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Egger Émile. Des mots qui, dans la langue grecque, expriment le commandement et la supériorité. In: Comptes rendus des
séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 14ᵉ année, 1870. pp. 209-240;
doi : https://doi.org/10.3406/crai.1870.67722
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1870_num_14_1_67722
(1) Franz, Elan. Eyigr.gr., n° 73. Le mot est écrit Ir/iOça—O;» sur le
monument que possède aujourd'hui le musée du Louvre, où il a été
rapporté par M. Le Bas. Se! ou Aristophane, Ath:im.yy. 1 00-1 02, les mots:
Ζαρταμαν έ'ςαρξ1 κναπ'.σσόν:« σάτρ sont perses tt signifient πί[ΐψ:ι βασιλεύς
SÉANCES DU MOIS D'AOUT. 213
De môme on verra plus tard le mot latin κουράτωρ grocisé
{Corpus, noi 3577, 5898) former le verbe χοψχ-οζεύω {Corpus, n'jS 2930
et 5884), et, par une hardiesse plus barbare encore, le mot prœ-
positus, devenu πραιτζόσιτος (Le lîas, V, noS 1202, î 203), former
avec le grec 6'ptov le composé όρ.ττραιζοσιτος, dont je n'ai pas
encore trouvé d'exemple, mais d'où dériva bientôt le mot abstrait
δο-.οποαιποσιτία que nous donne une inscription attique du Corpus,
n° 1 080.
'Λργαπετης est le n ο m, probablement sémitique, en tout cas
étranger au grec, d'une magistrature à Palmyre; on le trouve
ainsi écrit dans deux inscriptions (Corpus, nos 4498 et 4499.
Recueil de M. de Vogué, nos 26 et 27) dont le texte ne paraît pas
douteux. Après avoir examiné les conjectures des savants sur
l'origine de ce mot, M. de Vogué incline à lui donner le sens
de commandant de place ; c'est parmi les dix ou douze titres do
magistratures palmyréniennes mentionnés dans les inscriptions
grecques de cette ville, le seul qui ne soit pas emprunté à la
langue hellénique (4).
(5) Boeckh a sur le mot τύραννο; une noie utile à consulter, dans
le Corpus, n° 2438.
(2) Cf. β'.-βάζω, je fais marcher, et dans Homère (Iliade, 1, 309) :
ϋς δ' ϋχ,χτόμβην β^σε Szïï, il fit monter Fh(:cat<~imbepùur le Lie^i. Ibid. 438 :
L· ο' Ικατόμβην β^αν, ils firent descendre ΐ hécatombe. — Celle élvmo-
logie du mot βασιλεύς est déjà signalée dans le Lexique homérique
SÉANCES DU MOIS θΆθϋΤ. 245
La terminaison ις caractérise en grec un certain nombre de
mots à signification active, comme αάνπ,-, πρύτανις, ιδρις, etc. (1).
Môme idée de direction dans les dérivés de la racine εύθ,
comme le verbe εύούνω, et les substantifs εΟΟυν-τ'ρ ou εύΟυν-ης.
Même idée dans le radical έλ ou έλα (verbe ελαόνο>), à la fin
du composé στρατηλάτης, chef d'armée, mot à mot « celui qui la
fait marcher devant lui «.Mais dans ίππηλάτης, cavalier, ϊ-πος n'a
pas le sens collectif de cavalerie, comme dans ίππηγός et
Ιππαρχος. 11 n'a que le sens de cheval ; le composé n'est ainsi
qu'un synonyme ύ'ίπ-ο'της. D'autre part, ίππεύς, synonyme, en
prose, α'ίττπότης, quand il traduit le mot eqws des Latins, devient
le signe d'une classe supérieure, dans la cité romaine, et voilà
comment, dans le Manuel de la conversation, ouvrage bilingue
qui porte le nom de Julius Pollux, et que publie, en ce moment,
M. Boucherie, Fadjecîif Ιππικός, avec sa traduction equt>tris
ordinis, est rangé parmi les mots qui expriment le
commandement.
Souvent on ne peut dire pourquoi un mot reste stérile en
dérivés, tandis que tel de ses synonymes en a produit beaucoup.
Ainsi à εντελλω et επιτέλλω, dans le sens de commander, ne répond
aucun nom de magistrat ou de chef investi de quelque
commandement. Souvent aussi l'idée d'un pouvoir considérable, d'une
direction importante, se rattache à des mots qui ne
semblaient nullement destinés à ce rôle : ainsi Γετπστολογράφος ou
secrétaire des Ptolémées, en Egypte, était devenu non-seuie-
ment le chef de leur chancellerie, mais une sorle de ministre
des cultes (2).
L'idée de direction n'est pas moins étrangère au radical Îeg,
λεγ, que possède le grec comme le latin. Mais le ξενολο'γο; des
"Ανας arrive au sens de prince, roi, par celui àepère qui en est
le sens primitif, selon la conjecture très- vraisemblable de
M. Meunier (Bulletin de la société de linguistique, n°2). Il garde
clairement le sens dn chef et de prince dans 'Ανάξανδρος et
Άνδρωναξ, qui reproduisent en un composé la locution
analytique άνας ανδρών, si fréquente chez Homère; il le garde dans
2Î8 SÉANCES DU MOIS D'AOUT.
(1) Je n'y joins pus γυνχι/.ο/ίο-αοί, qui n'est connu que p;ir nu texte
de Pollux (Ohowast. VIII, ■Uî.), où il i'aul probablcaient lire., comme
OU l'a proposé, γυναικοκύμος, peuL-ctrc mûrno γυναιχονόμος.
SÉANCES iOU MOïa l/AOL'T. 221
(î) Voir J.-Iï. Krause : Νίωκό'&ος. Civitates ncocorœ sive œdituœ evete-
nim libris, etc., iUustratœ (Lipsire, 4 844, in-8°).
224 SÉANCES DU MOIS D'AOÛT.
(1) Ce dernier n'est attesté (mais cela peut suffire) que par son
féminin προερανίστρια, dont on a un exemple attique (Corpus, n° 420) ;
d'ailleurs, une autre inscription attique (Corpus, n° 426) nous offre
un άρχιερανιστής. i
(2) Ou plutôt προάγορος, car ce mot paraît n'avoir été employé
qu'en Sicile, où il désigne une magistrature principale (Cicéron, II,
Verr. IV, 23) et où il a produit le dérivé προαγορέω (Corpus, n° 5481,
inscription d'Agrigente). Cf. πυλαγόρας, nom de l'orateur qui
représente une cité grecque dans le conseil arnphiclyonique.
(3) Le Bas, Inscr. de Morèe, n° 473: πρώτος της πόλεως. Cf. κόσμος
της πόλεως, un citoyen qui est l'honneur de sa ville (Corpus, nos 3615 et
3618, à Novum Ilium).
(4) Peut-être faut-il ajouter aux dérivés de πρό Ιο mot πρύτανις, dont
. la forme πρότανις s'est retrouvée dans une inscription de Lesbos (Corpus,
n° 2i66). Mais il estjusie d'ajouter que M. Ahrcus (de Dialedo JEolicà)
suspecte cette leçon, en comparant le n° 2183 du" Corpus.
SEANCES DU MOIS D AOUT. 225
(1) Selon cette conjecture, αύΟέντης est pour «ύτοΟίντης (Cf. αυΟι =
αυτόθι, ήμέδι^νον = ή[α.ι;χέοψ.νον, τίτρχ-/ u.ov π τετοάο&α-/σ.ον), OÙ Οίν représente
la même racine que θάνατος, Oxvav, la même que φόνος, φέν-ω dans
l'aoriste épique -εφνεΐν pour πε^ενεΐν (Cf. Oîjp := φτ'ρ, Ολάω — φλάω), le
Suffixe της s'y rattache comme dans αύτοφόντης, άργειφόντης, άνορει-
οόντης. Le latin offre des apocopes intérieures fort semblables; sii-
pendium— stipipendium , restulws — restitutus, seUbra — semilibra,semo-
dius = scrnimodïus .
SÉANCES DU MOIS D'AOUT. 229
Άρχ donne d'abord άρχος et άρχων (participe du verbe άρχω, d'où
le dérivé αρχοντε'υω, inconnu aux Lexiques {Corpus, n° 2076),
αρχινος et αρχαίος, tous plus ou moins antiques. Puis, dans une
période plus récente, il donne les féminins, presque tous inconnus
aux Lexiques : ά'ρχ-.ς (Inscription de Tenos, Corpus, ηυ2339), άο-
χεΐ-ις (inscription deThasos, Corpus, n° 2162), άρχείνη (Inscription
de Syros (Corpus, n° 23471 ), d'où le composé συναρχείνη que
Ross avait relevé sur un monument du règne des Antonins.
J'ai signalé ailleurs l'importance historique de ces féminins,
soit qu'ils désignent une autorité réellement dévolue à des
femmes, soit qu'ils expriment une simple association
honorifique aux charges exercées par leurs maris : dans les deux cas,
l'histoire des mots touche à celle des mœurs et lui emprunte un
surcroît d'intérêt (f).
Le commandement, que représente le radical άρχ, peut être
étendu à tout un peuple, comme dans 'Αρχέλαος ou Αάαρχος,
Λ&αρχος, dans μοναρχος OU μουναρχος, et μονάρχης. 11 est, en quelque
sorte, renforcé dans έπαρχος, Ιςαρχος. 11 est subordonné dans
ύπαρχος. 11 est partagé dans συναρχος, συνάρχιον, τε'τραρχος. 11 est
borné aux subdivisions d'un état dans πολιτάρχης (Corpus, n°1 967),
dans φύλαρχος, οημαρχος, φρατρίαρχος, ληξίαρχος, dont quelques-uns
peuvent renverser Tordre de leurs éléments : Άρχέπολις, Άρχί-
φυλος, Άρχίοημος.
Νο'μαρχος, chezlesGrecs de l'Egypte ptolémaïque et romaine (2),
désigne une autre subdivision de ce genre; de même τριακά-
οαρχος, ou trentenier, dans la ville sicilienne d'Acrœ (Corpus,
(1) Sur celte fonction dans les villes grecques, voir nos Etudes
historiques sur les truites publics chez ks Grecs et chez les Romains (6d.il.
de 1866, p. 73, 74).
SKANr.GS DU MOIS ι/λΟΓΓ. 23.7
ΓΙ) Voir Ad. Régnier, De la formation des mots dans la langue grecque,
§294 et suiv., c'J. de 1353.
238 SÉANCES DU MOIS D'AOUT.
deux composés où les éléments alternent ainsi. <Μο'3·εος signifie
celui qui aime Dieu, tandis que 3εοφΐλος signifie celui que Dieu
aime, d'où φιλο3·εότης et ^εοφιλότης (Ι), avec deux significations
également distinctes, et cette distinction, attestée comme elle
Test par un auteur ancien, n'est pas sans conséquence pour
l'histoire du sentiment religieux dans l'antiquité (2).
Mais bien souvent il est difficile, ou plutôt impossible, de
reconnaître dans l'alternance des éléments du mot composé
une intention précise d'en modifier le sens. Φερέοαος est un pur
Synonyme de οικοφο'ρος, φερεσσακης et σακεσφορος, -/ωροφιλεω et
otAû/wps'to ne laissent pas voir, non plus, la moindre différence.
On ne voit pas pourquoi, dans εχεαυ3·ίχ, l'idée de parole vient au
second rang; pourquoi, dans μυθολογία, l'idée de fable, exprimée
par le môme radical pj.3-, tient le premier rang, si ce n'est par
que"
analogie avec αστρολογία, θεολογία, CtC, tandis dans εχε;χυ£ίοί,
on suit l'analogie de &εχε:ρία. Do môme dans κακοποιός et κακο-
το-.εΤν Tidée verbale est la seconda ; au lieu que dans μνησίκακος
et ρηο-ικκκεΐν elle CSt la première. Dans ^υροκο-ε'ω,,&υροκρουστος et
θυροκρουστεΌ), elle est la seconde; dans κρου^υρος, elle est la
première. Dans Ιργόχειρον, elle est la première, et dans χειρουργός,
elle est la seconde; dans αρχιτέκτων l'idée verbale est la
première; elle est la seconde, dans τεκτο'ναρχος (3).
Si, pour les noms communs, le caprice a pu renverser
souvent l'ordre le plus logique des éléments d'un mot composé, il
est juste de dire que c'est pour les noms propres qu'on trouve
surtout dos exemples de ce renversement. Parmi les nombreux
composés que l'on a vus plus haut des racines άγοπ ήγ et άρχ, il
y a beaucoup do noms propres, el cela est naturel. Les Grecs
avaient une grande liberté pour le choix dos noms de personnes;
(?) Voir le T,TiiîrïijiL-o do M, Letronne Sur les noms propres grecs, dans
In tome XVIII, 4n; partie, du Recueil de l'Académie des inscriptions,
p. Ί01.
(ï) Siénanure, ~-:γ. Έ-'.^'.κ-'.κών, dans les Rkctorcs rjrœci de Walz,
t. IX, p. ί 99.
(3) Moi que PoL'iix {Qaonuiïï,, VIï, M 7) ;;ίίο:;ίο avoir lu dans
Sophocle.
SÉANCE3 DU MOIS D'aOL'T. 239
à cet égard, leur état civil diffère absolument de celui des
Romains, que les Romains ont transmis à tous les peuples civilisés
de rOccident (I). Ils usaient de cette liberté pour donnera
leurs enfants les noms les plus harmonieux, ceux qui
exprimaient agréablement des idées de piété, de courage, de
patriotisme. Mais il n'était pas nécessaire que ces idées eussent dans
un nom propre la juste place que leur aurait assigné le
langage dans un adjectif ou dans un nom de magistrature. Λ ce
point de vue, le nom propre ΆγΙ^ρατος valait (ττρατ/,γος, qui est
un nom COmm'.m; \\ογετ.ό1ζ[λος OU Άρχ^τολεμος valait τ:ολεμ:φχος,
qui est un nom commun. Quelquefois même les deux variantes
appartiennent à la classe des noms propres, comme Αά:φχος et
Αρχέλαος, Άναςι-ττο? et 'ϋτπτώνας, Άνκ^νοοος et 'Λνίρώνας. AÎRSÎ,
dans un autre ordra d'idées, los noms propres Κλέανίρος et
Άν'-ι'ρο:·:Λης, ίίεό~'.υ.ος Οι Υ'.μα.Βτεος OU Ί ΐμησ',Ξτεος^ Ίί'"-:οκράτης CÎ Κράτ-
ιτ.τ.ος, etc., ne perdaient rien à l'alternance de leurs éléments.
Δημοκράτης ci; ΚρατΠτμο: n'y perdent pas davantage; car ils
n'expriment qu'uno vague; idée de la force du peuple, comme
Δημοο-3-ένης (2). Il n'y a pas uns seulo nation de la Grèce chez
qui ces mots eussent jamais exprimé, même à titre de nom
propre, la pensée d'une tyrannie exercée par un citoyen sur
ses concitoyens.
Un grammairien, grec du moyen âgo remarque avec raison
que le langage, par ses lois principales, représente les rapports
élémentaires de la sociabilité humaine (3). On voit que dans le
détail mémo de, ses richesses l'idiome hellénique reflète les
moeurs^ les institutions et quelquefois jusqu'aux préjugés de la
(î) Voir, pour plus do détail, dans nos Mémoires 'fhistoïre ancienne et
de phiMor/io, p. 105 et suiv., le mémoire qui traite des ioniuililés de
l'élut civil chez, les Aibéuicas.
(S) Plusieurs composés du radical >:ο::τ, covv!r;i.c h; no;," propre Kcx-
τϊ,σίλο^ος [Corpus, ri0 2ίίο), sont éviiiemiricul de pure ihniiiisio et
n'ont jamais eu le sens d'une ma^islraturc ou d'un coniisuiiidemcnl
réel,
(3) Joannis (llycai Opus de vera syntaxeos raiionc,cd. Aib, Jahn
(Bcrnic, 4 849, ίίΐ-8υ).
2iO SÉANCES DU MOIS D'AOUT.
nation ingénieuse qui le parle et qui le transforme depuis tant
de siècles.
PRÉSIDENCE DE M. RENAN.