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ÉTUDES DE PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE

Hors Série

PREUVE ET RAISONS A L'UNIVERSITÉ DE PARIS

LOGIQUE, ONTOLOGIE ET THÉOLOGIE

AU XIVe SIÈCLE

Actes de la Table Ronde internationale organisée par le


Laboratoire associé au C.N.R.S. n° 152 du 5 au 7 novembre 1981
édités par

Zénon KALUZA et Paul VIGNAUX


chargé de recherche au Centre National Président honoraire
de la Recherche Scientifique de la Ve section de l'EPHE

Ouvrage publié avec le concours du


Centre National de la Recherche Scientifique

PARIS
LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN
6, PLACE DE LA SORBONNE, Ve
-
1984
В

721

483x

1984

BRC

Ouvrage réalisé avec le concours du Centre National


de la Recherche Scientifique et du Centre Régional de Publication de Paris

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41,
d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé
du copiste et non destinées à une utilisation collective › et , d'autre part, que les
analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration ⚫ toute
représentation ou reproduction intégrale , ou partielle, faite sans le consentement
de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause, est illicite (alinéa ler de
l'article 40 ).
Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit , consti-
tuerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du
Code Pénal.

Librairie Philosophique, J. VRIN, 1984


ISBN 2-7116-0848-4
GL
299-6923
PHILO
1-17-85

AVANT- PROPOS

Dans le livre que voici, nous publions les communications faites à la Table
Ronde Internationale tenue du 5 au 7 novembre 1981 dans le Centre d'Études
des Religions du Livre (Laboratoire associé au C.N.R.S. , no 152) et dont le
thème était Preuve et raisons à l'Université de Paris : logique, ontologie et
théologie au XIVe siècle.
L'initiative de cette réunion revient à M. Paul Vignaux, premier directeur
du Centre ; elle s'est concrétisée aux cours des rencontres régulières rassemblant
autour de ce Maître passionné du XIVe siècle des jeunes chercheurs ; elle put
se réaliser grâce à la générosité du C.N.R.S. et à l'accueil qui lui a été réservé
par M. Pierre Hadot, actuel directeur du Centre .
Le but de cette Table Ronde , limité à l'Université de Paris au XIVe siècle ,
était double . En premier lieu , nous voulions faire le point sur les recherches
déjà effectuées. Menées en France ou à l'étranger, elles se développent avec
une vigueur grandissante . La variété des écoles doctrinales, des problèmes discu-
tés, des modes intellectuelles successives d'une part, la richesse des sources
conservées dans les bibliothèques d'autre part, ont fait des doctrines professées
alors à Paris un objet de recherches historiques fécond et stimulant . En second
lieu, le progrès des recherches de ces dernières décennies, les travaux et les mé-
thodes ouvrant des voies nouvelles nous ont incité à l'élargissement des débats
sur des domaines rarement abordés en France , tels la logique et ses liens avec
la philosophie, la théologie et les sciences ; l'emprise , d'une profondeur inégale
d'ailleurs, des écoles étrangères sur les maîtres parisiens ; l'influence exercée par
ces derniers sur les jeunes Universités de l'Europe Centrale . Nous n'avons pas
oublié que la première génération des professeurs de ces Universités venait pour
la plupart de Paris. Si, en définitive, notre but n'a pas été pleinement atteint,
c'est que ce siècle et ce milieu intellectuel sont si riches et si divers qu'un premier
colloque ne pouvait guère qu'effleurer le sujet.

Ont présenté leur communication :


le P. C. Bérubé, de l'Istituto Storico dei Cappuccini à Rome.
Mme J. Coleman , Professeur à l'Université d'Exeter.
M. WJ. Courtenay , Professeur à l'Université de Wisconsin à Madison .
8 AVANT-PROPOS

M. S. Ebbesen , Directeur de l'Institut for graesk og latinsk Middelalderfilologi


à Kopenhague .
M. J. F. Genest , de l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes , Paris .
M. T. Gregory , Professeur à l'Université de Rome.
M. H. Hubien , Professeur à l'Université de Liège .
M. J. Jolivet, Directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études
(Sciences religieuses).
M. Z. Kaluza, Chargé de recherche au C.N.R.S.
Mme E. Karger, Chargée de recherche au C.N.R.S.
M. M. Lejbowicz , Université Paris I.
M. A. de Libera , Chargé de recherche au C.N.R.S.
M. A. Maierù , Professeur à l'Université de Rome .
M. F. Ruello , Ingénieur au C.N.R.S.
M. C. Vasoli , Professeur à l'Université de Florence .
M. P. Vignaux , Directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études
(Sciences religieuses).
le P. E. Wéber, Chargé de recherche au C.N.R.S.

Empêchés , Mlle C. Jeudy, Chargée de recherche au C.N.R.S. , MM . R.Halleux ,


Professeur à l'Université de Liège , M. Markowski et W. Senko, tous les deux de
l'Académie polonaise des Sciences , ne pouvaient pas participer à la réunion .
Toutefois , M. Markowski a tenu à nous faire parvenir sa communication . Par
contre, nous n'avons pas reçu le texte de M. Hubien .

C'est pour nous un agréable devoir de remercier la direction du Centre


National de la Recherche Scientifique pour son aide financière apportée à
l'exécution de notre projet ; M. Jean Glénisson , président du Comité de Lecture ,
qui a accueilli le présent volume dans le Centre de Publication de Paris et faci-
lité son impression ; M. Richard Stauffer, président de la Ve section de l'École
pratique des Hautes Études , qui nous a permis d'utiliser la bibliothèque et
les bureaux de la section ; M. Pierre Hadot qui a tenu à ouvrir personnellement
notre Table Ronde ; Mlle Lelong du Bureau des Colloques et le personnel admi-
nistratif de l'École pratique des Hautes Études (Ve section) qui , avant et pendant
la rencontre, nous ont aidé dans des tâches pratiques ; Mme Jocelyne Leclerc
du Centre National de la Recherche Scientifique qui a réalisé la composition et
la mise en page de l'ensemble de l'ouvrage .
Nos amis, J.-F. Genest , M. Lejbowicz , D. et A. de Libera nous ont aidé
à préparer ce livre ; qu'ils soient assurés de notre gratitude.

Zénon KALUZA
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE
Camille BÉRUBÉ

En 1928 , étudiant en philosophie , je me voyais assigner comme dissertation


une synthèse de la métaphysique scotiste . Je remis un essai sur l'être , la distinc-
tion formelle, les universaux et la nature commune . Je ne sais ce qu'il me faut
admirer le plus des deux : ma présomption juvénile ou le charisme prophétique
de mon professeur. C'est ce noviciat scotiste qui me vaut de vous parler, un
demi-siècle plus tard , de la première école scotiste, dans cette université où
l'esprit subtil d'un frère mineur d'Écosse lui a donné naissance .
Je me suis initié au scotisme dans la Philosophie du Bx Jean Duns Scot
d'Ephrem Longpré , et dans l'Avicenne et le point de départ de Duns Scot
d'E. Gilson , deux médiévistes qui faisaient alors une tournée de conférences à
Montréal . Quelques années plus tard, je voulus déposer un sujet de thèse sur
l'être , objet de l'intelligence et de la métaphysique selon Duns Scot. Quand
le professeur eut compris que je me proposais de critiquer mes deux guides, il
m'avisa de changer le sujet, parce qu'aucun jury ne me donnerait raison contre
ces deux médiévistes chevronnés, même s'ils n'étaient pas d'accord entre eux .
Autant valait changer tout de suite . Je me rabattis sur la théorie de la connais-
sance chez Duns Scot pour finir par La connaissance de l'individuel au moyen âge.
La publication de l'ouvrage aux Presses universitaires de France et la préface
magistrale de Paul Vignaux me valurent de passer pour son élève . Je me sens
donc à l'aise parmi vous que l'amitié réunit autour d'un vénérable maître , avec
qui j'ai partagé pendant vingt ans l'enseignement de la pensée franciscaine à
l'Institut d'études médiévales de l'université de Montréal.

I - LA NAISSANCE DU SCOTISME

Je me suis intéressé de bonne heure à l'école scotiste , en raison de l'imbro-


glio que j'y découvris au sujet de la connaissance du singulier et dont je trouvai
la clef en dépistant parmi les incunables de la bibliothèque un livre , fait de textes
de Scot, dont l'auteur était Antoine André. Je compris que, pour remonter
jusqu'à Scot à partir des scotistes, il me fallait passer par sa médiation. Il y a
quelques années, en faisant la recension du volume VII de l'Ordinatio de Scot,
je manifestai quelque réticence sur l'efficacité du recours au commentaire littéral
10 C. BERUBÉ

d'Antoine André sur la Métaphysique d'Aristote, publié sous son nom en 1482,
mais édité de nouveau sous le titre d'Expositio, en 1501 , par Maurice du Port
l'attribuant cette fois à Scot , parce que , selon les éditeurs de l'Ordinatio ,
le disciple n'aurait, en somme , que repris à son compte un commentaire du
Docteur Subtil . J'avais consigné le résultat de ma première étude dans mon
livre sur la connaissance du singulier, mais puisque cela était passé inaperçu ,
il fallait reprendre le problème du crédit à accorder à Antoine André comme
témoin et interprète de Scot, là où Aristote entre en jeu . J'y reviendrai dans
la dernière partie de cette communication.
En parlant de l'école primitive , je veux me limiter à un point de vue.
J'ai essayé de comprendre dans quel esprit et selon quelles méthodes les disci-
ples de Scot ont transmis ce trésor de doctrines émanées des lèvres de leur
Maître autant que de ses écrits . Cela me paraît une condition préalable pour
rejoindre à travers eux le message original de Scot dans sa verdeur primitive ,
et comprendre ce qui fait du Docteur Subtil un des grands penseurs de l'his-
toire . Maurice du Port note, en effet, que « ipsa verba scotica habent quid
latentis energiae, ut qui se huius viri discipulus appellari cupit, is scripta ejus
legat, necesse est » 1 .
Quelque misérable que soit cette nécessité, on ne peut arriver au texte ,
et donc à la pensée de Duns Scot, qu'à travers ce que ses disciples nous en font
savoir. Duns Scot est mort précocement après une carrière d'une dizaine d'années
d'enseignement sans laisser aucun texte définitif ou pleinement mûri . Il a com-
mencé , certes, à préparer pour l'édition son commentaire sur les Sentences,
après l'avoir enseigné trois ou quatre fois . Mais l'Ordinatio, ou texte en cours
de préparation pour l'édition , est restée en chantier. Selon les éditeurs de Scot ,
ce texte n'a jamais été recopié tel quel . On en a fait une première correction
avant de le livrer aux copistes . Ce nouveau texte a été révisé à son tour, de sorte
que chaque copie est une recension nouvelle . Vers 1320 cependant, un scotiste
s'est avisé de corriger cette deuxième copie sur le livre écrit de la main de Scot
ou dicté par lui, en notant ce qu'il y trouvait suppressions , additions, renvois
aux cahiers de notes, à la Lectura d'Oxford et à la Reportatio de Paris , etc.
C'était là, pense K. Balić , une édition critique selon les idées du temps et, pour
nous, la meilleure voie d'accès au texte original . Malgré les mérites de la nouvelle
édition vaticane, tous les experts dans l'art d'éditer les textes ne sont pas d'accord
sur la méthode à employer pour la suite de l'édition . Au récent congrès scotiste
international de Salamanque, 21-27 septembre 1981 , quelques communications
ont été lues sur les problèmes actuels des éditeurs, et certains proposent des
changements de méthode et pensent arriver par un autre choix de manuscrits
de base à un texte plus voisin de celui de Scot , et qui évite ce qui leur semble
des erreurs du recenseur de l'Ordinatio .
Mais le scotisme n'a pas attendu d'avoir un texte officiel pour se déve-
lopper. A partir des années 1300 , les élèves de Scot prenaient des notes de classe
et faisaient des reportations des cours du maître . Devenus professeurs à leur
tour, ces scotistes ont donné leurs propres cours en se fondant sur leurs notes
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 11

antérieures et celles de leurs confrères. Une de ces reportations , dite Reportatio A,


a été revue par Duns Scot. Il en alla de même pour les commentaires sur les
oeuvres d'Aristote Métaphysique, Physique, Logique etc. La tradition manus-
crite montre que ces commentaires de Scot se trouvent mêlés aux oeuvres de
maints scotistes . Ce ne sera que par un travail considérable de comparaison que
l'on pourra rendre à chacun son dû . Ce partage est encore rendu plus difficile
par le fait que les manuscrits ne disent rien de la date à laquelle les textes qu'ils
contiennent ont été composés par Scot , dictés par lui ou simplement recueillis
de sa bouche . Rien ne nous permet de supposer qu'il n'y ait point eu, sur nom-
bre de doctrines, non seulement une maturation de la pensée , mais de véritables
rétractations plus ou moins expresses. Pour ma part, j'en ai rencontré des cas
évidents, spécialement dans l'assomption d'opinions d'Henri de Gand comme
allant de soi , mais mises plus loin en question et expressément réfutées . J'ai
même tenté de décrire les étapes de la maturation des idées de Duns Scot sur
les présupposés des preuves de l'existence de Dieu sous le mode de la possibilité,
en partant, non de la production actuelle d'un effet , mais bien de sa productibi-
lité ou effectibilité . J'ai montré que le texte fameux de la Lectura I partant de
la << nécessité du possible » , ou plus exactement du nécessairement possible,
necessario possibile, était une citation implicite d'Henri de Gand, rendue expli-
cite plus loin pour la mettre en question et la réfuter comme fausse2 . Devant des
textes divergents, les scotistes ont choisi selon leur préférence . Il n'est pas éton-
nant qu'ils aient senti le besoin de poser, comme le fera Guillaume d'Alnwick ,
tant de questions disputées sur l'esse intelligibile et de chercher l'accord des
textes de Scot , non dans leur teneur littéraire , mais dans les principes qu'il
discute expressément .
On en pourrait donner un autre exemple dans la doctrine de Scot sur
l'univocité et sur la détermination de l'objet de l'intelligence , tant à la lumière
de la raison naturelle qu'à celle de la révélation chrétienne . Il m'est même
arrivé une aventure plaisante avec mon ami R. Prentice, quand nous décou-
vrîmes par pur hasard que nous avions préparé, chacun de notre côté , l'édition
d'un texte signalé par V. Doucet comme le meilleur exposé de la pensée de
Duns Scot, et portant en marge : Scoti quaestio. Quant à savoir si c'était ou non
une question rédigée par Scot , Prentice opinait que l'auteur n'est pas thomiste ,
parce qu'il expose mal l'analogie thomiste ; qu'il n'est pas Duns Scot, parce
qu'il tente de réduire l'univocité à l'analogie ; qu'il est postérieur à Scot , puis-
qu'il rapporte des arguments pour l'univocité qui sont propres à Scot. C'est
donc un inconnu . Pour mon compte , je tenais que cet auteur semblait à mi-
chemin entre Scot et Henri de Gand , ou un disciple de Scot qui admet l'existence
d'un concept d'être unique et non de deux concepts confondus en raison de leur
ressemblance , comme le disait Henri de Gand, mais qui n'admet pas l'univocité
et tente de la réduire à l'analogie . Ce scotiste pourrait être un Scot fixé déjà
sur l'existence d'un concept commun à Dieu et au créé , mais qui ne sait pas
encore au juste quel genre d'unité lui attribuer³ . Il n'est d'ailleurs pas si facile
de dire, même après l'Ordinatio, en quoi consiste l'univocité et quelle relation
12 C. BÉRUBÉ

Scot établit entre l'univocité de l'être et l'être comme objet de l'intelligence,


parce que la notion d'objet premier est elle-même en cours de maturation et
ne dira son fin mot que dans le Quodlibet, q. 13 de Scot. La raison en est que
la notion d'objet premier qui est en vogue dans le milieu franciscain et dans
celui d'Henri de Gand est celle d'un objet qui , à l'instar des objets des sciences ,
comprend virtuellement les objets particuliers atteints par cette science , comme
la métaphysique est contenue dans la notion d'être et la science de toute chose
dans l'essence divine . Pour Scot , au contraire , cet objet premier d'une puissance
est quelque chose de commun à tous les objets qui meuvent cette puissance
par leur vertu propre . Nour retrouvons une telle notion virtualiste dans le De
anima attribué à Duns Scot par bon nombre de manuscrits , mais aussi bien à
Antoine André . Nous y reviendrons plus loin . Mais il convient de jeter tout
d'abord un coup d'oeil général sur le groupe des disciples de Scot pour nous
arrêter aux traits caractéristiques de ceux qui ont laissé un héritage littéraire
plus abondant et un nom plus fameux .

II - SCOTISTES « INDÉPENDANTS »

Nous savons fort peu de choses sur la vie de Duns Scot . Mais, quand on
ne sait rien, on invente pour donner un cadre décent à la vie des héros . C'est
ainsi que le bruit courait au congrès scotiste de Salamanque que l'on aurait enfin
trouvé la raison du départ mystérieux de Scot pour Cologne : c'est que le supé-
rieur du Grand Couvent de Paris prenait ombrage du prestige de Scot auprès
des étudiants ! Si non è vero, è ben trovato ! comme on dit au-delà des Alpes.
Il en va de même pour les scotistes de la première période . A mesure qu'on
dépouille les archives et déchiffre les manuscrits , on redimensionne les éloges
des anciens biographes .
La source la plus ancienne sur l'ensemble des premiers scotistes se trouve
dans Compendium chronicarum Fratrum Minorum de Mariano de Florence ,
mort en 1523. Il écrit donc deux cents ans après les événements , sur la foi de
récits oraux et d'écrits antérieurs qui ne nous sont point parvenus . Ces chroni-
ques ont été utilisées par L. Wadding dans Scriptores Ordinis Minorum, édité
en 1650, complété par J.H. Sbaralea, en 1806 , et édité de nouveau avec les
annotations de Th . Accurti , en 1908 et 1921 .
A l'année 1308 , après la notice consacrée à « Johannes de Donis... qui
ab Universitate Parisiensi... Doctor Subtilis appellatur. Fuit enim toti saeculo
stupendus... », Mariano de Florence ajoute :
<< Hic etiam lacte sue sapientie multos discipulos nutrivit ; sed qui
maxime profecerunt hii fuerunt, scilicet : Franciscus Maironus,
Iohannes Occam, Gualterius quoque et Burleus, Gualterius alter,
Antonius Andreas , Iohannes Scorps, et Iohannes canonicus, quorum
ingeniis mirum in modum philosophia crevit »4 .
Pour les historiens actuels, cette liste est difficile à identifier. Plusieurs
de ces noms reviennent par la suite . Immédiatement après cette liste , nous
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 13

retrouvons en effet la mention : Alii nonnulli insignes fuerunt. Parmi les noms
mentionnés , nous trouvons des docteurs célèbres qui furent de brillants scotistes ,
tel Franciscus Rubeus de Pignano, Provinciae Marchiae. Par contre vient un
Antonius Andree Aragonus qui semble bien le même que cet Antonius Andreas
cité plus haut , mais cette fois on le dit catalan et lui consacre une note très
élogieuse :
« ...Doctor dulcissimus appellatus, doctrine sui magistri Scoti preci-
puus defensor, scripsit super omnes libros Sententiarum, et ferme
super omnes Aristotelis codices, maxime super Logicam secundum
mentem Scoti et multa Quodlibeta ».
Suit :
« Ugo de Novocastro (Newcastle)... scrutator et defensor doctrine
Scoti, scripsit egregie super quatuor Sententiarum libros et Reportata
super eosdem » 5 .
Quelques pages plus loin, nous retrouvons , à l'année 1316 , Franciscus
Mayronis appelé illuminatus sive acutus. On lui consacre une notice de seize
lignes, plus que celle sur Scot , qui en a quinze, mais à part la mention de sa subti-
lité, on ne dit rien de son scotisme . Il a le premier commencé l'Acte sorbonnique .
Ce fut sans doute une discussion solennelle devant toute l'Université . Il a écrit
subtilement sur les quatre livres des Sentences et une autre fois sur le premier
livre, ouvrage insigne qui lui donne une singulière prérogative sur tous les autres
docteurs, plus des questions subtiles sur le livre deuxième . Et la liste se prolonge :
sermons , traités sur les Décrétales, les Formalités, sur plusieurs livres de l'Écriture ,
de saint Augustin, de Denys, d'Anselme , et un insigne et long traité sur la pauvre-
té évangélique et alia quamplurima . Personnage universel qui n'a pas besoin de
recommandation comme scotiste . Il se suffit à lui-même.
De ce fait, François de Meyronnes fait l'objet de longues notices dans des
encyclopédies. Heribert Rossmann , qui dans son ouvrage Hierarchie der Welt
(1972) se propose de donner l'image et le système de François de Meyronnes ,
dit tout ce que l'on a écrit de lui : né en 1288 dans les Basses- Alpes, auditeur et
disciple de Scot à Paris de 1304 à 1307 , il commente les Sentences entre 1308
et 1318 en divers studia franciscains d'Italie . On le retrouve à Paris en 1320-
1321 comme bachelier sententiaire . En 1323 , Jean XXII intervient pour le faire
promouvoir docteur en théologie avant le délai d'attente normal et, en 1325 ,
le fait venir à la curie d'Avignon comme prédicateur . François de Meyronnes fut
ensuite Provincial des Marches et mourut en 1328 à Plaisance .
De même que Mariano de Florence parle de François de Meyronnes comme
inaugurateur de l'Actus sorbonnicus , ainsi Rossmann accorde-t- il beaucoup
d'importance aux disputes solennelles de ce franciscain avec le bénédictin
Pierre Roger, le futur Clément VI. Il semble qu'il y eut de telles disputes tant
en 1321 qu'en 1323 , et portant sur les doctrines trinitaires soutenues par les sco-
tistes, d'une part, et les thomistes dominicains et les disciples de Godefroy de
Fontaines d'autre part . Rossmann y voit des manifestations des controverses
d'écoles , mais aussi des incidences politiques entre les favoris des cours de France ,
14 C. BERUBE

de Navarre, de Naples et de la curie papale d'Avignon, et des manoeuvres prépa-


ratoires à la canonisation de saint Thomas d'Aquin par Jean XXII en 1322. Il ne
faut pas oublier non plus que c'est le temps des grandes querelles au sujet de
la pauvreté franciscaine entre les Prêcheurs, les maîtres séculiers , les Frères mi-
neurs et le Pape Jean XXII , ainsi que le procès de Guillaume d'Ockham pour
nouveautés doctrinales , sur la dénonciation du chancelier d'Oxford , J. Lutterell ,
et que c'est aussi le temps des luttes entre les papes d'Avignon et Louis de Bavière
sur la plénitude du pouvoir pontifical , au temporel comme au spirituel , et des
querelles de succession pour le Saint-Empire.
Grand disputeur et se réclamant des principes philosophiques et théologi-
ques de Duns Scot, mais cherchant aussi à maintenir la continuité doctrinale en-
tre Duns Scot et la tradition bonaventurienne antérieure , François de Meyronnes
fait face sur tous les fronts . Il est le défenseur intrépide de l'infaillibilité des
papes, mais aussi bien des doctrines scotistes sur la prédestination absolue du
Christ, l'Immaculée Conception , la signification évangélique et eschatologique
de la pauvreté franciscaine , les stigmates de saint François d'Assise auxquels
il consacre quatre sermons . Bien plus, c'est un commentateur de saint Augustin,
du Pseudo-Denys et de saint Anselme et, de ce fait, il mérite les qualificatifs
de docteur illuminatus, acutus, magister abstractionum, devotus, de sorte que
H. Rossmann voit en lui le type du théologien-métaphysicien à la façon de
Duns Scot, mais aussi un esprit conservateur qui cherche à faire la synthèse des
grands courants de pensée de la tradition chrétienne, un prédicateur de grand
renom , un précurseur de la dévotion moderne . Il n'est donc pas étonnant que
Jean XXII ait cherché à mettre cet atout dans son jeu . Mais la faveur pontificale
ne fit pas long feu et le départ d'Avignon pour devenir provincial des Marches
semble une disgrâce plus qu'un tremplin pour des positions plus enviables à
la curie pontificale . De toute façon, une mort prématurée vint mettre fin à
sa brillante carrière à l'âge de quarante ans. A la fin d'un article dans le Diction-
naire de spiritualité, H. Rossmann n'hésite pas à écrire : « François de Meyronnes
est donc à compter parmi les grands théologiens et parmi les prédicateurs les
plus influents de son époque , comme le montrent les nombreux manuscrits
de ses sermons >>7 .
Mais sa réputation de scotiste a traversé les siècles . Ainsi , à la bibliothèque
antonienne des franciscains de Padoue, on comptait, selon une liste de 1396 ,
douze oeuvres de Scot et six de François de Meyronnes, et vingt-trois contre
seize en 14498. Il n'est donc pas étonnant que les constitutions franciscaines
rédigées à Todi en 1500 , dites alexandrines , qui prescrivent l'enseignement
de Duns Scot dans tout l'Ordre franciscain , constatant que tous les étudiants
ne peuvent arriver aux fines pointes de la subtilité scotiste : Non enim omnis
idoneus est ad acumina Scoti, aient laissé place à des docteurs de rechange,
ceux-là même qui avaient une tradition bien établie comme Alexandre de Halès ,
saint Bonaventure et Richard de Mediavilla, et ajouté François de Meyronnes
à la liste . C'est pourquoi , écrivant à cette époque , Mariano de Florence
met Meyronnes en tête de sa liste des scotistes qui ont grandement promu
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 15

le développement de la philosophie . François de Meyronnes a fait école et


ses disciples s'appelaient les Maronistes.
Mariano de Florence ne dit rien de l'école d'Oxford . Le premier en date
semble avoir été Robert Cowton, élève de Scot vers l'an 1300 , et son succes-
seur comme maître en 1313. Il se montre très critique envers Henri de Gand ,
Thomas d'Aquin et Gilles de Rome , et même capable d'aller au -delà de Scot.
Il fonde son cours sur des textes de Scot antérieurs à l'Ordinatio. Son influence
fut considérable en Angleterre pendant deux siècles.
Le deuxième scotiste anglais est Guillaume d'Alnwick, maître de théologie
à Oxford , en 1316, mais qui enseigne aussi à Paris , à Montpellier, à Bologne et à
Naples . On lui doit les additiones magnae au texte de Scot . Guillaume d'Alnwick
déclare clairement son but qui est , non de s'en tenir à la lettre de Duns Scot,
quand il ne fait que citer des opinions communes , mais d'aller jusqu'aux inten-
tions profondes du Docteur Subtil , telles qu'elles apparaissent dans les raisons
apportées . C'est ainsi que discutant la réalité qu'il convient d'accorder aux intelli-
gibles en Dieu , par suite de l'intellection des créatures comme possibles , il estime
être parvenu à comprendre ce que Scot aurait dit s'il avait posé expressément
la question « Et ita puto quod si quaestionem specialem super hoc habuisset,
aliquid exquisite dixisset » 10 .
Aller au-delà de Scot pour lui rester fidèle , n'est-ce pas la marque authen-
tique du professeur selon l'esprit de Scot ? N'est-il pas plus glorieux pour Dieu
de créer des intelligences capables de connaître la vérité par elles-mêmes que de
la leur révéler toute faite ? Le meilleur professeur n'est pas celui qui sait seule-
ment instruire ses élèves, mais celui qui les rend capables d'êtres maîtres à
leur tour !
Et puisque nous en sommes aux scotistes qui ont tenté d'aller au-delà de
Scot, je ne puis manquer de nommer un autre encore , que les études et publi-
cations d'André Combes, de Paul Vignaux et de Francis Ruello ont rendu
<< populaire » à l'École pratique des hautes Études , Jean de Ripa. Il n'entre pas
dans mon sujet, puisqu'il ne fut pas élève de Duns Scot et appartient à la seconde
génération des maîtres scotistes de Paris . Lisons cependant la notice que lui
consacre notre chroniqueur, Mariano de Florence :
« Iohannes de Ripe transonis, Marchisanus, Magister famosus, qui
tante scientie fuit, ut Parisius ante 30 annum in Theologia magister
et Doctor difficilis apellare tur. Hic scripsit profundissime super
4 libros Sententiarum et multa Quodlibeta » 11 .

Jean de Ripa a porté la subtilité de Scot, de Guillaume d'Alnwick et de


François de Meyronnes à de nouvelles prouesses . Je laisse pourtant au professeur
P. Vignaux le soin de préciser dans quelle mesure l'indépendance de Jean de Ripa
et des Formalizantes vis-à-vis de la doctrine scotiste , indépendance que Gerson
attribue à l'amour de la singularité , a provoqué la réforme gersonienne , à savoir ,
l'inflexion vers la pratique de la pensée religieuse au prix d'un éloignement de
la spéculation métaphysique en théologie 12. Je sais, en effet , que l'influence
de Gerson a été à l'origine de la «< conversion » des Capucins à l'étude de saint
16 C. BERUBE

Bonaventure, au temps du Concile de Trente , comme elle semble à l'origine


de la prescription fameuse du général des Frères mineurs de l'Observance ,
François de Zamora, de suspendre l'enseignement de Duns Scot pour lui substi-
tuer celui de saint Bonaventure 13. Les premiers Capucins venaient, en effet,
de l'Observance et nombre d'entre eux y étaient des scotistes réputés , qui
s'intéressèrent aussi à saint Bonaventure , en raison de ses avantages pour l'étude
de l'Écriture en tant que source de prédication évangélique et populaire et pour
la vie spirituelle 14. Par contre , les autres réformes franciscaines qui se multipliè-
rent à partir de 1350 , firent de la renonciation aux chaires universitaires , que
les Frères mineurs tenaient dans tous les centres universitaires , la première condi-
tion pour un retour à la vie franciscaine primitive . Certains en vinrent même à
interdire les études universitaires . Comme ces chaires universitaires franciscaines
enseignaient la théologie de Duns Scot et qu'elles furent occupées par d'autres
religieux, notamment par des dominicains , on assista à ce phénomène peu banal
d'un dominicain enseignant le scotisme en l'amalgamant avec le thomisme15 .
C'est ainsi que j'eus la surprise de constater que les premières éditions des
Quaestiones super XII libros Metaphysicae du scotiste Antoine André furent
préparées par un dominicain , François de Nerithone 16. Cet abandon des chaires.
universitaires fut la cause d'une profonde décadence du scotisme . Le scotisme
ne reprit son essor qu'à la faveur de l'édition des Opera omnia de Scot par
L. Wadding en 1639 .
Si le scotisme s'est maintenu comme école de théologie et de philosophie ,
ce n'est pas principalement par le prestige de quelques scotistes indépendants
de génie , mais grâce aux professeurs qui ont diffusé les écrits de Duns Scot et
les ont rendus accessibles à ceux que le chapitre général de Strasbourg, en 1282 ,
appelait notabiliter intelligentes, à qui était concédée la lecture de la Somme
théologique de frère Thomas d'Aquin , mais uniquement avec le Correctorium de
Guillaume de la Mare 17. C'est de l'un de ces professeurs notablement intelligents
que je voudrais maintenant vous parler .

III - ANTOINE ANDRÉ, SCOTISTE « FIDÈLE >>

Maurice du Port écrivait ici et là en marge du texte de François de Meyronnes :


Non scotizat ! Ailleurs, il annotait : Resolutus et ingeniosus ubique Franciscus.
Antoine André de son côté proclame, en appendice à ses ouvrages, sa volonté
d'être fidèle aussi bien à la lettre qu'à la doctrine de son maître Duns Scot, soit
à ce que Scot a écrit de sa main , soit à ce que lui-même a entendu dire du haut de
sa chaire magistrale , n'ayant voulu que répéter ce que Scot entendait exprimer,
autant du moins qu'il a pu et su le comprendre , et révoquant dès maintenant
ce qu'il a pu dire d'erroné , prêt à l'amender. On ne saurait vraiment souhaiter
plus de bonne volonté dans la fidélité 18 !
Pour comprendre les intentions réelles de notre scotiste fidèle , nous devons
nous remettre nous-mêmes dans sa situation et son contexte intellectuel et
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 17

culturel, sans lui imposer nos propres conceptions de la fidélité littérale ou doc-
trinale . Nous sommes cependant vis- à-vis de notre théologien catalan dans de
meilleures conditions que pour vérifier, par exemple , le degré d'indépendance
ou de fidélité relative de François de Meyronnes, Guillaume d'Alnwick ou
Jean de Ripa. Par ailleurs , cela importe beaucoup plus pour l'histoire réelle du
scotisme, aussi bien médiéval que moderne , spécialement pour ce qui est de la
philosophie scotiste, pour la bonne raison que nous disposons d'une assez ample
panoplie de textes théologiques de Duns Scot alors que l'arsenal philosophique
est peu fourni , et, au dire de ceux qui ont essayé de s'y retrouver, fort compliqué .
Scot a laissé des textes en cours de rédaction et il y a fort à parier que ceux qui
sont attribués à Duns Scot aient été auparavant remaniés par ses disciples.
Ces derniers sont donc leurs co-auteurs. Hugues Cavelles estime que le texte
de l'Expositio super XII 1. Metaphysicae était, avant le travail de correction
qu'Antoine André lui a fait subir, absolument désordonné et il compare ce
travail à celui que la digestion fait subir aux aliments pour les rendre assimila-
bles. C'est l'ampleur et la difficulté de cette digestion que notre auteur a voulu
exprimer en protestant de sa fidélité à l'intention de Scot . Il suffit de parcourir
la description des manuscrits contenant l'Ordinatio pour se rendre compte que
les recenseurs signalent à l'envie l'ampleur et la difficulté de leur travail pour
donner enfin le texte idéal que Scot aurait dû écrire . Les éditeurs de la Somme
contre les Gentils constatent le même zèle chez les thomistes pour améliorer
le texte édité personnellement par l'Aquinate , de sorte que chaque copie nou-
velle est aussi une recension nouvelle . Roger Bacon ne maugréait - il pas déjà
contre ceux qui respectent le texte des poètes anciens , mais se permettent de
corriger le texte de l'Écriture secundum caput suum, chacun à sa fantaisie ?
Pour juger de la fidélité d'Antoine André , j'ai étudié deux oeuvres intime-
ment liées entre elles, à savoir le commentaire littéral sur la Métaphysique et les
questions posées en marges du texte . Ces deux ouvrages sont censés suivre l'un et
l'autre deux oeuvres similaires de Scot . La comparaison des commentaires littéraux
de Scot et d'Antoine André nous a permis de constater les rapports assez vagues
entre les deux, laissant à penser, avec un fondement dans les textes , que Scot a
composé un commentaire littéral sur une section du livre VII de la Métaphysique
d'Aristote , celle-là même à laquelle il renvoie à sept reprises dans ses Questiones
et dans l'Oxoniense IV. Mais Antoine André a aussi sous les yeux le Quodlibet,
q. 7 (dans les questions sur la toute- puissance divine) de Scot et un texte des
Quaestiones de Scot sur les douze livres de la Métaphysique et non pas sur les
neuf premiers seulement comme c'est le cas des manuscrits actuellement connus .
Par contre , le rapport entre les Quaestiones de Scot et celles d'Antoine André
sur la Métaphysique d'Aristote est pour nous d'un grand intérêt , parce que nous
avons ici deux textes parallèles quant au libellé des questions et même quant
au nombre . De plus , le texte d'Antoine André est manifestement une abbre-
viatio du texte de Scot pour les neuf premiers livres d'Aristote , tandis que pour
le livre XII , traitant de l'unicité de Dieu et de sa toute-puissance , il suit l'Ordinatio
et le Quodlibet de Scot.
2
18 C. BERUBE

Les textes de Scot que nous analysons sont ceux publiés par Maurice du Port
en 1501 et reproduits dans les éditions de L. Wadding et L. Vivès . Le texte
d'Antoine André est celui de l'édition de Venise 1523. C'est là le texte que
Maurice du Port signale comme les Quaestiones Metaphysicae Joannis Scoti,
<< quae tot annis, nescio ne temporis injuria an hominis negligentia
sive etiam eorumdem difficultate, quasi abjectae in occulto latita-
bant, Antonius Andreas ejus discipulus, ut erat magni ingenii,
exquisitae doctrinae, acute sciteque castigavit primaria praeceptoris
sui dicta accurate eligendo, ac in ordinem resolutum fideliter diri-
gendo... Utcumque Antonius Andreas, ut in Dialecticis, ita hic et
obscuriora et difficiliora praetermisit » 19 .
Cela nous semble très vraisemblable.
La méthode d'Antoine André est simple. Il ne dit nulle part qu'il résume
un texte de Scot , ni ne nomme Duns Scot, ni ne déclare vouloir exposer la doc-
trine scotiste , à l'exception d'un seul cas sur lequel nous reviendrons . Le texte
se présente comme une composition personnelle , mais le lecteur familier avec
le texte des Quaestiones de Scot a l'impression de lire ce texte d'un bout à
l'autre . En fait, l'auteur prend dans le texte de Scot ce qui lui convient, tout en
lui donnant une forme plus concise . Il omet ce qui ne l'intéresse pas, modifie
à son gré ce qu'il juge utilisable et le met à l'endroit qui convient à son propos.
Il en résulte un texte d'une clarté remarquable et d'une lecture facile . Il faut
une comparaison continue avec le texte de Scot pour se rendre compte des modi-
fications apportées tant au texte qu'à la doctrine . C'est donc un parfait manuel !
Et de fait le succès de ce manuel scotiste est attesté par de nombreuses éditions :
une vingtaine d'éditions clairement identifiables sur vingt-quatre désignées par
Marti de Barcelonna comme celles du commentaire littéral. Ce sont, en fait , vingt
éditions des Quaestiones, plus une autre édition non mentionnée , celle de Venise
1566. Deux éditions seulement donnent le commentaire littéral, et vraisembla-
blement une troisième , celle de Paris 149520 .
Quelle est donc la qualité de témoin et d'interprète fidèle de la lettre et
de la doctrine scotiste dans cet abrégé de Scot ? Manifestement , Antoine André
pense plus à ses lecteurs qu'à l'auteur de l'original . Le texte qu'il écrit est le
sien, à lire comme tel et non comme introduction au texte de Scot. A toutes
fins pratiques , il est fait pour dispenser de l'original , en sorte que le rédacteur
expose son propre scotisme . Les protestations de fidélité littérale et doctrinale
relèvent de la propagande pour accréditer le texte nouveau auprès d'un public
sensible aux arguments d'autorité, comme le nom d'un médiéviste de réputation
internationale donne au livre d'un novice une auréole de crédibilité .
J'ai fait l'examen de quatre questions qui ont un intérêt historique en
ce qu'elles impliquent l'attitude de Duns Scot et celle d'Antoine André vis-à-vis
de l'école franciscaine antérieure , dans des cas où Scot s'en éloigne pour s'inspi-
rer d'Aristote : la connaissance du singulier et de l'universel , les preuves de l'unité
de Dieu et de la toute-puissance divine.
La connaissance du singulier et celle de l'universel sont corrélatives et inti-
mement liées chez Aristote à la question de l'objet des sens comme facultés et
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 19

des objets particuliers des sensations. Scot évoque le texte d'Aristote : « Sensus
est universalis, sentire vero singularis ». Chaque sensation atteint un objet parti-
culier, mais l'intelligence assigne à chaque sens un objet qui est commun à tous
les objets particuliers perçus . Deux explications étaient alors en cours , celle
d'Avicenne qui soutient que l'intelligence est mue par la nature «< commune » à
concevoir quelque chose de commun à tous les objets particuliers , celle d'Averroès
qui dit que l'universel n'est que dans l'esprit . Au livre VII , q. 13 , Scot pose la
question de la connaissance directe, ou per se, du singulier, par opposition à
la connaissance indirecte ou per reflexionem ad phantasmata. Il se contente
d'exposer, sans prendre position , la théorie de la connaissance directe soutenue
dans l'école franciscaine et celle de l'intellection indirecte de Thomas d'Aquin.
A la question 14, le problème est repris à fond tant du point de vue métaphy-
sique que de celui de l'état présent . Métaphysiquement parlant, le singulier est
connaissable intuitivement et abstractivement, tant dans sa nature que selon
sa différence individuelle . Dans l'état présent, la dépendance de l'intelligence
vis-à-vis des sens fait que la nature est connue universellement et abstraitement,
alors que la différence individuelle ne l'est qu'indirectement, comme l'expli-
quent, chacun à sa façon , Avicenne et Averroès en interprétant Aristote . Celui-ci ,
intéressé par la connaissance scientifique , qui est universelle , n'a rien dit de
la connaissance du singulier et de l'existant . S'il en avait parlé , il aurait sans
doute dit que l'intelligence connaît intuitivement le singulier en tant qu'existant,
puisque le singulier relève de la connaissance sensible . C'est ce qu'Aristote appelle
le simul totum, le tout concret tel qu'il est présent aux sens .
Que fait Antoine André ? Il expose clairement toute la théorie de la con-
naissance du singulier du point de vue métaphysique tout comme l'a fait Scot .
Passant à la connaissance dans l'état présent, il soutient, non la connaissance
indirecte ou per reflexionem ad phantasmata, mais la connaissance directe ,
au moins abstractive, du singulier et ne dit rien de l'intuition de l'existant que
Scot perçoit dans les «< intentions » d'Aristote . Par contre, il introduit une théo-
rie de la connaissance intellectuelle du singulier en trois étapes : celle de l'individu
vague, celle de la nature commune et celle de l'individu déterminé par les acci-
dents ou circonstances propres à tel individu , théorie que l'on retrouve dans
le De anima, attribué à Duns Scot par Wadding.
Le plus extraordinaire est qu'Antoine André réussit à établir cette doctrine
en se servant de l'exposé que Scot a fait de la théorie de l'école franciscaine de
ce temps. Tout y est à la lettre , mais en faisant soutenir aux textes l'opinion
que Scot combat formellement . Scot est ramené à l'école franciscaine antérieure
et purifié de la contamination d'Aristote21 .
La connaissance de l'universel est traitée selon la même tactique . Scot
expose d'abord deux théories qu'il qualifie d'extrêmes et qui se réclament toutes
deux d'Aristote . La première , c'est que la nature est antérieure à l'individu et
ne répugne pas à être en plusieurs individus . La nature est donc universelle . La
seconde est l'opinion d'Averroès c'est l'esprit qui fait l'universel . Après les
distinctions usuelles, Scot rappelle les théories de l'abstraction en présence :
20 C. BÉRUBÉ

la théorie aristotélicienne qui admet l'intermédiaire de l'intellect agent et des


espèces intelligibles ; celle de l'école franciscaine qui fait de l'universel le fruit
d'un jugement de prédicabilité résultant de la comparaison des natures singu-
lières et de la constatation de leurs propriétés communes . Dans les Quaestiones
in XII I. Metaphysicorum comme dans les oeuvres théologiques , Scot opte
décidément pour la théorie aristotélicienne de l'abstraction , en accord avec sa
propre théorie de la connaissance indirecte du singulier. Posant la question :
l'universel est-il dans l'esprit ou dans la chose ? , il répond affirmativement aux
deux parties l'universel est dans l'esprit quant à l'acte de connaissance qui
l'exprime dans les espèces intelligibles et dans le concept de la nature et il est
dans la chose quant à ce qui est exprimé par le concept , à savoir, la nature déter-
minée par la singularité , qui n'agit pas sur les sens en tant que singulière , mais en
tant que nature et qui , par conséquent , est représentée dans l'espèce intelligible
en tant que nature seulement22 .
Au lieu de deux opinions , Antoine en annonce quatre la première est le
réalisme des idées qu'Aristote attribue à Platon ; la deuxième est celle de l'uni-
versel dans les choses , qu'il attribue à l' «< intention » d'Aristote ; la troisième est
celle d'Averroès selon qui l'universel n'est que dans l'esprit ; la quatrième sera
l'opinion personnelle d'Antoine André . Il ne la présente pas comme opinion de
Scot qu'il combat directement . En effet, la position générale de Scot sur l'ob-
jet commun des facultés tant sensibles qu'intellectuelles constitue l'obstacle
principal à la théorie d'Antoine André.
Antoine André réfute donc longuement la théorie aristotélicienne de
l'abstraction en mettant à profit les analyses de Scot sur la réalité de la nature
<< commune >> selon Avicenne , et sur son indétermination vis-à-vis de la différence
individuelle . Mais pour Antoine André, ce n'est pas l'intellect agent qui donne
à la nature l'indétermination qui la rend universelle en puissance prochaine dans
les espèces intelligibles , mais c'est l'intellect possible qui universalise la nature
commune . C'est la théorie commune dans l'école franciscaine que l'on retrouve
aussi dans le De anima23 .
Cette explication de la connaissance du singulier et de l'universel sera
adoptée par les scotistes jusqu'au XVIIe siècle . Ils admettront tous une intui-
tion sensible du singulier et une intuition intellectuelle de l'intuition sensible,
mais , à l'exception de François de Meyronnes dont les textes sont vraisembla-
blement antérieurs à ceux d'Antoine André, jamais une intuition intellectuelle
du singulier en tant qu'existant. Celle-ci , on ne la trouve ni chez Jean de Bassoles ,
surnommé le scotiste fidèle , ni chez Gauthier de Chatton, bien que , au sujet
de la vision béatifique , il défende contre Ockham la notion scotiste de l'in-
tuition ; ni chez Jean le Chanoine ou Jean Marbres , dans ses questions sur la
Physique remontant à 1329-134224 . On ne la trouve pas non plus chez le
scotistarum princeps, Barthélémy Mastri, dit Mastrius , qui tient, en 1650 ,
que Scot n'a pas efficacement prouvé cette intuition intellectuelle bien qu'il
l'ait admise . Mastrius dit que les néo-scotistes, novi scotistae, interprètent
autrement Duns Scot à partir des Quaestiones super Metaphysicam et des écrits
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 21

théologiques , mais il déclare s'en tenir au De anima. Comme Antoine André,


Mastrius attribue à Scot l'idée d'une connaissance directe du singulier par
une espèce intelligible singulière qui engendre un concept propre du singu-
lier. Il estime que les thomistes modernes , ceux de la fin du XVIIe siècle , tel
Jean de Saint-Thomas, ont fini par admettre le concept propre du singulier et
par l'attribuer à saint Thomas lui-même25 . Les scotistes du début du XXe siècle
transformèrent en intuition la doctrine de l'individu vague du De anima et allè-
rent jusqu'à entendre la species specialissima comme l'espèce propre du singulier,
alors qu'elle désigne tout bonnement l'espèce infime qui n'a sous elle que des
individus . Les critiques de Scot eurent dès lors beau jeu pour prétendre que
l'intuition de Scot n'était qu'une pseudo-intuition , celle de l'universel26 . Contre
les scotistes de son temps qui le taxaient de novateur parce qu'il a admis l'intui-
tion du singulier, Guillaume d'Ockham répliquait qu'au moins dans un texte
Scot soutenait clairement l'intuition intellectuelle de l'existant dans l'état
présent, bien que peut-être il eût dit le contraire ailleurs27 .
Ces prolongements du scotisme d'Antoine André ont donc été un principe
de division dans l'école scotiste pendant des siècles. Il est possible que Scot , dans
ses premiers écrits, ait mis du temps à se faire une théorie définitive sur l'abstrac-
tion et la connaissance du singulier et qu'Antoine André reflète ce moment
initial de la maturation de la pensée de son maître .
Je voudrais maintenant montrer un Antoine André construisant son com-
mentaire du livre XII de la Métaphysique d'Aristote à partir du Commentaire
des Sentences et du Quodlibet, q . 7 de Scot et non à partir de ses Quaestiones.
Nous n'y voyons plus un scotiste hostile à la philosophie d'Aristote , mais un
interprète bienveillant qui « baptise » le Philosophe en lui attribuant la doctrine
de la connaissance par Dieu , dans sa propre essence , des êtres autres que lui-même .
Il y présente en six conclusions la théologie de l'intelligence et de la volonté
de l'Être infini que le Docteur Subtil expose dans l'Ordinatio I, d . 2. Nous pour-
rions voir un autre exemple , dans le commentaire littéral de la Métaphysique
cette fois-ci, de l'ascendant de Scot sur l'esprit d'Antoine André dans la mention
expresse d'un interprète d'Aristote qui tente , et assez raisonnablement , d'excuser
Aristote d'avoir soutenu la thèse sur la puissance infinie de quelque intelligence
autre que la Première - interprète que Hugues Cavelles identifie avec Duns Scot
dans le Quodlibet, q. 7 et l'Ordinatio I, d . 2 – parce qu'une telle intelligence ,
comme l'avait d'ailleurs pensé l'Aquinate , meut en vertu d'une puissance reçue de
la Première Intelligence . Pour Duns Scot, la communication d'une telle puissance
suppose que la seconde intelligence ait reçu son être de la Première et donc que
l'on puisse prouver que , selon Aristote , le Premier Principe peut créer un ange28 .
Nous avons ici une question , longuement disputée par Duns Scot dans le
Quodlibet, q.7, sur la preuve rationnelle de la toute -puissance divine . Il y confronte
deux interprétations d'Aristote , l'une suivant ses déclarations expresses et l'autre
ses << intentions » ou la logique implicite de ses propres principes, fût-ce contre
ses paroles expresses 29. Antoine André , après avoir soutenu la première interpré-
tation en vertu du sens littéral, fait subitement volte-face en partant d'une
22
22 C. BERUBE

fameuse déclaration de la méthode scotiste d'interprétation : il ne faut attribuer


à aucun auteur des doctrines fausses ou absurdes s'il ne les tient expressément et
si cela ne découle pas évidemment de ses principes . Il déclare vouloir suivre la
vérité scotiste en prouvant deux conclusions . La première , c'est qu'on peut dé-
montrer que les intelligences autres que la Première n'ont qu'une puissance finie .
La seconde , c'est que cela même est concédé par Aristote.
Notons donc encore une fois que notre auteur , même dans la ferveur de
sa volonté de rester fidèle à la vérité scotiste , suit son penchant naturel, c'est-à-
dire sa tendance à utiliser les textes de Scot selon sa propre convenance et sans
trop se soucier de la signification que prennent les paroles de Scot dans leur
contexte . Scot prouve qu'un ange est causable en prenant comme argument l'im-
possibilité de plusieurs intelligences infinies et renvoie à la preuve de l'unicité
de Dieu. Antoine André utilise les mêmes arguments pour prouver qu'il n'y a pas
plusieurs intelligences infinies . Scot prouve ensuite qu'Aristote , en vertu de sa
théorie sur l'ordre essentiel entre le Premier Principe et les moteurs des sphères,
concède qu'un ange est créable . Pour qu'un ange dans son opération dépende
essentiellement du Premier Principe , il faut qu'il soit causable par ce Principe.
Scot le prouve par une longue série d'arguments tirés du livre XII de la Méta-
physique et du livre VIII de la Physique. Antoine André reprend à son tour ces
arguments pour prouver qu'Aristote concède qu'il n'y a pas plusieurs intelligences
infinies.
Il y a donc une transposition de la concession d'Aristote à un autre objet
que celui qu'envisage Scot . Antoine André élimine une étape de la démons-
tration de Scot. Cela s'explique par un souci de simplification . D'autre part,
Antoine André utilise tous les arguments de Scot pour prouver la toute-puissance
de Dieu par la raison naturelle , mais il laisse tomber toutes les restrictions que
Scot y a apportées dans l'Ordinatio et le Quodlibet. Il y a là une perte des
nuances de la pensée de Scot sur un point où celui-ci tient à distinguer entre
les preuves théologiques proprement dites qui viennent de l'Écriture et les
<< persuasions théologiques » qu'on peut tirer des philosophes . Scot précise ,
en effet , que la démonstrabilité philosophique de la toute-puissance divine,
comme l'entendent les théologiens et en tant que vérité nécessaire , est plus pro-
bable que celle de toutes les autres vérités de foi, plus évidentes les unes que
les autres30 . Rien d'étonnant à ce que Maurice du Port, dans la lettre citée plus
haut, estime que le disciple de Scot ne peut se contenter de l'abrégé , si génial
qu'il soit, d'Antoine André, et doit lire aussi ces textes obscurs et difficiles qui
ont été omis bien qu'ils soient « adeo ardua, difficiliaque et fere supra vires
humanae facultatis inventa ... Quia tam excellentis ingenii hominem nihilfrustra,
vel cogitasse, vel scripsisse arbitrabar, omnia suis locis apposui » . Il note aussi
ailleurs que Scot semblait vraiment tremper la plume dans l'esprit (reapse cala-
mum in mente tingebat) dépassant la capacité humaine , sinon angélique .
Une constatation se dégage de ce rapide coup d'oeil sur les deux tendances
des premiers scotistes on n'a jamais dit des Frères mineurs ce que Léon XIII
disait un jour à la louange des Prêcheurs : Ne ad latum quidem unguem a Thoma
LA PREMIÈRE ÉCOLE SCOTISTE 23

recessisse. Ni dans l'ensemble de l'école franciscaine , ni dans celui de l'école


scotiste, le conformisme doctrinal ne fut tenu pour un idéal . Qui se sent capable
d'aller au-delà de Scot en subtilité y jouit d'un grand prestige . Qui croit devoir
en mitiger la virtuosité pour l'accommoder à la portée des intelligences commu-
nes, trouve de nombreux disciples. Les maronistes et les formalizantes passeront.
Antoine André sera le pédagogue du scotisme pendant sept siècles.

NOTES

1. Mauritius de Portu, Epistola prooemialis, dans Duns Scoti, Quaestiones subtilissimae


super libros Metaphysicorum Aristotelis, Parisiis, apud Ludovicum Vivès , 1893 , t . 7 , p. 7.
2. C. Bérubé, Pour une histoire des preuves de l'existence de Dieu chez Duns Scot, dans
Deus et Homo ad mentem I. Duns Scoti, Roma, Soc. Intern. Scot. , 1972 , p . 17-46.
3. C. Bérubé, « La question sur l'univocité de Vat. Lat. 4871 » , Collectanea franciscana,
41 (1971 ) , p. 148-171 , ainsi que R.P. Prentice , An anonymous question on the unity of
the concept ofbeing (attributed to Scotus), Roma, 1972.
4. Mariano de Florentia, « Compendium chronicarum Fratrum minorum » (continuatio),
Archivum franciscanum historicum, 2 ( 1909) , p . 631 .
5. Ibid., p. 632.
6. Ibid., p. 636.
7. H. Rossmann, François de Meyronnes, dans Dictionnaire de spiritualité, X, col. 1155-
1161.
8. P. Marangon, Le origini e le fonti dello scotismo padovano, dans Regnum hominis et
regnum Dei, vol. II : La traditione scotista veneneto-padovana, Roma, Soc. Intern. Scot.,
1978, p. 11-49, avant tout p. 27.
9. Cité par M. Brlek, De evolutione iuridica studiorum in Ordine Minorum, Dubrovnik,
1942 , p. 92.
10. Guillaume d'Alnwick, Quaestiones disputatae de esse intelligibili et de Quodlibet, cura
A. Ledoux, Florentiae, 1937 , p . 161.
11. Mariano de Florentia, Compendium..., 3 ( 1910) , p . 308 .
12. Jean de Ripa, Conclusiones, éd . A. Combes, Paris, 1957 , Préface de P. Vignaux , p. 7-8.
13. Voir le texte de la lettre de François de Zamora à Bernard de Fresneda dans B. Bonelli,
Prodromus ad opera omnia S. Bonaventurae, In typographia Bassanensi , 1767, p . 94 , notes 5-9.
14. C. Bérubé, « Les Capucins à l'école de saint Bonaventure » , Collectanea franciscana,
44 ( 1974) , p . 275-330 , ou encore C. Bérubé , De la philosophie à la sagesse chez saint
Bonaventure et Roger Bacon, Roma, 1976 , p. 283-337 et plus spécialement p . 320-322.
15. Voir I. Vasquez, « De scholae Scotisticae vicissitudinibus historicis » , Acta Ordinis
Fratrum Minorum , 85 ( 1966) , p. 523-530.
16. C. Bérubé, « Antoine André témoin et interprète de Scot » , Antonianum, 54 ( 1979) ,
p. 386-446 , spéc . p . 404.
17. Voir C. Bérubé, La connaissance de l'individuel au Moyen-Age, Montréal- Paris, 1964 ,
p. 82-87 et 135.
24 C. BERUBE

18. C. Bérubé, « Antoine André... » , p. 396-403 . De même , V. Muñiz Rodriguez , « Antonio


Andrés . La edicion veneciana de su ' Logica vetus' de 1509 », Cuadernos salmantinos de filo-
sofia, VI ( 1979) , Salamanca, 1980 , p. 271-283 . Nous utilisons ici une partie de notre article
cité à la note 16 , réimprimé dans un recueil d'études De l'homme à Dieu selon Duns Scot,
Henri de Gand eț Olivi, Roma, 1983 , Bibliotheca Seraphico- Capuccina, 27 , p . 312-366 .
19. Mauritius de Portu, Epistola prooemialis, p. 7.
20. C. Bérubé, « Antoine André ... » , p . 399-411 : Antoine André, auteur de l'Expositio
et des Quaestiones.
21. Antoine André, Qq. super XII I. Metaphysicae Aristotelis, I , q . 1 ; VII, q . 13 , f. 37-38 .
22. Duns Scot , Quaestiones, VII , q . 18 , p . 452-459.
23. Antoine André, Quaestiones, VII , q . 16 , f. 40 .
24. C. Bérubé, La connaissance... , p . 240-259.
25. Nous avons traité de la position de Mastrius en divers passages de La connaissance...,
p. 184 , 188 , 209 , 222 , 239 , 243 , où sont cités les textes importants du Cursus philosophicus,
III : De anima, disp . 6 , q. 7.
26. C. Bérubé, La connaissance….., p. 221-224 .
27. Ibid. , p. 273-274 . Citons seulement ce texte relatif à Duns Scot : « Ne autem ista opi-
nio quantum ad notitiam intuitivam sensibilium et aliquorum mere intelligibilium tamquam
nova contemnatur, adduco verbo Doctoris Subtilis libro IV, distinctione 45 , quaestione 3 ,
duas praedictas conclusiones expresse ponentis, videlicet quod intellectus noster intuitive
cognoscit sensibilia et quod intuitive cognoscit aliqua mere intelligibilia. (...) Ex praedictis
patet quod iste Doctor non tantum sententialiter sed etiam verbaliter ponit quod intellectus
intuitive cognoscit sensibilia et aliqua mere intelligibilia. (... ) Et si dicatur quod alibi ponit
oppositum, illud parum movet me, quia non allego eum tamquam auctoritatem, nec dico
praedictam opinionem quia ipse dixit eam , sed quia reputo eam veram. Et ideo si alibi
dixit oppositum, non curo. Hic tamen tenuit eam , et ideo sequaces sui non debent eam con-
temnare tamquam novam » . Cf. Guillelmi de Ockham , Ordinatio, Prol. , q. 1 , dans Opera
theologica I, par G. Gál et S. Brown , St. Bonaventure , N. Y. , 1967 , p. 44 et 47.
28. Duns Scot, Quaestiones, XII , q. 17. Pour prouver que l'on peut admettre << raisonna-
blement » soit que le premier principe cause tout seul, soit qu'il meuve par un intermédiaire
à qui il communique sa puissance de mouvoir le premier ciel, Duns Scot donne l'exemple
du constructeur d'une maison capable de construire une autre maison , et d'un professeur
capable de former d'autres professeurs : « Perfectior enim esset aedificator , qui posset do-
mum facere, quae domus posset aliam facere , quam si ipse per se illam faceret. Similiter
doctor melior esset, qui posset facere discipulos qui alios docerent, quam si ipse solus esset
docens. Similiter in proposito magis manifestaretur virtus et potentia primi principii ex
hoc quod posset aliquid causare, quod potest movere aliud quam si ipse illud moveret »
(ibid., p. 687).
29. Duns Scot, Quodlibet, q. 7 (Opera omnia, éd . L. Vivès, t . 25) , p . 313-314 : « Sed quia
nulli auctori imponenda est sententia falsa, vel multum absurda, nisi habeatur expresse ex
dictis ejus, vel sequatur evidenter ex dictis ejus : et cum istud , Angelum esse ens a se, sit non 1
tantum falsum, sicut patet, sed etiam valde absurdum , quia oppositum ejus potest demons-
trari, ut patebit, nec istud legatur expresse ex litteris Aristotelis, nec videtur hoc sibi ratio-
naliter imponi. Dico ergo de ista minori : Angelus est causabilis, duo opposita praedictis :
Primum , quod illa est demonstrabilis ; secundum , quod illud fuit ab Aristotele concessum »> .
30. Duns Scot, Ordinatio, I , q . 42 , nº 15. Ed . Vat. , t . VI , p . 346.
LA DEMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU
CHEZ HERVÉ DE NEDELLEC ET SES CONFRÈRES
PRÊCHEURS DE PARIS

Édouard WEBER

Hervé de Nédellec , appelé aussi Hervaeus Natalis ou encore Hervaeus Brito,


est d'origine bretonne il serait né dans la région de Morlaix, aux environs de
1260. Entré chez les Prêcheurs, il a dû achever ses études de théologie au studium
dominicain de Paris . En 1302-1303 , il y commente les Sentences de P. Lombard,
comme bachelier sententiaire , sous la direction de Maître Eckhart . A ce moment,
Jean Duns Scot s'acquitte de la même tâche au studium voisin des Frères Mineurs .
En 1307 , Hervé est Maître en théologie et régent au studium de Saint-Jacques.
Des 1309, il reçoit d'importantes charges dans son Ordre des Prêcheurs et en
1318 y est élu Maître Général . Il décède en 13231 .
Hervé de Nédellec est connu des historiens comme l'artisan de la première
école thomiste . Dans sa Defensio doctrinae Fratris Thomae datée des années
1303-1307 et aussi par d'autres écrits, il a vigoureusement pris la défense des
enseignements de Thomas d'Aquin contre divers opposants et d'abord à l'inté-
rieur de l'Ordre des Prêcheurs, contre des thèses précisément de Jacques de Metz
et de Durand de Saint-Pourçain² .
Pour le thème de preuve et de raison démonstrative , l'enseignement d'Hervé
se situe à un moment assez privilégié . Je vous soumets quelques textes sortis de
sa plume où lui et des contemporains discutent avec une ardeur intrépide touchant
les possibilités de la raison sur les plus hautes questions . Ce sont : une Question
de son Commentaire sur les Sentences datant de 1302-1303 mais de mise au net
postérieure , et trois Questions du traité Sur la connaissance du Premier Principe
rédigé par le Maître en théologie en 1309. A l'inverse de la prolixité et de la
complication qui s'installent alors chez tous, je m'efforcerai d'être bref et clair.

I- QUE DIEU SOIT, EST-CE ÉVIDENT PAR SOI ? (In I Sent., d . 3 , q . 2)

Hervé , ayant établi dans la Question précédente les limites mesurées , pour
l'homme en sa connaissance intellective naturelle , de la connaissance de ce qu'est
Dieu, montre maintenant que ce que l'homme peut en savoir n'est pas d'évidence
26
26 E. WEBER

immédiate³ . Il expose d'abord un argument en faveur de l'évidence : il s'agit de


l'argument d'Anselme tel que les Maîtres parisiens le scrutent depuis plus d'un
siècle . Prémisse majeure : ce que l'on ne peut penser n'être pas, cela est connu
par soi . Or Dieu est un objet de pensée de cette sorte . Donc ... Preuve de la
mineure l'être est de la raison de Dieu5 .
Contre-argument c'est celui de l'insensé retenu par Anselme dans le
Psaume XIII et qui assure : ' Dieu n'est pas ' 6. La Réponse d'Hervé s'ouvre
par le rappel que sur la présente question règnent deux grandes opinions . La
première soutient la théorie de l'évidence , au moins pour le sage. La seconde,
qui sera jugée seule fondée et vraie , nie l'évidence immédiate et réserve à une
conclusion dûment établie l'affirmation certaine de l'existence de Dieu.
Dans l'exposé de la première opinion , on identifie sans peine la position
de Gilles de Rome , laquelle était partagée tout au long du XIIIe siècle par les
augustinisants. Henri de Gand l'avait réaménagée en conservant pour la pensée
un accès immédiat à Dieu , mais estompé dans l'implicite . Sa noétique , qu'on a
pu qualifier d'ontologisme , assurait que Dieu-Être est l'objet premier pour toute
connaissance chez l'homme , fût-ce d'une manière toute confuse et grevée d'inévi-
dence provisoire7 . Hervé rapporte fidèlement les quatre raisons que Gilles , en
sa critique de Thomas d'Aquin sur ce problème , avançait pour justifier sa thèse
d'une évidence de l'existence de Dieu pour le sage.
Première raison de Gilles : Toute proposition connue par soi , donc évi-
dente , présente trois propriétés : a) le prédicat est inclus dans la raison du terme
sujet ; b) à cette proposition il est impossible d'opposer une négation directe ;
c) quiconque l'entend , aussitôt l'approuve . Or ces trois caractères conviennent
à la proposition ' Dieu est . En effet , l'être de Dieu , c'est son essence , sa quiddité .
Comme l'a montré Anselme au chapitre IV de son Proslogion, il n'y a que celui
qui ignore le sens du terme ' Dieu ' qui puisse nier l'être à propos de Dieu³ .
Deuxième raison : Comme en Dieu l'être et l'essence ne diffèrent pas, ce
que l'on ne peut penser n'être pas est connu par soi comme être⁹ .
Troisième raison, qui argumente par analogie (a simili) : nous ignorons certes
ce qu'est l'essence de Dieu , mais nous connaissons le sens du terme 'Dieu . Des Intel-
ligences séparées on ne connaît pas l'essence non plus, cependant le sage sait avec
évidence qu'une réalité incorporelle n'est pas soumise à localisation . Ainsi , pour le
sage qui discerne le sens du terme ' Dieu ', que Dieu est , c'est une évidence par soi10 .
Quatrième raison : Est, au titre de vérité connue par soi, ce qui est tel
qu'on ne peut rien penser de plus grand . C'est là une évidence , car pour ce dont
on ne peut rien penser de plus grand, il est impossible que cela ne soit pas. Or
Dieu est tel , puisque c'est le sens du terme ' Dieu . Donc ... Le nier n'est possible
qu'à condition d'ignorer le sens du terme ' Dieu . Car tous ne connaissent pas ce
sens, tandis que le sage , lui, le comprend . A qui objecte avec Avicenne qu'il est
impossible de démontrer une évidence , ils (i.e. Gilles et ceux qui le suivent)
répondent ceci il n'est pas question de démontrer l'essence de Dieu , mais
seulement ce que signifie le terme ' Dieu ' et que tous admettent , à savoir que
Dieu est absolument parfait, exempt de tout devenir, etc.11 .
LA DEMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 27

La seconde opinion, celle que professe Hervé, affirme la non-évidence ,


pour l'homme à l'état pérégrin , de la proposition ' Dieu est '. Celle-ci est une
conclusion qui ne jouit pas de l'évidence immédiate propre au principe connu
par soi. Les raisons qui la fondent et qu'Hervé explicite ne sont pas exactement
celles qu'avançait Thomas d'Aquin un demi-siècle auparavant. Le problème
examiné par le Maître breton a évolué depuis l'initiative de Thomas de réfuter
la thèse de l'évidence quant à l'existence de Dieu .
La Réponse d'Hervé propose d'abord deux considérations . Ces deux discer-
nements préliminaires concernent la propriété évidente par soi . Après élimina-
tion de deux sens inapplicables ici, elle montre qu'un seul sens est acceptable :
celui qui qualifie une connaissance non acquise à partir d'une réalité du même
genre préalablement connue . On désigne par proposition évidente par soi celle
qui est connue sans qu'il faille la prouver par une autre proposition .
Le second discernement se rapporte à l'inclusion nécessaire du prédicat
dans la raison du sujet . Il faut ici distinguer deux moments : d'une part l'appar-
tenance nécessaire en raison de la nature propre à la chose désignée par le terme
sujet ; et de l'autre , l'inclusion évidente pour notre connaissance à nous.
C'est une chose que , dans la réalité considérée , la nature , connue ou non ,
commande l'appartenance du prédicat à la raison du sujet ; c'en est une autre
que notre connaissance de cette même nature détermine la relation du prédicat
et du sujet. La nature ou essence de Dieu n'étant pas pour nous évidente, pour
nous l'existence de Dieu ne l'est pas non plus.
Prise dans l'absolu , c'est-à-dire considérée en fonction de la nature de
Dieu en soi, la proposition ' Dieu est ' est évidente par soi , mais elle ne l'est
pas considérée quant à nous, c'est-à-dire quant aux lois de nos démarches
rationnelles. Confirmation de cette inévidence se trouve dans le fait que pour
prouver la réalité de la Cause première il faut démontrer, ainsi qu'Aristote s'y
emploie aux livres VII et VIII de sa Physique, l'impossibilité tant du recours
à l'infini (processus in infinitum) dans l'ordre des causes que de l'hypothèse
d'une causalité en cercle (circulatio in causis).
Cette référence à des thèmes agités par ses contemporains , Hervé la double ,
dans une réponse aux arguments favorables à l'évidence , d'une allusion aux
épineuses difficultés relatives aux attributs divins. La multiplicité et la disparité
qu'ils présentent semblent tellement s'opposer à leur assomption dans l'unité
absolue de l'être divin qu'il se trouve des philosophes, pourtant bien au fait du
sens à identifier dans le terme 'Dieu , pour nier que Dieu exerce à l'endroit
des choses créées connaissance et providence 12 .

II - LE TRAITÉ SUR LA CONNAISSANCE DU PREMIER PRINCIPE

Cet ouvrage d'Hervé , Maître en théologie, daté de 1309 se compose de


neuf Questions dont seules la VIIe est aujourd'hui publiée ; les IIIe et IVe sont
parues en extraits 13. On examinera d'abord les principaux arguments des Qu. III
28 E. WEBER

et IV, ensuite la Qu . VII. Il sera éclairant de repérer les interlocuteurs d'Hervé


en ces Questions ce sont Maître Jean de Pouilly, qui , disciple de Godefroid de
Fontaines, est Maître en théologie en 1306. Il croise souvent le fer avec Hervé
dans ses Quodlibeta qu'ont étudiés L. Hödl14 et P.-T. Stella 15 en en publiant
des extraits . Ensuite Maître Gérard de Bologne , Maître Carme dont la Somme
de Théologie, contemporaine de ces discussions , est partiellement connue 16 .
Enfin des tenants du courant scotiste , dont les Theoremata attribuables à
Jean Duns Scot sont un excellent témoin , surtout les Théorèmes XV et XVI¹7.

A - Qu. III : Est-il possible , à l'état pérégrin et de connaissance naturelle , de


prouver de façon démonstrative que Dieu est ?

Qu. IV Est-il possible de prouver de façon démonstrative et par la voie de


la causalité efficiente que Dieu est ?

Comme l'intitulé de ces deux Questions l'atteste, la problématique de


l'évidence ou de l'inévidence de l'existence de Dieu est désormais nettement
dépassée . Ce qui fait maintenant question , c'est la possibilité de la démontrer
avec rigueur . Pour saisir la portée de ce revirement, il faut se souvenir qu'après
le sursaut opéré par Henri de Gand au cours du dernier tiers du XIIIe siècle ,
la noétique et l'épistémologie cultivées par le courant augustinien apparaissent de
moins en moins satisfaisantes face aux exigences critiques montantes. La con-
damnation en 1277 d'un ensemble de thèses relatives à l'étemité du monde
abusivement interprétée comme contraire à la doctrine de la création incite
de plus les théologiens à réfuter, à la suite de Maimonide d'ailleurs, la théorie
aristotélicienne d'une durée infinie , éternelle , dans le passé et à critiquer avec
acharnement les quelques indications du Stagirite sur l'origine du monde18 .
Dans ce climat de discussions passionnées se situe le Quodlibet III de
Jean de Pouilly qu'on date de 1309 et qui met au point des échanges assez
vifs avec Hervé . Jean intitule comme suit sa Qu. Ière : Est-il possible de démon-
trer avec évidence que toutes les réalités existantes ont été produites par Dieu
comme cause efficiente ? Il y répond :
<< On ne peut démontrer que toutes choses ont été produites ou
faites par Dieu. Cette réponse négative , il me semble , s'impose à moi
si l'on entend par démonstration un syllogisme dont les prémisses sont
si évidentes que leur vérité peut se ramener à ( celle de ) l'expérience
sensible (potest reduci ad sensum ) ou encore peut être approuvée
aussitôt qu'on les énonce . Il ne s'agit donc pas de la démonstration
(théologique) dont les propositions sont vraies soit parce que leur
vérité se démontre à partir de l'Écriture ou de la foi , soit parce que
l'une relève de la foi et l'autre du savoir (naturel ) » 19 .
Après de multiples instances en faveur du pour et du contre et où figure no-
tamment la thèse d'Henri de Gand assurant que la doctrine de la création est rigou-
reusement démontrable par la seule raison naturelle 20 , Jean de Pouilly conclut :
<< Nonobstant les raisons susdites, dont plusieurs sont de caractère
probant (probabiles ) et de vérité concluante , comme on l'a dit , il faut
LA DEMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 29

affirmer qu'on ne peut démontrer que Dieu soit la cause productrice


de toutes choses, c'est-à-dire du monde.
L'indice de ceci se trouve dans le fait qu'Aristote a estimé avoir
démontré le contraire ; dans le fait encore que Moïse , le plus émi-
nent de tous quant à la pensée , a, au début de l'Écriture , simplement
affirmé et non pas démontré que Dieu a fait le ciel et la terre . Enfin ,
si même Avicenne , au début du VIe livre de sa Métaphysique, a non
pas démontré mais affirmé que le monde a procédé de Dieu , c'est
d'une manière fausse qu'il formule la thèse d'une procession du
monde à partir de Dieu. Son affirmation est aussi irrecevable et
même davantage que celle d'Aristote assurant que le monde n'a pas
été créé » 21 .
Réservant donc la vérité concernant le thème de création à la foi en la révé-
lation, Jean de Pouilly s'applique à démontrer que les grands textes d'Aristote
(Métaphysique II et XII , Physique VI-VIII) , lus en leur littéralité , ni n'enseignent
ni ne prouvent que le monde dérive d'un principe créateur22 . Il était à coup
sûr utile d'attirer l'attention des théologiens sur leur lecture surdéterminante
des passages du Stagirite couramment invoqués pour établir la doctrine biblique
de la création. Mais Jean fait tout autre chose encore : il amorce une théorie ,
non pas de la double vérité comme on a pu en faire grief aux averroïsants tardifs,
mais d'un double registre des raisons où , au moins pour les questions ultimes,
les arguments du Philosophe seraient à la fois valables et cependant vains.
A un niveau supérieur, il y aurait les vérités de foi qui ne sont pas démon-
trables et que l'Écriture atteste de façon indiscutable . A un niveau subordonné
se situeraient les vérités relatives aux choses physiques manifestes (apparentia).
Relèvent de ce niveau les doctrines d'Aristote qui dans leur ordre sont fondées .
Dans un argument ad oppositum sans doute un peu forcé , Jean déclare de façon
significative :
<< Est impossible à démontrer , il semble bien , ce dont Aristote a cru
prouver le contraire . On ne peut considérer Aristote comme étant à
ce point insensé qu'il ait cru avoir démontré l'opposé de ce qui
serait démontrable (i.e. la création) . (... ) Jamais il ne paraît avoir
nié ce dont le contraire peut se prouver par ce qui est manifeste
(apparentia), lui qui a été qualifié , comme chez le Commentateur
au livre IIIe De l'âme, de modèle (regula), pour ainsi dire, où se révèle
la perfection ultime de la nature 23 .
Est impossible à démontrer une affirmation dont la contradictoire
ou la contraire est prouvée par des raisons qui soit ne trouvent pas de
réfutation fondée en raison , soit relèvent de la foi et de l'Écriture » 24 .
S'efforçant de repousser la difficulté relative à l'origine des Intelligences
séparées à qui ne peut s'appliquer l'analyse du devenir hylémorphique renvoyant
l'origine à du précédent chronologique , Jean écrit :
<< Aristote (...) prouve par des vérités manifestes (per apparentia)
qu'aucune chose ne peut être faite selon sa totalité même , au sens
où tout ce qu'elle est soit l'effet d'un faire , car alors elle serait faite
de rien (ex nihilo) ... » 25 .
Et pour coordonner affirmation révélée et démonstration rationnelle , il
propose d'interpréter comme suit l'argumentation philosophique :
30 E. WEBER

<< Preuve efficace s'entend en deux sens : soit en un sens absolu, soit
au sens de preuve visant l'interlocuteur (ad hominem)26 .
C'est au sens de preuve visant l'interlocuteur (ad hominem) qu'Aristote
a établi que le devenir n'est pas créé . D'où il suit qu'il n'est pas
démontrable que tout ait été fait par Dieu27 .
Hervé, en ses Qu. III et IV, s'applique au contraire à manifester que la
causalité créatrice de Dieu est démontrable par raison rigoureuse . Il y suppose
acquises les principales notions qu'il emprunte à la Physique d'Aristote et qui
concernent l'analyse du changement, motus. Il établit la qualité d'effet créé
qui appartient à toute réalité en deçà de Dieu et manifeste ainsi sur raison
fondée la réalité de la Cause première . Il s'appuie certes sur les « Cinq voies >>
de Thomas d'Aquin , mais ce qu'il en exploite laisse paraître une interprétation
assez limitée . Après avoir rappelé qu'il ne peut s'agir que de démonstration
a posteriori, celle qui procède de l'effet vers la cause, il expose les deux voies
retenues : voie d'éminence et voie de causalité .
Par voie d'éminence , le Maître breton entend tout autre chose que ce que
la formule signifie chez Thomas d'Aquin . Il désigne ainsi la démarche que son
contemporain Jean Duns Scot appelle de la sorte et axe sur le thème d'ordre
essentiel des espèces de l'être28. Par cette procédure , Hervé montre qu'au sein de
la hiérarchie des natures existantes il y a un être de nature la plus noble et
donc suprême29 . La démarche correspondante chez Thomas d'Aquin n'est autre
que la fameuse IVa via, la plus difficile des cinq à établir avec une rigueur satis-
faisante . Dans l'optique d'Anselme , Hervé déploie une dialectique qui entend
intégrer tous les degrés réels et possibles de la hiérarchie des natures créées.
La notion clef est ici celle d'ordre par soi , ordo per se. Elle sert à manifester que
dans la multiplicité des êtres aux natures diverses, il y a ordre et donc principe
d'ordre , ce qui révèle une nature première 30 .
Qualifiée de voie la plus importante, cette démarche implique la réfutation
d'une difficulté redoutable, celle d'une infinité de sujets créés dont la nature pré-
sente une noblesse de degré (réel ou possible) infiniment élevé . Hervé assure
qu'en toute hypothèse , hiérarchie finie ou infinie , on aboutit à un être de
nature suprême 31. Après confirmation, il déclare : « Ainsi il est évident qu'il
est possible de démontrer par voie d'éminence que Dieu est » 32 .
Il est intéressant de noter ici la proximité de Jacques de Metz sur cette
question ainsi résolue . Prêcheur comme Hervé , Jacques commente les Sentences
à Paris vers 1307-1308 . Plusieurs différends doctrinaux l'ont opposé à Hervé .
Toutefois, rien ne l'en sépare sur le présent problème . Jacques expose comme
Hervé les trois voies d'éminence , de causalité et de négativité (via remotionis).
Cette dernière , Hervé , en nos Questions, la passe sous silence car , dit-il , elle sup-
pose les deux autres 33. Manifestement, il n'en discerne pas le sens . Jacques , lui ,
l'explique de façon stupéfiante 34 : « Ce qui est issu du néant est susceptible
d'y être renvoyé à moins d'être conservé par un être qui n'est pas soumis à
cette possibilité » (d'anéantissement) 35 . Où l'on constate que pour être reprise
d'Albert le Grand et de Thomas d'Aquin , cette voie de négativité ne recouvre
plus qu'une dialectique simplette .
LA DEMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 31

La voie de causalité concerne exclusivement, comme souvent chez Henri


de Gand et toujours chez Jean Duns Scot , la causalité efficiente (via causalitatis
effectivae)36 . L'exposant, Hervé rappelle d'abord la disparité à identifier entre
mouvoir, qui suppose un sujet récepteur de la motion , et faire , qui ne le présup-
pose pas nécessairement37 . Il utilise l'axiome hérité d'Aristote ' tout ce qui est
mû l'est par un autre , mais il le sait désormais grevé des obscurités qui résultent
des débats acharnés soulevés par les théologiens convaincus d'y voir négation
de la liberté humaine . Hervé avertit en effet que ce principe est objet de con-
testation certains assurent qu'il est douteux et même soutiennent la thèse
contraire 38 .
Apparemment ébranlé (ou peut-être simplement désireux de ne pas renou-
veler une discussion fondée sur un malentendu), le Maître breton se borne ici à
établir, d'une façon fort semblable à celle de Duns Scot , qu'il y a nécessairement
une cause première efficiente au sein de l'ensemble des causes efficientes cons-
tituant un ordre essentiel . S'il y a ordre, c'est-à-dire chaîne causale une , un
système d'efficience en somme , il y a forcément un principe d'ordre dans l'effi-
cience et donc une cause efficiente première 39. Développant ce thème de cause
première qui est nécessairement cause par soi , Hervé , qui engage ici quelques
emprunts à la IIIa via de Thomas d'Aquin, conclut à l'affirmation fondée que
la Cause première selon l'efficience , laquelle est identifiable à Dieu , existe ,
c'est-à-dire est40 .
La doctrine théologique d'un principe créateur par mode de volonté libre
porte le théologien, c'est clair, à se limiter à cette conclusion . Pour découvrir
chez Hervé des développements plus soignés sur cette voie de causalité efficiente ,
il faut se reporter à un texte qui à première vue ne s'y rapporte pas, le Quodlibet
III. Parce qu'il entre en discussion serrée avec Jean de Pouilly , Hervé y déve-
loppe un effort remarquable pour établir que l'efficience exercée par la Cause
première se double d'une causalité finale41 . A l'encontre de l'interprétation
alors croissante de l'efficience dans le sens restreint du mécanicisme , est ici mis
en valeur le rapport organique qui conjugue l'efficience créatrice et l'efficace
des causes secondes qu'elle anime par mode d'influx finalisant42 . L'argumen-
tation a le mérite de dépasser le niveau trop exclusivement formel des autres
exposés sur la voie d'efficience . Hervé, qui ne dispose pas de l'information des
modernes en histoire des doctrines philosophiques , n'a pu invoquer les diffé-
rentes conceptions néoplatoniciennes qui concernent cette conjugaison de l'effi-
cience et de la finalité . Les discernements qu'il offre à Jean de Pouilly, et qu'il a
sans doute recueillis auprès de Thomas d'Aquin , ne relèvent plus de l'aristoté-
lisme littéral, mais bien plutôt d'une culture philosophique élargie .
Durand de Saint-Pourçain a soutenu dans son Commentaire sur les Sentences
à Paris en 1308 plusieurs thèses qui ont soulevé critique . Sur la question de
l'existence de Dieu , il propose également les trois voies d'éminence , de causalité
et de négativité . Il les justifie en les rattachant à trois propriétés fondamentales
de toute créature : 1 ) être , 2) produit par un autre, 3) à partir de rien. La pre-
mière voie , celle d'éminence , concerne cette perfection qu'est l'être et conclut à
32 E. WEBER

un être suprême . La deuxième regarde la propriété d'être produit par un autre :


c'est la considération selon l'efficience . La troisième voie est appelée par la
précision produit de rien .
L'explication des deux premières voies reste homogène avec ce qu'on lit
chez Hervé . Pour la troisième , Durand se borne au jeu logique suivant :
<< Tout ce qui est par un autre , ab alio, peut de soi ne pas être par
suite de la soustraction de l'influx [ créateur] . Or ce n'est pas tout
sujet qui existe qui peut ne pas être par suite de cette soustraction .
Ce n'est donc pas tout sujet qui est par un autre qui peut ne pas être.
Il y a donc un sujet qui n'est pas par un autre et qui ne peut pas
ne pas être car il est de soi nécessairement être . C'est lui que nous
appelons Dieu » 43 .
Comme à Jacques de Metz, à Durand la négativité dionysienne reste
absolument étrangère . La dénomination via remotionis est totalement abusive .

B- Qu. VII : Est-il possible de démontrer par une raison efficace que l'être de
Dieu est infini en perfection et en puissance ?

Postérieure , rappelons-le , à la Question correspondante du Commentaire


des Sentences, cette Qu. VII est le fruit, en 1309 , d'une controverse entre
Hervé et plusieurs auteurs dont le plus aisé à identifier est Jean de Pouilly .
Elle ne concerne pas directement le problème de l'existence de Dieu , mais son
infinité en perfection et en puissance . Cependant , elle est solidaire du problème
de la possibilité d'une démonstration de l'existence de Dieu , car depuis l'inter-
vention de Duns Scot , le concept d'être infini s'impose comme la notion la plus
apte à déterminer ce qu'est Dieu et avant tout à manifester que Dieu est44.
Dans sa Lectura d'Oxford (antérieure à son enseignement parisien de 1302)
Jean Duns Scot estime que seule la foi permet d'agréer ce que signifie la propo-
sition 'Dieu est tout-puissant . Celle-ci reste indémontrable pour la raison
naturelle . Si la seule raison pouvait la prouver, elle aurait conduit les philosophes
à conclure que Dieu a créé l'univers d'une manière non nécessaire mais libre45 .
Dans son Quodlibet I, probablement disputé à Paris en 1306-1307 , Duns Scot
examine la question suivante : Est-il possible de démontrer par raison naturelle
et nécessaire que Dieu est tout-puissant ? Sa Réponse explique ceci : Au fidèle
à l'état pérégrin il est possible de comprendre la proposition 'Dieu est tout-
puissant par une raison relevant de la démonstration par la cause , propter quid,
donc a priori46 . Mais à l'homme limité aux ressources intellectives de sa nature ,
ce discernement a priori reste impossible47 .
Mais d'une raison issue de la démonstration a posteriori ou quia, cela lui
est-il possible ? Ici le théologien franciscain paraît perplexe . Il accumule d'abord
des arguments conduisant à la réponse : non . Les philosophes, forcément limités
aux vérités nécessaires, ont professé une théorie de la causalité où la Cause pre-
mière agit par nécessité et par l'intermédiaire obligé des agents seconds . Ils se sont
montrés dans la stricte impossibilité de prouver que Dieu soit tout-puissant48 .
Seul le théologien ou le fidèle , qui sait que Dieu agit par vouloir libre , discerne
LA DÉMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 33

avec vérité que Dieu peut prévenir la cause seconde et, se substituant à elle , en
assumer lui-même l'efficace . Lui seul peut démontrer la toute-puissance de Dieu
par une preuve a posteriori ou quia49 .
Toutefois, par la suite et dans la même Question, Jean Duns Scot , saisi
d'un élégant scrupule , signale l'inconvenance qu'il y a à imposer à un auteur ,
en l'occurrence à Aristote concluant à un passé infini , une sentence erronée ou
absurde en l'absence de déclarations claires. Il compense en conséquence ses
premiers arguments par d'autres qui font valoir, par des dires mêmes du Stagirite ,
une efficace souveraine chez le Premier Principe . Il atténue ainsi de façon très
nette son grief initial d'incapacité50 .
Munis de la sorte d'un repère solide dans l'enseignement d'un contempo-
rain notoire , revenons à la Qu. VII d'Hervé . La Réponse établira que les voies
empruntées par la raison naturelle pour prouver l'existence de Dieu permettent
le discernement fondé en raison d'un certain infini pour la perfection et la toute-
puissance divines . D'emblée elle souligne que tous les interlocuteurs sont d'accord
pour admettre que Dieu est tout-puissant . C'est le caractère démontrable par
la raison qui fait ici question . Hervé soumet à une critique serrée une trentaine
d'arguments conduisant à la solution négative . On en retient seulement trois :
Argument nº 2 (repris par d'autres) : puisque Dieu n'est connaissable pour
notre raison que par l'intermédiaire de ses effets créés qui sont limités et finis,
il est impossible de conclure par des raisons efficaces à l'infini de leur cause51 .
Argument no 15 si Aristote avait cru (évidente ) l'infinité de la puissance
en Dieu, il aurait admis la possibilité pour Dieu de mouvoir le ciel hors de son
lieu . Mais ceci est faux . Donc ...52 .
Argument no 17 s'il était possible de prouver l'infinité de la puissance
divine, ce serait avant tout par l'idée de production à partir de rien (ex nihilo),
c'est-à-dire sans rien présupposer. Or une production de ce genre est impossible à
démontrer par une raison efficace . Donc ... On démontre la mineure : ne peut
être prouvé par une raison efficace ce dont le contraire est sentence du Philoso-
phe . Or celui-ci a opiné pour la sentence contraire , Avicenne le dit au livre Ier
des Physiques, là où il assure que tout ce qui est fait l'est à partir d'un quelque
chose présupposé . Donc ... 53 .
Entrant dans le vif du sujet, Hervé écrit : ' raison efficace ' s'entend en deux
sens. Soit démonstration menée à partir d'évidences constatables (ex apparentibus) ;
soit raison méritant approbation (ratio probabilis), surtout lorsqu'elle aboutit à
une conclusion qui à la fois est plus digne d'approbation que ce qu'on pourrait
opposer et résout les arguments contraires avec plus de force probante que celle
qui les a fait soutenir. Le premier sens ne semble pas convenir pour la question de
l'infini divin , avertit Hervé . Mais le dernier sens peut , à son avis , être retenu54 .
La suite comporte deux moments . Le premier rappelle plusieurs thèses
fondamentales engagées ici et admises en philosophie . Retenons -en deux :

1 ) Dieu est réalité simple et est à ce titre qualifié d'Acte pur. Il est en effet
d'essence intellective et est, en vertu d'un unique principe , à la fois subsistant,
3
34 E. WEBER

sage, juste , etc. Les autres substances séparées (les Intelligences de la tradition
aristotélicienne) vérifient une disparité entre substance du sujet et qualité du
sujet doté de savoir, de justice , etc.55 .
Objecte-t-on que chez le Stagirite il y a pluralité d'actes purs, car chez lui
les multiples substances séparées sont considérées comme autant d'actes purs,
Hervé répond que c'est là une vue erronée d'Aristote56 . Si même les substan-
ces séparées sont par nature des actes simples, ce sont des actes qui reçoivent
l'être , d'après la doctrine de ceux qui estiment que l'être diffère de l'essence de
manière réelle 57 .

2) Seconde thèse , calquée sur l'argument d'Anselme Est d'une puissance


infinie ce dont rien de plus grand ne peut être pensé . Hervé montre alors que
la formule rien de plus grand ' postule qu'elle se vérifie à la fois dans la pensée
et dans la réalité . Il avertit toutefois qu'à son gré l'argument ne conclut pas de
façon nécessaire ( ista ratio non videtur mihi necessario concludere)58 .
Au second moment de son exposé Hervé définit une triple perspective
pour l'approche du thème de l'infini de Dieu . Il série trois points de vue : 1 ) au
point de vue de la nature de Dieu ; 2) de l'effet produit par Dieu ; 3 ) du mode
de l'agir divin . Dans la première optique, un argument unique , qui est admis
par tous, celui de Thomas d'Aquin récemment repris par Jean Quidort : la nature
divine étant infinie , la perfection et la puissance en Dieu le sont également59 .
Au point de vue de l'effet productible par Dieu, examen préalable de
quatre raisons qui ont été avancées en faveur de cette infinité, mais à qui Hervé
dénie d'être rigoureusement probantes (efficax) . Ce sont les thèses suivantes :
A) est infinie la puissance qui peut produire une nature plus noble que celle
qu'on voudra accorder et cela à l'infini60 ; B) est infini en puissance le pouvoir
capable de produire une multiplicité plus vaste que n'importe quelle multiplicité
donnée61 ; C) ce en quoi réside le pouvoir effectif de produire des effets infinis
simultanés paraît bien être une puissance infinie62 ; D) le pouvoir qui meut en
un temps infini est de puissance infinie63 .

Viennent ensuite la critique et les mises au point relatives à cette dernière


thèse issue du livre VIII de la Physique d'Aristote . De l'ample débat , retenons
ici le raisonnement qu'Hervé oppose à toutes les tentatives d'exténuation de la
notion de cause première le pouvoir d'un agent qui opère par mode d'intellec-
tion et de vouloir ne peut être restreint aux limites de l'oeuvre qu'il choisit libre-
ment de produire . Il peut en effet , par un libre vouloir infini , vouloir et produire
un effet nécessaire et fini64 . Ceci débouche sur le troisième point de vue.
Dans la perspective du mode propre à l'agir divin , deux raisonnements sont
examinés l'un souligne l'infini du pouvoir de créer à partir du néant ; l'autre
la transcendance de la Cause première au regard de ses effets et donc son équivo-
cité . Le premier raisonnement se constitue d'un syllogisme . La prémisse ma-
jeure, héritée de Thomas d'Aquin, énonce : est infini en puissance le pouvoir qui
produit à partir de rien , ex nihilo. Prémisse mineure on peut prouver par une
raison efficace que Dieu a la puissance de produire à partir de rien . Donc ...
LA DEMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 35

La mineure a été démontrée ailleurs ; la majeure se prouve comme suit : entre


non-être et être , il y a une distance infinie que seule fait franchir une puissance
infinie. Suivent les critiques avancées contre cet argument et leur réfutation65 .
Dressant le bilan, Hervé, apparemment impressionné par la dialectique de
ses interlocuteurs et opposants, propose une appréciation assortie de nettes
réserves :

< Bien qu'à mon avis l'on ne puisse conclure efficacement que la
puissance créatrice est infinie, cependant une plus grande valeur
probante [major probabilitas ] revient, à mon gré , à la proposition
avancée par Frère Thomas : il y a entre n'être pas et être une dis-
tance plus grande que celle qui , pour un sujet donné , va d'une
qualité infinie à la qualité infinie contraire . Ne pas être est plus
distant d'être que ne l'est , pour un sujet , la qualité de chaleur infinie
(supposé que cela soit) par rapport à la qualité de froid . Pour faire
passer un sujet affecté d'une qualité infinie à l'acte de la qualité
infinie opposée , une puissance infinie est requise. Donc ... » 66¸

Cette argumentation d'Hervé , Durand de Saint-Pourçain consent à lui


reconnaître une certaine valeur appelant approbation (probabilitas), mais il lui
refuse d'être raisonnement nécessaire . Il lui préfère la solution admettant que
Dieu peut faire des infinis en acte67 . L'affirmation d'une distance infinie entre
être et n'être pas lui paraît spécieuse . Il leste son appréciation de deux consi-
dérants : a) le pouvoir de produire un effet sans rien de présupposé peut appar-
tenir à une créature finie ; b) on ne peut comparer ce qui n'est pas et ce qui
est68 . Il faut se souvenir que Durand se satisfait d'une acception au vrai as-
sez indigente de la notion d'être . Avec les tenants de la thèse avicennienne
d'une essence indifférente à l'exister, il entend ' être au sens de quelque chose,
aliquid.
Le second raisonnement d'Hervé en faveur d'un certain infini de la puis-
sance divine allègue la doctrine bien connue de l'équivocité , c'est-à -dire de la
dissimilitude radicale qui sépare la Cause première de ses effets créés . La Cause
première excède à l'infini tout genre déterminé . Comme Maître Eckhart , Hervé
souligne que la Cause première transcende toute détermination homogène au
créé. Elucidant une difficulté , il précise que cet excès vaut à l'endroit de tout
effet créé possible , même dilaté à l'infini :
<< Il est établi avec une raison de valeur probante (probabile est)
que le Principe agent suprême , lequel est ( de nature ) équivoque
par rapport à tout ce qu'il cause , en est séparé par une distance
absolument infinie » 69 .

Cette sentence sert de conclusion générale à notre Qu . VII. Parmi les


mises au point relatives aux arguments contraires, notons celle-ci : « Je ne crois
pas que l'infini de durée [lisible chez Aristote] permette une conclusion effi-
cace quant à l'infini intensif à reconnaître à la puissance de Dieu Cause effi-
ciente première »
> 70.
36 E. WEBER

III - CONCLUSION EN FORME D'ESSAI D'APPRÉCIATION

Pour conclure, je tente d'éclairer par trois propositions l'essentiel de ce


que sur notre problème Hervé de Nédellec enseigne et soutient.

1 ) En présence de mises en doute du pouvoir de la raison , Hervé revendique


la valeur d'approbation que présentent les conclusions rationnelles relatives à
la Cause première .

Le sens et la valeur des efforts d'Hervé ne s'éclairent vraiment qu'en réfé-


rence aux particularités de son époque. Au début du XIVe siècle apparaît chez
les Maîtres parisiens (aux prises avec les questions majeures de notre connais-
sance de Dieu Cause première) cette attitude de critique et même de scepticisme
que Michalski a fort bien décrite71 . Il ne s'agit pas d'un scepticisme généralisé,
mais limité aux ultimes affirmations portées par la tradition théologique avec
une confiance spontanée qu'on juge désormais trop facile.
Une des principales motivations , Michalski l'a montré, gît dans la méfiance
croissante des théologiens à l'endroit de la doctrine augustinienne de l'illumina-
tion de l'âme en travail de la pensée . Pour l'avoir développée avec une intention
partiellement polémique dans le contexte universitaire marqué par la mesure
de 1277 , Henri de Gand, avec sa noétique plus ou moins entachée d'ontologisme ,
avait préparé ce revirement critique qui passe, en deux décennies, de la thèse
de l'existence de Dieu évidente pour le sage à la théorie opposée de l'impuissance
à la démontrer.
Cette crise s'alimente également aux discussions sur l'origine du monde
qui font s'opposer théologiens et maîtres ès arts férus d'aristotélisme . A s'obstiner,
du côté des théologiens conservateurs, à la détermination de l'idée de création
par celle de commencement temporel du monde , on a construit cette mise en
concurrence des vérités relevant de la révélation et de celles qu'acquiert la raison.
On l'a constaté, Jean de Pouilly déclare que les sentences d'Aristote sont fondées
en raison. Mais par ailleurs il leur dénie d'être vraies et assurent qu'elles ne possè-
dent qu'une valeur limitée de force démonstrative . Le maître de Duns Scot,
Guillaume de Ware, avant 1300 - à Oxford sans doute , mais il est probablement
passé par Paris et en tout cas connaît les problèmes qu'on y agite , enseigne
d'une part que la proposition ' Dieu est ' est évidente par soi (non pas du premier
mode de perséité , comme l'homme est un vivant ', mais au second mode :
`l'homme est capable de rire' ) mais de l'autre estime que l'unicité de Dieu n'est
pas démontrable par la raison et n'est soutenue que grâce à la révélation72 .
Face à cet éveil tardif des théologiens augustinisants aux questions de cri-
tique et d'épistémologie, Hervé se présente en défenseur somme toute pondéré
des ressources de la raison humaine . Malgré les différences parfois considérables
qui caractérisent son enseignement par rapport à celui de Thomas d'Aquin,
ses prises de position en faveur du pouvoir de la raison s'enracinent visible-
ment dans l'oeuvre de son aîné . On se gardera toutefois d'imaginer qu'Hervé
ne fait qu'exploiter l'acquis thomiste . Deux raisons en persuadent depuis
LA DÉMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 37

un demi-siècle , les problèmes ont largement évolué et de plus le Maître breton


ne semble pas bien connaître l'épistémologie de la noétique de Thomas.

2) Les exposés d'Hervé laissent paraître une nostalgie de l'évidence immédiate


qui explique sa faveur pour le formalisme logique .

L'exposé retracé ci-dessus de la voie d'éminence et de la voie de causalité


efficiente suffit à manifester que là où , en vue de tracer les voies acheminant
la raison à des conclusions assurées sur Dieu , Thomas d'Aquin s'octroyait
de vastes bases d'appui , Hervé au contraire se limite au cadre étroit d'un prin-
cipe unique partagé avec Duns Scot : l'ordre essentiel des espèces de l'être
ou des causes efficientes . Cette restriction à un argument cultivé dans une
optique formelle devait être favorisée par la nécessité d'inclure les considé-
rations sur l'infini des possibles utilisées pour contester la théorie du monde
au passé infini .
Autre indice du même rétrécissement du champ des discussions au do-
maine logique : quand il réfute la thèse de Gilles de Rome , Hervé use , mais sans
la justifier, de la distinction avancée par Thomas d'Aquin entre ' évidence en soi '
et évidence pour nous . Il la tronque même de ses assises philosophiques dont
la pièce principale est la doctrine dionysienne de la hiérarchie des natures intel-
lectives . Chez l'homme situé au degré le plus modeste au regard de l'intellect pur
de l'ange et de la Pensée subsistante de Dieu , la pensée est soumise à des condi-
tions discursives et aux évidences mesurées et laborieuses. Elle doit user d'une
multiplicité de déterminations , c'est-à-dire de formes intelligibles , à la coordi-
nation onéreuse là où une intelligence de rang supérieur au niveau humain jouit
de l'évidence propre à la nature synthétique d'une forme intelligible unique73 .
Il est à noter qu'Hervé ne semble pas pouvoir rendre raison face à une objection
qu'avance ici Jean Duns Scot : « l'évidence d'une proposition ne tient pas à
l'intellect qui la connaît, mais bien (je cite le Docteur Subtil) à la teneur des
termes de la proposition, en tant qu'ils sont aptes à produire d'eux-mêmes la
connaissance évidente » 74 .
C'est qu'à mon avis Hervé communie lui aussi à cette conviction termi-
niste. Lui aussi professe, dans son traité De verbo justement, la théorie noétique
courante de la représentation , ou concept représentatif, comprise comme notion
substitutive de la chose connue75 . Cette épistémologie ainsi centrée sur le quid
nominis, sur le terme sujet critère de l'appartenance évidente du prédicat, trouve
une confirmation puissante dans la théorie avicennienne de la quiddité-essence
indifférente à l'exister . Cette noétique terministe alors en voie d'exploration me
semble expliquer pour une bonne part l'incompréhension d'Hervé (et plus encore
celle de Jacques de Metz et de Durand de Saint-Pourçain) pour la négativité
d'inspiration dionysienne façonnée par Thomas d'Aquin en voie de négativité . En
contrepartie , il y a cette quête ardente de la raison efficace et de son évidence et
ce souci de la forme logique qui devient la préoccupation dominante . Les juge-
ments analytiques selon Kant sont là , dès la première décennie du XIVe siècle .
38 E. WEBER

3) Partageant l'intérêt de son époque pour la mise en forme logique, Hervé


esquisse pour les preuves et les raisons une mise en série des degrés de valeur
probante .

En revendiquant pour la proposition ' Dieu est , ou pour celle Dieu est
Cause efficiente première , ou encore pour ' Dieu est cause infinie ', le statut
de conclusion fondée en raison , Hervé s'est vu forcé de dégager cet espace où
s'étagent, à la mesure de leur proximité avec les principes rationnels assurés,
les multiples conclusions rationnelles qui sont jugées valables après avoir subi
le feu de la critique . On l'a noté , il s'efforce d'apprécier sereinement la valeur
probante des considérations diverses sur l'infini alors agitées . Il en juge certaines
non concluantes, mais en retient d'autres. Il utilise le terme probabilis alors
encore tout proche de probare, prouver, et l'entend visiblement comme ' sus-
ceptible d'approbation , en deçà toutefois des raisons nécessaires et efficaces76 .
Il ménage la comparaison major probabilitas, valeur plus grande de force pro-
bante, et esquisse ainsi une mise en série des degrés d'évidence et de certitude
que présentent preuves et raisons .

NOTES

1. Voir Th . Kaeppeli, Scriptores Ordinis Praed. Medii Aevi, II (Rome, 1975) , p . 231 sqq.
2. Cf. E. Krebs, Theologie und Wissenschaft nach der Lehre der Hochscholastik. An der
Hand der Defensa doctrinae D. Thomae ' des Hervaeus Natalis, B. G.P.M.A., XI , 3-4 , Münster,
1912 ; J. Koch, Durandus de S. Porciano. Forschungen zum Streit um Thomas von Aquin
zu Beginn des 14. Jahrhundert, B.G.P.M.A. , XXV, 1 , Münster, 1927 .
3. Hervei Natalis Britonis, In IV Sent. Commentaria, éd . Paris, 1647 , I , d . 3 , q . 1 , f. 32v
sqq. ; q. 2, f. 34v sqq.
4. Anselme, Proslogion, cc. 3 et 4 , Schmitt I , p. 102 sqq.
5. Augustin, De Trin. V, II, 3 (B.A. 15 , p . 428).
6. Anselm , op. cit. , c. 1 , p. 101 .
7. Gilles de Rome, In I Sent., d . 3 , a. 2 Resp . , texte reproduit par A. Daniels, Quellenbei-
träge und Untersuchungen zur Geschichte der Gottesbeweise im 13. Jahrhundert mit beson-
derer Berücksichtigung des Arguments in Proslogion des hl Anselm, B.G.P.M.A., VIII , 2,
Münster, 1909 , p . 72 sqq. Voir encore J. Paulus, « Henri de Gand et l'argument ontolo-
gique », A.H.D.L.M.A. , 10 ( 1936) , p . 265-323.
8. Hervé, ibid. , f. 34vb - 35 ra (A) . Gilles de Rome , ibid.; Daniels, p . 74-75 .
9. Hervé, ibid., f. 35a (B).
10. Ibid. , f. 35a (B-C) . Gilles de Rome , ibid. , p. 74.
11. Hervé, ibid. , (C-D) . Cf. Gilles de Rome, ibid. , p. 74 , qui explicite le sens du terme ' Dieu'
par la formule : quia est ipsum esse.
12. Je condense l'exposé d'Hervé . La réfutation de la thèse de Gilles a précédé la Responsio.
F. 35b (B) les attributs divins et le thème de Providence .
LA DÉMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 39

13. Voir J. Santeler, Der kausale Gottesbeweis bei Herveus Natalis nach dem ungedrucktem
Traktat 'De cognitione primi principii ', Innsbruck, 1930 J.-T. Mannath, « Harvey of
Nedellecs Proofs for the Existence of God : ' De cognitione primi principii ' Qu . III-IV »,
Salesianum, 31 ( 1969) , p . 46-112 ; P.-T. Stella « A proposito di Pietro da Palude (In I Sent.,
d. 43, q. 1 ) : la questione inedita ' Utrum Deum esse infinitum in perfectione et vigore possit
efficaci ratione probari ' di Erveo Natalis » , Salesianum, 22 ( 1960), p. 245-325 .
14. L. Hödl , « Die Kritik des Johannes de Polliaco an den philosophischen und theolo-
gischen ratio in der Auseinandersetzung mit den averroistischen Unterscheidungslehre.
Eine historische Studie zu den Quaestiones quodlibetales und Quaestiones ordinariae des
Johannes de Polliaco » , Miscellanea Martin Grabmann, Gedenkblatt zum 10. Todestag,
München, 1959 , p. 11-30.
15. T.-P. Stella, « Intentio Aristotelis, secundum superficiem suae litterae. La ' Replicatio
contra Magistrum Herveum Praedicatorem ' di Giovanni di Pouilly » , Salesianum, 23 (1961) ,
p. 481-528.
16. Cf. B.-F.-M. Xiberta, « De Summa theologiae Magistri Gerardi Bononiensis, ex Ordine
Carmelitarum » , Anal. Ord. Carm. V ( 1923) , p . 3-54 ; du même auteur, « Magistri Gerardi
Bononiensis, O. Carm. questio de Dei cognoscibilitate (Summa theol. , q. 13) » , Medioevo e
Rinascimento, Studi in onore di B. Nardi, Firenze , 1955 , II , p . 829-870 . D'après P. Glorieux,
Répert. des Maîtres en théol., nº 420 , II , p . 336 , Gérard de Bologne, présent à Paris proba-
blement vers 1287 , y aurait enseigné entre 1305-1308 . Il n'a pas de pensée personnelle : ses
textes sont décevants. Il se fait l'écho des propositions les plus sceptiques de son temps.
17. Voir E. Gilson, « Les seize premiers Theoremata et la pensée de Duns Scot » ,A.H.D.L.M.A.,
11 (1937-1938) , p. 5-86, notamment p. 54 sqq. pour les Théorèmes XV et XVI.
18. Pour les thèses condamnées en 1277 , voir Chartul, Univ. Paris, I , p. 543 sqq. (nº 473) :
thèses nº 80, 98 , 99 , 101 concernant le monde éternel . D'autres thèses relatives à la causa-
lité sont encore à retenir : cf. nº 21 , 46 , 60 , 142 , 195 , 199. Maïmonide, Guide des égarés,
II, c. 19 (éd. Paris, 1520 , f. Lr ; trad . franç. S. Munk , II, p. 144 sqq.).
19. Jean de Pouilly , Quodlibet III, q. 1 , texte publié par T.-P. Stella, <« Intentio Aristotelis ... » ,
p. 501.
20. Jean de Pouilly , ibid. , p. 503 , allègue Henri de Gand, Quodlibet VIII, q. 6 (éd . Paris,
1518 , f. 311ret v).
21. Jean de Pouilly , ibid., P. 504.
22. Ibid. , p . 501-503.
23. Ibid. , p. 501.
24. Ibid. , p. 503.
25. Ibid. , p. 502.
26. Aliquid probari efficaciter dupliciter potest intelligi : simpliciter vel ad hominem
(ibid. , p. 502).
27. Ibid. , p. 502-503.
28. Voir J.-T. Mannath , « Harvey of Nedellecs Proofs ... » , note 107 , p . 64, et p . 66 pour
la différence d'acception par rapport à Jean Duns Scot.
29. Texte d'Hervé : Mannath , ibid. , note 109.
30. Ibid. , p. 64 , notes 109-110.
31. Ibid. , p . 66-67 pour le texte d'Hervé, cf. notes 120-124 et p . 70 notes 136-137 .
32. Ibid. , p . 71 et note 144.
33. Ibid. , p. 62 et note 94.
34. Jacques de Metz, In I Sent. , d . 3 , q . 1 , texte édité par B. Decker (et R. Haubst) , Die
Gotteslehre des Jakob von Metz, Untersuchungen zur Dominikanertheologie zu Beginn
des 14. Jahrhunderts, B.G.P.T.M.A., XLII- 1 , Münster, 1967 , p. 111 , note 7 .
40 E. WEBER

35. Ibid. , p. 112 , fin note 7.


36. Hervé, Defensio doctrinae F. Thomae, extrait publié par P.-T. Stella , « A proposito di
Pietro da Palude ….. » , p . 257 ( § III) : via causalitatis effectivae. Cf. Mannath , ibid. , p. 72
(texte d'Hervé cité note 149 ) : Per Deum intelligimus aliquam causam effectivam primam…… .
37. Texte dans Mannath, p. 73.
38. Voir J. Santeler, Der kausale Gottesbeweis..., p. 13 ; Mannath , ibid. , p. 73-74 .
39. Cf. Santeler , ibid. , p . 32 sqq. et texte cité p . 37-38 ; Mannath , ibid. , p . 74-77 .
40. Cf. Mannath , ibid. , p. 77-78.
41. Hervé, Quodlibet II, q . I : Utrum omnis finis correspondens agenti sit aliquid acquisi-
tum per actionem agentis (éd . Arivaberum, Venise , 1513 , f. 31rb sqq. ).
42. Ibid., f. 34va (milieu de la colonne) , troisième opinion, tenue pour seule vraie : causa-
litas vero causae finalis loquendo de completa causalitate ipsius est esse illud amore cujus
aliquid agitur, et accipio hic agi non solum pro fieri (... ) sed etiam pro eo quod est esse
effective ab alio.
43. Durand , In I Sent., d . 3 , q . 1. Resp . nº 4 et nº 10 (éd . Lyon, 1556 , f. 17v et 18ra) .
44. La Qu. VII d'Hervé est publiée par P.-T. Stella, « A proposito... » , p. 264-308 . Signa-
lons un détail : Mannath , ibid. , p . 47 , attribue à cette Qu. le nº 8. Référé au texte publié
par Stella, on conserve le numéro d'ordre VII sans préjuger du rang exact de notre Qu, dans
le traité De cognitione primi Principii.
Pour le concept d'être infini, chez Duns Scot, cf. Ordinatio I, d . 3 , pars 1 , q. 1-2 ,
§ 58 sqq. (vol . 3 , p. 40 sqq.).
45. Duns Scot , Lectura, I Sent. , d . 42 , q . unica, § 17-18 (vol . 17 , p . 527).
46. Quodlibet I, q. 7 nº 7 , IIa concl . (Vivès , vol . 25 , p . 289) .
47. Ibid. , IIIa concl. nº 11 (p . 293) .
48. Ibid. , nº 16 (p . 297 sqq. ) ; cf. nº 18 sqq. (p. 299 sqq.).
49. Ibid., nº 23 (p. 302) .
50. Ibid., nº 28 sqq. (p . 313 sqq. ).
51. Hervé, texte éd . Stella, « A proposito ... » , p . 265 , 17 sqq. , où l'on relève à trois repri-
ses la formule probari efficaci ratione. Cf. arg. nº 3, p . 268 , 5 sqq.
52. Ibid. , p . 271 , 10 sqq.
53. Ibid. , p. 271 , 18 sqq.
54. Ibid. , p . 276 ( § II).
55. Ibid. , p . 276 , 17 sqq. ( § III) .
56. Ibid. , p. 278 , 8 sqq. (ad m).
57. Ibid. , p. 279 , 25 sqq.
58. Ibid. , p . 281 , 6-18.
59. Cf. Thomas d'Aquin , In I Sent. , d . 43 , q. 1 , a 1 ; Ia q . 25 , a 2. Jean Quidort (ou de Paris,
contemporain d'Hervé) , In I Sent. , d . 43 , q . 2 (éd . J.-P. Müller, Rome , 1961 , Studia Ansel-
miana 47 , p . 457 sqq. ).
60. Hervé, ibid. , p . 283 , 10 sqq.
61. Ibid. , p. 285, 17 sqq.
62. Ibid. , p. 287, 13 sqq.
63. Ibid. , p. 288 , 1 sqq.
64. Ibid. , p . 296 , 13 sqq . On résume.
65. Ibid. , p . 273 , 13 sqq. (argum . nº 25) ; réfuté ad 25, p . 308.
LA DEMONSTRATION DE L'EXISTENCE DE DIEU 41

66. Ibid. , p. 297 , 5 sqq. ; appréciation p . 298 , 13 sqq. Cf. Thomas d'Aquin , QD De poten-
tia, q. 3, a 4 ;1ª, q . 45 , a 5 .
67. Durand de Saint-Pourçain , In I Sent. , d . 43 , q . 1 , Resp . nº 7 (f. 96r) ; ibid. , les trois
raisons des contemporains (moderni theologi) , appréciées nº 10 et nº 13.
68. Durand de Saint-Pourçain, ibid. , nº 11 (f. 96rb) .
69. Hervé, ibid. , p. 299 , 8 - p . 300 , 2. Pour Eckhart, voir par exemple Qu. Paris. I (disputée
au Studium de Saint-Jacques , Hervé étant bachelier, en 1302-1303) , § 10 sqq. (LW V,
p. 46 sqq. ) ; Comment. de l'Exode, § 53 (LW II, p. 57) ; Comm. du Siracide, § 52 sqq.
(LW II, p. 280 sqq. ) , etc.
70. Ibid. , ad 21m , p . 307 , 3 sqq.
71. Cf. C. Michalski , Les sources du criticisme et du scepticisme dans la philosophie du
XIVe siècle, Cracovie, 1924.
72. Guillaume de Ware, cité par Daniels, Geschichte der Gottesbeweise ... , p . 98-104.
Voir P. Muscat , « Guill . de Ware, Quaest. inedita de unitate Dei » , Antonianum 2 ( 1927 ) ,
p. 335-350.
73. Hervé connaît cette doctrine des formes intelligibles démultipliées selon le degré plus
modeste du sujet intellectif, mais il n'en tire rien. Cf. In II Sent. , d . 3 , q. 4 , a 4 (p. 215 ) .
74. Jean Duns Scot, Lectura I, d . 2 , p. 1 , q . 1-2 , § 20 ( 16 , p. 116-117) ; cf. Ordin. I, d. 2,
q. 1-2, § 23-24 ( 2 , p. 136-137) ; Rep. Paris, I, d . 3 , q. 2 , nº 2 (Vivès, 22 , p . 98a).
75. Hervé Nédellec , Tract. de Verbo, q . 2 , a 2 (Arivaberum, f. 17va) .
76. Voir plus spécialement les textes dont la référence est notée ci-dessus notes 54 et 66.
1
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT
AT THE UNIVERSITY OF PARIS

William J. COURTENAY

One of the most important series of events in the intellectual life of


fourteenth-century Paris is the group of warnings, disciplinary statutes , and
condemnations commonly associated with the introduction of English thought
at Paris, particularly that of William of Ockham¹ . The temporal boundaries of the
crisis are the statute of the Faculty of Arts on September 25 , 1339 , which prohi-
bited the authoritative use of Ockham's opinions, and the condemnation in 1347
of propositions taken from the Sentences commentary of John of Mirecourt . The
University looked back on those years as troubled years . From Pierre Ceffons,
through Pierre d'Ailly, to the Nominalists of 1474 the period of 1339-1347
loomed as a time of crisis and conflict in the life of the University that altered the
intellectual atmosphere and contributed to the later division between the via
antiqua and the via moderna2 . It is not surprising, therefore, that so many
modern scholars have given it close attention³ . In fact , few documents in the
Chartularium Universitatis Parisiensis have received quite as much discussion as
these, and few historical problems so extensively examined have resulted in
less agreement .
It may seem unwise to return to this problem in the hope of further
clarification. And yet, a more careful reading of the documents and a sensitivity
to a wider academic and ecclesiastical context force us to abandon a number
of earlier conjectures and reveal a somewhat different picture of those events.
The principal elements in that picture are as follows :
1) The controversy at Paris over Ockham's thought was narrowly confined to
a few interrelated issues and began in the 1320s . The intensified concern evident
in the period 1339-1341 was not a result of any new or broader introduction
of Ockham's writings, nor was it a battle over other aspects of his thought.

2) The prohibition of 1339 was precipitated by several other crises that occur-
red in the period 1337-1347 and which were largely unrelated to Ockham or
Ockhamism. Our failure to perceive these other crises - our tendency to assume
that all the << relevant » documents address the same issue - has been , I suggest,
a major barrier preventing an adequate reconstruction of events .
44 W.J. COURTENAY

The Introduction of Ockham's Thought at Paris , 1325-1335

We do not know precisely when Ockham's various works became available


at Paris, nor whether oral reports of his teaching preceded them. Awareness
was probably not as early as 1319-1320, as Anneliese Maier suggested. The
seeming parallels between Ockham's views on quantity and Francis of Marchia's
attack on similar views can be explained in other ways4 . The earliest reaction of
which we can be certain is that of Walter Burley , who may have acquired his
knowledge firsthand through return visits to England . Both in his longer version
of De puritate artis logicae and his Expositio librorum Physicorum, Burley attac-
ked Ockham's understanding of simple supposition , universals, and quantity .
By 1326 Burley had read at least the first part of Ockham's De sacramento
altaris, namely the De quantitates . By 1329 he had also read either the Ordinatio
or the Summa logicae, probably the latter . A Danish Arts student , John Nicholai,
made a composite of Ockham's Summa logicae and parts of Burley's De puritate
while at Paris as a student in 13297. Ockham's commentary on the Physics may
also have been known .
By contrast, there is only slight evidence that the principal theological
works were known at Paris in the 1320s , such as Ockham's Ordinatio, his Repor-
tatio, and Quodlibeta septem8 . In light of the continued discussion of intuitive
and abstractive cognition at Paris in the 1320s , it is remarkable that there is
almost no mention of Ockham's highly controversial definition of intuitive
cognition contained in his Ordinatio and Quodlibeta, if these works were in
fact widely known at Paris . Apart from Francis Mayronis' awareness that
Scotus' theory of grace and justification (the acceptatio divina ) was one of
the issues under investigation in Ockham's trial at Avignon10 , Ockham's theolo-
gical views were either ignored or were unknown at Paris before the early 1340s.
The views of Ockham that were under discussion at Paris in the 1320s
were his theory of universals and its effect on his definition of simple supposi-
tion and his reinterpretation of the Aristotelian categories11 . For Ockham
abstract nouns create the linguistic misimpression that such abstractions have
real being apart from substances and qualities . But abstractions , such as white-
ness or humanity, do not in his view have separate being nor do they inhere
in things. They are useful concepts abstracted from our experience with indivi-
dual things . Men do not «< have » humanity or « share » humanity ; each person
is a human being, more or less a rational animal . Similarly, physical abstractions ,
such as motion, quantity , and time have no absolute being apart from extended
moving things in succession , namely the res permanentes.
The only source needed for a discussion of these issues in Ockham was
his Summa logicae, which we know was available at Paris before 1329 , along
with his De quantitate. Although Burley attacked Ockham's view of universals
and simple supposition , most of the attention at Paris was focused on Ockham's
reinterpretation of the categories, especially his view of quantity, time , and
motion. Ultimately at Paris the implications for physics were more controversial
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 45

than the implications for logic . Ockham's linguistic approach to physics not
only contrasted with the quantitative , mathematical approach of many Oxford
scholars in the next generation, but it posed what appeared to be an alternative
view of the physical universe and its operations12 .
Such a picture is suggested by the remarks of Burley's contemporary,
Michael of Massa, who lectured on the Sentences at Paris in 1325-132613 .
Massa is the first Parisian author to cite Ockham by name, and although he
shared with Ockham (and with several earlier Parisian authors , such as Peter
John Olivi and Durand of St. Pourçain) the rejection of species in cognition14 ,
he was sharply critical of Ockham on a number of issues . Massa saw Ockham's
physical theory to be a revival of the ancient oneness-philosophy of the Eleatics ,
which had been rejected by Plato and Aristotle 15. One also receives the impres-
sion from Michael's commentary that Ockham's natural philosophy had won
a following at Paris, and that Michael was as much (if not more) concerned over
Parisian supporters of Ockham than he was over Ockham himself16 .
Thus, by the time Ockham was in Avignon awaiting the outcome of the
investigation into his orthodoxy, several of his works were available at Paris and
some of his views well-known17 . His «< visibility » at Paris had a particular cha-
racter that has not been sufficiently stressed . First , it was Parisian theologians
who were concerned about his ideas, for his opinions are cited only in works
written by bachelors or masters of theology . Second , these Parisian theologians
were concerned primarily about Ockham's natural philosophy and , to a lesser
extent, the related issues in his logic . They appear to have been unaware of or
unconcerned over his theological opinions . Ockham's views on the eucharist
may have entered the discussion only because of the controversial nature of his
views on the status of quantity in relation to substance and quality . Third,
there is the hint that Ockham's physics had begun to attract supporters at Paris,
whether within the Arts or Theological Faculty is difficult to determine . Massa's
Okanistae may refer to such a group, or it could also be nothing more than
the common scholastic practice of giving a plural label to one person's opi-
nions. Eventually , however, such supporters of Ockham's physics did appear.
The Tractatus de successivis, which contains the heart of Ockham's teaching
on time, motion, and place, was extracted from his Expositio in libros Physi-
corum by such followers as a concise statement of Ockham's version of the new
physics18 .
Given the revolutionary quality modern historians usually attribute to
Ockham's thought, it is perhaps surprising that there was not more mention of
him at Paris in this period . Most areas of his thought received no attention , and
many Parisian theologians ignored his logic and physics as well . By contrast, the
writings of Thomas Aquinas, John Duns Scotus , Durand of St. Pourçain , and
Pierre d'Auriole elicited almost immediate attention and, in the case of the last
two, not because a religious order promoted their thought but because the ideas
contained in their works evoked a quick and widespread response . Why did
Paris not view Ockham's thought as equally worthy of attention ?
NAY
46 W. J. COURTE

One obvious explanation , suggested by the evidence reviewed above, is


that many of Ockham's works were probably not readily available at Paris at
that time . Moreover, many of Ockham's views would , in any event, have been
non-controversial at Paris in the 1320s . Most of his logic , as contained in his
Summa logicae, represented only a reorganization of what was then the accepted
teaching of the schools19 . Much of his theology, such as his teaching on grace
and justification or his covenantal , pactum theology, were compatible with
-
- indeed in large measure derived from Scotus, whose disciples dominated
Parisian theology in the 1320s and 1330s . It is understandable that theologians
at Avignon, where Thomism was far stronger, would have been more critical of
Ockham than contemporary theologians at Paris. Finally, Parisian scholars,
fully cognizant of their long heritage and unchallenged leadership in philosophy
and theology , concentrated their attention on Parisian authors . Fourteenth-
century English scholars who were familiar names to Parisian theologians were
bachelors or masters of theology at Paris : John Duns Scotus, Robert Cowton,
Thomas Wilton, William of Alnwick, John Baconthorpe, Walter Burley, and
others . One finds only a modest trace - never acknowledged by name - of the
thought of those whose highest degree was from an English studium generale :
Richard Connington , Henry Harclay, Richard Campsale, John of Reading ,
or Walter Chatton . The view from the Seine in 1328 noted some aspects of
Ockham's thought worthy of comment, but whatever they found in Reading,
Chatton, Fitzralph , or Rodington - if they read them at all - could not in their
eyes compare with the controversies generated at Paris.
Two features of immediate concern to us distinguish the University of
Paris in the 1330s. One of these is the continued rejection of Ockham's physics .
John Buridan, who certainly had access to the Summa logicae and aspects of
whose thought paralleled but were not necessarily derived from Ockham's
thought20 , opposed the view of quantity, time , and motion to which Ockham
subscribed21 . Similarly Peter of Aquila , the only Parisian theologian between
1327 and 1342 to cite Ockham by name , refers to him in a similar context22 .
But the discussion over Ockham's reinterpretation of the categories remained
on an academic level . It did not become a matter of official concern .
The second feature of the 1330s is that Paris seems to lose touch with
English thought, a process that begins in the late 1320s . There is no evidence
before 1340 to suggest that Parisian writers even knew the works of Richard
Fitzralph, John of Rodington, Crathorn , Robert Holcot , Adam Wodeham,
Thomas Bradwardine , Richard Kilvington , Robert of Halifax , Thomas Buckingham,
William Heytesbury, or any of the other logicians and theologians who revolu-
tionized English thought in the period from 1328 to 1338. Admittedly , Parisian
masters and bachelors never possessed the degree of interest in Oxford thought
that Oxford scholars maintained for Paris up to 1328. The approved list of
books available for copying in Parisian bookstores in 1304 almost totally ignores
any English contributions to scholastic learning23 . What Paris received from
Oxford came primarily through English scholars who studied or taught at Paris,
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 47

such as Bacon, Scotus , Alnwick, Burley, and others . But even this modest drift
of ideas from Oxford to Paris all but ceased in the late 1320s and early 1330s as
France and England moved towards the war that eventually brought prohibitions
in both countries against scholars going abroad for education . The Procurator's
Book of the English-German Nation at Paris , whose earliest extant record
begins in 1333 , reveals only a handful of English students left at Paris , and even
those soon disappear24 . Much of this decline in the English presence at Paris
was probably due to the disintegrating political climate, but much of it was
also due to the fact that Oxford had become not only an acceptable alternative
to Paris but a preferable one . By 1330 the developments in logic , mathematics ,
physics, and theology at Oxford were far more exciting than almost anything
comparable at Paris in the period 1328-1340 . Only John Buridan seems to conti-
nue the kind of interests pursued earlier by Marchia, Massa, Gerard Odonis , and
others from the pre- 1328 era.

The Papacy and University Reform : The Crisis of 1338-1341

The situation at Paris changed rapidly in 1338-1339 through the advent


of a series of crises that affected the entire University, but most particularly
the Faculty of Arts . The first crisis was one of financial support through the
papacy. A property dispute between some students in the Norman Nation and
some citizens of Valence came before the papal court in Avignon in 1338 through
the Valence citizens who appealed an unfavorable University judgment25 . In
July of 1339 Benedict XII leveled charges of abuse against Stephen of Langres,
the University representative of the Bishop of Senlis, who was the protector and
distributor of papal privileges to University members . By September Benedict
had refused to honor any of the requests on the University's benefice roll and
demanded to see , instead , the University's documentary evidence of its privileges ,
which he intended to reconsider26 .
When the Faculty of Arts met in September of 1339 , the income of a large
portion of the University community was uncertain . It was in that atmosphere
that the Faculties of Arts, Law, and Medicine instituted a series of reforms
which built upon legislation of earlier years but which now acquired a particular
urgency reflected in the rapidity with which reform statutes were enacted .
One of the issues addressed by almost all the faculties in the University
was a concern over the disintegration of classroom discipline , proper dress
and behavior, and magisterial control over teaching . Lectures and disputa-
tions in Arts, Medicine , and Law were being interrupted by whistling and foot-
stamping, or by contentious questions and comments from bachelors , masters ,
and others who had not received permission to speak27 . The second paragraph
of the Arts statute of September 25 , 133928 in which this problem is addressed
and which has been interpreted by historians as referring to disruptions caused
by Ockhamism, has nothing to do with Ockham but was a separate statutory
48 W.J. COURTENAY

item on the problem of classroom discipline, a problem that seems to have been
rampant in almost all the faculties , including Law and Medicine. During this
period of reform , and in light of the financial urgency and need to appease
Pope Benedict, the Faculty of Arts also reaffirmed its right to determine the
texts appropriate for lectures and disputations, public or private . As part of that
statute the votes were gathered to prohibit the use of the works and doctrine of
one of the principal enemies of Benedict XII , William of Ockham , whose views
were being cited by students and bachelors in the Arts Faculty29 .
If this first piece of legislation prohibiting the use of Ockham as an autho-
rity in lectures or disputations was designed in any way to appease Benedict ,
it was unsuccessful . In the following February Benedict suspended the privileges
of the University, and in the autumn of 1340, prompted probably by interested
parties at the University, Benedict began inquisitorial procedures against a num-
ber of bachelors and students in the Theological Faculty, most of them secular
theologians who may have continued to teach in the Faculty of Arts while pur-
suing their theological studies . Among those accused were Nicholas of Autrecourt
and an English student from Benedict's own monastic order, the Cistercians30 .
The University's privileges were not restored until July 134131 .

The Invasion of English Logic , Physics, and Theology : The Crisis of 1340-1347

The papal charges against certain students in the Faculty of Theology


suggests that alongside the crises over papal support and classroom discipline ,
the University of Paris was experiencing another, more eventful and transfor-
ming crisis in this period . During the years after 1328 in which Oxford-Parisian
contact had all but disappeared, the approach to logic and theology at Oxford
had undergone a transformation . Treatises in logic that supplemented the
Aristotelian logica vetus and logica nova with works on the properties of terms
had appeared as early as the late twelfth century32 . But in the early decades of
the fourteenth century at Oxford, the number and scope of these treatises
increased dramatically 33. Treatises on supposition grew and absorbed the
syncategoremata, predicates, relative terms, and other parts of speech. To those
were added an increasing number of treatises on sophismata , insolubilia, obliga-
tiones, and consequentia. In this development Walter Burley , Richard Campsall
and William of Ockham played leading roles, but the tens of others involved
reveal a far broader movement . By 1335 much of the teaching of logic at
Oxford was being achieved through debates centered on sophisms that were
conducted according to the rules of obligations34 . Propositions were analy-
zed and their true and false senses distinguished through recourse to suppo-
sition theory, the operation of syncategoremata , composite and divided sen-
ses , literal and metaphoric meaning , and the other tools of terminist logic .
By the time of Robert Holcot and Adam Wodeham ( 1330-1332 ) , this ap-
proach to propositional analysis had entered theology , and one finds throughout
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 49

the Oxford theologians of the 1330s the language of obligationes according


to which theological sophismata were explored .
Sophismata had played a role in the training of Parisian Artistae in the
thirteenth century , specifically in the disputations that preceded determination,
but they did not dominate the teaching of logic at Paris nor were the student's
knowledge and analytical skills tested by « obliging » him to accept and work
within the framework of propositions and cases that were implausible , contra-
dictory, or contrary to common belief. Nor do we find at Paris before 1340 any
evidence of a theology influenced by the techniques of solving sophisms within
the rules of obligations . On the contrary, in the period from 1328 to 1340
Parisian theology remained within the categories, style , and approach of the early
fourteenth century, limited by the horizons of a declining Thomism, Scotism ,
and Aegidianism.
Some of the English terminist logic was already available in Paris in the
1320s, most notably Burley's De puritate artis logicae and Ockham's Summa
logicae. Moreover , Paris had developed its own brand of terminism in the writings
and teaching of John Buridan . There is no evidence to suggest, however, that
the Arts curriculum or the style of teaching at Paris were changed by those
influences in the 1320s or early 1330s . That situation appears to have been alte-
red by the introduction into Paris in the years 1338-1343 of additional works
on logic and physics : Kilvington's Sophismata, Bradwardine's De proportione,
Heytesbury's Sophismata, and a number of theological works that were hea-
vily imbued with the terminology, interests, and approach of the new logic
and physics Holcot , Wodeham , Bradwardine , Halifax , Buckingham and
Monachus Niger35 .
Under the impact of this new literature two tendencies developed that
were viewed with alarm by many contemporaries . The earlier tendency, prima-
rily in evidence in the Faculty of Arts, was for some students and masters to
adopt a narrow, somewhat sensationalist method of propositional analysis
according to which any proposition that did not meet the criteria of supposi-
tion theory (in its proper senses) was considered false . This meant that all state-
ments that used figurative language, metaphors, idiomatic expressions or any
words ex usu loquendi as opposed to proper supposition (de virtute sermonis)
were rejected . This approach immediately angered anyone who, along with
Burley and Ockham, acknowledged the importance of <« improper » supposition36.
It also angered anyone who delighted in poetical or rhetorical expressions.
The most immediate danger from this narrow interpretation of supposition,
however, was the rejection of statements from the Bible and the Fathers in
which the use of metaphor plays such an important role .
This was the issue at stake in the famous statute of the Faculty of Arts
issued on December 29, 134037. This statute has nothing directly to do with
Ockham or his doctrina, a confusion that developed many decades later through
the misidentification of this statute with a second statute contra Okanistae
thas was issued a month later38 . The style of debate and teaching censured
50 W.J. COURTENAY

in December 1340 was not derived from Burley, Ockham , or Buridan, all of
whom allowed for suppositio impropria and warned of the dangers that would
result from analyzing terms and propositions de virtute sermonis without regard
for usum loquendi.
The second tendency , in evidence in the Faculty of Theology, was to
restructure theological debate , Sentences commentaries and quodlibetal ques-
tions around theological sophismata in which the techniques ofthe new logic
were used, the debate conducted according to the rules of obligations , and pro-
blems of logic and natural philosophy addressed within a theological structure.
Few Parisian Sentences commentaries ever reached the stage of development
reflected in the English commentaries of Alexander Langeley , Monachus Niger,
or Nicholas Aston . But the commentary of John of Mirecourt resembled in
structure and was heavily dependent on the English commentaries of 133039 .
These two issues or tendencies - a sensationalism born of an overly strict
application of supposition theory in Arts and the restructuring of approaches
in Theology through the use of sophisms and obligations- respectively lie
behind the summoning of Autrecourt to Avignon and the December, 1340
statute of the Faculty of Arts on the one hand, and the investigation and con-
demnation of Mirecourt on the other. Neither issue was related to Ockham or
the Ockhamists, a crisis that had its own separate development, fueled perhaps
by the turmoil going on in the University at the same time.

Conrad of Megenberg and the Scientia Okamica

As was suggested earlier, the views of Ockham that provoked controversy


in the period 1339-1342 , i.e., before the Sentences commentary of Gregory
of Rimini, were those on universals, his reinterpretation of the categories, and
their implications for physics. Ockham's Summa logicae had been available
in Paris for a decade or more , and while much was said about these aspects of
his logic and physics, nothing was ever said about his understanding of personal
supposition or propositional analysis de virtute sermonis. The reason for that
is quite simple . Ockham's views on these latter two issues in no way departed
from the accepted usage at Paris , while Ockham's teaching on universals and the
categories differed significantly from the presuppositions of many and raised
the specter of the frequently-condemned Spiritual Franciscan Peter John Olivi.
In the atmosphere of 1339-1341 , with the problems of papal financial pressure,
student disorder, and a narrow literalism among some teachers in the Faculty
of Arts, a party within the Arts Faculty moved to prohibit the dissemination
of Ockham's physics.
The first step in that direction may be seen in the use of the term doctrina
in the prohibition of Ockham's works in the statute of September 25 , 1339.
A second step was taken in late January or early February 1341 , when a second
statute contra scientiam Okamicam was promulgated by the Faculty of Arts40 .
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 51

The text of this second statute is no longer extant, but part of its content can
be reconstructed from references to it . In contrast to the statute of Septem-
ber 25 , 1339 , which concerned the use of the works and doctrine of Ockham ,
this new statute was directed « against the opinions of certain ones who are
called Ockhamists >> 41 . What was now being prohibited was the scientia Okamica,
and in its place the « scientia Aristotelis and of his Commentator Averroes » was
being required, « except in those cases that are against the faith >> 42 . The issues
on which Averroes and Ockham can be contrasted are not issues of proposi-
tional analysis but the understanding of universals, the interpretation of the
predicaments, and the effects on the understanding of physics .
The prohibition of Ockham's physics by the Arts Faculty in 1341 did not
end discussion . Thus the English-German Nation , which seems to have had these
divisions and tensions within its own ranks , went one step further in the autumn
of 1341. They established an ordinance , which many wished to be considered
a statute, requiring members of the Nation to inform on their colleagues if they
know of anyone belonging to or supporting the views of the secta Okamica43 .
Anyone holding such views would be suspended from all academic exercises
in the Nation and University. The Ordinatio of 1341 was accompanied by an
oath that had to be sworn by the candidate in Arts before the rector when
he came to incept : « You shall swear that you shall observe the statutes made
by the Faculty of Arts against the scientia Okamica, nor sustain in any way
whatsoever the said scientia and similar ones , but [sustain instead] the scientia
Aristotelis and of his Commentator Averroes , and of the other ancient commen-
tators and expositors of the said Aristotle, except in those cases that are against
the faith »> 44.
1341 represented the high point of the group opposing the adoption or
even use of Ockham's physics at the University of Paris. Within a few years
Gregory of Rimini , who would not have been bound by the statutes of the
English-German Nation or the Faculty of Arts in any case , espoused a natural
philosophy that paralleled Ockham's on many points, such as on motion, time ,
and relation45 . Moreover, between 1347 and 1365 , all references to and prohi-
bitions of the scientia Okamica were removed from the list of oaths to be
sworn by those of the English-German Nation incepting at the University of
Paris46 . For most, Ockham's physics had again become a matter of academic
debate, not a matter of official , university legislation.
The most intense stages in the crisis over Ockham's physics are associated
with the career of a German member of the English Nation , Conrad of Megenberg
(Monte Puellarum)47 . Conrad came from the area of Nürnberg and, after early
education at Erfurt , entered the Faculty of Arts as a lecturer in philosophy at
the Cistercian College of St. Bernard . He became master of Arts before 1334.
In 1337 , while teaching in the Faculty of Arts and studying theology, Conrad
wrote his Planctus ecclesiae in Germaniam, a lengthy poem which he dedicated
successively to two papal chaplains in the hope of obtaining a benefice 48. The
first part of the poem addresses the political conflict between Louis of Bavaria
52 W.J. COURTENAY

and the papacy , attempting to explain the German position in a way that
would be understood at Avignon . The political views of Marsilius of Padua and
John of Jandun are mentioned, as are those of the « Franciscans » , but Ockham
is not mentioned directly . Of greater interest is the complaint of the Church
against the corruption of the seven liberal arts that has resulted from the pride
of the clerks, from this «< Hebream » , this « vanam gloriam mundi » 49. The sin
of grammar is that «< language now stumbles into vain things, coins inanities >> .
The sin of logic is that << now any man 'paralogizes ' and deals in sophisms » 50 .
In the second part of the work Conrad continues to rant against the mendicants ,
whose stomachs are jars of wine . In particular he attacks and ridicules the
Franciscans, whom he links with plague . By contrast, Aristotle and Averroes
hold places of honor51 .
In 1342, having twice been a University nuntius at Avignon , having lec-
tured on the Sentences , and having acquired both from Benedict XII and
Louis of Bavaria benefices in Regensburg , Conrad left Paris for a teaching post as
rector of St. Stephen's School in Vienna. It was there in 1347 that he wrote his
commentary on John of Sacrobosco's Sphaera in which he attacked Ockham's
teaching that points and lines are not res distinctae inter se et a corpore52 .
Similar views were expressed later in his Economica, written between 1348 and
1352 while a canon at Regensburg. In that work Conrad attacked Ockham and
his followers << who assert that relations as well as 'place ', ' habit ', 'where ',
'when ' outside the soul are things indistinguishable from absolute things , and
affirm that quantity is the same as substance . They even call motions - in which
the actions and passions of things are formed - things indistinguishable from
permanent things »53 .
Conrad's campaign against Ockham culminated in 1354 with his Tractatus
contra Ockham. But some common themes that run from his Planctus of 1337
to his Tractatus of 1354 enable us to detect the presence of Conrad in the events
at the University of Paris between 1337 and 1342. Among the many objections
to contemporary thought portrayed in the pages of Economica, Conrad in his
third book singled out two that he felt were especially evil54 . One of these was
Ockham's reinterpretation of the predicaments. The other - an entirely separate
issue for him - was the semi-learned students and masters who in his opinion
do not know how to handle grammar, rhetoric, and logic properly . In the
Economica, therefore , he gives a fuller explanation for the decline in the liberal
arts to which he alluded in his Planctus, and suggests that the practitioners of
this misunderstanding of grammar, rhetoric, and logic pretend to be superior
to other scholars and have fared better in the world than have the << noble
intellects » , perhaps meaning himself55 .
A common approach to language is reflected in the errors Conrad lists .
In grammar he criticizes these wretches (miseri) for rejecting as meaningless
such sentences as aqua transit in fluviis » or « venti volant » because they
attribute an action to the subject that it does not in reality have . To say that
<< winds fly >> is to use an expression everyone understands, ex usu loquendi,
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 53

but de virtute sermonis the statement would be false , since winds « do not have
wings »56. The same failing comes out in the area of rhetoric , where these
miseri reject as meaningless expressions such as « bouquet of words >> or << colors
of sentences ». Again, what is being rejected are metaphors, indeed all figures
of speech. Conrad is quick to note that this attitude leads to heresy when
applied to Scripture , since the Bible uses figures of speech continually . << And if,
de virtute sermonis, these expressions are false, it would follow that rhetoric
would have no power of expression in the most beautiful kinds of metaphor >> 57 .
Finally, in logic they consider themselves learned when they have mastered
a dozen so-called insolubilia or a poor half-dozen obligationes. Even wise old
men spend their time sweating over these worthless things (vilibus insudare)58 .
These two distinct problems , the « trivial » errors and the Ockhamist
errors, were not new to Conrad in the period 1347-1354 . The former is alluded
to in the Planctus of 1337 and the latter can be surmised from Conrad's asso-
ciation with the events of 1339-1341 at Paris . At the time of the December 1340
statute, Conrad was procurator of the English-German Nation59 . Many of the
errors listed in that statute concern the rejection of all propositions that are not
true de virtute sermonis, that is , considering any proposition false that uses a
figure of speech. Moreover, some of the wording of the prologue of the statute is
reminiscent of phrases encountered in the Planctus and Economica60 .
Conrad's second complaint was met shortly after he left office as procu-
rator. In late January or early February of 1341 the Faculty of Arts passed
a statute against the scientia Okamica, and in the following months, as we have
seen, the English-German Nation, with Conrad taking an active part , attempted
to uncover and expel all those in its midst who sympathized with the physics
of Ockham61 .
It is perhaps significant that the date of Conrad's departure from Paris
(1342), probably without inception as a master of theology, was the same year
in which Gregory of Rimini returned to Paris to lecture on the Sentences, a
work in which he adopted positions that paralleled most aspects of Ockham's
physics . One also finds in the 1340s at Paris an increasing number of Ockham's
works in circulation and citations of his opinions , although often critically.
Attention was shifted from Ockham's physics to his epistemology and tea-
ching on grace and justification . But the real issues of 1342-1347 concerned
the impact of English thought after Ockham and the controversies sparked by
a revival of Augustinianism .
The transformations at Paris after 1342 are not likely to have pleased
Conrad. Ockham's physics was once again receiving a hearing . Mendicant and
monastic theologians were even more prominent than before, and their efforts
were being rewarded by university and church. In comparison , Conrad saw
his life as a struggle . He no doubt remembered his difficulties in financing his
education . His early attempts at securing benefices had been poorly rewarded .
And he now found himself surrounded by mendicants whose careers seemed
to prosper far better and more rapidly than his own . The continued anger and
54 W.J. COURTENAY

disappointment reflected in the Economica and the subsequent Tractatus de


moralitate in Alamania were in part a residue of his university experience and,
in part, born of the realization that the decade between his departure from
Paris and the writing of the Economica had brought him only a minor teaching
position in Vienna and a minor place in the cathedral at Regensburg.
Conrad may have made one last attempt at influencing events at Paris.
In the eventful summer of 1346 Conrad was back in Avignon and Clement VI
drafted his famous letter to the University of Paris62 . Clement criticized those
masters and scholars in Arts who were laboring hard on the wrong things (scien-
tiis insudantes), who had abandoned « the texts of Aristotle and of other masters
and ancient expositors [ Averroes ?] , who ought to be followed insofar as they do
not depart from catholic faith, and other true expositions and writings that
sustain that scientia » , and turn instead toward « other various and extraneous
sophistical doctrines (extraneas doctrinas sophisticas), which in certain other
studia are said to be taught » 63. The vagueness of the statement is unfortunate,
but behind it one can detect the echo of the anti-Ockhamist oath of 1341.
In light of that oath there is probably reason to assume that Clement was refer-
ring to Ockhamist physics, which were not only being taught in aliis studiis,
for example in the Oxford of William Heytesbury and John Dumbleton, but
were even taught at Paris by an Augustinian Hermit who had in the previous
year been made a doctor of theology, ex gratia, by Clement himself64 .
Just as interesting is Clement's criticism of the theologians, who abandon
the Bible and the Fathers (in whom there is no « vanitatis et curiositatis noxia » )
in favor of philosophical questions and aliis curiosis disputationibus » , thus
spreading pestiferous seeds65 . Here there is a faint echo of the Arts statute
of December 1340 , but far more the language of the debate over proper and
improper speculation , the distinction between sapientia and vana curiositas66 .
Here the campaign is not so much against idle speculation into the hidden
secrets of God as it is the importation into theology of questions, approaches,
and the technical vocabulary of sophismata, insolubilia, and obligationes. This
had been only a minor concern of Conrad, but it was a major concern of the
Dominicans, whose opinions carried considerable weight at Avignon . Already
in May of 1344 the Dominican General Chapter had legislated against those
reading << ad hanc vaniloquii et curiositatis stultitiam » , and in 1346 , shortly
after Clement's letter, these prohibitions « de scientiis vanis et curiosis » were
repeated67 . But on this issue , unrelated to Ockham, the tide of English logic,
physics, and theology had its effect on Paris . Conservative pressure from outside
and possibly within the University resulted in a double attitude : public rejec-
tion of subtilitates Anglicanae and private, enthusiastic study of those same
subtleties. Richard de Bury was probably not the only Oxfordian who found
that awkward position humorous68 .

Of the various controversies that confronted the University of Paris


during the years 1339-1347 , the one that had the most long- range effect on
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 55

the University was the introduction of the newer English thought, an event in
which Ockham's writings played only a small part. With regard to Ockham,
attention was shifted from his views on the predicaments and physics to his
epistemology, conceptualism , and teaching on grace and justification, that is
to say, shifted exactly to those elements in Ockham that had attracted the
most attention in England and Avignon between 1318 and 1335. To that extent,
the introduction at Paris of the wider English context of Ockham's thought
was probably responsible for that shift.
If Conrad lost the battle to condemn Ockham's physics (at least until
the rise of Albertism and Thomism in the fifteenth century) , the fuller reception
of English logic and the early stirrings of humanism at Paris apparently extin-
guished the narrow approach to supposition against which the December 1340
statute was directed . It is perhaps ironic that in the victory over Conrad's second
principal concern, the preservation of metaphoric language and the validity
of figures of speech, the logical writings of Burley and Ockham - both opposed
by Conrad - may have played a more important role than the attitudes of the
rhetoricians and proto-humanists for whom poetic expression was as valuable
as scientific precision .

NOTES

Many of the interpretations and evidence presented in this paper are drawn
from a longer study jointly authored with Dr. Katherine Tachau . A more exten-
sive examination of the documents is provided there : « Ockham , Ockhamists,
and the English-German Nation at Paris , 1339-1341 » , History of Universities,
2 ( 1982), 53-96.

1. Chartularium Universitatis Parisiensis, ed . H. Denifle and E. Chatelain , vol. II (Paris,


1891 ), n. 1023, p . 485-486 ; n. 1041 , p. 505 ; n. 1042 , p . 505-507 ; n. 1124 , p . 576-587 ;
n. 1125, p. 587-590 . This work is hereafter abbreviated as C.U.P. See also F. Stegmüller,
<< Die zwei Apologien des Jean de Mirecourt » , Recherches de Théologie ancienne et médié-
vale (hereafter abbreviated R. T.A.M. ) , 5 ( 1933) , 40-78 , 192-204 .
2. For Ceffons' references to the controversies of the previous years, especially the condem-
nation of his fellow Cistercian, John of Mirecourt, see D. Trapp,« Peter Ceffons of Clairvaux »,
R.T.A.M. , 24 ( 1957) , 101-154 . Pierre d'Ailly , Concepts and Insolubles, transl . P.V. Spade
(Dordrecht, 1980) , p . 58 : « But suppose someone should object to these conclusions that,
among the articles condemned at Paris against Master Nicholas of Autrecourt, one is ' To say
[that] the sentences « God exists » [ and] « God does not exist » signify the same thing, al-
though in different ways, is an error ' . I reply that many of his theses were condemned
(multa fuerunt condemnata contra eum) out of jealousy , and yet later on were publicly con-
ceded in the schools ». The Nominalist defense of 1474 , printed in C. Du Plessis d'Argentré,
Collectio judiciorum de novis erroribus, vol . I , pt . 2 (Paris, 1724) , p . 286 , contains an exten-
sive description of events, but one whose accuracy on particular points is open to question.
On the late fourteenth-century and early fifteenth- century development of the Wegestreit
between the via antiqua and the via moderna see Antiqui und Moderni, ed . A. Zimmermann,
56 W.J. COURTENAY

Miscellanea Mediaevalia, Bd.9 (Berlin , 1974) , especially the articles by N.W. Gilbert , << Ockham ,
Wyclif, and the ' via moderna ' » , p . 85-125 , and A. Gabriel « ' Via antiqua ' and ' via moderna '
and the Migration of Paris Students and Masters to the German Universities in the Fifteenth
Century » , p. 439-483.
3. Among the numerous books and articles on this problem , see : F. Ehrle , Der Sentenzen-
kommentar Peters von Candia des Pisaner Papstes Alexanders V, Franziskanische Studien,
Bh. 9 (Münster i.W. , 1925) ; C. Michalski, « Les courants philosophiques à Oxford et à
Paris pendant le XIVe siècle » , Bulletin international de l'Académie Polonaise des Sciences
et des Lettres, classe d'histoire et de philosophie , 1919-1920 (Cracow, 1922) , p . 59-88 ;
<< Les sources du criticisme et du scepticisme dans la philosophie du XIVe siècle » , Inter-
national Congress of Historical Sciences (Bruxelles, 1923-1924) , p . 241-268 ; « Le Criticisme
et le Scepticisme dans la Philosophie du XIVe siècle » , Bull. internat. de l'Acad. Pol. des
Sciences et des Lettres, classe d'hist./phil . (Cracow, 1927) , p . 41-122 ; « Les courants
critiques et sceptiques dans la philosophie du XIVe siècle » , Bull. internat. de l'Acad. Pol.,
classe d'hist./phil. (Cracow, 1927) , p . 192-242 ; « La physique nouvelle et les différents
courants philosophiques au XIVe siècle » , Bull. internat. de l'Acad. Pol., classe d'hist./phil .
Cracow, 1928), p. 93-164 ; « Le problème de la volonté à Oxford et à Paris au XIVe siècle » ,
Studia Philosophica : Commentarii Societatis Philosophicae Polonorum, vol . II (Lwow, 1937),
p. 233-367 ; E. A. Moody , « Ockham, Buridan, and Nicholas of Autrecourt : The Parisian
Statutes of 1339 and 1340 » , Franciscan Studies, 7 (1947) , 113-146 ; D. Trapp, « Augustinian
Theology of the 14th Century » , Augustiniana, 6 ( 1956) , 146-274 ; « Peter Ceffons >> ;
<< 'Modern ' and ' Modernists ' in MS Fribourg Cordeliers 26 » , Augustinianum, 5 (1965),
241-270 ; Ruprecht Paqué , Das Pariser Nominalistenstatut (Berlin, 1970) ; T. K. Scott,
<< Nicholas of Autrecourt, Buridan , and Ockhamism » , Journal ofthe History ofPhilosophy,
9 (1971 ) , 15-41 ; and N. W. Gilbert, « Ockham , Wyclif, and the ' via moderna ' ».
4. Ockham's rejection of the theory of impetus supposedly created by Francis of Marchia
and Marchia's rejection of a theory of quantity in a form found in Ockham's Reportatio
and De sacramento altaris led Anneliese Maier to believe that each was referring to the other.
In order to answer the question of how two authors, reading the Sentences simultaneously in
different universities , could have known the opinions of each other, Maier divided Ockham's
commentary on the Sentences into several stages. She saw the incomplete version of the
Ordinatio as the product of pre-Oxford lectures on the Sentences given at a studium of
the Order in 1317-1319 . The remainder of that commentary (Books II-IV) , which would
have contained Ockham's earliest treatment of quantity and the eucharist, was supposedly
lost or never written down for distribution . The next work in sequence was, for Maier,
Ockham's two treatises on the eucharist published under the title De sacramento altaris
(by 1319) . It was this treatise , argued Maier, that Marchia had read when he lectured on
the Sentences at Paris in 1319-1320 . Ockham's Reportatio on Books II-IV, in which Ockham
attacks the theory of impetus , she viewed as the Oxford lectura and dated to the years 1320-
1322. Finally, the Ordinatio was revised or completed (the so-called second redaction) by 1323.
Apart from the fact that De sacramentis cannot have been written before the summer
of 1323, since in it Aquinas is referred to as Saint Thomas, the other evidence could as
easily be explained by conjecturing a pre-Paris series of lectures on the Sentences by Marchia
or, as Stephen Brown suggested in the similar case of John of Reading, a subsequent revision
of his Parisian lectures. There is more evidence to suggest that the practice of a pre-university
reading of the Sentences developed in France before it appears in England . The examples
Maier cited to prove that Ockham could have read before Oxford are all Parisian.
The Ockham /Marchia problem may be an unnecessary question. Olivi and Ockham were
not the only authors in that period who denied separate real existence to the category of
quantity, nor are the verbal parallels close enough to Ockham's text to prove that Marchia
could only have been referring to Ockham. For example , Henry of Harclay, whose theo-
ry of universals influenced Ockham , identified quantity with extended substance in his
Quaestiones ordinariae ; see F. Pelster, « Heinrich von Harclay, Kanzler von Oxford und
seine Quästionen », Miscellanea Francesco Ehrle, I (Rome , 1924 ) , p . 307-356 ; G. Gál,
<< Henricus de Harclay : Quaestio de Significato Conceptus Universalis » , Franciscan Studies,
31 (1971 ) , 178-234 . Similarly, Ockham could have had in mind the incipient impetus theo-
ry found in Olivi or, more likely , someone writing in England shortly before 1317. Ockham's
<< tu ponis » suggests an Oxford contemporary more than a Parisian contemporary.
57
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 57

5. The parallels are given in A. Maier, « Zu einigen Problemen der Ockhamforschung »> ,
Archivum Franciscanum Historicum, 46 ( 1953) , 161-194 , reprinted with revisions in Aus-
gehendes Mittelalter, vol. I (Rome, 1964), 175-208 , esp . 196-203 . Burley may have known
Ockham's writings earlier. In his Tractatus de formis, dated between 1320 and 1323 , Burley
attacked a theory of quantity similar to Ockham's. The description of the opinion does
not seem precise enough to identify it as Ockham's opinion rather than Olivi's or Harclay's.
6. The longer version of De puritate artis logicae, written by 1329 , attacked Ockham's
view of simple supposition. See edition by Ph. Boehner : Walter Burleigh, De Puritate Artis
Logicae Tractatus Longior (St. Bonaventure, N. Y. , 1955 ) , p . 7.
7. Erfurt, CA 80 67 , fols. 123 v-134r, contains excerpts from Burley's De puritate artis
logicae tractatus longior, with the preface : « Hanc extractionem de logica Burle ordinavit
frater Ioannes Nicholai, lector de custodia Lincopensi, provinciae Daciae , quando studuit
Parisius, anno Domini Mº CCCXXIXº , de cuius logicae commendatione praemisit prolo-
gum in hunc modum : Post praecedentem summam editam a Fratre Willelmus Ockham]
compilavit Burle alium tractatum de logica, in quo pauca continentur utilia, realiter nihil,
vel sumpta de priori summa vel de Boethio in libro De categoricis et hypotheticis syllogis-
mis . Quae tamen in ipso iudicavi esse utilia, posita ultra ea quae in summa praecedenti,
vel quae sunt contra ea quae dicuntur in illa summa, ut opposita iuxta se posita magis elu-
cescant et melius, breviter in sequentibus colliguntur » . Quoted from P. Boehner, G. Gál,
and S. Brown, eds. , Summa logicae, in Opera philosophica et theologica. Opera philosophica,
I (St. Bonaventure, N. Y., 1974) , 25 *-26*.
8. Katherine Tachau has recently discovered a Sentences commentary of Parisian prove-
nance, probably to be dated before 1330, that shows familiarity with Ockham's Ordinatio
and Chatton's Reportatio. But of the seventeen extant manuscripts of Ockham's Ordinatio,
only three can be traced to fourteenth-century France (Troyes 718 , probably belonging to
the Cistercians at Paris ; Paris, Mazarine 894 , probably belonging to the Augustinians at
Paris ; and Munich, Univ. F. 52) and none can be dated before mid-century .
9. On the distinctive character of Ockham's formulation , see K. Tachau , « The Problem
of the Species in medio at Oxford in the Generation after Ockham » , in Mediaeval Studies,
44 (1982) , 394-443 ; « The Response to Ockham's and Aureol's Epistemology : 1320-1340 »,
in English Logic in Italy in the 14th and 15th Centuries, éd . A. Maierù (Naples, 1982) ,
185-217 .
10. Francis of Mayronis, Quodl. I, q . 3 (Vat. lat. 901 , fol. 7ra) : « Circa istam questionem
[Utrum Deus possit acceptare hominem in puris naturalibus existentem tanquam dignum
vita eterna] , quia de facto versatur coram Christi vicario summo pontifice , ideo reducendum
est ad memoriam illud quod dicit salvator noster eius predecessori Matth. 16º : 'quodcum-
que solveris super terram , erit solutum ' etc. et ideo ad determinandum exspectandum est
eius iudicium » . Cited from J. Koch , « Neue Aktenstücke zu dem gegen Wilhelm Ockham
in Avignon geführten Prozess » , R.T.A.M. , 7 ( 1935 ) , 350-380 ; 8 ( 1936 ) , 79-93 , 168-197 ;
reprinted in Kleine Schriften, vol . II (Rome , 1973) , p . 312 .
11. Of particular interest among the abundant literature on these aspects of Ockham's
thought are S. Moser, Grundbegriffe der Naturphilosophie bei Wilhelm von Ockham :
Kritischer Vergleich der 'Summulae in libros Physicorum ' mit der Philosophie des Aristoteles
(Innsbruck, 1932 ) ; E. A. Moody, The Logic of William of Ockham (New York , 1935 ) ;
Ph. Boehner, « Ockham's Theory of Supposition and the Notion of Truth » , Franciscan
Studies, 6 (1946) , 261-292 ; Ph. Boehner, Medieval Logic (Manchester , 1952) ; A. Maier,
Metaphysische Hintergründe der spätscholastischen Naturphilosophie (Rome, 1955) ;
H. Shapiro, Motion, Time and Place According to William Ockham (St. Bonaventure , N. Y.,
1957) ; J. A. Weisheipl, « Developments in the Arts Curriculum at Oxford in the Early
Fourteenth Century » , Mediaeval Studies, 28 ( 1966 ) , 151-175 ; Weisheipl , « Ockham and
some Mertonians » , Mediaeval Studies, 30 ( 1968) , 163-213 ; L. Price , « William of Ockham
and Suppositio Personalis » , Franciscan Studies, 30 ( 1970) , 131-140 ; J. Swiniarski , « A New
Presentation of Ockham's Theory of Supposition with an Evaluation of some Contemporary
Criticisms » , Franciscan Studies, 30 ( 1970) , 181-217 ; S. Brown , « Walter Burleigh's Treatise
de Suppositionibus and its Influence on William of Ockham » , Franciscan Studies, 32 (1972),
15-64 ; G. Leff, William of Ockham (Manchester, 1974) ; P. V. Spade , « Ockham's Rule
58 W. J. COURTE
NAY

of Supposition : Two Conflicts in His Theory » , Vivarium, 12 ( 1974) , 63-73 ; F. Inciarte,


<< Die Suppositionstheorie und die Anfänge der extensionalen Semantik » , Antiqui und
Moderni (Berlin, 1974) , 126-141 ; and P. V. Spade, « Some Epistemological Implications of
the Burley-Ockham Dispute » , Franciscan Studies, 35 ( 1975) , 212-222.
12. Weisheipl, « Developments in the Arts Curriculum at Oxford » ; « Ockham and some
Mertonians » ; J. E. Murdoch and E. Sylla, « The Science of Motion » , in D. C. Lindberg,
Science in the Middle Ages (Chicago , 1978) , p . 206-264.
13. Damasus Trapp was the first to call attention to these passages, « Notes on Some
Manuscripts of the Augustinian Michael de Massa (d . 1337 ) » , Augustinianum, 5 (1965),
58-133.
14. K. Tachau , « The Problem of the Species in medio » and « Ockham, Ockhamists, and
the English-German Nation » .
15. Vatican, Vat . lat. 1087 , fols. 70rb , 71ra : « Et quia de realitate motus est unus error
quorundam modernorum qui circa totam Physicam tam quantum ad principia quam etiam
quantum ad conclusiones ipsius conati sunt innovare errores antiquorum philosophorum
quos Aristoteles frequentissime reprobat - licet per quasdam fugas grammaticales huius-
modi errores sustineant, quae modicum valent, sicut alias apparebit – ideo statim pro nunc
de errore istorum circa realitatem motus expedio me valde breviter... Moveamus ergo aliquas
quaestiones circa realitatem motus more Aristotelis et Commentatoris et aliorum philo-
sophorum , praetermittendo insanias modernorum innovantium grossitive antiquorum ».
16. Vat. lat. 1087 , fol. 88v : « Sed secundum istos, contra quos arguo , tempus et primus
motus sunt idem identice, nec differunt nisi conceptibiliter... dixerunt aliqui quod tempus
est ipsummet caelum, et in sententiam istorum incidunt Ockanistae » .
17. On the trial of Ockham at Avignon see : J. Koch, « Neue Aktenstücke zu dem gegen
Wilhelm Ockham in Avignon geführten Prozess » , R.T.A.M. , 7 ( 1935) , 350-380 ; 8 (1936),
79-93, 168-197 ; C. K. Brampton, « Personalities at the Process against Ockham at Avignon,
1324-1326 » , Franciscan Studies, 26 (1966) , 4-25.
18. The Tractatus de Successivis attributed to William Ockham, ed . Ph . Boehner (St.
Bonaventure, 1944).
19. G. Gál, Introduction to William of Ockham, Summa logicae (St. Bonaventure, 1974) ,
p. 46* : « Contentio enim circa universalia, praedicamenta et suppositiones terminorum
maxime vertebatur. Sed haec non constituunt totam logicam nec magnam eius partem.
Maior pars logicae erat possessio communis et pacifica omnium logicorum... » .
20. Until the middle of this century the dependence of Buridan on Ockham was not
seriously questioned . Since then scholars have become increasingly more cautious on this
issue . In particular, see : M. E. Reina, Пl Problema del linguaggio in Buridano (Vicenza,
1959) ; T. K. Scott, « John Buridan on the Objects of Demonstrative Science » , Speculum,
40 (1965) , 654-673 ; R. Paqué, Das Pariser Nominalistenstatut ; T. K. Scott, << Nicholas
of Autrecourt, Buridan and Ockhamism » , Journal of the History ofPhilosophy, 9 (1971),
15-41 ; and The Logic of John Buridan, Opuscula Graecolatina, 9 (Copenhagen, 1976).
21. A. Maier, Metaphysische Hintergründe der spätscholastischen Naturphilosophie (Rome,
1955 ) , 209-219.
22. Petrus de Aquila , Quaestiones in quatuor libros sententiarum (Speyer, 1480 ; reprint
Frankfurt, 1967 ) , Lib . I , dist. xxiii, q . 2 .
23. C.U.P. II, 107-112.
24. Auctarium Chartularii Universitatis Parisiensis, vol. I : Liber procuratorum nationis
Anglicanae (Alemanniae) in Universitate Parisiensi, ed . H. Denifle and E. Chatelain (Paris,
1894), henceforth abbreviated as A. U.P.
25. C.U.P. II , 476-477 , 482-483 ; 487-488 ; 488-489 , 497-498 , 521-522.
26. A.U.P. I, 35 ; C.U.P. II , 487.
27. C.U.P. II , p. 492-493 , for the Faculty of Medicine : « ad statuendum et ordinandum
propter pacem et tranquillitatem inter magistros ac etiam bachalarios et ad evitandum
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 59

clamores magistri contra magistrum ac etiam contra bachalarios et bachalariorum ad invi-


cem... nullus sit ausus plus arguere vel alio quoquomodo nisi prius habita licentia et obtenta
a magistro disputante, sed quilibet taceat ut respondens audiatur » . C.U.P. II , p. 504, for
the Faculty of Decrees : « Itemque non impedient doctores vel alios legentes, seu actus
scolasticos exercentes bedellos vel alios officiarios dicte facultatis, sibilacionibus, percus-
sionibus et perturbacionibus quibuscumque » . See also C.U.P. II, p . 486 , n . 1024. The fact
that student disturbances were common to these three faculties makes the connection with
Ockhamism highly dubious. There was, however, one issue on which Ockham's physics,
particularly his views on motion, time and relation, challenged some cherished notions in
medicine and law, namely astrology. Throughout the thirteenth and early fourteenth centu-
ries, despite the opposition of theologians , astrology had become increasingly attractive,
even in academic circles. Much of the motivation behind the development of the mechanical
clock in the late thirteenth and early fourteenth centuries was to develop an astronomical
clock that would precisely record the movement of the heavens and make medical predic-
tions and legal arguments based on astrology equally precise. If movement, relationship,
and time were not realities, then a fundamental presupposition of astrology was removed.
Similar motivations explain some of the interest in John of Sacrobosco's De sphaera. It was
not by chance that Conrad of Megenberg, one of Ockham's principal Continental opponents,
wrote a commentary on De sphaera in which he attacked Ockham's physics, and also trans-
lated Sacrobosco's work into German. Moreover, Andalò di Negro, who also wrote a treatise
on De sphaera, composed his Introduction to Judicial Astrology around 1315-1320. On the
interrelation of the astronomical clock and medical astrology, see L. White , << Medical
Astrologers and Late Medieval Technology » , Viator, 6 ( 1975) , 295-308 , and in Medieval
Religion and Technology (Berkeley, 1978) , 297-315 . On Andalò see L. Thorndike, The
'Sphere ' ofSacrobosco and Its Commentators (Chicago, 1949) , 35-36.
28. C.U.P. II , p . 485 , n. 1023 : « Insuper cum nobis liqueat manifeste quod in disputatio-
nibus que fiunt in vico Straminum talis abusus inolevit quod bachellarii et alii in disputatio-
nibus dictis existentes propria auctoritate arguere presumunt minus reverenter se habentes
ad magistros, qui disputant, tumultum faciendo adeo et in tantum quod haberi non potest
conclusionis disputande veritas , nec dicte disputaciones in aliquo sunt scolaribus audien-
tibus fructuose : statuimus quod nullus magister, bachellarius aut scolaris, sine permissu et
licentia magistri disputationes tenentis arguat, quam licentiam sibi non liceat petere verba-
liter, sed tantummodo signative reverenter >>.
29. Ibid. « Cum igitur a predecessoribus nostris non irrationabiliter motis circa libros
apud nos legendos publice vel occulte certa precesserit ordinatio per nos jurata observari,
et quod aliquos libros per ipsos non admissos vel alias consuetos legere non debemus, et
istis temporibus nonnulli doctrinam Guillermi dicti Okam (quamvis per ipsos ordinantes
admissa non fuerit vel alias consueta, neque per nos seu alios ad quos pertineat examinata,
propter quod non videtur suspicione carere) , dogmatizare presumpserint publice et occulte
super hoc in locis privatis conventicula faciendo : hinc est quod nos nostre salutis memores,
considerantes juramentum quod fecimus de dicta ordinatione observanda, statuimus quod
nullus decetero predictam doctrinam dogmatizare presumat audiendo vel legendo publice
vel occulte, necnon conventicula super dicta doctrina disputanda faciendo vel ipsum in
lectura vel disputationibus allegando ».
30. C.U.P. II , 505 , n. 1041 .
31. C.U.P. II , 521-522.
32. L. M. De Rijk, Logica Modernorum, a contribution to the history of early terminist
logic, 3 vols. (Assen , 1962-1967 ) ; L. Minio-Paluello , Twelfth Century Logic : texts and
studies, 2 vols. (Rome, 1956-1958) .
33. C. Wilson, William Heytesbury. Medieval Logic and the Rise ofMathematical Physics
(Madison, 1960) ; Weisheipl , « Developments in the Arts Curriculum at Oxford » ; J. Murdoch ,
<< From Social into Intellectual Factors : an Aspect of the Unitary Character of Late Medie-
val Learning » in The Cultural Context ofMedieval Learning, ed . J. Murdoch and E. Sylla
(Dordrecht, 1975 ) , p . 271-348 ; « Subtilitates Anglicanae in Fourteenth -Century Paris :
John of Mirecourt and Peter Ceffons » , in Machaut's World : Science and Art in the Fourteenth
Century, ed. M. P. Cosman and B. Chandler (New York, 1978 ) , p . 51-86 ; W.J. Courtenay,
60 W.J. COURTENAY

<< The Role of English Thought in the Transformation of University Education in the Late
Middle Ages », in Rebirth, Reform , and Resilience : Universities in Transition , 1300-1700,
ed. J. M. Kittelson (Columbus , Ohio , 1984).
34. Weisheipl, « Developments in the Arts Curriculum at Oxford » ; M. A. Brown, « The
Role of the Tractatus de obligationibus in Mediaeval Logic », Franciscan Studies, 26 (1966),
26-35 ; L. M. De Rijk, « Some Thirteenth Century Tracts on the Game of Obligation »,
Vivarium, 12 ( 1974) , 94-123 ; 13 ( 1975) , 22-54 ; 14 ( 1976) , 26-49 ; P. V. Spade, « Roger
Swyneshed's Obligationes : Edition and Comments », Archives d'histoire doctrinale et
littéraire du Moyen Age, 44 ( 1977) , 243-285 ; Spade, « Richard Lavenham's Obligationes :
Edition and Comments » , Rivista critica di storia della filosofia, 33 ( 1978) , 225-242 ;
A.R. Perreiah, « Insolubilia in the Logica parva of Paul of Venice » , Medioevo , 4 (1978) ,
145-171 ; Spade, « Robert Fland's Obligationes : An Edition » , Mediaeval Studies, 42
(1980) , 41-60 ; E. Stump , « Medieval Obligationes and Aristotelian Dialectic » , unpublished
paper read at the Sewanee Mediaeval Colloquium, April 12 , 1980 ; Stump , « Obligations :
From the Beginnings to the Early Fourteenth Century » , in the Cambridge History ofLater
Medieval Philosophy, ed . N. Kretzmann , A. Kenny , and J. Pinborg (Cambridge, 1982 ) , 315-
334 ; Spade, « Obligations : Developments in the Fourteenth Century » , in the Cambridge
History of Later Medieval Philosophy, 335-341 ; Spade, « Three Theories of Obligationes :
Burley, Kilvington, and Swyneshed on Counterfactual Reasoning >» , forthcoming.
35. These works make their first appearance in Rimini's commentary, and it is uncertain
where he came in contact with them. It is probable that he encountered them in the schools
of northern Italy , which had close ties with Oxford in the second quarter of the fourteenth
century and where the first version of Rimini's commentary was drafted and probably read.
See my << The Early Stages in the Introduction of Oxford Logic into Italy », in English
Logic in Italy in the 14th and 15 Centuries, éd . A. Maierù (Naples , 1982 ) , p . 13-32. It is
also possible that he gained access to them at Paris, perhaps through the library of the
Cistercian College of St. Bernard , which was eventually rich in these sources, which main-
tained English contacts in the late 1330s and early 1340s, and with which the Augustinian
Hermits had close ties after 1340.
36. Ockham uses the distinction between de virtute sermonis and ex usu loquendi fre-
quently in his Summa logicae. His fullest treatment, however, is in his chapter De supposi-
tione impropria (Pt . I, c. 77) , p . 237 : « Et ideo multum est considerandum quando terminus
et propositio accipitur de virtute sermonis et quando secundum usum loquentium vel
secundum intentionem auctorum, et hoc quia vix invenitur aliquod vocabulum quin in
diversis locis librorum philosophorum et Sanctorum et auctorum aequivoce accipiatur ;
et hoc penes aliquem modum aequivocationis. Et ideo volentes accipere semper vocabulum
univoce et uno modo frequenter errant circa intentiones auctorum et inquisitionem veri-
tatis, cum fere omnia vocabula aequivoce accipiantur » . Similarly in Burley, De puritate
artis logicae, tractatus longior, pt. I , ch. 6 : De suppositione impropria, ed. Ph. Boehner
(St. Bonaventure, 1955) , p . 46-47 : « Et est suppositio impropria, quandocumque terminus
supponit praecise pro aliquo , pro quo de virtute sermonis non permittitur praecise suppo-
nere. Et dividitur suppositio impropria, quia quaedam est antonomastica, quaedam synecdo-
chica et quaedam metonymatica » . « Unde , quando terminus accipitur pro uno secundum
usum loquendi et pro alio de virtute sermonis, tunc est suppositio impropria ».
37. C.U.P. II , p . 505-507 , n. 1042 : « ... nulli magistri, baccalarii, vel scolares in artium
facultate legentes Parisius audeant aliquam propositionem famosam illius actoris cujus
librum legunt, dicere simpliciter esse falsam, vel esse falsam de virtute sermonis, si credide-
rint quod actor ponendo illam habuerit verum intellectum ; sed vel concedant eam , vel sen-
sum verum dividant a sensu falso , quia pari ratione propositiones Biblie absoluto sermone
essent negande, quod est periculosum » . « ... nullus dicat simpliciter vel de virtute sermonis
omnem propositionem esse falsam , que esset falsa secundum suppositionem personalem
terminorum , eo quod iste error ducit ad priorem errorem , actores enim sepe utuntur aliis
suppositionibus » . « ... nullus dicat propositionem nullam esse concedendam , si non sit
vera in ejus sensu proprio, quia hoc dicere ducit ad predictos errores, quia Biblia et actores
non semper sermonibus utuntur secundum proprios sensus eorum. Magis igitur oportet in
affirmando vel negando sermones ad materiam subjectam attendere, quam ad proprieta-
tem sermonis, disputatio namque ad proprietatem sermonis attendens nullam recipiens
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 61

propositionem , preterquam in sensu proprio, non est nisi sophistica disputatio. Disputationes
dyalectice et doctrinales, que ad inquisitionem veritatis intendunt, modicam habent de
nominibus sollicitudinem ».
38. No internal evidence in the statute of the Faculty of Arts issued on December 29 , 1340
identifies it as directed against Ockham or against Ockhamists . In fact , the cautionary
phrase added at the end of the statute to the effect that the prohibition of Ockham's
doctrine and works issued on September 25 , 1339 was still binding, suggests that those
who drafted the December 1340 statute recognized that it could be read as a vendication
of Ockham's thought.
The oft-cited external evidence, such as the rubric for the December 1340 statute or
the statement in the Procurator's Book of the English -German Nation (A.U.P. I, 44-45)
does not establish it as an anti-Ockhamist statute but proves the contrary. The rubric
occurs only in the fifteenth century copy of the Chartularium, after the rivalry of the via
antiqua and via moderna had begun to affect university politics and when the reales were
arranging and interpreting documents in their case against the nominales. The statement
in the Procurator's Book establishes that there was, in fact , a « second » statute « contra
novas opiniones quorundam , qui vocantur Occhaniste » beyond that of Sept. 25 , 1339 ,
but this second statute was drafted and promulgated «< tempore procuracionis ejusdem >» ,
that is, during the procuratorship of Henry of Unna, which occurred between January 13 ,
1341 and February 10, 1341. The December 1340 statute had already been promulgated
under the seal of the English -German Nation one month earlier. For a fuller examination
of these documents , see Courtenay and Tachau , « Ockham , Ockhamists, and the English-
German Nation at Paris , 1339-1341 » .
39. C. Michalski, Wpływ Oksfordu na filozofię Jana z Mirecourt (Cracow, 1921 ) ; G. Ouy,
Un commentateur des « Sentences » au XIVe siècle, Jean de Mirecourt, unpublished thesis,
Ecole des Chartes (Paris, 1946) ; W. J. Courtenay, « John of Mirecourt and Gregory of
Rimini on Whether God Can Undo the Past » , R.T.A.M. , 39 ( 1972) , 224-256 ; 40 (1973),
147-174 ; J. Murdoch , « Subtilitates Anglicanae ».
40. See above, note 37.
41. A.U.P. I, 44-45 « Item tempore procuracionis ejusdem sigillatum fuit statutum
facultatis contra novas opiniones quorundam , qui vocantur Occhaniste, in domo dicti procu-
ratoris, et publicatum fuit idem statutum coram Universitate apud Predicatores in sermone ».
42. C.U.P. II , 680 : « Item iurabitis quod statuta facta per Facultatem Artium contra
scientiam Okamicam observabitis, neque dictam scientiam et consimiles sustinebitis quoquo-
modo, sed scientiam Aristotelis et sui Commentatoris Averrois et aliorum commentatorum
antiquorum et expositorum dicti Aristotelis, nisi in casibus qui sunt contra fidem » .
43. A.U.P. I, 52-53 : « Item in eadem congregatione ordinatum fuit, quod nullus decetero
admitteretur ad aliquos actus legitimos in dicta nacione, nisi prius juraret quod revelaret,
si sciret aliquos de secta Occanica ad invicem conspirasse de secta vel opinionibus erroneis
fovendis, vel etiam conjuratos esse vel conventicula habere occulta, aliter nisi jure diceret
si sciret, ex tunc penam perjurii incurreret. Et hanc ordinacionem voluerunt equivalere
statuto . Facta autem est hec congregatio apud Sanctum Maturinum anno Domini supradicto,
die veneris proxima post diem sancti luce ewangeliste hora none Beate Virginis, presentibus
magistris Hugone de Duclas , Wernero Wolfram, Johanne Kinhard , Nicholao de Cosfeldia,
Gerardo de Marten , Andrea de Swecia, Conrado de Monte Puellarum, Nicholao Drukken
de Dacia, et Richardo Scoto »> .
44. See above, note 42.
45. Gregory of Rimini, Sent. I, dist. 28 , q . 2 , a.1 (Venice , 1522 ; reprint St. Bonaventure,
1955) , fol. 132 H : « Ex quibus evidenter patebit quod nulla relatio est entitas ab omni
absoluta entitate et ab omnibus entitatibus absolutis distincta » . Rimini, Sent. II , dist. 1 ,
q. 4 ; in edition by D. Trapp , Lectura super Primum et Secundum Sententiarum , vol . IV
(Berlin and New York, 1979) , p . 128 : « Nullus motus est aliqua talis res a permanentibus
distincta, ut fingit opinio [ Burley] . Secunda , quod nec ' mutatum esse est aliqua res talis,
qualem ponit. Tertia, quod nec mutatio est res a permanente distincta, ut dicit » . Rimini,
Sent. II, dist. 2, q. 1 ; in Lectura, vol. IV, p . 238-239 : « Prima est quod tempus non est
62 W.J. COURTENAY

aliqua res non permanens, sic divisibilis et successiva, ut dicit opinio [ Burley] . Secunda…
..
tempus non est res distincta formaliter inhaerens motui, ut dicit opinio. Tertia, quod ins-
tans non est ' indivisibile non durans » . For a fuller discussion see Courtenay, « Role of
English Thought ».
46. There are only three witnesses to these oaths sworn at inception in the Arts Faculty.
In the earliest list in the Registrum procuratoris for the English-German Nation covering
the period 1347-1365 (Arch . Univ. , Reg. 2 , pt . 2) the oath in question does not appear
and all references to the statutes contra scientiam Okamicam have been removed. In the
Liber Rectoris from the early fifteenth century (London , Brit. Mus. Add . 17304) there are
also no oaths contra scientiam Okamicam. Our only source is C. E. Du Boulay, Historia
Universitatis Parisiensis a Carolo M. ad nostra tempora, vol. IV (Paris, 1668 ) , p . 275 , who
took his list from the Procurator's Book of the French Nation , which is no longer extant.
Either the French Nation continued the oath contra scientiam Okamicam longer than did
the English-German Nation , or that manuscript dated from the pre- 1347 period in which
the oath was in force.
47. On Megenberg see : H. Ibach, Leben und Schriften des Konrad von Megenberg (Berlin,
1938) ; R. Scholz , Unbekannte kirchenpolitische Streitschriften aus der Zeit Ludwigs des
Bayern (1327-1354). Analysen und Texte, vol. I (Rome, 1911 ) , p . 127-140 ; vol . II (Rome,
1914) , p . 346-391 ; Konrad von Megenberg, Planctus ecclesiae in Germaniam, ed . R. Scholz.
Monumenta Germaniae Historica, C2 Staatsschriften des späteren Mittelalters , II , 1
(Leipzig, 1941 ) ; A. Pelzer and T. Kaeppeli, « L'Oeconomica de Conrad de Megenberg
retrouvée » , Revue d'histoire ecclésiastique, 45 ( 1950) , 559-616 ; J. Miethke, Ockhams
Weg zur Sozialphilosophie (Berlin , 1969 ) , 133-136 , 232 , 431 ; S. Krüger, « Krise der Zeit
als Ursache der Pest ? Der Traktat de moralitate in Alamannia des Konrad von Megenberg » ,
Festschrift für Hermann Heimpel zum 70. Geburtstag, vol. II (Göttingen , 1972) , p. 839-
883 ; A.S. McGrade, The Political Thought of William of Ockham : Personal and Institu-
tional Principles (Cambridge, 1974) , p . 4-5 ; Konrad von Megenberg, Werke : Ökonomik,
ed. S. Krüger. Monumenta Germ . Hist. , Staatsschriften des späteren Mittelalters, III , 5/1
(Stuttgart, 1973) ; III , 5/2 ( Stuttgart , 1977) ; K. Arnold , « Konrad von Megenberg als Kom-
mentator der ' Sphaera ' des Johannes von Sacrobosco » , Deutschens Archiv für Erforschung
des Mittelalters, 32 ( 1976) , 147-186.
48. Planctus ecclesiae, ed . R. Scholz, M.G.H. , SSM II , 1 ( Leipzig, 1941 ) .
49. Planctus I, ch. 13 , p . 32 : « Deus hanc maledicat Hebream » ; cf. ch. 10 , p. 30.
50. Ibid., p . 32 : « Cespitat in vanis iam lingua, monetat inanis ; Floribus est nuda, rudis
et vox , rustica cruda ; Iam paralogismat homo quilibet atque sophismat ; Ethyca marcescunt,
magis et brutalia crescunt » .
51. Ibid., p. 73 : « Sunt monachi, quorum stomachi sunt aufora Bachi, Qui fumant, male
consumant, que viscera strumant. Pregnans invidia fratrum, regnans symonia, Atque cucul-
losa vestis pestis studiosa, Omnibus est vere, nolens viciosa timere » . Ibid. , p. 74 : « Cordigeri
cum nigriferis scribunt odiose Christi de propriis, Deus, et, scis, non generose. Solvunt
hanc pestem divina prophetica, ' vestem ' cum dixere ' meum sorti misere beatam . Si ' mea ',
tunc propria, testatur philosophya » . Ibid. , p . 75-76 « Augustine tace, loquor, optime,
cum tibi pace ! Omnes doctores sancti, perdistis honores ! Summus Aristotelis et Averrois
edocuere, Sancti subtiles quod docti non potuere » . See also , p . 76 , 78, 80, 89.
52. << Sed hic est advertendum , quod secundum illos , qui negant puncta habere esse reale
preter animam et similiter lineas, sicut facit frater Wilhalmus et sui, illi dicerent, quod se-
cunda descripcio spere eciam competeret sibi secundum esse suum ymaginativum et concep-
tibile, sed ego non sum istius opinionis, et habet de hoc videri alibi , scilicet in questionibus
physicis » . Munich , Bayr. Staatsbibl. , Clm 14687 , fol 74ra, as quoted in Sabine Krüger,
<< Krise der Zeit » , p . 849 , n. 55.
53. Sevilla, Bibl. Colomb ., Ms.7-7-32 , fol. 94rb : « Aut certe dici potest, quod clericus
deficiens in statu scholastico est hic, qui naturas plurium abnegat rerum, quemadmodum
frater Wilhelmus de Occham Anglicus atque sui sequaces, qui tam relaciones quam situs,
habitus, ubi, quando , asserunt preter animam res indistinctas a rebus absolutis atque quan-
titatem eandem cum substantia rem affirmant. Motus etiam in quibus actiones rerum et
THE RECEPTION OF OCKHAM'S THOUGHT 63

passiones firmantur dicunt res indistinctas a permanentibus rebus » . Also in Vat. Pal. lat.
1252, fol. 99г. Quoted from L. Thorndike , University Records and Life in the Middle
Ages (New York, 1971 ) , p . 409-410 , and Krüger, « Krise der Zeit » , p . 848 , n. 54. The text
is from Economica III , tr. 1 , c. 1.
54. Conrad's attack on Ockham and his followers occurs in chapters 1 and 14 , while his
attack on those who err in logic comes later in chapter 12. In light of his attitude toward
Ockham , Conrad would have made that connection in chapter 12, had the two groups
been the same.
Although the Economica was completed between 1348 and 1352, it is possible that
parts of it were drafted earlier, or that he incorporated earlier writings into the text. State-
ments in the first treatise of Book III suggest that it may have been written at Paris before
Conrad left in 1342. His description of the schools is a description of the University of Paris,
<< mater nostra venerabilis universitas Parysiensis » (ch . 3) . The leading role he gives to theolo-
gy (ch. 3 : « Supreme vero omnium scolarum cathedre…… . ad legendum libros theologicos » )
suggests ties with that faculty at the time of writing. He praises the « scole autentice >>
(e.g. Paris) and denigrate the « scole leninome » , specifically Erfurt and Vienna, which
suggests a time before his close association with Vienna and residence at Regensburg.
The fact that this portion of his work circulated separately also points to the possibility
that it may have a separate origin from the rest of the Economica. If this conjecture proves
correct, it would further explain the similarity in wording between chapter 12 and the
December 1340 statute of the Faculty of Arts. Against the conjecture, however, is the
bitter remark, ch. 12 University Records, p. 430-431 : « Sed huic nostris temporibus in
plerisque locis Theutonie cura minima subministrat quoniam scolarum rectoribus ut deceret
minime providetur nec eorum promotionibus ab episcopis intenditur ut oporteret. Qua-
propter ab hac sollicitudine illuminati viri apostatare coguntur et aliis statibus minorari »> ,
which could have been written on the eve of his departure from Paris ( 1342) or after his
departure from Vienna ( 1348).
55. Economica III, tr. 1 , ch . 12, from Thorndike, University Records, p. 431 : « Surgunt-
que miseri quidam qui se numquam dignos noverunt discipulos et quod penitus nesciunt
docere presumunt atque, quod condolendo refero , tales nobilibus ingeniis potius seductores
quam doctores preficiuntur….. Quia tamen ignorantiam propriam ignorant elatis frontibus
magistraliter incedunt et paucissima cognoscentes de quolibet disputant plene » .
56. Ibid. « Gramaticam indignis molestant derisibus affirmantes quod nulla partium
orationis constructio est transitiva... Quapropter aqua non transit in fluviis secundum eos
neque venti volant, quoniam alas non habent. Nec poterit dici quod una partium orationis
regat aliam secundum modorum significandi proportiones, quia intellectus humanus omnes
partes orationis regit et dirigit. Proprietates enim partium orationis nichil sunt ut dicunt ».
57. Ibid. : « Rethoricam eloquentiam adeo sua cecitate postergant ut nec flores verborum
nec colores sententiarum capiant sed flores in pratis crescere et colores varios pictores
componere et pulchre variare ad instar nature affirmant. Qualiter hii dulciloquia sacrarum
interpretentur scripturarum quevis ratio disposita noscit. Nec est dubium hereses ex hiis
innumeras pululare. Scriptura etenim sacra non semel uterum virginalem virgam notat et
filium inde conceptum florem appellat. Et si de virtute sermonis iste orationes false sunt,
sequitur rethoricam in pulcherrimis speciebus transsumptionis nullam ad orationes habere
virtutem et sic rethorica quasi evanuit tota ».
58. Ibid. « Loycam autem se scire divulgant cum duodena vocatorum insolubilium aut
obligationum senarium pauperem siliore grandibus impresserunt visibus cecitati. Negant hii
quaslibet consequentias tam ratione materie congruas, quia naturas rerum penitus ignorant,
quam etiam ratione forme convenientes, quoniam ad latitudinem loyce minime pervenerunt.
Quid plura tantus error est in hiis auctus ut etiam senum canicies non abhorreat hiis vilibus
insudare ».
59. A.U.P. I, 44 (Dec. 13, 1340 to Jan. 10 , 1341 ) . According to Miethke, Ockhams Weg,
p. 232, B. Michael, in a forthcoming work on Buridan, concluded that Megenberg initiated
the Arts statute of December 1340.
60. C.U.P. II , 506 : « ... nonnulli in nostra artium facultate quorundam astutiis perni-
cionis adherentes, fundati non supra firmam petram , cupientes plus sapere quam oporteat,
64 W.J. COURTENAY

quedam minus sana nituntur seminare, ex quibus errores intolerabiles nedum circa philoso-
phiam, sed et circa divinam Scripturam, ... huic morbo tam pestifero remediare cupientes
eorum fundamenta prophana et errores... ».
61. A.U.P. I , 44-45 , 52-53.
62. For Conrad's return to Avignon in 1346 , see Ibach, Leben und Schriften, p . 15 , and
Krüger, Werke : Okonomik, p. 14. Clement's letter is printed in C.U.P. II, p . 587-590.
63. C.U.P. II , 588 : « Nam nonnulli magistri et scolares artium et philosophie scientiis
insudantes ibidem, dimissis et contemptis philosophi et aliorum magistrorum et exposito-
rum antiquorum textibus, quos sequi deberent in quantum fidei catholice non obviant, ac
veris expositionibus et scripturis, quibus fulcitur ipsa scientia, ad alias varias et extraneas
doctrinas sophisticas, que in quibusdam aliis doceri dicuntur studiis, et oppiniones apparentes
non existentes et inutiles, et ex quibus fructus non capitur, se convertunt ... » .
64. C.U.P. II , 557.
65. C.U.P. II , 588 : « Plerique quoque theologi, quod deflendum est amarius, de textu
Biblie, originalibus et dictis sanctorum ac doctorum expositionibus (ex quibus vera illa
acquiritur theologia, cui non attribuendum est quicquid ab hominibus sciri potest, ubi
plane nulla vanitatis et curiositatis noxia reperitur, sed hoc quo fides saluberrima...) non
curantes, philosophicis questionibus et aliis curiosis disputationibus et suspectis oppinio-
nibus doctrinisque peregrinis et variis se involvunt, ... et ommissis necessariis supervacua
docere... pestifera pululant quandoque semina, et in perniciosam segetem, de quo profecto
dolendum est, coalescunt » .
66. On the development of these terms and the conflicting attitudes in the high and late
Middle Ages, see H.A. Oberman, Contra vanam curiositatem, Theologische Studien, 113
(Zürich, 1974) .
67. C.U.P. II , 550 (May, 1344 ) : « ... intellexerimus nonnullos in nostro Ordine legentes
ad hanc vaniloquii et curiositatis stultitiam devolutos ut spreta tam salubri solidaque doctri-
na peregrinis doctrinis et variis abducantur , adeo ut ipsam veritatis doctrinam audeant ausu
temerario frivolis lacerationibus improbare ... » . C.U.P. II , 591-592 : « Cum Ordo noster in
soliditate [ veritatis ] fundatus, de scientiis vanis et curiosis non curans veritati scientie et
doctrine semper studuerit virtute constantie inherere... ».
68. The Philobiblon of Richard de Bury, ed. and transl . by E. C. Thomas (London, 1888 ) ,
p. 89, 212 , « our English subtleties, which they denounce in public, are the subject of their
furtive vigils >>.
RATIO AND DOMINIUM ACCORDING TO
JOHN OF PARIS AND MARSILIUS OF PADUA

Janet COLEMAN

It is well known that John of Paris was a major publicist who , at the turn
of the fourteenth century, offered his contribution to the debate over the boun-
daries of sovereignty . This was a debate that had taken a particularly vicious
and explosive turn in the polemic between Philip the Fair and Boniface VIII .
John of Paris's De Potestate Regia et Papali is taken to be a via media in the then
current argument over sacerdotal and royal power, a debate that had in one
way or another been a continuous part of the political scenario throughout the
middle ages . I believe his treatise to be even more significant because of its
narrowing of the definition of potestas to mean , specifically , lordship over
material property , dominium in rebus¹ . This understanding of potestas is one
of the most far-reaching contributions to our understanding of the evolution
of the theory and practice of dominium/proprietas in the later middle ages.
Furthermore , I want to argue that it is John of Paris's narrowed definition of
potestas as dominium in rebus, its mode of acquisition , its characteristics and
potentials , that show him to be actively drawing upon a subtle and comprehen-
sive understanding of customary and especially Roman Law which had already
influenced Canon Law² . In his attempt to apply the highly formalised legal
discipline to current issues and to justify what can be shown to be the already
well-developed customary practices in the field of land law, I want to suggest
that John illuminated not only thirteenth and early fourteenth century rights
over buying and selling one's private property ; but perhaps more importantly
he informs us as to contemporary attitudes to the more general concept of
individual rights of men exercisable in the world and over their world . A brief
comparison with Marsilius of Padua's use of dominium in his Defensor Pacis,
shows how both theorists understood the theory and practice of contemporary
property law, but that John was the more faithful to current practice and
therefore , the more radical . I have recently argued elsewhere³ that it is precisely
the understanding and defence of dominium in rebus as presented by John of
Paris that was taken up in the subsequent fifteenth, sixteenth and seventeenth
centuries, in France and in England , and most specifically by John Locke
in his Second Treatise of Government4 . John of Paris should , therefore , be
5
66 J. COLEMAN

acknowledged less for having elaborated a via media, offering a picture of two
realms of jurisdiction for church and state in society ; and should be far better
known for providing the early modern and modern worlds with their defence
of private property as a man's natural and inalienable right.
We know of no reason why John of Paris, a Dominican and avid follower
of St Thomas , should have put his pen at the service of his king against pope
Boniface VIII . His name appears along with his Dominican confrères and most
of the French clergy on a petition urging the king to arraign Boniface before
a general council for the pope's alleged misdeeds . Any other connections with
the French court are unknown . But his De Potestate Regia et Papali contributed
to l'esprit laïque, c. 1302 , in that it argued for a separation of politics from
theology by insisting that civil authority was autonomous , sovereign in the
realm of temporal property, free of ecclesiastical coercion , because the origins
of the state were natural and the origins of property were prior to the state.
In his arguments that the community have the ultimate sanction of autho-
rity, he develops a line of thought that would reach a temporary terminus in
Marsilius of Padua's Defensor Pacis. But John's ' moderation ' lay in his separa-
ting the ecclesiastical and secular realms of jurisdiction regarding the different ,
respective internal structures of church and state , the differing relationship
of each to property , and the separate moral influence of each. He did not
choose , as did Marsilius, to represent the church as an organ of state where
the state alone possesses all real power . For Marsilius, the church is incapable-
either corporately or through individual members, of dominium in rebus. It
must usually rely on laymen as dispensators or stewards who have custody to
distribute the property or gifts given for the use of the ecclesiastical community.
For Marsilius, the lay human legislator has all dominium in rebus, ownership of
all temporal goods, but it can give custody to an ecclesiastic , if he is a ' perfect
person ', that is , living in supreme poverty . As we will see , John of Paris's
view allows the church, corporately, to possess dominium with the pope as
dispensator or steward . The dominium of the corporate church or of individual
priests does not, however, come to them because they are vicars of Christ and
successors of the apostles. Rather, they have dominium over temporal things by
virtue of the concession and permission granted them by pious rulers or from
the donations of the pious?.
John presents the much wider current debate about temporal sovereignty
regarding the church's and state's respective temporal affairs as an aspect of the
much narrower legal question concerning the theory and practice, the concep-
tual and the substantive meaning of dominium over things - property rights.
He establishes that the traditional and de facto independence of the monarch
and the independence of the property- holding individual, could indeed , be
vindicated de iures . This I take to be a convenient manipulation of Roman
law and it is precisely the kind of argument used a bit later by the Roman
civilian commentator Bartolus when he defends the de facto sovereignty of
the city republics in Italy against the de iure power of the Holy Roman empire .
RATIO AND DOMINIUM 67

A de facto independence can be vindicated before the law, de iure, and in pro-
perty law the parallel is with various kinds of possessio - e.g. usucapio and what
became of the notion of usufruct.
In fact, if one were to examine the evolution ofwhat is called 'West Roman
Vulgar law ' , that is, the ' degenerate ' Roman law practised between the periods
of Diocletian and Justinian , one could draw parallels especially in the field of
property and obligations (which were substantially changed from classical
Roman law), with apparent alterations in this field during the twelfth century
and thereafter. For instance , the clear classical notion of dominium as a positive
and total mastery over a thing, with its own legal ' remedy 'distinct from posses-
sion, disappeared in the post-classical period . Various kinds of limited dominium
came to be recognised ; in fact , usufruct came to be treated as a form of domi-
nium and was regarded , essentially, as the best right to possession . This is a
similar de facto to de iure shift observed in the writings of John of Paris . It is
interesting that Marsilius wants to maintain the older distinction between
ownership and use in order to support the Franciscan view of perfect poverty
against John XXII . John of Paris, on the other hand, argues for a conflation of
dominium and possessio or usufruct. Indeed, the evolution of West Roman
Vulgar law points to the distinction between an owner's and possessor's legal
remedies in the courts as having disappeared ; emphasis was placed more on the
possessor's ' dominium '10 . I shall have more to say about the use of Roman law
to support customary French and English developments of the later thirteenth
and fourteenth centuries at the end of the paper. But to begin with the text
central to our discussion , let me provide a brief setting for John of Paris's
discussion of dominium by commenting on the fate of the concept ofdominium
in the writings of twelfth and thirteenth century Canon lawyers.
In the twelfth and thirteenth centuries there was a blurring of a distinc-
tion that had been crucial to the Romans , between holding office and owning
property11 . This confusion of office and ownership paralleled a comparable
development in secular political life and is reflected in their use of the single
word - dominium to denote both proprietary right and governmental authority.
Please note that Roman lawyers used the word dominium to denote proprietary
right alone and it is significant that in English we use the derivative ' dominion '
to denote governmental authority . Now the benefice (beneficium) in the tenth
century, had come to mean a spiritual office ; but this developed further where
churches conceived of benefices as pieces of real property, bought and sold,
inherited or granted as fiefs. By the end of the twelfth century, Canon lawyers ,
who were then involved in classifying - according to revived Roman law cate-
gories- the accumulations of rules relating to the disposition of benefices ,
classified the benefice as belonging to private law, which is precisely how Roman
law saw dominium/property. (Private law pertains to persons , things and actions).
No longer is the benefice to be categorised as belonging to public law, concerned
with the public welfare with enforceable interests for the common profit or
good. Now the benefice , under private law, is protected as a proprietary right
889
68 J. COLEMAN

in the interest of the private possessor . The benefice , at least from the time
of Alexander III12 is understood by clergy and laity alike in material terms,
as property defended at law. The ecclesiastical office was less a focus of duty.
than an object of proprietary right and a source of income 13. Already then,
Canon law itself was heavily imbued with Roman property law where even
spiritual categories were ' translated ', as it were , into ius rerum, the law of
private , patrimonial rights, all those rights known to the law which are looked
on as capable of being estimated in money, an element of wealth , an asset,
an economic entity with a legally guaranteeable value 14. Let us turn, now,
to examine John of Paris's understanding of dominium.
Firstly, what is the structure of his tract and how can we relate its form
to its content ? There are twenty-five loosely connected chapters united by
the form in which one discussed the current issues of restricted sovereignty.
I do not see a programmed development of the argument as one reads chapters
one to twenty-five . Rather, the De Potestate reads like a developed determinatio
of a quodlibetal debate of the theology faculty of the university of Paris for
the end of the thirteenth - early fourteenth centuries. In other words , it is a
magisterial presentation of a selection of debated issues with a contemporary
socio-political focus 15. The chapters comprise a series of related issues argued
with citations from the Bible , Canon law, and implicitly, Roman law texts,
arranged in a scissors - and - paste fashion . The Prologue tells us that potestas in
temporal affairs is to be defined as lordship over material property, dominium in
rebus. Other foci of related interest arise in part as responses to the Bull Unam
Sanctam which, Ullmann has recently argued , established this genre of publicist
tract and served as the beginning of the line of such works . Unam Sanctam was
a papal chancery composition designed as a magisterial , systematic and logical
summary of the points made in favour of the papal plenitudo potestatis by
the Augustinian Aegidius Romanus in his De Ecclesiastica Potestate (c . 1300) 16 .
Aegidius cited biblical , theological and legal texts to support the papal under-
standing of the origins and legitimacy of property, contract , the state , and
specifically dominium and jurisdiction . John of Paris countered with an exploi-
tation of some of the same texts, showing their origins to be Roman law and
its context - civil society - to justify the civil jurisdiction over inalienable pri-
vate property rights . To oversimplify for the sake of brevity here , we can say
that John of Paris counters Giles of Rome by means of a confrontation of the
ratio of Roman , civil law, versus Canon law and theology.
Aegidius Romanus had argued as follows : before the people of faith had
had kings , they were ruled by judges and these were constituted through priestly
power, per sacerdocium. Afterwards, they were ruled by King Saul who was
made dominus through the blessings of priests. Whoever were made dominus in
lege nature were either bad and came to power through invasion and usurpation
and were Killers and oppressors of men , OR they were good kings and were also
priests like Melchisedech and Job . If we proceed further and analyse potestas,
dividing it into its four genera, the fourth potestas is with regard to being a
RATIO AND DOMINIUM 69

prince or governor of men. And this potestas of a prince is dependent on a ratio-


nal ordering in the governing of men . In chapter VII , he speaks more directly
ofpotestas as dominium and its ramifications .
Primitive peoples were not de iure in possession of distinct things because
one can only say hoc est meum from conventions and pacts between men.
This conventional division of the earth was extended by Adam's sons and by
means of such pacts they appropriated possessions . Suffice it to say that one
cannot justly appropriate some part of the earth unless ex pacto et convencione
with others17 . Divisions of property thereafter got complicated secundum
empcionem, donacionem, commutacionem vel aliis modis... Thereafter, men
began to rule the earth and make kings ; laws made their pacts licit and legalised
conventions and contracts and enabled one legally to say hoc est meum.
Leges ergo et iura continent omnia per que potest quis dicere - hoc
est meum, quia continent contractus licitos, convenciones et pacta...
per que quis iudicatur iustus possessor rerum 18 .
But the very foundation of all this is communicacio of one man with
another ; if men had no means of mutual communication they would live alone
and laws distinguishing just and unjust would not be necessary. The CHURCH IS
THE FOUNDATION OF COMMUNICACIO, linking men one with another ;
excommunication destroys these basic links and in effect , makes one a non-
person, without civil rights and casts one from all society . Without the church
there would be no partitions, empcions, donations , commutations , no laws
and no one could say something was his 19. Thus, only through baptismal rebirth
and continuing membership in the church can anyone justly inherit, possess
wealth, have dominium of things . The church
habet dominium, cuiusquemque hereditatio et quarumcumque
rerum et habet superius et excellencius huismodi dominium quam
habeant ipsi fideles.
There is no rightful dominium over temporal things , nisi habeat illud
sub ecclesia et per ecclesiam20. Baptism and penance as sacraments are the
only direct remedy ' to being recognised as having just dominium 21 .
Excommunicatus ergo, quia privatus est communione fidelium, priva-
tus est omnibus bonis que possidet, ut est fidelis et ut est inter fideles22.
Aegidius goes on to draw arguments directly from Roman law principles
and Roman law formulae which had already penetrated the terminology of
thirteenth century Canon law . He argues that there are indeed two powers, one
spiritual and general , and this he labels incorporale, and the other is corporale
and particular. The incorporeal , universal and general power is not a result of
a contract because 'contracts can only extend to material things . This emphasis
on the corporale and its recognition through contract is , indeed , the civil law
ofdominium, ius in rem as defined in Gaius and the Institutes23.
Potestas autem materialis et terrena est particularis et contracta, cum
specialiter sit circa corporalia instituta ... et non erit ergo ponere
duas potestates, unam generalem, alteram particularem, nisi una sit
sub alia, sit instituta per aliam et agat ex commissione alterius …..24.
70 J. COLEMAN

To summarise, Aegidius's position is, in his own words : non sufficit quod
quicumque sit generatus carnaliter nisi sit per ecclesiam regeneratus quod possit
cum iustitia rei alicui dominari nec rem aliquam possidere25 .
Turning to John of Paris we see him tackling the same series of issues
but drawing more directly on the law that supports an autonomous civil sove-
reign . He begins with eclectic citations from Aristotle's Politics saying that it
is necessary and advantageous for man to live in society such as a city or king-
dom which is self-sufficient in everything that pertains to the whole of life,
and under the government of one who rules for the common good . It is also
clear, he says, that this kind of government derives from natural law in that man
is naturally a civil or political and social animal, and the kind of government
we have been discussing, he notes, comes from natural law and the law of
nations. Prior to the first kings who exercised government - Belus and Ninus -
men lived without rule like beasts . They did not yet live ' the common life natu-
ral to them . But once they did come together they were bound by definitive
laws to live communally and these laws are called the law of nature . Much of
this is , of course , Aristotle mediated by John's magister St Thomas. There is
also a supernatural end of man and rulership here belongs to Jesus. Two kings
in separate spheres, two realms of nature and supernature have been outlined
(chapter 1 ).
It was necessary because of mankind's original sin against God to establish
certain remedies through which Christ's sacrifice could benefit mankind and
thus, the church's sacraments were instituted and the ministering priest is an
intermediary between God and man . The church resulted from original sin ;
but society and government are natural and not seen as resulting from man's
sin (chapter 2).
In chapter three he compares the structure of the church and that of
the secular realm : all priests are ordered in a hierarchy to one supreme head,
Peter's successor, the pope , and this pyramidal ordering of the ecclesiastical
structure came from Christ's own mouth and was not a decision of a council.
But although God decided there is subordination of church ministers to one
head, it does not follow that the ordinary faithful are commanded by divine
law to be subject in temporalities to any single supreme monarch . Rather do
they learn form natural instinct, which comes from God , that they should live
as citizens in society and that in order to live well together, they should choose
the sort of rulers appropriate for the sort of community in question . Neither
man's natural tendencies nor divine law commands a single , supreme , temporal
monarch for everyone . Nor is such a single monarch as suitable in the lay order
as he is in the ecclesiastical26 . Thus far we have : Man is instinctively and natu-
rally a creature who lives in society , comes together to live in common and
communally , and his instinct can lead him , depending on contingencies, to
choose ruler who best benefits the ruled . And within the secular realm there is
no divine or natural reason to have a universal unifier, i.e. an emperor. This is a
general argument for the individual monarch, France's king Philip ; a justification
RATIO AND DOMINIUM 71

from God and through nature of what France is . Furthermore , John argues that
secular powers are diverse because of the diversity of climate and differing physi-
cal constitutions of men : one man cannot possibly rule the world's temporalia be-
cause his authority, ultimately, is his sword and he cannot be everywhere at once.
John next compares the respective structures of church and state and
argues that it is important to recall that temporalities of laymen are not -in the
state communal27 , and therefore , each man is master of his own property
as it was acquired through his own industry . Consequently, there is no need
for administration of temporalia in common, for each is his own administrator :
cum quilibet rei suae sit ad libitum dispensator.
Ecclesiastical property , on the other hand , was given to the community
as a whole and it therefore requires a president, someone who presides over
the community to hold and dispose of goods on the community's behalf. John
means there is an apportionment of things to individuals prior to governments ;
lay property, discretely apportioned , results from individual labour alone in
natural society. Since he has told us that society is natural, that the law of
nations bound men to live communally and in common , then the particularisa-
tion of common property is also natural . Significantly , he describes the heads
of lay AND spiritual communities as arbiters , and it is clear that adjudication
is with respect to private property in secular society. In the church, adjudication
is with respect to orthodox faith and heresy.
The state is chronologically prior , he argues, but the priestly order is prior
in dignity . Each power has its special domain , each justifying its jurisdiction
immediately from the one superior power above , God , and this is his two power
schema, his via media. But jurisdiction is not potestas, and certainly not potestas
as defined as dominium over exterior material goods , i.e. property . He turns
to this issue , for chuch and state , in chapters six and seven , and it is these two
chapters that borrow most heavily from the quodlibetal debates , the determi-
nationes, of Godefroy of Fontaines , dated c. 1294-129628 . As I shall try to
indicate later, Godefroy was a theologian well acquainted with Roman law prin-
ciples which he tried , with some success , to apply in the vexed situation of his
native Liège . He , like John of Paris , composed in the standard theoretical genres
that, at that time , allowed for current socio-economic , legal and political issues
to be aired - the quodlibetal determinatio, in its evolved form. The quodlibetal
determinatio produced the genre of the publicist tract like the De Potestate Regia
et Papali. Some of Godefroy's earlier quodlibets show an especially close rapport
with issues debated in the quodlibets of Aegidius Romanus (c . 1285 sqq. ) .
In chapter six John turns to discuss the relative superiority of monarchy
in the order of causality. He says it remains to discuss in what way the pope
has or has not got potestas, dominium over exterior material goods .
Ubi primo ostendetur quomodo se habeat summus pontifex ad bona
exteriora quoad dominium in rebus, et secundo , dato quod non sit
verus dominus exteriorum bonorum sed dispensator simpliciter vel
in casu, an saltem habeat radicalem et primariam auctoritatem ut
superior et ut iurisdictionem exercens.
72 J. COLEMAN

In what way does the pope have dominium in rebus regarding exterior
goods , he asks . Secondly , it being given that he is not truly dominus of exterior
goods but rather the administrator or dispensor both in principle and in practice,
he asks whether the pope has at least the original and primary authority as
superior and as one who exercises jurisdiction . The Roman legal terminology
of bona exteriora, dominium in rebus, jurisdictio, is tossed of fairly lightly.
It is used in the same familiar vein in Godefroy of Fontaines's quodlibets . Roman
and Canon law concepts are extensively drawn upon by Godefroy , Aegidius and
John . John marshalls them to show that in the church community which , as a
community, is itself dominus because donations of laymen are meant to be gifts
to the church and not to individuals , individual persons in the church commu-
nity, whoever they may be , do not have dominium ; rather, principal members
have only stewardship (dispensationem habeant) except where they draw recom-
pense (faciunt fructos suos ex servitio) from service and then only according
to need and status . The pope , therefore , is a steward of communal property.
Marsilius of Padua will not allow even the ecclesiastical community to be domi-
nus or owner ; rather the lay donor maintains ownership29 . All this draws upon
the complex Roman law of property involving donatio and possessio ; it is also
the Civil law pertaining to corporations so extensively developed in the thirteenth
century by civilians and canonists alike 30. The consequences are that the pope
cannot ad libitum take away ecclesiastical goods claiming that what he ordains
is valid, according to John , because he is not dominus and has no title to the
property ; he cannot have it alienated . As dispensator of the community's goods
in whom good faith, bona fides, is required , he does not have power over goods
except in cases of necessity or utility for the ecclesia communis.
In sum the pope is only a steward of the property given to the eccle-
siastical community ; he is instituted precisely as a steward for the good of
the community ; he has a relationship to these things only as administrator in
the interests of the community ; and if he betrays the community's trust by not
acting in good faith , he must do penance by restoring the property which he
has wrongly treated as his own. This is a Roman Civil law analysis of the situa-
tion and a Roman Civil law ' remedy '. The betrayal of trust , in fact , can and
must lead to deposition , to forfeiture of the stewardhip. It is not moral turpi-
tude then, but misuse of dominium and property rights that is at issue .
Chapter seven expands the analysis to include an explanation of papal
potestas regarding lay property. The difference here is that property or goods
are not granted to the secular community as a whole , as is ecclesiastical property.
Lay property, which John acknowledges to be prior chronologically to spiritual
power and institutions, is acquired by the individual's skill , labour and own
industry. The law of nations taught men to live communally ; thereafter they
acquired ' their own ' and individuals as individuals have in these things ius et po-
testatem et verum dominium, right and power and valid lordship or sovereignty.
Ad quod declarandum considerandum est quod exteriora bona
laicorum non sunt collata communitati sicut bona ecclesiastica, sed
RATIO AND DOMINIUM 73

sunt acquisita a singulis personis arte, labore vel industria propria,


et personae singulares ut singulares sunt, habent in ipsis ius et potes-
tatem et verum dominium ...

Consequently, each person may order his own , dispose of, administer , hold
or alienate as he wishes without injury to any other since he is dominus... et
potest quilibet de suo ordinare, disponere, dispensare, retinere, alienare pro
libito sine alterius iniuria, cum sit dominus. Property is, in the lay world, distri-
buted discretely through a process of acquisition from what was communal ,
a process of acquisition characterised by individual labour, and the right one
acquires over goods for which one has laboured is such that one can use or
alienate such goods, presumably in exchange for other goods or money. This is
the Roman Civil law understanding of ius in rem and the modes of acquisition
of property. Where is the mutuality of feudalism we well may ask ? Not only does
this fit into the formal descriptions of Roman law proceedings . To modern ears
it also sounds like the possessive individualism of English seventeenth century
thinkers like John Locke31 .
Furthermore, John of Paris says that such goods or property, once acqui-
red through the labour of the individual, have neither interconnections with
other men in society of whatever status (and thus do not depend on Aegidius'
contracts and communicatio) nor are they mutually interordered . And there
is no common head who may dispose of or administer such property since
whose ever they are may arrange for his property as he wishes. Therefore,
NEITHER PRINCE NOR POPE HAS DOMINIUM OR STEWARDSHIP IN
THE LAY WORLD . Individual property rights are inalienable ; the purpose of
civil government is subequently to preserve and protect private property. For the
reason that sometimes the peace of everyone is disturbed because of such
bona exteriora when someone usurps what is another's, and also because at
times, some men through excessive love of their own do not communicate
their property to others or place it at the service of the common welfare , a ruler
or prince has been established by the people who is then to take charge of such
situations, acting as judge , and discerning between just and unjust , and as a puni-
sher of injustice or injuries, a measurer of the just proportion owed by each to
the common good . In chapter thirteen he extends this and argues that the
civil judge judges according to those human civil laws which regulate the buying
and selling of property in order to ensure that property is put to those proper
human uses which would be neglected if everyone continued to hold everything
in common. For if things were held unreservedly in common, it would not be
easy to keep the peace among men32 . For this reason , he adds , private posses-
sion of property was introduced ' by the emperors . In natural law he notes ,
there is equal freedom and common possession for everyone in everything.
Thus, men were given the earth in common but came to differentiate private
property through labour . Their rights to particularised property existed prior
to the prince and the ruler was established by the people to prevent the discom-
forts of not having an impartial arbiter when their property was usurped by
74 J. COLEMAN

those who would take what was not their own (presumably because they had
not 'mixed their labour ' with it) , and who thereby had no just title to dominium
or its derivatives. Thus, each individual person may dispose of his own as he
wishes except in times of necessity when the prince may dispose of the indivi-
dual's goods in the interest of the common temporal good . So too the pope may
tax the faithful in extremis, for defence of the faith.
In chapter eight , John notes that having proprietary rights and lordship
over property is not the same as having jurisdiction over it : jurisdiction is the
right to decide what is just and unjust in matters pertaining to property . The
prince has this power of jurisdiction although he does not himself possess the
property in question . In Roman law terms the prince is like a municipal civil
magistrate with restricted iurisdictio but without imperium33.
Et quia non est idem habere proprietatem et dominium in bonis
exterioribus et habere iurisdictionem, id est ius discernendi quid
sit iustum vel iniustum in ipsis, sicut habent principes potestatem
iudicandi et discernendi in bonis subditorum licet non habeant
dominium in re ipsa...

This is an extraordinary view for a pro-monarchical publicist to maintain,


for in effect , John has diminished royal powers to those of mere jurisdictional
arbitration in private ' property ' disputes. It appears to be an even more radical
statement than Edward I's Confirmatio Cartarum ( 1297) where the king acknow-
ledged that his subjects ' goods were their own and he could enjoy a share in
them only by 'the common assent of the whole kingdom and for the common
benefit of the same kingdom' 34 .
In sum we have the distinction between dominium and jurisdiction ; we
have an argument for exclusive private property as natural for each individual
whose skill and industry enable him to acquire his own ; the acquisition of
one's own is prior to the establishment of government ; we have a notion that
rulers are fiduciary powers , elected by the consent of the people to act as arbi-
ters in property disputes ; rulers are given jurisdiction without the individual
alienating either his rights to or in property or his substantially discrete property
to the government ; the secular state keeps order and order is disturbed by dis-
putes over property . Rulers, here including the pope , may tax the community
(of the faithful) in extremis, for defence , but this ought to be calculated accor-
ding to one's means a taxation by property qualification in effect . Deposition
is not only possible but obligatory when the relation of faith or trust is des-
troyed by the ruler not representing the common welfare but his own. In a later
chapter John of Paris argues for the will of the council being sovereign where
it is made up of the whole church .

It is not enough to explain the radical nature of this tract on potestas,


civil and papal, by referring to its successful attempt to employ Roman law
'theory ' in the face of Canon law and theological arguments . In the past two
decades research has shown the degree to which Canon law itself, in form and
RATIO AND DOMINIUM 75

content, owed a great deal to the revival of Roman law ; not only did Roman
law become an integral part of thirteenth century secular government machinery
and the ruler's ' public ' law. Because the financial and commercial ventures of
the thirteenth century actively materialised res incorporales, setting a price on
abstract concepts like duty (as I noted earlier , for instance, with the change
in beneficium from office to property), the Roman law of property and of
commercial transaction, a law notably deficient in theory but abundant in cases
and examples (viz. Vulgar Roman law) , served the economic developments that
helped to change a society based on the mutuality of feudal duties to one in
which individual rights, defensible at law, obtained . Elizabeth Vodola35 has
recently pointed out how theological conceptions like faith and belief, and
rituals like baptism and penance , were penetrated by Roman law concepts.
In this way the church was able to establish itself as authoritative in the public
sphere. At the beginning of the thirteenth century she notes that theologians
had only begun to debate the psychological effects of baptism whilst the jurists
had already assimilated baptism into the field of law36. Sacramentum was
itself a Roman legal term which referred to the act of sealing an oath ; and
the ritual of baptism incorporated a profession of faith that was formally mo-
delled on the Roman law verbal contract - stipulatio. The Decretum of Gratian
and its succession of glossators were not unaware of these Roman law origins :
Huguccio's Summa ( 1188) consciously took into account the legal terms used
in the canons, and early in the thirteenth century glosses by Alanus Anglicus
included direct legal citations . Nor was the influence of Roman law limited to
Canon law simultaneously it served Bracton in Common law England with
at least a structure , a formal, coherent structure of general notions into which
English law as practised throughout the realm could be usefully categorised
and unified . Despite the apparent randomness of English customary law, it
was Bracton's concern to demonstrate its essential coherence and rationality37 .
And it is today admitted more readily that there are numerous affinities bet-
ween the classical Roman law jurist and the early Common lawyer. In method ,
both medieval Common lawyer and Roman jurist avoided generalisations and
universal definitions. Their ratio was casuistic , developing from case to case,
and their interest was in establishing a good working set of rules38 . This was
what Canon lawyers sought to do as well . Unwritten law and church law could
be presented through the categories established by Roman law. If Roman law
was used by canonists in the thirteenth century to recast liturgical matters
into juristic form, then John of Paris can be seen to be revealing this process
and indirectly disclosing the reluctance on the part of Canonists or publicists
like Aegidius Romanus , to acknowledge their sources in proper context : these
were the imperial laws which in turn referred to nature and reason and man's
history prior to sacred history, and were all fundamentally relevant to the
issues of property rights, contracts, dominium. If baptism was a contract ,
then other more secular aspects of society could best be described in Civil
law terms as well .
76 J. COLEMAN

Indeed, the recent research on the reception of Roman law in thirteenth


and fourteenth century Anjou , Bretagne and Poitou as evidenced in the verna-
cular customaries of these regions shows how Romanising terminology, citations
of Roman law texts, the inclusion of whole glosses to Roman law passages, did
not serve to change customary law. Rather, Roman law justified the customary
practice by a parallel Roman law rule ; and Roman law provided systematic
categories for accumulations of apparently random , in the sense of locally
specific , practices 39 .
But why, we ask, was it necessary to cite Roman law as a system or as
a source at all for customary practice ? The answer , I believe , lies precisely in
what Robert Lopez has called the 'commercial revolution ' of the thirteenth
century, and what Lester Little has described as the 'profit economy '40 . It may
also be described as the reification of relations in a society where money had
created a professional class for whom sovereignty could only have meaning as
protecting the individual's private property and his rights thereto , defensible in
law. Furthermore , Roman law served as a model for centralisation and political
unification, a means by which monarchs could exert a centripital force on their
societies. In thirteenth century France and England the growth of the wider
national regnum was aided by centralised royal justice providing working legal
' remedies for abuses of local representatives of royal justice through the proce-
dures of formal plaints and bills and commissions of inquiry. Such remedies were
meant at first, as Milsom has shown41 , to enforce uniformity of traditional
practice in feudal courts , lords and vassals being reminded there of the mutuality
of their obligations and duties. The king's justice was merely an exercise of his
capacities for jurisdictional arbitration . In England, the royal assize was not
supposed to replace seignorial jurisdiction but provide a sanction against its
abuse . But because of the growth in both a familiarity with Roman law AND
the increasingly economic valuation of rights and duties and things, tenure in
land was drained of its previous ' feudal ' mutuality. The feudal maxim : nulle
terre sans seigneur was no longer appropriate . By the end of the thirteenth
century in France and in England , tenements and dues appear to be independent
properties in most regions, fixed by a centralised royal , legal system.
An examination of English plea rolls shows that legal remedies in property
disputes were available to all who lived within the reach of royal administration
and who, thereby, acknowledged themselves (and were acknowledged) to be
the king's subjects. England and France were defined as political entities by
the practice of subjects petitioning the king and this may be taken as further
evidence of the legal evolution of the state . The unique characteristics of the
state were clarified as a consequence of dominium and possessory rights defen-
ded in the courts . The state was territorially defined , that is, defined by property
rights defensible at law, and the limits of the petitioning community could be
defined only in territorial terms . The focus of this territoriality and the no-
tion of an individual's territorial residence , was the territorial royal court , the
parlements of Paris and Toulouse , the parliament of England.
RATIO AND DOMINIUM 77

Pollock and Maitland42 some time ago , spoke of the assize of novel dissei-
sin in England , where appeal to a centralised royal justice was implicit , as an
example of the influence of Roman law acting immediately (or through Canon
law) on English custom regarding possession . And this is the true beginning
of a petitioning of the king as arbiter in property disputes which defined the
role of the state . In Roman law language one could describe later thirteenth
century events as follows : the dominus hardly had a real interest in some pro-
perty and had transferred the res mancipi by traditio to the user of his land ,
thereby creating a bonitary ownership. He retained some rights but they seem
to be that of jurisdictional arbitration . This is what John of Paris was, in effect,
defending in his distinction between dominium and jurisdictio. But a residual
dominium, i.e. the ULTIMATE right to a thing, was left in the hands of the king
and gave him a right to control the property of his rightfully possessing subjects
in extremis, for the survival of the state . This is very radical writing if only
because it justified recent developments during the thirteenth century , and
ofcourse, it reduced the king's arbitrium as feudal overlord .
It is well to recall that in the earlier feudal seignorial world , rights as
individual possessions were a nonsense . Property rights had no place in early
feudal court cases where mutual relationships and their relative fulfilments
were judged and whereby land was held (tenure ) for a return . But by the end
of the thirteenth century seignorial courts were the agents of the king's objective
reifying law : the tenant makes his claim regarding his right to his tenement
(possessio) ; the lord makes his claim to his right to dues or ' servitudes ' (domi-
nium, jus in re). Each plaintiff is recognised with individual, independent pro-
perties without reference to the other. The situation is now one where a tenant
de facto owns or holds his land whilst the lord has a kind of servitude over
the land , a jus in re aliena. Milsom has shown how this is true for thirteenth
century England. This can be extended to France of the same period . The fact
of dominium had passed in one hundred years from being a relative , interde-
pendent thing to an independent property defensible in the law courts where
at least the descriptive categories of remedies can be seen to follow Roman ,
Civil law procedure regarding possessory rights.
Marsilius of Padua, twenty-five years after John of Paris , was responding to
the same Civil law language of property disputes in his defence of the Franciscan
rejection of ownership of the property they used . Marsilius, thereby maintained
a distinction between dominium and usus against current practice . This position
was, strangely, conservative , for Marsilius does admit that it is more common
to use the term dominium to mean both the principle power to lay claim to
something rightfully acquired (in accordance with ' right ' taken to mean a coer-
cive command or prohibition of the human legislator) and the use or usufruct
of the thing43 . Also, he notes, 'possession ' does more commonly mean both
abstract, incorporeal ownership and the actual corporeal handling of the thing
or its use44 . But Marsilius put his distinctly defined terms - dominium, ius,
possessio, proprium, etc. , to a narrower, more polemical use - the rejection of
78 J. COLEMAN

John XXII's interpretation of apostolic poverty and the pope's rejection of


the opposing interpretation of the spiritual Franciscans. The consequence for
Marsilius's theory was the temporal disendowment of the whole church through
defining it as incapable of dominium in its own right. Marsilius's attitude to
the role of the church in property disputes must be seen as only part of the lar-
ger issue - the practice of secular , coercive sovereignty , which was the question
that interested him more. He was ready to draw on Roman civil law and practice
when he could, but Roman law could also thwart his purposes. He more or less
admits this himself when he says that ' some object that everyone who buys
or sells , or who can buy or sell some temporal thing, necessarily has ownership
of the thing or of its price - this I deny. And when it is proved by the assertion
that every buyer or seller transfers the ownership of some thing or of its price ,
I deny this with respect to all perfect men (i.e. all ecclesiastics who should be
living in apostolic povery). They do not on account of the transfer or exchange
of things for a price receive the ownership of the thing unless the ownership
can be said to be transferred accidentally ' (The italics are mine)45 . This is, in
fact, bonitary ownership described in Roman law terms above . Marsilius is
forced into making a special case for the ecclesiastic relation to property because
he wants to justify his omission of the church from sovereignty itself.
John of Paris, on the other hand, responding to Aegidius Romanus, and
absorbing the position of Godefroy of Fontaines, paradoxically broadened
the concept of sovereignty by focussing on the pre-civil rights to property
through labour of the individual as an individual. Thereafter, he used Civil law
to justify practice - the conflation of dominium with possessio and usus.
In an earlier feudal period one could justly say that lordship was not a
right to be claimed but rather one that could only be exercised . In the period
during which Godefroy of Fontaines and then John of Paris were writing,
lordship , dominium, was indeed a right to be claimed and defended rather like
a possession. The lords were left with fixed economic rights over property but
without customary mutuality, and tenants acquired rights of ownership and
use through money payments. Lordship could not , by then, even prevent the
alienation of lands by tenants. The old fief, the fee simple had, in many places
in northern Europe it seems, become an estate whose ownership was an article
of commerce46 . Old feudal services were now seen as income ; feudal incidents
as capital gains . Feudal seisin had become a possessio in rem, defensible before
the law, like usucapio. Godefroy of Fontaines and certainly John of Paris were
not describing feudal inheritances or birth rights but property justly acquired
through labour. Revised Roman law formulae were , therefore , extremely useful
as justificatory means of explaining what had indeed happened in the thirteenth
and early fourteenth century France and England regarding dominium, iura
in re and possessio.
It has already been noted that John of Paris's inspiration and source for
his understanding of dominium was Godefroy of Fontaines's quodlibetal deter-
minationes. Godefroy had shown himself in favour of a republic where the law
19
RATIO AND DOMINIUM 79

reigned supreme, where an elected prince was like a magistrate with jurisdic-
tional powers who must conform to the law, where taxation was to be freely
discussed, agreed to and established by community representatives, where
revolt against a tyrant who by definition had broken trust with the ruled, was
legal . Lejeune has shown how such principles had penetrated local political
practice in Godefroy's Liège by the end of the thirteenth century47 . These
principles were employed not only as formulae to be imitated by those politi-
cally involved but also as justificatory formulae after the fact, seen as ready-
made for a situation that had evolved politically . Civil law formulae as expressed
by Godefroy served, then , as the theoretical justification for the behaviour of the
chapter of canons of Notre-Dame et Saint-Lambert in Liège , as described by
Lejeune48 .
Indeed , Roman Civil law procedures and formulae as, in effect, defended
by the publicist John of Paris , were not merely meant as programmatic proposals
for secular dominium in the future . John's narrowed definition of potestas as
dominium in rebus was a ratio, an explanation of what de facto and de iure
had already occurred .

NOTES

1. Prologue, De Potestate Regia et Papali, ed. Fritz Bleienstein, Frankfurter Studien zur
Wissenschaft von der Politik, Stuttgart, 1969, p. 71.
2. Brian Tierney, Foundations of the Conciliar Theory, Cambridge, 1955. Part three,
chapter 1 , argues that the De Potestate shows mainly Canonists' influence.
3. At the Oxford Political Thought conference, January, 1981 ; Hull Political Studies
Association conference, April 1981 , article forthcoming in History of Political Thought,
IV, 1983 , and Political Studies ( 1983-1984).
4. Richard Tuck, Natural Rights Theories, their origin and development, Cambridge, 1979,
argues that Locke extended the early views of Grotius, but the distinctly Lockean language
of property acquired through labour as opposed to Grotius's means of acquisition per
applicationem ' is closer to the language of John of Paris. See below. Some of the more
radical natural rights theorists like the lawyer Henry Parker in his justly famous ( 1642)
Observations and his ( 1644) Jus populi, and the even more radical William Ball's Tractatus
de Jure Regnandi et Regni ( 1645) , show some striking similarities with John of Paris. See
Tuck, p. 146f for a discussion of these radical rights theorists.
5. Introductory essay by J.A. Watt, to his translation of John of Paris, On Royal and
Papal Power, Toronto (Pontifical Institute of Mediaeval Studies) , 1971 , p . 11.
6. Marsilius of Padua, Defensor Pacis, Discourse II, c. xiv, 7, 8 , 14 , 18.
7. John of Paris, De Potestate Regia et Papali, Prologue (proemium).
8. Watt, introduction to translation, p . 63.
9. Quentin Skinner, The Foundations of Modern Political Thought, vol. I , Cambridge,
1978, p. 9f.
80 J. COLEMAN

10. E.Levy , West Roman Vulgar Law, the Law of Property (Philadelphia, 1951 ) summarised
from W.W. Buckland , A Text-Book of Roman Law from Augustus to Justinian, third edition,
revised Peter Stein , p . xix, xx . Also J. Gaudemet, Le Droit privé romain, Paris, 1974, p. 76f.
11. Francis Oakley, The Western Church in the Later Middle Ages, Cornell, Ithaca, 1979,
p. 30f.
12. Geoffrey Barraclough, Papal Provisions, Oxford , 1935, p. 83, and Corpus Juris Cano-
nici, ed. Ae. Friedberg, Lipsiae, 1879, X, 2, 13, c. 7, vol. I , p. 282-283.
13. Oakley, op. cit., p. 31.
14. Buckland, op. cit. , chapter V, p. 182.
15. P. Glorieux, La Littérature quodlibétique de 1260 à 1320, Kain, 1925 , p . 20 f.
16. Aegidius Romanus : De Ecclesiastica Potestate, ed. Richard Scholz , Leipzig, 1929,
reprint Aalen , 1961 and Walter Ullmann , « Die Bulle Unam Sanctam Rückblick und
Ausblick » , Römische Hist. Mitteilungen, XVI (1974) , p. 45 f, and « Boniface VIII and his
Contemporary Scholarship » , Journal ofTheological Studies 27 (1976), p . 58-87.
17. Scholz edition, p . 103.
18. Scholz edition, p . 104.
19. Scholz edition, p . 104-105.
20. Scholz edition, p . 70-73.
21. Scholz edition, p. 79.
22. Scholz edition, chapter xii.
23. J. Gaudemet, Le Droit privé romain, c. 3, « La classification des choses » , p. 69.
24. Scholz edition, p . 113-114.
25. Scholz edition , p . 78 , part II , c. 8.
26. Bleienstein edition, p . 81 , 11.27 – p . 82, 11.11 .
27. Bleienstein edition, p . 81 , 1.26.
28. Jean Leclercq, Jean de Paris et l'ecclésiologie du XIIIe siècle, Paris, 1942, noted the
debt to Godefroy. Quodlibets XI ( 1294) , XII ( 1295 ) , XIII ( 1296 ) and XIV (1297) edited
by J. Hoffmans, Philosophes Belges, V ( 1932).
29. Marsilius of Padua, Defensor Pacis, Discourse II, c. xiv, 22.
30. Buckland, op. cit. , p . 253f and p. 196 f. Also see Tierney, Foundations ofthe Conci-
liar Theory, passim.
31. See Tuck, on Locke's Two Treatises of Government ( 1679-1680) and Tyrrell's Patriar-
cha non Monarcha ( 1681) , p. 169-173 . See John Locke, Two Treatises of Government,
ed. Peter Laslett, Cambridge , 1963. Some of the major property statements of John of Paris
from the prologue and chapters six and seven of the De Potestate Regia et Papali were
taken over completely by Pierre d'Ailly and published as part of Gerson's Opera in the
edition prepared by Ellies du Pin, Gersonii Opera, t . I , col. 914-917 (printing d'Ailly's
De ecclesiae et cardinalium auctoritate, Constance, 1416, complete transcription – without
revealing authorship of John of Paris - of chapters six and seven ; col. 896-897 reproduces
John's prologue ; and col. 898-899 selects texts from chapter thirteen) . In Locke's library
is listed t. I ( 1690) of the du Pin edition. Locke may well have read treatises collected
together in the du Pin volumes during his continental journeys during the 1660 s. John
of Paris and d'Ailly/Gerson were read and republished for the Gallican cause numerous
times during the 16th and 17th centuries. For Locke's library contents see John Harrison
and Peter Laslett, The Library of John Locke (Oxford, 1971 ) second edition, p. 209,
number 2306. For a fuller discussion of the importance of Locke's French journey and his
likely familiarity with many of the texts and arguments of the property/sovereignty debate
of the late thirteenth and early fourteenth century, see my article in Political Studies,
(1983-4).
RATIO AND DOMINIUM 81

32. Here he cites the Decretum, D. 8 , c . 1 , quo jure : « Verum quia ob talia bona exteriora
contingit interdum pacem communem turbari dum aliquis quod est alterius usurpat , quia
etiam interdum homines quae sua sunt nimis amantes ea non communicant prout necessitati
vel utilitati patriae expedit, ideo positus est princeps a populo qui in talibus praeest ut
iudex decernens iustum et iniustum, et ut vindex iniuriarum et ut mensura in accipiendo
bona a singulis secundum iustam proportionem pro necessitate vel utilitate communi >» .
Chapter seven, Bleienstein , p . 97.
33. See Buckland, op. cit. , p. 647f and p. 668 f.
34. See Carl Stephenson and Frederick Marcham, Sources of English Constitutional His-
tory, a selection of documents, vol. I revised edition, London, 1972, p . 165 from Stubbs,
Select Charters, p. 490f ; the original document is in Anglo-Norman French.
35. E. F. Vodola, « Fides et culpa : the use of Roman law in ecclesiastical ideology » ,
Authority and Power, studies on medieval law and government presented to Walter Ullmann
on his seventieth birthday, ed . Brian Tierney and Peter Linehan, Cambridge, 1980, p . 83-98.
36. Vodola, p. 84.
37. See Peter Stein, Roman Law and English Jurisprudence, Cambridge, 1969.
38. W. W. Buckland and A. McNair, Roman Law and Common Law, a Comparison in
Outline, revised second edition, Cambridge , F. Lawson, 1952, p. xiv and Lawson's Excursus
where he says : « the difference between Roman and English law is by no means so great
as is stated in (Buckland's original) text » , p . 80.
39. J. Ph. Lévy, Le droit Romain en Anjou, Bretagne, Poitou (d'après les coutumiers), in
the series Ius Romanum Medii Aevi, pars V, 4b, Milan, 1976.
40. Robert Lopez, The Commerical Revolution of the Middle Ages, New Jersey, 1971 , and
Lester Little, Religious Poverty and the Profit Economy in Medieval Europe, Cornell,
Ithaca, 1978.
41. S.F.C. Milsom,The Legal Framework ofEnglish Feudalism , The Maitland lectures, 1972,
Cambridge, 1976.
42. F. Pollock and F. W. Maitland , History of English Law, second edition , vol. II ,
Cambridge, 1899, p . 47-50.
43. Marsilius of Padua, Defensor Pacis, Discourse II , c . xii ( 14 ii ) . I have used the English
translation of Alan Gewirth for my citations in translation : here, p. 193.
44. Discourse II , c. xii ( 19 iii).
45. Discourse II, c. xiv, 18. Gewirth translation, p . 225.
46. S.F.C. Milsom , p . 99. See also Milsom's, Historical Foundations of the Common
Law, London, 1969.
47. J. Lejeune, « De Godefroid de Fontaines à la paix de Fexhe ( 1316 ) » , Annuaire
d'Histoire Liégeoise, 6 ( 1958-1962) , p. 1215-1261 . I owe this reference to Father John
Wippel who has just published a study of Godefroy of Fontaines which I have not yet
had the opportunity to see. A xerox of Lejeune's article was kindly sent to me by prof.
Bultot of the Université Catholique de Louvain, Louvain-la- Neuve .
48. Lejeune, op. cit., p. 1248f. « Le chapitre... a découvert dans le consentement des
représentants du pays la légitimation d'un pouvoir dont il est ambitieux , mais qu'il ne pou-
vait tenir ni du sacre ni de l'investiture... Il se substitue ainsi au prince absent mais tient
son pouvoir du consentement de tous » . From 1302 until the peace of Angleur ( 1313 ) and
then to the peace of Fexhe ( 1316 ) « on voit la primauté de la communauté qui utilisent
des positions, des attitudes, des pouvoirs, l'alliance du chapitre des chanoines avec le peuple
de la ville de Liège » , p. 1254.

6
I

1
L'INTELLECT ET LE LANGAGE SELON RADULPHUS BRITO

Jean JOLIVET

Dans ses Questions sur le Priscianus minor¹ , Radulphus Brito2 évoque ou


décrit à plusieurs reprises le rôle de l'intellect dans la constitution du langage,
plus précisément dans l'imposition de leur sens aux mots. Ce sont des indications
dispersées ; Raoul n'a pas éprouvé le besoin de traiter à part de cette fonction
sémantique de l'intellect, et les données qu'il fournit à ce propos ne suivent
même pas un ordre systématique dans l'ensemble de l'oeuvre . On n'a donc pas
là un corps de théorie méthodiquement développé, mais des éléments produits
selon des nécessités autres . C'est à nous de retrouver leur agencement implicite,
ou d'en supposer un.
Partons donc d'une phrase tirée du corps de la question 223 : « le signifier
présuppose l'intelliger, parce que signifier est constituer une intellection, comme
il appert au premier chapitre du Peri hermeneias » 4. L'éditeur précise opportuné-
ment cette référence : P. herm. , 16b 19-21 , « celui qui parle constitue une intel-
lection » , selon la traduction de Boèces . Mais cette précision ne concerne que
la seconde partie de la phrase : la première est un rappel implicite de P. herm. ,
16a 3-4 « les éléments du discours sont les signes des impressions qui sont dans
l'âme >>6 . Ainsi faite de deux fragments d'Aristote (reliés par un quia qui deman-
derait à lui seul une analyse particulière) , la phrase de Raoul désigne d'une seule
coulée deux moments différents du processus de communication : la connais-
sance, l'expression . Or il est clair qu'entre ces deux moments, il faut en poser
un troisième le passage de la connaissance à l'expression, la communication
ne s'opérant pas par transition directe d'un esprit à l'autre . Le problème posé par
ce moment intermédiaire peut se formuler ainsi : comment un son vocal est-il
constitué en signifiant, devenant ainsi un mot ? Ou , en termes de grammaire
spéculative d'où viennent au son les raisons de signifier et de consignifier qui
en font le signe d'une chose (signification) et de sa propriété (consignification) ?
Raoul ne pose pas cette question de façon explicite comme on vient de le faire ;
mais tout se passe comme s'il se l'était posée à lui-même, car il donne à ce sujet
toute une série d'indications auxquelles nous faisions allusion plus haut , et qui
constituent une réponse à notre problème. Disons d'emblée avant de les examiner
qu'y sont impliqués deux postulats communs aux théoriciens de la grammaire
spéculative : 1 ) il existe des modes d'être dans les choses, des modes de penser
84 J. JOLIVET

dans l'intellect, des modes de signifier dans les mots (modi essendi, intelligendi,
significandi) ; 2) ces trois séries de modes sont respectivement parallèles , sembla-
bles, homologues , ou comme on voudra dire . Ces deux postulats joignent à la
description d'un fait d'expérience un double présupposé philosophique : les pen-
sées peuvent refléter correctement les choses, et les mots exprimer fidèlement
les pensées ; il suffit d'avoir noté ce refus principiel du scepticisme, dont la for-
mulation première, dans cette même problématique, est aux premières lignes
du Peri hermeneias partiellement citées plus haut7 .
Puisque les pensées représentent les choses, et les mots, les pensées ;
puisqu'aussi, selon Boèce, « signifier est constituer une intellection » , il est à
présumer que les mots doivent leur sens à une opération de l'intellect , origine
et lieu des pensées qui sont le moyen terme entre les choses et les mots . C'est
bien ce que dit Raoul : « le mode d'intelliger actif est une fonction (ratio) de
co-intellection par laquelle l'intellect se rapporte à une propriété de la chose ; et
par cette fonction qu'il possède et qu'on attribue à un son , le son est consigni-
fiant à l'égard d'une propriété de la chose »8. Cette phrase, qui prise seule
resterait énigmatique du fait de sa construction même⁹ , se précise , quant au rôle
de l'intellect , quand on la rapproche de trois autres passages . Citons-les à la
suite « l'intellect impose aux sons les modes de signifier, et il est une puissance
passive ; si donc l'intellect n'était pas déterminé par une propriété de la chose,
jamais il ne conférerait aux sons de signifier la chose sous un mode de signifier
déterminé » 10 ; « et quand on dit : la grammaire traite du discours et des modes
de signifier qui procèdent de notre intellect, je dis pour ma part : il en est bien
ainsi, mais ils ne viennent pas uniquement de notre intellect ; c'est plutôt que,
par certains modes d'être et certaines propriétés des choses, l'intellect est déter-
miné à conférer ainsi aux sons de signifier les choses sous de tels modes de
signifier »
> 11 ; <<« bien que (les modes de signifier actifs) soient dans l'intellect,
ils y sont cependant comme dans leur cause efficiente et n'en sont pas moins
dans le son signifiant comme dans leur substrat » 12. Ces trois textes disent,
de façons à peine différentes, deux choses. La première, la moins originale
(car cela remonte à Aristote, De l'âme, III , 4) , est la soumission pure de l'intel-
lect à l'objet : « puissance passive » , et donc incapable d'altérer ce qu'il reçoit,
il est d'autre part « déterminé » par cet objet. Ce à quoi il est déterminé , c'est
la seconde indication de ces quelques phrases, et elle est, du moins par rapport à
Aristote , nouvelle 13 : il l'est à conférer un sens aux sons, et ainsi donc les modes
de signifier << procèdent » de l'intellect où ils sont contenus «< comme dans leur
cause efficiente » . En d'autres termes, le caractère de signifiant advenu aux mots
résulte de la nature à la fois passive et active de l'intellect, comme l'exprime bien
un quatrième passage « l'intellect peut être mû de façon qu'il connaisse et
confère au son une certaine essence indéterminée » 14. On observera que Raoul
n'a pas ici en vue la distinction classique , et post-aristotélicienne pour sa formu-
lation du moins , entre l'intellect patient et l'intellect agent : la passivité de l'intel-
lect est bien cette simple ouverture aux choses qui fait qu'il en est du penser
comme du percevoir, ainsi que le notait Aristote (De l'âme, III , 3 , 427 a 19-20 ;
RADULPHUS BRITO : INTELLECT ET LANGAGE 85

4, 429 a 13) ; mais son activité est ici d'ordre sémantique, et non pas noétique :
l'intellect agit en tant qu'il confère un sens au matériau sonore . Nous aurons à
revenir sur ce point.
L'enjeu de ces analyses est bien uniquement grammatical . On a vu plus
haut que les modes de signifier étaient dans l'intellect comme dans leur cause
efficiente, et dans le son comme dans leur substrat. Un autre passage redit cela
autrement, en y joignant une considération importante : « les modes d'intelliger
actifs sont dans l'intellect à titre immédiat, les modes de signifier actifs n'y sont
que par la médiation du son émis car s'ils y étaient sans la médiation du son,
alors les sons n'auraient aucune disposition à se composer entre eux ou récipro-
quement » 15. La causalité de l'intellect est ici réaffirmée , mais aussitôt l'auto-
nomie au moins relative de la sphère linguistique est revendiquée : à supposer
une signification qui resterait purement noétique (ce qui est peut-être le cas
pour les anges, dirait un théologien ?), les sons n'assureraient aucune fonction
sémantique, il ne leur serait attribué nulle signification ni consignification.
Il y aurait donc, à côté de la sphère des choses, la sphère de l'intellect , et un
domaine sonore entièrement insignifiant ; ou , d'une autre façon : le réel, la logi-
que, mais pas de grammaire. Or, malgré sa nette tendance à subordonner le
langage à la pensée16 , Raoul reste un grammairien et ne peut que maintenir
la spécificité du langage, et notamment les jeux de la construction entre modes
de signifier qui dépendent certes du réel et de la pensée , mais ne s'y confondent
pas17 . Il résulte même de ce souci une difficulté à comprendre le texte qu'on
vient de citer : comment les modes de signifier actifs peuvent- ils être << dans
l'intellect » comme les modes d'intelliger actifs , alors que ceux-ci sont «< les per-
fections de l'intellect » et ceux-là « les perfections ou formes des parties du
discours » (P.M. , 157) ? La réponse est double d'une part les modes de signifier
sont dans l'intellect « comme dans leur cause efficiente » , et cette efficience n'a
de sens que par rapport à un « substrat » qui fait que leur présence à l'intellect
n'est pas immédiate ; en second lieu , mais au fond de la même façon , les modes
actifs de penser et de signifier sont « semblables » , dit Raoul, « comme la forme
de la maison qui est dans l'âme est semblable à la forme de la maison à l'exté-
rieur » (P.M. , 158 ) . Nous en revenons au même point : l'intellect fonde le langage,
mais le langage n'est pas entièrement chose d'intellect, puisque << la fonction
active de signifiant et la fonction de consignifiant sont dans le son vocal comme
dans leur substrat » 18 .
Dans la démonstration de cette proposition, Raoul place un argument
dialectique qui ne manque pas d'intérêt «< une chose (aliquid) » , dit-il , « ne se
rapporte pas formellement à une autre par ce qui est dans un autre sujet » :
un père n'est pas en relation avec son fils par la paternité qui est dans un autre
père ; or << le son vocal est signe de la chose et signe à titre accessoire (consignum)
de sa propriété ; donc il ne le sera jamais par une fonction de consignifiant qui
sera dans l'intellect, mais par quelque chose qui existe dans le son ; donc ces
modes de signifier actifs et passifs à titre formel sont dans le son vocal comme
dans leur substrat . Par conséquent, si cette fonction de signifiant ou consignifiant
86 J. JOLIVET

était dans l'intellect équivalemment au son, alors par cette fonction le son ne
serait pas signe , ou consignum, mais il serait plutôt signifié ou consignifié , car
ce qui a la fonction de terme (quod habet rationem termini) à l'égard de la fonc-
tion de signifiant ou de consignifiant ne s'appelle pas un signe , ou un consignum,
mais un signifié ou un consignifié . Mais on dit que la chose est le signifié , et la
propriété de la chose , le consignifié , parce qu'elles ont la fonction de terme
à l'égard de ces fonctions »19. Indépendamment même de son ingéniosité , ce
développement a le mérite de marquer fortement l'indépendance « subjective »
du langage par rapport à l'intellect . D'autre part , il montre de façon frappante
comment sont indissociables , dans un signe , la fonction signifiante et le subs-
trat privé de la première , le second devient un signifié, une chose . Cela revient
à exclure l'hypothèse qu'on évoquait tantôt, celle d'un domaine des sons que
n'habiterait aucun sens . Raoul, on l'a dit, reste un grammairien, quelqu'un qui
prend le langage au sérieux quelque importance qu'il accorde à l'intellect, il
est encore très en-deçà de Guillaume d'Ockham, qui fait refluer dans l'intellect
les catégories principales de la grammaire elle-même 20 .
Nous avons noté plus haut qu'en distinguant dans l'intellect une passivité
et une activité , Raoul ne voulait pas désigner par la seconde ce que les commen-
tateurs d'Aristote ont nommé l'intellect agent. Dans la même question d'où nous
avons extrait nos deux derniers textes, il se révèle que cette distinction est celle
de l'intellect spéculatif et de l'intellect pratique : « là » , dit-il (c'est- à-dire dans
l'instauration des modes de signifier) « est requise l'opération de l'intellect spécula-
tif, parce que c'est lui qui d'abord connaît la chose et sa propriété, et qui ensuite,
informé par cette connaissance, passe à l'action et à l'opération pour conférer
aux sons signification et consignification : c'est pourquoi on dit que les mots ont
une signification arbitraire et libre » . Il ajoute qu'il n'y a pourtant pas deux intel-
lects, qu' «< une seule et même intellection est spéculative et pratique » ; mais
l'intellect spéculatif connaît la chose , et quand il opère l'attribution des significa-
tions, << alors il est pratique » 21. Ce texte est tiré de la réponse à une objection
selon laquelle les modes de signifier, causés par l'intellect, ne pouvaient qu'y rester
parce que l'opération de l'intellect spéculatif ne passe pas dans une matière exté-
rieure, et que celle de l'intellect pratique a besoin d'instruments ; Raoul nie ce der-
nier point en réservant cette nécessité aux cas où la matière n'est pas «< disposée »
(propter indispositionem materiae) or le son vocal est de soi disposé à être
signe . Dans une question antérieure (q . 10) , à une objection analogue , il faisait
une réponse analogue d'où l'on peut tirer quelques formules qui confirment
et précisent la citation précédente : la construction des choses connues au
moyen des modes de connaître est une opération de l'intellect spéculatif, et
elle ne passe pas dans une matière extérieure . Mais la construction des construc-
tibles les uns avec les autres, du fait que constructible désigne un tout formé
d'un son, d'un signifié et d'un mode de signifier, n'est pas le fait de l'intellect
spéculatif mais de l'intellect pratique , dont l'opération passe à l'extérieur ...
L'intellect, avant de joindre deux constructibles , connaît l'un puis l'autre , et les
ayant saisis il les compose intellectuellement , et cette composition est l'oeuvre
RADULPHUS BRITO : INTELLECT ET LANGAGE 87

de l'intellect spéculatif. Ensuite, les exprimant par un énoncé, il compose l'un


avec l'autre , et c'est là une composition de sons signifiants, oeuvre de l'intellect
pratique »22. L'intérêt de ce passage est de marquer deux aspects différents de
l'action de l'intellect spéculatif penser les relations entre les choses , d'abord , ce
que Raoul appelle les «< construire » ; ensuite composer intérieurement des cons-
tructibles, c'est-à-dire se livrer à un discours tacite qui relève déjà entièrement
du langage - puisqu'il connaît puis « compose » des constructibles, c'est-à-dire
<< des touts formés d'un son , d'un signifié et d'un mode de signifier » . Prises
à la rigueur, les deux parties de ce passage ne s'accordent pas, puisque la seconde
attribue expressément à l'intellect spéculatif une opération que la première lui
refuse tout aussi expressément. Plutôt que de supposer que Raoul se contredit
à quelques lignes de distance, il vaut mieux se rappeler qu'il n'y a pas deux
intellects, mais un seul, et qu'à la limite ténue qui sépare la conception prête
à s'énoncer de l'énoncé lui-même, l'intellect est indissociablement spéculatif
et pratique . Ces deux actions de l'intellect spéculatif s'ajoutent à celle qu'avait
évoquée le texte précédent : connaître la chose et sa propriété . Ainsi s'affirme une
fois de plus la connexion de l'être , du connaître et du signifier, exprimée déjà par
l'identité des modes d'être aux modes passifs d'intelliger et de signifier ; elle se pré-
cise ici par la proximité de fait, phénoménologique pourrait-on dire , de la pensée
et du langage, lequel , autonome en quelque manière mais dépendant de l'intellect,
occupe déjà réciproquement celui-ci au moment où l'énonciation se prépare.

Cette lecture de Raoul le Breton étant faite, il reste à nous poser au moins
deux questions. La première concerne son originalité . Sur deux points, elle est
nulle , et on ne s'en étonnera pas : il s'agit d'une part des éléments aristotéliciens
de sa doctrine (nature de l'intellect, sa spécification en spéculatif et pratique) ;
d'autre part, plus spécialement, des postulats qu'il partage avec les autres gram-
mairiens de son école (les trois ordres de modes , leur parallélisme , l'autonomie
relative du langage) . Il n'est pas nécessaire d'insister là-dessus . Plus intéressant est
le point qui nous a retenus jusqu'ici le rôle de l'intellect dans la constitution
des signifiants comme tels . Or sur ce point aussi l'originalité de Raoul est limi-
tée ; si l'on consulte les traités de grammaire spéculative de Martin, Jean et
Boèce de Dacie , on constate qu'ils ont tous plus ou moins évoqué cette question.
Déjà le dernier cité , au-delà d'une remarque qui à elle seule resterait banale :
<< qui fait une construction dans le discours, nécessairement en fait d'abord une
dans sa pensée » 23 , décrit à peu près de la même manière que Raoul la genèse
de la signification « l'intellect en son intellection se conforme à l'être de
la chose , et au moyen de ses modes d'intelliger détermine pour soi tels modes de
signifier, qui sont semblables aux modes d'intelliger »24. Martin de Dacie montre
comment le parallélisme des modes se fonde sur la double activité , cognitive et
sémantique , de l'intellect : « l'intellect, voulant signifier à autrui sa conception,
assigne à la chose connue un son vocal , pour que sa conception , c'est-à -dire
la chose pensée , soit exprimée par le son comme par un signe . Par conséquent,
de même que le tavernier expose un cercle pour signifier qu'il a du vin , de
88 J. JOLIVET

la même façon l'intellect exprime ou signifie par un son vocal la chose pensée ;
une fois que le son lui est lié ou assigné cette chose est dite chose signifiée ,
et toutes les propriétés de la chose qu'on disait auparavant modes d'être de la
chose extérieure et modes d'intelliger de la chose pensée , sont dits maintenant
modes de signifier » 25 Martin attache une telle importance à cette activité séman-
tique de l'intellect que , selon un procédé très médiéval , il en attribue l'idée
première à Boèce (Manlius Severinus) , lui faisant dire que « l'intellect assigne
un nom aux choses qu'il a vues » , alors que dans le passage prétendûment allégué
cet auteur disait simplement : « le genre humain est le seul qui puisse assigner
des noms aux choses »26 .
Boèce de Dacie, dans le second de ses textes qu'on vient de citer , évoquait
la docilité de l'intellect aux choses, c'est-à-dire sa passivité ; mais symétriquement
il décrit son activité dans l'ordre du langage en des termes voisins de ceux qu'em-
ploiera Raoul : « les modes de signifier sont dans la dictio comme dans leur
substrat , mais dans l'âme comme dans leur cause efficiente » ; « les modes de
signifier accidentels... sont causés... par l'intellect qui considère les propriétés
des choses » ; « tous les modes de signifier qui sont dans la dictio sont causés
en elle par l'intellect , au moyen de l'assignation d'un sens au mot »27. La Somme
grammaticale de Jean de Dacie est encore plus nette sur ce point , la double
nature de l'intellect y est détaillée dans deux pages à la suite : «< notre intellect
possible , qui est en puissance à l'égard de tous les intellectibles comme la matière
est en puissance à l'égard de toutes les formes naturelles , a de nombreux concepts
et a besoin d'un signe pour les exprimer » ; « pour que le son vocal devienne
signifiant il faut un concept qui doit être signifié par le son, et un son qui signifie
ce concept. L'intellect par conséquent saisit d'abord un concept, et ce concept
est suivi d'un certain appétit de la puissance intellective ; alors l'intellect ordonne
aux organes de la puissance sensitive que celle-ci exprime le concept que l'intel-
lect a conçu alors le concept est exprimé et ainsi le son devient signifiant >» 28 .
Cette description du processus ne fait pas intervenir l'intellect pratique comme
tel et expressément , mais si le mot n'y est pas la chose est toute proche ; de
même lorsque Jean expose que « le but de l'assignation d'un sens au son vocal
est que l'homme puisse communiquer aux autres ses conceptions , en vue d'une
plus grande perfection de la vie et de l'acquisition de ce qu'il lui faut » 29 .
En résumé lorsque Raoul le Breton expose la façon dont l'intellect inter-
vient dans la constitution du langage , il ne fait que reprendre un fonds d'idées
présent déjà chez ses prédécesseurs ou quasi-contemporains . Nous les avons vus
d'accord pour attribuer à l'intellect la fonction d'assigner aux sons vocaux leur
signification et, en fonction des modes d'intelliger, leur consignification . Ce rôle
tient clairement à la situation de l'intellect : étant donné un langage où sont
exprimés les choses et leurs rapports, l'intellect à qui il revient de connaître
est nécessairement le médiateur entre ces deux sphères, et si l'on suppose une
genèse du sens dans le langage , on ne peut en attribuer l'initiative qu'à l'intellect .
Il était donc naturel que les théoriciens de la grammaire spéculative , qui tous
supposent le postulat selon lequel les trois ordres de modes sont parallèles,
RADULPHUS BRITO : INTELLECT ET LANGAGE 89

fissent de l'intellect l'instaurateur sémantique nécessaire . Plus en détail nous


avons vu Boèce de Dacie et Jean mettre la fonction médiatrice de l'intellect en
relation avec sa double nature soumission passive aux choses, et activité pra-
tique ; Martin de Dacie est si convaincu du second de ces deux points qu'il en
attribue déjà la formulation à Manlius Severinus . Jean , de son côté, essaie une
description psychologique de ce processus . Mais si pour l'essentiel ces idées ne
sont pas vraiment personnelles à Raoul, il faut reconnaître qu'il y insiste plus
souvent, et les développe plus précisément que les grammairiens qu'on a cités .
En ce sens, on peut dire qu'il a imprimé une marque propre à cet élément de
théorie, qu'il l'a fait passer à un niveau conceptuel supérieur et que , par consé-
quent, il n'est pas faux de le lui rapporter personnellement. Ce progrès dans
l'analyse va de pair avec la distinction entre les modes actifs et passifs, distinc-
tion qu'il reprend à Pierre d'Auvergne et dont il fait une pièce essentielle de
sa propre doctrine . Elle lui permet notamment de décrire avec une précision
plus grande la situation et la fonction médiatrices de l'intellect, et d'attribuer
à celui-ci un primat compatible avec la sauvegarde d'une autonomie , limitée mais
nécessaire, du langage . En d'autres termes divers théoriciens de la grammaire
spéculative ont sans doute insisté sur le rôle de l'intellect , mais Raoul en a donné
une expression plus élaborée et en ce sens plus originale .
La seconde question qu'on peut se poser concerne le rapport de cette
doctrine, non plus avec celles des autres grammairiens de la même école , mais
avec d'autres lieux de son oeuvre propre , et plus particulièrement avec son com-
mentaire du traité De l'âme d'Aristote , où il est question notamment de l'intel-
lect ; on sait que le livre III en a été opportunément édité30 . La comparaison
s'impose de soi ; n'y penserait-on pas spontanément qu'elle serait suggérée par
les éditeurs des Questions sur le Priscien mineur à propos d'un texte cité ici
même , et où il est question de l'intellect pratique , instaurateur des significations,
ils renvoient à un passage des Questions sur le traité De l'âme relatif à l'intellect
pratique 31. Or cette référence est décevante Raoul dit bien , dans le passage
désigné, que l'intellect spéculatif et l'intellect pratique n'en font qu'un, comme
il le dit dans ses Questions grammaticales ; mais il ne fait pas la moindre allusion
à l'activité sémantique de l'intellect pratique : on y apprend seulement que celui-
ci connaît la chose « dans son application à l'oeuvre , c'est-à-dire en tant que
cette chose est à rechercher ou à fuir » 32. On a la même désillusion quand on lit
les passages des Questions sur le traité De l'âme susceptibles d'éclairer certains
propos relatifs à l'intellect dans les Questions sur Priscien, voire simplement
de présenter des pierres d'attente où pourraient se coordonner noétique et
grammaire. Les divers endroits où il est question de l'intellect pratique ne
contiennent rien de tel . La question 2 traite de l'intellect en tant que puissance
passive (virtus passiva ) -on se souvient d'avoir rencontré cela plus haut
mais rien n'y est dit de l'opération par laquelle l'intellect, après avoir connu
les choses, attribue aux mots les modes de signifier ; la troisième objection et
la réponse correspondante concernent les «< actions » de l'intellect, vers l'ex-
térieur ou immanentes, mais ne contiennent rien qu'on puisse raccrocher au
90
90 J. JOLIVET

passage correspondant des Questions sur Priscien33 . La question 6, relative à


l'unité ou pluralité de l'intellect , contient deux passages - un argument et la
réponse associée qui concernent la présence d'une même science « en moi et
en toi » , et son passage de l'un à l'autre : Raoul ne saisit pas cette occasion excel-
lente de faire allusion , à tout le moins, à la communication par le langage 34 .
Il ne le fait pas plus dans la question 7 où il est amené à comparer l'être en soi
de la chose et son être-signifié35 . La question 20 demande « si le vrai et le faux
sont dans l'âme ou dans la chose à l'extérieur » ; dans sa réponse au troisième
des arguments qui les feraient situer dans la chose , Raoul concède que l'énoncé ,
oratio, est vrai à cause de la chose, en tant qu'il est effet, et que de cette façon
la vérité est davantage dans la chose que dans l'intellect ; «< toutefois » , dit-il,
<< elle doit être formellement dans l'intellect » . Ici encore s'offrait une occasion,
moins immédiate à vrai dire que dans les cas précédents, pour amorcer au moins
une indication sur les rapports entre l'intelligence et le langage ; cette occasion
non plus n'est pas exploitée 36 .
Ainsi, la jonction n'est pas faite entre les Questions sur Priscien, où est
évoqué le rôle de l'intellect dans le langage , et les Questions sur le traité De
l'âme ; il y a comme un appel des premières vers les secondes, mais rien n'est
élaboré dans celles-ci qui puisse se raccorder à celles-là ; à défaut d'élaboration,
on n'y trouve même pas d'allusion . On peut se demander pourquoi ce silence.
Est-ce une question de dates ? Peut-on penser que Raoul a commenté Aristote
avant Priscien et ne s'est donc avisé que trop tard des connexions entre la noé-
tique et la grammaire ? Cette explication , d'ailleurs hypothétique en tout état
de cause , ne vaudrait éventuellement que si ces connexions n'étaient posées
que chez lui ; or on a vu que d'autres grammairiens avant lui les avaient au
moins esquissées, et on peut présumer raisonnablement que Raoul en avait
connaissance au moment où il composait ses Questions de noétique . La raison
de son silence est-elle d'ordre épistémologique en d'autres termes, met-il,
de la grammaire à la noétique , un rapport de subalternation ? La grammaire,
spécialement quand elle traite de la signification , entrerait dans un détail dont
n'aurait pas à traiter la noétique ; celle-ci construirait une théorie de l'intellect
que celle-là préciserait selon les requêtes spécifiques de son objet propre . Cette
interprétation est plus tentante que la première , mais elle n'est pas complètement
satisfaisante . Certes , une science subalternée à une autre a un objet plus spécial,
et donc ses propositions combinent des données nouvelles aux conclusions
qu'elle reçoit de la première . Mais d'autre part la science de degré supérieur
doit en principe fournir à la science subalterne des démonstrations dont celle-ci
applique les résultats , ce qui est plus que des indications globales37 . Or , si l'on
compare les Questions sur le traité De l'âme aux Questions sur Priscien, on est
loin du compte ; mis à part des éléments très généraux - il existe un intellect,
il est soumis à l'objet , il a deux fonctions : spéculative et pratique , la doctrine
des premières ne contient absolument rien, nous l'avons vu , à quoi puisse s'arti-
culer réellement celle des secondes . On n'a pas du tout l'impression que Raoul
subordonne , au sens précis du terme , la grammaire à la noétique, mais plutôt
RADULPHUS BRITO : INTELLECT ET LANGAGE 91

qu'en résolvant des problèmes de grammaire spéculative , il est amené à for-


muler des énoncés nouveaux de noétique , hors de leur lieu normal . Autrement
dit encore , en comparant cette situation à un modèle classique , la lecture
des Questions sur Priscien incite le lecteur à compléter sur divers points les
Questions sur le traité De l'âme, alors que la lecture d'un traité d'optique n'in-
cite pas le lecteur à compléter Euclide . On n'a donc pas ici un cas véritable
de subalternation .
Cette absence , dans la noétique de Raoul, de toute indication relative à
la grammaire alors que les Questions sur Priscien font une telle place à l'intel-
lect, nous apparaît ainsi comme un trou dans la théorie . Ce dernier mot peut
désigner deux structures doctrinales différentes selon la façon dont on résout
ou laisse en suspens la question de la datation relative de ses oeuvres : ce manque
affecte soit le courant de la grammaire spéculative si les Questions sur le traité
De l'âme sont antérieures aux Questions sur Priscien, soit en outre la propre
pensée de Raoul si elles viennent après . Il serait toutefois incongru de porter
cela à son passif : il se peut que cela s'explique par les lois du genre qu'il pratique
dans ces deux oeuvres , et dès lors cette lacune pourrait n'en être une que relati-
vement à nos critères modernes, fondés sur une référence implicite au concept
de système . Commentant Aristote , Raoul s'astreint, selon les lois mêmes du
genre, à dépendre de son auteur ; le fait qu'il compose des questions plutôt
qu'une glose ou un commentaire continu peut bien alléger cette dépendance , il
la laisse subsister pour la plus grande part . Il lui faut se maintenir dans la problé-
matique définie par le texte , et s'il s'écarte de la lettre c'est du moins en restant
à l'intérieur de la tradition philosophique qui en est directement issue38 ; ainsi
la question 6 , qui demande si l'intellect est un ou multiple, est bien aristotéli-
cienne sans qu'Aristote l'ait lui-même posée . S'il en est ainsi, on le voit mal
mêler à ses explications des considérations grammaticales, qui ne sont pas du
ressort du traité De l'âme le commentateur, pris dans l'orbite d'un texte et
d'une tradition particulièrement forts, ne peut guère s'en dégager . En revanche,
il a plus de facilités pour le faire quand il explique Priscien : la tradition de la
grammaire spéculative est infiniment plus récente que celle de la noétique , et
en outre cette spécialité nouvelle fait appel dès son origine à des considérations
philosophiques. On peut sans doute expliquer de cette façon que Raoul ne dise
rien de la grammaire quand il traite de noétique , bien que lui-même et ses prédé-
cesseurs aient fait appel à des concepts de la noétique pour traiter spéculative-
ment de la grammaire . S'il en est ainsi , il nous faut réviser quelque peu ce que
nous disions plus haut de la subalternation de la grammaire à la noétique :
selon la rigueur épistémologique , on persistera à dire qu'on ne peut en parler
ici que par abus de langage . Mais si on quitte le point de vue structural pour
l'historique, on constate que la grammaire spéculative s'est formée et développée
dans un champ dominé par la philosophie ; elle lui est donc subordonnée , sinon
subalternée ainsi s'explique qu'elle lui emprunte certains de ses concepts sans
lui imposer les siens 39 .
92 J. JOLIVET

NOTES

1. Radulphus Brito, Quaestiones super Priscianum minorem, herausgegeben und eingeleitet


von Heinz W. Enders & Jan Pinborg, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1980 , 2 vol .; noté par la
suite P.M. Cette oeuvre de Raoul est divisée en deux livres : le second compte seize ques-
tions dont la numérotation reprend à 1 , comme dans le livre premier ; aucune de nos cita-
tions n'étant tirée de ce livre II , il n'y a pas d'ambiguïté quant à la situation des questions
dont on indiquera le numéro .
2. Maître à la Faculté des arts, puis de théologie , à la fin du XIIIe siècle et au début du
XIVe siècle ; pour sa vie et son oeuvre, voir P.M. , 13-19 , et surtout W. Fauser, Der Kommen-
tar des Radulphus Brito zu Buch III De anima, Münster, 1974 , 9-25.
3. Où l'on se demande « si les modes de signifier actifs et passifs sont formellement iden-
tiques ou différents ».
4. << Significare praesupponit intelligere quia significare est intellectum constituere sicut
patet primo Peri hermeneias » , P.M. , 170 .
5. << Constituit enim qui dicit intellectum » , Aristoteles Latinus, II , 1-2 , p . 7 ; Aristote dit :
l'ornai yàp d λéywv tηv diávolav, « celui qui parle fixe la pensée » (trad . J. Tricot) ; mais ce
qui importe est évidemment ce que pouvait lire Raoul ; tenons compte aussi de la pluralité
de sens du verbe constituere.
6. << Sunt ergo ea quae sunt in voce earum quae sunt in anima passionum notae » , dans la
traduction de Boèce (op. cit. , p . 5) ; Aristote čoti μèv ovv tà èv tâi ywvñ tŵv èv TĤy
ψυχῇ παθημάτων σύμβολα .
7. A la phrase citée à la note précédente, et qui exprime la correspondance des mots aux
pensées, il faut joindre celle qui un peu plus bas exprime , en-deçà de la diversité des langues,
l'identité des pensées fondée sur la correspondance de celles-ci aux choses : kai woneρ bude
γράμματα πᾶσι τὰ αὐτά , οὐδὲ φωναὶ αἱ αὐταί· ὧν μέντοι ταῦτα σημεία πρώτων, ταύτα
πᾶσι παθήματα τῆς ψυχῆς, καὶ ὧν ταῦτα ὁμοιώματα πράγματα ἤδη ταὐτά ( 16a 5-8 ) ;
<< et quemadmodum nec litterae omnibus eaedem, sic nec eaedem voces ; quorum autem hae
primorum notae, eaedem omnibus passiones animae sunt, et quorum hae similitudines, res
etiam eaedem » , dans la traduction de Boèce (op. cit. , p . 5) .
8. << Modus intelligendi activus est ratio cointelligendi, per quam intellectus refertur ad rei
proprietatem, et istam rationem quam habet aliquis voci attribuit, per quam vox est consi-
gnificans respectu proprietatis rei » , P.M. , 158.
9. Telle qu'elle est, cette phrase enferme une ambiguïté , du fait du mot aliquis ; il peut y
avoir là une allusion à l'instauration première du sens des mots (impositio vocis ad signifi-
candum), sorte de mythe de fondation du langage, commun aux théoriciens de la grammaire
spéculative et donc présent aussi chez Raoul (cf. P.M. , 98 ) . En fait, quelque construction
qu'on adopte, le sujet réel de l'imposition du sens est bien l'intellect, comme le montreront
à l'évidence d'autres textes. En second lieu, rappelons que le mode de signifier ajoute au
noyau de signification (et ainsi le modifie, dirions-nous, ou le module) une signification
annexe (consignification) selon laquelle , par exemple, se distinguent le nom ( « la course » )
et le verbe ( « il court » ) . Troisièmement : Raoul distingue les modes de connaître et de
signifier actifs et passifs ; passifs, ces modes sont essentiellement, ou matériellement , iden-
tiques aux modes d'être (parce que « c'est une même chose qui est hors de l'âme et qui
peut être pensée et signifiée » ) ; par le mode d'intelliger actif l'intellect se rapporte à une
propriété de la chose , comme on vient de le voir ; le mode de signifier actif est << la relation
par laquelle le son a un caractère de consignification à l'égard d'un mode d'être ». Ainsi ces
modes actifs sont formellement différents des modes d'être. Cette distinction des modes
actifs et passifs n'est pas une invention de Raoul on la trouve déjà chez Pierre d'Auvergne ;
voir S. Ebbesen, J. Pinborg, « Studies in the logical Writings Attributed to Boethius de Dacia »> ,
Cahiers de l'Institut du Moyen Age grec et latin, Université de Copenhague, 3 ( 1970 ) , p.8 et 47.
RADULPHUS BRITO : INTELLECT ET LANGAGE 93

10. < ... intellectus est imponens modos significandi vocibus et est virtus passiva ; ergo nisi
intellectus determinetur a proprietate rei numquam imponeret voces ad significandum rem
sub determinato modo significandi » , P.M. , 164 .
11. << Et cum dicitur : ' grammatica est de sermone et de modis significandi qui procedunt
ab intellectu nostro , dico licet ita sit tamen non sunt pure ab intellectu nostro, immo ex
aliquibus modis essendi et proprietatibus rerum determinatur intellectus ad sic imponendum
voces ad significandum res sub talibus modis significandi » , P.M., 92.
12. « ... quamvis (modi significandi activi) in intellectu sint, hoc tamen est sicut in causa
efficiente, nihilominus tamen sunt in voce significativa sicut in subiecto », P.M. , 151 .
13. A moins qu'on ne retienne la brève formule du Traité de l'âme , II , 8 , 420 b 33 :
σημαντικός τις ψόφος ἐστὶ ἡ φωνή, « la voix est un son pourvu de signification » (trad .
J. Tricot) ; mais les développements sur l'intellect ne contiennent rien qui la reprenne .
Il est remarquable que dans toute son enquête sur l'âme , ses parties, et l'intellect , Aristote
ait laissé de côté le langage.
14. « ...potest intellectus moveri ut intelligat et voci imponat aliquam essentiam indeter-
minatam sicut illae res habentes actum primum sunt indeterminatae ad actum secundum » ,
P.M. , 234. Il s'agit ici (q . 40 ) du pronom, qui signifie « une substance pure, c'est-à -dire sans
qualité, et de façon indéterminée » ; sont allégués à l'appui , allusivement, « tous les auteurs
de la grammaire, et Pierre Hélie » (p. 230).
15. « ... modi intelligendi activi immediate sunt in intellectu , modi autem significandi acti-
vi non nisi mediante voce prolata, quia nisi mediante voce essent in ipso, tunc voces non
haberent dispositionem componendi inter se sive ad invicem » , P.M. , 158.
16. On a vu qu'il y a identité matérielle entre les modes de penser et de signifier passifs ;
or d'autre part le mode de signifier passif ne diffère pas formellement de l'actif, puisqu'il
est une propriété de la chose en tant que consignifiée par un mot et que donc son élément
formel est la ratio consignificandi qu'est, justement, le mode de signifier actif ; enfin les
modes actifs de penser et de signifier sont «< semblables » : tout cela tend à lier étroitement
le langage à la pensée . Voir notamment les q. 19, 20, 22.
17. Le simple fait qu'il existe une grammaire, dont le « sujet » et les concepts ne sont
pas ceux de la logique, suffit à garantir cette spécificité ; voir aussi notamment la q . 4 .
18. « ... ratio significandi activa et ratio consignificandi est in voce sicut in subiecto »> ,
P.M., 160. C'est la réponse de Raoul à la q . 20 : « les modes de signifier sont- ils dans le
son vocal, ou dans la chose , ou dans l'intellect, comme dans leur substrat ? » , P.M., 159.
19. « ... vox est signum rei et consignum eius proprietatis ; ergo per rationem consigni-
ficandi quae erit in intellectu numquam vox erit consignum sed per aliquod existens in voce ;
ergo illi modi significandi activi et passivi quantum ad formale sunt in voce sicut in subiecto.
Unde si ista ratio significandi vel consignificandi esset in intellectu in comparatione ad
vocem, tunc per istam rationem significandi vel consignificandi vox non esset signum vel
consignum sed magis esset significatum vel consignificatum, quia illud quod habet rationem
termini respectu rationis significandi vel consignificandi non dicitur signum vel consignum
sed significatum vel consignificatum . Tamen sic res dicitur significatum et proprietas rei
consignificatum quia habent rationem termini respectu illarum rationum » , P.M. , 160 , 161 .
20. Voir Summa totius logicae, I , 1. Guillaume ne veut considérer dans le langage que ce
qui suffit à la logique . On pourrait dire que de ce fait il reconnaît l'autonomie de tout le
reste, mais ce reste n'est en somme qu'un résidu.
21. « ...ibi est operatio intellectus speculativi requisita, quia ille est qui primo cognoscit
rem et eius proprietatem et postea informatus cognitione rei et suae proprietatis extendit
se ad praxim et operationem et hoc ad imponendum voces ad significandum et consignifi-
candum ; et ideo dicitur quod voces significant ad placitum et a voluntate . Nec intellectus
scilicet speculativus et practicus sunt diversi, sed una et eadem intellectio est, quae est
speculativa et practica ; sed cognoscere rem pertinet ad intellectum speculativum et postea
cum se extendit ad operationem ad imponendum voces ad significandum et consignifi-
candum , tunc est practicus » , P.M. , 161. On aura remarqué la clause « ad placitum et
94 J. JOLIVET

a voluntate » , qui renvoie implicitement à Isidore : « secundum placitum... secundum quod


placet nostrae voluntati » (Etym., I , XXIX) . De cela et du rôle attribué à l'intellect pratique,
on peut rapprocher le passage où Raoul expose que « chaque spécialiste (artifex) en sa
science, selon le besoin qu'il avait des choses conféra aux sons la fonction de signifier ces
choses » , P.M., 99. Ce passage à son tour est à rapprocher des pages, très voisines, où sont
décrits les deux modes d'invention de la grammaire ; le premier, a posteriori comme dit
Raoul, consiste à observer l'usage naturel de la langue, et, constatant que certaines compo-
sitions de mots sont correctes et d'autres non, à chercher la cause de cette correction ;
on voit alors qu'elle vient de la proportion entre les modes de signifier des mots ainsi joints,
et on en tire une proposition universelle de grammaire. A priori, toujours selon Raoul, on
considère les modes d'être des choses et on impose à chacune un nom, en variant au be-
soin les modes de signifier selon le genre et le nombre ; puis on juge qu'une phrase est
correcte en vérifiant que les modes de signifier sont en rapport avec les modes des choses
(P.M. , 97-98).
22. « ...constructio rerum intellectarum per modos intelligendi est operatio intellectus
speculativi et ista non transit in materiam extra. Sed constructio quae est constructibilium
ad invicem , quia constructibile dicit aggregatum ex voce, significato et modo significandi,
ista non fit ab intellectu speculativo sed practico cuius operatio transit extra ... Intellectus
antequam conjungat aliqua duo constructibilia primo intelligit unum et postea aliud , et post
illa sic apprehensa componit secundum intellectum, et illa compositio est ab intellectu spe-
culativo. Postea vero exprimendo per sermonem componit unum cum altero et illa est
compositio vocum significativarum et est ab intellectu practico », P.M., 123-124.
23. « Qui enim constructionem facit in sermone, de necessitate prius facit constructionem
apud intellectum » ; Boethii Daci, Modi significandi, éd . J. Pinborg, H. Roos, S.S. Jensen,
Hauniae, 1969 , p . 83.
24. << Intellectus enim intelligendo sequitur rem in essendo, et per suos modos intelligendi
determinat sibi tales modos significandi, qui sunt similes illis intelligendi » , ibid., p. 64-65.
25. << Intellectus volens alii conceptum suum significare, rei intellectae vocem imponit, ut
eius conceptus scilicet res intellecta per vocem tamquam per signum exprimatur. Unde
sicut tabernarius vinum significat per circulum , eodem modo intellectus rem intellectam
exprimit sive significat per vocem, et post copulationem sive impositionem vocis ipsa res
dicitur res significata, et omnes proprietates rei quae prius dicebantur modi essendi rei extra
et modi intelligendi rei intellectae, iam dicuntur modi significandi » , Modi significandi,
éd . H. Roos, Hauniae, 1966, p . 5 .
26. « ... per Boethium qui dicit quod intellectus rebus quas vidit nomen imponit » ,
Quaestiones super Peri hermeneias, ibid. , 242 ; Boèce : « humanum solum genus exstitit
quod rebus nomina possit imponere » (In Categorias Aristotelis, PL 64 , 159A).
27. « Modi significandi sunt in dictione sicut in subiecto... sunt tamen in anima sicut in
causa efficiente » , op. cit., 85 ; « licet modi significandi accidentales non causentur ex mo-
dis significandi specificis dictionum , sed ab intellectu considerante proprietates rerum...»,
ibid., 80 ; « omnes modi significandi qui sunt in dictione causantur in ea ab intellectu per
impositionem vocis ad significandum » , ibid. , 161. On n'a pas traduit le mot dictio, qui
désigne l'ensemble formé par un son, un sens, et un mode de signifier ; c'est du moins fré-
quemment le cas, car en fait le vocabulaire technique manque ici de fermeté : voir I. Rosier,
<< La notion de partie du discours dans la grammaire spéculative » , Histoire, Épistémologie,
Logique, 3 (1981 ) , p. 56-58.
28. << Intellectus noster possibilis, qui est in potentia ad omnia intelligibilia, sicut materia
in potentia est ad omnes formas naturales, habet multos conceptus et indiget signo ad expri-
mendum suos conceptus » ; « ad hoc quod vox fiat significativa requiritur conceptus, qui
debet significari per vocem, et requiritur vox , que hunc conceptum significat. Unde intellec-
tus primo apprehendit conceptum , et hunc conceptum sequitur quidam appetitus virtutis
intellective, et tunc intellectus iubet organis virtutis sensitive quod exprimat conceptum
quem intellectus concepit, et tunc exprimitur conceptus et ita fit vox significativa » , Summa
Gramatica, éd. A. Otto, Hauniae, 1955 , p . 178-179 .
RADULPHUS BRITO : INTELLECT ET LANGAGE 95

29. << Finis etiam impositionis vocis ad significandum est ut homo communicare possit
cum aliis hominibus conceptiones suas ad maiorem perfectionem et ad sufficentiam vite »,
ibid., 178. Idée voisine chez Boèce de Dacie , Modi significandi, q . 5 ; et d'abord chez Aristote,
De l'âme, II, 8 , 420b 22.
30. Voir plus haut , note 2 ; noté par la suite D.A.
31. P.M. , 161 et 162 ; ici même, p . 86 et D.A. q . 23 , 272-273.
32. « ... intellectus...dicitur speculativus inquantum cognoscit rem abstracte, sed dicitur
practicus inquantum cognoscit illud idem in applicatione ad opus, scilicet inquantum prose-
quibile vel fugibile » , D.A., 272.
33. D.A. , 111 et 124 ; P.M. , 159.
34. D.A. , 156 et 169.
35. D.A. , 173 et 175 ; cette question demande « si ce qui est intelligé est une espèce intel-
ligible existant dans l'âme ou une chose existant hors de l'âme » .
36. D.A. , 263 et 265.
37. Voir M.-D. Chenu, La théologie comme science au XIIIe siècle, 3e éd . , Paris, 1957,
notamment p . 71 sqq.
38. C'est la seule nuance qu'il faille ajouter au développement que le Père W. Fauser
(op. cit. , 30) consacre à la liberté de Raoul à l'égard d'Aristote.
39. Il suffisait ici de considérer les rapports entre la noétique et la grammaire dans des
ouvrages qui leur sont expressément consacrés ; pour être complet, il faudrait prendre en
compte deux autres oeuvres de Raoul ses commentaires sur le Peri hermeneias et sur
les Sentences. On sait en effet que les premiers chapitres du Peri hermeneias contiennent
des indications relatives à la sémantique , et notamment au rapport entre les choses , les idées
et les mots (voir plus haut, notes 6 et 7 ) : cela est susceptible d'intéresser un grammairien
attentif à la noétique . D'autre part , les réflexions des théologiens sur le Verbe les conduisent
à traiter des rapports entre la conception et l'expression (voir par exemple Thomas d'Aquin,
Summa theologiae, la, q . 34 , a.1 , resp .; Duns Scot, Opus Oxoniense, lib . I, dist. XXVII ,
q. 3 ; et déjà Augustin , De Trinitate, IX, v11 et XV, x1) ; il est possible que Raoul ait
introduit dans son Commentaire des Sentences des remarques sur l'intellect et le langage.
Je n'ai pu avoir accès à ces deux commentaires de Raoul, mais des extraits obligeamment
fournis par Monsieur Z. Kaluza montrent que Raoul n'y traite pas de l'intellect ; d'autre
part, son Quodlibet ne contient apparemment rien qui ait pu lui fournir l'occasion de
s'exprimer sur ce sujet, ce renseignement m'a été aimablement communiqué par Monsieur
J.F. Genest. - Au cours de la discussion qui a suivi l'exposé de ces vues, Monsieur H. Hubien
a fait observer que non seulement la loi des genres, mais aussi l'attente des auditeurs , dissua-
dait le maître de traiter de grammaire (scientia sermocinalis) à propos de la noétique (scien-
tia naturalis) ; Monsieur S. Ebbesen a indiqué que le commentaire de Raoul sur Porphyre
contenait des développements (sur les intentiones) qui relèveraient plutôt du commentaire
du Traité de l'âme, composé sans doute plus tard (voir J. Pinborg, « Radulphus Brito on
Universals » , Cahiers de l'Institut du Moyen Age grec et latin, Université de Copenhague ,
35 ( 1980) , p. 56-142 édition de huit questions du commentaire de Raoul sur Porphyre ;
on n'y trouve pas, sauf erreur, de développement relatif au langage ) . Ces deux interventions
précisent utilement la situation qu'on a essayé de décrire cloisonnement didactique, mais
aussi diffusion de la noétique hors de son lieu naturel à l'occasion de thèmes qui ne sont
pas évoqués dans le Traité de l'âme, bien qu'en fait ils relèvent de l'étude de l'intellect.
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN
SUMMULAE 8

Sten EBBESEN

John Buridan was a remarkable and courageous man . Remarkably consis-


tent. He almost invariably says the same about the same things, and what he says
about one subject is usually consistent with what he says about any other some-
how related subject . His works abound in cross-references, from one part of
a work to another , and from one work to another . He obviously wanted his
readers to think of his philosophical works as one coherent corpus presenting one
coherent philosophy . Perhaps this ought to scare the historian away from an
attempt to interpret Buridan on the basis of one work. But , on the other hand,
the fact that he very rarely disagrees with himself and the fact that he repeats
his basic tenets in every work make it possible to reconstruct the essentials of
Buridanian philosophy without using all available sources , in particular because
his pen was as sharp as his mind . His prose possesses to an eminent degree the
virtue of clarity. This paper is based on treatise 8 of his Summulae , or Hand-
book of Logic . As subsidiary sources I have used the remaining part of the
Summulae and his quaestiones on the Prior and Posterior Analytics and on
the Metaphysics¹ .
The very existence of treatise 8 of the Summulae demonstrates that
Buridan was a man of courage . Treatises 1-7 , which deal with 1 ) terms and
propositions, 2 ) predicables, 3 ) categories, 4) supposition , 5) syllogistic , 6) topics
and 7) fallacies, all have models in earlier literature which helped him struc-
ture his work. Treatise 8 has no known predecessor . The subject is ' Division ,
Definition and Demonstration ' . Treatise 8 is the longest treatise of all , and
demonstration is the subject that takes up most space by far.
It takes a bold man to write a summulistic treatise on a subject not thus
treated by this predecessors . It requires extra courage when one is Buridan, for
the subject is that of Aristotle's Posterior Analytics. Is the universalism of
the Posterior Analytics compatible with Buridanian mentalism and particularist
ontology ? It might seem not , but a professor from the fourteenth century could
not neglect or reject Aristotle's treatment of a broad and important philosoph-
ical topic . Somehow a modus vivendi had to be found . But it was a fearful task
to strike the balance between aping the ancient philosopher and rejecting him .
7
98 S. EBBESEN

Buridan proceeds like people who renovate old uninhabitable houses.


He keeps an Aristotelian facade, but changes the interior so that it fits his pur-
poses . The titles of the ten chapters on demonstration look old-fashioned and
Aristotelian . They are 8.3 « On the questions about which knowledge is
obtainable and on knowledge preceding demonstration » ; 8.4 « On the affi-
nity and difference between demonstrations and dialectical arguments, and
between knowledge and opinion » ; 8.5 « On the indemonstrable principles of
demonstration » ; 8.6 « On ' being said of all and in itself and on 'universal'or
' qua itself ' » ; 8.7 « On various classifications of demonstrations » ; 8.8 « On
'demonstration because of ' » ; 8.9 « On ' demonstration that ' and whether
demonstration may be circular » ; 8.10 « On demonstration ' ad impossibile ' » ;
8.11 « On comparison of the different sorts of demonstration » ; 8.12 «< On
how to settle each of the questions about which knowledge is obtainable » .
But this is just the facade behind which Buridan builds up his own doctrine of
proof, applying a strongly biased interpretation to Aristotle's text .
I said << doctrine of proof » because from now on I intend to use the words
'proof ' and ' prove ' as translations of Buridan's ' demonstratio ', ' demonstrare ',
the English ' demonstration ' and ' demonstrate ' being unnecessarily ambiguous
and unhandy for the purpose.
Following Aristotle , Buridan holds that a proof is a syllogism which pro-
duces knowledge2 . Whose knowledge and what sort of syllogism ? As for the
syllogism, the only formal requirement is that it should be valid . It is not required
that it be categorical³ ; in fact , Buridan has a predilection for hypothetical syllo-
gisms . But whose knowledge ? Mine or yours, but always somebody's . A proof is
a syllogistic molecular proposition4 in an individual's mind producing knowledge
in an individual's mind . Two or more persons may form indistinguishable syllo-
gisms , and so there is an appropriate sense in which we may say that the same
proof is in Socrates' and Plato's minds - but there is no proof independent of
individual minds . To use modern terminology, only tokens exist, not types.
But it is not enough for there to be proof that there is a syllogism , however
valid . Knowledge (scientia ) is also required . Knowledge of the conclusion . And
the kind of knowledge we are talking about is not of the pale variety that con-
sists in being able to answer the question , «< What was the conclusion ? » . Nor it
is a proposition . It is an attitude to the conclusion, it is unwavering assent to
that mental proposition which is the conclusion and which we consider certain
and obvious6 .
Knowledge thus being something that occurs in individual minds, it is
possible for Plato and Socrates to have identical mental syllogisms, and yet for
Plato to acquire knowledge while Socrates does not . For Socrates may fail to
give wholehearted assent to the conclusion while Plato assents to it in the way
required for there to be knowledge . Consequently, one may say that the same
syllogism is a proof in Plato's mind and no proof in Socrates'7 .
But how does Plato arrive at his knowledge ? Well, he might simply assent
to the proposition because in itself it commends itself to him . But that would
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 99

not be knowledge by proof. Proof is the daughter of doubt. If, and only if,
Plato doubts some proposition , can he try to prove it , i.e. to remove the doubt
by constructing a sufficiently strong syllogism with that proposition for its
conclusion8 .
In order to transform his doubt into knowledge , Plato must know some-
thing before knowing the conclusion. He must know the premisses and a logical
principle . Thus he reaches proof-knowledge of the conclusion 'every C is A
when he has assented to the premisses ` every B is A ' and ' every C is B'plus the
principle if every B is A and every C is B, then every C is A ' . Unless he be
mentally disturbed , knowledge of these three propositions, the two premisses
and the logical principle, will immediately induce him to give unwavering assent
to the conclusion , i.e. he will have knowledge by proof of it⁹ .
But still Plato may seem not to have satisfied Aristotle's requirements to
knowledge and proof. For Aristotle seems to require that we know the cause of
the state of affairs signified by the conclusion. Buridan does much to tidy up
the messy Aristotelian notion of causality in proof10 . For instance, he points
out that in geometrical proof there can be no question of causality. Most of
Aristotle's remarks about causality in connection with proof must not be taken
to literally. According to Buridan, real proof ' because of ' is in fact a very limited
class of proofs , namely that in which the conclusion is a causal proposition,
like all sleep is because of the evaporation which results from the digestion of
food and ascends to the head so as to block the channels of sensation ' or
' all sleep is for the purpose of recreating the senses - and for such a conclusion
to follow, there must, of course, be a causal proposition among the premisses¹¹ .
In this elegant way Buridan eliminates all the trouble and confusion which
Aristotle's requirement of causal knowledge might otherwise create .
Let us then leave that question aside and return to Plato and his quest for
knowledge . What sort of propositions are the premisses of his proof, and how
does he come to know them ? A premiss may itself be known by proof, but this
only pushes the question one step further back ; and one cannot continue like
that forever. Sooner or later we must come back to indemonstrable primitive
propositions . These primitive propositions must be true since one cannot know
something that is false . And they must be obviously true12 . The requirement
of obviousness (evidentia) is crucial .
Human minds are constructed in such a way that everybody in his wits is
predisposed to give unrestricted assent to certain true propositions without
having a proof of them , just as our minds are predisposed to assent to a conclu-
sion properly deduced from such propositions . The true propositions we all have
a natural propensity to assent to are obvious13 .
This is what distinguishes knowledge from faith 14. The primitive proposi-
tions we know are not truer than the primitive propositions of the Catholic faith.
Nor is a good Catholic's assent to an article of faith weaker than his assent to
a scientific proposition . But the articles of faith lack obviousness - witness the
hosts of infidels and heretics who refuse to believe in the true articles of faith
100 S. EBBESEN

while giving firm assent to false articles of faith, so firm that they are willing to
die for them. By an act of will we can firmly believe in the non-obvious and
refuse to believe in the obvious. Thus we may refuse to believe that the syllo-
gistic schema ' every B is A and every C is B , therefore every C is A ' (Barbara)
is a necessary consequence, and believe instead that God is triune 15. Yet, when
the Godhead is not involved , we had better stick to the obvious and treat Barbara
with reverence .
' Obvious ' , then, means « such that all normal people are predisposed
to give assent to it » . The propositions which possess such obviousness are of
two main types16 .
The first type consist of propositions which we endorse as soon as we
know what the constituent terms mean . This group includes the so-called first
principle, the principle of contradiction, but also nominal definitions like ' if
there is any void, every void is a space which is not occupied by any body or
bodies . Notice the hypothetical form of the definition . On a literal interpre-
tation every void is a space etc. ' is false because the subject term suppones
for nothing. Another form, in fact equivalent to the hypothetical, but less
explicit on the question of existence, is «
< ' void ' signifies ' space ... '»17. No
power can make this type of propositions false and no man can resist assenting
to them. We have no innate knowledge of such propositions. Some external
stimulus, discussion e.g. , is needed for us to form these propositions , but
this does not mean that we are taught them . The discussion just helps us under-
stand what the terms mean , and then our innate inclination to accept the truth
makes us assent .
The second, and vastly more interesting type of obviously true proposi-
tions are those that we endorse after inspection of reality. If we put a hand on
a glowing lump of coal, we do not hesitate to accept the proposition ' this lump
of coal is hot . A few similar experiences suffice to make us assent to the pro-
position this glowing lump of coal is hot ' even when the glowing lump of coal
in question is one we just see but have not touched . Thus far we have done
nothing an irrational animal could not do. But we also generalize and form the
mental proposition all glowing lumps of coal are hot ' and endorse it without
a trace of doubt .
With this second type of obvious truths the situation is basically the same
as with the first kind. We have no innate knowledge of the propositions in case,
and we are not taught the propositions . We may of course believe in a proposi-
tion on the ground that an authority endorses it although we have no personal
experience of the fact it describes. But we are not talking of belief. It might
seem as if we establish that all glowing lumps of coal are hot by means of induc-
tion . But this is not the case , for the induction which we do perform is incom-
plete and incomplete induction cannot establish the truth of any universal
proposition. What the induction does is stimulate our intellect to abstract and
form a universal proposition to which it instinctively assents . We may be com-
pared to swallows . They build nests at the right time of the year when nature
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 101

gives certain signals to their senses. But it is not the sense-impressions that make
them build nests when the time for laying eggs approaches . The external stimuli
jus activate the swallows' instinct .
Propositions of type 2 differ in an important respect from those of type 1 .
They may become false . Contingent propositions about singulars may be evident-
ly true at some time, but identical propositions formed at another time may be
false. This glowing lump of coal is hot ' may be true now but false tomorrow,
whether because the lump of coal I am pointing at has cooled, or because it
has burned so that I point at no coal at all , i.e. the subject of my proposition
suppones for nothing . Even the universal propositions, like ' all glowing lumps of
coal are hot or ' every space is occupied by some body or bodies are not uncon-
ditionally true whenever formed . They are only quasi-necessary , but only super-
natural power can make them false . If God decides to change completely the course
of nature, all our knowledge of this type of propositions will disappear ; and if
we still assent to them, the assent will be false opinion instead of knowledge .
But Buridan was not really worried about the possibility that God turns
everything upside down . Men must do the only thing they can work on the sup-
position that the world continues to function in the usual way ; and therefore
we can for all practical purposes consider the propositions which only miracles
can make false as necessary - just as Aristotle did because he did not believe
in miracles.
Let me repeat . Proof is a syllogism which produces knowledge of the
conclusion . Knowledge is an attitude to a true proposition . This attitude to
the conclusion arises instinctively as soon as we have the same attitude to
the premisses and to the logical principle governing the syllogism . Our having
this attitude to the premisses may itself be the result of a proof, but a finite
number of steps will take us back to indemonstrable propositions to which
we have the attitude of knowledge without having any proof of them.
Now, it deserves attention that this attitude, the unwavering assent, is
given not only to analytically true propositions, nor are the non- analytical
propositions to which we have this attitude all universal . Can we, then, have
knowledge by proof of genuinely contingent and even singular propositions ?
Buridan's answer is « Yes » 18 .
It is true, of course, that Aristotle seems to be of another opinion, but
that is only because he sometimes uses the word ' knowledge ', and consequently
the word ' proof ' , in a very narrow sense . In this strict sense , we only know
propositions which can be communicated to others without the presence of the
objects for which the subjects of the propositions suppone . Singular categorical
propositions do not meet this condition , for we cannot describe an individual
except by means of general terms, and so we cannot describe it qua individual .
Moreover, Aristotle demands that the propositions be such that they are true
no matter when they are formed .
It might seem to ensue that only eternal entities can be referents of the
subjects of such propositions. For (in Buridanian semantics) an affirmative
102 S. EBBESEN

proposition formed with the copula ' is is false if the subject suppones for no-
thing at the time the proposition is formed . Thus, since no void ever exists,
' every void is a space with no body in ' is never true . And worse , ' every thunder
is a sound produced in the clouds 'will be false at times when there is no thunder.
But things are not that bad. For there are several mental copulas corres-
ponding to the word ' is '19 , and there is a sense in which the sentence about
the void signifies a true proposition , namely when it is taken to be equivalent to
' if there is any void , then every void is a space etc. ' . Similarly , there is a sense
in which the sentence about thunder has a true mental counterpart whenever
pronounced ; for the mental copula may be one of atemporality or omnitempo-
rality, so that the same proposition may be expressed by means of the sentence
' whenever there is was or will be thunder, every thunder is was or will be a
sound produced in the clouds '.
The narrow Aristotelian sense of ' knowledge ' narrows the field in which
proof is possible . Yet not so much as some might think . Following the Stagirite ,
Buridan points out that a first rate Aristotelian proof of a seemingly contingent
proposition is possible by framing the proposition as a statistical claim20 . A Dane
might loosely describe summer as the season when it is hot and dry - but no
force in the world could convince any compatriot of mine that every summer
is hot and dry. However, a good causal proof of the truth on which the loose
description was founded is possible . It runs like this : Every season during
which the sun is closer to some particular climate is for the most part hot and
dry in that climate because of the virtual hotness and dryness of the sun. But
every summer in some particular climate is a season during which the sun is
nearer to that climate . Therefore every summer in some particular climate is
for the most part hot and dry in that climate because of the virtual hotness and
dryness of the sun ' .
Adding the clause ' for the most part ' in order to make a contingent propo-
sition necessary is a trick that Buridan had learned from Aristotle . But Buridan's
defence of the science of law does not come from the ancient philosopher. At
first sight it might look as if jurisprudence tries to do the impossible , viz . to
communicate knowledge in writing while using singular terms, such as Titius
and Bertha. For instance , a law-book may present a proof that Bertha should
be given to Titius and not to Robert in an intricate case of bigamy. Buridan
has recognized the fact that Titius, Bertha and Robert are dummy names, so
that the law-book's propositions about these quasi-persons are really universal ,
the dummy-names being actually general terms21 .
However, Buridan was not content with just saving statistical and legal
propositions. It would be a poor logic that would not let us have proofs of
genuinely contingent, and even singular, propositions when the world consists
of singular objects . Aristotle , of course , had the right to use the words ' know-
ledge and ' proof ' in a narrow sense since words signify ad placitum . But Buridan
saw no need to be fettered by Aristotle's terminology . The assent we give to con-
tingent and singular propositions is as firm as our assent to universal necessary
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 103

ones, and so it merits the name of knowledge . Consequently we ought to admit


that singular propositions are provable . Buridan passionately defends proofs
containing singular terms. What's the use of knowing that all rhubarb reduces
the blood's content of bile if we cannot descend to the singulars ? But we can,
and so we can reason, ' All rhubarb has the power to reduce excessive content
of bile in the blood ; this is rhubarb and that man's blood has an excessive
content of bile ; ergo this rhubarb has the power to reduce the excessive content
of bile in that man's blood '. Knowledge of this conclusion may be expected
to instigate us to action . In fact, we may save a life as a consequence of proving
a singular proposition .
A curious effect of Buridan's views about knowledge is that the only
indemonstrable principles one can acquire knowledge about without other
stimuli than those that talk or writing can provide, are the analytical truths.
Learning at school that all rhubarb has the power to purge bile may produce a
true opinion, but not knowledge . Indeed , attending schools or reading books
is only a poor substitute for acquiring real knowledge with the help of experience
- in particular because teachers and books notoriously lie on many occasions .
Buridan the teacher was not afraid of admitting this consequence of his theory22.
Aristotelian axiomatic science may look deceptively simple, but Buridan
was well aware that even with the Aristotelian restrictions on proof, a wealth of
indemonstrable premisses are required - in fact an infinitude . Just think of the
fact that the numbers are infinitely many, and similarly the different polygons .
Every proof that some particular polygon has some property requires that
there be an indemonstrable premiss in which the name of that polygon occurs.
Consequently the people who hold that there is really one first principle only,
the principle of contradiction , speak nonsense23 .
By also accepting an infinitude of contingent principles, Buridan enor-
mously extends the domain in which proof is possible . But there are limits.
Completely circular proof in which the conclusion of one proof is used as a
premiss in another syllogism to prove one of the premisses in the original proof
is not possible24 . Let us, for instance, suppose that Socrates proves that the
mover of the heavens is eternal and immovable, as follows , ' If the movement
is eternal, the mover is eternal and immovable ; but the movement is eternal ;
therefore the mover is eternal and immovable ' . He cannot then proceed ' If the
mover is eternal and immovable , the movement is eternal ; but the mover is
eternal and immovable ; therefore the movement is eternal . The reason why he
cannot is that if the first syllogism is a proof, then ` the movement is eternal ' must
be undoubted whereas doubt attaches to ' the mover is eternal and immovable '
until it is proved . But in the second syllogism it must be the other way round ,
if it is to be a proof.
For the same reason, it is not true, as some think Aristotle said, that
there is no vicious circularity in proving the effect by means of the cause and
the cause by means of the effect . This type of circular proof was defended on the
ground that the effect is better known to us, the cause naturally better known.
104 S. EBBESEN

Since the question is what makes some individual know a certain proposition, it
is completely irrelevant whether some proposition p about whose truth Socrates
is more in doubt than he is about the truth of proposition q , is in some sense
better known to God or by nature than proposition q25 .
On the other hand, Buridan accepts that many other circular proofs are
not viciously circular26 . Thus Socrates may know one set of premisses proving
the conclusion p , and another set of premisses proving q. He may also know
that p and q mutually imply each other. Then he may conclude p from the first
set of premisses, and q from p plus the premiss ifp then q ' . He has then proved
q and knows q. If he then goes on to conclude q from the second set of premis-
ses, and then p from q plus ' if q, then p ', there is a sort of circularity , but not
a vicious one. He simply has two methods of proving p and q. But, it might
be objected , if he has used the first method, he already knows p and q. Hence
the second set of proofs cannot be real proofs , for a proof is a syllogism which
produces knowledge of its conclusion . Well, says Buridan, it is true that only
the first set of proofs produces the knowledge, but since neither of the sets
of proofs has any claim to priority , we had better accept them both as proofs
and amend the definition of proof so as to read every proof is a syllogism
which produces knowledge of its conclusion unless this conclusion is already
known by means of another proof '27 . And it is not useless to know two ways
of proving the same conclusion . An extra proof consolidates our knowledge, for
-
even firm knowledge may become firmer. It is not quite clear to me how
Buridan thinks this may happen, but I suppose that he imagines a situation in
which some unjustified doubt arises about the strength of one of the proofs ;
then that doubt will not make us doubt the conclusion , because we know there
is another proof of it.
Buridan was a devout Christian, no doubt about that . But he was not
inclined to sacrifice human knowledge on the altar of faith. When conflicts
between knowledge and faith show their head, his normal reaction is to say that
our quest for knowledge must go on unimpeded by theological considerations,
just as we should not let our knowledge of logic seduce us into doubtingCatholic
doctrine about the Holy Trinity. On this background, we might expect that he
would gladly admit that we cannot prove God's existence , the proposition
' God exists ' being an article of faith and not a proposition we can know by hu-
man knowledge . Did not Aristotle say that we must presuppose that the subject
of the conclusion of our proof exists ?
Contrary to what we might expect, Buridan thinks it is possible to prove
that God exists28 . Does X exist ' is as good a question as any , and one that can,
in principle , be answered by means of a proof. The notion that we must presup-
pose the existence of the subject of the conclusion is due to a misinterpretation
of Aristotle29 .
But, some had argued, a proof that God is presupposes that it is contra-
dictory for something else to be and God not to be, e.g. that it is contradictory
that there should be movement and no mover . But this is not contradictory.
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 105

<< Ignoramus >> , sneers Buridan at the man who says that . « Do you really think
that all principles should be reducible to the principle of contradiction ? » 30 .
But, say the people who do not believe in proofs of God's existence , try
any middle term you wish , and you will see that you cannot pull off the trick.
Let ` B ' be the middle term , and let us try a first figure syllogism : ' Every B
is and God is B, therefore God is ' . Don't you see that nobody who denies or
doubts God's existence can consider the minor obviously true ? ' God is B'
can only be accepted by somebody who already accepts God's existence And
since syllogisms in other figures prove nothing if they cannot be reduced to first
figure syllogisms , the failure of the first figure syllogism shows that the whole
enterprise is futile 31 .
Buridan has two answers to this argument32 . Both explicitly assume that
propositions about ' est tertio adiacens ' are provable .
The first answer, then, consists in pointing out that the petitio principii
can be avoided by using a conditional major (which implies no existential claim)
and an assertoric minor de est tertio adiacente . Thus : ' If some cause is first
and uncaused, God is ; but some cause is first and uncaused ; therefore God is '.
The major is obviously true because , as a matter of fact , it is just a conditiona-
lized nominal definition (we are to assume that ' God ' and ' first and uncaused
cause signify exactly the same)33 . The minor, ' some cause is first and uncaused '
is also obviously true, either immediately, or because it is provable , being about
est tertio adiacens ' . Since hypothetical syllogisms are as good as categorical
ones, and the syllogistic form of this particular argument is impeccable and one
even an atheist should know, he ought to be convinced by the argument.
The second answer consists in pointing out that a syllogism can yield
more than one conclusion, because whatever follows from the consequent fol-
lows from the antecedent ; and so any set of premisses yielding the conclusion
that some cause is uncaused or that a mover of the heavens is eternal, also yields
the conclusion that there is some uncaused cause or that there is an eternal
mover of the heavens. For on Buridan's semantics, there always follows a propo-
sition ' de est secundo adiacente from a true affirmative proposition ' de est
tertio adiacente ' , since he holds that an affirmative proposition cannot be true
unless the subject suppones for something ; i.e., no predication is true unless
a referent of the subject term exists . To all appearance , Buridan thought that
it would be possible to construct a categorical syllogism which would prove
that some cause is first or uncaused , but it is difficult to imagine what such a
syllogism would look like 34 .
I am afraid no inveterate atheist would be convinced by Buridan's proofs.
Even the hypothetical proof presupposes an extraordinary amount of benevolent
co-operation by the atheist. He must accept that some such phrase as ' first and
uncaused cause ' is a sufficient nominal definition of the word ' god ' as used
by people who believe in God . He must accept that some cause is first and
uncaused ' (or its analogue , if another nominal definition of ' god ' is chosen)
is obviously true, being either self-evident or even provable . He must accept that
106 S. EBBESEN

' some cause is first and uncaused ' (or its analogue) implies an existential claim
- otherwise he has no reason to assent to the allegedly analytical major ` if some
cause is first and uncaused , God is '.
The only real argument for accepting ' there is a first and uncaused cause '
that I have found in Buridan is this : if we do not accept this proposition, our
whole philosophy of causality breaks down, for it requires a first cause35 .
Supposing that the theory of causality provides sufficient explanation of the
phenomena it is supposed to explain , this is sufficient reason for positing an
entity as required by the theory ; but hardly sufficient reason for claiming that
it evidently exists .
In fact, ' God ' fails to satisfy Buridan's own requirements of a supponing
term . According to Summulae 4.1.2, a term, 'T ', suppones only if it is possible
to point at a thing and truly say, ' This is T '. But , as Buridan himself remarks ,
we cannot point at God . He therefore introduces a rider to his definition of
a supponing term, with the explicit purpose of making ' God ' a supponing term .
A term is also supponing, he says, if we can truly affirm it of an anaphoric pro-
noun referring to some other term . Thus ' God ' is a supponing term because
the proposition ' a first cause exists and it is God ' is true36 . Unless this means
that the term to which the pronoun refers can be shown to be truly predicable
of a demonstrative pronoun, the fundament of Buridan's notion of supposition
crumbles , and the test for supposition becomes ridiculous. If ' first cause ' can
be a supponing term without being truly predicable of ' this ' , there must be
another term , ' X ' , such that ' X exists and it is a first cause ' is true -and infinite
regress is possible ; or else it must be an indemonstrable, obvious truth that
' first cause ' is a supponing term , whatever that means when no pointing is pos-
sible so that it is not true to say, ' This is a first cause ' But then, would it not
be simpler to make the direct claim that it is an indemonstrable, obvious truth
that God is a supponing term ? On the other hand, if we suppose that Buridan
meant what he must have meant, namely that a term , ' T'suppones if it is truly
predicable of a pronoun that refers to a term which is truly predicable of a de-
monstrative pronoun , this rider to the definition of supponing terms does not
make ' God ' one . For you can no more point at the first cause than at God.
The proofs of God's existence are the subject of the very last paragraph of
Buridan's Summulae . He no doubt decided to treat the subject there in order to
be able to end on a pious key . But piety made him draw the limits of proof too
wide . His semantics is of a sort that does not work well unless existence is re-
served for corporeal entities , as it was in the philosophy of his great predecessors,
the Stoics .
I do not think Buridan knew much about the Stoics, though he may have
picked up a little in Seneca and elsewhere . But it is remarkable how many points
of contact there are in matters of doctrine , and even terminology sometimes.
Like the Stoics, Buridan fought to get rid of hypostatized universals . Like
them he required individual referents for his terms and operated (in principle) with
token propositions only . Like them, he then turned his attention to conditional
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 107

propositions as the basis of proof, and hence , like them, tended to favour hypo-
thetical syllogisms over categorical ones. Complete conditionalizing of a state-
ment about individual entities makes the proposition suitable for scientific
proof without raising problems of existential commitment. Thus ' If Socrates.
sits, Socrates and the sitting Socrates are the same thing ' becomes a possible
object of scientific enquiry37 . Buridan's incompletely conditionalized temporal
propositions ( whenever there is was or will be thunder, thunder is was or will
be a sound produced in the clouds ' ) have an existential commitment, but a
weak one, and no commitment to universal entities.
Buridan's obviously true propositions are very similar to the Stoics'
<< cognitive >> propositions, arising from катαληяTikai pavтaσía . His interpre-
tation of Aristotelian èπOTηun (scientia) as unwavering assent cannot but
remind us of the Stoic interpretation of ἐπιστήμη as unwavering συγκατάθεσις .
Finally, I should like to mention that there is one more case , besides the
proof of God's existence , in which Buridan does not without hesitation follow
the principle of leaving the supernatural to the theologians. It regards the possi-
bility of separately existing accidents. Faith declares that in the eucharist the
bread's accidents are present without its substance . This, of course , is a mi-
racle, but Buridan does not swiftly conclude that therefore it is irrelevant to
philosophy38. Why ? I suspect he had two reasons. One being that it is an every-
day miracle , not one that only the few and chosen are allowed to see. Another
that the idea of demolishing the Aristotelian distinction between substance and
accidents was not quite distasteful to Buridan . His theory of predication hardly
requires such a distinction. In fact, he seriously considered the possibility of
accepting ` ens ', or, even better, ' quid ' or ' aliquid as the highest genus with
' substance ' as one species and non-connotative accidental terms as another39 .
If that does not smack of Stoicism , nothing does.

APPENDIX

Summulae 8.12.6 , edited from ms . Kraków BJ 662 (= K), ff. 125v B - 126r B,
with some corrections gathered from ms . Uppsala UB C.609 (= U) , f. 112r A-B.

K 126r A De quaestione autem quia est et quaestione si est, propositio scibilis // et


demonstranda exprimitur in quaestione et quaeritur de ea manifestatio veritatis
per medium ad hoc idoneum ; et ad inveniendum illud medium , quaecumque
fuerit conclusio demonstranda , sive universalis sive particularis , sive affirmativa
sive negativa , data est ars primo Priorum .
108 S. EBBESEN

Haec ultima pars expedit se breviter de quaestionibus quia est et si est, quia
sufficienter dictum est de eis per istum tractatum et tractatum de syllogismis,
nisi quod aliqui dubitaverunt de quaestione si est , et dixerunt quod impossibile
est demonstrare A esse vel A non esse , ut Deum esse vel vacuum non esse. Si
enim demonstres Deum esse, sit B medium , et erit syllogismus sic in prima figura :
' omne B est et Deus est B , ergo Deus est ' . Apparet statim quod in minori propo-
sitione est petitio principii, quoniam propositio de est tertio adiacente supponit
istam de est secundo adiacente. Unde nullus potest scire Deum esse B putans
Deum non esse vel dubitans Deum esse . Et aliae figurae non probant nisi possunt
reduci ad primam . Similiter2 si vis demonstrare quod vacuum non est, sit etiam
B medium, et erit syllogismus in prima figura : nullum B est , vacuum est B,
ergo vacuum non est - et apparet statim quod³ si conclusio est vera , vacuum
non esse, tunc4 minor est falsa dicens vacuum esse B, quia est affirmativa et
subiectum pro nullo supponit ; ergo syllogismus iste non est demonstratio,
cum non sit ex veris.
Ad hoc est duplex responsio , supponendo hoc quod omnes communiter
supponunt et dicunt , scilicet quod propositio de est tertio adiacente sit demons-
trabilis .
Prima responsio est quod si ad demonstrandum est secundo adiacens non
valeret demonstratio categorica, tamen adhuc valeret hypothetica, scilicet sic :
' si aliqua causa est prima et incausata, Deus est ; sed aliqua causa est prima et
incausata ; ergo Deus est '. Maior ponatur5 nota per quid nominis, ponendo quod
idem omnino significet iste terminus ' Deus ' et ista oratio6 causa prima et
incausata 7. Minor autem ponatur8 manifesta⁹ vel demonstrabilis, cum sit de
est tertio adiacente . Et sequitur quod erit conclusio manifesta et scita , cum prius
esset dubia. Similiter de vacuo arguam sic : ' si omnis locus est plenus corpore
vel corporibus, vacuum non est ' - hoc patet ex quid nominis huius10 nominis
'vacuum sed omnis locus est plenus corpore vel corporibus'- ponatur quod
hoc sit manifestum vel demonstrabile et demonstraretur , et11 sequitur conclusio ,
quae erit scita per istum syllogismum.
Secunda responsio est quia una potestas syllogismorum est posse plura
concludere quicquid enim sequitur ad consequens sequitur ad antecedens.
Ponamus ergo quod sint duae propositiones exinvicem 12 manifeste consequentes ,
una de est tertio adiacente , alia de est secundo adiacente , et13 ambae dubiae.
K 126r B Tunc per quascumque praemissas scitas concludetur , // scietur et demonstrabitur
illa de est tertio adiacente , per easdem concludetur, scietur, et per consequens
demonstrabitur illa de est secundo adiacente . Verbi gratia , per quascumque
praemissas scitas tu facies scire quod motor est aeternus, facies etiam scire quod
motor aeternus est ; et quaecumque praemissae demonstrabunt quod nullus
locus est vacuus , illae demonstrabunt quod nullus locus vacuus est .
Haec ergo de divisionibus, definitionibus et demonstrationibus sufficiant
cum eius adiutorio qui est benedictus, trinus et unus Pater et Filius et Spiritus
Sanctus, cui debetur laus et gloria et gratiarum actio in saecula saeculorum .
Amen. Amen .

1. istam U om . K. - 2. Similiter U similiter autem K. - 3. quod U : om . K. - 4. tunc U :


tamen K. - 5. ponatur U : ponitur K. 6. ista oratio U : om . K. - 7. causa prima et incau-
sata U prima causa incausata K. - 8. ponatur U ponitur K. - 9. manifesta U : demons-
trata K. 10. huius huius huius K. - 11. et U : om. K. 12. exinvicem U : adinvicem K.-
13. et U om. K.
PROOF AND ITS LIMITS ACCORDING TO BURIDAN 109

NOTES

1. I am very grateful to professor H. Hubien for having put his unpublished editions of the
quaestiones on APr. and APo. , and of the greater part of Summulae 8 at my disposition.
For the remaining part of Summulae 8 and for treatises 1-3 & 5-7 I have used mss. Kraków
BJ 662 and Uppsala C.609 (in the case of treatise 6 in a transcription by Mr N.J. Green-
Pedersen). Treatise 4 is available in M. E. Reina : ` Giovanni Buridano, « Tractatus de Suppo-
sitionibus » ', Rivista critica di storia della filosofia, 12 ( 1957) , 175-208 & 323-352 . For
the quaestiones on the Metaphysics, I have used In Metaphysicen Aristotelis Questiones
argutissimae Magistri Ioannis Buridani, Paris , 1588 (rp . Minerva : Frankfurt-am-Main, 1964 ,
with title Johannes Buridanus, Kommentar zur Aristotelischen Metaphysik). References
will be of these forms : Q.APO . 1.5 = Quaestiones super Analytica Posteriora , super librum I,
quaestio 5 ; Summulae 8.5.3 = Summulae, tractatus 8 , capitulum 5 , pars 3 .
2. E.g. , Summulae 8.7.1 . Buridan actually distinguished three senses of ' demonstratio ' :
1) demonstratio communiter dicta = syllogismus faciens scire (suam conclusionem, si non
sit iam scita per aliam demonstrationem) ; 2) demonstratio proprie dicta = syllogismus fa-
ciens scire mansive (suam conclusionem...) ; 3) demonstratio propriissime = syllogismus
faciens scire mansive et propter quid (suam conclusionem… ).
3. Summulae 8.7.2 . Cf. Q. Metaph. 2.4.
4. That syllogisms are molecular propositions is said, e.g., in Summulae 1.8.6 . and 8.7.2.
5. See, e.g. Summulae 8.4.2-3.
6. Summulae 8.3.7 , 8.4.3 ; Q. APo. 1.32 ; Q. Metaph. 4.2.
7. Summulae 8.4.2-3 . Cf. Q. Metaph. 4.2.
8. Summulae 8.3.3 ; cf. 8.3.7 .
9. Summulae 8.3.7 , 8.4.2 , 8.5.2.
10. Summulae 8.8 . No causality in geometry : 8.8.6 .
11. Summulae 8.8.3 . Causal propositions are introduced in 1.8.6.
12. Summulae 8.4.2, 8.5.2.
13. Summulae 8.4.4, 8.5.3-4.
14. Summulae 8.4.4 , cf. 8.4.2 ; Q. APo. 1.32 ; Q. Metaph. 1.2 .
15 Summulae 8.4.2 . Buridan also mentions the schema of the expository syllogism , ' this
C is A and this same C is B, therefore B is A ' . On the influence of trinitarian doctrine on
14 th c . theory of syllogistic, see N.J. Green-Pedersen in Université de Copenhague, Cahiers
de l'Institut du Moyen-Age grec et latin, 37 ( 1981 ) 49 f. In Q. APr. 1.6 , Buridan overcomes
the theological difficulty by simply making an exception for ' divine terms ' : they are not
permissible sustituends for A, B, and C.
16. On primitive propositions and our cognition of them, see Summulae 6.1.4 , 8.4.4 , 8.5
(especially 8.5.3-4 ) , 8.6.3 ; Q. APo. 1.2, 2.5 , 2.11 ; Q. Metaph . 1.5 , 1.8 , 2.1 , 2.2.
17. For the nominal definition of ' void ', see Summulae 8.2.3 , 8 5.3 ; Q. Metaph. 2.4 ;
Q. Apr. 1.25.
18. See, in particular , Summulae 8.5.3 , 8.7.5 , 8.7.7 , 8.7.9 .
19. For ' X is Y ' = ' if X is , X is Y ' , see Summulae 8.5.3 ; Q. Metaph . 2.4 . Cf. Q. APr. 1.25.
On the omni -or a- temporal copula (complexive concept) signified by ' is ' in sentences
whose subject has natural supposition , and on the paraphrase of such sentences by means of
temporal ones, see Summulae 4.3.4 (p. 206-208 Reina) , 8.6.1 ; Q. APr. 1 25 ; Q.APO 1.16-18 .
20. Summulae 8.10.5 (whence the example about the summer).
110 S. EBBESEN

21. Summulae 8.7.9.


22. Q. Metaph. 1.8 , whence also the syllogism about the man who needs rhubarb. A similar
medical example in Summulae 8.7.5.
23. Summulae 8.5.2.
24. Summulae 8.9.3 (whence also the following example).
25. Summulae 8.9.3.
26. Summulae 8.9.3-5 . Cf. Q. APO. 1.14 . The following example is from Summulae 8.9.5.
27. Characteristically, Buridan has already introduced the amended definition of proof in
8.7.1 (see note 2) , long before the discussion of the sort of problem that justifies the amend-
ment.
28. Buridan returns to this question on several occasions . See in particular Summulae
8.12.6 (text in the appendix of this paper) ; Q. APo. 2.4-5 ; Q. Metaph. 2.4 , 7.9.
29. Summulae 8.3.5.
30. Summulae 8.5.2.
31. Summulae 8.12.6 (text in the appendix) .
32. Summulae 8.12.6.
33. This raises a problem about the concept ' God ', for only terms signifying complex
concepts can have nominal definitions (Summulae 8.2.3 , cf. 4.2.4 p . 189 Reina) . Summulae
8.12.6 , then, assumes that the concept of God is a complex one . This is in accordance with
Q. APO. 1.28 , where it is stated that we cannot, in this life, have quiditative knowledge of
God ; such knowledge we shall only acquire in our celestial fatherland. But in Q. Metaph.
2.3 that view is said to be Thomas ' , while Buridan himself thinks that our concept of God
is a simple one and that we can have knowledge of God's quidity . Notice that in Summulae
2.3.5 Buridan says that ' god ' is a general term , not a proper name, although there is only
one god.
34. Cf. Dorp's commentary on 8.12.6 (Perutile compendium totius logice Joannis Buridani
cum preclarissima solertissimi viri Joannis Dorp expositione, Venezia, 1494 ; rp. Minerva :
Frankfurt-am -Main, 1965 ) : « tunc ponuntur due propositiones. Prima est quod questio si
est non est terminabilis demonstratione proprie cathegorica. Patet ex ratione adducta. Et
dicitur notanter proprie cathegorica quia ut aliqui dicunt iste processus est demonstratio.
transmutatio naturalis est. et non potest esse sine materia prima : ergo materia prima est.
Sed iste processus non est proprie demonstratio ex quo non est sillogismus ».
35. Q. Metaph. 2.4-5 . Cf the argument for the existence of a separate and incorporeal
substance ( God) in Q. Metaph. 7.9 : The theory of generation of organisms requires at
least one agent substance with such power as no corporeal substance is known to possess.
Therefore, supposing that the theory is correct and that we are right in denying the pre-
sence of an appropriate corporeal substance, there must be some incorporeal substance
which does the job . Buridan does not doubt the theory's truth, but he leaves open the
possibility that our empirical data are insufficient.
36. Cf. the rule in Summulae 4.2.6 (p . 190 Reina) : In the case of a word whose corresponding
concept is a complex one , the question of its capability of supponing is anwered by deter-
mining whether its nominal definition is capable of supponing.
37. Q. Metaph. 6.1 .
38. Q. APO. 1.19 ; Q. Metaph. 4.6 , 5.8.
39. Q. Metaph. 4.6 . Notice that in Summulae 2.2.6 Buridan says that the authorities claim
that ens is equivocal and not the genus of categories, « but whether it is true that the
term ' ens ' is not predicated in the same respect of substances and accidents, must be exa-
mined in Metaphysics IV ».
UN DÉBAT MEDIEVAL SUR

LE CONCEPT DE SUJET D'UN ÉNONCE CATÉGORIQUE .

ÉTUDE D'UN TEXTE DE JEAN BURIDAN

Elizabeth KARGER

Le présent essai porte sur quelques pages du Traité des suppositions¹ de


Jean Buridan . Dans ces pages, l'auteur présente un débat portant sur l'identifi-
cation du sujet d'énoncés catégoriques2 dont le terme initial est à un cas dit
<< oblique » , c'est-à-dire autre que le nominatif³ . Selon certains logiciens - que
Buridan ne nomme pas , c'est ce terme à un cas oblique qui est le véritable
sujet de l'énoncé ; selon l'auteur, au contraire, le sujet ne peut être qu'un terme
au nominatif.
Un des exemples discutés est le suivant :

(1) Cuiuslibet hominis asinus currit.

Selon l'analyse récusée par Buridan , ' hominis ' est le sujet de cet énoncé ,
alors que, selon l'auteur , le sujet de (1) est ' hominis asinus'et << principalement >> 4
' asinus '.
D'aucuns jugeront peut-être que l'intérêt de ce débat réside dans l'occasion
qu'il fournit de mettre en évidence la difficulté de la tâche à laquelle s'est épui-
sée la logique scolastique - tâche qui aurait consisté à remédier aux insuffisances
de la logique aristotélicienne .
Tel cependant n'est pas notre propos principal . Notre objectif dans l'étu-
de de ce texte, fut de découvrir plutôt les divergences doctrinales en raison
desquelles les théoriciens en présence proposent, pour les énoncés concernés,
des analyses aussi différentes, et en particulier de dégager ce qui rend incom-
patibles les deux concepts de sujet présupposés par l'une et l'autre des positions
adverses .
Nous présentons donc ici les résultats de cette étude . Nous commencerons
par exposer l'essentiel de l'argumentation par laquelle , d'après Buridan, ces
logiciens anonymes défendent leur thèse ; nous serons ainsi en mesure de déga-
ger les éléments principaux d'une certaine doctrine logico- grammaticale . Nous
passerons en second lieu à l'examen des objections que Buridan oppose aux
raisons de ses adversaires, découvrant à travers elles ainsi que dans la défense
112 E. KARGER

qu'il apporte à sa thèse propre , les caractéristiques d'une doctrine profondément


différente de la première . Nous terminerons par une évaluation, du point de vue
de leur mérite logique , des deux positions en présence .

Pour la clarté de l'exposé, il est utile de donner un nom à cette analyse


des énoncés << à terme oblique » dont les partisans ne sont pas nommés par
Buridan nous conviendrons de l'appeler -- on verra pourquoi ultérieurement —
.
<< analyse sémantico-logique » de ces énoncés .
Quels sont donc les arguments à l'appui de l'analyse sémantico-logique
(dorénavant << analyse S-L » ) des énoncés à terme oblique ? S'agissant d'argu-
ments rapportés par le tenant d'une thèse rivale , ils sont , comme on peut s'y
attendre, pour la plupart assez médiocres, et le texte n'aurait même pas mérité
une étude s'il ne contenait, malgré tout, des indications suffisantes pour auto-
riser la reconstruction d'un argument qui révèle , à lui seul , une thèse effecti-
vement défendable , voire attrayante . Aussi donnerons-nous un aperçu rapide
de la plupart des arguments rapportés par Buridan , en illustrant seulement d'un
exemple chacune des catégories dans lesquelles nous avons pu , au demeurant,
les ranger - pour consacrer plus de place à la reconstruction de ce que nous
appellerons << le meilleur argument » en faveur de l'analyse S- L des énoncés
à terme oblique .
Appartiennent à une première catégorie tous les arguments5 qui prennent
appui sur une identification erronée des contradictoires ou contraires d'un
énoncé à terme oblique . Buridan est d'ailleurs prompt à dénoncer ces erreurs,
signalant par exemple que l'énoncé qui contredit ( 1 ) n'est pas :

(2) Alicuius hominis asinus non currit


mais bien :

(3) Alicuius hominis nullus asinus currit.


Mais ces logiciens invoquent (2) , présumée à tort contradictoire de ( 1 ) , à l'appui
d'une thèse leur servant de lemme dans leur démonstration et selon laquelle
l'énoncé ( 1 ) est un énoncé universel .
Une seconde catégorie , assez fournie, comprend des arguments qui ont
en commun de présupposer que la théorie aristotélicienne du syllogisme s'appli-
que tout naturellement aux syllogismes dits « à termes obliques >> 7 . Soit, par
exemple , le syllogisme suivant :
Cuiuslibet hominis asinus currit
Sortes est homo
* Sortis asinus currit.

Appliquant la théorie aristotélicienne, on dira que ce syllogisme est de la pre-


mière figure et que les extrêmes et le moyen sont les sujets ou prédicats des
énoncés qui forment ce syllogisme . On conclut alors facilement que le sujet de
ÉTUDE D'UN TEXTE DE JEAN BURIDAN 113

la première prémisse est hominis '. Cependant ceci n'est que l'effet d'un exem-
ple favorable . Il suffirait de choisir tel autre syllogisme à termes obliques pour
constater qu'au contraire la théorie aristotélicienne assortie de l'analyse S - L des
énoncés à terme oblique , n'est pas toujours applicable . Comme nous reviendrons
sur ce problème dans la dernière partie de cet essai, nous remettons à plus tard
l'exposé et la discussion d'un exemple . Le lecteur constatera rétrospectivement
que ce type d'argument ne saurait aboutir.
Il reste une dernière catégorie d'arguments « faibles » , encore que le texte
n'en contienne qu'un seul exemples . L'argument en question dépend entière-
ment d'une définition qu'on trouve dans la Summa Logicae⁹ d'Ockham , selon
laquelle le sujet d'un énoncé est le terme (éventuellement complexe ) qui précède
la copule, le prédicat étant le terme qui la suit . Cherchant à appliquer cette
définition à l'énoncé suivant :

(4) Omnem equum homo est videns,

les logiciens visés par Buridan se croient autorisés à exclure ` homo ' comme sujet
possible de (4) sous prétexte qu'autrement une partie du prédicat - notamment
` equum '- précèderait la copule , contrairement à la définition invoquée . Mais
on peut évidemment rétorquer que si ' equum'était comme le veulent ces
logiciens - le sujet de (4), une partie du prédicat serait encore placée avant
la copule , cette fois-ci ' homo '10 . Tout ce qu'on peut conclure , c'est que la défi-
nition d'Ockham est insuffisante dans la mesure où elle ne permet , en l'absence
de postulats complémentaires , d'identifier le sujet et le prédicat que dans les cas
les plus simples d'énoncés catégoriques.

Nous nous tournons maintenant vers l'argument11 annoncé comme


<< le meilleur argument » à l'appui de l'analyse S - L des énoncés à terme oblique .
Il se déroule en plusieurs étapes : on établit d'abord , à titre de lemme , la validité
de la conditionnelle suivante :

Si (1) est un énoncé universel, alors son sujet est ` hominis '.
La démonstration de ce lemme est simple , puisqu'elle ne repose que sur
une prémisse que voici :

(A) Si un énoncé est universel, son sujet est distribué 12 .


Le sens de (A) est donné par la théorie des « modes de la supposition
personnelle » . D'après cette théorie , un terme (général) est « distribué dans un
énoncé c'est-à-dire qu'il possède une suppositio « confusa et distributiva » -
seulement si une inférence est valide ayant pour prémisse l'énoncé contenant
ce terme , et pour conclusion une conjonction d'énoncés singuliers , formés
chacun par substitution au terme considéré d'un terme singulier désignant l'un
-
des objets auxquels s'applique ce terme général , et si aucune inférence , ayant
pour prémisse l'un de ces énoncés singuliers et pour conclusion l'énoncé géné-
ral , n'est valide . Ainsi, par exemple , de Tout homme court ' , on peut inférer
8
114 E. KARGER

` cet homme-ci court et cet homme-là court et... ', la conjonction devant comp-
ter autant de membres qu'il y a d'hommes, mais de cet homme-ci court ', on ne
peut inférer tout homme court '13 .
Mais il suffit d'invoquer (A) pour « prouver » que si ( 1 ) est un énoncé
universel , alors le sujet de ( 1 ) est hominis ' puisque , comme on peut le vérifier¹4,
'hominis 'est le seul terme distribué dans ( 1 ) .
Afin de démontrer la légitimité de l'analyse S -L - du moins appliquée
à (1) , il ne resterait qu'à montrer que ( 1 ) est un énoncé universel .
C'est bien l'intention des logiciens cités par Buridan . Pour ce faire 15 , ils
s'appuient - implicitement il est vrai sur une seconde prémisse , qui comporte
deux clauses, et que voici :
(B) i . Tout énoncé catégorique général est soit indéfini, soit particulier, soit
universel.
ii. Un énoncé est indéfini si et seulement si son sujet est « employé seul » ,
particulier si et seulement si son sujet est « affecté » 16 d'un syncatégorème
« particularisant » , universel si et seulement si son sujet est affecté d'un synca-
tégorème « universalisant » (voir note 3 ).

Mais le recours à cette prémisse ne suffit pas à établir la conclusion souhai-


tée , et les raisons supplémentaires invoquées appartiennent à l'une ou à l'autre
des catégories d'arguments médiocres récemment indiquées .

Ainsi nous proposons-nous de nous inspirer du texte pour mettre sur pied
une argumentation d'où l'on puisse valablement conclure ce qu'on veut démon-
trer, c'est-à -dire que le sujet de ( 1 ) est ` hominis '.
Dans ce but , nous posons d'abord les deux prémisses supplémentaires
(C) et (D) que voici :
-
(C) Si un énoncé est indéfini ou particulier, son sujet — s'il « suppose » 17 —
a une suppositio « determinata » .

Ockham 18 souscrirait au contenu de cette prémisse , comme d'ailleurs


Buridan19 , et c'est probable - aussi les logiciens dont il est ici question .
Rappelons qu'un terme général a une suppositio « determinata » seulement
si une inférence est valide ayant pour prémisse l'énoncé contenant ce terme et,
pour conclusion , une disjonction d'énoncés singuliers formés chacun par substi-
tution au terme considéré d'un terme singulier désignant l'un des objets auxquels
s'applique ce terme général , et si les inférences ayant chacune pour prémisse
l'un de ces énoncés singuliers et pour conclusion l'énoncé général sont également
valides. Ainsi , par exemple , de ' un homme court ' , on peut inférer : ` cet homme-
ci court ou cet homme-là court ou... ' - la disjonction devant compter autant de
membres qu'il y a d'hommes et de de cet homme-ci court ' on peut inférer
' un homme court '20 .

(D) Le terme suivant immédiatement la copule - explicite ou implicite - dans


un énoncé catégorique est le prédicat ou du moins une partie du prédicat de
celui-ci.
ÉTUDE D'UN TEXTE DE JEAN BURIDAN 115

Puisque , nous l'avons vu , ces logiciens souscrivent à la définition que donne


Ockham du prédicat d'un énoncé , ils souscriraient a fortiori à (D).
Enfin , indispensable à l'argument que nous allons présenter , est une règle
que nous appellerons par commodité « règle d'ordre ». Il est tout à fait vraisem-
blable que cette règle - dont le contenu est couramment admis à l'époque21 –
aurait été souscrite par les logiciens dont il s'agit . On peut la formuler comme suit :
Lorsque le segment initial d'un énoncé catégorique est formé d'une sé-
quence de deux termes à des cas différents, l'un des termes étant employé seul,
l'autre étant affecté d'un syncatégorème universalisant, le terme employé seul
aura une supposition « determinata » si et seulement si il précède l'autre (et si
par conséquent avec lui débute l'énoncé).

Observons l'application de cette règle en comparant à ( 1 ) l'énoncé suivant :


(5) Asinus cuiuslibet hominis currit

Le terme asinus'a dans ( 5) une suppositio « determinata » , mais non dans ( 1 ) .


Autrement dit ( 5) - mais non ( 1 ) implique qu'il existe un âne , propriété
commune de tous les hommes .

Ces bases étant posées, voici l'argument permettant d'établir la conclusion


souhaitée :
D'après (D), le sujet de ( 1 ) ne peut être que hominis ' ou asinus ' ou
'hominis asinus ' . Mais, d'après (B) , si asinus ' était le sujet de ( 1 ) , ( 1 ) serait
indéfini . Mais cela est impossible car , d'après la Règle d'ordre , asinus n'a pas,
dans ( 1 ), une supposition « determinata » , en contradiction avec (C) . Mais si
'hominis asinus'était sujet , conformément à ( B) - et encore interprétée «< chari-
tablement » (1 ) ne pourrait être qu'universel . Mais cela est impossible car , on
peut le vérifier, ce terme complexe n'a pas dans ( 1 ) , une supposition « confusa
et distributiva » . Il reste ' hominis ' ; mais supposer que ce terme est sujet de ( 1 )
n'engendre aucun conflit avec les prémisses puisqu'en ce cas , en vertu de (B) ,
(1 ) est un énoncé universel et que hominis ' a bien une supposition « confusa
et distributiva » comme l'exige (A) . On conclut que seul ' hominis ' peut être
le sujet de ( 1).

Mais si nous avons pu ainsi établir sur la base des prémisses indiquées et
de la Règle d'ordre - l'exclusive légitimité de l'analyse S - L en ce qui concerne
l'énoncé ( 1 ) , nous ne pouvons étendre cette conclusion à tous les énoncés à
terme oblique . Ce n'est pas par cet argument en effet qu'on pourrait imposer
cette analyse pour l'énoncé suivant :

(6) Hominis asinus currit

puisque, comme on peut le vérifier , il est compatible avec les prémisses (A) à
(D) ainsi qu'avec la Règle d'ordre que le sujet de (6) soit ' hominis ', `' asinus ',
ou 'hominis asinus '.
Néanmoins , ayant démontré , sur la base indiquée , que l'analyse S - L
s'impose pour un énoncé à terme oblique , on légitimera le choix de cette analyse
116 E. KARGER

pour tous les énoncés de ce type si on peut montrer qu'en aucun cas un conflit
ne s'ensuit avec l'une des prémisses indiquées ou avec la Règle d'ordre . Mais il
suffit de recenser les trois cas possibles : le terme par lequel débute l'énoncé est
ou bien affecté d'un syncatégorème universalisant, ou bien affecté d'un syncaté-
gorème particularisant, soit encore employé seul . Mais dans les trois cas toutes
les prémisses ainsi que la Règle d'ordre sont respectées si on considère comme
sujet le terme initial et lui seul . En effet, dans le premier cas, l'énoncé sera
universel et son sujet aura, comme on peut le vérifier , une supposition « confusa
et distributiva » ; dans le second , l'énoncé sera particulier et , on peut encore le
vérifier, son sujet aura une supposition « determinata » ; dans le troisième cas ,
l'énoncé sera indéfini et son sujet aura, comme il convient , une supposition
« determinata ».

Les prémisses (A) à (D) et la Règle d'ordre sont donc suffisants à justifier
l'analyse S- L des énoncés à terme oblique . Cependant l'analyse d'un énoncé
catégorique est incomplète tant qu'on n'en a pas identifié aussi le prédicat.
Mais admettant que le sujet de (6) - par exemple - soit hominis ' , quel doit
être son prédicat ?
La réponse à cette question présuppose , d'après les logiciens visés par
Buridan, une reformulation22 préalable de (6) , étant entendu que le nouvel
énoncé doit être équivalent à l'énoncé initial .
La reformulation proposée pour (6) est :

(6a) Homo est cuius asinus currit


Le prédicat recherché apparaît alors , soit : cuius asinus currit ', prédicat
pour ainsi dire apparent et réel dans (6a) et non apparent mais réel dans (6) .
Le mode de reformulation étant uniforme , quel que soit l'énoncé , on
obtient , pour l'énoncé suivant :
(7) Equum homo videt
la reformulation que voici :
(7a) Equus est quem homo videt
dont le prédicat est quem homo videt '. Il est inutile de multiplier les exemples.
*

Les éléments constitutifs de la doctrine logico-grammaticale qui fondent


l'analyse S- L des énoncés à terme oblique apparaissent maintenant assez claire-
ment . On en compte deux principaux . D'une part, un énoncé catégorique est ,
du point de vue de son appartenance à une catégorie logique , soit universel , soit
particulier, soit indéfini (cf. la prémisse (B) ) . Autrement dit , un théoricien parti-
san de ces doctrines limitera l'éventail des formes possibles des énoncés catégo-
riques à ces trois là . D'autre part, un terme , sujet d'un énoncé catégorique ne
peut avoir qu'une suppositio soit « confusa et distributiva » – notamment dans
le cas où l'énoncé est universel — soit « determinata » notamment dans le cas
où l'énoncé est particulier ou indéfini (cf. les prémisses (A) et (C) ) . Or il existe
ÉTUDE D'UN TEXTE DE JEAN BURIDAN 117

un troisième mode de supposer23 ; il est donc exclu , selon la doctrine considérée ,


que le sujet d'un énoncé catégorique puisse supposer selon ce troisième mode .
Mais cela indique que le concept de sujet retenu relève en partie au moins de
la logique, et non de la seule grammaire .
Expliquons ce dernier point , essentiel à notre propos ; on reconnaîtra que
les propriétés << suppositionnelles » (appellation commode des divers modes de
supposer) des termes sont à compter parmi celles qui peuvent affecter la valeur
de vérité des énoncés dont ils font partie . On constate en effet que deux énoncés
formés des mêmes termes peuvent avoir des valeurs de vérité opposées du seul
fait qu'au moins un terme y possède des modes de supposer différents (c'est
le cas de asinus ' dans ( 1 ) et ( 5 )24 . Mais l'étude des conditions de vérité des
énoncés et plus généralement des propriétés des parties du discours qui peuvent
affecter la valeur de vérité des énoncés dont elles sont des composantes revient à
la logique de l'avis des médiévaux25 comme de celui des logiciens actuels ,
pour lesquels il s'agirait (de manière peut-être balbutiante) de cette branche
de la logique qu'on appelle « sémantique référentielle » . Convenant d'appeler
<< sémantico-logiques ces propriétés , nous dirons que le concept de sujet
ici à l'oeuvre est caractérisé par des propriétés sémantico - logiques et non
exclusivement par des propriétés grammaticales26.

L'analyse que Buridan propose pour les énoncés à terme oblique est toute
autre . Selon lui , rappelons-le , le sujet d'un énoncé de ce type comme de tout
énoncé catégorique est obligatoirement au nominatif ou du moins est -ce
le cas du terme « principalement » sujet de l'énoncé . Ainsi le sujet de ( 1 ) par
exemple est hominis asinus ' , et principalement ' asinus '.
La tâche de l'auteur est évidemment double réfuter la position rivale et
justifier la sienne .
Des objections adressées par Buridan à l'encontre des logiciens dont nous
venons d'exposer les thèses , on peut distinguer quatre catégories . Les premières
prennent pour cible tel ou tel point de l'argumentation présentée , les secondes
contestent , sur le propre terrain de l'adversaire , le bien-fondé de l'analyse S - L
des énoncés à terme oblique , celles de la troisième catégorie dénoncent certaines
faiblesses des reformulations proposées pour ces énoncés, tandis que celle (car il
n'y en a qu'une) de la catégorie qui reste conteste une partie de l'assise doctri-
nale sur laquelle repose l'argument que nous avons tenu pour « le meilleur » en
faveur de l'analyse proposée par ses adversaires.
Nous nous dispenserons d'exposer les objections du premier groupe27 ,
car elles concernent dans leur ensemble des raisons dont nous avons déjà signalé
la médiocrité .
Les objections appartenant au second groupe28 prennent pour cible l'ana-
lyse proposée appliquée non à ( 1 ) mais à (6) , cible facile puisque - nous l'avons
vu - il est logiquement indifférent de considérer comme sujet de (6) ` asinus ',
118 E. KARGER

'hominis ' ou ' hominis asinus ' . Nous avons , en défense de cette analyse de
(6) , allégué l'avantage d'un traitement uniforme de tous les énoncés à terme
oblique ; mais encore fallait-il que ce traitement s'imposât dans certains cas ,
ce qui semblait bien se vérifier pour l'énoncé ( 1 ) . Aussi est-ce aux arguments
établissant la validité de l'analyse proposée de ( 1 ) que Buridan aurait dû réserver
ses objections .
Les objections réunies dans le troisième groupe29 sont mieux ajustées
puisqu'elles dénoncent les faiblesses de ce qui constitue une annexe indispen-
sable à la thèse adverse , notamment la nécessité de reformuler sous forme
<< canonique » les énoncés à terme oblique . Les règles qui régissent ces reformu-
lations conduiraient, selon l'une de ces objections30 , à une réitération indéfinie
de la même opération . Le prétendu prédicat , par exemple , de (6a) , ` cuius asinus
currit ' devrait être reformulé selon le même principe qui a présidé à la reformu-
lation de (6) . Cette objection toutefois ne porte que si on considère ce prétendu
prédicat non comme tel , mais bien comme un énoncé grammaticalement com-
plet , auquel cas on découvre qu'il s'agit encore d'un énoncé à terme oblique .
Mais on jugerait mieux du contenu de cette objection si on en donnait une
version directe : on ferait valoir que dans les reformulations proposées l'expres-
sion censément prédicat n'a pas la forme voulue - c'est-à -dire celle d'un terme
(éventuellement complexe) qui pourrait occuper indifféremment la position
antérieure ou postérieure à la copule dans un énoncé «< canonique >> .
A cette objection , il serait possible de parer et de sauver ainsi l'essentiel
de la thèse adverse . Il suffirait d'imposer aux énoncés considérés une reformu-
lation qui assure au prédicat du nouvel énoncé la forme d'un terme au sens
indiqué . Les modifications à apporter à l'énoncé initial seraient , il est vrai ,
beaucoup plus nombreuses et la spécification d'un algorithme permettant
d'obtenir l'énoncé voulu pourrait représenter un problème ardu . Néanmoins ,
ne s'agissant pas ici de notre propos principal , nous supposerons ce problème
soluble 31. Reprenant les mêmes exemples que plus haut , notre suggestion
consiste à reformuler (6) comme suit :

(6b) Homo habet (est habens) asinum qui currit


et (7) ainsi :
(7b) Equus videtur (est visus) ab homine

La plupart des autres objections de cette catégorie seraient rendues éga-


lement sans objet par ce nouveau style de reformulation . Ainsi , si le sens de
(6a) et celui de ( 7a) semblent effectivement moins clairs32 que ceux de (6) et
(7) , par contre (6b ) et (7b) sont aussi transparents que les énoncés primitifs.
De même , les conditions de vérité seront constamment respectées lorsqu'on
substitue à un énoncé sa reformulation - ce qui n'était pas le cas des refor-
mulations initialement proposées33 . Soit , par exemple , l'énoncé négatif à terme
oblique que voici :

(8) Brunellum Sortes non videt


ÉTUDE D'UN TEXTE DE JEAN BURIDAN 119

La reformulation initialement proposée de cet énoncé est :

(8a) Brunellus est quem Sortes non videt


Mais (8) peut être vrai et (8a) faux - selon la logique admise à l'époque --
notamment dans le cas où Brunellus est mort . Par contre , si on substitue à (8a)
la reformulation ( 8) que voici :

(8b) Brunellus non videtur a Sorte,

on a deux énoncés dont les valeurs de vérité ne peuvent que coïncider34 .

Il reste l'objection majeure 35 - puisque adressée à l'argument tenu pour


« le meilleur » en faveur de l'analyse S - L des énoncés à terme oblique . L'objec-
tion consiste à récuser la validité de l'une des prémisses indispensables à cet
argument, notamment la prémisse (B). Cette prémisse serait, selon Buridan ,
inacceptable parce qu'il existe au contraire un nombre plus grand de types
d'énoncés catégoriques que les trois - indéfinis , particuliers et universels-
auxquels la tradition a donné un nom : ( 1 ) ne serait en l'occurence ni un énoncé
universel, ni un énoncé indéfini , mais plutôt un énoncé universel quant à son
terme à un cas oblique et indéfini quant à son terme au nominatif.
On constate - non sans étonnement - que Buridan semble prêt à renoncer
à une portion non négligeable des doctrines logiques admises à l'époque pour
défendre sa position . Mais a-t-il fourni des théories de substitution où ces nou-
veaux types d'énoncés trouveraient leur place ? Nous reviendrons sur cette
question, mais disons dès à présent que si ce n'était pas le cas, il ne serait pas
certain que l'auteur procède légitimement en rejetant (B) . Quoi qu'il en soit,
il est clair que la thèse qu'il substitue à (B) , thèse selon laquelle il faut élargir
l'éventail des formes logiques possibles d'énoncés catégoriques, constitue un
complément indispensable à celle qui concerne l'identification du sujet des
énoncés à terme oblique . C'est dans la dernière partie du présent essai , consacrée
- ---
à l'évaluation du point de vue logique des positions adoptées par les deux
parties, que nous reviendrons sur cette composante essentielle de la position
adoptée par Buridan .

Mais il nous reste à voir auparavant les raisons que donne Buridan à l'appui
de la première de ces deux thèses , selon laquelle - rappelons-le- l'analyse cor-
recte des énoncés à terme oblique impose à leur sujet du moins << principal >> -
d'être au nominatif.
L'auteur invoque 36 une sorte de dictum selon lequel le sujet est ce dont
quelque chose est dit et le prédicat ce qui est dit du sujet, cela par l'intermé-
diaire de la copule . Quelques lignes plus loin , on apprend que l'analyse que
ce dictum commande est une analyse grammaticale. Dans la mesure où ce dictum
pourrait avoir la fonction d'apporter une justification de la thèse soutenue ,
on s'attendrait à ce qu'il représente un principe transcendant à la grammaire
au nom duquel on pourrait légitimer l'analyse retenue par l'auteur des énoncés
120 E. KARGER

à terme oblique . Mais on cherche en vain à donner à ce dictum un sens qui le


rende conforme à cette exigence . Aussi proposons-nous de voir plutôt dans le
recours à ce dictum un moyen pour Buridan d'invoquer la prétendue évidence
de l'analyse proposée du moment qu'elle est reconnue comme grammaticale.
Autrement dit, Buridan procède comme s'il suffisait d'affirmer que l'analyse
d'énoncés catégoriques en sujet et prédicat est et doit être une analyse
grammaticale pour que s'ensuive l'exclusive légitimité de l'analyse qu'il propose.
Et pourtant, il semble à première vue douteux que cela suffise . Les parti-
sans de la thèse rivale ne nieraient sans doute pas que l'analyse en question
est bien une analyse grammaticale , mais ils n'en soutiendraient peut - être pas
moins que , dans un énoncé bien formé , du point de vue logique , le sujet doit
satisfaire à certaines conditions sémantico-logiques.
Mais voilà sans doute justement ce que Buridan nierait ; et cela , semble-t-il ,
au nom d'une thèse générale sur les rapports entre grammaire et logique , qui
donne une certaine priorité à la grammaire . La thèse pourrait être exprimée
ainsi un concept ne peut appartenir à la fois à la logique et à la grammaire que
si son éventuel contenu logique est compatible avec son contenu grammatical
qui est nécessairement premier37 .
A propos du concept de sujet admis par ses adversaires , l'auteur raisonne-
rait vraisemblablement comme suit le sujet d'un énoncé catégorique est par
définition un terme au nominatif ; cela est vrai du fait qu'il s'agit d'un concept
au moins en partie grammatical (ce que tous admettent) - donc en priorité
grammatical et que la grammaire lui donne effectivement ce contenu. Il ne
serait légitime d'intégrer éventuellement à ce concept un contenu sémantico-
logique que si on pouvait démontrer la compatibilité entre ce contenu et le
contenu grammatical qu'il possède déjà . Par contre, il n'est en aucun cas légitime
d'éliminer ou de modifier le contenu grammatical en fonction de considérations
extérieures à la grammaire , fussent-elles sémantico-logiques.
Mais si tel est le véritable concept de sujet , alors le sujet d'un énoncé
ne saurait être qu'au nominatif.
La justification qu'apporte Buridan à son analyse des énoncés à terme
oblique est donc d'une déconcertante simplicité : il lui suffit de rattacher ferme-
ment le concept de sujet à la grammaire et de rappeler que c'est de ce concept
et de nul autre qu'il est question.
On mesure maintenant la divergence doctrinale , relative au concept de
sujet d'un énoncé catégorique , entre Buridan et ses adversaires d'un côté,
on admet l'existence d'un concept de sujet défini au moins en partie par des
propriétés sémantico-logiques, de l'autre on insiste sur la seule légitimité du
concept de sujet défini par des propriétés grammaticales - celles-ci excluant ces
mêmes propriétés sémantico-logiques . Le principal objectif que nous nous étions
fixés , notamment de dégager en quoi les deux concepts de sujet présupposés par
les positions en présence sont incompatibles , est donc atteint.
ÉTUDE D'UN TEXTE DE JEAN BURIDAN 121

Il nous reste à évaluer, du point de vue logique, les deux positions en


présence . La position de Buridan contient, nous le savons déjà , en fait deux
thèses ; il en est de même de la position rivale . Les positions à confronter sont
donc celles-ci selon Buridan , les énoncés à terme oblique ont, comme tout
énoncé catégorique , pour sujet (du moins «< principal » ) un terme au nominatif ;
cependant ces énoncés peuvent n'être ni indéfinis , ni particuliers, ni universels ;
selon la position rivale , les sujets des énoncés à terme oblique sont les termes
à un cas oblique par lesquels débutent ces énoncés , toutefois ces énoncés ap-
partiennent dans tous les cas à l'une ou à l'autre des trois sortes d'énoncés
catégoriques qui viennent d'être mentionnées.
Les avantages, du point de vue logique , des thèses soutenues par les adver-
saires de Buridan sautent aux yeux . Les doctrines logiques admises à l'époque
sont en effet aisément applicables aux énoncés à terme oblique du moment
qu'ils sont soumis à l'analyse S- L et, mieux encore , reformulés de façon appro-
priée dans une « langue canonique ». On vérifie cela sans difficulté , tant en ce
qui concerne les conditions de vérité des énoncés catégoriques , qu'en ce qui
concerne les modes de la supposition personnelle , deux des principaux chapitres
de ce qui constituait en somme la sémantique référentielle à l'époque . En fait ,
l'une des motivations présidant au choix , par ces logiciens , de l'analyse S - L
des énoncés à terme oblique était-elle très vraisemblablement le désir d'intégrer
ces énoncés aux doctrines logiques qui formaient alors l'orthodoxie en la matière .
C'est bien le contraire qui est vrai si on admet les thèses de Buridan . Car
ces mêmes doctrines , confrontées au cas pourtant légitime des énoncés à terme
oblique , se révèlent caduques . En ce qui concerne les conditions de vérité des
énoncés catégoriques , cela est évident, puisque le chapitre correspondant des
traités logiques 38 ne traite , parmi les énoncés généraux , que des énoncés indéfi-
nis, particuliers et universels . Mais c'est vrai aussi de la théorie des modes de la
supposition personnelle dont l'application aux présumés sujets des énoncés à
terme oblique ne va guère de soi , c'est le moins qu'on puisse dire . On ne voit
pas , par exemple , quel devrait être le mode de supposition , dans ( 1 ) , de ` hominis
asinus ', sujet, selon Buridan , de cet énoncé . Quant à ' asinus ' - qui devrait en
être << principalement » sujet- , on ne voit même pas comment définir la classe
de ses «< supposita » 39. Dire que ce terme ne «< suppose » pas du tout dans ( 1 ) ,
- alors même que ( 1 ) est vrai , c'est limiter la validité d'un principe apparem-
ment retenu par les exposants de ces doctrines - et par Buridan40 – selon lequel
les énoncés affirmatifs ne peuvent être vrais que si leur sujet «< suppose » .
Il est clair que la position adoptée par Buridan exigerait que , s'il veut
accommoder les énoncés à terme oblique , le logicien se consacre à la tâche de
remodeler les théories logiques admises à l'époque . Il faudrait en effet préciser
quelles sont les nouvelles catégories d'énoncés à introduire dans la théorie
-et ne pas se contenter d'en introduire l'idée de façon ad hoc à propos de
quelques énoncés présents dans la discussion à titre d'exemples. Il faudrait ensuite
fournir, pour ces nouveaux types d'énoncés , une syntaxe (logique ) qui donne
les moyens d'une sémantique référentielle qui pourrait rester conforme aux
122 E. KARGER

grandes lignes des doctrines logiques de l'époque cette sémantique devrait


inclure une spécification des conditions de vérité des nouveaux énoncés
ainsi qu'une extension adaptée à ces cas nouveaux de la théorie des modes
de la supposition personnelle . Malheureusement, on ne trouve pas dans les
écrits de Buridan la théorie dont il nous a pourtant lui -même fait percevoir
le manque .
Il n'en est pas moins vrai qu'on se tromperait si on concluait que le bilan ,
du point de vue logique , est entièrement en faveur des thèses soutenues par
les partisans de l'analyse S- L des énoncés à terme oblique . Car en pliant les
énoncés à terme oblique à des formes canoniques pour les rendre susceptibles
d'être intégrés à certaines doctrines logiques , le gain ne serait entier que si la
logique de ces énoncés était ainsi devenue , en tous points , transparente . Or
il n'en est rien , les difficultés guettant le logicien dès qu'il cherche à former
des syllogismes composés de ces énoncés . Nous avons déjà signalé et nous
promettions d'y revenir l'erreur commise par les adversaires de Buridan qui
supposaient à tort que la théorie aristotélicienne du syllogisme , assortie de
l'analyse S - L des énoncés à terme oblique , était immédiatement applicable à
tous les syllogismes ainsi formés. Pour voir que cette hypothèse est erronée ,
il suffit de citer le « syllogisme » suivant :

Cuiuslibet hominis asinus currit


Omnis asinus est animal
Cuiuslibet hominis animal currit

Adoptons l'analyse S - L des énoncés à terme oblique qui figurent dans ce


syllogisme ; le terme asinus ', moyen terme du syllogisme , n'est pourtant ni
sujet, ni prédicat dans la première prémisse , contrairement à la théorie ; ` hominis
currit 'devrait être , d'autre part , selon la théorie syllogistique , l'un des extrêmes
du syllogisme , et pourtant cette expression n'est ni sujet , ni prédicat d'aucun
des énoncés où elle figure.
Ce dont la reconnaissance devrait s'imposer , ce sont les insuffisances de
la théorie aristotélicienne du syllogisme : il existe des raisonnements << syllogis-
tiques » - en un sens large du terme et dont cette théorie est incapable de
justifier la validité . Or Buridan - contrairement en cela aux logiciens dont il
combat les thèses ainsi qu'à Ockham41 a reconnu ces insuffisances et suggéré
d'y remédier en redéfinissant les concepts d'extrême et de moyen de sorte que
ceux-ci puissent être distincts des sujets et prédicats des énoncés qui composent
le syllogisme42 . Mais sur ce chapitre encore , il ne s'agit , de la part de l'auteur ,
que de suggestions et non d'une véritable théorie .
Nous dirons , pour conclure , que si la position des logiciens auxquels
Buridan s'oppose s'intègre beaucoup mieux que celle de l'auteur à certaines
théories logiques admises à l'époque , n'est-ce là qu'une supériorité apparente ,
puisque ces théories sont impuissantes à rendre compte adéquatement du
pouvoir inférentiel des énoncés à terme oblique . Dans la mesure où , abandon-
nant à la grammaire les concepts de sujet et de prédicat , il prévoit des formes
ÉTUDE D'UN TEXTE DE JEAN BURIDAN 123

logiques nouvelles d'énoncés catégoriques, et rompt ainsi avec les cadres étroits
de l'«
< orthodoxie » logique , Buridan fait preuve d'un sens logique bien plus
aigu ; néanmoins , et l'absence de théories élaborées, à la mesure de ces sugges-
tions innovatrices, sa position effective n'en est-elle pas moins insuffisante.

NOTES

1. Edité par Maria Elena Reina, dans Rivista Critica di Storia della Filosofia , 1957, p. 191-196.
2. Par ' énoncés catégoriques ', nous entendons les énoncés catégoriques « simples » , c'est-
à-dire ceux qui ne sont pas équivalents à des énoncés « hypothétiques » ; cf. Ockham ,
Summa logicae II , ch. 11 sqq.
3. Les énoncés concernés devraient être décrits plus précisément comme suit : il s'agit
d'énoncés dont le segment initial est formé soit par un terme singulier ou général à un cas
<< oblique » , soit par une séquence de deux mots dont l'un est un syncatégorème « univer-
salisant » ('omnis ', ` quilibet ') ou bien « particularisant » (`aliquis )' et le second un terme
général, ces deux mots figurant au même cas « oblique » . On notera que, étant donné
cette définition, l'énoncé :
quilibet hominis asinus currit
n'est pas un énoncé de la catégorie de ceux qui nous intéressent , car le syncatégorème qui
précède ' hominis ' n'est pas au même cas que ce terme.
4. Au lieu d'écrire qu'un terme est « principalement » sujet dans un énoncé , Buridan
écrit en fait que le prédicat de l'énoncé « est dit principalement » de ce terme. Nous avons
choisi de nous exprimer autrement par souci de brièveté.
5. Cf. lignes 257 à 263 et 283 à 287.
6. Cf. lignes 263 à 279 et 287 à 296.
7. Cf. Buridan, Tractatus de consequentiis, édité par H. Hubien (Publications universitaires,
Louvain, 1976) , p . 98. Il faut signaler que les formes syllogistiques admises sous cette appel-
lation par Buridan sont plus nombreuses que celles autorisées, sous une désignation semblable,
par Aristote (cf. Premiers Analytiques I , 36) ou même par Ockham (Summa logicae, III.1 ,
ch. 9, 12 et 15, Editions du Franciscan Institute, 1974).
8. Cf. lignes 279 à 282.
9. I, 31 , éd . cit.
10. Le fait que, selon cette analyse, ' homo fasse partie du prédicat de (4) , s'ensuit des
lignes 247 à 249.
11. Cf. lignes 253 à 257.
12. Cf. lignes 255-256.
13. Cf. Ockham, Summa logicae I , 70 et Buridan , Tractatus de suppositionibus, éd. cit. ,
p. 187 et 324.
14. Cf. Buridan, Tractatus de consequentiis, p. 99 , éd. cit. Ou bien Ockham se trompe lors-
qu'il désigne ' hominis asinus ' comme étant l'expression « distribuée » dans (1 ) , ou bien il
donne un autre sens à ce terme technique (cf. Summa logicae, éd . cit., I , 73 ).
15. Cf. lignes 257 à 269.
16. Nous disons qu'un terme est « affecté » par un syncatégorème lorsque ce dernier
précède le terme considéré et est au même cas que lui. Un terme est « employé seul »
lorsqu'il n'est affecté d'aucun syncatégorème.
124 E. KARGER

17. Un terme qui ne s'applique à aucun objet ne suppose pas, selon Buridan, ou ne suppose
pour rien, selon Ockham. Ainsi les prémisses (A) et (C) comportent la « présupposition »
que le terme sujet de l'énoncé suppose. Pourtant il n'y a rien d'illégitime à ce que le sujet
d'un énoncé ne s'applique à aucun objet ; la théorie de Buridan , comme celle d'Ockham ,
prévoit que les énoncés catégoriques affirmatifs sont faux en ce cas, les énoncés négatifs
étant vrais. Ce à quoi nous sommes confrontés, c'est bien à l'un des défauts majeurs des
logiques parentes de celles d'Ockham , celui de comporter des théories qui, apparemment
développées indépendamment les unes des autres, pourraient bien être incompatibles. Dans
un travail antérieur ( « Conséquences et inconséquences de la supposition vide dans la logique
d'Ockham » in Vivarium, 1978), nous avons parlé à ce propos de la coexistence, du moins
chez Ockham , de deux « logiques » . La logique à laquelle nous puisons ici serait évidem-
ment celle des termes « non-vides ».
18. Cf. Summa logicae, éd. cit. , I, 71.
19. Cf. Traité des suppositions, éd . cit ., p . 187 et 323.
20. Cf. Ockham, Summa logicae, I , 70.
21. Une règle de ce genre est admise par Buridan, cf. Tractatus de consequentiis, éd. cit.,
p. 99 ; Sophisms on Meaning and Truth (éd . T.K. Scott, Appleton Century Crofts, 1966),
p. 107 ; Traité des suppositions, p . 325-326.
22. L'énoncé primitif est dit « résolu » ( « resolvi » ) ou « exposé » ( « exponitur » ) par
sa reformulation, cf. lignes 296 à 303.
23. Un terme général a une suppositio « confusa tantum » seulement si une inférence est
valide ayant pour prémisse l'énoncé contenant ce terme, et, pour conclusion, un énoncé
formé par substitution au terme considéré d'un terme singulier disjonctif dont chaque mem-
bre renvoie à l'un des objets auxquels s'applique ce terme général et si les inférences ayant
chacune pour prémisse un énoncé singulier formé par substitution au terme considéré d'un
terme singulier renvoyant à l'un des objets auxquels s'applique le terme général et pour
conclusion l'énoncé général sont également valides. Cf. Summa logicae, éd . cit., I , 70 .
24. 'Asinus'a dans ( 1 ) une suppositio confusa tantum et dans (5 ) une suppositio deter-
minata.
25. Cf. Jan Pinborg, Logik und Semantik im Mittelalter, Frommann-Holzboog, 1972 , p.88.
26. On comprend pourquoi nous avons choisi cette même appellation pour renvoyer à
l'analyse des énoncés à terme oblique qui présuppose ce concept de sujet.
27. Les lignes 387 à 404 et 439 à 448 concernent l'identification erronée des contraires
et contradictoires d'un énoncé donné. Les lignes 404 à 439 concernent le postulat également
erroné que la théorie aristotélicienne du syllogisme assortie de l'analyse S- L des énoncés à
terme oblique suffit à rendre compte des syllogismes à termes obliques. Signalons toutefois,
à propos des lignes 387 à 404 , que si Buridan identifie avec exactitude le contradictoire
de ( 1 ) , il semble - à moins que le texte ne soit corrompu - qu'il se trompe lorsqu'il identifie
le contraire de (1 ) comme devant être :
nullius hominis nullus asinus currit,
le contraire recherché aurait dû être, semble-t-il :
cuiuslibet hominis nullus asinus currit
ce qui paraît bien équivalent au
nullius hominis asinus currit
que proposait l'adversaire.
28. Lignes 315 à 328 et lignes 368 à 378.
29. Lignes 328 à 368.
30. Lignes 353 à 356.
31. Le problème n'est pas sans rappeler celui d'éliminer les variables du calcul des prédicats
(cf. V.O. Quine, Variables explained away in Selected Logic Papers, Ramdom House , 1966 )
ou les pronoms d'une langue naturelle (cf. P. Geach , Reference and Generality, Cornell
ÉTUDE D'UN TEXTE DE JEAN BURIDAN 125

University Press, 1962, ch. 5 ) ; dans le cas qui nous occupe, le problème consiste en effet
en partie à éliminer le pronom à un cas oblique introduit par une première reformulation
d'un énoncé à terme oblique.
32. Lignes 338 à 341.
33. Lignes 356 à 368.
34. Signalons que le choix de ce style de reformulation aurait sauvegardé les logiciens cités
par Buridan de certaines erreurs qu'ils commettent et dont nous avons précédemment donné
un exemple. Ceci à condition également de reformuler d'abord un énoncé à terme oblique
avant de faire porter sur lui une opération logique. Soit par exemple à déterminer la contra-
dictoire de (1 ) : on procéderait sans erreur si on reformulait d'abord ( 1 ) , obtenant l'énoncé
suivant :
(1a) Omnis homo habet asinum qui currit
dont la contradictoire que voici :
(1b) Aliquis homo non habet asinum qui currit
est bien également la contradictoire de ( 1 ) .
35. Lignes 379 à 387.
36. Lignes 306 à 315 ; voir aussi lignes 419 à 439.
37. On lit, lignes 310 et 311 de notre texte : « secundum grammaticam cui nulla scientia
potest contradicere ».
38. Cf. Ockham, Summa logicae, II , ch. 2, 3 et 4. Buridan, Sophisms on Meaning and
Truth, éd . cit ., p . 90, 91 , 93 .
39. Il ne servirait à rien de recourir ici à la propriété que peut avoir un terme d'être « con-
tracté » dans sa supposition par un terme qui l'accompagne (cf. Tractatus de consequentiis,
éd. cit. , p . 99) . Car on ne voit pas comment la classe des ânes serait « contractée » de ma-
nière appropriée , du moins ce ne pourrait être par l'appartenance de ceux-ci à tout homme.
40. Cf. Sophisms on Meaning and Truth, éd . cit., p. 84.
41. Cf. Ockham, Summa logicae, III.1 , ch. 9 , 12 et 15 .
42. Cf. Buridan, Tractatus de consequentiis, éd. cit. , p . 100.
1
!
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS

CHEZ ALBERT DE SAXE ET MARSILE D'INGHEN

Alain de LIBERA

L'analyse logique des propositions exprimant un changement d'état


- les «
< inceptives » et les « désitives » de Port-Royal - est l'un des principaux
problèmes de la sémantique médiévale des propositions¹ . Une «< inceptive » est
une proposition comme :
( 1) Sortes incipit currere .
Une « désitive » est une proposition comme :

(2) Sortes desinit currere .


Sans préjuger des questions physiques portant sur la nature du temps et du
mouvement , mais en relation avec elles et en connexion avec la problématique
aristotélicienne de l'instant du changement développée au livre VIII , chap . 8 de
la Physique, les logiciens médiévaux proposent une analyse formelle de «< com-
mencer>> et << finir » dont la stratégie et les instruments restent logico -linguistiques ,
même si les «< cas » imaginaires qui servent de révélateurs aux propositions à
évaluer semblent - mais c'est une illusion - ouvrir sur le réel2 .
Les auteurs dont on examine ici les doctrines : Albert de Saxe³ , Marsile
d'Inghen4 et un commentateur tardif et anonyme de Marsile - appelons - le
l'Anonyme - présentent chacun à leur manière l'une des branches , parfois l'un
des rameaux , de l'alternative qui semble s'être offerte en cette matière aux
auteurs du XIVe siècle exposition (expositio) ou analyse par les causes de
vérité (probatio per causas veritatis), alternative qui découle elle -même d'une
question plus générale les «< inceptives » et les « désitives » sont-elles ou non
des propositions « exponibles » 5 ?
On sait qu'un «< exponible » est un énoncé qui <« tout en étant grammati-
calement simple , comprend en réalité plusieurs jugements différents coordonnés .
De sorte qu'il est nécessaire de l'exposer, c'est-à -dire de faire apparaître les pro-
positions cachées qui , pour le sens , le constituent, si l'on désire comprendre
sa signification et déterminer les raisonnements valides dans lesquels il peut
entrer »6. Les médiévaux connaissent plusieurs sortes d' « exponibles >» , les
« exclusives » , comme :

(3) Seul Socrate court


128 A. DE LIBERA

qui s'analyse en :
(3.1) Socrate court
et
(3.2) Aucun être différent de Socrate ne court
les << exceptives » , comme :
(4) Tous sauf Platon sont blancs
qui s'analyse en :
(4.1 ) Platon n'est pas blanc
et

(4.2) Toutes les personnes autres que Platon sont blanches


ou les << réduplicatives >> :
(5 ) Il sait cela en tant que mathématicien
qui s'analyse en :
(5.1 ) Il sait cela
et

(5.2) La cause de son savoir est sa qualité de mathématicien


Comme on le voit immédiatement , la caractéristique commune des << expo-
nibles » est d'être analysables en deux propositions catégoriques reliées par la
conjonction copulative « et » . La proposition analysée étant l' «< exponible »> , on
appelle << exposition » (expositio) la copulative qui la développe et <« exposants >>
(exponentes) chacune des deux catégoriques qui composent cette dernière .
Dans le cas de ( 1 ) « Socrate commence à courir » , il paraît naturel de
retenir l'analyse suivante :
(1.1 ) En ce moment Socrate court
et
( 1.2) Juste avant il ne courait pas
en effet, comme l'écrit Port-Royal : « Lorsqu'on dit qu'une chose a commencé
ou cessé d'être telle , on fait deux jugements , l'un de ce qu'étoit cette chose
avant le temps dont on parle ; l'autre de ce qu'elle est depuis » 7. Pourtant cette
analyse n'est pas la seule possible . On pourrait également dire - – et peut -
être
aussi bien :

(1.3) En ce moment Socrate ne court pas


et

( 1.4 ) Juste après il courra .


Comment choisir ? Et sur quels critère ? Du moins , si l'on admet que , nécessai-
rement, ou Socrate en ce moment court ou il ne court pas. Cette question pose
celle même de l'exponibilité des inceptives/désitives.
Examinons , pour commencer , la réponse du plus notable partisan de
l'exponibilité dans l'école buridaniste de Paris : Albert de Saxe .
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 129

L'extrême intérêt de l'approche de celui qu'on appelle parfois le «< petit >>
Albert vient de ce qu'elle nous est parvenue sous des formes différentes , tant par
le genre littéraire ou pédagogique que par le parti ultime qu'elles recèlent .
A notre connaissance , Albert de Saxe s'est exprimé au moins trois fois.
sur la question des propositions i/d : la première , dans sa Somme de logique,
oeuvre connue sous le titre de Logique très utile (Perutilis logica) sans doute dû
à un éditeur du XVe siècle ; la deuxième dans ses Sophismata, recueil cons-
tituant la principale contribution du XIVe siècle parisien à un genre surtout
illustré, à cette époque , par des anglais comme Guillaume de Heytesbury ou
Richard de Kilvington8 ; la troisième , dans son exposition d'un traité sur les
Consequentiae, manuel ayant servi de base à son enseignement de la logique à
l'Université de Paris.
Chacun de ces textes a ses lois , sa finalité et son accent propres. Les
Consequentiae nous proposent une version purement pédagogique destinée
aux débutants . La Logica nous offre une présentation doctrinale d'ensemble
qui récapitule les doctrines et les évalue d'un point de vue que l'on appellera
- pour des raisons qui apparaîtront - <«< linguistique » . Les Sophismata nous
livrent une autre présentation encore , dont la polarité désormais fournie par
l'exercice hautement technicisé de la « dispute » , s'ordonne à un point de vue
que l'on doit cette fois - qualifier de « logique » . Il est rare qu'un auteur nous
montre ainsi sinon trois aspects de sa pensée , du moins trois aspects de son
activité et de sa méthode . Nous présenterons donc chacun des trois , sans privi-
légier le contenu supposé de la « doctrine » par rapport aux conditions réelles
de son emploi.
Les Consequentiae conservées aux f. 59vb - 78rb du ms. lat . 14715 de
la Bibliothèque nationale de Paris ne sont pas un traité d'Albert9 . Il s'agit d'une
Expositio, c'est-à-dire du commentaire d'un traité compilé par un anglais désigné
sous le nom de « Suton » au f. 60va. Ce « Suton » est , sans aucun doute possible ,
le Mertonien Guillaume de Sutton 10 , mort en 1349, auquel deux oeuvres ont jus-
qu'ici pu être attribuées : le Breviloquium de suppositionibus et le Breviloquium
de consequentiis11 dans lequel nous reconnaissons le texte «< exposé >> par Albert .
Pour le contenu doctrinal , Sutton , dont l'activité de logicien se situe approxi-
mativement entre 1330 et 1340, n'est guère original 12. Albert lui-même nous
dit que les trois sources principales du maître anglais sont Aristote et des «< logi-
ciens modernes » : il nomme Ockham et Burleigh 13. A bien y regarder, pourtant,
on constate que la source principale de ces Consequentiae est Gauthier Burleigh.
En effet , le premier lemme commenté : « Quoniam in Sophismatibus... » , dans
la version d'Albert , « Quia in Sophismatibus ... » , dans la version du commen-
taire de Vienne , Dominikanerkloster 160/130, reprend manifestement l'incipit
des Consequentiae de Burleigh conservées, notamment dans le ms. latin 6441
de la Bibliothèque nationale de Paris 14. Par ailleurs, les grandes articulations de
9
130 A. DE LIBERA

la compilation suivent pour l'essentiel les divisions du traité de Burleigh, à cela


près que la partie sur les inceptives/désitives est ajoutée par Sutton . Cet ajout
ne pose cependant pas de problème car , pour le contenu doctrinal , l'analyse
proposée par Guillaume reprend exactement la doctrine professée au dernier
chapitre du De puritate artis logice (Tractatus longior)15 .
S'appuyant sur la compilation anglaise de plusieurs oeuvres de Burleigh
- voire un commentaire de cette compilation qu'il se serait contenté de « lire »
et de corriger le texte dit « Explicit expositio libri De consequentiis cor-
recta per Magistrum Albertum de Saxonia pariter atque lecta » 16 — , on voit
qu'Albert de Saxe , et avec lui sans doute d'autres Maîtres parisiens 17 , procède
non sans éclectisme . On constate , en tout cas , que la doctrine expliquée et déve-
loppée par le Saxon dans son enseignement élémentaire est celle de Burleigh
plutôt que celle d'Ockham , dont son « modèle » , Sutton, était d'ailleurs l'adver-
saire déclaré 18. Cette doctrine est la suivante .
Les inceptives et les désitives sont des exponibles mais elles admettent
plusieurs sortes d'expositions selon la nature des termes qui y figurent et , cor-
rélativement , selon la nature ou le type des mobiles qui y sont représentés .
Il y a trois types de mobiles : les réalités permanentes (par exemple le fait
d'être homme), les réalités successives ou successivement produites (par exemple
le mouvement local ou le temps) , les réalités ponctuelles ou évanouissantes (par
exemple l'instant , le nunc) . Cette tripartition des mobiles , qui évoque la distinc-
tion stoïcienne entre les trois sortes de nouá, est un lieu commun de la logique
du changement depuis le XIIIe siècle 19. Ce n'est pas sur elle que les auteurs se
séparent mais sur les types de paraphrases correspondant aux différents mobiles
et processus distingués.
La doctrine de Sutton , reprise par Albert et issue de Burleigh20 , consiste
à exposer les changements d'états dans les réalités permanentes par une copula-
tive dont le premier membre est , dans le cas d'incipit, une proposition affirmative
au présent et le second une négative au passé , i.e. pour (6) Sor incipit esse :
(6.1 ) Sor nunc est et (6.2) immediate ante hoc non erat
tandis que, dans le cas de desinit, on a une copulative dont le premier membre
est une négative au présent et le second une affirmative au passé , i.e. pour (7)
Sor desinit esse :
(7.1 ) Sor nunc non est et (7.2) immediate ante hoc erat
En revanche , dans les changements concernant les réalités successives , c'est-à-dire
dans les mouvements accidentels , «< commencer » est exposé par une copulative
dont le premier membre est une négative au présent et le second une affirmative
au futur, i.e. pour ( 8 ) Motus nunc incipit esse :
(8.1 ) Motus nunc non est et (8.2) immediate post hoc erit
tandis que << finir » est exposé par une copulative dont le premier membre est
une négative au présent et le second une affirmative au passé , i.e. pour (9 ) Motus
nunc desinit esse :
(9.1 ) Motus nunc non est et (9.2) immediate ante hoc fuit
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 131

Enfin , dans le cas des événements ponctuels , «< commencer » est exposé par
une affirmative au présent doublée d'une négative au passé , i.e. pour ( 10) Instans
nunc incipit esse :
( 10.1 ) Instans nunc est et ( 10.2) immediate ante hoc non fuit
tandis que «< finir » est exposé par une affirmative au présent doublée d'une
négative au futur, i.e. pour ( 11 ) Instans nunc desinit esse :
( 11.1 ) Instans nunc est et ( 11.2 ) immediate post hoc non erit
Comme on le voit , permanents et successifs ne commencent pas de la mê-
me façon mais finissent identiquement, alors que permanents et instantanés
finissent différemment mais commencent de la même façon21 .
Ainsi donc, le choix entre les différentes possibilités logiques d'exposition
par copulatio repose-t-il , en définitive , sur des raisons extra-logiques . Si les per-
manents n'ont qu'une seule exposition pour «< commencer » (position du présent ,
négative du passé) , c'est pour la raison physique , empruntée à Aristote et Averroes ,
que les réalités permanentes ont une limite gauche intrinsèque (primum esse ou
primum quod sic) ; si les successifs en ont une autre , c'est qu'ils ont une limite
gauche extrinsèque (ultimum non esse ou ultimum quod non) . En revanche ,
si les permanents et les successifs finissent de la même façon, c'est qu'ils ont
une limite droite extrinsèque (primum non esse ou primum quod non) , alors
que les instantanés ont un traitement spécial car ils ont une limite gauche et
une limite droite intrinsèques, c'est-à-dire à gauche un primum esse, à droite
un ultimum esse, et le tout indissociablement ( « indivisibiliter >> ). La combi-
natoire logique est donc restreinte , spécialisée par des critères physiques . En fin
de compte , c'est le recours au livre VI de la Physique d'Aristote qui tranche
le dilemme logico-linguistique de l'exponibilité des inceptives/désitives : la typo-
logie physique des mobiles précise et limite à elle seule les possibilités formelles
de l'analyse .

Considérons maintenant la manière dont Albert traite le problème dans


la Perutilis logica22 .
Oeuvre de synthèse et de mise en ordre du savoir , la Somme se doit de
proposer un inventaire critique des principales doctrines disponibles . Albert en
présente trois .
La première est celle qu'il a commentée dans sa lectura des Consequentiae
de Sutton. Contrairement à ce qu'indique la note marginale de l'édition vénitienne
de 1522 , il ne s'agit donc pas de la doctrine de Pierre d'Espagne mais bien , comme
on l'a vu , de celle de Burleigh - du moins si l'on pense aux oeuvres authentiques
de Pierre , telles que la tradition manuscrite du XIIIe siècle nous les a livrées , et
non à l'oeuvre totalement interpolée que nous ont léguée les éditions imprimées
du XVe siècle . Au vrai , le seul antiquus ayant soutenu l'opinion présentée par
Albert est Henri de Gand . Mais , si ce fait nous apprend que l'analyse de Burleigh
n'est pas originale et plonge ses racines dans l'enseignement des dernières années
du XIIIe siècle parisien , il ne change rien à la nature exacte des sources directes
d'Albert , que nous connaissons par la lectura du Breviloquium de Sutton23 .
132 A. DE LIBERA

La seconde doctrine mentionnée résout le problème de l'exponibilité en


supprimant la typologie des mobiles. Toutes les réalités, quelles qu'elles soient,
permanentes ou successives, fondent le même et unique type d'analyse .
<< Commencer » s'expose par une copulative dont le premier membre est
une affirmative au présent et le second une négative au passé ; « finir » par une
copulative dont le premier membre est une négative au présent et le second
une négative au passé24 .
Cette doctrine consiste visiblement à généraliser le type d'exposition tan-
tôt réservé par Burleigh aux seules réalités permanentes . Contrairement à ce que
pourrait à nouveau suggérer la note de Petrus Sanitus, il ne s'agit aucunement
de la doctrine d'Ockham dont l'analyse, telle que la propose la Summa logicae,
II , 19 , consiste bien plutôt en une généralisation du traitement réservé aux ins-
tantanés par Burleigh et Sutton . Certes, chez Ockham comme dans la doctrine
présentée par Albert, il y a rejet de la bipartition et a fortiori - mais implici-
tement pour Ockham de la tripartition des mobiles . Cela ne suffit pourtant
pas à faire du Franciscain anglais l'auteur de l'opinio secunda. En fait, dans
l'état actuel des recherches, cette opinion n'est explicitement soutenue par
aucun texte ou maître connus25 .
Face aux première et deuxième doctrines, l'attitude d'Albert est simple.
Ni l'une ni l'autre ne peut être acceptée. La première , celle de Burleigh, parce
qu'elle implique qu'on quitte , pour l'évaluer, le terrain de la logique . De fait,
discuter cette doctrine , c'est, au minimum, se prononcer sur l'existence d'atomes
ou d'indivisibles de temps (instants) et donc sur celle d'indivisibles tout court
(points), toutes questions qui regardent le métaphysicien ou le physicien plutôt
que le logicien. Et il est clair que l'admettre, c'est assumer l'existence de ces
indivisibles, au moins de cet instant, nunc, qui divise l'axe temporel et ponctue
la référence et l'énonciation26 . Quant à la seconde doctrine, Albert la rejette
parce qu'elle conduit à des absurdités, non pas logiques, mais linguistiques .
En effet, pareille analyse oblige à concéder une proposition comme ( 12) Sortes
incipit esse adhuc dans le « cas » imaginaire où Socrate vivrait déjà depuis cent
ans . Dans ce cas , en effet, l'exposition prévue , c'est-à- dire :
(12.1) Sortes nunc est et ( 12.2) immediate ante hoc non fuit
fait de << hoc » le signe d'un intervalle de ... cent ans, et il devient difficile d'ad-
mettre que quelqu'un qui n'existait pas encore il y a cent ans plus une seconde
est maintenant dans l'éclatante fraîcheur de la nouveauté . Un tel emploi de
<< commencer >> et de « finir » est contre l'usage et le « mode d'expression
habituel des hommes » 27 .
Le véritable critère d'exposition que l'on doit, en définitive , retenir est
donc linguistique et non logique c'est l'usage , c'est la langue et l'emploi que
nous en faisons .
Telle est la troisième solution choisie par Albert, solution présentée
comme «< la plus probable » dans le ms . Paris, Bibl . nat. , lat . 18430, comme
<< la meilleure et la plus probable » dans le ms. lat . 1471528 .
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 133

Son point de départ est sémantique . Certains adverbes sont comme inclus
dans la signification de certaines formes verbales. Ainsi de frequenter dans legito,
forme dite << fréquentative » de lego, laquelle ne signifie justement rien d'autre
que frequenter lego. Or, et telle est la solution, à côté d'adverbes de temps
comme heri (hier) ou cras (demain) qui orientent l'axe temporel , il existe des
adverbes qu'on pourrait appeler d' « évaluation temporelle » qui, plutôt que
de désigner une portion limitée du temps, expriment le caractère récent ou
prochain d'un événement, c'est-à -dire indiquent ou situent la distance de cet
événement référé à partir du point d'énonciation (maintenant) . Ces adverbes
sont diu (locatif de dius = dies) , iam, olim, quondam, dudum, statim, nuper,
etc. Pour exposer correctement les propositions inceptives et désitives, il suffit
de considérer que les verbes aspectuels «< commencer » et « finir » contien-
nent implicitement un adverbe de temps , du type de nuper (récemment ),
statim (aussitôt, tout de suite) ou diu (longtemps) . L'analyse consiste alors à
remplacer le syncatégorème immediate par l'un des adverbes implicitement
contenus dans la signification du verbe . Soit pour « commencer » : (6) Sor nunc
incipit esse :
(6.1 ) Sor nunc est et (6.2.1 ) nuper ante hoc non erat
et pour «
< finir » : (7) Sor nunc desinit esse :
(7.3) Sor nunc est et (7.4) statim post hoc non erit29
Cette solution s'appuie visiblement sur la signification courante des mots .
Et, de fait, «< commencer d'être » c'est bien «< être depuis peu » et «< cesser
d'être » , c'est << bientôt ne plus être » . Mais elle s'appuie aussi sur leur usage
et si l'on ose dire sur leur usage rationnel . En effet , si nous ne disons pas d'un
homme immobile qu'il «< commence à bouger » , ou d'un homme mort qu'il
<< finit de vivre » , il n'y a non plus aucune raison de dire d'une réalité qui n'est
pas, qu'elle «< commence » , ni d'ailleurs qu'elle « finit , « d'être » . Dans un cas,
on dit qu'elle commencera bientôt d'être , dans l'autre qu'elle a déjà fini. Cet
usage constant se vérifie dans l'expérience linguistique de chacun . Une chose
qui commence d'avoir lieu , n'a pas encore commencé tant qu'elle n'a pas
lieu , faute de quoi des formes comme « commencer , à commencer à ...
commencer » seraient inévitables 30 .
La troisième doctrine, retenue par Albert , est donc, comme la deuxième ,
une simplification de la première . La typologie des mobiles y est également
écartée et une seule exposition est retenue pour chaque verbe . En fait , c'est
celle d'Ockham , ni plus ni moins, si l'on s'en tient aux formules : position du
présent, négation du passé pour incipit, position du présent, négation du futur
pour desinit. L'axe épistémologique en est , toutefois, différent puisque c'est
l'usage, et lui seul, qui dicte la formulation . Cette analyse , qui consiste à inter-
préter la proposition inceptive comme un futur périphrastique et la désitive
comme un passé immédiat , évite donc un double écueil : celui d'une décision pure-
ment (méta) physique sur l'existence des indivisibles , celui d'un choix purement
logique de formules que le moindre «< cas » met en contradiction avec l'usage .
134 A. DE LIBERA

C'est celle qu'Albert présente, dans la Perutilis logica, comme « l'exposition


propre » , puisque le langage sur lequel elle s'appuie et auquel elle s'accorde
<< ne tient sa vertu que de l'usage »31. En cela le Saxon s'éloigne totalement
d'Ockham qui semble effleurer une doctrine voisine au c . 19 du livre II de la
Summa, ce qu'il nomme «< expositio secundum usum loquentium » ou « < expositio
impropria » , et la répudier au bénéfice de sa doctrine personnelle , << expositio
secundum veritatem sermonis » ou « expositio propria »32 .

Voyons à présent la doctrine exposée dans les Sophismata33 . Contrai-


rement à la Somme, les Sophismata d'Albert traitent des inceptives/désitives
à un niveau qui est , à la fois et paradoxalement, proprement logique et entière-
ment conditionné par la physique . Cette situation n'est d'ailleurs pas réellement
paradoxale . Sur les 31 Sophismes en incipit/desinit traités par Albert, dans
le ms . lat . 16134 de la Bibl. nat. de Paris , 12 au moins (i.e. du vingtième au
trente et unième compris) relèvent du genre des Sophismata physicalia 34. Ce
sont, d'ailleurs, ceux qu'Albert lui-même présente comme spécifiquement
<< modernes >> 35 . La proximité même des Sophismata de R. Kilvington et de
G. Heytesbury dans ce ms . 16134 montre, d'ailleurs , que les Sophismata d'Albert
sont, à leur manière , engagés dans cette rencontre de la logique et de la physique
qui caractérise les écrits des Calculateurs d'Oxford. Au vrai , il faut se rappeler
ici que Burleigh lui-même a tenu sa place dans ce type de discussions . On ne
s'étonnera donc pas de voir Albert revenir à sa doctrine pour des raisons exacte-
ment opposées à celles qui la lui avaient fait abandonner dans la Logica, i.e.
son aptitude à épouser une ontologie des états et des transitions livrée , de l'exté-
rieur, par le physicien .
En fait , le Saxon reprend presque ligne par ligne l'ordre adopté dans
la Somme. Un premier paragraphe fixe les possibilités aprioriques d'exposition .
Un second indique quatre règles qui permettent de spécialiser chacune d'elles
en fonction du type d'encadrement des processus considérés : intrinsèque
(primum esse, ultimum esse) ou extrinsèque (ultimum non esse, primum non
esse). Cette doctrine est celle de Burleigh36. Vient ensuite l'exposé de l'opinio
secunda, avec les absurdités qu'elle entraîne37 . Vient enfin la « troisième » ,
annoncée comme « la plus vraie » ( veriorem) - et non pas «< la plus brève »
(breviorem) comme le dit assez malencontreusement l'édition imprimée38 .-.
L'exposé en est , en tout point, identique à celui de la Logica, puisqu'Albert
montre successivement : 1 ) que les verbes i/d incluent des adverbes de temps
dans leur signification , i.e. « nuper » , « statim » et « diu » ; 2) que les inceptives/
désitives ne relèvent que d'un seul type d'exposition (position du présent,
négation du passé pour « commencer » , position du présent , négation du futur
pour « finir » ) ; 3) que la différence entre réalités permanentes et successives n'a,
de ce point de vue, pas lieu d'être 39 .
Des trois doctrines pourtant, c'est la première qu'Albert retient pour le
traitement des Sophismata. Certes , la troisième est fondée sur l'usage . Mais elle a
deux inconvénients . Le premier est que personne ne l'emploie dans la littérature
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 135

sophismatique . L'autre est que seule la première doctrine permet d'assumer,


en toute précision , les différents processus représentés imaginairement dans
les cas40 . De fait, Albert avait déjà noté dans la Somme, et il y revient ici , que
la doctrine de Burley serait entièrement vérifiée s'il existait des atomes tem-
porels tandis que la troisième est justement «< la plus vraie » parce qu'il n'en
existe pas41 . A présent qu'il ne s'agit plus de ce qui est « réellement >> mais bien
uniquement de ce qui est proposé dans cette Casuistique de la Nature qu'est
la littérature sophismatique, il faut avouer que la première doctrine convient
parfaitement à une entreprise où l'imagination permet de mesurer avec précision
des changements et des mouvements que l'on serait , souvent, bien en peine de
trouver dans la réalité .
La doctrine << la plus vraie » , c'est-à -dire celle qui découle d'un usage du
langage qui consacre une forme originaire d'adéquation entre la connaissance,
la grammaire et l'ontologie, cède donc tout à fait normalement la place à la
moins vraie, c'est-à-dire à celle qui consacre une forme ultime d'adéquation
entre une connaissance devenue méthode, une grammaire prise à la lettre et
une ontologie en extension indéfinie . L'imagination garantit donc non seulement
ce qu'on appelle « la tradition de la science » mais sa construction même,
puisque la science n'est pas science du « réel » mais production d'un espace,
d'un temps et d'un mouvement imaginaires.

II

Avec les trois textes d'Albert de Saxe : Consequentiae, Summa et Sophismata,


nous venons de voir trois manières d'engager une même position d'ensemble .
Qu'il s'agisse des Consequentiae où l'accent est mis sur la pédagogie , de la Summa
où il est mis sur l'usage linguistique , des Sophismata où il est mis sur la valeur
logique et technique , on a, à chaque fois , la même réponse fondamentale : les
inceptives/désitives sont des propositions exponibles, c'est-à-dire des propositions
que l'on peut expliquer par une copulative.
Cette doctrine, apparemment si naturelle , ne va pas pourtant sans poser
de problèmes . Chacun connaît les règles qui conditionnent la valeur de vérité
des copulatives. Une copulative est vraie si et seulement si chaque membre de
la conjonction qui la compose est vrai ; elle est fausse si l'un de ses membres
est faux . En limitant le nombre des expositions à une seule par verbe aspectuel
ou en renonçant aux indivisibles de temps , Albert donnait une réponse simple
et commode au problème de l'exponibilité , mais sans retoucher fondamentale-
ment un choix initial dont la valeur théorique restait faible puisqu'il consistait
à s'adapter aux circonstances (lecture , inventaire , analyse de « cas » ) .
C'est pour répondre à une légitime exigence de plus grande généralité
que d'autres auteurs du XIVe siècle ont proposé de renoncer à l'exponibilité
des inceptives/désitives et ont avancé la notion d'analyse par les causes de
vérité (probatio per causas veritatis).
134 A. DE LIBERA

C'est celle qu'Albert présente , dans la Perutilis logica, comme « l'exposition


propre » , puisque le langage sur lequel elle s'appuie et auquel elle s'accorde
<<< ne tient sa vertu que de l'usage » 31. En cela le Saxon s'éloigne totalement
d'Ockham qui semble effleurer une doctrine voisine au c . 19 du livre II de la
Summa, ce qu'il nomme «< expositio secundum usum loquentium » ou « expositio
impropria » , et la répudier au bénéfice de sa doctrine personnelle , << expositio
secundum veritatem sermonis » ou « expositio propria » 32 .

Voyons à présent la doctrine exposée dans les Sophismata33 . Contrai-


rement à la Somme, les Sophismata d'Albert traitent des inceptives/ désitives
à un niveau qui est, à la fois et paradoxalement, proprement logique et entière-
ment conditionné par la physique . Cette situation n'est d'ailleurs pas réellement
paradoxale . Sur les 31 Sophismes en incipit/desinit traités par Albert, dans
le ms . lat. 16134 de la Bibl. nat. de Paris, 12 au moins (i.e. du vingtième au
trente et unième compris) relèvent du genre des Sophismata physicalia34 . Ce
sont, d'ailleurs , ceux qu'Albert lui-même présente comme spécifiquement
<< modernes >> 35 . La proximité même des Sophismata de R. Kilvington et de
G. Heytesbury dans ce ms. 16134 montre, d'ailleurs, que les Sophismata d'Albert
sont, à leur manière , engagés dans cette rencontre de la logique et de la physique
qui caractérise les écrits des Calculateurs d'Oxford . Au vrai , il faut se rappeler
ici que Burleigh lui-même a tenu sa place dans ce type de discussions . On ne
s'étonnera donc pas de voir Albert revenir à sa doctrine pour des raisons exacte-
ment opposées à celles qui la lui avaient fait abandonner dans la Logica, i.e.
son aptitude à épouser une ontologie des états et des transitions livrée , de l'exté-
rieur, par le physicien .
En fait, le Saxon reprend presque ligne par ligne l'ordre adopté dans
la Somme. Un premier paragraphe fixe les possibilités aprioriques d'exposition .
Un second indique quatre règles qui permettent de spécialiser chacune d'elles
en fonction du type d'encadrement des processus considérés : intrinsèque
(primum esse, ultimum esse) ou extrinsèque (ultimum non esse, primum non
esse). Cette doctrine est celle de Burleigh36. Vient ensuite l'exposé de l'opinio
secunda, avec les absurdités qu'elle entraîne37 . Vient enfin la « troisième » ,
annoncée comme « la plus vraie » ( veriorem) et non pas « la plus brève »
(breviorem) comme le dit assez malencontreusement l'édition imprimée38 -.
L'exposé en est, en tout point, identique à celui de la Logica, puisqu'Albert
montre successivement : 1 ) que les verbes i/d incluent des adverbes de temps
dans leur signification , i.e. « nuper » , « statim » et <« diu » ; 2) que les inceptives/
désitives ne relèvent que d'un seul type d'exposition (position du présent,
négation du passé pour « commencer » , position du présent, négation du futur
pour « finir » ) ; 3) que la différence entre réalités permanentes et successives n'a,
de ce point de vue , pas lieu d'être 39 .
Des trois doctrines pourtant, c'est la première qu'Albert retient pour le
traitement des Sophismata. Certes, la troisième est fondée sur l'usage . Mais elle a
deux inconvénients . Le premier est que personne ne l'emploie dans la littérature
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 135

sophismatique . L'autre est que seule la première doctrine permet d'assumer,


en toute précision, les différents processus représentés imaginairement dans
les cas40 . De fait, Albert avait déjà noté dans la Somme, et il y revient ici , que
la doctrine de Burley serait entièrement vérifiée s'il existait des atomes tem-
porels tandis que la troisième est justement «< la plus vraie » parce qu'il n'en
existe pas41 . A présent qu'il ne s'agit plus de ce qui est « réellement >> mais bien
uniquement de ce qui est proposé dans cette Casuistique de la Nature qu'est
la littérature sophismatique, il faut avouer que la première doctrine convient
parfaitement à une entreprise où l'imagination permet de mesurer avec précision
des changements et des mouvements que l'on serait, souvent, bien en peine de
trouver dans la réalité .
La doctrine << la plus vraie » , c'est-à-dire celle qui découle d'un usage du
langage qui consacre une forme originaire d'adéquation entre la connaissance,
la grammaire et l'ontologie , cède donc tout à fait normalement la place à la
moins vraie , c'est-à-dire à celle qui consacre une forme ultime d'adéquation
entre une connaissance devenue méthode, une grammaire prise à la lettre et
une ontologie en extension indéfinie . L'imagination garantit donc non seulement
ce qu'on appelle « la tradition de la science » mais sa construction même,
puisque la science n'est pas science du « réel » mais production d'un espace,
d'un temps et d'un mouvement imaginaires.

II

Avec les trois textes d'Albert de Saxe : Consequentiae, Summa et Sophismata,


nous venons de voir trois manières d'engager une même position d'ensemble .
Qu'il s'agisse des Consequentiae où l'accent est mis sur la pédagogie , de la Summa
où il est mis sur l'usage linguistique , des Sophismata où il est mis sur la valeur
logique et technique, on a, à chaque fois, la même réponse fondamentale : les
inceptives/désitives sont des propositions exponibles, c'est-à-dire des propositions
que l'on peut expliquer par une copulative .
Cette doctrine, apparemment si naturelle , ne va pas pourtant sans poser
de problèmes . Chacun connaît les règles qui conditionnent la valeur de vérité
des copulatives . Une copulative est vraie si et seulement si chaque membre de
la conjonction qui la compose est vrai ; elle est fausse si l'un de ses membres
est faux . En limitant le nombre des expositions à une seule par verbe aspectuel
ou en renonçant aux indivisibles de temps , Albert donnait une réponse simple
et commode au problème de l'exponibilité , mais sans retoucher fondamentale-
ment un choix initial dont la valeur théorique restait faible puisqu'il consistait
à s'adapter aux circonstances (lecture , inventaire , analyse de «< cas » ) .
C'est pour répondre à une légitime exigence de plus grande généralité
que d'autres auteurs du XIVe siècle ont proposé de renoncer à l'exponibilité
des inceptives/désitives et ont avancé la notion d'analyse par les causes de
vérité (probatio per causas veritatis).
136 A. DE LIBERA

Au lieu de l'analyser alternativement ou successivement par une copulative


puis par une autre, ce type de paraphrase consiste à remplacer la proposition
de départ par une disjonction de copulatives simples . Les règles de la disjonction
sont, on le sait, différentes de celles de la conjonction . Une disjonctive est vraie
si l'un de ses membres est vrai et fausse si et seulement si ses deux membres
sont faux42 . Au lieu d'une dualité conflictuelle d'analyses simples (exprimant
des points de vue et des doctrines différents), on a donc une analyse complexe
qui résorbe le conflit des interprétations : il suffit de prendre « vel » comme
connecteur. Ce geste est logiquement satisfaisant dans la mesure où il fournit
un cadre formel qui englobe d'avance toutes les possibilités de décision . D'autre
part, il suffit que n'importe lequel des membres soit vrai , pour que la disjonction
soit vérifiée , ceci expliquant cela. On a ainsi une paraphrase par les «< causes
de vérité » qui convient à incipit avant même de différencier les formules en
fonction du type ontologique ou physique des processus distingués .
C'est ce type d'analyse que soutient Marsile d'Inghen.
Pareille position n'est pas sans exemple au XIVe siècle . On la rencontre
chez Strode43 . On la retrouvera chez Pierre de Mantoue44 .
Il semble que Marsile lui-même lui ait donné plusieurs formes . M. Maierù
a montré que , dans son exposé d'ensemble - ce qu'on appelle le Textus dialec-
tices , Marsile limitait l'analyse par les causes de vérité au seul cas où le verbe
aspectuel était affirmé d'une substance singulière (de subiecto singulari substan-
tiali)45 . Plutôt que de reprendre telle quelle cette analyse, nous proposons de
l'aborder telle que la présente et la critique l'auteur anonyme du Commentum
parvorum logicalium Marsilii, dont la première édition imprimée date au plus
tard de 1487. C'est, en effet, là, selon nous , que l'on voit le plus clairement en
quoi consiste l'originalité de Marsile , i.e. en ce qu'il confine l'analyse par les
causes de vérité aux seules propositions inceptives et garde l'exposition pour
les désitives46.
L'Anonyme expose d'abord la doctrine du philosophe parisien, puis la
sienne propre . Au passage , il fait état de l'analyse d'un certain « Maître Hugo >» ,
dans lequel il faut reconnaître l'auteur des Questiones super Tractatum de conse-
quentiis conservées dans le ms . Munich, Clm. 24961 , f. 29ra-84vb, texte dont
il reprend lui-même le plan en deux parties47 . En tout état de cause , on a là au
moins deux , voire trois, rameaux de la branche opposée à celle d'Albert de Saxe
(qui , on l'a vu , est aussi celle de Burleigh).
La distinction fondamentale introduite par notre Anonyme consiste
- apparemment à la suite de « Maître Hugo » - à distinguer entre exposition
formelle et exposition suffisante .
L'exposition suffisante de (6) Sor incipit esse , celle d'Albert de Saxe,
est la copulative bien connue :
(6.1 ) Sor nunc est et (6.2) immediate ante hoc non erat
De fait , elle suffit à en manifester clairement le sens . Mais cette même
exposition, pour être « suffisante » , n'en est pas « formelle » dans la mesure où
elle n'explique pas adéquatement le sens de n'importe quelle autre proposition
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 137

équiforme de (6) . Ainsi de la proposition (13) a incipit esse , dont la forme logi-
que est identique à celle de (6) . Dans ce cas, en effet, il suffit de remplacer a
par motus pour obtenir (8 ) Motus incipit esse, proposition équiforme de (6)
et qui, pourtant, n'a pas les mêmes conditions de vérité , puisque l'inceptio de
Socrate a une limite gauche intrinsèque (primum quod sic), alors que celle du
mouvement, réalité successive , a une limite gauche extrinsèque (ultimum quod
non). On a donc ici une contradiction . Si l'on considère , par exemple avec
Albert de Saxe , que l'exposition de (6) par position du présent et négation du
passé est suffisante et formelle, c'est faux , car ( 13) en est falsifiée pour le cas
où a signifie un mouvement ; pourtant, si l'on considère que l'exposition de ( 8)
par négation du présent et position du futur est suffisante et formelle, c'est
encore faux , car ( 13) en est à nouveau falsifiée pour le cas où a signifie Socrate .
La conclusion est simple aucune copulative quelle qu'elle soit, et a fortiori
aucune conjonction de copulatives , ne saurait rendre compte des propositions
inceptives/désitives, car aucune ne permet d'en assurer l'exposition formelle48 .
C'est pour garantir cet aspect formel que Marsile d'Inghen propose
l'analyse par les causes de vérité , analyse qui doit expliquer le sens de toute
proposition inceptive , c'est-à-dire le sens de n'importe quelle inceptive donnée
et de toutes ses équiformes.
Cette analyse est la suivante : une affirmative de incipit doit être expliquée
par une disjonctive composée de deux copulatives dont la première consiste
en une position du présent plus une négation du passé, tandis que la seconde
consiste en une négation du présent et une position du futur . La solution de
Marsile consiste ainsi à former une seule proposition à l'aide de deux analyses
différentes, tantôt réservées par Burleigh et Albert de Saxe, l'une aux réalités
permanentes, l'autre aux réalités successives .
Bien qu'elle semble parer d'avance à toute éventualité , l'Anonyme ne s'en
satisfait pas. Pour lui , la disjonction marsilienne n'est « ni bonne ni formelle ».
Afin de réfuter le Maître parisien, notre auteur reprend un sophisme bien connu ,
qu'il emprunte à nouveau - semble-t-il - à « Maître Hugo » , i.e.
( 14 ) Creans incipit esse deus
Dans l'analyse marsilienne , cette proposition devient :
( 14.1 ) Creans nunc est deus et immediate ante hoc non fuit deus vel (14.2) Creans
nunc non est deus et immediate post hoc erit deus.
Le « cas » du sophisme est la situation standard où Dieu est sur le point de créer
( <« iam non creat sed immediate post hoc creabit » ) . Dans ce cas précis , le second
membre de la disjonction est vrai (i.e. ( 14.2 ) ) . La disjonction tout entière est
donc vraie, alors qu'il s'agit d'une proposition « impossible » . Le sophisma ( 14),
proposition équiforme de ( 15) a incipit esse b, n'est donc pas formellement
expliqué par la disjonction qui explique la proposition princeps ( 15) . La doctrine
de Marsile n'est donc pas recevable telle quelle49 . Il faut la reformuler.
C'est ce que fait l'Anonyme : l'explication suffisante et formelle d'une pro-
position de incipit est donnée par une disjonctive composée de deux copulatives
138 A. DE LIBERA

dont la seconde exprime le primum quod sic (primum instans esse) et la première
l'ultimum quod non (ultimum instans non esse). Toutefois, dans la première
copulative , la position du futur doit être effectuée avant la négation du présent
(du moins si l'infinitif est au présent) , de même que dans la seconde la négation
du passé doit aussi être effectuée avant la position du présent . De plus, le second
exposant de chaque copulative doit être préfacé d'un relatif d'identité qui
rappelle le sujet du premier50 .
Ainsi , le sens de (6) est-il le suivant :
(6.3 ) Sortes immediate post hoc erit et idem nunc non est vel (6.4) Sortes
immediate ante hoc non fuit et idem nunc est

La différence avec Marsile est claire . Dans l'analyse de l'Anonyme , <« idem »
signifie la même chose que si l'on avait la formule développée : «< idem Sor-
tes qui immediate post hoc erit » , de même dans la seconde copulative ,
<«< idem >> signifie la même chose que « idem Sortes qui immediate ante hoc
non fuit >> .
Si nous revenons maintenant au sophisme ( 14) , nous voyons que l'analyse
correcte en est :

( 14.3) Creans immediate post hoc erit deus et idem nunc non est deus vel
(14.4) Creans immediate ante hoc non fuit deus et idem nunc est deus
I
Et nous voyons aussi que l'une et l'autre copulative composant la disjonction est
fausse, puisque dans le cas de ( 14.3) on a l'équivalent de :
(14.3.1 ) Creans immediate post hoc erit deus et idem creans quod immediate
post hoc erit, non est deus
et que, dans le cas de ( 14.4) on a :
( 14.4.1 ) Creans immediate ante hoc non fuit Deus et idem creans quod imme-
diate ante hoc non fuit, nunc est deus
En effet, on ne peut à la fois affirmer et nier d'un même individu qu'il est celui
qui sera ce qu'il sera ou qu'il n'était pas celui qui est devenu ce qu'il est. Plus
exactement, et pour en revenir au « < cas » ex hypothesi la proposition (16)
Deus creabit est vraie à l'instant t (= maintenant) . Ce qui revient à dire que
( 17 ) Deus creat sera vraie à t + 1. Mais cette donnée ne s'accorde pas avec
(14.3.1 ) et ( 14.3) qui , précisément, posent que celui dont il est vrai de dire à t
qu'il est celui dont il sera vrai de dire à t + 1 qu'il est celui qui crée n'est pas
aussi celui dont il est vrai de dire à t qu'il est celui dont il sera vrai de dire à
t + 1 qu'il est Dieu . De même, ex hypothesi, s'il est vrai à t + 1 que ( 16) « Dieu
crée », cela revient à dire qu'à t ( 18) « Dieu ne crée pas encore » est également
vraie . Mais cette donnée cette fois ne s'accorde pas avec ( 14.4.1 ) et ( 14.4) qui,
précisément , posent que celui dont il sera vrai de dire à t + 1 qu'il est celui dont
il aura été vrai de dire à t qu'il est celui qui créera n'est pas celui dont il sera vrai
de dire à t + 1 qu'il est celui dont il aura été vrai de dire à t qu'il est celui qui
sera Dieu. L'une et l'autre copulative étant, dans l'hypothèse, fausse , la dis-
jonction est donc fausse et le sophisme est refusé51 .
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 139

Par rapport à celle de Marsile, la paraphrase de l'Anonyme est donc for-


melle au sens précis où la référence du terme sujet y est numériquement identifiée.
Le cas de desinit offre moins de difficulté . On sait , en effet, que Marsile
renonce ici à l'analyse disjonctive au bénéfice de l'exposition copulative52 .
La seule distinction posée par le Maître parisien est la suivante : si le terme
sujet de la proposition de desinit est connotatif, la copulative est précisée par
une clause limitative , si, en revanche , le sujet est absolu , la copulative vaut
telle quelle . Le premier cas est celui de ( 19 ) Hoc album desinit esse Sortes ,
analysé en :
(19.1 ) Hoc album nunc non est Sortes et (19.2) hoc album immediate ante
hoc fuit Sortes et (19.3) nihil quod immediate ante hoc fuit album
nunc est Sortes.
Le second, celui de (7) : Sortes desinit esse, classiquement analysé en :
(7.1) Sortes nunc non est et (7.2) immediate ante hoc fuit
Cette doctrine , distincte de celle d'Albert de Saxe, est, comme la précédente , re-
jetée par l'Anonyme53 . Il en va de même de sa reformulation par « Maître Hugo » ,
pour qui (7) s'analyse en :
(7.2) Sortes immediate ante hoc fuit et (7.1.2 ) idem nunc non est54
De fait, pour lui , desinit doit être expliqué de la même manière qu'incipit, c'est-
à-dire par une disjonction de deux copulatives exprimant, cette fois , pour la
première le primum instans non esse (ou primum quod non) et pour la seconde
l'ultimum instans esse (ou ultimum quod sic) . De plus, comme pour incipit,
le passé et le futur sont placés avant le présent et le relatif «< idem » est ajouté
en tête de la dernière partie de chaque copulative .
Pour (7) on a donc :
(7.3) Sortes immediate ante hoc fuit et idem nunc non est vel (7.4) Sortes
immediate post hoc non erit et idem nunc est55

III

D'Albert de Saxe à l'anonyme commentateur de Marsile , l'évolution de


la doctrine des inceptives/désitives nous apparaît comme résidant dans une
intériorisation ou assimilation progressive de la typologie des mobiles .
De fait, avec Albert , les différentes possibilités d'analyse de la signification
des propositions i/d, d'abord juxtaposées par paires, étaient soit spécialisées en
fonction du type « physique » des processus distingués, soit arbitrairement
restreintes à une seule paraphrase par verbe, sur la base de l'usage linguistique .
Chez Marsile , en revanche, et plus encore chez l'Anonyme qui étend à
desinit le traitement formel d'incipit, la distinction des processus et des mobiles,
res permanentes, res successivae, etc. est esquissée d'avance dans l'analyse séman-
tique . Il n'y a plus à appliquer des formules distinctes à un réel pré-donné, c'est
bien plutôt le réel qui vient s'inscrire dans une analyse formelle apriorique .
140 A. DE LIBERA

Tel est le sens d'une analyse disjonctive dont chaque copulative disjointe exprime
d'avance chaque type de limitation possible (intrinsèque ou extrinsèque) d'un
commencement ou d'une fin.
L'accentuation du caractère formel de l'analyse , d'Albert à l'Anonyme,
bien marquée par le recours final à la notion de propositions équiformes , corres-
pond sans doute à ce qu'on pourrait appeler une « logicisation » progressive de
la problématique des exponibles . Cette logicisation ne tient ni à la complexité
ni à la difficulté croissante des doctrines mais plutôt , selon nous, à l'effort
constant de simplification qu'elles mettent en oeuvre . De fait, au lieu d'offrir
plusieurs expositions simples et faciles, mais qui volent en éclat au moindre
sophisma, une doctrine comme celle de Marsile , retouchée par son commen-
tateur, vise manifestement à atteindre le plus haut degré formel de généralité
et de compréhension possible . Que cette simplification théorique soit souvent
plus difficile que bien des doctrines antérieures, plus faciles mais moins com-
préhensives et donc aussi moins simples, est incontestable, du moins si l'on
mesure le simple à l'aune de ce qu'il simplifie, c'est-à-dire au nombre des choses
qu'il réunit. Qu'elle perde, du même coup, un contact avec l'usage si heureu-
sement noué par Albert , est non moins incontestable . Par rapport au Saxon,
Marsile d'Inghen entraîne la problématique des exponibles dans le sens de
la logique plutôt que dans celui de la linguistique . Des travaux plus récents
que les nôtres montreraient que l'alternative demeure56 .

NOTES

1. Sur la notion de propositions «< inceptives » et « désitives » , cf. A. Arnauld et P. Nicole,


La logique ou l'art de penser, Paris, 1970 , p . 189-190.
2. Pour tout ceci, cf. N. Kretzmann, « Incipit/desinit » , dans Motion and Time, Space
and Matter, Interrelations in the History of Philosophy and Science, P.K. Machamer &
R.G. Turnbull ed. , Columbus (Ohio) , 1976 , p . 101-136 ; N. Kretzmann, « Socrates is
whiter than Plato begins to be white » , Noûs 11 ( 1977) , p . 3-15 ; J. Murdoch , « Proposi-
tionnal analysis in XIVth century natural philosophy : A case study » , Synthese, 40 (1979) ,
p. 117-146.
3. Sur Albert de Saxe (Albert Rickmersdorf, Albert v. Helmstedt, Albertutius, Albertus
Parvus ) , † 1390 , recteur de l'Université de Paris en 1353 , de Vienne en 1365 , évêque
d'Halberstadt en 1366 , cf. B. Nardi, « Alberto di Sassonia » , Enciclopedia filosofica, t. 1 ,
col . 128. Bibliographie complète dans M. Markowski , Burydanizm w Polsce w okresie
przedkopernikanskim (Studia Copernicana II) , Wroclaw-Warszawa, 1971 , p. 33-34 .
4. Sur Marsile d'Inghen , † 1396 , professeur de l'Université de Paris, puis recteur en 1367
et 1371 , premier recteur de l'Université de Heidelberg en 1386 , cf. M. Markowski, op. cit.,
p. 34-35 .
5. Sur la différence entre expositio et probatio per causas veritatis et sur l'évolution géné-
rale de la problématique des exponibles aux XIIIe , XIVe et XVe siècles, cf. A. Maierù,
Terminologia logica della tarda scolastica, Rome, 1972 , p. 412 sqq. et 471 sqq.
6. O. Ducrot, Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris , 1972 , p.62-63.
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 141

7. A. Arnauld & P. Nicole , op. cit., p. 189.


8. Sur Guillaume de Heytesbury, cf. C. Wilson , William Heytesbury Medieval Logic
and the Rise of Mathematical Physics, Madison, 1960. Sur Kilvington , cf. N. Kretzmann,
<< La logique de la connaissance dans les Sophismata de Richard Kilvington » , Histoire,
épistémologie, langage, t . 3 , f. 1 ( 1981 ) , p . 19-28.
9. Le ms. lat. 14715 de la Bibl. nat. comprend 94 feuillets. Outre les Consequentiae, on y
trouve (f. 1-59vb) la Logica d'Albert, le De sensu composito et diviso de R. Billingham
(f. 79) , le De predestinatione de G. d'Ockham (f. 82v) , les Obligationes de Swineshead
(f. 86r). Contrairement à ce qu'indique le catalogue , l'incipit des Consequentiae est bien
en 59vb et non en 60vb. La raison en est que 59vb marque le début du texte d'Albert,
tandis que 60vb donne l'incipit du texte qu'il commente.
10. Sur Guillaume de Sutton (Sotton , Switon) , Fellow de Merton College dès 1330 , Boursier
de 1338 à 1343, puis Vicaire de S. Peter-in-the-East (Oxford) de février 1346 jusqu'à sa
mort, cf. A. B. Emden , A Biographical Register of the University of Oxford to A.D. 1500,
III , Oxford , 1959 , p . 1826 et J.A. Weisheipl, « Repertorium mertonense » , Medieval Studies,
31 (1969) , p . 219.
11. Pour les manuscrits de Sutton, cf. J.A. Weisheipl, « Repertorium ... » , p . 219 , qui
cite, notamment, pour le De suppositionibus, Munich , Clm. 4379 (s . XIV) , f. 198 et Vienne,
Dominikanerkloster, 160/130 , f. 123ra-rb. Pour le De consequentiis, il semble qu'il faille ajou-
ter au ms. Vienne, Dominikanerkloster, 160/130 , f. 123rb- 124 cité par Weisheipl, le ms. de
Cracovie , B.J. , 717 , 119ra- 132vb contenant des Consequentiae attribuées à « Switon l'anglais ».
12. Cf. J.A. Weisheipl, « Developments in the arts curriculum at Oxford in the early
fourteenth century » , Medieval Studies, 28 ( 1966) , p . 159 .
13. Voici le texte complet de la présentation d'Albert, Bibl. nat. lat. , 14715 , f. 60va :
<< Causa formalis huius tractatus est modus considerandi, quod est quintuplex, videlicet :
diffiniendi, dividendi, probandi et improbandi et exemplorum ponendi (?) , de quibus
patuit supra in principio tractatus de suppositionibus. Omnes istos modos auctor observat
in hoc tractatu, quia ipsam consequentiam diffinit, dividit in suas partes, per exempla deter-
minat. Sed causa efficiens principalis fuit Aristoteles et alii logici moderni qui prolixe et
diffuse tradiderunt hanc scientiam de consequentiis, sicut Aristoteles in secundo Priorum
ubi determinat de emptimetate ( !) quod est consequentia ; etiam Ockham et Burley in
suis tractatibus logicalibus cognitionem consequentiarum prolixe dant. Sed auctor iste
pependens (?) utilitatem iuvenum in logica studere solentium , istum tractatum De conse-
quentiis compendiosum et utilem ex diversis regulis compilavit, per quas regulas omnis
consequentia in quocumque modo potest cognosci si sit bona. Sed causa efficiens compilans
hunc tractatum dicitur fuisse quidam Anglicus nomine Suton. Causa autem formalis est
perfectio et instructio iuvenum in logica, et hoc innuit auctor in prima particula [ … ] Ad
secundum respondetur quod titulus est iste : Incipit tractatus logicalis De consequentiis.
Proponitur et intitulatur a sua materia que est ipsa consequentia ».
14. L'incipit du ms. viennois est le suivant : « Quia in Sophismatibus probandis et impro-
bandis utimur consequentiis, que circa ut iuniores materia dyalectica collatione animus
anime ... » (f. 123rb , cité par Weisheipl, « Repertorium... » , p . 219 ) . En ce qui concerne
Gauthier Burleigh, il semble qu'il existe (au moins) quatre manuscrits de son traité De
consequentiis. Trois ont été indiqués par Weisheipl, « Repertorium... » , p . 195. Ce sont
mss. Cambridge, Gonville & Caius College 434/434 (membr . XIV) , f. 1-6 , Florence, Laurenz.
Plut. XII, sin. cod . 2 (membr . XIV) , f. 203v-212 et Vatican, Vat. lat. , 3065 (s. XV) , f. 39vb-
43rb. Il faut ajouter à cette liste notre ms. Paris, Bibl. nat. lat ., 6441 , f. 18vb-22rb. L'incipit
des mss. de Cambridge, Florence et Paris est le suivant : « Quia in Sophismatibus probandis
et improbandis consequentiis utimur et ideo circa natura consequentiarum multa oportet
scire, et ideo sciendum quod hec regula est bona : Quicquid sequitur ad consequens sequitur
ad antecedens et hec similiter : Quicquid antecedit ad antecedens antecedit ad consequens >>.
Celui du Vat. lat. , est différent (voir Weisheipl, loc. cit. ) . Toutefois, tous les mss . (à l'excep-
tion du Parisien) attribuent nommément l'oeuvre à Burleigh : « Expliciunt Consequentie
edite a mag. Gualtero de Burley » (Florence, Cambridge) , « Expliciunt Consequentie a ven.
artium doc. mag. Burley composite » (Vatican) .
142 A. DE LIBERA

15. Sur le rapport Sutton-Burleigh , cf. J.A. Weisheipl, « Developments... » , p. 162.


16. Tout semble indiquer que le texte lu et corrigé par Albert n'est pas le Breviloquium
de Sutton, mais déjà un commentaire de cette oeuvre. Cependant , rien ne prouve qu'Albert
n'est pas à la fois l'auteur du Commentaire et celui de la Lectura. En tout état de cause , l'oeuvre
de Sutton a été plusieurs fois commentée . Citons uniquement Vienne, Dominikanerkloster
160/130 (membr . XIV) , f. 100v-109v qui donne un commentaire du « Scriptum Sutonis
Anglici » (cité par Weisheipl, « Repertorium ...» , p . 219 ) et Cracovie, B.J. 717 (cité supra
note 11 ) , dont la longueur (14 f.) dépasse largement les dimensions du texte initial (1 f. dans
le ms. de Vienne ! ) . Il est vraisemblable que plusieurs des Commentaires cités par M. Markowski
(op. cit. , p. 340-341 ) concernent les Consequentiae de Sutton, notamment B.J. , 2178, f.59r-
82v dont les premières lignes reprennent l'incipit du Maître anglais : « dicitur in prohemio
istius libri : ' Quoniam in Sophismatibus ', unde sophisma capitur duobus modis... » .
17. Dont Buridan lui-même si l'on en croit Weisheipl ( « Developments ... » , p. 163) !
Notons que selon Emden, Biographical Register..., p. 1826, Sutton a été « utilisé comme
Textus dans les Universités continentales >>.
18. Notamment pour la théorie de la suppositio simplex (cruciale dans le débat entre
Nominalistes et Réalistes) . Cf. à ce sujet J.A. Weisheipl, « Developments ... » , p . 158, qui
cite ce passage anti-ockhamiste : « Ex quo patet illorum error qui credunt cum dicitur :
' homo est substantia ' predicatum huius propositionis supponere pro intentione anime sim-
pliciter, quoniam si intentio anime nec possit esse nec de pluribus predicari, constat quod
terminus pro ea supponere non potest ». Sur le rôle possible du manuel de Sutton (De
suppositionibus) et de ses Commentaires à Oxford , cf. J.A. Weisheipl, « Curriculum of
the Faculty of Arts at Oxford in the Early XIVth Century » , Medieval studies, 26 (1964),
p. 168, note 87.
19. Sur ce point , cf. N. Kretzmann , « Incipit/desinit » , op. cit., p. 101 sqq. et A. de Libéra,
<< L'instant du changement selon saint Thomas d'Aquin » , dans Métaphysique, Histoire de
la Philosophie, Recueil d'études offert à F. Brunner, Neuchâtel, 1981 , p. 99-109 . Sur la doc-
trine stoïcienne des roɩá cf. E. Bréhier, La théorie des incorporels dans l'ancien Stoïcisme,
Paris, 1962 , p . 9.
20. Cf. De puritate artis logice, Tractatus longior, ed . Ph . Boehner (Franciscan Institute
Publications,Text Series 9) , 1955 , St-Bonaventure, N.-Y., p . 192 sqq.
21. Pour tout ceci, cf. Bibl. nat. lat., 14715 , f. 77rb-77va. Notamment : « Circa lecturam ,
nota quod ista verba « incipit » et « desinit » aliter exponuntur in permanentibus et aliter
in successivis, quia in permanentibus habent esse simul quantum ad omnes partes. Hoc
verbum «< incipit » exponitur per positionem de presenti et remotionem de preterito. Exem-
plum ut Sortes nunc est et immediate ante hoc non fuit, ergo Sor nunc incipit esse. Et
huius ratio est quia secundum Commentatorem 60 Physicorum : ' in permanentibus datur
primum esse rei . Item. Nota quod hoc verbum « desinit » in permanentibus sic exponitur
per positionem de preterito et per negationem de presenti, ut Sor nunc non est et imme-
diate ante hoc fuit, ergo Sor nunc desinit esse . Et ratio est quia in permanentibus non datur
instans mensurans ultimum esse rei . Ergo li « desinit esse » in permanentibus non potest
exponi per positionem de presenti sed per positionem de preterito et negationem de presenti.
Tertio. Nota quod ista verba aliter exponuntur in successivis quorum partes non sunt simul,
sicut in motu et tempore, et in aliis qui generantur successive [ 77va] ut hoc verbum << incipit >>
exponitur per negationem de presenti et per positionem de futuro, ut : motus nunc non est
et immediate post hoc erit, ergo motus incipit nunc esse . Et ratio huius est quia in succes-
sivis non datur primum esse rei sicut in permanentibus. Similiter exponitur de tempore et
de aliis successivis. Sed hoc verbum « desinit » in successivis exponitur per positionem de
preterito et per negationem de presenti, ut : motus nunc non est et immediate ante hoc fuit,
ergo motus nunc desinit esse . Et ratio huius est quia in motu non causatur ultima pars
vel ultimum esse motus in instanti . Quarto. Nota quod ista verba « incipit >> et << desinit >>
sic exponuntur in ipsis indivisibiliter [ corr. ex indivisibilibus] esse habentibus sicut est ins-
tans et mutatum esse instans nunc est et immediate ante hoc non fuit, ergo nunc incipit
esse, ita quod exponuntur per positionem de presenti et per negationem de futuro, ut : nunc
est et immediate post hoc non erit, ergo nunc desinit esse . Et ratio est quia instans habet
primum et ultimum esse sui simul indivisibiliter ». Tout ce paragraphe est identique à
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 143

G. Burleigh, De puritate..., ed. cit., p. 191 , 16-29 ; 192 , 4-6 ; 192 , 6-18 ; 193 , 6 ; 194, 6.
Pour la définition des res permanentes et successive, cf. ibid. , p. 191 , 10-15 . L'autorité
d'Averroes mentionnée supra est également citée par Burleigh, p. 191 , 21 sqq. et attribuée
à Aristote (Phys ., VI , 5 , 236a 7 sqq .). Pour des réflexions plus spécifiques sur la typologie
des mobiles , cf. G. Burleigh, De primo et ultimo instanti (Inc. « Queritur utrum sit dare
primum et ultimum instans rei permanentis sui esse ... » ) . Liste des mss. dans Weisheipl,
< Repertorium ... » , p . 205. Texte de l'édition de Venise (1501 ) dans H. et C. Shapiro,
Arch. f. Gesch. der Philosophie, 47 ( 1965 ) , p. 159-173 .
22. Nous avons suivi les deux manuscrits parisiens, Bibl. nat. lat ., 14715 , f. 31va-32va
et 18430, f. 35vb- 36vb . L'édition de Venise (1522) reproduite par Olms (Hildesheim , 1974)
n'est guère fiable . Nous citerons ici le ms. 14715 ( = A) , indiquant le cas échéant les leçons
de 18430 ( B).
23. L'éditeur d'Albert (Petrus Sanitus ) indique au f. 22B : «< huius opinionis est Petrus
Hispanus 70 sue logice , quantum ad propositiones de incipit » . En réalité , le Tractatus
(ed. L. M. De Rijk, Assen, 1972) ne contient rien de tel. On notera que les Syncategoremata
de Pierre donnent effectivement la théorie développée par Burleigh , p. 193 , 6 ; 194, 6,
mais uniquement dans la version imprimée du XVe siècle utilisée par J. Mullally (dans
Peter ofSpain : Tractatus Syncategorematum and selected anonymous treatises, Milwaukee,
Wis. , 1964 ) et citée par Kretzmann , « Incipit/ desinit » , p . 110-114 et S. Knuuttila &
A.I. Lehtinen, « Change and contradiction : A fourteenth century controversy » , Synthese,
40 ( 1979) , p . 193. En revanche, ce n'est pas le cas de la tradition manuscrite (texte dans
H.A.G. Braakhuis, De 13de Eeuwse Tractaten over syncategorematische Termen (Diss.) ,
I, Leyde, 1979, p . 284) . De fait, Pierre distingue « desinit » pour les res permanentes et
les res successive : « Sed hoc verbum ' desinit ' exponitur sic cum permanentibus : nunc
ultimo est, vel sic est et de cetero non erit, ut ' desinit esse albus ' ; nunc ultimo est albus,
vel sic est albus et de cetero non erit albus ; et sic ponit presens et privat futurum. Cum
rebus autem successivis exponitur sic nunc ultimo fuit, vel sic non est sed ante hoc fuit,
ut ' desinit currere ' : non currit, sed ante hoc cucurrit ; et sic privat presens et ponit prete-
ritum ». Pour Henri de Gand, cf. Syncategoremata, ed . H.A.G. Braakhuis, op. cit. , I, p . 370.
24. Cf. Bibl. nat. lat . , 14715 , f. 31vb . Notamment : « Alii aliter dicunt quod [om. A]
eodem modo incipit et desinit debent exponi in permanentibus et successivis , scilicet , tam
de rebus quarum esse acquiritur simul seu impartibiliter quam etiam de rebus quarum esse
acquiritur partibiliter. Unde uniformiter isti exponunt incipit hic et ibi per positionem
de presenti et remotionem de preterito. Verbi gratia : Sor incipit esse, exponunt sic : Sor
nunc est et ipse immediate ante hoc non erat. Similiter Sor incipit esse albus, exponunt :
Sor nunc est albus et immediate ante hoc non erat albus. Similiter [ om. B] et desinit per
remotionem de presenti et positionem de preterito [ et desinit ... preterito om. A] : Sor
desinit esse Sor nunc non est et immediate ante hoc fuit . Similiter [ sic AJ : Sor desinit
esse albus Sor nunc non est albus et immediate ante hoc fuit albus >>.
25. Pour tout ceci, cf. G. d'Ockham, Summa logicae, II , 19 , ed . G. Gal & S. F. Brown,
(Opera philosophica 1 ) , St-Bonaventure, N.-Y. , 1974 , p . 310 , 5-9 ; 311 , 1-22 et 312 , 65 ;
313 , 70.
26. « Et notandum quod isti de ista opinione [ expositione A] imaginantur quod instans
sit una res indivisibilis in tempore . Et ideo quando dicunt : nunc non est et immediate post
hoc erit, vel nunc est et immediate ante hoc non fuit, per li « nunc » intelligunt unam rem
indivisibilem in tempore. Et similiter per li «< hoc » demonstrant illam . Sed notandum quod
communiter talia indivisibilia sicut punctus, instans negantur, de quo magis pertinet conside-
rare ad metaphysicum quam ad logicum » [ A 31vb , B 36ra] . On notera que l'édition de Venise
dit : « ... de quibus deteriore ( ! ) magis pertinet ad mathematicum ( !) quam ad logicum » .
27. << Breviter : ista expositio non videtur esse bona [bene esse A] . Nam per istam expositio-
nem oporteret concedere quod quamdiu aliqua res esset generabilis et corruptibilis , tamdiu
inciperet esse . Et sic iam hec esset concedenda : Sor incipit esse adhuc, posito quod fuit [om. A]
per centum annos . Nam Sor nunc est et immediate ante hoc non fuit , demonstrando per ly
« hoc » precise tempus per quod fuit, puta centum annos . Modo contra consuetum modum
loquendi est concedere tales propositiones, in eo quod incipere esse est de novo esse, sed de
novo esse est non diu fuisse, sed Sor qui fuit per centum annos satis diu fuit » [ A 32ra, B 36rb].
144 A. DE LIBERA

28. « Et ergo est alius modus qui ceteris videtur esse melior et probabilior exponendi
propositiones de incipit et desinit » [ A 32ra] , « Et ideo est alius modus qui ceteris videtur
esse probabilior etc. » [ B 36rb] .
29. « Pro quo sciendum , sicut quidam dicunt [om. B] , quod sicut quedam sunt [om. A]
adverbia temporis de preterito, ut « heri » et aliqua de futuro, ut « cras » ita aliqua sunt qui
[et A] consignificant tempus breve, sicut « nuper » , « statim » et consimilia et qui [om. A
aliqua B] consignificant tempus longum, ut « diu » , « olim » , « quondam » , etc. Secundo,
sciendum est quod nihil prohibet talia adverbia quandoque includi in aliquibus verbis. Unde
sicut hoc adverbium « frequenter » includitur in isto verbo « legito » , quia est idem quod
<< frequenter lego » , ita [om. A] huiusmodi [omnis di ! A] adverbia « nuper », « statim » et
similia possunt includi in aliquibus verbis. Istis notatis , dico primo quod sic est de istis verbis
incipit et desinit quia in eis includuntur adverbia consignificantia tempus breve . Unde
<<< incipit >> idem est quod [ per hoc A] : est et nuper ante [ inv. A] non erat. Similiter « desinit >
tantum valet sicut est et statim post non erit. Et isto modo exponenda sunt ista verba
<« incipit » et « desinit » vel propositiones in quibus ponuntur. Patet hoc primo ex communi
modo [et usu B] loquendi . Unde , idem est incipere esse sicut de novo esse [om. A] vel
noviter esse . Modo , esse de novo vel noviter esse non est aliud nisi modo esse et nuper ante
non fuisse [nunquam ante hoc fuisse B] . Similiter : desinere esse, non est aliud quam cessare
et non est aliud quam statim post non esse. Item. Incipere [om. A] idem est quod principiare
vel principum habere . » [ 32ra-rb A, 36rb-va B].
30. « Secundo dico quod semper tales propositiones debent exponi per affirmativam de
presenti. Patet : quando enim res nondum est, non dicimus quod incipit esse, quamvis bene
ante dicamus et statim incipiet esse [ quamvis... esse om. A] . Unde quando homo quiescit
non incipit moveri, ergo quando homo non movetur non debemus dicere quod incipit move-
ri, sed hoc debemus quando movetur et non diu fuit motus . Et ergo ista : Sor incipit moveri
debet exponi Sor nunc movetur et non est diu quod non movebatur. Similiter quando ali-
quid non est, non dicimus quod desinit esse, sed quod iam desiniit esse, sicut dicimus
quando homo non est quod homo « est mortuus » . Sed quando aliqua res est et statim post
hoc non erit, tunc proprie desinit esse . Et ergo semper desinit exponendum est per positio-
nem de presenti et remotionem de futuro cum ista additione : statim post hoc. Et incipit
semper est exponendum per positionem de presenti et remotionem de preterito, cum ista
additione nuper ante hoc. » [ 32rb A, 36va B].
31. « Et quia sermo non habet virtutem (vigorem B) nisi ex usu loquendi, sequitur quod
hec est propria expositio huius verbi «< incipit » et similiter « desinit » » (ibid. ).
32. Cf. Ockham, Summa logicae, ed. cit., II , 19 , p . 311 , 21-31 et 313 , 70-74.
33. Nous nous appuyons sur le ms. lat. 16134 de la Bibl. nat. de Paris qui contient égale-
ment (f. 56 sqq. ) les Sophismata de Kilvington et (f. 81 sqq. ) ceux de Heytesbury. L'édition
parisienne de 1502 (reproduite par Olms , Hildesheim , 1975) est très peu fiable . On notera,
entre autres choses, que les sophisma CXXVIII à CXXXIII compris ne figurent pas dans le
ms. parisien qui, à la place , donne : (f. 45ra) « Sortes incipit esse albior quam ipsemet incipit
esse »
> , << Sortes incipiet esse ita albus sicut ipsemet erit » , « Sortes incipiet esse ita albus
sicut Plato erit albus » et (f. 45vb) « Sortes erit albior quam Plato erit albus » . Noter aussi
que l'édition parisienne contient deux sophisma CXXXVIII , en fait 135 et 136 (sur ce point,
cf. Kretzmann , « Socrates is whiter ... » , p . 13, note 18.
34. On peut y ajouter les quatre sophismes mentionnés supra. Les 12 autres sont compris
entre les nº CXXVIII et CXLVIII de l'édition de 1502. Ce sont : « Sortes est albior quam
Plato incipit esse albus » , « Sortes est albior quam Plato immediate post hoc erit >» , << Sortes
incipit esse albior quam Plato incipit esse albus » , « Sortes immediate post a erit senior quam
Plato erit immediate post a », « Sortes prius incipit habere esse quam incepit hebere fuisse »,
<< A spacium incipit esse pertransitum » , « A spacium incipiet esse pertransitum a Sorte » ,
<< Sortes incipiet pertransisse a spacium » , « A corpus incipiet esse bipedale » , « A et b sua
medietas simul desinunt esse » , « A incipit esse simul album et nigrum » , « A incipit esse
super b ». Pour tout ceci, cf. Bibl. nat. , 16134, f. 46va-49ra.
35. << Quedam alia sophismata perscrutatione solebant fieri de «< incipit » et « desinit >>
que licet tracta ( ! ) sint per quosdam modernorum , tamen quia illi minus bene, ut michi
videtur, solvunt quasdam difficiles argumentationes que fiunt ad ipsa, placuit etiam michi
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 145

ea tractare magis lucide si possim, propter utilitatem scolarium ad exercitum proprii intel-
lectus » (Bibl. nat., lat 16134 , f. 46va).
36. Cf. Bibl. nat. lat. , 16134 , f. 42vb-43ra.
37. Ibid., f. 43ra.
38. Ibid. << Tertio modo possunt exponi propositiones de incipit et desinit ... quem modum
exponendi inter ceteros reputo veriorem ». Cf. supra note 28.
39. << His dictis dico quod sic est de istis verbis « incipit » et « desinit » quod in eis inclu-
duntur adverbia significantia tempus breve, et secundum hoc « incipit » exponeretur sic :
Sortes incipit esse, id est : Sortes modo est et non est diu quod non erat . Similiter : Sortes
desinit esse exponitur sic : Sortes modo [non add. ms ] est et statim post non erit » [f. 43ra] ,
<< Secundo dico quod secundum hoc semper tales propositiones debent exponi per affirmati-
vam de presenti, quando enim res non est non dicimus quod incipit esse , quamvis bene
dicamus quod statim incipiet [ -at ms] esse, sicut quando homo quiescit non [ enim add. ms]
dicimus quod ipse incipit moveri , sed quando movetur et non diu fuit in motu , bene dicimus
ipsum incipere moveri. Ergo ista : Sortes incipit moveri debet sic exponi : Sortes nunc move-
tur et non est diu quod non [om. ms] movebatur. Similiter quando aliquid non est, non
dicimus quod desinit esse, sed quod iam desiniit esse, sicut quando mortuus est homo,
non dicimus illum hominem desinere esse, sed bene dicimus quod iam desiniit esse. Et secun-
dum hoc desinit est exponendum per affirmativam de presenti et negativam de futuro »
[f. 43rb] « Tertio dico quod non aliter exponendum est incipit et desinit in permanentibus
et successivis sed utrobique eodem modo » [ibid.] .
40. << Et sic vise sunt tres expositiones propositionum in quibus ponuntur « incipit >>
et << desinit » et licet ista expositio ex communi modo loquendi concludatur [ excludatur
editio parisiensis] , tamen quia inusitata est nolo ea uti in sequentibus >» [ f. 43rb] , « Revertar
ergo ad primam expositionem qua volo uti in sequentibus . Nam ista usitata est et secundum
illam precisius loqui possumus ymaginando instantia indivisibilia in tempore licet talia
in rei veritate non sint. Nichilominus expedit ea imaginari propter meliorem et faciliorem
traditionem scientiarum, sicut astrologi imaginantur multos circulos in celo qui in rei veri-
tate ibi non sunt et geometre imaginantur puncta indivisibilia, licet in rei veritate nulla sint
talia . Tamen in dictis scientiis expedit talia imaginari propter meliorem et faciliorem tradi-
tionem istarum scientiarum . Ita in proposito ( ...) » [ f. 43va] . Sur la querelle des indivisibles,
cf. Marsile d'Inghen , Questiones subtilissime Iohannis Marsilii Inguen super octo libros
physicorum secundum nominalium viam, Lyon , 1518 , l . VI , q . 3 , f. LXVIrb-va.
41. Cf. Bibl. nat. , 16134 , f. 42vb , notamment : « Et talis expositio de « desinit » bene
verificaretur pro instanti indivisibili si aliquid tale poneretur » . Pour « la plus vraie » , ibid. ,
f. 43rb : « Quarto dico quod secundum hoc omne quod incipit prius incipiebat, et omne
quod desinit adhuc desinet et adhuc erit. Et hoc est propter hoc quod in infinitum tempus
est divisibile, et non est dare primam partem temporis simpliciter nec etiam ultimam ».
42. Sur les règles de la conjonction et de la disjonction , cf. par exemple Perutile compen-
dium totius logice Ioannis Buridani cum preclarissima solertissimi viri Iohannis Dorp expo-
sitione, Venise, 1499 : « Ad veritatem copulative requiritur utramque cathegoricam esse
veram. Ad falsitatem copulative sufficit unam esse falsam. Ad veritatem disiunctive sufficit
quod una pars eius sit vera. Ad falsitatem eius requiritur quod utraque sit falsa » .
43. R. Strode, Logica, ms . Oxford , Bodleian Library, Canon. 219 , f. 26va. Cité par Maierù,
Terminologia logica..., p . 478.
44. P. Mantuanus, Logica, Padoue , 1477-1480 , f. 47rb-va . Cf. pour cet auteur A. de Libéra,
<< Appolinaire Offredi critique de Pierre de Mantoue le Tractatus de instanti et la logi-
que du changement » , dans English Logic in Italy in the 14th and 15th Centuries, ed . by
A. Maierù, Naples , 1982 , p . 253-291 .
45. A. Maierù , op. cit., p . 479. Le Textus dialectices est conservé dans l'édition de Vienne ,
1516, sous le titre de Parvorum logicalium liber, continens perutiles Petri Hispani tractatus
priorum sex et Marsilii dialectices documenta, cum utilissimis commentariis per Conradum
Pschlacher congestis. Cf. à ce propos Maierù, p. 33-34 , note 102.
10
146 A. DE LIBERA

46. Il existe au moins deux versions imprimées du Commentum. La première est due à
N. Resler, la seconde (Haguenau , 1495 ) est due à H. Gran, c'est elle qui est reproduite
dans l'édition Minerva G.M.B.H., Francfort, 1967. Il n'existe aucune différence notable
entre les deux textes. L'incipit du Commentaire des Consequentiae de Marsile « Circa
primam partem consequentiarum queritur utrum diffinitio consequentiae a posteriori sit
bona... » (dont tout ce qui suit est tiré) ne correspond à aucun des nombreux incipit
mentionnés par M. Markowski , op. cit. , p . 341. On peut penser qu'il s'agit d'une oeuvre
allemande du fait que certains prénoms comme Caspar sont substitués ici ou là aux habituels
Sor et Plato .
47. «< Maître Hugo » a laissé différentes questions sur les propriétés des termes (voir à ce
sujet Markowski, Buridanica quae in codicibus manu scriptis bibliothecarum Monacensium
asservantur, Polska Akademia Nauk , Instytut Filozofii i Socjologii, Wroclaw-Varsovie-
Cracovie, 1981 , p . 148) . Il doit être distingué de Hugo Kym (cf. Markowski, ibid. , p . 134).
48. Anon., De consequentiis, ed . 1487 , Ila pars, a. 4. Autrement dit l'exposition suffisante
et formelle d'incipit n'est ni celle qui, du point de vue physique, correspond au primum
quod sic (définissant l'inceptio des res permanentes) , ni celle qui correspond à l'ultimum
quod non (définissant celle des res successive) , ni la conjonction des deux qui, elle, ne corres-
pond à rien (du moins si l'on écarte l'hypothèse qu'il existe des états contradictoires dans
la nature).
49. De consequ. , loc. cit., notamment : « Consequenter notandum quod etiam expositio
magistri Marsilii qui exponit propositiones de incipit affirmativas per unam disiunctivam
compositam ex duabus copulativis, et prima pars prime copulative ponit positionem de
presenti et secunda remotionem de preterito , et prima pars secunde copulative ponit remo-
tionem de presenti et secunda positionem de futuro , non est bona et formalis . Quia alias illa
deberet concedi : «< creans incipit esse deus » , quia haberet sic exponi secundum Marsilium :
<< creans nunc est deus et immediate ante hoc non fuit deus vel creans nunc non est deus
et idem immediate post hoc erit deus » . Modo illa secunda copulativa est vera in casu
Sophismatis et tamen predicta propositio est impossibilis » .
50. Quel que soit le type d'exposition (suffisante ou formelle) , du moins si le sujet est
<« commun, singulier ou connotatif » , car si c'est un terme « singulier et absolu »> , ce n'est
que dans le cas de l'exposition formelle qu'on a besoin d'ajouter un relatif.
51. De cons., loc. cit., Sophisma. Autrement dit, selon l'Anonyme, le seul sens acceptable
(dans l'hypothèse) de (14) est : incipiens esse deus est creans quod est vel immediate post
hoc erit. Et il est clair que l'analyse formelle de ( 14 ) exprime justement le contraire, i.e.
le fait qu'«< incipiens » et « creans » ne dénotent pas le même individu .
52. Sans doute Marsile est-il influencé par la thèse « physique » traditionnelle qui veut que
res permanentes et res successive finissent de la même façon, i.e. par un primum quod non.
53. De cons., Ila pars, a.5 . Notamment : « Et ista expositio non valet quia alias , illa nun-
quam esset vera : « aliquid desinit esse » , quia semper prima pars copulative esset falsa, illa
videlicet : <«< aliquid nunc non est ». Similiter illa esset falsa : « motus desinit esse » . Similiter,
posito casu quod deus annihilaret formam et ly « desinit » importat instans pro quo anni-
hiletur, tunc ista esset vera : « Sortes desinit esse Sortes » , et tamen exponens esset falsa >>.
54. De Cons., ibid. L'Anonyme donne quatre arguments contre « Hugo » . Le principal
est le suivant : « Sic etiam ponatur casus quod Sortes et Plato dealbentur adequate per
istam horam , sed in fine hore Sortes desinat albus fieri et albedo Platonis consequenter
intendatur, tunc ista est vera : « Sortes desinit esse ita albus sicut Plato » , et tamen iterum
exponens esset falsa ».
55. Si l'on en juge par ce qu'il écrit, la doctrine soutenue par l'Anonyme est également
celle qui prévaut à son époque : « Ergo communiter » (c'est moi qui souligne) « tales propo-
sitiones de desinit exponuntur per unam disiunctivam compositam ex duabus copulativis
quarum prima exprimit primum instans non esse, alia ultimum instans esse, et taliter quod
ista de futuro vel de preterito preponatur huic de presenti et subiecto addatur relativum
idemptitatis in secunda exponente ( ...) Et sic partes copulative debent esse diversarum
qualitatum et sic semper sunt ibi due affirmative et due negative . Et illa in qua ponitur
EXPOSITIO ET PROBATIO PER CAUSAS VERITATIS 147

ly « immediate ante hoc » est affirmativa, sed illa in qua ponitur « immediate post hoc » est
negativa » (De cons., loc. cit). La différence entre cette doctrine et celle de Marsile d'Inghen
tient, probablement, au fait qu'elle admet deux façons de finir correspondant chacune à
deux grands types de processus achèvement temporel (res permanens, res successiva),
achèvement instantané (res instantanea). L'Anonyme réintroduit donc, semble-t-il , une
tripartition des mobiles que Marsile avait abandonnée : « Sed primum instans non esse rei est
pro quo res iam non est et eadem immediate ante hoc fuit. Et per tale instans sive pro tali
instanti, quelibet res temporaliter desinens esse desinit esse, sive sit permanens sive suc-
cessiva. Et propter hoc Magister Marsilius exponit propositiones de desinit per unam copu-
lativam exprimentem primum instans non esse, sicut patebit in sequenti articulo. Sed
ultimum instans esse rei est instans pro quo res iam est et eadem immediate post hoc non
erit, et pro tali instanti res instantanea desinit esse, ut quelibet res indivisibilis desinens esse
sicut momentum in motu, instans in tempore » (De cons. , Ila pars, a. 4).
56. Sur ce point, cf. essentiellement F. Nef, « Les verbes aspectuels du français : remarques
sémantiques et esquisse d'un traitement formel » , Semantikos, 4-1 , 1980, notamment
p. 22 sqq. Voir également Le temps grammatical (R. Martin et F. Nef éds .) , Langages
64, 1981.
1
J
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN
SUR LES UNIVERSITÉS D'EUROPE CENTRALE *

Mieczysław MARKOWSKI

En nous penchant sur la question de l'influence exercée par le buridanisme


sur les universités d'Europe centrale , nous ne parlerons, en principe , que de
l'influence des oeuvres de Jean Buridan lui-même . Nous n'aborderons donc pas
la question de l'influence des disciples parisiens de ce maître , bien que leurs
théories aient été également étudiées dans les établissements d'enseignement
supérieur. Compte-tenu du fait que l'influence de Jean Buridan s'est fait sentir
principalement dans les universités et non dans les écoles monastiques et cathé-
drales , nous limiterons notre sujet aux universités , et plus précisément au studium
generale de Prague , de Cracovie , de Vienne , de Heidelberg, d'Erfurt et de Leipzig.
Bien que l'Université de Prague , fondée en 1348 , et notamment la Faculté
de théologie de cette Université, comptât parmi ses professeurs un certain nom-
bre d'augustins , de dominicains , de franciscains et de carmes¹ , les écrits de
Jean Buridan commencèrent à affluer à Prague . Il est difficile d'indiquer la date
précise du début de ce processus . En 1367 les décrets de la Faculté des arts
encouragèrent les maîtres à inclure dans le programme de leur enseignement les
oeuvres des grands maîtres de Paris et d'Oxford² . Il est certain que Jean Buridan
fut du nombre de ces grands philosophes parisiens. Il en fut de même pour ses
disciples directs, parmi lesquels Nicole Oresme , Albert Rickmersdorf de Saxe ,
Thémon, dit le Juif, de Munster en Westfalie , et Marsile d'Inghen . Nous dispo-
sons de preuves que les textes de Buridan furent copiés à Prague 3. Mais l'activité
des professeurs religieux d'une part , et la permission formelle d'enseigner selon
les maîtres anglais de l'autre , furent à l'origine du fait que le buridanisme dans
sa version parisienne ne tint pas longtemps à Prague et que la pensée originale
de Buridan y fut bientôt modifiée .
Nous pouvons distinguer deux phases de ce processus d'adoption et de
modification du buridanisme . Au cours de la première phase , avant 1380, on
a atténué le terminisme et éliminé certaines thèses, par trop radicales pour
les temps, de la philosophie naturelle de Jean Buridan . En conséquence , on a
remanié toutes ses oeuvres utilisées dans le milieu universitaire de Prague . C'est
ainsi que l'on a rédigé ce qu'on appelle quaestiones accurtatae ou breves. Dans
les années quatre-vingts du XIVe siècle , on continua à éliminer le terminisme
150 M. MARKOWSKI

de Buridan et sa nouvelle physique . Comme résultat, on vit apparaître d'autres


versions abrégées , dites quaestiones brevissimae ou puncta. Il est possible que
le processus de la modification du buridanisme soit devenu plus intense à cause
de l'incorporation en 1385 , du studium generale dominicain à l'Université et
à cause de l'intensification des relations diplomatiques et culturelles entre
la Bohême et l'Angleterre . Toujours est-il que le milieu universitaire de Prague
s'ingéniait à créer une orientation du buridanisme qui ne fût pas radicalement
opposée à l'extrême réalisme arrivant alors d'Angleterre . Bien entendu , ce ne
sont pas tous les professeurs pragois qui ont procédé à de tels remaniements et
l'opposition ne s'est pas fait attendre . En 1390 la Faculté des arts a formellement
interdit d'abréger les écrits de Buridan4 . Il s'en suit donc que les quaestiones
breves et brevissimae, attribuées dans des manuscrits à Jean Buridan , ne sont
pas de lui ; celles de la deuxième moitié du XIVe siècle ont , en principe , été
rédigées par des partisans de Buridan . Voici quelques exemples de ces écrits
remaniés.
Le commentaire de Jean Buridan sur l'Ars vetus fut abrégé par un certain
maître Püger au cours du dernier quart du XIVe siècles . Sa version est conservée
dans quatre manuscrits du dernier quart de ce même siècle se trouvant actuel-
lement à Vienne6 , à Cracovie7 et à Leipzig8 , c'est-à-dire dans les Universités
qui, au cours de la première période de leur existence , maintenaient d'étroits
contacts scientifiques avec l'Université de Prague. La version pragoise du com-
mentaire sur l'Isagoge modifie , par exemple , la théorie des universaux . L'auteur
de cette version comprend l'universale de quatre manières : 1 ) en tant que signe
universel ; 2) en tant que proposition universelle ; 3 ) en tant que ce qui est à
l'origine de plusieurs choses (Dieu, ciel, intelligences) ; 4) en tant que terme
commun proféré ou écrit9 . Dans les deux premières acceptions, il est dit univer-
sale in significando. Dans le troisième cas, lorsque l'universel est considéré
comme cause des choses , il est appelé universale in causando. Enfin, dès qu'il
s'agit du terme commun , on a affaire à l'universale in praedicando. Bien qu'il y
ait également une théorie terministe des universaux, elle diffère , cependant , de
celle de Buridan présentée dans son écrit polémique 10 ou dans ses commentaires
sur la Métaphysique, la Physique et le De anima. Dans ces derniers, Buridan
procède à une division tripartite des universaux et , à côté des termes communs
proférés et écrits , il envisage également les termes mentaux11 .
Quant à la rédaction modifiée du commentaire de Buridan sur les Premiers
Analytiques, elle fut préparée au dernier quart du XIVe siècle par Matthieu de Plano,
sous le titre de Reportatio 12. Un autre remaniement du même commentaire
fut fait à Prague ou à Vienne à la charnière des XIVe et XVe siècles13 .
L'art d'abréger les écrits logiques de Jean Buridan fut encore plus déve-
loppé par Jean Isner qui , peut-être dans les années soixante -dix , mais très certai-
nement dans les années quatre-vingts du XIVe siècle , rédigea les commentaires
très brefs, dits puncta, sur l'Isagoge 14 , les Catégories 15 , le De l'interprétation 16 ,
les Premiers Analytiques 17 et les Seconds Analytiques 18. Des textes semblables
ont été écrits à Prague en très grand nombre .
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN 151

Bien que les bibliothèques de Prague conservent de nos jours peu d'exem-
plaires du commentaire de Buridan (et de ses versions remaniées) sur l'Organon
d'Aristote , il est à noter que , dans les dernières décennies du XIVe siècle , Prague
disposait d'une grande quantité de cet ouvrage . Car, c'est de Prague que provien-
nent de nombreux manuscrits qui se trouvent actuellement à la Bibliothèque
Jagellone 19 , à la Bibliothèque nationale d'Autriche 20 et à la Bibilothèque
Amplonienne21 , pour ne mentionner que celles - ci . Ajoutons enfin que , de
tous les ouvrages logiques de Buridan, c'est indéniablement son commentaire
authentique sur l'Ars vetus et la version pragoise qui jouirent du plus grand
succès à Prague .
En ce qui concerne les commentaires de Buridan sur les oeuvres de philo-
sophie naturelle d'Aristote , seuls certains d'entre eux ont été utilisés dans les
universités d'Europe centrale . La plus grande « popularité » revint à son com-
mentaire sur la Physique. Bien que les études sur Jean Buridan soient assez
poussées , on attribue à cet auteur la paternité d'au moins six commentaires
différents sur la Physique22 . Si nous ne tenons compte que de commentaires
rédigés sous forme de questions, il est à noter que seuls les commentaires dits
quaestiones longae ou de tertia lectura, imprimés en 1509 comme subtilissimae
quaestiones, sont des oeuvres authentiques de Buridan . C'est sous cette forme
qu'ils furent non seulement connus23 , mais aussi copiés à Prague , dès 136624.
Les Quaestiones indiquées par Annelise Maier25 comme la première rédaction
du commentaire de Buridan sur la Physique ne sont pas de ce philosophe.
En nous fondant sur les résultats d'une analyse interne du texte , nous avons
cherché à démontrer, dans un autre article , qu'il s'agit là du commentaire ,
recherché depuis longtemps , de Nicole Oresme 26. Ce texte est conservé dans
trois manuscrits27 .
Il nous semble également que la rédaction de ce que l'on appelle Quaestio-
nes breves super octo libros Physicorum n'a pas été faite par Jean Buridan , mais
qu'elle provient plutôt du milieu universitaire pragois28 , où elle fut rédigée
vers 136729. Le manuscrit de Cracovie étant le plus ancien , toutes les autres
copies connues de cet abrégé sont plus récentes et sont surtout conservées
dans les bibliothèques d'Europe centrale 30. Dans le cas de notre texte , il ne s'agit
pas seulement d'une rédaction abrégée ; son rédacteur renonce , en outre , à cer-
taines thèses relatives à la philosophie naturelle de Buridan , comme , par exemple,
l'explication du mouvement des corps célestes par la théorie de l'impetus.
Vers 1370 on a également remanié à Prague les commentaires de Buridan
sur le De anima31 et le De generatione et corruptione32 . Notons que ces deux
ouvrages n'ont pas joui d'une popularité comparable à celle du commentaire
sur la Physique dont nous venons de parler.
Au cours de la seconde phase apparaissent , nous l'avons dit , les quaestiones
brevissimae ou puncta. Le maître pragois Jean Isner est l'auteur d'un tel com-
mentaire sur la Physique, dépourvu , en outre , des thèses principales de la nouvelle
physique 33. C'est aussi à Prague que l'on a rédigé un commentaire du même
genre sur le De anima34 .
152 M. MARKOWSKI

Les exemples cités nous permettent de constater qu'en dehors de l'audience


de la pensée authentique de Buridan , on a remanié et modifié , notamment au
cours des années soixante du XIVe siècle , son oeuvre principale relative à la
philosophie naturelle . C'est sous cette nouvelle forme que le texte de Buridan
fut utilisé dans le milieu universitaire pragois d'abord , dans celui de Vienne et
de Cracovie ensuite . Il en est allé de même pour le commentaire de Buridan sur
l'Ars vetus. Les abrégés pragois des commentaires buridaniens sur d'autres tex-
tes d'Aristote ont été moins répandus . Toutefois , à n'en point douter , c'est à
Prague que l'on forgea une orientation du buridanisme qui montrait des traits
caractéristiques de ce milieu universitaire .
Outre ces remaniements et ces abréviations , le milieu de Prague s'adonna à
une autre activité : on essaya d'y rédiger de nouveaux écrits logiques et philoso-
phiques sous l'influence de la pensée de Buridan . Mais, même dans ces cas-là , on
ne peut pas parler d'un buridanisme pur . Nous pouvons citer ici Conrad de Soltau ,
auteur, vers 1379 , d'un commentaire sur l'Ars vetus35 ; un certain nombre
de commentaires sur l'Isagoge de Porphyre et les Catégories d'Aristote36 ;
Jean de Ziębice , l'auteur d'un commentaire sur les Premiers Analytiques37 .
Vers la fin du XIVe siècle , ou au début du XVe , Prague donna un bon nombre
d'autres commentaires, écrits en partie sous l'influence de Buridan , sur les
Seconds Analytiques38 et les Topiques39 ainsi que sur les Summulae logicales
de Pierre d'Espagne40. Enfin , au cours des dernières années du XIVe siècle ,
Jean Arsen de Langenfeld écrivit, en les rattachant aux opinions de Buridan ,
des commentaires sur la Métaphysique41 et l'Éthique42 . C'est de ce temps -là
aussi que date un commentaire anonyme pragois sur la Métaphysique43 .
Comme le conflit entre les «< nations » à l'Université de Prague eut des
origines non seulement d'ordre nationaliste , mais également doctrinale , le buri-
danisme cessa d'exister dans ce milieu en 1409 , au moment du départ des
<< nations » de Saxe et de Bavière pour Leipzig . La place du buridanisme fut alors
occupée par le réalisme , modéré ou extrême .
A partir de 1443 , des étudiants et des maîtres de Vienne , de Cracovie ,
d'Erfurt et de Leipzig commencèrent à affluer à Prague . En conséquence , le nom-
bre d'enseignants crût , entre 1444 et 1447 , jusqu'à dix-sept . On vit également
croître le nombre des promotions de bacheliers et de maîtres44 . Parmi les maî-
tres venus de Vienne45 , il y avait des partisans du buridanisme qui cherchaient à
faire rennaître ce courant à l'Université de Prague 46. Maurice de Benessor ,
enseignant à Prague entre 1440 et 1447 , fut l'auteur des Comporta super titulos
Quaestionum Ioannis Buridani super VIII libros Physicorum Aristotelis '47 .
Il serait nécessaire d'étudier de plus près les ouvrages que nous venons de men-
tionner, afin de pouvoir vérifier comment les opinions de Jean Buridan furent
acceptées à Prague et comment elles fonctionnèrent dans ce milieu universitaire .
Il est à noter cependant que le buridanisme «< ressuscité » ne tint pas longtemps
à l'Université de Prague . A partir de 1445 , on voit affluer à Prague les textes
de Jean Versor, et c'est sous l'influence de ce maître parisien que renaquit la phi-
losophie à l'Université de Prague à partir de la seconde moitié du XVe siècle48 .
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN 153

Quant à Cracovie , le buridanisme y vint avec les étudiants polonais de


Prague , vers 1390. Il s'agissait là du buridanisme dans sa version parisienne
authentique , mais aussi du buridanisme pragois . Les textes de Buridan , conservés
jusqu'à nos jours dans des manuscrits cracoviens , sont , dans leur majorité, de
provenance pragoise . Ce sont les commentaires sur l'Isagoge de Porphyre, les
Catégories, le De l'Interprétation, les Premiers Analytiques, les Réfutations
sophistiques, laPhysique, le De generatione et corruptione, ainsi que sur l'Ethique
à Nicomaque d'Aristote . Comme on peut s'en apercevoir, ces textes ne repré-
sentent qu'une partie seulement de la logique , de la philosophie naturelle et
de la philosophie pratique de Buridan . L'orientation pragoise du buridanisme
influença certaines autres disciplines. Bien que l'audience passive du buridanisme
à l'Université de Cracovie ait duré , en principe , jusqu'aux environs de 141549 ,
il n'en reste pas moins que déjà au cours de cette période certains professeurs
écrivirent leurs propres ouvrages. Ainsi , par exemple , André Wężyk, qui étu-
diait à Prague et à Cracovie , rédigea , entre 1403 et 1407 , un commentaire sur
la Physique exprimant davantage les tendances du buridanisme parisien que
pragois50 . En revanche , André de Kokorzyn , ancien étudiant de Prague lui
aussi , écrivit, au cours des dix premières années du XVe siècle , un commentaire
sur le même texte d'Aristote , influencé , d'une façon évidente , par le buridanisme
pragois à l'époque de sa décadence51 . Mais comme manuel officiel des cours ,
la Faculté des arts a reconnu le commentaire d'André Wężyk, donc l'ouvrage
proche du buridanisme parisien52 . Nous tenons à signaler qu'avec l'affluence
des textes de Buridan à Cracovie , on a vu aussi apparaître dans ce milieu des
commentaires des éminents disciples parisiens de ce maître , tel Nicole Oresme ,
Albert Rickmersdorf de Saxe et Marsile d'Inghen , commentaires non seulement
sur les écrits de la logique et ceux de la philosophie naturelle d'Aristote , mais
aussi sur sa Métaphysique. Cela à titre d'information très sommaire , car nous
n'allons pas développer ce sujet dans cette brève communication .
Après 1415 , plusieurs philosophes cracoviens renoncèrent aux principes
de la via moderna, pour prendre l'attitude méthodologique de la via communis,
dont la tendence principale consistait à la propagation systématique du concordis-
me doctrinal53. C'est sur un fondement méthodologique de ce genre que commença
l'audience active du buridanisme à l'Université de Cracovie . Elle se trouva pleine-
ment exprimée dans les écrits logiques et philosophiques des maîtres cracoviens.
Benoît Hesse de Cracovie écrivit , entre 1416 et 1420, un commentaire sur
l'Ars vetus54 correspondant précisément à cette tendance . Son commentaire
servit de manuel à l'Université jusqu'aux environs de 1440. Bien que Benoît de
Cracovie ait exprimé largement et dans l'esprit du réalisme modéré ses opinions
sur les universaux , il ne s'en déclara pas moins partisan du terminisme buridanien
modéré qui venait de se former à l'Université de Cracovie55 . Dans les années
vingt du XVe siècle , des logiciens de Cracovie rédigèrent des commentaires
sur la logica nova.
Paul de Worczyn , qui , dans son commentaire sur le De anima56 écrit en 1417,
évoque des représentants de la via antiqua, tels Gilles de Rome , Thomas d'Aquin,
154 M. MARKOWSKI

Albert le Grand, se montre partisan de Buridan dans les principales questions


touchant à la conception de l'intellect57 . Quant à un autre commentaire sur
le De anima, rédigé dans les années vingt du XVe siècle par le même Benoît Hesse
de Cracovie58 , il se rattache également aux théories psychologiques de Thomas
d'Aquin , mais les solutions buridaniennes y dominent nettement59 . Dans son
commentaire sur la Physique, datant de 1421-142560 , Benoît évoque , outre
Jean Buridan, Laurent de Lindors. Il s'y prononce nettement pour la théorie
buridanienne de l'impetus, sans pour autant l'appliquer à l'explication du mou-
vement des corps célestes61 . Plus tard , on a remanié ce dernier commentaire et
l'on s'en servit pour des cours universitaires, au moins jusqu'en 145162. L'in-
fluence de Jean Buridan l'emporta également sur les opinions de Thomas d'Aquin
et de Gérald Odonis dans le commentaire sur l'Ethique à Nicomaque rédigé par
Paul de Worczyn avant 1424 et utilisé à Cracovie jusqu'en 146063. Le buridanis-
me de l'orientation parisienne se manifestait notamment lorsqu'on commentait
la Métaphysique et cela est perceptible ne serait-ce que chez Pierre de Sienno64 .
L'orientation cracovienne du buridanisme , formée dans les années 1416-1425
par Benoît Hesse , Paul de Worczyn et Pierre de Sienno, dura dans le domaine
de la logique jusqu'aux environs de 1444 , dans la philosophie naturelle jusqu'en
1451 et dans l'éthique jusqu'en 1460. Ensuite , les textes cracoviens , utilisés
jusqu'alors , furent abrégés . Par conséquent , on ne fit qu'effleurer la pensée ori-
ginale de Jean Buridan et l'on renonça à plusieurs de ses théories . Cette période
de la disparition du buridanisme à l'Université de Cracovie dura plus ou moins
longtemps , selon la discipline enseignée. En 1461 , on voit apparaître à Cracovie
les écrits d'un autre philosophe parisien , à savoir Jean Versor65 , ce qui laisse pré-
voir un nouveau retour au réalisme , lancé par les représentants de la via antiqua.
Quant à l'Université de Vienne , fondée en 1365 , le buridanisme parisien
y fut introduit par son premier recteur , Albert Rickmersdorf de Saxe . Cependant ,
lorsqu'en 1384 Henri de Langenstein renouvela, avec l'aide de Henri Totting
d'Oyta, l'Université qui était alors en déclin, il ouvrit le passage à l'orientation
pragoise du buridanisme . De ce fait, pendant plus d'un demi-siècle , on utilisa
dans cette Université non seulement les écrits authentiques de Buridan , mais aussi
les versions pragoises. Il semble qu'au cours des dernières années du XIVe siècle
et les premières années du XVe siècle , on ait copié à Vienne un bon nombre
d'oeuvres de Buridan , notamment son Expositio IX tractatuum Summularum
logicalium Petri Hispani66 et ses commentaires sur l'Isagoge67 , les Catégories68
et les Premiers Analytiques69 . Au cours du XVe siècle , on copia également
d'autres écrits logiques de Buridan70 . Mais déjà vers la fin du XIVe siècle , on
connaissait à Vienne de fameux remaniements pragois des commentaires de
Buridan sur les trois oeuvres principales de la logique ancienne71 et sur les
Premiers Analytiques72 . Entre 1431 et 1432 , Jean Schlittpacher de Weilheim
abrégea le commentaire de Buridan sur les Topiques d'Aristote 73. Le même tra-
vail fut exécuté par Jean Faber de Werdea en 145974. Enfin , dans le même milieu
universitaire, on a abrégé le commentaire buridanien des Summulae logicales de
Pierre d'Espagne 75 .
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN 155

Bien que pendant les premières décennies du studium generale à Vienne


les enseignants de logique aient utilisé des textes étrangers , et notamment ceux
de Buridan, ils commencèrent à rédiger leurs propres traités de logique nouvelle
et leurs commentaires sur la logique ancienne . Durant la période de la formation
de l'école logique de l'Université de Vienne , dans les années 1385-1410, on
évoquait les théories de Jean Buridan . L'étape du développement de l'école
logique se situe dans les années vingt, trente et quarante du XVe siècle . Ce
développement est dû aux logiciens de Vienne , tels Jean Zärtel d'Engelsdorf,
Jean Schlittpacher de Weilheim , Michel Puff de Schick , Jodoc Gartner de
Persching, Léonard Huntpichler de Valle Brixensi , Georges Tudel de Giengen ,
Nicolas Kempf de Strasbourg , Jean Haerrer d'Heilbronne , Jean Faber de Werdea,
Erhard Vogt de Weitra, Ulrich de Tübingen et Jean Mändel d'Amberg . Ils lan-
cèrent tous des solutions conformes aux principes de l'école viennoise commune ,
dont l'une des autorités fut Jean de Buridan76 .
Il résulte des statuts de la Faculté des arts que l'on se servait , pour les
travaux du domaine de la physique , avant tout des textes de Jean Buridan77 .
Donc, rien d'étonnant à ce que son commentaire sur la Physique fût très popu-
laire dans ce milieu78 et à ce qu'on le copiât souvent . Ainsi un certain nombre
de copies furent exécutées dans les années 1390-141479 . Mais déjà , au cours
des dernières décennies du XIVe siècle , on connaissait bien à Vienne la version
pragoise de cet ouvrage80 . En 1380, on copia dans ce même milieu universitaire
un commentaire de Buridan écrit sous forme d'expositio de la Physique81 .
Au tournant du XIVe et du XVe siècle , on procéda à l'Université au remanie-
ment du commentaire de Buridan sur la Physique82 . D'autre part , l'influence de
ce philosophe se manifeste également chez des commentateurs viennois de cette
même oeuvre, comme Frédéric Schön de Nuremberg83 , Jean Schlittpacher84 ,
Jean Stedler de Landeshut85 , Jodoc Gartner86, Jean Widmann de Dinkelsbühl87 ,
Georges Tude188 et Georges d'Ebersberg89 . Elle fut aussi sensible dans des com-
mentaires sur les écrits de la philosophie naturelle d'Aristote , comme le De gene-
ratione et corruptione90 , les Meteora91 , le De anima92 ou les Parva naturalia93 .
Si, à l'Université de Vienne , Albert Rickmersdorf de Saxe n'influença que
l'explication des Seconds Analytiques et du De caelo et mundo, Marsile d'Inghen,
qui collabora à la fondation de l'Université de Heidelberg , exerça une plus forte
influence sur les autres disciplines philosophiques enseignées dans son Université.
C'est la raison pour laquelle l'influence doctrinale de Jean Buridan dut céder
la place à celle de son disciple94. Les collections de manuscrits du XVe siècle
de l'Université de Heidelberg, dispersées dans diverses bibliothèques d'Europe ,
rendent leur examen et leur classement bien difficiles. L'état des recherches
actuelles permet toutefois de constater qu'au début du XVe siècle , ce milieu uni-
versitaire connaissait le commentaire de Jean Buridan sur l'Ethique à Nicomaque95
et son Compendium totius logicae96 . Il semble que déjà avant cette période
on y prit connaissance de ses commentaires sur le De anima97 et sur l'Ars
vetus98 , tous les deux dans la version pragoise . Cependant , comme aux Univer-
sités de Cracovie et de Vienne , à Heidelberg domina la via communis, identifiée ,
156 M. MARKOWSKI

jusqu'en 145299 , avec la via Marsiliana100 . Si nous nous penchons , par exem-
ple , sur le commentaire de Frédéric Schön de Nuremberg sur la Physique101 ,
commentaire qui fut la base de l'enseignement universitaire en 1422 , nous y
voyons clairement qu'outre Marsile d'Inghen, Frédéric citait Jean Buridan et
Nicole Oresme , tout comme Thomas d'Aquin et Albert le Grand . Seule l'étude
approfondie du petit nombre d'oeuvres des professeurs de Heidelberg , tel
Conrad de Susato 102 et Jean Juff de Butzbach 103 , permettra de mieux connaî-
tre les courants doctrinaux de cette université .
Le fait que les plus éminents des premiers professeurs de l'Université
d'Erfurt provinssent de Prague exerça une influence très nette sur l'orientation
doctrinale de cet établissement . Parmi les manuels de philosophie , étudiés dans
les premières années de l'existence de l'Université et conservés jusqu'à aujour-
d'hui , on trouve aussi bien des écrits authentiques de Jean Buridan que leurs
rédactions pragoises . Du nombre considérable de ces écrits, mentionnons tout
d'abord le Compendium totius logicae 104 , accompagné du commentaire de
Jean Dorp 105 , ou sous une autre forme 106 , et le commentaire sur l'Ars vetus 107 .
Les oeuvres de Buridan du domaine de la philosophie naturelle devaient
être parfaitement bien connues . Nous pensons ici notamment aux commentaires
sur les textes suivants : la Physique 108 , le De generatione et corruptione 109 ,
les Meteora110 , le De anima111 , les Parva naturalia112 , le De motu animalium113,
le De physionomia114 et les Secreta mulierum115 . Des rédactions pragoises ,
donc modifiées, on utilisait à Erfurt un commentaire sur la Physique116 et un
autre sur le De anima117.
Bien que les commentaires de Jean Buridan sur la Métaphysique n'eussent
pas joui d'une très grande popularité dans les universités d'Europe centrale ,
ils n'en furent pas moins connus du milieu universitaire d'Erfurt118 .
Quant au commentaire de Buridan sur l'Ethique à Nicomaque, il exerça
une forte influence non seulement à l'Université de Vienne , mais aussi à celle
d'Erfurt119 où on a également connu son commentaire sur la Rhétorique
d'Aristote 120. Le nombre de textes de Buridan conservés jusqu'à présent à
Erfurt est assez considérable et il est à supposer qu'il fut encore plus grand au
début du XVe siècle . Il convient enfin de souligner que les textes authentiques
y sont plus nombreux que leurs rédactions pragoises.
En 1449 , les ouvrages de Jean Buridan et de Marsile d'Inghen 121 servaient
encore de manuels approuvés pour les travaux des étudiants . Cependant , lors
de la rédaction des statuts du collège Porta caeli, on leur permit d'utiliser à côté
des oeuvres des grands représentants de la via moderna, Guillaume d'Ockham
excepté les écrits des représentants de la via antiqua, Albert le Grand , Thomas
d'Aquin, Alexandre de Hales , Gilles de Rome et Henri de Gand 122. Par cela-
même , on créa la base de la formation d'une via communis. Mais les textes
philosophiques conservés jusqu'à nos jours permettent de constater que les théo-
ries psychologiques de Buridan y furent traitées d'une façon particulière 123 ,
notamment au début du XVe siècle . Vers 1420 , le buridanisme commença
à disparaître de l'Université d'Erfurt . On y voit alors les essais de rédiger
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN 157

des nouveaux commentaires sur la Physique124 et le De anima125 ; il s'agit là


de rédactions propres et fort abrégées des maîtres d'Erfurt .
Pour en venir à l'Université de Leipzig , fille spirituelle de celle de Prague ,
elle reprit à la fois l'orientation parisienne et pragoise du buridanisme . Puisqu'elle
fut créée au temps où le buridanisme commençait à disparaitre de Prague , alors
que le réalisme , aussi bien sous sa forme modérée qu'extrême , prenait de plus en
plus d'importance , il est bien compréhensible que les textes de Jean Buridan
et les versions pragoises de ses oeuvres n'aient pas été tellement nombreuses à
Leipzig. On y connaissait les deux versions de son commentaire sur l'Isagoge,
les Catégories, le De l'interprétation 126. D'autre part, il faut mentionner son
commentaire sur les Premiers Analytiques127 , ainsi que le commentaire de
Jean Dorp sur sa Somme de la logique 128 .
Il est à croire que Jean Buridan n'exerça pas d'influence importante sur
l'enseignement de la philosophie naturelle à Leipzig . On y connut seulement son
commentaire sur le De generatione et corruptione129 , tandis que son commen-
taire sur la Physique n'y fut connu que par une copie datant de 1448 et cela sous
forme de l'abréviation pragoise 130 .
C'est , à ce qu'il semble , le commentaire de Jean Buridan sur l'Éthique à
Nicomaque qui a joui de la plus grande popularité à l'Université de Leipzig, et
cela non seulement au début du XVe siècle 131 , mais encore au cours de la secon-
de moitié de ce siècle 132. Son commentaire sur la Rhétorique ne se conserva
que dans une copie datant d'environ 1452133. Il n'est donc pas exclu que ,
lorsqu'après 1481 le buridanisme commença à renaître à Paris , il trouvât aussi
un certain nombre de partisans à Leipzig.
Les recherches, dont nous venons de présenter quelques résultats , permet-
tent de constater que les idées de Jean Buridan exercèrent une influence , notam-
ment dans les domaines de l'éthique , de la philosophie naturelle et d'une partie
de la logique . Lorsqu'il s'agit du buridanisme authentique , il joua son rôle à
l'Université de Prague , de Vienne , de Heidelberg et d'Erfurt ; mais dans ce der-
nier cas, cette influence fut perceptible avant même la fondation de l'université.
Cependant , l'Université de Prague , où le buridanisme se développa le plus tôt ,
exerça une influence sur les universités de Cracovie , de Vienne , de Heidelberg ,
d'Erfurt et de Leipzig en propageant ainsi non seulement le buridanisme authen-
tique , mais aussi son orientation pragoise . Nous constatons également que
les milieux universitaires de Cracovie et de Vienne forgèrent de nouvelles con-
ceptions du buridanisme . Il reste néanmoins à étudier comment les chose se
présentaient dans les autres universités d'Europe centrale .
158 M. MARKOWSKI

NOTES

Liste des abréviations utilisées :

c : codex manu scriptus


1 : Latinus
clam Erfurt, Bibliotheca Amploniana - Wissenschaftliche Bibliothek der Stad Erfurt
clcr : Kraków, Biblioteka Jagiellońska
clfr-praed : Frankfurt am Main , Universitäts- und Stadtbibliothek, fundus praed.
cllip Leipzig, Universitätsbibliothek
clm : München, Bayerische Staatsbibliothek
clmel Melk, Stiftsbibliothek
clmog : Mainz, Stadtbibliothek
clpr : Praha, Bibliotheca Universitatis - Státní Knihovna ČSR
clprcap : Praha, Knihovna Metropolitní Kapituly Pražské - Archiv Pražského Hradu
clv-chigi : Città del Vaticano, Bibliotheca Apostolica Vaticana - fundus Chigi.
clv-pal : Città del Vaticano, Bibliotheca Apostolica Vaticana - fundus palatinus
clw :Wien, Österreichische Nationalbibliothek
clwd : Wien, Bibliothek der Dominikaner Konvents
clwsc : Wien Schottenbibliothek

1. W. Tomek , Geschichte der Prager Universität. Zur Feier der fünfhundertjährigen


Gründung derselben , Prag, 1849, p . 3.
2. Liber decanorum Facultatis Philosophicae Universitatis Pragensis ab anno Christi 1367
usque ad annum 1585, pars 1 , dans Monumenta historica Universitatis Carolo-Ferdinandeae
Pragensis, vol. 1 , Pragae , 1830 , p. 40-42.
3. Voir par exemple clpr 841 /V. B. 24 /, f. 218rb ; clam 2º 357, f. 148va ; clcr 753, f. 132rb ;
clcr 660, f. 130 ra ; clw 5431 , f. 33ra ; clw 5453 , f. 48va.
4. Liber decanorum Facultatis Philosophicae Universitatis Pragensis..., p. 82.
5. « Et sic est finis questionum Porphirii magistri Johannis Wyridani (!) , accurtatarum per
magistrum Pügerum (?) Prage. Expliciunt questiones Porphirii, accurtate Prage » (Clw
5375 , f. 4rb ; cf. M. Markowski, « Johannes Buridans Kommentare zu Aristoteles' Organon
in Mitteleuropas Bibliotheken », dans The Logic ofJohn Buridan. Acts of the 3rd European
Symposium on Medieval Logic and Semantics, Copenhagen 16.-21. November 1975, edited
by Jan Pinborg, Copenhagen, 1976, p. 13).
6. Clw 5377 (XIV ex.) : f. 1ra-5va Isag. , f. 6ra-17va Praed. , f. 17vb-25vb De interpr.;
clw 5375 (XIV4) : f. 1ra-
4rb Isag. , f. 4rb-1 1ra Praed. , f. 17ra-31vb De interpr.
7. Clcr 663 (XIV ex . ) : f. 2ra-7va Isag. , f. 7va-16va Praed. , f. 16rb-22va De interpr.
8. Cllip 1366 (a. 1394) : f. 60ra-66rb Isag. , f. 67ra-76rb Praed. , f. 76va-82va De interpr.
9. Quaestiones Pragenses accurtatae secundum Quaestiones Ioannis Buridani super « Isagogen >>
Porphyrii (clcr 663 , f. 3ra) .
10. Cf. M. Markowski, « Johannes Buridans Polemik gegen die Universalienlehre des Walter
Burleigh », Mediaevalia Philosophica Polonorum , XXVI ( 1982) , p . 7-17 .
11. Cf. M. Markowski, « Problematyka uniwersaliów w polskich piętnastowiecznych pismach
nominalistycznych » , Studia Mediewistyczne, XII ( 1970) , p . 76-82.
12. Clprcap 1277 (XIV4 ) , f. 75r- 103r.
13. Clw 5333 (XIV/XV) , f. 71ra-91vb.
14. Clcr 1904 (XIV3/ 4 ), f. 78r-81 .
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN 159

15. Clcr 1904 (XIV3/4 ), f. 81v-88v.


16. Ibid. , f. 88v-95r.
17. Ibid., f. 95r-101v.
18. Ibid. , f. 108r- 119v.
19. Clcr 621 , 663 , 736 .
20. Clw 5333, 5375.
21. Clam 2º 306.
22. Cf. K. Michalski, La physique nouvelle et les différents courants physiques au XIVe siè-
cle, Cracovie, 1929 , p. 20 ; extrait du Bulletin de l'Académie Polonaise des Sciences et des
Lettres, Classe d'histoire et de philosophie, année 1927.
23. Clcr 659 (XIV³) , f. 1ra-100rb.
24. <« Expliciunt questiones sub anno incarnacionis domini 1366, feria secunda proxima
ante festum beati Luce a magistro Byridano summo ville Parisiensis collecte, Pragis ab
Alberto conscripte » (Clcr 660, f. 130ra).
25. A. Maier, Zwei Grundprobleme der scholastischen Naturphilosophie. Das Problem der
intensiven Grösse. Die Impetustheorie, Roma² 1951 , p . 202 ; eadem, Zwischen Philosophie
und Mechanik. Studien zur Naturphilosophie der Spätscholastik, Roma, 1958 , p. 127.
26. M. Markowski, « Les Quaestiones super I-VIII libros << Physicorum » Aristotelis de
Nicolas Oresme retrouvées ? » , Mediaevalia Philosophica Polonorum, XXVI ( 1982 ) , p. 19-41 .
27. Clam 2º 298 , f. 1vb-45rb ; clcr 635 , p. 1a-170a ; clv-chigi E. VI . 199.
28. << Expliciunt questiones Phisicorum sub anno Domini MCCCº octuagesimo quarto,
finite a quodam in excellentissimo Studio Pragensi » (Clfr-praed 52 , f. 194vb).
29. Clcr 654 (ca a. 1367 ), f. 29ra -80rb .
30. Clm . 19551 (a. 1378 ) , f. 36r-67vb ; clm 12282 (a. 1387) , f. 70ra- 121vb ; clfr-praed 52
(a. 1384) , f. 141ra- 194vb ; clw 5186 (a . 1381 ) , f. 115ra-198ra ; clw 5375 (XIV4) , f. 36ra-
69rb ; clw 5440 (XIV4), f. 1ra- 47vb ; clw 5333 (XIV ex.) , f. 1ra-70va.
31. Clw 5453 ( ca a. 1370) , f. 11ra-28ra ; clcr 654 (XIV ex.) , f. 113r- 139r.
32. Clw 5453 (ca a. 1370) , f. 30ra-48va.
33. Clcr 1904 (XIV³/4) , f. 1r-68va, 70ra-77rb.
34. Clcr 704 (XIV³/4), f. 39rb-41ra.
35. Commentarius super « Isagogen » Porphyrii (clcr 737 , f. 19ra-26ra ; clpr 769 / IV. H. 5 / ,
f. 1r-28r) ; Commentarius super « Praedicamenta » Aristotelis (clcr 737 , f. 26rb-37rb ;
clpr 769/ IV. H.5 / , f. 28r-69v) ; Commentarius super I-II libros « De interpretatione >>
Aristotelis (clcr 737 , f. 39ra-48rb ; clpr 769 / IV. H. 5 / , f. 69v- 101r) .
36. Commentarius Pragensis super « Isagogen » Porphyrii (clcr 2104 , f. 27va-40rb) ; Com-
mentarius Pragensis super « Praedicamenta » Aristotelis (f. 40va-58va) ; Commentarius
Pargensis super « Isagogen » Porphyrii (f. 99ra-137vb) ; Commentarius Pragensis super
<< Praedicamenta » Aristotelis (f. 137vb-170vb) ; Quaestiones Pragenses super «< Isagogen >>
Porphyrii (clcr 2105 , f. 108ra-127rb) ; Quaestiones Pragenses (? ) super « Isagogen >> Porphyrii
(f. 96ra-104va) ; Quaestiones Pragenses (? ) super « Praedicamenta » Aristotelis (f. 127va- 151ra).
37. Quaestiones (disp.) super I-II libros « Analyticorum priorum » Aristotelis (clcr 1907,
f. 3r-154r).
38. Quaestiones Pragenses super I-II libros « Analyticorum posteriorum » Aristotelis (clcr
1907, f. 155r-221r).
39. Quaestiones Pragenses super I-VIII libros « Topicorum » Aristotelis (clcr 684 , f. 2ra-82va).
40. Commentarius Pragensis (? ) super I-V tractatus «< Summularum logicalium » Petri Hispani
(clcr 2104, f. 1ra-26va) ; Quaestiones Pragenses super II-III tractatus « Summularum logi-
calium » Petri Hispani (ibid. , f. 59ra-95ra).
160 M. MARKOWSKI

41. Quaestiones surper I , II , IV-X, XII libros « Metaphysicorum » Aristotelis (clcr 699,
f. 2ra-140va).
42. Commentarius super I-X libros « Ethicorum » Aristotelis (clcr 1899 , f. 1r- 165v) .
43. Quaestiones Pragenses super I-VIII libros « Metaphysicorum » Aristotelis (clcr 738,
f. 122ra-28 2rb).
44. Cf. W. Tomek, Geschichte der Prager Universität, p. 139.
45. Quaestiones Wiennenses secundum Ioannem Buridanum super I-VIII libros « Physi-
corum » Aristotelis (clpr 724 / IV . F. 18 / a. 1449-1450 , f. 1r-130r).
46. << Isto modo intitulantur libri « Physicorum » per communem scolam Wiennensem et
specialiter per magistrum Buridanum » (ibid. , f. 132r).
47. Clpr 927/V . F. 5 / , a. 1444-1445 , f. 1r- 192v ; cf. G.B. Korolec, Repertorium commen-
tariorum medii aevi in Aristotelem Latinorum quae in Bibliotheca olim UniversitatisPragensis
nunc Státní Knihovna ČSR vocata asservantur, Wrocław, 1977, p . 51 .
48. F. Šmahel, <« Paris und Prag um 1450. Johannes Versor und seine böhmischen Schüler >>,
Studia Źródłoznawcze, XXV ( 1980) , p . 67 .
49. Cf. M. Markowski, Burydanizm w Polsce w okresie przedkopernikańskim. Studium z
historii filozofii i nauk ścisłych na Uniwersytecie Krakowskim w XV wieku, Wrocław, 1971 ,
p. 200-203.
50. Clcr 688 , f. 2ra-83ra.
51. Clcr 1946 , f. 89r-121v.
52. « Exercicium librorum « Phisicorum » magistri Serpentis, edicionis per titulos et per
conclusiones iuxta cursum alme Universitatis Studii Cracoviensis » (clcr 688 , f. 2г).
53. Cf. M. Markowski, « Sprache und Logik im Mittelalter » , dans Miscellanea mediaevalia.
Band 13/1 : Sprache und Erkenntnis im Mittelalter, Berlin, 1981 , p. 48-49.
54. Quaestiones super « Isagogen » Porphyrii (clcr 1900, f. 1r-123v) ; Quaestiones super
<< Praedicamenta » Aristotelis (ibid. , f. 124v-272v).
55. Quaestiones Cracovienses secuncum Benedictum Hesse de Cracovia super « Isagogen »
Porphyrii (clcr 2037 , p . 1-254 ; clcr 2455 , f. 1r-114r ; clcr 2043 , p. 1a-240b) ; Quaestiones
Cracovienses secundum Benedictum Hesse de Cracovia super « Praedicamenta » Aristotelis
(clcr 2037, p. 254-514 ; clcr 2455 , f. 114v-219v ; clcr 2043 , p . 241a-456a) ; Quaestiones
Cracovienses secundum Benedictum Hesse de Cracovia super I-II libros « De interpretatione »
Aristotelis (clcr 2037 , p . 514-691 ; clcr 2455 , f. 219v-291r ; clcr 2043 , p. 456b-606a).
56. Clwsc 301 / 241 / , f. 46ra- 114vb.
57. Cf. Z. Kuksewicz , « Komentarz Pawła z Worczyna do « De anima » , Materiały i Studia
Zaktadu Historii Filozofii Starożytnej i Średniowiecznej, X ( 1969) , p . 13-14 .
58. Clcr 2013 , f. 4r-189r ; Quaestiones Cracovienses secundum Benedictum Hesse de
Cracovia super I -III libros « De anima » Aristotelis (clcr 2100, f. 150r-216v).
59. Cf. Z. Kuksewicz , Filozofia duszy . Dzieje filozofii średniowiecznej w Polsce, V , Wrocław,
1975 , p. 23-24.
60. Clcr 1367, f. 1ra- 148rb ; clcr 2376 , f. 1r-373r.
61. Cf. M. Markowski, Filozofia przyrody w pierwszej połowie XV wieku. Dzieje filozofii
średniowiecznej w Polsce, IV , Wrocław, 1976 , p . 140.
62. Quaestiones Cracovienses secundum Benedictum Hesse de Cracovia super I-VIII libros
<< Physicorum » Aristotelis (clcr 2376 , f. 1r-373r ; clcr 2100 , f. 1r-148r ; clcr 1982, f. 140r-
305v ; clcr 2097 , f. 205r-361r). Exercitium Cracoviense super I-VIII libros « Physicorum >>
Aristotelis (clcr 1905 , f. 1r-229r).
63. Clcr 720, f. 1ra- 194vb ; clcr 741 , f. 11ra-209vb ; cler 2000, f. 1r-317v. Cf. J. Rebeta,
Komentarz Pawła z Worczyna do « Etyki nikomachejskiej » Arystotelesa z 1424 roku,
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN 161

Wrocław, 1970, p . 217-229 ; J.B. Korolec, Filozofia moralna. Dzieje filozofii średniowiecznej
w Polsce, t. VII , Wrocław, 1980, p. 13-14.
64. Clcr 2003 , f. 7r-248 v ; cf. Z. Włodek , Filozofia bytu. Dzieje filozofii średniowiecznej
w Polsce, t. III , Wrocław, 1977 , p . 11-12 .
65. Cf. M. Markowski, Burydanizm ..., p . 203-208 ; S. Swieżawski, Dzieje filozofii euro-
pejskiej w XV Wieku, t. I : Poznanie, Warszawa, 1974 , p . 261 , 199.
66. Clw 5420 (ante a. 1395) , f. 1ra-165rb ; clw 5466 (XIV ex.) , f. 1ra-168va ; clw 5365
(XV in.) , f. 1ra- 148rb.
67. Clw 5408 (a. 1397) , f. 220ra-231rb.
68. Ibid. , f. 231rb-238vb.
69. Clw 5375 (XIV4) , f. 17ra-31vb ; clm 6962 (a. 1385 ) , f. 10ra-44va.
70. Quaestiones super I-VIII libros « Topicorum » Aristotelis (clm 12707 / XV³/, f. 100ra-
135rb) ; Tractatus de differentia universalis ad individuum (clm 18789/ a. 1486 / , f. 105r-
122r) ; Tractatus de relationibus (clm 18789/ a. 1486 /, f. 187v-202r).
71. Quaestiones Pragenses accurtatae secundum « Quaestiones Ioannis Buridani super
Isagogen Prophyrii » (clw 5377 / XIV ex./ , f. 1ra-5va ; clw 5375 / XIV4 /, f. 1ra-4rb) ; Quaes-
tiones Pragenses accurtatae secundum « Quaestiones Ioannis Buridani super Praedicamenta
Aristotelis » (clw 5377 , f. 6ra-17va ; clw 5375 , f. 4rb-11ra) ; Quaestiones Pragenses accurta-
tae secundum « Quaestiones super I-II libros De interpretatione Aristotelis » (clw 5377,
f. 17vb-25vb ; clw 5375 , f. 17ra-31vb) .
72. Quaestiones Pragenses secundum Ioannem Buridanum super I librum « Analyticorum
priorum » Aristotelis (clw 5333 / XIV ex./ f. 71ra-91vb).
73. Clmel 1395 (a . 1431-1432) , p. 708-758 ; cf. clm 19818 (ca a. 1439 ) , f . 1 r-10r.
74. Clw 3846 (a . 1459) , f. 204r-215v.
75. Cf. M. Markowski, « Abhandlungen zur Logik an der Universität Wien in den Jahren
1365-1500 » Studia Mediewistyczne, 22-1 ( 1983 ) , p . 53-77 .
76. Ibid.
77. Die Statuten der Artistenfakultät vom 1. April 1389, dans A. Lhotsky , Die Wiener
Artistenfakultät 1365-1497, Wien , 1965 , p . 255 .
78. Clw 5458 (XIV3/4) , f. 1ra- 154rb ; clw 5367 (XIV ex .) , f. 1va-110va ; clw 5338 (XV
in .) , f. 1ra-211vb ; clwd 107/73 (XV in.) , f. 2ra- 186rb ; clfr-praed 52 (a . 1368) , f. 1ra-138rb.
79. Clw 5424 (a. 1390) , f. 1ra-163rb ; clw 5332 (a. 1413) , f. 72v-218rb ; clw 5112 (a. 1411-
1414 ), f. 1ra-180rb.
80. Clw 5186 (a. 1381 ) , f. 115ra- 198ra ; clw 5440 (XIV4 ) , f. 1ra-47vb ; clw 5333 (XIV ex.) ,
f. 1ra-70va ; clw 5375 (XIV4 ) , f. 36ra-69rb (tantum libri I-V) .
81. Clw 5186 (a. 1380) , f. 1ra- 112vb.
82. Clw 5190 (XV ex .) , f. 1ra-112vb.
83. Clv-pal 1037 (a. 1422) , f. 1г-87г.
84. Clmel 1395 (XV² ) , p . 181-192 ; ibid. , p . 506-673.
85. Clm 497 (ca a. 1430 ) , f. 1r-257r.
86. Clm 19674 (a. 1439 ), f. 3r-183r.
87. Clw 4950 (a. 1439) , f. 1r-390r.
88. Clw 4950 (a. 1439 ) , f. 1r-390v ; clm 19847 (a. 1448) , f. 2r-268v.
89. Clm 6029 (a. 1491 ) , f. 1r-229v.
90. Clw 4951 (ca a. 1501 ) , f. 164r-223v.
91. Clw 3976 (XV¹ ) , f. 1ra- 126va.
11
162 M. MARKOWSKI

92. Clw 5235 (XIV/XV) , f. 101r-144v.


93. Ibid. , f. 84ra-96va ; clw 4784 (XV m .) , f. 202r-229r.
94. << An non clarissimi viri et pepetua memoria celebrandi fuerunt Marsilius et Buridanus >>>
(Licentia pro moderna via LXIX . Letare [ 12. III 1469] , clm 7080, f. 364a. Cf. G. Ritter,
Studien zur Spätscholastik, II , Via antiqua und via moderna auf den deutschen Universitä-
ten des XV. Jahrhunderts, Heidelberg, 1922, p. 151 .
95 . Clv-pal 1019 (XV in.) , f. 1ra-351vb.
96. Clv-pal 994 (XV¹ ) , f. 1v- 152va.
97. Clv-pal 1045 (a. 1366) , f. 91ra- 118ra.
98. Clv-pal 1049 (a. 1376) , f. 43r-73r.
99. F. Ehrle, Der Sentenzenkommentar Peters von Candia des Pisaner Papstes Alexanders V.
Ein Beitrag zur Scheidung der Schulen in der Scholastik des vierzehnten Jahrhunderts und
zur Geschichte des Wegestreites, Münster i. W. 1927, p . 177.
100. M. Markowski, Sprache und Logik im Mittelalter, p . 49.
101. Clv-pal 1037 (a. 1422) , f. 1r-87r.
102. Clw 753 ( a . 1455 ) , libri I -V ; clw 5340 (XV3 /4 ) , f . 1ra-359va, libri V-VII ; cf.
Ch. H. Lohr, « Medieval Latin Aristotle Commentaries » , Traditio , XXIII ( 1968) , p. 396 .
103. Clmog (inz) 547 (XV) , f. 3r-190r ; clmog 611 (XV) ; cf. Ch. H. Lohr, « Medieval
Latin Aristotle Commentaries, Traditio, XXVI ( 1970) , p . 215-216.
104. Clam 2º 305 (a. 1373 ) , f. 1ra-98v ; clam 2º 302 (XV in.) , f. 1ra- 191vb.
105. Clam 4º 167 (XV in.) , f. 1ra-297rb ; clam 20 300 (a. 1426) , f. 1ra-163ra.
106. Clam 40 247 (XIV ex .) , f. 1ra-199va (expositio secundum Buridanum) ; clam 40
327 (a. 1404) , f. 65r-89r (abbreviata secundum Buridanum) .
107. Clam 2º 306 (XIV4) , f. 28ra-90vb (Quaestiones super « Artem veterem » ) ; clam 40
246 (a. 1387) , f. 140ra- 164vb (Quaestiones super I-II libros « De interpretatione » Aristotelis) ;
clam 40 262 (a. 1363) , f. 33ra-48va (excerpta de Quaestionibus Ioannis Buridani super
<< Praedicamenta » Aristotelis).
108. Clam 2º 298 ( ca a . 1352) , f. 51ra-87ra ; clam 20 300 (a . 1385) , f. 166ra-285vb ;
clam 20 357 (XIV ex.) , f. 1ra-95v.
109. Clam 4º 325 (ca a. 1369) , f. 91ra-105va (expositio) ; ibid. , f. 108ra-130vb (quaestio-
nes) ; clam 20 357 (XIV ex .) , f. 96ra- 129va (quaest.).
110. Clam 40 342 (a. 1342) , f. 30ra-65vb (exp.) ; ibid. , f. 69ra-130ra (Ioannes Buridanus ?,
quaestiones) ; clam 20 334 (a. 1421 ) , f. 64ra-167rb (quaest.) .
111. Clam 2º 298 (a. 1352) , f. 109ra-120va (exp.).
112. Ibid., f. 122ra-137ra (exp. ) , f. 137rb- 145rb (quaest.) ; clam 2º 357 (XIV ex.) , f. 131ra-
170vb.
113. Clam 40 325 (ca a. 1369) , f. 132ra- 137ra (exp.).
114. Clam 40 299 (XIV ex.) , f. 158r- 165v.
115. Ibid. , f. 167r-175v.
116. Clam 2º 337 (post a. 1397) , f. 64ra-112vb , libri I-V ; clam 2º 344 (a. 1399) , f. 1ra-70va.
117. Clam 2º 298 (a. 1352) , f. 89ra-108ra ; clam 20 344 (a. 1399) , f. 72ra- 119va.
118. Clam 20 322 (XIV/XV) , f. 1ra- 100ra (quaest.) ; ibid. , f. 100rb-146vb (exp.) ; clam 20
315 (XV in. ) , f. 1ra- 106ra (quaest.) .
119. Clam 2º 366 (a. 1381 , f. 3ra-217vb ; clam 2º 361 (a. 1395 ) , f. 1ra-142va ; clam 2º 296
(XIV ex.), f. 1ra-242vb ; clam 2º 362 (XV in .) , f. 1ra-322rb ; clam 20 322 (XIV/XV),
f. 153ra-204 va ( Quaestiones breves secundum loannem Buridanum super I -VI libros « Ethi-
corum » Aristotelis).
L'INFLUENCE DE JEAN BURIDAN 163

120. Clam 4º 319 (a. 1394) , f. 144-189 .


121. << Item de cetero non debent fieri publice tales pronuntiationes exercitiorum commu-
nium per baccalarios, sed si volunt, possunt pronuntiare questiones approbatas, ut puta
Byridani, Marsilii, etc. vel alterius, cum consensu tamen facultatis, que discernere debet,
an sint tales, quod sint pronuntiande licite ; et conclusum est per facultatem , quod idem
statutum intelligi etiam debet de magistris, quia non est ratio diversitatis » (Acten der
Erfurter Universität, ed. H. Weissenborn, dans Geschichtsquellen der Provinz Sachsen,
Bd. VIII, Teil 2 , 1884 , p . 141 ; cf. F. Ehrle, Der Sentenzenkommentar..., p . 203).
122. Cf. E. Kleineidam, Universitas Studii Erffordensis. Überblick über die Geschichte
der Universität Erfurt im Mittelalter 1392-1521 . Teil I : 1392-1460, Leipzig , 1964 , p . 185 ,
note 12.
123. Clm 7658 (XV¹ ) , f. 97r- 180r.
124. Clam 40 241 (a. 1420) , f. 162vb- 187vb ; clam 4º 263 (XV² ) , f. 144ra- 156rb.
125. Clam 40 241 (a. 1420) , f. 187vb- 198vb.
126. Cllip 1372 (XIV/XV) , f. 1ra-70ra (Ioannes Buridanus, Quaestiones super << Artem
veterem ») ; cllip 1373 (ca a. 1378 ) , f. 65ra-90ra ; cllip 1366 (a. 1394) , f. 64ra-82va (Quaes-
tiones Pragenses abbreviatae secundum Ioannem Buridanum super « Artem veterem ») .
127. Cllip 1372 (XIV/XV) , f. 72ra- 120vb.
128. Cllip 1451 (XV in .) , f. 195ra-342vb.
129. Cllip 1415 (XV in. ) , f. 134ra-179ra.
130. Cllip 1417 (a. 1368) , f. 1ra-61vb ; cllip 1420 (a. 1447-1448) , f. 1r-188r.
131. Cllip 1447 (a. 1380) , f. 1ra-343vb ; cllip 1448 (XV1-2 ) , f. 2ra-231va (Quaestiones
secundum Ioannem Buridanum super libros « Ethicorum » Aristotelis).
132. Cllip 1446 (a. 1482) , f. 1ra-335v (quaest. ) ; cllip 1445 (ca a. 1488 ) , f. 1r-153v (sententia) ;
clm 245 (a. 1459 ) , f. 300ra-302vb (Quaestio Lipsiensis secundum Ioannem Buridanum super
tertiam quaestionem VI libri « Ethicorum » Aristotelis) .
133. Cllip 1246 (ca a. 1452) , f. 324r-394v.
1
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE

(QUELQUES REMARQUES SUR LE DE COMMENSURABILITATE, III) *

Max LEJBOWICZ

Nul médiéviste attentif aux textes scientifiques n'ignore la rupture de ton


que Nicole Oresme introduit dans son Tractatus de commensurabilitate vel
incommensurabilitate motuum celi le modèle euclidien d'exposition qu'il a
suivi avec une remarquable maîtrise dans les deux premières parties de son traité ,
cède la place, dans la troisième et dernière , à une création proprement littéraire¹ :
<< Sed dum suspenso animo hoc [suppositum : an sint omnes motus
celi commensurabiles an non] expedire proponerem.
Ecce mihi, quasi sompniatori, visus est Apollo , musis et scientiis
comitatus, meque talibus increpat verbis pessima inquit……. » 2 .
S'ensuivent un dialogue entre Apollon et Oresme , puis deux longues plai-
doiries ; dans la première , la muse Arithmétique défend la commensurabilité des
mouvements des corps célestes , et , dans la seconde , la muse Géométrie se fait
l'avocate de la thèse adverse . Cet affrontement entre « istas evidentis veritatis
clarissimas genetrices » 3 trouble le dormeur. Apollon décide d'intervenir pour
arrêter les incertitudes et pour énoncer le vrai ; malheureusement :
« Cumque summo desiderio sententiam expectarem, et ecce sompnus
abiit, dubia conclusio restat et ipse nescio quid super hoc iudex
decrevit Apollo »4 .
Lorsqu'on sait que , dans sa polémique contre eux , Nicole Oresme reproche
notamment aux devins « leurs paroles (...) aucunefois doubles, amphiboliques ,
a deux visages , (...) et aucunefois (...) obscures et [ qui] peuent estre appliquees
a plusieurs effects ou personnes » 5 , on peut se demander si , selon ses propres
critères et le temps d'une conclusion , il ne s'est pas comporté à son tour , et au
moins sur le plan formel , à la manière de ces praticiens. L'épilogue de son De
commensurabilitate n'obéirait-il pas aux canons d'une fin de consultation divi-
natoire en étant riche de promesses contradictoires parfaitement ordonnées ?
Plus encore : Ne sommes-nous pas obligés , pour tenter d'éclaircir les obscurités
de cette troisième partie , de nous essayer à l'interprétation d'un rêve , alors
qu'Oresme a rejeté l'oniromancie dans les pires pratiques divinatoires ? Par

Je remercie vivement Guy Beaujouan , Jean Jolivet et Franz - Joseph Meissmer des
remarques et informations dont ils ont bien voulu me faire bénéficier durant la rédaction
définitive de ce texte.
166 M. LEJBOWICZ

le biais d'un procédé littéraire , l'évêque de Lisieux met son lecteur en de-
meure de pratiquer une de ces « vanitez qui ne sont pas sciences fors a parler
improprement » 7 . d'
Je n'ignore pas ce que mes interrogations peuvent avoir d'inconvenant ,
après le révolution scientifique des XVIe et XVIIe siècles. La coupure dans M
les différents modes de penser est depuis lors telle qu'il est aujourd'hui difficile d
de se pencher sur des textes , médiévaux ou non , autrement qu'en termes d'exclu- 2
sion . Au monde scientifique doté de procédures régulières d'exposition et de d
démonstration s'oppose abruptement le monde magique et divinatoire avec
ses phénomènes aberrants et insaisissables8 . L'intérêt du texte qui nous occupe
est, me semble -t-il , de permettre d'établir un réseau de rapports entre ces deux 9
mondes le plus souvent disjoints.

Déjà, dans l'introduction de son édition du De commensurabilitate,


Edward Grant, sans aller jusqu'à ne serait-ce qu'évoquer la perspective dans C
laquelle je viens de me placer, a proposé de cette troisième partie une analyse
qui mérite d'être rappelée9 . Selon ce maître des études oresmiennes , un tel
passage met en place les éléments d'une véritable stratégie de persuasion. Il n'y a,
pense -t-il , aucun doute pour Oresme , les mouvements célestes sont incommen- t
surables entre eux . Mais , par suite des limitations que nos organes sensoriels
imposent à notre connaissance mathématique du monde physique , cette incom-
mensurabilité n'est pas perceptible ; elle est seulement démontrable , et démon-
trable uniquement en termes de probabilité , non de certitude catégorique 10 .
A la croyance - et la croyance emprunte toujours à l'absolu – à la croyance
d'Oresme en l'incommensurabilité des mouvements des corps célestes s'oppose
donc la relativité de la démonstration mathématique . C'est cet écart que le
grand maître de Navarre essaie de masquer en utilisant une fiction : elle lui
permet de jeter un voile sur son débat intime . Toutefois , il organise cette fiction
de manière que son lecteur en vienne par lui-même à partager ses certitudes ,
pourtant jamais expressément avancées en tant que telles11 .
Ainsi , en prolongeant l'analyse d'E . Grant , l'écriture n'est plus considérée
comme un instrument impersonnel au service d'une vérité abstraite ; elle sécrète ,
grâce au travail de l'écrivain sur sa seule réalité , une vérité inhérente à la compo-
sition du propos qu'elle fait exister. Ou , pour souligner l'espèce de reniement du
Philosophe le langage a momentanément quitté son statut implicite d'organon
pour s'hypostasier . Si l'objectivité des énoncés , admirablement illustrée dans les
deux premières parties du De commensurabilitate, s'effondre pour terminer,
sous les assauts contraires de la loquacité des images et des silences de l'auteur ,
c'est que l'objet du débat , présentement et volontairement dissimulé , n'est plus
la vérité du monde mais les convictions de l'écrivain et leur diffusion . Ces affir-
mations voilées et ces rétractations feintes concourent à inciter le lecteur à faire
siennes les certitudes de celui qu'il lit en se faisant piéger par la manière dont
les propos sont organisés. La force nécessitante de l'écriture essaie de compenser
l'indétermination logique de la croyance .
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 167

Habituelle dans la rédaction des textes littéraires, cette méthode n'est


guère utilisée dans la composition des textes scientifiques, qui, eux , au nom
d'une visée de vérité beaucoup plus contraignante , s'efforcent de gommer l'acte
et les conditions d'énonciation pour laisser briller la seule pureté des énoncés.
Mais que dire lorsque ce type d'écriture quasi-romanesque est employé in fine
dans un traité indubitablement scientifique par un véritable savant , connu pour
avoir ferraillé par ailleurs contre les pratiques magiques et divinatoires ? Que
dire , sinon évoquer une espèce de contamination de cet écrit particulier à
la suite des contacts établis par son auteur avec de telles pratiques ? Sinon
mettre en avant le vague pressentiment d'Oresme de la part de trouble vérité
que ces pratiques renferment ?
Il est vain de rechercher dans les écrits de l'évêque de Lisieux le franc aveu
de cette souillure que , de son côté , Edward Grant ne suggère même pas . Plus
positive , par contre , me semble être la remarque suivante : Oresme ne s'est pas
contenté d'examiner la valeur de vérité des pratiques magiques et divinatoires
à l'intérieur de son propre système de référence 12 ; il s'est aussi attaché à l'ana-
lyse de leurs modes de fonctionnement, indépendamment de leur pertinence
cognitive . Il les a envisagées non seulement en tant qu'epistêmê mais aussi en
tant que technê, et plus précisément en tant que technique de persuasion .
Ses remarques, sur ce plan , se classent sous deux rubriques , l'une relative aux
devins et l'autre à leurs consultants .
J'ai déjà indiqué plus haut (note 5) l'insistance avec laquelle Oresme est
revenu sur l'ambiguïté des propos divinatoires . Cette ambiguïté est générale .
Elle déborde le champ de la seule parole , pour marquer l'ensemble des compor-
tements. Même si Oresme ne s'est pas livré à cette extrapolation - je reviendrai
sur ce point , c'est sans difficulté que peuvent être de la sorte comprises
ses pittoresques descriptions . Ainsi , ces praticiens mis en demeure de conclure
clairement leur pronostic : ils restent silencieux , mais en donnant à leur visage
une expression telle qu'elle les fait passer pour détenteurs d'une vérité incommu-
nicable 13 ; leur ignorance , qui commande leur mutisme , est contrebalancée par
leur mimique riche de sous-entendus savants . Ou encore , ces autres qui pronos-
tiquent clairement mais rétrospectivement14 : l'ambiguïté des propos est ainsi
rapportée à celle de la chronologie . Ou encore , et pour terminer le bref rappel
de telles roublardises beaucoup plus largement détaillées chez Oresme , ces devins
qui font passer pour un produit de leur art les informations recueillies préala-
blement au cours d'une enquête discrète 15 : l'équivoque porte maintenant sur
le mode d'acquisition du savoir divinatoire .
Les remarques d'Oresme sur le comportement des consultants sont plus
pauvres en description que celles qu'il consacre aux devins ; mais , par rapport
à ces dernières , elles présentent l'avantage d'être théorisées. Tout se passe
comme si Oresme réduisait à des supercheries sans scrupule , et sans grand intérêt
pour l'analyste , les agissements des devins les informations inaccessibles par
les voies habituelles le restent tout autant par les chemins merveilleux qu'ils
proposent16 ; on comprend ainsi qu'outre sa formation valorisant le verbe et
168 M. LEJBOWICZ

le sensibilisant à l'expression écrite , sa répulsion l'ait empêché d'appliquer


aux comportements des devins l'ambiguïté qu'il avait relevée dans leur propos.
Tandis que pour les consultants, et au-delà de leur situation de victime qu'im-
plique la conception du devin trompeur , il s'attachait à comprendre les processus
psychologiques et physiologiques par lesquels des personnes acceptent d'être
bernées . Le Livre de divinacions renvoie à plusieurs reprises au De configuratio-
nibus qualitatum et motuum17 , et c'est effectivement aux chapitres 25 à 38
du livre II de ce traité qu'Oresme a le plus largement développé ses conceptions
sur le comportement des consultants.
Une première constatation s'impose . Dans la mesure où la divination est
réduite à une supercherie , elle doit trouver ailleurs que dans ses règles les prin-
cipes d'une efficacité attestée par sa diffusion . Faux moyens d'obtenir des
informations, elle va devenir un mode d'action efficace , aux procédures singu-
lières , et d'une action sur les personnes . Elle s'allie ainsi à la magie , et c'est
cette dernière qui lui assure son succès. La logique divinatoire est pour Oresme
une logique magico-divinatoire 18 .
Oresme attribue à la magie trois racines << tres radices artis magice » ,
expression dont on cherche en vain dans ses écrits un équivalent applicable à
la divination . Je ne reviendrai pas sur l'analyse de telles racines : elle a déjà été
faite par Lynn Thorndike , Anneliese Maier , Marshall Clagett et Stefano Caroti19 ,
qui ont souligné en quoi elles se rattachaient aux travaux mathématiques d'Oresme
sur la représentation graphique des qualités. Cette trinité des fondements ma-
giques s'unifie en un trouble intense de l'âme , généralement induit par des
déficiences de la perception , ces déficiences pouvant être dues à des facteurs
agissant isolément ou en commun (états socio-culturels trop fragiles , âge , sexe ,
tempérament , état de santé , choc d'événements inattendus, influence des sons
sous forme verbale ou musicale , et évidemment action directe des mages par
accroissement des failles du système perceptif des consultants ) . Il suffira de
retenir que dans la perspective oresmienne une instabilité psycho-physiologique
- qu'elle soit circonstantielle ou structurelle - prédispose , dans un même mou-
vement , à la croyance à la magie et aux manipulations des mages.
Un tel état d'incertitude psychologique ne se retrouve-t-il pas chez l'auteur
de la troisième partie du De commensurabilitate, si du moins nous nous en
tenons à une lecture immédiate de son texte ? A l'ouverture de cette dernière
étape , Nicole Oresme formule , on ne peut plus clairement , ses souhaits :
<< Cum de tribus propositis duo utrumque pertransissem ex duabus
ypothesibus contradictoriis utrumque conditionaliter concludendo
quid sequitur si omnes motus celi sint invicem commensurabiles,
et quid si aliqui sint incommensurabiles ; restat tertium quod plus
appetit intellectus , non plene quietatus , donec cathegorice sit
conclusum. Et quousque suppositum fiat notum, scilicet an sint
commensurabiles an non » 20 .
Or l'étape parcourue , les plaidoiries d'Arithmétique et de Géométrie terminées ,
et juste avant que son réveil ne l'empêche d'entendre le jugement définitif
d'Apollon , il s'étonne :
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 169

« Ac ego, non immerito, admiratus tantaque rerum novitate attonitus


hec intra me cogitabam. Cum cuicumque vero consonet omne verum,
cur [Arismetica et Geometria] sunt discordes iste veritatis parentes ?
Et quid est quod loquuntur rhetoricis persuasionibus aut topicis
probationibus que solent uti solum demonstrationibus omnem aliam
argumentationem aspernantes ? Cur incertioris scientie modum eis
insolitum acceperunt ? »21

Ainsi , la conclusion catégorique , dont Oresme a lui-même posé la nécessité ,


prend finalement la forme d'un rêve inabouti . Le grand maître de Navarre doit
s'accommoder des rhetoricis persuasionibus, des topicis probationibus. Son
summum desiderium22 n'a donc pas été satisfait . Cette plena quies intellectus
qu'initialement il visait lui a sans appel échappé.
Est-il besoin de le préciser ? A tout instant , l'évêque de Lisieux domine
ses moyens d'expression et les impératifs de la logique . Tout porte donc à penser
qu'il avait déjà conçu sa conclusion bâtarde au moment même où il appelait
de ses voeux une réponse catégorique . Pourquoi s'est-il aussi facilement expo-
sé au risque d'inconséquence ? Et encore , si ses manques s'arrêtaient à cette
distorsion entre la réponse ambiguë déjà prête et la revendication préalable
d'une certitude complète ! Il y a des contradictions plus graves, qui portent sur
le contenu scientifique de sa démonstration et plus seulement sur la mise en
scène de ses souhaits et déceptions.

J'ai déjà fait allusion à l'argument fondamental qu'il oppose à la commen-


surabilité des mouvements célestes (note 10) ; je le donne maintenant dans son
intégralité : étant données deux grandeurs quelconques inconnues , il est probable
(verisimile) que leur rapport est incommensurable plutôt que commensurable .
La démonstration mathématique de cette proposition , simplement énoncée dans
le De commensurabilitate, avait été faite dans le De proportionibus propor-
tionum elle est irréprochable (note 11 ) . Mait peut-on en dire autant de son
application aux corps célestes tels que les conçoit l'évêque de Lisieux ? Oresme ,
à travers Géométrie , parle avec raison , dans cette proposition fondamentale ,
de quaslibet magnitudines . Or , en quoi , à l'intérieur des conceptions cosmolo-
giques oresmiennes, la durée de révolution de chacun des corps célestes est -elle
une grandeur réellement quelconque ? L'auteur du De commensurabilitate
fait d'autant mieux polémiquer Arithmétique et Géométrie sur les raisons de
la beauté du ciel que les deux muses admettent sans réserve la splendeur du
monde supralunaire 23. Peut-on adhérer , de manière réfléchie et critique , à
une doctrine qui , prêtant aux réalités célestes une perfection particulière , leur
applique malgré tout les lois du hasard ?
En fait, Oresme opère un audacieux passage , dans la sphère esthétique , du
simple constat à l'argumentation ; et , par cette opération , il pense concilier la
beauté du ciel avec l'incommensurabilité de ses mouvements. En effet , avance -t-il
à travers Géométrie , cette beauté céleste n'est pas compatible avec la monotonie
du retour périodique des planètes et des luminaires à certains points privilégiés
de l'écliptique ; la plénitude du beau s'accompagne de la plus grande multiplicité
possible des localisations des événements célestes ; l'incommensurabilité est
170 M. LEJBOWICZ

par excellence l'instrument de cette diversité24 . Traitant esthétiquement d'une


réalité jugée selon des critères esthétiques, le raisonnement de Géométrie manque
d'autant moins de cohérence qu'il s'appuie sur d'intéressantes considérations
musicologiques25 . Mais , en procédant ainsi , elle a évidemment transformé la
grandeur quelconque , nécessaire au raisonnement mathématique , en belle gran-
deur, propre au raisonnement esthétique . Jouant sur deux tableaux , à l'instar
des devins d'Oresme , elle n'offre guère prise à ses opposants , pas plus que
les devins n'en offrent à leurs consultants critiques.
Les deux voies présentées par Oresme pour établir l'incommensurabilité
des corps célestes ne sont pourtant pas symétriques : l'esthétique , nous l'avons
vu, s'intègre mieux dans l'ensemble des conceptions cosmologiques oresmiennes ;
la mathématique s'insère parfaitement dans la continuité des travaux du grand
maître de Navarre sur les proportions et les exposants fractionnaires . Leur
mise en concurrence - car une grandeur ne peut être à la fois belle et quel-
conque soulève le grand problème de l'application des mathématiques aux
phénomènes . Il n'est pas sans intérêt de souligner qu'Oresme utilise le mode
ambigu de l'argumentation divinatoire lorsqu'à propos d'une question particu-
lière , l'incommensurabilité des corps célestes, il se trouve placé au coeur de sa
problématique fondamentale de savant, à savoir : la mathématisation du réel éla-
borée en termes généraux dans le De configurationibus (voir infra et ma note 56).
Pourtant , si la beauté du ciel exige l'incommensurabilité des mouvements
des corps célestes, elle n'en exige pas moins , également , des rapports commensu-
rables entre les corps eux-mêmes :
<< [Arismetica] dicit enim quod in suis proportionibus rationalibus
consistat quedam pulchritudo atque perfectio quod non nego.
Verumtamen celestia multo ampliori fulgent decore si corpora sint
commensurabilia et motus incommensurabiles ; aut si aliqui motus
sint commensurabiles et alii incommensurabiles qui omnes sunt
regulares quam si cuncta essent commensurabilia ... » 26 .
Ainsi , Géométrie admet que la beauté du ciel résulte finalement d'un mélange 26 bis
entre des grandeurs commensurables et d'autres qui ne le sont pas. Plus précisé-
ment, elle admet deux hypothèses : l'une , selon laquelle les quantités de matière
des corps célestes sont commensurables entre elles, tandis que les mouvements
de ces mêmes corps ne le sont pas. On ne voit pas en quoi , en toute rigueur , un
raisonnement du type probabiliste sur l'incommensurabilité de deux grandeurs
inconnues s'appliquerait préférentiellement au mouvement tandis qu'il épargne-
rait la quantité de matière (quoique les médiévaux , et du fait même des grandeurs
apparentes en cause , aient été préoccupés plus par la mesure des révolutions
des corps célestes que par celle des dimensions de ces corps , il n'en reste pas
moins qu'un degré comparable d'incertitude préside nécessairement à l'une et
l'autre de ces estimations une telle indétermination dépend du perfection-
nement des instruments de calcul et d'observation , semblables dans les deux
séries de mesure) .
Deuxième hypothèse de Géométrie : certains mouvements célestes seraient
commensurables ; et d'autres , non . Dès lors qu'aucun critère n'est proposé pour
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 171

départager ces deux types de mouvement - ce qui est malheureusement le cas


la confusion s'installe , et les affirmations les plus contradictoires sont également
possibles .
A considérer l'une et l'autre des deux hypothèses de Géométrie , on re-
trouve , sous des formes savantes, le langage à deux visages qu'Oresme attribue
aux devins ...

On le sait le grand maître de Navarre utilise l'incommensurabilité des


corps célestes comme cheval de bataille contre l'astrologie , seule discipline divi-
natoire qui , trouvant quelque grâce à ses yeux27 , ne peut être intégralement
combattue sous le couvert de la magie (il l'utilise aussi contre la Grande Année ;
celle-ci se présente , dans le De commensurabilitate, comme un cas extrême de
commensurabilité 28 : elle n'a donc pas à requérir de ma part une attention
particulière). L'incommensurabilité détruit scientifiquement les bases expéri-
mentales de la pratique astrologique en permettant de démontrer l'impossibilité
du retour périodique d'une configuration céleste29 . Or, sans une rigoureuse
identité des configurations passées et futures , les événements à venir ne sont
pas astrologiquement prévisibles : il leur manque la similitude astrale des événe-
ments advenus , dont ils sont censés reproduire au moins la forme 30. Observons
toutefois , contre l'unicité de l'attaque oresmienne , que , dans les traités astro-
logiques, les divers éléments en cause - planètes , signes, maisons et aspects -
s'organisent aussi en système , d'où dérivent leurs significations , et de là , leur
possibilité prévisionnelle . Même si , entre l'expérience et la déduction , ces traités
ne choisissent jamais très clairement leur voie , une telle ambivalence mérite
d'être retenue . Si donc l'incommensurabilité enlève à l'astrologie ses bases expé-
rimentales, elle lui conserve ses bases spéculatives : ces dernières sont largement
suffisantes pour prédire . Qu'Oresme , qui a tant pratiqué l'astronomie «< specu-
lative et mathematique »31 , et si peu, pour ne pas dire jamais , l'astronomie
d'observation, n'ait pas , sinon remarqué , du moins retenu, cette deuxième
possibilité est quelque peu surprenant 32 .
Cependant , Géométrie situe à un niveau de mesure d'une précision extra-
ordinairement élevée l'incommensurabilité des mouvements des corps célestes.
C'est même , rappelons-le , parce que « ….. [sensibus] nequit deprehendi precisio
punctualis » 33 qu'un débat s'est engagé entre Apollon et Oresme . Elle situe
cette présision au-delà de la seconde d'angle , au-delà même de la tierce , soit
du 216 millième du degré34 : « ut non appareat error notabilis » 35 dans la
pratique astronomique , qui reste ainsi une activité recommandable , bien qu'en
son fond imparfaite .
Pierre Duhem a élogieusement commenté les passages de la troisième partie
du De commensurabilitate où les protagonistes soulignent l'impuissance des sens
à percevoir une grandeur infime , cependant conçue par l'intelligence . Il y a vu
un dépassement des positions antérieurement défendues dans l'Ad pauca respi-
cientes, par la conscience plus vive des vocations particulières des Mathématiques
- qui <« énonce(nt) que deux grandeurs sont égales entre elles » - et de la Physique
- qui <<énonce que deux grandeurs sont égales aux erreurs d'expérience près » 36 —.
172 M. LEJBOWICZ

Je crains que l'auteur du Système du monde n'ait abordé cette troisième


partie trop en épistémologue des sciences physiques et pas assez en historien
de l'astrologie attentif à la logique de son sujet d'étude . Il est exact que , dans
le meilleur des cas, et préalablement à toute prévision , l'astrologue lui aussi
s'efforce de connaître la position des astres, et que cette activité initiale de
repérage est doublement bornée par les limites des instruments d'observation
et de calcul et par les aléas de leur usage ; une incommensurabilité d'une extrême
ténuité peut alors passer pour une commensurabilité, sans que cette approxi-
mation fausse réellement l'anticipation des prochaines positions. Oresme admet
ces incertitudes dans la pratique de l'astronomie d'observation dès lors qu'elles
sont infimes (note 34) . Mais un astrologue soucieux des fondements de sa disci-
pline essayera également d'évaluer ce qu'en langage moderne on peut appeler
<< le seuil perceptif » des organes sensoriels censés recevoir l'hypothétique
influence astrale 37. Dans le cas où la grandeur des approximations rendues inévi-
tables par les techniques d'observation et de calcul est inférieure à la grandeur
des performances perceptives de ces organes supposés , il n'y a pas de raison pour
que l'astrologie ne soit pas opérative , du moins en théorie . Bien évidemment , et
à l'opposé, si les performances perceptives des récepteurs humains en cause se
situent, en degré de finesse , au-delà des possibilités de la technique astronomique ,
l'astrologie est expérimentalement impraticable .
Un raisonnement identique s'applique aux mouvements réels - et non
plus seulement observés des corps célestes, à ceci près qu'il convient mainte-
nant d'introduire deux seuils perceptifs, l'un maximum et l'autre minimum .
L'important est de savoir si le degré de précision à partir duquel ces mouvements
sont incommensurables se situe à l'intérieur ou à l'extérieur de la plage ainsi
définie . A supposer que l'incommensurabilité apparaisse avec la seconde d'angle ,
alors que les organes sont seulement sensibles aux différences de l'ordre de la
minute , il est clair que , pour eux , les mouvements des corps célestes seront
commensurables tant que la somme des écarts des retours périodiques n'aura
pas atteint ces valeurs fatidiques voisines de la minute (et à supposer que ces
écarts soient pour la perception cumulatifs au fil des ans... ). Et si , en conservant
pour les organes cette même sensibilité de l'ordre de la minute , il apparaît que
l'incommensurabilité est, elle , de l'ordre du degré d'angle , alors ce phénomène
physique est sans effet sur la sensibilité humaine . Pour que l'incommensurabilité
soit agissante , elle doit être perçue - ce qui se produit lorsque l'ordre de gran-
deur des phénomènes physiques est compatible avec celui des aptitudes des
organes perceptifs.
Ainsi, l'analyse astrologique subordonne la réalité physique et la technique
astronomique aux possibilités du sujet percevant .
Duhem, pas plus qu'Oresme dans le De commensurabilitate ou dans d'autres
traités , n'a mené la discussion jusqu'à ce point . Il n'est pourtant pas extravagant
de conjoncturer que l'auteur du De configurationibus a entrevu cet aspect du
problème . En développant sa doctrine de la configuration , Oresme se montre
extrêmement attentif au rapport entre l'objet perçu et le sujet percevant38 .
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 173

A propos de l'audition et de manière moins systématique , pour la vision des


couleurs - il conçoit clairement la notion de seuil perceptif minimal , même
si le terme n'est pas utilisé39 . Il admet que certaines pauses musicales , trop
faibles pour être reconnues à l'oreille , produisent des effets particuliers : ainsi
s'expliquerait le timbre des instruments40 ; la remarque est subtile : l'impercep-
tibilité physiologique de grandeurs physiques peut s'accompagner de sensations
spécifiques. Ailleurs , il parle de causes qui nous échappent < ... causa (quarun-
dam occultarum virtutum et mirabilium effectuum) sepissime latet propter
huiusmodi qualitatum figurationem imperceptibilem et occultam » 41. Peut-on
raisonnablement penser que l'auteur de semblables réflexions ne s'est jamais
interrogé sur la convenance entre , d'une part , la réalité des mouvements célestes
et les possibilités de la technique astronomique , et , d'autre part , la performance
des perceptions humaines42 ? Il a pourtant préféré , dans le De commensurabilitate,
opposer à un empirisme expérimental sans nuance une sophistication mathéma-
tique peu soucieuse de la particularité des réalités physique et physiologique ,
sur la vérité desquelles elle prétendait trancher43.
Mais il y a plus , en revenant dans les strictes perspectives tracées par
le traité. En admettant même que l'incommensurabilité rende totalement impra-
ticable l'astrologie , elle laisse indéterminée l'existence des influences astrales.
Démontrer l'incapacité à maîtriser une force hypothétique ne renseigne pas
sur la réalité de cette force . Or , Géométrie, cette grande pourfendeuse de la
commensurabilité , plaide sa cause en mettant en avant un argument singulier :
« Qua propter iocundius atque perfectius videtur et etiam divinitati
convenientius quod non totiens repetatur idem sed quod novas et
dissimiles prioribus constellationes effectusque varios semper produ-
cat ut illa seculorum prolixa series, quam Pictagoras per cathenam
auream intellexit, non redeat in circulum sed recte procedat sine
fine semper in longum... »44.
Si la conception orthodoxe d'une histoire linéaire réclame l'incommensurabilité
des mouvements célestes , c'est bien parce qu'il existe un déterminisme astral ...
Autrement dit, par sa critique de la commensurabilité , Géométrie vise à dépos-
séder l'astrologie de ses moyens techniques , mais sans remettre en cause sa vérité .
Après sa plaidoirie , l'astrologie existe toujours , mais manchotte et cul-de -jatte .
Elle reste une valeur , mais une valeur pour rien. Dans la mesure où Oresme s'ex-
prime à travers Géométrie , c'est au moment où il fait siennes les croyances
astrales qu'il se détache le plus des devins.

Je n'aurai pas l'outrecuidance de m'attribuer une rigueur dont aurait été


dépourvu le grand maître de Navarre . Tout porte à le penser : il était lui-même
conscient des lacunes qui viennent d'être relevées. Aux détails troublants déjà
retenus en ce sens, j'ajouterai la pièce majeure : cette insolite fabulation mytho-
logique prise dans son ensemble qui termine le traité . Après les savantes exégèses
qu'elle a suscitées, il n'est pas mauvais d'en revenir à des constatations toutes
simples en commençant par comprendre cette rupture de ton comme un éloi-
gnement délibéré des exigences scientifiques , une sorte de désengagement pour
174 M. LEJBOWICZ

une responsabilité mathématique moindre . L'endormissement qui ouvre la troi-


sième partie est une métaphore transparente la suite des propos ressortit à
un clair-obscur de la raison . En choisissant , pour terminer son traité , de faire
appel à la liberté d'un rêve imaginé de toutes pièces pour les besoins de sa cause ,
Oresme s'est détaché des contraintes mathématiques au profit d'un débat d'idée
aux mécanismes beaucoup plus souples.
Plus souple , oh ! combien ! si l'on applique au dieu qu'il fait surgir de
sa plume le jugement que dans ses autres oeuvres il porte sur Apollon ! Dans
le Tractatus contra astrologos comme dans le Livre de divinacions, dans le De
configurationibus comme dans le Livre de Politique, il se réfère au passage du
De divinatione où Cicéron place l'ambiguïté des oracles sous le patronage du
maître de Delphes45 . Il n'y a donc aucune raison de voir dans l'Apollon du
De commensurabilitate le dieu solaire des Hellènes qui prophétise parce qu'il
voit clair et qu'il voit loin ; c'est bien plutôt un dieu incertain , un dieu entre
chien et loup, un dieu dont les oracles sont partim falsa, partim casu vera,
partim flexiloqua et obscura, ut interpres egeat interprete, partim ambigua et
que ad dyalecticos referenda sint » . Attendre d'un tel dieu la solution rigoureuse
d'un problème scientifique , c'est avoir beaucoup de naïveté . Mais, c'est manifes-
ter un certain humour que de lui attribuer les muses Arithmétique et Géométrie :
deux et deux ne vont probablement plus faire quatre . Oresme nous l'assure dans
le Livre de Politique les réponses d'Apollon sont « pleines de deceptions et
perilleuses »46. Pourquoi, alors que la figure de ce dieu la domine , exiger de
la troisième partie du De commensurabilitate, une réponse satisfaisante et
rassurante ? Rien n'obligeait Oresme à dialoguer avec le maître de l'amphi-
bologie47 , rien, si ce n'est sa propre évaluation du problème en suspens et
son choix du type de réponse.
Considérer la fin de ce traité comme une sorte de canular, voire même
un pastiche d'une séance de divination est peut-être trop « périlleux » . Qu'est-ce
qui expliquerait que le futur évêque de Lisieux se soit tout à coup livré à une
mystification ? J'éclairerai ce débat en opposant à Oresme l'un des plus fameux
astronomes du XIVe siècle , Jean de Murs incarnant en astronomie deux atti-
tudes opposées , chacun d'eux peut, par contraste , mettre en valeur les forces
et les faiblesses de l'autre .
Jean de Murs , on le sait , est l'auteur de remarquables observations astro-
nomiques48 ; certaines lui ont permis de s'assurer de la validité des tables alphon-
sines, qui, par son intermédiaire , et après un demi-siècle de silence aux raisons
encore mal élucidées , ont enfin fait partie de la culture astronomique des Latins
septentrionaux49 . Son aptitude à l'observation et l'utilisation de ces tables
lui ont fait proposer dès 1332 , pour la correction du calendrier julien , les chiffres
qui seront retenus deux siècles et demi plus tard par Grégoire XIII50 .
Il ne suffit pas de remarquer que le génie propre d'Oresme exclut sembla-
bles réalisations . Il faut aussi ajouter que le grand maître de Navarre exprime
les plus expresses réserves sur la possibilité de réaliser un calendrier rigoureux
et des tables astronomiques exactes51 . Sa critique ne se fixe pas sur des éléments
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 175

imparfaits qui, après travail , seraient amendables ; elle vise le projet lui-même52 :
Oresme démontre , grâce à l'incommensurabilité, que les entreprises calendaire
et tabulaire seront toujours imparfaites.
De son côté, Jean de Murs ne s'est pas contenté , comme Oresme , d'ad-
mettre l'efficience des astres et de nier celle de l'astrologie . Il a préféré se donner
les moyens de son savoir , et il a mis en oeuvre les règles astrologiques pour
rédiger des pronostics, au moins à deux reprises53 ; il est en cela représentatif
des astronomes praticiens de son temps, tel Jean de Saxe , Firmin de Belleval ,
Levi ben Gerson , Geoffroy de Meaux , qui , tous , ont doublé leur pratique astro-
nomique d'une pratique astrologique54 .
Ainsi , Oresme élabore une construction mathématique qui lui interdit
l'exercice d'une astrologie dont il admet les fondements ; qui freine la réalisa-
tion d'un calendrier plus exact ; et qui, enfin, suspecte la rigueur des tables ,
sans pour autant proposer des solutions de rechange il affine ainsi une ratio-
nalité à qui échappe le réel, alors que Jean de Murs parvient à une domestication
de ce réel par une rationalité moindre55 .
L'attitude d'Oresme a des incidences plus larges que la seule application
critique de l'incommensurabilité aux tables et au calendrier. On sait que , dans
le fameux chapitre 25 du livre II du Livre du ciel et du monde, il avance , pour
justifier la rotation de la terre , des arguments plus solides que ceux qu'il utilise
pour la nier ; et pourtant, pour finir, il s'en tient à la thèse traditionnelle de
l'immobilité du globe terrestre . Les médiévistes voient généralement dans ce
passage une heureuse application de la technique du contra. Sans doute . J'y
verrai aussi, en relation avec les développements précédents, une difficulté à
penser dans toute son ampleur la rationalité du monde56 .
L'activité mathématique d'Oresme et ce que je pense être son pastiche
d'une consultation divinatoire ont au moins un trait commun . Dans les deux
cas, l'auteur dote son travail de règles propres , et il laisse ensuite se dérouler
une série d'enchaînements purement spéculatifs. Jean de Murs, pour sa part,
emprunte les règles de son travail à un corpus lui préexistant , et il les éprouve
ensuite dans un affrontement avec les données matérielles : sa créativité dérive
d'un rapport tumultueux avec le monde , d'où il fait émerger un ordre concret.
Cette comparaison serait incomplète si, pour conclure , je ne faisais pas
intervenir un autre pan des préoccupations d'Oresme , celles dont témoignent
l'auteur du Tractatus de mutationibus monetarum et le traducteur-commentateur,
à l'initiative de Charles V , de l'Ethique, de La Politique et des Économiques,
l'ensemble de ces ouvrages prouvant une fort bonne conscience des réalités
politiques et une réelle proximité avec les maîtres du pouvoir . Rien de tel
chez Jean de Murs, dont on peut cependant avoir un vague aperçu des idées
politiques par la lecture de ses deux pronostics astrologiques , surtout de celui
adressé au pape Clément VI : l'impression créée par cette prose est plutôt fâ-
cheuse ; et elle devient franchement pénible lorsqu'on compare ces textes aux
développements d'Oresme sur la vie de la cité . Jean de Murs , du moins dans
ses deux pronostics connus , ne semble pas avoir compris que la sociabilité a
176 M. LEJBOWICZ

ses caractéristiques , ses règles de fonctionnement , et sa finalité ; qu'elle ne peut


se réduire à un inventaire des calamités , ni à des douces rêveries de bonheur
partagé,
Deux remarques empruntées au Livre de Politiques laissent à penser qu'en
abordant la théorie politique l'auteur de traités mathématiques ne se trouve pas
en terrain totalement inconnu :
<< ...lays humaines positives doivent estre faictes, promulguees,
corrigees ou muees de l'auctorité et consentement de toute la com-
munité ou de la plus vaillant partie (…… . ) ... le prince ne est pas sus
la lay , mes la lay est sus le prince » 57 .
N'y a-t-il pas au moins là un parallélisme avec les mathématiciens qui élaborent
leurs postulats, aux implications desquels ils se soumettent par la suite ? Et à
ceci près, que les mathématiciens créateurs , tel Oresme , sont à la fois la commu-
nauté constituante et légiférante ainsi que le prince exécutant . Sans doute ,
Oresme a plus clairement explicité le fonctionnement de la cité que celui des
mathématiques : il était dans celles-ci un acteur, et dans celle -là un spectateur
un << spectateur engagé » . Mais quelles que soient ses modalités d'adhésion
à ces deux champs d'action et son type de pratique , il a eu un sentiment très
vif de l'autonomie du culturel , qu'il soit politique ou qu'il soit mathématique ,
et plus généralement scientifique ; alors que Jean de Murs immerge les produc-
tions culturelles dans un naturalisme diffus , soit sous la forme élaborée de l'em-
pirisme expérimental de l'astronomie d'observation, soit sous celle plus fruste
d'une astrologie envisageant l'évolution des sociétés humaines. Si l'on admet
que la divination porte à son comble la confusion entre la nature et la culture,
il restait à Oresme de vider cet art de sa substance en en faisant un produit
entièrement culturel . Pouvait-il, dans cette voie , faire mieux qu'en proposant
un pastiche de consultation divinatoire ? Et , en même temps qu'il en perver-
tissait l'usage , il cherchait à imposer certaines de ses certitudes pour le moins
boiteuses - aveu sans doute que ses intentions étaient aussi militantes que
parodiques , et plus politiques que mathématiques .

NOTES

1. Après un prologue sur la connaissance, et plus particulièrement sur celle du ciel, et


après la définition des notions mathématiques qu'il va mettre en oeuvre, Nicole Oresme
mentionne le plan en trois parties qu'il va suivre (De com. , I , Grant, p. 180, 1. 62-67) :
la première étudie la commensurabilité des mouvements circulaires uniformes, la seconde
l'incommensurabilité de tels mouvements ; et toutes les deux établissent les résultats indis-
pensables pour aborder convenablement la troisième , qui doit répondre à la question fonda-
mentale Est-ce que les mouvements des corps célestes sont ou ne sont pas commensurables
entre eux (en fait, tout au long des deux premières parties, l'application aux corps célestes
de l'étude des mouvements circulaires, est assez régulièrement sous-jacente, et parfois tout
à fait explicitement : ainsi dans les lignes annonçant le plan du traité) ? Or, rien, dans cette
mention de plan, ne laisse alors présager une différence de ton entre les deux premières
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 177

et la dernière partie ; à ce stade du traité, une telle rupture n'appelle donc pas de réserve de
la part d'Oresme, comme s'il mettait au même niveau la force démonstrative du modèle
euclidien et celle du procédé littéraire. Par la suite, cependant, mais juste à quelques lignes
de la fin (De com. , III , Grant, p. 320 et 322, 1. 468-476) , il établit une hiérarchie dans
leur valeur dialectique (voir p. 169 de mon texte).
2. De com. , III , Grant, p. 284 , 1. 7-10. Il n'est pas inutile de rappeler certaines des définitions
données par Oresme au début de la première partie de son traité, qui, dans ces préliminaires,
s'inspire partiellement des Éléments d'Euclide dans la version usuelle de la scolastique ,
celle de Campanus de Novare : « Quantitates dicuntur commensurabiles quarum est aliqua
mensura communis vel quarum proportio est sicut numeri ad numerum, ut si una est bipe-
dalis et altera trium pedum ; incommensurabiles sunt quarum nulla est communis mensura
nec ipsarum proportio est sicut numerorum, sicut sunt dyameter et costa quadrati quarum
proportio est medietas duple, que solum in continuis et numquam in numeris reperitur.
Commensurabilitatem et incommensurabilitatem motuum circularium accipio penes quanti-
tatem angulorum descriptorum circa centrum aut centra, sive in respectu circulationum ,
quod idem est, ita quod illa moventur commensurabiliter que in temporibus equalibus des-
cribunt angulos commensurabiles circa centrum sive que in temporibus commensurabilibus
suas circulationes perficiunt. Et circulationes sunt incommensurabiles que in temporibus
incommensurabilibus fuerint complete, et quibus describuntur temporibus equalibus anguli
incommensurabiles circa centrum » (De com. , I , Grant, p. 176 et 178, 1. 18-31 ).
3. De com., III, Grant, p. 322, 1. 475.
4. Ibid. , 1. 479-481.
5. Livre de divinacions, c. XII, Coopland, p. 94. Propos semblables dans le Tractatus
contra astrologos, c. IV, Pruckner, p. 233, 1. 31 et c. VI , Pruckner, p. 242, 1. 13-20 (respec-
tivement Coopland , p . 130 et 138) ; dans la Quaestio contra divinatores horoscopios,
arg. 44, Caroti, p. 244-245 et arg. 55 , Caroti, p. 250-251 , art. 7-10 et 12-13 , Caroti, p . 265-
266 ; dans le De configurationibus qualitatum et motuum, I , 39, Clagett, p . 266 , 1. 39-41 et
II, 35 , Clagett, p. 372, 1. 6.
6. L. de div., c. I, Coopland, p. 54.
7. Ibid. , p. 54. On peut regretter que dans son Intr. ou dans ses Comment. - au total
200 pages - à l'édition du De com. , E. Grant n'ait rien dit sur le rêve comme forme d'expres-
sion et comme genre littéraire dans la culture médiévale ; ni sur le paradoxe rhétorique que
constitue pour un aristotélicien la présentation sous forme judiciaire d'un discours délibé-
ratif, tout entier organisé pour la persuasion. Sur le rêve dans la littérature médiévale , je n'ai
malheureusement pas pu consulter F. X. Newmann, Somnium. Medieval theories of drea-
ming and the form of vision poetry, Ph. D. dissertation, Univers. of Princeton, 1963. Utiles
informations dans S. Collin, « L'emploi des clefs des songes dans la littérature médiévale » ,
Bulletin philologique et historique (année 1967) , Paris : Bibl. nat. , 1969 , vol. II , p . 851-866 ,
qui établit l'indépendance des rêves mentionnés dans la littérature par rapport aux clefs
des songes alors en usage, indépendance dont Oresme est un nouvel exemple ; et dans
J. Le Goff, « Les rêves dans la culture et la psychologie collective de l'Occident médiéval » ,
Scolies, 1 (1971 ) , p. 123-130 repris dans Pour un autre Moyen Age, Paris : Gallimard (Bibl.
des histoires), 1977, p . 299-306 et A. Paradis, « Les oniromanciens et leurs traités des
rêves », dans Aspects de la marginalité au Moyen Age (éd . G.-H. Allard ), Actes du jer
Colloque de l'Institut d'études médiévales de l'Université de Montréal, 6-7 avril 1974,
Montréal : les Ed. de l'Aurore, 1975 , p. 118-127 à partir de sources différentes, l'un et
l'autre soulignent le statut ambigu du rêve chez les médiévaux dans des termes applicables
à Nicole Oresme : la condamnation de l'oniromancie s'accompagne de la reconnaissance
du rêve prophétique et de l'utilisation littéraire du rêve.
8. Au sens strict, il convient évidemment de distinguer la magie – -qui prétend avoir une
action sur les choses et sur les êtres selon des procédures particulières, et la divination -
qui prétend fournir, selon des techniques également particulières, des informations inac-
cessibles par les voies habituelles. Bien qu'il fasse cette distinction, Oresme la juge peu
significative, et il préfère les considérer comme liées l'une à l'autre (voir mon texte p. 168
et la note 18).
12
178 M. LEJBOWICZ

9. E. Grant, Intr. à l'étude du De com. , p. 67-77 et plus spécialement à partir de la p. 70.


Autres interprétations : A. George Molland , « Nicole Oresme and scientific progress »,
Miscellenea Mediaevalia , 9 ( 1974), p . 206-220 , et plus particulièrement à partir de la p. 215,
où, sur la base de l'opposition entre la commensurabilité et l'incommensurabilité , l'auteur
développe un parallèle entre l'attitude conservatrice d'Arithmétique et celle progressiste
de Géométrie, porte-parole (spokeswoman) d'Oresme ; J. Quillet, La philosophie politique
du Songe du Vergier (1378), Sources doctrinales, Paris : Vrin , 1977 (L'Eglise et l'Etat au
Moyen Age, no XV) , p. 121-122 considérant que la fin du De com. constitue une aporie,
elle soutient qu'Oresme dénonce l'astrologie qui « ne peut se fonder sur une astronomie
exacte, étant donné que nous ne pouvons fournir une démonstration de la commensurabilité
du mouvement des cieux » ; S. Caroti, La critica contro l'astrologia di Nicole Oresme e la
sua influenza nel Medioevo e nel Rinascimento, Roma : Accademia nazionale dei Lincei,
1979 (Classe di Scienze morali, storiche e filologiche, Serie VIII , volume XXIII , fascicolo 6),
p. 584-586 , qui insiste sur les bases probabilistes de la polémique anti-astrologique d'Oresme.
Je rappelle et discute plus loin l'interprétation proposée par P. Duhem.
10. ...quoniam sicut alibi probatum est quibuslibet ignotis magnitudinibus demonstratis
verisimillius est illas esse incommensurabiles quam commensurabiles sicut quacumque ignota
multitudine proposita magis verisimile est quod sit non perfectus numerus quam perfectus »
(De com. , III , Grant, p. 320 , 1. 459-463 ; c'est Géométrie qui parle) . Pour le membre de
phrase << sicut alibi probatum est » , voir la deuxième partie de la note suivante.
11. << Because no solution was possible (une position catégorique et pas seulement proba-
ble sur l'incommensurabilité) , a formal scholastic discussion of the issue would have been
fruitless. For this reason, it appears that Oresme wished to avoid a serious formal conside-
ration of this insoluble problem » (E. Grant, Intr. , p . 70). « (... ) Oresme realized how
important it was to put before his readers the strongest arguments available for each of
these two hypotheses. To achieve this, he hit upon the idea of utilizing a literary form that
did not commit him , to a definite position and which would yet allow him to propagandize
effectively in behalf of his genuine conviction that the celestial motions were probably
incommensurable. The debate, or oration, form of Part III served this purpose admirably,
for it permitted him the appearance of objectivity in the guise of a seeker after truth liste-
ning with rapt attention as the arguments of Apollo's immortal muses were marshaled
impressively on each side of this great issue » (Ibid., p. 70-71 ). « (… ) Finally, we must
consider why Oresme chose to have these orations occur within the framework of his own
dream . The explanation seems obvious. It provided a convenient means of sidestepping
the need for supplying a definite solution to an issue for which man could supply no cate-
gorial solution » (Ibid. , p. 72) . « (...) The reader now realizes that at best he must formulate
his own judgement solely on the basis of these two orations, which incorporate the only
kinds of arguments and appeals that men can know and understand . Compelled to return
to the orations themselves, there is little doubt that the reader will settle for the probability
- and this is all he can now hope for that the celestial motions are incommensurable.
And this is precisely what Oresme has planned » (Ibid. , p. 72-73). « (...) This is beyond
question the strongest argument found in Part III (le simple rappel des résultats mathéma-
tiques du De proportionibus proportionum et notamment de celui du chap. IV , prop. VII ,
fondant la probable incommensurabilité des mouvements des corps célestes) and, since
Oresme chose to conclude the orations with it, he leaves little doubt that he intended
to guide the reader to his viewpoint as skillfully and unobtrusively as possible » (Ibid. ,
p. 73 et 76 ).
Je rappellerai que, dans le Livre du ciel et du monde , Oresme parle à trois reprises du
De com. comme d'un traité où il établit la probable incommensurabilité des mouvements
des corps célestes (Menut and Denomy , p. 196, l. 116-119 ; p. 200 , l. 166-169 et p. 480,
1. 155-157) . E. Grant, en relevant la première citation, s'étonne de cette référence d'Oresme ;
il pense que l'évêque de Lisieux aurait dû évoquer plus justement le De pro. pro. , antérieur
aussi bien au L. du ciel qu'au De com. En effet, le De pro. pro. « is the only treatise known
thus far where he offered mathematical arguments to demonstrate not only the probable
incommensurability of the celestial motions, but also the more generale claim that any
two rations involving physical or mathematical magnitudes are probably incommensu-
rable » (Intr. au De com. , p. 73 , n. 113 ) . Alors que le De com. III , Grant , p. 320, l. 459
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 179

(voir le texte à la note précédente) se contente de considérer comme acquis ce résultat


du De pro. pro. Pourtant, quelle meilleure illustration de l'analyse de la troisième partie
du De com. taite par E. Grant lui-même que ces citations du L. du ciel ! Dans ses gloses à
l'ouvrage d'Aristote, Oresme se réfère au De com. comme au dernier état de sa pensée sur
la commensurabilité des mouvements célestes ; et sa pensée est alors sur ce point une pensée
déchirée, qui refuse de surcroît son déchirement. A la rigueur mathématique du De pro. pro. ,
qui ne conclut qu'en termes de probabilité, il préfère la fable du De com. , où ses convictions
personnelles essayent de solliciter celles du lecteur.
12. C'est généralement sur cet aspect cognitif de la polémique anti-divinatoire d'Oresme
que se sont arrêtés les historiens. P. Duhem, VIII , p. 463–465 et L. Thorndike, III , p. 415-
416 n'ont cependant pas été insensibles à l'intérêt d'Oresme pour le déroulement concret
d'une séance divinatoire et magique.
13. Q. c. div., 10e art. , Caroti, p. 265.
14. L. de div. , c. XII, Coopland, p. 94.
15. Ibid. , p . 98.
16. « ...la faussete et la debilite des principes sur quoy les sciences , que je di estre nul-
les sont fondees » (L. de div. , c. IV, Coopland , p. 60) . Il s'agit évidemment des sciences
divinatoires dont la liste a été dressée à la fin du fer chap . et dont la valeur a été commen-
tée, discipline par discipline, au chap. III, p. 58 et 60. Dans le même sens, voir la citation
correspondant à la note 7.
17. Le L. de div. cite à deux reprises le De conf. dans des passages trop significatifs pour
notre propos pour ne pas être donnés intégralement : « De nigromance , d'art magique , de
incitations, ay je moustre la fraude, le malice, et les racines, en traictie que je fis de la confi-
guracion des qualites et des mouvemens, et yllec ay je moustre par certeinne probacion,
fondee sur demoustracion mathematique, et sur raison naturelle, comme telles sciences
peuent avoir effect en personnes forcenees. Et comme ce sont ars et malefices naturels par
mettre les gens hors du sens et tres perilleuse chose, et encor suppose que on en peust user
sans pechie ; et en ce traictie mesme parle je des songes, des visions, et des prophecies natu-
relles tant des vrayes comme des faulses » (c. III, Coopland , p. 58 et 60. << (... ) Toutes
voies ne vueil je pas dire que on ne puisse bien savoir aucunes choses absentes ou advenir
par prophecie, ou revelacion divine, ou par raison, et sans telles sciences (divinatoires),
sicomme j'ay declaire ou Livre de la Figuracion des Qualitez, mais telles visions ont per-
sonnes de sobre vie et paisible desquelles l'ame est aussi comme un vray mirouer cler et
resplendissant, asprete de cogitacions mondainnes ... » (c. XI , Coopland , p. 92). Pour les
variations dans le libellé du titre, voir M. Clagett, Intr., p. 137 ; voir aussi A.D. Menut,
<< A Provisional Bibliography of Oresme's Writings » , Mediaeval studies, XXVIII ( 1966),
p. 279-299, à la p. 290 pour le traitement de ces citations dans la traduction latine du
L. de div. , encore que L. Thorndike, III , p. 420, n. 105 avait déjà contredit les propos de
Menut sur l'absence de ces citations dans la traduction latine. Le L. de div. fait également
d'autres allusions au De conf. (voir article à paraître).
18. Après avoir , dans le prologue du L. de div. , défini la divination dans des termes qui
rappellent le De conf. , I, 40 , Clagett, p. 268 , 1. 13-15 ; II , 29, Clagett, p. 346 , l. 27-28 ;
II, 34, Clagett, p. 370, l. 19, « mettre son entente a vouloir savoir ou deviner les aventures
et les fortunes avenir, ou les choses occultes » (Coopland, p. 50), Oresme inclut dans les
<< ars ou sciences » divinatoires « ars magian , nigromance » (Coopland , p. 54 ; par ni-
gromance, il faut entendre la magie qui a recours au diable : De conf. , II , 25 , Clagett ,
p. 336, l. 18-22). Il y inclut plus loin les « sorceries » (Coopland , p . 92) . Mais c'est encore
dans le passage ci-après que la conception oresmienne de la divination est la plus nettement
affirmée : « Quant ilz ont dit une chose, et apres ilz se doubtent qu'elle n'aviengne pas,
lors ilz la procurent a leur pouvoir par autres voyes , sicomme par traison, par fraudes , ou
par nigromance, par malefices, ou autrement » (c. XII , Coopland, p. 98).
Dans le De conf. , mages et devins sont à plusieurs reprises traités simultanément, et
sont passibles des mêmes analyses (II , 25 , Clagett, p. 336 , 1. 31-34 ; II , 26 , Clagett, p . 336
et 338, 1. 1-13 ; II, 32 et 37 : l'ensemble de ces deux chapitres ) . Ou encore : évoquant
des séances divinatoires, Oresme désigne ceux qui les dirigent par le terme de « magi »
180 M. LEJBOWICZ

(II , 29, Clagett, p. 348 , 1. 47-51 ). Il n'en reste pas moins que la magie conserve son domaine
propre, plus large que celui de la divination (De conf. , II , 31 ). La synonymie partielle , chez
Oresme, des groupes lexicaux « divinatio » et « magia » se déduit de l'inanité de la divination
en tant que telle, de l'efficacité de la magie dans certaines conditions, et de l'appui que celle-
ci apporte à celle-là . Précisons qu'il s'agit là d'une conception qui remonte aux débuts du
christianisme, pour ce qui concerne les auteurs chrétiens.
19. L. Thorndike, III , p. 428-432 ; A. Maier, An der Grenze von Scholastik und Natur-
wissenschaft, Roma : Ed. di Storia a Letteratura (Raccolta di Studi e Testi, 41) , 19522
(lère éd. : 1943) , p . 289-353 , notamment p. 325-327 et « La doctrine de Nicolas d'Oresme
sur les ' Configurationes intensionum ' » , Revue des sciences philosophiques et théologiques,
32 (1948) , 52-67, repris dans Ausgehendes Mittelalter. Gesammelte Aufsätze zur Geistes-
geschichte des 14. Jahrhunderts I, Roma : Ed . di Storia e Letteratura (Raccolta di Studi e
Testi, 97) , 1964, p. 335-352, notamment à partir de la page 349 ; M. Clagett, Intro. à l'éd.
du De conf. , p. 40-45 et S. Caroti, op. cit. , p. 571-584 , plus spécialement p . 576-577 et
580-584.
20. De com., III , Grant, p. 284, 1. 2-7 . Ces quelques lignes soulignent combien il est dange-
reux, pour saisir la problématique oresmienne, de valoriser les deux premières parties du
De com. sous prétexte qu'elles s'insèrent plus aisément dans l'histoire des sciences.
21. Ibid. , p. 320 et 322, 1. 468-474.
22. Voir supra, la citation correspondant à la note 4 .
23. E. Grant, Intr. , p. 68 a relevé les passages où les deux muses avancent des arguments
esthétiques (beauté du ciel et musique céleste) . Mais on pourrait multiplier les citations
tirées de l'ensemble des oeuvres d'Oresme traitant peu ou prou d'astronomie , et qui, toutes,
ont au moins une phrase sur la beauté du ciel. Je m'en tiendrai au prologue du De com. , qui
exprime en termes lyriques une véritable émotion cosmologique devant la splendeur céleste.
24. De com. , III , Grant, p. 318 , 1. 421-434.
25. Ibid. , p. 314 et 316 , 1. 368-415.
26. Ibid. , p. 310, 1. 331-335 . Plus loin, à propos de l'expérience des marteaux de Pythagore
mentionnée par Macrobe , il écrit : «< ...(Pictagoras malleorum proportionem quesivit quantita
temque eorum per pondera novit » (Ibid ., p. 314 , 1.382-383) ; il faut donc comprendre que la
commensurabilité des corps célestes avancée par Géométrie se réfère aux poids des corps
célestes (Grant, Com. au De com. , p. 355 , parle plus précisément de quantité de matière :
j'ai retenu cette expression dans mon texte). La même particularité - commensurabilité
des corps et incommensurabilité des mouvements - est reprise dans le De com. , III, Grant,
p. 316, l. 397-398 et dans le L. du ciel, II , 18 , Menut et Denomy, p . 480, 1. 135-157 : c'est
dire qu'elle semble importante à Oresme, en dépit de sa contradiction (voir mon commen-
taire, p. 170-171 ). Il est clair, cependant, qu'une fois admise l'existence d'une musique
céleste , l'analogie avec la production, convenablement comprise, des sons terrestres autorise
une seule explication de ses différentes hauteurs sonores : elles sont produites par la quan-
tité de matière des corps célestes (thèse d'Oresme) , non par leurs vitesses (thèse que combat
Oresme. Dans le L. du ciel, II , 18 , Menut et Denomy , p . 480, en reprenant les propos tenus
dans le De com. , Oresme prolonge la métaphore en ajoutant que les différentes vitesses des
corps célestes induisent l'intensité des sons de la musique des sphères). Je ne connais pas
d'étude qui traite de l'histoire de la musique céleste durant le moyen âge. Les quelques
renseignements glanés sur ce sujet dans J. Chailley, Histoire musicale au Moyen Age, Paris :
P.U.F. (Collect. Hier) , 19692 , p . 18-24 et V. Zoubov, « Nicole Oresme et la musique » ,
Mediaeval and Renaissance Studies, 5 (1961 ) , p. 96-107 , et plus spécialement p . 98-100,
ne sont pas suffisants pour tenter d'évaluer la place d'Oresme dans ce courant intellectuel,
même si l'on a recours à la bibliographie spécialisée que donnent ces deux auteurs. L'un
des aspects essentiels de cette théorie musico-astronomique me semble avoir été dégagé
pour la première fois par P. Tannery , Recherches sur l'histoire de l'astronomie ancienne,
Paris Gauthier-Villars, 1893 (Reprints G. Olms, 1976 ) , p . 323-336 , puis repris et confirmé
par P. Duhem, II , p . 8-17 et par P. Boyancé, Etudes sur le songe de Scipion. Essais d'histoire
et de psychologie religieuses, Limoges : Impr . A. Bontemps, 1936 , p . 104-115 : d'inspiration
évidemment pythagoricienne, la mise en rapport effective et terme à terme des planètes et
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 181

des notes de la gamme a été faite au IVe siècle av. J.-C. dans des milieux littéraires et reli-
gieux , non dans les milieux scientifiques, qui, au contraire, l'ont combattue. Sans suivre les
avatars de cette relation jusqu'à Oresme, je soulignerai deux points, qui entrent directement
dans le cadre de la présente étude. Le grand maître de Navarre s'efforce de dépouiller la
théorie de la musique des sphères des illogismes qu'elle contient au regard des connaissances
acquises dans la production des sons ; mais il ne s'arrête pas sur le fait que la rationalité
mathématique dont il est l'instigateur lui permettrait de rejeter en bloc cette invention
mystico-poétique (deux grandeurs quelconques inconnues sont probablement dans des
rapports incommensurables). Stoppé à mi-course dans le nettoyage des écuries célestes,
il ne sera pas le héros de la conquête sidérale que fut, par exemple un Johannes Kepler, dont
il est comme le négatif : surenchérissant sur le délire baroque de la musique des sphères et
s'en tenant aux seules vitesses des planètes, le Mathématicien Impérial a cependant découvert
les trois lois qui portent son nom (sur l'apparent paradoxe de Kepler, voir : A. Koyré,
La révolution astronomique. Copernic, Kepler, Borelli, Paris : Hermann (Hist. de la pensée,
III) , 1961 , p. 328-345 ; J.-C. Pecker, « La méthode de Kepler est-elle une non-méthode ? »,
Quatrième centenaire de la naissance de Johannes Kepler, Paris : Sté astronomique de
France, 1973, p. 99-129 et plus spécialement p. 106-109 ; et G. Simon, Kepler astrono-
me astrologue, Paris : Gallimard ( Bibl . des sciences humaines), 1979 , p . 405-425 ; et sur
l'importance des recherches musicales chez Kepler M. Dickreiter, Der Musiktheoretiker
Johannes Kepler, Bern/München : Francke (Heidelberger Studien zur Musikwissenschaft),
1974 ). Je reviens brièvement dans mon texte, en me cantonnant au XIVe siècle, sur les
rapports complexes qui se nouent entre le rationnel et l'irrationnel au cours d'une recherche
scientifique.
26bis. « ...irrationalitate et regularitate commixtis » (De com. , III , Grant , p. 310, 1. 336)
<< ...[irrationalium et regularium proportio] congrua commixtio » (Ibid. , p. 312 , l. 341 ) .
27. Au chap. II du L. de div. , Oresme a divisé en 6 parties l'astrologie ; si la première
recouvre une des matières qu'étudie ce que nous appelons de nos jours l'astronomie , les
5 autres relèvent proprement de l'astrologie ; elles ne sont pas pour autant toutes les 5
parquées dans le domaine de l'erreur ; et celles qui se situent dans le champ de la vérité
- les 2º, 3º et 4e - ne sont pas toutes placées au même niveau de pertinence cognitive.
Autres citations pour en rester au L. de div. sans faire appel aux études de L. Thorndike ou
de S. Caroti << ...astrologie , qui samble estre la plus raisonnable entre tielx divinements...>>
(c. IX , Coopland, p. 80) . « (...) Car d'astronomie, qui est la plus vraisamblable (parmi les
sciences divinatoires) » (c. XI , Coopland, p . 86).
28. De com., I , Grant, p. 240 et 242, 1. 814-824. E. Grant, « Scientific Thought in Four-
teenth-Century Paris : Jean Buridan and Nicole Oresme » , Machaut's World : Science
and Art in the Fourteenth Century (ed . M.P. Cosman and B. Chandler) , New-York : The
New-York Academy of Sciences (Annals of the New-York Academy of Sciences, vol. 314),
1978, p. 105-124, repris dans son recueil Studies in Medieval Science and NaturalPhilosophy,
London Variorum Reprints, 1981 (article XV) , a montré que, dans le L. du ciel, Oresme
utilise l'incommensurabilité des mouvements célestes pour rejeter l'éternité du monde
telle que la justifie Aristote. Ce débat n'est qu'effleuré dans le De com. , I , Grant, p. 242,
1. 821-824, et, naturellement, à propos de la Grande Année : son examen dépasse l'analyse
de la troisième partie du De com.
29. Pour cette impossibilité : De com. , II , Grant, p. 248 et 250 , 1. 4-23.
30. De com. , III , Grant, p. 304 , 1. 263-266 (c'est Arithmétique qui parle) ; ibid. , p. 320,
1. 448-450 (c'est Géométrie qui parle). La même idée est exprimée plus vigoureusement
dans l'Ad pauca respicientes, II , 19 , Grant, p . 424 et 426 , 1. 228-250.
31. L. de div. , c. II, Coopland, p. 54.
32. Il convient cependant de remarquer qu'en dehors de ses traités scientifiques, Oresme,
pour attaquer les croyances astrales, se sert de l'incommensurabilité uniquement dans le
premier des trois textes spécialement écrits contre l'astrologie et la divination (T. c. astr.,
c. IV , Pruckner, p. 234, 1. 28 ; p. 235 , 1. 2 = Coopland, p. 131 ) . L'absence de cet argument
dans le L. de div . et dans la Q. c. div. permet de supposer qu'à la longue il ne l'a plus
trouvé pertinent ce qui évidemment amène à s'interroger sur son auto-critique (voir mes
hypothèses aux p. 172-174).
182 M. LEJBOWICZ

33. De com., III , Grant, p. 284, 1. 13-14.


34. Ibid. , p. 318, 1. 435-442 (jusqu'à la tierce) et I , p. 246, 1. 879-884 (jusqu'à la seconde ,
il est vrai suivie d'un « et cetera >> ) .
35. Ibid., p. 318, 1. 441.
36. P. Duhem, VIII , p . 461. Il en concluait que l'auteur du De com. , peut-être Pierre d'Ailly :
<< ...a fort bien reconnu que l'incommensurabilité des mouvements célestes serait de nulle
conséquence pour les sciences d'observation comme pour celles qui s'affublent de ce titre ;
mais, sous sa plume plus exactement informée, qu'est devenue la condamnation de l'Astro-
logie ? Elle s'est évanouie ; tout au plus en retrouve-t-on un souvenir vague et presque
effacé dans l'interdiction timide, faite à l'Astrologie, de prévoir certains futurs contingents.
Même après sa très fine discussion, l'auteur pouvait encore croire à l'Art judiciaire ; et si
cet auteur est Pierre d'Ailly, nous pouvons assurer qu'il y croyait » (p . 461-462). L'attribu-
tion conditionnelle du De com. à Pierre d'Ailly a été contestée en détail par E. Grant dans
son éd. du traité , App. 2 , p. 378-379 ; elle est en effet devenue de nos jours insoutenable ,
surtout avec les facilités qu'offre le développement des éditions et des études oresmiennes ;
mais il est vrai aussi, qu'en plus de cet accroissement, la 3º partie du De com. , celle qui a le
plus retenu l'attention de P. Duhem, est d'une rare qualité littéraire, somme toute assez
exceptionnelle dans l'oeuvre du grand maître de Navarre, comme le souligne E. Grant lui-
même dans son Intr. , p. 76 : l'attribution n'était donc pas sans vraisemblance. Par contre,
je ne partage pas la critique qu'E. Grant, App. 2, p. 379-381 , adresse à l'interprétation
de la plaidoirie de Géométrie proposée par P. Duhem (voir aussi, pour les mêmes réserves,
le c.-r. de l'éd. du De com. , par H. Hugonnard-Roche, R. d'hist. des sc. , 27 (1974) , p. 88-
91 , plus spécialement p. 90-91 , encore que ce c.-r. , p. 90 me semble faire la part belle à
Jean de Fundis, du moins si j'en juge par les extraits du Tractatus reprobationis publiés
par L. Thorndike , IV, p . 235-236 , par E. Grant dans l'éd . du De com. , p. 137-142, et par
S. Caroti, op. cit. , p. 655-659 , les seules parties du traité accessibles commodément en
édition). Le commentaire proposé par Duhem - l'écart entre la vérité mathématique et
la vérité physique - peut être utilement éclairé par la Théorie physique, son objet, sa struc-
ture, 1. II, chap. 3 « La déduction mathématique et la théorie physique » . Enfin, je trouve
curieux le raisonnement d'E . Grant, App. 2, p. 381-382, qui, remettant en cause le point de
vue de Duhem - selon lequel l'auteur du De com. est un partisan modéré de l'astrologie -
a recours dans sa démonstration à d'autres oeuvres d'Oresme en s'appuyant ainsi sur
d'autres textes, ne souligne-t-il pas combien est ambigu le De com. , et combien, considéré en
lui-même, ce traité peut effectivement passer pour avoir été écrit par un sympathisant de
l'astrologie ?
37. Je ne traduis pas, avec l'expression « influences astrales » , ce qu'Oresme entend par
<< influentia caelestiorum » (Q. c. div. , Caroti, p . 228 , 236 , 241 et 273-276 ) : je lui donne
un sens tout à fait général.
38. De conf., I , c. 22-40 , Clagett, p. 226-270 .
39. << Est in sono sensibili quedam discretio per interpositionem pausarum que quando-
que sunt ita frequentes et ita parve quod non percipiuntur auditu sed totum videtur esse
unus sonus continuus » (De conf. , II , 15 , Clagett, p . 304 , 1. 5-7) . Plus loin, De conf. , II, 19,
Clagett, p. 318 et 320 , Oresme distingue, à partir des modes de la perception, 4 types de
pauses sonores : 2 d'entre elles sont imperceptibles : l'une l'est totalement, et elle ne permet
de reconnaître dans les sons ni leur discontiguïté ni leur discontinuité ; l'autre, mineure,
permet de reconnaître la discontinuité mais non la discontiguïté . Dans le De conf. , II, 18,
Clagett, p. 314 et 316 , 1. 5-13 , le seuil perceptif s'applique, par l'intermédiaire d'une analogie
avec le son, à la reconnaissance des couleurs.
40. De conf. , II , 18 , Clagett , p. 316 , l . 13-21 .
41. Ibid. , I , 25 , Clagett, p. 236 , 1. 32-33.
42. Il semble qu'a priori mon argumentation nécessite l'antériorité du De conf. sur le
De com. Si E. Grant, dans l'Intr. à son éd. du Pro. pro , p. 11-14 et A. G. Molland, op. cit. ,
p. 208 , n. 7 ont soutenu une telle chronologie relative, M. Clagett a soutenu l'inverse à
la fin de son éd. du De conf. , p. 645-648 . Je n'ai pas d'éléments nouveaux à verser au
dossier. A supposer que la bibliographie oresmienne proposée par M. Clagett soit la bonne,
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 183

je remarque toutefois ceci : pour développer ses conceptions sur le pouvoir différenciateur
de l'oreille, Oresme s'appuie sur Boèce, De musica (De conf. , II, 15 , Clagett, p. 304 et 306) ;
or, ce traité est cité dans le De com. III, Grant p. 300 et commentaires p. 346-347, mais
pour illustrer d'autres points. Ne peut-on pas penser, dans la perspective bibliographique de
M. Clagett, qu'Oresme n'a pas, dans le De com. , développé les arguments du De musica qui
auraient affiné sa démonstration, mais en l'amenant à modifier certains de ses choix ?
D'autre part, dans le L. du ciel, qui date de la fin de sa vie, Oresme reprend les résultats du
De com. (voir ma note 11 , 2e partie), sans les nuancer comme auraient dû l'y inciter ses
réflexions sur la perception faites dans le De conf. Ainsi, tout comme le De com. élimine
certains passages du De musica, le L. du ciel élimine certains passages du De conf. Il semble
donc que la chronologie des oeuvres d'Oresme ne modifie pas en leur fond mes remarques
sur les occultations commises par le grand maître de Navarre dans le De com. et relatives
aux phénomènes perceptifs. Voir aussi, sur l'importance du De conf. , ma note 56.
43. << Intentio in hoc libello est loqui de precisis et punctualibus aspectibus mobilium
circulariter motorum, et non de aspectibus prope punctum de quibus communiter intendunt
astrologi qui non curant nisi quod non sit sensibilis defectus quamvis modicus error imper-
ceptibilis multiplicatus per magnum tempus notabilem defectum efficiat » (De com. , I ,
Grant, p. 178 , 1. 45-49) . Dans le même sens : ibid. , p . 190 et 192, 1. 210-217 ; p. 246, 1. 879-
882 ; III, p. 284 , 1. 10-18 et 286 , 1. 33-36.
44. Ibid. , III, p. 316 , 1. 409-414 . Autre reconnaissance d'un déterminisme astral, toujours
dans la bouche de Géométrie : ibid. , p. 320, 1. 454-456. Même affirmation dans une glose
du L. du ciel, II , 18, Menut et Denomy , p . 480 et 482, l. 165-170 : Oresme s'appuie cette
fois sur Aristote, Mét. , I, 2 , 339 a 21-23.
45. Nicole Oresme cite ou évoque, à plusieurs reprises, le passage du De divinatione, II ,
56, parag. 115 (éd . Falconer , Loeb classical library, p . 500) , où Cicéron, traitant de l'ambiguïté
des oracles , les place sous le patronage d'Apollon : T. c. astr. , c. 6 , Pruckner, p. 242, 1. 12-20=
Coopland, p. 138 (c'est ce texte qui est cité plus bas, p. 174 ) ; L. de div. , c. XII , Coopland,
p. 94 et 96 ; De conf. , I, 39, Clagett, p. 266 , 1. 39-42 ; L. de pol. , 275 b-c, Menut, p. 317b.
46. Le L. de pol. « La table des notables » , s. v. Responses des diex, Menut , p. 367b.
47. Isidore de Séville, Orig. , I , 34, 13, illustre l'amphibologie par la réponse d'Apollon à
Pyrrhus, dans le temple de Delphes. Selon J. Fontaine, Isidore de Séville et la culture classi-
que dans l'Espagne wisigothique, Paris : Et. augustiniennes, 1959 , 2 t ., p. 134, l'évêque
wisigothique utilise, en les transformant, les textes des deux grammairiens, Charisius et
Diomède. Je ne me suis pas engagé plus avant dans une telle direction , les réflexions d'Oresme
sur l'amphibologie semblant ignorer cette tradition des arts du langage ; de surcroît, la
troisième partie du De com. , qui ne mentionne même pas l'amphibologie , s'en tient au
quadrivium ; plus précisément, trois des arts de ce groupe - l'arithmétique, la géométrie
et la musique sont mis au service du quatrième, l'astronomie ; cette prééminence mérite
d'être soulignée, encore qu'elle paraisse inévitable dans un débat sur la cinématique des
corps célestes. Il serait cependant intéressant de voir si les variations des traités de grammaire
au sujet de l'amphibologie reflètent les aléas de la lutte contre la divination menée au sein
de la société globale. Dans un autre domaine, mais selon cette même méthode, on sait que
les médiévaux ont très largement commenté le principe delphique d'auto-connaissance.
Or, P. Courcelle, Connais-toi toi-même , de Socrate à Saint-Bernard, Paris : Et. augustiniennes,
1974-1975, 3 t., p. 286-288 , 291 et 721 , nous l'apprend : Hélinand de Froidmont est
l'auteur médiéval qui a le plus insisté sur les dangers de cette formule, donnée précisément
par Apollon, démon aux oracles suspects (Hélinand de F., Chron. , VIII , c. 8 , publié dans
la patrologie en dehors de la Chronique, sous le titre De cognitione sui, PL, 212, col. 721-
732). Or, Hélinand a effectivement rédigé une Disputatio contra mathematicos, témoin du
renouveau du savoir et des pratiques divinatoires concomitantes, durant le XIIe siècle, ainsi
que des polémiques qui se sont aussitôt élevées entre moderni et antiqui (Hélinand de F.,
Chron., VI , c. 5-51 , omis dans l'éd . de la Chronique faite dans la patrologie , mais éd .
depuis par M. H. Malewicz , Mediaevalia philosophica Polonorum , XX ( 1974 ), p . 34-
91 ). Une enquête systématique sur l'Apollon médiéval, qui à ma connaissance n'a jamais
été faite , pourrait peut-être renseigner sur les variations des attitudes à l'endroit de la
divination.
184 M. LEJBOWICZ

48. G. Beaujouan, « Observations et calculs astronomiques de Jean de Murs ( 1321-1344) »,


Actes du XIVe C. intern. d'hist. des sc. (Tokyo-Kyoto, 1974), Tokyo , 1975 , 4 vol. , vol. 2,
p. 27-30 ; l'auteur conclut « ...par sa tenacité et son esprit critique, il (J. de Murs) apparaît,
en plein XIVe siècle, comme un véritable chercheur scientifique » (p . 30) . Un autre historien
des sciences médiévales écrit à propos des observations de J. de Murs : « They attest to
the scientific character of an ouststanding mind, for the records of medieval astronomical
observations are quite exceptional » (E. Poulle, « John of Murs » , Dict. of Sc. Biogr., VII
(1973), p. 130a). Opinion identique dans O. Pedersen, « Astronomy » , Science in the
Middle Ages (ed. D.C. Lindberg), Chicago/London : The University of Chicago Press, 1978,
p. 326-327.
49. E. Poulle, « Jean de Murs et les Tables alphonsines (avec l'éd. de l'Expositio intentionis
regis Alfonsii circa tabulas ejus) » , A.H.D.L.M.A. , 47 ( 1980) , p . 241-271 . Selon son éditeur,
l'Expositio est l' « acte de naissance » (p. 247) de l'astronomie alphonsine dans le monde
latin. Le même auteur, aux p. 129b-130b de la notice citée dans la précédente note, donne
une vue générale de l'apport de J. de Murs aux tables alphonsines.
50. J. Plassard, « Projets de réforme du calendrier à Paris au début du XIVe siècle » ,
Positions des thèses soutenues à l'École nationale des Chartes, 1975 , p . 175-181 . On appré-
ciera d'autant plus le travail de J. de Murs qu'attelé à la même tâche, son contemporain
Geoffroy de Meaux s'est refusé à utiliser les tables alphonsines (ibid. , p. 176-177).
51. Pour s'en tenir au De com. , le passage le plus significatif se trouve évidemment dans
les dernières pages de la 2e partie (conséquences de l'incommensurabilité), et notamment
aux p. 278, 1. 389-393 ; 280, 1. 419-423 et 282, 1. 424-426 . Mais c'est dans la 3e partie
que se rencontre la charge la plus vive : Apollon traite de présomptueux ceux qui s'effor-
cent d'établir un véritable calendrier (p. 286 , 1. 29-31 ) : faut-il appliquer ce qualificatif à
J. de Murs ? Dans son Intr. , p. 64 , n. 98, E. Grant donne les passages d'autres oeuvres
d'Oresme où des propos semblables sont tenus ; toutefois, l'éditeur du De com. ne ratta-
che pas ces réserves aux projets de réforme du calendrier qu'a connus le XIVe siècle (il est
vrai que dans son A Source Book in Medieval Science, il ne retient aucun texte sur la réforme
du calendrier julien, qui, pourtant, était scientifiquement au point au XIVe siècle).
On peut voir une attaque plus feutrée contre certains aspects de l'astronomie ptolé-
méenne et des tables alphonsines dans les propositions 3 et 25 de la lère partie du De com.
(respectivement, Grant, p . 186-192 et 244-246) : Oresme y démontre que certaines gran-
deurs physiques ne peuvent s'exprimer avec précision à l'aide des fractions sexagésimales.
Or, c'est le propre de l'astronomie ptoléméenne d'exprimer la distance de l'excentricité
d'une planète ainsi que la longueur du rayon de son épicycle en soixantième du rayon de
son déférent ; tout comme c'est le propre des tables alphonsines d'exprimer les dates en
numération sexagésimale des jours, et de mettre en oeuvre des tables des variations quoti-
diennes également sexagésimales. Sans trop entrer dans les détails de la technique astro-
nomique, Oresme souligne ainsi les insuffisances tant spatiales que temporelles des outils
de l'astronome.
Autre indice de l'irritation que suscitent chez Oresme les tables astronomiques. Dans
le T. c. astr., c. II , Pruckner, p. 231 , 1. 6-14 = Coopland, p . 127, Oresme cite les princes
dont l'intérêt pour l'astrologie a nui à la gestion de leur royaume. Il parle d'Alphonse X
le Savant, qui n'a jamais rien fait de notable à l'exception de ses tables. Il parle aussi de
Pierre d'Aragon, qui a vaincu un Jacques de Majorque trop enclin à scruter le ciel et à se
conformer aux règles astrologiques. Les arguments de ce chapitre se retrouvent, avec la
plupart des exemples, dans le L. de div. , c. VIII , mais parfois avec des variantes. Ainsi,
Jacques de Majorque a toujours mal fini par suite de ses intérêts astrologiques, mais sans que
cette fois soit mentionnée sa défaite devant Pierre d'Aragon (Op. cit. , Coopland, p . 72).
Et effectivement, Pierre, hanté par l'exemple d'Alphonse X (J. M. Millas Vallicrosa, Las
tablas astronomicas del rey Don Pedro el Ceremonioso, Madrid/Barcelone : Consejo superior
de investigaciones cientificas, 1962, p. 59-60) , a également fait réaliser des tables (voir, en
plus de l'ouvrage précédent : E. Poulle, A propos des tables astr. de P. d'Aragon, Coimbra :
Agrupamento de estudos de cartographia, 1966). On peut penser qu'Oresme a enrichi sa
documentation - selon ses historiens, les tables de Pierre eurent une audience limitée, ce
qui pourrait expliquer la connaissance tardive qu'en aurait eu le grand maître de Navarre
- et qu'il préfère taire le nom d'un des vainqueurs de Jacques, précisément à l'origine de
ARGUMENTATION ORESMIENNE ET LOGIQUE DIVINATOIRE 185

tables. Quant à Alphonse X, mauvais roi, il ne lui reste même plus ses tables, dans ce chapitre
VIII tout au moins ; on les retrouve au c . V, Coopland , p.62 et 64 et au c . XIV, id., p. 108 qui
lui répond elles permettent d'expliquer que le prince dont le nom désigne une réalisation
prestigieuse n'en est pas nécessairement l'auteur. Ne doit-on pas s'étonner qu'un point de
vue aussi raisonnable ait eu besoin d'un deuxième ouvrage pour s'exprimer ?
52. J. Plassard, op. cit. , parle de résistances psychologiques pour expliquer le retard dans
l'adoption de la réforme. Ne faudrait-il pas aussi incriminer des arguments scientifiques
du type de ceux d'Oresme ? Grant, Intr. , p . 64 , n. 98, mentionne les auteurs qui, sur le
calendrier, ont adopté le point de vue de l'évêque de Lisieux (Pierre d'Ailly , Nicolas de Cues,
Jean Gerson) : ce ne sont pas là des opposants sans moyen.
53. Les deux pronostics traitent d'événements collectifs. L'un interprète une série de con-
jonctions des trois planètes supérieures dans le signe du Verseau , en 1345 (le 1er mars entre
Mars et Jupiter à 15 degrés ; le 4, entre Mars et Saturne, à 17 degrés, et le 20 entre Jupiter
et Saturne, sans précision du degré) ; il a été publié par H. Pruckner, Studien zu den astro-
logischen Schriften des Heinrich von Langenstein, Leipzig/Berlin : Teubner, 1933 , p. 222-
226. L'autre, qui se trouve dans une lettre spécialement adressée au pape Clément VI, porte
sur les conjonctions de Jupiter et de Saturne, à 8 degrés du Scorpion, le 30 octobre 1365
(les effets de cette première conjonction seront décuplés dans le passage de Mars dans ce
signe, durant la même année), et de Mars avec Saturne, à 21 degrés du Cancer, le 8 juin 1357,
tandis que Jupiter rétrograde des Poissons en Verseau ; de larges extraits en ont été traduits
par P. Duhem, IV, p . 35-37 , mais avec de grossières erreurs de technique astrologique dont
certaines ont été relevées par L. Thorndike, III , p. 319 , n. 81. On crédite aussi J. de Murs
d'une géomancie ; mais le doute subsiste sur cette attribution (Th. Charmasson, Recherches
sur une technique divinatoire la géomancie dans l'Occident médiéval, Genève/Paris :
Droz/Champion (Centre de recherches d'histoire et de philologie de la IVe section de
I'E.P.H.E. ) , 1980, p. 169-176 , spécialement p. 169) . Replacés dans l'ensemble de la produc-
tion écrite de J. de Murs, ces textes astrologiques occupent peu de place. Sans évoquer
d'hypothétiques manuscrits encore à découvrir, je m'en tiens au fait qu'aussi minces soient-
ils, ces textes témoignent d'une tournure d'esprit étrangère à Oresme, mais commune aux
astronomes praticiens du début du XIVe siècle (voir la note suivante). La génération sépa-
rant J. de Murs et ses confrères contemporains de Nicole Oresme est une des données
matérielles des différences intellectuelles établies dans mon texte (aux novateurs enthou-
siastes succèdent les précautionneux).
54. Jean de Saxe participe avantageusement à la mise en forme et à la diffusion des tables
alphonsines et commente également le traité astrologique d'al-Qabisi, Liber isagogicus
(dernier état de la question sur cet auteur : E. Poulle , Dict. ofSc. Biogr. , VII ( 1973 ) , p. 139a-
141b). Firmin de Belleval est désigné par une bulle papale pour préparer avec J. de Murs
la réforme du calendrier (J. Plassard, op. cit. , p. 178-179 et 181 ; P. Duhem, IV, p. 52-60) ,
mais il rédige aussi un pronostic sur la triple conjonction de 1345 (H. Pruckner, op. cit.,
p. 80-81 et, pour l'édition du texte, p. 220-221 ) ainsi qu'un traité d'astrologie météorolo-
gique, De mutatione aeris (P. Duhem, IV, p. 41-42 ; L.Thorndike , III , p. 271-279). Les titres
des travaux consacrés à Levi ben Gerson par R. Goldstein sont suffisamment éloquents :
The astronomical tables of Levi ben Gerson, Hamden (Connecticut) : Archon Books, 1974
(l'auteur admet que L. ben Gerson est l'inventeur d'un instrument astronomique, le bâton
de Jacob, grâce auquel il a pu faire des observations très précises pour établir ses tables) ;
et « Astronomical and astrological themes in the philosophical works of Levi ben Gerson » ,
Arch. intern. d'hist. des sc. , 26 ( 1976) , p. 221-224 ; L. ben Gerson a également fait un pro-
nostic sur la triple conjonction de 1345 : elle a été traduite en latin par celui qui avait
déjà traduit les premiers chapitres de ses tables, le moine augustinien Pierre d'Alessandria
(Ch. Touati, La pensée philosophique et théologique de Gersonide, Paris : les éd . de Minuit.
1973 , p . 58 ) . Pour G. de Meaux , voir la note 50 , ainsi que L. Thorndike , III , p . 281-
293 et H. Pruckner, op. cit. , p . 78-80 et, pour l'édition du texte du pronostic astrologique,
p. 215-219.
55. On peut comparer la sécheresse d'Oresme déclarant les tables imparfaites dans leur
principe mais commodes dans leurs usages (voir les citations de la note 51 ) aux propos
de J. de Murs sur le même sujet, qui donnent l'impression de vouloir noyer le poisson
(
Quadripartitum numerorum, IV, I , 24 , éd. Grant, p. 370, 1. 45-53).
186 M. LEJBOWICZ

56. Je suis parfaitemens conscient que le De conf. infirme mon interprétation. Mais ce
traité exceptionnel est le sommet de la production mathématique d'Oresme ; j'entends
par là une conquête qu'il n'a pas prolongée, et pire encore, qu'il a dû délaisser. Le lecteur
aura remarqué que j'ai opposé au schématisme des thèses du De com. les développements
infiniment plus riches du De conf. , en précisant (n. 42) que l'antériorité d'un traité sur
l'autre ne modifiait pas substantiellement mon argumentation. En essayant de situer le
De conf. par rapport à la Q. c. div. , M. Clagett conclut : « Hence we must conclude either
1) that by 1370 Oresme had completely abandoned , or had little confidence in, the confi-
guration doctrine as a possible explanation, or 2) that the work (Q. c. div.) was written prior
to his application of the doctrine to specific phenomena. My inclination is to accept the
latter conclusion, and therefore to mistrust 1370 as the composition date (de la Q. c. div. ) »
(Intr. , p. 129). J'essaie de montrer dans un article à paraître (en m'appuyant sur l'accrois-
sement de la culture astrologique d'Oresme et en développant la critique que S. Caroti
adresse sur ce point à M. Clagett) que la Q. c. div. a bien été écrite après le L. de div., et
par conséquent, après le De conf. Autrement dit , je suis porté à éliminer la deuxième
hypothèse de M. Clagett pour retenir la première. Ainsi, si le De conf. montre un Oresme
plus riche que le portrait que j'en adresse dans ces pages, le fait qu'il ait finalement aban-
donné les thèses qu'il y défendait va cependant dans le sens général de mon interprétation ;
et, d'une certaine manière, il l'accentue loin qu'il y ait eu chez Oresme impossibilité de
penser la rationalité du monde, il s'est plutôt produit un abandon de cette voie, après
une tentative extrêmement fructueuse.
57. L. de pol., III , 14 , 96c, Menut , p . 137a (Oresme dit emprunter cette idée au Defensor
pacis) et Id., 97c, Menut , p . 137b . J'ai malheureusement eu connaissance trop tard de la
belle étude d'Eugenia Paschetto, Demoni e prodigi. Note su alcuni scritti di Witelo e di
Oresme, Torino , G. Giappichelli , 1978 , notamment la première partie, Linguaggio e Magia
nel De configurationibus di Oresme, p . 7-39 (qui reprend et développe sa communication
au VIe Congrès international de philosophie médiévale , Bonn , 1977 , dont les actes ont paru
dans les Miscellanea Mediaevalia ; voir t . 13/2 ( 1981 ) , 648-656 ) pour faire état de ses ana-
lyses dans mon texte . Je compte revenir sur ce très intéressant travail .
LA TROMPERIE DIVINE

Tullio GREGORY

On sait que la littérature théologique du XIVe siècle fait une large place
aux discussions sur la tromperie divine, en particulier autour de la thématique
imposée par Ockham -et reprise par ses successeurs - de la potentia Dei absoluta
et de ses limites . L'analyse d'Ockham - qui se pose comme exégèse du credo in
unum Deum Patrem omnipotentem – ne se limite pas à la discussion de la possi-
bilité de connaître ce qui n'existe pas en réalité , comme on l'a plusieurs fois
souligné, les controverses sur la potentia Dei absoluta viennent modifier profon-
dément à la fois la problématique théologique traditionnelle et toute la structure
physico-métaphysique du cosmos aristotélicien du problème de la grâce et de
l'odium Dei à celui de la possibilité de la création d'un infini en acte , c'est tout
le système théologico-philosophique avec les équilibres qui avaient été laborieu-
sement atteints au cours du XIIIe siècle qui entre en crise . La tromperie divine
n'est donc qu'un aspect du problème plus vaste de la toute -puissance divine
dans ses rapports avec le monde des créatures et ses lois.
Mais ce n'est pas sur ce thème central , essentiel pour comprendre l'impor-
tance de la pensée d'Ockham et des divers aspects qu'elle assuma au cours de
plusieurs siècles, que j'ai l'intention de m'arrêter ; je voudrais seulement faire
part de quelques observations qui peut - être pourront contribuer à mieux replacer
le thème même de la tromperie divine dans la tradition théologique , et d'en
comprendre les différentes manifestations et perspectives.
Le fait d'avoir insisté sur la connaissance de ce qui n'existe pas par rapport
à l'hypothèse que Dieu peut causer en nous la notitia d'un objet sans que celui-ci
soit présent à nos sens , a peut-
être enfermé dans des limites trop étroites la
tromperie divine. En effet, si celle-ci et donc la toute-puissance divine -
se limitait à nous faire apparaître comme présent ce qui n'est pas, à mettre en
nous la species sans l'objet correspondant , ou à modifier directement nos organes
des sens par une action qui remplace celle de l'objet , l'action de Dieu , quant à
ses effets sur nous , ne serait pas fondamentalement différente de celle du presti-
digitateur ou , si l'on veut , du diable . La comparaison n'est pas absente de la
littérature théologique on la trouve par exemple dans un précieux texte de
Jean Rodington , le Commentaire au premier livre des Sentences, que Bruno Nardi
a étudié et en partie publié , il y a trente ans , en appendice au petit volume
188 T. GREGORY

Soggetto e oggetto del conoscere nella filosofia antica e medievale , mais qui est
tombé dans un oubli injuste même de la part des spécialistes :
« Quod autem deus possit facere unam rem apparere aliam, probatur :
non minoris potentie est deus quam dyabolus vel ioculator ; sed isti
faciunt apparere quod non est, et unam rem apparere aliam ; ergo
deus potest facere quod appareat homini quod homo non sit substan-
tia et huiusmodi et quod homo non sit homo » 1 .
Du reste , la comparaison entre l'action de Dieu et celle du démon – ou
des anges est un thème très discuté dans la littérature théologique , surtout
par rapport aux pouvoirs de ces êtres intermédiaires auxquels Dieu a confié
l'homme pour le protéger et le tenter . Et il est dommage que les nombreuses
études sur le problème de la connaissance dans la philosophie médiévale n'aient
pas tenu compte de cette discussion qui , à elle seule , aurait pu mettre en évi-
dence les fortes limites d'une théorie de la connaissance fondée sur la doctrine
aristotélicienne de la species et la précarité de la position de l'homme dans
un univers où il se trouve soumis à l'action d'êtres qui lui sont supérieurs.
Thomas d'Aquin , par exemple , pose la question de savoir si les anges et les
démons peuvent enseigner quelque chose à l'homme2 il admet - étant en
cela cohérent avec tout son système , où les anges bons et méchants sont do-
tés d'une possibilité d'action différente et supérieure à celle de l'homme -
qu'ils ne peuvent pas , bien sûr, créer les species (activité réservée à Dieu) , mais
ont toutefois la possibilité d'utiliser des species existantes ou d'agir de façon
différente non seulement sur les sens extérieurs mais aussi directement sur
l'imagination de façon à faire apparaître ce qui n'est pas . Et s'il ne peut y
avoir de deceptio dans l'action de l'ange parce qu'il est bon, mais seulement
une erreur éventuelle de l'homme qui peut juger existant quelque chose qui
n'est pas , les démons dans leur volonté maligne peuvent agir de façon analogue
à celle des anges de sorte que « aliqua faciunt hominibus apparere quae in
rerum exteriorum veritate non subsistunt » ; ainsi , les uns comme les autres
peuvent par ce moyen , à travers des signa sensibles et des species imaginariae,
agir indirectement sur l'intellect : « immutare hominis intellectum ad aliquid
intelligendum » ³ .
Bonaventure développe une thèse semblable : l'action des anges et des
démons se limite toujours à la sphère de la connaissance sensible (les anges
peuvent aussi éclairer la ratio inferior) et, dans ce domaine , l'homme leur est
totalement assujetti . Le démon , contrairement à l'ange , abuse les sens , modifie
les fantasmata et ainsi séduit la raison et l'induit en erreur4 .
Le problème de la connaissance de ce qui n'existe pas - thème de la pensée
d'Ockham -- n'est donc pas lié en soi à la discussion de potentia Dei absoluta :
il naît plus simplement je dirais même nécessairement --- à l'intérieur d'un
univers dans lequel existent entre Dieu et l'homme des êtres intermédiaires
auxquels l'homme est soumis . Angélologie et démonologie constituent un point
de référence non seulement dans la discussion théologique , mais dans toute
la discussion philosophique , dans la mesure où anges et démons constituent
LA TROMPERIE DIVINE 189

des structures essentielles du monde physique et métaphysique qui modifient


profondément le cosmos aristotéliciens : ce n'est pas un hasard si les averroïstes
les refusaient, reléguant leur existence au monde des opinions imposées par
les leges, par les croyances religieuses .
Il ne faut pas oublier que c'est au cours des discussions sur les pouvoirs du
démon - dont on ne soulignera jamais assez la présence à l'horizon de la pensée
chrétienne- que surgit un problème qui lui aussi se répercutera sur celui de la
connaissance : il apparaît clairement posé par Pierre Lombard dans la Distinction
VIII du chapitre IV du livre deuxième des Sentences lorsqu'il discute << utrum
daemones intrent in corpora hominum substantialiter et illabantur mentibus
hominum »6. Et si Pierre Lombard se limite , avec quelques auctoritates, à
soutenir que les démons peuvent entrer dans les corps et les posséder (mais
« non illabuntur animis hominum » car , comme l'a souligné Gennadius , « illabi
autem menti illi soli possibile est qui creavit »), les commentateurs développeront
abondamment le thème : l'action du démon se borne à oeuvrer en dehors de
l'homme sur ses organes des sens en lui faisant apparaître ce qui n'est pas et
en n'agissant qu'indirectement sur son intellect ; l'action de Dieu , au contraire ,
a un pouvoir regitivum total sur l'âme , de sorte qu'il peut directement immittere
cogitationes sans avoir besoin de recourir à une species ou à quelque autre
modification de l'appareil sensoriel .
Cette thématique revient de façon homogène et constante chez tous
les commentateurs des Sentences qui paraphrasent et amplifient le texte du
Lombard ; ainsi Gabriel Biel , se faisant l'interprète d'une tradition unanime , dis-
cutera longuement des illusions démoniaques - avec une très vaste doxographie -
établissant une nette distinction entre la sphère d'intervention du démon et
celle de Dieu le premier peut tromper les sens en faisant apparaître ce qui
n'est pas (<< res existens non apparet ; vel non existens apparet ; aut res exis-
tentes aliter quam se habent apparent » ) et, de façon plus radicale encore , peut
« humana corpora substantialiter subintrando possidere » , de sorte que « obses-
sio daemonis dicit intimam et substantialem praesentiam daemonis corpori
humano », jusqu'à intervenir , mais de façon indirecte et médiatisée , sur les pro-
cessus intellectifs ; mais il ne peut illabi animae directement : « Solus Deus
illabi potest menti rationali sive animae » , parce que « solus tamen Deus habet
in mente rationali plenum dominium regitivum : solus enim potest impedibiliter
in anima producere quicquid vult, atque ab ea tollere quod vult »7 .
Toute l'exposition de Biel est tissue de citations de pères latins et de
docteurs du XIIIe siècle , en particulier Bonaventure et Thomas d'Aquin, alors
qu'aucune référence n'est faite à la problématique ultérieure soulevée par
Ockham à laquelle Biel est pourtant fortement lié : la thèse selon laquelle Dieu ,
et Dieu seul, peut infundere cogitationes eas in mente creando - se substituant
ainsi à notre faculté intellective - est le développement le plus cohérent du
texte de Pierre Lombard.
La justification théorique d'une plus ample possibilité d'intervention
divine dans les processus cognitifs naît donc avant les analyses plus techniques
190 T. GREGORY

et subtiles d'Ockham et en dehors d'elles : l'ampleur de cette intervention sera


liée à la flexibilité de ce que les théologiens indiquaient comme la limite - qui
d'ailleurs n'en est pas une de la toute-puissance divine , à savoir ne pouvoir
faire ce qui implique contradiction dans ce domaine , les analyses d'Ockham
suivent les développements les plus différents et revêtent les nuances les plus
raffinées. Déjà au niveau le plus banal, celui de la connaissance de ce qui n'existe
pas, les interprétations et les développements varient. On sait qu'Ockham , tout
en admettant la possibilité de potentia Dei absoluta - d'une connaissance
de ce qui n'existe pas , exclut prudemment le fait que Dieu puisse causer une
<< cognitionem talem, per quam evidenter appareat nobis res esse praesens,
quando est absens » ; « une évidence trompeuse », remarquait Vignaux³, « est
chose contradictoire , impossible à Dieu même » ; une connaissance de ce qui
n'existe pas causée par Dieu serait seulement creditiva ou abstractiva. Mais il y
avait, parmi les contemporains d'Ockham , qui repoussait avec décision cette
position , trouvant plus cohérente avec la toute -puissance divine la possibilité
de causer en nous un « actum cognoscendi per quem appareat nobis res esse
praesens quae est absens » objection qu'Ockham formule pour la repousser ;
tandis que Walter Chatton entrera en polémique avec lui justement parce qu'il
excluait que Dieu pût causer en nous une connaissance évidente nous faisant
apparaître comme présent un objet qui ne l'est pas la thèse d'Ockham est
fausse , « Et hoc falsum, quia nihil negandum ab eo de quo non concluditur
ipsum inferre contradictionem » 9. On sait, par ailleurs , avec quelle cohérence
Fitz Ralph et Woodham insistèrent sur fallere et decipere comme preuve de
la toute-puissance divine : il n'était pas difficile pour les subtils analystes des
structures du discours et de la réalité qu'étaient les ockhamistes de démontrer
que fallere et decipere n'ont en soi aucune qualification négative : ce sont des
actes qui, en tant que tels , peuvent être totalement isolés et distincts aussi bien
de la voluntas fallendi que de toute autre qualification morale 10. Il est en effet
possible pour Dieu - dira également Buridan - de créer une opinion fausse
dans l'esprit , mais cette « opinio falsa non esset iam mala, non enim esset mala
Deo... 11 ; et Holkot précisera que « communiter et tamen proprie loquendo,
decipere vel fallere non est aliud quam esse causam erroris alicuius » , et cette
acception exclut tout syncatégorème comme « iniuste, vel malitiose sive vitiose
vel deordinate » qui serait en contraste avec la bonté divine 12 .
Il est clair, d'après les textes que nous avons rappelés , que l'action de
Dieu ne se limite pas à modifier les processus de la connaissance sensible , mais
peut influer sur les processus intellectuels, en intervenant sur ce qu'on pourrait
appeler la structure des catégories de l'intellect même . Le thème ne semble pas
avoir intéressé Ockham, mais il a été amplement discuté par son contemporain
Walter Chatton celui-ci non seulement , comme on l'a déjà vu , nie que Dieu
ne puisse causer en nous un acte cognitif qui nous fasse apparaître comme
présent un objet qui est absent , mais reconnaît que Dieu
«
< immediate causare potest assensum sine propositionibus , et, e
contra, ideo Deus non requirit propositiones illas existere, ut ipse
LA TROMPERIE DIVINE 191

causet... Concedo quod et habitus et species et propositiones et


assensus potest Deus immediate causare sine intuitiva » 13 .
Il apparaît clairement aux théologiens - qui n'y voient rien de scandaleux -
que cette intervention directe de Dieu dans les processus intellectifs met en
crise l'évidence de la connaissance humaine et le concept même de science pris
au sens aristotélicien . Ainsi, Jean de Rodington non seulement insiste sur l'hypo-
-
thèse que Dieu fait unam rem apparere aliam – ce qui suffit déjà pour affirmer
« quod intellectus non potest naturaliter scire aliquid, quin possit dubitare se
-
scire illud » – mais soutient de manière encore plus radicale que Dieu « potest
causare propositionem falsam et ponere in intellectu » : c'est pourquoi <« non
est certus ipse intellectus de quocumque » , de même qu'il n'est même pas certain
- souligne-t-il en s'opposant nettement à Augustin- de douter : « Simpliciter
loquendo potest dubitare se dubitare, quia non est simpliciter certus quod non
dubitet » 14. Même le principe de non contradiction n'a plus de valeur : c'est sur
lui que pouvait s'appuyer Aristote qui jugeait selon ce que lui semblait être
la natura rerum, soumettant Dieu à une causalité extérieure à lui-même :
« Dico quod philosophus iudicabit sicut vidit in naturis rerum ;
et quia ponit deum agere omnia quae agit de necessitate nature, ideo
credidit quod deus non posset aliter facere quam fecit ; et quia ipse
vidit, et quantum ad rationem naturalem ita videtur, inconveniens
quod una res simplicissima sit tres res, sic quod oppositum primi
principii sit in intellectu »>
(c'est la réponse à l'objection tirée d'un texte du quart de la Métaphysique
« oppositum primi principii non potest inveniri in intellectu, quia de quolibet
negacio vel adfirmacio » ) . Toutes ces considérations font que l'homme ne peut
atteindre une connaissance évidente , c'est-à-dire telle « quod necessario assentit
conclusioni quod nullo modo potest dubitare an conclusio sit vera » 15 .
Il s'agit là d'une thématique qui traverse toute la théologie ockhamiste ,
et pas seulement ockhamiste , et s'impose même aux maîtres de la Faculté des
Arts : Buridan , dans sa polémique contre les volentes interimere scientias
naturales et morales » parce que les unes et les autres « possunt falsificari per
casus supernaturaliter possibiles » , doit reconnaître que la science dont on est
capable n'atteint jamais une évidence absolue (simpliciter) mais seulement
secundum quid sive ex suppositione, c'est-à-dire en supposant le cours normal
de la nature << et huiusmodi evidentia sufficit ad principia et conclusiones scien-
tiae naturalis » 16 ; l'evidentia simplex ne peut jamais être atteinte parce qu'il
existe toujours la possibilité d'une intervention directe de Dieu , non seulement
dans le cours des phénomènes naturels, mais aussi sur l'intellect lui-même :
l'hypothèse de l'opinio falsa créée par Dieu et introduite dans l'intellect humain ,
admise de façon explicite par Buridan en polémique avec ceux qui nient que
« Deus... non potest aliquem decipere in mente » 17 , constitue la limite infran-
chissable de chacune de nos certitudes et met en cause la valeur même du principe
logique suprême de la non contradiction.
Nous sommes en face de l'expression suprême de la toute-puissance
divine et en même temps de sa tromperie. Chacun sait combien la tradition
192 T. GREGORY

ockhamiste insistera sur cette possibilité qu'a Dieu de créer une proposition
fausse dans l'intellect et d'en provoquer l'assentiment . Woodham est radical :
« Deus non potest de potentia ordinata fallere ; de absoluta tamen posset causan-
do in mente alicuius falsum assensum » 18. C'est là le signe même de la toute-
puissance divine « respiciendo ad virtutem voluntatis concedo quod Deus
potest fallere et decipere, id est voluntarie causare errorem in mente hominis et
facere eum credere aliter quam res se habet » , écrira Holkot , et après lui , avec
des accents différents , Pierre d'Ailly et Gabriel Biel19 . Pierre d'Ailly insistera
encore sur la possibilité - que d'autres avaient déjà discutée -– d'une tromperie
même sur le premier principe logique comme preuve de la toute -puissance
divine « Deus mediantibus causis secundis et de suo posse absoluto potest
causare errorem de primo principio » ; il peut aussi « assensum vel dissensum
causare » en rapport au « primum principium » : ce qui non seulement n'im-
plique aucune contradiction , mais au contraire « videtur favere articulo de
omnipotentia dei » 20
Que cette très large possibilité d'intervention divine dans nos processus
cognitifs mette en doute toute connaissance évidente (evidentia absoluta simpli-
citer), c'est la conclusion que même Pierre d'Ailly reconnaît volontiers , laissant
la possibilité d'une evidentia secundum quid seu conditionata21 .
Le caractère contingent radical de toute loi naturelle mène à l'exclusion
de l'evidentia simplex et avec elle du concept aristotélicien de science :
c'est ce qu'un demi-siècle plus tôt avait soutenu de la manière la plus radicale
Nicolas d'Autrecourt , en repoussant - contre Bernard d'Arezzo , disciple de
Pierre Auriol - la distinction entre une evidentia secundum quid et une évidence
absolue , à cause de l'impossibilité de distinguer à chaque fois ce qui relève
de l'ordre naturel ou surnaturel , ex suppositione naturae ou de potentia Dei
absoluta l'hypothèse d'une connaissance possible de ce qui n'existe pas fausse
toute certitude basée sur la supposition d'une adaequatio avec une réalité extra-
mentale ; c'est non seulement l'existence du recteur qui est mise en doute , mais
aussi tout le système de la philosophie d'Aristote qui ne peut être certain d'au-
cune des conclusions démontrées dans sa philosophie : « Aristoteles in tota
philosophia sua naturali et metaphysica vix habuit talem certitudinem [ connais-
sance évidente] de duabus conclusionibus et fortasse nec de una ». La certitude
d'Aristote et des philosophes dérive en effet de la prémisse que « non crederent
Deum posse impedire effectum causarum naturalium » 22. D'ailleurs la position
de Pierre d'Ailly vis-à -vis de la philosophie d'Aristote ne sera pas différente :
<< In philosophia seu doctrina Aristotelis nulle vel pauce sunt rationes evidenter
demonstrative ... Item sequitur quod philosophia Aristotelis seu doctrina magis
debet dici opinio quam scientia » 23 .
Ainsi la discussion sur la toute-puissance divine mettait en difficulté non
seulement la doctrine des species comme moyen de connaissance , mais surtout
tout système logique , physique et métaphysique qui, en tant que construc-
tion humaine , ne pouvait jamais exclure le Dieu biblique et chrétien . Ce n'est
pas un hasard si quelques maîtres ockhamistes mettaient en évidence dans
LA TROMPERIE DIVINE 193

le Vieux Testament les textes où Dieu démontre justement sa puissance à travers


sa capacité de tromper24 , alors que , dès les premiers siècles , la polémique anti-
chrétienne insistait déjà sur l'absurdité que constituait - pour la mentalité
païenne - la toute-puissance du Dieu chrétien on sait que les thèmes de la
naissance virginale du Christ et de la Résurrection étaient les grands « scandales »
pour la sagesse grecque qui reprochait aux chrétiens leur recours abusif à la
toute-puissance divine : « N'ayant rien à répondre » écrira Celse «< ils recourent
à la plus absurde échappatoire : tout est possible à Dieu » 25. Cette polémique
-
reviendra de façon insistante au Moyen-Age - surtout au XIIe siècle – à la suite
d'un texte célèbre de Marius Victorinus qui avançait comme exemple d'argumen-
tum necessarium : « si natus est morietur, si peperit cum viro concubuit » et
polémiquait contre les chrétiens qui niaient cette « nécessité » (« secundum
christianorum opinionem non est necessarium argumentum... Nam apud eos
manifestum esse sine viro natum et non mortuum » )26 . La controverse chré-
tienne contre cette necessitas qui est la rerum necessitas de Boèce est
constante d'Ekkehard IV de Saint Gall ( « Sic robur loyca perdit pariente
Maria ») à Pierre Damien (« Hinc est quod saepe divina virtus armatos dialecti-
corum syllogismos eorumque versutias destruit, et, quae apud eos necessaria iam
atque inevitabilia iudicantur, omnium philosophorum argumenta confundit » ) ;
d'Abélard (<< Quid etiam mirum si in se ipso Deus philosophorum infringat
regulas aut exempla quae in factis etiam suis frequenter quassat ... ? » ) , à
Robert de Courçon (« Christus Deus et homo conculcans has leges naturae et
regulas conditionis humanae excessit opera hominum ... Philosophi tradiderunt
regulas suas secundum solitum cursum naturae et secundum causas inferiores » )27 .
Ce sont là des exemples connus d'une polémique assidue contre la necessitas
naturae et la necessitas argumentorum ( « factum est sacramentum et solutum
est argumentum » )28 , brisée par la toute -puissance divine qui est à l'origine de
la contingence radicale du créé .
Mais ce qui n'était qu'un discours essentiellement limité à défendre la
possibilité du miracle , devient , dans la tradition ockhamiste , une analyse beau-
coup mieux articulée de tout ce qui pouvait dériver du concept chrétien de
toute-puissance divine ; et dans ce contexte la tromperie divine apparaît comme
un cas particulier de l'initiative d'un Dieu qui agit en dehors et contre les lois
logiques , physiques, éthiques qui furent présomptueusement théorisées par
la raison humaine . Et si la majeure partie des théologiens préférait réserver
au démon la fonction de trompeur par excellence , le mérite d'avoir rendu
ce pouvoir à Dieu revient aux théologiens ockhamistes même si en lui fallere
et decipere est épuré de toute malice , ils virent clairement que le risque d'une
existence dans un univers truqué constitue la condition propre de l'homme
dans un monde suspendu à la volonté insondable de Dieu .

13
194 T. GREGORY

NOTES

1. B. Nardi, Soggetto e oggetto del conoscere nella filosofia antica e medievale. Seconda
edizione riveduta e accresciuta di un'appendice su Giovanni di Rodington e il dubbio iper-
bolico di Cartesio, Roma, 1952, p . 80.
Pour certains textes et problèmes présentant des aspects analogues à ceux qui sont
traités ici, ainsi que pour la bibliographie correspondante , je me permets de renvoyer à mon
essai : « Dio ingannatore e genio maligno. Nota in margine alle Meditationes di Descartes »,
Giornale critico della filosofia italiana, LIII ( 1974) , p. 477-516.
2. Thomas d'Aquin discute en plusieurs endroits le problème de la possibilité d'inter-
vention de la part d'anges ou de démons sur les processus cognitifs de l'homme : voir en
particulier Summa theol. I , q . 111 , a. 14 ; I , II , q . 80 , a. 2 ; Quaestiones disp. de malo , q . 16 ,
a. 11-12 ; Quaestio disp. de magistro, 3 (éd . T. Gregory, Roma, 1965 , p. 80 sqq. ) .
3. Thomas d'Aquin, Quaestiones disp. de malo, q . 16 , a. 11 resp. ; a. 12 resp.
4. Bonaventure, II Sent., dist. 8 , p. 2 , art. unicus, q. 3-4 ; dist. 10, a. 2 , q . 2 ; a. 3 , q. 2.
5. Rappelons les observations d'Et. Gilson, Le Thomisme. Introduction à la philosophie
de Saint Thomas d'Aquin, Paris, 19485 , p . 222 sur la position centrale et essentielle dans
le système thomiste des purs esprits créés. Ces observations conservent leur valeur pour tous
les philosophes médiévaux et devrait-on dire - pour tous les philosophes chrétiens qui
admettent les anges et les démons. Sur cette question, qui semble avoir été oubliée, proba-
blement à cause des nombreux problèmes qu'elle comporte vis-à-vis de la conception
générale du monde et de l'homme, voir l'étude récente - orientée vers une « poétique du
sensible » de S. Breton, « Faut-il parler des anges ? » Revue des sciences philosophiques
et théologiques, LXIV ( 1980 ) , p. 225-239 (cf. p. 225 : « Il ne semble pas que , sur ce sujet,
les théologiens soient de nos jours plus diserts que les philosophes, comme s'ils avaient à
jeter un voile pudique sur les parties honteuses de leur discipline ») .
6. Petri Lombardi Sententiae in IV libris distinctae, Grottaferrata, 1971 , lib. II , d . 8 , c. 4,
p. 369.
7. G. Biel, In II Sent. , d. 8 , q. 2 (Commentarii doctissimi in IIII Sententiarum libros,
Brixiae, 1574 , vol . II , p . 62vb sqq. , en particulier p. 63rb-va).
8. Nous nous référons à l'article désormais classique de P. Vignaux , « Nominalisme » ,
dans Dictionnaire de théologie catholique, XI , col. 768.
Les textes fondamentaux d'Ockham concernant ce problème se trouvent dans les
Quodlibeta (en particulier V, q . 5 ; VI, q . 6 ) et dans le Commentaire sur les Sentences
(Scriptum in librum primum Sententiarum, prol. , q . 1 , ed . G. Gál- S . Brown, St. Bonaventure,
N.-Y. , 1967, I, p. 30 sqq.).
9. J. O'Callaghan, « The second Question of the Prologue to Walter Chatton's Commen-
tary on the Sentences. On intuitive and abstractive knowledge » , dans Nine mediaeval
Thinkers. A collection of hitherto unedited texts, Toronto, 1955 , p. 233-269 (pour le texte
cité , p. 246).

10. Sur ce problème et quelques textes s'y rapportant, je me permets de renvoyer à mon
<< Dio ingannatore e genio maligno » , p . 501-505 .
11. J. Buridani In Metaphysicen Aristotelis Quaestiones argutissimae, éd . J. Bade, 1518 ,
q. 12, f. XXIvb.
12. Roberti Holkot In quatuor libros Sententiarum questiones argutissimae, Lugduni,
1518, I Sent. , q. 1 , a. 6 R ; cf. Petri de Alliaco Questiones super primum, tertium et quar-
tum Sententiarum, Parisius , s.d. , éd . J. Petit, I Sent. , q . 12 , a. 3 , p . 188 ra-b .
13. Cf. J. O'Callagham , art. cit., p. 269 .
LA TROMPERIE DIVINE 195

14. Dans B. Nardi, op. cit. , p. 80, 81 , 85.


15. Ibid. , p. 84, 75 ; cf. Metaph. , IV, 1005 b, 23 sqq.
16. J. Buridani In Metaphysicen Aristotelis, q. 1 , f. VIIIvb-IXra, IXrb.
17. Ibid. , q. 12, f. XXIvb.
18. C'est la thèse largement discutée , en polémique avec Woodham et FitzRalph, par
Grégoire de Rimini, Super II Sent. , dist. 424344, q. 2 (Gregorius Ariminensis, Super
primo et secundo Sententiarum, Venetiis, 1522, f. 166va, 167rb).
19. Roberti Holkot In quatuor libros Sententiarum, cit ., I Sent. , q . 1 , a . 6 R. Cf.
Petri de Alliaco Questiones, l. cit. , I Sent. , q. 12, a. 3, p. 188rb-189ra ; G. Biel, In III Sent.,
éd. citée, d. 12, q. unica, p. 112b-113a.
20. Petri de Alliaco Questiones, cit. , I Sent. , q . 1 , a. 1 , p . 38va-39ra ; cf. p. 37rb-va.
21. Ibid. , q. 1 , a. 1 , p. 36ra, 37ra.
22. J. Lappe, « Nicolaus von Autrecourt. Sein Leben, seine Philosophie, seine Schriften >» ,
Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, VI , 2, Münster, 1908 , p. 12* , 4 * .
23. Petri de Alliaco Questiones, cit. , I Sent. , q . 3 , a . 3 , p . 83 va- b.
24. Les textes bibliques qui reviennent avec le plus de fréquence sont l'épisode d'Achab
(III Reg. , 22, 20-23) , la prophétie irréalisée de la destruction de Ninive (Jonas, 3, 4), le
vol des vases des Egyptiens (Exod. , 3 , 22 ; 11 , 2 ; 12, 35) ; cf. Petri de Alliaco Questiones,
cit., I Sent., q. 12 , a . 3 , p . 188va-b.
25. Origène, Contre Celse, t. III, intr., texte critique, trad. et notes par M. Borret, Paris,
1969, V, 14 , p. 49 ; cf. H. de Lubac, « ' Tu m'as trompé, Seigneur ' Le commentaire d'Origène
sur Jérémie, XX, 7 » , dans Memorial J. Chaine, Lyon, 1950, p. 255-280 ; J. Pépin , Théologie
cosmique et théologie chrétienne, Paris, 1964, p. 444-446.
26. M. Victorinus, Explanationes in Ciceronis Rhetoricam, I , 29 , dans C. Halm, Rhetores
latini minores, Leipzig, 1863 , p. 232 ; cf. J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du
XIIe siècle, Bruges-Bruxelles-Paris, 19482 , p. 289-293.
27. Pour les textes cités : Boèce, De differentiis Topicis, III , P.L. 64 , 1198 ; Ekkehard IV,
Confutatio dialectice, vers 74 , éd . E. Dümmler, « Ekkehart IV von St. Gallen » , dans Zeitschr.
für deutsches Altert. , N. F. II ( 1869 ), p . 65 ; Pierre Damien , De divina omnipotentia,
11 , éd. P. Brezzi - B. Nardi, Firenze, 1943, p. 110 (P.L. 145-610) ; P. Abélard, Theologia
'Scholarium ', II, 10, P.L. 178 , 1062-1063 ; Theologia christiana, II , 128 , éd . E.M. Buytaert,
Turnholti, 1969, p. 243 (P.L. 178, 1245) ; le texte de Robert de Courçon éd. dans J. de
Ghellinck, op. cit., p. 292.
28. Pierre Damien, De divina omnipotentia , 11 , éd . cit., p. 114 .
i
PIERRE DE CEFFONS
ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR

Jean-François GENEST

Les chercheurs, trop peu nombreux , qui ont jusqu'à présent étudié la place
occupée par l'hypothèse du Dieu trompeur dans la spéculation théologique de
la fin du Moyen Age , se sont surtout attachés à dégager la structure et la portée
de l'argumentation mise en oeuvre par quelques-uns de ses tenants¹ . En revanche ,
l'histoire de cette opinion reste à écrire . Ce qu'on en connaît pour le moment
tient en peu de mots . Née à Oxford vers la fin de la décennie 1320-1330 , elle
a été vigoureusement combattue à Paris par Grégoire de Rimini , où elle est
devenue pour le moins suspecte après la condamnation de Jean de Mirecourt
( 1347). Néanmoins, elle a connu un renouveau de faveur sur le continent à
la fin du XIVe siècle avec Pierre d'Ailly, puis au siècle suivant avec Gabriel Biel.
Enfin, ses prolongements au début des temps modernes concernent non seule-
ment l'histoire du cartésianisme² , mais aussi celle des polémiques autour de
la casuistique relâchée³ .
Quantité de sources manuscrites conservent la trace de ces disputes , mais
la plupart sont encore inexplorées4 . C'est le cas de l'oeuvre de Pierre de Ceffons5 .
On sait que ce moine de Clairvaux , d'esprit curieux et de tempérament non-
conformiste , a lu les Sentences au collège Saint-Bernard au cours de l'année
universitaire 1348-1349 , donc au lendemain de la condamnation de son confrère
Jean de Mirecourt . Dans sa monumentale lectura, mise en ordre vers 1353 à
la demande de quelques amis, notamment l'abbé de Clairvaux , Bernard de Laon ,
Pierre de Ceffons a consacré une question entière à l'hypothèse du Dieu trom-
peur Utrum Deus possit aliquem decipere seu ipse possit decipi (livre Ier,
dist. 44 , q . 3)6 . Il y revient à plusieurs reprises dans le livre II , à propos de
la révélation des futurs contingents7 . Ces textes , où l'auteur se montre remar-
quablement informé sur les doctrines régnantes et les décisions officielles ,
méritent d'être tirés de l'oubli . Ils comblent, en effet , quelques - unes des lacunes
qui affectent notre connaissance des condamnations de 1347. Ils permettent
en outre de mieux comprendre pourquoi une doctrine , que nul ne se hasar-
dait à soutenir ouvertement à cette date , a pu trouver un regain de succès
une trentaine d'années plus tard .
198 J.-F. GENEST

Avant d'examiner l'argumentation de Pierre de Ceffons , il n'est peut -être


pas inutile de rappeler quelle était à cette date la position de l'Université de Paris
en la matière . A plusieurs reprises , en effet, Pierre de Ceffons fait allusion à des
décisions de caractère doctrinal , ou du moins disciplinaire , en vertu desquelles
la question avait cessé d'être libre : « Certains disent que Dieu peut tromper ;
mais c'est là , déclare-t-il , un point qui n'est pas communément admis >>8. Ailleurs ,
il rappelle que l'opinion opposée à la doctrine traditionnelle << ne serait pas
aujourd'hui admise dans cette Université » 9. Enfin , une troisième affirmation
est plus formelle encore : In hoc studio non tenetur quod Deus possit decipere10.
Faut-il minimiser ces formules et imaginer que Pierre de Ceffons évoque ici un
simple consensus de fait , non une décision d'autorité ? L'examen du contexte
n'autorise pas cette interprétation bénigne . Lorsqu'on lit de près le Commentaire
des Sentences du bachelier de Clairvaux , on constate que la formule hic non
tenetur revient régulièrement sous sa plume quand il rencontre un article con-
damné¹¹ . Il est donc évident que Pierre de Ceffons se réfère à une censure
officielle . Mais laquelle ?
Pour répondre à cette question , on dispose de deux groupes de tex-
tes. D'abord , le dossier de l'affaire Jean de Mirecourt 12. On sait que celle-
ci s'est elle-même déroulée en deux étapes, les maîtres parisiens chargés de
l'instruire ayant d'abord été saisis d'une première liste de soixante - trois pro-
positions suspectes, puis n'en ayant retenu que quantante-et-une dans leur
jugement final .
Le second document est le syllabus compilé beaucoup plus tard par
Hugolin d'Orvieto , lorsqu'il fut chargé en 1364 de rédiger les statuts de la Faculté
de théologie de Bologne 13. Hugolin dénombre au total trois listes d'articuli
Parisius damnati 14. La plus ancienne est évidemment celle d'Étienne Tempier ,
si connue qu'il juge inutile de la reproduire . Ce sont les deux listes suivantes ,
celles des posteriores articuli, qui retiennent son attention , parce que moins
facilement accessibles . F. Stegmüller a suggéré que la première de ces condam-
nations récentes était celle de Nicolas d'Autrecourt , et la seconde celle de
Jean de Mirecourt 15. Mais cette interprétation se heurte à une double impos-
sibilité . Le procès de Nicolas d'Autrecourt a été instruit in curia Romana,
c'est-à-dire en Avignon bien que la condamnation ait été reçue à Paris , il
n'a jamais été une affaire parisienne , et d'ailleurs Hugolin n'en souffle mot.
D'autre part , la liste qu'il a compilée comprend , outre les articles tirés de
Jean de Mirecourt, une dizaine d'autres, empruntés à des auteurs inconnus :
manifestement, ce sont ceux-là qui ont fait l'objet de la troisième et dernière
condamnation, promulguée à une date qui nous échappe , car les sources consul-
tées par Hugolin dans les registres de la Faculté de théologie ont disparu , mais
sans doute assez rapprochée de la précédente .
Or la liste dressée par Hugolin d'Orvieto ne comporte rien de plus , touchant
l'hypothèse du Dieu trompeur , que trois propositions de Jean de Mirecourt :
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 199

Quod satis erat possibile quod per volitionem creatam Christus aliquid voluit
et nunquam sic debuit evenire16.

Quod Christus potuit dicere falsum et etiam asseruisse assertione creata, tam
vocali quam mentali¹7.
Quod possibile est Christum secundum voluntatem creatam errasse, et forte
secundum hominem mendacium protulisse 18 .

Ces trois propositions, toutes relatives à la révélation des futurs con-


tingents au Christ et par le Christ , constituaient-elles la seule base juridique
de la prohibition dont parle fréquemment Pierre de Ceffons ? On est tenté
de répondre par l'affirmative , car la conséquence la plus scandaleuse de l'opi-
nion condamnée était précisément que , dans l'hypothèse où Dieu serait
trompeur, le Christ pourrait être trompé dans son humanité. De fait, lors-
qu'Hugolin d'Orvieto traite lui-même du problème , il ne mentionne que ces
trois articles 19 .
Il n'est pas sûr, toutefois, que cette interprétation rende entièrement
compte de la complexité du débat . En effet , ce qui était en jeu dans les propo-
sitions citées , c'était avant tout un point de christologie étant donné l'unité
de personne dans le Christ , il est exclu que l'assentiment créé et l'assentiment
incréé à une même proposition puissent être contradictoires . L'éventualité d'une
tromperie divine se trouvait ainsi écartée à l'égard du Christ considéré dans
son humanité ; elle ne l'était pas universellement. La distinction peut paraître
subtile ou spécieuse , mais elle était courante à l'époque . Or l'affirmation répétée
de Pierre de Ceffons a une tout autre portée : elle laisse entendre que l'opinion
en cause était prohibée sous sa forme la plus générale . C'est bien d'ailleurs en
ce sens que les adversaires de Jean de Mirecourt souhaitaient la voir condamner.
Dans la première liste de propositions extraites de la lecture du Moine blanc
figurait en effet l'énoncé suivant : Aliqualiter dicere falsum est male facere et
peccare, et sic non potest Deus dicere falsum ; sed non omne dicere falsum
est male facere et mentiri, ideo hoc potest Deus facere20 . On peut donc se
demander, au vu des déclarations de Pierre de Ceffons , si cette proposition
(ou quelque autre équivalente), provisoirement épargnée par les censeurs de
Jean de Mirecourt , n'a pas été ultérieurement frappée et insérée dans la der-
nière fournée des articles condamnés . Quant à son absence ultérieure chez
Hugolin d'Orvieto , elle s'expliquerait par le caractère défectueux de ses sources.
L'argument a silentio est ici sans valeur , car on a aujourd'hui la preuve que sa
liste est incomplète et qu'il a omis des articles d'une importance considérable21 .
Si cette conjecture est fondée , le témoignage de Pierre de Ceffons permet du
même coup de dater la dernière des trois grandes condamnations parisiennes :
elle était promulguée au moment où il commençait à lire les Sentences, elle a
donc été portée en 1347 , peu après la condamnation de Jean de Mirecourt , ou
au plus tard l'année suivante .
200 J.-F. GENEST

II

Dans ces conditions , ce n'est évidemment pas du côté de la conclusion ,


imposée d'avance par l'autorité , qu'il faut chercher l'intérêt de la question
traitée par Pierre de Ceffons , mais dans l'argumentation mise en oeuvre . L'alter-
nance des objections et des réponses laissait en effet à un esprit ingénieux
une certaine liberté d'expression , dont il pouvait user pour mettre en relief, avec
toute la prudence requise , quelques-unes des difficultés auxquelles se heurtait
l'opinion reçue. Pierre de Ceffons joue largement et habilement de cette faculté.
En outre , à travers le dédale des arguments pro et contra, on voit apparaître
certains indices d'un renouvellement de la problématique .
A l'époque où Pierre de Ceffons étudiait au collège Saint - Bernard
et réunissait les matériaux qui serviraient à sa future lecture des Sentences,
Jean de Mirecourt, seul partisan connu de l'opinion nouvelle , s'était borné à
reproduire, plus ou moins servilement , quelques textes d'auteurs anglais . De
manière assez surprenante, il avait ignoré ou négligé les violentes critiques for-
mulées contre elle l'année précédente par Grégoire de Rimini . Pourtant, la seule
contribution originale des universitaires parisiens au débat était due au grand
théologien augustin .
Dans son Commentaire des Sentences , au livre Ier , distinction 44 ,
Grégoire de Rimini avait vivement pris position contre l'opinion de «< certains
docteurs modernes » , qui soutenaient que Dieu peut tromper22 . Les auteurs
visés , Richard Fitzralph et Adam Wodeham , s'appuyaient sur deux raisons
distinctes. L'une se rattache expressément à la thèse de l'omnipotence divine .
Tout ce que Dieu peut faire par l'intermédiaire d'une cause seconde , il peut
l'opérer immédiatement . Or l'erreur et la tromperie ont quelque réalité et Dieu
peut les produire , les produit même de fait , par l'entremise des créatures ; donc
il peut les causer directement23 . L'autre raison est tirée de la révélation des
futurs contingents. Aucune révélation touchant un futur ne saurait nécessiter
Dieu à l'accomplir . Si donc il est possible que l'événement prédit ne se réalise
pas, il l'est également que la révélation soit fallacieuse24. Historiquement,
cet argument a joué un rôle décisif dans la naissance et le développement de
l'hypothèse d'une tromperie divine .
Pour soutenir celle-ci , il fallait toutefois tourner non seulement l'autorité
d'Augustin, mais celle de l'Épître aux Hébreux Impossibile est mentiri Deum,
et quelques autres textes scripturaires25 . D'où la distinction , qui apparaît pour
la première fois chez Fitzralph (peut -être en est-il l'inventeur) entre mentir et
tromper. Augustin identifiait tout naturellement les deux termes : « Personne ne
doute que celui-là ment, qui énonce volontairement quelque chose de faux à
dessein de tromper : c'est pourquoi il est manifeste qu'un énoncé faux , accompa-
gné de la volonté de tromper, est un mensonge » 26. Texte gênant , que Fitzralph
et à sa suite Adam Wodeham glosent de plusieurs manières. Il ne suffit pas ,
disent-ils , pour mentir, d'affirmer le faux avec l'intention de tromper ; il faut
encore que l'intention de tromper soit désordonnée , ce qui de la part de Dieu
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 201

est évidemment impossible27 . Et pour le cas où cette réponse n'entraînerait pas


la conviction, ils en ont une seconde en réserve : que Dieu ne puisse dire le faux ,
on l'accorde de potentia ordinata ; mais de potentia absoluta, il le pourrait28 .
Alors que les théologiens anglais insistaient longuement sur les arguments
de raison en faveur de l'hypothèse , puis tentaient ensuite de ployer à celle -ci
les autorités , Grégoire de Rimini procède à l'inverse . Pour les besoins de la réfu-
tation, il fait porter tout son effort contre la conclusion . La fausseté de celle-ci
établie , le théologien pourra chercher à loisir la réponse aux prémisses ; et s'il
échoue , mieux vaut qu'il confesse son ignorance plutôt que de tomber dans
une opinion << aussi horrible » contre laquelle s'élèvent d'une seule voix l'Écriture
et les Saints29 . L'essentiel de sa réponse se ramène donc à deux points : la glose
introduite par les fauteurs de l'opinion nouvelle est manifestement contraire à
l'esprit des autorités ; au demeurant , s'il fallait accepter celle -ci , toute l'Écriture
serait suspecte .
Brillamment menée , la démonstration de Grégoire de Rimini rencontra
une large audience , non seulement à l'intérieur de son ordre , où elle fut reprise par
Alphonse Vargas de Tolède ( 1344-1345)30 et Hugolin d'Orvieto ( 1348-1349)31 ,
mais aussi au dehors . C'est ce que montre , par exemple , une determinatio due
à l'un de ses socii, magister Johannes Scotus32 , dont quelques extraits ont été
conservés dans un cahier d'Étienne Gaudet33 . Bien qu'il n'ait joué aucun rôle
direct dans les condamnations de 1347 , qui d'ailleurs ne l'épargnaient pas34 ,
Grégoire de Rimini partageait avec les auteurs de celles-ci une même hostilité
envers l'hypothèse du Dieu trompeur , et la référence à son argumentation semble
avoir été générale lorsqu'on devait aborder le sujet .
Pierre de Ceffons ne fait pas exception à la règle : Grégoire de Rimini est
l'auteur qu'il cite le plus souvent et le plus longuement. Mais à la différence de
ses contemporains, il accorde également une place très large aux arguments
des tenants de l'hypothèse condamnée . Il connaît d'ailleurs de première main
Robert Holcot35 et Thomas de Buckingham , peut-être même aussi un auteur
anglais beaucoup plus obscur , mais aussi radical que Holcot , le bénédictin
Jean Stuklee , dont l'oeuvre nous a été transmise par un manuscrit de Clairvaux 36¸
Si l'on cherche dans ses développements , d'allure parfois capricieuse , un fil direc-
teur, il semble qu'on puisse les résumer dans cette interrogation : que répondrait
à Grégoire de Rimini un partisan de l'opinion adverse ?
Sur un point au moins , Pierre de Ceffons donne aisément gain de cause à
Grégoire de Rimini : impossible de gloser s . Augustin à la manière de Fitzralph
ou de Wodeham . Il serait plus simple et plus honnête de rejeter franchement
son autorité et de dire que l'opinion contraire peut se soutenir37 . Augustin
admet que Dieu peut tromper par l'intermédiaire d'un ange ; mais , malgré
qu'il en ait , tout ce que Dieu peut par l'entremise d'une créature , il le peut par
lui-même 38. Quiconque agit par un mandataire est censé agir par lui-même ; tout
le monde en convient en pratique , et c'est même une règle de droit : Qui facit
per alium, per se facere videtur39 . Du reste , Augustin a-t-il jamais prouvé effica-
cement qu'il n'est pas licite , dans certains cas, de dire le faux40 ? Dans l'univers
202 J.-F. GENEST

augustinien, seuls les méchants ont le triste privilège de pouvoir tromper leurs
semblables . Mais si des malfaiteurs voulaient tuer ton père ou ta mère , et te
demandaient où ils se trouvent , n'aurais-tu pas le droit de leur faire une réponse
fausse ? Pourquoi ne dirait-on pas le faux à ceux qui méritent d'être trompés41 ?
Ainsi pourrait-on soutenir la thèse de la neutralité morale de la tromperie42 .
Licéité des ruses de guerre43 , astuces des chasseurs 44 , et même cette uni-
verselle puissance de dissimulation par laquelle subsiste le monde animal45 :
Pierre de Ceffons s'amuse à développer ces arguments, auxquels en définitive
il n'accordera pas grande valeur, mais qui sont pour lui prétexte à étaler ses
lectures : pêle-mêle , il cite Végèce , Frontin et Tite- Live , Solin et Barthélemy
l'Anglais . Mais voici un argument purement théologique et d'un tout autre poids,
car fondé sur l'omnipotence divine érigée en attribut souverain : l'homme
est entièrement soumis à Dieu , comme l'argile dans la main du potier ; pour-
quoi ne pourrait-il lui faire croire indifféremment le vrai ou le faux , selon son
bon plaisir46 ?
Plaçons-nous donc dans l'hypothèse la plus radicale , celle où Dieu pourrait
tromper de potentia ordinata ; autrement dit , et comme le soutient Holcot,
non seulement il posséderait ce pouvoir, mais de fait il en userait . Quel inconvé-
nient en résulterait-il ? Aucun. C'est du moins ce que répondraient certains.
Quand bien même ce que Dieu dit serait faux, si toutefois il m'ordonne de le
croire, s'il joint au précepte une menace au cas où je refuserais mon assentiment,
et une promesse au cas où je le donnerais , alors que m'importe que l'objet de
la croyance soit en lui-même vrai ou faux ? Sufficit mihi quod credam firmiter
sic esse47 . Jamais conception purement pragmatique de la foi n'avait été énoncée
sous une forme si abrupte . La révélation n'a plus ici pour fonction d'exprimer
une vérité, mais de susciter une conduite . Pure hypothèse d'école ? L'exemple
donné pour illustrer cette conception montre qu'il n'en est rien. Etait-il vrai ou
faux qu'Abraham immolerait son fils ? Faux , comme l'a montré la suite de
l'histoire . Si néanmoins Abraham a cru qu'il allait sacrifier Isaac, en quoi cela
lui a-il nui48 ? L'argument venait de Robert Holcot , polémiquant contre son
socius franciscain William Chitterne49, et il était destiné à prouver une des thèses
auxquelles le dominicain anglais était le plus attaché : l'homme peut être justifié
et sauvé in fide falsa, tout comme il peut être damné pour une croyance véri-
dique , car le mérite de la foi ne tient pas à la vérité de son objet , mais à la seule
soumission de la volonté50 .
S'ensuit-il , comme l'objectait Grégoire de Rimini après s. Augustin, que
l'Écriture perdrait toute autorité ? - Nullement. De ce que Dieu puisse tromper
quelquefois, on ne conclut pas qu'il pourrait tromper toujours51 . - Mais , faisait
encore observer Grégoire de Rimini , si Dieu pouvait dire le faux , il lui serait
loisible , par exemple , d'énoncer des propositions contradictoires et d'ordonner
qu'on les croie simultanément , donc d'obliger à l'impossible. - Pourquoi non ?
répondrait le protervus beaucoup accordent en effet que Dieu pourrait obliger
sa créature à l'impossible , si tel est son bon plaisir . La réplique est assortie
d'un exemple très cru52 . Mais sans aller jusqu'à cette extrémité , le contradicteur
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 203

parerait l'objection en soutenant que Dieu pourrait tromper dans certains cas,
non dans d'autres53 . C'est au fond ce que dira Pierre d'Ailly54 .
Si les arguments ne manquent pas en faveur de l'hypothèse radicale selon
laquelle Dieu peut tromper de potentia ordinata, à plus forte raison en trouvera-
t-on pour tenir l'opinion modérée , celle de Fitzralph et Wodeham , qui accordent
à Dieu la faculté de tromper de potentia absoluta. Cette voie permettrait d'éviter
les inconvénients signalés tout à l'heure , car elle offre à la croyance toutes
les garanties de la certitude morale . Il suffit de substituer à la véracité de droit
la véracité de fait. On accorde une ferme confiance à la parole d'un homme,
dont on sait qu'il pourrait mentir, mais dont l'expérience a montré qu'il était
constamment vérace : pourquoi exiger davantage de Dieu55 ? Le fort des parti-
sans de cette opinion moyenne , c'est qu'elle paraît la seule à respecter la contin-
gence des futurs révélés. En voulant prouver qu'il est absolument impossible à
Dieu de dire le faux, on prouve trop, car on lui retire le pouvoir inamissible
de faire que ce qui est à venir n'arrive pas . Si l'argument était valide , il faudrait
en conclure que tout ce que Dieu révèle se réalisera nécessairement56 . L'objec-
tion revient à quatre reprises dans la bouche de l'adversaire . Manifestement ,
c'est à elle que Pierre de Ceffons accorde le plus de poids .

III

Soit une proposition révélée , donc vraie , mais portant sur un futur, donc
dépendant de la liberté divine , par exemple celle -ci : Resurrectio erit. Comment
soutenir qu'elle est contingente, c'est-à -dire qu'elle peut être fausse , sans pour
autant tomber dans la conclusion que Dieu peut être trompeur ? Sitôt que
l'homme a donné son assentiment à la proposition révélée , il est nécessaire
qu'il l'ait donné ; or il est contingent que le futur révélé se réalise ; donc il est
possible que l'assentiment fondé sur la révélation soit erroné .
La question n'avait cessé d'être agitée à Oxford depuis le temps de
Guillaume d'Ockham57 . Celui-ci s'était bien gardé d'affirmer que Dieu pourrait
dire le faux . Mais ses successeurs , Fitzralph , Wodeham, Holcot , bien d'autres
encore, ceux que Bradwardine appelait les «< nouveaux pélagiens » , n'avaient pas
eu le même scrupule . C'est que le débat , centré en apparence sur la toute-puissance
divine , mettait aussi en cause, et peut -être principalement , le libre-arbitre créé.
Sans ce ressort caché , on ne peut expliquer l'âpreté des disputes et les passions
qu'elles mobilisaient . Le pélagien ne répugne pas à l'hypothèse d'un Dieu trom-
peur, car c'est à ce prix qu'il achète sa propre liberté . Bien plus , chaque fois
que ses actes futurs sont en jeu , c'est à lui-même , en dernière analyse , qu'il
s'attribue la faculté de rendre Dieu trompeur : il est en mon pouvoir , dit Holcot ,
de faire qu'une prédiction me concernant , énoncée il y a un siècle , soit vraie
ou fausse , et donc que celui qui l'a proférée ait été ou non un faux prophète 58 .
Pour résoudre la difficulté sans accorder l'éventualité , fût-ce de potentia
absoluta, d'une révélation fallacieuse , de multiples réponses avaient été forgées59.
204 J.-F. GENEST

Pierre de Ceffons les connaît à peu près toutes et on voit, à le lire , celles qui n'avaient
plus cours et celles qui conservaient des partisans . Parmi les premières , figure la
thèse de la révélation conditionnelle , soutenue jadis par Guillaume d'Ockham .
Étendant à la totalité des prophéties une réponse que la tradition limitait à
la prophetia comminationis, cette opinion soutenait que toute révélation d'un
futur est subordonnée à une condition explicite ou implicite ; si le futur révélé
ne se réalise pas , c'est que la condition n'a pas été remplie . Selon une autre
réponse , imaginée à Oxford dès les origines du débat , Dieu , en révélant les futurs,
se nécessiterait lui-même à les accomplir. Aucune de ces opinions ne trouve grâce
aux yeux de Pierre de Ceffons , qui les mentionne pour mémoire et les considère
comme surannées 60 .
En revanche , il accorde beaucoup plus d'attention aux vues de Thomas de
Buckingham, auteur très lu à Paris au milieu du siècle , et qui avait avancé une
réponse tout entière construite sur l'hypothèse d'une révélation dans le Verbe .
La distinction entre révélation in Verbo et révélation in proprio genere était
traditionnelle dans le premier cas, Dieu fait participer la créature à la con-
naissance qu'il a lui-même des futurs ; dans le second , il lui révèle ceux-ci par
le truchement ordinaire de la connaissance créée . On spéculait beaucoup , au
XIVe siècle , sur les modalités de la révélation dans le Verbe61 . Reprenant
une opinion qui circulait déjà à Oxford au temps de Fitzralph, Buckingham
soutenait que dans ce type de révélation l'essence divine ne joue pas seulement
le rôle d'espèce intelligible , mais aussi de verbe pour l'intellect créé. Admis
ce présupposé (lié à une noétique rejetant la distinction entre species et visio) ,
on dira que la créature voit les futurs comme Dieu lui-même les voit , c'est-à -dire
à la fois comme devant être et pouvant néanmoins ne pas arriver. Son assenti-
ment à la proposition révélée est donc aussi contingent , non dans son être , mais
dans son objet , que le futur révélé lui-même 62. Mais si cette théorie offre l'avan-
tage de respecter l'infaillibilité de la prescience du Christ et des bienheureux ,
elle présente , entre autres inconvénients celui d'entraîner un remaniement
complet de la christologie , car il faut, comme l'avoue Buckingham , dénier au
Christ la faculté de connaître ou de vouloir les futurs révélés par des actes
semblables à ceux des autres hommes63 . De plus , et Pierre de Ceffons ne manque
pas de le faire observer , elle laisse entièrement de côté le cas le plus commun ,
celui de la révélation in proprio genere. Ainsi la difficulté subsiste64 .
De son côté, Grégoire de Rimini avait proposé deux réponses65 . La pre-
mière se fondait sur une thèse à laquelle il inclinait fortement dès l'époque de
son enseignement parisien , et à laquelle il devait plus tard se rallier ouvertement :
Dieu peut faire que ce qui est passé n'ait pas été , en ce sens que le passé demeure,
aussi bien que le futur, sous la contingence de la cause première . En d'autres
termes, il n'y a pas moins de contingence dans le passé que dans l'avenir , mais
inversement le futur n'est pas moins déterminé que le passé . Cette réponse , à
comparer à celle de Bradwardine , était probablement la seule compatible avec
les données du problème , mais les maîtres responsables des condamnations
de 1347 l'avaient expressément proscrite 66. Sachant d'ailleurs qu'elle serait
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 205

difficilement admise , Grégoire de Rimini en avait esquissé une autre la signifi-


cation de l'énoncé révélé est contingente , parce que dépendant du libre vouloir
de Dieu ; l'assentiment créé à cet énoncé l'est donc également67 . D'après ce
que Pierre de Ceffons rapporte des opinions en honneur à Paris , on constate
que c'est dans cette voie que s'engageaient alors nombre de maîtres dicunt
alii quod assensus de sic esse potest nunquam fuisse assensus de sic esse, sed
potest fuisse assensus oppositi, etiam assensus creati68 .
Comment justifiaient-ils cette thèse paradoxale ? On entrevoit, à travers
les notations de Pierre de Ceffons , quelques-uns de leurs arguments , et ces pas-
sages , parfois obscurs , s'éclairent quand on les rapproche des développements
que Pierre d'Ailly a consacrés plus tard au même sujet . Il semble qu'ils aient
affirmé , certains invoquant l'autorité de Guillaume d'Auxerre , que la vision
créée des futurs dans le Verbe , étant subordonnée à la connaissance divine
comme la copie à son modèle , participe à l'indétermination de celle-ci69 . Thèse
difficile à soutenir , remarque Pierre de Ceffons, car toute notitia simplex,
intuitive ou abstraite , et généralement toute connaissance créée impliquant
assentiment et jugement , entretient avec son objet , aussi longtemps qu'elle
demeure dans l'âme , un rapport nécessaire70. Le seul moyen de donner une
apparence de vérité à cette proposition : « la connaissance ou l'assentiment peut
n'être pas connaissance ou assentiment » , c'est de se placer dans l'hypothèse
où la connaissance et l'assentiment créés seraient conservés directement par Dieu
dans l'âme sans que l'intellect ou la volonté de la créature y concourent . Dans
ce cas, en effet , ils demeureraient sans perdre leur réalité , comme un rayon
solaire alors que le Soleil aurait cessé d'exister ; mais étant dans l'âme sans être
de l'âme , ils cesseraient d'être connaissance ou assentiment pour la créature 71 .
Pierre de Ceffons ne rejette pas l'hypothèse ; néanmoins, si elle permet d'affir-
mer que l'assentiment peut n'être pas assentiment , elle n'autorise nullement à
prétendre que l'assentiment créé peut n'avoir pas été assentiment , ce qui est tout
différent , car la conclusion , sautant du présent au passé , dépasse les prémisses72 .
Les tenants de cette doctrine font preuve d'une singulière inconséquence :
qu'une ligne ait été courbe , il est impossible , disent-ils , qu'elle ne l'ait pas été ;
et ce sont les mêmes qui affirment qu'un assentiment peut n'avoir pas été assen-
timent. Telle est pourtant l'opinion reçue aujourd'hui ; elle a pour elle des
hommes dont l'autorité est grande et contre lesquels il ne serait pas permis
d'argumenter. Leurs thèses, avoue ironiquement Pierre de Ceffons , dépassent
les limites de mon entendement (transcendunt limites comprehensionis mee) ;
mais puisque la communauté les admet , je n'aurai pas la présomption d'élever
des objections contre elles73 .

Dès lors, quelle valeur accorder au ralliement final de Pierre de Ceffons à


l'opinion seule admise à Paris ? Il est clair qu'il ne s'incline que parce qu'il n'a
pas le choix, et il le laisse même entendre : In hoc studio non tenetur quod
Deus possit decipere : dico quod non potest decipere. Notons cependant qu'il est
loin d'accorder le même poids à tous les arguments en faveur de l'hypothèse
206 J.-F. GENEST

condamnée. Par exemple , il circonscrit le problème de la tromperie au domaine


du langage tendre un piège n'est pas mentir74 . A propos de la foi d'Abraham ,
il se démarque nettement de la position de Robert Holcot75 . Il refuse de subor-
donner en Dieu la bonté à la puissance76. Il rappelle , de manière très augus-
tinienne , que Dieu est Vérité par essence77 . Toutes ces réponses sont-elles
inspirées par la seule prudence ? Sans doute y a-t-il quelque chose de vain à
prétendre percer à jour ce qui, par nature , échappe aux prises de l'historien .
Si toutefois Pierre de Ceffons était uniquement préoccupé de cacher sa pensée ,
on ne voit pas pourquoi il insisterait sur certaines difficultés alors que d'autres
lui paraissent surmontables . A s'en tenir strictement aux textes (mais il faudrait,
pour justifier pleinement cette conclusion , l'étayer par une édition intégrale de
la question), il semble qu'il penche vers l'opinion moyenne qui sera celle de
Pierre d'Ailly , c'est-à-dire qu'il considère au fond comme plausible , sans se
risquer à la formuler ouvertement, l'hypothèse selon laquelle Dieu pourrait
tromper, non de potentia ordinata, mais de potentia absoluta.
Quoi qu'il en soit de cette interprétation , deux points au moins nous
apparaissent acquis.
Le premier concerne l'autorité des censures portées en 1347. Les protes-
tations répétées d'obéissance soulignant cruellement la faiblesse des réponses
officielles , la révérence narquoise avec laquelle Pierre de Ceffons invoque istos
benedictos articulos in tanta multitudine condempnatos, le fait qu'il ait néan-
moins bénéficié de la confiance et de l'amitié de personnages puissants, comme
l'abbé de Clairvaux Bernard de Laon , lui-même maître en théologie , laissent
penser que l'on commettrait sans doute une erreur d'appréciation en attribuant
à ces condamnations une autorité que bien des contemporains étaient prêts
à contester. Le prestige personnel des maîtres qui les avaient fulminées et dont
le nom ne nous est même pas parvenu , devait être assez limité . Il est vrai que
Pierre de Ceffons , à la différence sans doute de son confrère Jean de Mirecourt,
n'avait pas recherché la publicité , et que sa lectura, tardivement mise au net,
alla rapidement s'enfouir dans la bibliothèque du collège Saint - Bernard ou
dans celle de Clairvaux . Mais quelques années après, Jean de Ripa, se référant
à tel article condamné, le fait avec quelque désinvolture 78 , et l'on sait que
Pierre d'Ailly sera plus sévère encore . Jamais , en tout cas , les articuli poste-
riores n'eurent l'éclat et l'autorité que conserva si longtemps la première grande
condamnation , celle de 1277 .
Quant au fond du problème , il nous semble désormais solidement établi
que les apories liées à la révélation des futurs contingents ont joué un rôle
primordial, non seulement dans la formation de l'hypothèse du Dieu trompeur
(on pourra le vérifier le jour où l'on disposera d'une édition de la lectura de
Fitzralph et de sa quaestio biblica) , mais encore dans les discussions subséquentes
à l'Université de Paris, comme le montrent les écrits de Jean de Mirecourt ,
Pierre de Ceffons et Pierre d'Ailly . Le problème était lui-même étroitement lié ,
de ce fait , à celui des rapports entre la volonté divine et la volonté humaine.
On le voit clairement dans l'affaire de Gilles de Mantes79 . Ce bachelier de l'ordre
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 207

des augustins , qui lisait les Sentences à Paris en 1353 , fut condamné l'année
suivante pour avoir soutenu, entre autres «< erreurs » , que Dieu peut nécessiter
la volonté à produire un acte méritoire ; autrement, disait-il, il faudrait accorder
que Dieu peut mentir : Dixi quod Deus potest aliquem necessitare preveniendo
voluntatem ad bonum actum. (... ) Probationes sunt : Aliter... homo posset
facere Deum mendacem80 . On ne sait rien de plus de ce personnage , mais
l'épisode montre que la question restait toujours en suspens et que nulle réponse
satisfaisante ne lui était donnée . Comment, d'ailleurs , aurait-il pu en être autre-
ment , puisque les maîtres parisiens responsables des censures de 1347 , tout en
condamnant l'hypothèse du Dieu trompeur , avaient simultanément proscrit
la seule réponse plausible , celle de Grégoire de Rimini (et de Bradwardine) ,
pour qui l'opposition entre la nécessité du passé et la contingence du futur
était un faux problème , l'un et l'autre restant également suspendus à la libre
volonté divine ? En frappant cette opinion, et en obligeant en même temps
les théologiens à réfuter l'hypothèse d'une tromperie divine , les auteurs des
condamnations de 1347 avaient enfermé leurs pairs et leurs successeurs dans
un labyrinthe inextricable81 . Aussi n'est-il pas surprenant que , momentanément
écartée par voie d'autorité , l'opinion d'après laquelle Dieu pourrait tromper
ait réapparu au grand jour dans le troisième quart du siècle et trouvé, à Paris
même , un défenseur en la personne de Pierre d'Ailly .

NOTES

1. B. Nardi, Soggetto e oggetto del conoscere nella filosofia antica e medievale. Seconda
edizione riveduta e accresciuta di una appendice su « Giovanni Rodington e il dubbio iper-
bolico di Cartesio » , Rome, 1952, p . 60-67 , 70-73 et 74-91 (texte de Jean de Rodington).
T. Gregory, << Dio ingannatore e genio maligno. Nota in margine alle ' Meditationes ' di
Descartes », Giornale critico della filosofia italiana, 4e série, vol. 5 ( 1974), p. 477-516.
2. Voir en particulier l'article « Grégoire de Rimini » du Dictionnaire de Bayle.
3. A cet égard, il y aurait beaucoup à glaner dans la curieuse Dissertatio contra aequivo-
cationes du bénédictin anglais John Barnes (Paris, 1625 ; une traduction française parut
la même année) . L'auteur de ce violent pamphlet dirigé contre la casuistique des Jésuites
invite ses lecteurs à se défier de « la poix nominalistique » , et pour mieux combattre les
équivoques montre qu'un Dieu qui en userait se retirerait toute autorité. Ce serait « un Dieu
comique » et « il est plus tolérable de prescher deux dieux séparés qu'un seul Dieu cauteleux »
(Epitre dédicatoire, f. V) . Cf. M. Nédoncelle, Un moine turbulent, John Barnes, précurseur
des << Provinciales » et oecuméniste malheureux, dans Trois aspects du problème anglo-
catholique au XVIIe siècle, Paris, 1951 , p . 24-25.
4. Parmi les théologiens qui traitèrent du problème au XVe siècle , il faut citer le franciscain
Georgius Benignus, ami de Bessarion, qui fut consulté lors de la querelle lovaniste des
futurs contingents (Je remercie vivement le Professeur C. Vasoli de m'avoir communiqué
cette information).
5. Pendant près de six siècles, Pierre de Ceffons n'a survécu que par son Epistola Luciferi,
largement diffusée, mais Johann Wolff, qui l'édita en 1600 (Lectiones memorabiles, Lavingae,
p. 654-656), l'attribuait à Nicole Oresme. Sur cette satire anticléricale et la tradition littéraire
208 J.-F. GENEST

à laquelle elle se rattache, v. G. Zippel, « La lettera del diavolo al clero, dal sec. XII alla
Riforma », Bull. dell'Istituto stor. ital. per il medio evo, t. 70 (1958) , p . 125-179 . Quant à
son Commentaire des Sentences, c'est K. Michalski qui le premier en a reconnu l'intérêt
(Le problème de la volonté à Oxford et à Paris au XIVe siècle, Lwow, 1937 , p. 21 , 97-99,
127-129 ; réimpr. anast., Francfort, 1969) . Toutefois, il a fallu attendre les recherches du
P. Trapp pour que cet énorme ouvrage, conservé dans le ms. 62 de la Bibliothèque muni-
cipale de Troyes (ancien Clairvaux, I 11 ) , commence à sortir de l'ombre : v. D. Trapp ,
<< Augustinian Theology of the XIVth Century » , Augustiniana, t. 6 (1956) , p. 224-227 ;
<< Peter Ceffons of Clairvaux » , Recherches de théol. anc. et médiév. , t. 24 ( 1957) , p. 101-
153 (l'Epistola introductoria est éditée p. 128-153) ; « Gregorio de Rimini y el nomi-
nalismo », Augustinianum, t. 4 ( 1964) , p. 5-20. Le versant scientifique de l'oeuvre de
Pierre de Ceffons a été abordé par J. E. Murdoch, « ' Subtilitates Anglicanae ' in Fourteenth
Century Paris John of Mirecourt and Peter Ceffons » , dans le recueil Machaut's World :
Science and Art in the Fourteenth Century, éd. M. P. Cosman et B. Chandler, New-York,
1978, p. 51-86 (v. p. 61-68 et 77-86) . V. aussi F. Bottin, La scienza degli Occamisti, Rimini,
1982, p. 146-152. Entre temps, M. Haverals avait retrouvé dans un volume provenant de
l'abbaye du Val-Saint-Martin à Louvain, aujourd'hui à Londres, British Libr., ms. Harley
2667, f. 131-147, une collection de lettres de Pierre de Ceffons (W. Lourdaux et M. Haverals,
Bibliotheca Vallis Sancti Martini in Lovanio, t . I , Die bewaarde Handschriften, Louvain,
1978, p. 642-649) . Cette correspondance, dont M. André Vernet prépare l'édition, est riche
en realia. Pour les autres écrits de Pierre de Ceffons jadis conservés à Clairvaux, v. A. Vernet
et J.-F. Genest, La bibliothèque de l'abbaye de Clairvaux du XIIe au XVIIIe siècle, t. I,
Paris, 1979, p. 160-161 et 885.
6. Troyes, Bibl. mun. 62, f. 68rb-70ra. Description matérielle du ms. dans le Catalogue
des manuscrits... (datés), t. 5 , Paris, 1965, p. 613 (mais la conjecture selon laquelle il s'agi-
rait d'un autographe nous paraît totalement exclue par la note du copiste à la fin du livre III,
f. 206 : « Vinum scriptori debetur de meliori ») .
7. Utrum sequatur : Deus revelavit angelo bono quod salvabitur, igitur salvabitur (f. 121ra-
121va). Utrum Deus potuerit revelare angelo suam culpam antequam rueret (f. 121va-121vb).
Utrum sequatur : Deus revelavit angelo quod perpetuo erit beatus, igitur oppositum non
potest facere de potencia sua ordinata (f. 121vb- 122va).
8. << Idcirco dicunt aliqui quod Deus potest aliquem decipere , sed nec illud admittitur
communiter. » (Troyes, Bibl. mun. 62, f. 69vb).
9. << Ideo pro illa opinione (scil . Augustini) arguo et non fingam soluciones ad raciones
istas, ne forsan nimis videar favere opinioni adverse, que nunc non esset in hoc studio grata ».
(f. 69rb).
10. F. 122va.
11. En voici trois exemples, tirés du livre II et relatifs à d'autres thèses condamnées :
1) << Hoc recito , quia non audeo exprimere omnia que concipio et timeo istos benedictos
articulos in tanta multitudine condempnatos. Si igitur non sit aliquis articulus, et non displi-
ceat superioribus, posset aliqualiter sustineri quod Deus, de sua potentia absoluta, potest
revelare dampnacionem Sorti. » (f. 121vb) . 2) « Dico ergo tenendo sicut communiter in hoc
studio tenetur in hiis diebus, quod (angeli) non fuerunt necessitati ad peccandum...Nam est
articulus : Quod angelus nunquam habuit unde stare posset, [ error] . » (f. 122ra). On notera
au passage qu'il s'agit là d'un articulus posterior omis par Hugolin d'Orvieto. 3 ) « Fortassis
hoc diceret ille antiquus doctor, qui dixit quod quantum est ex parte Dei, ipse posset facere
de corrupta virginem . Istud tamen non tenetur Parisius. » (f. 122va) . Cette dernière allusion
est la plus ancienne référence connue à l'article de praeteritione rei, qui ne figure pas, non
plus, dans la liste d'Hugolin , et dont seul André de Neufchâteau nous a conservé la teneur
(v. la note 21 ) .
12. F. Stegmüller, « Die zwei Apologien des Jean de Mirecourt » , dans Recherches de théol.
anc. et médiév. , t . 5 ( 1933) , p . 40-78 , 192-204 . G. Tessier, Jean de Mirecourt, extr. de
l'Hist. littér. de la France, t. 40, Paris, 1966 , p . 36-46.
13. F. Ehrle , I più antichi statuti della Facoltà Teologica dell'Università di Bologna,
Bologne, 1932, p. 66-73. La liste éditée par Ehrle est pour l'essentiel conforme à celle
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 209

qu'avait donnée H. Denifle , Chartularium Universitatis Parisiensis, t. 2, 1ère partie, 1891 ,


p. 610-614, nº 1147.
14. Dans sa préface, éditée par Ehrle, Hugolin signale que les maîtres parisiens « patefece-
runt trina vice articulos... repellendos. Verum, quia posteriores articuli secunda et tertia
vice per quadraginta tres solemnes magistros post dictam indaginem condemnati in sua
virulentia sunt magis latentes, ego fr. Ugolinus de Urbe Veteri ... prout Parisius in actis
universitatis theologorum in forma publica repperi, ipsos articulos utique noxios, ne nostram
Bononiae universitatem inficiant, hic inferius annotavi. » (F. Ehrle, op. cit. , p. 68).
15. F. Stegmüller, art. cit. , p. 45 , n. 20.
16. F. Stegmüller, art. cit. , p. 193 (prop. 1 ). H. Denifle, Chartularium..., p . 610, art. 1.
17. F. Stegmüller, art. cit. , p. 193 (prop. 2). H. Denifle, Chartularium..., p. 610, art. 2.
18. F. Stegmüller, art. cit. , p. 196 (prop. 12). H. Denifle, Chartularium….., p. 610, art. 3.
19. Hugolin Malabranca d'Orvieto, In Ium Sententiarum , q. Utrum Deus de potencia
absoluta possit revelare vel facere dicere falsum assertorie (Paris, Bibl. nat. , lat. 14559,
f. 97rb- 99va). « Patet per articulos condampnatos Parisius, primum, secundum et 12um de
novellis, in quibus dicitur (etc.) » (f. 97rb) .
20. F. Stegmüller, art. cit., p. 53, prop. 15. Cf. la prop. 31 (p. 59) : « Quantumcumque
Deus posset facere quod aliquis erraret, non tamen posset decipere. » Jean de Mirecourt
use d'un langage plus prudent que Fitzralph, Wodeham et Holcot. Ceux -ci opposaient
mentiri à decipere. Jean de Mirecourt distingue decipere et facere errare (ou dicere falsum).
Mis à part cet euphémisme (qu'on trouve déjà chez Jean de Rodington) , sa pensée est pour
le fond identique à la leur.
21. C'est ainsi que Jean de Ripa évoque plusieurs fois un articulus Parisiensis condamnant
la thèse selon laquelle Dieu peut faire que ce qui est passé n'ait pas été : « Ex hoc sequitur
quod aliquod absolute preteritum est possibile nunquam fuisse : quod est articulus hic
dampnatus. » (Lectura super primum Sententiarum, Prol. , q. IV ; éd . A. Combes et F. Ruello,
t. 2, Paris, 1970, p. 223) . « Quod volitionem... possibile est non esse , ymo nunquam fuisse...
Hoc autem sine dubio est dampnatum » (ibid. , p . 224) . « ...A fuit, igitur antechristus
erit... signatum per antecedens est absolute necessarium , ex determinatione parysiensi »
(ibid. , p. 250) . Ces textes ont grandement embarrassé A. Combes (loc. cit.) , parce que
l'article ne figure pas dans la liste d'Hugolin. Or ce mystère (mineur) se dissipe grâce au
témoignage d'André de Neufchâteau , qui non seulement connaît l'article en question, mais
en donne le libellé exact : « Item in posterioribus articulis Parisiensibus sic dicitur : Quod
Deus potest facere omnem rem preteritam non fuisse, ut quod potest facere Magdalenam
non peccasse : error. » (In Ium Sent. , dist . 45 ; éd. de Paris, s. d . (vers 1514 ), f. CCXVIra).
22. Grégoire de Rimini, Super Jum Sent., dist. 42-44 , q. 2. Ed . de Venise , 1522 , f. 165v-168.
23. << Secundo arguit quidam doctor supra memoratus (in mg. Hibernicus) quod non
solum Deus posset dicere falsum, sed etiam alium per se directe fallere et decipere, quia om-
nem rem quam Deus potest facere mediante causa secunda, potest immediate per seipsum ... >>
(ibid. , f. 167rb).
24. « Nunc autem sequitur : Deus dixit alicui, v. g. Petro , A fore , et voluit Petrum credere
A fore ac in ipso causavit hujusmodi fidem vel assensum, et Petrus sic credidit et A non erit,
igitur Petro dixit Deus falsum et illi mentitus est ac eum fefellit. Et antecedens est possi-
bile... igitur consequens. » (ibid. , f. 167va).
25. Hebr. , VI, 18. Cf. Num. , XXIII, 19 : « Non est Deus quasi homo , ut mentiatur » (une
des autorités favorites de Bradwardine) ; II Tim. , II , 13 : « Negare seipsum non potest. ».
26. << Nemo autem dubitat mentiri eum qui volens falsum enuntiat causa fallendi ; qua-
propter enuntiationem falsam cum voluntate ad fallendum prolatam, manifestum est esse
mendacium . » (De mendacio , IV, 5 ) . Rapporté par Grégoire de Rimini, loc. cit. , f. 166ra.
27. « Ad hanc rationem video dupliciter responderi secundum dicta quorumdam doctorum
modernorum (in mg. Hibernicus in q. de revelatione, in resp . ad 3m ; Adam quoque in 30,
q. 5). Et primo quidem... dicendo quod illa diffinitio mendacii, quod est falsa significatio
14
210 J.-F. GENEST

cum intentione fallendi, debet intelligi de intentione deordinata fallendi, qualis in Deo
esse non potest. » (Grégoire de Rimini, loc. cit. , f. 166ra).
28. << Secundo potest dici quod accipiendo sic mendacium, videlicet pro falsa significatione
[cum intentione] fallendi precise sine pluri, consequens non est falsum loquendo de Dei
potentia absoluta, sed de ordinata tantum ; et sic intelligende dicerentur omnes auctoritates
Apostoli et Augustini. » (ibid. ).
29. « Si vero nulla predictarum viarum placeat, inveniatur alia melior. Et si invenire quis
non possit, potius judico confitendum esse ignorantiam, quam precipitandum se in tam
horrendam auribus fidelium sententiam, qualis est si dicatur Deum posse mentiri, aut dicere
falsum , aut decipere, cum omnis scriptura catholica canonis et sanctorum clamet oppositum »
(loc. cit. , f. 168ra).
30. Alphonse Vargas de Tolède, In Ium Sententiarum, dist. 42-44 , art. 2. Ed. de Venise,
1490 ; réimpr. anast., 1952, col. 636-637 , 641-644 .
31. Cf. supra, note 19.
32. Le nom de « Johannes Scotus » apparaît dans la lectura de Grégoire de Rimini au 1. II,
dist. 7 , q. 3 et 4 (éd. cit. , f. 57ra, « quidam socius » ; f. 64ra, « quidam valens bachalarius
mecum in lectura concurrens », etc.; éd . D. Trapp, t. 5 , Berlin - New-York, 1979, p. 121 , 162),
et dans celle d'Alphonse Vargas (col. 615) . Ce bachelier – Jean de Rate – devait faire une
brillante carrière (v. D.E.R. Watt, A Biographical Dictionary of Scottish Graduates to
A.D. 1410, Oxford , 1977 , p . 465-466 , et l'article de W. J. Courtenay et K. Tachau cité
plus haut, p. 55).
33. L'existence de cette détermination a déjà été notée par P. Glorieux , « Jean de Falisca.
La formation d'un maître en théologie au XIVe s. » , Archives d'hist. doctr. et litt. du
Moyen Age, t. 33 (1966) , p. 52-53 . Le texte s'en trouve dans le ms. lat. 16408 de la Bibl. nat.
de Paris, f. 194v- 195v : « Magister Johannes Scotus determinavit de illa materia, Utrum Deus
possit decipere aliquem. Probata sua conclusione quod non, quia nullis dictis Dei non aliunde
notis haberemus assentire indubitanter, removit duas soluciones... Una esset quod... dato
quod possit fallere, nunquam est ita quod fallet... Alia solucio est hec, quod potest de
potencia absoluta, non ordinata ... Secunda conclusio fuit quod de facto non decipit... >>
Pour l'attribution de ce cahier à Etienne Gaudet, v. Z. Kaluza, Thomas de Cracovie, Wroclaw,
1978, p. 84-94.
34. W.J. Courtenay, « John of Mirecourt and Gregory of Rimini on Whether God Can
Undo the Past » , II , Recherches de théol, anc. et médiév. , t. 40 (1973), p. 163.
35. A la fin de sa question, Pierre de Ceffons note en effet : « Advertendum eciam quod
ad illam auctoritatem : Seduxisti me, Domine, etc. , posset dici aliter... quod verba illa non
fuerunt Jeremie in persona sua, sed in persona Psassur, ...qui Psassur fuit falsus propheta... >
(Troyes, Bibl. mun. 62, f. 70ra). Cette exégèse de Jer. XX, 7, que Holcot récuse comme
aberrante, était l'invention d'un de ses socii, en qui H. Schepers a reconnu le franciscain
William Chitterne. Cf. Robert Holcot, In IIIum Sent. , q. 1 , art. 8 (éd. de Lyon, 1518,
fol . n . iii-iiii ) , et H. Schepers, « Holcot contra dicta Crathorn » , I, Philosophisches Jahrbuch,
t. 77 (1970) , p. 342. Pierre de Ceffons avait donc sous les yeux le livre de Holcot.
36. Sur l'identité de ce personnage, à qui il faut restituer les Questions contenues dans
le ms. 505 de la Bibl. mun. de Troyes, f. 84-109v (ancien Clairvaux L 29) , v. W.J. Courtenay,
<< The ' Sentences '-Commentary of Stukle » , Traditio, t. 34 (1978) , p. 435-438. L'argument
de Stuklee : « ex nulla lege obligatur non fallere brutum, quia tunc fallens brutum volens
invidere peccaret » (Troyes, Bibl. mun. 505 , f. 103ra) a très vraisemblablement inspiré à
Pierre de Ceffons ses développements sur les ruses des chasseurs : « Quod autem decipere et
decipi possit esse sine peccato, patet, quia justus homo potest scienter decipere serpentem >>
etc. (Troyes, Bibl. mun. 62, f. 68rb-68va).
37. « Qui vellet glosare Augustinum diceret quod Augustinus non negare intendit quin
Deus possit aliqua facere ex quo sequitur quod tu decipieris et credes falsum ... Sed ista
responsio non videtur mihi scientifica, nec videtur bene salvare totaliter mentem Augustini.
Ideo brevius diceretur quod Augustinus fuit illius opinionis, et oppositum tamen aliquorum
dictorum Augustini est probabile. » (Troyes, Bibl. mun. 62, f. 69ra).
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 211

38. A propos de la q. 53 du De diversis quaest. LXXXIII : « Ex quibus patet quod Deus,


saltim per angelum, decipere potest. Sed, ut videtur, quidquid potest per angelum, potest
et per seipsum, et quidquid dicere videatur Augustinus ; ergo etc. » (f. 68va).
39. << Idem est facere per alium et mandare alium quod faciat, seu facere alium facere et
facere per seipsum. Et eciam scribitur : Qui facit per alium, per se facere videtur. » (f. 69ra).
Cf. Sext Decretal. , lib. V, tit. XII, De regulis juris, Reg. LXXII (éd. Friedberg, Corpusjuris
canonici, Leipzig , 1879-1881 , t . 2 , col . 1124) .
40. « Diceretur ulterius quod Augustinus nunquam efficaciter probavit quin aliquis justus
possit juste asserere in casu quod scit falsum esse, aut saltim quin possit asserere aliquid
quod a viris sollemnibus reputaretur mendacium, seu dicere contra mentem. » (f. 69ra).
41. << Diceretur ulterius quod multocies justus homo potest dicere et facere multa scienter
ex quibus scit quod talis vel talis decipietur. Unde si fieret ita quod multi malivoli vellent
occidere patrem tuum et matrem tuam, et destruere Christianos, et multa talia perpetrare,
et quereretur a te : Ubi est talis ? puta de patre et matre, falsum posses dicere patremque
tuum liberare a discrimine mortis. Cur non liceret ? Cur non potes dicere falsum illis qui
meruerunt quod decipiantur et quod eis dicantur falsa ? » (f. 69ra).
42. « Item quia justi homines possunt aliqua facere ex quo sequitur quod talis decipietur,
scientes eciam quod talis decipietur. Unde cur non posset Christus transsubstanciare panem
in corpus suum, te vidente panem et continue asserente et credente quod hoc est panis ? >>
(ibid.).
43. « Quia malus homo meruit ut fallatur a justo viro cui inimicatur, et sic licitum est
pugnare contra malos per astucias et cautelas, et licitum est eos decipere per apparencias
sophisticas. Vide in Vegecio, De re militari, et in Sexto Julio Frontino, et in libro qui dicitur
Strategemata, et in Tito Livio et in multis aliis. Et quod licitum sit pugnare per cautelas et
per insidias, patet de filiis Israel : vide libros Moysi et Josue... » (f. 68va).
44. << Quod autem decipere et decipi possit esse sine peccato, patet, quia justus homo
potest scienter decipere serpentem aut aliquod volatile seu brutum, ut patet de illis qui
capiunt elephantes, et vide in Solino, De mirabilibus mundi, aut in Proprietatibus rerum,
si magis velis... » (f. 68rb-68va).
45. « Et si dicatur quod non est decepcio proprie, quia animal irracionale non deliberat
nec judicat, illud diceretur non valere, quia constat quod irracionale animal judicat comple-
xe vel quasi equivalenter, unde brutum habet memoriam et estimacionem, aut instinctum,
secundum Philosophum, et estimat de aucupe capiente volucres quod sit avis civilis de voce
etc. (...) Et confirmatur, quia animalia mutuo se decipiunt et tamen non peccant quod se
mutuo fallant : vide in Philosopho, Solino, et vide in Exameron de fraudibus polipi secundum
beatum Ambrosium, nota de vulpe et ceraste qualiter fallunt aviculas, et tamen non peccant,
quia non tenentur non fallere. Sed Deus eciam non tenetur non fallere ; quare etc. » (f.68va).
46. « 30 Quia homo est totaliter subjectus Deo. Cur ergo non potest ei facere credere
verum vel falsum, sicut ei placuit ? « Annon potest figulus ? » etc. Et ad Romanos, 90 :
<< Numquid figmentum ? » etc. » (ibid.).
47. « Et iterum, quia, esto quod falsum esset illud quod Deus dicit, si tamen precipiat
mihi quod assenciam illi et neget mihi illud esse falsum mineturque nisi assenciam et promit-
tat (cod. permittat) me esse justum si assenciam illum, [ cur] non assentirem, verum sit an
falsum : quia sive sit, sive non sit falsum, quid ad me ? Sufficit mihi quod credam firmiter
sic esse. » (f. 68vb).
48. << Unde sive sit verum, sive sit falsum quod Abraham ymmolaturus esset filium, si credi-
dit tamen quod Dominus hoc volebat, quid ei nocuit ? Et adverte quod nihil ad me utrum
illud cui jubeor assentire sit verum aut falsum. » (ibid. ).
49. Robert Holcot, In IIIum Sent. , q. 1 , art. 7, de facto Abrae, Gen. XXII , an videlicet
Abraam credidit absolute quod debuit immolare filium suum in rei veritate (éd. cit. , fol.
n. ii- iii). V. la conclusion : « ideo dicendum quod absolute credidit quod debuit immolasse
filium suum et quod Deus voluit eum erronee credere hoc, ut ostenderetur mundo maxima
fides et obedientia sua Deo. » (fol. n.ii, v, col. 2). Au cours de la discussion, Holcot prend
les textes dans leur sens obvie et fait preuve d'un sens critique remarquable pour l'époque.
212 J.-F. GENEST

50. Cf. In Jum Sent. , q. 1 , ad 5um principale : « Non habendo respectum ad auctoritatem
(Anselmi), sed ponderando propositionem que infertur pro inconvenienti, videlicet quod homo
posset mereri per fidem falsam, concedo eam. Homo enim volendo credere certam proposi-
tionem, que precipitur esse credenda et est falsa, potest mereri ; nec pertinet ad meritum
fidei utrum sit vera an falsa, sed hoc per se pertinet ad rationem meriti fidei, quod volun-
tarie credatur sicut Deus vult credi. Posse autem Deum precipere aliquod falsum credi, non
est dubium. Similiter de facto videtur quod Abraam crediderit filium suum interficiendum
et se filium interfecturum. » (éd. cit. , fol. h, col. 2).
51. « Si potuit dicere falsum, potuit eciam per prophetas et majores Ecclesie, et adhuc
potest per majores Ecclesie, ad quos spectat determinare quid spectat ad fidem, dicere
falsum. Et per consequens licitum poterit esse cuilibet dubitare de omni determinacione
Ecclesie et dicto Scripture... Sed ad hanc confirmacionem dicerent alii de alia opinione
quod non oportet illud quod isti inferunt. Nam, esto quod Deus dixisset falsum in uno,
non sequitur quod nihil auctoritatis maneat etc. » (f. 69ra).
52. << Cum eciam dicitur quod Deus posset obligare ad credendum contradictoria...diceret
tibi ulterius : Non efficaciter improbas consequens. Nam multi dicunt quod Deus potest
obligare creaturam suam, si ei placeat, ad impossibile illi creature, quia si sua est creatura,
unde, sicut figulus habet vas ei subjectum, sic Deus creaturam suam... Et sicut tu potes
quodammodo obligare equum tuum ad impossibile, ... quod si equus non faciat, tu verbe-
rabis equum, aut occides eum sine hoc quod pecces in equum, aut sine hoc quod figulus
peccet in vas suum, sic adhuc plus, dicerent aliqui, de Deo. » (f. 69rb).
53. « ...Multi dixerunt quod esto quod Deus posset dicere falsum, non tamen qualiter-
cumque posset ea asserere vel precipere etc. , nec omne falsum posset Deus asserere, licet
aliquod et aliquod non ; et assignaretur racio de uno que assignaretur de alio. » (ibid.).
54. Pierre d'Ailly , In Ium Sent. , q. 12, art. 3 , dubitatio 3a, Utrum Deus possit rationali
creature falsitatem dicere vel eam decipere, ad rationes alterius opinionis : « Concesso quod
homo non possit teneri ad impossibile et quod non possit ambobus contradictoriis assentire,
consequenter dicendum est quod Deus non posset illud preceptum dare, ut patet, etc.;
ideo ratio non valet. » (Ed. de Strasbourg, 1490, JJ, in fine).
55. « ... Dicerent quod Deo est credendum, quia esto quod possit asserere falsum, quia
tamen de facto non asseret, nec obligabit nos ad credendum falsum, ideo sibi creditur, et
maxime quia in hiis que sunt fidei non vult dicere falsum ; ideo etc. Unde et multocies credo
firmiter homini de quo scio quod potest dicere falsum, sed tamen quia consuevit esse
verax, quando dicit mihi aliquid, statim assencio sibi. » (f. 68vb).
56. A propos de l'argument : « tunc Deus non esset credendus » : « Et adverte quod
diceret adversarius quod illud argumentum modicum convincit. Nam si convinceret, conclu-
deret quod omne revelatum a Deo necessario eveniet ; quia, dicit adversarius, si Deus dicere
posset falsum, ei non esset credendum, ita dicam tibi : Si resurreccio possit non evenire , non
tamen de facto ita erit. Similiter, esto quod Deus, dicendo quod resurreccio erit, possit me
decipere, non tamen de facto decipiet me. Posset ergo dici quod eque concludunt non posse
non evenire que Deus predixit, sicut Deum non posse astruere falsum. » (f. 68vb).
57. J.-F. Genest, « Le De futuris contingentibus de Thomas Bradwardine » , Recherches
augustiniennes, t. 14 (1979), p. 258-260, 263-265.
58. Robert Holcot, In Ilum Sent., q. 2, art. 8 : « Ad quartum concedo quod modo est
in potestate mea facere sic aliquem mortuum ante centum annos fuisse prophetam. Iste
terminus ' propheta ' est terminus connotativus cujus significatum est aliquid predicens
verum , et planum est quod si de me aliquis predixit aliquid me facturum, cum possum
facere et non facere libere, consequens est quod possum facere eum fuisse prophetam et
non fuisse prophetam , quia possum facere quod ipse dixerit verum aut falsum. » (Éd. cit.,
fol. i. viii, col. 2).
59. Le tableau le plus complet (et la critique la plus mordante) de ces solutions se trouve
au livre III du De causa Dei, chap. 33-49 (éd. H. Savile, Londres, 1618 , p. 758-808).
60. << Ad 15um ... Et idcirco dicerent aliter quidam, aut saltim quondam dixissent, quod
quidquid Christus asseruit aut juravit, necessario eveniet. Sed contra illud potest argui, quia
PIERRE DE CEFFONS ET L'HYPOTHÈSE DU DIEU TROMPEUR 213

tunc, cum dixit Petro : « Ter me negabis » , sequitur quod Petrus non potuit non negare et
sic necessario peccasset Petrus... Et si dicat [ur] , quod quidam videntur dixisse, quod Deus
nihil revelat nisi condicionaliter... ipsos videtur posse argui, quia innuunt, secundum verba
sua, quod Christus sive Deus nunquam aliquod futurum contingens absolute revelavit. Sed
illud videtur esse falsum, quia Deus scit omnia futura contingencia absolute et sicut scit,
ita potest dicere ipse. Et similiter..., videtur quod Christus multa predixit que scribuntur
in Evangelio, et tamen nulla condicio adicitur, sed sine condicione multa predixit. » (f.69vb).
61. Cf. De causa Dei, III , 41 : Recitat diversos modos secundum diversos videndi in Verbo
(p. 783-785).
62. « Et propter hoc est alius modus dicendi illorum qui tenent quod preteritum non
potest non fuisse preteritum, quod Deum revelasse Antichristum esse futurum dependet
de futuro . Unde solitum est dicere quod omnia futura contingencia cognovit Deus ab
eterno esse futura eo modo quo sunt futura. Et sic, quando aliquis in Verbo videt aliqua
esse futura..., adhuc est contingens an illa futura sint revelata vel visa in Verbo ; immo
stat quod possint non esse visa et quod hec sit possibilis : Talia non sunt visa. Eodem modo
diceretur quod si Deus juret ac promittat, contingenter promittit et contingenter jurat.
Sic de beatis diceretur, qui vident in Verbo futura, et maxime de Christo qui fuit Deus et
homo, qui Christus quantum esse ad animam scivit in Verbo futura contingencia et con-
tingenter scivit illa. Sic correspondenter voluit et ea esse futura asseruit. » (f. 69vb). Cf.
Thomas de Buckingham, In Sent. , q. 3 , art. 1 , ad 1um (éd . de Paris, 1505 , fol. f. iiii) .
63. << Sed contra seipsum obicit (unus, scil. Buckingham) quod Christus potuit aliquid
scire per cognicionem in proprio genere, et secundum illam cognicionem voluisse et pronun-
ciasse. Et stat argumentum... Respondet dicendo quod Christus non potuit aliquid asserere
nec velle aliquid nisi per cognicionem quam habuit in Verbo . » (f. 69vb) . Cf. Thomas de
Buckingham, loc. cit. Cette réponse valut à Buckingham d'être accusé par Bradwardine
de mutiler l'humanité du Christ (De causa Dei, III , 45 , p . 790).
64. << Sed adhuc videtur mihi quod illud non evacuat totam difficultatem , quia revelet Deus
Sorti, et non in Verbo, quod Antichristus erit. Tunc Sortes hoc credet. Ponatur quod nun-
quam eveniet : tunc Christus istum decepit. » (f. 69vb).
65. Grégoire de Rimini, éd. cit. , f. 168ra, Ad tertium.
66. Voir supra, note 21.
67. << Si teneatur quod res preterita potest per divinam potentiam non fuisse , diceretur
possibile esse ut Deus nunquam illud dictum vel illud assensum causaverit ... Si hoc vero
non teneatur, [diceretur] sicut aliqui antiqui doctores dixerunt, quod possibile est illud
dictum non fuisse significativum, aut non illius significati quod est A fore, et similiter
assensum alterius non fuisse assensum seu judicium de A fore, sicut etiam dicendum esset
quod judicium quo judico Petro sedentem sedere, si conservaretur in me a Deo postquam
Petrus surrexit, non esset judicium quo judicarem Petrum sedere. » (Grégoire de Rimini,
loc. cit.).
68. Troyes, Bibl. mun. 62 , f. 69vb.
69. << Item Antissiodorensis, 30 suo, q. Utrum fidei possit subesse falsum. (...) Visio
tamem que est fides, visio similiter que est prophecia, et visio creata que videt futura, quia
sunt immediate a prima luce , que est Deus, ideo in hoc assimilantur prime luci, quia sicut
prima lux, eadem visione numero qua videt aliquid futurum, potest videre ejus oppositum,
propter indeterminatam veritatem ipsius, sic visio creata que est a prima luce. » (f. 69vb).
Cf. Guillaume d'Auxerre, Summa aurea, lib. III , tract. III , cap. 2 , q. 3 (éd. de Paris, 1500,
f. CXXXV v) .
70. << Dicunt eciam quidam quod noticia intuitiva potest esse, et non esse noticia illius
cujus prius fuit. Unde quidam magister hujus studii tenens quod nullus potest a Deo decipi
arguit contra se ; postea solvit . Arguit enim sic : « Deus potest immediate causare in aliquo
noticiam veram de aliquo contingenti complexo ; ergo potest in eo causare errorem... Verbi
gracia, si Deus revelaret alicui quod papa sedet et causaret in eo assensum quo ita crederet et
assentiret, si papa surgente illum continuet, sicut potest, assensus qui fuit veredicus fiet
error ; igitur Deus continuando illum errorem decipiet eum in quo fuit assensus. » Et hoc
214 J.-F. GENEST

argumentum suum solvit dicendo : « Ad ista respondeo negando consequenciam. Ad proba-


cionem...potest dici, et posito casu quod Deus illum assensum causaverit et continuet postea,
re mutata : noticia, que primo fuit assensus, non erit error, nec fiet sibi error, quia non
remanebit assensus illius cujus primo fuit. » Sed vult quod fiet ejusdem complexi dissensus,
vel saltem non erit assensus vel dissensus. (...) Sed contra solucionem sunt multa dubia.
Primo, noticia simplex , intuitiva vel abstractiva, non potest non esse noticia illius cujus est
noticia, ipsa remanente in anima ; igitur nec noticia que est assensus vel judicium potest
non esse judicium vel assensus, ipsa remanente in anima. » (f. 69vb).
71. << Ad omnia diceretur consequenter quod sensacio, et universaliter noticia intuitiva
vel abstractiva, potest non esse noticia illius cujus fuit... Si hec vel illa non causetur ab
anima, sed a Deo totaliter, vel aliunde extrinsece, et ipsa posita in anima non erit noticia
illi anime, secundum multos doctores ... // Et secundum hoc oporteret dicere quod Deus nec
assensum nec dissensum, nec volicionem nec nolicionem posset causare in anima totaliter
ex se solo... sicut nec Deus se solo posset causare radium solarem, quia implicatur contra-
diccio quod esset radius solaris et non a sole. Posset bene tamen rem absolutam causare, que
est radius solaris. » (f. 69vb-70ra).
72. La même opinion continuait à avoir cours au temps de Pierre d'Ailly, qui, pour la mê-
me raison que Pierre de Ceffons, la juge insoutenable : « Secundum illos qui ponunt quod ad
hoc quod aliquid sit noticia intellectui requiritur quod sit ab eo effective, illud quod est noti-
cia potest desinere esse noticia sine deperditione alicujus rei, scilicet si conservaretur a solo
Deo et non ab intellectu creato. Et per consequens, sicut talis noticia potest fuisse a tali
causa, ita potest non fuisse talis objecti, vel potest simpliciter non fuisse noticia, absque hoc
quod concedatur quod aliqua res preterita possit non fuisse » . (I sent. , q. 12, art. 3 ; éd.
cit., T). A quoi Pierre d'Ailly répond : « Dico quod, sive ex hoc evidenter sequatur preteri-
tum non fuisse, sive non, tamen eque faciliter sustinebitur preteritum non fuisse sicut istud,
ut patet intuenti. » (ibid., X).
73. << Ideo dicunt aliii quod assensus de sic esse potest nunquam fuisse assensus de sic esse,
sed potest fuisse assensus oppositi, eciam assensus creati. Et tamen dicunt eciam quod si
linea fuerit curva, non est possibile quin ipsa fuerit curva... Hanc solucionem admittunt mul-
ti magne auctoritatis, contra quos eciam non liceret hiis diebus arguere, et alias soluciones
repudiant... Et licet illa responsio aut aliqua dicant que transcendunt limites comprehensionis
mee, tamen, quia communitas sic admittit, non presumo arguere contra illam. » (f. 69vb).
74. « Per hoc patet ad 2um, quod justi pugnantes per insidias // non menciunt nec dicunt
aliquod falsum asserendo etc. » (f. 69rb-69va).
75. Dieu a parlé à Abraham à l'impératif, c'est-à-dire à un mode échappant à l'alternative
du vrai et du faux : « Ad 5um dico quod Deus nullum falsum asseruit Abrahe. Unde : « Tolle
filium tuum quem diligis » non erat falsum etc. Imperativa enim oracio etc. » (f. 69va).
76. « Ad 3um dico quod esto quod homo sit totaliter subjectus Deo, non oportet tamen
quod Deus possit eum fallere, quia hoc repugnat summe bonitati. » (f. 69va).
77. << Item quia Deus est veritas per essenciam, igitur non potest falsum assere. » (f. 69rb).
La première partie de la formule est tirée de la Glose ordinaire, in Num., XXIII, 19 .
78. Jean de Ripa, Lectura super [um Sent. , Prol. , q. IV, art. 3 : « Sed ad istam respondeo,
et dico primo quod evitatio articuli de possibilitate preteritionis, quamvis sit ratio a poste-
riori probans premissam conclusionem, tamen fateor quod ipsa non multum me movit,
sed potius alie rationes innumere... » (éd. cit., t. 2, p. 255-256). L'articulus de possibilitate
preteritionis est évidemment celui que cite André de Neufchâteau.
79. H. Denifle, Chartularium ..., t. 3, 1894 , p. 21-23, nº 1218.
80. Ibid. , p. 22, art. 6.
81. Ce qu'a bien vu Pierre d'Ailly : « Sed cum reverentia dico quod si ponatur quod prete-
ritum non potest non fuisse, nulla predictarum viarum est sufficiens, nec est alia dabilis,
quin oporteat dicere quod argumentum concludit verum, scilicet quod Deus potest falsum
dicere et decipere, sicut prima opinio ponit ; ita quod oportet dicere, vel quod preteritum
potest non fuisse, vel quod Deus falsum potest dixisse, nec est dare medium. » (loc. cit. ,
FF , in fine).
TROIS THÉOLOGIES POSSIBLES , DEUX THÉOLOGIES PROBABLES
DE LA SANCTIFICATION ET DE LA GLORIFICATION
SELON JEAN DE RIPA

Francis RUELLO

Dans sa Lectura super primum Sententiarum (Prologue et commentaire


des distinctions XIV-XVII) , ainsi que dans ses Determinationes¹ , Jean de Ripa
présente trois façons de concevoir la glorification de l'esprit humain dans la patrie ,
auxquelles correspondent trois façons de concevoir sa sanctification alors qu'il
chemine vers sa béatitude . Sur ces deux points , le Maître franciscain s'oppose ,
en un sens qu'il conviendra de préciser, à l'opinion communément reçue .
Jean de Ripa défend sur la glorification les thèses suivantes :

1) l'essence divine peut être pour un intellect créé connaissance théologique


béatifique de sa nature immense2 ;
2) seule l'essence divine peut être connaissance béatifique théologique de
l'intellect créé3 ;
3) seule l'essence divine peut être pour l'intellect bienheureux connaissance
formelle de tout ce qui brille en elle4 ;
4) présente à l'esprit comme objet de connaissance sous n'importe quelle raison
qui lui est intrinsèque , l'essence divine est connaissance théologique béati-
fique suffisante de sa nature immense5 .
Enoncées ici sous forme positive , chacune de ces thèses est formulée de
telle sorte que la recherche entreprise se situe au plan du possible et non au plan
du réel : Utrum divina essentia possit esse... Utrum sit possibile absolute... etc.
L'investigation ripienne porte donc sur la possibilité qu'a l'essence divine d'être,
pour la créature raisonnable dans la patrie, connaissance formelle et béatifique
de sa propre nature et des vrais qui brillent en elle , c'est-à-dire sur sa possibilité
d'être dans la patrie lumière formelle de gloire , espèce béatifique de la mémoire
bienheureuse , vision béatifique de l'intelligence créées , connaissance infaillible
des vrais contingents9 . Il pose donc la question de savoir si l'essence divine
peut être la béatitude incréée de la créature raisonnable .
L'école commune des docteurs théologiens d'alors soutient que la récom-
pense formelle béatifique est une essence créée 10 ; que « de fait (c'est-à -dire en
réalité, certainement , véritablement) tout catholique doit professer que l'essence
216 F. RUELLO

divine n'est pas la béatitude formelle de la créature » . Cette formule est rappor-
tée par Jean de Ripa lui-même dans ses Determinationes et elle est attribuée à
son maître , le franciscain Ascensius de Sainte Colombe . Celui-ci va même jusqu'à
soutenir que si l'on rejette cette thèse , on est <« hérétique » . Il s'agit pour lui
d'une << vérité de la foi catholique » et il en est persuadé à ce point qu'il assure
pouvoir le justifier d'une façon indubitable (inconcusse probare), en suivant,
dit-il, les voies que l'on emprunte habituellement pour établir les vérités de
cette sorte . Ces voies sont au nombre de dix : autorités de l'Écriture canonique ,
déterminations de l'Église , articles de foi, tradition commune de l'Église , rejet
explicite par décret de ceux qui soutiennent l'opinion opposée , docteurs authen-
tiques de l'Église , raisons fondées sur ce qu'ils ont dit et sur ce qu'ont dit d'autres
docteurs authentiques, approbation de l'école commune, raisons personnelles
efficaces et , si lui-même Ascensius était saint, confirmation par des miracles11 .
L'évocation de l'école commune qui ratifie sa propre thèse montre à l'évidence
que la thèse ripienne n'est pas celle de cette école et des maîtres qui la compo-
sent ; elle professe et ils admettent que l'essence divine n'est pas la similitude
(ou la species) de son être propre pour la créature , que cette similitude est en
revanche sola forma creata » 12. Jean de Ripa rend à son lecteur l'immense
service de transcrire l'argumentation de ce maître de l'école commune : il expose
ses << raisons » 13 , les autorités scripturaires qu'il évoque 14 , celles qu'il cite selon
l'interprétation d'Augustin 15 , certains textes de celui-ci16 , d'Ambroise et de
Grégoire 17. Nous sommes ainsi renseignés sur la thèse fondamentale de l'école
commune en la matière et sur son argumentation .
Mais de celle -ci on peut également se faire une idée par la manière dont
Jean de Ripa procède dans les objections qu'il formule contre ses propres thèses
de possibili18 . Si ces objections ne sont pas textuellement empruntées à des
théologiens de l'école - nulle part Jean de Ripa ne dit qu'il cite - leur pertinence
dialectique suppose leur conformité à l'esprit de l'école elle-même . Il est aisé
de voir que Jean de Ripa pense constamment aux théologiens de l'école commune
dans l'ensemble de son Prologue 19. On peut même avancer l'idée que selon lui
les théologiens parisiens, ses contemporains, s'entendraient avec Pierre Lombard ,
auquel il entend personnellement rester fidèle , s'ils distinguaient l'information
de l'immutation , une même forme , fût-elle divine , pouvant immuter une puis-
sance, c'est-à -dire lui être unie intentionnellement à titre d'objet, sans l'informer,
c'est-à -dire sans lui communiquer son être20. Il s'agit là d'une vérité absolument
première en théologie et en philosophie , au moins aristotélicienne21 .
L'école commune des théologiens parisiens rejette en réalité deux façons
de concevoir le rôle de l'essence divine dans la glorification de l'esprit créé et
donc dans sa béatitude . On peut, en effet, imaginer d'abord que seule l'essence
divine est cette béatitude . La première question du Prologue : « Utrum divi-
na essentia possit esse de immensa natura intellectui creato notitia theologia
beatifica >> 22 ne concerne que l'essence divine . Elle aurait pu être ainsi posée :
<«< Utrum sola divina essentia ... ». C'est la raison pour laquelle Jean de Ripa
par la suite demande : « Utrum sola divina essentia possit esse intellectui creato
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 217

notitia theologica beatifica » 23 , « Utrum sola divina essentia sit omnium relucen-
tium verorum in ipsa intellectui beato formalis notitia » 24. On trouve donc dans
le texte de Jean de Ripa de tels énoncés de «< conclusions » : « < Seule l'essence
divine peut être dans la patrie lumière formelle béatifique de l'intellect créé » 25 ,
<< Seule l'essence divine peut être dans la patrie lumière formelle qui élève
l'intellect de façon suffisante pour qu'il puisse accéder à l'inaccessible visibilité
divine »26. L'essence divine seule , c'est-à-dire à l'exclusion de toute autre forme
- c'est-à-dire de toute forme créée - peut donc être la béatitude formelle de
l'intellect bienheureux .
C'est une première manière d'expliquer la glorification de l'esprit. Mais
l'on peut dire également que si « l'essence divine seule peut être dans la patrie
lumière formelle élevant l'intellect de façon suffisante pour qu'il puisse accéder
à l'inaccessible visibilité divine », il peut toutefois exister une lumière surnaturelle
autre que l'essence divine disposant la mémoire créée à l'inaccessible vision
divine ou à la gloire27 , de telle sorte que l'essence divine est à titre principal
la béatitude formelle de la créature à titre instrumental28 .
C'est une seconde manière d'expliquer la glorification de l'esprit ; Jean de Ripa
s'attache à faire apparaître combien elle est fondée en raison . En fait, elle ratta-
che le concept de béatitude formelle à l'essence divine agissant seule à titre
principal et, non moins que la précédente , elle ne peut satisfaire l'école commune
selon laquelle et d'après les termes d'Ascensius « l'essence divine n'est pas
la béatitude formelle de la créature , car l'espèce de l'essence divine ou la raison
de la voir est seulement une forme créée »29, selon laquelle « la récompense
formelle béatifique est une essence créée » 30. Il y a donc une opposition com-
plète entre Jean de Ripa et Ascensius de Sainte Colombe , en un sens porte-parole
de l'école commune .
On disait au début qu'à cette théologie de la glorification correspondait
une théologie de la sanctification . En l'une comme en l'autre , apparaissent donc
des divergences entre Jean de Ripa et l'école commune . Le parallélisme de ces
théologies est mis en évidence dès le Prologue . Afin de montrer que toute qualité
qui est une opération vitale peut être dans un rapport d'immutation avec sa puis-
sance vitale sans être aucunement avec elle dans un rapport d'information ,
Jean de Ripa explique d'une façon générale qu'en une quelconque puissance
vitale créée le pouvoir d'être informé ( informabilitas) n'est pas identique à celui
d'être perçu (perceptibilitas) et que ces deux pouvoirs ne sont pas ordonnés
l'un à l'autre : ainsi le premier rapport peut-il exister sans le second et récipro-
quement. Il ajoute : « L'essence divine est perception vitale habituelle pour
une volonté créée , sans être pour elle de quelque manière que ce soit déité ,
entité formelle par communication de son être a fortiori, cela est-il possible
de n'importe quelle qualité créée qui est perception habituelle de ce dont elle
n'est pas l'entité par communication d'être >> .
Selon Augustin, en effet, et cela prouve l'antécédent de l'argument
l'Esprit Saint est la charité de la créature dans sa sanctification³1 ; à l'exception
de l'humanité assumée par le Verbe , il n'est donc pour aucune créature déité par
218 F. RUELLO

communication de son être , il n'est donc d'aucune manière entité formelle ;


s'il en était autrement, la créature serait de par cette union Dieu même , ce qu'il
est hérétique de soutenir, sauf s'il s'agit du Christ 32 .
Lorsque Jean de Ripa, traitant de la glorification , ajoute que si les docteurs
théologiens acceptaient la doctrine augustinienne telle qu'il l'interprète , il pour-
rait n'y avoir entre eux et Pierre Lombard aucune divergence , il montre que
l'option d'une certaine théologie de la sanctification entraîne une option iden-
tique en théologie de la glorification . « On ne peut nier, en effet, d'aucune
façon que l'Esprit Saint pénètre l'âme par son essence (per suam essentiam
illabatur) que lui-même soit donné (sit donum), dans la sanctification de la créa-
ture, que par cette pénétration à l'intime d'elle-même (per talem illapsum)
la créature soit surnaturellement élevée et actuée , qu'enfin un tel illapsus soit
possible sans l'octroi d'un quelconque don créé, que par conséquent une muta-
tion et une actuation nouvelle de la créature , sans production de quelque chose
d'absolu , soit possible par le seul illapsus de l'Esprit Saint.
Or en une telle sanctification , celui-ci n'est d'aucune manière l'entité
formelle de la créature par communication de son être essentiel et notionnel33 .
S'il s'agit de ce type de sanctification , on dira donc que dans le Saint Esprit
existe un rapport de perception vitale , par exemple habituelle , à la volonté
créée , sans une quelconque communication de son être ou sans information ;
en raison de quoi il est, par gratification et union vitale avec Dieu , la charité
de cette volonté sans en être la déité ou l'entité formelle34 . On voit que, s'il
s'agit de la glorification , l'essence divine pourra être connaissance formelle béa-
tifique de la créature par une immutation vitale qui ne s'accompagne d'aucune
information35 .
Jean de Ripa affirmera encore le parallélisme des deux théologies dans
sa Note préalable à sa recherche sur la possibilité pour l'essence divine d'être ,
seule , la connaissance théologique béatifique de l'intellect créé36 et sur la pos-
sibilité absolue pour deux conséquences béatifiques d'une même puissance
d'être spécifiquement diverses et d'être cependant récompenses formelles de
cette même puissance37 .
Les commentaires des distinctions 1 et 17 du premier livre des Sentences
soulignent également le parallélisme des théologies de la glorification et de
la sanctification . « Avant d'expliquer cet article : ' Seule l'essence divine peut-elle
être fruition béatifique de la volonté créée ? , j'annonce ceci : Mes conclusions
peuvent être inférées de la façon dont Augustin affirme que non seulement dans
ses effets, mais en sa substance , l'Esprit saint est le don accordé à la volonté
créée . Pierre Lombard soutient la même opinion . L'un et l'autre doivent donc
dire que Dieu est la fruition béatifique dans la patrie. Si en effet , dans la sancti-
fication de la créature , la substance de Dieu pénètre à l'intime de la créature
et est le don même qu'elle reçoit , si , d'autre part, aucun autre don que la charité
n'est octroyé, ... combien plus en sera-t-il dans l'union béatifique où , autant et
même davantage , Dieu se rend intimement présent à la volonté créée . Quiconque
concède le premier point doit concéder le second , s'il accepte qu'un don soit
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 219

accordé à la volonté créée . Or dans la patrie , la vision béatifique élève la volonté


et l'unit à l'objet béatifique de la même façon que l'élève vers cette vision et
l'unit à cet objet le don qui lui est accordé in via. L'essence divine est donc
fruition béatifique dans la patrie . J'affirme constamment qu'il faut ou bien nier
le premier point ou , si on l'accepte , concéder le second . »38 .
<< Quiconque admet que seul le don incréé rend intrinsèquement digne
-au plan du mérite - la volonté créée , doit admettre en conséquence la seule
récompense incréée - au plan de la récompense formelle . Quiconque admet
que le don incréé et le don créé rendent la volonté intrinsèquement digne de
la récompense, doit , de façon correspondante , admettre dans l'ordre de la récom-
pense une béatitude incréée et une béatitude créée . Quiconque admet le seul
don créé , doit admettre de façon correspondante , comme récompense formelle ,
seulement une récompense créée . » 39 .
Traitant du rapport entre l'élévation de la volonté dans la patrie par la
fruition béatifique et son union à l'objet béatifiant, Jean de Ripa la met en
relation avec le don qui lui est accordé alors qu'elle chemine vers cet état et
la présente de telle sorte qu'il y a correspondance entre la théologie de la glori-
fication et la théologie de la sanctification . Il dit , en effet , « voluntas in patria
aeque per fruitionem beatificam elevatur et unitur objecto beatifico sicut per
aliquod donum sibi collatum in via. »40. Il en ressort que dans l'ordre de la glori-
fication , à la béatitude incréée in patria répond la gratification incréée in via, à la
béatitude incréée et créée in patria répond la gratification créée et incréée in via,
à la béatitude créée in patria répond la gratification créée in via. On ne doit donc
pas s'étonner si les commentaires des distinctions XIV-XVII du premier livre
des Sentences répondent aux articulations essentielles du traité sur la béatitude
qui correspond aux cinq premières questions du Prologue.
On trouve en effet dans ces distinctions l'énoncé des trois thèses possibles
sur la sanctification . La distinction XIV fait apparaître que l'Esprit Saint peut
être dit charité ou amour formel de la créature . La procession temporelle de
l'Esprit Saint , y est-il dit , n'est pas une production ou une action réelle4¹ , mais
l'union qui s'établit entre lui et l'esprit est proprement personnelle42 et elle est
telle que , d'une part , l'essence divine peut être dans le seul Esprit Saint le terme
formel de cette union43 , d'autre part que l'union de l'Esprit Saint à l'esprit n'est
pas une information intrinsèque de l'esprit par l'Esprit Saint44 , mais une immu-
tation vitale 45 , habituelle dans la vie présente , de l'esprit créé par l'Esprit Saint46 ,
si bien que , par la force même de cette immutation , l'Esprit Saint peut être dit
la charité ou l'amour formel de la créature , en ce sens que par l'illapsus formel de
l'Esprit Saint la fin ultime est intentionnellement présente à la volonté créée , par
l'agrément dont elle bénéficie ; que , par ce même illapsus , la volonté créée est
vitalement immutée en tant seulement que puissance potentiellement immutable
et que, par conséquent, dans cet illapsus formel , l'Esprit Saint devient la charité
formelle et habituelle de la volonté , de telle sorte que c'est pour lui identique-
ment la même chose d'être formellement présent à l'esprit par la sanctification
et d'être la charité habituelle par laquelle l'esprit aime Dieu47 .
220 F. RUELLO

C'est la thèse d'Augustin et de Pierre Lombard selon laquelle l'Esprit Saint


est donné en sa substance et non seulement en ses dons à la créature qu'il s'agit
de sanctifier, donné comme charité habituelle gratifiant intrinsèquement la
créature non par information , mais par immutation vitale , sans que l'action de
la charité créée soit nécessaire à la sanctification48 .
Au cours de son commentaire de la distinction XVI , Jean de Ripa envisage
la double intervention de la charité incréée qui est, on l'a vu, l'Esprit Saint-
et de la charité créée dans la sanctification. Il pose en effet cette question :
<< La créature raisonnable est-elle naturellement sanctifiée intrinsèquement par
le don de la charité incréée avant de l'être par le don de la charité créée ? » .
En fonction des objections qu'il soulève contre cette double intervention abou-
tissant à montrer d'une part que si la charité incréée joue un rôle , la charité créée
n'en joue aucun49 , d'autre part que si la charité créée joue un rôle , la charité
incréée gratifie plus parfaitement et plus principalement qu'elle-même et qu'elle
n'est alors qu'une disposition préalable et une forme instrumentale par rapport
à la charité incréée ; il s'ensuit : 1 ) que l'âme reçoit formellement la charité
créée avant de recevoir la charité incréée ; 2) qu'en conséquence elle est gratifiée
par la charité créée avant de l'être par la charité incréée ; 3 ) qu'en conséquence ,
en cet instant, l'âme est formellement gratifiée et sainte par la charité créée sans
la charité incréée ; 4) qu'en conséquence il est vain d'admettre que la charité
incréée gratifie ou sanctifie intrinsèquement la créature raisonnable 50. Mais ,
note Jean de Ripa, d'une part la distinction XIV établit qu'il faut reconnaître
le rôle de la charité incréée , d'autre part l'Église a « déterminé » qu'il faut
admettre la charité créée . Toutefois la charité incréée gratifie d'abord, car
elle gratifie plus principalement, d'abord et par soi , la charité créée ne gratifiant
que par son union avec la charité incréée51 . C'est la thèse selon laquelle le don
de l'Esprit Saint en personne est compossible avec celui de la charité créée52 .
Mais il est une troisième manière d'envisager la sanctification en ne la
rattachant qu'au seul don de la charité créée . Cette thèse est étudiée dans la ques-
tion 2 de la distinction XVII : « Utrum per solum donum caritatis creatae
voluntas viatoris ad beatificum premium sit intrinsece acceptabilis » . Quatre
raisons favorables sont avancées : la charité incréée ne peut être un don intrin-
sèque accordé à l'esprit , la volonté du viateur ne peut recevoir d'un don incréé
l'imputabilité du mérite , la charité créée est suffisamment surnaturelle pour
toute nature volitive créable , la charité créée par elle seule , sans la charité incréée ,
donne à l'acte de la volonté une suffisante imputabilité intrinsèque en vue de
la récompense53 .
En vertu du parallélisme signalé entre les théologies de la glorification et
de la sanctification , cette troisième thèse est à l'évidence celle de l'école com-
mune et vraisemblablement les raisons que l'on vient d'indiquer sont celles-là
même sur lesquelles elle s'appuie . Comparée aux deux autres , cette thèse , dit
Jean de Ripa, est « magis communis apud modernos theologos » 54 , et l'on verra
comment il réagit à une telle opinion , étant donnée sa volonté d'être fidèle à
Augustin et Pierre Lombard 55 .
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 221

Il l'avait rencontrée à l'occasion d'une question qu'il posait dans son


commentaire de la distinction XVI : « L'esprit peut-il être gratifié en vue de
la récompense béatifique par le double don de la charité incréée et créée ? » 56 .
Le troisième article avait été introduit par cette objection quod non : « Si l'on
reconnaît dans l'âme la charité créée on estime qu'elle l'élève surnaturellement ,
- mais cela doit être écarté , car par le seul don incréé elle est plus élevée surnatu-
-
rellement que par le don créé , – ou on voit en elle l'habitus par lequel nous
aimons habituellement Dieu et le prochain , - mais cela doit encore être écarté
et pour la même raison, car nons aimons habituellement Dieu plus parfaitement
par la charité incréée que par la charité créée . Il n'y a donc absolument pas lieu
de mettre dans l'âme une charité créée si l'on y met la charité incréée . » 57 .
D'où cette question : « Peut-on admettre que l'âme est en même temps gratifiée
par le don créé et incréé de la charité » , ce qui entraîne une triple recherche :
cela est-il possible , qu'en est-il en fait, cela est-il tellement nécessaire qu'il soit
impossible que le don incréé ne puisse exister sans le don créé et le don créé
sans le don incréé58 .
La réponse de Jean de Ripa est d'abord que cela est possible car il n'y
a pas identité entre l'actuation et la mutation intrinsèques de l'esprit par le don
incréé et l'actuation et la mutation intrinsèques de l'esprit par le don créé ;
d'autre part , il n'y a entre elles aucune incompossibilité , aucune contradiction59.
Qu'il en soit ainsi en réalité , c'est ce qu'il affirme en disant que « la charité créée
est infusée à l'esprit en même temps que la charité incréée et qu'elle le justifie » ,
mais il fait précéder cet énoncé de cette remarque : « Je pose cette conclusion
bien que je ne puisse ici procéder de façon démonstrative , et il en est ainsi parce
qu'il n'est pas nécessaire que cela soit . » . Il le démontrera donc «< per quamdam
congruentiam » 60 , au moyen de trois arguments dont il dit que «< non probant
sufficienter conclusionem » 61 .
Il n'est pas non plus nécessaire que la charité créée concoure à la sancti-
fication de l'esprit puisque en toute causalité formelle informative ou vitalement
immutative , l'essence divine est absolument indépendante de la créature ; d'où
résulte la possibilité absolue pour l'Esprit Saint de gratifier intrinsèquement
l'esprit créé sans la charité créée62 .
L'ensemble de ces remarques , on le voit , justifie la double thèse de la
sanctification par le seul don incréé et par les dons incréé et créé ; il montre
en outre que la première thèse est « possible absolument » , que la seconde - qui
correspond selon Jean de Ripa à la réalité présente : « Nunc de facto ...>> "
n'est pas démonstrativement établie car il ne s'agit pas là d'une nécessité .
La troisième thèse est évidemment concernée par la seconde question de
la distinction XVII : « L'imputabilité intrinsèque de la volonté créée en vue
de la récompense peut-elle tenir au seul don créé de la charité » . Cette question ,
note Jean de Ripa , concerne la manière la plus commune d'expliquer la sanctifi-
cation : << Restat nunc discutere aliam viam magis communem... » 63. Elle donne
naissance à quatre articles : « Est-il possible absolument que l'Esprit Saint soit
le don intrinsèque qui gratifie la volonté créée64 et le principe intrinsèque de
222 F. RUELLO

l'imputabilité en vue de la récompense 65. D'autre part pour toute volonté créée
le don de la charité créée infuse peut-il être un don surnaturel66 et l'agir de
la volonté créée peut-il recevoir de ce seul don l'imputabilité intrinsèque en vue
de la récompense ? »67.
C'est au quatrième article que Jean de Ripa en vient à s'interroger sur
ce que peut être l'attitude du théologien envers les trois thèses que l'on vient
d'exposer. Il précise auparavant que la question de cet article est exactement
celle-ci : « Le don surnaturel de la charité créée est-il pour la volonté principe
formel suffisant de sa gratification intrinsèque » et il rappelle que la dignité
intrinsèque du mérite par rapport à la récompense exige qu'il existe entre eux
une certaine égalité de justice commutative , de telle sorte que la vérité corres-
pond à la récompense 68. Il énonce enfin quatre conclusions selon lesquelles
1) si l'on se donne une béatitude formelle incréée - qu'elle soit ou non conférée
de fait à la créature , seul le don incréé peut être par rapport à elle principe
formel suffisant de la gratification ; 2) à chaque béatitude formelle créée peut
correspondre un don créé, principe formel suffisant par rapport à sa gratifi-
cation ; 3) le don de la charité créée est maintenant principe formel suffisant de
la gratification en vue de quelque récompense béatifique ; 4) à chaque volonté
bienheureuse , à laquelle correspond le don de la charité créée , correspond
une béatitude formelle créée , comme récompense tout à fait proportionnée
au mérite69.
Ces deux dernières conclusions sont évidemment dans la ligne des convic-
tions de l'école commune et en les justifiant Jean de Ripa les conforte ainsi
qu'il le promettait dans le court prologue de la distinction XVII question 270 ,
C'est à la suite de ces quatre conclusions qu'il réaffirme le parallélisme des
théologies de la sanctification et de la glorification : « Qui suppose le seul don
incréé gratifiant intrinsèquement la volonté créée au plan du mérite , doit en
conséquence supposer la seule récompense incréée , au plan de la récompense
formelle ; qui suppose l'un et l'autre don (incréé et créé) gratifiant intrinsè-
quement la volonté , doit, de façon correspondante , supposer une béatitude
incréée et créée , au plan de la récompense ; enfin qui suppose le seul don créé
doit , de façon correspondante , supposer la seule récompense créée , comme
récompense formelle . »71 .
Que penser de ces trois théologies de la sanctification ? « Je ne sais, dit
Jean de Ripa, quelle est la plus vraie , car chacune est possible . » Il a manifes-
tement établi cette possibilité . Mais , ajoute-t-il « la première ne m'apparaît pas
probable » . Il en donne la raison elle rend compte de la suffisante élévation
de la créature dans l'ordre de l'immutation vitale , mais il n'en est pas ainsi dans
l'ordre de l'information qui est cependant une perfection de la nature intellec-
tuelle . Jean de Ripa se souvient aussi de sa théologie de la glorification , parti-
culièrement de ce qu'il conclut sur la possibilité absolue qu'il existe pour une
même puissance deux récompenses béatifiques de raisons différentes tout en
étant récompenses formelles de cette puissance72 . Ainsi , de même qu'il n'est
pas << probable » - bien qu'il soit « possible » - que seule l'essence divine soit
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 223

connaissance théologique béatifique de l'intellect créé73 , il n'est pas << probable >>
- bien qu'il soit « possible » - que seule la charité incréée gratifie l'esprit en vue
de la béatitude. La seconde thèse lui paraît, en revanche , « probable et très
conforme à l'enseignement des Saints qui reconnaissent l'intervention des dons
créé et incréé » dans la sanctification , et qui dès lors reconnaissent une double
béatitude créée et incréée74 . La troisième thèse enfin lui paraît «< probable >> ;
elle est << la plus reçue chez les théologiens » . Pour prévenir toute compréhension
défectueuse des deux premières thèses , Jean de Ripa demande que l'on se sou-
vienne de la distinction qu'il a établie dans son Prologue et plusieurs fois rappelée
dans sa longue étude des diverses façons d'expliquer la sanctification : qu'il
s'agisse de la gratification ou de la glorification , l'essence divine ne communique
pas son être incréé, ne devient pas forme informative ; elle est exclusivement
forme immutative. Jean de Ripa rappelle donc sa distinction fondamentale entre
forme informative et forme immutative , une forme immutative pouvant ne pas
être une forme informative . Si l'on ne rejette pas cette précision , chacune des
thèses << potest satis rationaliter defensari » 75. Cette dernière remarque vise
le caractère rationnel des deux premières thèses et principalement celui de la
première que l'on attaquait alors et que l'on rejetait habituellement. Tradition-
nellement, on écartait en effet cette opinion de Pierre Lombard << quod charitas
qua Deum et proximum diligimus est Spiritus Sanctus vel quod charitas quae
est amor Dei et proximi non est aliquid creatum » . Extraite des Sentences , cette
thèse n'était pas admise dans l'ordre franciscain , si l'on en juge par les prises
de position de Bonaventure 76. Jean Duns Scot, il est vrai , se montrait rela-
tivement plus accueillant dans son Ordinatio77 et sa Lectura78 où il évoque
les attaques dirigées contre Pierre Lombard soupçonné de pélagianisme par
Richard de Mediavilla. L'opinion du Maître des Sentences, écrit celui -ci << modo
a magistris communiter non tenetur, quia rationabilis non est, et videtur appro-
pinquare errori Pelagii »79. Plus près de Jean de Ripa, Grégoire de Rimini scrute
la thèse de Lombard selon lequel non seulement les dons de l'Esprit Saint sont
dispensés, mais l'Esprit Saint lui-même est donné. Il formule quatre conclusions :
1) la personne de l'Esprit Saint est donnée elle -même et non seulement ses dons ;
2) lorsque le Saint-Esprit est donné , l'est également l'un de ses dons , à savoir
la grâce sanctifiante (gratia gratum faciens) ; de même , quand celle -ci est donnée ,
le Saint-Esprit l'est également ; 3) il est possible que l'Esprit Saint soit donné ,
sans que ses dons le soient, c'est-à-dire sans que soit octroyé un don créé ;
4) à l'inverse , il est possible que les dons de l'Esprit Saint soient accordés sans
que l'Esprit Saint soit donné . Grégoire ne présente ses deux dernières conclusions
que dans l'hypothèse de la puissance absolue de Dieu80 , car, dit-il, il n'y a pas
identité essentielle entre le don de l'Esprit Saint et tout autre don et l'Esprit
Saint n'inclut pas essentiellement le don créé81 . Mais selon Pierre Lombard,
l'Esprit Saint est la charité par laquelle nous produisons immédiatement un acte
d'amour méritoire sans le concours d'un habitus infus de charité créée . Cela
est-il possible ? Grégoire répond en se plaçant d'abord au point de vue de la puis-
sance absolue de Dieu, puis de la puissance ordonnée que nous connaissons ,
224 F. RUELLO

précise-t-il, par les autorités sacrées de l'Écriture et de l'Église82 . La puissance


ordonnée de Dieu est manifeste par les dispositions qu'il a retenues et les lois
qu'il a portées . C'est sous cet angle qu'il analyse la position de Pierre Lombard ;
il l'expose , produit les autorités sur lesquelles elle s'appuie ; mais , remarque -t-il ,
ordinairement les docteurs pensent l'opposé de cette opinion << solemnis >> .
<< En ce qui me concerne , je pense comme eux que l'opinion contraire (à celle
de Lombard) est vraie . » Après avoir exposé ses raisons qu'il tire de l'Écriture
(Paul) et d'Augustin , il ajoute : «< Puisque l'opinion opposée semble plus étayée
sur les dires des Saints , puisqu'enfin cette opinion opposée est reçue communé-
ment des docteurs, je me range avec eux à l'opinion commune »83. Jean de Ripa
n'ignorait pas ce ralliement, comme le voit en lisant par exemple son commen-
taire de la distinction XVI84 . C'est donc au moins aux émules de Grégoire
qu'il s'adresse pour s'en séparer, non qu'il estime leur opinion « improbable » ,
mais parce qu'il est persuadé qu'elle ne repose par sur des arguments irréfutables
et que , de ce fait, elle n'empêche pas de soutenir << raisonnablement >> les deux
autres thèses sur la sanctification .
Jean de Ripa se montre donc aussi conciliant que possible en théologie
de la sanctification . Il avait adopté la même attitude en théologie de la glorifi-
cation quand, après avoir dans son prologue exposé et défendu les thèses que
l'on rappelait au début de cette étude thèses selon lesquelles l'Esprit Saint
en personne est donné dans la sanctification à la créature , et , par voie de consé-
quence , l'Essence divine est la béatitude de l'esprit, au moins à titre principal - 85 ,
il pose cette question : « Utrum secundum rei veritatem et probabiliorem senten-
tiam divina essentia sit creaturae rationali in patria de sua natura et relucentibus
veris in ipsa notitia theologica formalis et beatifica ? » 86. En cette question ,
Jean de Ripa confronte la thèse inspirée surtout d'Augustin - thèse selon lui
<< possible » -87 à celle de l'école commune sur ces quatre points : l'essence
divine est-elle dans la patrie lumière formelle de gloire ? 88 ; espèce béatifique
de la mémoire bienheureuse ? 89 ; vision béatifique de l'intelligence créée ? 90 ;
connaissance infaillible des contingents ? 91 . L'énoncé de la question n'est pas
tel que l'on puisse en déduire que son auteur projette de détruire la thèse de
l'école commune sur l'essence créée , récompense formelle béatifique 92. Il le
projette d'autant moins qu'elle lui paraît « très probable » (bene probabilis)
lorsqu'il s'agit de la béatitude du Christ93 . Il désire au contraire la conforter
par de nouvelles raisons et montrer sa fécondité94 . Il s'interroge donc sur la
glorification de l'homme telle que l'école commune la conçoit et , distinguant
la << pure créature » de l'âme du Christ unie à la déité95 , il soutient que dans
la patrie l'essence divine n'est ni lumière formelle de gloire , ni espèce béatifique
de la mémoire , ni vision béatifique de l'intelligence , ni connaissance infaillible
des contingents . La thèse de l'école commune est cohérente , même s'il est permis
d'estimer que les arguments scripturaires, les décrets de l'Église et ses déter-
minations qu'invoque Asciencius de Sainte Colombe peuvent et doivent être
interprétés autrement qu'il les interprète , qu'en outre les «< raisons efficaces >>
qu'il propose ne sont pas de véritables démontrations . En revanche , <« si l'on
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 225

voulait s'appuyer sur des raisons philosophiques ou spéculatives , sur les dévelop-
pements doctrinaux de nombreux Saints et principalement d'Augustin , on
tiendrait pour plus probable que l'essence divine est dans la patrie , pour la créa-
ture raisonnable , connaissance théologique formelle et béatifique de sa propre
nature et des vrais qui brillent en elle , ainsi qu'on l'a montré dans les troisième
et quatrième questions du Prologue . »96 .
Grégoire de Rimini fait état d'une opinion << satis moderna quae tenuit
quod visio beatifica qua creatura videt Deum non est visio creata sed increata,
scilicet Deus ipse qui videtur » 97. Il l'énonce à propos de cette conclusion :
<< L'intellect perçoit n'importe quelle chose hors de lui d'une intellection essen-
tiellement distincte de lui » 98 , ce qui signifie d'une part que l'intellect connaît
n'importe quelle chose existant hors de lui d'une intellection essentiellement
distincte de lui-même 99 , d'autre part qu'il connaît n'importe quelle chose
existant hors de lui d'une intellection distincte de ce qu'il connaît 100. Cette
opinion << satis moderna » s'oppose à cette seconde partie de la conclusion et
Grégoire rapporte les trois arguments sur lesquels elle se fonde 101 et il les attaque
longuement102 . L'idée d'une vision béatifique incréée s'inscrit directement
contre la thèse selon laquelle l'essence divine ne peut être connaissance formelle
pour l'intellect de la créature 103. Jean de Ripa fait donc mention des critiques
de cette thèse par Grégoire 104 et de celles que lui adresse un certain docteur
lors de ses Vespéries 105 , pour les critiquer à son tour106 , établissant ainsi :
1) qu'il est possible absolument à l'essence divine d'être connaissance formelle
pour n'importe quelle créature intellectuelle , non par information , mais par
immutation vitale 107 ; 2) qu'il lui est possible d'être la connaissance théologique
formelle et béatifique de l'intellect créé108 ; 3) qu'il ne lui est pas possible
d'être connaissance formelle de l'intellect créé qu'elle immute vitalement , sans
qu'elle le soit selon la plénitude de l'actuation vitale , mais non pas au même
degré 109 ; 4) qu'il ne lui est pas possible de suppléer en propriété l'actuation
formelle immutative de quelque forme créée110 .
Tel est , semble-t-il , le contexte de la Quaestio ultima primae partis Prologi
au cours de laquelle Jean de Ripa confronte sa pensée à celle de l'école commune .
La lecture de cette Quaestio montre clairement que le débat reste ouvert et
d'autant plus ouvert que sur ce problème l'Église et les maîtres n'ont rien défini .
On peut dès lors soutenir «< tute » l'une et l'autre opinion , sans nuire à celle
qu'on ne choisit pas111 . Si l'on ne peut apporter que des arguments probables
à l'appui de l'école commune , on ne peut donc rien affirmer : « Hec vero sint
dicta ... solum probabiliter ista ponendo et sine assertione sobrie sapiendo » .
Mais les thèses que l'école commune rejette , si elles sont « plus probables »> ,
ne relèvent elles-mêmes que de la probabilité . Chaque thèse n'a de vérité que
celle de sa probabilité ou de sa plus grande probabilité . Chaque thèse est possi-
ble . Les seules vérités incontestables les concernant portent : 1) sur la connexion
nécessaire des théologies de la sanctification et de la béatitude : si dans la sancti-
fication, Dieu se rend présent à l'esprit en son essence et le gratifie intrinsè-
quement par immutation vitale , à plus forte raison le fait-il dans la récompense.
15
226 F. RUELLO

Si, dans la sanctification , le Saint-Esprit et le don créé sont la charité habituelle


de la créature , à plus forte raison Dieu et la créature sont-ils vision et fruition
dans la béatitude . Si la sanctification est ici-bas assurée par la seule charité créée ,
semblablement seule une forme créée est dans la patrie béatitude formelle113 ;
2) sur le caractère hypothétique des unes et des autres ; 3) sur la possibilité de
chacune ; 4 ) sur la probabilité plus ou moins grande de chacune ; 5) sur l'igno-
rance dans laquelle on se trouve de la vérité de chacune ; 6) sur l'impossibilité de
présenter l'une au détriment des autres comme une « vérité de foi » catholique ,
ainsi qu'Ascencius de Sainte Colombe le faisait pour la thèse de l'école commune ;
7) sur le fait que le poids social de l'école commune ne valorise pas par lui-même
l'argumentation sujette à critique des maîtres et docteurs qui la composent .
L'une et l'autre thèse peut être acceptée puisqu'aucune ne s'impose aux yeux
de la foi et de la raison. La connexion nécessaire des théologies de la sanctifi-
cation et de la glorification est telle que ce que Jean de Ripa croit devoir dire sur
les façons d'expliquer la sanctification114 doit être dit sur les façons d'expliquer
la glorification .

NOTES

1. Jean de Ripa, Lectura super primum Sententiarum Prologi quaestiones I et II. Edition
critique par Mgr André Combes (Textes philosophiques du Moyen Age, VIII) , Paris, 1961 ,
433 p. Lectura super primum Sententiarum Prologi quaestiones ultimae. Edition critique
par Mgr André Combes avec la collaboration de Francis Ruello (Textes philosophiques du
Moyen Age, XVI) , Paris, 1970, 472 p . - Je désigne les deux tomes de cet ouvrage selon le
numéro d'ordre : I ou II , suivi de l'indication de la page et de la ligne. –- Lectura super
primum sententiarum : I Sent. , dist. 14-17 ; Paris, Bibl. nat. , lat. 15369, fol. 216c-237d ;
texte transcrit par Mgr Combes, mais revu sur les manuscrits : Rome, Vatican latin 1082,
fol. 61-78 ; 6761 , fol . 154v- 177 ; Assise , Bibl. d'Etat 156 , fol. 167v-200v ; Casale Monferrato ,
Sem. episc. I B. 3. , fol . 122 v- 138 v ; Florence , Bibl . nat . , B 1.996 , fol. 188 v-210v ; Padoue,
Antoniana 190 , fol. 154-177 ; Cracovie, Bibl. Jagellon 793, fol. illisible. Conclusiones
publiées par Mgr André Combes (Études de philosophie médiévale, XLIV) , Paris, 1957,
318 p. Je les désigne par Concl. suivi de la page et de la ligne. Determinationes, Texte
critique avec introduction, notes et tables publié par Mgr André Combes (Textes philoso-
phiques du Moyen Age, IV) , Paris, 1957 , 463 p. - Je les désigne par la lettre D suivie de
la page et des lignes. - · La Lectura date de 1354-1355 ; les Determinationes de 1358-1359.
2. I, 9-305.
3. II, 29-219.
4. II, 221-275.
5. II, 277-321 .
6. II, 329, 2-3.
7. II, 335 , 2-3.
8. II, 340, 2-3.
9. II, 347 , 2-3.
10. II, 350 , 100-1.
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 227

11. D. 391 , 50-64.


12. D. 291 , 67-68.
13. D. 392, 85 - 393, 10.
14. D. 396, 96 - 15.
15. D. 397, 31.
16. D. 406, 68-76 ; 408, 20-31 ; 409, 59 - 411 , 11.
17. D. 411 , 12 - 412, 27.
18. I, 9, 8-12, 77 ; II, 29, 9-31 , 66 ; 221 , 19 - 224 , 94 ; 279, 73-79.
19. I, 253, 40 - 255, 89 ; 266 , 44 - 269, 99 ; 289, 48 - 302, 46 ; II, 33, 13-38, 36 ; 83,
69-88, 67 ; 114, 18 - 117, 80 ; 165 , 16 - 166 , 47 ; 172, 28 - 183, 21 , etc.
20. I, 229, 2- 253, 39.
21. I, 307, 2- 384, 35.
22. I, 9, 9-11 .
23. II, 29, ç-11.
24. II, 221 , 8-9.
25. II, 39, 6-14.
26. II, 39, 16-19.
27. II, 39, 16-17.
28. II , 81 , 39- 83, 68 ; 84 , 94 - 91 , 37 ; 105 , 45 - 106 , 92.
29. D. 391 , 51-53 ; 67-68.
30. II, 350, 99-1.
31. De Trinitate XV, c. 18 , 32 ; PL 42, 1083.
32. I, 251 , 20 - 253, 39.
33. I Sent., dist. 14, q. 1 , art. 2, concl. 3 ; Conch , p. 126 ; q. 2, art. 1 , concl. 3 ; ibid., p. 127.
34. I, 253, 40 - 254, 55.
35. I, 264, 16 - 274 , 90 et 289, 48 - 304, 94.
36. II, 33 , 13-35, 70.
37. II, 209, 3-7 ; 212, 1-3 ; 216 , 9 - 218 , 78.
38. I Sent., dist. 1 , q. 1 , art. 1 ; Concl. , p. 43-44.
39. I Sent. , dist. 17, q. 2, art. 4 ; fol. 237b.
40. I Sent. , dist. 1 , q. 1 , art. 1 ; Concl. , p. 43-44.
41. Ibid.
42. Ibid., art. 2.
43. Ibid., art. 3.
44. Ibid. , q. 2, art. 1.
45. Ibid., art. 2.
46. Ibid., art. 3.
47. Ibid., art. 4.
48. I Sent. dist. 14 ; fol. 216d.
49. Ibid., objections 1-3.
50. Ibid., objection 4.
228 F. RUELLO

51. I Sent. , dist. 16 , fol. 222d-223a. Voir dist. 14 ; fol. 216d.


52. I Sent. , dist. 14 ; fol. 216d.
53. I Sent., dist. 17, q. 2 ; fol. 234c.
54. Ibid. ; fol. 237b.
55. I Sent., dist. 14 ; fol. 216d.
56. I Sent. , dist. 16 ; fol. 222d.
57. Ibid.
58. Ibid. ; fol. 225a b.
59. Ibid. ; fol. 225b c.
60. Ibid. ; fol. 225c.
61. Ibid. ; fol. 225c-226c.
62. Ibid. ; fol. 226c-228b ; Conch, p. 133.
63. Ibid. ; fol. 234b c.
64. Ibid. , art. 1 .
65. Ibid. , art. 2.
66. Ibid. , art. 3.
67. Ibid. , art. 4 ; fol. 234d.
68. I Sent. , dist. 16 , art. 1 ; fol. 223a.
69. Ibid. ; fol. 237b ; Concl. , p. 144.
70. I Sent. , dist. 17, q. 2 ; fol. 234b c.
71. Ibid. ; fol. 237b.
72. II, 32, 10-12 ; 81 , 39 - 83 , 68 ; 105 , 45 - 106 , 92.
73. II, 29, ç- 11.
74. I Sent. , dist. 14, q. 1 ; fol. 216d . Voir II , 105 , 45 - 106 , 92.
75. I Sent. , dist. 17, art. 4 ; fol. 237b c.
76. Dist. 17, c. 2 ; Chart. Univ. Par. , I , 1889 , nº 194 , p . 220-221 . Bonaventure , I Sent.,
dist. 17, q. 1 , p . 1 ; Breviloquium V, c. 1 et 2.
77. Ordinatio, dist. 17 , q . 1 ; éd . Balic, V, 190-219 .
78. Lectura, dist. 17, p. 1 , q. unic. ; éd . Balic XVII , p. 187 .
79. Ibid.
80. I Sent. , dist. 14-16 ; Venetiis 1522 (reprint 1955 ) ; fol. 83Q- 84A.
81. Ibid. ; fol. 84 E K.
82. I Sent. , dist. 17, q. 1 , art. 1 ; ibid. ; fol. 85 J K.
83. Ibid. ; fol. 86A.
84. I Sent., dist. 16 ; fol. 226 c d.
85. II, 29-321 .
86. II, 323-352.
87. II, 323 , 1-10.
88. Art. 1.
89. Art. 2.
90. Art. 3.
TROIS THEOLOGIES SELON JEAN DE RIPA 229

91. Art. 4.
92. II, 350, 100-1.
93. II, 326, 93 - 327, 96.
94. II, 327, 97-98.
95. II, 320, 29-32 ; 340 , 5-6 ; 341 , 55-56 ; 347, 5-6 ; 348, 44-45 ; 349, 63-65.
96. II, 326, 89-93.
97. II Sent. , dist. 7, q. 2, art. 1 ; fol. 55Q.
98. Ibid. ; fol. 54N.
99. Ibid.
100. Ibid. ; fol. 55H.
101. Ibid. ; fol. 55Q- 56 B.
102. Ibid. , 56F N.
103. I, 289, 48 - 290, 51.
104. I, 290, 52-295 , 75.
105. I, 295 , 76 - 297, 25.
106. I , 297 , 26 - 302, 25.
107. I, 264, 16 - 265, 20. L'intellection ne suppose donc pas toujours l'information , comme
Grégoire de Rimini le laisse entendre II Sent. , dist. 7, q . 2, art. 1 ; fol. 55M N.
108. I, 272, 61-63.
109. I, 272, 67 - 273, 77.
110. I, 273 , 78-79.
111. II, 38 , 27-35 ; 350, 99-6.
112. Ibid.
113. II , 37, apparat d'après les manuscrits d'Assise (R) et Sarnano (S) ; 216 , 20 - 218 , 72.
114. I Sent. , dist. 17, q. 1 , art. 4 ; fol. 237b c.
¦
1
1
1
ETIENNE GAUDET

DEVANT LE PROBLÈME DE LA PREUVE EN THEOLOGIE

Zénon KALUZA

Je m'intéresse à Gaudet, à ses textes et ses manuscrits , non parce qu'il a,


en lançant des idées neuves , marqué son époque , mais, bien au contraire , parce
qu'il est un maître typique de son temps , l'un de ceux qui assurent la continuité
de l'École. Appartenant à la génération des maîtres de Pierre d'Ailly et de
Jean Gerson , il est le miroir de son époque par les problèmes qu'il discute , par
les solutions qu'il propose , par une façon éclectique de travailler, mais aussi
parce que la vie l'a mêlé , comme tant d'autres alors , aux grands événements
du siècle en faisant de lui un témoin conscient là où il s'agissait de l'influence
anglaise sur l'enseignement doctrinal à Paris et un partisan dès qu'il était question
du schisme , des cardinaux , de la conversion forcée des Flandres à la bonne
foi de la papauté avignonnaise . Né dans le diocèse de Saint-Flour vers 1317-1320,
lié par ses bénéfices avec la Normandie (Montiviliers , diocèse de Rouen) , le
Hainaut (Tournai) et les Flandres (Lille), Etienne Gaudet a pratiquement passé
toute sa vie à Paris. Il y est venu vers 1340, y a fait ses études à la Faculté des
Arts d'abord , à celle de théologie ensuite . Membre du Collège de la Sorbonne ,
il lit les Sentences en 1361-1362 et obtient le grade de docteur en 1365 ou 1367.
En 1378 , il se trouve à Fondi , juste au moment de l'élection de Robert de Genève
comme antipape sous le nom de Clément VII dont il épouse la cause à jamais.
Ainsi Gaudet va-t-il consacrer le reste de sa vie à la défense de ce prince fait pape
et , mieux encore , à la défense des cardinaux auteurs de l'acte de Fondi , de leur
rôle dans l'Église , de leur infaillibilité . Un grand traité sur le schisme , inachevé,
en tout cas laissé en état de brouillon , est la dernière oeuvre de ce docteur.
Il date de 1383-13891 .
Une deuxième raison qui nous incite à mieux connaître et, également ,
à faire mieux connaître Gaudet est une énorme masse de papiers formant neuf
manuscrits conservés jadis dans la bibliothèque de son Collège et à présent par
la Bibliothèque nationale2 . A l'exception de deux qui ne sont que des copies³ ,
ces manuscrits constituent à la fois l'oeuvre et la bibliothèque personnelle de
Gaudet, qui sont tantôt bien distinctes , tantôt laissées pêle -mêle dans une inter-
pénétration obscure . D'ailleurs est-il toujours possible , est-il même quelquefois
232 Z. KALUZA

souhaitable de distinguer entre une oeuvre originale et une note prise pendant
la lecture , lorsque cette même note devient à son tour une page de l'oeuvre que
l'on aimerait appeller originale ? Ces notes , extraits , copies , etc. , ramassés par
Gaudet tout au long de ses études théologiques , donc jusqu'à son obtention
du doctorat , attestent de solides lectures des auteurs anglais et continentaux
en vue d'une future rédaction d'une question ou d'un commentaire4 .
Si, enfin, il fallait absolument indiquer la part qui est la sienne , l'on
énumérerait alors deux commentaires bibliques , l'un sur le Livre de Job, l'autre
sur la Genèse - tous deux inachevés - ; un nombre impressionnant de sermons ;
les Responsiones, c'est-à-dire les questions qu'il a discutées en tant que bachelier
formé ; les textes sur le grand schisme que l'on sait et le Commentaire sur
les Sentences. Ce dernier seulement va nous occuper désormais .

II

On le sait , plusieurs années à l'avance , les futurs sententiaires préparaient


leurs questions et commentaires , et cela en lisant , en prenant des notes , en cher-
chant des conclusions à défendre ou à combattre . Une grande partie de ces notes
se retrouvent dans nos manuscrits ; mais une pièce curieuse , puisque rarissime ,
mérite plus particulièrement que l'on s'y arrête . Elle donne la mesure de l'effort
personnel du nouveau sententiaire d'alors , elle nous éclaire sur la façon de tra-
vailler à l'époque . Il s'agit d'un relevé du Commentaire des Sentences, conservé
dans le ms . Bibl . nat. , lat . 15888 , f. 157v, et contenant précisément une liste
détaillée des questions du Prologue et des deux premiers Livres. Son originalité ,
si l'on peut dire, et tout son intérêt consistent dans le fait que chaque question
y est accompagnée d'une indication de la source dans laquelle la matière de
cette question a été recherchée . Parmi ces autorités , on trouve , du côté français ,
un certain maître Raymond, le chantre parisien Guillaume de Salvarvilla et
Jean de Mirecourt . L'Angleterre est présente avec Guillaume d'Ockham ,
Adam Wodeham, Robert Holcot , Richard Fitzralph et Thomas Felthorps .
De ce Commentaire , relevé sur un feuillet, il ne reste que quatre Principia,
une partie seulement du Prologue divisé primitivement en quatre matières :
de merito et fide, de fruitione, de unitate et trinitate, de divina scientia. Le ms.
Bibl . nat . , lat . 16535 n'a conservé que le de fruitione (f. 163r- 169v) et le defide
(f. 151r- 162v et 170/ 171r- 177r). La materia de fide est à son tour divisée en
cinq questions :
Primum dubium Utrum credere articulis fidei sit in viatorum libera
potestate (f. 151r- 153v) ;
Secundum dubium Utrum fides sit ratione probabilis seu rationabilis.
Et ista materia de rationabilitate fidei potest per dubia explicari seu tractari .
Primum dubium : An expediat adducere rationes probabiles ad ea quae sunt
fidei (f. 154r- 157r ; le secundum dubium n'a pas été introduit) ;
(Tertium dubium ) : Incipitur nova materia de principio credendi in corpore
3ae rationis supposita fide probabili (f. 157r- 159v) ;
ÉTIENNE GAUDET 233

Quartum dubium : An fides sit dubitabilis vel infallibilis (f. 160r- 162v) ;
(Quintum dubium) : An Deus decipere potuit aut alium decipit (f. 170/
171r- 177r)6.
Notons enfin qu'il existe encore un autre texte touchant la même problé-
matique et dépendant directement de la materia de fide du Prologue . Il s'agit
d'une des sept Responsiones, précisément la troisième , discutée à la Sorbonne.
Son sujet est identique à celui de la deuxième question citée auparavant : « Utrum
expediat catholico viatori adducere rationes probabiles ad ea quae sunt fidei >>
(ms. Bibl. nat., lat. 16535 , f. 135r). J'en parlerai au moment opportun.

III

Dès que l'on veut étudier le texte lui-même , il est naturel de s'interroger
sur son état rédactionnel, la clarté de son exposé , les sources d'inspiration de
son auteur, son originalité, etc. Le cas dont il s'agit ici est à la fois simple et
compliqué. Il est simple , car c'est une chose relativement facile que de répondre
à la plupart de ces interrogations . Mais cette simplicité même rend difficile et
complique l'examen de la doctrine par l'impossibilité de distinguer nettement
la part propre de celui qu'on appelle « auteur » et ses emprunts . Non que les
sources se soient perdues, ni que l'historien soit incapable de les indiquer avec
assez de précision , mais parce que, sur le plan du texte , cette part originale n'est
que difficilement perceptible .
En reprenant le premier des trois points énumérés, remarquons tout
d'abord que le texte du Prologue de Gaudet et, en particulier, celui de la materia
de fide, n'est pas achevé. Nous en avons la matière brute , encore mal structurée
et demandant beaucoup de finitions. D'ailleurs, la dernière question finit par
une suite d'extraits non intégrés dans un corps d'article7 . Dans ces conditions ,
nous sommes obligés de nous poser la question de la cohérence et, d'abord ,
de la structure intérieure de nos textes . Notre deuxième remarque est donc
la suivante ces textes sont composés de deux manières, soit par opposition
de deux modèles copiés, comme c'est le cas pour la première question et pour
la quatrième , soit par leur juxtaposition , dans la troisième question9 . Les ques-
tions 2 et 5 ne sont que de simples copies. La cohérence qu'on aimerait découvrir
dans ces questions ne saurait être plus grande que celle entre des textes copiés
ou juxtaposés.
Tout cela suggère bien évidement que les questions de Gaudet ne sont pas
originales du tout. De fait, elles ne le sont point. Cette dernière remarque res-
semblant à une accusation, elle exige une vérification . Il manque dans ce texte
autographe des corrections d'auteur (comme on en peut voir dans les questions
sur le grand schisme par exemple ) ; on y découvre des omissions , comme par
exemple au f. 156r, où par un fâcheux homeoteleuton Gaudet a oublié de
copier la fin de la troisième conclusion et le début de la quatrième ; on y trouve
des espaces laissés blancs pour pouvoir y insérer plus tard un mot provisoi-
rement illisible . Enfin , des expressions comme haec ille de hoc et des verbes
234 Z. KALUZA

à la troisième personne du singulier, comme probat, ponit, respondet, etc.,


ne laissent planer aucun doute : il s'agit, dans sa totalité , d'un texte copié et
non rédigé par Gaudet .
Peut-on aujourd'hui mesurer ce qui appartient en propre à Gaudet, peut-on
identifier les auteurs copiés ? Je pense qu'une réponse affirmative et relative-
ment précise est possible . Je veux la donner ici en passant rapidement en revue
les questions de la materia de fide.
Première question : « Utrum credere articulis fidei sit in viatorum libera
potestate ». A partir du f. 151r, Gaudet suit le texte de Robert Holcot, à savoir
I Sent., q. 1 , 7e argument principal , puis art . 1 et art . 6. Le texte de Holcot dans
notre manuscrit est de très mauvaise qualité , très abrégé , plusieurs fois rendu
incompréhensible . Le procédé continue ainsi jusqu'au f. 153v où Étienne Gaudet
commence à résumer une question d'un maître , autrement inconnu , nommé
Raymundus, question écrite de toute évidence contre Holcot . Encore que
Gaudet n'exprime nullement sa propre opinion , je pense néanmoins qu'il a
adopté les vues de Raymond , comme la suite de ces textes ainsi que la tertia
responsio le montrent suffisamment 10 .
Deuxième question : « An expediat adducere rationes probabiles ad ea
quae sunt fidei » . Le nom de Raymundus placé à la tête de la question indique ,
selon l'habitude propre à notre sorbonniste , son véritable auteur. Comme
auparavant, le dominicain anglais joue ici aussi le rôle d'opponens. C'est en
cet endroit que l'on constate une importante omission par homeoteleuton
réparée dans la marge . Enfin , au f. 156r, on trouve cette courte note tant de fois
répétée haec ille de hoc, indiquant qu'il s'agit d'un texte copié . Cependant ,
je ne crois pas que la suite soit un texte original de Gaudet car, après une citation
de Jean de Calore , on voit , en marge , la lettre R signalant la reprise du texte
du maître Raymond . Les conclusions qui suivent sont donc sans aucun doute
possible de ce dernier. Ces conclusions n'ont pas été reprises par la troisième
réponse portant le même intitulé que la question dont nous traitons ici11 .
La troisième question , de principio credendi, apporte de nouveaux abrégés
dont le premier est annoncé comme alia responsio quae est etiam media. Son
auteur est par la suite dit Respondens. Je ne pense pas qu'elle soit de Raymond ,
bien qu'en face des premières lignes on trouve la même lettre R. La question
de Gaudet commence in corpore tertiae rationis (f. 157r) 12 . Aux f. 158r et 159v,
les notes annoncent l'insertion d'un texte de Salvarvilla13 . Entre ces extraits,
on lit également des notes de Gaudet lui-même.
La quatrième question , « An fides sit dubitabilis » , commence par le résu-
mé d'une question anonyme complétée par un extrait de Jean Scot de Rate ,
le tout constituant la partie quod sic14 . La deuxième partie , pour la certitude
de la foi (f. 161v) est tirée de Guillaume de Salvarvilla. Le nom de ce sorbonniste
est placé à côté du texte suivant :
« Nunc de eius (sc. fidei) certudine aliqua sunt adducenda. Et addu-
citur breviter quaedam positio cuiusdam magistri reverendi, quae
alibi habetur magis diffuse ».
ETIENNE GAUDET 235

Ce texte prend fin au f. 162v par un haec de illo, suivi par quelques lignes de
ce que Gaudet appelle ici alter modus et qui auparavant (f. 162v) a été dit
modus meus. Une dizaine de lignes en tout.
La dernière question , An Deus decipere potuit, commence par cette
justification :
<< Quia in nono et 10 argumento 4i dubii de fide, quo quaerebatur
utrum esset fallibilis, agebatur an Deus decipere potuit aut alium
decipit et quia modicum de his tangebatur, ideo nunc amplius est
tangendum. Et probatur primo quod fides est fallibilis... »15.
Le texte constitue, aux f. 171r- 173r, une copie relativement fidèle des trois
articles : 6 , 7 et 8 de la q . 1 du Commentaire des Sentences, L. III , de Robert Holcot.
Au f. 173v, sans un mot d'explication , commence le texte de Guillaume de
Salvarvilla : << An quisque fidelis fidei articulis credere teneatur » , suivi d'un
extrait de Thomas Felthorp et d'un autre de Hugolin d'Orvieto 16 .
La materia de fide n'est qu'une composition des textes choisis de Holcot ,
de maître Raymond , de Salvarvilla, de Jean Scot de Rate et d'autres encore .
Guillaume de Salvarvilla, dont Gaudet attaquera plus tard l'ecclésioligie conci-
liariste , est lu et copié indépendamment des circonstances extérieures . Le temps
des violentes polémiques n'est pas encore arrivé . Quant au maître Raymond , il
est copié avant tout en tant qu'adversaire de Holcot . Hélas, pour notre << copiste >» ,
Raymond n'aurait pas répondu à tous les arguments avancés par le dominicain
anglais. Gaudet voit les lacunes , les regrette , pense les combler plus tard :
« ...illa quae desunt in praemissis , potissime in materia de fide, puta
responsiones ad aliqua opposita, in sequentibus foliis poterunt pen-
sari (?), puta ad aliquas rationes Olkot, quia non ad omnes respondet
Raymundus, ut notum est » 17.
Je ne sais point si Gaudet a réussi à contrebalancer les arguments d'Holcot .
Je ne sais rien non plus sur le texte de Raymond ni sur celui de Salvarvilla :
il ne nous en reste que les bribes conservées par Gaudet.

IV

Il est bien évident qu'il y a plusieurs difficultés à présenter ces questions


comme l'expression de la pensée d'Étienne Gaudet ou , d'ailleurs , de celle de
Raymond ou de Salvarvilla. Pourtant je voudrais m'y attacher. J'exposerai
la partie positive des questions (c'est-à-dire en omettant tous les détours et
méandres du quod non et de l'ad oppositum) comme un seul bloc d'idées. Nous
apercevrons par là les problèmes en discussion ainsi que les choix opérés par
Gaudet . Sa propre pensée s'est pour ainsi dire greffée sur ce bloc avant de s'être
plus librement exprimée dans la tertia responsio.
Peu de choses retiennent notre attention dans la première question.
Nous y remarquons avant tout la définition de credere comme adhérer avec
complaisance à ce qui a été révélé par Dieu à travers le témoignage de l'homme 18 .
Elle est , à mon avis , importante car le testimonium va jouer un certain rôle dans
le développement des questions. Ici même nous avons une rapide comparaison
236 Z. KALUZA

entre les faits relatés par un chroniqueur et les articles de foi. Or, à ce propos
d'aucuns disent que pour y croire il faut que la narratio remplisse trois condi-
tions qu'elle concerne les choses vues, ressenties et éprouvées ou reconnues,
qu'elle parle donc de rebus gestis visis, perceptis et expertis. Mais une narration
historique, ayant ces trois caractères, ne suffira jamais à faire croire aux articles
de foi qui sont de loin moins évidents que les res gestae. D'ailleurs, une telle
narration ne convainc que les convaincus19 .
Dès qu'il s'agit des articles de foi et de leur rationalité , on peut envisager
deux solutions quasiment extrêmes. Selon la première , anonyme , mais rattachée
à l'opinion de Jean de Mirecourt, l'adhésion à un article de foi (par exemple
à la proposition : Deus est trinus et unus) ne se fait pas sans un acte de volonté :
nullus sine imperio voluntatis potest assentire isti20 . La seconde opinion , attri-
buée à Jean de Calore , tente de mesurer le degré de certitude des arguments
apportés à l'appui de la foi . Elle se fonde sur la distinction entre les probationes
artificiosae (syllogismes et autres loci dialectici) et les inartificiosae, et se déve-
loppe en trois conclusions : a) la preuve non codifiée par la logique a moins de
certitude que la preuve codifiée ; b) la première peut se réduire à la deuxième
puisqu'elle peut prendre la forme d'un syllogisme ; c) de telles preuves non
codifiées peuvent être complétées par d'autres éléments d'une nature tout à
fait différente , comme par exemple la sainteté personnelle , les miracles, etc.
Dans ce cas-là , elles sont aussi sûres ou même plus sûres que les preuves par
syllogisme . Les articles de foi prouvés par des arguments ainsi «< réduits, com-
plétés et confortés » sont plus probables que les affirmations qui leur sont
opposées21 .
Entre ces deux opinions «< extrêmes » , il y a une voie moyenne , choisie
par Raymond puis par Gaudet, limitée d'ailleurs à la seule foi en la parole du
Christ et de son Église . L'assentiment à cette parole possède trois caractères :
il est vrai car il se distingue de l'erreur ; il est ferme car il se distingue de l'opinion ;
enfin, il est non évident pour ne pas se laisser confondre avec la démonstration22.
Ces caractères sont aussi ceux de trois conclusions plaçant notre auteur dans
la perspective qui sera celle de Henri Totting de Oyta. Elles soutiennent que
la foi n'est pas contre la raison, ni par-dessus la raison, et qu'elle ne résulte pas
de la raison seule puisqu'à celle-ci s'ajoute le concours de la volonté23 .
Qu'est-ce qui fait donc que la foi a tant de certitude , ou qu'elle est pro-
bable ? Où se trouve le principe de l'assentiment ? La troisième question essaiera
de le découvrir en cherchant du côté de l'autorité , de la capacité humaine , de
l'acte d'adhésion et de sa nature , de l'inspiration interne . Nos textes abordent ce
problème par touches successives et le posent par une conclusion du Respondens
abruptement formulée fides Christi est probabilis24 , qui s'appuie sur trois
raisons. D'abord, on doit croire à quiconque est envoyé par Dieu . Cela est exac-
tement le cas du Christ. La première proposition est confirmée par des raisons
(patet ratione) et la seconde par des signes vus , selon le dire de l'Église . Ensuite ,
la foi chrétienne est probable puisqu'elle n'est ni légère ni déraisonnable : non est
levis aut stulta. Enfin, elle n'est en rien suspecte25 .
ÉTIENNE GAUDET 237

Si donc cette foi est probable puisque non suspecte , si toute loi ordonnant
quelque chose contre la loi naturelle est à rejeter , notre auteur (le Respondens)
en déduit que l'Église actuelle est pour les chrétiens le principe du croire car
c'est à elle qu'aboutit tout raisonnement sur ce principe . Mais si, en revanche ,
on suppose que le mal est présent dans l'Église , ce principe sera alors le révélé
par Dieu26 . Le Respondens soulève ici deux objections concernant les deux
formules. La première si ce principe est objet de foi, il n'est plus principe
car il la suppose ; s'il ne l'est pas, il est douteux et inévident et donc n'engendre
pas la foi. La deuxième si la formule proposée était vraiment le principe ,
elle aurait nécessairement engendré la foi et par là même elle l'aurait exclue .
D'autre part, on ne peut pas soutenir que ce principe est insuffisant car alors
la foi se montre insuffisamment fondée . La réponse à ces objections ne va pas
très loin, l'auteur remarque seulement que nous sommes devant l'autorité pour
soi-même talem auctoritatem esse sui ipsius auctoritatem, comme c'est le cas
de la connaissance et de l'expérience . Cela fait donc une sorte d'acte réfléchi
dont on parle à l'occasion de l'acte de connaître27 . L'objection de Gaudet
est d'une autre nature ; pour des raisons logiques , il voit dans le développement
de Respondens une petitio principii28 .
En définitive le problème reste non résolu . Des deux formules de ce prin-
cipe omne revelatum a Christo et omne traditum ab ecclesia, le Respondens
semble préférer la deuxième . Étienne Gaudet note uniquement que la ques-
tion se prête à une « bonne spéculation » et à une analyse du raisonnement
syllogistique29 .
A cet exposé Gaudet ajoute ses propres considérations . Selon lui , lorsqu'on
regarde le problème du principe du côté de notre acte de croire , on constate
que l'intellect seul ne peut pas constituer un tel principe . Il ne le serait pas
même s'il était accompagné d'un habitus de la foi infuse ou d'un acte de la
volonté , ou des deux à la fois, ou encore s'il était accompagné des deux , à la fois ,
d'une raison probable et d'un savoir (eruditio). Mais l'intellect avec la volonté ,
avec une raison probable , avec une foi acquise et coutumière (consuetudinaria)
est un bon principe d'adhésion et donc peut engendrer un ferme assentiment .
La force de la seule coutume est démontrée par les lois engendrant un assenti-
ment plus fort même que celui des premiers principes , bien que non rationnel30 .
Mais est-ce la réponse définitive ? Les doutes demeurent . Par exemple à
propos de l'autorité, on croit généralement à quelqu'un parce qu'il est véridique ,
parce qu'il sait tout, alors que Guillaume de Paris tient qu'il faut croire à Dieu
parce qu'il est Dieu et non parce qu'il est véridique . Pour éviter ce genre de diffi-
cultés, on pourrait prendre comme principe recherché la seule grâce , ou la lumière
interne, ou la vérité éternelle ; mais sont-elles suffisantes ? demande Gaudet.
Et, en poussant plus loin l'analyse théologique, n'arrive-t-on pas à la morale31 ?
D'autre part, si l'on admet que la révélation externe , le miracle , la preuve et
l'affection, dont aucun à lui seul ne peut être le principe de l'acte de croire , tou-
chent à la foi, il faut également admettre qu'ils sont tous sévèrement examinés par
la raison. Ainsi ils sont admissibles avec une raison , même incompréhensible 32 .
238 Z. KALUZA

Pour pouvoir sortir de ce désarroi, Gaudet essaie d'examiner quelques


manières d'envisager le problème de l'assentiment et de la preuve en théologie .
Ses remarques, si elles peuvent toucher par leur côté naïf, n'apportent cepen-
dant rien de nouveau33 . Mais, comme Guillaume de Salvarvilla a auparavant
analysé ce même problème du principe , Gaudet reprend son texte , le présentant
d'abord pour passer ensuite à sa critique . Tout cela constitue le tertium princi-
pale de la question.
Salvarvilla énumère en onze points, selon leur origine , les modes d'adhérer
sans hésitation à la foi . Les trois premiers - ex evidentia terminorum (le cas
de premiers principes) , ex demonstratione (le cas de conclusions) , instinctu
naturali (le cas des principes moraux) - ne concernent point la foi . Le quatrième
ex syllogismo falsographo – peut avoir lieu là où , en se fondant sur une raison
fausse ou probable , on croit disposer d'une bonne démonstration . La cinquième
- ex sentire – est celle des théologiens . Un tel assentiment est parallèle à celui
que possède un géomètre qui n'arrive pas à démontrer clairement (explicite) ses
conclusions . Son savoir n'est ni évident ni éclairci ; il ne s'appelle pas une vision
(videre), mais bien une perception ou même un sentiment (sentire). Il ne s'agit
pas non plus d'instinct puisque ce sentiment est acquis chez un géomètre
par son habitus scientifique , chez un théologien par son habitus théologique,
la différence entre les deux ne faisant cependant pas l'objet d'une analyse.
Les modes restants peuvent sans regret être énumérées plus rapidement : ce sont
la coutume , comme chez Gaudet, le miracle , la raison et la vraisemblance ,
comme dans le cas d'Aristote et d'Averroès (mais, selon Gaudet, le cas n'est
pas sine hesitatione) , l'autorité , l'affection , qui selon notre auteur n'est pas
rationabilis, la révélation extérieure ou l'illumination34 .
De cette longue liste, Gaudet ne prend en considération que sept «< modes >> ,
en omettant les trois premiers et en rattachant la révélation à l'autorité. Le seul
mode de sentire est éventuellement envisageable . Toutefois , les deux conclusions
qu'il propose anéantissent la belle construction de Salvarvilla. La première :
la majeure partie des modes énumérés conduit à donner un assentiment à
une fausse opinion. La deuxième : les sept modes conduisent tous à une erreur,
notamment lorsqu'on adhère à une conclusion qui sonne vrai, mais qui reste
néanmoins fausse (mentalis falsa/35
En terminant mes remarques sur cette troisième question , je voudrais
souligner que Gaudet rejette également l'inspiration intérieure comme principe
infaillible de foi36 . En définitive , il n'admet donc aucun principe unique. Il
penche plutôt vers un conglomérat , comme on l'a déjà observé.
La première partie de la quatrième question est composée , nous l'avons
vu, de deux textes, le premier anonyme et le second de Jean Scot de Rate ,
soutenant ici le caractère douteux des articles de foi. Ces considérations étant
groupées principalement autour de deux problèmes : la véridicité de l'Église
et la possibilité d'être trompé par Dieu37 , je passe à la deuxième partie , au texte
attribué à Guillaume de Salvarvilla, chantre de Notre-Dame et à ce titre chef des
écoles parisiennes, lié avec les Frères de la Vie commune et avec Gérard le Grand,
ÉTIENNE GAUDET 239

puis partisan de la via concilii et pour cette raison l'un de ceux qui ont pré-
cipitamment quitté Paris . Des lettres de Gérard le Grand nous apprennent
qu'il nourrissait pendant son séjour parisien l'idée de partir en mission chez
les schismatiques, donc les Grecs, afin de les convertir. L'homme avait des
idées bien arrêtées . Nous savons d'autre part , je l'ai dit au début de cette com-
munication, que Gaudet a fini par devenir son adversaire pour des raisons à
la fois politiques et ecclésiologiques . Ici , dans ce brouillon , nous observons
le premier désaccord entre les deux théologiens . L'opinion de Salvarvilla est
résumée dans une seule phrase notée en marge : « La conclusion avancée par
cette doctrine est que l'assentiment à la vraie foi , à savoir à la foi formée
par la charité , a infiniment plus de certitude qu'un assentiment à une con-
clusion de raisonnement ou à un principe d'une science quelconque » . Et la
remarque sur ce sujet : « Il s'agit là de la suprême certitude et c'est un mode
extrême >» 38 . Puis à la fin de cet abrégé , Gaudet indiquera pour soi- même
une autre voie à emprunter, une voie médiane entre celle de Salvarvilla et celle
de Jean Scot de Rate39 .
La question de Salvarvilla dévoile bien et avec une certaine solennité
son dispositif scientifique . On y lit d'abord les préambules, ensuite les suppo-
sitions, enfin les conclusions dont chacune est accompagnée de trois corollaires.
Dans ses préambules, Salvarvilla détache , comme d'autres d'ailleurs , l'évidence
et la nécessité de la certitude d'un assentiment à la foi . Pour le faire , il s'appuie
sur le texte de II Tim 1 , 12 : scio enim cui credidi, et certus sum, et il évoque
l'assentiment de Dieu au sujet des futurs contingents qui est certus, tamen non
necessarius. Mais la certitude de cet assentiment exige que soient remplies trois
conditions : ce en quoi on croit doit être vrai, connu et solide . Gaudet remarque
à propos du premier préambule qu'il n'apporte rien à la compréhension des
conclusions et, avant tout, à la démonstration de l'infinité d'une telle certitude ,
celle-ci demandant la plus grande évidence . Si , d'autre part , on détache l'évidence
et la nécessité de la certitude, il ne faut pas oublier qu'elles augmentent le degré
de cette dernière . Quant au deuxième préambule , Gaudet trouve superflue la
deuxième condition , si le cognitum est pris pour le creditum, et contradictoire
avec le premier préambule , si on prend le cognitum pour l'évident (pro evidenti).
Pour Gaudet, les deux conditions suffisent40 .
Les deux premières suppositions concernent le degré de certitude d'un
assentiment. Un assentiment ferme à la vrai foi est , selon Salvarvilla, sans aucune
comparaison avec la solidité et la certitude d'un assentiment à une conclusion
nécessaire , à une connaissance ou une évidence et infiniment plus grand (maior)
que lui. La troisième admet à son tour que les articles de foi et les principes
philosophiques ou scientifiques sont également vrais bien qu'ils ne soient pas
également nécessaires41 .
La première conclusion répète les deux premières suppositions et la
deuxième pose des limites : la seule foi formée par la charité peut engendrer
un assentiment très solide , c'est - à - dire infini . La troisième ouvre d'autres
perspectives : l'assentiment dont il s'agissait jusqu'à présent n'est pas le plus.
240 Z. KALUZA

solide ; plus fort encore est celui que l'on a dans un ravissement , une vision
ou une union avec le Verbe42 .
Il est clair qu'en excluant de la certitude d'un assentiment l'évidence et
la nécessité, Guillaume de Salvarvilla n'attribue à cet assentiment aucun carac-
tère scientifique . Se place-t-il sur le terrain de la théologie envisagée comme
une science ? S'agit-il encore de la connaissance par nos facultés naturelles
d'un article de foi ou des arguments apportés à l'appui de cet article ? Malgré
les apparences, Salvarvilla a préféré choisir le terrain strictement théologique ,
il ne s'intéresse qu'à la vertu de foi. Tel est le sens de la deuxième conclusion ,
limitative , présentant sous un autre jour toute sa question . D'ailleurs , il n'est
pas exclu que Salvarvilla ait bien vu la nullité de tout autre procédé, scienti-
fique ou non, lorsqu'il s'agit de prouver scientifiquement les articles de foi.
Toutefois, je note que ses conclusions ont comme fondement une vision assez
pessimiste de la nature humaine et de ses capacités. Salvarvilla croit que l'homme
n'est pas capable d'adhérer à la vrai foi , car une telle adhésion n'est point
possible sans la charité et sans Dieu dont l'homme n'est pas, comme il dit ,
naturaliter capax :
<< anima non est naturaliter capax assensus verae fidei, quia talis
assensus non est sine caritate et Deo, cuius anima non est natura-
liter capax ».

Toutes sortes de témoignages, l'Écriture , les miracles, les raisons, n'engendreront


donc jamais un assentiment plus sûr que celui des principes et des propositions
nécessaires :
< >nullum testimonium per scripturas vel per miracula vel per ratio-
«
nem vel aliud, absque gratia spirituali, sufficit causare assensum
verae fidei, nam nullum tale sufficit causare assensum firmiorem et
certiorem principiis complexis vel complexionibus de necessitate ».
Enfin, de même que l'intellect, sans une grâce spéciale , n'est pas capable de
connaître Dieu, de même la volonté ne peut opérer d'elle même un acte mora-
lement bon :
<<sicut intellectus sine gratia non potest habere actum fidei bonum, ita
nec intellectus ex suis naturalibus potest elicere actum bonum » 43 .
En définitive , j'ai l'impression que la théologie de Salvarvilla ne nous
instruit plus des articles de foi ni de leur caractère scientifique , mais bien de
la vertu théologale et sur le sentiment de la certitude et qu'elle cherche une
justification de ce sentiment .
Intimement liée à tous ces textes, la tertia responsio in aula Sorbonae
d'Étienne Gaudet frappe par la pauvreté de ses conclusions, par leur manque
d'originalité doctrinale . Il y veut répondre à la question : Utrum expediat viatori
catholico adducere rationes probabiles ad ea quae sunt fidei, mais ses deux pre-
mières conclusions reprennent les conclusions que nous avons déjà vues dans
ses papiers :
<< Prima conclusio his quae sunt fidei fideliter assentire est in
viatoris catholici libera potestate, etiam absque probabili ratione.
ETIENNE GAUDET 241

(Secunda conclusio) : ea quae sunt fidei nec sunt contra rationem,


nec supra rationem, nec praeter rationem, immo sunt vel esse possunt
secundum rationem et ex ratione vel per rationem seu per rationes
probabilia, etiam non catholico viatori » 44.
Toutes les deux constituent en même temps une désapprobation certaine de
Salvarvilla.
La troisième conclusion (responsiva) donne une réponse affirmative à
la question posée dans le titre : videlicet quod expediat catholico viatori. Elle ne
se justifie que par deux autorités . Celle de saint Augustin :
« J'ai attribué à la science non pas sans doute tout ce qui peut être
l'objet du savoir humain , où entrent tant de vanité superflue et
de dangereuse curiosité, mais seulement cette connaissance qui
engendre, nourrit, défend , fortifie la foi souverainement salutaire
qui conduit l'homme à la vraie béatitude » .
et celle de Guillaume d'Auxerre :
« Les raisons probables augmentent la foi et la confirment , la défen-
dent contre les hérétiques, poussent l'homme simple vers elle » 45 .
Gaudet prend soin de souligner cet aspect utilitaire du problème . Il le fait
en respectant pieusement le texte de Guillaume d'Auxerre . Et tout cela pour
avouer finalement l'impossibilité de définir l'assentiment à des raisons probables .

Dans tous les textes présentés ici , on ne parle plus de la ratio cogens ou
necessaria ; la seule preuve dont il s'agit est la ratio probabilis.
Si partout on tient pour vrai le contenu des articles de foi , les arguments
que l'on apporte à l'appui de cette vérité n'ont, à proprement parler , aucun
caractère scientifique : ils ne démontrent ni l'évidence ni la nécessité de ce con-
tenu . Ils sont donc probables, plaçant ainsi les articles sur le plan de l'opinion
sujette aux doutes . Le troisième élément de ces considérations, le degré de
la certitude , dépend totalement du degré de la probabilité des arguments . La
certitude infinie dont a parlé Salvarvilla apparaît ici comme une extravagance
vulnérable à la critique d'un Gaudet fidèle à la tradition de l'École . Mais sa fidé-
lité connaît une limite fixée par le problème du principe de théologie . Tout au
long du XIVe siècle , et notamment à Paris , les théologiens étaient d'accord pour
attribuer ce caractère à l'Écriture46 . C'est ce principe qui constitue la science
théologique , c'est de lui que la démonstration tire toute sa valeur . Or , Gaudet
l'a mis en doute puisque son évidence ne s'imposait pas - d'où ses considérations
sur la valeur du testimonium et ses interrogations sur la force probante d'un
miracle , d'une illumination, etc. Il ne trouve rien , mais la situation est intéres-
sante dans la mesure où , en rejettant le principe , le théologien essaie de construire
une preuve dont la force dépend totalement de ce principe même . Il en est sans
doute conscient : sa materia de fide n'étant autre chose qu'une succession d'essais
manqués, finit sans conclure . L'impression qui se dégage à la fin de la lecture
de cette materia est celle d'une recherche coupée d'une conception de la théologie
16
242 Z. KALUZA

qui doit être science et qui ne l'est pas et ne veut être rien d'autre. Sapée par
le doute , cette théologie ne s'attache qu'à la forme du syllogisme .
On peut donc aussi légitimement penser que le débat en question est
dominé par la recherche d'une forme de preuve suffisante et convaincante , à
même de convaincre un Juif ou un infidèle . A ce titre , notre théologien copie
les << huit voies » proposées par Duns Scot ou les persuasiones inartificiosae
de Jean de Calore . Il envisage même une « preuve » où la majeure ne peut pas
être niée (quam nullus utens ratione negaret), par exemple : Deus non facit
miraculum in testimonium falsitatis, et comme mineure un miracle , celui par
exemple de la conversion de Denys à Athènes . Hélas ! la forme de syllogisme
proposée n'est plus admissible : Non sic autem arguere possunt sacerdotes aut
studentes theologiae47 . C'est parce qu'il ne trouve aucune issue qu'il se tourne
finalement vers les utilités de la raison probable , débat qui dominera les discus-
sions du dernier quart de siècle et au-delà . Et c'est dans ce climat de doute sur
les principes et de probabilité des raisons apportées par l'homme que, dix ans
après la lectura de Gaudet , Henri de Langenstein va contester discrètement
la célèbre opinion sur notre désir naturel du savoir, en affirmant : humana
natura magis fuit instituta ad credendum quam ad sciendum quo ad istum
statum48 .
L'opinion propre d'Étienne Gaudet sur l'assensus fidei appartient à la tra-
dition qui commence avec Hugolin d'Orvieto, qui, à l'époque de Gaudet , est
représentée par le maître Raymond et plus tard le sera par Henri d'Oyta, et qui
voit l'origine de l'assentiment aussi bien dans la raison que dans la volonté .
Gaudet voudrait même ajouter d'autres éléments à ces deux là pour pouvoir
mieux asseoir un acte d'adhésion.
Je pense qu'il n'est pas sans un certain intérêt pour l'histoire de la Faculté
de théologie et pour celle du Collège de la Sorbonne d'avoir eu un aperçu de
ces questions d'auteurs inconnus ou très peu connus, de maître Raymond, de
Jean Scot de Rate , de Guillaume de Salvarvilla, d'Étienne Gaudet. Il n'est pas
non plus sans un certain intérêt pour l'histoire de l'Université de Paris d'avoir
découvert qu'un désaccord entre Gaudet et Salvarvilla, qui, lui , éclatera au mo-
ment du Grand Schisme , est déjà présent sous forme des polémiques doctrinales
dans le texte analysé .
Je pense d'autre part , avoir montré assez clairement la façon de travailler
à Paris dans les années soixante du XIVe siècle . Je ne veux pas insister sur le fait
d'une certaine perte de la vigueur spéculative : elle est visible dans ces textes,
mais elle peut être le fait de Gaudet et de ses arrangements . Elle est évidente
chez Gaudet lui-même . Je veux dire une autre chose . Dans une époque où des
personnalités de la stature d'un Grégoire de Rimini, d'un Jean de Ripa et d'un
Pierre d'Ailly se font fort rares , le style de travail que nous avons observé
ici devient ordinaire . Le cas de Jean de Mirecourt est bien connu . Mais dans
les années soixante, Étienne de Chaumont travaille avec beaucoup moins d'ef-
fort encore ; il copie un texte de Bradwardine pour lui répondre avec un texte
de Buckingham . Un auteur anonyme dont j'ai étudié autrefois un traité sur
ETIENNE GAUDET 243

la prédestination copie Grégoire de Rimini et Buckingham . Jean Hiltalingen


de Bâle n'est pas connu pour sa doctrine , mais pour sa façon de copier et de citer
ses contemporains . D'autres augustins , Denys de Montina et Ange de Dobelin,
procèdent de la même manière en copiant surtout Jean Hiltalingen . A cette liste,
certainement loin d'être achevée , ajoutons aujourd'hui le nom d'Étienne Gaudet .

NOTES

1. Z. Kaluza, Thomas de Cracovie, contribution à l'histoire du Collège de la Sorbonne,


Wrocław, 1978, p . 88-89 et 139-142.
2. Il s'agit des manuscrits Paris, Bibl. nat., lat. 15561 , 15888, 16408 , 16425 , 16533-16535,
16729, 16621. Ils ont fait l'objet de plusieurs études dont la plus importante est celle de
feu Mgr Glorieux, « Jean de Falisca. La formation d'un maître en théologie au XIVe siècle » ,
Archives d'Histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, XXXIII (1966), p. 23-104. Leur
attribution à Jean de Falisca est toutefois erronée car cette bibliothèque, riche en textes
autographes, a été créée par Etienne Gaudet. Cf. mon Thomas de Cracovie, p. 60-64 , 84-94.
3. Notamment les lat. 16425 (Summa de casibus de Raymond de Peñafort) et 16729
(concordances de la Bible).
4. Mgr Glorieux, op. cit. , passim.
5. Ibid., p. 76 sqq. Z. Kaluza, « Quelques traces du Commentaire des Sentences de
Thomas Felthorp » , Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie, 30 (1983) ,
p. 189-199. Le seul absolument inconnu est le maître Raymond.
6. Voir Mgr Glorieux, op. cit., p. 74-90.
7. Voir plus loin, p. 234-235.
8. Ms. lat. 16535 , f. 152r, Gaudet note en interrompant la transcription de Holcot : « In
isto dubio utraque pars tenetur, aliqui enim tenent unam partem, alii aliam. Tenendo igitur
partem dubii primo probatam (celle de Holcot), quidam doctor (sc. Holcot) praemittit
aliqua ». Puis au f. 153v, en introduisant le texte du maître Raymond : « Haec ab ipso
(sc . Holcot) de hac parte quaestionis et hoc modo respondendi dicta sunt . Pro alio modo res-
pondendi, tenedo quod credere sit in hominis libera potestate, praemittenda sunt aliqua ».
Et Gaudet de noter à la marge : « Alius modus respondendi, Raymundus contra Olcot ».
Quant à la quatrième question, voir p . 234 et note 14 .
9. Voir p . 234.
10. Le schéma de la première question est le suivant :

Gaudet Holcot

materia de fide, q. I : ISent. , q. 1:


arguitur quod non 1º... 7um argumentum principale...
20... art. 1, prima ratio
30... ratio secunda
40... ratio tertia
Sed ad haec quidam doctor (in marg. Chaton) Ad secundam rationem a quibusdam
ponit... conceditur...
Sed contra istam……. arguit primus doctor... rationes 1-10
Ad oppositum dubii... art. 6, dubium 1
Ad hoc possunt adduci multa signa... (in marg. (rien)
Raymundus adducit aliqua signa)…..
244 Z. KALUZA

Responsio ad dubium Ad dubia respondetur ...


Ad rationes (1-5) Ad 1-4 primi dubii.
(6-8) Ad 1-3 secundi dubii.
(deuxième partie)
(Alius modus respondendi. Raymundus (rien)
contra Olcot).
Dans la deuxième partie, on lit des reprises et répétitions du texte de Robert Holcot. Dans
ce qu'il convient d'appeler la bibliothèque de Gaudet, je n'ai pas trouvé d'autres extraits
de Holcot bien que son nom revienne assez souvent sous la plume de notre sorbonniste.
11. Pour le rôle de Holcot dans cette question , voir f. 154v : « Ad oppositum sunt doctores
quamplures immo pene omnes, qui ad ea quae sunt fidei rationes et persuasiones multas
adducunt ; et ponantur hic de hoc aliqui. Et primo quidam doctor volens persuadere credenti
sic procedit... » . Il s'agit de Robert Holcot, IV Sent. , q. 3. Le même texte de Holcot, bien
corrigé, est cité par F. Hoffmann, Die theologische Methode des Oxforder Dominikaner-
lehrer Robert Holkot, Münster, 1972 (Beiträge zur Gesch. der Philos. und Theol. , N.F., 5 ) ,
p. 147, note 188. Plus loin, f. 156r, Gaudet note encore : « Oppositum autem aliquorum
istorum tenet Olkot, quaestione prima, articulo primo, cuius rationes solvuntur satis a
Raymundo » . Sont également cités dans cette question : Jean de Mirecourt , f. 155v ;
<< Jean Scot » , f. 155r-v et 155v- 156r ; Jean de Calore, f. 156r-v. Qui est Jean Scot ? Le texte
qui lui est attribué commence par « Considerandae sunt etiam illae 8 viae quas magister
Io. Scotus in prima quaestione Scripti sui (enumeravit) , quae fidem nostram esse veram
ostendunt » (f. 155r) . Puis, lorsque Gaudet reprend ce texte contre Mirecourt (f. 155v) , il
note : « Sed contra. Et ponantur in forma aliqua de mediis Scoti supradictis » . Plus loin en-
core (voir note 23), il renvoie au même texte : « Et istud satis patet ex dictis Scoti supra... ».
Dans les papiers de Gaudet, l'indication « magister Iohannes Scotus » désigne habituellement
le maître Jean Scot de Rate (cf. lat. 16535 , f. 161r ; lat . 16408 , f. 194v et 220v ; pour
ce dernier endroit, cf. Mgr Glorieux , op. cit. , p . 52) . Or les « huit voies » correspondent exac-
tement au texte de Duns Scot, Ordinatio, Prol. pars 2, q. unica ; Vat. I, nos 100-117. Gaudet
savait très bien que Duns Scot est l'auteur des « huit voies » ; il les a même copiées aupara-
vant avec toutes les données « bibliographiques » nécessaires. En effet, ce court texte écrit
de la main de Gaudet est conservé dans le lat. 16533 , f. 60v-61r, avec cette indication :
« …….aliqua motiva Doctoris Subtilis super Prologum primi Sententiarum et sunt VIII mo-
tiva... ». Remarquons enfin qu'aucune de deux versions manuscrites ne répète mot à mot
le texte imprimé dans l'édition Balić et qu'elles divergent entre elles. Nous constatons ainsi
qu'en reprenant les « huit voies » Gaudet ne s'est pas servi de sa propre copie conservée dans
le lat. 16533. Il se peut donc que Scot de Rate avait repris à son compte les « huit voies >>
de Duns Scot et que Gaudet a cru bon de recopier , pour des raisons propres à sa méthode
d'opposer les opinions « extrêmes » , la version trouvée chez Jean Scot de Rate . Il est
également difficile de dire si le texte de Mirecourt , interrompant celui de Scot de Rate , se
trouvait déjà dans la question de ce dernier. La formule adoptée par Gaudet (et ponantur
in forma aliqua de mediis…..) semble l'exclure . Le texte de Mirecourt reprend au f. 156r,
avec une conclusion introduite par « six propositions » , et il continue jusqu'au : « haec
ille de hoc ». L'opinion de Jean de Calore n'est donc pas opposée à celle de Scot de Rate
(et de Duns Scot), mais à celle de Mirecourt.
12. Voir p. 232 et note 24.
13. Ms. lat . 16535 , f. 158r : « Respondendum ad principale punctum 3um de principio
credendi et generaliter omnium assensuum intellectualium in nobis ; videnda sunt dicta
cuiusdam Magistri ». La note marginale de Gaudet indique ici : Saluauilla. La fin de ces
extraits n'est pas signalée et je ne sais pas si les conclusions qui suivent sont également de
Salvarvilla. Son nom revient encore au f. 159v. Pour Guillaume de Salvarvilla, mort en 1384-
1385 , voir R.R. Post, The modern devoiton, confrontation with Reformation and Humanism,
Leiden, 1968, p . 80-85, 130 , 137, 146-148 ; Z. Kaluza, « Note sur G. de S. , auteur de
deux poèmes sur le Grand Schisme » , Mediaevalia philosophica Polonorum, XIX ( 1974) ,
p. 161-167.
14. Ms. cité, f. 160r- 161r : An fides sit dubitabilis vel infallibilis. En marge, on annonce :
10 scolastice. Cela nous rappelle une autre question, le dubium scolasticum : an ecclesia po-
test errare, mentionné dans le ms. lat. 16408 , f. 222r (cf. Mgr Glorieux , op. cit. , p. 28 et 49)
ETIENNE GAUDET 245

et qui se lit dans le même manuscrit, au f. 177v. Toutefois, le texte n'est pas le même.
La remarque « scolastice » indique qu'il s'agit d'un texte scolaire, probablement, dans
notre cas, d'une dispute scolaire in capella Sorbonae, réservée exclusivement aux mem-
bres du Collège (cf. ms. lat. 16408, f. 221v dubium scolasticum in capella Sorbonae et
Mgr Glorieux, op. cit., p. 48). Le texte qui ouvre la quatrième question est donc une reprise
d'une ancienne dispute d'exercice. Son état matériel ainsi que certaines répétitions notées
déjà par Gaudet (« 60 principaliter videtur quod fides sit dubitabilis et istud aliqualiter
tactum fuit supra... ») , montrent que ce dernier l'a recopié tel quel. Au f. 161r, à l'endroit
où on lit : << Aliter dicunt alii quod (Deus) potest de potentia absoluta decipere, sed non de
ordinata » , commence le texte de Jean Scot de Rate. Il prend fin au f. 161v. Le texte copié
ici est identique avec celui du ms. lat. 16408, f. 194v- 195r : « Magister Johannes Scotus
determinavit de illa materia an Deus possit decipere aliquem », signalé déjà par Mgr Glorieux,
op. cit., p. 52-53 et cité supra, p. 197-214 par J.-F. Genest. Sur ce maître écossais, voir
D.E. R. Watt, A Biographical Dictionary of Scottish Graduates to 1410, Oxford, 1977,
p. 465-466 ; W. J. Courtenay, K. Tachau , « Ockham, Ockhamists, and the English - German
Nation », History of Universities, 2 (1982 ) , p . 53-95 . Il est également mentionné comme
socius par Grégoire de Rimini qui polémique contre lui dans son II Sent. , dist. 7, q. 1 , 3
et 4 ; cf. Gregorii Ariminensis, O.E.S.A. , Lectura super Primum et Secundum Sententiarum,
éd. D. Trapp, t. V, Berlin, New-York, 1979.
15. Ms. lat. 16535 , f. 170/171r. Les arguments 9 et 10 appartiennent au texte de Jean Scot
de Rath, f. 161r-v.
16. Gaudet : Holcot, III Sent. , q. I :
f. 170/171r-v art. 6
f. 170/171v- 172r art. 7
f. 172r-173r art. 8
17. Ibid. , f. 176r.
18. Ibid. , f. 153v : « Per credere intelligatur assentire revelatis a Deo per testimonium alte-
rius complacenter » . Une conclusion suit cette définition : « Conclusio ad dubium, quod
credere est in hominis libera potestate ; patuit per signa quae adducta fuerunt contra Olcot ».
Les signes du maître Raymond ont été cités auparavant, f. 152r, où ils interrompent le texte
de Robert Holcot (voir plus haut, note 10). Une note marginale les signale. Voici le texte :
< Ad hoc possunt adduci multa signa scilicet quod credere vel discredere sit liberum, quia est
meritorium vel demeritorium . Item de duobus aequaliter dispositis unus credit alter non .
Item idem homo (e) duobus aeque inevidentibus sibi propositis uni credit, alteri non. Ideo
adhuc potest esse quia voluntas potest remanere impedita (ms. impedita) respectu unius
ad credendum, scilicet non investigare media ad oppositum, vel non considerare ad illa iam
habita, vel cavillare, vel solvere illa, vel condemnare, aut aliter impedire ac quaerere invi-
tamenta (?) ad credendum relata per alios, quae ponuntur prima Rhetoricae, quae sunt ex
parte narrantis ut sit prudens, iustus, benivolus, ex parte audientis ut sit affectuosus rei
propositae, ut sit credulus (ms. credibilis) , ut patet primo Rhetoricae (cf. I 2, 1356a , 2-21 ;
Arist. Lat ., XXX 1-2 , p . 9-10) . Et posset deduci quomodo illa sunt in hominis potestate >>.
Le problème de la liberté de croire a été touché au f. 153v , dans un très bref texte conte-
nant sept propositions. Le même problème de la liberté est aussi celui de la division à l'inté-
rieur de l'école de la Sorbonne : d'un côté, nous avons le maître Raymond et Etienne Gaudet,
de l'autre, Guillaume de Salvervilla ; cf. plus bas, p . 240-241.
19. Ibid., f. 153v : « Dicendum quod hic sunt imaginanda duo extrema : unum quod in
potestate hominis sit nullo testimonio sine motivo ad hoc habito libere assentire, aliud
quod omnibus positis quae poni possunt, possit dissentire. Inter quae sicut media vadit
veritas, scilicet quod aliquibus positis potest assentire vel non assentire, et non omnibus. Et
in hoc est libertas, quod aliquibus et non omnibus. Et est ibi dare (?) certam latitudinem et
maximam et minimam, sicut in aliis similibus. De narratione historiali, quia videtur aliquibus
quod sufficit ad credendum, dicuntur 3ia , scilicet quod narratio articulorum non est histo-
rialis, quia narratio historialis est de rebus gestis visis, perceptis et expertis. Et licet narratio
historialis sufficiat ad credenda gesta, non tamen ad credendos articulos, quia sunt magis
inevidentes. Narratio enim historialis non convincit etiam, nisi affectatos illis rebus, ut patet,
quia historias quas una natio recipit, alia reprobat » .
246 Z. KALUZA

20. Ibid., f. 156г, Dubium secundum. Le texte commence par la négative : « Et arguo
primo quod non. Ad conclusionem demonstratam non est expediens immo superfluum
adducere rationes probabiles, igitur nec expedit ad fide credita... (f. 154r). 2º ad idem, vide-
licet quod huiusmodi rationes non expediant nec opitulentur fidei, quin potius e contrario
(f. 154r)... 3º principaliter, si tales rationes expedirent aut quia per hoc infideles repelluntur
et fideles manuducuntur, aut quia, ut aliqui fingunt, per adductionem talium rationum
removetur obstaculum, nam, ut dicunt isti, aliquam conclusionem non esse probatam est
quoddam obstaculum ad assensum illius, quia est signum de illam non esse veram (f. 154v) ».
L'ad oppositum reprend : IV Sent. , q. 3, de Robert Holcot avec cinq corollaires ; les « huit
voies » de Duns Scot, un extrait de Jean de Mirecourt et un autre de Jean de Calore. Cf.
note 11 .
21. Ibid. , f. 156г : « Sed ad oppositum quod articuli fidei sint magis probabiles suis oppo-
sitis, quidam Magister (Jean de Calore) alias declarabat, pro quo praemittebat quod secun-
dum doctores rhetoricos, maxime secundum Alfarabium, inartificiosarum probationum sunt
8 species per testes, per legem, per pactum, per iuramentum, per miraculum, per tormen-
tum, per eum in cuius ore non est inventum mendacium, per conformitatem gestuum
corporalium ad verba. Et istis 8 modis probat Scriptura articulos fidei. Per testem Actuum...
(f. 156v). Ex istis praemissis et praesuppositis ponuntur aliqua, ut concludatur intentum.
Primo quod inartificiosae probationes artificiosis sunt minus certae. Patet, quia per magis
remota. Et vocantur hic artificiosae probationes syllogismi et loci dialectici. 2º ponitur,
quod inartificiosae probationes ad artificiosas sunt reducibiles. Patet quia possunt poni
in forma syllogistica vel entymematica. 3º ponitur quod tales probationes inartificiosae sunt
supplebiles et per suppletionem possunt fieri artificiosis aeque certae vel magis , sicut dicitur
quod simplicia verba apostolorum, propter sanctitatem eorum, erant philosophicis argumen-
tis efficaciora, et miraculum de resurrectione Lazari visum fuit fortius rationibus oppositis
Aristotelis. Ex his infertur propositum, quod articuli fidei probati per probationes inarti-
ficiosas reductas et suppletas et confortatas sunt probabiliores assertationibus oppositis,
non obstante quod maior pars dissentiat, quia non acceptat probationes huiusmodi nec
reductionem, suppletionem aut confortationem, propter affectationem oppositam. Haec
ille de hoc ».
22. Ibid. , f. 156v : « Sed ista opinio et praecedens sunt quasi extreme oppositae, ideo
potest aliter dici et responderi mediando inter. Et est una positio scolastica quae (…..) capitur
tantum in proposito assensus fidei, quem de dictis Christi et suae ecclesiae habere debemus.
Qui quidem assensus habet 3 condiciones, nam est verus, propter quod differt ab errore ;
firmus, propter quod differt ab opinione ; inevidens saltem per fidem, propter quod differt
a demonstratione ».
23. L. cit. : « Tunc ponuntur 3 conclusiones. Prima est quod nulla fides Christi est contra
rationem, licet forte aliqua sit supra rationem. Patet ista conclusio , quia quaelibet ratio
improbans fidem peccat in materia vel in forma, cum claudat falsum. 2ª conclusio : nulla
fides Christi est praeter rationem. Apparet quia alias videretur irrationabile si omnino
careret ratione et omnino sine ratione crederemus, et per consequens fatue nec virtuose.
(...) Et istud satis patet ex dictis Scoti supra (cf. note 11 ) et de Calore (cf. note 21) et
aliquibus aliis supra positis. 3ª conclusio : nulla fides Christi est tantum per rationem qui-
nimo ad omnem talem concurrit libera voluntas. Unde Augustinus, ubi supra : cetera potest
homo nolens (Sup. Ioh. , XXVI , 2 ; P.L. , 35 , 1607) , etc. Et probatur ratione, nam cum
talis ratio sit inevidens, assensus, qui praecise illi inniteretur, foret dubius. Ex his fides habet
veritatem ex primo , probabilitatem ex secundo, firmitatem ex 30. Ex primo differt ab errore,
ex 2º a temeritate, ex 30 ab opinione. Ex his potest inferri triplex corollarium : quod sola
fides Christi est recta, quia sola habet 3ª praedicta ; 2m, quod talis assensus, qui descriptus
est, habendus est de solis dictis Christi, - patet ex primo ; 3m, quod talia dicta Christi soli
tali assensu sunt credenda ; patet, nam demonstrari non possunt, opinari non licet ».
24. Ibid. , f. 1571 , Tertium dubium : « Alia responsio, quae est etiam media, praemittit
quod fides potest imaginari habere probabilitatem vel ex parte creditorum, vel ex parte
tradentium, vel ex parte eius, cui creditur. Et utraque (sc. prima et secunda) habet diffi-
cultatem. Prima difficultas de creditis (est) nimis lata, eo quod multa sunt. 2ª , scilicet ex
parte tradentium, est nimis profunda, nam nec est bene clarum an apostoli addiderint
aliquid dictis Christi et an ecclesia nunc praesens addiderit aliquid dictis apostolorum et
ETIENNE GAUDET 247

Christi. Et hae duae obmittuntur. Sed de 3ª ponitur conclusio, quod fides Christi est proba-
bilis et adducuntur pro nunc tres rationes ». Je ne sais pas de quel texte cet abrégé est tiré
ni quel est son auteur, appelé tout simplement Respondens (voir la note 25). Je remarque
aussi qu'en admettant que l'opinion de ce Respondens se place entre deux extrêmes, elle
est dite media, Gaudet ne l'accepte cependant pas tout à fait et note scrupuleusement son
désaccord sur plusieurs points. - Un autre problème appelle encore quelques éclaircisse-
ments. Ce texte commence, au f. 157r, par un abrégé, annoté par Gaudet, d'une question
d'un Respondens. Au f. 158r, on lit les dicta cuiusdam magistri dont le nom, Salvarvilla,
est noté en marge. Ce même nom revient au f. 159v. Entre ces deux indications, on lit une
série de conclusions qui n'appartiennent pas à Salvarvilla car elles sont rédigées contre lui.
Sont-elles de Gaudet ? Je crois pouvoir le dire en m'appuyant sur quelques renvois aux
questions précédentes et sur le caractère inachevé de ces notes. Les mêmes critères m'obli-
gent à lui attribuer le texte du f. 157v au f. 158r. Nous avons donc : f. 1571-v, le Respondens ;
157v-158r, Gaudet ; 158r-v, Salvarvilla ; 158v- 159r, Gaudet, 159r-v, Salvarvilla ; 159v,
dernières lignes, Gaudet.
25. Ibid. , f. 157r : « Prima est ista : cuicumque misso a Deo est credendum ; Christus fuit
huiusmodi. Maior patet ratione et minor per signa experimentaliter visa, ut ecclesia recitat.
2ª ratio sit haec, quod fides nostra sit probabilis : quia non est levis aut stulta, igitur est
probabilis. Patet consequentia. Secundum Boethium omnis assensus rationabilis est per
probationem quamvis aliquando imperceptibilem. (...) Ex ista inferebat Respondens quod
fides est quaedam opinio vel non est sine opinione, nam omnis assensus per rationem non
demonstrativam est opinio. Ex isto ulterius intulit quod fides, opinio et scientia possunt
stare simul et possunt esse simul in eodem et de eodem imo sunt eiusdem speciei ; imo idem
actus numero potest esse successive scientiae, opinionis et fidei, quia harum connotata
sunt contingentia, scilicet inevidentia, formido ; nec sunt differentiae specificae sed solum
individuales. 3a ratio sit haec : fides Christi non est in aliquo suspecta, igitur est probabilis.
Antecedens patet, quia nil est ibi quin sit bene ordinatum et bene ordinans hominem ad
legem naturae, scilicet ad bonum convictum cum Christo et ad unum cultum Dei, quae duo
sunt de lege naturae » . Dans la marge, en haut de la page, Gaudet conteste la deuxième
raison : «< Contra illud quod assumit in 2ª ratione, cum dicit omnem assensum fore per
rationem saltem imperceptibilem, - contra, quia vel procedetur in infinitum vel erit aliquid
per se probatum seu creditum vel probabile, cui propter se creditur et tunc detur illud.
Non videtur posse ratio quare propter se credatur, cum non sit plus evidens, quare credibile
primum dant ; et consimiliter ut illud poterit dubitari et probari concesso quod nunquam
creditur sine motivo et ratione. Unde non credo Sorti plus quam Platoni sine causa. Dicitur
quod non procedetur in infinitum sed devenietur ad aliqua prima quamvis non evidentia,
quae bonitatis intellectus non protervi creduntur » . Toute la troisième question porte sur
ce primum, c'est-à-dire le principium credendi, sa nature et sa valeur. La troisième raison
du Respondens ajoute une coloration morale à la question. Gaudet la conteste également :
« Contra , quia fides trinitatis, eucharistiae , non videntur ordinare ad bene vivere , imo ad
cultum Dei » .
26. L. cit. « Ex isto inferebat (sc. Respondens) quod si esset aliqua lex in qua aliquid tale
foret quod non esset ordinatum ad legem naturae aut foret sibi repugnans, non foret tenen-
da, quia intentio eius esset suspecta (in marg. Corollarium de principio credendi). Ex isto
inferebat quod auctoritas ecclesiae modernae seu nunc praesentis est principium credendi
nobis seu nunc praesentibus credentibus, quia in illam resolvitur totus processus noster quo
credimus, ut apparuit in illo primo argumento (voir note 25) , nihil enim de Christo aut
primitiva ecclesia, scimus, nisi per recitationem praesentis ecclesiae. Si autem ponatur aliter,
quod malum non (ms. non malum) recedit ab auctoritate ecclesiae, foret nostrae fidei
principium istud : esse revelatum a Deo est indubitanter et firme credendum >» .
27. L. cit. : « Obicitur contra, quia vel [ est ] istud est fide creditum, vel non. Si sic, igitur
non est principium fidei, quin imo supponit fidem. Si non, igitur creditum dubie, cum non
sit evidens ; igitur non potest fidem generare, quae certa est. Item si esset principium fidei,
esset sufficiens ad generandum fidem et tunc in quocumque poneretur, necessario generaret
fidem . Si dicatur quod est principium, tamen insufficiens, sequitur tunc insufficienter funda-
tam. Et consimilem argumentum potest fieri si secundum primum modum ponatur aucto-
ritas ecclesiae principium nostrae fidei, quia aut illa auctoritas fide tenetur, et tunc oportebit
248 Z. KALUZA

quod teneatur auctoritate infallibili, et tunc generetur de illa et erit processus in infinitum ;
vel non fide creditur et sic dubie creditur. Ergo non est principium firmi assensus fidei.
Responderi potest ad hoc talem auctoritatem esse sui ipsius auctoritatem, sicut notitia
ultimate resolutiva est sui ipsius notitia et experientia sui ipsius experientia. Et sic forsan
potest dici de illo principio generali ' omne revelatum a Deo est indubitanter tenendum '
nam et ipsummet est revelatum a Deo. Et sic est reflexio et non est processus in infinitum ».
28. L. cit., Gaudet note en bas de page : « Cum arguitur : omne revelatum a Deo etc. ,
A est revelatum, videtur petitio principii, nam praemissae sunt aeque notae ut conclusio
et non plus, quia sola fide utraque. Item illae praemissae non ponuntur in canone, saltem
ita expresse, ut conclusio. Modo, ut videtur, nullum expressum in canone videtur tenendum
propter minus expressum. Definite videt quomodo in creditis pure sit ordo certitudinis ».
Et puis << Deus, Christus, ecclesia, ius ».
29. L. cit. : « Sed si (f. 157v) quaeratur quae auctoritas sit post principium talis actus,
vel Christi et apostolorum vel auctoritas ecclesiae nunc praesentis, sive quod principium sic
positum vel complexum formatum de auctoritate tali, scilicet ' omne revelatum a Christo '
etc., vel istud : ' omne traditum ab ecclesia ', etc., et videtur quod secundum ex praedictis,
quia nescimus aliqua esse auctorisata a Christo, nisi per traditionem ecclesiae » . Gaudet
ajoute ici : « Ad oppositum, quia ecclesia non est credibilis nisi quia auctorisata et fundata
a Christo. Hic est bona speculatio. Et videtur quod ad hoc dissolvendum multum expedit
considerare processum syllogisticum quo credimus et considerare an maior propositio sit
magis principium vel potius conclusio aut econtrario. Et tunc videbitur quid dicendum ».
30. Ibid. , f. 157v : « Circa huiusmodi principium credendi occurunt consideranda intellec-
tus, fides, voluntas, ratio (in marg. De principio credendi prima propositio) . Intellectus de
se non est sufficiens principium actus credendi. (2ª propositio :) Intellectus cum habitu
fidei infuso non est sufficiens... (3ª propositio :) Intellectus cum voluntate non sufficit.
Patet ex supradictis alias, in primo dubio huius materiae ; etiam quia opposito primi prin-
cipii posset quis assentire. Sed posset dici quod evidentia primi principii impedit ; sed in
neutris, sicut ' rex sedet ', ' astra sunt paria ', patuit quod non sufficiunt intellectus et volun-
tas ; de hoc supra (f. 151r, Holcot et f. 153v, Raymond) . (4ª propositio :) Item intellectus
cum voluntate, fide infusa non sufficerent, ut supra. (5ª propositio :) Item intellectus
cum voluntate, fide infusa, ratione probabili et eruditione forsan non videtur debere suf-
ficere ad assensum suum formare (?), forsan quod possent sufficere. (6ª propositon :)
Item intellectus cum voluntate, ratione, fide acquisita et consuetudinaria nulli dubium
quin de facto sufficiant, sed ante debeant (...) , quia quantam vim consuetudo habet leges
ostendunt, nam causant assensum firmiorem assensu primorum principiorum , quamvis
non rationabilem ».
31. L. cit. « Hic incidit supradicta difficultas de auctoritate. Creditur enim, sicut dicitur,
quia verax et omnisciens, nec fallere vult nec falli potest. Unde haec creduntur vel propter
se... vel per aliud . Pro huiusmodi difficultatibus evitandis posset poni quod sola gratia Dei et
eius tractus seu lux intrinseca et veritas aeterna sufficiunt ad actum credendi perfectum.
Sed utrum sufficiat gratia aliqua gratis data seu donum sapientiale ? Et an actus talis requi-
ratur sub poena peccati respectu articulorum vel sufficiat credere fide acquisita et consuetu-
dinaria, ut quamplurimi credunt, ut tangit Olkot supra, istae sunt investigationes pertinentes
ad materiam de bono morali ». Ce qui n'appartient pas à la morale sera réfuté plus loin,
en même temps que l'opinion de Salvarvilla.
32. L. cit. « Circa praedicta advertendum , quod circa credulitatem nostram occurrunt
revelatio extrinseca, miraculum, probatio, affectatio, quorum neutrum sufficit ad assensum
sine formidine de ignotis et inevidentibus. Sed inspiratio interna Dei et illuminatio seu
veritas aeterna et incommutabilis, de qua frequenter Augustinus et alii multi, ut Augustinum
allegantes, et Hibernicus in materia de intellectu agente, de Ripa in materia de lumine,
specie, visione, Gregorius... Sed ulterius hoc non videtur sufficere, nam auctoritas, experien-
tia, revelatio, inspiratio , ut videtur, ratione certantur et regulariter examinantur. Unde non
est evidens talia esse recta, ut videtur, nisi ratione, nam , ut dictum fuit, nulli assentire posse
sine ratione saltem imperceptibili (cf. note 25) . Pure tamen probabilis ratio non sufficit
voluntati non affectae aut non aliunde illuminatae. Et per consequens non sufficit mira-
culum. (...) Quaeratur etiam secundum illum modum ponendi, existentes extra gratiam,
ÉTIENNE GAUDET 249

cum non habent lumen veritatis incommutabilis credunt firmiter sicut (f. 158r) ante, ut
patet per experientiam , igitur tale lumen non requiritur ».
33. Ibid. , f. 158r : « Sed possunt dari aliqui modi. Unus modus est consimilis modo quo
assentit scientifice uni conclusioni quam recordatur se demonstravisse, tamen oblitus est
demonstrationis ; et sic Paulus perdita visione assentit visis per eum . Vel potest dici quod in
talibus perdita gratia manet quoddam donum speciale...Sed adhuc redeundo ad probabilita-
tem fidei videtur quod fide credita possunt non solum sufficienter imo evidenter probari,
nam ibi multa continentur quae sunt a philosophis demonstrata, puta Deum esse immuta-
bilem et non posse mentiri, quae, nulli dubium, fide credenda, nam ea negans peccaret
mortaliter et esset haereticus. (... ) Sed magis ad propositum : an articuli possint efficaci
ratione probari. Dicendum quod quo ad illos qui aliquo nobiscum conveniunt, puta Iudaeos,
qui recipiunt antiquum testem qui bene scire (ms. sciret) Scripturam posset, non potest
probari per lucem intrinsecam, sed bene per extrinsecam. Verbi gratia, sumo unam maiorem
quam nullus utens ratione negaret... ». Cf. p. 242.
34. L. cit. , note marginale : Ad 3m de principio credendi. L'abrégé de la question de
Salvarvilla : <« Respondenum ad principale punctum 3m de principio credendi et generaliter
omnium assensuum intellectualium in nobis ; videnda sunt dicta cuiusdam Magistri. Et sunt
ista. Convenit namque, ut ait, assentire complexis sine haesitatione, 1º ex evidentia termi-
norum, sicut principiis ; 2º ex demonstratione, sicut conclusionibus. Et his modis non assen-
titur articulis fidei. Et si dicat quis se habere demonstrationem ad articulos, vadat ad infide-
les convertendum. 30 instinctu naturali sicut naturaliter assentimus principiis moralibus,
sicut huic unicuique reddendum est, quod suum est ', est enim mentibus hominum boni
inserta cupido. Ex isto modo non contingit assentire articulis fidei, nam sunt difficiles ad
credendum et facultatem nostram excedunt. 4º modo contingit sic assentire ex syllogismo
falsographo sicut assentit goemetres quando credit quadrasse circulum et etiam quando ex
inevidenti discursu quis credit evidenter assentire conclusioni... 5º ex quodam sentire, sicut
geometra ex habitu scientifico firmiter assentit conclusionibus, quas explicite nescit demons-
trare. Et istud cognoscere non dicitur videre , quia non est evidens nec explicitum nec per
discursum. Et differt ab instinctu , quia iste acquisitus, ille est naturalis. Et sic theologus
assentit articulis et est modus loquendi ' sic sentio de isto articulo cui credo '. Et istud sentire
venit ex habitu scientiae vel fidei. Sic loquitur Apostolus Ad Phil. 20 (5) : hoc sentite in
vobis quod etc. 6º ex consuetudine, quia assentimus firmiter sine haesitatione his quae fre-
quenter audivimus... (f . 158v) 70 ex miraculis... 80 ex ratione et verisimilitudine sicut
assenserunt Aristoteles et Commentator. Sic etiam possunt articuli fidei ostendi per probabi-
lem rationem. Hanc rationem quaerebant philosophi Graeci, I Cor., c. 1 (22) : Iudaei signa
petunt, Graeci sapientiam (Gaudet note à cet endroit : « Iste non est 8us modus assen-
tiendi articulis sine haesitatione » . 9° auctoritate dicentis... 100 ex affectione ... Gaudet
note ici : « Iste non est (modus) rationabilis ; amor et odium pervertunt iudicium » ) .
11º ex revelatione... Haec autem revelatio accipitur pro aliqua supranaturali ostensione ...
(Gaudet note : « subdividitur, videtur esse auctoritas » ) . Aliter capitur revelatio pro men-
tis illustratione ad intelligendum vel assentiendum alicui, quod prius erat obscurum vel
incertum...>>.

35. Ibid. , f. 158v : « His praemissis possunt poni conclusiones. Prima sit haec, quod per
istorum maiorem partem potest quis falso assentire . Et inducitur ad aliquibus ; de ratione -
patet, nam nihil prohibet quaedam esse probabiliora quibusdam veris ; de consuetudine -
nam quis potest esse assuefactus audire falsa a principio ; de auctoritate ... ; de falsographo
non est dubium ; solum de sentire. Similiter de affectione quae vertitur per minas et promis-
siones ; de miraculis...2ª conclusio, quod ex illis 7 motivis contingit erronee assentire firmi-
ter verisimilibus, nam ex eisdem vel similibus vel aequalibus contingit firmiter assentire
quibusdam falsis, qui tamen assensus est erroneus. Igitur conclusio vera. Patet (f. 159r) con-
sequentia, nam conclusio quae innitatur falso medio est mentalis falsa, quamvis vocalis sit
vera. Istud declaratur, nam sic arguendo omnis asinus est animal, omnis homo est asinus,
ergo omnis homo est animal... Confirmatur, omnis assentiens veris per ista 7 motiva credit
se non opinari, immo credit scire per illa, cum tamen opinetur. Ergo erronee assentit. Con-
sequentia patet... Potest tamen dici quod talis non errat in conclusione sed in motivo ,
nam erronee innitatur motivo. Sed difficile est videre quin totus assensus iste sit erroneus
si processus vel medium sit erroneum. Tamen securius videtur dicendi quod talis non errat
250 Z. KALUZA

in conclusione sed in motivo, nam erronee innitatur motivo, propter quod assensus con-
clusioni seu articuli est verus ; et inquantum assentit illi argumento non errat, sed inquan-
tum innitatur motivo . ( … ) Respondeo quod ex medio erroneo seu motivo assentire
firmiter aliquo complexo contingit dupliciter vel sicut ex medio intrinseco (une mau-
vaise construction de syllogisme) ... vel sicut per medium extrinsecum (une incohérence
des prémisses, par exemple l'une provenant du Coran, l'autre de la Bible). Pro hoc et iuxta
hoc ponuntur conclusiones. Prima conclusio, quod ex erroneo motivo tamquam medio
intrinseco non concluditur mentalis articulus fidei. ( ... ) 2ª conclusio : ex erroneo mo-
tivo per medium extrinsecum (ms. extrinseco) contingit assentire mentali articulo (…… .. ;
f. 159v) 3ª, contingit ex motivo erroneo vel mere probabili arbitrari se firmiter articulis
assentire... » .

36. Ibid., f. 159v, en répondant à Salvarvilla, Gaudet soutient : « Numquam interna


ispiratio est principium potissimum infallibile credendi ».
37. Ibid. , f. 160r- 161v. Voir plus haut, note 14.
38. Ibid. , f. 161v.
39. Ibid. , f. 162v.
40. Ibid. , f. 161v : « Nunc de eius (sc. fidei) certitudine aliqua sunt adducenda. Et ad-
ducitur breviter quaedam positio cuiusdam Magistri Reverendi, quae alibi habetur magis
diffuse (je ne l'ai pas trouvée) . Pro qua praemittam (ms. praemittum) praeambula. Primum
est quod ad hoc quod aliquis assensus sit certus, non requiritur quod talis assensus sit
evidens vel necessarius, nam essensus fidei est certus. Unde Apostolus... Etiam assensus
Dei de futuris contingentibus est certus, tamen non necessarius. - In hoc praeambulo
petitur principium, nam contra philosophum purum nihil probat ad conclusionem, potissime
ad ostendendam infinitam certitudinem, nam talis requireret maximam evidentiam vel
saltem ceteris paribus certitudo evidentiis foret certior. Nam quamvis evidentia non sit
necessaria ad certitudinem, tamen cooperatur. Similiter de necessitate de qua satis bene
probatur, quia non requiritur, tamen bene cooperatur, ut diceret oppositum opinans.
Similiter contra istud praeambulum est ista additio ' in infinitum ', quia, ut videtur, crea-
turae rationali in via nec forsan in patria est infinita certitudo possibilis. Hoc contra illud
pro nunc. - 2m praeambulum est quod ad certitudinem assensus requiruntur 3ª, quod
creditum sit verum, cognitum et firmum. Firmiter autem assentitur A quando nulla cogente
extrinseca potentia dissentire potest. - Hic vel ponitur cognitum superfluitate pro credito
vel repugnanter ad 1m praeambulum si capitur pro evidenti. Non igitur videntur ponendae
nisi 2ae conditiones. 3m praeambulum satis clare est, quod assensus aequaliter habentes
has conditiones aequaliter sunt certi... >>.
41. Ibid. , f. 162r : « Prima suppositio, quod firmitas assensus verae fidei est incompara-
biliter et in infinitum maior quam firmitudo assensus conclusionis de necessitate. Probat,
nam per aliquam potentiam extrinsecam cogentem potest tolli assensus (primi) principii
complexi ,vel conclusionis de necessitate, puta per apparentiam falsigraphicam. Non sic
de assensu (fidei) ... 2ª suppositio ponit hoc idem de cognitione, assensu , evidentia. 3ª sup-
positio : quamvis complexa fidei et principiorum non sint aequaliter necessaria, tamen
sunt aequaliter vera, veritas enim, ut dicit, non suscipit magis et minus ».
42. L. cit. « Prima conclusio , quod assensus verae fidei est certior in infinitum quam
(ms. quod) assensus conclusionis de necessitate aut complexi principii particularis scien-
tiae. Probatur ex praecedentibus, nam firmitudo excedit firmitudinem et cognitio non
excedit cognitionem et veritas est aequalis utrobique . Igitur sequitur conclusio ... 2a
conclusio sola fides caritate formata sufficit causare assensum fidei firmissimum modo
dicto ... (f. 162v) 3ª conclusio est ista assensus verae fidei praedictus non est firmissimus
assensus possibilis creaturae, nam certior est assensus raptus vel visus [vel ] animae Verbo
unitate >» .

43. Je cite la première conclusion, corol. 2 et 3 et la deuxième conclusion, corol. 3. Voir


aussi note 34. Au sujet des discussions sur la capacité de l'âme , voir W. J. Courtenay ,
Adam Wodeham, An Introduction to his Life and Writings, Leiden, 1978 , p. 103 n. 226,
106-107, 120 sqq.
ÉTIENNE GAUDET 251

44. Ms. 16535 , f. 135r. Les trois conclusions de la tertia responsio ont déjà été publiées
(selon une abréviation du même texte) par Mgr Glorieux, op. cit., p. 90-91 où elles sont
attribuées à tort à Jean de Falisca. Voir aussi p. 236 et note 23.
45. Ibid., f. 135v. Cf. S. Augustin, De Trinit. XIV, I 3 - P.L. , 42 , 1037 (je cite la traduc-
tion de P. Agaesse, Bibl. augustinienne , 16, p. 349) . Guillaume d'Auxerre, Summa aurea,
I, Prol. (éd. J. Ribaillier, Paris-Rome, 1980, p. 15 , 15-16 , 22).
46. Voir sur ce sujet l'étude de P. de Vooght , Les sources de la doctrine chrétienne, (s.1 . ) ,
1954.

47. Cf. plus haut, note 33.


48. Henri de Langenstein, I Sent. , Prol. , q. 1 , a. 2 (Alençon, Bibl. mun. , ms. 144, f. 13rb).
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE :
PIERRE D'AILLY

Alfonso MAIERÙ

Pierre d'Ailly traite de la matière trinitaire , dans le rapport qu'elle a avec


la logique , à la Question cinq du premier livre des Sentences, qui date de 1376-
1377. Cette question est ainsi formulée : Utrum positio fidei de dei unitate et
personarum trinitate probabiliter valeat sustineri¹ . Il traite de cette même
matière dans la Quaestio de trinitate, soutenue au temps où il était bachelier
formé ( 1377-1381 ) Utrum esse tria supposita unius naturae sit perfectio
simpliciter simplex incommunicabilis creaturae, à laquelle sont annexés un
Mémoire justificatif de certaines affirmations avancées au cours de la discussion,
et un Additif au Mémoire justificatif2 . Pour moi, je suivrai la question posée au
premier livre des Sentences, en utilisant quand il le faudra l'autre question :
je me limiterai aux aspects de la logique de l'argumentation et de la discussion
des paralogismes en matière trinitaire , plutôt qu'à la logique de la supposition
des termes essentiels , personnels , communs et notionnels dans les propositions
concernant la Trinité³ .
Quand notre auteur composa les deux questions , Paris était sans nul doute
un des centres , sinon le centre , du débat sur la possibilité d'utiliser la logi-
que aristotélicienne dans le domaine trinitaire . C'est à Paris qu'avaient trouvé
un ample écho les positions des théologiens anglais4 qui , après Duns Scot ,
avaient contribué à marquer un tournant dans ce débat désormais séculaire .
C'est là que Grégoire de Rimini avait lu les Sentences, et son influence , dans
ce domaine aussi , fut longtemps vive5 . C'est là enfin que dans les années mêmes
où Pierre d'Ailly était bâchelier, Henri Totting de Oyta était en pleine activité ,
y compilant probablement , vers 13756 , l'Abbreviatio du Commentaire des
Sentences d'Adam Wodeham, et y composant certainement les Quaestiones
Sententiarum ( 1378-1380 ) qui traitent amplement des paralogismes dans
la matière de divinis" .
Les théologiens qui prennent part à ce débat utilisent généralement << deux
siècles de scolastique comme un tout organique »8 ; ceci est vrai aussi pour
Pierre d'Ailly qui se mesure avec la tradition - même si les auteurs cités sont rela-
tivement peu nombreux (outre Pierre Lombard , on trouvera surtout Duns Scot,
Ockham, Adam Wodeham, Grégoire de Rimini) – et qui, discutant les réponses
254 ALFONSO MAIERÙ

déjà connues, apporte ses propres solutions, montrant comment un théologien


peut s'en tenir à une doctrine désormais bien définie et , en même temps, reven-
diquer clairement pour lui-même l'exercice de la raison.

La question cinq du premier livre des Sentences se compose de trois


articles, dont le premier illustre quid concedat positio de trinitate. La formu-
lation du dogme de la Trinité fournie ici9 suit de très près la position adoptée
par le Concile du Latran IV ( 1215) qui défendit Pierre Lombard et condamna
Joachim de Flore 10. Cette position , selon Pierre d'Ailly, non seulement << non
est nobis naturaliter evidens nec potest evidenter probari » , mais de plus «< nec
ex Scripturis novi ac veteris Testamenti potest evidenter concludi » . Tout en
assurant vouloir seulement ponere probabiliter et non pas asserere la seconde
partie de son affirmation , notre théologien retient que la formule trinitaire << non
continetur formaliter et expresse [...] in textu bibliae [ ... ] aliter ecclesia in
suis conciliis et sancti in suis libris non laborassent ad concludendum illam
positionem ex Scripturis » 11 , et qu'on ne trouve pas non plus dans l'Écriture
la doctrine selon laquelle l'essence divine n'engendre pas et n'est pas engendrée 12 ,
-
doctrine soutenue par Pierre Lombard : « ante determinationem » - par l'Église,
au Concile mentionné — « in qua Magister Sententiarum approbatur et eius sen-
tentia, non concludebatur evidenter illud nec ab Augustino, nec a Magistro,
nec ab aliquo alio » 13. Si l'Église est parvenue à la determinatio d'une formule
trinitaire qui ne se trouve pas evidenter dans l'Écriture, il faut retenir avec
notre auteur (qui expose toujours probabiliter son point de vue) , que les deter-
minationes du magistère , ou définitions dogmatiques, ne procédant pas << per
evidentem illationem ex Scripturis » , procèdent au contraire « per specialem
revelationem factam catholicis » 14. Ainsi se trouve défini, et par là même
circonscrit, ce qui peut être affirmé , et distingué de ce qui ne peut pas l'être
mais qui peut être énoncé et soutenu comme probable et appartenant au plan de
la discussion (opinabile). La règle à laquelle il faut se tenir est la suivante :
<< Nullus hominum in hac materia ex proprio sensu aliquid audeat asserere , quod
non sit a sanctis doctoribus approbatum. Sic enim docet Hilarius dicens quod
'forma fidei certa est ' »15. Asserere est, dans ce contexte , en opposition à
ponere, ou dicere probabiliter ; et on trouve aussi des formules plus amples qui
reprennent cette distinction : «< responsionem ex dictis doctorum probabiliter et
non assertive, sed pure recitative persuadere » , « non assertive, sed disputative
persuadere >> 16 .
Mais, tout en s'en tenant à la « forma fidei » , le théologien poursuit son
travail en s'appliquant à l'exercice de la raison probable et en perfectionnant
ses techniques . Pierre d'Ailly a une conception très élevée de la profession de
théologien. Alors qu'il est très dangereux , affirme-t-il, que les imperiti se hasar-
dent à «< aliquid definire in materia de trinitate , aut in eadem ex proprio capite
respondere » , il est par contre «< valde utile [...] studere in materia trinitatis »
pour acquérir les instruments d'un usage correct de la raison en théologie et bien
posséder l' «< ars recte syllogizandi in hac materia » . Et il conclut : << Ideo apparet
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 255

blasphemia quorumdam imperitorum catholicorum, maxime iuristarum praela-


torum et aliorum, qui dicunt inutile esse de hac materia disputare , sed sufficit
simpliciter credere . Sed anathema sit qui hoc dixerit . Arbitror enim utilius
episcopum de hac magna [ ! ] disputare , quam de saecularibus vetularum negotiis
et vilibus litigiis disceptare » 17. La tâche que notre auteur pense être assignée
aux doctes fidèles , celle d'apparenter sustinere sans contradiction évidente
leur propre foi face aux incroyants, il en trouve l'exemple le plus clair dans
I Petri, 3 , 15 : « Parati semper ad satisfactionem omni poscenti vos rationem
de ea quae est in vobis fide » 18 (fide au lieu de spe est un autre cas de cette
variante à ajouter au dossier dressé par le P. de Ghellinck sous le titre , sans doute
trop limité, << La devise apologétique » 19) .
Mais, pour pouvoir saisir le sens de l'intervention de la raison qui va servir
à articuler et à encadrer le discours trinitaire , il faut reparcourir la hiérarchie des
divers niveaux de l'évidence et déterminer les divers plans sur lesquels la raison
elle-même , selon notre auteur, peut opérer . Les limites assignées à l'évidence
s'articulent selon la dialectique de potentia absoluta et de potentia ordinata
de Dieu . Si l'on entend par évidence absolue l' <« assensus verus sine formidine
causatus naturaliter, quo non est possibile intellectum assentire et in sic assen-
tiendo decipi vel errare » , et par évidence conditionnée , ou secundum quid, ou
ex suppositione, le même type d'assentiment donné par l'intellect «< stante dei
influentia generali et nullo facto miraculo » 20 , il faut reconnaître que le viator
a l'évidence absolue , non seulement du premier principe , ou principe de contra-
diction, mais de nombreuses autres vérités, même contingentes (comme celles
qui regardent l'expérience intérieure)21 . Au contraire , pour ce qui est de l'expé-
rience extérieure, l'homme peut seulement avoir l'évidence secundum quid,
ce qui implique que la connaissance du monde extérieur a une valeur , à condition
que le cours de la nature soit celui habituel , fixé par Dieu son auteur , et en
présupposant que la toute-puissance divine , de par elle-même , puisse intervenir
pour le changer22 .
Est opinion ce qui n'est pas évident et s'accompagne d'incertitude ; elle est
<< nata causari ex notitia alicuius propositionis , vel aliquarum propositionum, non
evidenter sed probabiliter solum » . Si la notitia ne s'accompagne pas d'incerti-
tude mais est causée « principaliter ex auctoritate seu testimonio aliorum >» ,
il s'agit alors de la foi23 .
L'évidence absolue est infaillible , ce que n'est pas l'évidence conditionnée24 .
Et encore, in evidentia sunt gradus, au sens que le premier principe est
parfaitement évident et que le reste l'est plus ou moins selon que l'on se rappro-
che ou que l'on s'éloigne de ce principe25 . Et , d'autre part, une chose qui ne
serait pas évidente peut le devenir si elle est ramenée à un principe évident ou
est déduite de ce principe évident26 . Ainsi , à travers le syllogisme démonstratif,
on engendre per rationem demonstrativam vel evidentem la science ou l'évidence ,
alors que, partant de principes discutables et procédant per rationem dialecticam
praecise vel probabilem, on crée seulement l'opinion27 . L'évidence est quali-
tativement différente de l'opinion , et il n'y a pas d'opinion qui puisse être
256 ALFONSO MAIERÙ

renforcée par l'apport d'arguments probables jusqu'à devenir évidente , étant


donné que l'évidence et l'opinion demeurent toujours incommensurables28 .
Une fois défini le domaine de l'évidence, il faut préciser qu'aussi bien
le lumen naturale - c'est-à-dire la connaissance sans erreur, possible à notre intel-
lect de communi cursu naturae - —, que la ratio naturalis, — ou raison argumentative
à partir de ce qui nous apparaît de communi cursu naturae , appartiennent
au domaine gouverné par la nature29 en tant qu'expression de la potentia
ordinata de Dieu (naturaliter vel de lege ordinata)30 . Le lumen naturale a pour
caractéristique la capacité de posséder la connaissance certaine qui nous est
possible en ce monde ; et c'est une capacité limitée , étant donné que tout ce
qui n'est pas évident pour nous ici-bas peut l'être in lumine superiori31 . La ratio
naturalis, pour sa part, est le règne de l'apparens (qui est vrai aussi) plutôt que
celui de l'evidens ; elle est donc proprement le règne du probable32 .
Evidence absolue , évidence conditionnée , raison démonstrative (qui,
ramenant à une évidence une proposition qui comporte un doute , la rend à
son tour évidente) 33 , raison probable , voilà les termes qui limitent et qualifient
les diverses validités de nos affirmations. Mais toutes les affirmations, en quelque
domaine qu'elles soient faites, doivent être mesurées sur le premier principe ou
principe de contradiction , dans le sens que toute proposition qui n'implique pas
une contradiction est possible , et donc pensable ; et si l'on admet que , de l'article
de foi concernant la toute-puissance divine , on peut inférer probabiliter qu'une
chose qui n'a pas été , n'est pas , et ne sera pas , peut cependant, per dei om-
nipotentiam, esse vel fieri, il sera alors permis d'affirmer dans l'hypothèse
de la proposition concevable que celle - ci pourrait être rendue vraie per dei
omnipotentiam, même si jamais elle n'a été , n'est , ni ne sera vraie 34. La condi-
tion sine qua non de toute proposition est donc qu'elle soit possible , c'est-à -dire
pensable sans contradiction . A ce titre, même l'imaginable appartient au domaine
du possible . Si, d'une part , imaginari équivaut en fait à mente concipere, ou
mente formare aliquam propositionem - et dans ce même sens ce qui est impos-
sible et contradictoire peut être imaginé , d'autre part, imaginari équivaut
à << mente formare aliquam propositionem cum apparentia quod ita sit , vel
cum apparentia quod non sit repugnantia quin ita possit esse » ; le terme étant
entendu dans ce sens, il faut conclure que ce qui est contradictoire ne peut
être imaginé35 .
Mais considérons le rapport entre les articles de foi et le premier principe .
Notre auteur est catégorique rien de ce qui est enseigné par la foi chrétienne ,
ni la doctrine chrétienne dans son ensemble , n'impliquent la contradiction ou
la négation du premier principe ; et, en outre, aucune des consequentiae évi-
dentes ou qui pourraient être valables (tenere) en vertu du premier principe
ne doit être rejetée à cause de quelque aspect de la foi chrétienne . Cette affir-
mation, placée en tête des questions sur les Sentences, fournit la clé qui nous
donne accès à tout le discours sur le rapport entre logique et Trinité auquel,
du reste, on est explicitement renvoyé dans le texte36 . En réalité , si quelqu'un
voulait nier le premier principe ou adhérer à son contraire , il errerait dans la foi
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 257

- et la preuve en est le fait que « ex opposito primi principi sequitur oppositum


cuiuslibet articuli fidei » . Et pourtant, Pierre d'Ailly affirme que le fait que
quelqu'un peut nier le premier principe ou adhérer à son contraire non contra-
dicit fidei nostrae, ce qu'il faut comprendre dans l'unique sens que consente
l'exaltation d'un principe de foi : « dicere quod deus possit huiusmodi assensum
vel dissensum causare non contradicit fidei, immo videtur favere articulo de
omnipotentia dei » 37. Si la foi apparaît compatible avec le premier principe ,
elle n'est cependant pas mesurée par lui, puisque notre évidence suprême est
accrochée , du moins par voie d'hypothèse , à la toute -puissance divine , la-
quelle << ha si gran braccia »38 qu'elle peut l'accueillir et la dépasser, en causant
sa négation dans l'homme.
La doctrine trinitaire confirme les données exposées jusqu'ici . Si la positio
fidei ne nous est pas naturellement évidente (puisqu'elle ne nous est connue ni
per se, ni per experientiam) , et si elle ne peut être prouvée avec évidence (du fait
qu'elle ne peut être ramenée par la démonstration à un principe évident in
lumine naturali, sinon l'infidèle pourrait être contraint par la force de la raison
naturelle à affirmer les articles de foi)39 , cependant « sicut [ ...] est a nobis
imaginabilis, sic ipsa probabiliter est sustinibilis » . Pour prouver cette dernière
affirmation , Pierre d'Ailly argumente ainsi la positio fidei peut être crue par
nous, et donc aussi imaginée ; et, de fait, credere aliquid équivaut à apparere sic
esse, et imaginari signifie la même chose . Donc, si on peut la croire , on peut aussi
l'imaginer, même si ce n'est pas < « naturaliter perfecte et clare » . A cela , il faut
ajouter que , comme il est démontré dans la question 1 , article 2 , «< ad eius appa-
rentiam possunt aliquae rationes probabiles fieri, sicut miracula et persuasiones » ,
et que, on le verra, elle « potest sine contradictione sustineri » . Être croyable et
imaginable , être susceptible de recevoir le soutien de rationes probabiles, et être
soutenable sans contradiction sont les «< tres conditiones requisitae et sufficientes
ad hoc quod aliqua positio possit probabiliter sustineri >» 40 .

Il reste à considérer maintenant comment il est possible de surmonter


la difficulté de l'apparente contradiction de la doctrine trinitaire , et c'est ce que
fait notre auteur dans le second article de la question cinq : Utrum positio de
trinitate possit sustineri sine contradictione.
Étant donné qu'on entend par contradiction la répugnance manifeste
existant quand , de la même chose , on soutient à la fois une affirmation et une
négation, et qu'on distingue la contradiction qui a lieu entre les termes (generare,
non generare) de celle qui a lieu entre deux propositions, dont l'une parfaite-
ment universelle et l'autre particulière , toutes deux résultant des mêmes termes ,
mais de qualité opposée41 ; l'auteur affirme : «< licet positio de trinitate concedat
terminos contradictorios de terminis supponibilibus pro eodem, ipsa tamen non
concedit propositiones contradictorias , nec ullam implicat contradictionem »> .
Les contradictions conséquentes à la formulation trinitaire peuvent être toutes
ramenées à des contradictions entre termes, non pas entre propositions . Toute
position qui admettrait des propositions contradictoires serait impossible ,
17
258 ALFONSO MAIERÙ

tandis que la proposition trinitaire est logiquement possible et , qui plus est,
vraie (dans la foi)42 . La position de la Trinité peut donc être soutenue sans
apparente contradiction , même si contra protervum on ne peut evidenter prouver
qu'elle n'implique pas contradiction . En d'autres termes, d'un côté nous avons
la confirmation que la foi ne nie pas le premier principe , même si « blasphema-
verunt quidam dicentes primum principium non tenere in divinis » ; et d'un autre
côté nous avons l'affirmation que la proposition négative suivante ne pourrait
être prouvée avec évidence : « positio de trinitate non implicat contradictionem >> :
si cela se pouvait, il s'ensuivrait la possibilité de prouver avec évidence que
la position de la Trinité est possible43 . Il s'ensuit que contra protervum on ne
peut non plus prouver avec évidence la proposition négative suivante : «< positio
de trinitate non concedit propositiones mentaliter contradictorias » ; l'hérétique
endurci pourrait en effet argumenter ainsi de même que les propositions,
<< Iste Marcus currit » , « Tullius non currit » , bien que n'étant pas contradictoires
vocaliter, le sont toutefois realiter et mentaliter, puisqu'elles désignent toutes
deux le seul Ciceron , de même les propositions qu'on peut formuler en matière
de Trinité peuvent ne pas être contradictoires au niveau vocal, mais l'être au
niveau mental et réel . En l'occurence, Pierre d'Ailly retient que la position
opposée à celle de l'hérétique peut être défendue , mais pas prouvée evidenter.
Par contre , pense-t-il , contra protervum la proposition suivante peut être prouvée
evidenter : << positio de trinitate non concedit propositiones vocaliter et menta-
liter contradictorias » . Comme on l'a dit, en matière trinitaire ne se rencontrent
pas des propositions contradictoires au sens propre , c'est-à -dire qui aient la forme
requise par le «< carré » des oppositions entre propositions, forme à laquelle se
réfère l'adverbe vocaliter44 . Tout en ayant admis que « contradictio solum
mentalis est ita evidenter impossibilis sicut vocalis et realis » (ou encore : « sicut
vocalis et mentalis simul » )45 , le théologien fait maintenant appel à la corres-
pondance entre le plan mental et le plan linguistique pour exclure qu'il y ait con-
tradiction au niveau mental une fois que celle-ci a été exclue de la formulation
linguistique correspondante .
Mais une position analogue à la position trinitaire a été admise par les
philosophes antiques , tel Platon , qui retinrent que l'espèce est réellement
ses individus, et par conséquent qu'une chose , qui n'est pas Dieu , est plures
res et quaelibet illarum46 . Donc , de même qu'en théologie on admet qu'on
peut soutenir sans contradiction qu' <« una res sit tres res et quaelibet illarum » ,
de même (eadem ratione et eodem modo ) on peut admettre qu'il y a une
créature << quae sit tres res et quaelibet earum » . Qu'il puisse y avoir une telle
créature n'implique aucune contradiction manifeste in lumine naturali. Mais ,
de même que n'apparaît pas avec évidence la possibilité de la Trinité, de même
nous ne savons pas evidenter si une telle créature est possible ou non . D'autre
part, la position platonicienne ne peut «< evidenter improbari, sicut nec posi-
tio de trinitate in divinis » . On peut au contraire soutenir, sans tomber dans
la contradiction , qu'une créature une et trine puisse exister per absolutam
potentiam dei47 .
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 259

Le discours sur la Trinité, comme celui sur la réalité de type platonicien,


exige seulement qu'on puisse argumenter en faveur de ces positions avec des
raisons probables, l'évidence de leur possibilité étant pour nous exclue . Aussi
l'auteur peut-il s'avancer jusqu'à nier qu'il y ait dans les créatures cette structure
trinitaire retenue au contraire pour vraie dans la réalité divine . A cette fin, il
pose deux règles selon la première , qu'une position puisse être soutenue sans
contradiction n'est pas ratio sufficiens pour qu'elle ne doive pas être niée ; nom-
breuses sont en effet les vérités rationabiles et probabiles, dont les non-vérités
contraires (oppositae falsitates) peuvent être soutenues sans contradiction,
comme c'est le cas en philosophie naturelle . La seconde règle affirme que les
catholiques , et en général tous les hommes, doivent refuser la position dont
l'opposé , circumscripta fide, apparaîtrait évident in lumine naturali, à moins que
la foi n'impose de l'admettre : or, circumscripta fide, il apparaît évident in
lumine naturali (et c'est-à -dire , comme nous l'avons vu , à notre capacité de saisir
la vérité selon le cours de la nature) qu'aucune chose ne peut être une et trine .
Ceux qui l'admettent ne sont pas, selon Pierre d'Ailly , dignes du nom de philo-
sophe << Proprietas philosophi est quod innitatur lumini naturali, nisi ubi
oppositum docet lumen fidei ». Qui admet la doctrine platonicienne reconnaît
quelque chose d'aussi difficile à soutenir que l'est la positio de trinitate ; que
l'espèce soit realiter plusieurs individus et chacun d'entre eux , voilà qui est
même , d'une certaine façon , plus difficile à soutenir que la position trinitaire ,
puisque la foi ne pose pas entre les personnes divines cette distinction essentielle
qui existe entre individus de la même espèce48 . La négation de la position plato-
nicienne est vera et rationabilis, et la preuve en est que si l'on admet cette posi-
tion il s'ensuit des conséquences irraisonables : c'est du moins ce qui apparaît à
la lumière naturelle , à l'évidence de laquelle seule la foi peut faire exception49 .
Qu'on tienne bien présent à l'esprit que, dans ce contexte , l'auteur se
réfère à l'évidence de la lumière naturelle laquelle est évidence secundum quid.
A ce domaine appartiennent les deux affirmations déjà rencontrées qu'une
créature soit, ou puisse être, « tres res et quaelibet illarum » ne comporte aucune
<< manifesta contradictio in lumine naturali » ; et , en même temps , que « circum-
scripta fide, apparet evidens in lumine naturali quod nulla res potest esse tres
res et quaelibet earum »> 50 .
L'écart entre les deux assertions réside entre ne pas comporter une mani-
festa contradictio et apparere evidenter. La position de la foi , comme celle de
Platon et des platoniciens, ne comporte pas une manifesta contradictio : elle peut,
a-t-on dit, << probabiliter sustineri sine contradictione » , en entendant par là
justement << quod non potest duci ad contradictionem manifestam in lumine
> 51 . Confrontons maintenant la difficulté de démontrer la Trinité avec
naturali »
celle qu'on rencontre dans la démonstration de la commensurabilité du diamètre
(<«< diameter est symmeter » ) . On peut montrer (ostendi) l'impossibilité que le
diamètre soit commensurable , « per consequentias regulatas per dici de omni vel
de nullo , vel reducibiles ad eas » , tandis que , non seulement on ne peut montrer
l'impossibilité de la trinité, mais bien plus , aucune de ses conséquences n'est niée
260 ALFONSO MAIERÙ

par la position trinitaire , comme on le verra dans le troisième article52 . Les deux
cas ne sont pas d'égale difficulté ; celui relatif à la Trinité est certainement
de difficulté moindre , du moment qu'il nie seulement l'apparere evidenter à
la lumière naturelle .
Nous pouvons maintenant comprendre correctement une autre affirmation
de Pierre d'Ailly, selon laquelle la foi (Sainte Écriture , définitions dogmatiques ,
ou ce qui peut en découler) permet de vérifier «< contradictoria de eadem re >>
et que cela est difficillimum à comprendre53 . L'article de la Trinité, en effet ,
ne viole pas le principe de contradiction ; la Trinité est pensable et imagina-
ble, des raisons peuvent l'appuyer même si, dans ce domaine , nous est déniée
toute évidence .

Le troisième article pose le problème : Utrum positio de trinitate possit


sustineri sine formae syllogisticae et alterius bonae consequentiae negatione.
C'est ici que Pierre d'Ailly affronte expressément le thème des paralo-
gismes propres à la matière trinitaire : il examine quatre exemples de syllogismes
d'exposition, expositorii54 , deux exemples de syllogismes communs , respecti-
vement dans barbara et dans calarent, qui sont des modes tout à fait évidents55 ,
et enfin deux exemples de «< consequentiae non syllogisticae sed conversivae »
>,
respectivement une conversio simplex et une per accidens56.
La position de notre auteur est définie en trois conclusions . Selon la pre-
mière , il faut répondre affirmativement à la question posée par l'article : en
effet, la position de trinitate est vraie , toute forme syllogistique ou toute autre
conséquence est une proposition vraie et nécessaire , et il n'y a pas discordance ,
mais bien consonance entre les multiples vérités ( « Omne verum omni vero
consonat, nec aliquod verum alteri vero repugnat » )57 .
La seconde conclusion affirme que tous les arguments donnés à titre
d'exemple sont des paralogismes ; ils sont en effet apparentes et non existentes ;
apparentes parce que , «< circumscripta fide et lumine naturali apparerent evi-
dentes » ; non existentes, parce que le consequens qu'ils impliquent est toujours
faux, et «< impossibile est ex vero sequi falsum » . Tous pèchent donc par la
matière ou par la forme58 .
Pour la troisième conclusion enfin, « pure creditum est, nec est evidens in
lumine naturali » que les arguments fournis comme exemples soient des para-
logismes la foi nous dit qu'ils sont matériellement ou formellement défectueux
tandis que << per artem logicae seu quamvis aliam non possumus evidenter
ostendere in lumine naturali quod non sunt boni » . On retrouve dans ce cas
encore le manque d'évidence constaté jusqu'à présent en matière de Trinité59 .
Nous ne suivrons pas l'auteur dans son examen de chacun des paralo-
gismes ; nous nous limiterons à recueillir les indications susceptibles de préciser
la possibilité et les limites de l'utilisation de la logique en théologie trinitaire .
En ce qui concerne le syllogisme d'exposition , Pierre d'Ailly retient que
le principe sur lequel il se fonde ( « quaecumque uni et eidem sunt eadem, inter
se sunt eadem » ) , n'a pas de valeur in divinis ; le syllogisme avec prémisses
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 261

singulières n'est donc pas consequentia formalis puisqu'il n'est pas valable in
omnibus terminis. Il est évidemment valable in creaturis ; mais si le philosophe
admettait qu'une créature est «< tres res et quaelibet earum » , le syllogisme
d'exposition devrait être nié aussi in creaturis60 .
Le discours sur le syllogisme commun est plus articulé . Selon certains, il fau-
drait ramener à celui-ci le syllogisme d'exposition 61. Une fois écartée l'interprétation
selon laquelle dans les paralogismes des modes barbara et celarent se trouveraient
<< fallacia figurae dictionis vel accidentis » , et une fois rejetée l'opinion qui limite
la validité du syllogisme au monde naturel62 , notre auteur va à la recherche
d'une manière d'argumenter valable <« in omnibus terminis, tam in divinis quam
in creaturis » il faut en effet, à son avis , «< ostendere qualiter peccant et qualiter
danda sit ars formalis et generalis in omnibus terminis arguendi >» 63 . Laissant de
côté les amples développements faits par Adam Wodeham et Grégoire de Rimini
- maîtres rappelés d'ailleurs comme représentant les « Doctores moderni tam
Parisienses quam Anglicani » 64 - , Pierre d'Ailly s'efforce d' « explicare unum
brevem modum mihi placentem et apparentem inter omnes formaliorem » 65 .
Après avoir rappelé la règle aristotélicienne du syllogisme commun , c'est-
à-dire le dici de omni et de nullo, il en déduit en premier lieu qu'une prémisse
qui ne dénote pas le dici de omni et de nullo n'est pas suffisamment universelle ,
c'est-à-dire dotée de l'universalité requise pour régir le syllogisme et le rendre
bonus de forma ; en second lieu , étant admis qu'une prémisse est suffisamment
universelle , si sous le terme distribué par le syncatégorème est comprise une
chose pour laquelle ce terme n'est pas distribué , le syllogisme non valet de
forma ; et donc (tertio) tous les syllogismes proposés en cette matière pèchent
en ce qu'ils ne sont pas régis par le dici de omni ; et (quarto) qu'ils n'ont pas
de prémisses simpliciter et sufficienter universelles66 .
Il faut donc préciser quelles sont les propositions universelles et quels
sont les syncatégorèmes qui opèrent l'universalisation ou la distribution . La pro-
position universelle est double . Il y a une proposition universelle dans laquelle.
de forma le sujet est distribué simpliciter, c'est-à-dire par laquelle on dénote
que «< [de] quocumque dicitur subiectum , de eodem dicitur praedicatum, si sit
affirmativa, sicut dicendo : ' omnis res quae est a est b ' , vel ' quicquid est
a est b ' ». Et puis il y a une proposition universelle dans laquelle de forma
le sujet n'est pas distribué sic plenarie et simpliciter, mais seulement secundum
quid. Ces deux types de propositions , respectivement universelle simpliciter
et universelle secundum quid, sont équivalentes in creaturis, mais non pas in
divinis, et elles ne seraient pas même équivalentes in creaturis si on admettait
qu'une créature est « plures res et quaelibet illarum » ; ils sont donc différents
de forma.
Seul le premier type d'universalitas, ou distributio, peut permettre (requi-
ritur et sufficit) que le syllogisme soit convenablement régi . Et parce que omnis
et nullus servent seulement à distribuer les propositions universelles secun-
dum quid, ce sont d'autres syncatégorèmes qui rendent la proposition simpliciter
universelle . Ces syncatégorèmes sont : omnis res quae est, nulla res quae est,
262 ALFONSO MAIERÙ

et d'autres qui leur sont équivalents67 . Sur ces bases, notre auteur fait la critique
des solutions fournies par Grégoire de Rimini et Adam Wodeham68 .
Toutefois, pas plus que dans les passages précédents et de manière ana-
logue , les solutions avancées ici ne prétendent supprimer tous les doutes, et
en tout état de cause , elles n'apportent pas d'évidence . Dans ce cas non plus,
en effet, non est nobis evidens que le syncatégorème distributif indiqué opère
une distribution du terme sujet qui suffise à un bon syllogisme . Ce distributif,
et la distribution opérée par lui, pourraient être mis en échec par l'intervention
de Dieu dans les créatures ; en tout cas , pour que le syllogisme soit dûment régi ,
il est requis beaucoup moins de la positio de trinitate que d'un cas imaginable
quelconque in creaturis69 .

Pour les consequentiae conversivae, enfin, Pierre d'Ailly a également


recours à la distinction entre proposition universelle simpliciter et proposi-
tion universelle secundum quid (distinciton montrée cette fois au moyen de
l'expositio ) la proposition universelle simpliciter vaut non seulement ad
syllogizandum, mais aussi ad convertendum70 .
En définitive , la distinction entre deux types de propositions univer-
selles est l'ars formalis et generalis in omnibus terminis arguendi fournie par
Pierre d'Ailly71 . Toute proposition universelle , introduite en général par omnis
ou nullus, peut être interprétée de l'une des deux manières exposées plus haut .
A qui demande alors quel est de virtute sermonis le sens de ces propositions uni-
verselles qu'on peut interpréter ainsi, notre auteur répond : pour ceux qui ont
la pratique adéquate en matière trinitaire , elles sont équivoques, à moins qu'on
ne veuille les utiliser dans un sens plutôt que dans un autre ; pour ceux à qui
fait défaut cette pratique , au contraire , elles ont un seul sens, qui correspond
à celui de l'usage le plus répandu72 . La fonction de l'exercice nous est , de
cette manière , confirmée en conclusion de la question que nous avons exa-
minée également sous son aspect logique , afin de «< rationem reddere » de
notre propre foi - exercice de la raison en théologie , à la recherche d'une voie
praticable, à égale distance de l'évidence et de la contradiction .

NOTES

1. Je cite d'après l'édition : Petrus de Alliaco, Quaestiones super libros Sententiarum


cum quibusdam in fine adjunctis, Strasbourg, 1490 (rééd. Frankfurt a. M. , 1968 ) ; la ques-
tion cinq est aux f. i3ra-k 5rb. Un examen de cette question et de la suivante (cf. n. 2),
ainsi que du Sermo de trinitate prononcé à Gênes le 11 juin 1405 , est dans B. Meller,
Studien zur Erkenntnislehre des Peter von Ailly, Freiburg i.B. 1954 (Freiburger theolo-
gische Studien, LXVII) , p . 211-222. Pour les dates fournies ici et plus loin, relatives à
la bibliographie de Pierre d'Ailly, cf. P. Glorieux, « L'oeuvre littéraire de Pierre d'Ailly »,
Mélanges de science religieuse, 22 ( 1965) , p . 62-64.
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 263

2. Edité dans le t . I de Gerson, Opera omnia, éd. E. Dupin, Antwerpiae 1706 , col. 617D-
620D, 625C-630B (Mémoire justificatif), 620D-625C (Additif au Mémoire justificatif) ;
cf. P. Glorieux, op. cit. , p. 64.
3. La distinction des termes est dans I Sent. , q. 5 , a . 1 , B-C , éd . citée f. i3va-i4ra ; la doc-
trine de la supposition des termes in divinis et les règles qui s'y rapportent sont dans l'article
2, M-O (tertio notandum) , ibid. , f. i6vb-k lra.
4. H. G. Gelber, Logic and the Trinity : A Clash of Values in Scholastic Thought 1300-
1335, Ph. D. Diss. University of Wisconsin, 1974. A propos de l'entrée à Paris d'ouvrages
théologiques anglais entre 1338 et 1343 , cf. plus haut la communication de W. J. Courtenay.
5. Pour les rapports avec Oyta, cf. l'étude citée dans la note 7 ; pour les rapports avec
Pierre d'Ailly, voir plus loin, notes 62 et 68.
6. Cf. W. J. Courtenay , Adam Wodeham. An Introduction to his Life and Writings, (Studies
in Medieval and Reformation Thought, XXI ) , Leiden , 1978 , p . 146-147.
7. Je me permets de renvoyer à mon étude « Logica aristotelica e teologia trinataria :
Enrico Totting da Oyta », dans Studi sul XIV secolo in memoria di Anneliese Maier, a cura di
A. Maierù et A. Paravicini Bagliani, Roma , 1981 , p.481-512 . Pour l'utilisation du texte de Oyta ,
cf. J. Auer , « Die aristotelische Logik in der Trinitätslehre der Spätscholastik . Bemerkungen
zu einer Quaestio des Johannes Wuel de Pruck , Wien , 1422 » , dans Theologie in Geschichte
und Gegenwart. Michel Schmaus zum sechzigsten Geburtstag dargebracht von seinen Freun-
den und Schülern, hrsg. von J. Auer und H. Volk , München, 1957, p. 457-496.
8. Ainsi écrit L. Meier à propos de Herman Lurtz : cf. sa « Contribution à l'histoire de
la théologie à l'Université d'Erfurt » , Revue d'histoire ecclésiastique, 50 (1955) , p. 469 ;
j'ai fait moi-même une constatation analogue en étudiant Totting d’Oyta (cf. mon article,
p. 489).
9. I Sent. , q. 5 , a. 1 , B ( « prima conclusio » , éd . citée f. i3rb-va, en particulier : « Ista con-
clusio patet ex symbolis per ecclesiam factis et per eam approbatis, nec aliter probo eam »).
10. Se référer au texte dans H. Denzinger A. Schönmetzer, Enchiridion symbolorum,
Barcinone, etc., 1963 ( 32e éd . ), p . 261-262 .
11. I. Sent., q. 5 , a. 1 , D (« secunda conclusio » ) , f. i4ra-b. Sur lumen naturale- ratio
naturalis, cf. F. Oakley , The Political Thought ofPierre d'Ailly : The Voluntarist Tradition,
New Haven, 1964 , p. 30-31 , n. 59.
12. Ibid. , E, f. i4rb.
13. Ibid. , E, f. i4va on discute ici l'opinion selon laquelle, deux suppositions évidentes
étant proposées (c'est-à-dire « nulla res generat se » , dans Aug. Trin. , I , i, 1 , et «< tanta
est identitas essentiae divinae ad quamlibet personam , sicut essentiae ad seipsam » ) et
les données de la foi étant admises, « Magister evidenter concludit quod essentia divina non
generat » (f.i4rb) ; suit la réponse de Pierre d'Ailly (f.i4va) : « dico quod ex dictis supposi-
tionibus una cum omnibus manifestis in fide, ante determinationem » , etc.
14. Ibid. , E , f. i4va - b : « Si autem dicatur : quare ergo ecclesia talem positionem ita
mirabilem acceptavit et determinavit, ex quo non poterat evidenter concludi ex Scripturis
etc., dico probabiliter quod ipsa in hoc articulo et in pluribus aliis multa determinavit quae
non poterant evidenter concludi etc.; sed tales veritates deus voluit credi a catholicis, quare
voluit ipsas revelare ecclesiae et per eam determinari. Et sic quandoque determinationes
ecclesiae non semper procedunt per evidentem illationem ex Scripturis, sed per specialem
revelationem factam catholicis. Si vero quaeratur quomodo constat de tali revelatione , etc. ,
dico quod difficile est constare , nisi illis quibus revelatio fit. Ideo donum dei speciale est
credere recte ».
15. Ibid. , C (« prima conclusio » ) , f. i4ra (Hil . Trin. , II , 5 , P.L. 10 , 53 C) . Il faut avoir bien
présent le contexte ; après avoir énoncé la formule trinitaire, l'auteur poursuit (f. i3va) :
<< Sed ad sciendum quae propositiones debeant concedi secundum hanc positionem fidei,
ponam aliquas distinctiones, et inde eliciam plures propositiones satis utiles » ; ensuite,
il formule les distinctions et seize règles (propositions) relatives aux divers noms (et verbes)
employés in divinis (dont on a parlé plus haut, n . 3), et conclut (f. i4ra) : « Regulae possunt
264 ALFONSO MAIERÙ

multiplicari et poni de verbis et participiis. Sed ex praedictis satis patet quid debeat concedi
vel negari in materia de trinitate secundum positionem fidei. Verumtamen ante omnia ser-
vanda est ista regula : nullus hominum » etc.
16. Cf. Mémoire justificatif ajouté à la Quaestio de Trin. , 628A et 629D.
17. I Sent. , q. 5 , a. 2 , X, f. k3rb. Plus généralement, sur la conception que Pierre d'Ailly
a de son rôle comme membre de l'Université de Paris, cf. A. E. Bernstein, Pierre d'Ailly and
the Blanchard Affair : University and Chancellor of Paris at the Beginning of the Great
Schism (Studies in Medieval and Reformation Thought, XXIV) , Leiden, 1978.
18. Quaestio de trin., 619D.
19. J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du XIIe siècle, Bruxelles-Paris, 1948
(2e éd.), p. 279-284 ; à la p . 283, il affirme qu'une étude approfondie des auteurs qu'il
cite (pour la plupart du XIIe siècle, auxquels s'ajoutent, pour les siècles suivants, seuls
Bonaventure, Thomas d'Aquin et Wyclif) « ferait découvrir sans doute des nuances, sinon
des différences, dans le but qu'ils assignent à cette justification de leurs croyances : simple
but apologétique, ou construction théologique ».
20. I Sent. , q. 1 , a. 1 , E, f. d 1rb-va. Sur ces thèmes, cf. Meller, op. cit. , p . 85-109.
21. Ibid. , E (« prima conclusio » , « secunda conclusio » ) , f. dlva.
22. Ibid. , F (« tertia conclusio » ) , f. d 1va-d 2ra ; en particulier (f. d1vb) : « Secunda pars
conclusionis est quod loquendo de evidentia secundum quid seu conditionata vel ex suppo-
sitione, scilicet stante dei influentia generali et cursu naturae solito nulloque facto miraculo,
talia possunt esse nobis sufficienter evidentia sic quod de ipsis non habemus rationaliter
dubitare ».
23. I Sent. , q. 1 , a. 2, T, f. d6va.
24. I Sent. , q. 1 , a. 1 , O , f. d5ra : « omnis evidentia absoluta de qua in prima et secunda
conclusionibus est notitia infallibilis, sed nulla evidentia conditionata de qua in hac tertia
conclusione est infallibilis : patet clare etc. ».
25. Ibid. , K, f. d3va : « Tertia (sc. propositio) est quod de facto non est necesse eviden-
tiam de aliquo esse summam, immo in evidentia sunt gradus, quia primum principium est
evidentissimum, et deinde alia magis vel minus secundum quod magis vel minus appropin-
quant ad primum principium. Similiter de eodem potest haberi evidentia maior, vel minor,
vel propter plura media ad eandem conclusionem, vel propter intentius idem medium consi-
derare , vel propter diversam dispositionem intellectus seu naturalem seu acquisitam » .
26. I Sent. , q. 1 , a. 2, T, f. d6va : « quaedam est notitia evidens quae est de aliquo alio vero
per se noto ; alia, quae est de aliquo non per se noto sed ex alio vero vel aliis veris deducto ».
27. Ibid., S, f. d6rb : « Prima (sc. propositio) est quod impossibile est viatorem per ratio-
nem demonstrativam vel evidentem acquirere fidem ; patet : secundum Philosophum,
demonstratio est syllogismus faciens scire ; ergo talis ratio generat scientiam seu evidentiam
et non fidem. Secunda est quod impossibile est viatorem per rationem dialecticam prae-
cise vel probabilem acquirere fidem ; patet, quia talis quantum est de se solum generat
opinionem cum formidine, et non certam fidem ».
28. Ibid., AA, f. e2vb, et « Ad primam rationem principalem quaestionis » , RR , f. e7rb.
29. I Sent., q. 3 , a. 3 , DD ( « tertia conclusio » ) , f. h 3rb-va.
30. Quaestio de trin. , 619C.
31. I Sent. , q. 3, a. 3 , EE, f. h3vb : « Tertio sequitur quod articulus de unitate dei, licet
non possit nobis fieri evidens in lumine naturali, tamen hoc potest in lumine superiori ;
patet, quia in lumine supernaturali etc. ».
32. Ibid. , DD , f. h 3rb : « Tertia conclusio : quod licet nullo praedictorum modorum descri-
bendo deum, sit nobis evidens, aut possit esse, in naturali lumine tantum unum deum esse,
tamen hoc est probabile naturali ratione » ; et q. 1 , a. 2, Z , f. e2rb : « aliquid esse probabile
potest dupliciter intelligi. Uno modo simpliciter, alio modo secundum quid. Unde secundum
Philosophum illud dicitur probabile simpliciter quod videtur omnibus vel pluribus vel
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 265

maxime sapientibus. Quae descriptio sic intelligitur, quod probabile est quod, cum sit
verum et necessarium, non est tamen evidens sed apparens omnibus vel pluribus vel maxime
sapientibus. Per primam clausulam excluduntur falsa et vera contingentia, quae stricte
loquendo non dicunt probabilia, licet aliquando improprie, sicut dicit Philosophus quod
nihil prohibet falsa esse probabiliora quibusdam veris capit enim probabile improprie
pro apparenti etc. Per secundam excluduntur omnia principia et conclusiones demonstra-
tionum. Per tertiam excluduntur necessaria quae apparent falsa omnibus vel pluribus etc.
Sed alio modo et magis large aliquid dicitur probabile secundum quid quod , cum sit verum
sive necessarium sive contingens, non est tamen evidens sed apparens alicui vel aliquibus.
Et proportionabiliter posset distingui de ratione probabili, quia vel est ex probabilibus primo
modo vel secundo modo, vel simpliciter vel secundum quid etc. (… ) Quarta (sc. propositio)
est responsiva ad rationem quod non omnes theologicae veritates sunt primo modo proba-
biles, nec ad omnes possunt haberi simpliciter probabiles rationes. Patet (...) . Secundo,
quia multae sunt huiusmodi veritates quae apparent falsae omnibus vel pluribus vel maxime
sapientibus, et hoc intelligendo de sapientibus huius mundi praecise innitentibus rationi
naturali, quia isto modo accipitur ` sapiens ' in descriptione probabilis » .
33. Cf. plus haut note 26, et I Sent. , q. 1 , a. 3 HH ( « quid sit ' scibile ' proprie dictum ») ,
f. e4va-e 5ra.
34. Seul le principe général, relatif à ce qui peut être inféré de la toute-puissance de Dieu,
est posé (dans le contexte trinitaire) dans la Quaestio de Trin. cit. , 620A-B : « Tertia propo-
sitio Licet creatam naturam posse esse tria supposita non possit evidenter in via a contra-
dictionis implicatione defendi, potest tamen probabiliter , supposita fide, concedi. Prima
pars probatur : quia cum omnis propositio non implicans contradictionem sit possibilis
(...). Secunda pars probatur : quia quandocumque aliquae propositiones sic sunt similes
quod sunt aeque faciliter defensibiles, si fides cogat unam concedere, et non cogat aliam
concedere esse possibilem , per omnipotentiam divinam ; sed sic est quod istae duae propo-
sitiones natura divina est tria supposita ', et natura creata est tria supposita ', sunt
consimiliter et aeque faciliter defensibiles, ut patet ex secunda propositione, et fides cogit
concedere [ primam ] et non cogit negare secundam, vel possibilitatem suam, ut patet de se ;
igitur probabile est ex fide concedere secundam esse possibilem per omnipotentiam divinam :
aliter enim ex articulo omnipotentiae dei non posset probabiliter inferri quod aliquid
quod nec est, nec fuit, nec erit, posset per dei omnipotentiam esse vel fieri ».
35. I Sent., q. 5, GG (« ad rationes principales ») , f. k5rb.
36. I Sent., q. 1 , a. 1 , J, f. d 3ra.
37. Ibid. , H (« Ad secundam rationem » , « Secunda [ propositio ] » ) , f. d 2vb.
38. Dante, Purgatorio, III , 122.
39. I Sent. , q. 5 , a. 1 , D ( « secunda conclusio » ) , f. i4ra-b.
40. Ibid. , F (« tertia conclusio » ) , f. i4vb.
41. I Sent. , q. 5 , a. 2 , M ( « primo notandum » ) , f. i6va.
42. Ibid. , P (« prima conclusio » ) , f. k 1ra-b.
43. Ibid., P (« secunda conclusio » ) , f. klrb ; cf. aussi q. 3 , a. 3 , DD , f. h 3ra-b et EE ,
f. h 3va ; Quaestio de trin. , 620A.
44. I Sent. , q. 5 , a . 2 , P-Q, f. k 1rb-va.
45. I Sent., q. 5 , a. 2 , M , f. i6va : « Et ista (sc. contradictio propositionum ) potest poni
triplex, quia vel vocalis tantum , vel mentalis tantum , vel vocalis et mentalis simul . De
prima vero non est curandum, sed reliquae sunt ad propositum. Unde de ipsis potest dari
ista regula, quod contradictio solum mentalis est ita evidenter sicut vocalis et realis » ; P,
f. klrb «< illa positio non est contradictio manifesta neque tantum mentalis neque vocalis
et realis », et S, f. klvb : « ( ... ) tria supponuntur : primum est unum concessum in isto
articulo, scilicet quod contradictio tantum mentalis est tanta et tam evidens repugnantia
et impossibilitas sicut mentalis et vocalis simul » .
46. I Sent. , q. 5, a. 2 , Q (« tertia conclusio » ) , f. k 1va : « de facto aliqui antiqui philosophi
posuerunt quod genus est realiter omnes suae species, et species quodlibet suum individuum,
266 ALFONSO MAIERÙ

et per consequens habebant concedere quod aliqua res quae non erat deus esset plures res
et quaelibet illarum » , et X, f. k3ra : « aliqui philosophi antiqui, sicut Plato ponens ideas
(...), concedebant eandem rem universalem esse plures res singulares ». La reprise de la
position platonicienne en théologie trinitaire semble répondre à une double exigence :
avant tout, discuter de la validité de la logique aristotélicienne en matière trinitaire, et
c'est pourquoi est émise l'hypothèse d'une réalité (de type platonicien) la plus semblable
possible à la réalité trinitaire et pour laquelle serait démontrée la validité de la logique
aristotélicienne, de manière à justifier l'application de cette logique à la Trinité (à partir
de Wodeham, semble-t-il cf. A. Maierù, art. cité, p. 486-487) ; en second lieu , chercher
une réponse aux questions : en quel sens une créature est-elle imago de la Trinité ? L'est-elle
au point de constituer tria supposita en une nature ? Et Dieu peut-il faire une telle créature ?
C'est le thème de la Quaestio de trin. (voir note 34) ; cf. aussi J. Koch, « Neue Aktenstücke
zu dem gegen Wilhelm Ockham in Avignon geführten Prozess » , Recherches de Théologie
ancienne et médiévale, 7 ( 1935) , p . 376, 379 et 8 ( 1936) , p. 182-183 , 188-189 , 195.
47. I Sent. , q. 5 , a. 2 , Q ( « tertia conclusio...Secunda pars probatur » ) , f. k 1va ; cf. n. 34.
48. Ibid., Q-R , f. k 1vb ; cf. aussi Quaestio de trin. , 620C.
49. Ibid. , Q (« tertia conclusio ... Prima pars probatur » ) , f. k 1va, et R ( « secunda regula »),
f.k lvb.
50. Ibid. , Q, f. k 1va, et R , f. k lvb.
51. Ibid. , X, f. k 3ra-b : « Alio modo potest dici quod, vocando illud probabiliter sustineri
sine contradictione quod non potest duci ad contradictionem manifestam in lumine naturali
per consequentias regulatas per dici de omni et de nullo (…... ) . Alio modo potest dici quod
proprie loquendo, ad hoc quod aliquid dicatur probabiliter sine contradictione sustineri,
non sufficit illud quod nunc immediate dictum est, sed illud requiritur, et ultra hoc quod
possit imaginari et ad eius apparentiam possunt aliquae rationes probabiles fieri, ut tange-
batur in tertia conclusione primi articuli » .
52. Ibid. , S (« Tertio principaliter arguitur » ) , f. k 2rb ; et U ( « Ad 3m » ) , f. k 2vb-k 3ra ; en
particulier : <« hic potest dici quod illa positio per quam negarentur formae regulatae per dici
de omni vel de nullo non esset probabiliter sustinibilis, et tamen non posset proprie reduci
ad contradictionem contra protervum et logicum, quia fieret petitio principii ».
53. I Sent. , q. 2 , a. 3 , Y ( « Ad primam dubitationem » ), f. f5vb.
54. I Sent. , q. 5 , a. 3 , Y, f. k 3va : « Quantum ad primum, prima instantia est de syllogismis
expositoriis, sicut sunt isti : ' haec essentia est pater, haec essentia est filius, ergo filius est
pater '. Item haec essentia non generat, haec essentia est pater, ergo pater non generat '.
Item iste pater generat, iste pater est haec essentia, ergo haec essentia generat '. Item :
` iste pater generat, haec essentia non generat, ergo haec essentia non est iste pater ' ».
55. Ibid. «< Secunda instantia est de syllogismis non expositoriis, sed ex communibus
terminis, sicut sunt isti omnis essentia divina est pater, omnis filius est essentia divina,
ergo omnis filius est pater '. Item : ' nulla essentia divina generat, omnis pater est essentia
divina, ergo nullus pater generat '. Primus est in barbara, secundus in celarent, qui sunt
modi evidentissimi arguendi. Et consimiliter posset dari instantia in omnibus aliis modis ».
56. Ibid., << Tertia instantia est de consequentiis non syllogisticis sed conversivis sicut
sunt istae nulla essentia divina generat, ergo nullum generans est essentia divina ' ; ` omne
generans est essentia divina, ergo aliqua essentia divina generat '. Prima est conversio simplex,
secunda per accidens ».
57. Ibid.
58. Ibid.
59. Ibid.
60. Ibid. , Z , f. k 3vb ; pour le principe rappelé , cf. mon article, p. 482, note 4.
61. I Sent. , q. 5 , a. 3 , AA ( « Primo notantum » ) , f. k 4ra-b ; pour le principe « medio exis-
tente hoc aliquid necesse est extrema coniungi » , cf. encore mon article, p. 482, note 5 ; et
pour la réduction du syllogisme d'exposition au syllogisme commun et à la règle du dici de
omni et de nullo, voir ibid. , p. 489 et 511 , lignes 590-593.
LOGIQUE ET THEOLOGIE TRINITAIRE 267

62. I Sent. , q. 5 , a. 3 , Z , f. k 3vb-k4ra ; le contexte de Pierre d'Ailly renvoie à Grégoire


de Rimini, et en effet les deux opinions sont rapportées et discutées dans Grégoire, I Sent. ,
d. 5, q. 1 , et sont à attribuer : la première à R. Cowton (I Sent. , d. 5 , q . 1 , ms. Wien, Ö.N. ,
lat. 1397, f. 47va-b : cf. Gregorii Ariminensis OESA Lectura super primum et secundum
Sententiarum, edd . A. D. Trapp OSA, V. Marcolino, t . I Super primum [… ], dist. 1-6, elab.
M. Santos-Noya, W. Simon, W. Urban, [ Spätmittelalter und Reformation. Texte und Unter-
suchungen, 6] , Berlin- New York , 1981 , p . 451 ) ; la deuxième à Ockham, I Sent., d. 5, q. 1 ;
pour cette dernière, cf. Scriptum in librum primum Sententiarum. Ordinatio, dist. IV-
XVIII , éd. G.I. Etzkorn (Guillelmi de Ockham opera philosophica et theologica. Opera
theologica, III), St. Bonaventure, New-York, 1977 , p. 46. Cf. aussi M. Luther, Sermo in
Natali Christi, A. 1515, éd . dans Werke, I, Weimar, 1883 , p . 22 : « Unde multo melior
modus potest assignari, quo salvetur veritas huius Articuli et regularum Syllogisticarum,
quam a Cameracense assignatur, iste scilicet, quod omnis Syllogismus ex terminis divinis,
qui infert conclusionem falsam, certissime peccat secundum Fallaciam aequivocationis vel
Figurae dictionis » ; et la Disputatio contra scholasticam theologiam, 1517, concl. 47-48, éd .
ibid. , p. 226.
63. I Sent. , q. 5 , a. 3 , AA, f. k4ra.
64. Mémoire justificatif ajouté à la Quaestio de trin., 627 C.
65. I Sent. , q. 5 , a. 3 , AA, f. k4ra.
66. Ibid. , AA-BB, f. k4rb-va.
67. Ibid. , CC, f. k4va-b.
68. Ibid., DD, f. k4vb : étant donné le paralogisme «< omnis res quae est pater est pater,
filius est res quae est pater, ergo filius est pater » , on peut entendre que dans la majeure
omnis distribue res quae est pater considéré comme sujet ; mais, dans ce cas, vu que omnis
<< non sufficienter distribuit » , on n'a pas un syllogisme régi par dici de omni, comme on
l'a déjà dit ; on peut entendre , cependant, que omnis res quae est est un syncatégorème , et
que pater est sujet, mais alors le prédicat de la mineure n'est pas pater, mais res quae est
pater. Pour que la majeure soit sufficienter regulata dans la première figure, Grégoire pense
- selon Pierre d'Ailly - qu'il faut dire omnis res quae est res quae est pater est pater ; d'où
suit que le syllogisme in divinis ne peut être bien régi à moins de rendre fausse la majeure
dans la première figure, ce qui est absurde (à comparer avec Grégoire, I Sent. , d. 5 , q . 1 ,
éd . cit ., p. 453-454) . En ce qui concerne Adam : « ipse frustra laborat solvere paralogismos
per circumlocutionem alicuius termini additi cum medio , sicut est haec circumlocutio :
`idem patri ' , vel idem deitati , vel ` id quod est idem ' , ut dicendo : omne idem patri
est pater, filius est idem patri, ergo filius est pater ', quia secundum aliquos praemissae sunt
verae et conclusio falsa » ; cf. Gelber, op. cit., p . 235-264 , et mon article déjà cité, p . 487,
note 16.
69. I Sent., q. 5 , a. 3 , DD-EE, f. k4vb- k5ra.
70. Ibid. , EE, f. k5ra-b : « Ad tertiam principalem instantiam quae est de consequentiis
conversivis, notandum est quod ista propositio negativa : ` nulla essentia divina generat ' po-
test exponi dupliciter. Uno modo sic : ' essentia divina non generat et nulla res est essentia
divina quae generat ', et sic est universalis simpliciter et valet ad regulandum syllogismum
per dici de omni et ad faciendum consequentiam conversivam, sed sic ipsa est falsa. Alio
modo potest sic exponi : ' essentia divina non generat, nec est aliqua essentia divina quae
generat ' , et sic non est universalis simpliciter sed tantum secundum quid et est vera, sed
non valet ad syllogizandum, et per consequens nec ad convertendum, licet in creaturis
non sit dare simile, quia non est talis res etc. Secundo notandum quod etiam illa propo-
sitio affirmativa omne generans est essentia divina ' potest similiter dupliciter exponi.
Uno modo sic aliquod generans est essentia divina et nulla res est generans quin sit essen-
tia divina ', et sic est simpliciter universalis et vera, et potest converti in istam aliqua
essentia est generans ', id est res generans ', capiendo li ' generans ' substantive a parte
praedicati sicut a parte subiecti ; sed licet talis universalis sit vera, tamen aliqua consimilis
sic exponendo esset falsa, sicut ista : ' omnis essentia divina est pater ', ut notum est. Alio
modo potest sic exponi : 'aliquod generans est essentia et nullum est generans quin sit
268 ALFONSO MAIERÙ

essentia ' ; et consimiliter illa : ' omnis essentia divina est pater ' ; et sic nulla est simpliciter
et sufficienter universalis ad syllogizandum vel ad convertendum de forma, licet gratia
materiae valeat in creaturis, sic quod numquam ex vero sequitur falsum propter causam
iam saepe dictam ».
71. Ibid. , FF , f. k5rb.
72. Ibid. , FF-GG, f. k5rb.
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME
A L'UNIVERSITÉ DE PARIS

Cesare VASOLI

Les débats qui entourent les origines de l'humanisme parisien, ses liens
avec la culture italienne contemporaine et avec le monde universitaire des
Facultés et des Collèges ne sont pas nouveaux . Il faut dès à présent souligner
qu'ils ont été trop souvent conduits avec des intentions plus polémiques que
scientifiques, pour réaffirmer des thèses préétablies et célébrer de soi-disant
primats nationaux et l'antériorité de la naissance de nouvelles traditions intellec-
tuelles européennes . Certes , de vieux mythes , comme celui qui faisait remonter
l'initiation à l'humanisme de la capitale française aux guerres d'Italie et à la révé-
lation d'une civilisation inconnue et fascinante , se sont définitivement effondrés.
De même, la thèse d'une parfaite continuité entre la prétendue << Renaissance
du XIIe siècle » et les expériences humanistes parisiennes de la fin du XIVe
et des premières décennies du XVe siècle apparaît trop faible et trop fragile.
Une conscience historique plus mûre a permis de comprendre la nature toujours
très complexe des rapports entre la tradition universitaire et l'innovation huma-
niste et, notamment, entre la vocation littéraire et philologique de certains
milieux intellectuels du Moyen Age et l'expérience originale des amis et cor-
respondants français de Pétrarque , de Boccace et de Coluccio Salutati . Mais
nombreux sont les problèmes qui ne sont pas encore résolus et les zones d'ombre
qui attendent d'être éclairées grâce à des recherches organisées et systématiques.
Ceci est valable , en général, pour toutes les situations et milieux historiques
où existe un état de crise profond des intérêts et des modèles culturels et où
les structures de l'enseignement et de la transmission du savoir subissent l'impact
de besoins, d'exigences et de modes de pensée nouveaux . Sans aucun doute,
l'histoire du premier humanisme parisien n'est pas , de ce point de vue , très
différente de celle d'autres traditions similaires et a eu dans son développe-
ment les mêmes rapports difficiles avec les puissantes institutions scolastiques.
Cependant , le cas de Paris a pris , comme cela était inévitable , une signification
exemplaire ; il était au coeur de ce débat entre les «< idées » et les «< lettres >>
que le grand médiéviste Étienne Gilson¹ met au centre de bon nombre d'évé-
nements intellectuels de la fin du Moyen Age . Il ne semble pas non plus que
270 CESARE VASOLI

la perspective historique qui tend à considérer, et à mon avis à juste titre , toute
l'évolution des idées et de la culture du XIIe au XVIe siècle comme l'histoire
de la rencontre et du heurt entre cultures et traditions autonomes , expériences
philosophiques , scientifiques et linguistiques diverses (et aussi comme celle d'un
processus d'assimilation lent et controversé, de transformation et de transmission
des << documents » majeurs des différentes civilisations et de leur adaptation
aux nouveaux besoins d'une société en voie de développement rapide) soit
encore acceptée par tout le monde .
Si l'on admet ce point de vue , de nombreuses questions débattues pendant
longtemps avec un acharnement polémique peuvent paraître sinon résolues,
du moins réduites à leur incidence historique effective . Et il est , je crois , possible
d'indiquer dans le problème que nous sommes en train de traiter, quelques
grandes lignes générales qui, tout en confirmant la continuité dans le monde
des << Sorbonienses » et des grands maîtres de l'Université d'un goût pour les
<< studia literaria » et la lecture des classiques , révèlent la direction nouvelle
que cette tradition reçut de l'influence des humanistes italiens, en particulier
de Pétrarque et de ses disciples les plus directs.
Du reste , les travaux de Sabbadini² , et ceux , plus récents , de Billanovich3
et d'Ullman4 , les mises au point historiques de Gilson5 , de Combes et de
Simone7 ont pleinement mis en lumière la contribution que le milieu culturel
d'Avignon, qui était le centre crucial des événements ecclésiastiques et politiques
du XIVe siècle , a apportée dans la naissance de l'humanisme pétrarquiste et
la formation de certaines traditions littéraires et philologiques. On sait que dans
cette ville , où, dès le début du siècle , vivait une colonie prospère d'Italiens
formée de fonctionnaires de la curie , de banquiers, de juristes, d'artistes et
d'artisans (parmi lesquels se trouvait un bon nombre de Florentins au service
des grandes compagnies marchandes), les rapports entre deux cultures qui
avaient développé d'une manière différente l'héritage du savoir du XIIIe siècle
furent continus et extrêmement enrichissants .
On n'ignore pas que la bibliothèque papale d'Avignon rassemblait dès le
début du XIVe siècle de nombreux et précieux manuscrits d'oeuvres classiques8 .
Ils furent souvent à l'origine de découvertes et de débats philologiques très
importants dans l'histoire de l'humanisme . En vérité , c'est surtout sous le ponti-
ficat de Jean XXII et de ses successeurs, quand des lettrés furent attirés par les
emplois lucratifs de la cour papale et arrivèrent des quatre coins de la chrétienté ,
qu'Avignon fut vraiment une des capitales culturelles de l'Europe ainsi que le lieu
naturel de rencontre et d'assimilation entre la tradition littéraire et universi-
taire française et les nouvelles expériences faites, dès le début du siècle , par
la première génération des maîtres italiens des « artes dicendi » . Ce n'est donc
pas un hasard si c'est à Avignon que Pétrarque reçut d'un de ces maîtres ,
Convenevole da Prato , sa première éducation littéraire et que, plus tard , son
appel pour la renaissance et le renouvellement des <« studia humanitatis » obtint,
avec les propositions de ses prédécesseurs et amis padouans, un accueil immédiat
et favorable . Bien plus, pour définir les rapports entre Pétrarque et le monde
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 271

avignonnais, ses riches bibliothèques, ses recueils d ' « auctores » , ses intellectuels
et ses maîtres, il faut, je crois , suivre Billanovich . Celui-ci disait très justement
que c'est dans la cité papale que Pétrarque devint <« citoyen de l'Europe » et
entreprit son magistère qui n'avait pas de frontières nationales et se nourrissait
de mémoires, de traditions et d'expériences provenant d'un passé commun
inoubliable.
Il est certes bien vrai que Pétrarque lui-même n'épargna pas ses attaques
à la curie avignonnaise accusée de favoriser un type dépassé de culture , comme
celle représentée par le Manipulus florum de Thomas d'Irlande , un « opus vere
gallicum » et un fruit typique de la « < gallica levitas » que le poète considérait
comme le prototype d'une éducation littéraire incapable de remonter aux
leçons des Anciens et fatalement portée à les dénaturer dans l'adaptation de
<< compendia » et de « fragmenta » 10. Mais Simonell a bien analysé les motifs
et les sous-entendus de cette polémique , comme les différentes réponses que
des hommes de lettres et de culture française opposèrent aux jugements négatifs
de Pétrarque sur les « gallici scriptores » et les « gallicae litterae » . Il a montré
comment un lettré comme Pierre Bersuire , qui pouvait , sous certains aspects ,
se sentir touché par ces attaques , n'hésita pas à accueillir dans son Reductiorum
morale ces vers de l'Africa ( III , 88-262) dans lesquels est décrit le palais de
Syphax et que le poète lui-même lui avait communiqués12 . Ainsi , au-delà de
toute polémique et de tout contraste de caractère national , se nouèrent autour
d'Avignon des liens entre l'humanisme italien et l'humanisme français qui
assurèrent la pénétration rapide , même dans certains milieux parisiens , des
propositions , des méthodes, des goûts et des attitudes culturelles typiques de
la << renovatio » prônée à l'échelle européenne par Pétrarque , par ses amis et
par ses disciples.

II

Il ne sera pas inutile de souligner, à ce propos , que passèrent et même


demeurèrent dans cette ville , pendant une période particulièrement importante
de leur vie , quelques-uns des hommes de culture destinés à jouer un rôle prédomi-
nant dans la naissance de l'humanisme parisien et dans ses relations avec le monde
universitaire . On sait que Nicolas de Clamanges13 fut le secrétaire de l'antipape
Benoît XIII de 1397 à 1407 (même si ce fut avec quelques interruptions) et que
les rapports entre cet humaniste et la curie avignonnaise se nouèrent dès 1395 .
Jean Muret14 fut lui aussi secrétaire pontifical . Pierre d'Ailly et Jean Gerson,
deux grands maîtres et théologiens de l'École dont l'histoire intellectuelle croise
souvent celle des premiers humanistes parisiens , eurent également de fréquents
contacts avec les milieux avignonnais, soit à cause de leur carrière universitaire ,
soit à l'occasion de missions politiques plus spécifiques . Gontier Col fit, en 1395,
un bref séjour en Avignon ; plus tard , entre 1403 et 1404 , Jean de Montreuil et
Jacques de Nouvion y accompagnèrent le duc d'Orléans ; Laurent de Premierfait ,
docte traducteur de Boccace , fréquenta pour des raisons diplomatiques la cour
272 CESARE VASOLI

des antipapes15. Il est de même significatif qu'à cette époque furent présents en
Avignon non seulement des hommes de lettres et des artistes italiens, mais aussi
d'importants hommes d'Église comme les cardinaux Galeotto Tarlati da Pietramala
et Amédée de Saluces ou le secrétaire pontifical Giovanni Moccia16 . Ils furent
attirés par la nouvelle culture et jouèrent souvent le rôle de liens entre les huma-
nistes italiens et leurs amis et collègues français . Mais la présence de Pétrarque
et de Boccace dans les milieux intellectuels français des dernières années du
XIVe siècle et du début du XVe ne peut se réduire à ces rapports , certes solides
et indiscutables , qui unirent la capitale de la papauté et celle du royaume .
Il ne s'agit pas là d'un épisode, limité aux cénacles érudits, de la diffusion de
modèles littéraires ou de préférences philologiques. Au contraire, tous les élé-
ments historiques qui sont en notre possession prouvent que l'intérêt démontré
pour les deux auteurs italiens et pour leurs disciples répondait à des exigences
profondes déjà présentes dans le monde intellectuel parisien bien avant les der-
nières décennies du XIVe siècle , et que les rapports avec Avignon et les milieux
italiens ou italianisants de cette ville les avaient singulièrement renouvelées.
On n'expliquerait pas sans cela le retentissement incontestable qu'avait eu ,
dès 1361 , la présence de Pétrarque à Paris lors de son ambassade auprès du
roi Jean et les discussions qui accueillirent la célèbre oraison au souverain , si
riche en thèmes éthiques et philosophiques « humanistes » et si nouvelle dans
les solutions doctrinales de l'antique « topos » de la fortune 17. Certainement,
l'interprétation originale que le poète avait donnée des symboles et des images
classiques bien connus de ses auditeurs contribua à susciter l'étonnement,
l'admiration, mais aussi le désaccord des intellectuels parisiens . Cependant ,
la liberté avec laquelle il recourut aux textes antiques pour confirmer l'ensei-
gnement évangélique retentit sur l'attitude des maîtres réunis autour de lui
pour poursuivre la discussion d'un sujet qui, à travers Boèce , avait influencé
si profondément la culture française des XIIe et XIIIe siècles .
On ne pourrait sans ces précédents comprendre les raisons de la fortune
exceptionnelle que rencontra le De remediis utriusque fortunae, que le roi
Charles V fit traduire , en 1376-1377 , par Jean Daudin et que Gerson cita expli-
citement dans son Sermo in dominica III Quadragesimae ; Jean de Montreuil
le considérait comme le document le plus élevé de doctrine civile , morale et
humaine 18. Il serait d'autre part également difficile de comprendre pourquoi
la réaffirmation par Pétrarque du primat des études italiennes et «< romaines >>
contre les prétentions « gallicanes » , renouvelées par Ansel Choquart, provoqua
la réponse de Jean de Hesdin ; celui-ci voulait démontrer que Paris, mère du sa-
voir théologique et philosophique , n'avait jamais dédaigné le culte des << litterae >>
et rappeler au poète italien que même les « Galli » n'avaient pas ignoré l'amour
pour les << Anciens » , pour leur savoir et pour leur éloquence ( 1369-1370) 19 .
Du reste, quand plus tard , vers 1395 , Nicolas de Clamanges écrivit une lettre
bien connue au cardinal de Pietramala, il ne cita pas explicitement Petrarque
(dont il dit ailleurs : «< illius viri raro et non libenter scripta perlego >> ) , mais
il déclara surtout que pendant longtemps la culture littéraire des « Galli » avait
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 273

été supérieure à celle de toute autre civilisation européenne et que sa richesse


n'était pas débitrice des Italiens, parce que la connaissance des « Anciens » et
l'amour des lettres représentaient le grand patrimoine des intellectuels français20 .
L'attitude de Jean de Montreuil21 fut similaire : il était un fervent admirateur
de Pétrarque , mais aussi un défenseur du droit des « litterati » , « poetae » et
<< oratores » français à cultiver, en même temps que les études philosophiques
et théologiques, les études philologiques et littéraires qu'ils n'avaient jamais
négligées et que la leçon de leurs amis italiens leur rendait encore plus agréables .
Cela est confirmé par de nombreux faits, ainsi que le faisait observer Gilson .
Ceux qui accueillirent Pétrarque à Paris en 1361 ou ceux qui acceptèrent son
enseignement et ses propositions humanistes ne manquaient ni d'éducation
littéraire , ni de formation linguistique . Ils furent même profondément conscients
de continuer une tradition enracinée dans la culture française et parisienne , qui
ne se limitait en aucune façon au culte exclusif des disciplines théologiques et
philosophiques ou à l'usage du « barbare » jargon scolastique . Des exemples
très significatifs , comme celui de Pierre Bersuire , prouvent que l'érudition de
certains intellectuels avait muri bien avant leur rencontre avec le poète italien
et que Guy de Boulogne , Pierre de Rainzeville et Philippe de Vitry, hommes
de lettres de la cour du roi Jean, méritaient pleinement les compliments que
Pétrarque adressa à ces maîtres parisiens si prompts à discuter des questions de
caractère littéraire , moral et philosophique22 . A Paris , au temps du roi Charles V,
les principaux classiques étaient lus avec un intérêt constant23 . Les nombreuses
traductions vulgaires d'oeuvres classiques entreprises et terminées au cours de
ces années-là en sont la confirmation , ainsi que la continuité des rapports avec
Avignon qui se concrétisaient souvent par l'envoi de manuscrits et de copies
d'oeuvres classiques .

III

On dira naturellement que de semblables épisodes regardent des situations


et des milieux particuliers et qu'ils n'ont que des relations superficielles et épiso-
diques avec l'Université , centre véritable de la culture parisienne , de ses institu-
tions et de ses « curricula » . Tout cela est vrai ; il ne rimerait à rien de confondre
la culture de la cour et de la curie avec celle des Écoles et passer sous silence
la diversité profonde de leurs tendances. Pourtant , il existe des documents
prouvant que certains des aspects les plus typiques de la tradition de la culture
humaniste , comme le culte des « antiqui » , le goût pour l' « eloquentia » >,
pour la mesure et l'élégance littéraire , ne laissèrent pas insensibles des maî-
tres de formation scolastique rigoureuse , liés aux doctrines philosophiques et
théologiques des «< moderni » et engagés dans les grands débats politiques et
ecclésiastiques de leur temps.
Prenons, par exemple , le cas de Pierre d'Ailly24 , un savant qui , sous de
nombreux aspects , peut être considéré comme le représentant exemplaire du
monde intellectuel scolastique tardif et de la logique , de la métaphysique et
18
274 CESARE VASOLI

de la théologie contemporaines . Il suffit de rappeler quelques pages de son intro-


duction au Quaestiones super Sententiarum libros, riche en citations classiques
et en échos de textes et d'auteurs du XIIe siècle , pour comprendre combien
ce maître n'était , en aucune manière , hostile à transformer la pesante rigueur
du discours théologique en des formes «< oratoires » plus directement efficaces
et persuasives. Pour cette raison , Pierre d'Ailly , dans une autre oeuvre très inté-
ressante, le De sensu literali sacrae paginae, affirme qu'on ne peut pénétrer
le sens véritable des Saintes Écritures en se servant uniquement des procédés des
<< dialecticiens » , car en tant que « moralis et historialis scientia » , l'exégèse
de la Parole divine possède une logique propre , appelée rhétorique , qui corres-
pond au langage et aux modes d'expression de Dieu lorsqu'il s'adresse aux
hommes . Mais la culture de Jean Gerson25 , autre personnalité universitaire
majeure de la fin du siècle , est elle aussi faite d'une notable érudition classique
et de connaissances littéraires non vulgaires. Simone rappelait que cette culture
était empreinte d'amour pour les techniques poétiques et que cela permit à
Gerson d'imiter dans la Consolatio theologiae ( 1418) tous les mètres employés
par Boèce dans son chef-d'oeuvre26. Homme de religion lié aux courants les
plus authentiques de la vie spirituelle de son temps, théologien et controversiste
d'une rare acuité, mais aussi écrivain efficace visant à l'élégance tant dans ses
écrits latins que dans ses sermons et ses prédications en langue vulgaire , Gerson
est, en somme , un scolastique qui ne dédaigne pas la culture littéraire , celle -ci
offrant alors des instruments, des expressions et des modèles particulièrement
élevés pour les débats sur la réforme de l'Église , sur les grands sujets religieux et
politiques et sur des questions de morale très actuelles, comme celles discutées
dans la célèbre Querelle des femmes27 . Il est donc bien compréhensible que ,
dans un texte déjà souligné par Combes28 , il affirme explicitement : « Potest
utique et poëtria et rhetorica et philosophia cum theologia et sacris misceri >» ,
et qu'il révèle dans ses sermons (où l'on trouve une citation de Pétrarque)29
des dons stylistiques qui, directement ou indirectement , doivent beaucoup à
la connaissance des classiques . Il semble qu'il eut l'intention de réaliser une union
profonde de la sagesse et de l'éloquence et d'opposer aux divisions entre les
différentes sectes scolastiques (condamnées dans le Contra vanam curiositatem
in negotio fidei) le rappel à la sagesse inspiré des Pères de l'Église et à la pureté
et l'intensité du langage de Paul et de Denis qui n'étaient nullement en contra-
diction avec la « dignité » de l'enseignement des Anciens . Cet idéal semble assez
proche , même pour ceux qui n'acceptent pas dans leur totalité les conclusions
peut-être trop péremptoires de Combes, de celui que poursuivaient les plus
grands humanistes parisiens de la fin du siècle ; ces derniers étaient prêts à
engager une polémique contre une théologie trop aride , trop abstraite et trop
sophistiquée 30 et étaient décidés à la ranimer grâce à l'apport de l'exceptionnelle
expérience littéraire et stylistique du monde antique . Mais ils étaient encore
fortement liés au respect et à l'observance d'une tradition d'études et de doc-
trine qui coïncidait avec la fonction historique de la plus grande institution
culturelle de la chrétienté médiévale . Comme le dira Jean de Montreuil dans
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 275

une lettre à Guillaume Fillastre , souvent citée par Combes31 et par Simone32 ,
la culture sacrée et la culture profane ne sont pas nécessairement contrastante ni
même faites pour se combattre ou s'exclure ; en effet, un passage des Tusculanae
disputationes33 semble enseigner aux théologiens et aux hommes de lettres que
l'union entre la pensée la plus pure et la plus élevée et la perfection de style
des classiques constitue un modèle de culture sans pareil.

IV

Ce sont là des données incontestables qui semblent venir à l'appui des


plus récentes hypothèses historiques visant à réduire la thèse d'un conflit insolu-
ble entre humanistes et théologiens responsables d'avoir étouffé l'humanisme
parisien naissant et d'avoir retardé d'un siècle l'avènement de la culture nouvelle .
Mais elles sont en même temps la preuve la plus éloquente d'attitudes et de pré-
dispositions intellectuelles qui pouvaient offrir un champ libre pour l'étude
des Anciens même à l'intérieur de l'organisation officielle du savoir théologique
et philosophique ; elles invitent à ne pas accepter des positions trop faciles et
radicales et à se tourner plutôt vers les problèmes complexes d'une confrontation
intellectuelle supérieure aux divisions traditionnelles entre écoles et méthodes .
Ce n'est pas un hasard si, au coeur de l'Université, et en particulier au Collège de
Navarre34 , se formèrent quelques intellectuels qui jouèrent un rôle déterminant
dans le développement du premier humanisme parisien . De récents travaux révè-
lent que ces hommes n'ont pas été étrangers aux problèmes philosophiques et
théologiques et qu'ils furent même liés, dans certains cas, à Gerson et à d'autres
théologiens par des rapports de fervente amitié et d'admiration indiscutable .
Ils avaient pour but de rénover la grande tradition littéraire qu'ils considéraient
propre à leur civilisation en la conjuguant à l'exemple de Pétrarque pour restaurer
l'harmonie et l'union de l' « eloquentia » et de la «< sapientia »> .
Il s'agissait là cependant d'érudits qui regardaient au-delà des limites
de l'École , qui s'engageaient dans les querelles politiques et religieuses et qui,
comme bon nombre de leurs collègues et amis italiens, vivaient et travaillaient
dans le milieu de la cour et des « officia » . Un exemple sert à fixer certains
caractères de cette génération d'intellectuels formés dans les « Scholae >> mais
ouverts à d'autres expériences et exigences ; c'est celui de Jean de Montreuil ,
secrétaire aux finances du roi Charles V et chancelier de Charles VI , qui fut
le correspondant de Coluccio Salutati et l'admirateur chaleureux de Pétrarque .
Lecteur de Cicéron , de Virgile et de Térence , chercheur de manuscrits et exégète
passionné des Anciens, Jean ne méprise pas pour autant le trésor de savoir et
de connaissances humaines et divines que la culture des « Scholae » a recueilli
pendant des siècles ; mais il veut le rénover et le perfectionner grâce à l'apport
d'une connaissance plus mûre de la « sapientia » antique et d'un commerce
continu avec les classiques. A tout bien considérer , sa culture , sa mentalité ,
son attitude face aux grands événements de son temps ont plus d'un trait
276 CESARE VASOLI

commun avec un jeune Italien qui, au cours des années 70, était venu à Paris
pour y passer ses examens de théologie et y apporter sa fidélité envers un mode
nouveau de philosopher : l'augustin Luigi Marsili de Florence35 .
De toutes façons, un érudit comme Jean de Montreuil ne tarda pas à ras-
sembler autour de lui un groupe d'hommes de culture qui étaient comme lui
amateurs des «< litterae humanae » et du savoir théologique, des doctrines philo-
sophiques et du nouveau langage poli et éloquent appris à la lecture de Cicéron
et des autres modèles antiques. Parmi ceux-ci, les frères Gontier et Pierre Col
appartenaient à la cour où ils exerçaient de hautes charges dans la diplomatie et
l'administration de la monarchie , tandis que d'autres , comme Nicolas de Clamanges
et Gérard Machet, appartenaient à l'Université et , en particulier, au Collège de
Navarre par où passèrent , pendant les décennies qui suivirent , quelques-uns des
protagonistes des événements de l'humanisme français. Ce groupe de disciples
parisiens des << studia humanitatis » ne se limita pas à des disputes littéraires
ou à des polémiques avec les partisans intransigeants des vieilles méthodes et
de la pure tradition scolastique , mais s'efforça de nouer des liens étroits avec
le monde humaniste italien et d'établir un rapport direct avec ceux qui peuvent
être considérés comme les héritiers légitimes du magistère de Pétrarque . Ainsi,
Jean de Montreuil , l'homme qui avait longuement médité sur le De remediis
utriusque fortunae36 , en y cherchant les fondements d'une véritable sagesse
civile et éthique , entretint avec Coluccio Salutati un dialogue épistolaire parti-
culièrement important qui permet de comprendre le sens de sa vocation d'huma-
niste et de juger ses rapports avec les idées et les expériences de la seconde
génération de l'humanisme italien . Il pressa en effet Ser Coluccio de lui envoyer
quelques-unes de ses Epistolae, vite devenues un modèle classique de pensée et
d'expression37 . Il en reçut non seulement les textes désirés, mais aussi le traité
De fato etfortuna qui reprenait un sujet cher à Pétrarque en l'adaptant à la sensi-
bilité et aux exigences d'une époque historique différente et le rendait ainsi
familier à la culture humaniste européenne du milieu et de la fin du XVe siècle 38 .
Le groupe humaniste parisien qui a pris forme au cours de la dernière
décennie du XIVe siècle est désormais prêt à dialoguer avec les représentants
des milieux culturels les plus avancés d'Italie ; mais il veut aussi revendiquer
les traditions spécifiquement françaises qui peuvent trouver place dans le pro-
gramme de rénovation culturelle qu'il soutient et essaie de mettre en pratique au
cours de son inévitable affrontement avec la fonction doctrinale et les pouvoirs
de l'Université .
Il n'est donc pas étonnant que ce soit dans le cénacle des amis de
Jean de Montreuil que se déroule , au cours des premières années du XVe siècle ,
une célèbre dispute au sujet du Roman de la Rose que certains historiens ont
probablement chargé de significations idéologiques excessives, mais qui reste de
toute façon un document fort intéressant sur la mentalité des partisans parisiens
des << studia humanitatis » et de leur manière de considérer un passé auquel ils
se sentaient profondément attachés39 . On sait, en effet , que Jean de Montreuil
et Pierre Col n'hésitèrent pas à se ranger aux côtés des défenseurs du célèbre
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 277

texte médiéval et de la doctrine d'amour qu'il exprimait contre la condamnation


sévère prononcée , entre autres, par Gerson . Cette dispute ne manqua pas de
soulever des protestations très dures de la part de théologiens et d'hommes
d'Église souvent liés d'amitié avec les «< humanistes » , qui, toutefois, compre-
naient et même accentuaient les intentions polémiques réelles ou supposées
d'une dispute qui n'avait pas uniquement le caractère d'un élégant exercice
littéraire . Je crois qu'il faut là aussi être prudent lorsqu'on juge un épisode
que Coville40 interprèta selon une perspective trop burckhardienne et qui
apparaît maintenant démentie par une analyse plus paisible et plus concrète.
Il faut en particulier atténuer le jugement de ceux qui voyaient dans l'attitude
des défenseurs de Jean de Meun des intentions anti -théologiques radicales ,
en vérité difficilement attribuables à ces intellectuels qui pouvaient, certes,
nourrir des intentions explicites de réforme , condamner une « mauvaise >>>
théologie et partager avec leurs collègues italiens les jugements les plus durs
sur la décadence de l'Église et de ses institutions , mais qui étaient bien loin des
idées et des sentiments incompatibles avec l'expérience spirituelle de leur temps.
Pour eux , la défense du Roman de la Rose fut avant tout la reconnaissance de
la valeur toujours actuelle d'une oeuvre qui, se rattachant par de nombreux
aspects à la culture du XIIe siècle , avait uni doctrine philosophique et discipline
littéraire , et élaboré des conceptions qui reparaissaient vivantes à la lumière
d'expériences intellectuelles ignorées des représentants les plus rigides des
<< Scholae ». Ils réaffirment peut-être ainsi, dans ce domaine de la philosophie
et des << humanae litterae » , une entière liberté de recherche qui était étrangère
à l'autorité théologale . Mais que l'on n'oublie pas, en jugeant comment ces
humanistes comprirent leur rôle de défenseurs et de divulgateurs d'un modèle
de culture différent , que Montreuil lui-même avait célébré la « sainteté de vie »
de Pétrarque, sainteté de vie dont ce dernier faisait l'idéal de l'homme de lettres
chrétien. Il ne faudrait pas oublier non plus que ces lettrés, tant attentifs à
la beauté et à l'élégance des pages antiques , étaient si peu païens qu'ils en-
tretenaient des liens étroits avec Gerson et son entourage ; ils considéraient
Nicolas de Clamanges comme une de leur source d'inspiration car il avait exprimé
d'une manière éloquente , dans le De ruina et reparatione Ecclesiae41 , son dédain
envers la décadence et le dérèglement de la vie ecclésiastique ainsi que l'espoir
d'un profond renouvellement spirituel.

Pour le reste, Clamanges, ami et familier de Gerson, avait basé son ensei-
gnement sur une solide connaissance des textes classiques. Il avait toujours
eu la ferme conviction de la valeur et du rôle de la rhétorique et de la poésie
même pour connaître la «< sacra pagina » et acquérir la véritable « sapientia >>
nourrie de philosophie , de piété et d'éloquence . Son Liber de studio theologico42
est un document du plus grand intérêt pour comprendre l'histoire de ce moment
de la culture parisienne car il révèle que son auteur ne considérait pas comme
278 CESARE VASOLI

inconciliable l'étude du savoir profane , la lecture des grand auteurs païens et


celle de la <« scientia sacra » , rendue plus sûre par la possession des « litterae »
parce que basée sur le fondement de connaissances linguistiques et philoso-
phiques indispensables pour bien lire la Parole divine . Mais si l'on parcourt
ses autres écrits (et en particulier la Disputatio de Concilio generali ou les diffé-
rents << mémoires » ou textes sur les dramatiques événements du Schisme43) ,
on y trouve la confirmation de certains caractères typiques de l'humanisme
parisien à ses débuts et des tendances qui accusent certains de ses traits originaux
par rapport à la civilisation humaniste de l'Italie de cette époque . Cependant,
ce maître qui a, pendant une partie de sa vie , fait alterner enseignement et
fonctions à la curie , et même expériences monastiques, avait une conception
sévère de la vie religieuse n'échappant pas à l'influence de la mystique flamande
et rhénane ainsi qu'à celle de Gerson . Ses dispositions spirituelles et le haut
niveau de sa culture théologique ne l'empêchèrent pas toutefois d'accepter
l'enseignement de Pétrarque , d'entretenir avec les humanistes italiens des rapports
étroits, de considérer les «< studia » et en particulier la lecture et la méditation
des plus grands auteurs classiques comme les meilleures armes pour préparer
le << miles Christi » . Pour lui (mais on pourrait dire la même chose en termes
plus nuancés de Jean de Montreuil) , il n'existait aucun contraste entre l'exercice
véritable et non hypocrite de la «< pietas » , la sévérité de l'étude théologique et
l'élégance du discours , la parfaite connaissance de la langue et de la rhétorique ,
l'exercice d'un jugement philosophique plus sûr et fruit des <« studia humanitatis » .
Il est pourtant symptomatique que Nicolas de Clamanges n'ait jamais dépassé cer-
taines limites, qu'il n'ait jamais inclu dans l'accusation commune de « barbarie »
un passé culturel qu'il considérait comme illustre et glorieux et qu'il ait dé-
fendu, comme du reste Jean de Montreuil, la valeur de la tradition savante
française considérée comme n'étant nullement contraire à la « renovatio » des
<< studia humanitatis » .
Ces attitudes révèlent la différence profonde des conditions historiques
dans lesquelles se trouvaient en France et en Italie des hommes qui avaient
en commun des propos, des enseignements et des goûts intellectuels et surtout
une nouvelle manière de comprendre la formation des « lettrés » et leur engage-
ment culturel. Mais je crois que , en atténuant ainsi les éléments de rupture avec
le passé pour revendiquer une continuité dont ils se sentaient les héritiers et
les restaurateurs, les humanistes parisiens prouvaient qu'ils comprenaient que
l'histoire intellectuelle de leur pays avait eu un développement, un rythme très
différent de celui des diverses cultures italiennes et que , à Paris, la reprise d'un
rapport direct avec le monde classique pouvait et devait tenir compte aussi bien
du très haut niveau des études théologiques et philosophiques que d'un passé
encore très proche des expériences du XIIe siècle , vers lesquelles s'étaient éga-
lement tournés (et se tournaient encore) certains de leurs collègues italiens44 .
Pour eux, l'enseignement et l'influence de Pétrarque avaient été décisifs, car ils
étaient la preuve que l'on pouvait atteindre la perfection littéraire et linguistique
et étudier les textes antiques avec des intentions philologiques et une attitude
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 279

critique désormais étrangère aux «


< magistri » scolastiques ; mais le poète italien
leur avait surtout donné l'exemple de la reprise d'idées déjà présentes dans
l'antique concept de « sapientia » (si cher aux grands maîtres du XIIe siècle)
et d'intérêts , de modes de pensée et de formes de culture qui n'avaient
peut-être pas été étrangères aux origines des institutions universitaires. C'est
pour cela que leur humanisme , fruit de la rencontre d'hommes ayant presque
tous une bonne formation scolastique , devait être différent de celui de leurs
amis de Florence ou de Padoue , c'est-à-dire lié à un contexte culturel et histo-
rique dans lequel les études traditionnelles de la philosophie et de la théologie
formaient le support d'une institution illustre et puissante sur laquelle se ré-
percutaient avec intensité les conflits religieux et politiques qui semblaient
bouleverser irréparablement les fondements de la vie civile et ceux de la vie
ecclésiastique .

VI

Tout ceci explique pourquoi, en jugeant la culture humaniste parisienne


entre la fin du XIVe siècle et la première moitié du XVe , les historiens ont
porté des jugements si opposés, surtout en ce qui concerne son rapport avec
l'humanisme italien et la continuité effective entre ces premières expériences
et la culture de la Renaissance française de la première moitié et du milieu du
XVIe siècle . Ainsi, au jugement positif de Voigt45 et de Sabbadini46 sur l'origi-
nalité de l'humanisme parisien considéré comme « un réveil classique indépendant
du mouvement italien » fait écho le jugement plus prudent d'autres histo-
riens, français en particulier, qui virent dans les caractères plus spécifiques de
ces premières expériences leur limite historique , et élaborèrent la formule de
<< Renaissance avortée »47 pour indiquer non seulement la rupture entre le XIVe
et le XVe siècle , mais aussi la faillite d'une tentative mûrie trop tôt et écrasée par
la force d'événements culturels et historiques trop contraires. On sait comment
réagit Jacques Boulanger48 à cette interprétation avec sa rigueur polémique
habituelle et en affirmant la thèse radicale de la tradition purement autochtone
de la Renaissance française . Il était convaincu qu'un personnage d'exception
comme Nicolas de Clamanges méritait d'être considéré comme « l'instigateur
et l'infatigable propagateur » d'un renouveau culturel, interrompu mais non
brisé pendant les années terribles de la guerre de Cent Ans, et , ce qui est plus
important, qui n'avait subi aucune influence italienne . On sait que Gilson49 ,
défenseur lui aussi de la modernité et de l'autonomie de la culture humaniste
française entre la fin du XIVe siècle et le plein épanouissement du XVe , synthé-
tisa la diversité des deux humanismes en écrivant qu' « en Italie Pétrarque
était allé de Cicéron à Augustin ; en France Augustin allait ramener Cicéron » .
Ainsi trop souvent la violence inévitable des idées préconçues semble avoir
pris la place d'un jugement pondéré, fondé sur les résultats de recherches qui ont
fait justice de nombreuses formules hâtives, de mythes et de suggestions trop
étrangers au caractère concret du métier d'historien.
280 CESARE VASOLI

Malgré cela, un travail de recherche et de restitution des textes a permis


d'éclaircir certains points essentiels sur lesquels, du reste , le jugement de savants
plus proches de nous semble assez concorder. En premier lieu, l'histoire du
rapport entre l'humanisme italien et l'humanisme parisien apparaît , à la lumière
des éléments que nous venons d'exposer, beaucoup plus complexe et contro-
versée qu'on ne le considère souvent, car elle prouve d'une manière exemplaire
combien était profonde l'interpénétration des deux cultures et que le mouve-
ment de rénovation avait déjà , en puissance , des dimensions européennes et
se nourrissait de souvenirs et de traditions communes qui prenaient tout natu-
rellement une signification et des fins différentes selon les divers contextes
historiques. En ce sens, l'histoire personnelle de Pétrarque, sa riche et complexe
formation culturelle , l'étroit réseau de ses rapports internationaux , sa figure
d'intellectuel vraiment européen , peuvent prendre une valeur d'exemple et montrer
comment son influence indiscutable jouait toujours sur des situations historiques
qui avaient déjà, en puissance , des développements propres , et que cette influence
était accueillie et transformée selon leurs exigences autonomes. Il ne faut pas
non plus s'étonner si des intellectuels , dont les origines et la formation scolas-
tique étaient souvent si différentes de celles des humanistes italiens , comprirent
le retour aux Anciens et l'exhortation à l'éloquence comme le chemin de la
<< sapientia » , d'une manière qui fut effectivement diverse de celle des autres
milieux italiens et européens et surtout ne concordait pas avec certaines images
de la grande crise culturelle d'où sortirent toutes les expériences humanistes,
les plus modérées comme les plus radicales .
Des décennies de recherches philologiques et historiques, de longs travaux
d'érudition nous ont maintenant démontré que toute transformation culturelle
doit être mesurée à la réalité effective des institutions, des traditions et des
tendances pendant la période où s'effectue cette transformation . Sans aucun
doute, le Paris de Jean de Montreuil et de Nicolas de Clamanges, au cours des
moments les plus dramatiques de la guerre de Cent Ans, n'était pas, nous l'avons
déjà dit, la Florence du Coluccio Salutati ou la Padoue d'Albertino Mussato ;
les humanistes italiens ne devaient pas non plus se confronter avec une culture
dans laquelle l'élaboration d'une logique et de formes d'expression fortement
<< formalisées » avaient prévalu et où la tradition juridique « civile » n'avait pas
eu un poids aussi déterminant que dans les grandes universités de l'Italie du
Centre et du Nord.
Le sens particulier que prennent à Paris les caractéristiques les plus com-
munes de la «< renovatio » humaniste n'autorise pas à parler de « Renaissance
avortée », comme l'interprétation donnée par les humanistes parisiens au retour
aux Anciens et au renouveau du culte de l' «< eloquentia » n'implique en aucune
manière leur séparation de ce mouvement de renouveau général européen dont
Pétrarque fut, en un certain sens, le symbole et l'interprète le plus pur. Il ne rime
à rien aujourd'hui de parler d'originalité ou de dépendance à propos d'un phéno-
mène comme celui de la diffusion en Europe de l'humanisme , qui correspondait
aux exigences historiques et culturelles et dont les rapports avec les institutions
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 281

officielles apparaissent extrêmement complexes et problématiques , et surtout


très différents selon les situations et les réactions des milieux académiques.

VII

Nous n'avons pas toutefois l'intention de nier qu'à Paris les propositions
culturelles de Jean de Montreuil et de Nicolas de Clamanges rencontrèrent une
opposition, que ceux-ci encoururent des accusations et des condamnations
(particulièrement dures à l'occasion du débat sur le Roman de la Rose dont
nous avons déjà parlé) et que , aux ouvertures prudentes de d'Ailly ou de Gerson,
correspondait l'antipathie tenace d'autres maîtres bien décidés à défendre leur
<< sermo parisiensis » , leurs méthodes et surtout leur suprématie . De semblables
contrastes et conflits ont accompagné presque partout la diffusion des idées
et des méthodes de l'humanisme et leur lente pénétration dans les citadelles
scolastiques . Mais c'est une chose de dire cela, c'en est une autre de supposer
que l'opposition des théologiens détruisit rapidement les germes de la nouvelle
culture en brisant toute continuité de l'histoire de la Renaissance française .
Il est bien vrai que le sort personnel des représentants majeurs de l'humanisme
parisien ne fut pas heureux et que pesa sur eux , d'une manière souvent tragique ,
la brutale réalité d'une des périodes les plus tourmentées de l'histoire de France .
Cependant, la crise qui bouleversa à Paris le premier groupe d'humanistes,
au cours de la seconde décennie du XVe siècle , ne brisa jamais complètement
une tradition désormais affermie et qui pouvait déjà compter sur la sympathie
et le soutien de certains milieux académiques .
Jean de Montreuil , mêlé directement aux conflits politiques de ces années
mourut en 1418 victime de la haine de la faction bourguignonne . Nicolas de
Clamanges, secrétaire de 1397 à 1407 de l'antipape Benoît XIII , était tombé
de ce fait en disgrâce et vécut loin de Paris au moins jusqu'en 1425 en se consa-
crant à des expériences monastiques. Pourtant, à son retour dans la capitale ,
il recommença à enseigner la théologie et la rhétorique au Collège de Navarre
en s'inspirant des critères qui avaient guidé l'oeuvre du premier cénacle huma-
niste. Certes, la reprise ne fut pas facile et certains historiens50 insistent , à juste
titre, sur la solitude et l'isolement de Clamanges pendant ses douze dernières
années d'enseignement dans une ville ravagée par la guerre civile et l'occupa-
tion étrangère , et abandonnée par Gerson et une grande partie de ses amis et
<< sodales >> humanistes . Mais Coville51 et , plus tard et d'une manière plus forte ,
Simone et Ouy52 ont mis l'accent sur le rôle d'un autre maître , Gérard Machet,
administrateur du Collège de Navarre et professeur à la Faculté de théologie
dont il était le doyen au moment le plus triste de l'histoire de l'Université de
Paris . Cet ami de Nicolas de Clamanges, comme lui pourvu d'une bonne culture
théologique et partisan de l'étude des classiques et de l'union de la «< sapientia >>>
et de l' <« eloquentia » , poursuivit son enseignement au collège et à l'université
au moins jusqu'en 1447 , date à laquelle son nom disparait du Chartularium53 .
Pour ceux qui s'opposent à la thèse acceptée par Renaudet54 , d'une totale
282 CESARE VASOLI

solution de continuité dans l'histoire de l'humanisme parisien qui coïncide avec


la période la plus obscure de la lutte entre Armagnacs et Bourguignons et avec
l'éclipse des institutions universitaires, la présence active de Machet est la preuve
que l'expérience de l'humanisme parisien des dernières années du XIVe siècle
ne s'épuisa jamais complètement et resta même toujours active dans un milieu
culturel moins immobile que ne le laissent paraître certaines reconstructions
trop schématiques. Simone a noté que trois ans seulement séparent la dernière
mention du nom de Machet dans les documents de l'Université de Paris et l'appa-
rition à Paris de Guillaume Fichet55 ; période de temps beaucoup trop brève
si l'on se réfère à la fracture presque séculaire revendiquée par un certain nombre
d'historiens . Certainement, cette argumentation peut sembler trop faible , surtout
au regard de la terrible situation politique de la ville et de la longue crise de
l'Université qui étouffa la vie intellectuelle. Néanmoins, il est prouvé que,
déjà en 1457-1458 , un professeur italien , Grégoire de Città di Castello56
(Gregorius Tifernas) était chargé, pour la première fois , de l'enseignement du
grec à la Sorbonne , signe évident d'un intérêt pour les études humanistes et
surtout pour les connaissances linguistiques et philologiques que l'on pourrait
difficilement expliquer sans les précédents dont nous avons parlé.
De nombreux indices induisent à supposer que déjà , bien avant les guerres
d'Italie , avant même que ne se formât autour de Fichet et de Gaguin un nouveau
cénacle , la culture parisienne avait eu et entretenu sa propre initiation à l'huma-
nisme , et que la pénétration des nouveaux modèles de culture était beaucoup plus
étendue et profonde qu'on ne le croit souvent. Le matériel historique et érudit qui
est à notre disposition ne nous permet pas, sans aucun doute, d'aller plus loin que
des suppositions et de reconstituer plus complètement une histoire qui a dû être
très emmêlée et durement conditionnée par des situations et des événements divers .
Et pourtant , il paraît difficile d'expliquer la fortune de Fichet comme enseignant
et éditeur (fortune concrétisée , au cours des années soixante-dix , par l'ouverture
à Paris de la première imprimerie humaniste) , ou le succès de l'enseignement de
<< Gregorius Tifernas », sans la persistance d'une vocation humaniste qui, depuis
l'époque de Jean de Montreuil et de Nicolas de Clamanges, survécut au moins
jusqu'à la moitié du XVe siècle et permit, entre autres, de diffuser pour la première
fois certains classiques humanistes comme Leonardo Bruni et Lorenzo Valla. Mais,
arrivé à ce point, j'ai déjà dépassé les limites chronologiques de notre table ronde
et l'époque qui va suivre est bien mieux connue et étudiée : c'est celle de Gaguin
et du jeune Lefèvre d'Étaples , celle des rapports avec la Florence de Laurent de
Médicis et l'autre saison de l'histoire de la culture européenne liée aux noms de
Marsile Ficin et de Pic de la Mirandole . Il faut donc que je m'arrête , non sans
avoir souligné en conclusion la présence précoce à Paris d'idées et de méthodes
humanistes dans un milieu scolastique par excellence et le lien étroit qui unit,
au-delà d'inévitables et fécondes divergeances , des hommes de culture, d'origines
et de formation si différentes , mais qui étaient unanimes dans leur volonté de
récupérer un grand patrimoine littéraire et historique et d'affronter, grâce à des
méthodes, des instruments et des attitudes intellectuelles nouvelles, la longue
crise du savoir de la fin du Moyen Age.
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 283

NOTES

1. Cf. Et. Gilson, Les idées et les lettres, Paris, 1932.


2. R. Sabbadini, Le scoperte dei codici latini e greci, Firenze, 1905 ; id. , Nuove ricerche,
Firenze 1914 , ed. anast., con nuove aggiunte e correzioni dell'autore, a cura di E. Garin,
Firenze, 1967, p . 45 sqq.
3. G. Billanovich, Petrarca letterato. I. Lo scrittoio del Petrarca, Roma, 1947, p . 64-65 ;
id., « Petrarca and the textual Tradition of Livy » , Journal of the Warburg and Courtauld
Institutes, XIV (1951 ) , p. 137-208 ; id. , « Il Boccaccio, il Petrarca e le più antiche traduzioni
in italiano delle « Decadi » di Tito Livio » , Giornale storico della letteratura italiana, CXXX
(1953), fasc. 91 , p. 311-337 ; id. , I primi umanisti e le traduzioni dei classici latini, Fribourg,
1953 ; id. , « Dall'antica Ravenna alle biblioteche umanistiche » , Aevum, XXX ( 1956),
p. 345.
4. B. L. Ullman, << Some aspects of the Origin of italian Humanism. Renaissance Studies in
honor of Harding Craig » , Philological Quarterly, XX, 3 ( 1941 ) , p . 212-223 ; maintenant
dans Studies in the Italian Renaissance, Roma, 1955, p. 27-40.
5. Et. Gilson, La Philosophie au Moyen Age, Paris, 19472, p . 741-753.
6. A. Combes, Jean de Montreuil et le chancelier Gerson. Contribution à l'histoire de
l'Humanisme et de la théologie en France au début du XVe siècle, Paris, 1942.
7. F. Simone, La coscienza della Rinascita negli umanisti francesi, Roma, 1949 ; id.,
Il Rinascimento francese. Studi e ricerche, Torino, 1961 (19652) , p. 3 sqq.
8. M. Faucon, La librairie des Papes d'Avignon, sa fondation, sa composition , ses catalogues,
Paris, 1886.
9. G. Billanovich, Il Boccaccio, il Petrarca.
10. F. Petrarca , Rerum memorandarum libri, éd . G. Billanovich, Firenze, 1943 , II , 91 , 2 , 7-12,
p. 102 ; et pour la polémique contre Thomas d'Irlande, F. Petrarca, Contra cuiusdam
anonymi Galli calumnias apologia : Invectiva contra eum qui maledixit Italiae, Prose di
Francesco Petrarca, éd. G. Martellotti, Milano-Napoli, 1955, p . 770.
11. F. Simone, Il Rinascimento francese, p. 13 sqq.
12. A propos de Pétrarque et Pierre Bersuire, cf. F. Petrarca, Familiares, XXII , 13 et 14,
éd. V. Rossi, IV , Firenze, 1942, p . 136-152 ; et Seniles, XV, 7, dans Opera, Basileae, 1554,
f. 958. Mais cf. Gilson, La Philosophie, p . 743 ; L. Pannier, « Le bénédictin Pierre Bersuire
premier traducteur français de Tite-Live » , Bibliothèque de l'École des Chartes, XXXIII
(1872), p. 325 sqq.
13. A propos de Nicolas de Clamanges, je me limite à citer : G. Voigt, Die Wiederbelebung
des klassischen Altertums, oder der erste Jahrhundert des Humanismus, Berlin, 18812,
II, p. 352 sqq.; J. Boulenger, « La renaissance au XVe siècle. Une correspondance entre
Nicolas de Clamanges et Jacques de Nouvion » , Revue historique ardennaise, VII ( 1900) ,
p. 277-315 ; Sabbadini, Nuove ricerche, p. 34 et 45 ; A. Coville, Recherches sur quelques
écrivains du XIVe et du XVe siècles, Paris, 1935 ; id. « Un ami de Nicolas de Clamanges :
Jacques de Nouvion » , Bibliothèque de l'École des Chartes, XCVI ( 1935 ) , p. 65-90 ; id. ,
Le traité de la ruine de l'Église de Nicolas de Clamanges et la traduction française de 1564,
Paris, 1936 ; Simone, Il Rinascimento francese, ad ind. ; D. Cecchetti, « Nicolas de Clamanges
et Gérard Machet », Atti dell'Accademia delle Scienze di Torino, Torino , 1966 ; id. « L'elogio
delle arti liberali nel primo umanesimo francese » , Studi francesi, X ( 1966) , p . 1-14 ; id.,
<< Sulla fortuna di Petrarca in Francia : un testo dimenticato di Nicolas de Clamanges » ,
ibid., XI (1967) , p . 201-227 ; P. Glorieux, « Moeurs de Chrétienté au temps de Jeanne d'Arc.
Le traité «< contre l'institution des fêtes nouvelles » de Nicolas de Clamanges » , Mélanges de
science religieuse, XXIII (1966) , p. 5-29 ; D. Cecchetti, « Un'egloga inedita di Nicolas de
Clamanges » , dans Miscellanea di studi e ricerche sul Quattrocento francese, éd. F. Simone,
284 CESARE VASOLI

Torino , 1967 , p . 27-57 ; E. Ornato , Jean Muret et ses amis Nicolas de Clamanges et
Jean de Montreuil contribution à l'étude des rapports entre les humanistes de Paris et ceux
d'Avignon (1394-1420), Genève-Paris, 1969.
14. E. Ornato, op. cit.
15. A. Coville, Gontier et Pierre Col et l'humanisme en France au temps de Charles VI,
Paris, 1934 , p. 140-186 ; mais voir aussi : A. De L. Le Duc, « Gontier Col and the French
Pre-Renaissance » , The Romanic Review, VII ( 1916 ), p . 414 sqq.; VIII ( 1917) , p. 145 sqq.,
290 sqq.; H. Hauvette, De Laurentio de Primofato, Paris, 1903.
16. A. Coville, La vie intellectuelle dans les domaines d'Anjou-Provence de 1380 à 1435,
Paris, 1941 , p. 369-393 ; F. Simone , Il Rinascimento francese, p. 26-28.
17. V. G. Godi, « L'orazione del Petrarca per Giovanni il Buono » , Italia medioevale e
umanistica, VIII (1965) , p. 45-83 ; N. Mann, Petrarch's role as moralist in Fifteenth-Century
France, dans Humanism in France at the end of the Middle Ages and the early Renaissance,
éd. A.M.T. Levi, Manchester - New-York, 1970, p . 6-28 ; cf. aussi : A. Cochin, « Pétrarque et
les rois de France » , Annuaire-Bulletin de la Société d'Histoire de France, 1918.
18. N. Mann, op. cit. ; id. « La fortune de Pétrarque en France : recherches sur le ` De
remediis ' » , Studi francesi, XIII ( 1969) , p. 1-15 . Mais voir aussi : L. Delisle, « Anciennes
traductions françaises du traité de Pétrarque sur les remèdes de l'une et de l'autre fortune » ,
Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, XXXIV (1891 ) , p. 273-
304 ; E. Ornato , « La prima fortuna del Petrarca in Francia : I. Le letture petrarchesche di
Jean de Montreuil » ; II . « Il contributo del Petrarca alla formazione culturale di Jean de
Montreuil » , Studi francesi, V ( 1961 ) , p. 201-217 ; 401-414 ; K. Heitmann, Fortuna und
Virtus. Eine Studie zu Petrarcas Lebensweisheit, Köln, 1958.
19. Petrarca, Seniles, IX, I , dans Opera, f. 847. Le discours de A. Choquart dans C. E. Du
Boulay, Historia Universitatis Parisiensis, Parisiis, 1668 , IV , p. 396-412 (attribution à
Nicole Oresme) ; pour l'identification de l'auteur R. Delachenal, Histoire de Charles V,
Paris, 1916 , III , p . 515-519 . Pour l'épître de Jean Hesdin, voir Magistri Johannis de Hisdino
contra Franciscum Petrarcham et Francisci Petrarchae contra cuiusdam Galli anonymi
calumnias apologia, éd . Cocchia, Atti della R. Accademia di archeologia , lettere e arti
di Napoli, VII (1920) , n. 1 , p. 112 sqq.; mais cf. P. G. Ricci, « La cronologia dell'ultimo
<< certamen » petrarchesco » , Studi petrarcheschi, IV (1951 ) , p. 47-57.
20. V. E. Ornato, « La prima fortuna del Petrarca » , p. 201-217 ; D. Cecchetti, « Sulla
fortuna del Petrarca in Francia » ; G. Ouy, Le Collège de Navarre berceau de l'humanisme
français, dans Actes du 95e Congrès national des sociétés savantes, Reims, 1970, Section
de philologie et d'histoire jusqu'à 1610 , I , Paris, 1975 , p . 275-299 , part., p. 285.
21. Je me limite encore à citer G. Voigt, op. cit. , II, p . 347 sqq. ; R. Sabbadini, Nuove
ricerche ; A. Thomas, « Le nom de famille de Jehan de Monstereul » , Romania, XXXVII
(1908), p. 594-602 ; K. Schmidt, Jean de Montreuil als Kirchenpolitiker, Staatsmann und
Humanist, Freiburg im Breisgau, 1904 ; A.Combes, Jean de Montreuil et le chancelier Gerson ;
G. Billanovich G. Ouy, « La première correspondance échangée entre Jean de Montreuil
et Coluccio Salutati » , Italia medioevale e umanistica, VII ( 1964) , p. 337-374 ; G. Ouy,
Le recueil epistolaire autographe de Pierre d'Ailly et les notes d'Italie de Jean de Montreuil,
Amsterdam, 1966 ; F. Simone, Il Rinascimento francese, ad ind.; E. Ornato, Jean Muret ;
id. , La prima fortuna del Petrarca. Voir aussi Jean de Montreuil, Opera, 1 , Epistolario,
éd. crit. E. Ornato , Préf. A. Combes, Torino, 1963 ; II , L'oeuvre historique et polémique,
éd. crit. N. Grévy, E. Ornato, G. Ouy, Torino, 1975 ; III , Textes divers. Appendices. Tables,
éd. crit. N. Grévy - Pons, E. Ornato, G. Ouy , Paris, 1981.
22. F. Simone , Il Rinascimento francese, p. 55 .
23. L. Delisle , Recherches sur la Bibliothèque de Charles V, Paris, 1907.
24. Voir à ce propos : L. Salembier, Bibliographie des oeuvres du cardinal Pierre d'Ailly,
évêque de Cambrai (1350-1420) , Besançon, 1904 ; id., Les oeuvres françaises du cardinal
Pierre d'Ailly, Arras, 1908. Pour les Quaestiones super Sententiarum libros, je me sers de
l'édition de Bruxelles, 1500. Mais cf. R. Pontvianne, Pierre d'Ailly, évêque de Puy, évêque
de Cambrai et cardinal, Le Puy, 1896 ; L. Salembier, Le cardinal Pierre d'Ailly, Tourcoing,
LES DÉBUTS DE L'HUMANISME 285

1931 ; M. de Gandillac, « Usage et valeur des arguments probables chez Pierre d'Ailly » ,
Archives d'Histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, VIII ( 1933) , p . 43-91 ; A. Combes,
Sur les lettres de consolation de Nicolas de Clamanges à Pierre d'Ailly, ibid. , XV-XVII
(1940-1942), p. 359-389 ; B. Meller, Studien zur Erkenntnislehre des Peter von Ailly,
Freiburg im Brisgau, 1954 ; J. P. McGovan, « Pierre d'Ailly » , Romania, LXXVIII (1957),
p. 433-462 ; LXXIX ( 1958 ) , p . 339-375 ; LXXX (1959 ) , p . 289-336 ; LXXXI ( 1960) , p . 44-
98 ; F. Oakley, The political Thought ofPierre d'Ailly. The voluntarist Tradition , New-York,
1964 ; P. Glorieux , « L'oeuvre littéraire de Pierre d'Ailly. Remarques et précisions » , Mélan-
ges de science religieuse, XXI ( 1964), p . 61-78 ; F. Oakley, « Gerson et d'Ailly : an admo-
nition », Speculum, XL ( 1965) , p . 74-83 ; G. Ouy , Le recueil épistolaire.
25. V. J. L. Conolly, Jean Gerson. Reformer and Mystic, Louvain, 1928 ; A. Combes,
Jean Gerson, commentateur dionysien, Paris, 1940 ; id. , Jean de Montreuil et le chancelier
Gerson ; id. , Essai sur la critique de Ruysbroeck par Gerson, t. I-IV, Paris, 1945-1972 ;
R. Ruegger, Gerson et Occam, Louvain, 1956 ; P. Glorieux , Le chancelier Gerson et la réfor-
me de l'enseignement, dans Mélanges Étienne Gilson, Paris, 1959, p. 252-298 ; A. Combes,
La théologie mystique de Gerson. Profile de son évolution , Roma, 1963-1965 ; S. E. Ozment ,
Homo spiritualis. A comparative study of the anthropology of John Tauler, John Gerson
and Martin Luther (1509-1516) in the context of their theological thought, Leiden, 1969 ;
G. Ouy, « La plus ancienne oeuvre retrouvée de Jean Gerson : le brouillon inachevé d'un
traité contre Jean de Monzon ( 1389-1390) » , Romania, LXXXIII ( 1962) , p. 433-492 ; id. ,
« Gerson, émule de Pétrarque : le « Pastorum Carmen » , poème de jeunesse de Gerson et la
renaissance de l'églogue en France, à la fin du XIVe siècle » , Romania, LXXXVIII ( 1967) ,
p. 175-231 ; id. , Le Collège de Navarre, cité ; L.B. Pascoe, « Jean Gerson : the Ecclesia
primitiva and Reform » , Traditio, XXX ( 1974 ) , p . 379-404 ; id. « Gerson and the Donation
of Constantine : Growth and Development within the Church » , Viator, V ( 1974) , p.489-485 ;
G. Ouy, Gerson et l'Angleterre, dans Humanism in France, p . 43-81 ; id. , L'humanisme du
jeune Gerson, dans Genèse et débuts du grand Schisme d'Occident. Colloques internationaux
du C.N.R.S. , Avignon , 25-28 septembre 1978, Paris, 1980 , p . 253-268 . Mais aussi A. Combes ,
<< Gerson et la naissance de l'humanisme » , Revue du Moyen Age latin, I ( 1945 ) , p. 259-284.
26. F. Simone, Il Rinascimento francese, p. 248.
27. Cf. A. Coville, Gontier et Pierre Col. ; A. Combes, Jean de Montreuil et le chancelier
Gerson, p. 83-87.
28. Cf. A. Combes, « Gerson et la naissance de l'humanisme » , p . 282.
29. Cf. J. Gerson, Sermo in dominica III Quadragesimae, Opera omnia , éd . Du Pin, Anvers,
1706, 1079.
30. Très importantes, à ce sujet, les références au De duplici logica, proposées par M. Kaluza ,
pendant le débat. Gerson s'en prend aux logiciens et théologiens « britannici » , comme
faisaient les humanistes italiens.
31. A. Combes, Jean de Montreuil et le chancelier Gerson, p . 591-609 .
32. F. Simone, Il Rinascimento francese, p. 105 , 250.
33. Cicero, Tusculanae disputationes, I , 3 , 6.
34. Cf. G. Ouy, Le Collège de Navarre ; id. « Paris l'un des principaux foyers de l'humanis-
me en Europe au début du XVe siècle » , Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de
l'Ile-de-France, 1967-1968 , p . 71-98.
35. Cf. C. Casari, Notizie intorno a Luigi Marsili , Lovere , 1900 ; C. Vasoli, « La ' Regola
per ben confessarsi ' di Luigi Marsili, Rinascimento, IV ( 1953 ) , p . 39-44 ; L. Marsili , Lettere,
éd. crit. O. Moroni, Napoli , 1978.
36. Cf. Jean de Montreuil, Epistolario , Opera, éd . citée, I , ép . 42 , 33-37 ; 125 , 6-11 ; 141 ,
19-22 ; 200, 19-21 ; 208, 1 ss., p. 68 , 184 , 207, 301 , 315-316.
37. Cf. G. Billanovich - G. Ouy , op. cit. Cf. Jean de Montreuil, Epistolario, éd . cit. , ép. 93 ,
29-36 ; 102, 35-36 ; 107 ; 108 , 13-20 ; 132 , 42 ; 158 , 14 ; 160 , 1-6 ; 161 , 66-68 , p . 131-
132, 143 , 160-161 , 162 , 195 , 225 , 227 , 229 ; mais voir aussi C. Salutati, Epistolario , éd .
F. Novati, IV , Roma, 1911 , p . 331-332.
286 CESARE VASOLI

38. Salutati, Epistolario, IX, 8, III , Roma, 1896 , p. 71-76 ; IX, 20, ibid. , p. 143-147.
39. A. Coville, Gontier et Pierre Col, p. 191-228.
40. Ibid. et A. Combes, Jean de Montreuil et le chancelier Gerson, p. 610 ; F. Simone, Il
Rinascimento francese, p. 100 sqq.
41. A. Coville, Le traité de la ruine de l'Église.
42. Cf. L. D'Achery, Veterum aliquot scriptorum spicilegium, VI , Parisiis, 1664.
43. On le lit dans les Opera Omnia, éd . J. M. Lydius, Amsterdam, 1613.
44. Cf. E. Garin, Rinascite e rivoluzioni. Movimenti culturali dal XIV al XVIII secolo,
Bari, 1975 , p . 3 sqq.
45. G. Voigt, op. cit. , II, p . 334-360.
46. R. Sabbadini, Nuove ricerche, p. 34 , 45 , 74, 87.
47. Cf. G. Lanson, Histoire de la littérature française, XIe éd . revue, Paris, 1900 , p . 154-159.
48. Cf. Boulenger, « La renaissance au XVe siècle » , p . 279 ; id. , « Le vrai siècle de la
Renaissance », Humanisme et Renaissance, I ( 1974) , p. 9-30.
49. E. Gilson, La philosophie , p. 741.
50. A. Coville , Gontier et Pierre Col, p . 232-233.
51. Ibid. , p . 83, 140 ; Recherches, p. 269-273.
52. F. Simone, Il Rinascimento francese, p . 114-116 ; G. Ouy, Le Collège de Navarre.
53. H. Denifle-H. Chatelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, IV, Paris, 1897, p. 677.
54. A. Renaudet, Pré-réforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d'Italie,
Paris, 19532 , p . 78-80.
55. F. Simone, Il Rinascimento francese, p . 116. A propos de Guillaume Fichet, cf. surtout
J. Philippe, Guillaume Fichet, sa vie, ses oeuvres. Introduction de l'imprimerie à Paris,
Annecy; 1892 ; F. Simone , « Guillaume Fichet, retore e umanista » , Memorie dell'Academia
delle Scienze di Torino, S. II , t . 69 , P. II ( 1939) , p . 103-144 ; J. Monfrin « Les lectures de
Guillaume Fichet et de Jean Heynlin d'après le registre de prêt de la Bibliothèque de la
Sorbonne » , Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, XVII ( 1955 ) , p . 7-23 , 145-153.
56. J. Delaruelle, « Une vie d'humaniste au XVIe siècle : Grégoire Tifernas », Mélanges
d'archéologie et d'histoire publiés par l'École française de Rome, XIX ( 1899) , p . 9-33.
CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Paul VIGNAUX

Les Conclusions Générales annoncées au programme de cette Table Ronde


ne peuvent être qu'une suite de réflexions ne prétendant pas à l'unité d'une syn-
thèse, évitant plutôt d'en donner l'apparence : l'expérience de la recherche sur
la pensée médiévale nous a enseigné qu'elle avance par mise à jour de diversités
dont l'émergence met en question les vues synthétiques tenues pour acquises :
diversité ainsi des constructions doctrinales du XIIIe siècle qui ne nous concerne
pas ici , diversité des aspects du XIVe récemment de plus en plus manifeste , que
nos entretiens sur l'Université de Paris confirment en contribuant à la préciser .
De ce dernier siècle , dans son bilan de 1944 , Étienne Gilson retenait à côté
d' << entreprises philosophiques et théologiques... le retour des Belles-Lettres ...
un temps refoulées par la culture dialectique du XIIIe siècle » 1 .
Tels qu'analysés par notre collègue Vasoli , les débuts de l'humanisme à
l'Université de Paris font apparaître la complexité tant des relations entre huma-
nisme parisien et humanisme italien que des rapports à Paris entre maîtrise des
techniques de l'École et participation à un renouveau des Lettres classiques.
Nous avons retrouvé un épisode de cette histoire complexe de la culture dans
les réflexions de M. Lejbowicz sur la troisième partie du traité d'Oresme de
commensurabilitate vel incommensurabilitate motuum celi tandis que les pre-
mière et seconde parties raisonnent selon un « modèle euclidien » qui attire
l'attention sur la composante mathématique de l'argumentation scolastique au
XIVe siècle , l'enrichissement de la culture dialectique par des rationes mathema-
ticae, c'est par un procédé , « une création proprement littéraire » qu'argumente
la troisième partie . Autre aspect de la diversité culturelle présente à la vie univer-
sitaire : la référence au dominium ( in rebus) dans la conception de la potestas
chez Jean de Paris que Madame Coleman met en rapport avec le droit romain,
l'évolution juridique et économique contemporaine , la situation regnum contra
sacerdotium politiquement fondamentale à l'époque de Philippe le Bel et
Boniface VIII . Les données les plus apparentes de ce moment de l'Europe
appellent après l'insertion de l'histoire des idées dans l'histoire des Universités
leur mise en connexion avec l'histoire sociale et la genèse des États modernes.
Les novations intellectuelles du XIVe siècle s'accompagnent d'une continua-
tion voulue des élaborations du XIIIe dans des écoles philosophico -théologiques
que l'on retrouvera dans la néo-scolastique des XVIe et XVIIe siècles , voire
288 PAUL VIGNAUX

au-delà : école scotiste , école thomiste dans des conditions précisées par les Pères
Bérubé et Wéber . L'exceptionnelle connaissance de l'histoire intellectuelle de
<< la famille franciscaine » qu'a le premier, président de la Société internationale
d'Études scotistes, explique l'intérêt de sa communication sur la première école
scotiste prise de conscience des difficultés que rencontre dans la tradition
manuscrite l'entreprise de la Commission Scotiste , organisée par le P. Balic ,
pour donner dans une édition critique de l'Ordinatio Scoti le dernier état de
la recherche personnelle théologico-philosophique du Docteur Subtil , recherche
inachevée, état qui ne se donne point pour définitif ; attention également aux
conditions dans lesquelles, à la constitution de l'école scotiste , les premiers
disciples ne travaillent pas à partir du texte définitif d'une oeuvre personnelle
magistrale mais de souvenirs des leçons qu'ils ont entendues et des reportationes
par d'autres étudiants d'enseignements de dates différentes ; observation donc
d'une continuité typiquement scolastique , de style collectivement universitaire ,
entre le travail de Scot et celui des premiers scotistes ; d'où la tâche , proprement
historique de discerner, par exemple , de l'enseignement (ou des enseignements)
de Jean Duns Scot sur la connaissance par l'intellect humain du singulier corpo-
rel l'interprétation qu'Antoine André en propose , se déclarant , étant même
reconnu , scotista fidelis² ; il s'agit finalement d'évaluer le « jeu » dans « l'école
scotiste » entre la fidélité au Docteur , premier d'une suite , et l'indépendance
intellectuelle de disciples dont chacun paraît être à quelque degré un scotista
independens. Pour la compréhension générale du XIVe siècle , éclairer la forma-
tion de l'école scotiste semble particulièrement important du fait que l'enseigne-
ment de Scot se situe dans les dernières années du XIIIe siècle et les premières
du XIVe et que la tradition spéculative des scotistes conduit à une construction
telle que l'infinitisme de Jean de Ripa dont la découverte par Mgr Combes,
membre éminent de notre laboratoire 152 , a grandement modifié l'image qu'on
peut avoir de ce dernier scolastique . A l'articulation des deux siècles XIII et XIV ,
c'est d'un défenseur de Thomas d'Aquin <« contre les attaques venues du dehors ou
même du dedans de l'Ordre »3 dominicain , Hervé de Nédellec, qu'a principale-
ment traité le P. Wéber . Son analyse de la discussion par un bachelier sententiaire
de 1302-1303 , maître en 1307 , de la démonstrabilité de l'existence du Dieu
Tout Puissant montre dans quelles conditions un dominicain breton a pu devenir ,
et en quel sens peut être considéré , « l'artisan de la première école thomiste » :
apparemment, ce fut en dialoguant avec ses contemporains, répondant à leurs
arguments, s'insérant dans leur problématique tout en se voulant fidèle à un
maître dont la doctrine a été élaborée antérieurement , dans des conditions
différentes. C'est une tâche majeure de l'histoire des théologies de nous dire
dans quelle mesure il y a continuité d'une école théologico-philosophique ,
continuité vivante , donc dans un changement requis par la nouveauté au moins
de forme des interrogations . Évoluant , ces écoles gardent-elles chacune une
homogénéité ? Le P. Bérubé a signalé une remarque d'Étienne Gilson dans
son Jean Duns Scot, estimant probable que l'on constatera « lorsque l'histoire
des écoles sera faite... que le scotisme est resté dans l'ensemble plus homogène >>
CONCLUSIONS GÉNÉRALES 289

que le thomisme4 ; cela malgré le jeu des franciscains scotistes entre fidélité et in-
dépendance . Pour ce qui est de l'école thomiste , en signalant qu'Hervé de Nedellec
devint << bachelier sententiaire en 1302-1303 à Paris sous la direction de Maître
Eckhart » , le P. Wéber nous invite , compte tenu de la généralité possible des
présentes conclusions , à évoquer les Quaestiones parisienses du dominicain
allemand avec le primat de Dieu de l'intelligere sur l'esse qui y est proposé , en op-
position apparente avec la primauté thomiste de l'esse exaltée par Etienne Gilson :
circonstance du XIVe siècle qui nous a conduit à signaler que des classiques du
thomisme au XVIIe , les Salmanticenses et Jean de Saint-Thomas tiennent
l'intelligere pour le constitutivum formale naturae divinae en invoquant l'arti-
cle 4 de la Question XIV de la Somme Théologique, première partie ; il s'agit
d'une réponse « thomiste » à une interrogation en des termes formalistes dignes
du scotisme ... Renvoyant ainsi à l'époque de Suarez , ce néo-scolastique dont
on sait l'influence sur la métaphysique moderne , objet de la critique de Kant ,
on marque la place du XIVe siècle dans l'histoire de la philosophie.
Ce XIVe siècle scolastique dont l'image a d'ordinaire Ockham pour figure
centrale , comme par jeu de mots inceptor nominalium sectae, maître selon
Michalski en <« criticisme » caractéristique de l'époque . Quelque place que l'on
doive faire à cet oxonien dans une perspective plus générale , des précisions
d'une importance majeure sur son influence à son époque nous ont été apportées
par l'exposé magistral de W. Courtenay sur l'ockamisme à l'Université de Paris
dans les années 1320-1340 . Cette communication jette d'abord une lumière
nouvelle sur deux documents disciplinaires de la Faculté des Arts qu'à notre
avis les travaux antérieurs laissaient obscurs , les statuta du 25 septembre 1339
et du 29 décembre 1340 : l'insertion dans le premier de discussions sur «< la doc-
trine d'Ockham » s'explique par les difficultés de l'Université avec le Pape
Benoît XII ; confirmant cette mention , mais lié aux enquêtes doctrinales sur
Nicolas d'Autrecourt et sur un cistercien , le second décret de la Faculté ne vise
point dans sa critique de l'analyse des propositions de virtute sermonis Ockham
qui accepte l'usage de la suppositio impropria ; ce statutum de décembre 1340 ne
doit pas être confondu avec un autre statutum de janvier ou février 1341 contra
scientiam Okanikam, repris à l'automne 1341 par une ordinatio de la «< nation
anglo-germanique » à laquelle appartenait le maître ès-arts Conrad de Megenberg,
auteur ultérieurement d'un Tractatus contra Ockham ; en 1331 , la polémique
parisienne contre l'ockhamisme atteint un maximum, aucun rapport ne paraît
entre elle et la condamnation de Jean de Mirecourt en 1347. Deuxième série
d'indications de notre collègue Courtenay les références parisiennes à Ockham
montrent que, commençant dans les années 1320 , la connaissance de ses oeuvres
à Paris se limite à la Summa Logicae, au De quantitate qui constitue la première
partie du De Sacramento altaris, aux questions sur le temps , le mouvement et
le lieu de son Expositio in libros physicorum que l'on retrouve dans le Tractatus
de successivis ; le Commentaire des Sentences, Ordinatio et Reportatio, paraît
généralement ignoré . La discussion porte sur le problème des universaux et
sur l'interprétation des catégories fondamentales en philosophia naturalis ;
19
290 PAUL VIGNAUX

la scientia ockanica contestée apparaît l' « approche linguistique de la physique >>


par le fameux « terministe » anglais . Mais - troisième indication - l'Université
de Paris développa avec Buridan «< son propre genre de terminisme » tandis
qu'après la diffusion dans les années 1320 de la Summa logicae d'Ockham et
du De puritate artis logicae de Burley les rapports intellectuels avec l'Angleterre
diminuaient jusqu'aux dernières années 1330. C'est seulement en 1338-1340
que l'on entend à Paris l'écho des développements liés en logique , philosophie
naturelle et théologie survenus à Oxford depuis 1328. Ce renouveau de l'in-
fluence anglaise - avec les subtilitates anglicanae dénoncées en 1346 par le Pape
Clément VI comme extraneae doctrinae sophisticae est manifeste (quatrième
indication) dans l'enseignement théologique de Grégoire de Rimini qui , venant
d'Italie , << lit » les Sentences en 1342 ; ses positions en philosophie naturelle
et sur la catégorie de relation semblent « parallèles » aux thèses ockhamis-
tes. Nous sommes invités à reprendre la confrontation Grégoire de Rimini
Guillaume d'Ockham qui nous a aidé, il y a quelques années , à préciser la notion
de nominalisme médiévaló . Mais ne faut-il point auparavant définir plus complè-
tement le sens de l'ockhamisme parisien des années 1320 et 1330, le mode
de présence et d'influence d'Ockham non encore par les thèses de ses leçons
sententiaires ou de ses questions quodlibétiques, mais seulement par sa logique ,
ses questions sur les universaux , son élucidation des catégories temps, lieu,
mouvement fondamentales en philosophie naturelle . Même si en milieu univer-
sitaire les références à d'autres auteurs paraissent plus nombreuses, il y est
présent par le noyau même de son nominalisme : une ontologie formelle du
singulier impliquée dans un non-réalisme radical et une structure << linguistique »> ,
proprement terministe de l'approche des problèmes philosophiques. L'aspect
logicien de l'ockhamisme est ainsi confirmé même s'il s'insère dans le dévelop-
pement et un rayonnement plus généraux des techniques et de la culture logique
au XIVe siècle , liés à des rapports de Paris avec Oxford dont cet ockhamisme
des années 1320 et 1330 n'est qu'un premier moment.
Cinq contributions à la Table Ronde s'insèrent immédiatement dans
la perspective qui vient d'apparaître . La première est celle de Jean Jolivet sur
Radulphus Brito. Notre collègue qui, dans un article de 19748 a présenté la
théorie ockhamiste du langage « dans son opposition à la théorie des modi
significandi de la grammatica speculativa » y analyse « la fonction sémantique
de l'intellect » , son rôle dans la construction du langage selon ce Raoul le Breton,
qui, enseignant à la Faculté des Arts avant de « lire » les Sentences à Paris en
1308-1309, lui paraît avoir poussé plus avant les analyses de ses prédecesseurs
en spéculation grammaticale Martin , Jean et Boèce de Dacie : à partir de postu-
lats sur l'existence et l'homologie de modi 1 ) essendi, 2) intelligendi, 3) signifi-
candi, «< le passage de la connaissance à l'expression » apparaît effectué par
un intellect à la fois passif à l'égard des choses, « incapable d'altérer ce qu'il
reçoit » , et actif pour autant qu' « il confère un sens au matériau sonore » par
la médiation duquel il y a activement signification . Les grammairiens modistae
raisonnent dans le même monde logico-grammatical que Guillaume d'Ockham ,
CONCLUSIONS GÉNÉRALES 291

mais restent << très en deçà » , la conception << linguistique » de ce logicien faisant
<< refluer dans l'intellect les catégories principales de la grammaire elle-même » .
C'est dans le même univers mental que nous placent les trois communications
relatives à Buridan ; à les suivre , nous avons participé au récent mouvement
international de recherche sur cet auteur, justifié par son importance majeure
déjà signalée à l'Université de Paris et sa part dans le rayonnement européen
de cette Université au XIVe siècle . Tandis que dans la discussion du concept
de sujet d'un énoncé catégorique, Mlle Karger discerne un exemple de la diffi-
culté éprouvée par un logicien du XIVe siècle « à remédier aux insuffisances de
la logique aristotélicienne » , c'est la relation à cette dernière du même logicien
sur le problème de la preuve , même en métaphysique, que M. Sten Ebbesen
examine en concluant à une parenté de pensée entre Buridan et les Stoïciens :
on aperçoit la place que la scolastique du XIVe siècle peut prendre dans l'histoire
de la logique , discipline en pleine expansion . La troisième communication, de
M. Markowski , expose l'influence de Jean Buridan sur les universités d'Europe
centrale dont le développement est caractéristique du siècle : Prague , Cracovie,
Vienne , Heidelberg, Erfurt, Leipzig . Historien de la logique tant à Oxford et
à Paris, ayant décelé un «< fondement sémantique » original à la métaphysique
d'Eckhart , dont la mystique spéculative est un des aspects principaux du siècle ,
M. de Libera a choisi de nous présenter l'analyse logique des propositions
<< inceptives » et des propositions « désitives » , leur expositio par Albert de Saxe,
maître es-arts à Paris en 1351 , premier recteur de l'Université de Vienne en 1365,
et leur probatio per causas veritatis par Marsile d'Inghen, maître es-arts à Paris
en 1362, premier recteur d'Université d'Heidelberg en 1386, analyse qu'ulté-
rieurement un commentateur anonyme estima nécessaire de reformuler : raison-
nant sur l'expression de changements imaginés, à la « rencontre de la logique et
de la physique » où se situent les calculatores oxoniens, nous avons appris à
nous mouvoir dans l'univers mental ou plutôt linguistique de cette scolastique ,
univers propositionnel que Grégoire de Rimini essaya spécialement de spécifier .
Nous pouvons marquer la place que ce fameux Ermite de Saint Augustin
aurait méritée dans une Table Ronde organisée par un Centre d'Études qui comp-
ta parmi ses chercheurs le P. Eelcko Ypma qui, après avoir étudié les « débuts
théologiques » de l'Ordre des Ermites constitué en 1266, édita les Disputationes
de Quolibet de Jacques de Viterbe 10. Notre dernier essai d'élucidation du
nominalisme au XIVe siècle a insisté sur l'opposition par Grégoire de Rimini du
significabile complexe à la notion ockhamiste de la proposition objet de science
et situé en conséquence sa théorie dans l'histoire de la logique comme un dictisme.
Une étude ultérieure de Gál a signalé antérieurement la théorie du significabile
complexe chez l'oxonien Adam Wodeham11 . Après Grégoire , on le retrouve chez
un autre Ermite parisien Hugolin d'Orvieto , à la fois , comme chez Grégoire ,
dans le Commentaire du Prologue des Sentences, oeuvre théologique , et dans
les Quaestiones in Primum Physicorum, oeuvre philosophique qui s'ouvre par
une discussion de objecto scientifico scientiae naturalis dualité de lieu qui
pose le problème de la part d'analyse philosophique et de la part de tradition
292 PAUL VIGNAUX

théologique dans cette théorie . Il faut sans doute la poser pour expliquer le sens
de la présentation par Hugolin de la théorie du complexe significabile en oppo-
sition au modus dicendi Ockham rudis : via veritatis, quam Scriptura innuit,
Augustinus tenuit et Aegidius meminit ... et moderni declarant praecipue
Gregorius ... 12. Une explication développée de ce texte confirmerait sans doute
le jugement sur l'école de Grégoire et d'Hugolin avancé par le maître de Tübingen
Heiko A. Oberman dans son remarquable « profil de la pensée religieuse du
XIVe siècle » une renaissance augustinienne dans une des branches de la via
moderna, tradition et «< modernité » 13 ... La remarque citée d'Hugolin intervient
à l'article 2 d'une question demandant si ce qui est théologiquement vrai peut
être plus parfaitement connu dans un savoir autre que théologique : l'article 1
qui traite du verum incomplexum pose que le significabile Deum esse est pour
le théologien tout autre que pour Aristote : dans l'article 2 , où Ockham est mis
en cause, il s'agit du verum complexum, mais pas seulement d'une vérité d'évi-
dence rationnelle (per se notum) ou d'expérience (per experientiam certam)
ou de science (scitum), de la vérité aussi de la Foi ou de l'Espérance théologales
(esse creditum, esse spiratum) : les significats de propositions sont là encore
porteurs du vrai14 . Si, pour éclairer le « dictisme » des Ermites du XIVe siècle ,
on se reporte à l'histoire des théories anciennes et médiévales de la proposition
de Gabriel Nuchelmans, on relève parmi les sources du débat de ce siècle la dis-
cussion chez Augustin commentant l'Evangile de Jean de l'identité d'objet
des propositions sur le Sauveur chez les hommes qui ont vécu avant Lui et ceux
qui ont vécu après15 . Des vérités de foi suscitant des problèmes de logique :
c'est une situation de theologicus logicus, type scolastique évoqué par Luther
dans sa dénonciation en 1517 de l'École médiévale 16 .
Le siècle d'Hugolin d'Orvieto reste un âge théologique où la notion de
<< science »
> , objet majeur de discussion philosophique en scientia naturalis
continue d'être examinée comme au siècle précédent à partir du problème
classique d'introduction à la théologie (theologische Einleitungslehre) : utrum
theologia sit scientia ? De là , une dominante théologique dans les communica-
tions que nous n'avons pas encore mentionnées, à commencer par celle de
M. Zénon Kaluza , Étienne Gaudet devant le problème de la preuve en théologie.
Analyste expérimenté de la documentation universitaire inédite tant de Paris
que des nouveaux centres d'Europe Centrale dans un siècle de crise de la chré-
tienté et de débat ecclésiologique , ce chercheur du Laboratoire 152 n'a pas été
seulement l'organisateur de notre Table Ronde et de la publication de ses résul-
tats ; on lui doit la formulation du thème qui, sans altérer la diversité des données
en logique, ontologie et théologie, assure l'unité d'un point de vue preuves
et raisons. Celui-ci s'impose du simple fait que , la qualité de la « science >>>
aristotélicienne tenant à la rigueur de la démonstration , l'évaluation des raisons
probantes, de leur degré d'efficacité est un problème majeur. L'examen de
l'héritage manuscrit d'Étienne Gaudet qui « lut » les Sentences à Paris en 1361-
1362 procure une vue tout à fait concrète d'une « façon de travailler » , en
l'espèce de préparer l'argumentation que présenteront les Questions traitées
CONCLUSIONS GÉNÉRALES 293

par le sententiaire en un certain moment de l'histoire d'une problématique


universitaire d'École « sous le toit de l'Église » . Le sujet des Questions analysées
par M. Kaluza est la materia de fide, interrogation sur la part respective dans l'as-
sentiment de foi d'une volonté libre et d'un intellect mû par des rationes plus
ou moins probabiles composant une rationabilitas fidei, atteinte à partir d'argu-
ments empruntés à des auteurs divers. L'abondance des emprunts conduit à
s'interroger sur l'originalité de l'enseignement dont les manuscrits analysés
permettent de saisir la préparation . Il apparaît que le cistercien Jean de Mirecourt
ou l'augustin Jean de Bâle ne travaillaient pas autrement. La conception de la
preuve est à situer dans le milieu social constitué par la Faculté de Théologie
de l'Université . Cette perspective de sociologie de la connaissance se retrouve
dans la référence à des thèses d'une « école commune » qui marque la présen-
tation par M. Ruello de trois théologies possibles, deux théologies probables
de la sanctification et de la glorification selon Jean de Ripa ; son étude immé-
diatement antérieure sur « le problème de la vision béatifique à l'Université de
Paris vers le milieu du XIVe siècle » se référait pareillement à <« l'opinion de
l'école commune » 17. C'est par rapport à cette communauté, à l'autorité dont
elle a pu doter cette opinion, qu'on peut historiquement, donc « socialement
parlant » , situer le grand spéculatif franciscain formalizans ultra Scotum que,
sous l'impulsion de Mgr Combes, notre Centre d'études a placé au premier
rang des auteurs représentatifs d'aspects principaux de leur siècle . Continuateur
de Mgr Combes dont il a été le collaborateur , M. Ruello nous a apporté une
double analyse d'une part celle de la correspondance entre trois thèses concer-
nant la sanctification ou la justification du chrétien et trois autres concernant
la béatitude espérée dans l'au-delà , d'autre part celle de l'évolution des preuves
avancées par ces « trois théologies » qui laisse à un théologien métaphysicien
la liberté d'une construction à la fois techniquement originale et se réclamant
d'Augustin et de Pierre Lombard , tout en s'opposant à « l'école commune »
alors dominante à Paris ; dans l'ensemble : non-conformisme , référence à une
tradition, puissance spéculative.
C'est dans cette Université où il y a discussion de « théologies probables >>
que le sententiaire Pierre d'Ailly a demandé en 1376-1377 : Utrum positio fidei
de Dei unitate et personarum trinitate probabiliter valeat sustineri ? Dans les trois
articles de cette question , notre collègue Maierù a analysé pour nous cet exemple
majeur de rapport entre logique et théologie trinitaire : probème qu'il situe dans
la spéculation post-scotiste et qu'il étudiait par ailleurs chez le sententiaire pari-
sien Henri de Oyta, auteur d'une Abbreviatio de Commentaire d'Adam Wodeham18.
La question est de théologie dogmatique , la positio fidei n'étant pas envisagée
dans l'Écriture, mais dans une determinatio ecclesiae, un dogme tel que formulé
par l'Église . Sa formulation cependant appelle un examen dialectique , office et
honneur du théologien les rationes probabiles de Pierre d'Ailly restent dans
la tradition anselmienne de recherche d'une ratio fidei. A. Maierù éclaire le pro-
babiliter sustineri, équivalent d'apparenter sustineri, en exposant la doctrine de
gradus evidentiae degrés d'évidence moindres que l'évidence absolue du premier
294 PAUL VIGNAUX

principe de la logique ou de l'ontologie (l'une et l'autre à prétention formelle) .


A partir de là , les articles 2 et 3 de la Question principalement étudiée font appa-
raître à quelque degré, nullement de façon démonstrative , qu'il n'y a vraisembla-
blement pas dans la formulation du dogme contradiction ou nécessité de violer
les lois des inférences, syllogismes ou consequentiae... Un argument nous paraît
à retenir la Trinité n'est pas plus invraisemblable qu'un réalisme platonisant
des universaux ...
La distinction du secundum quid et du simpliciter dans l'evidentia apparaît
chez Pierre d'Ailly en rapport avec celle de la potentia Dei en ordinata et abso-
luta. C'est d'une des spéculations philosophico-théologiques liées à l'usage de
cette dernière distinction que M. J.-F. Genest nous a entretenus en traitant de
Pierre de Ceffons et l'hypothèse du Dieu trompeur. Ce chercheur qui, dans notre
centre d'études , a analysé la controverse sur le mode non de la prescience divine ,
mais de la communication aux créateurs de cette prescience - materia revelatio-
num- qui se développa des oxoniens Richard Fitzralph et Adam Wodeham aux
parisiens Jean de Ripa et Pierre d'Ailly 19 , situe dans cette suite Pierre de Ceffons ,
cistercien de Clairvaux qui « lit » les Sentences un an après la condamnation
de Jean de Mirecourt . Nous sommes d'abord assurés qu'à Paris non tenetur
quod Deus non possit decipere conditionnement social de la spéculation
universitaire . Le rejet par Grégoire de Rimini , suivi par Alphonse Vargas de
Tolède et Hugolin d'Orvieto , autres augustins, de la possibilité d'une « trom-
perie divine » est examiné ensuite ; les références anglaises sont dégagées. En
troisième lieu, les « nouveaux pélagiens » d'outre-Manche << pélagiens » au
jugement de Bradwardine sont mis en cause pour leur attitude dans la materia
revelationum liée à leur conception de la liberté humaine ; on saisit l'intérêt
suscité à Paris au milieu du siècle par Thomas Buckingham et sa réflexion sur
la revelatio in Verbo opposée à une revelatio in proprio genere. On découvre
du même coup toute une problématique où la discussion par un theologus
logicus de la vérité révélée d'une proposition sur un futur contingent se lie à
une spéculation sur la connaissance divine et la connaissance que les créatures
peuvent avoir en Dieu. Nul ne pouvait mieux insérer un exposé comme celui de
M. Genest dans l'histoire générale de la philosophie que notre éminent collègue
Tullio Gregory qui a admirablement précisé il y a quelques années les antécé-
dents théologiques médiévaux de l'hypothèse cartésienne d'un Dieu trompeur20 .
Sa communication sur la tromperie divine complète cette analyse à la fois en
manifestant toute la dimension que la toute-puissance du Dieu chrétien prend
dans cette spéculation et en rappelant que , dans la tradition même des commen-
tateurs du Lombard , le monde ainsi ouvert à l'intervention divine l'est aussi, à
un moindre degré , aux interventions démoniaques , l'angélologie étant partie
intégrante de l'image médiévale de l'univers .
Nous pouvons terminer sur cette référence plus moderne que les moderni
du XIVe siècle , une évocation des aspects de ce siècle présentés dans cette Table
Ronde en n'oubliant pas que leur diversité se prête à des exposés de plus en plus
compréhensifs21 .
CONCLUSIONS GENERALES 295

NOTES

1. E. Gilson, La Philosophie au Moyen Age, 2º édition, Paris, 1944, p. 721 .


2. Cf. C. Bérubé, « Antoine André, témoin et interprète de Scot » , Antonianum, t. 54
(1979), p. 386-446.
3. E. Gilson, op. cit., p. 543.
4. C. Bérubé, op. cit. , p. 391 ; cf. E. Gilson, Jean Duns Scot, Paris, 1952, p. 627 et p . 810.
5. P. Vignaux , « Sur ' esse ' et ' intelligere en Dieu ' », contribution aux Mélanges Brunner :
Métaphysique, histoire de la philosophie, Neuchâtel, 1981 , p . 141-150.
6. P. Vignaux, « La problématique du nominalisme médiéval peut-elle éclairer des problè-
mes philosophiques actuels ? » , Revue philosophique de Louvain, t. 75 ( 1977) , spécialement
p. 311-323.
7. Publié quelques mois après notre Table Ronde, le très remarquable ouvrage collectif
The Cambridge History of Later Medieval Philosophy, préparé par Norman Kretzmann,
Anthony Kenny et Ian Pinborg, Londres, 1982, doit être mentionné ici pour la place qu'il
fait à la logique, p . 99-381 , la relation qu'il relève entre les problèmes médiévaux ainsi
envisagés et « les vues et les intérêts des philosophes nos contemporains, en particulier
ceux qui oeuvrent dans la tradition analytique » et l'idée que l'adoption de ce point de vue
peut << mettre fin à l'époque où la philosophie médiévale a été étudiée dans un ghetto
philosophique » , ibid. , p. 3.
8. J. Jolivet, « Comparaison des théories du langage chez Abélard et chez les nominalistes
du XIVe siècle », dans Peter Abelard, Mediaevalia Lovaniensia, 1974, spécialement p. 163-169 .
9. A. de Libéra, « Le problème de l'être chez Maître Eckhart : logique et métaphysique de
l'analogie », Cahiers de la Revue de Théologie et de Philosophie, 4 ( 1980) ; dans le volume
de Cambridge History cité note 7 , M. de Libéra en présente The Oxford and Paris Traditions
in Logic.
10. Eelcko Ypma, La formation des professeurs chez les Ermites de Saint Augustin de 1256
à 1354 : un nouvel ordre à ses débuts théologiques, Paris, 1956 ; édition de Jacobi de Viterbio
O.E.S.A. Disputatio prima….. quarta de Quolibet, Würzburg, 1968 ... 1975.
11. Gregorii Ariminensis O.E.S.A. Lectura super Primum et Secundum Sententiarum, t. I,
éd. Damasius Trapp ..., Berlin, 1981 , p . 2-12.
12. Willigis Eckermann , Der Physikkommentar Hugolins von Orvieto O.E.S.A., Berlin,
1972, p. 36 sqq. Hugolini de Urbe Veteri O.E.S.A. Commentarius in Quatuor libros
sententiarum, t. I, éd . Willigis Eckermann, Würzburg, 1980 , spécialement p . 68 ; cf. article
cité note 6.
13. Heiko A. Oberman, « Fourteenth-century religious Thought a premature profile »,
Speculum, LIII (1978) , p . 80-93.
14. Hugolini..., édition citée note 12, p . 49-80.
15. Gabriel Nuchelmans, Theories of the proposition : ancient and medieval conceptions
ofthe bearers of truth and falsity, Amsterdam, 1973 , spécialement p. 177-185.
16. Proposition 45 de la Disputatio contra scholasticam theologiam, septembre 1517 :
Theologus non logicus est monstruosus haereticus est monstruosa et haeretica oratio.
Contra dictum commune.
17. Archives d'Histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, XLVII (1980) , p. 121-170,
observations pertinentes sur le « principe majoritaire » en théologie, p . 124-125 , note 14 ;
cette étude prépare la présentation des « trois théologies possibles » dans la communica-
tion de la Table Ronde.
296 PAUL VIGNAUX

18. A. Maierù, « Logica aristotelica e teologia trinitaria : Enrico Totting da Oyta », Studi
sul XIV secolo in memoria di Anneliese Maier, Roma, 1981 , p. 481-512.
19. J.-F. Genest, Le de futuris contingentibus de Thomas Bradwardine, édition critique et
introduction avec annexes dont la Questio Biblica de Richard Fitz-Ralph, mémoire de 1975
pour la Ve section de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, partiellement publié dans le t.XIV
(1979) des Recherches Augustinienses.
20. Tullio Gregory, « Dio ingannatore e genio maligno, Nota in margine alle Meditationes
di Descartes » , Giornale critico della filosofia italiana, LIII ( 1974) , p. 477-515.
21. On nous permettra de citer les chapitres 5 et 6 de notre Philosophie au Moyen Age,
Paris, 1958, et notre contribution : « Situation d'un historien philosophe devant la scolas-
tique des XIVe et XVe siècles » à l'ouvrage collectif Étienne Gilson et nous : la philosophie
et son histoire, Paris, 1980, ainsi que l'article de H. M. Oberman cité note 13 à retenir
spécialement, dont une version remaniée The reorientation of XIV century a été publiée
en 1981 dans les Mélanges Anneliese Maier, cités note 18.
MANUSCRITS CITES

ALENÇON, Bibliothèque municipale FIRENZE, Biblioteca Nazionale


144 : 251 Conv. Soppr. B. 1.996 : 226

ASSISI , Biblioteca Comunale KRAKÓW, Biblioteka Jagiellońska


156 : 226, 229 621 : 159
635 : 159
CAMBRIDGE , Gonville & Caius College 654 : 159
434/434 : 141 659 : 159
660 : 158, 159
CASALE MONFERRATO, Biblioteca del 662 : 107 , 109
Seminario 663 : 158
IB. 3 : 226 684 : 159
688 : 160
ERFURT , Wissenschaftliche Bibliothek 699 : 160
2º 296 : 162 704 : 159
20 298 159 , 162 717 : 141 , 142
20 300 : 162 720 : 160
20 302 : 162 737 : 159
20 305 : 162 738 : 160
20 306 : 159 , 162 753 : 158
20 315162 793 : 226
20 322 : 162 1367 : 160
20 334 : 162 1899 : 160
20 337162 1900 : 160
20 344 : 162 1904 158 , 159
20 357 : 158 , 162 1905 : 160
20 361 162 1907 : 159
20 362 : 162 1946 : 160
20 366 : 162 1982 : 160
40 167 : 162 2000 : 160
40 241 : 163 2003 : 161
40 246 : 162 2013 : 160
40 247 : 162 2037 : 160
4º 262 : 162 2043 : 160
40 263 : 163 2097 : 160
4º 299 : 162 2100 : 160
40 319 : 163 2104 : 159
40 325 : 162 2105 : 159
40 327 : 162 2178 : 142
40 342 : 162 2376 : 160
80 67:57 2455 : 160

FRANKFURT AM MAIN , Stadt- und LEIPZIG , Universitätsbibliothek


Universitätsbibliothek 1246 : 163
Praed. 52 159 , 161 1366 158 , 163
1415163
FIRENZE, Biblioteca Medicea Laurenziana 1417 : 163
Plut. XII , sin. 2 : 141 1445 : 163
20

20
298 MANUSCRITS CITES

1446 : 163 16535232-235 , 243-251


1447 : 163 16621 : 243
1448 : 163 16729 : 243
1451 : 163 18430 : 132 , 143 , 144
1372 : 163
1373 : 163 PRAHA, Knihovna Metropolitní Kapituly
1277 : 158
LONDON , British Library
Harley 2667208 PRAHA, Universitní Knihovna
Ad. 17304 : 62 724 : 160
769 : 159
MAINZ, Stadtbibliothek 841 : 158
547 : 162 927 : 160
611 : 162
SARNANO, Biblioteca Comunale
MELK, Stiftsbibliothek E. 71 : 229
1395 : 161
SEVILLA, Biblioteca Capitular Colombina
MÜNCHEN, Bayerische Staatsbibliothek 7-7-32 : 62
clm 497 : 161
4379 : 141 TROYES, Bibliothèque municipale
6029 : 161 62 208 , 210-214
6962 : 161 505 : 210
7080 : 162 718 : 57
7658 : 163
12282 : 159 UPPSALA, Universitetsbiblioteket
12707 : 161 C. 609 : 107 , 109
14687 : 62
18789 : 161 VATICANO (Città del) , Bibliotheca
19551 : 159 Apostolica Vaticana
19674 : 161 Chigi E. VI. 199 : 159
19818 : 161 Pal. lat. 994 : 162
19847 : 161 1019 : 162
24961 : 136 1037 : 161 , 162
1045 : 162
MÜNCHEN , Universitätsbibliothek 1049 : 162
F. 52:57 1252 : 63
Vat. lat. 901 : 57
PADOVA, Biblioteca Antoniana 1082 : 226
190 : 226 1087 : 58
3065 : 141
PARIS, Archives de l'Université 6761 : 226
Reg. 2 : 62
WIEN, Bibliothek der Dominikaner
PARIS , Bibliothèque Mazarine Konvents
894 : 57 107/73 161
160/130 129 , 141 , 142
PARIS, Bibliothèque nationale
lat. 6441 : 141 WIEN, Oesterreichische Nationalbibliothek
14559 : 209 753 : 162
14715 129 , 132 , 141-144 1397 : 267
15369226-229 3846 : 161
15561 : 243 3976 : 161
15888232 , 243 4784 : 162
16134 134 , 144 , 145 4950 : 161
16408210 , 243, 244, 245 4951161
16425 : 243 5112 : 161
16533 : 243 , 244 5186 159 , 161
16534 : 243 5190 : 161
MANUSCRITS CITÉS 299

5235 : 162 5420 : 161


5332 : 161 5424 : 161
5333 158 , 159, 161 5431 : 158
5338 : 161 5440 : 159 , 161
5340 : 162 5453158, 159
5365 : 161 5458 : 161
5367 : 161 5466 : 161
5375 : 158 , 159, 161
5377 : 158 , 161 WIEN, Schottenkloster
5408 : 161 301 : 160
[

1
TABLES DES NOMS PROPRES

Abélard (Pierre) , 193 , 195 . Arithmétique , 165 , 168-170 , 174 , 178.


Abraham , 202 , 206 , 211 , 212, 214. Arnauld (A.) , 127 , 128 , 140 , 141 .
Achab , 195 . Ascensius de Sainte-Colombe, 216 , 217 ,
Adam Wodeham , 46 , 48 , 49 , 190 , 192 , 195 , 224, 226.
200, 201 , 203 , 209 , 232 , 253 , 261 , 262 , Augustin (saint) , 13 , 14 , 38 , 95 , 191 , 200-
267 , 291 , 293 , 294. 202 , 208, 210 , 211 , 216-218 , 220,
Alain l'Anglais, 75 . 224, 225 , 241 , 246 , 248 , 251 , 254 ,
Albert le Grand , 30, 154 , 156. 263, 292 , 293.
Albert Rickmersdorf de Saxe , 127-137 , Averroès, 19 , 20 , 29 , 51 , 52 , 54 , 61 , 62,
139-142 , 149 , 153-155 , 159 , 291 . 131 , 142 , 143 , 238 , 249.
Albertino Mussato , 280. Avicenne , 19 , 20 , 29 , 33.
Alexandre III , 68 .
Alexandre de Hales, 14 , 156 . Ball (W.) , 79 .
Alexandre Langeley , 50 Barnes (J.) , 207.
Alfarabi, 246. Barthélemy l'Anglais , 202.
Alphonse X, 184, 185. Bartolomeo de Sassoferrato , 66.
Alphonse Vargas de Tolède, 201 , 210 , 294. Bartolus, voir : Bartolomeo de Sassoferrato.
Amadée de Saluces , 272. Bayle (P.) , 207.
Ambroise (saint ) , 211 , 216. Benoît XII , 47 , 48, 52.
Andalò di Negro , 59. Benoît XIII , 271 , 281 , 289.
André de Kokorzyn , 153 . Benoît Hesse de Cracovie , 153 , 154 , 160 .
André de Neufchâteau , 208, 209 , 214. Bernard d'Arezzo , 192.
André de Swecia , 61 . Bernard de Fresneda, 23.
André Wężyk (Serpens) , 153 , 160. Bernard de Laon, 197 , 206 .
Ange de Dobelin, 243. Bessarion, 207.
Anonyme ( Commentateur de Marsile Boccace (Jean) , 269 , 271 , 272.
d'Inghen) , 127 , 136-140 , 146, 147 , Boèce (A. M. S. ) , 57 , 84, 88, 89 , 92 , 94,
291 . 183 , 193 , 195 , 247 , 274.
Ansel Choquart, 272 , 284. Boèce de Dacie , 87-89 , 94 , 95 , 290.
Anselme de Cantorbéry, 13 , 14 , 26 , 30 , Bonaventure (saint) , 14 , 16 , 188, 189 , 194 ,
34 , 38, 212. 223, 228, 264.
Antoine André, 9 , 10 , 12 , 13 , 16-24 , 288. Boniface VIII , 65 , 66 , 287 .
Apollon, 165 , 168 , 171 , 174 , 183 . Bracton, voir : Henri de Bracton.
Aristote , 10 , 11 , 13 , 17-22 , 27-31 , 33-36 , Bruni d'Arezzo ( Leonardo ) , 282.
45 , 51 , 52 , 61 , 62 , 70 , 83 , 84, 86,
89-93, 95 , 97-99 , 101-104 , 123, 129, Campanus de Novare, 177.
131 , 141 , 143 , 151-156 , 159-163 , 179 , Celse , 193.
181 , 183 , 191-193 , 211 , 238 , 245 , 246, Charisius (Flavius Sosipater) , 183 .
249, 264 , 265 , 292. Charles V , 175 , 272 , 273 , 275.
302 TABLE DES NOMS PROPRES

Charles VI, 275. Geraldus Odonis, voir : Guiral Ot.


Cicéron, 275 , 276, 279 , 285. Gérard de Bologne, 28 , 39.
Clément VI (Pierre Roger) , 13 , 54 , 64 , 175 , Gérard Groote, 238 , 239.
185 , 290. Gérard Machet, 276 , 281 , 282.
Clément VII, 231 . Gérard de Marten, 61.
Coluccio Salutati, 269 , 275 , 276, 280 , Gérard Odonis , voir : Guiral Ot.
285, 286. Gilles de Mantes, 206.
Conrad de Megenberg, 50-55 , 59, 61-64 , Gilles de Rome, 15 , 26 , 37 , 38, 68-73 , 75 ,
289. 78 , 80, 153 , 156 , 292.
Conrad de Soltau, 152. Godefroid de Fontaines, 13 , 28, 71 , 72 ,
Conrad de Susato , 156. 78-81 .
Convenevole da Prato, 270. Gontier Col, 271 , 276.
Crathorn , 46. Gratien, 75.
Grégoire XIII , 174.
Dante, 265. Grégoire de Città di Castello , 282 , 286.
Denys d'Athènes, 242. Grégoire de Rimini, 50 , 51 , 53, 60 , 61 ,
Denys l'Areopagite (Pseudo), 13 , 14 , 274 . 195 , 197 , 200-202 , 204 , 205 , 207 , 209,
Denys de Montina, 243. 210, 213 , 216 , 223-225 , 229 , 242, 243 ,
Dioclétien, 67. 245 , 248, 253, 261 , 262 , 267 , 290-292 ,
Diomède, 183. 294, 295.
Durand de Saint-Pourçain, 25 , 31 , 32, 35, Grotius (H.) , 79.
37 , 40 , 41 , 45 . Guillaume d'Alnwick, 11 , 15 , 17 , 23 , 46 ,
47.
Eckhart (maître) , 25 , 35 , 41 , 289, 291 . Guillaume d'Auvergne, 237.
Edouard I, 74. Guillaume d'Auxerre, 205 , 213, 241 , 251 .
Ekkehard IV de Saint-Gall , 193 , 195 . Guillaume Chitterne , 202 , 210 .
Erhard Vogt de Weitra, 155. Guillaume Fichet, 282 , 286.
Etienne de Chaumont , 242. Guillaume Fillastre , 275.
Étienne Gaudet , 201 , 210 , 231-250, 292. Guillaume de Heytesbury, 46, 49 , 54 , 129 ,
Étienne de Langres, 47. 134, 141 , 144.
Etienne Tempier, 198. Guillaume de la Mare, 16.
Euclide , 91 , 177. Guillaume d'Ockham, 14 , 21 , 24, 43-63,
86 , 93 , 113 , 115 , 122-125 , 129 , 130 ,
François d'Assise, 14 . 132-134, 141 , 143 , 144 , 156 , 187-190 ,
François de Marchia, 44 , 47 , 56. 194, 203 , 204, 232 , 253 , 267 , 289,
François de Meyronnes , 12-17 , 20 , 44 , 57 . 290, 292.
François Rubeus de Pignano , 13. Guillaume de Salvarvilla, 232 , 234, 235 ,
François de Zamora, 16, 23. 238-242, 244, 245 , 247-250.
Firmin de Belleval , 175 , 185. Guillaume de Sutton , 129-132 , 141 , 142.
Frédéric Schön de Nuremberg, 155 , 156 . Guillaume de Ware, 36 , 41.
Frontinus (Sextus Iulius) , 202 , 211. Guiral Ot , 47 , 154.
Guy de Boulogne, 273.
Gabriel Biel, 189 , 192 , 194 , 195 , 197 .
Gaius, 69. Hélinand de Froidmont, 183.
Gauthier Burley, 12 , 44-50, 55 , 57 , 60-62 , Henri de Bracton , 75 .
129-132 , 134-137 , 141-143 , 290. Henri de Gand , 11 , 12 , 15 , 26 , 28 , 31 , 36,
Gauthier de Chatton, 20 , 46 , 57 , 190 , 243. 39 , 131 , 143 , 156.
Gennadius, 189. Henri Hainbuch de Langenstein, 154 , 242 ,
Geoffroy de Meaux , 175 , 184 , 185 . 251 .
Géométrie , 165 , 168-171 , 173 , 174 , 178 . Henri de Harclay, 46 , 56 , 57.
Georges Benigni , 207 . Henri Totting d'Oyta, 154 , 236, 242 , 253,
Georges d'Ebersberg , 155 . 263, 293.
Georges Tudel de Giengen, 155 . Henri d'Unna , 61 .
TABLE DES NOMS PROPRES 303

Herman Lurtz, 263. Jean de Meun, 277.


Hervé de Nédellec, 25-28, 30-38 , 40, 41 , Jean de Mirecourt, 43 , 50, 55 , 197-200 ,
288, 289. 206, 209 , 232 , 236 , 242 , 244, 246,
Hibernicus, voir : Richard Fitzralph. 289, 293, 294.
Hilaire de Poitiers, 254 , 263. Jean Moccia, voir : Moccia.
Hugolin d'Orvieto , 198 , 199 , 201 , 208, Jean de Montreuil, 271-276 , 278 , 280-282 ,
209, 235 , 242, 291 , 292 , 294, 295. 284, 285.
Huguccio , 75 . Jean Muret, 271.
Hugues (maître) , 136 , 137 , 139 , 146 . Jean de Murs, 174 , 175 , 184 , 185.
Hugues de Duclas, 61. Jean Nicholai, 44 , 57.
Hugues Kym, 146. Jean d'Ockham , 12 .
Hugues de Newcastle, 13. Jean de Paris, 34 , 40 , 65-68 , 70-75 , 77-80,
287.
Isidore de Séville , 94 , 183. Jean de Pouilly , 28 , 29 , 31 , 32 , 36, 39.
Jean Quidort, voir : Jean de Paris.
Jacob, 185. Jean de Reading , 46, 56.
Jacques de Majorque, 184. Jean de Ripa, 15 , 17 , 23 , 206 , 209 , 214-
Jacques de Metz, 25 , 30, 32 , 37 , 39. 226, 242, 248 , 288 , 293 , 294.
Jacques de Nouvion, 271. Jean de Rodington , 46 , 187, 191, 207 , 209 .
Jacques de Viterbe, 291 , 295. Jean de Sacrobosco, 52, 59.
Jean XXII, 13 , 14 , 67 , 78, 270. Jean de Saint-Thomas, 21 , 289.
Jean II le Bon, 272 , 273 . Jean de Saxe, 175 , 185.
Jean Arsen de Langenfeld , 152. Jean de Schlittpacher de Weilheim, 154 ,
Jean Baconthorp, 46. 155.
Jean de Bassoles, 20. Jean Scorps, 12.
Jean Buridan, 46, 47 , 49 , 50, 58, 63, 97- Jean Scot , voir : Jean Duns Scot
99, 101-107 , 109-114 , 116-125 , 142 , et Jean Scot de Rate.
149-163 , 181 , 190 , 191 , 194 , 195, 290, Jean Scot de Rate, 201 , 210, 234 , 235 ,
291 . 238, 239, 242, 244-246.
Jean de Calore, 234 , 236, 242, 244, 246. Jean Stedler de Landeshut , 155 .
Jean de Dacie, 87-89 , 290. Jean Stuklee, 201 , 210.
Jean Daudin, 272. Jean Versor, 152 , 154.
Jean Dorp , 110 , 145 , 156 , 157. Jean Widmann de Dinkelsbühl , 155 .
Jean Dumbleton, 54. Jean Wyclif, 264.
Jean Duns Scot , 9-25 , 28 , 30-33 , 36, 37, Jean Zärtel d'Engelsdorf, 155 .
39-41 , 44-47 , 95 , 223 , 242 , 244, 246, Jean de Ziębice , 152.
253, 288, 293. Jérémie, 210.
Jean Faber de Werdea, 154 , 155 . Joachim de Flore, 264.
Jean de Falisca, 243, 251 . Job, 68.
Jean de Fundis , 182. Jodoc Gartner de Persching, 155 .
Jean Gerson, 15 , 80 , 185 , 231 , 263 , 271 , Josué, 211.
272 , 274, 275 , 277 , 278 , 281 , 285. Justinien, 67.
Jean Haerrer de Heilbronn, 155 .
Jean de Hesdin , 272 , 284 , 286. Kant (I) , 37 , 289.
Jean Hiltalingen de Bâle , 243 , 293. Kepler (J.), 181 .
Jean Isner, 150 , 151 .
Jean de Jandun, 52 . Laurent de Lindors, 154.
Jean Juff de Butzbach, 156. Laurent de Médicis, 282.
Jean Kinhard , 61 . Laurent de Premierfait, 271.
Jean le Chanoine, 12 , 20. Lefèvre d'Etaples, 282 .
Jean Lutterell , 14 . Léon XIII, 22.
Jean Mändel d'Amberg, 155. Léonard Huntpichler, 155 .
Jean de Marbres, 20. Levi ben Gerson, 175 , 185.
304 TABLE DES NOMS PROPRES

Locke (J.) , 65 , 73 , 79 , 80. Pierre d'Alessandria, 185.


Louis IV de Bavière , 14 , 51 , 52. Pierre d'Aquila, 46, 58.
Luigi Marsili de Florence , 276, 285. Pierre d'Aragon, 184.
Luther (M.) , 267. Pierre Auriole , 45 , 57 , 192.
Pierre d'Auvergne, 89.
Macrobe, 180. Pierre Bersuire , 271 , 273 , 283.
Mariano de Florence , 12-15 , 23. Pierre de Ceffons, 43, 55 , 197-214, 294.
Marius Victorinus , 193, 195 . Pierre Col, 276.
Marsile Ficin, 282. Pierre Damien, 193 , 195 .
Marsile d'Inghen , 127 , 136-140 , 145-147 , Pierre d'Espagne, 131 , 143 , 152 , 154 , 159 .
149 , 153 , 155 , 156 , 162 , 163 , 291 . Pierre Hélie, 93.
Marsile de Padoue , 52 , 65-67 , 72 , 77-81 . Pierre Lombard , 25 , 189 , 194 , 216 , 218,
Martin de Dacie , 87-89 , 290. 220, 223 , 224 , 253, 254, 293 , 294.
Mastrie (B.) , 20 , 21 , 24. Pierre de Mantoue , 136 , 145.
Matthieu de Plano, 150. Pierre Olieu (Olivi), 45 , 50 , 56, 57.
Maurice de Benessor, 152. Pierre de Rainzeville , 273.
Maurice du Port , 10 , 16 , 18 , 22-24. Pierre Roger, voir : Clément VI.
Melchisédech , 68. Pierre de Sienno, 154.
Michel de Massa, 45 , 47. Pietramala (Galeotto Terlati di ) , 272 .
Michel Puff de Schick , 155 . Platon, 20, 45 , 258 , 259 , 266 .
Moccia (Giovanni) , 272. Porphyre, 95 , 152 , 153 , 158-160.
Moïse, 29 , 211. Priscien, 90-91 .
Moïse Maïmonide , 28 , 39 . Püger (maître) , 150, 158.
Monachus Niger, 49 , 50. Pythagore, 173 , 180.

Nicolas Aston , 50. al-Qabisi, 185.


Nicolas d'Autrecourt, 48 , 50 , 55 , 192 , Quine (W.V.O. ) , 124.
198 , 289.
Nicolas de Clamanges , 271 , 272 , 276- Radulphus Brito , voir : Raoul le Breton.
283. Raoul le Breton, 83-95 , 290 .
Nicolas de Cosfeldia, 61. Raoul Strode , 145.
Nicolas de Cues, 185. Raymond (maître) , 232 , 234-236 , 242-
Nicolas Drukken de Dacie , 61 . 245 , 248.
Nicolas Kempf de Strasbourg , 155 . Raymond de Peñafort , 243.
Nicole Oresme , 149 , 151 , 153 , 156 , 165- Richard de Bury, 54.
186 , 207 , 284 , 287. Richard de Campsall , 46 , 48.
Nicole (P.) , 127 , 128 , 140 , 141 . Richard de Connington, 46.
Richard Fitzralph , 46 , 190 , 195 , 200 , 201 ,
Origène , 195. 203, 204, 209 , 232 , 248 , 294.
Richard Kilvington, 46 , 49 , 129 , 134, 141 ,
Parker (H.) , 79 . 144.
Paul (saint) , 210 , 224 , 249 , 274. Richard de Mediavilla, 14 , 223.
Paul de Worczyn , 153 , 154. Richard Scot, 61 .
Pélage, 223. Robert de Courçon, 193 , 195.
Pétrarque (Fr.) , 269-280 , 283 , 284. Robert Cowton, 15 , 46 , 267 .
Philippe le Bel, 65 , 70 , 287. Robert Gaguin, 282.
Philippe de Vitry , 273. Robert de Genève , voir : Clément VII.
Pic de la Mirandole , 282 . Robert de Halifex , 46, 49.
Pierre (saint), 70, 213. Robert Holkot , 46 , 48 , 49 , 190 , 192 , 194 ,
Pierre d'Ailly , 43 , 55 , 80 , 182 , 185 , 192 , 195 , 201-203 , 206 , 209-212 , 232 , 234 ,
194 , 195 , 197 , 203 , 205-207 , 212 , 214, 235 , 243-246 , 248.
231 , 242 , 253-268 , 271 , 273 , 274 , 281 , Roger Bacon, 17 , 47.
293, 294. Roger Swyneshead , 141.
TABLE DES NOMS PROPRES 305

Saul, 68. Thomas Felthorp, 232, 235.


Sénèque, 106. Thomas d'Irlande , 271 , 283.
Solinus (Gaius Iulius) , 202 , 211. Thomas Wilton , 46.
Suarez (F.) , 289 . Tifernas Gregorius, voir : Grégoire de Città
Sutton, voir : Guillaume de Sutton. di Castello.
Tite-Live, 202 , 211 .
Térence, 275.
Thémon le Juif de Münster, 149. Ulrich de Tübingen, 155.
Thomas d'Aquin, 14-17 , 19 , 21 , 25-27, 30,
31 , 34-37 , 40, 41 , 45 , 56, 66, 70, 95, Valla (Laurent) , 282 .
153, 154 , 156, 188 , 189 , 194 , 264, 288 . Végèce, 202 , 211 .
Thomas Bradwardine , 46 , 49, 203 , 204, Virgile , 275.
207 , 209 , 212 , 213, 242, 294.
Thomas de Buckingham, 46 , 49 , 201 , 204 , Walter, voir : Gauthier.
213, 242 , 243 , 294. Werner Wolfram, 61 .

Accurti (Th.) , 12. Caroti (S.) , 168 , 177-182 .


Achery (L. d ') , 286. Casari (C.) , 285.
Agaesse (P.) , 251 . Cavelles (H.) , 17 , 21 .
Allard (G.-H.) , 177. Cecchetti (D.) , 283.
Arivaberum (G.) , 4041 . Chailley (J. ), 180.
Arnold (K.) , 62 . Chandler (B.) , 59 , 181 , 208.
Auer (J.) , 263 . Charmasson (T.) , 185 .
Chatelain (E. ) , 55 , 58, 286.
Bade (J.) , 194. Chenu (M.-D.) , 95 .
Balić (K.) , 10 , 228 , 288. Clagett (M.), 168 , 177 , 179 , 180 , 182 ,
Barraclough (G.) , 80 . 183 , 186.
Beaujouan (G.) , 165 , 184 . Cocchia (E.) , 284.
Bernstein (A.) , 264. Cochin (A. ) , 284.
Bérubé (C.) , 7 , 23 , 24 , 288 , 295. Coleman (J.) , 7 , 65 , 79 , 80 , 287.
Billanovich (G.) , 270 , 271 , 283-285 . Collin (S.) , 177 .
Bleienstein (F.) , 79 , 80. Combes (A.) , 15 , 23 , 209 , 226 , 270 , 274 ,
Boehner (Ph .) , 57 , 58 , 60 , 142 . 275, 283-286 , 288, 293.
Bonelli (B.) , 23. Conolly (J.-L. ) , 285 .
Borret (M.) , 195. Coopland (G.W.) , 177 , 179 , 181 , 183-185.
Bottin (F.) , 208. Cosman (M.P.) , 59 , 181 , 208.
Boulanger (J.) , 279 , 283 , 286. Courcelle (P.) , 183 .
Boyancé (P.) , 180 . Courtenay (W.J.) , 7 , 55 , 59-62 , 210, 245,
Braakhuis (H.A.G.) , 143 . 250, 263 , 289.
Brampton (C.K. ) , 58. Coville (A.) , 277 , 281 , 283-286.
Bréhier (E.) , 142.
Breton (S.) , 194 . Daniels (A.) , 38 , 41.
Brezzi (P.) , 195. Decker (B.) , 39.
Brlek (M.) , 23. Delachenal (R.) , 284 .
Brown (M.A.) , 60 . Delaruelle (J.) , 286.
Brown (S.F.) , 24 , 56 , 57 , 143, 194. Delisle (L.) , 284.
Buckland (W.W. ) , 80 , 81 . Denifle (H. ), 55 , 58 , 209 , 214, 286.
Bultot (R. ) , 81. Denomy (A.J.) , 178 , 180 , 183.
Buytaert (E.M. ) , 195 . Denzinger (H.) , 263 .
306 TABLE DES NOMS PROPRES

Dickreiter (M.) , 181 . Hauvette (H.) , 284.


Doucet (V.) , 11 . Haverals (M.), 208.
Du Boulay (C.E.) , 62 , 284. Heitmann (K.) , 284.
Ducrot (O.) , 140 . Höld (L.) , 28 , 39.
Duhem (P.) , 171 , 172 , 178-180 , 182 , 185 . Hoffmann (F.) , 244 .
Dümmler (E.) , 195 . Hoffmans (J.) , 80.
Du Pin (E.), 80, 263. Hubien (H.) , 8 , 95 , 109 , 123.
Du Plessis d'Argentré (C.) , 55 . Hugonnard-Roche (H.), 182.

Ebbesen (S.) , 8, 92 , 95 , 291 . Ibach (H.), 62 , 64.


Eckermann (W.) , 295 . Inciarte (F.) , 58.
Ehrle (F.) , 56 , 162 , 163 , 208 , 209 .
Emden (A.B.) , 141 , 142. Jensen (S.S.) , 94.
Enders (H.W.), 92. Jeudy (C.) , 8 .
Etzkorn (G.I.) , 267 . Jolivet (J.) , 8 , 165 , 290, 295.

Falkoner (W.A.) , 183 . Kaeppeli (T.) , 38, 62.


Faucon (M.), 283. Kaluza (Z.), 8, 95 , 210, 243 , 244, 285,
Fauser (W.), 92 , 95. 292, 293.
Fontaine (J.) , 183 . Karger (E.), 8 , 124, 291 .
François de Nerithone, 16. Kenny (A.), 60, 295.
Friedberg (E.) , 80 , 211 . Kittelson (J.A.) , 60.
Kleineidam (E.) , 163 .
Gabriel (A.) , 56. Knuuttila (S.) , 143 .
Gál (G. ) , 24 , 56-58 , 143 , 194 , 291 . Koch (J.), 38 , 57 , 58 , 266.
Gandillac (M. de) , 285 . Korolec (B.J.), 160 , 161 .
Garin (E.) , 283 , 286. Koyré (A.), 181.
Gaudemet (J.) , 80. Krebs (E.), 38.
Geach (P.) , 124. Kretzmann (N.) , 60 , 140-144 , 295.
Gelber (H.G.) , 263, 267. Krüger (S.), 62-64.
Genest (J.-F.) , 8 , 95 , 208 , 212 , 245 , 294, Kuksewicz (Z.) , 160 .
296.
Gewirth (A.) , 81 . Lanson (G.) , 286.
Ghellinck (J. de) , 195 , 255 , 264 . Lappe (J.) , 195.
Gilbert (N.W.) , 56 . Laslett (P.) , 80.
Gilson (E.) , 9 , 39 , 194 , 269 , 270 , 273 , Lawson (F.), 81 .
279, 283, 286-289, 295. Leclercq (J.) , 80.
Glénisson (J.) , 8 . Ledoux (A.) , 23 .
Glorieux (P.), 39 , 80 , 210 , 243-245 , 251 , Le Duc (A.), 284.
262, 263 , 283, 285. Leff (G.) , 57.
Godi (G.) , 284. Le Goff (J.) , 177.
Goldstein (R.) , 185 . Lehtinen (A.I.) , 143 .
Gran (H.) , 146 . Lejbowicz (M.) , 8 , 287.
Grant (E.) , 166 , 167 , 176-185. Lejeune (J.) , 79 , 81 .
Green-Pedersen (N.J.) , 109 . Lelong Monique, 8.
Gregory (T.) , 8 , 194 , 207 , 294 , 296. Levi (A.M.T. ) , 284.
Grévy (N.) , 284. Levy (E. ) , 80 .
Lévy (J. Ph.) , 81 .
Hadot (P.) , 7 , 8. Lhotsky (A.) , 161 .
Halleux ( R.) , 8. Libera (A. de) , 8 , 142 , 145 , 291 , 295 .
Halm (C.) , 195. Libera (D. de) , 8.
Harrison (J.) , 80 . Lindberg (D.C.) , 58, 184.
Haubst (R. ) , 39. Linehan (P.) , 81.
TABLE DES NOMS PROPRES 307

Little (L.) , 76 , 81 . Newmann (F.X.) , 177 .


Lohr (Ch . H.), 162 . Novati (F.) , 285.
Longpré (E.) , 9. Nuchelmans (G.) , 292 , 295.
Lopez (R.) , 76 , 81.
Lourdaux (W.) , 208 . Oakley (F.) , 80 , 263 , 285.
Lubac (H. de) , 195 . Oberman (H.A.) , 64 , 292 , 295 , 296.
Lydius (J.M.) , 286. O'Callaghan (J.) , 194.
Ornato (E.) , 284.
Machamer (P.K. ) , 140 . Otto (A.) , 94.
Maier (A.) , 44 , 56-58 , 151 , 159 , 168 , 180. Ouy (G.), 61 , 281 , 284-286.
Maierù (A.) , 8 , 57 , 136 , 140 , 145 , 263 , Ozment (S.E.) , 285 .
266, 267 , 293, 296.
Maitland (F.W.) , 77 , 81. Pannier (L.) , 283.
Malewicz (M.H.) , 183. Paqué (R.), 56 , 58.
Mann (N.) , 284. Paradis (A.) , 177 .
Mannath (J.-T.) , 39 , 40. Paravicini Bagliani (A.), 263 .
Marangon (P.), 23 . Paschetto (E.) , 186.
Marcham (F.) , 81 . Pascoe (L.B.) , 285.
Marcolino (V.) , 267. Paulus (J.) , 38.
Markowski (M.) , 8 , 140 , 142 , 146 , 158 , Pecker (J.-C. ) , 181 .
159-162 , 291 . Pedersen (O.) , 184.
Martellotti (G.) , 283. Pelster (F.) , 56.
Marti de Barcelonna, 18. Pelzer (A.) , 62.
Martin (R.) , 147. Pépin (J. ), 195.
McGovan (J.P.) , 285. Perreiah (A.R. ) , 60 .
McGrade (A.S.) , 62. Petit (J.) , 194 .
McNair (A.) , 81 . Philippe (J.) , 286.
Meier (L.) , 263 . Pinborg (J.), 60 , 92 , 94 , 95 , 124 , 158 , 295.
Meissmer (F.J.) , 165. Plassard (J.) , 184 , 185 .
Meller (B.) , 262 , 264 , 285 . Pollock (F.) , 77 , 81 .
Menut (A.D.), 178-180 , 183 , 186. Pontvianne (R.) , 284.
Michael (B.), 63. Post (R.R. ) , 244 .
Michalski (K.) , 36 , 41 , 56 , 61 , 159 , 208 , Poulle (E.) , 184 , 185.
289. Prentice (R.) , 11 , 23.
Miethke (J.) , 62 , 63 . Price (L.) , 57 .
Millas Vallicrosa (J.M.) , 184. Pruckner (H.) , 177 , 181 , 183-185 .
Milsom (S.F.C.) , 76 , 77 , 81 .
Minio-Paluello (L.) , 59 . Quillet (J. ), 178 .
Molland (A.G.) , 178 , 182.
Monfrin (J.) , 286 . Rebeta (J.) , 160.
Moody (E.A.) , 56 , 57 . Reina (M.E.) , 58 , 109 , 110 , 123.
Moroni (O.) , 285 . Renaudet (A.) , 281 , 286.
Moser (S.) , 57. Resler (N.) , 146.
Mullally (J.) , 143 . Ribaillier (J.) , 251.
Müller (J.-P.) , 40. Ricci (P.G.) , 284.
Muñiz Rodriguez (V.) , 24. Rijk (L.M. de) , 59 , 60 , 143.
Munk (S.), 39. Ritter (G.) , 162.
Murdoch (J.E.) , 58-60 , 140 , 208 . Roos (H.) , 94.
Muscat (P.), 41 . Rosier (I.), 94.
Rossi (V.) , 283.
Nardi (B.) , 140 , 187 , 194 , 195 , 207. Rossmann (H.) , 13 , 14 , 23.
Nédoncelle (M.) , 207 . Ruegger (R.) , 285 .
Nef (F. ) , 147 . Ruello (F. ) , 8 , 15 , 209 , 226 , 293.
308 TABLE DES NOMS PROPRES

Sabbadini (R.), 270 , 279 , 283 , 284, 286. Touati (Ch.) , 185.
Salembier (L.) , 284. Trapp (D.), 55 , 56 , 58 , 61 , 208, 210, 245 ,
Sanitus (P.) , 132 , 143. 267, 295.
Santeler (J.) , 39, 40 . Tricot (J.) , 92 , 93 .
Santos-Noya (M.) , 267 . Tuck (R.), 79 , 80.
Savile (H.) , 212. Turnbull (R.G.) , 140 .
Sbaralea (J.H.) , 12 .
Schepers (H.) , 210. Ullman (B.L.) , 270, 283.
Schmidt (K.) , 284 . Ullmann (W.) , 80.
Schmitt (F.) , 38. Urban (W.), 267.
Scholz (R.) , 62 , 80 .
Schönmetzer (A.) , 263. Vasoli (C.), 8 , 207 , 285 , 287 .
Scott (T.K. ) , 56 , 58 , 124. Vasquez (I.) , 23.
Seńko (W.), 8 . Vernet (A.) , 208.
Shapiro (C.) , 143 . Vignaux (P.) , 7 , 8 , 9 , 15 , 23 , 190 , 194,
Shapiro (H.) , 57 , 143. 295,296.
Simon (G.) , 181. Vivès (L.), 18 .
Simon (W.) , 267. Vodola (E.) , 75 , 81.
Simone (F.) , 270 , 271 , 274 , 275 , 281-286. Voigt (G.) , 279 , 283 , 284 , 286.
Skinner (Q.) , 79. Volk (H.) , 263 .
Šmahel (F.) , 160. Vooght (P. de), 251 .
Spade (P.V.) , 55 , 57 , 58, 60.
Stauffer (R.) , 8. Wadding (L.), 12 , 16, 18 , 19.
Stegmüller (F.) , 55 , 198 , 208 , 209. Watt (J.A.), 79 , 210 , 245 .
Stein (P.) , 80 , 81 . Wéber (E.) , 8 , 288 , 289.
Stella (P.-T.) , 28 , 39 , 40. Weisheipl (J.A.) , 57-60 , 141-143.
Stephenson (C.) , 81 . Weissenborn (H.) , 163 .
Stubbs (W.), 81 . White (L.) , 59.
Stump (E.), 60 . Wilson (C.), 59 , 141 .
Swieżawski (S.) , 161 . Wippel (J. ), 81.
Swinarski (J.) , 57 . Włodek (Z. ), 161 .
Sylla (E.) , 58 , 59. Wolff (J.) , 207.

Tachau (K.) , 55 , 57 , 58, 61 , 210 , 245. Xiberta (B.F.M.) , 39 .


Tannery (P.), 180.
Tessier (G.) , 208 . Ypma (E.) , 291 , 295.
Thomas (A.) , 284.
Thomas (E.C.) , 64. Zimmermann (A.) , 55 .
Thorndike (L.) , 59 , 63 , 168 , 179-182 , 185 . Zippel (G.), 208.
Tierney (B.) , 79-81 . Zoubov (V.) , 180.
Tomek (W.) , 158 , 160.
TABLE DES MATIÈRES

Pages

Avant-propos . 7-8

C. BÉRUBÉ :
La première école scotiste ... 9-24

E. WÉBER :
La démonstration de l'existence de Dieu chez Hervé de Nédellec
et ses confrères Prêcheurs de Paris. • 25-41

W. J. COURTENAY :
The Reception of Ockham's Thought at the University of Paris .. 43-64

J. COLEMAN :
Ratio and Dominium to John of Paris and Marsilius of Padua ... 65-81

J. JOLIVET :
L'intellect et le langage selon Radulphus Brito . 83-95

S. EBBESEN :
Proof and its Limits according to Buridan , Summulae 8 97-110

E. KARGER :
Un débat médiéval sur le concept du sujet d'un énoncé catégori-
que . Étude d'un texte de Jean Buridan . 111-125

A. DE LIBERA :
Expositio et probatio per causas veritatis chez Albert de Saxe et
Marsile d'Inghen . 127-147

M. MARKOWSKI :
L'influence de Jean Buridan sur les universités d'Europe Centrale 149-163

M. LEJBOWICZ :
Argumentation oresmienne et logique divinatoire 165-186
310 TABLE DES MATIÈRES

T. GREGORY :
La tromperie divine . 187-195

J.-F. GENEST :
Pierre de Ceffons et l'hypothèse du Dieu trompeur 197-214

F. RUELLO :
Trois théologies possibles, deux théologies probables de la sancti-
fication et de la glorification selon Jean de Ripa . 215-229

Z. KALUZA :
Étienne Gaudet devant le problème de la preuve en théologie .... 231-251

A. MAIERU :
Logique et théologie trinitaire : Pierre d'Ailly . 253-268

G. VASOLI :
Les débuts de l'humanisme à l'Université de Paris 269-286

P. VIGNAUX :
Conclusions Générales 287-296

Manuscrits cités . 297-299

Tables des noms propres 301-308

Imprimerie de la Manutention à Mayenne - 8 juin 1984 Nº8702


PB
LO5

81AA2 013
2 7101
DRC
UNIVERSITY OF MICHIGAN

3 9015 03946 4261

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