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Philippe Sabot
DOI : 10.4000/books.enseditions.4252
Éditeur : ENS Éditions
Lieu d'édition : Lyon
Année d'édition : 2015
Date de mise en ligne : 29 septembre 2015
Collection : La croisée des chemins
ISBN électronique : 9782847887174
http://books.openedition.org
Édition imprimée
Date de publication : 22 septembre 2015
ISBN : 9782847887150
Nombre de pages : 174
Référence électronique
SABOT, Philippe. Le Même et l'Ordre : Michel Foucault et le savoir à l'âge classique. Nouvelle édition [en
ligne]. Lyon : ENS Éditions, 2015 (généré le 03 mai 2019). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/enseditions/4252>. ISBN : 9782847887174. DOI : 10.4000/
books.enseditions.4252.
Le Même et l’Ordre
Michel Foucault
et le savoir à l’âge classique
Philippe Sabot
En s éd i t i o n s
2015
Éléments de catalogage avant publication
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consentement de l’éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon. Les copies ou reproductions
destinées à une utilisation collective sont interdites.
1 cet ouvrage constitue la version remaniée de la première partie d’une étude d’en-
semble des Mots et les choses, dont la seconde partie a été publiée sous le titre : Lire
Les mots et les choses de Michel Foucault, Paris, PUF (Quadrige), 2013 [2006]. on
trouvera, en tête de ce livre, une brève présentation des six premiers chapitres
des Mots et les choses, consacrés principalement à établir la coniguration de savoir
propre à l’âge classique (« ressemblance, représentation, discours », p. 35-44). La
présente étude se veut la reprise détaillée et le développement complet de cette
présentation synthétique.
2 michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences
humaines), 1966 (ensuite cité MC, suivi de la pagination dans le corps du texte).
6 Le Même et l’Ordre
— — •
L’intérêt porté par Foucault aux discours et aux savoirs de l’âge clas-
sique n’est pas nouveau en 1966. Les deux principaux ouvrages publiés
par Foucault avant Les mots et les choses, Histoire de la folie à l’âge
classique et Naissance de la clinique portent déjà clairement la marque de
cet intérêt. À chaque fois en efet, l’analyse se concentre sur les règles
de constitution et de transformation d’une expérience (la folie), d’un
domaine d’objectivité (la maladie), d’un système de savoir (épistémè)
en vue de faire apparaître à la fois l’unité et la cohérence propres qu’ils
reçoivent à l’âge classique et les conditions dans lesquelles s’est consti-
tuée la modernité, c’est-à-dire ce qui déinit « notre » modernité – ce
lieu depuis lequel nous pensons, à partir d’une réorganisation com-
plète des discours et des savoirs adossés à un nouveau schème directeur.
dans ces premiers ouvrages, l’« âge classique » désigne à la fois, sous
la plume de Foucault, un segment chronologique donné, une certaine
période historique, et un type de transformation épistémologique et
discursive dont il importe à l’archéologue de repérer et d’analyser la
diférence qu’elle contribue à inscrire dans notre histoire3, c’est-à-dire
dans l’histoire de la modernité : « […] ce qui s’ofre à l’analyse archéo-
logique, écrit Foucault dans la préface des Mots et les choses, c’est tout
le savoir classique, ou plutôt ce seuil qui nous sépare de la pensée
classique et constitue notre modernité » (MC, 15-16).
dans l’Histoire de la folie, la création de l’hôpital général, en 1656,
apparaît comme l’événement propre à modiier en profondeur la nature
de l’expérience de la folie, laquelle expérience vient se rassembler alors
sous la dimension uniiante de la déraison. Le « grand renfermement »
désigne ainsi à la fois un certain nombre de gestes sociaux et politiques
(institutionnels) d’exclusion qui cernent les « fous », et les identiient
comme « fous » par ce geste même, et un certain nombre de discours
tentant de cerner en vain la positivité d’une folie qui se révèle inale-
3 nous renvoyons ici à Judith revel, « En relisant Les mots et les choses », Acta
Fabula, vol. 14, no 8, « 1966, annus mirabilis », nov.-déc. 2013. En ligne [http://www.
fabula.org/revue/document8296.php], page consultée le 17 avril 2014 : pour Fou-
cault, « faire une archéologie, c’est construire une périodisation comme espace
isomorphique ; mais périodiser, c’est paradoxalement, et avant toute chose, poser
la question du changement, de la discontinuité, de la transformation – ou pour
utiliser la formule que Foucault reprendra toujours davantage à la in de sa vie,
formuler le problème de la diférence possible dans l’histoire ».
L’ordre des choses et la pensée du Même 7
ment n’être rien, néant d’être, indiscernable en tant que telle et rétive
à ce titre à une quelconque déinition positive. cette positivité ne se
conquiert que dans la modernité, à la faveur du passage d’une expé-
rience ontologique à une expérience anthropologique de la folie (la
folie comme altération des facultés humaines, voire comme aliéna-
tion d’une vérité humaine) qui forme la condition de possibilité de
la psychologie moderne4. avec Naissance de la clinique, l’archéologie
du regard médical fait apparaître avant tout les conditions d’émer-
gence d’un regard « clinique » qui suppose en réalité la refonte de
la « médecine des espèces » qui prévalait à l’âge classique, sous la forme
d’une approche taxinomique des maladies, soigneusement ordonnées
et articulées entre elles au sein d’une grand tableau nosographique5.
L’examen et le savoir médicaux à l’âge classique reposent donc sur une
ontologie naturaliste selon laquelle l’être de la maladie se trouve déposé
à la surface du corps et est directement transcriptible dans l’espace taxi-
nomique des espèces nosographiques. Le regard clinique du xixe siècle,
par contre, s’inscrit en rupture par rapport à cette ontologie et s’enfonce
davantage dans les corps pour analyser les raisons de la maladie : au-
delà de l’anatomo-pathologie de Bichat (« ouvrez quelques cadavres »),
c’est dans une expérience de la mort (individuelle) et, au fond, dans
une anthropologie de la initude, que viennent se recueillir désormais
la vérité de la maladie et la possibilité du discours médical moderne.
Histoire de la folie et Naissance de la clinique esquissent ainsi, à leur
manière, le programme d’une « archéologie des sciences humaines »,
puisqu’il s’agit de montrer à chaque fois comment les sciences
humaines trouvent leurs conditions d’émergence dans ces expériences
anthropologiques de la folie et de la mort dont se nourrit la positivité de
savoirs (psychologiques ou médicaux) prenant l’homme comme objet
de science6. de ce point de vue, l’âge classique ofre un contrepoint
cal » : « L’homme occidental n’a pu se constituer à ses propres yeux comme objet
de science, il ne s’est pris à l’intérieur de son langage et ne s’est donné en lui que
dans l’ouverture de sa propre suppression : de l’expérience de la déraison sont nées
toutes les psychologies et la possibilité même de la psychologie ; de l’intégration de
la mort dans la pensée médicale est née une médecine qui se donne comme science
de l’individu » (Naissance de la clinique, ouvr. cité, p. 200-201).
7 ce diagnostic d’un dévoiement de la critique en anthropologie, caractéristique de
la modernité, apparaît déjà dans la thèse complémentaire que Foucault a consacrée
à l’Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant. cette thèse complémentaire,
initialement intitulée Genèse et structure de l’anthropologie de Kant, en référence au
travail de Jean hyppolite sur la Phénoménologie de l’esprit de hegel, consistait en
une longue introduction suivie d’une traduction du texte de Kant. L’intégralité de
ce travail est désormais publié : Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique &
Foucault, Introduction à l’Anthropologie, Paris, Vrin (Bibliothèque des textes philo-
sophiques), 2008.
L’ordre des choses et la pensée du Même 9
la succession ordonnée de ses mots l’ordre même des choses, il faut
que l’être soit « donné sans rupture à la représentation » et que celle-
ci, à son tour, et comme par un jeu de miroirs, « délivre le continu de
l’être » (MC, 219). c’est précisément cette présupposition réciproque
de la représentation et d’un continuum ontologique qui, selon Foucault,
disparaît à la in du xviiie siècle lorsque la représentation cesse d’être
autosuisante et que l’organisation du savoir empirique en tableau se
trouve en quelque sorte débordée par la dimension conditionnante et
constituante d’un sujet transcendantal qui vient redoubler et fonder
ce savoir que l’homme prend désormais de lui-même en tant qu’être
parlant, vivant, travaillant, voué à la initude et à l’historicité.
Par conséquent, si Foucault explore bien dans Les mots et les choses le
vaste domaine du savoir à l’âge classique, il lui importe également d’en
situer l’analyse au sein du projet général d’une « archéologie des sciences
humaines ». de ce point de vue, l’une des thèses majeures portée par le
livre de Foucault est que l’homme n’a pas, à l’intérieur du savoir clas-
sique (voué à la représentation ordonnée des choses dans le déploie-
ment du discours) cette place tout à fait privilégiée que lui réserve seu-
lement le savoir moderne. L’invention de l’« homme » est ainsi traitée
comme un événement interne à la modernité : elle déinit à ce titre un
nouveau régime du pensable et de l’énonçable, ou encore, pour le dire
comme deleuze, une « nouvelle image de la pensée »8. L’espace propre aux
sciences humaines ne s’est ouvert que lorsque s’est refermé déinitive-
ment sur lui-même l’espace de la représentation classique :
L’homme n’existait pas à l’intérieur du savoir classique. ce qui existait en cette
place où nous, maintenant, nous découvrons l’homme, c’était le pouvoir propre
au discours, à l’ordre verbal, de représenter l’ordre des choses. Pour étudier la
grammaire ou le système des richesses, il n’était pas besoin de passer par une
science de l’homme, mais de passer par le discours.9
— —•
8 Voir le compte rendu, par deleuze, des Mots et les choses : « L’homme, une existence
douteuse », Le Nouvel Observateur, 1er juin 1966, p. 32-34 ; repris dans Les mots et les choses
de Michel Foucault. Regards critiques, 1966-1968, caen / saint-Germain-la-Blanche-
herbe, Presses universitaires de caen / imEc (regards critiques), 2009, p. 65-71.
9 « michel Foucault, Les mots et les choses » (entretien avec raymond Bellour), Dits et
écrits, Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), 1994, tome 1, texte
no 34 [1966], p. 501 (ensuite cité DE, suivi des références du texte et de la pagination
dans cette édition).
10 Le Même et l’Ordre
cette espèce de dramaturgie interne aux Mots et les choses qui met aux
prises deux épistémès (ordonnées successivement à la « représentation »
et à l’« homme ») et qui mesure, par leur écart même ou à partir du seuil
qui les sépare, la dimension problématique de la pensée moderne, se
trouve en un sens annoncée ou mise en scène dans le chapitre inaugural
de l’ouvrage de 1966. dans ce chapitre10, Foucault propose avant tout
une présentation métaphorique du dispositif théorique et conceptuel
proposé dans cet ouvrage, en partant d’une analyse aussi minutieuse
qu’orientée du tableau de Velásquez Les Suivantes. c’est dire que les
enjeux de cette analyse débordent largement la peinture de Velásquez
et ne relèvent pas à proprement parler de l’histoire de l’art mais plutôt
d’une histoire épistémologique du savoir. dans la perspective archéolo-
gique adoptée par Foucault, ces enjeux concernent à la fois le statut de
la représentation classique et le débordement de cette représentation
vers le jeu d’instances transcendantales qui viennent la fonder à partir
de la in du xviiie siècle et qui précisément se rassemblent autour de
la igure épistémologique et métaphysique de l’homme. À travers son
interprétation libre du tableau de Velásquez, Foucault entend mettre
au jour les trois éléments du processus de la représentation : l’objet
représenté (le couple royal), le sujet représentant (le peintre), celui pour
qui il y a représentation (le spectateur). ces trois éléments sont eux-
mêmes réléchis de manière dispersée et indirecte dans l’espace du
tableau : le couple royal est visible dans le miroir au centre, le peintre
est montré devant sa toile, le spectateur est iguré à travers le per-
sonnage qui se tient sur le pas de la porte, en retrait par rapport à la
scène représentée. ainsi envisagé, le tableau de Velásquez permet donc
d’exhiber en un sens le processus de la représentation classique. mais
le point décisif de l’analyse proposée par Foucault est de souligner que
ce processus ne peut pas lui-même représenter ce qui le fonde, celui
pour qui il y a représentation. Le peintre, dans le tableau peint – et
11 Les mots et les choses, ouvr. cité, chapitre iX, ii : « La place du roi », p. 318 et suiv.
L’ensemble de l’analyse des Ménines devait d’ailleurs se trouver dans ce chapitre.
Pour ofrir une ouverture rélexive à son ouvrage, tout en ménageant l’écho de cette
rélexion inaugurale dans la suite du livre, Foucault a préféré déplacer cette analyse
dans l’introduction.
12 Le Même et l’Ordre
l’enquête archéologique change de nature : au lieu de la confronta-
tion permanente des discours théoriques à l’ensemble des discours
pratiques – médicaux, juridiques, politiques – qui les nourrissent,
l’attention se porte plutôt aux discours à portée épistémologique – dis-
cours des savants, des théoriciens-philosophes des diférentes posi-
tivités étudiées ; et l’analyse se concentre alors sur la façon dont les
énoncés discursifs accèdent au statut d’énoncés scientiiques et dont
ils se disposent les uns vis-à-vis des autres et s’articulent les uns aux
autres dans la dimension horizontale et systématique d’un « savoir »12.
— — •
L’un des objectifs de la présente étude est de proposer une lecture
systématique de l’enquête elle-même systématique de Foucault en vue
de caractériser d’abord la nature de l’entreprise d’archéologie du savoir
telle que Foucault l’a pratiquée de manière unique, originale et mar-
ginale à la fois13, au milieu des années soixante. mais il convient éga-
lement de ne pas perdre de vue que les analyses systématisantes que
Foucault propose dans Les mots et les choses ne doivent pas être prises
comme des eforts de totalisation, forçant la cohérence inhérente à
chaque épistémè pourse conformer à quelque idéologie structuraliste ;
elles comportent toujours un moment de désystématisation qui ren-
voie les descriptions proposées à leur fonction proprement critique
au sein de l’entreprise globale de l’ouvrage. de ce point de vue, les
12 Voir Les mots et les choses de Michel Foucault. Regards critiques, ouvr. cité, introduc-
tion, p. 25. il y a là une dimension critique de l’archéologie foucaldienne mise en
œuvre dans Les mots et les choses, et qui s’élabore à distance d’une épistémologie
marxiste renvoyant à la structuration des discours et des formes du savoir à la
dimension déterminante des pratiques sociales dont ces discours et ces savoirs
doivent alors être envisagés comme des « relets ».
13 Foucault a souvent insisté sur le caractère « isolé » de son « livre sur les signes »
dont, en réalité, il n’existe aucun équivalent ni aucun prolongement direct dans le
reste de son œuvre. dans l’introduction au volume Les mots et les choses de Michel
Foucault, Regards critiques, cette marginalité du livre de 1966 est d’ailleurs envisa-
gée positivement : « Les mots et les choses ont été, pour Foucault, un livre marginal,
digressif ; […] la mention de cet ouvrage [dans les travaux ultérieurs de Foucault]
a régulièrement perturbé les tentatives du philosophe pour donner à son parcours
une cohérence rétrospective » et lui a permis, par exemple, d’éviter, lorsqu’il aura à
formuler une théorie du pouvoir, « de verser dans une recherche des causes don-
née comme intégralement cohérente et suisante, et d’y faire plutôt jouer ce que
L’ordre du discours nommait la petite machinerie du hasard, du discontinu et de la
matérialité » (ouvr. cité, p. 27).
L’ordre des choses et la pensée du Même 13
propositions de Foucault concernant la disposition générale du savoir
classique, la « science universelle de l’ordre » qui vient commander le
déploiement des sciences empiriques du langage (grammaire générale),
de la nature (histoire naturelle), des richesses (théorie de la monnaie
et de la valeur), méritent d’être replacées dans le cadre d’une analyse
philosophique et historique dont les enjeux sont clairement situés
dans le présent de l’archéologue.
ainsi, l’analyse de l’épistémè de l’âge classique fournit l’occasion de
discuter sur le fond la thèse phénoménologique (husserlienne) relative
à la fonction structurante de la mathesis dans l’apparition et la consti-
tution des sciences classiques14, fondées sur l’objectivation et la mathé-
matisation de la nature et manquant de ce fait la vocation transcen-
dantale de la philosophie, telle qu’elle s’était pourtant fait jour à travers
le cartésianisme. Pour Foucault, comme le signale justement deleuze
dans son compte rendu dès la sortie des Mots et les choses, « l’important
pour déinir l’âge classique, ce n’est pas le mécanisme ni la mathé-
matique » qui auraient en quelque sorte occulté la question trans-
cendantale et retardé l’émergence d’une authentique philosophie du
sujet, « mais ce bouleversement dans le régime des signes, qui cessent
d’être une igure du monde et basculent dans la représentation : cela
seul rend possible et la “mathesis” et le mécanisme »15. L’archéologie du
savoir vaut donc ici comme l’opérateur de révision d’une certaine his-
toire de la philosophie16 qui soumet l’enchaînement des pensées et des
18 nous reviendrons sur le privilège manifeste que reçoit, de ce point de vue, l’histoire
naturelle et ses réalisations taxinomiques au sein de l’espace classique du savoir.
16 Le Même et l’Ordre
au jeu des signes et des ressemblances (qui d’une certaine manière
présuppose le même comme principe d’ordre) une analyse en termes
d’identités et de diférences (où le même, ainsi distribué et articulé
dans l’espace du tableau, en vient à « représenter » l’ordre), elle parvient
à proposer un quadrillage systématique du réel qui passe par la struc-
turation scientiique des domaines empiriques du langage, de la nature,
des richesses (chapitre iii).
ainsi présentée, l’analyse du savoir classique que Foucault propose
dans Les mots et les choses semble pouvoir se ramener à une interro-
gation simple et resserrée : de quelle « pensée du même » l’épistémè
de l’âge classique relève-t-elle ? Et comment cette pensée du même
en vient-elle à conigurer des savoirs positifs, soit à disposer l’ordre
des choses (des choses dites, des êtres naturels, des richesses) dans
l’espace d’un discours qui les représente ? cette interrogation, nous
l’avons indiqué plus haut, renvoie à des enjeux qui concernent non
seulement l’archéologie du savoir mais aussi une « archéologie des
sciences humaines » et l’histoire de notre modernité.
Elle engage également une méthode, celle de l’archéologie juste-
ment, et donc une manière de travailler et de penser à partir d’archives.
notre travail s’eforce de prendre la mesure et de rendre compte de
cette double dimension de l’analyse archéologique qui procède à la fois
d’une élaboration conceptuelle très poussée (lorsqu’il s’agit en parti-
culier d’identiier l’a priori historique qui commande l’ensemble d’une
disposition de savoir) et d’une attention scrupuleuse aux archives du
savoir, à cet ensemble de discours, de choses dites qui forment la base
historique indispensable à tout efort de systématisation et à l’analyse
corrélative des transformations des régimes de discursivité19. En pre-
nant appui sur le travail de numérisation du « dossier préparatoire aux
Mots et les choses », réalisé dans le cadre du projet anr corpus « La
bibliothèque foucaldienne. michel Foucault au travail », nous nous
sommes eforcé de faire apparaître dans notre étude cette seconde
dimension de la démarche archéologique, son ancrage historique et
20 Voir la présentation du « dossier préparatoire aux Mots et les choses » sur le site
créé à l’occasion du projet anr corpus « La bibliothèque foucaldienne » [http://
lbf-ehess.ens-lyon.fr/pages/fonds.html]. ce dossier préparatoire est constitué
des iches de prise de notes de Foucault qui ont fait l’objet d’une numérisation
et d’une description systématique. ces iches sont classées dans cinq dossiers,
titrés par Foucault, qui reprennent les grandes thématiques des Mots et les choses :
– « analyse des richesses » (176 iches) ;
– « Grammaire » (230 iches - 8 sous-dossiers) ;
– « histoire naturelle » (281 iches - 21 sous-dossiers) ;
– « homme » (18 iches) ;
– « Philosophie du Langage » (151 iches).
ces dossiers thématiques se trouvent dans le fonds d’archives « Foucault » déposé
à la BnF (Boîte no XXXi : Les mots et les choses). on trouve également dans ce
fonds d’archives le manuscrit complet d’un cours préparatoire aux Mots et les choses,
donné à são Paulo en 1965 (Boîte no XLVii). sur ces diférents documents pré-
paratoires, voir la note sur le texte et les annotations des Mots et les choses que nous
proposons dans la nouvelle édition des Œuvres de michel Foucault, Paris, Galli-
mard (Bibliothèque de la Pléiade), 2015, vol. 1.
18 Le Même et l’Ordre
Les mots et les choses 21, mais également de restituer les conditions de
sa composition et d’identiier les efets de visibilité et d’intelligibilité
qu’il produit sur notre manière d’envisager l’âge classique et au-delà
sans doute l’histoire même de notre modernité.
21 Et tel qu’il en a lui-même donné une « représentation redoublée » dans son analyse
liminaire des Ménines de Velásquez…
ressemblances :
l’ordre du Même
chaPItre I
L’investigation de Foucault dans Les mots et les choses prend pour point
de départ une analyse de l’épistémè de la renaissance (chapitre ii : « La
prose du monde »). Quel est l’enjeu de cette analyse qui, manifeste-
ment, n’a pas la dimension des enquêtes menées à propos de l’âge
classique et de la modernité (sur lesquels se concentre l’attention de
l’archéologue), mais qui, néanmoins, inaugure véritablement l’archéo-
logie des savoirs proposée dans les Mots et les choses ? En réalité, le
chapitre ii paraît remplir une double fonction au sein de cette archéo-
logie. tout d’abord, l’analyse de l’épistémè de la renaissance cherche à
déinir ce dehors de l’âge classique, ce lieu initial, et en quelque sorte
marginal, à partir duquel quelque chose comme le savoir classique va
pouvoir prendre son épaisseur propre, déployer son ordre spéciique.
d’emblée, Foucault s’attache donc à désigner un seuil, il se place au
point de rupture entre deux systèmes de savoir incompatibles dont le
contraste permet justement de manifester la discontinuité à l’œuvre
dans l’histoire de la pensée, soit précisément « ce moment du temps
où la ressemblance va dénouer son appartenance au savoir et dispa-
raître, au moins pour une part, de l’horizon de la connaissance » (MC,
32). L’étude du savoir renaissant doit donc faire apparaître, en creux,
les conditions de possibilité du savoir classique. mais le chapitre ii
remplit manifestement une autre fonction, qui renvoie cette fois aux
enjeux généraux des Mots et les choses. À la lecture de ce chapitre, on est
frappé en efet par l’absence d’analyses consacrées aux positivités de la
vie et du travail – comme si, dans l’ordre resserré du même renaissant,
ces domaines de l’empiricité ne pouvaient déployer leur singularité et
20 Le Même et l’Ordre
se confondaient. À l’inverse, dominent ici des éléments de rélexion
consacrés à l’« être du langage ». tout se passe donc comme si l’épis-
témè de la renaissance, l’espace d’ordre qu’elle réléchit dans la forme
de la ressemblance et qu’elle adosse à la dimension ontologique
et épistémologique du langage, étaient analysés non pas seulement
depuis la discontinuité de l’âge classique, mais aussi depuis la rup-
ture instauratrice de la modernité, de cette modernité dont « nous ne
sommes pas encore sortis », mais depuis laquelle quelque chose comme
une archéologie des sciences humaines peut s’écrire, sur l’envers de
l’histoire continue des savoirs, et à partir de l’élément critique d’un
langage devenu littérature – creusant alors sous l’espace des sciences
humaines un autre lieu possible pour une pensée à venir1. L’archéo-
logie ne cède pourtant pas aux facilités de la lecture récurrente ou
au mouvement rétrograde du vrai. Elle construit plutôt un système
d’échos qui introduit dans le passé de l’histoire le présent de la critique
et délivre ainsi justement des fausses continuités : car le dehors archéo-
logisable de la renaissance indique, sur le seuil des Mots et les choses,
la possibilité de cet autre seuil, non encore archéologisé, sur lequel se
tient l’archéologue.
de là vient sans doute l’impression curieuse et dérangeante que,
sous la discontinuité historique des modes d’êtres de l’ordre, l’archéo-
logue décèle une continuité sourde, assurée par le « souvenir » récurrent
de l’être du langage dont la littérature manifesterait, à l’aube de la
modernité, la « réapparition » lamboyante (MC, 58). cette expérience
singulière du langage paraît donc jouer, dans Les mots et les choses, un
rôle analogue à celui que jouait l’expérience tragique de la folie dans
Histoire de la folie. comme elle, elle se trouve désignée et décrite sur
les deux bords de l’archéologie, comme son double point de départ :
son point de départ historique, c’est-à-dire dans le passé, et son point
de départ critique, c’est-à-dire dans le présent. Le propre de la renais-
sance est précisément qu’elle inscrit, dans son espace de problémati-
1 il est intéressant de noter à ce sujet que le chapitre ii des Mots et les choses avait
fait l’objet d’une prépublication, sous la forme d’un article intitulé « La prose du
monde », dans lequel ne igurait pas le développement inal consacré à l’« être du
langage » (DE, i, texte no 33, p. 479 et suiv.). ce développement supplémentaire n’a
en efet de sens qu’au sein de l’« archéologie des sciences humaines », dont il permet
d’éclairer certains enjeux cruciaux, notamment ceux qui concernent l’alternative de
l’homme et du langage dans la culture occidentale qui fait l’objet de l’enquête.
Ressemblances : l’ordre du Même 21
sation, ce double point de départ : c’est pourquoi l’analyse inaugurale
des Mots et les choses renvoie aux enjeux généraux d’une archéologie
des sciences humaines qui est comme doublée, sur son envers, par une
archéologie de la littérature2. Foucault s’appuie donc sur des œuvres
de iction (Don Quichotte, Juliette, Les 120 journées de Sodome, mais déjà,
dans la préface, l’« encyclopédie chinoise » de Borgès) pour penser la
rupture d’un ordre du savoir et donc le rapport de l’histoire à ce qui
vient en suspendre le cours continu et à ce qui, du même coup, en
conditionne le « récit » archéologique.
on comprend par là pourquoi le chapitre ii des Mots et les choses
ne forme pas un pur exercice d’érudition, aussi brillant que gratuit. du
moins Foucault y met-il la richesse lamboyante de ses analyses au
service d’une entreprise plus ambitieuse qui concerne les « limites de la
culture occidentale » (MC, 59), telles qu’elles s’indiquent une première
fois dans l’être du langage renaissant. il faut donc à présent revenir
au double point de départ de l’archéologie foucaldienne, en essayant
notamment de rendre compte de la place et de la fonction accordée ab
initio à la question du langage.
2 Voir sur ce point Philippe sabot, Lire Les mots et les choses de Michel Foucault, ouvr.
cité, p. 114-115.
22 Le Même et l’Ordre
manière étonnante donc, dans la présentation qu’en donne Foucault, le
système du savoir renaissant, voué tout entier au système des ressem-
blances et à leur circularité fondamentale, paraît d’abord renvoyer à la
igure monstrueuse d’une identité homogène, à la fois pleine et mono-
tone. cette homogénéité du savoir renaissant produit une inquiétude
symétrique et inverse par rapport à celle que suscitait, dans la préface
de l’ouvrage, l’a-syntaxie de l’encyclopédie borgèsienne (MC, 7-10)3 :
ici, il y a trop d’identité puisqu’on ne connaît toujours que la même
chose ; là, il y avait trop de diférences – l’encyclopédie est un leurre,
elle ne fait le tour d’aucun objet ou d’aucune classe d’objets, sauf –
c’est toute l’ironie de Borgès – de ceux qui sont inclassables4. on fera
l’hypothèse que cette opposition dessine en creux la forme générale
du savoir classique en tant que celui-ci s’élabore à l’intersection de ces
deux cheminements croisés, en substituant à la pure ressemblance et à
la pure dissemblance les principes d’une analyse en termes d’identité
et de diférence, soit un système de diférenciation susceptible de dis-
poser le réel dans l’espace ini et quadrillé d’un « tableau ».
• — —
3 Voir notre analyse de cette préface dans Lire Les mots et les choses de Michel Foucault,
ouvr. cité, p. 9-15.
4 Voir tristan dagron, « Espaces et ictions : notes sur Foucault et la renaissance »,
Lectures de Michel Foucault, 2 : Foucault et la philosophie, E. da silva dir., Lyon, Ens
éditions (heoria), 2003, p. 99. nous suivons plus loin son analyse des igures de la
similitude.
5 il s’agit, de l’aveu même de Foucault, des « principales igures qui prescrivent leurs
articulations au savoir de la ressemblance » (MC, 33). ces igures n’épuisent pas la
richesse sémantique du même renaissant, tel qu’on la trouve détaillée par exemple
chez Pierre Grégoire (Syntaxeon artis mirabilis, 1610) : Amicitia, Æqualitas (contrac-
tus, consensus, matrimonium, societas, pax et similia), Consonantia, Concertus, Conti-
nuum, Paritas, Proportio, Similitudo, Conjunctio, Copula – et aussi Communio que
Foucault omet de reporter dans cette longue liste.
Ressemblances : l’ordre du Même 23
quatre systèmes déterminés de ressemblance, à la source de tout savoir
possible, ne sont pas cependant sur le même plan. Les trois premières
manières de penser la similitude sont en efet reprises (et intégrées)
dans la quatrième qui en règle l’articulation et rend ainsi véritablement
possible la connaissance des choses semblables. reprenons donc, avec
Foucault, cette table des catégories du semblable – qui vaut ici comme
la table d’opération du savoir de la ressemblance.
Le premier opérateur d’un tel savoir consiste dans la convenance6.
celle-ci déinit la similitude en tant qu’elle est liée à la proximité dans
l’espace :
Le lieu et la similitude s’enchevêtrent : on voit pousser des mousses sur le dos
des coquillages, des plantes dans la ramée des cerfs, des sortes d’herbes sur
le visage des hommes ; et l’étrange zoophyte juxtapose en les mêlant les pro-
priétés qui le rendent semblable aussi bien à la plante qu’à l’animal. (MC, 33)
– sur Pierre Belon, Histoire des oiseaux (XVi s.), avec une iche intitulée : « anato-
mie comparée de l’homme et de l’oiseau » ;
– sur crollius, avec 3 iches consacrées au Traité des signatures (trad. Lyon, 1624) –
intitulées « correspondances du micro et du macrocosme », « macro et micro-
cosme », « Les herbes et les étoiles » ;
– sur aldrovandi, avec 2 iches sur Monstrorum Historia (Bononia, 1647) – intitu-
lées : « L’homme et le ciel » et « Emulatio n’est pas simulacrum ».
8 dans le sous-dossier « histoire naturelle » du dossier préparatoire aux Mots et
Ressemblances : l’ordre du Même 25
comme celle-ci [l’æmulatio], [l’analogie] assure le merveilleux afrontement
des ressemblances à travers l’espace ; mais elle parle, comme celle-là [la conve-
nientia], d’ajustements, de liens, de jointure. son pouvoir est immense, car
les similitudes qu’elle traite ne sont pas celles, visibles, massives, des choses
elles-mêmes ; il suit que ce soient les ressemblances plus subtiles des rapports.
ainsi allégée, elle peut tendre, à partir d’un même point, un nombre indéini
de parentés. (MC, 36)
– sur J. cardan, avec une iche sur De la subtilité (trad. 1556, Paris), intitulée « amour
et haine des plantes les unes pour les autres ».
Ressemblances : l’ordre du Même 29
Le Même que dit le semblable n’est donc pas celui qui eface les
diférences, mais celui qui les airme. on comprend par là pourquoi
Foucault insiste sur le primat ontologique et épistémologique de la
sympathie (et de l’antipathie qui en corrige les excès et en fonde la
puissance) par rapport aux autres formes de ressemblance. c’est elle en
efet qui en règle les efets, qui en conditionne au fond les opérations :
la ressemblance ne s’instaure comme mode opératoire d’un savoir pris
sur le monde qu’à partir du moment où le Même décrit la relation
dynamique de l’identique et du diférent, de ce qui se rapproche (et
ainsi se ressemble, sous les formes de la simple convenance ou de
l’émulation, mais aussi des systèmes d’analogie) et de ce qui pourtant
ne se réduit pas à la même chose : car une seule et même chose, un seul
et même monde ne ressemblent plus à rien.
— —•
au terme de la reconstitution de Foucault, il apparaît donc que ce sont
les formes de la sympathie et de l’antipathie qui stabilisent le « jeu des
ressemblances » en en ixant en quelque sorte les règles élémentaires
et en en délimitant par là même l’espace de prolifération. après la
description des opérations de ressemblance, on accède ainsi à la « table
d’opération » elle-même qui en soutient les procédures diférenciées.
on notera que, tout au long de cette analyse, Foucault airme avec
force que le savoir de la renaissance n’est pas du tout livré à la forme
pré-rationnelle, voire irrationnelle, d’une confusion généralisée, d’un
désordre absolu dont la ressemblance serait le moteur. au contraire, il
s’agit bien d’une épistémè, c’est-à-dire d’un système d’ordre qui délivre,
au fondement de tous les savoirs positifs et de l’empiricité elle-même,
la régularité de certains agencements conceptuels, de certaines procé-
dures constitutives d’objets : la sympathie et l’antipathie déinissent
ainsi les modes de distribution de l’identique et du diférent sous le
régime du semblable, de même que mathesis et taxinomia désigneront,
à l’âge classique, leurs modes de distribution sous un autre régime, celui
de la représentation. ce point est d’importance si l’on veut comprendre
le type d’histoire du savoir que propose Foucault : l’archéologue ne
cherche pas à cerner ce qu’il y aurait d’encore inadéquat dans le mode
de pensée de la renaissance, mais plutôt à saisir ce qui toujours déjà
fait système dans l’articulation originale des catégories de la ressem-
blance qui déinit en propre ce mode de pensée. il y va sans doute ici
30 Le Même et l’Ordre
du positivisme de Foucault, qui forme la doublure de son scepticisme :
il refuse d’évaluer les épistémès au nom d’une valeur de vérité transcen-
dante, mais cherche plutôt à déinir et à décrire les règles de constitu-
tion et d’élaboration d’une norme de vérité propre à chaque épistémè : il
est vain de lire Paracelse avec les lunettes de descartes.
mais il faut encore préciser les choses : car, une fois élucidés le prin-
cipe et les modalités de ce cheminement du semblable au semblable,
il convient de saisir comment cette méthode produit une connaissance
et vient s’articuler positivement dans un savoir de la ressemblance :
comment pouvons-nous savoir qu’une chose ressemble à une autre ?
Pour Foucault, la solution de cette énigme se trouve dans une théorie
des signatures10 propre à la renaissance : « il n’y a pas de ressemblance
sans signature. Le monde du similaire ne peut être qu’un monde mar-
qué. […] Le savoir des similitudes se fonde sur le relevé [des] signa-
tures et sur leur déchifrement » (MC, 41). Les signes à travers lesquels
les ressemblances entre les choses sont connues sont donc eux-mêmes
des ressemblances : ils ne sont pas indépendants des choses qu’ils
désignent, mais inscrivent au contraire la ressemblance dans les
choses. La signature déinit par conséquent une ressemblance (visible)
fonctionnant comme le signe d’une autre ressemblance (invisible) :
elle constitue l’élément ultime qui permet de boucler sur lui-même
le système du semblable tel qu’il fonctionne à la renaissance. Pour
clariier le statut des signatures, Foucault prend l’exemple de l’aco-
nit, cette plante utilisée pour soigner les maladies de l’œil en raison
de sa « sympathie » avec ce dernier. Le signe (la signature) par lequel
nous sommes capables de reconnaître cette relation de sympathie est
l’analogie manifeste entre les yeux et les graines d’aconit : d’après le
11 sur la relation entre micro et macrocosme, voir les iches consacrées à des notes
de lecture de crollius, Traité des signatures et insérées dans l’intercalaire « Æmula-
tio » (supra, chapitre i, note 7).
34 Le Même et l’Ordre
contrairement à une idée reçue, largement difusée par l’histoire des
idées et trouvant son ancrage dans une psychologie de la connais-
sance12, la renaissance n’est pas ce moment primitif, prélogique du
savoir, déchiré entre « la idélité aux anciens, le goût pour le merveil-
leux, et une attention déjà éveillée sur cette souveraine rationalité en
laquelle nous nous reconnaissons » (MC, 47) et dont l’âge classique
aurait (enin) déini les règles opératoires. À l’encontre de cette ana-
lyse psychologisante et rétrospective qui s’appuie sur une analyse dia-
lectique de la continuité historique (il y aurait un devenir rationnel
du savoir renaissant quine serait pas encore efectif à la renaissance),
Foucault s’attache à restituer le mode d’être historique et positif de
l’ordre qui rend compte à la fois du mode d’être des choses empiriques
(soumises à la contrainte des diverses igures de la ressemblance) et des
modalités de leur connaissance. La question n’est donc pas : qu’est-ce
que connaître (en général) ? mais plutôt : comment connaît-on ce qui
se ressemble – ou encore : quelle est la forme que prend l’activité de
connaissance lorsqu’elle se déploie dans un monde livré au système des
ressemblances ?
Foucault répond à cette question proprement archéologique en
soulignant que le savoir du xvie siècle « devait accueillir à la fois et
sur le même plan magie et érudition » (MC, 47). ces deux formes
du connaître renaissant ne sont donc pas hiérarchisées, mais ce sont
12 La cible de Foucault est sans doute une histoire des idées à la française telle que
la développe en particulier Paul hazard dans La crise de la conscience européenne
(1680-1715), Paris, Boivin & cie, 1934. dans la perspective développée par hazard,
la « crise » n’est mentionnée que pour être résolue par le travail de l’historien des
idées qui analyse les conditions d’émergence de la période classique dans les termes
d’un conlit entre les anciens et les modernes. dans un compte rendu de La phi-
losophie des Lumières (dont la traduction française était parue en 1966), Foucault
distingue le type d’analyse proposé par cassirer (qui cherche à restituer l’« univers
autonome du discours-pensée ») de celui de Paul hazard qui reste selon lui pri-
sonnier « des prestiges de la psychologie » et pour lequel « une culture, une pen-
sée, c’est toujours […] la métaphore d’un individu : il nous suit de transposer à
l’échelle d’une époque ou d’une civilisation ce que, dans notre naïveté, nous croyons
valable pour un sujet singulier ; un “siècle” aurait, comme tout un chacun, des opi-
nions, des connaissances, des désirs, des inquiétudes, des aspirations » (michel
Foucault, « Une histoire restée muette », La Quinzaine littéraire, no 8, 1er-15 juillet
1966, p. 3-4 ; dans DE, i, texte no 40, p. 547). sur le débat implicite entre Foucault
et hazard, voir Jean miel, « Ideas or epistemes : hazard vs Foucault », Yale French
Studies, no 49, 1973, p. 231-245.
Ressemblances : l’ordre du Même 35
des formes requises et requises ensemble, par la disposition générale du
savoir qui a été présentée dans les pages précédentes.
À quoi tient alors cette étonnante complémentarité de la divinatio
et de l’eruditio qui constituent, selon Foucault, deux igures jumelles
de la connaissance à la renaissance ? au fait que ces igures consti-
tuent « une même herméneutique » (MC, 48) : fondamentalement,
connaître, c’est interpréter, c’est-à-dire déchifrer des signes. s’il faut
néanmoins établir une distinction entre la magie et l’érudition, il ne
s’agit pas d’une distinction structurelle qui séparerait deux modes de
connaissance concurrents, nécessairement alternatifs et hiérarchisés
(l’autorité du savoir revenant in ine à l’héritage culturel des anciens
plutôt qu’à l’observation naturelle), mais plutôt d’une diférence interne
à la connaissance elle-même : en efet, l’herméneutique « se développe,
selon des igures semblables, à deux niveaux diférents : l’une [l’her-
méneutique divinatoire ou magique] va de la marque muette à la chose
elle-même (et elle fait parler la nature) ; l’autre [l’herméneutique érudite
ou savante] va du graphisme immobile à la claire parole (elle redonne
vie aux langages en sommeil) » (MC, 48-49). si la pratique du déchif-
frement se dédouble en déchifrement de la nature et en déchifrement
des textes anciens, il reste que les marques naturelles et les signes écrits
font sens de la même manière puisqu’ils renvoient en dernière instance
à l’« institution de dieu » qui garantit leur communication au sein d’un
texte unique où s’entremêlent la nature et le verbe. cela implique que
le langage réel (soit le langage écrit, à distinguer du langage naturel des
signatures) ne se constitue pas à part des choses comme « un ensemble
de signes indépendants, uniforme et lisse où les choses viendraient se
reléter comme dans un miroir pour y énoncer une à une leur vérité
singulière », mais qu’il « est déposé dans le monde » (MC, 49), à même
les choses et les êtres qui le peuplent.
après avoir énoncé les catégories du semblable (qui mettent en
ordre l’expérience des choses) et déini le jeu du signe et du similaire
(qui rend compte de la forme générale de la connaissance à la renais-
sance), Foucault examine donc pour inir le statut du langage. cet
examen est important dans la mesure où c’est sur ce statut des signes
(linguistiques) que va s’opérer la rupture de l’âge classique, celle-ci
consistant précisément à dénouer l’appartenance mutuelle des mots
et des choses et à replier le langage sur l’ordre discursif de la représen-
tation. connaître ne reviendra plus alors à déchifrer inlassablement
36 Le Même et l’Ordre
la « prose du monde », mais à « représenter » les choses dans un discours
qui, au lieu d’énoncer leurs manières de se ressembler, projette leur
identité et leurs diférences dans un système de signes indépendants.
Que révèle en efet l’étude du langage renaissant dont les éléments
(les mots) entretiennent entre eux des rapports de ressemblance du
même ordre que ceux relevés à propos des êtres naturels ? d’abord que
la fameuse métaphore d’une nature qui se laisserait déchifrer comme
un livre a pour condition épistémologique que le langage de tout livre
soit lui-même naturalisé, et que la grammaire ne décrive rien d’autre
que les igures de cette naturalisation : « l’étude de la grammaire repose,
au xvie siècle, sur la même disposition épistémologique que la science
de la nature ou les disciplines ésotériques » (MC, 50). cela ne signiie
pas pour autant que ces domaines de savoir se confondent et sont
interchangeables. au contraire, la grammaire comme étude du langage
dans son être brut permet de le situer « à mi-chemin entre les igures
visibles de la nature et les convenances secrètes des discours ésoté-
riques » (MC, 50). cette situation intermédiaire rend ainsi compte de
ce que le rapport des mots aux choses ne prend pas la forme d’une
révélation immédiate des choses dans les mots pour les dire, mais plu-
tôt la forme double d’une « révélation enfouie et [d’une] révélation qui
peu à peu se restitue dans une clarté montante » (MC, 51). Le langage
déploie son être dans une sorte de clair-obscur où se joue quelque
chose comme son rapport ésotérique à la nature, aux antipodes d’une
transparence réciproque des signes et de ce qu’ils désignent. Pour
rendre compte de cette situation particulière du langage, en décro-
chage par rapport à la nature et par rapport à lui-même, Foucault
souligne alors la fonction structurante du mythe de Babel à travers la
référence à une langue de mémoire (l’hébreu) qui contiendrait comme
la promesse d’un retour à cette indistinction originaire des mots et
des choses ou, du moins, d’un accès à la vérité du monde : « certes,
[le langage] n’est plus la nature dans sa visibilité d’origine, mais il
n’est pas non plus un instrument mystérieux dont quelques-uns seu-
lement, privilégiés, connaîtraient les pouvoirs. il est plutôt la igure
d’un monde en train de se racheter et se mettant enin à l’écoute de
la vraie parole » (MC, 51-52). La fonction symbolique du langage n’est
donc plus indexée sur les mots eux-mêmes, mais elle est rapportée à la
totalité du monde dont les mots ont pour tâche indéinie de reconsti-
tuer l’ordre aussi bien par leur enchaînement que par leur disposition
Ressemblances : l’ordre du Même 37
dans l’espace. Foucault évoque à ce propos les analyses étonnantes de
claude duret dans son Trésor de l’histoire des langues (1613) : selon
duret, le mouvement même de l’écriture ressaisi dans la diversité de
ses pratiques (de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas et
de bas en haut, selon les peuples) dessine, analogiquement, la forme de
la croix. L’espace scriptural du langage vient ainsi s’entrecroiser « avec
les lieux et les igures du cosmos » (MC, 52). Les mots ne peuvent dire
les choses, les signiier, qu’en les redoublant dans le tracé d’une écri-
ture ; ce n’est qu’en écrivant les choses qu’on peut en énoncer, sous une
forme toujours approximative, la vérité. L’écriture, c’est cette mise en
espace du langage qui vaut pour une mise en ordre du monde.
ce privilège accordé à l’écriture rejaillit alors pleinement sur la
forme concrète prise par le savoir à la renaissance. car la nature ne
désigne pas cet espace homogène livré à l’observation par un regard
souverain qui la met à distance et ainsi l’objective ; elle consiste plutôt
dans un ensemble de « legenda, – choses à lire » (MC, 55), les êtres natu-
rels étant eux-mêmes signés et signants, saturés non pas de signiica-
tion mais de signatures, et renvoyés les uns aux autres par le jeu univer-
sel des ressemblances – ressemblances entre les êtres et leurs marques
et entre leurs marques elles-mêmes. c’est pourquoi connaître la nature
revient à parcourir indéiniment cet immense espace des ressemblances
et des signatures13. Et le commentaire constitue la forme privilégiée
d’une telle connaissance dans la mesure où tenir un discours sur la
nature, cela revient à en interpréter le texte selon le principe d’une pro-
lifération intérieure du langage analogue à la prolifération interne des
ressemblances au sein de cette nature. il n’y a donc là nullement « le
13 ainsi, les critiques que Bufon adresse aux descriptions proposées par aldrovandi
dans son Historia Serpentum et Draconum, rejetant celles-ci dans les marges de
la démarche scientiique, paraissent anachroniques. Voir à ce sujet une iche du
sous-dossier « histoire naturelle » qui rapporte les propos de Bufon à propos de la
méthode d’aldrovandi : « Qu’on songe après cela de la portion d’histoire naturelle
qu’on doit s’attendre à trouver dans ce fatras d’écriture ! » Foucault cite ici Buf-
fon d’après l’ouvrage d’émile callot, Renaissance des sciences de la vie au XVIe siècle,
Paris, PUF (Bibliothèque de philosophie contemporaine), 1951. du point de vue
archéologique, les deux « naturalistes » n’ont pas le même objet ni les mêmes outils
conceptuels pour s’y rapporter : ici, la nature est observée par un regard analytique
qui en décompose les éléments en vue de les ordonner au sein du grand tableau des
êtres naturels ; là, elle est déchifrée, interprétée comme « un tissu ininterrompu de
mots et de marques, de récits et de caractères, de discours et de formes » (MC, 55).
38 Le Même et l’Ordre
constat de faillite d’une culture ensevelie sous ses propres monuments »
(MC, 55), comme pourrait le laisser accroire une comparaison entre la
supposée instabilité chronique d’un langage renvoyé indéiniment à
lui-même (et qui init par ne plus rien dire, par ne plus parler de rien,
ne parlant que de lui-même) et la claire articulation du signe à ce
qu’il désigne dans le discours représentatif de l’âge classique. À nou-
veau, l’archéologie invalide ce type de comparaison : le commentaire
n’est pas la forme d’expression pathologique d’un langage qu’il faudrait
guérir ou assainir en en stabilisant l’articulation interne ; il est plutôt
le mode ultime de constitution du savoir renaissant dont il fonde les
exigences en en déployant les contraintes spéciiques.
Foucault conclut ainsi son analyse en rendant compte de l’homo-
logie structurelle qui se dessine entre « l’expérience du langage » et « la
connaissance des choses de la nature » (MC, 56) à la renaissance. il
rappelle pour commencer la manière dont la connaissance de la nature
se développe comme ce va-et-vient indéini entre le système de res-
semblances entre les choses et le système redoublé de ressemblances
entre les signatures des choses, qui ne sont elles-mêmes qu’un jeu de
ressemblances à la puissance. or, le commentaire obéit à la même
logique de redoublement et de circularité du semblable :
Le commentaire ressemble indéiniment à ce qu’il commente et qu’il ne peut
jamais énoncer ; tout comme le savoir de la nature trouve toujours de nouveaux
signes à la ressemblance parce que la ressemblance ne peut être connue par
elle-même, mais que les signes ne peuvent être autre chose que des similitudes.
(MC, 56-57)
14 « Préface à l’édition anglaise » des Mots et les choses, dans DE, ii, texte no 72 [1970],
p. 9. cette notion s’oppose manifestement au thème bachelardien d’une « psychana-
lyse de la connaissance objective » (sous-titre de La formation de l’esprit scientiique).
15 Foucault énonce lui-même de manière brutale ce présupposé : « dans une culture
et à un moment donné, il n’y a jamais qu’une épistémè, qui déinit les conditions
de possibilité de tout savoir. Que ce soit celui qui se manifeste en une théorie ou
celui qui est silencieusement investi dans une pratique » (MC, 179). notons par
ailleurs que Foucault ramène ici la théorie et la pratique à l’ordre du savoir, tel
qu’il s’explicite intégralement dans l’archive discursive d’une époque. il y a là une
tendance à la « coniscation de toute pratique dans le discours » – Frédéric Gros,
Michel Foucault, Paris, PUF (Que sais-je ?), 1996, p. 54 – sur laquelle Foucault devait
revenir après Les mots et les choses. Une telle « coniscation » vaut d’abord comme
une déclaration de guerre adressée au marxisme.
16 Voir à ce sujet les remarques critiques de José-Guillerme merquior dans Foucault
ou le nihilisme de la chaire, chapitre V : « Vers une appréciation de l’“archéologie” »,
Paris, PUF (sociologies), 1986.
17 Foucault s’est d’ailleurs fait à lui-même cette objection. Voir L’archéologie du savoir,
Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), 1969, p. 27.
42 Le Même et l’Ordre
nécessité de l’accidentel et du dérisoire). mais cela revient aussi à mettre
l’accent sur les crises historiques de l’ordre qui soumettent l’ordre des
discours à une profonde réévaluation de leurs conditions de possibilité, à
l’ébranlement de leur socle archéologique constitutif : l’analyse structu-
rale des conigurations générales du savoir, loin de iger l’histoire en une
succession de blocs immobiles et disjoints18, en marque au contraire la
fonction critique, et lui restitue sa dimension de rupture. aussi les deux
reproches qui sont habituellement adressés à la démarche archéologique
de Foucault – arbitraire de ses périodisations et holisme méthodolo-
gique – désignent-ils en réalité, quoique de manière seulement négative,
son projet même : celui d’une « histoire des systèmes de pensée »19, où
l’histoire est ce qui vient troubler et même défaire la rigidité de tout
système par la rupture événementielle qu’elle y introduit, et où, inverse-
ment, le système vient troubler l’histoire, entendons cette fois l’histoire
des philosophes, pensée comme continue et orientée, en airmant le
primat de l’ordre et de la simultanéité structurale de ses éléments sur
l’évolution progressive des idées et des sciences : cette évolution est trai-
tée par l’archéologue au mieux comme un simple efet de surface, au pire
comme une illusion rétrospective.
dans ces conditions, il n’est guère étonnant que l’analyse de l’épistémè
de la renaissance (tout comme les analyses ultérieures des épistémès clas-
sique ou moderne) s’achève sur celle de ce « seuil » qui marque la limite,
le partage historique entre deux systèmes de pensée hétérogènes. Un tel
partage accomplit une « immense réorganisation de la culture » (MC, 58)
25 En ce sens, Les mots et les choses semblent devoir tomber sous la même critique que
l’Histoire de la folie, celle d’un présupposé ontologique qui annule ou relativise la
perspective historique (voir à ce sujet l’article de Pierre macherey, « aux sources
de l’Histoire de la folie : une rectiication et ses limites », Critique, no 471-472, 1986,
p. 753-774). il reste que, dans l’un et l’autre cas, la fonction des expériences-limites
est justement de rapporter le dedans d’une coniguration de pensée à un dehors qui
le borde et qui en propose, selon des modalités historiquement déterminées, la pos-
sible contestation : artaud n’est pas « fou » selon les mêmes critères que le fou de
la renaissance, sa folie afecte un certain régime de pensée, une certaine manière
pour la pensée de se rapporter à elle-même à partir de ce qu’elle suppose être son
dehors – à la fois étranger et constitutif.
26 Le poète et le fou ont « tous deux, au bord extérieur de notre culture et au plus
proche de ses partages essentiels, cette situation “à la limite” – posture marginale
et silhouette profondément archaïque – où leurs paroles trouvent sans cessent
leur pouvoir d’étrangeté et la ressource de leur contestation » (MC, 63-64). ils sont
témoins d’une nouvelle expérience, culturelle et historique, du rapport entre le
langage et les choses. Pour autant, ces deux igures de la limite ne sont pas à mettre
sur le même plan. Foucault les oppose même sur fond de leur complémentarité
essentielle : car si « le poète fait venir la similitude jusqu’aux signes qui la disent, le
fou charge tous les signes d’une ressemblance qui init par les efacer » (MC, 63).
Ressemblances : l’ordre du Même 49
ces formules sibyllines visent manifestement à redéployer l’analyse
archéologique de la culture occidentale à partir de ces deux expériences
historiques de l’être du langage qui en polarisent le développement et
permettent aussi d’en réorienter les résultats : car, si ces expériences se
répondent, aux deux limites de la culture occidentale, c’est bien qu’elles
manifestent une même préoccupation radicale pour le langage que la
représentation classique comme l’anthropologie moderne n’ont cessé
d’occulter, de recouvrir, en proposant d’uniier le savoir dans la forme
du discours ou de le suspendre au nom de l’homme. Usant de formules
oxymoriques, Foucault indique ainsi la situation paradoxale de l’expé-
rience moderne du langage (expérience littéraire), à la fois étrangère
(du fait de sa radicalité) aux productions réglées du savoir et animant
secrètement ces productions dont elle relativise ainsi les prétentions et
la valeur historique en mettant au jour leur impensé27.
• — —
1 c’est sans doute l’ouvrage de marthe robert, L’ancien et le nouveau, paru en 1963
chez Grasset et consacré à une méditation sur l’être de la littérature et sur la place
des livres dans la réalité à partir de cervantès et de Kafka, qui se trouve à l’origine
de l’intérêt renouvelé de Foucault pour Don Quichotte, même si l’on peut penser
également à la iction de Borgès « Pierre ménard, auteur du Quichotte », dans Fic-
tions, Paris, Gallimard (Folio), 1983. signalons encore que la igure du Quichotte
était déjà présente dans l’Histoire de la folie (chapitre i, p. 47-50) au titre de témoin
de l’« expérience tragique de la Folie née au xve siècle » (p. 49). sur le statut de cette
iction dans l’économie interne des Mots et les choses et de l’Histoire de la folie, voir
les analyses de Guillaume Le Blanc, dans L’esprit des sciences humaines, Paris, Vrin
(Problèmes et controverses), p. 14-22. Guillaume Le Blanc part notamment de la
remarque suivante de Georges canguilhem, dans son compte rendu des Mots et les
choses : « Les doigts d’une seule main suisent pour compter les philosophes qui ont
reconnu au don Quichotte de cervantès la portée d’un événement philosophique.
À notre connaissance, ils sont deux, auguste comte et michel Foucault » (« mort de
l’homme ou épuisement du cogito », Critique, no 242, juillet 1967, p. 599 ; repris dans
Les mots et les choses de Michel Foucault. Regards critiques, 1966-1968, ouvr. cité, p. 249).
2 dans le sous-dossier « Philosophie du langage » (dossier préparatoire aux Mots et
les choses), on trouve 4 iches consacrées à Don Quichotte, que Foucault cite d’après
la traduction de Louis Viardot (édition de 1836, avec des illustrations de Gustave
doré). ces iches ont pour titre : « Les copies », « ressemblance du texte et de son
auteur », « La croyance dans les livres », « La ressemblance et la iction ».
3 Et Foucault d’ajouter : « il ne s’agit pas d’une interprétation : c’est un théâtre
ludique, c’est don Quichotte lui-même qui raconte, sur la scène, l’histoire que
moi-même je raconterai après » (DE, ii, texte no 85 [1971], p. 171).
4 de manière symétrique, à l’autre bout de l’âge classique, la Juliette de sade dessine
le « négatif » du monde classique : ce dérèglement du tableau des identités et des
Représentation : du Même à l’Ordre 53
chotte, « héros du même » (MC, 60), signe parmi les signes déposés
dans le monde comme dans les livres, expérimente le décrochage des
choses et des mots qui ont cessé de se ressembler, d’être profondément
homogènes dans l’élément du semblable. Le personnage de cervantès
multiplie les aventures pour montrer et démontrer la véridicité de la lit-
térature. mais cette quête est vaine et les eforts de don Quichotte ne
font que marquer davantage l’hétérogénéité radicale des choses qui « ne
sont plus que ce qu’elles sont » (MC, 61), identiques à elles-mêmes et
diférentes entre elles, et des mots qui ne sont plus les marques de
ces choses, à la ressemblance des choses elles-mêmes, mais retenus à
l’écart des choses, dans les feuillets poussiéreux des livres : « L’écriture
et les choses ne se ressemblent plus. Entre elles, don Quichotte erre
à l’aventure » (MC, 62). L’errance de don Quichotte, qui est aussi son
erreur, consiste donc à chercher, coûte que coûte, à rétablir la ressem-
blance du vu et du lu, de ce qui est réel et de ce qui est écrit, sans se
rendre compte que le monde n’est plus tel que le racontent les romans
de chevalerie mais que, désormais, les « signes du langage n’ont plus
pour valeur que la mince iction de ce qu’ils représentent » (MC, 62).
La similitude a cessé de fonctionner, ou du moins elle a cessé de fonc-
tionner comme opération fondamentale du savoir : don Quichotte est
victime de la coniance aveugle qu’il accorde au pouvoir de liaison de la
ressemblance. Le « héros du même » est un héros déçu, défait.
Pour autant, l’intérêt du roman de cervantès et sa fonction exem-
plaire au sein de l’archéologie foucaldienne ne résident pas tout entier
dans ce constat désabusé d’un dysfonctionnement du jeu réglé des
ressemblances et des signes, d’une faillite de l’« imitation souveraine »5.
car cette critique a également une fonction positive : en défaisant le
texte unique du monde et des livres, elle manifeste le pouvoir propre
d’un langage qui vaut désormais pour lui-même, qui ne doit plus régler
son fonctionnement sur autre chose que lui-même. Foucault analyse
à cet égard comment la seconde partie du livre de cervantès met en
abyme la première et en délivre en quelque sorte le protocole de lec-
ture. dans cette seconde partie, don Quichotte rencontre en efet des
diférences par la poussée du désir « est aussi déraisonnable que celui de don Qui-
chotte » (MC, 223).
5 il s’agit du titre du premier chapitre de l’essai de marthe robert, L’ancien et le
nouveau.
54 Le Même et l’Ordre
personnages qui le reconnaissent comme le héros de la première par-
tie : il se croyait « homme réel » et le voilà simple « héros du livre », per-
sonnage fait de mots et de papier dont la seule raison d’être est d’« être
idèle à ce livre qu’il est réellement devenu » (MC, 62). En d’autres
termes, là où la première partie du roman approfondissait l’équivoque
du rapport entre les signes et le réel (don Quichotte s’évertuant en
vain à prouver leur essentielle similitude), la seconde partie airme
que toute la réalité du héros et de ses actes se situe du côté du langage,
du côté de ce qui en est consigné dans ce livre qui lui prescrit sa vérité
en tant que celle-ci est une vérité de langage, « entièrement intérieure
aux mots » (MC, 62). L’épreuve de l’inadéquation entre les choses et
les mots (entre la réalité et le livre) fait ainsi place à l’expérience de
l’adéquation entre les signes eux-mêmes, dans lesquels se concentre
désormais la vérité de don Quichotte :
La vérité de don Quichotte, elle n’est pas dans le rapport des mots au monde,
mais dans cette mince et constante relation que les marques verbales tissent
d’elles-mêmes à elles-mêmes. La iction déçue des épopées est devenue le
pouvoir représentatif du langage. Les mots viennent de se refermer sur leur
nature de signes. (MC, 62)
10 Force est de constater que les notes consacrées à descartes dans le dossier prépa-
Représentation : du Même à l’Ordre 63
la « fortune singulière du cartésianisme » ne tient pas plus à descartes
lui-même qu’au cartésianisme, mais à ce qu’il recèle d’historiquement
fondamental : à l’a priori historique qui en anime les diverses igures
et qui en constitue le socle.
selon cet a priori historique, savoir, ce n’est donc plus interpréter
des signes (rapporter indéiniment, dans le jeu de l’interprétation, du
langage à du langage, le langage réel aux signes naturels) ; c’est ordon-
ner au moyen de signes. de ce point de vue, Foucault souligne com-
bien le rapport de toute connaissance positive à la mathesis ne se réduit
pas au principe d’une mathématisation des phénomènes naturels mais
se constitue plutôt comme un rapport essentiel à l’ordre. En efet,
comme nous l’avons vu précédemment, « on peut toujours ramener les
problèmes de la mesure à l’ordre » (MC, 71) : ce primat de l’ordre sur la
mesure permet ainsi d’universaliser la méthode de l’analyse, qui pourra
s’appliquer à ordonner aussi bien les choses mesurables, quantitatives,
que les choses non mesurables, qualitatives. Par ailleurs, si ce primat de
l’ordre sur la mesure interdit de réduire l’entreprise générale du savoir
classique à un efort de « mathématisation de l’empirique » (MC, 70), il
permet aussi, de manière positive cette fois, de constituer ce savoir en
rapport avec des domaines empiriques « qui jusqu’à présent n’avaient
été ni formés ni déinis » (MC, 71). ces nouveaux domaines empiriques
sont ceux du langage, de la nature et du travail. La grammaire géné-
rale, l’histoire naturelle et l’analyse des richesses représentent la mise
en ordre réglée de tels domaines empiriques au sein de sciences dont
l’archéologie s’attache, dans les chapitres iV à Vi, à parcourir le champ
et à inscrire sous l’horizon d’une science universelle de l’ordre.
• — —
ratoire des Mots et les choses sont également très réduites. Elles se limitent en fait à
quelques citations recopiées des Regulæ.
64 Le Même et l’Ordre
sans précédent des pouvoirs de la rationalité11. En ce qui concerne ce
second point, il montre combien la nouveauté de la pensée classique
consiste au contraire à tenter, pour la première fois, d’ordonner ces
domaines empiriques des mots, des richesses et des êtres naturels, mais
de les ordonner sans les soumettre exclusivement à un quelconque
modèle mathématique. En soulignant le primat de l’ordre sur la mesure,
Foucault entend ainsi indiquer très clairement que les savoirs positifs
qui émergent à l’âge classique relèvent moins de l’application à leurs
objets de la « méthode algébrique » que de la construction maîtrisée de
systèmes de signes ordonnés. ce qui est une manière encore de rappe-
ler que l’épistémè classique n’est pas plus rigoureuse que l’épistémè de la
renaissance, mais qu’elle se fonde avant tout sur une modiication fon-
damentale du régime des signes : au renvoi permanent et réciproque
des signes naturels et des signes linguistiques, entre lesquels oscillait
sans in le savoir renaissant comme savoir du même, « superposant une
sémiologie à une herméneutique » dans la forme d’une « connaissance
11 dans une « note sur la phénoménologie dans Les mots et les choses », Gérard Lebrun
airme que cette position de Foucault engage sur le fond un débat avec la phéno-
ménologie husserlienne et son interprétation de la rationalité classique dans la Krisis.
mettre l’accent, comme le fait Foucault ici, sur le primat de l’ordre sur la mesure, cela
revient en efet à déjouer l’interprétation que husserl propose de la mathesis comme
mathématisation de l’empirie dans la Krisis. Pour Foucault, « la transformation de la
mathesis classique en une ontologie mathématisante ne permet pas de déterminer
dans toute son ampleur l’“a priori historique” qui commandait notamment (mais non
exclusivement) l’extrapolation galiléenne » (dans Michel Foucault philosophe, Paris, Le
seuil (des travaux), 1989, p. 35). ou encore : « 1) l’analyse par Foucault de la mathesis,
dans le il des Regulæ, déplace le centre de gravité du savoir classique : c’est l’ordon-
nable, non le calculable, qui est universellement garanti ; 2) à supposer que l’idéal
galiléen soit bien celui que décrit husserl, c’est le champ de la représentation qui
rend compte de son irruption » (p. 36). La rupture avec l’interprétation husserlienne
du rationalisme classique engage donc également une conception de l’histoire de la
philosophie : là où husserl tient la pensée classique pour une pensée pré-kantienne,
grosse d’une philosophie transcendantale que l’objectivisme scientiique de la mathe-
sis a fait avorter, Foucault renvoie cette pensée classique à l’ordre, a priori et historique,
d’un savoir qui se déploie et ne peut se déployer qu’à partir du lien entre l’être et la
représentation : « tant qu’a duré le discours classique, une interrogation sur le mode
d’être impliqué par le Cogito ne pouvait être articulée » (MC, 323). cette interpréta-
tion rend compte d’un certain efacement, dans l’analyse que Foucault propose de
l’âge classique, du « cartésianisme » (en tant que pensée du Cogito) au proit d’une
pensée de la « représentation » qui uniie le savoir classique à partir de la double
dimension d’une science universelle de l’ordre : mathesis (science des égalités) et
taxinomia (science de la classiication) (voir MC, 86 et suiv.).
Représentation : du Même à l’Ordre 65
de la similitude » (MC, 71), succède donc l’analyse ordonnée des choses
par le moyen de signes conçus cette fois comme « marques de l’iden-
tité et de la diférence, principes d’ordre, clefs pour une taxinomie »
(MC, 72). c’est cette mutation quant à la nature du signe et du langage
que Foucault se propose d’élucider dans la suite du chapitre iii.
12 Jean itard, Mémoire et rapport sur Victor de l’Aveyron (1801 et 1806), dans Lucien
malson, Les enfants sauvages, Paris, UGE, 1964.
13 dans l’introduction qu’il a donnée à une réédition de la Grammaire générale et rai-
sonnée d’arnauld et Lancelot (Paris, republications Paulet, 1969), Foucault met en
garde contre toute lecture anachronique de la théorie classique du langage : « La
grammaire générale n’est pas une quasi-linguistique, appréhendée de façon encore
obscure ; et la linguistique moderne n’est pas une nouvelle forme plus positive donnée
à la vieille idée de grammaire générale » (DE, i, texte no 60 [1969], p. 733). La parenté
68 Le Même et l’Ordre
désigne ici seulement « la manière dont les signes ont été établis » (MC,
76) – non pas prélevés sur les êtres ou les choses naturels comme des
signatures, mais institués par l’esprit pour penser les rapports entre les
éléments de la réalité, ainsi transposés dans la dimension de la repré-
sentation –, ainsi que le mode de fonctionnement réglé du système des
signes censé délivrer la connaissance des choses. En ce sens, l’arbitraire
correspond avant tout à un mode opératoire qui ne vaut que par les
efets qu’il rend possibles.
L’arbitraire ne vaut donc pas tant au niveau de chaque signe qu’au
niveau du système qui les articule sous la double forme de l’analyse
et de la combinatoire, du iltre (permettant de dégager, au sein d’une
perception globale, des impressions originaires, des éléments simples,
premiers) et de l’articulation (permettant de reconstituer dans l’espace
homogène et distributif du tableau la complexité des choses). L’ar-
bitraire représente donc ce détour que la pensée classique opère par
des systèmes de signes indépendants de la nature, pour parvenir à la
connaissance de cette nature elle-même. Là où le savoir renaissant
laissait parler indéiniment le langage, la vieille Parole du monde, le
savoir classique cherche à « fabriquer une langue » qui, « analysante
et combinante, [puisse être] réellement la langue des calculs » (MC,
77). L’événement inaugural et constitutif de l’âge classique est donc à
situer dans cette nécessité nouvelle d’une langue universelle conçue
comme un système symbolique répliquant le système du monde et
détaillant, à partir d’« opérations de nature logique » (MC, 77) comme
l’analyse et la combinatoire formelle, l’ordre des choses. si connaître,
à l’âge classique, signiie ordonner, cette mise en ordre est indisso-
ciable de la constitution d’une langue fabriquée, artiicielle, « simple,
absolument transparente, qui est capable de nommer l’élémentaire »
22 Voir par exemple la iche qui porte sur le Traité de la nature humaine (introduction
du tome i) et qui s’intitule : « La nature humaine et les sciences ».
80 Le Même et l’Ordre
son rapport ambivalent au jeu des ressemblances. La notion de « nature
humaine », étroitement liée à celle de nature, n’a donc pas l’autonomie
conceptuelle qu’elle recevra dans la modernité : elle désigne seule-
ment une fonction de la connaissance elle-même, comprise comme
cet « ajustement de la ressemblance et de l’imagination » dans l’élé-
ment de la représentation. Par conséquent, la « nature humaine » ne
désigne pas le pôle subjectif et le domaine d’objectivité privilégié d’une
telle représentation : elle « se loge dans ce mince débordement de la
représentation qui lui permet de se re-présenter » (MC, 85), c’est-à-dire
de valoir comme représentation se représentant elle-même.
il est signiicatif que Foucault, après avoir déini les rapports de la
représentation à la ressemblance et la fonction de l’imagination dans
les termes (pré-kantiens) de hume, insiste plutôt dans cette remarque
terminale sur le point qui est au cœur de son analyse des Ménines :
la représentation classique peut bien se représenter elle-même dans
tous ses éléments et dans toutes ses fonctions, elle rejette ce qui la
fonde – « celui pour qui la représentation existe et qui se représente
lui-même en elle, s’y reconnaissant pour image ou relet » (MC, 319),
l’homme, la conscience signiiante – hors de l’espace de la représen-
tation. c’est la condition pour que cet espace accède à une véritable
autonomie dans l’ordre du savoir. malgré donc l’esquisse d’une conti-
nuité entre l’âge classique et la modernité, il subsiste cette distinction
fondamentale : « L’homme, comme réalité épaisse et première, comme
objet diicile et sujet souverain de toute connaissance possible » (MC,
321) n’a pas sa place dans la grande disposition de l’épistémè classique23.
L’entrecroisement de l’imagination et de la ressemblance, de la nature
humaine et de la nature, ne conduit pas à accorder une place à part à
cet être dont la vocation « serait de connaître la nature, et soi-même
par conséquent comme être naturel » (MC, 321). il procède plutôt d’une
1 ces trois chapitres (iV-Vi) forment un ensemble très homogène (Foucault n’étu-
diant plus une discontinuité, mais mettant au jour des positivités empiriques liées
à la même disposition générale du savoir) : nous les commenterons comme tel,
privilégiant avant tout l’articulation interne entre ces domaines empiriques telle
qu’elle ressort de la présentation de Foucault.
86 Le Même et l’Ordre
chose comme la « nature », le « discours », les « richesses » sans se préoc-
cuper donc des seuils de constitution épistémologique et historique de
ces objets et de leur fondement a priori dans l’ordre du savoir classique2.
À rebours de cette démarche doxologique3, Foucault développe son
analyse archéologique dans une double direction. tout d’abord, il inter-
roge les positivités empiriques du point de vue de leur seuil d’épistémo-
logisation : il s’agit donc de déterminer à quelles conditions historiques
le langage, la nature, les richesses, ont pu devenir objets de savoirs, selon
quelles modalités et entre quelles limites se sont déployés de tels savoirs.
mais ce type d’interrogation est enchâssé dans un autre questionne-
ment qui porte cette fois sur le système général de pensée qui uniie ces
domaines épistémologiques à partir d’un même principe organisateur,
d’un même a priori historique : c’est la corrélation d’une « nomenclature »
et d’une « taxinomie » qui fournit ce dénominateur commun des théo-
ries du langage, de la classiication et de la monnaie. il est donc possible
d’uniier les diférents domaines empiriques de la grammaire générale,
de l’histoire naturelle et de l’analyse des richesses à partir de la double
exigence fondamentale de la nomination des choses et de leur mise en
ordre dans l’espace du tableau. si l’on ajoute que « nommer, c’est tout à
la fois donner la représentation verbale d’une représentation et la placer
dans un tableau général » (MC, 133), alors on comprend pourquoi il y a,
dans l’organisation d’ensemble du savoir classique, compris lui-même
comme discours, un privilège du langage. Foucault parle d’ailleurs lui-
même d’une « appartenance réciproque du savoir et du langage » (MC,
103) à l’âge classique. ce primat du langage est particulièrement sensible
dans le « tableau général » dressé par Foucault à la in du chapitre Vi,
lorsqu’il tente de renouer les ils des analyses antérieures et d’établir
par conséquent la mise en correspondance des savoirs particuliers qu’il
vient de présenter : l’archéologue propose alors une série d’équivalences4
2 « on veut reconstituer, paraît-il, ce qu’ont été au xviie et au xviiie siècles les “sciences
de la vie”, de la “nature ”, ou de l’“homme”. oubliant simplement que ni l’homme, ni
la vie, ni la nature ne sont des domaines qui s’ofrent spontanément et passivement
à la curiosité du savoir » (MC, 86).
3 celle-ci est notamment exposée au début du chapitre V, sous l’intitulé ironique :
« ce que disent les historiens ».
4 « La théorie de l’histoire naturelle n’est pas dissociable de celle du langage » (MC,
170) ; « c’est par conséquent le même réseau archéologique qui soutient, dans l’ana-
lyse des richesses, la théorie de la monnaie-représentation, et, dans l’histoire naturelle,
Savoirs : l’ordre des choses 87
qui aboutit à l’idée que « pour la pensée classique, les systèmes de l’his-
toire naturelle et les théories de la monnaie ou du commerce ont les
mêmes conditions de possibilité que le langage lui-même » (MC, 216).
ce sont donc les articulations propres de la grammaire générale qui
font le lien entre les théories du langage, de la classiication naturelle et
de la monnaie et qui confèrent au savoir classique à la fois son unité et
sa systématicité. il faut à présent essayer de comprendre d’où vient ce
privilège, cette fonction contraignante et cette puissance structurante
du langage classique dans l’articulation interne des ordres empiriques
soumis à l’examen ; comment ce privilège se manifeste et notamment
en quoi il doit se distinguer du primat du langage qui habitait le savoir
renaissant. c’est ainsi le rapport du langage à la représentation (et à
l’être) qui mérite d’être élucidé.
Langage et représentation
mentionne pourtant pas ce texte) l’un des cas patents de cette rupture dans la
mesure où le texte religieux n’y est plus tenu pour un langage secret, à questionner
indéiniment sur son « vrai » sens (ultime) – à jamais dérobé mais toujours visé dans
l’exégèse –, mais plutôt pour un système de représentations singulier qu’il faut ana-
lyser en vue de déterminer son sens « vrai », c’est-à-dire de « déinir à travers quelles
igures et images, en suivant quel ordre, à quelles ins expressives et pour dire quelle
vérité, tel discours avait été tenu par dieu ou par les Prophètes sous la forme qui
nous a été transmise » (MC,95). nous reprenons cette distinction entre « vrai sens »
et « sens vrai » à Pierre macherey, qui l’a élaborée au cours d’une lecture suivie
du chapitre Vii du Traité spinoziste (voir les séances d’octobre 2003 du groupe
d’études « La philosophie au sens large » [http://philolarge.hypotheses.org/]).
6 nous retrouvons de cette manière dans Les mots et les choses la même ambiguïté
que dans l’Histoire de la folie : sous la discontinuité très fermement marquée des
épistémès, court le il rouge d’une expérience du langage (remplaçant dans le livre
de 1966 l’expérience de la folie) qui, présente à l’état sauvage à la renaissance puis
contrariée par l’ordre du discours classique, réapparaît sous la forme réléchie de
la littérature à l’époque moderne : la littérature serait ainsi comme la conscience
de soi d’un langage, d’abord déposé dans l’immédiateté sensible puis séparé de
lui-même dans l’expérience du discours qui en médiatise les signes à travers la
représentation. L’analyse archéologique semble alors élaborée à partir d’une trame
dialectique qui en contredit les attendus épistémologiques – Foucault rétablissant
en sous-main une téléologie qu’il prétend par ailleurs expulser de son histoire des
systèmes de pensée…
90 Le Même et l’Ordre
Pour bien mesurer la valeur de rupture du langage littéraire, il faut
sans doute commencer par préciser en quoi consiste cette expérience
classique du langage-discours qui prend corps dans la « grammaire
générale ». À quel titre le langage requiert-il désormais une grammaire
(qui se donne comme la forme de son analyse critique) et en quoi cette
grammaire détermine-t-elle la structure générale de tous les savoirs
empiriques qui lui sont contemporains ?
Pour répondre à cette question, il convient d’élucider pour lui-
même le mode d’appartenance du langage à la représentation. cette
appartenance, sous le nom de « discours », signale la capacité du lan-
gage à représenter, à l’aide de signes verbaux, des représentations7. Le
langage est ainsi représentation verbale de représentations mentales :
ce qui ne signiie pas qu’il n’en propose que la traduction matérielle,
puisque au contraire les représentations mentales ne préexistent pas
sous leur forme de représentations à l’agencement verbal qui les
représente et, en les représentant, permet de les analyser. c’est dans
ce décalage qu’apparaît alors la spéciicité du langage. En efet, en tant
qu’il représente la représentation, et qu’il donne une forme proposi-
tionnelle à la pensée, celui-ci se distingue par l’opération de transfor-
mation du contemporain en successif : le langage « analyse la pensée
selon un ordre nécessairement successif : les sons, en efet, ne peuvent
être articulés qu’un à un ; le langage ne peut pas représenter la pensée,
d’emblée, en sa totalité ; il faut qu’il la dispose partie par partie selon
un ordre linéaire » (MC, 96). de cette manière, pensée et langage ne
se recouvrent pas complètement, mais forment deux modes distincts
de représentation dont l’articulation constitue le discours. ce dernier
consiste donc dans le fait d’ordonner sous une forme successive des
8 Foucault cite les Éléments de grammaire générale de l’abbé sicard (3e édition, 1808,
tome ii, p. 113) : « La pensée est une opération simple [mais] son énonciation
est une opération successive » (cité dans MC, 97 – iche de l’intercalaire « syn-
taxe » du sous-dossier « Grammaire », intitulée : « Unité de la pensée, succession
du langage »). La citation de l’abbé sicard se poursuit ainsi sur la iche de Fou-
cault : « Quel contraste entre le modèle et l’imitation. […] il ne faudra pas s’éton-
ner que, pour imiter cette simplicité, cette unité, tous les mots soient contraints de
recevoir des formes qui, comme autant de nuances, servent à les unir de manière
à ne faire de tous qu’un seul tout, en quelque sorte indivisible comme la pensée
elle-même. c’est la syntaxe […] qui opère cette liaison merveilleuse. »
9 Voir condillac, Œuvres philosophiques de Condillac. tome cinquième. Traité des
systèmes, À Paris, chez Batilliot frères, an Vii [1798-1799], p. 4 : « Je regarde la
grammaire comme la première partie de l’art de penser. Pour découvrir les formes
de langage, il faut donc observer comment nous pensons. il faut chercher ses prin-
cipes dans l’analyse de la pensée. or, l’analyse de la pensée est toute faite dans
le discours… » (note de lecture de Foucault, iche intitulée « La grammaire, la
pensée, le discours », sous-dossier « Grammaire », intercalaire « Langage/ Pensée/
Logique »).
10 Urbain domergue, Grammaire générale analytique, Paris, impr. de c. houel,
an Vii [1798-1799], tome 1, p. 10-11 (note de lecture de Foucault, iche du sous-
dossier « Grammaire »).
92 Le Même et l’Ordre
il ne s’agit donc pas d’élaborer une logique formelle applicable à la
langue naturelle en vue d’en corriger les imperfections ; il s’agit plutôt
d’élaborer les conditions d’une langue ou d’un discours de la pensée,
susceptible d’en analyser les éléments et d’en manifester l’ordre. dans
cette perspective, on comprend que le programme d’une telle gram-
maire générale ait pu se confondre pour une large part avec celui de
la philosophie et celui de la science11, particulièrement au xviiie siècle,
dans la mesure où elle se présente comme « la forme spontanée de
la science, comme une logique incontrôlée de l’esprit et la première
décomposition réléchie de la pensée : une des plus primitives ruptures
avec l’immédiat » (MC, 98).
Le langage dont traite la grammaire générale constitue en efet la
surface de rélexion de la représentation, – l’élément de son analyse
spontanée. À ce titre, il est l’objet par excellence du savoir classique.
c’est ce que Foucault va établir dans la suite du texte, en procédant à
une argumentation en quatre points.
1. Rhétorique et grammaire. il souligne pour commencer l’inter-
dépendance des sciences du langage, rhétorique et grammaire, telles
qu’elles se développent à l’époque classique : la première étudie en efet
la « spatialité de la représentation, telle qu’elle naît avec le langage »,
tandis que la seconde « déinit pour chaque langue l’ordre qui répartit
dans le temps cette spatialité » (MC, 98). L’ordre verbal, successif, dont
traite la grammaire, n’est donc pas un ordre temporel, mais un ordre
spatial temporalisé, traité dans la successivité, c’est-à-dire dans la difé-
renciation progressive de ses éléments, tels qu’ils sont donnés d’abord
dans l’espace tropologique du langage. si « la Grammaire suppose la
nature rhétorique des langages » (MC, 98), c’est donc que l’ordre du
discours, le déroulement progressif de la représentation, est une opé-
ration seconde, rendue possible par la nature spatiale du langage et
rendue nécessaire par sa fonction d’analyse de la pensée.
2. Langage et temps. on comprend par là que « le temps est pour le
langage son mode intérieur d’analyse ; [et non] son lieu de naissance »
(MC, 104). c’est une fonction propre au discours, non l’élément exté-
rieur de son déploiement et le principe de son historicité. si « le temps
11 Voir Urbain domergue, Grammaire générale analytique, ouvr. cité, tome 1, p. 4-9
(note de lecture de Foucault, iche intitulée « La grammaire comme science »,
sous-dossier « Grammaire », intercalaire « Langage/Pensée/Logique »).
Savoirs : l’ordre des choses 93
est devenu intérieur au langage » (MC, 105), c’est qu’il forme l’élément
de l’analyse des représentations et non que les langues évoluent « par la
force d’une historicité qu’elles détiendraient d’elles-mêmes » (MC, 105),
comme on le considérera à partir du xixe siècle. Le langage classique
n’a pas d’histoire, il ofre à la représentation la forme temporalisante
(c’est-à-dire verbale) de sa manifestation et la forme temporalisée
(c’est-à-dire successive et ordonnée : progressive) de son analyse. Le
temps du discours reste donc le temps simultané et successif de la
distribution des éléments à l’intérieur d’un tableau.
3. Langage et universalité. ce détachement relatif par rapport à
toute inscription temporelle externe, ce primat de l’ordre et de l’ana-
lyse sur l’histoire, rendent compte de ce que « la Grammaire, comme
rélexion sur le langage en général, manifeste le rapport que celui-ci
entretient avec l’universalité » (MC, 98). ce rapport se décline d’un
bout à l’autre de l’époque classique à travers les projets apparemment
opposés d’une Langue universelle12, telle qu’elle est préconisée par
Leibniz sous la forme d’une Caractéristique et d’une Combinatoire, et
d’un discours universel qui trouve dans l’idéologie son point d’appui :
La caractéristique universelle et l’idéologie s’opposent comme l’universalité
de la langue en général (elle déploie tous les ordres possibles dans la simulta-
néité d’un seul tableau fondamental) et l’universalité d’un discours exhaustif
(il reconstitue la genèse unique et valable pour chacune de toutes les connais-
sances possibles en leur enchaînement). (MC, 99)
15 c’est le modèle condillacien qui est ici privilégié : « nous avons remarqué que
le développement de nos idées et de nos facultés ne se fait que par le moyen des
signes, et ne se ferait point sans eux ; que par conséquent notre manière de raison-
ner ne peut se corriger qu’en corrigeant le langage, et tout l’art se réduit à bien faire la
langue de chaque science » (Essai sur l’origine des connaissances humaines, Paris, Galilée,
1973, p. 283 ; nous soulignons).
96 Le Même et l’Ordre
savoir refermé sur lui-même, et un pur langage, devenu, en son être
et sa fonction, énigmatique, – quelque chose qu’on appelle, depuis
cette époque, Littérature » (MC, 103). Le langage perd alors son rôle
structurant et cesse d’être l’élément du savoir pour faire retour, à l’écart
de toute fonction représentative (analytique et ordonnatrice), comme
langage littéraire, seulement préoccupé de dire son être. À nouveau,
Foucault suggère donc la polarisation de l’époque moderne autour de
l’expérience littéraire du langage, faisant pièce non seulement, d’un
point de vue historique, au discours classique, mais aussi, d’un point
de vue archéologique, à un savoir disséminé par l’historicité de ses
objets et artiiciellement réuniié à partir de la igure épistémologique
de l’homme16. cette anticipation permet de rendre compte a contra-
rio du caractère structurant de la grammaire générale pour l’ensemble
des connaissances empiriques de l’époque classique. Le programme
d’une « langue bien faite », adossé au projet même de la grammaire
générale, correspond ainsi à la nécessité d’analyser et d’ordonner les
représentations dans un discours qui en universalise le contenu en le
distribuant dans la succession continue de signes verbaux.
25 Foucault fait ici référence au Traité des Tropes de du marsais. dans son Traité des
Tropes, ou Des diferens sens dans lesquels on peut prendre un mème mot dans une mème
langue : ouvrage utile pour l’intelligence des auteurs et qui peut servir d’introduction
à la rhétorique et à la logique (publié en 1730 à Paris chez J. B. Brocas, et cité par
Foucault d’après une édition de 1811), du marsais expose ce qui constitue le style
iguré, et il montre combien ce style est commun, aussi bien à l’écrit que dans la
conversation ordinaire. il détaille également l’usage des tropes dans le discours,
en appuyant ses observations de nombreux exemples. Foucault cite le traité de
du marsais au début du chapitre 2 de Raymond Roussel lorsqu’il cherche à montrer
que l’expérience du langage que propose l’écrivain s’inscrit dans « l’espace tropo-
logique du vocabulaire » (Raymond Roussel, Paris, Gallimard (Le chemin), p. 24).
dans l’intercalaire « Figures et tropes » du sous-dossier « Grammaire », on trouve
3 iches de lecture consacrées au Traité de du marsais et intitulées « diférentes
espèces de tropes », « Les igures », « déinition des tropes ».
106 Le Même et l’Ordre
paraît se rassembler « l’unité solide et resserrée du langage dans l’expé-
rience classique » (MC, 135). cet élément, c’est le nom. La fonction
de nomination s’établit à l’intersection de deux diagonales qui la font
apparaître comme le centre du tableau élaboré par Foucault : la pre-
mière diagonale relie l’articulation et la dérivation selon un axe de
spéciication du langage – dont les « capacités d’articulation sont pres-
crites par le point de dérivation auquel [il] est parvenu » (MC, 132) –,
tandis que la seconde va de la proposition à la désignation et concerne
le rapport des mots à ce qu’ils représentent, « l’enroulement indéini
du langage et de la représentation, – le dédoublement qui fait que le
signe verbal représente toujours une représentation » (MC, 132). au
croisement de ces deux axes (l’axe du pouvoir analytique du langage et
celui de son pouvoir représentatif ), se trouve donc le nom :
nommer, c’est, tout à la fois, donner la représentation verbale d’une repré-
sentation, et la placer dans un tableau général. toute la théorie classique du
langage s’organise autour de cet être privilégié et central. En lui se croisent
toutes les fonctions du langage, puisque c’est par lui que les représentations
peuvent venir igurer dans une proposition. c’est donc par lui aussi que le
discours s’articule sur la connaissance. (MC, 132)
28 Foucault a sans doute en vue ici le travail monumental de Jacques roger sur Les
sciences de la vie dans la pensée française du XVIIIe siècle. La génération des animaux de
Descartes à l’Encyclopédie (Paris, armand colin, 1963) qui forme en quelque sorte
le pendant, pour le domaine des sciences de la nature, du livre de Paul hazard sur
La crise de la conscience européenne.
Savoirs : l’ordre des choses 113
de descartes et de malebranche ; en face, l’irréligion, et toute une intuition
confuse de la vie, à leur tour en conlit (comme chez Bonnet) ou en compli-
cité (comme chez diderot) l’attireraient vers son plus proche avenir : vers ce
xixe siècle dont on suppose qu’il a donné aux tentatives encore obscures et
enchaînées du xviiie siècle, leur accomplissement positif et rationnel en une
science de la vie. (MC, 139)
30 dans l’article qu’il consacre à magritte en 1968 (une version augmentée a paru en
1973), Foucault revient sur la fonction du « calligramme » qu’il déinit justement à
partir de la propriété fabuleuse des lettres de l’alphabet d’être à la fois les signes
d’un texte et les lignes d’un dessin : « signe, la lettre permet de ixer les mots ; ligne,
elle permet de igurer la chose » (Ceci n’est pas une pipe, montpellier, Fata morgana,
1973, p. 22).
Savoirs : l’ordre des choses 119
droit, la nature tout entière, dans l’espace taxinomique de visibilité que
constitue le tableau : « La grande prolifération des êtres à la surface du
globe peut entrer, par la vertu de la structure, à la fois dans la succes-
sion d’un langage descriptif, et dans le champ d’une mathesis qui serait
science générale de l’ordre » (MC, 149).
L’histoire naturelle représente donc ce discours privilégié qui, ten-
danciellement, semble en mesure de faire apparaître l’ordre de la nature
elle-même à partir de la seule description de ses structures visibles31, de
ses surfaces et de ses lignes, dont les igures multiples viennent s’intégrer
au sein d’un espace de variables simultanées, concomitantes, – espace
qui donne en quelque sorte l’image de la nature au sens où Foucault
avait indiqué que, pour l’âge classique, « le tableau des signes [est]
l’image des choses » (MC, 80) : non pas son relet ressemblant, mais son
redoublement discursif. avec l’histoire naturelle, l’ordre de la nature et
l’ordre du discours sont strictement coextensifs32.
Le tableau et le continu
31 Foucault explique ainsi le privilège de la botanique sur la zoologie au xviiie siècle : les
structures des plantes, extériorisées, étant plus visibles que celles des animaux, elles
constituent un ensemble plus riche et cohérent de variables perceptibles. de là vient
aussi le désintérêt provisoire pour l’anatomie : point n’est besoin d’ouvrir les corps
pour apercevoir leurs structures puisque celles-ci se donnent tout entières à voir à leur
surface. L’objet de l’histoire naturelle « est donné par des surfaces et des lignes, non
par des fonctionnements ou d’invisibles tissus. La plante et l’animal se voient moins
en leur unité organique que par la découpe visible de leurs organes » (MC, 149).
32 En ce sens, l’histoire naturelle réalise bien l’idéal du savoir classique (une langue
bien faite, capable de donner à chaque chose son nom exact) et se déploie ainsi
sur fond d’une isotopie, aux antipodes de l’hétérotopie borgèsienne et l’expérience
de l’absence d’ordre, sur laquelle s’ouvrent Les mots et les choses. Voir à ce sujet, Phi-
lippe sabot, « michel Foucault, l’envers du désordre. connaître, décrire, classer à
l’âge classique », dans La Connaissance des choses. Déinition, description, classiication,
G. samama dir., Paris, Ellipses (Philo), 2005, p. 105-120.
120 Le Même et l’Ordre
pour qu’une classiication des espèces donc soit possible, il faut recourir
au caractère qui est à la structure ce que le nom commun est au nom
propre, à savoir un opérateur de généralisation qui permet d’ainer
l’identiication de certains êtres (leur place sur le tableau général, leur
genre prochain) en les diférenciant d’autres êtres. Le caractère est
donc ce qui va permettre d’« établir les identités et les diférences entre
tous les êtres naturels » (MC, 151), en s’appuyant sur ces éléments du
visible que la structure avait permis de iltrer et de faire passer dans le
discours. Foucault insiste ici de nouveau sur l’idéal d’une « langue bien
faite » que doit réaliser l’histoire naturelle. de même que la structure
constituait précédemment l’articulation universelle (sans reste et sans
jeu) de la représentation dans la forme propositionnelle du discours,
de même à présent le caractère doit permettre à l’histoire naturelle
d’« assurer, d’un seul tenant, une désignation certaine et une dériva-
tion maîtrisée » (MC, 151) : il faut que la désignation de chaque être
indique de plein droit la place qu’il occupe dans la disposition géné-
rale de l’ensemble ; que le nom donné aux êtres naturels soit à la fois
son nom propre et le nom de l’espèce à laquelle il appartient, avec les
caractères diférentiels qui la déinissent. Pour qu’un tableau général
des êtres naturels puisse être élaboré, pour que l’histoire naturelle se
donne comme taxinomia – science des articulations et des classes du
monde naturel, il faut donc que s’opère le passage de la structure visible
(qui assure, par la description qui en est faite, un découpage constant
du réel) au caractère taxinomique (qui distribue et ordonne les êtres
naturels dans l’espace du tableau). s’accomplit ainsi l’histoire naturelle
comme langue bien faite, universellement valable, dans laquelle se
constitue comme intégralement descriptible et ordonnable le domaine
empirique de la nature.
il reste cependant à comprendre comment s’efectue justement le
passage de la structure particulière au caractère général, s’il détermine
la mise en tableau des identités et des diférences, la classiication des
êtres naturels en espèces déterminées. Une diiculté apparaît ici qui
tient à ce que la tâche de l’histoire naturelle serait en droit ininie et en
réalité impossible s’il était nécessaire, pour parvenir à cette taxinomie,
de comparer entre eux tous les traits particuliers isolés par la descrip-
tion. selon Foucault, l’âge classique a mis en place deux protocoles de
classiication concurrents pour résoudre cette diiculté et pour parve-
nir à constituer l’histoire naturelle comme un système ini, strictement
Savoirs : l’ordre des choses 121
articulé, de noms propres et de noms communs qui suisent à quadril-
ler tout l’espace du réel naturel : ces deux procédés sont le Système et la
Méthode33. de quoi s’agit-il ?
Le Système, conçu et défendu principalement par Linné, consiste
à choisir un groupe limité d’éléments (une structure) dont on étu-
die les variations chez tous les êtres qui se présentent à l’observation.
Lorsqu’on trouve des éléments identiques chez deux individus dis-
tincts, on leur donne un nom commun : ils appartiennent à la même
espèce34. c’est ainsi la structure privilégiée au départ qui constitue
le caractère de référence. si, par exemple, on privilégie, comme note
caractéristique, « toutes les parties de la fructiication » d’une plante
38 on trouve une telle tentative par exemple dans un ouvrage d’émile callot, La
philosophie de la vie au XVIIIe siècle, étudiée chez Fontenelle, Montesquieu, Maupertuis,
La Mettrie, Diderot, d’Holbach, Linné, Paris, marcel rivière, 1965.
Savoirs : l’ordre des choses 127
ries étrangères aux vivants et qui ne leur adviennent jamais que de
l’extérieur » (MC, 170).
on comprend alors pourquoi le naturaliste classique n’a pas afaire à
la vie et au vivant mais seulement aux structures visibles et aux dénomi-
nations caractéristiques : c’est justement qu’il aborde la nature comme
un continent sans histoire et les êtres naturels comme des éléments
d’un tableau ou d’un puzzle à reconstituer après qu’on les a mélangés.
dans ces conditions, il est vain de projeter dans les débats de l’histoire
naturelle à l’âge classique une distinction, voire une opposition, entre
des positions « ixistes » (qui se contenteraient du classement des êtres
de la nature dans une taxinomie) et un certain « évolutionnisme ». La
démarche archéologique vise ainsi à contrer l’illusion rétrospective
d’un « quasi-évolutionnisme » (MC, 166) qui se serait développé au
xviiie siècle autour notamment des travaux de Bonnet, de maupertuis,
de diderot, de robinet ou de Benoît de maillet. selon Foucault, il ne
suit pas de penser que « les formes vivantes peuvent passer les unes
dans les autres, que les espèces actuelles sont sans doute le résultat de
transformations anciennes et que tout le monde vivant se dirige peut-
être vers un point futur » (MC, 164) pour s’inscrire dans une pensée de
l’évolution telle que nous l’entendons aujourd’hui, soit depuis les travaux
de Lamarck décrivant l’action positive du milieu sur les êtres naturels
ou ceux de darwin analysant la variation spontanée des caractères. ce
qui rend ces positions épistémologiques profondément incompatibles,
c’est la manière dont est pensé le devenir naturel, soit le rapport de la
nature au temps. L’histoire naturelle (comme régime classique du savoir
de la nature) cherche avant tout et exclusivement à penser la manière
dont le tableau des identités et des diférences peut se rapporter à la série
des événements successifs : elle ne peut donc pas penser l’évolution des
espèces contre la ixité des taxinomies dans la mesure où elle ne peut
penser l’évolution, comme série temporelle de transformations, qu’à l’in-
térieur du cadre ixé par l’exigence d’une mise en tableau des identités et
des diférences entre les espèces. selon Foucault en efet, les naturalistes
de l’âge classique ne disposent que de deux moyens pour « penser l’unité
de ce tableau et de cette série » (MC, 164), soit pour penser l’articulation
entre nature et historicité. Le premier de ces moyens, mis en œuvre
notamment par charles Bonnet, consiste à « intégrer à la continuité des
êtres et à leur distribution en tableau la série des successions » (MC, 164),
soit à intégrer à l’ordre de la taxinomie le temps comme l’un de ses
128 Le Même et l’Ordre
facteurs. cette méthode de classiication qui prend en compte le per-
fectionnement progressif des êtres naturels dans une histoire indéinie
ne revient donc pas à « concevoir l’apparition des êtres les uns à partir
des autres », ni leur hiérarchisation progressive, mais plutôt à ajouter « le
continu du temps au continu de l’espace et à l’ininie multiplicité des
êtres, l’inini de leur perfectionnement » (MC, 165). dans cette pers-
pective providentialiste, c’est ainsi l’ensemble du tableau classiicateur
et l’ensemble des espèces qu’il ordonne, qui « évoluent » vers une plus
grande perfection. L’autre moyen mis en œuvre notamment par Benoît
de maillet pour penser ensemble la taxinomie et l’histoire consiste non
plus à envisager la progression de l’ensemble des espèces vers un degré
de perfection supérieur, mais à établir comment le tableau taxinomique
peut s’actualiser au fur et à mesure que des caractères apparaissent et s’y
intègrent efectivement. mais là encore, le temps ne représente pas un
principe de modiication interne des caractères de telle espèce, il n’est
pas autre chose que cet élément externe qui reçoit les valeurs successives
des variables préétablies du vivant.
Le temps est donc seulement la cause occasionnelle des modiica-
tions qui afectent un vivant, le devenir des vivants : il est une simple
variable au sein de « la disposition épistémologique dessinée par le
tableau et le continu » (MC, 170). Le monstre et le fossile apparaissent
alors comme les stigmates de ces modiications qui afectent les bords
du tableau, « ses marges négligées » (MC, 170), et qui témoignent d’un
certain devenir de la nature et de sa représentation tabulaire – irré-
ductible à une quelconque « évolution » des espèces : « sur le fond du
continu, le monstre raconte, comme en caricature, la genèse des dif-
férences, et le fossile rappelle, dans l’incertitude de ses ressemblances,
les premiers entêtements de l’identité » (MC, 170). Le monstre et le
fossile, comme igures complémentaires du devenir (devenir de la dif-
férence et devenir de l’identité), prennent ainsi place entre le tableau et
le continu, dans cette « région ombreuse, mobile, tremblée où ce que
l’analyse déinira comme identité n’est encore que muette analogie ;
et ce qu’elle déinira comme diférence assignable et constante n’est
encore que libre et hasardeuse variation » (MC, 170). il reste, et c’est
là l’essentiel, que ce devenir est intégré comme une simple variable
au projet général d’une connaissance des êtres naturels qui s’ordonne
avant tout à la possibilité de les représenter dans un système de noms
(noms propres et noms communs) qui se superpose exactement au
Savoirs : l’ordre des choses 129
système des êtres nommés. L’histoire naturelle se distingue ainsi
archéologiquement d’une histoire de la nature pour se présenter plutôt
comme discours de la nature et discours d’une nature continue, qui vaut
comme la condition de possibilité de tout discours, de tout langage,
et inalement de l’ordre des choses lui-même (en tant que cet ordre
procède de l’analyse discursive des représentations). dans l’histoire
naturelle, les choses et les mots, la nature et le langage, sont en situa-
tion de présupposition réciproque : la nature ne se donne qu’à travers
la grille des dénominations caractéristiques ; mais c’est sa continuité
ontologique principielle (la « chaîne des êtres »39) qui rend possible le
langage lui-même et ses procédures de nomination.
— —•
c’est pourquoi, en déinitive, l’histoire naturelle, à l’âge classique,
ne doit être renvoyée ni « à une philosophie, même obscure, même
encore balbutiante, de la vie » (MC, 174 ; c’est la première objection
que l’archéologie a permis de lever dans ce chapitre), ni à une quel-
conque pensée de l’évolution (seconde objection) ; elle ne peut être
comprise dans ses diférentes options théoriques que si on la rapporte
à une « théorie des mots », et même à une théorie « critique » du lan-
gage. telle est en tout cas la thèse ultime défendue par Foucault à la in
du chapitre V des Mots et les choses, où se dessine donc une isomorphie
claire entre la théorie classique du langage et la théorie classique de
la nature. cette isomorphie, comme nous l’avons déjà souligné, ne va
pourtant pas sans une certaine dissymétrie en faveur de l’histoire natu-
relle comprise comme langue bien faite, corrigeant les imperfections de
la langue naturelle et allant jusqu’à la fonder dans sa possibilité même :
[L’histoire naturelle] se loge tout entière dans l’espace du langage puisqu’elle
est essentiellement un usage concerté des noms, et qu’elle a pour in dernière
dans son étude d’un savoir des richesses à l’âge classique, Foucault
poursuit deux objectifs. il cherche d’abord à rendre compte de la
mutation épistémologique qui fait passer de la pensée économique du
xvie siècle au « mercantilisme » classique. Puis son analyse se concentre
sur la théorie classique de la valeur et de l’échange. Quel est l’enjeu de
ces analyses ? il s’agit d’abord de tisser un réseau de correspondances
entre le domaine des richesses et celui du langage, en vue de vériier
et de renforcer l’efet systématisant des rélexions précédentes. mais il
s’agit aussi de rapporter l’opposition doctrinale entre les physiocrates
et les utilitaristes à des interprétations distinctes mais essentiellement
complémentaires du « même segment théorique » (MC, 209), celui
qui lie le système des échanges et l’analyse de la valeur. de même
que, dans le chapitre précédent, systématiciens et méthodistes cher-
chaient à répondre diféremment au même problème (celui du pas-
sage de la structure visible au caractère taxinomique), de même ici,
physiocratie et utilitarisme correspondent à deux manières opposées,
inverses même, mais au fond complémentaires, d’envisager le rapport
entre l’échange et la valeur. il y a donc un double efet de la lecture
archéologique : d’abord, cette lecture cherche à éviter l’anachronisme
concerté d’une certaine histoire des idées qui ne prêterait « à l’analyse
classique des richesses que l’unité ultérieure d’une économie politique
en train de se constituer à tâtons » (MC, 177)42 ; ensuite, elle tend à
distances avec la thèse de Georges Weulersse notamment pour qui Quesnay et ses
disciples doivent être envisagés comme des précurseurs du capitalisme moderne, en
tant que « découvreurs d’une correspondance entre l’ordre naturel et l’ordre social
qui fonderait la scientiicité de l’économie politique ». au contraire, Foucault ren-
voie les physiocrates à l’épistémè classique et à une analyse des richesses qui s’opère
avant tout à partir d’un système des échanges, lui-même reconduit à « cet échange
déséquilibré, radical et primitif qui s’établit entre les avances de propriétaires et la
générosité de la nature » (cité dans L. Paltrinieri, « L’“analyse des richesses” dans Les
mots et les choses », art. cité, p. 124). il ne s’agit donc plus ici de réinscrire la thèse de
l’historien dans la perspective archéologique mais de s’en dégager, quitte à l’utiliser
comme « réservoir de citations » pour nourrir sa propre analyse.
43 Les chapitres V et Vi des Mots et les choses sont ainsi construits sur le même modèle :
l’opposition entre physiocrates et utilitaristes dans l’ordre du savoir économique est
inalement « réduite » de la même manière que l’opposition entre systématiciens et
méthodistes dans l’ordre du savoir de la nature.
Savoirs : l’ordre des choses 137
unité de questionnement ne manque pas d’être mise à mal dès que l’on
prend en considération la fonction particulière du signe monétaire à
la renaissance :
tout comme les mots avaient la même réalité que ce qu’ils disaient, tout
comme les marques des êtres vivants étaient inscrites sur leur corps à la
manière de marques visibles et positives, de même les signes qui indiquaient
les richesses et les mesuraient devaient en porter eux-mêmes la marque réelle.
Pour pouvoir dire le prix, il fallait qu’ils soient précieux. il fallait qu’ils fussent
rares, utiles, désirables. Et il fallait aussi que toutes ces qualités fussent stables
pour que la marque qu’ils imposaient fût une véritable signature, universelle-
ment lisible. (MC, 180)
45 Voir par exemple la iche consacrée à Jean terrasson et à sa « Lettre écrite à m***
sur le nouveau système des inances » (autre édition de la première des trois lettres
réunies sous le titre « Lettres sur le nouveau systême des inances », 1720) – iche
intitulée par Foucault « La monnaie n’est qu’un signe (En faveur du papier mon-
naie et du système de Law) ».
46 Voir notamment la iche consacrée à destutt de tracy, Élémens d’idéologie. Qua-
trième et cinquième parties : Traité de la volonté et de ses efets (Paris, courcier,
an Xii-1815) – iche intitulée « contre la théorie de la monnaie-signe et le papier
monnaie » ; ou encore celle consacrée à turgot, Œuvres de Turgot et documents le
concernant, avec biographie et notes par Gustave Schelle (Paris, Félix alcan, 1913-1923,
5 tomes – tome 1 : Turgot étudiant et magistrat, 1743-1761 : seconde lettre à l’abbé
de cice, 1749) – iche intitulée « La monnaie est une marchandise ».
142 Le Même et l’Ordre
à cette « disposition unique » qui autorise leur confrontation dans l’es-
pace réglé d’un même savoir : il devient par conséquent impossible
de considérer Law comme celui qui s’oppose « à son siècle comme le
génial – ou imprudent – précurseur des monnaies iduciaires » (MC,
195). il n’est pas plus en avance sur son temps que ses adversaires ne
sont en retard47. La iction du « précurseur » s’efondre à nouveau sous
le coup de l’analyse archéologique de Foucault qui vise à faire appa-
raître les diférences entre les positions archivées dans les discours à
partir de la mise au jour d’une « structure » commune de pensée. Peu
importe donc au fond que la monnaie soit assurée par une valeur qui lui
est extérieure (la propriété foncière par exemple) ou par sa propre réa-
lité matérielle (par le métal dont elle est formée) : l’important est que,
dans ces deux cas, elle sert avant tout à désigner une certaine richesse
et par conséquent à établir le prix des choses en rapportant une cer-
taine quantité de marchandises à une certaine quantité de monnaie.
il reste que, si on l’envisage à partir de ce rapport proportionnel
(entre monnaie et marchandises), le système général des prix est néces-
sairement soumis à de nombreuses luctuations : en efet, il est facile
de comprendre que si l’on dispose de peu de monnaie et de beaucoup
de biens, la monnaie prendra automatiquement une grande valeur et
les prix baisseront (il faudra moins d’espèces pour payer tel bien) ; au
contraire, si l’on dispose de beaucoup de monnaie alors qu’il y a moins
de richesses à échanger, la monnaie sera dévaluée, ce qui entraînera une
hausse des prix (il faudra plus de monnaie pour avoir la même mar-
chandise). or, dans la mesure où aucun rapport constant entre mon-
naie et marchandises n’est établi naturellement, par l’efet de quelque
Providence divine, et où par conséquent « rien dans une marchandise
quelconque n’indique par quelque caractère intrinsèque la quantité de
monnaie par quoi il faudrait la rétribuer », le système des prix sera un
système arbitraire et variable : « il n’y a donc pas de juste prix » (MC,
197), c’est-à-dire de prix établi à partir de la valeur réelle d’un bien, mais
seulement des prix « ajustés » en fonction du rapport proportionnel
qui lie la masse monétaire et l’ensemble des richesses disponibles. cet
ajustement tendanciel et proportionnel implique alors selon Foucault,
47 de la même manière, dans le chapitre V, les partisans d’un certain ixisme et ceux
d’un certain pré-évolutionnisme sont également renvoyés à l’espace de savoir com-
mun de la taxinomie classique.
Savoirs : l’ordre des choses 143
dans l’ordre des échanges économiques, l’introduction d’une certaine
dimension temporelle qui distingue à nouveau l’analyse classique des
richesses de l’histoire naturelle en fonction de son enracinement dans
un champ de pratiques sociales et historiques qui en singularisent le
proil épistémologique. En efet, pour que chaque chose échangeable
puisse avoir son équivalent (ou sa « désignation ») en espèces, il est
nécessaire que la même unité monétaire puisse représenter plusieurs
choses diférentes (un objet, une part de revenu, un travail, une mesure
de blé), « comme un nom commun a le pouvoir de représenter plusieurs
choses ou un caractère taxinomique celui de représenter plusieurs indi-
vidus, plusieurs espèces, plusieurs genres, etc. » (MC, 197). Jusqu’ici, la
théorie de la monnaie suit la théorie du langage ou celle des êtres natu-
rels. mais, pour parvenir à représenter plus de richesses, la monnaie ne
procède pas, comme le caractère taxinomique dans le discours de la
nature, par généralisation et simpliication, mais plutôt par accélération
de sa vitesse de circulation, de sorte qu’« à l’extension taxinomique du
caractère dans l’espace simultané du tableau correspond la vitesse du
mouvement monétaire pendant un temps déini » (MC, 198).
L’ajustement réciproque de la masse monétaire et des richesses
qu’elle permet d’analyser s’opère donc sous la condition du temps : d’un
temps qui n’est pas celui, tout extérieur, qui venait en quelque sorte se
superposer à l’espace continu et simultané de la nature et n’afectait en
rien la mise en tableau des caractères taxinomiques, mais qui est plutôt
le temps même de l’échange et de la circulation, en tant qu’ils forment
l’élément à partir duquel la monnaie peut représenter les richesses,
et les prix s’ajuster, même si c’est de manière toujours provisoire. La
variabilité du système des prix relète donc la variabilité du pouvoir
représentatif de la monnaie qui « désigne les richesses mais dans le
mouvement de leur croissance ou de leur diminution » (MC, 202). Pour
autant, l’importance prise par le facteur temporel dans l’analyse des
richesses ne permet pas de confondre cette analyse et celle qui, dans le
cadre de l’économie politique, se fondera sur la question de la dépense
ou de l’accumulation de l’argent pour développer une rélexion sur le
temps de la production et sur la possibilité du proit. car si Foucault
souligne la fonction centrale du temps dans les analyses classiques
du rapport entre richesse et monnaie, et s’il distingue de ce point de
vue le savoir des êtres naturels et le savoir des richesses, il reste que
c’est bien « le même réseau archéologique qui soutient, dans l’analyse
144 Le Même et l’Ordre
des richesses, la théorie de la monnaie-représentation, et dans l’histoire
naturelle, la théorie du caractère-représentation » (MC, 202). c’est donc
seulement en tant qu’elle fonctionne comme gage, représentant une
certaine richesse (externe ou interne au signe monétaire, au fond, peu
importe) vouée à la circulation et à l’échange, que la monnaie se trouve
prise dans le mouvement temporel d’un ajustement permanent par
rapport aux marchandises qu’elle désigne.
L’analyse archéologique du savoir économique à l’âge classique,
conduite par Foucault au début du chapitre Vi des Mots et les choses,
débouche donc sur deux résultats importants. d’une part, un certain
mode d’être de la monnaie comme signe représentatif s’y trouve iden-
tiié – en rupture avec son statut de marque ressemblante qui pré-
valait dans la pensée « économique » de la renaissance. d’autre part,
et surtout, si le mercantilisme contribue de manière décisive à nouer
entre la monnaie et la richesse un lien de représentation et d’analyse, il
importe de relever que ce lien représentatif est ici spécialement afecté
d’un indice temporel dans la mesure où il ne se ixe pas dans l’espace
simultané d’un « tableau » taxinomique, mais qu’il se constitue dans la
durée d’un échange, qui permet aux richesses et aux signes monétaires
de circuler de mains en mains et, progressivement ou tendancielle-
ment, de s’ajuster les uns aux autres.
49 Les éléments de rélexion proposés par Foucault au sujet des physiocrates pro-
viennent de plusieurs iches de lecture rassemblées dans le sous-dossier « analyse
des richesses ». ces iches portent sur deux ouvrages de référence :
– celui de Georges Weulersse, Le mouvement physiocratique en France de 1756
à 1770 (Paris, Félix alcan, 1910, 2 volumes). Les iches de Foucault portent sur
« héorie des prix chez les Physiocrates », « La théorie du produit net », « Pour-
quoi l’agriculture donne-t-elle un produit net ? », « Pourquoi l’industrie ne
donne pas de produit net ? », « Le travail de l’ouvrier comme certaine dépense » ;
– celui d’Eugène daire, auteur d’une anthologie sur les Physiocrates : Quesnay,
Dupont de Nemours, Mercier de La Rivière, l’abbé Baudeau, Le Trosne (introduc-
tion sur la doctrine des physiocrates, commentaires et notices historiques de l’au-
teur, Paris, Guillaumin, 1846). Les iches de Foucault portent principalement sur
Le trosne, De l’intérêt social ; ces iches sont intitulées : « origine et déinition de
la valeur », « Les causes de la valeur », « Le rôle de l’argent ».
Savoirs : l’ordre des choses 147
biens eux-mêmes soient transformés en richesses, en valeurs d’échange,
il en coûte une certaine consommation de biens (« frais de voiturage,
de conservation, de transformation, de mise en vente » – MC, 205). La
valeur ne peut donc se former qu’en « [sacriiant] des biens pour en
échanger d’autres » (MC, 206). Le cycle des échanges, par lequel se
constitue la valeur, a donc lui-même un coût. or, pour que ce coût ne
vienne pas enrayer la dynamique de ces échanges, il faut alors supposer
qu’une telle dynamique trouve elle-même sa raison d’être, et son fon-
dement, dans la « prolixité de la nature », dans la fécondité de la terre
qui produit régulièrement, et pour ainsi dire gratuitement, des biens
susceptibles d’être transformés en richesses par le jeu de l’échange.
mirabeau, dans sa Philosophie rurale, ou Économie générale et politique
de l’agriculture (1763),met ainsi en avant le privilège de l’agriculture sur
le commerce et l’industrie : « L’agriculture est une manufacture d’ins-
titution divine où le fabricant a pour associé l’auteur de la nature, le
producteur même de tous les biens et de toutes les richesses » (Philoso-
phie rurale, p. 33 ; cité par Foucault, MC, 20850). La production agricole
est ainsi privilégiée dans la mesure où elle est toujours coproduite par
une nature qui ne demande aucune rétribution pour son « travail » et
qui autorise par là un gain net dans l’échange des richesses qu’elle rend
possible. selon les physiocrates, toute valeur trouve donc son origine
dans la terre, en tant que celle-ci produit un surplus de biens : cela ne
signiie pas que « la nature produit spontanément des valeurs », mais
plutôt qu’« elle est la source inlassable des biens que l’échange trans-
forme en valeurs, non sans dépenses ni consommation » (MC, 209).
dans ces conditions, se dessine une certaine isomorphie entre la théo-
rie physiocratique de la valeur et la théorie grammaticale de la racine :
Les Physiocrates commencent leur analyse par la chose elle-même qui se
trouve désignée dans la valeur, mais qui préexiste au système des richesses. il
en est de même des grammairiens lorsqu’ils analysent les mots à partir de la
racine, du rapport immédiat qui unit un son et une chose, et des abstractions
successives par quoi cette racine devient un nom dans une langue. (MC, 209)
51 Voir la iche intitulée « Les rapports entre les valeurs ». dans le sous-dossier « ana-
lyse des richesses », on trouve plusieurs iches de lecture consacrées à Jean-Joseph-
Louis Graslin et à son Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt (Londres, 1767).
ces iches s’intitulent : « contre les deux postulats des Physiocrates », « déinition
de la richesse », « Les rapports entre les valeurs », « déinition de la valeur », « Le
prix et la valeur ». sur la pensée économique de Graslin, voir l’article d’arnaud
orain, « “équilibre” et iscalité au siècle des lumières. L’économie politique de
Jean-Joseph Graslin », Revue économique, 2006/5, vol. 57, p. 955-981.
150 Le Même et l’Ordre
il fait ainsi apparaître de nouvelles valeurs, liées à des objets de com-
modité ou d’agrément (celle des diamants par exemple) qui diminuent
la valeur des premiers objets du besoin. dans la mesure où le total des
richesses n’augmente pas, l’échange contribue seulement à organiser
leur circulation en fonction de la valeur « appréciative » qu’elles repré-
sentent et qui se mesure moins à partir du système des besoins qu’à
partir du rapport réciproque des utilités. L’échange des utilités est donc
le « fondement subjectif et positif de toutes les valeurs » (MC, 213).
La théorie physiocratique paraît donc bien renversée : au lieu que
la possibilité de l’échange des richesses et de la formation de la valeur
des choses relève d’une cause externe (la générosité de la nature), c’est
ici à partir de l’échange lui-même et de la mise en relation entre des
besoins et des appréciations d’utilité que les valeurs sont possibles.
Foucault peut alors reformuler cette opposition dans les termes de
la théorie du langage : « Les “utilitaristes” fondent sur l’articulation
des échanges l’attribution aux choses d’une certaine valeur ; les Phy-
siocrates expliquent par l’existence des richesses le découpage progres-
sif des valeurs » (MC, 213). cette analogie a surtout pour fonction de
dessiner l’espace de convergence de ces deux théories de la valeur en
indiquant qu’elles ont en commun le fait de relier, quoique de manière
rigoureusement inverse, « le moment qui attribue et celui qui articule »
(MC, 213). Pour les utilitaristes, c’est en efet du jeu réglé, articulé, des
échanges que procède l’attribution d’une valeur aux choses (celle-ci
dépendant étroitement de l’appréciation relative de leur utilité) ; alors
que pour les physiocrates, c’est la prolixité de la nature qui, primitive-
ment, permet d’attribuer aux choses une valeur en transformant les
biens naturels en richesses échangeables, articulables selon les divi-
sions du système monétaire.
il reste qu’en in de compte, la distinction entre ces théories de
la valeur dont Foucault vient d’exposer les principaux attendus doit
être doublement relativisée. d’abord, elle doit être ramenée à l’unité
propre à l’analyse classique des richesses. Physiocrates et utilitaristes
s’accordent en efet sur trois propositions fondamentales que Foucault
énumère sommairement : « toute richesse naît de la terre ; la valeur des
choses est liée à l’échange ; la monnaie vaut comme la représentation
des richesses en circulation » (MC, 212-213). À ce niveau de généralités,
peu importe donc que l’opposition entre physiocratie et utilitarisme
prenne l’allure d’une antinomie. car si les disciples de Quesnay comme
Savoirs : l’ordre des choses 151
ceux de condillac, Graslin et destutt voient dans la terre la source
unique de la richesse, les premiers airment toutefois que la valeur ne
peut apparaître que si elle est surabondante, « douée d’une fécondité
ininie », alors que les seconds airment que la formation de la valeur
repose « sur un certain état de besoin chez les hommes, donc sur le
caractère ini de la fécondité de la nature » (MC, 213). Par ailleurs, s’il est
clair que les uns comme les autres airment une connexion essentielle
entre valeur et échange, cette connexion donne lieu là encore à des
interprétations antagoniques : pour les physiocrates, en efet, les biens
n’ont de valeur qu’en tant qu’objets possibles d’échange, mais l’échange
ne peut pas pour autant augmenter cette valeur ; à l’inverse, les utili-
taristes voient les biens comme biens d’une certaine valeur (du fait de
leur utilité) indépendamment de la possibilité de leur échange, mais ils
pensent que l’échange permet d’augmenter leur valeur. Par conséquent,
les deux perspectives qui s’afrontent sur ces questions sont seulement
des constructions inverses à partir des mêmes éléments de base.
surtout, les désaccords manifestes entre physiocrates et antiphy-
siocrates n’illustrent donc pas les prémisses d’une quelconque lutte des
classes, opposant d’un côté le groupe social des propriétaires fonciers
et de l’autre celui des entrepreneurs et des commerçants, identiiés
à partir du jeu des opinions et du rapport de forces qui les opposent.
Foucault démarque clairement sa démarche archéologique de cette
approche socio-doxologique (d’inspiration marxiste), qui conduit
notamment à chercher, selon une méthode d’analyse rétrospective,
dans la constitution de la théorie physiocratique (concentrée dans une
théorie de la rente foncière) « l’acte de fondation de l’économie poli-
tique » (MC, 204). L’archéologie situe son analyse à un autre niveau :
il ne s’agit pas de déduire de l’appartenance à tel ou tel groupe social
la cause du choix de tel ou tel système de pensée, mais plutôt de faire
apparaître « la condition pour que ce système ait été pensé » (MC, 214),
soit l’a priori historique qui rend compte de la possibilité même du
choix entre deux modes d’analyse du rapport entre valeur et échange.
c’est dans cette perspective archéologique qu’intervient alors une
seconde relativisation, plus radicale encore, des débats théoriques
sur la valeur. Foucault entreprend en efet de rapporter ultimement
toutes les distinctions, tous les points d’hérésie qui apparaissent dans
la constitution réelle des savoirs empiriques non seulement à l’analyse
du réseau de nécessité qui permet de décrire les règles de formation
152 Le Même et l’Ordre
particulières de ces savoirs, mais encore à l’analyse de la coniguration
d’ensemble de l’épistémè classique qui déploie une isomorphie généra-
lisée entre l’analyse des richesses, l’histoire naturelle et la grammaire
générale. Le « tableau général » qui s’esquisse ainsi peut alors faire
apparaître de manière explicite la fonction privilégiée et centrale du
langage et de la représentation au sein du système classique du savoir.
L’épistémè classique :
structure et limites
cOncLuSIOn
La récapitulation serrée qui est proposée par Foucault dans les pages
conclusives de la première partie des Mots et les choses vise à exhiber
l’unité fondamentale de l’épistémè classique en soulignant que cette
unité tient avant tout à ce que « l’analyse de la représentation a […]
valeur déterminante pour tous les domaines empiriques » (MC, 221).
or, comme le langage constitue le pivot de cette analyse, ce sont les
segments théoriques de la grammaire générale (attribution, articula-
tion, désignation, dérivation) qui rendent compte de la structuration
interne de chaque domaine empirique et de leur homogénéité structu-
relle. cette thèse, régulièrement suggérée depuis le chapitre iii, prend
ici toute son ampleur. En efet, Foucault indique en quoi l’analyse des
richesses, comprenant une théorie de la valeur et une théorie de la
monnaie, « obéit à la même coniguration que l’histoire naturelle et la
grammaire générale » (MC, 214), ce qui revient, par un jeu subtil d’ana-
logies croisées, à identiier valeur et structure, monnaie et caractère
et à énoncer pour inir que « les systèmes de l’histoire naturelle et les
théories de la monnaie ou du commerce ont les mêmes conditions de
possibilité que le langage lui-même » (MC, 216). c’est donc à partir des
diférentes fonctions du langage, et particulièrement à partir des deux
couples fonctionnels attribution/articulation et désignation/dérivation,
que peut s’opérer cette mise en correspondance généralisée :
Les quatre fonctions qui déinissent en ses propriétés singulières le signe ver-
bal et le distinguent de tous les autres signes que la représentation peut se
donner à elle-même, se retrouvent dans la signalisation théorique de l’his-
toire naturelle et dans l’utilisation pratique des signes monétaires. L’ordre
des richesses, l’ordre des êtres naturels s’instaurent et se découvrent dans la
154 Le Même et l’Ordre
mesure où on établit entre les objets de besoin, entre les individus visibles,
des systèmes de signes qui permettent la désignation des représentations les
unes par les autres, la dérivation des représentations signiiantes par rapport
aux signiiées, l’articulation de ce qui est représenté, l’attribution de certaines
représentations à certaines autres. (MC, 216)
1 il s’agit du titre du chapitre Vii qui ouvre la seconde partie des Mots et les choses.
2 il faut souligner la diférence de traitement de la référence à sade entre Histoire
de la folie et Les mots et les choses. dans le premier livre, les romans de sade repré-
sentent ce moment de la souveraineté singulière de la folie, en tant qu’elle ne se
160 Le Même et l’Ordre
cette œuvre inlassable manifeste le précaire équilibre entre la loi sans loi du
désir et l’ordonnance méticuleuse d’une représentation discursive. L’ordre du
discours y trouve sa Limite et sa Loi ; mais il a encore la force de demeurer
coextensif à cela même qui le régit. (MC, 222)
laisse pas réduire aux igures de la déraison ; dans le second, Foucault retient de
sade l’opération critique qui consiste à inquiéter la disposition du savoir qui lui
est contemporaine en indiquant, en creux, ou encore à vide, le mouvement d’un
possible débordement de la représentation par le désir.
L’épistémè classique : structure et limites 161
discours et ces scènes deviennent à leur tour dérisoires tant ils se rem-
plissent d’un désir qui sature l’espace de la représentation et menace de
le déborder. s’amorce ainsi une critique interne de la représentation,
symétrique de la critique de la ressemblance amorcée dans la seconde
partie du Don Quichotte, et qui en exploite à fond les pouvoirs jusqu’à
en faire apparaître les limites. ces limites sont celles d’une « nomina-
tion » qui n’est plus ici soumise au jeu de la rhétorique mais à la pro-
lifération indéinie des possibilités du désir, surgissant désormais du
dessous de la représentation, irréductible à son ordre propre.
ce premier système d’écho, qui assure la clôture de l’épistémè clas-
sique sur ses propres limites internes, se trouve alors redoublé par un
autre rapprochement, qui a pour fonction cette fois de manifester
le seuil constitutif de l’épistémè moderne. sade et Kant occupent en
efet, dans la topologie de Foucault, des positions symétriques – mais
strictement contemporaines, à travers lesquelles se trouvent désignés
les deux bords, interne et externe, d’une même rupture archéologique,
celle qui conduit au retrait déinitif du savoir et de la pensée hors
de l’espace de la représentation et à la distinction critique de l’empi-
rique et du transcendantal. Là où les romans de sade dessinent une
grammaire générale des perversions, soumettant l’expression du désir
à la construction de « scènes », la pensée kantienne met en question la
possibilité même de toute représentation, en interrogeant ce qui, d’un
seul trait, la limite et la fonde3.
•— —
5 il faut noter que, si les efets de symétrie ménagés par Foucault dans Les mots et les
choses contribuent à la cohérence d’ensemble de sa construction archéologique, ils
assurent également un certain rapport décalé entre littérature et philosophie : les
ictions de cervantès, de sade ou de roussel (tout comme la iction inaugurale de
Borgès) forment des indicateurs de seuil, des indices de rupture, de bouleversement
de l’épistémè, alors que les théories de descartes, Kant ou husserl se déploient dans
un espace épistémologique reconiguré. Le discours philosophique vaut donc plu-
tôt comme l’efet manifeste d’une nouvelle disposition de savoir et de pensée que la
littérature, d’une certaine manière, contribue à esquisser, mais comme en creux, en
confrontant la pensée à son dehors, soit ce qui est actuellement impossible à penser.
Bibliographie
autres ouvrages
ces textes sont cités DE, suivis du tome dans la première édition, du
numéro du texte et de l’année de sa publication ou de sa difusion.
DE, i, no 34 [1966] : « michel Foucault, Les mots et les choses » (entretien avec ray-
mond Bellour).
DE, i, no 37 [1966] : « Entretien avec madeleine chapsal ».
DE, i, no 39 [1966] : « L’homme est-il mort ? » (entretien avec claude Bonnefoy).
DE, i, no 47 [1967] : « La philosophie structuraliste permet de diagnostiquer ce
qu’est “aujourd’hui”» (entretien avec G. Fellous).
DE, i, no 48 [1967] : « sur les façons d’écrire l’histoire » (entretien avec r. Bellour).
DE, i, no 50 [1967] : « Qui êtes-vous, professeur Foucault ? » (entretien avec P. caruso).
DE, i, no 54 [1968] : « Interview avec michel Foucault » (entretien avec i. Lindung).
DE, i, no 55 [1968] : « Foucault répond à sartre » (entretien avec J.-P. Elkabbach).
DE, i, no 58 [1968] : « réponse à une question » (pour la revue Esprit).
DE, i, no 59 [1968] : « sur l’archéologie des sciences. réponse au cercle d’épisté-
mologie ».
DE, i, no 60 [1969] : « introduction » à la Grammaire générale et raisonnée d’a. arnauld
et c. Lancelot.
DE, i, no 66 [1969] : « michel Foucault explique son dernier livre » (entretien avec
J.-J. Brochier).
DE, ii, no 72 [1970] : « Préface à l’édition anglaise des Mots et les choses [he Order of hings] ».
166 Le Même et l’Ordre
DE, ii, no 76 [1970] : « discussion » de l’exposé de François dagognet sur « la situa-
tion de cuvier dans l’histoire de la biologie », lors des Journées cuvier de
mai 1969.
DE, ii, no 77 [1970] : « La situation de cuvier dans l’histoire de la biologie » (confé-
rence suivie d’une discussion).
DE, ii, no 85 [1971] : « Entretien avec michel Foucault » ( J. G. merquior et
s. P. rouanet).
DE, ii, no 103 [1972] : « revenir à l’histoire ».
Généralités
Biographies
colombel Jeannette, Michel Foucault, la clarté de la mort, Paris, odile Jacob, 1994.
éribon didier, Michel Foucault, Paris, Flammarion, 1989 ; réédité dans la collection
champs, 1991.
miller James, La passion Foucault, traduction française h. Leroy, Paris, Plon (Bio-
graphies), 2004.
Lexiques, abécédaires
Brossat alain, Abécédaire Foucault, Paris, éditions demopolis (Essai), 2014.
Leclercq stéfan dir., Abécédaire de Michel Foucault, sils maria/Vrin, 2004.
Potte-Bonneville mathieu, Foucault, Paris, Ellipses (Philo-Philosophes), 2010.
revel Judith, Le vocabulaire de Michel Foucault, Paris, Ellipses, 2002.
revel Judith, Dictionnaire Foucault, Paris, Ellipses (dictionnaire), 2007.
Principales recensions
La plupart des recensions ou des articles importants consacrés à Les
mots et les choses au moment de la parution de l’ouvrage a été recueillie
dans l’ouvrage collectif Les mots et les choses de Michel Foucault. Regards
critiques, 1966-1968, caen / saint-Germain-la-Blanche-herbe, Presses
universitaires de caen / imEc, 2009. ce recueil est précédé d’une
importante introduction qui restitue notamment le contexte de publi-
cation ainsi que les enjeux essentiels des Mots et les choses.
Ouvrages
Brieler Ulrich, Die Unerbittlichkeit der Historizität. Foucault als Historiker, Köln/
Weimar/Wien, Böhlau Verlag (Beiträge zur geschichtsKultur. Bd 14), 1998.
dekens olivier, L’épaisseur humaine. Foucault et l’archéologie de l’homme moderne,
Paris, Kimé (Philosophie-épistémologie), 2003.
dreyfus hubert et rabinow Paul, Michel Foucault. Un parcours philosophique. Au-
delà de l’objectivité et de la subjectivité, traduction française F. durand-Bogaert,
Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), 1984.
Gros Frédéric, Foucault et la folie, Paris, PUF (Philosophies), 1997.
Gutting Gary, Michel Foucault’s Archaelogy of Scientiic Reason : Science and the His-
tory of Reason, cambridge University Press, 1989.
han Béatrice, L’ontologie manquée de Michel Foucault. Entre l’historique et le trans-
cendantal, Grenoble, Jérôme millon (Krisis), 1998.
sabot Philippe, Lire Les mots et les choses de Michel Foucault, Paris, PUF (Quadrige),
2013 [2006].
salanskis Jean-michel, Herméneutique et cognition, Villeneuve d’ascq, PUs (Phi-
losophie), 2003.
Index rerum
Index des notions
analyse des richesses – 63, 74, 85, 86, 87, 40, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 54,
107, 130, 132, 133, 134, 136, 143, 152, 153, 55, 56, 57, 66, 76, 83, 85, 89, 90, 96, 101,
154, 155, 157, 158, 168 105, 106, 108, 119, 125, 134, 140, 160, 167
archéologie – 5, 6, 7, 9, 12, 13, 16, 19, 20,
21, 26, 38, 41, 43, 44, 47, 48, 49, 53, 54, G
63, 70, 74, 81, 83, 113, 129, 130, 131, 134,
136, 138, 145, 151, 159, 163, 165, 167, 168 Grammaire générale – 13, 46, 63, 67, 68,
82, 83, 86, 87, 90, 91, 92, 96, 97, 98, 101,
d 105, 110, 125, 130, 132, 133, 140, 152, 153,
156, 158, 161, 165, 168
discontinuité – 6, 189, 20, 43, 49, 56, 70,
77, 85, 89, 113, 159 h
discours – 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 14, 15, 16, 17,
32, 34, 36, 37, 38, 41, 42, 43, 44, 45, 46, histoire naturelle – 13, 15, 25, 26, 27, 37,
47, 48, 49, 55, 61, 64, 68, 86, 87-110, 111, 63, 74, 82, 83, 85, 86, 87, 99, 107, 110-
112, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 125, 126, 132, 133, 140, 143, 144, 152, 153, 154, 155,
129, 132, 133, 134, 140, 142, 143, 156, 157, 156, 157, 158
158, 159, 160, 161, 162, 164, 166, 167 homme – 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 16, 20, 23,
24, 25, 26, 27, 42, 47, 48, 49, 52, 54, 57,
E 68, 75, 79, 80, 81, 82, 83, 86, 96, 98,
99, 125, 126, 144, 146, 148, 149, 151, 158,
épistémè – 5, 6, 8, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 165, 167, 168
19, 20, 21, 29, 30, 32, 34, 39, 40, 41, 42,
43, 49, 51, 55, 56, 57, 59, 63, 64, 65, 69, L
71, 78, 79, 80, 81, 82, 89, 93, 96, 108,
110, 111, 114, 134, 136, 152, 153, 158, 159, Littérature – 20, 21, 43, 44, 45, 46, 47, 48,
161, 162 50, 52, 53, 54, 55, 56, 89, 96, 101, 107,
Expérience – 6, 7, 8, 17, 20, 26, 35, 38, 39, 108, 109, 134, 159, 162
170 Le Même et l’Ordre
m
mathesis – 13, 29, 58, 62, 63, 64, 80, 81, 78, 82, 83, 87, 88, 89, 90, 91, 93, 94, 95,
82, 111, 119 95, 96, 97, 101, 102, 106, 107, 111, 112,
modernité – 6, 7, 8, 9, 10, 13, 16, 18, 19, 115, 117, 118, 119, 132, 135, 136, 137, 138,
20, 47, 72, 73, 80, 130, 131, 145, 162, 166 139, 140, 141, 142, 144, 153, 154, 155, 156,
157, 158, 159, 160
r t
représentation – 5, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 15, tableau – 7, 8, 9, 10, 11, 15, 16, 17, 22, 32, 37,
17, 18, 29, 32, 35, 44, 45, 49, 51, 55, 56, 52, 66, 68, 69, 71, 72, 73, 74, 75, 77, 78,
64, 65, 67, 68, 70- 83, 86, 87-92, 93, 94, 79, 80, 81, 82, 83, 86, 88, 93, 103, 104,
94, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 106, 107, 111, 112, 115, 116, 119, 120, 122,
104, 106, 108, 109, 110, 112, 116, 118, 123, 125, 126, 127, 128, 143, 144, 152, 155,
120, 124, 128, 129, 130, 131, 132, 136, 138, 156, 157, 158
139, 140, 144, 145, 150, 152, 153, 154, 155,
156, 157, 158, 159, 160, 161, 162 V
ressemblance – 16, 19-40, 44, 47, 48, 51-
61, 65, 66, 67, 69, 70, 71, 72, 73,75, 76, Vérité – 7, 30, 32, 35, 36, 37, 54, 55, 58, 61,
77, 78, 79, 80, 81, 94, 102, 106, 109, 110, 62, 65, 88, 89, 98, 106, 123, 160, 165
115, 116, 122, 123, 124, 125, 128, 137, 138,
160, 161
signe – 12, 13, 15, 16, 30, 31, 32, 33, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50,
51, 53, 54, 59, 61, 63, 64, 65-74, 75, 76,
table
dépot légal
septembre 2015
imPrimé
En FrancE