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une histoire

de la lumière
du même auteur

histoire de l’arc-en-ciel
Seuil, « Science ouverte », 2005

histoire des cristaux


Hermann-Adapt, 2014
BERNARD MAITTE

une histoire
de la lumière
de Platon au photon

ÉDITIONS DU SEUIL
25, bd Romain-Rolland, Paris XIVe
la première édition de cet ouvrage a été publiée
dans la collection « Points sciences », en 1981,
sous le titre La Lumière.

isbn 978-2-02-123706-1

(isBn 978-2-02-006034-9, 1re publication)


© Éditions du seuil, 1981 et 2015, pour la présente édition mise à jour.

le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation
collective. toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé
que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une
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À Corine, lasse d’une physique aussi froide et étrangère
qu’un vieux formulaire.
remerciements

P endant sa phase d’élaboration, un livre vit : le projet devient


texte écrit, retouché, remanié. maintenant qu’il peut être soumis
à votre appréciation, il semble trop figé.
aux différents stades qui ont marqué la réalisation de mon travail,
j’ai trouvé des concours amicaux. Qu’il me soit permis de citer ici
tout d’abord robert locqueneux dont les remarques et les conseils
furent tels que l’ouvrage que vous allez lire porte l’empreinte de sa
culture, de sa rigueur et de la qualité de ses critiques.
Je voudrais dire aussi combien la pertinence des avis que me
donna, à chacune des étapes, Jean-marc lévy-leblond fut profitable
et déterminante.
une version initiale a été critiquée par différents amis dont les
suggestions ont contribué à réorienter mon travail : je voudrais citer
ici Jacques tillieu – qui m’a montré combien j’étais encore marqué
par le scientisme et fait profiter de ses analyses épistémologiques –,
rené hunet et michèle Janssoone.
le texte de la version définitive et ses variantes ont été relus
par martine Cornu et José esquerre-Pourterre qui ont manifesté à
mon égard beaucoup de patience et de disponibilité et m’ont donné
maintes appréciations utiles.
Je voudrais dire enfin combien l’aide matérielle que m’ont
apportée micheline maitte et les services de la bibliothèque univer-
sitaire de lille (section sciences) était indispensable à la réalisation
du projet.
À tous, ainsi qu’à tous ceux – en particulier aux éditions du
seuil – qui directement ou indirectement ont participé à cet ouvrage

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une histoire de la lumière

– dédié à Zeliant maitte et isabelle lobbé –, je voudrais exprimer


ici toute ma gratitude.
novembre 1981

i l y a trente-cinq ans maintenant, je rédigeais La Lumière, que


Jean-marc lévy-leblond voulait bien publier dans la collection
« Points sciences » des éditions du seuil.
Ce livre a rencontré quelque succès.
depuis tout ce temps, le savoir académique s’est enrichi ; le
mien également.
le texte, profondément révisé, publié aujourd’hui tient compte de
ces évolutions tout en gardant son triple objectif : initier le lecteur
à l’histoire culturelle des sciences et à la physique ; montrer qu’une
théorie scientifique est une œuvre collective en continuel chantier.
Je tiens à remercier à nouveau ici robert locqueneux de sa lecture
attentive et des critiques dont il a bien voulu me faire bénéficier.

novembre 2014
avant-propos


Q u’est-ce que la lumière ?
À cette question, chacun de nous peut fournir une réponse :
– C’est une onde.
– elle se propage selon des rayons lumineux.
– elle est composée de particules : les photons…
tous ces concepts, affirmés, certains, restent pourtant vagues,
voire contradictoires. ils sont les témoins d’une éducation qui, à
l’évidence, se soucie plus d’affirmer que de faire comprendre. Ce
n’est pas en parcourant rapidement le texte de la dernière théorie
formulée que nous pouvons espérer trouver une réponse à notre inter-
rogation. d’ailleurs, le pourrions-nous alors que les livres de science
sont parsemés de tant de formules mathématiques ? Comprendre ce
qu’est la lumière, pouvoir expliquer les phénomènes auxquels elle
participe, suppose une démarche beaucoup plus progressive, lente,
démonstrative. Pourquoi n’interrogerions-nous pas l’histoire de l’édi-
fication de ce concept scientifique ? les balbutiements, les blocages,
les efforts, les succès, les renoncements de ceux qui ont tenté de se
représenter la lumière peuvent nous aider à prendre conscience de
nos propres incompréhensions et à améliorer l’image que nous nous
faisons du monde qui nous entoure. en regardant d’un œil critique
l’histoire de la lumière, nous pourrons accéder à notre tour à cette
logique savoureuse et amère que l’on appelle science.
Ce livre va tenter, à partir de l’exemple de l’optique, de nous
faire entrer dans cette science, de nous faire participer à ses inter-
rogations, à ses débats, de nous faire prendre en compte ses limites.
Certes, pour réaliser un tel projet, il a fallu soustraire et écarter bien

11
une histoire de la lumière

des tentatives intéressantes. de la multitude des faits, nous n’avons


évoqué que ceux qui nous paraissent les plus significatifs et tracé à
travers eux le chemin qui nous semble le plus caractéristique : celui
qui suit le cours de notre civilisation gréco-latine, s’appuie sur des
observations quotidiennes et délaisse tout ce qui n’est pas strictement
nécessaire à la progression adoptée. dans ce parcours, nous n’avons
qu’esquissé les apports fondamentaux du xxe siècle puisque, avec
maxwell, la lumière cesse d’être un objet physique, son étude se
fondant alors dans l’ensemble de la physique moderne…
Prenons donc le départ et, pour mieux parcourir notre route,
essayons de nous dégager des évidences quotidiennes, d’oublier nos
connaissances actuelles.
i
la lumière de l’antiquité
à la renaissance
du xixe siècle n’ont pas peu fait pour imposer cette
l es philosophes
idée de la science : née à l’époque de Galilée et de descartes,
elle marque la victoire de la raison sur la philosophie antique puis se
développe de manière harmonieuse, lente montée de l’homme vers
la Connaissance, apport décisif à sa quête de Vérité. Cette image
idyllique du triomphe de la science conduit souvent à considérer
comme fausses, illusoires ou archaïques les conceptions démenties
par des connaissances scientifiques ultérieures, à les juger sévèrement
ou à les dénigrer sans qu’il soit demandé quels besoins elles satisfai-
saient, à quelles interrogations elles répondaient. nous sommes ainsi
amenés à regarder l’histoire du développement des sciences dans un
miroir déformant et notre point de vue est encore plus troublé si nous
ne savons reconnaître dans telle ou telle formulation la résurgence
d’une philosophie ancienne. Pour tenter d’éviter ces écueils, nous
nous devons de décrire rapidement différentes idées que se faisaient
de la lumière les penseurs des périodes qualifiées de « préscienti-
fiques », en les rattachant aux philosophies qui les ont vues naître.
et puisque les siècles classiques, qui virent le développement de la
science, admirèrent et imitèrent l’antiquité classique, nous devons
commencer par les théories débattues pendant ces deux ou trois
siècles qui caractérisent la Grèce de Périclès et la rome d’auguste.

15
une histoire de la lumière

1. La lumière dans l’Antiquité classique


au xxe siècle, la connaissance permet un développement excep-
tionnel de la technologie, la science apparaît surtout utilitaire. tout
autre est la conception de la civilisation hellénique : y naissent des
philosophies qui valorisent la compréhension aux dépens des applica-
tions et de l’utilité pratique. la science grecque vise à formuler une
représentation intellectuelle du monde : la théorie permet à l’esprit de
s’élever et d’atteindre une sérénité parfois dégagée des contingences
matérielles tout en fournissant une explication des faits naturels. la
quête d’une réponse au pourquoi des choses marque cette époque
et caractérise toutes les tendances philosophiques qui coexistent et
s’affrontent. en optique, le seul problème vraiment débattu par ces
écoles est celui de la vision. sa résolution emprunte des voies dif-
férentes mais repose sur un socle commun. les poètes homère et
hésiode (viiie siècle avant notre ère), le dramaturge eschyle (526-456
avant notre ère) considèrent que les corps célestes sont doués de la
vue du fait même qu’ils répandent de la lumière, assimilent le visible
et le voyant. Cette conception mythique nourrit toute l’optique scien-
tifique grecque : toutes les écoles admettent que seul le semblable
peut agir sur le semblable1 *. il y a toujours pour eux homologie,
similitude, identité de genre entre le regard et la chose vue : le lever
du soleil et l’ouverture de l’œil sont traités de manière analogue. la
sensation se produit à l’endroit même où est situé l’objet vu ou dans
un lieu intermédiaire, mais généralement hors de nous.
leucippe (vers 460-370 avant notre ère), démocrite, son contem-
porain et disciple, Épicure (vers 342-270 avant notre ère), lucrèce
(vers 98-55 avant notre ère), les atomistes considèrent, par exemple,
que l’univers est constitué d’innombrables unités matérielles indivi-
sibles, différant en ordre, forme et positions, agitées de continuels
mouvements dans un vide absolu au sein duquel elles décrivent des
tourbillons : les atomes. Ceux-ci peuvent, lors de leurs déplacements
incessants, se rencontrer au hasard, s’unir et former des liaisons méca-

* les appels de notes appelés par des chiffres renvoient aux références en fin de
volume, p. 355. les appels de notes appelés par des astérisques renvoient aux notes
en bas de page.

16
la lumière de l’antiquité à la renaissance

niques, comme une agrafe s’accroche à un œilleton. Ces jonctions


produisent d’abord les quatre éléments qui constituent le monde :
la terre *, l’eau, l’air et le feu puis tous les autres corps. les objets
et les êtres seraient donc formés d’atomes associés, en état constant
de vibrations internes. ayant remarqué l’existence de certaines éma-
nations : la fumée du bois et la chaleur du feu qui s’évanouissent
en tous sens, la peau qu’abandonnent les serpents et l’enveloppe
entourant les veaux à leur naissance qui ont une texture plus serrée
et conservent leur forme, les atomistes s’interrogent : « Pourquoi
ces émanations seraient-elles possibles et non pas d’autres, plus
subtiles2 ? » ils admettent donc que des particules peuvent s’échapper
des corps, s’introduire dans les divers conduits de notre organisme
et stimuler les sensations : les unes de ces parties émises viennent
de l’intérieur des substances, se déchirent en les traversant, se dis-
persent en tous sens et causent les odeurs, d’autres « se détachent de
la surface même des corps […] s’élancent dans l’air en conservant
leurs formes […] entrent en nous […] en reproduisant les objets
extérieurs […] sous des grandeurs proportionnellement réduites3 »
et causent la vue. les atomistes imaginent donc que les émanations
des objets (qu’ils appellent eidolae, membranes, effluves ou écorces
puisqu’elles ont le même aspect que les corps) ont des dimensions
qui diminuent lorsqu’elles arrivent à l’œil : elles sont inscrites dans
un cône ayant l’œil pour sommet et l’objet pour base (fig. 1). ils
justifient l’existence de ces écorces par quelques remarques : « des
voiles jaunes, rouges et verts tendus au-dessus de nos vastes théâtres
[…] se détachent des éléments colorés […] qui voltigent dans l’air
sous une forme si impalpable que l’œil ne saurait les distinguer
[…] et tombent sur le public assemblé, le décor de la scène […]
qui se colorent tous de reflets4 ». de même chacune des membranes
envoyées par les corps « échappe, isolée, à la vue mais l’ensemble,

* nous sommes à une époque où les dieux se nomment Jupiter, mercure, Vénus…
leurs noms seront donnés à des planètes, qui deviendront au moyen Âge créatures. les
Éléments, supposés depuis empédocle constituer le monde, ont alors des noms propres
et s’écrivent avec des majuscules. dans la longue durée de l’histoire de la lumière, les
noms des astres, de communs qu’ils étaient deviendront propres, tandis que la notion
d’éléments sera abandonnée. Pour donner une homogénéité à l’écriture, tout en diffé-
renciant les significations, nous adoptons dans ce livre les conventions suivantes : la
terre est l’astre, la terre est l’élément, la terre est la matière, etc.

17
une histoire de la lumière

constamment renvoyé, est capable de la frapper4 ». « Ces simulacres


[…] s’élancent dans toutes les directions mais comme les yeux sont
les seuls à les voir, c’est où nous portons nos regards que les objets
les arrêtent de leur forme et de leur couleur […] cette image émise
pousse l’air interposé entre elle et les yeux […] l’air chassé baigne
nos pupilles et s’en va. Plus la colonne d’air agitée devant nous est
longue […] et plus l’objet paraît éloigné. sans doute cela s’accom-
plit-il avec une rapidité prodigieuse5. » « les simulacres détachés
de la surface des objets […] doivent en effet aller bien plus vite
[…] que la lumière du soleil, issue du plus profond de l’astre et
qui doit vaincre la résistance de celui-ci avant de pouvoir s’élancer
dans l’espace3. » la vision se produirait ainsi : les eidolae appuient
sur l’air qui se contracte et devient apte à recevoir l’impression de
l’objet, au sens littéral, comme celle d’un sceau sur la cire. d’autres
effluves émanent de l’œil. leur fluidité correspond à la fluidité de
l’air. leur rencontre quasi matérielle, transparence contre transparence,
calibre des pores contre calibre des effluves, se fait au niveau de la
pupille, où se produit le reflet de l’objet, en forme et en couleurs.
les eidolae dans leurs parcours ont pu se réfléchir, s’abîmer. la
lumière extérieure (celle du soleil, d’une flamme…) ne fait que les
actualiser : sans elle, la nuit, les eidolae sont invisibles.

Figure 1

l’image reflétée dans un miroir nous paraît plus reculée que


lui parce qu’elle déplace une double colonne d’air : de l’objet au

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la lumière de l’antiquité à la renaissance

miroir et du miroir à nos yeux ; elle est renversée… « parce qu’en


rebondissant, elle se retourne6 » « la nature ayant voulu que l’angle
de réflexion fût toujours égal à l’angle d’incidence7 ». Voici qu’au
passage est affirmée une première loi d’optique : l’égalité des angles
d’incidence et de réflexion. les atomistes ne vont guère plus loin
dans l’étude : estimant que les sens ne peuvent se tromper, ils ne
veulent leur attribuer ce qu’ils considèrent comme erreurs de l’esprit
tels l’impression que donnent les murs des grands temples de devoir
se rejoindre au loin, le fait que les astres semblent attachés à la voûte
céleste alors que leur mouvement est permanent, la vision qu’ont les
matelots des rames du bateau qui, plongées dans l’eau « se brisent
par réfraction, remontent horizontalement et viennent presque flotter
à la surface8 » ou enfin le fait que, si nous nous pressons fortement
les yeux, les objets paraissent dédoublés. toutes ces « erreurs sont
imputables aux jugements de notre esprit qui nous donne l’illusion de
voir ce que nos sens n’ont pas vu9 ». analysant donc comme trompe-
ries des phénomènes d’origines très diverses, ils ne les étudient pas.
les apports des atomistes sont pourtant très importants : leur pensée
matérialiste, qui amène lucrèce à s’opposer violemment aux dieux,
aux cultes, aux prêtres, aux superstitions, aux pouvoirs en place, les
conduit à envisager tout naturellement que la lumière a une existence
réelle. lucrèce remarque même que la lumière solaire éblouit et fait
souffrir « parce qu’elle contient des éléments de feu dont l’irruption
provoque la douleur7 » et, étudiant l’ombre de son corps, l’explique
en disant que « certains éléments du sol se trouvent successivement
privés de la lumière du soleil par notre marche qui l’intercepte puis ils
la retrouvent à mesure que nous passons, cela explique que l’ombre
projetée par notre corps paraisse nous suivre. en effet, les rayons
lumineux ne cessent de se renouveler et de s’évanouir tour à tour,
comme la laine qu’on déviderait dans le feu10 ». la lumière du soleil
a donc une existence matérielle, elle est continuellement émise et
se propage dans l’espace avec une très grande vitesse, elle peut être
arrêtée par les corps opaques, traverser les substances transparentes
ou être réfléchie par les miroirs : voici des notions très importantes
qui se révéleront particulièrement fécondes11.
les conceptions des atomistes sont pourtant violemment combattues
par la majorité des penseurs de l’antiquité gréco-latine : les pytha-
goriciens, par exemple, tout en s’accordant avec eux sur le fait que

19
une histoire de la lumière

la variété changeante du monde peut s’exprimer en termes de mathé-


matiques, supposent que les corps sont constitués de points, ou unités
d’existence, possédant les différentes formes géométriques et combi-
nés entre eux. une telle représentation interdit la notion de simulacres.
dès lors en quoi consiste la vision ? Pour répondre, ils remarquent,
comme le font aussi empédocle (490-435 avant notre ère), Platon
(428-348 avant notre ère) et euclide (iiie siècle avant notre ère) que
nous pouvons chercher longtemps une aiguille tombée à nos pieds ;
pour que nous la voyions, il faut que notre regard tombe sur elle,
qu’elle soit touchée par quelque chose, un quid, allant de l’œil à
l’objet : chaque individu ne possède-t-il pas un feu intérieur ? C’est
lui qui apparaît dans l’éclat du regard, c’est lui qui nous permet de
voir ; le feu intérieur du chat, plus intense que celui de l’homme (ses
yeux ne brillent-ils pas ?), lui permet de voir la nuit. ne sentons-nous
pas parfois un regard se poser sur notre nuque ? les yeux des serpents
ne peuvent-ils paralyser, ceux d’un mage hypnotiser ? l’éclat des yeux
subjuguer, anéantir, inciter à aimer ? autant de « faits » qui amènent
tous ces philosophes à postuler l’existence du quid qui, sortant des
yeux, organes saillants, donc propices à l’émission, irait rencontrer le
feu provenant des objets, provoquant la vision : « le semblable ren-
contre le semblable, se fond avec lui en un seul tout, et il se forme
selon l’axe des yeux un seul corps homogène12 ». Pour eux, les autres
organes des sens, creux et adaptés à la réception, permettraient :
l’oreille de recevoir les sons et entendre, le nez de capter les odeurs
et sentir, la bouche d’absorber les aliments et goûter… une même
explication logique rend compte de toutes les sensations.
euclide remarque cependant que nous pouvons ne pas prendre
conscience de la position de l’aiguille tombée à nos pieds ; le quid
permet de voir les détails très fins lorsqu’il tombe précisément sur
une partie de l’objet ; il doit donc être parfaitement délimité : ce sont
des rayons visuels qui sont émis de l’œil, ils doivent être indépen-
dants les uns des autres ; nous pouvons reconstituer leur parcours par
comparaison avec les rayons solaires : un volet fermé laisse passer
un pinceau lumineux ; si celui-ci rencontre un objet, une ombre se
dessine, sa dimension permet de mesurer que les rayons décrivent des
lignes droites avec une certaine vitesse ; les rayons visuels partent
donc de l’œil et se dirigent vers les objets en se répartissant à l’inté-
rieur d’un cône ayant l’œil pour sommet (fig. 2). euclide vient de

20
la lumière de l’antiquité à la renaissance

Figure 2

Figure 3

créer un concept nouveau, celui de rayon lumineux, filet élémentaire


de lumière, « abstraction à partir de laquelle il va être possible de
raisonner et de progresser dans le champ expérimental13 ». il publie
deux ouvrages, l’Optique et la Catoptrique14, qui auront un succès
considérable puisqu’ils seront réédités pendant sept siècles. euclide
y effectue un travail de géomètre : à propos de la réflexion sur un
miroir plan, il énonce que l’angle du rayon « incident » (venant de
l’œil) avec la normale au miroir est égal à l’angle séparant cette
normale et le rayon « réfléchi » (allant à l’objet) (fig. 3) ; il établit

21
une histoire de la lumière

les lois de réflexion sur des miroirs concaves, convexes et aborde,


avec moins de bonheur, l’étude de la réfraction. après lui les lois de
la perspective sont établies sur une base conceptuelle qui isole les
notions de rayon lumineux, de propagation rectiligne, de réflexion,
de réfraction. le visible est géométrisable : il se laisse calculer.
une optique, l’optique géométrique, se sépare du mélange indistinct
d’un ensemble énorme d’éléments de natures différentes. le regard
est le parent de la lumière, un parent qui s’éteint lorsqu’il tombe
sur du dissemblable, sur l’air dont la lumière s’est retirée la nuit,
un parent qui permet de faire apparaître des couleurs lorsque le feu
des objets vus unit (noir) ou disperse (blanc) les feux de la vue. le
mélange des deux feux cause le rouge ; la trop grande violence du
feu des objets repousse le feu de la vue, entre dans l’œil, en éteint
l’humeur : c’est l’éclatant ou l’éblouissant. le mélange concret des
quatre couleurs principales (noir, blanc, rouge, éclatant) produit neuf
autres couleurs « fondamentales »15.
Pourtant, pour beaucoup d’auteurs de la période antique, prédo-
mine encore l’aspect que nous dirions psychologique du problème :
le premier objet d’étude reste la personne qui étudie. Ces philosophes
remarquent que chaque individu apprécie différemment une même
sensation lumineuse ; ils en concluent que la vision résulte à la fois
de la nature de l’objet et de celle du regard : « Ce que nous disons
être telle ou telle couleur ne sera ni l’objet qui vient vers l’œil ni l’œil
qui est rencontré mais bien quelque chose qui s’est créé entre eux16. »
ainsi, « le feu qui jaillit de l’intérieur des yeux rencontre et choque
celui qui provient des objets extérieurs. il se forme ainsi un ensemble
[…] qui transmet les mouvements […] jusqu’à l’âme et nous apporte
cette sensation, grâce à laquelle nous disons que nous voyons17 ».
de telles conceptions supposent encore l’existence d’un quid :
elles sont pour cela combattues par aristote qui, sur une constatation
de bon sens, en nie l’existence : les ténèbres ne pouvant éteindre la
lumière, nous verrions la nuit si l’œil émettait un quid. le stagirite
s’oppose également avec vigueur aux tenants des eidolae. il conclut :
« une fois pour toutes, il vaut mieux convenir que la sensation naît du
mouvement excité par le corps sensible dans le milieu intermédiaire,
que de la rapporter au contact immédiat ou à une émission18. » et
aristote développe une conception de la vision parfaitement cohérente
avec l’ensemble de sa philosophie.

22
la lumière de l’antiquité à la renaissance

la philosophie d’aristote se fonde sur l’idée que l’observation


de la vie donne la clef de la compréhension du monde. dans le
développement d’un mammifère, par exemple, l’embryon passe par
différents stades ; après la naissance, le jeune animal grandit, se
développe, devient adulte. toutes ces transformations sont induites
par une « tendance naturelle » qu’ont les vivants à accomplir leur
nature, elles s’inscrivent dans une logique, celle de se comporter de
manière à réaliser une fin : l’épanouissement de l’adulte. la « ten-
dance naturelle » est une réalité durable et intelligible qui se cache
derrière tous les changements et demeure constante lorsqu’ils se
produisent ; c’est elle qu’il faut déterminer. tout exemple physique
se ramène, pour aristote, à ce modèle biologique : une pierre tombe
comme l’homme naît, vit et meurt ; elle est amenée vers son « lieu
naturel » (le sol, le centre de la terre) par sa tendance naturelle, ou
substance ; celle-ci induit le mouvement, est « antérieure dans l’ordre
de la nature » à l’effet observé et doit donc constituer le principal sujet
d’étude. tout autre exemple peut être traité de manière analogue :
la substance qui induit tout mouvement (et ce terme ne s’applique
pas au seul changement de lieu mais à tout changement de nature)
persiste identique à elle-même au cours de tout processus ; celui-ci
s’organise en événements qui s’enchaînent logiquement malgré leur
indépendance apparente puisqu’ils répondent au même plan d’ensemble.
Pour déterminer la substance, il faut accorder plus d’importance à
comprendre le pourquoi d’un phénomène que le comment. dès lors,
la méthode expérimentale est tracée : nos sens nous permettent la
perception des faits ; ceux-ci, apparemment contradictoires, peuvent
s’intégrer dans la même généralisation ; nous devons donc, par un
effort intellectuel, l’induction, inclure toutes les observations dans leur
contexte, en déduire la substance ou forme universelle puis montrer,
par la déduction, que les effets observés découlent bien de la forme
et y trouvent une explication logique. le monde est à la mesure de
l’homme, la connaissance intellectuelle atteint le principe même des
choses. Plusieurs remarques peuvent être faites sur les conséquences
de la philosophie d’aristote : la conception de la nature comme
biosphère implique l’irréversibilité des processus ; le temps qu’elle
considère est un temps biologique, saisi par l’homme selon son expé-
rience, psychologique, n’ayant donc pas de valeur constante ; l’espace
défini est celui des choses (le vide serait un « non-être », il ne peut

23
une histoire de la lumière

exister) ; elle interdit une quelconque limitation aux possibilités de


mouvements et introduit donc la notion d’éternité.
selon aristote, l’univers est composé de deux régions cosmiques
de natures différentes : au centre, la région de la terre comprend
les sphères des quatre éléments introduits par empédocle (terre,
eau, air, feu). au-dessus se situe le Ciel, empli d’un cinquième
élément, l’éther, qui entraîne les sphères des planètes – dont le
soleil – dotées de mouvements circulaires uniformes et éternels.
le monde est limité par la sphère des étoiles fixes. Pour aristote,
la spécificité de la vision par rapport aux quatre autres sens résulte
de ce qu’elle permet d’atteindre la couleur des corps19. C’est d’elle
dont doit rendre compte une conception de la vision. Celle-ci exige
la présence simultanée de quatre entités : un objet coloré, un milieu
intermédiaire transparent, de la lumière, un œil. nous voyons étoiles
et planètes grâce au milieu fluide et transparent qu’est l’éther. le
frottement produit par les rotations des sphères de la lune et du feu
crée des turbulences dans cet éther : un peu de celui-ci entre dans
la sphère de la région cosmique terrestre. extrêmement fluide et
subtil, il s’insinue dans tous les corps : on l’appelle alors diaphane.
dans l’obscurité ou lorsque l’œil est fermé, les couleurs ne sont pas
visibles car le diaphane est « en puissance ». une source lumineuse
ou l’ouverture de l’œil l’« actualise ». il passe alors de la puissance
à l’acte. le degré d’actualisation produit les différentes couleurs :
le noir en est l’absence totale, le blanc l’actualisation totale20. mais
les peintres et les teinturiers montrent que l’on peut aussi obtenir
des couleurs en utilisant des pigments, des impuretés. l’absence
d’impureté cause le blanc, leur présence différentes couleurs. une
couleur peut aussi être obtenue en en superposant deux autres. la
superposition de nombreuses couleurs donne du noir. ainsi toute
couleur peut être obtenue de deux manières différentes : par actuali-
sation plus ou moins importante et par adjonction d’impuretés. C’est
ce qui explique l’extrême variabilité des couleurs des objets vus (un
vêtement apparaît avec des couleurs différentes s’il est observé sous
une lumière intense, variable, dans la pénombre). les couleurs ne
peuvent donc pas être placées sur une échelle quantitative, mais sur
une échelle qualitative où le blanc représente la pureté et l’actualisa-
tion la plus grande, les couleurs diverses actualisations et mélanges
et le noir la privation totale et/ou un grand nombre d’impuretés.

24
la lumière de l’antiquité à la renaissance

les couleurs résultent donc de la combinaison de proportions « de


la même manière que les accords musicaux21 ». elles peuvent être
harmonieuses et, comme les sons, résultent alors de proportions
simples alors que les autres couleurs « ne s’expriment pas selon des
rapports numériques22 ». les couleurs ne sont pas des « substances »
mais des « accidents ». Cette conception aura, nous le verrons, une
longue descendance.
en considérant toutes les hypothèses avancées, nous pourrions
estimer qu’à la fin de l’époque classique les connaissances restent,
en optique, très confuses. répétons qu’elles suffisent à résoudre
élégamment les problèmes concrets que se posent les anciens (édi-
fication de temples, correction des perspectives…) et surtout qu’elles
s’intègrent harmonieusement dans des conceptions globales du monde
sur lesquelles nous aurons à revenir. la finalité de la science hellène
amène à privilégier la sensation et la comparaison, le pourquoi, non
le comment. dès lors qu’importe ce que nous pourrions analyser
comme des défauts ou des erreurs : considérer, par exemple, la
vision dans son ensemble, en essayant de faire entrer (ou sortir) la
totalité de l’objet vu dans un œil ponctuel, sans se soucier de sa
structure ? Chaque école dégage pourtant, mais de manière marginale
et presque accidentelle, des notions qui joueront un rôle important
dans le développement de l’optique : les concepts de lumière (émise
par le soleil et se propageant avec une vitesse énorme) et de rayon
lumineux dont la réflexion et la réfraction obéissent à des lois qui
fondent l’optique géométrique.
trois autres œuvres vont marquer les conceptions ultérieures de
la lumière : celles, à syracuse, d’archimède (287-212 avant notre
ère) et, au sein de la science gréco-alexandrine, celles de Claude
Ptolémée (90-168 de notre ère) et de Claude Galien (129-vers 216 de
notre ère). l’œuvre optique d’archimède, si elle a existé, est perdue,
mais la légende, qui le fait incendier la flotte romaine au moyen de
miroirs paraboliques, influencera les recherches ultérieures sur les
miroirs ardents. l’œuvre de Ptolémée marque, par contre, l’abou-
tissement de la science grecque de la vision. Philosophe, Ptolémée
admet, en gros, le schéma cosmogonique d’aristote. astronome,
il écrit ce que les arabes appelleront l’Almageste, « le plus grand
des livres », dans lequel il précise les positions des étoiles et des
planètes au moyen de visées faisant appel à des mires, des pinnules,

25
une histoire de la lumière

des dioptres : c’est l’observation mesurée très précise (à mieux que


20’ d’angle près) qui fait ici son apparition. mais c’est surtout son
Optique qui nous intéresse : c’est une œuvre savante rédigée quatre
siècles après euclide. nous ne connaissons que bien imparfaitement
cet ouvrage, en grande partie perdu. le livre i, traitait de l’œil, des
rayons visuels, de la lumière, des couleurs. Ptolémée y développe
une conception de l’action du semblable sur le semblable, par l’inter-
médiaire de pneumas quasi matériels : le pneuma visuel « sent » les
couleurs, visibles « par essence ». les autres propriétés de la vue
(position, grandeur, forme, mouvement des objets) existent « par
accident ». elles constituent des réalités physiques connaissables par
l’observation mesurée, ce que Ptolémée développe avec une rigueur
méthodologique remarquable, de manière à ne laisser aucune donnée
visuelle ininterprétée. il utilise des appareillages analogues à ceux
employés dans ses études astronomiques pour démontrer que, par
exemple dans le cas de la réfraction, les choses « sont vues dans le
prolongement du regard, […] avec l’impression, non que le rayon
visuel est brisé, mais plutôt que les choses flottent et s’élèvent
jusqu’à lui23 ». il construit précisément le lieu où apparaît ce que
nous appelons « image virtuelle » : à l’intersection du rayon visuel et
de la normale à la surface de séparation des deux milieux. il étudie
de 10° en 10° les réfractions air-eau ; eau-verre ; air-verre, montre
que des passages réciproques donnent des angles réciproques. Grâce
à ces mesures, faites à 30’ d’angle près, il établit des tableaux de
correspondances, mais ceux-ci ne sont pas des relevés bruts d’obser-
vations : il rectifie celles-ci, les retouche, de manière à introduire une
régularité dans la progression des angles, comme il avait introduit
une régularité dans les apparences erratiques des planètes. son but
est de pouvoir disposer d’une série discrète de mesures permettant
de situer exactement l’objet malgré les apparences. l’optique de
Ptolémée possède un caractère interprétatif particulier : elle étudie
la variation de la visibilité et non des phénomènes particuliers,
comme nous pourrions le faire actuellement. elle peut être quanti-
tative, mais la mathématisation ne peut concerner alors, Ptolémée
le dit explicitement, que les substances les plus parfaites : l’âme,
l’astronomie, le pneuma visuel. les choses terrestres, appartenant à
notre région cosmique, sont indignes d’une telle mathématisation :
l’optique qui les concerne ne peut être que qualitative. avec Ptolémée,

26
la lumière de l’antiquité à la renaissance

un glissement fondamental se produit : l’explication n’est plus par


analogie, comme chez aristote, ni par pure géométrisation, comme
chez euclide. une certaine expérimentation est à l’œuvre, qui veut
corriger la position des objets vus ; elle peut faire ou non appel à
une mathématisation. Pourtant, il continue de considérer l’œil comme
un point. C’est Galien qui fait évoluer cette conception : il propose
une structure de l’œil et essaie à l’aide de celle-ci, de comprendre
le mécanisme de la vision. Pour cela il dissèque des yeux en les
faisant cuire dans l’eau bouillante : en ouvrant, la lame rencontre
le cristallin, plus résistant et lenticulaire, qui doit s’échapper sur le
côté. Galien ne parvient donc pas à en déterminer la position précise
et le croit situé au centre de l’œil, environné de liquides contenus
dans les tuniques. découvrant un conduit allant de l’œil au cerveau
(le nerf optique), il imagine qu’il permet à un fluide visuel, envoyé
de l’encéphale, de se répandre sur le cristallin, le rendant apte à
être impressionné par la lumière. la découverte de la constitution
de l’organe de la vue lève la dernière hypothèque qui s’oppose au
développement de l’optique. il devient possible d’expliquer comment
se fait la perception visuelle.
mais l’œuvre de Galien est tardive dans la civilisation grecque.
déjà une autre période historique lui a succédé : rome. au début du
iiie siècle avant notre ère, deux puissances dominaient le Bassin médi-
terranéen : la Grèce, qui possédait des colonies (la Grande Grèce) au
sud de l’italie et Carthage. rome soumet les colonies grecques (sauf
la sicile) en – 272 (prise de tarente), soumet ensuite Carthage et la
péninsule ibérique, s’attaque à la macédoine, adopte le grec comme
langue de culture et son panthéon. l’expansion romaine se poursuit
pendant quatre siècles, une langue latine se constitue qui concurrence
puis supplante le grec. Peu d’œuvres scientifiques sont écrites en
cette langue : l’orientation de la civilisation romaine tournée vers
la rhétorique, les applications, la guerre et la conquête, va ailleurs.
après six siècles de domination, d’autres valeurs se développent en
son sein : celles apportées par les religions orientales. le christia-
nisme, qui refuse de rendre le culte civique, est d’abord persécuté ;
il devient religion dominante après la conversion de Constantin
(en 313). Cette nouvelle puissance met en place une hiérarchie qui
va se substituer à celle qui s’écroule alors. des invasions se pro-
duisent. l’empire se disloque ; les nouveaux arrivants ne cherchent

27
une histoire de la lumière

pas toujours à détruire la civilisation des régions qu’ils conquièrent


mais essaient souvent d’obtenir l’appui de la seule force organisée
qui demeure dans l’empire : celle des évêques. Ceux-ci soutiennent
les « barbares » qui se convertissent. l’intégration de ceux-ci, leur
victoire sur leurs rivaux sont favorisées par la puissance religieuse.
les coutumes et les traditions des peuples dominés par rome se
réaffirment dès lors qu’aucune loi extérieure commune ne leur est
plus imposée. au cours de tous ces brassages et bouleversements, le
développement de la science devient hésitant. après la chute de rome
(en 476) les chrétiens occidentaux sont coupés des sources auxquelles
ils avaient jusque-là accès. trois blocs principaux vont remplacer
l’empire : Byzance à l’est et initialement au nord de l’Égypte – sa
langue est le grec –, un bloc catholique à l’ouest – sa langue est
le latin –, puis, à partir du viie siècle, un bloc musulman au sud du
Bassin méditerranéen, en espagne et dans le sud de l’italie. nous
allons d’abord envisager ce dernier.

2. La lumière en pays d’Islam


au cours de l’expansion musulmane, ses responsables, qui
manquent cruellement d’hommes (la religion est née dans un pays
désertique), amplifient une pratique qui avait été initialement celle des
romains vis-à-vis des Grecs : globalement, ils préservent ce qu’ils
trouvent dans les territoires conquis, encouragent les communautés
placées sous leur contrôle politique à poursuivre leurs activités, réac-
tivent les foyers anciens24. avec le développement des villes (damas,
Bagdad, Kairouan, Cordoue, ispahan, le Caire…), les choses changent
vraiment. une couche de lettrés se constitue, dont chacun possède à
la fois la langue de sa mère et la langue culturelle, l’arabe. des ins-
titutions d’enseignement sont créées. dans la population très diverse
des villes, des citadins, de confessions variées ou païens, obéissant
à des motivations diverses (intellectuelles, techniques, financières,
commerciales…) prennent des initiatives individuelles ou collectives.
dans une dynamique d’expansion, ils vont à la recherche d’infor-
mations, de textes, de tours de mains, de savoir-faire, effectuent des
traductions, s’approprient les savoirs de leurs prédécesseurs. dans ce
contexte, les sciences vont se développer, innover. Élèves de plusieurs

28
la lumière de l’antiquité à la renaissance

traditions, les savants ne vont pas développer une problématique


unique, mais plusieurs démarches complémentaires ou contradictoires.
Ce qui est qualifié de « sciences arabes » sont les sciences écrites
en arabe, langue de communication savante, quelles que soient la
collectivité, l’ethnie, l’origine, la religion de ceux qui l’écrivent. la
plupart sont musulmans, mais moïse maïmonide (1138-1204) est
juif, d’autres sont chrétiens, sabéens, athées… au niveau ethnique,
la même diversité prévaut : omar al-Khayyâm (1048-1131) et Kamal
Fârsî (al-Fârisî) (1267-1320) sont persans, d’autres berbères ou nés
dans l’actuelle espagne… appartenant à diverses écoles de pensée,
les savants élaborent une science profane. Certains, la minorité, sont
des encyclopédies vivantes : abû al-Kindî (796-873), abû ibn sinâ
(980-1037), abû ibn rushd (1126-1198)… mais des milliers d’entre
eux sont spécialistes d’un sujet, d’une discipline. Comme nous allons
le voir en optique, beaucoup vont aller plus loin et ailleurs que leurs
prédécesseurs, vont mettre au point de nouvelles démarches (absence
de hiérarchisation entre logique formelle et expérimentation, possibi-
lité de parler de science en termes de pratique et/ou de philosophie),
d’autres vont être fidèles aux traditions. en optique donc, les savants
en pays d’islam s’approprient l’aristotélisme, les optiques d’euclide
et de Ptolémée, l’anatomie de Galien, s’inspirent de la tradition
légendaire d’archimède, bénéficient de la tradition artisanale des
Perses. munis de ces connaissances, ils peuvent s’adonner à une
optique d’agrément et à une optique pratique : ils s’intéressent alors
aux miroirs convexes, concaves, à tout ce qui possède la propriété
d’enflammer au moyen de la lumière solaire. al-Kindî rédige un
traité sur les « miroirs ardents » dans lequel il s’interroge sur les
formes, propriétés géométriques, combinaisons des miroirs utilisés
par archimède. Pour cela il ne s’intéresse plus à la vision mais à
la lumière solaire en ce qu’elle se propage, échauffe, embrase : il
conjecture qu’elle possède une existence matérielle propre, ce qui
constitue une rupture avec toute la tradition antique. Cette lumière,
il n’est pas vain de vouloir l’étudier pour elle-même. al-‘ala’ ibn
sahl (940-1000) va beaucoup plus loin : dans Le Livre sur les miroirs
ardents25, il ne s’intéresse pas à la vision, mais étudie les effets de
la lumière solaire sur les miroirs ardents en croisant deux traditions,
la géométrisation d’euclide et la mesure des réfractions de Ptolé-
mée. Ce faisant, il innove : le premier il considère l’embrasement

29
une histoire de la lumière

provoqué par de la lumière « ayant pénétré dans un instrument »


(s’étant réfractée) et pose le problème qui sera appelé « de la sphère
ardente ». il étudie les diverses manières d’embraser – par réflexion,
par réfraction dans des dispositifs de formes différentes – à la fois
par la géométrie et par la pratique, en construisant des dioptres, des
patrons, des gabarits. Pour cette recherche théorico-pratique, ibn sahl
est amené à ne plus considérer, comme l’avait fait Ptolémée, l’angle
entre le rayon incident et le rayon réfracté (l’angle de déviation),
mais ce que nous appelons l’angle de réfraction (entre le rayon
réfracté et la normale à la surface de séparation des deux milieux).
il représente graphiquement le rapport constant que font ce que nous
appelons les sinus des angles d’incidence et de réfraction dans le
cas d’une réfraction air-verre et, d’une manière fautive (il admet le
retour inverse) dans le cas d’une réfraction verre-air. C’est la première
représentation connue d’une relation liant les angles d’incidence et
de réfraction. insistons, ibn sahl n’obtient pas la formulation, qu’il
ne cherchait pas, d’une loi de la réfraction limitée au cas air-verre
considéré : admettant le retour inverse et non la possibilité d’une
réflexion totale lors du passage verre-air, il est loin d’obtenir une
loi, même particulière26. sa construction restera sans suite, ses suc-
cesseurs considérant à nouveau l’angle de déviation.
Ce sont ces prémisses dont se saisit abû ali muhammad ibn
al-hasan ibn al-haytham (965-1039) pour rédiger son monumental
Traité d’optique27et son Discours sur la lumière qui le résume28.
il y développe, sur des bases méthodologiques nouvelles, ce qui
constitue, dans l’état actuel de nos connaissances, la première théorie
physique de la lumière. dès la première ligne de son œuvre, ibn al-
haytham exprime l’idée que la lumière possède une existence propre,
qu’elle est étrangère à l’individu qui la reçoit et au corps lumineux.
il le démontre en réfutant les arguments « faibles » et les idées
« obscures » de ses prédécesseurs antiques, leur préférant l’examen
critique des effets observés de la lumière. lorsque nous regardons
le soleil ou son image formée sur un miroir, la lumière blesse nos
yeux et fait souffrir. après avoir observé un objet très éblouissant,
l’œil est aveuglé et ne reprend que peu à peu la faculté de voir.
Comment une lumière allant de l’œil à l’objet pourrait produire ces
effets, cette douleur ? C’est impossible. il faut rejeter l’hypothèse
du quid. Contemplons à présent un ciel nocturne. de nombreuses

30
la lumière de l’antiquité à la renaissance

étoiles y brillent. elles pâlissent et disparaissent aux premières clar-


tés de l’aurore. Pour expliquer ce fait, nous pouvons le préciser par
des expériences : à la lumière du jour nous pouvons distinguer les
fins détails d’un objet. si nous l’éclairons au moyen d’une source
intense, ces détails disparaissent. il en est de même si l’éclairage
est trop faible. Comment rendre compte de ceci par l’hypothèse des
simulacres ? Quelle que soit la clarté, les « écorces » possèdent les
mêmes détails ! la critique expérimentale la plus élémentaire permet,
après le rejet du quid, d’abandonner aussi la conception des eido-
lae. Continuons nos observations : l’image d’un ciel lumineux fixé
longtemps au travers d’une lucarne persiste si nous fermons les yeux
ou nous tournons vers une partie obscure de la pièce. Ceci prouve,
pour ibn al-haytham, que nous voyons la lumière : elle possède
donc, comme l’ont dit al-Kindî et ibn sahl, une existence propre
indépendante des corps lumineux. il n’est donc pas vain de vouloir
déterminer ce qu’elle est.
ibn al-haytham écrit : « traiter de l’essence de la lumière appar-
tient aux sciences physiques, mais traiter du mode de sa propagation
nécessite le recours aux sciences mathématiques en raison des lignes
suivant lesquelles les lumières se propagent29. » il va falloir combi-
ner géométrie et physique. Pour ce faire, ibn al-haytham assimile
« la plus petite des lumières » à un mobile émis par une source qui
traverse divers milieux. il assimile aussi l’œil à un système optique
indépendant. après ce double acte fondateur, il peut renouveler
totalement l’optique et la science de la vision. on voit se distinguer
chez lui ce qui avait été précédemment traité de manière globale et
que nous appelons aujourd’hui les aspects géométriques, physiques,
physiologiques, psychiques de la vision. Cette réforme ne peut être
menée qu’en se donnant une méthode systématique nouvelle qu’ibn
al-haytham décrit au début de son traité d’optique : « notre investi-
gation commencera par une étude inductive des choses, l’examen des
états des choses visibles, le discernement des propriétés particulières.
l’induction nous permettra d’atteindre ce qui caractérise l’œil en
état de vision […] et ce qui est incontestable pour les sens. Puis
nous poursuivrons plus loin notre recherche et nos déductions, [qui
seront menées] progressivement et avec ordre, en critiquant les préli-
minaires […] et avec une vigilance quant aux conclusions30. » C’est
la méthode expérimentale que nous voyons ici apparaître : elle sera

31
une histoire de la lumière

faite d’inductions, de raisonnements, de retours à l’observation ou à


l’expérience, le tout étant destiné à tester ou justifier les propositions
ou déductions. l’usage systématique des procédés empiriques, la
combinaison de la logique et des arts mécaniques, le développement
de nouveaux rapports entre mathématiques et physique vont permettre
à ibn al-haytham de faire de l’expérimentation une « composante à
la fois systématique et réglée de la preuve, [à devenir] une catégorie
de la preuve31 ». Cette preuve expérimentale peut être entendue chez
lui comme ayant plusieurs sens, correspondant à plusieurs types de
rapports entre mathématiques et physique.
d’abord, elle permet, au moyen de divers dispositifs et de montages
expérimentaux (mires, diaphragmes…), d’effectuer « le contrôle des
propositions [de] la géométrie32 », par exemple celle de la propagation
rectiligne, de l’égalité des angles d’incidence et de réflexion. Cette
vérification faite, ibn al-haytham peut assimiler (c’est sa seconde
catégorie de la preuve) « la plus petite des lumières » à un mobile et
son mouvement au « mouvement […] d’un corps sphérique pesant :
[…] si nous le laissons tomber sur un corps aplati, nous le voyons se
réfléchir suivant cette perpendiculaire par laquelle il était descendu33 ».
Cette représentation mécanique lui permet d’expliquer la réflexion et
la réfraction. Ptolémée avait établi que rayons incident, réfléchi et
réfracté sont dans le même plan. Pour la réflexion, « la raison pour
laquelle la lumière se reflète en faisant avec le miroir un angle égal
à celui sous lequel elle y arrive est la suivante : comme la lumière
se déplace par un mouvement extrêmement rapide, lorsqu’elle tombe
sur le miroir, elle ne pénètre pas à l’intérieur mais elle ne peut s’y
arrêter et, comme en elle demeurent encore la force et la nature du
mouvement primitif, elle se réfléchit du côté par lequel elle est arri-
vée et suivant une ligne inclinée comme la précédente. » si, nous
dit ibn al-haytham, on lance obliquement une bille, son mouvement
peut être décomposé par la pensée (il ne fait pas de schéma) en deux
composantes, l’une parallèle à la surface de séparation des milieux,
l’autre perpendiculaire à celle-ci (fig. 4). la composante parallèle n’est
pas modifiée par la réflexion, la perpendiculaire est inversée. Pour
la réfraction le même schéma dynamique peut être appliqué : ibn al-
haytham décompose par la pensée le mouvement incident en deux
composantes ; la parallèle est constante, la perpendiculaire est modifiée
(ralentie ou accélérée selon la résistance du second milieu) (fig. 5).

32
la lumière de l’antiquité à la renaissance

Figure 4

Figure 5

Comme tout innovateur, ibn al-haytham utilise aussi des idées,


qui se révéleront fausses, de ses prédécesseurs : par exemple, il
reprend les catégories aristotéliciennes de matière et de forme, de
substance et d’accident. il distingue alors la lumière « substantielle »,
caractérisée par sa géométrie et les couleurs, de la lumière « acciden-
telle », celle que nous voyons et pouvons décrire. Pour unifier cette
conception, il postule que lumières substantielle et accidentelle suivent

33
une histoire de la lumière

les mêmes règles de propagation, que la lumière et la couleur « sont


émises ensemble et pénètrent ensemble dans l’air et dans les corps
transparents34 », suivent les mêmes directions, mais ne peuvent être
confondues, les couleurs n’étant pas seulement objets de géométrie :
elles procèdent de la vision.
la vision, justement, elle « se fait par des rayons venant de l’objet
à l’œil. de tout corps illuminé par n’importe quelle lumière, part
de la lumière dans toutes les directions […] Quand l’œil sera placé
face à un objet ainsi illuminé, il arrivera de la lumière à sa surface
extérieure. or nous avons déjà établi que la lumière a la propriété
d’agir sur l’œil. nous devons en conclure que l’œil ne peut sentir
l’objet vu que par l’intermédiaire de la lumière que celui-ci lui
envoie35 ». démonstration parfaitement rationnelle. Pour expliquer
comment la lumière peut nous apporter la forme de l’objet, l’auteur
a l’idée d’assimiler l’œil à un système optique indépendant et d’en
construire un modèle analogique à partir de la connaissance de sa
structure. il peut alors suivre le chemin des rayons dans son modèle
optique placé dans une chambre noire, ce qui est bien évidemment
impossible pour l’œil lui-même, et en déduire le mécanisme de la
vision : c’est la troisième catégorie de la preuve qu’il utilise. après
Galien, ibn al-haytham sait que l’œil est constitué de tuniques concen-
triques dont le cristallin est le centre. il peut proposer une théorie
de la formation des images : la lumière et les couleurs se propagent
de chaque point de l’objet jusqu’à l’œil de manière régulière le long
des rayons. Ces rayons entrent dans les différentes tuniques et s’y
réfractent. les rayons normaux aboutissent sans déviation au cristallin,
organe sensoriel (fig. 6). ils y provoquent la formation d’une image
dont chaque point correspond à ceux de l’objet. le nerf optique la
transmet au cerveau. le pas décisif est franchi : l’orientation infini-
tésimale du raisonnement vient de permettre d’expliquer la vision et
de distinguer nettement deux zones. en avant du cristallin « une zone
où il ne se passe que des phénomènes physiques […] en arrière une
zone où commencent à se produire les phénomènes sensoriels36 ».
« l’optique […] de géométrie du regard qu’elle était devient pour la
première fois science d’une entité physique, la lumière37. » Certes, en
négligeant la réfraction, en faisant se former l’image sur le cristallin,
en évitant ainsi d’avoir à expliquer le renversement des images, ibn
al-haytham effectue, bien involontairement, deux simplifications

34
la lumière de l’antiquité à la renaissance

abusives, mais l’essentiel est dit. la théorie de la vision qui vient


d’être exprimée est particulièrement simple, élégante, esthétique.
ibn al-haytham peut en être fier et laisser à ses successeurs le soin
d’expliquer les nombreuses illusions d’optique qu’il décrit dans tout
un livre.

Figure 6

la vision expliquée, le concept de lumière isolé, il reste à formuler


une théorie rendant compte de ce que sont les rayons lumineux et
comment ils agissent sur les corps qu’ils rencontrent. Cette théorie
est simple : la lumière est matérielle et se propage avec une très
grande vitesse selon des rayons. la modification de cette vitesse
par les corps rencontrés cause la réfraction. le rebond de la lumière
sur les corps crée la réflexion. la rencontre avec l’œil est doulou-
reuse, mais des rayons diaphragmés par la pupille entrent et forment
une image sur le cristallin, laquelle est conduite au cerveau. Cette
première théorie de la lumière, que l’on peut qualifier de corpus-
culaire, est de conception très moderne. elle marque, nous l’avons
dit, la naissance de la démarche expérimentale, une démarche qui
lui permet, par exemple, de déterminer exactement et avec une très
grande précision, grâce à l’utilisation d’une chambre noire, le trajet
des rayons à l’intérieur d’une sphère de verre, de manière à analyser
les conditions dans lesquelles ils peuvent converger à sa sortie et
provoquer l’inflammation.
l’œuvre d’ibn al-haytham va être vivement discutée en pays
d’islam. les uns refusent que le mouvement et les mathématiques
soient introduits en philosophie, les autres défendent ce qu’ils analysent

35
une histoire de la lumière

Sphère ardente selon Ibn al-Haytham

comme un enrichissement. Pour eux, l’expérience devient une caté-


gorie de la preuve. C’est dans cette filiation que se situent les Per-
sans Qutb al-dîn Chîrazî (1236-1311) et Fârsî. Celui-ci utilise l’Es-
sai de la sphère ardente d’ibn al-haytham et l’idée, formulée par
ibn sinâ, que ce sont les réflexions et réfractions à l’intérieur des
gouttes de pluie qui causent l’arc-en-ciel, pour expliquer très préci-
sément le météore. il reprend pour cela le schéma du trajet des
rayons à l’intérieur d’une sphère de verre tracé par ibn al-haytham,
mais, contrairement à lui, s’intéresse à ceux qui ne sortent pas de
cette sphère mais sont réfléchis par sa face et reviennent en arrière.
il peut alors donner une explication complète des formes, couleurs,
aspects des deux arcs présentés par le météore, de même qu’il jus-
tifie la luminosité moindre présentée par le ciel entre ces arcs38 (vers
1305). l’œuvre de Fârsî, contrairement à celle d’ibn al-haytham,
ne va pas être connue des latins : au début du xive siècle, la circu-
lation des savoirs entre la Perse et l’occident du monde islamique
est, en effet, interrompue par l’extension de l’empire mongol. mais
ibn rushd de Cordoue (1126-1198), contesté et condamné par les
siens, va être l’un des pères spirituels des clercs latins, non seulement
parce qu’il leur donne accès à un aristote épuré des contaminations
qu’il avait subies (voir ses grands commentaires d’aristote, écrits

36
la lumière de l’antiquité à la renaissance

de 1186 à 1193), mais parce qu’il remplace l’âme individuelle par


une âme universelle, un intellect agent séparé commun à tous les
hommes, qui pense en l’homme, est enrichi par les apports des
hommes de toutes les générations, leur survit, est immortel, est dieu
(Discours décisif, 1179). son cadet, moïse maïmonide (1138-1204),
également né à Cordoue, recherche sans préjugé dans Le Guide des
égarés (1190) *, tout comme ibn rushd, une « vérité scientifique »,
capable de mener à la perfection divine. nous allons voir comment
ces apports vont influencer les conceptions optiques développées
dans les pays latins. Pour cela, nous devons évoquer ce qui s’est
passé dans le nord-ouest de l’empire romain depuis la chute de
celui-ci.

3. La lumière dans le Moyen Âge chrétien


« mais quand le beau temps revient […], les cieux à qui déplaisent
les tempêtes et les pluies dissipent le chagrin de l’air et le font réjouir
et rire, et quand les nues voient l’air ragaillardi, elles s’ébaudissent
et, pour être avenantes et belles […], elles se façonnent des robes
de toutes les couleurs […] et ont coutume de prendre en leur poing
un arc, ou deux, ou trois, à leur volonté, qui sont appelés arcs-en-ciel
dont nul, à moins d’être savant en optique, ne sait comment le soleil
les bariole […] alhazen, qui n’était pas […] un sot, composa le traité
des Regards ; le clerc naturaliste qui veut savoir ce qu’est l’arc-en-ciel
doit consulter ce livre ; il doit avoir aussi des notions de géométrie
dont la connaissance est nécessaire pour les démonstrations du traité
des Regards39. »
Passage et conseils bien surprenants. extraits du Roman de la
Rose, ils témoignent de ce que l’œuvre d’ibn al-haytham (appelé
alhazen en occident) est connue des intellectuels de l’an 1300,
qu’elle est traduite et disponible pour les clercs voulant l’étudier
et s’instruire en géométrie… une intense vie culturelle anime donc
le moyen Âge chrétien. Que s’est-il donc passé dans ces contrées
depuis la chute de l’empire romain ?

* maïmonide écrit Le Guide des égarés en arabe, ses écrits religieux le sont en hébreu.

37
une histoire de la lumière

À un pouvoir centralisé succède une société qui doit assurer la


protection des terres contre les envahisseurs et les brigands. Par
accord de gré à gré (le serment) entre ceux qui peuvent entretenir
une milice et les paysans, une série de pouvoirs locaux se constitue :
la hiérarchie suzerain (qui doit protection) et serf (attaché à la terre)
apparaît. dans cette société où, après les invasions, le mélange des
peuples est grand, les valeurs sont fondées sur les coutumes et la
parole donnée40. la femme participe aux mêmes responsabilités et
activités créatrices que l’homme. l’esclavage a disparu sous l’influence
de l’Église qui, grâce à sa force et à son organisation, joue bientôt
un rôle central, assimile et christianise les fêtes païennes. le peu de
vie intellectuelle est entretenu dans les monastères. Cette origine va
marquer : au cours du moyen Âge, les problèmes philosophiques vont
être posés non dans un espace profane, comme celui dans lequel se
développent les sciences en pays d’islam, mais dans un espace chrétien.
Pour ces chrétiens, le dogme constitue un tout donné devant lequel
toute raison individuelle devrait s’incliner. mais le dogme est consti-
tué de deux parties : la Bible et les écrits des « Pères de l’Église ».
Ceux-ci se sont lancés dans une interprétation des Écritures dans le
prolongement des philosophies grecques, qui forment un autre univers
que celui de la révélation. dès le concile de nicée (en 325) débute
cette interprétation d’un hellénisme constitué de quelques fragments
d’aristote, d’œuvres de Platon, d’un néoplatonisme diffus. « Platon
s’était approché de l’idée de création sans l’atteindre. aristote s’était
détourné de cette idée et avait décrit un monde éternel, dont la réalité
substantielle est digne de l’œuvre d’un créateur. les chrétiens vont
faire du monde d’aristote une créature et du dieu de Platon un vrai
créateur. Pour cela, il fallait dépasser l’un et l’autre41. »
de tout ce mouvement, c’est l’œuvre de saint augustin (354-430)
qui va avoir le plus d’influence et marquera le moyen Âge. elle est
fortement imprégnée de néoplatonisme. la philosophie augustinienne
est une sagesse qui doit permettre de trouver dieu. on ne peut croire
ce que l’on ne comprend pas : il faut donc s’établir dans la foi et
rechercher dieu par l’intelligence et la volonté. Celles-ci consistent
en l’exercice de la raison et de l’observation. Comme la vérité est
cohérente, lorsqu’une contradiction se manifeste entre foi, observation
et raison, c’est que nous ne comprenons pas au moins l’un de ces
trois termes : il ne faut jamais donner ni à l’écriture ni à la science

38
la lumière de l’antiquité à la renaissance

un sens littéral, aussi devons-nous toujours exercer notre intelli-


gence. Celle-ci – l’âme qui s’élève vers dieu – parcourt différents
degrés dont les deux derniers (le quatrième et le cinquième) sont
la connaissance sensible et la connaissance rationnelle. la raison
présuppose donc la sensation. Celle-ci exige une action exercée du
dehors par un objet sur un organe sensible (la lumière sur l’œil, le
son sur l’oreille…), ces « passions » sont connues de l’âme sans
opération intellectuelle. si, par exemple, nous disons qu’une lumière
est brillante, c’est parce que cette lumière corporelle est perçue par
une lumière spirituelle qui la juge brillante : c’est l’âme qui sent,
elle mène à dieu. Pour expliquer comment il se fait entendre de
nous, augustin use d’une métaphore : l’« illumination ». l’acte par
lequel la pensée connaît la vérité est comparable à celui par lequel
l’œil voit les corps : la lumière les rend visibles et ils sont perçus
par l’œil ; les vérités scientifiques sont « rendues intelligibles par
une sorte de lumière pour être appréhendées par la pensée42 ». le
soleil est source de la lumière corporelle, dieu source de la lumière
spirituelle qui donne le Bien. l’âme est à dieu dans le même rap-
port que la lune au soleil, dont elle réfléchit la lumière : la pensée
humaine est illuminée par la pensée divine. il y a donc une grande
différence entre ce qui est visible par nature (le lux, la lumière solaire
– substance – et, métaphoriquement, l’intelligibilité de dieu), et ce
qui n’est visible que d’une lumière reçue (le lumen – accident –,
métaphoriquement les sciences) produite par notre cerveau à partir
de la connaissance sensible, grâce à la lumière de dieu. la science,
connaissance rationnelle des choses temporelles, est inférieure à la
sagesse, connaissance intellectuelle des choses éternelles.
la Cité spirituelle qu’est l’Église s’établit donc, dans le haut moyen
Âge, sur l’augustinisme. les sciences profanes sont enseignées dans
les « arts libéraux » : le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique)
et le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique et astronomie).
elles forment la propédeutique à la science divine, accessible grâce
à la philosophie que dominera la théologie. Cette organisation de
l’enseignement, renforcée sous Charlemagne par alcuin (730-804),
traversera tout le moyen Âge. le plus grand philosophe de ce
premier millénaire de notre ère est, dans la chrétienté, Jean scot
Érigène (800-870). nourri d’augustin et de fragments d’aristote, il
s’oppose à ceux-ci sur certains points. Pour lui, le monde est un tout

39
une histoire de la lumière

hiérarchiquement ordonné dans lequel chaque être occupe une place


fixée par son degré de perfection. les créatures sont connaissables
par la raison, dieu n’est accessible que par la foi, révélée par l’Écri-
ture, qui est irrécusable. Foi et raison, qui proviennent de la sagesse
divine, sont indissociables et ne peuvent s’opposer. mais l’œuvre de
raison s’applique aussi à l’interprétation de l’Écriture, et en premier
lieu à celle des Pères : ceux-ci sont des hommes dont les déductions
peuvent n’avoir pas été poussées complètement ou comporter des
fautes de logique. si donc un conflit s’instaure entre l’autorité des
Pères et la raison, il faut toujours choisir la raison. mais les études
sont limitées. une des plus riches bibliothèques, celle de saint-Gall,
contient, en 860, quatre cents volumes. l’époque est surtout celle
où les sciences de la nature fournissent des symboles illustrant la
réalité morale, dont témoignent les chapiteaux de l’art roman. « Pour
un penseur de ce temps, connaître et expliquer une chose consiste
toujours à montrer qu’elle n’est pas ce qu’elle paraît être, qu’elle est
le symbole et le signe d’une réalité plus profonde, qu’elle annonce ou
signifie autre chose43. » après un xe siècle marqué par des troubles,
le xie est celui d’un travail théologique intense, mené, d’une part,
à partir du foyer bénédictin qu’est Cluny et, d’autre part, à la suite
de l’œuvre d’anselme de Cantorbéry (1033-1109).
on le voit, la constitution des savoirs du monde latin est bien
différente de ce qu’a connu et que connaît alors le monde arabe. la
foi y joue un rôle prépondérant. À partir du xe siècle, la chrétienté
connaît un mouvement un peu analogue à celui suivi au début de
l’expansion musulmane : le commerce se développe, les techniques
progressent, un enrichissement se produit, la population grossit, les
villes se développent. en leur sein vivent des jeunes audacieux,
tentés par l’aventure, attirés par le rayonnement et la richesse de ce
monde islamique, si proche. Ces jeunes chrétiens viennent se fixer
dans les pays arabes, apprennent la langue culturelle, s’imprègnent
des savoirs rencontrés, cherchent à accéder à des manuscrits et les
traduisent. Parmi eux, Gerbert d’aurillac (945-1003). il restitue les
écrits arabes dans des œuvres d’arithmétique, de géométrie, d’astro-
nomie, et devient pape sous le nom de sylvestre ii. le phénomène
s’amplifie aux xie et xiie siècles, à la fois dans les milieux latins et
dans les milieux hébraïques. Chez les latins, des auteurs ont accès
aux sources arabes d’espagne, d’italie, de sicile, en assimilent

40
la lumière de l’antiquité à la renaissance

le contenu, en donnent des rédactions latines. les communautés


hébraïques sont établies dans l’un et l’autre monde et développent
entre elles des échanges. la démarche par laquelle les savoirs des
pays d’islam passent dans la chrétienté est celle d’une appropriation,
doublée ou non d’une œuvre créatrice.
en 1063, les musulmans perdent la sicile, en 1085 tolède…
Ce double événement produit l’afflux de jeunes chrétiens qui se
précipitent dans les anciennes villes arabes… À tolède en 1116, à
Palerme ensuite, débutent les activités d’écoles qui entreprennent des
traductions systématiques d’ouvrages de sciences et de philosophie.
entre 1116 et 1187, plus de cent ouvrages fondamentaux sont traduits.
les ouvrages qu’étudient maintenant les latins sont parfois emplis de
connaissances totalement ignorées en europe. les concepts manquent
et ne peuvent être nommés. la terminologie employée est obscure :
on transcrit alors directement les mots arabes, dont le latin médiéval
s’enrichit (alambic, alcali, alchimie, algèbre, borax, élixir, luth, rebec,
zénith, zéro…). mais les échanges sont aussi et surtout techniques et
artistiques : de nouvelles techniques (les moulins…) partent du monde
islamique et diffusent lentement, toujours plus loin vers le nord.
sous l’influence de l’arrivée massive de ces savoirs, un change-
ment radical de perspective s’opère dans la chrétienté : les penseurs
cessent progressivement « de chercher auprès de la nature de quoi
se fournir en illustrations morales et se mettent à étudier la nature
pour elle-même44 ». reflétant l’état d’esprit de l’époque, Bernard
de Chartres (1080 ?-1160) écrit : « nous sommes comme des nains
assis sur les épaules de géants. nous voyons donc plus de choses
que les anciens et de plus éloignés, non par la pénétration de notre
propre vue ou par l’élévation de notre taille, mais parce qu’ils nous
soulèvent et nous exhaussent de toute leur hauteur gigantesque45 ».
un climat d’émulation intellectuelle, de recherche fébrile règne
dans tous les centres de savoir ; les maîtres de l’École de Chartres
font placer parmi les sculptures du portail royal de la cathédrale les
statues personnifiant les sept arts libéraux : on y reconnaît euclide,
Cicéron, aristote, Ptolémée, Pythagore. l’évocation de la cathédrale
de Chartres permet de l’indiquer : ceux qui apportent alors le plus
d’innovations dans la société sont les artisans et les techniciens. les
techniques permettent à l’agriculture de se développer, à l’industrie
de se mécaniser, au commerce de s’améliorer… les artisans verriers

41
une histoire de la lumière

perfectionnent la qualité des verres, étendent énormément les appli-


cations de leurs produits, varient les formes des appareils qu’ils
soufflent, réalisent ces merveilles que sont les vitraux des églises
gothiques dont se parent les villes… et remarquent que les verres
d’épaisseurs irrégulières grossissent les dessins sur lesquels ils sont
posés. Cette observation les amène à fabriquer de petits disques à
bords minces et centres épais : les « lentilles de verre », nommées
ainsi par analogie avec le légume (xie). assemblées par paires, serties
au plomb, ces lentilles vont être utilisées pour rendre aux personnes
âgées l’acuité visuelle de leur jeunesse : la fabrication systématique
de ces lunettes est entreprise à Venise et à Florence (xiiie) ; ces
produits circulent bientôt dans toute l’europe et sont perfectionnés
empiriquement. des verres creux (concaves) apparaissent plus tar-
divement, ils améliorent la « vue faible » (myopie), mais toute cette
activité pratique concerne peu les clercs.
Ceux-ci continuent, en général, à privilégier les savoirs intellec-
tuels et essaient maintenant de résoudre les nombreuses contradic-
tions existant entre la foi et les nouveaux savoirs. le xiie siècle est
une époque de préparation où s’affrontent diverses tendances. les
maîtres chartrains développent un néoplatonisme – Jean de salisbury
(1115-1180) en est l’exemple le plus caractéristique – et en viennent à
penser pour le plaisir de penser et développent un humanisme exquis,
qui imprègne d’ailleurs tout le siècle. Pierre abélard (1079-1142),
dans le Sic et non « prouve avec une éclatante simplicité la néces-
sité du recours au raisonnement46 » ; il y « distingue parfaitement la
connaissance empirique d’un fait et la connaissance rationnelle47 ».
il s’oppose au réalisme platonicien, fait appel à la doctrine aristoté-
licienne de la connaissance. il effectue le relevé des contradictions
apparentes afin de soulever les questions et exciter le désir de les
résoudre par la dialectique, la disputatio. C’est un maître apprécié
que l’on vient écouter de toute l’europe et qui assurera la réputation
de Paris. Bernard de Clairvaux (1091-1153) s’oppose à ces deux
tendances : mystique, il considère les sciences profanes comme très
inférieures aux sciences sacrées, que l’on peut atteindre en parcourant
en premier lieu les douze degrés de l’humilité avant d’espérer gravir
les trois degrés de la vérité, dont le dernier est la contemplation. il
développe l’ordre des Cisterciens, prêche la croisade, obtient, par
haine, la condamnation d’abélard – « une bouche qui se permet de

42
la lumière de l’antiquité à la renaissance

parler ainsi [mérite] d’être fermée à coups de bâtons » – au concile


de sens (1140). l’époque voit aussi suger (1081-1151) fonder l’art
ogival, qui permet à la lumière, solaire et symbolique, d’entrer dans
les édifices. Cette période de préparation débouche, au xiiie siècle,
sur la rédaction de synthèses, de sommes, entre la foi chrétienne et
les œuvres d’aristote et des grands encyclopédistes arabes. on peut
dire qu’une nouvelle sagesse vient relever, sans l’effacer, la sagesse
augustino-platonicienne antérieure. le travail d’appropriation, de
dépassement n’aurait pu se faire sans la présence d’institutions, les
« universités », fondées à partir du xiiie siècle. l’université de Paris
comprend quatre facultés : les arts, les décrets (droit), la médecine,
la théologie. la faculté des arts est, de loin, la plus nombreuse.
sa méthode d’enseignement est la disputatio, dont sont exclues les
questions théologiques. Chez ses maîtres s’opposent laïcs et moines,
qui sont surtout les « frères mendiants », dominicains ou franciscains.
les dominicains ont pour principaux représentants albert
de Cologne dit « le Grand », (1200-1280) et thomas d’aquin
(1224-1274), qui fut son élève. tous deux veulent concilier foi et
raison, mettre en conformité l’œuvre d’aristote et les Écritures.
Cependant des différences inconciliables apparaissent. elles seront
résolues par albert et thomas au moyen d’un principe : aristote et
ses continuateurs ont pu se tromper ; quand une divergence apparaît
(le monde est-il éternel ou a-t-il été créé ?), il faut choisir l’Écriture,
corriger la conception aristotélicienne, la christianiser. Cette position
n’est pas admise par les franciscains. le plus grand représentant
de cet ordre est Bonaventure de Bagnoregio (1217-1274). il se
dévoue à François d’assise (1181-1226), pense que derrière toutes
les choses de la nature on peut découvrir le visage même de dieu,
aussi se met-il avec émotion à étudier les êtres et les choses, de
manière à établir un contact entre créatures et créateur, à permettre
à l’âme d’aller vers dieu. Celui-ci a créé le monde. le « livre de la
nature » qu’il a écrit par ses actes l’a été afin de pouvoir être lu par
l’âme et de la rappeler à l’amour de son auteur. toute connaissance
de l’intelligible s’explique par l’action et la présence en nous d’un
rayon affaibli de la lumière divine. de cette diversité naissent des
oppositions, souvent irréductibles, entre « artiens » et théologiens,
dominicains et franciscains, Paris et oxford : nous allons les voir
à l’œuvre dans les conceptions de la lumière qu’ils développent.

43
une histoire de la lumière

C’est à oxford que naît la première théorie de la lumière du


moyen Âge latin, sous la plume de robert Grossetête (1168-1253),
son chancelier (puis tuteur quand il devient évêque lincoln en 1235).
Grossetête se place dans un courant qui existe depuis l’antiquité et
« postule l’idée que l’univers physique est fait de lumière, de sorte
que tous ses aspects, comprenant l’espace, le temps, les êtres inanimés
et […] animés, les sphères et les astres sont les différentes formes
revêtues par une énergie * fondamentale, unique48 ». il s’intéresse
donc à l’optique, lit al-Kindî, ibn sinâ, ibn rushd… en lui se
superposent le théologien, l’homme de sciences, le bâtisseur qui fait
reconstruire en partie sa cathédrale (que l’on peut encore admirer)
dans le style nouveau, ogival. la lumière y pénètre par de larges
baies. Comme exégète et savant, il se considère bien placé pour
illustrer le rôle de la philosophie naturelle, clef de compréhension de
la parole divine. il développe une « métaphysique de la lumière »,
qui respecte le schéma général aristotélicien, établie à partir de deux
considérations. la première est que les mathématiques ne sont pas
des abstractions mais forment la texture du monde naturel : elles
permettent d’accéder à « l’esprit du divin mathématicien qui habite
une lumière inaccessible49 ». la seconde est que la lumière possède
une nature quadripartite illustrée par le soleil, les couleurs, l’intelli-
gence et la lumière suprême.
Pour Grossetête, à partir de rien, dieu a créé un point unique,
une première forme corporelle. Cette corporéité sans dimension est
la lumière fondamentale, le lux, qui contient implicitement la matière
à l’intérieur de sa forme de lumière. Ce lux se diffuse par autopro-
pagation instantanée et multiplication infinie des points de lumière.
l’expansion crée l’espace et étend la matière jusqu’à sa limite de
ténuité. alors, le lux, qui ne peut plus s’étendre, se rétracte vers
le centre et donne une lumière efficiente, le lumen, qui condense
matière et forme, provoque l’individualisation de la sphère terrestre,
située au centre du monde. il se produit ensuite une suite d’expan-
sions et de contractions, de plus en plus faibles. À chaque limite
successivement atteinte correspondent les sphères célestes : voici
qui explique que dieu ait pu séparer, le premier jour, la lumière
des ténèbres et créer les luminaires le quatrième jour seulement.

* Pour aristote, l'énergie est l'acte pur.

44
la lumière de l’antiquité à la renaissance

les positions des différentes sphères (des fixes, des planètes, des
éléments) sont également justifiées. Cette métaphysique de la lumière
a des conséquences pratiques : elle permet de définir des courbes,
des droites (géométrie), fait dériver le multiple de l’un (arithmétique),
montre que les mathématiques sont essentielles à la compréhension
de la nature. mais aussi, le lumen, se propage dans un monde empli
par l’éther et les autres éléments : il est donc matériel, aussi les
lois du mouvement peuvent-elles rendre compte de sa propagation.
analogue à celle du son produit par un corps sonore frappé, elle
consiste en une série de petites vagues qui agitent les milieux. les
objets de notre monde sublunaire enferment du lux. Celui-ci est mis
en branle par les vibrations reçues, vibre à son tour en fonction de
celles-ci et de la quantité de matière présente dans les objets et il
cause les couleurs. Plus le milieu est pur, plus les couleurs sont
éclatantes. le rouge correspond à une grande stimulation et à une
incorporation faible de matière, le bleu à une faible stimulation et
une grande incorporation. les couleurs peuvent être quantifiées : par
combinaisons, six couleurs au total peuvent être produites. les lois
du mouvement expliquent la propagation rectiligne de la lumière, la
réflexion, la réfraction : c’est une action propre mécanique analogue
à celle que produit un corps sonore frappé violemment : « celui-ci
se met à vibrer quelque temps parce que son mouvement violent
et un pouvoir naturel envoient alternativement des parties en avant
et en arrière, chacune dépassant sa position naturelle50 ». « il faut
qu’une vibration et qu’un mouvement similaire se produisent dans
l’air contigu qui l’entoure [le corps sonore], et que cette génération
se propage dans toutes les directions en lignes droites51. » il en est de
même pour la lumière. Voici une première conception « vibratoire »
de la lumière, qui s’accorde avec le monde plein d’aristote, mais
s’oppose à l’espace vide d’ibn al-haytham.
Grossetête peut alors développer une conception globale et sys-
tématique de la méthodologie que doit adopter la science expéri-
mentale. raisonner sur la nature comporte trois aspects : inductif,
expérimental, mathématique. l’induction consiste à trouver la cause
à partir de l’effet : pour cela il faut suivre aristote, partir des don-
nées sensibles, remonter par abstraction aux principes, en déduire
les explications logiques des faits. mais la déduction logique peut
conduire à plusieurs propositions. il faut alors mettre en œuvre une

45
une histoire de la lumière

seconde étape, celle de la réfutation, qui va plus loin qu’aristote et


se fait grâce à l’expérimentation que nous ont laissée les arabes :
des observations mesurées permettent d’éliminer celles des déduc-
tions qui sont contredites par l’expérience. on peut alors passer à
l’étape suivante : formuler des propositions positives. on y parvient
en effectuant progressivement des expériences qui combinent tour
à tour les déductions déjà effectuées. dans cette dernière étape,
la mathématisation intervient : c’est en elle que l’on trouve de
la démonstration au sens strict du terme. les mathématiques sont
cachées dans les choses : les deux premières étapes permettent de
les dégager. alors, « l’utilité de considérer les lignes, les angles, les
figures est des plus grandes car il est impossible de comprendre la
philosophie de la nature sans eux52 ». Comme plusieurs mathéma-
tisations sont possibles, celle qui est retenue doit satisfaire à deux
principes : celui d’uniformité de la nature et celui d’économie (« la
nature agit toujours selon le plus court chemin possible »). ainsi en
est-il, bien sûr, pour la lumière. il est évident pour Grossetête que sa
propagation rectiligne est le chemin géométrique le plus court pour
aller d’un point à un autre. il le démontre aussi dans le cas de la
réflexion, ce qui implique l’égalité de l’angle que fait le rayon réfléchi
avec l’incident. mais ce principe est vrai aussi pour la réfraction,
dont Grossetête croit pouvoir affirmer (« les expériences nous l’ont
montré ») qu’en vertu du principe d’économie, le principe du retour
inverse est toujours vérifié et que « les rayons visuels émis suivent
un chemin dont la direction est la bissectrice de l’angle formé par
le prolongement du rayon incident et par la normale à la surface ».
Cet exemple montre, en plus d’une incertitude sur ce qui est à consi-
dérer (rayons lumineux ou rayons visuels entre lesquels hésiteront
toujours les latins), combien les principes métaphysiques (unité de
la nature, principe d’économie) priment encore sur la mesure exacte
des phénomènes, qu’il paraît inutile d’effectuer : l’expérimentation
pour Grossetête n’est pas celle des arabes ; si le principe de son
utilisation est affirmé, elle n’est pas réellement pratiquée, ou alors
pas de manière précise et systématique. il reste que Grossetête est le
premier chez les latins à étudier les lentilles de verre ; il note : « si
nous comprenons bien cette partie de l’optique, nous pourrons faire
apparaître comme toutes proches des choses […] très lointaines. des
objets gros et proches pourront paraître très petits et nous pourrons

46
la lumière de l’antiquité à la renaissance

lire incroyablement loin les lettres les plus petites, compter les graines
et les grains de sable ou n’importe quel objet microscopique53. »
Grossetête occupe une place insigne dans l’histoire des sciences :
la méthodologie (induction, réfutations et propositions) qu’il met au
point influencera durablement toute la « philosophie anglaise », au
travers de Francis Bacon (1561-1626) et d’isaac newton (1643-1727).
l’œuvre de robert Grossetête se diffuse. elle est connue à Paris
par les dominicains albert le Grand et thomas d’aquin. Ceux-ci
réfutent sa conception de la lumière. thomas, le docteur angélique,
veut mettre en ordre et systématiser la philosophie. Partant d’un
aristote épuré de tous les ajouts et du néoplatonisme par averroès
(ibn rushd) (que thomas combat violemment par ailleurs lorsque
celui-ci nie l’existence de l’âme individuelle ou postule l’éternité
du monde *), il délaisse un peu – faute de temps ? – l’empirisme
aristotélicien (la physique, la physiologie, les météores…) et se
consacre surtout à la théologie naturelle, « le couronnement de la
philosophie ». une partie de celle-ci ne dépend que de la raison, une
autre de la révélation, mais il doit y avoir accord entre les deux.
le monde a été créé, c’est une question de foi, que l’on ne peut
démontrer, pas plus que la manière dont dieu a voulu le monde
(c’est son libre arbitre). Par contre, il est possible d’accéder à la
connaissance des choses terrestres : c’est une question de raison. et
thomas démontre l’existence du monde hiérarchisé d’aristote, ses
deux régions cosmiques et ses cinq éléments ; il reprend son échelle
des êtres, élabore une métaphysique chrétienne. Par exemple, c’est
au nom de la foi que thomas rejette avec vigueur l’atomisme : à
la messe, lors de la consécration, le pain et le vin sont réellement
transformés en corps et sang du Christ. or, leur apparence reste la
même : le vin garde l’aspect, l’odeur et le goût du vin. C’est que
les « accidents » sont conservés ; seule la substance a pu être trans-
formée. le calice contient donc le sang substantiel du Christ, qui
conserve l’apparence, les accidents du vin. Cette transsubstantiation
jouera un rôle important dans les sciences de la nature. Pour thomas
aussi, on peut passer, par incorporation de mal, du ciel à la terre,
de dieu à l’homme. Cette pensée thomiste est nouvelle et d’une
grande fécondité. la raison est enlevée à l’illusion de connaître les

* dans sa Somme contre les Gentils.

47
une histoire de la lumière

choses éternelles : thomas la rive au sensible, se démarque en cela


à la fois d’augustin et d’averroès. sa synthèse est irréductible aux
œuvres du passé.
Pour expliquer la vision, thomas reprend aristote : l’éther du
monde céleste pénètre dans le monde terrestre, emplit les choses
matérielles – c’est le diaphane. le soleil et la vue font passer celui-
ci de la puissance à l’acte et provoquent la sensation des couleurs.
thomas ajoute que le diaphane étant formé de l’essence dont est fait
le monde supralunaire, la lumière (lux) n’est pas de nature terrestre
mais céleste. elle n’est pas de notre monde et ne se comporte pas
de manière grossière. dans toutes les perceptions sensibles, il y a à
la fois de la quantité et de la qualité : pour le son, par exemple, il
n’y a pas seulement mouvement selon le lieu des vibrations sonores,
mais aussi quelque chose d’autre qui fait à la fois le son et la cause
en nous de la sensation. dans la lumière (lumen), il n’y a pas pro-
pagation, l’aspect quantitatif est supprimé, seule la qualité demeure.
une portion de l’air n’illumine pas une autre voisine : c’est tout l’air
qui, sous l’action de l’illuminant, devient autre. la lumière et les
couleurs ne peuvent donc pas se définir par des quantités mais par
leurs seules qualités. leurs actions peuvent être comparées à celle de
« l’intellect agent ». initialement condamnée, la scolastique thomiste
dominera la faculté de théologie et, plus tard, jusqu’au xviie siècle,
l’ensemble de la chrétienté.
roger Bacon (1214-1294) peut aller plus loin : il s’extasie devant
« les merveilles de la vision réfractée […] ainsi à une distance
incroyable […] une armée modeste nous semblera […] très près de
nous […] nous pourrons également obtenir que le soleil, la lune et les
étoiles semblent se rapprocher * et descendre vers nous54 ». n’est-ce
pas la première fois que l’on décrit une observation du ciel au moyen
d’un instrument optique ? il étudie précisément les propriétés des
lentilles, donne de l’œil humain un diagramme géométrique (fig. 7),
conseille à ses contemporains de pratiquer la dissection d’yeux de
vache et de porc pour en améliorer la connaissance, d’utiliser des
lentilles convexes pour corriger la vue faible. il réforme les mesures
de la réfraction, détermine celles de l’arc-en-ciel. Witelo (1220-1286)

* roger Bacon va trop loin : même observées au moyen d’un instrument d’optique,
les étoiles restent ponctuelles.

48
la lumière de l’antiquité à la renaissance

précise ces études et les étend. thierry de Freiberg (1240-1320)


donne une première explication complète de l’arc-en-ciel en pays
latin. arrêtons-nous un peu sur ces phénomènes.

Figure 7

Plongeons un bâton dans l’eau, prenons un bain ou regardons un


aquarium : l’aspect brisé que prend tout objet partiellement immergé
ne nous surprend plus, nous savons que ce phénomène est dû à la
réfraction. les rayons de lumière provenant de l’extrémité d’une
rame, par exemple (B, fig. 8), sont déviés à la surface de l’eau,
parviennent à l’œil selon la droite Co dans la direction de laquelle
nous voyons le point B ; celui-ci nous paraît donc être en B’, la
rame semble se briser à son entrée dans l’eau puis remonter vers
la surface. Ce phénomène était déjà expliqué par Ptolémée et ibn
al-haytham. Grâce à un dispositif qu’il adapte, Witelo mesure les
angles de réfraction des rayons traversant l’air, l’eau, le verre, montre
qu’ils augmentent moins que les angles d’incidence et affirme qu’ils
varient comme la densité des milieux traversés : pour une même
incidence la déviation du rayon réfracté est plus grande dans le verre
que dans l’eau. Witelo publie des tables donnant la correspondance
entre les angles d’incidence et de réfraction qui vont permettre de
construire plus précisément les instruments d’optique et d’expliquer
bien des phénomènes…

49
une histoire de la lumière

Figure 8

nous avons tous déjà admiré un arc-en-ciel, remarqué que ce


phénomène apparaît chaque fois que le soleil brille par temps de
pluie, mais avons-nous observé attentivement ses caractéristiques ?
son centre (M, fig. 9) est toujours opposé au soleil par rapport à

50
la lumière de l’antiquité à la renaissance

Figure 9

l’observateur, les couleurs qu’il peint sont invariables mais plus ou


moins visibles : rouge à l’extérieur puis orange, jaune, vert, bleu,
violet à l’intérieur. nous pouvons parfois contempler ces mêmes
teintes sur le jet d’une fontaine, dans la poussière d’eau produite
par les roues du moulin ou les avirons, ajoute Bacon : constatons
alors que, toujours, nous tournons le dos au soleil. Précisons nos
observations : puisqu’une même couleur apparaît selon un arc de
cercle, l’angle sous lequel nous la voyons à droite, à gauche, en
haut, est constant. il peut être important de le mesurer. Bacon
montre que, quel que soit le phénomène considéré (arc-en-ciel ou
fontaine) le rouge est toujours le lieu des points faisant avec la
direction soleil-œil un angle d’environ 42°, le violet apparaît sous
un angle un peu plus faible. Puisque l’arc-en-ciel apparaît toujours
dans des gouttelettes d’eau, thierry de Freiberg a alors l’idée de
reproduire celles-ci au moyen d’urinaux sphériques emplis d’eau et
de les éclairer par les rayons solaires. Cette expérience lui permet
de faire une observation décisive : une fiole aqueuse paraît rouge
lorsqu’en la regardant le dos au soleil, on la tient à bout de bras

51
une histoire de la lumière

dans une position bien précise, un peu au-dessus de la tête ; elle


reste rouge si on l’approche, la recule, si on la déplace d’un côté,
de l’autre, à condition que l’angle sous lequel on la voit soit tou-
jours conservé, cet angle valant lui aussi approximativement 42°
par rapport à la direction soleil-œil. si nous descendons un peu la
fiole (nous diminuons alors la valeur de l’angle), la sphère aqueuse
apparaît orange, puis jaune, verte, bleue, enfin violette avant de
reprendre son aspect incolore habituel. Cette coïncidence ne peut
être fortuite, précisons donc les expériences : nous pouvons alors
constater qu’à l’intérieur d’une sphère aqueuse les rayons subissant
deux réfractions séparées par une réflexion paraissent rouges lorsqu’ils
sont vus sous un angle de 42° par rapport à la droite source-objet

Figure 10

(fig. 10) ; ils paraissent orange puis jaunes s’ils parviennent sous
des angles de plus en plus petits. l’interprétation de l’arc-en-ciel
s’en déduit : le phénomène est dû à des réfractions et réflexions
successives des rayons du soleil dans les gouttes de pluie (fig. 11).
des couleurs différentes correspondent à des angles de réfraction
différents. Beaucoup de phénomènes colorés peuvent être interpré-
tés de manière analogue : la lumière renvoyée par le biseau d’une
glace ou celle qui traverse un prisme peint l’arc-en-ciel ; dans tous
les cas on peut faire correspondre à chacune des teintes observées
un angle de réfraction propre.
mais que sont les couleurs ? thierry tente de les expliquer par
le mélange de deux qualités opposées, par exemple l’« éclat » et

52
la lumière de l’antiquité à la renaissance

Figure 11

l’« obscurité » : pour lui, celles-ci donnent, en proportions égales,


la lumière blanche. la réfraction provoque un affaiblissement de la
lumière : l’« éclat » est réduit, la proportion d’« obscurité » augmente.
Plus la déviation du rayon réfracté est grande, moins l’éclat est
intense : la couleur la plus vive est le rouge, moins déviée ; la plus
sombre le bleu, plus détournée par rapport à l’incidence (fig. 12).

Figure 12

53
une histoire de la lumière

les philosophes du moyen Âge ne peuvent se contenter de leurs


belles déductions pratiques. Certes, ils expliquent la réflexion et la
réfraction au moyen de la géométrie mais ils savent que les mathé-
matiques ne permettent pas de déterminer pourquoi les effets se pro-
duisent : ceux-ci résultent d’une cause unique dont il faut, en appliquant
la méthode inductive, déterminer la substance. nous l’avons dit, Gros-
setête accorde une importance particulière à l’optique parce qu’il croit
que la lumière est la première « forme corporelle » créée, celle dont
l’activité a engendré l’univers et qui serait responsable de la nature,
du « mouvement » des objets matériels, celle dont l’étude est capitale
pour la compréhension du monde physique. Pour roger Bacon, la
sagesse parfaite (sapience) est donnée par la théologie, puisée aux
deux sources du droit canon et de la philosophie. Celle-ci a été révé-
lée à adam, mais le péché originel la lui a fait perdre. il y eut bien
des réformateurs, tels salomon et aristote, mais aujourd’hui encore
elle reste à restaurer. C’est la mission que se fixe Bacon. la philoso-
phie ne sera jamais parfaite, des découvertes seront toujours possibles,
aussi, pour favoriser celle-ci, faut-il adopter une méthode scientifique.
Pour cela Bacon se reconnaît deux maîtres – ses « maîtres de
méthode »  −  :  Grossetête,  qui  connaît  Aristote  mais  s’en  détourne  et 
s’instruit grâce à son expérience propre, et Pierre de maricourt, auteur
d’un traité sur l’aimant, qui recourt à l’observation et à la déduction.
tous deux combinent expériences et mathématiques. Pour prouver, il
convient également d’être adroit de ses mains : l’habileté manuelle
permet de corriger des erreurs que l’on ne peut voir ni par les mathé-
matiques, ni par la physique. l’expérience les renforce toutes deux,
l’expérience et le raisonnement permettent de connaître : Bacon veut
fonder la « science expérimentale », nom qui apparaît sous sa plume
pour la première fois. mais l’expérience est double : elle est interne
et spirituelle d’une part, sensible d’autre part. le but qu’elle vise est
également double : enrichir la théologie en plaçant les théologiens à
l’école des sciences profanes, comprendre et dominer la nature. Puisque
la science reste à construire, à acquérir, il faut chercher. nul exposé
général ne peut être fait, mais il est possible de donner des illustrations
de la fécondité de la science expérimentale grâce à des exemples : la
géographie, l’astrologie, l’alchimie en ce qu’elle est l’étude des corps
inanimés, la morale, les langues philosophiques, les mathématiques,
l’optique… la science permettra de dominer la nature, de réaliser de

54
la lumière de l’antiquité à la renaissance

nouvelles machines, de voler dans les airs, d’aller dans les mers
– Bacon nous décrit toutes ces conquêtes futures – mais sa valeur
finale est d’être au service de dieu. l’Église devrait s’en saisir dans
son œuvre d’évangélisation de l’humanité, lutter ainsi contre les infi-
dèles, encourager la découverte des secrets de la nature et de l’art,
conduire l’esprit à la contemplation du Créateur. en ce qui concerne
la lumière, Bacon – le « docteur mirabilis » – considère qu’elle est un
peu analogue au son. Pour la décrire, il préfère la théorie de Grosse-
tête à celle d’ibn al-haytham mais il essaie de concilier leurs thèses
contradictoires. il distingue la lumière essentielle, le lux, de la lumière
accidentelle, le lumen. il fait de ce lumen non plus un contact immé-

Frontispice du livre imprimé de la Magie de Witelo (édition de 1535)


où l’auteur a représenté les divers phénomènes de réflexion
et de réfraction qui peuvent, selon Ibn al-Haytham,
conduire à une théorie de la lumière.

55
une histoire de la lumière

diat ou une multiplication instantanée des espèces, mais une pertur-


bation qui se propage beaucoup plus vite que le son, comme les orages
nous le prouvent. Cette lumière est émise par la source, comme des
battements. elle va à l’objet et à l’œil en lignes droites un peu comme
nous parviennent des vagues. elle garde quelque chose du lux et nous
le transmet. dieu peut ainsi être considéré comme analogue à un
immense foyer lumineux. mais l’œil est actif, quelque chose jaillit de
lui pour nous permettre de voir – le semblable agit sur le semblable.
Ces conceptions sont amendées entre 1270 et 1278 par Witelo dans
ses Perspectives (encore appelées, quand elles seront imprimées en
1535 puis 1572, Magie et Optiques). Witelo découvre ibn al-haytham
à Paris. dans ses premières études, il en reprend sa théorie corpuscu-
laire de la lumière (il sera affublé par ses contemporains du sobriquet
de « grand singe d’alhazen »). il va ensuite en italie : à Viterbe,
ville papale, il découvre l’œuvre de Grossetête, y écrit son optique.
Witelo s’y pose clairement en partisan de la méthode expérimentale.
il précise et complète les tables de réfractions de Ptolémée et d’ibn
al-haytham. allant plus loin que ses prédécesseurs, il veut obtenir
une généralisation mathématique liant systématiquement incidences et
réfractions : il croit pouvoir affirmer que pour deux milieux la « quantité
de réfraction » est constante, proportionnelle au rapport des densités
des milieux réfringents. mais Witelo donne des valeurs de réfractions
dans les cas des passages eau-air ou verre-air qui correspondent à
des rayons qui ne peuvent exister : il est clair aujourd’hui qu’il a
effectué les mesures dans les cas des passages air-eau et air-verre et
que, gêné par la difficulté des mesures inverses mais guidé par le
principe postulé de la quantité de réfraction constante, il a extrapolé
les valeurs dans les passages réciproques, sans mesurer. Ces impos-
sibilités ne concernent que les grands angles : Witelo peut utiliser
ses données pour expliquer le fonctionnement des lentilles de verre.
il couronne son œuvre en donnant une représentation de la lumière
qui puisse convenir à toutes les explications des effets observés : il
se sépare alors nettement d’aristote, de thomas et d’ibn al-haytham
pour suivre Grossetête en ce qu’il fait émaner la lumière d’un corps
lumineux sous forme d’une « espèce » qui se multiplie instantanément
d’un point à un autre du milieu dans lequel elle se transmet en lignes
droites. Cette « causalité efficiente » est vue par l’œil sous forme de
lumière (on peut alors la mesurer et l’étudier), mais elle explique

56
la lumière de l’antiquité à la renaissance

aussi la chaleur, les actions mécaniques, les influences astrologiques.


d’où, pour Witelo, l’intérêt de l’étude de la lumière, qui permet au
travers de la recherche de sa conduite (les lois de la réflexion et de
la réfraction) et de sa nature physique, de comprendre la cause de
son mouvement et de toutes les autres causalités efficientes : Witelo,
à la suite de Grossetête, imagine que le mode de propagation de la
substance matérielle et de la puissance fondamentale – la lumière – se
fait par une succession de battements, de manière analogue aux sons.
thierry de Freiberg est, avec maître eckhart son contemporain
et cadet (1260-1328), le plus illustre représentant dominicain de ce
qui a été appelé la « mystique rhénane ». Pour thierry, ce que le
philosophe attend ici-bas, c’est une extase naturelle et cosmique.
thierry s’oppose à thomas d’aquin : il se refuse en effet à soumettre
la recherche philosophique aux exigences théologiques. Philosophie
et théologie révélée possèdent leurs objets et leurs méthodes propres,
sont distinctes et indépendantes l’une de l’autre. au nom de la rigueur
philosophique, il est donc possible d’énoncer des thèses non admises
en théologie, de poser l’existence de réalités non attestées par les
Écritures. il produit une œuvre considérable divisée en quatre parties
qui s’enchaînent logiquement : « théorie de l’intellect, métaphysique
et théologie, philosophie naturelle et métaphysique, sciences de la
nature ». C’est dans cette dernière partie que l’on trouve trois traités
qui concernent la lumière et l’arc-en-ciel. J’ai insisté à plusieurs
reprises sur le caractère polysémique du mot « lumière » : dieu est
lumière, les réalités spirituelles sont lumière, la lumière est à la fois
le lux et le lumen. thierry assume cette polysémie dans l’unité :
dans l’univers hiérarchisé tout est lumière, il y a continuité entre les
trois niveaux que sont la « lumière superessentielle », la « lumière
intellectuelle » et la « lumière corporelle », selon lesquels il est
possible d’attribuer la lumière à dieu de trois manières distinctes.
tous ces arguments justifient « que philosophie et optique ne soient
pas distinguées dans le raisonnement sur cette matière ». mais, bien
sûr, en ce qui concerne l’étude de la connaissance sensible, du
comment des choses, il faut appliquer dans toute sa rigueur, sa
pertinence, son indépendance la méthode expérimentale. l’arc-en-ciel
est le symbole adéquat de la réconciliation entre dieu et les hommes.
l’explication complète du météore que donne thierry est exprimée
vers 1310. C’est à une ou deux années près, exactement en même

57
une histoire de la lumière

temps que Fârsî a, au moyen de présupposés tout à fait différents,


donné sa théorie. Étrange coïncidence temporelle, alors que les mondes
persophone et latin ne communiquaient plus. il est vrai que les deux
démarches adoptent la méthode expérimentale ainsi que les fondements
posés par ibn al-haytham. mais la démarche de ceux des latins qui
privilégient la science expérimentale a été surtout formulée – nous
l’avons vu – de manière livresque : il n’y a pas chez eux de culture de
l’expérimentation, de tradition comme celle dans laquelle se situaient
les travaux des savants de Bagdad, du Caire ou d’ispahan. Pour les
latins, l’expérience est à la fois spirituelle d’illumination divine, évi-
dence géométrique, faits constatés à l’aide d’instruments, observation
mesurée. elle n’est pas critère de choix décisif entre deux théories,
simplement argument parmi d’autres, plus fort peut-être que d’autres,
permettant de préférer une approche. en passant en occident, quelque
chose de fondamental dans la science des pays d’islam s’est perdu.

4. Migrations des savoirs à la fin du Moyen Âge


le xiiie siècle avait été un siècle de synthèse, celui des « sommes »
dans lesquelles les auteurs proposent un système complet permettant de
résoudre les contradictions entre foi et raison. le xive siècle désespère
de pouvoir arriver à une synthèse générale des connaissances : trop de
faits n’entrent pas dans les sommes du siècle précédent. différentes
tendances se distinguent, outre le thomisme. Celles qui sont les plus
importantes sont celles qui participent à la migration des savoirs de
l’espace religieux à l’espace profane, soit parce qu’elles dissocient
philosophie et théologie, comme le font thierry et maître eckhart,
soit parce qu’elles privilégient la « science expérimentale ». ainsi,
les « mécaniciens parisiens » : Jean Buridan (1292-1363) quantifie les
qualités, réforme la théorie du mouvement d’aristote, croit pouvoir
affirmer que distances et temps sont proportionnels entre eux lors de
la chute des corps ; nicole oresme (1320-1382) discute la position
de la terre. la place centrale de notre astre est également vivement
contestée par le cardinal nicolas de Cues (1401-1464) : pour lui, la
terre est en mouvement dans un monde « dont le centre est partout et
les limites nulle part ». mais ces belles déductions ne vont pas avoir une
postérité immédiate : c’est qu’en ce milieu du xive siècle des famines

58
la lumière de l’antiquité à la renaissance

sans précédent ravagent l’europe, la peste noire décime l’occident ;


les populations urbaines décroissent parfois de moitié, des bourgades
sont rayées de la carte. le contexte n’est plus aux études, le nombre
d’étudiants diminue, celui des maîtres aussi : les universités entrent
dans une période de vieillissement et de déclin, la vie intellectuelle
stagne et la culture régresse.
Pourtant des contrées résistent mieux, en italie et en Flandres sur-
tout. en italie, le développement de l’artisanat, des manufactures, du
commerce, des banques, favorisent l’émergence d’hommes de pratique
et d’action. À la cour des mécènes vivent non seulement des hommes
spéculatifs, mais surtout de grands techniciens et de grands artistes :
c’est que ces mécènes ont besoin de réalisations techniques, du déve-
loppement du commerce et des échanges pour leur enrichissement. les
hydrauliciens de sienne modifient les conditions de vie matérielle dans
les villes. mais ce sont les littérateurs et artistes du quattrocento florentin
qui marquent le mieux ce basculement. Pour mieux faire comprendre
celui-ci, nous allons revenir un peu en arrière et nous intéresser à ce
qui se passe à Florence. en 1300, dante alighieri (1265-1321) est
nommé prieur de Florence : il devient un des magistrats suprêmes de
l’exécutif de la ville. opposé à la politique d’ingérence du pape, il se
range avec les guelfes blancs, qui sont défaits. il est banni. dans son
exil, il compose son œuvre, dont le Convivio (1307), premier manifeste
humaniste, dans lequel il défend la dignité de l’intellectuel : face à
l’enfermement et au déclin de l’université et des ordres prêcheurs, à
l’arrogance de la noblesse de lignage, il y affirme le primat d’une autre
noblesse : celle de l’intellectuel. la pensée n’est pas dans le sperme,
n’est pas collective, héréditaire, transmissible, mais individuelle. elle
jaillit de la plume du poète qui, par son travail, ses lectures, se forme
une pensée, peut proposer une éthique de la destination intellectuelle
de l’homme, former un projet culturel arabo-latin et s’en faire le
médiateur. Pour cela, dante écrit en « belle langue florentine » et non
plus en latin. les destinataires de l’œuvre sont les lettrés qui veulent
bien se l’approprier. la philosophie se déprofessionnalise, la pensée
se laïcise, une nouvelle culture, urbaine, naît.
en peinture, Giotto (1267-1337) représente des scènes de la vie du
Christ, ou de celle de François : les personnages y expriment leurs
sentiments. l’essentiel n’est pas là : Giotto unifie le lieu de la repré-
sentation. ses fresques ne présentent plus, comme il était traditionnel

59
une histoire de la lumière

de le faire, deux régions cosmiques, le Ciel et la terre, dans une


vision close et hiérarchisée du cosmos : il compose une scène dans
laquelle les personnages peuvent se mouvoir. il rompt ainsi avec une
longue tradition qui faisait des représentations picturales un théâtre de
la mémoire où chaque personnage occupe un lieu bien particulier, de
manière à ce que leur juxtaposition permette de développer des pro-
cédés mnémotechniques. Filippo Brunelleschi (1377-1446), ingénieur,
inventeur de machines, mathématicien, orfèvre, sculpteur, peintre,
construit la coupole de la cathédrale de Florence grâce à des procédés
architectoniques qui dispensent du recours aux cintres ; ce faisant, il
donne un nouveau statut à l’architecte, capable de concevoir intellec-
tuellement des projets et de résoudre les difficultés de construction
avant la mise en œuvre. en lui se réalise la jonction entre la théorie
et la pratique, entre les mondes des savoirs intellectuels et techniques :
ils se fécondent mutuellement comme ils avaient pu le faire en pays
d’islam, et contrairement à ce qui s’était passé auparavant chez les
latins. on attribue aussi à Brunelleschi, dont toutes les œuvres reflètent
le néoplatonisme, l’acte inaugural de la perspective. dans un tableau
perdu, La Tavoletta, il représente le baptistère saint-Jean de Florence
vu depuis le centre du porche de la cathédrale. Pour cela il invente
la représentation perspectiviste qui organise l’espace pictural selon un
unique point de fuite. les éléments représentés sont ordonnés selon
des proportions définies grâce à la formulation expérimentale des lois
visuelles. la perspective est construite pour l’œil du destinataire de
l’œuvre, c’est-à-dire le spectateur, dont la position est fixée par le
tableau. masaccio (1401-1428) va plus loin encore : dans sa Trinité de
santa maria novella à Florence, il unifie l’espace, le rend isotrope et
continu, l’ordonne selon les lois de la perspective, coiffe la figure de
dieu le père d’une architecture humaine : celle qu’invente au même
moment Brunelleschi. il ose aussi placer sur le même pied que les
trois personnes divines le donateur et la donatrice.
Cosme l’ancien (1389-1464) prend le pouvoir et fonde la dynas-
tie politique des médicis. il devient un grand mécène et soutient
l’art des « giottistes » parce qu’il est radicalement différent et peut
montrer la rupture qu’apporte son pouvoir. sa cour est un exemple
de ce milieu intellectuel nouveau où se côtoient hommes spécula-
tifs, artistes, techniciens en une « géographie de la pensée » où se
construisent les nouvelles valeurs esthétiques. en 1459, Cosme fonde

60
la lumière de l’antiquité à la renaissance

l’académie platonicienne de Florence. on s’y tourne vers Pythagore,


Platon, l’astrologie, l’alchimie pour contester l’aristotélisme ambiant.
les humanistes accordent peu d’importance aux perspectivistes : ils
préfèrent le retour à l’antique, le rétablissement du latin de Cicéron,
étudient l’anatomie, les formes, les qualités individuelles. une impor-
tante exception est représentée par leon Battista alberti (1404-1472).
Celui-ci appartient au milieu humaniste, écrit dans la langue de Cicé-
ron mais possède aussi un contact direct avec l’art des Brunelleschi,
masaccio et donatello. il veut faire œuvre éducative et développer
une méthode rhétorique pour faire connaître et rationaliser leurs
créations. Pour lui, la composition picturale peut se décomposer en
quatre niveaux hiérarchisés et interdépendants : les surfaces planes se
combinent en membres, qui s’assemblent en corps, qui constituent la
scène cohérente de la peinture narrative. dans son De pictura (1435)
apparaît l’analyse fonctionnelle de la peinture. il s’y donne pour but
de développer l’optique d’euclide car « il raisonne en peintre » et
peut ainsi systématiser les inventions pratiques de Brunelleschi et
de masaccio. il les vérifie « par démonstration » au moyen d’une
chambre noire (peut-être inspirée d’ibn al-haytham), dont le Discours
sur la lumière est traduit et enseigné alors à Florence. alberti peut
ainsi synthétiser et théoriser toutes les constructions, donne à celles-ci
une base scientifique, participe à la promotion des nouvelles peinture,
architecture, sculpture, qui, grâce à lui, rejoignent la grammaire, la
rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et
la musique dans les « arts libéraux ». C’est alberti aussi qui invente
la métaphore de la fenêtre : plusieurs points de vue sont possibles
au peintre, mais dés que l’un est choisi, une nécessité s’installe, un
ordonnancement est induit. une seule relation fournit la rationalité
entre tous les éléments et l’ensemble. Cette règle absolue, ce principe
organiciste, c’est la perspective. elle permet de construire l’intersec-
tion de la pyramide visuelle par un « voile », un plan intersecteur.
la position de l’œil du spectateur, destinataire unique de l’œuvre,
est fixée par les points de fuite du tableau. il écrit : « nous pouvons
établir que la beauté est une sorte d’union et d’accord entre des
parties dans l’ensemble auquel elles appartiennent, selon un nombre
déterminé, une règle précise, une situation donnée, ainsi que la
symétrie, c’est-à-dire la règle absolue et primordiale de la nature, en
a ordonné55. » il y a intervention de l’entendement dans les actes de

61
une histoire de la lumière

voir et de représenter. la peinture raconte une histoire et utilise les


codes culturels de l’époque. elle pense, montre, démontre…
Cette approche est dépassée par Piero della Francesca (1415-1492) :
il assimile le traité d’alberti, recrée dans ses tableaux une harmonie
absolue des proportions entre les hommes et la nature. elles reflètent
la perfection de la Création, correspondant avec la totalité de l’univers
grâce aux « proportions divines » des rapports mathématiques. À la fin
de sa vie, il écrit, en langue vernaculaire, son De prospectiva pingendi.
Ce traité ramène la variété de la nature à la régularité de la géométrie.
il y représente la projection d’objets, de têtes, sur le plan du cahier.
Chaque point caractéristique est affecté d’une cote, qui mesure son
éloignement au plan. C’est la géométrie cotée que l’on voit apparaître.
les valeurs numériques reportées marquent la naissance d’une science
quantitative, sans que soient nettement séparées les pratiques « empi-
riques » et l’activité « théorique ». la « petite partie » de la peinture
que constitue la construction graphique montre et démontre : la com-
posante visuelle des peintres permet de constituer un terreau préalable
d’expériences duquel sortira la géométrie moderne, et permettra de
dégager une connaissance qui pourra être qualifiée de scientifique sans
qu’elle soit déduite de la métaphysique. Cette œuvre de Piero n’aurait
certainement pas été possible si Florence n’avait été à l’époque un
centre important de cartographie. Paolo toscanelli (1397-1482), ami
de nicolas de Cues et de Brunelleschi, réalise des gnomons, observe
des comètes et mesure leurs trajectoires ; ceci est loin d’être courant
en occident, où seules les régularités des mouvements célestes sont
jugées dignes d’intérêt. il établit des cartes : l’une d’elles, datant de
1468, fait figurer au milieu de l’atlantique une île appelée antilia et,
entre celle-ci et la Chine, d’autres îles, dont une assez grande, qui
semble pouvoir correspondre à une partie de la côte ouest de l’actuelle
amérique. il établit aussi une carte proposant une route vers les indes
orientales passant par l’atlantique et l’envoie au roi du Portugal.
Fils d’un médecin de Cosme de médicis, marsile Ficin (1433-1499)
exerce, lui aussi, une influence considérable dans le milieu intellectuel
nouveau par sa Théologie platonicienne. il y emprunte à l’ancienne
théologie astrale, aux conceptions chaldéennes, aux commentaires
médiévaux, à l’hermétisme, pour écrire un hymne platonicien voulant
englober l’univers entier. la lumière est commune à tous. C’est le seul
objet à la fois du regard et de la philosophie. elle est métaphore de

62
la lumière de l’antiquité à la renaissance

dieu et de l’esprit, révèle le mode d’être des choses, est le « rire du


ciel émanant de la joie des esprits célestes56 » ; elle donne naissance
à l’esthétique. non seulement cet hymne néoplatonicien va servir de
fondement aux mythes solaires de la renaissance, mais il montre
que, dans le mouvement qui anime le milieu intellectuel florentin, la
vision du cosmos comme réseau de forces magiques avec lesquelles
l’homme va opérer n’est pas à négliger. À la toute fin de sa vie, Cosme
ordonne à Ficin de traduire hermès trismégiste, dont tous croient alors
à l’existence, et dont les œuvres ont été ramenées de Constantinople.
Ficin apprend pour cela le grec et s’exécute (1471). le texte renforce
son héliolâtrie. dans ce fonds hermétique apparaît donc la figure du
mage, incarnation d’une figure nouvelle de l’homme par rapport au
cosmos, un homme-mage que l’élève de Ficin, Pic de la mirandole
(1463-1494), admire. il constitue une « grande merveille » car il pos-
sède des pouvoirs pour agir sur le cosmos. Cet autre « mage » qu’est
léonard de Vinci (1452-1519), lui qui se promène en tunique, porte
longue barbe, écrit de droite à gauche, s’intéresse à l’anatomie et aux
machines, cite « hermès le philosophe », définit la force comme une
« essence spirituelle » : ses recherches mathématiques et mécaniques
sont sous-tendues par une vision animiste de l’univers. toutes ces
recherches et affirmations constituent une étape par laquelle passe
la « magie naturelle » pour, progressivement, devenir mécanique. À
propos de la peinture, léonard écrit : « il me plaît que tu fuies les
choses monstrueuses, comme d’avoir les jambes longues et les bustes
courts ». ses carnets portent aussi un dessin qui, dans l’état actuel de
nos connaissances, est la première représentation d’une anamorphose :
les lois de la perspective une fois établies, il devient possible de les
« dépraver » et de représenter déformés les objets qui, vus d’un certain
point, seront rétablis dans leurs vraies proportions.
on le voit, l’optique permet une étroite relation entre œuvres
d’art et science : les objets et les personnages représentés sous des
voûtes ou des surfaces irrégulières peuvent maintenant être déformés
de manière à apparaître naturels à tout observateur placé au-dessous ;
des trompe-l’œil agrandissent les dimensions des édifices ; les scènes
de théâtre créent un éloignement ou un agrandissement imaginaires,
mêlent réalité et fiction. les bizarreries sont en vogue : les peintures
à anamorphoses associent art et prodige, réel et symbolique, font voir
des formes totalement différentes d’un point d’observation ou d’un

63
une histoire de la lumière

autre et révèlent l’existence d’un courant culturel opposé aux valeurs


de la civilisation marchande57. tout un panneau de savoir – non
scientifique – s’édifie autour de cette passion pour les prodiges :
des cabinets d’optique, meublés de glaces concaves, convexes… de
prismes ou de cônes de verre permettent à leurs visiteurs d’observer
des perspectives surprenantes, de voir surgir un portrait au travers d’un
cylindre ou d’une pyramide, là où la vision directe ne distinguait que
des courbes colorées58.

Cabinet d’optique : Perspective pratique du père du Breuil (1649).

nous avons dit les œuvres d’« hermès » rapportées de Constan-


tinople. C’est qu’en 1453 la ville est prise par les ottomans. Cette
chute marque la disparition de l’empire byzantin, partie orientale
de l’empire romain. la date situe pour l’historien Jules michelet
(1798-1874) la fin du moyen Âge ; elle en est, au moins, l’une des
étapes. outre que les richesses de Constantinople sont à nouveau
dispersées (un trafic de manuscrit s’établit entre la ville et l’italie),
les ottomans parfont leur domination sur l’est de la méditerranée,
accentuent leur contrôle sur le commerce, ce qui incitera peut-être

64
la lumière de l’antiquité à la renaissance

les rois chrétiens à financer les voyages visant à chercher par l’ouest
une route des indes. Quelles que soient les motivations initiales,
l’influence ou non des travaux préalables des vulgarisateurs – tel
Pierre d’ailly (1351-1420), dont un exemplaire de l’Imago mundi59
(1410) a été annoté par Christophe Colomb (1451-1506) –, et des
géographes – tel Paolo toscanelli –, les voyages vers les « indes
occidentales » sont initiés et se développent (premier voyage de
Colomb en 1492). Ceci va amener la rencontre de nouveaux types
d’humanité et de religions, entraînant une modification décisive dans
le commerce, va permettre à l’europe de s’enrichir grâce à l’or des
indiens, et va conduire à un renforcement des mécènes et de la
bourgeoisie des villes. le développement des nouvelles catégories
de lettrés provoque une mutation des pratiques : l’augmentation
du nombre potentiel de lecteurs permet à l’invention de l’impri-
merie par Gutenberg (dés 1434) de trouver son public. Ceci induit
l’apparition d’un nouveau type d’intellectuel : l’érudit. Cet érudit
peut ne plus avoir recours aux maîtres : il échappe à leur autorité,
lit dans son cabinet, se retourne vers l’antiquité avec une extrême
avidité. il découvre Pythagore, Platon, s’intéresse à l’alchimie, à
l’astrologie, décline le jeu des possibles pour contester aristote.
C’est alors qu’un humaniste bibliophile, Poggio Bracciolini, dit le
Pogge (1380-1459), parcourt les monastères reculés à la recherche
de manuscrits antiques. en 1417, il trouve le De rerum natura de
lucrèce, alors perdu60. les copies effectuées circulent : quelques
décennies plus tard, l’atomisme réapparaît dans les courants de pensée
qui influencent l’époque et participent à cet énorme accroissement
des techniques, cette modification des représentations, cet élargisse-
ment des espaces géographique et intellectuel, cette élaboration de
textes, de tableaux, de sculptures. tout ceci amène une conception
nouvelle de l’homme et de la nature, que l’on réalise plutôt qu’on
ne la pense. À l’intellectualisme méditatif se substitue l’exaltation de
l’homme individuel ayant le goût de l’action, du luxe et du profit.
Ce mouvement se place dans un contexte où société et Église
vivent de fortes turbulences. l’europe est en pleine fermentation.
des hérésies se développent. des révoltes contre la papauté éclatent.
Ces mouvements sont utilisés par martin luther (1483-1546) qui,
soutenu par des princes, prêche la réforme (1517). Celle-ci s’oppose
autant à la scolastique thomiste qu’aux humanistes et revient à la

65
une histoire de la lumière

lettre des textes sacrés. la papauté et le catholicisme répliquent par


la Contre-réforme au concile de trente (1545-1563). Celui-ci décide,
en rupture avec la tradition médiévale, de s’appuyer sur le sens littéral
de la Bible et de l’Évangile, déclare que la scolastique thomiste est
la seule interprétation possible du monde qui nous entoure, que la
terre donc est au centre d’un monde fini qui comprend deux régions
cosmiques. le concile crée l’index, réactive la sainte inquisition,
se lance dans la reconquête en s’appuyant sur les Jésuites, soutient
l’art baroque en ce qu’il est destiné à émouvoir le peuple, organise
spectacles et exécutions publiques.
les effets du Concile se font bientôt sentir en sciences : l’heure
est à la reprise en mains. les tendances aristotéliciennes, qui n’avaient
jamais disparu, et qui étaient restées majoritaires à l’université et
dans les congrégations, reprennent vigueur. en optique, une inter-
prétation abusive d’aristote considère que les lentilles de verre
abusent nos sens, sont trompeuses, fallacieuses et illusoires. leur
étude est jugée « indigne de la philosophie ». un des seuls ouvrages
abordant le sujet des verres correcteurs est… un recueil de farces et
attrapes61. l’auteur, Giambattista della Porta (1535-1615), y souligne
que les lunettes sont indispensables à la correction de la vue et que
personne n’a cherché jusque-là à en étudier l’effet… Cet ouvrage a
du succès (44 éditions, 23 en latin, 10 en italien, 8 en français…) :
c’est face à l’ensemble du monde lettré qu’est établie la carence des
philosophes. Porta veut y remédier62 mais explique ainsi la vision :
« le simulacre entre par la pupille, comme par l’ouverture d’une
chambre obscure et la lentille sphérique du milieu de l’œil joue le
rôle de l’écran63 » ; il interprète la presbytie comme le relâchement,
avec l’âge, des muscles de la pupille et veut donner l’explication
d’expériences et d’instruments nouveaux à l’aide de la philosophie
grecque. mais, malgré le Concile, la « science des mécènes » entre
en lutte frontale contre la science aristotélicienne. Ce qui va pro-
voquer cet affrontement, d’où naîtra la science moderne, c’est, au
sein d’une société où se développe l’héliolâtrie, la controverse sur
la place qu’occupe le soleil dans le monde.
ii
naissance de la science moderne
1. Géocentrisme et héliostatisme

a vez-vous déjà observé le ciel des nuits d’été ?


d’innombrables étoiles y scintillent. une immense traînée lumi-
neuse, la Voie lactée, barre le bleu sombre du firmament d’un horizon
à l’autre. au cours de la nuit, les astres se déplacent dans le ciel
mais les figures qu’ils forment sont invariables : très tôt les hommes
apprirent à nommer celles-ci : Chariot, Casserole ou Grande ourse,
Cassiopée, dragon, Pégase… ils remarquèrent, errant parmi elles,
d’étranges astres, les planètes : elles se déplacent lentement vers
l’est, s’arrêtent de temps à autre, retournent vers l’ouest, hésitent à
nouveau et reprennent leur progression initiale ; ils les divinisèrent,
comme tout autre phénomène inexpliqué. ils prirent conscience de
l’influence des positions du soleil et des cycles de la lune sur la
vie terrestre, sur les saisons, sur les germinations…, accordèrent aux
astres la vertu de déterminer aussi les actes de la vie, puisqu’ils ne
maîtrisaient guère la leur, puis, très vite, cherchèrent à prévoir les
positions de ces objets célestes et par là même, croyaient-ils, leur
destin. l’astronomie et l’astrologie étaient nées, des calendriers furent
bâtis, des cartes du ciel dressées.
Pour améliorer les prédictions, il fallait comprendre la structure
de l’univers : l’observation quotidienne suggérait que les étoiles
sont fixes et tournent autour de la terre d’un mouvement régulier,
l’hypothèse fut émise qu’elles sont accrochées à une sphère invisible
– de cristal – ayant la terre pour centre – en rotation uniforme
autour d’un de ses diamètres ; on appela sphère des fixes cette

69
une histoire de la lumière

sphère, elle permit de prévoir avec une excellente précision la


position des étoiles aux différentes périodes de l’année. il était tout
naturel de croire en la simplicité et la cohérence de l’univers.
Platon imagina que les planètes étaient, elles aussi, fixées sur des
sphères de cristal en mouvement de rotation uniforme. Presque tous
les systèmes d’astronomie antiques furent fondés sur cette assertion.
au xvie siècle, savants chrétiens et des pays islamiques admettent
une même configuration de l’univers : celle proposée par Ptolémée1,
pour améliorer le système d’aristote.
nous avons dit comment la philosophie d’aristote suppose que
toutes les transformations obéissent à une « tendance naturelle ». À
partir de ce principe, des notions de bon sens et intuitives fondées
sur la perception immédiate et apriorique du monde sont généra-
lisées grâce à un raisonnement par syllogismes. la conception du
monde qui en découle peut être très schématiquement rappelée :
tout objet abandonné à lui-même tombe vers le centre du monde
or un caillou jeté en l’air retombe à nos pieds donc la terre est le
centre du monde ; elle est fixe car un caillou tomberait au loin sur
une terre en mouvement. le feu monte du sol ? son lieu naturel
se situe au-dessus de celui de l’élément terre. nous voyons les
étoiles se déplacer ? elles tournent donc, accrochées à la sphère
des fixes. l’ensemble de toute une série de déductions analogues
permet de proposer une configuration très hiérarchisée de l’uni-
vers : le monde est constitué de deux régions cosmiques différentes,
celle de la terre, au centre, est formée de quatre éléments dont
les lieux naturels sont des sphères concentriques qui se succèdent
dans cet ordre : terre puis eau, air, feu. C’est la région de la
génération et de la corruption. au-dessus de la sphère du feu et
sous la sphère des fixes s’étend la région cosmique du Ciel. elle
est emplie d’éther et les planètes y circulent avec des mouvements
circulaires et uniformes, éternels, dans cet ordre : lune, mercure,
Vénus, soleil, mars, Jupiter, saturne. la sphère de la lune sépare
donc deux régions bien distinctes. le ciel est parfait, immuable,
incorruptible. dans la partie sublunaire, les corps vont en ligne
droite vers leur lieu naturel : la pierre vers le centre du monde,
le feu vers la troisième sphère. tout changement de lieu d’un
corps est forcément dû à une cause : la « tendance naturelle » si
le corps n’est pas en son lieu naturel, une violence extérieure s’il

70
Figure 13
une histoire de la lumière

l’est. dans ce cas, le corps revient en son lieu dès que la violence
cesse ; il reste alors au repos, accomplissant ainsi sa « nature ». des
lois physiques différentes régissent, nous le voyons, le ciel et le
monde sublunaire. Ce schéma général fut amélioré par Ptolémée :
pour expliquer les observations astronomiques, il supposa que le
soleil est accroché à une sphère dont l’axe de rotation ne passe
pas exactement par la terre – ce qui rend compte de la variation
de sa vitesse apparente – et que les planètes sont fixées à des
sphères en rotations uniformes autour d’un centre lui-même fixé à
une autre sphère animée d’un mouvement circulaire « parfait » – ce
qui permet d’expliquer avec une très bonne précision pourquoi les
planètes paraissent errer dans le ciel (fig. 13).
Ce schéma fut mis, nous l’avons dit, en accord avec les Écri-
tures : l’œuvre maîtresse de dieu, l’homme, vit sur la terre ;
celle-ci a donc l’importance principale, elle est le centre du monde.
mais le péché originel l’a corrompue : dans ses profondeurs se
trouve la fournaise centrale, l’enfer. le ciel est le domaine de
dieu donc de la perfection ; le mouvement des astres ne peut
qu’être circulaire et uniforme. le soleil tourne – Josué ne l’a-t-il
pas arrêté ? au xvie siècle, cette représentation géocentrique du
monde est une théorie achevée, dogmatisée (à la fois par les pro-
testants et les catholiques), une réalité indiscutable… qui est pour-
tant discutée !
Ptolémée lui-même soulignait que le mouvement des astres
pouvait être calculé plus simplement si on admettait la rotation de
la terre mais cette hypothèse contredisait tellement les apparences
immédiates et la physique d’aristote qu’il la rejeta. d’autres pen-
seurs postulèrent pourtant, au cours de l’antiquité et du moyen
Âge, que le soleil est fixe et la terre mobile, notamment héraclite
du Pont (340 avant notre ère), aristarque de samos (290 avant
notre ère), nicole oresme, Buridan, nicolas de Cues. au cours
d’un séjour en italie, Copernic s’était familiarisé avec le monde
unifié des perspectivistes du quattrocento, avait lu les écrits d’hé-
raclite du Pont2. reprenant donc ces idées déjà anciennes, les
repensant à l’aune du culte solaire de Ficin et de la renaissance3
et les améliorant, nicolas Copernic vint à proposer (en 1512) un
autre schéma que celui de Ptolémée : le soleil est fixe (il est au
centre du monde) ; les planètes tournent autour de lui d’un mou-

72
naissance de la science moderne

Nicolas Copernic

vement circulaire uniforme dans l’ordre suivant : mercure, Vénus,


la terre entraînant la lune, mars, Jupiter, saturne ; la sphère des
fixes limite le monde ; la terre tourne sur elle-même en 24 heures
(fig. 14 a). Ce modèle permet de réduire le nombre des sphères de
cristal, il est beaucoup plus simple et élégant que celui de Ptolémée,
donne une unité et des proportions au monde… mais remet en
cause la théorie des lieux et soulève bien des problèmes : la terre
peut-elle être une planète parmi d’autres ? Comment pourrions-nous
ne pas être conscients de son mouvement ? Comment expliquer la
trajectoire des corps sur une terre qui se déplace * ? Comment la
lune pourrait-elle la suivre dans sa rotation ? Comment expliquer

* Buridan et oresme avaient traité de ce problème.

73
une histoire de la lumière

l’absence de parallaxe * des étoiles entre deux observations diffé-


rentes : sont-elles donc à des distances fantastiques ? nous le
voyons, d’intenses résistances psychologiques et physiques s’op-
posent à l’adoption du système héliostatique : la parution du De
Revolutionibus de Copernic4 (1543), alors que se tient le concile
de trente, n’inquiète pas l’Église ! luther, dans ses Propos de
table, qualifie l’astronome polonais de « fou qui veut mettre tout
l’art de l’astronomie à l’envers » et note l’incompatibilité de son
système avec les Écritures.
Pourtant le problème de l’héliostatisme est posé. en 1572, tycho
Brahé découvre une nouvelle étoile (une nova **) et porte ainsi un
coup à la représentation aristotélicienne d’un monde immuable. il
note aussi, grâce à des observations étonnamment précises, qu’il
reste un petit décalage entre les positions des astres telles qu’il
les voit et celles déduites du système de Ptolémée. mais tycho
reste fidèle à la physique d’aristote : pour la sauver, tout en
admettant l’unité organiciste de Copernic, il préfère aménager le
système d’héraclite du Pont et propose un modèle géocentrique
où le soleil entraîne dans sa rotation deux satellites, mercure et
Vénus (fig. 14 b) ; la terre constitue toujours une référence fixe.
le géocentrisme est provisoirement sauvé… mais le système de
Ptolémée discuté même par les aristotéliciens. Bientôt l’attaque est
plus radicale : en 1584, un moine défroqué, Giordano Bruno, publie
deux livres, Le Banquet des cendres et L’Infini, l’Univers et les
Mondes. Partant d’un point de vue métaphysique, il y développe

* si la terre est en mouvement autour du soleil, elle parcourt des distances énormes.
deux observations du ciel à des époques différentes devraient montrer des étoiles décalées
les unes par rapport aux autres. Ceci n’est jamais observé : les figures sont invariables,
le déplacement de la terre doit donc être négligeable par rapport à l’intervalle séparant
les étoiles… ou alors la terre est fixe !
** une nova est une étoile bien particulière : elle apparaît généralement en un
point où n’avait jamais été observé d’astre et sa luminosité varie très fortement (elle
peut augmenter de 100 à 1 000 000 fois en une seule journée), et paraît alors comme
la plus intense de tout le ciel ; son intensité lumineuse diminue ensuite et redevient
comparable à celle des autres étoiles en quelques dizaines ou centaines de jours. on
pense actuellement que les novae sont, à l’origine, des étoiles doubles très proches l’une
de l’autre ; l’hydrogène de l’une passerait dans l’enveloppe de l’autre et y provoquerait
une instabilité thermonucléaire conduisant à une explosion de l’étoile dont témoignerait
la brusque variation d’intensité.

74
Figure 14
une histoire de la lumière

toutes les conséquences de l’héliostatisme : le système de Copernic


n’est pas une supposition mathématique, c’est une réalité physique.
dieu a une puissance infinie ; il ne peut qu’avoir créé un monde à
sa mesure, infini : toutes les étoiles sont des soleils accompagnés de
systèmes planétaires parmi lesquels certaines lunes peuvent abriter
la vie… Cette fois c’est toute l’économie chrétienne qui est mise
en cause : l’Église s’en inquiète, condamne les écrits de Bruno,
inculpe leur auteur pour athéisme et, en 1593, l’emprisonne. la
discussion du système de Ptolémée va devenir plus clandestine.
en 1597, Galilée écrit à Kepler qui vient de lui faire parvenir un
ouvrage5 favorable à l’héliocentrisme : « il y a longtemps que je
me suis tourné vers les idées de Copernic. sa théorie m’a permis
d’expliquer entièrement beaucoup de phénomènes qui ne pouvaient
être expliqués à l’aide de théories opposées, mais je n’ai pas osé les
publier jusqu’à présent, par crainte d’avoir le même sort que notre
Copernic, qui, tout en ayant acquis une gloire immortelle auprès
de l’élite, a été considéré par la plupart des gens comme digne
d’être sifflé et moqué, si grand est le nombre des sots. J’aurais
peut-être osé exprimer mes méditations, s’il y avait davantage
d’hommes tels que vous, mais comme ce n’est pas le cas, j’évite
d’aborder le sujet6. »
l’unanimité des péripatéticiens *, les certitudes qu’ils enseignent
quant au système géocentrique, la répression qui se développe
font que les hommes tels que Galilée s’autocensurent : à Padoue,
il enseigne le système de Ptolémée et ne cite même pas celui
de Copernic ! les effets du concile de trente se font sentir : la
sainte inquisition devient efficace, des spectacles religieux sont
mis en scène et rehaussés d’exécutions publiques ; entre 1580
et 1595, huit cents « sorcières » sont brûlées vives en lorraine.
les protestants adoptent des méthodes similaires. en 1600, pour
« renforcer la foi » et fêter l’année sainte, Giordano Bruno, qui
refuse obstinément de reconnaître l’hérésie de ses propositions,

* aristote donnait son enseignement en marchant de long en large. d’où le nom


donné à ses disciples sous lequel on désigne, aux xvie et xviie siècles, tous les tenants
de la physique d’aristote. Cette appellation est péjorative : les péripatéticiens cari-
caturent la scolastique dont l’enseignement sera interdit en France après l’assassinat
d’henri iV (1610).

76
naissance de la science moderne

est brûlé vif comme hérétique au Campo dei Fiori de rome, ses
écrits sont brûlés avec lui et mis à l’index ; les spectateurs béné-
ficient d’indulgences ; un avis ironique est placardé sur les murs
de rome : « maintenant il doit savoir s’il disait la vérité7 ». les
coperniciens, rendus prudents, vont devoir se dégager de la tenta-
tion philosophique et essayer de rechercher les preuves physiques
de l’héliostatisme.
en 1604, Galilée découvre à son tour une nova. Ceci ne crée
qu’une émotion chez les péripatéticiens. en 1609, Kepler publie
ses Commentaires sur les mouvements de Mars. il y montre qu’il
n’est pas possible de faire correspondre les combinaisons de mou-
vements circulaires avec les positions observées de la planète. le
désaccord n’est que de 8’ mais Kepler fait confiance aux mesures
effectuées, à l’œil nu, par tycho ; il rejette les sphères et montre
que chaque planète décrit une ellipse * dont le soleil est l’un
des foyers. il peut alors calculer la vitesse orbitale des planètes.
mais on ne peut comprendre Kepler en faisant abstraction de son
mysticisme8. il voue au soleil un véritable culte, en fait la source
exclusive de la force maintenant la cohérence du monde, représente
une géométrie métaphysique où les orbites des six planètes connues
sont encastrées dans les cinq solides réguliers de Platon : les
courbes y représentent le spirituel et le droit le matériel (fig. 15).
son ouvrage paraît ésotérique à Galilée qui ne se donne pas la
peine de lire un livre aussi étranger à sa raison. il se demande
« comment une telle outre […] peut contenir du bon vin ». en
1609, Galilée est d’ailleurs absorbé par ses propres recherches :
il vient d’entendre parler d’une longue-vue qu’ont fabriquée des
artisans hollandais… et voit tout le parti qu’il pourrait tirer d’un
tel instrument !

* Kepler a essayé plus de cent courbes différentes avant de retenir l’ellipse : pytha-
goricien, il postulait que l’univers obéit à des lois mathématiques et voulait absolument
déterminer celles-ci ; il s’acharna donc à rechercher des relations numériques simples
qui devaient relier entre elles les caractéristiques des orbites planétaires et finit par
trouver des lois, encore admises actuellement, sur lesquelles nous reviendrons. l’œuvre
de Kepler occupe une position charnière : elle marque le passage de la science de la
renaissance à la science moderne ; les motivations de Kepler sont « métaphysiques » et
« mystiques » mais permettent la formulation des lois « modernes » décrivant précisément
un phénomène physique.

77
Figure 15. — Modèle de l’Univers selon Kepler : les « sphères des planètes »
sont encastrées dans des solides réguliers selon l’ordre suivant :
sphère de Saturne – puis cube – puis sphère de Jupiter – tétraèdre – Mars
– dodécaèdre – Terre – icosaèdre – Vénus – octaèdre – Mercure – Soleil.
naissance de la science moderne

2. Galilée et la naissance de la nouvelle physique


les savants des pays d’islam savaient observer isolément une
étoile en la regardant dans un tube ; le moyen Âge vit apparaître la
combinaison de deux lentilles dans un cadre : les objets pouvaient
ainsi être mieux grossis9. les artisans hollandais du xvie siècle10
firent la synthèse de ces deux techniques : les télescopes et les
microscopes étaient nés. Bientôt la longue-vue se répand * ; en 1608,
on la trouve chez les meilleurs opticiens de Paris. la lunette n’a
pourtant guère de succès : mal construite, elle grossit à peine trois
fois des objets qu’elle montre déformés et irisés. les philosophes
peuvent la dédaigner, la qualifier, elle aussi, d’illusoire et fallacieuse,
la condamner. Bientôt les artisans eux-mêmes se désintéressent d’un
instrument médiocre qui ne se vend pas. Galilée n’éprouve pas de
prévention à son égard : il s’en procure une et se rend compte que
les images qu’elle forme sont colorées et confuses mais bien réelles,
qu’elle permet de distinguer les objets éloignés mieux qu’à l’œil nu.
il reproduit le dispositif et constate qu’en améliorant le polissage
des lentilles, le choix des verres, il peut obtenir un instrument de
meilleure qualité : il possède l’outil grâce auquel il espère faire
triompher les idées de Copernic et déjà il tente de très intéressantes
observations du ciel…
mais comment parler de celles-ci, comment faire admettre la
lunette, comment vaincre les péripatéticiens sans s’assurer d’abord
l’appui de défenseurs influents ? Galilée ruse : le 21 août 1609 il
présente sa longue-vue au sénat de Venise, en haut du campanile de
la place saint-marc ; ces hauts personnages s’amusent à regarder leur
ville : « en appliquant un œil à la lunette et fermant l’autre, chacun
de nous a pu voir distinctement […] le campanile et la façade de
l’église sainte-Justine de Padoue, on discernait aussi les personnes qui
entraient dans l’église saint-Jacques […] ; on voyait les gens monter
en gondole […] à l’entrée du canal des vitriers11 », raconte un des
spectateurs, émerveillé. les notables de Venise pouvant reconnaître
les détails familiers de leur ville, les scènes de rue, au moyen de la

* Jean Brueghel l'ancien en représente une dans un tableau datant d'avant 1600 et
conservé au musée Barberini de rome.

79
une histoire de la lumière

longue-vue, voici qui les convainc de la vérité des images qu’elle


montre ! Galilée fait mieux : braquant la lunette en direction de la
mer, il montre des bateaux cinglant toutes voiles dehors vers Venise…
et qui resteront invisibles à l’œil nu pendant deux heures encore.
Voici qui démontre l’intérêt de la longue-vue pour le commerce, la
navigation, la guerre… le lendemain, 25 août, le doge lui-même
veut que Galilée vienne dans son palais lui présenter l’instrument.
il s’extasie. Galilée lui en fait don : en remerciement, il est nommé
immédiatement professeur à vie avec doublement de son traitement…
les appuis nécessaires sont trouvés, Galilée va pouvoir décrire le
spectacle qui s’offre à ses yeux lorsqu’il regarde, chaque soir depuis
sa terrasse, le ciel avec la lunette.

Figure 16

sur la lune il reconnaît des montagnes, des vallées, des « mers »,


il découvre des paysages qui, dit-il, lui rappellent la Bohême, où il
n’est jamais allé (fig. 16). il y contemple des couchers et des levers
de soleil : les dimensions des ombres que projettent les cimes
embrasées des montagnes lui permettent d’évaluer, grâce à sa parfaite

80
naissance de la science moderne

connaissance des lois de la perspective, l’altitude de certaines à


6 000 mètres ! la lune n’est donc pas un objet céleste parfait, elle
est profondément semblable à la terre. tournant son télescope vers
cette immense traînée lumineuse qu’est la Voie lactée, Galilée la
voit se résoudre en un nombre infini d’étoiles, il renonce à dénom-
brer toutes celles de la constellation d’orion : dans un espace de
un à deux degrés il en distingue cinq cents nouvelles ; aux « trois
étoiles déjà connues de la ceinture et aux six autres de l’épée » il
en ajoute… « quatre-vingts autres12 ». Vraiment, il n’est plus possible
de faire confiance à l’œil nu ! Galilée observe saturne et découvre
son anneau (qu’il ne sait interpréter) ; Vénus lui apparaît tantôt sous
forme d’un disque complet, de petite taille puis, au même grossis-
sement, comme un demi-cercle de rayon plus grand puis d’un fin
croissant encore plus grand (fig. 17) ; les dimensions différentes
qu’elle présente prouvent qu’elle se déplace (elle se rapproche de
la terre quand son rayon apparent grandit), les phases qu’elle montre
prouvent qu’elle ne possède pas d’éclat propre mais réfléchit la
lumière solaire… comme la lune… comme la terre. Galilée

Figure 17. — Les phases de Vénus s’accordent


avec le système de Copernic (a) et non avec celui de Ptolémée (b).

81
une histoire de la lumière

contemple Jupiter et remarque près d’elle quatre étoiles minuscules


qui, la nuit suivante, se sont déplacées : elles disparaissent d’un
côté de la planète et réapparaissent de l’autre côté de l’astre ; sa
perception profondément cinétique de l’univers lui permet de com-
prendre qu’il s’agit « de quatre nouvelles planètes qui se meuvent
autour d’un astre grand […] de la même façon que Vénus et mer-
cure […] tournent autour du soleil13 ». Cette découverte montre
qu’il doit être possible d’expliquer la rotation de la lune autour
d’une terre en mouvement puisque des satellites accompagnent
Jupiter dans son orbite. la terre est une parmi d’autres, elle n’est
pas le centre du monde, toutes les planètes tournent autour du soleil.
l’astre majeur n’est pas, lui non plus, parfait : Galilée remarque et
décrit ses taches. l’absence de parallaxe des étoiles prouve qu’elles
sont à des distances énormes : d’ailleurs elles ne sont pas grossies
par le télescope, ce qui confirme leur éloignement ! elles ont un
contour qui flamboie : elles ne peuvent être que d’autres soleils. la
terre n’est qu’une poussière dans un espace infini. Giordano Bruno
avait raison ! Galilée est bouleversé, au comble de l’excitation il
passe tout son temps, toutes ses nuits à observer, observer encore…
il ne publie pas ses découvertes mais les communique à des amis
qui les font connaître… la nouvelle se répand : des preuves phy-
siques confirment le système de Copernic, le dégagent de la spécu-
lation mathématique, lui confèrent une valeur objective, condamnant
le dogme scolastique mais aussi toutes les interprétations non ciné-
tiques de l’héliostatisme, comme celle de Kepler.
Quand, en mars 1610, paraît le Sidereus Nuncius * une réaction
violente se déclenche : les péripatéticiens refusent de regarder dans
la lunette et se dressent contre Galilée. leurs arguments ne manquent
pas de valeur : on ne peut remettre en cause l’immuabilité du ciel
– domaine de dieu – au moyen d’un instrument fabriqué par l’homme,
les observations faites dans le monde sublunaire ne peuvent servir
de preuve puisque ces deux mondes sont de nature différente ; il est
dérisoire de vouloir s’appuyer sur quelques images toujours floues,
irisées, discutables pour remettre en cause le beau système rationnel

* Le Message céleste. dans une de ses propositions, Giordano Bruno désignait les
astres comme les véritables messagers et interprètes de la voix divine… les découvertes
présentées ici ne sont pas toutes relatées dans l'ouvrage, certaines sont un peu plus tardives.

82
naissance de la science moderne

Galilée

d’aristote qui explique tous les faits observés sur terre et dans le ciel
ainsi que le pourquoi des choses. les conceptions sont trop bien éta-
blies, les croyances trop profondes pour qu’une réaction d’opposition
entière, radicale, passionnelle, énorme, violente ne se produise pas.
Quoi, la terre ne serait qu’une poussière ? nous ne serions rien par
rapport à l’univers ? d’autres soleils existeraient ? d’autres planètes ?
la Création pourrait ne pas être unique ? notre place ne serait pas
fixée ? les astres ne commanderaient pas notre destinée ? l’homme
serait libre ! Blasphèmes. impossibilités. l’œuvre principale de dieu
ne peut être une misère. il est beaucoup plus sécurisant d’imaginer
à sa maison une place fixe dans l’espace, de concevoir un univers
fini avec la terre pour centre… la lunette est fallacieuse.
la confrontation entre Galilée et les péripatéticiens ne peut passer
inaperçue, d’autant que Galilée adopte un style de polémiste, de
propagandiste, il s’engage totalement et donne des preuves affectives
pouvant être admises par les nouvelles couches sociales – les artisans,
le peuple des villes – auxquelles il choisit de s’adresser : regardez

83
une histoire de la lumière

dans la lunette, vous verrez bien qui a raison ! la bourgeoisie est


gagnée à la découverte. la fièvre s’empare de tous les milieux
érudits : on s’arrache le télescope, à Paris, à Prague, on se dispute
les exemplaires du Sidereus Nuncius, des lectures publiques en sont
faites. Quand elle reçoit une lunette, marie de médicis n’attend
même pas qu’elle soit ajustée : elle s’agenouille pour pouvoir
admirer plus vite le paysage lunaire. l’ambassadeur britannique
à Venise écrit à son roi : « J’envoie à votre majesté […] la plus
étrange nouvelle (je peux bien le dire !) qu’elle ait jamais reçue
d’aucune partie du monde : il s’agit du livre joint14 » (le Sidereus
Nuncius). Cigoli peint sur les murs de l’église sainte-marie-majeure
de rome la lune telle que la représente Galilée, des poèmes à la
gloire de ce dernier circulent : l’un compare sa longue-vue… à sa
maîtresse, l’autre le cardinal maffeo Barberini, qui deviendra pape
sous le nom d’urbain Viii, écrit à Galilée : « Je me propose […]
d’ajouter de l’éclat à ma poésie en l’unissant à votre nom. » avec
ce cardinal, les milieux progressistes de l’Église, qui soutiennent la
bourgeoisie montante, applaudissent. des littérateurs qui n’avaient
jamais entendu parler du système de Copernic adhèrent aux idées
de Galilée et se passionnent pour des découvertes remettant en
cause, radicalement, le cadre philosophique ambiant ; un choc
psychologique se produit en eux.
entre deux forces, les milieux défendant la science nouvelle, les
applications qu’elle permet, et les péripatéticiens, une bataille décisive
s’engage. Kepler, appelé à donner son avis, se tait : pressé, il écrit
une longue lettre où il ne prend pas parti ; il a pourtant pleuré de
joie à l’annonce des découvertes de Galilée mais ne peut admettre
que Jupiter ait des satellites : le soleil ne serait pas le seul astre à
retenir des planètes ? Voici qui met en cause sa mystique solaire !
il tente pourtant des observations, échoue. il parvient à se procurer
une lunette de Galilée : avec cet instrument d’assez bonne qualité,
il peut observer les étoiles médicéennes * et doit se rendre à l’évi-
dence. il adresse alors à Galilée une lettre où est écrite cette seule
apostrophe que Julien l’apostat mourant avait adressée au Christ :
« Vicisti Galilae » – tu as vaincu, Galiléen.

* Ce sont les satellites de Jupiter, ainsi nommés en l’honneur du duc de médicis


(Galilée a quitté Venise pour Florence).

84
naissance de la science moderne

l’Église, puissance temporelle, a besoin des découvertes astro-


nomiques, d’autant que Galilée souligne que les observations des
satellites de Jupiter peuvent servir à la détermination des longitudes,
donc à la navigation. après la démonstration de Venise, il ne fait
pas de doute que la science nouvelle peut répondre aux besoins
économiques des États. Galilée est appelé à rome, il s’y rend,
est très bien reçu, le pape ne permet même pas qu’il s’agenouille
devant lui. un jésuite, le père Clavius (1538-1612), réformateur
du calendrier « grégorien », regarde dans la lunette ; interrogé par
le cardinal Bellarmin, qui a participé à la condamnation de Bruno,
il confirme la réalité des observations de Galilée. mais, à la mort
de Clavius, les jésuites changent de tactique, ils admettent tout le
côté phénoménologique des observations mais nient l’interprétation
qui en est faite : la lune est un astre parfait, ce qui paraît être des
montagnes n’est qu’une variation de la condensation de la substance
lunaire ; pour eux, Galilée ne fait que proposer un modèle qui décrit,
bien, les positions des astres, constitue une excellente méthode de
prévision, mais ne possède aucune valeur comme description de la
vérité objective : la science ne peut, par ses déductions, mettre en
cause le dogme consacré par l’Église.
Profondément chrétien, Galilée refuse de souscrire à cette posi-
tion : il pense au contraire qu’il faut séparer plan théologique et plan
scientifique. Pour lui, dieu se révèle par ses paroles et par ses actes
(sa Création) : l’Écriture rapporte les propos, concerne le salut de
l’âme et ne doit pas être interprétée dans son sens littéral ; la nature
révèle les actes de dieu : ils ne peuvent être connus et compris
qu’en les étudiant ; ils ne peuvent être interprétés que par la science :
dans ce domaine, l’Écriture « n’a pas voix au chapitre ». l’Église
ne permet pas cette restriction du dogme. Puisque Galilée refuse de
s’en tenir à un plan strictement phénoménologique, il faut frapper :
en février 1616, le système héliostatique est condamné, l’ouvrage de
Copernic mis à l’index, quatre-vingts ans après sa parution. Galilée,
protégé et croyant sincère, n’est pas attaqué personnellement : ce
sont ses idées qu’il faut abattre. tenant à les défendre et à mieux
les exprimer, Galilée va s’attacher à résoudre le problème physique
laissé en suspens : pourquoi un caillou jeté en l’air retombe-t-il à
nos pieds sur une terre en mouvement ?

85
une histoire de la lumière

Pour trouver l’explication de ce phénomène paradoxal, Galilée


imagine des expériences mentales : il se demande comment tombe
un objet sur un bateau qui se déplace selon un mouvement rectiligne
et uniforme *. aujourd’hui, nous pourrions nous demander com-
ment tombe un crayon dans un train qui roule à vitesse constante
en ligne droite : devons-nous aller le ramasser au bout du wagon ?
Évidemment non ! nous voyons qu’« un mouvement commun à
plusieurs corps [les personnes assises dans le wagon, les fauteuils
du compartiment, le crayon posé sur une tablette] est comme nul et
non avenu par égard à ces corps ». nous comprenons que « si on
lâche une pierre du haut d’une tour elle part de l’état de repos et
descend perpendiculairement à une terre immobile mais, si la terre
se meut, la pierre se meut, elle aussi, et avec la même vitesse ; elle
ne part pas du repos, mais d’un état mobile identique à celui de la
terre. ainsi donc, au mouvement originel [commun à la terre et à
la pierre] s’ajoute le mouvement de chute ». la pierre tombe donc
encore perpendiculairement à la terre mobile. l’expérience du caillou
ne contredit nullement le mouvement de la terre. mieux, aucune
expérience ne pourrait être faite qui permettrait de déterminer si un
mobile sans fenêtre dans lequel nous serions enfermés se trouve au
repos ou en mouvement rectiligne uniforme. Certes, le mouvement
peut engendrer des vibrations mais nous pouvons les négliger dans
un cas idéal : n’avons-nous jamais cru que le train dans lequel
nous étions assis quittait la gare alors que c’était celui d’à côté qui
s’ébranlait ? ainsi, les systèmes au repos ou en mouvement rectiligne
uniforme ne peuvent être distingués, ils sont physiquement équiva-
lents ; toutes les lois exprimées par rapport à eux sont relatives au
système à l’intérieur duquel elles ont été établies. Ce principe de
relativité montre que les mêmes lois physiques s’appliquent sur les
astres et sur la terre. il n’y a pas une physique sublunaire opposée
à une physique céleste comme le proposait aristote.
selon le système de référence choisi, le même mouvement peut
être décrit de différentes façons : par rapport au train, le crayon
tombe verticalement ; par rapport au talus qui longe la voie, il décrit
une courbe (une parabole). Ce mouvement parabolique, résulte du
déplacement du train et de la chute du crayon, il est obtenu par

* il trouve cet exemple dans les écrits du moyen Âge (Buridan, oresme).

86
naissance de la science moderne

composition des deux mouvements ; voici encore mis en évidence


un principe * nié par les péripatéticiens. il est possible de passer
du système de référence (de coordonnées) solidaire du train à celui
fixé au talus au moyen d’une transformation qu’einstein appellera
« transformation galiléenne ». mais en quoi consiste le mouvement ?
Pour le comprendre, il importe d’étudier des cas simples.
aristote distinguait deux catégories de choses mouvantes ou
mues selon le lieu : les unes par accident, les autres en soi mais
toujours « les unes sont mues par nature, les autres contrairement à la
nature15 ». dans les choses mues contrairement à la nature (les choses
terreuses vers le haut et le feu vers le bas) apparaît la détermination
du mouvement par une action étrangère. Quant aux choses mues par
nature (le léger vers le haut, le lourd vers le bas), elles ne peuvent se
mouvoir par elles-mêmes (c’est là le propre des êtres animés) : elles
sont donc constituées de deux parties : l’une agent (le moteur), l’autre
patient (le mû). ainsi, que ce soit par nature ou contrairement à elle,
« tout ce qui est mû est mû par quelque chose15 » : une voiture que
l’on pousse en terrain plat s’arrête lorsque cesse notre effort. Pour
expliquer tous les mouvements, aristote est obligé d’envisager un
« moteur premier15 ». Cette analyse est reprise par thomas d’aquin
pour qui « tout ce qui se meut est mû par un autre […] il est néces-
saire de parvenir à un moteur premier qui ne soit lui-même mû par
aucun autre, et un tel être, tout le monde le reconnaît pour dieu16 ».
Cet argument est le premier par lequel thomas prouve l’existence de
dieu, il estime que sans preuves « il n’y a nulle nécessité de supposer
que dieu soit ». Galilée, qui a longuement observé dans les arsenaux
de Venise les pratiques des techniciens et introduit dans la science
leurs méthodes, raisonne différemment : lorsque nous donnons une
impulsion à une bille, elle roule sur le sol. si nous voulons allonger
la distance parcourue sans changer notre poussée initiale, nous pou-
vons prendre une bille de verre et la faire se déplacer sur un miroir :
les influences extérieures sont alors réduites. mieux, nous pouvons
imaginer une expérience idéale : le plan est illimité, le frottement
nul, la bille une fois lancée roule indéfiniment à la même vitesse.
Cette idéalisation permet de conclure qu’un corps qui ne subit aucune

* ibn al-haytham et les clercs du moyen Âge connaissaient déjà, nous l’avons vu,
ce principe.

87
une histoire de la lumière

action se déplace uniformément ou est en état de repos (ces deux


états sont, nous l’avons vu, physiquement équivalents) : il est alors
abandonné à lui-même, soumis à sa seule inertie. Galilée ajoutait,
à tort comme nous le verrons, qu’un corps abandonné à lui-même
décrit sur la terre sphérique un mouvement circulaire et uniforme.
Faute d’avoir lu Kepler, il croyait que le mouvement des planètes
est « parfait » c’est-à-dire circulaire et uniforme, il déduisait donc
que celles-ci tournent autour du soleil par leur seule inertie. encore
une objection (provisoirement) levée !
après avoir dégagé les principes de relativité, de composition
des mouvements, d’inertie, il nous reste à expliquer le mouvement
lui-même. Pour cela, compliquons notre expérience mentale : si nous
donnons un petit choc à la bille dans le sens de son déplacement,
sa vitesse augmente ; elle diminue si le choc est dirigé dans le sens
contraire. l’effet de la force modifie la vitesse du corps. Ce n’est
donc pas la vitesse elle-même qui résulte de l’action de la force
mais sa modification. supposons donc que, dans le cas idéal d’absence
de frottement de l’air, nous lâchions du haut d’une tour un sac de
plomb et un sac de plumes. tous deux sont soumis à une même
force verticale dirigée vers le bas qui s’exerce continuellement : la
gravité. leur vitesse se modifie constamment : proportionnelle à la
force et au temps de chute, elle est égale pour les deux sacs, leur
accélération est donc uniforme, les deux sacs tombent avec la même
vitesse… encore une conséquence purement logique déduite à une
époque où il était impossible de réaliser le vide, un vide contraire
à la philosophie d’aristote et que seuls les atomistes, des hérétiques *,
osaient postuler… et difficile d’admettre que, dans celui-ci, une
plume tombe aussi vite qu’un sac de plomb ! la vérification expé-
rimentale, aujourd’hui possible, confirme la théorie. Celle-ci aurait
dû être rejetée dans le cas contraire : la nouvelle physique est éta-
blie par Galilée sur une base hypothético-déductive ; elle doit être
exprimée dans un langage précis, mathématique, pour que soient
possibles mesures et confrontations. Galilée veut pouvoir choisir :
toutes les théories ne se valent pas. même si la vérité scientifique
est relative et imparfaite, des critères objectifs permettent de rejeter
les conceptions erronées.

* Voir supra 1.3 l'argument de la transsubstantiation.

88
Frontispice du Dialogo de Galilée.
une histoire de la lumière

toutes ces idées, Galilée les développe dans le Dialogo17, ouvrage


terminé en 1630, publié en 1632, qui donne à l’héliocentrisme une
base rationnelle : les mêmes lois physiques s’appliquent à l’ensemble
de l’univers (la théorie du lieu d’aristote doit être remplacée par la
théorie copernicienne de l’espace), il est possible de connaître ces lois
grâce à l’expérience mentale et de les exprimer mathématiquement
par la géométrie. monde unifié, expérimentation, géométrisation sont
les trois apports essentiels grâce auxquels l’univers peut être décrit
en termes de mécanique. le vivant va être évacué de l’explication.
depuis la condamnation du système de Copernic (1616), les choses
ont bien changé à rome : le cardinal maffeo Barberini est devenu
pape sous le nom d’urbain Viii ; il n’a pas rapporté l’interdiction mais
a prodigué des encouragements à Galilée. les milieux scolastiques
sont, par contre, toujours aussi défavorables. Quant aux jésuites, ils
affirment que les hérétiques se recrutent chez les coperniciens. dans
ces circonstances, la parution du livre est un compromis : le permis
d’imprimer est accordé à condition que les systèmes de Ptolémée
et de Copernic soient tous deux exposés, qu’aucun d’eux ne soit
avantagé, qu’ils soient réduits à de simples hypothèses mathéma-
tiques, que le texte conclue à la toute-puissance divine. Pour sauver
son œuvre, Galilée accepte ces restrictions mais ce n’est pas sans
malice qu’il suit les recommandations des saints-pères : rédigé en
toscan, la langue parlée à Florence, et non plus en latin comme les
autres ouvrages scientifiques, le livre est profondément propagandiste,
vif, incisif, sensible. Conçu sous forme de conversation, il met en
scène, dans une ville italienne où chaque lecteur peut se recon-
naître, trois interlocuteurs : salviati, sagredo * et simplicio. Celui-ci
connaît aristote sur le bout des doigts, mais ses deux compères le
confondent, le ridiculisent, l’amènent à formuler de lui-même, tout
naturellement, en le guidant un peu, les principes si logiques de la
« nouvelle philosophie »… et c’est ce pauvre simplicio qui prononce
la conclusion sur la toute-puissance divine !
si l’ouvrage obtient un net succès populaire, si Galilée peut grâce
à lui gagner à ses thèses l’immense majorité de ses lecteurs, l’Église
accepte mal de voir démontrée l’impossibilité de ses dogmes. elle se

* salviati et sagredo étaient deux physiciens amis de Galilée morts avant la paru-
tion du Dialogo.

90
naissance de la science moderne

trouve à cette époque engagée dans des contradictions temporelles


complexes : le roi de la très catholique espagne songe à soutenir
les huguenots contre richelieu, urbain Viii est en train de conclure
une alliance directe avec les princes protestants d’allemagne… Ces
ambiguïtés rendent nécessaire la défense du sacré : l’Église se doit
de rappeler l’infaillibilité du dogme et l’esprit du concile de trente.
l’ouvrage est interdit, Galilée inculpé. un nouveau procès, politique,
est instruit par Bellarmin *. menacé de torture, Galilée doit abjurer
solennellement dans la basilique saint-Pierre et s’entend dire que l’on
ne peut « déclarer probable une opinion après qu’elle a été déclarée
par définition contraire à la sainte Écriture ». il est condamné : c’est
la honteuse journée du 22 juin 1633. Privé de moyen d’expression et
de liberté, placé sous la surveillance de la sainte inquisition, Galilée
parvient quand même, grâce à deux disciples, torricelli et Viviani, à
rassembler ses notes… il peut alors rédiger et faire éditer par ruse,
en hollande, son œuvre scientifique, les Discorsi18, qui crée deux
sciences nouvelles (la mécanique et le mouvement local) et dans
laquelle il étudie la résistance des matériaux, postule un modèle de
structure de la matière (conçue comme un assemblage de particules
séparées par du vide). toute l’europe intellectuelle s’arrache et com-
mente l’ouvrage. Galilée le sait mais le livre ne lui parvient qu’un
an après sa parution, alors qu’il est devenu aveugle… il dicte alors
à torricelli et Viviani des corrections et des compléments qui restent
inachevés à sa mort en 1642. apprenant le décès par un message
codé, le pape estime qu’il serait dangereux que les honneurs funèbres
lui soient rendus. il les interdit.
la condamnation de Galilée a été durement ressentie par les intel-
lectuels du xviie : en l’apprenant, le prudent descartes cesse d’écrire
un Traité du monde qu’il juge trop copernicien. mais la condamnation
de Galilée ne peut empêcher la diffusion et le succès de son œuvre.
l’importance de celle-ci est due non à sa nouveauté ou à sa perfec-
tion mais à son unité et au choc psychologique qu’elle crée : des

* Bellarmin a été canonisé en 1936 par Pie Xi. le 31 octobre 1992, Jean-Paul ii a
déclaré : « Paradoxalement, Galilée, croyant sincère, s'est montré plus perspicace sur ce
point que ses adversaires théologiens… la majorité des théologiens ne percevaient pas
la distinction formelle entre l'Écriture sainte et son interprétation, ce qui les conduisit
à transposer indûment dans le domaine de la doctrine de la foi une question de fait
relevant de l'investigation scientifique. » Giordano Bruno n'est toujours pas réhabilité.

91
une histoire de la lumière

courants de pensée dominés depuis des siècles par les péripatéticiens


vont pouvoir s’affirmer – napier réintroduit les logarithmes, Kepler
énonce les lois selon lesquelles les planètes décrivent leurs orbites,
harvey découvre, à partir de nombreuses expériences, la circulation
sanguine… dans tous les domaines scientifiques, sociaux, artistiques,
littéraire, musical, des hommes font maintenant triompher les idées
liées à la montée des nouvelles classes sociales. le phénomène est
évident en optique : Kepler reçoit une longue-vue en août 1610,
il concède le 30 du même mois son « Vicisti Galilae » et remet le
11 septembre à l’électeur de Cologne le manuscrit de la Dioptrice
dans laquelle il développe, à partir des tables de réfraction de Witelo,
la théorie des lentilles, explique le fonctionnement de la lunette à
oculaire divergent (dite de Galilée), prévoit celle à oculaire convergent
(astronomique), donne même le principe du téléobjectif, appareil
qui ne sera réalisé que deux siècles plus tard… dès que Galilée
eut enfreint l’opposition du monde scolastique, Kepler osa publier
le principe des instruments optiques, effaçant ainsi l’ostracisme dont
souffraient depuis la fin du moyen Âge les « lentilles de verre ».
mais Kepler va plus loin. il a lu ibn al-haytham, Grossetête et
thierry et, dans une œuvre capitale19, il reprend et précise quatre
propositions qui vont être définitivement adoptées par l’optique
géométrique :
« i. la lumière peut émaner ou être projetée de sa source vers
un lieu lointain.
ii. le flux de la lumière arrive d’un point quelconque suivant un
nombre infini de droites.
iii. la lumière peut se propager jusqu’à l’infini.
iV. les lignes de cette émission sont des droites nommées
rayons20. »
il unifie définitivement le concept de lumière, en unifiant sous
un même terme le lux et le lumen. il mène ensuite méthodiquement
de nombreuses expériences, montre que, pour des valeurs inférieures
à 30°, les angles d’incidence et de réfraction sont proportionnels
entre eux, étudie l’œil et la pupille et a l’idée de les reproduire
par un modèle formé d’une sphère aqueuse et d’un diaphragme ; il
peut ainsi faire correspondre à chaque point d’un objet un point de
l’image formée sur un écran disposé après la sphère et s’aperçoit
que, dans l’œil, l’image se forme sur la rétine. en suivant la marche

92
naissance de la science moderne

des rayons réfractés par la cornée et le cristallin, il définit l’image


rétinienne, inversée par rapport à l’objet vu (fig. 18). il reste à Kepler
à imaginer que la « faculté visuelle » ou l’« âme » transforme cette
image en vision définitive, selon un processus que l’auteur laisse
aux « physiciens » le soin de définir. le problème de la formation
des images dans l’œil est définitivement résolu. Fort de ce succès,
Kepler explique la correction des défauts de la vision par les lentilles
de verre. mais Kepler ne serait pas Kepler s’il ne réaffirmait son
mysticisme : pour lui, la lumière imite le soleil, relie la physique
à une métaphysique et à une théophanie, est la figure de la trinité
en ce qu’elle se propage d’un centre (le Père) dans un espace inter-
médiaire (le saint-esprit) pour atteindre une surface sphérique qui
représente le Fils. il reste que la clarification des problèmes posés
est considérable, l’optique va pouvoir se développer.

Figure 18

Grâce aux « pères fondateurs » : Kepler, Francis Bacon (1561-1626)


(qui n’accepte pas le monde copernicien, mais établit en angleterre
une méthode expérimentale qui reprend et perfectionne celle de Gros-
setête et sera celle prônée par la royal society), et surtout Galilée,
une révolution de la conscience collective se produit en occident,
l’ancienne physique s’écroule. les péripatéticiens contrôlent encore
toute la hiérarchie philosophique mais celle-ci, issue de la « science
des clercs » et liée à l’Église, va voir son influence diminuer. depuis
l’intrusion des laïcs en sciences, il y avait une lutte d’influence dans

93
une histoire de la lumière

l’enseignement : les hommes qui triomphent après Galilée sont entre-


tenus par les mécènes et les princes et vont s’interdire dorénavant
d’admettre comme juste et définitive une quelconque « réalité », aussi
« évidente » et « établie » soit-elle. l’évidence, engendrée par nos
concepts, donc par notre époque, ne peut servir de critère pour choisir
une doctrine, une conception, une théorie. Comme nous l’avons vu
avec l’exemple du caillou jeté en l’air, tout ce qui paraît évident
peut devenir paradoxal. Puisque l’évidence ne peut servir de critère,
il faut adopter une autre méthode : celle du raisonnement logique et
déductif peut donner satisfaction à condition que ce raisonnement
porte en lui sa propre possibilité de vérification ou de remise en
cause, qu’il puisse être soumis et confronté à l’expérience. Cette
méthode nouvelle est celle de la science moderne. Ce n’est peut-
être pas la seule que l’on puisse adopter mais Galilée en prouve la
force et la nécessité : elle sera admise en raison des succès qu’elle
remporte, des applications qu’elle permet. Puisqu’ils font leurs ces
principes, les chercheurs vont maintenant s’attacher à déterminer
comment fonctionne le monde et l’interroger avec des expériences
conçues en fonction des théories. l’instrumentation scientifique va
se développer énormément.
l’œuvre de Galilée coïncide avec la fin de la période méditer-
ranéenne, marquée par les croisades, le développement des villes
italiennes et la renaissance. la période atlantique, celle de l’essor
des manufactures, des insurrections urbaines et de la constitution des
monarchies commence. le début de cette nouvelle phase est marqué
en philosophie et en physique par la publication, en 1637, du Discours
de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité
dans les sciences21 où descartes reprend, en français afin qu’elles
puissent être comprises du plus grand nombre de ses concitoyens,
des idées chères à Galilée : il faut douter systématiquement et, ayant
recours à l’expérience et au langage mathématique, préférer la raison
aux idées reçues. mais, signe de son caractère, descartes exclut la
politique et la religion de cette méthode universelle d’approche de
la « vérité ». après ces précautions, il peut développer la « philo-
sophie naturelle » et commencer à l’appliquer, nous allons le voir,
à cette science qu’ont mise à la mode les découvertes permises par
la lunette : l’optique.

94
naissance de la science moderne

3. Les conceptions de Descartes


au xviie siècle, le concept de rayon lumineux, les notions de pro-
pagation rectiligne, de chemin optique, de formation des images, les
lois de la réflexion sont bien établies mais des interrogations fonda-
mentales subsistent. Que vaut exactement un angle de réfraction ? en
quoi consistent les couleurs ? la vitesse de propagation de la lumière
est-elle infinie comme le croit Kepler ou très grande comme le postulent
les atomistes, ibn al-haytham, r. Bacon et Galilée ? avant de tenter
de répondre à ces questions, descartes va s’efforcer – conformément
au nouvel esprit scientifique – de préciser toutes ces propriétés.

Figure 19. — La réflexion et la réfraction d’après Descartes,


La Dioptrique.

si des tables de réfraction circulent depuis Witelo, si Kepler


peut les utiliser pour expliquer le trajet des rayons lumineux
à l’intérieur des lentilles, personne n’est parvenu à déterminer
exactement la relation qui lie les angles d’incidence et de réfrac-
tion avant qu’un hollandais, snell, ne se penche, vers 1625, sur
le problème et le résolve. mais snell meurt jeune. il n’a pas le
temps de publier les résultats qu’il montre à descartes. Celui-ci
peut à loisir… faire passer pour siennes * les lois qu’il énonce

* Certains contestent cette version et soutiennent que descartes a pu lui-même


trouver les lois à partir des tables de Witelo. À voir (fig. 19) la manière dont descartes

95
une histoire de la lumière

pour la première fois en 1637 dans La Dioptrique : « Quels que


soient les angles d’incidence et de réfraction, le rapport de leurs
sinus est toujours égal à une même constante lors de passages de
la lumière entre deux milieux donnés *. » Pour des passages rela-
tifs à d’autres milieux, la même relation peut être établie mais la
constante prend une valeur différente : l’expérience montre qu’elle
est exactement égale au rapport de deux nombres caractéristiques
de chacun des deux milieux qui limitent la surface réfractante.
Ces nombres sont appelés indices de réfraction de ces milieux **.
l’étude, faite après descartes, de passages éther (ou vide)-milieux
matériels permettra de définir les indices absolus de ceux-ci en
attribuant alors conventionnellement à l’éther (ou vide) un indice
égal à un. les lois de la réfraction ainsi établies, il devient pos-
sible de concevoir précisément des instruments optiques : l’optique
géométrique devient une science exacte.

Figure 20

représente un rayon réfracté par l’eau (il s’écarte de la normale au lieu de s’en appro-
cher), gageons que la version que nous rapportons est plausible (descartes – ou son
illustrateur – confond rayon réfracté et image observée – voir fig. 8).
* sin i / sin r = n, c’est-à-dire que dans les triangles rectangles ahB et Bh’F de
la figure 20, le rapport ah/h’F est constant quel que soit l’angle d’incidence i lorsque
la lumière se propage d’un milieu donné à un autre également donné.
** n = sin i / sin r = n2 / n1 donc n1 sin i = n2 sin r, où n1 est l’indice de réfraction
du milieu d’incidence et n2 celui du deuxième milieu.

96
naissance de la science moderne

la deuxième indétermination qu’essaye de résoudre descartes


concerne les couleurs ; il reprend l’explication de l’arc-en-ciel de
thierry de Freiberg et parvient22 à traiter le sujet beaucoup mieux
que tous ses prédécesseurs. il fait de son explication du météore la
preuve de la supériorité de sa méthode scientifique sur « l’École *23 ».
Pour cela, il examine pas à pas les réfractions et les réflexions qui
se produisent à l’intérieur des gouttes de pluie (fig. 21) mais surtout,
en étudiant tous les phénomènes qui font apparaître les couleurs
(traversée d’un prisme (fig. 22), d’une glace biseautée…), il remarque
qu’elles sont toujours dues à des réfractions successives des rayons
solaires et peut ainsi établir nettement que des couleurs différentes

Figure 21

* les scolastiques, dont la doctrine lui a été enseignée par les jésuites à la Flèche.

97
une histoire de la lumière

correspondent à des angles de réfraction différents. sont-elles pro-


duites par les surfaces de séparation des milieux ou appartiennent-
elles à la lumière ? nous reviendrons sur ce problème après nous
être interrogés au sujet de la vitesse de la lumière.

Figure 22

roger Bacon s’était référé à l’observation d’un orage pour conclure


que cette vitesse est beaucoup plus grande que celle du son. la
démonstration est peu convaincante : la lumière ne peut-elle se
percevoir instantanément ? au xviie siècle, cette hypothèse a de
nombreux défenseurs. Pour trancher, la seule méthode est de se
référer à l’expérience ; c’est déjà ce qu’avait proposé de faire Gali-
lée, dans les Discorsi : deux hommes (fig. 23), munis chacun d’une
lanterne, se placent face à face ; l’un démasque la flamme qu’il
porte ; dès qu’il en perçoit la lumière, l’autre démasque la sienne à
son tour ; le premier peut évaluer l’intervalle de temps séparant
l’instant où il a ouvert sa lanterne et celui où il a vu la lumière issue
de la seconde. les deux hommes se placent ensuite à grande distance
l’un de l’autre, sur deux montagnes voisines par exemple, et renou-
vellent l’expérience : le premier peut apprécier si l’intervalle de
temps est maintenant plus long : dans ce cas la lumière possède une

98
naissance de la science moderne

Figure 23

vitesse finie. Certes, en imaginant une expérience aussi grossière,


Galilée prouve qu’il évalue mal l’ordre de grandeur de la vitesse de
la lumière, mais poser le problème est beaucoup plus important que
savoir le résoudre : « Faire naître de nouvelles interrogations engendre
plus de progrès en science que l’habileté expérimentale24. » descartes
conçoit une meilleure approche : lorsque la lune est éclipsée par la
terre, soleil, terre et lune sont sur une droite. si la lumière met
le temps t pour passer de la terre à la lune, on ne voit l’éclipse
qu’au temps 2t après la conjonction. Pendant ce temps, terre et
lune se sont déplacées ; l’observation de l’éclipse (fig. 24) doit donc
montrer le décalage ; celui-ci n’ayant jamais été remarqué, descartes
conclut que la propagation de la lumière est instantanée.
Ce sont ces faits expérimentaux : lois de la réflexion et de la
réfraction, existence des couleurs, transmission instantanée, que des-
cartes va expliquer par une même cause – la nature physique de la
lumière – qu’il veut déduire de l’étude des sources lumineuses et en
particulier du feu. Pour lui, celui-ci est un phénomène mécanique :
la flamme est formée de très petites particules invisibles, animées

99
une histoire de la lumière

d’un mouvement très rapide et très violent, qui dilacèrent les corps
qu’elles heurtent et provoquent la séparation des parties constitutives
de l’objet embrasé – les plus grosses donnent la cendre, les plus
petites la fumée et le feu. « C’est ce mouvement seul qui selon
les différents effets qu’il produit s’appelle tantôt chaleur et tantôt
lumière25 », affirme descartes, montrant ainsi qu’il entend ne pas
confondre le phénomène physique et les impressions que nous en
donnent les organes des sens. Pour nous convaincre de la validité de
ses conceptions, il va nous entraîner dans une vaste démonstration,
particulièrement importante pour la compréhension de sa physique.

Figure 24

tous les corps sont, comme le bois, formés d’un mélange de trois
éléments : la terre (cendre), l’air subtil (fumée) et le feu. les solides
sont constitués de parties de terre, de formes quelconques, au contact
les unes des autres ; l’air subtil et le feu circulent librement dans les
espaces laissés libres qu’ils remplissent. les liquides et les gaz sont
formés de parties de terre éloignées les unes des autres. Comme le
montrent les mouvements des poussières en suspension dans l’eau ou
dans l’air, en agitation constante, les parties constitutives des fluides
se déplacent, se heurtent, dévient ou rebondissent sans cesse ; l’air
subtil et le feu ne gênent en rien ces mouvements car ils sont beaucoup
plus mobiles que la terre. l’univers entier est lui aussi formé de
l’association des trois éléments : ne rompant pas en ce point avec la
physique aristotélicienne, descartes envisage un monde plein, empli
par des éléments, dans lequel la nature a horreur du vide – terre, air
subtil et feu sont intimement mêlés dans tout le cosmos. Pour rendre
compte de leur répartition, descartes imagine leur histoire : lors de
la création, la matière formait un mélange confus de morceaux que
dieu mit en mouvement. aussitôt, l’infinité des corps présents se
heurtent, dévient de leurs trajectoires rectilignes, décrivent des lignes

100
naissance de la science moderne

Figure 25

brisées, tendent peu à peu à s’accorder, prennent enfin les seuls mou-
vements qu’ils puissent garder tous ensemble éternellement : circulaires
uniformes. mais les chocs usent les parties de matière : initialement
de formes et de tailles quelconques, la plupart deviennent sphériques
– comme les galets des rivières – et forment maintenant l’air subtil.
les éclats détachés par les chocs – les « raclures » – sont plus petits
et légers, circulent plus facilement, s’insinuent dans tous les vides

101
une histoire de la lumière

déterminés par l’assemblage des sphères : ils forment l’élément feu.


Certaines des parties créées par dieu étaient plus grosses, n’ont donc
pas éclaté sous les chocs mais se sont augmentées d’éléments plus
petits qui se sont agglutinés contre elles : elles forment l’élément terre.
l’univers est donc constitué de ces trois éléments : les sphères d’air
subtil, toutes identiques, sont au contact les unes des autres et en
mouvement circulaire uniforme : elles déterminent de nombreux tour-
billons (fig. 25) qui entraînent les masses de terre que sont les pla-
nètes *. le soleil et les étoiles sont au centre des tourbillons. le feu
circule partout mais ne peut franchir les limites d’un tourbillon et a
donc tendance à s’accumuler dans les coins. descartes complète la
description en imaginant que les planètes résistent un peu au mouve-
ment tourbillonnaire qui les entraîne. leur vitesse étant donc un peu
moins grande que celle de l’air subtil, elles tournent sur elles-mêmes.
Ce nouveau mouvement de rotation crée localement un tourbillon
secondaire qui peut entraîner des satellites autour de la planète : c’est
ainsi que la lune et les « étoiles médicéennes » tournent respectivement
autour de la terre et de Jupiter. le monde est donc une immense
horloge où toutes les actions peuvent être expliquées mécaniquement.
C’est à partir de cette conception cosmologique que descartes va
décrire la nature de la lumière : dans un tourbillon, les sphères d’air
subtil tournent d’un mouvement circulaire ; comme tout corps en
rotation, elles ont tendance à s’éloigner du centre ; elles sont pour-
tant maintenues sur leur trajectoire par les sphères situées immédia-
tement au-dessus d’elles ; une pression se communique donc du
centre du tourbillon jusqu’à la périphérie : elle se transmet selon des
rayons partant, par exemple, du soleil et allant à n’importe quel
point d’observation ; cette pression peut se communiquer aux yeux,
passe dans les humeurs qu’ils renferment, arrive au nerf optique, est
transmise par son intermédiaire au cerveau où elle est interprétée
par l’âme (fig. 26) : l’impression de lumière est ainsi produite. l’éclat
du soleil résulte donc d’une pression exercée par l’intermédiaire des
sphères d’air subtil en raison même de leur mouvement : point n’est
besoin que le centre d’un tourbillon soit occupé par un astre pour
qu’une impression lumineuse en provienne : nous voyons donc le
centre de tous les tourbillons de l’univers sans qu’ils soient tous

* Celles-ci contiennent aussi des parties d’air subtil et de feu.

102
Figure 26. — Figure extraite de La Dioptrique de Descartes :
l’image se forme sur la rétine. L’Âme l’interprète.
une histoire de la lumière

occupés par une étoile. la présence, réelle, du soleil ne fait qu’aug-


menter la pression, donc l’intensité de la lumière.
toutes les sources de lumière que nous connaissons s’expliquent
d’une manière analogue : l’agitation des parties de la flamme d’une bou-
gie, par exemple, communique aux sphères d’air subtil qui l’entourent
une pression qui « peut être comme tremblante, et se redouble, et se
relâche à diverses petites secousses, selon qu’elles changent de situation,
ce qui semble être une propriété fort convenable à la lumière26 ». l’œil
dirigé vers la flamme reçoit la pression qui est interprétée par l’âme.
Voici donc la conception que se fait descartes de la nature phy-
sique de la lumière. Ces idées sont la conséquence d’une vision
copernicienne du monde que le philosophe n’ose plus affirmer après
la condamnation de Galilée : il refuse alors – nous l’avons dit – de
publier son Traité du monde, restreint considérablement l’objet de
son travail, dissimule les fondements de ses déductions, devient le
« philosophe au masque ». C’est ainsi que dans La Dioptrique – l’ou-
vrage par lequel il veut démontrer que tous les effets lumineux
s’expliquent par une même cause première – il se garde bien d’ex-
poser quelles sont ses hypothèses quant à la nature de la lumière :
« Parlant de la lumière […] il n’est pas besoin que j’entreprenne de
dire au vrai quelle est sa nature […] il suffira que je me serve de
deux ou trois comparaisons qui aident à la concevoir en la façon
qui me semble la plus commode pour expliquer toutes celles de ses
propriétés que l’expérience nous fait connaître et pour déduire ensuite
toutes les autres qui ne peuvent aisément être remarquées27. » ne
nous attendons donc pas à voir formuler une théorie rigoureuse !
Puisque descartes avait déduit que la propagation de la lumière
est instantanée, il ne peut en faire qu’un état dont sont baignés nos
yeux : elle est formée « d’une matière fort subtile et fort fluide qui
s’étend sans interruption depuis les astres jusqu’à nous27 ». dès lors,
nous prenons conscience de la forme et de la couleur des objets « de
la même façon que la résistance des corps que rencontre un aveugle
passe vers sa main par l’entremise de son bâton27 » (fig. 27) ; libé-
rons donc notre esprit « de toutes ces petites images, voltigeant dans
l’air, appelées espèces intentionnelles qui travaillent tant l’imagina-
tion des philosophes27 » – voici les écorces des atomistes rejetées * ;

* la phrase de descartes s’attaque aussi aux images mentales des thomistes.

104
naissance de la science moderne

Figure 27

mais les chats voient la nuit : il faut donc que chez eux la vision
résulte aussi de quelque chose qui part des yeux et se dirige vers
les objets (fig. 28) – par cette proposition descartes se montre quelque
peu platonicien. il montre surtout qu’il n’a pas rompu avec la vieille
tradition qui fait de la vision l’action du semblable sur le semblable.

Figure 28

105
une histoire de la lumière

Pour nous faire comprendre pourquoi les rayons lumineux se pro-


pagent en lignes droites, il compare la lumière au jus contenu dans
un pressoir, qui descend du haut vers le bas apparemment de manière
rectiligne (fig. 29) alors que son trajet réel contourne les grappes :
la transmission de la lumière par la « matière subtile » ne paraît
rectiligne qu’à notre échelle.

Figure 29

Pour expliquer la réflexion, descartes la compare, comme l’avait


fait ibn al-haytham avant lui, au rebond d’une balle sur un mur. il
rend compte de la réfraction en l’assimilant au passage d’un projec-
tile au travers d’une toile tendue « perdant seulement une partie de
sa vitesse […] et s’écartant de la normale à la toile car il est bien
aisé de croire que l’action […] à se mouvoir doit suivre les mêmes
lois que le mouvement27 ». attardons-nous un peu sur cette expli-
cation : le mouvement initial de la balle peut être considéré comme
la somme de deux composantes ; l’une est parallèle, l’autre perpen-
diculaire à la toile (fig. 30) ; la résistance de celle-ci diminue la seule
composante perpendiculaire, laissant l’autre inchangée. si nous fai-
sons abstraction de la pesanteur, la balle qui rompt la toile s’écarte
bien de la normale à celle-ci. en optique, un rayon qui s’écarte de
la normale est celui qui passe d’un milieu de fort indice de réfraction
à un milieu d’indice plus faible, par exemple du verre à l’air.
l’explication donnée implique que l’air oppose au passage du rayon
lumineux une résistance plus grande que le verre : n’est-ce pas

106
La vision comparée à un contact
(planche extraite de L’Homme, de Descartes).
une histoire de la lumière

Figure 30

Figure 31

surprenant ? descartes s’en étonne mais constate que cette conclusion


étant déduite de l’expérience, elle doit être admise. il reste à expli-
quer les couleurs : comme la réflexion et la réfraction, elles résultent
de l’action de la surface de séparation de deux milieux, la lumière
y subissant « un changement semblable à celui que reçoit le mou-
vement d’une balle quand on la frise27 ». Par là, descartes imagine
que les particules de matière subtile rencontrant une surface se mettent
à tournoyer comme le fait une balle de ping-pong « liftée » ; si le
tournoiement est faible le rouge (moins dévié) est obtenu, s’il est

108
naissance de la science moderne

fort le bleu est créé (fig. 31) : selon cette explication, les couleurs
ne composent pas la lumière incidente mais sont dues à l’action
mécanique des surfaces. Voici donc justifiés tous les effets de la
lumière. Pouvons-nous nous satisfaire des représentations que propose
descartes ?
la simple lecture des arguments avancés fait apparaître une grande
incohérence ; comment peut-on soutenir à la fois que la lumière est
une « sorte de matière fort subtile qui s’étend sans interruption depuis
les astres jusqu’à nous et ne prend pas de temps à son passage » et
expliquer la réflexion, la réfraction, les couleurs en comparant ces
phénomènes au mouvement d’une balle rencontrant une surface ? si la
réfraction est due au ralentissement ou à l’accélération d’un projectile,
il est nécessaire d’admettre une vitesse finie pour la lumière. si la
transmission de celle-ci est instantanée la conséquence en est que la
réflexion ne peut se comparer à un rebond ! descartes n’est pas sans
remarquer cette contradiction : dans les Principes de la philosophie,
il revient sur l’explication donnée et la complète en affirmant que
la pression communiquée aux parties de « matière subtile » suit un
trajet identique à celui qu’emprunterait une sphère progressant libre-
ment et qu’il n’est pas utile d’imaginer que la lumière est réellement
constituée de projectiles. Cette précision n’est guère satisfaisante : la
propagation de l’effet d’un choc peut-elle être instantanée ? si elle
décrit une trajectoire, ne le fait-elle pas depuis le lieu d’ébranlement
jusqu’au lieu de réception en prenant du temps à son passage ? À
l’évidence, nous devons nous reposer le problème de la vitesse de
la lumière et discuter l’approche qu’en a faite descartes : celui-ci
estime, rappelons-le, que le fait d’avoir toujours observé précisément
la conjonction soleil-terre-lune au moment des éclipses de cette
dernière nécessite que la vitesse de la lumière soit instantanée. Pour
savoir si une telle conclusion peut effectivement être tirée de cette
observation, calculons (comme le fera un peu plus tard Christiaan
huygens) l’angle que font les trois astres dans l’hypothèse d’une
propagation de la lumière à vitesse finie. si elle met une heure
pour aller de la terre à la lune, l’angle soleil-terre-lune existant
lorsque l’on voit l’éclipse vaut 33 degrés, ce qui peut être apprécié
(fig. 32) ; il n’est que de 33 minutes si la distance est parcourue
en 60 secondes et de 6 minutes d’angle s’il faut 10 secondes à
la lumière pour effectuer le chemin terre-lune ! À partir de cette

109
une histoire de la lumière

Figure 32

valeur il n’est plus possible d’apprécier l’angle à l’époque de des-


cartes28. ainsi, la démonstration faite ne prouve qu’une chose : la
transmission de la lumière de la terre à la lune se fait en moins de
10 secondes ; il est impossible d’en déduire qu’elle est instantanée.
l’expérience n’est donc pas significative ; elle s’appuie sur une idée
préconçue quant à l’ordre de grandeur de la vitesse de la lumière. si
celle-ci possède une valeur finie, elle est énorme. Pour la mesurer il
convient d’observer des phénomènes mettant en cause des distances
beaucoup plus grandes que celle séparant la terre de la lune. en
admettant que la lumière se propage avec une certaine vitesse, nous
levons l’incohérence remarquée ; pouvons-nous maintenant accepter
le modèle mécanique proposé par descartes ?
Voici ce que répond Fermat, un contemporain de descartes : « la
démonstration de la réfraction me semble un véritable paralogisme
premièrement, parce que [descartes] la fonde sur une comparaison et
que la géométrie ne se pique guère de ces figures […] deuxièmement
parce qu’il suppose que le mouvement de la lumière qui se fait dans
l’air et dans les corps rares est plus […] lent que celui qui se fait dans
l’eau et dans les autres corps ce qui semble choquer le sens commun29. »
Fermat cherche « l’explication des réfractions dans cet unique principe
que la nature agit toujours par les voies les plus courtes29 », principe
éminemment théologique : dieu nous envoie sa grâce, la lumière, par
le plus court chemin, aussi la lumière doit-elle décrire les chemins
optiques tels que son passage se fasse selon un temps minimal. Pour
prouver cette proposition, Fermat raisonne : considérons avec lui un
rayon lumineux passant de l’air dans le verre (fig. 33).

110
naissance de la science moderne

Figure 33

Pour aller de a en B il parcourt le chemin aoB. Comparons


le temps que la lumière met à décrire ce chemin à celui qu’elle
mettrait pour suivre la droite aCB dans le cadre de l’hypothèse de
Fermat : le retard pris pour décrire avec une grande vitesse ao plus
long que aC peut être largement compensé par l’avance prise pour
parcourir avec une plus petite vitesse oB plus court que CB : il est
donc possible que la lumière mette moins de temps à suivre aoB.
Fort de cette possibilité, Fermat calcule et conclut bientôt : « le
prix de mon travail a été le plus extraordinaire, le plus imprévu et
le plus heureux qui fût jamais. Car […] j’ai trouvé que mon principe
donnait justement et précisément la même proportion des réfractions
que m. descartes a établie. J’ai été si surpris d’un événement si peu
attendu que j’ai peine à revenir de mon étonnement30. » les lois de
descartes sont en effet vérifiées si l’on admet que la vitesse de la
lumière est inversement proportionnelle à l’indice de réfraction du
milieu dans lequel elle se propage. le verre ayant un indice plus
grand que celui de l’air, la vitesse de la lumière y serait donc plus
faible. Voici un résultat qui semble plus satisfaisant que celui auquel
aboutit descartes. Pourtant, les cartésiens ne l’admettent pas et ce
pour une raison elle aussi métaphysique : ils estiment, en effet, que
dieu a créé le monde et se repose le septième jour. Puisque ainsi le
Créateur n’intervient plus, le monde fonctionne selon son plan (d’où

111
une histoire de la lumière

le principe d’inertie) et la physique doit découvrir son mécanisme ;


or le principe de Fermat est insuffisant pour rendre compte de la
réfraction : le rayon mettrait un temps identique pour aller de o en
n’importe quel point de la circonférence de rayon oB (fig. 33) ; pour
que la lumière aille précisément en B, il faudrait que le rayon « se
souvînt en o qu’il est parti du point a avec ordre d’aller en B, ce
qui est imaginaire et nullement fondé en physique31 ». on le voit,
tel qu’il est formulé, le principe de Fermat réintroduit les causes
finales de manière plus théologique encore que le faisait aristote.
nous ne pouvons donc l’admettre bien qu’il conduise à une consé-
quence logique. Qu’il nous serve seulement à conclure que les lois
de la réfraction n’impliquent nullement une vitesse de la lumière
plus faible dans l’air que dans le verre. le modèle mécanique que
propose descartes pour expliquer la réfraction est donc discutable, de
même que l’est celui qui attribue aux surfaces de séparation de deux
milieux la propriété de créer les couleurs : quelle preuve expérimen-
tale permet d’énoncer une telle affirmation ? ainsi, même si nous
attribuons à la lumière une vitesse finie, même si nous prenons en
compte l’ensemble des conceptions cosmologiques de descartes qui
précisent sa représentation de la lumière, celle-ci reste insuffisante :
elle révèle des contradictions insurmontées, elle est plus affirmative
que démonstrative, elle ne permet la déduction d’aucune propriété
et ne se prête à aucune vérification. nous devons donc la rejeter.
Cette conclusion peut paraître anachronique et n’est évidemment pas
partagée par descartes. Pour lui, il n’y a pas incohérence à proposer,
par exemple, à la fois que la vision consiste en un contact immédiat
entre l’objet vu et l’œil et que réfraction et couleurs s’expliquent par
les mouvements de sphères qui se déplacent et tournent. Pour lui, le
monde a été créé par dieu d’emblée avec toute sa perfection, toute
sa beauté. Cette œuvre cause nos sensations, mais cette causalité
n’est ni formelle, ni finale, ni matérielle : elle est efficiente. la
volonté de dieu dépasse de loin notre entendement : même si nous
arrivons à démontrer mathématiquement que les faits observés sont
des conséquences logiques de principes dont on ne peut douter, nous
n’obtenons que l’une des solutions possibles qui s’offraient à dieu.
le but de la science est donc de faire un inventaire complet des
phénomènes, d’examiner s’ils peuvent être les effets produits par des
causes que sont les principes, de constater l’accord entre l’ordre des

112
naissance de la science moderne

sensations et l’ordre de la raison. mais les principes restent à jamais


hypothétiques : quelques comparaisons suffisent à montrer que des
causes peuvent se déduire des effets observés. descartes écrit donc
un « roman du monde », un roman baroque où une fable nous conte
la création du monde et l’enchaînement des raisons mécaniques dont
nos sensations permettent l’appréhension. la physique et la méta-
physique y sont confondues parce que de la métaphysique dépend la
physique. il n’y a pas plus de ressemblance entre l’objet qui cause
une sensation et la sensation éprouvée qu’il n’y a de similitude entre
les objets créés et dieu. dieu n’a donc pas forcément créé un monde
par les moyens de la géométrie et de la mécanique, il a choisi de
nous le rendre intelligible par les moyens de la géométrie et de la
mécanique. en ce sens, le roman de la science est un « roman vrai ».
l’œuvre de descartes est fondamentale : les conceptions générales
qui y sont développées influenceront profondément la science du
xviiie siècle. les lois de la réfraction sont enfin publiées, de nombreuses
expériences reliées entre elles, le problème des couleurs posé aux
physiciens qui l’abandonnaient alors aux philosophes. en comparant la
lumière à des balles qui se propagent, descartes en fait une substance
matérielle. en l’assimilant au bâton de l’aveugle, il la décrit comme
une perturbation qui affecte un milieu. Parce que La Dioptrique est
largement diffusée, parce que son auteur jouit d’un grand prestige,
cette contradiction ne passe pas inaperçue. entre ces deux thèses
déjà discutées tout au long du moyen Âge et de la renaissance, il
va falloir choisir. deux camps se constituent et s’affrontent ; leurs
arguments sont clairement exposés dans un ouvrage important : le
De lumine où le jésuite Francesco maria Grimaldi (1618-1663) pose
nettement la question et tente de la résoudre : la lumière est-elle faite
de matière ou est-ce une perturbation ondulatoire qui se propage ?

4. Les découvertes et la théorie de Grimaldi


« soyons franc : tous ceux qui ne sont pas aveugles connaissent
la lumière et pourtant nous ne pouvons pas en parler : nous ignorons
sa nature et sa consistance. les philosophes qui utilisent de grands
mots vides de sens pour la définir ne font qu’augmenter les difficultés
qu’ils prétendent vouloir résoudre. il n’est pourtant pas téméraire de

113
une histoire de la lumière

se lancer dans cette étude […] à condition de le faire sans tenir compte
de l’autorité des maîtres mais en multipliant les expériences et en les
interprétant32. » Par ces phrases, écrites en 1663, Grimaldi se place
résolument derrière Galilée : il se méfie des apriorismes, des évidences
et va soumettre à l’expérience les résultats les mieux établis. Pour
vérifier la propagation rectiligne, il perce dans un volet un petit trou
qui laisse entrer un pinceau lumineux et il le fait tomber sur des objets.
les ombres de ceux-ci ne sont pas nettes mais bordées d’une zone de
pénombre qui avait toujours été interprétée comme étant le lieu des
points ne recevant qu’une partie des rayons rectilignes passant par le
trou (fig. 34). mais rien ne prouve réellement que la lumière se propage

Figure 34

bien en lignes droites. Pour le vérifier, Grimaldi a l’idée de ne laisser


entrer dans la pièce qu’un très fin filet lumineux et de le faire tomber
sur un objet minuscule (un cheveu). Ce qu’il observe alors sur un
écran placé derrière celui-ci l’étonne et le stupéfait : l’ombre du che-
veu n’est ni parfaitement définie ni bordée de la zone de pénombre
habituelle mais limitée par des franges colorées. Ce phénomène n’a
jamais été décrit avant lui, aussi Grimaldi y accorde toute son attention
et l’étudie systématiquement en faisant varier les conditions expéri-
mentales. lorsque le fin pinceau lumineux rencontre des objets quel-
conques de très petites tailles, trois séries de franges colorées suivent
fidèlement les contours extérieurs de l’ombre. si l’obstacle est consti-
tué d’un trou percé dans une plaque, la tache lumineuse qui apparaît
sur l’écran (fig. 35) est plus grande que ne le voudrait le principe de

114
naissance de la science moderne

Figure 35

propagation rectiligne – les bords en sont irisés. Grimaldi est perplexe


et cherche à déterminer la cause de ces phénomènes : sont-ils dus à
la lumière directe ? en approchant ou en reculant l’écran, il voit que
les franges « ne sont ni sur une ligne droite passant par la source et
tangente à l’obstacle, ni sur une droite menée du trou au point de
l’écran sur lequel on les observe » : puisqu’elles se répartissent selon
des courbes, elles ne peuvent dépendre du faisceau incident. sont-elles
dues à la lumière réfléchie ? dans ce cas, la nature de l’objet et sa
surface devraient influer sur la netteté des franges ; sont-elles dues au
contraire à de la lumière réfractée par l’obstacle ? divers objets d’in-
dices différents devraient alors engendrer diverses irisations. Pour
trancher, Grimaldi expérimente et obtient des figures invariables « quel
que soit le corps opaque placé dans le cône lumineux, dense ou léger,
lisse et poli, rugueux et irrégulier, dur ou mou33 ». le phénomène ne
pouvant résulter ni d’un pinceau direct, ni d’un faisceau réfléchi ou
réfracté, la lumière peut donc subir un nouvel effet, inconnu avant
Grimaldi, que celui-ci désigne en forgeant un mot : elle diffracte33.
Grâce à l’orientation infinitésimale prise par la physique, une suite
logique d’expériences et de déductions vient de permettre la mise en
évidence d’une importante propriété de la lumière. Pour illustrer ses
découvertes et convaincre ses lecteurs, Grimaldi décrit de nombreuses
observations courantes, restées inexpliquées : couché dans l’herbe,

115
une histoire de la lumière

n’avons-nous jamais fait entrer la lumière du soleil par nos paupières


mi-closes et vu apparaître des couleurs entre nos cils ? n’avons-nous
jamais regardé les irisations produites entre les barbes d’une plume
d’oiseau ? les lampes de la rue n’apparaissent-elles pas bordées de
rouge lorsque nous les regardons le soir au travers d’un fin rideau ?
tous ces effets sont dus à la diffraction des rayons lumineux. mais
Grimaldi ne se contente pas de décrire, il veut déterminer toutes les
caractéristiques de la lumière afin de pouvoir en déduire une théorie ;
il ne s’arrête donc pas à la découverte qu’il vient de faire mais effec-
tue d’autres observations.
tous les objets éclairés s’échauffent – les corps opaques plus
que les transparents, les noirs davantage que les blancs, ceux qui
retiennent la lumière plus que ceux qui la transmettent. Pouvant ainsi
être absorbée, la lumière possède une existence objective et il n’est
pas vain de chercher à en déterminer la nature : est-elle ondulatoire
ou matérielle ? Pour répondre Grimaldi va déduire de ses expériences
un modèle propre à en expliquer tous les résultats.
nous avons déjà regardé les ondes produites par l’arrivée d’un
caillou dans l’eau : elles s’écartent selon des cercles. lorsque ces
rides frappent un obstacle, chaque point de celui-ci devient le centre
d’ondelettes qui se propagent à leur tour selon des cercles. si la
lumière est de nature ondulatoire, des effets analogues doivent être
observés : un fin pinceau frappant un fil et diffractant ne peut
qu’engendrer des ondelettes se propageant dans toutes les directions.
Pour vérifier cette conséquence, Grimaldi place un écran sur le côté
d’un obstacle diffractant (fig. 36) mais n’y observe jamais la moindre

Figure 36

116
naissance de la science moderne

intensité lumineuse : c’est au contraire à la seule limite du faisceau


transmis – là où la forte intensité de celui-ci devrait masquer tout
phénomène – que les franges se situent. Voici qui interdit à Grimaldi
de supposer à la lumière une nature ondulatoire : elle est donc
matérielle et obéit aux lois de la mécanique. elle ne peut pourtant
être constituée de corpuscules solides lancés selon les rayons : com-
ment pourrait-on expliquer à l’aide de cette hypothèse que la dif-
fraction ne se produise jamais lorsque l’obstacle est grand ? Par
contre ce fait peut être justifié si on admet que la lumière est un
fluide : un bateau à l’ancre sur l’océan ne gêne en rien la propaga-
tion des vagues, une péniche au travers d’un canal crée de gros
remous en aval ; c’est ce que l’on observe aussi lors de la diffraction :
les franges apparaissent lorsque l’obstacle possède des dimensions
équivalentes à celles du faisceau incident. la lumière est donc un
fluide très subtil pouvant être doué de mouvement local.
essayons de confronter cette hypothèse à l’expérience : les corps
transparents sont traversés par les rayons, ils doivent donc être poreux
et comporter des canaux extrêmement fins et nombreux au travers
desquels le fluide lumineux passe à la manière de l’eau dans une
passoire ou une éponge ; si le corps contient moins de pores, il est
opaque. un fait s’oppose cependant à l’adoption de cette conception :
comment le diamant peut-il être à la fois extrêmement résistant tout
en se montrant parfaitement transparent ? Grimaldi pense qu’il n’est
pas hors du pouvoir de « l’omnipuissance » d’avoir créé des subs-
tances à la fois transparentes et résistantes ainsi qu’un fluide tel que
la lumière ; il peut continuer à confronter son modèle à l’expérience
et essayer de rendre compte des lois de la réfraction. le fluide
lumineux peut se propager à très grande vitesse selon un cylindre
extrêmement mince (fig. 37) ; puisqu’il conserve cette géométrie
après une réflexion ou une réfraction, il possède une grande cohé-
rence interne. examinons son comportement lorsqu’il arrive de l’air
sur une surface de verre : dans le premier milieu, toutes les particules
du fluide situées dans un même plan (Ω) perpendiculaire aux géné-
ratrices du cylindre sont dans un même état de progression ; pendant
le temps très court où il pénètre dans le verre, tous les points de ce
plan (Ω’) n’ont plus la même vitesse : ceux qui atteignent le second 
milieu (a) sont brusquement freinés tandis que les autres (B) conti-
nuent leur progression dans l’air. Cette différence de vitesse modifie

117
une histoire de la lumière

Figure 37

la direction du plan ; la lumière se rapproche donc de la normale et


garde ensuite une direction constante à laquelle sont associés les
plans  Ωr. les lois de la réfraction sont donc justifiées si le fluide
lumineux possède une consistance propre et une vitesse plus faible
dans les milieux plus denses que l’air. C’est la même conclusion
logique qu’énonçait Fermat. Grimaldi n’est pourtant pas entièrement
satisfait : un rayon passant du verre dans l’air s’écarte de la normale
à la surface de séparation ; puisqu’il passe dans un milieu opposant
une moindre résistance, le principe d’inertie voudrait qu’il ne dévie
pas. Voici une contradiction sérieuse. Grimaldi la souligne et note :
« Celui qui arrivera à concilier ces deux choses aura éliminé toutes
ces importantes difficultés et ajoutant la lumière à la lumière aura
bien droit à sa clarté, alors qu’elle est maintenant pour la plupart
des gens enveloppée dans les ténèbres de l’erreur34. » nous sommes
en présence d’une impossibilité qui s’oppose à l’adoption du modèle :
une théorie doit expliquer tous les effets observés, sans en exclure
aucun. si une incompatibilité se manifeste entre une expérience,
effectuée de manière significative, et le modèle que l’on construit,

118
naissance de la science moderne

celui-ci doit être rejeté ou complété. C’est bien le sens de la


méthode scientifique. Grimaldi le sait mais continue à soumettre son
« fluide lumineux » à l’examen des faits en soulignant les incom-
préhensions : il semble convaincu que c’est de l’étude de celles-ci
et des insuffisances de sa théorie que peut naître un autre modèle
plus riche et plus complet. C’est une ébauche de méthode dialectique
qu’il applique, il se montre en cela plus qu’un précurseur : nous
verrons qu’hélas peu d’auteurs ont adopté une démarche aussi critique
alors qu’un résultat négatif peut être plus important pour l’amélio-
ration des conceptions qu’une simple vérification.
essayant donc d’expliquer les couleurs, Grimaldi constate qu’elles
peuvent être produites par simple réflexion, par simple réfraction, par
un prisme, par diffraction : aucun de ces moyens n’est indispensable ;
il peut y avoir ou non changement de milieu, seule la lumière est
présente dans toutes les expériences : il faut en déduire que c’est
elle qui contient les couleurs, qu’elles ne sont pas créées par les
surfaces de séparation comme le pensait descartes. Croyant remar-
quer que les teintes observées dépendent de la « condensation » du
faisceau lumineux (le bleu apparaissant dans un rayon « raréfié », le
rouge dans un pinceau « dense * »), Grimaldi compare ce phénomène
aux ondulations accompagnant l’écoulement d’un fluide et imagine
que la sensation colorée résulte de l’arrivée aux yeux de ces ondes
affectant le liquide lumineux, comme d’autres ondes agitant l’air
causent la sensation sonore. Cette déduction complète la théorie de
Grimaldi. résumons-la : la lumière est un fluide matériel, cohérent,
subtil, animé d’une très grande vitesse ; ses ondulations stimulent
la sensation de couleur. elle peut se réfléchir en rebondissant sur
une surface, se réfracter en subissant une diminution de vitesse à
l’entrée d’un milieu dense et diffracter en heurtant des obstacles de
dimensions équivalentes à celles du pinceau lumineux. Comme nous
l’avons vu, cette théorie laisse inexpliquée la réfraction subie lors
d’un passage d’un milieu de grand indice à un milieu de petit indice
et suppose un processus bien improbable pour justifier la traversée
des corps transparents : puisqu’elle ne permet pas de résoudre les

* la connotation psychologique est évidente :


rouge = chaud = condensé ;
bleu = froid = raréfié.

119
une histoire de la lumière

incohérences et les impossibilités qu’elle révèle, la théorie du fluide


lumineux doit être rejetée. Grimaldi s’en rend compte. il reprend la
théorie ondulatoire. Celle-ci lui paraît encore plus insatisfaisante car
elle lui permet seulement d’expliquer les couleurs… le problème de
la nature physique de la lumière reste donc entier lorsque Grimaldi
meurt prématurément. son œuvre est cependant essentielle en ce
qu’elle a permis une découverte fondamentale : celle de la diffraction.
Quelques années plus tard, en 1676, römer parvient à mesurer
la vitesse de la lumière à partir d’une observation astronomique
mettant en jeu de très grandes distances : les satellites de Jupiter
disparaissent de notre vue lorsqu’ils passent dans le cône d’ombre
de la planète. l’intervalle de temps qui sépare deux éclipses suc-
cessives devrait être constant (de l’ordre d’une révolution, soit
42 heures) ; or, mesuré de la terre, il paraît plus court lorsque
Jupiter est proche de nous, plus long lorsqu’elle est éloignée
(fig. 37 bis). attribuant ces variations au temps mis par la lumière
pour effectuer la différence des parcours Jupiter-terre à différentes
périodes de l’année, römer peut, connaissant les orbites des deux
planètes, déterminer la vitesse de la lumière. la valeur qui sera

Figure 37 bis

120
naissance de la science moderne

trouvée à partir de ces observations est énorme : près de 215 000 km/s.
Ce résultat stupéfiant permet de rejeter définitivement toute théorie
faisant de la lumière un état. les problèmes se clarifient. deux
théories vont être élaborées qui marqueront profondément l’histoire
de l’optique : celle – corpusculaire – de newton et celle – ondula-
toire – de huygens.
iii
le triomphe de la mécanique :
espace plein et géométrisation
d’une lumière ondulatoire
par huygens
n ous avons tous étudié les grandes tragédies de Corneille et
racine, récité, expliqué ces grandes tirades qui exaltent la pré-
éminence du devoir sur le sentiment, magnifient l’autorité du père
et du prince, font de l’obéissance et du respect les vertus premières.
Ces œuvres ont été écrites à l’époque même où nous avons dit que
l’optique se développe considérablement. Progrès scientifiques et
nouvelles valeurs esthétiques s’inscrivent dans un contexte socio-
économique que nous allons évoquer brièvement.

1. Le contexte de l’essor de la science


au xviie siècle, la société européenne est encore marquée par le
féodalisme : elle est divisée en ordres. les nobles et les évêques
possèdent la terre et en recueillent les revenus, lèvent des troupes,
perçoivent des impôts. la grosse majorité du peuple vit encore à la
campagne. l’agriculture domine l’économie « de type ancien » mais
ses techniques n’ont guère évolué depuis le xiiie siècle : les rendements
sont très faibles. un hiver rigoureux, un été pluvieux, le passage des
soldats anéantissent les récoltes et provoquent invariablement une crise
de subsistance : famines, mortalités, vagabondage, mendicité, chute
de la démographie se développent alors ; la répercussion en ville est
immédiate : la hausse du prix du pain entraîne chômage, misère et
révolte. Ces « émotions populaires » reviennent de façon cyclique.
Pourtant l’essor des villes, de l’artisanat et du commerce se pour-
suit. le développement du trafic maritime profite maintenant aux

125
une histoire de la lumière

pays atlantiques (France, angleterre, suède, Provinces-unies). les


industries, essentiellement artisanales, prospèrent, des manufactures
assurent la transformation des richesses : la bourgeoisie joue un rôle
de plus en plus important et les marchands contrôlent maintenant
les charges municipales. les banques se créent ; des commerçants-
fabricants emploient, dans le textile surtout, de nombreux artisans
dispersés travaillant à domicile : le capitalisme apparaît. Cette muta-
tion économique s’accompagne d’une forte inflation qui favorise les
accapareurs et augmente le fardeau pesant sur le peuple. les nobles
eux-mêmes connaissent des difficultés : leurs revenus, tirés de la
terre, n’augmentent pas et ne suivent pas la montée des prix ; pour
conserver leur train de vie, ils sont amenés à vendre leurs biens aux
bourgeois et à une nouvelle noblesse, de robe celle-là, qui, tirant ses
profits des charges accordées, s’enrichit. À la société hiérarchisée en
ordres qui s’affaiblit se superpose une autre structure, engendrée par
la fonction économique et la richesse qu’elle amène : l’importance
des classes sociales s’affirme. la domination de la noblesse d’épée et
du clergé pèse à la bourgeoisie : les guerres religieuses, les conflits
d’autorité, les rivalités des souverains ne s’accordent pas forcément
avec les intérêts des affairistes. les pouvoirs royaux font payer aux
riches et au peuple le prix des campagnes militaires. le mode de
production féodal tient en respect l’appétit de gain des nantis. une
contradiction apparaît entre la vieille société et les nouvelles forces
économiques.
après 1600, alors que déclinent les villes italiennes et stagne
l’espagne, la puissance des Provinces-unies s’affirme : l’agriculture,
le commerce, les chantiers navals, les manufactures s’y développent.
l’afflux des capitaux étrangers permet une prospérité sans précédent
de la hollande. Bientôt les « Pays-Bas » dominent l’europe. les
protestants, fuyant la Flandre espagnole, contribuent profondément
au développement économique : c’est tout naturellement donc que
la hollande devient la terre d’asile des réfugiés, le pays de la liberté
de pensée et d’expression, celui dont les gazettes sont lues dans
l’europe entière, celui dont les éditeurs impriment les livres dont la
publication est interdite ailleurs (les Discorsi par les elzévir), celui
où vit et écrit sans censure descartes. l’université de leyde, nouvel-
lement créée, dispense un enseignement neuf, expérimental, pratique.
au cours de la première moitié du xviie siècle, les Provinces-unies

126
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

sont le foyer intellectuel et artistique de l’europe. de nombreux


architectes, musiciens, peintres (Vermeer, rembrandt…) y vivent.
Cette prééminence est bientôt menacée par deux monarchies :
l’angleterre – où Charles ii favorise les milieux d’affaire et permet
à la classe capitaliste de parvenir au pouvoir politique – et la France
que richelieu unifie autour du pouvoir royal. les « Grands » se
révoltent lors de la Fronde dont triomphe mazarin. lorsqu’il prend
le pouvoir, louis XiV n’oublie pas les humiliations subies au cours
de la révolte, aussi il soumet la noblesse dans sa cour et s’entoure
– pour gouverner – d’un nombre restreint de collaborateurs qu’il
choisit – afin de mieux en disposer – parmi les bourgeois. Bientôt
Colbert dirige l’économie française (1664) et favorise la mutation
économique : il crée des manufactures d’État (les Gobelins), développe
les chantiers navals, améliore la circulation des produits en France,
instaure des protections douanières, mais aussi autorise la traite des
noirs et tolère – outre-mer – l’esclavage : les idées mercantilistes
(acheter peu mais vendre beaucoup) sous-tendent sa politique. le
droit romain et le centralisme dominent maintenant. Bien sûr, l’agri-
culture est encore prédominante, bien sûr le roi décide (ses dépenses
guerrières ou de prestige – Versailles, marly, la Cour… – contrarient
les efforts de son conseiller), bien sûr celui-ci veut encore assurer
la richesse de son prince, mais entre l’économie de type ancien et
la bourgeoisie, la contradiction se développe au plus haut niveau :
au sein même du pouvoir. la politique française est marquée à la
fois par des décisions de « bon vouloir » et par des mesures tendant
à favoriser la classe capitaliste.
entre les deux forces existent aussi des conjonctions : le roi
veut des sujets soumis et s’appuie sur un idéal religieux prônant
l’obéissance et le respect envers les ordres dominants. la bourgeoi-
sie a besoin du travail d’artisans dévoués, de l’organisation et de la
rationalisation des échanges : elle s’appuie sur un idéal autoritaire
prônant l’obéissance à la hiérarchie sociale. la base idéologique est
commune : l’idéal esthétique répond aux soucis d’ordre et d’unité. de
fait, dès que la position de la France devient dominante en europe,
le « classicisme » triomphe partout où se transforme l’économie :
clarté, mesure, absence de fantaisie, obéissance aux règles en sont
les caractéristiques. la raison doit l’emporter sur l’imagination jugée
dangereuse et inférieure. il faut rejeter ce qui est excessif, spontané,

127
une histoire de la lumière

irréfléchi, exceptionnel mais rechercher le sobre, le clair, le vraisem-


blable, l’universel, le grandiose, le majestueux. l’idéal de raison
s’appuie sur le culte de l’ordre antique : Corneille et racine imitent
la façon d’écrire des anciens en ce qu’elle respecte la « règle des
trois unités », Bossuet restaure le goût des oraisons, la Fontaine
écrit des fables moralisantes, tout en réservant à d’autres lecteurs
des « contes » beaucoup plus légers mais, je le dirai plus bas, à
l’époque cette dualité n’est pas contradiction. Colbert envoie les
jeunes artistes à rome pour « copier exactement les chefs-d’œuvre
antiques sans rien y ajouter1 » ; en architecture, la sévère ordonnance
des colonnades, des frontons triangulaires et des terrasses réapparaît
(Versailles, le louvre) ; les jardins « à la française » de le nôtre
sont symétriques ; les peintures et les sculptures magnifient des
personnages froids, rigides, des guerriers sacralisés, placés dans un
cadre mythologique ; lully ponctue la mesure de violents coups de
canne ; la couleur fait horreur : les fresques romanes sont plâtrées,
un plan de destruction des vitraux médiévaux dressé2. « louis XiV
encourage les arts » mais – à l’exception de molière * – seuls les
artistes qui magnifient les idéaux de respect et d’obéissance bénéfi-
cient de pensions et de récompenses. des académies artistiques sont
créées pour donner à tout le mouvement culturel l’unité de direction
voulue par le pouvoir **. la Cour sert d’exemple : le roi, représentant
de dieu et source de toute justice, y règne en maître ; ses sujets
lui doivent une obéissance absolue ; l’académisme triomphe. mais
Port-royal et les jansénistes résistent aux valeurs de la monarchie
et, d’autre part, un fort courant « libertin » maintient truculence,
non-conformisme et richesse intellectuelle. Ce libertinage est héri-
tier d’Épicure et de la relecture de lucrèce au xvie siècle ; il est
marqué par Peiresc, Gassendi, Cyrano de Bergerac… C’est de lui
dont témoigne le Dom Juan de molière. les libertins affirment à
nouveau la dignité de l’homme face aux dogmatismes, inventent la
forme moderne de l’esprit critique, refusent la notion de système
philosophique complet, défendent en sciences – Pierre Gassendi

* encore celui-ci moque-t-il nobles et nouveaux enrichis, ce qui n’est pas pour
déplaire au prince…
** l’académie française, créée par richelieu, avait déjà pour objet de renforcer
l’influence du pouvoir royal.

128
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

(1592-1655) en est un exemple insigne – l’atomisme, qui n’est pas


forcément un matérialisme : le pieux chanoine s’attache à corriger
« l’impie Épicure » et se refuse à faire des atomes les agents de la
Création. il reste que les libertins peuvent se montrer secrets, non
par précaution, mais parce qu’ils assument la distinction entre public
et privé de michel de montaigne (1533-1592).
Pour favoriser le développement des connaissances pratiques
et permettre de diriger les recherches vers les secteurs productifs,
Charles ii et Colbert créent de nouvelles structures, appelées ici
encore académies. en 1662 est fondée la Royal Society dans laquelle
toute discussion sujette à contestations politiques (métaphysique,
théologie, morale…) est interdite mais qui se donne pour but d’amé-
liorer les arts « utiles » (manufactures, machines, inventions…)3 ; ses
séances plénières sont pourtant bientôt consacrées à de vastes débats
visant à « construire un système complet et solide de philosophie
capable d’expliquer tous les phénomènes produits par la nature ou
par l’art ». en 1666 apparaît à son tour l’académie des sciences :
elle fonctionne sur le modèle hiérarchique mis partout en valeur et
Colbert y intervient, stimulant l’assiduité et la productivité par l’ins-
tauration du jeton de présence, orientant les travaux des membres
vers les secteurs utiles au commerce et à l’industrie, attribuant des
pensions aux savants (huygens et Cassini, appelés en France par
Colbert, bénéficient des plus importantes), allouant des subventions
qui permettent à l’expérimentation de se développer (l’observatoire
de Paris est construit en 1667). la directivité dont fait preuve le
ministre laisse peu de place à la liberté dans l’assemblée parisienne,
aussi nombre d’érudits préfèrent continuer de travailler et d’échanger
leurs idées, selon une tradition développée par le père mersenne,
hors de ce cadre contraignant ; celui-ci va pourtant s’imposer de
plus en plus. des périodiques scientifiques sont créés et soutenus
officiellement : en 1665 paraît pour la première fois le journal de
l’académie londonienne, les Philosophical Transactions, dans lequel
les comptes rendus des réunions de la royal society paraissent et
peuvent être connus et discutés dans l’europe entière. la même
année, avant donc la création de l’académie des sciences, le Journal
des savants est fondé à Paris : il veut être une chronique générale
de la vie scientifique et offre des résumés, des notes critiques sur

129
une histoire de la lumière

tous les ouvrages scientifiques qui paraissent, les vulgarise et stimule


ainsi l’activité des chercheurs.
les conditions matérielles du travail scientifique se modifient
donc : les échanges personnels et les envois de livres qui étaient
jusqu’alors prépondérants vont peu à peu être supplantés par les
informations véhiculées par les journaux ou en provenance des aca-
démies : dans la science mondaine, celle des mécènes, des princes
et des « conversations de salon » émerge ainsi un nouveau type de
circulation des idées. des polémiques se développent publiquement ;
les travaux progressent et se multiplient : en mathématiques, leibniz
et newton découvrent simultanément et indépendamment le calcul
infinitésimal que les Bernoulli systématisent, huygens fait progresser
les probabilités ; en chimie, les chercheurs réunis autour de Boyle,
puis mariotte, énoncent les lois des gaz, Boyle introduit la notion
d’élément chimique ; en sciences naturelles, tournefort donne des
classifications d’animaux et de végétaux, swammerdam étudie l’ana-
tomie et la biologie des insectes, malpighi les tissus vivants, Van
leeuwenhoek découvre les spermatozoïdes et les globules sanguins.
en optique, nous le verrons, se développent les travaux de römer,
Bartholin, newton et huygens. l’époque est surtout marquée par
la diffusion du cartésianisme : celui-ci devient une mode, passionne
– grâce à la physique surtout – les gens du monde4, se trouve placé
au centre d’une sévère lutte d’influence que se livrent trois groupes
religieux désirant s’assurer le contrôle de l’enseignement : les jan-
sénistes – attachés à descartes –, les oratoriens – favorablement
disposés eux aussi parce qu’ils voient une ressemblance entre le
spiritualisme de descartes et celui de saint augustin –, les jésuites
enfin – hostiles à descartes et désirant garder leurs cours traditionnels.
tous ceux qui tiennent à préserver une situation acquise – jésuites,
théologiens, péripatéticiens – voient dans le cartésianisme un danger
et parviennent « à convaincre le pouvoir royal et même le Parlement
qu’il y va de l’ordre public : la doctrine de descartes est interdite
[…] par un pouvoir temporel chargé de la police publique4 » :
après l’université de louvain, en 1662, et la sorbonne, en 1669 et
1672, louis XiV s’oppose plusieurs fois à ce que la physique car-
tésienne soit enseignée dans les universités françaises. le pape met
le philosophe à l’index. la fréquence des interdictions prouve leur
inefficacité : peu à peu les habitudes de pensée du cartésianisme

130
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

sont assimilées et s’imposent, progressant d’ailleurs plus du côté


de la métaphysique que de la physique. d’amsterdam, Baruch spi-
noza alimente le débat de fond : il envoie des lettres à tout ce que
l’europe compte d’hommes de science et publie deux ouvrages : les
Principia Renati Descartes (où il pousse l’esprit critique et le doute
méthodique jusqu’aux domaines, exclus par descartes, de la morale
et de la métaphysique) et l’Éthique où il souhaite que l’homme puisse
atteindre la sagesse en construisant sa vie sur les principes qu’il se
fixe, rejette toute philosophie, révélation ou religion non fondée sur
la raison et affirme que seule cette dernière permet d’accéder à la
connaissance de dieu qui est un principe spirituel, une substance
constitutive de la réalité de l’univers. Cette rigueur logique affole
les théologiens, qu’ils soient de Port-royal *ou de la compagnie de
Jésus, mais passionne l’europe savante.
mais, nous allons voir que dans cette discussion, le cartésianisme,
grâce surtout à Christiaan huygens (1629-1695), va, en physique,
devenir une vraie mécanique, cesser de recourir à un « roman du
monde », tandis qu’isaac newton (1643-1727) va étendre la science
galiléenne, en lui permettant, au sein d’une autre mécanique, d’expli-
quer tous les faits physiques connus, de l’infiniment grand à l’infi-
niment petit. Ces apports vont permettre de formuler deux théories
mécaniques, mathématisées et contradictoires de la lumière : ondu-
latoire de huygens et corpusculaire de newton. Pour la clarté de
l’exposé, nous allons les envisager successivement, alors qu’elles
sont formulées en des temps qui s’intersectent.

2. La théorie ondulatoire de Huygens


et le cartésianisme
nous avons vu que, dès l’antiquité, des philosophes comparent
la lumière aux sons et en font une onde qui se propage ; nous
avons dit comment les chercheurs du moyen Âge, Grossetête et
r. Bacon notamment, expliquent la propagation rectiligne par la

* mais Blaise Pascal assure la séparation nette entre dieu, indémontrable en phi-
losophie car atteignable par la seule foi, et les sciences ou la philosophie, qui étudient
la raison et la création.

131
une histoire de la lumière

progression de vagues mettant en vibration la forme corporelle


première qu’est la lumière ; nous avons montré comment Grimaldi
explique les couleurs par des ondulations comparables à celles
qui accompagnent l’écoulement d’un fluide. Jamais encore nous
ne nous sommes pourtant attachés à expliquer ce que sont ondes
et vibrations parce que les allusions à ces notions étaient toujours
peu précises ; il n’en est pas de même dans la théorie ondulatoire
de huygens, aussi allons-nous définir rapidement les concepts que
nous aurons à utiliser.

Les ondes
Quand il arrive dans l’eau, un caillou provoque l’apparition de
rides circulaires qui progressent du centre vers la périphérie : on
appelle ondes les suites de crêtes ou de creux qui se propagent. si
un bouchon flotte à la surface, il s’élève ou descend au passage de
l’onde sans être entraîné par elle : le bouchon est porté par les par-
ticules d’eau dont il figure le mouvement, il entre en vibration. il
existe donc une différence fondamentale entre les mouvements de
l’onde et de l’eau : le mouvement de l’onde est celui du lieu des
points se trouvant dans un même état vibratoire (par exemple la
crête des vaguelettes), c’est donc le mouvement d’un état de la
matière et non celui de la matière elle-même ; le mouvement des
particules d’eau (le mouvement de la matière) étant la vibration de
haut en bas, de part et d’autre de la position d’équilibre. dans
l’exemple choisi les vibrations sont transversales à la direction de
propagation de l’onde. nous allons essayer de préciser les relations
existant entre ondes et vibrations : lorsqu’il touche la surface, le
caillou entraîne des particules d’eau vers le bas (fig. 38) ; celles-ci
tendent à revenir à leur position initiale mais la dépassent par iner-
tie et vibrent ; elles communiquent leur mouvement aux particules
voisines ; de proche en proche, le mouvement vibratoire se transmet,
du centre d’ébranlement à la périphérie. l’onde est donc une impul-
sion qui se propage par l’intermédiaire de la matière. ondes et
vibrations sont toujours associées.
si nous considérons la surface d’une mare dans laquelle vient de
tomber un caillou, nous voyons de nombreuses petites rides circu-

132
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

Figure 38

laires se succéder : il existe donc une infinité de points se trouvant,


en même temps, dans le même état vibratoire. le lieu des points
atteints au même temps par l’onde est appelé front d’onde.
examinons d’autres exemples d’ondes et de vibrations : une
légère brise qui souffle sur un champ de blé courbe les épis ; ceux-
ci ne subissent que de petites oscillations autour de la position
verticale mais une onde se propage à la surface du champ. les
vibrations ont ici même direction que celle selon laquelle se propage
l’onde : elles sont longitudinales. les ondes que nous venons de
décrire restent dans un plan ; nous pouvons généraliser les notions
introduites en considérant une source bien définie placée au sein
d’un milieu homogène et tridimensionnel. supposons donc une
petite sphère placée dans un liquide visqueux et animée d’un mou-
vement alternatif de rotation autour d’un axe : le liquide visqueux
adhère à la sphère et ses particules s’animent du même mouvement ;
celui-ci se transmet de proche en proche et se propage dans toutes
les directions. les parties du liquide n’effectuent que de petites
vibrations mais l’énergie du mouvement est transmise dans tout le
liquide par des ondes (fig. 39). au même temps, les lieux des points

133
une histoire de la lumière

Figure 39 Figure 40

Figure 41

qui sont dans un même état vibratoire sont des sphères appelées
surfaces d’onde. les vibrations sont ici transversales à la direction
de propagation de l’onde mais on peut citer des exemples tridimen-
sionnels où elles sont longitudinales. soit un petit ballon sphérique
en caoutchouc placé dans une cuve d’eau ; il est gonflé et dégonflé
selon un mouvement rythmique ; les pulsions qu’il imprime aux
particules d’eau qui sont à son contact se propagent dans toutes les
directions par l’intermédiaire d’ondes sphériques (fig. 40) ; les
vibrations sont dirigées selon le rayon de celles-ci et sont bien
longitudinales. un observateur placé très loin du centre d’ébranle-
ment à partir duquel se propage une onde sphérique a l’impression

134
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

que celle-ci se déplace selon le rayon so (fig. 41). la portion


d’onde qu’il peut étudier est très petite, son rayon de courbure est
très grand : il l’assimile donc à son plan tangent. C’est une onde
plane qu’il croit observer. si les vibrations sont longitudinales, elles
sont confondues avec la direction de propagation de l’onde et sont
donc perpendiculaires au plan d’onde ; elles sont contenues dans
celui-ci si elles sont transversales. le concept d’onde plane que
nous venons d’introduire est une fiction qui nous sera très utile
dans l’étude de la théorie ondulatoire de la lumière que nous pou-
vons maintenant aborder.

Le principe de Huygens
Christiaan huygens est issu d’une grande famille hollandaise. son
père, diplomate, poète, musicien, scientifique, s’entoure de philosophes
et d’artistes : il aide rembrandt, appuie Corneille, reçoit fréquemment
descartes qui lui soumet, avant de la publier, sa Dioptrique mais
qui, surtout, dirige l’éducation mathématique du jeune Christiaan
qu’il « tient en affection très ardente » et dit « être de son sang5 » ;
l’enfant possède de nombreux autres précepteurs qui lui enseignent la
musique, le dessin, le français, la mécanique… Bientôt l’adolescent
étudie à leyde, en devient le meilleur mathématicien, participe aux
batailles que mène le milieu tolérant et cosmopolite dans lequel il
vit, pour imposer le cartésianisme. descartes soumet à celui qu’il
appelle maintenant « le nouvel archimède » les problèmes qu’il ne
sait résoudre et notamment celui de la quadrature du cercle * dont
huygens démontre l’impossibilité.
descartes, même s’il n’a pas publié son ouvrage « trop » coperni-
cien Le Monde ou Traité de la lumière a donc enseigné sa concep-
tion de l’univers à son jeune élève et lui en a développé toutes les
subtilités. adulte, Christiaan huygens développe rationnellement,
logiquement et complètement une théorie de la lumière, conséquence
d’une vision du monde cartésienne. nous avons vu comment descartes
conçoit que tout l’espace est occupé par des sphères d’air subtil, au
contact les unes des autres, participant à de nombreux tourbillons

* réduction d’un cercle en carré de même surface et de côté entier.

135
une histoire de la lumière

Christiaan Huygens

qui entraînent les planètes. la force centrifuge que crée le mouve-


ment de ces sphères pourrait les pousser vers l’extérieur mais elles
sont maintenues sur leurs trajectoires circulaires par les sphères
situées juste au-dessus d’elles : une pression s’exerce donc au centre
du tourbillon vers la périphérie, selon les rayons, et cause, grâce
aux yeux de l’observateur, la sensation lumineuse. le mouvement
très rapide et très violent des parties d’une flamme se communique
de même aux sphères d’air subtil et la pression « fort tremblante »
qui en résulte donne à l’œil l’impression de lumière. dans ses der-
nières œuvres, descartes ajoutait que la réflexion et la réfraction
résultent de la propagation d’une telle pression : celle-ci suivrait la
même trajectoire qu’un mobile lancé et abandonné à lui-même ; en
arrivant d’un milieu à un autre elle pourrait traverser la surface de
séparation « ainsi qu’une balle rompt une toile » (c’est la réfrac-
tion) ou rebondir (réflexion). Cette représentation, nous l’avons dit,

136
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

comprenait une contradiction : elle faisait de la propagation de la


lumière à la fois un contact et le cheminement de sphères. rompre
avec ce « roman » est la tâche que va s’assigner huygens dans son
Traité de la lumière, lu dans sa première partie à l’académie des
sciences en 1678, publié en 1690, alors que huygens ne pouvait
plus rentrer en France, chassé, lui protestant, par la révocation de
l’édit de nantes * (1685).
les partisans d’une lumière matérielle avaient, de tout temps,
souligné l’élégance de leur conception pour expliquer la propaga-
tion rectiligne et remarquaient, par contre, que celle-ci rendait bien
inconcevable la possibilité d’une lumière-perturbation. Ce n’est pas
sans malice que – dès les premières pages de son œuvre – huygens
va retourner l’argument. la lumière est produite par une flamme,
condensée au moyen d’une loupe, elle peut embraser les substances.
Puisque le feu résulte de l’agitation des parties d’un corps, la
lumière « désunit les parties du corps ; ce qui marque assurément
du mouvement, au moins dans la vraie philosophie, dans laquelle
on conçoit la cause de tous les effets naturels par des raisons de
mécanique. Ce qu’il faut faire à mon avis, ou bien renoncer à toute
expérience de ne jamais rien comprendre dans la physique6 ».
huygens est donc un chaud partisan de la mécanique. mais le
mouvement résulte-t-il de la propagation des corpuscules ou de
l’effet d’une onde ? les rayons peuvent se croiser sans être déviés
ou affaiblis : comment des particules matérielles lancées à très
grande vitesse pourraient-elles continuer à suivre, toutes, des tra-
jectoires rectilignes après avoir coupé une infinité d’autres trajec-
toires décrites par d’autres corpuscules ? il faudrait admettre que
les « grains de matière » ne se heurtent jamais ; comment pourraient-
ils ne pas le faire lorsque des rayons lumineux s’opposent ? Pour
huygens, ces arguments justifient le rejet d’une théorie corpuscu-
laire qui ne peut rendre compte de la propagation rectiligne. « C’est
donc d’une autre manière que la lumière s’étend7. » le mouvement

* notons l’identité du titre avec l’œuvre non publiée de descartes : l’allusion est
évidente ; newton va, de même, par ses Principia mathematica, répondre aux Princi-
pia philosophiae de descartes. huygens fait souvent référence à l’œuvre (perdue) de
Pardies, le premier à avoir tenté d’élaborer une théorie ondulatoire sur les bases de la
science moderne.

137
une histoire de la lumière

ne pouvant être accompagné d’aucun transport de matière, il est


dû à des ondes. mais lorsqu’une onde se propage, des vibrations
affectent un milieu matériel (l’air dans le cas des sons, l’eau pour
les vagues…). Puisque le soleil nous éclaire, sa lumière parcourt
la distance le séparant de la terre : il faut donc qu’un milieu
emplisse l’espace intersidéral – c’est l’éther. d’emblée huygens
est obligé de postuler l’existence de ce milieu indispensable à sa
théorie et va nous en donner une représentation au moyen d’une
analogie mécanique : un bon joueur de billard tirant une boule
exactement derrière une rangée d’autres boules au contact fait
jaillir la première de celles-ci sans que les autres ne bougent
(fig. 42) ; l’impulsion s’est propagée : l’onde est ici associée à de
légères vibrations longitudinales et sa vitesse est d’autant plus
grande que les sphères sont dures. si maintenant des boules sont
au contact dans un plan (fig. 43), le choc engendré par l’arrivée
d’une autre (a) provoque instantanément l’écartement des boules
(C) équidistantes du point de choc (B) : une onde circulaire asso-
ciée à de légères vibrations longitudinales s’est propagée avec une

Figure 42

Figure 43

138
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

vitesse très grande dans le plan. l’éther transmet les ondes lumi-
neuses avec leur vitesse énorme de la même manière : il est méca-
niquement analogue à des sphères très dures au contact dans les
trois dimensions de l’espace * et s’insinue partout. dès lors « l’agi-
tation des parties d’un corps [qui cause le feu] » peut créer des
ébranlements très rapides qui se propagent dans toutes les directions :
les ondes lumineuses partiraient ainsi de chaque point de la source
et se renforceraient mutuellement. « ainsi dans la flamme d’une
chandelle […] les cercles concentriques décrits autour (des points
a, B, C – fig. 44) représentent les ondes qui en proviennent8. »
Jusqu’ici, huygens ne fait que reprendre les conceptions de des-
cartes. il va maintenant essayer de nous faire partager la conviction
qu’il a de l’existence de l’éther en démontrant que son introduction
résout le problème de la propagation rectiligne de rayons qui se
croisent sans s’affaiblir. C’est encore à une analogie mécanique
qu’il va avoir recours.

Figure 44

* huygens précise : « sans supposer que les particules altérées soient de forme
sphérique (car je ne vois pas d’ailleurs qu’il soit besoin de les supposer telles) » (op. cit.,
p. 17) et « on peut concevoir que ces particules de l’éther […] sont encore composées
d’autres parties, et que leur ressort consiste dans le mouvement très rapide d’une matière
subtile, qui les traverse de tous côtés » (op. cit., p. 15).

139
une histoire de la lumière

Considérons des sphères très dures suspendues les unes après


les autres de manière à s’effleurer et à être alignées selon une droite
(fig. 45). Écartons la première boule et laissons-la retomber : elle
s’immobilise dès qu’elle touche sa voisine et lui a donc commu-
niqué tout son mouvement ; nous voyons cependant la dernière
boule se soulever sans que les autres aient bougé (fig. 46) : une
onde, associée à des vibrations longitudinales, s’est propagée. la
dernière boule retombe et fait rejaillir la première : une autre onde
s’est propagée en sens inverse. l’alternance des jaillissements se

Figure 45

Figure 46

Figure 47

140
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

maintient pendant un long intervalle de temps : les mouvements


sont peu amortis. soulevons maintenant les deux boules extrêmes
et laissons-les retomber en même temps (fig. 47) : elles rejaillissent
en deux mouvements contraires et atteignent une hauteur égale à
celle observée dans l’expérience précédente pour peu que les boules
aient été écartées de la même hauteur dans les deux cas : deux
ondes se sont propagées en sens inverses sans se gêner l’une l’autre.
Pour huygens c’est selon le même processus que les ondes lumi-
neuses peuvent suivre des sens différents sans s’affaiblir ou être
déviées.
une difficulté demeure : dans un assemblage tridimensionnel,
une sphère communique à toutes ses voisines l’impulsion qu’elle
a reçue (fig. 48) et devient donc le centre d’une onde sphérique

Figure 48

« secondaire ». Chaque particule d’éther participant au passage de


la lumière devrait, de même, réémettre celle-ci dans toutes les direc-
tions, ceci n’est-il pas contredit par l’observation de la propagation
rectiligne ? huygens va résoudre ce problème. il suppose qu’un ébran-
lement est communiqué au temps t0 à un point a (fig. 49) : celui-ci
transmet son mouvement à tous ses voisins ; une onde sphérique se
propage : elle est en hi au temps t1 et en dF en t2. mais au temps
t1, tous les points (b) atteints par l’onde entrent en ébranlement et
émettent aussi des ondes sphériques « secondaires » qui atteignent
les sphères Kl au temps t2. les ondes dF (venant de a) et Kl
(venant de b) ne concourent que sur la sphère dF. il en serait de
même pour toutes les ondes secondaires émises par des points (d
par exemple) touchés entre t1 et t2. ainsi toutes les ondelettes émises
par tous les points atteints par l’onde de centre a entre les temps t0
et t2 se renforcent mutuellement en t2 sur la sphère dF c’est-à-dire

141
une histoire de la lumière

Figure 49

au lieu des points atteints par l’onde principale *. Puisque onde et


ondelettes transmettent l’impulsion, celle-ci aura un effet intense sur
dF, très faible ailleurs. tout se passe donc comme si a était le seul
centre d’ébranlement mais nous pouvons, indifféremment, considérer
que tous les points atteints en un même temps par l’onde sont les
centres d’ondelettes qui se renforcent sur leur enveloppe commune :
l’onde principale. l’effet de l’impulsion n’est appréciable que sur
celle-ci. Ces propositions, connues aujourd’hui sous le nom de prin-
cipe d’huygens, vont permettre de rendre compte de la propagation
rectiligne de la lumière.
huygens suppose qu’une onde lumineuse est émise, au temps t0,
du point a (fig. 50) ; au temps t1 elle atteint un diaphragme circu-
laire placé en BG. Chaque particule d’éther située dans l’ouverture
peut être considérée comme source secondaire. au temps t2, les
ondes de centres b sont en Kl ; elles n’ont d’enveloppe commune

* en t1 le rayon de la sphère hi est aB = x = vt1 ;


en t2 le rayon de la sphère dF est aC = x’ = vt2 ;
celui des sphères Kl est BC = v(t2 – t1) = x’ – x ;
toutes les ondes et ondelettes se renforcent sur dF.

142
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

Figure 50

qu’à l’intérieur du cône aBG et ne se renforcent donc que sur Ce.


Partout ailleurs, l’énergie lumineuse est négligeable ; l’intensité de
la lumière ne peut donc être appréciée qu’à l’intérieur du cône aCe
limité par les génératrices aC, ae… c’est-à-dire par le diaphragme :
la propagation rectiligne est justifiée. huygens vient d’obtenir un
beau succès propre à lever les blocages intuitifs s’opposant, avant
lui, à l’adoption du modèle ondulatoire. il va maintenant pouvoir
montrer que sa théorie permet d’expliquer la réflexion et la réfrac-
tion de la lumière.

Explication des lois de Descartes

lorsque l’on considère un phénomène lumineux quelconque,


la source peut toujours être considérée placée à l’infini à l’échelle
des ondes : pour tout observateur, l’onde sphérique se réduit donc
à une onde plane aC (fig. 51) se propageant selon des rayons
lumineux qui lui sont perpendiculaires (hm) avec une vitesse v.
À un instant donné t0 l’onde est en aC ; un peu plus tard (en t1),
elle est en BG ; entre ces deux temps elle a parcouru la distance

143
une histoire de la lumière

Figure 51

aG = hm = CB = v (t1 – t0). supposons maintenant qu’une surface


séparant deux milieux existe en aB ; tous les points (K) de cette
surface atteints successivement par l’onde constituent tour à tour
des centres d’ébranlements secondaires et émettent des ondelettes
qui se propagent dans chacun des deux milieux. nous n’allons tout
d’abord considérer que le milieu d’incidence.
lorsque au temps t1 l’onde plane arrive en B, l’ondelette émise
en t0 du point a dans le premier milieu atteint des points situés sur
la demi-sphère snr de centre a ; de même toutes les ondelettes
émises par les points K entre t0 et t1 arrivent en des points situés
sur des demi-sphères de rayons de plus en plus petits puisque les
centres d’ébranlements ont été touchés plus tard par l’onde incidente.
toutes les ondelettes ont même enveloppe commune : le plan nB ;
l’énergie lumineuse est donc intense sur celui-ci, négligeable partout
ailleurs ; nB est donc l’onde plane réfléchie ; comme elle fait avec la
surface de séparation un angle égal à celui que fait avec cette même
surface l’onde incidente, les lois de la réflexion sont justifiées *. il

* aG = an = v (t1 – t0) ; toutes les ondes secondaires ont des rayons égaux aux
Km ; les triangles anB et aCB sont égaux (rectangles en n et C, hypoténuse aB
commune et an = aG = CB)  • angle BaC = angle aBn.

144
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

reste à expliquer ce qui se passe dans le second milieu : pour cela, il


faut connaître comment varient les vitesses des ondes dans les corps
qu’elles traversent et donc imaginer comment elles se transmettent
dans les gaz, les liquides, les solides… huygens va devoir postuler
une structure de la matière et dire comment les parties constitutives
de celle-ci participent à la transmission des ondes.
il est facile d’admettre que les particules d’un gaz ou d’un
liquide, non jointives, sont baignées d’éther et peuvent, comme
lui, entrer en vibration lorsqu’elles sont atteintes par l’onde. un tel
modèle ne semble pas pouvoir s’appliquer aux solides : comment les
parties de ceux-ci pourraient-elles être mobiles alors que les corps
qu’elles forment sont durs, rigides et possèdent des formes propres ?
huygens remarque que pourtant ces solides laissent passer la gravité,
les « tourbillons de l’aimant » et la lumière : ils ne sont donc pas
formés de matière homogène et continue mais de particules non
jointives *. ainsi, comme newton, huygens est amené à envisager
que les solides ont une structure discontinue. il croit même pouvoir
affirmer, en s’appuyant sur le résultat de nombreuses expériences,
que l’éther baigne leurs parties constitutives et circule librement au
travers de l’assemblage qu’elles forment **. s’il en est bien ainsi,
deux mécanismes de propagation de la lumière au travers des solides
peuvent être proposés : soit les vibrations affectent le seul éther
mais sont gênées par les parties du solide plus grosses – l’onde est
ralentie –, soit l’éther et les particules entrent en vibrations – le
mouvement est encore retardé. ainsi, quelle que soit la manière dont
l’onde est transmise, la vitesse de la lumière doit être plus faible
dans un solide que dans l’éther. en considérant la condensation des
différents milieux, on peut même conclure que la lumière va moins
vite dans un solide que dans un liquide, dans un liquide que dans

* on reconnaît bien là le schéma cartésien : la gravité, le magnétisme, la lumière


s’expliquent tous par des « chocs » affectant une « matière subtile » ; puisque ces
« chocs » sont transmis par les solides, ceux-ci contiennent la matière subtile et ne
peuvent être continus.
** il considère, par exemple, un tube barométrique empli de mercure ; si on dimi-
nue la pression, le niveau de mercure baisse ; l’extrémité du tube se vide. Pourtant ce
« vide » laisse instantanément passer un rayon lumineux : ceci signifie que l’éther est
présent ; cet éther peut soit avoir traversé librement la paroi de verre, soit avoir circulé
librement dans le mercure.

145
une histoire de la lumière

un gaz, dans un gaz que dans l’espace intersidéral, empli d’éther.


Cette différence de vitesse s’accorde avec le « bon sens » exalté par
Grimaldi et Fermat ; elle va permettre à huygens de rendre compte
de la réfraction des ondes lumineuses.
reprenons l’exemple cité plus haut d’une onde plane aC arri-
vant sur la surface de séparation air-verre aB (fig. 52) mais
intéressons-nous maintenant aux ondes produites dans le second
milieu. au temps t0 l’onde est en a, au temps t1 elle est en B.
entre ces deux temps elle a frappé successivement tous les points K
de la surface qui, comme a, sont devenus les centres d’ondelettes
demi-sphériques qui se sont propagées dans le second milieu avec
une vitesse plus faible que dans le premier : toutes ces ondes
secondaires ont une même enveloppe commune (c’est le plan nB).
l’intensité lumineuse est donc intense selon ce plan, négligeable
partout ailleurs. nB est donc l’onde réfractée. le rayon réfracté
lui est perpendiculaire : c’est an, dont on voit qu’il s’approche
de la normale eF à la surface de séparation, comme il le fait
effectivement lors d’un passage air-verre. huygens vient de rendre
compte de la réfraction. en approfondissant son raisonnement il
démontre même que les lois de descartes sont justifiées si les
vitesses de propagation des ondes sont inversement proportionnelles

Figure 52

146
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

aux indices des milieux traversés. C’est le résultat inverse que


supposaient toutes les théories corpusculaires de la lumière, depuis
ibn al-haytham : les mêmes lois expérimentales peuvent donc être
expliquées d’un point de vue strictement logique par des théories
ayant des conséquences totalement opposées ! la mesure de la
vitesse de la lumière dans un milieu autre que l’espace intersidéral
pourrait, à elle seule, décider de la vie ou de la mort de l’une des
deux théories en présence. les physiciens savent maintenant qu’ils
doivent tenter de réaliser cette expérience cruciale. Cette mesure
n’ayant pu être faite au xviie siècle, les chercheurs durent en rester
au débat d’idées et à l’examen logique des propositions en présence.
Comme eux, continuons donc de soumettre la théorie ondulatoire
à l’examen des faits.

De nouveaux faits expérimentaux


la description de nombreux phénomènes curieux parsème les
récits des grands voyageurs : des hommes voient apparaître des oasis
dans le désert, des navigateurs aperçoivent le matin des îles qui
devraient leur être dissimulées par la courbure de la terre mais
l’image qu’ils observent s’estompe au cours de la journée et dispa-
raît le soir… Vous-même, n’avez-vous jamais vu le soleil se coucher
sur la mer derrière une ligne située bien au-dessus de celle de
l’horizon ou, séjournant en montagne, n’avez-vous pas vu apparaître
par temps humide, et à votre grand étonnement, un sommet habi-
tuellement dissimulé, du même lieu d’observation, derrière une crête ?
ne délaissons pas de telles observations : nous pouvons les préciser,
même en ville, à condition de disposer d’une lunette munie d’un
viseur oculaire ; en pointant celle-ci sur un relief, un clocher ou un
immeuble lointain, nous pouvons remarquer que ce n’est pas le même
point du sujet visé qui apparaît à la croisée des fils du réticule lors
d’observations successives : le matin, le soir, après la pluie, à chaque
fois donc que l’air contient beaucoup de vapeur d’eau, les objets
semblent monter plus haut dans le champ de la lunette ; ils baissent
au contraire vers midi et lorsque l’air est sec… huygens parvint à
expliquer parfaitement tous ces phénomènes : l’air n’a pas une
composition constante ; il peut être plus ou moins riche en vapeur

147
une histoire de la lumière

d’eau, aussi son indice de réfraction varie-t-il : faible pour un air


sec, il est plus fort quand l’air est humide ; la lumière ne se propage
donc pas à la même vitesse dans chacun des cas. lorsque de la
vapeur d’eau stagne près du sol, les ondes lumineuses vont plus
lentement à terre qu’en altitude : les surfaces d’ondes ne sont plus
sphériques. or comme nous l’avons déjà noté pour expliquer qu’un
bâton plongé en partie dans l’eau semble être brisé, tout observateur
voit toujours un point dans la direction des « rayons visuels » (per-
pendiculaires aux ondes) qu’il reçoit. il croit donc, lorsque la concen-
tration de vapeur d’eau est forte près du sol, que le centre de la
perturbation émise par le sommet d’un clocher a (fig. 53) est en d,
sur la perpendiculaire des ondes qui parviennent à ses yeux et voit
apparaître le clocher habituellement masqué par les tours. tous les
témoignages extraordinaires des navigateurs et des explorateurs ne
sont donc pas toujours fruits de la solitude, de l’alcool ou des fan-
tasmes – le rationaliste doit l’admettre, qui peut maintenant proposer
une explication… celle-ci va d’ailleurs nous permettre d’introduire
un concept très important.
lorsque, dans un milieu, la vitesse de la lumière est la même
dans toutes les directions, la surface d’onde qui s’étend d’un centre
d’ébranlement quelconque est sphérique, le milieu est dit optique-

Figure 53

148
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

ment isotrope. si, au contraire, la vitesse varie selon la direction de


propagation, le milieu est dit anisotrope et la forme de la surface
d’onde peut alors être quelconque : c’est simplement une surface
courbe fermée. la plus simple de ces surfaces est celle engendrée
par la rotation d’une ellipse autour d’un axe : un ellipsoïde de
révolution. les remarques que nous venons de faire vont nous
être particulièrement utiles à l’explication d’autres phénomènes
curieux inexpliqués avant huygens et sur lesquels nous allons un
peu nous attarder.

La réfraction de la calcite
« À sa majesté sacrée Frédéric ii roi de danemark et de norvège,
roi des Vandales et des Goths […] est dédiée cette nouvelle étude
pour l’instruction des sages : l’expérience sur le cristal biréfringent
inondant les terres nordiques, mystère de dioptrique, spectacle entiè-
rement nouveau sur terre9. » Boniment de bateleur ? non : dédicace,
dans un style souvent utilisé à l’époque (1669), par laquelle Érasme
Bartholin introduit un traité faisant date dans l’histoire de l’optique :
il y décrit des cristaux de calcite rapportés d’une expédition en
islande ; leur grande taille, leur parfaite transparence ne peuvent laisser
inaperçue une propriété vraiment étrange : ils dédoublent les images
des objets, des textes, sur lesquels ils sont posés. il est aujourd’hui
facile de se procurer un petit cristal de calcite et de s’extasier en
reproduisant les expériences que Bartholin a faites pour étudier et
préciser ce phénomène.
l’image d’un point tracé sur un objet et regardé au travers d’un
prisme de verre posé dessus est unique et reste immobile si on
tourne le prisme sur sa base. Posons, par contre, un rhomboèdre *
de calcite sur une feuille de papier où nous avons figuré une petite
croix et regardons celle-ci au travers du cristal : nous voyons deux
images d’intensités égales. tournons la calcite sur sa base en lais-
sant celle-ci au contact du papier : une image suit le mouvement
du prisme, l’autre reste fixe (fig. 54) ; leur intensité est constante.

* un rhomboèdre est un parallélépipède dont les six faces sont losangiques. la


calcite se rencontre souvent sous cette forme.

149
une histoire de la lumière

Figure 54

Ces observations permettent à Bartholin d’écrire : « À une double


image correspond une double réfraction […] l’une qui envoie vers
l’œil une image fixe a été nommée réfraction ordinaire *, l’autre qui
transmet de l’objet à l’œil une image mobile a été appelée réfrac-
tion extraordinaire. d’où ce cristal a été appelé biréfringent […]
l’image qui apparaît fixe peut s’expliquer par les lois habituelles de
la réfraction […], mais celle qui […] suit le mouvement de la lame,
révèle une sorte extraordinaire de réfraction […] qui est contraire
aux lois de la réfraction habituelle10. » et oui : l’image immobile
suit les lois de descartes, l’autre non. Bartholin fait bien d’autres
remarques : il constate par exemple que les cristaux de calcite se
brisent par clivage en conservant toujours, quelle que soit leur
taille, une même forme rhomboédrique, que « chacun des petits
morceaux laisse voir l’objet toujours sous une double apparence10 »,
que l’écartement des images varie comme l’épaisseur traversée et
il croit mesurer que la position du rayon extraordinaire est toujours
parallèle aux côtés du rhomboèdre (huygens démontrera que leur
angle diffère de 2° 23’).
À l’évidence, le phénomène est dû à une double cause : à la
nature de la lumière et, puisque l’image extraordinaire dépend tou-

* C’est moi qui souligne : ces appellations sont encore utilisées de nos jours.

150
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

jours de l’orientation du cristal, à la structure de celui-ci. Bartholin


suppose donc que les particules de lumière se propagent dans la
calcite selon deux catégories de pores : les unes seraient parallèles
aux côtés du rhomboèdre et induiraient l’image extraordinaire, les
autres, analogues à celles du verre, provoqueraient l’apparition de
l’image fixe. nous avons suffisamment critiqué la conception de
pores transmettant, dans les solides, des particules de lumière pour
savoir que l’hypothèse de Bartholin est insoutenable. le problème de
l’explication de la double réfraction est donc toujours posé lorsque
huygens en aborde l’étude11. il reprend toutes les expériences de
Bartholin, les précise énormément en faisant tomber un fin pinceau
lumineux sur le cristal, constate alors que, quel que soit l’angle
d’incidence, l’indice de réfraction du rayon ordinaire est constant
alors que celui du rayon extraordinaire varie régulièrement avec la
direction. il va bientôt fournir l’explication de tous ces phénomènes
grâce à la théorie ondulatoire qu’il vient de formuler.
Puisque le cristal dédouble les images, deux ondes se pro-
pagent à l’intérieur : l’une, ordinaire, possède un indice, donc une
vitesse, constant (elle est sphérique), l’autre, extraordinaire, a un
indice, donc une vitesse, variant régulièrement avec la direction :
sa surface doit en faire de même. l’étude des régularités montre
à huygens que sa forme est celle d’un ellipsoïde de révolution. il
va pouvoir essayer d’expliquer la double réfraction au moyen de
ces deux ondes.
soit donc une onde plane rC arrivant normalement sur une
surface de séparation aB selon les rayons ra… CB (fig. 55) ; en
touchant la surface de la calcite, cette perturbation met en vibration
les points a, K, k… ; deux séries d’ondelettes se propagent alors
dans le cristal : les unes, ordinaires (fig. 55 a), demi-sphériques, se
renforcent sur a’B’ et donnent naissance à une onde plane réfractée
a’B’, parallèle à aB, associée à des rayons aa’, BB’… non déviés
par rapport à l’incidence comme le prévoient les lois de descartes ;
les autres, extraordinaires (fig. 55 b), sont demi-ellipsoïdales de
révolution, ont l’orientation postulée par huygens, se renforcent
selon nQ, donnent donc naissance à une onde plane nQ parallèle
à aB mais à des rayons an, BQ… qui ne sont plus normaux à
l’onde réfractée et ne suivent plus les lois de descartes. la double

151
une histoire de la lumière

Figure 55

réfraction de la calcite est expliquée. il reste à justifier le fait que


le même cristal puisse réfracter deux ondes différentes.
huygens remarque que l’onde extraordinaire ellipsoïdale qu’il
postule admet exactement les mêmes régularités que celles décelées
entre les faces naturelles de la calcite ou sur le rhomboèdre de cli-
vage : formes du cristal, directions de cassures préférentielles et
réfraction extraordinaire doivent donc résulter de la même cause
– l’arrangement des parties constitutives de la calcite… huygens
imagine donc que celle-ci est formée par un assemblage régulier et
périodique de particules et propose une structure du cristal propre à
expliquer à la fois ses propriétés optiques et cristallographiques. il
peut dès lors imaginer un processus de propagation de la lumière :
l’onde ordinaire ferait vibrer la matière éthérée contenue dans le
solide tandis que l’onde extraordinaire se transmettrait à la fois au
travers de l’éther et des parties constitutives de la calcite. Celles-ci
possédant une répartition régulière, l’onde acquerrait pendant la
traversée du cristal la même régularité… la beauté, la logique et la
simplicité de ce raisonnement sont certaines. elles ne suffisent pas
pour que celui-ci soit admis ; huygens le sait, qui imagine des
expériences propres à tester les prévisions de la théorie.
ayant imaginé la forme et l’orientation des ondelettes, il peut
calculer la déviation des rayons ordinaires et extraordinaires cor-

152
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

Figure 56

respondant à diverses ondes incidentes possibles ; taillant alors des


lames de calcite de manière à réaliser les orientations considérées,
il prouve qu’elles produisent exactement les déviations prévues !
mieux, la forme supposée des ondes ordinaire et extraordinaire est
telle qu’elles sont tangentes en deux points situés sur une même
direction, d’ailleurs bien caractéristique du cristal * (fig. 56). selon
cette direction, les deux ondes auraient donc la même vitesse et la
calcite ne devrait réfracter qu’un seul rayon : huygens taille une
lame appropriée et vérifie qu’il en est bien ainsi ; il vient d’utiliser
ses déductions pour mettre en évidence une propriété de la calcite
que personne n’avait remarquée avant lui. il ne s’arrête pas là :
puisque la périodicité de la répartition des parties constitutives permet
d’expliquer à la fois l’existence des formes cristallines et la double
réfraction, tout cristal devrait être biréfringent… huygens cherche
donc à mettre en évidence un dédoublement des rayons lumineux
dans le quartz et le mica… il y parvient. les succès de la théorie des
ondes se multiplient : celle-ci rend compte des faits expérimentaux,
permet de prévoir des propriétés nouvelles, induit une hypothèse

* C’est en effet l’axe de symétrie selon lequel se répètent, par rotation de 120°,
les faces du cristal.

153
une histoire de la lumière

de structure des corps cristallisés pouvant expliquer logiquement à


la fois leurs propriétés morphologiques et optiques ; elle est belle,
élégante, féconde… voici qui devrait permettre d’en admettre la vali-
dité ; c’est d’ailleurs ce que propose avec chaleur leibniz lorsqu’il
écrit à huygens que l’explication de la biréfringence le fait passer
« de l’estime à l’admiration12 ». Pourtant, le Traité de la lumière
se termine par la description d’un « phénomène merveilleux » que
huygens a découvert et qui le plonge dans l’embarras et la perplexité.

Un fait reste inexpliqué


huygens superpose deux cristaux de calcite de manière à ce
que leurs grandes faces soient parallèles entre elles (fig. 57 a) et
éclaire le cristal placé au-dessus au moyen d’un rayon normal à la
base ; deux rayons sont réfractés dans le premier cristal ; ils émergent
et tombent sur le second dans lequel ils se dédoublent à nouveau ;
quatre rayons sortent donc mais huygens remarque qu’ils n’ont
pas la même intensité. surpris, il tourne le second cristal sur lui-
même de manière à toujours laisser sa base parallèle à celle du

Figure 57

154
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

premier et constate alors que les intensités des rayons varient :


quand les cristaux ont exactement la même orientation (fig. 57 b),
aucun des deux rayons réfractés dans le premier cristal ne se
dédouble plus – le rayon qui était ordinaire suit encore dans le
second morceau de calcite les lois de descartes, le rayon qui était
extraordinaire le reste aussi dans le second. « on dirait qu’il faut
que le rayon dF, en passant par le morceau de dessus, ait perdu
ce qui est nécessaire pour émouvoir la matière qui sert à la réfrac-
tion irrégulière et que Ce ait pareillement perdu ce qu’il faut pour
émouvoir la matière qui sert à la réfraction régulière13 », note
huygens qui remarque encore « quelque chose qui renverse ce
raisonnement » : si on tourne, à partir de la position précédente,
le second cristal de 90°, le rayon ordinaire dans le premier morceau

Dessin autographe de Christiaan Huygens


qui montre ses hésitations : pourquoi n’y a-t-il
qu’un rayon réfracté dans le second cristal de calcite ?

155
une histoire de la lumière

de calcite devient extraordinaire dans le second et inversement


(fig. 57 c). aucun de ces faits ne peut s’expliquer par la théorie
ondulatoire telle qu’elle est formulée : pourquoi la matière ne
vibrerait-elle pas dans certaines positions, pourquoi y aurait-il des
différences d’intensité variables entre les rayons ? huygens écrit :
« il semble qu’on est obligé de conclure que les ondes de lumière,
pour avoir passé le premier cristal, acquièrent certaine forme ou
disposition […] mais pour dire comment cela se fait, je n’ai rien
trouvé jusqu’ici qui me satisfasse14. »
Voici un problème laissé aux successeurs, mais nous avons
maintenant une belle théorie ondulatoire de la lumière, géométrisée,
explicative et prédictive, s’appuyant sur la mécanique et postulant un
espace empli d’éther. Certes, la théorie sera à compléter non seule-
ment parce qu’elle n’explique pas ce fait, mais surtout car elle est
beaucoup plus incomplète. dans une œuvre particulièrement féconde,
huygens n’a, en effet, publié au sujet de la lumière que son Traité,
d’une centaine de pages. il n’a donc pas prétendu à l’exhaustivité. de
fait, le problème de la vision n’est pas abordé, la nature des couleurs
n’est pas touchée, rien n’est dit non plus sur la dispersion, aucun mot
non plus de la diffraction que huygens devait connaître puisqu’il
possédait le livre de Grimaldi… mais huygens a posé des bases et,
gageons-le, tous ces problèmes ne tarderont pas à être résolus ! sa
théorie s’appuie sur une conception cartésienne du monde, retient
de Galilée la nécessité d’expérimenter précisément. Chez Galilée
la preuve était prescriptive. elle devient descriptive chez huygens,
appuyée sur des raisons de mécanique et sur une mathématisation
rigoureuse qui, dans le cas de la lumière, est une géométrisation.
même s’il existe pour lui une différence entre les êtres réels et les
êtres de raison, la physique veut prouver, et la preuve vise à donner
une image claire et mathématisée de la réalité, une image qui n’est
pas du « beau roman » ou des « chimères », comme chez descartes,
mais possède une valeur argumentative et démonstrative. nous l’avons
vu, huygens mesure tous les effets de la lumière pour remonter aux
causes : sa nature physique. n’arrivant pas à mesurer les couleurs,
il n’en parle pas. mesurant réflexion, réfraction, double réfraction
des cristaux, il parvient à en rendre compte non par une analogie
ou un mécanisme non calculé comme ses prédécesseurs mais en
établissant une identité de structure entre ondes sonores et lumière.

156
le triomphe de la mécanique : espace plein et géométrisation…

il peut ainsi à partir des faits mesurés construire sa théorie ondula-


toire et de celle-ci déduire des conséquences nouvelles, non encore
observées, qu’il confronte avec l’expérience. il découvre ainsi de
nouveaux effets, notamment l’anisotropie des cristaux qu’il explique
par la structure cristalline. la théorie ondulatoire de huygens est la
première à être formulée avec les réquisits de la science moderne.
elle aura une influence considérable, continue aujourd’hui encore
à avoir sa part de pertinence, constitue un des textes majeurs de la
pensée scientifique.
iV
le triomphe de la mécanique :
newton et sa conception
« corpusculaire » de la lumière
r evenons un peu en arrière, en 1665, en angleterre. robert
hooke (1635-1703) publie sa Micrographia… il y étudie princi-
palement ce qui est révélé par le microscope (animalcules, végétaux,
cristaux…), mais aussi lames minces transparentes, dont il établit
qu’elles peignent des couleurs analogues à celles des bulles de savon,
nous y reviendrons. hooke est un observateur précis qui rapporte
observations et raisonnements sans toujours prendre le temps de les
ordonner ou de les argumenter. au sujet de la lumière, il réfute la
conception de descartes et fait de la lumière une onde qui se pro-
page dans l’éther avec des vibrations transversales. tout autre est
l’approche de robert Boyle (1627-1691) : chimiste, il cherche des
rapports entre composition des corps et modifications colorées que
subit la lumière en les traversant. ainsi, en 1664, il remarque que
l’or apparaît jaune par réflexion, bleu-vert par transmission, les deux
couleurs sont complémentaires. Pour expliquer ce fait, Boyle fait de
la lumière un flot de particules qui se propagent, traversent les corps,
parviennent à la rétine. si des corpuscules peuvent traverser l’or, c’est
que celui-ci est formé d’atomes. Certains corpuscules les heurtent,
reviennent en arrière, causent le jaune, d’autres traversent, causent le
vert. Boyle vit dans un pays anglican : il peut professer l’atomisme
puisque la transsubstantiation n’est pas invoquée par les protestants ;
ceux-ci admettent qu’à la messe la consécration symbolise la Cène
et ne la reproduit pas réellement. Ces expériences et conclusions
influencent profondément newton qui, dans ses premiers travaux, se
place délibérément, nous allons le voir, dans la filiation de Boyle.

161
une histoire de la lumière

1. Les premières expériences sur les couleurs


en 1665 et 1666, la peste sévit à londres. l’université ferme.
le jeune newton (23 ans) se réfugie dans le manoir familial de
Woolsthorpe et y effectue de nombreuses lectures et expériences sur
les couleurs. il lit dans Kepler que la couleur est de la lumière plus
ou moins ternie ; il corrige un manuscrit de son maître d’alors, isaac
Barrow, et y laisse la phrase suivante : « est blanc ce qui contient
une lumière abondante ; est noir ce qui ne répand pas de lumière
[…] est rouge ce qui émet une lumière intense mais qui est séparée
par des interstices sombres ; est bleu ce qui est une lumière raréfiée. »
C’est un peu la même théorie qu’il retrouve dans Grimaldi qui,
rappelons-le, fait correspondre les couleurs à la variation de la
condensation d’un faisceau lumineux. il lit encore, dans la Micro-
graphia de hooke : « il y a deux couleurs fondamentales, la rouge
et la bleue, toutes les autres sont un mélange de ces dernières. »
devant une telle diversité de conceptions, nous ne nous étonnerons
pas que newton veuille essayer de déterminer la nature des couleurs
et interroge l’expérience qu’il croit seule capable d’apporter une
solution au problème posé. Écoutons-le rapporter sa démarche (l’exa-
men de ses carnets, dans lesquels il consigne jour après jour ses
essais, montre que sa pratique fut tout autre et conduite un peu au
hasard) : « en l’an 1666 […] je me suis procuré un prisme triangu-
laire en verre pour faire des expériences sur les fameux phénomènes
des couleurs. après avoir fait l’obscurité dans la chambre et percé
un trou dans le volet pour laisser pénétrer une quantité convenable
de lumière solaire, j’ai placé mon prisme devant l’ouverture afin que
la lumière soit réfractée sur le mur opposé. Ce fut d’abord un diver-
tissement très plaisant de contempler les couleurs vives et intenses
ainsi produites1. » Comme thierry, Porta, descartes, Grimaldi l’avaient
fait avant lui, newton s’amuse donc à regarder les teintes qui appa-
raissent sur un écran placé derrière le prisme et y observe une image
étalée (P-t), rouge à une extrémité (t), violette à l’autre (P), jaune,
verte et bleue dans l’espace intermédiaire (fig. 58). tout de suite
newton se pose la question, déjà formulée par tous ses prédécesseurs,
concernant la nature des couleurs : font-elles partie de la lumière
(comme le pensait thierry) ou sont-elles produites par la surface

162
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

Figure 58

réfractante (ainsi que l’affirmait descartes) ? Pour répondre, newton


continue à interroger l’expérience. si les couleurs sont produites par
les surfaces, l’orientation de celles-ci doit influer sur le phénomène :
ainsi une image étalée dans une direction par un prisme doit l’être
dans une autre par un même prisme placé selon une même incidence
mais dans une autre direction ; newton dispose donc sur le chemin
d’un même rayon lumineux deux prismes identiques, perpendiculaires
l’un à l’autre (fig. 59) : il constate qu’après le second prisme dh
la largeur de l’image (p-t) n’augmente pas ; le contraire arriverait si
les couleurs dépendaient de l’orientation des surfaces ! Par contre,

Figure 59

163
une histoire de la lumière

le violet est plus dévié que le rouge à la fois dans le premier et le


second prisme. la théorie de descartes est bien contredite par les
résultats expérimentaux… newton a peur que sa démonstration ne
convainque pas ses adversaires ; il a l’idée de la compléter en isolant,
au moyen d’un diaphragme de, une des couleurs G produites par
un premier prisme aBC (fig. 60) et de faire tomber le pinceau coloré

Figure 60

obtenu sur un second prisme abc : si les couleurs sont produites par
les surfaces, le second dispositif doit à nouveau permettre de les
peindre toutes sur un écran. l’expérience montre qu’il n’en est rien :
quel que soit le pinceau monochromatique sélectionné par le
diaphragme, l’image (m-n) observée reste de la couleur choisie ;
les déviations que subit le faisceau lumineux dans le second prisme
sont toujours plus faibles pour le rouge que pour le violet… Ce
résultat est fondamental : il prouve, à lui seul, que les couleurs ne
sont pas un effet des surfaces traversées par la lumière ; newton
vient de réaliser une expérience capable de déterminer la mort de
la théorie de descartes ; une telle expérience permettant de rejeter
définitivement une théorie physique (ou, au contraire, de la vérifier)
est appelée par newton « expérience cruciale ». si la théorie des
couleurs de descartes doit donc maintenant être rejetée, rien ne
prouve encore que les couleurs font partie de la lumière : d’autres
possibilités existent peut-être ! newton continue donc son raisonne-
ment : à partir d’un rayon solaire qui apparaît blanc sur un écran,
un prisme permet de séparer des couleurs ; si, au moyen d’un dis-
positif quelconque, on parvient à regrouper tous les faisceaux colorés

164
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

Dessin autographe de I. Newton montrant


l’expérience cruciale sur les couleurs (le second prisme
ne décompose pas la lumière monochromatique qu’il reçoit).

ainsi produits en un point de l’espace, celui-ci doit paraître blanc


dans l’hypothèse où la lumière solaire est composée d’un ensemble
de couleurs. l’expérience réalisée (fig. 61) prouve qu’il en est bien
ainsi : le pinceau lumineux entrant en F dans la chambre est décom-
posé en rayons colorés par le prisme aBC ; les prismes hiK et lmn
sont disposés selon des angles permettant d’obtenir la superposition
de tous les rayons en G ; ce point apparaît blanc sur l’écran de,
alors  que  des  rayons  colorés  divergent  ensuite  (δε).  Les  couleurs 
font donc partie de la lumière solaire. l’image obtenue après un
prisme est appelée par newton spectre solaire, par référence à un
fantôme, pouvant traverser une pièce obscure comme le font les
couleurs après un prisme. le phénomène qui le produit est la dis-
persion des couleurs.
newton vient de faire faire des progrès décisifs pour la théorie des
couleurs. les très nombreuses expériences concordantes qu’il réalise
l’amènent à concevoir que la lumière solaire est composée de couleurs
élémentaires auxquelles correspondent dans un milieu donné, des
indices de réfraction propres. Ces conclusions paraissent irréfutables ;

165
une histoire de la lumière

Figure 61

newton les présente entre 1666 et 1672, à la royal society, ainsi qu’il
vient d’être rapporté, mises en ordre logique selon la méthodologie
à l’honneur dans la compagnie, celle de Grossetête et de F. Bacon,
mais il les accompagne d’une explication postulant une nature cor-
pusculaire à la lumière2. il ne peut faire partager cette conclusion à la
majorité des membres de l’académie : elles heurtent trop les concep-
tions du « démonstrateur » de l’assemblée, hooke. newton insiste,
effectue devant les académiciens quelques expériences significatives,
rien n’y fait : une opposition violente demeure. le moins virulent
est huygens : il prend un grand intérêt aux expériences décrites,
mais note que le blanc peut être obtenu à partir de deux couleurs,
que donc « une hypothèse qui expliquerait mécaniquement et par
la nature du mouvement la couleur jaune et la bleue suffirait pour
toutes les autres3 ». Cet argument gêne newton. d’autres soulignent
qu’en décomposant la lumière, newton la dissèque. une dissection
ne se pratique que sur les cadavres. la dispersion tue la lumière,
les rayons colorés en sont les éléments devenus inactifs. mais les
principales critiques viennent de Pardies et de hooke. reconnaissant
la réalité des expériences, celui-ci montre que leur interprétation par
une théorie corpusculaire n’est pas nécessaire, que l’on peut en rendre
compte aussi bien par la théorie contenue dans sa Micrographia et
même par une troisième. « Je ne vois pas la raison pour laquelle il
devrait être nécessaire que tous ces mouvements, ou quoi que ce soit
d’autre qui engendre les couleurs, doivent être originellement dans

166
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

les rayons simples de lumière. Pas plus que tous ces sons que l’on
entend s’échapper des tuyaux d’orgue ne doivent être en premier lieu
dans l’air de la caisse de la soufflerie ou bien dans les cordes que
l’on pince ou frappe et qui les produisent4. » une corde d’un instru-
ment de musique est une « belle représentation de la configuration
d’un rayon réfracté pour l’œil […] car le rayon est analogue à une
corde tendue entre l’objet lumineux et l’œil, et l’arrêt où le doigt se
pose ressemble à la surface réfringente ; l’un des côtés de la corde
est sans mouvement, mais l’autre côté est en mouvement vibratoire
[…] le repos ou la rectilinéarité de la corde est produit par l’arrêt
des mouvements ou la composition de toutes les vibrations5 ». la
réfraction pourrait transformer le mouvement vibratoire simple de la
lumière blanche incidente en plusieurs vibrations qui peuvent, dans
certaines conditions, se composer ou se détruire et donner d’autres
couleurs ou la lumière blanche : « je peux […] concevoir la blancheur
ou le mouvement uniforme de la lumière comme étant composés
par la composition des mouvements de toutes les autres couleurs »,
ajoute hooke, qui admet donc une des conclusions de newton : le
blanc est composé6. nous verrons que ces arguments seront promis
à un bel avenir. ainsi donc, les travaux de newton seraient très
intéressants au point de vue de la mesure des phénomènes, mais ne
signifieraient rien quant à la lumière, qui pourrait aussi bien être
corpusculaire qu’ondulatoire. newton est peiné, vexé. admettant mal
les critiques, il fuit les controverses et écrit une lettre au premier
secrétaire de la royal society, henry oldenburg (1618-1677) : « J’ai
l’intention de ne plus m’occuper de philosophie […] vous favoriserez
ma détermination en empêchant les objections ou d’autres lettres me
concernant7. » trois ans plus tard, il présente cependant à la royal
society de nouvelles expériences sur les couleurs des lames minces
et rencontre à nouveau une forte opposition. il écrit : « Je vois que je
suis esclave de ma philosophie […] je lui dirai adieu pour toujours, à
l’exception de ce que je fais pour ma satisfaction privée ou de ce qui
sera publié après ma mort8. » newton continue donc « pour son seul
plaisir » ses recherches mais ne publie plus rien jusqu’à ce qu’il fasse
parvenir à la society, dix ans plus tard, en 1686, le manuscrit des
Principia dans lequel il démontre la gravitation universelle, propose
son « système du monde », en montre la cohérence et la généralité
en l’étendant à de nombreux domaines – dont l’optique : il propose

167
une histoire de la lumière

alors à grands traits une théorie de la lumière dont il explique tous


les effets à partir de la description précise des trajectoires qu’elle
suit et en les expliquant par l’action d’une force qui s’exerce sur
des particules matérielles. Pour apprécier ces propositions et pouvoir
suivre le développement ultérieur des théories de la lumière, nous
devons détailler cette « mécanique newtonienne ».

2. La mécanique newtonienne
dans l’histoire du développement scientifique, Galilée avait marqué
une rupture en ce sens qu’après lui la tendance scientifique dominante
décrivait un monde unifié où est affirmée la valeur objective d’une
science fondée sur l’expérience et les mathématiques (« le saint-
esprit nous apprend comment on doit aller au ciel et non comment
le ciel doit aller9 »). la méthode expérimentale consiste à observer
précisément les faits complexes que nous montre la nature et à
les mesurer afin d’en mettre en évidence les régularités. un effort
d’abstraction doit permettre d’exprimer celles-ci mathématiquement,
d’en tirer des concepts et leurs conséquences : si la déduction faite
est conforme au monde qui nous entoure, ces conséquences doivent
absolument pouvoir être observées. il importe donc, pour les mettre
en évidence, de préparer soigneusement les expériences, d’en exclure
toutes les conditions superflues et de comparer leurs résultats aux
conséquences prévues ; un accord représente une approche dans la
compréhension de la structure véritable d’une nature harmonieuse et
simple. Cette méthode écarte toute question relative à la « nature »
de l’objet : tous les faits particuliers y sont intégrés dans des lois
générales. répugnant à tout esprit de système, Galilée s’était refusé
à formuler une théorie générale qu’il assignait comme but de la
pratique scientifique mais avait préféré adopter une progression
empirique mieux adaptée, pensait-il, à l’état des connaissances et à
la complexité des données que fournit la nature.
Bien différente avait été la démarche de descartes10 : philosophe
nerveux vivant en hollande par crainte de richelieu, il prit peur
à la condamnation de Galilée, concéda à l’Église que les théories
scientifiques sont des fictions et devint « l’homme au masque ».
Fort de cette dissimulation, il avait pu développer un rationalisme

168
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

philosophique sûr de soi et concevoir avec audace l’univers comme


un tout intégré. ne s’encombrant pas de détails et se montrant intré-
pide et caricatural là où d’excellents savants hésitaient, il avait tiré
d’une certitude métaphysique tout un programme physique : toutes
les sciences de la nature peuvent s’interpréter dans le cadre d’une
philosophie mécaniste, tous les phénomènes résultent de chocs. les
hommes sont capables de construire des automates ; dieu, avec des
os, des nerfs et des muscles, a pu en réaliser d’infiniment meilleurs,
les corps sont des machines – ceux des hommes sont habités par
l’âme. toutes les réactions, toutes les perceptions peuvent être expli-
quées avec les mêmes principes que le monde inanimé. un modèle
théorique mécanique peut être proposé au sein duquel la psychologie,
la physiologie, la chimie, la physique, l’astronomie sont unifiées
audacieusement dans un tout cohérent. descartes avait répondu à la
question finale avant de se poser la première. du cadre général il
pouvait tenter de mener à bien les explications de détail et pour cela
poussait à fond l’aspect mathématique, supposé être le seul objectif
de la nature. la simplicité d’une vision unificatrice, hiérarchisée,
obéissant aux règles allait s’imposer dans la culture classique et
exercer une influence prépondérante tant à la royal society qu’à
l’académie, après l’échec, en physique, du programme cartésien.
Cette conception globale jointe à la méthode hypothético-déductive
de Galilée allait constituer la synthèse newtonienne.
Kepler avait déterminé que les planètes décrivent des trajectoires
elliptiques parcourues selon la loi des aires (fig. 62) : le chemin
accompli entre deux temps égaux est donc plus long lorsqu’elles sont
près du soleil que lorsqu’elles en sont éloignées. Comment partir
de cette observation pour déterminer la nature de l’action qu’elles
subissent ? Puisque les mêmes lois physiques s’appliquent dans le
ciel et sur terre, newton expérimente et déduit.
À partir du concept de densité, mesure de la répartition de matière
dans l’espace, il définit la masse « qui est la densité et le volume
pris ensemble11 ». Par cet acte, il rompt avec descartes et sa pré-
tention de réduire la mécanique à une cinématique. l’introduction
du concept de masse lui permet de définir la quantité de mouvement,
produit de la masse par la vitesse. newton peut alors définir diffé-
rentes « forces » : la « force d’inertie » qui réside dans la matière et
permet à un corps de rester de lui-même dans un état de repos ou

169
une histoire de la lumière

Figure 62. — La planète parcourt les arcs AB, CD, EF


en des temps égaux ; les aires SAB, SCD, SEF sont égales.
Elle va donc plus vite quand elle se rapproche du Soleil.
L’orbite elliptique est ici exagérée : celles des planètes
sont presque circulaires.

de mouvement rectiligne et uniforme ; la « force imprimée » qui,


appliquée à un corps, détermine la variation de son état de repos ou
de mouvement rectiligne uniforme. À cette force correspond une
« quantité accélératrice », qui peut être produite par un choc, une
pression, la force centripète. Pour lui, la « quantité accélératrice de
la force centripète » est « proportionnelle à la vitesse qu’elle produit
dans un temps donné » et doit être distinguée de la « quantité motrice
de cette force », qui est « proportionnelle au mouvement qu’elle
produit dans un temps donné12 ».
au risque de caricaturer et en adoptant un langage moderne,
disons qu’un corps soumis à sa seule inertie est immobile ou en
mouvement rectiligne uniforme. si une force s’exerce sur lui, la
vitesse est modifiée. Pour préciser ce point, considérons l’expérience
idéale d’une sphère roulant d’un mouvement uniforme sur une sur-
face polie. sa trajectoire peut être figurée par une flèche (fig. 63 a).
si nous poussons la sphère dans le sens du mouvement, elle prend
une accélération : la vitesse initiale est Vi, la vitesse finale Vf,
l’accélération est la différence des vitesses a (fig. 63 b). si nous
freinons la bille sans en modifier la trajectoire, la flèche a’ (fig. 63 c)
représente encore l’accélération, ici négative, proportionnelle à la
force exercée sur la bille. Prenons maintenant une bille faite de la

170
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

Figure 63

même matière mais plus grosse ; exerçons sur elle des poussées
identiques aux précédentes ; les accélérations qu’elle prend seront
plus faibles : sous l’action d’une même force, l’accélération prise
par un corps est inversement proportionnelle à sa masse ou, comme
le mesure newton, le rapport d’une force sur l’accélération qu’elle
induit est égal à la masse de l’objet F/a = m ou F = m.a.
Considérons maintenant une bille qui roule uniformément et
appliquons-lui, un bref instant, une force dirigée perpendiculairement
à sa trajectoire. après le choc, la bille est toujours en mouvement
rectiligne uniforme mais sa direction est modifiée : les symboles
représentatifs Vi et Vf sont indiqués sur la figure 64 a ; si la force
exercée est faible (F1), la trajectoire finale a une direction proche
de la droite suivie initialement (fig. 64 b) et inversement (fig. 64 c).
les accélérations (a1 et a2) prises par la bille sont toujours codirec-
tionnelles avec les forces exercées (F1 ou F2). dans tous les cas la
considération des vitesses initiale et finale nous donne donc l’accé-
lération subie par le corps et la direction de la force qui s’est exer-
cée sur lui : « toute modification du mouvement est proportionnelle

Figure 64

171
une histoire de la lumière

à la force motrice et se fait dans la ligne droite selon laquelle la


force agit13. »
Généralisons cette conclusion : quand un mobile décrit une tra-
jectoire quelconque (fig. 65), l’accélération A qu’il a subie entre deux
instants t1 et t2, est la différence des deux vitesses instantanées V1
et V2 qu’il possède en t1 et t2. Celles-ci sont les vitesses que prendrait
par inertie le mobile si aucune force ne s’appliquait plus sur lui aux
deux temps considérés : il aurait alors des mouvements rectilignes
et uniformes dirigés selon les tangentes à la trajectoire menées des
points atteints en t1 ou t2. nous pouvons facilement les déterminer
et avec eux la direction de la résultante R de l’ensemble des forces
exercées sur le mobile entre t1 et t2, codirectionnelle de l’accéléra-
tion A. en procédant ainsi, newton peut s’apercevoir que les trajec-
toires d’une bille lancée sur un plan incliné (fig. 66), d’un boulet de
canon (fig. 67)… s’expliquent par l’interaction de la composante
d’inertie et d’une même accélération Ap : celle de la pesanteur. il
voit qu’un mouvement circulaire et uniforme résulte d’une accéléra-
tion de grandeur constante dirigée vers le centre de la trajectoire et
due à la force centripète Fc, (fig. 68). Ce résultat avait été établi par
huygens, qui, le premier, avait ainsi démontré que le mouvement
circulaire et uniforme n’est pas d’inertie. il avait aussi montré que
la force centripète qui maintient un solide dans sa trajectoire circulaire
est proportionnelle à l’inverse du carré du rayon du cercle.
Pour déterminer les forces d’inerties, on ne peut partir des vitesses
instantanées, qui ne sont guère faciles à mesurer : newton a l’idée
de considérer toute trajectoire comme résultant d’un ensemble de
forces exercées instantanément à des temps séparés par des intervalles
très brefs (fig. 69), la courbe décrite peut alors être considérée comme
la somme de trajectoires rectilignes et le calcul des forces est pos-
sible. newton vient de mettre au point le calcul différentiel et inté-
gral * et d’inventer une nouvelle méthode mathématique pour résoudre
un problème physique. il démontre alors que toute trajectoire, qu’elle
soit circulaire, elliptique, parabolique ou hyperbolique résulte de la
composition d’un coefficient d’inertie avec une force centripète,
dirigée vers un des foyers de la courbe et inversement proportionnelle
au carré de la distance mobile-foyer (fig. 70). la forme de la trajectoire

* en même temps, rappelons-le, que leibniz.

172
Figure 65

Figure 66

Figure 67 Figure 68
une histoire de la lumière

Figure 69. — À l’instant t0, le mobile est en A.


Il décrit par inertie la trajectoire rectiligne AB.
Au temps t1 (en B), le mobile subit la force F qui le fait dévier :
il vient en C alors qu’il aurait dû atteindre c par inertie.
L’accélération communiquée par F est BC’. Au temps t2 (en C),
le mobile subit la force F ; il décrit CD… La trajectoire finale est AF.
Plus les instants t1, t2… sont proches les uns des autres,
plus les segments AB, BC, CD… sont petits, plus la description
du chemin suivi par déviations successives se rapproche
de la trajectoire courbe effectivement décrite par le mobile.
Cette méthode de raisonnement conduit au calcul infinitésimal.

(circulaire, elliptique, parabolique ou hyperbolique) ne dépend que


de la valeur de la vitesse initiale : « si le corps en mouvement part
d’un lieu donné, selon une ligne droite donnée […] avec une petite
vitesse, il décrit une ellipse […] [si la vitesse initiale est plus grande],
il parcourt une parabole et […] [si elle est encore plus forte] une
hyperbole14. » on sent que newton tient l’explication du mouvement
des planètes : il démontre qu’elles sont retenues sur leur orbite par
une force centripète dirigée vers le soleil (placé à un foyer de
l’ellipse) et dont la valeur est inversement proportionnelle au carré
de la distance soleil-planète (fig. 70). il trouve également que les
satellites de Jupiter subissent, eux aussi, une action dirigée vers le

174
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

Figure 70

centre de cette planète ; elle est encore inversement proportionnelle


au carré de la distance Jupiter-satellite : de même les satellites de
saturne subissent l’effet d’une force centripète dirigée vers cette
planète… tout comme mercure, Vénus, mars… sont soumises à une
action dirigée vers le soleil.
mais, s’il en est ainsi, la lune est, elle aussi, retenue sur son
orbite par une force dirigée vers le centre de la terre ; cette force
a donc même direction que la gravité qui fait tomber tous les corps
sur la terre ! newton a l’idée de comparer la force retenant la
lune sur son orbite et la gravité : il trouve une identité absolue. le
résultat est bouleversant – il n’y a pas seulement ressemblance entre
la loi de chute des corps et l’attraction que subit la lune – il y a
égalité15 ! newton peut conclure : « la force qui retient la lune
dans son orbite est celle-là même que nous appelons gravité16. » la
généralisation est possible : toutes les planètes sont retenues par la
gravité du soleil, tous les satellites de saturne, de Jupiter… par les
gravités respectives de ces astres. la force centripète responsable du
mouvement des objets célestes n’est autre que la gravité de l’astre
placé au centre de force *.
Grâce à une expérience mentale, newton se rend compte que les
phénomènes sont en réalité plus complexes : l’accélération commu-
niquée à un corps dépend de sa masse (F = m.a) ; mais la terre a
une influence sur la lune comme la lune a une influence sur la

* le point vers lequel sont dirigées toutes les directions de forces.

175
une histoire de la lumière

terre ; la force de gravité dépend donc à la fois de la masse des


deux corps en présence, puisqu’elle diminue en fonction inverse du
carré de leur distance. on représentera plus tard cette relation par
les formules, attribuées alors à newton :

MT est la masse de la terre


{ ML la masse de la lune
r la distance terre-lune
G une constante

Cette expression peut être généralisée à tous les objets célestes


et à tous les corps placés à la surface de la terre ; dans chaque
cas la valeur de G est la même : c’est une constante universelle.
ainsi : « toutes les planètes gravitent mutuellement les unes vers les
autres » et « la gravité vers une planète quelconque […] est récipro-
quement comme le carré de la distance du centre de cette planète ;
la gravité de toutes les planètes est proportionnelle à leur quantité
de matière17. la gravité appartient à tous les corps et elle est pro-
portionnelle à la quantité de matière que chaque corps contient18 ».
tous les objets s’attirent donc mutuellement en fonction directe de
leur masse et inverse du carré de leurs distances : cette propriété
est l’attraction universelle. la terre attire la pomme comme la
pomme attire la terre mais la masse du fruit est si petite, comparée
à celle de notre planète, qu’il n’est pas aisé de se rendre compte
de la réalité de la seconde attraction. la force d’interaction vaut
pourtant : . C’est ce que nous appelons poids
de la pomme. Grâce au calcul infinitésimal, newton vient de faire la
synthèse entre les lois de Kepler, selon lesquelles tournent les astres,
et celles de Galilée concernant la chute des corps : il détermine
maintenant comment les masses interagissent.
la dynamique newtonienne ne tarde pas à obtenir un grand nombre
d’autres succès : richer et halley avaient remarqué que le pendule
ne bat pas de la même manière sous différentes latitudes. un même
objet, de masse déterminée, est donc attiré différemment en France
et à Cayenne… son poids n’est pas le même en ces deux lieux. en
regroupant toutes les mesures effectuées, on s’apercevra que le poids

176
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

d’un objet augmente quand la latitude diminue : il faut nécessaire-


ment en conclure que la terre n’est pas une sphère mais un ellipsoïde
dont le grand axe est équatorial. Cette conclusion en entraîne d’autres :
puisque l’axe de rotation de la terre est incliné sur le plan de
l’écliptique, le soleil exerce sur le renflement équatorial une attrac-
tion qui tend à l’amener dans le plan de l’orbite (fig. 71) ; la gravité
de la lune tend, de même, à faire coïncider le plan de l’équateur
avec celui de sa propre orbite ; ces actions conjuguées font que l’axe
de la terre se déplace : il décrit un cône analogue à celui que par-
court l’axe d’une toupie lancée obliquement (fig. 72). en calculant
cette rotation, on voit qu’elle explique parfaitement la précession
des équinoxes, découverte par hipparque mais jamais expliquée
jusqu’alors. d’autres explications seront données : celles des marées,
du mouvement des comètes. newton évalue aussi la masse du soleil,
celle des planètes. il démontre que si tous les objets du système
solaire tournent autour de « l’astre majeur », celui-ci, en raison du

Figure 71

Figure 72

177
une histoire de la lumière

principe de l’action et de la réaction, tourne lui aussi autour du centre


de gravité du système, lui-même animé d’un mouvement elliptique,
dû à l’influence des étoiles… un vaste panorama du monde va
pouvoir être dressé : tout changement se réduit à une ou plusieurs
trajectoires ; toute trajectoire à une série de positions et vitesses à
des instants donnés ; toute situation instantanée est due à l’interaction
d’une force et du mouvement d’inertie d’une masse. F = m.a. tout
est mesurable, codifiable. rien ne se produit si ce n’est sous l’effet
d’une force : la théorie de la gravitation universelle va permettre
d’expliquer à la fois la structure de l’univers et la nature de l’infi-
niment petit. un vaste programme de recherches – dans lequel
l’optique s’intégrera – est tracé ; un nouveau système rationnel,
complet, harmonieux, mathématisable est bâti : le monde est simple,
ordonné, hiérarchisé. newton peut être fier de son travail et de ses
conclusions : il a trouvé le « système du monde » et mis à jour la
« seule loi » qui régit les comportements de tous les corps. alexan-
der Pope écrira : « la nature et les lois de la nature reposaient
cachées dans la nuit. dieu dit que newton soit ! et tout fut lumière19. »
Pour obtenir des résultats aussi féconds, newton avait adopté et
imposé la méthode expérimentale mathématico-déductive de Galilée ;
comme lui, il avait soutenu que les théories ne sont pas des fictions…
mais il avait utilisé cette ligne de conduite pour réaliser pas à pas
le programme cartésien : le monde est une immense horloge.
Pourtant, l’horloge de newton et celle de descartes diffèrent
fondamentalement l’une de l’autre ; pour descartes les corps ne sont
pas caractérisés par leur masse mais par leur étendue : « Ce n’est
pas la pesanteur, ni la dureté, ni la couleur […] qui constituent la
nature du corps mais l’extension seule20. » matière et espace sont
donc identiques et ne peuvent être distingués que par abstraction.
l’univers est infini, totalement « plein ». dieu a mis en mouvement
le chaos lors de la Création et, depuis, les tourbillons se perpétuent,
conservent la quantité de mouvement initiale de manière invariable.
ils suffisent à expliquer tous les faits observés. la physique de des-
cartes décrit donc un monde mathématique rigoureusement uniforme,
un monde de géométrie qui ne contient qu’étendue et mouvement.
dieu, dans sa toute-puissance, a tout prévu, il a réalisé une horloge
parfaite dans laquelle sont imprimées les lois de la nature « ainsi
qu’un roi imprimerait ses lois dans le cœur de tous ses sujets s’il

178
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

en avait […] le pouvoir21 ». Cet innéisme fait que dieu n’a plus à
intervenir pour modifier le fonctionnement de l’horloge ou pour la
réparer : il se repose, c’est pour lui le sabbat.
newton réfute cette position : chaque choc entraînant une perte de
mouvement, les tourbillons ne peuvent que dépérir et s’arrêter. le monde
est donc vide, la matière n’occupe qu’une infime partie de l’espace,
elle est concentrée dans les étoiles, les planètes, les comètes. Pourquoi
celles-ci ont-elles des trajectoires plus excentrées que celles-là ? Parce
qu’elles ont un mouvement initial plus fort, démontre newton. il faut
donc qu’elles aient été lancées, il faut qu’elles aient été créées, il faut
une cause première, qui s’est réalisée dans la masse et le mouvement.
Cette cause première, c’est dieu : la science en démontre l’existence
puisque son introduction est nécessaire à la perfection de la théorie.
mais tout mouvement dépérit : il faut qu’il soit renouvelé sans cesse
par des principes actifs. l’un de ceux-ci est la gravité, sans laquelle
les planètes ne resteraient pas sur leurs orbes. Cette gravité, action
immédiate à distance, ne peut s’expliquer mécaniquement : newton
en fera l’action constante d’un dieu omniprésent et omnipotent, le
dieu de la Bible, le maître effectif, le « seigneur de toutes choses22 ».
À la différence de celle de descartes, la physique de newton décrit
un monde algébrique où intervient la masse. À la différence de
celle de descartes, l’horloge de newton suppose la permanence de
l’intervention de l’horloger. À la différence du dieu de descartes, le
dieu de newton est un monarque absolu. Ces différences ne sont pas
surprenantes : newton est engagé aux côtés des conservateurs dans
les luttes politico-religieuses que connaît l’angleterre : il veut faire
triompher l’absolutisme social et maudit le matérialisme cartésien en ce
que celui-ci – niant l’action constante de dieu – permet de l’exclure et
peut mener à l’athéisme. le « système du monde » newtonien répond
à un engagement qui finit par triompher en angleterre. en europe
continentale les philosophes – nous y reviendrons – n’acceptent pas
la permanence de l’action divine : ils considèrent comme scabreuse
une « influence » (la gravité) qui rappelle étrangement les « propriétés
occultes » jadis attribuées aux corps. Comment, par quel mécanisme
la force de la gravitation peut-elle s’exercer à distance sans contact,
demandent-ils ? Qu’est-ce que la constante universelle G ? Pour-
quoi prend-elle toujours une même valeur ? l’introduction d’une
constante en physique, fût-elle « universelle », masque toujours une

179
une histoire de la lumière

incompréhension… les scientifiques du continent préfèrent donc


continuer de penser que des tourbillons ou des chocs entre atomes
sont la seule cause du mouvement. mais alors, le caractère forcément
aléatoire de telles collisions s’oppose à une description fondée sur une
loi immuable. Puisque l’expérience montre que celle-ci semble devoir
s’appliquer, elle n’est qu’une approximation : en la regardant ainsi, les
scientifiques du continent peuvent garder leur vision néocartésienne
du monde et vont chercher à prendre en défaut la gravitation uni-
verselle. newton ou descartes : l’opposition des deux physiques est
nette. Cette situation est particulièrement importante en optique : à la
fin des Principia, newton met au point une théorie corpusculaire par
laquelle il intègre tous les phénomènes lumineux à son « système du
monde » et à la gravitation universelle. la publication de son ouvrage
– reçue comme un choc – rallie la majorité des savants anglais – sauf
hooke. C’est une belle revanche que prend newton sur ses détrac-
teurs de la veille. il en profite pour annoncer la parution prochaine
d’un ouvrage d’optique : celui-ci, pratiquement terminé depuis 1680,
ne sera pourtant livré au public qu’en 1703. Pourquoi ce délai, ne
dépendant que de la volonté de newton ? Quelle idée précise se fait
le physicien anglais de la nature de la lumière ? nous allons essayer
de répondre à ces questions.

3. La nature physique de la lumière


« il est évident que la lumière est composée de parties successives
et de contemporaines puisque en un même endroit, on peut arrêter
celles qui tombent à un certain moment et laisser passer celles qui
viennent l’instant d’après, comme on peut, au même temps, les
arrêter dans un endroit et les laisser passer dans un autre. or il est
impossible que les parties interceptées et les parties transmises soient
les mêmes. ainsi, toute partie de lumière qui peut être arrêtée ou
propagée seule, comme toute partie de lumière qui peut agir ou être
affectée indépendamment des autres, est ce que j’appelle un rayon *23. »

* Cette définition montre que newton appelle « rayon » ce que nous qualifions
aujourd’hui de « corpuscule ». Pourtant, il ajoute (définition 2) que les mathématiciens
supposent que les rayons de lumière sont des lignes s’étendant de la source à l’objet,

180
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

Voici le postulat initial qu’énonce newton au début de son ouvrage


fondamental, l’Optique : la lumière est formée de corpuscules qui
se propagent à une vitesse énorme. Puisque ces « rayons » décrivent
des droites en traversant un milieu quelconque, leurs trajectoires
sont dues à leur seule inertie : ils ne sont alors soumis à aucune
force, ne subissent aucun choc. Pour qu’un tel fait soit possible, il
faut nécessairement que tous les corps, quel que soit leur état, gaz,
liquide, solide, soient formés de parties non jointives. Pour newton,
ces parties s’attirent par gravité : ce sont les forces d’interaction qui
donnent aux corps leur cohésion – forte dans les solides où les parties
constitutives sont proches les unes des autres, plus faible dans les
liquides et les gaz (plus dispersés). Ce double modèle logique d’une
lumière corpusculaire et d’une matière discontinue est pour l’instant
postulé ; il ne pourra être adopté que s’il permet, seul, d’expliquer
tous les phénomènes lumineux. newton va s’appliquer à faire cette
démonstration.
le plus simple des effets de la lumière semble être la réflexion.
descartes la faisait résulter d’un rebond. Cette explication peut-elle
convenir ? newton remarque – comme l’avait fait Grimaldi – que
l’intensité lumineuse (i1) réfléchie par le vide (fig. 73) est plus grande
que celle (i2) réfléchie par l’air, elle-même supérieure à celle (i3) que
renvoie le verre. si la réflexion consiste en un rebond, celui-ci résulte
du heurt des corpuscules de lumière et des parties constitutives des
corps ; lorsque l’intensité réfléchie est plus forte, les parties rencon-
trées ont été plus nombreuses : pour un même faisceau incident une
réflexion plus intense signifie donc un plus grand nombre de parties
à l’intérieur du milieu heurté. si nous admettons l’explication du
rebond il y a donc nécessairement plus de parties constitutives dans
le vide que dans l’air, plus dans l’air que dans le verre… voici un
beau paradoxe ! d’ailleurs, à l’échelle des corpuscules de lumière,
toutes les surfaces ne sont-elles pas extrêmement raboteuses ? leur
poli est obtenu par frottement sur des poudres très fines mais ces

aussi il dit utiliser une définition générale pouvant convenir aux deux acceptions. Cette
ambiguïté ne gêne nullement newton lorsqu’il traite l’optique géométrique. Par contre,
pour certains problèmes plus complexes, il désignera par « rayon » les corpuscules et
par « trait » l’objet euclidien. nous placerons toujours le terme rayon au(x) sens de
newton entre guillemets.

181
une histoire de la lumière

Figure 73

poudres sont très grossières par rapport à la taille des « rayons » :


le faisceau lumineux réfléchi, formé par des particules ayant rebondi
sur une surface aussi rugueuse, ne pourrait qu’être irrégulier, or il est
toujours parfaitement déterminé – encore un paradoxe. le désaccord
entre les conséquences de l’explication de la réflexion par un rebond
et l’expérience est patent. newton ne peut que rejeter le modèle car-
tésien. Puisque la réflexion est toujours régulière, il faut qu’elle soit
« produite non par des points particuliers de la surface d’un corps
mais par quelque pouvoir uniformément répandu à cette surface, en
vertu duquel le corps agit sur les “rayons” sans les toucher immé-
diatement24 ». la déduction est parfaitement logique : si la déviation
n’est pas due à des chocs, elle ne peut résulter, selon les principes
de la mécanique, que de l’action d’un « pouvoir » c’est-à-dire d’une
force. il reste à caractériser celle-ci : puisque la force s’oppose à la
pénétration des « rayons » dans le second milieu, elle est nécessai-
rement perpendiculaire à la surface de séparation ; puisqu’elle brise

182
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

le faisceau lumineux en un endroit précis, elle s’exerce au point où


la lumière frappe le second milieu. mais un même rayon peut être
ou réfléchi, ou réfracté par un même milieu ; n’est-ce pas la même
force qui provoque l’un ou l’autre de ces effets ? Comment alors
agit-elle ? Peut-on admettre que les lois de la réflexion et de la
réfraction sont justifiées par l’introduction d’une telle force ? Pour
répondre à ces questions, il faut calculer : aussi newton, dans les
Principia, s’attache-t-il à démontrer ce que vaut une force perpen-
diculaire à un plan, agissant à une très faible distance de celui-ci,
d’intensité décroissant avec l’éloignement du plan, sur une bille en
mouvement rectiligne : on sent qu’il veut décrire l’effet de la « force
réfractante » sur les corpuscules de lumière.
soit donc un mobile décrivant la droite (Gh) (fig. 74) ; lorsqu’il
arrive en h il commence à subir faiblement l’influence de la force F
qui s’oppose au mouvement ; la trajectoire devient parabolique ;
entre les plans B et C, très proches l’un de l’autre, l’effet de la force
est maximal, il décroît entre C et d ; en i la force cesse d’agir : la
bille reprend donc un mouvement rectiligne uniforme (iK), dévié

Figure 74

183
une histoire de la lumière

par rapport à (Gh). en calculant l’équation de la parabole décrite


entre h et i sous l’effet de la force d’intensité variable F, newton
parvient à démontrer que les sinus des angles « d’incidence » et
« d’émergence » sont toujours dans un rapport constant égal à
sin i / sin e = n : c’est la même expression que celle des lois de
la réfraction. n mesure ici l’effet de la force ; dans le cas de la
lumière, n mesure le rapport entre les indices des milieux : il semble
donc que l’assimilation soit possible et que les corpuscules lumineux
subissent à leur arrivée sur une surface de séparation de deux milieux
(très peu avant, très peu après) l’effet d’une force dirigée perpen-
diculairement à la surface : l’action de la force s’exerce dans un
espace si petit que la trajectoire parabolique est très courte et ne
peut être observée : on a l’impression que le faisceau lumineux se
brise en un point, remarque newton. nous pouvons tirer de la des-
cription de newton une conséquence très importante : l’effet d’une
force qui s’oppose à la progression d’un mobile écarte – comme le
montre l’exemple choisi – celui-ci de la normale à la surface de
séparation ; en optique, le même effet s’observe lors du passage du
verre dans l’air. au contraire, une force qui accélère la bille (fig. 75)
approche la trajectoire de la normale (cas d’une réfraction air-verre).
ainsi, selon la théorie de newton, la vitesse de la lumière est néces-
sairement plus grande dans le verre que dans le vide, dans les milieux
à fort indice de réfraction que dans les corps à faible indice. Cette
même conclusion avait été énoncée, rappelons-le, par descartes et
avait été qualifiée d’absurde par Fermat et Grimaldi. l’expérience
mécanique semble donner raison à newton, encore celui-ci doit-il

Figure 75

184
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

expliquer qu’un mobile se propageant dans un milieu dense peut


aller plus vite que dans le vide : les parties constitutives des milieux
ne freinent-elles pas obligatoirement les corpuscules de lumière ?
newton raisonne différemment : à l’entrée d’un corps dense, la force
réfringente accélère les « rayons » ; si ceux-ci rencontraient une
résistance au sein des milieux qu’ils traversent, leur trajectoire serait
courbe ; elle ne l’est pas ; la droite décrite prouve qu’aucune parti-
cule transmise ne heurte la matière ; il faut donc que « les corps
transparents [aient] assez de pores libres pour transmettre la lumière
sans obstacle25 » et newton chiffre que ces substances ont, au moins,
soixante-trois fois plus de pores que de parties solides : des plus
grosses de celles-ci « dépendent les phénomènes chimiques et les
couleurs naturelles », « de l’agrégation de ces particules résultent
les différents corps26 ». Pourtant, certains corpuscules de lumière
heurtent les parties constitutives des corps ; ils sont alors complè-
tement arrêtés : le faisceau transmis doit être moins intense que le
pinceau incident. C’est bien ce que l’on constate expérimentalement :
l’explication que newton donne de la réfraction (et de la structure
des solides) est logiquement plausible. nous pouvons l’admettre.
mais si la force réfractante est intense et s’oppose au mouvement
du mobile, elle peut empêcher celui-ci d’entrer dans le second milieu.
il y a alors réflexion (fig. 76). newton calcule que l’angle d’inci-
dence est bien alors égal à l’angle de réflexion. il peut donc conclure :
« les corps réfléchissent et réfractent la lumière par une seule et
même force diversement mise en action27. » soit. mais l’adoption
de la théorie corpusculaire nécessite que celle-ci permette d’expliquer
encore bien des effets lumineux : considérons le phénomène de
dispersion des couleurs par un prisme.

Figure 76

185
Le télescope de Newton, d’après H.C. King ;
ab : miroir concave, dg : miroir plan, o : oculaire.

Le télescope de Newton (Journal des savants, 1672).


le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

les corpuscules lumineux qui arrivent dans le prisme de verre


ont tous la même vitesse, 300 000 km/s. ils subissent l’effet d’une
même force réfractante mais sont inégalement déviés. leurs dévia-
tions différentes ne peuvent être dues qu’à une inégalité de leurs
masses. À chaque couleur correspond un type de corpuscule différent
dans la lumière solaire : ceux dont résulte l’impression rouge sont
moins déviés et ont donc une masse plus grande, ceux dont résulte
la sensation violette, plus déviés, ont une masse plus faible. insistons
un peu : une même force réfractante est à l’origine de la réfraction
et de la dispersion. il doit donc y avoir obligatoirement proportion-
nalité entre l’indice de réfraction et la déviation des corpuscules :
les milieux de fort indice doivent produire un spectre solaire très
étalé. Cette conséquence est très importante : elle amène newton à
déduire qu’il est impossible de supprimer les phénomènes chroma-
tiques que présente une lentille et donc qu’aucune lunette d’approche
réalisée en superposant des verres convergents ou divergents ne peut
donner d’images nettes. C’est pour cette raison qu’il invente un
télescope à réflexion, première découverte qu’il ait présentée, en
1668, à la royal society et qu’il avait accompagnée de commentaires
prouvant qu’à cette date il avait déjà formulé sa théorie corpusculaire
de la lumière. nous pouvons donc nous poser la question déjà évo-
quée : pourquoi newton n’a-t-il pas publié plus tôt son Optique ?
avant de revenir sur cette question ainsi que sur le problème de la
dispersion, terminons de confronter la théorie et les faits expérimen-
taux en considérant les expériences de Grimaldi.
Grimaldi avait montré que les rayons lumineux passant à très
faible distance des corps subissent une déviation. il avait appelé
diffraction ce phénomène. dans les Principia, newton l’interprète
rapidement à l’aide de sa théorie : la force réfringente s’exerce à
proximité des objets ; ceux des corpuscules de lumière qui arrivent
tangentiellement aux corps subissent une déviation d’autant plus
grande qu’ils passent près des milieux et que leur masse est faible ;
des phénomènes colorés ne peuvent qu’apparaître à la limite de
l’ombre d’un corps – c’est bien ce qui est observé. selon la nature
de la force réfringente – attractive, comme à proximité de la pointe
d’un couteau (fig. 77), ou répulsive – les franges se situent d’un
côté ou de l’autre de l’ombre. Voici donc expliqué le phénomène.
les succès de la théorie s’accumulent : l’effet d’une même force

187
une histoire de la lumière

Figure 77

sur des corpuscules de masses différentes explique tous les effets


lumineux observés. il ne reste qu’à caractériser l’intensité de la
force : newton remarque qu’elle est proportionnelle à la densité des
corps considérés « sauf pour les corps onctueux ou sulfureux28 » ; il
n’y a plus de doute, une force proportionnelle à la densité, donc à
la quantité de matière enfermée, est une force de gravité. l’optique
s’intègre parfaitement dans le « système du monde ». une seule loi
règle l’univers de l’infiniment grand à l’infiniment petit. la nature
physique de la lumière peut être valablement déduite : elle est com-
posée de corpuscules de masses différentes émis par une source et qui
se propagent dans le vide à la vitesse de 300 000 km/s. lorsqu’elles
arrivent à la surface d’un milieu, ces particules subissent l’action
d’une force réfringente excitée par eux, perpendiculaire à cette sur-
face, proportionnelle à la densité du corps heurté et qui s’exerce à
faible distance de celui-ci. Cette force, en déviant la trajectoire des
corpuscules, cause à la fois la réflexion, la réfraction, la dispersion
et ce que Grimaldi a appelé la diffraction.
Voilà une théorie simple, harmonieuse, parfaitement en accord
avec toutes les autres explications fournies par la physique : nous ne
pouvons que l’adopter. Cette théorie a d’importantes conséquences qui
devront toutes être vérifiées : c’est le programme que trace newton
aux chercheurs qui travaillent en optique :
– la vitesse de la lumière est proportionnelle à l’indice de réfraction ;
– la dispersion est proportionnelle à la réfraction ;
– l’indice de réfraction est proportionnel à la densité des corps ;

188
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

– les franges colorées apparaissent sur un seul des bords de


l’ombre d’un écran.
Pourtant, si nous y regardons de plus près, nous pouvons nous poser
une question : la théorie affirme que « la réflexion et la réfraction
résultent d’une même force diversement mise en action » ; or, un
même pinceau lumineux est presque toujours à la fois partiellement
réfléchi et partiellement réfracté par une même surface. Comment la
même force réfractante peut-elle donc soit réfléchir, soit réfracter les
corpuscules de même masse appartenant au même faisceau incident ?
il est naturel que newton se pose lui-même le problème : l’explica-
tion qu’il donne de la réflexion est incomplète. C’est parce qu’il n’a
pas résolu ce problème qu’il diffère la publication de son Optique.
newton doit donc retravailler sa théorie et c’est encore le problème
des couleurs qui va lui permettre d’approfondir ses conceptions.

Les accès
Qui ne s’est amusé à faire des bulles de savon ? Qui ne s’est
émerveillé à la vue des teintes changeantes dont elles se peignent ?
Qui ne s’est attardé à les observer ? mais peut-être avons-nous
trouvé plus de plaisir à créer ces sphères fragiles, éphémères et à
les regarder s’élever et s’éloigner dans un ciel d’été qu’à étudier
précisément les couleurs qui défilent. abandonnons donc notre lecture
et passons quelque temps à analyser les apparences que prennent
successivement ces bulles.
lorsqu’elles se forment, elles sont incolores ou présentent des teintes
pâles, délavées qui paraissent peintes sur l’eau savonneuse. des nuances
plus vives apparaissent bientôt par le haut et gagnent progressivement
le bas : nous voyons passer un jaune, un vert, un rouge… jaune, vert,
rouge… jaune, vert, bleu intense, rouge, jaune ; la bulle redevient pâle,
incolore, puis éclate brusquement. reprenons notre expérience et, pour
mieux l’observer, immobilisons la bulle formée sur la manche de notre
tricot : les couleurs défilent toujours dans le même ordre, même lorsque
la bulle éclate rapidement avant qu’elles ne soient toutes passées. Ce
sont les mêmes couleurs que nous pouvons observer sur un sol mouillé
d’eau et de pétrole ainsi que dans tous les autres cas où deux milieux
transparents sont superposés en couches minces.

189
une histoire de la lumière

newton s’intéresse à tous ces phénomènes mais il ne veut pas


se contenter de l’observation aléatoire de phénomènes naturels : il
réalise donc expérimentalement des lames minces transparentes. un
des dispositifs qu’il étudie – mis au point par hooke – est formé
d’une lentille sphérique à grand rayon de courbure posée sur un
plan de verre (fig. 78) : la lame d’air ainsi constituée, comprise
entre la surface de la lentille et celle du plan de verre, a toujours
une épaisseur très faible. newton éclaire ce système avec un faisceau
de lumière solaire et observe, par réflexion, un grand nombre d’an-
neaux colorés concentriques semblant peints sur la lame appelés
aujourd’hui « anneaux de newton » (fig. 78 et 79) : leur centre
commun est un point, où l’intensité lumineuse est nulle, qui corres-
pond exactement à l’endroit où la lentille et le plan de verre sont
en contact. les anneaux se resserrent régulièrement vers la périphé-
rie où leurs couleurs se délavent. la succession des teintes observées
du centre vers la périphérie est immuable : blanc – jaune – rouge
– violet – bleu – vert – jaune – rouge… mais au bord de l’image,
les anneaux sont si serrés et leurs teintes si délavées que newton

Figure 78

190
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

Figure 79

ne peut les distinguer qu’au moyen d’un prisme ou d’une loupe : à


l’œil nu il n’observe que du blanc appelé « blanc d’ordre supérieur ».
Cette expérience le confirme : le mélange des couleurs reconstitue
la lumière blanche ; mais ce qui intrigue le plus newton, c’est la
succession des teintes des anneaux : elle est exactement identique
à celle observée sur les bulles de savon et à celle que nous pouvons
parfois remarquer sur la chaussée mouillée d’eau et de pétrole. il
importe donc d’en dresser la liste, connue aujourd’hui sous le nom
d’« échelle des teintes de newton », et de comprendre de quoi dépend
l’apparition de ces couleurs.

191
une histoire de la lumière

en utilisant des lentilles de rayons de courbures différents, en


appuyant ou en relâchant le dispositif, newton remarque que les
cercles se dilatent lorsque l’épaisseur de la lame d’air diminue,
qu’ils se rétractent lorsqu’elle augmente. de même, les anneaux se
resserrent lorsque l’on introduit de l’eau entre lame et lentille ; rien
par contre n’est modifié si celles-ci sont remplacées par d’autres
dioptres de même taille mais d’indice de réfraction différent. la
preuve est donc faite : le phénomène ne dépend que de l’épaisseur
traversée et de l’indice de réfraction de la lame mince déterminée
par le plan et la lentille : plus le chemin optique * est grand, plus
les couleurs sont délavées.
Ce résultat permet d’interpréter les observations effectuées sur
les bulles de savon : formées d’une fine lame d’eau savonneuse,
elles présentent des teintes qui varient avec l’épaisseur. or celle-
ci se modifie sans cesse, du haut vers le bas, à mesure que l’eau
dont elles sont formées s’écoule par gravité. les couleurs défilent
donc dans le même sens : à l’épaisseur relativement importante que
possède la bulle lors de sa formation, correspondent des nuances
délavées ; celles-ci sont de plus en plus vives à mesure que l’eau
s’écoule et qu’approche l’éclatement. nous pouvons maintenant
interpréter l’évolution des phénomènes colorés mais nous ignorons
encore l’essentiel : pourquoi les teintes apparaissent-elles ?
Pour étudier ce problème, newton reprend ses expériences avec
le plan et la lentille sphérique : puisque le rayon des anneaux qu’il
observe dépend de l’épaisseur de la lame mince, il convient de relier
ces deux grandeurs : newton s’aperçoit très vite que les mêmes
teintes apparaissent toujours lorsque les épaisseurs traversées sont
multiples les unes des autres. en éclairant son dispositif avec de la
lumière monochromatique, il précise encore cette observation : de très
nombreux anneaux présentant la couleur utilisée sont séparés par des
cercles noirs situés exactement là où le chemin optique est multiple
entier d’une valeur donnée : 1/89 000 d’once (0,28 µm) lorsqu’il
éclaire avec le jaune, 0,4 µm avec le rouge… la merveilleuse qualité
de l’expérimentation et de la mesure permet de constater qu’il existe,
dans le comportement de la lumière, une périodicité caractéristique
de chaque couleur !

* on appellera ainsi le produit de l’épaisseur par l’indice du milieu traversé.

192
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

un autre fait, tout aussi curieux, peut être relevé : en regardant


le dispositif, éclairé en lumière monochromatique, non plus par
réflexion mais par transmission (fig. 80), newton remarque que les
phénomènes observés sont identiques à ceci près : le centre n’est
plus sombre mais clair et les anneaux noirs apparaissent précisément
là où l’intensité lumineuse était la plus forte par réflexion… et
inversement… en lumière polychromatique, des particularités ana-
logues peuvent être notées : la succession des teintes que présentent
les anneaux est la même par réflexion ou transmission mais les
cercles d’une même couleur sont décalés dans les deux types d’ob-
servations : le bleu * est observé, par réflexion, pour des épaisseurs
proportionnelles aux nombres 1, 3, 5… c’est le jaune qui est présent
à ces endroits par transmission ; le bleu se trouve alors à des épais-
seurs proportionnelles aux nombres 0, 2, 4… là où le jaune était
visible par réflexion ! Plus généralement, les couleurs qui apparaissent

Figure 80

* Ce n’est pas exactement du bleu mais une teinte « lie de vin ».

193
une histoire de la lumière

– par réflexion ou transmission – en un même point sont toujours


« complémentaires » l’une de l’autre.
les incompréhensions s’accumulent. newton va tirer logiquement
les conséquences des nouvelles informations dont il dispose et les
utiliser pour compléter sa théorie.
la couleur observée en un endroit dépend des corpuscules qui
y parviennent. Puisque, dans les expériences que nous venons de
décrire, nous notons, en un même point, par réflexion ou trans-
mission, l’obscurité ou une intensité maximale, une teinte ou sa
complémentaire, c’est que les mêmes corpuscules sont ou réfléchis,
ou transmis en ce point. les mêmes expériences nous ont appris
que la réflexion ou la transmission de ces particules est fonction de
l’épaisseur traversée et d’une périodicité qui leur est caractéristique.
newton tient le fil conducteur qui peut lui permettre de comprendre
la réflexion et la réfraction : celles-ci dépendent forcément « des
deux surfaces de chaque [lame] mince parce qu’elles dépendent de
leur distance mutuelle29 ». Ceci paraît évident mais newton va plus
loin : « la réflexion et la réfraction se font […] à la seconde sur-
face. Car si elles se faisaient à la première avant que les “rayons”
arrivassent à la seconde, elles ne dépendraient pas de la seconde29. »
C’est logique. mais, s’il en est ainsi, pourquoi les corpuscules ne se
réfléchissent-ils pas sur la première surface et peuvent-ils le faire sur
la seconde, identique parfois ? C’est que, selon newton, réflexion et
réfraction dépendent aussi « de quelque action propagée de la pre-
mière à la seconde surface : autrement les “rayons” étant une fois
parvenus à la seconde, ils ne dépendraient plus de la première » ;
or cette action « dépend des deux surfaces […] puisqu’elle dépend
de leur distance29 ». Ceci paraît indubitable mais de quelle action
peut-il s’agir ? assurément, d’une cause ayant un effet périodique qui
puisse donner au corpuscule une « disposition » à être soit réfléchi,
soit réfracté, en fonction de l’épaisseur qu’il a traversée. et newton
se demande : « mais en quoi consiste cette disposition ? tient-elle
à un mouvement de vibration dans le rayon ou dans le milieu ?
Je n’entrerai point ici dans l’examen de cette question ; ceux qui
n’aiment point à admettre une nouvelle découverte, à moins qu’ils
ne puissent l’expliquer par une hypothèse, peuvent supposer pour le
présent que les “rayons” de lumière, venant à tomber sur une surface
quelconque réfringente ou réfléchissante, produisent des vibrations

194
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

dans le milieu ou dans le corps réfringent ou réfléchissant, comme


des pierres jetées dans l’eau excitent des ondulations, ou comme la
percussion des corps en excite dans l’air *. en produisant ces vibra-
tions, les “rayons” agitent les parties solides du corps réfringent ou
réfléchissant. en les agitant ils échauffent ce corps. les vibrations
ainsi excitées se propagent dans le milieu réfringent ou réfléchissant,
à peu près de la même manière que celles du son se propagent dans
l’air ; elles ont un mouvement plus rapide que celui des “rayons”, de
sorte qu’elles les atteignent. ainsi, lorsqu’un “rayon” se trouve dans
cette partie de la vibration qui concourt avec son propre mouvement,
il passe aisément à travers une surface réfringente ; mais lorsqu’il
se trouve dans la partie opposée de la vibration qui fait obstacle à
son mouvement, il est aisément réfléchi : chaque “rayon” est donc
successivement disposé à être réfléchi ou transmis par chaque vibra-
tion qui l’atteint. mais je n’examine pas ici si cette hypothèse est
vraie ou fausse. Je me contente d’avoir découvert que par certaine
cause, quelle qu’elle soit, les “rayons” de lumière sont disposés à
être alternativement réfléchis ou transmis à plusieurs reprises29. » et
newton propose des définitions importantes :
« les retours de la disposition d’un “rayon” quelconque à être
réfléchi, je les appelle accès de facile réflexion ; comme j’appelle
accès de facile transmission les retours de sa disposition à être
transmis. Quant à l’espace qui se trouve entre deux retours, je le
nommerai intervalle des accès29 » ainsi :
« tout “rayon” de lumière, traversant une surface réfringente
quelconque, acquiert certaine disposition transitoire qui revient à
intervalles égaux : à chaque retour, le rayon passe au travers de la
surface réfringente qui suit immédiatement et à chaque intermission,
il est réfléchi par cette surface29. »
attardons-nous un peu sur le modèle proposé : il est plus simple
qu’il ne paraît à la première lecture. en arrivant dans un milieu les
corpuscules créent, en fonction de leur masse, une onde qui se pro-
page plus vite qu’eux. lorsqu’ils atteignent la seconde surface, les
vibrations qu’ils ont créées peuvent soit s’accorder à leur mouvement
– et celui-ci est facilité, les corpuscules passent et sont réfractés –,

* l’analogie mécanique est importante. dans les Principia, newton avait jeté les
bases de la mécanique des fluides et montré que les vibrations ont un effet périodique.

195
une histoire de la lumière

soit s’opposer à leur progression et les corpuscules sont réfléchis.


Voilà qui semble enfin donner une explication rationnelle de la
réflexion et compléter de manière définitive la théorie corpusculaire.
une gêne se manifeste cependant : newton n’est pas affirmatif ; ne
dit-il pas : « Je n’examine pas ici si cette hypothèse est vraie ou
fausse », « Je n’entrerai point ici dans l’examen de cette question » ?
Ces restrictions sont surprenantes : intéressons-nous donc de plus
près à la théorie des accès et dégageons-en les conséquences.
si des vibrations sont produites dans un milieu par l’arrivée de
corpuscules et qu’elles se transmettent comme « celles du son […]
dans l’air » ou celles produites par un caillou dans l’eau, il faut qu’il
y ait un agent qui permette cette propagation et qui joue le même
rôle que l’air ou l’eau. Cet agent peut-il être les parties constitutives
du corps ? newton a dit, rappelons-nous, que l’explication d’une
transmission des corpuscules lumineux en ligne droite exige que
le verre comprenne soixante-trois fois plus de vide que de parties
solides. Cette proportion augmente bien sûr pour l’eau, l’air et les états
moins condensés. Comment des parties aussi éloignées peuvent-elles
transmettre une onde plus rapidement encore que ne se propage la
lumière dans ces milieux, à plus de 300 000 km/s selon la théorie ?
Ceci est mécaniquement impossible !
et que dire de la réflexion et de la réfraction qui se produisent à
la surface de séparation vide-verre ? les accès se propagent dans le
vide ! Comment ? encore une invraisemblance. newton s’en aperçoit ;
aussi, beaucoup plus loin dans son œuvre, interroge-t-il : « [n’existe-
t-il pas] un milieu beaucoup plus subtil que l’air, qui reste dans [un]
vase quand on en a pompé l’air. Ce milieu n’est-il pas le même que
celui qui réfracte et réfléchit la lumière, qui la met dans des accès de
facile réflexion et de facile transmission […] ? Ce milieu n’est-il
pas […] incomparablement plus rare, plus subtil, plus élastique et plus
actif que l’air ? ne pénètre-t-il pas promptement tous les corps ? et en
vertu de son élasticité, n’est-il pas répandu dans la vaste étendue des
cieux30 ? ». Ce milieu, newton l’appelle l’« éther ». nous retrouvons
l’appellation de ce « ciel » dont les chercheurs du moyen Âge faisaient
déjà dépendre les phénomènes lumineux – la cohérence de la théorie
corpusculaire nécessite de l’introduire. mais à nouveau newton ne paraît
pas affirmatif : il est difficile d’admettre l’existence d’une substance
s’insinuant partout, dans les corps, dans l’espace, mais que l’on n’a

196
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

jamais observée… Pourtant nous devons ou admettre l’éther, ou rejeter


la théorie corpusculaire proposée. newton fait son choix : il trouve
maintes preuves indirectes de l’existence de la « matière éthérée »
(n’est-ce pas elle qui conduit la chaleur dans le vide ?), tente d’en
déterminer les caractéristiques et affirme, en particulier, que, pour pou-
voir produire les accès, sa force élastique doit être « 490 000 000 000
de fois plus grande que ne l’est la force élastique de l’air à raison
de sa densité31 » et que « sa résistance serait plus de 600 000 000 de
fois moindre que celle de l’eau32 ». 490 000 000 000, 600 000 000,
63… newton ne dit pas de quels calculs il tire ces chiffres, quel
raisonnement lui permet de les avancer… mais chiffrer précisément
semble conférer à ses déductions un sérieux et une certitude propres
à dissuader les détracteurs… newton utilise à la fois des nombres
forgés arbitrairement et des arguments physiques convaincants (la
conduction de la chaleur) pour affirmer la réalité d’un éther dont la
présence pourrait être prouvée – à défaut d’une observation directe –
par l’analyse des effets qu’il entraîne. admettons donc l’existence de
ce milieu puisque nous ne pouvons contredire les principes avancés
– les accès seraient donc causés par des vibrations qui se propagent
au sein d’une substance qui s’insinue partout : l’éther – et continuons
de soumettre le modèle proposé à l’examen des faits.
Puisque la « disposition » à être alternativement transmis et réfléchi
revient périodiquement, avec des intervalles égaux dont la grandeur
ne dépend que des vibrations créées, les nombres des corpuscules
réfléchis ou transmis doivent toujours être rigoureusement égaux.
or l’expérience montre que les intensités des faisceaux réfléchis ou
réfractés par une même surface ne sont qu’exceptionnellement égales
et varient avec l’incidence. newton ne peut pas ne pas avoir pensé
à cette objection fondamentale qui met en cause sa conception :
il devrait donc la discuter, améliorer sa théorie ou en montrer les
limites. il ne le fait pas. nulle part il ne soulève l’objection : bien au
contraire, il tente d’égarer le lecteur et utilise divers procédés propres
à éviter que des remarques trop embarrassantes lui soient opposées.
Pour sauver sa théorie, pour masquer ce qu’il doit considérer comme
un échec personnel, newton abandonne délibérément toute démarche
critique : il ruse parfois maladroitement avec, alors, le désespoir d’une
personne profondément blessée. rappelons-nous les termes utilisés
par newton et déjà cités : « Je n’entrerai point ici dans l’examen

197
une histoire de la lumière

de cette question » mais il n’y entre nulle part ailleurs ! « Ceux qui
n’aiment point à admettre une nouvelle découverte, à moins qu’ils
ne puissent l’expliquer par une hypothèse, peuvent pour le présent
supposer » : aimerions-nous nous trouver parmi ces incrédules qui
ne conçoivent pas l’abstraction ? dans cette dernière phrase, newton
joue sur les mots : il ne décrit pas une nouvelle découverte expéri-
mentale mais propose une hypothèse théorique qui, justement, doit
permettre d’expliquer… Bientôt, newton ne va plus se contenter
d’user d’artifices de langage : il va dissimuler.

La diffraction
nous avons dit comment, dans les Principia, newton explique,
par exemple, l’apparition de franges lumineuses colorées sur l’un des
bords de l’ombre d’une pointe de couteau par la déviation des cor-
puscules sous l’effet de la force réfringente (fig. 77). nous ne nous
sommes pas arrêtés sur cette déduction et pourtant nous aurions dû
y prêter plus d’attention : Grimaldi n’avait-il pas démontré, en s’ap-
puyant sur l’expérience, que ces phénomènes de diffraction ne peuvent
être assimilés ni à une réflexion ni à une réfraction ? rappelons-nous :
en approchant ou en reculant l’écran de l’objet diffractant, il est pos-
sible de constater que les franges « ne sont ni sur une ligne droite
passant par la source et tangente à l’obstacle, ni sur une droite menée
du trou au point de l’écran sur lequel on les observe ». l’effet d’une
force réfringente est de dévier les corpuscules au passage de l’obstacle,
de briser leur trajectoire rectiligne ; pourquoi donc n’ont-ils plus une
trajectoire rectiligne après celui-ci ? Grimaldi avait aussi remarqué
que les irisations sont invariables « quel que soit le corps opaque
placé dans le cône lumineux, dense ou léger, lisse et poli, rugueux et
irrégulier, dur ou mou » : elles ne dépendent que de sa taille, non de
sa nature. si la force réfringente cause ces irisations, la déviation doit
être proportionnelle à la densité des corps donc varier avec leur nature.
Voilà une nouvelle contradiction : contrairement à ce qu’un examen
rapide pouvait le faire croire, l’explication de la diffraction ne s’intègre
pas facilement à l’ensemble de la théorie de newton. Celui-ci va
d’ailleurs revenir sur le problème : il reprend les expériences de Gri-
maldi, les cite, les complète, les enrichit de mesures soignées et

198
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

Figure 81

précises en les réalisant en lumières blanche ou monochromatique. il


démontre notamment, en faisant varier la distance entre l’obstacle et
l’écran, que les franges observées sont situées sur des hyperboles
(fig. 81). Ce résultat doit le placer dans une grande perplexité : si les
corpuscules ne décrivent pas une droite après l’agent diffractant, c’est
qu’une force continue à s’exercer sur eux. Puisque la trajectoire sui-
vie est une hyperbole, cette force est plus forte loin de l’obstacle qu’à
proximité… voici qui contredit singulièrement l’explication du phé-
nomène par l’action de la seule force réfringente… Pour justifier ce
fait, newton va se livrer à une véritable acrobatie théorique : puisqu’il
a « démontré » que l’éther s’insinue partout, il rend responsable ce
milieu de la courbure des trajectoires : il imagine qu’il oppose une
résistance de plus en plus grande à la progression des corpuscules au
fur et à mesure que ceux-ci s’éloignent de l’obstacle !… mais à quoi
serait due cette résistance croissante ? À l’augmentation progressive
de la densité de l’éther suggère newton qui questionne ingénument :
« [le] milieu éthéré […] ne devient-il pas graduellement plus dense ?
la condensation graduelle de ce milieu ne s’étend-elle pas à quelque
distance des corps et ne produit-elle pas les inflexions des “rayons”
de lumière qui passent près […] des corps33 ? » Évidemment, si l’éther
se condense de plus en plus, il oppose une résistance croissante qui

199
une histoire de la lumière

explique la trajectoire suivie par les corpuscules… mais pourquoi y


aurait-il une telle condensation de l’éther ? Pourquoi uniquement après
et à l’extérieur d’un obstacle rencontré par la lumière ? (les rayons
réfléchis et réfractés sont rectilignes.) Pourquoi des rayons transmis
directement passant dans la zone où « l’éther est condensé » conservent-
ils, comme le montre l’expérience, une trajectoire rectiligne ? on le
voit, newton n’est plus maître de ses explications : elles sont invrai-
semblables. Pour en masquer la légèreté, il n’hésite pas à fuir en avant
et à les généraliser : « Je ne vois pas pourquoi cet accroissement de
densité finirait à un point déterminé et ne s’étendrait pas à toutes
distances depuis le soleil jusqu’à saturne et au-delà […] si la force
élastique du milieu est extrême […] elle peut suffire pour pousser les
corps des régions les plus denses vers les plus rares, avec ce mouve-
ment accéléré que nous nommons gravitation34. » Quelle malice ! relier
l’incompréhension de la courbure des rayons à cette gravitation qui
lui a valu tant de succès, voilà qui devrait faire taire les détracteurs…
mais le passage est significatif : une modification de perspective s’est
produite chez newton. dans les Principia et dans le début de l’Optique,
il postulait un univers vide, où la matière est concentrée, où la gravité
est l’action constante d’un dieu omniprésent. Jamais newton n’assigne
alors de cause à cette gravité : il la déduit et ne s’interroge pas sur
son fondement : « Hypotheses non fingo [Je ne feins pas d’hypothèse] »,
dit-il pour réfuter les interprétations mécaniques qui pourraient per-
mettre de se passer de l’intervention divine. Bientôt newton découvre
d’autres « principes actifs » qui confirment l’action de dieu : la
« cause » qui maintient les particules des solides écartées les unes des
autres, la force réfringente. mais cette dernière devient insuffisante
lorsque, pour expliquer la réflexion, newton formule la théorie des
« accès » : celle-ci l’oblige alors à introduire un éther. Certes, cet
éther est d’abord « infiniment élastique », composé de très petites
particules entre lesquelles il y a du vide : sa structure discontinue
rend indispensable l’intervention divine, son introduction n’amène
nulle incohérence dans le « système du monde ». mais voici que la
diffraction oblige à en envisager la condensation. dès lors, l’éther ne
peut plus être sans influence sur le mouvement des planètes : newton
le relie donc à la gravitation. Ce faisant, il laisse envisager une expli-
cation mécanique à celle-ci : pas plus que de sa théorie physique il
ne reste maître de ses explications théologiques. Pour sauver l’ensemble

200
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

de ses conceptions, il continue néanmoins à proposer un modèle de


lumière qui ne le satisfait plus et, pour cacher les incompréhensions
auxquelles ce modèle conduit, il choisit délibérément dans la suite de
son texte de biaiser et de dissimuler : il néglige de tirer les consé-
quences d’expériences qui le mettent dans l’embarras (celle, par
exemple, de la strie noire observée au milieu d’un faisceau ayant
traversé une fente étroite qui disparaît puis réapparaît périodiquement
si on avance l’écran d’observation), il cache quelques résultats expé-
rimentaux concernant, en particulier, la taille des ombres (un faisceau
passant près d’un fil de fer semble repoussé par celui-ci) : la taille
de l’ombre est plus grande ; un faisceau passant dans un trou percé
dans une tôle semble attiré par celle-ci : la taille de la tâche lumineuse
est plus grande (fig. 82). une même force réfringente [celle du fer]
peut-elle donc infléchir la lumière en deux sens contraires ? il justifie

Figure 82

201
une histoire de la lumière

quelquefois l’expérience par les propriétés qu’il attribue aux « rayons »


ou pèse sur le jugement du lecteur, par exemple en ne citant jamais
le terme de diffraction. dissimulations, procédés de style, incohérences,
imprécisions, inconsistances émaillent donc le troisième livre de
l’Optique. newton en termine, prudemment, la partie expérimentale
par ces lignes :
« dans le temps que je m’occupais de ces phénomènes, j’avais
dessein de refaire avec plus de soin la plus grande partie des obser-
vations qui précèdent, et même d’en faire de nouvelles, propres à
déterminer la manière dont les “rayons” se plient en passant près des
corps pour produire ces franges colorées et les intervalles obscurs
qui les séparent : mais d’autres occupations vinrent m’interrompre
et aujourd’hui je ne saurais me résoudre à reprendre cet examen.
Puisque cette partie de mon ouvrage reste imparfaite, je me bornerai,
pour toute conclusion, à proposer quelques questions qui pourront
engager les physiciens à pousser plus loin ces recherches35. » Curieuses
« occupations » qui viennent « interrompre » avec tant d’à-propos les
études de newton et étranges « questions » qui, loin « d’inciter les
physiciens à pousser plus loin [leurs] recherches », sont un mélange
de suggestions intéressantes et de litanies auxquelles il convient
d’acquiescer. Ce procédé fait perdre de la force aux idées avancées
et constitue un moyen habile qu’utilise newton pour préserver aux
yeux de ses contemporains et de ses successeurs l’ensemble de sa
théorie. Ce refus d’ouvrir un débat clair est accentué par une dernière
fuite : pour être sûr de ne pas être contredit par des hommes qui
connaissent bien l’optique et n’hésiteraient pas à lui répliquer, new-
ton fait paraître son ouvrage, fruit des recherches qu’il a menées de
1666 à 1670, en 1704 seulement, quand les deux autres spécialistes
de l’optique de cette époque sont morts : huygens en 1695, hooke
depuis quelques mois… ils ne peuvent plus répondre.
l’attitude de newton peut paraître contradictoire : d’une part il
décrit de façon merveilleusement précise des expériences qu’il est seul
à réaliser et qui, sans lui, n’auraient pas été connues avant longtemps
mais, d’autre part, il cache les conclusions auxquelles certaines de
ses observations conduisent ou tente d’égarer le lecteur. un homme
voulant délibérément tromper aurait choisi de tenir secrets les résultats
qui contredisent ses opinions… mais l’orgueil de newton ne peut s’y
résoudre : on sent, qu’en fait, il est déchiré et on peut croire qu’il

202
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

s’est accroché à son rêve, à sa foi, qu’il a voulu continuer à décrire


un monde simple et harmonieux alors que, seuls, quelques effets
« secondaires », observés en optique (la diffraction – phénomène que
seuls Grimaldi et lui-même avaient remarqué), remettaient en cause
cette vision unificatrice… attitude psychologiquement compréhensible,
mais comment prétendre vouloir tout comprendre et expliquer comme
newton l’ambitionne et pour cela dissimuler ? Quelle qualité peut
avoir une construction théorique qui masque les incohérences ? la
seule démarche raisonnable, la seule progressiste, est de mettre en
évidence contradictions et incompréhensions : une inadéquation entre
expérience et théorie dissimule toujours une lacune dans celle-ci, une
défaillance dans le modèle ou dans l’approche réalisée. il est beau-
coup plus profitable de mettre en relief les difficultés pour pouvoir
déterminer ce qu’elles cachent que d’affirmer une « vérité » absolue,
indiscutable qui est, de toute façon, inexistante. aussi longtemps
que ne sont pas affrontées les contradictions, les incompréhensions
demeurent. reconnaître, analyser les points faibles, c’est s’attaquer
à eux pour en avoir raison. À l’évidence, newton, qui a donné à la
science son langage précis et déductif, qui a permis aux approches
d’être confrontées à l’expérience, n’a pu adopter une telle attitude :
il est resté le militant conservateur qui avait fondé une science des-
tinée à vaincre l’athéisme, une science s’intégrant parfaitement et
de manière cohérente dans le grand dessein de dieu.

Couleurs et musique
Cette cohérence de la physique dans le plan de dieu, newton
l’exprime à nouveau et particulièrement nettement dans sa théorie des
couleurs. dans ses premières expériences (1666-1672), il représente
la dispersion en faisant figurer cinq couleurs après le prisme (fig. 59).
dans l’Optique, il dit avoir fait repérer la dispersion grâce à « une
personne […] ayant la vue plus pénétrante que moi ». il peut alors
tracer les « lignes qui marquent les confins des couleurs » (fig. 83) et
préciser que ces lignes coupent « le spectre en travers, de la même
manière qu’est divisée la corde d’un instrument de musique […] dans
la proportion des nombres 1, 8/9, 5/6, 3/4, 2/3, 3/5, 9/16,1/2 et qu’ainsi
elles représentent les cordes de la clé, du ton, de la tierce mineure, de

203
une histoire de la lumière

Figure 83

la quarte, de la quinte, de la sixte majeure, de la septième et de l’octave


du dessous de la clé et les intervalles […] seront les espaces occupés
par les différentes couleurs, le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le
bleu, l’indigo, le violet36 ». il peut même préciser, abusivement, que les
rapports des distances séparant les couleurs du spectre sont exactement
les mêmes que les rapports entre les notes de la gamme37. on pourrait
supposer qu’établissant un parallèle entre couleurs et notes de musique,
newton répond indirectement aux arguments que lui opposait hooke.
Cette interprétation serait un peu courte. la musique et les sept notes
de la gamme sont l’expression d’une perfection, dans laquelle newton
place sa théorie des couleurs, et ceci dans une triple filiation. Celle
des traditions pythagoricienne et néoplatonicienne d’abord. Celle de la
tradition judéo-chrétienne ensuite, où sept est le nombre des branches
du chandelier, celui des jours de la Création, le nombre des Églises
dans l’apocalypse, le nombre des dons du saint-esprit, des vertus aussi
bien que des péchés capitaux. mais sept est enfin le nombre sacré le
plus important après trois, celui des démons apparaissant dans les sept
points des Pléiades selon les sumériens, celui des planètes, des jours
de la semaine, du nombre des sciences et des arts de l’enseignement
médiéval… sept représente donc la cohérence de la Création. en ter-
minant son Optique, newton écrit : « l’harmonie et la discordance des
couleurs ne pourraient-elles pas venir des proportions des vibrations
continuées jusque dans le cerveau […] comme l’harmonie et la dis-
sonance des sons viennent des proportions des vibrations de l’air38 ? »
« sur ce pied-là, la nature se trouvera très simple et très conforme à
elle-même, produisant tous les grands mouvements des corps célestes
par l’attraction d’une pesanteur réciproque entre ces corps, et presque
tous les grands mouvements de leurs particules, par quelques autres
puissances attractives et repoussantes, réciproques entre ces corps […]

204
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

toutes les choses dûment considérées, il me semble très probable qu’au


commencement dieu forma la matière en particules solides […] avec
telles autres propriétés et en telles proportions […] au reste, […] il
semble que […] toutes les choses matérielles aient été composées […]
et diversement assemblées […] par la direction d’un agent intelligent :
car c’est à celui qui créa ces particules qu’il appartenait de les mettre
en ordre. et s’il l’a fait, ce ne serait pas agir en philosophe que de
rechercher aucune autre origine du monde […] une uniformité aussi
merveilleuse […] doit être nécessairement regardée comme l’effet d’un
choix […] dans la physique tout aussi bien que les mathématiques, il
faut employer dans la recherche des choses […] la méthode analytique
avant de recourir à la méthode synthétique. la première […] consiste
à faire des expériences et observations, à en tirer par induction des
conclusions générales, […] ces découvertes une fois vérifiées, on
peut s’en servir comme principes pour expliquer les phénomènes qui
en découlent […] si par cette méthode on en vient à perfectionner la
physique dans toutes ses parties, l’on étendra aussi les bornes de la
morale […] car la loi morale renferme le culte d’un seul dieu […]
C’est une loi qui est encore imposée à toutes les nations de la terre
par les sept préceptes des enfants de noé39. » newton, comme l’avait
fait Kepler avant lui, éprouve dans sa grande réorganisation de la
physique le besoin de s’assurer et de se réassurer de manière mystique
en invoquant l’ordre du monde. sa quantification des couleurs marque
la cohérence de sa découverte avec la totalité de l’œuvre de dieu.
dieu, indispensable à l’explication de la gravité, dieu l’architecte du
monde qui y a laissé la trace de sa perfection, dieu auquel conduisent
la physique et les mathématiques, couronnées par une métaphysique.
en déclarant qu’il y a sept couleurs fondamentales et sept seulement,
newton atteint la beauté et la perfection.

4. Les critiques de Newton


à la théorie ondulatoire de la lumière
nous avons vu comment la théorie ondulatoire de huygens explique
la propagation rectiligne de la lumière, la réflexion, la réfraction (contrai-
rement à newton, par une vitesse inversement proportionnelle à l’indice,
elle est plus faible dans le verre que dans l’éther), la biréfringence ;

205
une histoire de la lumière

nous avons vu qu’elle se montre prédictive en ce qu’elle permet de


prévoir des biréfringences qui n’ont jamais été observées, de calculer
avec précision les angles de réfraction que doivent faire des rayons
extraordinaires pour des sections et des incidences quelconques, de
conjecturer une structure des cristaux. il reste une indétermination dans
les faits décrits par huygens : celui-ci découvre qu’un rayon lumineux
traversant successivement deux calcites donne, à la sortie du second
cristal, quatre rayons qui n’ont pas les mêmes intensités et dont deux
peuvent même s’éteindre en tournant cette calcite (fig. 57). huygens
souligne ce fait, qu’il laisse à la postérité le soin d’expliquer. newton
relève cette déficience et donne un avis implacable : la théorie des
ondes a fait la preuve de son inopérance et doit être rejetée. et new-
ton d’argumenter : huygens avoue lui-même l’impossibilité dans laquelle
il est placé d’expliquer tous les faits expérimentaux, point n’est besoin
donc de prendre en considération ses constructions ! et newton de
citer – c’est la seule citation effectuée dans les cinq cents pages de
son Optique – la petite phrase où huygens exprime son insatisfaction40.
mais newton va plus loin encore : il sait que le gros succès de huygens
est d’avoir pu prévoir la position de l’onde extraordinaire au moyen
de sa théorie des ondes : il dit avoir refait les mesures. ses résultats
ne concordent pas avec ceux de huygens, parfois à plusieurs degrés
près. C’est à tort donc que celui-ci dit pouvoir conclure que la théorie
ondulatoire est prédictive : il faut la rejeter. newton prouve aussi le
blocage qu’il ressent envers la théorie des ondes en affirmant qu’une
onde qui passe au travers d’un obstacle devrait se répandre dans toutes
les directions après lui (fig. 84)… n’a-t-il pas lu la démonstration que
fait huygens de la propagation rectiligne ? ne l’admet-il pas et, dans
ce cas, pourquoi ? la résolution de cette difficulté eût nécessité d’em-
ployer le calcul : comment rendre compte, par exemple, de la valeur
d’une intensité lumineuse sans l’exprimer mathématiquement ? Personne,
en cette fin du xviie siècle ne savait faire de tels calculs d’ondes et de
vibrations ou, plutôt, ceux-ci devaient paraître si compliqués qu’aucun
physicien n’osa les aborder… tous les éléments nécessaires à leur
résolution avaient en effet été découverts, étudiés, exposés… par new-
ton dans les Principia. mais newton allait aussi en révéler des contra-
dictions conceptuelles de tout autre importance…
dans la vingt-huitième question qu’il pose à la fin de son Traité
d’optique, newton note : « si l’action de la lumière consistait en

206
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

Figure 84

une action propagée sans mouvement de transport, elle ne serait pas


capable d’agiter ni d’échauffer les corps qui la réfractent ou qui la
réfléchissent41. » la critique n’est guère fondée en ce qui concerne
« l’agitation » des parties : l’arrivée d’une onde peut conférer à
celles-ci, comme nous l’avons vu, un mouvement vibratoire… mais
la chaleur ? si les « sphères » de matière éthérée ou les particules
constitutives de la matière entrent en vibration c’est, comme nous
l’avons montré, par entraînement de proche en proche ; il y a contact,
frottement, chocs… dissipation de chaleur lors de ce mouvement.
la vibration est donc obligatoirement accompagnée d’un échauf-
fement que subissent les corps éclairés ; cet échauffement peut
effectivement être mis en évidence : newton se trompe-t-il donc ?
regardons de plus près. si les chocs dissipent de la chaleur, c’est
parce que les particules perdent une partie de leur mouvement.
Comment la lumière peut-elle donc se propager du soleil à la terre
à une vitesse constante et énorme alors que se manifeste cette perte
de mouvement irréversible ? Faut-il donc aussi que, lors de l’émis-
sion, la force d’ébranlement soit infinie ? si les cartésiens négligent
d’expliquer la dissipation de chaleur, ils peuvent continuer de justifier

207
une histoire de la lumière

la propagation lumineuse… en revanche, s’ils prennent en compte


l’effet thermique, ils ne peuvent expliquer la propagation. newton
soulève ainsi un problème d’importance qui ne se réduit pas à la
lumière mais concerne évidemment aussi la force de gravité : la
conception d’un éther suppose le caractère nécessairement discon-
tinu des chocs là où lui, newton, décrit une accélération continue…
si la force gravitationnelle est due à des chocs, elle doit – avec le
temps – dépérir et s’arrêter mais si elle n’est pas due à des chocs
entre atomes, elle constitue une « influence » de nature inexpliquée…
nous sommes au centre du problème : celui de l’existence de l’éther
et de l’explication rationnelle de la gravitation universelle.
Bientôt newton aborde la question sous un autre angle ; il note :
« Ces fluides, dont on suppose remplie la vaste étendue des cieux,
ne sauraient s’accorder avec les mouvements réguliers et constants
des planètes et des comètes, qui ont lieu en tous sens, à moins
que ces fluides fussent assez rares pour ne leur opposer aucune
résistance marquée. les espaces célestes sont donc privés de toute
matière sensible42. » « les mouvements réguliers des planètes […]
ne peuvent s’entretenir qu’autant que les espaces immenses des
cieux sont vides de toute matière […] un fluide dense serait plus
qu’inutile pour rendre raison des mouvements des astres ; puisqu’il
ne servirait qu’à retarder ces mouvements […] d’après cela […]
rien ne prouve l’existence d’un pareil fluide […] il doit donc être
regardé comme un être fictif. ainsi, les hypothèses qui font consister
l’action de la lumière en une pression ou un mouvement propagé à
travers un pareil milieu, sont insoutenables43. »
Voilà des arguments sérieux : si l’éther existe, il oppose une
résistance mécanique au mouvement des astres. Ceux-ci, les calculs
le prouvent, se propagent sans subir de résistance, comme s’ils se
mouvaient dans un vide total : l’éther envisagé par huygens devrait
donc à la fois transmettre très facilement les perturbations lumineuses
(pour cela être formé de parties au contact) et ne pas s’opposer au
mouvement des astres. Voici une belle contradiction… newton oublie
pourtant de signaler que lui aussi introduit dans sa théorie corpus-
culaire un éther, au sein duquel se propagent les « accès », à une
vitesse supérieure à celle de la lumière, et qui se condense progres-
sivement, courbant les rayons « diffractés » et causant la pesanteur.
Quelles propriétés mécaniques possède donc cet éther newtonien ?

208
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

Comment ne gêne-t-il pas, lui, le mouvement des astres ? newton ne


répond pas à ces questions, que d’ailleurs il ne pose pas mais dont
il tente de détourner le lecteur en l’entraînant, sans transition, sur
un terrain propre à faire taire toute critique ; il enchaîne en effet :
« les philosophes modernes […] ont imaginé des hypothèses
pour tout expliquer mécaniquement. mais le grand but qu’on doit
se proposer dans l’étude de la nature, c’est de raisonner sur les phé-
nomènes sans le secours d’aucune hypothèse : de déduire les causes
des effets, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à la cause première, qui
très certainement n’est pas mécanique ; d’expliquer par ce moyen le
mécanisme du monde et de résoudre mille questions de l’importance
de celles qui suivent : qu’y a-t-il dans les lieux presque vides de
matière ? d’où vient que le soleil gravite vers les planètes, et que
les planètes gravitent vers le soleil, sans qu’ils soient environnés
d’un fluide dense ? pourquoi la nature ne fait-elle rien d’inutile ?
d’où procède l’ordre que nous voyons établi dans l’univers ? […]
de l’explication satisfaisante de ces questions ne résulte-t-il pas
qu’il est un Être immatériel, intelligent, présent partout, et qui voit
immédiatement le fond des choses dans l’infinité de l’espace et du
temps44 ? » ainsi, newton replace le débat sur le plan théologique
et réaffirme une nouvelle fois ses positions : la nature possède une
double structure matérielle et immatérielle ; l’inertie et les chocs
expliquent le mouvement mais – au cours du temps – celui-ci ne
peut que s’amortir et disparaître ; il faut donc qu’il soit renouvelé
constamment par des principes actifs (la gravité, la force réfringente…)
qui représentent l’action constante d’un dieu omniprésent et omni-
potent ; la physique mène à dieu. newton rejette donc la théorie
ondulatoire parce qu’elle développe la conception cartésienne du
monde, dispense de l’intervention divine et peut mener à l’athéisme.

5. La théorie corpusculaire
dans la mécanique newtonienne
nous avons vu que, pour newton, la lumière est composée de
particules qui subissent l’action de forces dont résultent leurs trajec-
toires. Puisque l’action de la lumière produit de la chaleur et que les
corps chauffés émettent de la lumière, newton pense que ces deux

209
une histoire de la lumière

phénomènes sont liés : l’effet du chauffage est de mettre en vibration


les parties constitutives d’un corps. Ce mouvement peut permettre à
quelques fragments de matière d’être arrachés et projetés en avant :
ces morceaux détachés forment les corpuscules de lumière qui se pro-
pagent dans le vide selon des droites à 300 000 km/s. en rencontrant
les milieux matériels, ces corpuscules stimulent l’apparition d’une
« force réfringente », proportionnelle à la densité (sauf pour les corps
onctueux ou sulfureux) et dont l’action provoque réflexion, réfraction
et « diffraction ». Puisque des « rayons » traversent sans rencontrer de
résistance les corps tel le verre, les petites masses qui le constituent
sont fort éloignées les unes des autres : elles s’attirent par gravité, se
repoussent donc par une force qui équilibre celle-ci dans la matière.
C’est très certainement pour la mettre en évidence que newton fit
d’importantes études alchimiques, « la vraie science de la matière » à
son époque. Pour expliquer qu’une même force diversement mise en
action puisse réfléchir ou réfracter les corpuscules, newton suppose
que ceux-ci, en arrivant dans un milieu, provoquent des vibrations, se
propageant plus vite que la lumière au sein d’un milieu s’insinuant
partout : l’éther. lorsque ces « accès » s’accordent avec le mouvement
des corpuscules, ceux-ci sont transmis, il y a réfraction. la réflexion
se produit lorsque accès et corpuscules s’opposent. Ceux des corpus-
cules passant près des corps sont infléchis par la force réfringente : les
hyperboles qu’ils décrivent sont dues à une condensation de l’éther,
condensation dont résulte aussi la gravité. les corpuscules étant inéga-
lement déviés par dispersion, ils doivent avoir des masses différentes.
il reste à expliquer les sensations colorées : en tombant sur la rétine
les particules de lumière engendrent au sein de l’éther présent dans
l’œil et dans le nerf optique des vibrations : aux corpuscules de masses
différentes correspondent des vibrations de longueurs différentes, « les
courtes [excitent] la sensation du violet foncé […] les longues […]
la sensation du rouge foncé45 ». Puisque l’on voit après un prisme un
spectre solaire continu, il n’y a pas seulement sept types de corpus-
cules différents, correspondant aux sept couleurs, mais une infinité
possédant des masses qui varient continuellement entre deux limites
et déterminent en arrivant dans l’œil des vibrations dont les longueurs
sont comprises entre deux valeurs extrêmes. C’est par manque de
sensibilité que l’œil ne distingue que sept couleurs… Cette approche
du processus physiologique de la vision complète élégamment une

210
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

théorie qui, nous l’avons vu, possède deux conséquences importantes


devant nécessairement pouvoir être vérifiées : la vitesse de la lumière
dans un milieu est proportionnelle à l’indice de réfraction de celui-ci
et la dispersion est proportionnelle à la réfraction.

Isaac Newton

les contradictions et les insuffisances de la théorie sont nombreuses :


comment imaginer un éther s’insinuant partout, transmettant les accès
plus rapidement que la lumière et se condensant après un obstacle sans
pour cela altérer la trajectoire rectiligne des rayons réfléchis, réfractés
ou transmis ? Comment alors rendre compte de ce qu’il faut bien
appeler « diffraction » ? Comment expliquer que la force réfringente
ne soit pas proportionnelle à la densité dans les corps « onctueux ou
sulfureux » ? newton ne répond à aucune de ces questions : il préfère
continuer d’affirmer l’unité de sa vision du monde : « dans tous les
cas, la marche de la nature est […] très simple et toujours conforme à

211
une histoire de la lumière

elle-même : puisqu’elle produit tous les grands mouvements des corps


célestes, par la gravitation ou l’attraction réciproques de ces corps, et
presque tous les mouvements des particules des corps, par d’autres
forces attractives et répulsives, réciproques entre ces particules. la
vis inertiae est un principe passif par lequel les corps persistent dans
leur mouvement ou leur repos […] en vertu de ce principe seul il ne
pourrait jamais y avoir du mouvement dans le monde. il était besoin
de quelque autre principe pour mettre les corps en mouvement ; et
maintenant qu’ils y sont […] pour conserver le mouvement : […] il
est nécessaire qu’il soit […] renouvelé par des principes actifs, telle
[…] la gravité46. » newton préfère donc écarter les critiques en réaf-
firmant, plus nettement encore que partout ailleurs dans son œuvre,
la double structure immatérielle et matérielle de la nature : l’action
de dieu s’exerce constamment au moyen de la gravité et de la force
réfringente tandis que tous les mouvements résultent d’interactions.
les corps possèdent une masse proportionnelle à la quantité de matière
qu’ils renferment. sous l’effet de leur seule inertie, ils sont au repos
ou en mouvement rectiligne uniforme mais ils peuvent dévier sous
l’action de chocs, de forces, et prendre des trajectoires courbes. la
connaissance précise de ces trajectoires permet la description complète
des phénomènes. la détermination empirique de l’état d’un système
à un moment donné et celle de la loi du mouvement permettent, à
partir d’un raisonnement logique, de prévoir l’évolution du système
ainsi que ses états antérieurs. les mathématiques, inventées ou déve-
loppées pour le besoin, sont le langage quantitatif approprié à cette
déduction. Puisque tout changement se traduit par une modification des
trajectoires, chaque phénomène est réversible. toute cette philosophie
naturelle ne peut être dissociée des concepts de temps et d’espace
absolus : les trajectoires ne peuvent se rapporter, en dernière analyse,
à une terre en mouvement, ni à une durée marquée par l’alternance
irrégulière de jours et de nuits. il faudra donc définir un temps et un
espace « véritables et mathématiques », opposés au temps et à l’espace
« sensibles » : « le temps absolu vrai et mathématique […], coule
uniformément sans relation à rien d’extérieur […] l’espace absolu,
de par sa nature, est sans relation à quoi que ce soit d’extérieur et
demeure toujours semblable et immobile47. » le temps et l’espace ne
peuvent se rapporter qu’à dieu : l’espace est le sensorium de dieu.
la philosophie naturelle, la bonne, celle de newton et non celle de

212
le triomphe de la mécanique : newton et sa conception…

descartes conduit donc au dieu de la Bible. nous sommes bien au


cœur du débat. une polémique s’enflamme : elle va opposer dans
les domaines de la physique et de la métaphysique les newtoniens
(Clarke surtout, newton lui-même fuit la polémique) et leibniz. Quant
à l’optique… elle se trouve placée au centre des contradictions qui
traversent la science. la question principale qu’elle devra résoudre
est bien celle de l’éther.

6. La polémique Leibniz-Newton
newton avait affirmé, dans le dernier livre de l’Optique, ses convic-
tions scientifiques, philosophiques et religieuses bien plus précisément
que jamais auparavant. spinoza était mort depuis longtemps (1677),
huygens en 1695, c’est donc leibniz qui, de hanovre, va attaquer le
système du monde newtonien et faire front commun contre lui avec
les cartésiens. il écrit : « m. newton et ses sectateurs ont […] une
fort plaisante opinion de l’ouvrage de dieu. selon eux, dieu a besoin
de remonter de temps en temps sa montre : autrement elle cesserait
d’agir. il n’a pas eu assez de vue, pour en faire un mouvement
perpétuel. Cette machine de dieu est même si imparfaite selon eux,
qu’il est obligé de la décrasser de temps en temps par un concours
extraordinaire, et même de la raccommoder, comme un horloger
son ouvrage ; qui sera d’autant plus mauvais maître, qu’il sera plus
souvent obligé d’y retoucher et d’y corriger. selon mon sentiment,
la même force et vigueur subsiste toujours, et passe seulement de
matière en matière, suivant les lois de la nature et le Bel ordre
préétabli. et je tiens, quand dieu fait des miracles, que ce n’est pas
pour soutenir les besoins de la nature, mais pour ceux de la Grâce.
en juger autrement ce serait avoir une idée fort basse de la sagesse et
de la Puissance de dieu48. » et leibniz ajoute : « m. newton dit que
l’espace est l’organe dont dieu se sert pour sentir les choses *. mais
s’il a besoin de quelque moyen pour les sentir, elles ne dépendent
donc pas entièrement de lui et ne sont point sa production49. » la
causticité et la perfidie sont évidentes. newton est attaqué sur son
propre terrain : il est accusé d’introduire un dieu incapable, obligé

* son sensorium.

213
une histoire de la lumière

de remonter sans cesse l’horloge du monde. leibniz lui préfère un


créateur qui, dans son immense bonté, a tout vu, tout prévu et peut
considérer avec satisfaction sa création sans avoir besoin de se mani-
fester, si ce n’est par sa grâce. le dieu de leibniz est donc un être
suprêmement rationnel qui a achevé une œuvre parfaite, dans laquelle
n’existe aucun espace vide, ce qui rend compte de la gravité autrement
que par un miracle permanent. la matière est autarcique ; la liberté
divine, comme toute liberté, signifie de pouvoir faire ce qui est bon et
non simplement ce que l’on veut. Pour leibniz, la métaphysique doit
être fondée sur le principe de raison suffisante : dieu doit pouvoir
choisir ; en l’absence de raisons pour choisir, il ne choisit pas, donc
n’agit pas : pas d’action sans choix, pas de choix sans action. lorsqu’il
agit, c’est uniquement pour produire la plus grande perfection et la
plus grande plénitude. lors de la Création, dieu a agi : le monde que
nous observons est ordonné selon les raisons de son choix ; l’espace
n’est rien d’autre que l’ordre de coexistence des corps : il n’existerait
pas s’il n’existait aucun corps, il est purement relatif. l’espace vide
est donc une fiction pure et simple. de même, le temps n’est rien
d’autre que l’ordre de succession des événements et n’existerait pas
s’il n’y avait pas d’événement à ordonner : lui aussi est purement
relatif. Comme l’espace et le temps, le mouvement ne peut être que
relatif ; d’ailleurs, ajoute leibniz, un mouvement absolu – tel que
celui qu’introduit newton – serait inobservable49. la physique peut
donc décrire complètement le monde matériel. nous voyons quelles
différences fondamentales opposent newton à leibniz et comprenons
quels sont les enjeux… en optique, leibniz soutient bien sûr une
conception ondulatoire.
Voici donc le débat dont s’enrichit la pensée du xviie siècle : à
londres, newton bâtit une philosophie naturelle s’appuyant sur un
dieu omnipotent ; à hanovre, leibniz préfère montrer un dieu du
sabbat ayant réalisé une œuvre parfaite à laquelle la physique donne
accès ; à amsterdam, spinoza rejette la révélation divine. londres,
hanovre, amsterdam… le Paris du « roi-soleil », où règne un diri-
gisme trop étroit, influe peu dans cette discussion.
V
le siècle des lumières
l es bouleversements sociaux, politiques, économiques, philoso-
phiques qui caractérisent le xviiie siècle vont influer sur la nature
des réponses que la science apporte aux questions qui se posent à
elle, aussi allons-nous évoquer tout d’abord ce contexte culturel.

1. Les « philosophes »
dans l’europe des années 1700, l’économie de tous les pays
– sauf les Pays-Bas – est encore dominée par une agriculture de
type ancien. l’industrie reste elle aussi traditionnelle, seules quelques
manufactures textiles commencent à développer une production à
grande échelle. mais l’essor considérable que prend le commerce
d’outre-mer provoque un déplacement de l’équilibre social : en
vingt ans, le volume des échanges extérieurs augmente de moitié en
angleterre, double en France ; la production intérieure est stimulée
par l’introduction sur le marché de cotonnades provenant de l’inde
et le développement des ports (Bordeaux, liverpool…) s’accélère.
les États se centralisent, l’administration passe maintenant peu à peu
aux mains de spécialistes, la politique devient de jour en jour plus
ambitieuse, les impôts – de rendement faible – augmentent sans cesse1.
Parce que son sol est plus fertile, la population plus nombreuse,
l’unité mieux réalisée, la France est le pays le plus puissant de cette
europe. Pourtant, depuis la révocation de l’édit de nantes (1685),
les persécutions religieuses et philosophiques y ont repris. mais le
pays n’est pas sans contradictions : une douzaine de parlements

217
une histoire de la lumière

régionaux luttent et polémiquent contre l’absolutisme royal qu’ils


affaiblissent ; des luttes de tendances traversent l’Église catholique…
Profitant de cette division, tout écrivain courageux et habile peut
trouver un protecteur, faire éditer anonymement ses œuvres à l’étran-
ger – aux Pays-Bas surtout où, une nouvelle fois, se sont réfugiés
les protestants –, déjouer ainsi une censure tatillonne ; les ouvrages
reviennent en France et les idées qu’ils expriment sont discutées
dans les « salons * ». le rayonnement culturel de la France est tel
en europe continentale que le français remplace peu à peu le latin
et sert de véhicule à la diffusion des idées.
le seul pays qui résiste, en partie, à cette influence est l’angle-
terre. Puissance économique importante, les résistances conjuguées
de l’aristocratie et de la bourgeoisie y ont neutralisé l’absolutisme
royal. malgré la hiérarchie, la cohésion sociale de la Grande-Bretagne
est plus grande que partout en europe. la période de calme et de
relative prospérité qui règne dans le pays, l’absence totale de censure
favorisent une large diffusion culturelle : nombre de nobles possèdent
une riche bibliothèque, les œuvres de newton sont connues, étudiées,
adoptées ; la physique newtonienne devient « la philosophie anglaise ».
en 1726, après trois séjours à la Bastille que lui ont valus ses écrits
et une dispute avec le duc de rohan, Voltaire s’exile en angleterre. il
y découvre l’œuvre de newton et adhère aux thèses développées par
ce beau système rationnel. lorsqu’il rentre en France, il fait connaître
le « système du monde » et donne ses Éléments de la philosophie de
Monsieur Neuton : les salons peuvent prendre connaissance d’une
« philosophie anglaise » qui ne tarde pas à se répandre sur tout le
continent. Émilie du Châtelet (1706-1749) entreprend de traduire en
français les Principia de newton et mène à son terme cette très dif-
ficile entreprise. la mécanique newtonienne tombe dans le domaine
public et les idées qu’elle développe sont adoptées par tout un public
« éclairé », des lettrés, des philosophes. ainsi, au moment même où
la sorbonne se décide à introduire dans son enseignement (et avec
précaution) descartes, la physique cartésienne commence à voir sa
renommée décliner. Certes, elle compte encore bien des admirateurs
(Fontenelle, dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes popularise

* un public relativement nombreux pour l’époque a reçu une bonne éducation d’un
clergé intelligent.

218
le siècle des lumières

la théorie des tourbillons), certes les thèses atomistes sont présentes


dans un monde scientifique où l’attraction universelle – renonçant
à rechercher les causes des phénomènes – est tenue comme une
véritable imposture, mais les constructions de newton, leur logique,
leur rigueur, la manière dont elles rendent compte des faits, dont
elles les prévoient, s’imposent de plus en plus.
Voltaire, anticlérical mais déiste, relève l’opposition fondamentale
entre les physiques de descartes ou de leibniz – dispensant d’une
régulation divine – et celle de newton. il écrit : « toute la philoso-
phie de newton conduit nécessairement à la connaissance d’un Être
suprême qui a tout créé, tout arrangé librement […] si la matière
gravite, comme cela est démontré […] elle a […] reçu de dieu la
gravitation. si les planètes tournent dans un sens plutôt qu’en un
autre, dans un espace non résistant, la main de leur Créateur a donc
dirigé leurs cours en ce sens avec une liberté absolue2 » et il ajoute
que les athées ont été trompés par les idées cartésiennes alors que
« presque tous les newtoniens que j’ai vus acceptent le vide et la
nature finie de la matière, acceptent comme résultat l’existence de
dieu3 ». le débat entre atomistes et newtoniens se superpose main-
tenant à celui qui oppose déistes et athées.
la situation est encore un peu plus complexe : dans l’europe du
début du xviiie siècle se répand une croyance générale en un « principe
de bienfaisance1 » : la terre est faite pour le bonheur de l’homme,
la situation de celui-ci est donc la meilleure possible. la science de
newton démontre donc l’existence d’une Providence bienveillante.
un armistice s’instaure entre la science et la religion ; les scienti-
fiques newtoniens renonçant à leur ambition de proposer une expli-
cation aux causes premières, débarrassés donc des implications méta-
physiques de leurs propositions, voient leurs recherches encouragées
par l’Église. en affirmant la réalité du « système du monde » mais
en estimant en même temps que toutes les disciplines ne sont pas
arrivées à un même degré de maturité, ils se dégagent de la nécessité
de les intégrer immédiatement dans un tout cohérent. ils justifient
donc que chaque domaine de recherche puisse être rendu indépendant
d’un autre à condition qu’y soit appliquée la même manière de pro-
céder, la même méthode hypothético-déductive : mesurer, raisonner
mathématiquement, confronter les conséquences de la théorie et de
l’expérience, bâtir donc celle-ci en fonction des principes postulés et

219
une histoire de la lumière

des prévisions, prévisions qui peuvent être locales et non universelles.


Cette attitude va conduire à ce que le travail unificateur puisse, dans
chaque cas particulier, être remis à plus tard ou même négligé. la
méthode scientifique qui se développe, la physique mathématique,
ne va plus songer à exposer la nature des choses, mais établir des
règles par lesquelles on trouve que les phénomènes sont liés. les
disciplines vont donc mûrir séparément et admettre leurs théories
propres sans se soucier toujours de la philosophie de la nature qui
les induit : cette attitude favorise l’amélioration des connaissances
concrètes, amélioration considérée comme une manifestation du
« principe de bienfaisance ». des sociétés scientifiques sont fondées
dans toute l’europe ; elles assurent – grâce à la langue commune :
le latin, puis le français – la diffusion des découvertes.
Pourtant, si la physique newtonienne est accueillie par les salons
et les sociétés savantes avec l’enthousiasme de la nouveauté, elle se
heurte toujours à de très fortes résistances. les « causes premières »
sur lesquelles repose la gravitation universelle paraissent scandaleuses
aux meilleurs physiciens et mathématiciens du continent. en 1747,
Clairaut, d’alembert et euler, se posent indépendamment l’un de
l’autre le problème des trois corps : ils calculent le mouvement de
deux astres (le soleil et une planète) et imaginent qu’il est perturbé
par un troisième (la lune par exemple). tous trois arrivent à la même
conclusion : le mouvement effectif de la lune diffère de celui qu’il
devrait avoir, s’il obéissait aux lois de newton, d’un facteur 2…
tous trois, cartésiens mais rivaux, pensent bien tenir la preuve que la
gravitation universelle, pour eux loi empirique, vient d’être démentie
par l’expérience… d’alembert écrit qu’il peut « attirer à newton
le coup de pied de l’âne4 », c’est-à-dire renverser complètement sa
théorie… hélas pour les trois hommes, Clairaut avait négligé de
prendre en considération un terme, d’alembert avait mal lu les tables
lunaires, euler avait fait une erreur de calcul… ils reconnaissent tous
trois leur bévue… a contrario ils viennent de donner une nouvelle
confirmation de l’attraction universelle. un prix est attribué à Clairaut
pour ce succès, Clairaut et d’alembert se rallient… le système du
monde s’impose de plus en plus : en 1740 et 1743, des expéditions
en laponie et au Pérou permettent, par exemple, de confirmer la
forme ellipsoïdale de la terre (dont le grand cercle coïncide avec
l’équateur comme l’avaient démontré les newtoniens et ne passe

220
le siècle des lumières

pas par les pôles comme le postulaient les cartésiens). en 1758, un


événement spectaculaire attire l’attention de l’europe entière : en
appliquant les lois de newton, nicole-reine lepaute (1723-1788)
calcule que la comète découverte en 1682 par halley va réapparaître
avec une période augmentée de 618 jours par rapport à la précédente
(518 jours par attraction de Jupiter, 100 par action de saturne) et
donne la trajectoire qu’elle va suivre. Clairaut publie ces calculs
sans citer l’auteur de la prévision : « Jamais question astronomique
n’excita une curiosité plus vive, plus légitime. toutes les classes de
la société attendaient avec un égal intérêt la réapparition annoncée.
un laboureur saxon, Palitzsch, l’aperçut le premier. À partir de ce
moment, d’une extrémité de l’europe à l’autre, mille télescopes
marquèrent chaque nuit des points de la route de l’astre à travers les
constellations. la route fut toujours, dans les limites de la précision
du calcul, celle que Clairaut avait assignée à l’avance. la prédiction
de l’illustre géomètre s’était accomplie à la fois dans le temps et dans
l’espace ; l’astronomie venait de faire une grande, une importante
conquête5. » la physique newtonienne devenait dominante chez les
physiciens en raison des succès obtenus.
toute cette activité scientifique et ces débats transparaissent dans
ces réalisations de la culture du xviiie siècle que sont l’Encyclopedia
Britannica et l’Encyclopédie de diderot et d’alembert. Celle-ci fait
la somme de l’information technologique de son temps. elle est une
vaste entreprise de lutte contre le despotisme, l’autoritarisme et l’igno-
rance, exalte les idées de la bourgeoisie éclairée : libéralisme social
et économique, nécessité d’un certain esprit critique, universalité des
lois scientifiques… voici bien les idéaux d’une classe encore frustrée
qui attend d’un renversement politique la possibilité de les réaliser.
lorsque paraît, à partir de 1751 et avec bien des difficultés,
l’Encyclopédie, la période de paix et de quiétude propice au déve-
loppement de la culture a pris fin. la France et l’angleterre ont
commencé une lutte pour la domination coloniale de l’inde et du
Canada ; la guerre de succession d’autriche (1740-1748), la guerre
de sept ans (1756-1763) ravagent l’europe. l’angleterre triomphe,
mais la France prend sa revanche en apportant son aide aux colons
américains qui se révoltent contre la métropole (1778-1783)… Ces
conflits amènent en europe de profonds changements : la guerre de
sept ans est un véritable massacre, des famines sévissent et ravagent

221
une histoire de la lumière

les populations, les caisses des États sont vides, la pression fiscale
s’accentue sans pouvoir les remplir… les nobles eux-mêmes, le clergé
pour ses propriétés sont taxés… des révoltes éclatent, parfois fomen-
tées par ceux-là mêmes qui voient leurs privilèges entamés et qui
exploitent la misère. en France, le parlement de rennes s’élève contre
le gouvernement de Paris : son chef est arrêté ; le parlement de Paris
s’oppose aux emprunts forcés : il est réorganisé. le pays est inondé
de brochures prenant la défense des parlements et mettant en cause
l’absolutisme royal. on parle de la convocation des états généraux…
le poids des guerres, de la misère, les révoltes amènent un net
recul du « principe de bienfaisance » : diderot ridiculise, dans Jacques
le Fataliste, l’idée de l’intervention d’une providence bienveillante ;
Voltaire, dans Candide, décrit une situation médiocre pour l’homme ;
sade écrit des œuvres empreintes de toute la révolte que lui inspire la
violence de l’homme contre son semblable. Paul henri thiry d’hol-
bach (1723-1789) entretient un cercle d’amis et, devant eux ou dans
des écrits publiés sous des pseudonymes divers, défend l’atomisme et
l’athéisme. Cette modification de la psychologie de masse provoque
bien sûr un changement de perspective pour la pensée scientifique,
évolution favorisée par des découvertes d’importance : les coquillages
trouvés dans tous les terrains d’europe sont identifiés comme des
fossiles beaucoup plus anciens que le déluge biblique, les collines
du Puy-de-dôme sont reconnues comme étant des volcans, Buffon
– pourtant newtonien – postule que le système solaire peut très bien
avoir été créé par la rencontre entre une comète et le soleil, ce qui
expliquerait les orbites des planètes… alors que l’Église en reste
à une interprétation littérale des Évangiles et à l’intervention de la
divine Providence, une conjonction s’établit entre une partie du courant
newtonien et les athées pour aboutir à l’élaboration d’un système qui
se passe de la nécessité d’expliquer la « cause première » de l’univers.
C’est ainsi que la force de gravité en vient à être décrite comme
une force purement naturelle, propriété inhérente à la matière qui,
loin de limiter le mécanisme, l’enrichit. Quant à l’univers matériel,
il devient illimité comme l’avait soutenu leibniz. un univers infini
d’une durée limitée paraissant illogique, la matière est considérée
comme éternelle. Chaque progrès de la physique newtonienne apporte
de nouvelles preuves des affirmations de leibniz : la force motrice
de l’univers ne diminue pas ; l’horloge du monde ne demande donc

222
Planche extraite de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
une histoire de la lumière

ni à être remontée, ni à être réparée. le statut même des « lois »


scientifiques se modifie : alors que newton faisait intervenir sans
cesse le divin législateur, sa phrase « Hypotheses non fingo [Je ne
feins pas d’hypothèse] » (métaphysique) est maintenant comprise
comme signifiant « je n’imagine pas d’hypothèse » (scientifique) donc
« il suffit d’observer pour connaître ». de ce point de vue aussi la
nature devient autosuffisante : c’est elle-même qui délivre les lois
de sa propre constitution6. on le voit, la victoire de la mécanique
newtonienne est une véritable victoire à la Pyrrhus. on en vient même
à pouvoir se passer du si discutable « principe de la bienfaisance ».
sade écrit : « si la matière agit, se meut, par des combinaisons qui
nous sont inconnues, si le mouvement est inhérent à la matière, si elle
seule enfin peut, en raison de son énergie, créer, produire, conserver,
maintenir, balancer dans les plaines immenses de l’espace tous les
globes dont la vue nous surprend et dont la marche uniforme, inva-
riable, nous remplit de respect et d’admiration, quel sera le besoin de
chercher alors un agent étranger à tout cela puisque cette faculté active
se trouve essentiellement dans la nature elle-même, qui n’est autre
chose que la matière en action ? Votre chimère déifique éclaircira-
t-elle quelque chose ? Je défie bien qu’on puisse me le prouver. À
supposer que je me trompe sur les facultés internes de la matière,
je n’ai du moins devant moi qu’une difficulté. Que faites-vous en
m’offrant votre dieu ? Vous m’en donnez une de plus. et comment
voulez-vous que j’admette, pour cause de ce que je ne comprends
pas, quelque chose que je comprends encore moins7. » adoptant la
même démarche intellectuelle, laplace développe complètement une
mécanique newtonienne extrêmement mathématisée : elle admet un
temps et un espace absolus, décrit l’action de forces réversibles et
un monde connaissable avec précision dans son passé et son avenir,
de l’infiniment grand à l’infiniment petit, pour peu que l’on puisse
déterminer l’ensemble des paramètres en un temps déterminé. il fait
de la gravité une propriété inhérente à la matière et peut se dispenser
de l’intervention divine dans la physique.
mais la prétention qu’ont les mécaniques, newtonienne ou carté-
sienne, de constituer un système d’explications complet est elle aussi
remise en cause : bien des philosophes et des scientifiques trouvent
ce point de vue trop réducteur ; comment, par exemple, expliquer
le vivant ? le siècle est ici marqué par l’influence de John locke

224
le siècle des lumières

(1632-1704) et de nicolas de malebranche (1638-1715). Pour locke,


dans son Essai philosophique sur l’entendement humain (1690), la
connaissance a sa source dans les seules données de l’expérience,
elle procède de l’analyse des phénomènes et, si la détermination d’un
système du monde reste l’objectif à atteindre, il est un idéal qui,
pour être conquis, ne peut délaisser les patientes analyses. il faut
donc mettre l’accent sur l’empirisme et trouver dans des raisons non-
mécaniques de nouvelles perspectives pour la science. Pour connaître,
nous devons partir à la découverte des propriétés sensibles, rejeter foi,
croyance, probabilité. la vérité n’est que la concordance entre ce que
nous appréhendons et déduisons : donner à notre connaissance cette
limite, c’est assurer la tolérance. le siècle se passionne pour locke,
le pratique, l’admire. en revenant à l’expérience, aux sensations, il
contribue à déchaîner l’explosion des recherches sur tout ce qui avait
été délaissé par les grands systèmes : l’électricité, le magnétisme,
la nature, la vie. dans les salons, on élabore, discute, propose les
idées les plus riches et les plus folles. l’abbé nollet (1700-1770)
étudie, entre autres, l’électricité. il réalise une multitude d’expériences
précises qui veulent démontrer et dont certaines sont spectaculaires.
il veut, à la fois, faire œuvre scientifique et préparer par l’enseigne-
ment à l’esprit critique, à la recherche. ses leçons attirent un public
aristocratique ; des carrosses de duchesses stationnent sur plusieurs
centaines de mètres lors de ses leçons, dont d’autres sont destinées
au dauphin. un public de lettrés s’arrache ses livres aux éditions
multiples ; il écrit d’autres ouvrages pour l’éducation des « enfants
de France ». Guillaume François rouelle (1703-1770) donne place
maubert, puis au Jardin du roi et rue Jacob, des cours de chimie et
de pharmacie qui connaissent un vif succès et dont les « notes de
cours » que prend diderot portent témoignage8. de nombreux curieux
partent à la découverte de la nature, en ramènent des échantillons :
les cabinets de curiosités se développent. hume écrit : « Je voudrais
bien savoir […] comment un animal pourrait subsister si ses éléments
n’étaient pas reliés entre eux comme ils le sont. ne voyons-nous
pas qu’il cesse de vivre dès que cet arrangement disparaît et que la
matière qui se corrompt cherche une nouvelle forme9 ? » et stahl
de remarquer que les lois universelles s’appliquent au vivant pour
le vouer à la mort et à la pourriture : si la vie existe, il existe un
« principe de conservation » propre à maintenir la structure de son

225
une histoire de la lumière

corps10. la physique newtonienne qui implique déterminisme, ordre


et réversibilité explique bien mal la vie dont le déroulement est
irréversible. l’impossibilité pour la mécanique de décrire le système
du monde et la nécessité pour la science d’aller plus avant sont bien
mises en évidence dans ce merveilleux pamphlet qu’est l’Entretien
entre d’Alembert et Diderot où diderot écrit : « le temps n’est rien
pour la nature11 » et plus loin : « la cause subit trop de vicissitudes
particulières qui nous échappent, pour que nous puissions compter
infailliblement sur l’effet qui s’ensuivra12 » mais surtout : « Voyez-
vous cet œuf ? C’est avec cela qu’on renverse toutes les écoles de
théologie et tous les temples de la terre. Qu’est-ce que cet œuf ? une
masse insensible avant que le germe y soit introduit ; et après que
le germe y est introduit, qu’est-ce encore ? une masse insensible car
ce germe n’est lui-même qu’un fluide inerte et grossier. Comment
cette masse passera-t-elle à une autre organisation, à la sensibilité,
à la vie ? par la chaleur. Qui produira la chaleur ? le mouvement.
Quels seront les effets successifs du mouvement ? au lieu de me
répondre, asseyez-vous, et suivons-les de l’œil de moment en moment.
d’abord c’est un point qui oscille, un filet qui s’étend et se colore ;
de la chair qui se forme ; un bec, des bouts d’ailes, des yeux, des
pattes qui paraissent ; une matière jaunâtre qui se dévide et produit
des intestins ; c’est un animal. Cet animal se meut, s’agite, crie ;
j’entends ses cris à travers la coque ; il se couvre de duvet ; il voit.
la pesanteur de sa tête, qui oscille, porte sans cesse son bec contre
la paroi intérieure de sa prison ; la voilà brisée ; il en sort, il marche,
il vole, il s’irrite, il fuit, il approche, il se plaint, il souffre, il aime,
il désire, il jouit ; il a toutes vos affections ; toutes vos actions, il
les fait. Prétendrez-vous, avec descartes, que c’est une pure machine
imitative ? mais les petits enfants se moqueront de vous, et les
philosophes vous répliqueront que si c’est là une machine, vous
en êtes une autre. si vous avouez qu’entre l’animal et vous il n’y
a de différence que dans l’organisation, vous montrerez du sens et
de la raison, vous serez de bonne foi ; mais on en conclura contre
vous qu’avec une matière inerte, disposée d’une certaine manière,
imprégnée d’une autre matière inerte, de la chaleur et du mouve-
ment, on obtient de la sensibilité, de la vie, de la mémoire, de la
conscience, des passions, de la pensée. il ne vous reste qu’un de ces
deux partis à prendre ; c’est d’imaginer dans la masse inerte de l’œuf

226
le siècle des lumières

un élément caché qui en attendait le développement pour manifester


sa présence, ou de supposer que cet élément imperceptible s’y est
insinué à travers la coque dans un instant déterminé du développe-
ment. mais qu’est-ce que cet élément ? occupait-il de l’espace, ou
n’en occupait-il point ? Comment est-il venu, d’où s’est-il échappé,
sans se mouvoir ? où était-il, que faisait-il là ou ailleurs ? a-t-il été
créé à l’instant du besoin ? existait-il ? attendait-il un domicile ?
Était-il homogène ou hétérogène à ce domicile ? homogène, il était
matériel ; hétérogène, on ne conçoit ni son inertie avant le développe-
ment ni son énergie dans l’animal développé. Écoutez-vous, et vous
aurez pitié de vous-même ; vous sentirez que, pour ne pas admettre
une supposition simple qui explique tout, la sensibilité, propriété
générale de la matière, ou produit de l’organisation, vous renoncez
au sens commun, et vous précipitez dans un abîme de mystères, de
contradictions et d’absurdités13. »
on ne peut mieux dire : contre la prétention de la mécanique à
l’universalité, diderot – comme déjà aristote – en appelle à la vie et
demande de considérer le développement d’un embryon pour prendre
la mesure de nos incompréhensions. le « système du monde » est une
tentative, une ébauche, mais la science continue de se développer,
atteindra d’autres rives… et diderot de comparer les œuvres « des
grands mécaniciens, les euler, les Bernouilli, d’alembert aux pyra-
mides égyptiennes, témoignage grandiose et effrayant du génie de
leurs constructeurs mais qui, désormais, ne font plus que subsister,
solitaires et abandonnées. la vraie science, vivante et féconde, se
poursuivra ailleurs14 ».
ainsi, deux attitudes sont possibles désormais pour les philosophes
et les scientifiques de la deuxième moitié du xviiie siècle : adopter un
déterminisme absolu ou pencher pour le scepticisme… Pour une partie
des intellectuels, la science n’a plus besoin de l’intervention divine.

2. La Révolution et l’Empire
nous n’avons pas l’intention de décrire ici cette période riche,
diverse, enthousiaste, pleine d’espoirs puis de déceptions ; nous dirons
simplement comment la révolution française – dont l’influence
s’étendit à toute l’europe – puis l’empire – qui la domina – purent

227
une histoire de la lumière

introduire de profondes modifications dans les conditions d’élabo-


ration du travail scientifique.
les hommes de la révolution se méfient beaucoup – et pour
cause – de toutes les institutions scientifiques que l’ancien régime
avait soutenues ; les premières mesures qu’ils prennent visent donc à
supprimer tout ce qui semble lié aux privilèges, à l’élitisme, aux faveurs,
à l’Église : les académies sont dissoutes * (1793), l’enseignement cléri-
cal interdit. il faut mettre en place un nouveau système éducatif, plus
ouvert, plus accessible : dans chaque ville sont ouvertes des « écoles
centrales » – elles assurent la laïcisation de l’enseignement et accorderont
la priorité à la diffusion de la science. le Collège de France remplace
le Collège royal, l’institut les académies, le museum d’histoire naturelle
le Jardin du roi. l’abbé Grégoire fonde le Conservatoire des arts et
métiers et son musée, destiné à montrer les machines les plus modernes
en fonctionnement, de manière à féconder les techniques par l’exemple
d’inventions effectuées dans un domaine voisin. une « École centrale
des ponts et chaussées » est fondée à Paris : elle doit permettre aux
meilleurs garçons de la France entière, sélectionnés par concours, de
recevoir gratuitement un enseignement scientifique excellent, le meilleur
qui puisse se trouver alors en europe ; cette création originale rencontre
beaucoup de succès, aussi la révolution, qui veut être sûre des cadres
qu’elle forme, exige que tout élève fournisse un certificat attestant de ses
convictions révolutionnaires15. développement de l’éducation publique,
priorité donnée à la science, destruction des derniers vestiges de la
« science des clercs », unification des systèmes de mesure, voici les
réalisations d’une révolution qui marque la victoire de la bourgeoisie
sur la monarchie. l’empire va se charger de compléter cette œuvre
en en modifiant quelque peu son orientation.
Bonaparte avait reçu une formation mathématique à l’académie
militaire ** de Brienne ; lieutenant, il étudie l’histoire naturelle de

* lavoisier, lui-même académicien, tente de les sauver. marat veut les détruire :
outre qu’elles avaient été trop dépendantes du pouvoir monarchique, il leur conserve une
grande rancœur. alors qu’il était médecin du comte d’artois, l’académie des sciences
avait refusé son mémoire intitulé Découvertes de M. Marat sur la lumière et contesté
(avec quelque raison d’ailleurs) les expériences qu’il rapportait.
** les académies militaires, beaucoup plus dynamiques à la fin de l’ancien régime
que les universités, accordaient dans leur enseignement une grande place aux mathé-
matiques et aux sciences.

228
le siècle des lumières

Buffon ; général, il fait partie, ainsi que le mathématicien monge et


le chimiste Berthollet – tous deux newtoniens et avec qui il se lie –,
d’une commission chargée d’organiser le transfert en France de tout
ce que l’italie compte d’œuvres d’art et de pièces scientifiques ; il
est élu au nouvel institut (section mécanique) en remplacement de
son ancien protecteur, le mathématicien et conventionnel lazare
Carnot ; cette élection, obtenue à l’unanimité, est l’une de ses pre-
mières victoires politiques. tous ces aspects de la carrière du futur
empereur prouvent combien celui-ci était conscient de l’intérêt de la
science et comment il était engagé aux côtés de savants newtoniens
convaincus (laplace, qu’il nomme président du sénat, Berthollet et
monge qui l’ont accompagné en Égypte).
au pouvoir, napoléon instaure un ordre centralisateur : les valeurs
romaines réémergent (l’empire, le Code civil, l’esthétisme dirigé).
on voit reparaître l’ordonnance des colonnades, les frontons trian-
gulaires, le souci de symétrie. les lettres, les arts et la philosophie
déclinent, les meilleurs auteurs de l’époque – mme de staël, Cha-
teaubriand – sont en exil mais le pouvoir va aider la science et
restructurer l’enseignement : le monopole de celui-ci est instauré ;
des structures fortement hiérarchisées sont données à « l’université
impériale », organisée en trois ordres – le primaire, le secondaire et
le supérieur – sur le modèle des congrégations. napoléon déclare à
Fourcroy qui en est nommé le premier « Grand maître » : « Je vous
fais chef d’ordre13. » sous ce « chef » se trouve un chancelier aidé
d’un conseil composé de dix membres « à vie » et de vingt membres
« nommés » ; un corps « d’inspecteurs généraux » sera le service de
renseignement du Grand maître ; vingt-sept académies quadrillent le
pays. l’enseignement supérieur sera dispensé dans des facultés * qui
s’occuperont aussi de la « collation des grades ». Pour l’enseignement
secondaire, napoléon – qui se méfie des « écoles centrales » de la
révolution, imprégnées, dit-il, « des théories des idéologues » – crée
les lycées : il y applique le système de classes mis en place sous le
directoire. l’empereur enfin réorganise l’École centrale des ponts et

* Celles de lettres et de sciences sont des structures vraiment nouvelles. il y a


quinze facultés des sciences qui comprennent quatre chaires : deux de mathématiques,
une de physique et chimie, une d’histoire naturelle. la faculté des sciences de Pise, alors
possession de l'empire, fait exception : elle comprend sept chaires.

229
une histoire de la lumière

chaussées, qu’il appelle maintenant « Polytechnique ». il la militarise


et la rend payante.
Pour dispenser l’enseignement dans tous ces établissements, on
crée un corps enseignant « formé par l’État, soumis à l’État, payé par
l’État16 ». « il faut, dit Fourcroy, l’organisateur de la réforme, que
le corps enseignant ait des principes fixes ; tant qu’on n’apprendra
pas à l’enfant dès l’enfance s’il doit être républicain ou monarchiste,
catholique ou irréligieux […] l’État ne formera pas une nation […]
sera soumis aux désordres et aux débordements. » le seul problème
qui se pose alors est de savoir si ce corps enseignant sera laïc ou
religieux. napoléon tranche : « mon but dans l’établissement d’un
corps enseignant est d’avoir un moyen de diriger les opinions poli-
tiques et morales […] cette institution doit être soumise à l’État,
pas aux moines15. »
reste à définir les programmes : puisqu’ils doivent permettre
de diriger les opinions politiques et que le citoyen doit avant tout
obéissance, l’empire choisit d’affirmer des certitudes et non de faire
naître des interrogations. la physique enseignée sera donc vraie,
certaine, universelle, déterministe ; elle exprimera l’ordre, la clarté,
la raison, l’obéissance à des lois immuables ; elle permettra les appli-
cations pratiques : ce sera la mécanique de newton et laplace. la
rencontre d’une science et d’une volonté politico-culturelle s’opère.
la mécanique newtonienne est dans la ligne iso-émotionnelle *17 de
l’empire : celui-ci l’impose.
une reprise en main s’opère dans la science : le but de la science
n’est-il pas de dominer la nature ? mais cette domination ne pour-
rait se réaliser sans réorganiser la recherche : des subventions lui
sont allouées, des appareils scientifiques coûteux payés par l’État.
l’empire va aussi avoir recours à des stimulants propres à aiguiser
les vocations des jeunes : la science doit être « une carrière ouverte
aux talents », proclame napoléon ; on l’organise donc pour qu’elle
permette de s’élever socialement pourvu qu’on soit ambitieux ou

* lewis s. Feuer définit ainsi la notion de ligne iso-émotionnelle : « une idée est
iso-émotionnelle d’une autre quand elle est l’expression, la réflexion, le résultat ou
la projection de la même émotion. Quand un secteur donné de la classe intellectuelle
partage la même émotivité […] ce secteur devient une communauté intellectuelle ; ses
productions […] expriment une tendance commune. »

230
le siècle des lumières

acharné au travail, pour qu’elle permette de s’enrichir grâce aux


prix, d’un montant parfois énorme, dont on récompense les travaux
brillants, pour qu’elle permette enfin de gagner célébrité et consé-
cration : l’empire fait connaître et honore ses savants, leur accorde
toute la déférence qui leur est due ; ils deviennent des personnages
importants et respectés ; Berthollet est fait comte… toutes ces mesures
vont évidemment faciliter le développement de la recherche. Pour-
tant il reste un défaut dans le système : l’institut ne remplit pas son
rôle. ayant vocation d’embrasser toutes les disciplines, peu de ses
membres sont aptes à comprendre une communication spécialisée ;
les jeunes ne peuvent espérer y entrer : ils doivent attendre le décès
d’un titulaire… Pour remédier à cette lacune, Berthollet, qui dispose
d’une fortune confortable, achète une maison à arcueil ; il y installe
un laboratoire de chimie, un laboratoire de physique, une très riche
bibliothèque et, avec laplace, y reçoit de jeunes chercheurs. Ceux-ci
pourront obtenir des subventions, se faire connaître, bénéficier peut-être
de la protection de l’empereur… Bien vite, la « société d’arcueil »
devient le pôle de la vie scientifique en France ; des discussions
animent ce milieu newtonien ; des « mémoires » sont édités grâce
auxquels les travaux de Gay-lussac, malus, Biot, arago sont connus.
les structures introduites par l’empire vont subsister après son
renversement mais un net retour aux « valeurs littéraires » se produit
sous la restauration. l’efficacité des mesures prises en faveur de
la recherche est largement réduite par la timidité d’une bourgeoisie
qui n’en ressent pas encore la nécessité : les innovations techniques
restent encore largement empiriques et le développement industriel ne
fait que commencer. Quoi qu’il en soit, la science mondaine, celle
des « conversations de salon » est passée de mode.

3. L’optique au xviiie siècle


les travaux de newton et de huygens avaient permis de formu-
ler ou d’approfondir les interrogations posées au sujet de la nature
de la lumière, les problèmes soulevés par leurs théories étaient si
importants que l’évolution ultérieure de la physique en dépendait, la
méthode expérimentale mise au point permettait aux chercheurs de
tenter de vérifier les conséquences de chacune des deux théories et

231
une histoire de la lumière

de déterminer si le concept d’éther devait ou non être introduit. le


programme que devaient suivre les chercheurs était tracé…
Force est de constater que le début du xviiie siècle n’apporte aucune
expérience nouvelle, aucun travail qui puisse permettre d’avancer
dans cette voie. il faut attendre 1723 pour qu’un anglais, hall,
démontre qu’il est possible de réaliser des objectifs achromatiques
par superposition de lentilles polies dans des verres différents et
convenablement choisis. Cette découverte est importante : elle per-
met d’affranchir la construction des instruments d’optique d’une
grande difficulté – n’est-ce pas parce qu’il croyait avoir démontré
l’impossibilité de réaliser de tels objectifs que newton avait construit
son télescope à réflexion ? –, mais surtout elle remet en cause la
théorie corpusculaire : si – comme le propose hall – la déviation des
rayons lumineux de différentes couleurs n’est pas proportionnelle à
l’indice de réfraction, on doit renoncer à la conception qu’une même
force réfringente dévie des corpuscules de masses différentes… le
problème soulevé est donc fondamental. Pourtant, la communication
de hall… tombe dans l’indifférence la plus complète : le crédit que
l’on accorde aux conclusions de newton est tel en angleterre que
personne ne songe à remettre en cause l’œuvre du savant, ne prend
même d’intérêt à vérifier l’expérience faite…
la situation est différente sur le continent. l’oratorien male-
branche forme le projet d’entreprendre une réforme systématique de
la physique de descartes. en particulier, il se demande dans quelle
mesure il serait possible d’utiliser la géométrisation introduite dans
l’acoustique pour géométriser toute l’optique. Ce serait déjà un progrès
que de pouvoir déterminer des rapports entre les couleurs, comme on
a déterminé des rapports entre les sons. en 1688, il affirme sans le
justifier que les « secousses ou vibrations » des sphères composant
l’éther « causent les couleurs », puis dans son « mémoire sur la
lumière, les couleurs et la génération du feu » présenté en 1699 à
l’académie des sciences, il écrit : « les diverses couleurs ne consistent
que dans la différente promptitude des vibrations de pression de la
matière subtile18 ». J’insiste, les couleurs sont les promptitudes des
vibrations des sphères de l’éther qui exercent alors entre elles des
pressions ; elles ne sont pas la promptitude d’un déplacement de la
lumière. malebranche va, de plus en plus, affiner sa position. dans
la sixième édition de sa Recherche de la vérité (1712), il essaie de

232
le siècle des lumières

donner l’ordre naturel des couleurs, croit pouvoir répondre en com-


primant son œil. il distingue alors trois couleurs primitives – jaune,
rouge et bleu –, associe couleurs et périodicités de vibrations et va
ainsi plus loin que huygens.
Cette approche va être amplifiée par euler. en 1727, il étudie les
« cordes vibrantes » et la propagation des sons. lui, qui « calcule
sans effort apparent, comme les hommes respirent, comme les aigles
planent dans le vent19 », parvient à démontrer que les sons peuvent
être représentés par des vibrations sinusoïdales où les différentes notes
correspondent à des fréquences différentes. après une telle étude,
la lecture de malebranche et sa propre réflexion sur la nature des
couleurs l’amènent à écrire sa Nova theoria de la lumière (1646)20, à
la populariser dans ses Lettres à une princesse d’Allemagne21, écrites
en 1660 pour celles qui concernent l’optique. il s’interroge : « est-
ce que quelque chose du soleil même ou de sa substance, parvient
jusqu’à nous ? ou bien se passerait-il quelque chose de semblable à
une cloche ?22 ». Pour répondre, il reprend les arguments bien connus
avancés contre l’émission : la masse du soleil devrait diminuer, des
rayons ayant même direction et des sens contraires s’empêcher. Ce
« système [est] révoltant ». d’ailleurs, si la lumière résultait d’une
émission, le vide de newton serait plein de particules émises conti-
nuellement par le soleil : il faut « abandonner cet étrange système
de l’émanation de la lumière23 ». « on est donc obligé de convenir
de deux choses : l’une que les espaces entre les corps célestes sont
remplis d’une matière subtile, et l’autre que les rayons ne sont pas
une émanation. » l’éther permet d’expliquer tous les phénomènes de
la lumière et de l’électricité affirme euler. il possède une élasticité
mille fois plus grande que celle de l’air, peut être considéré comme
un fluide semblable à celui-ci. « ayant […] vu auparavant, que l’air,
par ces mêmes qualités, devient propre à recevoir les agitations ou
ébranlements des corps sonores, et de les répandre en tous sens […],
il est très naturel que l’éther puisse aussi […] recevoir des ébranle-
ments et les continuer en tous sens à de plus grandes distances […]
les rayons de lumière ne sont autre chose que les ébranlements ou
vibrations transmises par l’éther » par les particules dont il est formé.
Comme le son, la vitesse de propagation de la lumière augmente avec
celle de l’élasticité de l’éther et/ou la diminution de sa densité. de
ceci « découle la théorie des couleurs et de toute la vision ». si des

233
une histoire de la lumière

« particules emploient par exemple 10 000 vibrations par seconde, et


que d’autres en emploient 11 000, 12 000, 13 000 [elles] frapperont
[différemment] le fond de l’œil, ou les nerfs qui s’y trouvent » et
produiront des sensations tout à fait différentes. « il y aura dans la
vision une différence semblable à celle que sent l’ouïe en écoutant
les sons graves et aigus […] c’est la diversité des couleurs qui est
causée par cette différence […] la nature de chaque couleur consiste
dans un certain nombre de vibrations, dont les particules qui nous
présentent cette couleur sont agitées dans un certain temps. » le
nombre de vibrations qui percutent l’œil dans un temps donné est
désigné par euler sous un nom qu’il forge : la fréquence.
dans la Nova theoria, euler était, bien sûr, allé plus loin. il avait
lié algébriquement les couleurs aux fréquences des vibrations produites
par des impulsions périodiques extrêmement courtes séparées par des
intervalles de repos relativement longs. Pour calculer, il avait repré-
senté l’éther comme un fluide subtil continu. sa densité, uniforme
au repos, varie sous l’effet des impulsions périodiques reçues : des
séries de compressions et relâchements longitudinaux se produisent.
elles peuvent être décrites par des vibrations sinusoïdales ayant les
caractéristiques suivantes : l’amplitude représente la force de la
lumière ; les fréquences (constantes pour un même rayon quel que
soit le milieu dans lequel il se propage) sont associées aux couleurs
(plus élevées pour une lumière violette, plus faibles pour le rouge).
la propagation de la lumière se fait à une vitesse caractéristique du
milieu (proportionnelle à sa rareté, inversement proportionnelle à sa
densité). Ces résultats divergent de ceux de newton et concordent
avec ceux de huygens. dès lors, la réflexion et la réfraction de la
lumière sont expliquées par la transmission des impulsions reçues
à une vitesse inversement proportionnelle aux indices de réfraction
des milieux au contact. Pour expliquer la dispersion dont il montre,
sans connaître les travaux de hall, qu’elle n’est pas proportionnelle
à l’indice de réfraction, euler considère que la lumière blanche est
hétérogène, formée de vibrations dont les fréquences sont différentes.
les rayons colorés ont avant la réfraction des vitesses légèrement
différentes : plus rapide pour le rouge (moins dévié) que pour le
violet. Pour euler, un train d’impulsions différentes se déplace plus
rapidement qu’une impulsion unique. il y a donc, lors de la dispersion,
variation de la vitesse de propagation des vibrations, mais constance

234
le siècle des lumières

de leurs fréquences. Pour valider ces déductions théoriques, euler


expérimente : il démontre de manière irréfutable que la dispersion
n’est pas proportionnelle à l’indice de réfraction, qu’il est possible
de construire des objectifs achromatiques, calcule ceux-ci… euler
tient, à son tour, la preuve expérimentale du défaut de la théorie
corpusculaire.
les fréquences différentes de la lumière blanche interagissent
avec les particules constitutives du milieu réfringent : cette propriété
permet d’expliquer les couleurs des lames minces qui, selon leur
épaisseur, laissent passer ou réfléchissent une même teinte. après une
interprétation donnée dans la Nova theoria, qu’il juge erronée, euler
estime en 1752 que, à la manière de l’air contenu dans un tuyau
d’orgue, l’éther contenu dans les lames minces entre en vibration
et que sa période de vibration dépend de l’épaisseur traversée. si la
période d’une vibration incidente correspond à la période de vibra-
tion caractéristique de la lame, il y a renforcement et réflexion. si
l’accord ne se fait pas, il y a transmission. un grand débat s’ouvre
cette fois, sur le continent seulement ; il amène euler à développer
une théorie ondulatoire complétée et mathématisée : elle explique
que les couleurs sont dues à des ondulations de longueurs d’ondes
différentes. euler fait en quelque sorte sur ce sujet la synthèse des
théories de huygens et de newton et écrit : « la lumière n’est autre
chose qu’une agitation ou ébranlement entre les particules d’éther. »
il peut proposer un modèle mécanique extrêmement compliqué pour
expliquer la propagation des perturbations lumineuses. mais nous
sommes à l’époque où la mécanique newtonienne se développe sur
le continent : les problèmes qu’elle résout, les prévisions qu’elle fait
l’emportent sur les difficultés qu’elle soulève. euler se fourvoie au
sujet du « problème des trois corps » ; les disciplines se séparent de
plus en plus : tous ces éléments contribuent à affaiblir la controverse.
Finalement, la contradiction théorique est oubliée. l’optique newto-
nienne se diffuse. dix ans plus tard – en 1757 – un anglais, John
dolland, réalise des objectifs achromatiques : la seule conséquence
qui en résulte est que le monde scientifique anglais admet que new-
ton s’est trompé sur le plan expérimental : on appelle pudiquement
ceci « l’erreur de newton »… mais on construit maintenant, et en
nombre, les objectifs achromatiques… les choses en restent là :
à la fin du siècle, la mécanique newtonienne s’est imposée, nous

235
une histoire de la lumière

l’avons vu, à la fois en angleterre et sur le continent. l’optique n’est


plus une science à la mode et on en vient à faire de bien curieuses
réductions de l’œuvre même de newton : on oublie totalement le
phénomène de diffraction, on oublie la théorie des accès pour rete-
nir une hypothèse strictement corpusculaire, on confond impression
lumineuse et lumière, on enseigne que les rayons sont réellement
rouges ou violets… que c’est l’une de leurs qualités… mais com-
ment s’étonner de ce que les tenants d’une physique se définissant
de manière absolue et extérieure à l’observateur en viennent à ne
plus tenir compte des sensations de l’homme ?
Cependant, l’optique joue à l’époque, dans un autre domaine de
la pensée scientifique, un rôle important qui mérite d’être évoqué.
nous avons dit comment Fermat avait retrouvé les lois de la réfraction
et déduit que la vitesse de la lumière est plus grande dans les milieux
à faible indice de réfraction du seul principe que « la lumière – prin-
cipe théologique – choisit toujours la voie la plus rapide ». le 15 avril
1744, maupertuis attaque cette conception24 : il commence par remar-
quer que la propagation rectiligne et la réflexion s’expliquent comme
le mouvement d’une balle, que l’action d’une force rend compte de
la réfraction. avec newton, il admet donc que la vitesse de la lumière
est plus grande dans les milieux à grand indice de réfraction et qu’ainsi :
« tout l’édifice de m. Fermat est détruit ». maupertuis cherche donc
un principe d’économie compatible avec la loi newtonienne. À partir
de cette idée métaphysique, il raisonne : en se réfractant, la lumière
abandonne la ligne droite, donc le chemin le plus court. Pourquoi
irait-elle par la route la plus rapide ? elle ne suit aucune de ces deux
voies ! et maupertuis d’affirmer : « le chemin qu’elle tient est celui
par lequel la quantité d’action est moindre24. » Qu’est-ce que la quan-
tité d’action ? C’est une grandeur d’autant plus importante que la
vitesse est grande et que le chemin parcouru est long : « elle est
proportionnelle à la somme des espaces multipliés chacun par la vitesse
avec laquelle le corps les parcourt […] C’est cette quantité d’action
qui est ici la vraie dépense de la nature, et ce qu’elle ménage le plus
qu’il est possible dans le mouvement de la lumière. » Pour démontrer
sa proposition, maupertuis considère deux milieux dans lesquels la
vitesse de la lumière vaut respectivement v et V (fig. 85). selon son
principe v.ar + V.rB doit être minimum. À l’aide d’un raisonnement
différentiel il trouve que cette condition est remplie quand r est tel

236
le siècle des lumières

Figure 85

que les lois de la réfraction sont vérifiées. il pense donc avoir prouvé
à la fois que la lumière se propage plus vite dans le verre que dans
l’air – comme l’affirme la mécanique newtonienne – et que « la nature,
dans la production de ses effets, agit toujours par les voies les plus
simples ». maupertuis remarque : « Je connais la répugnance que
plusieurs mathématiciens ont pour les causes finales appliquées à la
physique et je l’approuve même jusqu’à un certain point […] on ne
peut [cependant] douter que toutes choses ne soient réglées par un
Être suprême, qui, pendant qu’il a imprimé à la matière des forces
qui dénotent sa puissance, l’a destinée à exécuter des effets qui marquent
sa sagesse. » le dieu omnipotent de newton n’est pas entièrement
éliminé de la physique ! « notre principe […] laisse le monde dans
le besoin naturel de la puissance du Créateur et est une suite nécessaire
de l’emploi le plus sage de cette puissance », note maupertuis qui,
fort de cette déduction, estime logique d’étendre son principe au
domaine de la dynamique : il l’applique à résoudre le problème des
chocs entre deux corps. les conséquences qu’il en tire sont ensuite
démontrées et généralisées par euler et permettent d’englober tous les
chocs des corps élastiques ou des corps durs dans une même descrip-
tion. le principe de moindre action est encore retenu actuellement…
et on voit à partir de quels présupposés il a été énoncé…
Vi
Crise et mutation de l’optique
1. Malus et la « polarisation » de la lumière
« amateurs éclairés » des salons du xviiie siècle avaient réuni
l es
dans leurs « cabinets d’histoire naturelle » d’impressionnantes
quantités de curiosités glanées au cours d’excursions très à la mode,
ou ramenées par les voyageurs. les scientifiques de ce début du
xixe héritent donc d’un nombre impressionnant de bizarreries parmi
lesquelles de superbes minéraux cristallisés. ils entreprennent de
mesurer les angles des faces naturelles, redécouvrent les clivages,
établissent des lois de symétrie, tentent de les interpréter en ima-
ginant que les cristaux sont formés par la répétition régulière de
« molécules intégrantes » qui emplissent l’espace : la cristallographie
est une science à la mode. C’est tout naturellement donc que les
chercheurs sont de nouveau intrigués par cette calcite, si abondante,
si diverse, si transparente, qui dédouble les images des objets sur
lesquels elle est placée…
un anglais, Wollaston, mesure les deux angles de réfraction du
minéral et trouve des valeurs qui le surprennent : elles concordent
exactement avec celles que donne huygens, contredisent donc newton.
en France, haüy obtient le même résultat. le monde scientifique
est incrédule. l’institut veut que la question soit définitivement
tranchée : il annonce (janvier 1808) qu’il attribuera un prix à qui
donnera « de la double réfraction que subit la lumière en traversant
diverses substances cristallisées, une théorie mathématique vérifiée
par l’expérience ». la formulation est significative de l’époque… les
chercheurs se mettent au travail ; parmi eux malus, un ancien élève

241
une histoire de la lumière

de l’École polytechnique, ancien officier de la campagne d’Égypte,


ancien membre de l’institut du Caire, passionné d’optique, ami de
laplace, pensionnaire d’arcueil…
il commence par vérifier avec précision les expériences de biré-
fringence : elles montrent que huygens avait raison. malus constate :
« newton […] connaissait l’ouvrage de huygens ; cependant il subs-
titue à la loi de ce géomètre une loi plus simple en apparence mais
absolument contraire aux phénomènes […] on a peine à expliquer
le peu de cas que newton fit, dans cette circonstance, d’une loi que
huygens avait déclarée conforme à ses expériences ; il est probable
qu’il n’en répéta aucune avec le soin qu’il était accoutumé […] et
que, dédaignant l’hypothèse des ondulations qu’il avait combattue
et terrassée par ses théories, il enveloppa dans le même jugement
et la loi et l’explication qui semblait l’appuyer1. » la mauvaise foi
de newton est donc reconnue, mais malus – ainsi que laplace –
l’excusent un peu plus loin : huygens n’aurait pas dû mêler résultats
expérimentaux et théorie…
le débat tranché sur ce point, malus s’attache à reproduire les
fameuses expériences faites par huygens en superposant deux calcites
(fig. 57 a). il remarque à son tour que les intensités des rayons
transmis par le deuxième cristal varient lorsque l’on tourne celui-ci,
que les rayons ne se dédoublent plus dans la seconde calcite si les
cristaux ont la même orientation (le rayon ordinaire dans le premier
minéral restant alors ordinaire dans le second) (fig. 57 b), que la
situation est inversée (fig. 57 c) après une rotation de 90°. le pro-
blème posé par cette expérience préoccupe beaucoup malus et capte
toute son attention. aussi en vient-il à regarder2, de son appartement,
au travers d’un prisme de calcite, les rayons du soleil couchant
réfléchis par une fenêtre du palais du luxembourg (fig. 86 a) ; il
voit deux images ; pourtant, en tournant le cristal sur lui-même, il
constate que, pour une position particulière de la calcite, le rayon
extraordinaire est complètement éteint (fig. 86 b) tandis qu’à 90°,
c’est le rayon ordinaire qui disparaît à son tour (fig. 86 c) *3 : le
rayon réfléchi par la vitre a donc exactement la même propriété que
ceux ayant traversé un prisme de calcite. Ce phénomène n’avait
jamais été décrit ; malus passe donc sa nuit à répéter l’expérience

* Cette observation fortuite est rapportée par arago et a été vérifiée en 2014.

242
crise et mutation de l’optique

Figure 86 Figure 87

en faisant se réfléchir des rayons issus d’une chandelle sur la surface


d’une eau contenue dans une cuvette. mêmes résultats : la double
réfraction n’est donc pas le seul moyen de donner à la lumière une
« disposition » telle qu’elle ne se partage plus en deux rayons
lorsqu’elle traverse un cristal. Pour confirmer cette proposition, malus
a l’idée d’inverser les positions respectives de l’eau et du minéral :
il fait tomber les rayons issus d’un rhomboèdre de calcite sur une
cuve d’eau ; chacun des deux faisceaux est à la fois réfléchi et réfracté
par celle-ci (fig. 87 a) mais si, à l’incidence précise de 52° 45’, il
tourne le minéral sur lui-même, il constate que le faisceau réfléchi
correspondant au rayon extraordinaire s’éteint pour une position
particulière du cristal (fig. 87 b) tandis que le rayon ordinaire ne se
réfléchit plus lorsque la calcite a encore été tournée d’exactement

243
une histoire de la lumière

90° sur elle-même à partir de cette position. après de nombreuses


autres expériences, malus note : « non seulement tous les cristaux
qui doublent les images peuvent donner à la lumière cette faculté
d’être réfractée en deux faisceaux ou en un seul, suivant la position
du cristal réfringent, mais tous les corps diaphanes solides ou liquides,
et les corps opaques eux-mêmes, peuvent imprimer aux molécules
lumineuses * cette singulière disposition qui semblait être un des
effets de la double réfraction4. » il reste à préciser ces expériences…
Bartholin et huygens avaient déjà remarqué un fait curieux que
nous pouvons observer à notre tour : traçons une droite sur un papier
et posons dessus un rhomboèdre de calcite ; la droite paraît dédou-
blée (fig. 88 a) ; tournons le cristal en laissant sa base contre le
papier : l’image extraordinaire tourne avec lui – elle s’approche ou
s’écarte du trait fixe – mais, pour une position précise du cristal, les
deux images sont superposées ; constatons que la droite est alors
bissectrice des angles obtus de la face inférieure du rhomboèdre

Figure 88

* le terme « molécule » désigne encore à l’époque (1810) une « petite masse ». il


a été introduit avec son sens actuel pour la première fois en 1811 par avogadro mais
garda ensuite longtemps encore son sens initial.

244
crise et mutation de l’optique

(fig. 88 b). huygens avait appelé plan de section principal ce plan


défini par les deux bissectrices des angles obtus des bases et qui
semble jouer un rôle bien particulier.
en étudiant comment se réfléchissent les rayons ayant traversé un
cristal (fig. 87), malus remarque que, sous l’incidence de 52° 45’, le
rayon extraordinaire ne se réfléchit pas si le plan de section principal
de la calcite est très précisément situé dans le plan d’incidence
(fig. 87 b) ; le rayon ordinaire s’éteint quant à lui lorsque le plan de
section principal est perpendiculaire au plan d’incidence (fig. 87 c).
une importante régularité vient d’être mise en évidence : seules les
orientations du rayon incident, du plan d’incidence et du plan perpen-
diculaire importent dans le phénomène. la « disposition » que prennent
les rayons lumineux ayant traversé un cristal – « disposition » identique
à 90° l’une de l’autre – peut donc se rapporter aux trois axes ortho-
gonaux a (porté par le rayon), b et c (dans le plan d’incidence et
perpendiculaire à celui-ci) (fig. 89). Pour pouvoir maintenant formuler
des hypothèses quant à la nature de la régularité acquise par la lumière,
il faut savoir si celle-ci est de nature ondulatoire ou corpusculaire.
malus remarque que la théorie de huygens est « sujette à de grandes
difficultés5 », que son auteur « avoue6 » qu’elle ne rend pas compte

Figure 89

245
une histoire de la lumière

de l’extinction de l’un des rayons transmis, qu’elle « répugne aux


notions actuelles de la physique6 » tandis que celle de newton est
« plus vraisemblable et s’accorde mieux à nos connaissances phy-
siques5 ». il estime donc que la lumière est composée de « molécules »
qui se propagent. Puisque les phénomènes qu’il étudie révèlent une
régularité se rapportant aux axes a, b et c, malus suppose que les
molécules de lumière possèdent, après réflexion ou traversée d’un
cristal, cette même orientation : il leur attribue une forme *7 pouvant
se rapporter aux trois axes a, b et c. Pour déterminer plus précisément
l’orientation prise par les molécules, malus s’appuie sur les travaux
de laplace et en déduit que les molécules du rayon extraordinaire ont
une vitesse moins grande que celle du rayon ordinaire. il suppose
donc qu’il existe des forces répulsives8 à l’entrée du cristal, forces
dont l’action oriente les molécules. Puisque, pour une même incidence,
le phénomène ne dépend que de la position du plan de section prin-
cipal (calcite) ou de celle du plan d’incidence (réflexion), malus conclut
que les forces répulsives n’agissent pas dans la direction du rayon :
l’axe a reste donc constant, l’action des forces ne modifie que b et c.
toutes ces déductions amènent donc à supposer que les molécules de
lumière possèdent des pôles a, b et c et que sous l’action des forces
répulsives, ces pôles s’orientent : il y a polarisation. les rayons ayant
traversé la calcite ou s’étant réfléchis sont dits polarisés.
s’il en est bien ainsi, les molécules appartenant à un « rayon
polarisé » possèdent, toutes, la même orientation : celles d’un rayon
ordinaire ont, par exemple, leur axe b à 90° de l’axe b des molécules
appartenant au rayon extraordinaire (fig. 90 et 91). Comment ces
orientations particulières se produisent-elles ? Comment des forces
répulsives peuvent-elles agir de manière à faire tourner une molécule
tout en laissant l’axe a constant ? Pour répondre à ces questions,
malus imagine que « les forces qui polarisent agissent également et

* newton expliquait déjà l’expérience des calcites en imaginant aux corpuscules


une forme : « un seul et même “rayon” se rompt quelquefois de la manière ordinaire
et quelquefois de la manière extraordinaire, selon la position où sont ses côtés à l’égard
des cristaux […] Chaque “rayon” peut être considéré comme ayant quatre côtés, deux
opposés l’un à l’autre, inclinent le “rayon” à être rompu de la manière extraordinaire
toutes les fois que l’un ou l’autre est tourné vers la plage de la réfraction extraordinaire
et les deux autres ne l’inclinent point à être autrement rompus que de la manière ordi-
naire7.» (C’est moi qui souligne).

246
Figure 90 Figure 91

Figure 92
une histoire de la lumière

en sens contraire sur les deux pôles (b et c) de la molécule de lumière


de sorte qu’elles n’impriment aucun mouvement à son centre de
gravité9 ». il y a donc deux forces répulsives perpendiculaires l’une
à l’autre qui agissent parallèlement à la surface des solides. les
phénomènes de polarisation s’expliquent : dans un rayon incident, les
molécules de lumière ont leur axe a dirigé selon le rayon, leurs axes
b et c étant quelconques (on dit que la lumière est naturelle). À
l’arrivée dans un cristal de calcite (fig. 92), les deux forces répulsives
s’exercent : les molécules s’orientent ; celles ayant alors leur axe b
dans le plan de section principal se propagent selon le rayon ordinaire,
celles ayant leur axe c dans ce même plan selon le rayon extraordi-
naire ; la disposition acquise est conservée après le cristal. À l’entrée
de la seconde calcite, les mêmes forces s’appliquent mais les orien-
tations sont acquises : toutes les molécules du rayon 1 ont leur axe
b dans le plan de section principal et suivent donc le chemin ordinaire
dans le second cristal, toutes les molécules du rayon 2 ont leur axe
c dans ce même plan et suivent le parcours extraordinaire.
Ces explications élégantes sont accompagnées d’une analyse mathé-
matique précise qui étend les conclusions tirées par laplace pour la
mécanique au domaine de l’optique : elles entraînent l’adhésion de la
majorité des physiciens et valent à malus le prix offert par l’institut…
nous ne pouvons pas, pourtant, ne pas nous poser de questions !
Pourquoi les molécules de lumière de même orientation suivent-
elles dans le cristal un chemin particulier ? la théorie de malus fait
intervenir non plus une seule force réfringente « diversement mise en
action », perpendiculaire à la surface de séparation (et dont nous avons
déjà souligné les difficultés que son introduction soulève), mais, en
plus, deux autres qui, répulsives, s’exercent à la surface d’entrée. de
quelles natures sont ces forces ? Quelles valeurs ont-elles ? Comment
sont-elles mises en action ? malus ne répond pas. Comment peuvent-
elles orienter les « molécules de lumière » sans « dévier leur centre
de gravité » ? il suggère : « leur action est analogue à celle que le
magnétisme terrestre exerce sur un barreau aimanté9. » Ce sont donc
des forces magnétiques : pourquoi ne s’exercent-elles alors qu’à la
surface ? et qu’est-ce que le magnétisme ? malus essaie de résoudre
une incompréhension en utilisant une analogie, mais le magnétisme
terrestre est inexpliqué… nous pouvons aussi nous demander comment
s’articule l’interaction entre « les forces répulsives » et la « forme des

248
crise et mutation de l’optique

molécules »… rien n’est dit, aucun calcul n’est possible. malus n’est
plus maître de ses hypothèses qui ne sont que la transcription de la
symétrie de l’expérience. il se rend compte de la situation et écrit :
« la connaissance des forces qui produisent la double réfraction est
en quelque sorte étrangère à la loi des phénomènes et indépendante
des preuves qui établissent son caractère mathématique » leur intensité
est « indéterminable, parce que la loi des phénomènes en est indépen-
dante, et par la même raison […] devient inutile dans les recherches
qui ont pour but de lier les phénomènes par une même loi ; ce qui
est le seul objet des théories physiques10 ». selon cette position,
la science ne viserait qu’à étudier les régularités et à les exprimer
mathématiquement ; les causes étant indéterminables et indépendantes
des lois : voici une attitude positiviste que malus n’avait pas adoptée
lorsqu’il imaginait une structure moléculaire à la lumière et une forme
aux molécules ; il est vrai qu’il ajoutait alors : « Je ne prétends pas
indiquer la cause de cette propriété générale des forces répulsives qui
agissent sur la lumière, je donne seulement les moyens de lier entre
eux les phénomènes, de les prévoir par le calcul et de les mesurer
avec exactitude […] en rapportant les formes des molécules à trois
axes rectangulaires comme le sont ceux d’un octaèdre ; je ne préjuge
rien sur la forme réelle de ces molécules, mais je présente ce résultat
comme une conséquence du calcul auquel m’a conduit l’analyse des
phénomènes que j’ai observés11. » C’est dans cette logique qu’il écrit
même : « J’adopte […] l’opinion de newton, non comme une vérité
incontestable, mais comme un moyen de fixer les idées et d’interpré-
ter les opérations de l’analyse. C’est une simple hypothèse qui n’a
d’ailleurs aucune influence sur les résultats définitifs du calcul12. » les
scientifiques ne pouvant plus fournir d’explications plausibles, certains
(comme malus) renoncent à en donner et se réfugient derrière une
vérité des calculs leur permettant de décrire et de prévoir les phéno-
mènes… ils assignent à la science ce seul rôle de prévision… cette
réduction ne peut masquer le fait que l’optique newtonienne entre en
crise, crise accentuée par les découvertes d’arago (1811) et de Biot
(1815) qui mettent en évidence d’autres phénomènes de polarisation
plus complexes que ceux décrits plus haut *, crise qui s’amplifie encore
lorsque sont connues les importantes observations que viennent de

* la polarisation chromatique des cristaux et la polarisation rotatoire du quartz.

249
une histoire de la lumière

faire thomas Young en angleterre puis augustin Fresnel en France.


les physiciens essaient bien de donner des explications aux nouveaux
faits expérimentaux « anormaux » au regard de la théorie corpusculaire,
d’adapter celle-ci aux situations nouvelles créées mais les corrections
qu’ils tentent sont de plus en plus partielles, de moins en moins cré-
dibles. Fresnel note que pour rendre compte complètement des faits
« il faut accumuler sur chaque particule lumineuse un grand nombre de
modifications diverses, souvent très difficiles à concilier entre elles13 ».
la science n’est plus assise sur des bases solides, un désarroi gagne
certains chercheurs14, l’emprise des stéréotypes posés par l’adoption de
la théorie dominante diminue (« l’opinion de newton n’est pas une
vérité incontestable mais une hypothèse qui n’a aucune influence sur
les résultats du calcul »). toutefois, la majorité des chercheurs conti-
nue de penser à l’intérieur des schémas newtoniens. des personnes
extérieures au monde des physiciens, donc moins conditionnées par
les idées dominantes, vont pouvoir utiliser tous les « faits anormaux »
qui s’accumulent pour amener un renversement de perspective. À
l’heure même où l’optique newtonienne remporte de nouveaux succès,
elle reçoit, de l’intérieur, le premier coup qui l’ébranle sérieusement.

2. Thomas Young et les « interférences »


Young était d’un naturel curieux et sceptique : élevé selon les
principes d’une secte religieuse refusant toute hiérarchie15, il en avait
tiré l’enseignement que « chaque homme peut faire tout ce qu’un
autre fait » : encore enfant, il saute une haute barrière dès la première
fois qu’il monte à cheval, rivalise avec un funambule, se tient debout
sur deux chevaux au galop, s’exerce à la peinture, joue de beaucoup
d’instruments de musique, construit entièrement un microscope à partir
d’une formule lue dans un livre et exprimée dans le vieux symbolisme
des fluxions – qu’il doit commencer par étudier. il tente de déchiffrer
la pierre de rosette et donne la première interprétation des hiéroglyphes
égyptiens. Jeune médecin, il critique l’absence de rationalité de la
médecine, la qualifie de loterie, se refuse à prescrire des médicaments
qu’il juge toujours dangereux. il préfère se livrer à de nombreuses
études : pour comprendre la vision, il lit Platon, maurolico, Porta,
Kepler, descartes… puis démontre que l’accommodement de l’œil est

250
crise et mutation de l’optique

dû à la modification de la courbure du cristallin : son mémoire, trop


mathématique pour les physiologistes, est dédaigné par les physiciens.
il se spécialise dans l’audition, va à Berlin soutenir sa thèse, dans
laquelle il comprend, le premier, le fonctionnement de l’oreille. C’est
là qu’il découvre les travaux d’euler, qu’il ne peut suivre sur le plan
mathématique, mais se familiarise avec les problèmes de propagation
d’ondes et de vibrations. il s’intéresse aussi aux bulles de savon et,
pour en aborder l’étude, lit hooke et newton… l’autorité de ce dernier
impressionne peu l’esprit rebelle : il rejette immédiatement la théorie
des accès qu’il trouve trop lourde. les couleurs des bulles dépendent
de leur épaisseur : pourquoi les expliquer en combinant l’action d’une
onde à celle des corpuscules ? Pourquoi supposer qu’elles résultent de
l’absence de certaines particules qui ne se réfléchiraient pas ? n’est-il
pas plus simple de supposer que la réflexion a toujours lieu ? Qu’une
onde lumineuse réfléchie par la face extérieure de la bulle se super-
pose à une onde réfléchie par la face intérieure et que, venant toutes
deux vers l’œil, elles s’entremêlent ? Certaines vibrations pourraient
alors s’annihiler totalement et causer la sensation colorée… sa bonne
connaissance des mouvements vibratoires permet à Young de raison-
ner par analogie : l’expérience courante offre en effet de nombreux
exemples d’ondes qui se superposent en se renforçant ou s’empêchant
mutuellement. si nous jetons simultanément deux cailloux dans l’eau,
la rencontre des ondes provoque une turbulence en certains points, la
diminution de la hauteur des crêtes en d’autres ; lorsque nous secouons
une corde à grimper, nous accentuons sa vibration si le mouvement de
notre bras s’accorde avec elle, nous l’atténuons dans le cas contraire ;
les vibrations sonores n’engendrent-elles pas des battements ? tous ces
exemples prouvent que l’hypothèse de Young n’est pas déraisonnable.
Pour pouvoir mieux la comprendre, nous allons préciser un peu ce que
sont ondes et vibrations.

Composition des ondes


nous allons reprendre l’exemple déjà choisi du caillou lancé dans
une mare. dans un cas idéal, les ondes (énergie qui se propage) sont
circulaires et les vibrations (mouvement de la matière) régulières
et constantes : en coupe, la surface de la mare dessine alors une

251
une histoire de la lumière

courbe appelée sinusoïde (fig. 93) que nous pouvons caractériser par
la distance séparant une position haute (ou basse) de la position de
repos (amplitude a) et par la longueur qui sépare deux points dans
le même état vibratoire (longueur d’onde λ).

Figure 93

si maintenant, nous supposons que deux ondes se rencontrent,


leurs vibrations se composent comme tout autre mouvement. Consi-
dérons le cas simple où deux ondes de même longueur d’onde, de
même amplitude, se propageant à la même vitesse dans la même
direction et le même sens se composent. si ces ondes ont entre elles
un décalage d’une demi-longueur d’onde (fig. 94), leurs positions
de « repos » sont superposées tandis que les crêtes (ventres) de l’une
correspondent aux creux de l’autre : puisque les mouvements vibra-
toires s’ajoutent et qu’ici ils sont, en tous les points, égaux et oppo-
sés, la vibration résultante est nulle. si le décalage entre les ondes
vaut maintenant une longueur d’onde entière, les vibrations se ren-
forcent en tout point. ainsi, si deux vibrations identiques se super-
posent, elles s’annulent lorsque leur différence de marche est égale
à une demi-longueur d’onde * ; elles se renforcent si la différence
de marche est égale à une longueur d’onde **.
C’est ce processus de superposition qu’imagine Young : si la
lumière est de nature ondulatoire, les mêmes longueurs d’ondes

*  Ou à un multiple impair de demi- longueur d’onde : Δ = (2k + l) λ / 2 ; k nombre 
entier.
**  Ou  à  un  multiple  entier  de  longueur  d’onde  :  Δ  =  k.λ ;  k  nombre  entier.

252
crise et mutation de l’optique

Figure 94

provoquent la même sensation colorée. lorsque deux faisceaux de


lumière émis par la même source se superposent après avoir parcouru
des chemins optiques différents (par exemple, deux ondes réfléchies
par chacune des faces d’une bulle de savon et venant vers l’œil), ces
ondes se composent. si leur différence de marche vaut une demi-
longueur d’onde, la vibration ayant cette longueur d’onde s’annihile
et manque à la lumière reçue par l’œil ; une sensation colorée est
produite : nous voyons la teinte complémentaire à celle qui corres-
pond à la vibration absente. C’est ce phénomène de composition
des ondes que Young appelle interférences… il reste à prouver que
celles-ci permettent d’expliquer les faits observés.

Les interférences
Comme newton, Young va s’attacher à préciser l’expérience des
bulles de savon en réalisant une lame mince d’air limitée par un plan
et une lentille concave. il observe alors les anneaux (fig. 78-79-80) et
note lui aussi que les mêmes teintes apparaissent toujours lorsque les
épaisseurs traversées sont multiples les unes des autres : il existe bien
une périodicité dans le comportement de la lumière. Cette périodicité
n’est-elle pas justement due à l’extinction des vibrations pour lesquelles
la différence de marche entre des ondes qui se sont réfléchies sur l’une
et l’autre face de la lame vaut un multiple impair de demi-longueur
d’onde ? Young en est convaincu et pense avoir ainsi démontré que

253
une histoire de la lumière

« l’obscurité peut être engendrée en ajoutant de la lumière à de la


lumière16 ». il ne se limite pas à cette remarque : comme newton, il
introduit de l’eau entre les faces du dispositif et voit les cercles se
resserrer vers le centre. Young raisonne : un anneau correspond à une
certaine valeur du retard entre deux ondes qui interfèrent ; puisqu’en
introduisant de l’eau il faut une épaisseur moindre pour obtenir le
même retard, c’est que la vitesse de la lumière est moins grande dans
l’eau que dans l’air. Young vient d’aboutir, à partir de considérations
différentes, à la même conclusion que huygens : la vitesse de la lumière
est inversement proportionnelle à l’indice de réfraction. la cohérence
de la théorie des ondes s’affirme. Young publie ses résultats en 180217 :
son article n’éveille pas d’intérêt dans le monde scientifique.
Continuant ses travaux, Young décide de s’attaquer à tout ce qui
est considéré comme point faible de la théorie des ondes. il s’inté-
resse donc à la diffraction mais s’interroge : quand on éclaire un fil
au moyen d’un fin pinceau lumineux, l’ombre est bordée de chaque
côté par un système de franges (fig. 82) ; celles-ci résultent, d’après
newton, de l’inflexion des rayons sous l’effet de la force réfringente ;
si donc on masque un côté du fil, on devrait – d’après l’interprétation
donnée – observer encore un système de franges (bordant l’ombre du
côté non masqué) ; Young expérimente : il masque au moyen d’un
écran opaque un des côtés du fil : toutes les franges disparaissent. la
théorie de newton ne rend pas compte des faits… Young conclut que
les franges de diffraction résultent de la différence de marche intro-
duite entre les ondes émises par chacun des bords du fil. il reste à
démontrer que la théorie ondulatoire permet de prévoir leur position…
avant d’effectuer cette démonstration, Young réalise une expérience
à laquelle personne n’avait pensé avant lui et qui restera célèbre. dans
une cuve d’eau, si des ondes viennent frapper une planchette percée
de deux trous, après celle-ci des ondelettes se propagent, se croisent.
dans la zone de superposition, la surface de l’eau présente des points
où les ondes se renforcent, d’autres où elles s’annulent : elles inter-
fèrent. Young réalise cette expérience et la transpose sur la lumière.
si on éclaire un écran percé d’un petit trou, celui-ci se comporte
comme une source ponctuelle et émet un faisceau divergent (fig. 95 a) ;
si maintenant un deuxième petit trou est percé à proximité du premier,
les deux faisceaux transmis se superposent dans une zone où des
interférences doivent avoir lieu (fig. 95 b). Young vérifie : des bandes

254
crise et mutation de l’optique

Figure 95

rectilignes alternativement colorées et noires apparaissent là où il les


attendait ; il bouche l’un des deux trous, elles disparaissent. encore
une fois il vient d’obtenir – sans contestation possible – de l’obscurité
en ajoutant de la lumière à la lumière. il calcule, d’après la théorie
des ondes, quelles devraient être les caractéristiques des franges : il
trouve une concordance parfaite avec l’observation. attardons-nous
un peu sur sa démonstration : Young observe des franges rectilignes
parallèles entre elles (fig. 96 a) ; au centre de symétrie o du système,
à égale distance des deux trous, il y a une frange intense ; en ce lieu
les ondes provenant des « sources » s1 et s2 ont parcouru la même
distance ; leur différence de marche est nulle ; les vibrations concordent
exactement et se renforcent : c’est bien une frange claire que l’on doit
observer. la première frange intense sur la droite (l) est séparée de
la précédente par une distance appelée interfrange (i). Cet interfrange
peut se mesurer, de même que l’écartement des trous (a) et la distance
de ceux-ci à l’écran d’observation (d) : Young peut donc calculer *
la longueur d’onde de chaque lumière monochromatique utilisée. il
trouve que la couleur rouge doit résulter de vibrations dont la pério-
dicité vaut 1/36 000 de pouce (7 dixièmes de micromètre), que le
violet correspond à une longueur d’onde de 1/60 000 de pouce
(4,2 dixièmes de micromètre), le jaune à 5,6 dixièmes de micromètre.
Voici encore obtenus de nouveaux résultats.

* Puisque (fig. 96 b) d est très grand devant i et a nous avons : ,  où  Δ  est  la 

différence  de  marche.  Pour  les  franges  claires,  Δ  =  kλ  donc  et .

255
une histoire de la lumière

Figure 96

Young peut maintenant étudier la position des franges de dif-


fraction. il constate qu’elles sont situées non sur des droites mais
sur des hyperboles ; voici encore un argument contre la théorie
corpusculaire. il construit au compas des ondes circulaires concen-
triques centrées sur une source et d’autres centrées sur les extrémités
de l’écran diffractant… elles se coupent selon des hyperboles. le
doute n’est plus permis : la lumière est composée d’ondes qui se
propagent dans l’éther * à la vitesse de 300 000 km/s et peuvent se
réfléchir ou se réfracter selon le principe de huygens. la vitesse de
propagation est inversement proportionnelle à l’indice de réfraction.
les couleurs sont des sensations produites par les longueurs d’ondes
différentes (0,7 µm pour le rouge – 0,4 µm pour le violet). après

* analogue à celui de huygens.

256
crise et mutation de l’optique

avoir parcouru des chemins optiques différents, les ondes émises


au même temps par une même source acquièrent une différence de
marche ; si elles se superposent à nouveau elles interfèrent ; cette
superposition permet d’expliquer la couleur naturelle des corps, les
teintes des lames minces, la diffraction, les franges d’interférence.
Cette théorie a de belles qualités : elle unit toute une classe de
phénomènes jusqu’alors séparés par les physiciens (optique géomé-
trique, couleurs, interférences…), mais elle n’est pas encore suffisante
pour permettre de prévoir exactement la position et l’intensité des
franges d’interférences. elle ignore en outre la polarisation. telle
qu’elle est, elle permet, c’est le but que se fixait Young, de simpli-
fier la théorie de newton (corpusculaire et accès) et d’en faire une
théorie purement ondulatoire.
Young publie ses résultats en 180418. alors qu’il veut – lui un
médecin – détruire les hypothèses du grand newton et qu’il s’adresse
à un public acquis à la théorie corpusculaire, il ne prend soin ni de
présenter de manière logique ses expériences ni d’en faire un exposé
ordonné et systématique. la réplique – cette fois – ne se fait pas
attendre : le monde scientifique se déchaîne contre lui. lord Broug-
ham, physicien connu, auteur de travaux d’optique expérimentale,
écrivain, avocat, orateur à la Chambre des communes, futur président
de la Chambre des pairs, futur lord chancelier, l’attaque – par écrit –
avec véhémence et le couvre d’insultes dans l’Edimburgh Review.
Young répond de manière découragée. il rédige pourtant une énorme
Philosophie naturelle dans laquelle il démontre que la localisation des
franges de diffraction sur des hyperboles est parfaitement expliquée
par la théorie ondulatoire… son ouvrage n’a pas de succès15.
la violence de la réaction du monde scientifique anglais ne passe
pas inaperçue en France : arago entend parler de la théorie ondu-
latoire et de Young, malus écrit à celui-ci… et reçoit une réponse
qui le comble : Young reconnaît que le système des ondes présente
encore des difficultés, qu’il n’explique pas la polarisation. allons !
la théorie corpusculaire n’est pas en danger…
il va falloir qu’un homme – extérieur encore au monde scienti-
fique –, convaincu par l’éducation qu’il a reçue de la validité de la
théorie des ondes, réalise une impressionnante série d’expériences et de
démonstrations rigoureuses, résolve théoriquement bien des problèmes
– pour que les positions de la majorité des scientifiques soient ébranlées.

257
une histoire de la lumière

3. L’œuvre de Fresnel
ingénieur des Ponts et Chaussées, Fresnel n’est guère motivé par
l’exercice d’une fonction – surveiller l’état des routes de la drôme –
qu’il exerce pourtant avec scrupule et application19. il passe tous ses
loisirs à tenter de résoudre les problèmes qui le préoccupent : fabri-
cation d’encre de Chine, projet de machine hydraulique, combustion
du charbon, mais aussi, nous allons le voir, nature de la lumière et
aberration des étoiles, deux questions étroitement liées.
au cours de l’année, les étoiles semblent décrire une trajectoire
elliptique (l’aberration) découverte en 1728 par Bradley, qui avait été
expliquée comme résultant de la composition du mouvement annuel
de la terre sur son orbite et du mouvement rectiligne de la lumière
provenant de l’étoile. Cette interprétation rendant compte parfaitement
des observations avait été utilisée pour ruiner définitivement la concep-
tion cosmologique de descartes et confirmer la théorie corpusculaire
de la lumière : si, en effet, il est facile de supposer que des particules
éjectées à grande vitesse se propagent selon des droites, il est impos-
sible qu’une pression communiquée de proche en proche aux parties
d’une matière subtile participant à de nombreux mouvements circulaires
différents puisse suivre un chemin rectiligne : la trajectoire se brise
forcément lors du passage d’un tourbillon à l’autre. Fresnel est gêné
par cet argument : il ne peut admettre la théorie corpusculaire et se
demande comment des particules de masses différentes peuvent se
propager avec la même vitesse : ont-elles donc été éjectées avec des
forces différentes ? Quel mécanisme peut alors rendre compte de cette
émission ? il écrit à son frère : « tire-moi de là […] en attendant,
je t’avoue que je suis fort tenté de croire aux vibrations d’un fluide
particulier pour la transmission de la lumière et de la chaleur. » on
ne peut qu’être frappé de la similitude de cette approche et de celle
qu’avait huygens – que Fresnel n’a pas lu alors. les carnets de chan-
tier de l’ingénieur se couvrent – à côté des plans de nivellement des
routes – de réfutations de la théorie corpusculaire. il écrit encore à
son frère : « Je conçois vaguement comment on pourrait expliquer la
réfraction et surtout les accès […] dans l’hypothèse des vibrations20 »
mais « l’explication du mouvement rectiligne de la lumière [est] plus
facile à concevoir […] dans l’hypothèse de newton que dans celle de

258
crise et mutation de l’optique

Descartes * […] probablement parce que des mouvements oscillatoires


sont beaucoup plus compliqués que celui d’une molécule qui n’obéit
qu’à une première impulsion21 ». Fresnel se met donc à étudier les
phénomènes vibratoires et bientôt croit pouvoir expliquer de façon
précise la réflexion, la réfraction et la propagation rectiligne au
moyen de la théorie des ondes. néanmoins, il demande à son frère :
« mets-moi donc au courant de ce qu’on sait sur la polarisation de la
lumière. tu ne saurais t’imaginer combien je suis curieux de savoir ce
que c’est21 […] j’ai beau me casser la tête, je ne devine pas ce que
c’est22. » Passages révélateurs : en 1814 Fresnel n’a lu ni newton, ni
huygens, ni Young, ni malus : on lui a enseigné une théorie corpus-
culaire qu’il refuse intuitivement et veut détruire parce que newton
« radote », dit-il23. ses rêveries (Fresnel qualifie ainsi ses méditations
et envoie à ampère un mémoire – perdu – qui porte ce titre) sont
pourtant interrompues : l’empire craque, la France est envahie par
les armées coalisées, Fresnel souhaite la restauration des Bourbons ;
elle se produit ; l’empereur revient de l’île d’elbe : Fresnel malgré
sa santé précaire, s’engage et se porte contre lui. napoléon retourne
l’armée : Fresnel est destitué de ses fonctions, exilé en normandie.
ses journées sont enfin libres. il va pouvoir, avec des moyens de
fortune, se livrer à ses premières recherches expérimentales.
Puisque l’on a toujours balayé la théorie des ondes par l’argument
que la lumière ne contourne pas les obstacles, Fresnel décide d’étudier
les ombres : il perce un petit trou dans un volet, éclaire un cheveu au
moyen du fin pinceau obtenu et, à sa grande joie, il observe les franges ;
il est tout de suite convaincu de tenir la preuve de l’impossibilité de la
théorie corpusculaire. C’est alors seulement qu’il veut approfondir ses
connaissances en optique : il écrit à arago pour lui demander de bien
vouloir lui conseiller une orientation bibliographique. arago répond de
lire Grimaldi, newton et Young **… mais Fresnel ne comprend ni le
latin ni l’anglais. il commande les Philosophical Transactions mais,
ne sachant pas que c’est un périodique, il est effrayé par le volume
de la publication et renonce à y chercher ce qui pourrait l’intéresser…
il ne lit donc rien et continue ses travaux.

* C’est moi qui souligne. Fresnel a appris les conceptions cartésiennes de la bouche
de l’abbé de la rivière, son professeur de logique à l’école centrale de Caen.
** arago ne cite pas huygens qui ne parle pas de la diffraction.

259
une histoire de la lumière

La diffraction
Puisque Fresnel est convaincu de la validité de la théorie ondu-
latoire, il se met à calculer quel effet doivent produire deux ondes
qui se rencontrent. Pour mener à bien ses calculs, il fait seulement
trois hypothèses : 1. les vibrations de la lumière sont les plus simples
possibles – c’est-à-dire sinusoïdales ; 2. la diffraction est due à la
superposition d’ondes provenant de la source et d’ondelettes réémi-
ses par les extrémités de l’écran diffractant (fig. 97) ; 3. les vibrations
qui interfèrent se renforcent lorsqu’elles sont dans le même état
vibratoire – elles ont alors une différence de marche valant un nombre
entier de longueurs d’ondes – Fresnel dit qu’elles sont en phase ;
au contraire, les vibrations s’annulent lorsqu’elles s’opposent – elles
ont alors une différence de marche valant un nombre impair de
demi-longueur d’ondes – il les dit en opposition de phase. À partir
de ces prémices, Fresnel conduit son calcul et parvient au résultat
que des franges claires et noires doivent alterner et qu’elles sont
situées sur des hyperboles24. il confronte ces conclusions théoriques
et l’expérience : celle-ci confirme les prévisions et par là même les
trois hypothèses. Fresnel est enthousiaste : convaincu d’avoir atteint
son but, de détruire la théorie corpusculaire et de faire triompher la
conception ondulatoire, il rédige un mémoire, y détaille ses calculs
et ses expériences, y explique – rapidement – la réflexion, la réfrac-
tion, les couleurs par la théorie des ondes, et l’envoie à arago pour
qu’il le présente à l’institut. arago lui répond immédiatement
(novembre 1815) : « J’ai trouvé [dans votre mémoire] un grand
nombre d’expériences intéressantes, dont quelques-unes avaient déjà
été faites par le docteur t. Young – qui, en général, envisage ce
phénomène d’une manière assez analogue à celle que vous avez
adoptée. mais ce que ni lui, ni personne n’avait vu avant vous, c’est
que les bandes colorées extérieures ne cheminent * pas en ligne
droite ** […] Vous pouvez compter sur l’empressement que je mettrai
à faire valoir votre expérience : la conséquence qui s’en déduit est
tellement opposée au système à la mode*, que je dois m’attendre à

* souligné dans le texte.


** arago n’a donc lu attentivement ni Grimaldi, ni newton, ni Young…

260
crise et mutation de l’optique

Figure 97

beaucoup d’objections. Vous devez m’aider à les repousser25. » arago


est lucide : la théorie ondulatoire va avoir du mal à être admise…
mais Fresnel vient de gagner un allié d’importance : un savant
renommé, un spécialiste d’optique et membre de l’institut… il est
fortement motivé pour continuer ses recherches.

261
une histoire de la lumière

les Cent-Jours sont terminés et avec eux l’exil de Fresnel… arago


lui obtient un congé. ils travaillent maintenant parfois ensemble, véri-
fient la position des franges, les font disparaître totalement en masquant
un des bords du fil diffractant. arago imagine quelques variantes aux
expériences, Fresnel – qui possède maintenant parfaitement sa théo-
rie – lui en annonce par avance les résultats – puis les vérifie. arago,
convaincu, présente le mémoire de Fresnel à l’institut et y précise :
« Je me suis occupé […] de la vérification des lois auxquelles cet
habile physicien a été conduit, et qui me semblent destinées à faire
époque dans la science26. » Fresnel transcrit, dans une lettre à son
frère : arago a « dit à l’institut que mon mémoire est de nature à
faire une révolution dans la science27 ». telle est bien son ambition !
Pour « aider arago à repousser les objections », Fresnel précise
ses expériences : il opère en lumière monochromatique, utilise comme
source ponctuelle un trou dans lequel il place une goutte de miel qui
joue le rôle d’une lentille sphérique, il construit dans la forge d’un
village un micromètre très précis, observe les franges directement avec
une loupe et non plus sur un verre dépoli, effectue donc des mesures
soignées… et se rend compte que son interprétation première ne peut
convenir : les franges ne sont pas dues aux interférences entre les
ondes de lumière directe et les ondelettes émises par l’extrémité de
l’écran diffractant. Fresnel met donc au point une autre explication qui
s’accorde mieux avec l’expérience (il compose maintenant les « ondes
élémentaires » comme le faisait huygens et fait interférer des « rayons
efficaces ») puis envoie un second mémoire à l’académie. Cette fois il
ne se contente plus de décrire ses résultats, il les interprète et attaque
de front la conception corpusculaire : newton s’est trompé, newton
a mal observé, la théorie de l’émission ne rend pas compte des faits ;
il faut lui substituer celle des ondes. tout au long de son travail,
Fresnel reprend les critiques faites avant lui contre newton, reprend
aussi les explications données des phénomènes lumineux au moyen
de la composition des ondes mais il les retrouve seul et surtout il les
ordonne, les systématise, les confronte à l’expérience, remplace les
constructions géométriques sur lesquelles s’appuyaient ses prédécesseurs
par l’analyse. son mémoire est une belle application de la physique
mathématique grâce à laquelle il peut justifier l’intensité même des
franges de diffraction. les faits qu’il explique sont de plus en plus
nombreux aussi peut-il conclure : « le système qui fait consister la

262
crise et mutation de l’optique

lumière dans les vibrations d’un fluide infiniment subtil répandu dans
l’espace conduit ainsi à des explications satisfaisantes des lois de la
réflexion, de la réfraction, du phénomène des anneaux colorés […],
et enfin de la diffraction, qui présente des phénomènes […] dont
la théorie newtonienne n’a jamais pu rendre raison. À la vérité, la
double réfraction et la polarisation n’ont pas encore été expliquées
dans le système des ondulations, mais l’ont-elles été davantage dans
celui de newton28 ? »
les newtoniens ne peuvent répondre, mais savent qu’entre les deux
théories il faut maintenant trancher. l’académie annonce qu’elle ouvre
un concours et qu’elle offrira, en mai 1819, un prix sur le sujet suivant :
« les phénomènes de diffraction ont été ces derniers temps l’objet de
recherches de nombreux physiciens […] mais on n’a pas encore déter-
miné suffisamment le mouvement des rayons à proximité des corps où
se produit l’inflexion […] il importe […] d’approfondir […] la manière
physique avec laquelle les rayons sont infléchis et séparés en diverses
bandes […] Ceci a conduit l’académie à proposer cette recherche […]
en la présentant de la manière suivante : 1. déterminer […] tous les
effets de la diffraction des rayons […] directs et réfléchis quand ils
passent […] près des extrémités d’un […] corps […] 2. déduire de ces
expériences, au moyen de l’induction mathématique, les mouvements des
rayons dans leur passage près des corps29 ». sujet newtonien, exprimé
en langage newtonien… deux réponses parviennent à l’académie :
l’une est assez légère, l’autre, volumineuse, précise, mathématique,
engagée, s’appuie sur une théorie ondulatoire parfaitement expri-
mée, maniée avec subtilité, et démontre l’impossibilité de la thèse de
l’émission. Ce mémoire – œuvre, évidemment, de Fresnel – décrit un
nombre impressionnant d’expériences de diffraction expliquées, toutes,
par un même principe (encore différent de celui exposé dans les deux
premiers mémoires mais s’accordant maintenant parfaitement avec
les faits et qui sera définitif) : les franges sont dues aux interférences
des ondelettes émises par chaque point de l’écran diffractant (fig. 98).
Cette conception – appelée aujourd’hui principe de Fresnel – précise
et généralise le principe de huygens : alors que celui-ci identifiait la
somme des ondelettes avec leur enveloppe commune, Fresnel compose
les ondelettes en faisant intervenir leurs mouvements vibratoires : si
ceux-ci s’accordent entre eux (sont en phase), ils se renforcent, s’ils
sont en opposition de phase, ils se détruisent.

263
une histoire de la lumière

Figure 98

en étudiant attentivement le mémoire, un des académiciens,


membre du jury *, Poisson, déduit des formules exprimées par
Fresnel la conséquence paradoxale « que le centre de l’ombre d’un
écran circulaire opaque […] (doit en) […] incidence peu oblique
[…] être aussi éclairé que si l’écran n’existait pas30 » ; il croit tenir
la preuve de l’impossibilité de la théorie des ondes. l’expérience
est réalisée… elle confirme parfaitement le calcul de Poisson **…
Fresnel obtient le prix (novembre 1819). en quatre ans de travail
acharné, il vient de réaliser son programme : faire condamner la
théorie corpusculaire. les newtoniens ont été pris à leur propre piège,
ils sont obligés d’appliquer leur propre logique en reconnaissant
la validité d’une théorie qui rend si bien compte des faits… mais
c’est la mort dans l’âme : Poisson se ralliera tardivement tandis que
Biot continuera à enseigner, appliquer et étendre les conceptions de
newton… tous deux opposeront, nous allons le voir, encore bien
des arguments à Fresnel.
en novembre 1819 donc, presque tous les effets lumineux peuvent
être expliqués par le principe de Fresnel s’appuyant sur l’hypothèse
que la lumière est une « vibration générale de l’éther31 » produite par
les oscillations régulières des molécules d’une source ; ces oscillations
dépendent des forces exercées dans la source ; elles engendrent dans

* le jury était composé de Biot, laplace, Gay-lussac, Poisson – tous newtoniens –


et arago.
** newton décrit déjà cette expérience dans l’Optique mais personne ne semble y
avoir prêté attention.

264
crise et mutation de l’optique

l’éther des mouvements vibratoires à la manière d’une boule heur-


tant d’autres boules au contact32 ; les vibrations sont donc normales
à l’onde, dans la direction du rayon : longitudinales ; elles ont des
longueurs variant (de 0,4 à 0,8 micromètre) selon l’intensité de la
force initiale. Cette conception ne laisse qu’un phénomène inexpli-
qué : la polarisation de la lumière.

La polarisation
huygens et newton n’avaient pu proposer d’explication acceptable
aux phénomènes de polarisation. si, à la suite de ses travaux, malus
avait imaginé un mécanisme rendant compte des faits, c’est bien
parce qu’il avait transcrit, dans le langage de la théorie, la symétrie
de l’expérience sans se soucier de la vraisemblance des hypothèses
qu’il formulait. Fresnel savait qu’il devait se préoccuper du problème
posé pour compléter une théorie encore imparfaite… et que beaucoup
de newtoniens l’attendaient maintenant sur ce terrain. avant même
que son mémoire sur la diffraction soit couronné par l’académie, il
décide donc, avec arago, de consacrer toute son activité à l’étude
de la polarisation. ensemble, ils refont les expériences de malus,
Biot et Brewster… et obtiennent les mêmes résultats : la lumière
polarisée ne possède plus les mêmes propriétés dans toutes les direc-
tions perpendiculaires aux rayons ; deux d’entre elles, à 90° l’une de
l’autre, situées dans le plan d’incidence et le plan de polarisation,
semblent bien particulières. C’est alors qu’arago a une idée : il pense
qu’il « serait curieux » de regarder comment deux rayons polarisés
interfèrent et notamment de mesurer si les franges habituelles sont
déplacées par la polarisation. l’expérience est réalisée, d’abord avec
deux ondes dont les plans de polarisation sont « du même sens »
(deux ondes ordinaires ou deux ondes extraordinaires) : il n’y a
aucune modification du système. arago et Fresnel essayent ensuite
de faire interférer deux ondes dont les polarisations sont « en sens
contraire » (fig. 99) : à leur grande surprise, ils ne parviennent plus
alors à obtenir la moindre frange, quelle que soit la différence de
marche introduite entre les ondes. deux ondes polarisées en sens
contraire ont perdu la propriété de pouvoir se composer… Cette
observation est nouvelle ; Fresnel et arago la publient mais ils ne

265
une histoire de la lumière

Figure 99

parviennent pas à en donner la moindre interprétation. ils écrivent


(mars 1819) : « 1. dans les mêmes circonstances où deux rayons de
lumière [naturelle] paraissent mutuellement se détruire, deux rayons
polarisés en sens contraire * n’exercent l’un sur l’autre aucune
action appréciable ; 2. les rayons de lumière polarisés dans un seul
sens agissent l’un sur l’autre comme des rayons naturels » et ils
concluent : « toutes ces lois se déduisent […] d’expériences directes
[…] les démonstrations que nous avons rapportées ont l’avantage
d’établir les mêmes lois, indépendamment de toute hypothèse33. »
ne pouvant donc avancer d’explication, les auteurs se réfugient dans
une position positiviste soulignant l’avantage de l’établissement des
lois sur la formulation d’hypothèse… Pourtant, en juillet 1818, dans
son mémoire sur la diffraction, alors qu’il énonce le principe de
composition des vibrations d’une onde, Fresnel avait écrit en note :
« il peut y avoir des ondes dérivées dans lesquelles la direction des
vitesses absolues imprimées aux molécules n’est pas perpendiculaire
à la surface des ondes **. en réfléchissant aux lois particulières de

* souligné dans le texte.


** donc longitudinales.

266
crise et mutation de l’optique

l’interférence des rayons polarisés, je me suis convaincu, depuis la


rédaction de ce mémoire, que les vibrations lumineuses s’exécutent
perpendiculairement aux rayons ou parallèlement à la surface
d’onde *. les raisonnements et les calculs contenus dans ce mémoire
s’accordent aussi bien avec cette nouvelle hypothèse qu’avec la
précédente, puisqu’ils sont indépendants de la direction réelle des
vibrations, et supposent seulement qu’elles s’exécutent dans le même
sens pour tous les rayons partis du même système d’ondes qui
concourent à la formation des franges34. » Cette note, très importante,
appelle deux commentaires. le premier concerne les interférences :
Fresnel calcule les compositions d’ondes sinusoïdales émises par la
même source ; la seule condition imposée pour qu’elles puissent se
renforcer ou s’annuler est que les vibrations soient parallèles entre
elles – peu importe donc qu’elles soient toutes longitudinales ou
toutes transversales. la seconde remarque est fondamentale pour la
compréhension de la polarisation : Fresnel affirme s’être convaincu,
à partir des expériences de la calcite, que les vibrations lumineuses
sont transversales ; cette hypothèse peut-elle donc expliquer la pola-
risation et l’absence de franges d’interférences lorsque deux ondes
polarisées à angle droit se superposent ? nous allons répondre à
cette question.
Considérons à nouveau l’expérience faite par huygens avec deux
cristaux de calcite (fig. 57) : dans le cas le plus général, il y a quatre
rayons qui émergent ; si on tourne l’un des morceaux de minéral,
les intensités varient, les rayons s’éteignent deux à deux, les positions
d’extinction sont à 90° l’une de l’autre. idéalisons cette expérience
en considérant des lames minces et un seul des quatre rayons
(fig. 100) ; en tournant la seconde lame autour de la direction du
rayon, l’intensité de celui-ci varie : elle passe par un maximum
(fig. 100 a), puis à 90° de la position précédente, par une extinction
(fig. 100 b), à nouveau par un maximum, à 180° du précédent
(fig. 100 c) enfin, à 270°, par une autre extinction (fig. 100 d).
essayons de rendre compte de ce phénomène en supposant que les
vibrations sont longitudinales, donc dirigées selon le rayon : celui-
ci représente la seule direction constante au cours de l’expérience ;
rien ne peut donc être modifié selon cette direction ; la polarisation

* elles sont donc transversales. C’est moi qui souligne.

267
une histoire de la lumière

ne s’explique pas. supposons maintenant des vibrations transversales


(fig. 101) ; la traversée de la première lame apporte une « disposi-
tion » particulière : formons la conjecture que cette disposition soit
de ne laisser passer qu’une seule des directions de vibrations trans-
versales qu’elle reçoit (V, fig. 101 a) ; dans ce cas, la seconde lame,
identique à la première, ne laisse passer, elle aussi, qu’une seule
direction de vibration transversale V’. au cours de la rotation de la
seconde lame, V’ prend toutes les directions perpendiculaires au
rayon ; elle vient donc, deux fois par tour, se superposer à V
(fig. 101 a et c) : la vibration transmise par la première lame l’est
aussi par la seconde, la lumière ne peut qu’avoir une intensité
maximale ; à 90° des positions précédentes (fig. 101 b et d), la
vibration que peut transmettre la deuxième lame est perpendiculaire
à celle qu’elle reçoit : aucune intensité lumineuse ne peut plus être
observée à la sortie du système ; entre ces positions d’extinctions
et de maxima, la seconde lame laisse passer la composante de la
vibration qu’elle reçoit sur la direction qu’elle peut transmettre :
l’intensité du rayon émergeant varie. nous venons de rendre compte
de la polarisation. les faits expérimentaux sont donc parfaitement
expliqués si nous formons à la fois les deux conjectures suivantes :
1. les vibrations lumineuses sont transversales ; 2. la polarisation
consiste en la disposition de ne laisser passer que les vibrations
situées dans une seule direction. Ces conclusions amènent à la
conception suivante : la « lumière naturelle » a ses vibrations situées
dans toutes les directions du plan d’onde tandis que la « lumière
polarisée rectilignement » vibre selon une seule direction de celui-ci.
C’est à cette explication complète, simple et élégante que pense
Fresnel lorsqu’il rédige le mémoire sur la diffraction de juillet 1818 :
nous en avons la preuve grâce à une note écrite peu avant cette
date, mais non publiée, où l’on peut lire : « si les oscillations des
molécules éthérées dans les ondes polarisées s’exécutaient perpen-
diculairement à la normale à l’onde et seulement dans le plan de
polarisation, il serait aisé de concevoir […] d’une manière très
satisfaisante, comment deux faisceaux lumineux polarisés à angles
droits ne s’influencent pas, puisqu’alors leur mouvement oscillatoire
serait toujours perpendiculaire entre eux35. » lorsqu’il écrit ces
lignes, Fresnel a donc trouvé l’explication rationnelle de la polari-
sation qui permet de résoudre les problèmes laissés en suspens. il

268
Figure 100

Figure 101
une histoire de la lumière

peut compléter la théorie ondulatoire… mais il ne le fait pas ! au


contraire, quelque temps plus tard, dans sa note avec arago de
mars 1819, il refuse de se livrer à toute hypothèse, à toute explica-
tion. Quelle difficulté s’oppose donc à l’adoption des vibrations
transversales ? la question est d’importance pour l’histoire de la
physique ; pour y répondre, nous allons essayer de reconstituer la
démarche de Fresnel.

Le problème de la transversalité des vibrations


nous avons déjà cité les conceptions initiales de Fresnel au
sujet de la lumière : l’onde lumineuse se propage dans un milieu
subtil qui emplit tout l’espace – l’éther –, mécaniquement analogue
à des sphères en contact. l’agitation des molécules de la source
lumineuse communique à ces « sphères » de petits ébranlements :
les vibrations sont longitudinales. le phénomène de polarisation
ne peut s’expliquer.
en 1816, Fresnel écrit : « J’ai cherché en vain à m’expliquer
comment cette […] disposition [acquise par deux ondes dont les
plans de polarisation sont perpendiculaires entre eux] empêchait la
formation des franges ; je n’ai pas encore pu y parvenir. il faudrait
pour cela savoir en quoi consiste cette singulière modification de la
lumière qui constitue sa polarisation. Peut-être une propriété aussi
remarquable des rayons polarisés conduira-t-elle à cette importante
découverte36. » le manuscrit porte en note : « Variante : deux sys-
tèmes d’ondulations dans lesquelles le mouvement progressif des
molécules du fluide serait modifié par un mouvement transversal de
va-et-vient, qui lui serait perpendiculaire et égal en intensité, pour-
raient n’exercer aucune action l’un sur l’autre […] mais j’ai essayé
inutilement jusqu’à présent de rendre raison des phénomènes avec
[cette] hypothèse [qui] m’a été indiquée par m. ampère36. » À cette
date (30 août 1816) ampère et Fresnel pensent donc à la possibilité
d’un mouvement transversal ; celui-ci ne pourrait qu’être associé au
« mouvement progressif » (longitudinal) des vibrations de l’éther ;
l’onde polarisée associerait donc à la fois vibrations longitudinales
et transversales. Comment serait créée la composante transversale
lors de la polarisation ? Comment pourrait-elle se propager ? Fresnel

270
crise et mutation de l’optique

Augustin Fresnel

ne sait répondre à ces questions : il ne publie pas la « variante » et


continue ses recherches.
Juillet 1818, Fresnel écrit dans son mémoire sur la diffraction la
fameuse note : il a résolu le problème. les vibrations sont trans-
versales. il ne reste qu’à répondre à une seule question : comment
se propagent-elles ?
mars 1819, mémoire sur la polarisation écrit avec arago : atti-
tude positiviste ; il n’y a plus d’explication avancée ; « les lois ont
l’avantage d’être énoncées indépendamment de toute hypothèse33 ».
le reste de la rédaction est peu précis : « les rayons polarisés
dans le même sens agissent sur la lumière, deux rayons polarisés
en sens contraires n’exercent aucune action appréciable33 » un
seul sens, sens contraires… la vibration serait-elle longitudinale et
orientée ?… ceci est insoutenable (une vibration ne peut avoir de

271
une histoire de la lumière

sens) et n’explique rien. À l’évidence Fresnel n’a pas su résoudre


le problème de la propagation des vibrations transversales et n’ose
plus énoncer son hypothèse.
Pendant trois ans encore, arago et Fresnel multiplient les expé-
riences, les diversifient, opèrent maintenant sur des lames minces
cristallines, enrichissent l’optique de nombreuses lois expérimentales,
précisent les propriétés qu’exercent les minéraux sur la lumière. ils
découvrent et décrivent la « polarisation chromatique », montrent
qu’elle varie avec la biréfringence et l’épaisseur des lames. Biot
explique cette polarisation en perfectionnant la théorie corpusculaire :
les corpuscules entreraient en vibration à l’entrée des lames cristal-
lines. les directions de ces vibrations seraient contenues dans le plan
perpendiculaire aux rayons. de beaux calculs analytiques permettent
à Biot de rendre compte de tous les phénomènes observés. arago et
Fresnel découvrent la polarisation rotatoire, que Biot explique par ses
corpuscules vibrants, dont la direction de vibration tournerait lors de
la traversée de la lame. Ces explications corpusculaires sont rejetées
par arago et Fresnel : quelles seraient les origines des forces faisant
vibrer ou tourner les corpuscules se demandent-ils. mais eux-mêmes
n’expliquent pas la polarisation, n’osent pas revenir sur l’hypothèse
de la transversalité des vibrations. un blocage énorme se manifeste.
en juin 1821, Fresnel écrit, répondant à Biot * qui vient de souligner,
agressivement, l’incapacité qu’a la théorie des ondes de résoudre le
problème : « la théorie des ondulations n’a pas encore rendu raison
[des expériences] ; ce qui n’est pas étonnant, puisqu’elle n’a pas
encore fourni de définition mécanique ** de la singulière modifica-
tion transversale des ondes lumineuses qui constitue la polarisation.
la théorie de l’émission n’a à cet égard aucun avantage sur celle
des ondulations, puisque la polarisation n’est pas mieux expliquée
dans ce système que dans l’autre37. » la nature du blocage apparaît
enfin : comment expliquer mécaniquement la propagation de vibra-
tions transversales ? de telles vibrations ne peuvent se transmettre,
nous l’avons vu, que dans un milieu analogue à une gelée visqueuse,
or l’éther est un fluide infiniment subtil ! devant l’importance de

* depuis la mort de malus, à l’âge de 36 ans, Biot est le grand spécialiste new-
tonien de la polarisation.
** C’est moi qui souligne.

272
crise et mutation de l’optique

l’objection, Fresnel revient à une conception antérieure et veut trouver


un mécanisme propre à expliquer la transformation d’une vibration
longitudinale en une vibration transversale au niveau du dispositif
polarisant. il échoue. les ondes lumineuses sont-elles donc à la fois
longitudinales et transversales ? en septembre 1821, il écrit : « Je
l’ai supposé longtemps, ayant beaucoup de peine à abandonner l’idée
qu’on se forme généralement de la constitution des ondes dans les
fluides élastiques ; mais, en y réfléchissant mieux, j’ai reconnu [que
cette supposition] nécessitait encore d’autres suppositions compliquées
et peu vraisemblables pour se concilier avec toutes les lois que nous
avons découvertes, m. arago et moi, […] et que ces lois s’expliquent
au contraire avec la plus grande simplicité […] quand on n’admet
que des oscillations transversales dans les ondes lumineuses38. »
le pas décisif est franchi : Fresnel n’arrive pas à s’expliquer la
polarisation autrement qu’en imaginant des vibrations transversales
donc il admet les vibrations transversales et va essayer de résoudre
la question de leur propagation en se penchant sur les propriétés
mécaniques et sur la structure que doit avoir un éther fluide mais
qui transmet de telles vibrations. une modification complète des
données du problème s’opère. arago se refuse dorénavant à suivre
Fresnel dans ce qu’il appelle des « acrobaties *39 ».

L’éther de Fresnel
Puisqu’il lui faut maintenant déterminer la nature d’un fluide
élastique d’un genre bien particulier et inconnu, Fresnel ne peut que
remettre en cause les principes mêmes sur lesquels repose la méca-
nique des fluides. il écrit : « les géomètres qui se sont occupés des
vibrations des fluides élastiques [les ont considérées comme] une

* les hésitations de Fresnel peuvent être attribuées à l’influence qu’exerçait sur


lui arago : déjà, le 12 janvier 1817, Young – qui correspondait régulièrement avec les
deux hommes – avait suggéré à arago que la polarisation pourrait peut-être s’expliquer
par des vibrations transversales associées à d’autres, longitudinales, plus importantes car
seules à pouvoir expliquer la propagation. arago s’était refusé à considérer cette hypo-
thèse dont les conséquences mécaniques et cosmologiques lui semblaient impossibles.
Fresnel n’exprima son idée qu’après s’être résolu à rompre scientifiquement avec son
collègue – qui resta jusqu’à sa mort opposé à l’hypothèse des vibrations transversales.

273
une histoire de la lumière

réunion de petits éléments […] susceptibles de se condenser ou de


se dilater et juxtaposés * ; tandis que, dans la nature, les fluides
élastiques sont composés sans doute de points matériels séparés par
des intervalles plus ou moins considérables relativement aux dimen-
sions des molécules40. » on le voit, pour justifier la nouvelle struc-
ture des fluides qu’il est obligé de postuler, Fresnel n’hésite pas à
écrire que les modèles jusqu’alors retenus sont les fruits de l’ima-
gination des géomètres, tandis que le sien va exprimer la vérité :
« dans la nature » les molécules seraient donc éloignées les unes des
autres, maintenues en équilibre par les forces de répulsion mutuelles,
alignées selon des droites parallèles et disposées de manière à alter-
ner régulièrement (fig. 102 a). si une des rangées est décalée dans
sa propre direction, toutes ses molécules tendent à revenir à leur
position de repos : elles oscillent comme des pendules (fig. 102 b).
en raison des forces répulsives, ce mouvement affecte les files voi-
sines (fig. 102 c) : une onde se propage transversalement à la direc-
tion des vibrations. Bien sûr, Fresnel reconnaît les imperfections de
son modèle : il a raisonné dans un plan et non dans l’espace… mais
il vient de « faire sentir ** la possibilité de pareilles vibrations dans
un fluide41 » et peut maintenant affirmer la transversalité des vibra-
tions lumineuses : ainsi complétée, la théorie des ondes rend compte
de tous les phénomènes de la lumière, la systématisation est complète,
les prévisions de la théorie toutes vérifiées (les « formules de Fresnel »
n’ont encore jamais été mises en défaut).
on se doute pourtant que les newtoniens (en particulier Biot, qui
explique les phénomènes de polarisation par des vibrations des cor-
puscules de lumière perpendiculairement aux rayons – sans préciser
l’origine des forces qui mettraient en mouvement les corpuscules à
l’entrée des lames) vont avoir du mal à admettre les extrapolations
un peu osées de l’ancien ingénieur des Ponts et Chaussées ***. Pas

* souligné dans le texte.


** C’est moi qui souligne.
*** après son congé de 1815, Fresnel devint « ingénieur du pavé de Paris » et réalisa,
à ce titre, l’éclairage du canal saint-martin. il fut aussi nommé secrétaire de la Commis-
sion des phares et réforma tous les systèmes optiques des phares des côtes françaises en
inventant de nouveaux systèmes de lentilles et de miroirs. les phares des automobiles
actuelles sont toujours conçus selon un modèle mis au point par Fresnel – qui mourut
en 1827, à l’âge de 39 ans.

274
crise et mutation de l’optique

Figure 102

seulement les newtoniens : c’est l’ensemble du monde scientifique qui


se dresse contre Fresnel, rejette l’hypothèse des vibrations transversales
comme « absurdité mécanique ». Poisson se saisit de l’occasion :
lui, le spécialiste de la mécanique des fluides, s’indigne ; la théorie
ondulatoire de la lumière lui paraît « inadmissible et mécaniquement
impossible » ; prenant l’analogie du son, il souligne que les vibra-
tions ne peuvent qu’être longitudinales. Fresnel lui répond : « [J’ai]
montré comment [des] petits déplacements de molécules qui oscillent
parallèlement à la surface des ondes peuvent se transmettre d’une
tranche à l’autre du fluide […] il me semble donc inutile de revenir
sur le sujet […] je vous répéterai seulement ici ce que j’ai déjà eu
l’honneur de vous dire plusieurs fois : c’est que les équations du
mouvement des fluides élastiques, dans lesquelles vous croyez devoir
trouver tous les genres de vibrations dont ils sont susceptibles, ne sont
au fond qu’une abstraction mathématique très éloignée de la réalité.
elles supposent des fluides composés de petits éléments contigus
et compressibles […] contiguïté qui n’existe pas. C’est donc à tort

275
une histoire de la lumière

que vous croyez pouvoir décider42. » la délicatesse semble absente


d’un débat où Poisson appelle fluide un milieu tel qu’un gaz ou un
liquide, tandis que Fresnel est beaucoup moins précis… il n’a pas
tort de jouer sur le sens des mots : un dernier problème se pose à
la théorie ondulatoire de la lumière…

L’aberration des étoiles


Fresnel avait commencé à s’intéresser au problème de la nature de
la lumière alors que, jeune ingénieur, il ne se passionnait que pour
ses « rêveries ». intuitivement choqué par la théorie corpusculaire, il
ne voulait admettre, comme seul argument en faveur de celle-ci, que
l’explication donnée de l’aberration des étoiles… peut-être, disait-il,
pourra-t-on un jour rendre compte de ce phénomène au moyen d’une
théorie ondulatoire ?… maintenant qu’il a imposé la conception des
ondes, peut-il répondre à sa question première ?
nous l’avons dit, l’aberration d’une étoile semble résulter exac-
tement de la composition du mouvement annuel de la terre et du
mouvement rectiligne de la lumière. Fresnel a démontré que la théorie
ondulatoire rend compte de la propagation rectiligne : quel problème
se pose donc ? les ondes se propagent dans l’éther, l’éther est un
fluide, ce fluide emplit l’espace, va de la terre jusqu’à l’étoile,
n’oppose aucune résistance mécanique au mouvement des astres :
tout ceci est nécessaire à la théorie. mais, pour qu’une perturbation
se propage en ligne droite de l’étoile jusqu’à la lunette d’observation,
il faut que l’éther soit immobile. si l’éther, sans opposer de résis-
tance au mouvement des astres, est légèrement entraîné par eux, ou
encore si des turbulences se produisent en son sein lors du passage
de la terre, cette mobilité doit entraîner un léger mouvement cur-
viligne de la perturbation lumineuse qui peut être décelé : il suffit
d’observer l’étoile au moyen d’une lunette munie d’un réticule très
sensible ; or aucun écart avec la propagation rectiligne n’a jamais
été observé… comment rendre compte de ce fait ? Fresnel écrit :
« Je n’ai pu, jusqu’à présent du moins, concevoir nettement ce
phénomène qu’en supposant que l’éther passe librement au travers
du globe […] quelque extraordinaire que paraisse cette hypothèse
au premier abord, elle n’est point en contradiction, ce me semble,

276
crise et mutation de l’optique

avec l’idée que les plus grands physiciens se sont faite de l’extrême
porosité des corps. on peut demander, à la vérité, comment, un
corps opaque très mince interceptant la lumière, il arrive qu’il s’éta-
blisse un courant d’éther * au travers de notre globe. sans prétendre
répondre complètement à l’objection, je ferai remarquer cependant
que ces deux sortes de mouvements sont d’une nature trop différente
pour qu’on puisse appliquer à l’un ce qu’on observe relativement à
l’autre. le mouvement lumineux n’est point un courant, mais une
vibration de l’éther […] l’opacité de la terre n’est donc pas une
raison suffisante pour nier l’existence d’un courant d’éther entre ses
molécules, et l’on peut la supposer assez poreuse pour qu’elle ne
communique à ce fluide qu’une très petite partie de son mouvement.
À l’aide de cette hypothèse, le phénomène de l’aberration est aussi
facile à concevoir dans la théorie des ondulations que dans celle de
l’émission43. » dernier succès donc pour une théorie qui nécessite
maintenant que l’éther soit immobile et passe librement au travers
des astres, qu’il existe donc un mouvement relatif entre l’astre et
l’éther : les physiciens auront à rechercher et à mesurer les effets
de ce « courant d’éther ».
la théorie ondulatoire de la lumière est maintenant complète mais
il faut la foi de Fresnel pour ne pas ressentir un certain malaise.
en paraphrasant la déclaration qu’il faisait lui-même jadis au sujet
de la théorie de l’émission, on peut dire qu’« il faut accumuler sur
l’éther un grand nombre de propriétés diverses, souvent très difficiles
à concilier entre elles » : l’éther existe, c’est un fluide extrêmement
subtil, qui s’insinue partout, qui passe librement au travers des astres,
qui ne leur oppose donc aucune résistance mécanique et qui transmet
les vibrations lumineuses comme le fait de la gelée visqueuse… il
va falloir se pencher sur cet étrange fluide dans lequel se propagent
les perturbations lumineuses… ou rejeter la théorie ondulatoire.
allons ! les newtoniens ne désespèrent pas : certes, comme Biot, ils
expliquent toute une classe de phénomènes avec d’autres indétermina-
tions, mais l’avenir lèvera à coup sûr les difficultés… ils continuent
donc d’enseigner la théorie de l’émission et estiment que seule une
« expérience cruciale » pourrait trancher entre les deux théories : si
la lumière est formée de corpuscules, elle doit se propager à une

* C’est moi qui souligne.

277
une histoire de la lumière

vitesse proportionnelle à l’indice de réfraction (plus vite donc dans le


verre que dans l’air) ; la vitesse doit être inversement proportionnelle
à l’indice si la lumière est de nature ondulatoire…
en 1849, à la suggestion d’arago, Foucault et Fizeau, d’abord
indépendamment l’un de l’autre, puis ensemble, réalisent l’expérience
cruciale : la vitesse de la lumière est inversement proportionnelle à
l’indice de réfraction ; la théorie corpusculaire doit, définitivement, être
abandonnée. le monde scientifique va admettre la théorie des ondu-
lations, mais Biot et Brewster la refusent : « pourquoi dieu aurait-il
créé un milieu aussi complexe que l’éther ? », écrit celui-ci. il reste,
en effet, à justifier ses surprenantes propriétés qu’implique la théorie
ondulatoire… de nombreux modèles de l’éther vont être élaborés :
Cauchy en rend compte en calculant que son coefficient de dilatation
doit être négatif (il devrait se dilater par compression) ; stokes, en
1845, remarque que la poix transmet des vibrations transversales
tout en étant parfaitement élastique et fait de l’éther un analogue
de la poix des cordonniers… il n’y a plus de problème en optique :
tous les faits sont expliqués au moyen de la théorie ondulatoire. la
seule difficulté qui se pose ne concerne pas cette discipline mais la
mécanique… et, puisque les disciplines scientifiques sont maintenant
étanches, la théorie de la lumière paraît complète… les astronomes
restent opposés à l’éther mais celui-ci est généralement admis, car
nécessaire en optique.
en raison du succès total qu’elle obtient, l’optique admet main-
tenant la théorie ondulatoire de la lumière qui devient la « théorie
classique » : la lumière est une perturbation créée par l’oscillation
des parties constitutives d’une source. Ce mouvement est commu-
niqué à l’éther, fluide infiniment subtil qui transmet des vibrations
transversales de longueurs d’ondes variant de 0,4 à 0,8 micromètre à
la vitesse approximative de 300 000 km/s. dans les milieux matériels
cette vitesse est inversement proportionnelle aux indices de réfraction.
tous les effets lumineux peuvent être expliqués par le seul principe
de Fresnel : « les vibrations d’une onde lumineuse dans chacun de
ses points sont égales à la somme de tous les mouvements élémen-
taires qu’y enverrait au même instant, en agissant isolément, chaque
petite partie de cette onde, considérée dans une quelconque de ses
positions antérieures44. » la polarisation est une disposition que prend
la lumière : l’élasticité des milieux sur lesquels elle arrive peut ne

278
crise et mutation de l’optique

permettre qu’à certaines vibrations transversales de se propager. la


théorie ondulatoire admet des équations de propagation continues
dans l’espace et dans le temps. elle laisse à la mécanique la tâche
de mettre au point un modèle de l’éther45.

4. La situation de la science
au milieu du xixe siècle
le problème de l’éther n’est pas le seul qui se pose à la physique
du début du xixe siècle : bien des découvertes, bien des conséquences
modifient radicalement les perspectives dans lesquelles évolue la
science. Pour les évoquer, revenons un peu en arrière.
nous avons tous observé qu’un corps « chaud » et un corps
« froid » mis au contact prennent, au bout d’un certain temps, la
même température. au xviiie siècle, cette subjectivité des sensations
de chaud et de froid était interprétée de plusieurs manières. Pour nol-
let, électricité, lumière et feu sont expliqués par l’action d’un même
fluide diversement modifié auquel sont sensibles nos organes des
sens. Pour d’autres, la chaleur est une substance qui peut s’écouler ;
d’autres encore en font un mouvement intestin et désordonné d’une
matière continue, ou alors le mouvement désordonné d’atomes…
dans la seconde moitié du siècle, Joseph Black (1728-1799) dis-
tingue nettement chaleur et température, met en évidence dans le
passage d’un corps chaud à un corps froid la conservation d’un terme
d’échange, la chaleur, définit pour chaque corps une chaleur spécifique
et introduit le concept de chaleur latente46. ses travaux renforcent
l’idée qu’il existe une matière de la chaleur, que lavoisier nomme le
calorique, dont les échanges sont mesurés par le calorimètre, inventé
par laplace et lavoisier en 1782. Comme on n’observe jamais de
différence de poids quand un corps est ou non chauffé, la physique
se dote alors d’un fluide impondérable. en 1822, Joseph Fourier
(1768-1830) compare le rayonnement de la chaleur à celui de la
lumière et publie sa Théorie analytique de la chaleur dans laquelle il
se refuse à appliquer les lois de la mécanique à la chaleur, préférant
analyser le passage irréversible de cette chaleur des parties les plus
chaudes aux plus froides par dissipation d’une molécule à une autre
extrêmement voisine : il obtient des équations de propagation liant

279
une histoire de la lumière

des grandeurs thermiques et géométriques mesurables. en 1824, dans


un travail passé d’abord inaperçu, sadi Carnot (1776-1832), publie
ses réflexions sur l’usage des machines à feu utilisées surtout en
angleterre : il y considère que la puissance motrice est produite par
une « chute de calorique * » entre deux sources, chaude et froide ;
imaginant une machine idéale, il en vient à démontrer que « le
rendement maximum d’une machine à feu est proportionnel à la
différence des températures entre les sources est qu’il est moindre
quand la température de la source chaude est plus élevée47 ».
C’est aussi à la remise en cause de la matérialité de la chaleur
que s’attaque Benjamin thompson, comte de rumford (1753-1814),
le second époux de marie-anne Paulze, veuve lavoisier. Celui-ci,
un ingénieur, observe les copeaux de métal détachés lors du forage
des gueules de canon, il fait la constatation courante que les copeaux
sont portés à des températures élevées mais, raisonne-t-il, la quan-
tité de chaleur produite par une même pièce est différente si on la
coupe en très fines lamelles ou seulement en quelques blocs ; la
quantité de calorique n’est donc pas une caractéristique du corps :
elle peut être produite de manière inépuisable par le frottement. deux
hommes : un médecin, Julius-robert mayer (1814-1878), puis un
brasseur, James Prescott Joule (1818-1889) vont, indépendamment
l’un de l’autre, approfondir ce problème. Pour mayer, la matière est
un concept fondamental. la chimie nous montre qu’elle est indes-
tructible, peut se transformer avec conservation des masses. Ce rôle
que tient la matière en chimie est joué par la force en physique :
les forces peuvent être diverses (chute, mouvement, chaleur, magné-
tisme, électricité…) mais elles sont toutes les manifestations d’une
« force élémentaire » qui demeure et se conserve dans toutes ses
transformations, occupe une position intermédiaire entre la matière
et l’esprit **. Chaleur et mouvement étant mesurés dans des systèmes
différents, il est important pour mayer de déterminer le facteur de
conversion permettant de passer de l’une à l’autre, ce qu’il parvient
à faire en considérant la dilatation des gaz.
Joule, quant à lui, fait, de 1842 à 1852, une série d’expériences
qui mettent en œuvre l’électricité, le magnétisme, la chaleur, l’affinité

* Carnot révèle ici l'analogie hydraulique qui sous-tend son travail.


** on voit ici l'influence que la Naturphilosophie exerce sur les travaux de mayer.

280
crise et mutation de l’optique

chimique, la puissance mécanique. Comme mayer il veut mettre en


évidence l’unité de ces phénomènes, manifestations d’une même
puissance naturelle qui reste quantitativement invariante. Chemin
faisant, il en vient à considérer que la chaleur peut être engendrée
par le mouvement et entreprend la mesure du rapport qui les lie : il
suspend des masses qui, en tombant, actionnent des ailettes au sein
d’une cuve isolée contenant de l’eau (fig. 103) ; celle-ci s’échauffe ; en

Figure 103

mesurant la quantité de chaleur produite et la perte d’énergie poten-


tielle des masses, Joule peut déterminer, de manière fort imprécise,
l’équivalent mécanique de la chaleur et lier entre elles toutes les
formes de la puissance naturelle : elles peuvent se convertir les unes
dans les autres dans un rapport bien défini48.
en allemagne, hermann von helmholtz (1821-1894) développe
des convictions dynamistes héritées de leibniz, Kant et de la Natur-
philosophie : pour lui, les forces sont comme les « causes ultimes
et immuables » des phénomènes, capables de rendre intelligible la
nature et d’en unifier la connaissance. la matière ne peut être définie
comme ayant une existence réelle, la force comme étant une idée
sans réalité : « il est certain que les idées de matière et de force
sont réellement inséparables » : toutes deux sont des abstractions de

281
une histoire de la lumière

la réalité49. en 1850, William thomson, le futur lord Kelvin, limite


la signification du mot « force » aux forces newtoniennes et adopte
le terme « énergie », dont, avec tait, il distinguera en 1862 deux
catégories : l’énergie potentielle et l’énergie cinétique, faisant alors
explicitement référence à l’usage aristotélicien de puissance et d’acte.
nous n’en sommes pas là : en 1850, rudolf Clausius (1822-1888)
publie un mémoire, « sur la puissance motrice de la chaleur »,
dans lequel il rectifie le travail de Carnot : celui-ci considérait que
lorsqu’une certaine quantité de chaleur passe d’un corps chaud à un
corps froid, il n’y a pas perte de chaleur50. Pour Clausius, il y a, au
contraire, consommation de chaleur. dans la production du travail,
il y a donc deux quantités de chaleur, transportée et consommée, qui
interviennent : il devient nécessaire de conceptualiser une nouvelle
grandeur en physique, qui reprenne la même valeur au terme d’un
cycle d’opérations. Clausius la définit comme étant la somme d’une
quantité de chaleur et d’un travail, nous la nommons énergie interne.
le principe de conservation de l’énergie de Clausius généralise
l’équivalence chaleur-travail de Joule51. alors que Carnot fondait son
principe de rendement maximum sur un axiome d’impossibilité du
mouvement perpétuel, Clausius le fonde sur un autre qui énonce que
la chaleur ne passe jamais spontanément d’un corps froid à un corps
chaud. Cet axiome reste l’un des énoncés du « second principe de
la thermodynamique ». en 1854, Clausius considère qu’une machine
thermique fonctionne réellement entre deux conditions extrêmes : la
première est donnée par le cycle réversible de Carnot, la seconde
est la conduction thermique irréversible dont le rendement est nul ;
la perte de rendement d’une machine est ainsi liée à l’irréversibilité
des processus. le premier principe est un principe de conservation,
le second un principe d’évolution. Clausius peut alors introduire une
grandeur, qu’il appelle entropie, du grec « transformation » : elle
mesure le degré de désordre d’un système *. en 1865, il applique
ces principes à l’univers : « l’énergie de l’univers est constante.
l’entropie de l’univers tend vers un maximum. » l’augmentation de

* Clausius écrit : « C'est à dessein que j'ai formé ce mot […] de manière à ce qu'il
se rapproche autant que possible du mot énergie parce que ces deux quantités ont une
analogie dans leur signification physique. » Voir r. locqueneux, Une histoire…, op.
cit., p. 147.

282
crise et mutation de l’optique

l’entropie de l’univers traduit son évolution inexorable vers sa mort


thermique, dans un chaos absolu. au monde de laplace, qui suppose
conservation et réversibilité, la construction de la thermodynamique,
dont nous venons de rappeler les grandes lignes, substitue évolution et
irréversibilité. À une physique basée sur l’atomisme et le discontinu
se substitue une physique basée sur l’évolution continue de grandeurs.
Cette situation nouvelle amène de nouveaux types de comporte-
ments chez les scientifiques : certains (en angleterre, en allemagne,
dans les milieux donc influencés par la Naturphilosophie et le roman-
tisme) espèrent maintenant que le concept d’énergie va jouer le rôle
unificateur auquel ne peut plus prétendre la mécanique tandis que, en
France surtout, d’autres scientifiques adoptent une attitude réservée
quant à la formulation d’hypothèses qui ne peuvent être directement
vérifiées par l’expérience. ils renforcent le courant positiviste et se
reconnaissent en auguste Comte (1798-1857) lorsque celui-ci établit
une classification rigoureuse des disciplines et définit une philoso-
phie de la science dont le but, dit-il, est de « savoir pour prévoir »,
d’appliquer, non de connaître (« la connaissance de la nature n’est
pas seulement inutile mais irréalisable52. »). Pour Comte, les travaux
de Fourier sont l’un des premiers exemples d’une science positive.
C’est dans ce contexte bien particulier que se développe maintenant
l’optique : le problème posé par l’éther y renforce la crise de toute
conception mécanique du monde, conception mise à mal également
par les importantes découvertes faites au xixe siècle en électricité et
en magnétisme. elles aussi vont venir modifier profondément les
conceptions concernant la nature physique de la lumière. Pour les
évoquer, nous devons effectuer un dernier retour en arrière.
Vii
Vers une nouvelle perspective
1. Électricité et magnétisme

d e tout temps, les hommes ont été intrigués par certains phé-
nomènes curieux : feux de saint-elme (lueurs que lancent
parfois les pointes des lances d’une troupe en marche, étincelles sur
les épées, feux à l’extrémité des mâts des bateaux ou le long des
filins), orages bien sûr… le cheval de tibère se constellait, dit-on,
d’étincelles lorsqu’on le frottait énergiquement. ne nous sommes-nous
jamais amusés à frotter violemment une règle de plastique contre la
manche d’un vêtement afin de pouvoir attirer de très petits morceaux
de papier ? Peut-être avons-nous même pu constater que l’autre
extrémité de la règle peut repousser d’autres papiers suspendus à
des fils ? Personne n’ignore que la boussole s’oriente naturellement
vers le nord ; l’usage de cet appareil, qui semble venir de Chine, se
répand en pays arabes et latins dés le xiie siècle… Ces phénomènes
avaient été étudiés dés l’antiquité. au xiiie siècle, Pierre de maricourt
écrit un traité sur l’aimant et imagine un moteur magnétomécanique1.
Vers 1600, J.B. Porta étudie les spectres de limaille de fer, tandis
que William Gilbert (1544-1603) effectue de nombreuses expériences
d’électricité et de magnétisme, publie dans son De magnete lois et
théories auxquelles vingt ans d’expérimentations l’ont conduit2. au
xviie, Kepler fait du magnétisme la force qui retient les planètes autour
du soleil, tandis que otto von Guericke (1602-1686) conçoit une
machine électrostatique qui fonctionne par frottements. elle sera le
premier générateur d’électricité, largement utilisé au xviiie siècle, où
nous avons dit combien les études sur l’électricité et le magnétisme

287
une histoire de la lumière

se développent. stephen Gray (1666-1736), un teinturier, constate


que certains corps (le laiton) conduisent l’électricité, d’autres (la soie)
l’arrêtent : ils seront nommés conducteurs (de l’effluve électrique)
et isolants. François dufay (1698-1739) explique tous les phéno-
mènes d’attraction et de répulsion entre les corps par l’existence de
deux espèces d’électricités, l’une résineuse, l’autre vitreuse, chacune
d’entre elles attirant l’autre mais repoussant sa semblable. l’abbé
nollet3 explique les phénomènes électriques qu’il met en évidence
par l’existence d’une matière rendant compte à la fois du feu, de la
lumière, de l’électricité : des tourbillons de cette matière se formeraient
autour du corps électrique, un courant y entrant (affluent), un autre
en sortant (effluent)4. Pieter van musschenbroeck (1692-1721), un
médecin d’amsterdam, voulant électriser de l’eau, reçoit une violente
décharge puis parvient à stocker l’électricité *5 : son appareil, perfec-
tionné, devient la « bouteille de leyde » ; on augmente la puissance
électrique qu’elle peut fournir en groupant plusieurs bouteilles en
batteries, qui permettent des expériences spectaculaires. Pour inter-
préter les expériences effectuées, Benjamin Franklin (1706-1790)
imagine qu’un fluide électrique est répandu dans tous les corps,
il serait constitué de particules qui se repoussent entre elles mais
sont attirées par les particules constitutives des corps. en excès, ce
fluide rend le corps positif, négatif dans le cas contraire. Franklin
ajoute que les pointes ont la propriété de tirer le fluide électrique
à de plus grandes distances que des corps émoussés, il utilise cette
propriété pour protéger les bâtiments de la foudre par des paraton-
nerres. henry Cavendish (1731-1810) nomme charge électrique la
quantité d’électricité que contient un corps, postule qu’un certain
conducteur peut emmagasiner une charge bien définie, qu’il appelle
sa capacité, démontre que les forces entre deux charges sont inver-
sement proportionnelles au carré de leur distance, comme l’est la
loi d’attraction universelle. À la fin des années 1770, on en revient
à la théorie des deux fluides impondéraux de dufay.

* il faisait arriver un fil de cuivre dans l’eau et reçut une violente décharge… il
hésita longtemps avant de renouveler l’expérience. le stockage réalisé, il devint à la
mode de se donner quelques frissons en s’électrisant volontairement ; on en vint à vendre
des « cannes à surprise » qui étaient de petites bouteilles de leyde… un physicien
voulut emmagasiner l’électricité de l’éclair… il fit aboutir le fil d’un paratonnerre dans
un laboratoire et vint expérimenter un jour d’orage. on retrouva son corps calciné5.

288
vers une nouvelle perspective

les phénomènes magnétiques présentent une certaine analogie avec


les effets de l’électricité : un aimant attire le fer comme la règle de
plastique le papier. on en vient donc à supposer qu’il existe aussi
deux fluides magnétiques – substances sans poids – qui possèdent
des signes différents. deux fluides de même signe se repoussent, ils
s’attirent s’ils sont de signe contraire. mais les aimants possèdent
une propriété curieuse : si nous les cassons en deux, nous obtenons
deux aimants ; si nous continuons de fractionner les morceaux obtenus
jusqu’à la limite d’observation, nous obtenons toujours des aimants
de plus en plus petits : il faut donc compléter la théorie et supposer
que le fer aimanté est constitué par l’association de petits éléments
indivisibles tous orientés de la même manière (les fluides qu’ils
contiennent sont concentrés aux extrémités) (fig. 104) ; le fer doux
serait formé par l’assemblage de ces petits éléments en positions
quelconques ; l’acte d’aimantation consisterait donc en une orientation
des « molécules » de fer.

Figure 104

mais que valent les forces électriques et magnétiques ? Voulant


vérifier à son tour qu’elles prennent place parmi les forces newto-
niennes, que leur action est donc immédiate et analogue à celle des
forces gravitationnelles, Coulomb invente une balance de torsion et
réussit à montrer qu’elles varient effectivement en fonction inverse
du carré de la distance. ses travaux semblent mettre en évidence
l’existence de deux fluides électriques – positif et négatif – qui, de

289
une histoire de la lumière

signes contraires s’attirent en ligne droite, se repoussent s’ils sont


de même signe. de même, pour les « masses magnétiques australes
et boréales », mais, malgré ces ressemblances, fluides électriques
et magnétiques sont très différents l’un de l’autre : l’électricité,
contrairement au magnétisme, s’écoule. en 1802, le programme de
Polytechnique précise : « le professeur démontrera que les phéno-
mènes électriques et magnétiques sont dus à deux fluides différents
qui agissent indépendamment l’un de l’autre6. » Pour Carl Friedrich
Gauss (1777-1855), les lois précises de Coulomb permettent de définir
rigoureusement les charges des corps : il donne à l’électricité et au
magnétisme son premier système d’unités. tous ces travaux confortent
en France la physique de newton-laplace, mais de nouveaux fluides
impondéraux ont dû être introduits.
la science électrique continue à évoluer au gré de ses recherches
ou de découvertes fortuites : en 1790, un médecin de Bologne,
Galvani, constate que deux métaux en contact reliés au nerf crural
d’une grenouille provoquent la contraction de la patte de celle-ci.
Polémiquant avec Galvani sur la signification de cette expérience,
qui semble contredire le principe de conservation de l’énergie, un
professeur de Pavie, Volta, finit par remarquer que certains métaux
ont un potentiel positif, d’autres un potentiel négatif, que leur asso-
ciation permet donc de fournir de l’électricité ; ses recherches empi-
riques lui montrent que les métaux les plus propices à l’expérience
sont le cuivre et le zinc. Volta a alors l’idée de tenter d’augmenter
la quantité d’électricité produite en empilant des rondelles de cuivre
et de zinc, disposées alternativement, et de mettre entre chaque
rondelle un morceau d’étoffe mouillée d’eau acidulée pour favoriser
le contact (fig. 105). en approchant l’un de l’autre les fils reliés à
chacune des extrémités (l’une en cuivre, l’autre en zinc), il obtient
à volonté de vives étincelles : le fluide électrique semble pouvoir
être produit perpétuellement. la première « pile » vient de faire son
apparition (1796). Volta présente sa réalisation à l’institut devant le
Premier consul * ; séduit, celui-ci lui donne la somme de 6 000 francs
et offre un prix à qui réalisera « la plus belle expérience à l’aide de
la pile de Volta » et un autre à « celui qui, par ses expériences et
ses découvertes ferait faire à l’électricité et au galvanisme un pas

* l’italie du nord est alors annexée à la France.

290
vers une nouvelle perspective

Figure 105

comparable à celui qu’ont fait faire à ces sciences Franklin et Volta ».


une émulation est créée, la qualité des « piles » est améliorée consi-
dérablement… mais l’ancienne théorie des fluides rencontre une
première difficulté sérieuse : comment peut-elle rendre compte du
« courant électrique perpétuel » créé ?
la situation va vraiment changer grâce à la Naturphilosophie
allemande : à la suite de Goethe, Kant et schelling, ce courant
suppose que la matière est continue, divisible à l’infini. l’espace est
rempli de forces attractives et répulsives qui se combattent, s’équi-
librent parfois. Partageant ces conceptions, le danois hans Christian
Ørsted (1777-1851) veut démontrer que combinaisons chimiques,
chaleur, lumière, électricité et magnétisme ont une cause commune :
deux forces répandues dans la nature qui, chacune, a tendance à
s’épancher dans l’espace mais est retenue par la contraire. Pour
le prouver, Ørsted réunit les deux pôles d’une pile par un fil de
fer : celui-ci fond en un globule qui, pour lui, a une forme s’expli-
quant par les forces contraires du « conflit électrique ». en 1819,
il met en évidence qu’un conducteur électrique dévie un barreau
aimanté dans une direction perpendiculaire à celle qu’auraient des
forces newtoniennes, autre effet, pense-t-il, du conflit agitant l’espace
intermédiaire. insistons : les forces de gravité s’exercent dans la

291
une histoire de la lumière

direction des corps en interaction ; les forces nouvelles que met en


évidence Ørsted sont perpendiculaires à la direction joignant ces
corps. une boussole placée sous un fil dans lequel passe un courant
électrique voit son aiguille dévier perpendiculairement à la direction
du fil (fig. 106). Ørsted montre aussi que la déviation dépend de

Figure 106

l’intensité du courant et qu’elle est égale mais de sens différent si


la boussole est placée, pour un même courant, à une même distance
au-dessus puis au-dessous du fil… nous pouvons facilement réaliser
ces expériences avec une ou plusieurs piles plates du commerce…
un courant électrique a donc un effet à distance sur un aimant ;
interpréter cet effet dans le cadre des théories existantes présente
deux difficultés : 1. l’action ne dépend plus seulement de la distance
mais aussi de l’intensité du courant… peut-être celle-ci joue-t-elle
le même rôle que la masse dans la gravitation ? 2. la déviation est
perpendiculaire au courant : une force agit donc dans cette direction,
alors que toutes les forces connues jusqu’à présent – gravitation
de newton, forces électriques de Coulomb – s’exercent selon la
droite qui relie les corps en interaction. Ørsted est heureux d’avoir
fait ces découvertes qui, pense-t-il, confirment les prédicats de la
Naturphilosophie et condamnent la physique newtonienne. il propose
d’expliquer cette difficulté en imaginant que les fluides électrique

292
vers une nouvelle perspective

et magnétique s’écoulent non seulement dans les conducteurs, mais


aussi autour du fil et de l’aimant et produisent en se rencontrant des
impulsions déviant l’aiguille de la boussole.
arago prend connaissance des observations et conclusions d’Ørs-
ted. il refait précisément toutes les expériences, en communique les
résultats à l’académie et insiste : malgré leur caractère surprenant,
il a pris le soin de tout vérifier et a obtenu les mêmes résultats
phénoménologiques. ampère assiste à la séance (11 septembre 1820)
et, poussé par arago, simplifie bientôt les données du problème : le
18 septembre il a déjà complété, systématisé et expliqué les expé-
riences d’Ørsted. il considère toujours deux fluides électriques, mais
les représente par un flux permanent unique d’un fluide, qu’il est
le premier à appeler courant électrique ; il met en évidence devant
l’académie l’action réciproque de deux fils parcourus par de tels
courants : ils s’attirent quand les courants qui les traversent sont de
même sens, se repoussent dans le cas contraire et les forces varient
de façon inverse au carré de la distance. il donne aussi une règle
qualitative permettant de prévoir le sens des déviations d’une aiguille
aimantée (le fameux « bonhomme d’ampère »). Ce faisant, il fonde
l’électrodynamique7. trois jours plus tard, arago constate qu’un
fil électrique parcouru par un courant attire la limaille de fer, que
celle-ci retombe si le courant est interrompu : les courants électriques
ont donc des actions magnétiques. ampère postule alors que les
molécules orientées d’un aimant sont des petits circuits électriques ;
cette hypothèse permet d’unir les deux domaines jusqu’alors séparés
et marque la naissance de l’électromagnétisme. ampère, lui aussi,
est persuadé que tous les phénomènes magnétiques se ramènent
à ceux de l’électricité mais il rejette les fluides magnétiques et
explique les remarquables symétries des actions du magnétisme et
de l’électricité en supposant qu’un aimant est formé par un grand
nombre de petits circuits électriques, moléculaires. Fin 1820, il
entend démontrer cette conjecture en montrant que des « hélices
en fil de laiton » (des solénoïdes) parcourus par des courants ont
les mêmes effets que des aimants. enfin, au terme d’une longue et
délicate recherche, il parvient à développer, en 1826, une première
théorie analytique décrivant l’action réciproque de deux éléments
infiniment petits de courants électriques. elle s’écarte du programme

293
une histoire de la lumière

laplacien en ce qu’elle suppose des interactions d’un type nouveau,


électrodynamiques.
si les actions à distance des courants sont maintenant parfaitement
décrites, il reste à expliquer la force perpendiculaire qui s’exerce sur
la boussole… michael Faraday, un autodidacte anglais, va totalement
renouveler la manière de poser le problème : alors que tous les
chercheurs s’efforcent de mettre en évidence les similitudes entre
gravitation et électromagnétisme en mesurant le nombre de centi-
mètres qui sépare un aimant d’un circuit, Faraday, qui n’est pas
imprégné de physique newtonienne, pense qu’il est essentiel de
décrire très précisément l’action des courants et des aimants dans
tout l’espace qui les entoure. manquant de formation mathématique,
il a l’idée de caractériser les forces qui s’exercent en tous points en
regardant tout simplement comment elles orientent les petits fragments
aciculaires de limaille de fer. nous connaissons très certainement
ces expériences et pouvons nous amuser à les reproduire : étalons
un peu de limaille de fer sur une feuille de papier bristol et plaçons
celle-ci sur un petit barreau aimanté. immédiatement, la limaille
s’oriente selon des lignes bien définies (fig. 107) que Faraday appelle
lignes de forces et qu’il va interpréter : 1. chaque petit morceau de
limaille prend la direction de la force qui s’exerce sur lui ; la tangente
à la courbe en un point quelconque de celle-ci a même direction
que le fragment de limaille placé en ce point ; elle donne donc la
direction de la force en ce point ; 2. les lignes sont plus serrées près
des pôles de l’aimant, là où les forces sont plus grandes ; la densité
des lignes permet donc de caractériser l’intensité des forces. À l’aide
d’un moyen très simple, Faraday vient de définir l’ensemble des
actions produites par un aimant. Ces lignes de forces ont une allure
qui ressemble aux sillons des labours que Faraday vient d’observer
lors d’une ascension en ballon : il appelle cet ensemble champ de
forces ou encore son champ magnétique.
nous pouvons de même caractériser le champ magnétique créé par
un courant : prenons un fil de cuivre, formons avec lui une boucle
passant par deux trous percés dans une feuille de papier bristol et
relions-le aux deux bornes d’une pile (fig. 108) ; la limaille s’oriente ;
nous pouvons caractériser l’ensemble des forces au moyen du spectre
obtenu. sous le fil, les forces sont perpendiculaires au plan de la
boucle. reproduisons l’expérience en enroulant maintenant le fil

294
vers une nouvelle perspective

Figure 107 Figure 108 Figure 109

conducteur sur lui-même de manière à obtenir une hélice (solénoïde)


dont l’enveloppe cylindrique ressemble à peu près au barreau aimanté ;
posons notre feuille de bristol sur le solénoïde et faisons passer le
courant : le spectre de limaille que nous obtenons (fig. 109) est tout
à fait comparable à celui produit par un aimant ; nous retrouvons
la correspondance déjà mise en évidence : le courant électrique et
l’aimant ont des champs magnétiques analogues. les résultats obte-
nus par Faraday sont importants : ils permettent de caractériser de
manière très simple l’ensemble des forces magnétiques qui s’exercent
dans l’espace au moyen d’un seul concept : celui de champ. décrire
celui-ci, c’est donc décrire l’ensemble du phénomène, en direction et
en intensité ; nous sommes loin d’une simple mesure donnant l’effet
d’une force en un point donné…
Faraday va faire bien d’autres constatations : en approchant un
fil parcouru par un courant électrique d’une simple boucle de cuivre
fermée, il s’aperçoit qu’un bref courant instantané parcourt celle-ci ; il
obtient le même résultat en approchant un barreau aimanté (fig. 110).
si l’aimant est maintenant éloigné de la boucle, un bref courant passe
à nouveau mais il est de sens contraire : chaque variation du champ
magnétique crée un courant électrique que Faraday qualifie d’induit.
Pour parvenir à la compréhension de ce nouveau phénomène nous allons
utiliser le concept de champ : nous savons qu’un courant électrique
crée un champ magnétique mais nous n’avons pas encore représenté
le courant au moyen de notre nouveau concept. lorsque nous attirons
des petits bouts de papier à l’aide de l’extrémité d’une règle frottée,

295
une histoire de la lumière

nous mettons en évidence l’action d’un champ électrique ; celui-ci


peut être caractérisé de manière plus précise en considérant l’action
d’une petite sphère chargée : elle attire les petits bouts de papier en
lignes droites dans toutes les directions ; son champ électrique peut
donc être décrit par un ensemble de lignes de forces rectilignes qui
convergent vers la charge * (fig. 111). si maintenant nous supposons
que la charge est mobile, le champ électrique varie ; mais une charge
en mouvement, c’est un courant électrique. un courant électrique,
c’est donc un champ électrique qui varie. Puisque nous savons qu’un
courant électrique crée un champ magnétique, nous pouvons dire que
la variation d’un champ électrique est toujours accompagnée d’un
champ magnétique. Que viennent de mettre en évidence les expériences
de Faraday lorsqu’il approche un aimant d’une boucle de cuivre ?
que la variation d’un champ magnétique est toujours accompagnée
d’un champ électrique. Voilà exprimée une belle symétrie à partir de
laquelle l’électromagnétisme va pouvoir se développer…

Figure 110 Figure 111

nous allons tenter d’interpréter une expérience courante à l’aide


des notions que nous venons d’introduire : nous avons déjà, bien sûr,
remarqué qu’en éteignant la lumière, une étincelle se produit dans
l’interrupteur. Que se passe-t-il alors ? en coupant le courant, nous
faisons varier le champ électrique ; la variation de champ électrique
s’accompagne d’un champ magnétique ; l’apparition de ce champ
magnétique engendre un courant induit, très bref, qui passe dans

* la gravitation exerce une action analogue entre les masses : le champ gravita-
tionnel a donc la même structure.

296
vers une nouvelle perspective

l’interrupteur ; puisque le circuit de celui-ci est maintenant ouvert,


une étincelle se produit. le concept de champ est très fécond… nous
pouvons cependant approfondir l’interprétation de l’expérience : une
étincelle représente de l’énergie qui se dissipe ; les champs électrique
et magnétique peuvent donc être considérés sous l’angle de la loi
de la conservation de l’énergie.
À l’évidence, la structure des champs, les lignes de forces, tous
les travaux de Faraday ne peuvent pas s’interpréter par les concepts
habituels de la mécanique newtonienne : celle-ci mise une nouvelle
fois en défaut, il faut trouver un autre type d’explications… Faraday
se penche sur le problème : les mouvements de petits fragments de
limaille étalés sur une feuille de carton qu’il déplace à peu de distance
d’un aimant stimulent son imagination. il essaie de rendre compte de
ces faits en supposant que l’espace n’est pas vide mais empli d’une
matière invisible ayant une structure fibreuse, ressemblant un peu à
une pieuvre qui aurait un nombre infini de tentacules. Ces tentacules,
les « tubes de forces », pourraient être attirés ou repoussés par les
sources électrique et magnétique. Quand aucune modification n’a
lieu dans les sources, les tensions s’équilibrent, les tubes prennent
une configuration stable. lorsque au contraire une source est en
mouvement, la distribution des tubes se modifie.
Ce modèle fut mal reçu par le milieu scientifique : s’il permettait
d’interpréter les phénomènes électromagnétiques de manière très
simple, il parut beaucoup trop naïf aux physiciens pour qu’ils lui
prêtent attention. le grand astronome du roi d’angleterre, airy,
écrira quelque temps après : « on a peine à concevoir que quelqu’un,
connaissant la concordance remarquable du calcul et de l’observa-
tion dans l’hypothèse d’une action à distance, puisse balancer un
instant entre cette action si simple et si précise, et la notion vague
et changeante de ligne de force6. » Pourtant, en proposant son
modèle, certes naïf, Faraday apporte deux modifications essentielles
par rapport à la physique newtonienne, ce que va souligner James
Clerk maxwell : 1. il fait ressortir l’influence déterminante du milieu
dans lequel se produisent les phénomènes (il se place en cela dans
la continuation de Young – qu’il admire beaucoup) ; 2. il rejette la
notion d’action immédiate à distance qui sous-tend à cette époque
les calculs des forces de gravitation : puisque le milieu se déforme
sous l’influence des courants, il n’atteint son équilibre qu’au bout

297
une histoire de la lumière

d’un certain temps : le champ se propage. Ces apports, qui renouent


quelque peu avec la tradition cartésienne, vont être déterminants.
Vers 1850, la situation qui se présente à Faraday – mais que ne
reconnaît pas la physique – est donc la suivante :
– l’électromagnétisme pose une énigme mais tous ses résultats
pourraient s’interpréter en renonçant à la notion d’action instantanée
à distance et en imaginant des tubes de forces emplissant l’espace,
dont la structure serait donc fibreuse ;
– l’optique pose une autre énigme mais tous ses résultats peuvent
s’interpréter au moyen de la théorie ondulatoire de la lumière et de
vibrations transversales. le support mécanique permettant la propa-
gation des ondes serait un éther infiniment fluide, passant au travers
du globe mais possédant la consistance de la gelée visqueuse.
on voit à quelles propriétés surprenantes de l’espace pourrait
conduire la comparaison des deux disciplines… cette comparaison
va être l’œuvre de James Clerk maxwell.

2. Le modèle mécanique de Maxwell


Fils d’une famille de petite noblesse terrienne écossaise dans
laquelle l’indépendance financière s’était toujours accompagnée de
l’indépendance de pensée et d’action, maxwell, sous l’influence de
son père, s’initie très jeune à l’essentiel de la culture scientifique
industrielle de l’époque, visite des usines, se passionne pour les sché-
mas mécaniques, acquiert aussi une aisance mathématique et géomé-
trique exceptionnelle… lui que ses camarades d’études surnomment
« dafty » – le cinglé – en raison de son accent campagnard, de ses
vêtements bizarres et de son comportement, lit newton et Young,
s’amuse à reproduire les expériences de polarisation, les franges
d’interférences des lames minces6… adulte, une de ses premières
communications a trait à la perception des couleurs : il démontre
que toutes les nuances peuvent s’obtenir à partir du mélange de bleu,
de vert et de rouge – les « fondamentales » – et que le daltonisme
résulte de la mauvaise perception d’une ou deux de ces couleurs *.

* helmholtz parvient, indépendamment de maxwell, aux mêmes résultats à la même


époque mais avec des méthodes plus élégantes.

298
vers une nouvelle perspective

Ces conclusions, énoncées dans un pays où l’étude des couleurs est à


la mode, rendent célèbre le jeune homme dont le nom est désormais
associé à ceux de newton et Young.
mais maxwell a l’habitude de travailler sur plusieurs sujets à la
fois : la même année (1855), il dépose un autre article intitulé « sur
les lignes de forces de Faraday » qui commence ainsi : « l’état
actuel de la science de l’électricité ne semble pas particulièrement
favorable à la spéculation. les règles de la distribution de l’électricité
à la surface des conducteurs sont bien déduites analytiquement de
l’expérience ; si des théories mathématiques partielles du magnétisme
ont été établies, certaines expériences ne sont pas interprétées ; la
théorie […] de l’attraction des conducteurs a été décrite mathéma-
tiquement, mais elle n’a pas été reliée avec les autres parties de la
science […] nulle théorie générale ne permet de relier entre eux les
phénomènes8. » Comme Faraday, maxwell dresse donc le constat
d’échec de l’électromagnétisme. il continue : « Pour parvenir à cette
interprétation générale, il faut d’abord se familiariser avec une énorme
masse de connaissances […] aussi vaut-il mieux trouver le moyen
d’éclaircir et de simplifier les notions de base de chaque branche
afin d’aboutir à une unification générale. adopter pour ce faire une
méthode mathématique serait perdre de vue le phénomène à expliquer
et, même si nous parvenons à prévoir les conséquences des lois,
nous n’élèverons pas notre compréhension ; adopter une méthode
physique, c’est ne voir les phénomènes qu’à travers un écran et de
manière partielle […] il faut donc adopter une méthode qui permette
à l’esprit de s’appuyer sur les concepts physiques – sans pour cela se
lier à une théorie – […] pour développer une analyse mathématique
qui ne s’égare pas dans de vaines subtilités ou se laisse entraîner
au-delà des faits par des hypothèses séduisantes.
« Pour pouvoir nous appuyer sur les concepts physiques sans
nous enfermer dans une théorie, nous devons nous familiariser avec
l’existence d’analogies physiques *, c’est-à-dire des ressemblances
partielles entre les lois d’une discipline et celles d’une autre, de
manière à ce que l’une permette d’éclairer l’autre8. » Ce long pas-
sage exprime toute la méthode que va adopter maxwell : il ne veut
fonder son étude ni sur l’analyse mathématique seule qui risque de

* souligné dans le texte.

299
une histoire de la lumière

l’écarter du sujet, ni sur une théorie physique qui peut donner des
idées fausses, mais sur une analyse s’appuyant sur des analogies.
Qu’appelle-t-il analogies ? Pour illustrer son propos, il prend l’exemple
de la lumière et souligne que l’on peut décrire parfaitement le che-
min des rayons lumineux en prenant l’analogie d’une particule qui
se déplace en lignes droites, mais qu’il ne faut pas croire que la
lumière est réellement formée de corpuscules parce que cette iden-
tification ne nous permettrait pas de rendre compte des vitesses ; de
même, on peut décrire les interférences et la polarisation en prenant
l’analogie d’ondes transversales, mais il ne faut pas déduire que la
lumière est réellement formée d’ondes transversales, ce qui entraînerait
d’autres incompréhensions : corpuscules et ondes transversales sont
des analogies physiques utiles sur lesquelles l’esprit peut s’appuyer
pour développer une analyse mathématique qui puisse rendre compte
d’une certaine classe de phénomènes. ainsi, les représentations phy-
siques perdent le statut de vérité. maxwell ne prétend pas décrire
par un mécanisme le monde tel qu’il est mais veut se servir d’un
mécanisme qui rende compte des faits pour développer dans des
limites strictes une analyse mathématique. il libère son esprit de
la réduction qu’imposent les modèles, il rompt avec la tradition de
vouloir décrire le monde en termes de mécanique. tout de suite, il
va donner un exemple d’application de sa méthode en étudiant les
phénomènes électromagnétiques. Puisque les représentations concrètes
ne sont que de simples analogies, maxwell peut bien reprendre les
images de Faraday mais celles-ci, si elles ont l’intérêt de décrire
la structure du champ, ne permettent pas de fonder une analyse
mathématique : comment calculer les positions des tentacules de la
pieuvre ? maxwell va donc essayer de mettre au point un modèle
mécanique qui puisse à la fois rendre compte des faits observés et
se décrire mathématiquement. il lui faudra six années pour résoudre
le problème *. il imagine alors que le champ électromagnétique
résulte de tensions et de pressions qui s’exercent sur un fluide. les
tensions s’exerceraient selon les lignes de forces, les pressions dans

* Pendant ce laps de temps, il a eu une activité variée et a notamment résolu le


problème de l’anneau de saturne qu’il a montré être constitué d’une infinité de particules
solides en attraction. Ces travaux vont être à l’origine du développement de la théorie
cinétique des gaz…

300
vers une nouvelle perspective

le plan axial. la manière la plus simple de décrire des pressions


perpendiculaires à une direction, c’est de supposer qu’elles résultent
de « forces centrifuges produites par des tourbillons ou des remous
dont les axes sont parallèles aux directions des lignes de forces9 »
(fig. 112). la première étape de l’analogie est donc de supposer que
l’espace est empli de tels tourbillons (très différents – nous le ver-
rons – de ceux de descartes). dans une région de l’espace où tous
les axes des tourbillons sont parallèles, les rotations se font toutes
dans le même sens, les pressions sont homogènes et produisent les
lignes de forces parallèles entre elles : c’est bien ce que l’on observe.
Quand l’orientation des axes varie, les vitesses de rotation, donc les
pressions, varient aussi : le fluide subit des contraintes non homo-
gènes, les lignes de forces dévient. mais maxwell remarque : « J’ai
éprouvé les plus grandes difficultés à me représenter l’existence de
tourbillons contigus animés de mouvements de rotation identiques
autour d’axes parallèles […] la seule idée qui m’ait servi […] c’est
de m’être représenté ces tourbillons comme séparés de couches de
particules animées chacune sur son axe d’un mouvement de rotation
en sens contraire des mouvements tourbillonnaires […] parce que,
en mécanique, quand on veut que deux roues tournent dans le même
sens, on interpose entre elles un pignon10 » (fig. 113).

Figure 112 Figure 113

ainsi maxwell suppose que dans un même plan perpendiculaire


aux lignes de forces, tous les tourbillons sont séparés par des couches
de particules qui jouent le rôle de pignons… « chaque tourbillon
peut ainsi entraîner son voisin dans un mouvement de rotation de
même sens que le sien ». la figure 114 nous montre cette

301
une histoire de la lumière

Figure 114

représentation : les lignes de forces sont perpendiculaires au plan de


la figure, les tourbillons sont représentés par des hexagones, les
pignons par des particules rondes qui tournent à la circonférence des
tourbillons et dont les déplacements rendent compte précisément du
courant électrique ! mais le modèle n’est pas complet : il ne décrit
ici qu’un seul plan alors que le champ électromagnétique règne dans
tout l’espace ; pour le parfaire maxwell pense à un procédé méca-
nique de roues et de pignons, celui de siemens, qui permet de
communiquer un mouvement d’un plan à l’autre : il suffit d’imagi-
ner que les pignons peuvent – en plus de leur rotation autour des
tourbillons – se translater parallèlement à l’axe de rotation (fig. 115) ;
ainsi, de proche en proche, le mouvement se communique-t-il à tous
les tourbillons appartenant à des plans différents. Ce système – certes
complexe – permet de rendre compte de tous les phénomènes élec-
tromagnétiques (rappelons-nous que les tourbillons représentent le
champ magnétique et les pignons le courant électrique) : en régime
de rotation constant, les vitesses sont constantes, les lignes de forces
parfaitement déterminées. si maintenant on suppose une modification

302
vers une nouvelle perspective

de vitesse des pignons, ceux-ci entraînant les tourbillons, tout le


système se modifie : « la variation du champ électrique est toujours
accompagnée d’un champ magnétique ». si au contraire on modifie
la rotation d’un des tourbillons, cette perturbation gagne, de proche
en proche, tout le système : « la variation du champ magnétique est
toujours accompagnée d’un courant électrique ». nous connaissions
ces conclusions mais nous savons maintenant que le modèle en rend
compte et cette « analogie » permet d’aller beaucoup plus loin : elle
met en évidence que l’électromagnétisme peut être expliqué par une
perturbation qui se propage, c’est-à-dire par une onde. maxwell vient
de faire faire un grand pas à la physique en montrant que « toute
modification dans l’équilibre des forces électriques ou magnétiques
déclenche un train d’ondes qui se répand à travers l’espace11 ».
s’appuyant donc sur son modèle, maxwell peut écrire : « les phé-
nomènes électromagnétiques sont dus à l’existence de matière répon-
dant à certaines conditions de mouvement ou de pression à travers
tout l’espace du champ magnétique, et non à une action directe à
distance entre les aimants et les courants. la substance qui est le
siège de ces effets peut être une certaine partie de la matière ordi-
naire, ou un éther étroitement associé à cette matière10. » il tire donc
trois conséquences importantes : la première, que nous venons d’évo-
quer, est que l’électromagnétisme consiste en la propagation d’une
onde et non en une action instantanée ; la deuxième est que cette
propagation dépend des caractéristiques du milieu traversé ; la troi-
sième est que l’introduction d’un éther est indispensable. maxwell

Figure 115

303
une histoire de la lumière

est en tout point en accord avec Faraday contre l’interprétation


newtonienne de l’électromagnétisme… mais s’attire l’opposition de
tous les scientifiques qui, s’ils reconnaissent la qualité de ses travaux
concernant les couleurs ou l’anneau de saturne, trouvent qu’il est
vraiment « cinglé » par moments – comme disaient ses camarades
de classe !

3. La théorie électromagnétique
les objections de ses confrères ne découragent pas maxwell qui
entreprend maintenant l’analyse mathématique de son « analogie ».
il remarque tout d’abord : « l’effet des tourbillons est proportionnel
[…] à leur vitesse tangentielle. il est indépendant de leur diamètre
[…] cette vitesse doit être énorme pour avoir des effets aussi impor-
tants dans un milieu (l’éther) aussi rare […] le diamètre des tourbil-
lons, indéterminé, est très certainement beaucoup plus petit que le
diamètre des molécules de la matière10 » : chacun d’eux peut donc
facilement être assimilé à un point ; leurs grandeurs et leurs formes
disparaissent, de même que celles des pignons. en idéalisant de la
sorte, maxwell peut caractériser l’effet du champ électrique et du
champ magnétique en un point ; en passant de celui-ci à son voisin
puis à tout l’espace, il rend compte de l’évolution du champ électro-
magnétique, c’est-à-dire de sa propagation : celle-ci est entièrement
décrite quantitativement, en fonction des caractéristiques du milieu,
par quatre équations devenues célèbres sous le nom d’équations de
Maxwell. les caractéristiques du milieu avaient été mesurées par
Weber et Kohlrausch ; maxwell peut donc calculer la vitesse de
propagation de la perturbation électromagnétique. la valeur qu’il
trouve est… approximativement 300 000 km/s : la vitesse de la
lumière que vient de mesurer Fizeau !
mais les équations de maxwell permettent d’aller plus loin dans
cette comparaison : Faraday a montré que la variation d’un champ
magnétique entraîne l’existence d’un courant induit pouvant être mis
en évidence grâce à un circuit perpendiculaire aux lignes de forces
(fig. 116). de même, un courant électrique entraîne une variation de
champ magnétique qui s’enroule autour du courant (fig. 108) et se
situe donc perpendiculairement au plan de la boucle, sous celle-ci.

304
vers une nouvelle perspective

réduisons par la pensée le circuit à un point : les variations du


champ magnétique entraînent des variations du champ électrique en
ce point et réciproquement ; celles-ci se propagent de proche en
proche : une onde électromagnétique parcourt l’espace ; elle est
associée à des vibrations appelées aujourd’hui vecteur champ élec-
trique et vecteur champ magnétique ; comme nous venons de le voir,
ceux-ci sont perpendiculaires entre eux et perpendiculaires à la
direction de propagation. l’onde électromagnétique est donc associée
à des vibrations transversales… comme la lumière (fig. 117) ! si
nous reprenons le modèle mécanique, nous obtenons le même résul-
tat : la propagation de l’onde électromagnétique se fait perpendicu-
lairement au plan des « tourbillons ».
devant ces ressemblances, maxwell écrit : « l’élasticité du milieu
magnétique dans l’air est la même que celle du milieu porteur de
la lumière, si toutefois ces deux milieux coexistants, coextensifs, et
pareillement élastiques ne sont pas un seul et même milieu12. » Cette
identité est en effet si frappante « qu’il nous est difficile de ne pas

Figure 116 Figure 117

305
une histoire de la lumière

conclure que la lumière est constituée par des ondes transversales


traversant le même milieu qui produit les phénomènes électriques
et magnétiques12 ».
un nouveau pas est franchi : maxwell est conduit à postuler
qu’un même milieu permet à la fois la propagation des ondes élec-
tromagnétiques et des ondes lumineuses.
mais il va aller encore plus loin : dans un mémoire publié en
décembre 186413 puis dans un traité d’électricité et de magnétisme14,
il compare les effets d’une onde électromagnétique et ceux de la
lumière. le raisonnement qui a amené maxwell à faire cette com-
paraison mérite d’être cité :
« en plusieurs [occasions], on a tenté d’expliquer les phénomènes
électromagnétiques par une action mécanique transmise d’un corps
à un autre par l’intermédiaire d’un milieu qui remplirait l’espace
compris entre les corps. la théorie ondulatoire de la lumière suppose
aussi l’existence d’un milieu. nous avons maintenant à montrer que
le milieu électromagnétique a des propriétés identiques à celles du
milieu où se propage la lumière.

James Clerk Maxwell

306
vers une nouvelle perspective

« remplir l’espace d’un nouveau milieu toutes les fois que l’on
doit expliquer un nouveau phénomène ne serait point un procédé
bien philosophique ; au contraire, si, étant arrivés indépendamment
par l’étude de deux branches différentes de la science à l’hypothèse
d’un milieu, les propriétés qu’il faut attribuer à ce milieu pour rendre
compte des phénomènes électromagnétiques se trouvent être de la
même nature que celles que nous devons attribuer à l’éther lumineux
pour expliquer les phénomènes de la lumière, nos raisons de croire
à l’existence physique d’un pareil milieu se trouveront sérieusement
confirmées.
« mais les propriétés des corps sont susceptibles de mesures
quantitatives. nous obtenons ainsi la valeur numérique de certaines
propriétés du milieu, par exemple de la vitesse avec laquelle s’y
propage une perturbation, vitesse que nous pouvons calculer d’après
les expériences électromagnétiques et que nous pouvons observer
directement dans le cas de la lumière. si l’on trouve que la vitesse
de propagation des perturbations électromagnétiques est la même que
la vitesse de la lumière, et cela, non seulement dans l’air, mais dans
tous les autres milieux transparents, nous aurons de fortes raisons
de croire que la lumière est un phénomène électromagnétique, et,
par la combinaison des preuves optiques et électriques, nous nous
convaincrons de la réalité de ce milieu, absolument comme, dans le
cas des autres espèces de matière, nous nous convainquons par le
témoignage combiné des sens15. »
et maxwell applique ses équations de propagation d’une onde
électromagnétique aux milieux conducteurs, non conducteurs, opaques,
transparents… tous les effets qu’il déduit s’accordent à ceux de la
lumière ; tous les phénomènes lumineux peuvent être expliqués à
partir de l’onde électromagnétique : la lumière est une onde élec-
tromagnétique.
tous les résultats, toutes les interprétations proposées par Fresnel
peuvent encore être retenus : maxwell y ajoute maintenant la nature
de l’« onde transversale » qu’est la lumière. il n’est plus besoin de
chercher à définir la rigidité de l’éther mais seulement d’admettre
que celui-ci est un milieu apte à transmettre les perturbations élec-
tromagnétiques. le pas définitif est franchi : deux disciplines tota-
lement différentes viennent d’être liées ensemble ; une unification
considérable en résulte.

307
une histoire de la lumière

4. Les conséquences de la théorie de Maxwell


les publications de 1864 et de 1873 dans lesquelles maxwell
expose la théorie électromagnétique de la lumière se présentent
sous la forme d’un raisonnement uniquement mathématique. il n’y
a plus la moindre référence au modèle mécanique qui avait servi
de point de départ. une fois « l’analogie » conçue et décrite, une
fois son caractère opératoire vérifié, elle n’avait plus été qu’un
guide permettant à l’analyse de se développer « sans s’égarer dans
de vaines subtilités ». les résultats obtenus, maxwell n’avait plus
besoin de faire état des images qu’il avait conçues au cours de
son raisonnement ; il savait qu’elles ne représentaient rien, qu’elles
n’avaient été qu’un accessoire utile, un moyen pour concentrer son
attention ; jeune, il employait déjà de tels artifices : il copiait, pour
les apprendre, ses leçons sur un dessin représentant la fenêtre de la
salle de classe ainsi, lorsqu’il était interrogé, n’avait-il qu’à regarder
la croisée… il voyait la leçon s’y inscrire16.
en ne gardant ainsi que les expressions mathématiques décrivant
la propagation d’un champ, maxwell dégage la physique de toutes
les interprétations antérieures. une rupture définitive se produit :
le modèle n’est plus qu’une analogie utile pour guider la pensée
au lieu d’être conçu comme description de la réalité. de même,
maxwell ne cherche plus à « expliquer les choses mécaniquement »
– comme voulaient le faire descartes et newton (sauf, chez ce der-
nier, en ce qui concerne la gravité) – mais il donne des relations qui
expriment le champ en un lieu et à un temps donnés puis au lieu
et au temps immédiatement voisins. il n’y a plus besoin d’acteur
matériel, simplement un support : le phénomène est entièrement
décrit par des équations qui expriment le comportement continu de
l’onde à l’échelle macroscopique. le milieu intervient non plus par
ses propriétés mécaniques mais par ses caractéristiques électriques
et magnétiques. Certes, maxwell sait que celles-ci dépendent de la
nature des parties constitutives des corps, mais il ne veut énoncer
aucune hypothèse quant à celle-ci et limite son propos au seul aspect
phénoménologique. C’est la même démarche qu’il adopte au sujet de
l’éther : dans un article écrit à la fin de sa vie pour l’Encyclopedia
Britannica17, il justifie longuement l’existence de ce milieu et donne

308
vers une nouvelle perspective

toutes les « preuves » qui nécessitent son introduction mais il ne veut


faire aucune hypothèse quant à sa nature : il note simplement qu’il est
très certainement constitué de molécules et ressemble peut-être à un
gaz, qu’il est homogène à l’échelle macroscopique, très certainement
non homogène à l’échelle des molécules. maxwell n’aborde pas non
plus le problème du déplacement relatif de la terre par rapport à
l’éther mais sait que les physiciens devront mettre en évidence le
« courant d’éther » que nécessite la théorie électromagnétique.
telle qu’elle est, macroscopique et phénoménologique, la théorie
de maxwell participe à l’ouverture d’une nouvelle perspective pour
la physique ; elle apporte une unification considérable. elle s’intègre
aussi dans une nouvelle conception qui avait émergé avec les succès
de la théorie ondulatoire de la lumière, avait accompagné les déve-
loppements de la Naturphilosophie, s’était affirmée avec la réflexion
sur la chaleur et la naissance de la thermodynamique : la physique
du continu supplante alors la physique des milieux discontinus,
qui avait été marquée par les conceptions moléculaires de newton
et de laplace. les physiciens de la seconde moitié du xixe siècle
sont confrontés à l’irréversibilité de certains phénomènes (en ther-
modynamique), sont amenés à considérer le discontinu comme une
approximation liée à l’échelle d’observation. ils n’osent plus, dans
leur grande majorité, affirmer l’hypothèse atomique et vont chercher
dans la thermodynamique ou l’électromagnétisme les sources d’une
nouvelle unification de la physique, alors même que la mécanique a
fait la preuve de son échec dans la recherche de cette unité.
aucune de ces conclusions ne fut admise du vivant de maxwell
– décédé en 1879 à cinquante-huit ans –, aucune vérification ne fut
tentée. les physiciens reconnurent bien la qualité des travaux, mais
de là à en admettre la vraisemblance… Cette attitude constante du
monde scientifique ne doit pas nous étonner ! À décrire systémati-
quement les travaux dont l’histoire a montré la fécondité, nous défor-
mons la perspective de l’époque. les idées novatrices s’opposent
toujours aux conditionnements des chercheurs. Ceux-ci ne peuvent
remettre en cause en un instant les idées dominantes et le cadre
conceptuel dans lequel ils ont toujours travaillé… mais, en 1870,
nommé à la prestigieuse université de Berlin, helmholtz, qui vient
de faire paraître les trois tomes de sa magistrale Optique physiologique
dans laquelle il décrit définitivement les processus de la vision, se

309
une histoire de la lumière

livre à une analyse critique de différentes théories électrodynamiques,


dont celle de maxwell : il veut contribuer à leur unification et, par
là, participer à la « mission civilisatrice » de la science, à laquelle il
se consacre aussi en donnant des conférences publiques. la théorie
électromagnétique devient source d’inspiration pour un de ses élèves,
heinrich hertz, qui, en 1885, teste les prédicats de maxwell. Pour
cela, il produit des étincelles entre les bornes d’un conducteur, vérifie
qu’elles engendrent des ondes élec-
tromagnétiques, décrit leur pro-
pagation, fait toute une série d’ex-
périences prouvant leur réflexion,
leur réfraction, leur transversalité,
mesure leur longueur d’onde (un
mètre) : le monde scientifique,
d’abord incrédule, se passionne…
on mesure la vitesse de propagation
des « ondes hertziennes » :
300 000 km/s ! la théorie de
maxwell va être admise non en
raison de sa beauté mais de sa
réussite. en 1895, röntgen
découvre une radiation qui marque
sa trace sur un écran fluorescent ;
il interpose la main de son épouse
(qui porte une bague) entre celui-
ci et la source… et voit l’image
de la bague et du squelette des
doigts apparaître sur l’écran ; ces
rayons inconnus – les rayons X –
seront identifiés comme étant, eux
aussi, une onde électromagnétique.
max von laue en déterminera
– vers 1912 – la longueur d’onde :
0,0000000001 mètre, réalisant
alors la première expérience de
radiocristallographie et prouvant
du même coup l’existence des
réseaux cristallins… Figure 118

310
vers une nouvelle perspective

des rayons X (et en deçà) aux ondes hertziennes, les ondes


électromagnétiques montrent des variations continues de longueurs
d’ondes (fig. 118). les effets perceptibles sont différents… le récep-
teur qu’est l’œil n’est sensible qu’à une bande bien étroite allant de
0,4 à 0,7 micromètre : c’est ce que nous appelons la lumière… mais
tous ces phénomènes apparemment différents peuvent être décrits au
moyen de la théorie électromagnétique de maxwell.

5. La fin d’une histoire ?


maxwell avait montré que les phénomènes électromagnétiques
consistent en la propagation d’une onde dont la vitesse dépend des
caractéristiques des milieux matériels traversés. de l’égalité de cette
vitesse avec celle de la lumière ainsi que de l’analogie entre trans-
versalité de l’onde lumineuse et transversalité des vecteurs champ
électrique et champ magnétique, il avait déduit que la lumière est
un ensemble de radiations électromagnétiques dont les longueurs
d’ondes sont comprises entre deux limites précises, déterminées par
la sensibilité du récepteur naturel qu’est l’œil. les découvertes des
rayons X, des ondes radio… avaient montré que le « domaine
visible » se réduit à une bande bien étroite des perturbations élec-
tromagnétiques. ainsi, après maxwell, la lumière change de statut :
d’objet scientifique elle devient sensation. elle perd l’identité et la
spécificité qui étaient les siennes depuis le moyen Âge pour deve-
nir une infime partie des radiations électromagnétiques : celle à
laquelle nos yeux sont sensibles. les aspects physiologique et
psychologique de la vision doivent donc être brièvement évoqués.
dans ces domaines encore, maxwell fait œuvre de précurseur : en
démontrant que toutes les teintes peuvent s’obtenir à partir du
mélange de bleu, de vert et de rouge et que le daltonisme consiste
en l’absence de perception d’une ou deux de ces couleurs, il ouvre
la voie à une nouvelle approche de l’explication de la sensation
colorée. après les travaux fondateurs d’hermann von helmholtz
(1821-1894), les couleurs seront expliquées par la trichromie, due
à différents types de cellules rétiniennes18. on a aujourd’hui remar-
qué que la sensibilité de l’œil coïncide avec le spectre de la lumière
solaire (fig. 119) et que les cellules rétiniennes sont sensibles à des

311
une histoire de la lumière

Figure 119

domaines bien déterminés d’énergies couvrant cet intervalle (de 1,8


à 3 eV). au niveau de ces cellules, l’arrivée de la lumière constitue
un stimulus, celui-ci active l’émission d’un signal par les cellules
transductrices, signal qui est conduit par le nerf optique vers le
système nerveux central où il est intégré *. la superposition des
signaux différents donne toute sa richesse polychromique à notre
environnement ; une lumière nous apparaît blanche si son spectre
ressemble à celui du soleil… ainsi, comme le faisaient les philo-
sophes de l’antiquité – mais autrement –, la science moderne essaie
aussi de répondre, à propos de la lumière, à la question : « Qu’est-
ce que la vision ? »

6. Une société qui se transforme


roues, pignons, engrenages, mécanismes : images visuelles qui
hantent l’esprit d’un homme quotidiennement plongé dans un univers

* Cette explication procède d’un nouveau mécanisme, influencé par l’électronique


et non plus par newton.

312
vers une nouvelle perspective

acre et assourdissant, plein de feux et de fumées, grouillant d’une


multitude humaine qui se presse, entre les murs de briques déjà noir-
cies, vers l’entrée des usines *… Comment oublier que cette science
de la fin du xixe siècle est celle de la « révolution industrielle » et
que toutes deux ont lié leur développement ?
tout a commencé en angleterre au xviiie siècle19 : des inventions
empiriques, œuvres d’artisans devenus techniciens, permettent de
réaliser par la machine la systématisation du geste de l’ouvrier ;
les « métiers » apparaissent et concurrencent le travail des paysans-
artisans qui filent et tissent à domicile : le domestic-system tend à
être remplacé par des fabriques ; les travailleurs sont obligés, pour
survivre, d’abandonner la terre et de se river à la machine. Cette
mutation ne va pas sans réactions violentes : les bris de machines
se multiplient (c’est le « luddisme ** ») et entraînent en retour la pro-
lifération des casernes de cavalerie. Puisque le nombre des ruraux
diminue, il devient nécessaire de produire des machines agricoles :
la métallurgie commence à se développer ; son démarrage est rendu
possible par l’utilisation de l’énorme capital amassé grâce au com-
merce colonial. des innovations techniques permettent de remplacer
le charbon de bois par le charbon de terre pour fabriquer la fonte, les
hauts fourneaux se multiplient ; la machine à vapeur, perfectionnée
en 1769 par James Watt pour épuiser l’eau des galeries de mine,
commence à être adaptée au textile et à la métallurgie ; elle va se
substituer peu à peu aux autres formes d’énergie jusqu’alors utilisées
(forces de l’eau, du vent, des animaux…) et devenir le symbole de
la société industrielle naissante.
en France et en rhénanie, le développement est plus lent, mais
dans les trois pays l’introduction systématique du machinisme crée les
conditions d’une production de masse : l’ère industrielle commence
par une période d’investissements pendant laquelle se développent les
pôles de croissance que sont les usines : les conditions de travail qui
s’y instaurent – et que doivent accepter les paysans sans ressources
qui s’engagent – sont totalement nouvelles : ponctualité, division

* maxwell donnait tous les soirs des cours aux ouvriers et passait une partie de son
temps dans les usines pour étudier le fonctionnement des machines.
** les bourgeois voulaient voir dans ces actions spontanées l’œuvre des troupes
d’un mystérieux général ludd.

313
une histoire de la lumière

du travail, journée de 15 heures, obligation de suivre le rythme des


machines. les entreprises ne peuvent investir qu’en réduisant le coût
de la main-d’œuvre : on paie des salaires calculés pour permettre,
strictement, le renouvellement de la force de travail, on embauche
de préférence les femmes et les enfants. la faim, la fatigue, les
conditions de logement exécrables, l’éloignement de l’usine et les
marches quotidiennes, la maladie… : les ouvriers deviennent des
animaux industriels. les révoltes (1831, les canuts lyonnais) suc-
cèdent au luddisme19.
À cette étape d’investissements et d’améliorations empiriques des
techniques succède une seconde phase qui voit la science influer sur le
développement industriel : le principe de la conservation de l’énergie,
la maîtrise des phénomènes vibratoires, l’invention de la « machine
de Gramme * », l’introduction des machines dynamoélectriques, le
début de l’utilisation de l’électricité vont marquer cette période,
permettre d’accélérer l’industrialisation, améliorer les rendements,
diminuer les coûts, nécessiter de nouveaux investissements, augmenter
encore la surexploitation ouvrière. la jeune thermodynamique essaie
d’améliorer le rendement des machines à vapeur qui fonctionnent
depuis un quart de siècle déjà ** ; dans toute une masse de questions
qu’ils pourraient se poser, les chercheurs sélectionnent principalement
celles-ci : comment l’effet thermique peut-il au mieux produire un
effet mécanique utilisable ? Comment l’effet thermique de l’électricité
peut-il, au mieux, être employé à chauffer un filament et éclairer ?
Comment l’électricité peut-elle au mieux faire tourner les machines ?
Ce n’est donc pas les problèmes de la nature – inconnue – de la
chaleur ou de l’électricité qui retiennent principalement l’attention
mais la manière dont ces phénomènes peuvent être appliqués dans
le nouveau type de production.
une étape importante du début de cette collaboration est marquée
par le développement des chemins de fer : la circulation des marchan-
dises s’accélérant, les concentrations industrielles (ruhr-midlands-
nord de la France) se développent puisque les produits peuvent être
distribués dans tout un pays ; des régions entières sont ruinées par

* C’est-à-dire la dynamo, à cette époque appelée du nom de son inventeur (un


artisan bricoleur).
** les travaux de Carnot sont inapplicables : on ne peut monter en température…

314
vers une nouvelle perspective

cette concurrence, l’économie de marché apparaît alors que montent


les nationalismes. déjà, la troisième étape du développement de la
société industrielle est entamée : le capitalisme se tourne vers la
consommation. le secteur tertiaire s’enfle. les conditions de travail
des ouvriers s’améliorent puisque le prolétaire doit passer au stade
de producteur-consommateur. Cette nouvelle orientation, l’efficacité
nouvelle des luttes ouvrières, amènent la promulgation de lois sociales.
la diversification de la production s’amplifie, l’emploi est gonflé et
hiérarchisé, les conquêtes techniques sont utilisées pour améliorer
la vie domestique, les profits sont multipliés par quatre, les salaires
augmentent du tiers : la croissance est définitivement lancée, elle
sera périodiquement agitée par des crises. l’idéologie dominante
valorise le travail, le progrès, décrit une société future transcendée
par la science, ce que montrent les expositions universelles. les
théoriciens du socialisme développent quant à eux l’utopie d’une
science libératrice.
le capitalisme a maintenant besoin du développement de la
recherche : en angleterre, les gouvernements successifs offrent,
à partir de 1830, titres et pensions à des scientifiques. en France,
napoléon iii reprend les orientations de son oncle : il commence son
règne en offrant un prix à qui « rendra la pile de Volta applicable
avec l’économie, soit à l’industrie comme source de chaleur, soit
à l’éclairage, soit à la chimie, soit à la mécanique, soit à la méde-
cine20 » ; il met en valeur des savants « officiels » qui « apportent
le bienfait à l’humanité », les choisit – bien sûr – parmi les rares
bonapartistes fervents que compte le milieu (Pasteur) et honore un
Claude Bernard – fait sénateur. mais c’est timidement que louis
napoléon subventionne la recherche, lui préférant les fêtes de Com-
piègne. la iiie république – qui veut dès son début surpasser en tout
l’empire – se lance évidemment dans une politique de « progrès »
qui soutient la nouvelle orientation du capitalisme de consommation :
elle accorde des subventions aux recherches mais surtout, analysant
que la défaite de 1871 est due au retard éducatif de la France par
rapport à l’allemagne, elle met au point un système d’instruction
publique (école obligatoire, universités) propre à former des hommes
aptes à redresser le pays.
Pourtant, dans toute l’europe la recherche reste confidentielle.
le nombre des chercheurs n’excède pas quelques centaines dans

315
une histoire de la lumière

l’ensemble des quatre grands pays industriels. en France, Berthelot


présente la promotion de la science comme une religion laïque et
tous les députés anticléricaux applaudissent ; en angleterre et en
allemagne, la recherche se lie à l’industrie et devient utilitariste.
la science, qui s’est coupée de la philosophie, trouve un nouveau
cadre dans lequel s’épanouir : celui de la société industrielle. l’une
et l’autre, suivant chacune le cours de la logique de leur développe-
ment, vont s’unir pour transformer le monde de manière irréversible.
Viii
la lumière
dans la physique contemporaine
1. Renouveau et victoire de l’atomisme
moitié du xixe siècle, la théorie ondulatoire de
d ans la seconde
la lumière, l’électromagnétisme, la thermodynamique, décrivent
des phénomènes continus et assurent la nette prépondérance du
courant de pensée faisant de la matière quelque chose de continu
également. Ces physiciens remettent donc en cause l’atomisme et
cherchent les moyens de réunifier la physique. la thermodynamique
introduit aussi l’irréversibilité, incompatible avec la physique lapla-
cienne. Pourtant, depuis que Cavendish a montré (1766) que de
« l’air inflammable » se dégage quand un métal est attaqué par un
acide, on en vient à penser que l’air (ou « les airs ») est peut-être
composé : ces travaux ouvrent la chasse aux différentes sortes d’air.
Carl Wilhelm scheele (1742-1786), un apothicaire, découvre quelques
dizaines de ces nouvelles substances ; Joseph Priestley (1732-1804),
un pasteur, en isole une quinzaine. lavoisier reprend cette moisson
de nouveaux corps… et identifie différents airs, différents gaz1. À
la fin du xixe siècle, le développement des techniques de labora-
toire, notamment l’amélioration des « pompes à vide », amènent à
reprendre des études anciennes et permettent d’obtenir des résultats
nouveaux, qui contribuent à réintroduire le discontinu ou mènent
vers de nouveaux horizons. en étudiant les décharges électriques
dans des gaz raréfiés, Johann Wilhelm hittorf (1824-1914) observe
que, pour de très faibles pressions, les tubes contenant ces gaz
deviennent fluorescents, que cette fluorescence semble provenir de
l’électrode négative, la cathode2. Ce rayonnement cathodique est

319
une histoire de la lumière

étudié en 1886 par William Crookes (1832-1919), qui l’interprète


comme un courant de particules négatives, nommées électrons en
1891. Jean Perrin (1870-1942) démontre cette nature corpusculaire
des rayons et propose une méthode pour déterminer le rapport e/m de
leur charge sur leur masse ; on mesure en 1897 qu’elle est environ
2 000 fois plus faible que celle de l’atome d’hydrogène. en 1886,
eugen Goldstein (1850-1930) constate l’existence d’un rayonnement
de sens contraire au rayonnement cathodique. Perrin montre qu’il est
constitué de charges positives. Wilhelm Wien (1864-1928) calcule son
rapport e/m et établit que la masse des particules qui le constituent
est environ 2 000 fois celle de l’électron.
en 1896, henri Becquerel (1852-1908) se propose d’étudier la
fluorescence d’un sel d’uranium. il constate qu’elle se produit même
dans l’obscurité. marie Curie-sklodowska (1867-1934) commence à
la même époque ses études de chimie sur ces substances, que l’on
nomme bientôt radioactives. en 1898, elle et son époux, Pierre Curie
(1859-1906), extraient de la pechblende le polonium puis le radium,
respectivement 400 fois et 900 fois plus radioactifs que l’uranium.
en 1899, h. Becquerel soumet les rayonnements émis par les subs-
tances radioactives à un champ magnétique : il constate qu’ils se
séparent en trois faisceaux. L’un, β, sera identifié comme une gerbe 
d’électrons,  le  second,  γ,  comme  un  champ  électromagnétique,  le 
troisième, α, comme de l’hélium ionisé. Entre 1900 et 1904, Ernest 
rutherford (1871-1937) avance l’hypothèse osée de la transmutation
des éléments radioactifs en d’autres plus légers et aux propriétés
chimiques différentes. Cette conjecture est alors vivement critiquée.
en 1802, Wollaston, en faisant passer de la lumière solaire par
une fente étroite, avait eu la surprise d’observer des franges sombres
dans le spectre, ce qui n’avait jamais été décrit. en 1814, Joseph
Fraunhofer (1787-1827), qui travaillait chez un verrier en Bavière et
cherchait à améliorer la qualité des instruments d’optique, redécouvrit
ces lignes sombres. il montra qu’elles sont disposées en des zones
bien déterminées, qu’elles correspondent à des longueurs d’ondes bien
précises, qu’elles peuvent être associées aux sources (soleil, flammes,
étincelles) : il en dressa la carte précise et montra qu’elles caracté-
risent la lumière incidente et non l’instrument de mesure. dés lors, la
spectroscopie fait des progrès : les pas décisifs sont franchis en 1859,
par robert Bunsen (1811-1899) et Gustav Kirchhoff (1824-1887). Ce

320
la lumière dans la physique contemporaine

dernier reprend les raies observées par Fraunhofer et démontre qu’elles


caractérisent des éléments chimiques qui absorbent certaines longueurs
d’ondes de lumière incidente. Ces raies d’absorption sont mises en
relation par William thomson (1824-1907) avec des raies brillantes,
d’émission : il conjecture alors qu’un élément chauffé émet des raies
brillantes et que, refroidi, il absorbe les mêmes fréquences caracté-
ristiques. dés lors, il devient possible d’analyser par spectroscopie la
composition chimique de différents gaz, de caractériser de nouveaux
éléments chimiques, sur terre ou dans les astres : c’est ainsi que sont
découverts sur terre le césium, l’indium, le rubidium, le gallium,
l’argon, le krypton et, dans le soleil, l’hélium (1868). Johann Jakob
Balmer (1825-1895) découvre en 1885 une surprenante régularité dans
la disposition des raies spectrales de l’atome d’hydrogène.
toutes ces découvertes expérimentales suggèrent que la lumière
et la matière peuvent se présenter de manière discrète et non plus
continue et apportent un regain d’intérêt pour l’atomisme. mais les
atomes ne peuvent plus être considérés comme des grains de matière
sans structure interne : d’évidence, ils sont constitués d’électrons et
de particules positives, en nombre égal pour assurer la neutralité
électrique de l’édifice. Pour expliquer les spectres d’émission et
d’absorption, il est alors communément admis que la matière est
constituée d’oscillateurs harmoniques : hendrik antoon lorentz
(1853-1928) suppose que les électrons y sont élastiquement liés à des
centres de forces ; Perrin (1902) fait l’hypothèse d’atomes planétaires
où les électrons graviteraient autour d’un noyau positif, comme les
planètes autour du soleil… dans cette représentation, un problème
apparaît : en physique classique, le mouvement d’un corps autour
d’un autre dissipe de l’énergie ; comment l’électron peut-il tourner
sans perdre de l’énergie et tomber sur le noyau ? Comment serait
assurée la stabilité de l’édifice ? J.J. thomson (1902), pour sauver
la continuité de la matière, préfère adopter un modèle d’atome en
plum-pudding dans lequel les électrons, tels des raisins, seraient
noyés dans une pâte de matière continue, homogène et positive.
l’atome de Perrin est surtout vide, celui de thomson plein : ernest
Rutherford  (1911)  interprète  le  fait  que  des  particules  α  puissent 
traverser des feuilles métalliques sans ou avec déviation (et, dans
ce cas comme en rebondissant), pour rejeter l’atome de thomson et
adopter celui de Perrin, dont il pose explicitement, sans le résoudre,

321
une histoire de la lumière

le problème de la stabilité. mais, à toutes ces conjectures amenées


par les découvertes expérimentales, se superposent des recherches
plus théoriques : elles concernent le spectre continu du rayonnement
et la caractérisation de l’éther. nous allons évoquer successivement
ces deux branches, qui amèneront un bouleversement de la physique
et des conceptions de la lumière.

2. L’expérience de Michelson et Morley


l’éther des physiciens de la fin du xixe siècle n’est pas le même
pour tous : les énergétistes en donnent une description différente de
celle de maxwell, essentiellement phénoménologique… et le « vent
d’éther » que ne doit pas manquer de produire la circulation de la
terre dans l’espace reste à caractériser. un américain, michelson, va
s’attacher à le mettre en évidence. si nous mesurons la vitesse d’un
mobile depuis un corps en mouvement, c’est toujours sa vitesse rela-
tive par rapport à ce corps que nous déterminons. lorsque nous
suivons, par exemple, une automobile à distance constante, sa vitesse
mesurée à partir de notre véhicule vaut 0 km/h ; pour connaître celle
relative au sol, nous devons ajouter la vitesse à laquelle nous roulons.
si nous mesurons maintenant la vitesse d’une automobile qui vient à
notre rencontre, nous trouvons une valeur qui est la somme des
vitesses ; pour trouver la vitesse par rapport au sol, nous devons
soustraire celle à laquelle se déplace notre véhicule. Pour caractériser
le « vent d’éther », michelson a l’idée de considérer les vitesses de
la lumière provenant d’une étoile observée lorsque la terre s’approche
de l’astre puis s’en éloigne. les vitesses respectives de la terre sur
son orbite (30 km/s) et de la lumière * (299 790 km/s) étant connues,
on peut évaluer quelle différence doit séparer les mesures effectuées
dans un cas puis dans l’autre. l’existence d’un « vent d’éther » modi-
fie cette différence. C’est cette modification qu’il faut caractériser.
Comme les variations attendues ne peuvent excéder le 1/1 000 de la

* en 1875, a. Cornu venait de donner pour valeur de la vitesse de la lumière


299 917 km/s. (römer, 1676 : 350 000 km/s – Bradley, 1727 : 299 648 km/s – Fizeau,
1849 : 312 146 km/s – michelson, 1926 : 299 726 km/s – anderson, 1941 : 299 706 km/s.)
la vitesse prise ici est celle actuellement admise.

322
la lumière dans la physique contemporaine

valeur totale, il ne faut pas espérer pouvoir les mettre en évidence de


manière significative grâce à une mesure directe. Pour tourner cette
difficulté, michelson a l’idée d’utiliser, pour réaliser son expérience,
une des propriétés de la lumière : les interférences. nous savons que
deux systèmes d’ondes qui interfèrent produisent des franges noires
quand leur différence de marche vaut une demi-longueur d’onde et
des franges intenses lorsque la différence est égale à un multiple entier
de longueurs d’ondes ; la position des franges produites par la super-
position d’ondes ayant suivi deux chemins optiques différents est donc
bien déterminée. si nous modifions, même très légèrement un des
deux chemins optiques, les franges vont se déplacer : si, par exemple,
nous introduisons une différence de marche supplémentaire, d’une
demi-longueur d’onde pour le violet, soit 0,2 micromètre, une frange
claire va prendre la place d’une frange sombre ; ainsi une différence
minime dans la propagation de l’une des ondes produit une modifi-
cation appréciable. À partir de ce principe, michelson va construire
un appareil, un interféromètre (fig. 120), propre à lui permettre de
comparer les vitesses de la lumière provenant d’une étoile lorsque la
terre s’en éloigne puis s’en rapproche.
un faisceau incident so arrive sur un miroir semi-transparent G ; ce
miroir a la propriété de transmettre une partie du faisceau incident oe
et d’en réfléchir un autre oe’. les deux ondes qui se propagent selon

Figure 120

323
une histoire de la lumière

oe et oe’ sont réfléchies par les miroirs m et m’ et reviennent dans


leur direction d’incidence ; le miroir semi-transparent G les réfléchit et
les transmet en partie : e’o est transmis en oF, eo réfléchi en oF.
selon oF, se propagent donc deux ondes issues de la même source
et ayant suivi des chemins optiques différents : elles interfèrent. les
franges d’interférences peuvent être pointées par un micromètre situé
en F. la moindre variation de l’un des chemins optiques produit un
déplacement des franges aisément repérable. michelson oriente alors
son interféromètre et choisit une étoile de telle manière que le faisceau
incident so soit dirigé selon la direction de circulation de la terre : il
observe des interférences entre deux ondes qui ont suivi l’une (mo)
une direction identique à celle de la terre, l’autre (m’o) une direction
perpendiculaire. en faisant des mesures à différentes périodes de l’année
ou en tournant l’interféromètre de 90°, michelson devrait observer un
déplacement des franges. l’expérience est réalisée en 1881, refaite
avec plus de précision et avec morley en 18843, à plusieurs reprises
encore depuis cette date, toujours avec des précisions croissantes : le
résultat est toujours négatif. michelson et morley n’observent aucune
variation apparente de la vitesse de la lumière provenant d’une étoile
lorsque la terre s’approche ou s’éloigne de celle-ci. rien dans l’expé-
rience ne peut être critiqué, la précision de la mesure est largement
suffisante : le résultat obtenu plonge donc les expérimentateurs dans
la perplexité la plus complète. michelson publie ses conclusions mais
il est dépité ; il avoue que s’il avait pu prévoir les résultats obtenus,
il n’aurait jamais tenté son expérience, tant il est mal à l’aise. après
lui, les physiciens sont obligés d’admettre les paradoxes suivants, qui
posent deux catégories de problèmes :
1. l’éther existe mais la circulation de la terre ne produit aucun
vent d’éther.
2. la vitesse de la lumière mesurée d’une terre en mouvement
est toujours constante !
en ce qui concerne l’éther, un choix s’offre aux physiciens : ou ils
renoncent à introduire ce milieu, mais ils ne peuvent plus expliquer la
propagation des ondes électromagnétiques, ou ils admettent l’existence
de l’éther, mais il leur faut rejeter… les thèses de Copernic et admettre
l’immobilité de la terre *. Ce dilemme laisse muets beaucoup de

* michelson imagine que tout l’éther de l’univers est entraîné par la terre !

324
la lumière dans la physique contemporaine

chercheurs qui préfèrent se réfugier dans une stricte attitude positiviste


et ne se risquer à aucune interprétation ; pour eux, l’éther n’est plus
qu’un simple mot, utilisé par seule commodité de langage. en ce qui
concerne la vitesse de la lumière, un physicien hollandais, lorentz,
tente, en 1904, de trouver une interprétation qui puisse rendre compte
de l’expérience de michelson ; il raisonne : une vitesse exprime une
distance parcourue pendant l’unité de temps ; puisque l’on trouve la
même vitesse lorsque la terre va vers la source ou s’en éloigne alors que
les valeurs devraient être différentes, c’est que les distances mesurées
ne sont pas les mêmes : l’expérience de michelson peut s’interpréter
à condition de postuler que les distances se contractent dans le sens
du mouvement ; bien sûr une telle contraction n’a jamais été mise en
évidence, mais mesurer revient toujours, en dernière analyse, à repor-
ter une longueur unité sur la longueur à déterminer ; comme tous les
corps, la règle subit la contraction ; celle-ci ne peut donc jamais être
mise en évidence… et lorentz calcule le coefficient de contraction
qu’il faut appliquer pour rendre compte de l’invariance de la vitesse…
admettre cette hypothèse et ses conséquences, c’est démontrer qu’il
est à tout jamais impossible de détecter le mouvement de la terre
par rapport à l’éther ; le double problème posé par les résultats de
michelson est alors résolu… mais d’autres difficultés surgissent dans
des disciplines voisines de l’optique… et on voit à quel prix se fait
l’adaptation de la théorie aux faits expérimentaux. Quelle que soit
donc la position adoptée par les physiciens : introduction ou négation
de l’éther, acceptation ou non du postulat de lorentz, la situation de
la théorie de la lumière devient de nouveau critique… nous verrons
que ces difficultés ne sont pas les seules qui se posent en cette fin
de xixe siècle à la théorie électromagnétique !

3. La théorie de la relativité d’Einstein


nous avons montré que l’énoncé des lois de la mécanique nécessite
de recourir à un système de référence par rapport auquel sont définis
les positions et les mouvements des points matériels étudiés. Puisque
tous les systèmes au repos ou en mouvement rectiligne uniforme sont
physiquement équivalents, les lois de la mécanique sont invariantes
lorsque l’on passe d’un référentiel à un autre en mouvement rectiligne

325
une histoire de la lumière

uniforme par rapport au premier. ainsi, la notion de repos ne peut


être définie que relativement : le talus qui borde une voie de chemin
de fer est immobile par rapport à la terre, il ne l’est certainement
pas par rapport au soleil. la mécanique de newton porte donc en
elle une contradiction : elle se réfère à un espace et un temps abso-
lus, identiques dans tous les systèmes, mais se montre incapable de
définir des positions absolues. Cette difficulté était apparue à leib-
niz mais les remarques de celui-ci, purement philosophiques et ne
conduisant à aucune modification immédiate de la mécanique new-
tonienne, avaient été depuis longtemps oubliées… Paradoxalement,
la théorie ondulatoire de Fresnel avait donné à la mécanique l’espoir
de trouver sa référence absolue : l’éther… mais toutes les tentatives
de caractérisation avaient échoué et, nous venons de le dire, lorentz
avait même cru pouvoir affirmer qu’il est impossible de le mettre en
évidence… l’immobilité est bien la seule propriété qui reste à ce
milieu indécelable mais une immobilité à laquelle il est impossible
de se référer. les problèmes sont posés en ces termes lorsque albert
einstein envoie, le 30 juin 1905, aux Annalen der Physik un article
intitulé « sur l’électrodynamique des corps en mouvement ».
Ce travail commence par l’évocation d’une difficulté supplémen-
taire : la théorie de maxwell décrit différemment l’action d’un aimant
sur un circuit au repos et celle d’un circuit mobile sur un aimant au
repos. une autre asymétrie peut être relevée : l’action des charges
électriques est décrite par les lois de l’électrostatique dans un réfé-
rentiel « au repos » et par les lois de l’électrodynamique dans un
système considéré en mouvement rectiligne uniforme par rapport à
un autre. une telle différence de description est injustifiée. l’élec-
trodynamique souffre donc du même défaut que la mécanique : elle
veut être absolue sans pouvoir l’être. dès lors, pourquoi continuer à
maintenir cette position ? einstein saute le pas. Pour cela il adopte
une attitude strictement positiviste : on ne peut mettre en évidence le
repos absolu ? il faut poser comme principe qu’il est impossible de le
définir – c’est le principe de relativité. on ne peut mettre en évidence
de différence quant à la valeur de la vitesse de la lumière ? il faut
poser comme principe l’invariance de cette vitesse (« la lumière se
propage toujours dans le vide avec une certaine vitesse c indépendante
de l’état de mouvement de la source lumineuse4 »). l’éther ne peut être
mis en évidence ? il faut le rejeter (« l’éther devient superflu par le

326
la lumière dans la physique contemporaine

fait que notre conception ne fait aucun usage d’un “espace absolu au
repos” doué de propriétés particulières, et ne fait pas correspondre à un
point de l’espace vide, où ont lieu des processus électromagnétiques,
un vecteur de vitesse4 »). Cette triple attitude permet à einstein de
s’interroger sur la notion de simultanéité et de déduire que le temps
et les longueurs ne sont pas absolus mais relatifs au système de
coordonnées : par rapport à un référentiel, les longueurs et les temps
d’un autre système se contractent dans le sens du mouvement, ils se
dilatent dans le sens opposé au mouvement. en relativité, l’espace et
le temps ne sont plus des entités séparables. einstein calcule alors que
la valeur de la contraction est exactement donnée par les formules
établies par lorentz pour rendre compte des résultats de michelson
mais, alors que le physicien hollandais n’avait trouvé qu’un artifice
rendant compte d’un phénomène, einstein intègre les transformations
de Lorentz dans un cadre théorique qui les explique et les généralise :
il formule une théorie que nous connaissons sous le nom de théorie
de la relativité restreinte. Grâce à elle, il parvient à construire une
électrodynamique des corps en mouvement s’appuyant sur la théorie
de maxwell mais « maintenant exempte de contradictions » : les inte-
ractions des aimants et des courants y sont décrites symétriquement.
en privilégiant ainsi, lors d’un changement de référentiel, les
transformations de lorentz par rapport aux transformations de Gali-
lée, einstein vient de construire une théorie « esthétiquement belle »
qu’il va développer en affirmant le caractère relatif de la masse et en
écrivant la fameuse équivalence : e = mc2 (« la masse est énergie
et l’énergie a une masse. les deux lois de conservation sont combi-
nées en une seule, la loi de conservation de la masse-énergie »). en
1908, hermann minkowski (1864-1909) bâtit un continuum espace-
temps à quatre dimensions : il élabore ainsi un cadre mathématique
qui permet de définir des grandeurs physiques dont la mesure reste
invariante lors d’un changement de référentiel. Cet espace est utilisé
en 1916 par einstein : la relativité qu’il avait élaborée en 1905 était
restreinte aux référentiels d’inertie ; il peut maintenant la généraliser
aux référentiels uniformément accélérés ou en rotation uniforme.
Pour cela, il part de l’identité inexpliquée (et sur laquelle d’ailleurs
personne ne s’était penché, tant elle paraissait « évidente ») entre la
masse « pesante » mesurée dans un champ de gravitation (F = mg) et
la masse « inerte » qui rend compte de la résistance de la matière à

327
une histoire de la lumière

la variation de son mouvement (F = m γ). Pour l’expliquer, Einstein 
recourt à une expérience de pensée : un observateur placé dans un
référentiel  accéléré  ne  peut  distinguer  les  effets  de  l’accélération  γ 
ou de la gravité g ; il constate que les rayons lumineux sont courbes,
courbure qu’il peut expliquer par sa propre accélération ou par le
champ de gravitation. einstein est alors amené à supposer que le
continuum espace-temps est courbe, que les rayons lumineux suivent
les géodésiques de cet espace à quatre dimensions, que la matière
courbe l’espace-temps et que la gravitation traduit cette courbure.
tout ceci est énoncé dans sa théorie de la relativité générale, par
laquelle il tend à la « perfection esthétique » à laquelle il aspire.
ses prédicats sont confortés par les mesures effectuées en 1919 lors
d’une éclipse totale du soleil : l’écartement d’étoiles apparaissant de
chaque côté de notre étoile est compatible avec les déviations des
rayons lumineux par la masse solaire. dans la relativité générale,
la gravitation n’est plus décrite comme une action immédiate : elle
possède une structure de champ. une nouvelle cosmologie va naître
de cette description. une ère nouvelle s’ouvre dans l’expérience
humaine… mais la lumière ne peut plus être considérée comme se
propageant en lignes droites, ni être associée à des vibrations dans un
milieu continu puisque – dès 1905 – l’existence de l’éther est niée.
la situation de la théorie de la lumière reste donc critique. nous
verrons qu’einstein utilise cette instabilité théorique pour avancer
de nouvelles hypothèses sur sa nature physique.

4. Le problème du corps noir et les quanta


Pour pouvoir déterminer la constitution de l’anneau de saturne
– est-il gazeux, formé de gouttelettes ou de petits corps solides ? –,
maxwell avait étudié la distribution d’une infinité de corps indépen-
dants qui s’entrechoquent. Comme il fallait décrire non le compor-
tement individuel de chaque objet, mais leur comportement global,
il avait donné de ces mouvements complexes qui obéissent aux lois
de la mécanique de newton une interprétation statistique et montré
que l’anneau est le lieu selon lequel se distribuent des solides, en
agitation constante, soumis aux forces gravitationnelles de saturne,
du soleil, etc. ; fort de cette déduction, maxwell avait étendu sa

328
la lumière dans la physique contemporaine

méthode à tout ensemble constitué d’un grand nombre de particules


identiques en mouvement et qui se heurtent de manière aléatoire.
Ces travaux, repris et développés par Boltzmann, permettent, à la
fin du xixe siècle, de fonder une mécanique statistique qui rend
bien compte du comportement thermodynamique des gaz parfaits à
l’équilibre : elle permet, par exemple, de représenter la distribution
des vitesses des molécules d’un gaz, à chaque température, par
une courbe en cloche (fig. 121) dont le maximum correspond à la
vitesse la plus probable des molécules à cette température. Comme
nous allons le voir, la mécanique statistique fut appliquée à l’étude
de phénomènes optiques.

Figure 121 Figure 122

Chauffons une barre de fer. si sa température n’est pas trop élevée,


la couleur de la barre ne varie pas sensiblement. approchons un ther-
momètre : le niveau du mercure s’élève ; le fer restitue de l’énergie
sous forme d’un rayonnement invisible. Chauffons davantage la barre :
lorsque sa température atteint environ 700 °C une lueur rouge apparaît ;
si la température augmente alors régulièrement, nous voyons la barre
devenir rouge vif, orange, puis jaune, blanche vers 3 000 °C, bleu pâle
enfin. lorsque le fer est porté à une température de 6 000 °C, nous ne
percevons plus de lumière. la description de ce phénomène peut se
résumer ainsi : la barre de fer chauffée émet un rayonnement dont les

329
une histoire de la lumière

longueurs d’ondes sont comprises entre certaines limites ; aux faibles


températures le maximum de l’émission se situe dans l’infrarouge ; il
se déplace vers le rouge puis l’orange, le bleu, l’ultraviolet quand la
température croît : il se place à des longueurs d’ondes d’autant plus
faibles que la température de la barre est grande. Cette expérience
et son interprétation deviennent à la mode à la fin du xixe siècle : à
une époque où les physiciens essaient de réunifier la physique soit
par l’électromagnétisme, soit par la thermodynamique, le phénomène
fait intervenir à la fois les deux branches de la physique, ce qui fait
naître quelque espoir chez les théoriciens.
la détermination précise de ces propriétés thermophysiques des
radiations électromagnétiques peut être réalisée à partir d’un appareil
de laboratoire appelé « corps noir » : une coque métallique épaisse
limitant une région de l’espace dépourvue de matière est portée à
une température t. l’agitation thermique des charges électriques du
métal crée à l’intérieur de l’enceinte un système de radiations élec-
tromagnétiques de différentes longueurs d’ondes que l’on peut étudier
sans les perturber en en prélevant une infime partie grâce à un petit
orifice pratiqué dans la paroi. la mesure de l’intensité de ce rayon-
nement recueilli pour chaque longueur d’onde permet de déduire, en
fonction de celle-ci, la densité de l’énergie du rayonnement au sein
du système : on trouve qu’elle se répartit sur une courbe en cloche
dont le maximum est fonction de la température de l’enceinte, donc
de la température régnant au sein du système (fig. 122). dès que
l’on s’éloigne de la longueur d’onde maximale, la densité d’énergie
s’annule très vite. les courbes obtenues sont très voisines de celles
donnant la distribution des vitesses des molécules d’un gaz parfait à
chaque température. la théorie électromagnétique de la lumière
permet de considérer le rayonnement qui règne au sein de la cavité
comme une assemblée d’ondes stationnaires indépendantes, dont les
fréquences * v1, v2, v3… discrètes ne dépendent pas de la géométrie

* nous savons qu’une onde peut être définie par sa longueur ; puisque, dans un
même milieu, la vitesse de propagation est constante, on peut aussi définir l’onde par
l’intervalle de temps qu’elle met pour parcourir une distance égale à la longueur d’onde ;
on appelle période (t) cette durée. la fréquence (v) est le nombre de périodes par
seconde (égal à 1/t) ; c’est donc le nombre de longueurs d’ondes qui défilent en une
seconde. Plus la longueur d’onde est grande, plus la fréquence est faible et réciproque-
ment.  λ  =  c.T  donc  λ  =  c  /  v.

330
la lumière dans la physique contemporaine

de la cavité. toutes les ondes de même fréquence peuvent alors être


considérées comme un système d’oscillateurs auquel on peut appliquer
les règles de la mécanique statistique de maxwell et Boltzmann.
Cependant, une grande surprise attend les physiciens travaillant sur
ce problème : les résultats obtenus ne permettent pas de rendre compte
de la loi expérimentale du rayonnement du corps noir : ils conduisent
à prévoir que la densité d’énergie des ondes électromagnétiques
diverge à l’infini pour des valeurs de la longueur d’onde situées dans
le domaine de l’ultraviolet et au-delà (fig. 123) : une bûche jetée

Figure 123

dans le feu devrait donc, selon la théorie, être la source d’un rayon-
nement énergétique infini… Ce résultat paradoxal en désaccord
flagrant avec l’expérience fut appelé « catastrophe ultraviolette » par
le facétieux ehrenfest. dés lors deux attitudes furent adoptées par
les physiciens théoriciens : les uns plongèrent dans l’embarras, tan-
dis que d’autres se contentaient d’admettre deux formules expéri-
mentales contradictoires, s’appliquant chacune à une des parties de
la courbe, qu’ils ne reliaient pas. À la fin du xixe siècle, lord Kelvin,
dans une opinion reflétant l’état d’esprit de l’immense majorité des
physiciens, croyait cependant pouvoir affirmer : « la physique est
définitivement constituée dans ses concepts fondamentaux ; tout ce

331
une histoire de la lumière

qu’elle peut désormais apporter, c’est la détermination précise de


quelques décimales supplémentaires. il y a bien deux petits problèmes :
celui du résultat négatif de l’expérience de michelson et celui du
corps noir mais ils seront rapidement résolus et n’altèrent en rien
notre confiance5. » selon cette vision des choses, la physique pourrait
alors être considérée comme une « science achevée » dont seule la
précision serait susceptible d’être améliorée. nous venons de voir
que l’expérience négative de michelson peut être interprétée dans le
cadre de la théorie de la relativité restreinte. nous allons montrer
que celle du corps noir va amener la physique quantique.
dans une note du 14 décembre 1900, max Planck présente à
la société de physique de Berlin une communication que l’histoire
officielle érigea en acte de naissance de la physique quantique. les
choses sont un peu plus complexes : pour déterminer la distribution
spectrale du rayonnement thermique, Planck prend pour modèle un
système de résonateurs électriques interagissant par l’intermédiaire
du rayonnement. il lui applique les lois de l’électrodynamique et de
la thermodynamique6. Pour aller au bout de son calcul, il introduit
– nous y reviendrons – un artifice de calcul consistant à introduire
des éléments discrets d’énergie. il retrouve alors par le calcul les
courbes expérimentales.

5. L’effet photoélectrique et le photon


nous l’avons dit, en ce début du xxe siècle, un certain nombre de
physiciens et de chimistes pensent pouvoir affirmer que la matière
est constituée d’atomes, que ceux-ci sont eux-mêmes formés de
particules plus petites, chargées électriquement. le problème de la
structure de l’atome reste posé.
Parmi toutes les expériences qui réintroduisent du discontinu en
physique, l’une n’a pas encore été évoquée : en 1887, alors même
qu’il mettait en évidence les ondes radio et faisait, par là même,
triompher la théorie électromagnétique de la lumière, hertz découvrait
un phénomène nouveau : une plaque de métal qui reçoit un faisceau
lumineux émet des électrons. Cet « effet photoélectrique » fut étudié
par des physiciens qui établirent plusieurs lois empiriques : 1. lorsque
l’on éclaire successivement le métal avec différents rayonnements

332
la lumière dans la physique contemporaine

monochromatiques, on s’aperçoit que l’effet est nul au-dessous d’une


certaine fréquence minimale (le seuil) qui dépend du métal ; 2. au-
dessus du seuil, le phénomène est instantané : dès que le faisceau
lumineux parvient sur le métal, les électrons sont émis ; l’émission
cesse dès que le faisceau est intercepté ; 3. pour un même métal,
l’énergie des électrons éjectés varie comme la fréquence de la lumière
monochromatique incidente ; 4. le nombre des électrons émis dépend
de l’intensité de la lumière, leur énergie en est indépendante.
l’interprétation de ces faits expérimentaux au moyen de la
théorie électromagnétique pose un problème : au sein de l’atome,
les électrons, chargés négativement, sont liés aux protons, chargés
positivement ; pour les arracher, il faut une certaine énergie ; cette
énergie est de toute évidence apportée par le faisceau lumineux.
si on calcule l’énergie d’une onde électromagnétique, on constate
qu’il faut éclairer le métal pendant un temps très long pour qu’il
reçoive l’énergie suffisante à l’éjection d’un électron. or le phéno-
mène observé est instantané. on pourrait s’attendre, d’autre part,
à ce que l’énergie des électrons éjectés dépende de l’intensité du
faisceau lumineux incident : il n’en est rien ; c’est le nombre des
électrons émis qui dépend de l’intensité, leur énergie ne dépend
que de la longueur d’onde incidente… alors que celle-ci ne devrait
pas intervenir selon la théorie électromagnétique. Comment rendre
compte, enfin, qu’au-dessous d’une certaine fréquence, donc pour les
grandes longueurs d’ondes, il n’y ait jamais d’électrons émis, quels
que soient le temps d’exposition du métal à la lumière et l’intensité
du faisceau incident ? Voici bien des contradictions qui ajoutent,
en ce début du xxe siècle, aux difficultés rencontrées par la théorie
électromagnétique de la lumière.
le 15 mars 1905, albert einstein envoie aux Annalen der Physik *
un article qu’il qualifie lui-même de « très révolutionnaire7 », dans
lequel il commence par remarquer que l’image que nous nous faisons
des objets du monde physique les classe en deux catégories : ondula-
toires ou corpusculaires et que les équations de maxwell décrivent la
propagation continue d’une onde alors que les corps sont considérés

* soit trois mois avant son article « sur l’électrodynamique des corps en mouve-
ment » ; dans l’intervalle, il a encore envoyé un travail sur le mouvement brownien :
tous ces sujets ont donc mûri en même temps chez einstein.

333
une histoire de la lumière

comme des ensembles discontinus de particules ; dès lors, les théories


en vigueur ne peuvent qu’aboutir à des contradictions importantes si
on les utilise pour rendre compte « des phénomènes de création et
de conversion » de la lumière : cette situation est précisément celle
« du rayonnement des corps noirs, de la photoluminescence, de la
production du rayonnement cathodique par la lumière ultraviolette et
d’autres phénomènes faisant intervenir l’émission ou la conversion
de la lumière8 ». la théorie électromagnétique ne peut plus être
considérée comme complète et définitive. il faut la critiquer et la
remettre en cause. einstein s’attache donc à montrer que tous les
phénomènes cités sont expliqués si l’on suppose que le rayonnement
ne peut prendre que des valeurs d’énergies discrètes. C’est lui qui, le
premier, affirme que la loi de Planck met en cause les conceptions
classiques : il fait de l’énergie échangée entre un résonateur et le
rayonnement quelque chose de quantifié, ne pouvant prendre que
des valeurs qui sont multiples entiers d’une unité fondamentale. il
introduit alors dans la littérature scientifique l’idée que la lumière
est effectivement formée de grains d’énergie : les quanta. un quan-
tum  d’énergie  est  proportionnel  à  la  fréquence  ν  du  résonateur,  sa 
valeur  est  E  =  hν  où  ν  la  fréquence  et  h  une  constante  –  qui  sera 
ultérieurement appelée constante de Planck – déterminée pour que
les calculs puissent rendre compte de l’expérience : cet accord a lieu
quand h = 6,55 10-34 joule.seconde *.
insistons : il y a une différence essentielle entre les articles de
Planck et d’einstein. Chez le premier, les éléments discrets d’énergie
ne sont qu’un artifice – que Planck estimait devoir être provisoires –
permettant de surmonter les difficultés de calcul ; chez le second,
le quantum devient un concept et engage à rechercher une nouvelle
théorie de la structure de la lumière. un immense problème se pose
cependant : une théorie corpusculaire de la lumière ne rendrait compte
ni de la diffraction, ni des interférences, ni de la polarisation ; la théorie
électromagnétique a été adoptée en raison de ses nombreux succès
et pourtant tout se passe comme si on considérait, pour l’explication
du problème du corps noir, que la lumière est formée de particules…
et puisque cette explication convient, einstein décide de franchir

* Cette valeur est celle déterminée par Planck. actuellement, la valeur admise est
h = 6,62 10-34 joule.seconde.

334
la lumière dans la physique contemporaine

le pas et d’adopter la position paradoxale selon laquelle la lumière


peut être décrite par des particules qui se propagent. encore faut-il
qu’il puisse prouver que cette conception permet de rendre compte
d’autres phénomènes que ceux à propos desquels elle vient d’être
élaborée… et qu’il surmonte les difficultés qui se sont posées à la
théorie de l’émission. mais einstein n’est pas bloqué par l’ampleur
de la tâche : il montre une conviction au moins égale à celle dont
Young et Fresnel ont fait preuve pour imposer – contre les certitudes
de leur époque – une théorie des ondes qui ne rendait pas compte,
initialement, des phénomènes de polarisation ; sans s’embarrasser
des difficultés évidentes qu’il ne manquera pas de rencontrer, il
s’applique à démontrer que l’effet photoélectrique trouve une inter-
prétation rationnelle dès que l’on admet dans la lumière l’existence
de particules ayant une énergie égale au quantum.
nous avons donné précédemment les lois empiriques de l’effet
photoélectrique ; nous allons maintenant les reprendre une à une et
montrer comment la théorie d’einstein parvient à en rendre compte
à partir d’une seule hypothèse : les particules de lumière qui ren-
contrent les électrons du métal éclairé leur cèdent toute leur énergie
et s’annihilent. 1. l’effet est nul si le rayonnement lumineux incident
possède une fréquence plus basse que celle d’un certain seuil carac-
téristique du métal éclairé : dans les atomes du métal, les électrons
sont liés aux protons ; pour les arracher, il faut nécessairement une
certaine énergie qui dépend de la liaison, donc du métal ; si l’énergie
du quantum e = hv est inférieure à l’énergie de liaison, celle-ci ne
peut être brisée, l’éjection ne peut avoir lieu : il y a bien un seuil
au-dessous duquel les électrons ne peuvent être émis ; ce seuil dépend
du métal ; 2. pour des fréquences supérieures à celle nécessaire pour
atteindre le seuil, l’effet photoélectrique est instantané : dès que la
lumière arrive sur le métal, des particules peuvent rencontrer des
électrons et leur céder leur énergie ; les électrons sont alors immé-
diatement éjectés ; 3. l’énergie des électrons arrachés varie avec la
fréquence du rayonnement incident : cette énergie des électrons est
égale à la différence entre l’énergie des particules e = hv et l’énergie
de liaison des électrons dans le métal ; celle-ci est constante ; lorsque
la fréquence augmente, celle des électrons éjectés augmente elle
aussi ; 4. le nombre des électrons émis varie avec l’intensité du rayon
incident : plus l’intensité d’un faisceau est grande, plus le nombre de

335
une histoire de la lumière

particules est important, plus il se produit de collisions entre elles et


les électrons, plus ceux-ci sont éjectés en nombre important. l’hypo-
thèse des quanta de lumière vient de permettre d’expliquer toutes
les lois de l’effet photoélectrique. Ces succès paraissent suffisants
à einstein pour qu’il puisse formuler la conception suivante : la
lumière est formée de particules, d’énergie égale au quantum e = hv,
qui se propagent à la vitesse de 300 000 km/s. C’est un nouveau
renversement complet qui est proposé. Pourtant, une fois encore, la
nouvelle théorie semble poser beaucoup plus de problèmes qu’elle
n’en résout : comment peut-elle permettre d’expliquer la diffraction,
les interférences, la polarisation ? Comment des particules peuvent-
elles avoir une énergie proportionnelle à la fréquence d’une onde à
laquelle elles sont censées se substituer ?
Ces questions, les physiciens les posent ; ce n’est donc pas
l’enthousiasme que soulève la théorie des quanta de lumière… en
1910, lorentz ironise : il est possible d’obtenir des trains d’ondes
lumineuses susceptibles d’interférer avec eux-mêmes (cohérentes) de
plusieurs mètres de longueur. un tel train d’ondes apparaît comme
une unité homogène : faut-il donc supposer que les quanta mesurent
plusieurs mètres… et qu’ils entrent dans un atome pour en expulser
un électron9 ? Planck s’élève, lui aussi, vigoureusement contre une
théorie qui « transmet la maladie quantique à la lumière10 ». en 1911
(30 octobre - 3 novembre) se tient à Bruxelles le premier « Conseil
solvay », du nom d’un riche industriel passionné de science. une
vingtaine de physiciens parmi les plus réputés, dont Planck, einstein,
marie Curie, lorentz, Perrin, rutherford y participent. lorentz ouvre
le Conseil en déclarant : « nous avons […] le sentiment de nous
trouver dans une impasse, les anciennes théories s’étant montrées de
plus en plus impuissantes à percer les ténèbres qui nous entourent
de tous côtés11. » l’apport de Planck est rehaussé, celui d’einstein
minimisé, réduit à une application des « éléments d’énergie » à « de
nombreux phénomènes », les quanta de lumière à peine traités, tant
ils paraissent choquants. en 1912, Planck rédige une recommanda-
tion en vue de l’admission d’einstein à l’académie de Prusse : on
y relève la phrase suivante, merveilleusement restrictive : « il ne
faut pas le juger trop sévèrement s’il perd parfois de vue son but
dans un raisonnement logique, comme c’est le cas dans la théorie
des quanta de lumière, car même dans les domaines les plus exacts

336
la lumière dans la physique contemporaine

des sciences naturelles, il faut prendre des risques pour arriver à un


résultat neuf12. » même suspectes, les idées d’einstein vont pour-
tant avoir une répercussion indirecte : les physiciens commencent à
prendre au sérieux l’artifice de calcul de Planck et utilisent mainte-
nant les quanta pour tenter de résoudre les problèmes posés par le
comportement de la matière lors de l’absorption et de l’émission.
en 1906, un américain, r. millikan, avait entrepris de démontrer
que la théorie d’einstein ne peut être retenue ; pour cela, il avait
réalisé un appareillage soigné qui permet de mesurer très précisément
l’énergie des électrons émis par effet photoélectrique et de la comparer
aux prévisions établies à partir de la théorie des quanta de lumière…
celle-ci pourra être déclarée non-conforme à l’expérience, pensait-il.
après dix ans de travaux, en 1916, millikan publie les résultats qu’il
a obtenus : ils concordent parfaitement avec ce qu’annonçait einstein.
millikan lui-même ne peut se résoudre à admettre l’aspect corpusculaire
de la lumière, mais le monde scientifique commence à prêter attention
à une théorie qui obtient de si beaux succès ; en 1923, les quanta de
lumière sont officiellement appelés photons. les physiciens reconnaissent
maintenant leur existence puisqu’ils leur donnent un état civil !
le positivisme de Planck relayé par le réalisme einsteinien vient
d’amener en physique une situation nouvelle : la « maladie quantique »
s’étend du problème du corps noir à la lumière. Cette « maladie »
gagne encore du terrain lorsque, en 1913, niels Bohr cherche à
concilier le modèle de l’atome proposé par Perrin et rutherford13
avec les conditions de sa stabilité. Pour cela, il a l’idée de rapprocher
structure de l’atome et quanta d’énergie. il suppose que dans l’atome
existent des orbites bien déterminées pour lesquelles les électrons
gravitent sans rayonner. Ces « états stationnaires » possèdent des
niveaux énergétiques bien précis. les électrons pourraient passer
d’un de ces niveaux à un autre en absorbant ou en émettant de
l’énergie. Comme on observe au spectroscope que ces émissions ou
absorptions sont toujours quantifiées, cela signifie que les niveaux
stationnaires le sont eux aussi. la différence d’énergie entre deux
niveaux est toujours multiple entier d’un quantum. ainsi, un électron
peut passer d’un niveau énergétique en au niveau supérieur en+j en
absorbant un quantum d’énergie : en + hv = en+j. l’atome passe
alors d’un état stable à un état instable (excité). les électrons qui
se trouvent sur des niveaux d’énergie instables en+j, en’+j’… d’un

337
une histoire de la lumière

atome excité ont donc tendance à revenir sur les niveaux stables en,
en’… en émettant des quanta hv et hv’ tels que : hv = en+j – en ;
hv’ = en’+j’ – en’ (fig. 124).

Figure 124

les hypothèses de Planck, einstein, Bohr forment maintenant un


tout plus ou moins cohérent qui permet d’expliquer nombre de faits
expérimentaux jusque-là mystérieux. il n’en reste pas moins que les
représentations de Bohr conservent un caractère choquant : il est
impossible d’expliquer par les règles de la mécanique newtonienne
et de l’électromagnétisme maxwellien, d’une part, le fait que les
électrons gravitent dans leur état stationnaire sans émettre un rayon-
nement électromagnétique dissipateur d’énergie et, d’autre part, que
les électrons puissent sauter d’un niveau énergétique à un autre. la
maladie quantique a gagné la matière. de plus, les questions qui
faisaient rejeter les quanta de lumière restent en suspens (comment
expliquer par les photons les interférences lumineuses ?). une posi-
tion dominante s’impose : à l’échelle macroscopique et aux basses
fréquences (e = hv faible), la description électromagnétique convient
seule ; aux hautes fréquences et à l’échelle de l’atome, il faut tenir
compte des photons… la lumière devient à la fois ondes et corpus-

338
la lumière dans la physique contemporaine

cules. il n’y a plus de théorie unifiée rendant compte de la nature


physique de la lumière. en 1925, thomson écrit : « les situations
respectives des deux théories sont celles d’un tigre et d’un requin.
Chacun de ces animaux représente ce qu’il y a de plus puissant dans
son élément, tandis que la valeur de l’un est nulle dans l’élément
de l’autre10. » Pour un temps, les physiciens vont donc s’accommo-
der de la dualité ondes-particules et adopter celui des deux points
de vue qui s’accorde le mieux avec le phénomène qu’ils désirent
étudier (fig. 125). mais cette situation n’est pas tenable : il va falloir
se pencher sur le problème de la relation entre aspect ondulatoire et
aspect corpusculaire et savoir, ainsi que l’exprime louis de Broglie,
« comment réconcilier l’idée d’une structure discontinue du rayon-
nement avec la théorie ondulatoire de la lumière, indispensable pour
interpréter les phénomènes de l’optique physique14 ».

6. La physique quantique
la physique classique distingue, nous l’avons dit, deux caté-
gories d’objets inconciliables : les corpuscules et les ondes. « le

Figure 125. — Champs d’application


des théories de la lumière vers 1930.

339
une histoire de la lumière

corpuscule est un petit objet bien localisé qui décrit dans l’espace au
cours du temps une trajectoire sensiblement linéaire sur laquelle il
occupe à chaque instant une position bien définie et est animé d’une
vitesse bien déterminée15 » ; on peut le caractériser par son énergie
e et sa quantité de mouvement p, deux grandeurs physiques liées
à sa vitesse. les corpuscules sont discrets en nombre (on peut les
compter) et discrets en extension (ils peuvent être représentés par
un point matériel). les ondes décrivent des phénomènes continus
non localisables, occupant tout l’espace (le plan d’onde est infini) ;
elles peuvent être définies par leur longueur d’ondes λ ou mieux par 
leur fréquence spatiale (c’est-à-dire le nombre de longueurs d’ondes
par  unité  d’espace)  –  appelée  nombre  d’onde  k  =  1  /  λ  –  et  leur 
fréquence temporelle v = 1 / t. elles sont continues en nombre et
continues en extension.
C’est au refus de distinguer à l’échelle subatomique ces deux
objets que vont conduire les réflexions menées sur l’atome, d’une
part, sur la lumière, d’autre part.

La mécanique quantique
Bohr a conscience que la représentation de l’atome qu’il pro-
pose est faite de manière ad hoc et ressemble à un bricolage. Pour
construire une véritable théorie, il cherche d’abord une « généralisation
rationnelle » des théories classiques qui amènerait les quanta, vise à
établir le principe d’une correspondance générale entre descriptions
classique et quantique des phénomènes atomiques, retient pour cela
le mouvement des électrons sur des orbites représentant les états
stationnaires et veut le mettre en relation avec le rayonnement émis.
il est amené à conserver des grandeurs de la physique classique
inaccessibles à l’expérience (rayon des orbites, période de révolution
des électrons…) pour espérer retrouver les quanta. À heisenberg
qui l’interroge (1922) sur la signification des images d’atomes qu’il
utilise dans ses conférences, Bohr répond : « Ces images ont été […]
devinées à partir de faits expérimentaux et ne sont pas le fruit […]
de calculs théoriques. J’espère qu’elles décrivent les atomes aussi
bien – mais seulement aussi bien – que cela est possible dans le
langage visuel de la physique classique. nous devons nous rendre

340
la lumière dans la physique contemporaine

compte que nous ne pouvons nous servir ici du langage qu’à la


manière des poètes qui, eux aussi, ne cherchent pas à représenter
des faits de façon précise, mais seulement à créer des images dans
l’esprit de leur public, et à établir des connexions sur le plan des
idées16. » il abandonnera ses images vers 1925.
heisenberg retient le principe de correspondance de Bohr mais, à
partir de 1924, ne fixe plus son attention sur les énergies des états
stationnaires, mais sur les probabilités de transition17. dés lors, il estime
injustifiée l’utilisation d’un modèle où des grandeurs inobservables
interviennent et abandonne totalement l’idée d’une représentation de
l’atome. Faisant, explicitement, la distinction entre deux niveaux de
connaissances de la nature, il appelle connaissance problématique celle
introduite par les modèles et connaissance certaine celle de nombres
fournis par les données de l’expérience (valeurs des fréquences et des
intensités d’un rayonnement émis ou absorbé par les atomes). Ces
valeurs correspondent à des transitions quantiques entre deux états
(initial et final) ; heisenberg manipule donc des grandeurs à deux
indices (fréquences ou énergies de transition entre états initial i et
final f) : la connaissance des électrons se traduit par des grandeurs
physiques qui se présentent sous forme de tableaux carrés de nombres ;
les données de la spectroscopie sont transcrites algébriquement et
permettent d’établir les règles d’opération entre les tableaux. max
Born (1882-1979) et Pascual Jordan (1902-1980) reconnaissent dans
les tableaux des matrices et dans les règles de composition les règles
du calcul matriciel. les travaux des trois physiciens aboutissent à
une mécanique matricielle, la mécanique quantique. Pour résoudre
le problème de la séparation de raies spectrales dans l’effet Zeeman,
Wolfgang Pauli (1900-1958) introduit en 1925, de manière ad hoc,
le concept de spin, qui n’a pas d’équivalent en physique classique,
bien que certains aient voulu en faire un effet de la rotation de l’élec-
tron sur lui-même, illusion vite dissipée. d’ailleurs, dés 1925, Bohr
déclare que les discontinuités quantiques « nous obligent à renon-
cer à une description causale et spatio-temporelle des phénomènes
quantiques ». en 1927, il précise : « les ondes et les corpuscules ne
sont que des abstractions indispensables pour ramener l’expression
des résultats expérimentaux à nos formes ordinaires d’intuition » ;
d’objets physiques les ondes et les corpuscules passent au statut
d’abstractions qui ne sont plus contradictoires, mais complémentaires

341
une histoire de la lumière

et nécessaires toutes deux pour rendre compte des phénomènes


quantiques. C’est le principe de complémentarité (des abstractions) :
selon le phénomène observé, nous pouvons faire appel à l’une ou à
l’autre de ces abstractions. Ces conceptions positivistes se trouvent
renforcées, toujours en 1927, lorsque heisenberg renonce au déter-
minisme classique pour lui substituer un principe d’incertitude : les
opérations de mesures perturberaient le système observé, aussi une
détermination précise de la position d’une particule entraînerait une
indétermination de sa quantité de mouvement. dés lors, la prévision
de l’évolution d’un système observé serait impossible. l’intervention
de l’observateur dans l’opération de mesure permettrait de souligner
les limites fixées à l’objectivité de la connaissance humaine ; il peut
faire accroire qu’une théorie scientifique permet de trancher entre
différentes convictions philosophiques.

La mécanique ondulatoire
tout autre est l’approche d’un autre groupe de physiciens. Pour
la comprendre18, reprenons le dispositif de Young : une plaque per-
cée de deux trous est intercalée entre une source et un écran. sup-
posons que la source émet des corpuscules. les courbes de réparti-
tion sur l’écran des impacts d’objets étant passés par l’un ou l’autre
trou peuvent être obtenues en bouchant successivement chaque trou.
lorsque ces trous sont tous deux ouverts, la courbe de distribution
des impacts est la somme des deux précédentes (fig. 126).
Considérons maintenant que la source émet des ondes. si l’un
puis l’autre des trous est seul ouvert, les courbes d’intensité i1 et
i2 d’ondes sur l’écran ressemblent – à la diffraction près – aux
courbes C1 et C2 précédentes. Par contre, si nous ouvrons à la fois
les deux trous, l’intensité sur l’écran présente des maxima (lorsque
les deux ondes « émises » par les trous sont en phase) et des minima
nuls (lorsque ces deux ondes s’opposent) (fig. 127). nous pouvons
observer ce phénomène avec des ondes sonores ou avec une source
lumineuse intense. l’aspect des franges d’interférences peut, dans
ce dernier cas, parfaitement s’expliquer – comme l’ont fait Young et
Fresnel – au moyen de l’onde : les franges brillantes sont les régions
où l’intensité de l’onde est grande, les franges obscures les régions

342
la lumière dans la physique contemporaine

Figure 126 Figure 127

où elle est nulle. l’intensité mesure l’énergie localisée dans l’onde


par unité de volume, c’est le carré de l’amplitude de l’onde ; si nous
appelons a1 et a2 les amplitudes des ondes passant par les trous 1
et 2 : i1 = a12, i2 = a22 et l’intensité it du champ d’interférence est
égale à it = (a1 + a2)2.
Cette explication, retenue par la théorie ondulatoire classique, est
insuffisante lorsque nous utilisons une source lumineuse très peu
intense : dans ce cas, on peut en effet se rendre compte – en utilisant
sur l’écran un récepteur approprié – que l’intensité lumineuse est
discontinue et résulte d’une infinité d’impacts individuels parfaitement
dénombrables : on peut interpréter que des photons arrivent un à un
sur l’écran et que leur répartition statistique rend compte des franges
claires ou obscures. Ce phénomène ne peut s’expliquer ni en suppo-
sant que le photon est un corpuscule (la courbe obtenue serait celle
représentée sur la figure 126), ni qu’il est une onde (figure 127 où
l’intensité varie de manière continue). le photon possède donc à la
fois certaines propriétés de corpuscules (dénombrement) et d’autres de
l’onde (interférences), mais pas toutes : il n’est assimilable à aucun
des deux objets de la mécanique classique. louis de Broglie tire les
conséquences de ces observations : les franges d’interférences sont
« exactement comme elles sont prévues par la théorie des ondes.
seulement ces franges, au lieu d’avoir été tracées progressivement
d’une manière continue comme l’imaginait la théorie des ondes,
auront été tracées point par point par des actions discontinues dues

343
une histoire de la lumière

aux arrivées successives des divers photons. ainsi, dans le phénomène


statistique finalement observable, l’onde lumineuse apparaît comme
traduisant en quelque sorte la réalité physique alors que cependant
elle n’est qu’un champ de probabilité * réglant les manifestations
discontinues et localisées des divers photons19 ». en effet, selon
de Broglie (1892-1987), « l’intensité de l’onde associée aux photons
mesure le nombre de photons par unité de volume : […] l’intensité
de l’onde […] représente […] la probabilité […] pour que le photon
manifeste sa présence en un point par une action observable […]
les franges brillantes sont donc les régions où les photons ont une
grande probabilité de se manifester par une action observable ; les
franges obscures, au contraire, sont les régions où ces manifesta-
tions ont des probabilités faibles ou nulles. l’onde lumineuse nous
apparaît alors comme une sorte de champ de probabilité20 ». Voici
une conception bien nouvelle. de Broglie va plus loin : il remarque
en effet : « le développement des doctrines relatives à la lumière,
après avoir imposé l’idée d’ondes lumineuses, a montré que cette
idée était insuffisante et qu’il fallait y ajouter l’idée des grains de
lumière et réaliser au prix de conceptions nouvelles et hardies un
amalgame des images opposées d’onde et de corpuscule. Pourquoi ne
pas faire une tentative du même genre en théorie de la matière ? ici,
ce qui s’était manifesté tout d’abord aux expérimentateurs, c’était un
aspect granulaire des éléments dont la matière est formée conduisant
à l’hypothèse que les atomes sont des édifices constitués par des
ensembles de corpuscules élémentaires électrisés. mais à l’examen
[ceux-ci] se révélaient comme doués de propriétés étranges diffé-
rentes des propriétés simples de points matériels de la mécanique
classique. Cela ne viendrait-il pas de ce qu’on avait méconnu un
aspect ondulatoire des corpuscules élémentaires de matière, alors que
pour la lumière on avait au contraire longtemps méconnu l’aspect
corpusculaire pour ne voir que l’aspect ondulatoire ? Ce qui pouvait
confirmer cette intuition **, c’était l’intervention dans les conditions
de quanta de nombres entiers tout à fait analogues à ceux qui inter-
viennent dans les conditions d’interférences des ondes21. » de Broglie
recherche donc une théorie générale reliant radiations et éléments

* C’est moi qui souligne.


** C’est moi qui souligne.

344
la lumière dans la physique contemporaine

matériels. Par souci esthétique de symétrie, il cherche à associer aux


électrons une onde de probabilité analogue à l’onde associée aux
photons. ses travaux l’amènent à définir un nouvel objet physique :
la particule quantique.
nous avons dit que le corpuscule classique peut se caractériser par
son énergie e et sa quantité de mouvement p, que l’onde classique se
définit par son nombre d’onde k et sa fréquence v. de Broglie (1924)
va caractériser la particule quantique par son énergie e et sa quantité
de mouvement p (comme un corpuscule) mais aussi par son nombre
d’onde k et sa fréquence v (comme une onde) : le nouvel « objet »
physique, décrit par des ondes, va être localisé et évoluer sans perdre
cette localisation. Cette double apparence va se traduire par deux
formules reliant entre elles les grandeurs ondulatoire et corpusculaire.
nous en connaissons déjà une, celle de Planck e = hv. À partir de
considérations sur la propagation des ondes électromagnétiques (en
l’occurrence la propagation du paquet d’ondes), de Broglie ajoute
une seconde relation établissant la proportionnalité entre ces deux
grandeurs p = hk.
les concepts classiques de particule et d’onde ne peuvent plus,
dès lors, s’appliquer sans réserve : il faut renoncer à l’échelle micros-
copique à l’image du corpuscule point matériel et lui substituer la
notion de particule quantique. matière et lumière sont englobées
dans une même description : la lumière quitte son statut ondulatoire
alors même que la matière cesse de se décrire comme un ensemble
de points matériels. une nouvelle mécanique, la « mécanique ondu-
latoire », s’appliquant aux particules quantiques, se substitue aux
conceptions classiques. disons en raccourci, et en courant le risque
d’être incorrect, qu’à partir des travaux de l. de Broglie, il est possible
d’associer différentes fonctions mathématiques, les fonctions d’onde,
aux particules, ce qui unifie les notions de particule et d’onde : l’état
mécanique d’une particule peut être représenté par le champ d’une
grandeur scalaire variable au cours du temps. la zone d’extension
de la particule correspond à la région de l’espace où ce champ de
scalaires n’est pas nul. il se trouve que cette zone d’extension est
d’autant plus vaste que la masse de la particule est faible.
suivant les conditions physiques auxquelles les particules sont
soumises, il est possible de considérer que leur zone d’extension est
négligeable ou non : si elle l’est, la particule peut être considérée

345
une histoire de la lumière

comme un simple point matériel, et la mécanique classique suffit


pour rendre compte de son comportement mécanique ; si la zone
d’extension ne peut être négligée, il faut avoir recours à la mécanique
ondulatoire. ainsi, par exemple, le champ de scalaires représentatif
de l’état quantique d’un électron a une extension spatiale d’envi-
ron un angström cube, c’est-à-dire sensiblement égale à l’ordre de
grandeur d’un atome. si donc un électron est piégé dans un atome,
son comportement ne peut être décrit que par la mécanique ondu-
latoire ; par contre, si l’électron est lancé dans l’espace d’un tube
cathodique, son extension peut être négligée : on peut le représenter
par un point matériel dont les lois de la mécanique classique et de
l’électromagnétisme suffisent à rendre compte du comportement. la
mécanique classique apparaît comme un cas limite de la mécanique
ondulatoire, comme l’optique géométrique est un cas limite de l’optique
ondulatoire *. Cette manière de voir est qualifiée de « symphonie
française » par certains américains, qui pensent pouvoir démontrer
son inadéquation : puisqu’une onde de probabilité peut être associée
à l’électron, celui-ci doit pouvoir diffracter. recherchant à mettre en
évidence l’impossibilité d’une telle diffraction, davisson et Germer
parviendront, en 1927, à réaliser des expériences de diffraction
d’électrons sur un réseau cristallin d’atomes. l’onde associée à un
électron n’est donc pas illusoire.
l’approche de schrödinger se fait dans le même esprit que celle
de l. de Broglie : il veut établir une mécanique ondulatoire qui soit
à la mécanique classique ce qu’est l’optique ondulatoire à l’optique
classique. il est alors amené, en dehors de toute opération de mesure,
à définir une équation qui donne l’évolution, déterministe, d’une onde
représentable  par  un  champ  de  scalaires  Ψ.  Cette  fonction  d’onde 
n’a de formes physiquement acceptables que pour des valeurs par-
ticulières de l’énergie d’un système (les valeurs propres). appliquée
à un atome d’hydrogène, considéré comme un système physique
dans lequel l’électron est soumis au champ électrique du noyau,
cette fonction d’onde permet de déterminer les niveaux quantifiés,

* C'est d’ailleurs en se fondant sur l’analogie découverte par hamilton et Jacobi, de


la dynamique du point matériel et de l’optique géométrique, que l. de Broglie chercha
à établir une mécanique ondulatoire qui soit à la dynamique du point matériel ce que
l’optique ondulatoire est à l’optique géométrique.

346
la lumière dans la physique contemporaine

d’interpréter le spectre d’émission de l’atome, de retrouver ainsi les


résultats obtenus en utilisant le modèle de Bohr. la signification
physique de la fonction d’onde électronique n’est pas fixée par la
théorie. dans un premier temps, schrödinger considère que l’électron
s’étale dans l’espace comme un nuage. en 1926, Born, partisan de la
mécanique quantique, donne à la fonction d’onde une interprétation
probabiliste : ce serait la probabilité de présence de l’électron dans
un élément de volume.
en 1926, on est donc en présence de deux mécaniques nou-
velles qui veulent toutes deux établir, sur des bases différentes, une
correspondance entre les deux descriptions classique et quantique
des phénomènes atomiques. elles y parviennent, dans une certaine
mesure, mais différemment : la mécanique ondulatoire établit des
relations numériques représentant des fonctions d’onde de l’électron ;
la mécanique quantique veut s’abstraire de toute représentation,
de tout modèle, traite uniquement des données de l’expérience, en
rend compte par des matrices. schrödinger établit alors l’équiva-
lence mathématique des deux théories. mathématique, car, en ce qui
concerne leurs significations, l’accord ne se fait pas, comme va le
mettre nettement en évidence le cinquième Conseil solvay.

Le Conseil Solvay de 1927


et les deux interprétations de la physique quantique
en 1927, le Conseil solvay se réunit avec pour programme de
discuter sur la signification physique des deux théories. heisenberg et
Born présentent d’emblée leur approche comme une théorie achevée.
le principe d’incertitude en fixe le domaine de validité ; le principe
de complémentarité permet d’ignorer les paradoxes nés d’une double
représentation corpusculaire et ondulatoire des particules quantiques,
la fonction d’onde est interprétée de manière probabiliste. Cette
interprétation, dite « de Copenhague », donne à la science le but de
relier les résultats de l’observation. Pour ses tenants, la mesure ne fait
« qu’actualiser » une des « puissances » possibles (comme l’exprime
heisenberg, citant explicitement aristote) : système observé et appareil
de mesure ne peuvent être séparés lors d’une opération de mesure ;

347
une histoire de la lumière

il est donc illusoire de vouloir atteindre la connaissance d’une réalité


objective qui existerait indépendamment de l’observateur.
einstein, de Broglie, schrödinger ne peuvent accepter cette inter-
prétation. ils adoptent un point de vue réaliste, exprimé ainsi par
einstein : « il y a quelque chose comme l’état réel d’un système
physique qui existe objectivement, en dehors de toute observation et
mesure, et qui peut être en principe décrit par les moyens d’expression
de la physique. » Pour eux, instrument de mesure et objet observé
appartiennent à l’ordre objectif. einstein réfute le traitement probabi-
liste de l’école de Copenhague en lançant son célèbre « dieu ne joue
pas aux dés ». le congrès se sépare sur un constat d’impossibilité
d’accord sur l’interprétation.
toute sa vie, einstein cherchera à asseoir son point de vue réa-
liste. en 1935, avec Podolsky et rosen, il imagine une expérience
de pensée (connue sous le nom de « paradoxe ePr ») capable de
réfuter l’interprétation de Copenhague : si deux particules quan-
tiques interagissent puis se séparent, il est possible de mesurer des
grandeurs physiques de l’une, d’en déduire celles de l’autre, sans
perturber cette dernière. on peut donc définir une réalité physique
sans l’observer ; la mécanique quantique ne serait donc pas une
théorie complète. en 1964, John stewart Bell (1928-1990) établit
que les prédicats de la mécanique quantique et ceux de la thèse réa-
liste sont, dans certaines conditions expérimentales, contradictoires.
il fournit un test, les « inégalités de Bell », permettant de choisir
entre ces propositions. en 1981, alain aspect (1947- ), mène une
série d’expériences soignées qui conduisent à trancher en faveur de
la mécanique quantique. les réalistes lui opposent alors que l’expé-
rience ne peut réfuter une proposition philosophique et que dans les
présupposés sur lesquels est fondé le paradoxe ePr, l’un, au moins,
est illégitime. ils proposent que la séparation des fonctions d’onde
des particules quantiques ayant interagi ne peut être affirmée : la
fonction d’onde est une et indivise après l’interaction, c’est l’intri-
cation, qu’a pu mettre en évidence entre un atome et des photons
serge haroche (1944- ) et son équipe.
nous en arrivons à la situation actuelle, où l’on voit naître un
changement dans l’enseignement de la physique quantique, longtemps
perturbé par la diffusion de notions qui se sont révélées inexactes,
celles par lesquelles les « pères fondateurs » tentaient de relier ce

348
la lumière dans la physique contemporaine

qu’ils découvraient avec le socle de ce qui était établi par la physique


de leur temps. la physique du début du xxe siècle, dite aujourd’hui
« classique », ne distingue que deux objets, les ondes, continues en
extension, continues en nombre, et les particules, discrètes en nombre,
discrètes en extension. Cette physique a aussi à sa disposition l’optique
dans ses formalisations indépendantes de la théorie de maxwell, la
thermodynamique, l’électromagnétisme, qui usent de statistiques.
C’est à ce cadre que les « pères fondateurs » essaient de se relier
en jetant des ponts qui s’appellent « particules quantiques » – qu’ils
disent à la fois ondes et corpuscules –, « atomes » – dont les images
sont à la fois planétaires et par niveaux d’énergie –, « probabilités
de présence », « spin » dans son image mécanique. nous pouvons
revisiter et réinterpréter ces notions : c’est ce que proposent, entre
autres, les cours de richard Feynman22 et les livres de Jean-marc
lévy-leblond23.
les « particules quantiques » sont discrètes en nombre, continues
en extension, non localisées : elles ne sont ni ondes, ni corpuscules
(fig. 128). Pour éviter toute confusion, il serait pertinent de les
désigner par un nom nouveau : les quantons. au dualisme de la
physique classique succède le monisme quantique. un changement
de terminologie éviterait de nombreuses confusions. les atomes ne
répondent pas, eux non plus, à la description enseignée : ils sont
formés d’un noyau, d’électrons et de ce qui les fait tenir ensemble,
le champ électromagnétique, c’est-à-dire les quantons de ce champ,
qui s’appellent justement des photons24. les échanges de photons
entre le noyau chargé et les électrons chargés assurent la cohésion
de l’atome. les photons, de masses nulles, sont donc aussi substan-
tiels que les électrons et les protons qui en ont une. la notion de
substance s’élargit.

Nombre Étendue
Particule discret discrète
Onde continu continue
Quanton discret continue

Figure 128

349
une histoire de la lumière

7. Les lasers
les problèmes d’ordre épistémologiques et pédagogiques que nous
venons de soulever ne constituent pas la principale préoccupation
de la majorité des spécialistes actuels de la physique quantique.
l’attention de ceux-ci se concentre sur les développements permis
par l’évolution des pratiques expérimentales et la mise au point de
nouveaux outils, grâce auxquels l’histoire de l’optique vit actuelle-
ment une phase de développement importante. en 1916, einstein
postule qu’un électron situé dans un niveau énergétique bas (fonda-
mental)  peut  absorber  une  énergie  quantifiée  hν  et  sauter  dans  un 
niveau  supérieur  (excité) ;  si  une  même  énergie  hν  est  alors  reçue 
par l’atome, elle ne peut plus être absorbée puisque l’électron est
déjà dans le niveau à énergie élevée ; einstein prévoit alors que
l’atome se comportera comme s’il voulait quand même absorber
cette énergie : ne le pouvant pas, il verra l’électron excité revenir à
l’état fondamental en émettant l’énergie hν : on dit que cette énergie 
est  stimulée ;  l’énergie  totale  émise  par  l’atome  est  donc  hν  non 
captée  +  hν  stimulée  =  2  hν.  En  1950,  Alfred  Kastler  (1902-1984) 
propose une méthode pour « inverser » la population électronique
des atomes, c’est-à-dire envoyer tous leurs électrons dans un état
excité ;  l’arrivée  d’une  onde  portant  l’énergie  hν  stimule  alors  le 
retour de tous ces électrons vers le niveau fondamental ; une onde
est  émise  dont  l’énergie  est  très  intense  (nhν)  et  la  fréquence  bien 
déterminée. C’est le « pompage optique ».
le dispositif expérimental sera réalisé d’abord dans le domaine
radio. en effet l’émission spontanée de photons conduit à la disper-
sion de ceux-ci, tandis que l’émission stimulée les concentre dans
un faisceau directif utilisable. or le ratio émission stimulée/émission
spontanée est beaucoup plus important dans le domaine des ondes
radio que dans celui des ondes lumineuses. en 1954, Charles townes
(1915- ) met au point le maser, appelé ainsi par abréviation de
Microwaves Amplification by Stimulated Emission of Radiation. en
1960, theodore maiman (1927-2007) réalise le premier laser
(Light Amplifier by Stimulated Emission of Radiation) à rubis émettant
dans le visible (rouge). les lasers permettent d’obtenir un faisceau
lumineux très intense, cohérent et parfaitement monochromatique.

350
la lumière dans la physique contemporaine

ils connaissent aujourd’hui des applications importantes et variées et


permettent – grâce à leurs propriétés de cohérence, de monochroma-
ticité et de directivité – de mener des investigations qui renouvellent
totalement certaines branches de l’optique. ses utilisations envahissent
actuellement notre quotidien et l’industrie, que ce soit pour percer,
découper et usiner des matériaux (1965 : usinage du diamant par
laser à rubis), transmettre de l’énergie sans fil, « refroidir » des
atomes, souder… les principaux dispositifs rencontrés dans notre
vie courante utilisent des lasers à semi-conducteurs, dans les fibres
optiques, les lecteurs de Cd, les imprimantes, les pointeurs, les lec-
teurs de code-barres… les applications médicales sont nombreuses,
en ophtalmologie et dermatologie notamment. Évidemment, les armes
(viseurs, antimissiles), les dispositifs policiers (contrôle de vitesse,
empreintes) sont renouvelés par l’utilisation de ces appareils, dont
font aussi grand usage certains spectacles et le cinéma numérique.
une autre application des lasers est l’holographie : les ondes dif-
fusées par un objet éclairé par un laser et les ondes directes émises
par celui-ci (dites de référence) sont dirigées vers une plaque pho-
tographique. en raison de la cohérence de la lumière émise par le
laser, la superposition de ces deux ondes produit des interférences
enregistrées sur la plaque : c’est l’hologramme. Celui-ci se compose
donc de franges irrégulières d’intensité variable dont la répartition est
imposée par l’objet éclairé et qui constituent un réseau de diffraction.
si on éclaire ce réseau par une onde identique à l’onde de référence,
les franges de l’hologramme la font diffracter. les déphasages intro-
duits restituent les déphasages qui étaient à l’origine des franges : un
observateur regardant au travers de l’hologramme voit donc l’objet
initialement éclairé de la même façon qu’il le verrait au travers
d’une ouverture ayant les dimensions de la plaque holographique. il
observe une image en relief mais monochromatique ; la combinaison
de plusieurs lasers permet de rétablir le polychromatisme.
mais le principal bouleversement concerne, bien évidemment,
l’ouverture d’une période nouvelle dans les recherches fondamentales
en optique. la science n’est pas un livre écrit une fois pour toutes,
elle est en perpétuel renouvellement.
en guise d’au revoir…

« tandis que l’histoire semble alors plus importune qu’agréable


à une jeunesse ambitieuse qui préférerait inaugurer elle-même une
nouvelle époque, peut-être même un monde primitif, ceux qui avancent
en culture et en âge doivent souvent reconnaître avec une vive gra-
titude ce que leurs prédécesseurs leur ont en mille façons laissé de
bon, d’utile et de secourable.
« rien ne demeure en repos. malgré leurs apparentes régressions,
l’humanité et la science sont contraintes de toujours progresser, quand
bien même devraient-elles en fin de compte revenir toutes deux sur
elles-mêmes. il s’est toujours trouvé des esprits éminents qui voulaient
se confier à quelqu’un. C’est pourquoi bien des choses de valeur
par lesquelles nous pouvons nous convaincre que de justes vues sur
la nature n’ont jamais fait défaut à nos devanciers sont parvenues
jusqu’à nous […] et l’humanité qui est plus d’une fois revenue sur
ses pas […] retourne dans la contrée qu’elle a déjà traversée1. »
C’est par ces phrases que Goethe commence la troisième et dernière
partie, Matériaux pour l’histoire de la théorie des couleurs, de sa
monumentale Théorie des couleurs * : après une « partie didactique »,
où il nous donne sa théorie des couleurs2, la seconde est une « par-
tie polémique » contre newton ; dans la dernière, il recense tout ce
qu’il a trouvé dans les œuvres du passé au sujet des couleurs, qui
lui ont permis d’aller plus loin, et les met à la disposition de ses
lecteurs, qui pourront s’en servir à leur tour pour développer leurs
observations, réflexions et démonstrations.

* J.W. Goethe, Zur Farbenlehre, 1810.

353
une histoire de la lumière

le présent ouvrage, traçant une histoire des théories de la vision


depuis l’antiquité, puis de la lumière depuis ibn al-haytham et robert
Grossetête, montre que l’évolution des idées en physique répond, en
partie, à la description que trace Goethe, si l’on veut bien admettre
également que jamais il n’y a retour à l’identique. une théorie cor-
pusculaire de la lumière est remplacée par une théorie ondulatoire, à
laquelle se substitue une théorie corpusculaire revisitée, approfondie,
décalée, allant ailleurs, puis une autre théorie ondulatoire apportant
par rapport aux précédentes et ainsi de suite jusqu’à aujourd’hui,
où nous croyons pouvoir affirmer que la lumière n’est ni ondes, ni
corpuscules.
nous avons pu constater que la science que nous pratiquons
actuellement a un passé, une histoire, des ancêtres. elle est une œuvre
plurielle, fruit à la fois des découvertes, des hypothèses, des rêves,
de toute une collectivité. Celle-ci gît, souvent à l’insu des savants,
en toute science. l’évolution des idées sur les théories de la lumière
que nous avons tracée montre aussi que la connaissance scientifique,
savoir obtenu par démonstration, dépend du contexte dans lequel la
science se développe, des interrogations que privilégie une époque,
de l’avancement des autres domaines de réflexions et de pratiques…
de loin, le processus évolutif peut être vu comme discontinu, de
près, il est continu : les avancées théoriques sont toujours faites de
petites ruptures et de continuités.
Qu’importent les voies pratiquées : la science est une pensée
vivante qui porte en elle sa propre capacité de contestation. elle
permet d’aller toujours plus loin dans notre appréhension du monde.
Comme elle ne saurait épuiser le réel, elle a cessé de rechercher une
improbable vérité, pour, ce qui est un niveau supérieur du savoir,
déterminer avec précision des pertinences entre des limites de validité
qu’elle sait poser. ainsi l’esprit est-il toujours alerte pour les remettre
en cause et pousser toujours plus loin notre connaissance du monde.
notes

i. la lumière de l’antiQuitÉ À la renaissanCe

1. G. simon, Le Regard, l’Être et l’Apparence, Paris, seuil, 1988.


2. lucrèce, De Rerum Natura (vers 60 avant notre ère). les citations sont
reprises de la traduction de h. Clouard De la nature, Paris, Garnier,
1964. le poème en vers comporte 6 livres numérotés de i à Vi. la
traduction est en prose et donne l’indication de la numérotation des
vers. ici : iV, 33-71.
3. Ibid., iV, 196-236.
4. Ibid., iV, 72-112.
5. Ibid., iV, 237-279.
6. Ibid., iV, 280-322.
7. Ibid., iV, 323-367.
8. Ibid., iV, 410-445.
9. Ibid., iV, 446-484.
10. Ibid., iV, 368-409.
11. se reporter à P. nizan, Les Matérialistes de l’Antiquité, Paris, Éd.
sociales, 1938.
12. Platon, Timée, trad. par a. rivaud, Paris, les Belles lettres, 1970 (1re
éd. 1925), p. 162.
13. V. ronchi, Histoire de la lumière, Paris, masson, 1956, chap. i.
14. euclide, L’Optique et la Catoptrique, librairie scientifique et technique,
1959, trad. par P. Ver eecke.
15. B. maitte, Histoire de l’arc-en-ciel, Paris, seuil, « science ouverte »,
2005, p. 33-34.
16. empédocle (440 avant notre ère), cité par V. ronchi, op. cit.
17. Platon (vers 360 avant notre ère), le passage cité est extrait du Timée.
18. aristote (vers 310 avant notre ère), Des sens, chap. iii.

355
une histoire de la lumière

19. aristote, De l’âme, trad par J. tricot, Paris, Vrin, 1992, ii-7, 418 a
25, p. 105.
20. B. maitte, op. cit., p. 34-42.
21. aristote, Petits Traités d’histoire naturelle, trad. par P.-m. morel, Paris,
Garnier-Flammarion, 2000, 410 a 10, p. 75.
22. Ibid., 410 a 3, p. 76.
23. Ptolémée, Optique, livre ii, cité par G. simon, op. cit., p. 167.
24. a. djebbar, Une histoire de la science arabe, Paris, seuil, « Points
sciences », 2001.
25. al-‘ala’ ibn sahl, Le Livre sur les miroirs ardents, in r. rashed, Géo-
métrie et dioptrique au xe siècle, Paris, les Belles lettres, 1993, p. 1 sq.
26. Contrairement à ce qu’affirme r. rashed à ce sujet.
27. ibn al-haytham, Optics, trad. par a.i. sabra, londres, 1989.
28. ibn al-haytham, « alhazen – le discours sur la lumière », trad. crit. par
r. rashed, Rev. Hist. Sci., t. XXi, 1968, p. 197-224.
29. Ibid., p. 205.
30. ibn al-haytham, cité par r. rashed, « optique géométrique et doctrine
optique chez ibn al-haytham », Archive for History of Exact Sciences,
vol. 6, 1970, p. 272, n° 4.
31. r. rashed, Entre arithmétique et algèbre, Paris, les Belles lettres,
1984, p. 314.
32. Ibid., p. 315.
33. ibn al-haytham, « alhazen – le discours sur la lumière », op. cit.
34. Voir « optique géométrique et doctrine optique chez ibn al-haytham »,
op. cit., p. 278.
35. ibn al-haytham, Opticae Thesaurus libri septem a Federico Risnero
Basilae, 1572, livre i, chap. v, p. 7, cité par V. ronchi, op. cit. Voir
aussi r. rashed, « alhazen – le discours sur la lumière », op. cit.
36. G. simon, op. cit., p. 197.
37. Ibid., p. 191.
38. B. maitte, op. cit., p. 59-65.
39. Le Roman de la Rose, réédition par a. mahy, Paris, nrF, 1947, chap. xvi,
p. 303-307, cité par m. mollat in Genèse médiévale de la France
moderne, Paris, seuil, « Points histoire », 1977.
40. r. Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Âge, Paris, seuil, « Points
histoire », 1979.
41. É. Gilson, La Philosophie au Moyen Âge, Paris, Payot, 1944.
42. la Bible, trad. œcuménique, alliance biblique universelle-le Cerf, 1988,
Jean i-9, p. 1513.
43. É. Gilson, cité par a.C. Crombie, Histoire des sciences, de saint Augustin
à Galilée, Paris, PuF, 1959, p. 17.
44. a.C. Crombie, op. cit., p. 24.

356
notes

45. Cité par J. le Goff, Les Intellectuels au Moyen Âge, Paris, seuil, 1957, p. 17.
46. J. le Goff, op. cit., p. 24.
47. J. mcevoy, Robert Grossetête et la théologie à l’université d’Oxford
(1190-1250), cité par J. Gimpel, La Révolution industrielle au Moyen
Âge, Paris, seuil, « Points histoire », 1975, p. 163.
48. J. mcevoy, op. cit., Paris, Éditions du Cerf, 1999, p. 80.
49. Ibid., p. 76.
50. r. Grossetête, cité par a.C. Crombie, op. cit., p. 88.
51. Ibid., p. 224-232.
52. Ibid., p. 231.
53. l. thorndike, History of Magic and Experimental Science, cité par
J. Gimpel, op. cit., p. 174.
54. roger Bacon, Opus Majus, cité par J. Gimpel, op. cit., p. 178.
55. Cité par Fernand hallyn, La Structure poétique du monde, Paris, seuil,
1987, p. 113-114.
56. m. Ficin, Quid sit lumen, Paris, alia, 1998, chap. vii.
57. J.-l. Ferrier, Holbein / Les Ambassadeurs, Paris, denoël-Gonthier,
« médiations », 1977.
58. J. Baltrusaitis, Anamorphoses ou Perspectives curieuses, Paris, Pygma-
lion, 1969.
59. P. d’ailly, Ymago mundi. Texte latin et traduction française des quatre
traités cosmographiques de d’Ailly et des notes marginales de Christophe
Colomb (1410), trad. par e. Buron, Paris, maisonneuve Frères, 1930, 3 vol.
60. s. Greenblatt, Quattrocento, Paris, Flammarion, 2013.
61. J.B. Porta, Magia Naturalis…, 1558.
62. dans le De Refractione, paru en 1593.
63. Cité par V. ronchi, op. cit., chap. ii.

ii. naissanCe de la sCienCe moderne

1. l’œuvre astronomique de Claude Ptolémée a été transmise par les


arabes sous l’appellation d’Amalgeste (le plus grand des livres) écrit à
alexandrie vers 140.
2. B. maitte, « les arts, les techniques et la fondation de la science moderne :
Florence 1300-1638 », in History of Engineering, International Conference
on History of Engineering, 19-20 mai 2014, naples, Cuzzolin, p. 3-21.
3. F. hallyn, op. cit.
4. Copernic, De Revolutionibus Orbium Celestium, achevé en 1531 publié
en 1543 ; ouvrage posthume. un résumé de ses théories, le Commenta-
riolus, avait circulé en europe à partir de 1512.

357
une histoire de la lumière

5. J. Kepler, Prodomus… ; trad. fr., Prodome aux traités cosmographiques


contenant le mystère cosmique des admirables proportions des orbites
célestes et les vraies et justes raisons de leurs nombres, magnitude et
mouvements périodiques.
6. Cité par B. Kouznetsov, Galilée, moscou, Éditions mir, 1973, p. 73.
7. Cité par É. namer, L’Affaire Galilée, Paris, Galimmard, « archives »,
1975, p. 22.
8. G. simon, Kepler astronome astrologue, Paris, Gallimard, 1979.
9. C. Crombie, op. cit, p. 455.
10. Peut-être sous l’influence de Porta.
11. Cité par É. namer, op. cit., p. 55.
12. Galilée, Sidereus Nuncius, 1610.
13. Galilée, Opere complete (Œuvres complètes), édition nationale, iii,
première partie, p. 62.
14. Cité par B. Kouznetsov, op. cit.
15. aristote, Physique, Viii-4, trad. par h. Carteron, Paris, les Belles
lettres, 1969.
16. t. d’aquin, Somme théologique, traduit par a.d. sertillanges, question 2,
article 3, Éditions du Cerf-desclée, 1958.
17. Galilée, Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde, Paris,
seuil, « sources du savoir », 1992.
18. Galilée, Discours concernant deux sciences nouvelles, Paris, PuF, « Épi-
méthée », 1972.
19. J. Kepler, Ad Vitellionem Paralipomena, Francfort, 1604, cité par
V. ronchi, op. cit.
20. Cité par V. ronchi, op. cit.
21. r. descartes, Discours de la méthode et essais (1637), in Œuvres de
Descartes, publiées par C. adam et P. tannery, t. Vi, Paris, Vrin, 1956.
22. dans Les Météores, 1637.
23. B. maitte, Histoire de l’arc-en-ciel, op. cit., p. 139-151.
24. a. einstein et l. infeld, L’Évolution des idées en physique, Paris,
Payot, 1974.
25. r. descartes, Le Monde ou Traité de la lumière (1664), in Œuvres de
Descartes, op. cit., t. Xi, chap. ii, p. 222.
26. r. descartes, Les Principes de la philosophie, 1664.
27. r. descartes, La Dioptrique, 1637, discours premier.
28. démonstration faite par Ch. huygens, Traité de la lumière (1691), réédition
Paris, Gauthier-Villars, « les maîtres de la pensée scientifique », 1920.
29. P. Fermat, Lettre à un destinataire inconnu, rapporté dans le Varia
Opera mathematiqua D. Petri De Fermat, toulouse, 1679, cité par de
nombreux auteurs. Fermat a longuement correspondu avec descartes

358
notes

qui ne voulait rien concéder. les cartésiens adoptèrent la même attitude


après la mort de leur maître.
30. P. Fermat, Lettre à C. de la Chambre du 1er janvier 1662, cité par r. dugas,
Histoire de la mécanique, neufchâtel, Éditions du Griffon, 1950, p. 247.
31. Clerselier, Lettre du 6 mai 1662 à Fermat, citée par r. dugas, op. cit.,
p. 248.
32. F.m. Grimaldi, Physico-mathesis de Lumine, coloribus et iridi, Florence,
1665, ouvrage posthume du frère Francesco maria Grimaldi (1618-1663).
33. Ibid., première proposition.
34. Ibid., proposition Vii.

iii. le triomPhe de la mÉCaniQue : esPaCe Plein et


GÉomÉtrisation d’une lumière ondulatoire Par huYGens

1. r. Pernoud, op. cit., p. 20.


2. Ibid., p. 23.
3. r. mandrou, Des humanistes aux hommes de science, Paris, seuil, « Points
histoire » (histoire de la pensée européenne), 1973, p. 178-221. Voir
aussi et surtout s. mazauric, Histoire des sciences à l’époque moderne,
Paris, armand Colin, 2009.
4. É. Bréhier, Histoire de la philosophie, Paris, PuF, 1968, t. ii : La
Philosophie moderne, vol. 1 : le xviie siècle, p. 98-99.
5. h.l. Brugmans, « le séjour de Ch. huygens à Paris », thèse, Paris,
1935.
6. Ch. huygens, Traité de la lumière, p. 3. les pages citées renvoient à
la réédition de 1920, in Les Maîtres de la pensée scientifique, Paris,
Gauthier-Villars).
7. Ibid., p. 4.
8. Ibid., p. 19.
9. É. Bartholin, Experimenta crystalli Islandici disdiaclastici…, Copenhague,
1669. les citations sont extraites de la traduction de P. Cuvelier, in Rev.
Hist. Sci., 1977, XXX/3, p. 193-224. ici p. 197.
10. Ibid., p. 210.
11. B. maitte, Histoire des cristaux, Paris, hermann-adapt, 2014, p. 111-132.
12. Ch. huygens, Correspondance, la haye, 1901, t. iX, p. 522, n° 2628, in
Œuvres complètes, la haye, société hollandaise des sciences, 1888-1950,
22 vol.
13. Ch. huygens, Traité de la lumière, op. cit., p. 111.
14. Ibid., p. 112.

359
une histoire de la lumière

iV. le triomPhe de la mÉCaniQue : neWton


et sa ConCePtion « CorPusCulaire » de la lumière

1. a. einstein et l. infeld, L’Évolution des idées en physique, op. cit.


2. Voir a.i. sabra, Theory of Light, from Descartes, to Newton, londres,
oldbourne, 1967 ; m. Blay, La Conceptualisation newtonienne des
phénomènes de la couleur, Paris, Vrin, 1983 ; B. maitte, Histoire de
l’arc-en-ciel, op. cit.
3. lettre de Christiaan huygens à oldenburg, in Œuvres complètes, op. cit.,
t. Vii, p. 242.
4. lettre de robert hooke à oldenburg du 15 janvier 1672.
5. Id.
6. B. maitte, Histoire de l’arc-en-ciel, op. cit., p. 155-189.
7. i. newton, Lettre à Oldenburg, 23 juin 1673.
8. i. newton, Lettre à Oldenburg, 18 novembre 1676.
9. a.C. Crombie, Histoire des sciences de saint Augustin à Galilée, op. cit.,
t. ii, p. 405.
10. Id.
11. i. newton, Philosophiae naturalis principia mathematica, appelés plus
souvent Principia, londres, 1687, trad. par mme du Châtelet, 1756 ; rééd.
Paris, Gabay, 1990, définition première, 3, 4, 7, 8 pour les suivantes.
12. r. locqueneux, Une histoire des idées en physique, Paris, Vuibert-
adapt, 2009, p. 61-65.
13. i. newton, Principia, op. cit., livre i, « axiomes et lois du mouvement »,
deuxième loi.
14. Ibid., livre i, proposition XViii.
15. Prigogine et stengers, La Nouvelle Alliance, Paris, Gallimard, 1979,
p. 65 sq.
16. i. newton, op. cit., livre iii, proposition iii.
17. Ibid., livre iii, proposition Vi.
18. Ibid., livre i, onzième section.
19. a. Pope, projet d’épitaphe pour isaac newton.
20. r. descartes, Les Principes de la philosophie, partie ii, paragraphe 4.
21. r. descartes, Lettre à Mersenne, 15 avril 1630.
22. i. newton, op. cit., livre iii, scholie général.
23. i. newton, Traité d’optique sur les réflexions, réfractions, inflexions
et les couleurs de la lumière, appelé également Optique, trad. par
m. Coste, seconde édition française, Paris, montalant, 1722, livre i,
première définition.
24. Id.
25. Ibid., livre ii.

360
notes

26. Ibid, livre iii.


27. i. newton, la phrase se trouve à la fois dans les Principia et dans
Optique.
28. i. newton, Principia, proposition XCVi ; Optique, livre ii, 2e partie,
proposition X.
29. i. newton, Optique, op. cit., livre ii, 3e partie, proposition Xii.
30. Ibid., livre iii, question XViii.
31. Ibid., livre iii, question XXi.
32. Ibid., livre iii, question XXii.
33. Ibid., livre iii, question XX.
34. Ibid., livre iii, question XXi.
35. Ibid., livre iii, observations (fin).
36. Ibid., livre i, 2e partie, problème i, 7e explication.
37. d. devaux et B. maitte, « newton, les sept notes et les sept couleurs »,
Alliage, n° 59, décembre 2006, p. 111-125.
38. i. newton, Optique, op. cit., livre iii, question XiV.
39. Ibid., livre iii, question XXi.
40. Ibid., livre iii, question XXViii, p. 221.
41. Ibid., livre iii, question XXViii, p. 218.
42. Ibid., livre iii, question XXViii, p. 222.
43. Ibid., livre iii, question XXViii, p. 227.
44. Ibid., livre iii, question XXViii, p. 228-229.
45. Ibid., livre iii, question Xiii.
46. Ibid., livre iii, proposition XXXi.
47. i. newton, Principia, op. cit.
48. leibniz, Lettre à la princesse de Galles (1715), cité par a. Koyré, Du
monde clos à l’Univers infini, Paris, Gallimard, « idées », 1973, p. 285.
49. a. Koyré, op. cit.

V. le sièCle des lumières

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2. Voltaire, Éléments de la philosophie de Newton, cité par n. hampson,
op. cit., p. 64.
3. Voltaire, Lettres philosophiques (1734), cité par n. hampson, op. cit., p. 64.
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361
une histoire de la lumière

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8. r. locqueneux, Sur la nature du feu aux siècles classiques, Paris,
l’harmattan, 2014, p. 183 sq.
9. hume, Dialogues sur la religion, cité par n. hampson, op. cit., p. 75.
10. Prigogine et stengers, op. cit., p. 95 sq.
11. d. diderot, Entretien entre d’Alembert et Diderot (1769), Paris, Garnier-
Flammarion, 1965, p. 45. Cet opuscule ne fut pas publié par diderot, à la
demande de d’alembert, parce qu’il mettait en scène l’amie de celui-ci,
Julie de lespinasse, qui avait mal pris certains passages…
12. Ibid., p. 57.
13. Ibid., p. 51 sq.
14. Prigogine et stengers, op. cit., p. 93. Cette conception est développée
par diderot dans ses Pensées sur l’interprétation de la nature, 1754.
15. Voir l’article de m. Grosland, in La Recherche, n° 71.
16. J. Godechot, Les Institutions de la France sous la Révolution et l’Empire,
Paris, PuF, 1968.
17. l.s. Feuer, Einstein et le conflit des générations, Éditions Complexe,
1978, p. 99.
18. n. malebranche, « mémoire sur la lumière, les couleurs et la génération
du feu », Mém. Ac. Sc., 1699 ; voir aussi La Recherche de la vérité,
XVie éclaircissement, in Œuvres complètes, Paris, Vrin, p. 266.
19. F. arago, « Éloge funèbre de monsieur euler », Œuvres complètes, t. iii.
20. l. euler, Nova theoria lucis et colorium, in Œuvres, vol. 2, p. 362-417,
cité par Casper hakfoort, Optics in the Age of Euler, Cambridge uni-
versity Press, 1995, p. 72-116.
21. l. euler, Lettres à une princesse d’Allemagne (1735), lausanne, Presses
polytechniques de lausanne, 2003.
22. Ibid., lettre XVii, p. 32.
23. Ibid., p. 35.
24. r. dugas, op. cit., p. 250 sq.

Vi. Crise et mutation de l’oPtiQue

1. É.l. malus, Théorie de la double réfraction de la lumière, mémoire


couronné par l’institut, Paris, Baudouin, 1810, p. 291-292.

362
notes

2. F. arago, « notice biographique de malus », in Œuvres complètes,


op. cit., t. iii, p. 141-142.
3. G. roparsa, V. lakshminarayananb et a. le Floch, « the sunstone and
Polarised skylight : ancient Viking navigational tools ? », Contemporary
Physics, 2014, p. 6-11.
4. É.l. malus, op. cit., p. 221.
5. Ibid., p. 5.
6. Ibid., p. 290.
7. i. newton, Optique, livre iii, question XXVi.
8. É.l. malus, « sur une propriété des forces répulsives qui agissent sur la
lumière », in Mémoires de physique et de chimie de la Société d’Arcueil,
Paris, 1809, t. ii, p. 254-267. Voir aussi a. Chappert, Étienne Louis
Malus, Paris, Vrin, 1977.
9. É.l. malus, op. cit. (clxxxv), p. 240.
10. Ibid., p. 281-287.
11. É.l. malus, op. cit. (cxcii), p. 267.
12. É.l. malus, op. cit. (clxxxv), p. 5-6.
13. a. Fresnel, « mémoire sur la diffraction de la lumière », in Œuvres
complètes, Paris, imprimerie impériale, 1866, t. i, p. 250-251.
14. Voir th.s. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, Paris,
Flammarion, 1976.
15. F. arago, op. cit., p. 241-294.
16. Ibid., p. 261.
17. t. Young, Philosophical Transactions, 1802, cité par V. ronchi, op. cit.,
p. 239.
18. t. Young, Philosophical Transactions, 1804, cité par V. ronchi, op. cit.,
p. 239.
19. F. arago, « notice biographique de Fresnel », in Œuvres complètes,
Paris, morgand, 1865, t. i, p. 107-185.
20. a. Fresnel, Œuvres complètes, op. cit., 1868, t. ii, p. 821-822.
21. Ibid., t. ii, p. 826, lettre du 6 juillet 1814.
22. Ibid., t. ii, p. 819, lettre du 15 mai 1814.
23. Ibid., t. ii, p. 820, lettre du 5 juillet 1814.
24. Ibid., t. i, p. 68, lettre de Fresnel à arago du 20 novembre 1815.
25. Ibid., t. i, p. 38, lettre du 8 novembre 1815.
26. Ibid., t. i, p. 76, note d’arago sur la diffraction du 20 février 1816.
27. Ibid., t. i, p. 75, lettre de Fresnel à son frère léonor du 4 mars 1816.
28. Ibid., t. i, p. 121, deuxième mémoire sur la diffraction.
29. V. ronchi, op. cit., p. 254-255.
30. a. Fresnel, op. cit., t. i, p. 236, rapport sur le concours relatif à la
diffraction.
31. Ibid., t. i, p. 374, mémoire couronné sur la diffraction.

363
une histoire de la lumière

32. Ibid., t. i, p. 174-175, note sur la théorie de la diffraction.


33. Ibid., t. i, p. 521-522, mémoire d’arago et Fresnel sur les rayons polarisés.
34. Ibid., t. i, p. 294, mémoire couronné sur la diffraction.
35. Ibid., t. i, p. 529, notes et fragments sur la lumière polarisée.
36. Ibid., t. i, p. 394, théorie de la lumière, deuxième section ; voir aussi
J. rosmorduc, « le débat sur la transversalité des vibrations lumineuses
au début du xixe siècle », in Fundamenta Scientiae, n° 56, 1976.
37. Ibid., t. i, p. 525, notes et fragments sur la lumière polarisée.
38. Ibid., t. ii, p. 276, premier mémoire sur la double réfraction.
39. Ibid., t. ii, p. 742-744, lettre de Young à F. arago.
40. Ibid., t. i, p. 630, calcul des teintes des lames cristallisées.
41. Ibid., t. ii, p. 633, calcul des teintes des lames cristallisées.
42. Ibid., t. ii, p. 235-236, réponse de m. Fresnel à la lettre de m. Poisson.
43. Ibid., t. ii, p. 629, lettre de Fresnel à arago sur l’influence du mouve-
ment terrestre.
44. Ibid., t. i, l’énoncé figure à la fois dans la note du 20 avril 1818 et dans
le mémoire couronné sur la diffraction.
45. J. eisenstaedt, Avant Einstein. Relativité, lumière, gravitation, Paris,
seuil, 2005.
46. r. locqueneux, Une histoire…, op. cit., p. 103-117.
47. Ibid., p. 109.
48. l.s. Feuer, op. cit., p. 185-186 et r. locqueneux, Sur la nature…, op.cit.
49. B. Pourprix et J. lubet, L’Aube de la physique de l’énergie : Helmoltz,
rénovateur de la dynamique, Paris, Vuibert-adapt, 2004.
50. r. locqueneux, Une histoire…, op. cit., p. 143-156.
51. r. locqueneux, Histoire de la thermodynamique classique, Paris, Belin,
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4. r. locqueneux, Sur la nature…, op. cit., p. 175-182.
5. P. Bory, L’Étincelle électrique, abbeville, Paillart, 1898, p. 54.

364
notes

6. J.G. Crowther, James Clerk Maxwell, trad. par m.a. Béra, Paris, her-
man, 1948, p. 37.
7. r. locqueneux, Ampère…, op. cit.
8. J.C. maxwell, « on Faraday’s lines of Force », Scientific Papers, vol. 1,
p. 155 sq.
9. Ibid., lre partie, vol. 1, p. 451 sq.
10. Ibid., 2e partie, vol. 1, p. 467 sq.
11. thomson, cité par J.G. Crowther, op. cit., p. 63.
12. J.C. maxwell, « on Physical lines of Forces », 3e partie (janvier 1862),
op. cit., vol. 1, p. 489 sq.
13. J.C. maxwell, « a dynamical theory of the electromagnetic Field »,
op. cit., vol. 1, p. 526 sq.
14. J.C. maxwell, Traité d’électricité et de magnétisme (1873), trad. par
G. seligmann-lui, Paris, Gauthier-Villars, 1885.
15. Ibid., tome 2, p. 485.
16. J.G. Crowther, op. cit., p. 17.
17. J.C. maxwell, « Éther », op. cit. (ccxliv), vol. 2, p. 763 s.
18. B. maitte, Histoire de l’arc-en-ciel, op. cit., p. 249-253.
19. J.-P. rioux, La Révolution industrielle : 1780-1880, Paris, seuil, « Points
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20. m. Crosland, « la science et le pouvoir », in La Recherche, n° 71.
l’offre se trouve dans Le Moniteur, 23 février 1852.

Viii. la lumière dans la PhYsiQue ContemPoraine

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de m. solovine, Paris, Gauthier-Villars, 1965.
5. l.s. Feuer, Einstein et le conflit des générations, op. cit.
6. B. Pourprix, « la naissance de la physique quantique : rupture et conti-
nuité », Union des professeurs de physique et de chimie, vol. 104,
novembre 2010, p. 1037-1050.

365
une histoire de la lumière

7. a. einstein, lettre à habicht, cité par s. hoffmann, Albert Einstein,


créateur et rebelle, Paris, seuil, « Points sciences », 1975, p. 50.
8. Cité par d. ter haa, Old Quantum Theory, oxford, Pergamon Press, 1967.
9. G. Papanastassiou, Les Théories de la lumière, librairie a. Blanchard,
1929, p. 8.
10. s. hoffmann, op. cit., p. 61.
11. B. Pourprix, D’où vient la physique quantique ?, Paris, Vuibert et
adapt, 2009.
12. B. Kouznetsov, Einstein, Verviers, marabout université, 1967, p. 129.
13. Jean Perrin, Rev. Sci., 15, 1901, p. 449 ; ernest rutherford, Phil. Mag.,
21, 1911, p. 669 ; niels Bohr, Phil. Mag., p. 476 et 856.
14. l. de Broglie, Ondes, Corpuscules – mécanique ondulatoire, Paris,
albin michel, 1935, p. 45.
15. l. de Broglie, op. cit., p. 73.
16. Cité par B. Pourprix, « la naissance… », op.cit.
17. r. locqueneux, Une histoire…, op. cit.
18. J.m. lévy-leblond, article « Quantique (mécanique) », in Encyclopedia
Universalis, vol. 13, p. 86-868.
19. l. de Broglie, op. cit., p. 77.
20. l. de Broglie, op. cit., p. 82.
21. l. de Broglie, op. cit., p. 75-76.
22. r. Feynmann, La Nature de la physique, « Points sciences », Paris,
seuil, 1980.
23. J-m. lévy-leblond, Aux contraires, Paris, Gallimard, « nrF essais »,
1996, p. 94-121.
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Aberration, – des étoiles, 258, 276. Anisotrope, 149 ; voir aussi biréfrin-
Absorption, 321, 337. gence.
Académie, 61, 128, 228 ; voir aussi Anneaux de Newton, 190.
Institut. Antiquité, 15, 44, 65, 72, 131, 287,
Accélération, 88, 109, 170-175, 208, 328. 312, 354.
Accès, 197. anselme de Cantorbéry, 40.
Acte, 24, 44, 48, 85. Arabes, 25, 29, 40-41, 43, 46, 287.
Air subtil, voir éther. arago, François, 231, 242, 249,
airy, sir Georges, 297. 257-265, 270-273, 278, 293.
Alchimie, 41, 54, 61, 65. Arc-en-ciel, 36-37, 48 – 52, 57, 97.
albert de Cologne, 43. Arceuil, Société d’ –, 231.
alberti, leon Battista, 61-62. archimède, 25, 29, 135.
alcuin, 39. aristarque de samos, 72.
alembert, Jean le rond d’, 220-221, aristote, 22–27, 36, 38-39, 41, 43,
226-227. 45–48, 54, 56, 58, 65, 70, 72, 74,
Algèbre, 41. 83, 86, 87, 88, 90, 112, 227, 347.
alhazen, 37, 56, voir aussi ibn al- aspect, alain, 348.
haytham. Astrologie, 54, 61, 65, 69.
al-dîn Chîrazî, 36. Astronomie, 26, 39, 40, 61, 69-70,
al Kindi, 29, 31, 44. 74, 169, 221.
Âme, 22, 26, 37, 39, 43, 47, 85, 93, Atomes, 16-17, 129, 161, 180, 208,
102, 104. 279, 320-341, 344-351 ; structure
ampère, andré, 259, 270, 293 ; bon- de l’, 321.
homme d’ –, 293 Atomistes, 16, 17, 19, 88, 95, 104, 219.
Amplitude, 234, 252, 343. Attraction universelle, 176, 219-220,
Analogie, 156, 195, 248, 251, 275, 288 ; voir aussi gravitation uni-
289, 299-304, 308, 311. verselle.
Anamorphoses, 63. auguste, César octave, 15.

379
une histoire de la lumière

augustin, saint, 38-39, 48, 130. Bulles de savon, 161, 189, 191, 192,
Bacon, roger, 48, 54, 98. 251, 253 ; voir aussi lame mince.
Bacon, Francis, 47, 93. Bunsen, robert, 320.
Balmer, Johann Jakob, 321. Buridan, Jean, 58, 72, 73, 86.
Barberini, maffeo, voir urbain Viii. Cabinet d’optique, 64-65.
Barrow, issac, 162. Calcul infinitésimal, 130, 174, 176.
Bartholin, Érasme, 130, 149–151, 244. Calorique, 279-280.
Batterie, 288. Capacité (électrique), 288.
Becquerel, henri, 320. Carnot, lazare, 229.
Bell, John stewart, 348. Carnot, sadi, 280, 282, 314.
Bellarmin, robert, 85, 91. Cartésianisme, voir système du monde
Bénédictins, 40. de Descartes.
Bernard, Claude, 315. Cassini, Jean-dominique, 129.
Bernard de Chartres, 41. Catastrophe ultraviolette, 331.
Bernard de Clairvaux, 42. Causes finales, 112, 237.
Bernouilli, Jacques et Jean, 227. Cause première, 219-220 ; voir aussi
Berthelot, marcelin, 316. Dieu.
Berthollet, Claude-louis, 229, 231. Chaleur – dissipée, 207 ; – latente
Bienfaisance, principe de –, 219-224. 279 ; – spécifique 279 ; concept,
Biot, Jean-Baptiste, 231, 249, 265, 272, 279-282.
274, 277, 278. Chambre noire, 34, 35, 61.
Biréfringence, voir double réfraction. Champ, 294-295, 297, 308 ; – de gravi-
Black, Joseph, 279. tation, 327-328 ; – électrique, 296-
Blanc d’ordre supérieur, 191. 297, 303-305, 311, 346 ; – magné-
Bohr, niels, 337-341, 347. tique, 294, 296-297, 302-305, 311,
Boltzmann, ludwig, 329, 331. 320 ; – électromagnétique, 300,
Bonaparte, napoléon, 228 ; voir aussi 302-305, 320, 349 ; voir aussi onde
napoléon ier. électromagnétique.
Bonaventure de Bagnoregio, 43. Charge électrique, 288, 290, 296, 326,
Bossuet, Jacques-Bénigne, 128. 330.
Bouteille de Leyde, 288. Charlemagne, 39.
Born, max, 341, 347. Charles ii, 127, 129.
Boyle, robert, 130, 161. Chateaubriand, vicomte François-rené
Bradley, James, 258, 322. de, 229.
Brahé, tycho, 74. Châtelet, Gabrielle Émilie le tonnelier
Brewster, sir david, 265, 278. de Breteuil, marquise du, 218.
Broglie, louis de, 339, 343-348, 366, Chemin optique, 46, 95, 110, 192, 236,
370. 248, 253, 257, 323, 324.
Brougham, henry, lord, 257. Cigoli, lodovico, 84.
Bruno, Giordano, 74, 76, 82, 85, 91. Clairaut, alexis-Claude, 220, 221.
Brunelleschi, Filippo, 60-62. Clarke, samuel, 213.
Buffon, Georges-louis leclerc, comte Classicisme, 127.
de, 222, 229. Clausius, rudolf, 282.

380
index

Clavius, Christophorus, 85. Cyrano de Bergerac (hercule savinien


Clivages, 152, 153, 241. Cyrano, dit), 128.
Cluny, 40. Daltonisme, 298, 311.
Colbert, Jean-Baptiste, 127-129. dante aligheri, 59.
Colomb, Christophe, 65. davisson, Clinton-Joseph, 346.
Composition de mouvements, 87-88, démocrite, 16.
167, 172 ; principe de –, 87-88, Densité, 49, 169, 188, 198, 210, 233.
266. descartes, rené, 15, 91-113, 119, 126,
Comte, auguste, 283. 130, 131, 135-137, 156, 161-164,
Concile de Trente, voir Trente. 168, 169, 178-181, 184, 213, 218,
Conducteur, 194, 288, 291, 293, 295, 219, 226, 232, 250, 258, 259, 308 ;
299, 307, 310. voir aussi système du monde.
Conservatoire des arts et métiers, 228. Diaphane, 24, 48, 244.
Constante, 176, – de Planck, 334 ; – diderot, denis, 221-227.
universelle, 335. dieu, 37-44, 47, 55-57, 60, 63, 72,
Constantin ier, le Grand, 27. 76, 82-87, 100, 102, 110-113,
Copernic, nicolas, 72, 74, 76, 79, 81, 131, 169, 178-179, 200-205, 209,
82, 84-85, 90, 324. 212-214, 219, 224, 237, 278, 348.
Corneille, Pierre, 125, 128, 135. Différence de Marche, 252-257, 260,
Cornu, alfred, 322. 265, 323.
Corps noir, 330-334, 337. Diffraction, 116-120, 156, 187, 188,
Corpuscules, – de lumière, 117, 137, 198, 200-203, 210-211, 236, 254,
161, 181-189, 194-200, 251, 272, 257, 259-268, 271, 334, 336, 342,
274, 277, 300 ; corpusculaire, 30, 346, 351.
121, 131, 147, 180-187 ; forme Disciplines scientifiques, 220, 278,
des – de lumière, 246 ; masses des 283.
– de lumière, 210, 232 ; dualité Dispersion, 156, 166, 185-188, 203,
onde –, 341, 345, 347, 349, 354 ; 210-211, 234-235.
objet, 339, 340, 343. Dissipation, 207, 279.
Cosme de médicis (l’ancien), 60-63. dolland, John, 235.
Couleurs, 22-26, 45, 132, 161-167, Dominicains, 43, 47.
189-193, 203-205, 232-235, 256, donatello, donato di niccolò di Betto
257, 298, 353 ; – fondamentales, Bardi, dit, 61.
22, 162, 205, 298. Double réfraction, voir réfraction.
Coulomb, Charles-augustin, 289, 290, dufay, François, 288.
292. Dynamique, 176, 237.
Courant électrique, 291-297, 302-304 ; Échelle des teintes de Newton, 191.
induit, 295, 296, 304. eckhart von hochheim (maître), 57-58.
Cristallin, 27, 34-35, 93, 251. École centrale des ponts et chaussées,
Crookes, William, 320. 228.
Curie, Pierre, 320. Écorces, 17, 31, 104.
Curie-sklodowska, marie, 320, 336. Écritures, 38, 43, 57, 74.
Cusanus, nicolas, voir nicolas de Cues. Éducation, voir système scolaire.

381
une histoire de la lumière

Effet photoélectrique, 332, 335-337. euclide, 20-21, 26-29, 41, 61.


Effet Zeeman, 341. euler, léonhard, 220, 227, 233-237,
Effluves, 17-18. 251.
Église, 38-39, 55, 65, 74, 76, 84-85, Expérience cruciale, 147, 164, 165,
90-91, 93, 168, 218-219, 222, 228. 277, 278 ; – mentale, 86, 88, 90,
ehrenfest, Paul, 331. 175, 348 ; voir aussi méthode expé-
Eidola, voir écorces. rimentale.
einstein, albert, 87, 325-328, 333-338, Faraday, michael, 294-300, 304.
348, 350. Fârsî (al-Farisi), 29, 36, 58.
Électricité, 225, 233, 279-280, 283, Fermat, Pierre de, 110-112, 118, 146,
287-293, 299, 306, 314 ; – rési- 184, 236 ; principe de –, 112.
neuse 288 ; – vitreuse 288. Feu, 17, 19-24, 70, 87, 100, 102 ; – de
Électrodynamique, 293, 294, 310, 326, saint-elme, 287 ; – intérieur, voir
327, 332. quid.
Électromagnétisme, 293-299, 303-304, Feynman, richard, 349.
309, 319, 330, 338, 346, 349 ; voir Fizeau, hippolyte-louis, 278, 304,
aussi onde électromagnétique. 322.
Électron, 320, 321, 332-341, 345-350. Ficin, marsile, 62-63, 72.
Électronique, 312, 347. Fluide électrique, 288-293 ; – impon-
Électrostatique, 287, 326. dérable 279 ; – lumineux, 117-120 ;
Éléments, 17, 19, 24, 45, 47, 60, 70, – magnétique, 289.
100, 102. Fluorescence, 319, 320.
Émission, 20, 22, 233, 258, 262, 263, Fonction d’onde, 346.
272, 277, 321, 334, 335, 337, 347, Fontenelle, Bernard le Bovier de, 218.
350. Force, 63, 88, 168, 171-189, 224, 236,
empédocle, 17, 20, 24. 237, 264, 280-282 ; – centrifuge,
Énergie, 44, 133, 224, 251, 283, 313, 136 ; – centripète, 170, 172-175 ;
327, 329-346, 350, 351 ; – ciné- – électrique, 288-289, 291-303 ; –
tique, 282 ; – interne 282 ; – lumi- de gravité, 188, 208, 222, 291,
neuse, 143, 144 ; – potentielle 281, 328 ; – imprimée 170 ; – d’iner-
282 ; principe de conservation de tie, 169 ; – magnétique, 287, 289,
l’ – 290, 297, 314. 291-303 ; – réfringente, 185, 187,
Entropie, 282-283. 189, 198-202, 209-213, 232, 246,
Épicure, 16, 128-129. 248, 249, 254, 274.
eschyle, 16. Foucault, léon, 278.
Essence, 26, 31, 48, 63. Fourcroy, antoine-François de, 229,
Éther, 24, 45, 48, 70, 96, 138-146, 230.
152, 156, 161, 196-200, 205, 207, Franciscains, 43.
208, 210-213, 232-235, 256, 264, Franges colorées, 114, 189, 198, 202,
265, 268-279, 283, 298, 303-309, 255, 260.
322-328 ; immobilité de l’ –, 276- Fraunhofer, Joseph, 320-321.
277 ; résistance mécanique de l’ –, Franklin, Benjamin, 288, 291.
276-277 ; vent d’ –, 322. Frédéric ii, de norvège, 149.

382
index

Fréquence, 234-235, 321, 330-341, harvey, William, 92.


345, 350. haüy, rené-Just, 241.
Fresnel, augustin, 250, 258-278, Héliostatisme, 69, 74, 76-77, 82.
307, 326, 335, 342 ; principe de helmoltz, hermann von, 298.
–, 263-266, 278. henri iV, 76.
Galien, Claudios Galenos, 25, 27, 29, héraclite du Pont, 72, 74.
34. hésiode, 16.
Galilée, Galiléo Galilei, 15, 76-95, hermès trismégiste, 63-64.
99, 104, 114, 131, 156, 168-169, hertz, heinrich, 310, 332.
176, 178. hipparque, 177.
Galvani, luigi, 290. hittorf, Johann Wilhelm, 319.
Gassendi, Pierre, 128. holbach, Paul henri thiry, baron d’,
Gauss, Carl Friedrich, 290. 222.
Gay-lussac, louis-Joseph, 231, 264. Holographie, 351.
Gaz, théorie cinétique des –, 300. homère, 16.
Géocentrisme, 69, 74. hooke, robert, 161-162, 166-167, 180,
Géométrie, 30-34, 37-40, 45, 54, 61, 190, 202, 204, 251.
62, 77, 90, 110, 113, 117, 178, 330. hume, david, 225.
Gerber d’aurillac, 40. huygens, Christiaan, 109, 121,
Germer, lester halbert, 346. 129-157, 166, 172, 202, 205,
Gilbert, William, 287. 206, 208, 213, 231-235, 241-245,
Giotto di Bondone, 59. 254-259, 262-263, 265, 267 ; prin-
Goldstein, eugen, 320. cipe de –, 135, 256, 263.
Grâce divine, 110, 213, 214. Hypothèse, 200, 209, 224.
Gramme, Zénobe, 314. ibn al-haytham, 30-37, 45, 49, 55-58,
Gravitation universelle, 167, 178–180, 61, 87, 92, 95, 106, 147, 354.
200, 208, 219, 220, 292, 294, 297, ibn rushd, 29, 36, 37, 44, 47.
327, 328. ibn sinâ, 29, 36, 44.
Gravité, 88, 145, 175-181, 192, 200, Idéalisation, 87.
205, 209-214, 224, 308. Illusion, 19, 35.
Gray, stephen, 288. Image, 18, 26, 30-31, 34-35, 79-82,
Grégoire, abbé henri, 228. 92-96, 147-151, 162-165, 187, 190,
Grimaldi, Francesco maria, 113-120, 241-244, 310, 312, 351 ; – men-
132, 146, 156, 162, 181, 184, 187, tale, 95, 104.
188, 198, 203, 259, 260. Incidence, 19, 30, 32, 49-56, 92, 95-96,
Grossetête, robert, 44-47, 54-57, 92, 151, 163, 184, 197, 206, 243-246,
131, 166, 354. 264-265, 324.
Guericke, otto von, 287. Index, 66, 77, 85, 130.
Gutenberg, Johannes, 65. Indices de réfraction, 96, 165, 184, 234,
hall, Charles Francis, 232, 234. 278 ; – et biréfringence, 150 ; – et
halley, edmund, 176, 221. densité, 49, 56, 188, 198-199, 210-
hamilton, sir William rowan, 346. 211, 234 ; – et dispersion, 187-188,
haroche, serge, 348. 211, 234-235 ; – et force réfrin-

383
une histoire de la lumière

gente, 185-188, 198-201, 210-212, la Fontaine, Jean de, 128.


232 ; – et vitesse de la lumière, 102, Lames minces, 161, 167, 190, 235, 257,
111-112, 118-120, 143-153, 181, 267, 272, 298 ; voir aussi bulles
184, 188, 205-208, 211, 233-236, de savon.
256, 258, 278, 304, 307, 310. laplace, Pierre-simon, marquis de,
Inégalités de Bell, 348. 224, 229-231, 242, 246, 248, 264,
Inertie, 88, 169-174, 178, 181, 209, 279, 283, 290, 309.
212, 227, 327 ; principe d’ –, 112, Laser, 350, 351.
118. laue, max von, 310.
Inquisition, 66, 76, 91. lavoisier, antoine-laurent de, 228,
Institut, 228-231, 241-242, 248, 279, 319.
260-262, 290 ; voir aussi académie. lavoisier, marie-ange, voir Paulze.
Instrumentation, 94. leibniz, Gottfried Wilhelm, 130, 154,
Intensité lumineuse, 117, 143, 146, 172, 213-214, 219, 222, 281.
181, 190, 193, 206, 267-268, 343, le nôtre, andré, 128.
344 ; – des franges, 117, 257, Lentille, 42, 46, 48, 56, 66, 79, 92,
262, 267, 270, 343, 344, 351 ; – 93, 95, 187, 190, 192, 254, 262,
des ondes polarisées, 265, 267, 274 ; – achromatique, 232.
268 ; – réfléchie ou transmise, léonard de Vinci, 63.
181, 268. lepaute, nicole reine, 221.
Interférences, 253, 254, 257, 262-263, leucippe, 16.
267, 298, 300, 323, 324, 334, 336, lévy-leblond, Jean-marc, 349.
338, 342-344, 351 ; – en lumière Lieu naturel, 23, 70, 90.
polarisée, 267. Lignes de forces, 294, 296-304,
Interfrange, 255. locke, John, 224-225.
Isolants, 288. Longue vue, voir lunette.
Isotrope, 60, 149. Longueurs d’ondes, 210, 235, 252-256,
Jacobi, Karl, 346. 260, 265, 278, 310-311, 320-321,
Jansénisme, 128, 131. 323, 330-331, 333, 340.
Jardin du roi, 225, 228. Loi, 19, 22, 30, 45, 57, 60-63, 72,
Jean de sallisbury, 42. 77, 81, 86, 90, 92, 95-96, 99,
Jean scot Érigène, 39. 106, 111-113, 117-118, 144, 146,
Jean-Paul ii, 91. 150-151, 155, 168, 169, 175-176,
Jésuites, 66, 90, 97, 130. 178, 180, 183-184, 188, 205, 212-
Jordan, Pascual, 341. 213, 220-221, 225, 230, 236-237,
Josué, 72. 241, 242, 249, 262-263, 271-279,
Joule, James, 280-282. 288, 295, 297, 299, 326, 327-328,
Kastler, alfred, 350. 331-336, 346.
Kelvin, W. thomson, lord, 282, 331. lorentz, hendrick antoon, 321,
Kepler, Johannes, 76-78, 82, 84, 88, 325-327, 336 ; contraction/trans-
92-93, 95, 162, 169, 205, 250, 287. formation de –, 325, 327.
Kirchhoff, Gustav, 320. louis XiV, 127-128, 130.
Kohlrausch, rudolf, 304. louis XV, 221.

384
index

lucrèce, 16, 19, 65, 128. Mécanique, 90-91, 113, 117, 131, 156,
lully, Jean-Baptiste, 128. 168, 200, 224, 227, 230, 275, 278-
Lumen, 39, 44-45, 48, 55, 57, 92. 279, 300 ; – des fluides, 195, 273,
Lumière, – naturelle / polarisée, 248, 275 ; ondulatoire, 342, 345-347 ; –
266, 268 ; matérialité de la –, 29, quantique, 340-342, 347-349 ;
118, 138 ; voir aussi corpuscule, – statistique, 328-329, 331.
ondes, photon, vibration ; nature Membranes, voir écorces.
physique de la –, voir aussi théorie mersenne, marin, 129.
de la –, 30, 44. Méthode expérimentale, 23, 31, 54,
Lunette (d’approche), 79-80, 82-85, 56-58, 93, 168, 178, 231.
92, 94, 147, 187, 276. michelet, Jules, 64.
Lunettes (de vue), 42, 66. michelson, albert abraham, 322-325,
luther, martin, 65, 74. 327, 332 ; interféromètre de –, 323-
Lux, 39, 44-45, 48, 55-57, 92. 324.
malpighi, marcello, 130. millikan, robert andrews, 337.
Magnétisme, 145, 225, 248, 280, 283, minkowski, hermann, 327.
287, 290-291, 293, 299, 306. Mirage, 147-148.
maiman, théodore, 350. Miroir, 18-22, 25, 29, 30, 32, 87, 186,
maïmonide, moïse, 29, 37. 274, 323-324.
malebranche, nicolas de, 225, 232-233. Modèle mécanique, 110, 112, 235, 278,
malus, Étienne-louis, 231, 241-249, 279, 297-298, 300, 305, 308.
257, 259, 265, 272. Molécule, 241, 244, 246, 248, 249, 259,
marat, Jean-Paul, 228. 264, 266, 268, 270, 274-275, 277,
marie de médicis, 84. 279, 289, 293, 304, 309, 329-330.
mariotte, edme, 130. molière, Jean-Baptiste Poquelin, 128.
masaccio, tommaso, 60, 61. Monisme quantique, 349.
Maser, 350. Moindre action, principe de –, 236-237.
Masse, 169, 171, 175-179, 187-189, monge, Gaspard, 229.
195, 210, 212, 222, 226, 232-233, montaigne, michel de, 129.
244, 258, 280, 290, 292, 296, 320, morley, edward Williams, 322, 324.
349 ; principe de conservation de Mouvement, 23, 32, 35, 45, 54, 57, 58,
la – énergie, 327. 72, 86-88, 100, 132, 137, 169-185,
Mathématiques, 31-32, 35, 44-46, 54, 204, 207-209, 213-214, 251, 270,
62-63, 77, 130, 168, 205, 212, 299, 276, 279, 322, 324-329, 340.
308, 345. Moyen Âge, 37, 58, 64, 79, 86, 87,
maupertuis, Pierre-louis moreau de, 92, 113, 131.
336-337. musschenbroeck, Pieter van, 288.
maurolico, Francesco, 250. Museum national d’histoire naturelle,
maxwell, James Clerk, 12, 297-313, 228.
322, 326-333, 349 ; équations de Myopie, 42.
–, 304, 307-308, 333. napier, Jean, 92.
mayer, Julius robert von, 280-281. napoléon ier, 229, 230, 259 ; voir aussi
mazarin, Jules mazarini, 127. Bonaparte.

385
une histoire de la lumière

napoléon iii, 315. 231-236, 242, 248, 250, 257, 278,


Naturphilosophie, 280, 283, 291-292, 283, 298, 325, 329, 346, 349, 351 ;
309. – géométrique, 22, 25, 31, 92, 96,
Nerf optique, 27, 34, 102, 210, 312. 181, 346 ; – physique, 188, 263,
newton, sir isaac, 47, 121, 130-131, 283, 339, 346 ; – physiologique,
137, 145, 159-237, 241-242, 246, 31, 210, 309.
249-254, 257-265, 290, 292, 298, Oratoriens, 130, 259.
299, 308-309, 312, 326, 328, 353 ; Orbite, voir planète.
échelle des teintes de –, 191 ; erreur oresme, nicole, 58, 72, 73, 86.
de –, 235 ; voir aussi système du Palitzsch, Johann Georg, 221.
monde. Paradoxe, 181-182, 324, 347, 347.
nicolas de Cues, 58, 62, 72. Pardies, ignace-Gaston, 137, 166.
nollet, Jean-antoine, 225, 288. Particule, voir corpuscule ; – quan-
Nova, 74, 77. tique, 345-349.
Œil, 16-27, 30-31, 34-35, 39, 48-52, Pascal, Blaise, 131.
56, 60-66, 77, 79-81, 92-93, 104, Pasteur, louis, 315.
112, 136, 150, 167, 210, 226, 233, Pauli, Wolfgang, 341.
234, 250-253, 311. Paulze, marie-ange, 280.
oldenburg, henry, 167. Peiresc, nicolas-Claude Fabri de, 128.
Ørsted, hans Christian, 291-293. Pénombre, 24, 114.
Ombre, 19, 20, 80, 114, 120, 189, 198, Périclès, 15.
201, 254, 259, 264. Période, 235, 330.
Onde, 11, 45, 116, 119, 132-156, Péripatéticiens, 76, 79, 82-84, 87,
161, 195-197, 206, 207, 251-255, 92-93, 130.
265-270, 274, 278, 303-308, 310- Perrin, Jean, 320-321, 336, 337.
311, 330-331, 333, 336, 340-351 ; Perspective, 22, 25, 56, 60-64, 81.
dualité – corpuscule, 339-349 ; – Pesanteur, 106, 172, 178, 204, 208 ;
électromagnétique, 305-307, 310, voir aussi gravité.
333 ; – extraordinaire et ordi- Phase, 260, 263, 342.
naire, 151-153, 156, 206, 242, Photon, 11, 337-338, 343-345,
248, 265 ; – longitudinale, voir 348-350.
vibrations ; – hertziennes, 310-311 Pic de la mirandole, 63.
voir aussi – électromagnétique ; Pie Xi, 91.
– plane, 135, 143-144, 146, 151 ; – Piero della Francesca, 62.
de probabilité, 345-346. Pierre d’ailly, 65
Ondelettes, 116, 141-142, 144, 146, Pierre de maricourt, 54, 287.
151-152, 254, 260, 262, 263. Pile électrique, 290-292.
Opacité, 277. Plan, – d’onde, voir onde plane ; –
Opposition de phase, 260, 263. de polarisation, voir polarisation ;
Optique, 11, 16, 19, 21, 22, 25-31, 34, – de section principale, 150, 153.
44-49, 54-57, 61-66, 92-95, 106, Planck, max, 332, 334, 336-338, 345.
121, 125, 130, 149, 167, 178-181, Planète, 17, 24-26, 45, 69-73, 77-78,
184, 187-189, 200-206, 213-214, 82-84, 88, 92, 102, 120, 136, 169,

386
index

170, 174-179, 200, 204, 208-209, Quid, 20, 22, 30-31.


219-222, 287, 321. racine, Jean, 125, 127.
Platon, 20, 38, 65, 70, 77, 250. Raies d’absorption, 321, 337.
Platonicien, 42-43, 61-63, 105, 204. Raies d’émission, 321, 337, 347.
Pneuma, 26. Raison suffisante, principe de –, 214,
Podolsky, Boris, 348. 277.
Poggio Bracciolini, 65. Rayon, voir corpuscule ; – lumi-
Poisson, denis, 264, 275-276. neux, 11, 19, 21-22, 25, 35, 46, 95,
Polarisation, 246-249, 257, 259, 263, 106, 110, 114-119, 137, 143, 145,
265-274, 278, 298, 300, 334-336 ; 151, 153, 163-167, 180-187, 206,
– chromatique, 249, 272 ; – rota- 232, 245, 254, 268, 300, 328 ; –
toire, 249, 272. extraordinaire ou ordinaire, voir
Pompage optique, 350. onde ; – polarisé, 246, 265-271 ; –
Pope, alexander, 178, 360. visuel, 20, 46 ; – X, 310.
Porta, G.B. della, 66, 162, 250, 267. Rayonnement cathodique, 319-320,
Positivisme, 283, 337. 334.
Précession des équinoxes, 177. Réalisme, 42, 337.
Presbytie, 66. Réflexion, 19-25, 30-36, 45, 46, 52-57,
Priestley, Joseph, 319. 95-99, 106-109, 117, 119, 136,
Principe d’économie, 46, 110-112, 143-144, 156, 161, 181-200, 205,
236-237. 210, 232-236, 246, 251, 259-260,
Principe d’incertitude, 342, 347. 263, 310.
Principe de complémentarité, 342, 347. Réforme, 65-66.
Propagation rectiligne, 22, 32, 45, 46, Réfraction, voir réflexion ; double –,
95, 114-115, 131, 137, 139-143, 149-156, 241-244, 249, 263.
205-206, 236, 259, 276, 328. Relativité, principe de –, 86, 88, 326 ;
Protons, 333, 335, 349. théorie de la –, 327-328, 332.
Ptolémée, Claude, 25-26, 29, 30, 32, rembrandt, h. Van ryn, 127, 135.
41, 49, 56, 70-76, 81, 90. Rétine, 92, 103, 161, 210.
Prisme, 52, 64, 97, 119, 149, 162-165, Révolution industrielle, 313.
185, 187, 191, 203, 210 ; voir aussi richelieu, armand-Jean du Plessis de,
dispersion. 91, 127-128, 168.
Puissance, 24, 48, 57, 280-282, 288, richer, Jean, 176.
347. rohan, duc de, 218.
Pythagore, 41, 61, 65. römer, olaüs, 120, 130, 322.
Quanta, 334-340, 344. röntgen, Wilhelm Konrad von, 310.
Quantification, 205, 336-338. rosen, nathan, 348.
Quantité de chaleur, 280, 281. rouelle, Guillaume-François, 225.
Quantité de mouvement, 169, 170, 178, rumford, sir Benjamin thompson,
212, 236, 340, 342, 345. comte de, 280.
Quanton, 349. rutherford, ernest, 320-321, 336-337.
Quantum d’énergie ; voir quanta. sade, donatien alphonse François, dit
Quattrocento, 59, 72. marquis de, 222, 224.

387
une histoire de la lumière

Sapience, 54. Technologie, 16.


scheele, Wilhelm, 319. Teintes complémentaires, 161, 193,
Science, – des clercs, 37-40, 93, 194.
228 ; – des mécènes, 59-66, 94 ; Téléobjectif, 92.
– mondaine, 130, 231. Télescope, voir lunette.
Scolastique, 48, 65, 66, 76, 82, 90, Temps, 23, 44, 58, 209, 212, 224, 226,
92, 97. 308, 325-328, 345 ; voir aussi sys-
Sensations, 17, 20, 112-113, 210, 225, tème de coordonnées.
234, 236, 256, 279. Tendance naturelle, 23, 70.
siemens, Werner von, 302. Théories de la lumière (énoncés) :
Simulacres, voir écorces. – de de Broglie, voir méca-
snell, van roijen W., 95. nique quantique ; – de Descartes,
Société d’Arceuil, voir Arcueil. 95-113 ; – de Einstein, voir pho-
Source, 24, 31, 39, 52-56, 92, 99, ton ; – de Fresnel I, 260-265 ; – de
104, 115, 133, 139, 143, 180, 188, Fresnel II, 270-278 ; – de Grimaldi,
198, 253-257, 260, 262, 264, 267,
116-120 ; – de Huygens, 135-157 ;
270, 278, 320, 324-326, 342-343 ;
de Ibn -al-Haytham, 30-37 ; – de
– secondaire, 142, 260, 264, 343.
Maxwell, voir électromagnétisme ;
Spectre solaire, 165, 187, 210, 311,
– de Newton I, 180-186 ; – de New-
320 ; voir aussi dispersion.
ton II, 189-205 ; – de Newton-Malus,
Spectroscopie, 320-321, 341.
245-250 ; – de Young, 250-257 ;
spinoza, Baruch, 213-214.
Sphère des fixes, 24, 45, 69-70, 73. voir aussi les noms cités ; voir aussi
staël, mme de, 229. corpuscules, fluide lumineux, onde.
stahl, Georg ernst, 225. Thermodynamique, 279-283, 309, 314,
stokes, sir Georges, 278. 319, 329-332, 349.
Structure, – des cristaux, 154, 157, thierry de Freiberg, 49, 51, 57, 97.
206 ; – des fluides, 273 ; – des thomson, sir Joseph John, 339.
solides, 145, 151, 185, 200. thomson, William, voir Kelvin.
Substance, 23, 25, 33, 39, 47, 54, 57, thomas d’aquin, 43, 47-48, 56-57, 87.
85, 113, 131, 279, 289, 319, 349. tibère, 287.
suger de saint-denis, abbé, 43. toscanelli, Paolo, 62, 65.
Surface d’onde, 146, 152, 153, 260. Tourbillons, 101-102, 301.
swammerdam, Jan, 130. townes, Charles, 350.
Système, – de coordonnées spatio- Transsubstantiation, 47, 88, 161.
temporel, 87, 327 ; – du monde, Universités, 43, 59, 130, 228, 315.
58, 70, 74, 76, 82, 84, 90, 167, Voltaire, 218, 219, 222.
178-180, 188, 200, 213, 218-227, Wien, Wilhelm, 320.
origine des figures

Fig. 7 : Opus majus de r. Bacon.


Fig. 14 : système de tycho Brahé et de Copernic d’après la Physique du
père regnault (1745).
Fig. 15 : système du monde de J. Kepler d’après le Mysterium Cosmogra-
phicum (1596).
Fig. 16 : Sidereus Nuncius de G. Galilée.
Fig. 19, 21, 22, 26, 29, 31 : Dioptrique de r. descartes.
Fig. 25, 27 : Le Monde ou Traité de la lumière de r. descartes.
Fig. 35 : De Lumine de Grimaldi.
Fig. 42, 43 : d’après Traité de la lumière de Ch. huygens.
Fig. 44, 49, 50, 51, 52, 53, 55, 56 : Traité de la lumière de Ch. huygens.
Fig. 54 : Experimenta crystalli… de É. Bartholin.
Fig. 58, 59, 60, 61 : livre i, Optique de i. newton (fig. 13, 14, 18, 36).
Fig. 69 : Principia de i. newton.
Fig. 74, 76, 77, 84 : Principia de i. newton (fig. 149, 150, 160, 50).
Fig. 78 : Curiosités et merveilles naturelles d’a. lévy (1884).
Fig. 79, 80, 83 : livre ii, Optique de i. newton (fig. 1, 2, 4).
Fig. 81, 82 : livre iii, Optique de i. newton (fig. 1, 3).
Fig. 97 : premier mémoire sur la diffraction de a. Fresnel.
Fig. 105 : L’Étincelle électrique d’a. Cazin (1880).
Fig. 112, 114 : Scientific Papers de J.C. maxwell.
Fig. 117 : Traité d’électricité et de magnétisme de J.C. maxwell.
les figures non mentionnées ci-dessus ont toutes été réalisées par l’auteur.
table

remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

I. La lumière de l’Antiquité à la Renaissance . . . . . . . . . . . . 13


1. la lumière dans l’antiquité classique . . . . . . . . . . . . . . . . 16
2. la lumière en pays d’islam . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
3. la lumière dans le moyen Âge chrétien . . . . . . . . . . . . . . 37
4. migrations des savoirs à la fin du moyen Âge . . . . . . . . 58

II. Naissance de la science moderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67


1. Géocentrisme et héliostatisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
2. Galilée et la naissance de la nouvelle physique . . . . . . . . 79
3. les conceptions de descartes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
4. les découvertes et la théorie de Grimaldi. . . . . . . . . . . . . 113

III. Le triomphe de la mécanique : espace plein et


géométrisation d’une lumière ondulatoire par Huygens. . 123
1. le contexte de l’essor de la science . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
2. la théorie ondulatoire de huygens et le cartésianisme . . 131

IV. Le triomphe de la mécanique : Newton


et sa conception « corpusculaire » de la lumière . . . . . . 159
1. les premières expériences sur les couleurs. . . . . . . . . . . . 162
2. la mécanique newtonienne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
3. la nature physique de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
4. les critiques de newton à la théorie ondulatoire
de la lumière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

391
une histoire de la lumière

5. la théorie corpusculaire dans la mécanique newtonienne 209


6. la polémique leibniz-newton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213

V. Le Siècle des lumières. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215


1. les « philosophes » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
2. la révolution et l’empire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
3. l’optique au xviiie siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231

VI. Crise et mutation de l’optique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239


1. malus et la « polarisation » de la lumière . . . . . . . . . . . . . 241
2. thomas Young et les « interférences » . . . . . . . . . . . . . . . 250
3. l’œuvre de Fresnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258
4. la situation de la science au milieu du xixe siècle . . . . . 279

VII. Vers une nouvelle perspective. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285


1. Électricité et magnétisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
2. le modèle mécanique de maxwell . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298
3. la théorie électromagnétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304
4. les conséquences de la théorie de maxwell . . . . . . . . . . . 308
5. la fin d’une histoire ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311
6. une société qui se transforme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312

VIII. La lumière dans la physique contemporaine . . . . . . . . 317


1. renouveau et victoire de l’atomisme. . . . . . . . . . . . . . . . . 319
2. l’expérience de michelson et morley . . . . . . . . . . . . . . . . 322
3. la théorie de la relativité d’einstein . . . . . . . . . . . . . . . . . 325
4. le problème du corps noir et les quanta. . . . . . . . . . . . . . 328
5. l’effet photoélectrique et le photon. . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
6. la physique quantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
7. les lasers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 350

en guise d’au revoir… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 355


Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367
Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 371
index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379
origine des figures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 389
réalisation : nord compo à villeneuve - d ’ ascq
impression : normandie roto impression s . a . s à lonrai
dépôt légal : mars 2015 . n ° 123705 ( )
– Imprimé en France –
Collection « science ouverte »
dirigée par Jean-marc lévy-leblond

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