parisiens
des << studia humanitatis » et de leur manière de considérer un passé auquel ils
se sentaient profondément attachés39 . On sait, en effet , que Jean de Montreuil
et Pierre Col n'hésitèrent pas à se ranger aux côtés des défenseurs du célèbre
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 277
Pour le reste, Clamanges, ami et familier de Gerson, avait basé son ensei-
gnement sur une solide connaissance des textes classiques. Il avait toujours
eu la ferme conviction de la valeur et du rôle de la rhétorique et de la poésie
même pour connaître la «< sacra pagina » et acquérir la véritable « sapientia >>
nourrie de philosophie , de piété et d'éloquence . Son Liber de studio theologico42
est un document du plus grand intérêt pour comprendre l'histoire de ce moment
de la culture parisienne car il révèle que son auteur ne considérait pas comme
278 CESARE VASOLI
VI
VII
Nous n'avons pas toutefois l'intention de nier qu'à Paris les propositions
culturelles de Jean de Montreuil et de Nicolas de Clamanges rencontrèrent une
opposition, que ceux-ci encoururent des accusations et des condamnations
(particulièrement dures à l'occasion du débat sur le Roman de la Rose dont
nous avons déjà parlé) et que , aux ouvertures prudentes de d'Ailly ou de Gerson,
correspondait l'antipathie tenace d'autres maîtres bien décidés à défendre leur
<< sermo parisiensis » , leurs méthodes et surtout leur suprématie . De semblables
contrastes et conflits ont accompagné presque partout la diffusion des idées
et des méthodes de l'humanisme et leur lente pénétration dans les citadelles
scolastiques . Mais c'est une chose de dire cela, c'en est une autre de supposer
que l'opposition des théologiens détruisit rapidement les germes de la nouvelle
culture en brisant toute continuité de l'histoire de la Renaissance française .
Il est bien vrai que le sort personnel des représentants majeurs de l'humanisme
parisien ne fut pas heureux et que pesa sur eux , d'une manière souvent tragique ,
la brutale réalité d'une des périodes les plus tourmentées de l'histoire de France .
Cependant, la crise qui bouleversa à Paris le premier groupe d'humanistes,
au cours de la seconde décennie du XVe siècle , ne brisa jamais complètement
une tradition désormais affermie et qui pouvait déjà compter sur la sympathie
et le soutien de certains milieux académiques .
Jean de Montreuil , mêlé directement aux conflits politiques de ces années
mourut en 1418 victime de la haine de la faction bourguignonne . Nicolas de
Clamanges, secrétaire de 1397 à 1407 de l'antipape Benoît XIII , était tombé
de ce fait en disgrâce et vécut loin de Paris au moins jusqu'en 1425 en se consa-
crant à des expériences monastiques. Pourtant, à son retour dans la capitale ,
il recommença à enseigner la théologie et la rhétorique au Collège de Navarre
en s'inspirant des critères qui avaient guidé l'oeuvre du premier cénacle huma-
niste. Certes, la reprise ne fut pas facile et certains historiens50 insistent , à juste
titre, sur la solitude et l'isolement de Clamanges pendant ses douze dernières
années d'enseignement dans une ville ravagée par la guerre civile et l'occupa-
tion étrangère , et abandonnée par Gerson et une grande partie de ses amis et
<< sodales >> humanistes . Mais Coville51 et , plus tard et d'une manière plus forte ,
Simone et Ouy52 ont mis l'accent sur le rôle d'un autre maître , Gérard Machet,
administrateur du Collège de Navarre et professeur à la Faculté de théologie
dont il était le doyen au moment le plus triste de l'histoire de l'Université de
Paris . Cet ami de Nicolas de Clamanges, comme lui pourvu d'une bonne culture
théologique et partisan de l'étude des classiques et de l'union de la «< sapientia >>>
et de l' <« eloquentia » , poursuivit son enseignement au collège et à l'université
au moins jusqu'en 1447 , date à laquelle son nom disparait du Chartularium53 .
Pour ceux qui s'opposent à la thèse acceptée par Renaudet54 , d'une totale
282 CESARE VASOLI
NOTES
Torino , 1967 , p . 27-57 ; E. Ornato , Jean Muret et ses amis Nicolas de Clamanges et
Jean de Montreuil contribution à l'étude des rapports entre les humanistes de Paris et ceux
d'Avignon (1394-1420), Genève-Paris, 1969.
14. E. Ornato, op. cit.
15. A. Coville, Gontier et Pierre Col et l'humanisme en France au temps de Charles VI,
Paris, 1934 , p. 140-186 ; mais voir aussi : A. De L. Le Duc, « Gontier Col and the French
Pre-Renaissance » , The Romanic Review, VII ( 1916 ), p . 414 sqq.; VIII ( 1917) , p. 145 sqq.,
290 sqq.; H. Hauvette, De Laurentio de Primofato, Paris, 1903.
16. A. Coville, La vie intellectuelle dans les domaines d'Anjou-Provence de 1380 à 1435,
Paris, 1941 , p. 369-393 ; F. Simone , Il Rinascimento francese, p. 26-28.
17. V. G. Godi, « L'orazione del Petrarca per Giovanni il Buono » , Italia medioevale e
umanistica, VIII (1965) , p. 45-83 ; N. Mann, Petrarch's role as moralist in Fifteenth-Century
France, dans Humanism in France at the end of the Middle Ages and the early Renaissance,
éd. A.M.T. Levi, Manchester - New-York, 1970, p . 6-28 ; cf. aussi : A. Cochin, « Pétrarque et
les rois de France » , Annuaire-Bulletin de la Société d'Histoire de France, 1918.
18. N. Mann, op. cit. ; id. « La fortune de Pétrarque en France : recherches sur le ` De
remediis ' » , Studi francesi, XIII ( 1969) , p. 1-15 . Mais voir aussi : L. Delisle, « Anciennes
traductions françaises du traité de Pétrarque sur les remèdes de l'une et de l'autre fortune » ,
Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, XXXIV (1891 ) , p. 273-
304 ; E. Ornato , « La prima fortuna del Petrarca in Francia : I. Le letture petrarchesche di
Jean de Montreuil » ; II . « Il contributo del Petrarca alla formazione culturale di Jean de
Montreuil » , Studi francesi, V ( 1961 ) , p. 201-217 ; 401-414 ; K. Heitmann, Fortuna und
Virtus. Eine Studie zu Petrarcas Lebensweisheit, Köln, 1958.
19. Petrarca, Seniles, IX, I , dans Opera, f. 847. Le discours de A. Choquart dans C. E. Du
Boulay, Historia Universitatis Parisiensis, Parisiis, 1668 , IV , p. 396-412 (attribution à
Nicole Oresme) ; pour l'identification de l'auteur R. Delachenal, Histoire de Charles V,
Paris, 1916 , III , p . 515-519 . Pour l'épître de Jean Hesdin, voir Magistri Johannis de Hisdino
contra Franciscum Petrarcham et Francisci Petrarchae contra cuiusdam Galli anonymi
calumnias apologia, éd . Cocchia, Atti della R. Accademia di archeologia , lettere e arti
di Napoli, VII (1920) , n. 1 , p. 112 sqq.; mais cf. P. G. Ricci, « La cronologia dell'ultimo
<< certamen » petrarchesco » , Studi petrarcheschi, IV (1951 ) , p. 47-57.
20. V. E. Ornato, « La prima fortuna del Petrarca » , p. 201-217 ; D. Cecchetti, « Sulla
fortuna del Petrarca in Francia » ; G. Ouy, Le Collège de Navarre berceau de l'humanisme
français, dans Actes du 95e Congrès national des sociétés savantes, Reims, 1970, Section
de philologie et d'histoire jusqu'à 1610 , I , Paris, 1975 , p . 275-299 , part., p. 285.
21. Je me limite encore à citer G. Voigt, op. cit. , II, p . 347 sqq. ; R. Sabbadini, Nuove
ricerche ; A. Thomas, « Le nom de famille de Jehan de Monstereul » , Romania, XXXVII
(1908), p. 594-602 ; K. Schmidt, Jean de Montreuil als Kirchenpolitiker, Staatsmann und
Humanist, Freiburg im Breisgau, 1904 ; A.Combes, Jean de Montreuil et le chancelier Gerson ;
G. Billanovich G. Ouy, « La première correspondance échangée entre Jean de Montreuil
et Coluccio Salutati » , Italia medioevale e umanistica, VII ( 1964) , p. 337-374 ; G. Ouy,
Le recueil epistolaire autographe de Pierre d'Ailly et les notes d'Italie de Jean de Montreuil,
Amsterdam, 1966 ; F. Simone, Il Rinascimento francese, ad ind.; E. Ornato, Jean Muret ;
id. , La prima fortuna del Petrarca. Voir aussi Jean de Montreuil, Opera, 1 , Epistolario,
éd. crit. E. Ornato , Préf. A. Combes, Torino, 1963 ; II , L'oeuvre historique et polémique,
éd. crit. N. Grévy, E. Ornato, G. Ouy, Torino, 1975 ; III , Textes divers. Appendices. Tables,
éd. crit. N. Grévy - Pons, E. Ornato, G. Ouy , Paris, 1981.
22. F. Simone , Il Rinascimento francese, p. 55 .
23. L. Delisle , Recherches sur la Bibliothèque de Charles V, Paris, 1907.
24. Voir à ce propos : L. Salembier, Bibliographie des oeuvres du cardinal Pierre d'Ailly,
évêque de Cambrai (1350-1420) , Besançon, 1904 ; id., Les oeuvres françaises du cardinal
Pierre d'Ailly, Arras, 1908. Pour les Quaestiones super Sententiarum libros, je me sers de
l'édition de Bruxelles, 1500. Mais cf. R. Pontvianne, Pierre d'Ailly, évêque de Puy, évêque
de Cambrai et cardinal, Le Puy, 1896 ; L. Salembier, Le cardinal Pierre d'Ailly, Tourcoing,
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 285
1931 ; M. de Gandillac, « Usage et valeur des arguments probables chez Pierre d'Ailly » ,
Archives d'Histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, VIII ( 1933) , p . 43-91 ; A. Combes,
Sur les lettres de consolation de Nicolas de Clamanges à Pierre d'Ailly, ibid. , XV-XVII
(1940-1942), p. 359-389 ; B. Meller, Studien zur Erkenntnislehre des Peter von Ailly,
Freiburg im Brisgau, 1954 ; J. P. McGovan, « Pierre d'Ailly » , Romania, LXXVIII (1957),
p. 433-462 ; LXXIX ( 1958 ) , p . 339-375 ; LXXX (1959 ) , p . 289-336 ; LXXXI ( 1960) , p . 44-
98 ; F. Oakley, The political Thought ofPierre d'Ailly. The voluntarist Tradition , New-York,
1964 ; P. Glorieux , « L'oeuvre littéraire de Pierre d'Ailly. Remarques et précisions » , Mélan-
ges de science religieuse, XXI ( 1964), p . 61-78 ; F. Oakley, « Gerson et d'Ailly : an admo-
nition », Speculum, XL ( 1965) , p . 74-83 ; G. Ouy , Le recueil épistolaire.
25. V. J. L. Conolly, Jean Gerson. Reformer and Mystic, Louvain, 1928 ; A. Combes,
Jean Gerson, commentateur dionysien, Paris, 1940 ; id. , Jean de Montreuil et le chancelier
Gerson ; id. , Essai sur la critique de Ruysbroeck par Gerson, t. I-IV, Paris, 1945-1972 ;
R. Ruegger, Gerson et Occam, Louvain, 1956 ; P. Glorieux , Le chancelier Gerson et la réfor-
me de l'enseignement, dans Mélanges Étienne Gilson, Paris, 1959, p. 252-298 ; A. Combes,
La théologie mystique de Gerson. Profile de son évolution , Roma, 1963-1965 ; S. E. Ozment ,
Homo spiritualis. A comparative study of the anthropology of John Tauler, John Gerson
and Martin Luther (1509-1516) in the context of their theological thought, Leiden, 1969 ;
G. Ouy, « La plus ancienne oeuvre retrouvée de Jean Gerson : le brouillon inachevé d'un
traité contre Jean de Monzon ( 1389-1390) » , Romania, LXXXIII ( 1962) , p. 433-492 ; id. ,
« Gerson, émule de Pétrarque : le « Pastorum Carmen » , poème de jeunesse de Gerson et la
renaissance de l'églogue en France, à la fin du XIVe siècle » , Romania, LXXXVIII ( 1967) ,
p. 175-231 ; id. , Le Collège de Navarre, cité ; L.B. Pascoe, « Jean Gerson : the Ecclesia
primitiva and Reform » , Traditio, XXX ( 1974 ) , p . 379-404 ; id. « Gerson and the Donation
of Constantine : Growth and Development within the Church » , Viator, V ( 1974) , p.489-485 ;
G. Ouy, Gerson et l'Angleterre, dans Humanism in France, p . 43-81 ; id. , L'humanisme du
jeune Gerson, dans Genèse et débuts du grand Schisme d'Occident. Colloques internationaux
du C.N.R.S. , Avignon , 25-28 septembre 1978, Paris, 1980 , p . 253-268 . Mais aussi A. Combes ,
<< Gerson et la naissance de l'humanisme » , Revue du Moyen Age latin, I ( 1945 ) , p. 259-284.
26. F. Simone, Il Rinascimento francese, p. 248.
27. Cf. A. Coville, Gontier et Pierre Col. ; A. Combes, Jean de Montreuil et le chancelier
Gerson, p. 83-87.
28. Cf. A. Combes, « Gerson et la naissance de l'humanisme » , p . 282.
29. Cf. J. Gerson, Sermo in dominica III Quadragesimae, Opera omnia , éd . Du Pin, Anvers,
1706, 1079.
30. Très importantes, à ce sujet, les références au De duplici logica, proposées par M. Kaluza ,
pendant le débat. Gerson s'en prend aux logiciens et théologiens « britannici » , comme
faisaient les humanistes italiens.
31. A. Combes, Jean de Montreuil et le chancelier Gerson, p . 591-609 .
32. F. Simone, Il Rinascimento francese, p. 105 , 250.
33. Cicero, Tusculanae disputationes, I , 3 , 6.
34. Cf. G. Ouy, Le Collège de Navarre ; id. « Paris l'un des principaux foyers de l'humanis-
me en Europe au début du XVe siècle » , Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de
l'Ile-de-France, 1967-1968 , p . 71-98.
35. Cf. C. Casari, Notizie intorno a Luigi Marsili , Lovere , 1900 ; C. Vasoli, « La ' Regola
per ben confessarsi ' di Luigi Marsili, Rinascimento, IV ( 1953 ) , p . 39-44 ; L. Marsili , Lettere,
éd. crit. O. Moroni, Napoli , 1978.
36. Cf. Jean de Montreuil, Epistolario , Opera, éd . citée, I , ép . 42 , 33-37 ; 125 , 6-11 ; 141 ,
19-22 ; 200, 19-21 ; 208, 1 ss., p. 68 , 184 , 207, 301 , 315-316.
37. Cf. G. Billanovich - G. Ouy , op. cit. Cf. Jean de Montreuil, Epistolario, éd . cit. , ép. 93 ,
29-36 ; 102, 35-36 ; 107 ; 108 , 13-20 ; 132 , 42 ; 158 , 14 ; 160 , 1-6 ; 161 , 66-68 , p . 131-
132, 143 , 160-161 , 162 , 195 , 225 , 227 , 229 ; mais voir aussi C. Salutati, Epistolario , éd .
F. Novati, IV , Roma, 1911 , p . 331-332.
286 CESARE VASOLI
38. Salutati, Epistolario, IX, 8, III , Roma, 1896 , p. 71-76 ; IX, 20, ibid. , p. 143-147.
39. A. Coville, Gontier et Pierre Col, p. 191-228.
40. Ibid. et A. Combes, Jean de Montreuil et le chancelier Gerson, p. 610 ; F. Simone, Il
Rinascimento francese, p. 100 sqq.
41. A. Coville, Le traité de la ruine de l'Église.
42. Cf. L. D'Achery, Veterum aliquot scriptorum spicilegium, VI , Parisiis, 1664.
43. On le lit dans les Opera Omnia, éd . J. M. Lydius, Amsterdam, 1613.
44. Cf. E. Garin, Rinascite e rivoluzioni. Movimenti culturali dal XIV al XVIII secolo,
Bari, 1975 , p . 3 sqq.
45. G. Voigt, op. cit. , II, p . 334-360.
46. R. Sabbadini, Nuove ricerche, p. 34 , 45 , 74, 87.
47. Cf. G. Lanson, Histoire de la littérature française, XIe éd . revue, Paris, 1900 , p . 154-159.
48. Cf. Boulenger, « La renaissance au XVe siècle » , p . 279 ; id. , « Le vrai siècle de la
Renaissance », Humanisme et Renaissance, I ( 1974) , p. 9-30.
49. E. Gilson, La philosophie , p. 741.
50. A. Coville , Gontier et Pierre Col, p . 232-233.
51. Ibid. , p . 83, 140 ; Recherches, p. 269-273.
52. F. Simone, Il Rinascimento francese, p . 114-116 ; G. Ouy, Le Collège de Navarre.
53. H. Denifle-H. Chatelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, IV, Paris, 1897, p. 677.
54. A. Renaudet, Pré-réforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d'Italie,
Paris, 19532 , p . 78-80.
55. F. Simone, Il Rinascimento francese, p . 116. A propos de Guillaume Fichet, cf. surtout
J. Philippe, Guillaume Fichet, sa vie, ses oeuvres. Introduction de l'imprimerie à Paris,
Annecy; 1892 ; F. Simone , « Guillaume Fichet, retore e umanista » , Memorie dell'Academia
delle Scienze di Torino, S. II , t . 69 , P. II ( 1939) , p . 103-144 ; J. Monfrin « Les lectures de
Guillaume Fichet et de Jean Heynlin d'après le registre de prêt de la Bibliothèque de la
Sorbonne » , Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, XVII ( 1955 ) , p . 7-23 , 145-153.
56. J. Delaruelle, « Une vie d'humaniste au XVIe siècle : Grégoire Tifernas », Mélanges
d'archéologie et d'histoire publiés par l'École française de Rome, XIX ( 1899) , p . 9-33.
CONCLUSIONS GÉNÉRALES
Paul VIGNAUX
au-delà : école scotiste , école thomiste dans des conditions précisées par les Pères
Bérubé et Wéber . L'exceptionnelle connaissance de l'histoire intellectuelle de
<< la famille franciscaine » qu'a le premier, président de la Société internationale
d'Études scotistes, explique l'intérêt de sa communication sur la première école
scotiste prise de conscience des difficultés que rencontre dans la tradition
manuscrite l'entreprise de la Commission Scotiste , organisée par le P. Balic ,
pour donner dans une édition critique de l'Ordinatio Scoti le dernier état de
la recherche personnelle théologico-philosophique du Docteur Subtil , recherche
inachevée, état qui ne se donne point pour définitif ; attention également aux
conditions dans lesquelles, à la constitution de l'école scotiste , les premiers
disciples ne travaillent pas à partir du texte définitif d'une oeuvre personnelle
magistrale mais de souvenirs des leçons qu'ils ont entendues et des reportationes
par d'autres étudiants d'enseignements de dates différentes ; observation donc
d'une continuité typiquement scolastique , de style collectivement universitaire ,
entre le travail de Scot et celui des premiers scotistes ; d'où la tâche , proprement
historique de discerner, par exemple , de l'enseignement (ou des enseignements)
de Jean Duns Scot sur la connaissance par l'intellect humain du singulier corpo-
rel l'interprétation qu'Antoine André en propose , se déclarant , étant même
reconnu , scotista fidelis² ; il s'agit finalement d'évaluer le « jeu » dans « l'école
scotiste » entre la fidélité au Docteur , premier d'une suite , et l'indépendance
intellectuelle de disciples dont chacun paraît être à quelque degré un scotista
independens. Pour la compréhension générale du XIVe siècle , éclairer la forma-
tion de l'école scotiste semble particulièrement important du fait que l'enseigne-
ment de Scot se situe dans les dernières années du XIIIe siècle et les premières
du XIVe et que la tradition spéculative des scotistes conduit à une construction
telle que l'infinitisme de Jean de Ripa dont la découverte par Mgr Combes,
membre éminent de notre laboratoire 152 , a grandement modifié l'image qu'on
peut avoir de ce dernier scolastique . A l'articulation des deux siècles XIII et XIV ,
c'est d'un défenseur de Thomas d'Aquin <« contre les attaques venues du dehors ou
même du dedans de l'Ordre »3 dominicain , Hervé de Nédellec, qu'a principale-
ment traité le P. Wéber . Son analyse de la discussion par un bachelier sententiaire
de 1302-1303 , maître en 1307 , de la démonstrabilité de l'existence du Dieu
Tout Puissant montre dans quelles conditions un dominicain breton a pu devenir ,
et en quel sens peut être considéré , « l'artisan de la première école thomiste » :
apparemment, ce fut en dialoguant avec ses contemporains, répondant à leurs
arguments, s'insérant dans leur problématique tout en se voulant fidèle à un
maître dont la doctrine a été élaborée antérieurement , dans des conditions
différentes. C'est une tâche majeure de l'histoire des théologies de nous dire
dans quelle mesure il y a continuité d'une école théologico-philosophique ,
continuité vivante , donc dans un changement requis par la nouveauté au moins
de forme des interrogations . Évoluant , ces écoles gardent-elles chacune une
homogénéité ? Le P. Bérubé a signalé une remarque d'Étienne Gilson dans
son Jean Duns Scot, estimant probable que l'on constatera « lorsque l'histoire
des écoles sera faite... que le scotisme est resté dans l'ensemble plus homogène >>
CONCLUSIONS GÉNÉRALES 289
que le thomisme4 ; cela malgré le jeu des franciscains scotistes entre fidélité et in-
dépendance . Pour ce qui est de l'école thomiste , en signalant qu'Hervé de Nedellec
devint << bachelier sententiaire en 1302-1303 à Paris sous la direction de Maître
Eckhart » , le P. Wéber nous invite , compte tenu de la généralité possible des
présentes conclusions , à évoquer les Quaestiones parisienses du dominicain
allemand avec le primat de Dieu de l'intelligere sur l'esse qui y est proposé , en op-
position apparente avec la primauté thomiste de l'esse exaltée par Etienne Gilson :
circonstance du XIVe siècle qui nous a conduit à signaler que des classiques du
thomisme au XVIIe , les Salmanticenses et Jean de Saint-Thomas tiennent
l'intelligere pour le constitutivum formale naturae divinae en invoquant l'arti-
cle 4 de la Question XIV de la Somme Théologique, première partie ; il s'agit
d'une réponse « thomiste » à une interrogation en des termes formalistes dignes
du scotisme ... Renvoyant ainsi à l'époque de Suarez , ce néo-scolastique dont
on sait l'influence sur la métaphysique moderne , objet de la critique de Kant ,
on marque la place du XIVe siècle dans l'histoire de la philosophie.
Ce XIVe siècle scolastique dont l'image a d'ordinaire Ockham pour figure
centrale , comme par jeu de mots inceptor nominalium sectae, maître selon
Michalski en <« criticisme » caractéristique de l'époque . Quelque place que l'on
doive faire à cet oxonien dans une perspective plus générale , des précisions
d'une importance majeure sur son influence à son époque nous ont été apportées
par l'exposé magistral de W. Courtenay sur l'ockamisme à l'Université de Paris
dans les années 1320-1340 . Cette communication jette d'abord une lumière
nouvelle sur deux documents disciplinaires de la Faculté des Arts qu'à notre
avis les travaux antérieurs laissaient obscurs , les statuta du 25 septembre 1339
et du 29 décembre 1340 : l'insertion dans le premier de discussions sur «< la doc-
trine d'Ockham » s'explique par les difficultés de l'Université avec le Pape
Benoît XII ; confirmant cette mention , mais lié aux enquêtes doctrinales sur
Nicolas d'Autrecourt et sur un cistercien , le second décret de la Faculté ne vise
point dans sa critique de l'analyse des propositions de virtute sermonis Ockham
qui accepte l'usage de la suppositio impropria ; ce statutum de décembre 1340 ne
doit pas être confondu avec un autre statutum de janvier ou février 1341 contra
scientiam Okanikam, repris à l'automne 1341 par une ordinatio de la «< nation
anglo-germanique » à laquelle appartenait le maître ès-arts Conrad de Megenberg,
auteur ultérieurement d'un Tractatus contra Ockham ; en 1331 , la polémique
parisienne contre l'ockhamisme atteint un maximum, aucun rapport ne paraît
entre elle et la condamnation de Jean de Mirecourt en 1347. Deuxième série
d'indications de notre collègue Courtenay les références parisiennes à Ockham
montrent que, commençant dans les années 1320 , la connaissance de ses oeuvres
à Paris se limite à la Summa Logicae, au De quantitate qui constitue la première
partie du De Sacramento altaris, aux questions sur le temps , le mouvement et
le lieu de son Expositio in libros physicorum que l'on retrouve dans le Tractatus
de successivis ; le Commentaire des Sentences, Ordinatio et Reportatio, paraît
généralement ignoré . La discussion porte sur le problème des universaux et
sur l'interprétation des catégories fondamentales en philosophia naturalis ;
19
290 PAUL VIGNAUX
mais restent << très en deçà » , la conception << linguistique » de ce logicien faisant
<< refluer dans l'intellect les catégories principales de la grammaire elle-même » .
C'est dans le même univers mental que nous placent les trois communications
relatives à Buridan ; à les suivre , nous avons participé au récent mouvement
international de recherche sur cet auteur, justifié par son importance majeure
déjà signalée à l'Université de Paris et sa part dans le rayonnement européen
de cette Université au XIVe siècle . Tandis que dans la discussion du concept
de sujet d'un énoncé catégorique, Mlle Karger discerne un exemple de la diffi-
culté éprouvée par un logicien du XIVe siècle « à remédier aux insuffisances de
la logique aristotélicienne » , c'est la relation à cette dernière du même logicien
sur le problème de la preuve , même en métaphysique, que M. Sten Ebbesen
examine en concluant à une parenté de pensée entre Buridan et les Stoïciens :
on aperçoit la place que la scolastique du XIVe siècle peut prendre dans l'histoire
de la logique , discipline en pleine expansion . La troisième communication, de
M. Markowski , expose l'influence de Jean Buridan sur les universités d'Europe
centrale dont le développement est caractéristique du siècle : Prague , Cracovie,
Vienne , Heidelberg, Erfurt, Leipzig . Historien de la logique tant à Oxford et
à Paris, ayant décelé un «< fondement sémantique » original à la métaphysique
d'Eckhart , dont la mystique spéculative est un des aspects principaux du siècle ,
M. de Libera a choisi de nous présenter l'analyse logique des propositions
<< inceptives » et des propositions « désitives » , leur expositio par Albert de Saxe,
maître es-arts à Paris en 1351 , premier recteur de l'Université de Vienne en 1365,
et leur probatio per causas veritatis par Marsile d'Inghen, maître es-arts à Paris
en 1362, premier recteur d'Université d'Heidelberg en 1386, analyse qu'ulté-
rieurement un commentateur anonyme estima nécessaire de reformuler : raison-
nant sur l'expression de changements imaginés, à la « rencontre de la logique et
de la physique » où se situent les calculatores oxoniens, nous avons appris à
nous mouvoir dans l'univers mental ou plutôt linguistique de cette scolastique ,
univers propositionnel que Grégoire de Rimini essaya spécialement de spécifier .
Nous pouvons marquer la place que ce fameux Ermite de Saint Augustin
aurait méritée dans une Table Ronde organisée par un Centre d'Études qui comp-
ta parmi ses chercheurs le P. Eelcko Ypma qui, après avoir étudié les « débuts
théologiques » de l'Ordre des Ermites constitué en 1266, édita les Disputationes
de Quolibet de Jacques de Viterbe 10. Notre dernier essai d'élucidation du
nominalisme au XIVe siècle a insisté sur l'opposition par Grégoire de Rimini du
significabile complexe à la notion ockhamiste de la proposition objet de science
et situé en conséquence sa théorie dans l'histoire de la logique comme un dictisme.
Une étude ultérieure de Gál a signalé antérieurement la théorie du significabile
complexe chez l'oxonien Adam Wodeham11 . Après Grégoire , on le retrouve chez
un autre Ermite parisien Hugolin d'Orvieto , à la fois , comme chez Grégoire ,
dans le Commentaire du Prologue des Sentences, oeuvre théologique , et dans
les Quaestiones in Primum Physicorum, oeuvre philosophique qui s'ouvre par
une discussion de objecto scientifico scientiae naturalis dualité de lieu qui
pose le problème de la part d'analyse philosophique et de la part de tradition
292 PAUL VIGNAUX
théologique dans cette théorie . Il faut sans doute la poser pour expliquer le sens
de la présentation par Hugolin de la théorie du complexe significabile en oppo-
sition au modus dicendi Ockham rudis : via veritatis, quam Scriptura innuit,
Augustinus tenuit et Aegidius meminit ... et moderni declarant praecipue
Gregorius ... 12. Une explication développée de ce texte confirmerait sans doute
le jugement sur l'école de Grégoire et d'Hugolin avancé par le maître de Tübingen
Heiko A. Oberman dans son remarquable « profil de la pensée religieuse du
XIVe siècle » une renaissance augustinienne dans une des branches de la via
moderna, tradition et «< modernité » 13 ... La remarque citée d'Hugolin intervient
à l'article 2 d'une question demandant si ce qui est théologiquement vrai peut
être plus parfaitement connu dans un savoir autre que théologique : l'article 1
qui traite du verum incomplexum pose que le significabile Deum esse est pour
le théologien tout autre que pour Aristote : dans l'article 2 , où Ockham est mis
en cause, il s'agit du verum complexum, mais pas seulement d'une vérité d'évi-
dence rationnelle (per se notum) ou d'expérience (per experientiam certam)
ou de science (scitum), de la vérité aussi de la Foi ou de l'Espérance théologales
(esse creditum, esse spiratum) : les significats de propositions sont là encore
porteurs du vrai14 . Si, pour éclairer le « dictisme » des Ermites du XIVe siècle ,
on se reporte à l'histoire des théories anciennes et médiévales de la proposition
de Gabriel Nuchelmans, on relève parmi les sources du débat de ce siècle la dis-
cussion chez Augustin commentant l'Evangile de Jean de l'identité d'objet
des propositions sur le Sauveur chez les hommes qui ont vécu avant Lui et ceux
qui ont vécu après15 . Des vérités de foi suscitant des problèmes de logique :
c'est une situation de theologicus logicus, type scolastique évoqué par Luther
dans sa dénonciation en 1517 de l'École médiévale 16 .
Le siècle d'Hugolin d'Orvieto reste un âge théologique où la notion de
<< science »
> , objet majeur de discussion philosophique en scientia naturalis
continue d'être examinée comme au siècle précédent à partir du problème
classique d'introduction à la théologie (theologische Einleitungslehre) : utrum
theologia sit scientia ? De là , une dominante théologique dans les communica-
tions que nous n'avons pas encore mentionnées, à commencer par celle de
M. Zénon Kaluza , Étienne Gaudet devant le problème de la preuve en théologie.
Analyste expérimenté de la documentation universitaire inédite tant de Paris
que des nouveaux centres d'Europe Centrale dans un siècle de crise de la chré-
tienté et de débat ecclésiologique , ce chercheur du Laboratoire 152 n'a pas été
seulement l'organisateur de notre Table Ronde et de la publication de ses résul-
tats ; on lui doit la formulation du thème qui, sans altérer la diversité des données
en logique, ontologie et théologie, assure l'unité d'un point de vue preuves
et raisons. Celui-ci s'impose du simple fait que , la qualité de la « science >>>
aristotélicienne tenant à la rigueur de la démonstration , l'évaluation des raisons
probantes, de leur degré d'efficacité est un problème majeur. L'examen de
l'héritage manuscrit d'Étienne Gaudet qui « lut » les Sentences à Paris en 1361-
1362 procure une vue tout à fait concrète d'une « façon de travailler » , en
l'espèce de préparer l'argumentation que présenteront les Questions traitées
CONCLUSIONS GÉNÉRALES 293
NOTES
18. A. Maierù, « Logica aristotelica e teologia trinitaria : Enrico Totting da Oyta », Studi
sul XIV secolo in memoria di Anneliese Maier, Roma, 1981 , p. 481-512.
19. J.-F. Genest, Le de futuris contingentibus de Thomas Bradwardine, édition critique et
introduction avec annexes dont la Questio Biblica de Richard Fitz-Ralph, mémoire de 1975
pour la Ve section de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, partiellement publié dans le t.XIV
(1979) des Recherches Augustinienses.
20. Tullio Gregory, « Dio ingannatore e genio maligno, Nota in margine alle Meditationes
di Descartes » , Giornale critico della filosofia italiana, LIII ( 1974) , p. 477-515.
21. On nous permettra de citer les chapitres 5 et 6 de notre Philosophie au Moyen Age,
Paris, 1958, et notre contribution : « Situation d'un historien philosophe devant la scolas-
tique des XIVe et XVe siècles » à l'ouvrage collectif Étienne Gilson et nous : la philosophie
et son histoire, Paris, 1980, ainsi que l'article de H. M. Oberman cité note 13 à retenir
spécialement, dont une version remaniée The reorientation of XIV century a été publiée
en 1981 dans les Mélanges Anneliese Maier, cités note 18.
MANUSCRITS CITES
20
298 MANUSCRITS CITES
1
TABLES DES NOMS PROPRES
Sabbadini (R.), 270 , 279 , 283 , 284, 286. Touati (Ch.) , 185.
Salembier (L.) , 284. Trapp (D.), 55 , 56 , 58 , 61 , 208, 210, 245 ,
Sanitus (P.) , 132 , 143. 267, 295.
Santeler (J.) , 39, 40 . Tricot (J.) , 92 , 93 .
Santos-Noya (M.) , 267 . Tuck (R.), 79 , 80.
Savile (H.) , 212. Turnbull (R.G.) , 140 .
Sbaralea (J.H.) , 12 .
Schepers (H.) , 210. Ullman (B.L.) , 270, 283.
Schmidt (K.) , 284 . Ullmann (W.) , 80.
Schmitt (F.) , 38. Urban (W.), 267.
Scholz (R.) , 62 , 80 .
Schönmetzer (A.) , 263. Vasoli (C.), 8 , 207 , 285 , 287 .
Scott (T.K. ) , 56 , 58 , 124. Vasquez (I.) , 23.
Seńko (W.), 8 . Vernet (A.) , 208.
Shapiro (C.) , 143 . Vignaux (P.) , 7 , 8 , 9 , 15 , 23 , 190 , 194,
Shapiro (H.) , 57 , 143. 295,296.
Simon (G.) , 181. Vivès (L.), 18 .
Simon (W.) , 267. Vodola (E.) , 75 , 81.
Simone (F.) , 270 , 271 , 274 , 275 , 281-286. Voigt (G.) , 279 , 283 , 284 , 286.
Skinner (Q.) , 79. Volk (H.) , 263 .
Šmahel (F.) , 160. Vooght (P. de), 251 .
Spade (P.V.) , 55 , 57 , 58, 60.
Stauffer (R.) , 8. Wadding (L.), 12 , 16, 18 , 19.
Stegmüller (F.) , 55 , 198 , 208 , 209. Watt (J.A.), 79 , 210 , 245 .
Stein (P.) , 80 , 81 . Wéber (E.) , 8 , 288 , 289.
Stella (P.-T.) , 28 , 39 , 40. Weisheipl (J.A.) , 57-60 , 141-143.
Stephenson (C.) , 81 . Weissenborn (H.) , 163 .
Stubbs (W.), 81 . White (L.) , 59.
Stump (E.), 60 . Wilson (C.), 59 , 141 .
Swieżawski (S.) , 161 . Wippel (J. ), 81.
Swinarski (J.) , 57 . Włodek (Z. ), 161 .
Sylla (E.) , 58 , 59. Wolff (J.) , 207.
Pages
Avant-propos . 7-8
C. BÉRUBÉ :
La première école scotiste ... 9-24
E. WÉBER :
La démonstration de l'existence de Dieu chez Hervé de Nédellec
et ses confrères Prêcheurs de Paris. • 25-41
W. J. COURTENAY :
The Reception of Ockham's Thought at the University of Paris .. 43-64
J. COLEMAN :
Ratio and Dominium to John of Paris and Marsilius of Padua ... 65-81
J. JOLIVET :
L'intellect et le langage selon Radulphus Brito . 83-95
S. EBBESEN :
Proof and its Limits according to Buridan , Summulae 8 97-110
E. KARGER :
Un débat médiéval sur le concept du sujet d'un énoncé catégori-
que . Étude d'un texte de Jean Buridan . 111-125
A. DE LIBERA :
Expositio et probatio per causas veritatis chez Albert de Saxe et
Marsile d'Inghen . 127-147
M. MARKOWSKI :
L'influence de Jean Buridan sur les universités d'Europe Centrale 149-163
M. LEJBOWICZ :
Argumentation oresmienne et logique divinatoire 165-186
310 TABLE DES MATIÈRES
T. GREGORY :
La tromperie divine . 187-195
J.-F. GENEST :
Pierre de Ceffons et l'hypothèse du Dieu trompeur 197-214
F. RUELLO :
Trois théologies possibles, deux théologies probables de la sancti-
fication et de la glorification selon Jean de Ripa . 215-229
Z. KALUZA :
Étienne Gaudet devant le problème de la preuve en théologie .... 231-251
A. MAIERU :
Logique et théologie trinitaire : Pierre d'Ailly . 253-268
G. VASOLI :
Les débuts de l'humanisme à l'Université de Paris 269-286
P. VIGNAUX :
Conclusions Générales 287-296
81AA2 013
2 7101
DRC
UNIVERSITY OF MICHIGAN