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III.
EMANUELE
VITT
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BIBLIOTECA
NAZIONALE
B. Prov. VITT
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VIII
CCA PROVINCIALE
296
Palchetto
NAPOLI
XVIII
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641565
LET TRES
SUR
L'ATLANTIDE DE PLATON
ET SUR L'ANCIENNE
000
HISTOIRE DE L'ASIE.
Pour ſervir de ſuite aux Lettres
ſur l'origine des Sciences ,
adreſſées à M. DE VOLTAIRE par M. BAILLY.
À LONDRES,
Chez M. ELMSLY .
ET A PARIS,.
Chez les Freres DEBURE, Quai des Auguftins:
M. DCC. LXXIX.
圣
AVERTISSEMENT.
CES
Es Lettres ont été écrites ayant la
mort dụ: grand homene que nous venons
de perdre ; elles ne lui avoient point
encore été communiquées. Deſtinées à
développer , à apprécier une opinion
qui a une grande vraiſemblance, & qui
peut-être, fous l'apparence du paradoxe,
renferme un grand fond de vérité , elles
n'avoient point l'objet de convaincre
M. de Voltaire ; ce n'eſt pas à 85 ans
qu’on change ſes opinions , pour des
opinions oppoſées. Il a toujours été
perſuadé que les Brames , qui nous orit
enſeigné tant de choſes, étoient les au
teurs de la philoſophie & des ſciences ;
l'auteur penſe qu'ils n'en ont été que dé
pofitaires. La mort de M. de Voltaire
n'a pas dû faire changer la forme de
diſcuſſion employée dans les premières
i AVERTISSEMENT .
Lettres ; l'auteur a encore l'honneur de
parler à M. de Voltaire. On n'eft fuf
pect de flatterie qu'en louant les vivans.
Il s'applaudit de rendre un hommage
déſintéreſé à la cendre de ce grand
homme,
LETTRES
21
USA Oh
L E TT RES!
SUR
2913
RES
L'ATLANTIDE DE PLATON
ET SUR L'ANCIENNE
HISTOIRE DE L'ASIE.
QUATRIEME LETTRE
DE M. DE VOLTAIRE A M. BAILLY.
ܐ ܂ ܛ |ܙ ܙ, ,
Tradidit mundum difputationi eorum . 235
milos Laboral
obors 11878
Je ne diſpute, point coñtre vous , je ne
cherche qu'à m'inſtruire. Je ſuis un vieil
aveugle qui vous demande le chemin. Pero
А
2 LĒ T T R E S
ſonne n'eſtplus capable que vous de recti
fier més idées ſur les Bracmanes.
Je fuis éronnéqu'aucun de nos Français
n'ait eu la curioſité d'apprendre à Bénarès
l'ancienne langue ſacrée , comme ont fait
M. Holwell & M.d'Ov.
1 ° . Le livre duShaſtah, écrit il y aa près
Shaſtah , écritil
de 5000 ans , n'eſt pas aſſez ſublime pour
nous laiſſer croire que les auteurs avaient
du génie & de la ſcience ( a ).
2 ° . Eſt- il bien vrai que les Brames d’au
Die
ཀ -
zvoli pri
C mosüsissa on
- } ༡. ''བུ :: ཀ་ ༔ ་ )
در و over 100
SUR L'ATLANTID E.
ONZIEME LETTRE
DE M. BAILLY A M. DE VOLTAIRE.
PERMETTEZ-M01
MOI , Monſieur , de renouer
avec vous une correſpondance qui m'ho
nore . J'aime à vous faire hommage de mes
idées. Quelque prévenu que vous ſoyez en
faveur des Bracmanes , je vous fais encore
>
*
SUR L'ATLANTI D E. 19
les témoins ; nous allons les interroger.
Platon eſt le premier. Il avait conſulté les
ſages de l’Egypte ; ce font eux qui inſtruir
fent les Grecs par ſa bouche. ... Vous ,
» ſavez pas , diſent-ils, quelle était dans
» votre pays la plus belle & la meilleure
génération d'hommes qui ait jamais
» exiſté ; il n'en eſt échappé qu'une faible
» ſemence dont vous êtes les deſcendans.
w Nos écrics rapportent comment votre
» république a réhiſté aux efforts d'une
» grande puiſſance , qui, ſortie de la mer
atlancique , avait injuſtement envahi
» toute l'Europe & l'Aſie (a) »s. vo
Voilà donc une ancienne race d'hom
mes preſque entièrement détruite; car Pla .
con ne diſſimule pas aux Grecs qu'ils n'en
étaient qu'un faible reſte. Mais , Monſieur,
nous devons prendre garde aux expreſſions
des écrivains philoſophes. Dans leursrécirs ,
dans leurs tableaux , chaque trait de crayon ,
chaque nuance de couleur eſt une idée .
c
DOUZIEME LETTRE
A M. DE. VOLTAIRE.
(a) Tous les métaux ſont fuſibles. Il faut croire que par
le nom de métal fuſible , Platon a voulu déſigner le vif-ar
gent.
SUR L'ATLANTID E. 35
d'or , dont les voûtes étoient d'ivoire ciſelé
& le pavé d'argent & d'orichalque. Là
étaient des ſtatues d'or ; celle du Dieu ,
monté ſur un char tiré par fix chevaux ailés ,
entourés de cent Néréides aflıſes ſur des
dauphins , s'élevait juſqu'au faîte. A l'en
---
tour étaient placées les ſtatues de tous les
Rois qui avaient ſuccédé à Atlas & à ſes
freres. Les prêtres d'Egypte , ſoigneux de
conſerver les uſages antiques, montrerent
également à Hérodote les ſtatues de 341
Rois qui avaient régné ſur eux. Je ne vous
parlerai pointnon plus des ponts , des aque
ducs , des bains, des gymnaſes, des hyp
podromes que le luxe & l'induſtrie de ces
peuples avaient bâtis pour la commodité &
l'uſage de la vie. Il ſuffit d'indiquer ces
édifices & ces conſtructions publiques pour
vous annoncer une nation puiſſante & ci
viliſée. Nous paſſons à la deſcription de
l’ile même . Sa figure était un quarré oblong ;
ſa longueur d'une extrémité à l'autre écaio
de 3000 ſtades, & fa largeur de 2000. Son
territoire s'étendoit vers le ſud , & du côté
Cij
ES
36 LETTR :
du nord il était bordé par des montagnes.
Platon ajoute que ces montagnes ſurpal
ſaient en quantité , en grandeur & en beauté
toutes celles qui étaient connues de ſon
tems. Elles étaient couvertes de villages &
de riches habitations; elles abondaient en
forêts , en rivières , en lacs , en prairies. La
furface de la terre avait été diſpoſée ainſi
par la nature , & travaillée par beaucoup
de générations pendant une longue ſuite
de tems . Si nous voulons jeter un coup
d'oeil ſur l'adminiſtration & ſur les moeurs ,
Platon vous dira que chacun des dix chefs
régnait dans ſon diſtrict & dans les villes
ſur ſes ſujets & ſelon ſes loix. Cette ſociété
d'empires , aſſez ſemblable au gouverne
ment des Amphyctions dans la Grèce , était
établie en conſéquence d'un ordre précis
de Neptune, exprimé dans une loi reſpectée,
& gravée ſur une colonne qui était dans ſon
temple. C'eſt dans ce temple que les dix
chefs s'aſſemblaient alternativement tous
les cinq ou ſix ans , ayant les mêmes égards
>
>
P. 45 & 47.
44 L E T T R E S
pour les tems & pour les lieux. Le nom
d'Atlas ou du peuple atlante retentir chez
tous les écrivains de l'antiquité ( a ) : le
poëte & le philoſophe n'ont point inventé
ces noms ; & comme les noms ſuppoſent
les choſes , l'ancienne exiſtence du peuple
eſt démontrée. On ne dira point que ces
écrivains ſont les copiſtes du philoſophe ,
puiſqu'ils nous donnent des détails qui
ne ſe trouvent point dans ſes dialogues : Il
y avait donc un fond d'hiſtoire ou de tra
dition ; il y avait donc des ſources origi
nales où ces écrivains ont puiſé comme
Platon. Diodore de Sicile & l'antique San
choniaton nous ont conſervé les généalo
gies & les faits des héros atlantides ; je vais
vous citer quelques morceaux de leurs nar
rations. J'ai beſoin de m'appuyer de leurs
témoignages, unis à celui de Platon . Rap
pelez-vous , Monſieur , qu'il eſt queſtion
>
1
SUR L'ATLANTIDE. 45
A M. DE VOLTA I R E.
A
4
56 LETTRES
On juge bien que ces ſoins , tant de vertus ,
& ſur - tout des ſuccès éclatans , devaient
le conduire au ciel. L'apothéoſe en effer ne
lui manqua pas; on le plaça dans la planete
de Jupiter, qui porte encore ſon nom ; on
lui donna le nom de zeus , qui ſignifie vie
vant. Jamais apothéoſe n'eut plus d'éten
due & plus de durée , Roi pendant la vie , il
fut après ſa mort le Dieu de toute la terre .
Place a l'origine des hommes , tous les ſou
venirs ont commencé par lui : il a voyagé
avec les nations, il a eu par-tout un culte &
des autels , il a rempli la terre & les fiècles
de ſon nom. Mais les honneurs , les cho
ſes humaines ne ſont pas éternelles ; de
tant de domaines , il ne lui reite aujour
dhui que ſa planete.
Ailleurs Diodore lie cette hiſtoire des
Atlantes à l'ancienne hiſtoire de l'Egypte ,
en faiſant régner la première race des dieux
dans ce beau pays , ſi anciennement habi .
té ( a ). C'eſt d'abord Hélius ou le Soleil ,
1
SUR L'ATLANTIDE . 61
hiſtoire parla ſienne ; puiſque les Grecs , >
1
66 L E T T R E S
dont les aufs éclofent. Ces animaux n'é
taient ſans doute autre choſe que les af
tres , doués d'intelligence ; car tout-à-coup
la matière étant devenue lumineuſe , le
ſoleil & cous les altres parurent. L'air jeta
une ſplendeur de feu , la terre & la mer
s'enflammèrent ; de-là les vents , les nua
ges & les pluies. Le mélange & le combat
de toutes ces choſes produiſirent les éclairs
& les tonnerres. A ce bruit les animaux
mâles & femelles , éveillés comme d'un
profond ſommeil, épouvantés même par ce
bruit terrible , commencèrent à ſe mou
voir dans les eaux 8c à marcher ſur la terre.
De la nuit & du vent naquirent le pre
mier homme mortel & la première femme,
les auteurs du genre humain. Quoique
toute cette philoſophie ſoit un pur matéria
liſme, on peut croire que ſi la nuit & le
vent ne ſont pas des noms propres , les
Phéniciens ont voulu faire entendre par la
nuit l'obſcurité de la création ; & par le
vent le ſouffle immortel qui anime la ma
tière. Voilà ceque contenaient ces livres
ſacrés de Tyr & de Byblos.
SUR L'ATLANTIDE. 67
C'eſt une écrange manie de prétendre
faconter comment s'eſt formé le monde
que nous habitons , le monde qui exif
tait lorſque nous n'exiſtions pas encore.
L'homme n'était . pas préſent lorſque Dieu
diſpoſa & conſomma ſon ouvrage : il n'a
point vu ces cénèbres, qui ne ſont que le
terme de ſes connaiſſances ; il n'a point vu
le combat des élémens , mêlés & travaillés
l'un par l'autre; il n'a point entendu le ſiffle
na
ment des airs j les orages de la ture ,
obéiſſant à la voix ſuprême. Il ne fait ni
le moment où les aſtres ont marché , ni
celui où la lumière eſt venue embellir le
monde ; ſes connaiſſances commencent à
peine avec ſa vie : ſaurait - il s'il eſt né tout
entier comme il eſt ; ſaurait - il quand %
an con
isikia
. 11
76 L E T TRES
QUATORZIEME LETTRE
A M. DE VOLTÁIR E.
Premiere recherche du peuple, perdu.
A Paris , ce 18 Mars 1778.
QUAND
UAND on a voulu chercher le peuple
atlantique , il a été naturel, Monſieur, d'é
tudier & de ſuivre Platon ; mais tousceux
qui le ſuivirent n'ont pas été des philoſa
phes. Sans prétendre, à cet honneur , j'é
coute Platon, je vous parle, je tâcherai de
me rendre digne de l'un & de l'autre.
Platon aa dit que ce peuple habitait une
île près d'un continent , & vis-à- vis de
l'embouchure où ſont les colonnes d'Her
cule. Il n'aurait pu mieux s'exprimer s'il
eût voulu tromper la poſtérité ;; ou plutôt
les circonſtances des nouvelles inſtitutions
ont rendu ſa deſcription équivoque &
trompeuſe. On demanda où étaient ſur la
terre les colonnes d'Hercule, on chercha
SUR L'ATLÀNTID E. 77
les termes de ſa courſe utile & glorieuſe ,
on les trouva près de Cadiz , au détroit
3 de Gibraltar. Là ſont deux montagnes
célèbres dans l'antiquité, Calpé & Abila ;
elles n'en faiſaient qu'une jadis , Hercule
les ſépara de ſes mains pour ouvrir aux
eaux de la Méditerranée un paſſage dans
l'Océan . Outre ces colonnes de la nature ,
on voyait dans le temple d'Hercule à Ca
diz deux colonnes conſacrées à ce demi
1 .
Dieu. Le détroit de Gibraltar repréſentait
l'embouchure dont parle Platon ; ces mo
numens guidèrent les modernes, on cher
cha l'Àle atlantide au- delà du détroit &
dans l'Océan. On impoſa le nom d'Atlan
tique à cette mer immenſe qui recelait , 1
ou qui avait baigné jadis l'ile Atlantide.
Cette île n'était pas fi pecite , qu'elle ne
pût être retrouvée facilement ſi elle exiſ.
tait encore. Platon nous apprend qu'elle
avoit 3000 ſtades de longueur & 2000 de
O
1
SUR L'ATLANI I DË. 83
voit la ſurface s'élever en montagnes , & ſe
creuſer en précipices. Quelle apparence que
l'homme, ſans des raiſons preſſantes, air
pu confier ſa vie à une barque frêle & lé
gère , pour devenir le jouer de ces flors
puiſſans. Spectateur des dangers & des ca
prices de cet élément , il n'a pas dû même
éprouver un orage ; il voyait toujours la
terre , la rame l’y ramenait au premier ſi
>
gne d'inconſtance. Et d'ailleurs, Monſieur,
pourquoi s'éloigner des côtes où écaient ſes
S
biens , ſes eſpérances ? Contre quels biens ,
contre quelles promeſſes aurait- il échangé
I
ſes poſſeſſions & fa vie ? Nous ne donnons;
nous ne faiſons rien pour rien. Qui avaic
3
dit à l'homme qu'en traverſant cet élé
Ĉ ment , il trouverait au-delà des dédomma
gemens qui valuffent ces facrifices. L'hom
! me , quoique craintif, a des momens de té
1 -mérité ; il eſt imprudent, il ſacrifie beau
coup pour des eſpérances légères; mais en
core faut-il qu'il eſpère quelque choſe. Le
Groenland eſt un pays dur & affreux , ſes
habitans nagent comme des poiſſons ; leur
F ij
84 L E T T R E S
canot eſt renverſé par une vague, ils le re
tournent , & s'y replacent pour
S continuer
la pêche. Cependant on ne voit point qu'ils
fe haſardent à tenter des voyages pour s'é
loigner d'une terre qui ne leur donne rien.
C'eſt que la naiſſance & l'habitude y ont
concentré toutes leurs eſpérances , toutes
leurs idées de bonheur ; & l'on veut que
l'homme habitant d'un beau pays , d'un
grand continent , qui ouvre un champ vaſte
à lacurioſité & au defir de changer de lieu ,
ait étě ſe livrer à des mers inconnues &
terribles. Je ne trouve dans notre nature
qu’une origine vraiſemblable de cette har
diefle. Nous aimons la liberté , tout ce qui
-nous borne & nous arrête nous ſemble in
-ſupportable. Je concevrai qu’on a pu bra
ver la mer quand elle a été un obſtacle ;
mais elle ne peut l'être que lorſqu'elle ſe
préſente de toutes parts , & lorſqu'en mu
giſſant, elle ſemble dire à l'habitant des
îles , je briſe ſur tes côtes pour t'y rendre
eſclave. Ce ſont les Inſulaires qui ont dû
tenter la navigation proprement dite. Cette
SUR L'ATLANTIDE. 85
entrepriſe eſt celle de l'homme enfermé,
priſonnier dans une île où ſa curioſité eſt
1 bientôt ſatisfaite , & ſes deſirs trop reſſerrés.
Vous ſavez , Monſieur , ce que le déſeſ
poir fait faire pour Tortir de priſon : joignez
HO au pouvoir de l'ennui & de la gêne, l'auge
mentation de la population , un nombre
d'hommes excédant les ſubſiſtances , &
vous aurez encore la force du beſoin qui
commande, & qui, balançant une mort par
une autre , fait accepter le danger avec
l'eſpérance. Ce ſont donc les Inſulaires qui
I
ſont venus apprendre aux habitans du con,
tinent qu'on pouvait braver la mer & la
traverſer pour chercher des habitacions
nouvelles. Il a donc fallu chez ces Inſua
laires l'induſtrie , les arts pour conſtruire
>
t
86 L E T TRES
ceſſaires pour motiver ces entrepriſes témé
raires. Alors on a vu faire à la cupidité ce
qui avait été tenté par le déſeſpoir.
Si des Aotres ont amené jadis des con
quérans en Europe & en Aſie , ces conqué
rans n'étaient point fortis de l'Amérique ;
elle avait trop peu d'habitans dans ſes ré
gions immenſes , les Américains étaient
>
( 2 ) Vers d'Alzire.
SUR L'ATLANTIDE 87
ne du détroit de Gibraltar & des colonnes
:
d'Hercule, ou des montagnes qui refferrent
le paſſage. A la rigueur, des pyrogues, des
12
radeaux & l'induſtrie d’un peuple barbare ,
pouvaient ſuffire pour paſſ
parlerer en Afrique. Je
sek ne cherche point à affaiblir les opinions que
re
j'attaque , & je ne parlerai point fous Glence
un fait qui ſemble concourir à placer l'île
15
SUR L'ATLANTID E. 95 .
ſerts brûlans comme l'Afrique, qui eſt ani
mée d'une nombreuſe population , témoin
vivant de la haute antiquité, & qui ſür
tout eſt pleine de la mémoire & des inſti
tutions des Atlantes. Ces peuples ou leurs
deſcendans ſont venus en Egypte , je ne
vois pas qu'il y ait lieu d'en douter , ce fut
le terme de leurs voyages & de leur con
quêre. Mais le reſte de l'Afrique garde un
profond ſilence à leur égard ; & puiſque
l'Alie retentit du nom des Atlantes , fi
nous cherchons leur route , il ne faut pas ,
:
។
SUR L'ATLANTIDE. 99
de 2200 ans. Cet hiſtorien dit in
que la er
atlantique , giſante au -delà des colonnes
d'Hercule , n'eſt autre choſe que la mer
rouge. Strabon & Diodore de Sicile ont
placé l'Arabie ſur les bords de cette mer ,
à laquelle les enfans d’Atlas ont donné leur
nom ( a ). M.Baer ,correſpondant de notre
Académie des Sciences , eſt un de ceux qui
ſe ſont occupés de déchiffrer l'énigme que
Platon nous a laiſſée. Je le cite avec recon
naiſſance : Il a trouvé les colonnes d'Her
cule , non loin de la mer rouge ; c'eſt dans
le temple d'Hercule à Tyr. La ſtatue de ce
Dieu eſt toujours accompagnée de deux co 1
( a ) Hérodote , liv . 1.
Strabon , liv. XVI.
Diodore de Sicile , liv. III , $. 20 , t. I , p. 4034
>
( 6 ) Hérodote , liv. I.
M. Baer , ibid. p. 474
Gi
100 L E T TRES
1
SUR L'ATLANTID E. 107
placé après la mort dans le ſoleil , revêtu
de ſes caractères & de ſon culte , vous ne
ſerez point embarraſſé du voyage que les
Egyptiens lui font faire , depuis les ſables
inhabités de l'Inde ( a ) juſqu'aux glaces de
l'Ourſe. Vous n'êtes point la dupe de la va
nité des peuples ; pour peu qu'ils ſoient an
ciens , ils veulent que tout ait commencé
chez eux , ils veulent être le centre & la
ſource de tout, Si vous y conſentez , Mon.
ſieur, nous retournerons le voyage d'Oſiris,
nous le ferons s'accomplir dans un ſens con
traire ; & nous dirons que parti des glaces
de l'Ourſe , il eſt parvenu juſqu'aux ſables
inhabirés de l'Inde , c'eſt- à -dire de l'Ethio
pie, & juſqu'aux lieux où la chaleur extrême
de la zone torride permettait de s'avancer :
mais en même tems Oſiris iſſu de Saturne,
un des Dieux des Atlantes , ramene à ce
peuple l'origine dela fable.Voilà donc en
core une préſomption pour faire deſcendre
118 LETTRES
S
de ces peuples : je me préſenterai vos ou
vrages à la main , je lirai vos vers , & je
3
leur dirai, Voilà l'homme quia perfectionné
$
le bel art que vous avez peut-être inventé.
Je ſuis avec reſpect , & c.
I 28 LETTRES
SE I ZIEME LETTRE
A M. DE VOLTAIR E.
ancienne hiſtoire.
A Paris , ce 26 Mars 1978.
3
I iij
134 LETT RESA
Gian, ou Gian-ben-Gian , était le mo
narque des Péris ou Fées. Il fut fameux
pardes expéditions militaires & par de ſu
perbes ouvragės. Les pyramides d'Egypte
ſont des monumens de ſa puiſſance. Le bou
clier de ce prince , auſſi fameux que celui
d'Achille , fut long - tems, conſervé , &
paſia comme un héritage degénération en
génération. Ce bouclier était myſtérieux , il
eût fallu un poëte commeHomere pour le
décrite , Ce bouclier ſervait , non contre
les armes de la guerre , mais contre celles
de la magie. L'aſtronomie préſidait à ſa
compoſition ,il détruiſait les charmes , les
enchantemens; & cette tradition rapporte
ces tems anciens les arts utiles & les arts
nuiſibles. Gian-ben-Gian régnà pendanc
2006 ans ſur les Péris. Après ce tems Eblis
f le diable ) (a ) fut envoyé de Dieu pour les
( a ) Herbelot, p. 396
I iv
136 L E T T R E S
rapportant , je dépoſerais contre moi ; ce
qui eſt antique n'eſt pas fi bien connu. Je
vous ai montré d'une part des inſtitutions ,
qui réclament des auteurs dignes de nos
éloges : de l'autſe , je vous ai montré dans
>
1
138 LETTRES
tres , on aura les dix générations comptées
par Béroſe avant le déluge.
Caiumarath fut, ſelon les Perſans, le
premier de leurs rois , le premier roi du
monde , & le même que l'Adam des Hé
breux . Quelle que ſoit ſon antiquité , au
cun Perſan ne conteſte que le premier il
monta ſur un trône , & leva le tribut ſur
les peuples. Ce tribut fut une juſte recon
naiſſance; il avait retiré les hommes des
cavernes où ils habitaient , il leur fit bâtir
des maiſons & des villes ; il inventa les
étoffes pour les fubftituer aux peaux dont
on ſe couvrait , & la fronde pour ſe défen
dre. Mais ſi Caiumarath fut le premier à
monter ſur le trône , il fut auſſi le premier
à en deſcendre ; il le quitra pour adorer
l'Etre ſuprême , & ſe repoſer en paix de
vant lui. Il lui reſtait un fils nommé Siamek ,
auquel il remit la couronne en ſe retirant
du monde ; mais bientôt ſon fils mourut
aſſaſſiné par les Géans. Le pere remonta
ſur le trône pour venger ſon fils, pour re
trouver ſon corps . C'eſt en le faiſant inhu
SUR L'ATLANTIDE. 139
mer , qu'il ordonna d'allumer un grand feu
ſur la foſſe ; il ſouhaita que ce feu y fût-en
le tretenu & conſervé ; de là naquit le culte
Hu du feu dans la Perſe (a). Mais cette origine
n'eſt pas bien trouvée ; elle ne tient ni à
la néceſlité, ni à la nature , qui ſeules peu
1 venc rendre les inſtitutions durables. Il eſt
évident que les Perſes incertains de cette
11 origine, ont voulu rendre leur culte plus
aj antique & plus impoſant , en l'attribuant
au premier de leurs rois. Huſchenk, fils >
3
de Siamek , petit- fils de Caiumarath , fut
1
ſon ſucceſſeur. Ce nom ſignifie ſage & pru
dent. On lui donna du conſentement des
peuples le ſurnom de Piſchdad, qui ſigni-.
1 fie le juſte & le légiſlateur , parcequ'il fut
C
l'auteur des plus anciennes loix de l'Orient,
Ce titre honorable paſſa à ſes ſucceſſeurs ,
qui formèrent l'ancienne dynaſtie des
Piſchdadiens. C'eſt lui qui fouilla les mi
nes , qui en tira les métaux pour le ſer
vice de l'agriculture & de la guerre ; il ar
( a ) Herbelot , p.
.P 243.
1
140 LETTRES
roſa les terres par des canaux ; il fonda la
ville de Sous , aujourd'hui la ville de Suze,
celle d'Iſpahan , celle de Babel ou de Ba
bylone : ces origines ſont, comme vous le
croyez bien , fort incertaines. Il eſt auſſi
peu vraiſemblable que ce prince ſoit l'au
teur d'un livre intitulé, la Sageſſe Eter
>
( a ) Herbelot , p. 464
SUR L'ATLANTIDE. 143
lu , Monſieur , les Mille &'un jour ; ces
contes qui ſonç le tableau des mæurs &
de la croyance Orientale ; vous pouvez vous
fouvenir d'avoir vu les Affrites, les génies
malfaiſans , ainſi enchaînés dans les ens
trailles de la terre. Thahamurath fonda des
villes, telles que Babylone, Ninive , Amida,
Diarbeck , &c. , mais je ne vous garantis
point ces traditions ; je vous raconte des
fables où nous cherchons des vérités anti
ques , comme Virgile tirait de l'or du fu
mier d'Ennius.
Thahamurath avait comme Huſchenk
ſa monture , mais une monture plus rare
& plus vîte. C'était un oiſeau nommé Si
morg -anka ; on l'appellait le grand Oiſeau ,
l'oiſeau admirable , le griffon merveilleux.
Cet oiſeau eſt raiſonnable, il poſſede tou,
tes les langues ; & il eſt capable de relis
gion ( a ) ; on n'en donne pas d'autres déa
tails. Mais cet oiſeau ne ſerait -il pas le phé.
nix inventé dans le Nord , tranſporté dans
( a ) Herbelot , p. 1016.
L E T TRES
144
l'Egypte, & dont les Orientaux auraient
changé la deſcription & l'hiſtoire ? Je ſuis
d'autant plus porté à le croire, que ſi nous
écoutons cet oiſeau , il dit de lui-même
qu'il a vu les créatures & les révolutions
des ſiecles écoulés avant Adam ( a ). Il a
vu naître, finir douze fois le grand ſiecle
de 7000 ans ; & quoique ſi vieux & fi inf
truit , il ne fait combien il lui en reſte à
voir ( 6 ). Cet être qui voit tant de choſes
ſucceſſives pourrait bien être le Soleil , qui
éclaire les générations des hommes & des.
empires, & qui dure , tandis que tout paſſe
>
( a ) Herbelot , p. 1017.
( 6 ) V. 129 & 353 .
10 ) Herbelor , p. 395 & 317,
i
1
146 L E T T RES
ſurpateur Zohac fut cruel , les Orientaux
ont chargé la mémoire de l'invention des
ſupplices ( a ). Feridoun , fils de Giamſchid ,
reinonta ſur ſon trône après ſa mort. Ce
jeune prince reconquit ſon royaumeà l'aide
d'un forgeron , qui ameuta le peuple , &
qui ſe faiſant un étendard de ſon tablier de
cuir , attaché au bout d'une lance , a més
1
( a ) Ibid . p. 948 .
$ U R L'ATLAN TID Ë: 147
· les Dives ; les hommes y repouſſaient leurs
5
ennemis. Feridoun fut un des héros de la
1
Perſe; on ne fait même s'il n'eſt pas le Dhul
E
carnein , célebre dans l'ancienne hiſtoire ,
& dont la tradicion ne permet de fixer ni le
teins ni le nom propre. Il était ſage; c'eſt
lui qui a dit , la vie de l'homme eſt un jour
>
N
14.8 L ET TRES 2
Ku )
ISO ? LETTRES
été tuée par l'ennui. Vous avez tous mele ,,
tout aſſimilé pour rendre tout intéreſſant,
Vous avez donné à la nature une ame &
une volonté ; fes cauſes ſont des paſſions,
ſes mouvemens ont des motifs , chacun de
fes phénomènes eſt un être agiſſant comme
nous , ſenſible comme nous , & qui nous
2
1
154 L E T T R E S
?
156 L E T TRE S
1
SUR L'ATLANTIDE. 159
de ſon eſprit. Éloignez -vous d'Ozave,
diſait -on à Marc- Antoine, voire génie re
doute le ſien. Quand les chefs ſont aux
priſes , ils combattent par leurs caractères ,
il faut que le faible cede au plus fort. Le
génie n'était donc que cer aſcendant, ou
la vigueur de l'ame & de la penſée, qui
ſouvent ſemble maîtriſer la fortune. Mais
le vulgaire n'eſt point fait pour ces expreſ-,
4
1
SUR L'ATLANTID.E.161
ſieur; ce n'eſt ni l'aſcendant du caractère
qui lutte contre la fortune, ni ces reſtes de
-
l'exiſtence humaine, voltigeant autour de
nous , revêtus de nos affections, animés
encore du regrer que nous ſentons àà quit
.
ter la vie : ni ces cauſes perſonnifiées , ces
êtres qui ne ſont que le mouvement de la
nature , chargés par nous de faire couler
- les fleuves, végéter les arbres , ſouffler les
vents , & ſoulever les flots. Les Fées font
les filles du tems , qui embellit & exagere
>
;
( a ) Mille & un jour , t. I , 1.18 ,
( 6 ) Herbelot , p. 831 .
( c ) Ibid . p. 298.
SUR L'ATLANTIDE 163
fait une eſpece diſtincte & ſupérieure's
comme la ſageſſe & la prépondérance des
vieillards ont conſacré le mot même , & en
s
ont fait un titre de fupériorité ( a ). Ges
Dives , ces Péris avaient régné ſur la terre
pendant 9000 ans , diſent les traditions fat
35
buleuſes des Perfans. Lorſque la terre fuc
donnée à Adam & à ſes enfans, ceux-ci re
léguèrent ces créatures anciennes & privić
légiées dans les montagnes de. Caf. Ils eu
2
tent cet avantage ſur une eſpece qui en
avait tant ſur la leur. Ne reconnaiſſez -vous
pas ici , Monſieur, ce qui a dû ſe paſſer ja
dis. Les hommes , en ſe multipliant, ſe font
réciproquement repouſſés , les plus forts
ont chaſſé les plus faibles : des peuples ſe
ſont élevés , tandis que d'autres ont été
détruits. La vie de Gian , fils de Gian ;
Monarque des Péris , eſt celle d'uin homi
me '; il bàcit des pyramides , il fait des ex
péditions militaires ( 6 ) : s'il a vécu 2000
( a ) Les grands ſont appellés feigneurs, & c. Seniores',
>
1
SUR L'ATLANTIDE 165
la quoi vous voyez Huſchenk , Feridoun , le
de vainqueur des Dives , ſe tranſporter aux
ils pays des Dives & des Péris , fecourir ceux
25, ci contre ceux-là , & rendre la paix aux
uns en repouſſant, en contenant les autres
EDE dans les montagnes. Les Orientaux nous
atteſtent qu'un ancien peuple , que pluſieurs
la peuples même , ont été détruits. Qu'eſt de
venu le peuple de Gian , fils de Gian ? Re
COS garde ce que le tems 'en a fait. Les Dives
& les Péris ne vivaient donc plus que dans
la mémoire des hommes , & ne ſe retrou
vaient que dans les Romans. On vous ex
es plique la ſource de cette puiſſance ſurna
3 turelle , en vous diſant quelesDives étaient
des géans. Toutes les traditions de la terre
S
s'accordent pour faire de ces géans une des
premières races des hommes. La circonf.
cance de la hauteur de leur taille annonce
que leur vigueur était grande , mais hu
maine; elle prouve que la différence indi
viduelle était phyſique.
Ces montagnes de Cafſont décrites par
des fables; elles ſont poſées ſur une pierre:
L iij
166 L ET TRES
Two
8
ܕܬܐ
les DIX - HUITIEME LETTRE
bre A M. DE VOLTAIRE.
( a ) Herbelot , p. 283 .
( 6 ) Ibid. p. 231.
Mij
180 L e T T R E S .
1
)
18.2 LET T R ÉS
cher dans l’Aſie des conquêtes inutiles, &
une mort prématurée, ne fut point aſſez
bien reçu chez les Scythes pour entrepren
dre de telles conſtructions. Il faut avoir
foumis les peuples avant de ſonger à les
défendre ; ce fait n'eſt fondé que ſur une
équivoque de nom. Les Afatiques méri
dionaux , & toujours paiſibles, chez qui les
grands exploits ſont rares , & les conqué
rans des prodiges, étonnés de la valeur
grecque & de la rapidité des conquêtes d'A .
lexandre , s'embarraſſant peu de fon vrai
nom , qu'ils ne connaiſſaient peut-être pas,
lui ont donné le nom de Dhoulcarnein , le
nom d'un ancien conquérant , qui vivait
dans leur mémoire , peut-être par l'impref
fion du mal qu'il avait fait à l'Aſie ;" car
nous devons dire que lenom d'Alexandre
a été gravé par la terreur , & ne ſe pro .
nonce jamaisfans exécration chez ces peu
ples tranquilles
Ces portes font par conſéquent d'une
fondation très ancique, puiſque vous vous
rappellez , Monſieur, que, ſelon les Orien
SUR L'ATLANTIDE. 183
taux, ce Dhoulcarnein fur Giamſchid , ou
! ſon fils Féridoun. Vousvous rappellez en
core que Giamſchid bâtit la ville de Perfe
i polis , qu'il y fit ſon entrée , qu'il choiſit
រ pour commencer l'année ,le jour de l'équi
noxe du printems, où le ſoleil paſſe dans
notre hémiſphère (a ); ces circonſtances ,
ces. attentions annoncent une forte de
confécration au ſoleil. Nous avonsdit que
1 Giamſchidparaîtêtre venu dansla Perfe (6),
& nous en trouvons la preuve ici. S'il a
fortifié lesgorgesxers Derbend, c'eſt dans
le tems qu'il y habitait , ou c'eſt au mo
E ment que laiſſant ce pays pour s'établir à
Perſépolis , il a voulu aſſurer les frontières
de fon empire . Mais on peut douter fi
Giamſchid eſt deſcendu de la Médie &
du Caucaſe dans la Perſe , ou s'il eſt parti
du centre de ce royaume pour l'étendre par
des conquêtes juſqu'au pied du Caucafe ,
qui devenaitune borne naturelle ; c'eſt ce
qu'il s'agit d'examiner.
( a ) Hiſt. de l'Aſtr. anc. p. 130.
( b ) Seconde Lettre à M. de Voltaire , p. 43 .
Miy
184 ,1 LETTRES ?
Envoyageant chaque peuple tranſporte
fes denrées, le Chinois arrive avec du thé,
l'Arabe 'avec du café , le Malais avec des
épiceries. Comme le climat nous maîtriſe ,
les hommes indiquent encore parleursha :
bitudes les pays où ils font nés. Si vous
étiez , Monſieur, dans un de ces ports de
commerce où toutes lesnations fe réuniſ
fent; & quevous y viſliez deux hommes ;
dont l'un fùc vêtu de fourrures, & l'autre
portât un paraſol far fa tête , neconcluriez
vous pas quele premier fort d'un climat
oule froid force de dépouiller les animaux
fauvages pour fe vêţir , tandis que l'autre
quitce un pays où il faut fe défendre dufor
leil ; touis deux conſervant leurs habitudes
dans un climat'tempéré où ces précautions
ne font pas néceſſaires. Cette concluſion
eſt juſte & naturelle ; & en conſidérant
ainfi les inſtitutions & les uſages des peu
ples , on en pénetre plus facilement l'ef
prit. Si un homme ſe préſente porcánt du
feu avec lui , vous jugerez que cec homme
eſt né ſur une terre ſouvent refroidie par
SUR L'ATLANTYDE. 185
les glaces ; & fi cet homme ſe proſterne
devant ſon braſier , s'il y fait ſa prière , vous
direz, il le remercie avec reconnaiſſance ,
ou il l'invoque comme un être utile. Ce
pendant , Monſieur , vous avez vu les Ma
ges entourer dans la Perſe l'autel où le feu
facré'eſt adoré ; vous connaiſſez les temples
de Rome , où cet élément ſacré était con
fervé , & avait un culte ſous le nom de là
Déeſſe Veſta . Ces temples avaient été faits
à l’imication des pyrées ( a ) , établis dans la
Perſe. Ce culte fut apporté d'Aſie en Italie
par Énée ( 6 ) ,ou par les Phrygiens qui vin
Tent's'y établir. L'adoration du feu , le ſoin
deleconſerver , étaient donc les caractères
du culte des Mages. Cette conſervación
n'écaic pas ſeulemeneconfiée aux prêtres ,
chacun devait avoir du feu dans ſa maiſon ,
ou du moinsà l'entrée, & dans cette piece
que du nom de Veſta on a nommée Ver
cibule :(c ). Vous:voyez qu'Enée avant d'a
( a ) Dans l'Orient, les pyrées ſont les temples du feute
76 ) Barnier , t. II , p. 363 .
( c ) Ovide, faſtes, liv . VI:
186 L E T T R E S
( a ) Herbelot, p. 341.
SUR L'ATLANTIDE. 189
1 La vie lui était rendue. Le froid eſt un en
nemi que lui ſuſcitait la nature , le feu qui
le combat , qui le force à diſparaître , ne
la pouvait être qu'un Dieu bienfaiſant & le
courable. Vous imaginez, Monſieur, com
8
&
bien l'eſſence même du feu аa favoriſé ces
es
le
idées; le feu , remarquable par le mouve
:D
ment le plus actif, par la puiſſance qu'il a
de tout détruire : on lui a livré les troncs
le
té
des arbres, les dépouilles mortes de la terre,
& on lui a dir , conſumez , vivez , pourvu
as
que nous vivions . En même tems le feu a
jo
préſenté à l'homme , attriſté par l'abſence
0
du ſoleil, vivant dans la nuit , une lumière
confolante ; il aа éclairé les tenebres d'une
partie de l'année , il en a chaſſé l'ennui,
la peur & toutes les chimères qui volti
gent dans l'ombre : il a donc réchauffé les
corps glacés , & ranimé , égayé les imagina
>
LI
leurs génuflexions & leurs prières ( c ). Si
Id
vous joignez à ces faits celui des Maſſage
17
tes , nation Scythe qui adorait le Soleil
vous conviendrez que le feu , le ſoleil , ont
été, font peut-être encore vénérés, adorés
dans cette contrée élevée de l'Aſie , qui fur
jadis l'habitation des Scythes, qui eft aujour
d'hui celle des Tartares ; & vous aurez de
11 ( 5 ) Carpin , P: 328,326 .
( 0 ) Ibid . p.418.
N iij
198 .. LETTRES
nouvelles probabilités en faveur de l'opi
nion , que le culte du feu & du ſoleil eſt
né au-delà du Caucaſe.
: Le même voyageur Rubriquis nous af
ſure que ce pays du pied du Caucaſe , &
aux environs de Derbend , eſt un lieu dé
licieux par ſa beauté & par ſa bonté. Je
conçois que les ancêtres des Perſans y aient
'été attirés , je conçois qu'ils ont paſſé par
le Caucaſe , & qu'ils ont fermé les portes
après eux , pour empêcher les Dives, leurs
ennemis, de les ſuivre , & pour jouir feuls
de cette rencontre précieuſe. Les Péris qui
habitaient les vallons de ces montagnes reſ-.
tèrent leurs amis ; ils habitaient la métro
pole de leur colonie.
Le rempart de ces portes caſpiennes eſt
une défenſe ; il prouve un état de guerre.
Je me rappelle cette grande muraille , conf
truite par les anciens Monarques de la
Chine , pour la défendre contre les inva
fions du Nord ; on a donc toujours craint le
Nord : & cet ouvrage immenſe qui enve
loppe la Chine par le ſeptentrion , démon
SUR L'ATLANTIDE.. 199
tre combien les peuples , qui en étaient voi;
10 fins de ce côté , furentnombreux& redouta
bles. La petite province de Koanton , entre
si la Chine & la Corée , eſt enfermée & forą
tifiée par une longue paliſſade de pieux ,
id qui la ſépare & la défend de ſes voiſins fep
tentrionaux ( a). La Corée elle-même s'était
118 enveloppée du côté du Nord par une forte
muraille ſemblable à celle de la Chine ( 6 ),
ON
Cette muraille аa été détruite en partie dans
le une irruption des Tartares Manchous ; car
18 les précautions contre la force ne prevalent
que pendant un tems ; les obſtacles irritent
so
SK
les efforts , & tôt ou tard les remparts ſong
forcés. Mais ce n'eſt pas tout , Monſieur , >
Niv
100 LETTRES
reſſer : je vous propoſe de la chercher. Ces
peuples de Gog & de Magog habitaient ,
dit-on , fur des montagnes très hautes &
très eſcarpées, où aucune voiture ne pou
vait aller. Les denrées, les marchandiſes s'y
tranſportaient à dos d'hommes , & de che
vręs , qui ſont très grandes dans ce pays ; on
employait dix-ſept jours à monter & à def
cendre avant d'arriver à eux ( a ). Ces tra
ditions des anciens peuples nous çamenent
donc toujours aux montagnes ; vous voyez
par la circonſtance des dix -ſept jours em
ployés d'abord à monter , enfuite à deſcen
dre , que ces peuples habitaient un vallon
environné & défendu par des montagnes
prefque inacceſlibles. Nous aurons un con
ducteur pour notre voyage, Le Calife Va
thek , le neuvième de la race des Aballi !
22
compré entre la Chine & la mer caſpienne,
.
il ſe porte juſques vers le 48° degré de lati
tude, pour atteindre la diſtance de l'équa
teur , & la demeure dupeuple inſtituteur,
>
i
*1
SUR L'ATLANTIDE 205
lah démontré ,
Hanſcrit ne vous a - t - elle pas
ul Monſieur , que les Brames font écrangers
deun
à l'Inde ( a ) ? M. le Gentil ne vous a - t - il
Com
pas dit qu'ils étaient venus du Nord ( 6 ) ?
Bénarès , la ville la plus ſavante , la plus
>
至
SUR L’ATLANTIDE. 209
Princeſſe nommée Nanca , qui , partie du
lite 62° degré de latitude , eſt arrivée en Chine
ON pour y fonder la ville de Nan -kin . Cette
eni tradition , quand elle ſerait fabuleuſe, ſe
Ful rait toujours une préſomption en faveur de
ba l'origine ſeptentrionale des Chinois; mais
les Orientaux avouent que les noms de Gog
by & de Magog , de Gin & de Magin , de
Tchin & de Matchin , ſont ſynonymes (a).
200
Tchin eſt le mot oriental dont nous avons
fait le nom de la Chine ; & quoique les
!
Whib Chinois ne donnent point ce nom à leur
Empire , il n'en eſt pas moins apparent que
OB cette dénomination des Orientaux ſuppoſe
20 une deſcendance. Mais ſi vous conſultez
ill: les Chinois , vous en trouverez des traces
1 marquées. La province de Chan -fi, la plus
ſeptentrionale de la Chine , cette province
MS
qui n'eſt ſéparée de la Tartarie que par la
Dne grande muraille , fut la première habitée.
Les nouveaux venus s'y établirent , après
avoir reconnu que le climat était agréable
( a) Herbelot, p. 528.
208 L E T T R É S
& ſain ( a ). Ces étrangers étaient du pays
habité depuis par les Tartares Mancheous.
Un fleuve célebre y coule ſous le nom de
Songari; ce fleuve eſt large, profond, navi
gable & abonde en poiſſons. Il prend la
ſource dans les montagnes de Chang-pe
chang , ce qui ſignifie la montagne blan
che. Les Chinois racontent beaucoup de
fables ſur cette montagne , & ſe vantent
d'en être deſcendus comme le fleuve Son
gári ( 6b ). Ces traditions ſuffiſent bien pour
nous éclairer ſur des origines auſli éloignées
par la diſtance des lieux , que par l'inter
valle des téms. On voit que les Indiens , les
Chinois , les Perſans, ſont partis de la ligne
de circonvallation que nous avons tracée
dans l'Aſie ; on voit que la tradition grecque
nous a fait ſuivre les pas des Atlantes jufa
qu'au Caucaſe & juſqu'à la même ligne ; en
même tems que cette chaîne eſt une bar
rière , elle eſt encore une commune origine.
.
SUR L'ATLANTIDE. 211
.
& lorſque des moines furent députés vers
eux par S. Louis pour les convertir , ces
nomades voulaient que ce monarque fi
grand & fi éloigné d'eux leur payât le tri
but , & ils répondirent à ces exhortations
pik
par des menaces. Doués de ce caractère
sd turbulent & audacieux , on peut juger , &
l'hiſtoire le confirme, que leurs déborde- .
!
mens ont été fréquens. Ils ont ſouvent fran
chi les montagnes , forcé les retranche
mens de la nature & de l'art ; les conquêtes
& les dévaſtations de Gingiskan & de Ta
merlan , ne ſont que des répétitions & de
nouveaux exemples. L'hiſtoire de Perſe
11
vous a déjà parlé de l'irruption d'Afraſiab ,
EC nous en trouverons encore d'autres. Mais
le ces Tartares modernes que Vous nommez
les tigres du Nord, amenés pár leurs chefs
입 barbares , ne ſont que de jeunes eſſaims ve
I nus à la ſuite des premiers , des rejetons
ſortis d’un tronc vigoureux& antiqué , dont
1 la faux du tems a raſé les premières braně
ches . Ces tigres ont égorgé les agneaux du
Midi , qui ſont cependant de leur race ;
oij
212 L E T T R E S
le ciel en a fait des agneaux pour qu'ils de
vinſſent une proie plus facile. Dans cette
partie du monde , comme dans la fable de
Saturne , les pères dévorent leurs enfans; &
comme dans l'hiſtoire des hommes, les frè
res dépouillent leurs frères. Les terres , les
biens ſont une occaſion de gu erre,, l'envie
guerre
harcele la jouiſſance ; on perd par la force
ce qu'on a acquis par elle. La même raiſon
qui a porté le premier eſſaim d'hommes à
franchir ces montagnes , en a amené un
ſecond ſur ſes pas; c'eſt le beſoin de ſub
fiſtance & l'attrait d'un beau ciel : il n'a
fallu peut- être qu'un petit nombre de gé
nérations pour produire ce ſecond eſſaim .
Le premier s'eſt défendu , s'eſt muni de
remparts ; les prétentions & les attaques
ont été repouſſées, la poffeflion a prévalu :
mais on fe fortifiait d'un côté , tandis qu'on
s’amolliſſait de l'autre. Les eſſaims qui de
mandaient de nouvelles demeures, ſe mul
tipliaient avec les générations, les efforts
croiſſaient, devenaient plus redoutables,
en même tems que la défenſe reſtait la
SUR L'ATLANTIDE. 213
01.2901
11a) Ibid.& XXV,P. 371,343-1ETOI.
Pij
228 LETR Š 37
plus fertiles qu'elles nele font aujourd'hui?
Croyez - vous qu'elles aient toujours été
aufli froides &i aulli feches? Ces queſtions
valent bien la peine d'ètre examinées. Par
donnez li je m'arrêre , 'mais nous ne voya
geons que pour nous inftruire; à quoi fert
de voir tant de chofes, fi la raiſon ne mûrit
pas les idées reçues? On dit que tout hom
me eſt gardé, accompagné par un génie ,
je le crois volontiers dans ce moment, j'en
ai'un prèsde moi; & puiſque j'ai été ſiheu.
reuſement partagé, trouvez bon que je le Ĉ
conſulte en vous interrogeant. N'eft-il pas V
vrai qu'un pays peuplé ne peut être qu'un 11
pays fertile? Cependant ces grandes con
tréesdelaTartarie ne ſont plus aujourd'hui
que de grandes folitudes ;ܪles hommes
font ſeměsíçà & là: jadis ils furent ſerrés, 1
&ils s'én échapèrent , comme les eaux d'un
Heuve, gêné dans fes rives , ſe débordeni
dans les campagnes. Cetterégion prefque
déſertefut-teliege d'une énorme popula_
tion , il eneft fortides débordemens d'hom
mes. Pourquoi la nature o’y témble-t -elle
SUR L'ATLANT1 D E. 229
1
faient de continuer leur marche.Ils voyaient
.
VINGTIEME LETTRE ,
A M. DE VOLTAIRE.
piraient.
( a ) Ibid. p. 107.
( 6 ) Ibid. p. 110 .
( 6 ) Hift. des voyag .t. XXY , p. 113.
iij
246 LETTRES
Cet Empire ſuccombà enfin ſous l'effort
des Tartares. Le ſeptième ſucceſſeur de
Mongol fut tué & détrôné par le ſeptième
deſcendant de Tatar. Kayan ſon fils , &
Nagos ſon neveu , échappèrent ſeuls au
carnage , & conſervèrent leur liberté. L'hiſ
taire en eſtecurieuſe : les deux Princes ſe
fauvèrent dans les montagnes les plus ef
carpées. Le beſoin donne des ailes ; ils
gravirent à la ſuite & à l'exemple des
chevres ſauvages ; ils étaient accompa
gnés de leurs femmes & des reſtes de leurs
troupeaux. Arrivés au ſommet desrochers ,
ils découvrirent une plaine délicieuſe & fer
tile , où conduiſait un défilé fort étroit ; its
у deſcendirent, un établiſſement y fut for
mé. Les Princes virent que l'homme , après
avoir perdu un empire, loin de toute fo
ciété, peut être encore heureux , pourvu
>
( ) Odyſſée, liv. X.
( 6 ) Hymne de Callimaque. Note de Madame Dacier ſur
le dixieme livre de l'Odyſſée.
( c) Voyag. de Carpin , p. 405.
252 LETI RES
garie d'Europe , aujourd'hui une des dé
pendances de la porte , ſont des établiſſe
mens des Tartares & des peuples ſepten
trionaux . Voilà une preuve de l'uſage qu'ont
toujours eu les hommes de tranſporter avec
eux les noms de leur pays. Vous voyez ,
Monſieur, que la Tartarie eſt un pays plus
intéreſſant qu'on ne penſe , c'eſt le berceau
de tous les peuples , c'eſt le théâtre où les
grandes & antiques ſcènes ſe ſont paſſées.
S'il a été ravagé par les guerres, fi la conf
titution de l'air a changé , ſi les hommes
l'ont preſque abandonné pour des pays plus
riches & plus deſirables, ce n'eſt pas une
raiſon pour que nous ſoyons injuſtes ;
n'ayons point l'ingratitude & l'orgueil des
parvenus, & dans notre opulence ſouve
nons-nous de notre origine. Vous ne ſerez
point fâché de revoir ces lieux où vos ancê
tres ont paſſé, & bien des ſiècles après eux.
Nous avons un excellent guide pour ce
voyage; c'eft M. Pallas, habile naturaliſte ,
envoyé pour obſerver la nature dans les
SUR L'ATLANTIDE. 253
vaſtes domaines de l'Impératrice de Ruf
fie (a). Je ne vous parlerai point des débris
d'éléphans qu'il a trouvés à chaque pas
dans la Sibérie & dans la Tartarie la plus
ſeptentrionale ( 6 ). Nous ſommes accou
tumés à voir les éléphans enſevelis ſous
cette terre refroidie La terre qui les cache
aujourd'hui les a portés jadis; cette con
cluſion me paraît évidente. Mais ce que
M. Pallas nous apprend de plus curieux ,
ce ſont les reſtes découverts d'un ancien
peuple détruit vers les bords du fleuve Je
niſea , aux environs de Kraſnojarsk. Dans
la montagne des Serpens( Schlangenberg ),
des mines ont été travaillées par la main
de ces hommes antiques. Ils creuſaient
dans les terres ; mais ils étaient arrêtés par
le roc & par les corps durs , faute d'inſtru
1
1
Rij
260 LE TIRES
que quand nous cherchons des origines',
notre deſtinée eſt de nous avancer toujours
vers le nord. Kraſnojarsk , où nous avons
trouvé cet ancien peuple , eſt par 56 ° de
latitude ſeptentrionale, la Finlande eſt au
delà du 60' , & touche au cercle polaire :
mais ce qui eſt plus extraordinaire, c'eſt la
différence énormeen longitude, cette dif
férence eſt de plus de 70 °, ce qui fait près
de.900 lieues. Vous avez vu que les Hon
grois ont laiffé une Hongrie en Alie : on
croit avoir reconnu quelque analogie entre
leur langue & la langue Finoiſe (a). M. Id 90
( a ) Ibid. p. 69.
Riv
264 L "EI T'RE SU ?
nous l'éloquence & la poéſie, leurs hiſto
riens, leurs . orateurs , leurs poëtes font
nos délices & notre étude :: mais ils n'ont
point été les précepteurs du monde ; ils
n'ont point éclairé l'Aſie , où quelquefois
ils ont été chercher des lumières; ils n'ont
point porté leur langue dans le nord ; c'eſt
le nord qui a peuplé l'Europe & l'Aſie.
Les conformités d'uſages, d'inſtitutions &
de langage ſe ſont étenduesde branche en
branche; & découlent de cette origine. Ce
n'eſt pas le père qui reſſemble à ſesfils,
ce ſont eux qui ont les traits de leur père :
cette reſſemblance defcend & ſuit la na
ture. Les Grecs ontvoyagé, mais dans les
pays riches & éclairés ; ils ont établi des
colonies, mais dans l'Alie mineure, dans
la Méditerranée , & dans les climats ou
préférables, ou au moins ſemblables au
leur. Si quelque particulier , comme Pis
théas , s'eſt avancé versle pôle , ce voyage
a été fait une fois ; & quand il aurait été
répété, un particulier n'eût rien change ni
dans les inſtitutions , ni dans le langage
SUR L'ATLANTIDE . 265
des peuples lointains & étrangers. Ce n'eſt
que la conquête ou un commerce de tous
les jours , & long-tems continué, qui peut
mêler lespeuples, confondre leurs uſages,
& allier leur langue par des adopcions de
mots. Les Grecs n'ont point fait ces con
1
268 L E T T Å ËS
l'humanité , mais peut-être n'en eſt -elle
! pas moins vraie . Au reſte , Monſieur , je
ne prétends pas louer aux dépens dela vé
rité le peuple des Tſchoudès qui nous eft
peu connu . Je ferais porté à croire que s'il
a vécu dans la paix , s'il n'a point commis
1 d'injuſtices , c'eſt un mérite qu'il doit peut
être aux circonſtances & à fon antiquité
ſur la terre ; dans les tems où elleétait peu
habitée , on pouvait s'étendre fans violence .
L'eſpèce humaine a toujours été la même :
l'homme eſt doux quand il eſt ſatisfait; c'eft
le beſoin , ce ſont les deſirs comprimés par
des obſtacles , qui le rendent violent & in
juſte . Si j'ai conclu que les Tſchoudès n'ont
1
point fait de mal, de ce qu'ils n'ont point
laiſſé de mémoire , on pourrait conclure
>
{
SUR L'ATLANTIDE. 271
1
1
276 : L E TIRES
tres. On peut regarder les peuples de la
Grece & de l'Italie comme les deſcendans
des Phéniciens & des Phrygiens ; mais les
peuples du nord , qui parlaient l'Irlandais
>
52 .
SUR L'ATLANTIDE. 285
coire de Perſe , ces Géans , qui ſe faiſaient
du Caucaſe une citadelle , s'étant révoltés
contre Jupiter , ayant mis montagne ſur
montagne , pour eſcalader le ciel , ayant
lancé des rochers contre Jupiter , pour le
tuer , commeils ont écraſé Huſchenck , le
héros de la Perſe , Hercule vint au ſe
cours de Jupiter & des Dieux , qui , en >
CE
2
SUR L'ATLANTIDE. 291
feul ; mais en marchant avec vous , il me
ſemble que je n'ai pas fait un ſeul pas ſans
m'éclairer. Vous voyez nos progrès, nous
avons laiſſé les Atlantes au pied du Cau
caſe , nous les retrouvons au - delà de ces
montagnes . Hercule combattant les Ama
zones , détachart Prométhée de ſon ro
cher , Hercule , qui a pris ſon nom dans les
langues ſeptentrionales , eſt un homme du
nord ; Hercule eſt de la famille d'Atlas , il
doit connoître le pays qu'elle habita jadis;
il va nous inſtruire & guider nos voyages
par les liens. Le douzième & dernier
travail d'Hercule fut les pommes d'or du
jardin des Heſpérides. Il fallut que le hés
ros recournât en Afrique où il avait déja
été , parceque les anciens 'ý plaçaient les
jardins célèbres des Heſpérides , où étaient
les arbres précieux chargés de pommes
d'or, & gardés par un dragon. Nous allons
voir ſi les anciens étaient conſéquens dans
leur géographie & dans leurs récits. L'Hef
périe était une île , nous l'avons déjà dit (a) ;
( a ) Suprà , P. 311,
Tij
>
LETTRES
292
Maxime de Tyr nous en parlera plus en
1
détail. C'eſt, dit -il, une terre étroite & ref
ſerrée, étendue en longueur, & de toutes
parts environnée par la mer. C'eſtlà qu'A
tlas eſt révéré , c'eſt là qu'il a des ſtatues.
Atlas eſt une montagne,creufe , aſez éle
vée. Le vallon intérieur, enforme de puits,
eſt rempli d'arbres & de fruits : la def
cente en eſt difficile , parcequ'elle eſt ra
pide ; & elle eſt défendue par la reli
gion ( a). Cette deſcription ne rappelle
ni l'Afrique, ni l'Eſpagne où l'on a cru
encore retrouver l'Heſpéride; ces pays ne
font point une terre étroile & rellerrée, de a
toutesparts environnée par la mer. Ne re
connaiſſez -vous pas là , Monſieur , l'ile 86 C.
la petite montagne où habita le bonhom
me Evenor avec ſa femme Leucippe ( 6 ) ?
Cette montagne, qui fut depuis le partage
d'Atlas, a été ſacrée pour ſes deſcendans,
Héliode nous dira que cette île des Heſpé
$ 6 ) Suprà » P: 35
SUR L'ATLANTIDE. 293
rides ou des Gorgones, eſt au -delà de l’O
céan , au bout du monde , & dans le pays
où habite la nuit ( a ). Ce pays de la nuit
où le placerons - nous? Le ſoir , elle vient
de l'Orient où le jour ſelève le lendemain ;
le matin elle ſe retire vers l'Occident, où
l'on a vu le ſoleil diſparaître, & nous quit
ter pour porter ailleurs ſa lumière. Le jour
& la nuit nous viennent donc des mêmes
lieux , & lorſqu'ils nous quittent ils font
la même route , & ſemblent avoir la même
fetraite. Vous autres poëtes , Monſieur ,
malgré le pouvoir créateur que vous tenez
du génie , quelque libre que ſoit votre
imagination heureuſe, vous reſpectez les
convenances dans vos fictions : la vérité
yу conſerve une place ; elle plaît d'autant
plus qu'elle eſt plus cachée ſous les voiles
brillans dont vous l'enveloppez. Entre vos
mains la diſcorde, la politique deviennent
des perſonnages; je les entends parler , je
les vois agir; j'apperçois dans leurs mains
( a ) Hélode , Théog. V: 274.
Rudbeck , t. 1 , p. 565.
Tiij
!
794 LE TIRES
les fils qui gouvernent le monde ., ou les
Hambeaux qui peuvent le réduire en cen ,
dres. Mais , Monſieur , vous avez place
la politique à Rome, l'Arioſte alla cher
cher la diſcorde dans les cloîtres, vousn'au
riez ni l'un ni l'autre placé l'hiver & ſes
glaces dans lazone torride ; vous n'auriez
point indiqué le pays des tenebres dans les
çontrées de l'aurore, où ſont lesportes du
jour, ni vers l'Occident dans un horizon
enflammé; où le ſoleil couchant verſe des
torrens de lumière. La nuit , comme le
jour , parcourt la terre,
terre , elle n'a point d'a
fyle où elle règne excluſivement. Mais elle
.
afflige toujours l'un des deux pôles , elle ne
quitte l'un que pour obſcurcir l'autre . Elle
y paraît domiçiliée par un plus long ſéjour.
Voilà ſon véritable ſiege , elle s'y plaît pen
dantſix mois ; & on a pu croire jadis qu'elle
1
ſortait tous les jours de cette retraite , &
deſcendait ſur le globe pendant quelques
heures pour ſuſpendre nos travaux & fer
mer nos' paupières. Si dans votre poëme
national, vous aviez eu beſoin de la nuit ,
SUR L'ATLANTID E. 295
c'eſt là , Monſieur , que vous l'auriez été
chercher , au ſein d'un océan de tenebres,
Héliode aa fait comme vous. La nuit, dit
il ( a), a 'enfanté les Heſpérides qui gar
dent les pommes d'or au-delà de l'Océan ;
Atlas, ajoute-t-il ailleurs ( 6 ) , dans la ré
gion des Hespérides & aux extrémités du
monde, plie ſous la néceſſité & fous le
poids du ciel porté ſur ſes épaules. Le
pays des Heſpérides où habite la nuit eſt
donc ſous le pôle , ou du moins ce pays
>
( a) Ibid . p. 240 .
( 6 ) Diodore , p. 227
pérides;
$
SUR L'ATLANTİDE. 30 $
pérides; il y aurait de la cruauté de le faire
revenir en Eſpagne pour enlever les vaches
de Gérion , & en France pour y fonder la
ville d'Aleſie , dont on n'a jamais entendu
parler. Je n'y vois aucunenéceſſité ,puiſque
Diodore de Sicile nous apprend que la Cel
tique confine à la Scythie ; Hercule , par la
facilité du voiſinage, .a pu faire toutes ces
choſes ſans beaucoup de chemin , & fans
aller d'un bour du monde à l'autre . Gérion
ni ſes. vaches , Galates , ſa mère , ni la ville
d'Aleſie, n'ont pas été plus en Eſpagne & en
France , que les Heliades en Italie , dont
l’Eridan qui produit l'ambre n'a jamais ar
roſé les campagnes. Mais , Monſieur, je l'ai
déjà obſervé, les peuples en voyageant n'ont
point changé de nom , ni d'idées ; ils ont
impoſé à des pays nouveaux des noms an
.
書
306 LET TRES
déſeſpère pas, les ſavans уy chercheront ,
ſinon les vaches de Gérion , du moins ſon
royaume. On voudra y retrouver les colon
nes d'Hercule , le pays de ſon fils Galates
& la ville d'Aleſie . Tant qu'on ne ſera pas 1
2.
w
" L E T T R & Ś
308
ont été exécutés ou inventés. Le jardin
des Heſpérides eſt près du pôle. J'avoue
que certe concluſion eſt ſurprenante. Un
terroir qui produit des pommes d'or ne
peut être qu'un terroir fertile ; l'or eſt le fi
gne de la richeſſe , & quand même ces
pommes , ſuivant la penſée de quelques in
terprêtes , ne ſeraient que des brebis cou
vertes d'une toiſon abondanté & dorée , les
beaux moutons ne naiſſent que dans les
beaux pays : c'eſt le ciel qui fait les végé
taux & les fruits ; ce ſont les plantes qui
font les animaux. Cette fertilité dérangeun
peu l'idée que nous nous formons d'un
pays où l'on ne voit plus que des glaces.
J'en pourrais tirer un bel argument en fa
veur du refroidiſſement de la terre , mais
je n'ai pas beſoin de tout dire ; & fi la con
cluſion eſt auſſi juſte que je le penſe , elle
n'en aura que plus de force, lorſque vous
la cirerez vous-même. Peut- être vous rac
commoderez - vous avec les climats de
l'Ourſe ; je deſire de les réhabiliter entière
ment dans votre eſprit. Je ne vous ai pas
SUR L'ATLANTID.E. 399
encore montré toutes les richeſſes conſer
vées dans le ſouvenir des hommes;ce ſera
le fujer de ma première Leftrę. Çes pays
ne ſont- ils pas aſſez malheureux d'être
abandonnés du ſoleil , d'être recouverts
>
V iij
310 CL ET T R E S
VINGT-DEUXIEME LETTRE
A M. DE VOLTAIRE.
T
SUR L'ATLANTIDE. 311
dans le ſéjour des ombres. Orphée y alla
chercher ſa femme Euridice ; c'eſt le pre
mier des Grecs à qui l'amour ait donné
ce courage. I n'y aurait jamais penſé , il
n'aurait point réuſſi dans ſon entrepriſe , ſi
les Orientaux , qui lui ont dicté fes vers &
ſes fables, ne lui avaient montré le chemin .
: A ſon exemple , Théſée , Pyrithous , Baċ
chus , Hercule , Perſée , Ulyſſe , y deſcendi
rent. Virgiley conduiſit Enée ;vous-même,
Monſieur, vous fùtes leguidedeHenri IV,
quand S. Louis lui monera les deſtins de
la France. Pourquoi n'entreprendrions
nous pas ce que tant d'anciens ont entre
pris, pourquoi ne réuſſirions -nous pas com
me eux ? Je ne doute de rien , quand vous.
êtes à mes côtés; nous avons déja cherché
des pays & des peuples , pourquoi ne cher
cherions- nous pas les enfers ?
Quand on a voulu établir la morale de
fa vie préſente ſur l'idée de la vie future
il a bien fallu ſuppléer à ce qu'on ne fa
vait pas : l'imagination a travaillé; & de là
toutes ces hiſtoires fabuleuſes , mais allé
Viv
1
312 LETT RÉ S
1
314 L ET T R ES
près du lac Averne en Italie. N'avez-vous
pas envie de rire en voyant Madame Da
cier placer ſérieuſement dans ce pays nou
veau l'achéron , le ſtyx, le cocyte ; & trai
ter de fabuleuſe la géographie d'Homere,
parceque cet illuſtre poëte, nourri des plus
anciens docuinens, plaçait ailleurs l'entrée
des enfers ( a ) ? Les peuples d'Italie étaient
trop jeunes pour avoir inventé ces fables
religieuſes, pour en avoir la ſource dans
leur pays. Les Grecs ſont auſſi hardis &
auſſi menteurs : ſelon eux , l'achéron , le
cocyte , le phlégéton étaient des fleuves
d'Epire ; le ſtyx était dans l'Arcadie (6 )
Mais les Grecs ne ſont gueres, plus âgés
que les Latins ; dans leurs premiers com
mencemens, ils n'étaient pas plus inven
teurs. D'ailleurs leurs vols font connus ;
Diodore de Sicile les aa trahis : des peuples
qui ſont leurs aînés , les Egyptiens reven
diquent ces inſtitutions. Chez eux on ju
.
.
RES
316 LETT
A
SUR L'ATLANTIDE. 319
ples ſont au -deſſus du Pont- Euxin , ils ne
tiennent point à la grande mer. Le retour
d'Ulyſſe va nous éclairer encore : le héros
revient chez Circé ; puis s'embarquant
après un dernier adieu , il s'en va faire
naufrage ſur les côtes de l'ile Ogygie.
Cette nouvelle île , infiniment éloignée de
la Grèce , eſt au milieu de l'Océan ( a ).
Vous ſavez , Monſieur , que , ſuivant tous
les anciens , cette île eſt la même que l'At
lantide : auſſi eſt - elle habitée par Calypſo ,
fille du fage Atlas ( 6 ). Chaque pas que
nous faiſons nous ramene , comme vous le
voyez , vers notre objet ; dans les ſolitu
des de l'Océan & ſur la route des Enfers ,
nous retrouvons la fille d'Atlas. Tous ces
voyages d'Ulyſſe ſont des fables ; mais le
poëte les aa néceſſairement aſſujettis à une
géographie , à des traditions qui lui étaient
connues . Homère ne quitte point ces pa
rages. Il mene Ulyffe chez Eole ; ce dieu
( a ) Odyffée , liv. I.
( b ) Odyſée , liv. XII,
Ž 20 LE TIRES
enferme les vents dans un ſac , pour que
la navigation du héros foit heureuſe ( a ).
Cet uſage de vendre le vent , de l'enfer
mer , & de ne le laiſſer ſortir qu'en défai
fant des næuds , ne fubfiſte - t -il pas encore
dans la Laponie ( 6 ) ? Homère connaiſſait
bien ces pays du Nord. Ulyſſe paſſe enſuite
chez les Leſtrigons ( c ) ; & ſa deſcription
ſemble annoncer un pays où l'été a des
jours de 24 heures ; mais Homère , en indi
quant les régions où ſont les Enfers , n'en
détermine pas préciſément le lieu ; il
laiſſe une incertitude , & une ombre au
tour du ſéjour de la mort. Nous n'avons
pas beſoin d'en dire plus qu'Homère , c'eſt
à vous de l'imiter , c'eſt à moi de l'écouter
& de le ſuivre . Il ne faut pas entreprendre
de lever entièrement le voile de l'antiqui
( a ) Ibid. liv. X.
( 6 ) Renard dit que les Lapons font trois nauds à un mock
choir. Le premier dénoué donne un vent doux , le ſecond un
vent très fort, le troiſième un ouragan & une tempête. Voyage
en Laponie , quvres de Renard , tom. I , p. 189 .
.
( c ) Odyťée, liv. X.
té ;
SUR L'ATLANTIDE. 32 I
té ; ce voile eſt chargé du poids de tant de
fiecles, il faut tant d'efforts pour en foule
ver une partie , c'eſt bien aſſez d'apperce
voir quelque choſe ! Ne fixons point la pos
ſition des Enfers ſur la terre , le lieu de la
naiſſance de ces fables, il nous ſuffit qu'Ho
mère nous la montre dans le Nord. Remar
quez qu'il y, place les bois de Proſerpine,
parceque la fable de cette Déeffe eft rela ..
cive aux climats où la ' nuit eſt de fix mois.
Ce fut un Hyperboréen , Abaris porté ſur
ſa fleche d'or; qui apporta à Lacédémonele
culté de Proſerpine , & qui y bâtic ſon
temple ( a ) . Pourquoi Cérès va-t- elle cher
cher ſa fille vers le Nord , fi ce n'eſt parce
que les Enfers y étaient jadis placés ? Pro
ſerpine a été enlevée dans les campagnes
d'Enna , au lieu où giſent les Géans yo
miſſant leur colère par la bouche de l'Etna..
Ces Géans de l'Italie ne ſont que les copies
des vieux Géans du Caucaſe , de ces Dives
1
SUR L'ATLANTI DE. 325
pice aux hommes , où l'on puiſe l'eau de
l'oubli : tels ſont les fleuves du Tartare.
Mais , Monſieur , les noms de ces fleuves
ſont étrangers à la Grèce , à l’Egypte & à
l'Italie ; ils ont leurs racines dans les lan
gues du Nord. Lata ou leta ſignifiene
oublier , abandonner ( a ) ; d'où eſt venu le
fleuve de l'oubli. De Grondt , qui ſignifie
fond avec l'a privatif, on a fait agrondt,
fleuve ſans fond , d’où eſt venu l’Aché
ron ( 6 ). Le Cocyte peut venir de la racine
kota , elle déſigne une ſource qui bouil
lonne en ſortant de la terre ( c). Le Styx
vient de ſtegg ou ſtigg , qui ſignifie une
choſe déplaiſante , déſagréable ( d ) . Le
( 6 ) Ibid. t. I , p. 310.
Le Goule K ſont deux articulations gutturales. Les Grecs
pour adoucir le mot Agrondt, n'ont fait que ſubſtituer une
articulation à l'autre , & ils ont fait akront : puis en donnant
plus de valeur au ſcheva ou a l’e muęt , qui dans la pronon
ciation ſuit la conſonne k , ils ont fait akeron ; & زnous , qui
>
( c ) Rudbeck , ibid.
( d ) Ibid. t. II , p. 356 & 414
X üj
ES
326 LETTR
Phlégéron vient de floga ou flogeld ,qui eſt
le nom des météores ignées , & de thon ,
qui ſignifie fleuve. Ainſi flogeldthon figni
fie un fleuve de feu (a ). Ce fameux lac
Averne , dont Virgile paraît avoir fait une
antre, dont l'entrée eſt li facile & la for
tie fi ráre , parcequ'il repréſente la mort , a
&
pris ſon nom de aa , qui ſignifie eau ,
de werna , qui ſignifie renfermé. On doit
entendre par awern une eau ſtagnante &
renfermée dans des bords comme celle
d'un lac. Rudbeck nous apprend que l'on
trouve ſur des montagnes , vers la latitude
de 63 ou 64 degrés , un lac qui porte en
core le nom d'Avern ( 6 ). Le Dieu Pluton
a la même origine ; il vient de la racine
blota', qui ſignifie égorger des victimes.
En Anglais , blood ſignifie fang, meurtre.
Dans les langues du Nord , on appelle
encore bloutrie les ſtatues de Pluton ou
d'Odin', teintes de fang humain ( c ). Les
( a ) Rudbeck , t. II , p. 603 .
( b ) Ibid . t. II , p. 463 .
( c ) Rudbeck , t. I , p. 728.
SUR L'ATLANTIDE . 327
Grecs avaient donné à ce Dieu le furnom
d'Adès ; mais ils ne connaiſſaient pas la
fource des mots dont ils ſe ſervaient. Plu
tarque donne à ce furnom une fingulière
origine ; il dit qu'Adès ſignifie ce qui plaît,
parceque Pluton, humain , ſage & riche, re
tient les ames par de belles paroles & par de
douces remontrances ( a ). Les Grecs avaient
tout dénaturé, Eſt -ce donc par la douceur
qu'on nous retient dans la mort ? Dès l'inf
tant où les yeux ſe ferment au jour , ne s'é
leve - t - il pas derrière nous une barrière in
ſurmontable ? Nul ne peut revenir fur ſes
pas ; c'eſt donc la néceſſité , la force , 8C
non la prière qui nous retient . Ne trouvez
· vous pas plaiſant qu'on ait fait de Plucon
un Dieu humain ? Un Souverain dont les
fe peuplent que par la perte des
étars ne ſe
hommes ne doit pas être ami de l'huma
nité . Souvenons -nous que les noms appar
tiennent aux pays où ils ont un ſens, où
leur valeur exprime la valeur de la chofe
( a ) De la ſuperſtition , f. 14.
X iv
1
328 L E T T Ř E S
nommée ; Adès était le ſurnom du Dieu
de la mort , ed , aiid en Phénicien figni
fiait perte , mort : voilà donc la ſource où
les Grecs l'avaient přis. Mais voulez-vous
remonter plus haut & à la vraie fource ?
vous trouverez dans les langues du Nord
auda oự oda , détruire , perdre , ode , la
mort , d'où ædin le Dieu de la mort ( a ),
Adonis , c'eſt le Soleil mort , deſcendu ſous
la terre , & devenu le Roi des enfers & des
ombres ( 6 ).
La barque de Caron eſt aſſez célèbre ,
nous craignons tous ce näutonnier , chagrin
comme ceux qu'il doit paſſer , inflexible
comme la deſtinée. On lui payait jadis une
obole pour le paſſage, & pour le fret de la
barque nommée barin ( c ). Tout ſervice
vaut récompenſe , tout ſe paie dans la vie
& même après elle. C'était une coutume
commune aux Grecs , aux Romains , aux
Egyptiens, de mettre dans la bouche de
( a ) Rudbeck , t. I , p. 727.
>
( 6 ) Ibid . t. II , p. 585,593 .
( c ) Diod. de Sic. liv. I. ſec. 11 , S. 34.
2
SUR L'ATLANTID E.' 329
leurs morts une piece de monnoie deſtinée
à payer Cáron. N'oublions pas qu'on y ajou
tait un certificat de vertu , ſigné du Pontife.
Jeſouſſigné atteſte qu’un tel a mené une vie
juſte , a eu de bonnes maurs ; je demande
que ſes mânes, repoſent en paix. L'Abbé
Bannier m’apprend que l'uſage de ces certi
ficats s'eſt conſervé en Moſcovie ( a ). Les
Ruſſes ne l'ont pas pris des Egyptiens; les
coutumes du Midi ont donc leurs ſembla
bles dans le Nord : mais ce n'eſt pas tout.
Le mot barin eſt précieux pour en indiquer
la ſource. Baar , baren, ſignifient dans le
Nord , la biere , le cercueil ( 6 ). C'eſt en
effet la voiture qui nous mene à notre der
nière demeure , c'eſt la barque fatale qui
nous paſſe à l'autre vie. Monſieur, le men
ſonge eſt toujours mal couvert ;ce mot que
les Grecs & les Egyptiens ont laiſſé là par
mégarde , rend l'allégorie de Caron à ſes
véritables auteurs .
( a ) Mythol. t. II , p. 436.
( 6 ) Rudbeck , t. 1 , p. 560.
330 L ET TRES
: Pourquoi n'en ſerait -il pas de même des
jugemens li exemplaires & fi utiles des
Egyptiens ? Les hommes , les Rois mêmes
étaient accuſés & jugés devant la nation au
terme de leurs jours. Tour homme vivait
en diſant, je ſerai jugé par mes pairs, ma
vie ſera déployée devant eux , cette attente
eft formidable pour ceux qui ont le ſenti
ment de l'honneur. L'uſage de plaider pour
& contre les morts ne s'eſt conſervé que
dans les canoniſations ; il faut être pur &
fans reproche pour habiter le ciel. Mais le
fort éternel du vulgaire des humains, n'é
tant point révélé , ne peut faire leçon. S'il
eſt utile à l'individu éteint d'avoir bien
vécu , il eſt utile à la nation entière qu'un
jugement rigoureux & ſenſible engage les
yivans à bien vivre. Cette coutume des
Egyptiens était donc très ſage.
Les gens du Nord , Monſieur , avaient
auſſi des jugemens célebres. On aa vanté ſou
vent leurs mæurs & leur juſtice; mais avant
d'en faire ici l'application , il faut que je re
mette ſous vos yeux une tradition ſepten
SUR L'ATLÀNTIDE, 331 1
( a ) De bois de frêne.
( 6 ) Héliode , in oper. & dieb. v . 143 ,
Rudbeck ,> t. I , p. 544,
SUR L'ATLANTIDE. 333
Rois ( a ) ; on les aa nommés Minnur, Min
ner ( 6 ). On peut croire , Monſieur , que
les Grecs ont pris là leur Minos , Légiſla
teur célebre & Roi de Crete , en plaçant
dans ce mot ſeptentrional une voyelle
plus ſonore & plus harmonieuſe. Il fallait
des fons doux à ces oreilles délicates & fen
fibles à la muſique. En voulez-vous encore
une preuve ? C'eſt que jadis on célébrait
dans la Suede tous les neuf ans une grande
ſolemnité, on faiſait des ſacrifices en préſen
ce du peuple accouru de toutes parts (c). Ho
mère vous dira que Minos jouiſſait tous les
neuf ans de l'entretien de Jupiter , & en
tendait les oracles de ſa bouche ( d). Lorf
que les Dieux ſe parjuraient, après avoir
fait ſerment ſur le Styx , Jupiter les privait
de la divinité pendant neuf ans ( e ). Pour
quoi ce compte de neuf années ? Ce tems 3
' UR L'ATLANTIDE .
S 337
les
1
338 LET I RES
célebre pour la juſtice & pour le bonheur (a).
N'avez-vous pas vu que Sackene était le
frère d'Atlas ; & puiſque Plutarque rap
porte ces inſtitutions à ſon regne & au com
mencement du regne de Jupiter , il eſt clair
que la juſtice de ce regne a depuis réglé
celle de la vie future ; il eſt clair que ces
hommes vivans, jugés par leurs ſemblables,
étaient de la race d'Atlas : ils habitaient
l'Atlantide, ou les pays voiſins & occiden
taux, qui furent les royaumes de Saturne.
Ce Saturne bâtiſſait des fortereſſes ſur des
montagnes ; les lieux élevés étaient nom
més Saturniens ( 6 ). On nous ramene tou
jours aux montagnes , qui ont été le théâ
tre de tant de guerres , & que les hommes
ont fortifiées par les ouvrages de l'art ( c ).
Il faut entendre Platon récitant les inf
tructions qu'il avait reçues d'un philoſo
phe ; dans l'antiquité , la ſcience ſe tranſ
( a ) Suprà , p. 59.
>
( 6 ) Suprà , p. 58.
>
$
"
SUR L'ATLANTID E.
339
mertait de vieillard en vieillard. Ce phi
loſophe avait été inſtruit lui-même par fon
àïeul, qui lors de l'expédition mémorable
de Xerxès dans la Grèce , fut envoyé à
Délos pour défendre cette île célebre &
reſpectable par la naiſſance des Dieux.
Nous ne croirons pas cette circonſtance ;
nous ſavons que les Dieux ſont plus an
ciens que les Grecs : leurs îles n'étaient
pas habitées lorſque tous ces Dieux faux
& mortels font nés. Mais enfin cet aieul
trouva dans l'île de Délos des tables d'ai
rain , apportées des montagnes Hyperbo
rées ; & il y lut toute la deſcription de
l'enfer , la doctrine de l'ame immortelle ,
dégagée des liens du corps & deſcendue
ſous la terre dans l'empire de Pluton : em
pire fermé par des portes de fer , où ſe prés
ſentent d'abord l’Achéron & le Cocyte ,
au - delà Minos & Rhadamante ( a ) , qui į i
( a ) Plato in axiocho.
Rudbeck , t. I , p. 536
SUR L'ATLANTIDE. 341
ſente une île plus ancienne & plus grande ,
que Diodore de Sicile & Pline placent
tous deux dans les mers ſeptentrionales,
L'un la nomme île Baſilée ou royale ( a ) ,
l'autre lui donne le nom d'Oſericta ( 6 ) ;
& ce mot , comme pour appuyer leur té
moignage, ſignifie dans les langues du
Nord , île des Dieux Rois , île royale des
Dieux ( c ). Ainſi tout ce que les Grecs dé
bitaient de cette île de Délos , honorée de
la naiſſance des Dieux , appartient à l'île
Baſilée qui était dans les mers du Nord.
Plutarque penſait jadis , comme je le
penſe aujourd'hui , Monſieur, qu'Homère >
1
SUR L'ATLANTIDE, 347
350 ET RES
comme la même ombre enveloppe tout ce
qui fort du tems & de l'eſpace, en mon
trant un vieillard qui venait de finir ſes
jours , on a dit : Il eſt allé rejoindre ſes an
cêtres , il va jouir avec eux de la paix , re
cevoir la félicité qu'il a méritée : les mé
chans n'y retournent que pour y ſubir la
ſévérité des jugemens. Ces idées ſe ſont
répétées , gravées par les générations & ;ܪ
l'on aa fini par confondre l'autre vie , le lieu
où Dieu punit & récompenſe, avec l'ancien
féjour , avec la patrie première & regret
tée , où les mæurs étaient innocentes &
les loix ſévères.
Certe origine de la fable de l'enfer me
paraît admillible, parcequ'elle eſt vraiſem
blable' & philoſophique ; mais elle porte
encore ſur trois faits qui ſemblent devoir
exclure le doute. Les poëtes & les hiſto
riens , qui ſont à notre égard les dépoſi
taires des anciennes traditions , ont écrit
que le ſiege des enfers était au nord de la
terre ; on en pourrait douter , on pourrait
>
Beugnies de
Z ij
356 LE I I.RES
( a ) Suprà , p, 21,
SUR L'ATLANTIDE. 357
rapportait l'origine de la nation à un peuple
ancien , placé dans une partie du monde
alors inconnue . Pour m'éclaircir , pour en
ſavoir plus que les Grecs eux-mêmes , il >
( a ) Suprà , p. 366.
>
( b ) Bannier , t. I , p. 666.
( c ) Voyez la poſition de ces peuples de la Tartarie dans
la Géographie ancienne de M. Danville , t. II, p. 321 , 323 ,
324
( d ) Suprà , p. 374 .
SUR L'ATLANTIDE. 339
huit cens lieues demandait au moins un an ;
les meſſagers devaient être toujours en che
min , les prémices étaient un peu vieilles
quand elles arrivaient. J'explique tout cela
d'une maniere aſſez ſimple, en ſupprimant
les longs voyages , qui méritaient peu de
(a ) In Critia.
Z iv
360 LETTRES
faits paſſés comme d'une choſe préſente:
Les tables en langue Hyperboréenne, qui
contenaient les hiſtoires & les fables com
munes, furent tranſportées & dépoſées à
Délos , où l'on réſolut de repréſenter l'île
des dieux qu'on avait laiiſée en Aſie . Je
n'ai d'autre preuvé à vous donner de cette
opinion , Monſieur, que ſa vraiſemblance,
que fa conformité avec les faits que je vous
ai rapportés , & avec ceux que j'y pourrai
joindre encore. Et ſans cet ancien voiſinage
des Grecs & des Hyperboréens , où les
Grecs auraient-ils pris dès leurs commen
cemens, dans un temsoù les individus ne
voyageaient gueres, tant de connaiſſances
ſur les phénomènes des longs jours & des
longues nuits des climats ſeptentrionaux 3
( c ) Diod. t. II , p. 225.
( d) Pline, liv. XXXVII , C. 2
362 L ETT R Es
pourquoi les habitans du continent ont-ils
donné cet avantage aux îles ſur le conti
nent même ? Quand on veut décorer ſon
antiquité par des fables, c'eſt ſa patrie qu'on
illuſtre, & non des contrées étrangères. On
ne facrifie point à de petits appendices , à
des terres iſolées & détachées comme ces
iles , les grandes maſſes de terre qui ſem
blent les maîtreſſes du globe. Je penche à
croire que cet amour était un peu forcé. Ces
traditions n'ont point été imaginées , elles
ont un fonds de vérité , l'amour propre les
eût tournées autrement , mais la vérité lui 1
( a ) Rudbeck , t. I , p. 543 .
2
SU'R L'ATLANTID E. 365
la même ſignification dans les langues du
Nord. Dans ces mêmes langues Ship eſt .
encore un navire. Ce mot ſe conſerve dans
la langue Anglaiſe, & il ſe retrouve au bout
du monde chez les Kourilles pour nommer
un petit canot ( a ). Les uns & les autres
peuples n'ont pu avoir de ſource commune
que dans le Nord; & d'après notre prin
cipe , puiſqu'ils y prirent le nom des vaiſ
ſeaux & des canots , qui font le premier
état des navires , ils ont dû y prendre éga
lement l'idée de la navigation . Et ne voyez
vous pas , Monſieur , que ceux qui nous
l'ont enſeignée , les Phéniciens , ces hardis
navigateurs , étonnant le mondepar leurs
courſes , conſervant le culte du Soleil & le
ſouvenir de tous les Chefs des Atlantes ( 6 ) ,
étaient ſans doute deſcendus avec eux du
Caucaſe , n'étaient peut-être que les At
lantes mêmes , ſous un nom changé , 86
avaient comme eux leur patrie, dans le
( a ) Suprà , p. 304.
( b ) Suprà , 136 Lettre, P. 107 .07.es ! ..)
.11.2007 )
366 L E T T R E S
( a ) Suprà , p. 110.
(6 ) Kempfer , hiſt, du Japon , liv. III , C. ji
SUR L'ATLANTI D E. 367
nales de la Suede , & les parties ſeptentrio
nales de la Chine & de la Corée ; il doit réa
pondre au milieu de l’Aſie. Nous ne ſom
mes pas obligés de faire remonter ces tradi
tions au déluge univerſel, elles peuventap
partenir à des déluges particuliers. Les Tar
tares diſent qu'autrefois leurs pères navi
geant dans le lac Kytaſ , où le fleuve Oby
prend ſa ſource , avaient vu de loin dans ce
lac de grands édifices , en partie ſubmer
gés ( a ). C'eſt un indice que cette partie
du monde peut en effet avoir ſubi quelque
inondation particulière. Les Grecs, les plus
grands voleurs de l'antiquité, qui s'appro
priaient tout, les fables, les hiſtoires des
nations,> les héros , les inventeurs des ſcien
ces , ont bien pu s'approprier aufli les gran
des cataſtrophes de la nature , gravées dans
le ſouvenir des hommes. Il n'y a rien de
fi obſcur , dit l'Abbé Bannier, que l’hif.
toire d’Ogygès & du déluge qui arriva
fous ſon regne. Ce Prince était-il origi
Rudbeck , t. I , P : 35702
voulait
SUR L’ATLANTÍ D E. 369
voulait faire deſcendre ſon fils du trône
pour y remonter. Or Saturne ne peut avoir
régné que dans les climats où nous ſommes
maintenant arrêtés ; c'eſt le lieu des Champs
Eliſées qui étaient dans ſon empire ( a ).
Denis leGéographedit que la grande mer,
au nord de l'Aſie , était appelée glaciale ou
ſaturnienne ( b ). Orphée , Pline, diſent que
les habitans lui donnaient ce nom ( c ) ;
c'eſt donc là que nous devons placer les
Géans , les compagnons & les aides de Sa
turne , qui depuis ont partagé ſa priſon. Ces
cent mains & ces cinquante têtes , qui ne
déſignent que la force & la prudence, ont
fait imaginer la forme du Dieu Fo & des
divinités indiennes , dont les idoles remplif
ſentt la Tartarie , l'Inde , la Chine & le
Japon. Je vois clairement , Monſieur , que
( a ) Suprà , p. 3621
( 6 ) Denis , v. 35 .
Rudbeck , t. I , p. 404.
>
( c ) Orphée , V. 1077
Pline , liv. IV , c. 16.
Rudbeck , t . I , p. 461 , 513 .
>
Аа
370 L E TIRES
ce Géant formidable Gygès habita l’ile
Atlantide , qui eſt la même que l'île Ogy
gie. Oia dans les langues du Nord ſignifie
ile ( a ). J'en conclus qu'Ogygie eſt l'île de
Gigès, & la ſubmerſion de cette île en touc
ou en partie , eſt le déluge d'Ogygès.
Mais le plus grand des déluges de l'A
tlantide eſt le déluge d'hommes, ſortis peut
être à pluſieurs repriſes de cette île. Je ne
vous parle ni de Tamerlan , ni de Gingif
kan , ni de ces eſſaims de barbares qui
ont inondé l'Empire Romain ; je remonte
à des irruptions plus antiques , aux grandes
expéditions de Bacchus & d'Oſiris , ou plu
tôt à celles d'un perſonnage célebre & uni
que , qui a porté ces deux noms. Oſiris ,
c'eſt le Soleil ; Bacchus, quoique le Dieu
du vin , eſt auſſi l'emblême de l'aſtre qui
fait mûrir les raiſins. Je le crois volontiers ;
mais le voyage de Bacchus, ſes courſes dans
l'Inde , celles d'Oſiris dans l'Egypte, les
peuples qu'ils ont inſtruits , les villes qu'ils
( a ) Rudbeck , t. I , p. 468.
SUR L'ATLANTI D E. 371
ont fondées, ne peuvent être une pure allé
>
( a ) Suprà , p. 108
( 6 ) Suprà , p. 108 1
SUR L'ATLANTID E. 375
pluſieurs de ces colonnes ont été renver
ſées par le tems, qui a détruit auſſi leur
mémoire. On retrouve les traces d'Hercule
dans la Scythie , il a dû y placer des colon
nes ; & ſi ce pays n'avait pasété tant dévaſté .,
2
( a ) Suprà, p. 30,
382 L E T T R E S
1
384 L ETT RÉS
de rivières deſcendent de la terre ferme,
&y verſent leurs eaux. Les bords du con
tinent au long de la mer font habités près
d'une grande baie , qui n'eſt pas moindre
que les Palus Méorides, & dont l'embou
chure eſt précisément vis-à -vis la mer Cas
pienne. Tout cela , Monſieur , eſt parfaite
ment décrit. Les Grecs n'ont pu deviner
cette géographie ; ils l'ont appriſe par la
tradition des peuples deſcendus du Nord :
cette tradition renfermait peut- être bien
des connoiſſances qui nous manquent au
jourd'hui. La mer Glaciale qui avoiſine le
pôle peut en effet être enfermée preſque
circulairement par les continens de l'Aſie ,
de l'Europe & de l'Amérique.
Ces quatre îles peuvent être l'Illande ,
le Groenland , le Spitzberg & la nouvelle
Zemble ( a ) , où quelques îles inconnues ,
plus avancées , & aujourd'hui inacceſſibles
等
SUR L'ATLANTIDE. 385
par les glaces. Les dix derniers degrés vers
le pôle n'ont jamais été reconnus. Je me
garderai bien de faire un choix dans les
îles qui ſubſiſtent encore , & qui ſont ac
ceſſibles. On peut avoir cru que l'île At
lantide était abîmée , ou perdue dans la
mer , ſeulement parcequ'on a ceſſé d'y al
ler , parceque les glaces accumulées ont
effrayé les navigateurs , peu hardis dansles
commencemens . L'Atlantide n'eſt peut
être que fermée par les glaces , & défen
due par elles ; mais je me borne à ſuivre
Plutarque , je montre comme lui les îles
de la mer du Nord. Les îles dont il parle
ſont éloignées de cinq mille ſtades , qui
valent 10 degrés; on peut dire que c'eſt à
peu-après la diſtance du Siptzberg au con
tinent dans l'Aſie. Mais il eſt impoſſible
de ne pas reconnaître ce continent quand
on annonce une multitude de rivières qui
ont leur embouchure dans cette mer. Les
Laponies Danoiſe & Moſcovite n'ont que
peu de rivières qui coulent vers le Nord ;
Bb
386 L ET TRES
:
388 LE I TRES
puscule. On ne peut mieux déſigner les
climats du nord , que par cette circonſtance
aſtronomique. Ce phénomène n'appartient
qu'à la Laponie Suédoiſe, ou à l'Iſlande ,
qui ſont ſous le cercle polaire arêtique.
De là ils paſſent dans l'île de Saturne ; وil
faut qu'ils y demeurent pourle servir pen .
dant treize ans. Alors ils font libres de
s'en retourner ; mais la plupart aiment
mieux y vivre doucement, ſans travail &
fans affaires, dans l'abondance de toutes
choſes , tant pour les facrifices divins ,
que pour l'étude des lettres & de la philo
sophie. Ils y reſtent, captivés par la bon
té du terroir de l'ile & par la douceur de
lair. Saturne eſt enfermé dans une caver
ne , il y est endormi, & retenu ſeulement
par les liens d'un ſommeiléternel. Une in
finité de démons lefervent, qui ont été ſes
courtisans & ſes amis , dans le tems qu'il
avait l'empire ſur les hommes (a ).Voilà ,
ſuivant le témoignage de Plutarque, cette
région de l'enfer, où Saturne règne, & où
( a ) Plutarque , de facie in orbe Lune , S. 30.
SUR L'ATLANTIDE. 389
les hommes vont le retrouver , lorſqu'ils
ont quitté la vie ( a ).
C'eſt un hiſtorien & un philoſophe qui
vous parle , Monſieur ; liſez attentivement
ce récit , peſez bien tous les faits qu'il ren
( 6 ) Rudbeck , favant Suédois , avança ,, il y a près d'un
fiecle , que la Suede était l'Atlantide de Platon . Il aa même
cru retrouver , dans les environs de l'ancienne Upſal, la fi
tuation & les dimenſions que Platon donne à la capitale de
l'île.Atlantide.Je ne puis jugerce rapport local qu'ils'efforce
d'établir. Mais ſon ouvrage eſt orné & de l'eſprit du tems , &
de la plus profonde érudition ; on voit qu'il m'a beaucoup
fervi. Je lui rends le tribut de reconnaiſſance que je lui dois.
Si cet ouvrage n'a pas, micux réuſli, c'eſt qu'il manquait de
lecteurs , dont les eſprits fuffent préparés. Cette idée des ori
gines dans le Nord n'était pas műre , à peine l'eſt- elle aujour
d'hui. Rudbeck a pu lui nuire , en particulariſant trop cette
origine, en l'attribuant à la Suede. Les choſes antiques na
>
1
SUR L'ATLAN TID E. 391
les îles dont il rapporte la diſtance au con
tinent de l'Aſie , étaient placées vers le
nord de cette partie du monde; que c'eſt
par les côtes d'Aſie qu'elles ont eu com
merce avec les habitans du continent , ſoit
parceque la nouvelle Zemble ſervait de re
pos & de poſte intermédiaire , ſoit pard'aus
tres raiſons que nous ne pouvons deviner.
Ces prétendues îles oppoſées , habitées de
peuples Grecs , où le ſoleil pendant un
mois reſte à peine une heure ſous l'hori
zon , ne ſontpeut-être que la Laponie Mof
covite , le nord de la Finlande , où l'on
doit avoir des jours à -peu -près ſemblables ,
& où M.Idman aa retrouvé des reſtes de la
langue grecque ( a ). L'ile de Saturne ſerait
le Spitzberg ou le Groenland. Je ſens bien
que vous ſerez embarraſſé de la fantaiſie
de ces voyageurs , qui ne voulaient plus
quitter l'ile après y avoir abordé. Vous
vous ſouvenez des Hollandais , qui ont
paſſé bien malgré eux un hiver dans la nou
( a ) Herbelot , p. 593 .
( b ) Ibid . p . 385,230.
$
( c ) Coſmas Indico pleuſtes in Collect. nova Patrum , t. II,
p. 188. Dans le ſixième fiecle , le moine Coſme ſoutenait
cette opinion , que l'homme avait habité primitivement une
terre au-delà de l'Océan ; il avait voyage en Aſie , & il diſait
>
396 LETTRES
à douze pieds dont Huſchenk ſe ſervit pour
ſes conquêtes , fut trouvé dans ce conti
nent , nommé l'île seche ( a ). Cette mon
ture & ſes douze pieds ſont peut-être allé
goriques ;on a pu déſigner ainſi un bateau
& comparer ſa vítéſſe in
à douze rames , &
connue & nouvelle à la vîteſſe d'un che
val ; l'étonnement des peuples barbares a
fait beaucoup de ces métamorphoſes. L'hif
toire de Perſe eſt donc liée à la tradition
de cet ancien continent, ou de l'ile placée
au -delà de l'Océan . Les Orientaux , qui ne
renoncent pas volontiers à leurs anciennes
traditions , ont adapté au récit du déluge ,
>
11
des fées, eſt au -delà des montagnes , qu'il
1
10
faut paſſer des contrées ténébreuſes, où le
ſoleil ne porte point ſa lumière , pour y
arriver: ; ces contrées ſont celles du nord ,
affligées des longues nuits :: l'ile Atlantide
de Platon , l'île Ogygie de Plutarque, ne
font que l'île seche des Orientaux ; nul
homme ne peut y aborder , s'il n'eſt con
duit par une intelligence ſupérieure ( a ). Je
ne m'étonne point d'avoir eu le bonheur d'y
parvenir ;. j'ai été conduit par la vôtre. Les
fables grecques & orientales réunies , l'ef
prit de l'Europe & de l'Aſie, l'hiſtoire de
ces deux parties du monde , nous ont indi
qué la vérité ; cette vérité eſt l'origine des
Atlantes , l'ancien ſéjour d'un peuple per
du. Si les Atlantes corrompus , & deve
nus deſtructeurs, ſont les Dives , dont l'ef
froi a fait des démons occupés du malheur
des hommes ; ſi les Dives ſont ſortis de ces
îles jadisfécondes, ces îles furent auſſi le
( a ) Suprà , p. 180,
398 L E I TRES
premier ſéjour des Péris , des fées qui nous
ont protégés , défendus ; c'eſt là que fut le
pays des richeſſes & la ville de diamans. La
magnificence du temple de Neptune ( a )
nous retrace les beautés de la demeure des
fées. Les Atlantes , juſtes & vertueux avant
d'être forts , avant qu'une population ex
ceſſive leur eût rendu la vie difficile & la
fortie néceſſaire, ont auſſi dans ce lointain
le regne de leur Saturne, celui de la Juſtice
née aux beaux jours de Rhée.
Vous m'accorderez ſans doute , Mon
fieur, que ces régions où ſont nées les inf
titutions primitives & les fables, ont été
habitées avant les autres . Alors , ſi vous me
permettez quelques conjectures, je vous
dirai que la vie peut y avoir été plus douce
& plus heureuſe que dans les beaux cli
mats. Lorſque la chaleur intérieure de la
terre était plus grande , lorſqu'elle avait
plus d'avantage ſur la chaleur du ſoleil, la
température était moins variable ; & l'on
( a ) Suprà , p. 37:
+
Ŝ
( a ) Le Capitaine Phips & le Capitaine Cook en 1773 ,
2
1774 & 1775.
Сс
.
402 L E T TRES
deſſiné ces ceintures , ces murs de glace qui
défendent aujourd'hui l'accès despôles (a) ,
& qui s'avancent lentement vers nous pour
couvrir un jour le globe entier, & ſe re
joindre à l'équateur. Je regrette moins les
peuples du pôle auſtral que je ne connais
pas. Mais je m'afflige que le nord , le théâ
tre de tant d'inſtitutions antiques , le pays
de l'âge d'or ſoit aujourd'hui le ſiege d'un
hiver éternel. J'ai eu mon âge d'or que je
regrette , il eſt paſſé ; & mes plus doux
momens ſont ceux où je parle de philoſo
phie & de vérités, avec un grand homme
qui daigne m'entendre.
Je ſuis avec reſpect, & c.
le
pays des chimères , l'arrêt ſe prononce ,
en diſant , c'eſt un ſyſtême. On aa donc
bien dénaturé ce mot, il eſt donc bien loin.
de ſon origine grecque. Systême ſignifie
aſſemblage. Vous retrouvez cette ſignifica
tion dans un mot de la phyſique céleſte .
On dit le ſyſtême du monde, pour embraſ
ſer par une défignation générale tous les
corps qui , ayant le ſoleil pour centre de
leurs mouvemens & pour roi de leur fa
mille , s'accompagnent , tournent autour
de lui , autour les uns des autres, & ſong
tous liés , aſſemblés par une cauſe com
mune. Un ſyſtême n'eſt donc que la liaiſon
des faits ; quand il n'eſt que cela , quand
il ne les altère pas , il n'eſt point condam
nable. La ſignification réelle du mot fait 1
C cüj
1
406 LETTRES
la diſtinction entre les romans & les ſyfte
.
mes. Une explication , quelque ingénieuſe
qu'elle ſoit , quand elle n'a qu'un fait pour
'objet , eſt un roman ; elle ne devient un
ſyſtême, que lorſqu'elle embraſſe deuxfaits:
alors elle unit , elle aſemble , elle a un de
gré de probabilité. Cette probabilité aug
mente en raiſon des faits unis ; & elle peut
devenir infinie comme le nombre des faits :
c'eſt ainſi que mon opinion eſt un ſyſtéme.
Malgré ſa ſingularité,elle n'a rien de forcé,
ce ſont les faits qui l'ont fait naître ; tous 0
1
S
408 L E T TRE
ſeconde comme la première , vous acquer
rez la même gloire. Je vous ai développé
dans ma dixième Lettre toutes les raifons
phyſiques qui appuient l'hypothèſe ingé
nieuſe de M. de Buffon . La terre a une
chaleur intérieure qui s'évapore , qui ſe dif
fipe; la terre âgée la perd avec le tems,
comme en vieilliſſant nous perdons celle 4
412 L E T T R E S
actions des Rois , je ne ſuis point dans leur
conſeil pour pénétrer les motifs & les cau
ſes. Quelles que ſoient les raiſons de l'ha
bitation primitive d'une partie du genre hu
main dans le Nord de la terre , je crois l'a
voir rendue évidente , ainſi que ſa marche
vers l'équateur .
Les Atlantes ont paru en Egypte , ils i
j
1
SUR L'ATLANTID E. 413
l'oueſt une ligne de remparts qui partage
l'Aſie , un état de guerre qui exiſte depuis
un tems immémorial ;; & l'effort des peu
ples du Nord contre ceux du Midi pro
longé juſqu'à nos jours , eſt une preuve dé
monſtrative de lamarche que j'ai indiquée.
Ils tentent de deſcendre , parceque leurs
peres , leurs aïeux & leurs premiers ancêtres
font deſcendus. Les fables anciennes doi
vent avoirété apportées dans ces émigrations
prouvées par l'hiſtoire. Les fables appartien
nent aux tems obſcures , au commence
ment des choſes; elles doivent être nées au
pays des origines. D'ailleurs ces fables ra
contées aux Grecs par les Phéniciens &
par les Egyptiens, tiennent à la ſource com
mune des deux peuples , qui eſt chez le peu
ple Atlante. En ramenant ces fables à leur
berceau , il faut donc repaſſer le Caucaſe
que les Atlantes ont traverſé ; il faut entrer
dans la Scythie , où Hercule a été connu.
Hercule , vous en êtes convenu , eſt un
homme du Nord ; Hercule aa écé au jardin
des Heſpérides , & les Grecs placent eux
414 L E T I RES
mêmes ce jardin dans le Nord de la terre ,
au pays des longues nuits , comme ils y
placent le Tartare & les Champs Eliſées.
Ils vous parlent de ces îles fortunées , de
ces îles des Hyperboréens , où naquit le
>
ll
I
SUR L'ATLANTIDE. 42X
la vie , l'idée du Tartare & des Champs
K Eliſées , les allégories de Proſerpine & d'A
donis relatives aux abſences du Soleil , l'a.
doration de cet aſtre née dans les climats
où ces abſences le font plus particulière
j ment deſirer , le culte du feu devenu né-.
ceſſaire par le froid qui chaſſait les hom
mes du ſeptentrion. Voilà les inſtitutions
des Atlantes , voilà les æuvres des hommes
avant qu'ils ſe fuſſent perfectionnés ; mais
à l'égard des progrès des arts & des ſcien .
ces , je vois ces progrès, je vois les inven .
tions qui nous ſontreſtées, mais je n'en vois.
pas fi clairement les auteurs. Ces auteurs
Monſieur , ſeront celui des trois peuples
que vous voudrez. Vous avez plus de lu
mières que moi , vous pouvez vous décia
der mieux. Les Atlantes, ſortis d'une ile
de la mer Glaciale , font ſans doute ces
Hyperboréens, habitans. d'une île , & dont
les Grecs nous ont tant parlé ; ces Hyper
boréens poſſédaient le cycle luniſolaire de
19 ans , que Méton porta dans la Grèce , &
dont il aa été regardé comme l'inventeur a
D düj
422 LETTRES
c'eſt un fruit d'une aſtronomie avancée.
D'un autre côté , lorſque Zoroaſtre vint
éclairer la Perſe , les circonſtances de ſes
récits nous apprennent qu'il ſortoit du cli
mat de 49 degrés. Il eſt donc difficile de
fixer la vraie patrie des ſciences. Mais,
Monſieur , jugeons le paſſé ſur le préſent.
Și l’Europe était anéantie , la poſtérité
pourrait la conſidérer comme compoſée de
peuples différens par les meurs , par les uſa
ges, par la langue & par le degré de lumiè
res , ou prendre tous ces peuples en maſſe, &
regarder les Européens comme un ſeul peu :
ple , auteur des plus belles inſtitutions &
des plus grands progrès des ſciences. Les
objets s’unifſent & ſe confondent dans l'ém
loignement ; c'eſt ce qui nous arrive aux
jourd'hui, lorſque nous portons notre vue
dans les régions lointaines de l'antiquité,
Plutarque nous montre dans la mer Glas
ciale quatre îles habitées ; ces îles avaient
différens peuples : elles ont pu produire
différentes émigrations. Dans le continent
de l'Aſie , cette vaſte Tartarie , qui eſt en ..
SUR L'ATLANTID E. 423
0
tre la mer Glaciale & le Caucaſe , entre le
A1 Chamchatka & la Ruſſie , eſt preſque auſſi
8 grande que l'Europe entière. Quoique dans
ces anciens tems tout n'ait pas été habité ,
elle aa dû renfermer pluſieurs peuples diffé
rens ; nous en trouvons la preuve dans
les langues qu'on nous donne comme an
1
p
V ciennes. Vous avez le Zend & le Pelhvi
conſervés par les Perfans, le Hanſcrit qui
ſubliſte encore chez les Indiens , & la lan
gue de Tangut qui a paſſé au Thibet. Ces
E langues doivent avoir appartenu à des peu- ,
ples différens. M. de Gébelin fournit un
E fait que je dois vous rapporter. Les carac
5 tères trouvés à Perſépolis ne vont pas au
delà de cinq , & l'on voit qu'ils different
également par la manière dont ils ſont
combinés , & par celle dont ils ſont pla
cés. De même les caractères Irlandais , ap
. pellés Ogham , ne conſiſtent que dans l'u
nité répétée cinq fois , & dont la valeur
change, ſuivant la manière dont elle eſt
poſée, relativement à une ligne fi&tive. Ils
ont beaucoup de rapportavec ceux de Per
Ddix
424 L E T T R E S
fépotis ( a ) ; ces traits qui repréſentent l'u
nité font perpendiculaires : les Koua de 1
TIDE . 425
SUR L'ATLANTIDE
que dans cette langue , le monoſyllabe pen
ait la même ſignification que dans la langue
Grecque. Ces analogies , Monſieur , ne
peuvent- elles pas faire croire que la racine
pentè & le verbepembafaſtai ſont iſſus des
langues orientales , & particulièrement de
>
661566
ut!
PULLI
TABLE
Des Lettres ſur l'Atlantide & ſur
l'ancienne Hiſtoire de l'Aſie .
AVERTISSEMENT.
QUATRIEME LETTRE de M. de Voliaire
à M. Bailly , page
XI LETTRE. de M. Bailly à M. de Vol
taire , 9
Expoſition du ſujet de ces nouvelles Let
tres , & premier exemple d'un peuple
perdu , ibid .
XII LETTRE. Récit de l'Atlantide ; ce
n'eſt pas une fiction , 25
XIII LETTRE. Confirmation de l'exiſ
2
Fin de la Table.
Avis pour la Carte.
Cette carte , quant aux contours des côtes , aux
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