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LITTÉRATURE GRECQUE
-

B
HISTOIRE

DE LA GUERRE

DU PELOPONÈSE

DE THUCYDIDE

TRADUCTION NOUVELLE

AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES

PAR E.-A. BÉTANT


DIRECTEUR DU GYMNASE DE GENEVE

000

PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie


BOULEVARD SAINT-GERMAIN , N° 77

1863
HISTOIRE

DE LA GUERRE

DU PÉLOPONÈSE
PARIS. - IMPRIMERIE DE CH. LAHURE ET C
Rue de Fleurus, 9
HISTOIRE

DE LA GUERRE

DU PÉLOPONÈSE

DE THUCYDIDE

TRADUCTION NOUVELLE

AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES

PAR E.-A. BÉTANT


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DIRECTEUR DU GYMNASE DE GENÈVE


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PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Ci
BOULEVARD SAINT- GERMAIN , N° 77

1863

2572837
Catalog
A LA MÉMOIRE

DE J. CAPODISTRIAS

· PRÉSIDENT DE LA GRÈCE

RELIGIEUX HOMMAGE

DE SON ANCIEN SECRÉTAIRE

THUCYDIDE .
NOTICE BIOGRAPHIQUE .

Les seuls renseignements certains que nous possédions sur la per-


sonne de Thucydide se tirent de quelques passages de son livre. Les
autres données qui se rencontrent çà et là , notamment dans les deux
biographies , dont l'une est attribuée à Marcellinus et l'autre est ano-
nyme , sont d'une date trop récente pour avoir beaucoup d'autorité.
Aussi , sans entrer dans des détails d'un intérêt secondaire , nous bor-
nerons-nous à rapporter les circonstances les plus essentielles de la vie
de Thucydide , celles qui ont eu quelque influence sur sa carrière
d'historien.
Thucydide s'est nommé en plusieurs endroits de son ouvrage , comme
s'il eût craint que le titre ne se perdit. En tête du livre , il prend la
qualité de citoyen d'Athènes; une seule fois ( Liv. IV , chap . CIV) , il
ajoute à son nom celui de son père Oloros ; c'est lorsqu'il se cite lui-
même en qualité de fonctionnaire public .
Tous les témoignages de l'antiquité s'accordent à représenter Thu-
cydide comme appartenant par sa naissance à la famille de Miltiade et
de Cimon. Le nom même de son père Oloros semble avoir été em-
prunté à cet ancien roi de Thrace dont Miltiade devint le gendre dans
le temps où il gouvernait la Chersonèse pour le compte des Athéniens.
Mais à quel degré Thucydide était-il parent du vainqueur de Marathon ,
c'est ce que aucun auteur n'a eu le soin de nous apprendre .
Selon Marcellinus et le biographe anonyme , Thucydide épousa une
femme de Scapté-Hylé , nommée Hégésipyle , comme la mère de Ci-
mon. Il dut à cette alliance les fameuses mines d'or qu'il possédait
en Thrace , et dont il fait mention au Livre IV , chap. cv. Thucydide
il est vrai , ne parle que de l'exploitation et non de la propriété de ces
mines; or, comme depuis la conquête de l'tle de Thasos , les Athé-
niens s'étaient rendus maîtres des mines du mont Pangée , on peut
IV NOTICE BIOGRAPHIQUE.

aussi bien croire que Thucydide n'en était que le fermier. Au surplus
ce détail a peu d'importance ; ce qui n'est pas douteux , c'est que notre
auteur possédait une fortune considérable , qui lui assurait à la fois
l'indépendance nécessaire à l'exécution d'un immense travail et les
moyens de se livrer à la plus vaste enquête , en recueillant à grands frais
les matériaux dont il avait besoin.
Pour ce qui est de son âge , la seule chose que Thucydide nous ap-
prenne est qu'il assista à toute la durée de la guerre du Péloponèse ,
en pleine possession de toutes ses facultés (Liv. V , chap . xxvi). Selon
Marcellinus , il avait plus de cinquante ans lorsqu'il mourut ; or, comme
cette mort est certainement postérieure à la prise d'Athènes , il faudrait
admettre qu'au début des hostilités il avait peine vingt-quatre ans ,
ce qui ne s'allie guère avec l'expérience politique et la sûreté de coup
d'œil qu'il s'attribue dès les premières lignes de son histoire.
Aulu - Gelle ( XV , XXIII ) nous fournit une indication plus précise
et beaucoup plus probable. Il l'emprunte à Pamphila , dame romaine
qui vivait du temps de Néron , et qui avait recueilli un grand
nombre de documents chronologiques. « Les historiens Hellanicos ,
Hérodote et Thucydide , disait-elle , fleurirent à peu près à la même
époque ; en effet , au commencement de la guerre du Péloponèse, Hel-
lanicos pouvait avoir soixante - cinq ans, Hérodote cinquante-trois et
Thucydide quarante . » La naissance de ce dernier serait donc reportée
à l'an 471 av. J. C. , date qui s'accorde bien mieux que la précédente
avec les passages ci-dessus indiqués.
Nous savons peu de chose sur la jeunesse de Thucydide. Tout le
monde connaît la gracieuse anecdote qui nous le montre assistant avec
son père à une lecture publique faite par Hérodote , et révélant sa
future vocation par des larmes d'enthousiasme et d'envie. Ce trait de
l'enfance de Thucydide a été mis en doute. On objecte en premier
lieu qu'il ne s'appuie que sur des témoignages très - modernes , les
seuls auteurs qui le rapportent étant Marcellinus , Suidas et Photius ;
en second lieu , qu'il implique un anachronisme. S'il est vrai qu'Hé-
rodote ait lu des fragments de son histoire à Olympie ou à Athènes ,
ce fait doit être nécessairement antérieur à l'an 444, où il quitta la
Grèce pour aller s'établir à Thurii ; nous avons d'ailleurs le témoignage
formel de la chronique d'Eusèbe , qui fixe cette lecture à l'an 446 av.
J. C. Or, à cette époque , Thucydide n'était plus un enfant ; il avait au
moins vingt- cinq ans , d'après la date que Pamphila assigne à sa nais-
sance . Enfin cette anecdote serait fort peu en harmonie avec le carac-
tère historique des deux écrivains . Loin d'être un admirateur d'Héro-
dote , Thucydide ne le nomme pas même ; il critique ouvertement sa
méthode , et ne perd aucune occasion de relever ses erreurs. A la vẻ-
- ritė , cette dernière objection n'est pas sans réplique ; une admiration
juvénile excitée par une première audition pouvant très-bien se con-
cilier avec un jugement plus sévère dicté plus tard par la réflexion et
la maturité.
On a également contesté une autre assertion de Marcellinus , d'après
NOTICE BIOGRAPHIQUE . V
laquelle Thucydide aurait étudié la philosophie sous Anaxagoras et
l'éloquence sous Antiphon. En soi , le fait n'a rien d'improbable. Ces
deux hommes éminents furent les contemporains et les aînés de Thu-
cydide, et ils eurent trop d'ascendant sur la jeunesse athénienne pour
qu'un esprit aussi investigateur que le sien ait pu ignorer leurs doc-
trines ou échapper à leur action ; d'un autre côté l'opinion qui place
Thucydide à leur école peut très-bien s'être formée après coup , et
n'être qu'une simple induction tirée de la lecture de son histoire . Thu-
cydide ne cite nulle part Anaxagoras ; mais , dans ses explications des
phénomènes de la nature, il manifeste une telle indépendance de ju-
gement, un si grand éloignement des préjugés populaires , qu'on est
porté à voir en lui un disciple du philosophe spiritualiste , dont la
pensée s'éleva avec tant de hardiesse au-dessus des vieilles supersti-
tions. Pour ce qui est d'Antiphon , il n'est pas impossible qu'on l'ait
donné pour maître à Thucydide uniquement à cause du magnifique
éloge que celui- ci fait de cet orateur. Tout bien considéré , nous
sommes donc réduits aux conjectures sur la manière dont Thucydide
passa les meilleures années de sa jeunesse ; mais ce qui est hors de
contestation , c'est que ces années coïncidèrent avec l'époque la plus
brillante de l'histoire d'Athènes . Alors sous la conduite de Cimon , cette
ville établissait au dehors son empire ; puis sous l'administration
royale de Périclès , elle acquérait ce merveilleux développement inté-
rieur qui lui a valu l'admiration des siècles. Assurément , on ne saurait
imaginer un milieu plus favorable à l'éclosion d'un grand génie .
Il est naturel de se demander quel était , d'entre les partis qui divi-
saient Athènes , celui que Thucydide préférait. Sa naissance et sa for-
tune font assez naturellement supposer qu'il inclinait vers l'aristo-
cratie ; cela est d'autant plus probable qu'il avait personnellement à
se plaindre d'une démocratie sans frein. Cependant malgré les torts
de ses concitoyens envers lui , il ne laisse percer aucune amertume indi-
viduelle. S'il jette du blâme sur les partis , c'est seulement par crainte
des dangers qu'ils font courir à la République. Pour lui , toujours dé-
voué à la patrie , il ne cesse pas de l'aimer et de la défendre , quelle
que soit la forme de son gouvernement. Ce n'est pas à dire qu'il soit
indifférent à toute espèce de pacte politique ; dans un passage signi-
ficatif (Liv. VIII , chap. xcvII) , il énonce clairement son opinion à cet
égard . Athènes venait d'échapper à une crise réactionnaire , et s'était
donné un régime sagement pondéré. Thucydide ne dissimule pas sa
sympathie pour cette constitution équilibrée , qui tenait la balance
égale entre les divers éléments de l'Etat : « C'était , dit-il , un heu-
reux mélange d'aristocratie et de démocratie ; jamais de mon vivant
les Athéniens ne furent mieux gouvernés. »
Du reste ce n'est pas dans Thucydide qu'il faut chercher l'exposition
complète d'un système politique . Il évite avec soin tout ce qui res-
semble au dogmatisme , aux formules générales et sentencieuses , à ce
que nous appellerions des professions de foi ; il veut que du simple
énoncé des faits naisse la déduction des théories ; en un mot , il
VI NOTICE BIOGRAPHIQUE .

aspire à instruire sans avoir l'air d'enseigner. Il n'est guère plus ex-
plicite sur les circonstances de sa vie active. S'il parle de lui, c'est lors-
qu'il ne peut s'en dispenser ou qu'il y voit un moyen d'inspirer plus
de confiance à ses lecteurs. Ainsi (Liv. II , chap . XLVIII) , à l'occasion
de la peste qui sévit à Athènes dans la deuxième année de la guerre ,
il nous apprend qu'il fut atteint lui-même , qu'il yit souffrir d'autres
personnes , et put ainsi étudier de près la marche du fléau.
Dans la huitième année de la guerre (424 av. J. C.) , Thucydide fut
nommé l'un des dix genéraux d'Athènes et envoyé sur le littoral de la
Thrace avec une escadre de sept vaisseaux. Il se trouvait dans le port
de Thasos , lorsque Amphipolis , colonie athénienne , fut attaquée à
l'improviste par le Spartiate Brasidas. Thucydide , mandé par son col-
lègue Euclès , accourut avec toute la célérité possible ; mais il ne put
prévenir la reddition de la place et se contenta de conserver aux Athé-
niens la ville maritime d'Eion (Liv. IV , chap. CIV-CVII).
Ce contre-temps eut pour lui les suites les plus graves. Irrités de la
perte d'Amphipolis, les Athéniens condamnèrent Thucydide comme
coupable de trahison. D'après la loi , ce crime était puni de mort ; toute-
fois, Thucydide ne parle que d'un exil de vingt années (Liv. V, ch. xxvi)
et, suivant Pausanias , la sentence qui le frappait fut révoquée après
cet intervalle sur la proposition de l'orateur Enobios (Pausan. , I , XXIII) .
Ici se rencontre une difficulté historique. Suivant les propres indi-
cations de Thucydide , la fin de son exil fut postérieure à la prise
d'Athènes par Lysandre ( Liv. V , chap . xxvi ) ; or on sait qu'un
des premiers actes du vainqueur à cette époque fut le rappel des exilés
(Xénophon , Helléniques , II , II , 23) . Comment donc se fait-il que
Thucydide n'ait pas été compris dans cette mesure générale , et que
les portes de sa patrie ne lui aient été rouvertes que par un décret
particulier? Pour résoudre ce problème , il faudrait supposer que Thu-
cydide accusé de trahison , fut condamné à mort conformément à la
loi athénienne ; mais que , prévoyant ce dénoûment, il se garda de
revenir à Athènes après son échec d'Amphipolis et convertit lui -même
la sentence capitale en bannissement perpétuel. Dès lors il n'était pas
dans la catégorie des simples exilés , et se trouvait par conséquent
exclu de la proclamation de Lysandre.
Quelle que soit , à cet égard , l'opinion qu'on préfère , il est con-
stant que Thucydide passa vingt années loin de son pays natal. Ce-
pendant , pour lui comme pour tant d'autres illustres victimes des vi-
cissitudes politiques, l'exil servit la cause de la postérité , en faisant
tourner à l'éternel honneur de l'intelligence humaine les admirables
facultés qu'il eût peut-être dépensées dans les luttes du moment.
Lors même que ses biographes ne l'affirmeraient pas d'une manière
positive , on présumerait sans peine que Thucydide passa la majeure
partie de son exil dans son domaine de Scapté-Hylé , où il trouvait
le calme indispensable à l'exécution du grand ouvrage qu'il avait conçu .
Peut-être cet éloignement prolongé du centre des événements con-
tribua-t-il à augmenter en lui cette sérénité impartiale avec laquelle il
NOTICE BIOGRAPHIQUE . VII
les a jugés. Dans cette retraite opulente , il recueillait les documents
alors si difficiles à se procurer ; il interrogeait les témoins oculaires ,
et se livrait à ce travail opiniâtre de rédaction dont , plus qu'aucun
autre , son livre porte les traces. Longtemps après la mort de Thucy-
dide, la tradition populaire montrait , dans les environs de Scapté-Hylé,
un platane vénérable , à l'ombre duquel il aimait à composer.
Thucydide nous apprend qu'il consacra une partie de ses loisirs à
visiter les principaux endroits du théâtre de la guerre , et que son ca-
ractère de proscrit lui ouvrit les pays de l'alliance péloponésienne . Au
défaut de son témoignage , nous en aurions une preuve suffisante dans
l'exactitude minutieuse de ses descriptions de lieux. Qui pourrait s'i-
maginer , par exemple , que la topographie de la Sicile , surtout des
environs de Syracuse , ne soit pas de première main ? Cette obser-
vation n'est pas nouvelle ; déjà l'historien Timée s'en autorisait pour
soutenir que Thucydide avait habité l'Italie , et même qu'il y avait fini
ses jours.
Il régnait chez les anciens une grande obscurité sur le lieu et sur l'é-
poque de la mort de Thucydide. On croyait généralement qu'il avait
été victime d'un assassinat ; mais les uns , comme Marcellinus pla-
çaient cet événement à Athènes ; d'autres , comme Plutarque , à
Scapté-Hylé en Thrace ; enfin selon Pausanias , il aurait péri pendant
son retour de l'exil . En présence de ces versions contradictoires , si l'on
ne veut se jeter dans les hypothèses , il faut renoncer à démêler la vé-
rité. La seule chose avérée , c'est que Thucydide fut enterré dans le
sépulcre de la famille de Cimon , qui était la sienne. Plutarque et
Pausanias affirment que son tombeau se voyait encore de leur temps ,
sur le chemin d'Athènes au Pirée , avec l'inscription : Ci-git Thucy-
dide, fils d'Oloros , du déme d'Halimuse.
Cette mort inopinée explique fort naturellement l'état d'imperfec-
tion relative où le dernier livre de son histoire nous est parvenu . Il
s'arrête brusquement à la vingt et unième année de la guerre , quoi-
que l'auteur eût annoncé (Liv. V , chap. xxvi) qu'il conduirait son
récit jusqu'au moment où les Lacédémoniens renversèrent la domi-
nation d'Athènes en s'emparant du Pirée et des longs murs. Appa-
remment Thucydide avait l'intention d'ajouter un neuvième livre à
ceux qui nous restent , et de compléter ainsi le nombre consacré par
les Muses d'Hérodote. Il en avait sans doute rassemblé les matériaux ;
aussi a-t-il pu parler de son histoire comme d'un tout entièrement
achevé , bien que la perfection même qu'il désirait donner à son ou-
vrage ne lui ait pas laissé le temps d'y mettre la dernière main.
Il n'entre pas dans le cadre étroit que je me suis tracé d'appré-
cier littérairement l'histoire de Thucydide , d'analyser la méthode
qu'il a suivie et de montrer avec quelles dispositions d'esprit il de-
mande à être lu. Plusieurs écrivains français ont fait cette étude d'une
manière peu près complète ; qu'il me suffise d'en indiquer les prin-
cipaux.
M. Daunou, a consacré à Thucydide le dixième volume de son cours
VIII NOTICE BIOGRAPHIQUE .
d'études historiques , ainsi qu'un article inséré dans la biographie de
Michaud. MM. Didot, Zévort et Rilliet ont placé d'intéressantes notices
en tête de leurs traductions. M. Pierron a traité sommairement le
même sujet dans son histoire de la littérature grecque. Enfin M. Girard
a publié sur Thucydide un essai remarquable récemment couronné
par l'Institut.
HISTOIRE

DE LA GUERRE

DU PÉLOPONÈSE ..

LIVRE I.

Introduction. L'auteur passe en revue les temps primitifs de la Grèce,


afin de prouver que la guerre du Péloponèse a surpassé en impor-
tance toutes les guerres qui avaient précédé , chap. I-XIX . But qu'il
s'est proposé dans la rédaction de son ouvrage ; méthode et moyens
qu'il a employés pour y parvenir , chap. xx-xxIII. - Épidamne et
Potidée. Evénements qui provoquèrent la guerre du Péloponèse.
Affaire d'Epidamne ; guerre entre Corcyre et Corinthe ; premier
combat naval , chap. XXIV-XXXI . Les Corcyréens obtiennent l'alliance
d'Athènes. Discours des Corcyréens et des Corinthiens , chap . XXXII-
XLIII. Second combat naval entre les Corcyréens et les Corinthiens;
fin de la guerre de Corcyre , chap . XLIV-LV . Défection de Potidée ;
combat livré sous les murs de cette ville et siége commencé par
les Athéniens , chap. LVI-LXVI. Les Lacédémoniens , dans leur as-
semblée ordinaire , déclarent que le traité avec Athènes est rompu.
Discours des Corinthiens , des Athéniens , d'Archidamos et de Sthé-
nélaïdas , chap . LXVII -LXXXVII. - Les cinquante ans. Digression sur
la période écoulée entre les guerres médiques et celle du Pélo-
ponèse. Progrès de la puissance des Athéniens ; origine et condi-
tions de leur empire , chap. LXXXVIII-CXVIII . Préparatifs de guerre.
Les Lacédémoniens convoquent une assemblée générale de leurs
alliés , et conviennent avec eux de déclarer la guerre aux Athé-
niens. Discours des Corinthiens , chap . cxIx-cxxv. Plaintes et rẻ-
criminations réciproques des Lacédémoniens et des Athéniens . Con-
juration de Cylon ; sacrilége à expier , chap. CXXVI -CXXVII . Trahi-
son et mort de Pausanias, chap. cxxvIII-CXXXIV. Exil et fin de Thé-
mistocle , chap. CXXXV-CXXXVIII . Ultimatum des Lacédémoniens ,
chap. cxxxix. Les Athéniens se décident à la guerre. Discours de
Périclès , chap. CXL- CXLVI.

I. Thucydide , citoyen d'Athènes , a écrit l'histoire de la


guerre que se sont faite les Péloponésiens et les Athéniens.
THUCYDIDE. 1

724
2 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
Il s'est mis à l'œuvre dès le début de cette guerre , en présu-
mant qu'elle surpasserait en grandeur et en importance toutes
celles qui ont précédé. Ce qui le lui faisait croire , c'èst que
ces deux nations étaient alors au faîte de leur puissance , et
qu'il voyait le reste des Grecs ou prendre parti , dès l'origine
pour l'une ou pour l'autre, ou en former le projet . C'est en
effet le plus vaste conflit qui ait jamais ébranlé la Grèce , une
partie des pays barbares et , pour ainsi dire , le monde entier.
La distance des temps ne permet pas de discerner bien clai-
rement les événements antérieurs ou d'une époque plus re-
culée ; néanmoins, d'après les indices que mes investigations
m'ont mis à même de recueillir en remontant jusqu'à la plus
haute antiquité, j'ai lieu de croire que ces événements furent
peu considérables sous le rapport militaire , comme à tout autre
égard.
II. Le pays qui porte aujourd'hui le nom de Grèce, ne fut pas
primitivement habité d'une manière stable, mais il fut le théâ-
tre de fréquentes migrations . On abandonnait sans peine ses de-
meures, pour faire place à de nouveaux flots d'arrivants . Comme
il n'y avait aucun commerce, aucune communication assurée ni
par terre ni par mer ; que chacun exploitait le sol uniquement
dans la mesure de ses besoins , sans penser à s'enrichir, sans
même faire de plantations (car avec des villes ouvertes , on ne
savait jamais si les récoltes ne seraient pas enlevées par des
ravisseurs étrangers) ; enfin , comme on espérait trouver partout
la subsistance journalière , on émigrait sans difficulté. Aussi
la Grèce n'avait-elle ni grandes villes , ni aucun des éléments
essentiels de la puissance. La meilleure terre était celle qui
changeait le plus souvent de maîtres : par exemple la Thessalie '
et la Béotie actuelles , la majeure partie du Péloponèse , à la "
réserve de l'Arcadie , et en général les cantons les plus fertiles .
C'est que la richesse du sol, en accroissant les forces de quel-
ques individus, donnait naissance à des dissensions qui ruinaient
le pays , plus exposé d'ailleurs à la convoitise des étrangers .
Voilà pourquoi l'Attique , préservée des factions par son inferti-
lité , a toujours eu les mêmes habitants depuis l'antiquité la plus
reculée. Et ce qui prouve combien j'ai raison de dire que les
migrations continuelles empêchèrent les autres contrées de
prendre un semblable développement , c'est que, dans tout le
reste de la Grèce , les plus puissants de ceux que chassaient les
guerres ou les séditions se retirèrent à Athènes, comme en un
asile assuré . Devenus citoyens , ils augmentèrent, à d'anciennes
LIVRE I. 3

époques, la population de cette ville, au point que dans la suite


elle fut en état d'envoyer des colonies en Ionie, l'Attique ne
pouvant plus suffire à ses habitants .
III. Ce qui achève de me démontrer la faiblesse de l'ancienne
Grèce , c'est qu'avant la guerre de Troie on ne voit pas qu'elle
ait
it rien entrepris en commun. Je crois même qu'elle ne portait
pas encore tout entière le nom d'Hellas ' , mais qu'avant Hellen ,
fils de Deucalion, ce nom était complétement inconnu . Chaque
peuplade , et la plus étendue était celle des Pelasges , donnait
son propre nom au sol qu'elle occupait. Mais lorsque Hellen et
ses fils furent devenus puissants en Phthiotide² et que diverses
villes commencèrent à les appeler à leur aide , alors , par l'effet
de ces relations journalières , le nom d'Hellènes se propagea de
plus en plus, bien que de longtemps il ne pût prévaloir. La
preuve en est dans Homère : quoique ce poëte soit bien posté-
rieur à la guerre de Troie , nulle part il ne donne aux Grecs
un nom collectif; il n'appelle Hellenes que les soldats d'Achille ,
venus de Phthiotide, et les seuls à qui cette qualification ap-
partînt primitivement ; mais il spécifie dans ses vers les Da-
naens , les Argiens et les Achéens. Il n'emploie pas non plus le
nom de Barbares, sans doute parce que les Grecs ne se distin-
guaient pas encore par une dénomination commune , en oppo-
sition aux autres peuples. Quoi qu'il en soit, ces Hellènes , dont
le nom , borné d'abord à quelques peuplades parlant le même
langage, s'étendit plus tard à toute la nation , ne firent, grâce à
leur isolement et à leur faiblesse , aucune entreprise commune
avant la guerre de Troie ; encore ne se réunirent-ils pour
cette expédition que lorsqu'ils furent plus familiarisés avec
la mer.
IV. D'après la tradition , Minos est le plus ancien roi qui se soit
créé une marine . Il étendit son empire sur la plus grande
partie de la mer présentement appelée Grecque. Il domina sur
les Cyclades , colonisa le premier la plupart de ces îles , dont il
chassa les Cariens, et où il établit pour chefs ses propres fils ;
enfin il purgea cette mer, autant qu'il le put, de la piraterie ,
afin de s'assurer le recouvrement des tributs.
V. Jadis les Grecs et ceux des Barbares qui habitaient les
îles ou les côtes du continent, ne surent pas plus tôt communi-
quer entre eux à l'aide de vaisseaux, que, guidés par des
hommes puissants , ils se mirent à exercer la piraterie , autant
pour leur gain particulier, que pour procurer de la nourriture
aux faibles . Fondant à l'improviste sur des villes ouvertes ,
4 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

composées de bourgades séparées, ils les pillaient et tiraient


de là leur principale subsistance. Cette industrie , loin d'être
ignominieuse, procurait plutôt de l'honneur ; témoin certains
peuples continentaux qui , encore aujourd'hui , se font gloire d'y
exceller ; témoin encore les anciens poëtes qui ne manquent ja-
mais de faire demander à ceux qui abordent , s'ils sont des pi-
rates ' , montrant ainsi que les hommes auxquels cette question
est adressée ne désavouent pas un tel métier, et qu'elle n'est
point injurieuse de la part de ceux qui ont leurs raisons pour
la faire.
Même sur terre on se pillait réciproquement. De nos jours
encore, plusieurs peuples de la Grèce continentale , tels que
les Locriens-Ozoles , les Etoliens , les Acarnaniens et presque
tous leurs voisins , conservent ces anciennes mœurs . L'habitude
qu'ils ont d'aller toujours armés est un reste de l'antique bri-
gandage.
VI. Toute la Grèce portait le fer, parce que les habitations
étaient sans défense et les communications peu sûres ; jusque
dans la vie privée on imitait les Barbares , qui ne quittent jamais
leurs armes . Les contrées de la Grèce où cette coutume s'est
maintenue jusqu'à ce jour, prouvent qu'autrefois elle était gé-
nérale.
Les Athéniens furent les premiers à déposer le fer, pour
adopter des mœurs plus douces et plus polies . Il n'y a pas
longtemps que , chez eux, les vieillards de la classe aisée ont
renoncé au luxe des tuniques de lin et des cigales d'or dont ils
relevaient le noeud de leur chevelure ' ; usage qui s'est trans-
mis aux vieillards ioniens , à cause de l'affinité des deux peu-
ples. Les premiers qui prirent un costume simple et tel à peu
près qu'on le porte aujourd'hui, furent les Lacédémoniens ; à
cet égard , comme dans toute leur manière de vivre , les plus
riches d'entre eux ne se distinguèrent pas de la multitude . Ils
furent aussi les premiers à se dépouiller de leurs vêtements
dans les exercices publics , pour se montrer nus et frottés
d'huile. Autrefois , dans les jeux Olympiques , les athlètes lut-
taient les reins entourés d'une ceinture, et il y a peu d'années
que cette habitude a cessé ; actuellement encore , chez certains
peuples barbares , surtout en Asie , on propose des prix de lutte
et de pugilat, et les combattants portent des ceintures . Ce n'est
pas le seul exemple par lequel on pourrait prouver que la Grèce
ancienne avait des mœurs assez conformes à celles des Barbares
de nos jours.
LIVRE I. 5

VII. Les villes fondées plus récemment , à une époque où la


navigation était plus sûre et la richesse plus générale , furent
construites au bord de la mer et environnées de remparts ; elles
occupèrent les isthmes , pour mieux assurer leur commerce et
être plus fortes contre leurs voisins . Au contraire , comme la
piraterie se maintint pendant de longues années , les villes an-
ciennes, soit dans les îles , soit sur le continent, s'étaient bâties
à distance de la mer : car les pirates se pillaient entre eux et
désolaient les peuples qui , sans être marins , habitaient les
côtes ; c'est pour cela que nous voyons bon nombre de villes
situées loin de la mer.
VIII. La piraterie n'était pas moins en honneur chez les insu-
laires , Cariens et Phéniciens , race d'hommes qui colonisa jadis
la plupart des îles , comme l'atteste le fait suivant : lorsque ,
dans la guerre actuelle, Délos fut purifiée par les Athéniens ' , et
que toutes les tombes qui s'y trouvaient furent enlevées , on
constata que plus de la moitié appartenaient à des Cariens , à
en juger par la forme des armes qu'elles renfermaient, et par
la manière dont , encore aujourd'hui , ce peuple enterre les
morts 2.
Quand la marine de Minos fut organisée , la navigation devint
plus libre ; il expulsa des îles les pirates qui les infestaient, et
établit des colonies dans la plupart d'entre elles. Dès lors les
habitants des côtes commencèrent à s'enrichir et à posséder des
habitations moins précaires ; quelques-uns même , dont l'aisance
s'était accrue, environnèrent leurs villes de remparts . L'intérêt
engagea les faibles à accepter la domination des forts , et les
plus puissants s'aidèrent de leurs richesses pour assujettir les
petites cités . Tel était l'état de la Grèce , lorsque plus tard elle
fit l'expédition de Troie.
IX. Si Agamemnon parvint à rassembler une flotte , ce fut
bien plutôt , à mon avis, grâce à la supériorité de ses forces
qu'en vertu des serments prêtés à Tyndare par les prétendants
d'Hélène ' . Ceux qui ont recueilli sur le Péloponèse les tradi-
tions les plus vraisemblables assurent que ce fut au moyen des
trésors apportés d'Asie chez des populations indigentes , que
Pélops établit son autorité parmi elles et , quoique étranger ,
donna son nom au pays². Ses fils virent encore s'accroître leur
puissance. Avant de partir pour l'Attique , où il fut tué par les
Héraclides , Eurysthée avait confié le gouvernement de Mycè-
nes et tout son royaume à son oncle maternel Atrée , exilé par
son père à cause du meurtre de Chrysippos ¹ . Comme Eurysthée
6 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

ne revint pas , Atrée accepté par les Mycéniens , qui redou-


taient les Héraclides , fort d'ailleurs de son crédit et de la fa-
veur populaire qu'il avait su gagner , prit en mains la souve-
raineté de Mycènes et de tous les peuples qu'Eurysthée avait
eus pour sujets. Dès lors les Pélopides effacèrent les descendants
de Persée.
Héritier de cet empire et possesseur d'une marine plus consi-
dérable que celle des autres princes , Agamemnon dut à la
crainte, plutôt qu'à la complaisance, de pouvoir rassembler
l'expédition. C'est lui qui arma le plus grand nombre de navi-
res ; il en fournit même aux Arcadiens , s'il faut s'en rapporter
au témoignage d'Homère (a) . Dans la transmission du sceptre , ce
poëte dit encore de lui (b) :
Il régnait sur des îles nombreuses et sur tout le pays d'Argos.
Habitant le continent , s'il n'avait pas eu de marine , les
seules îles sur lesquelles il aurait pu régner eussent été celles
de son voisinage , naturellement peu nombreuses . Cette expé-
dition de Troie suffit pour donner une idée des temps anté-
rieurs.
X. De ce que Mycènes ou telle autre des villes d'alors paraît
peu considérable aujourd'hui , il ne s'ensuit pas qu'on doive ré-
voquer en doute l'importance attachée à la guerre de Troie par
les poëtes et par la tradition. Supposé que Lacédémone devînt
déserte et qu'il n'en restât d'autres vestiges que les temples et
les fondements des édifices publics, la postérité , je pense, au-
rait bien de la peine à se persuader que la puissance de cette
ville ait été à la hauteur de sa réputation. Et pourtant Lacédé-
mone possède les deux cinquièmes du Péloponèse¹ ; elle com-
mande au reste, ainsi qu'à un grand nombre d'alliés au dehors ;
mais, comme elle ne forme pas un ensemble, qu'elle ne brille
pas par l'éclat de ses temples ou de ses monuments , qu'elle est
composée d'un amas de villages à la manière des anciennes
cités grecques , elle paraîtrait bien inférieure à sa renommée.
Si au contraire le même sort atteignait la ville d'Athènes , le
seul aspect de ses ruines ferait présumer que sa puissance était
double de ce qu'elle est effectivement. Le doute serait donc
mal fondé. On doit envisager, non pas tant l'apparence des
villes que leurs forces réelles , et penser que l'expédition de
Troie, bien qu'au- dessous des entreprises qui ont eu lieu par la

(a) Iliade, II, 576 et 612. (b) Ibid., II, 108.


LIVRE I. 7

suite, fut néanmoins plus considérable que toutes celles qui


avaient précédé.
S'il faut encore s'en référer sur ce point aux vers d'Homère,
qui, en sa qualité de poëte , a dû nécessairement amplifier et
embellir , l'infériorité dont je parle n'en demeure pas moins dé-
montrée. Il compte douze cents vaisseaux , montés , ceux des
Béotiens par cent vingt hommes , ceux de Philoctète par cin-
quante ce qui est apparemment une manière d'indiquer les
plus grands et les plus petits ; car ce sont les seuls dont il men-
tionne la force dans le Catalogue des navires . Tous les hom-
mes d'équipage étaient à la fois soldats et matelots ; c'est du
moins ce qu'il donne à entendre en parlant des vaisseaux de
Philoctete , dont il représente les rameurs comme autant d'ar-
chers ; d'ailleurs il n'est pas vraisemblable qu'à part les rois et
les principaux personnages, il y eût à bord beaucoup de gens.
inoccupés , surtout quand on se disposait à traverser la grande
mer, avec un attirail de guerre , sur des bâtiments non pontés
et construits d'après l'ancien système , comme des barques are
mées en course. Si donc on prend une moyenne entre les plus
grands vaisseaux et les plus petits, on reconnaît que le nombre
des troupes réunies n'était pas fort considérable, pour une en-
treprise formée par le concours de la Grèce entière *.
XI . C'était moins le manque d'hommes que le manque d'ar-
gent qui en était la cause . Faute d'approvisionnements , on n'a-
mena qu'une armée médiocre , proportionnée aux ressources que
l'on espérait trouver sur le territoire ennemi . Arrivés devant
Troie et vainqueurs dans un premier combat ' (autrement ils
n'auraient pu s'établir dans un camp retranché) , les Grecs n'u-
sèrent pas même alors de la totalité de leurs forces ; mais la
nécessité de se procurer des vivres les contraignit de cultiver la
Chersonèse et de courir le pays . Leur dispersion permit aux
Troyens de tenir tête à ceux qui se succédaient autour de leurs
murs et d'endurer un siége de dix années. Si au contraire les
Grecs fussent partis bien approvisionnés , et que , sans recourir
au brigandage et à l'agriculture , ils eussent poussé la guerre
avec vigueur, nul doute qu'ils n'eussent emporté la ville , puis-
que, tout disséminés qu'ils étaient et n'ayant devant Troie qu'une
partie de leur monde , ils ne laissèrent pas de se maintenir. En
l'assiégeant avec plus de suite , ils l'auraient prise en moins de
temps et avec moins de difficulté.
C'est ainsi que, faute d'argent, les entreprises antérieures à
cette expédition n'eurent qu'une faible importance, et que, à
8 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

juger par les faits , la guerre de Troie elle-même , quoique plus


célèbre comparativement , ne répond pas à sa renommée et à
l'opinion que les poëtes nous en ont transmise.
XII . Même après la guerre de Troie, la Grèce vit encore des
déplacements et des migrations qui , en lui ôtant le repos, firent
obstacle à son accroissement. Le retour des Grecs après leur
longue absence occasionna dans beaucoup de villes des troubles
et des séditions . Ceux qui en furent victimes allèrent s'éta-
blir ailleurs. Ainsi les Béotiens d'aujourd'hui , chassés d'Arné
par les Thessaliens soixante ans après la prise de Troie¹ , se
fixèrent dans le pays appelé maintenant Béotie et jadis
Cadméïde : il y avait déjà dans ce pays une fraction du même
peuple, qui envoya des guerriers au siége d'Ilion . Quatre-
vingts ans après la prise de Troie , les Doriens s'emparèrent du
Péloponèse sous la conduite des Héraclides ³ . Enfin, lorsqu'après
un long intervalle la Grèce , délivrée des migrations , jouit d'un
• repos assuré , elle forma des établissements au dehors ; les
Athéniens colonisèrent l'Ionie et la plupart des îles , et les Pélo-
ponésiens , la majeure partie de l'Italie et de la Sicile, sans
compter quelques établissements dans le reste de la Grèce .
Toutes ces colonies sont postérieures à la guerre de Troie.
XIII. Cependant la puissance et la richesse de la Grèce gran-
dissaient de jour en jour. A la faveur de cette prospérité crois-
sante , on vit dans la plupart des villes s'élever des tyrannies ' à
la place des anciennes royautés héréditaires , dont les priviléges
étaient déterminés . En même temps les Grecs formaient leur
marine et s'adonnaient de plus en plus à la navigation . Les Co-
rinthiens furent , dit-on , les premiers qui , pour les constructions
navales, adoptèrent un système analogue à celui d'aujourd'hui .
C'est à Corinthe que furent construites les premières trirèmes
grecques . On sait aussi que le constructeur corinthien Amino-
clès fit pour les Samiens quatre vaisseaux de guerre ; or l'ar-
rivée d'Aminoclès à Samos eut lieu précisément trois cents ans
avant la fin de la guerre actuelle (a) . Le plus ancien combat naval
dont nous ayons conservé le souvenir est celui que les Corin-
4
thiens livrèrent aux Corcyréens deux cent soixante ans avant
la même époque (b) .
Corinthe, par sa position sur l'isthme, fut de bonne heure
une place de commerce. Comme autrefois les Grecs communi-
quaient entre eux plutôt par terre que par mer , o'était cette

(a) L'an 704 av. J. C. - (b) 664 av. J. C.


LIVRE I. 9

ville qui mettait en rapport les habitants de l'intérieur du


Péloponèse et ceux du dehors ; aussi devint-elle très-florissante ,
ainsi que l'atteste le surnom d'opulente, que les anciens poëtes
lui ont donné . Quand la navigation se fut étendue , les Corin-
thiens employèrent leurs vaisseaux à détruire la piraterie ; et ,
ouvrant un double marché au négoce , ils eurent une ville puis-
sante par ses revenus.
La marine des Ioniens se forma plus tard , sous le règne de
Cyrus , premier roi des Perses , et sous celui de son fils Cam-
byse. Durant la guerre qu'ils soutinrent contre Cyrus , ils eurent
un moment l'empire de la mer qui les avoisine ; et du temps
de Cambyse , Polycrate , tyran de Samos , fut assez fort sur mer
pour soumettre plusieurs îles,, notamment Rhénéa , qu'il prit
et consacra au dieu de Délos ; enfin les Phocéens , à l'époque
où ils fondaient Marseille , remportèrent sur les Carthaginois
une victoire navale ".
XIV. Telles furent les marines les plus puissantes de la Grèce ;
or toutes , comme on le voit , sont postérieures de plusieurs gé-
nérations à la guerre de Troie . Elles n'avaient qu'un petit nom-
bre de trirèmes et se composaient, comme dans l'ancien temps ,
de pentécontores et de vaisseaux longs ' . Peu avant les guerres
Médiques et la mort du roi des Perses Darius , successeur de
Cambyse, les tyrans de Sicile eurent beaucoup de trirèmes , de
même que les Corcyréens 2. Ce sont les dernières marines con-
sidérables que la Grèce ait possédées , avant l'invasion de
Xerxès ; celles des Éginètes , des Athéniens et de quelques au-
tres peuples étaient sans importance et presque uniquement
composées de pentécontores. Ce fut assez tard que , sur le con-
seil de Thémistocle , les Athéniens , alors en guerre avec les
Eginètes et dans l'attente de l'invasion barbare , firent con-
struire les vaisseaux sur lesquels ils combattirent ; et encore
ces vaisseaux n'étaient-ils,pas tous pontés.
XV. Telle était la marine des Grecs dans l'antiquité et à des
époques plus rapprochées de nous . Néanmoins les villes qui
avaient des flottes se rendirent doublement puissantes , et par
les revenus qu'elles en tiraient , et par leur supériorité sur les
autres cités ; au moyen de leurs vaisseaux , elles subjuguaient
les îles, surtout quand leur propre territoire ne suffisait pas à
leurs besoins. Sur terre il ne s'alluma aucune guerre d'où pût
résulter quelque agrandissement . Parfois des voisins en vinrent
aux mains les uns avec les autres ; mais les Grecs ne formèrent
aucune expédition lointaine dans un esprit de conquête . On ne
10 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

voyait point les petits Etats se grouper sous la sujétion des


plus grands ni se réunir pour former des entreprises communes;
il n'y avait que des luttes partielles et de voisinage . Une seule
fois la Grèce se partagea en deux camps opposés : ce fut
dans la guerre que se firent jadis les Chalcidéens et les Éré-
triens¹ .
XVI. Quelques États rencontrèrent des obstacles à leur déve-
loppement. Les Ioniens, par exemple, étaient parvenus à un
degré éminent de prospérité , lorsque Cyrus , à la tête des
Perses, après avoir renversé Crésus et soumis toute la contrée
comprise entre le fleuve Halys et la mer , attaqua et réduisit
en esclavage les villes du continent ' . Ensuite Darius, à la
faveur de la marine phénicienne , subjugua pareillement les
îles.
XVII. Les tyrans établis dans les cités grecques , uniquement
occupés de leurs intérêts , de leur sûreté personnelle et de l'a-
grandissement de leur maison , se contentaient de vivre en sé-
curité dans l'enceinte de leurs villes . A part quelques entreprises
contre leurs voisins , aucun d'eux ne fit rien de remarquable ;
j'excepte les tyrans de Sicile , qui élevèrent très-haut leur puis-
sance ¹ . Ainsi , pendant une longue suite d'années , tout concourut
à mettre la Grèce dans l'impossibilité de réunir ses forces pour
quelque grande opération ; l'isolement empêchait l'esprit de
conquête .
XVIII . Mais enfin les tyrans d'Athènes et ceux qui avaient si
longtemps opprimé presque toute la Grèce furent tous ren-
versés par les Lacédémoniens, à l'exception des tyrans de la
Sicile . Quant à Lacédémone, depuis sa fondation par les Do-
riens qui l'habitent , elle fut travaillée de dissensions plus
qu'aucune autre ville à nous connue ; ce qui ne l'empêcha pas
de se donner de bonnes lois et de se préserver de la tyrannie ,
et cela dès les temps les plus anciens : car plus de quatre cents
ans se sont écoulés jusqu'à la fin de la guerre actuelle, depuis
que cette ville est régie par la même constitution 3. C'est là le
secret de son ascendant et de sa force.
Il s'était passé peu d'années depuis l'extinction de la tyran-
nie en Grèce, quand se livra la bataille de Marathon entre les
Mèdes et les Athéniens . Dix ans après , le Barbare s'avança de
nouveau avec sa grande armée pour asservir la Grèce. De-
vant l'imminence du danger, les Lacédémoniens , alors les plus
puissants des Grecs , se mirent à la tête des peuples qui s'ar-
mèrent pour la défense commune ; tandis que les Athéniens, à
LIVRE I. 11

l'approche des Mèdes, prirent le parti d'abandonner leur ville,


emportèrent leurs effets , et , montant sur leurs navires , devin-
rent hommes de mer.
Lorsque le Barbare eut été repoussé par les forces combinées
de la Grèce, ceux des Grecs qui avaient secoué le joug des
Perses ou pris part à la lutte ne tardèrent pas à se diviser entre
Athènes et Lacédémone, les deux États qui avaient déployé le
plus de forces, l'un sur terre, l'autre sur mer. Pendant quelque
temps ces deux puissances marchèrent d'accord ; mais ensuite .
elles sẻ brouillèrent ; et, soutenues par leurs alliés respectifs ,
elles en vinrent à des hostilités déclarées. Dès lors le reste des
Grecs, au moindre différend qui éclatait entre eux, venaient
se ranger dans l'un ou l'autre parti . De cette façon, tout l'in-
tervalle compris entre les guerres médiques et la guerre ac-
tuelle , les Lacédémoniens et les Athéniens le passèrent dans
une continuelle alternative de trêves et de combats , soit entre
eux, soit avec les alliés qui les abandonnaient. Aussi acquirent-
ils une parfaite expérience des armes en se formant à l'école des
dangers.
XIX. Les Lacédémoniens n'exigeaient de leurs alliés aucun
tribut ; ils se contentaient de veiller à ce qu'ils eussent toujours
un gouvernement oligarchique en harmonie avec le leur. Les
Athéniens, avec le temps , prirent les vaisseaux des villes
alliées , excepté ceux de Chios et de Lesbos, et ils imposèrent
à toutes une contribution d'argent .. C'est là ce qui leur a
permis de déployer à eux seuls , dans la présenté guerre , des
forces plus imposantes qu'à l'époque de leur plus grande
prospérité , alors que leur alliance n'avait encore souffert au-
cune atteinte.
XX. Voilà ce que j'ai découvert sur l'antiquité . Au surplus, il
est dangereux d'accueillir sans examen toute espèce de témoi-
gnage ; car les hommes se transmettent de main en main, sans
jamais les vérifier, les traditions des anciens , même celles qui
concernent leur patrie. C'est ainsi que les Athéniens sont per-
suadés qu'Hipparque exerçait la tyrannie lorsqu'il fut tué par
Harmodios et Aristogiton ' ; ils ignorent que c'était Hippias qui
avait succédé à Pisistrate son père 1., comme plus âgé que ses
frères Hipparque et Thessalos ; qu'au jour et à l'instant marqués
pour l'exécution de leur complot , Harmodios et Aristogiton ,
s'imaginant qu'Hippias avait été averti par un de leurs affidés
et se tenait sur ses gardes, renoncèrent à le frapper, mais voulu-
rent au moins faire quelque coup d'éclat avant d'être saisis ; et
12 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

qu'ayant rencontré Hipparque à l'endroit appelé Léocorion 2, au


moment où il organisait la procession des Panathénées , ils lui
donnèrent la mort.
Sans remonter à des temps effacés de la mémoire , on peut
citer plusieurs faits rapprochés , sur lesquels la Grèce entière.
s'est formé les idées les plus fausses ; par exemple que les rois
de Lacédémone donnent chacun deux suffrages au lieu d'un et
que les Lacédémoniens ont un bataillon nommé Pitanatès , le-
quel n'a jamais existé³ : tant la plupart des hommes se mon-
trent insouciants dans la recherche de la vérité et disposés à
recevoir les opinions toutes faites.
XXI. Néanmoins , d'après les preuves que je viens d'exposer ,
on ne risque pas de s'égarer en admettant mes assertions ,
plutôt que les brillantes exagérations des poëtes ou les récits
plus attrayants qu'avérés des logographes¹ . Ce sont des choses
qui échappent à une démonstration rigoureuse , et qui , pour la
plupart, ont perdu toute créance , parce qu'elles sont tombées
dans le domaine des fables. En matières si anciennes , on doit
se contenter des résultats que j'ai obtenus en consultant les
témoignages les plus authentiques ; et, bien que les hommes.
aient une tendance constante à regarder la guerre dans la-
quelle ils sont engagés comme la plus importante de toutes ,
puis , lorsqu'elle est finie, à admirer plutôt celles d'autrefois ,
il suffit d'examiner les faits pour se convaincre que celle- ci a
surpassé toutes les précédentes.
XXII. Quant aux discours tenus avant ou pendant la guerre ,
les reproduire textuellement était difficile , soit pour moi
lorsque je les avais entendus , soit pour ceux qui m'en rendaient
compte. J'ai prêté à chacun le langagè qui m'a paru le plus en
harmonie avec les circonstances où il se trouvait placé , tout en
me tenant, pour le fond des idées, aussi près que possible des
discours réellement prononcés. Pour ce qui est des faits , je ne
m'en suis pas rapporté au dire du premier venu ou à mes im-
pressions personnelles ; je n'ai raconté que ceux dont j'avais
moi-même été spectateur ou sur lesquels je m'étais procuré des
renseignements précis et d'une entière exactitude. Or , j'avais
de la peine à y parvenir, parce que les témoins oculaires
n'étaient pas toujours d'accord sur le même événement et va-
riaient suivant leurs sympathies ou la fidélité de leur mé-
moire.
Peut-être mes récits , dénués du prestige des fables , per-
dront-ils de leur intérêt ; il me suffit qu'ils soient trouvés
LIVRE I. 13

utiles par quiconque voudra se faire une juste idée des temps
passés , et préjuger les incidents plus ou moins semblables dont
le jeu des passions humaines doit amener le retour. J'ai voulu
laisser à la postérité un monument durable, et non offrir un
morceau d'apparat à des auditeurs d'un instant.
XXIII . De toutes les guerres précédentes la plus considérable
fut celle des Mèdes ; cependant deux combats sur terre et au-
tant sur mer en décidèrent promptement l'issue¹ . Celle - ci au
contraire a été très-longue ; et , pendant sa durée , la Grèce a
éprouvé des désastres tels qu'il n'y en eut jamais de pareils
dans un même espace de temps . Jamais tant de villes prises et
dévastées par les Barbares ou par les Grecs armés les uns con-
tre les autres il en est même qui changèrent d'habitants par
suite de la conquête ; jamais tant de proscriptions , tant de
massacres dans les combats ou les émeutes . Des événements
jadis célébrés par la renommée , mais rarement attestés par les
faits, ont cessé d'être incroyables violentes secousses ébran-
lant à la fois une immense étendue de terre , éclipses de soleil
plus fréquentes qu'en aucun autre temps connu ; en certains
endroits sécheresses excessives , accompagnées de famine ; enfin
le plus terrible des fléaux , la peste , qui dépeupla une partie de
la Grèce. Toutes ces calamités se réunirent pour aggraver les
maux de cette guerre .
Les Athéniens et les Péloponésiens la commencèrent en rom-
pant la paix de trente ans , conclue après la conquête de l'Eu-
bée (a). J'ai exposé d'abord les démêlés avant-coureurs de cette
rupture, afin qu'on ne fût pas à se demander un jour quelle
avait été l'origine d'un si grand conflit. La cause la plus réelle ,
quoique la moins avouée, celle qui rendit la guerre inévitable ,
fut, selon moi , la crainte qu'inspirait aux Lacédémoniens
l'accroissement de la puissance d'Athènes. Au surplus je vais
énoncer les prétextes qui furent allégués de part et d'autre
pour rompre la paix et pour entamer les hostilités .
XXIV. Épidamne est une ville située à droite en entrant dans le
golfe Ionien ' ; près d'elle habitent les Taulantiens , Barbares de
race illyrienne. Cette ville fut fondée par les Corcyréens ; le
chef de la colonie fut le Corinthien Phalios, fils d'Ératoclidès et
descendant d'Hercule , appelé de la métropole suivant l'antique
usage ; des Corinthiens et d'autres Grecs d'origine dorienne se
joignirent à cet établissement . Avec le temps Épidamne devint

(a) Par les Athéniens . Voy . chap. cxiv et cxv .


14 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

grande et peuplée ; mais, à la suite de dissensions intestines qui


durèrent, dit-on , de longues années , elle eut beaucoup à souf-
frir d'une guerre contre les Barbares du voisinage, et perdit une
partie de sa puissance . Enfin, peu avant la guerre actuelle , le
peuple ayant chassé les riches , ceux-ci se retirèrent chez les
Barbares, avec lesquels ils se mirent à piller par terre ett par
mer ceux d'Epidamne . Ainsi pressés , les Épidamniens . de
la ville envoyèrent des députés à leur métropole de Corcyre,
avec prière de ne pas les laisser écraser, mais de les réconcilier
avec les bannis et de mettre fin à la guerre des Barbares . Ils
firent cette requête assis en suppliants dans le temple de Ju-
non ; mais les Corcyréens n'y eurent aucun égard et les ren-
voyèrent sans rien leur accorder.
XXV. Les Épidamniens , voyant qu'ils n'avaient aucune assis-
tance à espérer de Corcyre, se trouvèrent dans un cruel embar-
ras. Ils envoyèrent à Delphes pour demander au dieu s'ils
devaient remettre leur ville aux Corinthiens comme à ses fon-
dateurs et essayer d'obtenir d'eux quelque secours . L'oracle
leur répondit de se donner aux Corinthiens et de les prendre
pour chefs . En conséquence les Épidamniens se rendirent à Co-
rinthe ; et , conformément à l'oracle, ils remirent aux Corin-
thiens la colonie , en représentant que son fondateur était de
Corinthe et en s'appuyant sur la réponse du dieu . Ils conjure-
rent les Corinthiens d'avoir pitié de leur détresse et de leur
accorder protection. Les Corinthiens se crurent en droit d'ac-
cueillir cette demande . Ils regardaient Epidamne comme aussi
bien à eux qu'aux Corcyréens ; de plus ces derniers leur étaient
odieux, parce qu'ils les négligeaient, quoique étant leurs co-
lons ; dans les solennités nationales ils leur refusaient les
distinctions d'usage ; ils ne prenaient pas , comme les autres
colonies, un citoyen de Corinthe pour inaugurateur des sacri-
fices ; enfin ils méprisaient leur métropole, parce qu'à cette
époque ils rivalisaient de richesses avec les plus opulentes cités
de la Grèce , qu'ils surpassaient même en puissance militaire .
Ils allaient jusqu'à se vanter de posséder la première force na→
vale, en qualité d'héritiers des Phéaciens qui avaient habité
Corcyre avant eux , et dont la marine était très -renommée ' ;
aussi travaillaient-ils sans relâche à augmenter leur flotte, déjà
considérable, puisqu'ils possédaient cent vingt trirèmes quand
la guerre éclata.
XXVI. Avec tant de sujets de plainte, les Corinthiens accordè-
rent de grand cœur le secours demandé . Ils invitèrent quiconque
LIVRE I. 15

le voudrait à aller s'établir à Epidamne ; en même temps ils y


envoyèrent une garnison composée d'Ambraciotes , de Leuca-
diens et de Corinthiens . Cette troupe se rendit par terre à
Apollonie ' , colonie de Corinthe , dans la crainte que les Corcy-
réens ne lui fermassent la voie de mer . Quand les Corcyréens
surent qu'il était arrivé de nouveaux habitants avec une gar-
nison à Epidamne et que la colonie s'était donnée aux Corin-
thiens, ils entrèrent en courroux , et , mettant aussitôt en mer
vingt-cinq vaisseaux suivis plus tard d'une seconde flotte , ils
sommerent outrageusement les Épidamniens de recevoir les
bannis et de renvoyer la garnison corinthienne, ainsi que les
nouveaux habitants. En effet les bannis d'Epidamne étaient
venus à Corcyre , et là , montrant les tombeaux et invoquant
la communauté d'origine , ils avaient prié qu'on les ramenât.
Comme les Épidamuiens refusaient de rien entendre , les Corcy-
réens allèrent les attaquer avec quarante vaisseaux. Ils me-
naient avec eux les bannis, qu'ils voulaient rétablir, et avaient
pris un renfort d'Illyriens. Arrivés devant la place , ils firent
savoir à tous, Epidamniens ou étrangers, qu'il ne serait fait
aucun mal à quiconque voudrait se retirer , mais qu'autrement
ils seraient tous traités en ennemis. Sur leur refus, ils assiégè-
rent la ville, qui est construite sur une presqu'ile..
XXVII. A la première nouvelle du siége d'Epidamne , les Co-
rinthiens mirent des troupes sur pied . En même temps ils firent
publier l'envoi d'une colonie à Épidamne , en invitant chacun
à s'y associer , sous promesse de droits égaux ¹ ; si quelqu'un
désirait participer à la colonie sans partir sur-le- champ , il
pouvait rester moyennant le dépôt de cinquante drachmes
corinthiennes 2. Beaucoup de gens s'embarquèrent ou déposé-
rent l'argent. On pria les Mégariens de fournir une escorte
navale pour le cas où les Corcyréens voudraient barrer le
passage à cette expédition . Les Mégariens se disposèrent à
l'accompagner avec huit vaisseaux ; les Paléens de Céphallénie
avec quatre. On s'adressa aussi aux Épidauriens , qui en four-
nirent cinq ; les Hermionéens en donnèrent un , les Trézéniens
deux , les Leucadiens dix, les Ambraciotes huit. On demanda de
l'argent aux Thébains et aux Phliasiens ; aux Éléens des vais-
seaux vides et de l'argent. Les Corinthiens eux-mêmes prépa-
rèrent trente vaisseaux et trois mille hoplites.
XXVIII. Quand les Corcyréens eurent vent de ces préparatifs,
ils se rendirent à Corinthe , accompagnés de députés de Lacé-
démone et de Sicyone . Ils demandaient que les Corinthiens rap-
16 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

pelassent d'Epidamne leurs colons et leurs soldats , parce qu'ils


n'avaient aucun droit sur cette ville. En cas de prétentions
contraires , ils offraient de soumettre la question à celles des
villes du Péloponèse qui seraient choisies pour arbitres ; elles
décideraient à qui appartenait la colonie, et on s'en tiendrait à
leur jugement . Ils offraient aussi de déférer à l'oracle de Delphes ;
bref, ils ne voulaient pas la guerre : « Autrement , disaient-ils
nous serons contraints par votre violence , et pour notre sûreté,
de rechercher des amis qui nous agréent peu et qui ne sont pas
ceux d'aujourd'hui ' . » Les Corinthiens leur répondirent que,
s'ils retiraient de devant Épidamne leurs vaisseaux et les Bar-
bares , on pourrait délibérer; mais que jusque-là il n'était pas
raisonnable que les Épidamniens fussent assiégés et les Corin-
thiens en procès . Les Corcyréens répliquèrent qu'ils le feraient,
pourvu que de leur côté les Corinthiens rappelassent leurs
gens d'Epidamne ; enfin ils étaient prêts à conclure une suspen-
sion d'armes, toutes choses demeurant en état, jusqu'à la sen-
tence des arbitres .
XXIX . Les Corinthiens n'écoutèrent aucune de ces proposi-
tions ; mais à peine leurs vaisseaux furent-ils équipés et leurs
alliés présents , qu'ils firent partir un héraut chargé de déclarer
la guerre à Corcyre , levèrent l'ancre avec soixante- quinze vais-
seaux et deux mille hoplites , et cinglèrent vers Epidamne , avec
l'intention de livrer bataille aux Corcyréens. La flotte avait
pour chefs Aristéus fils de Pellichos, Callicratès fils de Callias
et Timanor fils de Timanthès ; l'armée de terre, Archétimos fils
d'Eurytimos et Isarchidas fils d'Isarchos . Lorqu'ils furent à Ac-
tion , sur le territoire d'Anactorion , à l'endroit où s'élève le temple
d'Apollon et où s'ouvre le golfe Ambracique , ils virent ve-
nir à eux dans une nacelle un héraut envoyé par les Corcy-
réens pour leur défendre de passer outre. En même temps les
Corcyréens armaient leurs vaisseaux , garnissant de ceintures¹
les plus vieux , pour qu'ils fussent en état de tenir la mer , et
radoubant les autres . Le héraut ne leur rapporta de la part des
Corinthiens aucune réponse pacifique . Aussi , dès que leur flotte ,
forte de quatre - vingts navires (il y en avait quarante au siége
d'Épidamne) , fut prête à partir ils appareillèrent , et , rangés
en ligne, engagèrent le combat. Ils mirent les Corinthiens en
pleine déroute et leur détruisirent quinze vaisseaux. Le hasard
voulut que, le même jour , ceux qui assiégeaient Epidamne l'a-
menassent à capituler. On convint que les étrangers seraient
vendus et les Corinthiens mis aux fers jusqu'à nouvel avis .
LIVRE I. 17

XXX . Après ce combat naval , les Corcyréens dressèrent un


trophée à Leucimme ' , promontoire de Corcyre, et mirent à mort
leurs prisonniers, excepté les Corinthiens, qu'ils chargèrent de
chaînes. A dater de cette victoire et depuis la retraite des Co-
rinthiens et de leurs alliés, les Corcyréens devinrent les maîtres
de tous ces parages. Ils cinglèrent vers Leucade , colonie de
Corinthe , et ravagèrent le pays ; ils allèrent ensuite brûler.
Cyllène, chantier des Éléens, pour punir ces derniers d'avoir
fourni aux Corinthiens , des vaisseaux et de l'argent ; enfin, pen-
dant la plus grande partie du temps qui suivit le combat naval ,
ils eurent l'empire de la mer et firent beaucoup de mal aux al-
liés de Corinthe. Sur la fin de l'été, les Corinthiens, voyant
leurs alliés en souffrance, expédièrent une flotte et une armée
2
qui vinrent stationner à Action et à Chimérion en Thesprotide
pour couvrir Leucade et les autres villes amies . Les Corcy-
réens , de leur côté , allèrent camper au promontoire Leucimme
avec des troupes et des vaisseaux ; mais ni les uns ni les autres
ne prirent l'offensive. Ils se contentèrent de s'observer pendant
le reste de l'été ; l'hiver venu , ils regagnèrent leurs foyers.
XXXI . Pendant toute l'année qui suivit le combat naval et
pendant une autre année encore , les Corinthiens , irrités de la
guerre que leur faisaient les Corcyréens , construisirent des
vaisseaux et préparèrent une flotte formidable , en rassemblant
à prix d'argent des rameurs dans le Péloponèse et dans le
reste de la Grèce . A la nouvelle de ces armements, les Corcy-
réens prirent peur ; et comme ils n'avaient d'alliance avec au-
cun des Grecs , ne s'étant fait inscrire ni dans le traité d'Athènes
ni dans celui de Lacédémone ' , ils jugèrent à propos de se
rendre auprès des Athéniens pour s'allier à eux et tâcher d'en
obtenir des secours. Informés de ce projet , les Corinthiens en-
voyèrent aussi une ambassade à Athènes , dans la crainte que la
marine athénienne venant à se joindre à celle de Corcyre ne les
empêchât de diriger la guerre comme ils l'entendaient. L'as-
semblée étant constituée , le débat s'engagea. Les Corcyréens
parlèrent en ces termes :
XXXII. « Il est juste, Athéniens, que ceux qui viennent ,
comme nous aujourd'hui , solliciter un appui étranger , sans
pouvoir s'autoriser d'un service rendu ni d'une alliance anté-
rieure , fassent bien comprendre d'abord que leur demande
est avantageuse ou tout au moins n'est pas nuisible , ensuite
qu'ils ne seront pas ingrats. S'ils ne fournissent aucune de
ces garanties , ils ne doivent pas s'irriter d'un refus .
18 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

« Les Corcyreens, persuadés qu'ils peuvent vous offrir


toutes les sûretés désirables , nous ont envoyés requérir votre
appui . Le système que nous avons suivi jusqu'à ce jour , en
même temps qu'il est difficile à justifier auprès de vous,
cause en ce moment tous nos malheurs. Après nous être con-
stamment tenus en dehors de toute alliance , nous venons ré-
clamer celle d'un peuple étranger ; et cela quand , par suite du
même système, nous sommes isolés dans notre guerre avec les
Corinthiens . La sagesse que nous trouvions jadis à ne pas nous
engager dans des périls au gré d'autrui , n'est plus maintenant
à nos yeux qu'imprudence et faiblesse .
« Dans le dernier combat naval , nous avons, il est vrai, re-
poussé à nous seuls les Corinthiens ; mais dès l'instant qu'ils nous
menacent avec des forces plus considérables , tirées du Pélopo-
nèse et du reste de la Grèce ; que nous nous voyons dans l'im-
possibilité de leur résister par nous-mêmes ; qu'enfin il y a pour
nous un extrême danger à tomber entre leurs mains , force nous
est de recourir à votre alliance ou à toute autre , et l'on ne doit
pas nous faire un crime de ce que, par erreur de jugement
plutôt que par malice, nous hasardons une démarche contraire
à notre précédent amour du repos.
XXXIII . « Les circonstances qui nous obligent à demander
votre protection auront pour vous , si vous nous l'accordez, divers
avantages d'abord vous soutiendrez des opprimés contre des
oppresseurs ; puis en accueillant un peuple menacé dans ses plus
chers intérêts, vous lui rendrez un service dont il gardera une
mémoire éternelle ; enfin nous possédons , après vous, la marine
la plus forte. Et considérez si ce n'est pas le coup de fortune
le plus rare pour vous , le plus fâcheux pour vos ennemis, que
de voir une puissance, dont naguère l'accession vous eût paru
sans prix et eût mérité votre gratitude, venir à vous d'elle-
même, se donnant sans qu'il vous en coûte ni dépense ni
danger, et vous procurant l'approbation universelle , la recon-
naissance de vos protégés et un surcroît de forces pour vous-
mêmes, avantages qu'il est presque sans exemple de trouver
réunis . Rarement ceux qui sollicitent une alliance apportent
à leurs alliés futurs autant de gloire et de force qu'ils en
reçoivent.
« Si quelqu'un de vous croit qu'il n'éclatera point de guerre
où nous puissions vous être utiles , il s'abuse et ne s'aperçoit
pas que les Lacédémoniens , par suite de la crainte que vous
leur inspirez , brûlent de prendre les armes ; tandis que les
LIVRE I. 19
Erir
tre Corinthiens, qui ont de l'ascendant sur eux et qui vous sont
hostiles , cherchent maintenant à nous soumettre pour vous
attaquer ensuite . Ils veulent nous empêcher, vous et nous , d'u-
nir contre eux nos inimitiés ; ils veulent saisir l'occasion de
1.
nous affaiblir ou de se fortifier eux-mêmes. Notre devoir à nous,
c'est de prendre les devants , les uns en offrant, les autres en
do
acceptant cette alliance , et de prévenir leurs attaques plutôt
es
que d'avoir à les repousser.
15
XXXIV. « Prétendraient-ils que vous n'avez pas le droit de
recevoir leurs colons ? Qu'ils apprennent qu'une colonie bien
traitée respecte sa métropole , mais qu'opprimée elle s'en dé-
tache ; en quittant le sol natal , on ne devient pas l'esclave , on
S
demeure l'égal de ceux qu'on laisse derrière soi . Or il est évi-
dent que les torts sont de leur côté ; car invités à soumettre
à un arbitrage l'affaire d'Épidamne , ils ont mieux aimé pour-
I
suivre leurs griefs par les armes que par les voies légales . Que
S leur conduite envers nous qui sommes leurs parents vous serve
de leçon et vous empêche d'être dupes de leurs sophismes et de
céder avec empressement à leurs prières. La meilleure garan-
tie de sécurité, c'est de s'exposer le moins possible au repentir
d'avoir servi ses ennemis.
XXXV. « En nous accueillant, vous n'enfreindrez aucune-
ment le traité qui vous lie aux Lacédémoniens, puisque nous ne
sommes alliés ni des uns ni des autres. Ce traité porte que
toute ville grecque qui n'est alliée d'aucune des parties con-
tractantes peut s'adjoindre à celle des deux qu'elle préfère. Or
il serait étrange qu'il leur fût permis de recruter leurs équi-
pages chez les peuples inscrits au traité , dans le reste de la
Grèce et jusque chez vos sujets , tandis qu'ils nous interdi-
raient l'alliance qui est offerte à tous les peuples , ou tout autre
secours . Puis ils viendraient vous faire un crime d'avoir ac-
quiescé à notre demande ! C'est nous au contraire qui aurons à
nous plaindre, si vous la rejetez ; car vous nous aurez repoussés ,
nous qui sommes en péril et qui ne sommes pas vos ennemis ;
au lieu de vous opposer à ceux qui sont vos adversaires et qui
marchent contre vous, vous souffrirez , ce qui est de toute ini-
quité, qu'ils tirent des renforts de votre propre empire. Il fau-
drait ou les empêcher de se recruter chez vos sujets, ou nous
envoyer les renforts que vous jugerez convenables , ou enfin ,
ce qui serait mieux encore , nous recevoir dans votre alliance
et nous défendre ouvertement.
<< Comme nous l'avons dit en commençant, nous vous présen-
20 GUERRE DU PÉLOPONÈSE

tons plusieurs avantages : le plus grand , c'est que nous


avons les mêmes ennemis, et cette garantie est la meilleure de
toutes ; sans compter que ces ennemis , loin d'être sans forces,
sont à même de faire un mauvais parti à qui se détachera d'eux.
De plus, c'est une puissance maritime et non une puissance
continentale qui s'offre à vous ; il n'est donc pas indifférent de la
repousser. Avant tout, s'il était possible, il vous faudrait ne per-
mettre à aucun autre peuple de posséder des vaisseaux ; sinon,
vous devez vous faire un ami de celui qui a la plus forte marine.
XXXVI. « Peut-être quelqu'un de vous , tout en étant con-
vaincu de ces avantages , s'effarouche à l'idée de rompre le traité.
Qu'il sache bien que si tout en conservant ce scrupule il aug-
mente sa force, son attitude imposera aux ennemis ; mais si,
confiant dans les traités , il s'affaiblit en nous repoussant, il se
fera moins respecter de puissants adversaires. Qu'il sache aussi
qu'en ce moment il délibère moins sur Corcyre que sur Athènes,
et qu'il entend bien mal les intérêts de sa patrie , lorsqu'à la
veille d'une guerre inévitable et presque commencée, il n'en-
visage que l'instant présent , et hésite à s'assurer d'une place
dont l'alliance ou l'hostilité est de la dernière importance. En
effet elle est favorablement située sur le chemin de l'Italie et
de la Sicile ; elle peut empêcher la marine de ces pays de se
joindre à celle du Péloponèse , comme aussi faciliter à la vôtre
ce même trajet , sans parler des autres commodités qu'elle vous
présente.
« Pour résumer sommairement les divers motifs qui vous
engagent à ne pas nous abandonner , nous vous rappellerons
qu'il y a en Grèce trois marines principales : la vôtre, la nôtre
et celle des Corinthiens . Si vous permettez à deux d'entre elles
de se fondre en une et à Corinthe de nous absorber , vous aurez
à combattre sur mer les Corcyréens et les Péloponésiens réunis.
Si au contraire vous nous accueillez, au jour du péril vous
aurez , grâce à nos vaisseaux, la supériorité du nombre. »
XXXVII . Ainsi parlèrent les Corcyréens ; après eux les Co-
rinthiens s'exprimèrent en ces termes :
<< Puisque dans leur discours les Corcyréens ici présents ne
se sont pas bornés à réclamer votre alliance , mais qu'à les
entendre nous sommes dans nos torts et nous leur faisons une
guerre injuste , nous devons préalablement répondre à ce
double reproche ; après quoi nous aborderons le fond de la
question , afin que vous avisiez plus mûrement sur notre re-
quête et ne repoussiez la leur qu'à bon escient.
LIVRE I. 21

« A les entendre , c'est par modération qu'ils se sont abste-


0 nus jusqu'ici de toute alliance . Tant s'en faut ! c'est par
scélératesse , et nullement par vertu , qu'ils ont suivi ce
es système ; c'est pour n'avoir ni associé ni témoin dans leurs ra-
pines et pour s'épargner des affronts . Ajoutez que leur ville ,
10 par sa position indépendante , leur permet mieux que ne le fe-
el raient des traités de se constituer eux-mêmes les juges de ceux
er qu'ils offensent , parce que , fréquentant peu les ports étran-
‫מ‬ gers , ils reçoivent très-souvent dans le leur les vaisseaux des
ne autres nations , forcés d'y relâcher : à cela se réduit ce beau
23
རྗཧྨ
ཋལྔ

D principe d'isolement dont ils font étalage ; ce n'est pas qu'ils



ོ=
%
2
རྗ"p

craignent de tremper dans des iniquités ; c'est qu'ils veulent


être injustes seuls , user de violence quand ils sont les plus forts ,
ravir dans l'ombre le bien d'autrui , et nier effrontément leurs
S usurpations . S'ils avaient cette probité dont ils se vantent , plus
SS ils sont à l'abri des attaques du dehors , plus ils tiendraient à
es honneur de rester dans les voies légales .
XXXVIII . << Mais ils n'ont garde d'agir ainsi ni avec les
en autres , ni avec nous. Bien qu'ils soient nos colons , ils n'ont
cessé de se séparer de nous , et maintenant ils nous combattent,
sous prétexte qu'on ne les a pas envoyés en colonie pour être
maltraités. A notre tour nous prétendons ne pas les avoir établis
St pour être en butte à leurs insultes , mais pour être leurs chefs et
recevoir d'eux les hommages requis . Nos autres colonies nous
US vénèrent, et il n'y a pas de métropole plus chère que nous à ses
colons . Si donc nous sommes bien vus du plus grand nombre ,
il est clair que nous ne såurions avec justice déplaire unique-
ns ment à ceux- ci , et que nous ne leur ferions pas une guerre
re exceptionnelle, si nous n'avions été exceptionnellement offensés .
es Et quand nous aurions des torts , il serait beau à eux de céder à
el notre colère, comme il serait honteux à nous de faire violence à
S leur modération . Mais non ; pleins d'arrogance et infatués de
leurs richesses, ils ont commis divers outrages envers nous , et
en dernier lieu ils se sont emparés de notre ville d'Epidamne,
qu'ils se gardaient bien de revendiquer quand elle était dans la
détresse, mais qu'ils ont prise de force quand nous sommes allés
à son secours.
XXXIX . «< Ils prétendent avoir d'abord offert de s'en rapporter
à des arbitres. A quoi nous répondons que ce n'est pas parler
sérieusement que d'invoquer la justice en prenant d'avance ses
sûretés, mais qu'il faut avant le débat mettre ses actions d'ac-
cord avec ses paroles. Or ce n'est pas avant de commencer le
22 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

siége d'Epidamne, mais seulement lorsqu'ils ont cru que nous


n'y serions pas indifférents , qu'ils ont fait l'offre spécieuse d'un
arbitrage. Puis, après cette première faute, ils viennent ici vous
proposer de devenir, non pas leurs alliés , mais leurs complices,
et de les recevoir quand ils se sont séparés de nous . C'était
lorsqu'ils n'avaient rien à craindre qu'il leur fallait venir à
vous , et non lorsque nous sommes offensés et qu'eux-mêmes
se trouvent en péril. Vous qui jadis n'avez point participé à
leur puissance , vous leur accorderiez aujourd'hui votre protec-
tion ; et, après être restés étrangers à leurs méfaits , vous par-
tageriez avec eux nos , ressentiments ! Il y a longtemps qu'ils
auraient dû mettre en commun leurs forces avec les vôtres , pour
courir ensemble les chances des événements ' .
XL. « Il est donc démontré que nos plaintes sont fondées et
que ces gens sont coupables de violence et d'usurpation. Ap-
prenez maintenant que vous ne sauriez les accueillir sans in-
justice.
« Le traité porte , il est vrai , que toute ville qui n'y est pas
inscrite, peut à son gré s'adjoindre à l'une ou à l'autre des
parties contractantes . Mais cette clause n'a pas été introduite
en faveur des peuples qui n'entreraient dans l'alliance que
pour nuire à autrui ; elle ne concerne que ceux -là seulement
qui, ayant la libre disposition d'eux-mêmes, se trouvent avoir
besoin de protection, et qui n'apportent pas à ceux qui au-
raient l'imprudence de les accueillir , la guerre au lieu de la
paix. Or c'est là ce qui vous arriverait si vous ne nous écoutiez
pas. En effet, vous ne deviendrez pas seulement leurs auxiliai-
res , mais nos ennemis au lieu de nos alliés. Si vous marchez
avec eux, nous ne pouvons les punir sans vous frapper en même
temps. Votre devoir est avant tout de garder la neutralité, ou
mieux encore de vous joindre à nous ; car vous êtes liés par un
traité avec les Corinthiens, tandis qu'avec les Corcyréens vous
n'avez jamais eu même un simple armistice.
<<< D'ailleurs vous ne devez pas encourager les défections .
Nous-mêmes , lors de la révolte des Samiens, nous ne fûmes
pas de ceux qui l'appuyèrent par leur suffrage . Les Péloponé-
siens étaient partagés sur la convenance de secourir Samos ;
nous soutînmes hautement que c'est à chacun de châtier ses
propres alliés . Si vous accueillez, si vous protégez des coupa-
bles, on verra tout autant de vos sujets se joindre à nous , et la
loi que vous aurez établie tournera contre vous plus encore que
contre nous-mêmes.
LIVRE I. 23

XLI. Tels sont les titres que nous avons à faire valoir au-
di près de vous, titres suffisants d'après les lois de la Grèce. De
TO plus , nous pouvons faire appel à votre reconnaissance, et nous
autoriser d'un ancien service , dont nous demandons aujour-
éta d'hui la réciprocité . N'étant pas vos ennemis, il n'est pas à
craindre que nous nous fassions une arme contre vous de cette
TE reconnaissance , et nous ne sommes pas assez vos amis pour en
abuser. Lorsque jadis , antérieurement aux guerres Médiques ,
vous manquiez de vaisseaux longs pour lutter contre Égine ,
a vous en reçûtes vingt des Corinthiens . Ce service , joint à celui
1 que nous vous rendîmes en empêchant les Peloponésiens de se-
OT courir Samos , vous permit de triompher des Eginètes et de
punir les Samiens . Or cela se passait dans une de ces circon-
stances, où les hommes , tout entiers à la poursuite de leurs en-
nemis, oublient tout pour ne songer qu'à la victoire ; ils regar-
dent alors comme ami quiconque les sert, fût-il auparavant leur
ennemi , et comme adversaire quiconque les contrarie, fût-ce
même un ami ; car ils sacrifient jusqu'à leurs intérêts domes-
tiques pour satisfaire leur passion du moment .
it XLII. Réfléchissez à ces faits , et que les plus jeunes d'entre
1
vous, après les avoir vérifiés auprès de leurs aînés, se dispo-
sent à nous payer d'un juste retour. Et qu'on ne s'imagine pas
que , si notre cause est légitime , votre intérêt , en cas de
guerre , serait différent du nôtre . L'intérêt bien entendu con-
siste à faire le moins de fautes possible. D'ailleurs , cette
perspective de guerre , dont les Corcyréens vous font peur afin
de vous décider à une injustice , est encore incertaine ; et il se-
rait peu sage d'encourir pour ce motif, de la part des Corin-
thiens, une inimitié certaine et immédiate. Mieux vaudrait
dissiper les défiances soulevées au sujet de Mégare¹ ; un der-
nier service rendu à propos , quelque léger qu'il soit, suffit pour
effacer une offense grave.
<< Ne soyez pas séduits par l'offre qu'ils vous font d'une ma-
rine puissante. On assure bien mieux sa position en respectant
ses égaux qu'en se laissant entraîner, par un apparent avan-
tage , à poursuivre un périlleux avenir.
XLIII. « Mais puisque nous avons rappelé ce que nous avons
dit autrefois à Lacédémone , que chacun a le droit de châtier ses
alliés, nous attendons de vous une décision semblable . Obligés
par notre suffrage, vous ne voudrez pas nous nuire par le
vôtre. Payez-nous plutôt de retour. Songez que c'est ici le mo-
ment où celui qui nous sert devient notre ami et celui qui nous
24 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

contrarie notre ennemi . Ne recevez pas malgré nous ces Corcy-


réens dans votre alliance et ne les soutenez pas dans leurs
injustices. Par là vous ferez ce qu'exigent de vous votre devoir
et vos plus chers intérêts. »
XLIV. Tel fut le discours des Corinthiens. Les Athéniens
écoutèrent les deux partis et tinrent à ce sujet deux assemblées .
Dans la première ils inclinèrent en faveur des Corinthiens ;
dans la seconde ils se ravisèrent. Ils ne voulurent pas conclure
avec les Corcyréens une ligue offensive et défensive , parce que ,
si Corcyre venait à réclamer leur coopération contre Corinthe, le
traité avec le Péioponèse se serait trouvé rompu ; mais ils for-
mèrent avec eux une alliance défensive , s'engageant à se se-
courir mutuellement en cas d'attaque dirigée contre Corcyre,
contre Athènes ou contre leurs alliés. On sentait bien que de
toute manière on aurait la guerre avec le Péloponèse : aussi
voulait-on ne pas abandonner aux Corinthiens une ville qui pos-
sédait une si forte marine ; on préférait mettre ces peuples aux
prises entre eux , afin d'avoir meilleur marché de Corinthe et
des autres puissances navales quand viendrait le moment de les
combattre . Enfin Corcyre paraissait favorablement située sur la
route de l'Italie et de la Sicile ¹ .
XLV. Tels furent les motifs qui déterminèrent les Athéniens
à recevoir Corcyre dans leur alliance. A peine les Corinthiens
furent-ils partis , qu'on envoya au secours des Corcyréens dix
vaisseaux commandés par Lacédémonios , fils de Cimon, par
Diotimos , fils de Strombichos , et par Protéas, fils d'Epiclès. Ils
eurent ordre de ne pas combattre les Corinthiens , à moins que
ceux-ci ne vinssent attaquer Corcyre et ne menaçassent d'une
descente cette île ou quelque place de sa dépendance ; dans ce
cas ils devaient s'y opposer de tout leur pouvoir. On voulait,
par ce moyen terme, éviter la rupture du traité. Ces dix vais-
seaux arrivèrent à Corcyre.
XLVI . Les Corinthiens , aussitôt leurs préparatifs terminés ,
firent voile contre Corcyre avec cent cinquante vaisseaux, sa-
voir, dix d'Élis, douze de Mégare , dix de Leucade , vingt-sept
d'Ambracie, un d'Anactorion, et quatre-vingt- dix de Corinthe.
Chacun de ces contingents avait son général particulier ; les
Corinthiens en avaient cinq, et entre autres Xénoclès fils d'Eu-
thyclès. Partis de Leucade , ils gagnèrent le continent qui fait
face à Corcyre, et allèrent mouiller à Chimérion en Thespro-
tide. C'est un port au - dessus duquel se trouve, à quelque dis-
tance de la mer, une ville nommée Ephyra, appartenant
LIVRE I. 25

l'Éléatide, district de Thesprotide. Non loin de cette place , le


lac Achérusien se décharge dans la mer. Le fleuve Achéron ,
après avoir traversé la Thesprotide , va se perdre dans ce lac
et lui donne son nom . Un autre fleuve , le Thyamis , arrose aussi
cette contrée et sépare la Thesprotide de la Cestrine . Dans
l'espace compris entre ces deux fleuves , s'avance le cap Chi-
mérion ' . Ce fut sur ce point du continent que les Corinthiens
abordèrent et qu'ils établirent un camp .
XLVII . A la nouvelle de leur approche , les Corcyréens équi-
pèrent cent dix vaisseaux commandés par Miciadès , Ésimédès et
Eurybatos, et allèrent camper dans une des îles nommées Sy-
bota ' . Les dix vaisseaux d'Athènes étaient présents . L'armée
de terre , renforcée par mille hoplites de Zacynthe, prit posi-
tion sur le promontoire de Leucimme . De leur côté , les Corin-
thiens avaient sur le continent un grand nombre de Barbares
auxiliaires ; car les habitants de ces contrées ont de tout temps
été leurs amis.
XLVIII. Quand leurs dispositions furent terminées¹ , les Co-
rinthiens prirent des vivres pour trois jours et quittèrent Chi-
mérion pendant la nuit, déterminés à livrer bataille . Ils étaient
en mer au lever de l'aurore, lorsqu'ils découvrirent au large la
flotte corcyréenne qui s'avançait contre eux . Dès qu'on se fut
aperçu, chacune des deux armées se mit en ordre de combat.
A l'aile droite des Corcyréens étaient placés les vaisseaux
d'Athènes ; le reste de la ligne était formé par les Corcyréens
eux-mêmes , partagés en trois divisions, dont chacune était
commandée par un des trois généraux . Les Corinthiens avaient
à leur aile droite les vaisseaux de Mégare et d'Ambracie, au
centre le reste de leurs alliés, chacun à son rang ; les Corin-
thiens eux-mêmes occupaient la gauche avec les bâtiments les
plus lestes . Ils se trouvaient ainsi en face des Athéniens et de
l'aile droite de la flotte corcyréenne .
XLIX . Les signaux arborés de part et d'autre , on se joignit
et l'action s'engagea. Des deux côtés les tillacs étaient couverts
d'hoplites , d'archers et de gens de trait, mais rangés suivant
l'ancienne tactique et d'une manière défectueuse . On se battait
avec acharnement, mais sans art; on eût dit que l'action se
passait sur terre. Une fois aux prises , le nombre et l'entasse-
ment des vaisseaux ne permettaient pas de se dégager aisé-
ment. Toute l'espérance de la victoire résidait dans les hoplites
qui garnissaient les ponts, d'où ils combattaient de pied ferme,
tandis que les bâtiments restaient immobiles . On ne cherchait
THUCYDIDE. 2
26 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

point à forcer la ligne ennemie² ; mais on apportait au combat


plus de courage et de vigueur que d'habileté ; en un mot , ce
n'était partout que tumulte et confusion .
Dans ce désordre , les vaisseaux d'Athènes voyaient- ils les
Corcyréens pressés , ils accouraient pour intimider les ennemis ;
mais leurs généraux évitaient de prendre l'offensive, n'osant
pas enfreindre leurs instructions. L'aile droite des Corinthiens
fut très-maltraitée. Les Corcyréens , avec vingt-trois vaisseaux,
la mirent en fùite, la dispersèrent et la poussèrent à la côte ;
puis, s'avançant jusqu'au camp, ils débarquèrent, brûlèrent les
tentes désertes et pillèrent la caisse . Sur ce point, les Corin-
thiens et leurs alliés étaient donc vaincus et les Corcyréens .
vainqueurs ; mais il en était tout autrement à la gauche, qu'oc-
cupaient les Corinthiens eux-mêmes, et où ils avaient un avan-
tage décidé ; car les Corcyréens , déjà inférieurs en nombre ,
étaient encore affaiblis par l'éloignement de leurs vingt vais-
seaux détachés à la poursuite des ennemis . Les Athéniens ,
voyant leurs alliés ébranlés , les secoururent avec moins d'hési-
tation. Jusque-là ils s'étaient tenus sur la réserve ; mais, quand
la déroute fut décidée et que les Corinthiens s'acharnèrent sur
leurs ennemis , chacun prit part à l'action ; tout fut confondu ;
alors Corinthiens et Athéniens se virent forcés d'en venir aux
mains ensemble.
L. Après la défaite , les Corinthiens ne s'arrêtèrent pas à re-
morquer les coques des bâtiments coulés ; ils ne s'occupèrent
que des hommes , et ce fut pour les massacrer bien plus que
pour les faire prisonniers . Ignorant la défaite de leur aile droite ,
ils allaient tuant indistinctement amis et ennemis ; comme les
deux flottes étaient très - nombreuses et qu'elles couvraient une
vaste étendue de mer , il n'était pas facile dans la mêlée de dis-
cerner les vainqueurs et les vaincus. Ce fut, pour le nombre
des vaisseaux, le combat naval le plus considérable que les
Grecs se fussent encore livré entre eux.
Les Corinthiens, après avoir poursuivi les Corcyréens jusqu'à
terre, se mirent à rassembler les débris des navires et leurs
propres morts . Ils en recueillirent la majeure partie et les ame-
nèrent aux Sybota, port désert de la Thesprotide , où étaient
postés les Barbares auxiliaires ' . Cela fait , ils se rallièrent et
cinglèrent de nouveau contre les Corcyréens . Ceux-ci , crai-
gnant une descente sur leur territoire, réunirent ce qui leur
restait de bâtiments en état de service, y joignirent ceux qui
n'avaient pas combattu , et , accompagnés des vaisseaux athé-
LIVRE I. 27

୯ niens, ils se portèrent à la rencontre de la flotte ennemie . Il


était déjà tard et l'on avait chanté le péan 2 comme signal d'at-
taque, lorsque soudain les Corinthiens se mirent à reculer , en
voyant s'approcher vingt vaisseaux d'Athènes . C'était un ren-
fort que les Athéniens avaient envoyé après le départ de leur pre-
mière escadre ; ils avaient craint, non sans raison , que les Cor-
cyréens ne fussent vaincus, et que leurs dix vaisseaux ne
fussent pas suffisants pour les défendre .
LI. Les Corinthiens furent les premiers à découvrir ces vais-
seaux ; ils soupçonnèrent qu'ils venaient d'Athènes , et , les
croyant plus nombreux qu'ils n'étaient , ils reculèrent . Les
Corcyréens, moins bien placés pour les apercevoir, s'étonnaient
de ce mouvement rétrograde ; mais enfin quelques - uns les dis-
cernèrent et dirent que c'étaient des vaisseaux qui s'appro-
chaient. Alors eux aussi se replièrent, car le jour commençait à
baisser , et les Corinthiens par leur retraite avaient mis fin au
combat . Ce fut ainsi qu'ils se séparèrent , et l'engagement se
termina à la nuit. Les Corcyréens avaient regagné leur campe-
ment sur la pointe de Leucimme, lorsque les vingt vaisseaux
athéniens , commandés par Glaucon , fils de Léagros , et par
Andocidès, fils de Léogoras , arrivèrent à travers les morts et
les débris , peu après avoir été signalés. Comme il était nuit
close, les Corcyréens eurent peur que ce ne fût l'ennemi ; mais
ensuite on les reconnut et ils entrèrent en rade.
LII. Le lendemain , les trente vaisseaux d'Athènes et tous
ceux de Corcyre qui étaient encore à flot, cinglèrent vers le
port des Sybota, où était mouillée la flotte corinthienne , et lui
offrirent le combat. Les Corinthiens levèrent l'ancre et se ran-
gèrent en ligne en avant du rivage ; mais ils se tinrent immo-
biles, décidés qu'ils étaient à ne pas accepter la bataille , à
moins d'absolue nécessité . Ils craignaient le renfort de vaisseaux
intacts survenu d'Athènes , sans parler des difficultés qu'ils
éprouvaient pour garder à bord leurs prisonniers et pour réparer
leurs vaisseaux sur une plage déserte. Ils songeaient donc à
effectuer leur retraite, et appréhendaient que les Athéniens, re-
gardant le traité comme rompu à cause de l'engagement de la
veille, ne leur fermassent le retour.
LIII. Ils résolurent en conséquence de faire monter des gens
1
dans une nacelle et de les envoyer sans caducée auprès des
Athéniens , afin de sonder leurs dispositions ; ils les chargèrent
d'un message conçu en ces termes :
« Athéniens , vous avez tort de commencer la guerre et de
28 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

rompre le traité. Vous mettez obstacle à notre juste vengeance


en tournant vos armes contre nous. Si votre intention est de
vous opposer à ce que nous fassions voile contre Corcyre ou
ailleurs, à notre volonté, si vous violez ainsi la foi jurée , pre-
nez-nous d'abord et nous traitez en ennemis. >>
A ces mots, les Corcyréens qui étaient à portée de la voix ,
s'écrièrent qu'il fallait les prendre et les tuer ; mais les Athé-
niens répondirent :
« Péloponésiens , nous ne commençons point la guerre ; nous
ne rompons point le traité ; mais nous sommes venus au se-
cours des Corcyréens nos alliés. Si donc vous voulez aller quel-
que autre part, nous n'y mettons aucun obstacle ; mais si vous
menacez Corcyre ou quelqu'une de ses possessions , nous nous
y opposerons de toutes nos forces . >>
LIV. Sur cette réponse, les Corinthiens se disposèrent à re-
tourner chez eux et dressèrent un trophée aux Sybota du conti-
nent. Les Corcyréens recueillirent les débris et les morts que
la vague et un vent survenu pendant la nuit avaient dispersés
et jetés sur leurs rivages. Ils dressèrent à leur tour un trophée
aux Sybota de l'île, comme vainqueurs. Ainsi chacun des deux
partis s'attribua la victoire : les Corinthiens, parce qu'ils avaient
eu l'avantage dans le combat naval jusqu'à la nuit , à telles en-
seignes qu'ils avaient recueilli la majeure partie des débris et
des morts, fait plus de mille prisonniers et coulé près de
soixante-dix navires ; les Corcyréens, parce qu'ils en avaient
détruit une trentaine , et qu'après l'arrivée des Athéniens , ils
avaient recueilli les débris et les morts jetés sur leurs côtes ;
parce qu'enfin, la veille, les Corinthiens avaient reculé devant
eux à la vue de l'escadre athénienne , et n'avaient pas accepté
le combat qui leur était offert. Telles furent les raisons pour
lesquelles les deux partis se prétendirent vainqueurs et dres-
sèrent des trophées .
LV. Les Corinthiens, en se retirant , s'emparèrent par sur-
prise d'Anactorion, ville située à l'entrée du golfe d'Ambracie ,
et qu'ils avaient fondée conjointement avec les Corcyréens .
Ils Ꭹ laissèrent une colonie corinthienne et regagnèrent leurs
foyers. Parmi les prisonniers corcyréens se trouvaient huit
cents esclaves qu'ils vendirent ; mais ils gardèrent prisonniers
deux cent cinquante citoyens , et leur prodiguèrent toute espèce
de soins, afin qu'à leur retour ils les aidassent à soumettre
Corcyre , car la plupart d'entre eux appartenaient aux familles
les plus puissantes de cette ville. Ainsi Corcyre échappa aux
LIVRE I. 29
td

armes de Corinthe , et la flotte athénienne se retira. Ce fut


pour les Corinthiens un premier sujet de guerre contre les
Athéniens , qui , en pleine paix, s'étaient joints aux Corcyréens
ON pour les combattre .
LVI. Bientôt après ces événements , on vit éclore de nouveaux
germes de discorde entre les Athéniens et les Péloponésiens .
Les Corinthiens aspiraient à se venger des Athéniens ; ceux-ci ,
pressentant leurs intentions hostiles , ordonnèrent à Potidée ,
ville située sur l'isthme de Pallène et colonie de Corinthe , mais
alliée et tributaire d'Athènes , d'abattre la muraille qui regardait
la Pallène , de livrer des otages , enfin de chasser les épidé-
2
miurges que Corinthe y envoyait chaque année , et de n'en
plus recevoir à l'avenir. Ils craignaient que les Potidéates ne se
révoltassent à l'instigation de Perdiccas et des Corinthiens , et
que leur exemple ne fût suivi par les autres alliés du littoral
de la Thrace ³.
LVII . Ces mesures contre Potidée furent prises par les Athé-
niens immédiatement après le combat naval . Les Corinthiens
ne dissimulaient plus leur animosité contre Athènes , et d'un
autre côté Perdiccas, fils d'Alexandre et roi de Macédoine , ve-
nait de se brouiller avec les Athéniens , après avoir été leur
ami et leur allié . Ce qui l'avait indisposé contre eux, c'était
l'alliance qu'ils avaient conclue avec Philippe son frère, et avec
Derdas (a) , qui s'étaient ligués contre lui . Aussi la crainte lui
fit- elle envoyer des députés à Lacédémone , afin d'armer le
Péloponèse contre Athènes . Il se ménageait aussi les Corin-
thiens, en vue de la défection de Potidée ; enfin il fit faire des
propositions de révolte aux Bottiéens et aux Chalcidéens du
littoral de la Thrace . Il pensait que la guerre lui serait plus
facile, quand il aurait pour alliés ces peuples voisins. Instruits
de ces menées , les Athéniens voulurent prévenir les défections ;
et, comme en ce moment même ils expédiaient trente vais-
seaux et mille hoplites contre Perdiccas, ils ordonnèrent à Ar-
chestratos , fils de Lycomédès , et aux quatre autres comman-
dants de cette flotte, de prendre des otages à Potidée , de raser
la muraille, et de surveiller les villes voisines pour empêcher
leur rébellion .
LVIII . Les Potidéates envoyèrent une ambassade à Athènes
pour obtenir qu'on ne prît pas de mesures nouvelles à leur égard .
Ils députèrent aussi à Lacédémone, concurremment avec les

(a) Neveu de Perdiccas et de Philippe.


30 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Corinthiens, afin de s'y ménager des secours à tout événement.


Mais, lorsqu'ils eurent reconnu l'inutilité de leurs longues dé-
marches à Athènes , qu'ils virent diriger aussi contre eux la
flotte destinée pour la Macédoine , qu'enfin les autorités de La-
cédémone leur eurent promis d'envahir l'Attique , si Potidée
était attaquée par les Athéniens, alors croyant l'instant propice ,
ils s'empressèrent de former une ligue avec les Chalcidéens
et les Bottiéens et de se mettre en révolte ouverte. Perdic-
cas persuada aux Chalcidéens d'abandonner leurs villes mari-
times , de les détruire et d'aller s'établir loin de la mer, à
Olynthe, dont ils feraient leur place d'armes. A ces émigrants
il donna, pour toute la durée de la guerre avec les Athéniens ,
la jouissance de terres à lui appartenant , et situées en Mygdo-
nie, aux environs du lac Bolbé . Ces peuples donc détruisi-
rent leurs villes , se retirèrent dans l'intérieur et se préparérent
à la guerre.
LIX. Cependant les trente vaisseaux d'Athènes arrivent sur
les côtes de Thrace et trouvent Potidée, ainsi que les places
voisines , en pleine insurrection. Les généraux , ne se croyant
pas en mesure, avec les forces dont ils disposaient , de com-
battre à la fois Perdiccas et les villes révoltées , se tournèrent
contre la Macédoine , premier but de leur expédition, et ten-
dirent la main à Philippe et aux frères de Derdas , qui de l'in-
térieur avaient envahi la Macédoine.
LX. Lorsque les Corinthiens apprirent la révolte de Potidée
et, la présence d'une flotte athénienne dans les eaux de la Ma-
cédoine, ils conçurent des craintes au sujet de leur colonie ,
et, se regardant comme également menacés, ils y firent passer
seize cents hoplites et quatre cents peltastes ' , composés de vo-
lontaires de Corinthe et de soldats recrutés à prix d'argent dans
le reste du Péloponèse . A la tête de ces troupes était Aristéus ,
fils d'Adimantos, dévoué de tout temps aux Potidéates . Ce fut
par affection pour ce chef que la plupart des volontaires de Co-
rinthe le suivirent. Cette armée fut rendue sur les côtes de
Thrace quarante jours après la révolte de Potidée .
LXI . Les Athéniens ne tardèrent pas à être informés de ces
soulèvements. Quand ils surent qu'Aristéus avait conduit des
renforts en Chalcidique, ils y envoyèrent deux mille hoplites
d'Athènes et quarante ' vaisseaux, commandés par Callias , fils
de Calliadès , avec quatre autres généraux. A leur arrivée en
Macédoine, ils trouvèrent les mille hommes de la première ex-
pédition maîtres de Thermé depuis quelques jours, et faisant le
LIVRE I. 31

siége de Pydna. Ils campèrent eux-mêmes sous les murs de cette


place qu'ils achevèrent d'investir. Cependant , comme ils
el avaient hâte d'atteindre Potidée , où Aristéus était déjà , ils se
virent forcés de conclure un accommodement et une alliance
avec Perdiccas ; puis ils quittèrent la Macédoine . Parvenus à
Berrhée , ils firent une tentative contre cette ville ; mais
n'ayant pu s'en emparer , ils changèrent de direction et prirent
la route de terre pour marcher contre Potidée , avec trois
mille hoplites, renforcés d'un grand nombre d'alliés et de six
cents cavaliers macédoniens sous les ordres de Philippe et de
Pausanias 2. En même temps la flotte, forte de soixante -dix
voiles, rangeait la côte. Ils marchaient à petites journées , et
mirent trois jours à gagner Gigonos ³ , où ils campèrent .
LXII. Les Potidéates et les Péloponésiens d'Aristéus atten-
daient les Athéniens dans un camp placé sur l'isthme, du côté
d'Olynthe . On avait établi un marché hors de la ville . Les con-
fédérés avaient élu pour chef de toute l'infanterie Aristéus, et
pour chef de la cavalerie Perdiccas . Celui - ci avait promptement
0 abandonné les Athéniens pour revenir aux Potidéates , et s'était
re fait remplacer dans le commandement par Iolas . Le plan d'A-
ristéus consistait à occuper l'isthme avec ses propres troupes
et à surveiller l'approche des Athéniens , tandis que les Chal-
cidéens, leurs alliés du nord de l'isthme et les deux cents ca-
valiers de Perdiccas , resteraient en observation à Olynthe , avec
ordre de prendre à revers l'armée athénienne à son premier
mouvement offensif contre Potidée .
Le général athénien Callias et ses collègues détachèrent vers
Olynthe la cavalerie macédonienne avec quelques alliés , afin de
neutraliser les troupes réunies devant cette place ; puis ils le-
vèrent le camp et marchèrent contre Potidée . Lorsqu'ils furent
à l'isthme et qu'ils virent les ennemis se ranger en bataille, ils
suivirent leur exemple , et bientôt après l'action s'engagea.
L'aile que commandait Aristéus , formée de soldats d'élite , Co-
rinthiens et autres , mit en fuite le corps qui lui était opposé et
le poursuivit au loin ; mais le reste de l'armée potidéate et pé-
loponésienne fut vaincu par les Athéniens et se réfugia dans
la ville.
LXIII. A son retour de la poursuite, Aristéus , voyant que cette
partie de l'armée avait été défaite , hésita d'abord de quel côté
il tenterait de faire retraite , vers Olynthe ou vers Potidée . Le
parti auquel il s'arrêta , fut de serrer sa troupe autant que pos-
sible et de se jeter à la course dans Potidée. Il y réussit , non

44
32 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

sans peine, en marchant dans la mer le long de la berme ' et


sous une grêle de traits 2. Il perdit quelques hommes, mais il
sauva le plus grand nombre .
Quant au corps placé en observation en avant d'Olynthe,
cette ville s'aperçoit de Potidée , dont elle n'est éloignée que
de soixante stades³, -lorsqu'on eut arboré les signaux et que
1 l'action fut engagée, il fit un mouvement en avant pour y pren-
dre part ; mais les cavaliers macédoniens lui barrèrent le pas-
sage. D'ailleurs , comme la victoire se déclara promptement en
faveur des Athéniens , l'armée d'Olynthe, voyant les signaux
abaissés , rentra dans la place , et les Macédoniens rejoignirent
les Athéniens. Ainsi des deux côtés la cavalerie ne fut pas en-
gagée.
Après ce combat , les Athéniens érigèrent un trophée et ren-
dirent les morts par composition . Les Potidéates et leurs alliés
avaient perdu un peu moins de trois cents hommes ; les Athé-
niens cent cinquante , avec Callias leur général .
LXIV. Aussitôt les Athéniens tracèrent des lignes et blo-
quèrent la ville du côté de l'isthme ' ; mais ils laissèrent libre
le côté qui regarde la Pallène . Il leur semblait impossible de
passer dans cette presqu'île pour y établir des lignes obsidio-
nales , tout en continuant à garder l'isthme ; se diviser ainsi,
c'eût été prêter le flanc aux attaques des ennemis . Lorsqu'on
sut à Athènes que Potidée n'était pas investie du côté de la Pal-
lène, on envoya un renfort de seize cents hoplites athéniens,
sous les ordres de Phormion , fils d'Asopios. Ce général arriva
dans la Pallène ; et , prenant Aphytis ' comme point de départ , il
s'avança lentement vers Potidée en ravageant le pays . Personne
ne se présenta pour le combattre , et il éleva une circonvallation
du côté de la Pallène . Ainsi Potidée se trouva étroitement
cernée de part et d'autre , en même temps que la flotte la blo-
quait par mer.
LXV. Aristéus , voyant la place investie et sans espoir de sa
lut, à moins d'un secours du Péloponèse ou de quelque autre
événement inespéré , conseilla aux Potidéates de ne laisser dans
la ville que cinq cents hommes, pour ménager les vivres , et de
profiter du premier vent favorable pour faire sortir le reste de
la population. Il offrait d'être lui-même au nombre des demeu-
rants ; mais son avis ne fut pas goûté. Voulant donc prendre les
dispositions devenues nécessaires et mettre dans le meilleur
ordre possible les affaires du dehors , il sortit par mer, en se dé-
robant à la croisière athénienne. Il se rendit chez les Chalci-
LIVRE I. 33
1
emme déens, et fit la guerre de concert avec eux. C'est ainsi qu'il tua
S, MAN bon nombre de Sermyliens ' dans une embuscade qu'il leur
tendit sous les murs de leur ville. En même temps , il agissait
nthe dans le Péloponèse pour obtenir quelque secours . Après l'in-
vestissement de Potidée, Phormion prit avec lui sa troupe de
Exet seize cents hommes et alla ravager la Chalcidique et la Bottique2,
où il s'empara de quelques bourgades.
LXVI. Tels furent, entre Athènes et le Péloponèse , les griefs
lep
ment qui précédèrent la guerre. Les Corinthiens se plaignaient que
leur colonie de Potidée, avec les soldats de Corinthe et du Pélo-
ponèse qu'elle renfermait, fût assiégée par les Athéniens. Ceux-
ci à leur tour accusaient les Péloponésiens d'avoir insurgé une
past
ville alliée et tributaire d'Athènes et d'être venus les combattre
et ouvertement , de concert avec les Potidéates. Néanmoins , la
rupture n'avait pas encore éclaté ; la trêve subsistait toujours ;
sAt car les Corinthiens n'avaient pas agi en vertu d'une délibéra-
tion publique.
I.XVII. Mais quand ils virent Potidée investie , ils ne se tinrent
plus en repos. Craignant et pour la place et pour ceux des leurs
ble qui s'y trouvaient , ils invitèrent leurs alliés à se rencontrer à
Lacédémone . Eux-mêmes s'y rendirent et accusèrent hautement
air les Athéniens d'avoir rompu le traité et offensé le Péloponèse .
Les Éginètes n'osèrent pas envoyer ostensiblement une am-
bassade ; mais ils poussèrent sourdement à la guerre , sous pré-
texte qu'ils ne jouissaient pas de l'indépendance qui leur avait
été garantie par le traité . Les Lacédémoniens , après avoir con-
voqué ceux de leurs alliés qui avaient à se plaindre d'Athènes ,
à quelque titre que ce fût , tinrent leur assemblée ordinaire ' et
les invitèrent à parler. Plusieurs répondirent à cet appel et firent
successivement entendre leurs griefs . En particulier les Méga-
riens articulèrent diverses accusations graves ; ils se plaignirent
surtout de ce que les Athéniens, contrairement au traité , leur
fermaient tous les ports de leur obéissance ainsi que le marché
d'Athènes . Les Corinthiens , après avoir laissé les autres alliés
aigrir les Lacédémoniens , parurent les derniers et s'exprimèrent
ainsi :
LXVIII. « Lacédémoniens , la loyauté qui chez vous préside
aux relations publiques et particulières fait que vous n'écoutez
pas sans défiance les imputations dont on charge autrui . Si d'une
part cette qualité est une marque de sagesse , de l'autre elle
vous laisse dans une profonde ignorance des affaires du dehors .
Bien que nous vous ayons plus d'une fois prévenus des torts que
34 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

les Athéniens s'apprêtaient à nous faire, vous n'avez pas tenu


compte de nos avertissements et vous les avez crus dictés par
notre ressentiment personnel. Voilà pourquoi ce n'est pas avant
l'offense reçue , mais seulement au moment où le mal s'accom-
plit, que vous avez convoqué les alliés ici présents , devant
lesquels il nous appartient d'autant mieux de prendre la parole,
que nous avons les plus justes motifs de plainte, nous qui
sommes victimes à la fois des outrages d'Athènes et de votre
indifférence.
« Si les injustices des Athéniens envers la Grèce étaient se-
crètes, il faudrait éclairer ceux qui pourraient les ignorer;
mais qu'est-il besoin de longs discours contre des gens qui,
vous le voyez, ont déjà asservi les uns, dressent des embû-
ches aux autres, surtout à nos alliés , et se sont préparés de
longue main à la guerre? Autrement ils ne nous auraient pas
enlevé Corcyre et ils n'assiégeraient pas Potidée, deux places
dont l'une est admirablement située pour favoriser toutes les
entreprises sur le littoral de la Thrace, tandis que l'autre eût
donné aux Péloponésiens une marine imposante.
LXIX. « La faute en est à vous, qui leur avez permis d'abord
de fortifier leur ville après les guerres Médiques, puis d'élever
les longs murs, et qui n'avez cessé de ravir la liberté, non-seu-
lement à leurs sujets , mais encore à vos propres alliés ; car le
véritable auteur de l'asservissement n'est pas tant celui qui
l'impose , que celui qui , pouvant l'empêcher , néglige de le
faire , surtout s'il aspire au titre glorieux de libérateur de la
Grèce.
« Puis c'est à grand'peine que nous avons été assemblés,
sans même que la question soit nettement posée . Il s'agissait
en effet de savoir, non pas si nous étions offensés , mais com-
ment nous repousserions les offenses. Ceux qui les commettent
s'avancent contre nous sans retard et avec un parti pris , tandis
que nous délibérons encore. Nous connaissons par quelle
marche progressive les Athéniens poursuivent le cours de leurs
empiétements ; aussi longtemps qu'ils se sont flattés , grâce
à votre apathie , de rester dans l'ombre, ils ont modéré leur
audace ; mais une fois qu'ils vous sauront instruits et indif-
férents, ils se donneront libre carrière. Vous êtes les seuls des
Grecs qui vous plaisiez dans l'inaction, qui vous défendiez non
par les armes, mais par l'inertie ; les seuls qui, pour abattre un
adversaire, attendiez que ses forces soient doublées, au lieu de
l'attaquer au début.
LIVRE I. 35
ST « Et pourtant l'on vantait la fermeté de votre politique ; mais
tés l'éloge était peu mérité . Nous savons que le Mède est arrivé des
extrémités de la terre jusqu'au Péloponèse, avant de rencontrer
de votre part une résistance sérieuse ; et aujourd'hui vous
de fermez les yeux sur les entreprises des Athéniens , qui ne sont
papas éloignés comme lui , mais qui sont à nos portes . Au lieu de
prévenir leurs attaques, vous préférez les attendre et courir les
chances de la lutte contre un ennemi devenu plus puissant.
Vous n'ignorez pas cependant que le Barbare n'a dû qu'à
e lui-même la majeure partie de ses revers , et que, si nous
avons jusqu'ici résisté aux coups des Athéniens , c'est grâce à
leurs propres fautes bien plus qu'à votre appui ; car les espé-
er rances placées en vous ont déjà perdu bien des gens, qui , par
excès de confiance, ont été pris au dépourvu .
ent « Que nul de vous ne voie dans nos paroles des accusations
haineuses plutôt qu'une juste remontrance ; les remontrances
s'adressent à des amis en faute, les accusations à de coupables
tennemis .
LXX. D'ailleurs nous pensons avoir, plus que personne ,
le droit d'infliger le blâme à autrui , car de graves intérêts sont
engagés de notre côté, sans que vous paraissiez vous en faire
une juste idée. Vous n'avez pas réfléchi non plus au caractère
de ces Athéniens que vous allez avoir à combattre , caractère
qui contraste si complétement avec le vôtre .
« Ils sont entreprenants et aussi prompts à exécuter un
projet qu'à le concevoir ; vous , il vous suffit de conserver ce
que vous possédez ; jamais vous ne visez au delà , jamais vous
ne prenez même les mesures indispensables . Ils ont plus d'au-
dace que de force, plus de témérité que de jugement ; ils vi-
vent d'espérance au milieu même des revers . Chez vous au
ett contraire l'action ne répond jamais à la puissance ; vous vous
défiez des choses même les plus sûres, et ne pensez jamais
pouvoir sortir d'un mauvais pas. Ils aiment le mouvement ,
vous le repos ; volontiers ils courent le monde, tandis qu'il n'y
a pas d'hommes plus sédentaires que vous ; sortir de ses
foyers leur paraît un moyen d'accroître ses possessions , à
vous de les compromettre. Vainqueurs de leurs ennemis, ils
s'élancent à de nouvelles conquêtes ; vaincus, ils ne se laissent
abattre qu'un instant. Dès qu'il faut servir leur patrie , rien de
moins à eux que leurs corps , rien de plus à eux que leur
esprit. Echouent-ils dans leurs desseins, ils crient qu'on les
dépouille ; réussissent-ils , c'est peu en comparaison de ce qu'ils
36 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

prétendent. Trompés dans leurs efforts, ils se consolent par de


nouvelles combinaisons ; pour eux seuls l'espoir est réalisé
aussitôt que conçu , tant l'action suit de près la pensée . Tout
cela se poursuit avec des fatigues et des dangers sans fin ; ils
ne se donnent pas le temps de jouir, car ils ont hâte d'acquérir
antage. Pour eux, la meilleure fète, c'est le devoir accom-
pli ; une oisive tranquillité leur paraît plus à plaindre qu'une
activité laborieuse. En sorte que , pour les caractériser d'un
seul mot , on peut dire qu'ils sont nés pour n'être jamais en
repos et n'y jamais laisser les autres.
LXXI. Et c'est en présence de tels antagonistes que vous
vous croisez les bras ! Vous ne croyez pas que le meilleur
moyen d'assurer la paix soit de se préparer à la guerre tout en
respectant la justice, tout en se montrant résolu à ne pas en-
durer un affront. Pour vous l'équité consiste à ne pas offenser
les autres et à ne pas vous exposer pour votre propre défense.
Vous y réussiriez à peine, si vous aviez des voisins qui vous
ressemblassent ; mais , nous venons de le dire, vos principes
sont surannés en comparaison de ceux d'Athènes . Or il en est
de la politique comme des arts ; ce sont toujours les nouveaux
procédés qui prévalent. Pour une ville pacifique, rien de mieux
que l'immobilité; mais, quand on est forcé de faire face de
plusieurs côtés à la fois, il faut être fécond en ressources . Voilà
pourquoi la politique des Athéniens , avec leur humeur aventu
reuse, a admis plus d'idées neuves que la vôtre.
« Que ce soit donc ici le terme de vos lenteurs. Fidèles à vos
promesses , marchez à la défense des Potidéates et de vos autres
alliés , en entrant sans retard en Attique ; n'abandonnez pas des
amis et des frères à d'implacables ennemis, ne nous réduisez
pas à nous jeter, en désespoir de cause, dans les bras d'un
autre peuple. Il n'y aurait là de notre part aucune injustice , ni
devant les dieux qui reçurent nos serments, ni devant les
hommes de sens ; car les violateurs de la foi jurée ne sont pas
ceux qui , abandonnés à eux-mêmes, cherchent asile et pro-
tection, mais ceux qui délaissent leurs confédérés . Si vous
montrez de la bonne volonté, nous resterons avec vous ; aussi
bien ne ferions-nous pas une action louable en changeant
d'alliés, et nous n'en pourrions trouver de plus sympathiques.
Là-dessus délibérez avec sagesse, et faites en sorte que, sous
votre suprématie , le Péloponèse ne descende pas du rang où
vos ancêtres l'ont placé. »
LXXII. Ainsi parlèrent les Corinthiens. Il se trouvait alors à
LIVRE I. 37

Lacédémone des députés athéniens venus pour d'autres affaires .


Informés des discours qui se tenaient dans l'assemblée , ils ju-
gèrent à propos de s'y présenter , nullement pour repousser les
inculpations des villes, mais pour montrer qu'il ne fallait rien
décider à la hâte et sans mûr examen. Ils voulaient faire con-
naître toute l'étendue de la puissance d'Athènes , raviver les
20 souvenirs des vieillards et instruire les jeunes gens de ce qu'ils
pouvaient ignorer ; en un mot, ils espéraient ramener les Lace-
démoniens à des idées de paix. Ils se présentèrent donc et di-
rent qu'ils désiraient obtenir audience , s'il n'y avait pas d'empê-
chement. Admis dans l'assemblée, ils parurent à la tribune et
prononcèrent le discours suivant :
LXXIII. « Nous n'avons pas été députés vers vous pour entrer
ten lice avec vos alliés , mais pour nous acquitter de notre mis-
sion. Cependant, informés qu'il s'élève contre nous de violentes
clameurs , nous avons demandé la parole , non pour répondre
aux villes qui nous accusent, car vous ne sauriez être juges
entre elles et nous, mais afin que , dans une affaire de cette
gravité , vous ne preniez pas légèrement et sur leurs discours
I une résolution fâcheuse. D'ailleurs nous désirons , au sujet de
la question soulevée contre nous , faire voir que ce que nous
possédons nous l'avons acquis sans injustice , et que notre ville
fa mérite que l'on compte avec elle.
8.1 « A quoi bon remonter aux temps tout à fait anciens , qui
nous sont connus seulement par de vagues traditions ? Mais les
guerres Médiques et autres événements dont vous avez une
si connaissance personnelle , nous sommes forcés de les rappeler ,
a dût- on nous reprocher d'y revenir sans cesse. Lorsque nous
bravions le danger , c'était dans l'intérêt de tous ; et , puisque
de vous avez eu votre part des résultats , qu'il ne nous soit pas in-
si terdit d'en rappeler le souvenir, pour peu qu'il nous soit utile.
Nous parlerons bien moins pour nous disculper, que pour vous
faire voir quelle est la ville que vous aurez à combattre, si vous
tprenez une résolution funeste .
F << Disons-le donc à Marathon nous fûmes les premiers et
les seuls à combattre le Barbare ; et lorsqu'il vint pour la se-
a conde fois, trop faibles pour lui résister sur terre, nous mon-
gea tâmes sur nos vaisseaux, et notre peuple tout entier livra le
qu combat naval de Salamine ; nous empêchâmes une innombrable
flotte de ravager une à une les villes du Péloponèse , incapables
de seuprêter
g vainc un mutuel
sur mer, appui .précip
il se retira Le roiitamme
lui - même le fitlabien
nt avec voir e:
majeur

THUCYDIDE. 3
38 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

partie de ses troupes , ne se jugeant plus en état de continuer


lutte.
LXXIV. En cet événement qui montra d'une manière écla-
tante que le salut des Grecs était dans leurs navires, nous
mîmes pour notre part au service de la Grèce les trois principaux
éléments de succès : les vaisseaux les plus nombreux, le général
le plus habile et un zèle à toute épreuve. Sur quatre cents vais-
seaux, nous en fournîmes à peu près les deux tiers ' ; notre gé-
néral fut ce Thémistocle, qui obtint qu'on livrerait bataille dans
un détroit, et qui par là évidemment sauva la patrie commune :
aussi lui avez-vous décerné plus d'honneurs qu'à aucun des étran-
gers qui sont venus jamais à Lacédémone' ; enfia notre zèle fut
poussé jusqu'aux dernières limites. Quand nous vîmes que , par
terre, nul ne venait à notre aide, et que les autres peuples
jusqu'à nos frontières étaient asservis, nous abandonnâmes
notre ville , nous détruisîmes nos propriétés ; et, ne voulant pas
même alors trahir les alliés qui nous restaient encore , ou par
notre dispersion leur devenir inutiles, nous montâmes sur nos
vaisseaux pour affronter l'orage , sans vous garder rancune de
votre tiédeur à nous secourir. Aussi pouvons-nous affirmer
que nous ne fîmes pas moins pour vous que pour nous-mêmes.
Quant à vous , c'est en laissant vos villes habitées , c'est pour
en conserver la possession, qu'alarmés sur votre salut bien plus
que sur le nôtre, vous vous mîtes en campagne : car tant
qu'Athènes fut debout, rien ne vint de votre côté ; tandis que
nous, c'est en partant d'une ville qui n'existait plus , c'est en
bravant le péril avec une bien faible espérance de la recon-
quérir, que nous aidâmes à vous sauver en nous sauvant nous-
mêmes. Si au contraire, craignant comme tant d'autres pour
< notre pays , nous nous étions d'abord soumis aux Mèdes , ou que
plus tard, nous considérant comme perdus, nous n'eussions pas
eu le courage de nous embarquer, l'insuffisance de votre ma-
rine vous eût empêchés de livrer une bataille navale , et le Bar
bare fût arrivé sans obstacle à ses fins .
LXXV. « Après tant de preuves de dévouement et d'intelli-
gence, est- il juste que l'empire que nous possédons excite à ce
point la jalousie des Grecs? Nous l'avons acquis cet empire,
non par violence , mais parce que les alliés , lorsque vous refu
sâtes d'achever la guerre contre les Barbares, nous déférèrent
le commandement. Nous avons été contraints dès l'abord et
par la nature des choses de donner à cet empire son extension
actuelle ; en cela nous avons écouté la crainte, l'honneur et
LIVRE L 39

l'intérêt. En butte à la haine générale , forcés de réprimer des


défections , voyant votre vieille amitié faire place à la suspicion
et à la malveillance, nous avons jugé périlleux de nous re-
lâcher sur nos droits et de permettre aux défectionnaires de
passer de votre côté . Or nul ne peut trouver mauvais qu'en
présence des plus grands dangers on prenne soin de ses in-
térêts .
LXXVI. « Vous-mêmes , Lacédémoniens , vous commandez
aux villes du Péloponèse , en y établissant le régime qui vous
convient; mais si, dans le temps , vous aviez continué la guerre
et encourus comme nous la haine dans le commandement ,
comme nous aussi vous auriez été à charge à vos alliés et
obligés de les gouverner avec vigueur, sous peine de craindre
pour vous-mêmes .
<< Ainsi nous n'avons rien fait d'étrange ni de contraire à la
nature humaine, en acceptant un empire qu'on nous offrait, et
en le retenant d'une main ferme , dominés comme nous l'étions
par les motifs les plus puissants, l'honneur, la crainte et l'in-
térêt. Ce n'est pas nous qui avons donné un tel exemple ; de tout
temps il a été admis que le plus faible fût maîtrisé par le plus
fort. D'ailleurs nous croyons être dignes de l'empire , et vous
en avez ainsi jugé vous- mêmes jusqu'au moment où des vues
intéressées vous ont fait mettre en avant ces principes de justice
qui n'ont jamais empêché personne de s'agrandir par la force,
quand l'occasion s'en présentait. Ils méritent des louanges ,
ceux qui, tout en obéissant au penchant naturel à l'homme pour
la domination, montrent plus d'équité que ne le permettrait
leur puissance . Si le hasard voulait que d'autres prissent notre
place, on verrait bientôt par comparaison combien nous sommes
modérés. Et pourtant cette modération , loin de nous valoir
de justes éloges , n'a été pour nous qu'une source de blâme.
LXXVII. « Nous avons beau , dans toutes nos contestations
avec nos alliés , nous relâcher de nos droits , et maintenir l'éga-
lité devant la loi , nous n'en passons pas moins pour rechercher
les procès . Personne ne se demande pourquoi l'on ne fait pas le
même reproche à tous ceux qui commandent à d'autres peuples
et qui se montrent moins modérés que nous envers leurs sujets :
c'est que, lorsqu'on peut user de violence , on n'a que faire de
procès. Mais nos alliés, habitués à vivre avec nous sur un pied
d'égalité, viennent-ils à éprouver quelque mécompte par suite
d'une divergence d'opinion ou de l'autorité que nous donne
notre prééminence, au lieu d'être reconnaissants de ce qu'on ne
40 GUERRE DU PÉLOPON .
È SE
leur ôte pas le plus, mais seulement le moins, ils montrent plus
de colère que si d'emblée nous eussions mis de côté la loi et
commis des usurpations manifestes. Dans ce cas, ils n'auraient
pas même songé à protester contre la soumission du plus faible
au plus fort. C'est qu'apparemment on s'irrite plus de l'injustice
que de la violence : la première, venant d'un égal, semble être
une usurpation ; la seconde, appuyée sur la force, passe pour
une nécessité . Ainsi nos alliés, quoiqu'ils eussent à subir , sous
l'oppression du Mède, des lois bien plus rigoureuses, ne lais-
saient pas de s'y résigner, tandis que notre autorité leur paraît
tyrannique. Faut- il s'en étonner? La domination présente est
toujours odieuse. Quant à vous, s'il vous arrivait de nous sup-
planter et d'hériter de notre prééminence , vous ne tarderiez pas à
voir s'évanouir cette faveur dont vous jouissez grâce à la crainte
que nous inspirons , surtout, si vous suiviez les mêmes prin-
cipes que pendant la courte durée de votre commandement
dans la guerre Médique 2 ; en effet, vos mœurs sont incompa-
tibles avec celles des autres nations , sans compter que chacun
de vous , une fois hors de son pays, ne suit plus ni les usages
de sa patrie ni ceux du reste de la Grèce.
LXXVIII. « Délibérez donc mûrement , comme le mérite une
question de la plus haute importance ; et n'allez pas , sur des
idées et des accusations étrangères , vous jeter dans des em-
barras personnels . Avant de vous engager dans la guerre, son-
gez à la grandeur des mécomptes qu'elle entraîne ; en se pro
longeant, elle se plaît à multiplier les chances incertaines dont
nos deux peuples sont encore éloignés pour le moment , sans
qu'on puisse savoir quel est celui des deux partis que favorisera
l'avenir. Quand on entreprend une guerre, on commence par où
l'on devrait finir : on débute par les actions, et l'on attend
d'avoir souffert pour avoir recours aux paroles . Pour nous, qui
n'avons pas commis ce genre de faute et qui ne vous y voyons
pas disposés , nous vous conseillons , pendant que nos résolu-
tions sont libres encore , de ne pas rompre le traité et de ne pas
violer les serments, mais de régler nos différends à l'amiable ,
conformément aux conventions ; autrement, nous prendrons à
témoin les dieux vengeurs du parjure, et nous tâcherons de
nous défendre en suivant la route que nous auront tracée nos
agresseurs . >>
LXXIX. Tel fut le discours des députés d'Athènes . Les La-
cédémoniens, après avoir entendu les plaintes de leurs alliés et
la réponse des Athéniens, les firent tous retirer et délibérérent
LIVRE I. 41

entre eux sur la question proposée . La majorité inclinait à


prononcer que les Athéniens étaient coupables , et qu'il fallait
leur déclarer la guerre immédiatement . Alors Archidamos , roi
des Lacédémoniens , renommé pour ses lumières et pour sa
modération , prit la parole et dit :
LXXX. « J'ai traversé bon nombre de guerres , et je vois ici
bien des gens de mon âge qui peuvent en dire autant ; ils
n'imiteront donc pas le commun des hommes qui , par inexpé-
rience , désirent la guerre, parce qu'ils la croient profitable et
sans danger.
« Celle qui fait l'objet de votre délibération ne vous paraîtra
pas sans importance , pour peu que vous y réfléchissiez . Aux
Péloponésiens , aux peuples de notre voisinage, nous pouvons
opposer une force égale , et ils sont à portée de nos coups ;
mais comment entreprendre légèrement une lutte contre des
hommes qui habitent une terre éloignée , qui ont une grande
expérience de la mer, qui sont abondamment pourvus de toutes
choses , richesses privées et publiques , vaisseaux , chevaux,
armes , population plus nombreuse qu'en aucune autre contrée
de la Grèce, et qui de plus ont une foule d'alliés tributaires ?
Et sur quoi compterions-nous , pour nous hâter avant d'être
de
suffisamment préparés ? Sur notre marine? Mais à cet égard
nous leur sommes inférieurs ; et , si nous voulons nous exercer
et nous mettre en état de leur tenir tête , il faudra du temps .
ON Sur nos finances ? Encore moins ; car nous n'avons pas de
01 trésor public , et nous sommes peu disposés à contribuer de nos
deniers.
LXXXI . « Peut-être se repose-t-on sur notre supériorité
militaire et numérique , et pense- t-on qu'il nous serait facile
de ravager leur territoire par des invasions réitérées. Mais les
Athéniens possèdent beaucoup d'autres pays soumis à leur do-
mination , et ils se procureront par mer ce qui leur manque .
Si nous essayons d'insurger leurs alliés , il faudra des flottes
pour les soutenir ; car ils sont la plupart insulaires . Quelle
espèce de guerre ferons -nous donc ? A moins d'être les plus
forts sur mer ou de leur enlever les revenus qui alimentent
leur marine, nous recevrons plus de mal que nous n'en ferons .
Il ne sera plus possible de quitter les armes avec honneur,
surtout après avoir été les premiers à les prendre.
<< Ne nous berçons pas de l'idée que cette guerre se terminera
promptement , si nous dévastons le pays ennemi . Je crains
bien plutôt que nous ne la transmettions à nos enfants , tant
42 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

il est improbable que les Athéniens , ce peuple si fier , se ren-


dent esclaves de leur territoire , ou se laissent intimider par la
guerre , comme si c'était chose nouvelle pour eux.
LXXXII. « Je ne prétends pas que nous devions être insen-
sibles au malaise de nos alliés, ou fermer les yeux sur les em-
bûches qui leur sont tendues ; ce que je dis , c'est qu'il ne faut
pas encore faire appel aux armes , mais envoyer des députés et
articuler nos griefs, sans menaces de guerre ni lâche condes-
cendance. En attendant nous pousserons nos préparatifs ; nous
solliciterons l'adjonction de nouveaux alliés grecs ou barbares,
pour tirer d'eux des secours maritimes ou pécuniaires . Et qui
pourrait nous faire un crime, menacés comme nous le sommes
par les Athéniens , de chercher notre salut dans l'alliance des
Grecs et même des Barbares? En même temps , déployons toutes
nos ressources. Si les Athéniens écoutent nos réclamations , ce
sera bien ; autrement, dans deux ou trois années , nous mar-
cherons contre eux, si on le juge à propos , avec des chances meil-
leures . Et qui sait si , voyant nos préparatifs en harmonie avec
nos paroles, ils ne seront pas plus disposés à céder, surtout quand
nous n'aurons pas encore entamé leur territoire, et qu'ils
auront à délibérer , non sur des ruines, mais sur des biens encore
intacts? Ne croyez pas qu'entre nos mains leur pays soit autre
chose qu'un otage, d'autant plus sûr qu'il sera mieux cultivé. Il
nous faut donc ménager ce pays le plus possible, et ne pas
rendre leur défaite plus difficile en les poussant au désespoir.
Si au contraire , avec des préparatifs insuffisants et sur les
plaintes de nos alliés , nous nous hâtons de ravager l'Attique ,
prenez garde que le Péloponèse n'en recueille de la honte et
de l'embarras. On peut accorder les querelles des États et
des individus ; mais lorsque , pour des intérêts particuliers ,
nous aurons entrepris une guerre générale et d'une issue
fort douteuse , il ne sera pas facile de la terminer avec hon-
neur.
LXXXIII. N'allez pas vous imaginer que, nombreux comme
vous l'êtes et n'ayant affaire qu'à une seule ville, il y ait lâcheté
à ne pas l'attaquer sur-le- champ. Les Athéniens n'ont pas moins
d'alliés tributaires que nous ; or la guerre dépend bien moins
des armes que de l'argent qui en seconde le succès, surtout
quand la lutte est entre une puissance continentale et une puis-
sance maritime. Commençons donc par nous en procurer , et
ne nous laissons pas d'abord entraîner par les discours de nos
alliés. Puisque c'est nous qui aurons la responsabilité des ré-
LIVRE I. 43

sultats, quels qu'ils soient, donnons-nous au moins le temps de


la réflexion.
LXXXIV. « Quant à cette lenteur, à cette temporisation qu'on
nous reproche , gardez-vous d'en rougir ; la précipitation ne
ferait que reculer le terme d'une guerre entreprise sans prépa-
ratifs. D'ailleurs nous habitons une ville qui n'a pas cessé d'être
libre et grandement illustre , et ce dont on nous blâme n'est autre
chose qu'une sage modération. C'est à cette qualité que nous
devons de n'être ni insolents dans les succès , ni abattus comme
tant d'autres dans les revers ; de ne pas nous laisser précipiter
dans le péril par les flatteries qu'on nous adresse , et d'être
impassibles aux reproches par lesquels on essaye de nous
irriter.
« Cette prudence nous rend à la fois propres à la guerre et
au conseil : à la guerre , parce que la modération est la source
de l'honneur et l'honneur celle du courage ; au conseil, parce
que nous avons été élevés trop simplement pour mépriser les
lois et trop sévèrement pour les enfreindre ; enfin, parce que
n'étant pas initiés aux connaissances oiseuses, nous ne possé-
dons pas l'art de critiquer en belles phrases les plans de nos
ennemis , sans nous soucier si nos actions répondront à nos pa-
roles. Nous croyons que les idées d'autrui valent bien les
nôtres et qu'on ne peut faire d'avance la part de l'avenir. Il faut
toujours présumer nos adversaires bien inspirés et leur opposer
des préparatifs réels, ne point placer nos espérances dans les
fautes qu'ils pourront commettre , mais plutôt dans la justesse
de nos calculs . Ne vous figurez pas qu'il y ait une grande
différence entre un homme et un autre homme : s'il en est
un qui excelle, c'est celui qui a été formé à l'école de la né-
cessité.
LXXXV. « N'abandonnons pas les maximes que nos pères
nous ont léguées et dont nous nous sommes toujours bien
trouvés. Ne décidons pas en un seul instant du sort de tant
d'hommes , de tant de richesses , de tant de villes , de tant de
gloire ; mais délibérons à loisir ; nous le pouvons mieux que
d'autres parce que nous sommes forts . Envoyons à Athènes une
première ambassade au sujet de Potidée, une seconde pour
exposer les plaintes de nos alliés ; c'est un devoir, puisque les
Athéniens offrent l'arbitrage, et que celui qui s'y réfère ne doit
pas être de prime abord traité en ennemi . Pendant ce temps ,
préparons-nous à la guerre ; c'est le meilleur parti à prendre ,
celui qui inspirera à nos adversaires le plus de terreur. »
44 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

LXXXVI. Tel fut le discours d'Archidamos. Sthénélaïdas ,


un des éphores en charge , s'avança le dernier et dit :
« Je n'entends rien à toutes les arguties des Athéniens . Ils
se sont donné force louanges , mais n'ont nullement prouvé
qu'ils ne portent pas atteinte aux droits de nos alliés et à ceux
du Péloponèse . Si jadis leur conduite fut belle contre les Mèdes
et qu'aujourd'hui elle soit coupable envers nous, ils méritent
une double peine , pour être devenus méchants de bons qu'ils
étaient. Pour nous , nous sommes toujours les mêmes ; et , si
nous sommes sages, nous ne souffrirons pas qu'on offense nos
alliés ; nous n'hésiterons pas à prendre leur défense, puisqu'on
n'hésite pas à les maltraiter. D'autres ont de l'argent , des vais-
seaux, des chevaux en abondance : nous avons , nous, de braves
alliés, qu'il ne faut pas livrer aux Athéniens. Il ne s'agit pas ici
de discussions ni de paroles , car ce n'est pas en paroles qu'ils
sont attaqués ; il faut leur porter secours au plus tôt et de
toutes nos forces. Que nous parle-t-on de délibérer lorsqu'on
nous outrage ? C'est à ceux qui méditent l'injustice à délibérer
longuement. Votez donc la guerre , Lacédémoniens , comme il
est digne de Sparte ; ne laissez pas les Athéniens s'agrandir
davantage et ne trahissez pas vos alliés ; mais , avec l'aide des
dieux , marchez contre de perfides agresseurs . >»
LXXXVII. Il dit, et, en sa qualité d'éphore , il mit lui-même la
question aux voix dans l'assemblée des Lacédémoniens . Or,
comme ceux- ci votent par acclamation et non au scrutin , il
prétendit ne pas discerner quel était le cri le plus fort ; et vou-
lant les exciter encore plus à la guerre en rendant le suffrage
manifeste : « Que ceux de vous , dit-il, qui regardent la paix
comme rompue et les Athéniens comme coupables , se lèvent et
passent de ce côté ; que ceux qui sont d'un avis contraire pas-
sent de l'autre . » Les Lacédémoniens se levèrent et se parta-
gèrent ; une majorité imposante déclara le traité rompu . En
conséquence , ils rappelèrent les alliés , et leur dirent qu'ils
donnaient tort aux Athéniens ; mais qu'ils voulaient, avant de
leur déclarer la guerre, réunir tous les alliés et leur soumettre
la question , afin d'agir d'un commun accord . Là-dessus les alliés
s'en retournèrent ; les députés d'Athènes partirent plus tard ,
après s'être acquittés de leur mandat . Ce vote de l'assemblée ,
qui déclarait le traité rompu , eut lieu la quatorzième année de
la paix de trente ans, conclue après la conquête de l'Eubée * .
L'an 432 avant Jésus-Christ.
LIVRE 1. 45

LXXXVIII . En proclamant la rupture du traité et en votant la


guerre, les Lacédémoniens cédèrent moins aux sollicitations de
leurs alliés qu'à la crainte que leur causaient les Athéniens.
Ils les voyaient déjà maîtres d'une partie de la Grèce , et ils
avaient peur qu'ils ne s'agrandissent encore davantage.
LXXXIX. Il me reste maintenant à raconter de quelle ma-
nière les Athéniens étaient parvenus à la suprématie qui con-
tribua tant à leur puissance.
Quand les Mèdes eurent quitté l'Europe , vaincus par les Grecs
sur terre et sur mer ; quand ceux d'entre eux qui , avec leurs
vaisseaux, avaient cherché un refuge à Mycale , eurent été dé-
truits, Léotychidas , roi des Lacédémoniens , qui commandait
S les Grecs en cette journée , retourna dans sa patrie avec les
alliés du Péloponèse. Les Athéniens au contraire , avec les alliés
de l'Ionie et de l'Hellespont déjà révoltés contre le roi , conti-
nuèrent la guerre et mirent le siége devant Sestos , que les
Mèdes occupaient. Ils passèrent l'hiver sous les murs de cette
place, dont ils s'emparèrent après la retraite des Barbares .
Ensuite ils abandonnèrent l'Hellespont, et chacun regagna ses
foyers.
A peine l'Attique avait-elle été évacuée par les Barbares, que
les Athéniens faisaient revenir des lieux où ils les avaient mis
à l'abri leurs enfants , leurs femmes et le restant de leurs effets ;
après quoi ils se disposèrent à reconstruire leur ville et leurs
murailles. Il ne subsistait presque rien de l'ancienne enceinte ;
la plupart des maisons étaient tombées , sauf quelques-unes ,
qu'avaient occupées les principaux des Perses.
XC. Les Lacédémoniens, informés de ce projet , envoyèrent
une ambassade à Athènes . Pour leur part, ils auraient vu avec
plaisir que ni cette ville ni aucune autre n'eût de murailles ;
mais ils obéissaient surtout aux instances de leurs alliés , in-
quiets de l'essor qu'avait pris la marine autrefois nulle des
Athéniens, et de l'audace déployée par eux dans la guerre
Médique . Les députés invitèrent donc les Athéniens ne point
fortifier leur ville, mais plutôt à se joindre à eux pour détruire
tous les remparts élevés en dehors du Péloponèse . Ils dissimu-
laient leurs intentions et leurs défiances ; mais il ne fallait pas,
disaient-ils , que le Barbare , si jamais il revenait , pût trouver
une place forte qui servît de base à ses opérations , comme cela
s'était vu en dernier lieu pour Thèbes ' . Le Péloponèse , ajou-
taient-ils , peut offrir à tous les Grecs une retraite et une place
d'armes suffisantes .
46 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Les Athéniens, d'après l'avis de Thémistocle, congédièrent à


l'instant cette ambassade, avec réponse qu'ils allaient députer à
Lacédémone sur ce sujet. Thémistocle demanda d'être envoyé
lui-même sur-le -champ. Il conseilla de ne point faire partir
aussitôt ceux qu'on lui donnerait pour collègues , mais de les
retenir jusqu'à ce que la muraille eût atteint la hauteur stricte-
ment nécessaire pour soutenir un assaut. Toute la population,
hommes, femmes et enfants, eut ordre de mettre la main à
l'œuvre, sans épargner ni édifice public ni construction parti-
culière , mais de démolir indistinctement tout ce qui pouvait
servir aux travaux. Après avoir donné ces instructions et laissé
entendre qu'il ferait le reste à Lacédémone, Thémistocle partit.
Arrivé dans cette ville , au lieu de se rendre auprès des autorités ,
il usa d'atermoiements et de défaites ; et lorsqu'on lui deman-
dait pourquoi il ne se présentait pas à l'assemblée, il répondait
qu'il attendait ses collègues demeurés en arrière pour terminer
quelques affaires, mais qu'il comptait sur leur arrivée prochaine
et s'étonnait de leur retard.
XCI. On croyait Thémistocle, parce qu'on avait pour lui de
l'affection . Cependant il arrivait des gens qui annonçaient
d'une manière positive qu'Athènes se fortifiait et que le mur
prenait déjà de l'élévation ; il n'y avait plus moyen d'en douter.
Alors Thémistocle, s'apercevant de l'effet produit par ces nou-
velles, conseilla aux Lacédémoniens de ne pas ajouter foi à de
vaines rumeurs , mais d'envoyer quelques-uns de leurs conci-
toyens les plus considérés, qui feraient un rapport fidèle après
avoir vu les choses par leurs yeux. On les fit donc partir. Thé-
mistocle manda sous main aux Athéniens de retenir ces députés
d'une manière aussi peu apparente que possible , jusqu'à ce que
lui-même et ses collègues fussent de retour (ceux- ci l'avaient
enfin rejoint et lui avaient appris que le mur était suffisamment
élevé ; c'étaient Abronychos fils de Lysiclès et Aristide fils de
Lysimachos). Il craignait que les Lacédémoniens , une fois
informés, ne les laissassent plus aller. Les Athéniens firent ce
qu'il demandait. Alors Themistocle leva le masque ; et, se pré-
sentant aux Lacédémoniens, il leur déclara sans détour qu'Athè-
nes était fortifiée et désormais en état de protéger ses habitants ;
que si les Lacédémoniens et leurs alliés voulaient y envoyer
une députation , ce devait être à l'avenir comme à des hommes
qui connaissaient également leurs propres intérêts et ceux de la
Grèce ; qu'en effet, lorsqu'ils avaient jugé utile d'abandonner
leur ville et de monter sur leurs vaisseaux, ils avaient su pren-
LIVRE I. 47
dre à eux seuls cette résolution courageuse; et que, dans les
délibérations communes, ils ne s'étaient montrés inférieurs en
intelligence à personne. Si maintenant ils avaient trouvé bon
de fortifier leur ville , c'était dans l'intérêt des alliés non moins
que dans le leur ; car il n'était pas possible, avec des positions
inégales , d'apporter dans les discussions communes un esprit
d'ensemble et d'égalité . Il fallait donc , ajoutait-il, ou que tous
les alliés fussent dépourvus de murailles, ou qu'on approuvât ce
qu'Athènes avait fait.
XCII. Les Lacédémoniens , à ce discours , ne laissèrent percer
ancune aigreur contre les Athéniens. En leur envoyant une
ambassade, ils n'avaient pas prétendu, dirent-ils, leur donner
des ordres , mais simplement un conseil dicté par l'intérêt de
tous. A cette époque ils étaient dans les meilleurs termes avec
les Athéniens , à cause du zèle dont ceux-ci avaient fait preuve
dans la guerre Médique ; toutefois ils éprouvaient un secret dé-
plaisir d'avoir manqué leur but. Quant aux députés , ils se retire-
rent les uns et les autres sans récriminations.
XCIII. C'est ainsi que les Athéniens fortifièrent leur ville dans
un court espace de temps. L'ouvrage porte encore aujourd'hui
des traces de la précipitation avec laquelle il fut exécuté . Les
fondements sont en pierres de toute espèce, non appareillées ,
telles que chacun les apportait. On y fit entrer jusqu'à des co-
lonnes sépulcrales et des marbres sculptés . L'enceinte de la
ville fut élargie en tout sens ' . L'empressement faisait qu'on
remuait tout sans distinction.
Thémistocle persuada aussi d'achever les constructions du
Pirée, précédemment commencées pendant l'année de son ar-
chontat 2. Cet endroit lui paraissait favorable à cause de ses trois
ports naturels³ ; il pensait que les Athéniens trouveraient dans
la marine les moyens de parvenir à une grande puissance. Le
premier il osa dire qu'il fallait s'adonner à la mer, et il fit aus-
sitôt mettre la main à l'œuvre. D'après son avis, on donna au
mur l'épaisseur qu'on lui voit aujourd'hui autour du Pirée ; les
pierres étaient apportées par des chariots attachés deux à deux¹;
dans l'intérieur il n'y avait ni blocage ni mortier, mais le mur
consistait en grosses pierres de taille , jointes par des crampons
de fer scellés avec du plomb. La hauteur totale ne fut guère que
la moitié de ce que projetait Thémistocle ; il eut voulu que l'é-
lévation et l'épaisseur de ces murailles défiassent tous les as-
sauts, et il pensait que pour la défense il suffirait d'un petit
nombre des hommes les moins valides, tandis que les autres
48 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

monteraient sur les vaisseaux. La grande importance qu'il at-


tachait à la marine venait sans doute de ce qu'il avait reconnu
que l'armée du roi avait l'accès plus facile par mer que par terre.
A ses yeux, le Pirée était plus essentiel que la ville haute ; sou-
vent il conseillait aux Athéniens, s'ils venaient à être pressés
sur terre , de descendre au Pirée et de s'y défendre sur leurs na-
vires envers et contre tous.
Ce fut ainsi que les Athéniens élevèrent leurs remparts et
les autres constructions, immédiatement après la retraite des
Mèdes.
XCIV . Cependant Pausanias , fils de Cléombrotos , avait été
envoyé de Lacédémone, avec vingt vaisseaux du Péloponèse, en
qualité de général des Grecs. Cette armée, renforcée de trente
vaisseaux athéniens et d'une foule d'alliés , se porta d'abord con-
tre l'île de Cypre, qu'elle soumit en grande partie ; de là , toujours
sous le même commandement, elle alla attaquer Byzance, que
les Mèdes occupaient , et qu'elle prit à la suite d'un siége.
XCV. Mais le caractère altier de Pausanias ne tarda pas à in-
disposer les Grecs , surtout les Ioniens et tous ceux qui s'étaient
récemment soustraits à la domination du roi. Ils s'adressèrent '
donc aux Athéniens et les prièrent, en vertu de leur commune
origine, de se placer à leur tête et de les protéger au besoin
contre les violences de Pausanias. Les Athéniens accueillirent
cette demande et s'occupèrent de prendre les mesures les plus
convenables pour être en état d'y satisfaire.
Sur ces entrefaites, les Lacédémoniens rappelèrent Pausanias
pour lui faire son procès à l'occasion des faits dont ils avaient
été informés. Les Grecs qui arrivaient à Lácédémone étaient
unanimes à l'accuser, et son généralat ressemblait fort à la ty-
rannie . Il fut précisément rappelé au moment où les alliés ,
sauf les troupes du Péloponèse, passaient sous les ordres des
Athéniens . De retour à Lacédémone, il fut condamné sur quel-
ques chefs particuliers , mais absous des accusations les plus
graves ; on l'accusait surtout de médisme ' , et le reproche pa-
raissait fondé. On lui retira donc le commandement ; on fit par-
tir à sa place, avec peu de monde, Dorcis et d'autres , dont les
alliés déclinèrent l'autorité. Ces chefs aussitôt se retirèrent ;
dès lors les Lacédémoniens n'en envoyèrent plus. L'exemple de
Pausanias leur faisait craindre qu'ils ne se pervertissent en
sortant du pays ; d'ailleurs ils étaient las de la guerre Médique ;
ils se reposaient sur les Athéniens du soin de la conduire , car
en ce moment les deux peuples étaient amis .
LIVRE I. 49
XCVI. Ainsi investis du commandement par l'adhésion spon-
tanée des alliés, auxquels Pausanias s'était rendu odieux, les
Athéniens déterminèrent quelles villes auraient à fournir de
l'argent ou des vaisseaux pour la continuation de la guerre
contre les Barbares. Le prétexte fut de ravager le pays du roi
par droit de représailles. De cette époque date chez les Athé-
niens l'institution des Hellénotames ' , magistrats chargés de
recevoir le tribut, car tel fut le nom donné à cette contribution .
Ce tribut fut fixé dans l'origine à quatre cent soixante ta-
lents . Le trésor fut déposé à Délos , et les assemblées se tinrent
dans le temple.
XCVII. Placés à la tête d'alliés originairement indépendants
et ayant droit de suffrage dans des assemblées générales, les
Athéniens étendirent peu à peu leur domination , soit par les
armes, soit par des mesures administratives, dans l'intervalle
compris entre la guerre Médique et celle-ci . Ils eurent tour à
tour à combattre les Barbares , leurs propres alliés révoltés , et
enfin les Péloponésiens, qu'ils rencontraient dans tous leurs dif-
férends. A ce propos je me suis permis une digression , parce
que tous mes devanciers ont laissé cette période dans l'ombre,
et se sont bornés à raconter l'histoire de la Grèce avant ou pen-
dant les guerres Médiques. Le seul qui ait abordé ce sujet,
Hellanicos , dans son histoire d'Athènes ' , n'a fait que l'effleurer ,
sans indiquer exactement la chronologie . D'ailleurs cet exposé
achèvera de faire connaître comment s'établit l'empire des
Athéniens.
XCVIII . D'abord , sous la conduite de Cimon , fils de Miltiade ,
ils assiégèrent et prirent sur les Mèdes la ville d'Éïon , à l'embou-
chure du Strymon . Les habitants furent vendus comme escla-
ves. Ensuite ils firent subir le même traitement à la population
de Scyros, île de la mer Égée , habitée par des Dolopes , et qu'ils
repeuplèrent par une colonie d'Athéniens ' . Ils soutinrent aussi
contre les Carystiens une guerre , à laquelle le reste de l'Eubée
demeura étranger et qui se termina par un accommodement.
Après cela, les Naxiens se révoltèrent ; mais ils furent attaqués ,
assiégés et soumis. Ce fut la première ville alliée qui fut privée
de la liberté , contrairement au droit établi ; plus tard les autres
éprouvèrent successivement le même sort.
XCIX. Les défections provenaient de plusieurs causes , en
particulier de la difficulté qu'éprouvaient la plupart des alliés à
fournir régulièrement l'argent, les vaisseaux et même les hom-
mes. Les Athéniens usaient de rigueur, et se faisaient haïr en
1

50 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

employant la contrainte envers des gens qui n'avaient ni l'habr-


tude ni la volonté d'endurer les fatigues de la guerre . Leur
commandement avait cessé d'être accepté avec plaisir ; dans les
expéditions communes, ils ne traitaient plus les alliés en égaux,
et il leur était facile de réprimer les rébellions. La faute en
était aux alliés eux-mêmes ; la plupart, dans leur répugnance à
porter les armes et à s'éloigner de leurs foyers, s'étaient imposé,
en place des vaisseaux à fournir, une somme d'argent équiva-
lente Ainsi la marine athénienne s'accroissait avec les fonds
four s par les alliés ; et lorsque ceux-ci venaient à se révolter,
ils se trouvaient engagés dans la guerre sans avoir ni l'expé-
rience ni les forces nécessaires pour la soutenir.
C. Ce fut après ces événements que les Athéniens et leurs
alliés livrèrent un combat sur terre et un combat naval contre
les Mèdes à l'embouchure du fleuve Eurymédon en Pamphylie.
Les Athéniens, commandés par Cimon, fils de Miltiade , rem-
portèrent dans le même jour une double victoire. Ils prirent
ou détruisirent les trirèmes phéniciennes au nombre de deux
cents.
Quelque temps après eut lieu la défection des Thasiens ,
occasionnée par un différend au sujet des comptoirs et des mines
qu'ils possédaient sur la côte de Thrace, située en face de leur
île . Les Athéniens dirigèrent une flotte contre Thasos, furent
vainqueurs sur mer et opérèrent un débarquement.
Vers la même époque , ils envoyèrent dix mille colons, Athé-
niens et alliés , pour s'établir sur le bord du Strymon, à l'en-
droit alors appelé les Neuf-Voies et maintenant Amphipolis . Ils
s'emparèrent des Neuf-Voies sur les Edoniens ; mais s'étant
avancés dans l'intérieur des terres, ils furent taillés en pièces
àDrabescos dans l'Edonie par les forces réunies des Thraces, qui
voyaient de mauvais il l'établissement formé aux Neuf-Voies.
CI. Cependant les Thasiens , vaincus en plusieurs rencontres
et assiégés, eurent recours aux Lacédémoniens , et les prièrent
de faire en leur faveur une diversion en Attique . Ceux- ci leur
en firent la promesse secrète, et ils auraient tenu parole , sans
le tremblement de terre dont les Hilotes et quelques-uns des
Périèques , tels que les Thuriates et les Ethéens, prirent occa-
sion pour s'insurger et se retirer sur le mont Ithome . La plupart
de ces Hilotes descendaient des anciens Messéniens asservis dans
le temps ; c'est ce qui fit donner à tous les révoltés le nom de
Messéniens. Ainsi les Lacédémoniens eurent une guerre à sou-
tenir contre les révoltés d'Ithome. Pour les Thasiens, après trois
LIVRE I. 51

ans de siége, ils capitulèrent avec les Athéniens , à condition de


raser leurs murailles , de livrer leurs vaisseaux, de s'imposer
une contribution immédiate et de payer régulièrement leur
tribut à l'avenir, enfin d'abandonner leurs mines et toutes leurs
possessions du continent .
CII. Les Lacédémoniens , voyant se prolonger la guerre contre
les insurgés d'Ithome , réclamèrent l'assistance de leurs alliés
et notamment des Athéniens ; ceux- ci vinrent en grand nombre
sous la conduite de Cimon. Ce qui les avait fait appeler, c'était
leur réputation d'habileté dans la tactique obsidionale . Mais
comme, malgré leur présence, le siége n'avançait pas , cette
habileté parut en défaut ; avec plus de vigueur, ils auraient dû
emporter la place. C'est à la suite de cette campagne que les
Lacédémoniens et les Athéniens commencèrent à se brouiller
Ouvertement. Le siége traînant en longueur, les Lacédémoniens
appréhendèrent la turbulence et l'audace des Athéniens , qu'ils
regardaient d'ailleurs comme d'une race étrangère ; ils craigni-
rent qu'en restant devant Ithome , ils ne finissent par prêter
l'oreille aux suggestions des assiégés et par opérer quelque ré-
volution. Aussi les congédièrent-ils seuls de leurs alliés , sous
prétexte qu'ils n'avaient plus besoin d'eux, sans toutefois leur
témoigner aucune défiance. Les Athéniens sentirent qu'on les
renvoyait sans leur donner le véritable motif, et que l'on avait
congu contre eux quelque soupçon. Indignés de cette offense
gratuite, à peine furent-ils de retour dans leurs foyers que, bri-
sant l'alliance conclue avec Lacédémone contre les Mèdes , ils
se liguèrent avec les Argiens ses ennemis. Les deux peuples
s'unirent également aux Thessaliens par des serments et par une
convention .
CIII. Après dix ans de siége, les révoltés d'Ithome , réduit
aux abois, capitulèrent avec les Lacédémoniens. Ils s'engage-
rent, sous la foi d'un traité, à sortir du Péloponèse et à n'y
jamais rentrer, sous peine pour celui qui serait pris de devenir
l'esclave de quiconque le saisirait. Précédemment il était venu
de Delphes un oracle ordonnant aux Lacédémoniens de laisser
aller le suppliant de Jupiter Ithomatas . Ils sortirent donc avec
leurs enfants et leurs femmes. Les Athéniens , en haine des La-
cédémoniens, accueillirent ces fugitifs, et leur cédèrent la ville
de Naupacte, qu'ils avaient prise depuis peu sur les Locriens-
Ozoles.
Les Mégariens entrèrent aussi dans l'alliance d'Athènes et se
détachèrent de Lacédémone, à cause de la guerre que leur fais
52 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

saient les Corinthiens pour des limites territoriales . Ainsi les


Athéniens devinrent maîtres de Mégare et de Page2 ; ils con-
struisirent pour les Mégariens les longs murs qui vont de la
ville à Niséa³ , et en prirent eux-mêmes la garde. Ce fut le prín-
cipal motif de la haine implacable des Corinthiens contre les
Athéniens .
CIV. Sur ces entrefaites , le Libyen Inaros , fils de Psammi-
tichos et roi des Libyens qui confinent à l'Egypte , parti de
Maréa, ville située au-dessus de Pharos¹ , souleva contre le roi
Artaxerxès la majeure partie de l'Égypte ; et, devenu souverain
de cette contrée , il appela les Athéniens. Ceux- ci se trouvaient
alors en Cypre avec deux cents vaisseaux d'Athènes et des alliés .
Ils quittèrent cette île pour se rendre à l'invitation d'Inaros , re-
montèrent le Nil , et, maîtres de ce fleuve ainsi que des deux
tiers de Memphis , ils attaquèrent le troisième quartier, nommé
le Mur Blanc , où s'étaient retirés les Perses, les Mèdes et les
Egyptiens qui n'avaient pas pris part à la révolte .
CV. Les Athéniens, ayant fait une descente sur le territoire
des Haliens ' , furent battus par les Corinthiens et les Épidau-
riens ; mais plus tard ils remportèrent une victoire navale près
de Cécryphalée 2 sur les Péloponésiens et leurs alliés . Ensuite il
s'éleva une guerre entre les Athéniens et les Éginètes . Ces deux
peuples , assistés de leurs alliés , se livrèrent un grand combat
naval devant Égine . Les Athéniens , commandés par Léocratès ,
fils de Strébos , furent vainqueurs , prirent soixante - dix vais-
seaux, descendirent à terre et firent le siége de la ville .
Les Péloponésiens , voulant secourir les Êginètes, leur firent
passer trois cents hoplites , qui avaient servi comme auxiliaires
des Epidauriens et des Corinthiens . En même temps , les Corin-
thiens occupèrent les hauteurs de la Géranie et descendirent
en Mégaride avec leurs alliés ; ils s'imaginaient que les Athé-
niens , dont les troupes étaient en partie à Égine , en partie en
Égypte , seraient dans l'impossibilité de secourir Mégare , ou que
du moins ils lèveraient le siége d'Égine. Les Athéniens ne rap-
pelèrent point leur armée d'Égine ; mais les vieillards et les
jeunes gens restés dans la ville se portèrent à Mégare, .sous la
conduite de Myronidès. La bataille qu'ils livrèrent aux Corin-
thiens fut indécise , et les deux partis se séparèrent, sans que ni
l'un ni l'autre s'estimât vaincu. Les Athéniens , qui avaient eu
plutôt l'avantage, dressèrent un trophée après la retraite des
Corinthiens. Ceux-ci , taxés de lâcheté par leurs vieillards restés
à Corinthe, se préparèrent pendant douze jours ; après quoi ils
LIVRE I. 53

revinrent et se mirent, comme vainqueurs , à ériger un trophée


en face de celui des Athéniens ; mais ceux-ci accoururent de
Mégare , massacrèrent ceux qui élevaient le trophée, en vinrent
aux mains avec les autres et les mirent en fuite.
CVI. Les Corinthiens vaincus se retiraient ; un corps assez
considérable d'entre eux, serré de près , manqua la route et
alla donner dans une propriété particulière , entourée d'un
grand fossé et sans issue. Les Athéniens s'en aperçurent , blo-
quèrent l'entrée avec leurs hoplites , répandirent à l'entour
leurs troupes légères, et tuèrent à coups de pierres tous ceux
qui s'y étaient engagés. Ce fut pour les Corinthiens une perte
très-sensible. Le gros de leur armée regagna ses foyers.
CVII. Vers la même époque, les Athéniens commencèrent la
construction des longs murs qui vont de la ville à la mer , l'un
aboutissant au Phalère, l'autre au Pirée.
Les Phocéens avaient fait une expédition dans la Doride ' ,
mère-patrie des Lacédémoniens , contre Boon , Cytinion et
Érinéos , et pris une de ces bourgades . Les Lacédémoniens , sous
la conduite de Nicomédès, fils de Cléombrotos , tuteur du jeune
roi Plistoanax , fils de Pausanias , marchèrent au secours des
Doriens avec quinze cents de leurs hoplites et dix mille alliés .
Ils forcèrent les Phocéens à rendre par capitulation la ville
qu'ils avaient prise ; après quoi ils se disposèrent à la retraite ;
mais ils ne savaient comment l'effectuer. Par mer , à travers le
golfe de Crisa , cela n'était guère possible ; car la flotte athé-
nienne, en croisière dans ces parages , ne manquerait pas de
s'y opposer ; par la Géranie, le danger ne leur paraissait pas
moindre, les Athéniens étant maîtres de Mégare et de Pagæ ;
en effet, la route de la Géranie est difficile , et elle était soi-
gneusement gardée par les Athéniens, qu'on savait décidés à
refuser le passage. Ils résolurent donc d'attendre en Béotie une
occasion favorable . Ajoutez à cela qu'ils étaient sollicités sous
main par quelques citoyens d'Athènes , qui espéraient abolir la
démocratie et arrêter la construction des longs murs . Les
Athéniens, voyant leur embarras et soupçonnant leurs inten-
tions hostiles à la démocratie , se levèrent en masse et mar-
chèrent contre eux avec mille Argiens et les contingents des
autres alliés , en tout quatorze mille hommes. Il vint aussi, en
vertu du traité, un corps de cavalerie thessalienne , qui pendant
l'action passa aux Lacédémoniens .
CVIII. La rencontre eut lieu à Tanagra en Béotie ; elle fut
sanglante ; les Lacédémoniens et leurs alliés eurent le dessus .
54 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

A la suite de cette victoire , les Lacédémoniens entrèrent en


Mégaride , abattirent les arbres , et s'en retournèrent chez eux
par la Géranie et par l'Isthme. Soixante-deux jours après cette
bataille , les Athéniens, commandés par Myronidès , marchèrent
contre les Béotiens , les défirent aux OEnophytes , et devinrent
maîtres de la Béotie, ainsi que de la Phocide. Ils démantelèrent
Tanagra , prirent pour otages cent des plus riches Locriens-
Opontiens, et achevèrent à Athènes la construction des longs
murs.
Les Éginètes capitulèrent aussi avec les Athéniens ; ils rasè-
rent leurs murailles , livrèrent leurs vaisseaux et s'imposèrent
un tribut pour l'avenir.
Les Athéniens, sous les ordres de Tolmidès , fils de Tolméos ,
firent avec leur flotte le tour du Péloponèse ; ils brûlèrent le
chantier des Lacédémoniens , prirent sur les Corinthiens la ville
de Chalcis , et , dans une descente , battirent les Sicyoniens .
CIX . Cependant ceux des Athéniens et de leurs alliés qui
étaient en Égypte s'y maintenaient encore ; mais cette guerre
fut mêlée pour eux de chances diverses. D'abord ils avaient été
les maîtres du pays , si bien que le roi Artaxerxès avait envoyé
à Lacédémone le Perse Mégabaze avec de l'argent , pour enga-
ger les Péloponésiens à faire invasion dans l'Attique , et forcer
ainsi les Athéniens à évacuer l'Égypte. Mais , comme l'affaire
n'avançait pas et que les fonds se dépensaient en pure perte,
Mégabaze s'en retourna en Asie avec le reste de son argent.
Alors le roi envoya en Égypte le Perse Mégabyze , fils de Zopyre ,
avec une grande armée. Celui-ci arriva par terre , défit en ba-
taille les Égyptiens et leurs alliés , chassa de Memphis les Grecs ,
et finit par les enfermer dans l'île de Prosopitis¹ , où il les tint
assiégés pendant dix-huit mois, jusqu'à ce qu'ayant vidé le canal
et détourné l'eau, il mit les vaisseaux à sec, changea en terre
ferme la majeure partie de l'île , y passa à pied et s'en rendit
maître.
CX. Ainsi furent ruinées les affaires des Grecs , après six ans
de guerre. Les faibles restes de cette nombreuse armée se sau-
vèrent à Cyrène à travers la Libye : la plupart des soldats pé-
rirent, et l'Égypte retomba sous la domination du roi , à l'ex-
ception des marais où régnait Amyrtée . Celui- ci échappa à
toutesles poursuites , grâce à la vaste étendue de ces marais et au
courage des habitants , les plus belliqueux des Egyptiens . Pour
Inaros, ce roi des Libyens, l'instigateur des troubles de l'Égypte,
il fut pris par trahison et empalé.
LIVRE I. 55

Cependant cinquante trirèmes d'Athènes et des alliés , en-


voyées en Egypte pour relever les premières , abordèrent à la
bouche Mendésienne, sans rien savoir de ce qui s'était passé .
Assaillies simultanément par des troupes de terre et par la
flotte phénicienne , elles furent détruites pour la plupart ; il n'en
échappa qu'un petit nombre . Telle fut la fin de la grande expé-
dition d'Égypte , entreprise par les Athéniens et par leurs
alliés.
CXI. Vers la même époque, Oreste fils d'Echécratidas , chassé
de la Thessalie dont il était rai¹ , persuada aux Athéniens de l'y
rétablir. Ceux-ci , prenant avec eux leurs alliés de Béotie et de
Phocide, marchèrent contre Pharsale en Thessalie ; mais , con-
tenus par la cavalerie thessalienne , ils ne purent se rendre
maîtres que du terrain qu'ils occupaient, sans s'éloigner de leur
camp. Ils ne prirent point la ville ; et, voyant s'évanouir tous
leurs projets , ils s'en retournèrent comme ils étaient venus ,
et ramenèrent Oreste avec eux .
Peu de temps après , mille Athéniens s'embarquèrent à Pa-
gæ, place qui leur appartenait alors , et suivirent la côte jus-
qu'à Sicyone, sous la conduite de Périclès fils de Xanthippos . Ils
descendirent à terre, défirent ceux des Sicyoniens qui voulu-
rent leur résister ; puis , prenant un renfort d'Achéens , ils pas-
sèrent sur la rive opposée et allèrent assiéger OEniades en
Acarnanie ² ; mais ils ne réussirent pas à s'en emparer , et revin-
rent à Athènes.
CXII . Trois ans après ces événements (a) , une trêve de cinq
années fut conclue entre les Péloponésiens et les Athéniens .
Ceux- ci, se trouvant en paix avec les Grecs , portèrent leurs
armes en Cypre, avec deux cents vaisseaux d'Athènes et des
alliés , sous le commandement de Cimon . Soixante bâtiments
furent détachés de cette flotte pour aller en Égypte, à la de-
mande d'Amyrtée , roi des marais. Le reste assiégea Cition ;
mais la mort de Cimon et la famine qui survint forcèrent les
Athéniens à lever le siége . En passant à la hauteur de Sala-
mine en Cypre, ils eurent à combattre sur mer et sur terre les
Phéniciens et les Ciliciens . Vainqueurs dans ces deux rencon-
tres , ils regagnèrent leurs foyers . Les vaisseaux envoyés en
Égypte rentrèrent également.
Les Lacédémoniens firent ensuite la guerre dite sacrée. Maî-
tres du temple de Delphes , ils le remirent aux Delphiens ; mais,

(a) L'an 450 av. J. C.


56 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

après leur retraite , une armée athénienne s'en empara de nou-


veau et le rendit aux Phocéens¹ .
CXIII. A quelque temps de là , eut lieu l'expédition des Athé
niens en Béotie . Les exilés béotiens occupaient Orchomène,
Chéronée et d'autres places de ce pays. Les Athéniens , avec
mille de leurs hoplites et les contingents des alliés , marchèrent
contre ces villes ennemies , sous la conduite de Tolmidès , fils
de Tolméos . Ils prirent Chéronée , y mirent garnison et se
retirèrent . Ils étaient en chemin et sur le territoire de Coronée ,
lorsque les exilés béotiens d'Orchomène , soutenus par des
Locriens, par des réfugiés eubéens et par tous ceux qui étaient
de la même opinion ' , les attaquèrent, les mirent en fuite, les
tuèrent ou les prirent. Pour obtenir qu'on leur rendît leurs
prisonniers , les Athéniens firent la paix et s'engagèrent à éva-
cuer la Béotie. Les exilés béotiens rentrèrent donc chez eux, et
le pays recouvra son indépendance.
CXIV. Peu de temps après, l'Eubée se souleva contre les
Athéniens ' . Déjà Périclès y avait conduit une armée athénienne ,
lorsqu'il apprit que Mégare était révoltée , que les Péloponé-
siens menaçaient l'Attique , enfin que la garnison athénienne
avait été massacrée par les Mégariens , excepté ce qui avait pu se
réfugier à Niséa. Les Mégariens ne s'étaient portés à la révolte
qu'après s'être assuré l'appui de Corinthe, de Sicyone et d'E-
pidaure. Périclès se hâta de ramener ses troupes de l'Eubée .
Les Péloponésiens , commandés par Plistoanax , fils de Pausa-
nias et roi de Lacédémone, envabirent l'Attique ; ils s'avancè-
rent jusqu'à Eleusis et à la plaine de Thria, qu'ils ravagèrent ;
mais ils ne poussèrent pas plus loin et opérèrent leur retraite.
Alors les Athéniens, conduits par Périclès , repassèrent dans
l'Eubée et la soumirent en entier. Ils reçurent à composition la
plupart des villes ; mais ils expulsèrent les Hestiéens², dont ils
confisquèrent le territoire " .
CXV. Immédiatement après leur retour d'Eubée, ils firent
avec les Lacédémoniens et leurs alliés une paix de trente ans (a).
Ils rendirent les portions du Péloponèse qu'ils occupaient, sa-
voir Niséa, Page, Trézène et l'Achaïe ' .
Six ans plus tard , il s'éleva entre Samos et Milet une guerre
au sujet de Priène. Les Milésiens , qui avaient le dessous , vin-
rent à Athènes , jetant feu et flammes contre les Samiens . Ils
étaient secondés par quelques particuliers de Samos qui dési-

(a) L'an 445 av. J. Č.


LIVRE I. 57

raient une révolution . En conséquence les Athéniens firent


voile pour Samos avec quarante vaisseaux et y établirent la
démocratie ; ils prirent pour otages cinquante enfants et autant
d'hommes qu'ils déposèrent à Lemnos , mirent garnison à Samos
et se retirèrent. Alors un certain nombre de Samiens , qui
avaient émigré sur le continent, se liguèrent avec les plus
puissants de la ville et avec Pissouthnès fils d'Hystaspe ,
gouverneur de Sardes ; ils réunirent sept cents auxiliaires et
passèrent de nuit à Samos . D'abord ils se . mirent en insurrec-
tion contre le parti démocratique, dont ils triomphèrent pres-
que entièrement ; ensuite ils enlevèrent de Lemnos leurs otages
et se déclarèrent en état de révolte. Ils livrèrent à Pissouthnès
la garnison athénienne, ainsi que les fonctionnaires établis
dans leur ville 2, et préparèrent aussitôt une expédition contre
Milet. La ville de Byzance était complice de cette défection.
CXVI. A cette nouvelle , les Athéniens firent voile pour Samos
avec soixante vaisseaux ; ils en détachérent seize, les uns vers
la Carie pour observer la flotte phénicienne , les autres vers
Chios et Lesbos pour demander du secours. Ce fut donc avec
quarante-quatre vaisseaux que les Athéniens , commandés par
Périclès et neuf autres généraux, livrèrent bataille devant l'île
1
de Tragie à soixante-dix vaisseaux samiens, dont vingt por-
taient des soldats 2. Toute cette flotte revenait de Milet. Les
Athéniens furent vainqueurs . Ayant ensuite reçu un renfort de
quarante vaisseaux athéniens et de vingt- cinq de Chios ou de
Lesbos, ils descendirent à terre ; et, après un nouvel avantage ,
ils cernèrent la ville au moyen de trois murs 3 en même temps
qu'ils la bloquaient par mer. Sur l'avis que la flotte phéni-
cienne approchait , Périclès détacha de la croisière soixante
vaisseaux, avec lesquels il se porta rapidement vers Caunos
et la Carie ; il savait que Stésagoras et d'autres Samiens étaient
partis avec cinq vaisseaux pour la même destination .
CXVII. Sur ces entrefaites, les Samiens, étant sortis du port
à l'improviste , fondirent sur la croisière athénienne que rien ne
protégeait ' , et, après avoir détruit les vaisseaux de garde , ils
défirent le reste de la flotte qui vint au-devant d'eux. Durant
quatorze jours , ils furent les maîtres de la mer qui les avoisine ,
et ils en profitèrent pour faire entrer et sortir tout ce qu'ils
voulurent ; mais au retour de Périclès , ils furent de nouveau
bloqués par la flotte: Ensuite il arriva d'Athènes quarante vais-
seaux de renfort , commandés par Thucydides , Hagnon et Phor-
mion , vingt autres commandés par Tlépolémos et Anticlès, en-
58 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

fin trente de Chios et de Lesbos . Les Samiens essayèrent encore


d'une courte action navale ; mais sentant l'impossibilité de te-
nir davantage , ils se rendirent après un siége de neuf mois.
Ils convinrent de raser leur muraille, de donner des otages , de
livrer leurs vaisseaux et de rémbourser les frais de la guerre à
des époques déterminées. Les Byzantins capitulèrent de même,
à condition de demeurer tributaires comme auparavant.
CXVIII. Peu d'années s'écoulèrent ensuite jusqu'aux événe-
ments que j'ai racontés plus haut, savoir l'affaire de Corcyre,
celle de Potidée , et tout ce qui servit d'avant-coureur à la
guerre actuelle. Cette lutte des Grecs , soit entre eux soit avec
les Barbares , occupa une période de cinquante ans , à dater de
la retraite de Xerxès jusqu'au commencement de la guerre du
Péloponèse ' . Durant cet intervalle , les Athéniens affermirent
leur domination et parvinrent au plus haut degré de puis-
sance. Les Lacédémoniens le virent et ne s'y opposèrent pas ;
à part quelques efforts passagers, ils se tinrent généralement
dans l'inaction. Toujours lents à prendre les armes, à moins
d'y être forcés , ils étaient d'ailleurs entravés par des guerres
intestines ; mais enfin les progrès incessants de la puissance
athénienne, qui déjà touchait à leurs alliés , les poussèrent à
bout ; ils crurent qu'il fallait réunir toutes leurs forces , afin de
renverser, s'il se pouvait, cet empire , et ils se résolurent à la
guerre.
Les Lacédémoniens eux-mêmes avaient déjà décidé qu'ils
regardaient la paix comme rompue et les Athéniens comme
coupables. Ils avaient envoyé à l'oracle de Delphes pour de-
mander si l'issue de cette guerre leur serait favorable. Le dieu
leur avait répondu , à ce qu'on prétend, que s'ils combattaient
à outrance, ils auraient la victoire, et que lui-même les secon-
derait, qu'ils l'en priassent ou non.
CXIX. Ils résolurent de convoquer une seconde fois leurs
alliés et de les consulter sur l'opportunité de la guerre. Les
députés des villes alliées étant donc réunis et l'assemblée consti-
tuée , chacun d'eux énonça son avis. La plupart se plaignirent
des Athéniens et se prononcèrent pour la guerre. Les Corin-
thiens n'avaient pas attendu jusqu'alors pour solliciter chaque
État en particulier de voter dans ce sens , à cause des craintes
qu'ils avaient au sujet de Potidée ; en cette occasion ils s'avan-
cèrent les derniers et s'exprimèrent ainsi :
CXX. « Nous ne pouvons plus reprocher aux Lacédémoniens
de n'avoir pas eux-mêmes décrété la guerre, puisqu'ils nous
LIVRE I. 59

ont rassemblés dans ce but. Tel est le devoir d'une nation qui
jouit de la suprématie. Tout en respectant chez elle l'égalité ,
il faut qu'elle soit la première à veiller pour les intérêts com-
muns , de même qu'elle est la première à recevoir tous les
hommages.
<< Ceux d'entre nous qui ont eu quelque démêlé avec les
Athéniens n'ont pas besoin d'avertissement pour se tenir en
garde contre eux. Quant à ceux qui habitent dans l'inté-
rieur et loin des communications maritimes, ils peuvent être
certains que, s'ils ne soutiennent pas les habitants des côtes, ils
rencontreront plus de difficultés , soit pour l'exportation de leurs
denrées , soit pour l'échange des produits que la mer fournit au
continent. Ils jugeraient donc bien mal de la question pro-
posée , s'ils croyaient qu'elle ne les intéresse pas ; ils doivent
songer que, s'ils abandonnent les villes maritimes, le danger
s'étendra jusqu'à eux , et qu'en ce moment ils ne délibèrent
pas moins sur leur cause que sur la nôtre.
« Pourquoi donc appréhenderaient-ils de faire succéder la
guerre à la paix ? Sans doute il est de la prudence de rester
en repos tant que nul ne vous outrage ; mais , quand on les of-
fense , les hommes de cœur n'hésitent pas à courir aux armes ,
sauf à les déposer en temps opportun ; ils ne se laissent ni
éblouir par les triomphes, ni charmer par les douceurs de la
paix au point de dévorer une injure . Tel qui redoute la guerre
par amour du repos risque de se voir bientôt ravir, par l'effet
de son inertie , la jouissance de ce bien - être qu'il craint de
perdre ; tel au contraire qui s'acharne à la guerre à cause de ses
succès , obéit sans s'en douter à l'entraînement d'une confiance
aveugle. Souvent des entreprises mal conçues réussissent
grâce à l'imprévoyance des ennemis ; souvent aussi celles qui
semblaient le mieux concertées n'aboutissent qu'à un résultat
désastreux. C'est que personne ne met à poursuivre ses pro-
jets la même ardeur qu'à les former ; on se décide avec sécu-
rité ; puis le moment d'agir une fois venu, on est retenu par la
crainte.
CXXI. «< Quant à nous, c'est parce qu'on nous offense, c'est
pour redresser de justes griefs , qu'aujourd'hui nous tirons l'é-
pée ; quand nous nous serons vengés des Athéniens , il sera
temps de la remettre au fourreau.
« Plusieurs motifs nous promettent la victoire. Nous avons
pour nous le nombre, l'expérience militaire, l'esprit de subor-
dination Quant à la marine qui fait leur force, nous en forme-
"60 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

rons une, soit avec nos finances particulières , soit avec les
trésors de Delphes et d'Olympie. Au moyen d'un emprunt ' , il
nous sera facile de débaucher par l'appât d'une solde plus forte
leurs matelots étrangers . La puissance des Athéniens est mer-
cenaire bien plus que nationale ; la nôtre, qui repose sur la po-
pulation plutôt que sur l'argent, est moins exposée à ce danger.
Une seule victoire navale suffit, selon toute probabilité , pour
les abattre ; si leur résistance se prolonge , nous aurons plus de
temps pour nous exercer à la marine ; et une fois leurs égaux
en science, nous les surpasserons apparemment en valeur ; car
l'avantage que nous tenons de la nature , ils ne sauraient l'ac-
quérir par l'instruction . Cette supériorité qu'ils doivent à l'é-
tude, il nous faut par l'exercice la réduire à néant. L'argent
nécessaire dans ce but, nous le fournirons ; autrement il serait
étrange qu'on vît leurs alliés ne pas se lasser de payer pour
leur propre asservissement, tandis que nous refuserions de con-
tribuer pour nous venger de nos ennemis , pour nous sauver
nous-mêmes, enfin pour éviter d'être dépouillés de nos biens et
engloutis avec eux dans un même naufrage.
CXXII . « Nous avons encore d'autres armes à opposer aux
Athéniens, par exemple la défection de leurs alliés , excel-
lent moyen de tarir les revenus qui alimentent leur puissance ;
la construction de forts sur leur territoire , et diverses me-
sures qu'on ne saurait préciser dès à présent ; car la guerre ne
suit pas une marche déterminée ; elle se fournit à elle-même
des ressources nouvelles d'après les circonstances . L'entre-
prendre avec calme, c'est se ménager le succès ; s'y jeter tête
baissée , c'est courir au- devant des revers .
<< S'il ne s'agissait pour nous que de contestations de dé-
tail avec nos égaux pour des limites territoriales , on pourrait
s'y résigner ; mais aujourd'hui nous avons affaire aux Athé-
niens, qui sont à même de lutter contre nos forces réunies , à
plus forte raison contre chacun de nous isolément. Si donc ,
nations et villes , nous ne concentrons pas contre eux tous les
efforts, nous trouvant désunis ils nous terrasseront sans peine .
Or, sachez-le bien , quelque dur qu'il soit de l'entendre : pour
nous, la défaite c'est l'esclavage . Et quand ce ne serait qu'un
simple doute, il suffirait de l'énoncer pour couvrir de confu-
sion le Péloponèse , à la pensée que tant et tant de villes au-
raient à subir le joug d'une seule. Nous semblerions avoir
mérité une telle ignominie ou la souffrir par lâcheté. Ce serait
nous montrer moins courageux que nos pères , qui affranchirent
LIVRE I. 61

la Grèce, au lieu que nous n'assurons pas même notre propre


liberté. Nous laissons une ville s'ériger en tyran au milieu de
nous, et nous avons la prétention de renverser les tyrannies lo-
cales ! Comment une pareille conduite échapperait-elle au triple
et sanglant reproche d'ineptie, de mollesse d'imprévoyance ?
C'est parce que vous n'avez pas évité ces écueils , que vous vous
laissez aller à ce dédain superbe qui a déjà perdu bien des
gens, et qui , pour en avoir tant égaré, a changé son nom en
celui de démence .
CXXIII. « Mais à quoi bon récriminer sur le passé sans pro-
fit pour les circonstances actuelles ? C'est en faveur de l'avenir
qu'il faut s'émouvoir en venant en aide au présent. Nos pères
nous ont appris à conquérir par des travaux la bonne renom-
mée. Si vous leur êtes un peu supérieurs en richesse et en
puissance , ce n'est pas une raison pour vous départir de leurs
louables maximes ; il serait impardonnable de perdre par l'o-
pulence ce qui fut acquis par la pauvreté .
« Entreprenez donc cette guerre avec confiance , et cela pour
plus d'un motif : d'abord à cause de l'oracle du dieu qui nous
promet son assistance ; ensuite parce que le reste de la Grèce
combattra pour nous , moitié par crainte , moitié par intérêt .
Enfin vous ne serez pas les premiers à rompre une paix que le
dieu lui-même , en nous excitant à la guerre , estime avoir été
violée ; vous en vengerez plutôt la violation , car la rupture ne
vient pas de ceux qui se défendent, mais de ceux qui commet-
tent la première agression.
CXXIV. « Ainsi , de quelque part qu'on l'envisage, la guerre
se présente à vous sous un aspect favorable , et nous sommes
unanimes à vous la conseiller. Or , s'il est vrai que, pour les
États comme pour les individus , l'identité des intérêts ' soit la
plus sûre garantie, ne tardez pas à secourir les Potidéates , ces
Doriens assiégés par des Ioniens ( c'était l'inverse jadis) , et à
sauver la liberté du reste des Grecs. On ne peut plus accepter
l'idée que , par l'effet de nos irrésolutions , les uns soient déjà
maltraités , les autres sur le point de l'être ; et c'est ce qui ne
peut manquer d'arriver , si l'on apprend que nous nous sommes
assemblés et n'avons pas eu le courage de porter secours à
nos alliés. Songez-y bien , la guerre est pour nous une nécessité
autant qu'un acte de sagesse. Sachez la voter sans craindre le
danger prochain, et par le désir d'une paix durable . C'est par
la guerre que la paix s'affermit , tandis que le repos ne préserve
pas de la guerre. Étant donc persuadés que la ville qui s'érige
THUCYDIDE.
62 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

en tyran au milieu des Grecs nous menace tous egalement,


puisqu'elle tient déjà les uns sous sa domination et qu'elle
aspire à y placer les autres, marchons pour la réduire , afin de
vivre désormais en sécurité et de délivrer les Grecs maintenant
asservis . >>
CXXV. Ainsi parlèrent les Corinthiens. Quand tous les al-
liés eurent dit ce qu'ils avaient à dire, les Lacédémoniens pri-
rent successivement l'avis de chacun des assistants, quelle que
fût l'importance de la ville qu'il représentait. La grande ma-
jorité fut pour la guerre . Cette résolution arrêtée, il n'était pas
possible de l'exécuter sur-le-champ , car rien n'était prêt en-
core . Chaque État dut se mettre en mesure dans le plus bref
délai , toutefois une année n'était pas révolue , que les prépa-
ratifs se trouvèrent terminés , l'Attique envahie et les hostilités
commencées .
CXXVI . Pendant l'intervalle , ils envoyèrent à Athènes des
députés porteurs de leurs griefs , afin d'avoir un bon prétexte de
guerre , si l'on refusait d'y faire droit. Dans une première
ambassade , les Lacédémoniens demandèrent aux Athéniens
d'expier le sacrilége commis envers la déesse ; voici en quoi il
consistait.
Il y avait jadis à Athènes un homme appelé Cylon , vainqueur
aux jeux Olympiques ; il était d'une famille ancienne , noble
et puissante , et il avait épousé la fille de Théagénès , tyran de
Mégare. Un jour que ce Cylon consultait l'oracle de Delphes , le
1 dieu lui répondit de s'emparer de l'acropole d'Athènes pendant
la plus grande fête de Jupiter . En conséquence Cylon emprunta
des soldats à Théagénès , s'assura du concours de ses amis ; et,
quand vinrent les fêtes Olympiques du Péloponèse, il se saisit
de l'acropole dans le but d'usurper la tyrannie. Il pensa que
c'était la plus grande fête de Jupiter, et qu'elle le concernait
lui-même," en sa qualité de vainqueur à Olympie . Etait- ce en
Attique ou ailleurs qu'avait lieu la grande fête dont parlait l'o-
racle, c'est ce qui ne vint point à l'esprit de Cylon et ce que
le dieu n'avait point indiqué . Or il existe à Athènes une fête de
dela Milichios , surnommée la grande ; elle se célèbre hors
Jupiter
et le peuple entier y fait des sacrifices où plusieurs,
en place de victimes , présentent des offrandes en usage dans
le pays . Cylon, croyant bien comprendre l'oracle , exécuta son
dessein ; mais les Athéniens n'en eurent pas plus tôt connais-
sance qu'ils accoururent en masse de la campagne, cernèrent
l'acropole et en firent le siège. Comme il trafnait en longueur ,
LIVRE I. 63

les Athéniens fatigués se retirèrent pour la plupart , en laissant


aux neuf archontes le soin de le continuer , avec pouvoir de
prendre toutes les mesures qu'ils jugeraient convenables. En ce
temps-là , c'étaient les archontes qui géraient la plus grande
partie des affaires de l'État . La troupe de Cylon, ainsi blo-
quée, avait beaucoup à souffrir du manque de vivres et d'eau
Cylon s'esquiva avec son frère ; les autres étant serrés de
près , quelques-uns même mourant de faim , s'assirent en
suppliants sur l'autel de l'acropole. Quand on les vit ainsi ex-
pirer dans le lieu sacré, ceux des Athéniens à qui la garde
avait été commise, les relevèrent avec promesse de ne leur faire
aucun mal ; mais à peine furent-ils sortis qu'ils les tuèrent ;
chemin faisant, ils égorgèrent un certain nombre d'assiégés
qui s'étaient assis au pied de l'autel des déesses vénérables¹.
Aussi furent-ils réputés impies et entachés de sacrilége, eux et
leurs descendants. Ces impies furent chassés une première fois
par les Athéniens ,9 une seconde fois par le Lacédémonien
Cléoménès , d'accord avec l'un des partis qui divisaient Athènes .
On ne se contenta pas d'expulser les vivants ; on exhuma les
ossements des morts pour les jeter hors des frontières. Cepen-
dant ces exilés rentrèrent plus tard à Athènes , et leur posté-
rité s'y trouve encore aujourd'hui ?.
CXXVII . En réclamant cette expiation , les Lacédémoniens
avaient l'air de venger la majesté des dieux ; mais ils n'igno-
raient pas que Périclès, fils de Xanthippos , était impliqué dans
ce sacrilége par sa mère¹ ; et ils pensaient que, s'ils parve-
naient à le faire bannir, ils trouveraient les Athéniens plus
traitables. Cependant ils espéraient moins obtenir ce résultat
que discréditer Périclès auprès de ses concitoyens , comme
étant, par sa naissance, une des causes de la guerre . Périclès
était alors l'homme le plus influent d'Athènes ; il dirigeait la
république, et faisait une opposition constante aux Lacédémo-
niens , en empêchant qu'on ne leur cédât et en soufflant le feu
de la guerre .
CXXVIII . Les Athéniens demandèrent en revanche l'expiation
du sacrilége de Ténare. Il faut savoir que les Lacédémoniens
avaient jadis fait lever de l'autel de Neptune , à Ténare , des Hi-
lotes suppliants, et les avaient mis à mort. C'est à cette raison
qu'ils attribuent le grand tremblement de terre de Sparte ' .
Les Athéniens leur demandèrent aussi d'expier le sacrilége
commis envers la déesse à maison d'airain . Je vais dire quelle
avait été l'occasion de ce sacrilége.
64 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.
Quand le lacédémonien Pausanias , rappelé une première
fois par les Spartiates du commandement qu'il avait dans
l'Hellespont , eut été jugé par eux et absous , on ne lui confia
plus de mission publique ; mais lui-même affréta une trirème
d'Hermione ; et, sans l'aveu des Lacédémoniens , il retourna
dans l'Hellespont, prétextant la guerre de Grèce , mais au fond
pour continuer les intrigues qu'il avait nouées avec le roi dans
le but de s'établir une domination sur les Grecs. L'origine de
toute cette affaire fut un service qu'il avait eu l'adresse de
rendre au roi. Lorsque, dans sa première expédition , après sa
retraite de Cypre, il eut pris sur les Mèdes la ville de Byzance ,
on trouva, parmi les prisonniers , quelques parents et alliés du
roi. Pausanias les lui renvoya à l'insu des confédérés , en lais-
sant croire qu'ils s'étaient évadés . En cela il agissait de con-
Aivence avec Gongylos d'Erétrie , auquel il avait confié le gou-
vernement de Byzance et la garde des captifs. Il envoya même
ce Gongylos auprès du roi, avec une lettre ainsi conçue , comme
on le découvrit dans la suite :
« Pausanias , général de Sparte , désirant t'être agréable, te
renvoie ces hommes que sa lance a faits prisonniers. Mon
intention est, si tu l'approuves, d'épouser ta fille et de réduire
sous ton obéissance Sparte et le reste de la Grèce. Je crois
être en mesure d'exécuter ce projet en me concertant avec toi .
Si donc quelqu'une de mes propositions t'agrée, envoie vers la
mer un homme de confiance, par l'entremise duquel nous com-
muniquerons à l'avenir. »
CXXIX . Tel était le contenu de ce message . Xerxès en fut
ravi, et délégua vers la mer Artabaze , fils de Pharnacès , avec
ordre de prendre le gouvernement de la satrapie Dascylitide ' ,
en remplacement de Mégabatès qui en était gouverneur. Il le
chargea d'une lettre en réponse à celle de Pausanias . Artabaze
devait au plus tôt la faire passer à Byzance en montrant le
sceau royal ; et , si Pausanias lui adressait quelque demande
relative à ses propres affaires, y satisfaire de son mieux et en
toute fidélité. Dès son arrivée , Artabaze exécuta ces ordres et
transmit la lettre dont voici la teneur :
<< Ainsi dit le roi Xerxès à Pausanias. La conservation des
hommes pris à Byzance et que tu m'as renvoyés d'outre - mer est
un bienfait qui demeure à jamais inscrit dans notre maison . Je
me plais aux paroles qui viennent de toi . Que ni la nuit ni le jour
ne t'arrêtent dans l'accomplissement de tes promesses. Ne sois
retenu ni par la dépense de l'or et de l'argent , ni par le nombre
LIVRE 1. 65

des troupes qui pourraient être necessaires ; mais traite en


toute assurance avec Artabaze , homme de bien que je t'envoie ,
de mes affaires et des tiennes , et règle-les de la façon la meil-
leure et la plus avantageuse à nous deux. »
CXXX. A la réception de cette lettre , Pausanias , déjà en
grand renom parmi les Grecs à cause du commandement qu'il
avait exercé à Platée , ne mit plus de bornes à son orgueil . Re-
nonçant aux coutumes nationales , il sortit de Byzance en cos-
tume médique, et parcourut la Thrace avec une escorte de
Mèdes et d'Égyptiens. Sa table était servie à la manière des
Perses. Il n'avait plus la force de dissimuler ; mais , dans les
choses de peu d'importance, il laissait entrevoir les grands
desseins qu'il avait l'intention d'exécuter dans la suite. Il se
rendait inabordable , et affichait tant de hauteur et d'emporte-
ment que nul n'osait plus l'approcher. Ce ne fut pas un des
moindres motifs qui déterminèrent les alliés à passer du côté
des Athéniens.
CXXXI . Informés de sa conduite , les Lacédémoniens l'avaient,
pour cette raison , rappelé une première fois. Lorsque, sans
leur aveu, il fut reparti sur un vaisseau d'Hermione , et qu'on
le vit persévérer dans la même conduite ; lorsque , chassé de
Byzance par les armes d'Athènes , au lieu de retourner à
Sparte, il s'établit à Colones en Troade , d'où l'on sut qu'il
intriguait avec les Barbares , prolongeant son séjour à mau-
vaise fin ; alors , sans plus tarder, les éphores lui dépêchèrent
un héraut porteur d'une scytale ' , et lui enjoignirent de revenir
avec le héraut , s'il ne voulait pas que les Spartiates lui décla-
rassent la guerre. Pausanias , désirant dissiper les soupçons et
se flattant de se tirer d'affaire avec de l'argent, retourna une
seconde fois à Sparte . D'abord il fut incarcéré par les éphores ,
qui ont ce pouvoir sur le roi ; ensuite il obtint son élargisse-
ment et provoqua lui-même un jugement , offrant de répondre
à qui voudrait l'accuser.
CXXXII . Ni les Spartiates ni les ennemis de Pausanias n'a-
vaient de preuve assez convaincante pour sévir contre un homme
du sang royal et qui occupait alors un poste éminent ; car il
était tuteur du jeune roi Plistarchos , fils de Léonidas et son
cousin germain ' . Cependant sa tendance à se placer au-dessus
des lois et à imiter les Barbares le faisait grandement suspecter
de vouloir atteindre plus haut que sa fortune présente. On
scrutait sa conduite passée pour découvrir les abus qu'il s'était
permis. On se rappelait qu'autrefois , sur le trépied que les
66 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Grecs avaient consacré à Delphes des prémices du butin enlevé


aux Mèdes 2 , il avait pris sur lui de faire inscrire le distique
suivant :

Pausanias , général des Grecs , après avoir anéanti l'armée des Mèdes ,
a consacré à Phébus ce monument.

Les Lacédémoniens avaient fait aussitôt disparaître du trépied


cette inscription, et graver à sa place les noms de toutes les
villes qui avaient concouru à la défaite des Barbares et consacré
cette offrande. On n'en persistait pas moins à regarder cette
action de Pausanias comme répréhensible ; et, depuis les der-
nières circonstances , elle venait à l'appui des soupçons excités
contre lui . On parlait aussi de ses intrigues auprès des Hilotes ,
et rien n'était plus vrai ; il leur promettait la liberté et la bour-
geoisie , s'ils voulaient s'insurger avec lui et seconder tous ses
desseins. Malgré ces indices et nonobstant les révélations faites
par quelques Hilotes , les Lacédémoniens ne voulurent point
innover à son égard , et restèrent fidèles à leur coutume de ne
pas se hâter, à moins de preuves sans réplique , quand il s'a-
gissait de prononcer contre un Spartiate un irrévocable arrêt.
Mais enfin le messager qui avait dû porter à Artabaze la der-
nière lettre de Pausanias au roi , et qui était un Argilien³ , jadis
fort aimé de Pausanias et revêtu de toute sa confiance , devint,
dit-on, son dénonciateur. Cet homme , faisant réflexion qu'aucun
des précédents messagers n'était revenu , conçut des craintes ;
et, après avoir contrefait le cachet , de peur d'être découvert
si sa défiance était mal fondée ou si Pausanias redemandait sa
lettre pour y faire des changements , il ouvrit la missive ; et,
comme il l'avait soupçonné , il y trouva la recommandation
expresse de se défaire du porteur.
CXXXIII . Quand il eut mis cette lettre sous les yeux des
éphores , leurs doutes commencèrent à se dissiper ; toutefois ils
voulurent encore entendre quelque aveu de la bouche même
de Pausanias. D'accord avec eux, l'Argilien s'en alla au Ténare
comme suppliant , et construisit une cabane à double cloison ,
dans l'intérieur de laquelle il cacha quelques -uns des éphores .
Aussi , lorsque Pausanias fut venu lui demander le motif de sa
démarche, ils ne perdirent pas un mot de la conversation. D'a-
bord l'Argilien reprocha à Pausanias ce qu'il avait écrit sur son
compte; puis il énonça tout le reste de point en point , et finit par
lui dire qu'il ne l'avait jamais desservi dans ses messages auprès
du roi, et qu'il se voyait en récompense condamné à mourir
LIVRE I. 67

comme le dernier des serviteurs. Pausanias convint de tout.


essaya d'adoucir son ressentiment, lui donna sa foi pour qu'il
sortît du sanctuaire , et le pressa de partir au plus tôt, afin de
ne pas entraver les négociations.
CXXXIV. Après avoir entendu tout au long cet entretien, les
éphores se retirèrent ; dès lors , pleinement convaincus, ils pré-
parèrent dans la ville l'arrestation de Pausanias. On raconte
qu'au moment d'être saisi dans la rue, il comprit à l'air d'un
des éphores qui s'avançaient quel était leur dessein ; et que,
sur un signe imperceptible que lui fit par affection un autre de
ces magistrats , il courut vers le temple de la déesse à la maison
d'airain, dont l'enceinte était voisine, et parvint à s'y réfugier .
Pour ne pas être exposé aux injures du temps, il entra dans
une cellule attenante au temple et y resta en repos . Au premier
instant, les éphores ne purent l'atteindre ; mais ensuite , l'ayant
découvert dans ce réduit , ils enlevèrent le toit et les portes,
l'enfermèrent dans l'intérieur, l'y murèrent , et le tinrent assiégé
par la faim. Lorsqu'ils virent qu'il était près de mourir dans
le lieu sacré, ils l'en retirèrent avant qu'il eût rendu le dernier
soupir ; et à peine fut-il dehors , qu'il expira. On fut sur le point
de le jeter dans le Céade¹ , comme on fait pour les malfaiteurs ;
ensuite on résolut de l'enterrer dans le voisinage. Plus tard , le
dieu de Delphes ordonna aux Lacédémoniens de transférer sa
sépulture à l'endroit même où il était mort ; et maintenant elle
se voit à l'entrée de l'enceinte , comme l'indique l'inscription
gravée sur les colonnes ; le dieu déclara aussi qu'ils avaient
commis un sacrilége , et enjoignit aux Lacédémoniens de rendre
à la déesse deux corps pour un . Ils firent faire deux statues
d'airain , qu'ils consacrèrent au lieu et place de Pausanias ;
mais , comme le dieu avait jugé qu'il y avait eu un sacrilége,
les Athéniens sommèrent les Lacédémoniens de l'expier.
CXXXV. Les Lacédémoniens députèrent de leur côté à Athè
nes, pour accuser Thémistocle du même crime de médisme que
Pausanias. Ils prétendaient en avoir trouvé la preuve dans l'en-
quête relative à ce dernier, et demandaient que Thémistocle
subît la même peine . Thémistocle, alors banni par l'ostracisme¹,
avait son domicile à Argos , d'où il faisait des excursions dans
le reste du Péloponèse . Les Athéniens consentirent à se join-
dre aux Lacédémoniens pour le poursuivre , et envoyèrent avec
eux des gens qui avaient ordre de l'amener , en quelque lieu
qu'ils le trouvassent.
CXXXVI . Thémistocle , prévenu à temps, s'enfuit du Pélo-
68 GUERRE DU PÉLOPONĖSE.

ponèse, et se réfugia chez les Corcyréens , qui lui avaient des


obligations. Ceux-ci , craignant , s'ils le gardaient chez eux, de
s'attirer l'inimitié de Lacédémone et d'Athènes, le firent passer
sur le continent qui fait face à leur fle. Suivi à la piste , il
se vit contraint , dans un moment de détresse , de demander
l'hospitalité chez Admète , roi des Molosses , qui n'était pas son
ami . Ce prince était absent . Thémistocle se constitua le sup-
pliant de sa femme, qui lui conseilla de s'asseoir près du foyer
en tenant leur enfant dans ses bras . Admète arriva bientôt ;
Thémistocle se fit connaître , et lui représenta que , malgré
l'opposition qu'il avait faite aux demandes adressées par Ad-
mète aux Athéniens , il serait peu généreux de frapper un
banni , un homme maintenant beaucoup plus faible que lui ;
qu'il y avait de la grandeur d'âme à ne se venger que d'un
égal ; qu'enfin les requêtes d'Admète auxquelles il s'était opposé,
n'avaient qu'un intérêt secondaire , tandis qu'il y allait pour
lui de la vie , s'il était livré à ses persécuteurs. Il ajouta
quels étaient leurs noms et leurs motifs.
CXXXVII . Adměte releva Thémistocle , avec l'enfant qu'il
continuait à tenir dans ses bras , ce qui était la supplication la
plus éloquente. Bientôt survinrent les députés d'Athènes et de
Lacédémone ; mais malgré leurs instances , le roi refusa de le
leur livrer ; et, comme Thémistocle témoignait le désir de se
rendre auprès du roi de Perse, Admète le fit conduire par terre
jusqu'à Pydna, ville d'Alexandre, située sur l'autre mer ' . Là ,
trouvant un vaisseau marchand en partance pour l'Ionie, Thé-
mistocle s'y embarqua , et fut porté par une tempête vers le
camp des Athéniens qui assiégeaient Naxos . Craignant de
tomber entre leurs mains , et inconnu de l'équipage , il décou-
vrit au patron du navire son nom et la cause de son exil ;
ajoutant que, s'il ne le sauvait pas , il l'accuserait de le con-
duire à prix d'argent ; que le plus sûr était de ne laisser per-
sonne sortir du vaisseau jusqu'à ce qu'on pût reprendre la
mer ; qu'enfin , s'il consentait à le servir, il serait dignement
récompensé. Le patron fit ce que Thémistocle lui demandait,
mouilla un jour et une nuit au-dessus du camp des Athéniens ,
après quoi il atteignit Ephèse. Thémistocle le gratifia d'une
somme d'argent ; car il en reçut d'Athènes , d'où ses amis lui
en firent passer, et d'Argos où il en avait en dépôt.
Après avoir gagné la haute Asie avec un des Perses de la
côte, il écrivit au roi Artaxerxès , ' fils de Xerxès , monté depuis
peu sur le trône, une lettre ainsi conçue :
LIVRE I. 69

« Mon nom est Thémistocle. Je viens à toi , après avoir fait


plus de mal qu'aucun des Grecs à votre maison, aussi longtemps
que j'ai dû repousser les attaques de ton père ; mais je lui ai
fait encore plus de bien, lorsque je n'eus plus rien à craindre et
qu'il fut lui-même en péril pour sa retraite. Aussi ai-je droit
à quelque reconnaissance (c'était une allusion à l'avertissement
qu'il avait donné au roi sur le départ des Grecs de Salamine ,
et au service qu'il lui avait soi-disant rendu en empêchant la
rupture des ponts) . C'est avec le pouvoir de te servir plus effica-
cement encore que je viens ici , victime de mon amitié pour toi.
Je désire attendre un an pour te communiquer de vive voix
les motifs de ma venue. >»
CXXXVIII. Le roi admira , dit-on , la résolution de Thémis-
tocle, et l'invita à donner suite à son dessein. Dans l'intervalle ,
Thémistocle apprit autant qu'il put la langue et les usages du
pays ; puis , l'année révolue, il se présenta au roi , qui l'éleva
plus haut que pas un des Grecs venus auprès de lui . Il dut ces
honneurs à l'estime qu'il s'était acquise , à l'espérance qu'il
suggérait au roi de lui assujettir la Grèce , enfin à la haute
intelligence dont il avait donné des preuves . Thémistocle avait
montré de la manière la plus frappante ce que peut la nature ;
à cet égard, nul plus que lui ne méritait l'admiration . Grâce à
la seule force de son génie , sans étude préalable ou subséquente ,
il jugeait par intuition des affaires présentes , et prévoyait avec
une rare sagacité les événements futurs. Les questions qui lui
étaient familières, il savait les mettre dans tout leur jour ; celles
qui étaient neuves pour lui , il ne laissait pas de les résoudre.
Il discernait du premier coup d'œil les chances bonnes ou mau-
vaises des affaires encore obscures ; en un mot , par son inspi-
ration naturelle et sans aucun effort d'esprit, il excellait à
trouver sur-le-champ les meilleures résolutions.
Il mourut de maladie quelques personnes prétendent qu'il
s'empoisonna volontairement , lorsqu'il eut reconnu l'impossi-
bilité de tenir les promesses qu'il avait faites au roi . Son tom-
beau est à Magnésie d'Asie sur la place publique . Il était gou-
verneur de cette contrée , le roi lui ayant donné pour son pain
Magnésie , qui rapportait cinquante talents de revenu annuel ;
pour son vin Lampsaque , le premier vignoble d'alors ; enfin
Myonte pour sa cuisine¹ . Ses parents assurent que, selon son
désir, ses restes furent rapportés dans sa patrie et déposés en
Attique à l'insu des Athéniens ; car il n'était pas permis d'en
terrer un homme banni pour trahison .
70 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
Ainsi finirent le Lacédémonien Pausanias et l'Athénien Thé-
mistocle , les deux Grecs les plus illustres de leur temps.
CXXXIX . Telles avaient été, lors de la première ambassade , les
sommations faites et reçues par les Lacédémoniens , relativement
aux sacriléges . Une seconde députation vint à Athènes pour
demander la levée du siége de Potidée et l'affranchissement
d'Egine , enfin comme condition absolue du maintien de
la paix - l'abrogation du décret qui fermait aux Mégariens
les ports de la domination athénienne et le marché d'Athènes .
Les Athéniens ne voulurent rien entendre et ne rapportèrent
point le décret. Ils accusaient les Mégariens de cultiver la
terre sacrée et celle qui n'avait point de limites ' , comme aussi
d'accueillir les esclaves fugitifs. Les derniers députés qui vin-
rent de Lacédémone , savoir Ramphias , Mélésippos et Agésan-
dros, n'articulèrent aucune des réclamations précédentes , mais
ne bornèrent à présenter l'ultimatum suivant : « Les Lacédé-
noniens désirent la paix ; elle subsisterait si vous laissiez les
Grecs indépendants . » Là-dessus les Athéniens se formèrent en
assemblée , et la discussion s'engagea . On convint de délibérer
une fois pour toutes et de donner une réponse définitive . Di-
vers orateurs se firent entendre , et les deux opinions trouvèrent
des défenseurs ; les uns soutenant que la guerre était nécessaire,
les autres que le décret ne devait pas être un obstacle à la
paix et qu'il fallait le rapporter. A la fin , Périclès, fils de Xan-
thippos, qui était alors le citoyen le plus éminent d'Athènes , le
plus habile dans la parole et dans l'action , parut à la tribune
et s'exprima en ces termes :
CXL. « Je persiste toujours dans la pensée qu'il ne faut pas
céder aux Péloponésiens , quoique je sache que les hommes ne
mettent pas à poursuivre la guerre la même ardeur qu'à la
décréter, et que leurs opinions varient au gré des circonstances.
Je suis donc obligé de vous répéter encore une fois les mêmes
conseils ; et j'espère que ceux de vous que j'aurai persuadés ,
maintiendront, en cas de revers , nos résolutions communes, à
moins qu'en cas de succès ils ne s'abstiennent de s'en attribuer
la gloire. Les événements, ainsi que les pensées de l'homme ,
ne suivent pas toujours une marche rationnelle ; c'est pour cela
que nous imputons à la fortune tous les mécomptes qu'il nous
arrive d'éprouver.
« Le mauvais vouloir dont les Lacédémoniens nous ont pré-
cédemment donné des preuves est plus évident aujourd'hui que
jamais. Bien que le traité porte qu'on réglera les différends à
LIVRE I. 71

l'amiable , chacun demeurant en possession de ses droits , ils


n'ont point encore demandé d'arbitrage , et ils refusent celui
que nous offrons ; ils préfèrent vider la querelle par les armes
et nous apportent , non plus des réclamations , mais des ordres.
Ils nous enjoignent de lever le siége de Potidée , de rendre à
Egine son indépendance , de retirer le décret relatif à Mégare ;
enfin leurs derniers ambassadeurs nous somment de laisser les
Grecs indépendants ..
<< N'allez pas vous imaginer que , si nous faisons la guerre ,
ce sera pour une cause aussi légère que le maintien du décret
contre Mégare, ce qui est leur éternel refrain , et qu'il suffirait
de rapporter ce décret pour éviter une rupture. Ne conservez pas
l'arrière - pensée d'avoir pris les armes pour si peu. Cette pré-
tention, minime en apparence , n'est au fond qu'un moyen de
vous sonder et de reconnaître vos dispositions. Si vous cédez
aujourd'hui , demain vous recevrez quelque injonction plus
forte ; car ils attribueront votre condescendance à la peur ;
tandis qu'en tenant ferme , vous leur ferez clairement entendre
qu'ils doivent traiter avec vous d'égal à égal.
CXLI . « Cela étant , disposez-vous ou bien à obtempérer
avant d'avoir souffert aucun dommage , ou bien ― si vous
prenez le bon parti , celui de la guerre .- à ne fléchir sous
aucun prétexte, afin de ne pas éprouver des craintes conti-
nuelles au sujet de vos possessions , car c'est toujours se laisser
asservir que de subir une prétention exorbitante ou légère, im-
posée avant jugement par des égaux.
« Quant à ce qui concerne cette guerre et les ressources des
deux partis, apprenez , par le détail que je vais vous faire, que
nous n'aurons pas l'infériorité. Les Péloponésiens cultivent
eux-mêmes leurs terres ; ils ne possèdent ni richesses privées
ni richesses publiques ; ils n'ont pas l'expérience des guerres
longues et transmarines, parce que leurs luttes entre eux sont
de courte durée à raison de leur pauvreté. De tels peuples ne
peuvent ni équiper des flottes , ni expédier fréquemment des
armées de terre, parce qu'ils se trouvent dans la double obli-
gation de s'éloigner de leurs champs et de vivre de leurs ré- .
coltes, sans compter que la mer leur sera fermée . Or ce sont
les trésors amassés qui soutiennent la guerre , bien plus.
que les contributions forcées. Les hommes qui travaillent de
leurs mains sont plus disposés à payer de leur personne que
de leurs deniers ; car ils ont au moins l'espérance d'échapper
aux périls , tandis qu'ils ne sont pas sûrs de ne pas voir leurs
72 GUERRE DU PELOPONÈSE .

ressources prématurément épuisées , surtout si la guerre ,


comme il est probable, se prolonge au delà de leurs prévisions .
« Dans un seul combat , les Péloponésiens et leurs alliés
sont en état de faire tête au reste de la Grèce ; mais ils ne sau-
raient soutenir la guerre contre une puissance qui la fait au-
trement qu'eux. L'absence d'un conseil unique les empêche de
rien exécuter avec célérité. Égaux par le droit de suffrage,
mais différents d'origine , ils poursuivent chacun leur avantage
particulier. Il en résulte que rien ne s'achève ; car les uns
veulent avant tout satisfaire leur vengeance, les autres nuire
le moins possible à leurs propriétés . Assemblés avec lenteur ,
ils donnent peu de temps aux affaires générales et beaucoup
aux intérêts locaux ; chacun se figure que sa propre négligence
est sans inconvénient , qu'un autre avisera à sa place ; et comme
ils font tous le même calcul, il s'ensuit que , sans qu'on s'en
doute , l'utilité commune est sacrifiée .
CXLII. «< Mais rien ne les arrêtera plus que le manque d'ar-
gent et le temps qu'ils perdront à s'en procurer ; or , à la guerre ,
les occasions n'attendent pas. Les fortifications dont ils nous
menacent sont aussi peu redoutables que leur marine . Il est
difficile , même en temps de paix , à une ville puissante , de
construire de semblables fortifications ; à plus forte raison en
pays ennemi et quand nous leur opposerons la même tactique .
S'ils bâtissent un fort, ils pourront bien , par des incursions ,
ravager une partie de nos terres , et provoquer des désertions ' ;
mais ils ne nous empêcheront pas de cingler contre leur terri-
toire pour y élever des forts à notre tour , et de diriger contre
eux cette marine qui fait notre force . L'habitude de la mer
nous assure plus d'habileté sur terre que leur expérience con-
tinentale ne leur en donne pour la navigation.
<< Quant à la science navale , il ne leur sera pas facile de
l'acquérir. Vous-mêmes , qui vous y êtes appliqués depuis les
guerres médiques , vous ne l'avez pas encore portée à sa per-
fection ; comment donc des peuples agricoles et nullement ma-
ritimes, qui d'ailleurs , toujours maintenus en respect par nos
escadres , n'auront pas la liberté de s'exercer , obtiendraient- ils
quelque résultat ? S'ils n'avaient affaire qu'à de faibles croi-
sières , peut- être , le nombre enhardissant leur ignorance , se
hasarderaient- ils à livrer bataille ; mais , bloqués par des forces
supérieures, ils resteront en repos ; dès lors le défaut d'exer-
cice augmentera leur maladresse , et conséquemment leur timi-
dité. Or la marine est un art tout comme un autre elle ne
LIVRE I. 73

souffre pas qu'on la cultive accidentellement et comme un ac-


cessoire ; c'est elle au contraire qui ne comporte aucun acces-
soire .
CXLIII. « Supposons qu'ils mettent la main sur les trésors
de Delphes et d'Olympie, et qu'à l'aide d'une forte solde ils
cherchent à débaucher nos matelots étrangers : şi , nous em-
barquant nous et nos métèques , nous n'étions pas capables de
leur tenir tête , nous serions bien malheureux . C'est là un avan-
tage qu'on ne saurait nous ravir ; et puis — ce qui est capi-
tal nous avons des pilotes citoyens , des équipages plus
nombreux et meilleurs que n'en possède tout le reste de la
Grèce ; sans compter qu'au moment du péril aucun étranger
ne voudra , pour quelques jours de haute paye , se joindre à
eux, avec moins d'espérance et au risque de se voir exilé de
son pays2.
« Telle me paraît être , ou à peu près , la situation des Pélo-
ponésiens ; la nôtre , loin de donner prise aux mêmes critiques ,
se trouve infiniment préférable . S'ils attaquent notre pays par
terre, nous ferons voile contre le leur , et le ravage de l'Attique
entière sera plus que compensé par celui d'une partie du Pélo-
ponèse. Ils n'auront pas la ressource d'occuper un autre terri-
toire sans combat, tandis que nous , nous possédons beaucoup
de terres , soit dans les îles soit sur le continent ; car c'est une
grande force que l'empire de la mer. Je vous le demande , si
nous étions insulaires , quel peuple serait plus inexpugnable
que nous ? Eh bien ! il faut nous rapprocher le plus possible de
cette hypothèse , en abandonnant nos campagnes et nos habita-
tions , pour nous borner à la défense de la mer et de notre
ville, sans que la perte du reste nous inspire assez de colère
pour nous faire livrer bataille aux forces supérieures des Pé-
loponésiens . Vainqueurs , nous ne les empêcherions pas de re-
venir en aussi grand nombre ; vaincus , nous perdrions du
même coup ce qui constitue notre force , je veux dire nos alliés ,
qui ne se tiendraient pas en repos du moment où ils nous ver-
raient hors d'état de marcher contre eux. Ce qu'il faut dé-
plorer, ce n'est pas la perte des maisons ni des terres , mais
celle des hommes ; car ce ne sont pas ces choses-là qui ac-
quièrent les hommes, mais les hommes qui les acquièrent. Si
je me flattais de vous persuader , je vous dirais sortez et ra-
vagez vous-mêmes vos campagnes, montrez aux Péloponésiens
que ce n'est pas pour de tels objets que vous vous humilierez
devant eux.
THUCYDIDE .
74 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

CXLIV . « J'ai encore d'autres motifs d'espérer la victoire,


pourvu que vous renonciez à étendre votre domination durant
la guerre, et que vous ne vous jetiez pas de gaieté de cœur
dans un surcroît de dangers . J'appréhende bien plus nos
propres fautes que les plans de nos adversaires. Mais je trai-
terai ce sujet dans un autre discours , quand les opérations
auront commencé (a) ; pour le moment, renvoyons ces ambassa-
deurs en leur répondant que nous permettrons aux Mégariens
d'user de notre marché et de nos ports, quand les Lacédémo-
niens cesseront d'expulser de chez eux nous et nos alliés¹
l'un n'est pas plus contraire au traité que l'autre ; que nous
laisserons l'indépendance aux villes , si elles en jouissaient
lors de la conclusion de la paix, et si les Lacédémoniens per-
mettent aux cités de leur ressort de se gouverner, non pas
selon les intérêts de Lacédémone , mais chacune comme elle
l'entend ; que nous sommes prêts à accepter l'arbitrage selon
la teneur du traité ; qu'enfin nous ne commencerons pas la
guerre, mais que si l'on nous attaque , nous nous défendrons.
Voilà une réponse à la fois juste et digne de notre ville.
« Au surplus, dites-vous bien que la guerre est inévitable ;
que, si nous l'acceptons résolûment , nos adversaires pèseront
moins sur nous ; d'ailleurs , pour les États comme pour les par-
ticuliers , ce sont les plus grands périls qui procurent le plus
de gloire. C'est ainsi que , dans leur lutte contre les Mèdes , nos
pères, qui étaient loin de nous égaler en ressources et qui sa-
crifièrent le peu qu'ils possédaient, trouvèrent dans leur bon
sens plus que dans leur fortune, et dans leur audace plus que
dans leur force , les moyens de repousser le Barbare et d'élever
Athènes au rang qu'elle occupe aujourd'hui .
«< Ne dégénérons pas de leur vertu ; défendons-nous à ou-
trance contre nos ennemis , et faisons en sorte de ne pas trans
mettre cette puissance amoindrie à nos descendants . >>
CXLV. Ainsi parla Périclès . Les Athéniens , convaincus que
son avis était le meilleur, votèrent ce qu'il proposait et firent
aux Lacédémoniens la réponse qu'il avait dictée . Ils déclaré-
rent qu'ils n'obéiraient point à des ordres , mais qu'ils étaient
prêts , conformément au traité , à régler leurs contestations
par les voies légales et sur un pied d'égalité. Les députés se
retirèrent, et dès lors on n'en renvoya plus.
Tels furent , des deux côtés, les griefs et les différends qui

(a) Voy. livre II , chap. x .


LIVRE I. 75

précédèrent la guerre, à dater des affaires d'Epidamne et de


Corcyre. Cependant les relations internationales n'étaient pas
interrompues ; on communiquait d'un pays à l'autre sans mi-
nistère de héraut, mais non pas sans défiance ; car il y avait dans
ce qui se passait un prétexte de guerre et une atteinte portée
aux traités.
LIVRE II.

Première année de la guerre. Entreprise des Thébains contre Platée ,


ch . I- VI. - Préparatifs et alliés des deux partis , ch . VII-IX. - Les
Péloponésiens se rassemblent à l'Isthme , ch . x. Harangue d'Ar-
chidamos, ch. xi . Inutile envoi d'un parlementaire à Athènes ,
ch. XII. - - Périclès expose aux Athéniens son plan de guerre , ch. XIII.
-Retraite des campagnards dans la ville ; digression sur l'ancien état
de l'Attique , ch. XIV-XVII. Première invasion des Péloponésiens
en Attique ; envoi d'une flotte athénienne autour du Péloponèse ,
ch. XVIII-XXV. - Expédition navale des Athéniens contre la Locride ,
ch. XXVI. - Expulsion des Eginètes , ch . XXVII . Eclipse de soleil ,
ch. XXVIII. Alliance des Athéniens avec Sitalcès , roi des Odryses ,
ch. XXIX. - Les Athéniens prennent Sollion , Astacos et Céphallénie ,
envahissent la Mégaride et fortifient l'île d'Atalante , ch . xxx-XXXII.
Dans l'hiver , expédition des Corinthiens contre Astacos , ch . xxxIII.
-- Sépulture des Athéniens morts dans les combats de l'été, ch . xxxiv.
- Oraison funèbre prononcée par Périclès, ch . xxxvV-XLVI . — Deuxième
année de la guerre. Seconde invasion des Péloponésiens en Atti-
que. Peste d'Athènes , ch. XLVII-LVII. Renforts envoyés à l'armée
athénienne assiégeant Potidée , ch. LVIII. - Irritation des Athéniens
contre Périclès , ch. LIX. ---- Discours de Périclès , ch. LX-LXIV. -
Mort de Périclès et jugement porté sur son administration , ch . LXV.
Expédition navale des Péloponésiens contre Zacynthe , ch. LXVI .
-Arrestation de députés lacédémoniens envoyés au roi de Perse .
ch. LXVII. Expédition des Ambraciotes contre Argos Amphilochi-
con, ch. LXVIII. Dans l'hiver , opérations maritimes des Athéniens
contre le Péloponèse , la Carie et la Lycie , ch. LXIX . - Prise de
Potidée, ch. LXX. — Troisième année de la guerre. Siége de Platée
par les Péloponésiens , ch. LXXI-LXXVIII . Défaite des Athéniens à
Spartolos , ch. LXXIX.-- Défaite des Péloponésiens à Stratos , ch . LXXX-
LXXXII. -- Batailles navales dans le golfe de Corinthe ; harangues de
Brasidas et de Phormion, ch . LXXXIII-XCII. - Tentative des Péloponé-
siens sur le Pirée , ch. XCIII-XCIV. -- Expédition de Sitalcès en Ma-
cédoine ; digression sur le royaume des Odryses , ch . xcv-CI.
Expédition de Phormion en Acarnanie , ch . CII-CIII.

I. Ici commence la guerre entre les Athéniens et les Pélo-


ponésiens , soutenus par leurs alliés respectifs . Pendant sa
LIVRE II. 77

durée , ils n'eurent plus de communications que par ministère


de héraut, et les hostilités une fois entamées ne disconti-
nuèrent plus. Les événements sont rapportés dans l'ordre chro-
nologique, par été et par hiver.
II. La paix de trente ans , conclue après la conquête de
l'Eubée , n'en subsista que quatorze . La quinzième année ' ,
alors que Chrysis était prêtresse à Argos depuis quarante-huit
ans, Énésias éphore à Sparte, Pythodoros encore pour deux
mois archonte à Athènes, le sixième mois après la bataille de
Potidée et au commencement du printemps , des Thébains , au
nombre d'un peu plus de trois cents , conduits par les béo-
tarques 2 Pythangélos fils de Philidès et Diemporos fils d'Oné-
toridès, environ l'heure du premier sommeil , entrèrent en
armes à Platée , ville de Béotie , alliée d'Athènes . Ce furent des
Platéens, Nauclidès et ses adhérents³ , qui les appelèrent et
leur ouvrirent les portes . Ils voulaient , pour s'assurer l'auto-
rité, se défaire de leurs antagonistes et livrer la ville aux
Thébains. Le complot avait été ourdi entre eux et Eurymachos
fils de Léontiadès , un des hommes les plus marquants de
Thèbes . Les Thébains , qui voyaient venir la guerre , désiraient,
avant qu'elle eût éclaté, se saisir de Platée , leur éternelle en-
nemie. Il ne leur fut pas difficile d'entrer sans être aperçus ;
car on ne faisait pas encore la garde. Ils prirent position sur
la place publique ; mais , au lieu de se mettre aussitôt à
l'œuvre , comme l'auraient voulu les meneurs , et d'aller droit
aux maisons de leurs adversaires, ils préférèrent user de pro-
clamations conciliantes , afin d'amener la ville à composition.
Le héraut publia que , si quelqu'un voulait entrer dans l'al-
liance , suivant les institutions nationales de la confédération
béotienne , il eût à venir en armes se ranger auprès d'eux.
Ils espéraient que , par ce moyen , Platée se soumettrait sans
peine..
III. Quand les Platéens surent les Thébains dans leurs murs ,
et la ville occupée , ils eurent un moment de frayeur ; ils les
croyaient plus nombreux , car la nuit empêchait de les voir.
Ils entrèrent donc en accommodement, reçurent les proposi-
tions qui leur étaient faites et demeurèrent en repos , d'autant
plus aisément qu'aucun d'eux n'était inquiété ; mais , durant ces
pourparlers, ils s'aperçurent du petit nombre des Thébains et
pensèrent qu'en les assaillant ils en auraient bon marché. La
grande majorité des Platéens n'avait nulle envie de se détacher
d'Athènes ; l'attaque fut donc résolue. De peur d'être décou-
78 GUERRE DU PÉLOPONÈSE

verts en circulant dans la ville, ils se rassemblèrent en perçant


les murs mitoyens des maisons ; ils barricadèrent les rues à
l'aide de chariots dételés , et firent de leur mieux toutes les
" dispositions convenables ; puis , leurs préparatifs terminés,
profitant d'un reste de nuit et sans attendre le lever de l'au-
rore, ils sortirent des maisons , et marchèrent aux Thébains.
En plein jour, ceux-ci eussent été plus hardis et la partie moins
inégale ; tandis que, de nuit, les Platéens devaient les trouver
intimidés et avoir sur eux l'avantage de la connaissance des
localités. Ils les assaillirent donc sans retard et en vinrent im--
médiatement aux mains .
IV. Les Thébains, se voyant trompés, serrèrent leurs rangs,
firent front de tous côtés et repoussèrent deux ou trois atta-
ques. Mais quand les Platéens se ruèrent sur eux en grand
tumulte ; quand , du haut des maisons, les femmes et les valets ,
avec des cris et des hurlements, firent voler les pierres et les
tuiles ; quand une pluie battante vint encore augmenter l'obs-
curité , ils furent saisis d'épouvante ; et, prenant la fuite, ils
se mirent à courir à la débandade, par la boue , dans les ténè-
bres , - la lune était sur son déclin, - la plupart ignorant les
détours qui auraient pu les sauver, tandis que leurs ennemis ,
plus expérimentés , leur coupaient la retraite : aussi leur perte.
fut-elle considérable. Un Platéen ferma la porte par où ils
étaient entrés et qui seule était ouverte ; à cet effet, il se ser-
vit d'un fer de javelot, qu'il inséra dans la barre en guise de
boulon ; ainsi , pas même de ce côté , il n'y avait d'issue . Pour-
suivis par la ville, quelques -uns escaladèrent la muraille, sau-
tèrent dehors et se tuèrent presque tous ; d'autres avisèrent
une porte non gardée , rompirent furtivement la barre au
moyen d'une hache qu'une femme leur prêta , et s'échappè-
rent , mais en petit nombre, car on s'en aperçut bientôt ; d'au-
tres périrent çà et là dans Platée. Le gros de la troupe , ceux
qui étaient demeurés en corps , alla donner dans un grand
édifice adossé à la muraille et dont l'entrée était ouverte ;
ils la prirent pour une des portes de la ville et crurent qu'elle
communiquait directement avec l'extérieur. Les Platéens, les
voyant traqués , délibérèrent s'ils ne les brûleraient pas tous
en mettant le feu à l'édifice , ou s'ils prendraient un autre
parti. Finalement ces Thébains et tous ceux qui étaient épars
dans la ville se rendirent à discrétion, et mirent bas les armes.
V. Tel fut le sort des Thébains entrés dans Platée . D'autres
devaient, cette nuit même, arriver de Thèbes en corps d'ar-
LIVRE II. 79
mée pour les soutenir au besoin. Ils apprirent en route ce qui
se passait et pressèrent le pas . Platée est à soixante-dix stades
de Thèbes ; l'orage de la nuit retarda leur marche ; le fleuve
Asopos s'enfla et devint difficile à franchir ; ils cheminèrent par
la pluie, traversèrent le fleuve à grand'peine , et n'arrivèrent
qu'après la prise ou la mort de leurs gens. En conséquence ils
se mirent en devoir de dresser des embûches à ceux des Pla-
téens qui étaient hors de la ville ; car il y avait dans la cam-
pagne bon nombre d'hommes , avec tout l'attirail qui s'y
trouve en temps de paix et de sécurité . Ils voulaient que ceux
qu'ils réussiraient à prendre leur répondissent des captifs.
Comme ils délibéraient, les Platéens , soupçonnant leurs inten-
tions et alarmés pour ceux du dehors , envoyèrent un héraut
pour dire aux Thébains que c'était une impiété à eux d'avoir
cherché à s'emparer de leur ville en pleine paix ; qu'ils se
gardassent bien de toucher à ceux de l'extérieur, s'ils ne vou-
laient pas que les Platéens missent à mort les prisonniers
tombés entre leurs mains ; s'engageant d'ailleurs à les rendre
si les Thébains évacuaient le territoire . C'est là du moins ce
que disent les Thébains, et ils ajoutent que cette convention
fut confirmée par serment. Les Platéens au contraire soutien-
nent qu'ils n'avaient pas promis de rendre immédiatement les
prisonniers, mais qu'ils étaient entrés simplement en pour-
parlers, pour essayer d'en venir à un accord , et ils affirment
n'avoir rien juré. Quoi qu'il en soit , les Thébains quittèrent
le pays sans y avoir fait aucun mal , tandis que les Platéens.
n'eurent pas plus tôt retiré dans leurs murs ce qui était dans
les campagnes , qu'ils massacrèrent tous les prisonniers , au
nombre de cent quatre-vingts. Parmi ces derniers se trouvait
Eurymachos, le principal agent de la trahison .
VI. Là-dessus ils dépêchèrent un courrier à Athènes , per-
mirent aux Thébains d'enlever leurs morts , et firent dans leur
ville toutes les dispositions que réclamaient les circonstances .
Les Athéniens ne tardèrent pas à être informés des événe-
ments de Platée . A l'instant ils mirent en arrestation tous les
Béotiens qui étaient en Attique ; puis ils envoyèrent aux Pla-
téens un héraut pour leur dire de ne rien statuer sur les Thé-
bains prisonniers, avant qu'ils en eussent délibéré eux-mêmes.
Ils ne savaient pas encore qu'ils fussent morts. Un premier
courrier était parti de Platée au moment de l'entrée des Thé-
bains ; un second lorsqu'ils venaient d'être vaincus et pris ; là
s'arrêtaient les informations reçues à Athènes , et ce fut dans
80 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

cette ignorance qu'on expédia le héraut. A son arrivée , il


trouva les prisonniers massacrés . Les Athéniens firent passer
des troupes et des vivres à Platée , y laissèrent garnison et em-
menèrent les hommes les moins valides , ainsi que les femmes
et les enfants .
VII. L'affaire de Platée était une violation flagrante de la paix .
Les Athéniens se préparèrent donc à la guerre ; les Lacédémo-
niens et leurs alliés en firent autant. Les deux partis se dispo-
sèrent à envoyer des ambassades soit en Perse soit à d'autres
nations barbares , de qui ils espéraient obtenir des secours ; enfin
ils mirent tout en œuvre pour attirer dans leur alliance les
villes étrangères à leur domination . Les Lacédémoniens , indé-
pendamment des vaisseaux qu'ils avaient sous la main , com-
mandèrent aux villes d'Italie et de Sicile qui avaient pris parti
pour eux d'en construire d'autres, chacune proportionnellement
à sa grandeur , en sorte que la flotte atteignît le chiffre de cinq
cents navires . Leurs alliés eurent ordre de préparer un pre-
mier contingent d'argent , et, pour le surplus , de demeurer
tranquilles , sans recevoir chez eux plus d'un vaisseau athé-
nien à la fois , jusqu'à ce que tout fût prêt. Les Athéniens firent
la revue de leurs alliés et envoyèrent des députations , particu-
lièrement aux États qui avoisinent le Péloponèse , à Corcyre , à
Céphallénie , en Acarnanie et à Zacynthe . Ils sentaient bien
que , s'ils avaient ces peuples pour amis, ils pourraient en toute
sûreté porter la guerre sur tous les points du Péloponèse.
VIII. De part et d'autre on ne formait que de vastes projets
et l'on était plein de feu pour cette guerre . Il ne faut pas s'en
étonner c'est toujours au début qu'on déploie le plus d'ar-
deur. Ajoutez à cela qu'il y avait à cette époque , soit dans le
Péloponèse , soit à Athènes , une nombreuse jeunesse qui , par
inexpérience , ne demandait pas mieux que d'essayer de la
guerre. Tout le reste de la Grèce était dans l'attente , à la veille
de ce conflit des plus puissants États. Dans les cités rivales
comme dans les autres , ce n'étaient que présages et que de-
vins qui allaient chantant des oracles. De plus , chose inouïe
jusqu'alors , Délos avait éprouvé , peu auparavant, une secousse
de tremblement de terre , et l'on voyait dans ce phénomène
un pronostic des événements qui se préparaient. Toutes les
particularités de ce genre étaient recueillies avec avidité. Du
reste, la sympathie générale se prononçait hautement en fa-
veur des Lacédémoniens , surtout depuis qu'ils avaient annoncé
l'intention d'affranchir la Grèce. Villes et particuliers rivali-
LIVRE II . 81

saient de zèle pour les seconder selon leur pouvoir , soit en


paroles soit en actions ; chacun s'imaginait que les affaires
souffriraient de son absence . Tant l'animosité contre les Athé- A
niens était grande , les uns voulant se soustraire à leur domi-
nation, les autres craignant de la subir.
IX . Ce fut avec ces préparatifs et dans ces sentiments que la
guerre fut commencée . Il me reste à faire connaître quels
étaient dans l'origine les alliés des deux partis.
Les Lacédémoniens avaient pour eux tous les peuples du
Péloponèse situés en deçà de l'Isthme, hormis les Argiens et
les Achéens qui gardaient la neutralité. Les Pelléniens ' furent
les seuls de l'Achaïe qui prirent tout d'abord le parti de Lacé-
démone ; plus tard leur exemple fut suivi par le reste des
Achéens . En dehors du Péloponèse , les Mégariens , les Pho-
céens , les Locriens , les Béotiens , les Ambraciotes , les Leuca-
diens , les Anactoriens. Parmi ces peuples , les Corinthiens, les
Mégariens, les Sicyoniens , les Pelléniens , les Éléens , les Am-
braciotes et les Leucadiens fournissaient des vaisseaux ; les
Béotiens , les Phocéens et les Locriens, de la cavalerie ; les
autres , de l'infanterie .
Les alliés des Athéniens étaient Chios, Lesbos , Platée , les
Messéniens de Naupacte , la majeure partie des Acarnaniens ,
Corcyre , Zacynthe ; à quoi il faut ajouter les villes tributaires
situées en divers pays , savoir la Carie maritime , la Doride voi-
sine de la Carie , l'Ionie , l'Hellespont , le littoral de la Thrace ,
toutes les îles situées à l'orient entre le Péloponèse et la Crète ,
le reste des Cyclades , excepté Mélos et Théra². Dans ce
nombre , Chios , Lesbos et Corcyre fournissaient des vaisseaux ;
les autres , de l'infanterie et de l'argent.
Tels étaient les alliés et les ressources des deux partis au
début de la guerre 3 .
X. Aussitôt après l'affaire de Platée , les Lacédémoniens firent
savoir à tous leurs alliés , soit du Péloponèse soit du dehors,
qu'ils eussent à préparer leurs troupes et le matériel nécessaire
pour une expédition hors' du pays, ce qui revenait à dire qu'on
allait envahir l'Attique . Tout s'étant trouvé prêt pour le mo-
ment indiqué , les deux tiers des contingents de chaque État se
rassemblèrent à l'Isthme . Dès que l'armée fut réunie , Archi-
damos , roi des Lacédémoniens et chef de cette expédition ,
convoqua les généraux de chaque ville , les principaux officiers
et les hommes les plus éminents , et leur adressa l'allocution
suivante :
82 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

XI. « Péloponésiens et alliés, nos pères ont bien des fois


porté les armes dans le Péloponèse ou au dehors, et les plus
âgés d'entre vous ne sont pas sans expérience de la guerre.
Jamais cependant nous ne sommes entrés en campagne avec
un appareil plus formidable qu'aujourd'hui. Ayant affaire à
une ville très-puissante , nous avons voulu allier le nombre à la
valeur. On est donc en droit d'attendre que nous ne serons
pas moins braves que nos pères , que nous ne resterons pas au-
dessous de notre renommée. La Grèce entière, vivement émue
de notre entreprise , a les regards fixés sur nous et, dans son
inimitié contre Athènes , elle fait des vœux pour nos succès.
« Néanmoins, malgré notre supériorité numérique et le peu
d'apparence que l'ennemi accepte le combat, gardons-nous de
marcher sans précaution. Généraux et soldats de chaque ville
doivent toujours être sur le qui-vive. A la guerre, rien d'as-
suré ; le plus souvent les attaques sont brusques et inopinées.
Que de fois n'a-t-on pas vu des armées moindres , mais sur
leurs gardes, triompher d'adversaires plus nombreux , mais
plongés dans une trompeuse sécurité ? Il faut toujours , en pays
ennemi, s'avancer le cœur plein de confiance , mais en réalité
avec une circonspection craintive ; c'est le moyen d'assurer
l'attaque et la défense .
« La ville contre laquelle nous marchons, loin d'être sans
forces , est abondamment pourvue de tout. Si jusqu'à ce jour
les ennemis sont restés immobiles, c'est que nous étions en-
core éloignés ; mais tout porte à croire qu'ils sortiront en ba-
taille du moment qu'ils nous verront dévaster leurs propriétés.
Le spectacle d'un dommage inaccoutumé ne manque jamais
d'enflammer la colère ; alors on ne réfléchit plus , on agit avec
emportement. Ce doit être surtout le cas pour les Athéniens ,
qui prétendent commander aux autres, et qui sont plus habi-
tués à ravager le pays d'autrui qu'à voir ravager le leur.
« Puis donc que nous portons les armes contre une ville si
puissante , et que notre renommée, à nous et à nos ancêtres ,
doit dépendre de nos succès ou de nos revers , suivez la route
qui vous sera tracée. Observez avant tout la discipline, soyez
vigilants , soyez prompts à saisir les commandements. Rien
n'est plus beau ni plus sûr à la fois qu'une armée nombreuse
qui se meut avec une parfaite unité. »
XII. Lorsqu'il eut achevé ce discours et congédié l'assem-
blée, Archidamos fit partir pour Athènes le Spartiate Mélésip-
pos, fils de Diacritos, afin de savoir si les Athéniens, voyant
LIVRE II. 83

l'armée en marche, se montreraient plus accommodants ; mais


ils ne l'admirent ni dans l'assemblée , ni même dans la ville.
Déjà en effet avait prévalu l'avis de Périclès, de ne recevoir ni
héraut ni députation de la part des Lacédémoniens en cam-
pagne. Ils le renvoyèrent donc sans l'entendre et avec l'ordre
de repasser la frontière le jour même ; ajoutant que , si les
Lacédémoniens voulaient parlementer, ils eussent préalable-
ment à retourner chez eux. On donna une escorte à Mélésip-
pos pour l'empêcher de communiquer avec personne . Arrivé à
la frontière et sur le point de s'éloigner, il prononça , dit-on ,
ce peu de paroles : « Ce jour sera pour les Grecs l'origine de
grands malheurs. » Son retour à l'armée convainquit Archi-
damos que les Athéniens ne feraient aucune concession ; en
conséquence il donna l'ordre du départ et s'avança vers l'At-
tique. Les Béotiens avaient fourni aux Péloponésiens leur con-
tingent de guerre et leurs cavaliers . Le reste de leurs forces
entra dans le pays de Platée et le ravagea.
XIII. Les Péloponésiens se rassemblaient encore à l'Isthme ou
se mettaient en marche, lorsque Périclès fils de Xanthippos , un
des dix généraux d'Athènes , prévoyant l'invasion , se douta
qu'Archidamos, qui était son hôte, pourrait bien respecter ses
domaines , soit de son chef pour lui être agréable , soit d'après
l'ordre des Lacédémoniens pour le rendre suspect , comme
lorsqu'ils avaient, à cause de lui , réclamé l'expulsion des sa-
criléges. Il déclara donc aux Athéniens en pleine assemblée
qu'Archidamos était son hôte, mais qu'il n'en devait résulter
aucun détriment pour l'État ; que , si les ennemis ne dévas-
taient pas ses terres et ses maisons comme celles des autres , il
en faisait l'abandon au public, afin qu'à cet égard il n'y eût
contre lui aucune prévention défavorable.
En même temps il renouvela, au sujet des affaires présentes,
les conseils qu'il avait déjà donnés. Il leur recommanda de se
préparer à la guerre ; de retirer tout ce qui était aux champs ;
de ne pas sortir pour combattre , mais de se borner à la dé-
fense de la ville ; de tourner tous leurs soins vers ce qui fai-
sait leur force, c'est-à-dire vers la marine, et de tenir en bride
leurs alliés, « qui, disait-il, sont la source de notre puissance
par les subsides qu'ils nous fournissent ; or , l'âme de la
guerre, c'est l'intelligence et l'argent. » Il les exhorta d'ailleurs
à avoir bonne espérance, puisque la ville percevait , année
commune, six cents talents des tributs des alliés ' , non compris
les autres revenus , et qu'elle avait en réserve dans l'acropole
84 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
six mille talents d'argent monnayé, - il y en avait eu neuf
mille sept cents , mais on en avait distrait une partie pour les
propylées de l'acropole , pour les autres constructions et pour
le siége de Potidée ; dans cette somme ne figuraient pas
l'or et l'argent non monnayés , provenant des offrandes pu-
bliques ou particulières, les vases sacrés employés aux pompes
et aux jeux , les dépouilles des Mèdes et autres objets ana-
logues , formant ensemble une valeur au moins de cinq cents ta-
lents. Il ajouta que les temples avaient des richesses considé-
rables , dont on pourrait disposer ; qu'enfin , pour dernière
ressource , on prendrait les ornements d'or de la déesse , dont
la statue, à ce qu'il leur fit connaître , était couverte de qua-
rante talents d'or fin qui pouvait se détacher : mais après s'en
être servi pour le salut de la patrie , il faudrait le remplacer
intégralement *.
A ces motifs de confiance tirés de leurs richesses , Périclès
joignit un tableau de leurs forces militaires . Il dit qu'ils
avaient treize mille hoplites , indépendamment des seize mille
placés dans les forts et le long des remparts . Tel était dans
l'origine , à chaque invasion de l'ennemi , le nombre des
hommes de garde ; c'étaient les vieillards , les jeunes gens et
les métèques astreints au service d'hoplites ". Le mur de Pha-
lère avait trente - cinq stades jusqu'à l'enceinte de la ville , et la
partie de cette enceinte que l'on gardait était de quarante-trois
stades ; on laissait sans garde l'espace compris entre le long
mur et celui de Phalère. Les longs murs allant au Pirée
avaient quarante stades ; celui du dehors était seul gardés .
L'enceinte totale du Pirée et de Munychie était de soixante
stades ; on n'en gardait que la moitié ". Périclès ajouta
qu'on avait douze cents cavaliers, y compris les archers à
cheval , seize cents archers à pied et trois cents trirèmes
en état de tenir la mer. Telles étaient, sans en rien rabattre,
les forces des Athéniens à l'époque de la première invasion
des Péloponésiens et au début de cette guerre. Enfin Périclès,
selon sa coutume, termina cette revue par diverses considé-
rations propres à démontrer qu'on sortirait victorieux de la
lutte.
XIV. Les Athéniens se laissèrent persuader par ses discours .
Ils retirèrent des campagnes leurs enfants , leurs femmes et
tout leur mobilier ; ils enlevèrent jusqu'à la charpente des
maisons ; les troupeaux et les bêtes de somme furent transpor-
tés dans l'Eubée et dans les îles voisines . Ce déplacement leur

w
LIVRE II. 85

parut pénible, accoutumés qu'ils étaient pour la plupart à la


vie champêtre .
XV. Les Athéniens , plus qu'aucun autre peuple , avaient
adopté ce genre de vie depuis un temps immémorial. Sous
Cécrops et les premiers rois jusqu'à Thésée , les habitants de
l'Attique étaient disséminés dans des bourgades , dont chacune
avait son prytanée et ses magistrats ' . A part le cas de guerre,
ils ne se réunissaient point auprès du roi pour délibérer en
commun ; ils se gouvernaient eux-mêmes et tenaient conseil
isolément. On vit même quelques-unes de ces bourgades faire
la guerre au roi , comme il arriva aux Éleusiniens et à Eu-
molpos contre Érechthée . Mais Thésée, qui allait le génie à
la force , étant devenu roi , introduisit dans le pays diverses
améliorations : en particulier il abolit les conseils et les magis-
tratures des bourgades et réunit tous les citoyens dans la ville
actuelle , où il institua un seul conseil et un seul prytanée . Les
Athéniens continuèrent à exploiter leurs terres comme aupara-
vant ; mais il les contraignit de n'avoir que cette seule cité . Grâce
à cette centralisation, Athènes prit un rapide accroissement, et
elle était déjà considérable lorsque Thésée la transmit à ses
successeurs . En mémoire de cet événement , les Athéniens célè-
brent encore aujourd'hui une fête nationale , dédiée à Minerve
et appelée Xynæcia³ . Antérieurement la ville ne consistait que
dans l'acropole et dans le quartier situé au- dessous , du côté
méridional. En veut-on la preuve ? c'est dans l'acropole ou dans
cette partie de la ville basse que se trouvent les temples de la
plupart des divinités , par exemple de Jupiter Olympien,
d'Apollon Pythien , de la Terre , de Bacchus Limnéen¹ , en
l'honneur duquel se célèbrent les anciennes Dionysies le
douzième jour du mois Anthestérion ", usage qui s'est conservé
chez les Ioniens originaires d'Athènes. Il existe dans ce quar-
tier d'autres temples anciens. Là est encore la fontaine actuel-
lement appelée aux Neuf Bouches , par suite de la disposition
que lui donnèrent les tyrans, mais qui autrefois , quand les
sources étaient à découvert , se nommait Callirrhoes ; comme
elle était proche, on s'en servait pour les usages principaux ;
maintenant encore subsiste la coutume d'employer l'eau de
cette fontaine pour les cérémonies nuptiales et pour d'autres
ablutions . Enfin ce qui achève de prouver que jadis l'acropole
seule était peuplée, c'est que les Athéniens lui ont conservé le
nom de Cité.
XVI. Ainsi , pendant longtemps , les Athéniens habitèrent
86 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

d'une manière indépendante le territoire de l'Attique ; et,


même après leur concentration , ils gardèrent invariablement,
jusqu'à cette guerre, l'habitude de vivre aux champs avec
leurs familles. Ce ne fut donc pas sans un vif déplaisir qu'ils
abandonnèrent leurs foyers , d'autant plus qu'ils avaient réparé
depuis peu les dommages occasionnés par les guerres médi-
ques. Ils quittaient à regret des habitations et , des temples
auxquels les attachait une longue possession ; ils allaient re-
noncer à leur manière de vivre et semblaient chacun dire
adieu à leur ville natale.
XVII . Arrivés à Athènes , un petit nombre d'entre eux y
trouvèrent des logements ou un abri chez des amis ou des
parents ; la plupart s'établirent dans les endroits inhabités de
la ville, dans les enceintes consacrées aux dieux et aux héros ,
partout enfin, sauf dans l'acropole, dans l'Éleusinion ' et autres.
lieux solidement fermés. Il n'y eut pas jusqu'au Pélasgicon ,
situé au pied de l'acropole , que la nécessité du moment ne
contraignît d'occuper, nonobstant les imprécations qui s'y
opposaient et l'oracle de Delphes qui l'avait expressément dé-
fendu dans ce vers :

Mieux vaut que le Pélasgicon reste vacant.


Pour moi , je pense que cet oracle s'accomplit à l'inverse de
ce qu'on avait prévu ; ce ne fut pas l'occupation sacrilége qui
attira des maux sur la ville, mais ce fut la guerre qui néces-
sita l'occupation. C'est là ce que l'oracle n'avait pas expliqué ;
mais il savait sans doute que ce lieu ne serait habité que dans
un temps de calamité publique . Plusieurs s'installèrent dans les
tours des remparts , chacun enfin comme il put; car la ville ne
suffisait pas à l'affluence . Finalement on envahit l'intervalle des
longs murs 5 et la majeure partie du Pirée . En même temps les
Athéniens se préparaient à la guerre , rassemblaient leurs alliés
et armaient cent vaisseaux contre le Peloponèse.
XVIII. Pendant ces préparatifs, l'armée des Péloponésiens ,
continuant sa marche, arriva devant OEnoé , première ville de
l'Attique du côté où ils voulaient opérer l'invasion . Après avoir
assis leur camp, ils se disposèrent à attaquer la muraille avec
des machines et par d'autres moyens . OEnoé, située sur les
confins de l'Attique et de la Béotie , était fortifiée et servait aux
Athéniens de place d'armes en temps de guerre. Les Péloponé-
siens firent le siége de cette ville et y perdirent beaucoup de
temps. L'armée en prit occasion de murmurer contre Archi
LIVRE II. 87

damos. On lui reprochait son irrésolution, toute en faveur des


Athéniens , lorsqu'on avait agité la question de la guerre , son
séjour prolongé à l'Isthme, la lenteur de sa marche, enfin sa
temporisation devant OEnoé . Les Athéniens, disait-on, en avaient
profité pour retirer leurs effets dans la ville , au lieu que, par
un mouvement rapide, les Péloponésiens auraient tout surpris
hors des murs . Sans s'émouvoir de ce mécontentement , Archi-
damos patientait , dans l'espoir que les Athéniens seraient plus
traitables , leur territoire étant encore intact , et qu'ils ne se
résigneraient pas à en contempler froidement le ravage.
XIX. Après avoir assailli sans résultat OEnoé et tout mis en
œuvre pour s'en rendre maîtres, les Péloponésiens , ne voyant
venir d'Athènes aucun héraut, levèrent le siége et pénétrèrent
en Attique, quatre-vingts jours après l'entrée des Thébains à
Platée, et au moment où la moisson était en pleine maturité.
Archidamos , fils de Zeuxidamos et roi de Lacédémone , les com-
mandait. Ils campèrent d'abord près d'Eleusis , dans la plaine
de Thria, ravagèrent la contrée et remportèrent un léger avan-
tage sur la cavalerie athénienne dans l'endroit appelé les Rhites.
Ensuite ils s'avancèrent, en laissant à droite le mont Égaléos ,
traversèrent Cropies et atteignirent Acharnes , le plus grand
des dèmes de l'Attique . Ils y campèrent et étendirent leurs
ravages sur les environs.
XX . En prenant position près d'Acharnes en ordre de bataille ,
sans descendre encore dans la plaine , Archidamos espérait,
dit-on, que les Athéniens, fiers de leur nombreuse jeunesse et
parfaitement préparés , sortiraient peut-être, et n'assisteraient
pas de sang-froid à la dévastation de leur territoire . Ne les
ayant rencontrés ni à Eleusis ni dans la plaine de Thria, il vou-
lut voir si, en s'établissant près d'Acharnes , il ne les attirerait
pas en rase campagne . L'endroit lui paraissait favorable pour
y asseoir un camp . Il pensait que les Acharniens , formant une
portion notable de l'État , puisqu'ils fournissaient trois mille
hoplites , ne laisseraient pas dévaster leurs terres , mais qu'ils
entraîneraient la masse au combat . Enfin , si les Athéniens ne
s'opposaient pas à cette invasion , rien n'empêcherait de rava-
ger la plaine et de pousser même jusqu'à la ville ; car il était
peu probable que les Acharniens, après la ruine de leurs pro-
priétés, missent la même ardeur à défendre celles des autres ; il
en résulterait de la désunion . C'est là ce qui retenait Archida-
mos aux environs d'Acharnes .
XXI. Tant que l'armée était restée près d'Eleusis et dans la
88 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

plaine de Thria, les Athéniens avaient espéré qu'elle n'irait pas


plus loin. Ils se souvenaient que Plistoanax, fils de Pausanias
et roi des Lacédémoniens, lorsqu'il avait envahi l'Attique qua-
torze ans avant la guerre actuelle, s'était avancé jusqu'à Eleu-
sis et à Thria, mais qu'il avait rebroussé sans passer outre,, ce
qui l'avait fait bannir de Sparte , parce qu'on croyait qu'il avait
reçu de l'argent pour battre en retraite ¹ ; quand ils virent l'en-
nemi campé devant Acharnes , à soixante stades d'Athènes , ils
perdirent patience . Le spectacle de leurs campagnes ravagées
sous leurs yeux, spectacle nouveau pour les jeunes gens et
même pour les vieillards depuis les guerres médiques , les fai-
sait frémir de rage. Tous , et principalement la jeunesse , deman-
daient à venger cet affront. Des groupes se formaient , on dis-
putait avec vivacité, les uns pour, les autres contre l'appel aux
armes. Les devins chantaient toute sorte d'oracles , que chacun
écoutait sous l'empire de sa passion . Les Acharniens, qui se
considéraient comme une fraction importante de la république ,
voyant leur territoire dévasté , demandaient à grands cris qu'on
se mît en campagne. L'exaspération était au comble ; on jetait
feu et flammes contre Périclès ; on oubliait ses avis précédents ,
on le taxait de lâcheté, parce qu'étant général il refusait de
combattre ; enfin on le regardait comme l'auteur de tous les
maux.
XXII. Périclès , s'apercevant que les Athéniens étaient aigris
par les événements et que l'opinion était égarée, convaincu
d'ailleurs qu'il avait raison de s'opposer à toute sortie , ne con-
voquait ni assemblée ni réunion quelconque , de peur que le
peuple ne fit quelque imprudence, s'il ne prenait conseil que de
son courroux. Il se contentait de garder la ville et d'y mainte-
nir autant qu'il le pouvait la tranquillité ; mais il expédiait
journellement des cavaliers, pour empêcher les coureurs enne-
mis d'infester les environs d'Athènes. Il y eut même à Phrygies
un léger engagement entre la cavalerie béotienne et un esca-
dron athénien, appuyé par des Thessaliens. Les Athéniens sou-
tinrent le combat sans désavantage , jusqu'au moment où l'en-
nemi reçut un renfort d'hoplites, qui les força de se replier avec
quelque perte ; toutefois ils enlevèrent leurs morts le jour même
sans composition ' . Le lendemain , les Péloponésiens érigèrent
un trophée. Ces auxiliaires thessaliens étaient venus en vertu
de l'ancien pacte avec Athènes 2 ; leur troupe se composait de
Larisséens, de Pharsaliens³ , de Cranoniens, de Pyrasiens, de
Gyrtoniens et de Phéréens. A leur tête se trouvaient Polymédès
LIVRE II. 89
et Aristonoos , tous deux de Larisse , mais de factions opposées,
et Ménon de Pharsale. Chaque ville avait son chef parti-
culier.
XXIII. Les Péloponésiens , voyant les Athéniens déter-
minés à refuser le combat, partirent d'Acharnes et ravagèrent
quelques autres dêmes situés entre les monts Parnès et Briles-
sos. Ils étaient encore en Attique, lorsque les Athéniens en-
voyèrent autour du Péloponèse les cent vaisseaux qu'ils avaient
équipés , et qui portaient mille hoplites et quatre cents archers.
Les commandants de cette flotte étaient Carcinos fils de Xéno-
timos , Protéas fils d'Epiclès , et Socratès fils d'Antigénès. Ils
mirent à la voile avec cet armement pour faire le tour du Pélo-
ponèse. Les Péloponésiens restèrent en Attique aussi longtemps
qu'ils eurent des vivres ; ensuite ils opérèrent leur retraite par
la Béotie, et non par la route qu'ils avaient suivie au moment
de l'invasion . En passant devant Oropos, ils ravagèrent la
2
contrée qui porte le nom de Péraïque et qui appartient aux
Oropiens, sujets des Athéniens. De retour dans le Péloponèse ,
ils se séparèrent et chacun regagna ses foyers.
XXIV. Après leur départ, les Athéniens établirent, sur terre
et sur mer, un système de défense pour toute la durée de la
guerre. On décréta qu'une somme de mille talents serait préle-
vée sur le trésor de l'acropole et mise en réserve, et que le sur-
plus serait appliqué aux dépenses de la guerre. Il y eut peine de
mort pour quiconque ferait ou mettrait aux voix la proposition
de toucher à cet argent, à moins que la ville ne fût menacée
par une flotte ennemie et dans un danger imminent . On décréta
pareillement qu'on tiendrait en réserve cent trirèmes , choisies
chaque année parmi les meilleures , avec leurs triérarques ' , pour
n'être employées qu'avec l'argent du trésor et pour la même
éventualité , c'est-à-dire en cas d'urgence.
XXV. Les Athéniens qui montaient les cent vaisseaux envoyés
autour du Péloponèse avaient été rejoints par cinquante bâti-
ments de Corcyre et par quelques autres alliés de ces parages.
Ils dévastèrent divers points du littoral , et en particulier ils
firent une descente à Méthone en Laconie. Déjà ils assaillaient
la muraille , qui était faible et dépourvue de défenseurs ; mais,
dans les environs , se trouvait alors le Spartiate Brasidas fils
de Tellis , avec un corps de troupes. Averti du danger, il se porta
au secours de la place à la tête d'une centaine d'hoplites ; et ,
traversant à la course l'armée athénienne, qui était éparse dans
la campagne et distraite par les travaux du siége , il se jeta dans
90 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Méthone, sans perte sensible. Il sauva ainsi la ville et dut à ce


trait de bravoure d'être le premier qui, dans le cours de cette
guerre , obtint des éloges à Sparte.
Les Athéniens reprirent la mer et , côtoyant le rivage , al-
lèrent descendre en Élide , non loin de Phéa, dont ils ravagèrent
le territoire pendant deux jours. Ils battirent trois cents hommes
choisis de l'Élide-Creuse et quelques habitants du voisinage ,
sujets des Éléens , qui étaient venus les attaquer. Surpris par
un orage sur cette côte sans port, la plupart des Athéniens se
rembarquèrent et , doublant le promontoire Ichthys , gagnèrent
le port de Phéa. Dans l'intervalle, les Messéniens et quelques
autres qui n'avaient pu monter sur les vaisseaux s'avancèrent
par terre jusqu'à Phéa et s'en rendirent maîtres . La flotte,
après avoir doublé le cap, les prit à bord et gagna le large en
abandonnant la place , au secours de laquelle les Éléens étaient
arrivés en force. Les Athéniens continuèrent à suivre le rivage
et dévastérent d'autres endroits .
XXVI. Vers la même époque, les Athéniens envoyèrent sur
les côtes de Locride trente vaisseaux destinés à protéger l'Eu-
bée. Leur chef était Cléopompos fils de Clinias. Il opéra des
descentes, ravagea divers points du littoral, s'empara de Thro-
nion où il prit des otages , et défit à Alopé un corps de Locriens
qui essaya de lui résister.
XXVII . Dans ce même été , les Athéniens expulsèrent les ha-
bitants d'Égine, hommes , femmes et enfants. Ils les accusaient
d'avoir été une des principales causes de la guerre ; d'ailleurs ,
Égine avoisinant le Péloponèse , il leur semblait prudent d'oc-
cuper eux-mêmes cette île. Ils y envoyèrent donc , quelque
temps après, une colonie athénienne ' . Aux Éginètes expulsés
les Lacédémoniens cédèrent la ville et le territoire de Thyréa ,
en haine des Athéniens, comme aussi en reconnaissance des ser-
vices que les Éginètes avaient rendus à Lacédémone lors du
tremblement de terre et du sõulèvement des Ilotes . La Thy-
réatide est située sur les confins de l'Argolide et de la Laconie ;
elle s'étend jusqu'à la mer. Un certain nombre d'Éginètes s'éta
blirent en ce lieu ; les autres se dispersèrent dans toute la
Grèce.
XXVIII . Le même été , à l'époque de la pleine lune , seul
moment où ce phénomène paraisse possible , le soleil s'éclipsa
après midi et remplit de nouveau son disque , après avoir pris
la forme d'un croissant et laissé percer quelques étoiles '.
XXIX. Ce fut encore dans ce même été que les Athéniens
LIVRE II. 91
1
nommèrent proxène et appelèrent chez eux l'Abdéritain Nym-
phodoros fils de Pythès, dont Sitalcès avait épousé la sœur , et
qui jouissait d'un grand crédit auprès de ce monarque . Ils l'a-
vaient jusque-là regardé comme leur ennemi ; mais ils cédèrent
au désir de gagner l'amitié de Sitalcès, fils de Térès et roi des
Thraces . Ce Térès , père de Sitalcès , fut le fondateur de l'empire
des Odryses, dont il étendit la domination sur la majeure partie
de la Thrace , quoiqu'un grand nombre de Thraces soient encore
indépendants. Ce même Térès n'a rien de commun avec Téréus ,
mari de Procné, fille de Pandion roi d'Athènes. Ils n'étaient
point de la même Thrace . Téréus habitait à Daulis , dans le
pays aujourd'hui appelé Phocide et peuplé jadis par des Thraces.
C'est là que les femmes commirent leur attentat contre Itys 2 ;
d'où vient que plusieurs poëtes , en parlant du rossignol, l'ont
nommé l'oiseau de Daulis . D'ailleurs il est vraisemblable que
Pandion chercha un gendre qui , voisin de lui , pût donner ou
recevoir promptement du secours , et ne s'adressa pas aux
Odryses , séparés par bien des journées de chemin. Térès , dont
le nom même diffère de Téréus , fut le premier roi puissant
des Odryses . C'est avec son fils Sitalcès que les Athéniens firent
alliance, afin qu'il les aidât à réduire Perdiccas et les villes du
littoral de la Thrace. Nymphodoros vint à Athènes, traita pour
Sitalcès et obtint le droit de cité en faveur de Sadocos, fils de
ce prince. Il promit de faire cesser la guerre de Thrace et
d'engager Sitalcès à envoyer aux Athéniens des cavaliers et des
peltastes de ce pays. Il réconcilia aussi Perdiccas avec les
Athéniens en les décidant à lui rendre Thermé . A l'instant Per-
diccas marcha contre les Chalcidéens , de concert avec les
Athéniens et avec Phormion. C'est ainsi que Sitalcès , fils de
Térès et roi des Thraces , devint l'allié des Athéniens , de même
que Perdiccas , fils d'Alexandre et roi de Macédoine .
XXX. Cependant les Athéniens , avec leurs cent vaisseaux ,
croisaient autour du Péloponèse . Ils s'emparèrent de Sollion ' ,
place qui appartenait aux Corinthiens, et la donnèrent avec son
territoire aux Paléréens, à l'exclusion des autres Acarnaniens
Ils prirent aussi d'assaut Astacos , en chassèrent le tyran Évar
chos et firent entrer cette ville dans leur alliance . De là ils cin
glèrent vers Céphallénie , qu'ils réduisirent sans combat. Cette
île est située dans le voisinage de l'Acarnanie et de Leucade ;
elle renferme quatre villes , qui sont celles des Paléens , des Cra-
niens , des Saméens et des Pronnéeps. Bientôt après la flotte
reprit la route d'Athènes .
92 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

XXXI. L'automne finissait, lorsque les Athéniens en corps de


nation, citoyens et métèques , envahirent la Mégaride sous la
conduite de Péricles fils de Xanthippos. Les cent vaisseaux qui
avaient fait le tour du Péloponèse se trouvaient alors à Égine.
Dès qu'on apprit sur cette flotte que ceux de la ville étaient en
masse à Mégare , on fit voile pour les rejoindre. Jamais armée
athénienne n'avait présenté un si magnifique coup d'œil. La
ville était alors dans tout son éclat et n'avait pas encore souf-
fert de la peste. Les Athéniens à eux seuls ne comptaient pas
moins de dix mille hoplites , non compris les trois mille qui as-
siégeaient Potidée . Les métèques faisant le service d'hoplites
étaient près de trois mille ; à quoi il faut ajouter la troupe , fort
considérable , des soldats armés à la légère . Après qu'on eut
dévasté une bonne partie de la Mégaride , on se retira. Dans la
suite et durant tout le cours de cette guerre, les Athéniens re-
nouvelèrent chaque année ces incursions en Mégaride avec leurs
cavaliers ou avec toutes leurs forces , jusqu'au moment où Niséa
tomba en leur pouvoir (a ).
XXXII. A la fin du même été , les Athéniens construisirent un
fort à Atalante, île voisine des Locriens -Opontiens et aupara-
vant déserte. Ils voulaient protéger l'Eubée contre les pirates
d'Oponte et du reste de la Locride. Tels furent les événements
qui se passèrent dans l'été, depuis l'évacuation de l'Attique par
les Péloponésiens .
XXXIII. L'hiver suivant, l'Acarnanien Évarchos obtint des
Corinthiens qu'ils le ramenassent à Astacos avec quarante vais-
seaux et quinze cents hoplites , auxquels il adjoignit quelques
auxiliaires soudoyés par lui . A la tête de cette expédition étaient
Euphamidas fils d'Aristonymos , Timoxénos fils de Timocratès
et Eumachos fils de Chrysis. Ils mirent à la voile et rétablirent
Évarchos. Après avoir inutilement essayé de soumettre quelques
places maritimes de l'Acarnanie, ils repartirent pour Corinthe.
Dans le trajet, ils touchèrent à Céphallénie et firent une descente
chez les Craniens ; mais , trompés par des pourparlers et atta-
qués à l'improviste, ils perdirent quelques hommes , se rembar-
quèrent précipitamment et opérèrent leur retraite.
XXXIV. Le même hiver, les Athéniens, conformément à la
coutume du pays , célébrèrent aux frais de l'Etat les funérailles
des premières victimes de cette guerre . Voici en quoi consiste
la cérémonie. On expose les ossements des morts sous une tente

(a) Voyez liv. IV, chap. LXVI.


LIVRE II. 93

dressée trois jours d'avance , et chacun apporte ses offrandes à


celui qu'il a perdu . Quand vient le moment du convoi , des
chars amènent des cercueils de cyprès , un pour chaque tribu ;
les ossements y sont placés d'après la tribu dont les morts fai-
saient partie. Un lit vide , couvert de tentures, est porté en l'hon-
neur des invisibles , c'est-à-dire de ceux dont les corps n'ont pu
être retrouvés. Tout citoyen ou étranger est libre de se joindre
au cortége. Les parentes viennent auprès du tombeau faire
entendre leurs lamentations . Les cercueils sont déposés au monu-
ment public, dans le plus beau faubourg de la ville . C'est tou-
jours là qu'on enterre ceux qui ont perdu la vie dans les com-
bats ; les guerriers de Marathon furent seuls exceptés leur
vaillance incomparable les fit juger dignes d'être inhumés dans
le lieu même où ils avaient trouvé la mort . Dès que les osse-
ments ont été recouverts de terre, un orateur , choisi par la
république parmi les hommes les plus habiles et les plus consi-
dérés , prononce un éloge digne de la circonstance ; après quoi
l'on se sépare . Telle est la cérémonie des funérailles ; l'usage
en fut régulièrement observé dans tout le cours de la guerre , à
mesure que l'occasion s'en présenta . Cette fois , ce fut Périclès
fils de Xanthippos qui fut chargé de porter la parole. Quand
le moment fut venu , il s'avança vers une estrade élevée , d'où
sa voix pouvait s'entendre au loin, et il prononça le discours
suivant :
XXXV. « La plupart des orateurs qui m'ont précédé à cette
tribune, ont fait l'éloge du citoyen qui a ajouté à la loi ce dis-
cours sur les victimes de la guerre , comme étant un hommage
rendu à leur tombeau . Quant à moi , il m'eût semblé préféra-
ble qu'une vaillance qui s'est manifestée par des faits fût seu-
lement honorée par des faits comme sont les pompes déployées
par l'État pour ces funérailles, plutôt que d'exposer la renom-
mée d'un si grand nombre d'hommes au talent oratoire d'un
seul. Rien n'est plus malaisé que de garder une juste mesure
dans un sujet où la vérité est appréciée si diversement. L'au-
diteur bien informé et favorablement prévenu trouve le dis-
cours peu d'accord avec ce qu'il sait et ce qu'il désire , tan-
dis que celui qui ignore les faits estime par jalousie qu'il y a
exagération dans tout ce qui excède sa propre portée . On ne
tolère la louange d'autrui qu'autant qu'on se croit capable de
faire soi-même ce qu'on entend louer ; passé cette limite, l'en-
vie provoque l'incrédulité. Néanmoins , puisque cette institution
a été jugée bonne par nos pères , je dois me conformer à la loi
94 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.
et tâcher de répondre de mon mieux aux vœux et à l'attente de
chacun de vous.
XXXVI. « Je commencerai par nos ancêtres ; c'est à eux
qu'appartient la première place dans ces augustes souvenirs ..
« Cette contrée que la même race d'hommes a toujours habi-
tée , ils nous l'ont transmise constamment libre , grâce à leur
valeur. Aussi ont-ils droit à nos éloges , mais nos pères encore
plus ; car à l'héritage qu'ils avaient reçu ils ont ajouté la puis-
sance que nous possédons et, à force de travaux, l'ont léguée à
la génération présente ; et nous , dans la vigueur de l'âge, nous
avons encore étendu cet empire et mis notre ville sur le pied le
plus respectable pour la guerre comme pour la paix.
<< Les combats et les exploits qui nous ont valu ces conquêtes ,
le courage avec lequel , nous ou nos pères, nous avons repoussé
les agressions des barbares ou des Grecs, je les passerai sous
silence, ne voulant pas m'étendre sur un sujet qui vous est
connu . Mais le régime qui nous a fait parvenir à ce degré de
puissance , les institutions et les mœurs qui ont rendu notre ville
si florissante, c'est là ce que j'exposerai d'abord , avant de pas-
ser à l'éloge de nos guerriers , persuadé qu'un tel examen n'est
point ici hors de saison , et que la foule entière des citoyens et
des étrangers est intéressée à l'entendre.
XXXVII. « La constitution qui nous régit n'a rien à envier
aux autres peuples ; elle leur sert de modèle et ne les imite
point. Elle a reçu le nom de démocratie, parce que son but est
l'utilité du plus grand nombre et non celle d'une minorité.
Pour les affaires privées tous sont égaux devant la loi ; mais la
considération ne s'accorde qu'à ceux qui se distinguent par
quelque talent. C'est le mérite personnel, bien plus que les dis-
tinctions sociales , qui fraye la voie des honneurs. Aucun ci-
toyen capable de servir la patrie n'en est empêché par l'indi-
gence ou par l'obscurité de sa condition.
« Libres dans notre vie publique , nous ne scrutons pas avec
une curiosité soupçonneuse la conduite particulière de nos con-
citoyens ; nous ne les blâmons pas de rechercher quelque plai-
sir ; nous n'avons pas pour eux de ces regards improbateurs
qui
blessent , s'ils ne frappent pas .
« Malgré cette tolérance dans le commerce de la vie , nous
savons respecter ce qui touche à l'ordre public ; nous sommes
pleins de soumission envers les autorités établies , ainsi qu'en-
vers les lois, surtout envers celles qui ont pour objet la protec-
tion des faibles , et celles qui, pour n'être pas écrites , ne lais-
LIVRE II. 95

sent pas d'attirer à ceux qui les transgressent un blâme


universel.
XXXVIII. « Nous avons ménagé à l'esprit des délassements
sans nombre, soit par des jeux et des sacrifices périodiques,
soit, dans l'intérieur de nos maisons, par une élégance dont le
charme journalier dissipe les tristesses de la vie. La grandeur
de notre ville fait affluer dans son sein les trésors de toute
la terre, et nous jouissons aussi complétement des produits
étrangers que de ceux de notre sol .
XXXIX. « Quant à l'apprentissage de la guerre, nous l'em-
portons en plusieurs points sur nos rivaux. Notre ville n'est
fermée à personne ; il n'y a point de loi qui , chez nous , écarte
les étrangers d'une étude ou d'un spectacle dont nos ennemis
pourraient profiter. C'est qu'à l'heure du danger, nous comptons
moins sur des préparatifs, sur des stratagèmes prémédités, que
sur notre courage naturel . D'autres , par un laborieux exercice
commencé dès l'enfance , se font de la bravoure une vertu d'é-
ducation ; nous , au contraire , sans nous astreindre à de rudes
fatigues, nous affrontons les périls avec une égale intrépidité.
Et la preuve, c'est que les Lacédémoniens ne se mettent jamais
en campagne contre nous sans se faire suivre de tous leurs
alliés ; tandis que nous , pénétrant seuls chez nos ennemis , nous
triomphons, sans trop de peine, de peuples qui défendent leurs
propres foyers .
« D'ailleurs aucun ennemi ne s'est encore mesuré contre tou-
tes nos forces, dont une partie est toujours distraite par les
exigences de notre marine et par l'envoi de nos troupes sur
divers points du continent. Et néanmoins, nos adversaires ont-
ils quelque engagement avec une fraction de notre armée :
vainqueurs, ils se vantent de nous avoir tous défaits ; vaincus ,
ils prétendent n'avoir cédé qu'à nos forces réunies.
« Et quand il serait vrai que nous aimons mieux nous former
à la vaillance par une vie facile que par un exercice pénible, à
l'aide des mœurs plutôt que des lois , toujours est-il que nous
avons l'avantage de ne pas nous tourmenter d'avance des peines
à venir, et que , au moment de l'épreuve , nous ne nous montrons
pas pour cela moins braves que ceux dont la vie est un travail
sans fin.
XL. « Mais ce ne sont pas là nos seuls titres de gloire. Nous
excellons à concilier le goût de l'élégance avec la simplicité, la
culture de l'esprit avec l'énergie. Nous nous servons de nos
richesses, non pour briller , mais pour agir. Chez nous , ce n'est
96 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

pas une honte que d'avouer sa pauvreté ; ce qui en est une ,


c'est de ne rien faire pour en sortir. On voit ici les mêmes
hommes soigner à la fois leurs propres intérêts et ceux de l'É-
tat, de simples artisans entendre suffisamment les questions
politiques. C'est que nous regardons le citoyen étranger aux
affaires publiques , non comme un ami du repos , mais comme
un être inutile . Nous savons et découvrir par nous-mêmes et
juger sainement ce qui convient à l'État ; nous ne croyons pas
que la parole nuise à l'action ; ce qui nous paraît nuisible , c'est
de ne pas s'éclairer par la discussion. Avant que d'agir nous
savons allier admirablement le calme de la réflexion avec la
témérité de l'audace ; chez d'autres, la hardiesse est l'effet de
l'ignorance et l'irrésolution celui du raisonnement. Or il est
juste de décerner la palme du courage à ceux qui , connaissant
mieux que personne les charmes de la paix, ne reculent cepen-
dant point devant les hasards de la guerre.
<< Pour ce qui tient aux bons offices , nous offrons encore
un frappant contraste avec les autres nations. Ce n'est pas
en recevant, c'est en accordant des bienfaits, que nous ac-
quérons des amis . Or l'amitié du bienfaiteur est plus solide ,
parce qu'il est intéressé à ne pas laisser perdre le fruit d'une
reconnaissance qui lui est due ; tandis que l'obligé a moins
d'ardeur, parce qu'il sait que, de sa part, un service rendu est
l'acquittement d'une dette plutôt qu'un mérite. Nous obligeons
sans calcul ni arrière-pensée , mais avec une confiante généro-
sité.
XLI. « En résumé, j'ose le dire , Athènes, prise dans son en-
semble, est l'école de la Grèce ; et, si l'on considère les indivi-
dus, on reconnaîtra que , chez nous, le même homme se prête
avec une extrême souplesse aux situations les plus diverses.
« Pour se convaincre que mon langage n'est pas dicté par
une vaine jactance, mais qu'il est l'expression de la vérité , il
suffit d'envisager la puissance que ces qualités diverses nous
ont acquise. Seule de toutes les villes existantes , Athènes , mise
à l'épreuve, se trouve supérieure à sa renommée ; seule elle
peut combattre un ennemi sans qu'il s'irrite de sa défaite, et
commander à des sujets sans qu'ils se plaignent d'avoir d'in-
dignes souverains .
<< Cette grandeur de notre république est attestée par les plus
éclatants témoignages, qui nous vaudront l'admiration de la
postérité aussi bien que de la génération présente , sans qu'il
soit besoin pour cela ni des louanges d'un Homère , ni d'une
LIVRE II. 97

poésie qui pourra charmer passagèrement les oreilles , mais


dont les mensonges seront démentis par la réalité des faits.
Nous avons forcé toutes les terres et toutes les mers à devenir
accessibles à notre audace ; partout nous avons laissé des mo-
numents impérissables de nos succès ou de nos revers.
« Telle est donc cette patrie , pour laquelle ces guerriers sont
morts héroïquement plutôt que de se la laisser ravir, et pour
laquelle aussi tous ceux qui leur survivent doivent se dévouer
et souffrir.
XLII. « Si je me suis étendu sur les louanges de notre ville ,
c'est pour bien constater que la partie n'est pas égale entre nous
et les peuples qui ne jouissent pas de semblables avantages ;
c'est aussi pour appuyer sur des preuves non équivoques l'éloge
des guerriers qui font l'objet de ce discours.
« A cet égard , ma tâche est à peu près accomplie ; car tout
ce que j'ai exalté dans notre république est dû à leurs vertus
et à celles de leurs pareils. Il est bien peu de Grecs auxquels on
puisse donner des louanges si légitimes. Rien n'est plus propre
à mettre en relief le mérite d'un homme que cette fin glorieuse
qui, chez eux , a été la révélation et le couronnement de la
valeur.
<< Ceux qui, à d'autres égards , sont moins recommandables ,
ont raison de s'immoler dans les combats pour leur pays ; ils effa-
cent ainsi le mal par le bien , ils rachètent par leurs services
publics les torts de leur conduite privée . Mais tel n'a point été
le mobile de nos héros . Nul d'entre eux n'a faibli par le dé-
sir de jouir plus longtemps de la fortune ; nul , dans l'espoir
d'échapper à l'indigence et de s'enrichir, n'a voulu ajourner
l'heure du danger ; mais, désirant par-dessus tout punir d'in-
justes adversaires , et regardant cette lutte comme la plus glo-
rieuse, ils ont voulu , à ce prix, satisfaire tout à la fois leur
vengeance et leurs vœux. Ils ont livré à l'espérance la perspec-
tive incertaine de la victoire ; mais ils se sont réservé la plus
forte part du péril. Préférant se venger et mourir, plutôt que
de céder pour sauver leur vie, ils ont repoussé la flétrissure de
leur mémoire, bravé les chances du combat ; et, dans un ra-
pide moment, ils sont sortis de la vie au plus fort de la gloire,
non à l'instant de la crainte.
XLIII. «C'est ainsi que ces guerriers se sont montrés les dignes
enfants de la patrie. Quant à vous qui leur survivez , souhaitez
que vos jours soient plus heureusement préservés , mais déployez
contre les ennemis le même héroïsme . Ne vous bornez pas à
THUCYDIDE. 6
98 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

exalter en paroles les biens attachés à la défense du pays et au


châtiment de ceux qui l'attaquent, — biens qu'il est superflu d'ex-
poser ici, puisque vous les connaissez de reste , - mais contem-
plez chaque jour , dans toute sa splendeur, la puissance de notre
république; nourrissez- en votre enthousiasme ; et , quand vous
en serez bien pénétrés, songez que c'est à force d'intrépidité ,
de prudence et de dévouement, que ces héros l'ont élevée si
haut . Bien que le succès n'ait pas toujours couronné leurs ef-
forts, ils n'ont pas voulu frustrer Athènes de leur vaillance ;
mais ils lui ont payé le plus magnifique tribut. En s'immolant
pour la patrie, ils ont acquis une gloire immortelle et trouvé
un superbe mausolée , moins dans la tombe où ils reposent ,
que dans le souvenir toujours vivant de leurs exploits . Les
nommes illustres ont pour tombeau la terre entière. Non- seule-
ment leur pays conserve leurs noms gravés sur des colonnes,
mais, jusque dans les régions les plus lointaines , à défaut d'épi-
taphe, la renommée élève à leur mémoire un monument im-
matériel.
« Les prenant donc aujourd'hui pour modèle et plaçant le
bonheur dans la liberté, la liberté dans le courage, ne reculez
pas devant les hasards des combats. Ce ne sont pas les malheu-
reux , privés de l'espérance d'un meilleur sort, qui ont le plus
de raison de sacrifier leur vie , mais ceux qui ont encore à perdre
et à qui un revers peut ravir de précieux avantages . Pour
l'homme de cœur, l'humiliation qui suit un acte de faiblesse est
plus poignante que cette mort qu'on ne sent pas , lorsqu'elle
vient frapper dans sa force le guerrier animé par l'espérance
commune.
XLIV. « Aussi n'est-ce pas des larmes, mais plutôt des en-
couragements que je veux offrir aux pères qui m'écoutent. Ils
savent, eux qui ont grandi au milieu des vicissitudes de la vie ,
que le bonheur est pour ceux qui obtiennent , comme vos fils ,
la fin la plus glorieuse ou, comme vous , le deuil le plus glo-
rieux, et pour qui le terme de la vie est la mesure de la féli-
cité.
« Je sais qu'il est difficile de vous persuader ; car souvent le
bonheur d'autrui vous rappellera celui dont vous jouissiez na-
guère. Je sais que la douleur n'est pas dans l'absence des biens
qu'on n'a pas connus, mais dans la privation de ceux dont on
s'était fait une douce habitude. Reprenez donc courage dans
l'espoir d'avoir d'autres enfants, vous à qui l'âge le permet
encore. De nouveaux fils remplaceront dans les familles ceux qui
LIVRE II . 99

ne sont plus ; l'État y gagnera à la fois de réparer ses pertes


= et de voir garantir sa sûreté ; car on ne saurait apporter dans
les délibérations le même patriotisme et la même sagesse ,
lorsqu'on n'a pas , comme les autres , des enfants à exposer au
danger:
« Et vous qui approchez du terme de la carrière , considérez
comme un gain d'en avoir passé la plus grande partie dans le
bonheur. Songez que le reste sera court et allégé par la gloire
de vos enfants. La passion de l'honneur est la seule qui jamais
ne vieillisse ; et, dans la caducité de l'âge , le seul plaisir n'est
pas , comme on le prétend , d'amasser des richesses , mais de
commander le respect .
XLV. Quant à vous ici présents, fils et frères de ces guer-
riers, j'entrevois pour vous une grande lutte. Chacun aime à
louer celui qui n'est plus ; et c'est à peine si , à force de vail-
lance , vous serez placés , je ne dis pas à leur niveau , mais un
peu au-dessous . L'envie s'attache au mérite vivant , tandis
que la vertu qui a cessé de faire ombrage devient l'objet d'un
culte universel .
<< Peut-être convient-il de rappeler aux femmes réduites au
veuvage quels seront désormais leurs devoirs. Un seul mot me
suffira qu'elles mettent leur gloire à se montrer fidèles au
caractère de leur sexe, et à acquérir auprès des hommes le
moins de célébrité possible , soit en bien soit en mal .
XLVI. « J'ai satisfait à la loi en disant ce que je croyais utile.
Des honneurs plus réels sont réservés à ceux qu'on ensevelit
aujourd'hui . Ils viennent d'en recevoir une partie ; de plus
leurs enfants seront, dès ce jour et jusqu'à leur adolescence ,
élevés aux dépens de la république. C'est une glorieuse cou-
ronne, offerte par elle aux victimes de la guerre et à ceux qui
leur survivent ; car là où les plus grands honneurs sont dé-
cernés à la vaillance , là aussi se produisent les hommes les plus
vaillants.
<«< Maintenant que chacun de vous se retire , après avoir donné
des larmes à ceux qu'il a perdus. »
" XLVII . Telles furent les funérailles célébrées dans cet hiver,
avec lequel finit la première année de la guerre. Dès le com-
mencement de l'été (a) , les Péloponésiens et leurs alliés , avec les
deux tiers de leurs contingents , envahirent, comme l'année
précédente , le territoire de l'Attique, sous la conduite d'Archi-

(a) Deuxième année de la guerre, 430 ans av. J.C.


100 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

damos, fils de Zeuxidamos et roi des Lacédémoniens. Ils y cam-


pèrent et y commirent quelques dégâts.
Ils étaient en Attique depuis peu de jours seulement lorsque
la peste se déclara dans Athènes ' . Elle avait, dit- on , frappé
déjà plusieurs contrées , entre autres Lemnos ; mais jamais on
n'avait entendu parler d'une si terrible épidémie. Les médecins
n'étaient d'aucun secours , parce que, dans le principe , ils traî-
taient le mal sans le connaître . Ils étaient eux-mêmes les pre-
mières victimes , à cause de leurs commnications avec les ma-
lades. Tous les moyens humains furent également impuissants ;
en vain on fit des prières dans les temples , on consulta les ora-
cles , on eut recours à d'autres pratiques, tout fut inutile. On
finit par y renoncer et par céder à la violence du fléau.
XLVIII . Cette maladie commença, dit-on dans l'Ethiopie , au-
dessus de l'Égypte ; de là elle étendit ses ravages sur l'E-
gypte, la Libye et la majeure partie des Etats du roi ; puis
elle fondit sur la ville d'Athènes et d'abord sur le Pirée , si
brusquement qu'on accusa les Péloponésiens d'avoir empoi-
sonné les puits, -il n'y avait pas encore de fontaines en ce
lieu , mais ce fut dans la ville haute que la mortalité fut la
plus grande.
Je laisse à chacun , médecin ou non, le soin d'expliquer l'ori-
gine probable de ce fléau et de rechercher les causes capables
d'opérer une telle perturbation ; je me bornerai à décrire les
caractères et les symptômes de cette maladie, afin qu'on puisse
se mettre sur ses gardes, si jamais elle reparaît. J'en parlerai
en homme qui fut atteint lui-même et qui vit souffrir d'autres
personnes.
XLIX. On s'accordait à reconnaître que cette année avait été
particulièrement exempte des maladies ordinaires ; celles qui
venaient à se produire finissaient toutes par celle -ci . En gé-
néral on était frappé sans aucun signe précurseur, mais à l'im-
proviste et en pleine santé . D'abord on ressentait de vives
chaleurs de tête ; les yeux devenaient rouges et enflammés ; à
l'intérieur , le pharynx et la langue paraissaient couleur de
sang ; la respiration était irrégulière , l'haleine fétide . Venaient
ensuite l'éternument et l'enrouement. Bientôt le mal descendait
dans la poitrine , accompagné d'une toux violente ; lorsqu'il
atteignait l'estomac , il le soulevait avec des douleurs aiguës et
déterminait toutes les évacuations bilieuses qui ont été spéci-
fiées par les médecins.. La plupart des malades étaient saisis
d'un hoquet sans vomissements et de fortes convulsions, qui
LIVRE II . 101

chez les uns ne tardaient pas à se calmer et qui se prolongeaient


chez d'autres. A l'extérieur le corps n'était ni brûlant au tou-
cher ni blême ; il était rougeâtre, livide , couvert de petites
phlyctènes et d'ulcères ; mais la chaleur interne était telle
qu'on ne supportait pas même les vêtements les plus légers,
les couvertures les plus fines. Les malades réstaient nus et se
seraient volontiers plongés dans l'eau froide , comme le firent
quelques malheureux qui, abandonnés à eux-mêmes et dévo-
rés d'une soif ardente , se précipitèrent dans des puits . Cette
soif était toujours la même , qu'on bût peu ou beaucoup.
Le malaise, résultant de l'agitation et de l'insomnie , ne lais-
sait point de relâche.
Tant que le mal était dans sa période d'intensité , le corps,
loin de dépérir, opposait à ses atteintes une résistance inatten-
due ; en sorte que la plupart des malades conservaient encore
quelque vigueur lorsque, au bout de sept ou de neuf jours, ils
étaient emportés par l'inflammation intérieure ; ou bien , s'ils fran-
chissaient ce terme , le mal descendait dans les intestins , et y dé-
terminait de fortes ulcérations , suivies d'une diarrhée opiniâtre
et d'une atonie à laquelle la plupart finissaient par succomber.
Ainsi la maladie, qui d'abord avait son siége dans la tête , par-
courait graduellement tout le corps du haut en bas . Si l'on
échappait aux accidents les plus graves , le mal frappait les
extrémités , qui , dans ce cas, gardaient les traces de son pas-
sage ; il attaquait les organes sexuels , les doigts des mains et
des pieds. Plusieurs en furent quittes pour la perte de ces
membres, d'autres pour celle des yeux ; d'autres enfin étaient
totalement privés de mémoire et , en se relevant, ne reconnais-
saient ni leurs proches ni eux-mêmes.
L. Il est impossible de dépeindre les ravages de ce fléau ; il
sévissait avec une violence irrésistible . Ce qui prouve qu'il dif-
férait de toutes les affections connues , c'est que les animaux
carnassiers , oiseaux et quadrupèdes, n'approchaient point des
cadavres, quoiqu'il y en eût une foule sans sépulture, ou péris-
saient dès qu'ils y avaient touché. On s'en aperçut clairement
à la disparition de ces animaux ; on n'en voyait aucun autour
des corps morts ni ailleurs . Cette circonstance était surtout
frappante à l'égard des chiens, accoutumés à vivre en société
avec l'homme.
LI, Tel était, pour laisser de côté les accidents exceptionnels
et les variétés dépendant des individus , le caractère général
de cette épidémie . Aussi longtemps qu'elle régna, aucune des
102 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
maladies ordinaires ne se fit sentir, ou bien elles aboutissaient
toutes à celle-ci. Les uns mouraient sans secours , les autres
entourés de soins . On ne trouva, pour ainsi dire , pas un seul
remède d'une efficacité reconnue ; ce qui avait fait du bien à
l'un faisait du mal à l'autre. Aucune constitution , forte ou
faible, ne mettait à l'abri du fléau ; il enlevait tout, quel que fût
le traitement suivi.
Rien n'était plus fâcheux que l'abattement de ceux qui se
sentaient frappés. Au lieu de se roidir contre le mal, ils tom-
baient aussitôt dans le désespoir et dans une prostration com-
plète. La contagion se propageait par les soins mutuels , et les
hommes périssaient comme des troupeaux. C'est là ce qui fit
le plus de victimes . Ceux qui , par crainte , voulaient se séques-
trer, mouraient dans l'abandon ; plusieurs maisons se dépeu-
plèrent ainsi , faute de secours . Si au contraire on approchait
des malades , on était soi-même atteint. Tel fut surtout le sort
de ceux qui se piquaient de courage ; ils avaient honte de
s'épargner et allaient soigner leurs amis ; car les parents eux-
mêmes, vaincus par l'excès du mal, avaient cessé d'être sen-
sibles aux plaintes des mourants. Les plus compatissants pour les
moribonds et pour les malades étaient ceux qui avaient échappé
au trépas ; ils avaient connu la souffrance et ils se trouvaient
désormais à couvert, les rechutes n'étant pas mortelles . Ob-
jets de l'envie des autres, ils étaient, pour le moment, remplis
de joie, et nourrissaient pour l'avenir une vague espérance de
ne succomber à aucune autre maladie .
LII. Ce qui aggrava encore le fléau, ce fut l'entassement des
campagnards dans la ville. Les nouveaux venus eurent particu-
lièrement à souffrir . Ne trouvant plus de maisons disponibles,
ils se logeaient , au cœur de l'été , dans des huttes privées d'air ;
aussi mouraient-ils en foule . Les corps inanimés gisaient pêle-
mêle. On voyait des infortunés se rouler dans les rues , autour
de toutes les fontaines , à demi morts et consumés par la soif.
Les lieux saints où l'on campait étaient jonchés de cadavres ;
car les hommes , atterrés par l'immensité du mal, avaient perdu
le respect des choses divines et sacrées. Toutes les coutumes
observées jusqu'alors pour les inhumations furent violées ; on
enterrait comme on pouvait. Les objets nécessaires aux funé-
railles étant devenus rares dans quelques familles , il y eut des
gens qui eurent recours à des moyens infâmes les uns al-
laient déposer leurs morts sur des bûchers qui ne leur appar-
tenaient pas, et, devançant ceux qui les avaient dressés , ils
LIVRE II. 103

y mettaient le feu ; d'autres , pendant qu'un premier cadavre


brûlait, jetaient le leur par-dessus et s'enfuyaient .
LIII. Cette maladie donna dans la ville le signal d'un autre
genre de désordres. Chacun se livra plus librement à des excès
qu'il cachait naguère . A la vue de si brusques vicissitudes , de
riches qui mouraient subitement , de pauvres subitement enri-
chis , on ne pensait qu'à jouir et à jouir vite ; la vie et la for-
tune paraissaient également précaires. Nul ne prenait la peine
de poursuivre un but honorable ; car on ne savait si on vivrait
assez pour y parvenir. Allier le plaisir et le profit, voilà ce qui
devint beau et utile . On n'était retenu ni par la crainte des
dieux ni par celle des lois . Depuis qu'on voyait tant de monde
périr indistinctement, on ne mettait plus aucune différence
entre la piété et l'impiété ; d'ailleurs personne ne croyait pro-
longer ses jours jusqu'à la punition de ses crimes . Chacun
redoutait bien davantage l'arrêt déjà prononcé contre lui et
suspendu sur sa tête ; avant d'être atteint , on voulait goûter
au moins de la volupté.
LIV. Tels étaient les fléaux qui s'appesantissaientsur Athènes :
au dedans la mortalité , au dehors la dévastation . Dans le mal-
heur, selon l'usage , on se rappela une prédiction que les vieil-
lards prétendaient avoir été chantée jadis

Viendra la guerre dorienne et la peste avec elle.

A ce sujet, il s'éleva une.contestation ; quelques-uns soute-


naient que, dans ce vers, il y avait anciennement, non pas la
peste, mais la famine . Cependant le premier de ces mots
prévalut, comme de raison , à cause de la circonstance ; les
hommes mettaient leurs souvenirs en harmonie avec leurs
maux. Mais que jamais il s'allume une nouvelle guerre do-
rienne, accompagnée de famine , l'on ne manquera pas , je
pense, de préférer l'autre leçon . Les gens qui en avaient con-
naissance se rappelaient aussi l'oracle rendu aux Lacédémo-
niens par le dieu de Delphes , lorsque, interrogé par eux sur
l'opportunité de la guerre, il avait répondu que , s'ils la faisaient
à outrance, ils auraient la victoire et que lui-même les secon-
derait 2. C'est ainsi qu'on cherchait à faire concorder l'oracle
avec les événements . Au reste la maladie commença immédia-
tement après l'entrée des Péloponésiens en Attique ; elle n'at-
taqua pas le Péloponèse, au moins d'une manière sérieuse
mais elle désola principalement Athènes et les endroits de
104 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

l'Attique les plus peuplés. Telles furent les particularités rela-


tives à la peste .
LV. Les Péloponésiens , après avoir dévasté la plaine, s'avan-
cèrent dans le district nommé Paralos ' , jusqu'à Laurion , où se
trouvent les mines d'argent des Athéniens . Ils ravagèrent
d'abord la partie qui regarde le Péloponèse, ensuite celle qui
est du côté de l'Eubée et d'Andros . Périclès , qui était général,
pensait toujours , comme lors de la précédente invasion , que les
Athéniens ne devaient faire aucune sortie.
LVI. Pendant que les ennemis étaient encore dans la plaine
et avant qu'ils eussent envahi le littoral , Périclès équipa cent
vaisseaux destinés à agir contre le Péloponèse et mit à la voile
dès qu'ils furent prêts . Cette flotte portait quatre mille hoplites
d'Athènes et trois cents cavaliers, embarqués sur des transports
aménagés exprès et faits alors pour la première fois avec de
vieux bâtiments . Cinquante vaisseaux de Chios et de Lesbos se
joignirent à l'expédition. Lorsque cette flotte appareilla, elle
laissait les Péloponésiens sur le littoral de l'Attique. Arrivés à
Épidaure dans le Péloponèse , les Athéniens ravagèrent la plus
grande partie du pays et assaillirent la ville. Un instant ils
eurent l'espoir de s'en emparer ; mais ils n'y réussirent pas . Ils
quittèrent donc Epidaure et allèrent dévaster les terres de
Trézène , des Haliens et d'Hermione , pays situés sur les côtes
du Péloponèse . De là ils firent voile vers Prasies , ville maritime
de Laconie. Ils ravagèrent la contrée , prirent la place et la
mirent au pillage ; après quoi ils rentrèrent dans leur pays
et trouvèrent l'Attique évacuée par les Péloponésiens .
LVII. Tant que durèrent l'invasion des Péloponésiens en
Attique et l'expédition navale des Athéniens , la peste ne cessa
d'exercer ses ravages dans la ville et sur la flotte . On a prétendu
que la crainte accéléra la retraite des Péloponésiens , lorsqu'ils
apprirent par les transfuges que la maladie sévissait dans
Athènes et qu'ils virent de leurs yeux le grand nombre des
funérailles . Mais la vérité est que cette invasion fut la plus
longue et la plus désastreuse de toutes ; car les ennemis ne
séjournèrent pas moins de quarante jours en Attique.
LVIII. Le même été , Hagnon fils de Nicias et Cléopompos
fils de Clinias , collègues de Périclès , prirent avec eux le corps
d'armée qu'avait commandé ce général , et se dirigèrent contre
les Chalcidéens de Thrace et contre Potidée , dont le siége durait
encore. Dès leur arrivée, ils dressèrent des machines contre la
ville et mirent tout en œuvre pour s'en emparer ; mais ils ne
LIVRE II. 105 7

parvinrent ni à la prendre ni à rien faire qui fût digne des


forces dont ils disposaient. La peste éclata dans l'armée avec
une violence telle que même les troupes de la première expé-
dition, jusqu'alors pleines de santé , furent infectées par le
renfort qu'Hagnon avait amené. Phormion et ses mille six
cents hommes n'étaient plus en Chalcidique . Hagnon se rem-
barqua donc pour Athènes . Sur quatre mille hoplites , il en
avait perdu par la peste quinze cents dans l'espace de qua-
rante jours . L'ancienne armée continua le siége de Potidée.
LIX. Après la deuxième invasion des Péloponésiens , après
la peste qui en aggrava les ravages , il se fit une grande révo-
lution dans l'esprit des Athéniens . Ils accusaient Périclès de les
avoir poussés à la guerre et d'être la cause de tous leurs
maux. Ils se montraient disposés à traiter avec les Lacédémo-
niens ; ils leur envoyèrent même des députés, mais sans succès. e
Dans leur détresse , ils s'en prirent à Périclès. Lorsque celui-ci
s'aperçut qu'aigris par les circonstances ils réalisaient toutes
ses prévisions , il convoqua une assemblée ; car il était encore
général¹ . Son dessein était de leur rendre courage, de calmer
leur courroux , enfin de les ramener à plus de modération et de
confiance. Il monta donc à la tribune et prononça le discours
suivant :
LX . « Votre irritation contre moi n'a rien qui me surprenne;
j'en connais les motifs. Aussi vous ai -je rassemblés pour vous
faire rentrer en vous-mêmes , en vous reprochant votre injuste
colère et votre découragement .
« Pour ma part, j'estime que les individus sont plus heureux
dans une ville dont l'ensemble prospère, que si l'individu pros-
père et l'État dépérit. L'individu , quel que soit son bien-être ,
n'en est pas moins enveloppé dans le désastre de sa patrie ;
tandis que , s'il éprouve des revers personnels , il a dans la
prospérité publique plus de chances de salut. S'il est donc vrai
que l'Etat peut supporter les infortunes de ses membres , mais
que ceux-ci ne peuvent supporter celles de l'Etat, notre devoir
n'est-il pas de nous réunir pour sa défense ? Au lieu de cela,
vous vous laissez atterrer par vos souffrances domestiques ,
vous abandonnez le salut commun, et vous me reprochez à moi
de vous avoir conseillé la guerre et à vous -mêmes d'avoir
partagé mon avis.
« Et pourtant vous attaquez en ma personne un citoyen qui
ne le cède à nul autre quand il s'agit de discerner les intérêts
publics et d'en être l'interprète , d'ailleurs bon patriote et inac-
106 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

cessible à l'appât du gain . Avoir des idées sans le talent de les


communiquer, autant vaudrait n'en point avoir. Supposez ces
deux mérites, si celui qui les possède est malintentionné pour
l'État, on ne saurait attendre de lui un avis salutaire ; enfin
qu'il ait l'amour de la patrie , s'il n'y joint pas le désintéres-
sement , il est capable de tout mettre à prix d'argent. Si enfin
dans la pensée que je réunissais plus que d'autres , n'importe
en quelle mesure , ces diverses qualités, vous m'avez cru lorsque
je vous ai conseillé la guerre, vous auriez tort de m'en faire un
crime aujourd'hui.
LXI. « Lorsqu'on a le choix et qu'on est heureux, c'est une
insigne folie que d'entreprendre la guerre ; mais , si l'on est
placé dans l'alternative de subir immédiatement le joug de
l'étranger en lui cédant ou de tenter la fortune dans l'espoir
du triomphe, il y a moins de sagesse à fuir le péril qu'à le
braver.
« Pour moi, je suis toujours le même ; je ne me dédis pas.
C'est vous qui variez , vous qui partagiez món avis dans la pros-
périté et qui vous démentez dans l'infortune. La faiblesse de
votre entendement vous fait douter de la rectitude du mien.
Chacun de vous n'est sensible qu'à ses maux particuliers et
perd de vue l'utilité publique . Surpris par une grande et brus-
que calamité, vous n'avez pas le cœur assez haut pour persé-
vérer dans vos résolutions primitives . Rien n'abat le courage
comme un mal imprévu , instantané , qui déroute tous les cal-
culs. C'est là ce qui vous est arrivé par l'effet de cette maladie
jointe à vos autres souffrances . Cependant , citoyens d'une
puissante république , élevés dans des institutions dignes d'elle ,
votre devoir est de supporter les épreuves les plus pénibles ,
plutôt que de flétrir sa renommée ; car les hommes ont autant
de mépris pour celui qui trahit lâchement sa propre gloire
que de haine pour quiconque s'arroge celle d'autrui . Imposez
donc silence à vos douleurs particulières, pour ne vous préoc-
cuper que du salut de l'État .
LXII. « Vous craignez que les fatigues de la guerre ne se
prolongent outre mesure, sans vous donner enfin la supério-
rité. Qu'il me suffise de vous répéter encore une fois que cette
crainte est mal fondée . Mais je veux vous signaler un avantage
que vous possédez pour l'extension de votre empire, avantage
auquel vous ne semblez pas donner sa juste valeur. Moi -même
j'ai négligé de vous en entretenir dans mes discours précé-
dents, et aujourd'hui je ne vous présenterais pas ces réflexions
LIVRE II. 2107

tant soit peu ambitieuses, si je ne vous voyais en proie à un


découragement exagéré .
« Vous croyez ne commander qu'à vos alliés : moi je soutiens
que des deux éléments à l'usage de l'homme, la terre et la mer,
l'un vous est pleinement assujetti dans toute l'étendue que
vous en occupez , et plus loin encore, si vous le voulez . Avec la
marine dont vous disposez, il n'y a ni grand roi ni puissance
au monde qui soit capable d'arrêter l'essor de vos flottes. C'est
là ce qui constitue votre force bien plus que ces maisons et ces
terres dont la perte vous paraît si cruelle. Il n'est pourtant
pas raisonnable de regretter si amèrement des biens qui , en
regard de votre empire , ne doivent pas être plus estimés que
de chétifs jardins ou de vaines parures. Songez que la li-
berté , si nous la conservons par nos efforts, réparera facile-
ment toutes ces brèches ; au lieu qu'en subissant la loi de
l'étranger, on compromet même ce qu'on possède.
« Nous ne devons pas en cela nous montrer moins braves
que nos pères , qui n'avaient pas hérité de cet empire , mais
l'avaient gagné par leurs travaux, et qui sont parvenus à nous
le transmettre. Or il est plus honteux de se laisser dépouiller
d'un bien acquis que d'échouer à sa poursuite.
<< Marchez donc contre vos adversaires , non-seulement avec
courage, mais encore avec dédain. Une ignorance heureuse
peut inspirer la fierté, même à un lâche ; mais le dédain n'ap-
partient qu'à celui qui a la conscience de sa supériorité . Or ce
sentiment est le nôtre. A égalité de fortune , l'intelligence
puise dans la sagesse de ses vues une audace bien plus as-
surée ; elle se repose moins sur une espérance vacillante que
sur le sentiment de ses forces, qui lui permet d'envisager plus
nettement l'avenir.
LXIII . « Ce respect universel que notre ville doit à son empire
et dont vous êtes si glorieux, votre devoir est de le maintenir
à tout prix , et de ne pas renoncer aux fatigues , à moins de
renoncer aussi aux honneurs. Ne croyez pas que la question
soit uniquement de savoir si nous conserverons ou non la li-
berté. Il y a plus : il s'agit de la perte de votre prééminence ; il
s'agit des dangers qu'ont attirés sur vous les haines encourues
durant votre domination . Or il ne vous est plus possible d'ab-
diquer, lors même que, par crainte et par amour du repos ,
vous seriez aujourd'hui portés à cet acte d'héroïsme. Il en est
de cette domination comme de la tyrannie, dont il est injuste
de s'emparer et dangereux de se dessaisir. Ceux qui vous le
108 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
conseillent, s'ils étaient écoutés , auraient bientôt conduit l'État
à sa ruine, en supposant même qu'ils fussent capables de main-
tenir la liberté. Le repos n'est assuré qu'à la condition de
s'allier à l'énergie : désastreux pour un État qui commande ,
il convient à un peuple sujet, auquel il garantit un paisible
esclavage.
LXIV. « Gardez-vous donc de vous laisser séduire par de
tels citoyens. Après vous être prononcés avec moi pour la
guerre, ne soyez pas irrités contre moi , bien que les ennemis ,
envahissant votre territoire , vous aient fait subir les maux
auxquels vous deviez vous attendre du moment où vous refu-
siez de vous courber devant eux. La seule chose qu'on ne pou-
vait prévoir et qui est venue déconcerter tous les calculs , c'est
cette maladie, qui est pour beaucoup, je le sais , dans votre
déchaînement contre moi. En cela vous n'êtes pas justes, à
moins que vous ne vouliez m'attribuer aussi les succès im-
prévus que vous pourriez obtenir. Il faut supporter avec rési-
gnation les maux que les dieux nous envoient et avec cou-
rage ceux qui nous viennent des ennemis. Telle était jadis la
maxime de notre république ; aujourd'hui ce doit être encore
la vôtre.
« Songez que, si notre cité est parvenue au plus haut degré
de renommée , cela tient à ce qu'elle n'a point cédé à l'adversité;
à ce que, dans les combats , elle a dépensé plus de sang et d'ef-
forts qu'aucune autre ville ; enfin à ce qu'elle a su acquérir
la plus grande puissance qui fut jamais. Oui, lors même que
- tout est
nous montrerions aujourd'hui quelque faiblesse ,
sujet à déchoir , -- le souvenir de cette puissance subsistera
jusqu'à la postérité la plus reculée. On dira que Grecs nous
avons eu en Grèce l'Empire le plus étendu ; que nous avons fait
face aux ennemis les plus nombreux, soit réunis, soit séparés ;
qu'enfin nous avons habité la ville la plus opulente et la plus
illustre.
<< Ces avantages, l'ami du repos pourra les contester ; mais
l'homme d'action y verra un motif de rivalité , et celui qui ne
les possède pas , un objet d'envie. Quant à la haine que vous
inspirez, elle a toujours été le partage de quiconque a pré-
tendu à la domination . Il y a sagesse à braver la haine dans
un noble but ; car la haine est de courte durée , tandis que la
gloire, soit présente , soit à venir , est impérissable.
<< Assurez-vous donc l'une et l'autre en vous ménageant dès
ce jour, par votre zèle, l'admiration des siècles futurs, et en
LIVRE II . 109

évitant un déshonneur immédiat. N'envoyez point de héraut


aux Péloponésiens ; ne vous montrez pas accablés par vos souf-
frances actuelles . Ceux qui résistent le plus énergiquement à la
mauvaise fortune , peuples ou individus , sont les premiers entre
tous. » 1
LXV. Telles étaient les paroles par lesquelles Périclès cher-
chait à désarmer le courroux des Athéniens et à détourner leurs
esprits des calamités présentes. Le peuple céda à ses discours
et, renonçant à toute nouvelle ambassade auprès des Lacédémo-
niens, se passionna plus que jamais pour la guerre . Mais les
particuliers ne pouvaient prendre leur parti de leur état de
malaise. Le pauvre s'affligeait d'être privé du peu qu'il possé-
dait ; les riches d'avoir perdu leurs superbes domaines , leurs
maisons , leurs meubles somptueux ; tous d'avoir la guerre au
lieu de la paix. L'irritation ne s'apaisa que lorsqu'on eut mis
Périclès à l'amende ; mais bientôt , par une inconséquence
naturelle à la multitude , on le réélut général et on lui con-
fia le pouvoir suprême. C'est que les douleurs particulières
commençaient à s'amortir et qu'on le regardait comme le seul
homme capable de faire face aux nécessités publiques. Tout
le temps qu'il fut à la tête des affaires , durant la paix, il
gouverna avec modération , pourvut à la sûreté de l'État et
le fit parvenir au faîte de la puissance ; quand la guerre éclata,
ce fut encore lui qui révéla aux Athéniens le secret de leurs
forces.
Il survécut deux ans et demi . Sa mort fit voir plus claire-
ment encore la justesse de ses calculs . Il avait dit aux Athéniens
que, s'ils restaient en repos et se contentaient de soigner leur
marine, sans chercher à étendre leur empire pendant la guerre
et sans exposer l'existence de la république , ils finiraient par
triompher. Sur tous ces points , ils firent exactement l'inverse .
Pour satisfaire des ambitions et des cupidités privées , ils for-
mèrent, en dehors de la guerre , des entreprises non moins fu-
nestes pour eux que pour leurs alliés . Les succès n'auraient
tourné qu'au profit et à l'honneur de quelques individus ,
tandis que les revers entraînaient nécessairement la ruine de
l'État.
La raison en est simple . Grâce à l'élévation de son caractère,
à la profondeur de ses vues, à son désintéressement sans bornes,
Périclès exerçait sur Athènes un incontestable ascendant. 11
restait libre tout en dirigeant la multitude. Ne devant son crédit
qu'à des moyens honnêtes , il n'avait pas besoin de flatter les
THUCYDIDE. 7
110 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

passions populaires ; sa considération personnelle lui permet-


tait de les braver avec autorité. Voyait-il les Athéniens se livrer
à une audace intempestive , il les terrifiait par sa parole ; étaient-
ils abattus sans motif, il avait l'art de les ranimer. En un mot,
la démocratie subsistait de nom ; mais en réalité c'était le gou-
vernement du premier citoyen.
Ceux qui lui succédèrent, n'ayant pas la même supériorité et
aspirant tous au premier rôle, se mirent à flatter le peuple et à
lui abandonner la conduite des affaires. De là toutes les fautes
qu'on peut attendre d'une grande cité placée à la tête d'un em-
pire ; de là entre autres l'expédition de Sicile : elle échoua bien
moins par une fausse appréciation des forces ennemies que par
l'ignorance de ceux qui la décrétèrent, et qui ne fournirent pas
à l'armée les moyens dont elle avait besoin . Uniquement oc-
cupés de leurs luttes d'amour-propre ou d'influence , ils paraly-
sèrent les opérations et suscitèrent dans Athènes des discordes
civiles , inconnues jusqu'alors . Cependant, même après le désas-
tre de Sicile et l'anéantissement presque total de leur flotte,
les Athéniens , tout divisés qu'ils étaient entre eux, ne laissèrent
pas de résister pendant trois années¹ à leurs anciens ennemis T
renforcés par l'adjonction des Siciliens et de leurs propres sujets
révoltés pour la plupart, enfin à Cyrus fils du roi, qui fournit
aux Péloponésiens de l'argent pour leur marine . S'ils suc-
combèrent, ce ne fut qu'après s'être épuisés par leurs dissen-
sions intestines. Tant Périclès avait la parfaite intelligence des
ressources d'Athènes , qui lui paraissaient assurer le triomphe
facile de sa patrie sur les Péloponésiens.
LXVI. Le même été , les Lacédémoniens et leurs alliés firent
une expédition avec cent vaisseaux contre l'île de Zacynthe,
située vis-à-vis de l'Élide. Cette île, colonie des Achéens du
Péloponése , était alors alliée d'Athènes. La flotte portait mille
hoplites lacédémoniens et avait pour navarque ' le Spartiate
Cnémos . Ils firent une descente et ravagèrent une bonne
partie de l'île; mais, n'ayant pu la soumettre , ils regagnèrent
leurs foyers.
LXVII . Sur la fin du même été , on vit partir pour l'Asie une
députation composée du Corinthien Aristéus , des Lacédémoniens
Anéristos, Nicolaos et Stratodémos , du Tégéate Timagoras et
de l'Argien Pollis , celui-ci sans caractère officiel . Ces députés
se rendaient auprès du roi de Perse pour solliciter de lui des
subsides et la coopération de ses armes. Ils passèrent d'abord
en Thrace, afin de décider, s'il était possible , Sitalcès fils de
LIVRE II. 111

Térès à rompre avec les Athéniens et à secourir Potidée, tou-


jours assiégée par eux. Ils voulaient aussi qu'il leur facilitât la
traversée de l'Hellespont et l'accès auprès de Pharnacès fils de
Pharnabaze, qui devait les acheminer vers le roi . Or il se trou-
vait déjà près de Sitalcès des ambassadeurs athéniens, Léarchos
fils de Callimachos et Aminiadès fils de Philémon . Ceux-ci engagè-
rent Sadocos, fils de Sitalcès, naturalisé Athénien , à leur livrer ces
députés ennemis , afin qu'ils n'allassent pas chercher auprès du roi
les moyens de nuire à sa patrie adoptive . Sadocos se laissa per-
suader, et, pendant que les députés traversaient la Thrace pour
gagner le vaisseau sur lequel ils devaient franchir l'Hellespont ,
il aposta des gens pour les saisir et les remettre entre les mains
de Léarchos et d'Aminiadès. Ils furent donc arrêtés avant l'em-
barquement, livrés aux députés athéniens et conduits par eux
à Athènes. Le jour même de leur arrivée , les Athéniens , sans
forme de procès , les mirent à mort et les jetèrent dans des
précipices. Ils craignaient qu'Aristéus, s'il venait à s'échapper ,
ne leur fit encore plus de mal qu'auparavant ; c'était à lui qu'ils
attribuaient tous les troubles de Potidée et du littoral de la
Thrace. D'ailleurs ils croyaient user du droit de représailles ,
parce que les Lacédémoniens les premiers avaient jeté dans
des précipices les marchands athéniens et alliés qu'ils avaient
pris sur des bâtiments de commerce autour du Péloponèse.
Dans le commencement de la guerre , les Lacédémoniens mas-
sacraient comme ennemis tous ceux qu'ils saisissaient en mer ,
sans faire aucune distinction des neutres ou des alliés d'A-
thènes.
LXVIII. A la même époque , c'est - à- dire sur la fin de l'été,
les Ambraciotes , renforcés d'une foule de barbares, firent une
expédition contre Argos Amphilochicon et le reste de l'Amphi-
lochie. L'origine de leur inimitié contre les Argiens était an-
cienne. Argos Amphilochicon et toute l'Amphilochie furent
colonisés après la guerre de Troie , par Amphilochos fils d'Am-
phiaraos, qui, de retour dans ses foyers et mécontent de la
tournure des affaires à Argos , alla fonder, sur le golfe Am-
bracique, une ville à laquelle il donna le nom de sa patrie.
Cette ville devint la plus grande de l'Amphilochie et eut une
riche population . Mais , après un laps de plusieurs générations ,
les Argiens , victimes de diverses calamités , invitèrent les Am-
braciotes leurs voisins à leur envoyer une colonie. Ce fut alors
seulement qu'ils apprirent de ces nouveaux concitoyens la lan-
gue grecque dont ils se servent aujourd'hui : le reste de l'Am-
112 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

philochie est barbare. Avec le temps , les Ambraciotes chassè-


rent les Argiens et se mirent en possession de la ville ; ce qui
engagea les Amphilochiens à se donner aux Acarnaniens. Les
deux peuples réunis invoquèrent le secours d'Athènes, qui leur
envoya le général Phormion avec trente vaisseaux . A l'aide de ce
renfort , ils prirent d'assaut Argos et réduisirent les Ambraciotes
en servitude. Dès lors les Amphilochiens et les Acarnaniens ha-
bitèrent en commun cette ville. Ce fut à la suite de ces faits que
les Acarnaniens entrèrent dans l'alliance d'Athènes et que les
Ambraciotes conçurent contre les Argiens une haine implaca-
ble, à cause de l'esclavage où les leurs avaient été réduits . Plus
tard, dans le cours de la présente guerre , les Ambraciotes s'u-
nirent aux Chaoniens et à d'autres barbares du voisinage pour
faire l'expédition dont nous venons de parler. Ils s'approché-
rent d'Argos et en occupèrent le territoire ; mais n'ayant pu,
malgré plusieurs assauts , prendre la place , ils opérèrent leur
retraite et chacun regagna ses foyers. Tels furent les événe-
ments de l'été.
LXIX. L'hiver suivant, les Athéniens envoyèrent autour du
Péloponèse vingt vaisseaux sous les ordres de Phormion, qui
alla se poster à Naupacte, afin de fermer le golfe de Crisa aux
bâtiments de Corinthe. Six autres vaisseaux , commandés par
Mélésandros , furent détachés vers la Carie et la Lycie ; ils
devaient lever les contributions dans ces contrées et s'op-
poser à ce que les pirates péloponésiens partissent de là pour
entraver la navigation des bâtiments marchands venant de
Phasélis, de Phénicie et de toute cette partie du continent ' .
Mélésandros pénétra en Lycie avec les Athéniens qu'il tira de
ses vaisseaux et qu'il renforça d'un certain nombre d'alliés ;
mais il fut vaincu dans une rencontre et périt avec une partie
des siens.
LXX. Le même hiver , les Potidéates assiégés se trouvèrent
dans l'impossibilité de tenir davantage. Les incursions des Pé-
loponésiens n'avaient pas réussi à faire lever le siége aux Athé-
niens ; les vivres manquaient, et la famine était si affreuse que
les habitants en étaient venus à se manger entre eux. Ils firent
donc des propositions d'accommodement aux généraux athé-
niens , Xénophon fils d'Euripidès , Hestiodoros fils d'Aristocli-
dès, et Phanomachos fils de Callimachos , qui commandaient
l'armée de siége. Ceux-ci prêtèrent l'oreille , car ils considé-
raient les souffrances de leurs soldats dans un climat rigoureux,
ainsi que les frais occasionnés à l'Etat par la prolongation de
LIVRE II. 113

ce siége, et qui se montaient à deux mille talents (a) . Les termes


de la capitulation furent que les assiégés , leurs enfants , leurs
femmes et leurs auxiliaires sortiraient de la ville , les hommes
avec un seul vêtement, les femmes avec deux , et n'emportant
pour leur voyage qu'une somme d'argent déterminée. Ils sor-
tirent donc en vertu de cette convention ; ils se réfugièrent en
Chalcidique et chacun où il put. Les Athéniens surent mauvais
gré à leurs généraux d'avoir traité sans leur aveu ; ils s'atten-
daient à ce que Potidée se rendît à discrétion . Plus tard , ils la
repeuplèrent par l'envoi d'une colonie athénienne .
Tels furent les événements de cet hiver, avec lequel se
termina la deuxième année de la guerre que Thucydide a ra-
contée.
LXXI. L'été suivant (b), les Péloponésiens et leurs alliés , au
lieu d'envahir l'Attique, marchèrent sur Platée . Archidamos ,
fils de Zeuxidamos et roi des Lacédémoniens , les commandait.
Après avoir assis son camp , il se mit en devoir de ravager la
campagne ; mais les Platéens se hâtèrent de lui envoyer des
députés qui lui dirent :
« Archidamos et vous, Lacédémoniens , ce n'est pas agir
d'une manière juste ni digne de vous et de vos pères que d'en-
trer à main armée dans le pays des Platéens . Lorsque le Lacé-
démonien Pausanias , fils de Cléombrotos , eut délivré la Grèce
de l'invasion des Mèdes, conjointement avec ceux des Grecs qui
prirent part au coinbat livré sous nos murs, il fit un sacrifice à
Jupiter libérateur dans la place publique de Platée ; et là , en
présence de tous les alliés assemblés , il rendit aux Platéens la
libre possession de leur ville et de leur territoire ' , déclarant que ,
si jamais personne les attaquait injustement et pour les asser-
vir, les alliés présents les assisteraient de tout leur pouvoir.
Voilà ce que vos pères nous garantirent en retour du dévoue-
ment et de la vaillance que nous déployâmes dans ces jours de
danger. Et vous , vous faites précisément le contraire. Vous ve-
nez avec les Thébains , nos ennemis jurés , pour nous asservir.
Prenant donc à témoin les dieux qui reçurent alors vos ser-
ments , les dieux de vos pères et ceux de notre pays , nous vous
sommons de respecter le territoire de Platée et de ne point en-
freindre vos serments , mais de nous laisser jouir de l'indépen-
dance que nous octroya Pausanias. »

(a) Dix millions huit cent mille francs.


(b) Troisième année de la guerre , 429 av. J. C
114 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

LXXII. Ainsi parlèrent les Platéens. Archidamos leur ré-


pondit :
« Ce que vous dites est juste, pourvu que vos actions soient
d'accord avec vos paroles. Gardez l'indépendance que Pausa-
nias vous a garantie , mais joignez -vous à nous pour affranchir
les peuples qui partagèrent alors les mêmes dangers , prêtèrent
les mêmes serments, et qui gémissent aujourd'hui sous le des-
potisme d'Athènes . Ce grand armement et cette guerre n'ont
d'autre but que leur délivrance . Le mieux serait d'y coopérer
vous-mêmes par respect pour les serments ; au moins faites ce
que nous vous avons déjà proposé demeurez en repos , tout en
cultivant vos terres et en observant la neutralité. Recevez les
deux partis à titre d'amis , sans aider ni l'un ni l'autre de vos
armes. C'est tout ce que nous vous demandons . >>
Telle fut la réponse d'Archidamos . Les députés rentrèrent
pour la communiquer au peuple. Les Platéens répliquèrent
qu'ils ne pouvaient accepter ces propositions sans l'agrément
des Athéniens, vu que leurs femmes et leurs enfants étaient à
Athènes ; que d'ailleurs ils craignaient pour l'existence de leur
ville ; car les Athéniens pourraient venir après la retraite des
Péloponésiens et s'opposer à cette convention ; comme aussi
les Thébains, se trouvant compris dans le traité qui obligerait
Platée à recevoir les deux partis , tenteraient peut- être une se-
conde fois de s'emparer de cette ville .
Archidamos s'efforça de les rassurer en leur disant :
<< Eh bien , remettez aux Lacédémoniens votre ville et vos
maisons . Indiquez les limites de votre territoire , le nombre de
vos arbres et de tout ce qui est susceptible d'être compté ; puis
retirez-vous de vos personnes où bon vous semblera pour tout
le temps que durera cette guerre. Lorsqu'elle sera finie , nous
vous restituerons le tout avec fidélité . Jusque-là nous le gar-
derons en dépôt ; nous cultiverons vos terres et vous payerons
une rente proportionnée à vos besoins . >>
LXXIII. Les députés rentrèrent de nouveau dans la ville ;
et, après s'être consultés avec la multitude , ils répondirent
qu'ils désiraient au préalable communiquer aux Athéniens ces
propositions, et que , si elles obtenaient leur assentiment, ils
les accepteraient. En attendant , ils demandèrent une suspen-
sion d'armes et la promesse de respecter leurs campagnes . Ar-
chidamos accorda une trêve pour le temps que leur voyage de-
vait raisonnablement durer, et ne ravagea point le territoire .
Arrivés à Athènes , les députés de Platée obtinrent audience ;
LIVRE II. 115

puis ils rapportèrent à leurs concitoyens la déclaration sui-


vante :
<< Platéens , depuis le jour où vous êtes devenus leurs alliés,
les Athéniens ne vous ont jamais laissés en butte à un outrage;
ils ne vous abandonneront pas davantage aujourd'hui, et leur
appui ne vous fera pas défaut. Ils vous adjurent donc, en vertu
des serments de vos pères , de ne rien innover en ce qui con-
cerne l'alliance. »
LXXIV. Sur ce rapport des députés, les Platéens décidèrent
de ne point trahir les Athéniens, mais de supporter au besoin
que leurs terres fussent ravagées sous leurs yeux , et de se ré-
signer à toutes les extrémités . Ils résolurent également de ne
plus laisser personne sortir de la ville , mais de répondre du
haut de leurs murs qu'il leur était impossible de satisfaire les
Lacédémoniens. Sur cette réponse , Archidamos invoqua en ces
termes les dieux et les héros du pays :
« Dieux protecteurs du pays de Platée, et vous , héros , soyez-
nous témoins que c'est sans aucune injustice , et seulement
après le parjure de ces gens , que nous avons envahi cette terre ,
où nos pères, grâce à vous , triomphèrent des Mèdes , et où vous
fites trouver aux Grecs un favorable champ de bataille . Et
maintenant, quoi que nous fassions , nul ne peut nous taxer d'in-
justice ; car nos propositions équitables et tant de fois renou-
velées ne rencontrent que des refus. Souffrez donc que les
offenseurs soient punis , et laissez un libre cours à notre ven-
geance.
LXXV. Après cette protestation, Archidamos fit ses préparatifs
d'attaque ' . Il commença par faire abattre les arbres et entourer
la ville d'une palissade, afin de rendre impossibles les sorties .
Ensuite il éleva contre la muraille une terrasse 2 ; et, vu le grand
nombre des bras , il comptait que la place serait bientôt prise.
Des troncs d'arbres , coupés sur le Cithéron , furent placés en
long et en travers sur les deux flancs de cet ouvrage, en guise
de murs, pour prévenir les éboulements . L'intervalle fut rempli
de bois , de pierres , de terre, enfin de tout ce qui pouvait ser-
vir à le combler. Ce travail dura soixante-dix jours et autant
de nuits sans interruption. Les travailleurs se relayaient à tour
de rôle , les uns dormant ou prenant leurs repas, tandis que les
autres apportaient des matériaux. Les chefs lacédémoniens ,
qui commandaient les troupes de chaque ville , pressaient l'ou-
vrage.
Les Platéens, voyant cette terrasse s'élever, construisirent
116 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

une muraille de bois sur leur rempart, à l'endroit où il était


menacé. Ils la garnirent de briques enlevées aux maisons voi-
sines ; les pièces de bois servaient de lien et empêchaient que
la hauteur de cette construction n'en diminuât la solidité . Ils
suspendirent des peaux et des cuirs sur la face extérieure de la
charpente, pour mettre les travailleurs et l'ouvrage à l'abri des
traits enflammés. Cette construction s'élevait à une hauteur
considérable ; mais la terrasse avançait avec non moins de ra-
pidité . Les Platéens s'avisèrent alors d'un stratagème : ils per-
cèrent leur muraille du côté de cette terrasse et se mirent à
soutirer le remblai.
LXXVI . Les Péloponésiens, qui s'étaient aperçus de cette
manoeuvre, emplirent d'argile des corbeilles de roseaux et les
jetèrent dans les interstices, d'où elles étaient moins faciles à
extraire. Privés de cette ressource, les assiégés creusèrent , à
partir de la ville , une galerie souterraine, qu'ils dirigèrent par
conjecture sous la terrasse, et ils recommencèrent à entraîner
les matériaux. Les assiégeants furent longtemps à s'en aperce-
voir. Ils avaient beau entasser remblai sur remblai , c'était peine
perdue ; la terrasse, minée par -dessous, s'affaissait constam-
ment.
Les Platéens, craignant de ne pouvoir, malgré cela, résister
à des forces tellement disproportionnées , eurent recours à un
autre système. Ils cessèrent de travailler à la grande construc-
tion opposée à la terrasse ; mais ils élevèrent un second mur,
en forme de croissant, en retrait du côté de la ville, et à
partir des deux points où se terminait l'exhaussement de la
muraille d'enceinte. Ils pensaient que , si le grand mur venait à
être emporté, le nouveau arrêterait l'ennemi et le forcerait de
construire une seconde terrasse et de n'avancer qu'en décou-
vrant ses flancs.
Les Péloponésiens, tout en continuant leurs travaux , firent
approcher des machines. Une d'elles, placée sur la terrasse ,
ébranla un pan de la vaste construction, au grand effroi des
assiégés ; d'autres battaient divers points de la muraille. Mais
les Platéens les saisissaient avec des noeuds coulants et les atti-
raient à eux ; ou bien ils suspendaient par les deux bouts de
grosses poutres à des chaînes de fer, qui glissaient sur deux
mâtereaux inclinés en saillie sur le mur. Ils hissaient la poutre
jusqu'à ce que ses extrémités touchassent les mâtereaux ; puis ,
lorsque la machine allait frapper, ils lâchaient les chaînes , et
la poutre, tombant avec violence , brisait la tête du bélier.
LIVRE II . 117

LXXVII. Les Péloponésiens, voyant que leurs machines


étaient inutiles et qu'un mur s'élevait vis-à- vis de leur terrasse,
jugèrent ces difficultés insurmontables. Ils se disposèrent donc
à investir Platée. Mais auparavant, comme la ville était petite ,
ils essayèrent de l'incendier à la faveur du vent. Ils se munirent
donc de fagots , et les lancèrent du haut de la terrasse , d'abord
dans l'intervalle qui la séparait de l'enceinte, et qui se trouva
bientôt comblé grâce à la multitude des bras ; ensuite ils en
entassèrent dans la ville même , aussi loin qu'ils purent attein-
dre de la hauteur où ils étaient placés. Par- dessus ils jetèrent
du soufre et de la poix et y mirent le feu . Il en résulta une
conflagration telle qu'il ne s'en était jamais vu, du moins pro-
duite de main d'homme ; car il arrive quelquefois , sur les mon-
tagnes , que les forêts battues par les vents prennent spon-
tanément feu par le frottement et deviennent la proie des
flammes. L'embrasement fut immense ; et peu s'en fallut que
les Platéens , après avoir échappé aux autres périls , ne succom-
bassent à celui- ci . Il y avait une grande partie de la ville d'où
l'on ne pouvait approcher ; et, si le vent eût soufflé dans cette
direction, comme l'ennemi s'y attendait, c'en était fait de Pla-
tée. On prétend aussi qu'en ce moment il survint une forte
averse, accompagnée de tonnerres, qui éteignit l'incendie et
mit fin au danger.
LXXVIII . Après cette tentative avortée , les Péloponésiens
licencièrent une partie de leur monde ; le reste fut employé à
construire une circonvallation, dont chaque contingent eut à
exécuter une étendue déterminée . En dedans et en dehors, ils
creusèrent un fossé dont la terre servit à faire des briques ,
Lorsque le travail fut achevé , vers le lever de l'Arcturus ' ,
ils laissèrent des troupes pour garder la moitié de cet ouvrage ;
l'autre moitié fut occupée par les Béotiens. Le gros de l'armée
se retira et chacun regagna ses foyers . Déjà précédemment , les
Platéens avaient fait passer à Athènes leurs enfants , leurs
femmes , les vieillards et les hommes les moins valides. Il ne
restait pour soutenir le siége que quatre cents Platéens et quatre-
vingts Athéniens , avec cent dix femmes pour faire le pain. Tel
était, en tout, le nombre des défenseurs de Platée , lorsque le
Sear siége commença. Il n'y avait dans la ville personne de plus , ni
esclave ni homme libre.
QUIS
LXXIX. Le même été, pendant les préparatifs du siége de
Platée, les Athéniens , avec deux mille hoplites et deux cents
cavaliers, firent une expédition contre les Chalcidéens du litto-
GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
118
ral de la Thrace et contre les Bottiéens . Le blé était mûr alors .
Cette armée était commandée par Xénophon fils d'Euripidès et
par deux autres généraux . Arrivés devant Spartolos , ville de la
Bottique , ils firent quelques dégâts dans la campagne . Ils s'at-
tendaient à voir la ville se rendre à eux par suite d'intelligences
pratiquées dans l'intérieur ; mais le parti contraire s'était adressé
à Olynthe , d'où l'on avait envoyé une garnison composée d'ho-
plites et d'autres soldats. Cette garnison fit une sortie , et le
combat s'engagea sous les murs de Spartolos 2. Les hoplites
chalcidéens et un certain nombre de leurs auxiliaires furent
vaincus par les Athéniens et rejetés dans la place ; mais la ca-
valerie et les troupes légères des Chalcidéens vainquirent les
Athéniens des mêmes armes . Les Chalcidéens avaient avec eux
des peltastes venus du pays de Crusisn³ .
Le combat venait de finir , lorsqu'u renfort de peltastes ar-
riva d'Olynthe . A cet aspect , les troupes légères de Spartolos ,
déjà fières de n'avoir pas été vaincues , s'animèrent d'un nou-
veau courage et chargèrent une seconde fois les Athéniens avec
les cavaliers chalcidéens et le renfort survenu . Les Athéniens
se replièrent sur les deux corps qu'ils avaient laissés à la garde
des bagages . Quand les Athéniens faisaient un mouvement offen-
sif, l'ennemi lâchait pied ; venaient -ils à battre en retraite, il
les pressait et les criblait de javelots . De son côté, la cavalerie
chalcidéenne chargeait quand elle en trouvait l'occasion . Elle
répandit l'effroi parmi les Athéniens , les mit en fuite et les
poursuivit au loin. Les Athéniens se réfugièrent à Potidée ; et,
après avoir relevé leurs morts par composition , ils repartirent
pour Athènes avec le reste de leur armée. Ils avaient perdu
dans cette action quatre cent trente hommes et tous leurs gé-
néraux . Les Chalcidéens et les Bottiéens érigèrent un tro-
phée , recueillirent leurs morts , et se dispersèrent dans leurs

vill
LXes .XX . Le même été, peu après ces événements , les Ambra-
ciotes et les Chaoniens , désirant soumettre toute l'Acarnanie et
la détacher d'Athènes , obtinrent des Lacédémoniens l'arme-
ment de cent vaisseaux alliés et l'envoi de mille hoplites en
Acarnanie . Ils assuraient qu'en attaquant ce pays par mer et
par terre , on empêcherait les Acarnaniens de la côte de se
réunir à ceux de l'intérieur ; qu'une fois en possession de l'A-
carnanie , on s'emparerait aisément de Zacynthe et de Céphallé-
nie , ce qui enlèverait aux Athéniens la facilité de faire le tour
du Péloponèse ; qu'enfin il se pourrait qu'on prît Naupacte elle-
LIVRE II. 119

même. Les Lacédémoniens persuadés envoyèrent aussitôt leurs


hoplites et quelques bâtiments sous la conduite de Cnémos ,
encore navarque à cette époque . Leurs alliés eurent ordre de
diriger au plus tôt sur Leucade leurs vaisseaux en état de tenir
la mer. Les Corinthiens appuyaient chaudement les Ambra-
ciotes leurs colons . Les vaisseaux de Corinthe, de Sicyone et
des villes voisines étaient en armement ; ceux de Leucade , d'A-
nactorion et d'Ambracie , arrivés les premiers au rendez-vous ,
les y attendaient. Cnémos, avec ses mille hoplites, trompa,
dans sa traversée , la surveillance de Phormion, en croisière à
Naupacte avec vingt vaisseaux athéniens, et prépara sans délai
son expédition de terre.
Son armée se composait de Grecs et de barbares . Les pre-
miers étaient des Ambraciotes , des Leucadiens , des Anactoriens
et les mille Péloponésiens qu'il avait amenés . Quant aux bar-
bares , c'étaient d'abord mille Chaoniens indépendants ² " com-
mandés par leurs chefs annuels , Photios et Nicanor, de la
famille dominante . Avec les Chaoniens marchaient des Thes-
protes également indépendants . Venaient ensuite des Molosses
et des Atintanes, commandés par Sabylinthios , tuteur de leur
roi Tharypas encore enfant, des Paravéens , conduits par leur
roi Orœdos , auquel Antiochos , roi des Orestes , avait confié mille
hommes de cette nation . Perdiccas avait aussi envoyé, à l'insu
des Athéniens , mille Macédoniens ; mais ceux-ci arrivèrent
trop tard.
Ce fut avec cette armée que Cnémos se mit en marche, sans
attendre la flotte de Corinthe. Il traversa le pays des Argiens ",
pilla Limnéa, village sans défense, et se porta contre Stratos,
principale ville de l'Acarnanie, dans la pensée que, s'il parve-
nait à s'en rendre maître, le reste du pays se soumettrait sans
difficulté .
LXXXI. Les Acarnaniens , informés qu'une armée nombreuse
avait envahi leur territoire et que, du côté de la mer, une flotte
ennemie les menaçait, ne réunirent point leurs forces ; chacun
d'eux ne songea qu'à défendre ses foyers. Ils firent demander
du secours à Phormion ; mais celui-ci répondit que, s'attendant
d'un jour à l'autre à voir une flotte ennemie sortir de Corinthe ,
il ne pouvait pas laisser Naupacte à l'abandon.
Les Péloponésiens et leurs alliés se divisèrent en trois corps
et s'avancèrent contre Stratos , avec l'intention de camper dans
le voisinage de cette ville et de l'assaillir, à moins qu'elle n'en-
trât en accommodement. L'armée marchait sur trois colonnes
120 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

formées , celle du centre, par les Chaoniens et par les autres


barbares ; celle de droite, par les Leucadiens, les Anactoriens et
leurs voisins ; celle de gauche , où était Cnémos , par les Pélopo-
nésiens et par les Ambraciotes. Ces trois corps cheminaient à
une assez grande distance l'un de l'autre ; quelquefois même
ils se perdaient de vue. Les Grecs marchaient en bon ordre ,
toujours sur leurs gardes , et ne faisant halte qu'après avoir
trouvé un campement convenable. Les Chaoniens au contraire ,
pleins de confiance en eux-mêmes et renommés pour leur bra-
voure dans cette partie du continent, n'avaient pas la patience
d'établir un camp ; mais, s'avançant comme un tourbillon avec
les autres barbares, ils s'imaginaient emporter d'emblée la ville
et en avoir tout l'honneur.
Les Stratiens, avertis de leur approche, pensèrent que, s'ils
pouvaient les battre isolément, les Grecs se ralentiraient dans
leur attaque . Ils dressèrent donc des embuscades autour de la
ville ; et , lorsque les ennemis furent à portée , ils fondirent sur
eux à la fois et de la place et des embuscades. Les Chaoniens
épouvantés périrent en grand nombre. Les autres barbares , les
voyant plier, lâchèrent pied et prirent la fuite. Les Grecs des
deux corps d'armée ne s'aperçurent point de ce combat ; ils
étaient fort éloignés et présumaient que les barbares avaient pris
les devants pour choisir un campement. Lorsque les fuyards
vinrent tomber au milieu d'eux, ils les recueillirent, ne for-
mèrent qu'un seul camp , et se tinrent en repos le reste du
jour. Les Stratiens, en l'absence du renfort qu'ils attendaient,
ne les attaquèrent point en ligne ; ils se contentèrent de les
harceler de loin à coups de fronde, ce qui les mit dans un
grand embarras ; car on ne pouvait faire un pas sans bouclier.
Les Acarnaniens excellent dans ce genre de combat.
LXXXII . La nuit venue , Cnémos se replia rapidement sur le
fleuve Anapos , à quatre-vingts stades de Stratos. Le lendemain
il releva ses morts par composition ; puis, les OEniades l'ayant
rejoint en qualité d'amis, il se retira sur leurs terres , sans
attendre la levée en masse des Acarnaniens . De là chacun
regagna ses foyers. Les Stratiens érigèrent un trophée pour la
défaite des barbares .
LXXXIII. Quant à la flotte des Corinthiens et de leurs alliés ,
qui , du golfe de Crisa, devait se réunir à Cnémos pour empê-
cher les Acarnaniens de la côte de porter secours à ceux de l'in-
térieur, elle ne put exécuter ce projet ; pendant qu'on se battait
à Stratos, elle fut obligée de livrer bataille à Phormion et aux
LIVRE II. 121

vingt vaisseaux athéneins en station à Naupacte. Phormion


épiait sa sortie du golfe, avec dessein de l'attaquer dans une
mer ouverte. Les Corinthiens et leurs alliés cinglaient vers l'A-
carnanie , peu disposés à un combat naval, encombrés de troupes
et fort éloignés de prévoir que les vingt vaisseaux athéniens
eussent la hardiesse de se mesurer avec les leurs , dont le nom-
bre s'élevait à quarante-sept . Ils serraient le rivage et comptaient
passer de la ville achéenne de Patres au continent d'Acarnanie .
Mais lorsqu'ils virent les Athéniens. longer parallèlement à eux
la côte opposée , puis quitter Chalcis et l'embouchure de l'Évé-
nos pour se porter à leur rencontre, sans que la nuit dérobât à
l'ennemi l'endroit où ils jetaient l'ancre , force leur fut d'accepter
la bataille au milieu même du détroit.
Chaque ville avait ses commandants , qui firent leurs disposi-
tions de combat. Ceux de Corinthe étaient Machaon, Isocratès
et Agatharchidas . Les Péloponésiens rangèrent leurs vaisseaux
en un cercle, qu'ils étendirent le plus possible, sans toutefois
laisser passage aux ennemis, les proues en dehors , les poupes
en dedans 2. Au centre ils placèrent les petits bâtiments qui les
suivaient et cinq de leurs navires les plus agiles , pour être à
portée de secourir les points menacés.
LXXXIV. Les vaisseaux athéniens , rangés à la file , tour-
naient autour du cercle qu'ils rétrécissaient peu à peu, en rasant
la flotte ennemie, et semblaient toujours au moment d'attaquer .
Phormion avait défendu aux siens d'engager l'action avant
qu'il eût donné le signal . Il prévoyait bien que la flotte des
Péloponésiens ne garderait pas son ordre de bataille comme
une armée de terre , mais que les vaisseaux de guerre seraient
embarrassés par les petits bâtiments ; qu'enfin si le vent, qui
d'ordinaire soufflait du golfe au lever de l'aurore, venait à s'é-
lever, la confusion se mettrait dans la flotte ennemie . Ses vais-
seaux étant plus légers , il se croyait maître de choisir le moment
de l'attaque et pensait qu'il n'y en aurait point de plus favo-
rable. Lors donc que la brise se fit sentir, que la flotte pélopo-
nésienne, resserrée dans un étroit espace , fut troublée à la fois
par le vent et par les bâtiments qui la gênaient ; lorsque les
vaisseaux commencèrent à s'entre-choquer et que les équipages ,
mêlant des vociférations et des invectives à leurs manoeuvres,
se repoussèrent mutuellement à coups d'avirons ; lorsque , sourds
aux commandements et à la voix des céleustes¹ , ces hommes
sans expérience , incapables de manier leurs rames dans une
mer houleuse, rendirent les bâtiments rebelles aux pilotes ;
122 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

alors Phormion donne le signal. Les Athéniens commencent


l'attaque et d'abord coulent bas un des vaisseaux commandants ;
ensuite ils vont brisant tous ceux qu'ils peuvent atteindre ; si
bien que les ennemis , sans faire résistance , s'enfuient en dés-
ordre à Patres et à Dymé en Achaïe. Les Athéniens les pour-
suivent, prennent douze vaisseaux , et, après en avoir enlevé la
plus grande partie des équipages, font voile pour Molycrion.
Là-dessus , ils érigèrent un trophée sur le Rhion , consacré-
rent un vaisseau à Neptune et rentrèrent à Naupacte . Le res-
tant de la flotte péloponésienne partit incontinent de Dymé
et de Patres pour gagner Cyllène , port des Éléens . C'est là
qu'après la bataille de Stratos , se rendit aussi Cnémos , venant
de Leucade , avec les vaisseaux destinés à rallier ceux du
Péloponése.
LXXXV. Les Lacédémoniens envoyèrent à bord de leur flotte
Timocratès, Brasidas et Lycophron, pour servir de conseil à
Cnémos, avec ordre de se mieux préparer à un nouveau combat
naval et de ne pas se laisser fermer la mer par un petit nombre
de navires . Comme c'était leur premier essai de bataille navale ,
ils étaient surpris de leur défaite ; ils l'attribuaient moins
à l'infériorité de leur marine qu'à une certaine mollesse ,
et n'avaient garde de comparer à la vieille expérience des Athé-
niens le temps si court de leur apprentissage. Ce fut donc par
un mouvement de dépit qu'ils déléguèrent ces commissaires .
Ceux-ci , dès leur arrivée , s'entendirent avec Cnémos pour
demander des vaisseaux aux différentes villes et pour mettre
en état ceux qu'ils avaient sous la main.
De son côté, Phormion fit parvenir à Athènes la nouvelle de
ces préparatifs et du succès qu'il venait d'obtenir. Il demandait
qu'on lui envoyât sans retard le plus de vaisseaux possible, un
nouveau combat étant imminent. Les Athéniens lui expédièrent
vingt vaisseaux, dont le commandant eut ordre d'aller premiè-
rement en Crète . Nicias , Crétois de Gortyne , leur proxène ' , les
avait appelés à Cydonie , promettant de mettre en leur pouvoir
cette ville ennemie ; en même temps il voulait se rendre agréa-
ble aux Polichnites , voisins des Cydoniens. Le commandant
de cette flotte partit donc pour la Crète ; et, de concert avec
les Polichnites , il ravagea le territoire des Cydoniens. Les vents
et une mer orageuse le retinrent là fort longtemps .
LXXXVI . Pendant que les Athéniens s'attardaient en Crète,
les Péloponésiens mouillés à Cyllène faisaient leurs dispositions
pour un nouveau combat naval. Ils suivirent la côte jusqu'à
LIVRE II. 123

Panormos en Achaïe, où se trouvaient leurs troupes de terre ,


prêtes à les seconder ' . Phormion avait fait voile pour le Rhion
de Molycrie et jeté l'ancre en dehors du détroit avec les vingt
vaisseaux qui avaient déjà combattu . Ce Rhion était dans la
dépendance des Athéniens , tandis que l'autre, situé en face,
appartient au Péloponèse . Un bras de mer , large de sept
stades, les sépare et forme l'entrée du golfe de Crisa. Ce fut
donc au Rhion d'Achaïe , à peu de distance de Panormos où était
leur armée de terre , que les Péloponésiens vinrent mouiller
avec soixante -dix vaisseaux, dès qu'ils eurent vu les Athéniens
en faire autant. Pendant six ou sept jours , les deux flottes res-
tèrent en présence, occupées à s'exercer et à faire leurs prépa-
ratifs de combat. Les Péloponésiens, instruits par leur échec
précédent, ne voulaient pas s'éloigner des promontoires ni s'a-
venturer en pleine mer ; les Athéniens au contraire craignaient
de s'engager dans le détroit, où ils sentaient bien que les enne-
mis auraient l'avantage. Enfin Cnémos, Brasidas et les autres
généraux péloponésiens résolurent de ne pas attendre , pour
livrer bataille, que la flotte athénienne eût reçu des renforts .
Ils convoquèrent donc leurs soldats ; et, les voyant pour la plu-
part effrayés et découragés de leur récente défaite, ils leur
adressèrent l'exhortation suivante :
LXXXVII . « Péloponésiens, si l'issue du dernier combat in-
spire à quelques-uns de vous des craintes pour celui qui se pré-
pare , ces appréhensions sont chimériques . Vous le savez : nos
dispositions étaient défectueuses et plutôt prises en vue d'une
expédition sur terre que d'un combat sur mer. Joignez à cela
un concours de circonstances fortuites et défavorables , sans
parler des fautes que l'inexpérience a pu nous faire commettre
dans un premier engagement. Ce n'est donc pas au manque de
cœur qu'on doit imputer notre défaite ; et il ne faudrait pas
qu'un courage qui n'a pas été terrassé, mais qui porte en lui-
même sa justification , se laissât ébranler par un résultat acci-
dentel . Songez que tout homme peut être trahi par la fortune ,
mais que les braves restent toujours les mêmes et que l'inexpé-
rience n'excuse pas la lâcheté.
« Quant à vous, votre inhabileté est amplement rachetée par
votre valeur ; nos ennemis , grâce à cette science qui vous
effraye , si elle s'alliait au courage , pourraient , au moment de
l'action, se rappeler et exécuter ce qu'ils ont appris ; mais , sans
courage, il n'y a pas de savoir qui tienne devant le danger la
peur trouble la mémoire et met la science en défaut. A leur
124 GUERRE DU PÉLOPONÈSE

habileté opposez donc votre bravoure, et à la crainte provenant


d'une première défaite, la pensée qu'alors vous étiez pris au
dépourvu . Aujourd'hui nous avons l'avantage du nombre et nous
combattons à portée de nos hoplites , près d'une terre qui nous
appartient. Or, la victoire accompagne d'ordinaire le parti le
plus nombreux et le mieux préparé .
« Ainsi, de quelque côté que nous tournions nos regards ,
nous ne trouvons aucun motif raisonnable de crainte . Il n'est
pas jusqu'à nos fautes passées qui ne nous servent de leçon
pour l'avenir. Soyez donc pleins de confiance ; que chacun ,
pilote ou matelot , fasse son devoir dans le combat , que nul ne
quitte son poste. Notre plan d'attaque ne le cédera point à celui
de vos anciens généraux. Nous ne donnerons à personne le pré-
texte de se montrer lâche. Si toutefois quelqu'un en prend fan-
taisie , il subira un juste châtiment. Les braves au contraire
recevront les récompenses de la valeur. »
LXXXVIII . Telles furent les exhortations adressées par les
généraux péloponésiens à leurs soldats . Phormion ne redoutait
guère moins le découragement des siens , qui entre eux par-
laient avec effroi du grand nombre des vaisseaux ennemis . Il
résolut donc de les réunir , afin de ranimer leur ardeur. Long-
temps à l'avance il avait préparé leurs esprits , leur répétant
qu'il n'y avait pas de flotte, si nombreuse fût - elle , dont ils
ne dussent soutenir l'effort ; aussi les soldats s'étaient-ils faits à
l'idée de ne jamais reculer, quelle que fût la multitude des vais-
seaux péloponésiens . Cependant , comme il les voyait abattus,
il voulut relever leur courage ; et, après les avoir rassemblés ,
il leur dit :
LXXXIX . « Soldats, le nombre de vos ennemis , je le vois ,
vous inspire de l'inquiétude ; aussi vous ai-je convoqués pour
dissiper une crainte mal fondée .
<< D'abord, c'est à cause de leur première défaite et dans
ie sentiment de leur infériorité , qu'ils ont réuni ce grand
nombre de navires , au lieu de se mesurer contre nous à forces
égales . Ensuite , ce qui leur inspire cette confiance audacieuse ,
c'est uniquement leur habitude des combats sur terre ; comme
ils y sont ordinairement vainqueurs , ils se figurent que sur mer
il en sera de même. Mais ici c'est à nous qu'appartient l'avan-
tage, s'il est vrai que sur terre il leur soit acquis. Nous ne leur
cédons point en bravoure, et l'audace est toujours en proportion
de l'expérience.
« Les Lacédémoniens, qui n'ont en vue que leur propre gloire,
LIVRE II . 125

mènent au combat leurs alliés pour la plupart malgré eux . Au-


trement ils ne reviendraient pas d'eux-mêmes à la charge après
une si rude défaite . Ne redoutez point leur valeur. C'est vous qui
leur inspirez une terreur bien plus forte et plus motivée , soit à
cause de votre première victoire , soit par la pensée que vous
n'accepteriez pas la bataille si vous ne comptiez pas la gagner.
A la guerre, on cherche communément à s'assurer l'avantage
du nombre plutôt que de la valeur . Il n'y a que les braves qui ,
malgré leur infériorité numérique , résistent sans y être forcés .
Cette remarque n'échappe point à nos adversaires . Ils sont
plus effrayés de notre attitude imprévue qu'ils ne le seraient
d'un armement moins disproportionné.
« Que de fois n'a-t-on pas vu des armées plier devant des
forces comparativement moindres , par défaut de tactique ou
de valeur ! A ce double égard , nous sommes sans inquiétude .
« A moins d'absolue nécessité , je n'engagerai pas le com-
bat dans le golfe ; je me garderai même d'y entrer. A des vais-
seaux peu nombreux, mais exercés et agiles , ayant affaire à
une flotte considérable et peu nabile à la manœuvre, une mer
rétrécie n'est pas ce qui convient. Faute d'espace et de pers-
pective, on ne peut ni heurter de l'avant , ni reculer à propos
si l'on est serré de trop près , ni faire des trouées ou virer de
bord , évolutions qui supposent des vaisseaux fins marcheurs.
Le combat naval se transforme alors en une lutte de pied ferme;.
et, dans ce cas, l'avantage est au plus grand nombre.
<< C'est mon affaire à moi d'y pourvoir autant que possible.
Quant à vous , demeurez en bon ordre, chacun à son bord.
Soyez prompts à saisir les commandements ; cela est d'autant
plus nécessaire que l'ennemi est plus rapproché . Observez dans
l'action la discipline et le silence ; rien n'est plus essentiel dans
les batailles , surtout navales . Enfin montrez-vous dignes de vos
précédents exploits. Le moment est décisif : il s'agit ou de
ravir aux Péloponésiens toute espérance maritime ou de faire
craindre aux Athéniens la perte prochaine de leur empire sur
la mer.
<< Encore un coup , je vous rappelle que vous avez déjà battu
la plupart de ceux que vous allez combattre ; or des vaincus
n'affrontent pas deux fois de suite avec une ardeur égale les
mêmes dangers . >>
XC . C'est ainsi que Phormion exhorta ses soldats . Les Pélo-
ponésiens, voyant que les Athéniens évitaient de s'engager
dans le golfe et dans une mer étroite , résolurent de les У at-
126 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

tirer malgré eux. Ils appareillèrent donc au lever de l'aurore


et cinglèrent vers l'intérieur du golfe, dans la direction de leur
propre territoire. Les vaisseaux étaient rangés sur quatre de
front, l'aile droite en tête, dans leur ordre de mouillage . A
cette aile ils avaient placé leurs vingt bâtiments les plus les-
tes, afin que, si Phormion , dans l'idée qu'on allait attaquer
Naupacte, se portait au secours de cette place menacée, les
Athéniens ne pussent leur échapper en débordant leur aile,
mais qu'ils fussent enveloppés par ces vingt vaisseaux. Ce
qu'ils avaient prévu arriva. Phormion , craignant pour la place
qui était déserte, ne les eut pas plus tôt aperçus en mer, qu'il
se hâta d'embarquer son monde et suivit à regret le rivage ,
le long duquel marchait comme auxiliaire l'infanterie des Mes-
séniens.
Quand les Péloponésiens voient les ennemis, rangés à la file
sur un seul vaisseau , serrant la côte et déjà engagés dans le
golfe, près de la terre , comme ils le désiraient , soudain , à un
signal donné, ils font une conversion à gauche et se dirigent
de toute leur vitesse contre la ligne des Athéniens. Ils comp-
taient l'envelopper tout entière ; mais les onze vaisseaux de la
tête échappent à cette évolution . Les Péloponésiens atteignent
les autres, les acculent à la côte , les brisent et massacrent ceux
des matelots qui ne se sauvent pas à la nage. Déjà ils remor-
quaient un certain nombre de vaisseaux vides , un même avec
son équipage, lorsque les Messéniens, accourus le long du
bord , entrent tout armés dans la mer, montent sur quelques-
uns de ces navires traînés à la remorque , et, combattant du
haut des ponts , obligent les ennemis à lâcher prise.
XCI . Sur ce point, les Péloponésiens étaient donc victorieux
et avaient mis hors de combat la division ennemie . En même
temps leurs vingt vaisseaux de l'aile droite poursuivaient les
onze vaisseaux athéniens qui avaient échappé leur mouve-
ment de conversion . Ceux- ci les devancent et, à l'exception
d'un seul, parviennent à gagner Naupacte. Ils abordent près
du temple d'Apollon , tournent leurs proues en dehors et s'ap-
prêtent à se défendre, dans le cas où les ennemis viendraient
les chercher près de terre. Les Péloponésiens arrivèrent plus
tard ; ils voguaient en chantant le péan, comme déjà vainqueurs.
Le vaisseau athénien resté en arrière était poursuivi par un
vaisseau de Leucade, fort en avant des autres. A quelque dis-
tance du rivage, se trouvait à l'ancre un bâtiment marchand.
Le vaisseau athénien en fait rapidement le tour, heurte de flanc
LIVRE II. 127

le vaisseau leucadien et le coule à fond . Ce spectacle inattendu


frappe de surprise et d'effroi les Péloponésiens , qui s'avan-
çaient en désordre et comme sûrs de la victoire. Aussitôt
quelques-uns abaissent leurs rames et font halte pour attendre
le gros de la flotte ; manœuvre périlleuse en face d'un ennemi
si rapproché ; d'autres , ne connaissant pas ces parages ,
échouent sur des bas-fonds.
XCII. A cet aspect, les Athéniens reprennent courage ; ils
s'exhortent unanimement , et poussant un cri, ils fondent sur
leurs adversaires . Ceux-ci, déconcertés par les fautes qu'ils
avaient commises et par le désordre où ils se trouvaient , ne
font qu'une courte résistance et bientôt s'enfuient vers Panor-
mos, d'où ils étaient partis. Les Athéniens les poursuivent,
s'emparent des six vaisseaux les plus voisins , ressaisissent
les leurs que les Péloponésiens avaient endommagés près de la
côte et qu'ils traînaient à la remorque ; ils tuent les hommes
ou les font prisonniers. Sur le vaisseau leucadien coulé près
du bâtiment marchand , se trouvait le Lacédémonien Timo-
cratès. Au moment où le navire sombrait , il s'égorgea lui-
même ; son corps fut porté par les vagues dans le port de
Naupacte .
Les Athéniens , revenus de la poursuite, érigèrent un tro-
phée à l'endroit d'où avait eu lieu leur retour offensif. Ils
recueillirent les morts et les débris jetés sur la rive et rendi-
rent par composition ceux de l'ennemi. Les Péloponésiens
' dressèrent aussi un trophée pour avoir mis en fuite les Athé-
niens et désemparé leurs vaisseaux près du rivage. Ils consa-
crèrent sur le Rhion d'Achaïe, devant leur trophée , le bâtiment
qu'ils avaient pris ; ensuite, craignant l'arrivée d'un renfort
d'Athènes, ils rentrèrent tous pendant la nuit dans le golfe de
Crisa et à Corinthe , excepté les Leucadiens . Les vingt vais-
seaux athéniens , qui venaient de Crète et qui auraient dû re-
joindre Phormion avant le combat , arrivèrent à Naupacte peu
de temps après la retraite des ennemis. Là - dessus l'été se
termina.
XCIII . Avant de licencier l'armée navale qui s'était retirée à
Corinthe et dans le golfe de Crisa, Cnémos , Brasidas et les autres
généraux péloponésiens voulurent, à l'instigation des Méga-
riens et au commencement de l'hiver, faire une tentative sur le
Pirée, port d'Athènes. Il n'était ni gardé ni fermé ; ce qui n'est
pas surprenant, vu la grande supériorité de la marine athé-
nienne. Il fut résolu que chaque matelot prendrait sa rame ,
128 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

son coussinet, sa courroie , et se rendrait à pied de Corinthe


à la mer qui est du côté d'Athènes ; qu'après avoir prompte-
ment gagné Mégare, on tirerait de Niséa, chantier de cette
ville, quarante vaisseaux qui s'y trouvaient, et qu'on cinglerait
immédiatement contre le Pirée . Il n'y avait dans ce port au-
cune escadre de garde , et l'on était loin de s'attendre à un coup
de main si hardi . Les Athéniens n'appréhendaient guère une
agression ouverte et préméditée, ou, le cas échéant , ils croyaient
qu'ils ne pouvaient manquer de la prévoir.
Leur plan arrêté , les Péloponésiens se mirent aussitôt en
marche. Arrivés de nuit à Niséa , ils tirèrent les vaisseaux à
la mer. Toutefois , intimidés par le danger et contrariés , dit-
on, par le vent , ils cinglèrent, non plus contre le Pirée, selon
leur première intention, mais vers le promontoire de Salamine
qui fait face à Mégare ; il y avait là un fort avec une station
de trois vaisseaux athéniens , qui tenaient cette ville bloquée.
Ils assaillirent le fort, emmenèrent les trirèmes vides , et, grâce
à leur incursion soudaine , ravagèrent le reste de l'île .
XCIV. Cependant les signaux d'alarme étaient élevés pour
annoncer à Athènes l'approche de l'ennemi¹ . Dans tout le cours
de cette guerre, il n'y eut pas de plus chaude alerte . Ceux de
la ville croyaient que les ennemis étaient maîtres du Pirée ;
ceux du Pirée, que Salamine était prise et que d'un instant
à l'autre ils allaient être attaqués. Avec un peu plus de réso-
lution, c'eût été chose facile , et le vent n'aurait pas été un
obstacle.
Au point du jour , les Athéniens se portèrent en masse au
Pirée, mirent des vaisseaux à flot , y montèrent à la hâte et en
grand tumulte ; puis cinglèrent vers Salamine, laissant la garde
du Pirée aux gens de pied. Les Péloponésiens , avertis de leur
approche, se rembarquèrent précipitamment pour Niséa, non
sans avoir couru la plus grande partie de Salamine et enlevé
des hommes, du butin et les trois vaisseaux du fort de Bou-
doron . Il est juste de dire qu'ils n'étaient pas sans inquiétude
au sujet de leurs bâtiments, qui , n'ayant pas été depuis long-
temps à la mer, faisaient eau de toutes parts. De retour à
Mégare, ils reprirent à pied le chemin de Corinthe. Les Athé-
niens, ne les trouvant plus dans les eaux de Salamine , se
retirèrent également. Dès lors ils firent meilleure garde au
Pirée, le tinrent fermé et prirent toutes les précautions dési-
rables.
XCV. Au commencement de ce même hiver, Sitalcès , fils de
LIVRE II. 129

Térès et roi des Thraces Odryses , fit une expédition contre


Perdiccas fils d'Alexandre, roi de Macédoine , et contre les
Chalcidéens du littoral de la Thrace. Il avait pour motif deux
promesses, dont il voulait acquitter l'une et faire tenir l'autre .
Perdiccas, désirant que ce prince le réconciliât avec les Athé-
niens , qui dans l'origine lui faisaient une guerre désastreuse ,
et qu'il n'appuyât pas les prétentions de Philippe , son frère et
son compétiteur au trône de Macédoine, avait pris envers
Sitalcès des engagements qu'il n'exécutait pas . D'autre part ,
Sitalcès , en contractant alliance avec les Athéniens , leur avait
promis de pacifier la Chalcidique. Sitalcès menait avec lui le
fils de Philippe, Amyntas , qu'il voulait faire roi de Macédoine.
Il était accompagné d'une députation athénienne, conduite par
Hagnon, et venue auprès de lui avec cette mission spéciale .
Les Athéniens devaient coopérer à cette expédition avec une
flotte et autant de troupes que possible .
XCVI. Parti de chez les Odryses , Sitalcès appela d'abord
aux armes ses sujets de Thrace, qui habitent en deçà des monts
Hémus et Rhodope ' , jusqu'au Pont-Euxin et à l'Hellespont ;
ensuite les Gètes d'au delà de l'Hémus, ainsi que toutes les
nations fixées en deçà du fleuve Ister , dans le voisinage du
Pont-Euxin . Les Gètes et autres peuples de ces contrées con-
finent aux Scythes et font usage des mêmes armes que cette
nation ; ils sont tous archers à cheval. Sitalcès appela aussi
de leurs montagnes un grand nombre de Thraces indépendants
et armés d'épées , connus sous le nom de Diens , la plupart
habitant le Rhodope ; les uns étaient stipendiés , les autres
marchaient comme volontaires . Il se recruta pareillement chez
les Agriens, les Lééens et les autres peuplades péoniennes qui
lui étaient soumises . C'étaient les derniers peuples de son em-
pire , lequel s'étendait jusqu'aux Grééens de Péonie et au
Strymon. Ce fleuve prend sa source dans le mont Scombros .
traverse le pays des Grééens, celui des Lééens, et forme la limite
de l'empire de Odryses ; au delà sont les Péoniens indépen-
dants. Du côté des Triballiens, également indépendants , les
derniers peuples sujets des Odryses étaient les Trères et les
Tilatéens. Ceux-ci habitent au nord du mont Scombros et s'é-
tendent à l'occident jusqu'au fleuve Oskios , lequel sort de la
même montagne que le Nestos et l'Hèbre. Cette montagne,
grande et déserte, est un anneau de la chaîne du Rhodope.
XCVII . Du côté de la mer, l'empire des Odryses s'étend
d'Abdère à l'embouchure de l'Ister dans le Pont-Euxin . C'est,
130 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

pour un vaisseau rond ' , un trajet de quatre jours et de quatre


nuits, en ligne directe et vent debout. Par terre, en suivant
le chemin le plus court, d'Abdère à l'Ister, il y a onze journées
de route pour un bon marcheur. Telle est l'étendue du lit-
toral . En allant de la côte vers l'intérieur des terres, dans la
plus grande largeur, c'est-à-dire de Byzance jusqu'aux Lééens
et au Strymon, il y a treize journées de route pour un bon
marcheur.
Le tribut levé annuellement sur les peuples barbares et sur
les villes grecques 2, au taux où il fut porté par Seuthès, suc-
cesseur de Sitalcès , se montait à quatre cents talents d'argent (a) ,
payables en numéraire . A quoi il faut ajouter les présents , en
or et en argent, qu'on était obligé d'offrir et qui formaient une
somme équivalente ; sans compter les étoffes brodées ou lisses
et autres cadeaux qu'il fallait faire , non-seulement au roi , mais
encore aux grands et aux nobles du pays. Chez les Odryses,
comme chez le reste des Thraces, il règne une coutume op-
posée à celle des rois de Perse : c'est de recevoir plutôt que de
donner. Il est plus honteux de refuser une demande que d'es-
suyer un refus . Les Odryses ont encore exagéré cet usage, à
raison de leur puissance ; chez eux on ne vient à bout de rien
sans présents ; aussi leurs rois ont-ils acquis des richesses im-
menses. De toutes les nations européennes comprises entre le
golfe Ionien et le Pont-Euxin , il n'y en a point dont les revenus
et l'opulence soient plus considérables . Pour la force militaire
et le nombre des combattants , les Odryses le cèdent beaucoup
aux Scythes. Il n'est aucun peuple, je ne dis pas en Europe ,
mais en Asie, qui soit capable de se mesurer , à lui seul, contre
les Scythes réunis. Mais pour l'intelligence des affaires , les
Scythes sont loin d'avoir la même supériorité.
XCVIII. Possesseur d'un si vaste empire, Sitalcès se disposa
donc à la guerre ; et , ses préparatifs terminés , il se mit en
marche pour la Macédoine. Il traversa d'abord les pays de sa
domination, puis la Cercine, montagne inhabitée , qui sépare
' les Sintes des Péoniens . Il la passa par une route qu'il avait
précédemment ouverte en abattant des forêts, lors de sa guerre
de Péonie. En franchissant cette montagne, au sortir du pays
des Odryses , il avait à droite les Péoniens, à gauche les Sintes
et les Médiens. Il parvint ensuite à Dobéros , ville de Péonie.
Dans cette marche, son armée n'éprouva aucune perte, si ce

(a) Deux millions cent soixante mille francs.


LIVRE II . 131

n'est par les maladies ; elle se grossit plutôt par l'adjonction


spontanée d'une foule de Thraces indépendants , alléchés par
le pillage. Aussi dit-on qu'elle présentait un effectif de cent
cinquante mille combattants , la plupart à pied , un bon tiers à
cheval. C'étaient les Odryses , et après eux les Gètes , qui
avaient fourni le plus de cavaliers . Parmi les fantassins , les
plus aguerris étaient les montagnards indépendants , armés
d'épées et descendus du Rhodope . Le reste consistait en une
masse confuse, redoutable surtout par le nombre .
XCIX . Rassemblés à Dobéros , ces différents corps se dispo-
sèrent à envahir par les montagnes la basse Macédoine , ой
régnait Perdiccas . A la Macédoine appartiennent aussi les Lyn-
cestes , les Élimiotes , ainsi que plusieurs peuplades de l'inté-
rieur , alliées et sujettes des Macédoniens , mais qui ont leurs
rois particuliers . Quant au pays situé le long de la mer et ap-
pelé maintenant Macédoine , la conquête en fut faite par
Alexandre, père de Perdiccas, et par ses ancêtres les Témé-
nides , originaires d'Argos . Ils y établirent leur domination
par la défaite des Pières, qu'ils expulsèrent de la Piérie . Ceux-
ci allèrent habiter Phagrès et quelques autres places au pied
du mont Pangée , de l'autre côté du Strymon. De nos jours
encore, le pays situé au pied du Pangée, le long de la mer,
s'appelle golfe Piérique. Ils chassèrent aussi de la Bottie les
Bottiéens , qui habitent actuellement dans le voisinage des
Chalcidéens . Ils conquirent sur les Péoniens une langue de
terre, le long du fleuve Axios , depuis les montagnes jusqu'à
Pella et à la mer. L'expulsion des Edoniens leur valut le pays
qu'on appelle Mygdonie et qui s'étend au delà de l'Axios jus-
qu'au Strymon . De l'Eordie ils expulsèrent pareillement les
Éordiens ; cette nation fut exterminée , le peu qui échappa s'é-
tablit aux environs de Physca. De l'Almopie ils chassèrent les
Almopes. Enfin ces Macédoniens subjuguèrent tous les au-
tres peuples qui leur obéissent présentement, savoir Anthé-
monte, la Grestonie, la Bisaltie et une grande partie de la
Macédoine proprement dite. L'ensemble de ces pays porte le
nom de Macédoine et avait pour roi Perdiccas fils d'Alexandre ,
lors de l'invasion de Sitalcès.
C. A l'approche d'une armée si formidable, les Macédoniens ,
désespérant de pouvoir tenir tête en rase campagne , se retirèrent
dans les lieux de difficile accès et dans toutes les places fortes
du pays. Ces places étaient rares ; ce fut plus tard seulement
qu'Archelaos fils de Perdiccas, parvenu à la royauté, fit con-
132 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

struire les forteresses aujourd'hui existantes , perça des routes


droites et perfectionna toutes les branches du service public,
en particulier ce qui tient à l'organisation militaire. Il amassa
plus de chevaux , d'armes et de munitions de toute espèce que
n'avaient fait, à eux tous , les huit rois ses prédécesseurs¹ .
De Dobéros, les Thraces entrèrent d'abord dans l'ancien
royaume de Philippe et prirent Idomène de vive force . Gorty-
nie , Atalante et quelques autres places firent leur soumission
par attachement au fils de Philippe , Amyntas , qui se trouvait
présent . Ils assiégèrent inutilement Europos ; ensuite ils péné-
trèrent dans le reste de la Macédoine , à gauche de Pella et de
Cyrrhos . Ils ne poussèrent pas jusqu'à la Bottiée et à la Piérie ;
mais ils saccagèrent la Mygdonie , la Grestonie et Anthémonte .
Les Macédoniens ne songèrent pas même à se défendre avec
leur infanterie ; mais ils firent venir de la cavalerie de chez
leurs alliés de l'intérieur ; et, malgré leur infériorité numé-
rique , ils attaquaient les Thraces toutes les fois que ceux- ci
donnaient prise. Rien ne résistait au choc de ces cavaliers
habiles et cuirassés ; mais, enveloppés par des masses profondes,
ils couraient parfois de grands dangers . Aussi finirent-ils par
rentrer dans l'inaction , ne se croyant pas en état de lutter
contre des forces si disproportionnées.
CI. Alors Sitalcès entama des pourparlers avec Perdiccas
relativement aux motifs de son expédition ; et, comme les Athé-
niens , comptant peu sur sa venue, ne paraissaient pas avec
leurs vaisseaux, mais s'étaient contentés de lui envoyer des
présents et des ambassadeurs , il détacha une partie de sa troupe
contre les Chalcidéens et les Bottiéens , les renferma dans leurs
murailles et ravagea leur pays . Pendant qu'il y campait, les
peuples situés au midi , tels que les Thessaliens , les Magnètes
et leurs autres sujets, enfin tout le reste des Grecs jusqu'aux
Thermopyles, craignirent que cette armée ne se dirigeât contre
eux et se mirent sur la défensive . L'alarme se répandit pareil-
lement au delà du Strymon, chez ceux des Thraces septentrio-
naux qui habitent les plaines , c'est-à-dire chez les Panéens ,
les Odomantes , les Droens et les Derséens, tous peuples indé-
pendants. Même en Grèce , les ennemis d'Athènes appréhen-
dèrent que Sitalcès n'eût été appelé par elle , à titre d'allié, pour
les combattre. Quant à lui, il suspendit sa marche pour dévaster
simultanément la Chalcidique, la Bottique et la Macédoine.
Mais, comme il n'atteignait aucun des buts de son expédition ,
et que son armée, mal approvisionnée, avait beaucoup à souf-
LIVRE II . 133

frir de l'hiver, il se laissa persuader par son neveu Seuthès


fils de Spardacos , l'homme le plus puissant après lui , d'opérer
immédiatement sa retraite. Seuthès avait été gagné en secret
par Perdiccas, qui lui avait promis de lui donner sa sœur en
mariage avec de grandes richesses . Sitalcès crut son neveu ;
et, après une campagne de trente jours , dont huit passés en
Chalcidique , il ramena promptement son armée dans ses
foyers. Plus tard , Perdiccas tint parole à Seuthès en lui don-
nant sa sœur Stratonice . Telle fut l'expédition de Sitalcès.
CII. Ce même hiver , après le licenciement de la flotte pélo-
ponésienne , les Athéniens qui étaient à Naupacte mirent en
mer sous le commandement de Phormion . Ils rangèrent la côte
jusqu'à Astacos , prirent terre en cet endroit et pénétrèrent en
Acarnanie, avec quatre cents hoplites tirés de leur flotte et
quatre cents Messéniens. Ils chassèrent de Stratos , de Coronta
et d'autres places les hommes d'une fidélité douteuse ; et, après
avoir rétabli dans Coronta Cynès fils de Théolytos , ils rega-
gnèrent leur bord . S'ils n'attaquèrent pas les OEniades , les
seuls Acarnaniens qui leur fussent toujours hostiles , c'est qu'ils
ne crurent pas possible de le faire pendant l'hiver. En effet le
fleuve Achéloüs , qui a sa source dans le Pinde , après avoir tra-
versé le pays des Dolopes , des Agréens et des Amphilochiens ,
arrosé la plaine d'Acarnanie et baigné les murs de Stratos , se
jette dans la mer non loin de la ville des OEniades et forme
autour d'elle des lagunes , qui en rendent les approches impra-
ticables en hiver. La plupart des îles Echinades sont situées en
face d'OEniades , à l'embouchure de l'Achéloüs , et constamment
ensablées par ce grand fleuve . Aussi quelques-unes d'entre
elles sont-elles déjà réunies au continent, et l'on peut prévoir
qu'il en sera de même pour toutes dans un avenir peu éloigné ' .
Le courant du fleuve est rapide, abondant et bourbeux ; les
îles , par leur rapprochement , forment une barre qui arrête la
vase. Comme elles s'entre-croisent et ne sont pas alignées , elles
gênent l'écoulement direct du fleuve à la mer. Au surplus ces
îles sont inhabitées et peu considérables .
On rapporte qu'Alcméon fils d'Amphiaraos , lorsqu'il errait
après le meurtre de sa mère, reçut d'Apollon un oracle qui lui
conseillait d'habiter en cet endroit, lui donnant à entendre qu'il
ne serait pas délivré de ses frayeurs avant d'avoir trouvé à
s'établir dans une contrée que le soleil n'éclairât pas encore et
qui n'existât pas lorsqu'il avait commis son forfait et souillé le
reste de la terre. Alçméon , à ce qu'on assure, fut longtemps à
THUCYDIDE. 8
134 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

comprendre le sens de cet oracle. Enfin il remarqua ces allu-


vions de l'Achéloüs et pensa que , depuis le temps où il avait
commis son parricide, cette terre devait avoir pris assez de
consistance pour lui servir d'habitation. Il se fixa donc aux en-
virons d'OEniades , s'y créa un royaume et donna à toute la con-
trée le nom de son fils Acarnan . Telle est la tradition répandue
au sujet d'Alcméon .
CIII. Les Athéniens et Phormion , partis de l'Acarnanie et
arrivés à Naupacte, retournèrent à Athènes au commencement
du printemps . Ils conduisaient, indépendamment des vaisseaux
qu'ils avaient pris, tous les combattants de condition libre ,
faits prisonniers dans les batailles navales. Ceux- ci furent
échangés homme pour homme.
Là-dessus se termina cet hiver, ainsi que la troisième année
de la guerre que Thucydide a racontée.
LIVRE III.

Quatrième année de la guerre . Troisième invasion de l'Attique par


les Péloponésiens , ch. 1. Lesbos , excepté Méthymne , se révolte
contre les Athéniens , ch . II-VI. - Expéditions maritimes des Athé-
niens contre le Péloponèse , Eniades et Leucade , ch. vii. 1 Les
Péloponésiens reçoivent les Lesbiens dans leur alliance ; discours
des députés de Lesbos , ch. vIII-XV. Envoi d'une flotte athénienne
contre le Péloponèse , ch. xvI. Forces maritimes déployées par
les Athéniens , ch . xvII . -- Les Athéniens commencent le siége de
Mytilène , ch . xvIII . Dans l'hiver, les Athéniens s'imposent une
première contribution de guerre et envoient Lysiclès lever le tribut
chez les alliés , ch . XIX. - Evasion d'une partie des Platéens assié-
gés , ch. XX-XXIV . Envoi du Lacédémonien Saléthos à Mytilène ,
ch. xxv. - Cinquième année de la guerre. Quatrième invasion de
l'Attique par les Pélcponésiens , ch. xxvI. - Reddition de Mytilène ,
ch. XXVII-XXVIII. ― Une flotte péloponésienne fait une apparition en
Ionie , ch. XXIX - XXXII . - Pachès lui donne la chasse , ch . XXXIII-XXXIV.
Il envoie à Athènes mille Mytiléniens prisonniers , ch . xxxv. ―
Les Athéniens condamnent à mort tous les Mytiléniens ; nouvelie
assemblée à ce sujet , ch . XXXVI. Discours de Cléon , ch. XXXVII -XL.
- Discours de Diodotos , ch. XLI-XLVIII. - Les Athéniens se conten-
tent de punir les coupables et de confisquer les terres de Lesbos ,
ch. XLIX- L. - Nicias s'empare de Minoa , ch . LI. GUES Reddition de
Platée , ch. LII. Discours des Platéens , ch. LIII-LIX. - Réplique
des Thébains , ch. LX-LXVII . Les Platéens sont mis à mort et leur
ville rasée , ch . LXVIII . ― Sédition de Corcyre , ch. LXIX- LXXXI. -
Digression sur les troubles de la Grèce , ch . LXXXII-LXXXV. -Envoi
d'une flotte athénienne en Sicile , ch . LXXXVI. - Dans l'hiver , recru-
descence de la peste à Athènes , ch . LXXXVII . -Expéditions des Athé-
niens en Sicile et des Rhégiens contre les îles d'Eole , ch. LXXXVIII .
· Sixième année de la guerre. Tremblements de terre et inonda-
tions sur divers points de la Grèce , ch . LXXXIX . - Les Athéniens
s'emparent de Messine , ch. xc. - Expédition maritime contre le
Péloponèse et contre Mélos , ch. xcI . -- Fondation d'Héraclée-Tra-
chinienne , ch . XCII-XCIII. - Expédition malheureuse de Démosthène
en Etolie , ch. XCIV-XCVIII. - — Expédition des Athéniens contre Locres ,
ch. XCIX . Tentative infructueuse des Lacédémoniens et des Eto-
liens contre Naupacte , ch . c-CII. -- Dans l'hiver. combats en Sicile.
136 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
ch. CIII. - Purification de Délos , ch . CIV. - Guerre des Acarna-
niens et des Ambraciotes , ch. CV-CXIV. Affaires de Sicile , ch. cxv.
Eruption de l'Etna , ch . cxvi .

I. L'été suivant (a) , à l'époque de la maturité des blés , les


Péloponésiens et leurs alliés, sous la conduite d'Archidamos ,
fils de Zeuxidamos et roi des Lacédémoniens , firent une expédi-
tion en 'Attique. Ils y campèrent et ravagèrent le pays . La cava-
lerie athénienne saisissait, comme d'ordinaire , toutes les occa-
sions d'attaquer les ennemis . Elle empêchait leurs troupes
légères de s'écarter du camp et d'infester les environs de la
ville. Les Péloponésiens restèrent en Attique aussi longtemps
qu'ils eurent des vivres ; ensuite ils repartirent, et chacun re-
gagna ses foyers.
II. L'invasion des Péloponésiens était à peine terminée ,
lorsque Lesbos, à l'exception de Méthymne, se souleva contre
les Athéniens . Ce projet, déjà conçu avant la guerre , mais
repoussé alors par les Lacédémoniens, dut se réaliser plus tôt
que les Lesbiens n'auraient voulu. Leur intention , était, avant
tout, d'obstruer l'entrée de leurs ports , d'élever des murailles ,
de construire des vaisseaux, enfin d'attendre l'arrivée de tout ce
qui devait leur venir du Pont- Euxin , savoir des archers, des
vivres et d'autres objets qu'ils avaient demandés . Mais l'entre-
prise fut dénoncée par les Ténédiens , leurs ennemis , par les
Méthymniens et même par quelques citoyens de Mytilène ,
hommes de parti et proxènes des Athéniens . Ils firent savoir
à Athènes qu'on forçait tous les habitants de Lesbos à se con-
centrer dans Mytilène , qu'on activait la défection , de concert
avec les Lacédémoniens et les Béotiens, unis aux Lesbiens par
l'identité de race 2 ; enfin que, si l'on n'y mettait ordre, Lesbos
serait perdue sans retour.
III. Les Athéniens , écrasés par la peste et par la guerre , qui ,
naissante encore , était déjà dans toute sa force, regardaient
comme une affaire grave d'avoir de plus sur les bras Lesbos ,
qui possédait une marine et une puissance encore intacte. D'a-
bord ils refusèrent d'ajouter foi à ces accusations , par la seule
raison qu'ils eussent voulu les trouver fausses. Mais une am-
bassade qu'ils envoyèrent aux Mytiléniens n'ayant pas obtenu
qu'ils cessassent leurs préparatifs et la concentration des Les-
biens à Mytilène , ils conçurent des craintes et se décidèrent à

(a) Quatrième année de la guerre, an 428 av. J.-C.


LIVRE III. 137

prendre les devants. Une flotte de quarante voiles était prête à


cingler contre le Péloponèse, sous le commandement de Cléip-
pidès fils de Dinias et de deux autres généraux. Elle eut ordre
de se rendre immédiatement à Lesbos . On savait que les Myti-
léniens en corps de nation devaient célébrer, hors de leur ville ,
une fête en l'honneur d'Apollon Maléen ¹ , et l'on pensait qu'avec
un peu de promptitude il serait possible de les surprendre.
Si ce projet réussissait , rien de mieux ; dans le cas contraire ,
on ordonnerait aux Mytiléniens de livrer leurs vaisseaux et de
raser leurs murailles ; s'ils refusaient, on leur ferait la guerre.
La flotte partit. Il se trouvait alors à Athènes dix trirèmes my-
tiléniennes , venues comme auxiliaires en vertu de l'alliance .
Les Athéniens les saisirent et mirent leurs équipages en état
d'arrestation. Heureusement pour les Mytiléniens , un homme
passa d'Athènes en Eubée , se rendit par terre à Gérestos ², y
trouva un vaisseau marchand qui mettait à la voile , et, favo-
risé par le vent, parvint en trois jours d'Athènes à Mytilène ³ .
Il annonça aux Mytiléniens l'attaque dont ils étaient menacés.
En conséquence , ils s'abstinrent de sortir pour la fête , et prirent
des mesures défensives en barricadant les travaux ébauchés
des murs et des ports.
IV. Les Athéniens arrivèrent peu de temps après . Leurs géné-
raux, voyant l'état des choses, notifièrent aux Mytiléniens les
ordres dont ils étaient porteurs ; et, sur leur refus d'obéir ,
ils se disposèrent à la guerre. Ainsi pris au dépourvu et brus-
quement forcés de combattre , les Mytiléniens s'avancèrent
sur leurs vaisseaux à quelque distance du port, dans le des-
sein d'engager la bataille ; mais ils furent mis en fuite par les
Athéniens. Ils entrèrent donc en pourparlers avec les généraux
pour obtenir, s'il se pouvait, à des conditions acceptables , l'é-
loignement de la flotte . Les généraux athéniens y consentirent,
ne se croyant pas en mesure de faire la guerre à toute l'île de
Lesbos . Un armistice fut conclu . Des députés mytiléniens ,
parmi lesquels se trouvait un des dénonciateurs que le repentir
avait saisi, se rendirent à Athènes pour solliciter le rappel de
la flotte , en s'engageant à rentrer dans le devoir. Mais , comme
on se défiait du succès de cette démarche, on fit partir en même
temps pour Lacédémone une trirème portant d'autres députés.
Ceux-ci échappèrent à la flotte athénienne qui mouillait à Maléa
au nord de la ville ; et, après une traversée des plus péni-
bles , ils arrivèrent à Sparte, où ils réclamèrent des secours .
V. Les députés envoyés à Athènes revinrent sans avoir rien
138 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

obtenu . Alors les Mytiléniens prirent les armes, de concert avec le


reste de l'île , excepté la ville de Méthymne. Celle- ci avait fourni
des renforts aux Athéniens , de même qu'Imbros , Lemnos et un
certain nombre d'autres alliés ' . Les Mytiléniens firent une sor-
tie générale contre le camp des Athéniens, et engagèrent une
action où ils n'eurent pas le désavantage. Ils n'osèrent cepen-
dant pas bivaquer sur le champ de bataille² ; mais ils rentrè-
rent dans leurs murs et ajournèrent toute espèce de mouvement
offensif jusqu'à l'arrivée des secours qu'ils attendaient du Pélo-
ponèse. Méléas de Lacédémone et Herméondas de Thèbes ve-
naient d'aborder à Lesbos. Envoyés avant la défection , ils n'a-
vaient pu devancer la flotte athénienne ; mais ils avaient réussi
à pénétrer dans le port sur une trirème après le combat. Ils
conseillèrent d'envoyer des députés sur une seconde trirème ;
ce qui fut fait.
VI. Cependant les Athéniens , encouragés par l'inaction de
l'ennemi , appelèrent à eux leurs alliés. Ceux-ci vinrent avec
d'autant plus d'empressement qu'ils n'entrevoyaient pour Les-
bos aucune chance favorable . Les Athéniens mouillèrent au
sud de Mytilène , établirent des deux côtés de la ville un camp
retranché et bloquèrent les ports . La mer se trouva ainsi fer-
mée aux Mytiléniens ; en revanche ils demeurèrent maîtres
de la terre (avec les autres Lesbiens qui étaient déjà venus à
leur secours), hormis le rayon des camps athéniens . Maléa ser-
vait aux assiégeants d'ancrage et de marché 2. Telles furent les
premières opérations du siége de Mytilène ..
VII. A la même époque de l'été, les Athéniens envoyèrent
autour du Péloponèse trente vaisseaux commandés par Asopios
fils de Phormion . Les Acarnaniens avaient demandé qu'on leur
donnât un fils ou un parent de Phormion pour général ' . Cette
flotte côtoya le Péloponèse et ravagea le littoral de la Laconie.
Ensuite Asopios renvoya la plupart de ses vaisseaux à Athènes ,
et n'en garda que douze avec lesquels il se rendit à Naupacte.
Il fit lever en masse les Acarnaniens et marcha contre la ville
d'OEniades 2. Lui-même remonta l'Achéloüs avec ses vaisseaux,
tandis que l'armée de terre dévastait la campagne. Comme la
ville résistait, Asopios licencia ses troupes de terre et fit voile
pour Leucade. Il alla descendre à Néricos ; mais , pendant sa
retraite, il fut tué , avec une partie de son monde, par les gens
du pays, joints à un détachement de la garnison . Les Athé-
niens remirent à la voile, après avoir fait avec les Leucadiens
une trêve pour enlever leurs morts.
LIVRE III. 1,39

VIII. Cependant les députés de Mytilène partis sur le pré-


mier vaisseau s'étaient rendus à Olympie, d'après l'invitation
des Lacédémoniens , qui voulaient que tous les alliés les enten-
dissent et délibérassent sur leur requête . C'était l'olympiade où
Doriéus de Rhode fut vainqueur pour la seconde fois . Après
la fête , on se réunit en conférence , et les Mytiléniens parlèrent
ainsi :
IX. « Lacédémoniens et alliés , le principe établi chez les
Grecs nous est connu. Le peuple qui , pendant la guerre , se
détache d'anciens alliés , est choyé par ceux qui ont intérêt à
l'accueillir ; mais il ne doit pas s'attendre à leur estime , parce
qu'il passe pour traître envers ses précédents amis . Cette opi-
nion serait fondée si , entre les transfuges et ceux dont ils se
séparent, il y avait réciprocité de sentiments et d'affection ,
équilibre de ressources et de forces, enfin absence de tout
motif valable de rupture ; mais, entre les Athéniens et nous ,
rien de pareil. Il n'est donc pas étrange que , ménagés
par eux pendant la paix, nous les abandonnions pendant la
guerre.
X. « Nous traiterons d'abord la question de justice et de pro-
bité , la première à considérer en fait d'alliance . Il ne peut
exister d'amitié durable entre les individus 'ni d'union sincère
entre les États sans une estime et une sympathie réciproques.
Du désaccord des opinions naissent les divergences de con-
duite.
<< Notre alliance avec les Athéniens date du jour où, vous reti-
rant de la guerre médique , vous leur laissâtes le soin de la
continuer. Toutefois nous entendions alors nous allier, non pas
avec les Athéniens pour asservir la Grèce , mais avec les Grecs
pour secouer le joug des Mèdes. Tant qu'ils commandèrent
avec équité, nous les suivimes avec zèle ; mais quand nous les
vîmes faire trêve à la haine contre les Mèdes pour marcher à
l'asservissément des alliés , nous commençâmes à concevoir des
craintes .
« Les alliés, hors d'état de concerter leur défense à cause de
la trop grande extension du droit de suffrage , furent successi-
vement asservis , excepté nous et les habitants de Chios . Dès
lors, n'ayant plus qu'une indépendance et une liberté nomi-
nales, nous accompagnâmes les Athéniens dans leurs expédi-
tions. Mais, instruits par les exemples antérieurs , nous n'avions
plus dans leur commandement la même confiance ; car il n'était
pas vraisemblable qu'après avoir subjugué une partie des
140 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

confédérés, ils ne fissent pas subir le même sort aux autres , dès
qu'ils en auraient les moyens .
XI. « Si nous avions tous conservé l'indépendance , nous
aurions été moins en butte à leurs entreprises . Mais, comme ils
tenaient déjà sous le joug la majeure partie des alliés , et que
nous étions les seuls avec lesquels ils marchaient encore de
pair, il était naturel qu'au milieu de la soumission générale ,
ils vissent de mauvais œil notre égalité exceptionnelle , d'autant
plus que leurs forces croissaient en proportion de notre isole-
ment. Or une crainte réciproque est l'unique garant de toute
alliance, parce que celui des deux associés qui pourrait avoir .
quelque velléité agressive est contenu par la pensée qu'il n'est
pas le plus fort.
« Si jusqu'à ce jour ils nous ont laissé l'indépendance , c'était
pour se ménager un argument spécieux , et parce qu'ils espé-
raient arriver plus aisément à leurs fins par la ruse que par la
violence. Ils n'étaient pas fâchés de pouvoir dire , en nous mon-
trant, que jamais des alliés leurs égaux ne les eussent aidés
contre des peuples qu'ils n'auraient pas jugés coupables. En
même temps ils poussaient les plus forts contre les plus faibles ,
afin d'avoir meilleur marché de ceux qui resteraient les der-
niers , lorsque autour d'eux tout serait soumis. Si au contraire
ils eussent débuté par nous , quand les autres alliés possédaient
encore leurs forces et avaient de plus un point d'appui , il leur
eût été moins facile de nous réduire . D'ailleurs ils n'étaient pas
sans inquiétude au sujet de notre marine ; ils craignaient qu'un
jour elle ne se réunît à la vôtre ou à toute autre et ne devînt
pour eux un danger.
<< Pour nous maintenir, nous avons dû prodiguer toute sorte
de flatterie à leur multitude et à ses chefs sans cesse renouve-
lés. Et cependant, à juger par l'exemple d'autrui , nous sentions
que cela ne pouvait durer longtemps , si la guerre actuelle ne
fût survenue .
XII. « Etait- ce donc une amitié ou une liberté solide que cet
échange mutuel de procédés peu sincères ? Ils nous ménageaient
par crainte durant la guerre ; nous les ménagions à notre tour
durant la paix ; et, tandis que chez les autres c'est l'affection
qui est mère de la fidélité , entre nous c'était la peur. Nous
étions retenus dans notre commune alliance moins par amitié
que par crainte, et la rupture devait venir de celui des deux
que la sécurité enhardirait.
« Il ne serait donc pas juste de nous blâmer pour avoir pris
LIVRE III. 141

l'initiative , sans attendre qu'ils se fussent démasqués . Si nous


eussions eu , comme eux , le pouvoir de préparer ou de différer
l'attaque, notre conduite aurait dû se régler sur la leur ; mais,
comme ils étaient toujours les maîtres de nous assaillir, nous
devions l'être aussi de nous défendre .
XIII. Telles ont été les raisons et les causes de notre dé-
fection . Elles prouvent clairement à qui veut les entendre que
nous n'avons pas agi sans des motifs suffisants ; elles justifient
nos défiances et nos mesures de sûreté . Du reste il y a long-
temps que notre résolution était formée . La paix durait encore ,
lorsque nous envoyâmes auprès de vous pour traiter de notre
défection ; mais nous fûmes arrêtés par votre refus. Aujour-
d'hui , sollicités par les Béotiens, nous avons répondu avec joie
à leur appel . Nous avons cru devoir nous séparer à la fois et
des Grecs ' , pour ne pas coopérer plus longtemps à leur oppres-
sion par notre alliance avec Athènes , mais pour aider au con-
traire à leur affranchissement ; et des Athéniens, pour les pré-
venir et ne pas être anéantis par eux dans la suite.
<< Il est vrai que notre défection s'est opérée brusquement et
sans préparatifs : raison de plus pour nous recevoir dans votre
alliance et nous envoyer un prompt secours. Par là vous ferez
voir que vous savez protéger ceux qui le méritent , et en même
temps causer du dommage à vos ennemis. Jamais l'occasion ne
fut plus belle. Les Athéniens sont aux abois par suite de l'épi-
démie et des dépenses toujours croissantes . Leurs vaisseaux
sont les uns occupés dans vos parages, les autres destinés à
agir contre nous. Il n'est donc pas à croire qu'il leur en reste
beaucoup de disponibles , si dès cet été vous faites une nouvelle
invasion par mer et par terre. Dans ce cas, de deux choses
l'une : ou ils ne pourront soutenir votre agression , ou ils éva-
cueront votre pays et le nôtre .
« Au surplus , ne vous figurez pas que vous allez courir des
dangers personnels en faveur d'une terre étrangère . Tel qui
croit Lesbos fort éloignée , en recueillera un avantage pro-
chain ; car ce n'est pas l'Attique , ainsi qu'on le pense , qui sera
le théâtre de cette guerre, mais les pays d'où les Athéniens
tirent leurs revenus. Or c'est de leurs alliés que proviennent
leurs richesses ; elles s'augmenteront encore s'ils nous subju-
guent ; car nul ne fera plus défection et nos tributs iront gros-
sir ceux qu'ils perçoivent. Notre condition sera même plus
triste que celle de leurs anciens sujets . Si , au contraire , vous
nous secourez avec zèle , vous y gagnerez ce qui vous manque
142 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

le plus, une marine puissante ; vous abattrez plus facilement


les Athéniens en leur enlevant leurs alliés , car chacun passera
plus hardiment de votre côté ; enfin vous échapperez au repro-
che qu'on vous fait de ne pas soutenir ceux qui secouent le
joug . En apparaissant comme des libérateurs , vous vous assu-
rerez une victoire définitive.
XIV. € Respecteż donc les espérances que les Grecs ont pla-
cées en vous. Respectez ce Jupiter Olympien, dans le temple
duquel nous sommes assis comme des suppliants. Secourez les
Mytiléniens en les recevant dans votre alliance. N'abandonnez
pas un peuple qui s'expose seul au danger, mais dont les suc-
cès et plus encore les revers rejailliront sur tous les Grecs ,
suivant que vous accueillerez ou rejetterez sa demande . Mon-
trez-vous tels que la Grèce l'attend et que nos craintes le ré-
clament. >>
XV. Ainsi parlèrent les Mytiléniens . Les Lacédémoniens et
leurs alliés , après les avoir entendus , agréèrent leur proposition
et admirent les Lesbiens dans leur alliance. Une invasion en
Attique fut résolue . Les alliés présents furent invités à envoyer
promptement à l'Isthme les deux tiers de leurs contingents. Les
Lacédémoniens s'y rendirent les premiers et préparèrent des
appareils pour traîner les vaisseaux par - dessus l'isthme , du
golfe de Corinthe dans celui d'Athènes ; car ils avaient l'inten-
tion d'agir à la fois sur terre et sur mer. Ils mettaient beaucoup
d'ardeur à ces travaux; mais les alliés , occupés de leurs ré-
coltes et déjà las de la guerre , ne se rassemblaient qu'avec
lenteur.
XVI. Les Athéniens sentirent que ces préparatifs étaient
inspirés par l'opinion qu'on avait de leur faiblesse. Aussi vou-
Iurent-ils prouver qu'on s'était mépris, et que, sans rappeler
leur flotte de Lesbos , ils pouvaient aisément repousser celle
dont les menaçait le Péloponèse . Ils armèrent donc cent vais-
seaux, qu'ils montèrent eux -mêmes avec les métèques ' ; les
2
chevaliers et les pentacosiomédimnes furent seuls exemptés .
Ils cinglèrent le long de l'Isthme, firent montre de leurs forces
et opérèrent des descentes sur tous les points du Péloponèse où
bon leur sembla . Les Lacédémoniens , déconcertés à cet aspect,
se crurent trompés par les Lesbiens et jugèrent l'entreprise
inexécutable. D'ailleurs ils ne voyaient point venir leurs alliés ,
et ils apprenaient que leur territoire était ravagé par les trente
vaisseaux en croisière autour du Péloponèse . Ils prirent donc
le parti de se retirer. Plus tard ils équivèrent une flotte à desti-
LIVRE 11. 143

nation de Lesbos, et demandèrent aux villes alliées de fournir


quarante navires. Alcidas fut désigné comme navarque pour
cette expédition . Les Athéniens montés sur les cent vaisseaux ,
voyant les Lacédémoniens effectuer leur retraite , en firent
autant de leur côté.
XVII . Jamais, depuis le début de cette guerre , les Athéniens
n'avaient eu à la fois en activité une flotte plus magnifique et
plus nombreuse. Cent vaisseaux gardaient l'Attique , l'Eubée et
Salamine ; cent autres croisaient autour du Péloponèse , sans
compter ceux qui étaient à Potidée ou ailleurs ; de sorte que,
dans ce seul été ; Athènes eut à flot deux cent cinquante navires .
Les frais nécessités par leur entretien, de même que par le
siége de Potidée, contribuèrent surtout à épuiser le trésor .
Chacun des hoplites qui assiégeaient Potidée recevait , pour lui
et son valet , deux drachmes par jour ' . Ils étaient trois mille
dès l'origine, nombre qui fut maintenu pendant toute la durée
du siége (le renfort amené par Phormion était de seize cents
hommes, mais ils repartirent avant la fin) . Cette même solde
était payée à tous les vaisseaux 2. Telle fut la grandeur de cet
armement naval , cause première de l'embarras des finances .
XVIII . Pendant le temps que les Lacédémoniens passèrent à
l'Isthme , les Mytiléniens et leurs alliés firent par terre une
expédition contre Méthymne, dont ils comptaient s'emparer par
trahison. Ils assaillirent la place ; mais , n'ayant pas trouvé les
facilités qu'ils attendaient, ils se retirèrent par Antissa , Pyrrha
et Érésos . Ils mirent ces villes en meilleur état de défense et
regagnèrent promptement leurs foyers. Après leur retraite , les
Méthymniens firent à leur tour une expédition contre Antissa ;
mais, dans une sortie, ils furent battus par les Antisséens et
par leurs auxiliaires . Ils perdirent beaucoup de monde ; le reste
se retira précipitamment.
Quand les Athéniens apprirent que les Mytiléniens étaient
maîtres de la terre et que l'armée de siége était insuffisante
pour les tenir bloqués , ils envoyèrent, dès les premiers jours
de l'automne, mille de leurs hoplites , commandés par Pachès
fils d'Épicouros . Ces soldats se rendirent à Mytilène en faisant
eux-mêmes l'office de rameurs. Dès leur arrivée , ils investirent
2
la ville d'un mur simple et élevèrent des forts sur divers points
des hauteurs. Mytilène se trouva ainsi étroitement cernée par
terre et par mer. Là-dessus l'hiver commença.
XIX. Le besoin d'argent pour ce siége força les Athéniens à
s'imposer alors pour la première fois une contribution de deux
144 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

cents talents ' . Ils envoyèrent, pour lever le tribut chez les al-
liés , douze vaisseaux commandés par Lysiclès, lui cinquième.
Ce général fit une tournée pour s'acquitter de sa mission ; mais ,
s'étant avancé en Carie à travers la plaine du Méandre , depuis
Myonte jusqu'à la colline de Sandios , il fut assailli par les
Cariens et les Anéites , et périt avec une grande partie de ses
soldats.
XX. Le même hiver, les Platéens , toujours assiégés par les
Péloponésiens et par les Béotiens, pressés d'ailleurs par la fa-
mine et sans espoir de secours ni d'Athènes ni d'autre part ,
formèrent, de concert avec les Athéniens enfermés dans Platée ,
le projet de sortir tous ensemble en franchissant de force , s'il
était possible , la muraille des ennemis . Ce plan fut conçu par
le devin Théénétos fils de Tolmidas et par le général Eumol-.
pidas fils de Daïmachos . Plus tard la moitié d'entre eux y re-
noncèrent, intimidés par la grandeur du danger. Deux cent
vingt volontaires persistèrent seuls dans ce projet d'évasion ,
qu'ils exécutèrent de la manière suivante.
Ils firent des échelles de la hauteur du mur obsidional . La
mesure en fut prise d'après le nombre des couches de bri-
ques placées dans la partie qui les regardait, et qu'on avait
négligé de crépir. Plusieurs à la fois comptaient ces couches ;
si quelques -uns se trompaient , la plupart devaient rencontrer
juste. D'ailleurs ils répétaient souvent l'opération , et la distance
n'était pas si grande qu'on ne pût apercevoir distinctement la
partie du mur qu'il s'agissait d'examiner. C'est ainsi qu'ils me-
surèrent la hauteur des échelles, en la calculant d'après l'épais-
seur d'une brique .
XXI. La circonvallation consistait en une double enceinte .
L'une de ses faces regardait Platée , l'autre était tournée vers
l'extérieur, pour s'opposer aux secours qui pouvaient venir
d'Athènes. Entre les deux revers s'étendait un espace de seize
pieds , distribué en logements pour l'armée de siége . Ces loge-
ments étaient contigus, de telle sorte que le tout ensemble pré-
sentait l'apparence d'un gros mur unique, crénelé des deux
côtés. De dix en dix créneaux s'élevaient de grandes tours ,
d'une largeur égale à celle du mur et occupant tout l'intervalle
compris entre les deux faces. On n'avait point réservé de che-
min de ronde en dehors des tours ; celles- ci communiquaient
par des ouvertures pratiquées dans leur centre . La nuit, par les
temps pluvieux, les sentinelles abandonnaient la garde des
créneaux et se retiraient dans les tours, qui étaient couvertes
LIVRE III. 145

et peu distantes l'une de l'autre. Telle était la circonvallation


de Platée .
XXII. Quand tout fut prêt, les assiégés attendirent une nuit
orageuse, où la pluie , le vent et l'absence de lune favorisassent
leur évasion. A leur tête marchaient les auteurs de l'entreprise.
Ils franchirent premièrement le fossé qui les environnait¹ ;
puis ils atteignirent la circonvallation , sans être découverts
par les sentinelles, qui ne pouvaient les apercevoir dans les
ténèbres , ni les entendre à cause des mugissements du vent.
D'ailleurs ils marchaient fort écartés les uns des autres, de
peur que le choc de leurs armes ne les trahît. Ils étaient leste-
ment équipés, et chaussés du pied gauche seulement , pour
affermir leurs pas dans la glaise. Ils se dirigèrent vers une
des courtines crénelées qui séparaient les tours et qu'ils sa-
vaient n'être pas gardées . D'abord ceux qui portaient les échelles
les dressèrent contre la muraille ; ensuite montèrent douze
hommes armés à la légère , avec l'épée et la cuirasse , conduits
par Amméas fils de Corèbos , qui escalada le premier. Après lui
montèrent ses douze compagnons , six vers chacune des deux
tours. Ils étaient suivis par d'autres soldats armés à la légère
et munis simplement de lances , afin de ne pas être gênés dans
leur marche. D'autres, placés derrière eux , portaient leurs bou-
cliers , qu'ils devaient leur passer lorsqu'on serait près de
l'ennemi.
La plupart étaient déjà parvenus sur la muraille , lorsqu'ils
furent découverts par les sentinelles retirées dans les tours . Un
Platéen , en saisissant un créneau , avait détaché une brique . Au
bruit de la chute , un cri s'élève ; en un clin d'œil les assiégeants
se précipitent sur le mur, sans savoir, dans cette nuit sombre
et orageuse, d'où provenait l'alarme. En même temps , les Pla-
téens demeurés dans la ville font une fausse attaque contre la
partie du mur opposée à celle par où leurs gens montaient.
Les Péloponésiens déconcertés restent immobiles , nul n'osant
quitter son poste dans l'ignorance de ce qui se passait. Cepen-
dant les trois cents hommes qui avaient ordre d'accourir en
cas d'alerte, s'avancent en dehors du mur vers l'endroit d'où
partent les cris. Des signaux sont élevés pour donner l'éveil à
Thèbes ; mais les Platéens de la ville élèvent sur leurs mu-
railles un grand nombre d'autres signaux préparés dans ce
but. Ils voulaient donner le change à l'ennemi et prévenir son
arrivée, jusqu'à ce que leurs gens eussent effectué leur sortie
et gagné un lieu de sûreté.
THUCYDIDE . 9
146 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
" XXIII . Pendant ce temps , les Platéens exécutaient leur esca-
lade. Les premiers arrivés au sommet s'emparèrent des deux
tours en massacrant les sentinelles , et occupèrent les passages
pour les intercepter à l'ennemi. Ensuite ils appliquèrent des
échelles de la plate-forme contre les tours et y firent monter
quelques-uns des leurs, afin d'écarter à coups de traits, d'en
haut comme d'en bas, les adversaires qui s'approchaient. Au
même instant le reste des Platéens dresse à la fois beaucoup
d'échelles , arrache les créneaux et franchit la plate-forme. A
mesure qu'ils traversaient, ils s'arrêtaient sur le bord du fossé ' ,
d'où ils lançaient des flèches et des javelots contre les ennemis
qui longeaient le mur pour s'opposer à leur passage. Quand
tous eurent traversé, ceux qui étaient dans les tours descen-
dirent les derniers, non sans peine, et gagnèrent le fossé. En
ce moment les trois cents s'avançaient contre eux avec des
torches. Mais les Platéens , qui se trouvaient dans l'obscurité,
les discernaient mieux, et, du bord du fossé, les perçaient de
flèches et de javelots , en visant aux endroits découverts ² , tan-
dis que l'ennemi, ébloui par la lueur des flambeaux, avait peine
à les distinguer eux-mêmes au milieu des ténèbres. Ainsi tous
les Platéens jusqu'au dernier parvinrent à franchir le fossé. Ce
ne fut pas sans difficulté ni sans efforts ; car il s'y était formé
une glace mince et sans consistance, comme il arrive par un
vent d'est plutôt que de nord. La neige tombée pendant la nuit
avait tellement rempli d'eau le fossé qu'ils en eurent jusqu'aux
aisselles. Au reste , la violence de l'orage facilita leur éva-
sion.
XXIV. A partir du fossé, les Platéens en colonne serrée pri-
rent le chemin de Thèbes, en laissant à main droite le monu-
ment du héros Andocratès . Ils pensaient bien qu'on ne les
soupçonnerait pas de tenir la route qui menait chez leurs enne-
mis. Cependant ils voyaient les Péloponésiens les poursuivre
avec des flambeaux sur le chemin qui conduit à Athènes par le
Cithéron et les Dryoscéphales . Durant six ou sept stades , les
Platéens suivirent la route de Thèbes ; ensuite ils la quittèrent
pour se jeter dans la montagne du côté d'Érythres et d'Hysies³.
Une fois sur les hauteurs , ils gagnèrent Athènes, où ils arri-
vèrent au nombre de deux cent douze. Ils étaient partis plus
nombreux ; mais quelques-uns étaient rentrés dans la ville
avant l'escalade , et un archer avait été pris sur le bord du
fossé extérieur. Après une poursuite inutile, les Péloponésiens
reprirent leurs positions . Les Platéens restés dans la ville
LIVRE III. 147

étaient dans une ignorance absolue ; et, sur le rapport de ceux


qui avaient rebroussé chemin, ils croyaient que personne n'é-
tait échappé. Dès qu'il fit jour, ils envoyèrent un héraut pour
l'enlèvement des morts ; mieux informés, ils se tinrent tran-
quilles. C'est ainsi que les Platéens s'évadèrent en traversant
les lignes des ennemis .
XXV. Sur la fin du même hiver , le Lacédémonien Saléthos
fut envoyé de Sparte à Mytilène sur une trirème. Il alla abor-
der à Pyrrha , d'où , continuant sa route par terre, il parvint
à s'introduire dans Mytilène en franchissant par un ravin la
circonvallation . Il apportait aux magistrats la double assu-
rance d'une prochaine invasion en Attique et de l'envoi de qua-
rante vaisseaux à leur secours. Il ajoutait qu'il avait pris les
devants pour le leur annoncer et pour s'occuper des autres
dispositions. Les Mytiléniens reprirent courage et ne songèrent
plus à traiter avec les Athéniens . Là-dessus l'hiver se termina,
et avec lui la quatrième année de la guerre que Thucydide a
racontée .
XXVI . L'été suivant (a) , les Péloponésiens expédièrent leurs
quarante-deux vaisseaux à Mytilène , sous les ordres du na-
varque Alcidas , tandis qu'eux-mêmes et leurs alliés envahis-
saient l'Attique . Ils voulaient que les Athéniens , doublement
menacés , fussent moins en état d'attaquer la flotte qui cinglait
vers Mytilène. L'invasion fut commandée par Cléoménès , oncle
et tuteur de Pausanias fils de Plistoanax , qui était roi , mais
encore enfant . Ils détruisirent tout ce qui avait reverdi dans
les cantons de l'Attique antérieurement ravagés et tout ce qu'a-
vaient épargné les invasions précédentes . Celle- ci fut , après la
seconde , la plus désastreuse pour les Athéniens ; car les enne-
mis, s'attendant de jour en jour à apprendre de Lesbos quelques
grandes nouvelles de leur flotte qu'ils croyaient déjà arrivée,
étendirent leurs ravages sur la majeure partie du pays. Comme
leurs espérances ne se réalisaient pas et que leurs provisions
étaient épuisées , l'armée fut dissoute et chacun regagna ses
foyers.
XXVII. Cependant les vaisseaux péloponésiens n'arrivaient
pas à Mytilène et les vivres commençaient à y manquer. Une
circonstance particulière hâta la capitulation. Saléthos , qui lui-
même ne comptait plus sur l'arrivée de la flotte et qui voulait
faire une sortie contre les Athéniens, donna des armes aux

(a) Cinquième année de la guerre, 427 av. J. C.


148 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

hommes du peuple , qui jusqu'alors en avaient été dépourvus '.


Une fois armés, ils n'obéirent plus à leurs chefs ; mais , s'as-
semblant tumultueusement, ils exigèrent que les riches expo-
sassent en public le blé qu'ils tenaient caché et le distribuassent
à chacun ; ils menaçaient, dans le cas contraire, de traiter avec
les Athéniens et de leur livrer la ville.
XXVIII. Les magistrats , sentant qu'il n'était plus possible
de contenir le peuple et qu'ils avaient tout à craindre s'ils
étaient exclus de la capitulation , traitèrent en commun avec
Pachés et son armée . Il fut stipulé que les Mytiléniens s'en
remettraient à la décision des Athéniens ; qu'ils recevraient
l'armée dans leur ville ; qu'enfin ils enverraient à Athènes
des députés chargés de défendre leurs intérêts. Jusqu'à leur
retour, Pachès s'engageait à ne mettre ni aux fers ni en escla-
vage ni à mort aucun Mytilénien. Tels furent les termes de
la capitulation. Néanmoins ceux qui avaient entretenu le
plus de relations avec Lacédémone , furent saisis de frayeur
à l'entrée de l'armée ; et , ne se croyant pas en sûreté , ils allè-
rent s'asseoir au pied des autels . Pachès les releva sous pro-
messe de ne leur faire aucun mal , et les mit en dépôt à Téné-
dos, jusqu'à ce que les Athéniens eussent statué sur leur sort.
Il détacha aussi quelques trirèmes contre Antissa , dont il se
rendit maître , et prit toutes les mesures militaires qu'il jugea
convenables.
XXIX. Cependant les Péloponésiens montés sur les quarante
vaisseaux, au lieu de faire diligence comme ils l'auraient dû,
perdirent beaucoup de temps autour du Péloponèse et opérérent
leur traversée avec lenteur. Leur départ.ne fut connu à Athènes
qué lorsqu'ils eurent touché à Délos . Ensuite ils atteignirent
Icaros et Myconos ' , où ils reçurent le premier avis de la red-
dition de Mytilène. Voulant s'assurer du fait, ils allèrent des-
cendre à Embatos sur la terre d'Erythres, où ils abordèrent
sept jours après la prise de la ville. La nouvelle s'étant confir
mée, ils tinrent conseil sur le parti à prendre. Teutiaplos d'Élis
prononça le discours suivant :
XXX. << Alcidas et vous, généraux péloponésiens mes collé-
gues, mon avis est que nous cinglions sur Mytilène avant d'a-
voir été signalés . Les ennemis étant depuis peu maîtres de la
ville , tout porte à croire que nous les trouverons faisant mau-
vaise garde, surtout du côté de la mer, où ils ne s'attendent pas
à être attaqués et où nous sommes en forces. Il est même pro-
bable que leurs soldats sont dispersés négligemment dans les
LIVRE III. 149

maisons , suivant l'usage des vainqueurs . Si donc nous les as-


saillons de nuit et à l'improviste, j'espère qu'avec le concours
de ceux des habitants qui nous sont restés fidèles , nous aurons
le dessus. Ne reculons pas devant le danger. Il ne s'agit ni
plus ni moins que d'une surprise de guerre . Or le général qui ,
étant lui-même sur ses gardes , sait tenter de pareils coups de
vigueur, est ordinairement victorieux. »>
XXXI. Alcidas demeura sourd à ce langage. Alors quelques
exilés ioniens , de même que les Lesbiens embarqués sur la
flotte , lui conseillèrent, à défaut de ce projet, d'occuper une
des villes ioniennes ou Cymé d'Éolide , qui servirait de point
d'appui pour insurger l'Ionie. A les entendre, il y avait espoir
d'y réussir ; car personne n'avait vu de mauvais œil leur arri-
vée. Quoi de mieux que de tarir la source principale des revenus
des Athéniens ou du moins de leur occasionner les frais d'une
croisière ? Ce serait d'ailleurs le moyen d'attirer Pissouthnès
dans l'alliance . Mais Alcidas ne goûta pas davantage cette
proposition . Du moment que Mytilène lui échappait , il n'eut
rien de plus pressé que de regagner le Péloponèse .
XXXII . Parti d'Embatos, il rangea la côte et prit terre a
Myonnésos , place appartenant aux Téiens. Là il égorgea la
plupart des prisonniers qu'il avait faits pendant la traversée ' ;
après quoi il alla mouiller à Ephèse. Alors des Samiens d'Anéa²
vinrent lui représenter qu'il s'y prenait bien mal pour affranchir
la Grèce , en mettant .à mort des hommes qui n'avaient pas
porté les armes contre lui, qui ne lui étaient pas hostiles , et
que la nécessité seule retenait dans l'alliance d'Athènes . Une
telle conduite, disaient-ils , n'était guère propre à lui concilier
ses ennemis , mais bien plutôt à lui aliéner ses amis. Alcidas
prêta l'oreille à cette remontrance et relâcha les prisonniers
qu'il avait encore, et qui étaient de Chios et d'autres endroits .
En effet, loin de fuir à la vue de ses vaisseaux, on s'en appro-
chait au contraire, parce qu'on les croyait d'Athènes ; on n'i-
maginait pas que jamais une flotte péloponésienne pût aborder
en Ionie tant que les Athéniens auraient l'empire de la mer.
XXXIII . Alcidas partit précipitamment d'Ephèse , d'où son
retour eut l'air d'une véritable fuite . Pendant qu'il était encore
dans les eaux de Claros , il avait été avisé par la Salaminienne
et par la Paralienne , qui venaient d'Athènes . Craignant donc
d'être poursuivi , il gagna le large , bien décidé à ne pas toucher
ailleurs qu'au Péloponèse, à moins d'absolue nécessité.
Pachès et les Athéniens apprirent du pays d'Erythres l'appa-
150 . GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

rition de la flotte péloponésienne . Cette nouvelle se confirma


bientôt de toutes parts. L'Ionie étant dépourvue de places
fortes , on craignit grandement que les Péloponésiens ne
pillassent, même sans avoir l'intention d'y séjourner, les villes
qui se trouvaient sur leur passage. Enfin la Salaminienne et la
Paralienne vinrent elles-mêmes annoncer qu'elles avaient vu
les ennemis près de Claros . En conséquence Pachès leur donna
aussitôt la chasse. Il poussa même jusqu'à l'île de Patmos ;
mais , désespérant de les atteindre, il rebroussa chemin ; et,
dès l'instant qu'il ne les avait pas rencontrés en mer, il s'estima
heureux qu'ils ne se fussent pas enfermés dans un camp, ce qui
l'eût condamné à établir un corps d'observation et une croi-
sière.
XXXIV. Pachès revint en serrant la côte et relâcha à Notion.
Cette place servait de port aux Colophoniens. Un certain nombre
d'entre eux s'y étaient retirés depuis que la ville haute avait
été prise par Itamanès et par les Barbares, qu'une faction avait
appelés . Cet événement avait coïncidé avec la seconde invasion
des Péloponésiens en Attique. Etablis à Notion, les réfugiés
colophoniens avaient recommencé leurs querelles. Une partie
d'entre eux avaient obtenu de Pissouthnès un renfort d'Arca-
diens et de Barbares , les avaient placés dans un quartier re-
tranché ; et, de concert avec ceux de la ville haute qui tenaient
pour les Mèdes, ils faisaient la loi dans Notion. Leurs adver-
saires , forcés de s'expatrier, appelèrent Pachès. Celui-ci de-
manda une entrevue à Hippias , chef des Arcadiens qui occu-
paient le quartier retranché , sous promesse de l'y réinstaller
sain et sauf, dans le cas où l'on ne parviendrait pas à s'entendre.
Mais Hippias ne fut pas plus tôt sorti, que Pachès l'arrêta, sans
toutefois le mettre aux fers ; puis il assaillit brusquement la
citadelle , s'en empara par surprise , et fit main basse sur les
Arcadiens et sur les Barbares qui s'y trouvaient. Après quoi,
selon sa promesse, il y reconduisit Hippias ; mais , aussitôt
entré , il le fit saisir et percer de traits. Là-dessus Pachès rendit
Notion aux Colophoniens , à l'exclusion des partisans des Mèdes.
Plus tard les Athéniens peuplèrent Notion par l'envoi d'une co-
lonie, conformément à leurs propres lois . Ils y réunirent tous
les Colophoniens disséminés en différentes villes.
XXXV. De retour à Mytilène, Pachès soumit Pyrrha et Éré-
sos. Il prit le Lacédémonien Saléthos , caché dans la ville , et le
fit partir pour Athènes en compagnie des Mytiléniens déposés à
Ténédos et de tous ceux qu'il regardait comme auteurs de la
LIVRE III . 151

défection. Il renvoya pareillement la majeure partie de ses


troupes ; et , demeurant avec le reste, il organisa à son gré
Mytilène et toute l'île de Lesbos.
XXXVI. A l'arrivée des Mytiléniens et de Saléthos , les Athé-
niens mirent immédiatement à mort ce dernier, malgré toutes
les offres qu'il put leur faire, notamment d'éloigner de Platée
les Péloponésiens , qui l'assiégeaient encore . Ils délibérèrent
ensuite sur le sort des prisonniers. Dans un premier accès de
colère, ils résolurent de faire périr, non-seulement ceux qui se
trouvaient à Athènes , mais encore tous les Mytiléniens adultes ,
et de réduire en esclavage les femmes et les enfants . Ils ne leur
pardonnaient pas de s'être portés à la révolte sans avoir , comme
les autres , l'excuse de l'assujettissement . Ce qui augmentait
l'irritation , c'était que la flotte péloponésienne eût osé s'aven-
turer en Jonie au secours de Mytilène ; on y voyait l'indice
d'une rébellion ourdie de longue main. Une trirème fut dépê-
chée à Paches pour lui notifier le décret et pour lui prescrire
de passer immédiatement les Mytiléniens au fil de l'épée . Mais ,
dès le lendemain , les Athéniens se prîrent à considérer l'énor-
mité d'une sentence qui frappait un peuple entier au lieu des
seuls coupables. Instruits de ce changement, les députés myti-
léniens et leurs amis d'Athènes obtinrent des magistrats qu'ils
remissent l'affaire en délibération . Ils y réussirent sans peine,
car la majorité des citoyens désirait revenir sur le vote précé-
dent. L'assemblée se forma sur-le-champ . On y entendit plu-
sieurs orateurs , entre autres Cléon fils de Cléénétos " , le même
qui, la veille, avait fait passer le décret de mort . A cette époque ,
Athènes n'avait pas de citoyen plus violent ni plus écouté du
peuple. Il monta de nouveau à la tribune et prononça le discours
suivant :
XXXVII. « Mainte fois j'ai reconnu qu'un État démocratique
n'est pas fait pour commander à d'autres ; mais rien ne le prouve
mieux que votre revirement actuel au sujet des Mytiléniens . Ac-
coutumés dans vos rapports journaliers à une confiance et une
sécurité réciproques , vous avez les mêmes dispositions envers
vos alliés ; et, lorsque leurs discours ou la commisération vous
ont fait commettre quelque faute , vous ne songez pas que votre
faiblesse entraîne pour vous un péril, sans vous attirer de leur
part aucune reconnaissance . Vous oubliez que votre domination
est une véritable tyrannie ' , imposée à des hommes malinten-
tionnés , qui n'obéissent qu'à contre-cœur, qui ne vous savent
aucun gré des concessions, onéreuses pour vous , que vous leur
152 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

faites ; mais qui se soumettent moins par déférence que par né-
cessité.
Le pire à mes yeux serait qu'il n'y eût rien de stable dans
nós résolutions , et que nous ne comprissions pas que mieux
vaut pour un État avoir des lois imparfaites , mais immuables ,
que des lois excellentes , mais dépourvues de sanction ; que l'i-
gnorance modeste est préférable à l'habileté vaniteuse ; et qu'en
général les États sont mieux gouvernés par les médiocrités que
par les intelligences d'élite . En effet les uns veulent se montrer
plus sages que les lois et, dans les assemblées , faire toujours
prévaloir leurs opinions personnelles , parce que c'est l'arène-
la plus favorable à leurs talents, - et voilà surtout ce qui perd
les républiques ; - tandis que les autres, se défiant de leurs
propres lumières , ne croient pas en savoir plus que les lois . Ils
sont, il est vrai , moins aptes à critiquer les discours d'un haran-
gueur habile ; mais, jugeant avec plus de modestie que d'ému-
lation , ils évitent mieux les écueils . C'est là ce que nous devons
faire, nous autres orateurs , au lieu de nous engager dans une
lutte d'éloquence ou de génie, et de vous donner des conseils
contraires à nos propres convictions.
XXXVIII . « Pour moi , je suis toujours le même. Je m'é-
tonne qu'on ait remis en discussion l'affaire des Mytiléniens et
provoqué des atermoiements qui sont tout en faveur des cou-
pables. La colère de l'offensé contre l'offenseur va en s'amor-
tissant ; mais, quand la répression suit immédiatement l'outrage,
la balance est égale et la vengeance complète.
« Je serais curieux de savoir qui osera me contredire et
soutenir que les crimes des Mytiléniens nous sont utiles , ou
nos revers préjudiciables à nos alliés. Evidemment, à grand
renfort de sophismes , il s'évertuera pour établir que ce qui a
été voté ne l'a pas été; ou , séduit par l'appât du gain, il es-
sayera, par un discours captieux, de vous faire prendre le
change. Par malheur, dans ces sortes de luttes , c'est à d'autres
que la ville décerne les prix ; pour elle , elle ne se réserve que
les dangers .
« La faute en est à vous, qui présidez mal aux débats ; à
vous, qui vous posez en spectateurs des paroles et en audi-
teurs,des actions. Vous jugez des éventualités futures d'après
le dire des beaux parleurs. Pour les faits accomplis , vous en
croyez moins vos yeux que vos oreilles , parce que vous êtes
éblouis par le prestige de l'éloquence . Éternellement dupes de
la nouveauté des discours, vous refusez de suivre une parole
LIVRE III. 153

éprouvée. Esclaves de ce qui est étrange , dédaigneux de ce


qui est connu, vous aspirez tous au talent oratoire ; et , si vous
ne pouvez y parvenir, vous prenez le contre- pied de ceux qui
le possèdent, afin de n'avoir pas l'air de vous mettre à la re-
morque d'une opinion , mais d'être les premiers à applaudir à
une saillie. Prompts à courir au-devant des paroles , lents à
prévoir les résultats ; cherchant je ne sais quel monde ima-
ginaire, sans jamais vous inquiéter de la réalité ; en un mot ,
fascinés par le plaisir de l'ouïe , et plus semblables à des
auditeurs de sophistes qu'à des citoyens délibérant sur les in-
térêts de l'État.
XXXIX . « Je m'efforce de vous détourner de ces travers ,
en vous montrant que les Mytiléniens vous ont fait le plus
sanglant outrage que jamais ville ait commis . Quant à moi , si
quelques cités se révoltent par impatience de votre joug ou
par l'effet d'une pression étrangère, je suis presque tenté de
leur pardonner. Mais pour des gens qui habitent une île , une
place fortifiée, que nos ennemis peuvent attaquer seulement
du côté de la mer , où même ils ont assez de vaisseaux pour
se défendre ; qui d'ailleurs se gouvernent par leurs propres
lois et qui étaient traités par vous avec une distinction sans
exemple, je demande si une pareille conduite ne constitue
pas un complot , une insurrection plutôt qu'une défection ,
car la défection suppose une oppression violente, enfin une
connivence avec nos plus cruels ennemis pour les aider à nous
détruire .
<< Leur crime est bien plus grand que si , appuyés sur leurs
propres forces , ils nous eussent fait une guerre déclarée . Rien ne
leur a servi de leçon : ni le malheur des peuples qui , après s'être
révoltés , sont retombés sous le joug ; ni la prospérité dont ils
jouissaient, et qui aurait dû les retenir sur le bord de l'abîme .
Pleins de confiance en l'avenir et d'un espoir au- dessus de leurs
forces, quoique au-dessous de leurs prétentions , ils ont entrepris
la guerre et préféré la violence à la justice. Dès qu'ils se sont
crus les plus forts , ils nous ont assaillis sans avoir reçu d'in-
jures . Combien d'États ne voit - on pas, brusquement parvenus
à une prospérité inespérée , en concevoir de l'arrogance ? Au
contraire un bonheur qui n'a rien d'imprévu est moins dan-
gereux que celui qu'on n'attendait pas . Il est plus aisé de
repousser la mauvaise fortune que de se maintenir dans la
bonne.
« Il y a longtemps que nous aurions dû traiter les Mytilé-
154 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

niens comme les autres. C'eût été le moyen de les rendre moins
orgueilleux ; car il est naturel à l'homme de mépriser qui
le ménage et de respecter qui lui tient tête . Qu'ils reçoivent
donc aujourd'hui la juste punition de leur conduite .
« Et n'allez pas absoudre la multitude pour vous en prendre
aux aristocrates seuls. Ils sont tous également coupables.
Ils n'avaient qu'à recourir à vous, et ils seraient maintenant
réintégrés dans leurs droits ; mais ils ont préféré s'exposer
avec les aristocrates et seconder leur insurrection. Songez -y
bien si vous infligez le même châtiment aux alliés qui se ré-
voltent sous la pression des ennemis et à ceux dont la défec-
tion est spontanée , croyez-vous qu'il en soit un seul qui ne
saisisse le plus léger prétexte pour s'insurger, quand il aura
en perspective, s'il réussit , la liberté ; s'il échoue , un sort
supportable ? Nous au contraire, il nous faudra à chaque in-
stant risquer nos biens et nos vies. Vainqueurs, nous ne trou-
verons qu'une ville ruinée, et nous perdrons à tout jamais les
revenus qui alimentent nos forces ; vaincus, nous aurons de nou-
veaux ennemis ajoutés à ceux que nous avons déjà ; et letemps
qu'il eût fallu employer contre ceux-ci sera mis à combattre
nos propres alliés.
XL. « Il ne faut donc pas les bercer de l'espérance que,
moyennant des discours ou de l'argent, ils obtiendront le par-
don d'une faute imputable à la nature humaine . Ce n'est pas
malgré eux qu'ils ont failli ; c'est sciemment qu'ils ont cherché
à nous nuire. Or les fautes involontaires sont les seules qui
méritent le pardon.
Quant à moi , je persiste à penser que vous ne devez pas
revenir sur votre décision précédente , si vous voulez éviter
les trois écueils les plus dangereux pour un empire, savoir la
pitié , le charme des discours et l'indulgence. La pitié ne doit
s'accorder qu'à charge de revanche, et nullement à ceux qui ,
insensibles aux ménagements , ne cesseront pas d'être nos en-
nemis mortels. Les orateurs dont les discours vous enchantent
trouveront une arène dans d'autres occasions moins sérieuses
que celle-ci , où la ville, pour un instant de plaisir, éprouvera
un immense dommage, tandis qu'eux-mêmes seront payés de
leur faconde à beaux deniers comptants. Enfin l'indulgence
est due aux hommes qui vous sont et vous seront dévoués ,
mais non pas à ceux qui resteront toujours les mêmes, et
qui n'en persévéreront pas moins dans leur hostilité contre
vous.
LIVRE III. 155

« Je me résume en peu de mots. Si vous suivez mes con-


seils, vous agirez avec justice envers les Mytiléniens et avec
utilité pour vous -mêmes. Dans le cas ,contraire , vous ne ga-
gnerez point leur affection et vous aurez prononcé votre propre
déchéance . En effet, si leur révolte a été légitime, votre em-
pire ne saurait l'être; et si, tout injuste qu'il est, vous croyez
à propos de le conserver, l'intérêt, sinon le droit, vous fait un
devoir de les punir. Autrement il ne vous reste plus qu'à
vous démettre et à faire acte d'héroïsme à l'abri du danger ' .
<< Traitez-les donc comme ils vous eussent traités vous-mêmes.
Echappés au danger, ne vous montrez pas moins sensibles à
l'outrage que les provocateurs . Pensez à la manière dont ils
n'auraient pas manqué d'en user envers vous , s'ils eussent
remporté la victoire , surtout ayant eu les premiers torts. Lors-
qu'on attaque sans motif, on poursuit son adversaire à ou-
trance, parce qu'il y aurait du danger à le laisser debout ; car un
ennemi gratuitement offensé est plus redoutable, s'il échappe,
que celui envers qui les torts se balancent.
<< Ne vous trahissez donc pas vous-mêmes. Reportez-vous
par la pensée à l'instant où vous étiez menacés . Songez qu'alors
rien ne vous eût coûté pour les réduire. Rendez- leur la pa-
reille, sans vous laisser apitoyer sur leur sort actuel et sans
oublier le danger naguère suspendu sur vos têtes . Punissez-
les comme ils le méritent ; et par leur exemple , faites voir
clairement aux alliés que toute défection aura la mort pour
salaire. Une fois qu'ils en seront convaincus , vous aurez
moins souvent à négliger vos ennemis pour combattre vos
alliés.D
XLI. Ainsi parla Cléon . Après lui Diodotos fils d'Eucratès ,
qui dans la précédente assemblée avait le plus vivement com-
battu le décret de mort porté contre les Mytiléniens , monta à
la tribune et s'exprima en ces termes :
XLII. « Ce n'est pas moi qui me plaindrai de ce qu'on a
remis en discussion l'affaire des Mytiléniens , ou qui désap-
prouverai jamais qu'on délibère plus d'une fois sur des causes
majeures. Deux défauts me paraissent surtout contraires à la
sagesse des délibérations , savoir la précipitation et la colère.
L'une provient de légèreté, l'autre d'entêtement et d'igno-
rance.
« Quant à celui qui soutient que le langage n'est pas l'inter-
prète des faits, il faut qu'il soit ou aveugle ou intéressé : .
aveugle, s'il croit qu'il existe un autre moyen de jeter du jour
156 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
·
sur les questions obscures ; intéressé, si voulant proposer
quelque turpitude et désespérant d'appuyer par de bonnes
raisons une mauvaise cause, il cherche par d'adroites calom-
nies à intimider ses adversaires et ses auditeurs. Mais la pire
espèce est celle des gens qui accusent leurs antagonistes de
trafiquer de l'art de la parole. S'ils se bornaient à les taxer
d'ineptie, la défaite ferait perdre la réputation d'habileté , non
celle de probité ; mais , devant le reproche de corruption , l'on
a beau triompher, le soupçon reste ; et, si l'on succombe , on
paraît à la fois dénué de talent et de vertu.
« Tout cela ne fait pas le compte de la république ; car la
crainte la prive de ses conseillers. Les choses iraient bien
mieux pour elle , si de tels citoyens étaient de moins habiles
orateurs ; ils ne l'entraîneraient pas dans tant de fautes. Le bon
citoyen n'use pas d'intimidation envers ses adversaires ; il
lutte contre eux à armes égales et ne doit son triomphe qu'à
la supériorité de ses avis . De son côté , une sage république ,
sans refuser au meilleur conseiller les honneurs qu'il mérite,'
ne devrait pas les exagérer. Loin d'infliger une peine à l'ora-
teur qui succombe , elle devrait ne lui témoigner aucune défa-
veur. De cette façon , le vainqueur se laisserait moins aller,
par le désir de nouvelles distinctions, à parler contre son sen-
timent et pour plaire à la multitude , comme aussi le vaincu
n'aurait pas recours à la flatterie pour regagner la popula-
rité.
XLIII. « Nous faisons précisément le contraire. Ce n'est pas
tout pour peu qu'un orateur soit soupçonné de vues intéres-
sées, quelle que soit l'excellence de ses conseils, nous nous
méfions de sa vénalité prétendue et nous privons ainsi l'État
d'avantages réels. Les choses en sont venues au point que
les meilleures idées , émises sans détour , ne sont pas moins
suspectes que les pires . D'où il résulte que , non-seulement l'au-
teur de la plus dangereuse proposition est obligé de recourir
à l'artifice pour convaincre la multitude, mais l'avis le plus
utile a besoin du mensonge pour se faire accepter. Avec cette
humeur ombrageuse, notre ville est la seule qu'on ne puisse
servir ouvertement et sans la tromper. Faites franchement une
offre profitable , et aussitôt l'on vous supçonne de rechercher
secrètement quelque bénéfice personnel et plus grand .
« En présence de telles dispositions et lorsqu'il y va de nos
intérêts les plus graves , il nous importe à nous autres orateurs
de voir un peu plus loin que vous , qui ne donnez qu'un court
LIVRE III. 157

espace de temps à l'examen des affaires ; car nous sommes res-


ponsables de nos avis et vous ne l'êtes pas de vos votes ' . Si
du moins l'auteur d'un projet et celui qui l'adopte avaient les
mêmes risques à courir, vos jugements seraient plus équita-
bles ; mais non : si l'affaire tourne mal ,- vous sévissez contre
celui qui vous a persuadés et qui n'avait que sa propre opi-
nion, et vous n'avez garde de vous en prendre à vous- mêmes ,
bien que votre faute ait été celle du grand nombre.
XLIV. « Pour moi , si j'ai pris la parole au sujet des Mytilé-
niens , ce n'est pour contredire ni pour accuser personne ; car ,
à considérer sagement les choses , ce n'est pas de leurs torts
qu'il s'agit, mais du meilleur parti à prendre pour nous-mêmes .
Me fût-il démontré qu'ils sont coupables au premier chef, ce
ne serait pas pour moi une raison de conclure à la mort , si
nous n'y trouvions pas notre avantage ; comme aussi je ne leur
ferais grâce qu'en tant que le bien de l'État l'exigerait ' . J'es-
time que nous avons à délibérer sur l'avenir encore plus que
sur le présent. Cléon soutient que la peine capitale sera utile
dans la suite, parce qu'elle diminuera les défections ; et moi ,
la considération de nos intérêts futurs me conduit à une con-
clusion diamétralement opposée. Ne vous laissez pas engager,
par ce que son argumentation peut avoir de spécieux, à re-
pousser ce qu'il y a de vraiment utile dans la mienne. Son
discours , motivé par votre colère contre les Mytiléniens , est
de nature à vous persuader ; toutefois nous n'avons point ici
à leur faire leur procès ni à peser la justice de leur conduite ,
mais à délibérer sur ce que réclame notre intérêt à leur
égard.
XLV. « Dans la plupart des États , la peine de mort est éta-
blie contre plusieurs délits , dont quelques-uns sont loin d'é-
galer en gravité le crime des Mytiléniens . Cependant l'espé-
rance induit à braver ce danger. C'est que tout homme qui
s'y expose compte sur la réussite de ses desseins ; comme aussi
toute ville qui entreprend une révolte ne le fait qu'avec la
pensée de trouver en elle-même ou dans des alliances étran-
gères les moyens de la soutenir. Il est naturel à tous les
hommes de commettre des fautes, soit comme États soit comme
individus , et il n'y a pas de loi qui puisse y mettre obstacle .
On a parcouru successivement toute l'échelle des peines , en
les aggravant sans cesse pour se mettre en garde contre les
malfaiteurs . Il est à croire qu'autrefois elles étaient plus douces
pour les plus grands crimes ; mais, comme on les bravait, elles
158 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

ont fini avec le temps par aboutir pour la plupart à la mort ;


et néanmoins on brave la mort elle-même . Il faut donc ou
trouver un meilleur système d'intimidation, ou convenir que la
peine de mort est une barrière illusoire .
<< Tous les hommes sont poussés vers les dangers ; le pauvre
par l'audace de la nécessité ; le riche par l'orgueil de l'opu-
lence ; les autres par l'irrésistible entraînement des passions
dont chacun dans sa position est possédé. A ces causes si fé-
condes en malheurs, ajoutez encore l'espérance et la convoitise.
Celle-ci ouvre la voie , celle- là s'y engage sur ses traces. L'une
forme des projets , l'autre compte sur le hasard pour les réa-
liser ; et, comme elles agissent dans l'ombre , elles sont plus
redoutables que les dangers manifestes. Enfin la fortune y
joint ses excitations. Quelquefois elle surgit à l'improviste et
précipite les faibles dans le péril. C'est surtout le cas pour les
Etats, parce qu'il s'agit pour eux des plus grands intérêts, la
liberté ou l'empire ; et que chaque citoyen, se voyant appuyé
par la masse , s'exagère follement ses propres forces . En un mot
il est absurde, il serait d'une insigne naïveté , de croire que la
nature humaine, une fois lancée à la poursuite de quelque objet ,
se laissera maîtriser par le frein des lois ou par toute autre
crainte.
XLVI. « Il ne faut donc pas , par trop de confiance en l'effi-
cacité de la peine de mort, prendre une résolution fâcheuse,
en ôtant aux insurgés toute idée de repentir et d'une prompte
réparation de leur faute . Réfléchissez que, dans l'état actuel
des choses, lorsqu'une ville révoltée se voit dans l'impossibi-
lité de résister, elle capitule pendant qu'elle est encore à même
de rembourser les frais de la guerre et de payer le tribut pour
l'avenir ; mais, dans l'autre hypothèse, croyez-vous qu'il y
en eût une seule qui ne fît les plus grands préparatifs et ne se
défendît jusqu'à la dernière extrémité , s'il ne devait y avoir
aucune différence entre une prompte soumission et une résis-
tance désespérée ? Et comment ne serait-ce pas un dommage
pour nous de faire à grands frais le siége d'une place déter-
minée à ne pas se rendre, ou, si nous la prenons , de la trouver
ruinée et de perdre pour toujours les subsides qu'elle nous
fournissait? Ce sont pourtant ces tributs qui soutiennent notre
puissance.
« Gardons-nous donc de nous nuire à nous-mêmes en frap-
pant les coupables avec la dernière sévérité . Cherchons plutôt,
par des punitions mitigées, à laisser aux villes des ressources
LIVRE III. 159

pécuniaires suffisantes . Plaçons notre sûreté , non dans la rigi-


dité de nos lois , mais dans la vigilance de nos actes. Aujour-
d'hui nous faisons l'inverse . Si un peuple libre, assujetti à notre
empire , essaye - comme c'est naturel - de s'y soustraire , et
que nous parvenions à le réduire , nous nous croyons obligés
de le punir sévèrement . Ce qu'il faudrait, ce n'est pas de châ-
tier avec rigueur des hommes libres qui se révoltent, mais de
les garder avec rigueur avant leur rébellion , afin de leur en ôter
jusqu'à la pensée, ou , après les avoir soumis , de n'imputer
leur crime qu'au petit nombre.
XLVII . « Considérez encore quelle énorme faute vous com-
mettriez en suivant l'avis de Cléon . Pour le moment, dans
toutes les villes, le peuple a de la sympathie pour vous ; il ne
se joint pas aux soulèvements des aristocrates , ou , s'il y est
contraint, il ne tarde pas à se tourner contre ceux qui l'y ont
poussé ; en sorte que vous avez un auxiliaire dans la popula-
tion des villes que vous allez combattre . Mais si vous frappez
le peuple de Mytilène, qui n'a point trempé dans la rébellion ,
et qui n'a pas plus tôt eu des armes qu'il s'est empressé de
vous ouvrir les portes, d'abord vous commettrez une injustice
en immolant des bienfaiteurs , ensuite vous donnerez beau jeu
aux aristocrates . Sitôt qu'ils voudront insurger un État, ils au-
ront le peuple pour eux , parce que vous aurez montré que la
même punition attend les innocents comme les coupables . Et
quand le peuple serait coupable , encore faudrait-il fermer les
yeux, afin de ne pas nous aliéner le seul allié qui nous reste.
Enfin je crois qu'il est beaucoup plus, avantageux pour le main-
tien de notre empire d'endurer patiemment une offense que de
frapper, avec toute la rigueur du droit, des hommes que nous
devons épargner . Cléon a beau dire , il est impossible que ,
dans ce châtiment, l'intérêt se rencontre avec la justice.
XLVIII. « Reconnaissez donc la supériorité de mon avis ; et,
sans trop accorder à la pitié ni à l'indulgence, - contre les-
quelles je serais le premier à vous prémunir, - écoutez uni-
quement la voix de la raison. Jugez de sang-froid ceux des
Mytiléniens que Pachès a envoyés comme coupables, et laissez
les autres dans leurs foyers. C'est pour l'avenir le parti le plus
sage, et c'est celui qui dans le présent effrayera le plus nos
ennemis. Contre des adversaires , la prudence est une arme plus
sûre que la force aveugle. »
XLIX. Ainsi parla Diodotos. Les Athéniens, après avoir en-
tendu ces deux opinions contradictoires, demeurèrent indécis ,
160 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

et les voix se partagèrent presque à égalité. Néanmoins l'avis


de Diodotos prévalut. On expédia donc en toute hâte une nou-
velle trirème, de peur que l'autre, qui avait un jour et une
nuit d'avance, n'arrivât la première, et que les Mytiléniens ne
fussent égorgés. Les députés de Mytilène approvisionnèrent le
bâtiment de vin et de farine ; ils promirent à l'équipage une
forte récompense s'il arrivait à temps. Aussi les matelots
firent-ils une telle diligence que, tout en ramant, ils mangeaient
de la farine délayée dans du vin et de l'huile ' , se relevant al-
ternativement pour ramer et pour dormir. Par bonheur, aucun
vent ne contraria leur marche . D'ailleurs le premier vaisseau ,
porteur d'un message de deuil , ne s'était guère pressé, tandis
que l'autre faisait force de rames. Le premier ne devança donc
le second que du temps nécessaire à Paches pour lire le décret
et se mettre en devoir de l'exécuter ; l'arrivée du second l'arrêta .
A cela tint que Mytilène fût détruite .
L. Quant aux Mytiléniens que Paches avait envoyés
comme auteurs de la révolte, les Athéniens, d'après l'avis de
Cléon , les mirent à mort. Ils étaient un peu plus de mille.
Mytilène fut démantelée et livra ses vaisseaux. Pour l'avenir ,
les Lesbiens ne furent frappés d'aucun tribut ; mais tout
leur territoire , celui de Méthymne excepté, fut partagé en
trois mille lots, dont trois cents furent réservés aux dieux
et le reste distribué par la voie du sort à des colons tirés
d'Athènes. Les Lesbiens continuèrent à cultiver leurs terres ;
mais ils durent payer une redevance annuelle de deux mines
par lot ' . Les Athéniens s'emparèrent aussi de toutes les places
que Mytilène possédait sur le continent, et les soumirent à
leur domination . Tels furent les événements de Lesbos .
LI. Le même été, après la réduction de Lesbos , les Athé-
niens , commandés par Nicias fils de Nicératos , firent une ex-
pédition contre Minoa, île située en face de Mégare . Les Mé-
gariens y avaient bâti une tour et en avaient fait une place
forte.
Nicias voulait que les Athéniens se rendissent maîtres de
ce point, plus rapproché du continent que Boudoronet Sala-
mine, et qu'ils y tinssent garnison. Par ce moyen , les Pélopo-
nésiens ne pourraient plus expédier clandestinement, comme
cela s'était vu , des trirèmes ou des bâtiments armés en course,
ct les arrivages maritimes à Mégare seraient interceptés . Ni-
cias s'empara donc, par mer et avec des machines , de deux
tours en saillie du côté de Niséa ; et , après avoir rendu libre
LIVRE III. 161

le passage entre l'île et le continent, il ferma par un mur l'en-


droit par où il était possible , à l'aide d'un pont jeté sur les
bas-fonds, de porter secours à l'île, peu distante de la terre
ferme . Tout cela fut l'ouvrage de quelques jours . Nicias
construisit un fort dans Minoa , y laissa garnison et repartit
avec l'armée.
LII. Presque au même moment , dans le cours de l'été , les
Platéens , à bout de subsistances et hors d'état de tenir plus
longtemps , se rendirent aux Péloponésiens dans les circon-
stances suivantes . Les assiégeants avaient livré un assaut que
les Platéens n'avaient pas été en mesure de repousser . Instruit
de leur faiblesse, le général lacédémonien ne voulut pas forcer
la ville ; ses instructions le lui défendaient . Les Lacédémoniens ,
prévoyant le cas où l'on ferait la paix avec Athènes et où l'on
stipulerait la rétrocession des places prises pendant la guerre ,
avaient voulu que Platée fit exception , comme s'étant rendue
volontairement . Un héraut déclara donc aux Platéens que , s'ils
consentaient à remettre leur ville aux Lacédémoniens et à les
prendre pour juges , on ne punirait que les coupables et que
personne ne serait frappé sans jugement . Sur ce message , les
assiégés aux abois se rendirent. Pendant quelques jours , les
Péloponésiens leur fournirent des vivres , en attendant que les
juges , au nombre de cinq , fussent venus de Lacédémone . A
leur arrivée , on ne formula contre les Platéens aucune accusa-
tion expresse ; on se contenta de les faire comparaître et de leur
demander si , dans le cours de la présente guerre , ils avaient
rendu quelque service aux Lacédémoniens et à leurs alliés .
Ils obtinrent pourtant de développer leur défense , et ils en
confièrent le soin à deux d'entre eux , Astymachos fils d'Aso-
polaos et Lacon fils d'Aïmnestós , proxène des Lacédémoniens ' .
Ces délégués parlèrent en ces termes :
LIII. « Lacédémoniens , quand nous avons livré notre ville ,
nous l'avons fait par confiance en vous . Alors nous étions loin
de nous attendre à un jugement tel que celui-ci ; nous comp-
tions sur plus de formes . Si nous n'avons voulu , comme nous
ne voulons encore, d'autres juges que vous, c'est que nous
pensions que vous tiendriez la balance égale. Maintenant nous
craignons de nous être doublement trompés ; car nous soup-
çonnons à bon droit qu'il y va pour nous de la vie , et nous
avons des doutes sur votre impartialité . Ce qui nous les sug-
gère , c'est d'abord l'absence de toute accusation précise que
nous aurions pu repousser ; ---il nous a fallu demander nous-
162 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.
mêmes la parole ; puis la question sommaire qu'on nous
adresse. Vraie, notre réponse nous condamne ; fausse , elle porte
avec soi sa réfutation . De quelque côté que nous tournions les
regards, notre embarras est le même. Nous sommes cependant
contraints, quand la prudence ne nous en ferait pas un de-
voir, de hasarder quelques mots de justification. Garder le
silence dans la situation où nous sommes , ce serait nous ex-
poser au reproche de n'avoir pas fait tout notre possible pour
nous sauver .
« A ces difficultés se joint encore celle de vous convaincre.
Si nous étions inconnus les uns aux autres , nous pourrions al-
léguer en notre faveur des témoignages nouveaux pour vous ;
mais vous savez d'avance tout ce que nous pourrions dire . Ce
que nous craignons , ce n'est pas que vous ne jugiez nos mé-
rites inférieurs aux vôtres , et ne nous fassiez un crime de cette
infériorité , mais bien plutôt que dans le dessein de complaire
à d'autres , vous ne nous fassiez plaider une cause déjà jugée .
LIV. « Néanmoins nous essayerons de nous défendre en ex-
posant , d'une part , la justice de notre conduite dans nos dé-
mêlés avec les Thébains , de l'autre les droits que nous avons
à votre reconnaissance et à celle de toute la Grèce .
Et d'abord , quant à la question sommaire qui nous est
posée : « Avez-vous , dans le cours de la guerre actuelle , rendu
« quelque service aux Lacédémoniens et à leurs alliés ? » voici
notre réponse : Si c'est à des ennemis que cette question s'a-
dresse , vous ne devez pas trouver mauvais qu'ils ne vous aient
rendu aucun service ; si au contraire c'est à des amis , ce serait
plutôt vous qui seriez coupables d'avoir tourné vos armes
contre eux . Mais où notre conduite fut exemplaire, ce fut pen-
dant la paix et dans la guerre contre le Barbare. Nous ne rom-
pîmes point celle-là les premiers, et seuls des Béotiens nous
combattîmes celui - ci pour la liberté de la Grèce. Bien qu'ha-
bitant la terre ferme, nous prîmes part au combat naval de'
l'Artémision ; et, dans la journée qui eut lieu sur notre terri-
toire, nous étions près de vous et de Pausanias . Tous les
autres dangers qui , dans cetemps , menacèrent les Grecs, nous
les partageâmes avec un zèle au-dessus de nos forces. Lors-
que, après le tremblement de terre et la retraite des Hilotes
sur le mont Ithome, Sparte était plongée dans la consterna-
tion , nous envoyâmes à votre secours le tiers de nos ci-
toyens . Ce sont là de ces traits qui méritent de n'être pas
oubliés .
LIVRE III. 163

LV. « Tels sont les services que nous vous rendîmes jadis.
Si depuis lors nous sommes devenus vos ennemis , c'est uni-
quement par votre faute. Lorsque , opprimés par les Thébains,
nous eûmes recours à votre alliance , vous nous renvoyâtes
aux Athéniens , sous prétexte qu'ils étaient proches et vous
trop éloignés . Toutefois , durant cette guerre , vous n'avez
reçu de nous, ni de près ni de loin , aucune offense signalée .
Il est vrai que , malgré vos instances, nous avons refusé d'aban-
donner les Athéniens . Mais comment nous en faire un crime ?
Ne nous avaient-ils pas protégés contre les Thébains , quand
vous refusiez de le faire ? C'eût été une honte de les trahir
après avoir reçu leurs bienfaits , sollicité leur appui , et obtenu
chez eux le droit de cité 2. Dans les ordres que les uns ou les
autres vous intimez à vos alliés , s'il y a quelque chose de ré-
préhensible, ceux qui donnent l'impulsion vers le mal sont plus
à blâmer que ceux qui la reçoivent .
LVI . « Les Thébains ont commis envers nous plusieurs of-
fenses. Vous connaissez la dernière , qui a été la cause de tous
nos malheurs . Ils ont cherché à s'emparer de notre ville en
pleine paix, dans un temps de fête . En les punissant, nous
n'avons fait qu'user de cette loi universelle qui autorise à re-
pousser la force par la force. Aujourd'hui vous auriez tort de
nous sacrifier à eux. Si vous substituez à la justice votre inté-
rêt actuel et leur inimitié pour nous , votre sentence paraîtra
fausse, inique et entachée d'égoïsme .
« D'ailleurs , s'ils semblent aujourd'hui vous être utiles , nous
le fûmes bien davantage , nous et les autres Grecs , dans un
temps où vous couriez un plus grand danger. Maintenant c'est
vous qui faites trembler les autres ; mais lorsque le Barbare
apportait à tous la servitude , ils étaient avec lui . Or il est juste
de mettre en compensation de notre faute présente , si tant
est que c'en soit une , notre dévouement passé . Vous le trou-
verez même d'autant plus méritoire qu'il brilla dans un mo-
ment où il était rare de voir quelqu'un des Grecs opposer de la
résistance aux armes de Xerxès. Alors on exaltait ceux qui
avaient l'héroïque imprudence de mépriser l'invasion et d'af-
fronter le péril pour la bonne cause . Nous fùmes de ce nombre ;
et, après avoir été portés aux nues , nous craignons aujourd'hui
de périr pour nous être conduits d'après les mêmes principes ,
c'est-à-dire pour nous être attachés aux Athéniens d'après la
justice, plutôt qu'à vous d'après l'intérêt. Il ne faut pourtant
pas avoir deux poids et deux mesures , ni admettre que l'intérêt
164 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

du moment prenne le pas sur la reconnaissance éternellement


due à de fidèles alliés.
LVII. « Considérez encore qu'aujourd'hui vous êtes regardés
par le plus grand nombre des Grecs comme des modèles de
vertu. Or, si vous nous condamnez contre toute justice , - cette
cause aura du retentissement, car votre renommée est grande
et la nôtre n'est pas tout à fait nulle, prenez-y garde, on ne
vous verra pas sans horreur porter contre des braves , vous
plus braves encore , une sentence indigne, ni suspendre dans
les temples nationaux les dépouilles des bienfaiteurs de la
Grèce . Il paraîtra révoltant que Platée soit détruite par les
Lacédémoniens ; que vos pères l'aient inscrite sur le trépied de
Delphes à cause de son courage , et que vous l'effaciez de la
Grèce en considération des Thébains. Voilà donc le degré d'in-
fortune auquel nous sommes réduits ! Si les Mèdes eussent
triomphé, notre ruine était consommée ; et aujourd'hui nous
sommes supplantés dans votre vieille amitié par les Thébains ;
nous nous sommes vus aux prises avec les deux dangers les
plus terribles risquant naguère de mourir de faim si nous ne
livrions pas notre ville, et maintenant d'être condamnés à mort.
Ces mêmes Platéens qui montrèrent pour les Grecs un dévoue-
ment sans bornes , sont repoussés de partout , délaissés , sans
secours. De nos alliés d'alors nul ne vient à notre aide ; et vous ,
Lacédémoniens , notre unique espérance, nous craignons que
vous ne nous donniez aucun appui.
LVIII. « Au nom des dieux qui reçurent nos serments , au
nom du patriotisme dont nous fimes preuve, nous vous conju-
rons de vous laisser fléchir et de rompre les engagements que
les Thébains ont pu vous arracher. Demandez-leur qu'en retour
de nos services ils vous permettent d'épargner des hommes
qu'il serait indigne d'immoler. Au lieu d'une reconnaissance
honteuse , assurez-vous une reconnaissance honorable ; et ,
par une lâche condescendance, n'attirez pas sur vous le dés-
honneur. Un instant suffit pour détruire nos corps ; mais ce
sera pour vous une tache indélébile ; car vous frapperez en
nous , non pas des ennemis , ce qui serait juste , mais des
amis que la nécessité seule a forcés de vous combattre. En
nous faisant grâce de la vie , vous remplirez un devoir sacré.
Rappelez-vous que notre reddition a été volontaire ; que nous
vous avons tendu les mains ; or, la loi des Grecs défend de
tuer des suppliants ; - - qu'enfin nous avons été de tout temps
vos bienfaiteurs.
LIVRE III. 165

a Tournez les yeux sur les tombeaux de vos ancêtres , immo-


lés par les Mèdes et inhumés dans notre territoire . Chaque an-
née notre ville leur offrait des vêtements d'honneur et d'autres
sacrifices d'usage . Nous leur présentions les prémices de
toutes nos récoltes, comme des amis au nom d'une terre amie ,
comme des alliés à de vieux compagnons d'armes . Par une sen-
tence inique, vous ferez précisément l'inverse . Songez-y bien :
quand Pausanias leur donna la sépulture , il crut les confier à
une terre amie et à des amis ; et vous , si vous nous tuez , si
vous livrez aux Thébains le pays de Platée , que ferez-vous si-
non de priver vos pères et vos parents de l'honneur dont ils
jouissent et de les abandonner aux mains de leurs meurtriers ?
Cette terre où les Grecs furent affranchis , la ferez-vous esclave ?
ces temples des dieux qu'ils invoquèrent pour triompher des
Mèdes, les rendrez- vous déserts et les dépouillerez- vous des
sacrifices institués par leurs fondateurs ² ?
LIX. « Lacédémoniens, une telle conduite serait indigne de
votre gloire, contraire au droit des Grecs , injurieuse pour vos
ancêtres . Ce serait immoler des bienfaiteurs pour une inimitié
étrangère et sans motif légitime. Épargnez - nous plutôt , et que
vos cœurs s'ouvrent à une sage commisération . Songez à l'a-
trocité du sort qui nous menace, songez au caractère des vic-
times et à l'instabilité de la fortune , qui frappe souvent ceux
qui le méritent le moins.
« Quant à nous , comme le devoir et la nécessité nous y obli-
gent , invoquant à grands cris les dieux que tous les Grecs
adorent et les serments que vos ancêtres ont prêtés , nous nous
réfugions auprès des sépulcres de vos pères ; nous implorons
ceux qui ne sont plus ; nous vous conjurons , au nom de notre
amitié, de ne pas nous livrer aux Thébains , nos ennemis mor-
tels. Nous vous rappelons cette journée dont pour nous l'éclat
fut si beau, tandis que celle-ci nous menace du sort le plus
déplorable.
« Enfin pour terminer, chose à la fois nécessaire et pénible
pour nous , dont le trépas suivra peut- être la conclusion de ce
discours, nous vous disons : Ce n'est pas aux Thébains que
nous avons remis notre ville, nous eussions préféré la plus
horrible des morts , celle de la faim, mais c'est à vous que
nous sommes venus avec confiance. Si donc nous ne pouvons
rien gagner sur vous, il serait juste de nous replacer dans notre
ancienne position et de nous laisser le choix du danger. Lacé-
démoniens , nous vous en conjurons , nous citoyens de Platée,
166 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

si dévoués aux Grecs et aujourd'hui vos suppliants ; n'allez pas,


au mépris de la foi jurée, nous sacrifier aux Thébains , nos im-
placables ennemis. Soyez plutôt nos sauveurs ; et, au moment
ou vous affranchissez les Grecs , ne devenez pas les instruments
de notre ruine. »
LX. Lorsque les Platéens eurent fini de parler, les Thébains ,
craignant l'effet produit sur les Lacédémoniens par leur discours ,
se présentèrent et dirent qu'ils désiraient être entendus , puisque,
contrairement à leur avis , on avait permis aux Platéens d'allon-
ger outre mesure leur réponse à la question proposée. On y con-
sentit, et ils s'exprimèrent en ces termes :
Ve LXI. « Nous n'aurions pas demandé la parole , si les Platéens
s'étaient contentés de répondre brièvement à la question , en
s'abstenant de nous mettre en cause et de présenter en leur
faveur une apologie superflue , avec force louanges sur des
faits que nul ne songe à leur reprocher. Ceci nous oblige à une
défense et à une réplique, afin qu'ils ne tirent avantage ni de
notre démérite ni de leur gloire, et que vous ne portiez un
jugement qu'après avoir entendu la vérité sur les deux parties.
« L'origine de nos démêlés avec eux remonte à l'époque où,
après nous être rendus maîtres de la Béotie , nous constituâmes
Platée et avec elle d'autres villes dont nous avions expulsé la
population mélangée ' . Alors, en dépit de la règle admise pri-
mitivement , ils déclinèrent notre suprématie et, seuls des Béo-
tiens, foulèrent aux pieds les lois du pays. Puis , lorsque nous
voulûmes les contraindre, ils s'unirent aux Athéniens et, con-
jointement avec eux, nous firent bien des maux, qu'à notre tour
nous leur rendîmes.
LXII. « Quand le Barbare vint attaquer la Grèce, ils furent,
disent- ils, les seuls des Béotiens qui ne firent pas cause com-
mune avec lui. C'est là surtout ce dont ils se prévalent pour
s'exalter eux-mêmes et pour nous insulter. Nous au contraire
nous prétendons que , s'ils ne prirent point le parti des Mèdes,
c'est que les Athéniens ne le prirent pas non plus ; et la preuve,
c'est que plus tard, lorsque Athènes menaça la liberté de la
Grèce, ils furent en Béotie les seuls partisans des Athéniens .
D'ailleurs considérez quelle était notre situation respective à
l'époque de ces événements. Notre ville n'était alors gouvernée
ni par une aristocratie soumise aux lois, ni par une démocratie ;
elle subissait le régime le plus contraire à la légalité et à la
modération, en un mot le plus voisin de la tyrannie. Une poi-
gnée d'oligarques possédaient seuls toute l'autorité. Ce sont eux
LIVRE III . 167
qui , dans l'espoir d'affermir leur domination si le Mède avait
le dessus, continrent le peuple par la force et appelèrent les
Barbares . Lorsqu'elle agit ainsi , notre ville dans son ensemble
n'était donc pas maîtresse d'elle-même ; et il serait injuste de
lui imputer une faute où les lois n'eurent aucune part. Mais
lorsque , après la retraite des Mèdes, l'ordre légal fut rétabli ;
1
lorsque plus tard les Athéniens attaquèrent toute la Grèce et
s'efforcèrent de subjuguer notre pays travaillé par les dissen-
sions, considérez si la victoire que nous remportâmes sur eux à
Coronée n'affranchit pas la Béotie 2 , et si maintenant nous ne
contribuons pas de tout notre pouvoir à la délivrance des Grecs ,
en fournissant des chevaux et un contingent plus fort que pas
un des alliés . Telle est notre réponse à l'accusation de mé-
disme³.
LXIII. « Nous essayerons maintenant de démontrer que c'est
vous plutôt qui êtes coupables envers la Grèce et qui méritez
les derniers châtiments. A vous entendre, c'est pour vous ven-
ger de nous que vous êtes devenus alliés des Athéniens et que
vous avez reçu droit de cité chez eux. Mais , s'il en était ainsi ,
vous auriez dû les appeler contre nous seuls , au lieu de vous
joindre à eux pour opprimer les autres . Supposé même qu'ils
vous entraînassent malgré vous à leur suite , il ne tenait qu'à
vous de réclamer cette alliance conclue avec les Lacédémo-
niens contre les Mèdes , qui est votre éternel refrain. Elle suf-
fisait amplement pour vous mettre à l'abri de nos attaques et
chose essentielle pour assurer la liberté de vos délibé
rations. Mais non , c'est de votre plein gré, sans aucune espèce
de contrainte, que vous avez pris le parti des Athéniens . Vous
ne pouviez , dites-vous , abandonner sans honte des bienfai-
teurs. Il était bien plus honteux et plus injuste de trahir tous.
les Grecs , qui avaient reçu vos serments, que les seuls Athé-
niens , dès l'instant que ceux-ci travaillaient à l'asservisse-
ment , ceux-là à l'affranchissement de la Grèce. Vous ne leur
avez pas témoigné une reconnaissance égale ni exempte de
déshonneur ; car vous les avez appelés , dites-vous , pour vous
garantir de l'oppression , et vous vous êtes joints à eux pour
opprimer les autres. Or il y a moins de honte à ne pas s'ac-
quitter d'une dette qu'à reconnaître par des actes injustes des
services loyalement rendus.
LXIV. «Vous avez bien fait voir que si , dans le temps , vous
ne suivîtes pas le parti des Mèdes, ce ne fut point à cause des
Grecs , mais parce que les Athéniens ne le suivaient pas , et
168 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.
parce que vous vouliez imiter les uns et faire le contraire des
autres. Et vous prétendriez vous faire un titre d'une valeur
déployée pour plaire à autrui ! cela n'est pas soutenable. Vous
avez préféré les Athéniens ; vous devez donc partager avec eux
toutes les chances de la lutte. N'alléguez pas l'alliance d'alors ,
comme si elle devait vous protéger aujourd'hui . Vous y avez
renoncé, vous l'avez violée vous-mêmes en aidant à asservir les
Éginètes et d'autres de vos confédérés , au lieu d'y mettre
obstacle. Tout cela, vous ne l'avez pas fait contre votre vo-
lonté, ainsi que nous, mais bien sous l'empire des lois qui
vous régissent encore et sans la moindre contrainte . La der-
nière sommation que nous vous avons faite avant l'investis-
sement, de rester paisibles et neutres, vous l'avez repoussée .
Qui donc mieux que vous mériterait l'exécration de tous les
Grecs , vous qui ne faites montre de vertu que pour leur nuire?
Le bien que vous avez fait jadis , votre conduite récente a prouvé
qu'il ne vous appartenait pas , et l'éternel penchant de votre
nature s'est révélé dans tout son jour . Quand les Athéniens ont
marché dans la voie de l'injustice, vous les y avez suivis.
<«< Voilà ce que nous avions à dire sur notre médisme invo-
lontaire et sur votre libre attachement aux Athéniens .
LXV. « Quant à la dernière offense que vous prétendez avoir
reçue , lorsque, selon vous , nous avons attaqué votre ville
contre le droit, en pleine paix et dans un temps de fète , même
à cet égard nous ne croyons pas être plus répréhensibles que
vous. Si de nous-mêmes nous étions venus chez vous , dans l'in-
tention de livrer bataille et de ravager hostilement votre pays ,
nous serions inexcusables ; mais s'il est vrai que plusieurs de
vos citoyens, les premiers par la fortune et par la naissance,
nous aient spontanément appelés pour vous retirer d'une alliance
étrangère et vous rattacher à la confédération nationale des
Béotiens , où est donc notre crime ? ceux qui donnent l'impul-
sion sont plus à blâmer que ceux qui la reçoivent. D'ailleurs , à
nos yeux, il n'y a eu de tort ni de leur part ni de la nôtre.
Citoyens commé vous , ayant même plus à perdre, ils nous ont
ouvert les portes et nous ont introduits en amis , nullement en
ennemis. Ils voulaient empêcher les mauvais citoyens de se
pervertir davantage, et procurer aux honnêtes gens ce qu'ils
avaient droit de prétendre. Ils voulaient corriger les esprits
sans attenter aux personnes , vous rattacher à vos alliances na-
turelles sans vous ravir votre patrie , vous concilier l'amitié
générale sans vous créer aucun ennemi.
LIVRE III. 169

LXVI. « La preuve de nos intentions pacifiques , c'est que ,


loin d'inquiéter personne, nous avons , par une proclamation ,
invité dès l'abord à se joindre à nous quiconque voulait se gou-
verner d'après les institutions nationales de la Béotie . Vous y
avez adhéré de grand cœur ; et , la convention faite , vous avez
commencé par rester tranquilles. Plus tard , j'admets que
nous eussions eu tort d'entrer chez vous sans l'assentiment de
la multitude , - au moins fallait-il nous imiter en nous enga-
geant à nous retirer sans violence . Mais non ; vous n'avez pas
plus tôt reconnu notre petit nombre , que vous nous avez assail-
lis en dépit de la convention. Ceux dont nous regrettons le plus
la perte, ce ne sont pas tant les victimes du combat ; jusqu'à
un certain point leur mort a été légitime ; mais ceux qui vous
tendaient les mains , ceux à qui vous aviez fait quartier et pro-
mis la vie sauve , les avoir égorgés au mépris des plus saintes
lois, n'est- ce pas là une atrocité ? Quoi ! vous avez commis coup
sur coup trois perfidies , rupture de la convention , massacre
de sang-froid, violation de votre promesse d'épargner les pri-
sonniers si nous respections vos campagnes, et vous venez
dire que c'est nous qui sommes dans nos torts et que vous ne
méritez aucunes représailles ! Il n'en sera rien , si du moins ces
juges font leur devoir ; mais vous recevrez le juste salaire de
votre conduite .
3
LXVII. « Nous sommes entrés dans ces détails , ô Lacédémo-
niens , afin de motiver à vos yeux la sentence que vous allez
rendre , et de légitimer plus encore aux nôtres la vengeance
qui nous anime : Ne vous laissez pas attendrir par l'énumération
de leurs anciens services , si tant est qu'ils soient réels. Les
bienfaits passés peuvent être un moyen de défense pour les
victimes d'une injustice ; mais ils doivent attirer une double.
animadversion sur les auteurs d'actes infâmes , parce que leur
crime est un démenti donné à leurs mérites précédents . Que
leurs doléances et leurs supplications ne leur soient d'aucun
secours , non plus que leurs appels aux sépulcres de vos pères
et à leur propre abandon . A notre tour, nous évoquerons notre
jeunesse impitoyablement massacrée, elle dont les pères sont
morts à Coronée pour entraîner dans votre parti la Béotie ,
ou , vieux et délaissés dans leurs demeures solitaires, vous sup-
plient bien plus fortement de les venger. La pitié n'est due qu'à
l'infortune imméritée ; une souffrance aussi juste que la leur
doit être au contraire un sujet de joie .
« Pour ce qui est de leur isolement actuel , ils ne doivent
THUCYDIDE . 10
170 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

l'imputer qu'à eux-mêmes. Ils ont sciemment repoussé les


meilleurs alliés , foulé aux pieds les plus saintes lois par un
esprit de haine plutôt que de justice . Même aujourd'hui la sa-
tisfaction qu'ils nous auront donnée ne sera pas équivalente à
leur crime ; elle sera fixée par la loi, car ce n'est point, comme
ils le disent , à la suite d'un combat et les mains étendues qu'ils
se sont livrés, mais en vertu d'une convention formelle et en
se soumettant à un jugement.
<< Lacédémoniens , prêtez main forte à la loi des Grecs , qu'ils
ont violée ; et , comme nous avons souffert de cette violation,
récompensez le zèle dont nous avons fait preuve ..Qu'il ne soit
pas dit que nous avons été supplantés dans votre amitié par la
séduction de leurs discours . Montrez aux Grecs par un grand
exemple qu'à vos yeux le langage ne prévaudra jamais sur
les actes louables , une courte mention leur suffit ; coupables ,
il leur faut de belles, phrases pour voile. Mais si des chefs ,
comme vous aujourd'hui , savent établir contre les coupables
des jugements expéditifs , on cherchera moins à pallier des ac-
tions criminelles par des discours pompeux. »
LXVIII. Ainsi parlèrent les Thébains . Les juges lacédémo-
niens décidèrent qu'on s'en tiendrait à la question de savoir
si, dans le cours de la guerre , les Platéens leur avaient rendu
quelque service. A leur avis, pour se conformer à l'ancien
traité conclu par Pausanias après la défaite des Mèdes , ils au-
raient dû rester en repos avant la guerre, et plus tard accepter
la proposition de demeurer neutres aux termes du même traité;
ce à quoi ils n'avaient pas voulu consentir. Ils pensaient que
les Platéens , en repoussant leurs justes exigences , s'étaient
mis en dehors des traités et s'étaient attiré leur infortune . Ils
les firent donc comparaître l'un après l'autre et leur deman-
dèrent si, dans le cours de la guerre actuelle , ils avaient rendu
quelque service aux Lacédémoniens et à leurs alliés . Sur leur
réponse négative , on les emmenait à la mort . Il n'y en eut au-
cun d'excepté. On égorgea de la sorte non moins de deux cents
Platéens , outre vingt-cinq Athéniens qui avaient soutenu le
siége avec eux. Les femmes furent réduites en esclavage.
Quant à la ville , les Thébains la donnèrent à habiter pour

une année à des Mégariens exilés pour cause de sédition et à
ceux des Platéens qui s'étaient déclarés pour eux et n'avaient
pas été enveloppés dans la ruine de leur patrie . Plus tard ils
rasèrent complétement Platée . Avec les matériaux, ils construi-
sirent près du temple de Junon un hospice de deux cents
LIVRE III. 171

pieds en long et en large, avec deux étages de logements . Ils


employèrent à cette construction la charpente et les portes des
maisons de Platée. Les ustensiles d'airain et de fer trouvés
dans la ville servirent à faire des lits consacrés à Junon . Un
temple de marbre , large de cent pieds , fut aussi élevé en
l'honneur de cette déesse. Les terres furent confisquées et af-
fermées pour dix ans au profit des Thébains .
Le motif principal, pour ne pas dire l'unique, du peu de
sympathie que les Lacédémoniens témoignèrent pour Platée ,
fut le désir de complaire aux Thébains , dont ils croyaient
avoir besoin pour la guerre commencée récemment.
Ainsi périt Platée, quatre- vingt-treize ans après qu'elle était
entrée dans l'alliance d'Athènes .
LXIX. Cependant les quarante vaisseaux péloponésiens qui
avaient été au secours de Lesbos et qui, comme on l'a vu,
avaient gagné le large pour se soustraire à la poursuite des
Athéniens , essuyèrent dans les parages de la Crète un coup de
vent qui les dispersa . Ils regagnaient isolément le Péloponèse ,
lorsqu'ils rencontrèrent à Cyllène treize trirèmes de Leucade
et d'Ambracie , commandées par Brasidas fils de Tellis , placé
comme conseil auprès d'Alcidas . Les Lacédémoniens , voyant
leur expédition de Lesbos manquée , voulaient augmenter leur
flotte et cingler vers Corcyre , alors en proie aux dissensions.
Pour cet effet, il fallait profiter de ce que les Athéniens n'a-
vaient que douze vaisseaux à Naupacte, et ne pas attendre
qu'il leur vînt des renforts. Brasidas et Alcidas se préparèrent
donc à cette entreprise .
LXX . Les troubles de Corcyre avaient pris naissance au re-
tour des citoyens faits prisonniers dans les batailles navales
d'Epidamne . Les Corinthiens les avaient relâchés , soi- disant
sous une caution de huit cents talents fournie par leurs pro-
xènes², mais en réalité parce que ces prisonniers promettaient
de leur soumettre Corcyre. Ils se mirent donc à l'œuvre ; et,
par leurs démarches individuelles, ils cherchèrent à soulever
la ville contre les Athéniens.
Sur ces entrefaites, il arriva deux vaisseaux, l'un d'Athènes ,
l'autre de Corinthe, qui amenaient des députés . On tint une
assemblée, où il fut décidé que les Corcyréens, sans rompre
avec Athènes , renoueraient leurs anciennes relations avec les
Péloponésiens . Il y avait alors à Corcyre un certain Pithias ,
proxène volontaire des Athéniens et chef du parti démocra-
tique. Les hommes dont nous venons de parler le citèrent en
172 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

justice, comme asservissant Corcyre aux Athéniens , Il fut ab-


sous ; et, à son tour, il attaqua les cinq plus riches de ses
adversaires , les accusant de couper des échalas dans les bo-
cages de Jupiter et d'Alcinoüs . L'amende était d'un statère
par échalas . Condamnés et hors d'état de payer cette somme
exorbitante, ils allèrent s'asseoir en suppliants dans les tem-
ples , afin qu'on leur fixât plusieurs termes pour le payement.
Mais Pithias, qui se trouvait alors membre du conseil , obtint
qu'on appliquât la loi à la rigueur. Poussés à bout, et informés
que Pithias voulait profiter du temps où il était encore en
charge pour engager le peuple à faire avec les Athéniens une
alliance offensive et défensive, ils formèrent un complot ; et,
s'armant de poignards , ils firent irruption dans la salle du con-
seil. Ils tuèrent Pithias , ainsi qu'une soixantaine d'autres con-
seillers ou de simples particuliers. Quelques rares partisans
de Pithias se réfugièrent sur la trirème athénienne qui était
encore dans le port.
LXXI . Là-dessus les conjurés convoquèrent les Corcyréens
et dirent que tout était pour le mieux ; que c'était l'unique
moyen d'échapper au joug d'Athènes ; qu'à l'avenir il fallait
rester en paix , sans recevoir à la fois plus d'un vaisseau des
deux nations belligérantes , et , s'il s'en présentait davantage,
les traiter en ennemis. Cette déclaration faite , ils contraigni-
rent le peuple de la ratifier. Des députés furent aussitôt en-
voyés à Athènes pour présenter la conduite des Corcyréens
sous le jour le plus favorable et pour inviter les réfugiés à ne
faire aucune démarche intempestive, s'ils ne voulaient pas.
exciter un soulèvement.
LXXII. A l'arrivée de ces députés , les Athéniens les saisirent
comme des factieux, ainsi que tous ceux qu'ils avaient gagnés ,
et les déposèrent à Égine ' . Là-dessus une trirème corinthienne
aborda à Corcyre , avec des députés lacédémoniens . Alors ceux
qui étaient au pouvoir attaquèrent le parti populaire et furent
vainqueurs dans un premier combat ; mais , la nuit venue , le
peuple se retira dans la citadelle et dans le haut de la ville , s'y
réunit et s'y retrancha. Il occupa aussi le port Hyllaïque .
Ceux du parti opposé étaient maîtres de l'agora, où la plupart
d'entre eux avaient leurs habitations, de même que du port qui
l'avoisine et qui regarde le continent .
LXXIII. Le lendemain il y eut de légères escarmouches.
Chacun des deux partis envoya dans les campagnes pour ap-
peler les esclaves en leur promettant la liberté. La plupart se
LIVRE III . 173

joignirent au peuple : le parti contraire reçut du continent un


renfort de huit cents hommes.
LXXIV . Après un jour d'intervalle, eut lieu un nouvel enga-
gement où le peuple fut vainqueur, grâce à l'avantage des po-
sitions et du nombre. Les femmes secondèrent bravement les
combattants . Elles lançaient des tuiles du haut des toits et
affrontaient le tumulte avec un courage au-dessus de leur sexe.
Sur le soir, les aristocrates en déroute craignirent que le peuple
ne se portât au chantier de la marine, ne l'enlevât d'emblée et
ne les massacrât eux-mêmes . Pour fermer tout accès, ils mi-
rent le feu aux maisons et aux logis¹ qui entouraient l'agora ,
sans épargner les leurs plus que les autres. Des richesses im-
menses , appartenant au commerce, furent consumées ; et, si le
vent eût chassé les flammes du côté de la ville , elle eût été
complétement détruite. Cet incident mit fin au combat. Les
deux partis firent une trêve et passèrent la nuit sur le qui-
vive . Le vaisseau de Corinthe , voyant le peuple victorieux ,
partit furtivement, et la plupart des auxiliaires repassèrent sans
bruit sur la terre ferme.
EXXV. Le jour suivant , le général athénien Nicostratos
fils de Diitréphès arriva de Naupacte avec douze vaisseaux et
cinq cents hoplites messéniens. Il ménagea un rapprochement
entre les deux partis. Il fut convenu qu'on mettrait en accusa-
tion les dix principaux auteurs de l'émeute , ceux-ci prirent
la fuite aussitôt ; que les autres citoyens feraient la paix
entre eux et concluraient avec les Athéniens une alliance of-
fensive et défensive . Après cette négociation , Nicostratos se
disposait à reprendre la mer ; mais les chefs du peuple lui de-
mandèrent de leur laisser cinq de ses vaisseaux, afin de tenir
en respect leurs adversaires. Ils offraient d'équiper un pareil
nombre de leurs propres navires , qui partiraient avec lui . Ni-
costratos y consentit . Alors ils firent choix de leurs ennemis
pour composer les équipages . Ceux-ci , craignant d'être en-
voyés à Athènes, s'assirent en suppliants dans le temple des
Dioscures . Nicostratos essaya de les relever et de les rassurer;
mais ce fut en vain ; aussi le peuple saisit-il ce prétexte pour
s'armer, comme si leur refus de s'embarquer cachait quelque
intention perfide. Il enleva de leurs maisons les armes qui s'y
trouvaient ; et, sans l'intervention de Nicostratos , il aurait mas-
sacré ceux d'entre eux qu'il rencontra dans la rue. Les autres,
témoins de ce qui se passait , allèrent s'asseoir dans le temple
de Junon ' . Ils n'étaient pas moins de quatre cents . Le peuple ,
174 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

qui redoutait quelque agitation , leur persuada de quitter cet


asile , et les transféra dans l'île située en face du temple de
Junon , où il leur fit passer des vivres .
LXXVI. Sur ces entrefaites, quatre ou cinq jours après la
translation de ces citoyens dans l'île, les vaisseaux péloponé-
siens, rassemblés à Cyllène depuis leur retour d'Ionie , sur-
vinrent au nombre de cinquante-trois . Ils étaient, comme
précédemment, commandés par Alcidas, avec Brasidas pour
conseiller. Ils jetèrent l'ancre aux Sybota , port du continent,
et au point du jour ils cinglèrent vers Corcyre.
LXXVII . L'alarme fut extrême . Effrayés à la fois de leur
situation intérieure et de l'approche de cette flotte , les Cor-
cyréens armèrent à la hâte soixante vaisseaux ; et à mesure
qu'ils étaient prêts, ils les envoyèrent contre l'ennemi. Les
Athéniens leur conseillaient au contraire de les laisser sortir
eux-mêmes les premiers et de venir ensuite les soutenir avec
toutes leurs forces . Les vaisseaux corcyréens s'avançant isolé-
ment , il y en eut deux qui dès l'abord passèrent à l'ennemi ;
sur d'autres les équipages se battaient entre eux et le désordre
était complet. Témoins de cette confusion, les Péloponésiens
opposèrent vingt vaisseaux à ceux de Corcyre ; tout le reste de
leur flotte se porta contre les douze bâtiments athéniens , parmi
lesquels étaient la Salaminienne et la Paralienne¹ .
LXXVIII . Les Corcyréens , attaquant maladroitement et avec
peu de vaisseaux à la fois , furent très-maltraités . Les Athé-
niens appréhendaient de se voir enveloppés et accablés par le
nombre. Aussi ne se portèrent-ils point sur le gros ni sur le
centre de la flotte ennemie ; mais , se dirigeant sur l'une des
ailes , ils coulèrent bas un vaisseau. Ensuite la flotte pélopo-
nésienne s'étant rangée en cercle , ils se mirent à en faire le
tour , en essayant d'y jeter le désordre . Ceux qui étaient op-
posés aux Corcyréens s'aperçurent de leur intention ; et, crai-
gnant qu'il n'en fût comme à Naupacte ' , ils vinrent au secours
des leurs . Ainsi toute la flotte réunie se porta contre les Athé-
niens . Dès lors ceux- ci commencèrent à reculer , mais sans
tourner le dos , afin de donner aux Corcyréens le temps de se
replier, tandis qu'eux-mêmes , s'éloignant avec beaucoup de
lenteur , continuaient de faire tête aux ennemis . Telle fut l'is-
sue de ce combat naval , qui finit au coucher du soleil .
LXXIX. Toute la peur des Corcyréens était que l'ennemi ne
profitât de sa victoire pour attaquer la ville , pour enlever de
l'île les citoyens qu'on y avait déposés ou pour provoquer une
LIVRE III. 175-
réaction . Ils ramenèrent donc au temple de Junon les détenus
de l'île et firent bonne garde dans leurs murs . Les Pélopo-
nésiens , quoique vainqueurs , n'osèrent pas attaquer la ville de
Corcyre ; ils regagnèrent leur station du continent, emmenant
treize vaisseaux qu'ils avaient pris. Le lendemain, ils n'atta-
quèrent pas davantage là ville, bien que le trouble et l'alarme
y fussent au comble , et que Brasidas insistât, dit- on, auprès
d'Alcidas pour qu'il prît ce parti . Mais son avis n'ayant pas
prévalu, les Péloponésiens se contentèrent de faire une des-
cente sur la pointe Leucimme¹ et de ravager le pays.
LXXX. Pendant ce temps, le peuple de Corcyre , qui appré-
hendait une attaque maritime, entra en pourparlers avec les
suppliants et leur parti , pour éviter une catastrophe . Il déter-
mina quelques -uns d'entre eux à monter sur les trente vais-
seaux, qu'on n'avait pas laissé d'équiper, dans l'attente de la
flotte ennemie. Les Péloponésiens se retirèrent après avoir
couru la campagne jusqu'au milieu du jour. Pendant la nuit,
les signaux de Leucade leur annoncèrent l'approche de soixante
vaisseaux athéniens . En effet , à la première nouvelle des trou-
bles de Corcyre et du prochain départ de la flotte d'Alcidas ,
les Athéniens avaient expédié cette escadre, sous les ordres
d'Eurymédon fils de Thouclès . Les Péloponésiens se bâtèrent
donc de partir cette nuit même. Ils serrèrent la côte, firent
passer leurs vaisseaux par-dessus l'isthme de Leucade ' , parce
qu'ils craignaient d'être découverts en doublant le cap , et re-
gagnèrent leurs foyers.
LXXXI. Quand les Corcyréens connurent l'arrivée de la flotte
athénienne , et la retraite des ennemis , ils firent entrer dans la
ville les Messéniens qui jusque-là étaient restés dehors, et en-
voyèrent dans le port Hyllaïque les vaisseaux qu'ils avaient
équipés . Pendant ce trajet, ils égorgèrent ceux de leurs ad-
versaires qu'ils purent saisir . Quant à ceux qu'ils avaient en-
gagés à monter sur les vaisseaux, ils les firent descendre à
terre et les massacrèrent jusqu'au dernier ; puis , allant au
temple de Junon, ils obtinrent d'une cinquantaine des sup-
pliants qu'ils se soumissent à un jugement et les condamnèrent
tous à mort. Ceux qui n'avaient pas été leurs dupes, -c'était
le plus grand nombre, - voyant ce qui se passait, se tuèrent
mutuellement dans le temple même ; quelques-uns se pendirent
aux arbres ; enfin chacun se donna la mort comme il put.
Durant les sept jours que la flotte d'Eurymédon fut à Cor-
cyre, les Corcyréens massacrèrent tous ceux qu'ils regardaient
176 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

comme ennemis de la démocratie. Quelques-uns furent victimes


d'inimitiés particulières ; des créanciers furent tués par leurs
débiteurs . La mort parut sous mille formes. De toutes les hor-
reurs communes en pareille circonstance , il n'y en eut point
qui ne fût commise et même surpassée . Le père tuait son fils ;
on arrachait des asiles sacrés les suppliants ou on les égor-
geait au pied des autels . Enfin quelques-uns périrent murés
dans le temple de Bacchus. Tant fut atroce cette sédition ;
elle le parut encore davantage , parce qu'elle fut la pre-
mière.
LXXXII . Plus tard la Grèce en totalité fut ébranlée. La divi-
sion régnant partout, les chefs du parti populaire appelaient
les Athéniens, l'aristocratie les Lacédémoniens. En temps de
paix, on n'aurait eu ni le prétexte ni l'idée d'attirer ces auxi-
liaires ; mais , une fois la guerre allumée et les deux partis
acharnés à s'entre-détruire, le recours à l'intervention étran-
gère devint plus facile aux agitateurs. Ces déchirements occa-
sionnèrent aux États des calamités sans nombre , calamités
qui sont et seront toujours le partage de la nature humaine ,
quoique , selon les conjonctures , elles puissent varier de vio-
lence ou de caractère . Durant la paix et la prospérité , les
Etats et les individus ont un meilleur esprit , parce qu'ils ne
sont pas sous le joug d'une nécessité impérieuse ; mais la
guerre, détruisant le bien-être journalier , est un maître brutal ,
qui règle les passions de la multitude sur les circonstances
du moment.
Les villes étaient en proie aux dissensions. Si l'une d'elles
était restée en arrière des autres , elle aspirait à renchérir sur
leur exemple , à imaginer de nouveaux excès , à raffiner sur
l'atrocité des vengeances . On en vint à changer arbitrairement
l'acception des mots . L'audace irréfléchie passa pour un cou-
rage à toute épreuve ; la lenteur prudente pour une lâcheté
déguisée ; la modération pour un prétexte de la timidité ; une
grande intelligence pour une grande inertie. L'emportement
aveugle devint le trait distinct de l'homme de cœur ; la cir-
conspection , un spécieux subterfuge . L'homme le plus irascible.
fut regardé comme le plus sûr ; celui qui osait lui tenir tête
fut déclaré suspect. C'était faire preuve de finesse que d'at-
tirer ses ennemis dans le piégé et surtout de l'éluder. Prenait-
on ses mesures pour se passer de ces artifices, on était taxé de
trahison ou de pusillanimité. Rien ne valait plus d'éloges que
de prévenir une perfidie ou d'y exciter celui qui n'y songeait
LIVRE III . 177

pas. Les liens du sang étaient moins forts que l'esprit de


parti , parce que celui- ci inspirait plus de dévouements à toute
épreuve ; en effet, de telles associations n'étaient pas formées
sous l'égide des lois, mais plutôt contre elles et dans un but
coupable ; elles ne reposaient pas sur la crainte des dieux,
máis sur la complicité du crime. Accueillait- on les ouvertures
d'un adversaire, c'était par mesure de prudence et non par
générosité. On attachait bien plus de prix à se venger d'une
offense qu'à ne l'avoir pas reçue . Les serments de réconcilia-
tion qu'on prêtait quelquefois n'avaient qu'une force passagère,
arrachés qu'ils étaient à l'embarras des partis ; mais que l'oc-
casion fût donnée , et le premier qui reprenait courage en
voyant son rival sans défense l'attaquait plus volontiers en
trahison qu'à visage découvert. Il y trouvait deux avantages :
l'un de frapper à coup sûr, l'autre de se faire une réputation
d'habileté en ne devant son triomphe qu'à l'astuce . Aux yeux
du vulgaire, il est plus aisé aux fripons de passer pour adroits
qu'aux simples pour honnêtes . On rougit de la maladresse ; on
tire vanité de la méchanceté .
Tous ces maux eurent leur source dans la fureur de domi-
ner, inspirée par la cupidité et par l'ambition ; puis , les riva-
lités éveillées , la passion s'en mêla. Les chefs du parti prenaient
pour mot d'ordre, ceux-ci l'égalité des droits , ceux - là une
aristocratie tempérée ; et, sous le masque du bien public , ils
ne travaillaient qu'à se supplanter mutuellement. Ils donnaient
un libre cours à leur audace et à leurs vengeances, sans nul
souci de la justice ou de l'intérêt commun, sans autre règle
que leur caprice. Une fois au pouvoir, ils s'empressaient, à
l'aide de sentences iniques ou à force ouverte , de satisfaire
leurs inimités actuelles. Ni les uns ni les autres ne respectaient
la bonne foi ; mais ceux qui, au mépris des lois divines , réus-
sissaient à commettre quelque noirceur, palliée d'un nom hon-
nête , étaient les plus estimés. Les citoyens qui se tenaient à
l'écart tombaient sous les coups des deux partis , soit parce
qu'ils refusaient de prendre part à la lutte , soit parce qu'on
était jaloux de leur tranquillité.
LXXXIII . C'est ainsi que les dissensions remplirent la
Grèce de toute sorte de crimes. La candeur, compagne de la
droiture de caractère, devint un objet de risée et disparut ;
on éleva bien plus haut la duplicité cauteleuse . Ni langage ne
fut assez fort ni serment assez terrible pour cimenter une ré-
conciliation . Ne pouvant compter sur personne , on cherchait
178 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

à se mettre à couvert plutôt qu'à faire preuve d'une contante


loyauté. Ceux qui avaient le plus d'avantages étaient les hom-
mes d'une intelligence bornée. La conscience de leur inhabi-
leté et du talent de leurs adversaires leur faisant craindre d'être
dupes des beaux discours de leurs ennemis ou de leur souplesse
d'esprit, ils allaient droit au but ; tandis que les autres, dédai-
gnant même de prévoir les desseins de leurs adversaires et
croyant l'action superflue là où l'adresse semblait suffire, se
trouvaient désarmés et succombaient.
LXXXIV. Ce fut Corcyre qui donna le signal de ces atten-
tats. On y commit tous les excès qu'on peut attendre d'un
peuple longtemps gouverné avec plus de hauteur que de sa-
gesse et qui trouve l'occasion de se venger; toutes les violences
suggérées par le désir d'échapper brusquement à une longue
misère en s'emparant du bien d'autrui ; enfin toutes les
cruautés , toutes les barbaries naturelles à des gens qui n'ont
pas l'ambition pour mobile, mais qui, poussés par un senti-
ment aveugle d'égalité , s'acharnent impitoyablement sur des
rivaux. En ce temps donc, toutes les lois furent renversées
dans cette malheureuse cité ; la nature humaine, secouant le
joug du droit qu'elle ne supporte qu'avec impatience, prit
plaisir à se montrer docile à la passion , rebelle à la justice,
haineuse de toute supériorité. Si l'envie n'avait pas tant de
force malfaisante, on n'eût pas préféré la vengeance à la pitié,
l'âpreté du gain au respect du droit . C'est que les hommes ,
sous l'empire d'une colère aveugle, se plaisent à violer les lois
tutélaires qui laissent au malheur quelque espoir de salut, au
risque de ne pouvoir les invoquer eux-mêmes , si jamais le dan-
ger les force d'y avoir recours .
LXXXV. Tels furent les effets des premiers troubles de Cor-
cyre ' . Eurymédon et les Athéniens reprirent la mer. Plus
tard les Corcyréens fugitifs , qui, au nombre de cinq cents,
avaient échappé au carnage, se saisirent des forts construits
sur le continent, ainsi que de la côte située en face de Corcyre
et qui lui appartenait. Partant de là , ils pillèrent les habitants
de l'île , leur firent beaucoup de mal , et réduisirent la ville à
une affreuse disette. En même temps ils députèrent à Lacédé-
mone et à Corinthe pour solliciter leur retour. Comme leurs
démarches étaient infructueuses , ils se procurèrent des moyens
de transport et des auxiliaires, passèrent dans l'île au nombre
de six cents en tout, brûlèrent leurs vaisseaux, afin de se
mettre dans la nécessité de vaincre ; puis, s'étant établis sur
LIVRE III. 179

le mont Istone , ils y bâtirent un fort, infestèrent les environs


de la ville et se rendirent maîtres de la campagne.
LXXXVI. Sur la fin du même été , les Athéniens envoyèrent
en Sicile vingt vaisseaux, commandés par Lachès fils de Méla-
nopus et par Charœadès fils d'Euphilétos. Les Syracusains et
les Léontins étaient alors en guerre. Les premiers avaient pour
alliées toutes les villes doriennes qui , dès l'origine , s'étaient
rangées du côté de Lacédémone , sans toutefois prendre une
part active aux hostilités . Camarine seule faisait exception. Les
Léontins avaient pour eux les villes chalcidéennes et Camarine .
En Italie, les Locriens tenaient pour Syracuse, les Rhégiens
pour les Léontins , à cause de leur commune origine ' . Les al-
liés des Léontins députèrent à Athènes 2 , où ils firent valoir
d'anciens traités et leur qualité d'Ioniens. Ils sollicitèrent l'en-
voi d'une flotte pour les secourir contre les Syracusains , qui
leur fermaient la terre et la mer. Les Athéniens accueillirent
cette requête sous prétexte de parenté avec les Léontins , mais
au fond pour empêcher les Péloponésiens de tirer des grains
de Sicile et pour essayer de soumettre cette île à leur do-
· mination. Ils allèrent se poster à Rhégion en Italie , d'où ils
firent la guerre conjointement avec leurs alliés . Sur quoi l'été
finit.
LXXXVII . L'hiver suivant , il y eut à Athènes une recrudes-
cence de peste. Sans avoir complétement disparu , l'épidémie
avait laissé quelque relâche . Cette seconde irruption dura toute
une année ; la première avait régné deux ans . Rien ne contri-
bua plus à l'affaiblissement d'Athènes . Parmi les citoyens in-
scrits au rôle ' , il mourut non moins de quatre mille quatre
cents hoplites et de trois cents cavaliers , et sur le reste de la
population, une foule incalculable. A cette époque , on ressentit
de fréquents tremblements de terre , à Athènes, en Eubée et en
Béotie , surtout à Orchomène.
LXXXVIII. Le même hiver, les Athéniens qui étaient en
Sicile dirigèrent, de concert avec les Rhégiens , une expédition
de trente vaisseaux contre les îles d'Eole 1. En été le manque 1
d'eau rendait impossible une tentative de ce genre . Ces îles ap-
partiennent aux Lipariens , colonie de Cnide. Ils habitent l'une
d'elles , qui a peu d'étendue et se nomme Lipara ; ils partent
de là pour aller cultiver les autres, savoir Didyme , Strongyle
ét Hiéra. Les indigènes croient que c'est dans Hiéra que Vulcain
a ses forges, parce qu'il s'en échappe beaucoup de feu pendant
la nuit et de fumée pendant le jour. Ces fles sont situées en
180 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

face du pays des Sicules et des Messiniens ; elles étaient alliées


de Syracuse. Les Athéniens les ravagèrent ; mais , n'ayant pu
les soumettre, ils s'en retournèrent à Rhégion. Là-dessus l'hi-
ver finit, ainsi que la cinquième année de la guerre que Thu-
cydide a racontée .
LXXXIX . L'été suivant (a) , les Péloponésiens et leurs alliés ,
sous la conduite d'Agis fils d'Archidamos , s'avancèrent jusqu'à
l'Isthme , dans le dessein d'envahir l'Attique ; mais ils en furent
détournés par de nombreux tremblements de terre , et l'invasion
n'eut pas lieu . A l'époque de ces secousses , il se manifesta à
Orobies 1 en Eubée un phénomène extraordinaire. La mer s'é-
loigna du rivage ; puis elle revint subitement à flots amoncelés ,
engloutit une portion de la côte et en abandonna une autre ; en
sorte que ce qui jadis était terre fait maintenant partie de la
mer. Beaucoup d'hommes y perdirent la vie ; il n'échappa que
ceux qui parvinrent à se réfugier sur les hauteurs. L'île d'Ata-
lante , voisine des Locriens-Opontiens , éprouva une submersion
semblable , qui détruisit une partie du fort des Athéniens. Deux
vaisseaux se trouvaient à sec sur la plage ; il y en eut un de
fracassé. A Péparéthos 2 la mer se retira , mais sans causer d'i-.
nondation ; une secousse abattit un pan de la muraille, ainsi
que le prytanée et un certain nombre de maisons. La cause de
ce fait me paraît être que , là où les commotions furent le plus
fortes, la mer fut refoulée , et que , par un retour impétueux,
elle submergea le rivage ; sans tremblement de terre , je ne
pense pas que rien de pareil puisse arriver.
XC. Durant cet été, la Sicile fut le théâtre de divers combats
1
livrés soit par les Siciliens entre eux, soit par les Athéniens
et leurs alliés . Je me bornerai à citer ce qu'il y eut de plus im-
portant dans ces engagements partiels. Après la mort de Cha-
roadès , qui périt dans une rencontre avec les Syracusains ,
Laches eut seul le commandement de la flotte . Il alla, conjoin-
tement avec les alliés, attaquer Mylæ, place dépendante de Mes-
sine et gardée par deux tribus de Messiniens . Ces gens dres-
sèrent une embuscade aux Athéniens débarqués ; mais ceux - ci
les mirent en déroute et en tuèrent un grand nombre. Ensuite
les Athéniens assaillirent la place, et obligèrent les habitants à
leur livrer la citadelle et à marcher avec eux ccntre Messine. A
l'approche de cette armée , les Messiniens firent leur soumission,
en donnant des otages et toutes les sûretés voulues.

(a) Sixième année de la guerre , 426 avant J. C.


LIVRE III . 181

XCI. Le même été , les Athéniens envoyèrent autour du Pé-


loponėse trente vaisseaux commandés par Démosthène fils d'Al-
cisthénès et par Proclès fils de Théodoros. Soixante autres
vaisseaux et deux mille hoplites furent dirigés contre Mélos ,
sous les ordres de Nicias fils de Nicératos . Quoique insulaires ,
les Méliens refusaient obstinément de se soumettre et d'entrer
dans l'alliance ' . Les Athéniens avaient résolu de les y contrain-
dre ; mais ils eurent beau ravager leur territoire, ils ne purent
les amener à composition. Ils quittèrent donc Mélos et passèrent
à Oropos en Péraïque 2. Ils abordèrent de nuit , et les hoplites
étant descendus se mirent aussitôt en marche vers Tanagra en
Béotie. A un signal donné les Athéniens de la ville , commandés
par Hipponicos fils de Callias et par Eurymédon fils de Thou-
clès , vinrent en masse les rejoindre par terre. Ils campèrent ce
jour-là dans le territoire de Tanagra , le ravagèrent et y passè-
rent la nuit. Le lendemain, ils vainquirent en bataille les Tana-
gréens, qui avaient fait une sortie avec un certain nombre de
Thébains venus à leur secours . Ils enlevèrent des armes, éri-
gèrent un trophée , et se retirèrent les uns à Athènes , les autres
sur la flotte. Nicias, avec ses soixante vaisseaux , suivit la côte ;
et , après avoir dévasté les rivages de la Locride , il effectua son
retour.
XCII. Vers la même époque , les Lacédémoniens fondèrent la
colonie d'Héraclée en Trachinie ; voici à quelle occasion. Les
Maliens sont divisés en trois branches , savoir les Paraliens ,
les Hiéréens et les Trachiniens . Ceux- ci , écrasés par la guerre
que leur faisaient leurs voisins du mont OEta , avaient d'abord
songé à se donner aux Athéniens ; mais ensuite , craignant de
ne pas trouver auprès d'eux tout l'appui désirable , ils envoyè-
rent Tisaménos à Lacédémone en qualité d'ambassadeur . Les
Doriens , mère patrie des Lacédémoniens, se joignirent à cette
députation pour appuyer la demande ; ils étaient eux-mêmes
inquiétés par les OEtéens . En conséquence, les Lacédémoniens
résolurent d'envoyer une colonie pour protéger à la fois les
Trachiniens et les Doriens. La place leur semblait avantageuse-
ment située pour la guerre contre les Athéniens ; on pouvait y
construire des vaisseaux et menacer l'Eubée, qui n'est séparée
que par un bras de mer ; enfin elle devait leur faciliter le pas-
sage en Thrace 2. Pour ces divers motifs, ils entreprirent avec
ardeur cet établissement. Ils consultèrent l'oracle de Delphes ;
et, sur sa réponse favorable, ils envoyèrent des colons tirés de
leur sein ou de leurs Périèques ; ils invitèrent à s'y joindre
THUCYDIDE . 11
182 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

tous ceux des Grecs qui le voudraient, excepté toutefois les


Ioniens, les Achéens et quelques autres peuples. Trois Lacédé-
moniens, Léon, Alcidas et Damagon, eurent la direction de
cette colonie. Arrivés sur les lieux, ils rebâtirent les murailles
de la ville, qui porte aujourd'hui le nom d'Héraclée . Elle est
située à quarante stades des Thermopyles et à vingt de la mer.
Ils y construisirent des chantiers , qu'ils commencèrent au défilé
même des Thermopyles , afin de pouvoir les protéger plus faci-
lement.
XCIII. Les Athéniens, voyant s'élever cette nouvelle ville,
ne furent pas sans inquiétude ; elle leur semblait menacer es-
sentiellement l'Eubée, car elle n'était séparée du cap Cénéon ¹
que par un canal fort étroit. Cependant ils en furent quittes
pour la peur et n'éprouvèrent aucun dommage. La raison fut
que les Thessaliens , maîtres du pays où cette ville était bâtie ,
craignirent d'avoir des voisins trop puissants et ne cessèrent
de harceler ces nouveaux hôtes , jusqu'à ce qu'ils les eussent
entièrement affaiblis. Et pourtant la colonie avait commencé
par être florissante ; car chacun s'engageait hardiment dans
une entreprise formée par les Lacédémoniens. Les gouverneurs
envoyés de Lacédémone contribuèrent surtout à ruiner les af-
faires et à éloigner les habitants par l'effroi qu'inspiraient la
rudesse et parfois l'injustice de leur conduite. Aussi les voi-
sins prirent-ils plus aisément l'avantage.
XCIV. Le même été, pendant que les Athéniens séjournaient
à Mélos, ceux d'entre eux qui , avec les trente vaisseaux, fai-
saient le tour du Péloponèse, arrivèrent d'abord à Ellomène ,
place appartenant aux Leucadiens. Là ils tuèrent, à la faveur
d'une embuscade , quelques soldats de la garnison ; ensuite ils
se portèrent avec toutes leurs forces contre Leucade elle-même.
Ils avaient avec eux la levée en masse des Acarnaniens, sauf
les OEniades , un certain nombre de Zacynthiens et de Céphallé-
niens , enfin quinze vaisseaux de Corcyre. Devant une agression
si formidable , les Leucadiens ne firent aucun mouvement, bien
que leurs terres fussent ravagées , soit au delà de l'isthme , soit
en deçà, dans la partie où se trouvent la ville de Leucade et le
temple d'Apollon . Les Acarnaniens pressaient le général athé-
nien Démosthène d'investir la place, dans l'espoir de la réduire
sans peine et d'être ainsi délivrés d'irréconciliables ennemis.
Mais quelques Messéniens représentèrent à Démosthène que ,
disposant de si grandes forces , il serait beau pour lui d'attaquer
les Etoliens, peuples ennemis de Naupacte , et dont la soumis-
LIVRE III. 183

sion entraînerait celle de toute cette partie du continent . Les


Etoliens, disaient-ils , sont une nation brave et nombreuse ;
mais, comme ils sont armés à la légère et qu'ils habitent des
villages non fortifiés , à une grande distance les uns des autres ,
il serait aisé de les battre isolément, avant qu'ils fussent par-
venus à se rassembler . Ils lui conseillaient d'attaquer en pre-
mier lieu les Apodotes , puis les Ophionéens et enfin les Eury-
tanes ' . Ceux-ci forment la portion la plus considérable de l'Etolie ,
parlent une langue tout à fait ignorée et se nourrissent, dit-on ,
de chair crue . Ces peuples une fois réduits , le reste suivrait
de près .
XCV. Démosthène céda aux instances des Messéniens . Il se
laissa tenter par la pensée qu'à l'aide des alliés du continent
réunis aux Étoliens, il pourrait attaquer par terre la Béotie,
sans avoir besoin des armes d'Athènes . Pour cet effet, il n'y
avait qu'à traverser le pays des Locriens-Ozoles , marcher sur
Cytinion en Doride , et , laissant à droite le Parnasse , descendre
chez les Phocéens . La coopération de ceux-ci paraissait assurée ,
grâce à leur vieille amitié pour les Athéniens ; et d'ailleurs on
pouvait les contraindre. Or la Phocide touche la Béotie.
Il s'embarqua donc à Leucade avec toute son armée , au grand
déplaisir des Acarnaniens , et suivit la côte jusqu'à Sollion. Il
avait communiqué son projet aux Acarnaniens ; mais ceux- ci ,
mécontents de ce qu'il n'avait pas voulu faire le siége de Leu-
cade, avaient refusé de l'accompagner. Ce fut donc avec le reste
de ses troupes qu'il alla porter la guerre en Étolie , savoir avec
les Céphalléniens , les Messéniens , les Zacynthiens et trois cents
Athéniens , soldats de marine ' , montés sur leurs propres bâti-
ments ; car les quinze vaisseaux de Corcyre s'étaient retirés . Il
partit d'OEnéon en Locride . Les Locriens-Ozoles , alliés d'A-
thènes, devaient le rejoindre avec toutes leurs forces dans l'in-
térieur du pays. Voisins des Étoliens , habitués aux mêmes
armes , on comptait qu'ils seraient d'un grand secours contre
ces peuples , dont ils connaissaient la tactique et le territoire.
XCVI. Démosthène passa la nuit avec son armée dans l'en-
ceinte de Jupiter Néméen . C'est là, dit-on, que le poëte Hésiode
fut tué par les gens de l'endroit , un oracle lui ayant prédit qu'il
mourrait à Némée ' . De grand matin , il se mit en marche pour
l'Etolie. Le premier jour, il prit Potidania, le second Crocylion ,
le troisième Tichion . Là il fit halte et envoya son butin à Eupa-
lion en Locride . Son intention était, quand il aurait achevé de
subjuguer le pays , de revenir à Naupacte et de marcher ensuite
184 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

contre les Ophionéens , s'ils refusaient obéissance . Mais ses pré-


paratifs n'avaient pas été tellement secrets que les Étoliens n'en
eussent eu vent dès l'origine. Aussi l'armée avait-elle à peine
mis le pied sur leur territoire, qu'ils se portèrent à sa rencontre .
Il n'y eut pas jusqu'aux Bomiens et aux Calliens qui, de l'ex-
trême frontière des Ophionéens , près du golfe Maliaque , n'arri-
vassent en armes au-devant de l'invasion 2.
XCVII . Les Messéniens donnaient à Démosthène les mêmes con-
seils que précédemment. A les entendre, rien n'était plus aisé pour
lui que la conquête de l'Étolie , pourvu qu'il allât droit aux villa-
ges , sans donner aux Etoliens le temps de se reconnaître , et en se
1 bornant à occuper la terre qu'il foulait. Démosthène les crut ;
et, se fiant à la fortune qui ne lui avait jamais fait défaut , il
n'attendit pas même l'arrivée du renfort que les Locriens lui
ménageaient, renfort qui lui eût été précieux , car il manquait
surtout de gens de trait légèrement armés . Il marcha sur Égi-
tion , qu'il enleva d'emblée , les habitants s'étant réfugiés sur
les hauteurs voisines . Cette ville est située sur une éminence à
quatre-vingts stades de la mer. Mais bientôt les Etoliens se
portèrent au secours d'Egition . Ils attaquèrent les Athéniens et
leurs alliés , fondirent de toutes parts sur eux du haut des col-
lines , et les criblèrent de javelots. Quand l'armée athénienne
avançait, ils cédaient le terrain ; reculait-elle, ils revenaient à
la charge. Le combat se prolongea ainsi dans ces alternatives
d'attaque et de retraite , espèce de manœuvre où les Athéniens
avaient constamment le dessous.
XCVIII. Tant que les archers eurent des flèches , et furent à
même de s'en servir, ils soutinrent le combat. Les Etoliens
armés à la légère se repliaient pour éviter leurs coups . Mais les
archers, privés de leur chef, se débandèrent. Les Athéniens ,
harassés par la répétition des mêmes mouvements et couverts
de traits par les Étoliens , lâchèrent pied ; et , comme leur guide ,
le Messenien Chromon , avait perdu la vie , ils se jetèrent dans
des fondrières infranchissables, dans des lieux inconnus , où ils
trouvèrent la mort. Les Étoliens agiles et lestement équipés
atteignirent sur-le-champ plusieurs des fuyards et les percèrent
de javelots. La plupart des Athéniens manquèrent la route et
s'engagèrent dans une forêt des plus épaisses ; les ennemis l'en-
vironnèrent et y mirent le feu . Enfin les Athéniens en complet
désarroi s'enfuirent dans toutes les directions . Ceux qui par
vinrent à s'échapper rejoignirent la mer et la ville d'OEnéon en
Locride, leur point de départ. Il périt une foule d'alliés et non
LIVRE III . 185
moins de cent vingt hoplites athéniens, fleur de la jeunesse
moissonnée dans cette guerre , ainsi que Proclès l'un des deux
généraux. Les Athéniens , après avoir relevé leurs morts par
composition , se retirèrent d'abord à Naupacte et ensuite à
Athènes avec la flotte. Pour Démosthène , il resta aux environs
de Naupacte ; il craignait le courroux des Athéniens après un
désastre pareil .
XCIX . A la même époque , les Athéniens qui étaient en Sicile
firent voile vers le pays de Locres . Ils vainquirent dans unè
descente un corps de Locriens accouru pour les repousser, et
prirent un fortin situé à l'embouchure du fleuve Halex.
C. Le même été , les Etoliens députèrent à Corinthe et à Lacé-
démone Tolophos l'Ophionéen , Boriadès l'Eurytane et Tisandros
l'Apodote. Ils obtinrent l'envoi d'un corps de troupes destiné à
attaquer Naupacte , qui avait attiré contre eux les armes d'A-
thènes. Les Lacédémoniens firent partir, sur la fin de l'automne ,
trois mille hoplites alliés , dont cinq cents avaient été fournis
par la nouvelle colonie d'Héraclée-Trachinienne. Les chefs de
cette expédition étaient les Spartiates Eurylochos , Macarios et
Ménédéos .
CI . L'armée étant rassemblée à Delphes , Eurylochos envoya
un héraut chez les Locriens-Ozoles , dont il fallait traverser le
pays pour atteindre Naupacte , et qu'il voulait d'ailleurs déta-
cher des Athéniens . Il fut activement secondé dans ce but par
les Locriens d'Amphissa, qui craignaient toujours les phocéens .
Ils commencèrent par donner eux-mêmes des otages ; puis ,
profitant de la terreur qu'inspirait l'approche de l'armée , ils en-
gagèrent les autres à en faire autant. Ils gagnèrent d'abord les
Myonéens , leurs voisins les plus proches et les maîtres des dé-
bouchés qui conduisent en Phocide ; ensuite les Ipnéens , les
Messapiens, les Tritéens, les Chaléens, les Tolophoniens, les
Hessiens et les OEanthéens. Tous ces peuples se joignirent à
l'expédition. Les Olpéens fournirent des otages , mais point de
troupes. Les Hyéens ne livrèrent des otages que lorsqu'on leur
eut pris leur village de Polis .
CII. Quand tout fut prêt et que les otages eurent été déposés.
à Cytinion en Doride, Eurylochos marcha contre Naupacte à
travers le pays des Locriens . Sur son passage , il prit les villes
d'OEnéon et d'Eupalion , qui refusaient de se joindre à lui. Arrivé
sur le territoire de Naupacte , il opéra sa réunion avec les Éto-
liens , ravagea la contrée et prit le faubourg , qui n'était pas
fortifié . Ensuite il s'empara de Molycrion , colonie de Corinthe ,
186 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

mais sujette d'Athènes . Le général athénien Démosthène, de-


meuré à Naupacte depuis sa campagne d'Etolie, avait prévu
cette invasion. Craignant pour Naupacte , il se rendit chez les
Acarnaniens pour en obtenir des secours. Il eut de la peine à
y réussir, à cause de sa retraite de Leucade ; cependant ils lui
donnèrent mille hoplites qu'il embarqua sur ses vaisseaux. Ce
renfort sauva Naupacte , qui sans cela n'aurait pu résister, vu
la grande étendue de l'enceinte et le petit nombre des défen-
seurs . Eurylochos , apprenant l'arrivée de ces troupes , désespéra
d'enlever la ville et se retira. Au lieu de regagner le Pélopo-
nèse , il s'établit dans l'Éolide ' , nommée aujourd'hui Calydon
et Pleuron, dans d'autres places du voisinage et à Proschion
en Étolie. C'est que les Ambraciotes étaient venus solliciter sa
coopération contre Argos Amphilochicon et le reste de l'Am-
philochie. Ils assuraient que, s'il s'en rendait maître , tout le
continent se déclarerait en faveur des Lacédémoniens. Eury-
lochos les crut, congédia les Étoliens et demeura en repos dans
ces parages , attendant le moment de marcher avec les Ambra-
ciotes à l'attaque d'Argos . Là-dessus l'été finit.
CIII . L'hiver suivant, les Athéniens qui étaient en Sicile ,
réunis aux Grecs leurs alliés et à ceux des Sicules qui avaient
embrassé leur parti pour échapper au joug de Syracuse , atta-
quèrent Inessa, place appartenant aux Sicules et dont la cita-
delle était au pouvoir des Syracusains ; mais, n'ayant pu s'en
rendre maîtres , ils se retirèrent. Pendant leur marche, la gar-
nison syracusaine fondit sur l'arrière- garde des Athéniens , qui
était composée d'alliés, mit en fuite une partie de l'armée et lui
tua beaucoup de monde. Plus tard Lachès et les Athéniens
effectuèrent quelques descentes dans les environs de Locres et
défirent près du fleuve Cécinos trois cents Locriens venus à
leur rencontre avec Proxénos fils de Capaton . Ils se retirèrent
en emportant les armes prises sur l'ennemi .
CIV. Le même hiver, les Athéniens purifièrent Délos pour
obéir à un oracle. Déjà anciennement le tyran Pisistrate l'avait
purifiée , non pas dans toute son étendue, mais seulement dans
l'horizon du temple. Cette fois on la purifia en entier. Toutes
les tombes furent enlevées ; il fut ordonné qu'à l'avenir il n'y
aurait plus dans l'île ni décès ni accouchement, mais que les
moribonds et les femmes près de leur terme seraient transpor-
tés à Rhénéa ' . Cette dernière île est si proche de Délos que
Polycrate, tyran de Samos , qui eut pendant un certain temps
une marine puissante et qui soumit à sa domination les autres
LIVRE III . 187

fles , voulant consacrer à Apollon Délien Rhénéa qu'il avait


prise, la lia par une chaîne à Délos .
Ce fut après cette purification que les Athéniens célébrèrent
pour la première fois les fêtes quinquennales appelées Délia .
Jadis il y avait à Délos une grande assemblée des Ioniens et
des insulaires du voisinage . Ils s'y rendaient avec leurs femmes
et leurs enfants, comme aujourd'hui les Ioniens aux fêtes d'E-
phèse. On y donnait des combats gymniques et des concours
de musique , pour lesquels les villes fournissaient des choeurs .
C'est ce qu'on peut conclure de ces vers d'Homère , tirés de
l'Hymne à Apollon :

· D'autres fois , ô Phébus , c'est Délos qui fait tes délices. C'est là
que les Ioniens aux tuniques flottantes , se réunissent dans tes fètes.
avec leurs femmes et leurs enfants. C'est là que , par le pugilat , par la
danse et par le chant , ils te célèbrent dans leur assemblée.

Que dans ces fêtes il y eût des concours de musique et qu'on


y vînt disputer les prix, c'est ce que témoignent encore les vers
suivants empruntés au même poëme. Après avoir vanté le
chœur des femmes de Délos , l'auteur termine par cette apo-
strophe, dans laquelle il fait mention de lui -même :

Qu'Apollon et Diane soient propices ! Et vous toutes , adieu. Souve-


nez-vous de moi dans l'avenir ; et si jamais sur cette terre quelque
voyageur fatigué vous interroge en disant : « Jeunes filles , quel est ici
de tous les chantres le plus doux , celui qui vous charme davantage ? »
répondez toutes d'une voix bienveillante : « C'est un aveugle qui habite
la sourcilleuse Chios ". >>

Voilà ce que dit Homère et ce qui prouve qu'autrefois il y


avait une grande assemblée et une fête à Délos . Dans la suite ,
les insulaires et les Athéniens continuèrent à envoyer des
chœurs et des offrandes ; mais quant aux jeux , la célébration
en fut interrompue, comme il était naturel, par le malheur des
temps , jusqu'à l'époque où les Athéniens les rétablirent, en y
ajoutant des courses de chevaux, qui n'avaient pas lieu aupa-
ravant.
CV. Le même hiver, les Ambraciotes , conformément à la pro-
messe qu'ils avaient faite à Eurylochos pour retenir son armée,
marchèrent avec trois mille hoplites contre Argos Amphilo-
chicon . Ils envahirent le territoire de cette ville et s'emparè-
rent d'Olpæ , place forte , bâtie sur une éminence près de la mer.
188 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Les Acarnaniens l'avaient jadis fortifiée pour y établir un tri-


bunal central 2. Elle est à vingt- cinq stades de la ville d'Argos ,
située elle-même au bord de la mer..
Les Acarnaniens se partagèrent : les uns se portèrent au se-
cours d'Argos ; les autres allèrent camper en cet endroit de
l'Acarnanie qu'on appelle Crénæ, afin d'empêcher la jonction
des Ambraciotes avec Eurylochos et les Péloponésiens . Ils en-
voyèrent aussi vers Démosthène qui avait commandé l'armée
athénienne en Étolie, et le prièrent de se mettre à leur tête.
Enfin ils appelèrent les vingt vaisseaux athéniens qui croisaient
autour du Péloponèse sous les ordres d'Aristotélès fils de Timo-
cratès et d'Hiérophon fils d'Antimnestos . Les Ambraciotes qui
étaient à Olpæ dépêchèrent à Ambracie pour demander qu'on
vînt en masse à ieur secours. Ils craignaient que la troupe d'Eu-
rylochos ne fût pas assez forte pour passer sur le corps aux
Acarnaniens , et qu'eux-mêmes ne fussent ainsi réduits à com-
battre seuls ou à faire une retraite périlleuse.
CVI. Eurylochos et les Péloponésiens n'eurent pas plutôt
appris l'arrivée des Ambraciotes à Olpæ qu'ils partirent de Pros-
chion et firent diligence pour les rejoindre. Ils passèrent l'Aché-
loüs 1 et s'avancèrent à travers l'Acarnanie , déserte à cause de
la concentration de ses habitants à Argos. Ils avaient à droite la
ville et sa garnison , à gauche le reste de l'Acarnanie . Après
avoir traversé le pays de Stratos , ils prirent par Phytia , par la
lisière de Médéon et par Limnéa ; puis , quittant l'Acarnanie ,
ils entrèrent chez les Agréens , en pays ami . Quand ils eurent
atteint le Thyamos, ils franchirent cette montagne sauvage et
descendirent sur les terres d'Argos au moment où il faisait déjà
nuit. Ils défilèrent inaperçus entre la ville d'Argos et les A carna-
niens campés à Crénæ, et opérèrent leur jonction avec les Am-
braciotes qui étaient à Olpæ.
CVII. Ainsi réunis , ils allèrent dès la pointe du jour prendre
position à l'endroit appelé Métropolis, où ils assirent leur camp.
Peu de temps après , les vingt vaisseaux athéniens arrivèrent au
secours des Argiens dans le golfe Ambracique. Démosthène
amena deux cents Messéniens hoplites et soixante archers athé-
niens . Aussitôt la flotte bloqua du côté de la mer la colline sur
laquelle est Olpæ, tandis que les Acarnaniens et quelques Am-
philochiens la plupart étaient retenus de force par les Am-
braciotes s'étaient déjà rassemblés à Argos et se préparaient
à combattre. Ils élurent Démosthène pour général des troupes
alliées , concurremment avec leurs propres chefs. Démosthène
LIVRE III . 189

rapprocha son camp d'Olpæ. Un ravin profond séparait les deux


armées.
Pendant cinq jours , on s'observa mutuellement ; le sixième
on se rangea en bataille. L'armée péloponésienne , supérieure
en nombre, débordait la ligne des ennemis . Craignant d'être
tourné, Démosthène embusqua , dans un chemin creux et fourré,
des hoplites et des soldats armés à la légère , en tout quatre
cents hommes. Ils devaient, le combat engagé , se lever tout à
coup et prendre à dos l'aile qui débordait leur front de ba-
taille .
Ces dispositions arrêtées , on en vint aux mains . Démosthène ,
avec les Messéniens et quelques Athéniens , occupait l'aile
droite ; le reste de sa ligne était formé par les différents corps
des Acarnaniens et par des Amphilochiens armés de javelots .
Les Péloponésiens et les Ambraciotes étaient mêlés ensemble ;
les Mantinéens seuls formaient un corps distinct s'étendant sur
la gauche, mais non jusqu'à l'extrémité . Eurylochos et les siens
s'étaient réservé ce poste , en face de Démosthène et des Mes-
séniens .
CVIII. Déjà l'action était engagée et les Péloponésiens, dé-
bordant l'aile droite des ennemis, commençaient à l'envelopper,
lorsque les Acarnaniens , sortant de leur embuscade, les prennent
à revers et les culbutent ; ils sont saisis de frayeur , se mettent
en fuite, et entraînent dans leur déroute la plus grande partie
de l'armée car les Péloponésiens, voyant le désordre du corps
d'élite commandé par Eurylochos , prirent plus facilement l'é-
pouvante .
Les Messéniens , placés en cet endroit avec Démosthène ,
eurent l'honneur de la journée . A l'aile droite , les Ambraciotes ,
qui sont les plus belliqueux des peuples de ce pays , défirent
ceux qu'ils avaient en tête et les poursuivirent du côté d'Argos ;
mais à leur retour , voyant la déroute du gros de leur armée et
assaillis eux-mêmes par les Acarnaniens, ils se replièrent sur
Olpæ, qu'ils n'atteignirent qu'avec peine. Un grand nombre
d'entre eux perdirent la vie au milieu de la plus horrible confu-
sion . Les Mantinéens seuls opérèrent leur retraite en bon ordre.
Le combat finit vers le soir.
CIX . Le lendemain Ménédéos , qui avait pris le commande-
ment depuis la mort d'Eurylochos et de Macarios , se trouvant
bloqué par terre et par mer, désespéra , après un si grand dé-
sastre, de pouvoir soutenir un siége ou effectuer sa retraite. Il
entra donc en pourparlers avec Démosthène et les généraux
190 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

acarnaniens pour qu'il lui fût permis de se retirer et d'enlever


ses morts . Ils octroyèrent cette dernière demande , érigèrent un
trophée et recueillirent leurs propres morts au nombre de trois
cents . Quant à la retraite , elle fut ostensiblement refusée à tous ;
mais en secret Démosthène et les généraux acarnaniens traitė-
rent avec les Mantinéens , avec Ménédéos , ainsi qu'avec les
autres chefs et les plus marquants des Péloponésiens , pour
qu'ils se retirassent au plus vite. Leur intention était d'isoler
les Ambraciotes et les mercenaires étrangers , surtout de discré-
diter auprès des Grecs de ces contrées les Lacédémoniens et les
Péloponésiens , en les représentant comme des traîtres qui n'a-
vaient songé qu'à leur propre salut. Les Péloponésiens relevè-
rent leurs morts , qu'ils enterrèrent à la hâte, comme ils purent;
après quoi ceux qui en avaient permission épièrent le moment
d'exécuter sans bruit leur retraite.
CX. Cependant Démosthène et les Acarnaniens sont avertis
que les Ambraciotes de la ville , sur le premier avis reçu d'Olpæ ,
arrivent en masse, à travers l'Amphilochie , au secours de leurs
compatriotes , sans rien savoir de ce qui s'est passé . A l'instant
Démoshène détache une partie de ses troupes pour dresser des
embuscades le long de la route et pour se saisir des plus fortes
positions. Lui-même se tient prêt à marcher avec le reste de
l'armée .
CXI. Pendant ce temps , les Mantinéens et tous ceux qui
étaient compris dans la convention sortirent par petites troupes,
sous prétexte de ramasser des légumes et du bois , et s'éloigné-
rent peu à peu , tout en faisant leur prétendue cueillette ; puis ,
une fois à distance d'Olpæ, ils gagnèrent du chemin. Les Am-
braciotes et la foule qui suivait sans autre but ne s'aperçurent
pas plutôt de leur retraite qu'ils prirent eux-mêmes la course
pour les rejoindre. Au premier moment, les Acarnaniens crurent
qu'ils partaient tous sans capitulation ; aussi se mirent-ils à
leur poursuite ; et, comme les chefs s'y opposaient, disant qu'il
y avait une convention, un soldat leur lança un javelot, dans
l'idée qu'ils trahissaient. Finalement on laissa passer les Man-
tinéens et les Péloponésiens ; mais on fit main basse sur les
Ambraciotes . Or , il s'élevait de grandes contestations, parce
qu'il n'était pas facile de les reconnaître . On en tua jusqu'à deux
cents ; les autres se réfugièrent dans l'Agraïde , pays limitrophe,
et reçurent bon accueil de Salynthios, roi des Agréens .
CXII . Cependant les Ambraciotes de la ville étaient arrivés
à Idomène ; c'est le nom de deux monticules élevés. Le plus
LIVRE III. 1911

grand avait été saisi à la nuit tombante par les gens que Dé-
mosthène avait envoyés en avant ; ils s'y étaient logés sans
être aperçus ; l'autre se trouvait occupé par les bivacs des
Ambraciotes . Démosthène se mit en marche avec le reste de
l'armée aussitôt après le repas du soir. Lui-même , avec la moi-
tié de son monde , s'avança vers le défilé , tandis que l'autre
moitié se dirigeait par les montagnes de l'Amphilochie . A l'ap-
proche du jour, il surprit les Ambraciotes encore couchés et
si peu sur leurs gardes qu'ils crurent que c'étaient des amis.
Démosthène avait eu la précaution de placer en tête les Mes-
séniens , avec ordre de s'adresser aux avant-postes en dialecte
dorique ' , pour n'inspirer aucune défiance . D'ailleurs , on ne
pouvait se reconnaître , car il faisait encore nuit . Les Ambra-
ciotes furent culbutés au premier choc . Un grand nombre fut
tué sur place ; le reste se sauva sur les montagnes . Mais les
chemins étaient interceptés ; les Amphilochiens , qui étaient
chez eux , connaissaient le pays , et ils avaient sur des hoplites.
l'avantage d'être légèrement armés . Les Ambraciotes , ignorant
les passages , ne savaient de quel côté tourner ; ils tombaient
dans des ravins ou dans des embuscades et y trouvaient la
mort. Ils fuyaient dans toutes les directions . Quelques-uns ga-
gnèrent la mer, qui était peu éloignée ; et , voyant les vaisseaux
athéniens qui rasaient la côte au moment de l'action , ils se
jetèrent à la nage pour les atteindre, aimant mieux, dans leur
effroi , mourir , s'il le fallait, de la main des Athéniens que de
celle des barbares Amphilochiens, leurs ennemis implacables .
Ils étaient venus en grand nombre ; bien peu revirent leurs
foyers. Les Acarnaniens se retirèrent à Argos , après avoir dé-
pouillé les morts et dressé un trophée.
CXIII . Le lendemain arriva un héraut de la part des Ambra-
ciotes réfugiés d'Olpæ chez les Agréens. Il demandait la per-
mission de relever les corps des hommes tués à la suite du
premier combat, lorsque, sans y être autorisés, ils étaient sor-
tis avec les Mantinéens et autres protégés par la capitulation.
Ce héraut, voyant les armes des Ambraciotes de la ville , n'en
pouvait croire ses yeux ; car il ignorait le désastre de la veille ,
et prenait ces armes pour celles de ses compagnons. Un des
assistants , qui le croyait envoyé par ceux d'Idomène , lui de-
manda la cause de sa surprise et combien d'hommes ils avaient
perdus. Environ deux cents , répondit le héraut . Ce ne sont
pas là les armes de deux cents hommes , mais de plus de mille.
Dans ce cas , ce ne sont pas celles de nos gens. Ce sont
192 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
elles, si vous avez combattu hier à Idomène. Hier nous n'a-
vons eu affaire avec personne ; c'est avant-hier, dans la re-
traite. Et nous , c'est hier que nous nous sommes battus contre
ceux-ci qui venaient d'Ambracie. » A ces mots le héraut com-
prit que le renfort parti de la ville avait été détruit. Atterré de
cette catastrophe, il poussa un profond soupir et se retira im-
médiatement, sans remplir sa mission et sans réclamer les
morts.
Ce fut dans cette guerre le plus grand désastre éprouvé par
une ville grecque en si peu de jours. Je n'ai pas indiqué le
nombre des morts , parce qu'on le fait monter à un chiffre in-
croyable , eu égard à la grandeur de la ville. Ce que je sais
bien , c'est que si les Acarnaniens et les Amphilochiens eussent
voulu s'emparer d'Ambracie, comme Démosthène et les Athé-
niens le leur conseillaient, rien ne leur eût été plus aisé ; mais
ils craignirent que les Athéniens , une fois maîtres de cette ville ,
ne fussent pour eux de dangereux voisins ' .
CXIV. Là-dessus ils assignèrent aux Athéniens le tiers des
dépouilles et partagèrent le reste entre eux. La part des Athé-
niens fut prise en mer. Les trois cents panoplies qui se voient
aujourd'hui dans les temples de l'Attique furent prélevées pour
Démosthène , qui les rapporta lui-même à son retour. Cette
victoire lui permit de rentrer dans sa patrie avec moins de
danger qu'il n'aurait pu le faire après sa malheureuse cam-
pagne d'Etolie. Les vingt vaisseaux athéniens retournèrent à
Naupacte.
Après le départ des Athéniens et de Démosthène , les Acar-
naniens et les Amphilochiens firent avec les Ambraciotes et
les Péloponésiens , réfugiés d'abord auprès de Salynthios , roi
des Agréens , puis à OEniades , une convention qui leur permit
de quitter cet asile . Ils conclurent aussi avec les Ambraciotes
une paix et une alliance de cent ans. Les conditions furent que
les Ambraciotes ne porteraient pas les armes avec les Acarna-
niens contre le Péloponèse, non plus que les Acarnaniens avec
les Ambraciotes contre Athènes ; mais qu'ils se garantiraient
mutuellement leur territoire ; que les Ambraciotes rendraient
aux Acarnaniens les places et les otages dont ils étaient dé-
tenteurs ; qu'enfin ils ne soutiendraient pas Anactorion, ville
ennemie des Acarnaniens . Ce traité mit fin à la guerre. Dans
la suite, les Corinthiens envoyèrent à Ambracie une garnison
de trois cents hoplites sous les ordres de Xénoclidas fils d'Eu-
thyclès. Ces troupes s'y rendirent par voie de terre et eurent
LIVRE III. 193
de la peine à y arriver. Tels furent les événements d'Am-
bracie.
CXV. Le même hiver, les Athéniens qui étaient en Sicile
opérèrent une descente sur le territoire d'Himéra , tandis que
les Sicules faisaient de l'intérieur une incursion sur les fron-
tières du même pays. Ils cinglèrent aussi contre les îles d'Éole .
De retour à Rhégion , ils trouvèrent Pythodoros fils d'Isolo-
chos , général athénien , qui venait remplacer Lachès dans le
commandement de la flotte ' . C'est que les alliés de Sicile s'é-
taient rendus auprès des Athéniens et avaient obtenu l'envoi
d'un armement considérable . Les Syracusains, maîtres de la
campagne et indignés que la mer leur fût fermée par un petit
nombre de navires , armaient une flotte pour repousser cette
insulte . Les Athéniens équipèrent donc quarante vaisseaux pour
cette destination. Ils voyaient en cela un moyen de terminer
plus promptement la guerre de Sicile et en même temps une
occasion d'exercer leur marine. L'un des trois généraux , Py-
thodoros, fut envoyé le premier avec quelques bâtiments ; ses
deux collègues , Sophoclès fils de Sostratidès , et Eurymédon
fils de Thouclès , devaient suivre avec le reste de la flotte . Pytho-
doros , après avoir reçu des mains de Lachès le commandement,
cingla sur la fin de l'hiver contre le fortin que Lachès avait
pris sur les Locriens dans une expédition antérieure² ; mais il
fut battu par les Locriens et se retira.
CXVI . Aux approches du printemps, il y eut une seconde
éruption de l'Etna. Elle désola une partie du territoire des
Catanéens, qui habitent au pied de cette montagne, la plus
haute de la Sicile. On prétend que cette éruption eut lieu cin-
quante ans après la précédente et qu'il n'y en a eu que trois
depuis que la Sicile est habitée par des Grecs ¹ .
Tels furent les événements de cet hiver , avec lequel finit la
sixième année de la guerre que Thucydide a racontée .
LIVRE IV.

Septième annee de la guerre. Prise de Messine par les Syracusains


ch. 1. Cinquième invasion des Péloponésiens en Attique. Dé-
mosthène fortifie Pylos , ch. 11 -VI. - Eon en Chalcidique conquise
et perdue par les Athéniens , ch. VII. - Attaque de Pylos par les
Lacédémoniens , ch. VIII-IX. Harangue de Démosthène à ses sol-
dats , ch. x. - Combat sous les murs de Pylos. Une troupe de Lacé-
démoniens bloquée dans l'île de Sphactérie , ch . XI-XIV. - Armistice ,
ch . XV-XVI. Discours des Lacédémoniens à Athènes , ch . XVII -XX.
Reprise des hostilités , ch. XXI-XXIII. Evénements militaires en
Sicile , ch. XXIV-XXV. - Cléon prend le commandement des Athé-
niens à Pylos et fait prisonniers les Lacédémoniens de Sphacté-
rie, ch. XXVI-XLI . Expédition navale des Athéniens en Corinthie ,
ch. XLII -XLV. Nouveaux troubles à Corcyre ; massacre du parti
aristocratique , ch. XLVI - XLVIII . - Prise d'Anactorion par les Athé-
niens et les Acarnaniens , ch. XLIX. - Dans l'hiver , arrestation d'un
ambassadeur du roi de Perse par les Athéniens , ch . L. ― Chios dé-
mantelée , ch. LI. Huitième année de la guerre. Les bannis de
Mitylène s'emparent d'Antandros , ch. LII. Les Athéniens font la
conquête de Cythère , ch. LIII-LV. - - Prise de Thyréa par les Athé-
niens, ch. LVI . — Les Grecs de Sicile font la paix entre eux.
Discours d'Hermocratès , ch. LVII-LXV. Les Athéniens s'emparent
de Niséa et des longs murs de Mégare , ch. LXVI-LXXIV. Ils re-
prennent Antandros. — Revers de Lamachos dans le Pont , ch. LXXV.
- Entreprise des Athéniens contre la Béotie , ch . LXXVI . - Brasidas
conduit par terre une armée péloponésienne en Thrace , ch. LXXVII-
LXXXII. - Son expédition contre Arrhibéos , roi des Lyncestes ,
ch . LXXXIII. Brasidas s'empare d'Acanthe . Son discours aux
Acanthiens , ch. LXXXIV- LXXXVIII . - Dans l'hiver , les Athéniens
fortifient Délion , ch. LXXXIX-XCI. — Harangue de Pagondas aux Béo-
tiens , ch. XCII. - Dispositions d'attaque , ch. xcII-XCIV. —- Harangue
d'Hippocratès aux Athéniens , ch. xcv. ་་ Bataille de Délion ; défaite
des Athéniens ; prise de Délion par les Béotiens , ch. XCVI-CI.-- Bra-
sidas s'empare d'Amphipolis , ch. CII -CVIII . Ses progrès sur le lit-
toral de la Thrace , ch. cix. Il prend Torone et Lécythos , ch. cx-
-
CXVI. Neuvième année de la guerre. Trêve entre Athènes et Lacé-
démone , ch. CXVII -CXIX. - Défection de Scione et de Mende soutenue
par Brasidas malgré la trêve , ch . cxx-CXXIII . ― Seconde expédition
de Brasidas et de Perdiccas contre Arrhibéos , ch. cxxIV-CXXVIII. --
LIVRE IV . 195
Les Athéniens reprennent Mende et assiégent Scione , ch. cXXIX-
CXXXI. - Perdiccas se réconcilie avec les Athéniens , ch. CXXXII . —
Les Thébains démantèlent Thespies. Incendie du temple de Junon
à Argos , ch. cxxxiii . Dans l'hiver , combat des Mantinéens et
des Tégéates , chap . cxxxiv. Tentative de Brasidas sur Potidée ,
ch. cxxxv .

I. L'été suivant (a) , à l'époque où le blé monte en épis , dix


vaisseaux de Syracuse et autant de Locres se rendirent à Mes-
sine en Sicile , sur l'invitation des habitants . Ils prirent pos-
session de cette ville , qui se détacha ainsi de l'alliance d'A-
thènes. Ce qui détermina les Syracusains à cette entreprise ,
c'est que Messine étant l'abord de la Sicile, ils craignaient
qu'un jour les Athéniens ne s'en servissent pour diriger contre
eux des forces plus considérables . Le motif des Locriens était
leur haine contre Rhégion , qu'ils voulaient placer entre deux
ennemis . Aussi entrèrent-ils en masse dans le pays des Rhé-
giens, pour les empêcher de secourir Messine . Ils étaient d'ail-
leurs excités par des bannis de Rhégion , réfugiés chez eux par
suite des dissensions qui agitaient cette ville et qui pour lors
paralysaient sa résistance ; c'est ce qui engagea d'autant plus
les Locriens à l'attaquer. Leur armée de terre se retira après
avoir dévasté la campagne ; mais la flotte resta pour garder
Messine. D'autres vaisseaux , alors en armement , devaient l'y
rejoindre et de là continuer la guerre.
II. Vers la même époque du printemps et avant la maturité
des blés ,2 les Péloponésiens et leurs alliés envahirent l'Attique
sous la conduite d'Agis , fils d'Archidamos , roi des Lacédémo-
niens . Ils y campèrent et ravagèrent le pays . De leur côté, les
Athéniens envoyèrent en Sicile les quarante vaisseaux qu'ils
avaient armés. Les deux généraux restés en arrière, savoir,
Eurymédon et Sophoclès, les commandaient ; Pythodoros , le
troisième , les avait précédés en Sicile . Ils avaient ordre de
donner en passant assistance aux Corcyréens de la ville , expo-
sés aux brigandages des exilés établis sur la montagne¹ . Ceux-
ci avaient été secourus par soixante vaisseaux péloponésiens ;
et , comme la ville souffrait beaucoup de la disette , ils espé-
raient s'en rendre maîtres sans trop de difficulté . Démosthène ,
resté sans emploi depuis son retour d'Acarnanie , avait obtenu
de disposer de cette flotte athénienne pour tenter quelque coup

(a) Septième année de la guerre , an 425 avant J.-C.


196 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

de main sur tel point de la côte du Péloponèse qu'il jugerait à


propos.
III. Arrivés dans les eaux de la Laconie et informés que la
flotte péloponésienne était déjà à Corcyre , Eurymédon et So-
phocles avaient hâte de s'y rendre aussi . Démosthène, au con-
traire , demandait qu'on touchât d'abord à Pylos et qu'on ne
reprît la mer qu'après l'exécution des travaux nécessaires. Cet
avis rencontrait de l'opposition , quand le hasard voulut qu'une
tempête poussât les vaisseaux à Pylos. Aussitôt Démosthène
renouvela ses instances pour qu'on fortifiât cette place, disant
ne s'être embarqué que dans ce but. Il représentait que le bois
et les pierres étaient en abondance, que la place était fortifiée
par la nature et inhabitée , ainsi qu'une grande partie des envi-
rons . Pylos, située dans l'ancienne Messénie , est à quatre cents
stades de Sparte ; les Lacédémoniens l'appellent Corypha- .
sion . A quoi l'on répondait que le Péloponèse ne manquait
pas de promontoires déserts , dont il pouvait s'emparer , s'il
voulait jeter la ville dans de grandes dépenses. Mais Démo-
sthène voyait dans Pylos des avantages particuliers. Non-seu-
lement elle possédait un port ; mais, en s'établissant dans cette
place qu'ils sauraient bien défendre , les Messéniens , à qui elle
avait jadis appartenu et qui parlent le même dialecte que les
Lacédémoniens , leur causeraient de grands dommages .
IV. Comme il ne persuadait ni les généraux, ni plus tard les
soldats lorsqu'il eut communiqué son projet aux taxiarques ',
il n'insista plus . Mais enfin les soldats eux- mêmes , retenus dans
l'inaction près de Pylos par les vents contraires , se prirent
d'ardeur pour la fortifier. Sur-le - champ ils se mirent à l'œuvre.
Comme ils manquaient d'outils pour tailler les pierres , ils les
choisissaient une à une et les assemblaient de leur mieux . Fal-
lait-il du mortier, à défaut d'auges , ils le portaient sur leur
dos , en se courbant pour le maintenir et en croisant les bras par
derrière pour l'empêcher de tomber. En un mot ils faisaient
toute la diligence imaginable pour fortifier les points les plus
accessibles, avant d'être attaqués par les Lacédémoniens . Du
reste la plus grande partie de la place était naturellement forte
et n'avait pas besoin de murs .
V. En ce moment les Lacédémoniens célébraient une fête.
La nouvelle de l'occupation de Pylos les inquiéta peu ; ils
croyaient n'avoir qu'à se montrer pour faire retirer les défen-
seurs , ou comptaient facilement emporter la position de vive
force. Les Athéniens, après avoir en six jours fortifié le flanc
LIVRE IV. 197

qui regarde la terre ferme et qui était le plus exposé, laissèrent


Démosthène et cinq vaisseaux à la garde des ouvrages ; le
reste de la flotte remit promptement en mer pour Corcyre et la
Sicile.
VI. Les Péloponésiens qui étaient en Attique n'eurent pas
plus tôt appris l'occupation de Pylos , qu'ils se hâtèrent de re-
gagner leur foyers . Les Lacédémoniens , et le roi Agis à leur
tête, regardaient cette affaire comme personnelle . D'ailleurs ils
s'étaient mis en campagne de bonne heure ; les blés étaient en
core verts , les vivres rares ; enfin le temps était plus mauvais
que de coutume et l'armée en souffrait. Ces divers motifs accé-
lérèrent leur retraite et rendirent cette invasion la plus courte de
toutes ; car ils ne restèrent pas plus de quinze jours en At-
tique .
VII. Vers la même époque , Simonidès, général athénien ,
s'empara par trahison d'Eon ' , ville du littoral de la Thrace ,
colonie des Mendéens et ennemie d'Athènes . Il avait rassemblé
dans ce but quelques Athéniens et beaucoup d'alliés du pays .
Mais attaqué promptement par les Chalcidéens et les Bottiéens ,
il fut chassé avec une grande perte.
VIII . Dès que les Péloponésiens furent de retour d'Attique ,
les Spartiates et leurs Périèques les plus voisins n'eurent rien
de plus pressé que de marcher contre Pylos ; mais le reste des
Lacédémoniens , à peine revenu d'une autre expédition , mit peu
d'ardeur à les suivre. Ils firent savoir par tout le Péloponèse
qu'on eût à se rendre le plus tôt possible à Pylos . Ils rappelèrent
leurs soixante vaisseaux de Corcyre . Cette flotte, transportée
par-dessus l'isthme de Leucade , trompa la surveillance des
Athéniens qui mouillaient à Zacynthe et parvint à Pylos. L'ar-
mée de terre y était déjà . D'autre part Démosthène , avant l'ar-
rivée de la flotte péloponésienne , avait dépêché à Zacynthe deux
vaisseaux pour avertir Eurymédon et les Athéniens du danger
de Pylos . Sur ce message de Démosthène , ceux- ci ne perdirent
pas un instant pour aller à son secours . Les Lacédémoniens se
préparaient à attaquer par mer et par terre. Ils espéraient
s'emparer sans peine d'ouvrages construits à la hâte et gardés
par une poignée de défenseurs. Comme ils s'attendaient bien
à voir accourir de Zacynthe la flotte athénienne, ils avaient le
projet, en cas de non- réussite , d'obstruer les entrées du port,
pour le fermer aux Athéniens . L'île de Sphactérie , qui s'étend
un peu en avant de ce port, le met à l'abri des vents et ne laisse
que deux passes fort étroites : la première, en face de Pylos et
198 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
des ouvrages athéniens, n'offre accès qu'à deux vaisseaux de
front ; la seconde, à l'autre extrémité, peut en recevoir huit ou
neuf. Cette île , alors déserte , était boisée et sans chemins
frayés. Son étendue est d'environ quinze stades ¹ . Les Lacédé-
moniens se disposaient à fermer les passes au moyen d'une
rangée de vaisseaux, la proue en dehors . Quant à l'île, de peur
que l'ennemi ne s'en servît contre eux , ils résolurent d'y faire
passer des hoplites et d'en poster d'autres le long du continent.
De cette manière les Athéniens trouveraient l'île occupée , et la
terre ferme ne leur offrirait aucun lieu de débarquement. Or,
comme la rade de Pylos est le seul point des environs où l'abord
possible , ils ne sauraient où descendre pour aller au secours
des leurs. Ainsi les Péloponésiens comptaient emporter sans
combat naval et sans danger une place mal approvisionnée et
insuffisamment défendue. En conséquence ils firent passer dans
l'île des hoplites tirés au sort d'entre tous les bataillons. Les
premiers qu'on y transporta furent relevés à tour de rôle ; les
derniers, ceux qui plus tard s'y trouvèrent enfermés, étaient au
nombre de quatre cent vingt, non compris leurs Hilotes . Le
chef de cette troupe était Epitadas fils de Molobros .
IX. Démosthène , voyant les Lacédémoniens sur le point d'at-
taquer par mer et par terre, fit à son tour ses préparatifs. Les
trirèmes qui lui restaient furent tirées sur le rivage au pied du
rempart et entourées d'une palissade . Leurs matelots furent
armés de méchants boucliers, d'osier pour la plupart ; en effet,
dans ce lieu désert, il n'était pas question de se procurer des
armes ; celles-là même furent empruntées à une triacontore de
pirates ' , ainsi qu'à un brigantin, messéniens l'un et l'autre, que
le hasard avait amenés. Ces Messéniens fournirent une quaran-
taine d'hoplites , que Démosthène incorpora parmi les siens . II
plaça la plus grande partie de ses hommes, armés ou non, sur
le flanc le plus fort de la place , du côté du continent, avec
ordre de repousser les gens de pied . Lui-même, avec soixante
hoplites choisis et quelques archers, sortit de l'enceinte et s'a-
vança vers la mer , à l'endroit où il présumait que les ennemis
tenteraient la descente . C'était une côte malaisée et garnie de
rochers, tournée vers la haute mer 2 ; mais il pensait que le mur
étant le plus faible de ce côté , ce serait là le point d'attaque .
Les Athéniens , dans leur confiance en la supériorité de leur
marine, avaient négligé de fortifier ce flanc , de sorte que l'en-
nemi , en brusquant la descente, avait chance de réussite. C'est
pourquoi Démosthène priť position sur le bord de la mer. Après
LIVRE IV . 199
avoir disposé ses hoplites de manière à faire toute la résistance
possible , il leur adressa l'exhortation suivante :
X. « Soldats qui affrontez avec moi le péril de cette journée ,
que nul de vous, en ce moment suprême , ne s'ingénie à cal-
culer l'étendue de notre danger. Marchez plutôt tête baissée ,
animés d'une confiance qui vous rendra vainqueurs . En pré-
sence d'une nécessité impérieuse, il ne faut pas raisonner , mais
aller droit au but.
« Pour moi , j'estime que nous avons les chances les meil-
leures, si nous voulons tenir ferme et , sans nous effrayer du
nombre des ennemis , ne pas trahir nos avantages. La difficulté
de l'abord est en notre faveur . Si vous restez , ce sera un auxi-
liaire ; si vous reculez, cette côte, tout ardue qu'elle est , s'apla-
nira faute d'obstacle . D'ailleurs les ennemis seraient plus à
craindre si, venant à être pressés, ils se voyaient acculés à la
mer. Tant qu'ils sont sur leurs vaisseaux , rien de plus aisé
que de les combattre ; une fois débarqués , la partie devient
égale.
Quant à leur multitude, elle ne doit pas vous intimider .
Quelque nombreux qu'ils soient, ils ne combattront qu'en dé-
tail , grâce à la difficulté de prendre terre. Ce n'est pas ici un
combat de plaine , où, toutes choses étant d'ailleurs pareilles , le
nombre doit l'emporter. Ils sont sur des vaisseaux ; or en mer il
faut le concours de mille circonstances. A mes yeux leurs dés-
avantages compensent amplement la disproportion de nos forces.
Je parle à des Athéniens : ils savent par expérience combien
il est difficile d'opérer un débarquement en présence d'en-
nemis résolus à l'empêcher, qui ne reculent pas épouvantés
par le bruit des rames ou par l'impétuosité de l'abord.
« Soyez donc fermes sur ces rochers que vous allez défendre.
Sachez vous garder vous-mêmes, vous et le poste qui vous est
confié . »
XI. Après avoir enflammé ses soldats par ce langage , Démo-
sthène les fit descendre au bord de la mer et les rangea en ba-
taille. Les Lacédémoniens s'avancèrent alors et attaquèrent la
place par terre et par mer. Leur flotte , forte de quarante-trois
voiles , était commandée par le Spartiate Thrasymélidas fils de
Cratésiclès . Elle se dirigea vers l'endroit qu'avait prévu Démo-
sthène. Les Athéniens firent face des deux côtés , vers le conti-
nent et vers la mer. Les vaisseaux lacédémoniens , échelonnés
par petits groupes pour éviter l'encombrement, attaquaient et
se reposaient tour à tour. Les soldats déployaient toute l'ardeur
200 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

imaginable , s'exhortant mutuellement à se faire jour et à em-


porter la place . Mais nul ne se signala autant que Brasidas, qui
commandait une trirème . Voyant les triérarques et les pilotes
hésiter à aborder, même là où il semblait possible de le faire,
par crainte de briser leurs vaisseaux sur cette côte escarpée , il
leur criait qu'il ne fallait pas , pour épargner des planches,
laisser les ennemis se fortifier dans le pays . Il exhortait ses
compatriotes à briser leurs vaisseaux pour aborder, et les alliés
à sacrifier sans regret les leurs aux Lacédémoniens , dont ils
avaient reçu tant de services. « Il faut , disait-il , se jeter à
la côte, débarquer à tout prix et enlever les hommes et la
place. >>
XII. C'est ainsi que Brasidas encourageait les siens. Lui-même
contraignit son pilote d'échouer. son vaisseau et s'avança vers
l'échelle ; mais il fut repoussé par les Athéniens . Couvert de
blessures , il tomba en défaillance sur l'avant du navire ; son
bouclier glissa dans la mer ; les Athéniens s'en saisirent et le
placèrent ensuite dans le trophée élevé en commémoration de ce
combat. Le reste de la flotte faisait les derniers efforts pour
toucher terre , sans pouvoir y parvenir, à cause de l'escarpe-
ment de la côte et de l'obstination des Athéniens, qui ne cé-
daient pas un pouce de terrain. Etrange intervertissement des
rôles ! Ces mêmes Athéniens qui avaient porté si haut la gloire
de leur marine, combattaient sur terre, en Laconie, pour re-
pousser les Lacédémoniens. Ceux-ci au contraire, si renommés
pour leur tactique continentale , venaient sur des vaisseaux
tenter contre des Athéniens une descente dans leur propre ter-
ritoire, devenu pour eux un pays ennemi .
XIII. Après avoir continué leurs attaques pendant toute la
journée et une partie du lendemain , les Lacédémoniens y re-
noncèrent. Le troisième jour, ils envoyèrent à Asiné ' quelques
vaisseaux chercher des bois pour des machines, avec lesquelles
ils espéraient prendre la muraille du côté du port. C'était à la
vérité la partie la plus élevée ; mais cet inconvénient était com-
pensé par une plus grande facilité d'accès .
Sur ces entrefaites , arrivèrent de Zacynthe les vaisseaux
athéniens au nombre de cinquante 2 ; ils avaient été ralliés par
quelques bâtiments de la station de Naupacte et par quatre de
Chios . Quand ils virent le continent et l'île fourmiller d'hoplites
et le port de vaisseaux qui ne faisaient pas mine de sortir, ils
ne surent d'abord où prendre terre ; ensuite ils gagnèrent Proté,
île déserte et peu éloignée , où ils passèrent la nuit. Le lende-
LIVRE IV . 201

main, ils levèrent l'ancre, après avoir fait leurs préparatifs de


combat, dans la double supposition que l'ennemi s'avançât au
large ou qu'ils dussent l'aller chercher dans l'intérieur du port .
Les Lacédémoniens ne vinrent point à leur rencontre ; ils n'a-
vaient pas donné suite à leur projet de barrage, mais ils étaient
tranquillement à terre, occupés à embarquer leurs équipages
et à se préparer, en cas d'attaque, à combattre dans le port,
assez spacieux pour cela.
XIV. Les Athéniens s'élancent par les deux passes . Déjà la
plupart des vaisseaux ennemis avaient démarré, la proue en
avant. Les Athéniens les assaillent, les mettent en fuite , les at-
teignent bientôt , en maltraitent un grand nombre et en pren-
nent cinq, dont un avec son équipage . Ensuite ils fondent sur
les bâtiments qui s'étaient jetés à la côte ; d'autres sont heurtés
pendant qu'ils embarquent encore leur monde et avant d'avoir
démarré ; enfin quelques vaisseaux abandonnés de leurs équi-
pages sont saisis et remorqués par les Athéniens .
A cet aspect, les Lacédémoniens , désespérés d'un événement
qui enfermait leurs guerriers dans l'île , s'élancent tout armés
dans la mer, ressaisissent leurs navires et les ramènent à eux.
Chacun croit sa coopération nécessaire . Autour des vaisseaux,
c'était un épouvantable tumulte . Les deux peuples avaient
échangé leur manière de combattre. Les Lacédémoniens , dans
leur ardeur et dans leur trouble, livraient, pour ainsi dire , un
combat naval sur la terre ferme ; tandis que les Athéniens, vain-
queurs et désireux de poursuivre leurs avantages , combattaient
comme sur terre du haut de leurs vaisseaux.
Enfin, après s'être fait mutuellement bien du mal et bien des
blessures , on se sépara. Les Lacédémoniens sauvèrent leurs
vaisseaux vides , excepté ceux qui avaient été pris au commen-
cement de l'action . Lorsque les deux partis se furent retirés
dans leurs camps , les Athéniens dressèrent un trophée , rendi-
rent les morts et recueillirent les débris des vaisseaux. Ils blo-
quèrent aussitôt l'île au moyen d'une croisière , pour s'assurer
des hommes qui s'y trouvaient renfermés. Les Péloponésiens .
qui étaient sur le continent et dont les renforts étaient déjà
arrivés de tous côtés , restèrent en place devant Pylos .
XV. Quand la nouvelle de ces événements fut parvenue à
Sparte, on décida, comme dans les cas de calamité grave , que
les magistrats se rendraient au camp, afin de voir les choses
par leurs yeux et d'aviser sans aucun délai. Ils reconnurent
l'impossibilité de secourir leurs gens . Voulant donc leur épar-
P202 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

gner le danger de mourir de faim ou d'être accablés par le


nombre, ils jugèrent que le mieux était de conclure avec les
généraux athéniens , s'ils y consentaient, un armistice au sujet
de Pylos , et d'envoyer ensuite des députés à Athènes pour
traiter d'un accommodement. Tout leur désir était d'obtenir au
plus tôt la délivrance de leurs guerriers.
XVI . Les généraux accueillirent ces ouvertures , et l'armistice
fut conclu aux conditions suivantes : les Lacédémoniens amène-
raient à Pylos et livreraient aux Athéniens les bâtiments sur
lesquels ils avaient combattu , de même que tous les vaisseaux
longs qui se trouvaient en Laconie. Ils s'abstiendraient de
toute agression contre la place , soit par terre soit par mer. Les
Athéniens de leur côté permettraient aux Lacédémoniens du
continent de faire passer à leurs guerriers de l'île une quantité
déterminée de blé moulu , savoir deux chénices attiques de fa-
rine par homme, deux cotyles de vin et de la viande , avec
demi-ration pour les valets . Ces envois auraient lieu sous l'œil
des Athéniens , et aucune embarcation n'aborderait dans l'île
sans leur aveu. Les Athéniens continueraient à garder l'île, maís
sans y descendre. Ils s'abstiendraient de toute agression contre
l'armée péloponésienne, soit par terre soit par mer. A la moin-
dre infraction commise de part ou d'autre, la trêve était rompue.
Celle-ci devait durer jusqu'à ce que les députés lacédémoniens
fussent revenus d'Athènes. Les Athéniens s'engageaient à les
y conduire et à les ramener sur une trirème . A leur retour la
trêve devait cesser , et les Athéniens rendre les vaisseaux dans
l'état où ils les auraient reçus .
Telles furent les conditions de l'armistice. Les vaisseaux fu-
rent livrés , au nombre d'environ soixante , et les députés parti-
rent pour leur destination ; arrivés à Athènes, ils prononcèrent
le discours suivant :
XVII. « Les Lacédémoniens nous envoient pour vous propo-
ser, au sujet des guerriers de l'ile, un arrangement avantageux
pour vous et aussi honorable pour nous que les circonstances
le permettent . Ce ne sera pas déroger à nos habitudes que de
prononcer un long discours , notre maxime étant de ne dire
que peu de mots quand ils suffisent , et de parler plus longue-
ment quand le sujet l'exige. Ne prenez pas nos paroles en
mauvaise part ni comme une leçon qui vous serait donnée, mais
plutôt comme une recommandation dont votre prudence pour-
rait se passer .
« Il ne tient qu'à vous d'asseoir votre bonheur actuel sur des
LIVRE IV. 203

bases durables, en conservant ce que vous possédez et en y


ajoutant une gloire éternelle . N'imitez pas les hommes sans
expérience , qui , surpris par la prospérité, ne mettent aucune
limite à leur ambition. Lorsqu'on a, comme vous et comme
nous , éprouvé combien la fortune est inconstante , on a le droit
et le devoir de s'en défier.
XVIII. « Pour vous en convaincre, il suffit d'envisager nos
récentes disgrâces . Naguère au premier rang des Grecs , nous
venons aujourd'hui solliciter ce dont alors nous pensions être
les arbitres . Et pourtant, ce changement ne provient ni de la
diminution de nos forces ni de l'insolence d'une prospérité nou-
velle . Nos forces sont ce qu'elles ont toujours été ; mais nous
nous sommes trompés dans nos prévisions , comme il peut ar-
river à chacun. Vous-mêmes vous auriez tort de croire que la
puissance actuelle de votre république et la gloire que vous
venez d'y ajouter, vous garantissent un bonheur durable. Les
hommes sages ont pour principe de regarder les avantages
comme précaires et ils savent aussi mieux que d'autres sup-
porter les revers. Ils tiennent pour assuré qu'il n'est pas pos-
sible de ne prendre de la guerre que la mesure qui nous convient ,
mais qu'il faut en subir les chances diverses. Moins éblouis par
les succès , ils sont plus à l'abri des fautes, et d'autant plus
traitables qu'ils sont plus heureux
« Telle est, ô Athéniens , la conduite qu'il serait honorable
pour vous de tenir à notre égard . Autrement il est à craindre
qu'avec le temps , si vous éprouvez quelque revers, - et il n'y
aurait là rien d'impossible , - on n'attribue à la fortune vos
avantages passés ; au lieu que vous pouvez laisser à la postérité
une renommée incontestable de puissance et de sagesse.
XIX. « Les Lacédémoniens vous invitent à déposer les ar-
mes. Ils vous offrent la paix, leur alliance , une cordialité pleine
et entière ; en retour ils vous demandent les guerriers de l'île.
Ne vaut-il pas mieux, pour vous comme pour nous, ne pas
courir la double chance de les voir s'échapper en profitant
d'une occasion favorable, ou tomber, à la suite d'un siége , dans
une odieuse captivité ? Le meilleur moyen de désarmer les
grandes haines n'est pas qu'après la lutte un des deux partis
abuse de sa supériorité pour imposer à l'autre des conditions
intolérables , mais qu'il se montre généreux et trompe l'attente
du vaincu par la modération de ses exigences . Dès lors l'ad-
versaire, qui n'a plus à repousser la force, mais à reconnaître
un bienfait, se sent lié par un sentiment d'honneur. C'est sur-
204 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

tout le cas pour les inimitiés les plus fortes . On cède avec
plaisir à qui se relâche volontairement de ses droits ; mais on
résiste à outrance aux orgueilleux.
XX. « L'occasion de nous réconcilier s'offre plus belle que
jamais. N'attendons pas qu'un accident sans remède vienne
éveiller, chez les particuliers comme dans l'Etat, une haine
implacable, et vous ravir les avantages que nous vous offrons
aujourd'hui . Avant que le sort ne prononce, opérons un rap-
prochement qui doit assurer à vous de la gloire et notre amitié,
à nous les moyens d'éviter une honte et de pallier un malheur.
Faisons taire chez nous le bruit des armes et procurons au reste
des Grecs un soulagement à leurs maux . C'est à vous surtout
qu'ils croiront en être redevables . Aujourd'hui ils supportent
la guerre sans trop savoir quels sont ceux qui l'ont provoquée ;
mais si elle prend fin - et pour cela vous n'avez qu'un mot à
dire , - vous acquerrez le plus beau titre à leur reconnaissance .
En résumé, il ne tient qu'à vous d'avoir les Lacédémoniens
pour amis fidèles ; eux-mêmes vous y convient, dans l'espoir que
vous userez de condescendance plutôt que de rigueur. Songez
à tous les biens qui naîtront de cette alliance . N'en doutez pas :
une fois que nous marcherons d'accord , le concert de nos vo-
lontés commandera le respect à la Grèce entière , qui ne peut
rivaliser de forces avec nous. >>
XXI. Ainsi parlèrent les Lacédémoniens . Ils croyaient que
les Athéniens , naguère disposés à un accommodement qui
n'avait échoué que du fait de Lacédémone , s'empresseraient
d'accepter la paix qui leur était offerte et de rendre les guer-
riers. Mais les Athéniens, persuadés qu'ayant ces gages en leur
pouvoir, ils seraient toujours les maîtres de traiter, portaient
plus haut leurs exigences . Ils étaient surtout excités par le
démagogue Cléon fils de Cléénétos , qui avait alors un extrême
ascendant sur le peuple . C'est lui qui leur persuada de répondre
qu'il fallait préalablement que les guerriers de l'ile fussent
livrés , eux et leurs armes, et amenés à Athènes ; qu'ensuite les
Lacédémoniens rendissent Niséa , Pagæ, Trézène et l'Achaïe ' ,
qui se trouvaient entre leurs mains, non par droit de conquête ,
mais en vertu du dernier traité , que le malheur des temps et le
besoin de la paix avaient arraché aux Athéniens ; qu'à ces con-
ditions on rendrait les guerriers et l'on ferait une paix dont les
deux peuples fixeraient la durée .
XXII . Les députés ne firent pas d'objection ; mais ils deman-
dèrent qu'on nommât des commissaires chargés de discuter à
LIVRE IV. 205
loisir avec eux ces divers articles et d'admettre ceux sur les-
quels on tomberait d'accord . Là-dessus Cléon jeta feu et flammes.
contre les Lacédémoniens , disant qu'il savait bien dès l'origine
toute leur mauvaise foi ; qu'il n'y avait plus à en douter, puis-
qu'ils refusaient de s'expliquer devant le peuple et voulaient ne
le faire qu'en petit comité. Il les somma, si leurs intentions
étaient droites , de les déclarer séance tenante . Les Lacédémo-
niens , quoique. disposés par leurs malheurs à faire des con-
cessions , sentaient qu'il ne leur était pas possible de s'ouvrir
en pleine assemblée . Ils craignaient, si leurs offres étaient
rejetées , de se trouver en butte à l'animadversion de leurs
alliés. Voyant d'ailleurs que les Athéniens n'adhéreraient pas à
des conditions modérées, ils quittèrent Athènes sans rien ter-
miner.
XXIII. A leur retour l'armistice de Pylos expirait de plein
droit. Les Lacédémoniens redemandaient leurs vaisseaux, con-
formément à la convention . Mais les Athéniens alléguèrent une
attaque dirigée contre la place au mépris du traité et quelques
autres contraventions sans importance . Ils refusèrent de rendre
les bâtiments et se prévalurent de la clause qui déclarait la
trêve rompue à la moindre infraction , quelle qu'elle fût. Les
Lacédémoniens protestèrent hautement contre l'injuste déten-
tion de leurs vaisseaux ; puis ils se retirèrent en faisant appel
aux armes .
La guerre autour de Pylos recommença donc de plus belle.
Pendant le jour , les Athéniens faisaient la ronde autour de l'île
avec deux vaisseaux qui se croisaient ; la nuit toute la flotte
était de garde, sauf du côté de la haute mer, quand le vent
soufflait. Ils avaient reçu d'Athènes un renfort de vingt vais-
seaux, ce qui avait porté leur effectif à soixante-dix trirèmes .
Les Péloponésiens, campés sur le continent, donnaient des
assauts à la place et guettaient l'occasion de délivrer leurs
guerriers.
XXIV. Cependant en Sicile les Syracusains et leurs alliés ,
après avoir renforcé de tous les vaisseaux qu'ils avaient équi-
pés la flotte qui gardait Messine , continuaient la guerre en
partant de cette ville. Les Locriens les y excitaient par animo-
sité contre Rhégion ; eux-mêmes étaient entrés en corps de
nation sur son territoire. Les Syracusains étaient résolus à
tenter un combat naval. Ils voyaient que les Athéniens n'a-
vaient en ce moment que peu de vaisseaux dans ces parages,
et ils savaient que le gros de la flotte destinée à agir contre eux'
THUCYDIDE. 12
206 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

se trouvait occupé à Sphactérie. Une fois que leur marine aurait


pris le dessus, ils comptaient s'emparer aisément de Rhégion
en l'attaquant par mer et par terre, et affermir ainsi leur do-
mination. Le promontoire de Rhégion en Italie étant voisin de
Messine en Sicile , les Athéniens ne pourraient plus stationner
en ce lieu ni commmander le détroit. Ce détroit est formé par
le bras de mer qui sépare Rhégion et Messine , au point où la
Sicile se rapproche le plus du continent . C'est la fameuse
Charybde, qui fut traversée, dit-on , par Ulysse² . Le peu de
largeur du passage fait que les eaux venant de deux grandes
mers , celle de Tyrrhénie et celle de Sicile , s'y engouffrent avec
violence et produisent des courants réputés à bon droit dan-
gereux.
XXV. Ce fut dans ce détroit que les Syracusains et leurs al-
liés , avec un peu plus de trente vaisseaux , furent contraints
d'engager, à une heure tardive, un combat pour un bâtiment
qui traversait. Ils s'avancèrent contre seize vaisseaux d'Athè-
nes et huit de Rhégion ; ils furent vaincus par les Athéniens et
perdirent un vaisseau ; après quoi , chacun n'eut rien de plus
pressé que de regagner sa station de Messine ou de Rhégion.
Le combat avait duré jusqu'à la nuit.
Les Locriens évacuèrent ensuite le pays de Rhégion , tandis
que la flotte des Syracusains et de leurs alliés alla mouiller à
Péloris , place appartenant à Messine, et où se trouvait leur
armée de terre . Les Athéniens et les Rhégiens firent voile de ce
côté. Voyant les vaisseaux désarmés , ils les attaquèrent ; mais
ils perdirent un de leurs bâtiments , qui fut accroché par une
main de fer ; l'équipage se sauva à la nage . Là-dessus les
Syracusains remirent en mer et se halèrent le long de la côte
jusqu'à Messine . Attaqués derechef par les Athéniens, ils vi-
rèrent au large, fondirent sur eux et leur firent perdre un se-
cond vaisseau . Ainsi les Syracusains rentrèrent dans le port de
Messine, sans avoir eu le désavantage ni dans le trajet ni dans
ce combat.
Les Athéniens cinglèrent vers Camarine, sur la nouvelle que
cette ville allait être livrée aux Syracusains par Archias et ses
adhérents . En même temps les Messiniens se portèrent en masse ,
par terre et par mer, sur Naxos-la - Chalcidique , dont le terri-
toire confine au leur . Le premier jour, ils renfermèrent les
Naxiens dans leurs murailles et coururent le pays. Le lende-
main,3 l'armée navale s'avança jusqu'à l'embouchure de l'Acé-
sinès et ravagea la campagne, pendant que l'armée de terre
LIVRE IV. 207
assaillait la ville. Mais , sur ces entrefaites , les Sicules descen-
dirent en forces de leurs montagnes pour attaquer les Messi-
niens . A leur aspect , les Naxiens reprirent courage, et s'exhor-
tant mutuellement, dans la pensée que c'étaient les Léontins et
d'autres Grecs alliés qui venaient à leur secours , ils firent une
- brusque sortie , tombèrent sur les Messiniens , les mirent en
fuite et en tuèrent plus de mille. Les autres eurent bien de la
peine à s'échapper ; les Barbares leur coupèrent la retraite et
les massacrèrent pour la plupart. La flotte revint à Messine ;
après quoi elle fut dissoute, et chacun regagna ses foyers.
Aussitôt les Léontins , croyant Messine hors d'état de se dé-
fendre, firent une expédition contre elle , de concert avec leurs
alliés et les Athéniens . Cenx-ci dirigèrent leurs attaques contre
le port, l'armée de terre contre la ville. Les Messiniens firent
une sortie avec quelques Locriens que commandait Démotélès ,
et qui, après la défaite précédente , avaient été laissés en gar-
nison dans la place . Ils fondirent à l'improviste sur les Léon-
tins , les culbutèrent et en tuèrent un grand nombre . A cette
vue, les Athéniens descendirent de leurs vaisseaux pour secourir
leurs alliés, et , tombant sur les Messiniens en désordre , ils les
rejetèrent dans la ville . Puis ils dressèrent un trophée et re-
tournèrent à Rhégion .
Depuis ce moment, les Grecs de Sicile continuèrent leurs
luttes intestines sur terre et sur mer, sans la coopération des
Athéniens .
XXVI . Revenons à Pylos. Les Athéniens tenaient toujours les
Lacédémoniens bloqués dans l'île , tandis que l'armée pélopo-
nésienne conservait ses positions sur le continent . Le manque
de vivres et d'eau rendait aux Athéniens le blocus excessive-
ment pénible. L'unique source , et encore peu abondante, était
dans la citadelle même de Pylos ; aussi la plupart creusaient
des trous dans le sable sur le bord de la mer, et buvaient l'eau
qu'on peut croire. Campés dans un espace étroit, ils étaient
exposés à toutes les privations. Comme il n'y avait point
de mouillage pour les vaisseaux , une partie des équipages pre-
nait ses repas à terre , tandis que l'autre restait à bord . Ce
qui achevait de les décourager, c'était de voir le blocus se pro-
longer indéfiniment. Ils avaient cru qu'il suffirait de peu de
jours pour avoir raison de gens enfermés dans une île déserte
et réduits à s'abreuver d'eau saumâtre. Mais les Lacédémoniens
avaient offert des prix très-élevés à qui porterait dans l'île du
blé moulu , du vin , du fromage ou toute autre espèce de comes-
208 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

tibles nécessaires à des troupes assiégées ; ils avaient même


promis la liberté aux Hilotes qui en introduiraient. Bien des
gens, surtout des Hilotes, y parvenaient au péril de leur vie.
Ils partaient de tous les points du Péloponèse et abordaient de
nuit dans la partie de l'île qui regarde la haute mer. Ils profi-
taient des temps d'orage, parce qu'alors les trirèmes ne pou-
vant croiser au large , il y avait chance d'échapper. Ils s'é-
chouaient sans ménagement , certains d'être indemnisés pour la
perte de leurs barques ; d'ailleurs tous les abords de l'île étaient
gardés par des hoplites ; mais , lorsqu'ils se risquaient par un
temps calme, ils étaient pris. Il y avait même des plongeurs
qui traversaient le port en nageant entre deux eaux, et qui
traînaient des outres pleines de pavot emmiellé ou de graine de
lin pilée . D'abord ils passèrent inaperçus ; mais ensuite on les
surveilla. Bref, il n'y avait pas de stratagème que les deux
partis n'imaginassent pour introduire des vivres ou pour en em-
pêcher l'introduction .
XXVII . Lorsqu'on apprit à Athènes que l'armée était en souf-
fance et l'île ravitaillée , on fut dans un grand embarras . On
craignait que la mauvaise saison ne surprît les troupes expé-
ditionnaires , et qu'il ne devînt impossible de leur envoyer des
vivres en faisant le tour du Péloponèse, puisqu'en été même
on ne pouvait suffisamment alimenter une place dénuée de
tout. La flotte ne saurait plus où mouiller sur cette côte sans
port. Pour peu que la croisière fût moins active , les assiégés
auraient moyen de se procurer des vivres ou même de s'échap-
per sur les embarcations qui leur en apportaient et à la faveur
d'un gros temps. On appréhendait surtout que les Lacédémo-
niens rassurés ne songeassent plus à négocier , et l'on était
aux regrets de n'avoir pas accepté leurs propositions paci-
fiques.
Cléon, s'apercevant qu'on lui en voulait pour s'être opposé à
l'accommodement , prétendit que les nouvelles étaient fausses ;
et, comme ceux qui arrivaient de Pylos demandaient , si on ne
les croyait pas , qu'on envoyât sur les lieux pour faire une
enquête , les Athéniens choisirent dans ce but Cléon lui-même
et Théagénès . Alors Cléon sentit qu'il serait obligé de confir-
mer le rapport de ceux qu'il calomniait ou que, s'il disait le
contraire, il serait convaincu d'imposture . Voyant d'ailleurs les
Athéniens incliner à la guerre , il leur conseilla de renoncer à
une enquête qui entraînerait des longueurs ; mais , si les nou-
velles leur paraissaient vraies , de cingler immédiatement contre
LIVRE IV . 209

les ennemis . Lançant ensuite une insinuation contre le général


Nicias fils de Nicératos , dont il était l'ennemi personnel et l'ad-
versaire politique , il déclara que , si les généraux étaient des i
hommes , il leur serait aisé , avec les forces dont ils disposaient,
d'aller s'emparer des guerriers de l'île ; ajoutant que lui-même ,
s'il était général, il n'hésiterait pas à le faire.
XXVIII. Les Athéniens murmuraient contre Cléon et disaient :
« Que ne part-il sur-le-champ , si la chose lui paraît facile ? »>
Nicias, attaqué directement, répondit que les généraux l'auto-
risaient pour leur part à prendre toutes les troupes qu'il vou-
drait et à tenter l'entreprise . Cléon , ne croyant pas d'abord que
cette offre fût sérieuse , y donnait les mains ; mais, lorsqu'il vit
que c'était tout de bon, il tergiversa , disant qu'après tout, ce
n'était pas lui , mais Nicias, qui était général. Il commençait à
craindre , sans le croire toutefois, qu'il ne lui cédât effectivement
la place . Alors Nicias, revenant à la charge, se démit du com-
mandement de Pylos, et en prit l'assemblée à témoin . A me-
sure que Cléon reculait et rétractait ses paroles, le peuple, par
un de ces mouvements familiers à la multitude, criait à Nicias
de se démettre, et à Cléon de partir . Ainsi pris au mot , Cléon
se décide à s'embarquer. Il déclare devant le peuple qu'il n'a
pas peur des Lacédémoniens ; qu'il n'emmènera personne de la
ville, mais seulement les Lemniens et les Imbriens alors à
Athènes ' , des peltastes venus d'Enos en qualité d'auxiliaires , et
quatre cents archers d'autres pays. Avec ces troupes , réunies à
l'armée déjà sur les lieux , il se fait fort d'amener dans vingt
jours les Lacédémoniens captifs ou de les tuer sur place. Les
Athéniens riaient de la fatuité de ce langage ; mais les gens
sensés s'applaudissaient en pensant que de deux biens l'un
était infaillible : ou d'être débarrassés de Cléon, ce qui leur
paraissait le plus probable ; ou , dans le cas contraire , de tenir
les Lacédémoniens en leur pouvoir.
XXIX. Après avoir pris toutes les dispositions dans l'assem-
blée et reçu à cet effet les suffrages du peuple , Cléon accéléra
le départ. De tous les généraux qui étaient à Pylos, il ne s'ad-
joignit pour collègue que Démosthène. C'est qu'il avait appris
que ce général songeait lui - même à faire une descente dans
l'île. En effet ses soldats , qui souffraient de leur dénûment et
qui étaient moins assiégeants qu'assiégés, brûlaient d'en venir
à une action décisive. Un incendie survenu dans l'île avait
achevé de l'y déterminer. Jusque-là il avait craint de s'engager
sur un terrain fourré , désert et sans chemins battus. Cette
210 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

circonstance lui paraissait favorable aux ennemis, qui pour-


raient, en sortant de leurs retraites obscures , faire beaucoup
de mal à une armée descendue à terre. Leurs dispositions et
les fautes qu'ils pourraient commettre seraient masquées par
l'épaisseur de la forêt, tandis que celles des Athéniens seraient
à découvert. Maître de choisir son terrain, l'ennemi pourrait,
dans un moment donné, tomber sur eux à l'improviste. Si les
Athéniens s'efforçaient d'en venir aux mains dans le fourré, il
sentait que des troupes moins nombreuses, mais connaissant
les localités, auraient nécessairement l'avantage sur des forces
plus considérables, auxquelles cette expérience manquerait ; en
sorte que sa grande armée courrait le risque de périr en dé-
tail, sans que les différents corps pussent se prêter un mutuel
appui.
XXX. Ces craintes lui étaient suggérées par le souvenir de
son désastre d'Etolie, occasionné en partie par une forêt. Mais
le hasard voulut que, les Athéniens ayant été contraints, par
le manque d'espace, d'aborder sur la lisière de l'île pour y pré-
parer leur repas sous la garde d'un avant-poste , un soldat, par
inadvertance, mit le feu à des broussailles ; l'incendie , attisé
par le vent, gagna de proche en proche, et la plus grande
partie de la forêt fut consumée . Cet accident permit à Démo-
sthène de mieux juger du nombre des ennemis. Il le trouva plus
considérable qu'il ne l'avait cru d'après la quantité de vivres
qu'on leur faisait passer. Dès lors il pensa que les Athéniens
redoubleraient de zèle pour une entreprise qui ne manquait
pas de grandeur ; enfin il s'assura que l'abord de l'île était
moins difficile qu'il ne se l'était figuré ; il se disposa donc à ef-
fectuer la descente . Il demanda des renforts aux alliés du voisi-
nage et fit tous les autres préparatifs.
Sur ces entrefaites Cléon, après l'avoir averti qu'il approchait
avec les troupes demandées , arrive à Pylos. Aussitôt réunis , ils
envoient un héraut à l'armée du continent pour demander aux
Lacédémoniens s'ils veulent ordonner aux guerriers de l'île de
se rendre sans combat, eux et leurs armes , à condition que les
Athéniens les tiendront dans une captivité modérée jusqu'à la
conclusion d'un armistice définitif.
XXXI. Cette proposition ayant été rejetée, les généraux athé-
niens attendirent encore un jour. Le lendemain, ils levèrent
l'ancre pendant la nuit, après avoir embarqué tous leurs ho-
plites sur un petit nombre de vaisseaux. Un peu avant l'autore ,
ils descendirent sur les deux flancs de l'île , du côté de la haute
LIVRE IV . 211

mer et du côté du port. Les hoplites, au nombre d'environ huit


cents, se portèrent à la course contre l'avant-poste ennemi . Les
Lacédémoniens étaient échelonnés de la manière suivante . Un
premier détachement se composait d'une trentaine d'hoplites.
Au centre de l'île , près de l'eau¹ , sur un terrain uni , était le
gros de la troupe, commandé par Épitadas . Une faible réserve
gardait l'extrémité de l'île en face de Pylos. Cet endroit était
coupé à pic du côté de la mer et difficilement abordable du
côté de la terre. Il s'y trouvait un vieux retranchement en
pierres sèches, que les Lacédémoniens comptaient utiliser dans
le cas où ils seraient forcés de battre en retraite . Telles étaient
leurs dispositions .
XXXII. Les Athéniens fondent au pas de course sur l'avant-
poste . En un clin d'œil , ils massacrent les soldats encore cou-
chés ou prenant à peine leurs armes . La descente s'était opérée
avec tant de silence que les ennemis l'avaient prise pour le-
mouvement ordinaire des vaisseaux dans leur station de nuit.
Au point du jour, le reste des soldats , chacun selon son arme
spéciale, débarqua de soixante et dix navires ou un peu plus ,
sur lesquels on ne laissa que le dernier rang de rameurs ' . Il y
avait huit cents archers, autant de peltastes, les Messéniens
auxiliaires, enfin toute la garnison de Pylos , excepté ceux qui
étaient de garde sur le rempart . Démosthène les distribua
par groupes de deux cents ou davantage , auxquels il fit occu-
per les hauteurs . Il voulait que les Lacédémoniens , cernés de
toutes parts , ne sussent de quel côté faire face , assaillis en tous
sens par la multitude , pris à dos s'ils avançaient, en flanc s'ils
se portaient à droite ou à gauche. Ils ne pourraient faire un
pas sans avoir derrière eux les troupes légères , insaisissables
ennemis, qui les attaqueraient de loin à coups de flèches , de
javelots , de pierres ou de frondes , et qu'il n'y aurait pas moyen
de poursuivre ; car elles triomphaient même en fuyant ; et, dès
que l'ennemi rétrogradait, elles revenaient à la charge. Tel était
le plan d'attaque précédemment conçu par Démosthène et qu'il
mit alors à exécution .
XXXIII. Les soldats d'Épitadas , qui formaient le gros de la
troupe, voyant leur avant-poste massacré et une armée en mou-
vement contre eux, se rangèrent en bataille et se portèrent
contre les hoplites athéniens qu'ils avaient en tête , au lieu que
les troupes légères étaient répandues sur leurs flancs ou derrière
eux. Mais ils ne purent joindre les hoplites ni faire usage de
leur habileté ; car ils étaient contenus par les troupes légères ,
212 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

qui les couvraient de javelots ; et les hoplites athéniens, au lieu


de marcher à leur rencontre, demeuraient immobiles. Quand
les troupes légères s'approchaient trop, les Lacédémoniens les
mettaient en fuite ; mais ces hommes lestement équipés com-
battaient en se retirant et dans leur fuite prenaient aisément
l'avance ; car les aspérités du sol, dans ces lieux longtemps in-
habités, rendaient la poursuite impraticable aux Lacédémoniens
pesamment armés.
XXXIV. Quelques moments se passèrent ainsi en escarmou-
ches ; mais bientôt les Lacédémoniens devinrent incapables de
se porter assez promptement sur les points menacés, et les
troupes légères s'aperçurent qu'ils mettaient moins de vivacité
dans leur défense. Elles , au contraire , sentirent leur courage
doublé en se voyant si supérieures en nombre. Déjà elles s'habi-
tuaient à ne plus avoir peur des Lacédémoniens , parce qu'elles
ne les avaient pas trouvés d'abord tels qu'elles s'y attendaient.
Au premier instant, elles n'avaient pu se défendre d'un senti-
ment d'effroi à la pensée qu'elles allaient combattre des Lace-
démoniens ; mais la crainte fit place au dédain ; et, poussant
un cri terrible, elles se précipitèrent sur eux en masse avec des
pierres , des traits, des javelots, chacun avec la première arme
venue. Leurs clameurs , jointes à cette incursion soudaine, frap-
pèrent d'épouvante des hommes peu faits à ce genre de combat.
Les cendres de la forêt nouvellement consumée s'élevajent en
tourbillons dans les airs, et, mêlées à la grêle de traits et de
pierres , interceptaient le jour.
Dès ce moment, les Lacédémoniens se trouvèrent dans une
position désastreuse . Leurs cuirasses de feutre¹ ne les met-
taient pas à l'abri des flèches ; les dards dont ils étaient criblés .
s'y enfonçaient en se brisant. Ils ne savaient où donner de la
tête, incapables de rien voir devant eux et d'entendre les com-
mandements , que couvraient les cris des ennemis . Accablés de
toutes parts, ils n'entrevoyaient aucune espérance de se déga-
ger en combattant.
XXXV. Déjà un grand nombre d'entre eux étaient couverts de
blessures ; car ils n'avaient fait que tournoyer à la même place .
Enfin, serrant leurs rangs , ils se replièrent sur le dernier re-
tranchement de l'île et sur le poste qui le gardait. Les troupes
légères, les voyant céder, redoublèrent de cris et d'audace ;
elles les assaillirent dans leur retraite et tuèrent tous ceux
qu'elles purent atteindre. La plupart cependant parvinrent à
gagner le retranchement ; et, réunis à ceux qui l'occupaient,
LIVRE IV . 213

ils se disposèrent à défendre tous les points accessibles . Les


Athéniens les suivirent ; mais , ne pouvant tourner la position ,
à cause de l'escarpement du terrain , ils l'abordèrent de front.
La lutte fut opiniâtre ; pendant la plus grande partie du jour ,
les deux partis combattirent , malgré la lassitude , la soif et
l'ardeur du soleil . Ils s'efforçaient , les uns d'enlever la hauteur,
les autres de s'y maintenir. Au surplus , la défense était plus
facile pour les Lacédémoniens depuis que leurs flancs n'étaient
plus découverts.
XXXVI. Comme on ne faisait aucun progrès , le chef des
Messéniens , s'adressant à Cléon et à Démosthène , leur dit qu'on
se fatiguait en vain ; que, s'ils voulaient lui donner un certain
nombre d'archers et de peltastes, il se faisait fort de tourner
la position par le chemin qu'il saurait trouver et de forcer le
passage. Il obtint ce qu'il demandait, partit sans bruit , et, dé-
robant sa marche aux ennemis , il se glissa le long des escar-
pements , par tous les endroits praticables, vers le point que
les Lacédémoniens avaient cru assez fort pour se passer de dé-
fense. Il y parvint à grand'peine et après de longs détours .
Tout à coup il se montra derrière eux sur la hauteur. Ils furent
consternés de cettè apparition soudaine , tandis que les Athé-
niens qui l'attendaient en conçurent une nouvelle ardeur. Dès
lors , les Lacédémoniens , attaqués des deux côtés à la fois , se
trouvèrent , toute proportion gardée , dans la même situation
que les défenseurs des Thermopyles , quand les Perses les tour-
nèrent par le sentier et les taillèrent en pièces . Enveloppés de
toutes parts , ils ne résistaient plus ; mais , accablés par le nom-
bre, exténués par la faim, ils reculaient. Les Athéniens étaient
maîtres du passage.
XXXVII . Cléon et Démosthène , sentant que , pour peu qu'ils
pliassent encore , ils seraient exterminés par l'armée athé-
nienne, firent cesser le combat et retinrent les leurs. Ils aspi-
raient à conduire à Athènes les ennemis vivants , si du moins
ceux- ci, vaincus par leurs maux, humiliaient leur orgueil jus-
qu'à demander quartier. Ils les firent donc sommer par un hé-
raut de mettre bas les armes et de se rendre à discrétion aux
Athéniens .
XXXVIII. A cette proclamation, la plupart abaissèrent leurs
boucliers et agitèrent les mains en signe d'adhésion . Une sus-
pension d'armes ayant été convenue, Cléon et Démosthène s'a-
bouchèrent avec Styphon fils de Pharax. Des chefs précédents ,
Épitadas , le premier , avait été tué ; le second , Hippagrétas , laissé
214 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

pour mort, quoique respirant encore. Styphon avait été dési-


gné d'après la loi pour commander en troisième , s'il arrivait
malheur aux deux autres. D'accord avec les siens, il déclara qu'ils
désiraient communiquer avec les Lacédémoniens du continent
sur le parti à prendre. Les Athéniens ne permirent à personne
de s'écarter ; mais ils appelèrent des hérauts du continent .
Après deux ou trois allées et venues, le dernier envoyé de la
part des Lacédémoniens apporta cette réponse : « Les Lacédé-
moniens vous invitent à délibérer vous-mêmes sur ce qui vous
concerne , sans rien faire de honteux. » Après s'être consultés ,
ils se rendirent eux et leurs armes. Pendant ce jour et la nuit
suivante , les Athéniens les tinrent sous bonne garde ; le len-
demain ils dressèrent un trophée dans l'île, firent leurs prépa-
ratifs de départ , et confièrent les prisonniers à la garde des
Triérarques. Les Lacédémoniens envoyèrent un héraut et obtin-
rent d'enlever leurs morts.
Voici le chiffre de ceux qui périrent et de ceux qui furent
pris vivants. Quatre cent vingt hoplites en tout avaient passé
dans l'île ; de ce nombre, deux cent quatre-vingt-douze furent
emmenés captifs ; le reste avait été tué . Parmi les prisonniers
étaient cent vingt Spartiates '. La perte des Athéniens fut
légère ; car on n'avait pas combattu de pied ferme.
XXXIX. La durée totale du blocus , depuis la bataille navale
jusqu'au dernier combat livré dans l'île , fut de soixante et
douze jours, sur lesquels il y en eut vingt où les Lacédémo-
niens reçurent des vivres, savoir pendant l'absence des envoyés
chargés de parlementer. Le reste du temps , ils ne vécurent
que d'importations clandestines. On trouva cependant encore
dans l'île du blé et d'autres substances alimentaires ; car le
général Épitadas avait réduit les rations.
Les armées d'Athènes et du Péloponèse quittèrent Pylos et
rentrèrent dans leurs foyers. Ainsi fut accomplie , malgré son
extravagance , la promesse de Cléon en moins de vingt jours
il amena les guerriers, comme il l'avait promis.
XL. La nouvelle de cet événement. produisit en Grèce une
sensation extraordinaire. On avait cru que ni la faim ni aucune
extrémité n'engagerait les Lacédémoniens à mettre bas les
armes , mais qu'ils se feraient tuer plutôt que de se rendre
On ne pouvait se persuader que les captifs fussent de la même
trempe que ceux qui étaient morts. Il y eut même un des al-
liés d'Athènes, qui, plus tard , demanda par raillerie à l'un des
prisonniers de l'île si c'étaient de braves gens que ceux qui
LIVRE IV . 215
avaient été tués. A quoi l'autre répondit que la flèche serait
un objet sans prix, si elle savait discerner les braves ; donnant
ainsi à entendre que les traits et les pierres avaient frappé au
hasard.
XLI. A l'arrivée des prisonniers , les Athéniens arrêtèrent de
les tenir aux fers en attendant qu'une convention fût interve-
nue, et en se réservant de les mettre à mort si jusque-là les
Lacédémoniens envahissaient l'Attique. Une garnison fut éta-
blie à Pylos. Les Messéniens de Naupacte y envoyèrent leurs
gens les plus alertes . A leurs yeux, c'était la patrie ; car Pylos
avait jadis appartenu à la Messénie. Ils mirent la Laconie au
pillage et y firent d'autant plus de mal qu'ils parlaient le même
dialecte . Cette guerre de brigandage était nouvelle pour les
Lacédémoniens ; leurs Hilotes désertaient ; on pouvait craindre
que l'esprit de révolte ne gagnât toute la contrée ; ils étaient donc
fort alarmés. Aussi , tout en désirant dissimuler aux Athéniens
leurs inquiétudes , ils ne laissèrent pas de leur envoyer des dé-
putés pour obtenir , s'il se pouvait , la restitution de Pylos et
de leurs guerriers . Mais les Athéniens avaient des prétentions
trop élevées. Ils reçurent plusieurs ambassades qu'ils renvoyė-
rent sans rien accorder. Tel fut le dénoûment de l'affaire de
Pylos.
XLII. Le même été , peu après ces événements , les Athé
niens firent une expédition contre la Corinthie. Ils avaient
quatre- vingts vaisseaux , deux mille hoplites d'Athènes et deux
cents cavaliers, embarqués sur des bâtiments construits pour
cet usage. Leurs alliés de Milet, d'Andros et de Carystos les
accompagnaient. Cette armée était commandée par Nicias fils
de Nicératos, luf troisième. Elle mit à la voile au point du jour
et prit terre entre la Chersonèse et Rhitos , au pied de cette
même colline de Solygie , où s'établirent jadis les Doriens pour
faire la guerre aux Éoliens alors habitants de Corinthe 2. Au
sommet se trouve aujourd'hui un village appelé également
Solygie. De l'endroit où abordèrent les vaisseaux, il y a douze
stades jusqu'à ce village , soixante jusqu'à la ville de Corinthe,
et vingt jusqu'à l'Isthme. Instruits d'avance, par la voie d'Ar-
gos , de l'approche des ennemis , les Corinthiens, excepté ceux
qui habitent en deçà de l'Isthme , s'étaient rassemblés à l'Isthme
depuis longtemps . A part cinq cents hommes détachés sur Am-
bracie et sur Leucade, tous les citoyens en armes épiaient l'en-
droit où descendraient les Athéniens ; mais ceux- ci les mirent
en défaut et abordèrent de nuit . A l'instant furent élevés des
216 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
signaux d'alarme ; et les Corinthiens , laissant la moitié de leur
monde à Cenchrées , pour le cas où les Athéniens se dirige-
raient sur Crommyon , marchèrent promptement à leur ren-
contre.
XLIII. Battos, l'un des deux généraux présents à cette jour-
née, prit avec lui une division et alla occuper le village de
Solygie, qui n'était pas fortifié. Lycophron avec le reste des
troupes engagea le combat. D'abord les Corinthiens attaquèrent
l'aile droite des Athéniens , à peine débarquée en avant de la
Chersonèse ; ensuite l'action devint générale. On se battit pen-
dant longtemps et toujours corps à corps . L'aile droite des
Athéniens et les Carystiens qui en formaient l'extrémité, sou-
tinrent le choc des Corinthiens et les repoussèrent non sans
peine . Ceux-ci rétrogradèrent jusqu'à une muraille située au-
dessus d'eux, sur un terrain incliné. De là ils se mirent à lan-
cer des pierres , chantèrent le Péan et revinrent à la charge.
Les Athéniens les attendirent de pied ferme et la mêlée recom-
mença. Une division de Corinthiens , venue au secours de leur
aile gauche, mit en fuite la droite des Athéniens , et la refoula
jusqu'à la mer : mais arrivés près des vaisseaux , les Athéniens
et les Carystiens firent volte-face. Le reste des deux armées
combattit sans interruption , surtout l'aile droite des Corin-
thiens , où était Lycophron , et qui avait affaire à la gauche des
Athéniens. On craignait que ceux-ci ne se portassent contre le
village de Solygie.
XLIV. Pendant longtemps on fit bonne contenance sans
broncher d'aucun côté ; mais à la fin les Athéniens qui avaient
l'avantage d'être soutenus par leur cavalerie, rompirent la ligne
des Corinthiens. Ceux-ci se replièrent sur la colline , où ils se
mirent au repos sous les armes , sans faire mine de descendre
une seconde fois. Dans ce mouvement rétrograde , leur aile droite
fut surtout maltraitée ; elle perdit entre autres son général
Lycophron. Le reste de l'armée, quoique enfoncé , ne fut que
faiblement poursuivi et eut le temps de se retirer sur les hau-`
teurs , où il s'établit. Les Athéniens demeurèrent maîtres du
champ de bataille, relevèrent leurs morts , dépouillèrent ceux
de l'ennemi et dressèrent aussitôt un trophée .
L'autre moitié de l'armée corinthienne était restée en obser-
vation à Cenchrées , dans la crainte que les Athéniens ne se por-
tassent sur Crommyon . Elle n'avait pu apercevoir le combat ,
dont le mont Ornéon 1 lui interceptait la vue. Cependant, aver-
tie par le nuage de poussière qui s'élevait du champ de bataille ,
LIVRE IV . 217
elle se hâta d'accourir. En même temps , les vieillards de Corin-
the, informés de ce qui se passait , sortirent de la ville pour
aller au secours des leurs . Quand les Athéniens virent s'avan-
cer contre eux cette troupe réunie, ils crurent que c'étaient les
Péloponésiens du voisinage . Ils s'empressèrent donc de remon-
ter sur leurs vaisseaux , emportant les dépouilles et leurs morts ,
excepté deux qu'ils n'avaient pu retrouver. Une fois à bord , ils
gagnèrent les îles voisines, d'où ils envoyèrent un héraut rede-
mander les morts qu'ils avaient laissés . Dans ce combat , la
perte des Corinthiens fut de deux cent douze hommes ; celle
des Athéniens d'un peu moins de cinquante .
XLV. Après avoir quitté les îles , les Athéniens cinglèrent le
même jour vers Crommyon, place du territoire de Corinthe , à
cent vingt stades de cette ville . Ils jetèrent l'ancre, ravagèrent
la campagne, et y passèrent la nuit. Le lendemain, ils remirent
en mer ; et, longeant la côte , ils firent premièrement une des-
cente en Epidaurie ; puis ils poussèrent jusqu'à Méthone , qui est
située entre Épidaure et Trézène . Ils occupèrent l'isthme de la
presqu'île où est Méthone, le fermèrent d'un mur et y construi-
sirent un fort. De là ils firent des courses sur les terres de
Trézène , des Haliens et d'Épidaure . Ces opérations terminées ,
ils se rembarquèrent et retournèrent dans leur pays.
XLVI. Pendant que ces événements se passaient , Eurymé-
don et Sophoclès , partis de Pylos pour la Sicile, avec la flotte
athénienne , étaient arrivés à Corcyre . Là, de concert avec ceux
de la ville, ils firent une expédition contre les Corcyréens établis
sur le mont Istone , lesquels , après la sédition, avaient passé
dans l'île et s'étaient rendus maîtres de la campagne qu'ils in-
festaient . Le fort fut emporté d'assaut. Les défenseurs , retirés
ensemble sur une éminence , capitulèrent à condition de livrer
leurs auxiliaires , de mettre bas les armes et de s'en rapporter
pour leurs personnes à la décision du peuple athénien. Les
généraux transportèrent ces captifs , sous la foi d'un traité ,
dans l'île de Ptychia 2 , pour y être gardés jusqu'à ce qu'ils fus-
sent envoyés à Athènes , sous la réserve expresse que , si l'un
d'eux cherchait à s'évader , la convention serait annulée pour
tous .
Les chefs du peuple de Corcyre, craignant que les Athéniens
ne laissassent la vie à ces prisonniers , imaginèrent un strata-
gème. Ils envoyèrent sous main des hommes dévoués , qui , avec
un faux-semblant de bienveillance , firent savoir à quelques-
uns des prisonniers que ce qu'ils avaient de mieux à faire était
THUCYDIDE. 13
218 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

de s'échapper au plus vite sur un bâtiment qu'on tiendrait à


leur disposition , attendu que les généraux athéniens étaient sur
le point de les livrer au peuple de Corcyre .
XLVII. Les prisonniers donnèrent dans le piége . Les mesures
étaient prises pour que le bâtiment qui les portait fût capturé
à son départ. Dès lors la convention fut rompue et ils furent
tous livrés aux Corcyréens . Les généraux athéniens se prêtèrent
à cette perfidie ; ce furent eux qui en fournirent le prétexte et
qui assurèrent toute sécurité aux auteurs de cette trame. Il fut
évident pour tout le monde que , devant partir eux-mêmes
pour la Sicile , ils n'avaient pas voulu laisser à d'autres l'hon-
neur de conduire à Athènes ces prisonniers.
Les Corcyréens ne les eurent pas plus tôt en leur puissance ,
qu'ils les enfermèrent dans un grand édifice, d'où on les retira
vingt par vingt, garrottés deux à deux , à travers une double
haie d'hoplites , qui les frappaient ou les piquaient à mesure
qu'ils reconnaissaient un ennemi . A leurs côtés étaient des
hommes armés de fouets pour presser leur marche.
XLVIII. Soixante furent ainsi extraits et mis à mort à l'insu
de leurs compagnons de captivité . Ceux-ci croyaient qu'on les
transférait ailleurs ; mais on les détrompa . Mieux informés , ils
invoquèrent les Athéniens , les conjurant de les tuer eux-mêmes ,
s'ils le voulaient. Ils déclarèrent qu'ils ne sortiraient plus , et
qu'ils s'opposeraient de tout leur pouvoir à ce que personne
entrât.
Les Corcyréens n'eurent garde de forcer les portes ; mais ils
escaladèrent le toit, entr'ouvrirent le plafond , et firent pleuvoir
dans l'intérieur les traits et les tuiles. Les prisonniers s'abri-
taient de leur mieux. Quelques-uns se donnaient eux-mêmes la
mort. Ils s'enfonçaient dans le gosier les flèches qu'on leur
avait lancées ; ils s'étranglaient avec les sangles de quelques
lits qui se trouvaient là , ou avec les lambeaux de leurs vête-
ments déchirés .
Pendant la plus grande partie de la nuit qui recouvrit cette
scène de carnage , tout fut mis en œuvre de part et d'autre pour
donner ou pour recevoir la mort. Le jour venu, les Corcyréens
empilèrent les cadavres sur des charrettes et les transportèrent
hors de la ville . On réduisit en esclavage toutes les femmes
prises dans le fort.
C'est ainsi que les Corcyréens de la montagne furent exter-
minés par le peuple. Là se termina cette grande sédition, du
moins en ce qui concerne la guerre actuelle . En effet, il ne
LIVRE IV . 219

restait presque plus rien du parti . Les Athéniens mirent à la


voile pour la Sicile, leur première destination . Ils y continuè-
rent la guerre concurremment avec leurs alliés de ce pays.
XLIX. Sur la fin de l'été, les Athéniens qui étaient à Nau-
pacte firent, de concert avec les Acarnaniens , une expédition
contre Anactorion , ville corinthienne , située à l'entrée du golfe
Ambracique. Ils la prirent par trahison. Les Corinthiens furent
expulsés et la ville repeuplée par des habitants tirés de toute
l'Acarnanie. Sur quoi l'été finit.
L. L'hiver suivant, Aristidès fils d'Archippos , l'un des com-
mandants de la flotte athénienne chargée de lever le tribut des
alliés, arrêta à Éïon , à l'embouchure du Strymon , le Perse Arta-
phernès, qui se rendait à Lacédémone avec mission du roi . Ar-
taphernès fut conduit à Athènes , où l'on donna lecture de ses
dépêches , après les avoir fait traduire de l'assyrien . Entre
autres choses à l'adresse des Lacédémoniens, elles portaient en
substance que le roi ne comprenait rien à leurs demandes ,
parce que tous ceux qui étaient venus de leur part lui avaient
tenu un langage différent ; que, s'ils voulaient préciser leurs
intentions, ils eussent à lui envoyer des députés avec Artapher-
nès. Plus tard, les Athéniens reconduisirent ce dernier à Éphèse
sur une trirèmé, en lui adjoignant des ambassadeurs. Mais
ceux-ci, ayant appris en cet endroit la mort d'Artaxerxès fils de
Xerxès, (elle eut effectivement lieu à cette époque ¹ ), revinrent à
Athènes.
LI. Le même hiver, les Chiotes démolirent leur nouvelle mu-
raille à la réquisition des Athéniens, qui leur prêtaient des pro-
jets de révolte . Ils n'obéirent cependant qu'après avoir obtenu
l'assurance la plus formelle qu'il ne serait rien innové à leur
égard. Là- dessus l'hiver finit, et avec lui la septième année de
la guerre que Thucydide a racontée.
LII. L'été suivant ne faisait que de commencer (a), lorsqu'il y
eut une éclipse de soleil à l'époque du renouvellement de la
lune (b), ainsi qu'un tremblement de terre dans les premiers
jours du mois.
Les bannis de Mytilène et du reste de Lesbos, partis du con-
tinent pour la plupart et soutenus par des mercenaires levés
dans le Péloponèse ou dans le pays même, s'emparèrent de la
ville de Rhétée ' . Ils la frappèrent d'une contribution de deux

(a) Huitième année de la guerre , 424 av. J.-C.


(b) Le 21 mars,
220 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

mille stratères phocaïques 2 ; après quoi ils la rendirent sans


lui faire d'autre mal. Ils marchèrent ensuite sur Antandros, qui
leur fut livrée par trahison . Leur plan était de soustraire à la
domination athénienne toutes les villes dites de la côte ³ , qui
avaient anciennement appartenu aux Mytiléniens , et en parti-
culier Antandros . Cette place offrait de grands avantages pour la
construction des vaisseaux par la proximité de l'Ida, qui four-
nissait des bois en abondance ; elle était d'ailleurs pourvue
d'un matériel suffisant . Ils avaient le projet de la fortifier encore ,
et de s'en faire un point d'appui pour infester Lesbos, située à
peu de distance , et pour s'emparer des autres places éoliennes
du continent.
LIII . Le même été , les Athéniens firent une expédition contre
Cythère avec soixante vaisseaux, deux mille hoplites et un petit
nombre de cavaliers . Leurs alliés de Milet et de quelques autres
villes les accompagnaient. Les généraux étaient Nicias fils de
Nicératos , Nicostratos fils de Diotréphès et Autoclès fils de Tol-
méos . Cythère est une île adjacente à la Laconie et voisine du
cap Malée . Les habitants sont des Lacédémoniens de la classe
des Périèques . Chaque année on y envoyait de Sparte un ma-
gistrat nommé Cytherodicès¹ . Les Lacédémoniens y entretenaient
une garnison d'hoplites , et gardaient cette île avec le plus grand
soin, parce que son port était fréquenté par les vaisseaux mar-
chands venant d'Égypte et de Libye 2. De plus elle préservait
des déprédations la côte maritime , seul point vulnérable de la
Laconie. En effet cette île s'étend dans toute sa longueur vers
les mers de Sicile et de Crête.
LIV. Les Athéniens ayant pris terre, dix de leurs vaisseaux
et deux mille hoplites de Milet ' s'emparèrent de la ville de
Scandéa , située au bord de la mer. Le reste de l'armée alla
descendre dans la partie de l'île qui fait face au Malée, et mar-
cha contre la ville maritime des Cythériens. On les trouva tous
campés hors des murs. Le combat s'engagea bientôt. Les Cythé-
riens tinrent quelque temps ; mais ensuite ils tournèrent le dos
et se réfugièrent dans la ville haute . Plus tard, ils capitulèrent
avec Nicias et ses collègues ; ils se rendirent à discrétion , sous
la seule réserve d'avoir la vie sauve. Déjà précédemment, Nicias
avait noué des intelligences avec quelques Cythériens. C'est ce
qui facilita dans le moment la transaction et valut aux habitants
de meilleures conditions pour la suite ; autrement les Athéniens
n'eussent pas manqué d'expulser de Cythère toute la population,
qui était lacédémonienne et proche de la Laconie . Là - dessus
LIVRE IV . 221

les Athéniens prirent possession de Scandéa , qui est située près


du port. Ils mirent une garnison à Cythère et firent voile pour
Asiné , Hélos et les autres places du littoral. Ils y opérèrent des
descentes , passèrent la nuit où bon leur sembla , et ravagèrent
la campagne pendant sept jours.
LV. Les Lacédémoriens , voyant les Athéniens maîtres de
Cythère, et s'attendant à ce qu'ils feraient de nouveaux débar-
quements dans leur pays, ne leur opposèrent nulle part leurs
forces réunies ; ils se contentèrent d'envoyer des détachements
d'hoplites sur les points les plus menacés . Ils redoublaient de
vigilance ; car tout leur faisait craindre quelque révolution : le
désastre aussi terrible qu'imprévu arrivé à Sphactérie ; la prise
de Pylos et de Cythère ; enfin la vivacité d'une guerre qui mul-
tipliait autour d'eux ses coups inopinés . Aussi formèrent- ils ,
contrairement à leur usage, un corps de quatre cents cavaliers
et un autre d'archers . Plus que jamais ils étaient las de la
guerre. Ils se voyaient engagés dans une lutte maritime qu'ils
étaient mal préparés à soutenir , surtout contre des Athéniens,
aux yeux desquels l'inaction était une perte véritable . Cette ra-
pide succession de calamités inattendues les avait frappés de
stupeur. Sans cesse ils appréhendaient quelque nouvelle ca-
tastrophe pareille à celle de l'île. En un mot, ils n'avaient plus
la même hardiesse. Ils ne pouvaient faire un pas sans crainte de
commettre une faute , tant leur confiance était ébranlée par des
revers inaccoutumés.
LVI. Pendant que les Athéniens dévastaient les côtes de la
Laconie, les Lacédémoniens se tinrent la plupart du temps
en repos . Chaque garnison à proximité de laquelle s'opé-
rait une descente , se croyait trop inférieure en nombre et
obéissait aux motifs qui viennent d'être énumérés . Une seule
garnison se défendit près de Cotyrta et d'Aphrodisia ' . Elle fon-
dit sur une troupe légère dispersée dans la campagne , et la mit
en déroute ; mais accueillie par les hoplites , elle se retira en per-
dant quelques hommes. Les Athéniens enlevèrent les armes ,
érigèrent un trophée et revinrent à Cythère .
De là ils longèrent la côte jusqu'à Epidaure- Liméra , dont ils
ravagèrent partiellement le territoire ; puis ils se dirigèrent
vers Thyréa , ville située en Cynurie, sur les confins de l'Argo-
lide et de la Laconie . Les Lacédémoniens , à qui cette ville ap-
partenait, l'avaient cédée aux émigrés d'Égine, soit en retour
des services qu'ils en avaient reçus lors du tremblement de terre
et de l'insurrection des Hilotes 2 , soit aussi parce que les Égi-
222 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

nètes, quoique sujets d'Athènes , n'avaient pas laissé de tenir


constamment leur parti³.
LVII. A l'approche des Athéniens, les Éginètes abandonnèrent
le fort qu'ils construisaient près du rivage , et se retirèrent dans
la ville haute qu'ils habitaient, à dix stades de la mer. Une
garnison lacédémonienne du voisinage, qui travaillait avec eux
à la fortification, refusa , malgré leurs instances , d'entrer dans
la ville, où il lui sembla dangereux de s'enfermer. Elle aima
mieux se retirer sur la hauteur ; et, ne se jugeant pas en me-
sure de combattre, elle se tint en repos.
Les Athéniens abordent ; et, s'avançant aussitôt avec toutes
leurs forces, ils s'emparent de Thyréa . La ville fut entièrement
pillée et livrée aux flammes. Ils repartirent ensuite , emmenant
tous les Éginètes qui n'avaient pas péri dans la mêlée , et avec
eux le Lacédémonien Tantalos fils de Patroclès , qui commandait
la place et qui fut pris blessé . Ils emmenèrent pareillement un
certain nombre de Cythériens , qu'ils estimaient prudent dé dé-
porter. Le peuple d'Athènes décida que ces derniers seraient
déposés dans les îles ; que les autres Cythériens demeureraient
dans leur patrie , à condition de payer un tribut de quatre talents ;
que tous les Éginètes seraient mis à mort, à cause de leur ini-
mitié invétérée ; enfin que Tantalos serait tenu dans les fers
avec les autres Lacédémoniens pris à Sphactérie.
LVIII. Le même été , en Sicile , les habitants de Camarine
conclurent d'abord avec ceux de Géla une suspension d'armes.
Ensuite des députés de toutes les villes grecques de la Sicile
s'assemblèrent à Géla , et ouvrirent des conférences dans le but
d'opérer une réconciliation générale. Une foule d'opinions con-
tradictoires furent émises de part et d'autre ; on ne s'entendait
point et les prétentions les plus opposées se faisaient jour, se-
lon que chacun se croyait lésé dans ses droits . Le Syracusain
Hermocratès fils d'Hermon contribua le plus à rallier les suf-
frages en prononçant dans l'assemblée le discours suivant :
LIX. « Député d'une ville qui n'est point des plus faibles ni
des plus éprouvées par la guerre , je prends la parole dans cette
assemblée pour énoncer l'avis qui me paraît le plus conforme à
l'intérêt bien entendu de la Sicile.
« Et d'abord, à quoi sert d'énumérer longuement les maux que
la guerre traîne après elle? Ils ne nous sont que trop connus.
D'ailleurs ce n'est pas par ignorance qu'on l'entreprend , ni par
crainte qu'on l'évite, si l'on croit y trouver du profit ; mais les
uns considèrent ses avantages comme supérieurs à ses incon-
LIVRE IV . 223
vénients ; les autres aiment mieux courir un danger que de
subir une perte immédiate . Il n'y a qu'un cas où les exhorta-
tions à la paix aient chance d'être écoutées : c'est lorsqu'il y a
malentendu entre les deux partis . Je voudrais vous convaincre
que telle est notre position actuelle. Dans le principe , nous
avons pris les armes pour soutenir ce que chacun de nous
regardait comme son intérêt ; aujourd'hui nous sommes as-
semblés pour chercher à nous mettre d'accord. Si nous ne
pouvons y réussir, la lutte recommencera avec une nouvelle
ardeur.
LX. « Et pourtant si nous sommes sages , il s'agira moins
encore dans cette assemblée de régler nos intérêts particuliers ,
que de préserver la Sicile des piéges que lui tendent les Athé-
niens. Aussi , pour amener un rapprochement entre nous , je
compte bien moins sur mes discours que sur les Athéniens eux-
mêmes. Plus puissants qu'aucun peuple de la Grèce , ils épient,
avec un petit nombre de vaisseaux, les fautes que nous pour-
rons commettre ; et , sous le voile d'une alliance légitime , ils
exercent au profit de leur ambition leur haine naturelle contre
nous. Si nous persistons à nous faire la guerre, si nous appe-
lons à notre aide ces hommes qui , pour intervenir , n'attendent
pas qu'on les sollicite , si nous nous entre-déchirons comme à
plaisir, en un mot, si nous travaillons nous-mêmes à l'exten-
sion de leur empire, n'en doutez pas à peine nous verront-ils
épuisés , qu'ils arriveront en forces pour faire passer tout ce
pays sous leur joug.
LXI. « C'est en vue d'acquérir ce qu'on n'a pas , et non d'ex- .
poser ce qu'on possède , qu'il faudrait, si l'on était sage, appe-
ler des auxiliaires et courir les chances des combats . Ne sait-on
pas que rien n'est plus mortel que la désunion pour les États
en général , et spécialement pour la Sicile, dont toutes les villes
sont divisées, quoique menacées en commun ?
« Convaincus de ces vérités , réconcilions-nous , États comme
particuliers, et réunissons nos efforts pour le salut de la Sicile
entière. Ne vous figurez pas que les Athéniens n'en veulent
chez nous qu'aux Doriens, et que les Chalcidéens seront pro-
tégés par leur affinité avec la branche ionienne ' . Ce n'est point
par inimitié nationale ni par antipathie de races qu'ils viennent
nous attaquer; c'est parce qu'ils convoitent les richesses de la
Sicile , notre commun patrimoine. Ils l'ont bien prouvé en der-
nier lieu , à l'appel de la race chalcidique . Jamais ils n'en
avaient reçu le moindre secours en vertu d'un traité ; ce
224 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

sont eux qui ont saisi avec empressément le prétexte d'une


alliance:
« Que les Athéniens aient ces vues ambitieuses, je le conçois
sans peine. Je ne blâme pas ceux qui aspirent à la domination ,
mais bien plutôt ceux qui se résignent à la subir. Il est dans
la nature de l'homme de fouler ce qui lui cède et de se garer
de ce qui le menace . Mais , de notre côté, nous serions impar-
donnables , si nous ne prenions pas d'utiles précautions , ou si
nous ne regardions pas comme notre premier devoir de con-
jurer le danger qui est suspendu sur nos têtes.
« Il serait bientôt nul ce danger , si nous voulions faire une
transaction générale ; car le point d'appui des Athéniens n'est
pas chez eux, mais chez les peuples qui les appellent. Dès lors
ce n'est pas une guerre qui mettra fin à une autre guerre ;
mais c'est la paix qui terminera à l'amiable nos différends ; et
ces perfides auxiliaires , qui se couvrent d'un masque spé-
cieux, s'en retournerout comme ils sont venus, sans avoir rien
gagné.
LXII . « Tel est, à l'égard des Athéniens , l'immense avantage
que nous nous assurons en prenant une sage résolution . Quant
à la paix entre nous , à cette paix que chacun s'accorde à re-
garder comme le premier des biens , pourquoi ne pas la con-
clure ? Si les uns prospèrent, si les autres souffrent, ne croyez-
vous pas que la tranquillité convienne mieux que la guerre
pour procurer à ceux- ci la cessation de leurs maux , à ceux-là
le maintien de leur bien-être ? N'est-ce pas la paix qui garantit
les honneurs et les distinctions ? N'est- ce pas elle qui produit
mille autres avantages , aussi longs à énumérer que les maux
de la guerre ? Pesez donc mûrement mes paroles ; et, loin d'en
tenir peu de compte, profitez- en pour votre salut.
« Si quelqu'un de vous s'imagine triompher à coup sûr ,
parce qu'il a pour lui le droit ou la force , je crains une amère
déception. Que de fois n'a-t-on pas vu des hommes qui pour-
suivaient une juste vengeance , non seulement ne pas l'at-
teindre, mais encore compromettre leur propre sécurité ? tan-
dis que d'autres qui espéraient s'agrandir par la force , bien
loin de faire des conquêtes, n'ont réussi qu'à perdre ce qu'ils
possédaient. En effet, la vengeance n'aboutit pas toujours par
cela seul qu'elle est légitime ; de même que la force , pour être
pleine d'espérance, n'est pas toujours un sûr appui . C'est la
fortune qui décide de l'avenir. Malgré ses incertitudes , elle ne
laisse pas d'avoir son bon côté ; car une crainte réciproque
LIVRE IV. 285

fait qu'on y regarde à deux fois avant d'en venir à des actes
hostiles.
LXIII. Maintenant donc , doublement alarmés et par la
perspective d'un avenir impénétrable, et par la présence inquié-
tante des Athéniens ; convaincus d'ailleurs que , si nos espé-
rances particulières ont été déçues , ce malheur est l'effet des
obstacles que je viens d'indiquer, éloignons de notre patrie les
ennemis qui la menacent ; réunissons-nous dans une paix per-
pétuelle , s'il se peut, sinon dans une trêve aussi longue que
possible, et remettons à une autre époque le règlement de nos
démêlés . Si vous m'écoutez , chacun de vous conservera sa
ville libre et trouvera dans son indépendance les moyens de
récompenser le bien ou de punir le mal qu'il aura reçu . Si au
contraire , vous défiant de mes paroles , vous prêtez l'oreille à
d'autres conseils , ce ne sera plus de vengeance qu'il s'agira
pour nous ; mais , dans l'hypothèse la plus heureuse , nous su-
birons forcément l'alliance de nos ennemis implacables et l'hos-
tilité de nos meilleurs amis ' .
LXIV. « Pour moi , comme je l'ai dit en commençant, citoyen
d'une république puissante , dont le rôle est moins de se dé-
fendre que d'attaquer , j'insiste, à raison de ces éventualités ,
pour qu'on se fasse des concessions réciproques . Je ne veux
pas, pour faire du mal à mes adversaires, m'en faire encore
plus à moi -même . Je ne pousse pas la manie des rivalités
jusqu'à me persuader que la fortune , dont je ne suis pas le
maître , m'est subordonnée aussi bien que ma propre pensée ;
mais je cède tout ce qu'il est raisonnable de céder. J'engage
les autres à suivre mon exemple et à se faire mutuellement
des sacrifices volontaires , sans attendre d'y être forcés par nos
ennemis. Il n'y a pas de honte à se céder entre parents , Doriens
à Doriens, Chalcidéens à Chalcidéens , en un mot , voisins à voi-
sins , habitants d'une même contrée, entourés par une même
mer, et portant le même nom de Grecs de Sicile . Le temps
viendra, j'en ai la conviction , où nous reprendrons les armes ,
sauf à nous réconcilier de nouveau. Mais , si des étrangers nous
attaquent , nous aurons le bon esprit de former le faisceau pour
les repousser ; car nous sommes tous solidaires . A l'avenir, n'ap-
pelons plus ni alliés ni médiateurs . Par là nous procurerons
dès aujourd'hui deux biens à la Sicile : l'un d'éloigner les Athé-
niens, l'autre d'échapper aux guerres intestines ; et désormais
nous habiterons ensemble un pays libre , moins exposé aux
piéges de l'étranger . »
226 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

LXV. Ainsi parla Hermocrates . Les Siciliens persuadés con-


vinrent de mettre fin à leurs guerres . Chacun garda ce qu'il
possédait . Les Camarinéens acquirent Morgantine, à la charge
de payer aux Syracusains une somme déterminée. Les alliés
d'Athènes, ayant appelé les chefs des Athéniens , leur dirent
qu'ils avaient l'intention d'adhérer à cet accommodement et
d'y faire comprendre les Athéniens eux-mêmes. Les généraux
donnèrent leur approbation ; l'accord se conclut, et les vais-
seaux athéniens quittèrent la Sicile.
A leur retour, le peuple d'Athènes condamna deux des géné-
raux , Pythodoros et Sophoclès à l'exil , et le troisième , Eury-
médon , à l'amende, sous prétexte qu'ils auraient pu soumettre
la Sicile et qu'ils s'étaient laissé corrompre par des présents.
Les Athéniens , enivrés de leur fortune actuelle , ne connais-
saient plus d'obstacles . Ils prétendaient que toutes leurs ten-`
tatives , praticables ou non , réussissent également, quelle que
fût la grandeur ou l'insuffisance de leurs moyens. C'était le
fruit des succès inespérés qui avaient couronné la plupart de
leurs entreprises, et qui convertissaient à leurs yeux leurs es-
pérances en autant de réalités.
LXVI. Le même été , les Mégariens dè la ville , pressés d'un
côté par les Athéniens, qui deux fois chaque année envahis-
saient en masse leur territoire, de l'autre par leurs propres
exilés qui , de Page où ils s'étaient retirés à la suite d'une
émeute , mettaient la campagne au pillage , se dirent qu'il
fallait rappeler les bannis et ne pas laisser plus longtemps la
ville exposée à ce double danger. Instruits de ces dispositions ,
les amis des exilés se mirent à parler plus haut qu'ils n'avaient
encore osé le faire. Alors les chefs du parti démocratique, sen-
tant que le peuple accablé par la souffrance ne tarderait pas à
leur échapper, furent saisis de crainte et entrèrent en pour-
parlers avec les généraux athéniens , Hippocratès fils d'Ariphron
et Démosthène fils d'Alcisthénès. Ils offraient de leur livrer la
ville ; ce parti leur paraissait moins dangereux que le retour
des citoyens qu'ils avaient fait bannir. Il fut convenu que les
Athéniens s'empareraient d'abord des longs murs qui relient à
la ville le port de Niséa , distant de huit stades . Par là on empê-
cherait les Péloponésiens de sortir de Niséa, où ils tenaient seuls
garnison pour observer Mégare . Ensuite, on tâcherait de livrer
aux Athéniens la ville haute, ce qui serait facile une fois le
premier résultat obtenu.
LXVII. Lorsqu'on se fut mis d'accord et que tout fút prêt
LIVRE IV . 227

pour l'exécution , les Athéniens, à l'entrée de la nuit , débar-


quèrent dans l'île de Minoa , dépendance de Mégare , avec six
cents hoplites commandés par Hippocratès. Ils se blottirent à
courte distance, dans un fossé d'où l'on tirait des briques pour
les murs. Une seconde troupe , aux ordres de Démosthène ,
l'autre général , composée de Platéens armés à la légère et de
péripoles , s'embusqua dans le temple de Bellone , encore plus
rapproché . A part les conjurés , nul ne s'aperçut de ces mou-
vements nocturnes . Un peu avant l'aube , les Mégariens qui
trahissaient employèrent la ruse suivante. Depuis longtemps.
ils s'étaient ménagé l'ouverture des portes. Ils avaient obtenu
du commandant la permission de transporter de nuit sur un
char, à travers le fossé jusqu'au rivage, un bateau à deux
rames , avec lequel ils couraient la mer comme des pirates ;
puis, avant qu'il fît jour, ils le ramenaient par la porte sur le
même char. De cette façon, les Athéniens stationnés à Minoa
ne voyaient dans le port aucun bâtiment , et leur attention n'é-
tait pas éveillée. En ce moment , le char était déjà devant la
porte ; on l'ouvrit, comme d'habitude , pour donner passage au
bateau. A cette vue, les Athéniens qui avaient le mot, s'élan-
cent de leur embuscade et accourent avant que la porte ne se
referme. Pendant que le char embarrasse l'entrée , les conjurés
mégariens égorgent les gardes. Au même instant, les Platéens
et les péripoles de Démosthène se précipitent les premiers ,
l'endroit où est maintenant le trophée . Aussitôt le combat s'en-
gage en dedans des portes avec les Péloponésiens postés dans
le voisinage et accourus au premier bruit ; mais les Platéens
les repoussent et assurent l'entrée aux hoplites athéniens .
LXVIII . A mesure que ceux-ci ont franchi la porte , ils se diri-
gent vers la muraille. La garnison péloponésienne , quoique
peu nombreuse , résista d'abord et eut quelques hommes tués ;
mais bientôt la plupart des soldats prirent la fuite, épouvantés
par cette attaque nocturne et par la trahison des Mégariens ;
car ils crurent toute la population complice. Une circonstance
accidentelle les confirma dans cette erreur. Le héraut athé-
nien fit de son chef une proclamation pour inviter les Méga-
riens de bonne volonté à venir en armes se joindre aux Athé-
niens. Cette proclamation acheva d'intimider les soldats du
Péloponèse . Ils se crurent en butte à une conspiration géné-
rale et se sauvèrent à Niséa.
Au lever du soleil , les murs étaient entièrement occupés.
Une extrême agitation régnait dans Mégare . Les traîtres qui
228 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

avaient négocié avec les Athéniens demandaient qu'on ouvrît


les portes et qu'on sortît pour combattre. Or , il était convenu
qu'aussitôt les portes ouvertes, les Athéniens s'y jetteraient.
Les conjurés , pour être reconnus et moins exposés , devaient
être frottés d'huile. Ils risquaient peu à ouvrir les portes ; car ,
suivant la convention , quatre mille hoplites et six cents cava-
liers d'Athènes étaient arrivés d'Eleusis après une marche
de nuit. Déjà les conjurés s'étaient frottés d'huile ' et se te-
naient aux portes , lorsqu'un d'entre eux dévoila le complot aux
citoyens qui l'ignoraient. Aussitôt ceux-ci accourent en foule
et soutiennent qu'il ne faut point sortir ; que c'est exposer la
ville à un danger manifeste ; qu'auparavant , bien qu'on eût
plus de force , jamais on ne l'avait osé ; qu'enfin, si l'on s'ob-
stine , on se battra sur place. Au surplus , ils feignaient d'être
dans l'ignorance du complot , et se bornaient à maintenir leur
opinion comme la meilleure ; mais en même temps ils demeu-
raient près des portes , bien décidés à les défendre , de sorte
que les traîtres ne pouvaient exécuter leur projet.
LXIX . Les généraux athéniens , sentant qu'il était survenu
quelque contre-temps et qu'il devenait impossible de brusquer
la ville, investirent sur-le-champ Niséa, dans l'espoir de s'en
emparer avant qu'elle fût secourue, et d'avoir ainsi meilleur
marché de Mégare. Il leur vint bientôt d'Athènes des maçons
avec des outils et tous les objets nécessaires . Dans l'intervalle
des murs qu'ils occupaient, ils commencèrent par construire
une traverse du côté de Mégare ; puis , à partir des deux extré-
mités de cet ouvrage , ils tirèrent un mur et un fossé pour en-
fermer Niséa de part et d'autre jusqu'à la mer. L'armée se
distribua le travail. On utilisa les pierres et les briques du
faubourg ; en coupa des arbres et des branchages pour établir
des palissades dans les endroits qui le réclamaient ; enfin , les
maisons du faubourg furent crénelées et mises en état de dé-
fense. Cette opération se poursuivit toute la journée ; le len-
demain au soir le mur était à peu près achevé. Les Niséens
furent dans la consternation. Ils manquaient de vivres ; car ils
avaient coutume de s'approvisionner au jour le jour dans la
ville haute. Ils comptaient peu sur un prompt secours du Pé-
loponèse ; enfin, ils s'imaginaient avoir à dos les Mégariens .
Ils capitulèrent donc, à condition de payer par tête une somme
déterminée, de livrer leurs armes et d'abandonner à la discré-
tion des Athéniens le commandant et les autres Lacédémoniens
qui étaient dans la place ; à ces conditions ils sortirent. Les
LIVRE IV. 229 .
Athéniens renversèrent la portion des longs murs qui aboutis-
sait à la ville de Mégare ; et , maîtres de Niséa , ils s'y établi-
rent solidement.
LXX. En ce moment, le Lacédémonien Brasidas , fils de
Tellis , se trouvait aux environs de Sicyone et de Corinthe ,
occupé à préparer une expédition pour le littoral de la Thrace .
Il connut bientôt la prise des murs. Craignant pour Mégare et
pour les Péloponésiens de Niséa , il fit dire aux Béotiens de ve-
nir en toute hâte le rejoindre à Tripodiscos ; c'est le nom d'un
village de Mégaride situé au pied de la montagne de Géranie ' .
Il s'y rendit lui-même avec deux mille sept cents hoplites de
Corinthe, quatre cents de Phlionte , six cents de Sicyone , in-
dépendamment des soldats qu'il avait déjà rassemblés . Il comp-
tait que Niséa tiendrait jusqu'à son arrivée . Mieux informé, il
choisit quatre cents hommes de ses troupes ; et, avant què sa
marche ne fût découverte-il était parti de nuit pour Tripodis-
COS--il s'approcha de Mégare , sans être aperçu des Athéniens ,
qui étaient près de la mer. Il voulait qu'il fût dit qu'il avait fait
au moins une démonstration sur Niséa ; mais il tenait surtout à
pénétrer dans Mégare pour s'assurer de cette place . Il deman-
dait à y être reçu , dans l'espoir, disait-il , de ressaissir Niséa .
LXXI. Des deux factions qui divisaient Mégare, l'une crai-
gnait que Brasidas ne ramenât les bannis et ne provoquât son
expulsion ; l'autre , que le peuple , appréhendant le même ré-
sultat, ne se tournât contre elle , et qu'ainsi la ville déchirée
ne devînt la proie des Athéniens qui l'épiaient. On ne reçut
donc point Brasidas. Les deux partis aimèrent mieux garder
l'expectative . On s'attendait à une bataille entre les Athéniens
et les auxiliaires ; et l'on croyait plus sûr de se décider après
l'événement. Brasidas , n'ayant pas réussi dans sa démarche ,
alla rejoindre le gros de sa troupe ,
LXXII. A la pointe du jour parurent les Béotiens. Avant
même le message de Brasidas , ils avaient songé à secourir
Mégare, dont le danger les touchait de près , et déjà ils étaient
à Platée avec toutes leurs forces. L'arrivée du messager les rem-
plit d'un nouveau zèle. Ils envoyèrent à Brasidas deux mille
deux cents hoplites et six cents cavaliers ; le reste de leurs
troupes se retira. L'arrivée de ce renfort portait à six mille
hoplites l'effectif de l'armée réunie devant Niséa .
Les Athéniens avaient leurs hoplites en bataille autour de
cette ville et sur le rivage , tandis que leurs troupes légères
étaient éparses dans la plaine ; car jusqu'à ce moment, les
230 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Mégariens n'avaient point reçu de secours. Les cavaliers


béotiens, fondant à l'improviste sur ces troupes légères , les
poursuivirent jusqu'à la mer ; mais les cavaliers athéniens
s'ébranlèrent à leur tour et l'action s'engagea. On combattit
longtemps, et les deux partis s'attribuèrent la victoire. La ca-
valerie béotienne ayant poussé jusque sous les murs de Niséa ,
les Athéniens tuèrent le chef de cette troupe, ainsi qu'un petit
nombre de soldats. Ils les dépouillèrent, restèrent maîtres des
morts, qu'ils rendirent ensuite par composition , et dressèrent
un trophée. A tout prendre cependant , il n'y eut d'avantage
décisif ni d'un côté ni de l'autre. Les combattants se séparé-
rent, les Béotiens pour rejoindre les leurs , les Athéniens pour
rentrer dans Niséa.
LXXIII. Là-dessus . Brasidas et ses troupes se rapprochèrent
de la mer et de la ville de Mégare. Ils occupèrent une position
'favorable , s'y rangèrent en bataille, et se tinrent en repos , dans
l'idée que les Athéniens viendraient les y chercher. Ils n'igno-
raient pas que les Mégariens observaient de quel côté pen-
cherait la victoire. Les Péloponésiens trouvaient dans cette
manœuvre un double avantage : en premier lieu , de ne pas com-
mencer l'attaque et de ne pas aller de gaieté de cœur au-de-
vant du danger ; il leur suffisait de s'être montrés disposés à
combattre pour pouvoir s'attribuer une victoire qui n'aurait
pas coûté une goutte de sang. En second lieu , c'était le meil-
leur parti à prendre relativement à Mégare. Ne pas offrir le
combat, c'était s'enlever toutes les chances , passer infaillible-
ment pour vaincus et perdre aussitôt la ville . Si l'armée athé-
nienne refusait la lutte , l'objet pour lequel ils s'étaient mis en
campagne serait atteint par ce seul fait. Ce fut précisément
ce qui arriva. Les Athéniens sortirent et se déployèrent en
avant des longs murs ; mais , voyant Brasidas immobile , ils
restèrent eux-mêmes en repos . Leurs généraux considéraient
qu'après le succès presque complet de leur entreprise, la par-
tie n'était pas égale entre eux et un ennemi supérieur en nom-
bre vainqueurs , ils ne s'assuraient que de Mégare ; vaincus,
ils perdaient la fleur de leur infanterie . Au contraire , les Pélo-
ponésiens , dont les forces étaient entières et formées de con-
tingents partiels , n'avaient pas les mêmes raisons d'éviter la
lutte. Les deux armées restèrent quelque temps en présence,
sans entamer le combat. Ensuite les Athéniens les premiers
rentrèrent à Niséa . et les Péloponésiens reprirent leurs an-
ciennes positions .
LIVRE IV. 231

Dès lors , les Mégariens amis des exilés , regardant Brasi-


das comme vainqueur par cela seul que les Athéniens avaient
refusé la bataille , conçurent plus d'audace et lui ouvrirent
leurs portes, ainsi qu'aux autres commandants des Péloponé-
siens. Ils se concertèrent tous ensemble, tandis que les parti-
sans d'Athènes étaient frappés de stupeur.
LXXIV. Ensuite les alliés se dispersèrent dans leurs villes ,
et Brasidas lui-même retourna à Corinthe achever , pour l'ex-
pédition de Thrace, les préparatifs commencés. Quand les Athé-
niens eurent également effectué leur retraite , ceux des Méga-
riens qui avaient entretenu le plus de relations avec eux , se
voyant démasqués , prirent aussitôt la fuite. Les autres, d'ac-
cord avec les amis des exilés , rappelèrent ceux-ci de Pagæ ,
après leur avoir fait solennellement promettre qu'ils ne garde-
raient point de rancune et ne prendraient conseil que de l'in-
térêt public . Néanmoins , ces hommes ne furent pas plutôt
parvenus au pouvoir, qu'ils firent une revue des milices ; et,
après avoir eu soin de séparer les bataillons , ils choisirent une
centaine de leurs ennemis ou des principaux partisans d'A-
thènes ; ils forcèrent le peuple de donner publiquement sur
eux son suffrage , obtinrent ainsi leur condamnation et les mi-
rent à mort. Après quoi , ils établirent dans la ville un régime
franchement aristocratique. C'est ainsi que Mégare ne sortit
d'une sédition que pour retomber pendant longtemps sous le
joug de l'oligarchie.
LXXV. Le même été , les Mytiléniens sé mirent en devoir de
fortifier Antandros , comme ils en avaient le projet. Les géné-
raux athéniens Démodocos et Aristidès , chargés de lever le
tribut, se trouvaient alors dans l'Hellespont , tandis que Lama-
chos , leur collègue , avait fait voile avec dix vaisseaux pour le
Pont-Euxin. Avertis des préparatifs qui se faisaient à Antan-
dros , ils craignirent qu'il n'en fût de cette place comme d'Anéa
près de Samos . Les exilés samiens s'y étaient établis , et de
là ils favorisaient la marine des Péloponésiens, en leur en-
voyant des pilotes ; ils fomentaient des troubles dans la ville
de Samos et donnaient asile aux proscrits. En conséquence , les
généraux athéniens rassemblèrent des troupes alliées , firent
voile pour Antandros , battirent ceux qui essayèrent de leur
résister et reprirent la place.
Peu de temps après , Lamachos , qui était entré dans le Pont
et avait relâché dans le fleuve Calex près d'Héraclée , perdit
ses vaisseaux par l'effet d'une forte crue d'eau survenue tout
232 GUERRE DU PELOPONÈSE .

à coup aans l'intérieur des terres. Il traversa à pied avec son


armée le pays des Thraces-Bithyniens , qui habitent en Asie
au delà du détroit, et parvint à Chalcédoine, colonie de Mé-
gare, à l'entrée du Pont.
LXXVI . Dans le même été , le général athénien Démosthène ,
se rendit à Naupacte avec quarante vaisseaux, immédiatement
après son retour de Mégaride. Quelques Béotiens avaient noué
des intelligences avec lui et avec Hippocratès, dans le but
d'opérer une révolution dans leur pays , et d'y établir la dé-
mocratie à l'imitation d'Athènes. L'agent le plus actif de cette
intrigue était Ptéodoros , exilé thébain. Leur plan consistait à
s'emparer de Siphæ , qui devait leur être livrée par trahison ;
c'est une ville du territoire de Thespies, située au fond du
golfe de Crisa. Quelques Orchoméniens offraient aussi de leur
remettre Chéronée, ville qui dépend d'Orchomène , dite jadis
des Minyens et aujourd'hui de Béotie . Les bannis d'Orchomène
étaient les plus ardents instigateurs de ce projet ; ils avaient
même pris à leur solde quelques troupes du Péloponèse . Or
Chéronée est la dernière place de Béotie , du côté de Phanotée ,
ville phocéenne . Le complot avait aussi des ramifications en
Phocide. Il fallait enfin que les Athéniens occupassent Délion ,
endroit consacré à Apollon et situé sur le territoire de Tana-
gra, en face de l'Eubée . Tout cela devait s'exécuter de concert ,
dans un jour déterminé, afin que les Béotiens, retenus dans
leurs foyers par les agitations locales, ne fussent pas en me-
sure de se concentrer à Délion. Si l'entreprise réussissait et
que Délion fût fortifié , dût-il n'y avoir pour le moment aucune
révolution en Béotie, on avait tout lieu de croire que ces di-
vers points une fois occupés, le pays exposé au pillage , cha-
cun ayant un asile à proximité , les affaires ne demeureraient
pas longtemps dans le même état ; mais qu'avec un peu de
patience les insurgés , grâce au secours des Athéniens et à la
dissémination de leurs adversaires , finiraient par établir en
Béotie un gouvernement de leur choix . Telle était la conspira-
tion qui se tramait.
LXXVII. Hippocrates ayec des troupes d'Athènes devait ,
quand il serait temps , se porter en Béotie. Il avait envoyé
Démosthène avec quarante vaisseaux à Naupacte pour lever
des troupes chez les Acarnaniens et autres alliés de ces pa-
rages , et pour cingler ensuite vers Siphæ, que la trahison de-
vait lui livrer. Un jour était fixé pour l'exécution simultanée
de ces divers projets. A son arrivée , Démosthène trouva les
LIVRE IV . 233

OEniades que les Acarnaniens réunis avaient forcés d'entrer


dans l'alliance d'Athènes . Lui-même, fit prendre les armes à
tous les alliés de ces contrées et marcha d'abord contre Salyn-
thios et les Agréens . Il obtint leur soumission et ne songea
plus qu'à se trouver devant Siphæ en temps opportun.
LXXVIII . A la même époque , Brasidas partit pour le litto-
1
ral de la Thrace avec dix- sept cents hoplites . Arrivé à Héra-
clée en Thrachinie , il expédia un courrier à ses amis de Phar-
sale, pour les prier de lui faciliter la traversée de leur pays.
Panéros, Doros , Hippolochidas , Torylaos et Strophacos , proxène
des Chalcidéens , vinrent à sa rencontre jusqu'à Mélitie d'A-
chaïe . Il se mit en route avec eux. Il avait aussi pour con
ducteurs d'autres Thessaliens, en particulier Niconidas de
Larisse, ami de Perdiccas . En effet, il n'était pas facile de tra-
verser la Thessalie sans guide, surtout avec des armes . D'ail-
leurs , dans toute la Grèce, c'était se rendre suspect que de
traverser sans permission un territoire étranger. Enfin , le
peuple de Thessalie a de tout temps été favorable aux Athé-
niens ; en sorte que , si le pays eût joui de son indépendance
au lieu d'être assujetti à quelques hommes puissants , jamais
Brasidas n'eût passé. Même alors, des Thessaliens du parti
contraire à celui de ses conducteurs se présentèrent à lui près
du fleuve Énipée et lui défendirent d'aller plus loin, sans l'as-
sentiment de la nation . Ses guides répliquèrent qu'ils ne son-
geaient point à passer de force , mais qu'il était venu sans qu'ils
l'attendissent , et qu'étant ses hôtes , ils avaient dû l'accompa-
gner. Brasidas déclara qu'il traversait le pays des Thessaliens
en qualité d'ami ; qu'il ne portait point les armes contre eux ,
mais contre les Athéniens ses ennemis ; qu'il ne savait pas
qu'il y eût entre les Thessaliens et les Lacédémoniens aucune
inimitié qui les empêchât de se prêter mutuellement passage ,
que pour l'heure il ne pousserait pas plus avant contre leur
gré , aussi bien la chose n'était-elle pas possible ; que cepen-
dant il n'estimait pas devoir être arrêté.
Sur cette réponse , les Thessaliens se retirèrent. Alors Brasi-
das , d'après l'avis de ses guides , partit sans perdre un instant,
et s'avança à marches forcées , avant qu'un rassemblement plus
considérable ne lui barrât le chemin . Le jour même de son
départ de Mélitie , il atteignit Pharsale et campa au bord du
fleuve Apidanos . De là il gagna Phacion et finalement la Per-
rhébie . En cet endroit, ses guides thessaliens le quittèrent . Les
Perrhèbes , sujets des Thessaliens , le conduisirent jusqu'à Dion ,
234 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
dans les États de Perdiccas. Cette ville est située au pied de
l'Olympe , dans la partie de la Macédoine qui confine à la Thes-
salie.
LXXIX. C'est ainsi que Brasidas traversa la Thessalie
comme à la course , avant qu'on fût en mesure de l'arrêter. Il
se rendit auprès de Perdiccas et en Chalcidique.
Perdiccas et les villes insurgées du littoral de la Thrace
avaient appelé du Péloponèse cette armée, à cause des craintes
que leur inspiraient les progrès des Athéniens. Les Chalci-
déens s'attendaient à se voir attaqués les premiers ; de plus,
ils étaient secrètement stimulés par les villes de leur voisi-
nage non encore révoltées . Quant à Perdiccas, sans être posi-
tivement brouillé avec les Athéniens , ses anciens démêlés avec
eux lui avaient donné de l'ombrage . Il aspirait aussi à sou-
mettre Arrhibéos , roi des Lyncestes . Au surplus , l'envoi de
cette armée péloponésienne fút singulièrement facilité par les
revers qui pesaient alors sur Lacédémone .
LXXX . Comme les Athéniens ne cessaient d'infester le Pélo-
ponèse et spécialement la Laconie , les Lacédémoniens pensè-
rent que le meilleur moyen de faire diversion était de jeter
une armée chez leurs alliés ; d'autant plus que ceux-ci offraient
de la défrayer, et l'appelaient dans un esprit de révolte. D'ail-
leurs, ils n'étaient pas fâchés d'avoir un prétexte pour envoyer
au dehors un certain nombre de leurs Hilotes ; car ils crai-
gnaient qu'ils ne profitassent de l'occupation de Pylos pour se
soulever. Les Lacédémoniens sont dans une perpétuelle appré-
hension au sujet des Hilotes : et, comme à cette époque ils re-
doutaient leur jeunesse et leur multitude , ils poussaient à
l'extrême les précautions à leur égard ' . C'est ainsi qu'ils
avaient fait publier que ceux d'entre eux qui croyaient leur
avoir rendu le plus de services à la guerre eussent à se décla-
rer et qu'ils seraient affranchis. C'était une manière de les
éprouver ; car on pensait bien que les plus désireux de liberté
seraient aussi les plus enclins à la révolte. Ils en choisirent
jusqu'à deux mille, qui firent le tour des temples , la tête cou-
ronnée comme affranchis ; mais peu après on les fit tous dis-
paraître, sans que personne ait jamais su comment ils avaient
péri. On saisit donc avec empressement l'occasion d'en faire
partir six cents avec Brasidas en qualité d'hoplites. Le reste
de son armée se composait de mercenaires levés par lui dans
le Péloponèse.
LXXXI . C'était à sa demande expresse que les Lacédémo-
LIVRE IV. 235

niens avaient mis Brasidas à la tête de cette expédition . Les


Chalcidéens avaient désiré avoir un homme qui jouissait à
Sparte d'une grande réputation d'énergie , réputation justifiée
par les services signalés que , depuis son départ , il ne cessa
de rendre à Lacédémone. En effet, la justice et la modération
qu'il montra dès l'abord à l'égard des villes en détachèrent
plusieurs d'Athènes ; d'autres lui furent livrées par trahison.
Aussi les Lacédémoniens , lorsque plus tard ils voulurent faire
la paix, eurent des places à donner en échange de celles dont
ils demandaient la restitution , indépendamment du répit pro-
curé au Péloponèse . Longtemps après , lors de la guerre qui
suivit l'expédition de Sicile , la valeur et la sagesse déployées
dans le temps par Brasidas , et que les uns connaissaient par
expérience, les autres par ouï -dire , inspiraient encore aux
alliés d'Athènes une inclination prononcée en faveur des Lacé-
démoniens. Comme il fut le premier envoyé à l'étranger et
qu'il fit briller une vertu accomplie , il laissa après lui la ferme
conviction que tous les autres lui ressemblaient.
LXXXII. Informés de son arrivée sur le littoral de la Thrace,
les Athéniens déclarèrent la guerre à Perdiccas , qu'ils regar-
daient comme le promoteur de cette expédition , et surveillé-
rent de plus près les alliés de ce pays .
LXXXIII . Sitôt que Perdiccas eut réuni à ses propres forces
l'armée de Brasidas , il marcha contre son voisin Arrhibéos , fils
de Broméros , roi des Lyncestes-Macédoniens ' , avec lequel il
était brouillé et qu'il voulait soumettre . Lorsque l'armée fut à
l'entrée du Lyncos , Brasidas déclara qu'avant d'en venir aux
hostilités , il désirait faire une démarche pour engager Arrhi-
béos dans l'alliance de Lacédémone . Ce prince offrait de s'en
remettre à la médiation de Brasidas ; les députés chalcidéens
qui se trouvaient présents conseillaient à ce dernier de ne pas
ôter à Perdiccas tout sujet de crainte , afin de s'assurer de son
dévouement ; enfin , les envoyés de Perdiccas à Lacédémone
avaient donné à entendre qu'il ferait entrer dans l'alliance
beaucoup de nations voisines . Brasidas se croyait donc auto-
risé à exiger que les affaires d'Arrhibéos fussent traitées en
commun. Perdiccas, au contraire, soutint qu'il n'avait pas ap-
pelé Brasidas pour être l'arbitre de ses différends , mais pour
combattre les ennemis qu'il lui désignerait ; qu'il n'était pas
juste, quand lui-même nourrissait la moitié de l'armée pélopo-
nésienne , que Brasidas s'entendît avec Arrhibéos . Nonobstant
cette altercation , Brasidas ne laissa pas d'avoir une entrevue
236 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
avec ce dernier, et consentit à retirer son armée avant d'avoir
envahi le pays. Depuis ce moment, Perdiccas se tint pour of-
fensé , et ne fournit plus que le tiers des vivres au lieu de la
moitié.
LXXXIV. Le même été, aussitôt après ces événements , Bra-
sidas réuni aux Chaldidéens marcha contre Acanthe, colonie
d'Andros . C'était peu de temps avant la vendange . Quand il fut
question de le recevoir, une lutte s'engagea entre le peuple et
ceux qui l'avaient appelé de concert avec les Chalcidéens . On
craignait pour la récolte encore pendante. Aussi Brasidas per-
suada-t-il au peuple de le recevoir seul et de ne se décider
qu'après l'avoir entendu . Pour un Lacédémonien , il ne man-
quait pas de talent oratoire . Il se présenta donc à l'assemblée et
prononça le discours suivant.
LXXXV. « En me faisant partir avec une armée , les Lacédé-
moniens ont voulu confirmer ce que nous avons déclaré dès le
début de cette guerre , savoir que nous prenions les armes pour
affranchir la Grèce du joug des Athéniens . Si nous arrivons
tard , ne nous en faites point de reproches. Nous nous sommes
trompés sur la durée probable des hostilités entreprises sur un
autre théâtre . Nous avions espéré avoir promptement raison
des Athéniens à l'aide de nos seules forces et sans vous impli-
quer dans le danger. Nous sommes venus aussitôt que nous
l'avons pu ; et nous essayerons , avec votre coopération, de con-
sommer leur ruine.
« Je m'étonne que vous m'ayez fermé vos portes; au lieu de
me recevoir à bras ouverts . Nous pensions venir à vous comme
à des alliés qui , même avant notre arrivée , nous attendaient
avec sympathie et nous appelaient de leurs vœux. C'est là ce
qui nous a fait affronter le péril d'une longue marche à tra-
vers un pays étranger et déployer tout le zèle possible .
« Si vos intentions étaient différentes , si vous deviez con-
trarier votre propre délivrance et celle des autres Grecs , ce
serait fort regrettable ; car non-seulement vous seriez pour
moi une entrave , mais votre exemple détournerait de se joindre
à moi ceux à qui je pourrais m'adresser. Ils se montreraient
difficiles en me voyant repoussé par vous , les premiers que
j'ai visités ; par vous qui possédez une ville si importante et qui
passez pour un peuple intelligent. Je ne pourrais plus allé-
guer de raison valable : il semblerait que je n'apporte qu'une
liberté mensongère ou que , si les Athéniens viennent vous at-
taquer, je serai sans force et impuissant à vous défendre .
LIVRE IV. 237-

a Et pourtant lorsque, avec cette même armée que je com-


mande, je me suis présenté devant Niséa , les Athéniens , quoi-
que supérieurs en nombre, n'ont point osé accepter le combat.
Or il n'est pas vraisemblable qu'ils envoient par mer contre
vous une armée aussi formidable que celle de Niséa .
LXXXVI. «. Quant à moi , je viens non pour opprimer les
Grecs, mais pour les affranchir . A ma demande , les magistrats
de Lacédémone se sont engagés par les serments les plus solen-
nels à laisser l'indépendance à tous les alliés que j'aurais ga-
gnés. D'ailleurs , notre intention n'est pas de vous faire entrer
par force ou par ruse dans notre alliance , mais de vous déli-
vrer des Athéniens . Vous ne devez pas me suspecter , puis-
que je vous offre les meilleurs gages , ni me regarder comme
un impuissant protecteur , mais plutôt vous joindre à moi avec
confiance .
« Si quelqu'un de vous appréhende que je ne soumette la
ville à un parti, qu'il se rassure. Je ne viens point appuyer
une faction, ni vous offrir une liberté illusoire, en entrepre-
nant, au mépris de vos lois , d'asservir la majorité au petit
nombre ou la minorité à la multitude. Un pareil joug serait
plus intolérable que la domination étrangère , et nos efforts ,
à nous Lacédémoniens , n'auraient droit à aucune recon-
naissance. Au lieu de gloire , nous ne recueillerions que le
blâme. Les mêmes reproches que nous faisons aux Athéniens ,
on les rétorquerait contre nous, avec d'autant plus de justice
que ceux-ci ne se piquent pas de vertu . Pour qui jouit de l'es-
time publique, il est plus honteux de s'agrandir par l'astuce,
que par une violence flagrante . Celle- ci du moins trouve une
sorte d'excuse dans le droit du plus fort qu'elle tient de la for-
tune ; l'autre , au contraire , trahit un esprit bassement artifi-
cieux. Aussi apportons-nous la plus grande circonspection dans
les affaires mêmes qui nous touchent le plus .
LXXXVII . « Une garantie bien plus sûre encore pour vous
que nos serments , ce sont nos actes. Rapprochez - les de nos
paroles , et vous trouverez une preuve irrefragable de la sin-
cérité de nos propositions . Si cependant à ces ouvertures vous
opposez l'insuffisance de vos forces ; si , tout en protestant de
votre bon vouloir, vous nous repoussez avant d'avoir souffert
aucune offense ; si vous dites que cette liberté ne vous paraît
pas sans danger , et qu'on ne doit l'apporter qu'aux peuples
en état de la recevoir , sans l'imposer de force à personne ;
alors je prendrai à témoin de l'inutilité de mes avances les
238 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

dieux et les héros de ce pays , et je tâcherai de vous convaincre


en ravageant vos campagnes. Loin de voir une injustice dans
cette conduite , je la croirai motivée par une double nécessité :
par l'intérêt des Lacédémoniens , qui , malgré votre bon vou-
loir, ne peuvent tolérer plus longtemps que vos subsides ail-
lent accroître les forces d'Athènes ; ensuite par l'intérêt des
Grecs , à la délivrance desquels vous ne devez pas mettre ob-
stacle . Si ce n'était pas une question d'utilité générale , notre
manière d'agir serait répréhensible , et les Lacédémoniens au-
raient tort d'affranchir les peuples malgré eux. Mais nous n'a-
vons point d'ambition personnelle ; nous aspirons plutôt à ré-
primer celle d'autrui ; et nous serions coupables envers le plus
grand nombre si , alors que nous apportons à tous l'indépen-
dance, nous vous promettions de vous y opposer.
<< Délibérez donc avec sagesse . Que vos efforts , en vous don-
nant une gloire immortelle , ouvrent au reste des Grecs l'ère
de la liberté. Sachez sauvegarder vos intérêts particuliers et
assurer à votre ville entière le nom le plus glorieux. »
LXXXVIII. Ainsi parla Brasidas . Les Acanthiens, après avoir
pesé le pour et le contre , votèrent au scrutin secret. Séduits
par le langage de Brasidas et inquiets pour leur récolte, la plu-
part furent d'avis d'abandonner les Athéniens. En conséquence
ils exigèrent de Brasidas le même serment qu'il avait , à son
départ, fait prêter aux magistrats de Lacédémone , et par lequel
il garantissait l'indépendance à tous les alliés qu'il aurait ga-
gnés ; puis ils reçurent son armée . Peu de temps après , Stagire,
autre colonie d'Andros , imita cette défection . Tels furent les
événements de l'été.
- LXXXIX . Dès l'entrée de l'hiver suivant , les mesures se
trouvèrent prises pour livrer la Béotie aux généraux athéniens
Hippocrates et Démosthène. Ce dernier avec la flotte devait se
porter à Siphæ , tandis que son collègue marcherait sur Délion.
Mais il y eut erreur sur le jour convenu pour ce double coup
de main. Démosthène partit le premier et cingla vers Siphæ
avec bon nombre d'Acarnaniens et d'alliés de ces contrées em-
barqués sur sa flotte. Le complot échoua ; il fut dévoilé par
Nicomachos de Phanotée en Phocide , qui le communiqua aux
Lacédémoniens , et ceux -ci aux Béotiens. Ces derniers , n'étant
pas encore gênés dans leurs mouvements par la présence d'Hip-
pocrates , accoururent en forces à Siphæ et à Chéronée . Ce
contre-temps empêcha les conjurés de remuer dans ces villes .
XC . Hippocrates fit lever en masse la population d'Athènes,
LIVRE IV. 239

citoyens métèques et étrangers , et marcha sur Délion , mais


après coup, alors que les Béotiens étaient déjà revenus de Si-
phæ. Il alla camper à Délion et fortifia de la manière suivante
čet endroit consacré à Apollon . Autour de l'enceinte et du
temple on creusa un fossé ; la terre qu'on en retira fut relevée
en guise de mur. On revêtit d'une palissade la crête de cet
ouvrage. Les interstices furent garnis avec des sarments coupés
à la vigne sacrée , avec des pierres et des briques empruntées
aux édifices voisins, en un mot avec tous les matériaux dispo-
nibles . Enfin on éleva des tours de bois sur tous les points non
protégés par les bâtisses ; l'ancien portique du temple n'existait
plus. Ce travail, commencé le troisième jour après le départ
d'Athènes , se continua le quatrième et le cinquième jusqu'à
l'heure du dîner. Quand tout fut à peu près terminé , l'armée
quitta Délion pour rentrer en Attique , et s'avança d'une dizaine
de stades. La plupart des troupes légères marchèrent sans s'ar-
rêter ; les hoplites firent halte et se reposèrent. Hippocrates
était resté à Délion pour placer des gardes et mettre la dernière
main aux défenses .
XCI. Pendant ce temps , les Béotiens se rassemblaient à Ta-
nagra. Quand les contingents de toutes les villes furent arrivés
et qu'on sut les Athéniens en retraite , les béotarques , qui sont
au nombre de onze, ne furent pas d'avis de les attaquer, puis-
qu'ils étaient hors de la Béotie . En effet les Athéniens , lors-
qu'ils avaient fait halte , se trouvaient sur les frontières d'Oro-
pos '. Le seul Pagondas , fils d'Eoladas, émit l'opinion contraire .
Il était alors béotarque de Thèbes , conjointement avec Arian-
thidas fils de Lysimachidas , et avait le commandement en chef.
Il crut que le meilleur parti était d'engager le combat. Il réunit
donc les soldats par bataillons , afin qu'ils ne quittassent pas les
armes tous à la fois , et il prononça le discours suivant, qui
décida les Béotiens à prendre l'offensive.
XCII. « Il n'aurait dû entrer dans la pensée d'aucun de nos
généraux qu'il fallût renoncer à combattre les Athéniens du
moment que nous n'avions pu les joindre en Béotie . C'est bien
la. Béotie qu'ils se préparent à ravager ; c'est chez nous qu'ils
sont venus construire une forteresse ; enfin ils sont toujours
nos ennemis , quel que soit le lieu où nous les atteignions et
celui d'où partent leurs attaques .
Si quelqu'un a pu croire plus prudent de ne pas agir, qu'il
se détrompe. Les règles de la prudence ne sont pas les mêmes
pour des gens à qui l'on dispute leur territoire , ou pour un
240 GUERRE DU PELOPONÈSE .

peuple qui, maître du sien , attaque sans provocation et par


esprit de conquête. Nos pères nous ont appris , en cas d'agres-
sion étrangère, à combattre indifféremment sur notre sol ou sur
celui d'autrui.
<< Cela est surtout nécessaire à l'égard des Athéniens , dont le
pays touche le nôtre . Entre nations limitrophes , l'équilibre des
forces maintient seul la liberté. Et comment ne pas lutter à
outrance contre des hommes qui prennent à tâche d'asservir
tous ceux qu'ils peuvent atteindre de près ou de loin ? Que leur
conduite envers nos voisins de l'Eubée et envers la plupart des
Grecs nous serve de leçon. Communément c'est pour des limites
territoriales que s'élèvent les guerres entre peuples voisins ;
mais pour nous, si nous succombons, il n'y aura plus dans tout
notre pays une seule limite solidement plantée . Une fois chez
nous, ils nous dépouilleront violemment : tant il est vrai que
leur voisinage est pour nous le pire de tous .
« D'ordinaire ceux qui , à leur exemple, se confient en leur
force attaquent avec hardiesse un peuple tranquille , qui se
borne à défendre ses foyers ; mais ils sont moins ardents contre
celui qui va à leur rencontre hors des frontières et qui sait
prendre l'offensive dans un moment donné. Nous l'avons
éprouvé avec ces mêmes Athéniens . La victoire que nous rem-
portâmes sur eux à Coronée , à une époque où nos dissensions
leur avaient ouvert notre pays, a procuré jusqu'à ce jour une
profonde sécurité à la Béotie .
« Que ce souvenir nous excite, nous autres qui sommes âgés ,
à nous montrer les mêmes que jadis , et les jeunes gens, ceux
dont les pères déployèrent alors tant de vaillance , à ne pas
ternir des vertus héréditaires . Confions-nous dans la protection
de ce dieu , dont leur sacrilége a converti le temple en forte-
resse ; confions -nous dans les victimes qui nous présagent la
victoire. Marchons droit aux ennemis , et apprenons-leur que ,
s'ils veulent assouvir leur convoitise , ils doivent s'attaquer à
des peuples qui ne se défendent pas ; mais qu'avec des hommes
accoutumés à combattre pour leur liberté sans jamais attenter
à celle des autres , ils ne se retireront pas sans avoir soutenu
le combat. >
XCIII. Cette exhortation de Pagondas détermina les Boétiens
à livrer bataille . Il mit aussitôt l'armée en mouvement ; car le
jour commençait à baisser. Parvenu à portée de l'ennemi , il
prit position derrière une colline qui formait un rideau entre
les deux armées ; puis il rangea ses troupes et se prépara au
LIVRE IV. 241
combat. Hippocratès était encore à Délion. Informé de l'ap-
proche des Béotiens , il envoya sur-le-champ à l'armée athé-
nienne l'ordre de se mettre en bataille. Lui-même arriva peu
après. Il avait laissé devant Délion environ trois cents cavaliers
pour couvrir cette place en cas d'attaque et pour charger en
temps opportun les ennemis pendant l'action . Ceux -ci leur
opposèrent un corps capable de les contenir.
Quand les Béotiens eurent achevé leurs dispositions , ils
commencèrent à se montrer sur le sommet de la colline , où
ils firent halte en ordre de combat. Ils avaient sept mille ho-
plites , plus de dix mille hommes légèrement armés , mille cava-
liers et cinq cents peltastes . Les Thébains et leurs sujets
occupaient la droite ; au centre étaient les Haliartiens , les Co-
ronéens , les Copéens et autres riverains du lac ; à la gauche
les Thespiens , les Tanagréens et les Orchoméniens . Les deux
ailes étaient appuyées par la cavalerie et par les troupes lé-
gères. Les Thébains étaient rangés sur vingt-cinq de hauteur ,
les autres à volonté . Telles étaient les dispositions et l'ordon-
nance de l'armée béotienne .
XCIV. Du côté des Athéniens , sur toute la ligne , les hoplites ,
égaux en nombre à ceux de l'ennemi , se rangèrent sur huit de
hauteur. La cavalerie flanquait les ailes. Quant aux troupes
légères , il n'y en avait point alors de régulièrement armées ;
les Athéniens n'en eurent jamais . Il en était bien parti d'A-
thènes, et même en plus grand nombre que celles de l'ennemi ;
mais c'étaient pour la plupart des hommes sans armes, com-
posant la levée en masse des étrangers et des citoyens . Or ,
comme ils avaient pris les devants pour retourner au pays , il
ne s'en trouva que fort peu à cette journée . Lorsque les troupes
furent en bataille et l'action prês de commencer, Hippocratès
parcourut le front de son armée et la harangua en ces termes :
XCV. « Athéniens, mon exhortation sera brève ; mais qu'im-
porte à des gens de cœur ? Mon but n'est pas de relever votre
courage, mais de vous en faire souvenir. Que nul de vous ne
s'imagine que nous affrontons le péril sur une terre et pour
une cause qui nous sont étrangères . C'est sur leur territoire ,
mais c'est pour le nôtre que nous allons combattre. Si nous
sommes vainqueurs, jamais les Péloponésiens , dépourvus de la
cavalerie béotienne , n'oseront envahir l'Attique. Un seul com-
bat nous rendra maîtres de ce pays et mettra le nôtre à l'abri

du danger. Marchez donc avec une bravoure digne de la pre-
mière des villes grecques , digne de cette patrie dont chacun
THUCYDIDE. 14
242 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

de vous est si glorieux, digne enfin de vos pères qui jadis ,


sous la conduite de Myronidès, triomphèrent aux Onophytes
et soumirent la Béotie. »
XCVI. En prononçant cette harangue, Hippocratès était par-
venu jusqu'à la moitié de la ligne , sans avoir eu le temps d'at-
teindre l'extrémité , lorsque les Béotiens , après une courte
allocution de Pagondas , entonnèrent le péan et descendirent la
colline. Les Athéniens à leur tour s'ébranlèrent, et l'on s'a-
borda au pas de course . De part et d'autre les extrémités ne
donnèrent pas ; elles furent arrêtées par des torrents . Le reste
se joignit avec une telle furie que les boucliers se heurtèrent
et qu'on se battit corps à corps . L'aile gauche des Béotiens
jusqu'à la moitié de leur ligne fut défaite par les Athéniens ,
qui la poussèrent vigoureusement. Les Thespiens eurent sur-
tout à souffrir. Découverts par la retraite de leurs voisins , ils
furent enveloppés par les Athéniens et taillés en pièces après
une lutte acharnée. Quelques Athéniens, dans le désordre qui
suivit leur mouvement de conversion , ne se reconnurent pas
et s'entre-tuèrent. Ainsi de ce côté les Béotiens eurent le dessous
et se replièrent vers ceux qui tenaient encore. L'aile droite au
contraire, où se trouvaient les Thébains, défit les Athéniens ,
les culbuta et les poursuivit d'abord assez lentement ; mais
Pagondas ayant envoyé au secours de sa gauche deux escadrons
de cavalerie qui devaient tourner la colline sans être aperçus ,
leur apparition soudaine sema l'effroi dans l'aile des Athéniens
jusqu'alors victorieuse ; elle les prit pour une nouvelle armée
en mouvement contre elle . Pressés d'un côté par cette cavalerie ,
de l'autre par les Thébains qui les serraient de près et qui
étaient parvenus à les rompre, les Athéniens s'enfuirent à la
débandade , les uns vers Délion et la mer, ceux -ci vers Oropos ,
ceux-là vers le mont Parnès , chacun enfin où il entrevoyait
quelque chance de salut. Les fuyards tombaient sous les coups
des Béotiens , surtout de leur cavalerie et de la cavalerie
locrienne, arrivée au moment de la déroute. La nuit qui sur-
vint favorisa la fuite du plus grand nombre.
XCVII. Le lendemain , ceux qui avaient trouvé un asile à
Oropos et à Délion laissèrent garnison dans cette dernière place
qu'ils occupaient encore, et se retirèrent par mer dans leur
pays. Les Béotiens érigèrent un trophée, recueillirent leurs
morts et dépouillèrent ceux de l'ennemi ; après quoi , laissant
une garde suffisante ' , ils se retirèrent à Tanagra et préparèrent
l'attaque de Délion . Un héraut envoyé par les Athéniens pour
LIVRE IV. 243

réclamer les morts rencontra un héraut béotien, qui le fit re-


brousser en lui disant qu'il n'obtiendrait rien avant que lui-
même ne fût de retour. Celui- ci , s'étant présenté aux Athé-
niens, leur déclara au nom des Béotiens qu'ils avaient commis
une injustice et enfreint les lois de la Grèce ; qu'il était uni-
versellement reçu , quand on entrait sur terre étrangère, de
respecter les lieux sacrés ; que les Athéniens au contraire
avaient fortifié Délion et s'y étaient installés ; qu'ils s'en ser-
vaient comme d'un lieu profane , et puisaient pour leur usage
l'eau réservée aux ablutions des sacrifices ; qu'en conséquence
les Béotiens , en vertu de leurs droits et de ceux du dieu , som-
maient les Athéniens, au nom d'Apollon et des autres divinités
du temple , d'évacuer l'enceinte sacrée en emportant ce qui
était à eux.
XCVIII . Sur ce message , les Athéniens à leur tour envoyè-
rent aux Béotiens un héraut pour leur dire qu'ils n'avaient fait
aucun mal au temple et n'en feraient volontairement aucun ;
qu'ils n'étaient point venus dans cette intention , mais pour s'y
établir afin de repousser d'injustes agresseurs ; que , d'après
l'usage constant de la Grèce, la conquête d'un territoire grand
ou petit donnait droit sur les temples qui s'y trouvaient, à la
charge de les honorer selon les rites accoutumés et par tous 1
les moyens possibles ; que les Béotiens eux-mêmes et tous ceux ,
qui, à leur exemple , s'étaient établis sur une terre étrangère
en expulsant les anciens possesseurs , avaient trouvé des tem-
ples qui appartenaient originairement à d'autres , mais qui
étaient passés entre leurs mains ; que si les Athéniens avaient
pu occuper une plus grande partie de la contrée , ils l'auraient
fait; mais qu'ils n'abandonneraient pas de plein gré celle où
ils étaient et qu'ils considéraient comme à eux. Quant à l'eau,
s'ils en avaient fait usage, c'était non dans un but sacrilége ,
mais par l'obligation où les Béotiens les avaient mis de se dé-
fendre en venant les attaquer sur leur propre terrain ; que le
dieu aurait sans doute de l'indulgence pour un fait qui était la
suite inévitable des nécessités de la guerre ; que les fautes in-
volontaires avaient pour refuge les autels ; qu'on appelait crime
le mal commis sans contrainte et non celui qui résulte des ca-
lamités ; qu'en prétendant échanger des cadavres contre des
temples , les Béotiens commettaient un plus grand sacrilége
qu'eux-mêmes en refusant de souscrire à cette impie transac-
tion ; qu'enfin ils les sommaient de leur permettre d'enlever
leurs morts sous la foi d'un traité, conformément aux lois na-
244 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

tionales , et nullement à condition d'évacuer la Béotie, puisqu'ils


n'étaient plus sur les terres des Béotiens, mais sur celle qu'ils
avaient conquise les armes à la main.
XCIX . Les Béotiens répondirent que si les Athéniens étaient
en Béotie , ils eussent à se retirer en emportant ce qui était à
eux ; mais que s'ils se croyaient dans leur pays , c'était à eux
d'aviser à ce qu'ils devaient faire. Ils regardaient bien le ter-
ritoire d'Oropos , sur les limites duquel s'était donnée la bataille ,
comme faisant partie de la domination des Athéniens ; néan-
moins ils ne croyaient pas que les Athéniens pussent enlever
les morts malgré eux . Aussi ne voulaient -ils pas traiter pour
un territoire dépendant d'Athènes ; ils préféraient répondre
évasivement qu'ils eussent à se retirer en emportant ce qu'ils
réclamaient. Sur cette réponse , le héraut athénien s'en retourna
sans avoir rien conclu.
C. Aussitôt les Béotiens firent venir du golfe Maliaque des
gens de trait et des frondeurs ' . Depuis la bataille , ils avaient
été renforcés par deux mille hoplites de Corinthe , par la gar-
nison péloponésienne sortie de Niséa 2 , enfin par un certain
nombre de Mégariens. Avec ces forces ils marchèrent à l'atta-
que de Délion . Entre autres moyens , ils dirigèrent contre le
rempart une machine qui les en rendit maîtres et dont voici
la description. Ils prirent une grande poutre, qu'ils scièrent en
long et qu'ils creusèrent d'un bout à l'autre ; puis ils en ajus-
tèrent exactement les deux moitiés pour former une espèce de
tube . A l'une des extrémités ils suspendirent avec des chaînes
un bassin, où venait aboutir en se courbant un bec de fer.
Toute la partie antérieure de la poutre était recouverte du même
métal . Cette machine fut amenée de loin sur des chariots jus-
qu'au pied du retranchement , à l'endroit où se trouvait le plus
de sarments et de bois . Lorsqu'elle fut proche , ils adaptèrent à
l'extrémité tournée vers eux de grands soufflets qu'ils firent
jouer. L'air comprimé , pénétrant par le tube dans le bassin rem-
pli de charbons ardents , de soufre et de poix, produisit une
flamme tellement intense que toute la palissade fut embrasée
et que personne n'y put demeurer. Les assiégés abandonnèrent
leur poste et la place fut prise. Une partie de la garnison périt ;
deux cents hommes furent faits prisonniers ; le reste de la
troupe monta sur les vaisseaux et réussit à s'échapper.
CI. Délion fut pris dix-sept jours après la bataille . Le héraut
athénien, sans rien savoir de ce qui s'était passé , revint peu de
temps après pour demander les morts . Cette fois les Béotiens
LIVRE IV . 245

ne firent plus difficulté pour les rendre . Leur perte dans le com-
bat fut d'un peu moins de cinq cents hommes ; celle des Athé-
niens de mille , parmi lesquels Hippocratès leur général , sans
compter bon nombre de valets et de soldats armés à la légère .
Quelque temps après, Démosthène , qui avait échoué dans son
entreprise sur Siphæ où l'on avait pratiqué des intelligences , fit
une descente en Sicyonie avec des Acarnaniens , des Agréens ,
et quatre cents hoplites d'Athènes . Mais , avant que tous les bâti-
ments eussent touché terre , les Sicyoniens accoururent et mirent
en fuite les soldats débarqués . Ils les poursuivirent jusqu'à la.
rade, en tuèrent plusieurs et en prirent d'autres vivants . Sur
quoi ils dressèrent un trophée et rendirent les morts par com-
position.
Pendant le siége de Délion , Sitalcès roi des Odryses trouva la
mort dans une expédition contre les Triballiens , où son armée
fut défaite. Son neveu Seuthès , fils de Spardacos , devint alors
roi des Odryses et de tous les pays de Thrace sur lesquels s'é-
tendait la domination de son oncle.
CII. Le même hiver , Brasidas , avec les alliés du littoral de
la Thrace , marcha contre Amphipolis , colonie athénienne , située
sur le fleuve Strymon . Aristagoras de Milet , fuyant le roi Darius,
avait fait un premier essai de colonisation sur l'emplacement
de cette ville ; mais il avait été chassé par les Édoniens ¹ . Trente-
deux ans plus tard , Athènes y envoya dix mille colons, composés
d'Athéniens et des étrangers qui voulurent s'y joindre. Ils fu-
rent taillés en pièces à Drabescos par les Thraces² . Au bout de
vingt-neuf ans , les Athéniens revinrent sous la conduite d'Hag-
non , fils de Nicias. Ils chassèrent les Édoniens , et bâtirent une
ville dans le lieu appelé précédemment les Neuf- Voies . Leur
point de départ fut Eïon , comptoir maritime qu'ils possédaient
à l'embouchure du fleuve , à vingt-cinq stades de la ville ac-
tuelle . Hagnon la nomma Amphipolis parce que , voulant ache-
ver d'enceindre la place baignée de deux côtés par le Strymon,
il ferma d'un long mur l'ouverture du demi cercle décrit par le
fleuve, et construisit la ville de manière à ce qu'elle fût aper-
çue de la mer et du continent ".
CIII . C'est contre cette place que Brasidas , parti d'Arné en
Chalcidique, s'avança avec son armée . Il arriva dans la soirée
à Aulon et à Bromiscos , près de l'endroit où le lac Bolbé se dé-
verse dans la mer . Après le repas du soir , il continua sa route
pendant la nuit. Le temps était mauvais et neigeux , raison de
plus pour accélérer sa marche ; car il voulait dérober son ap-
246 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

proche à ceux des habitants qui l'ignoraient . La population


d'Amphipolis renfermait un certain nombre d'Argiliens origi-
naires d'Andros , ainsi que d'autres gens qui étaient entrés dans
le complot à l'instigation de Perdiccas ou des Chalcidéens ; mais
les plus chauds partisans de l'entreprise étaient les Argiliens.
Habitants du voisinage , ils étaient en mauvais termes avec les
Athéniens. Il y avait longtemps qu'en vue de s'emparer d'Am-
phipolis, ils avaient noué des intelligences avec leurs conci-
toyens domiciliés dans cette ville. L'arrivée de Brasidas leur
parut le moment d'agir. Ils accueillirent donc ce général dans
leurs murs , se déclarèrent en révolte contre les Athéniens ,
et cette nuit même ils conduisirent l'armée jusqu'au pont jeté
sur le fleuve¹ . La ville d'Amphipolis en est peu éloignée, et à
cette époque les murs n'y aboutissaient pas comme aujour-
d'hui . On n'y tenait qu'un faible poste , que Brasidas n'eut
pas de peine à enlever. Secondé à la fois par la trahison , par le
mauvais temps et par le mystère de son approche , il fran-
chit le pont, et se trouva aussitôt maître de tout ce que les ha-
bitants possédaient hors des murs .
CIV. La surprise causée par cette occupation, l'affluence des
gens du dehors qui fuyaient, la nouvelle que plusieurs d'entre
eux étaient prisonniers, tout se réunit pour causer dans Amphi-
polis une alarme d'autant plus vive qu'on n'y était pas sans
défiances mutuelles . Aussi assure-t- on que si Brasidas, au lieu
de laisser son armée se livrer à la maraude, eût marché sur la
ville sans perte de temps , il eût eu chance de la prendre . Mais
il s'amusa à camper, à courir la campagne ; et, ne voyant rien
venir de ce qu'il attendait de l'intérieur, il resta dans l'inaction .
Le parti opposé aux traîtres était le plus nombreux . Il empêcha
d'ouvrir à l'instant les portes ; et, d'accord avec le général
athénien Euclès qui avait le commandement d'Amphipolis, il fit
demander du secours à l'autre général de l'armée de Thrace.
C'était Thucydide , fils d'Oloros , l'auteur de cette histoire. Celui-
ci se trouvait alors dans l'île de Thasos , colonie de Paros , à une
demi -journée de navigation d'Amphipolis. Sur cet avis, il s'em-
pressa de mettre en mer avec sept vaisseaux qu'il avait sous la
main. Il voulait, s'il était possible , prévenir la reddition d'Am-
phipolis, ou tout au moins s'assurer d'Éion .
CV. Brasidas redoutait l'arrivée de cette flottille venant de
Thasos. Informé que Thucydide possédait dans cette partie de
la Thrace une exploitation de mines d'or qui lui donnait la plus
grande influence sur toute la contrée ' , il s'emprèssa de le de-
LIVRE IV . 247

vancer en brusquant l'occupation d'Amphipolis . Il craignait


qu'une fois ce général dans leurs murs , les Amphipolitains ne
voulussent plus rien entendre, dans l'espoir d'être secourus du
côté de la mer par leurs alliés et du côté de la terre par les
troupes que Thucydide rassemblerait en Thrace . Brasidas offrit
donc des conditions modérées . Il fit publier par un héraut que
les Amphipolitains et les Athéniens qui se trouvaient dans la
ville seraient libres d'y rester, en conservant leurs biens et la
jouissance de l'égalité civile ; que ceux à qui ces conditions ne
convenaient pas auraient cinq jours pour sortir en emportant
leurs effets .
CVI . Cette proclamation produisit un effet d'autant plus sen-
sible, qu'il y avait peu d'Athéniens dans la ville ; le surplus se
composait d'une population mélangée ; les prisonniers du de-
hors avaient beaucoup de parents dans l'intérieur ; enfin les
conditions offertes paraissaient équitables dans ce moment d'a-
larme. Les Athéniens ne demandaient pas mieux que de sortir,
parce qu'ils se croyaient plus exposés que les autres et comp-
taient peu sur un prompt secours ; le reste du peuple se voyait ,
contre son attente, maintenu dans ses droits et délivré du dan-
ger. Déjà les affidés de Brasidas , témoins du changement de la
multitude qui avait cessé d'obéir au général athénien alors pré-
sent , ne se gênaient plus pour dire qu'il fallait accepter ces
offres. La capitulation fut donc conclue , et Brasidas reçu aux
termes de sa proclamation . C'est ainsi qu'Amphipolis fut li-
vrée. Ce jour même , vers le soir , Thucydide aborda à Éïon
avec ses vaisseaux. Brasidas venait d'occuper Amphipolis. Il
ne s'en fallut que d'une nuit qu'il s'emparât également d'Éion ;
car, si la flotte ne s'y était portée avec célérité , au point du
jour cette ville était prise.
CVII. Après cela Thucydide pourvut à la sûreté d'Éion , soit
pour le moment en la mettant à l'abri d'un coup de main de
Brasidas , soit pour la suite en y établissant les habitants de la
ville haute qui voulurent y transporter leur domicile en vertu
de la capitulation. Pour Brasidas, il se dirigea immédiatement
contre Éion, en descendant le fleuve avec un grand nombre de
bateaux. Son dessein était d'occuper la langue de terre qui s'a-
vance en dehors des murs , ce qui l'eût rendu maître de l'entrée
du fleuve. En même temps, il fit une tentative par terre ; mais,
repoussé sur les deux points, il se contenta de mettre Amphi-
polis en bon état de défense. Myrcine, ville d'Edonie , se sou-
mit à lui après la mort de Pittacos , roi des Édoniens , qui fut
248 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

tué par les fils de Goaxis et par Brauro , sa propre femme. Ga-
lepsos et Osymé , colonies de Thasos , ne tardèrent pas à se sou-
mettre aussi. Perdiccas , qui était venu joindre Brasidas immé-
diatement après la reddition d'Amphipolis , lui fut d'un grand
secours dans ces diverses entreprises .
CVIII. La perte d'Amphipolis plongea les Athéniens dans une
profonde consternation . Cette place était pour eux d'une im-
portance majeure , à cause des bois de construction et des re-
venus qu'ils en tiraient. Auparavant les Lacédémoniens avaient
bien pu , en traversant la Thessalie, pénétrer jusqu'au Strymon
pour attaquer les alliés ; mais , tant qu'ils n'étaient pas maîtres
du pont, ils ne pouvaient franchir ce fleuve , qui forme un
vaste lac au-dessus de la ville , et dont l'embouchure , près
d'Éion , était gardée par des vaisseaux. Désormais il n'y avait
plus d'obstacle , et l'on appréhendait la défection des alliés. Bra-
sidas tenait la conduite la plus mesurée ; il allait répétant par-
tout qu'il avait été envoyé pour affranchir les Grecs. Aussi les
villes sujettes d'Athènes , informées de la prise d'Amphipolis ,
des promesses de Brasidas et de sa modération , se montraient-
elles disposées à se révolter. On l'appelait en lui envoyant de
secrets messages ; c'était à qui s'insurgerait le premier. On croyait
n'avoir rien à craindre , et l'on ne se figurait pas la puissance
d'Athènes aussi grande qu'elle parut dans la suite ; on la jugeait
d'après une passion aveugle et non d'après une saine • appré-
ciation . Tels sont les hommes : ils croient volontiers ce qu'ils
désirent et ne font usage de leur raisonnement que pour re-
pousser ce qui leur déplaît. Ajoutez à cela l'échec récent des
Athéniens en Béotie et les paroles plus séduisantes que véridi-
ques de Brasidas, qui prétendait que les Athéniens devant,
Niséa avaient refusé de se mesurer avec sa seule armée . Aussi
les alliés s'enhardissaient , dans la persuasion que nul ne vien-
drait les attaquer. Le charme de la nouveauté, la pensée qu'ils
allaient mettre à l'épreuve le premier élan des Lacédémoniens,
les engageaient à tout risquer.
Instruits de ces dispositions , les Athéniens envoyèrent des
garnisons dans toutes les villes , autant du moins que le per-
mettaient la brièveté du temps et la rigueur de la saison .
Brasidas de son côté sollicita de Lacédémone l'envoi de nou-
velles troupes , et se mit en devoir de construire des triremes
sur le Strymon . Mais les Lacédémoniens ne le secondèrent pas,
soit jalousie de la part des principaux citoyens , soit désir de
recouvrer leurs prisonniers de l'île et de mettre fin à la guerre .
LIVRE IV . 249

CIX . Le même hiver, les Mégariens reprirent sur les Athé-


niens leurs longs murs et les rasèrent. Brasidas , après la prise
d'Amphipolis , fit avec ses alliés une expédition contre le pays
qu'on appelle Acté ' . C'est une presqu'île qui s'avance dans la
mer Égée à partir du canal du Roi , et qui se termine par l'A-
thos , montagne fort élevée. On y compte plusieurs villes : Sané,
colonie d'Andros , sur le canal même et tournée vers la mer
qui regarde l'Eubée ; Thyssos, Cléones, Acrothoos , Olophyxos ,
Dion , habitées par un mélange de nations barbares parlant
deux langues . On y trouve des Chalcidéens , mais la majeure
partie de la population se compose de ces Pélasges-Tyrséniens *
qui jadis habitèrent Lemnos et Athènes , de Bisaltiens , de Cres-
toniens et d'Edoniens . Ces peuples sont disséminés dans de pe-
tites bourgades, dont la plupart se soumirent à Brasidas. Sané
et Dion résistèrent ; aussi ravagea-t- il leur territoire en y sé-
journant avec son armée.
CX. N'ayant pu les réduire, il marcha aussitôt contre Torone
en Chalcidique , place occupée par des Athéniens . Il était ap-
pelé par quelques citoyens de cette ville , disposés à la lui li-
vrer. Il arriva de nuit, un peu avant l'aube, et prit position
près du temple des Dioscures , à trois stades de la ville . La po-
pulation de Torone et la garnison athénienne ne s'aperçurent
pas de son approche ; mais ceux qui l'attendaient sortirent fur-
tivement en petit nombre pour épier son arrivée . Dès qu'ils
s'en furent assurés , ils introduisirent dans leurs murs sept sol-
dats armés à la légère et munis seulement de poignards . Sur
vingt qui avaient été désignés à cet effet, ce furent les seuls
qui eurent le courage de pénétrer dans la place . Lysistratos
d'Olynthe les commandait . Torone est bâtie sur le penchant
d'une colline . Ils se glissèrent sans bruit par la muraille voi-
sine de la mer , gravirent jusqu'au poste le plus élevé , massa-
crèrent les gardes , et enfoncèrent la petite porte qui mène à
Canastréon.
CXI. Brasidas , après s'être un peu avancé, avait fait halte
avec le gros de sa troupe et détaché cent peltastes, qui devaient
se jeter dans la ville sitôt que les portes seraient ouvertes et
qu'on aurait élevé le signal convenu ; mais ce signal se faisait
attendre . Etonnés de ce retard , les peltastes s'étaient insensi-
blement approchés de la ville . Pendant ce temps , les Toronéens
entrés avec les sept soldats avaient enfoncé la petite porte et
ouvert à coups de hache celle qui conduit à la place publique.
Par la première ils introduisirent d'abord quelques soldats , afin
250 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

d'effrayer des deux côtés par leur apparition soudaine les habi-
tants étrangers au complot ;, ensuite ils élevèrent, comme on
était convenu, le signal de feu , et firent entrer le reste des pel-
tastes par la porte de la place publique .
CXII. A l'aspect de ce signal , Brasidas s'élance à la course .
Son armée se lève en poussant un cri terrible, qui remplit la
ville de stupeur. Les uns pénètrent à l'instant par les portes ; les
autres escaladent à l'aide de poutres d'équarrissage, qui étaient
inclinées contre le mur dégradé et qui servaient à élever des
pierres destinées à les réparer. Brasidas avec le gros de l'ar-
mée se dirigea incontinent vers le haut de la ville, afin de s'as-
surer des points culminants . Le reste de ses troupes se répandit
en tout sens.
CXIII. Pendant qu'on prenait la ville, les habitants , dont la
plupart ignoraient le complot, étaient en grand émoi. Les traî-
tres au contraire et ceux qui les approuvaient se joignirent sur-
le-champ au corps d'occupation . Une cinquantaine d'hoplites
athéniens se trouvaient couchés sur la place publique. A la pre-
mière alerte , les uns se mirent en défense et périrent les armes
à la main ; les autres se sauvèrent ou par terre ou sur deux
vaisseaux qui étaient en station . Ils se réfugièrent dans le fort
de Lécythos que les Athéniens possédaient, et qui occupe une
langue de terre séparée du reste de la ville par un isthme étroit.
Ceux des Toronéens qui leur étaient dévoués cherchèrent un asile
auprès d'eux.
CXIV. Le jour commencait à luire et la prise de la ville était
un fait accompli, lorsque Brasidas adressa une proclamation
aux Toronéens fugitifs , pour les engager à rentrer chez eux
sans crainte d'être inquiétés . Il fit également sommer les Athé-
niens d'évacuer Lécythos avec armes et bagages , attendu que
cette place appartenait aux Chalcidéens. Les Athéniens répon-
dirent par un refus ; mais ils demandèrent un jour de trêve pour
enlever leurs morts . Brasidas en accorda deux . Il profita de cet
intervalle pour fortifier les maisons voisines ; les Athéniens en
firent autant de leur côté.
Brasidas convoqua ensuite les Toronéens et leur répéta à peu
près ce qu'il avait dit à ceux d'Acanthe : qu'il ne serait pas
juste de regarder comme traîtres ou mauvais citoyens ceux qui
avaient négocié avec lui ; car ils n'avaient pas agi par intérêt
ni dans le but d'asservir leur patrie, mais au contraire, pour
assurer son bonheur et sa liberté ; que ceux qui étaient de-
meurés étrangers à l'entreprise ne devaient pas s'attendre à
LIVRE IV . 251
être moins favorisés que les autres ; qu'il n'était venu pour la
ruine d'aucune ville ni d'aucun particulier ; qu'il avait dans
cet esprit adressé une proclamation à ceux qui s'étaient réfu-
giés auprès des Athéniens et qui , pour leur être attachés , n'a-
vaient point perdu son estime ; qu'il ne doutait pas qu'après
avoir fait l'épreuve des Lacédémoniens , ils n'eussent pour eux
autant d'affection, si ce n'est plus , en raison de leur droiture ;
que leurs craintes actuelles venaient dé ce qu'ils ne les con-
naissaient pas . Il les exhorta tous ensemble à être des alliés
fidèles . « Désormais , ajouta-t-il , vous répondrez des fautes que
vous aurez commises. Pour le passé, nous ne nous plaignons
pas ; c'est vous plutôt qui avez droit de vous plaindre de l'op-
pression étrangère qui pesait sur vous et qui explique votre
résistance précédente . »
CXV. Lorsqu'il les eut ainsi tranquillisés et que la trêve fut
expirée, Brasidas attaqua Lécythos . Les Athéniens n'avaient
pour toute défense qu'un méchant rempart et des maisons cré-
nelées ; cependant ils ne laissèrent pas de résister le premier
jour. Le lendemain , l'ennemi s'approcha en poussant devant
lui une machine destinée à mettre le feu aux retranchements
de bois . Les Athéniens , qui s'attendaient à ce qu'elle serait
appliquée au point le plus faible, lui opposèrent une tour de
bois , qu'ils élevèrent sur un édifice déjà existant. Ils y trans-
portèrent de grosses pierres avec quantité d'amphores et de
jarres pleines d'eau ; enfin beaucoup d'hommes y montèrent ;
mais tout à coup l'édifice surchargé s'effondra à grand bruit.
Ceux des Athéniens qui étaient proches en conçurent plus de
chagrin que de crainte ; mais les autres et surtout les plus
éloignés, s'imaginant la ville prise sur ce point , s'enfuirent du
côté de la mer et des vaisseaux.
CXVI. Brasidas , voyant les créneaux abandonnés , accou-
rut avec ses troupes, s'empara aussitôt dy rempart, et fit
main basse sur tous ceux qu'il y trouva./Les Athéniens mon-
tèrent sur des barques et sur des vaisseaux, évacuèrent la place
et se retirèrent dans la Pallène . Il y a dans Lécythos un temple
de Minerve . Au moment de livrer l'assaut , Brasidas avait fait
publier qu'il donnerait trente mines d'argent ' au premier qui
escaladerait le mur. Attribuant la prise du fort à une puissance
surnaturelle , il déposa les trente mines dans le temple de la
déesse ; après quoi il rasa complétement Lécythos et en consa-
cra le territoire à la divinité. Il employa le reste de la saison à
organiser les villes qu'il avait prises et à former de nouveaux
252 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

plans de conquête. Avec cet hiver se termina la huitième an-


née de la guerre .
CXVII. Dès le printemps de l'année suivante (a), les Lacé-
démoniens et les Athéniens firent une trêve d'un an. Les Athé-
niens voulaient par là empêcher Brasidas d'exciter de nouveaux
soulèvements dans les villes alliées , avant qu'eux- mêmes fussent
en mesure de s'y opposer ; ils pensaient qu'au besoin cette
trêve pourrait être prolongée. Les Lacédémoniens pénétraient
à merveille leurs appréhensions. Ils espéraient qu'après ce répit
apporté aux souffrances de la guerre, les Athéniens seraient
plus enclins à la terminer par une paix définitive et à leur
rendre leurs prisonniers . Ils tenaient essentiellement à les re-
couvrer pendant que la fortune leur était encore favorable . Ils
sentaient bien que, si Brasidas poussait plus loin ses avantages
et rétablissait l'équilibre, leurs prisonniers seraient perdus et
eux-mêmes contraints de courir les chances de la lutte . Ils
conclurent donc , pour eux et pour leurs alliés , la trêve sui-
vante¹.
CXVIII. « En ce qui concerne le temple et l'oracle d'Apollon
Pythien, notre avis est que chacun puisse en user librement,
sans dol ni crainte , conformément aux lois de nos pères . C'est
aussi l'avis des Lacédémoniens et de leurs alliés ici présents .
Ils s'engagent à faire leur possible pour obtenir , par ministère
de héraut, l'adhésion des Béotiens et des Phocéens.
« En ce qui concerne les trésors du dieu , nous ne néglige-
rons rien pour en découvrir les spoliateurs , en toute droiture
et justice, nous conformant aux lois de nos pères , vous et nous ,
de même que ceux qui le voudront, tous en conformité des
lois de nos pères .
« Les Lacédémoniens et leurs alliés conviennent que , si les
Athéniens concluent la trêve, les deux partis demeureront dans
leurs limites respectives , les uns et les autres conservant ce
qu'ils possèdent présentement. Ceux de Coryphasion ' ne dé-
passeront pas une ligne de démarcation allant de Bouphras à
Tomée . Ceux de Cythère ne communiqueront pas avec nos
alliés, ni réciproquement. Ceux de Niséa et de Minoa ne dé-
passeront pas la route qui va de la porte de Nisos³ au temple
de Neptune et du temple de Neptune directement au pont de
Minoa , les Mégariens et leurs alliés ne dépassant pas non plus
ladite route ; les Athéniens conservant l'île qu'ils ont prise ,

(a) Neuvième année de la guerre , 423 av. J.-C.


LIVRE IV. 253

sans qu'il y ait aucune communication entre eux de part ni


d'autre, conservant aussi ce qu'ils possèdent présentement à
Trézène , conformément à la convention intervenue avec les
Athéniens .
<< Chacun aura l'usage de la mer le long de son territoire et
de celui de ses alliés , les Lacédémoniens et leurs alliés ne na-
viguant pas avec des vaisseaux longs, mais seulement avec des
bâtiments à rames du port de cinq cents talents 6 .
<< Les hérauts , ambassadeurs et toutes personnes de leur
suite , se rendant à Athènes ou dans le Péloponèse pour traiter
de la paix ou pour régler des différends, iront et reviendront ,
par mer ou par terre, sous assurance de la foi publique.
« Il ne sera reçu pendant la durée de la trêve aucun trans-
fuge , libre ou esclave , ni par vous ni par nous.
« On offrira et on acceptera, de notre part et de la vôtre,
les sentences d'arbitres conformément aux lois de nos pères ,
les litiges étant vidés par voie légale et non par les armes .
<< Tel est l'avis des Lacédémoniens et de leurs alliés . Si vous
en avez un meilleur ou plus équitable , venez à Lacédémone
nous l'exposer. Aucune des propositions justes que vous pour-
rez faire ne sera écartée par les Lacédémoniens et leurs alliés.
Seulement, que ceux qui viendront viennent avec des pleins
pouvoirs, comme vous voulez que nous fassions de notre côté.
<< La trêve durera une année.
« Le peuple athénien , sous la prytanie de la tribu Acaman-
thide , Phénippos étant secrétaire , Niciadès épistate , sur la
proposition de Lachés, au nom de l'heureuse fortune des Athé-
niens , a décrété :
« De faire un armistice aux conditions énoncées par les
Lacédémoniens et leurs alliés. Il a été convenu dans l'assem-
blée que cette trêve sera d'un an à dater de ce jour, quatorzième
du mois Elaphébolion " . Que, durant cet intervalle, des députés
et des hérauts se rendront chez l'un et chez l'autre peuple pour
conférer des moyens de terminer la guerre. Que les généraux
et les prytanes convoqueront l'assemblée pour consulter avant
toute chose les Athéniens sur la question de la paix, lorsqu'il
se présentera une ambassade pour la cessation des hostilités.
Que l'ambassade actuellement présente s'engagera séance
tenante , et par serment, à maintenir la trêve pour le terme
d'un an.
CXIX . « Cette convention faite avec les Athéniens et leurs
alliés a été conclue et jurée par les Lacédémoniens et leurs
THUCYDIDE . 15
254 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

alliés le douze du mois Gérastien , style de Lacédémone ' . Ont


contracté et fait les libations , pour les Lacédémoniens : Tau-
ros fils d'Échétimidas , Athénéos fils de Périclidas , Philocha-
ridas fils d'Eryxidaïdas ; pour les Corinthiens : Enéas fils d'O-
cytos, Euphamidas, fils d'Aristonymos ; pour les Sicyoniens :
Damotimos fils de Naucratès , Onasimos fils de Mégaclès ; pour
les Mégariens : Nicasos fils de Cécalos , Ménécratès fils d'Am-
phidoros ; pour les Epidauriens : Amphias fils d'Eupaïdas ;
pour les Athéniens : les généraux Nicostratos fils de Diitré-
phès , Nicias fils de Nicératos , Autoclès fils de Tolméos. »
Tels furent les termes de cette suspension d'armes , durant
laquelle il y eut des pourparlers en vue d'une paix définitive .
CXX . Dans le temps même qu'avait lieu l'échange des rati-
fications , Scione , ville située dans la Pallène , se détacha des
Athéniens pour se donner à Brasidas. Les Scionéens se pré-
tendent originaires de Pellène dans le Péloponèse ¹ . A les en-
tendre , leurs ancêtres , à leur retour de Troie , furent assaillis
par la tempête qui dispersa les Grecs , et jetés sur la côte où
ils s'établirent. Après leur défection , Brasidas passa de nuit
dans leur ville . Il était précédé par une trirème amie , et lui-
même suivait à distance dans un brigantin . C'était afin que,
s'il rencontrait un bâtiment plus grand que le sien , la trirème
prît sa défense ; et que, s'il se présentait un navire de force
égale , il s'attaquât de préférencé à la trirème en permettant au
brigantin de s'échapper. Arrivé heureusement à Scione , il
convoqua les habitants et leur adressa les mêmes discours
qu'aux Acanthiens et aux Toronéens. Il ajouta qu'ils méritaient
les plus grands éloges , eux qui , enfermés dans la Pallène par
les Athéniens qui occupaient Potidée , et réduits pour ainsi dire
à l'état d'insulaires , n'avaient pas laissé de courir au-devant de
la liberté , sans attendre timidement que la nécessité les pous-
sât vers leur avantage manifeste ; que c'était l'indice du cou-
rage avec lequel ils sauraient soutenir les épreuves les plus
fortes , une fois leurs affaires réglées selon leurs vœux ; qu'il
les regarderait comme les plus fidèles amis de Lacédémone ,
et qu'il ne manquerait aucune occasion de les honorer.
CXXI. Les Scionéens s'exaltèrent à ce langage et ne songè-
rent plus qu'à supporter bravement la guerre. L'enthou-
siasme se communiqua même à ceux qui, dans le principe ,
avaient désapprouvé le mouvement. On fit à Brasidas la ré-
ception la plus brillante. La ville lui décerna une couronne
d'or comme au libérateur de la Grèce. Les simples particuliers
LIVRE IV. 255

lui ceignaient le front de bandelettes et lui offraient des pré-


mices comme à un athlète vainqueur. Pour le moment, il ne
leur laissa qu'une faible garnison et repartit ; mais bientôt il
leur fit passer des forces plus considérables ; car il avait l'in-
tention de faire avec eux une tentative sur Mende et sur Poti-
dée. Il pensait bien que les Athéniens ne laisseraient pas à
l'abandon un pays qu'ils regardaient comme une île , et il vou-
lait prendre les devants , en profitant des intelligences qu'il
avait nouées dans ces villes .
CXXII . Pendant qu'il préparait ces entreprises , les députés
chargés de promulguer l'armistice arrivèrent sur une trirème
auprès de lui . C'étaient Aristonymos pour les Athéniens et
Athénéos pour les Lacédémoniens . L'armée était repassée à
Torone. Les députés notifièrent la trêve à Brasidas ; tous les
alliés des Lacédémoniens sur le littoral de la Thrace donnèrent
leur adhésion . Aristonymos approuva en général ce qui s'é-
tait fait ; mais quant aux Scionéens , il reconnut, en supputant
les jours, que leur défection était postérieure au traité , et re-
fusa de les y comprendre. Brasidas, au contraire , soutint qu'elle
avait précédé et s'obstina à garder cette ville. Dès qu'Aristo-
nymos en eut référé aux Athéniens , ceux-ci se montrèrent dis-
posés à sévir contre Scione . Les Lacédémoniens leur représen-
tèrent par ambassade que c'était enfreindre le traité ; ils se
fondaient sur la déclaration de Brasidas pour détenir la ville,
tout en offrant néanmoins de soumettre l'affaire à un jugement
arbitral . Mais les Athéniens n'en voulaient pas courir la chance ;
ils aimaient mieux faire appel aux armes, irrités que des peu-
ples maritimes osassent se révolter contre eux , en se confiant
dans la puissance continentale de Lacédémone , frêle appui
pour des insulaires. Au reste, la vérité sur la défection de
Scione était plutôt conforme aux prétentions des Athéniens ;
car cette ville s'était insurgée deux jours après la conclusion
du traité. A l'instant, sur la proposition de Cléon , ils arrêtèrent
de détruire Scione, d'en mettre à mort tous les habitants, et
ne songèrent plus qu'à exécuter ce décret .
CXXIII. Sur ces entrefaites , Mende , colonie des Erétriens
dans la Pallène, se souleva contre les Athéniens . Quoiqu'elle
se donnât à lui ouvertement pendant la trêve , Brasidas crut
qu'il pouvait la recevoir sans injustice , parce qu'il avait lui-
même quelques infractions à reprocher aux Athéniens. La
Le bonne volonté de Brasidas et l'exemple de Scione qu'il n'aban-
S donnait pas accrurent l'audace des Mendéens . D'ailleurs , les
256 GUERRE DU PÉLOPONÈSE

auteurs du complot, étant peu nombreux , ne voulaient pas


renoncer à une entreprise si avancée ; car une fois découverts,
ils n'étaient plus en sûreté. Ils poussèrent donc bon gré mal gré
le peuple à la révolte. A cette nouvelle , les Athéniens toujours
plus exaspérés s'apprêtèrent à châtier ces deux villes . Brasidas,
qui s'attendait à leur approche , fit transporter à Olynthe en
Chalcidique les femmes et les enfants des Scionéens et des
Mendéens ; puis il leur envoya cinq cents hoplites du Pélopo-
nèse et trois cents peltastes chalcidéens , les uns et les autres
sous la conduite de Polydamidas. Les Athéniens ne pouvant
tarder à paraître, les villes insurgées concertèrent leurs moyens
de défense .
CXXIV. Pendant ce temps , Brasidas et Perdiccas réunirent
leurs forces pour faire une nouvelle expédition contre Arrhi-
béos, roi des Lyncestes . Perdiccas menait avec lui les trou-
pes de ses États de Macédoine , ainsi que des hoplites tirés
des villes grecques de ce pays. Brasidas , indépendamment du
reste de l'armée péloponésienne¹ , avait encore des Chalcidéens ,
des Acanthiens , et les renforts que les autres villes lui avaient
fournis . Les hoplites grecs formaient un corps d'environ trois
mille hommes ; les cavaliers macédoniens et chalcidéens réu-
nis étaient un peu moins de mille , sans compter une foule de
Barbares. Parvenus sur les terres d'Arrhibéos , ils trouvèrent
les Lyncestes campés pour les attendre ; eux-mêmes s'établi-
rent en face de l'ennemi . De part et d'autre , l'infanterie occu-
pait une colline ; une plaine s'étendait au milieu. Les cavaliers
des deux armées y descendirent et entamèrent l'action . Ensuite
les hoplites des Lyncestes s'avancèrent les premiers de la col-
line ; et, réunis à leur cavalerie , ils s'apprêtèrent au combat .
Brasidas et Perdiccas marchèrent à leur rencontre , et l'enga-
gement devint général. Les Lyncestes furent mis en déroute ,
un grand nombre taillés en pièces ; le reste se réfugia sur les
hauteurs et s'y tint en repos . Après cette action , les vainqueurs
dressèrent un trophée et attendirent deux ou trois jours l'arri-
vée des Illyriens mercenaires qui devaient venir renforcer Per-
diccas. Celui - ci voulait qu'on marchât sur les villages d'Arrhi-
béos , au lieu de rester dans l'inaction ; mais Brasidas , craignant
que Mende ne fût trop exposée si les Athéniens y abordaient
avant son retour , et ne voyant point venir les Illyriens , se sou-
ciait peu de rester davantage et songeait plutôt à la retraite.
CXXV. Au milieu de ce dissentiment, on apprend tout à coup
que les Illyriens ont trahi Perdiccas pour se joindre à Arrhibéos .
LIVRE IV. 257

Dès lors il n'y eut plus qu'une opinion sur l'opportunité de la


retraite ; car on craignait ces peuples belliqueux. Mais la mésin-
telligence fut cause qu'on ne fixa point l'heure du départ. La
nuit étant survenue , les Macédoniens et la foule des Barbares
furent, on ne sait pourquoi , saisis d'une de ces terreurs pani-
ques auxquelles les grands corps d'armée sont quelquefois
sujets . S'exagérant follement le nombre des ennemis et per-
suadés qu'ils allaient paraître, ils se mirent soudain en fuite du
côté de leur pays. D'abord Perdiccas ne s'en aperçut point ;
ensuite il fut entraîné avant d'avoir vu Brasidas , car leurs
camps étaient fort éloignés l'un de l'autre . Au point du jour ,
Brasidas apprit à la fois le départ des Macédoniens et l'approche
des Illyriens unis à Arrhibéos . Il rassembla promptement ses
hoplites, les forma en carré, mit au centre les troupes légères
et se disposa à la retraite. Il désigna les plus jeunes soldats
pour sortir des rangs et courir sur tous les points menacés ; lui-
même avec trois cents hommes d'élite se plaça à l'arrière- garde
pour faire face aux premiers assaillants. Avant que l'ennemi
fût à portée , il adressa rapidement à sa troupe l'exhortation
suivante :
CXXVI. << Soldats péloponésiens , si je ne vous croyais inti-
midés par la pensée de votre isolement et de la foule des Bar-
bares qui s'approchent, je me bornerais à vous encourager
sans autre explication ; mais le départ de nos alliés et la mul-
titude de nos ennemis me font un devoir de vous adresser en
peu de mots les exhortations et les conseils les plus indispen-
sables .
« Votre fermeté dans les batailles ne tient pas à la présence
constante de vos alliés , mais à votre bravoure personnelle et à
votre habitude de ne pas compter vos ennemis. Les États d'où
vous venez ne sont pas de ceux où la multitude commande au
petit nombre ; elle est soumise au contraire à la minorité, qui
ne doit ses priviléges qu'à sa valeur guerrière.
« Ces Barbares que vous appréhendez faute de les connaître ,
l'expérience que vous avez faite de ceux de Macédoine , mes
propres conjectures et mes informations , tout me prouve qu'ils
sont peu redoutables. Lorsqu'un ennemi , faible en réalité , se
présente avec une apparence de force, il suffit de savoir ce qu'il
vaut effectivement pour se défendre avec plus de confiance ;
tandis qu'en face d'adversaires d'un mérite réel , l'ignorance
inspire une témérité déplacée .
« Pour qui ne les connaît pas, l'approche de ces Barbares
258 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

est effrayante. L'aspect de leur multitude épouvante ; leurs cris


assourdissent ; la vaine agitation de leurs armes produit une
impression de terreur. Mais, une fois aux prises avec un én-
nemi qui ne s'effraye pas de ces démonstrations, ce ne sont
plus les mêmes hommes. N'ayant point d'ordre de bataille, ils
ne rougissent pas d'abandonner leur poste dès qu'ils sont pressés.
Pour eux , la fuite ou l'attaque , aussi honorables l'une que
l'autre, ne prouvent ni lâcheté ni valeur. Chacun, n'obéissant
qu'à son impulsion personnelle , trouve dans son indépendance
un prétexte plausible pour se sauver. Au lieu de joindre l'en-
nemi corps à corps , ils jugent plus prudent de l'intimider de
loin ; autrement ils auraient déjà fondu sur nous. Vous voyez
donc que tout cet épouvantail, peu dangereux au fond, n'est
saisissant que pour les yeux et les oreilles .
• Soutenez leur abord ; et, le moment venu, repliez-vous
avec ordre et bonne contenance . Bientôt vous arriverez en lieu
sûr ; et vous saurez désormais que ces hordes tumultueuses ,
quand on reçoit leur premier choc, se contentent d'étaler de
loin leur valeur par des bravades impuissantes ; mais que, si
on leur cède , elles font briller sans danger leur courage par
l'agilité de leurs pieds. >>
CXXVII. Après cette exhortation, Brasidas mit son armée en
retraite. A cet aspect, les Barbares se jetèrent sur lui avec
grands cris et grand tumulte, persuadés qu'il fuyait et qu'il
suffisait de l'atteindre pour l'anéantir. Mais quand, sur tous les
points, ils rencontrèrent les coureurs ; quand ils virent que
Brasidas leur tenait tête avec sa troupe d'élite ; que l'armée ,
après avoir contre leur attente essuyé leur premier choc , résis-
tait s'ils devenaient plus pressants et se repliait s'ils ralentis-
saient leurs attaques ; alors ils renoncèrent pour la plupart à
assaillir en rase campagne les Grecs de Brasidas. Ils laissèrent
seulement une partie des leurs pour inquiéter sa marche ; les
autres coururent à la poursuite des Macédoniens et tuèrent tous
ceux qu'ils purent atteindre. Ils réussirent aussi à occuper le
défilé situé entre deux monticules à l'entrée du pays d'Arrhibéos .
Ils savaient que Brasidas n'avait pas d'autre issue ; et, tandis
qu'il s'engageait dans ce dangereux passage, ils se répandirent
alentour, afin de l'envelopper.
CXXVIII. Brasidas , devinant leur projet, ordonne à ses trois
cents de courir tout d'un trait, sans garder leurs rangs, vers
celui des deux monticules qui lui paraît le plus facile à enlever,
et d'en déloger les Barbares , avant qu'on fût entièrement
LIVRE IV. 259

enveloppé. Les soldats s'élancent, balayent le mamelon et en


facilitent l'accès au gros de l'armée . Depuis ce moment, les
Barbares cessèrent la poursuite. L'enlèvement du mamelon les
avait consternés ; d'ailleurs ils ne croyaient plus possible d'at-
teindre les Grecs arrivés à la frontière. Une fois maître des bau-
teurs , Brasidas continua sa marche sans obstacle ; et le même
jour, il parvint à Antissa, première ville de la domination de
Perdiccas. Les soldats, irrités du brusque départ des Macédo-
niens , dételaient et tuaient les boeufs qu'ils trouvaient sur la
route et faisaient main basse sur les bagages que les Macé-
doniens, dans la précipitation de leur retraite nocturne, avaient
abandonnés . Dès ce jour Perdiccas regarda Brasidas comme
son ennemi, et, tournant contre les Péloponésiens la haine qu'il
avait jusque-là nourrie contre les Athéniens, il travailla, en
dépit de ses intérêts naturels , à s'assurer au plus tôt l'alliance
des uns et l'éloignement des autres¹.
CXXIX. A son retour de Macédoine à Torone, Brasidas trouva
les Athéniens déjà maîtres de Mende. Jugeant désormais im-
possible de pénétrer dans la Pallène pour y porter secours , il se
tint en repos à Torone et mit cette ville en état de défense .
Pendant qu'il faisait son expédition dans le Lyncos , les Athé-
niens avaient donné suite à leur projet d'envoyer une flotte
contre Mende et Scione . Cette flotte , forte de cinquante vais-
seaux, parmi lesquels dix de Chios , portait mille hoplites athé-
niens, six cents archers, mille mercenaires thraces et d'au-
tres peltastes levés chez les alliés du pays. Les généraux étaient
Nicias , fils de Nicératos, et Nicostratos, fils de Diitréphès . Partis
de Potidée , ils prirent terre près du temple de Neptune et mar-
chèrent contre les Mendéens . Ceux- ci , renforcés par trois cents
Scionéens et par les Péloponésiens auxiliaires, en tout sept
cents hoplites sous les ordres de Polydamidas, étaient campés
hors de la ville sur une colline escarpée . Nicias, à la tête de
cent vingt Méthonéens armés à la légère, de soixante hoplites
athéniens d'élite et de tous les archers, essaya de gravir la col-
line par un sentier ; mais il reçut une blessure et ne put se
faire jour. Nicostratos réitéra l'attaque avec toute l'armée par
un chemin plus long ; mais , en abordant cette position difficile,
il fut mis dans le plus grand désordre, et peu s'en fallut que le
reste de l'armée ne fût défait . Les Athéniens , étonnés de cette
résistance opiniâtre, se retirèrent et établirent un camp . La
nuit venue, les Mendéens rentrèrent dans leur ville.
CXXX . Le lendemain, les Athéniens tournèrent la côte et
260 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

allèrent aborder du côté qui regarde Scione ' . Ils s'emparèrent


du faubourg et ravagèrent la campagne durant toute la journée ,
sans que personne s'y opposât ; c'est qu'il y avait de l'agitation
dans la ville. Pendant la nuit, les trois cents Scionéens s'en
retournèrent chez eux. Le jour suivant , Nicias , avec la moitié
de l'armée , se porta sur les limites de Scione et ravagea le
pays, pendant que Nicostratos, avec le reste des troupes , blo-
quait la porte d'en haut, qui conduit à Potidée. Les Mendéens
et leurs auxiliaires se trouvaient postés dans cet endroit en
dedans des murs. Polydamidas les range en bataille et les ex-
horte à faire une sortie . Mais un homme de la faction du peuple
déclare qu'il ne sortira pas et qu'il n'a que faire de combattre .
Polydamidas le saisit par le bras et le tire à lui ; l'autre résiste .
Aussitôt le peuple furieux prend les armes , court sur les Pélo-
ponésiens et sur leurs partisans et les met en déroute . Effrayés
de cette brusque attaque et voyant les portes s'ouvrir aux en-
nemis , les Péloponésiens se crurent victimes d'un complot orga-
nisé. Ceux qui ne périrent pas dans la mêlée se réfugièrent dans
la citadelle restée en leur pouvoir. L'armée athénienne tout
entière - Nicias était revenu de son excursion — se jeta dans la
ville ; et, comme celle-ci n'avait pas été ouverte par capitula-
tion , elle fut livrée au pillage , ni plus ni moins que si elle eût
été prise d'assaut . Ce ne fut pas sans peine que les généraux
empêchèrent le massacre des habitants . Après cela ils invitė-
rent les Mendéens à rétablir l'ancien ordre de choses et à juger
eux-mêmes les citoyens qu'ils regardaient comme les auteurs
de la rébellion ; enfin ils bloquèrent la citadelle en tirant un
mur d'une mer à l'autre, et ils y laissèrent des troupes de
siége .
CXXXI. Maîtres de Mende, ils marchèrent contre Scione . Les
habitants réunis aux Péloponésiens sortirent à leur rencontre
et prirent position en avant de la ville sur une éminence escar-
pée , dont les ennemis étaient obligés de s'emparer avant de
commencer l'investissement. Les Athéniens assaillirent cette
éminence et en délogèrent ceux qui l'occupaient. Ils y cam-
pèrent eux-mêmes , érigèrent un trophée et procédèrent à la
circonvallation . Ils étaient depuis peu à l'ouvrage , lorsque les
auxiliaires assiégés dans la citadelle de Mende forcèrent le poste
du bord de la mer et arrivèrent à Scione pendant la nuit . Ils se
dérobérent pour la plupart aux Athéniens campés sous les murs
et s'introduisirent dans la place.
CXXXII. Pendant qu'on travaillait à l'investissement de
LIVRE IV . 261

Scione , Perdiccas conclut, par le ministère d'un héraut, un


accord avec les généraux athéniens. Il avait entamé cette négo-
ciation, en haine de Brasidas , immédiatement après sa retraite
du Lyncos. Le Lacédémonien Ischagoras était sur le point
d'amener par terre des renforts à Brasidas. Dès que l'accord
avec Perdiccas fut conclu , Nicias pressa ce prince de donner
aux Athéniens un gage de fidélité ; et, comme Perdiccas ne
demandait pas mieux que de fermer aux Péloponésiens l'accès
de ses États, il agit auprès de ses hôtes de Thessalie, qui étaient
toujours les hommes les plus marquants. Par leur moyen, il
arrêta la marche de l'armée et les préparatifs , si bien que les
Péloponésiens n'essayèrent pas même de traverser la Thessalie.
Cependant Ischagoras , Aminias et Aristéus se rendirent de leurs
personnes auprès de Brasidas. Ils avaient mission des Lacédé-
moniens d'examiner l'état des affaires , et amenaient avec eux
de jeunes Spartiates, auxquels , contrairement à l'usage , on
devait confier le gouvernement des villes, afin qu'il ne fût plus
entre les mains d'hommes sans aveu . Cléaridas , fils de Cléony-
mos, fut établi gouverneur à Amphipolis , et Épitélidas ' , fils
d'Hégésandros , à Torone.
' CXXXIII . Le même été , les Thébains démantelèrent la ville
de Thespies , sous prétexte qu'elle inclinait vers le parti d'A-
thènes. De tout temps ils avaient eu ce dessein . L'occasion
leur parut favorable , parce que la fleur de la jeunesse thes-
pienne avait péri dans le combat livré aux Athéniens ' .
Ce fut aussi dans le même été que le temple de Junon à Ar-
gos fut incendié par l'imprudence de la prêtresse Chrysis , qui
s'endormit après avoir placé près des guirlandes une lampe
allumée. Le feu prit sans qu'on s'en aperçût, et le temple tout
entier devint la proie des flammes. Chrysis, redoutant la colère
des Argiens , se sauva cette nuit même à Phlionte . Les Ar-
giens, conformément à la loi , établirent une autre prêtresse,
nommée Phaïnis. Lorsque Chrysis prit la fuite, il y avait huit
ans et demi que la guerre était commencée ² .
Sur la fin de l'été, l'investissement de Scione fut achevé. Les
Athéniens y laissèrent des troupes de siége, et le reste de leur
armée se retira.
CXXXIV. L'hiver suivant, les Athéniens et les Lacédémoniens
se tinrent enrepos par respect pour la trêve ; mais les Mantinéens
et les Tégéates , assistés de leurs alliés , se livrèrent un combat
à Laodicion dans l'Oresthide ' . La victoire fut indécise : des deux
côtés , l'une des ailes eut l'avantage. Les deux partis dressè-
262 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

rent un trophée et envoyèrent des dépouilles à Delphes . Il est


vrai que le nombre des morts fut grand de part et d'autre, que
le succès fut balancé et que la nuit seule sépara les combat-
tants ; néanmoins , les Tégéates bivaquèrent sur le champ de
bataille et dressèrent un trophée dans le premier moment, tandis
que les Mantinéens se retirèrent à Boucolion, et n'érigèrent
le leur que plus tard .
L'hiver tirait à sa fin et l'on touchait au printemps , lorsque
Brasidas fit une tentative sur Potidée. Il s'en approcha de nuit
et parvint à appliquer une échelle sans être aperçu . Il avait
profité du moment où la sentinelle allait remettre la clochette
à son plus proche voisin , et n'avait pas encore regagné son
poste . Mais il fut découvert , et se retira promptement sans
tenter l'escalade ni même attendre qu'il fît jour.
Là-dessus l'hiver finit, et avec lui la neuvième année de la
guerre que Thucydide a racontée .
LIVRE V.

Dixième année de la guerre . Les Athéniens expulsent de leur île les


Déliens , ch. I. Cléon reprend Torone , ch. 11-III. - Ambassade
des Athéniens en Sicile , ch. IV-V. www Cléon marche contre Amphi-
polis , ch. VI -VIII. — Harangue de Brasidas , ch . Ix . - Bataille
d'Amphipolis ; mort de Cléon et de Brasidas , ch. x-xi . Dans
l'hiver , Ramphias part de Lacédémone avec des renforts destinés à
l'armée de Thrace ; les nouvelles pacifiques l'engagent à rebrousser
chemin, ch. XII-XIII. - Préliminaires de paix , ch. XIV-XVII. ―- Traité
de paix entre Athènes et Lacédémone , ch. XVIII-XX. — Cléaridas
refuse de rendre Amphipolis , ch. XXI. Alliance d'Athènes et de
Lacédémone , ch. XXII-XXIV. Onzième année de la guerre . Ob-
servations chronologiques sur la durée de la guerre du Péloponèse ,
ch. xxv-xxvI .- Les Argiens se mettent à la tête d'une ligue opposée
aux Lacédémoniens , ch. XXVII-XXVIII . SPO Mantinée entre dans la
ligue d'Argos , ch. xxIx.- Les Lacédémoniens essayent inutilement
d'engager Corinthe et la Béotie dans le traité de paix conclu par
eux avec Athènes , ch . xxx. - Les Éléens , les Corinthiens et les
Chalcidéens entrent dans la ligue d'Argos , ch . XXXI.- Les Athéniens
reprennent Scione. Les Tégéates et les Béotiens refusent d'accéder
à la ligue d'Argos , ch. XXXII . Expédition des Lacédémoniens
contre Pharrhasie , ch . XXXIII.- Récompenses accordées aux soldats
de Brasidas ; dégradation des prisonniers de Sphactérie , ch. xxxiv.
- Prise de Thyssos par les Diens , ch . xxxv. Dans l'hiver, intri-
gues des éphores pour rompre la paix , ch . xXXVI-XXXVIII. - Les
Lacédémoniens concluent une alliance séparée avec les Béotiens ,
ch. XXXIX . - Douzième année de la guerre. - Pourparlers entre
Argos et Lacédémone , ch. XL-XLI. - -Les Béotiens rasent Panacton
avant de le rendre aux Athéniens ; ceux-ci , irrités à ce sujet contre
les Lacédémoniens , concluent une alliance avec Argos , Mantinée et
Elis , ch. XLII-XLVII. Corinthe se réconcilie avec Lacédémone ,
ch. XLVIII. Démêlés entre les Eléens et les Lacédémoniens au
sujet de Lépréon , ch. XLIX-L.- Dans l'hiver., défaite des Héracléotes
par les Etéens , ch . LI.- Treizième année de la guerre. - Expé-
dition d'Alcibiade dans le Péloponèse , ch. LII. Guerre entre Argos
et Epidaure , ch. LIII- LIV. - Dans l'hiver , les Lacédémoniens en-
voient des secours aux Epidauriens ; pour ce motif , les Athéniens
déclarent le traité rompu , ch. LVI.- Quatorzième année de la
264 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
guerre. Expédition des Lacédémoniens contre Argos ; trêve de
quatre mois , ch. LVII-LX. - Reprise des hostilités. Les Argiens
s'emparent d'Orchomène et menacent Tégée , ch. LXI -LXII. — Les
Lacédémoniens marchent au secours des Tégéates , ch. LXIII-LXIV.
Bataille de Mantinée ; victoire des Lacédémoniens , ch. LXV-LXXIV .
Hostilités entre Argos et Epidaure , ch. LXXV. Dans l'hiver ,
paix et alliance des Lacédémoniens et des Argiens , ch . LXXVI-LXXIX.
Dissolution de la ligue d'Argos , ch. LXXX- LXXXI . - Quinzième
année de la guerre. - Révolution démocratique à Argos ; alliance
de cette ville avec Athènes , ch . LXXXII. - Dans l'hiver , expédition
des Lacédémoniens contre Argos et des Argiens contre Phlionte ,
ch. LXXXIII. ·Seizième année de la guerre. ·- Expédition des Athé-
niens contre l'île de Mélos , ch. LXXXIV. ― Conférence entre les
députés athéniens et les Méliens , ch . LXXXV-CXIII. Siége de Mélos ,
ch. CXIV. Entreprises diverses des Argiens , des Athéniens , des
Lacédémoniens et des Corinthiens , ch . cxv. Dans l'hiver , prise
de Mélos par les Athéniens ; cruel traitement infligé à cette ville ,
ch. CXVI .

I. L'été suivant (a) , la trêve d'une année expirait aux jeux


Pythiques ' . Elle durait encore lorsque les Athéniens expulsè-
rent de leur île les habitants de Délos , comme coupables d'un
ancien délit qui , suivant eux , entachait leur caractère sacré.
D'ailleurs ils trouvaient que ce point manquait encore à la
purification mentionnée ci-dessus , et pour laquelle ils avaient
cru devoir enlever les tombes des morts . Les Déliens se reti-
rèrent en Asie , à Atramyttion , que Pharnacès leur donna ³ , et
où s'établirent ceux d'entre eux qui le voulurent.
II. A l'expiration de la trêve , Cléon obtint des Athéniens
d'être envoyé sur le littoral de la Thrace avec douze cents ho-
plites et trois cents cavaliers d'Athènes , un plus grand nombre
d'alliés et trente vaisseaux . toucha en premier lieu à Scione,
dont le siége durait encore ; et , après avoir renforcé son ar-
mée d'un certain nombre d'hoplites tirés des assiégeants , il alla
descendre au port des Colophoniens ' , à quelque distance de
Torone. Averti par des transfuges que Brasidas n'était pas
dans la place et qu'elle avait peu de défenseurs , il marcha
contre elle avec ses troupes de terre , et détacha dix vaisseaux
pour pénétrer dans le port. Il s'approcha d'abord de la nou-
velle enceinte que Brasidas avait élevée pour annexer le fau-
bourg à la ville par le moyen d'une brèche pratiquée dans l'an-
cien mur.

(a) Dixième année de la guerre, 422 avant J.-C.


LIVRE V. 265

III. Le commandant lacédémonien Pasitélidas l'attendait


derrière les remparts à la tête de la garnison ; cependant, la
vigueur de l'attaque et l'apparition des vaisseaux détachés
contre le port lui firent craindre que si ces derniers trouvaient
la ville dégarnie et que le mur d'enceinte fût pris , lui-même
ne se vît enfermé dans le faubourg. Il l'évacua donc pour se
porter à la course vers la ville ; mais il fut prévenu par les
Athéniens. Ceux de la flotte occupaient déjà Torone ; l'armée
de terre, serrant de près les ennemis , se jeta avec eux tout
d'un trait dans la brèche de l'ancien mur. Une partie des Pélo-
ponésiens et des Toronéens périrent dans la mêlée ; le reste
fut fait prisonnier , notamment Pasitélidas/ Pour Brasidas, il
venait au secours de Torone ; mais , informé en route qu'elle
était prise, il rebroussa chemin. Il ne s'en fallut que de qua-
rante stades qu'il n'arrivât à temps. Cléon et les Athéniens éri-
gèrent deux trophées, l'un près du port , l'autre près du mur
d'enceinte . Ils réduisirent en esclavage les femmes et les en-
fants des Toronéens ; les hommes furent envoyés à Athènes
avec les Péloponésiens et les Chalcidéens qui se trouvaient dans
la ville. En tout, ces captifs étaient au nombre de sept cents.
Plus tard , lorsque la paix fut conclue , les Péloponésiens furent
mis en liberté, et le reste échangé homme pour homme par les
Olynthiens.
Environ la même époque , les Béotiens prirent par trahison
Panacton , forteresse athénienne , située sur les confins des
deux pays. Cléon, après avoir mis garnison dans Torone , leva
l'ancre et doubla l'Athos , pour se diriger sur Amphipolis.
IV. Vers le même temps , Phéax , fils d'Erasistratos , partit
avec deux vaisseaux pour l'Italie et la Sicile , où il était député ,
lui troisième , par les Athéniens. Depuis que ceux- ci avaient
quitté la Sicile après l'édit de pacification ' , les Léontins avaient
accordé le droit de cité à beaucoup de monde , et le peuple mé-
ditait le partage des terres. Instruits de ce projet , les riches
appelèrent les Syracusains et chassèrent le parti démocrati-
que. Ces bannis se dispersèrent çà et là. Quant aux riches , ils
traitèrent avec les Syracusains , abandonnèrent leur ville, qui
devint déserte , et allèrent s'établirent à Syracuse , qui leur
donna le titre de citoyens . Plus tard, quelques-uns d'entre eux,
mécontents de ce séjour, quittèrent Syracuse pour se retirer à
Phocées , quartier de la ville des Léontins , et à Bricinnies ,
petit fort du même territoire. La plupart des bannis de la fac-
tion populaire vinrent les rejoindre , et soutinrent la guerre à
266 GUERRE DU PÉLOPONESE .

l'abri de ces remparts . Informés de cet état de choses , les


Athéniens avaient député Phéax pour engager les alliés de ces
contrées et , s'il se pouvait, les autres Grecs de Sicile , à réunir
leurs armes contre Syracuse et à sauver le peuple léontin.
A son arrivée , Phéax réussit à persuader les Camarinéens et
les Agrigentins ; mais ayant rencontré de l'opposition dans
Géla, il ne poussa pas plus loin des démarches dont il pressen-
tait la stérilité . Il revint à Catane par le pays des Sicules , visita
Bricinnies, releva le courage des habitants , et repartit.
V. Dans sa traversée en Sicile et à son retour, Phéax essaya
d'engager quelques villes d'Italie dans l'alliance d'Athènes. I
rencontra des Locriens , expulsés de Messine, où ils s'étaient
établis à la suite de la pacification de la Sicile. A cette époque ,
l'un des deux partis qui divisaient Messine avaient appelé les
Locriens ; ceux- ci avaient envoyé une colonie dans cette ville ,
dont ils étaient devenus les maîtres pour un certain temps ' .
Phéax , les ayant donc rencontrés , ne leur fit aucun mal ; car
il venait de conclure alliance avec les Locriens au nom d'A-
thènes. C'étaient les seuls alliés qui , lors de la pacification de
la Sicile , n'eussent pas traité avec les Athéniens ; même alors
ils ne l'auraient pas fait, s'ils n'eussent eu sur les bras une
guerre contre les Itoniens et les Méléens, leurs voisins et leurs
colons . Phéax revint ensuite à Athènes.
VI. Cependant Cléon , après avoir quitté Torone , avait cin-
glé contre Amphipolis. D'Eïon , il était allé attaquer Stagire ,
colonie des Andriens. Il ne l'avait point prise ; mais il avait
emporté d'assaut Galepsos , colonie des Thasiens. Il avait en-
voyé une première députation à Perdiccas , lui demander, aux'
termes du traité, de venir le joindre avec des troupes , et une
seconde en Thrace auprès de Pollès , roi des Odomantes, pour
qu'il amenât le plus possible de Thraces mercenaires . En at-
tendant, il restait cantonné à Eïon .
Instruit de ces détails , Brasidas alla se poster en face des
Athéniens , au-dessus de Cerdylion. C'est une place appartenant
aux Argiliens et située sur une éminence , de l'autre côté du
fleuve ' , à peu de distance d'Amphipolis . De ce point culmi-
nant, ses regards plongeaient sur toute la contrée environ-
nante , en sorte que Cléon ne pouvait lui cacher aucun de ses
mouvements . Brasidas avait bien prévu que , dédaignant le
petit nombre de ses troupes , il monterait à Amphipolis avec
les seules forces qu'il avait sous la main. Lui-même se ména-
geait un renfort de quinze cents Thraces mercenaires et appe-
LIVRE V 267

lait la levée en masse des Édoniens , peltastes et cavaliers . Il


avait mille peltastes myrciniens ou chalcidéens , sans compter
ceux de l'endroit , environ deux mille hoplites , enfin , trois
cents cavaliers grecs . De ces troupes, Brasidas ne prit avec lui
que quinze cents hommes , lorsqu'il vint camper sur les hau-
teurs de Cerdylion. Le reste était à Amphipolis sous les ordres
de Cléaridas.
VII . Cléon ne remuait pas encore ; mais enfin il fut obligé
de faire ce que Brasidas attendait . En effet ses soldats, fatigués
'de leur inaction, se prirent à considérer comment il les allait
conduire ; à combien d'expérience et d'audace il opposerait son
ineptie et sa pusillanimité ; enfin avec quelle répugnance ils
avaient quitté leurs foyers pour le suivre. Informé de ces mur-
mures , Cléon ne voulut pas que ses soldats s'ennuyassent de
leur immobilité . Il leva le camp et se mit en marche. La ma-
nœuvre qu'il employa fut la même qui lui avait réussi à Pylos
et lui avait fait croire à son génie . Il pensait que personne
n'oserait l'attaquer. Il montait, disait-il, pour une simple explo-
ration ; s'il attendait du renfort, ce n'était pas pour s'assurer,
en cas d'engagement, la supériorité du nombre, mais pour
investir la place et l'emporter de haute lutte.
Il s'avança donc et prit position en face d'Amphipolis sur
une colline escarpée ; puis il alla jeter un coup d'œil sur le lac
formé par le Strymon et sur le site de la ville du côté de Thrace.
Il croyait pouvoir à son gré se retirer sans combat. Personne
ne se montrait sur les murs ; personne ne sortait des portes ,
qui toutes étaient fermées. Aussi regrettait-il de n'avoir pas
amené des machines, s'imaginant qu'il aurait pu prendre la
ville, dans l'abandon où elle se trouvait.
VIII . Pour Brasidas , il ne vit pas plus tôt les Athéniens en
mouvement, qu'il descendit des hauteurs de Cerdylion et rentra
dans Amphipolis. Il renonça à faire des sorties et à se déployer
devant les Athéniens. Il se défiait de ses forces et les croyait
trop inférieures , non pas en nombre (elles se balançaient pres-
que) , mais en qualité ; en effet l'armée athénienne était exclu-
sivement composée de milices d'Athènes et des meilleurs sol-
dats de Lemnos et d'Imbros. Il méditait un stratagème. S'il
eût montré l'effectif de ses troupes et leur chétive tenue, il
aurait eu moins de chances de vaincre qu'en les dérobant à la
vue et en laissant les Athéniens dans un mépris mal fondé. Il
choisit donc cent cinquante hoplites et confia le reste à Cléa-
ridas. Son dessein était d'attaquer subitement les Athéniens
268 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

avant leur retraite ; car il ne croyait pas qu'il fût possible, lors-
qu'ils auraient reçu leurs renforts , de les trouver une autre
fois réduits à eux-mêmes. Ayant donc rassemblé ses soldats
pour les animer et leur exposer son projet, il leur parla en ces
termes :
IX. Soldats Péloponésiens , je pourrais simplement vous
rappeler que nous venons d'une contrée toujours libre par son
courage, et que Doriens vous allez combattre ces Ioniens que
vous avez tant de fois vaincus. Mais je veux vous exposer mon
plan d'attaque , afin que vous ne soyez pas découragés par la
pensée que j'ai tort de n'engager qu'une partie de mes forces .
« C'est sans doute par mépris pour nous et dans l'espoir que
nul ne sortirait à leur rencontre, que les Athéniens sont montés
sur la colline, où , sans aucun ordre, ils contemplent en pleine
sécurité le paysage qui s'offre à leurs yeux. Lorsqu'on aperçoit
de telles fautes chez un ennemi et qu'on mesure ses forces
pour l'attaquer, non pas ouvertement ni en bataille rangée,
mais en tirant parti des circonstances , on est presque assuré
du succès. Ruses glorieuses , par lesquelles en trompant ses
adversaires on rend les plus grands services à ses amis.
« Ainsi, pendant qu'ils sont encore plongés dans une con-
fiance aveugle et qu'ils songent plutôt à se retirer qu'à s'établir,
je veux profiter de leur inadvertance, et, sans leur laisser le
temps de la réflexion, les gagner, s'il se peut, de vitesse en me
jetant avec les miens sur le centre de leur armée.
« Pour toi, Cléaridas, quand tu me verras , aux prises avec
eux, les frapper probablement d'épouvante, prends avec toi
tes soldats, ceux d'Amphipolis et les autres alliés ; fais brus-
quement ouvrir les portes ; sors à la course , et viens au plus tôt
me rejoindre. Ton aspect ne peut manquer de les effrayer ; car
un nouvel ennemi est bien plus formidable que celui qui est
en présence et déjà engagé. Montre-toi courageux en vrai
Spartiate.
<< Et vous, alliés , suivez-le résolûment. Songez que pour la
victoire trois choses sont nécessaires : la volonté, l'honneur,
la subordination . Si en ce jour vous faites preuve de bravoure,
vous pouvez compter sur la liberté et sur l'alliance de Lacédé-
mone; sinon , esclaves d'Athènes , à supposer que vous ne
soyez pas vendus ou mis à mort, - - vous sentirez le joug s'ap-
pesantir sur vos têtes, et vous aurez entravé la délivrance du
reste des Grecs.
« Mais non , vous ne faiblirez pas ; vous penserez au prix de
LIVRE V. 269

la lutte ; et moi je ferai voir que , si je sais exciter les autres ,


je ne suis pas moins capable d'agir. »>
X. Après ces paroles, Brasidas prépara sa sortie et plaça le
surplus de ses troupes, sous Cléaridas , aux portes dites de
Thrace , avec ordre de marcher quand il en serait temps . Cepen-
dant on avait vu Brasidas descendre des hauteurs de Cerdylion
et rentrer dans la ville , qui est toute à découvert. On le voyait
distinctement faire un sacrifice devant le temple de Minerve¹
et achever ses dispositions . Cléon était allé en reconnaissance ,
lorsqu'on lui annonce qu'on discerne dans la ville toute l'ar-
mée ennemie , et que par-dessous les portes on voit les pieds
des chevaux prêts à sortir . Sur cet avis , il s'approche ; et , après
avoir vérifié le fait , ne voulant pas risquer le combat avant l'ar-
rivée de ses auxiliaires , persuadé d'ailleurs qu'il avait le temps
d'opérer sa retraite , il commande le départ. La seule manœuvre
praticable était de se replier par la gauche sur Éion . Cléon en
donne l'ordre ; mais , trouvant dans ce mouvement trop de len-
teur, il fait tourner l'aile droite et emmène l'armée en présen-
tant à l'ennemi le flanc découvert . Alors Brasidas , qui voit l'in-
stant propice et un certain flottement dans l'armée athénienne ,
dit à ceux qui l'entouraient : « Ces gens ne nous attendent pas ;
on le voit assez à l'agitation de leurs lances et au mouvement
de leurs têtes ; d'ordinaire , ceux qui font cette contenance n'at-
tendent pas l'ennemi . Qu'on m'ouvre les portes que j'ai dites , et
marchons à l'instant sans crainte . »>
Là-dessus il sort par la porte voisine de la palissade et par
la première de la longue muraille qui existait alors.Il s'élance
à la course , en ligne directe , vers l'endroit le plus escarpé , où
se trouve actuellement un trophée . Il se jette sur le centre des
Athéniens , effrayés de leur désordre , confondus de son au-
dace, et les met en déroute. En même temps Cléaridas , d'a-
près le plan concerté , sort par les portes de Thrace et débouche
avec le gros de l'armée, Son attaque brusque et imprévue
achève de semer le trouble parmi les Athéniens . Leur aile
gauche , déjà bien avancée vers Éion , se rompt à l'instant.
Brasidas la laisse fuir et se rabat sur l'aile droite ; mais là il est
blessé et tombe sans que les Athéniens s'en aperçoivent. Ceux
qui l'entouraient le relèvent et le rapportent dans la ville . L'aile
droite des Athéniens tint plus longtemps . Pour Cléon , qui n'a-
vait pas songé un seul instant à rester , il s'enfuit au plus vite ;
mais il fut atteint et tué par un peltaste myrcinien . Les hoplites
se concentrèrent sur la colline , soutinrent deux ou trois charges
270 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

de Cléaridas , et ne plièrent que lorsque la cavalerie myrci-


nienne et chalcidéenne, jointe aux peltastes, les eut envelop-
pés , criblés de traits , et finalement mis en déroute.
C'est ainsi que toute l'armée athénienne se sauva , non sans
peine, et se dispersa en tous sens à travers les montagnes. Ceux
qui ne périrent pas sur-le-champ, dans la mêlée, ou plus tard
sous les coups de la cavalerie chalcidéenne et des peltastes ,
trouvèrent un refuge à Éïon .
Cependant ceux qui avaient relevé Brasidas le rapportèrent,
encore vivant , du champ de bataille à Amphipolis . Il eut le
temps d'apprendre sa victoire, avant de rendre le dernier sou-
pir. Le reste de l'armée , revenu de la poursuite avec Cléaridas,
dépouilla les morts et dressa un trophée.
XI. Après cela, tous les alliés assistèrent en armes aux funé-
railles de Brasidas. Il fut enterré aux frais du public dans la
ville , à l'entrée de la place actuelle . Les Amphipolitains en-
tourèrent son tombeau d'une balustrade ; ils lui offrent des vic-
times comme à un héros , et ont institué en son honneur des
jeux et des sacrifices annuels. Enfin , ils lui ont dédié la colo-
nie comme à son fondateur , après avoir renversé les monu-
ments d'Hagnon 2 , et fait disparaître toutes les traces de son
établissement. Ils regardaient Brasidas comme leur sauveur.
C'était d'ailleurs , sur le moment, un hommage rendu à Lacé-
démone, dont ils se ménageaient alors l'alliance et l'appui , tan-
dis qu'ennemis d'Athènes , ils n'avaient plus le même intérêt
ni le même plaisir à honorer Hagnon. Ils rendirent leurs morts
aux Athéniens . La perte de ces derniers dans cette journée avait
été de six cents hommes, celle des ennemis seulement de sept ;
en effet , ce ne fut point un combat régulier, mais une simple
rencontre précédée d'une panique. Après l'enlèvement des
morts , les Athéniens mirent à la voile pour Athènes . Cléaridas
réorganisa l'administration d'Amphipolis .
XII . Sur la fin du même été , les Lacédémoniens Ramphias ,
Autocharidas et Epicydidas partirent , avec un renfort de neuf
cents hoplites , pour le littoral de la Thrace. Arrivés à Héraclée
en Trachinie , ils opérèrent dans cette ville les réformes qui
leur parurent indispensables. Ils y étaient encore à l'époque de
la bataille d'Amphipolis. Là-dessus l'été finit.
XIII. Dès l'entrée de l'hiver suivant , Ramphias et ses collè-
gues s'avancèrent jusqu'à Piérion en Thessalie ; mais l'opposi-
tion des Thessaliens et la mort de Brasidas , auquel ce renfort
était destiné, les décidèrent à rebrousser chemin. Ils estimaient
LIVRE V. 271

leur mission superflue depuis la défaite et la retraite des Athé-


niens , et ils ne se sentaient pas capables de poursuivre à eux
seuls les projets de Brasidas. Ce qui acheva de les déterminer ,
ce fut qu'à leur départ les Lacédémoniens leur avaient paru
animés d'intentions pacifiques .
XIV. Aussitôt après la bataille d'Amphipolis et la retraite de
Ramphias de Thessalie , les deux partis se montrèrent égale-
ment las de la guerre et désireux de la paix. Les Athéniens ,
qui venaient d'essuyer coup sur coup deux défaites , à Délion
et à Amphipolis , n'avaient plus dans leurs forces cette con-
fiance absolue qui naguère leur avait fait repousser les ouver-
tures de conciliation et les avait persuadés de la stabilité de
leur fortune actuelle . Ils craignaient que leurs alliés , enhardis
par ces revers , ne fussent toujours plus enclins à la défection ,
et ils regrettaient de n'avoir pas profité des événements de
Pylos pour traiter avec avantage. De leur côté , les Lacédémo-
niens voyaient la guerre prendre une tournure tout autre qu'ils
n'avaient espéré. Ils avaient cru n'avoir qu'à ravager l'Attique
pour abattre en peu d'années la puissance des Athéniens . Au
lieu de cela, ils avaient éprouvé à Sphactérie un désastre sans
exemple dans les annales de Sparte ; leurs campagnes étaient
pillées par les garnisons de Pylos et de Cythère ; leurs Hilotes
désertaient, et il était à craindre que ceux de l'intérieur, donnant
la main à ceux du dehors , ne saisissent la première occasion
pour renouveler leur révolte . De plus , la trêve de trente ans con-
clue avec les Argiens était sur le point d'expirer , et ceux-ci refu-
saient de la proroger à moins qu'on ne leur rendît la Ĉynu-
rie . Or , il paraissait impossible de soutenir à la fois la
guerre contre Athènes et contre Argos . Enfin ils soupçonnaient
avec raison certaines villes du Péloponèse d'incliner vers les
Argiens.
XV. Tout cela faisait sentir aux uns comme aux autres la
nécessité d'un rapprochement. Les Lacédémoniens surtout le
désiraient à cause de leurs prisonniers de l'île, dont plusieurs
étaient des Spartiates du premier rang et alliés aux meilleures
familles. Aussi des négociations avaient- elles été entamées
dès l'origine de leur captivité ; mais les Athéniens , enorgueil-
lis de leurs succès, s'étaient montrés intraitables . Depuis la
malheureuse affaire de Délion , les Lacédémoniens , les voyant
mieux disposés , s'étaient empressés de conclure avec eux la
trêve d'un an , pendant laquelle on devait ouvrir des confé-
rences pour une paix définitive .
272 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
XVI. Après la défaite des Athéniens à Amphipolis , après la
mort de Cléon et de Brasidas, les deux plus fougueux partisans
-
de la guerre , l'un, parce qu'il lui devait ses triomphes et sa
gloire, l'autre, parce qu'il sentait qu'en temps calme , ses pré-
varications seraient plus flagrantes et ses calomnies moins
écoutées, les hommes qui , dans les deux villes, aspiraient à
jouer le premier rôle , savoir Plistoanax , fils de Pausanias , roi
des Lacédémoniens , et Nicias , fils de Nicératos , le plus heu-
reux des généraux de cette époque , élevèrent la voix en faveur
de la paix. Nicias voulait , pendant que sa renommée était en-
core intacte, mettre son bonheur à couvert , procurer quelque
repos à sa patrie et à lui-même, enfin , s'assurer la réputation
de n'avoir entraîné l'État dans aucun malheur. Pour cet effet,
il avait besoin d'écarter les dangers et de s'exposer le moins
possible ; la paix lui était donc indispensable . Quant à Plistoa-
nax , il était en butte aux attaques de ses ennemis , qui ne ces-
saient d'attribuer à l'illégalité de son retour tous les revers de
Lacédémone. Ils l'accusaient d'avoir , conjointement avec son
frère Aristoclès , suborné la Pythie, pour qu'elle répondît aux
Lacédémoniens chargés de consulter l'oracle de Delphes , qu'ils
eussent à rappeler de la terre étrangère dans sa patrie la race
du demi-dieu, fils de Jupiter ' , sous peine de labourer avec un
soc d'argent . Ce Plistoanax avait été exilé dans le temps
comme suspect d'avoir reçu des présents pour évacuer l'Atti-
que. Il s'était réfugié sur le mont Lycée , où , par crainte des
Lacédémoniens , il habitait une maison à moitié attenante au
temple de Jupiter . Au bout de dix-neuf ans , conformément
à l'oracle, il fut enfin rappelé par les Lacédémoniens , qui fêtè-
rent son retour par les mêmes chœurs et les mêmes sacrifices
que lors de la fondation de Lacédémone et de l'installation de
leurs premiers rois. Fatigué de ces clameurs, et persuadé que
le rétablissement de la paix et la délivrance des prisonniers
ôteraient à ses ennemis toute prise contre lui , au lieu qu'en
temps de guerre la mauvaise fortune est invariablement impu-
tée aux chefs , Plistoanax travaillait de tout son pouvoir à une
solution pacifique.
XVII. Pendant tout l'hiver et jusqu'à l'approche du prin-
temps , les pourparlers continuèrent. En même temps , les Lacé-
démoniens, afin de rendre les Athéniens plus traitables , agi-
tèrent l'épouvantait de préparatifs guerriers, et firent savoir à
toutes les villes qu'ils allaient construire des forts en Attique .
Enfin, après maintes conférences, maintes prétentions élevées
LIVRE V. 273

de part et d'autre , on tomba d'accord de faire la paix à condi-


tion que chacun restituerait ce qu'il avait acquis par les armes.
Niséa seule resta aux Athéniens , et voici pourquoi . Lorsqu'il
fut question de rendre Platée , les Thébains soutinrent qu'elle
s'était soumise de gré et non de force, en vertu d'une conven-
tion libre et non par trahison . Les Athéniens en dirent autant
de Niséa.
Les Lacédémoniens convoquèrent leurs alliés. Tous votèrent
pour la paix, excepté les Béotiens , les Corinthiens , les Éléens
et les Mégariens , qui en désapprouvaient les conditions . Le
traité fut conclu et ratifié par l'échange des libations et des
serments , entre les Athéniens et les Lacédémoniens . En voici
la teneur :
XVIII . « Les Athéniens et les Lacédémoniens , ainsi que leurs
alliés, ont fait la paix aux conditions ci-après indiquées et dont
chaque ville a juré l'observation.
« En ce qui concerne les temples communs ' , chacun pourra
s'y rendre , sacrifier , consulter les oracles , assister aux fêtes,
conformément aux usages de nos pères , soit par terre, soit par
mer, sans crainte de danger.
« En ce qui concerne l'enceinte et le temple d'Apollon à
Delphes , ainsi que les habitants de Delphes , ils seront indé-
pendants, affranchis de tout tribut et de toute juridiction étran-
gère, eux et leur territoire , conformément aux usages de nos
pères.
« La paix durera cinquante ans , entre les Athéniens et leurs
alliés d'une part, les Lacédémoniens et leurs alliés d'autre part,
sans dol ni fraude, soit sur terre , soit sur mer.
<< Tout acte d'hostilité est interdit aux Lacédémoniens et à
leurs alliés envers les Athéniens et leurs alliés , ainsi qu'aux
Athéniens et à leurs alliés envers les Lacédémoniens et leurs
alliés.
<< S'il s'élève entre eux quelque différend , ils auront recours,
aux voies légales et aux serments, et se conformeront aux tran-
sactions qui seront intervenues.
« Les Lacédémoniens et leurs alliés rendront aux Athéniens
Amphipolis.
<< Dans toutes les villes restituées par les Lacédémoniens
aux Athéniens , les habitants seront libres de se retirer où bon
leur semblera, en emportant ce qui leur appartient. Ces villes
se gouverneront d'après leurs propres lois , en payant le tribut
tel qu'il a été fixé du temps d'Aristide . La paix conclue, les
274 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

Athéniens et leurs alliés s'abstiendront de toute hostilité contre


ces villes, à la condition qu'elles payent ledit tribut. Ces villes
sont Argilos , Stagire , Acanthe , Scolos , Olynthe, Spartolos .
Elles ne seront alliées ni de Lacédémone, ni d'Athènes. Toute-
fois, si les Athéniens les persuadent d'entrer dans leur alliance ,
elles le pourront de leur plein gré.
« Les Mécyberniens , les Sanéens , les Singiens resteront en
possession de leurs villes, ainsi que les Olynthiens et les Acan-
thiens .
« Les Lacédémoniens et leurs alliés rendront aux Athéniens
Panacton. Les Athéniens rendront aux Lacédémoniens Cory-
phasion, Cythère, Méthone, Ptéléos et Atalante. Ils rendront
également tous les Lacédémoniens qui sont détenus à Athènes
ou dans tout autre lieu de la domination athénienne. Ils laisse-
ront libres les Péloponésiens assiégés dans Scione , tous les al-
liés des Lacédémoniens qui se trouvent dans cette place, tous
ceux que Brasidas y a fait passer , enfin tous les alliés des La-
cédémoniens qui se trouvent détenus à Athènes ou dans tout
autre endroit de la domination athénienne .
« Les Lacédémoniens et leurs alliés rendront pareillement
tous ceux des Athéniens ou de leurs alliés qui sont entre leurs
mains.
« Quant aux villes de Scione , de Torone , de Sermylé et autres
au pouvoir des Athéniens, ceux-ci seront libres d'en disposer à
leur gré.
« Les Athéniens s'obligeront par serment envers les Lacédé-
moniens et chacun de leurs alliés. De part et d'autre, on prê-
tera le serment réputé le plus solennel dans chaque ville. La
formule sera conçue en ces termes : « Je serai fidèle aux con-
aventions et stipulations du présent traité en toute justice et
<< sans aucune fraude. »
« Les Lacédémoniens et leurs alliés s'obligeront par serment
de la même manière envers les Athéniens.
« Ce serment sera renouvelé chaque année par les parties
contractantes . Il sera gravé sur des colonnes placées à Olym-
pie, à Delphes, à l'Isthme, à Athènes dans l'acropole, à Lacé-
démone dans l'Amycléon¹ .
« Si quelque omission a été faite par l'une ou par l'autre des
parties contractantes , il sera loisible aux Athéniens et aux La-
cédémoniens de modifier sur ce point les conventions après
qu'ils seront mis d'accord.
XIX. Le traité date de l'éphorat de Plistolas, le quatrième
LIVRE V. 275

jour de la dernière décade du mois Arthémisien ' ; à Athènes,


de l'archontat d'Alcéos , le sixième jour de la dernière décade
du mois Elaphébolion.
« Ont juré et fait les libations, pour les Lacédémoniens :
Plistolas, Damagétos , Chionis , Métagénès, Acanthos , Daïthos ,
Ischagoras , Philocharidas , Zeuxidas , Antippos , Tellis , Alcini-
das , Empédias , Ménas , Laphilos ; pour les Athéniens : Lam-
pon , Isthmionicos , Nicias , Lachès , Euthydémos , Proclès ,
Pythodoros , Hagnon , Myrtilos, Thrasyclès , Théagénès , Aristo-
cratès, Iolcios , Timocratès , Léon, Lamachos, Démosthène.
XX. Cette paix fut conclue sur la fin de l'hiver ou plutôt dans
les premiers jours du printemps, immédiatement après les
fêtes de Bacchus de la ville . Dix ans et quelques jours s'é-
taient écoulés depuis la première invasion de l'Attique et l'ou-
verture des hostilités. Pour s'en convaincre , il suffit de con-
sulter l'ordre chronologique , au lieu d'établir la série des
événements d'après les magistratures de chaque ville ou d'a-
près telle ou telle dignité. Cette dernière méthode est fort
inexacte ; car elle n'indique pas si un fait s'est passé au com-
mencement, au milieu ou à la fin desdites fonctions. Si au
contraire on compte , comme je l'ai fait , par été et par hiver,
les deux saisons réunies formant l'année, on trouvera que cette
première guerre a duré dix étés et autant d'hivers .
XXI. Les Lacédémoniens , que le sort avait désignés pour
commencer les restitutions , relâchèrent immédiatement les pri-
sonniers qui étaient entre leurs mains. Ils envoyèrent sur le
littoral de la Thrace , Ischagoras , Ménas et Philocharidas , en
qualité d'ambassadeurs , pour porter à Cléaridas l'ordre de re-
mettre Amphipolis aux Athéniens et l'invitation aux alliés d'ac-
cepter le traité chacun en ce qui le concernait ; mais ceux-ci
n'y voulurent pas consentir, le trouvant trop défavorable. Cléa-
ridas , par déférence pour les Chalcidéens , refusa de rendre la
ville , sous prétexte qu'il ne pouvait le faire malgré eux. Lui-
même revint en toute hâte à Lacédémone avec des députés
chalcidéens, afin de se disculper dans le cas où Ischagoras et
ses collègues se plaindraient de sa désobéissance. D'ailleurs il
tenait à savoir si la convention pouvait encore se modifier. Il
la trouva ratifiée et repartit sur-le-champ, avec l'injonction
formelle de remettre la ville , ou au moins d'en ramener tous
les Péloponésiens qu'elle renfermait.
XXII. Les alliés étaient alors assemblés à Lacédémone.
Ceux d'entre eux qui n'avaient pas adhéré au traité furent in-
276 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

vités par les Lacédémoniens à le faire sans retard ; mais ils


persistèrent dans leur refus , en se fondant sur ce que les conven-
tions n'étaient pas équitables. Les Lacédémoniens, désespérant
de les convaincre , les congédièrent et ouvrirent pour leur
propre compte des négociations d'alliance avec les Athéniens . Ils
y furent poussés par deux motifs : d'abord il ne fallait plus son-
ger au renouvellement de la trêve avec les Argiens ; car ils
avaient rejeté les propositions d'Ampélidas et de Lichas, appa-
remment dans la pensée que les Lacédémoniens sans les Athé-
niens étaient peu redoutables ; en second lieu , l'alliance avec
Athènes était le meilleur moyen de prévenir l'agitation dans
le reste du Péloponèse qui , s'il l'avait pu , n'aurait pas manqué
de se jeter dans les bras des Argiens . Il y avait alors des dépu-
tés athéniens à Lacédémone ; des conférences furent entamées
avec eux ; on se mit d'accord , et l'alliance suivante fut conclue
sous la foi du serment.
XXIII . Les Lacédémoniens seront alliés¹ pour cinquante
ans, aux conditions énoncées ci-après :
« Si quelque agresseur entre à main armée sur les terres
des Lacédémoniens , les Athéniens iront à leur secours avec
toutes leurs forces et par tous les moyens possibles.
« S'il se retire après avoir dévasté la campagne , les Lace-
démoniens et les Athéniens le tiendront pour ennemi ; les deux
Etats lui feront la guerre et ne la termineront que d'un com-
mun accord ; le tout conformément à la justice , avec zèle et
sans fraude.
« Si quelque agresseur entre à main armée sur les terres des
Athéniens , les Lacédémoniens iront à leur secours avec toutes
leurs forces et par tous les moyens possibles.
« S'il se retire après avoir dévasté la campagne , les Lacé-
démoniens et les Athéniens le tiendront pour ennemi ; les deux
États lui feront la guerre et ne la termineront que d'un com-
mun accord ; le tout conformément à la justice , avec zèle et
sans fraude .
<< Si les esclaves se soulèvent, les Athéniens secourront les
Lacédémoniens avec toutes leurs forces et par tous les moyens
possibles .
a Les présentes conventions seront jurées de part et d'autre
par les mêmes personnes qui ont juré le précédent traité. Ce
serment sera renouvelé chaque année ; pour cet effet , les Lace-
démoniens se rendront à Athènes à l'époque des Dionysies , et
les Athéniens à Lacédémone à l'époque des Hyacinthies *.
LIVRE V. 277

<< Deux colonnes seront érigées , l'une à Lacédémone près du


temple d'Apollon dans l'Amycléon , l'autre à Athènes dans l'a-
cropole près du temple de Minerve.
« Si les Lacédémoniens et les Athéniens jugent à propos de
faire quelque addition ou quelque retranchement au présent
traité d'alliance , ils le pourront, pourvu que ce soit d'un com-
mun accord.
XXIV. « Ont juré, pour les Lacédémoniens : Plistoanax, Agis ,
Plistolas, Damagétos , Chionis , Métagénès , Acanthos , Daïthos ,
Ischagoras , Philocharidas , Zeuxidas, Antippos , Alcinadas , Tel-
lis, Empédias , Ménas , Laphilos ; pour les Athéniens : Lampon,
Isthmionicos, Lachès , Nicias , Euthydémos , Proclès , Pythodo-
ros , Hagnon , Myrtilos , Thrasyclès , Théagénès , Aristocratès ,
Iolcios, Timocratès, Léon , Lamachos, Démosthène . »
Cette alliance fut conclue peu de temps après le traité de
paix. Les Athéniens rendirent aux Lacédemoniens les prison-
niers de l'île . Là-dessus commença l'été de la onzième année 2.
Ici se termine le récit de la première guerre , qui avait duré
dix ans consécutifs .
XXV. Après le traité de paix et d'alliance entre les Athé-
niens et les Lacédémoniens, traité qui mit fin à la guerre de
dix ans et fut conclu sous l'éphorat de Plistolas à Lacédémone
et sous l'archontat d'Alcéos à Athènes , la paix fut rétablie entre
les États qui en avaient accepté les conditions. Mais les Corin-
thiens et quelques villes du Péloponèse cherchèrent à brouiller
les affaires , et bientôt l'on vit s'élever des difficultés nouvelles
entre les Lacédémoniens et leurs alliés . Avec le temps , les
Lacédémoniens devinrent suspects aux Athéniens, parce qu'ils
n'exécutaient pas certaines clauses du traité . Pendant six ans
et dix mois , les deux peuples s'abstinrent , il est vrai , d'a-
gressions directes ; mais au dehors ils se firent tout le mal
compatible avec une réconciliation mal assurée , jusqu'à ce
qu'enfin ils furent amenés à rompre la paix conclue après les
dix ans d'hostilités , et en vinrent de nouveau à une guerre
ouverte.
XXVI. Le même Thucydide , citoyen d'Athènes , a continué
la relation des événements dans l'ordre où ils ont eu lieu, par
étés et par hivers , jusqu'au moment où les Lacédémoniens
et leurs alliés renversèrent définitivement la domination d'A-
thènes et s'emparèrent du Pirée et des longs murs ' . La durée
totale de la guerre jusqu'à cette époque fut de vingt-sept ans.
On aurait tort d'en retrancher l'intervalle de la trêve. Il suffit
THUCYDIDE . 16
278 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

d'envisager la succession des faits pour reconnaître qu'on ne


saurait avec raison donner le nom de paix à un état de choses
dans lequel ne furent faites de part ni d'autre toutes les resti-
tutions convenues ; dans lequel les deux parties eurent bien
des reproches à s'adresser , par exemple à l'occasion de la
guerre de Mantinée et d'Epidaure 2 ; dans lequel enfin les alliés
du littoral de la Thrace ne posèrent point les armes, et les
Béotiens ne se lièrent que par des armistices de dix jours .
Si donc à la première guerre de dix ans on réunit la fausse
paix qui la suivit et la guerre qui vint ensuite , on trouvera le
nombre d'années que j'ai indiqué et quelques jours en sus. Dé
toutes les assertions qui reposaient sur des oracles , ce fut la
seule que l'événement justifia ; je me souviens que , dès l'ori-
gine de cette guerre, et pendant sa durée , plusieurs personnes
annonçaient qu'elle devait se prolonger trois fois neuf ans..
Quant à moi , j'ai assisté à toute sa durée , jouissant de la plé-
nitude de mes facultés et donnant une attention soutenue au
spectacle que j'avais sous les yeux. J'ai passé vingt années
loin de ma patrie , à la suite de mon commandement d'Amphi-
polis . Mêlé aux affaires des deux partis , j'ai dû à mon exil
de voir de plus près celles du Péloponèse, et à mes loisirs de
mieux étudier les faits. Je vais donc rapporter les événements
qui succédèrent à cette première guerre de dix années, la rup-
ture de la trêve et la reprise des hostilités .
XXVII . La paix de cinquante ans et l'alliance qui la suivit
une fois conclues , les députés du Péloponèse , venus à Lacédé-
mone pour cet objet, quittèrent cette ville et regagnèrent leurs
foyers. Les Corinthiens se rendirent d'abord à Argos , où ils
s'abouchèrent avec quelques-uns des citoyens. Ils leur repré-
sentèrent qu'en faisant un traité de paix et d'alliance avec les
Athéniens , naguère leurs ennemis jurés , les Lacédémoniens
avaient en vue , non l'intérêt, mais l'asservissement du Pélopo-
nèse ; que c'était aux Argiens de le sauver , en statuant que
toute ville grecque et indépendante, qui offrirait de soumettre
ses différends à un arbitrage , pourrait conclure avec Argos
une alliance défensive ; qu'il fallait élire un petit nombre de
citoyens et les munir de pleins pouvoirs , sans porter la ques-
tion devant l'assemblée du peuple , pour ne pas s'exposer à ses
refus. A les entendre, beaucoup de villes ne demandaient pas
mieux que d'entrer dans cette ligue par haine pour Lacédé-
mone. Après cette communication, les Corinthiens s'en retour-
nèrent chez eux.
LIVRE V. 279

XXVIII. Les Argiens qui avaient recu ces ouvertures les


communiquèrent aux magistrats et au peuple d'Argos . Il fut
décidé qu'on élirait douze citoyens , autorisés à conclure une
alliance avec tous ceux des Grecs qui le voudraient , excepté
toutefois les Athéniens et les Lacédémoniens , qui ne seraient
admis que sur un arrêté du peuple. Ces mesures furent accueil-
lies par les Argiens avec d'autant plus de faveur qu'ils se
voyaient à la veille d'une guerre avec Lacédémone , leur traité
avec cette ville touchant à sa fin . D'ailleurs , ils aspiraient à
se placer à la tête du Péloponèse . Lacédémone à cette époque
était complétement déconsidérée à cause de ses revers ; les
Argiens au contraire jouissaient d'une prospérité parfaite ,
ayant su demeurer étrangers à la guerre contre Athènes et
recueillir les fruits de cette neutralité . C'est ainsi que les Ar-
giens ouvrirent leur alliance à tous les Grecs qui voulurent y
entrer.
XXIX. Les Mantinéens et leurs alliés furent les premiers à
entrer dans la confédération , et cela par crainte de Lacédé-
mone. Ayant profité de la guerre contre Athènes pour sou-
mettre à leur domination une partie de l'Arcadie, ils pensaient
bien que les Lacédémoniens , maintenant qu'ils n'avaient plus
les mains liées , ne toléreraient pas une pareille usurpation . Ce
fut donc avec joie qu'ils se jetèrent dans le parti d'Argos , qui
leur offrait une ville puissante , ennemie constante de Lacédé-
mone et gouvernée démocratiquement comme eux. La défec-
tion des Mantinéens mit en émoi le reste du Péloponèse . Cha-
cun résolut de suivre leur exemple. On se dit qu'après tout ils
devaient avoir leurs raisons pour changer d'alliés. On en vou-
lait d'ailleurs aux Lacédémoniens ; on ne pouvait leur pardon-
ner la clause par laquelle les deux villes d'Athènes et de Lacé-
démone s'étaient réservé le droit d'ajouter au traité ou d'en
retrancher ce qu'elles jugeraient à propos . Cet article inquié-
tait singulièrement le Peloponèse . On y voyait chez les Lacé-
démoniens l'intention de l'asservir avec l'aide des Athéniens ;
autrement , disait-on , la justice eût exigé que tous les alliés
eussent le même droit de modification. Aussi la plupart, sous
l'empire de ces craintes , s'empressèrent de traiter avec les
Argiens.
XXX . Alarmés de cette agitation du Péloponèse et sachant
qu'elle était due aux menées des Corinthiens , qui eux-mêmes
n'étaient pas éloignés d'entrer dans la ligue d'Argos , les Lace-
démoniens envoyèrent des députés à Corinthe , afin de préve-
280 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

nir un événement qu'ils redoutaient. Ces députés se plaignirent


des Corinthiens , qui avaient fomenté tous ces troubles et qui
étaient sur le point d'abandonner l'alliance de Lacédémone
pour celle d'Argos . Ce serait , dirent-ils , une violation de la
foi jurée, un nouveau tort ajouté à celui de n'avoir pas adhéré
à la paix faite avec Athènes , quoiqu'il fût expressément sti-
pulé que toute décision prise par la majorité des alliés serait
exécutoire, à moins d'empêchement de la part des dieux ou des
héros . Les Corinthiens avaient eu soin de convoquer tous ceux
des alliés qui , à leur exemple , n'avaient pas accédé au traité
de paix. Ils répondirent en leur présence aux Lacédémoniens ;
et , sans articuler aucun grief personnel , sans dire un mot de
Sollion ni d'Anactorion que les Athéniens ne leur avaient pas
rendus , non plus que de leurs autres sujets de plainte , ils se
retranchèrent derrière l'impossibilité où ils étaient de trahir
leurs alliés du littoral de la Thrace . Ils s'étaient , disaient-ils ,
engagés envers eux par des serments particuliers , aussitôt
après leur défection et celle des Potidéates , et ces serments
avaient été renouvelés dès lors plus d'une fois . Ce n'était point
violer la foi jurée que de ne pas souscrire au traité fait avec
Athènes ; car, après avoir solennellement promis fidélité aux
peuples de Thrace , on ne pouvait les abandonner sans parjure.
On avait dit : « A moins d'empêchement de la part des dieux
ou des héros ; » eh bien , c'était à leurs yeux un empêchement
divin . Telle fut leur réponse au sujet des anciens serments ;
quant à l'alliance avec Argos , ils dirent qu'ils se consulteraient
avec leurs amis , et ne feraient rien que de juste . Les députés
lacédémoniens s'en retournèrent chez eux.
Il se trouvait aussi à Corinthe des envoyés d'Argos , qui sol-
licitaient les Corinthiens d'entrer sans délai dans leur alliance .
Les Corinthiens les invitèrent à se trouver à la première réu-
nion qui aurait lieu dans leur ville.
XXXI. Là-dessus arrivèrent des députés d'Elis , qui firent
amitié avec les Corinthiens , et se rendirent ensuite à Argos
pour conclure l'alliance qui leur était offerte . Les Éléens s'é-
taient brouillés avec les Lacédémoniens au sujet de Lépréon ' .
Les Lépréates , dans une guerre qu'ils avaient eu jadis à sou-
tenir contre une portion de l'Arcadie , avaient sollicité l'assis-
tance des Éléens , en offrant de partager le pays avec eux . Les
Éléens avaient mis fin à cette guerre et laissé aux Lépréates
la jouissance du territoire conquis , à charge de payer annuel-
lement un talent à Jupiter Olympien . Jusqu'à la guerre d'At-
LIVRE V. 281

tique , les Lépréates s'acquittèrent de cette redevance ; puis


ils s'en dispensèrent sous prétexte de la guerre ; et, comme les
Éléens les pressaient de payer, ils en appelèrent aux Lacédé-
moniens. Les Éléens, ne se fiant pas à l'impartialité de ces
médiateurs , déclinèrent leur arbitrage et dévastèrent le ter-
ritoire de Lépréon . Les Lacédémoniens n'en déclarèrent pas
moins les Lépréates indépendants ' , et firent passer à Lépréon
une garnison d'hoplites . Les Éléens prétendirent que Lacédé-
mone soutenait dans sa révolte une ville de leur ressort ; ils
invoquèrent la clause d'après laquelle chacun devait conserver,
au sortir de la guerre d'Attique , ce qu'il possédait à son dé-
but ; et , s'estimant lésés, ils se jetèrent dans le parti des
Argiens , avec lesquels ils conclurent alliance aux termes ci-
dessus énoncés .
Bientôt après , les Corinthiens et les Chalcidéens du littoral
de la Thrace entrèrent aussi dans la ligue d'Argos . Les Béo-
tiens et les Mégariens , malgré leurs sympathies avouées , se
tinrent à l'écart. Ils étaient fort ménagés par Lacédémone,
dont la constitution s'accordait mieux que la démocratie d'Ar-
gos avec leur régime oligarchique.
XXXII. Vers la même époque de l'été, les Athéniens prirent
Scione qu'ils assiégeaient. Ils mirent à mort tous les adultes ,
réduisirent en esclavage les femmes et les enfants , et donnè-
rent aux Platéens la jouissance du territoire. Ils rétablirent
les Déliens à Délos , tant à cause du malheur de leurs armes¹ ,
que pour obéir à l'oracle de Delphes. Les Phocéens et les Lo-
criens commencèrent la guerre.
Les Corinthiens et les Argiens , désormais alliés , se ren-
dirent à Tégée , pour détacher cette ville du parti des Lacédé-
moniens. Ils pensaient que , s'ils parvenaient à s'adjoindre une
place de cette importance , tout le Péloponèse suivrait . Mais
les Tégéates s'étant refusés à rien entreprendre contre Lacé-
démone , les Corinthiens , très-ardents jusqu'alors , commen-
cèrent à se refroidir, dans la crainte de ne plus trouver d'adhé-
sion. Ils se rendirent cependant auprès des Béotiens , pour
les engager à entrer dans l'alliance des deux villes et à faire
cause commune avec elles . Les Béotiens avaient avec les
Athéniens un simple armistice de dix jours , conclu peu de
temps après la paix de cinquante ans. Les Corinthiens les
prièrent de les accompagner à Athènes et de les faire com-
prendre dans cet armistice. En cas de refus de la part des
Athéniens, ils voulaient que les Béotiens renonçassent à leur

Π
282 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

trêve et prissent l'engagement de ne traiter que d'un commun


accord. Ainsi mis en demeure , les Béotiens demandèrent du
temps pour se prononcer sur l'alliance d'Argos ; mais ils sui-
virent les Corinthiens à Athènes , où ils ne purent obtenir en
leur faveur la trêve de dix jours . Les Athéniens répondirent
que Corinthe était comprise dans le traité, si elle était alliée
de Lacédémone . Néanmoins les Béotiens ne renoncèrent pas à
leur trêve de dix jours , malgré les instances des Corinthiens
et leurs reproches sur ce manque de parole ¹ . Au surplus, la
trêve subsistait de fait , sinon de droit , entre Athènes et Co-
rinthe.
XXXIII . Le même été , les Lacédémoniens en corps de na-
tion, sous la conduite de leur roi Plistoanax, fils de Pausanias,
marchèrènt en Arcadie contre les Parrhasiens , sujets de Man-
tinée . Appelés par une des factions qui divisaient le pays, ils
voulaient en même temps , s'il était possible , détruire le fort
de Cypsela¹ . Cette place , située en Parrhasie , avait été forti-
fiée et pourvue d'une garnison par les Mantinéens , de manière
à menacer la Sciritide , district de Laconie. Les Lacédémo-
niens ravageaient les terres des Parrhasiens . Les Mantinéens
avaient confié leur ville à une garnison argienne , et gardaient
eux-mêmes le pays de leurs alliés ; mais , sentant l'impossibi-
lité de défendre à la fois le fort de Cypséla et les villes par-
rhasiennes , ils opérèrent leur retraite. Les Lacédémoniens ren-
dirent l'indépendance aux Parrhasiens , démolirent le fort et
s'en retournèrent chez eux.
XXXIV. Le même été , lorsque les troupes employées en
Thrace eurent été ramenées par Cléaridas en conséquence de
la paix , les Lacédémoniens décrétèrent que les Hilotes qui
avaient servi sous Brasidas seraient affranchis et libres d'ha-
biter où ils voudraient . Peu de temps après, lorsque la guerre
avec les Éléens eut éclaté , ils les placèrent , avec les Néoda-
modes 2, à Lépréon sur les confins de la Laconie et de l'Élide .
Quant aux prisonniers de l'île, on pouvait craindre que le sen-
timent de leur disgrâce ne les portât à tenter quelque mouve-
ment, s'ils conservaient la plénitude de leurs droits . Ils furent
donc dégradés , quoique plusieurs d'entre eux fussent déjà
dans les charges . Cette peine les rendait inhabiles à exercer
aucune fonction publique, à contracter ni vente ni achat. Dans
la suite , ils furent réhabilités .
XXXV. Ce fut encore dans le même été que les Diens ' pri-
rent Thyssos, ville située sur l'Athos et alliée d'Athènes.
LIVRE V. 283

Durant toute cette saison, les Athéniens et les Péloponésiens


communiquèrent librement ensemble . Cependant la paix était
à peine rétablie qu'on vit surgir entre eux des défiances réci-
proques au sujet de la non-reddition de quelques places . Les
Lacédémoniens , désignés par le sort pour commencer les res-
titutions , ne rendaient ni Amphipolis ni le reste. Ils n'avaient
obtenu l'adhésion ni de leurs alliés de Thrace , ni des Béotiens ,
ni des Corinthiens , quoiqu'ils promissent toujours de s'unir
aux Athéniens pour contraindre les récalcitrants. Ils avaient
même fixé verbalement un terme , passé lequel ceux qui n'au-
raient pas acquiescé à l'alliance seraient considérés comme
ennemis par les deux nations. Les Athéniens , ne voyant s'ac-
complir aucune de ces promesses , commençaient à révoquer
en doute la loyauté des Lacédémoniens. Aussi , malgré leurs
instances , refusèrent-ils la rétrocession de Pylos ; ils regret-
taient même d'avoir rendu les prisonniers de l'île ; enfin, ils
résolurent de détenir les autres places jusqu'à ce que les Lacé-
démoniens eussent rempli leurs engagements. Les Lacédémo-
niens prétendaient avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir,
en retirant les soldats du littoral de la Thrace et de tous les
endroits dont ils étaient maîtres. Quant à Amphipolis , ils assu-
raient qu'il ne dépendait pas d'eux de la livrer ; qu'ils feraient
leur possible pour obtenir l'adhésion des Béotiens et des Co-
rinthiens , de même que la remise de Panacton et des prison-
niers athéniens qui se trouvaient en Béotie. Ils insistaient pour
que les Athéniens leur remissent Pylos , ou que tout au moins ,
suivant l'exemple qu'eux-mêmes avaient donné en rappelant
leurs soldats de Thrace, ils retirassent de Pylos les Messéniens
et les Hilotes , sauf à y placer , s'ils le voulaient, une garnison
athénienne. Enfin , après des discussions prolongées pendant
tout l'été, ils obtinrent que les Athéniens fissent sortir de Py-
los les Messéniens , les Hilotes et tous les déserteurs lacédémo-
niens. On les établit à Cranies, ville de Céphallénie. Ainsi , l'été
se passa tranquillement et sans que les communications fus-
sent interrompues.
XXXVI. L'hiver suivant , les éphores sous lesquels le traité
avait eu lieu se trouvaient sortis de charge et remplacés par
d'autres, dont quelques-uns étaient opposés à la paix . Des dé-
putations des villes alliées vinrent à Lacédémone et s'y rencon-
trèrent avec des ambassadeurs athéniens , béotiens et corin-
thiens . Il y eut beaucoup de paroles échangées , sans aucune
solution. Comme ces députés se disposaient à repartir , ceux
284 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

des éphores qui étaient partisans de la guerre , savoir , Cléo-


boulos et Xénarès, prirent à part les Béotiens et les Corinthiens .
Ils les engagèrent fortement à se mettre d'accord et à faire en
sorte que les Béotiens entrassent dans l'alliance d'Argos , afin
d'entraîner ensuite les Argiens dans celle de Lacédémone .
C'était, disaient- ils, pour la Béotie le meilleur parti à prendre
afin de se soustraire au traité conclu avec les Athéniens. Et
quant aux Lacédémoniens, ils craignaient moins une rupture
avec Athènes qu'un conflit avec Argos ; car ils ont toujours
eu pour principe de rechercher l'amitié de cette dernière ville ,
comme un moyen de leur faciliter la guerre au dehors
du Péloponèse . En même temps ils prièrent les Béotiens de
leur remettre Panacton , afin de l'échanger , s'il se pouvait ,
contre Pylos , ce qui rendrait plus facile la guerre avec
Athènes .
XXXVII. Les Béotiens et les Corinthiens se retirèrent, char-
gés de ces communications pour leurs États de la part de
Xénarès, de Cléoboulos et de leurs amis à Lacédémone . Deux
Argiens de la plus haute dignité les guettaient au passage. Les
ayant rencontrés , ils se mirent en rapport avec eux, afin d'at-
tirer les Béotiens dans l'alliance d'Argos , à l'exemple de Co-
rinthe , d'Élis et de Mantinée . Ils leur représentèrent que, ce
but une fois atteint , il leur serait facile , en se concertant , de
faire à leur gré la guerre ou la paix , soit avec Lacédémone ,
soit avec toute autre nation . Les députés béotiens accueillirent
ces ouvertures , qui se trouvaient d'accord avec les recomman-
dations de leurs amis de Lacédémone, Les Argiens , voyant
qu'ils prêtaient l'oreille à leurs propositions , partirent en di-
sant qu'ils allaient envoyer des députés en Béotie .
Les Béotiens , à leur retour, ne manquèrent pas de rapporter
aux béotarques les propositions de Lacédémone et des Argiens
qu'ils avaient rencontrés. Ces magistrats entrèrent dans ces
vues , d'autant plus facilement que les sollicitations de leurs
amis à Lacédémone coïncidaient avec celles des Argiens . Bien-
tôt arrivèrent des députés d'Argos, apportant les propositions
dont il a été parlé. Les béotarques y donnèrent leur approba-
tion, et congédièrent ces députés avec promesse d'envoyer
eux-mêmes une députation à Argos pour conclure l'alliance .
XXXVIII. Cependant les béotarques , les Corinthiens , les
Mantinéens et les députés de Thrace jugèrent à propos de s'en-
gager avant tout par des serments mutuels à se prêter, à tout
événement, l'assistance requise, et à ne faire la guerre ou la
LIVRE V. 285

paix que d'un commun accord. A ces conditions , les Béotiens


et les Mégariens , qui agissaient de concert , promettaient de
s'allier avec Argos. Mais , avant que de faire ce serment , les
béotarques crurent de leur devoir d'en référer aux quatre con-
seils de Béotie , en qui réside l'autorité suprême , et de leur
demander qu'on s'obligeât solennellement avec toutes les villes
qui voudraient se liguer pour la défense commune. Les con-
seils des Béotiens rejetèrent cette proposition , pour ne pas
donner de l'ombrage à Lacédémone en s'unissant par des ser-
ments aux Corinthiens , qui avaient rompu avec elle . C'est que les
béotarques ne leur avaient pas dit qu'à Sparte , les éphores Cléo-
boulos et Xénarès , ainsi que leurs amis , les avaient eux-mêmes
exhortés à entrer dans l'alliance des Argiens et des Corin-
thiens , pour les ramener ensuite dans celle de Lacédémone.
Ils n'avaient pas cru cette confidence nécessaire pour obtenir
du conseil un vote conforme à leurs désirs. L'affaire ayant
pris une autre tournure, les députés de Corinthe et des villes
de Thrace se retirèrent sans résultat . Si les béotarques avaient
trouvé de l'appui dans les conseils , leur intention était de
mettre en avant un projet d'alliance avec Argos ; mais ils re-
noncèrent à toute proposition de ce genre , et ne tinrent point
leur promesse d'envoyer des députés à Argos. L'affaire traîna
en longueur et fut indéfiniment ajournée .
XXXIX . Le même hiver , les Olynthiens prirent par incur-
sion Mécyberna , où était une garnison athénienne.
Les discussions continuaient entre les Athéniens et les Lace-
démoniens au sujet des restitutions mutuelles. Les Lacédémo-
niens , espérant recouvrer Pylos si les Béotiens abandonnaient
Panacton, envoyèrent une ambassade en Béotie , avec prière de
leur remettre cette place et les prisonniers athéniens , afin de
les échanger contre Pylos ; mais les Béotiens refusèrent de
s'en dessaisir, à moins que les Lacédémoniens ne voulussent
conclure avec eux une alliance particulière , comme ils l'avaient
fait pour Athènes . Les Lacédémoniens sentaient bien que c'é-
tait heurter les Athéniens ; car il était dit qu'on ne ferait la
paix ni la guerre qué d'un commun accord ' . Cependant, comme
ils avaient à cœur de recevoir Panacton pour l'échanger contre
Pylos , et que d'ailleurs les partisans d'une rupture appuyaient
chaudement les Béotiens , l'alliance en question fut conclue.
L'hiver tirait alors à sa fin et le printemps était proche . Panacton
fut aussitôt rasé. Ainsi se termina la onzième année de la
guerre .
286 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
XL . Dès les premiers jours du printemps suivant (a) , les
Argiens ne voyant pas venir les députés qu'ils attendaient de
Béotie , informés de la démolition de Panacton et de l'alliance
particulière des Béotiens avec les Lacédémoniens , craignirent
de se trouver isolés , si tous leurs alliés passaient du côté de
Lacédémone. Ils croyaient que c'était cette ville qui avait en-
gagé les Béotiens à raser Panacton et à entrer dans l'alliance
d'Athènes ' ; que les Athéniens en étaient instruits ; que dès lors
il ne fallait plus songer à nouer amitié avec eux , comme ils
s'étaient flattés de le faire dans le cas où les démêlés avec
Lacédémone amèneraient une rupture. Dans cette situation ,
les Argiens appréhendèrent d'avoir à la fois sur les bras les
Lacédémoniens , les Tégéates , les Béotiens et les Athéniens .
Eux qui naguère avaient refusé de traiter avec les Lacédémo-
niens, et porté leur ambition jusqu'à rêver la suprématie du
Péloponèse , députèrent en toute hâte à Lacédémone Eustro-
phos et Eson , qui leur semblaient y devoir être le mieux ac-
cueillis. Leur intention était de conclure avec les Lacédémo-
niens une paix aussi favorable que possible , et d'attendre ensuite
les événements.
XLI. Dès leur arrivée , ces députés eurent des conférences
avec les Lacédémoniens , pour tâcher de se mettre d'accord.
Avant tout, ils exigèrent qu'on soumît à l'arbitrage d'une
ville ou d'un particulier leur éternel différend au sujet de la
Cynurie . Ce pays , situé entre les deux États , comprend les
villes de Thyréa et d'Anthène , et appartient aux Lacédémo-
niens. Ceux-ci ne voulurent pas entendre parler de cette af-
faire ; mais ils offrirent de traiter avec les Argiens aux mêmes
termes que précédemment. Toutefois les députés les amenèrent
à souscrire aux dispositions suivantes. On ferait pour le mo-
ment une trêve de cinquante ans , pendant la durée de laquelle
chacun des deux peuples aurait le droit moyennant une dé-
claration préalable et sauf le cas de peste ou de guerre à Lacé-
démone ou à Argos - d'en appeler aux armes pour la posses-
sion de cette contrée , comme cela s'était pratiqué jadis , lorsque
les deux partis s'étaient attribué la victoire¹ ; la poursuite ne
pourrait pas s'étendre au delà des limites d'Argos ou de Lacé-
démone. Les Lacédémoniens voyaient dans cette prétention une
véritable démence ; néanmoins le désir de se concilier à tout
prix l'amitié des Argiens les fit passer outre, et le traité fut

(a) Deuxième année de la guerre , an 420 avant J.-C.


LIVRE V. 287

rédigé. Mais, avant de le ratifier, ils voulurent que les dé-


putés retournassent à Argos pour le soumettre au peuple.
S'il était approuvé, ils devaient revenir aux Hyacinthies pour
l'échange des serments. Les députés se retirèrent .
XLII. Pendant ces négociations , les ambassadeurs lacédé-
moniens Andromédès , Phédimos et Antiménidas , chargés de
recevoir des Béotiens et de remettre aux Athéniens Panacton
et les prisonniers, trouvèrent Panacton rasé. Les Béotiens s'ex-
cusèrent en disant que jadis , à la suite de démêlés survenus
entre eux et les Athéniens au sujet de cette place , il avait été
convenu sous serment que ni les uns ni les autres ne l'habite-
raient, mais qu'ils en exploiteraient en commun le territoire.
Quant aux prisonniers athéniens détenus en Béotie , la remise
en fut faite à Andromédès et à ses collègues, qui les condui-
sirent à Athènes et les rendirent. Ils annoncèrent aussi que
Panacton était rasé ; c'est ce qu'ils appelaient le rendre , par la
raison qu'aucun ennemi des Athéniens n'y habiterait plus. Les
Athéniens éclatèrent en reproches contre les Lacédémoniens ,
soit pour la destruction de Panacton , qui devait , disaient-ils ,
leur être remis intact , soit pour l'alliance séparée qu'ils sa-
vaient exister entre les Lacédémoniens et les Béotiens . Ils sou-
tenaient que les Lacédémoniens s'étaient engagés à s'unir à eux
pour contraindre les récalcitrants . Enfin ils recherchaient mi-
nutieusement toutes les autres dérogations au traité de paix ,
et se regardaient comme joués. Aussi répondirent-ils avec ai-
greur aux députés et les congédièrent.
XLIII. Profitant de ces altercations , ceux des Athéniens qui
désiraient la rupture du traité se mirent aussitôt à l'œuvre .
De ce nombre était Alcibiade fils de Clinias, personnage qui
eût alors passé pour un jeune homme dans toute autre ville ' ,
mais à qui des ancêtres illustres avaient légué un immense.
crédit. Au fond, il était convaincu que l'alliance d'Argos valait
mieux pour Athènes ; mais son opposition aux Lacédémoniens
venait surtout d'un orgueil froissé . Il ne leur pardonnait pas
d'avoir négocié la paix par l'entremise de Nicias et de Lachês,
de l'avoir dédaigné lui-même à cause de sa jeunesse et frustré
d'un honneur qu'ilcroyait lui être dû ; il est vrai que son aïeul
avait jadis renoncé à la proxénie de Lacédémone , mais lui-
même avait travaillé à la renouer par ses prévenances pour les
prisonniers de l'ile. Se tenant donc pour offensé à tous égards ,
il avait dès l'origine témoigné son éloignement pour les Lace-
démoniens , en les représentant comme des gens peu sûrs, qui
288 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

cherchaient à écraser les Argiens pour attaquer ensuite les


Athéniens isolés . Dans la circonstance présente , il fit dire aux
Argiens de venir au plus tôt, avec les Mantinéens et les Éléens ,
pour solliciter l'alliance d'Athènes . L'instant , selon lui , était
propice, et lui -même les seconderait de tout son pouvoir.
XLIV. Sur ce message d'Alcibiade , les Argiens , informés
d'ailleurs que l'alliance avec les Béotiens avait eu lieu en dé-
pit des Athéniens, et que ceux- ci étaient en pleine brouille avec
les Lacédémoniens , ne s'inquiétèrent plus des députés qui
étaient partis pour traiter en leur nom à Lacédémone , et ne
songèrent qu'à se rapprocher d'Athènes . Ils voyaient en elle
une ville dès longtemps leur amie , gouvernée démocratique-
ment comme eux, et maîtresse d'une marine qui , en cas de
guerre , leur serait d'un puissant secours. Ils s'empressèrent
donc de faire partir pour Athènes une députation , à laquelle
s'adjoignirent les Mantinéens et les Eléens. De leur côté les
Lacédémoniens envoyèrent en toute hâte aux Athéniens des
ambassadeurs qu'ils croyaient leur être agréables , savoir Phi-
locharidas , Léon et Endios . Ils craignaient que les Athéniens ,
n'écoutant que leur colère , ne s'alliassent avec les Argiens. Ils
voulaient par la même occasion réclamer Pylos en échange
de Panacton et justifier leur alliance avec les Béotiens ,
en la représentant comme tout à fait inoffensive pour
Athènes .
XLV. Ces députés exposèrent dans le conseil l'objet de leur
mission et se déclarèrent munis de pleins pouvoirs pour
régler tous les différends. Là - dessus Alcibiade craignit que ,
s'ils tenaient le même langage devant le peuple , ils n'entraî-
nassent la multitude et ne fissent repousser l'alliance d'Argos .
Il imagina donc de leur tendre un piége. Il leur insinua que ,
s'ils dissimulaient dans l'assemblée les pleins pouvoirs dont ils
étaient porteurs , il se faisait fort de terminer leurs litiges et de
leur faire obtenir la restitution de Pylos, qu'il appuierait à ce prix
comme il l'avait jusqu'alors combattue. C'était une manière
de les détacher de Nicias² , de les discréditer auprès du peuple
comme coupables de perfidie et de duplicité, enfin de pousser les
Athéniens dans l'alliance des Argiens, des Éléens et des Manti-
néens . Alcibiade y réussit. Quand les députés lacédémoniens
parurent dans l'assemblée , et qu'aux questions qui leur furent
faites ils ne répondirent plus , comme devant le conseil , qu'ils
venaient munis de pleins pouvoirs, les Athéniens éclatèrent.
Alcibiade se déchaîna de plus belle contre les Lacédémoniens et
LIVRE V.. 289

entraîna les suffrages . Déjà même on se disposait à introduire les


Argiens et les autres députés pour conclure avec eux l'alliance ,
lorsqu'un tremblement de terre , survenu avant le vote , fit ajour-
ner l'assemblée ".
XLVI. Dans la séance suivante , Nicias , malgré le piége où
l'on avait fait tomber les Lacedémoniens et lui-même , en les
engageant à taire leurs pleins pouvoirs , ne laissa pas d'insister
pour qu'on s'en tînt à l'alliance de Lacédémone, qu'on suspen-
dît les négociations avec Argos , et qu'on envoyât aux Lacédé-
moniens une nouvelle ambassade pour s'assurer de leurs inten-
tions . Il représenta que c'était un honneur pour Athènes et un
abaissement pour Lacédémone d'éviter la guerre ; que cette
prospérité dont on jouissait présentement , il fallait la conser-
ver le plus longtemps possible , tandis que les Lacédémoniens
humiliés avaient tout intérêt à recommencer au plus tôt la
lutte . Il obtint qu'on enverrait une députation , dont lui-
même ferait partie, pour sommer les Lacédémoniens , si leurs
intentions étaient droites , de rendre Panacton intact , ainsi
qu'Amphipolis , et de renoncer à l'alliance des Béotiens , à
moins que ceux-ci n'adhérassent au traité , qui interdisait
toute alliance séparée . Les députés avaient ordre de dire que ,
si les Athéniens avaient voulu déroger à la justice , ils auraient
pu , eux aussi , s'allier avec les Argiens , venus dans ce but à
Athènes. Nicias et ses collègues reçurent des instructions sur
les autres points en litige et partirent.
A peine arrivés , ils firent connaître leur mandat et déclaré-
rent que , si les Lacédémoniens persistaient dans leur alliance
avec les Béotiens et ceux-ci dans leur refus d'accéder au traité,
les Athéniens à leur tour s'allieraient avec les Argiens et leurs
amis . Les Lacédémoniens , influencés par l'éphore Xénarès et
par ses adhérents , refusèrent de rompre avec les Béotiens ;
toutefois , à la sollicitation de Nicias , ils consentirent à renou-
veler les serments . Nicias craignait , " s'il revenait sans avoir
absolument rien fait , d'être en butte aux reproches , comme
il arriva en effet, d'autant plus que le traité passait pour être
son ouvrage. A son retour, lorsque les Athéniens apprirent
qu'on n'avait rien obtenu , ils entrèrent en courroux ; et aussitôt
se croyant lésés , ils conclurent avec les Argiens et leurs alliés ,
qui se trouvaient présents et qu'Alcibiade introduisit, un traité
de paix et d'alliance dans les termes suivants :
XLVII. La paix a été faite pour cent ans entre les Athé-
niens d'une part, les Argiens , les Mantinéens et les Éléens
THUCYDIDE . 17
290 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

d'autre part, soit pour eux , soit pour leurs alliés , sans dol ni
fraude, sur terre et sur mer.
« Tout acte d'hostilité est interdit aux Argiens , aux Éléens ,
aux Mantinéens et à leurs alliés envers les Athéniens et les
alliés de la dépendance d'Athènes , ainsi qu'aux Athéniens et à
leurs alliés envers les Argiens , les Éléens , les Mantinéens et
leurs alliés .
« Les Athéniens , les Argiens, les Éléens et les Mantinéens
seront alliés pour cent ans aux conditions indiquées ci-après.
« Si quelque agresseur entre à main armée sur les terres
des Athéniens , les Argiens , les Éléens et les Mantinéens iront
au secours d'Athènes , suivant qu'ils en seront requis par les
Athéniens, avec toutes leurs forces et par tous les moyens
possibles .
« S'il se retire après avoir dévasté la campagne , les Argiens ,
les Mantinéens , les Éléens et les Athéniens le tiendront pour
ennemi , lui feront la guerre , et ne la termineront que d'un
commun accord.
« Si quelque agresseur entre à main armée sur les terres
des Éléens , des Mantinéens et des Argiens , les Athéniens iront
au secours d'Argos , de Mantinée ou d'Élis , suivant qu'ils en
seront requis par ces villes, avec toutes leurs forces et par tous
les moyens possibles .
« S'il se retire après avoir dévasté la campagne , les Athé-
niens , les Argiens , les Mantinéens et les Éléens le tiendront
pour ennemi , lui feront la guerre, et ne la termineront que
d'un commun accord.
« Les villes contractantes empêcheront tout passage de
troupes à travers leur domaine ou celui des alliés de leur res-
sort, par voie de mer aussi bien que par voie de terre , à moins
que l'autorisation n'en ait été accordée par les villes réunies
d'Athènes, d'Argos , de Mantinée et d'Élis.
« La ville qui enverra des troupes auxiliaires leur fournira
des vivres pour trente jours , à dater de leur arrivée dans la
ville qui les aura appelées , et pourvoira de même à leur re-
tour. Si le séjour de ces troupes se prolonge , la ville qui les
aura mandées donnera pour son ordinaire à chaque hoplite,
peltaste ou archer, trois oboles d'Egine par jour , et à chaque
cavalier une drachme d'Egine ' .
« La ville qui aura mandé les troupes auxiliaires aura le
commandement , tant que la guerre se fera sur son territoire .
Si les villes contractantes jugent à propos de faire quelque
LIVRE V. 291

expédition en commun , chacune d'elles aura une part égale


dans le commandement.
<< La paix sera jurée par les Athéniens, tant pour eux- mêmes
que pour leurs alliés. Les Argiens , les Mantinéens , les Éléens
et leurs alliés jureront ville par ville. On prêtera le serment
réputé le plus solennel dans chacun des Etats , en immolant
des victimes parfaites . La formule sera conçue en ces termes :
Je serai fidèle à l'alliance telle qu'elle est convenue , en
<< toute droiture , sans dol ni fraude . Je n'y contreviendrai en
<< aucune manière ni par quelque moyen que ce soit. »
« Le serment sera prêté , à Athènes par le conseil et les au-
torités locales , entre les mains des prytanes ; à Argos par le
conseil , les Quatre- vingts et les Artynes 2 , entre les mains des
Quatre-vingts ; à Mantinée par les Démiurges , le conseil et
les autres autorités , entre les mains des théores et des polé-
marques ; à Élis par les démiurges , les magistrats suprêmes
et les six Cents , entre les mains des démiurges et des thesmo-
phylaques.
« Les serments seront renouvelés , par les Athéniens en se
rendant à Élis, à Mantinée et à Argos trente jours avant les
jeux olympiques ; par les Argiens , les Éléens et les Mantinéens
en se rendant à Athènes dix jours avant les grandes Panathé-
nées .
« Les conventions relatives à la paix, aux serments et à l'al-
liance seront inscrites sur une colonne de marbre, à Athènes
dans l'acropole ; à Argos sur l'agora dans le temple d'Apollon ;
à Mantinée dans le temple de Jupiter sur l'agora . On placera
aussi à frais communs une colonne d'airain à Olympie pendant
les jeux olympiques prochains .
« Si les villes contractantes jugent à propos de faire quelque
addition aux présentes conventions , elles le pourront pourvu
que ce soit d'un commun accord; et les additions ainsi consen-
ties auront force de loi. »
XLVIII. Ainsi fut conclu ce traité de paix et d'alliance . Quant
à celui qui existait entre les Athéniens et les Lacédémoniens ,
ce ne fut ni pour les uns ni pour les autres un motif de le
rompre . Les Corinthiens, quoique alliés d'Argos , n'adhérèrent
pas à ce nouveau traité, non plus qu'au précédent , par lequel
les Éléens , les Argiens et les Mantinéens s'étaient engagés à
ne faire la paix ou la guerre que d'un commun accord . Ils dé-
clarèrent s'en tenir à l'ancienne alliance défensive , en vertu de
laquelle on devait se prêter mutuellement secours , sans s'unir
292 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

pour attaquer presonne . C'est ainsi que les Corinthiens se sé-


parèrent de leurs alliés et inclinèrent derechef vers Lacédé-
mone.
XLIX. Pendant cet été , on célébra les jeux olympiques , où
l'Arcadien Androsthénès fut pour la première fois vainqueur
au pancrace . Les Lacédémoniens se virent fermer par les
Eléens l'accès du temple, des sacrifices et des jeux . Ils n'a-
vaient pas payé l'amende à laquelle , d'après la loi d'Olympie,
les Eléens les avaient condamnés pour avoir porté les armes
contre leur fort de Phyrcos² et envoyé des hoplites à Lépréon
pendant la trêve olympique 3. L'amende était de deux mille
mines , à raison de deux mines par hoplite , conformément à
la loi . Les Lacédémoniens réclamèrent par ambassade contre
cette sentence ; suivant eux , la trêve n'était pas encore pu-
bliée à Lacédémone quand ils avaient envoyé leurs gens . Les
Éléens répondirent qu'elle existait pour eux-mêmes, en effet
ils la proclamèrent d'abord chez eux ; -- et que, se reposant
sur la foi publique , ils avaient été pris au dépourvu . A quoi
les Lacédémoniens répliquèrent que si , à cette époque , les
Éléens s'étaient crus offensés , ils n'auraient pas proclamé la
trêve à Lacédémone ; puisqu'ils l'avaient fait , c'est qu'ils étaient
loin de cette pensée ; enfin , depuis ce moment , eux-mêmes
s'étaient abstenus de toute agression . Les Éléens ne voulurent
rien entendre . Jamais , dirent-ils , on ne leur ferait croire que
les Lacédémoniens ne fussent pas dans leur tort ; si pourtant
ceux- ci voulaient rendre Lépréon , ils renonceraient à leur
part de l'amende et payeraient pour les Lacédémoniens celle
qui revenait au dieu.
L. Sur leur refus , les Éléens leur firent une autre proposi-
tion qu'ils gardassent Lépréon , puisqu'ils ne voulaient déci-
dément pas le rendre ; mais , s'ils tenaient à avoir l'usage du
temple , qu'ils montassent sur l'autel de Jupiter et fissent , en
présence de tous les Grecs , le serment de payer plus tard cette
amende . Les Lacédémoniens n'y consentirent pas davantage ;
aussi furent-ils exclus du temple , du sacrifice et des jeux. Ils sa-
crifièrent chez eux. Le reste des Grecs prit part à la fête , excepté
les Lépréates. Cependant les Éléens , craignant que les Lacédé-
moniens n'eussent recours à la force, mirent sur pied une garde
de jeunes gens . Il leur vint aussi mille Argiens , autant de Man-
tinéens , et des cavaliers d'Athènes , qui attendaient à Argos la
célébration des jeux. Une grande frayeur s'empara de l'assem-
blée ; on craignit que les Lacédémoniens ne vinssent en armes ,
LIVRE V. 293

surtout après que leur compatriote Lichas fils d'Arcésilaos eut


été frappé de verges dans l'arène par les rhabdophores ' . Ses
chevaux avaient mérité le prix ; mais , comme il n'avait pas le
droit de concourir , on proclama vainqueur le peuple de Béotie.
Alors Lichas , s'avançant dans l'arène , ceignit d'une bande-
lette le front du cocher, pour faire voir que le char était à lui.
Cet incident augmenta la crainte générale , et l'on s'attendit à
quelque mouvement. Toutefois il n'en fut rien , et la fête s'a-
cheva sans trouble.
Après les jeux olympiques , les Argiens et leurs alliés se
rendirent à Corinthe , pour engager cette ville à se joindre à
eux. Il s'y trouvait déjà des ambassadeurs de Lacédémone. On
échangea bien des paroles sans rien terminer ; car il survint
un tremblement de terre qui fit lever la séance , et chacun
regagna ses foyers. Là-dessus l'été finit .
LI. L'hiver suivant , les habitants d'Héraclée en Trachinie eu-
rent un combat à soutenir contre les Éniens , les Dolopes , les Ma-
liens et un certain nombre de Thessaliens. Ces peuples voyaient
de mauvais œil cette ville s'élever dans leur voisinage ; car sa
fondation était une menace essentiellement dirigée contre eux.
Aussi, à peine commençait-elle à s'établir , qu'ils l'attaquèrent
et lui firent tout le mal possible. En cette occasion , ils vain-
quirent en bataillé les Héracléotes , tuèrent leur chef, le Lacé-
démonien Xénarès fils de Cnidis , et taillèrent en pièces une
partie de sa troupe. Là -dessus l'hiver finit , ainsi que la dou-
zième année de la guerre.
LII . Dès le commencement de l'été suivant (a) , les Béotiens ,
voyant l'état fâcheux où ce combat avait réduit Héraclée ,
prirent en mains l'administration de cette ville, et renvoyèrent,
pour abus de pouvoir, le gouverneur lacédémonien Hégésip-
pidas. Ce qui les y détermina , ce fut la crainte que les Athé-
niens ne s'emparassent d'Héraclée à la faveur des embarras
du Péloponèse . Les Lacédémoniens ne leur en gardèrent pas
moins rancune .
Le même été , Alcibiade fils de Clinias , général athénien ,
secondé par les Argiens et leurs alliés , pénétra dans le Pélo-
ponèse avec un petit nombre d'hoplites et d'archers athéniens .
Il prit avec lui un renfort d'alliés du pays , régla tout ce qui
concernait l'alliance , traversa le Péloponèse avec une armée ,
et persuada aux Patréens de construire des murs jusqu'à la

(a) Troisième année de la guerre, an 419 avant J.-C.


294 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

mer¹ . Il avait aussi le projet d'élever un fort sur le Rhion


d'Achaïe , mais les Corinthiens , les Sicyoniens et tous ceux à
qui cette construction portait ombrage , s'y opposèrent les
armes à la main .
LIII . Le même été , il y eut une guerre entre les Épidau-
riens et les Argiens au sujet d'un sacrifice que les Épidau-
riens devaient offrir à Apollon Pythéen pour les terres rive-
raines , et dont ils négligeaient de s'acquitter. Les Argiens
étaient les maîtres absolus de ce temple. Indépendamment de
ce motif, Alcibiade et les Argiens voulaient , s'il était possible ,
s'assurer d'Epidaure , afin de tenir Corinthe en respect et d'ou-
vrir aux Athéniens , allant d'Egine au secours d'Argos, une
route plus directe , sans avoir à doubler le cap Scylléon² . Les
Argiens se disposèrent donc à envahir l'Épidaurie pour obliger
les habitants à fournir la victime.
LIV. Vers la même époque , les Lacédémoniens en corps de
nation, sous la conduite de leur roi Agis fils d'Archidamos ,
s'avancèrent jusqu'à Leuctra , dernière ville de leur pays du
côté du Lycée . Nul ne connaissait le but de cette expédition ,
pas même les villes qui avaient fourni les troupes. Mais les
sacrifices pour le passage de la frontière n'ayant pas été favo-
rables , les Lacédémoniens regagnèrent leurs foyers , et pré-
vinrent les alliés de se tenir prêts pour une autre expédition
aussitôt après le mois suivant — c'était le mois Carnéen , temps
de fête pour les Doriens . Après leur retraite , les Argiens
se mirent en campagne le quatrième jour de la dernière dé-
cade du mois qui précède le Carnéen. Ils employèrent ce jour
5
à faire la route , et tout le reste du temps à envahir et à dé-
vaster les terres des Epidauriens . Ceux-ci appelèrent leurs
alliés ; mais les uns s'excusèrent sur les fêtes de ce mois , les
autres s'avancèrent jusqu'aux limites de l'Epidaurie , et s'y
tinrent en repos .
LV. Pendant que les Argiens étaient dans le pays d'Epi-
daure , des députations des villes se réunirent à Mantinée sur
l'invitation des Athéniens. Des conférences s'étant ouvertes ,
Euphamidas de Corinthe soutint que les actions répondaient
mal aux paroles ; qu'on était assemblé pour s'occuper de la
paix , tandis que les Epidauriens , leurs alliés et les Argiens
12
étaient en armes et en présence ; qu'avant tout il fallait séparer
les deux armées ; qu'alors seulement on pourrait parler de
paix. Cette proposition admise, on partit sur-le- champ, et l'on
obtint l'éloignement des Argiens ; puis on reprit les conférences ,
LIVRE V. 295

mais sans réussir à se mettre d'accord . Aussi les Argiens firent-


ils une nouvelle irruption dans l'Epidaurie, qu'ils ravagèrent.
Les Lacédémoniens s'avancèrent jusqu'à Caryæ¹ ; mais , cette
fois encore, les victimes pour le passage de la frontière n'ayant
pas été favorables , ils rebroussèrent chemin . Les Argiens ra-
vagèrent près du tiers de l'Epidaurie et rentrèrent chez eux.
Mille Athéniens , commandés par Alcibiade , étaient venus à
leur secours ; mais , quand ils surent que les Lacédémoniens
s'étaient retirés et que leur présence à eux n'était plus né-
cessaire, ils reprirent la route de leur pays . Ce fut ainsi que
l'été s'écoula.
LVI. L'hiver suivant, les Lacédémoniens, à l'insu des Athé-
niens, envoyèrent par mer à Epidaure une garnison de trois
cents hommes sous les ordres d'Agésippidas. Les Argiens se
plaignirent aux Athéniens de ce qu'ils avaient permis cette
expédition maritime , quoiqu'il fût dit expressément par le
traité qu'on ne laisserait traverser son domaine par aucun
ennemi . Ils ajoutèrent que si, par représailles , les Athéniens
ne replaçaient pas à Pylos les Messéniens et les Hilotes pour
infester la Laconie , ils se tiendraient pour offensés. Les Athé-
niens , sur la proposition d'Alcibiade , inscrivirent au bas de la
colonne lacédémonienne ' que les Lacédémoniens avaient trahi
leurs serments ; puis ils transportèrent les Hilotes de Cranies
à Pylos pour y exercer le brigandage . D'ailleurs ils se tinrent
en repos .
Dans la guerre que se firent pendant cet hiver les Argiens
et les Épidauriens, il n'y eut point de bataille rangée , mais
seulement des escarmouches et des incursions , où les pertes
de part et d'autre se réduisirent à quelques hommes. L'hiver
finissait et l'on touchait au printemps , lorsque les Argiens
s'approchèrent d'Epidaure avec des échelles. Ils avaient compté
la trouver sans défense à cause de la guerre et l'emporter
d'emblée ; mais ils n'y réussirent pas. Là-dessus l'hiver finit,
ainsi que la treizième année de la guerre .
LVII. Au milieu de l'été suivant (a) , les Lacédémoniens , voyant
leurs alliés d'Epidaure en souffrance , le reste du Péloponèse
ou révolté ou mécontent, se dirent que le mal ne ferait qu'em-
pirer , s'ils ne se hâtaient d'y porter remède. Ils prirent donc
les armes , eux et leurs Hilotes en corps de nation , et marché-
rent contre Argos sous la conduite de leur roi Agis fils d'Ar-

(a) Quatrième année de la guerre, an 418 avant J.-C.


296 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

chidamos. Avec eux étaient les Tégéates et les autres alliés


d'Arcadie ; ceux du reste du Péloponèse et du dehors se ras-
semblèrent à Phlionte. Les Béotiens avaient fourni cinq mille
hoplites, autant de soldats armés à la légère , cinq cents cava-
liers avec un pareil nombre d'hamippes ' ; les Corinthiens deux
mille hoplites ; les autres à proportion. Les Phliasiens étaient
venus en masse , le rassemblement ayant lieu sur leur terri-
toire.
LVIII . Les Argiens , prévenus d'abord des préparatifs des
Lacédémoniens , puis de leur marche sur Phlionte à la ren-
contre de leurs alliés , se mirent eux-mêmes en campagne . Its
étaient soutenus par les Mantinéens et leurs alliés , ainsi que
par trois mille hoplites d'Elis . En s'avançant , ils rencontrèrent
les Lacédémoniens à Méthydrion en Arcadie . Chacune des
deux armées s'empara d'une hauteur. Les Argiens se dispo-
saient à profiter de l'isolement des Lacédémoniens pour les
combattre ; mais Argis décampa sans bruit pendant la nuit ,
et se porta vers Phlionte pour rejoindre le gros de ses alliés .
Aussitôt que les Argiens s'en furent aperçus , ils se mirent.en
marche à la pointe du jour et se portèrent premièrement sur
Argos , puis sur le chemin de Némée , par où ils présumaient.
que les Lacédémoniens descendraient avec leurs alliés . Mais,
au lieu de suivre cette route, Agis , à la tête de Lacédémoniens.
des Arcadiens et des Épidauriens , en prit une autre fort dif-
ficile, et descendit dans la plaine d'Argos 2. Les Corinthiens ,
les Pelléniens et les Phliasiens se dirigèrent par d'autres pentes
rapides ; les Mégariens et les Sicyoniens eurent ordre de des-
cendre par la route de Némée qu'occupaient les Argiens , aîn
de les prendre à revers avec la cavalerie au premier mouve-
ment qu'ils feraient dans la plaine contre les Lacédémoniens.
Ces dispositions arrêtées , Agis déboucha dans la plaine , où il
ravagea Saminthos et d'autres localités .
LIX. Dès qu'il fit jour , les Argiens mieux renseignés parti-
rent de Némée. Ils rencontrèrent le corps des Phliasiens et
des Corinthiens , tuèrent quelques hommes aux Phliasiens et
en perdirent eux-mêmes à peu près autant , qui tombèrent sous
les coups des Corinthiens. Les Béotiens , les Mégariens et les
Sicyoniens, d'après l'ordre qu'ils avaient reçu , se portèrent sur
Némée, mais sans trouver les Argiens ; ceux-ci étaient descen-
dus en voyant le ravage de leurs terres, et étaient occupés à
se ranger en bataille. Les Lacédémoniens s'étaient également
déployés. De toutes parts les Argiens étaient environnés d'en-
LIVRE V. 297

nemis du côté de la plaine , les Lacédémoniens et leurs alliés


leur barraient le chemin d'Argos ; sur les hauteurs étaient les
Corinthiens , les Phliasiens et les Pelléniens ; du côté de Némée ,
les Béotiens , les Sicyoniens et les Mégariens . Enfin ils n'a-
vaient pas de cavalerie ; car de tous leurs alliés les Athéniens
seuls étaient en retard .
Les Argiens et leurs alliés ne jugeaient pas généralement la
position si fâcheuse ; au contraire les chances leur paraissaient
être en leur faveur ; car ils s'imaginaient tenir les Lacédémo-
niens enfermés dans leur propre territoire et sous les murs de
leur ville . Déjà les deux armées s'ébranlaient pour en venir
aux mains, lorsque deux Argiens , savoir Thrasyllos , un des
cinq généraux , et Alciphron , proxène des Lacédémoniens , allè-
rent trouver Agis et le dissuadèrent de livrer bataille , l'assu-
rant que les Argiens étaient prêts à soumettre à un arbitrage
leurs différends avec les Lacédémoniens et à faire avec eux un
-traité de paix pour l'avenir.
LX. Les Argiens qui faisaient cette démarche agissaient de
leur chef et sans aucune mission publique. Agis goûta leurs
propositions ; et seul, sans en délibérer plus amplement , sans
en dire mot à personne , si ce n'est à l'un des magistrats qui
étaient au camp , il conclut une trêve de quatre mois , pendant
laquelle les Argiens devaient accomplir leurs promesses ; après
quoi il ramena aussitôt l'armée , avant d'avoir pris l'avis d'au-
cun autre de ses compagnons .
Les Lacédémoniens et leurs alliés obéirent par déférence
pour la loi ; mais entre eux il n'y avait qu'un cri contre
Agis . On avait, disaient-ils , une occasion unique de livrer ba-
taille ; l'ennemi était complétement cerné, soit par la cavalerie,
soit par l'infanterie ; et l'on se retirait sans avoir rien fait qui
répondît aux forces dont on disposait. Jamais en effet plus
belle armée grecque n'avait été réunie ; on put s'en convaincre
lorsqu'elle fut rassemblée à Némée . C'étaient les Lacédémo-
niens en masse , les Arcadiens , les Béotiens , les Corinthiens ,
les Sicyoniens , les Pelléniens , les Phliasiens , les Mégariens ,
tous gens choisis , l'élite de leurs nations , et qui semblaient
faits pour tenir tête , je ne dis pas à la coalition d'Argos , mais
à une force double . Ainsi l'armée se retira fort mécontente
d'Agis . Elle fut licenciée, et chacun regagna ses foyers.
Les Argiens étaient encore plus irrités contre ceux qui , trai-
tant sans l'aveu de la multitude , leur avaient fait manquer la
plus belle occasion qui pût jamais se présenter , et avaient fait
298 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

échapper les Lacédémoniens : en effet , ils allaient combattre


sous les murs de leur ville , avec l'assistance d'alliés braves et
nombreux. Aussi , à leur retour, se mirent-ils en devoir de la-
pider Thrasyllos dans le Charadron ' , endroit où ils jugent ,
avant de rentrer , les délits militaires . Thrasyllos se réfugia
sur l'autel et échappa ainsi à la mort ; mais ses biens furent
confisqués.
LXI. Là- dessus il arriva d'Athènes un renfort de mille ho-
plites et de trois cents cavaliers , commandés par Lachés et Nicos-
tratos. Les Argiens, qui craignaient de rompre la trêve conclue
avec Lacédémone , les invitèrent à repartir ; et quoique les Athé-
niens demandassent à parler au peuple, ils refusèrent de leur
donner audience . A la fin cependant ils y furent forcés par les
instances des Mantinéens et des Éléens , qui étaient encore à
Argos . Les Athéniens , par l'organe d'Alcibiade leur ambassa-
deur, soutinrent , en présence des Argiens et de leurs alliés,
que l'on avait eu tort de conclure une convention sans la par-
ticipation des confédérés , et qu'il fallait profiter de leur ar-
rivée pour entamer les hostilités . Les alliés prêtèrent l'oreille
à cet avis ; et tous, à l'exception des Argiens, marchèrent aus-
sitôt contre Orchomène d'Arcadie. Les Argiens , tout en parta-
geant l'opinion générale , restèrent néanmoins en arrière et ne
rejoignirent que plus tard. Ainsi réunis , ils allèrent mettre le
siége devant Orchomène et donnèrent plusieurs assauts. Leur
intention était d'attirer à eux cette ville et surtout de délivrer
les otages arcadiens que les Lácédémoniens y avaient déposés .
Les Orchoméniens , alarmés de la faiblesse de leurs murailles
et du nombre des assaillants , ne se voyant d'ailleurs aucune-
ment secourus, craignirent de succomber. Ils capitulèrent donc
sous condition d'entrer dans l'alliance , de donner eux-mêmes
des otages aux Mantinéens et de livrer ceux que les Lacédé-
moniens leur avaient confiés .
LXII . Maîtres d'Orchomène , les confédérés agitèrent la ques-
tion de savoir quelle serait celle des autres villes ennemies
qu'on attaquerait ensuite . Les Éléens opinaient pour Lépréon,
les Mantinéens pour Tégée. Les Argiens et les Athéniens se
réunirent à ce dernier avis . Alors les Éléens , irrités de ce
qu'on n'avait pas voté pour Lépréon , se retirèrent chez eux.
Les autres alliés firent à Mantinée leurs dispositions pour aller
attaquer Tégée , qu'une trahison devait leur livrer.
LXIII . Cependant les Lacédémoniens , après leur retraite
d'Argos et la conclusion de la trêve de quatre mois , murmu-
LIVRE V.. 299

raient tout haut contre Agis , qui avait laissé échapper une oc-
casion , unique jusqu'alors , de leur soumettre cette ville ; car
il n'était pas facile de réunir une autre fois un si grand nombre
de braves alliés. La prise d'Orchomène mit le comble à leur
fureur. Obéissant , contre leur coutume, à leur premier mouve-
ment , ils parlaient de raser sa maison et de le condamner à
cent mille drachmes d'amende ' . Il les conjura de n'en rien
faire , assurant qu'à la première campagne il rachèterait ces
reproches par une action d'éclat ; autrement, ils agiraient à
leur fantaisie . Les Lacédémoniens ajournèrent l'amende et
la démolition ; mais ils rendirent alors une loi nouvelle : ce fut
d'élire un conseil de Spartiates , sans l'assentiment desquels il
ne serait pas maître d'évacuer le territoire ennemi 2.
LXIV. Sur ces entrefaites , ils sont avertis par leurs amis de
Tégée que , s'ils n'arrivent promptement , cette ville passera
dans l'alliance des Argiens , et que sa défection est imminente .
A l'instant les Lacédémoniens et les Hilotes en masse prirent les
armes et se portèrent , avec une célérité jusqu'alors sans exem-
ple , sur Oresthéon en Ménalie ' . Ordre fut donné aux alliés
d'Arcadie de les suivre à Tégée . Arrivés à Oresthéon avec
toutes leurs forces , les Lacédémoniens en congédièrent la
sixième partie , savoir les plus vieux et les plus jeunes , qu'ils
laissèrent à la garde du pays ; le reste gagna Tégée , où il fut
bientôt rejoint par les Arcadiens alliés . Ils firent aussi deman-
der à Corinthe , en Béotie , en Phocide et en Locride , l'envoi
de prompts secours à Mantinée. Le délai était bref, et il n'était
pas facile aux alliés de traverser isolément, sans s'attendre les
uns les autres , le territoire ennemi qui leur fermait le chemin ;
cependant ils firent diligence . Quant aux Lacédémoniens , ils
prirent avec eux les Arcadiens présents et envahirent le terri-
toire de Mantinée. Ils campèrent près du temple d'Hercule et
ravagèrent le pays.
LXV. Les Argiens et leurs alliés ne les eurent pas plus tôt aperçus
qu'ils allèrent occuper une colline de difficile accès et s'y ran-
gèrent en bataille . Les Lacédémoniens s'avancèrent contre eux .
Déjà ils n'étaient plus qu'à une portée de pierre ou de javelot ,
quand un des vieillards, voyant la force de la position prise
par l'ennemi , cria au roi qu'il guérissait un mal par un autre ;
ce qui voulait dire que son ardeur inconsidérée cherchait à
réparer sa malencontreuse retraite d'Argos . Soit qu'il fût
frappé de cette remontrance, soit qu'il eût spontanément changé,
Agis s'arrêta court avant d'en venir aux mains ; et, se portant
300 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

vers la Tégéatide, il détourna sur le territoire de Mantinée


l'eau qui est un perpétuel sujet de guerre entre les Mantinéens
et les Tégéates , à cause des dégâts qu'elle occasionne en se je-
tant de l'un ou de l'autre côté ¹ . Il espérait qu'à cette nouvelle
les Argiens et leurs alliés descendraient de la colline pour
s'opposer à la dérivation de l'eau , et qu'ainsi le combat s'en-
gagerait dans la plaine . Il passa tout le jour en ce lieu occupé
à détourner l'eau. Cette brusque retraite surprit d'abord les
Argiens et leurs alliés, qui ne pouvaient se l'expliquer ; mais ,

quand l'ennemi eut disparu , sans qu'eux-mêmes fissent aucun
mouvement à sa poursuite , ils éclatèrent en murmures contre
leurs généraux. « Ce n'était pas assez , disait-on , d'avoir une pre-
mière fois laissé échapper les Lacédémoniens enfermés près d'Ar-
gos ; maintenant ils fuient sans que personne s'y oppose ; ils se
sauvent à leur aise , tandis que nous sommes trahis. » Au premier
instant , les généraux furent déconcertés ; ensuite ils firent
descendre l'armée de la colline dans la plaine , où ils campèrent
avec l'intention de livrer bataille .
LXVI . Le lendemain , les Argiens et leurs alliés se mirent
dans l'ordre où ils devaient combattre , s'ils en trouvaient l'oc-
casion. Les Lacédémoniens revenaient des bords de l'eau et
regagnaient leur position de la veille près du temple d'Hercule ,
lorsqu'ils aperçurent à courte distance toute l'armée ennemie
en ligne devant eux . Jamais, de mémoire d'homme , les Lacé-
démoniens n'avaient eu si vive alerte ; il n'y avait pas un in-
stant à perdre. Ils prirent leurs rangs en toute hâte , le roi
Agis donnant ordre à tout. Ainsi le veut la loi ; lorsque le roi
est à l'armée , tout est soumis à son commandement. Il dicte
lui-même ses injonctions aux polémarques ; ceux-ci les trans-
mettent aux lochages , les lochages aux pentécontères , ceux- ci
aux énomotarques, et ces derniers à l'énomotie ' . Tous les ordres
du roi suivent cette marche et parviennent avec rapidité ; car
l'armée lacédémonienne , à peu d'exceptions près , ne contient
que des commandants de commandants , ce qui étend à un plus
grand nombre la responsabilité de l'exécution.
1
LXVII . Dans cette journée , les Scirites occupèrent l'aile
gauche, poste qui leur est exclusivement réservé . Venaient
ensuite les soldats qui avaient fait sous Brasidas la campagne
de Thrace , et avec eux les Néodamodes ; puis les Lacédé-
moniens proprement dits, rangés par bataillons ; après eux ,
les Arcadiens d'Héréa , ceux de Ménale ; enfin à l'aide droite les
Tégéates 2 , avec quelques Lacédémoniens à l'extrémité . La ca-
LIVRE V. 301
valerie flanquait les deux ailes . Telle était l'ordonnance des
Lacédémoniens.
Dans l'armée opposée , les Mantinéens occupaient la droite,
parce que l'affaire avait lieu sur leur territoire 3. Immédiate-
ment après étaient les alliés d'Arcadie ; puis les mille soldats
d'élite, auxquels depuis longtemps la ville d'Argos fournissait
à ses frais l'instruction militaire ; ensuite les autres Argiens,
et après eux leurs alliés de Cléones et d'Ornées ; enfin les
Athéniens à l'extrême gauche, soutenus par leurs cavaliers.
LXVIII . Telles furent les dispositions des deux armées . Les
Lacédémoniens parurent supérieurs en nombre ; cependant je
ne saurais indiquer au juste le chiffre des uns et des autres,
ni en détail ni en totalité . Le nombre des Lacédémoniens était
ignoré à cause du mystère de leur gouvernement ; d'autre
part on ne peut s'en rapporter aux exagérations de l'orgueil
national. Toutefois le calcul suivant permet d'évaluer la force
numérique de l'armée lacédémonienne. Sept bataillons figu-
rèrent à cette journée, sans compter les Scirites au nombre de
six cents. Chaque bataillon contenait quatre pentécostys ;
chaque pentecostys quatre énomoties. Dans chaque énomotie
quatre hommes formaient le premier rang . Ils ne se placèrent
pas tous sur la même hauteur, mais au gré de chaquelochage ;
en général cependant ils étaient sur huit de hauteur. Dans
toute la ligne , déduction faite des Scirites , le front se com-
posait de quatre cent quarante-huit combattants ' .
LXIX. Quelques instants avant la rencontre , les généraux
des deux armées exhortèrent leurs soldats . Aux Mantinéens ils
rappelèrent qu'ils allaient combattre pour la patrie, comme
aussi pour l'empire ou pour l'esclavage ; qu'il s'agissait pour
eux de conserver la jouissance de l'un et de ne pas retomber
dansl'autre. Aux Argiens , qu'ils devaient reprendre leur ancienne
suprématie, reconquérir la possession , jadis égale , du Pélopo-
nèse , et tirer vengeance de voisius mal intentionnés. Aux
Athéniens, qu'ils étaient glorieux, en combattant au milieu de
tant et de si braves alliés , de ne le céder à personne en vail-
lance ; qu'une fois vainqueurs des Lacédémoniens dans le
Péloponèse , ils étendraient , ils affermiraient leur domination ,
et n'auraient plus à redouter d'invasion étrangère . Telles furent
les exhortations adressées aux Argiens et à leurs alliés . Les
Lacédémoniens , en hommes de courage , s'excitaient indivi-
duellement et tous ensemble, par des chants guerriers ' , à se
souvenir de l'instruction qu'ils avaient reçue . Ils savaient qu'un
302 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
long exercice pratique est un meilleur garant de la victoire
que des exhortations orales , toujours fugitives , quelque élo-
quentes qu'elles soient .
LXX. Ensuite les deux armées s'ébranlèrent. Les Argiens et
leurs alliés s'avançèrent à pas accélérés et avec véhémence , les
Lacédémoniens lentement et au son d'un grand nombre de
1.
flûtes ; ce qui n'est point un usage religieux , mais un moyen
de régler leur marche par la cadence et d'éviter que leur ligne
ne se rompe , comme il advient fréquemment aux grands corps
d'armée allant à l'ennemi.
LXXI . On était encore en marche, lorsque le roi Agis em-
ploya la manoeuvre suivante . En général, dans les rencontres,
les armées sont sujettes à obliquer sur la droite , en sorte que ,
de part et d'autre , on déborde la gauche de l'ennemi . Cela tient
à ce que chacun tâche instinctivement d'abriter la partie dé-
masquée de son corps derrière le bouclier de son voisin, et
qu'on espère être mieux protégé en ne laissant aucun vide . Cettè
déviation est occasionnée par le guide de droite , qui cherche
toujours à dérober aux ennemis le flanc non couvert par le
bouclier ; les autres suivent par l'effet de la même crainte. En
cette journée , les Mantinéens débordaient de beaucoup l'aile
des Scirites , tandis que les Lacédémoniens et les Tégéates , vu
leurs supériorité numérique, débordaient encore plus les Athé-
niens. Agis , craignant donc que sa gauche ne fût tournée, et
trouvant que les Mantinéens s'étendaient trop , enjoignit aux
Scirites et aux soldats de Brasidas de se détacher du corps de
bataille pour aller se placer en face des Mantinéens . En même
temps il prescrivit aux polémarques Hipponoïdas et Aristoclès
de prendre deux bataillons et de fermer la brèche . Il pensait
que sa droite n'en serait pas trop affaiblie et que l'aile opposée
aux Mantinéens gagnerait en solidité.
LXXII . Mais l'ordre ayant été donné avec précipitation et au
moment de la rencontre, Aristoclès et Hipponoïdas refusèrent
d'obéir; ce qui plus tard les fit exiler de Sparte comme cou-
pables de lâcheté. Aussi les ennemis eurent-ils le temps de
commencer l'attaque ; et, lorsque Agis , voyant que les deux
bataillons ne se portaient pas vers les Scirites , eut rappelé ces
derniers à leur poste, il ne leur fut plus possible de le reprendre
ni de combler le vide. Mais si , en cette occasion , les Lacédé-
moniens se montrèrent à tous égards inférieurs en tactique ,
ils se relevèrent par leur valeur. Quand le combat fut engagé,
l'aile droite où étaient les Mantinéens culbuta les Scirites et les
LIVRE V. 303

soldats de Brasidas ; puis les Mantinéens , leurs alliés et les


mille Argiens d'élite, se jetant dans la brèche, défirent les
Lacédémoniens , les enveloppèrent, les mirent en déroute, et
Les poussèrent jusqu'à leurs chariots, où ils tuèrent quelques-
uns des vétérans préposés à la garde des bagages . Sur ce
point, les Lacédémoniens eurent donc le dessous ; mais le reste
de leur armée, et surtout le centre où était le roi Agis avec le
corps dit des trois cents cavaliers , chargea les vétérans
d'Argos, ou ce qu'on appelait les cinq bataillons , ainsi que les
Cléonéens , les Ornéates et les Athéniens rangés près d'eux.
Tous ces gens furent mis en fuite ; la plupart n'attendirent pas
même le choc des Lacédémoniens, et plièrent dès leur approche.
Quelques-uns furent foulés aux pieds, pour n'avoir pu éviter le
mouvement enveloppant de l'ennemi. 7
LXXIII.. Ce point enfoncé, l'armée des Argiens et de leurs
alliés se trouva coupée en deux. Pendant ce temps , l'aile droite
des Lacédémoniens et des Tégéates tourna les Athéniens qu'elle
débordait, et les mit dans une fâcheuse situation , car ils étaient
cernés d'un côté et rompus de l'autre. De toute l'armée ils au-
raient eu le plus à souffrir, sans l'appui de leur cavalerie. Mais
par bonheur Agis , apprenant la défaite de son aile gauche
opposée aux Mantinéens et aux mille Argiens , ordonna à toute
l'armée de se rabattre à son secours. Ce mouvement dégagea
les Athéniens et leur permit d'effectuer à leur aise leur retraite ,
de concert avec les Argiens vaincus. Dès lors les Mantinéens ,
leurs alliés et les Argiens d'élite ne songèrent plus à presser
l'ennemi ; mais , voyant la déroute des leurs et l'approche des
Lacédémoniens , ils se mirent en fuite. Les Mantinéens per-
dirent beaucoup de monde ; les Argiens d'élite s'échappèrent
pour la plupart. Du reste la fuite et la retraite ne furent ni
violentes ni prolongées ; car les Lacédémoniens ont pour prin-
cipes de combattre obstinément et de pied ferme tant que l'en-
nemi résiste ; mais, une fois la fuite déclarée , leur poursuite
dure peu et ne s'étend pas loin .
LXXIV. Telles furent, à peu de chose près , les particula-
rités de cette bataille , la plus sanglante que les Grecs se fussent
livrés depuis longtemps, et à laquelle concoururent les villes
les plus importantes. Les Lacédémoniens , après s'être rangés
en avant des ennemis tués , érigèrent sur-le-champ un trophée
et dépouillèrent les cadavres. Ils relevèrent leurs propres morts,
les rapportèrent à Tégée pour leur donner la sépulture, et ren-
dirent par composition ceux de l'ennemi. Il périt en cette
304 GUERRE DU PÉLOPONÉSE .

journée sept cents Argiens , Ornéates ou Cléonéens , deux cents


Mantinéens , deux cents Athéniens ou Éginètes 2 avec leurs
deux généraux . Les alliés de Lacédémone ne souffrirent pas
d'une manière sensible . Quant aux Lacédémoniens eux-mêmes ,
il n'était pas facile de savoir la vérité ; cependant on évaluait
leur perte à trois cents hommes environ .
LXXV. Peu avant la bataille , Plistoanax , second roi de
Lacédémone , partit de cette ville avec un renfort composé des
plus jeunes et des plus vieux citoyens ; mais , parvenu à Tégée ,
il apprit la victoire d'Agis et rebroussa chemin. Les Lacédé-
moniens firent contremander les Corinthiens et les alliés d'en
dehors de l'Isthme. Comme on était dans le mois Carnéen ,
eux-mêmes se retirèrent , après avoir licencié leurs alliés , et
allèrent célébrer les fêtes. Par ce seul fait d'armes , ils rache-
tèrent aux yeux des Grecs leur désastre de Sphactérie et se
lavèrent du reproche d'irrésolution et de lenteur . On reconnut
que la fortune avait bien pu les trahir, mais que par le courage
ils étaient toujours les mêmes .
La veille de cette action, les Épidauriens en masse´avaient
envahi l'Argolide qu'ils croyaient sans défense , et avaient mas-
sacré une bonne partie des hommes laissés par les Argiens à
la garde du pays. Mais les Mantinéens ayant été renforcés
après la bataille par trois mille hoplites d'Elis et par une nou-
velle troupe de mille Athéniens, ces forces réunies se portèrent
incontinent contre Epidaure , pendant que les Lacédémoniens
célébraient les fêtes Carnéennes . Ils se mirent à investir la ville
en se partageant les travaux ; mais ils ne tardèrent pas à y
renoncer. Les Athéniens seuls achevèrent leur tâche , et forti-
fièrent la pointe où se trouve le temple de Junon¹ . Cet ouvrage
terminé, on y plaça une garnison de toutes les troupes alliées ,
et chacun regagna ses foyers . Sur quoi l'été finit .
LXXVI. Dès les premiers jours de l'hiver suivant, les Lace-
démoniens , après les fêtes Carnéennes, se remirent en cam-
pagne ; et, s'étant avancés jusqu'à Tégée , ils firent porter à
Argos des paroles d'accommodement. Il y avait dans cette ville
des hommes qui leur étaient dévoués et qui désiraient abolir
le régime démocratique. L'issue de la bataille leur fournit une
occasion excellente d'amener la multitude à des vues de con-
ciliation. Leur plan était de ménager avec Lacédémone d'abord
une trêve, puis une alliance , et de s'attaquer ensuite au gou-
vernement populaire. Lichas, fils d'Arcésilaos, proxène des
Argiens, se rendit à Argos avec mission des Lacédémoniens .
LIVRE V. 305

Il était porteur de deux propositions différentes , selon qu'ils


opteraient pour la guerre ou pour la paix. Malgré l'opposition
d'Alcibiade qui se trouvait alors à Argos , les partisans de
Lacédémone , devenus plus audacieux , persuadèrent au peuple
d'accepter les ouvertures pacifiques . Elles étaient conçues en ces
termes :
LXXVII. « L'assemblée des Lacédémoniens arrête de traiter
avec les Argiens aux conditions indiquées ci- après ' .
« Les Argiens rendront aux Orchoméniens leurs enfants , aux
Ménaliens leurs hommes , aux Lacédémoniens les hommes qui
sont à Mantinée 2.
« Ils sortiront du territoire d'Epidaure et détruiront les forts
qu'ils y ont construits . Si les Athéniens n'évacuent pas Épidaure,
ils seront ennemis d'Argos et de Lacédémone, ainsi que des
alliés de ces deux États.
« Les Lacédémoniens rendront à toutes les villes ceux de leurs
esclaves qu'ils peuvent avoir ³.
« En ce qui concerne le sacrifice du dieu , les Argiens se-
ront libres de déférer le serment aux Épidauriens ou de le
prêter eux-mêmes " .
« Les villes du Péloponèse , grandes ou petites , seront toutes
indépendantes , conformément aux usages de nos pères.
« Si quelque peuple étranger au Péloponèse y entre à main
armée, on se concertera pour le repousser, de la manière qui
paraîtra la plus juste aux Péloponésiens .
« Tous les alliés de Lacédémone hors du Péloponèse seront
sur le même pied que les alliés des Lacédémoniens et des
Argiens, c'est- à-dire maîtres de leur propre territoire .
Les alliés recevront notification du présent traité, pour
avoir la faculté d'y souscrire . S'ils ont à faire quelque propo-
sition , ils enverront à Lacédémone . >>
LXXVIII. Les Argiens acceptèrent ces articles. L'armée lacé-
démonienne quitta Tégée pour regagner ses foyers , et les com-
munications entre Argos et Lacédémone furent rétablies. Bien-
tôt après , les mêmes citoyens amenèrent les Argiens à se
séparer de Mantinée , d'Elis et d'Athènes , pour faire avec Lacé-
démone un traité de paix et d'alliance dont voici la teneur :
LXXIX. « Les Lacédémoniens et les Argiens conviennent
de conclure paix et alliance pour cinquante ans aux conditions
indiquées ci-après, s'engageant les uns et les autres à régler
leurs différends par les voies légales , conformément aux usages
de nos pères .
306 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

« Les autres villes du Péloponèse pourront se faire com-


prendre dans le traité de paix et d'alliance, en restant indé-
pendantes , maîtresses d'elles-mêmes et de leur territoire , à la
condition de régler leurs différends par les voies légales , con-
formément aux usages de nos pères.
« Les alliés des Lacédémoniens en dehors du Péloponèse
seront sur le même pied que les Lacédémoniens . Les alliés des
Argiens seront sur le même pied que les Argiens et maîtres de
leur territoire .
<< S'il est besoin de quelque expédition commune , les Lacé-
démoniens et les Argiens se concerteront de la manière la plus
équitable pour les alliés.
Si quelque différend , au sujet des limites ou de toute autre
question , s'élève entre les villes du Péloponèse , il sera vidé à
l'amiable. Si quelqu'une des villes alliées est en contestation
avec une autre , toutes deux se soumettront à l'arbitrage d'un
État neutre qu'elles auront choisi pour médiateur . Aux parti-
culiers la justice sera rendue d'après les usages de nos pères . ›
LXXX. Ainsi fut conclu ce traité de paix et d'alliance. On se
restitua réciproquement les conquêtes et l'on régla les diffé-
rends. Les deux peuples, faisant dès lors cause commune , dé-
crétèrent de ne recevoir ni héraut ni ambassadeur de la part
des Athéniens , que ceux-ci n'eussent évacué le Péloponèse et
les forts qu'ils y avaient construits ; enfin de ne faire ni la paix
ni la guerre que d'un commun accord . Déployant une extrême
activité en toutes choses , ils envoyèrent de concert une dépu-
tation aux villes du littoral de la Thrace, ainsi qu'à Perdiccas ,
qu'ils parvinrent à entraîner dans leur ligue . Toutefois ce
prince n'eut garde de rompre immédiatement avec les Athé-
niens ; mais il en conçut le projet , lorsqu'il vit l'exemple donné
par la ville d'Argos , dont il tirait son origine¹ . Finalement ils
renouvelèrent avec les Chalcidéens leurs anciens serments et
en ajoutèrent de nouveaux. Les Argiens députèrent aussi aux
Athéniens pour leur demander l'évacuation du fort construit à
Epidaure . Ceux- ci , considérant que leurs soldats étaient bien
inférieurs en nombre au reste de la garnison , chargèrent Dé-
mosthène de les ramener. A son arrivée , ce général simula
des jeux gymniques, attira ainsi hors des murs la partie étran-
gère de la garnison, et fit ensuite fermer les portes 2. Plus tard
3
les Athéniens renouvelèrent leur traité avec les Épidauriens
et leur rendirent le fort.
LXXXI . Après la défection d'Argos , les Mantinéens , qui
LIVRE V. 307

d'abord avaient voulu résister, comprirent que seuls ils étaient


trop faibles ; ils firent donc à leur tour la paix avec Lacédémone ,
et renoncèrent à la domination qu'ils exerçaient dans quelques
villes.
Les Lacédémoniens et les Argiens mirent, chacun de leur
côté, mille hommes sur pied pour une expédition commune.
Les Lacédémoniens seuls se rendirent à Sicyone , où ils raffer-
mirent le gouvernement aristocratique . Ensuite les deux troupes
réunies allèrent à Argos pour renverser la démocratie et la
remplacer par une oligarchie dévouée à Lacédémone. Ces évé-
nements se passèrent sur la fin de l'hiver et aux approches du
printemps. Ainsi finit la quatorzième année de la guerre.
LXXXII. L'été suivant (a) , les Diens du mont Athos passèrent
du parti d'Athènes dans celui des Chalcidéens . Les Lacédémo-
niens établirent en Achaïe le régime qui leur convint ¹ . A Argos ,
le parti populaire releva peu à peu la tête et attaqua l'oligar-
chie ; pour cet effet, il attendit le moment où les Lacédémoniens
célébraient les Gymnopédies . Un combat s'engagea dans la
ville ; le peuple fut vainqueur , massacra une partie de ses
adversaires et chassa l'autre. Les Lacédémoniens , appelés par
leurs amis , se firent longtemps attendre ; enfin ils ajournèrent
les Gymnopédies et se mirent en route pour Argos. Parvenus
à Tégée, ils apprirent la défaite des aristocrates ; et, malgré les
instances des fugitifs , ils refusèrent d'aller plus loin. Ils re-
tournèrent chez eux achever les Gymnopédies .
Ensuite il arriva des députés envoyés par les Argiens de la
ville et par ceux du dehors . Après de longs débats contradic-
toires, qui eurent lieu en présence des alliés, les Lacédémoniens
donnèrent tort à ceux de la ville et résolurent de marcher contre
Argos ; mais il survint des retards et des ajournements. Sur
ces entrefaites , le peuple d'Argos , redoutant les Lacédémoniens
et aspirant à renouer avec Athènes une alliance dont il espé-
rait d'heureux fruits , entreprit de construire de longs murs
jusqu'à la mer. Il voulait par là , s'il venait à être bloqué par
terre, s'assurer, avec l'aide des Athéniens , la ressource des
arrivages maritimes. Quelques villes du Péloponèse avaient
eu connaissance de ce projet. Toute la population d'Argos ,
hommes , femmes et esclaves , mit la main à l'œuvre . Athènes
leur envoya des maçons et des tailleurs de pierre . C'est ainsi
que l'été finit.

(a) Quinzième année de la guerre, an 417 avant J.-C.


308 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

LXXXIII. L'hiver suivant , les Lacédémoniens , avertis de ces


travaux, marchèrent contre Argos avec tous leurs alliés, sauf
les Corinthiens , sous la conduite du roi Agis fils d'Archidamos .
Ils avaient conservé dans Argos quelques intelligences ; mais
le mouvement sur lequel ils comptaient n'eut pas lieu. En re-
vanche, ils prirent et rasèrent les murs en construction . Ils
s'emparèrent aussi d'Hysies en Argolide et mirent à mort tous
les hommes libres qui tombèrent entre leurs mains ; après quoi
ils se retirèrent, et chacun regagna ses foyers.
Les Argiens firent à leur tour une expédition contre Phlionte ,
dont ils ravagèrent le territoire. Ils en voulaient à cette
ville pour avoir reçu leurs bannis ; c'est là en effet que la plu-
part d'entre eux avaient trouvé un asile.
Le même hiver , les Athéniens bloquèrent les côtes de la Ma-
cédoine ¹ . Ils ne pardonnaient pas à Perdiccas de s'être ligué
avec Argos et Lacédémone , comme aussi d'avoir , à l'époque
où Nicias fils de Nicératos se disposait à marcher contre Am-
phipolis et les Chalcidéens du littoral de la Thrace 2 , aban-
donné l'alliance et occasionné par sa retraite la dispersion de
l'armée. Ils le traitèrent donc en ennemi . Là-dessus l'hiver se
termina, ainsi que la quinzième année de la guerre .
LXXXIV. L'été suivant (a) , Alcibiade se rendit à Argos avec
vingt vaisseaux. Il enleva trois cents Argiens, qui étaient encore
suspects d'attachement pour Lacédémone , et les déposa dans
les îles voisines qui dépendaient d'Athènes .
Les Athéniens firent une expédition contre l'île de Mélos avec
trente de leurs vaisseaux, six de Chios et deux de Lesbos . Ils
avaient à bord douze cents hoplites athéniens, trois cents ar-
chers et vingt archers à cheval, indépendamment de quinze
cents hoplites fournis par les alliés et par les insulaires. Les
Méliens, colonie de Lacédémone , refusaient d'imiter les autres
habitants des îles en s'avouant sujets d'Athènes. Au commen-
cement, ils avaient gardé la neutralité et s'étaient tenus en
repos ; mais ensuite, forcés par les dévastations que les Athé-
niens commettaient sur leurs terres, ils en étaient venus à
une guerre ouverte. Les généraux athéniens , Cléomédès fils
de Lycomédès et Tisias fils de Lysimachos, campèrent avec leur
armée sur le territoire de Mélos ; mais , avant d'y exercer aucun
ravage, ils envoyèrent des ambassadeurs chargés de parle-
menter. Les Méliens , au lieu de les introduire dans l'assemblée

(a) Seizième année de la guerre , an 416 av. J.-C.


LIVRE V. 309

du peuple, les invitèrent à s'expliquer sur l'objet de leur mis-


sion devant les magistrats et les principaux citoyens. Les
députés athéniens parlèrent en ces termes :
LXXXV. LES ATHENIENS. Puisqu'on ne nous permet pas de
nous faire entendre de la multitude, mais qu'on nous introduit
seulement auprès d'un petit nombre d'auditeurs , de peur sans
doute qu'un discours soutenu , persuasif et sans réplique im-
médiate n'induise votre peuple en erreur, vous qui siégez ici ,
procédez plus sûrement encore. Laissez là les discours suivis,
et examinez les questions au fur et à mesure qu'elles vous se-
ront soumises . Quand nous aurons énoncé une opinion , si elle
vous paraît inadmissible , réfutez-la sur-le-champ ; et , pour
commencer, dites si cette proposition vous agréé.
LXXXVI. LES MÉLIENS . Nous n'avons rien à objecter contre
cette manière calme et modérée de s'éclairer mutuellement ;
cependant elle nous semble s'accorder mal avec la guerre
qui nous menace , non dans un avenir éloigné , mais à l'instant
même . Nous le voyons : vous vous posez en juges de nos pa-
roles ; et l'issue probable de cette discussion sera pour nous la
guerre, si, fondés sur le droit, nous refusons de céder, ou ,
dans le cas contraire, l'esclavage.
LXXXVII . LES ATHÉNIENS. Si vous êtes réunis pour calculer
les chances d'un avenir incertain, au lieu d'aviser au salut
immédiat de votre patrie, nous garderons le silence ; autrement
nous parlerons.
LXXXVIII . LES MÉLIENS. Il est naturel et pardonnable , dans
la situation où nous sommes , de s'écarter parfois, et en pensée
et en paroles, de la question proposée . Nous reconnaissons que
cette réunion a pour objet notre salut . Rien ne s'oppose donc
à ce que la discussion reste dans les termes cù vous voulez la
maintenir.
LXXXIX. LES ATHENIENS. Nous n'irons point chercher de
belles phrases ; et nous n'entreprendrons pas de démontrer, par
de longs discours qui ne convaincraient personne , que notre
domination se justifie par nos triomphes sur les Mèdes, et
notre agression actuelle par vos torts envers nous. Mais de
votre côté, ne venez pas non plus nous dire que c'est en qua-
lité de colons de Lacédémone que vous avez refusé de vous
joindre à nous, et qu'à cet égard vous êtes sans reproche . Il
faut se tenir dans les limites du possible, et partir d'un prin-
cipe universellement admis : c'est que, dans les affaires hu-
maines, on se règle sur la justice quand de part et d'autre on
310 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

en sent la nécessité , mais que les forts exercent leur puissance


et que les faibles la subissent.
XC. LES MÉLIENS . Eh bien , pour nous placer sur le terrain
de l'intérêt rous y sommes obligés , puisque vous érigez en
principe l'utile plutôt que le juste , - selon nous cet intérêt exige
que vous ne fassiez pas abstraction de l'utilité commune , mais
qu'il soit bien entendu que , pour quiconque se trouve en
danger, la convenance se substitue au droit, et que, n'eût-il à
alléguer que les raisons les plus faibles, il doit être admis à les
faire valoir. Cette manière de poser la question est aussi bien
dans votre sens que dans le nôtre ; car, si vous poussiez à
l'excès l'esprit de vengeance et que vous vinssiez à éprouver
des revers , on ne manquerait pas de rétorquer contre vous
l'exemple que vous auriez donné.
XCI . LES ATHENIENS. Si notre domination doit avoir un
terme , nous sommes loin de nous en alarmer. Ce ne sont pas
les peuples possesseurs d'un empire, tels que les Lacédémoniens ,
qui sont redoutables aux vaincus : d'ailleurs il n'est pas ques-
tion des Lacédémoniens ; ce sont les sujets , lorsqu'il leur arrive
d'attaquer et de vaincre leurs anciens maîtres . Mais ceci nous
concerne à nos risques et périls . Ce que nous tenons à établir,
c'est que nous sommes ici pour le bien de notre empire et que
nous parlons en vue de votre salut , notre désir étant de vous
commander sans obstacle et de vous voir sauvés dans l'intérêt
des deux partis .
XCII . LES MÉLIENS . Et comment peut-il être aussi avanta-
geux à nous d'être esclaves qu'à vous de dominer ?
XCIII. LES ATHENIENS. C'est qu'en vous soumettant vous
éviteriez les derniers målheurs, et que nous trouverions notre
compte à vous les épargner.
XCIV. LES MÉLIENS . Et si nous restions neutres et tranquilles ,
en étant vos amis au lieu d'être vos ennemis , vous n'y consen-
tiriez pas?
XCV. LES ATHÉNIENS . Non ; car votre hostilité nous est moins
préjudiciable qu'une amitié qui , aux yeux de nos sujets, serait
un indice de faiblesse , tandis que votre haine atteste notre
puissance.
XCVI. LES MÉLIENS. Vos sujets ont-ils donc assez peu de
discernement pour placer sur le même rang les peuples qu'au-
cun lien n'attache à vous et ceux qui , étant vos colons -
comme c'est le cas du plus grand nombre , - se sont révoltés
et ont été soumis ?
LIVRE V. 311

XCVII. LES ATHENIENS. Ils pensent que ni les uns ni les au-
tres ne manquent d'arguments plausibles ; mais que ceux qui
se conservent le doivent à leur puissance et à la crainte qui
nous empêche de les attaquer. Aussi, en vous subjuguant,
non-seulement nous augmenterons le nombre de nos sujets ,
mais encore nous assurerons notre sécurité ; d'autant plus
qu'insulaires et moins puissants que d'autres, vous ne sauriez
tenir tête aux dominateurs des mers.
XCVIII . LES MÉLIENS . Et ne croyez-vous pas qu'une con-
duite opposée offrirait les mêmes gages de sécurité? Puis-
que vous nous avez fait sortir du terrain de la justice pour
nous amener sur celui de l'utilité, force nous est de démontrer
que votre intérêt se confond avec le nôtre. -- Ceux qui sont
neutres aujourd'hui , comment ne les pousserez-vous pas à vous
faire la guerre , lorsque , tournant les regards vers nous, ils
penseront qu'un jour ou l'autre vous marcherez contre eux ?
N'est-ce donc pas accroître vos ennemis actuels et attirer mal-
gré eux contre vous des peuples qui n'y songeaient même pas ?
XCIX. LES ATHENIENS . Nullement. Les peuples que nous
redoutons le plus ne sont pas ceux du continent , qui , par cela
même qu'ils sont libres , ne se presseront pas de nous attaquer;
ce sont les insulaires indépendants comme vous l'êtes , et ceux
qui, déjà soumis à notre joug, ne le supportent qu'avec peine..
Ce sont eux qui , obéissant à un entraînement irréfléchi , pour-
raient nous précipiter avec eux dans l'abîme .
C. LES MÉLIENS . A coup sûr , puisque rien ne coûte , à vous
pour maintenir votre domination , à eux pour s'y soustraire , il
y aurait bien de la faiblesse et de la lâcheté à nous qui sommes
encore libres, à ne pas tout risquer plutôt que de tomber dans
l'esclavage .
CI. LES ATHENIENS . Non, si vous délibérez sagement. Il ne
s'agit pas ici de courage ni d'une lutte d'égal à égal, où vous ne
pourriez succomber sans ignominie ; il s'agit d'aviser à votre
conservation , sans vous hasarder contre des forces infiniment
supérieures.
CII. LES MÉLIENS . Nous savons que le sort des armes est
sujet à bien des retours , qui ne se règlent pas sur les forces
relatives ; céder sur-le-champ , c'est nous fermer toute espé-
rance, tandis qu'avec de l'énergie, il y a encore chance de nous
sauver.
CIII . LES ATHÉNIENS. L'espérance soutient les hommes dans
le péril. Unie à la force, elle peut nuire sans ruiner ; mais quand
312 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
elle porte à risquer le tout pour le tout, - car elle est de sa
nature mauvaise ménagère , - — les revers n'ont pas plus tôt fait
connaître les piéges où elle entraîne , qu'il ne reste plus aucun
moyen de s'en garantir. Faibles comme vous l'êtes et placés
dans la position la plus critique, ne vous laissez pas séduire
par cette dangereuse illusion . N'imitez pas le commun des
hommes , qui , pouvant encore se sauver par les voies humaines
lorsque, dans leur détresse, les appùis visibles leur échappent ,
ont recours aux invisibles, à la divination , aux oracles et à
d'autres pratiques analogues, qui , jointes à l'espérance , les
perdent sans retour.
CIV. LES MÉLIENS . Nous aussi , n'en doutez pas , nous croyons
difficile d'entrer en lutte avec votre puissance et votre fortune ;
il faudrait pour cela des armes moins inégales. Toutefois , pour
ce qui est de la fortune , nous plaçons notre confiance dans la
faveur divine , car notre cause est juste et la vôtre ne l'est pas ;
et pour ce qui est de nos forces , l'infériorité en sera compensée
par l'alliance des Lacédémoniens , alliance dictée par la com-
munauté d'origine et par un sentiment d'honneur. Notre assu-
rance n'est donc pas si mal fondée .
CV. LES ATHÉNIENS . Nous ne craignons pas non plus que
la protection divine nous manque ; car nous ne recherchons
ni ne faisons rien de contraire aux sentiments religieux ou
aux prétentions humaines. Nous estimons que, par une néces-
sité de leur nature , les dieux et les hommes ont une égale ten-
dance à dominer , ceux-là dans l'ordre des idées, ceux-ci dans
le cercle des réalités . Cette loi , ce n'est pas nous qui l'avons
faite ni appliquée les premiers ; nous l'avons trouvée établie,
et après nous elle subsistera à tout jamais . Nous ne faisons
qu'en user, bien convaincus qu'à notre place ni vous ni per-
sonne n'agirait autrement. Ainsi, pour la faveur divine, nous
n'avons aucun motif de nous en croire déshérités . Quant à
votre confiance dans les Lacédémoniens , que vous vous figurez
prêts à vous secourir par un sentiment d'honneur, nous admi-
rons votre innocence , tout en plaignant votre crédulité. Les
Lacédémoniens , entre eux et pour ce qui touche aux mœurs
nationales, se guident en général d'après la droiture ; mais leur
politique extérieure peut se résumer en ceci : savoir qu'à notre
connaissance il n'est pas d'hommes qui confondent plus habi-
tuellement l'agréable et l'honnête , l'utile et le juste. Or une
telle disposition ne s'accorde guère avec vos rêves actuels de
salut. benigning
LIVRE V. 313

CVI. LES MÉLIENS . C'est là précisément ce qui nous rassure :


dans leur propre intérêt , ils ne voudront pas abandonner leur
colonie de Mélos , de peur de s'aliéner ceux des Grecs qui leur
sont favorables , et de servir ainsi la cause de leurs ennemis .
CVII . LES ATHENIENS . Ne pensez-vous pas que l'intérêt et la
sûreté vont de compagnie , tandis que la justice et l'honneur
sont inséparables des dangers ? Or en général les Lacédémo-
niens s'y exposent le moins possible .
CVIII . LES MÉLIENS . Nous croyons qu'ils n'hésiteront pas à
les affronter pour notre défense , et qu'ils auront pleine et en-
tière confiance en nous. Notre proximité du Péloponèse leur
facilite les moyens d'action , et la communauté d'origine leur
garantit notre fidélité.
CIX . LES ATHENIENS . Pour ceux dont on réclame le concours ,
le meilleur gage n'est pas la sympathie qu'on a , mais les forces
dont on dispose. C'est là ce que les Lacédémoniens envisagent
avant tout. Se défiant de leurs propres ressources , ils n'atta-
quent jamais qu'à grand renfort d'alliés. Il est donc peu pro-
bable qu'ils passent dans une île, quand nous avons l'empire
de la mer.
CX. LES MÉLIENS . Ils pourront en envoyer d'autres . Les eaux
de la Crète sont vastes , et les dominateurs des mers auront
plus de peine à y exercer leur poursuite qu'on n'en aura à
l'éviter. D'ailleurs , si les Lacédémoniens échouent de ce côté,
ils se tourneront vers votre territoire et vers ceux de vos alliés
que n'a pas visités Brasidas . Dès lors ce ne sera plus pour une
terre étrangère, ce sera pour vos alliés et pour votre pays que
Vous aurez à combattre .
CXI. LES ATHÉNIENS . C'est une expérience qui a déjà été
faite. Jamais, vous le savez , la crainte d'autrui n'a fait aban-
donner un siége aux Athéniens . Mais nous étions convenus de
délibérer sur votre salut ; et nous remarquons que , dans cette
discussion prolongée, vous n'avez pas encore articulé un seul
mot qui puisse vous inspirer l'assurance de votre conserva-
tion . Vos plus fermes soutiens consistent en espérances loin-
taines , et vos forces disponibles sont bien peu de chose pour
triompher de celles qui se déploient sous vos yeux. Ce serait
le comble de l'aveuglement que de ne pas prendre, après notre
départ, une résolution prudente. Vous ne serez pas les jouets de
ce fol amour- propre qui, dans les dangers manifestes et sans
gloire, mène les hommes à leur ruine. Combien de gens , sans
se faire illusion sur les conséquences de leur conduite , se lais-
THUCYDIDE . 18
314 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

sent entraîner par le prestige d'un seul mot , l'honneur ! Infa-


tués de sa vertu magique, ils se jettent de gaieté de cœur dans
des maux sans remède , et se couvrent d'un opprobre d'autant
plus grand qu'il est dû à leur folie plutôt qu'à la fortune . C'est
là ce que vous éviterez , si vous écoutez la raison . Vous ne
tiendrez pas à déshonneur de céder à une ville puissante , qui
borne ses prétentions à vous demander de devenir ses alliés
tributaires , tout en conservant vos biens. Libres d'opter entre
la paix et la guerre , vous ne préférerez pas le mauvais parti .
Résister à ses égaux , respecter les forts , ménager les faibles ,
tel est le moyen de se maintenir. Réfléchissez donc mûrement
après notre départ , et dites-vous bien que c'est ici une ques-
tion de vie ou de mort pour votre patrie ; que vous n'en avez
qu'une , et que son avenir dépendra d'une seule résolution
bonne ou mauvaise . »
CXII . Là-dessus les Athéniens quittèrent l'assemblée . Les
Méliens, demeurés seuls , prirent une décision conforme aux
principes émis par eux dans la conférence et répondirent :
« Athéniens , notre manière de voir n'a pas changé. Il ne
sera pas dit qu'une ville qui compte sept siècles d'existence '
se soit laissé en quelques instants ravir sa liberté . Pleins de
confiance dans la protection divine qui nous a préservés jus-
qu'à ce jour, dans le secours des hommes et notamment des
Lacédémoniens , nous essayerons de pourvoir à notre salut .
Nous ne vous demandons qu'une chose : c'est de consentir à
ce que nous soyons vos amis , tout en gardant la neutralité.
Nous vous invitons à évacuer notre territoire , après avoir
fait un traité aux conditions qui seront agréées par les deux
partis . >>
CXIII. Telle fut la réponse des Méliens . Les Athéniens, rom-
pant la conférence , s'exprimèrent en ces termes :
« Il paraît, d'après votre résolution , que seuls d'entre les
hommes vous considérez l'avenir comme plus assuré que ce
qui est sous vos yeux, et l'incertain comme déjà réalisé par le
fait de votre désir. Vous hasardez beaucoup en vous fiant aux
Lacédémoniens , à la fortune , à l'espérance. C'est vous prépa-
rer une amère déception . »
CXIV. Là-dessus les députés athéniens rejoignirent l'armée .
Les généraux , voyant les Méliens s'obstiner , firent aussitôt
leurs dispositions d'attaque . Ils investirent Mélos d'un mur de
circonvallation , dont les troupes de chaque ville se partagé-
rent le travail , selon leur force numérique. Ils laissèrent des
LIVRE V. 315

détachements athéniens et alliés pour faire la garde par terre


et par mer ; puis ils remirent à la voile avec le reste de l'ar-
mée. Ceux qui demeuraient continuèrent le siége.
CXV. A la même époque , les Argiens envahirent le terri-
toire de Phlionte ; mais , étant tombés dans une embuscade qui
leur fut tendue par les Phliasiens et par leurs propres bannis,
ils perdirent près de quatre-vingts hommes. Les Athéniens
qui étaient à Pylos firent en Laconie un butin considérable. Ce
ne fut pás pour les Lacédémoniens un motif de rompre la trêve
et de leur déclarer la guerre ; seulement ils firent publier qu'en
représailles chacun serait libre de piller les Athéniens . Les
Corinthiens prirent aussi les armes contre Athènes à l'occa-
sion de quelques difficultés particulières . Dans le reste du
Péloponèse la paix ne fut pas troublée .
Les Méliens , dans une attaque nocturne , s'emparèrent d'une
partie de la circonvallation athénienne en face de l'agora .
Ils tuèrent quelques hommes , et introduisirent dans la ville
du blé et d'autres substances alimentaires ; après quoi ils ren-
trèrent et se tinrent en repos . Les Athéniens firent dès lors
meilleure garde. Ce furent les derniers événements de l'été .
CXVI. L'hiver suivant, les Lacédémoniens se disposèrent à
marcher contre l'Argolide ; mais les victimes pour le passage
de la frontière n'ayant pas été favorables , ils rebroussèrent che-
min. Cette démonstration inspira aux Argiens des soupçons
contre quelques-uns de leurs concitoyens. Ils en arrêtèrent
une partie ; les autres prirent la fuite .
Vers la même époque , les Méliens enlevèrent une nouvelle
partie de la circonvallation , faiblement gardée par les Athéniens.
Peu de temps après , une seconde armée arriva d'Athènes sous
la conduite de Philocratès fils de Déméas . Dès lors le siége fut
poussé avec plus de vigueur. La trahison s'en étant mêlée , les
assiégés se rendirent à discrétion . Les Athéniens passèrent au
fil de l'épée tous les adultes tombés en leur pouvoir , et réduisi-
rent en servitude les femmes et les enfants . Plus tard, ils repeu-
plèrent l'île par l'envoi de cinq cents colons tirés de leur sein.

244
LIVRE VI.

Les Athéniens projettent de conquérir la Sicile ; grandeur , population


et colonisation de cette île , ch . I-VI. Expéditions des Lacédémo-
niens en Argolide et des Athéniens en Macédoine , ch. vII. - Dix-
septième année de la guerre. Les Athéniens décrètent l'envoi d'une
flotte en Sicile pour secourir les Égestains et rétablir les Léontins ,
ch. VIII. - Nicias s'oppose à cette expédition , ch. Ix-XIV. Alci-
biade au contraire la recommande , ch. XV-XVIII . - - Les Athéniens
votent l'expédition de Sicile , ch. XIX.- Nicias cherche à les effrayer
par la grandeur des préparatifs , ch . xx-xxIII. - Son discours pro-
-
duit l'effet contraire , ch. XXIV-XXV. — Commencement des prépara-
tifs , ch. xvI.- Mutilation des Hermès , ch. xxvII-XXIX . - Départ de
la flotte athénienne , ch . xxx-XXXII . - A Syracuse Hermocratès an-
nonce l'approche des Athéniens et sollicite des mesures de défense ,
ch . XXXIII-XXXIV. - Athénagoras cherche à le réfuter en parlant
dans le sens populaire , ch . xxxv-XL .' Un des généraux met fin au
débat , ch . XLI. -- Marche de la flotte athénienne , ch . XIII-XLIV. —
Préparatifs des Syracusains , ch . XLV. - Conseil de guerre tenu par
les généraux athéniens , ch. XLVI-XLIX. Naxos et Catane se décla-
rent pour les Athéniens , ch . L-LII. - Rappel d'Alcibiade , ch. LIII.
-Digression sur les Pisistratides , ch . LIV-LIX. - Alcibiade s'échappe ;
il est condamné par contumace , ch . LX-LXI. 1 Prise d'Hyccara par
les Athéniens , ch. LXII.- Dans l'hiver , les Athéniens abordent près
de Syracuse, battent les Syracusains et retournent à Catane , ch. LXIII-
LXXI. - Les Syracusains demandent des secours à Corinthe et à
Lacédémone , ch . LXXII-LXXIII . - Les Athéniens hivernent à Naxos ,
ch. LXXIV. - Les Syracusains se fortifient , ch. LXXV. Ambassade
des deux partis à Camarine ; discours d'Hermocratès et d'Euphémos ,
ch. LXXVI-LXXXVII. - Corinthe et Lacédémone décident l'envoi de
secours à Syracuse , ch. LXXXVIII.- Discours d'Alcibiade , ch . LXXXIX-
XCII. - Gylippe est désigné pour aller prendre le commandement
des Syracusains , ch. XCIII.- Dix- huitième année de la guerre. En-
treprises partielles des Athéniens et des Lacédémoniens , ch. XCIV-
XCV.- Les Athéniens s'établissent sur les Epipoles et entreprennent
le siége de Syracuse , ch. XCVI-XCVII. wwwww Ils commencent l'investis-
sement de la place ; les Syracusains cherchent inutilement à s'y
opposer , ch. XCVIII-CIII. Gylippe arrive en Italie avec des ren-
LIVRE VI. 317
forts , ch. CIV. -- Les Lacédémoniens envahissent l'Argolide ; les
Athéniens ravagent les côtes de Laconie ; rupture ouverte de la
paix , ch. cv.

I. Le même hiver , les Athéniens formèrent le projet de re-


tourner dans la Sicile avec des forces supérieures à celles de
Lachés et d'Eurymédon ' , afin de la subjuguer , s'ils le pou-
vaient. La plupart d'entre eux ignoraient la grandeur de cette
île et le nombre de ses habitants , Grecs et Barbares. Ils ne se
doutaient pas que c'était entreprendre une guerre presque
égale à celle du Péloponèse .
Pour faire le tour de la Sicile, il ne faut pas moins de huit
jours à un bâtiment marchand . Quoique si vaste, elle n'est sé-
parée du continent que par un bras de mer large tout au plus
de vingt stades . J'indiquerai d'abord quels furent les anciens
habitants de cette île et les divers peuples qui la colonisèrent.
II. Les premiers qui en occupèrent une partie furent , à ce
qu'on prétend , les Cyclopes et les Lestrygons . Il m'est impos-
sible de préciser l'origine de ces peuples , le lieu d'où ils étaient
sortis , ni celui où ils se retirèrent. A cet égard , nous sommes
réduits aux récits des poëtes et aux opinions individuelles.
Après eux , les Sicaniens paraissent avoir formé les premiers
établissements . A les croire , ils seraient même antérieurs , car
ils se disent autochthones ; mais le fait est que ce sont des
Ibériens , chassés par les Ligyens des bords du fleuve Sicanos
en Ibérie². Ce sont eux qui donnèrent à l'île le nom de Sicanie,
au lieu de celui de Trinacrie qu'elle portait auparavant. Ils
occupent encore aujourd'hui la partie occidentale de la Sicile.
Lors de la prise d'Ilion , quelques Troyens échappés aux
Grecs arrivèrent par mer en Sicile et s'établirent dans le voi-
sinage des Sicaniens. Ces peuples réunis prirent le nom d'E-
lymes. Leurs villes sont Eryx et Égeste. A cette colonie s'ad-
joignirent quelques Phocéens revenus de Troie et poussés par
des tempêtes d'abord en Libye , puis en Sicile..
Quant aux Sicules, ils habitaient primitivement l'Italie , d'où
ils passèrent en Sicile pour fuir les Opiques . On dit avec
a assez
de vraisemblance qu'ils franchirent le détroit sur des radeaux
en profitant d'un vent favorable, ou n'importe par quel moyen.
Il existe encore aujourd'hui des Sicules en Italie ; cette contrée
a même tiré son nom d'un de leurs rois , qui s'appelait Italos .
Arrivés en Sicile avec des forces considérables , ils défirent en
bataille les Sicaniens , les refoulèrent vers le sud et vers l'ouest
318 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
de l'île, et changèrent le nom de Sicanie en celui de Sicile. Ils
s'établirent dans la partie la plus fertile du pays , qu'ils occu-
pèrent près de trois cents ans à dater de leur passage jusqu'à
l'arrivée des Grecs en Sicile . De nos jours encore le centre et
le nord de l'île sont habités par eux.
Les Phéniciens créèrent aussi des établissements autour de
la Sicile. Ils se saisirent des caps et des îlots voisins des côtes ,
pour faciliter leur commerce avec les Sicules. Mais lorsque les
Grecs arrivèrent par mer en nombre toujours croissant , les
Phéniciens abandonnèrent la plupart de ces places , pour se
concentrer à Motya , Soloïs et Panormos, dans le voisinage des
Elymes. Ils y trouvaient le double avantage d'avoir un point
d'appui dans l'alliance de ces peuples , et d'être à proximité de
Carthage, qui en cet endroit n'est séparée de la Sicile que par
un court trajet.
III. Tels furent les Barbares qui peuplèrent la Sicile. Quant
aux Grecs , les premiers furent des Chalcidéens venus d'Eubée
sous la conduite de Thouclès. Ils fondèrent Naxos , ainsi que
l'autel d'Apollon Archégétès ' , qui est actuellement hors de la
2
ville, et où les théores partant de Sicile offrent leur premier
sacrifice .
L'année suivante , Syracuse fut fondée par l'Héraclide Ar-
chias, venu de Corinthe³ . Il chassa d'abord les Sicules de l'île
maintenant reliée à la terre ferme et qui forme le quartier inté-
rieur . Avec le temps , la ville extérieure devint aussi fort peuplée .
Cinq ans après la fondation de Syracuse , Thouclès et les
Chalcidéens , partant de Naxos , chassèrent les Sicules par la
force des armes , et fondèrent premièrement Léontini , puis
Catane. Les Catanéens prirent Évarchos pour fondateur .
IV. A la même époque , Lamis arriva en Sicile à la tête d'une
colonie de Mégariens , et fonda , près du fleuve Pantacyas, une
place nommée Trotilos. Il l'abandonna ensuite pour s'asso-
cier aux Chalcidéens de Léontini ; mais quelque temps après ,
chassé par eux, il alla fonder Thapsos . Après sa mort , ses
compagnons furent expulsés de cette ville ; et, sur l'invitation
d'Hyblon , roi des Sicules , qui leur céda des terres , ils allèrent
fonder Mégara-Hybléa . Après une occupation de deux cent
quarante- cinq ans , ils furent chassés de cette ville et de son
territoire par Gélon , tyran de Syracuse . Mais , avant leur ex-
pulsion et cent ans après leur premier établissement , ils avaient
senvoyé Pamillos fonder Sélinonte . Celui- ci était venu de Mé-
gare, leur métropole , pour présider à la colonisation.
LIVRE VI. 319

Géla fut fondée , quarante-cinq ans après Syracuse , par la


réunion de deux colonies , l'une de Rhodiens conduits par
Antiphémos , l'antre de Crétois ayant pour chef Eutimos . La ville
prit son nom du fleuve Géla ; mais le quartier qui maintenant
forme la citadelle et qui fut bâti le premier, s'appelle Lindies ' .
Cette ville reçut des institutions doriennes. Il y avait près de
cent huit ans qu'elle subsistait , lorsque ses habitants fondè-
rent Agrigente , dont ils empruntèrent le nom au fleuve Acra-
gas. Ils prirent pour fondateurs Aristonous et Pystilos , et don-
nèrent à cette ville les institutions de Géla.
Zanclé dut sa fondation à des pirates de Cymé , ville chalci-
déenne du pays des Opiques . Plus tard une troupe partie de Chal-
cis et du reste de l'Eubée vint partager le territoire avec eux.
Les fondateurs furent Périérès et Cratéménès , l'un de Cymé,
l'autre de Chalcis. Son nom primitif de Zanclé lui avait été
donné par les Sicules , parce que l'emplacement qu'elle occupe
a la forme d'une faucille , instrument que les Sicules appellent
zanclon. Dans la suite , les habitants furent expulsés par des
Samiens et par d'autres Ioniens , qui , fuyant les Mèdes , vinrent
aborder en Sicile. Ces Samiens furent chassés à leur tour par
Anaxilas, tyran de Rhégion , qui établit dans la ville une popu-
lation mélangée , et l'appela Messine du nom de son ancienne
patrie 2.
V. Himéra , colonie de Zanclé , eut pour fondateurs Euclidès,
Simos et Sacon . Elle fut peuplée par des Chalcidéens , aux-
quels s'adjoignirent des exilés de Syracuse, vaincus dans une
émeute et appelés Mylétides . Leur idiome fut un amalgame du
chalcidéen et du dorien ; mais la législation chalcidéenne pré-
valut.
Acræ et Casmènes furent fondées par des Syracusains , la
première soixante-dix ans après Syracuse , la seconde vingt
ans après Acræ.
Camarine fut originairement fondée par des Syracusains ,
environ cent trente-cinq ans après Syracuse . Les conducteurs
de la colonie furent Dascon et Ménécolos . Mais elle fut dé-
truite par les Syracusains parce qu'elle s'était révoltée . Dans
la suite, Hippocrates , tyran de Géla , reçut le territoire de Ca-
marine pour rançon de prisonniers syracusains , et devint le
nouveau fondateur de cette ville. Plus tard elle fut dépeuplée
derechef par Gélon , puis restaurée pour la troisième fois par
les habitants de Géla ¹.
VI. Telles sont les nations grecques et barbares qui peuplè-
320 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

rent la Sicile , et c'est dans un pays de cette étendue que les


Athéniens s'apprêtaient à porter la guerre. Leur vrai motif
était de faire la conquête de toute l'ile : mais le prétexte dont
ils coloraient cette entreprise était de secourir les populations
unies à eux par les liens du sang¹ ou par des traités. A cela il
faut joindre les instances des députés d'Égeste, venus à Athènes
pour réclamer aide et protection . Voisins de Sélinonte, les Éges-
tains étaient en guerre avec cette ville pour des questions de
2
mariages et de frontières. Les Sélinontins , soutenus par leurs
alliés de Syracuse , pressaient les Égestains par terre et par
mer. Ceux-ci , au nom de l'alliance conclue du temps de Lachès
et de la première guerre des Léontins , demandaient aux Athè-
niens d'envoyer une flotte à leur secours. Entre autres argu-
ments à l'appui de cette requête , ils faisaient valoir surtout
celui- ci : « Qu'on laisse impunie , disaient-ils , l'expulsion des
Léontins ; qu'on permette aux Syracusains de s'emparer de
toute la Sicile en écrasant les derniers alliés d'Athènes , et
bientôt on les verra s'unir comme Doriens aux Doriens dn
Péloponèse, comme colons à leurs fondateurs , pour renverser
la domination athénienne. La prudence exige donc de soutenir
les alliés qui restent encore en Sicile et de s'opposer aux Syra-
cusains , d'autant plus que les Égestains offrent de défrayer
l'armée. » A force d'entendre les Égestains et les orateurs qui
les appuyaient répéter ces discours dans les assemblées , les
Athéniens résolurent d'envoyer des députés à Égeste , pour vé-
rifier l'existence des valeurs qu'on disait être dans le trésor
public ou dans les temples , et pour s'informer du point où en
était la guerre avec Sélinonte . Ces députés partirent pour la
Sicile.
VII. Le même hiver , les Lacédémoniens et leurs alliés , sauf
les Corinthiens , firent une incursion en Argolide, ravagèrent
une portion du territoire , et emportèrent du blé sur des cha-
1
riots qu'ils avaient amenés . Ils établirent à Ornées ¹ les exilés
argiens, y laissèrent des troupes , et firent une convention en
vertu de laquelle les Ornéates et les Argiens devaient tempo-
rairement s'abstenir de toute agression mutuelle ; puis ils ren-
trèrent dans leurs foyers avec le reste de leur armée . Mais les
Athéniens étant peu après survenus avec trente vaisseaux et
six cents hoplites , les Argiens en masse sortirent avec eux et
assiégèrent Ornées pendant un jour. La nuit suivante , les Or-
néates profitèrent de l'éloignement des campements ennemis
pour s'évader. Dès le lendemain , les Argiens , s'étant aperçus
LIVRE VI. 321

de leur départ, rasèrent Ornées et firent leur retraite. La flotte


athénienne repartit également.
Les Athéniens expédièrent par mer à Méthone, sur les con-
fins de la Macédoine , un corps de cavalerie composé de ci-
toyens et d'exilés macédoniens réfugiés à Athènes. Ces troupes
infestèrent le pays de Perdiccas . Les Lacédémoniens députèrent
aux Chalcidéens du littoral de la Thrace , qui n'avaient avec
les Athéniens qu'une trêve de dix jours , pour les engager à
joindre leurs armes à celles de Perdiccas ; mais les Chalcidéens
s'y refusèrent. Sur quoi l'hiver finit , ainsi que la seizième an-
née de la guerre que Thucydide a racontée .
VIII. Dès les premiers jours du printemps suivant (a) , les dé-
putés athéniens revinrent de Sicile , avec des envoyés d'Égeste
apportant soixante talents d'argent non monnayé, comme solde
d'un mois pour soixante vaisseaux , dont ils se proposaient de
solliciter l'envoi . Les Athéniens tinrent une assemblée . dans
laquelle ils entendirent les rapports captieux et mensongers
des Égestains et de leurs propres députés , affirmant qu'ils
avaient vu de grandes valeurs toutes prêtes, soit dans les tem-
ples, soit dans le trésor public. Les Athéniens décrétèrent l'en-
voi de soixante vaisseaux en Sicile , avec des généraux munis
de pleins pouvoirs ; c'étaient Alcibiade fils de Clinias , Nicias
fils de Nicératos , et Lamachos fils de Xénophanès . Ils eurent
ordre de secourir Egeste contre Sélinonte, de rétablir dans
leur patrie les Léontins , si la guerre prenait une tournure
favorable ; enfin de régler toutes les affaires de Sicile de la
manière qu'ils jugeraient la plus avantageuse aux Athéniens .
Cinq jours après cette assemblée , il y en eut une autre pour
aviser aux moyens d'activer l'armement de la flotte et pour
voter les demandes supplémentaires des généraux. Nicias, qui
-avait été élu malgré lui , et qui pensait que la ville avait été
mal inspirée en formant , sous un prétexte spécieux , le gigan-
tesque projet de conquérir toute la Sicile , parut à la tribune
pour détourner le peuple de cette résolution , et prononça le
discours suivant :
IX. « Cette assemblée a pour objet les préparatifs de notre
expédition de Sicile . Selon moi cependant , il convient de reve-
nir sur le fond même de la question , pour examiner si nous
faisons bien , après une courte délibération sur un sujet si
grave, d'envoyer nos -vaisseaux et de nous lancer , à l'instiga-

(a) Dix-septième année de la guerre, an 415 avant J.-C.


322 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

tion d'étrangers, dans une guerre qui ne nous touche en


rien .
« Et pourtant la carrière des armes a été pour moi une source
de gloire. Moins que d'autres j'appréhende pour ma personne
-non que je nie le patriotisme de celui qui ménage sa vie ou
sa fortune ; un tel homme, dans son propre intérêt même, re-
cherche la sûreté de l'État ; mais jamais dans ma vie anté-
rieure l'attrait des honneurs ne m'a porté à trahir ma con-
science , et aujourd'hui comme toujours je parlerai selon ma
conviction .
« Je sais qu'avec votre caractère j'aurais peu de chance
d'être écouté , si je vous exhortais à conserver ce que vous
possédez , sans risquer le certain pour l'incertain, le réel pour
l'imaginaire . Aussi me bornerai-je à vous démontrer que le
moment est mal choisi pour cette entreprise, et que le but
auquel vous visez n'est pas facile à atteindre.
X. « Je soutiens qu'entreprendre cette expédition lointaine ,
c'est vouloir , aux nombreux ennemis que nous laissons der-
rière nous , en ajouter de nouveaux et les attirer ici . Vous
croyez peut-être que la paix récemment conclue a quelque
solidité. Cette paix, tant que vous serez tranquilles , subsistera
de nom ' c'est à quoi l'ont réduite les intrigues pratiquées
soit chez nous, soit ailleurs ; — mais au moindre échec que nous
viendrons à subir, nos ennemis s'empresseront de nous atta-
quer: d'abord parce qu'ils ont traité à la suite de revers , par
nécessité, à des conditions humiliantes ; puis parce que le
texte du traité laisse plusieurs points en litige . Il est même tels
peuples - et ce ne sont pas les moins puissants - qui n'ont
pas encore accepté cette paix. Les uns nous font une guerre
ouverte, les autres ne sont retenus que par l'inaction des Lacé-
démoniens et par des armistices de dix jours . Qui sait si , trou-
vant nos forces divisées -- et c'est à quoi nous travaillons pré-
sentement, ils ne seront pas tentés de nous attaquer , de
concert avec les Grecs de Sicile, dont naguère ils eussent mis
l'alliance à un si haut prix ?
« C'est là ce qu'il nous faut envisager, au lieu d'aller , quand
la situation de notre république est si incertaine , nous jeter
dans des périls pour étendre notre domination avant de l'avoir
affermie. Les Chalcidéens du littoral de la Thrace , révoltés de-
puis tant d'années, sont encore insoumis ; certains peuples du
continent ne montrent qu'une obéissance douteuse ; et nous "
qui sommes si prompts à prendre fait et cause pour les Éges-
LIVRE VI. 323

tains , nous différons de venger nos propres outrages sur des


sujets dès longtemps insurgés .
XI. « Si nous venions à bout de les réduire , il y aurait
moyen de les contenir. Pour ceux de Sicile , nous aurions beau
les vaincre, il nous serait presque impossible, vu leur éloigne-
ment et leur grand nombre , de les faire rester dans le devoir.
Or il est insensé de marcher contre des peuples que la victoire
ne pourra soumettre , tandis qu'un échec suffit pour qu'on ne
puisse plus les attaquer avec le même avantage.
« A mon avis , les Grecs de Sicile , dans leur état présent ,
nous sont peu redoutables . Ils le seraient bien moins s'ils de-'
venaient sujets de Syracuse , ce qui est le grand épouvantail
agité par les Égestains. Aujourd'hui , divisés comme ils le sont,
ils pourraient marcher contre nous par complaisance pour
Lacédémone ; mais, dans l'autre hypothèse , il n'est pas à pré-
sumer qu'un empire s'attaque à un autre empire. Supposez en
effet que, d'accord avec les Péloponésiens , ils parvinssent à
détruire notre domination ; la leur, selon toute apparence , su-
birait le même sort de la part des mêmes hommes. Pour nous,
le meilleur moyen d'imposer aux Grecs de ces contrées , c'est
de nous en tenir à distance ou de n'y faire qu'une courte appa-
rition pour leur montrer notre puissance , et de nous retirer
aussitôt après. Autrement, au premier échec de nos armes, ils
ne manqueraient pas de nous mépriser et de se joindre à nos
anciens adversaires . Nous savons tous qu'on admire ce qui est
lointain, ce qui n'a pas encore donné la mesure de ses forces.
Vous l'avez éprouvé vous -mêmes à l'égard des Lacédémoniens
et de leurs alliés. Pour avoir triomphé d'eux contrairement à
votre attente et à vos premières appréhensions , vous en êtes
venus à les dédaigner et déjà même à convoiter la Sicile. Or
il ne faut pas se prévaloir des revers de ses ennemis , mais
attendre pour prendre confiance que l'on ait terrassé leur
orgueil.
« Ne croyez pas que les Lacédémoniens , dans leur abaisse-
ment actuel , aient d'autre ambition que de déjouer , s'il se
peut , nos projets , et d'effacer une tache compromettante pour
leur réputation si lentement et si laborieusement acquise .
Aussi n'est-ce pas des Egestains , peuple barbare , que nous
devons nous préoccuper, si nous sommes sages, mais plutôt
des meilleurs moyens de prévenir les embûches d'un gouver-
nement oligarchique .
XII. Ne perdons pas de vue qu'à peine sortis d'une guerre
324 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

et d'une épidémie terribles , nous commençons seulement à re-


prendre haleine et à voir s'accroître nos richesses et notre
population. Ces ressources , il est juste de les employer pour
nous-mêmes , et non pour ces bannis qui mendient des secours.
Ils ont leurs raisons pour déguiser adroitement la vérité. Aux
autres les périls ; pour eux l'enjeu n'est qu'en paroles . En cas de
succès , jamais leur reconnaissance n'égalera le service rendu ;
en cas de malheur , ils entraîneront leurs amis dans la ruine.
« Si certain personnage , tout fier d'un commandement qu'il qu
est trop.jeune pour exercer , vous excite à une expédition qul
lui permettra de briller par ses chevaux et de faire servir à
son faste la dignité dont il est revêtu , ne sacrifiez pas l'utilité
publique à l'ostentation d'un particulier. Songez que de tels
citoyens sont les fléaux de l'Etat et les dissipateurs de leur
patrimoine. Ne livrez pas une si vaste entreprise à la témérité
d'un jeune homme.
XIII. Quand je vois ses adhérents groupés autour de lui ,
je ne puis me défendre d'un sentiment de crainte . A mon tour,
j'exhorte les hommes d'âge , qui se trouvent assis à leurs côtés ,
à ne pas se laisser dominer par une fausse honte ou par la
peur de passer pour des lâches en se prononçant contre l'expé-
dition . Qu'ils se gardent d'imiter leurs voisins dans leur fol
engouement pour les objets lointains ; car on ne gagne rien
par la passion, mais bien par la prudence. Qu'ils votent en
sens contraire , par affection pour cette patrie qui s'expose au
plus grand de tous les dangers. Qu'ils décrètent que les Sici-
liens conserveront, par rapport à nous , leurs limites actuelles,
1
limites fort bien tracées, savoir le golfe lonien en suivant la
côte , la mer Sicilienne en tirant au large , et qu'ils peuvent
régler entre eux leurs différends. Aux Égestains en particulier
disons qu'ayant commencé leur guerre avec Sélinonte sans
nous consulter , c'est à eux de la terminer par eux-mêmes.
Gardons-nous désormais de faire alliance avec des peuples qu'il
nous faut soutenir dans leurs disgrâces , et qui dans les nôtres
ne nous sont d'aucun appui.
XIV. « Et toi , prytane ¹ , si tu crois de ton devoir de veiller
au salut de l'État, et si tu veux faire acte de patriotisme, remets
l'affaire aux voix et fais procéder à une seconde délibération .
Si tu appréhendes de revenir sur la chose votée , songe que
cette dérogation à la loi ne saurait être répréhensible quand
elle a lieu devant tant de témoins. Songe aussi que tu seras le
sauveur de la ville mal conseillée , et que le rôle d'un bon ma-
LIVRE VI. 325

gistrat est de rendre à la patrie le plus de services possible ,


ou tout au moins de ne lui causer volontairement aucun mal. »
XV. Tel fut le discours de Nicias. Les orateurs qui lui suc-
cédèrent à la tribune parlèrent pour la plupart dans le sens de
la guerre et du maintien du vote précédent ; quelques -uns fu-
rent d'avis coutraire. Mais le plus ardent promoteur de l'en-
treprise fut Alcibiade fils de Clinias. Il y était porté par anta-
gonisme contre Nicias, son adversaire politique , et aussi parce
qu'il venait d'être désigné d'une manière offensante. D'ailleurs
il ambitionnait un commandement qui devait amener la con-
quête de la Sicile et de Carthage , en lui procurant à lui -même
des richesses et de la gloire. Jouissant de la considération pu-
blique, il portait ses vues fort au-dessus de sa condition , et
dévorait son patrimoine en chevaux et en autres prodigalités.
Cet homme fut un des principaux auteurs de la ruine d'Athènes .
Bien des gens , alarmés du luxe effréné qu'il déployait dans sa
manière de vivre , et de l'audace qui perçait dans toutes ses
conceptions , prirent de l'ombrage contre lui , et le soupçon-
nèrent d'aspirer à la tyrannie. Aussi , quoiqu'il eût fait comme
général les meilleures dispositions stratégiques , l'animosité
qu'inspira sa conduite privée fut cause qu'on lui substitua d'au-
tres chefs , qui ne tardèrent pas à mener la ville à sa perte.
En cette occasion, il parut devant le peuple et parla en ces
termes :
XVI. « Puisque Nicias m'a pris à partie , je dirai d'abord que
le commandement m'appartient mieux qu'à d'autres et que
j'ai droit à cet honneur. Ce qui m'attire la malveillance , c'est
précisément ce qui fait ma gloire , celle de mes ancêtres et
l'avantage de l'État. En effet , les Grecs, à la vue de la magni-
ficence déployée par moi aux jeux Olympiques , se sont exa-
géré la puissance de notre ville , qu'ils se figuraient écrasée.
par la guerre. J'ai lancé sept chars dans l'arène , ce qu'aucun
particulier n'avait fait avant moi ; j'ai remporté le prix , ob-
tenu le second et le quatrième rang ; enfin j'ai fait les choses
d'une manière digne de ma victoire. Or, d'après la loi , c'est là
un honneur, et c'est aussi en réalité un indice de puissance.
« Quant à l'éclat que je répands dans la ville par les choré-
2
gies ou à d'autres égards , on conçoit qu'il offusque les ci-
toyens ; mais , aux yeux des étrangers , c'est encore un signe
3
de force . Elle n'est pas sans utilité, cette extravagance par
laquelle on sert à ses propres dépens et soi-même et l'Etat .
Est-ce donc un crime , à qui est animé d'un noble orgueil , de
THUCYDIDE . 19
326 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

ne pas aller de pair avec tout le monde? S'il est vrai que le
malheureux n'ait personne qui lui tende la main , si toutes les
portes se ferment devant lui , de même on doit prendre son
parti de se voir dédaigné par les favoris de la fortune. Pour
qu'il en fût différemment, il faudrait accorder aux autres cette
réciprocité qu'on réclame pour soi-même..
Je le sais , tous ceux qui se distinguent de la foule pro-
voquent de leur vivant la jalousie de leurs égaux et même de
tous ceux qui les entourent ; mais plus tard il se trouve des
gens qui revendiquent, même à tort, l'honneur de descendre
d'eux; leur patrie s'enorgueillit de leur renommée , et, loin de
la tenir pour étrangère ou de mauvais aloi , elle se l'approprie
et la proclame sans tache.
« C'est là l'objet de mon ambition . Bien que ma conduite
privée soit en butte à la médisance, examinez si les affaires
publiques ont périclité sous ma direction . C'est moi qui ai ligué
les plus puissants États du Péloponèse, et forcé les Lacédé-
moniens , sans trop de danger ni de dépense pour vous, à jouer
en un seul jour le tout pour le tout à Mantinée ; et malgré leur
victoire, ils ne sont pas encore pleinement rassurés.
XVII. « Il y a plus : ma jeunesse et mon extravagance pré-
tendue ont su, par des discours convenables, gagner à votre
cause la masse des Péloponésiens, et , à force de zèle , leur
communiquer de la confiance. Maintenant donc ne craignez
rien de ces mêmes qualités ; mais , tandis que je les possède
encore et que la fortune semble favoriser Nicias , profitez des
services que nous pouvons vous rendre . Surtout ne vous laissez
pas détourner de l'expédition de Sicile par la pensée qu'elle
est dirigée contre des peuples puissants .
« Les villes de ce pays ont une population nombreuse , à la
vérité, mais composée d'éléments hétérogènes ; ce qui les rend
sujettes à des révolutions et à des bouleversements sans fin.
Personne n'y regarde la patrie comme son bien; aussi personne
ne se fournit d'armes pour la défendre. L'Etat lui-même n'a
point de matériel régulier. Chacun prend ses mesures pour
tirer quelque avantage du public par la persuasion ou par
l'émeute ; s'il échoue, il en est quitte pour s'expatrier. Com-
ment donc de pareilles agglomérations pourraient- elles mettre
de l'unité dans leurs conseils ou dans leurs actes ? On verra
bientôt les villes venir à nous l'une après l'autre à la première
ouverture capable de leur plaire, surtout si, comme on l'assure ,
elles sont en proie aux dissensions.
LIVRE VI. 327

<< D'ailleurs ne croyez pas que leurs hoplites soient aussi


nombreux qu'on l'affirme . Il doit en être à cet égard comme
du reste des Grecs , chez qui les forces réelles se sont trouvées
fort au-dessous des évaluations arbitraires que chaque peuple
en faisait. La Grèce , après avoir accusé des chiffres fabuleux,
a reconnu dans la présente guerre que l'effectif de ses troupes
réglées ne dépassait pas le strict nécessaire .
« Telles sont, si je suis bien renseigné , les facilités que nous
trouverons en Sicile, sans parler d'une foule de Barbares qui ,
par haine pour Syracuse , se joindront à nous pour l'attaquer.
Les affaires de Grèce ne nous arrêteront point, si nous prenons
bien nos mesures. Outre ces mêmes adversaires qu'on nous
reproche de laisser derrière nous, nos pères avaient encore à
combattre le Mède ; ce qui ne les empêcha pas de fonder leur
empire, sans autre appui que leur supériorité navale. Les Pélo-
ponésiens sont plus éloignés que jamais de toute velléité agres-
sive contre nous ; supposé même qu'ils s'enhardissent au point
de recommencer la guerre , ils n'ont pas besoin d'attendre notre
départ pour envahir notre pays ; mais sur mer ils ne peuvent
absolument rien contre nous , car nous laissons ici une marine
imposante.
XVIII. « Comment donc justifier notre défaut de zèle et notre
refus de secourir nos alliés ? Nous leur devons aide et pro-
tection ; nos serments nous y obligent. N'écoutez pas ceux qui
vous disent qu'il ne faut attendre d'eux aucune réciprocité. Si
nous les avons accueillis , ce n'était pas pour qu'ils vinssent
ici nous défendre, mais pour qu'ils retinssent chez eux nos
ennemis . Par quel autre système avons-nous obtenu l'empire,
nous et tous ceux qui l'ont possédé , si ce n'est en étant tou-
jours prêts à secourir les Grecs et les Barbares qui réclamaient
notre appui ? Si chacun de nous, quand son aide est néces-
saire , demeurait en repos ou chicanait sur les races , nous
étendrions peu notre puissance, ou plutôt nous la mettrions
en péril. Avec des adversaires formidables , la prudence
consiste à prévenir leurs attaques , non moins qu'à les re-
pousser. Nous ne sommes pas libres de graduer à volonté l'ex-
tension de notre empire. Force nous est de menacer les uns
et de comprimer les autres ; car nous serions en danger de
tomber sous une domination étrangère, si nous cessions nous-
mêmes de dominer. Vous ne pouvez envisager le repos du
même œil que les autres peuples, à moins de modeler vos prin-
cipes sur les leurs .
328 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

« En naviguant vers ces parages , nous augmenterons sans


aucun doute la puissance que nous possédons déjà . Faisons
cette entreprise , ne fût-ce que pour rabattre l'orgueil des Pé-
loponésiens , et pour leur montrer que, peu soucieux de la tran-
quillité présente, nous portons nos armes jusqu'en Sicile . Par
là de deux choses l'une ou nous ferons une conquête qui nous
vaudra l'empire de la Grèce entière, ou tout au moins nous
écraserons les Syracusains, ce qui sera un bénéfice réel pour
nous et pour nos alliés. Nos vaisseaux assureront notre séjour
en cas de succès , ou notre retraite ; car nous l'emporterons
toujours par la marine sur les Siciliens réunis .
<< Ne vous laissez pas influencer par les discours de Nicias,
par l'inaction qu'il vous conseille , ni par la scission qu'il cherche
à établir entre les jeunes et les vieux ; mais, fidèles à nos an-
ciennes coutumes et à l'exemple de nos pères, qui , par l'union
de ces deux âges , ont élevé notre patrie au rang qu'elle occupe
aujourd'hui , efforcez-vous d'accroître sa puissance en marchant
sur leurs traces . Songez que la vieillesse et la jeunesse ne
peuvent rien l'une sans l'autre ; mais que ce qui fait la force ,
c'est l'assemblage et la combinaison de la faiblesse , de la mé-
diocrité et de la perfection . Soyez-en bien persuadés : si la ré-
publique est inactive , elle s'usera elle-même comme tout le
reste , et tous les talents y périront de décrépitude , tandis
que par la lutte elle acquerra sans cesse une nouvelle vigueur
et s'accoutumera à se défendre par des actions plutôt que par
des paroles . En un mot , j'estime qu'un Etat accoutumé à l'ac-
tivité marche rapidement à sa ruine lorsqu'il se plonge dans
l'inertie, et que, pour un peuple, le meilleur moyen d'assurer
sa sécurité, c'est de s'écarter le moins possible des mœurs et
des lois établies , quelque imparfaites qu'elles soient . »
XIX . Ainsi parla Alcibiade. Après lui , les Athéniens enten-
dirent les Égestains et les exilés léontins , qui les supplièrent ,
au nom de la foi jurée, de venir à leur secours . Aussi l'ardeur
des Athéniens fut-elle visiblement accrue. Nicias, jugeant dé-
sormais impossible de les dissuader par la même argumenta-
tion , mais espérant encore les effrayer par la grandeur de l'ar-
mement qu'il réclamerait, prit une seconde fois la parole et dit :
XX. « Athéniens, du moment que votre résolution est irré-
vocable, puisse cette guerre réussir selon vos vœux. Dans cette
situation , je vous dois compte de toute ma pensée. Nous allons
attaquer des villes qu'on dit grandes, indépendantes, et nulle-
ment désireuses de ces révolutions où l'on se jette volontiers
LIVRE VI. 329

pour échapper aux rigueurs de la servitude. Il est donc peu


probable qu'elles acceptent notre domination en échange de
leur liberté. D'ailleurs le nombre des villes grecques est con-
sidérable pour une seule ile . Indépendamment de Naxos et de
Catane , qui, je l'espère, feront cause commune avec nous , à
cause de leur parenté avec les Léontins, on en compte sept ' ,
qui possèdent des forces militaires semblables aux nôtres , no-
tamment Sélinonte et Syracuse , qui sont toutes deux le principal
but de notre expédition. Elles sont abondamment pourvues
d'hoplites, d'archers , de gens de trait, de trirèmes et de ma-
telots . Elles ont des richesses immenses , provenant soit des
particuliers , soit des temples de Sélinonte, soit des tributs levés
par Syracuse sur les Barbares de sa dépendance . Elles ont enfin
sur nous le double avantage de posséder une forte cavalerie
et de s'approvisionner à l'intérieur, sans recourir aux impor-
tations.
XXI . « Contre une telle puissance , une armée navale et mé-
diocre ne suffit pas. Il faut emmener des troupes de terre en
grand nombre, si nous voulons obtenir un résultat significatif,
et ne pas nous voir fermer la campagne par la cavalerie en-
nemie ; car il est à craindre que les villes épouvantées ne se
coalisent contre nous, et que les Egestains seuls nous fournissent
des cavaliers auxiliaires . Or il serait honteux pour nous d'être
forcés à la retraite , ou réduits à demander des renforts pour
n'avoir pas pris tout d'abord nos mesures .
<< Il nous faut donc partir avec un armement complet. N'ou-
blions pas que nous allons porter la guerre dans une contrée
lointaine ; qu'il ne s'agit pas ici d'une de ces expéditions en-
treprises par nous en qualité d'alliés, chez nos sujets , dans une
terre amie , d'où il est aisé de se procurer tout ce dont on a
besoin. Vous allez opérer à une distance énorme, dans un pays
tout à fait étranger, d'où , pendant les quatre mois d'hiver , il
n'est pas facile de recevoir un simple message.
XXII. « J'estime donc que nous devons emmener un très-
grand nombre d'hoplites , levés chez nous , chez nos alliés , chez
nos sujets, même dans le Péloponèse , si nous pouvons en atti-
rer par la persuasion ou par l'appât du gain. Il faut aussi
beaucoup d'archers et de frondeurs , pour les opposer à la ca-
valerie ennemie. Il faut une flotte formidable pour assurer nos
communications. Il faut des transports pour embarquer des
provisions de bouche, du froment, de l'orge torréfiée , avec des
meuniers mis en réquisition moyennant salaire et tirés pro-
330 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
portionnellement des moulins , afin que l'armée , forcée de relâcher ,
ne manque pas de subsistances ; car nombreuse comme elle
sera, toutes les villes ne pourront pas la recevoir. En un mot,
il nous faut faire tous les préparatifs imaginables , pour ne pas
être à la merci des étrangers ; surtout emporter d'ici beaucoup
d'argent ; car pour celui qu'on assure être prêt à Égeste, dites-
vous bien qu'il ne l'est qu'en paroles .
XXIII. « Et quand nous partirions avec des forces non-seu-
lement capables de tenir tête à celles des ennemis, mais encore
supérieures à tous égards , je ne sais si nous serions en état de
vaincre et de nous maintenir. Nous devons nous considérer
comme des gens qui vont fonder une colonie au sein de popu-
lations étrangères et hostiles ; obligés par conséquent de s'em-
parer du sol dès le premier jour de leur arrivée , sous peine de
voir, au moindre revers , tout le monde se tourner contre eux.
« C'est dans cette appréhension , c'est dans la pensée que
nous avons besoin de beaucoup de prudence et de plus de bon-
heur encore , - deux choses rares dans la vie, - que je veux, si
je dois partir, donner au hasard le moins possible, et ne m'em-
barquer qu'après avoir pris les dernières précautions. A ce
prix, selon moi , est la sûreté de l'État , de même que notre
salut à nous qui allons combattre. Si quelqu'un est d'un avis
contraire, je lui cède le commandement . »>
XXIV. Ainsi parla Nicias. Il comptait refroidir le zèle des
Athéniens par ses exigences, ou , s'il était obligé de partir , le
faire avec moins de danger. Mais il arriva précisément l'inverse :
loin de reculer devant l'énormité de l'armement, les Athéniens
en conçurent une ardeur nouvelle ; l'avis de Nicias parut ex-
cellent , et l'on crut n'avoir plus rien à craindre. La passion
de s'embarquer saisit tout le monde à la fois : les vieillards ,
dans l'espoir qu'on subjuguerait le pays où l'on allait porter la
guerre, ou tout au moins qu'une si grande armée n'aurait à
redouter aucun malheur ; les jeunes gens , dans le désir de vi-
siter une contrée lointaine et dans l'espoir d'échapper aux
périls ; la masse et les gens de guerre, par l'appât d'une solde
immédiate et de conquêtes qui seraient pour eux une source
intarissable de gain. Au milieu de cet élan universel, les ci-
toyens peu nombreux qui désapprouvaient l'entreprise n'osaient
ouvrir la bouche ni refuser leur suffrage, de crainte de paraître
malintentionnés .
XXV. Enfin un Athénien monte à la tribune, interpelle Nicias ,
et le somme de renoncer aux tergiversations et aux défaites,
LIVRE VI. 331

mais de déclarer nettement et séance tenante quels sont les


préparatifs que l'assemblée doit voter. Ainsi mis en demeure,
Nicias répondit qu'il en conférerait à loisir avec les généraux
ses collègues ; mais que, pour le moment, son opinion person-
nelle était qu'on ne devait pas se mettre en mer avec moins de
cent triremes ; que les bâtiments pour le transport des hoplites
seraient fournis en partie par les Athéniens dans une proportion
déterminée , en partie par des réquisitions faites chez les alliés ;
que la totalité des hoplites, soit d'Athènes , soit des villes alliées ,
devait être d'au moins cinq mille, et au-dessus s'il se pouvait ;
qu'on réglerait en conséquence le reste de l'armement, savoir:
archers nationaux ou crétois, frondeurs, et en un mot tout ce
qui serait jugé nécessaire.
XXVI. Après avoir entendu ces paroles, les Athéniens décré-
tèrent sur-le-champ que les généraux auraient plein pouvoir pour
fixer, selon leur prudence, la force des troupes et tous les dé-
tails de l'expédition . Ensuite commencèrent les préparatifs. On
envoya chez les alliés ; on fit des levées à Athènes . La ville avait
depuis peu réparé les brèches causées par la peste et par une
guerre prolongée ; durant la paix, elle avait vu s'accroître sa .
population et ses revenus. Aussi l'on pouvait se procurer tout
plus facilement. Les préparatifs se poursuivaient.
XXVII . Sur ces entrefaites , il arriva qu'en une seule nuit
les Hermès de pierre ' , figures quadrangulaires qui , suivant
l'usage du pays , sont placées en grand nombre devant les tem-
ples et les édifices particuliers , se trouvèrent pour la plupart
mutilés au visage . Nul ne savait les auteurs de cette profana-
tion ; la ville promit de fortes récompenses à qui les découvri-
rait. On invita aussi tout citoyen, étranger ou esclave , qui au-
rait connaissance de quelque autre sacrilége commis , à le
déclarer librement. Cette affaire prit des proportions considéra-
bles ; on y voyait un présage relatif à l'expédition , un complot
organisé pour bouleverser l'État et pour abolir la démocratie.
XXVIII. En conséquence un certain nombre de météqués et
de valets firent une déposition relative , nullement aux Hermès,
mais à d'autres statues, que des jeunes gens ivres s'étaient
précédemment fait un jeu de mutiler. Ils ajoutèrent qu'on pa-
rodiait dans quelques maisons les mystères , et qu'Alcibiade
n'y était pas étranger. Ses ennemis , qui voyaient en lui un
obstacle à leur ascendant sur le peuple, et qui espéraient,
grâce à son éloignement , devenir les premiers personnages de
la république, saisirent avec avidité ce prétexte et l'amplifie-

999
332 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

rent à plaisir. Ils allaient répétant partout que la contrefaçon


des mystères et la mutilation des Hermès étaient son ouvrage,
et qu'elles avaient pour but le renversement de la démocratie .
Pour preuve, ils alléguaient la manière antipopulaire dont il
mettait toute sa conduite en désaccord avec les lois.
XXIX . Alcibiade chercha dans l'instant à repousser ces ca-
lomnies. Il offrit de se présenter en justice avant le départ de
l'expédition, dont les apprêts étaient terminés. Il demandait à
être puni si sa culpabilité était démontrée , ou, dans le cas
contraire , à conserver son commandement. Il conjurait le
peuple de ne pas accueillir des imputations dirigées contre lui
pendant son absence , mais de le mettre à mort sur-le-champ
s'il le croyait coupable ; ajoutant qu'il serait de la dernière im-
prudence de l'expédier à la tête d'une grande armée sous le poids
de telles charges et avant jugement. Mais ses ennemis s'y oppo-
sèrent de toutes leurs forces ; ils craignaient, en lui faisant
immédiatement son procès, qu'il n'eût pour lui l'armée, et que
le peuple ne le ménageât , parce que c'était à lui qu'on était
redevable de la part que les Argiens et quelques Mantinéens
prenaient à l'expédition . Ils suscitèrent donc d'autres orateurs ,
qui dirent qu'Alcibiade devait préalablement s'embarquer et
ne pas retarder le départ, qu'au besoin il reviendrait plaider sa
cause dans un délai déterminé. Leur intention était de le diffa-
mer toujours davantage en son absence , puis de le mander
pour qu'il eût à se justifier. Il fut résolu qu'Alcibiade par-
tirait.
XXX. On était déjà au milieu de l'été quand la flotte appa-
reilla pour la Sicile. Le gros des alliés , les transports chargés
de vivres , les autres bâtiments et tout le matériel de guerre
avaient été précédemment acheminés sur Corcyre , d'où l'ar-
mée réunie devait traverser le golfe Ionien en se dirigeant
vers la pointe d'lapygie ' . Au jour fixé , les Athéniens et ceux
des alliés qui se trouvaient à Athènes descendirent au Pirée ,
et, dès l'aurore, montèrent sur les vaisseaux prêts à les rece-
voir. Avec eux descendit presque toute la population , citoyens
et étrangers. Les gens du pays accompagnaient leurs amis ,
leurs parents ou leurs fils ; ils marchaient pénétrés à la fois
d'espérance et de tristesse , en pensant d'une part aux conquêtes
qu'ils allaient faire, d'autre part à l'incertitude de jamais se
revoir et à la distance qui allait se trouver entre eux et leur
patrie. Dans ce moment de séparation et à la veille du danger,
les difficultés de l'entreprise leur apparaissaient plus frappantes
LIVRE VI. 333

que lorsqu'ils l'avaient décrétée ; néanmoins le grand déploie-


ment de forces qu'ils avaient sous les yeux leur rendait con-
fiance. Quant aux étrangers et au reste de la foule , ils étaient
accourus par simple curiosité , pour jouir d'un spectacle gran-
diose et véritablement incroyable .
XXXI. Jamais armée grecque si superbe et si magnifique-
ment équipée n'était sortie d'un même port. Pour le nombre
des vaisseaux et des hoplites , celle qui alla à Épidaure avec
Périclès et ensuite à Potidée avec Hagnon n'était point infé-
rieure¹ ; car elle comptait quatre mille hoplites , quatre cents
cavaliers , cent trirèmes d'Athènes , cinquante de Lesbos et de
Chios , sans parler des autres alliés ; mais elle n'avait qu'une
courte traversée à faire et son équipement laissait beaucoup
à désirer. Ici au contraire l'expédition devait être de longue du-
rée, et il fallait qu'elle pût agir au besoin sur terre et sur mer.
La flotte avait été armée à grands frais par l'État et par les trié-
rarques. L'État donnait une drachme par jour à chaque matelot² ;
il fournissait les vaisseaux , soixante bâtiments légers, quarante
pour le transport des hoplites , avec des équipages de choix. Les
triérarques allouaient un supplément de solde aux matelots dits
thranites et aux autres rameurs ; ils avaient orné leurs navires
de riches emblèmes et de toute sorte d'embellissements ; cha-
cun d'eux avait fait les plus grands sacrifices pour que son
bâtiment se distinguât par son élégance et par la rapidité de
sa marche. L'infanterie avait été recrutée d'après des rôles soi-
gneusement dressés¹ ; les soldats avaient rivalisé entre eux
pour la beauté des vêtements et des armes ; en un mot, chacun
avait fait les derniers efforts pour briller à la place qui lui
était assignée . On eût dit une démonstration de force et de
puissance pour éblouir la Grèce , plutôt qu'un armement dirigé
contre des ennemis . Si l'on additionne ce que l'État et les par-
ticuliers avaient déboursé pour cette expédition , l'État par ses
avances et par les sommes fournies aux généraux partants , les
particuliers par les frais des soldats pour leur équipement et
des triérarques pour leurs navires ; si l'on y joint tout l'argent
que chacun, indépendamment de la solde publique , devait se
procurer pour un voyage de long cours , enfin celui que les
soldats et les marchands emportaient pour trafiquer, on se fera
une idée de l'énorme quantité de numéraire qui sortait alors.
d'Athènes. L'expédition n'était pas moins remarquable par sa
prodigieuse hardiesse et par l'éclat de son appareil , que par
la disproportion de ses forces avec son but avoué . L'immense
334 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

étendue du trajet ajoutait encore à la grandeur d'une entre-


prise qui offrait la perspective illimitée d'un splendide avenir.
XXXII. L'embarquement terminé , la trompette commanda
le silence , et l'on fit les vœux accoutumés avant le départ ,
non pas sur chaque vaisseau isolément , mais sur la flotte en-
tière et par le ministère d'un héraut. Dans toute l'armée, on
mêla du vin dans des cratères ; chefs et soldats firent des liba-
tions avec des coupes d'or et d'argent. A ces invocations s'u-
nissaient celles de la multitude restée sur le rivage , et compo-
sée de citoyens et d'autres assistants favorablement disposés .
Le Péan chanté et les libations achevées , la flotte prit le large.
D'abord elle sortit du port à la file ; puis elle jouta de vitesse
jusqu'à Égine ; de là elle se dirigea rapidement sur Corcyre,
lieu de ralliement, assigné au reste des alliés .
Cependant à Syracuse, bien qu'on reçût de toutes parts l'avis
de cette expédition , longtemps on ne voulut pas y ajouter foi.
Une assemblée fut convoquée , et l'on entendit plusieurs ora-
teurs , les uns confirmant , les autres contestant la nouvelle .
Hermocratès fils d'Hermon , qui se croyait bien informé, parut
alors à la tribune et s'exprima en ces termes :
XXXIII. << Moi aussi , vous refuserez peut-être de me croire,
quand je vous donnerai comme certaine l'attaque dont nous
sommes menacés. Je sais qu'à soutenir ou à dénoncer des faits
invraisemblables , on ne rencontre que le doute et l'ironie.
Cependant , lorsque la patrie est en danger , la crainte ne me
fermera pas la bouche , et ne m'empêchera pas de vous trans-
mettre des renseignements que je sais plus exacts que ceux
des autres .
< Les Athéniens , bien que cela vous étonne grandement ,
s'avancent contre nous avec une nombreuse armée de terre et
de mer. Leur prétexte est l'alliance des Égestains et la restau-
ration des Léontins ; mais au fond ils aspirent à s'emparer de
la Sicile et surtout de notre cité , persuadés qu'avec elle ils
auront bientôt tout le reste. Dites-vous donc qu'ils arriveront
sous peu, et voyez , d'après vos ressources , comment vous leur
opposerez la plus vigoureuse résistance. Gardez - vous de vous
laisser prendre au dépourvu par dédain pour ces ennemis , et
de négliger par incrédulité le salut de la république.
Il ne faudrait pourtant pas , tout en croyant à leur entre-
prise, s'effrayer outre mesure de leur audace ou de leurs forces.
Tout le mal qu'ils nous pourront faire, ils l'éprouveront à leur
tour. La grandeur même de leur armement est pour nous un
LIVRE VI. 335
avantage ; car elle augmentera l'alarme des autres Grecs de
Sicile, et les disposera à se joindre à nous . Soit que nous par-
venions à les vaincre , soit qu'ils repartent sans succès obtenu
car je ne crains pas que leurs projets se réalisent, -ce sera
pour nous un résultat des plus glorieux, et, pour ma part , sur
lequel je compte. Rarement on a vu réussir ces grandes expé-
ditions grecques ou barbares , opérant à d'énormes distances.
Elles ne peuvent surpasser en nombre les indigènes, qu'une
terreur commune groupe en un seul faisceau ; et , si la diffi-
culté de subsister sur un sol étranger leur attire quelque dé
sastre, leurs revers ont beau être leur propre ouvrage , la gloire
n'en reste pas moins aux peuples attaqués . C'est ansi que les
Athéniens eux-mêmes , bien que le Mède eût commis des fautes
impardonnables , ont dû cependant à l'opinion qu'il marchait
sur Athènes de voir leur renommée grandir au delà de toute
proportion. Je ne désespère pas qu'autant ne nous en ad-
vienne.
XXXIV. « Ayons donc bon courage. Sans ralentir nos prépara-
tifs , envoyons chez les Sicules , pour raffermir les uns et nous
attacher les autres. Envoyons , soit dans le reste de la Sicile pour
signaler le danger commun , soit vers les peuples d'Italie pour
les engager à se joindre à nous ou tout au moins à ne pas
recevoir les Athéniens , soit enfin à Carthage. Cette ville n'est
pas sans inquiétude à l'égard des Athéniens , dont elle appré-
hende sans cesse une attaque . Il se peut donc que les Cartha-
ginois, dans la pensée que, s'ils négligent cette occasion, leur
propre sûreté sera compromise , soient disposés à nous aider
d'une manière quelconque , ou bien ouvertement ou bien en
secret. S'ils en ont l'intention , cela leur est plus facile qu'à per-
sonne ; car ils possèdent en abondance l'or et l'argent, qui sont
l'âme de la guerre comme de toute chose . Envoyons aussi à
Lacédémone et à Corinthe , avec prière de nous secourir sans
retard et de renouveler en Grèce les hostilités .
« Il y aurait, à mon sens, une mesure plus efficace encore.
Votre apathie habituelle vous empêchera de l'adopter ; cepen-
dant je ne laisserai pas de vous la soumettre . Ce serait de vous
concerter avec tous les Grecs de Sicile , ou du moins avec
la plupart ; de mettre en mer avec tous les navires disponibles
et des vivres pour deux mois ; puis d'aller à la rencontre des
Athéniens jusqu'à Tarente et à la pointe d'Iapygie. Par là nous
leur montrerions qu'avant de nous disputer la Sicile , ils auront
à lutter pour la traversée du golfe Ionier . Rien ne serait plus
336 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

capable de les frapper de terreur. Ils verraient que nous avons


pour point de départ une terre amie car Tarente nous ac-
cueillera, - tandis qu'ils ont eux-mêmes à franchir la grande
mer avec un attirail de guerre ; la longueur du trajet ne leur
permettrait pas de rester en ordre , et nous aurions bon mar-
ché d'une flotte manœuvrant sans ensemble et avec lenteur .
<< Supposons qu'ils allégent leurs navires et ne s'avancent
qu'avec les plus mobiles : s'ils naviguent à la rame, nous les
trouverons fatigués , ou , dans l'hypothèse la moins favorable,
Tarente nous servira de refuge. Pour eux , n'ayant que peu de
vivres et cinglant en vue d'un combat naval, ils se verront
dénués de tout sur des plages désertes . S'ils y séjournent, ils
seront bloqués ; s'ils essayent de ranger la côte, ils ne pour-
ront se faire suivre de leur matériel ; enfin l'incertitude où ils
seront sur l'accueil que les villes leur réservent achèvera de
les démoraliser.
« Aussi suis-je convaincu qu'arrêtés par ces considérations ,
ils ne partiront pas même de Corcyre, mais qu'ils se donneront
le temps de délibérer et de s'enquérir de nos forces et de nos
positions par des reconnaissances multipliées ; ce qui les pous-
sera jusqu'à la mauvaise saison ; à moins qu'intimidés par
notre attitude inopinée , ils ne renoncent définitivement à leur
projet. Cela est d'autant plus probable que , si j'en crois mes
informations , le plus expérimenté de leurs généraux n'a ac-
cepté qu'à contre- cœur le commandement, et ne demanderait
pas mieux que de trouver un prétexte dans une démonstration
sérieuse de notre part. La renommée, qui grossit tout, ne man-
querait pas d'exagérer nos forces . L'opinion' se règle sur les
ouï-dire. Celui qui prend l'offensive , ou qui du moins se montre
fermement résolu à se défendre , est craint davantage, parce
qu'on le croit en mesure de résister. C'est là sans aucun doute
ce qu'éprouveront les Athéniens. Ils s'avancent contre nous
dans l'idée que nous n'oserons pas leur tenir tête . Ils nous mé-
prisent à juste titre , parce que nous ne nous sommes pas joints
aux Lacédémoniens pour les attaquer ; mais , s'ils nous voient
déployer une audace inattendue , ils en seront plus effrayés que
de nos forces réelles .
« Suivez donc mes conseils ; prenez hardiment le parti que
je vous propose ; autrement, hâtez-vous de faire vos prépara-
tifs de défense . C'est quand l'action est engagée qu'il faut té-
moigner du mépris pour son adversaire ; jusque-là , le mieux
est de s'entourer de précautions méticuleuses , comme si l'on
LIVRE VI. 337

était à la veille du danger. Or l'ennemi s'approche ; tenez pour


certain qu'il est déjà en mer et qu'au premier jour il va pa-
raître. »
XXXV. Lorsque Hermocratès eut fini de parler, une longue
discussion s'engagea dans l'assemblée . Les uns révoquaient en
doute ses assertions, et soutenaient que les Athéniens ne vien-
draient point ; d'autres disaient : « S'ils viennent , quel mal
nous feront-ils que nous ne leur rendions avec usure? » D'au-
tres enfin affectaient un souverain mépris , et tournaient en
dérision toute cette affaire . Quelques-uns seulement croyaient
Hermocratès et appréhendaient l'avenir. Athénagoras , qui était
alors le chef du parti populaire et l'orateur le mieux écouté ,
parut à la tribune et prononça le discours suivant :
XXXVI. « Il faut être un lâche ou un mauvais citoyen pour ne
pas souhaiter que les Athéniens commettent la folie de venir se
- livrer entre nos mains. Que certains hommes prompts à s'a-
larmer cherchent à répandre l'inquiétude parmi vous , leur au-
dace n'a rien qui m'étonne ; ce qui m'étonne , c'est leur sottise ,
s'ils s'imaginent n'être pas démasqués . Ces rumeurs mena-
çantes , la timidité s'en saisit et les colporte , afin de dérober
sa propre frayeur sous le voile de la frayeur publique. Voilà
toute leur portée. Elles ne sont pas nées spontanément , elles
émanent de gens qui s'efforcent par là d'entretenir une agita-
tion permanente .
<< Pour vous , si vous m'en croyez , vous ne jugerez pas l'ave-
nir d'après des bruits sans consistance , mais d'après ce qu'on
doit attendre de l'expérience consommée des Athéniens. Est- il
à croire que , laissant derrière eux le Péloponèse mal pacifié,
ils se jettent de gaieté de cœur dans une autre guerre non
moins sérieuse ? Ils doivent , ce semble, tenir à grand bonheur
que nous n'allions pas les attaquer, nous dont les villes sont si
nombreuses et si puissantes .
XXXVII. « Et quand ils viendraient , comme on le prétend ,
je crois la Sicile plus en état que le Péloponèse de leur te-
nir tête ; car elle possède de plus amples ressources à tous
égards . Notre seule ville est incomparablement plus forte que
l'armée qu'on dit en marche , celle - ci fût- elle double de ce
qu'elle peut être. Ce dont je suis certain , c'est qu'ils n'amène-
ront point de chevaux, et qu'ils ne s'en procureront ici qu'un
petit nombre, à Egeste . Leurs hoplites ne peuvent pas être
non plus aussi nombreux que les nôtres , car ils viendront sur
des vaisseaux ; or c'est déjà pour eux une grande affaire que
338 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

de se transporter à une telle distance avec leurs seuls bâti-


ments légers , sans parler de l'énorme matériel dont ils devront
se faire suivre pour attaquer une cité aussi considérable que
la nôtre.
« Je suis donc bien éloigné de partager ces terreurs. Non,
non ; eussent-ils fondé dans notre voisinage une ville aussi
grande que Syracuse et leur servant de base d'opérations
contre nous, à peine, selon moi, éviteraient-ils une destruction
totale ; à plus forte raison au milieu de la Sicile toute ennemie,
car elle se coalisera contre eux, avec des troupes obligées de
se cantonner au sortir des vaisseaux , qui n'auront que de misé-
rables tentes , un appareil insuffisant , et que nos cavaliers em-
pêcheront de s'étendre. Bref, je ne crois pas même qu'ils puis-
sent prendre pied , tant nos forces leur sont supérieures .
XXXVIII . « Tout cela , les Athéniens le savent aussi bien que
moi ; ils ne sont pas assez fous pour compromettre ce qu'ils
possèdent. Toutes les paroles que nos orateurs nous débitent
sont des contes faits à plaisir. Leur tactique au surplus n'est
pas nouvelle de tout temps je les ai vus semer l'inquiétude
parmi le peuple, soit par des inventions pareilles à celle -ci ou
plus perfides encore , soit par leurs actes , dans le but de s'em-
parer de l'autorité. Je crains que leurs machinations sans cesse
renouvelées ne finissent par réussir , et que nous ne manquions
de vigilance pour les déjouer ou d'énergie pour les combattre.
Voilà pourquoi notre ville jouit si rarement du repos ; voilà ce
qui donne naissance à tant de dissensions, ce qui arme les
citoyens plus souvent les uns contre les autres que contre les
ennemis, enfin ce qui parfois suscite des tyrans et des domi-
nations injustes .
« Pour moi , si vous voulez m'appuyer, je me fais fort de
mettre un terme à ces manœuvres . Auprès de vous, auprès de
la multitude , j'emploierai la persuasion ; envers les agitateurs ,
la répression ; non-seulement en les prenant sur le fait, ce qui
n'est pas toujours facile, mais en signalant leurs tendances
criminelles . Pour se défendre d'un ennemi , c'est peu de repousser
ses actes ; il faut être en garde contre ses intentions ; autre-
ment, faute de clairvoyance, on risque d'être frappé le pre-
mier. Quant aux aristocrates , je saurai tour à tour les con-
fondre, les surveiller et les avertir. Ce sera, je pense, le
meilleur moyen de les détourner de leurs coupables desseins.
« Et d'ailleurs, j'y ai souvent réfléchi , que désirez-vous , jeunes
gens?exercer déjà les charges publiques? mais la loi le défend ; et
LIVRE . VI. 339

cette loi a été portée, non pour vous frapper d'incapacité, mais
parce qu'on ne vous jugeait pas encore capables . Demandez-
vous des priviléges ? mais est-il naturel que les enfants d'une
même patrie n'aient pas tous les mêmes droits ?
XXXIX. « On m'objectera que la démocratie est contraire à
la raison et à la justice, et que les riches ont seuls qualité pour
bien gouverner. Moi je soutiens, en premier lieu, que le peuple
c'est l'Etat tout entier, tandis que l'aristocratie n'en est qu'une
fraction ; qu'ensuite , si les riches sont les meilleurs gardiens
des richesses, les hommes d'intelligence sont les meilleurs con-
seillers, et la multitude le meilleur juge des questions qui lui
sont soumises ; qu'enfin dans la démocratie ces différentes
classes , séparées ou confondues , jouissent des mêmes droits.
L'aristocratie au contraire fait participer la multitude aux dan-
gers ; mais pour les avantages, non contente de s'en réserver
la meilleure part, elle s'en arroge la totalité, qu'elle confisque
à son bénéfice . Et voilà le régime auquel aspirent parmi vous
les hommes influents et la jeunesse, régime incompatible avec
l'existence d'une grande cité.
« Ce serait, je vous le répète, le comble de la folie. Il faudrait
que vous fussiez ou les plus aveugles des Grecs à moi connus ,
pour ne pas sentir l'iniquité de telles prétentions, ou les plus
pervers si , la comprenant , vous persistiez dans votre audace .
XL. « Plus instruits ou mieux avisés , que l'intérêt commun
devienne votre unique guide . Soyez sûrs que l'aristocratie y
gagnera autant , si ce n'est plus , que la multitude, tandis
qu'avec un esprit différent vous risquez de tout compro-
mettre .
« Cessez donc de répandre des bruits de cette nature ; car
vous avez affaire à des gens qui vous pénètrent et qui ne vous
laisseront pas agir. Supposé même que les Athéniens se pré-
sentent, notre ville saura les repousser d'une manière digne
d'elle , et nous avons des généraux pour y pourvoir. Si au con-
traire, comme j'en ai la conviction , tout ceci n'est qu'une pure
fable, Syracuse ne se laissera pas intimider par vos rapports,
au point de vous prendre pour chefs et de s'imposer une ser-
vitude volontaire. Elle examinera les choses par ses propres
yeux, jugera vos paroles comme équivalentes à des actes ; elle
ne sera pas la dupe de vos discours ; mais, jalouse de sa liberté,
elle se gardera de retomber sous votre dépendance. »
XLI. Après ces paroles d'Athénagoras , un des généraux coupa
court à la discussion en disant :
340 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
« Il ne sied pas aux orateurs de faire assaut d'invectives ,
ni aux auditeurs d'y applaudir. En présence des rumeurs qui
circulent, le mieux est de voir comment chaque citoyen , com-
ment la ville entière trouvera le moyen de repousser victo-
rieusement les agresseurs. Et quand cela ne serait pas indis-
pensable, où est le mal que la ville fasse provision de chevaux,
d'armes et de tout le luxe de la guerre ? C'est à nous, géné-
raux, qu'appartiennent ces soins et cette prévoyance, comme
aussi l'envoi d'émissaires dans les villes pour surveiller les évé-
nements. Nous y avons déjà pourvu en partie, et tous les ren-
seignements qui pourront nous parvenir vous seront commu-
niqués. »
Cette déclaration du général mit fin à la séance.
XLII. Cependant les Athéniens étaient déjà rassemblés a
Corcyre avec tous leurs alliés . Le premier soin des généraux
fut de passer la revue de l'armée pour régler l'ordre des mouil-
lages et des campements. Ils formèrent trois divisions, qu'ils
se partagèrent au sort. Naviguer de conserve les eût exposés à
manquer d'eau , d'espace et de vivres dans les endroits de re-
lâche; d'ailleurs l'ordre et la discipline de l'armée ne pouvaient
que gagner à ce que chaque division eût son chef distinct .
Après cela, ils envoyèrent en Italie et en Sicile trois vaisseaux,
qui devaient s'enquérir des villes disposées à les recevoir, et
revenir à la rencontre de la flotte avec les informations dont
elle avait besoin.
XLIII . Là-dessus les Athéniens , avec toutes leurs forces ,
appareillèrent de Corcyre pour la Sicile. Leur flotte se com-
posait de cent trente- quatre trirèmes et de deux pentécontores
rhodiennes. Athènes à elle seule avait fourni cent trirèmes,
dont soixante légères , les autres portant des soldats ; le surplus
provenait de Chios et des autres alliés. Les hoplites montaient
à cinq mille cent, dont quinze cents Athéniens inscrits au rôle ,
indépendamment de sept cents thètes , soldats de marine. Le
reste comprenait les troupes auxiliaires, fournies par les sujets
et par les Argiens. Ces derniers avaient envoyé cinq cents
hommes. Il y avait aussi deux cent cinquante Mantinéens et
mercenaires , quatre cent quatre-vingts archers, dont quatre-
vingts Crétois ; enfin sept cents frondeurs rhodiens et cent vingt
bannis de Mégare , armés à la légère. Pour le transport des
chevaux, il n'y avait qu'un seul bâtiment, chargé de trente
cavaliers.
XLIV. Tel fut le premier armement qui partit pour cette
LIVRE VI. 341

guerre . Il était accompagné de trente bâtiments de charge, por-


tant les bagages, les vivres , les boulangers , les maçons , les char-
pentiers , ainsi que les outils destinés à la construction des murs.
Cent autres navires avaient été mis en réquisition ¹ ; enfin beau-
coup de barques et de vaisseaux marchands suivaient volontaire-
ment pour le négoce . Toute cette flotte réunie sortit alors de Cor-
cyre et traversa le golfe Ionien . Quand ils eurent gagné, les uns
la pointe d'Iapygie, les autres Tarente, chacun enfin l'endroitle
plus opportun , ils se mirent à longer la côte d'Italie. Les villes
leur fermaient leurs portes et leurs marchés , leur permettant
seulement de prendre rade et de faire de l'eau ; encore Tarente
et Locres le leur refusèrent-elles . Enfin ils atteignirent Rhé-
gion, à l'extrémité de l'Italie , et se rallièrent en cet endroit.
Comme on ne les reçut pas dans la ville , ils campèrent au de-
hors, dans l'enceinte consacrée à Diane, où un marché leur fut
ouvert. On tira les vaisseaux sur la grève et l'on se tint en
repos . Les généraux s'adressèrent aux Rhégiens , et leur repré-
sentèrent que leur qualité de Chalcidéens leur faisait un devoir
d'assister les Léontins leurs parents. La réponse des Rhégiens
fut qu'ils garderaient la neutralité , et se conformeraient aux ré-
solutions prises en commun par les Grecs d'Italie.
Les Athéniens étudiaient la situation des affaires en Sicile et
le plan de campagne qu'ils devaient adopter. Ils attendaient le
retour des vaisseaux qu'ils avaient envoyés à Égeste pour
s'assurer de l'existence des trésors dont les députés revenus à
Athènes avaient parlé.
XLV. Cependant les Syracusains recevaient de toutes parts ,
et notamment de leurs émissaires , la nouvelle positive que la
flotte athénienne était à Rhégion. Dès lors il fallut bien se ren-
dre à l'évidence , et les préparatifs furent poussés avec la der-
nière activité. On envoya chez les Sicules , ici des gardes , là
des ambassadeurs ; on mit garnison dans les forts du territoire ;
on fit dans la ville une inspection détaillée des armes et des
chevaux ; enfin on prit toutes les mesures usitées en cas de guerre
imminente .
XLVI . Les trois vaisseaux athéniens envoyés à Égeste re-
vinrent à Rhégion , annonçant que , de toutes les sommes pro-
mises, il ne se trouvait en réalité que trente talents . Les géné-
raux furent déconcertés de ce premier mécompte , joint au
refus des Rhégiens, auxquels on s'était d'abord adressé en vertu
de leur parenté avec les Léontins et de leur vieille amitié pour
Athènes. Nicias avait prévu ce qu'on apprenait d'Égeste ; mais
342 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

ses collègues s'en montraient fort surpris. Voici , au surplus ,


l'artifice employé par les Égestains à l'arrivée des premiers dé-
putés venus d'Athènes pour vérifier l'état de leurs finances. Ils
les avaient conduits dans le temple de Vénus à Éryx ; là ils
avaient étalé à leurs yeux quantité d'offrandes , consistant en
vases , calices , encensoirs et autres objets d'argent, de beau-
coup d'apparence , mais de peu de valeur réelle. Les particu-
liers avaient invité dans leurs maisons les marins des trirèmes ;
ils avaient rassemblé la vaisselle d'or et d'argent d'Egeste, em-
prunté même celle des villes voisines, phéniciennes ou grec-
ques, et chacun la produisait dans les festins comme étant à
lui. Presque partout c'était la même qui figurait, et toujours
à profusion. Aussi les équipages des galères avaient-ils été
éblouis ; et, de retour à Athènes , ils n'avaient parlé que des
trésors qu'ils avaient vus. Ces gens ainsi abusés avaient fait
partager leur erreur aux autres ; mais , quand la vérité fut con-
nue, ils furent accablés de reproches par les soldats .
XLVII. Les généraux tinrent conseil sur les circonstances
présentes. L'opinion de Nicias était de cingler avec toute la
flotte contre Sélinonte, principal but de l'expédition ; et, si les
Égestains fournissaient de l'argent à toute l'armée , d'aviser là-
dessus ; sinon, d'exiger des vivres pour les soixante vaisseaux
qu'ils avaient demandés ; de rester le temps nécessaire pour
les réconcilier de gré ou de force avec les Sélinontins ; de
passer ensuite devant les autres villes pour leur montrer la
puissance d'Athènes, son dévouement à ses amis et alliés ; enfin
de rentrer en Attique, à moins qu'il ne s'offrit bientôt une
occasion imprévue de secourir les Léontins ou de s'attacher
quelque autre ville , sans entraîner Athènes dans des dépenses
qu'elle aurait seule à supporter.
XLVIII. Alcibiade soutint qu'après être partis avec de si
grandes forces , il serait honteux de revenir sans résultat obtenu ;
qu'il fallait envoyer des hérauts dans toutes les villes , sauf
à Sélinonte et à Syracuse, se mettre en rapport avec les Sicules,
pour détacher des Syracusains les uns et se concilier l'amitié
des autres, afin d'en tirer des vivres et des renforts ; qu'avant
tout il fallait persuader Messine, qui occupait le passage et le
principal abord de la Sicile, et où la flotte trouverait un port
et un lieu de croisière excellents ; qu'une fois les villes gagnées
et les alliés déclarés , on agirait contre Syracuse et Sélinonte,
à moins que celle-ci ne fit accord avec Egeste, et que celle-là
ne consentît au rétablissement des Léontins.
LIVRE VI. 343

XLIX . Lamachos ouvrit l'avis de cingler droit contre Syra-


cuse et d'y livrer au plus tôt bataille, avant que la ville fût en
état de défense et revenue de sa frayeur. « Toute armée , dit- il,
est d'abord formidable ; mais si elle tarde à se montrer, l'en-
nemi se rassure et l'envisage avec dédain . Au contraire une
attaque brusque, dans le premier moment d'effroi , procure or-
dinairement la victoire , soit par la peur qui grossit les forces
de l'assaillant, soit par la perspective des ravages , soit surtout
par le danger imminent du combat . Il est à présumer qu'une
foule de personnes seront surprises dans les champs , parce qu'on
doute encore de notre arrivée ; d'ailleurs les Syracusains au-
ront beau transporter leurs effets dans la ville, l'armée qui
viendra victorieuse camper sous leurs murs ne manquera pas
de butin. Par là nous détournerons les Siciliens de l'alliance
de Syracuse , et nous les attirerons à nous , sans leur permettre
d'attendre les événements . » Lamachos ajouta que le port à
choisir pour lieu de retraite et de mouillage devrait être Mégara,
endroit inhabité , peu distant de Syracuse soit par terre , soit
par mer 1.
L. En tenant ce langage , Lamachos ne laissa pas de se ran-
ger à l'avis d'Alcibiade . Ensuite celui-ci passa avec son vaisseau
à Messine, et fit aux habitants des propositions d'alliance qu'ils
n'acceptèrent point. Il lui fut répondu qu'on ne recevrait pas
les Athéniens dans la ville , mais qu'on leur fournirait un mar-
ché au dehors. Alcibiade revint à Rhégion. Là-dessus les gé-
néraux mirent en mer soixante vaisseaux choisis sur toute la
flotte , les pourvurent de vivres , et s'avancèrent le long de la
côte jusqu'à Naxos, en laissant le reste de l'armée à Rhégion
avec l'un d'entre eux. Les Naxiens leur ayant ouvert leurs
portes, ils se rendirent à Catane ; mais cette ville , qui ren-
fermait un parti syracusain, ayant refusé de les recevoir , ils
poussèrent jusqu'à l'embouchure du fleuve Térias ¹ et biva-
quèrent en ce lieu . Le lendemain, rangés à la file, ils cinglèrent
vers Syracuse avec cinquante vaisseaux ; les dix autres prirent
les devants , avec ordre de pénétrer dans le grand port et d'ob-
server s'il s'y trouvait quelque navire à flot . Ils devaient
aussi s'approcher de terre et proclamer du haut de leur bord
que les Athéniens venaient, en vertu de leur alliance et de
leur parenté, rétablir les Léontins dans leur patrie ; qu'en con-
séquence ceux d'entre eux qui étaient à Syracuse pouvaient se
rendre sans crainte auprès des Athéniens , comme auprès
d'amis et de libérateurs . Après avoir fait cette proclamation et
344 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

reconnu la ville , les ports et la contrée qui allait devenir le point


de départ de la guerre, ils repartirent pour Catane.
LI. Les Catanéens tinrent une assemblée, et, sans recevoir
l'armée athénienne , ils permirent aux généraux d'entrer pour
faire connaître leurs desseins . Pendant qu'Alcibiade parlait et
que l'attention des citoyens était absorbée , les soldats enfon-
cèrent clandestinement une petite porte mal construite , péné-
trèrent dans la ville et se répandirent sur l'agora. A leur aspect
les partisans de Syracuse prirent peur et s'esquivèrent au plus
vite. C'était le petit nombre ; les autres votèrent l'alliance avec
les Athéniens , et les pressèrent d'amener de Rhégion le reste
de l'armée . Là -dessus les Athéniens retournèrent à Rhégion ,
d'où la flotte entière mit à la voile pour Catane. Arrivés en ce
lieu , ils y établirent un camp.
LII. Deux nouvelles leur parvinrent de Camarine : la pre-
mière, que , s'ils se présentaient, cette ville se prononcerait en
leur faveur ; la seconde, que les Syracusains équipaient une
flotte. Ils partirent donc avec toute leur armée et cinglèrent
d'abord vers Syracuse ; mais , n'y trouvant pas d'armement,
ils continuèrent leur route vers Camarine , abordèrent, et en-
voyèrent un héraut. Les Camarinéens refusèrent de les recevoir ;
ils s'étaient , dirent-ils , engagés par serment à n'admettre
qu'un seul vaisseau athénien à la fois , à moins qu'eux-mêmes
n'en eussent mandé un plus grand nombre. Ainsi les Athéniens
s'en retournèrent comme ils étaient venus. Chemin faisant, ils
opérèrent une descente sur un point du territoire de Syracuse,
où ils firent quelque butin ; mais , assaillis par la cavalerie sy-
racusaine, ils perdirent quelques peltastes disséminés ; après
quoi ils regagnèrent Catane .
LIII. Là ils trouvèrent la galère salaminienne, venue d'A-
thènes avec ordre d'amener Alcibiade pour répondre aux
accusations de la ville , et de ramener avec lui quelques -uns
de ses compagnons d'armes , afin qu'ils eussent à se justifier
au sujet de l'affaire des mystères ou de celle des Hermès. De-
puis le départ de la flotte , les Athéniens n'avaient pas cessé de
poursuivre l'enquête relative à ces deux objets. Dans leur dé-
fiance universelle , ils accueillaient indistinctement toutes les
dépositions ; et, sur la foi de gens sans aveu, ils arrêtaient et
incarcéraient les hommes les plus honorables. Ils aimaient
mieux éclaircir l'affaire et découvrir à tout prix la vérité , que
de laisser des gens d'une réputation sans tache se soustraire
aux perquisitions grâce à l'infamie du délateur. Le peuple sa-
LIVRE VI. 345
vait par ouï-dire que la tyrannie de Pisistrate et de ses fils avait
fini par être intolérable , et qu'elle n'avait été renversée ni par
les Athéniens seuls ni par Harmodios , mais par l'intervention
des Lacédémoniens : aussi était-il animé d'une crainte inces-
sante et d'une défiance générale " .
LIV. L'entreprise d'Aristogiton et d'Harmodios dut son ori-
gine à une aventure amoureuse , que je raconterai avec quelques
détails, afin de montrer dans quelle ignorance sont, je ne dis
pas les étrangers, mais les Athéniens eux-mêmes , au sujet de
leurs propres tyrans et du trait dont il s'agit.
Après la mort de Pisistrate , qui finit vieux et dans la tyrannie,
ce ne fut pas Hipparque , ainsi qu'on le croit communément,
mais Hippias, qui lui succéda par droit de primogéniture . A
cette époque, Harmodios était dans la fleur de l'adolescence .
Aristogiton, citoyen de la classe moyenne , devint épris de lui
et l'obtint. De son côté, Hipparque , fils de Pisistrate, ayant inu-
tilement essayé de le séduire , Harmodios en avertit Aristogiton .
Celui-ci , piqué de jalousie , et craignant qu'Hipparque n'eût
recours à la force pour en venir à ses fins, résolut aussitôt de
tout mettre en œuvre pour renverser la tyrannie .
Cependant Hipparque ayant renouvelé, sans plus de succès ,
sa tentative auprès d'Harmodios, ne voulut pas employer la
violence ; mais il prit ses mesures pour lui faire un affront in-
direct. L'autorité de ces tyrans n'avait rien d'oppressif pour la
multitude . Pendant longtemps ils se conduisirent avec pru-
dence et modération . Sans fouler le peuple ni exiger plus de la
vingtième partie des revenus, ils embellissaient la ville , soute-
naient les guerres et faisaient les frais des sacrifices publics .
L'État se gouvernait d'après les anciennes coutumes ; seule-
ment ils avaient soin que les premières magistratures fussent
toujours occupées par un des leurs. C'est ainsi que plusieurs
d'entre eux exercèrent la charge annuelle d'archonte, en par-
ticulier Pisistrate , qui était fils du tyran Hippias et portait le
nom de son aïeul . C'est lui qui , pendant son archontat, dédia
l'autel des douze dieux sur l'agora , et celui d'Apollon Pythien
dans l'enceinte consacrée à cette divinité. Par la suite, le peuple
ajouta de nouvelles constructions à l'autel de l'agora , et fit
disparaître l'inscription ; mais celle d'Apollon Pythien est en-
core lisible. Elle porte ces mots en caractères à demi effacés :

Pisistrate , fils d'Hippias , a consacré ce monument de son archontat


dans l'enceinte d'Apollon Pythien .
346 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

LV. Qu'Hippias ait exercé la tyrannie en qualité de fils aîné


de Pisistrate, c'est ce que je puis affirmer d'après les preuves
les plus authentiques. Pour s'en convaincre , il suffit des obser-
vations suivantes . Il est certain que , parmi ses frères légitimes,
lui seul eut des enfants ; c'est ce qu'indiquent l'inscription que
je viens de citer et la colonne érigée dans l'acropole d'Athènes
en mémoire de l'iniquité des tyrans ' . Aucun enfant de Thes-
salos ni d'Hipparque n'y est mentionné, tandis qu'on y voit
figurer cinq fils qu'Hippias eut de Myrrhiné fille de Callias
fils d'Hypéréchidès ; or il était naturel que l'aîné se mariât le ·
premier. En second lieu , sur la même colonne , le nom d'Hippias
suit immédiatement celui de son père ; ce qui est encore dans
l'ordre des choses , puisqu'il tenait le premier rang après lui et
qu'il lui succéda dans la tyrannie . Enfin je ne conçois pas com-
ment Hippias aurait fait pour se saisir instantanément du pou-
voir , s'il s'en fût emparé le jour même de la mort de son frère ;
mais la terreur qu'il avait dès longtemps inspirée aux citoyens
et l'exacte discipline établie parmi les satellites furent plus que
suffisantes pour lui assurer la possession du pouvoir, et il
n'éprouva pas les difficultés qu'il eût rencontrées si, plus jeune
que son frère, il n'eût pas eu déjà une longue habitude du com-
mandement. La mésaventure d'Hipparque l'a rendu célèbre,
et a fait croire dans la suite qu'il avait été tyran.
LVI. Hipparque , voyant donc sa poursuite repoussée par
Harmodios, exécuta son projet de lui faire un sanglant outrage.
Harmodios avait une jeune sœur on la fit venir pour porter
la corbeille dans une cérémonie , puis on la chassa en disant
qu'on ne l'avait pas invitée à un honneur dont elle était indi-
gne. Harmodios fut mortellement blessé de cet affront, et Aristo-
giton le ressentit plus vivement encore à cause de lui. Déjà ils
avaient tout concerté avec leurs complices. Ils n'attendaient
plus que les grandes Panathénées , seul jour où les citoyens
pouvaient, sans éveiller de soupçon, se rassembler en armes
pour le cortége . Eux-mêmes devaient porter les premiers coups,
et les autres conjurés prendre immédiatement leur défense
contre les satellites . Pour plus de sûreté , ils n'avaient initié
que peu de gens au complot, dans l'espérance qu'il suffirait de
l'audace d'un petit nombre, pour qu'à l'instant ceux même qui
n'étaient pas prévenus , se trouvant en armes, se joignissent à
eux pour reconquérir leur liberté.
LVII. Le jour de la fête étant venu , Hippias avec ses gardes
était dans le Céramique, hors de la ville ' , occupé à organiser
LIVRE VI. 347

le, cortège . Déjà Harmodios et Aristogiton, armés de poignards ,


s'avançaient pour le frapper, lorsqu'ils aperçurent un de leurs
affidés s'entretenant familièrement avec lui ; en effet Hippias se
laissait aborder par tout le monde, Effrayés à cette vue, ils se
crurent découverts et sur le point d'être arrêtés. Voulant donc
auparavant se venger, s'il se pouvait , de celui qui les avait
outragés et réduits à risquer leur vie, ils rentrent à la course
dans la ville, rencontrent Hipparque près du lieu appelé Léo-
corion ; et, dans la rage qu'inspire à l'un son amour , à l'autre
son offense, ils se jettent sur lui en forcenés et le frappent à
mort. Aristogiton échappa aux gardes à la faveur du tumulte ;
mais ensuite il fut pris et cruellement traité ; pour Harmodios ,
il fut massacré sur-le-champ .
LVIII . Averti dans le Céramique , Hippias se dirigea aussitôt,
non vers le lieu de la scène, mais vers les citoyens armés qui
formaient le cortége et que leur éloignement mettait dans
l'ignorance de ce qui s'était passé. Là , sans laisser paraître
aucun trouble , il leur enjoignit de se rendre sans armes vers
un endroit qu'il leur désigna. Ils obéirent, croyant qu'il voulait
leur parler. Mais lorsque, par son ordre, ses satellites eurent
soustrait les armes , il saisit à l'instant les citoyens qu'il soup-
çonnait et tous ceux qui se trouvèrent munis de poignards.
L'usage était d'assister au cortége seulement avec la lance et
le bouclier.
LIX. C'est ainsi qu'un chagrin d'amour donna naissance au
complot, et un effroi subit au coup de main d'Harmodios et
d'Aristogiton. Dès lors le joug s'appesantit sur Athènes. Hip-
pias, devenu ombrageux, fit périr bon nombre de citoyens . En
même temps il jetait les yeux au dehors, pour se ménager un
asile en cas de révolution . Quoique Athénien, il donna sa fille
Archédicé au tyran de Lampsaque ' , Eantidès fils d'Hippoclos ,
parce que cette famille jouissait d'un grand crédit auprès du
roi Darius. On montre encore à Lampsaque le sépulcre d'Ar-
chédicé, portant cette épitaphe :

Cette poussière couvre Archédicé , fille d'Hippias , de l'homme qui


se distingua par-dessus tous les Grecs de son temps. Bien que fille ,
épouse , sœur, mère de tyrans , elle n'enfla point son cœur d'arro-
gance.
Hippias exerça encore trois années la tyrannie à Athènes ; la
quatrième il fut renversé par les Lacédémoniens et par les
Aleméonides exilés . Il se retira d'abord à Sigée sous assurance
348 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

de la foi publique , puis à Lampsaque chez antidès , et fina-


lement auprès du roi Darius. Vingt ans plus tard et déjà vieux,
il accompagna les Mèdes à Marathon .
LX. Le peuple athénien , qui avait ces faits encore présents
à la mémoire, montrait alors beaucoup d'irritation et de dé-
fiance contre les auteurs présumés de la profanation des mys-
tères. Il y voyait une conspiration oligarchique et tyrannique.
Déjà son courroux avait jeté dans les fers une foule d'hommes
honorables , sans qu'on entrevît un terme à ces rigueurs . Cha-
que jour ne faisait qu'accroître l'exaspération de la multitude
et le nombre des arrestations. Alors un des détenus ' , sur le-
quel pesaient les charges les plus fortes , fut amené par un de
ses compagnons de captivité à faire des révélations vraies ou
fausses à cet égard le champ est ouvert aux conjectures , et
nul n'a jamais su indiquer avec certitude les auteurs de l'at-
tentat. A force d'instances , ce prisonnier détermina son com-
pagnon , fût-il innocent , à s'assurer l'impunité et à délivrer la
ville de l'inquiétude qui planait sur elle. Il lui représenta qu'il
risquait bien moins à faire des aveux qui lui vaudraient sa
grâce, qu'à persister dans un système de dénégations qui en-
traînerait son jugement. Enfin cet homme se dénonça , lui et
quelques autres, comme coupable de la mutilation des Hermès.
Le peuple athénien accueillit avec joie ce qu'il crut être la
vérité. Satisfait d'avoir enfin découvert la trame ourdie contre
la démocratie, il relâcha immédiatement le dénonciateur et
tous ceux qu'il n'avait pas désignés ; aux autres on fit leur
procès. Tous ceux qu'on put atteindre furent mis à mort ; les
fugitifs furent condamnés par contumace, et leurs têtes mises à
prix. Reste à savoir si les victimes avaient mérité leur sort ;
mais la ville entière en ressentit sur l'heure un incontestable
soulagement.
LXI. Pour ce qui est d'Alcibiade, les Athéniens , prêtant
l'oreille aux ennemis qui l'avaient noirci avant son départ ,
étaient fort animés contre lui. Sitôt qu'ils se crurent suffisam-
ment éclairés sur l'affaire des Hermès , ils se persuadèrent qu'à
plus forte raison celle des mystères , dans laquelle il était im-
pliqué, émanait également d'une conspiration contre la démo-
cratie . Par une singulière coïncidence, dans le même temps où
régnait cette agitation , un corps de troupes lacédémoniennes
s'avança jusqu'à l'Isthme , par suite de quelque intelligence avec
les Béotiens. On se persuada qu'Alcibiade n'était pas étranger
à ce mouvement ; qu'il s'agissait, non de la Béotie , mais d'un
LIVRE VI. 349
complot dont il était l'âme, et que, si on ne l'eût prévenu par
l'arrestation des prétendus coupables, la ville eût été prise par
trahison. Il y eut même une nuit que les citoyens passèrent en
armes dans le temple de Thésée à Athènes. A la même époque ,
les hôtes qu'Alcibiade avait à Argos furent soupçonnés de
conspirer contre la démocratie ; ce qui fut cause que les Athé-
niens livrèrent au peuple d'Argos, pour être massacrés, les
otages argiens déposés dans les îles. Ainsi tout concourait à
rendre Alcibiade suspect. Les Athéniens , résolus à le traduire
en justice et à le mettre à mort, dépêchèrent en Sicile la galère
salaminienne pour l'amener, lui et tous ceux qui étaient com-
pris dans la dénonciation. L'ordre portait qu'il eût à revenir
pour se défendre ; mais on ne devait pas l'arrêter. On eût craint
de mettre en émoi l'armée ou les ennemis , et de provoquer le
départ des Mantinéens et des Argiens, dont la coopération était
due à son influence . Alcibiade et les autres prévenus s'embar-
quèrent sur son vaisseau et partirent de Sicile pour Athènes
de conserve avec la Salaminienne; mais, arrivés à Thurii , ils
cessèrent de la suivre, quittèrent leur bâtiment et disparurent.
Ils appréhendaient de comparaître sous le poids d'une pareille
prévention. Les marins de la Salaminienne les cherchèrent
pendant un certain temps ; puis ils perdirent leurs traces .
Alcibiade, dès lors exilé , monta bientôt après sur un bâtiment
marchand et passa de Thurii dans le Péloponèse . Les Athé-
niens le condamnèrent à mort par contumace, lui et ses com-
pagnons.
LXII. Après son départ, les généraux athéniens restés en
Sicile firent deux divisions de l'armée et se les partagèrent au
sort ; puis ils cinglèrent avec toutes leurs forces vers Sélinonte
et vers Egeste, pour savoir si les Égestains donneraient l'ar-
gent promis, pour reconnaître l'état des affaires à Sélinonte et
s'enquérir de ses démêlés avec Egeste. Ils côtoyèrent à main
gauche la partie de la Sicile qui fait face au golfe Tyrrhénien ,
et touchèrent à Himéra, seule ville grecque de ces parages.
Comme on ne les y reçut point, ils passèrent outre . Chemin
faisant, ils s'emparèrent d'Hyccara, petite ville sicanienne, en-
nemie d'Égeste et située au bord de la mer. Ils réduisirent les
habitants en esclavage , et remirent la ville aux Égestains , dont
la cavalerie les avait secondés. Ensuite l'armée de terre prit sa
route par le pays des Sicules et parvint à Catane , tandis que
la flotte , ayant les esclaves à bord , faisait le tour de la Sicile.
En quittant Hyccara, Nicias fit voile directement pour Égeste,
THUCYDIDE. 20
350 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

y régla toutes les questions pendantes, reçut trente talents, et


rejoignit ensuite l'armée. La vente des esclaves produisit cent
vingt talents. Les Athéniens, continuant à côtoyer la Sicile, se
présentèrent chez les Sicules alliés pour leur demander des
troupes. La moitié de l'armée marcha contre Hybla -Géléatis ' ,
ville ennemie , dont elle ne put s'emparer. On atteignit ainsi la
fin de l'été.
LXIII. L'hiver suivant, les Athéniens se disposèrent enfin à
agir contre Syracuse. De leur côté les Syracusains résolurent
de marcher contre eux. Dans l'origine , ils s'étaient attendus à
une attaque immédiate ; mais , comme il n'en était rien , ils sen-
taient de jour en jour renaître leur confiance. Lorsqu'ils virent
les Athéniens faire voile à l'autre extrémité de la Sicile, puis
attaquer Hybla sans pouvoir s'en rendre maîtres , leur mépris
redoubla ; et, par un de ces mouvements familiers à une mul-
titude enhardie , ils pressèrent leurs généraux de les conduire
à Catane, puisque les Athéniens ne s'avançaient pas contre eux.
Les cavaliers syracusains venaient journellement caracoler au-
tour du camp des Athéniens, et leur demandaient d'un ton
railleur s'ils étaient venus habiter avec eux en terre étrangère
au lieu de rétablir les Léontins dans leurs foyers .
LXIV. En conséquence, les généraux athéniens résolurent
d'attirer en masse les Syracusains le plus loin possible de leur
ville, pendant qu'eux-mêmes suivraient de nuit la côte sur leurs
vaisseaux et occuperaient à loisir une forte position. Ils sen-
taient bien qu'ils n'auraient pas le même avantage s'ils débar-
quaient en présence d'un ennemi sur ses gardes ou s'ils s'avan-
çaient par terre à découvert ; dans ce cas leurs troupes légères
et la foule 1 auraient beaucoup à souffrir de la cavalerie syra-
cusaine , car eux-mêmes n'avaient pas de chevaux. De l'autre
manière au contraire, ils pourraient choisir un terrain abrité
contre la cavalerie. Des exilés syracusains , qui étaient avec
eux, leur indiquaient un poste situé près du temple de Jupiter
Olympien 2 , celui-là même qu'ils occupèrent. A cet effet, les
généraux employèrent un stratagème. Ils firent partir pour
Syracuse un homme sûr, dont les chefs syracusains étaient
loin de se défier. Cet homme était de Catane . Il se donna pour
envoyé par quelques-uns de ses concitoyens, que les généraux
syracusains connaissaient de nom pour être un de leurs par-
tisans restés dans cette ville . Il leur dit que les Athéniens pas-
saient les nuits à Catane loin de leurs armes ; que si , dans un
jour marqué, au lever de l'aurore , les Syracusains voulaient se
LIVRE VI. 351
porter en masse contre le camp , eux-mêmes se chargeaient d'en-
fermer les soldats dans la ville et de mettre le feu aux vaisseaux ;
qu'il suffirait d'attaquer la palissade pour s'emparer du camp ;
enfin qu'un grand nombre de Catanéens seconderaient cette
entreprise, pour laquelle ceux qui l'envoyaient avaient déjà
tout préparé.
LXV. Les généraux syracusains, qui étaient pleins de con-
fiance, et qui songeaient eux-mêmes à marcher sur Catane,
crurent cet émissaire sur sa simple parole, et le renvoyèrent
après être convenus avec lui du jour où ils paraîtraient . Déjà
étaient arrivés les renforts de Sélinonte et de quelques autres
alliés . Ordre fut donné aux Syracusains de se tenir prêts à sortir
en masse. Les dispositions étant terminées et le jour fixé appro-
chant, ils prirent la route de Catane, et passèrent la nuit sur
les bords du fleuve Siméthos, dans le pays des Léontins. Les
Athéniens ne les surent pas plus tôt en marche, qu'ils délogèrent
avec les Sicules et autres alliés, montèrent sur les vaisseaux
et les transports ; puis, durant la nuit, ils cinglèrent vers Sy-
racuse. An point du jour , ils descendirent non loin de
l'Olympéion , à l'endroit qu'ils voulaient occuper. Les cavaliers
syracusains poussèrent jusqu'aux portes de Catane . Là , s'étant
aperçus que toute la flotte avait démarré , ils tournèrent bride
et avertirent l'infanterie . A l'instant tous ensemble rebroussèrent
chemin et revinrent en toute diligence au secours de la ville..
LXVI. Pendant ce temps , comme la route était longue , les
Athéniens purent à leur aise asseoir leur camp dans une position
qui les rendait maîtres de commencer à volonté le combat,
sans avoir à craindre la cavalerie syracusaine. Ils étaient pro-
tégés d'un côté par des clôtures , des maisons, des arbres et un
marais ; de l'autre , par des pentes rapides. Ils abattirent les
arbres du voisinage, les transportèrent vers la mer, et plan-
tèrent une palissade le long des vaisseaux. Près du Dascon ' ,
dans l'endroit le plus accessible aux ennemis , ils élevèrent à la
hâte un retranchement en pierres sèches et en bois ; enfin ils.
coupèrent le pont de l'Anapos. Durant ces préparatifs, personne
ne sortit de la ville pour les troubler. Les premiers qui accou-
rurent furent les cavaliers syracusains, bientôt suivis de toute
l'infanterie . D'abord ils s'approchèrent du camp des Athéniens ;
mais , nul ne venant à leur rencontre , ils se replièrent, fran-
chirent la route d'Hélore 2 et bivaquèrent.
LXVII. Le lendemain , les Athéniens et leurs alliés se dé-
ployèrent dans l'ordre suivant : à l'aile droite les Argiens et
352 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

les Mantinéens , au centre les Athéniens, à gauche le reste des


alliés . La moitié de l'armée fut rangée en avant, sur huit de
hauteur ; l'autre moitié près des tentes, en carré sur huit éga-
lement. Celle-ci devait rester en observation et se porter là où
besoin serait. Les valets furent placés au milieu de ce corps
de réserve. Les Syracusains formèrent leurs hoplites sur seize
de hauteur. C'était leur levée en masse, jointe à quelques auxi-
liaires, tirés principalement de Sélinonte . Géla leur avait en-
voyé deux cents cavaliers ; Camarine une vingtaine de cavaliers
et cinquante archers. A l'aile droite ils placèrent leur cavalerie ,
forte d'au moins douze cents hommes et soutenue par leurs
gens de trait. Au moment d'engager le combat , Nicias par-
courut les différents corps de son armée , et les harangua tous
ensemble en ces termes :
LXVIII. « Soldats, qui allez combattre pour une même cause,
qu'est-il besoin de vous adresser une longue exhortation ? Ce
seul appareil est bien plus fait pour vous inspirer la confiance
que ne pourraient les plus beaux discours avec une faible
armée. Quand les Argiens , les Mantinéens , les Athéniens et les
premiers des insulaires sont ici réunis , comment, avec tant et
de si braves compagnons d'armes , ne pas concevoir les plus
brillantes espérances ? Il y a plus : c'est à une levée en masse 1
que nous avons affaire , et non à des hommes d'élite comme
nous ; c'est à des Siciliens, qui peuvent bien nous mépriser,
mais qui ne nous tiendront pas tête , parce qu'ils ont moins
d'instruction que d'audace . D'ailleurs dites - vous bien que nous
sommes fort loin de nos foyers , sur un sol où tout nous est
hostile, hormis ce que nous pourrons conquérir à la pointe de
l'épée . Aussi mes exhortations sont- elles l'inverse de celles que
nos adversaires s'adressent actuellement. Ils se répètent sans
aucun doute que c'est pour leur patrie qu'ils vont combattre :
moi, je vous dis que vous êtes dans un pays où il faut vaincre
sous peine de faire une retraite difficile devant une nuée de
cavaliers. Souvenez-vous de votre vaillance ; marchez avec
intrépidité, et songez que vos difficultés et vos embarras sont
plus redoutables que l'ennemi. »
LXIX. Après cette exhortation , Nicias fit aussitôt avancer
l'armée . Les Syracusains ne s'étaient pas attendus à combattre
si promptement ; quelques-uns même étaient allés à la ville ,
qui était proche. Quelque empressement qu'ils missent à revenir,
ils arrivèrent tardivement et se placèrent au hasard , à mesure
que chacun rejoignait. Dans cette action. comme dans toutes
LIVRE VI. 353

les autres , ils ne manquèrent ni de courage ni d'ardeur ; ils


se montrèrent braves autant que le comportait leur expérience ;
mais quand elle leur fit défaut, ils furent contraints de quitter
la partie, malgré toute leur bonne volonté. Quoique surpris
par une attaque brusque et inopinée , ils ne laissèrent pas de
prendre les armes et de marcher résolûment à l'ennemi . D'abord
de part et d'autre , les soldats armés de pierres , les frondeurs
et les archers préludèrent au combat et, comme il arrive aux
troupes légères , se mirent en fuite alternativement. Ensuite les
devins apportèrent les victimes d'usage, les trompettes des
hoplites sonnèrent la charge, et les deux armées s'ébranlèrent
à la fois. Les Syracusains se.disaient qu'ils allaient combattre
pour leur patrie , pour leur salut dans le présent , pour leur
liberté dans l'avenir. Chez l'armée ennemie , c'étaient d'autres
motifs pour les Athéniens , le désir de conquérir un pays
étranger et de ne pas exposer le leur par une défaite ; pour les
Argiens et les alliés indépendants , l'envie de partager les con-
quêtes qu'on allait faire et de retourner victorieux dans leurs
foyers ; enfin les alliés sujets d'Athènes étaient soutenus par
la pensée qu'il n'y avait de salut pour eux que dans la victoire ,
et qu'en aidant à subjuguer les autres ils allégeraient leur
propre servitude.
LXX. Le combat se prolongeait sans qu'aucun des deux
partis fît mine de plier , lorsqu'il survint des tonnerres et des
éclairs, accompagnés de torrents de pluie. Les nouveaux soldats,
ceux qui assistaient à leur première bataille , s'effrayaient de
ce phénomène ; mais les vieux le regardaient comme l'effet de
la saison et s'étonnaient bien davantage de la résistance qu'ils
rencontraient. Enfin les Argiens enfoncèrent l'aile gauche ,
tandis que les Athéniens forçaient le centre de la ligne opposée ;
dès lors tout le reste des Syracusains lâcha pied . La poursuite
ne fut pas longue ; car la cavalerie syracusaine, qui était nom-
breuse et n'avait pas été rompue, fondait sur les soldats en-
nemis qui s'écartaient du gros de la troupe et les ramenait.
Les Athéniens, les rangs serrés , suivirent l'ennemi aussi loin
qu'ils le purent sans s'aventurer ; puis ils revinrent et dres-
sèrent un trophée. Les Syracusains se rallièrent sur la r oute
d'Hélore , s'y reformèrent de leur mieux, et envoyèrent un dé-
tachement à l'Olympéion , de crainte que les Athéniens ne
missent la main sur les trésors qui s'y trouvaient. Le reste de
l'armée rentra dans la ville.
LXXI . Les Athéniens ne firent aucun mouvement contre le
354 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

temple. Ils relevèrent leurs morts , les placèrent sur un bûcher,


et bivaquèrent sur le champ de bataille . Le lendemain , ils
rendirent aux Syracusains leurs morts, au nombre de deux
cent soixante , y compris les alliés , et recueillirent les osse-
ments des leurs, montant à une cinquantaine, Athéniens ou
alliés. Chargés des dépouilles des ennemis, ils se rembarquèrent
pour Catane. On était alors en hiver, et il ne semblait guère
possible de continuer les opérations avant d'avoir reçu des ca-
valiers d'Athènes et des alliés siciliens, pour ne pas être abso-
lument dominés par la cavalerie ennemie . Ils avaient aussi le
projet de ramasser de l'argent en Sicile , d'en faire venir d'Athènes
et de s'allier certaines villes , qu'on devait trouver plus trai-
tables depuis l'issue du combat ; enfin ils voulaient se procurer
des vivres et tout le matériel nécessaire pour attaquer Syracuse
dès le printemps . C'est dans cette intention qu'ils retournèrent
prendre leurs quartiers d'hiver à Naxos et à Catane.
LXXII . Les Syracusains , après avoir enterré leurs morts ,
tinrent une assemblée. On y entendit Hermocratès fils d'Hermon,
l'homme qui , à l'intelligence la plus rare, joignait le plus de
talents militaires et d'éclatante valeur. Il chercha à relever les
esprits et à prévenir l'abattement résultant d'un premier échec .
Selon lui , ce n'était pas le courage des Syracusains qui avait
été vaincu ; tout le mal venait du désordre ; et encore ne s'é-
taient-ils pas montrés aussi inférieurs qu'on pouvait s'y attendre
dans une lutte avec les plus habiles des Grecs , où ils avaient
eu affaire , eux novices et apprentis , pour ainsi dire , avec des
ennemis consommés dans l'art de la guerre . Ce qui nuisait
surtout, c'était la multiplicité des généraux - il n'y en avait
pas moins de quinze jointe à l'insubordination de la multi-
tude. Avec un petit nombre de chefs expérimentés, en profitant
de l'hiver pour recruter les hoplites , pour fournir des armes à
ceux qui en manquaient et les astreindre à des exercices ré-
guliers , on finirait selon toute apparence par triompher des
ennemis , puisqu'au courage qu'on possédait déjà s'ajouterait
la discipline , deux qualités qui s'accroîtraient naturellement,
la discipline par l'habitude des dangers, le courage par le savoir
qui double la confiance . Il fallait donc élire peu de généraux,
les revêtir d'un pouvoir absolu , et s'engager envers eux par
serment à les laisser gouverner à leur guise. Par là il y aurait
plus de secret, d'unité et de vigueur dans le commandement.
LXXIII. Les Syracusains suivirent ses conseils . Ils élurent
trois généraux, savoir Hermocratès lui-même, Héraclidės fils
LIVRE VI. 355

de Lysimachos et Sicanos fils d'Exécestos . Ils députèrent à


Corinthe et à Lacédémone pour réclamer assistance , et pour
engager les Lacédémoniens à faire en leur faveur une diversion
plus active contre l'Attique . C'était le moyen de contraindre les
Athéniens à évacuer la Sicile, ou du moins d'entraver l'envoi
des renforts destinés à l'expédition .
LXXIV. L'armée athénienne , qui était à Catane , partit pré-
cipitamment pour Messine, dont elle espérait s'emparer par-
trahison ; mais les menées qui s'y tramaient avortèrent . Lorsque
Alcibiade avait quitté la Sicile , rappelé de son commandement
et sûr d'être exilé , il avait dévoilé le complot , dont il avait le
secret, aux Messéniens partisans de Syracuse. Ceux-ci , pre-
nant les devants, avaient fait périr les auteurs du projet, mis
la ville en pleine insurrection , et fait adopter l'avis de ne pas
recevoir les Athéniens . Après treize jours d'attente, les Athé-
niens, incommodés par le mauvais temps et le manque de vivres ,
n'entrevoyant d'ailleurs aucune solution , retournèrent à Naxos ,
et s'établirent, pour le reste de la saison, dans un campretran-
ché. De là ils dépêchèrent une trirème à Athènes pour que , dès
le printemps , on leur envoyât de l'argent et des cavaliers.
LXXV. Les Syracusains profitèrent de l'hiver pour annexer
à leur ville le Téménitès , au moyen d'une muraille embrassant
toute la partie qui regarde les Épipoles. Leur intention était
de rendre plus difficile l'investissement de la place en cas de
malheur. Ils élevèrent un fort à Mégara, un autre à l'Olympéion ,
et palissadèrent le rivage de la mer sur tous les points acces-
sibles. Sachant que les Athéniens hivernaient à Naxos , ils se por-
tèrent en masse contre Catane , ravagèrent une portion du
territoire, mirent le feu aux baraquements athéniens , et s'en
retournèrent.

Informés que les Athéniens députaient à Camarine dans le
dessein d'attirer à eux cette ville en vertu du traité de Lachès ,
les Syracusains y députèrent également. Ils craignaient que
les Camarinéens , déjà si tièdes à les secourir, ne les abandon-
nassent tout à fait, et que, témoins du succès obtenu par les
Athéniens , ils ne rencuassent avec eux leurs relations amicales.
Le chef de la députation syracusaine était Hermocratès, celui
de la députation athénienne Euphémos . Arrivés à Camarine , ils
parurent devant le peuple assemblé . Hermocratès , voulant
prévenir les esprits contre les Athéniens , s'exprima en ces
termes :
LXXVI. « Camarinéens , notre ville nous a délégués auprès
356 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

de vous, non dans la crainte que la présence des Athéniens


et de leurs forces vous effraye, mais afin que vous ne vous laissiez
pas influencer par les discours qu'ils pourraient vous tenir les
premiers.
<< Ils viennent en Sicile sous un prétexte avoué , mais dans
un but qu'on devine sans peine. Ils visent, non pas à rétablir
les Léontins dans leur patrie, mais à nous chasser de la nôtre ;
sans quoi il y aurait contradiction à dépeupler les villes de
Grèce et à restaurer celles de Sicile ; à prendre fait et cause
pour les Léontins, à cause de leur origine chalcidéenne , et à
tenir sous le joug les Chalcidéens d'Eubée, ancêtres de ceux
d'ici. Le même esprit qui là-bas leur a inspiré des idées de con-
quête les amène aujourd'hui chez nous. Devenus, par un libre
consentement, les chefs de leurs colons d'Ionie ligués contre le
Mède , les Athéniens les ont successivement asservis , les uns
pour refus du service militaire, les autres sous couleur de
guerres intestines , ou pour le premier motif venu . Cela prouve
assez que, dans leur lutte contre le Mède , les Athéniens ne com-
battaient pas pour la liberté des Grecs, ni les Grecs eux-mêmes
pour leur indépendance ¹ ; il s'agissait pour les premiers de se
substituer au despotisme du Mède , pour les autres de passer
sous une domination plus éclairée à la vérité , mais plus mé-
chante.
LXXVII. « Au reste, ce serait une tâche par trop facile d'é-
numérer, devant un auditoire qui les connaît , toutes les in-
justices des Athéniens. Nous venons plutôt nous accuser nous-
mêmes, nous qui , ayant l'exemple des Grecs d'Asie asservis
pour n'avoir pas concerté leur défense, et voyant évoquer contre
nous les mêmes fantômes de restauration des Léontins à titre
de parents , de protection des Égestains à titre d'alliés , ne
savons pas former le faisceau et leur montrer par notre attitude
courageuse qu'ils n'ont pas affaire ici à des Ioniens , à des Hel-
lespontiens ou à des insulaires , habitués à obéir à tous les
maîtres , Mèdes ou autres , mais à des Doriens , libres et indé-
pendants comme le Péloponèse , leur berceau. Ou bien atten-
drons-nous d'être pris en détail , ville après ville ? quand nous
voyons les Athéniens, fidèles à ce système, le seul qui nous
soit redoutable , désunir les uns par leurs discours , mettre aux
prises les autres par l'appât de leur alliance , enfin s'efforcer
de nous faire tout le mal possible , en séduisant chacun de nous
par un langage insidieux ? Et nous pourrions nous bercer de
l'espoir que , la ruine de notre voisin une fois consommée , le
LIVRE VI. 357

danger ne s'étendrait pas jusqu'à nous , et que celui qui aura


souffert le premier sera le seul frappé ?
LXXVIII . « Si l'un de vous s'imagine que les Athéniens n'en
veulent qu'à Syracuse , et que , n'étant point meLacé , il aurait
tort de s'exposer pour elle, je l'invite à considérer qu'en com-
battant sur notre territoire il agira pour sa patrie non moins
que pour la mienne ; que sa position sera même plus solide en ce
que, Syracuse debout, il aura en elle un point d'appui, au lieu
d'être seul à soutenir la lutte ; qu'enfin les Athéniens aspirent
bien moins à châtier l'insolence de Syracuse qu'à s'en faire un
prétexte pour s'assurer votre amitié.
« Si d'autres , par jalousie ou par crainte, deux sentiments
auxquels tout ce qui s'élève est exposé , - désirent que Syra-
cuse subisse une humiliation qui lui serve de leçon , sans toute-
fois être anéantie ; parce qu'il y va de leur propre sécurité,
c'est concevoir une espérance irréalisable . Il n'est pas en leur
pouvoir de modérer au gré de leur passion le cours des événe-
ments ; et, si leur attente vient à être déçue, peut-être regret-
teront-ils avec amertume le temps où ils portaient envie à
notre prospérité ; mais il sera trop tard , lorsqu'ils nous au-
ront abandonnés à la merci des dangers qui nous menacent
tous sans distinction . En apparence , c'est notre pouvoir qu'on
défend ; en réalité , on se défend soi- même.
« C'était à vous , Camarinéens , placés , comme vous l'êtes ,
sur nos frontières , et destinés à être attaqués immédiatement
après nous , qu'il appartenait surtout de montrer cette pré-
voyance , au lieu de la froideur avec laquelle vous nous avez
secourus . C'était à vous de prendre l'initiative . Si les Athé-
niens avaient commencé par attaquer Camarine , vous n'auriez
pas manqué d'invoquer rotre soutien ; de même , par une juste
réciprocité , vous auriez dû nous aider dans notre résistance ;
mais , pas plus que les autres , vous ne l'avez fait jusqu'ici .
LXXIX. « Peut- être , par excès de circonspection , voudriez-
vous ménager tout à la fois nous et nos agresseurs , à cause de
l'alliance qui vous unit avec Athènes . Cette alliance , vous l'a-
vez contractée , non pas contre vos amis , mais contre les enne-
mis qui pourraient vous menacer. Vous vous êtes engagés à
secourir les Athéniens lorsqu'ils seraient attaqués, et non lors-
qu'ils commettraient des agressions injustes. Voyez les Rhé-
giens quoique Chalcidéens de race, ils refusent de concourir à
la restauration des Léontins , Chalcidéens comme eux. Il serait
étrange que ce peuple tînt pour suspects les beaux semblants
358 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

dont se parent les Athéniens , et montrât une sagesse inconsé-


quente en apparence , tandis que vous iriez, sous un prétexte spé-
cieux , favoriser vos ennemis naturels et causer la ruine de vos
meilleurs amis en vous joignant à leurs implacables adversaires .
Ce serait le comble de l'iniquité . Vous devez plutôt nous secourir
contre les Athéniens, sans redouter les forces qu'ils déploient.
Si nous sommes unis, ces forces sont peu redoutables ; elles ne
sauraient le devenir que si nous nous divisions comme ils le
désirent ; et la preuve , c'est que , dans l'attaque dirigée contre
nous seuls , ils n'ont pu , malgré un premier avantage, en venir
à leurs fins , mais qu'ils sont repartis à la hâte . Si donc nous
serrons nos rangs, il n'y a pas de raison pour désespérer .
Réunissons-nous dans une alliance commune. Le moment est
d'autant mieux choisi que nous attendons le secours des Pélo-
ponésiens, bien supérieurs aux Athéniens dans l'art militaire .
LXXX. « Et n'allez pas vous figurer que cette prudence, qui
consisterait à rester neutres comme alliés des deux partis , soit
équitable envers nous et bien entendue pour vous-mêmes . En
droit, cela peut être vrai ; mais en fait , c'est tout le contraire.
Si votre refus de nous secourir a pour conséquence la chute
des uns et le triomphe des autres , qu'aurez - vous fait par votre
abstention que d'empêcher le salut des vaincus et de favoriser
la perfidie des vainqueurs ? Assurément il serait plus honorable
de vous joindre à des frères opprimés , pour défendre l'intérêt
commun de la Sicile et pour sauver une faute à vos amis les
Athéniens .
« En résumé, et sans nous arrêter plus longtemps à soute-
nir des vérités évidentes dont vous êtes parfaitement instruits ,
nous réclamons votre concours. En cas de refus, nous protes-
terons qu'en butte à nos éternels ennemis , nous sommes tra-
his, nous Doriens , par vous Doriens . Si les Athéniens nous sub-
juguent , c'est à vous qu'ils en seront redevables ; mais ils en
auront seuls l'honneur , et le prix de la victoire sera le peuple
même qui la leur aura procurée. Si au contraire nous sommes
vainqueurs , vous porterez la peine des dangers dont vous au-
rez été la cause.
• Réfléchissez donc , et choisissez dès à présent ou de subir
un esclavage immédiat et sans péril, ou de triompher avec
nous, en échappant à la honte de l'asservissement et à tout le
poids de notre haine. »
LXXXI. Ainsi parla Hermocratès . Après lui Euphémos, dé-
puté des Athéniens , prononça le discours suivant :
LIVRE VI . 359

LXXXII. « Nous sommes venus pour le renouvellement de


l'ancienne alliance ; mais , puisque nous sommes attaqués par
l'orateur syracusain, il faut bien que nous démontrions la légi-
timité de notre empire.
<< Le meilleur de tous les arguments est celui qu'il a donné
lui-même, lorsqu'il a parlé du vieil antagonisme entre Ioniens
et Doriens. Nous Ioniens , placés en regard des Doriens du
Péloponèse , nation beaucoup plus nombreuse que la nôtre ,
nous avons cherché dès l'abord les moyens de nous soustraire
à leur domination . Après la guerre Médique, nous trouvant en
possession d'une marine, nous avons secoué le joug des Lace-
démoniens ; car il n'y avait pas plus de raison à eux de nous
l'imposer qu'à nous de le leur faire subir , si ce n'est que leurs
forces alors étaient supérieures aux nôtres . Devenus chefs des
peuples auparavant soumis au roi , nous avons établi sur eux
notre suprématie , parce que pour nous la seule manière d'é-
chapper à l'ascendant des Péloponésiens était de posséder une
puissance imposante.
« D'ailleurs, il faut le dire , ce n'est pas sans motif que nous
avons fait la loi à ces Ioniens et à ces insulaires , qu'on nous
reproche d'avoir subjugués au mépris des liens du sang. Ces
peuples avaient marché avec le Mède contre nous , contre leur
métropole . Ils n'avaient pas eu le courage de rompre avec lui
et de ruiner leurs propriétés , comme nous le fîmes nous-
mêmes en abandonnant, notre ville . Esclaves , ils nous appor-
taient leur propre esclavage.
LXXXIII. « Ainsi notre domination se justifie à double
titre en premier lieu , par les services que nous rendîmes à la
Grèce en mettant à sa disposition la flotte la plus nombreuse et
le dévouement le plus héroïque , tandis que ces peuples aidaient
volontairement les Mèdes contre nous ; en second lieu , par la
nécessité où nous étions de prendre nos sûretés contre le Pélo-
ponèse . Mais laissons là les beaux discours , par lesquels nous
pourrions prouver que nous sommes dignes du commande-
ment pour avoir à nous seuls renversé le Barbare , et couru
plus de dangers pour la liberté de ces peuples que pour celle
de tous les Grecs et pour la nôtre ; et bornons- nous à dire
qu'on ne saurait faire un crime à personne d'aviser à sa propre
conservation ; or c'est pour y pourvoir que nous sommes venus
ici ; c'est pour des intérêts qui s'identifient avec les vôtres .
« Nous en donnerons pour preuve les faits mêmes dont se
servent les Syracusains pour exciter en vous des craintes exa-
360 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

gérées. On peut bien , sous l'empire de la peur, etre momen-


tanément subjugué par le prestige de l'éloquence ; mais plus
tard, au moment de l'action , on ne consulte que ses intérêts
naturels. Nous l'avons dit : c'est par mesure de précaution que
nous avons recherché l'empire en Grèce ; c'est le même motif
qui nous amène en Sicile pour y établir , de concert avec nos
amis, un ordre de choses conforme à notre sécurité ; non pour
imposer, mais pour écarter l'esclavage .
témoi-
LXXXIV. « On nous objectera peut -être qu'en Vous vo
1 gnant cette sollicitude nous nous mêlons de ce qui ne nous
regarde pas. La réponse est bien simple : si vous vous main-
tenez et que vous soyez assez forts pour tenir tête aux Syra-
cusains , ils seront moins à même de nous nuire en fournissant
des renforts aux Péloponésiens ; nous sommes donc directe-
ment intéressés dans vos affaires . C'est pour la même raison
que nous travaillons au rétablissement des Léontins ; ce n'est
point pour nous les assujettir comme leurs frères d'Eubée ,
mais pour leur donner au contraire toute la force possible ,
afin qu'à la faveur du voisinage ils nous rendent le service
d'occuper les Syracusains. En Grèce, nous suffisons à nous
seuls contre nos ennemis. Dès lors ces Chalcidéens qu'on nous
reproche de tenir sous le joug, tandis que nous venons affran-
chir ceux de Sicile , doivent dans notre intérêt être désarmés
et tributaires ; au lieu qu'ici ce qui nous importe , c'est que
les Léontins et nos autres amis jouissent de la plus complète ·
indépendance.
LXXXV. « Pour un tyran ou pour une ville qui possède
un empire " rien d'utile n'est déraisonnable ; il n'y a pa-
renté que s'il y a garantie ; ce sont les circonstances qui déci-
dent des amitiés ou des inimitiés. Or notre intérêt dans ce pays
n'est pas d'affaiblir nos alliés, mais de nous servir d'eux pour
neutraliser nos adversaires . Vous pouvez nous en croire. Nous
traitons nos alliés de Grèce chacun en raison de son utilité :
ceux de Chios et de Méthymne sont indépendants à condition
de fournir des vaisseaux ; la plupart des autres sont astreints
à des subsides , quelques-uns , quoique insulaires et d'une con-
quête facile, conservent une entière liberté , parce qu'ils occu-
pent des positions avantageuses autour du Péloponèse. On
peut donc présumer qu'ici encore notre ligne de conduite sera
tracée par notre intérêt , ou , comme je l'ai dit , par la crainte
des Syracusains .
« Ils aspirent à vous subjuguer. Leur but est de former une
LIVRE VI . 361

coalition contre nous en exploitant vos défiances ; puis , lors-


que nous serons repartis sans succès obtenu, ils espèrent, soit
par force, soit à l'aide de votre isolement , étendre leur domi-
nation sur toute la Sicile. Ce résultat est immanquable, si
vous faites cause commune avec eux ; en effet, nous ne sau-
rions avoir si aisément raison d'une coalition puissante , et,
quand nous serons éloignés , ils seront assez puissants pour
vous soumettre .
LXXXVI. « Si quelqu'un est d'une opinion contraire, les
faits se chargeront de le détromper . Quand vous nous appe-
lâtes la première fois , vous cherchâtes à nous effrayer par la
perspective du danger qu'il y aurait pour nous à vous laisser
en proie aux Syracusains. Or il n'est pas juste de repousser
aujourd'hui l'argument par lequel vous prétendiez alors nous
convaincre , ou de prendre ombrage de ce que nos forces ac-
tuelles paraissent trop considérables pour que nous n'ayons
en vue que les Syracusains. C'est à eux que vous devez réser-
ver vos défiances . Pour nous , il nous est impossible de rester
ici sans votre coopération ; et , quand nous pousserions la per-
fidie jusqu'à soumettre la Sicile, nous serions hors d'état de
la garder, vu la distance et la grandeur de ses villes , aussi
puissantes que des places du continent. Au contraire , le voi-
sinage des Syracusains , établis non pas comme nous dans un
camp , mais dans une ville fortifiée , est pour vous une me-
nace permanente . Offrez-leur une occasion favorable , et ils la
saisiront avidement. Ils l'ont bien fait voir par leur conduite
envers les Léontins et dans mille autres circonstances . Aujour-
d'hui encore , comme si leur finesse n'était pas percée à jour ,
ils ont l'audace de vous indisposer contre ceux- là mêmes qui
contrecarrent leurs projets , et qui , jusqu'à ce moment , ont
empêché la Sicile de tomber entre leurs mains.
« Écoutez donc des exhortations dictées par un intérêt sin-
cère pour votre salut. Ne renoncez pas aux avantages de notre
alliance . Songez que les Syracusains , forts comme ils le sont,
n'ont pas besoin d'aide pour vous attaquer, que la route leur
est toujours ouverte , tandis que vous n'aurez pas souvent de
· si puissants auxiliaires. Si , dans vos injustes suspicions , vous,
nous laissez repartir sans résultat, ou même après une défaite,
il viendra un temps où vous souhaiterez de revoir ne fût- ce
qu'une fraction de notre armée , alors que toute assistance
vous serait inutile .
LXXXVII . « Gardez -vous donc , Camarinéens , vous et les
THUCYDIDE. 21
362 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

autres peuples, de prêter l'oreille à des insinuations perfides.


Nous vous avons dit toute la vérité au sujet des défiances ré-
pandues contre nous. Pour nous résumer, nous vous déclarons
qu'en Grèce nous imposons le joug afin de ne pas le subir nous-
mêmes ; qu'ici nous apportons la liberté aux peuples pour n'a-
voir rien à redouter de leur part ; que nous sommes obligés
de beaucoup entreprendre parce que nous avons à repousser
bien des dangers ; qu'enfin , aujourd'hui comme naguère , ce
n'est pas spontanément, mais sur une demande formelle, que
nous sommes venus en aide à ceux de vous qui étaient opprimés.
« Quant à vous, qui n'êtes ni les juges ni les censeurs de
nos projets , n'essayez pas de nous en détourner- -ce qui d'ail-
leurs serait difficile ; mais si dans notre besoin d'activité ou
dans notre politique, vous apercevez pour vous quelque avan-
tage, n'hésitez pas à en tirer parti. Soyez persuadés que notre
manière d'agir , loin d'être dommageable à tous les Grecs,
est plutôt un service rendu au plus grand nombre. Dans les
lieux les plus éloignés , ceux qui redoutent ou qui méditent une
injustice , sûrs de se voir ou soutenus ou réprimés par nous,
sont amenés , les uns à se modérer malgré eux , les autres à se
laisser sauver sans qu'il leur en coûte.
« Ne repoussez donc pas cette sauvegarde qui vous est
offerte, à vous et à tous ceux qui en ont besoin . Faites comme
les autres ; et, au lieu d'être toujours sur le qui-vive à l'égard
des Syracusains , unissez-vous à nous pour retourner contre
eux l'agression dont ils vous menacent. >>
LXXXVIII. Tel fut le discours d'Euphémos . Les Camari-
néens ne savaient à quoi se résoudre. D'une part , ils étaient
favorablement disposés pour les Athéniens -- abstraction faite
des vues qu'ils leur prêtaient sur la Sicile et, en qualité de
voisins , ils avaient d'éternels démêlés avec les Syracusains ;
d'autre part , ils craignaient que ceux-ci ne se passassent de
leur secours, et qu'à eux seuls ils ne sortissent victorieux de
la lutte. Aussi leur avaient-ils envoyé un premier renfort de
quelques cavaliers , et ils se proposaient de les aider plus effi-
cacement , quoique avec toute la réserve possible . Toutefois ,
pour ne témoigner aucun mauvais vouloir aux Athéniens , sur-
tout depuis leur récent avantage, ils jugèrent à propos de faire
la même réponse aux deux partis. Ils déclarèrent que , se trou-
vant alliés des uns et des autres , ils croiraient manquer à leurs
serments si , dans l'état actuel des choses , ils se départaient
d'une stricte neutralité. Les députés se retirèrent.
LIVRE VI . 363

Pendant ce temps , les Syracusains continuaient leurs pré-


paratifs de défense . Les Athéniens , campés à Naxos , faisaient
des démarches auprès des Sicules, pour en attirer le plus pos-,
sible à leur parti . Ceux de la plaine , pour la plupart sujets de
Syracuse , se tenaient à l'écart ; mais ceux de l'intérieur, qui
de tout temps avaient joui de l'indépendance , étaient , à peu
d'exceptions près , avec les Athéniens. Ils apportaient des vivres
à l'armée , quelques-uns même de l'argent. Les Athéniens mar-
chèrent contre les récalcitrants et en contraignirent un certain
nombre ; les Syracusains, qui envoyaient de tous côtés des gar-
nisons et des renforts , les empêchèrent de venir à bout du reste .
Durant l'hiver, les Athéniens se transportèrent de Naxos à Ca-
tane, rétablirent les baraquements incendiés par les Syracu-
sains, et s'y logèrent pour la fin de la saison. Ils firent partir une
trirème pour Carthage, dans le but de faire amitié et d'obte-
nir, s'il se pouvait, quelques secours . Ils députèrent pareille-
ment en Tyrrhénie , où certaines villes promettaient leur coo-
pération . Ils demandèrent aux Sicules et aux Égestains de leur
fournir le plus possible de chevaux. Enfin ils firent provision
de briques, de fer et de tous les objets nécessaires pour les tra-
vaux du siége , dans le dessein de commencer les opérations
dès le printemps .
Les députés syracusains , partis pour Corinthe et Lacédé-
mone, essayèrent, sur leur passage , d'éclairer les Grecs d'Ita-
lie sur les entreprises des Athéniens , et de leur faire com-
prendre qu'elles les menaçaient également . Arrivés à Corinthe ,
ils exposèrent l'objet de leur mission , firent valoir leur com-
munauté d'origine , et réclamèrent des secours qu'ils obtinrent
sans difficulté ; puis ils partirent pour Lacédémone avec des
députés corinthiens , qui devaient presser les Lacédémoniens
d'activer la guerre contre Athènes et de faire parvenir des ren-
forts en Sicile . A Lacédémone , ces députés se rencontrèrent
avec Alcibiade. Celui- ci , en quittant Thurii avec ses compa-
gnons d'exil sur un bâtiment de transport, avait d'abord passé
à Cyllène en Élide ; puis , sur l'invitation expresse des Lacé-
démoniens , il s'était rendu à Sparte, muni d'un sauf-conduit ;
car il n'était pas sans inquiétude, à cause de la part qu'il avait
prise dans l'affaire de Mantinée . Les députés de Corinthe et
de Syracuse se trouvèrent d'accord avec lui pour adresser les
mêmes sollicitations aux Lacédémoniens , qu'ils réussirent à
persuader. Jusque-là les éphores et les magistrats avaient bien
eu l'intention de députer aux Syracusains pour les détourner
364 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

de faire un accommodement avec Athènes , mais ils n'étaient pas


décidés à les secourir. Alcibiade parut dans l'assemblée , et
entraîna les Lacédémoniens par le discours suivant :
LXXXIX. « Avant tout, je dois faire justice des préventions
dont je suis l'objet, afin que votre défiance à mon égard ne
vous fasse pas écouter avec défaveur ce que j'ai à dire pour
l'utilité commune .
« Mes ancêtres ayant renoncé , pour quelque mécontente-
ment, à la proxénie de Lacédémone, je l'ai reprise pour mon
propre compte et vous ai rendu plusieurs services, en particu-
lier lors de la malheureuse affaire de Pylos. Néanmoins , mal-
gré mon dévouement à vos intérêts , lorsque vous eûtes à trai-
ter de la paix avec Athènes , ce fut par l'entremise de mes
adversaires , honneur pour eux , affront pour moi . Aussi ai-je
eu raison de vous desservir , soit en me jetant dans le parti
des Mantinéens et des Argiens , soit en vous faisant une oppo-
sition constante . Si donc quelqu'un de vous me garde rancune
pour le mal que je vous ai fait dans le temps , qu'il considère
la vérité et revienne de sa malveillance.
« J'en dis autant à ceux qui pourraient me faire un crime
de mon attachement au parti démocratique . De tout temps
nous avons professé la haine des tyrans ; or tout ce qui est
opposé à l'absolutisme s'appelle démocratie ; d'où vient que
nous avons toujours été à la tête de l'opinion populaire. D'ail-
leurs, sous un gouvernement démocratique, il faut bien, dans
la plupart des cas , se plier au régime établi . Cependant, au
milieu de la licence régnante , je me suis toujours guidé par
un esprit de modération. Il ne manque pas , il n'a jamais man-
qué, de gens enclins à pervertir la multitude ; ce sont eux qui
m'ont banni . Tant que j'ai dirigé l'État , j'ai eu pour principe
de maintenir la constitution que j'avais trouvée en vigueur et
à laquelle notre ville avait dû sa grandeur et sa liberté . Toute-
fois les hommes raisonnables savent bien ce que vaut la dé-
mocratie , et moi mieux que personne , car j'ai plus à m'en
plaindre ; mais il n'y a rien de nouveau à dire sur l'extrava-
gance reconnue de cette forme de gouvernement. En tout cas ,
il ne me semblait pas sage de le renverser, quand vous étiez en
armes à nos portes .
XC. Telle a été la source des préventions répandues contre
moi . Maintenant il faut aborder la question qui vous est
soumise , et sur laquelle mon expérience peut vous guider uti-
lement.

1
LIVRE VI. 365

« Nous nous sommes rendus en Sicile pour subjuguer , s'il


se pouvait , les Grecs de ce pays , ensuite ceux d'Italie , finale-
ment les sujets des Carthaginois et Carthage elle- même . Si ce
projet eût réussi en totalité ou en majeure partie, nous comp-
tions dès lors nous rabattre sur le Péloponèse , avec l'adjonc-
tion de tous ces peuples , et en prenant à notre solde une foule
de Barbares , Ibériens ou autres , réputés les plus belliqueux
de ces contrées .
<< Indépendamment des trirèmes que nous possédons , nous
en aurions construit une infinité d'autres , à l'aide des bois que
l'Italie fournit en abondance . Par ce moyen , nous aurions blo-
qué tout le Péloponèse ; en même temps nos troupes de terre,
faisant des invasions sur le continent , auraient pris de force
une partie des villes et cerné tout le reste. Ainsi nous espérions
réduire sans difficulté ce pays et dominer ensuite sur la Grèce
entière.
« Quant à l'argent et aux munitions nécessaires pour l'ac-
complissement de ce projet, il suffisait des pays conquis pour
en fournir une source intarissable , sans compter nos propres
revenus .
XCI. Telle est , je le sais mieux que personne , la pen-
sée qui a présidé à notre expédition. Les généraux qui restent
ne négligeront rien pour en poursuivre l'accomplissement . Ap-
prenez maintenant que , sans vos secours , la Sicile doit in-
failliblement succomber.
« Les Siciliens manquent d'expérience . S'ils se coalisaient,
ils pourraient encore se défendre ; mais les Syracusains isolés ,
déjà vaincus en corps de nation , bloqués d'ailleurs par notre
flotte , sont hors d'état de résister longtemps . Or, Syracuse prise ,
la Sicile est perdue et l'Italie suivra de près. Dans ce cas , le
danger que je vous ai signalé ne tardera pas à vous atteindre .
« Ce n'est donc pas seulement de la Sicile , c'est du Pélopo-
nèse qu'il s'agit , si vous ne prenez immédiatement les mesures
que je vais indiquer. Envoyez en Sicile des soldats qui , après
avoir manié la rame pendant la traversée , feront le service
d'hoplites aussitôt après leur débarquement. Joignez-y- ce
que j'estime plus essentiel qu'une armée un commandant
spartiate , chargé d'organiser les hommes présents et de con-
traindre les retardataires . Par là vous doublerez les forces de
vos amis, et vous entraînerez les tièdes .
Ce n'est pas tout : il faut faire ici une guerre plus décidée ,
afin que les Syracusains , vous voyant prendre intérêt à eux,
366 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

résistent avec plus d'énergie , et que les Athéniens soient moins


en état d'envoyer des renforts à leur armée.
« Il faut aussi fortifier Décélie en Attique. C'est là l'éternelle
appréhension des Athéniens ; c'est, dans leur pensée , le seul
des maux de la guerre qui leur ait été jusqu'ici épargné. Or le
plus sûr moyen de nuire à ses ennemis , une fois qu'on a le
secret de leur crainte , c'est d'employer contre eux l'arme qu'ils
redoutent le plus ; car chacun est le meilleur juge des dangers
qui le menacent. Quant aux avantages que vous recueillerez
de cette occupation et aux dommages qu'elle occasionnera à
vos adversaires , il suffit de les indiquer. Toutes les richesses
du pays tomberont, de gré ou de force, entre vos mains . Vous
leur enlèverez du même coup les revenus des mines de Lau-
rion , ceux qu'ils retirent actuellement de leurs terres et des
tribunaux 2 ; enfin les alliés leur fourniront moins de subsides ,
parce qu'ils se relâcheront en vous voyant pousser la guerre
avec vigueur.
XCII. « Ils ne tient qu'à vous, Lacédémoniens, avec un peu
de promptitude et de bonne volonté, de réaliser , partiellement
au moins , ce plan de campagne ; car pour sa possibilité , elle
ne fait pas à mes yeux l'ombre d'un doute.
«< Au surplus , n'allez pas me faire un crime de ce que, re-
nommé jadis pour mon attachement à ma patrie , je me joins
maintenant contre elle à ses ennemis déclarés , ou ne voir dans
mon langage que des rancunes d'exilé. Je fuis , il est vrai , la
perversité de mes proscripteurs , mais non pas l'occasion de
vous servir par mes conseils , si vous voulez les suivre. Ma
haine la plus profonde n'est pas pour les hommes qui cherchent
à nuire à leurs ennemis ; elle est pour ceux qui forcent leurs
amis à leur devenir hostiles. Je fais consister mon patriotisme,
non pas à supporter patiemment les injures , mais à ne pas va-
rier dans mes convictions. Aussi n'est- ce pas contre une patrie
que je crois marcher aujourd'hui ; j'estime bien plutôt recon-
quérir celle que j'ai perdue . Le vrai patriote n'est pas celui
qui n'entreprend rien contre la patrie qu'on lui a injustement
ravie ; c'est l'homme qui , par amour pour elle , cherche tous les
moyens de la recouvrer.
« Je vous invite donc , Lacédémoniens , à m'employer sans
crainte, soit dans les fatigues , soit dans les dangers , vous sou-
venant d'une vérité qui est passée en proverbe : c'est que , si
en qualité d'ennemi je vous ai fait bien du mal , je peux en
qualité d'ami vous rendre non moins de services ; car je con-
LIVRE VI. 367

nais par expérience les affaires des Athéniens , et je crois me


faire une juste idée des vôtres.
Pour vous, ne perdez pas de vue que vous délibérez sur
une question de vie ou de mort. N'hésitez pas à faire la double
expédition de Sicile et d'Attique . Par là , moyennant de légers
sacrifices , vous sauverez des intérêts majeurs , et vous renver-
serez pour jamais la puissance d'Athènes. Dès lors, tranquilles
dans vos foyers , vous verrez la Grèce entière se soumettre à
ous, non par contrainte, mais librement et par affection. »
XCIII. Tel fut le discours d'Alcibiade . Les Lacédémoniens
avaient déjà pensé à faire une expédition contre Athènes ;
mais ils différaient et hésitaient encore. Lorsqu'ils eurent en-
tendu ces détails de la bouche de l'homme qu'ils regardaient
comme le mieux informé, leur ardeur s'enflamma ; ils ne son-
gèrent plus qu'à fortifier Décélie et à faire passer immédiate-
ment des secours en Sicile. Gylippe , fils de Cléandridas , fut
désigné pour aller prendre le commandement des Syracusains.
Il eut ordre de s'entendre avec leurs députés et avec ceux de
Corinthe , afin de diriger au plus tôt sur la Sicile toutes les
troupes qu'on pourrait réunir. Gylippe demanda aux Corin-
thiens de lui envoyer sur-le-champ deux vaisseaux à Asiné et
d'équiper les navires qu'ils voudraient y ajouter , de manière
à ce qu'ils fussent prêts à partir au premier jour . Ces mesures
prises, les députés quittèrent Lacédémone.
Sur ces entrefaites , arriva de Sicile à Athènes la trirème
que les généraux avaient expédiée pour demander de l'argent
et des cavaliers. Les Athéniens votèrent ces deux demandes.
Là-dessus l'hiver fut fini , ainsi que la dix-septième année de
la guerre que Thucydide a racontée.
XCIV. L'année suivante (a) , dès les premiers jours du prin-
temps , les Athéniens qui étaient en Sicile partirent de Catane
et rangèrent la côte jusqu'à Mégara. Cette place appartenait
dans l'origine aux Sicules ; mais les Syracusains , du temps
du tyran Gélon , en avaient , comme je l'ai dit plus haut ' ,
chassé les habitants et occupé le territoire . L'armée fit une
descente, dévasta la campagne , et, après avoir assailli sans
succès un fort défendu par des Syracusains , elle repartit
par mer et par terre ; puis elle parvint à l'embouchure du
fleuve Térias. Les Athéniens s'avancèrent dans l'intérieur du
pays, ravagèrent la plaine , et incendièrent les moissons . Ayant

(a) Dix-huitième année de la guerre, an 414 avant J. C.


368 GUERRE DU PÉLOPONESE.

rencontré un parti de Syracusains , ils lui tuèrent quelques


hommes , dressèrent un trophée et rejoignirent leurs vaisseaux.
De là ils revinrent à Catane ; et , après s'y être approvisionnés ,
ils se portèrent avec toutes leurs forces contre Centoripes
ville des Sicules, dont ils se rendirent maîtres par capitulation ;
après quoi ils repartirent en mettant le feu aux blés des Ines-
séens et des Hybléens . A leur retour à Catane , ils trouvèrent
les cavaliers venus d'Athènes au nombre de deux cent cin-
quante avec leur harnachement , mais sans chevaux ; on avait
pensé qu'ils s'en procureraient sur place. Il y avait aussi trente
archers à cheval et trois cents talents d'argent '.
XCV. Le même printemps , les Lacédémoniens firent une ex-
pédition contre Argos , et s'avancèrent jusqu'à Cléones ; mais
il survint un temblement de terre qui leur fit rebrousser che-
min. Les Argiens à leur tour envahirent le territoire de Thy-
réa, qui confine à l'Argolide , et firent sur les Lacédémoniens
un butin considérable , dont ils ne tirèrent pas moins de vingt-
cinq talents. Le même été, peu de temps après cette campagne ,
le peuple de Thespies se souleva contre son gouvernement ;
mais il n'eut pas le dessus. Les Thébains intervinrent , arrê-
tèrent quelques-uns des mutins , et forcèrent les autres à se
réfugier à Athènes .
XCVI . Ce même été , les Syracusains , avertis que les Athé-
niens avaient reçu de la cavalerie et se disposaient à marcher
contre eux, pensèrent que si l'ennemi ne s'emparait pas des Épi-
poles , colline escarpée qui domine immédiatement Syracuse,
il ne lui serait pas facile , même après une bataille gagnée ,
d'investir la place. Ils résolurent donc d'en garder les avenues ,
pour empêcher les Athéniens d'y monter à la dérobée , car c'é-
tait le seul point accessible. En effet , de tous les autres côtés
sont des collines qui s'abaissent en pente douce vers la ville ,
d'où l'on aperçoit toute leur étendue. Les Syracusains ont
donné à cette position le nom d'Epipoles ' , parce qu'elle do-
mine le reste du pays. Au point du jour, les Syracusains en
masse sortirent de la ville pour se rendre dans la prairie qu'ar-
rose l'Anapos . Hermocratès et les généraux ses collègues ve-
naient d'entrer en fonctions. Ils firent la revue des hoplites,
et désignèrent six cents hommes d'élite , commandés par Dio-
milos , exilé d'Andros , avec charge de garder les Epipoles et de
se porter rapidement partout où besoin serait.
XCVII. La nuit qui précéda le jour de cette revue ' , les
Athéniens partirent de Catane avec toute leur armée ; et, sans

4
47
LIVRE VI. 369

être découverts des Syracusains , prirent terre à l'endroit nommé


Léon , à six ou sept stades des Épipoles . Quand les vaisseaux
eurent déposé l'infanterie, ils allèrent mouiller à Thapsos . C'est
une presqu'île qui s'avance dans la mer avec un isthme étroit ,
à peu de distance de Syracuse , soit par mer soit par terre .
L'armée navale des Athéniens ferma cet isthme par une palis-
sade et se tint en repos. L'infanterie se porta au pas de course
vers les Épipoles qu'elle gravit par l'Euryale , avant que les
Syracusains l'eussent aperçue de la prairie où ils étaient . Ceux - ci
accoururent à toutes jambes , précédés par les six cents hommes
de Diomilos ; mais l'intervalle à franchir n'était pas moindre
de vingt-cinq stades ; ils attaquèrent en désordre , furent vaincus
sur les Epipoles , et rentrèrent dans la ville , après avoir perdu
Diomilos et près de trois cents des leurs . Les Athéniens éri-
gèrent un trophée et rendirent les morts par composition . Le
jour suivant, ils descendirent jusque sous les murs de la place ;
mais l'ennemi ne sortant point à leur rencontre , ils se reti-
rèrent et construisirent un fort au Labdalon , sur la crête des
Épipoles, du côté qui regarde Mégara. Il devait leur servir de
dépôt pour les bagages et pour la caisse lorsqu'ils iraient au
combat ou au travail ³.
XCVIII. Peu de temps après , il leur arriva d'Egeste trois
cents cavaliers, ainsi qu'une centaine de chez les Sicules , de
Naxos et de quelques autres endroits. Les deux cent cin-
quante cavaliers venus d'Athènes se procurèrent des chevaux
à Égeste , à Catane , ou en achetèrent à prix d'argent ; de sorte
que l'effectif de la cavalerie se trouva de six cent cinquante
hommes. Les Athéniens , après avoir mis garnison au Labdalon ,
s'avancèrent vers Syka ¹ , y prirent position , et élevèrent à la
hâte leur retranchement circulaire 2. La célérité de ce travail
consterna les Syracusains , qui firent une sortie pour l'inter-
rompre . Déjà les armées étaient en présence, lorsque les gé-
néraux syracusains , voyant que leurs soldats étaient disséminés
et se formaient difficilement, les ramenèrent dans la ville . Ils ne
laissèrent qu'un détachement de cavalerie, pour empêcher les
Athéniens de transporter des pierres et de se répandre au loin .
Une tribu d'hoplites athéniens , soutenue par toute la cavalerie ,
attaqua et miten fuite ces cavaliers syracusains , en tua quelques--
uns, et dressa un trophée en commémoration de cette victoire .
XCIX. Le lendemain , une partie des Athéniens , prenant
pour point de départ le retranchement circulaire , commencèrent
à construire le mur d'investissement du côté septentrional ,
370 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

tandis que les autres apportaient des pierres et des troncs


d'arbres , qu'ils déposaient en s'avançant de proche en proche
vers l'endroit appelé Trogilos . C'est là que devait aboutir,
par la ligne la plus courte, la circonvallation entre le grand
port et l'autre mer. Les Syracusains, sur l'avis de leurs géné-
raux et notamment d'Hermocratès , renoncèrent à se mesurer
avec les Athéniens en rase campagne ; mais ils crurent préfé-
rable d'élever une contre-approche, qui croiserait la circon-
vallation dans sa partie non achevée . Si ce projet réussissait ,
l'investissement était arrêté. Si , pendant ce travail, l'ennemi
faisait une attaque, ils comptaient lui opposer une portion de
leurs troupes et avoir le temps de planter la palissade , tandis
que les Athéniens seraient obligés de suspendre l'ouvrage pour
se tourner de leur côté. Les Syracusains sortirent donc et éle-
vèrent, à partir de leur ville, un mur transversal au-dessous
du retranchement circulaire des Athéniens . Ils coupèrent les
oliviers du Téménités pour établir des tours de bois. La flotte
athénienne n'avait pas encore passé de Thapsos dans le grand
port ; les Syracusains étaient toujours maîtres de la mer qui
les avoisine . Les Athéniens tiraient leurs subsistances de Thapsos
par voie de terre .
C. Quand les Syracusains crurent avoir consolidé les palis-
sades et la contre-approche , sans avoir été troublés dans ce
travail par les Athéniens, qui craignaient en se divisant de
leur donner prise , et qui d'ailleurs avaient hâte d'achever l'in-
vestissement, ils laissèrent une tribu à la garde de cet ouvrage
et rentrèrent dans leurs murs. Les Athéniens détruisirent les
canaux souterrains qui abreuvaient la ville. Ayant remarqué
que les Syracusains se retiraient dans leurs tentes vers le mi-
lieu du jour, que plusieurs même s'en allaient à la ville , enfin
que les gardes de la palissade faisaient négligemment leur
service , ils désignèrent trois cents hommes d'élite et quelques
soldats des troupes légères , choisis et bien armés, qui eurent
ordre de se porter brusquement et à la course vers la contre-
approche . Le reste de l'armée fut divisé en deux corps : le pre-
mier, avec l'un des généraux, s'avança du côté de la ville,
pour le cas où les assiégés feraient une sortie ; le second, avec
l'autre général , vers la palissade qui masquait la poterne. Les
trois cents assaillirent la contre-approche , qui fut enlevée ; les
défenseurs l'abandonnèrent pour se réfugier dans l'enceinte
avancée du Téménités. Les vainqueurs s'y jetèrent avec eux ;
mais à peine y avaient-ils pénétré, qu'ils furent violemment
LIVRE VI. 371

refoulés par les Syracusains . En cet endroit, il périt des Argiens


et des Athéniens en petit nombre. L'armée en se retirant abattit
la contre-approche, arracha les pieux, les transporta de son
côté et dressa un trophée.
CI. Le jour suivant, les Athéniens , à partir du retranche-
ment circulaire, entreprirent de fortiñer la rampe qui domine
le marais , et qui , sur ce flanc des Épipoles , fait face au grand
port. En suivant la ligne la plus courte, la circonvallation de-
vait descendre cette rampe , pour rejoindre le port à travers le
marais et la plaine . Pendant ce temps , les Syracusains sortirent
et élevèrent de leur côté , en partant de la ville et en se diri-
geant par le milieu du marais , une seconde palissade protégée
par un fossé , afin d'empêcher les Athéniens de pousser l'inves-
tissement jusqu'à la mer.
Ceux-ci n'eurent pas plus tôt terminé la partie située sur
la rampe , qu'ils formèrent le projet d'enlever à son tour cette
palissade et son fossé . Ordre, fut donné à la flotte de passer de
Thapsos dans le grand port de Syracuse. Eux-mêmes, un peu
avant le lever du soleil, descendirent des Epipoles dans la plaine ,
traversèrent le marais à l'endroit où il était fangeux et le plus
solide, en s'aidant de planches et de claies qu'ils jetaient devant
eux. Au point du jour , ils étaient maîtres du fossé et de la pa-
lissade , excepté une parcelle qu'ils prirent bientôt après.
Une action s'engagea , dans laquelle les Athéniens furent en-
core vainqueurs . L'aile droite des Syracusains s'enfuit vers la
ville, la gauche vers le fleuve . A l'instant , les trois cents
Athéniens d'élite coururent au pont, afin de couper le passage.
Les Syracusains eurent un moment de frayeur ; mais , soutenus
par le gros de leur cavalerie, ils marchent aux trois cents,
les culbutent et les rejettent sur l'aile droite des Athéniens .
Ce mouvement répand l'alarme dans l'extrémité de cette aile.
Lamachos s'en aperçoit ; et , prenant avec lui quelques archers
et les Argiens, il se porte de l'aile gauche au secours de la
droite ; mais , au moment où il venait de franchir un fossé et
se trouvait presque seul avec quelques hommes de son entou-
rage, il est tué , lui et cinq ou six des siens. Les Syracusains
réussirent à enlever rapidement leurs cadavres et à les trans-
porter au delà du fleuve en lieu de sûreté ; puis, à l'approche
du gros de l'armée athénienne, ils se retirèrent.
CII. A cet aspect, ceux d'entre eux qui d'abord avaient fui
vers la ville , reprirent courage et revinrent à la charge contre
les Athéniens. En même temps , ils détachèrent quelques-uns
372 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

des leurs pour aller attaquer le retranchement circulaire des


Epipoles , qu'ils croyaient abandonné. Ils enlevèrent effecti-
vement l'avant-mur, long de dix plèthres ' ; mais, quant au
retranchement lui-même, Nicias, qu'une indisposition y avait
retenu, les empêcha de s'en emparer . Quand il vit que, faute
de défenseurs, il ne restait pas d'autre parti à prendre , il or-
donna aux valets de mettre le feu aux machines et aux pièces
de bois déposées devant le mur . L'expédient réussit ; l'incendie
arrêta les Syracusains, qui ne tardèrent pas à battre en retraite ;
car les Athéniens en force remontaient de la plaine vers le re-
tranchement pour les en déloger. Au même instant , la flotte
partie de Thapsos , selon l'ordre qu'elle avait reçu , faisait son
entrée dans le grand port. A cette vue, les Syracusains qui
étaient sur la hauteur se replièrent à la hâte , et toute leur
armée rentra dans la ville, ne jugeant plus possible , avec les
forces actuelles , d'empêcher l'investissement d'être conduit
jusqu'à la mer.
CIII. Là-dessus les Athéniens érigèrent un trophée, ren-
dirent par composition les morts des Syracusains, et reçurent
les cadavres de Lamachos et de ses compagnons. Leurs forces
de terre et de mer étant au complet, ils commencèrent à in-
vestir Syracuse d'un double mur depuis les Épipoles et les
pentes escarpées jusqu'à la mer. L'armée recevait des vivres
en abondance de tous les points de l'Italie . Il arriva aussi aux
Athéniens des renforts de chez les Sicules, qui avaient attendu
jusqu'alors pour se prononcer ; enfin trois pentécontores tyr-
rhéniennes. Tout marchait à souhait. Les Syracusains , ne
voyant venir du Péloponèse ni d'ailleurs aucun secours , com-
mençaient à ne plus compter sur le succès de leurs armes. Ils
parlaient entre eux d'accommodement , et faisaient des ouver-
tures à Nicias , qui , depuis la mort de Lamachos , avait seul le
commandement de l'armée. Rien ne se concluait ; mais , ainsi
qu'on peut l'attendre d'un peuple à bout de ressources et tou-
jours plus étroitement cerné, on mettait en avant une foule de
propositions, soit auprès de Nicias, soit surtout dans la ville;
car le malheur avait semé la défiance entre les citoyens . On
retira le commandement aux généraux sous lesquels avaient eu
lieu ces revers , imputés à leur trahison ou à leur mauvaise
fortune ; on élut à leur place Héraclidès , Euclès et Tellias .
CIV. Cependant le Lacédémonien Gylippe et les vaisseaux
partis avec lui dé Corinthe étaient déjà dans les eaux de Leu-
cade , et faisaient diligence pour gagner la Sicile . Les nouvelles
LIVRE VI . 373

qu'ils recevaient étaient alarmantes, quoique toutes également


controuvées ; elles s'accordaient à représenter Syracuse comme
investie en son entier. N'ayant donc plus d'espoir pour la Si-
cile , mais voulant au moins préserver l'Italie, Gylippe et le
Corinthien Pythen , avec deux vaisseaux lacédémoniens et deux
de Corinthe , traversèrent en grande hâte le golfe Ionien, le
cap sur Tarente. Indépendamment de ces vaisseaux , les Co-
rinthiens en avaient armé dix des leurs , deux de Leucade et
trois d'Ambracie, qui devaient suivre plus tard . De Tarente,
Gylippe se rendit d'abord , en qualité d'ambassadeur , chez les
Thuriens, en s'autorisant de l'ancienne bourgeoisie de son père ¹; 1..
mais, n'ayant pu les persuader, il se rembarqua et côtoya
l'Italie. Par le travers du golfe Térinéen 2, il fut assailli par un
vent du nord, qui souffle avec impétuosité dans ces parages ,
et qui l'emporta en pleine mer. Après avoir longtemps lutte
contre la tempête, il regagna Tarente , où il tira ses vaisseaux
à sec et répara ses avaries . Instruit de son approche , Nicias
méprisa le petit nombre de ses bâtiments , comme avaient fait
les Thuriens ; et, le croyant simplement armé en course, il ne
prit contre lui aucune précaution .
CV. Vers la même époque , les Lacédémoniens et leurs alliés
firent une invasion dans l'Argolide , dont ils ravagèrent la plus
grande partie. Les Athéniens vinrent au secours des Argiens
avec trente vaisseaux. Ce fut la violation la plus flagrante du
traité de paix avec Lacédémone. Jusque - là tout s'était borné à
des incursions dont Pylos était le point de départ. Si l'alliance
avec Argos et Mantinée avait conduit les Athéniens à opérer
quelques descentes , c'était moins en Laconie que dans le reste
du Péloponèse . Bien qu'à plusieurs reprises les Argiens les
eussent pressés de faire une simple apparition en armes sur un
seul point de la Laconie , pour repartir aussitôt après y avoir
commis avec eux quelques dévastations, ils s'y étaient con-
stamment refusés . Cette fois , sous le commandement de Py-
thodoros , de Lespodias et de Démaratos, ils débarquèrent à
Epidaure-Liméra, à Prasies et sur d'autres points du littoral ,
où ils exercèrent des ravages. Par là ils fournirent aux Lacé-
démoniens un excellent prétexte de représailles. Après la re-
traite des vaisseaux athéniens et l'évacuation de l'Argolide par
les Lacédémoniens , les Argiens envahirent le territoire de
Phlionte, dévastèrent la campagne et tuèrent quelques habitants ;
après quoi ils regagnèrent leurs foyers.
LIVRE VII.

Gylippe arrive à Syracuse par Himéra ; il prend le fort de Labdalon ,


ch. 1-1 . Les Syracusains élèvent un mur à travers les Epipoles ;
les Athéniens fortifient le Plemmyrion , ch. IV. Deux combats sur
terre ; dans le premier les Syracusains sont vaincus, dans le second
vainqueurs, ch. v-vI.- Arrivée de la flotte corinthienne à Syracuse,
ch. VII.- Nicias demande des renforts à Athènes, ch. VIII. --Expé-
dition des Athéniens contre Amphipolis , ch. IX. - Dans l'hiver , la
dépêche de Nicias parvient à Athènes, son contenu , ch. x-xv. Eu-
rymédon et Démosthène sont envoyés en Sicile avec des renforts ,
ch. XVI-XVIII. Dix-neuvième année de la guerre. Les Lacédémo-
niens entrent en Attique et fortifient Décélie , ch. xix. Envoi
d'une flotte athénienne sur les côtes du Péloponèse , ch. xx.
Gylippe engage les Syracusains à tenter une bataille´navale, ch. xxI.
Attaque du Plemmyrion par terre et par mer ; Gylippe s'empare
des forts; la flotte syracusaine est repoussée , ch . XXII-XXIV. Les
Syracusains envoient douze vaisseaux en Italie , ch . xxv.— Les
Athéniens fortifient un promontoire en Laconie vis-à-vis de Cythère ,
ch. XXVI. Des Thraces mercenaires pillent la ville de Mycalessos ,
ch. XXVII-XXX.- Démosthène prend des troupes à Corcyre , ch . xxxi.
Les Sicules interceptent un renfort destiné aux Syracusains ,
ch. XXXII.- La Sicile entière, excepté Agrigente et les alliés d'A-
thènes , se coalise avec Syracuse , ch. XXXIII. — Combat naval dans
le golfe de Corinthe , ch . xxxiv. Démosthène et Eurymédon en
Italie , ch. xxxv. -
- Deux batailles navales dans le grand port de
Syracuse ; dans la seconde les Athéniens ont le dessous , ch. XXXVI-
XLI.- Démosthène et Eurymédon arrivent au camp , ch. XLII , -
Attaque nocturne des Épipoles ; défaite des Athéniens, ch. XLIII-XLV.
-Les Syracusains appellent de nouveaux secours de Sicile , ch . XLVI .
Conseil de guerre tenu par les généraux Athéniens , ch. XLVII-
XLIX. Les Athéniens , sur le point de partir, sont retenus par une
éclipse de lune , ch . L - LI . Grand combat sur terre et sur mer;
défaite des Athéniens , ch. LII-LIV. Leur abattement; espérances
des ennemis, ch. LV-LVI.- Enumération des alliés des deux partis ,
ch. LVII-LVIII. - Fermeture du port de Syracuse , ch. LIX. - Les
Athéniens abandonnent leurs lignes sur terre et se préparent à un
combat naval , ch . LX. - Harangue de Nicias , ch. LXI-LXIV. — Pré-
paratifs des Syracusains , ch. LXV.- Harangue de Gylippe, ch. LXVI-
LIVRE VII . 375
LXVIII. - Nouvelle exhortation de Nicias , ch. LXIX. Dernier combat
naval; déroute des Athéniens, ch. LXX-LXXI. ---Ils prennent le parti
de se retirer per terre ; ruse d'Hermocratès pour les arrêter ,
ch . LXXII-LXXIV. - Evacuation du camp par les Athéniens , ch. LXXV-
LXXVI. - Discours de Nicias , ch. LXXVII. Retraite des Athéniens ,
ch. LXXVIII-LXXX . -
- Capitulation de Démosthène , ch. LXXXI-LXXXII .
- Massacre de la division de Nicias au passage de l'Assinaros ; Ni-
cias se rend à Gylippe, LXXXIII-LXXXV. - Mort de Nicias et de Dé-
mosthène; triste sort des captifs , ch . LXXXV-LXXXVII.

I. Gylippe et Pythen, après avoir radoubé leurs vaisseaux ,


partirent de Tarente et rangèrent la côte jusque chez les Lo-
criens -Epizéphyriens. Là ils apprirent avec plus de certitude
que Syracuse n'était pas encore complétement investie, mais
qu'il était possible à une armée d'y entrer par les Épipoles .
Ils délibérèrent donc s'ils côtoieraient la Sicile à main droite
et tenteraient d'entrer dans le port, ou s'ils la tiendraient à
main gauche et se dirigeraient d'abord sur Himéra, pour ga-
gner ensuite Syracuse par terre , en grossissant leur armée des
Himéréens et de tous ceux qu'ils pourraient persuader. Ils s'ar-
rêtèrent à ce dernier parti , d'autant plus volontiers que les
quatre vaisseaux athéniens détachés enfin par Nicias lorsqu'il
avait appris l'arrivée des ennemis à Locres , n'étaient pas encore
à Rhégion. Ils les prévinrent , franchirent le détroit, et après
avoir touché à Rhégion et à Messine , ils atteignirent Himéra.
Là ils tirèrent à sec leurs vaisseaux, et persuadèrent aux Hi-
méréens de se joindre à eux et de fournir des armes à ceux de
leurs matelots qui en manquaient . Ils donnèrent rendez- vous
aux Sélinontins pour qu'ils vinssent en armes à leur rencontre.
Les habitants de Géla et quelques-uns des Sicules leur pro-
mirent des secours. Les Sicules étaient mieux disposés depuis
la mort récente d'Archonidas , prince assez puissant, qui régnait
sur une partie de la contrée, et qui tenait pour les Athéniens ;
ce qui acheva de les déterminer, ce fut l'empressement que
Gylippe avait mis à venir de Lacédémone. Gylippe prit donc
avec lui sept cents de ses matelots et soldats de marine qui
avaient des armes, mille hommes d'Himéra , composés d'ho-
plites, de troupes légères et de cent cavaliers, un certain
nombre de soldats légèrement armés et de cavaliers de Séli-
nonte et de Géla, enfin un millier de Sicules, et se mit en
marche pour Syracuse.
II. Cependant les Corinthiens avaient quitté Leucade avec
376 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

le gros de leur flotte, et s'avançaient avec toute la célérité pos-


sible. Gongylos , un de leurs généraux , parti le dernier avec
un seul bâtiment, arriva le premier à Syracuse un peu avant
Gylippe. Il trouva les Syracusains à la veille de tenir une
assemblée pour entrer en accommodement avec les Athéniens .
Il les en détourna et releva leur courage, en leur disant que
d'autres vaisseaux étaient en route et que Lacédémone leur
envoyait pour général Gylippe , fils de Cléandridas. Les Syra-
cusains reprirent assurance , et sortirent aussitôt en masse au-
devant de Gylippe, dont on venait de signaler l'approche.
Gylippe, après avoir pris en passant Gétæ, château fort des
Sicules, et rangé ses troupes en ordre de combat, parvint aux
Épipoles . Il y monta , comme les Athéniens la première fois ,
par l'Euryale ; et, réuni aux Syracusains , il se porta contre
les lignés ennemies. Au moment où il arriva, les Athéniens
avaient déjà terminé sept ou huit stades de la double muraille
qui devait s'étendre jusqu'au grand port ; il ne leur restait
plus qu'un petit espace près de la mer, où ils travaillaient en-
core. De l'autre côté du retranchement circulaire , dans la
direction de Trogilos et de l'autre mer, les pierres étaient
déjà déposées à pied d'œuvre sur la plus grande partie de la
ligne ; en certains endroits le mur était à moitié fait , en d'autres
complétement achevé. C'est à cette extrémité qu'en étaient ré-
duits les Syracusains.
t
III . Les Athéniens , surpris de l'apparition de Gylippe et des
Syracusains, eurent un moment d'hésitation ; cependant ils se
rangèrent en bataille . Gylippe , après s'être mis au repos sous
les armes à peu de distance des ennemis , leur envoya un
héraut pour leur signifier que , s'ils voulaient évacuer la Sicile
avec armes et bagages dans le délai de cinq jours, il était
prêt à traiter avec eux. Les Athéniens accueillirent avec mé-
pris ce message, et renvoyèrent le héraut sans réponse . En-
suite on fit de part et d'autre les dispositions du combat.
Gylippe , s'apercevant que les Syracusains étaient en désordre
et avaient de la peine à se former, ramena son armée sur un
terrain plus ouvert. Nicias ne le suivit point, et resta immobile
devant ses retranchements. Les Athéniens n'avançant pas,
Gylippe alla prendre position sur l'éminence appelée Téménitis ,
où il bivaqua. Le lendemain il se porta en avant et déploya
le gros de ses troupes en face des murs des Athéniens , afin de
les empêcher de porter ailleurs des secours. En même temps ,
il envoya un détachement contre le fort de Labdalon , situé
LIVRE VII . 377

hors de la vue des Athéniens ; il le prit et massacra tous ceux


qui s'y trouvaient. Le même jour les Syracusains enlevèrent
une trirème athénienne en station devant le port.
IV. Là- dessus les Syracusains et leurs alliés commencèrent
à construire , vers le haut et en travers des Épipoles , un mur
simple qui partait de la ville et croisait la contre-approche 1 .
Ils voulaient que les Athéniens , s'ils ne voulaient empêcher
cette construction , fussent dans l'impossibilité d'achever l'in-
vestissement. Les Athéniens étaient déjà remontés sur la hau-
teur, après avoir terminé le mur aboutissant à la mer 2 .
Gylippe, qui avait remarqué un point faible dans cet ouvrage ,
fit, pendant la nuit , prendre les armes à ses troupes , et s'a-
vança pour l'attaquer ; mais sa tentative fut déjouée par les
Athéniens , qui se trouvaient bivaquer en dehors de leurs
lignes . Gylippe , se voyant découvert, battit promptement en
retraite . Les Athéniens donnèrent plus d'élévation à leur mu-
raille , et se réservèrent ce poste à garder. Déjà ils avaient
assigné à leurs alliés la place que chacun d'eux devait défendre
sur tout le reste du retranchement.
Nicias résolut de fortifier le Plemmyrion . C'est un promon-
toire qui fait face à la ville et dont la saillie rétrécit l'entrée
du grand port. En occupant cette position , il avait en vue de
faciliter l'arrivage des subsistances, et pensait que les Athé-
niens seraient plus à portée de surveiller l'arsenal des Syra-
cusains , au lieu d'avoir à partir du grand port au moindre
mouvement de la marine ennemie . Nicias attachait plus d'im-
portance aux opérations navales depuis que l'arrivée de Gy-
lippe avait diminué ses espérances du côté de la terre . Ayant
donc fait passer au Plemmyrion des troupes et les vaisseaux,
il y éleva trois forts , où il déposa la plus grande partie du
matériel , et près desquels stationnèrent dès lors les bâtiments
de charge , ainsi que les vaisseaux légers . A dater de cette
époque , les équipages eurent considérablement à souffrir. L'eau
était rare et éloignée ; et quand les matelots sortaient pour
faire du bois , ils étaient maltraités par les cavaliers ennemis ,
qui tenaient la campagne . Depuis l'occupation du Plemmyrion ,
les Syracusains avaient posté au bourg de l'Olympéion le tiers
de leur cavalerie, afin d'empêcher les déprédations. Informé
que le gros de la flotte corinthienne approchait, Nicias détacha
vingt vaisseaux pour la tenir en respect , avec ordre de sta-
tionner aux environs de Locres , de Rhégion , et aux abords de
la Sicile.
378 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

V. Gylippe continuait à construire le mur en travers des


Épipoles, et se servait à cet effet de pierres que les Athéniens
avaient amassées pour leur propre compte ; en même temps,
il faisait sortir les Syracusains et leurs alliés , qu'il déployait
au fur et à mesure devant le retranchement. Les Athéniens à
leur tour se rangèrent en bataille. Lorsque Gylippe crut le
moment venu, il donna le signal de l'attaque. Le combat fut
livré dans l'intervalle des murs, où les Syracusains ne pou-
vaient faire usage de leur cavalerie ; aussi furent-ils vaincus
avec leurs alliés.
Après qu'ils eurent relevé leurs morts par composition et que
les Athéniens eurent dressé un trophée , Gylippe convoqua ses
soldats et leur dit que la faute n'était point à eux, mais à lui
seul ; qu'en s'engageant trop au dedans des murs il avait rendu
inutile la cavalerie et les gens de trait ; qu'il allait donc les
ramener à la charge . Il ajouta qu'ils ne devaient point se croire
inférieurs aux ennemis , ou mettre le moins du monde en doute
que des Péloponésiens et des Doriens ne sussent pas vaincre
des Ioniens , des insulaires , un ramas d'étrangers , et les chasser
de la contrée.
VI. Ensuite, quand il fut temps , il les mena une seconde
fois au combat. Nicias et les Athéniens , lors même qu'on ne les
eût pas provoqués , sentaient bien qu'il y avait nécessité pour
eux de ne pas permettre l'achèvement de la muraille parallèle ,
car déjà elle était sur le point de dépasser l'extrémité de leur
retranchement, et, une fois au delà , il devenait indifférent
pour eux d'entasser victoire sur victoire ou de ne pas com-
battre du tout. Ils marchèrent donc à la rencontre des Syracu-
sains. Gylippe, avant d'en venir aux mains, conduisit ses hoplites
à une plus grande distance des murs que la première fois. Il
plaça la cavalerie et les gens de trait sur le flanc des Athéniens ,
dans l'espace plus ouvert où finissaient les ouvrages des deux
armées. Au milieu de l'action , cette cavalerie fondit sur l'aile
gauche des Athéniens qui était en face d'elle et la culbuta ; sa
déroute entraîna celle du reste de l'armée, qui fut rejetée dans
les retranchements. La nuit suivante, les Syracusains parvinrent
à prolonger leur mur parallèle au delà des lignes ennemies ;
ils n'avaient donc plus d'obstacle à redouter de la part des
Athéniens, tandis que ceux-ci, fussent-ils victorieux , ne pou-
vaient plus achever l'investissement.
VII. Sur ces entrefaites, les vaisseaux de Corinthe , d'Am-
bracie et de Leucade, restés en arrière au nombre de douze,
LIVRE VII. 379

entrèrent dans le port, après avoir mis en défaut la croisière


athénienne. Ils étaient commandés par le Corinthien Érasinidès.
Leurs équipages aidèrent les Syracusains à terminer leur mur
jusqu'à la contre- approche.
Gylippe parcourut ensuite le reste de la Sicile , pour y ras-
sembler des forces de terre et de mer, comme aussi pour attirer
celles des villes qui n'avaient encore montré que peu de zèle,
ou qui même étaient restées totalement étrangères à la guerre.
D'autres députés , Syracusains et Corinthiens , partirent pour
Lacédémone et pour Corinthe, afin d'obtenir l'envoi de nouvelles
troupes à embarquer sur des vaisseaux marchands , sur des
transports ou des bâtiments quelconques , attendu que les
Athéniens demandaient aussi des renforts. Les Syracusains
équipaient une flotte et s'exerçaient à la manœuvre dans l'in-
tention de porter aussi leurs efforts du côté de la mer. Ils dé-
ployaient en même temps beaucoup d'ardeur dans toutes les
autres dispositions.
VIII. Nicias ne l'ignorait pas ; chaque jour il voyait grandir
les forces des ennemis , pendant que ses embarras ne faisaient
que s'accroître. Il envoyait donc message sur message à
Athènes, afin de tenir les citoyens au courant de ce qui se
passait . Cette fois il crut nécessaire d'entrer dans plus de
détails , persuadé que sa position était critique et à peu près
désespérée , à moins qu'on ne rappelât l'armée expéditionnaire
ou qu'on ne lui envoyât de puissants secours. Comme il crai-
gnait que ses délégués n'exposassent pas le véritable état des
choses faute de talent ou de mémoire, peut- être aussi pour
complaire à la multitude , il consigna ses observations par écrit.
C'était, selon lui , le meilleur moyen de faire connaître aux
Athéniens toute sa pensée, sans qu'elle fût affaiblie en passant
par l'organe d'un messager, et de les mettre à même de déli-
bérer en pleine connaissance de cause . Ces envoyés partirent
donc, chargés de sa dépêche et des explications orales qu'ils
devaient ajouter. Quant à lui , il faisait bonne garde dans son
camp , évitant dès lors de s'exposer volontairement.
IX. Sur la fin du même été, le général athénien Évétion fit,
avec Perdiccas et une troupe nombreuse de Thraces , une ex-
pédition contre Amphipolis. Il ne réussit pas à s'emparer de
cette ville ; mais il la tourna avec ses trirèmes par le Strymon
et, du fleuve, il assiégea la place, en prenant Himéréon pour
base d'opérations. Sur quoi l'été finit.
X. L'hiver suivant, les envoyés de Nicias , arrivés à Athènes,
380 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

s'acquittèrent de leur message verbal, répondirent aux ques-


tions qui leur furent adressées , et remirent la lettre dont ils
étaient porteurs . Le secrétaire de la ville, montant à la tribune,
en donna lecture aux Athéniens. Elle était conçue en ces
termes :
XI . « Mes nombreux rapports vous ont tenus au courant de
nos opérations précédentes ; aujourd'hui il est à propos que vous
soyez également instruits de la situation où nous sommes, afin
de prendre un parti décisif.
« Dans la plupart des rencontres , nous avons défait les Sy-
racusains , contre lesquels nous avons été envoyés. Déjà nous
avions élevé les ouvrages que nous occupons présentement,
lorsqu'est venu le Lacédémonien Gylippe , avec des troupes
tirées du Péloponèse et de quelques villes de Sicile . Dans une
première affaire , nous l'avons vaincu ; mais le lendemain ,
accablés par une nuée de cavaliers et de gens de trait, nous
sommes rentrés dans nós lignes. Aujourd'hui nous avons sus-
pendu l'investissement à cause de la multitude de nos adver-
saires , et nous restons dans l'inaction ; aussi bien ne pourrions-
nous faire usage de toutes nos forces , car la garde des ouvrages
occupe une partie des hoplites . De plus les ennemis ont élevé,
parallèlement à nous, un mur simple ; en sorte qu'il n'y a plus
moyen de les investir, à moins d'enlever à l'aide de forces
supérieures cette nouvelle enceinte . Ainsi nous avons l'air
d'assiégeants , et en réalité nous sommes assiégés , au moins du
côté de la terre ; car la cavalerie ennemie ne nous permet pas
de nous écarter.
XII. « Ils ont envoyé dans le Péloponèse des députés pour
demander une nouvelle armée , et Gylippe parcourt en ce mo-
ment les villes de Sicile, pour engager les neutres à se pro-
noncer , et pour obtenir des autres , s'il le peut , de nou-
veaux renforts de terre et de mer. Ils ont, à ce que j'apprends ,
l'intention de tenter une double attaque contre nos retran-
chements, par terre avec leurs troupes et par mer avec leurs
vaisseaux.
« Et que nul de vous ne s'étonne de ce qu'ils pensent à
prendre l'offensive même par mer. Notre flotte ils le savent
à merveillee- était brillante dans l'origine par le bon état des
vaisseaux et la vigueur des équipages ; maintenant au contraire
les navires font eau par suite de leur long séjour à la mer,
et les équipages sont désorganisés . Il est impossible de caré-
ner les vaisseaux à terre, parce que la flotte ennemie, égale ou
LIVRE VII . 381

même supérieure à la nôtre, fait toujours mine de nous atta-


quer. Elle s'y prépare visiblement ; elle a toute liberté d'agir
et de se radouber , car elle n'a point à fournir de croisière .
XIII. « Pour nous, c'est à peine si nous aurions cet avantage
quand nos vaisseaux seraient beaucoup plus nombreux, et que
nous ne serions pas , comme aujourd'hui , dans la nécessité de
les employer tous pour la garde ; car, pour peu que nous nous
relâchions de la surveillance , les vivres nous manqueront ; ce
n'est déjà pas sans difficulté qu'ils nous parviennent en passant
devant la ville ennemie . Quant aux équipages , ce qui les a
ruinés et les ruine encore à présent, c'est que les matelots ,
obligés de s'éloigner pour aller au bois , à l'eau ou à la maraude,
tombentsous les coups des cavaliers ennemis. Les esclaves déser-
tent depuis que les forces se balancent. Les étrangers , embar-
qués par contrainte , profitent de la première occasion pour se
disperser dans les villes ; tandis que ceux qui d'abord avaient
été séduits par l'appât d'une forte paye , et qui croyaient avoir
plutôt à s'enrichir qu'à combattre, voyant, contrairement à
leur attente , les ennemis nous tenir tête sur mer et ailleurs ,
disparaissent, les uns sous prétexte d'aller à la recherche de
leurs esclaves fugitifs , les autres comme ils peuvent. Or la
Sicile est grande. Il en est même qui , pour trafiquer , achètent
des esclaves d'Hyccara , obtiennent des triérarques de les
embarquer à leur place , et détruisent ainsi la régularité du
service.
XIV. « Vous le savez , sans qu'il soit nécessaire de vous
l'écrire , un équipage n'est pas longtemps en parfait état ; ils
sont rares les matelots qui donnent l'impulsion au navire et le
branle aux rameurs . Mais le pire de tout, c'est qu'il ne m'est
pas possible , à moi général , d'empêcher ces désordres ; car vous
êtes d'un caractère malaisé à gouverner. Nous ne savons pas
où recruter nos équipages, tandis que rien n'est plus facile aux
ennemis. Pour satisfaire au service journalier et pour combler
nos vides , nous sommes réduits aux seules ressources que nous
avions en arrivant ; car les villes alliées, Naxos et Catane , ne
nous sont d'aucun appui . Pour peu que les ennemis aient en-
core un seul avantage , si par exemple les villes d'Italie qui nous
alimentent, voyant la situation où nous sommes et l'absence de
vos secours , passent de leur côté , nous ne pourrons plus sou-
tenir le siége, et la guerre se terminera pour eux sans coup
férir.
« J'aurais pu vous mander des choses plus agréables , mais
382 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
non plus utiles, si vous tenez à être exactement renseignés sur
l'état de nos affaires pour en délibérer. D'ailleurs il est dans
vos habitudes de n'écouter que ce qui vous plaît , sauf à vous
irriter ensuite si l'événement ne répond pas à votre at-
tente. J'ai donc cru qu'il était plus sûr de vous dire toute la
vérité.
XV. « Et maintenant, quant au but primitif de notre expé-
dition, tenez pour certain que chacun de nous , soldats et com-
mandants , a fait son devoir. Mais , depuis que la Sicile se lève
tout entière, et qu'une nouvelle armée est attendue du Pélopo-
nèse, la base de vos délibérations doit être que nos forces ac-
tuelles sont insuffisantes, même contre les ennemis présents ,
et qu'il faut ou nous rappeler, ou nous expédier une armée de
terre et de mer non moindre que la première. Il faut aussi
envoyer de l'argent en abondance, et pour moi un successeur ,
la néphrétique dont je suis atteint ne me permettant pas de
rester davantage. J'ose compter sur votre indulgence ; car ,
lorsque j'étais en santé, je vous ai rendu plus d'un service dans
A les commandements.
Au surplus, que votre résolution , quelle qu'elle soit, s'exé-
cute dès le printemps et sans aucune remise ; car les ennemis ,
recevront sous peu leurs renforts de Sicile ; quant à ceux du
Péloponèse , ils tarderont sans doute ; cependant, si vous n'y
prenez garde, les uns vous échapperont, comme cela s'est déjà
vu , les autres vous gagneront de vitesse. »
XVI. Tel était le contenu de la dépêche de Nicias . Les Athéniens ,
après en avoir entendu la lecture , ne le déchargèrent pas du
commandement ; mais , en attendant l'arrivée des collègues qui
lui étaient destinés , on lui adjoignit deux des chefs qui se trou-
vaient sur les lieux, savoir, Ménandros et Euthymédos, afin
que, malade comme il l'était, il n'eût pas seul à supporter le
poids du commandement. On décréta aussi l'envoi d'une nouvelle
armée de terre et de mer, composée d'Athéniens inscrits au
rôle et d'alliés . Pour collègues de Nicias , on élut Démosthène
fils d'Alcisthénès et Eurymédon fils de Thouclès . On s'empressa
de faire partir Eurymédon , vers le solstice d'hiver, avec dix
vaisseaux et vingt talents d'argent ' ; il devait annoncer à
l'armée de Sicile que des secours allaient lui parvenir et qu'on
ne la négligerait pas. Démosthène resta pour le moment, et fit
ses préparatifs pour s'embarquer au printemps. Il leva des
troupes chez les alliés, et tira d'Athènes de l'argent, des vais-
seaux et des hoplites .
LIVRE VII. 383
XVII . Les Athéniens envoyèrent aussi vingt vaisseaux autour
du Péloponèse , afin d'empêcher tout passage de troupes de
Corinthe et du Péloponèse en Sicile. Les Corinthiens , depuis
l'arrivée des députés et l'annonce que les affaires de Sicile pre-
naient une meilleure tournure , avaient reconnu l'opportunité
de leur premier envoi de vaisseaux et s'enflammaient d'une
ardeur nouvelle . Ils se disposèrent donc à faire passer des ho-
plites en Sicile sur des transports , tandis que les Lacédémoniens
en expédiaient d'autres par le même moyen, en les tirant du
Péloponèse. De plus, les Corinthiens armèrent vingt vaisseaux
dans le double but de tenter un combat naval contre la croisière
de Naupacte et de faciliter le départ des transports , en détour-
nant vers les trirèmes l'attention des Athéniens stationnés en
ce lieu.
XVIII. Les Lacédémoniens préparaient aussi leur invasion
en Attique. Ce projet n'était pas nouveau ; mais l'exécution en
fut accélérée par les instances des Syracusains et des Corin-
thiens, qui espéraient, par cette diversion , arrêter l'envoi des
secours dirigés par les Athéniens sur la Sicile. Alcibiade à son
tour pressait pour qu'on fortifiât Décélie et qu'on poussât la
guerre avec vigueur. Ce qui acheva de déterminer les Lace-
démoniens, ce fut l'espoir d'en finir avec Athènes , qui aurait
sur les bras une double guerre, contre eux et contre la Sicile ;
ce fut aussi la pensée que les Athéniens avaient les premiers
foulé la trêve aux pieds . Dans la guerre précédente , la rupture
avait été leur propre ouvrage ; car les Thébains étaient entrés
dans Platée en pleine paix , et, bien que le traité portât qu'on
n'aurait pas recours aux armes contre ceux qui se soumettraient
à un arbitrage , ils avaient eux-mêmes repoussé les offres de
médiation faites par les Athéniens . Aussi regardaient-ils leurs
revers, et en particulier le désastre de Pylos , comme le juste
châtiment de cette faute. Mais , lorsqu'ils virent les Athéniens
ravager, avec leurs trente vaisseaux , les territoires d'Épidaure ,
de Prasies et d'autres villes , faire de Pylos un foyer de bri-
gandages , enfin , à chaque contestation sur quelque article du
traité , refuser l'arbitrage qui leur était offert, alors, persuadés
que les Athéniens à leur tour s'exposaient à la peine d'une
violation semblable à celle dont eux-mêmes s'étaient naguère
rendus coupables, ils se décidèrent avec ardeur à la guerre.
Pendant l'hiver, ordre fut donné aux alliés de s'approvisionner
de fer et de tous les outils destinés à la construction des forts.
En même temps ils se tinrent prêts à envoyer des secours en
384 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Sicile sur des bâtiments de charge, et astreignirent le reste des


Péloponésiens à en faire autant. Là-dessus l'hiver finit, ainsi
que la dix-huitième année de la guerre que Thucydide a ra-
contée .
XIX. Dès les premiers jours du printemps (a) , les Lacédémo-
niens et leurs alliés entrèrent en Attique sous la conduite du
roi Agis fils d'Archidamos. Ils ravagèrent d'abord la plaine ;
puis ils se mirent à fortifier Décélie , en répartissant le travail
entre les contingents de chaque nation . Décélie est à cent vingt
stades d'Athènes et à la même distance, ou un peu plus, de la
Béotie. De cette position culminante , on dominait la plaine et
la partie la plus fertile du pays , de manière à y faire tout le
mal possible. Les fortifications se voyaient d'Athènes même.
Pendant que les Lacédémoniens et leurs alliés travaillaient
à cette construction , les Péloponésiens embarquaient des ho-
plites sur des transports et les expédiaient en Sicile. Lacédé-
-mone avait désigné à cet effet l'élite des -Hilotes et des Néoda-
modes , au nombre de six cents en tout , avec le Spartiate
Eccritos pour chef. Les Béotiens avaient fourni trois cents ho-
plites , commandés par les Thébains Xénon et Nicon et par le
Thespien Hégésandros . Ce premier convoi mit à la voile de
Ténare en Laconie ; il fut suivi de près par un second, com-
posé de cinq cents hoplites corinthiens et arcadiens merce-
naires , commandés par le Corinthien Alexarchos , et auxquels
les Sicyoniens adjoignirent deux cents hoplites sous les ordres
de Sargéus. Les vingt-cinq vaisseaux de Corinthé , équipés
pendant l'hiver , tenaient en échec les vingt trirèmes athé-
niennes de Naupacte, en attendant que les transports chargés
d'hoplites eussent quitté le Péloponèse . C'est dans ce but qu'on
les avait armés , afin que les Athéniens s'occupassent moins
des transports que des vaisseaux de guerre.
XX. Dans le même temps où l'on fortifiait Décélie et au com-
mencement du printemps, les Athéniens envoyèrent trente
vaisseaux autour du Péloponèse. Chariclès , fils d'Apollodoros ,
qui les commandait, eut ordre de toucher à Argos , pour y de-
mander , en vertu de l'alliance , qu'on embarquât des hoplites
sur ses bâtiments . Démosthène fut également envoyé en Sicile,
comme on l'avait résolu ; il emmenait soixante vaisseaux d'A-
thènes , cinq de Chios , douze cents hoplites athéniens inscrits
au rôle , les insulaires qu'on avait pu ramasser enfin tout ce

(a) Dix-neuvième année de la guerre, an 413 avant J. C.


LIVRE VII . 385

qu'il y avait, chez les alliés sujets , d'hommes en état de faire


la guerre. Il devait se réunir préalablement à Chariclès , pour
infester , de concert avec lui , les côtes de la Laconie. Démo-
sthène fit voile pour Égine, où il attendit que les retarda-
taires l'eussent rejoint et que Chariclès eût embarqué les
Argiens.
XXI. En Sicile, vers la même époque du printemps , Gylippe
revint à Syracuse, amenant les renforts qu'il avait obtenus.
Il convoqua les Syracusains et leur dit qu'il fallait équiper le
plus de vaisseaux possible , pour tenter un combat naval ; que
c'était le moyen d'accomplir un glorieux fait d'armes . Hermo-
cratès se joignit à lui pour vaincre leur répugnance à se me-
surer sur mer avec les Athéniens . Il leur représenta que , chez
ces derniers la pratique de la mer n'était pas un héritage de
leurs ancêtres ni une possession ancienne ; qu'ils étaient au
contraire plus continentaux que les Syracusains ; qu'ils n'é-
taient devenus marins que par circonstance et pour y avoir été
forcés par les Mèdes ; que pour des hommes audacieux, comme
les Athéniens , les ennemis les plus redoutables étaient ceux qui
montraient une pareille audace ; que cette même terreur qu'ils
inspiraient aux autres, moins par leurs forces réelles que par
la hardiesse de leurs agressions , les Syracusains la leur inspi-
reraient à leur tour ; qu'enfin , s'ils avaient le courage d'oppo-
ser à la marine ennemie une résistance inattendue , nul doute
que la surprise qui en résulterait ne compensât largement leur
défaut d'expérience . Il les exhorta donc à faire sans hésiter
l'épreuve de leurs forces maritimes.
Ainsi excités par les discours de Gylippe , d'Hermocratès
et d'autres orateurs , les Syracusains se décidèrent à livrer une
bataille navale , et montèrent sur leurs vaisseaux .
XXII . La flotte ainsi préparée , Gylippe fit prendre les armes
pendant la nuit à toutes les troupes de terre , et les conduisit
à l'attaque des forts du Plemmyrion. En même temps , les tri-
rèmes syracusaines mirent en mer à un signal donné ; trente-
cinq sortirent du grand port , quarante-cinq du petit, où se
trouvait l'arsenal de la marine . Celles-ci tournèrent l'île pour
rejoindre les autres et se porter ensemble contre le Plemmy-
rion, dans le but de déconcerter les ennemis par cette attaque
simultanée. Les Athéniens montèrent à la hâte sur soixante
vaisseaux; vingt - cinq s'élancèrent contre les trente- cinq tri-
rèmes syracusaines du grand port ; le reste alla au- devant de
celles qui venaient de l'arsenal . L'action s'engagea à l'entrée
THUCYDIDE . 22
386 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

du grand port ; elle fut longue et opiniâtre , les uns s'achar-


nant à forcer le passage , les autres à le fermer.
XXIII. Les Athéniens du Plemmyrion étaient descendus sur
le rivage pour être spectateurs du combat naval . Tout à coup ,
à la pointe du jour , Gylippe attaque les forts et enlève d'a-
bord le plus grand , puis les deux autres , que les gardes aban-
donnèrent quand ils virent avec quelle promptitude le premier
avait été pris . Les soldats athéniens qui se sauvèrent du pre-
mier fort, sur des barques et sur un bâtiment de charge , n'attei-
gnirent le camp qu'avec peine , car la division syracusaine du
grand port, qui se trouvait en cet instant avoir l'avantage , détacha
à leur poursuite un vaisseau fin marcheur ; au contraire, quand
les deux derniers forts furent emportés , la flotte syracusaine
venait d'être vaincue , ce qui facilita la retraite des fuyards.
Les vaisseaux syracusains qui combattaient à l'entrée du
port forcèrent d'abord la ligne athénienne ; mais ils entrèrent
sans ordre , s'embarrassèrent mutuellement, et livrèrent ainsi la
victoire aux Athéniens. Ceux-ci les mirent en fuite, et défirent
pareillement la division qui avait eu , dans le port, un avan-
tage momentané. Ils coulèrent onze vaisseaux syracusains , et
tuèrent la plupart des hommes , excepté les équipages de trois
trirèmes , qu'ils firent prisonniers ; eux-mêmes perdirent trois
vaisseaux. Ils recueillirent les débris des navires syracusains ,
dressèrent un trophée sur l'îlot qui est devant le Plemmyrion,
et rentrèrent dans leur camp .
XXIV. Les Syracusains avaient perdu la bataille ; en re-
vanche ils étaient maîtres des forts de Plemmyrion , pour la
prise desquels ils élevèrent trois trophées . Ils rasèrent l'un
des deux forts enlevés les derniers ; mais ils réparèrent les au-
tres et y mirent garnison . Dans la prise des forts , beaucoup
de leurs défenseurs furent tués ou faits prisonniers . Toutes les
richesses en furent enlevées , ce qui donna un butin considé-
rable ; ces forts servant de magasins à l'armée athénienne, il
s'y trouvait quantité d'argent, de provisions et d'effets appar-
tenant aux marchands ou aux triérarques ; on y saisit les voiles
de quarante trirèmes , toute sorte d'agrès et trois galères tirées
à sec. La perte de Plemmyrion fut un des coups les plus sen-
sibles pour l'armée athénienne. Dès ce moment , l'arrivage des
subsistances ne fut plus assuré ; car les Syracusains établirent
en ce lieu une croisière pour arrêter les convois , dont l'entrée
ne s'effectua plus sans combat . Aussi toute l'armée fut - elle.
plongée dans la consternation et le découragement.
LIVRE VII . 387

XXV. Là-dessus les Syracusains expédièrent douze vais-


seaux , commandés par Agatharchos de Syracuse . Un de ces
bâtiments se dirigea vers le Peloponèse ; il portait des ambas-
sadeurs qui devaient faire part de leurs nouvelles espérances
et presser les Péloponésiens de pousser la guerre avec une
nouvelle vigueur. Les onze autres firent voile pour l'Italie au-
devant de vaisseaux athéniens richement chargés , dont l'ap-
proche était signalée. Ils les rencontrèrent en effet , les détrui-
sirent pour la plupart , et brûlèrent , dans le territoire de
Caulon , des bois de construction destinés aux Athéniens . De là
ils passèrent à Locres. Pendant leur séjour en ce lieu , un des
transports partis du Péloponèse arriva avec des hoplites de
Thespies. Les Syracusains les prirent à bord , et retournèrent
chez eux. Les Athéniens les guettaient avec vingt vaisseaux
dans les parages de Mégara ; ils enlevèrent un bâtiment avec
son équipage ; mais les autres échappèrent et atteignirent Sy-
racuse .
Il y eut aussi une escarmouche dans le port , au sujet de
l'estacade que les Syracusains avaient plantée dans la mer , en
avant de leurs anciens hangars , pour protéger l'ancrage de
leurs vaisseaux et les préserver du choc des navires ennemis .
Les Athéniens firent avancer un bâtiment du port de dix mil-
liers , garni de tours en bois et de bastingages . Montés sur
des bateaux , ils arrachaient les pieux avec des treuils ou les
sciaient en plongeant. Les Syracusains , postés dans les han-
gars , lançaient des traits contre les Athéniens , qui ripostaient
de leur navire . A la fin , les Athéniens enlevèrent la plupart
des pieux. La plus grande difficulté venait de la partie sous-
marine de l'estacade. Quelques pieux ne s'élevant pas à fleur
d'eau , il était dangereux d'en approcher ; les vaisseaux ris-
quaient de s'y heurter comme à des récifs . Néanmoins des plon-
geurs les sciaient sous l'eau moyennant une récompense . Les
Syracusains parvinrent à rétablir l'estacade. Enfin , dans ces
engagements partiels, les deux partis faisaient assaut de stra-
tagèmes, comme il arrive entre des armées campées à proxi-
mité.
Les Syracusains envoyèrent dans les différentes villes
des députés corinthiens , ambraciotes et lacédémoniens , pour
annoncer la prise du Plemmyrion et pour expliquer leur dé-
faite navale , en l'attribuant à leur propre désordre plutôt qu'à
la supériorité de l'ennemi. Ils devaient aussi faire connaître
leurs espérances . solliciter l'envoi de secours en vaisseaux et
**
388 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

en troupes de terre , enfin dire qu'une nouvelle armée était at-


tendue d'Athènes , et que si , avant son arrivée, on pouvait
anéantir celle qui était sur les lieux , la guerre serait finie.
Telle était la situation des affaires en Sicile.
XXVI. Quant à Démosthène , dès qu'il eut recueilli les ren-
forts qu'il y devait conduire , il leva l'ancre d'Egine, fit voile
pour le Péloponèse et rejoignit Chariclès , ainsi que les trente
vaisseaux athéniens . Ils prirent à bord les hoplites d'Argos et
cinglèrent vers la Laconie. Après avoir dévasté une partie du
territoire d'Epidaure-Liméra , ils allèrent aborder sur la côte
de Laconie qui fait face à l'île de Cythère , près du temple d'A-
pollon , et ravagèrent une certaine étendue du pays . Ensuite ils
fortifièrent une langue de terre 1 pour servir d'asile aux Hilotes
fugitifs , et de repaire aux brigands qui sortiraient de là , comme
de Pylos , pour commettre des déprédations . Ce point soliḍement
occupé , Démosthène cingla vers Corcyre pour y prendre des
auxiliaires et se diriger au plus tôt vers la Sicile. Chariclès de-
meura jusqu'à ce qu'il eût mis la dernière main aux ouvrages.
Il y laissa garnison , et revint à Athènes avec ses trente vais-
seaux. Les Argiens rentrèrent également.
XXVII. Ce même été , arrivèrent à Athènes treize cents pel-
tastes thraces armées d'épées, de la tribu des Diens. Ils auraient
dû accompagner Démosthène en Sicile ; mais, comme ils étaient
venus trop tard , on décida de les renvoyer chez eux. Leur paye
était d'une drachme par jour et par tête ; or il semblait dispen-
dieux de les garder alors qu'il fallait déjà subvenir aux frais de
la guerre de Décélie.
Cette place, fortifiée dans le cours de l'été par toute l'armée ,
fut ensuite occupée par des garnisons que fournissaient les
États confédérés , et qui se relevaient alternativement. Rien ne
fut plus funeste aux Athéniens , par les pertes énormes , en
hommes et en argent , qui en résultèrent . Jusqu'alors les in-
cursions avaient été de courte durée , et n'avaient pas empêché
d'exploiter le pays le reste du temps ; mais , une fois que l'en-
nemi se fut établi en permanence , que les campagnes furent
dévastées , tantôt par des troupes nombreuses ' , tantôt par la
garnison ordinaire qui vivait du pillage ; une fois qu'Agis , roi
de Lacédémone , constamment sur place , fit de la guerre son
unique occupation , alors les Athéniens éprouvèrent des dom-
mages incalculables . Ils perdirent d'un seul coup la jouissance
de leurs terres , leurs troupeaux, leurs bêtes de somme; ils
virent déserter plus de vingt mille esclaves , artisans pour la
LIVRE VII . 389

plupart ; enfin , comme les cavaliers faisaient journellement


des patrouilles , soit vers Décélie , soit dans le reste de la contrée ,
leurs chevaux recevaient des blessures ou s'estropiaient, en
parcourant sans relâche un sol hérissé d'aspérités .
XXVIII. D'autre part, le transport des denrées alimentaires
fournies par l'Eubée , qui précédemment avait lieu par voie
de terre , en suivant la route directe par Oropos et Décélie ,
dut s'effectuer à grands frais par mer, en doublant le cap Su-
nion . Athènes tirait absolument tout du dehors ; ce n'était
plus une ville , c'était une place de guerre. Le jour, les citoyens
à tour de rôle faisaient la garde des créneaux ; la nuit, tous à
la fois , hormis les cavaliers , étaient de service , les uns près
des armes, les autres sur les remparts . Ces fatigues n'étaient
interrompues ni l'été ni l'hiver.
Ce qui mettait le comble à la détresse , c'était d'avoir deux
guerres sur les bras . Néanmoins , à cette époque , Athènes dé-
ploya une énergie qui auparavant eût semblé incroyable . Pres-
que assiégée par les Péloponésiens , au lieu de rappeler ses
soldats de Sicile , elle assiégeait Syracuse , ville qui le dispu-
tait avec elle en grandeur. Au début de la guerre . on avait cal-
culé que les Athéniens ne résisteraient qu'une , deux ou tout
au plus trois années aux invasions des Péloponésiens ; et voici
qu'ils étonnaient les Grecs par un prodigieux déploiement de
puissance et d'audace , portant leurs armes en Sicile dix-sept
ans après la première invasion de leur pays . Bien qu'à bout
de ressources , ils entreprenaient une guerre non moindre que
celle des Péloponésiens . Qu'on y joigne les pertes occasionnées.
par l'occupation de Décélie , les frais qui allaient toujours crois-
sant, et l'on se fera une idée du délabrement des finances . Ce
fut alors qu'au tribut payé par les sujets , ils substituèrent un
droit du vingtième sur toute espèce de provenances mari-
times ' , dans l'espoir que cet impôt serait plus productif. Les
dépenses n'étaient plus les mêmes qu'autrefois ; elles grandis-
saient avec la guerre, tandis que les revenus disparaissaient.
XXIX. Ce fut donc par mesure d'économie et à cause de la
gêne du moment , que les Athéniens renvoyèrent les Thraces
arrivés après le départ de Démosthène. On chargea Diitréphès
de les emmener ; et, comme il devait traverser l'Euripe , il eut
ordre de les employer à faire , pendant ce trajet , tout le mal
possible à l'ennemi . Diitréphès les fit descendre sur le terri-
toire de Tanagra , et enleva rapidement quelque butin ; puis il
partit de Chalcis en Eubée , traversa l'Euripe sur le soir , dé-
390 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

barqua les Thraces en Béotie , et les conduisit à Mycalessos .


Il passa la nuit près du temple de Mercure , à seize stades de
cette ville , sans que son approche eût été signalée ; au point
du jour il se précipita dans la place , qui est peu étendue , et
s'en empara. Les habitants n'étaient pas sur leurs gardes, et
ne s'attendaient guère à être attaqués du côté de la mer, qui
est si éloignée ; la muraille était faible, écroulée en certains
endroits ou d'une hauteur insuffisante ; enfin les portes étaient
ouvertes comme en temps de paix . Entrés dans Mycalessos , les
Thraces saccagèrent les maisons et les temples , firent main
basse sur toute la population , n'épargnant ni la vieillesse ni .
l'enfance, et passant au fil de l'épée femmes , enfants , bêtes de
somme, en un mot tous les êtres vivants qu'ils rencontraient.
Il n'y a pas de peuple barbare plus sanguinaire que les Thraces,
tant qu'ils sont dans l'ivresse du carnage. La désolation fut
immense , et la mort parut sous mille formes. Il y avait à Myca-
lessos une école très-nombreuse , où les enfants venaient d'en-
trer les Thraces y firent irruption , et les égorgèrent tous.
Jamais désastre plus imprévu ni plus complet ne frappa une
ville entière.
XXX. Au premier bruit de cet événement , les Thébains ac-
coururent en armes . Ils atteignirent les Thraces encore peu
éloignés , leur arrachèrent leur butin, et les poursuivirent jus-
qu'à l'Euripe , où les vaisseaux les attendaient. Ils en tuèrent
un bon nombre , surtout pendant l'embarquement ; car les
Thraces ne savaient pas nager, et les équipages , voyant ce qui
se passaient à terre , avaient mouillé hors de la portée des
traits . Jusque-là les Thraces s'étaient assez habilement défen-
dus contre la cavalerie thébaine , qui fut la première à les as-
saillir. Par une manoeuvre particulière à leur nation , ils pre-
naient les devants à la course , puis se formaient en hérisson
pour résister ; aussi leur perte pendant la retraite fut-elle mi-
nime . Quelques-uns , attardés au pillage, furent surpris dans la
ville et y trouvèrent la mort. Sur treize cents Thraces, il en
périt deux cent cinquante ; les Thébains et leurs alliés perdi-
rent une vingtaine d'hommes , cavaliers et hoplites , entre
autres le béotarque thébain Scirphondas. Quant aux Mycales-
siens , ils furent presque tous exterminés . Telle fut la cata-
strophe de Mycalessos , catastrophe qui , proportion gardée , ne
le céda à aucune autre de cette guerre.
XXXL Démosthène , après l'achèvement du fort construit en
Laconie, fit voile pour Corcyre. En passant à Phéa en Élide ,
LIVRE VII. 391

il y trouva à l'ancre un vaisseau de charge , destiné à trans-


porter en Sicile des hoplites corinthiens. Le vaisseau fut coulé ;
mais les hommes s'échappèrent , et plus tard continuèrent leur
route sur un autre bâtiment. Démosthène toucha ensuite à Za-
cynthe et à Céphallénie , y prit des hoplites et en demanda aux
Messéniens de Naupacte. De là il passa sur la côte de l'Acar-
nanie , à Alyzia et à Anactorion , que les Athéniens occupaient .
Il était dans ces parages , lorsqu'il rencontra Eurymédon , reve-
nant de Sicile où il avait été envoyé pendant l'hiver pour porter
des fonds à l'armée Ce général lui annonça , entre autres
nouvelles , qu'étant déjà en mer il avait su la prise du Plem-
myrion par les Syracusains . Conon, qui commandait à Nau-
pacte, vint trouver les deux généraux , et leur dit que les vingt-
cinq vaisseaux corinthiens, en croisière devant cette ville , ne
discontinuaient pas les hostilités, et se disposaient à livrer un
combat. Il insista pour qu'on lui prêtât quelques navires , les
dix-huit qu'il avait sous la main ne pouvant tenir tête aux
vingt-cinq de l'ennemi . Démosthène et Eurymédon lui donnèrent
dix de leurs bâtiments les plus agiles , afin de renforcer la sta-
tion de Naupacte ; eux-mêmes s'occupèrent à lever des troupes.
Eurymédon , qui avait rebroussé chemin en apprenant son
élection comme collègue de Démosthène , se rendit à Corcyre
pour y équiper quinze vaisseaux et y enrôler des hoplites ,
tandis que Démosthène rassemblait en Acarnanie des frondeurs
et des gens de trait .
XXXII . Les députés que les Syracusains avaient envoyés en
tournée après la prise du Plemmyrion , avaient réussi dans
leur mission et se disposaient à amener les renforts qu'ils
avaient recueillis. Nicias, prévenu à temps , fit dire aux Sicules
alliés, dont ces renforts devaient traverser le pays , savoir aux
Centoripes, aux Alicyéens et à d'autres, de ne pas leur donner
passage, mais de se réunir pour les arrêter . Toute autre route
leur était fermée, car les Agrigentins ne leur permettaient pas
de traverser leur pays. Sur cet avis de Nicias, les Sicules
dressèrent une triple embuscade aux Grecs de Sicile déjà en
marche , fondirent sur eux à l'improviste , et leur tuèrent près
de huit cents hommes , parmi lesquels tous les députés , à l'ex-
ception d'un seul , le Corinthien . Celui-ci recueillit les fuyards ,
au nombre de quinze cents, et les conduisit à Syracuse.
XXXIII. A la même époque , il arriva de Camarine un renfort
de cinq cents hoplites , de trois cents gens de trait et de trois cents
archers. Géla envoya des rameurs pour cinq vaisseaux , quatre
392 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

cents hommes armés de javelots et deux cents cavaliers . Depuis


ce moment, si l'on excepte Agrigente qui gardait la neutralité ,
presque toute la Sicile , même les peuples jusqu'alors indécis ,
s'était ralliée à Syracuse et lui fournissait des secours . Néan-
moins les Syracusains , après l'échec essuyé chez les Sicules ,
ajournèrent l'attaque projetée contre les Athéniens .
Dès que les troupes de Corcyre et du continent furent prêtes ,
Démosthène et Eurymédon , avec toute leur armée, traversèrent
le golfe Ionien, en se dirigeant sur la pointe d'Iapygie . De là
ils touchèrent aux îles Chérades ' , qui appartiennent à ce pays.
Ils prirent à bord cent cinquante gens de trait, Iapygiens
de la race messapienne ; et , après avoir renoué d'anciennes
relations d'amitié avec un chef nommé Artas, qui leur avait
fourni ces gens de trait , ils passèrent à Métaponte en Italie .
Ils obtinrent des Métapontins , à titre d'alliés , trois cents
hommes armés de javelots et deux trirèmes ; avec ces renforts,
ils gagnèrent Thurii , où ils trouvèrent le parti contraire aux
Athéniens récemment expulsé par une sédition . Leur dessein
était d'y concentrer toute leur armée et d'en faire la revue ,
après avoir rallié les traîneurs ; ils voulaient aussi profiter de
la circonstance pour conclure avec les Thuriens une alliance
offensive et défensive . Ils s'arrêtèrent donc à Thurii pour cette
négociation.
XXXIV. Pendant ce temps , les Péloponésiens qui croisaient
avec vingt-cinq vaisseaux devant Naupacte , dans le but de
faciliter le départ de leurs transports pour la Sicile , se déci-
dèrent à livrer un combat naval. Ils armèrent encore quelques
vaisseaux , de manière à égaler presque le nombre de ceux
d'Athènes , et vinrent jeter l'ancre à Érinéos en Achaïe , dans
le territoire de Rhypæ, sur une côte en forme de croissant.
L'infanterie des Corinthiens et des alliés du pays s'était réunie
et rangée en bataille sur les deux promontoires ; les vaisseaux
occupaient tout l'intervalle . Le commandant de cette flotte était
le Corinthien Polyanthès. Les Athéniens, sous les ordres de
Diphilos , appareillèrent de Naupacte avec trente-trois vais-
seaux et s'avancèrent contre eux. Les Corinthiens se tinrent
d'abord immobiles ; ensuite , quand le signal fut élevé et que
l'instant parut propice, ils fondirent sur les Athéniens et l'action
s'engagea. Elle fut longue et opiniâtre. Les Corinthiens per-
dirent trois vaisseaux ; les Athéniens n'en eurent aucun d'en-
tièrement coulé ; mais sept furent mis hors de service. Heurtés
de proue, ils eurent leur avant fracassé par les vaisseaux corin-
LIVRE VII. 393

thiens, armes tout expres de fortes épotides 2. Le combat fut


indécis, et des deux côtés on s'attribua la victoire . Cependant
les Athéniens demeurèrent maîtres des débris , que le vent
poussa au large, et les Corinthiens ne revinrent pas à la charge.
On se sépara sans qu'il y eût, de part ou d'autre, ni poursuite
ni prisonniers. Les Corinthiens, combattant près du rivage ,
n'avaient pas eu de peine à s'échapper , et, du côté des Athé-
niens , aucun vaisseau n'avait sombré. Cela n'empêcha pas les
Corinthiens , une fois les Athéniens rentrés à Naupacte , d'ériger
un trophée et de se prétendre victorieux , pour avoir désemparé
un plus grand nombre de vaisseaux ennemis . Ils croyaient n'a-
voir pas été vaincus, par la seule raison que les Athéniens ne
s'estimaient pas vainqueurs. Pour les Corinthiens, c'était un
succès que de n'avoir pas éprouvé une infériorité marquée ;
pour les Athéniens , au contraire , c'était une vraie défaite que
de n'avoir pas obtenu un avantage déclaré .
Après la retraite de la flotte péloponésienne et de l'armée de
terre, les Athéniens, en signe de victoire, dressèrent à leur
tour un trophée sur la côte d'Achaïe, à vingt stades d'Érinéos
où avaient mouillé les Corinthiens. Telle fut l'issue de ce
combat naval .
XXXV. Démosthène et Eurymédon , après avoir reçu des
Thuriens un renfort de sept cents hoplites et de trois cents gens
de trait, ordonnèrent aux vaisseaux de longer la côte jusqu'à
Crotone ; eux-mêmes passèrent en revue toute leur infanterie
au bord du fleuve Sybaris , et se mirent en marche par le ter-
ritoire des Thuriens. Quand ils furent près du fleuve Hylias ,
les Crotoniates leur interdirent le passage. Ils se rapprochèrent
donc de la mer, et vinrent bivaquer à l'embouchure de l'Hy-
lias, où la flotte les rejoignit. Le lendemain ils s'embarquèrent ,
et suivirent la côte en touchant à toutes les villes, Locres seule
exceptée, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à Pétra, sur le
territoire de Rhégion .
XXXVI. A la nouvelle de leur approche , les Syracusains ré-
solurent de les prévenir et de tenter de nouveau le sort des
armes sur les deux éléments avec les forces qu'ils avaient réu-
nies. Ils firent subir à leur flotte les modifications dont le pré-
cédent combat leur avait démontré l'utilité. Ils abattirent l'ex-
trémité des proues de leurs vaisseaux, afin de les fortifier en
les accourcissant ; ils adaptèrent aux étraves de lourdes épo-
tides , solidement arc-boutées contre les deux flancs du navire,
sur une longueur de six coudées en dedans et en dehors . C'était
394 GUERRE DU PÉLOPONÈSŁ

la disposition employée par les Corinthiens à Naupacte, lors-


qu'ils avaient combattu de l'avant. Les Syracusains espéraient
avoir ainsi l'avantage sur les vaisseaux athéniens différemment
construits et dont la proue était légère , parce que leur ma-
nœuvre favorite consistait moins à heurter de l'avant qu'à
tourner le navire ennemi. C'était pour les Syracusains une
circonstance éminemment heureuse que d'avoir à combattre
dans le grand port, où une foule de vaisseaux seraient entassés
dans une enceint erétrécie . En attaquant de pointe , ils briseraient
l'avant des bâtiments ennemis , dont les proues faibles et creuses
ne résisteraient pas au choc d'éperons vigoureux et massifs.
Le manque de place empêcherait les Athéniens d'user de la
tactique où ils excellaient, savoir : de tourner et de traverser la
ligne ennemie ; car les Syracusains ne leur permettraient pas
de faire des trouées, et le peu de largeur du port rendrait im-
possibles les circuits . Ainsi la manœuvre qu'on avait d'abord
imputée à l'inhabileté de leurs pilotes, celle de heurter de l'épe-
ron , tournerait à leur avantage et leur assurerait la supériorité.
Une fois repoussés, les Athéniens ne pourraient reculer que
vers la terre, à petite distance, vers l'étroite lisière occupée
par leur camp, tandis que les Syracusains. auraient le champ
libre. Si les Athéniens venaient à être enfoncés , ils se porte-
raient tous ensemble sur le même point, s'embarrasseraient
faute d'espace, et tomberaient dans la confusion ; en effet,
rien ne leur fut plus nuisible, dans toutes les rencontres, que
de n'avoir pas, comme les Syracusains , toute l'étendue du port
pour manœuvrer ; - quant à prendre le large pour les tourner,
cela ne leur serait pas possible, car les Syracusains seraient
les maîtres de l'attaque et de la retraite vers la haute mer,
sans compter que les Athéniens auraient contre eux le Plem-
myrion et l'étranglement de la passe.
XXXVII . Tels furent les expédients imaginés par les Syra-
cusains pour suppléer à leur inexpérience et à leur faiblesse .
Encouragés par le résultat de la précédente action , ils se dis-
posèrent à attaquer simultanément sur terre et sur mer. D'abord
Gylippe fit sortir de Syracuse les troupes de terre, et les con-
duisit contre le mur des Athéniens du côté qui regardait la
ville. En même temps , les troupes syracusaines postées à
l'Olympéion, hoplites, cavaliers, soldats armés à la légère , se
portèrent contre le revers opposé. Immédiatement après, les
vaisseaux des Syracusains et de leurs alliés démarrèrent. Au
premier moment, les Athéniens ne s'étaient crus menacés que
LIVRE VII. 395

par terre. Quand ils virent des vaisseaux s'approcher, ils furent
déconcertés. Les uns se rangèrent sur les murs ou au devant
pour les défendre ; d'autres allèrent à la rencontre de la nom-
breuse cavalerie et des gens de trait qui s'avançaient rapide-
ment de l'Olympéion et de l'extérieur ; d'autres enfin montè-
rent sur les vaisseaux ou se portèrent vers le rivage . L'em-
barquement terminé, ils mirent en mer avec soixante-quinze
navires ; les Syracusains en avaient quatre-vingts ' .
XXXVIII . Une bonne partie du jour fut employée à ma-
nœuvrer en avant , en arrière , à se tâter réciproquement, sans
aucun avantage prononcé ni d'un côté ni de l'autre, si ce n'est
que les Syracusains coulèrent un ou deux vaisseaux athéniens :
ensuite, on se sépara. L'armée de terre se retira aussi de devant
les murs .
Le jour suivant les Syracusains se tinrent tranquilles , sans
manifester leurs intentions . Nicias , qui s'attendait à une nou-
velle attaque après l'issue douteuse du combat naval , obligea
les triérarques à réparer leurs avaries. Il fit mettre à l'ancre
des bâtiments de charge en avant de l'estacade qu'il avait établie
dans la mer, pour abriter la flotte et tenir lieu de port fermé.
Les bâtiments furent placés de deux en deux plèthres ' , afin
que le vaisseau qui serait pressé par l'ennemi pût se retirer en
sûreté et ressortir à son aise . Ces opérations occupèrent les
Athéniens tout le jour jusqu'à la nuit.
XXXIX. Le lendemain , de meilleure heure, les Syracusains
renouvelèrent leur attaque sur terre et sur mer. Les deux
flottes en présence passèrent , comme l'avant-veille , une grande
partie du jour en tentatives réciproques . A la fin , le Corinthien
Ariston , fils de Pyrrichos , le meilleur pilote des Syracusains ,
conseilla aux chefs de leur flotte d'envoyer aux commissaires
1
des marchés l'ordre de faire transporter au plus tôt le débit
des comestibles sur le bord de la mer, en contraignant tous
les vendeurs à exposer leurs marchandises en ce lieu . C'était
afin que les matelots n'eussent qu'à descendre à terre pour
prendre leur repas près des vaisseaux , et qu'ensuite, sans perte
de temps, ils revinssent attaquer les Athéniens le même jour à
l'improvise .
XL. On suivit son conseil ; l'ordre fut transmis et le marché
préparé. Tout à coup les Syracusains reculent à la rame, cin-
glent vers la ville , et descendent pour prendre leur repas sans
s'éloigner. Les Athéniens, s'imaginant que ce mouvement rétro-
grade était un aveu de leur défaite , débarquent à loisir , et
396 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.
s'occupent à préparer leurs aliments. Ils étaient loin de s'at-
tendre à combattre encore une fois le même jour, lorsque sou-
dain les Syracusains se rembarquent et reviennent à la charge.
Les Athéniens, dans une affreuse confusion et à jeun pour la
plupart, montèrent tumultueusement şur leurs vaisseaux, et ne
se mirent en ligne qu'avec peine. Pendant quelque temps, on
s'observa sans s'attaquer ; ensuite , les Athéniens , craignant,
par un plus long retard , de succomber à la fatigue, résolurent
d'en finir; ils s'encouragèrent les uns les autres , et l'action
s'engagea. Les Syracusains reçurent leur choc ; et, heurtant
de l'avant, selon leur tactique, ils brisèrent à coups d'éperons
la plus grande partie des proues ennemies . Les Athéniens
étaient fort incommodés par les gens de trait postés sur les
tillacs, et plus encore par les Syracusains qui , montés sur des
barques légères, circulaient autour d'eux , passaient sous les
rangées de rames , et se glissaient le long des flancs des navires ,
d'où ils criblaient les matelots.
XLI. Enfin , grâce à cette manoeuvre , les Syracusains furent
complétement vainqueurs. Les Athéniens se retirèrent à travers
les transports et se réfugièrent dans leur station. Les Syracu-
sains les poursuivirent jusqu'aux vaisseaux de charge ; mais là
ils furent arrêtés par les antennes armées de dauphins ' et
dressées au-dessus des passages . Deux vaisseaux syracusains,
dans l'entraînement de la victoire , s'y engagèrent et se perdi-
rent ; l'un d'eux fut pris avec son équipage . Les Syracusains ,
après avoir coulé sept vaisseaux athéniens , maltraité beaucoup
d'autres , pris ou tué ceux qui les montaient, se retirèrent et
érigèrent des trophées pour leurs deux victoires navales . Dès
lors ils se crurent invincibles sur mer , et ne désespérèrent
même pas de triompher de l'armée de terre . Ils se préparèrent
donc à renouveler leurs attaques sur les deux éléments.
XLII. Peu de temps après arrivèrent Démosthène et Eury-
médon, à la tête des renforts envoyés d'Athènes. Ils amenaient
soixante-treize vaisseaux, y compris les bâtiments étrangers ,
environ cinq mille hoplites athéniens et alliés, un grand nombre
de gens de trait grecs et barbares, en un mot un armement
complet. Les Syracusains et leurs alliés eurent un moment de
stupeur ; ils se demandaient si le péril n'aurait aucun terme,
puisque l'occupation de Décélie n'empêchait pas les Athéniens
d'expédier une armée égale à la première et de faire cet im-
mense déploiement de forces . L'ancienne armée athénienne, au
contraire, reprit-courage après les maux qu'elle avait soufferts .
LIVRE VII. 397

Démosthène, voyant l'état des choses , estima qu'il ne fallait


pas perdre de temps ni tomber dans la même faute que Nicias .
Celui-ci avait d'abord répandu l'épouvante ; mais , au lieu d'at-
taquer immédiatement Syracuse , il avait passé l'hiver à Catane ;
son irrésolution avait provoqué le dédain de ses adversaires et
donné à Gylippe le temps d'arriver avec les secours du Pélo-
ponèse , secours que les Syracusains n'auraient pas même eu
l'idée de réclamer si Nicias les. eût assaillis d'emblée ; dans
leur sécurité présomptueuse, ils n'auraient reconnu l'insuffi-
sance de leurs forces qu'en se voyant investis ; alors , eussent-ils
demandé du secours, il ne leur eût plus été si utile . Démo-
sthène faisait ces réflexions, et convaincu que jamais il n'in-
spirerait plus de terreur que dans ce premier jour , il voulut pro-
fiter aussitôt du prestige de ses armes . Quand il vit que le mur
parallèle, opposé à la circonvallation par les Syracusains, était
simple et que, pour faire tomber toute résistance, il suffirait
d'enlever la montée des Épipoles et le camp placé en ce lieu ,
il se hâta de tenter une entreprise qu'il regardait comme déci-
sive. En cas de succès , il était maître de Syracuse ; autrement ,
il lèverait le siége , sans laisser les Athéniens , les alliés et la
ville entière s'épuiser en efforts superflus.
En conséquence, les Athéniens sortirent d'abord , et dévas-
tèrent le territoire voisin de l'Anapos . Leur armée reprit son
ancien ascendant sur terre et sur mer. Les Syracusains ne lui
opposèrent d'autres forces que les cavaliers et les gens de trait
postés à l'Olympéion .
XLIII. Ensuite Démosthène jugea à propos d'attaquer avec
des machines le mur parallèle ; mais , dès la première approche ,
elles furent brûlées par les ennemis , qui se défendaient du
haut du rempart. Les assauts tentés sur divers points ne réus-
sirent pas davantage . Sentant alors qu'il n'y avait plus de temps
à perdre, Démosthène , après avoir fait agréer son plan à Nicias
et à ses autres collègues , entreprit l'attaque des Épipoles. De
jour , il paraissait impossible d'en approcher et d'y monter sans
être aperçu. Il fit prendre pour cinq jours de vivres , rassembla
les maçons et les charpentiers , se pourvut de traits et de tout
le matériel nécessaire pour se retrancher en cas de succès ;
puis, à l'heure du premier sommeil , lui-même , Eurymédon et
Ménandros mirent en mouvement toute la troupe et marchèrent
aux Épipoles . Nicias resta dans les retranchements .
Ils abordèrent les Épipoles par l'Euryale , à l'endroit où l'an-
cienne armée était montée la première fois. Ils trompèrent la
THUCYDIDE . 23
398 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

vigilance du poste syracusain placé en ce lieu, et enlevèrent


le fort que les assiégés y avaient construit. Ceux des gardes
qui ne furent pas tués s'enfuirent aussitôt vers les trois camps
établis sur les Épipoles et occupés l'un par les Syracusains, le
second par les Grecs de Sicile, le troisième par les alliés. Ils
signalèrent la présence de l'ennemi , et donnèrent l'éveil aux
six cents Syracusains formant le poste d'observation de ce côté
des Epipoles . Ceux-ci se portèrent immédiatement au secours ;
mais Démosthène et les Athéniens qui arrivaient les culbutèrent,
malgré une résistance des plus vives. Les Athéniens , sans
perdre un instant, marchent en avant, afin de ne pas laisser se
ralentir leur ardeur ; d'autres occupent la tête du mur parallèle
des Syracusains, et en arrachent les créneaux.
Cependant les Syracusains et leurs alliés, Gylippe en tête,
accourent des ouvrages avancés ; mais , déconcertés par cette
brusque attaque de nuit , ils n'abordent l'ennemi qu'avec effroi ,
sont enfoncés et d'abord ramenés en arrière. Déjà les Athéniens,
se croyant vainqueurs , s'avançaient toujours plus en désordre ;
ils voulaient passer sur le corps de ce qui restait d'ennemis à
combattre, sans leur laisser le temps de se reconnaître et de se
rallier, lorsque les Béotiens les premiers leur résistent , les
chargent victorieusement et les mettent en fuite.
XLIV. Dès ce moment les Athéniens tombèrent dans une
étrange confusion. Quant aux détails, aucun des deux partis
n'a pu me les fournir d'une manière précise. De jour , où tout
est plus distinct, ceux qui assistent à une bataille savent à
peine ce qui se passe autour d'eux : comment donc , pour un
combat nocturne - le seul que, dans le cours de cette guerre,
se soient livré de grandes armées , obtenir des renseigne-
ments certains? La lune brillait à la vérité , mais on ne se voyait
que comme on peut se voir à sa lumière , c'est-à-dire qu'on
apercevait bien la forme des corps , mais sans discerner l'ami
de l'ennemi. Une foule d'hoplites des deux partis tournoyaient
dans un étroit espace. Parmi les Athéniens, les uns étaient
déjà vaincus, d'autres poussaient en avant sans rencontrer
d'obstacles ; ceux-ci étaient sur la hauteur, ceux-là gravissaient
encore. On ne savait où se diriger ; car, une fois la défaite
Commencée , le désordre devint général, et les clameurs empê-
chaient de se reconnaître. Les Syracusains et leurs alliés, se
sentant victorieux , s'exhortaient à grands cris , seule ma-
nière de communiquer entre eux pendant la nuit ; en même
temps, ils recevaient le choc des assaillants . Les Athéniens se
LIVRE VII. 399

cherchaient les uns les autres, et prenaient pour ennemis tous


ceux qu'ils rencontraient, même les leurs en retraite. N'ayant
d'autre moyen de ralliement que le mot d'ordre , ils le deman-
daient tous ensemble et augmentaient ainsi la confusion ; leurs
questions réitérées finirent par le révéler à l'ennemi, tandis
qu'ils n'apprenaient pas de même celui de leurs adversaires ,
qui, vainqueurs et non dispersés , se reconnaissaient mieux .
Aussi , quand les Syracusains venaient à se heurter contre des
forces supérieures , ils échappaient grâce à la connaissance
de ce signe ; les Athéniens, au contraire , ne pouvant répondre,
étaient massacrés. Rien ne leur fit plus de mal que le chant du
Péan, qui, étant à peu près le même des deux côtés, les plongeait
dans l'incertitude . Toutes les fois que les Argiens, les Corcy-
réens et les autres Doriens de l'armée athénienne entonnaient
cet hymne , ils causaient aux Athéniens le même effroi que les
ennemis ; si bien qu'en plus d'un endroit où ils se rencontrèrent
au milieu du tumulte , amis avec amis , citoyens avec citoyens ,
ils ne se bornèrent plus à s'effrayer, mais ils se chargèrent
mutuellement, et ne se séparèrent qu'à grand' peine. Poursuivis
dans leur fuite, plusieurs se jetèrent dans des précipices où ils
trouvèrent la mort, car la descente des Épipoles est étroite.
De ceux qui parvinrent dans la plaine , la plupart, surtout les
soldats de la première expédition , qui connaissaient mieux le
pays , se réfugièrent au camp ; quelques-uns des nouveaux
venus se fourvoyèrent dans la campagne . Dès qu'il fit jour, la
cavalerie syracusaine battit l'estrade et les sabra.
XLV.Le lendemain , les Syracusains érigèrent deux trophées :
l'un à la montée des Épipoles , l'autre à l'endroit où les Béotiens
avaient les premiers résisté. Les Athéniens relevèrent leurs
morts par composition. La perte , pour eux et leurs alliés , fut
considérable ; le nombre des armes prises dépassa de beaucoup
celui des morts ; en effet, plusieurs soldats avaient jeté leurs
boucliers pour être plus légers dans leur fuite.
XLVI. Ce succès inespéré rendit aux Syracusains leur première
ardeur. Ils envoyèrent à Agrigente, alors en dissension, Sicanos
avec quinze vaisseaux, pour essayer de soumettre cette ville.
Gylippe parcourut derechef la Sicile, afin d'en tirer de nou-
veaux renforts. Depuis l'affaire des Épipoles , il ne désespérait
pas d'enlever de haute lutte les retranchements des ennemis.
XLVII. En présence du désastre qu'ils venaient d'essuyer
et de la démoralisation croissante de l'armée , les généraux
athéniens tinrent conseil. Tous leurs plans avaient échoué ;
400 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

les soldats succombaient à la fatigue ; les maladies se dévelop-


paient sous la double influence d'une saison malsaine et d'un
campement incommode et marécageux ; en un mot , la situation
ne leur paraissait plus tenable. Aussi Démosthène était-il con-
vaincu qu'il ne fallait pas rester plus longtemps ; il persistait
dans l'avis qu'il avait énoncé lors de l'attaque risquée contre
les Epipoles , et opinait pour que, après cet échec , on partît
sans le moindre délai , pendant que la mer était encore prati-
cable et que la flotte renforcée promettait la supériorité. « Mieux
vaut, disait-il, pour Athènes faire la guerre aux ennemis can-
tonnés sur son territoire, qu'aux Syracusains dont il n'est plus
facile d'avoir raison, et ne pas prodiguer en pure perte nos
ressources par un séjour indéfiniment prolongé. » Telle était
l'opinion de Démosthène .
XLVIII. Nicias tenait aussi la position pour fâcheuse ; mais
il ne voulait pas en convenir ouvertement, ni que les généraux ,
délibérant sur le départ dans un conseil nombreux, révélassent
ainsi eux-mêmes ces projets à l'ennemi , au risque d'en rendre
l'exécution plus difficile. D'ailleurs il savait pertinemment que
les affaires des Syracusains n'étaient guère plus brillantes , et
qu'elles empireraient si l'on continuait le siége . Par là on les
écraserait de dépenses toujours croissantes , à présent surtout
que la flotte augmentée promettait aux Athéniens la supério-
rité sur mer. Enfin il y avait à Syracuse un parti qui désirait
le triomphe des assiégeants , et qui envoyait à Nicias message
sur message pour lui déconseiller de lever le siége . Ces con-
sidérations le faisaient hésiter , et l'engageaient à s'opposer
manifestement au départ. Il savait bien, dit-il, que les Athé-
niens n'approuveraient pas une retraite qu'ils n'auraient pas
décrétée. Ceux qui prononceraient sur le sort des généraux
n'auraient pas vu de leurs yeux l'état des choses ; ils ne le
connaîtraient que par les critiques répétées autour d'eux, et
jugeraient d'après les assertions des beaux parleurs . Ce n'est
pas tout un grand nombre de soldats, la majorité peut- être ,
qui maintenant se plaignaient le plus haut de leurs souffrances,
une fois à Athènes seraient les premiers à déblatérer contre
les généraux et à les représenter comme des traîtres vendus
à l'ennemi . Connaissant donc le caractère des Athéniens , il ne
voulait pas être victime d'une accusation injuste et ignomi-
nieuse, et préférait, s'il était nécessaire, périr les armes à la
main. Il ajoutait que la situation des Syracusains était encore
plus difficile que la leur, la solde des troupes étrangères , les
LIVRE VII. 401

garnisons des forts , l'entretien d'une grosse flotte depuis plus


d'une année , leur causant des embarras qui ne feraient que s'ac-
croître ; car ils avaient déjà dépensé deux mille talents , sans
parler d'une dette énorme ; et , pour peu qu'ils voulussent
réduire leur effectif en supprimant la solde , ils seraient perdus ,
puisque leur armée se composait principalement d'auxiliaires ,
et non pas de troupes réglées, comme celle des Athéniens .
Nicias concluait donc qu'il fallait patienter et poursuivre le
siége, sans reculer devant des dépenses qu'Athènes , au bout du
compte, était bien en mesure de supporter.
XLIX. Ce qui engageait Nicias à tenir ce langage avec tant
d'assurance, c'est qu'il connaissait à fond l'état intérieur de
Syracuse, les embarras financiers , l'existence d'un parti dis-
posé à livrer la ville aux Athéniens et qui les pressait de ne
point lever le siége ; c'est enfin qu'il avait dans la flotte plus
de confiance qu'auparavant . Démosthène au contraire ne voulait
pas entendre parler d'un plus long séjour. « S'il faut, disait-il ,
pour lever le siége attendre que le décret en soit venu d'Athènes ,
le mieux est d'aller s'établir à Thapsos ou à Catane, d'où
l'armée de terre pourra étendre ses dévastations sur le pays
ennemi et vivre de pillage , tandis que la flotte ne sera plus
obligée de lutter à l'étroit , circonstance favorable aux adver-
saires , mais agira dans une mer ouverte , où elle pourra tirer
parti de son expérience en manœuvrant à son gré , sans avoir
à circonscrire ses mouvements d'attaque et de retraite. » Il
ajouta qu'à aucun prix il ne consentirait à rester davantage ,
mais qu'il fallait partir immédiatement .
Eurymédon se réunit à l'avis de Démosthène ; mais l'oppo-
sition de Nicias amena de l'irrésolution et des lenteurs . On le
croyait mieux renseigné que les autres . Il s'ensuivit que les
Athéniens ajournèrent leur départ, et ne firent aucun mou-
vement.
L. Gylippe et Sicanos étaient de retour à Syracuse. Sica-
nos avait manqué son entreprise sur Agrigente ; pendant qu'il
était encore à Géla, les partisans des Syracusains avaient été
chassés. Gylippe , en revanche, amenait de puissants renforts,
ramassés en Sicile, ainsi que les hoplites péloponésiens expé-
diés au printemps sur des transports , et qui de Libye avaient
abordé à Sélinonte. Jetés sur les côtes de la Libye , ils avaient
reçu des Cyrénéens deux trirèmes et des pilotes. Après avoir,
sur leur passage, secouru les Évespéritains qu'assiégeaient
des Libyens et battu ces derniers, ils avaient longé la côte
402 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

jusqu'à Néapolis , comptoir des Carthaginois, d'où le trajet en


Sicile n'est que de deux jours et d'une nuit ; de là ils avaient
passé à Sélinonte . Dès leur arrivée , les Syracusains se dispo-
sèrent à attaquer de nouveau les Athéniens par terre et
par mer.
Les généraux athéniens , voyant que l'ennemi avait reçu des
renforts, tandis que leur propre situation ne faisait qu'empirer
de jour en jour, surtout à cause des maladies qui désolaient
l'armée , en étaient aux regrets de n'être pas partis plus tôt.
Nicias lui-même ne faisait plus d'objection , et se bornait à
demander que la résolution ne fût pas ébruitée. En conséquence
on fit avertir dans le plus grand secret toute l'armée de se
tenir prête à lever le camp et à s'embarquer au premier signal.
Les préparatifs terminés, comme on allait partir, la lune , alors
en son plein, s'éclipsa . La plupart des Athéniens , intimidés
par ce phénomène, demandèrent qu'on attendît. Nicias , qui
attachait aux présages et à tous les faits de cette nature une
importance exagérée , soutint que le départ devait être sus-
pendu, jusqu'à ce que, suivant la déclaration des devins, il se
fût écoulé trois fois neuf jours . Cette contrariété occasionna
une perte de temps et retint les Athéniens sous les murs de
Syracuse.
LI. Informés de ces particularités , les Syracusains n'en de-
vinrent que plus ardents à serrer de près les Athéniens , qui
par ces projets faisaient l'aveu de leur faiblesse sur terre et
sur mer ; d'ailleurs ils ne voulaient pas qu'ils s'établissent sur
quelque autre point de la Sicile, où ils seraient plus difficiles
à vaincre . Ils résolurent donc de profiter au plus tôt de leurs
avantages pour engager un combat naval. Ils équipèrent leurs
vaisseaux et s'exercèrent le temps nécessaire ; puis, la veille
du jour fixé pour la bataille , ils assaillirent les murs des Athé-
niens. Un détachement d'hoplites et de cavaliers étant sorti à
leur rencontre par une poterne , les Syracusains coupèrent une
partie de ces troupes, les mirent en fuite et les poursuivirent.
Comme le passage était étroit, les Athéniens perdirent soixante-
dix chevaux et un certain nombre d'hoplites .
LII. Ce jour-là les Syracusains se retirèrent ; le lendemain
ils mirent en mer avec soixante- seize vaisseaux , en même
temps qu'ils lançaient leur infanterie contre les retranchements.
Les Athéniens leur opposèrent quatre-vingt-six, vaisseaux. On
se joignit et l'action commença. Eurymédon , qui commandait
l'aile droite des Athéniens, voulut envelopper la flotte ennemie;
LIVRE VII. 403

mais ce mouvement l'entraîna trop près de la terre. Les Syra-


cusains et leurs alliés , après avoir enfoncé le centre des Athé-
niens , séparèrent Eurymédon du reste de la flotte , l'acculèrent
dans un enfoncement du port , détruisirent son vaisseau, ainsi
que ceux qui l'avaient suivi, et le tuèrent lui-même. Ensuite
ils se mirent à la poursuite de toute la flotte athénienne, qu'ils
poussèrent au rivage.
LIII. Gylippe, voyant les vaisseaux ennemis vaincus et jetés
hors de l'estacade et de leur camp , voulut faire main basse sur
les hommes qui débarquaient, et faciliter aux Syracusains la
remorque des vaisseaux en occupant le rivage. Il s'avança
donc le long de la grève avec une partie de ses troupes ; mais
les Tyrrhéniens , qui étaient de garde en cet endroit, voyant
ce corps s'approcher en désordre , sortent à sa rencontre , fon-
dent sur les premiers , les arrêtent court, et les jettent dans le
marais nommé Lysimélia . Les Syracusains et leurs alliés
s'avancent alors en force ; les Athéniens, inquiets pour leurs
vaisseaux, accourent, sont vainqueurs , et poursuivent l'ennemi
en lui tuant quelques hoplites. Ils sauvèrent ainsi la plupart
de leurs vaisseaux, et les réunirent près du camp . Les Syra-
cusains et leurs alliés leur en prirent dix-huit, dont ils massa-
crèrent les équipages . Dans le dessein d'anéantir ce qui restait
de la flotte , ils remplirent un vieux vaisseau de sarments et
de matières inflammables ; puis , profitant du vent qui portait
sur les Athéniens , ils mirent le feu à ce brûlot , et le laissèrent
aller en dérive . Les Athéniens , effrayés pour leur flotte, mirent
tout en œuvre pour écarter le navire incendiaire . Ils y réus-
sirent, et en furent quittes pour la peur.
LIV. Là- dessus les Syracusains érigèrent un trophée pour
leur victoire navale et un autre pour l'avantage remporté par
eux en avant des murs, où ils avaient intercepté les hoplites
et pris les chevaux. Les Athéniens dressèrent aussi un trophée
pour le succès obtenu soit par les Tyrrhéniens sur l'infanterie
qu'ils avaient rejetée dans le marais , soit par eux-mêmes avec
le reste de l'armée.
LV. Cette victoire éclatante, remportée sur la flotte par les
Syracusains, qui jusqu'alors avaient redouté le renfort amené
par Démosthène, acheva de plonger les Athéniens dans le dé-
couragement. Grand était leur mécompte et plus grand encore
le regret de l'expédition . C'était la première fois qu'ils atta-
quaient des villes semblables à la leur, soumises au même ré-
gime démocratique, possédant des vaisseaux, des chevaux, une
404 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

population nombreuse . Ils n'avaient pas la ressource d'y sus-


citer des dissensions et des troubles, pour les exploiter à leur
profit ; les moyens d'attaque étaient peu supérieurs à ceux de
défense ; enfin ils avaient commis des fautes nombreuses , et
leurs embarras s'étaient considérablement augmentés depuis
l'échec imprévu qu'ils venaient d'essuyer sur mer. Aussi étaient-
ils fort abattus .
LVI. Dès ce moment, les Syracusains circulèrent librement
dans le port; ils songeaient même à en fermer l'entrée , afin
que les Athéniens ne pussent pas s'échapper à leur insu. Ce
n'était déjà plus de leur propre conservation qu'ils s'occupaient ;
ils aspiraient à empêcher celle de leurs adversaires . Ils se di-
saient, non sans raison, que, dans l'état actuel des choses , la
supériorité leur était largement acquise ; que s'ils venaient à bout
de vaincre les Athéniens sur terre et sur mer , ce triomphe les
couvrirait de gloire aux yeux de la Grèce entière , dont les
peuples seraient aussitôt délivrés , ceux- ci du joug , ceux-là de
la crainte ; que les Athéniens, avec le restant de leurs forces,
seraient hors d'état de soutenir la guerre ; tandis que les Sy-
racusains , auteurs de cette révolution , exciteraient l'admiration
des contemporains et de la postérité. A tous égards , la lutte était
bien glorieuse ; mais ce n'était pas tout : ils allaient triompher
non-seulement des Athéniens, mais encore de leurs alliés, non
moins nombreux que ceux de Syracuse, partager le comman-
dement avec les Corinthiens et les Lacédémoniens ; enfin , en
s'exposant les premiers , donner la plus grande extension à leur
marine .
LVII. Jamais on ne vit un plus grand nombre de nations se
liguer contre une seule ville , si l'on excepte la grande coalition
de celles qui , dans cette guerre prirent parti pour Athènes
ou pour Lacédémone. Au surplus je vais énumérer les nations
qui s'armèrent pour ou contre Syracuse, dans le but de con-
courir à la conquête ou à la défense de la Sicile. Leur asso-
ciation n'avait pour principe ni le droit, ni la communauté
d'origine ; chacune d'elles avait obéi aux circonstances, à l'in-
térêt ou à la nécessité .
Les Athéniens proprement dits , Ioniens d'origine, portaient
spontanément les armes contre les Doriens de Syracuse. Avec
eux marchaient des peuples issus d'Athènes, unis à elle par
conformité de langage et de mœurs, savoir les Lemniens, les
Imbriens, ceux qui alors habitaient Egine 1 et la ville d'Hestiéa
en Eubée. Le reste des auxiliaires se composait de sujets ,
LIVRE VII . 405

d'alliés indépendants et de mercenaires. Parmi les sujets tribu-


taires on comptait , dans l'Eubée , les Érétriens , les Chalcidéens ,
les Styréens et les Carystiens ; dans les îles, les habitants de
Céos , d'Andros et de Ténos ; dans l'Ionie, ceux de Milet, de
Samos et de Chios - ces derniers n'étaient pas tributaires ; ils
jouissaient de l'indépendance , n'étant astreints qu'à fournir
des vaisseaux. Ces divers peuples, sauf les Carystiens qui
sont Dryopes , étaient pour la plupart Ioniens ou colonies
d'Athènes ; ils marchaient en qualité de sujets et par contrainte,
mais au moins c'étaient des Ioniens 'opposés à des Doriens .
Venaient ensuite des peuples d'origine éolienne , tels que les
Méthymniens, tenus à fournir des vaisseaux, mais sans payer
tribut, les Ténédiens et les Éniens tributaires . Ces peuples de
race éolienne étaient forcés de combattre les Béotiens alliés de
Syracuse, quoique ceux-ci fussent Éoliens comme eux, et de
plus leurs fondateurs . Les Platéens, bien que natifs de Béotie ,
se trouvaient seuls , par une juste haine , opposés au reste des
Béotiens. Les habitants de Rhodes et de Cythère , Doriens les
uns et les autres , étaient contraints , ceux de Cythère , colonie
de Lacédémone , de porter les armes avec les Athéniens contre
les Lacédémoniens de Gylippe ; ceux de Rhodes , originaires
d'Argos , contre les Doriens de Syracuse et contre leurs propres
colons de Géla , auxiliaires des Syracusains . Parmi les insu-
laires voisins du Péloponèse, les Céphalléniens et les Zacyn-
thiens étaient indépendants ; mais leur qualité d'insulaires leur
faisait un devoir d'accompagner les Athéniens , maîtres de la
mer. Les Corcyréens , non- seulement Doriens , mais d'origine
corinthienne, marchaient contre les Corinthiens et les Syra-
cusains , quoique colons des uns et parents des autres , sous
couleur de nécessité, mais au fond par haine pour Corinthe.
Les Mésséniens , tant ceux qu'on appelle aujourd'hui de Nau-
pacte , que ceux de Pylos , alors aux Athéniens, avaient été
pareillement requis pour cette guerre. Il y avait aussi un petit
nombre de Mégariens exilés , qui se trouvaient dans la fâcheuse
nécessité de combattre les Sélinontins originaires de Mégare .
Quant aux autres alliés , la part qu'ils prirent à cette expédition
fut plutôt volontaire . Les Argiens , de race dorienne, portaient
les armes contre les Doriens avec les Ioniens d'Athènes , moins
peut -être en vertu de leur alliance , que par haine contre Lacé-
démone et pour un motif intéressé . Les Mantinéens et autres
Arcadiens, toujours prêts à marcher contre l'ennemi qu'on leur
désigne , se trouvaient face à face avec leurs compatriotes enga-
406 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
gés à prix d'argent par Corinthe et les regardaient comme leurs
ennemis. Les Athéniens avaient aussi des Crétois et des Étoliens
mercenaires. Ainsi les Crétois, qui ont fondé Géla , concurrem-
ment avec les Rhodiens, au lieu d'aller au secours de leurs
colons, leur faisaient la guerre sans aucune animosité, mais
uniquement pour de l'argent . Quelques Acarnaniens s'étaient
aussi enrôlés dans l'armée athénienne , soit par l'appât du gain,
soit surtout par affection pour Démosthène et par dévouement aux
Athéniens leurs alliés. Tous les peuples que je viens de citer
habitent en deçà du golfe Ionien . Parmi les Grecs d'Italie , les
Thuriens et les Métapontins s'étaient vus forcés par leurs dis-
cordes intestines de se joindre aux Athéniens , comme aussi ,
parmi les Grecs de Sicile 3 , les Naxiens et les Catanéens . Quant
aux barbares, les Athéniens avaient pour eux les Égestains
qui les avaient appelés en Sicile, de même que la majeure
partie des Sicules ; parmi les peuples étrangers à la Sicile,
quelques Tyrrhéniens , qui vinrent par hostilité pour Syracuse ;
enfin des Iapygiens mercenaires. Tels étaient les alliés des
Athéniens.
LVIII. Les Syracusains furent secourus par leurs voisins de
Camarine et par Géla , qui est plus éloignée. Agrigente resta
neutre ; mais Sélinonte, située encore plus loin, dans la partie
de la Sicile qui regarde la Libye , se joignit à eux , de même
qu'Himéra, seule ville grecque sur la côte de la mer Tyrrhé-
nienne , et la seule aussi de ces parages qui soutînt Syracuse.
Tels furent les Grecs de Sicile , tous Doriens et indépendants,
qui s'armèrent pour les Syracusains. Parmi les barbares , leurs
seuls alliés furent ceux de Sicules qui ne s'étaient pas pro-
noncés en faveur des Athéniens. Quant aux Grecs du dehors,
les Lacédémoniens fournirent un commandant , spartiate , des
Néodamos et des Hilotes - le nom de Néodamode signifie af-
franchi . - Les Corinthiens seuls envoyèrent des vaisseaux et
des troupes de terre. Les Leucadiens et les Ambraciotes se joi-
gnirent à eux à cause de la communauté d'origine ' . Il vint
d'Arcadie des mercenaires levés par les Corinthiens , de même
que des Sicyoniens qui servaient par contrainte 2. En dehors
du Péloponèse , les alliés de Syracuse étaient les Béotiens. Si
l'on compare le nombre de ces auxiliaires avec les forces four-
nies par les Grecs de Sicile , on trouve celles- ci fort supé-
rieures sous tous les rapports, ce qui est naturel, vu l'impor-
tance des villes qu'ils habitent. Ils rassemblèrent une foule
d'hoplites , de vaisseaux , de cavaliers et des troupes légères .
LIVRE VII. 407
Toutefois les Syracusains à eux seuls, on peut le dire , contri-
buèrent plus fortement que tous les autres ensemble , soit à
cause de la grandeur de leur ville, soit parce qu'ils étaient
plus directement menacés.
Telles furent les forces auxiliaires des deux partis. A cette
époque elles étaient complètes, et dès lors elles ne recurent
plus d'augmentation.
LIX. Après la victoire navale qu'ils venaient de remporter,
les Syracusains et leurs alliés pensèrent avec raison que ce
serait mettre le comble à leur gloire que de faire prisonnière
la grande armée des Athéniens , sans lui laisser aucun moyen
de s'échapper ni par mer ni par terre. Dans ce but , ils fermè-
rent le grand port , dont l'entrée est large de huit stades à
peu près , au moyen d'une rangée de trirèmes , de transports
et de bateaux qu'ils fixèrent par des ancres. Ils firent aussi
leurs préparatifs pour le cas d'un nouveau combat naval . Sur
tous les points ils ne méditaient rien que de grand .
LX. Les Athéniens, voyant la fermeture du port et devinant
leur pensée , jugèrent à propos de délibérer. Les généraux et
les taxiarques se réunirent donc pour aviser aux embarras de
la situation. Les vivres étaient épuisés ; car , depuis qu'on avait
pris la résolution de décamper , on avait fait dire à Catane de
suspendre les envois ; et l'on ne pouvait en espérer pour l'ave-
nir, à moins d'une bataille navale. Il fut donc arrêté qu'on
abandonnerait les retranchements situés sur la hauteur, et
qu'on établirait à proximité de la flotte un campement stricte-
ment suffisant pour les bagages et pour les malades ; qu'on y
laisserait une garde , et que tout le reste de l'armée de terre
monterait sur les vaisseaux , tant ceux qui étaient en bon état
que ceux qui étaient moins capables de servir . Si l'on était
vainqueur, on cinglerait vers Catane ; sinon , l'on brûlerait les
vaisseaux, et l'on se retirerait par terre , en bon ordre , dans la
première place amie, grecque ou barbare, qu'on pourrait ga-
gner. Cette résolution prise, on l'exécuta sur-le-champ . On
évacua les retranchements supérieurs et l'on descendit vers la
mer. On fit monter sur la flotte tout ce qu'il y avait d'hommes
valides, et l'on parvint ainsi à équiper jusqu'à cent dix vais-
seaux. On embarqua beaucoup d'archers et de gens de trait,
Acarnaniens ou étrangers ; enfin l'on prit toutes les précautions
que permettaient les circonstances.
Quand les préparatifs furent à peu près achevés , Nicias ,
voyant les soldats abattus par la grandeur inaccoutumée de
408 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

leur défaite navale , et pourtant déterminés , vu le manque de


vivres , à risquer le plus tôt possible un combat décisif , les
rassembla pour leur adresser l'exhortation suivante :
LXI. « Soldats athéniens et alliés , la lutte qui s'apprête nous
est commune à tous également pour vous comme pour les
ennemis , il s'agit de salut et de patrie ; si en ce jour nous
sommes vainqueurs , chacun de vous reverra sa ville natale.
Gardez- vous de céder au découragement , et d'imiter ces
hommes sans expérience , à qui un premier revers fait sans
cesse appréhender de nouveaux désastres. Vous , Athéniens ,
qui avez assisté à tant de batailles, et vous , alliés , qui avez
toujours combattu dans nos rangs , souvenez-vous des chances
de la guerre ; espérez que la fortune cessera enfin de nous
tenir rigueur, et préparez-vous à prendre une revanche pro-
portionnée aux forces que vous avez maintenant sous les
yeux.
LXII . « Toutes les mesures qui peuvent obvier à l'entasse-
ment des navires dans un port si resserré et à la disposition
des tillacs ennemis , nous les avons étudiées de notre mieux et
arrêtées de concert avec les pilotes . Nous embarquerons un
grand nombre d'archers et de gens de trait ; cette foule , nous
n'aurions garde de l'employer dans un combat au large , où la
pesanteur des bâtiments entraverait la manœuvre ; mais elle
ne laissera pas de nous être utile dans la nécessité où nous
sommes de combattre de pied ferme du haut de nos vaisseaux.
Nous avons trouvé les combinaisons les plus propres à neutra-
liser celles de l'ennemi . A ces massives épotides qui nous ont
si fort incommodés , nous opposerons des mains de fer¹ , qui ,
une fois lancées sur un navire , l'empêcheront de reculer ,
pourvu que sur le pont chacun fasse son devoir. Nous sommes
réduits à une lutte d'abordage ; par conséquent il nous importe
de ne pas reculer nous-mêmes et de ne pas permettre à l'en-
nemi de reculer ; d'autant plus que , à part l'espace occupé par
nos troupes de terre, tout le rivage nous est hostile.
LXIII . « Que cette pensée vous excite à combattre väillam-
ment, sans songer à regagner la terre . Quand vous aurez ac-
costé un bâtiment, ne lâchez prise qu'après avoir balayé le til-
lac ennemi . Cette recommandation s'adresse aux soldats encore
plus qu'aux matelots, car c'est aux hommes placés sur les ponts
qu'appartient surtout cette tâche ; c'est sur eux que reposent
principalement nos espérances de victoire . Quant aux mate-
lots, je les exhorte et les conjure tout à la fois de ne pas se
LIVRE VII . 409

laisser abattre par leurs revers , maintenant que nos vaisseaux


sont plus nombreux et nos dispositions meilleures .
«< Et vous, alliés , qui , sans être Athéniens de naissance, par-
tagez notre langage , nos mœurs, et obtenez comme nous le
respect de la Grèce ; vous qui jouissiez de notre empire autant ,
si ce n'est plus que nous , qui lui devez les égards de nos sujets
et votre propre sécurité , songez combien cette position mérite
d'être conservée . Seuls vous avez trouvé la liberté en partici-
pant à notre empire ; il serait donc injuste de le trahir aujour-
d'hui . Pleins de mépris pour ces Corinthiens que, vous avez
tant de fois battus , pour ces Siciliens dont nul n'eût osé nous re-
garder en face aux beaux jours de notre marine , repoussez-
les courageusement, et prouvez-leur que , malgré nos revers et
notre faiblesse, notre habileté l'emporte sur leur force heu-
reuse.
LXIV. « Quant à vous, citoyens d'Athènes , je vous rappelle
que vous n'avez laissé derrière vous ni flotte pareille à celle-
ci , ni jeunesse en état de porter les armes . Si donc il nous
arrive autre chose que d'être vainqueurs, nos ennemis présents
feront voile immédiatement contre l'Attique, et nos concitoyens
seront incapables de résister à ce surcroît d'adversaires. Vous
tomberez aussitôt, vous au pouvoir des Syracusains - et vous
savez dans quel esprit vous êtes venus les combattre , eux au
pouvoir des Lacédémoniens . Cette seule journée décidera de
notre sort à tous . Soyez donc fermes dans ce moment suprême .
Dites-vous bien , tous et chacun en particulier, qu'avec vous ,
sur ces vaisseaux où vous allez monter, se trouvent l'armée des
Athéniens , leur marine , tout ce qui reste de l'État , enfin le
grand nom d'Athènes . Si l'un de vous se distingue par son
talent ou son courage , c'est le cas ou jamais de le montrer. »
LXV. Après cette exhortation , Nicias prescrivit aussitôt
l'embarquement . Gylippe et les Syracusains , à la seule vue de
ces préparatifs , n'avaient pas eu de peine à comprendre que
les Athéniens songeaient à livrer un combat naval . Ils avaient
connaissance de ces mains de fer qui devaient être lancées sur
les vaisseaux ; pour prévenir ce danger, ils garnirent de peaux
les proues et la partie antérieure des tillacs , afin que la
main de fer glissât sans trouver prise. Quant tout fut prêt ,
les généraux et Gylippe exhortèrent leurs soldats en ces
termes :
LXVI. « Syracusains et alliés , vos actions précédentes ont
été glorieuses, et la lutte qui se prépare ne le sera pas moins.
410 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Vous le comprenez vous-mêmes , à en juger par votre zèle.


Cependant, si quelqu'un de vous conserve encore des craintes ,
nous allons les dissiper .
« Ces Athéniens, venus dans nos parages pour asservir la
Sicile et, en cas de succès , le Péloponèse et la Grèce entière ;
ces Athéniens, maîtres déjà du plus vaste empire que jamais
Grecs aient possédé ou possèdent aujourd'hui , vous êtes les pre-
miers qui les ayez vaincus sur l'élément où ils s'estimaient
invincibles , et vous les vaincrez encore aujourd'hui . L'homme
qui a été frappé sur le terrain où il se croyait maître perd la
haute opinion qu'il avait de lui-même ; et , l'orgueil une fois
humilié , le découragement , achève de paralyser les forces.
Telle doit être aujourd'hui la situation des Athéniens.
LXVII. « Pour nous , quand nous étions encore sans expé-
rience, notre courage naturel nous a fait affronter les périls .
Maintenant il est bien plus ferme ; et, comme il s'y joint la
conviction d'être les plus habiles , puisque nous avons vaincu
les plus habiles , notre espérance est doublée . Or , en toute en-
treprise, plus on espère , plus on a d'ardeur.
«Quant aux dispositions qu'ils nous ont empruntées , elles nous
sont familières , et aucune d'elles ne nous prendra au dépourvu.
Eux au contraire , ils ont, en dehors de leurs habitudes , placé
sur les ponts une, foule d'hoplites et de gens de trait, Acarna-
niens ou autres , espèce de marins de terre ferme , qui , une
fois à bord , ne sauront comment s'y prendre pour lancer un
javelot en restant immobiles . Est-il à croire que ces gens nè
troublent pas la manoeuvre, ou ne s'embarrassent pas dans des
mouvements nouveaux pour eux ? D'ailleurs , que ceux d'entre
vous qui pourraient appréhender leur supériorité numérique
le sachent bien, cette multitude de navires ne leur sera d'au-
cun secours ; des vaisseaux nombreux , dans un espace étroit,
seront moins agiles et plus vulnérables .
<< Mais apprenez un fait des plus certains succombant aux
maux qui les accablent , les Athéniens sont en proie au plus
sombre découragement. Ils ne se fient guère à leurs prépara-
tifs ; ils veulent tenter la fortune , forcer, s'il se peut, le pas-
sage et partir par mer : sinon, effectuer leur retraite par terre,
parce que dans aucun cas leur position ne saurait être plus
fâcheuse qu'elle ne l'est actuellement .
LXVIII. « En présence d'une désorganisation si complète et
d'une fortune qui livre en nos mains nos implacables ennemis ,
fondons sur eux avec furie. Rien n'est plus légitime que de pu-
LIVRE VII. Y " 411

nir d'injustes agresseurs , et, comme on dit, rienn'est plus doux


à savourer que la vengeance.
« Qu'ils soient nos ennemis et nos ennemis acharnés , c'est
ce que vous savez de reste. Ils sont venus dans notre pays
pour l'asservir ; s'ils avaient réussi , ils auraient infligé aux
hommes les traitements les plus cruels , aux enfants et aux
femmes les plus sanglants outrages , à la ville entière le plus
infâme de tous les noms. Aussi , que nul de vous ne faiblisse
et ne croie avoir gagné quelque chose en les laissant partir
impunément. C'est tout ce qu'ils désirent , fussent-ils vainqueurs .
Mais les traiter comme ils le méritent, les punir et assurer à la
Sicile son antique liberté , voilà un glorieux prix du combat.
Elles sont bien rares les occasions où la défaite est peu à redou-
ter, et où l'on a tout à gagner par la victoire. »
LXIX. Les troupes ainsi haranguées , les généraux syracu-
sains et Gylippe se hâtèrent de les embarquer , lorsqu'ils vi-
rent les Athéniens monter sur leurs vaisseaux . Sur le point de
gagner le large, Nicias, effrayé de la situation et mesurant toute
l'étendue du danger, éprouva le sentiment habituel aux hommes
engagés dans les luttes décisives : il crut ses préparatifs in-
complets et ses exhortations insuffisantes. Appelant de nou-
veau chacun des triérarques par son nom, par celui de son
père et de sa tribu , il les conjura de ne pas trahir leur illus-
tration personnelle ou les vertus de leurs aïeux , leur retraçant
la liberté illimitée dont jouissait leur patrie , la parfaite indé-
pendance assurée à chacun dans sa vie privée . Il ajouta à ces
paroles tous les lieux communs auxquels on a recours dans un
moment suprême , en leur parlant de leurs femmes , de leurs
enfants , des dieux nationaux .
Après avoir dit, non tout ce qu'il eût voulu , mais ce qu'il
jugeait indispensable , Nicias revint en arrière , et conduisit
l'armée sur le bord de la mer. Il étendit sa ligne le plus pos-
sible, afin d'augmenter la confiance de ceux qui étaient sur les
vaisseaux. En même temps Démosthène , Ménandros et Euthy-
démos , qui commandaient la flotte athénienne , partirent de
leur station, en se dirigeant droit vers le barrage du port et
l'intervalle resté libre. Leur intention était de forcer le pas-
sage.
LXX. Les Syracusains et leurs alliés s'avancèrent avec le
même nombre de vaisseaux que dans le combat précédent. Ils
en employèrent une partie à garder la passe , et disposèrent
les autres en demi-cercle dans le reste du port , afin d'attaquer
412 GUERRE DU FÉLOPONÈSE.

de tous les côtés à la fois . Au même instant , leur armée de


terre se portait sur tous les points accessibles . La flotte syra-
cusaine était sous les ordres de Sicanos et d'Agatharchos , qui
commandaient chacun une des deux ailes . Pythen et les Corin-
thiens occupaient le centre.
Quand les Athéniens eurent atteint le barrage , ils enfoncé-
rent du premier choc la division qui le gardait , et tentèrent de
se faire jour. Ensuite les Syracusains fondant sur eux de tous
côtés, l'action s'engagea , non plus seulement auprès du bar-
rage, mais aussi dans l'intérieur du port. La lutte fut acharnée
et hors de toute comparaison avec les précédentes . De part et
d'autre les matelots se montraient impatients de commencer
l'attaque au premier signal ; les pilotes rivalisaient de talent
et de zèle ; les soldats du bord , sitôt que les vaisseaux s'é-
taient accostés , avaient soin que le service du pont ne fût
pas inférieur à la manœuvre. C'était à qui se signalerait dans
le poste qui lui était assigné. Jamais un espace si étroit n'a-
vait vu combattre tant de navires ; car les deux flottes réu-
nies comptaient près de deux cents bâtiments . Aussi l'encom-
brement produit par cette accumulation rendait très-rares les
attaques directes , vu l'impossibilité de reculer ou de percer la
ligne ennemie. Le plus souvent les vaisseaux ne faisaient que
s'entre-choquer, en voulant fuir ou courir sur un autre bâti-
ment. Un vaisseau s'avancait-il pour attaquer, il essuyait une
grêle de traits, de flèches , de pierres lancées du tillac ennemi ;
puis , lorsqu'on s'était joint, les soldats en venaient aux mains
et s'efforçaient de monter à l'abordage . Souvent il arrivait,
faute de place, qu'un même navire heurtait pendant qu'il était
heurté, en sorte qu'on voyait deux vaisseaux , ou quelquefois
davantage , accrochés autour d'un seul, sans pouvoir se déga-
ger. Les pilotes , occupés de l'attaque et de la défense , étaient
obligés d'avoir l'œil de tous les côtés à la fois. Le bruit assour-
dissant, causé par la recontre de cette multitude de navires ,
couvrait la voix des céleustes , qui , de part et d'autre , redou-
blaient de cris et d'exhortations pour commander la manœuvre
ou ranimer l'ardeur des matelots . Aux Athéniens, ils criaient
de forcer le passage ; que c'était le moment ou jamais de com-
battre vaillamment pour revoir leurs foyers ; aux Syracusains ,
et à leurs alliés , qu'il était beau d'empêcher l'évasion de leurs
adversaires et d'augmenter par ce fait d'armes la gloire de
leurs nations. Les généraux des deux armées voyaient-ils un
vaisseau reculer sans nécessité, ils appelaient nominativement
LIVRE VII. 413

le triérarque et lui demandaient , les Athéniens, s'il pensait que


cette terre hostile, vers laquelle il rétrogradait , fût plus favo-
rable que la mer conquise par tant de travaux ; les Syracusains,
s'il fuyait des ennemis qu'il savait bien n'avoir d'autre but
que la fuite.
LXXI. Pendant que sur mer on se disputait ainsi la victoire ,
les deux armées de terre , placées sur le rivage, étaient en proie
aux plus cruelles perplexités . Pour les indigènes, il s'agissait
de compléter leur triomphe ; pour les étrangers, d'échapper à
un désastre. Les Athéniens , dont toute la fortune était sur
leurs vaisseaux, éprouvaient de mortelles alarmes au sujet de
l'avenir. Les sinuosités du rivage présentaient aux spectateurs
le combat naval sous des aspects divers. Comme la scène était
très-rapprochée et ne pouvait s'embrasser d'un coup d'œil,
ceux qui apercevaient sur quelque point les leurs victorieux ,
reprenaient courage , invoquaient les dieux, et les suppliaient
de ne pas leur envier leur salut ; ceux, au contraire , qui voyaient
le désavantage d'une partie de la flotte , éclataient en cris de
désespoir ; leur esprit était encore plus absorbé par ce spectacle
que celui des combattants eux-mêmes. D'autres enfin, tournés
vers les endroits où l'avantage était balancé et la lutte incer-
taine, passaient par les émotions les plus pénibles ; dans leur
effroi , les mouvements de leurs corps suivaient les oscillations
de leurs pensées ; à chaque instant ils se croyaient ou sauvés
ou perdus.
Tant que la bataille demeura indécise, ce ne fut , dans toute
l'armée athénienne , que gémissements , cris de victoire ou de
défaite , en un mot les diverses exclamations qu'arrache à une
troupe nombreuse la présence d'un grand péril . Sur les vais-
seaux, l'anxiété n'était pas moindre. Enfin , les Syracusains et
leurs alliés , après une lutte désespérée, mirent en fuite les
Athéniens, les poussèrent avec vigueur, et, s'exhortant à grands
cris , les poursuivirent vers le rivage. Tout ce qui restait de la
flotte athénienne, tout ce qui n'avait pas été pris en mer, se
jeta confusément à la plage , et chercha un abri vers le camp.
Dès lors l'armée de terre ne fut plus partagée entre des senti-
ments divers ; ce fut une explosion unanime de douleur, de
lamentations et de sanglots . Les uns couraient au secours des
vaisseaux ; d'autres à la défense du reste des retranchements ;
d'autres , enfin - et c'était le plus grand nombre - ne son-
geaient déjà plus qu'à leur salut personnel. Jamais on ne vit
consternation plus générale et plus profonde. La situation des
414 GUERRE DU PELOPONÈSE .
Athéniens était exactement semblable à celle où ils avaient mis
les Lacédémoniens à Pylos. Pour ceux-ci, la perte de leurs
vaisseaux entraîna celle des soldats passés dans l'île ; de même
alors les Athéniens n'avaient plus aucun espoir de se sauver
par terre , à moins d'un événement impossible à prévoir.
LXXII. Après ce grand combat naval, où une foule d'hommes
et de vaisseaux avaient péri de part et d'autre , les Syracusains
et leurs alliés victorieux recueillirent les débris et les morts,
rentrèrent dans la ville et dressèrent un trophée. Les Athéniens,
dans l'excès de leurs maux, ne songeaient pas même à réclamer
leurs morts ou les débris de leurs navires ; leur unique pensée
était de partir immédiatement, cette nuit même. Démosthène
alla trouver Nicias , et lui proposa d'équiper à nouveau ce qui
restait de la flotte , pour essayer de forcer le passage au lever
de l'aurore. Il soutint qu'on avait encore plus de vaisseaux en
état de tenir la mer que les ennemis ; ce qui était vrai , puisqu'il
en restait aux Athéniens une soixantaine , et moins de cinquante
aux Syracusains . Nicias donna les mains à ce projet ; mais ,
quand on parla de s'embarquer, les matelots , encore consternés
de leur défaite et désespérant de reprendre l'avantage, s'y re-
fusèrent obstinément. Dès lors il ne fut plus question que de
se retirer par terre.
LXXIII . Hermocratès de Syracuse pénétra ce dessein. Sen-
tant le danger qu'il y aurait à ce qu'une si grande armée allât
s'établir sur quelque point de la Sicile , d'où elle voudrait peut-
être éterniser la guerre , il se rendit auprès des magistrats et
leur représenta qu'on ne devait pas laisser les ennemis partir
pendant la nuit, mais qu'il fallait à l'instant même sortir en
masse, Syracusains et alliés , pour couper les routes et s'assu-
rer des défilés . Les généraux approuvèrent cette idée ; mais ils
ne crurent pas qu'il fût possible d'obtenir obéissance de gens
qui commençaient à goûter le repos après un terrible combat,
d'autant que ce jour se trouvait être une époque de fête et de
sacrifice à Hercule , et que la plupart des soldats , dans les
transports de la victoire, célébraient leur triomphe en buvant.
A leur avis , la dernière chose à leur persuader était de prendre
les armes et de sortir en ce moment.
Hermocratès, n'ayant pu les gagner à un projet qui leur
semblait inexécutable, imagina un stratagème pour parvenir à
ses fins. Dans la crainte que les ennemis ne profitassent de
l'obscurité pour franchir les plus mauvais pas , il envoya, sur
le soir, quelques affidés avec des cavaliers vers le camp deş
LIVRE VII. 415

Athéniens . Ils's'approcnèrent à portée de la voix, et, se donnant


pour des Syracusains amis de Nicias , ils firent dire à ce général
de ne pas remuer cette nuit, vu que les routes étaient gardées,
mais d'attendre qu'il fît jour pour se mettre en marche, après
s'être paisiblement préparé. Là-dessus ils se retirèrent. Leur
communication fut transmise aux généraux athéniens.
LXXIV. Ceux-ci, d'après cet avertissement , suspendirent
pour cette nuit le départ, sans soupçonner la ruse ; et, comme
on n'était pas parti sur-le-champ , on résolut de laisser passer
encore le lendemain, afin de procurer aux soldats le temps de
faire les préparatifs les plus urgents. Ordre fut donné de se
tenir prêts à partir en n'emportant que les objets de première
nécessité , les vivres strictement indispensables , et d'aban-
donner tout le reste . Dans l'intervalle , les Syracusains et Gylippe
prirent les devants avec l'armée de terre , barricadèrent les
routes par où il était à croire que les Athéniens se dirigeraient,
occupèrent tous les cours d'eau, enfin se disposèrent de leur
mieux à recevoir les ennemis et à les repousser. En même
temps, la flotte s'approchait du rivage et saisissait les vaisseaux
athéniens ; quelques-uns avaient été brûlés par les Athéniens
eux-mêmes, ainsi qu'il avait été décidé ; tous les autres , qui se
trouvaient épars sur la plage, furent remorqués à loisir et em-
menés sans opposition vers la ville.
LXXV.. Quand Nicias et Démosthène jugèrent les apprêts suf-
fisants , le départ de l'armée s'effectua ; c'était le surlendemain
du combat naval. La situation des Athéniens était affreuse.
Non-seulement ils avaient perdu leurs vaisseaux et voyaient
leurs belles espérances faire place aux plus noirs pressentiments
pour eux et pour leur patrie, mais encore l'évacuation du camp
présentait le plus douloureux spectacle à la vue et à l'esprit de
chacun. Les morts étaient sans sépulture ; le soldat , qui voyait
un des siens étendu sans vie, était glacé de tristesse et d'effroi.
Ceux qu'on abandonnait vivants, les blessés et les malades , in-
spiraient encore plus de compassion et de sympathie ; leurs sup-
plications et leurs gémissements étaient à fendre le cœur . Ils
conjuraient qu'onles emmenât, appelaient à grands cris tous ceux
qu'ils apercevaient de leurs compagnons ou de leurs proches ,
se cramponnaient à leurs camarades de tente déjà en marche,
les suivaient aussi loin qu'ils pouvaient ; puis , à bout de forces ,
ils s'arrêtaient en proférant des obsécrations et des sanglots ;
en sorte que l'armée entière fondait en pleurs et avait la mort
dans l'âme. Elle avait peine à s'éloigner de cette terre enne-
416 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

mie , où elle avait souffert des maux qu'elle ne pouvait assez


déplorer ; mais ceux qu'on entrevoyait dans une vague per-
spective étaient plus cruels encore . Les soldats étaient mornes
et profondément humiliés . On eût dit une ville prise d'assaut,
d'où s'enfuit une population sans nombre ; en effet, il n'y avait
pas moins de quarante mille hommes dans cette foule chemi-
nant à la fois . Chacun s'était chargé du bagage le plus indis-
pensable ; les hoplites et même les cavaliers, contrairement à
l'usage , portaient leurs aliments sous leurs boucliers , soit
faute de serviteurs , soit défiance : en effet, la désertion des es-
claves , commencée depuis longtemps , était devenue générale .
Les provisions qu'on emportait n'étaient pas même suffisantes ,
car il n'y avait plus de vivres dans le camp . Cette espèce d'al-
légement qu'on éprouve à partager ses souffrances avec beau-
coup de compagnons n'adoucissait aucunement la situation
présente , surtout lorsqu'on songeait à quel triste dénoûment
venait aboutir tant d'ostentation et d'orgueil déployés au début.
En effet, jamais armée grecque ne subit un plus cruel mé-
compte ils étaient venus pour asservir les autres, et ils s'en´ .
allaient avec la crainte d'être eux- mêmes asservis ; aux vœux
et aux péans du départ, succédaient des cris du plus funeste
augure ; partis sur des vaisseaux, ils s'en retournaient à pied,
et aux fonctions de marins s'étaient substituées celles d'ho-
plites. Toutefois ces maux leur paraissaient encore supportables ,
en comparaison des périls qui les menaçaient .
LXXVI. Nicias, voyant la démoralisation de son armée , par-
courut les rangs , afin de relever de son mieux le courage des
soldats par ses exhortations. L'ardeur qui l'animait, le désir
de se faire entendre aussi loin que possible, donnaient à sa
voix un timbre et une intensité extraordinaires .
LXXVII. « Même dans l'état où nous sommes, Athéniens et
alliés , il faut conserver de l'espoir ; on se tire de plus mauvais
pas. Ne vous reprochez point outre mesure des maux et des
désastres que vous n'avez pas mérités . Moi qui suis plus faible
qu'un autre - vous voyez où m'a réduit la maladie , -moi qui
ne le cédais à personne dans ma vie privée et publique , je me
vois exposé au même danger que le dernier des soldats . Et
pourtant je me suis toujours montré, envers les dieux, fidèle
observateur des pratiques établies ; envers les hommes , con-
stamment juste et sans reproche. Aussi n'ai-je pas perdu toute
espérance en l'avenir ; les malheurs m'effrayent moins qu'on ne
peut croire ; bientôt, peut-être, ils nous laisseront du répit. Le
LIVRE VII. 417

bonheur de nos ennemis a dépassé toute limite. Si notre expé-


dition a été vue par quelque dieu d'un œil jaloux , c'est une
faute que nous avons assez chèrement expiée. Nous ne sommes
pas les premiers qui se soient permis des actes hostiles ; d'au-
tres l'ont fait avant nous ; mais , après avoir agi en hommes ,
ils n'ont rien souffert que l'homme ne pût supporter. Nous
aussi, nous pouvons espérer de fléchir le courroux des dieux,
car notre sort actuel est plus digne de pitié que d'envie.
« Que vos regards se tournent sur vous-mêmes , et que l'as-
pect d'une telle masse d'hoplites, marchant en belle ordon-
nance, ranime vos esprits abattus . En quelque endroit qu'il
vous plaise de vous fixer, à l'instant vous formerez une cité
inexpugnable, à qui nulle ville sicilienne ne pourra aisément
résister. Veillez vous-mêmes à ce que votre retraite s'opère
avec ordre et vigilance ; que chacun de vous se dise bien que
le lieu où il sera obligé de combattre sera pour lui , en cas de
succès , une patrie , un boulevard assuré. Nous irons nuit et
jour, à marches forcées , car nos approvisionnements sont res-
treints ; mais si une fois nous atteignons quelque place des
Sicules, sur l'amitié desquels nous pouvons compter à cause
de la crainte qu'ils ont de Syracuse , dès lors vous pourrez vous
croire en sûreté. Je leur ai fait dire de venir à notre rencontre
et de nous apporter des vivres.
« En un mot, soldats , songez-y bien : c'est pour vous une
nécessité que la vaillance , car il n'y a dans le voisinage aucune
plaće où la timidité puisse trouver un abri. Si vous échappez
maintenant aux ennemis , vous obtiendrez chacun de revoir les
objets de vos vœux ; et vous , en particulier, Athéniens , vous
relèverez la grandeur, momentanément abattue , de votre pa-
trie ; car ce sont les hommes qui font les villes , et non les murs
ou les vaisseaux dénués de défenseurs. »>
LXXVIII. En prononçant cette harangue , Nicias parcourait
les rangs de son armée. S'il voyait des soldats marcher à la
débandade , il les ralliait et les reformait. Démosthène tenait
aux siens à peu près le même langage. L'armée marchait en
carré , le corps de Nicias en avant, celui de Démosthène en ar-
rière ; les valets et la foule sans armes étaient en dedans des
hoplites.
Arrivés au passage de l'Anapos , ils y trouvèrent en bataille
une division de Syracusains et d'alliés ; ils la culbutèrent ,
franchirent le fleuve et poussèrent en avant. Les Syracusains
les harcelaient sur les flancs avec leur cavalerie et leurs gens
418 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

de trait. Ce jour-là , les Athéniens firent environ quarante


stades, et allèrent bivaquer sur une éminence .
Le lendemain, ils partirent de très-bonne heure, firent envi-
ron vingt stades, et descendirent dans une plaine où ils cam-
pèrent. Ce lieu étant habité , ils voulaient s'y procurer des
vivres et faire provision d'eau ; car la route qu'ils devaient
parcourir en était dépourvue à une grande distance . Pendant
ce temps , les Syracusains prirent les devants , et retranchèrent
le passage qu'il fallait traverser. C'était une colline élevée ,
bordée de part et d'autre par un ravin escarpé ; elle s'appelait
Acréon-Lépas .
Le jour suivant, les Athéniens continuèrent à avancer ; mais
les Syracusains, avec une nuée de cavaliers et de gens de trait,
entravaient leur marche en les couvrant de javelots et en vol-
tigeant sur leurs flancs. Les Athéniens, après avoir longtemps
combattu, regagnèrent leur campement de la veille . Le manque
de vivres commençait à se faire sentir, la cavalerie ennemie
ne permettant plus à personne de s'écarter.
• LXXIX. De grand matin ils levèrent le camp , se remirent en
route, et tâchèrent de gagner la colline fortifiée . Ils trouvèrent
devant eux, au-dessus des retranchements , l'infanterie syracu-
saine , massée sur ce terrain étroit . Les Athéniens abordèrent
la position et tentèrent de l'enlever d'assaut ; mais , exposés à
des coups plongeants, ils ne purent forcer le passage ; ils se
replièrent et prirent du repos . En ce moment il survint des
tonnerres mêlés de pluie, phénomène ordinaire aux approches
de l'arrière-saison. L'abattement des Athéniens en fut accru ;
ils s'imaginèrent que tout conspirait pour leur perte. Pendant
qu'ils se reposaient, Gylippe et les Syracusains envoyèrent un
détachement élever un second mur derrière eux , sur le chemin
qu'ils avaient parcouru ; mais les Athéniens l'empêchèrent.
Après cela , toute l'armée se rabattit vers la plaine, et y
bivaqua.
Le lendemain , elle continua sa marche , malgré les attaques
incessantes des Syracusains. Si les Athéniens s'avançaient
contre eux, ils reculaient ; s'ils cédaient le terrain, les ennemis
les pressaient en assaillant les derniers rangs , afin de répandre,
par ces engagements partiels , l'épouvante dans toute la troupe.
Les Athéniens résistèrent quelque temps à ce genre d'attaque ;
ils firent ainsi cinq ou six stades , après quoi ils se reposèrent
dans la plaine. Les Syracusains s'éloignèrent et regagnèrent
leur camp.
ww
ww
LIVRE VIL. 419

LXXX. Nicias et Démosthène, voyant le fâcheux état de


l'armée, le manque absolu de subsistances et le grand nombre
de blessés , prirent le parti d'allumer pendant la nuit autant de
feux que possible, et d'exécuter leur retraite , non plus dans la
direction projetée, mais en sens contrairé aux positions gardées
par les Syracusains, c'est-à-dire vers la mer¹ . Cette dernière
route ne conduisait plus l'armée à Catane , mais dans la partie
opposée de la Sicile, vers Camarine, Géla et les autres villes ,
grecques ou barbares , de ces parages. Ils allumèrent donc une
multitude de feux, et partirent de nuit ; mais ils tombèrent
dans la confusion, résultat ordinaire des terreurs paniques aux-
quelles sont sujets tous les grands corps d'armée dans les mar-
ches nocturnes , exécutées à travers un pays hostile et à proxi-
mité de l'ennemi. La division de Nicias , qui était la première ,
conserva ses rangs et prit beaucoup d'avance ; mais celle de
Démosthène , qui formait plus de la moitié de l'armée , se rompit
et chemina en désordre. Cependant , à la pointe du jour, ils
arrivèrent au bord de la mer ; ils prirent la route d'Hélore et
gagnèrent du terrain . Leur intention était, une fois au bord du
Cacyparis, d'en remonter le cours . Ils espéraient rencontrer
ainsi les Sicules qu'ils avaient mandés. Parvenus à ce cou-
rantd'eau , ils trouvèrent un détachement syracusain , occupé
à retrancher et à palissader le passage. L'ennemi culbuté,
ils passèrent outre , en se dirigeant vers une autre rivière
nommée Erinéos. C'était] l'itinéraire que leur traçaient leurs
guides.
LXXXI. Dès qu'il fit jour et que les Syracusains et leurs.
alliés se furent aperçus de la disparition des Athéniens , ils ac-
cusèrent pour la plupart Gylippe de les avoir volontairement
laissé échapper. Ils n'eurent pas de peine à reconnaître la route
qu'ils avaient prise, et se mirent en toute hâte à leur poursuite ;
ils les rejoignirent avant l'heure du dîner. Le corps de Démo-
sthène, formant l'arrière-garde , avait marché lentement et sans
ordre, par suite du trouble de la nuit ; ils l'attaquèrent sur-le-
champ , et l'action s'engagea. La cavalerie syracusaine eut
bientôt enveloppé et resserré sur un même point ce corps isolé.
La division de Nicias avait cinquante stades d'avance. Nicias.
hâtait le pas , sentant qu'il s'agissait, si l'on voulait être sauvé,
de gagner de rapidité, sans s'arrêter à combattre, à moins d'y
être forcé. Démosthène était plus exposé et d'une manière plus
continue ; comme il formait l'arrière-garde, il était le premier
assailli . Se voyant serré de près par les Syracusains , il songea
420 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

moins à faire du chemin qu'à se ranger en bataille , jusqu'à ce


qu'enfin sa lenteur permit aux ennemis de le cerner compléte-
ment et de jeter ses soldats dans une affreuse confusion. Con-
finés sur un terrain tout entouré de clôtures , bordé de part et
d'autre par une route et couvert d'oliviers , ils se trouvèrent en
butte à une grêle de traits. Les Syracusains préféraient, comme
de raison, ce genre d'attaque à une lutte de pied ferme, car ils
n'avaient aucun intérêt à se risquer contre des gens au déses-
poir . Désormais assurés de la victoire , ils voulaient s'épargner
des sacrifices inutiles , et jugeaient cette manœuvre suffisante
pour faire tomber leurs ennemis en leur pouvoir.
LXXXII . Quand ils eurent ainsi , toute la journée , criblé de traits
les Athéniens et leurs alliés , et qu'ils les virent accablés de bles-
sures et de souffrances de toute espèce , Gylippe , les Syracusains
et leurs alliés firent une proclamation pour inviter les insulaires
à passer à eux sous promesse de la liberté. Les soldats de quelques
villes y consentirent, mais en petit nombre. Ensuite toutes les
troupes de Démosthène mirent bas les armes , à condition qu'on
ne ferait périr personne ni de mort violente, ni dans les fers ,
ni par la privation du strict nécessaire. Ils se rendirent tous,
au nombre de six mille . Tout l'argent qu'ils avaient, ils le dépo-
sèrent dans des boucliers renversés ; ils en remplirent quatre .
On les conduisit immédiatement à la ville
LXXXIII. Quant à Nicias et à ses compagnons , ils arrivèrent
la même jour au fleuve Érinéos, et allèrent camper sur une
hauteur. Les Syracusains les atteignirent le lendemain , leur
dirent que la troupe de Démosthène s'était rendue , et les enga-
gèrent à en faire autant. Nicias, qui ne pouvait les croire , con-
vint d'envoyer un cavalier pour s'assurer du fait . Quand cet
émissaire, de retour, eut confirmé le fait , Nicias fit déclarer par
un héraut à Gylippe et aux Syracusains qu'il était prêt à traiter
avec eux, au nom des Athéniens , pour le remboursement des
frais de la guerre , à condition que son armée aurait le loisir
de se retirer. Pour garantie du payement, il offrait de livrer
des otages athéniens , à raison d'un homme par talent. Les
Syracusains et Gylippe s'y refusèrent. Ils assaillirent les Athé-
niens, les enveloppèrent entièrement, et les accablèrent de traits
jusqu'au soir. Les Athéniens étaient exténués par le manque
de vivres et de toutes les choses nécessaires ; néanmoins , ils
profitèrent du calme de la nuit pour prendre les armes et se
mettre en devoir de partir. Les Syracusains s'en aperçurent et
entonnèrent le péan. Se voyant découverts , les Athéniens renon-
LIVRE VII. 421

cèrent à leur tentative , excepté trois cents hommes , qui for-


cèrent les gardes et s'en allèrent où ils purent pendant la
nuit.
LXXXIV. A l'aube du jour, Nicias remit l'armée en marche . Les
Syracusains et leurs alliés ne cessèrent de les harceler en tirant
sur eux de toutes parts et en les criblant de javelots . Les Athé-
niens se hâtaient de gagner le fleuve Assinaros ; ils espéraient,
une fois au delà, être moins exposés aux attaques des cavaliers et
des troupes légères, comme aussi échapper aux tourments de la
faim et de la soif. Arrivés sur le bord de ce fleuve, ils s'y pré-
cipitèrent pêle-mêle , chacun voulant traverser le premier . Les
ennemis, qui les poursuivaient de près, ajoutèrent bientôt à la
difficulté du passage . Les Athéniens , forcés de marcher en co-
lonne serrée, se jetaient les uns sur les autres et se foulaient
aux pieds . Enchevêtrés au milieu des lances et des bagages, les
uns succombaient sur-le- champ , les autres étaient entraînés
par les flots . Les Syracusains , postés sur l'escarpement de la
rive opposée , dirigeaient des coups plongeants sur les Athéniens ,
occupés pour la plupart à étancher leur soif et entassés confu-
sément dans le lit encaissé de la rivière. A la fin , les Pélopo-
nésiens y descendirent, et massacrèrent tout ce qui s'y trou-
vait. Bientôt l'eau fut troublée ; cependant on la buvait encore ,
toute bourbeuse et ensanglantée qu'elle était ; on se la disputait
même les armes à la main .
LXXXV. Déjà les cadavres étaient amoncelés dans la rivière ;
déjà l'armée était anéantie , une partie ayant péri sur les rives ,
une autre dans la fuite sous les coups des cavaliers, lorsque enfin
Nicias se rendit à Gylippe, auquel il se confiait plus qu'aux
Syracusains. Il livra sa personne à la discrétion de ce général
et des Lacédémoniens, les priant seulement de mettre fin au
carnage. Dès lors Gylippe ordonna de faire des prisonniers. Ce
qui restait , déduction faite d'un bon nombre distrait par les
Syracusains, fut emmené vivant . On envoya aussi à la pour-
suite de la colonne fugitive et on l'arrêta . Cependant ce qu'on
recueillit de captifs pour le compte de l'Etat fut peu de chose ;
la plupart furent détournés par les particuliers . Toute la Sicile
en fut remplie , attendu qu'ils n'avaient pas été pris par capitu-
lation comme ceux de Démosthène . Le nombre des morts fut
aussi très-grand , car le massacre fut immense et surpassa tout
ce qui s'était vu dans le cours de cette guerre ; enfin l'armée
avait souffert d'énormes pertes dans les fréquents engagements
soutenus pendant la retraite. Plusieurs parvinrent à s'échapper ,
THUCYDIDE. 24
422 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

soit à l'instant , soit plus tard, et après avoir subi l'esclavage .


Catane leur servit de refuge.
LXXXVI. Les Syracusains et leurs alliés se réunirent, re-
tournèrent à la ville avec leurs prisonniers et leur butin. Tous
ceux des Athéniens et des alliés qu'ils avaient pris , ils les
descendirent dans les Latomies ¹ , lieu de détention qu'ils re-
gardaient comme le plus sûr. Pour ce qui est de Nicias et de
Démosthène , ils les égorgèrent, malgré l'opposition de Gylippe ,
qui eût voulu couronner glorieusement ses exploits en ame-
nant aux Lacédémoniens les chefs de l'armée ennemie . L'un
d'eux, Démosthène , s'était attiré leur haine à cause des événe-
ments de Sphactérie et de Pylos ; l'autre leur amitié pour le
même motif: car c'était à l'instigation de Nicias que les Athé-
niens avaient fait la paix et relâché les prisonniers de l'île ;
aussi les Lacédémoniens lui étaient-ils affectionnés , et de là
vint la confiance avec laquelle il se rendit à Gylippe . Mais les
Syracusains , sachant que Nicias avait eu des intelligences clan-
destines avec quelques-uns d'entre eux , craignirent, dit-on ,
que, mis à la question pour ce sujet, il ne troublât pour eux la
joie de la victoire ; d'autres , et surtout les Corinthiens, qu'à
l'aide de ses richesses il ne réussît à s'évader et à leur susciter
de nouveaux embarras ; ils persuadèrent donc à leurs alliés de
le faire périr. Telles ou à peu près furent les causes de la mort
de Nicias, celui des Grecs de nos jours qui , par la réunion de
ses vertus , méritait le moins cet excès d'infortune.
LXXXVII. Quant à ceux qui furent enfermés dans les Lato-
mies, les Syracusains les traitèrent dans les premiers temps
avec une extrême rigueur . Parqués dans une enceinte creuse
et resserrée , ils furent d'abord exposés sans abri à l'ardeur
suffocante du soleil ; puis survinrent les fraîches nuits d'au-
tomne , et cette transition détermina des maladies . N'ayant pour
se mouvoir qu'un espace étroit, et les cadavres de ceux qui
succombaient à leurs blessures, aux intempéries ou à quelque
accident, gisant pêle-mêle, il en résulta une infection insup-
portable, qu'aggravèrent encore les souffrances du froid et de
la faim ; car, durant huit mois , on ne donna à chaque prison-
nier qu'une côtyle d'eau et deux cotyles de blé . Enfin , de tous
les maux qu'on peut endurer dans une captivité pareille , aucun
ne leur fut épargné. Pendant soixante-dix jours , ils vécurent
ainsi tous ensemble ; ensuite, ceux qui n'étaient ni Athéniens
ni Grecs de Sicile ou d'Italie furent vendus ".
Il est impossible de préciser le nombre total des prison-
LIVRE VII . 423

niers ; tout ce qu'on peut dire , c'est qu'il ne fut pas inférieur
à sept mille. Ce fut pour les Grecs l'événement le plus saillant
de cette guerre, et, selon moi , de tous les temps dont nous
avons conservé le souvenir . Jamais fait d'armes ne fut plus
glorieux pour les vainqueurs , ni plus lamentable pour les
vaincus . Le désastre de ceux-ci fut aussi complet que possible :
armée, vaisseaux, tout fut perdu ; et d'une si grande multitude
d'hommes , bien peu revirent leurs foyers. Ainsi se termina
l'expédition de Sicile.
LIVRE VIII.

Consternation d'Athènes à la nouvelle du désastre de Sicile , chap . I.


- Dans l'hiver de la dix-neuvième année , effervescence générale
des Grecs pour prendre part à la guerre , chap. ш. Expédition
d'Agis contre les Etéens , chap . II. — Préparatifs de défense des
Athéniens , chap . IV. L'Eubée , Lesbos , Chios et Erythres mani-
festent l'intention de se révolter contre les Athéniens , chap. v.—
Les Lacédémoniens se décident à secourir d'abord Chios, chap. VI.
Vingtième année de la guerre. Les Lacédémonieus envoient une
flotte à Chios ; elle est bloquée par les Athéniens au port de Piréos
en Corinthie , ch. VII-XI. Alcibiade est envoyé par les Lacédémo-
niens en Ionie , ch. XII . Retour de la flotte péloponésienne de
Sicile à Corinthe , ch. XIII. Défaction de Chios , d'Erythres , de
Clazomènes , de Téos et de Milet , ch . XIV-XVII . —- Premier traité
d'alliance des Lacédémoniens avec le roi de Perse , ch. XVIII.
Opérations des Athéniens contre Chios , ch . XIX-XX. -- Insurrection
démocratique à Samos , ch. xxI. — Inutile tentative des Péloponé-
siens sur Lesbos ; les Athéniens soumettent Clazomènes , ch. XXII-
XXIII. Guerre autour de Milet , ch. XXIV-XXVII . Les Péloponé-
siens aident Tissapherne à prendre Jasos et le rebelle Amorgès ,
ch. XXVIII . - Dans l'hiver , Tissapherne se rend à Milet et entre en
négociation pour des subsides à fournir aux Péloponésiens , ch . xxix.
—-Une partie de la flotte athénienne passe de Samos à Chios , ch. xxx.
Les Péloponésiens attaquent inutilement Ptéléon et Clazomènes ,
ch. XXXI. - - Lesbos négocie sa défection , ch . XXXII. - La flotte
athénienne partie de Samos pour attaquer Chios , est dispersée par
la tempête , ch. XXXIII-XXXIV. Les Péloponésiens échouent à l'at-
taque de Cnide ; ch . xxxv . Second traité d'alliance entre les Lacé-
démoniens et le roi de Perse , ch. XXXVI-XXXVII . Les Athéniens
abordent à Chios , ch. xxxvIII . - Les Péloponésiens envoient une
flotte à Pharnabaze , ch. xxxix. Astiochos défait une escadre
athénienne près de Cnide , ch. XL-XLII.- Les commissaires lacédé-
moniens désapprouvent le traité conclu avec Tissapherne, ch. XLIII.
Défection de Rhodes, ch . XLIV. — Alcibiade , suspect aux Péloponé-
siens , passe chez Tissapherne et l'engage à tenir la balance égale
entre les deux partis , ch. XLV-XLVI .-Ses premières démarches pour
obtenir son rappel , ch . XLVII. Conjuration ourdie à Samos pour
LIVRE VIII. 425
le rappel d'Alcibiade et le renversement de la démocratie à Athènes ,
ch . XLVIII-LIV. Les Athéniens attaquent Rhode et bloquent Chios,
ch LV. - Démarche infructueuse de Pisandros auprès de Tissa-
pherne et d'Alcibiade , ch. LVI. — Tissapherne conclut avec les
Péloponésiens un troisième traité , ch. LVII-LIX.-Les Béotiens s'em-
parent d'Oropos , ch. LX. Vingt-unième année de la guerre. Les
Chiotes livrent aux Athéniens une bataille navale sans résultat pro-
noncé, ch. LXI. Défection d'Abydos et de Lampsaque ; les Athé-
niens reprennent cette dernière , ch . LXII . - Pisandros et les con-
jurés établissent l'oligarchie d'abord à Samos , puis à Athènes.
Gouvernement des Quatre - Cents , ch . LXIII-LXXI. L'armée athé-
nienne à Samos se déclare pour le maintien de la démocratie ,
ch. LXXII-LXXVII. - Mécontentement des Péloponésiens contre As-
tyochos , ch . LXXVIII-LXXIX. Les Péloponésiens envoient qua-
rante vaisseaux à Pharnabaze ; défection de Byzance , ch. LXXX. —
Alcibiade rappelé par l'armée athénienne revient à Samos , où il est
élu général , ch . LXXXI-LXXXII . - Emeute de l'armée péloponésienne
à Milet contre Astyochos ; celui-ci est remplacé par Mindaros ,
ch . LXXXIII -LXXXV. Des députés des Quatre-Cents arrivent
Samos et essayent en vain de faire accepter ce gouvernement par
l'armée , ch. LXXXVI. - Tissapherne et Alcibiade se rendent à As-
pendos au- devant de la flotte phénicienne , ch. LXXXVII-LXXXVIII. —
Opposition que rencontre à Athènes l'établissement de l'oligarchie ,
ch. 1.XXXIX-XCIII.·- Une flotte péloponésienne fait révolter l'Eubée ,
ch . XCIV-XCVI . - Les Athéniens déposent les Quatre-Cents et instituent
un gouvernement composé de cinq mille citoyens , ch . xcxvII-XCXVIII .
A l'invitation de Pharnabaze , les Péloponésiens passent dans
l'Hellespont; la flotte athénienne les suit , ch. XCIX-CHI . -- Bataille
navale de Cynosséma ; les Athéniens sont vainqueurs , ch. civ-CVI .
- Les Athéniens reprennent Cyzique , ch. cvII . Retour d'Alci-
biade et de Tissapherne ; ce dernier se rend dans l'Hellespont ,
ch. CVIII-CIX.

I. Quand ces nouvelles furent arrivées à Athènes , on refusa


longtemps de croire à un désastre si complet , malgré les as-
sertions formelles des témoins les plus dignes de foi, échappés
du milieu même de la déroute. Il fallut bien cependant se
rendre à l'évidence . Alors le peuple se déchaîna , d'une part
C contre les orateurs qui avaient poussé à l'expédition , comme
si lui-même ne l'eût pas votée ; de l'autre contre les colporteurs
d'oracles, les devins et tous ceux qui, dans le temps , avaient
par leurs prédictions éveillé l'espoir de conquérir la Sicile.
On n'avait sous les yeux que des sujets de tristesse , d'effroi ,
de consternation. Les citoyens , chacun en particulier , avaient
fait des pertes cruelles . La ville avait à regretter cette foule
426 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

d'hoplites, cette cavalerie , cette jeunesse , qu'il était devenu


impossible de remplacer. L'aspect des chantiers dégarnis , l'é-
puisement du trésor, le manque d'équipage pour la flotte, tout
se réunissait pour faire désespérer du salut. Au premier jour
on s'attendait à voir les ennemis de Sicile cingler contre le
Pirée après la victoire éclatante qu'ils venaient de remporter ;
ceux de Grèce, dont les forces étaient doublées, venir fondre
sur Athènes par terre et par mer ; enfin les alliés soulevés
leur donner la main. Néanmoins il fut décidé qu'on résisterait
avec les ressources disponibles ; qu'on équiperait tant bien
que mal une flotte , en rassemblant des bois et de l'argent ;
qu'on surveillerait les alliés et particulièrement l'Eubée ; qu'on
introduirait dans l'administration la plus sévère économie ;
enfin qu'on élirait un conseil de vieillards pour donner leur
avis préalable sur toutes les mesures à prendre . Dans ce pre-
mier moment de terreur le peuple , selon sa coutume , était
disposé à tout régulariser. Ces résolutions arrêtées furent
mises à exécution sur-le- champ. L'été finit.
II . L'hiver suivant, le désastre des Athéniens en Sicile ex-
cita parmi les Grecs une fermentation générale. Ceux qui jus-
qu'alors étaient demeurés neutres ne croyaient pas pouvoir
s'abstenir plus longtemps de se mêler à la guerre , même sans
y être invités. Ils se disaient que, si les Athéniens eussent
triomphé en Sicile, ils n'auraient pas manqué de les attaquer ;
d'ailleurs il leur semblait que cette guerre serait bientôt finie
et qu'il était honorable d'y prendre part. Les alliés de Lacédé-
mone redoublaient de zèle, dans l'espoir d'être bientôt délivrés
de leurs longues souffrances. Mais rien n'égalait l'empressement
des sujets d'Athènes à se révolter ; sans consulter leurs forces ,
sans écouter d'autres voix que celle de la passion , ils soute-
naient que les Athéniens seraient hors d'état de se maintenir
même l'été suivant . Chez les Lacédémoniens , la confiance était
surtout accrue par la certitude que les alliés de Sicile, ne pou-
vant plus leur refuser le concours de leur marine, arriveraient
en forces dès le printemps. Pour tous ces motifs , ils se prépa-
raient à pousser les hostilités à outrance , convaincus que la
guerre une fois terminée à leur avantage , ils n'auraient plus
à redouter les dangers dont les eussent menacés les Athéniens
et les Siciliens réunis ; et que, Athènes abattue , leur propre
domination sur toute la Grèce serait irrévocablement assurée .
III. En conséquence et sans attendre la fin de l'hiver, leur
roi Agis partit de Décélie avec des troupes, afin d'aller chez les
LIVRE VIII . 427

alliés lever des subsides pour l'entretien de la flotte. Il se porta


d'abord vers le golfe Maliaque , reprit aux OEtéens, anciens
ennemis de Lacédémone , une grande partie de leur butin 1 et
les frappa d'une contribution . Il contraignit ensuite les Achéens
Phthiotes et les autres sujets des Thessaliens dans ces con-
trées , malgré l'opposition et les plaintes de ces derniers, à four-
nir des otages et de l'argent. Il déposa ces otages à Corinthe,
et ne négligea rien pour attirer ces peuples dans l'alliance .
Les Lacédémoniens ordonnèrent aux villes de leur ressort
de construire cent vaisseaux ; eux-mêmes durent en fournir
vingt-cinq ; les Béotiens un pareil nombre ; les Phocéens et les
Locriens quinze ; les Corinthiens quinze ; les Arcadiens , les
Pelléniens et les Sicyoniens dix ; les Mégariens , les Trézé-
niens , les Epidauriens et les Hermionéens dix . Enfin ils firent
toutes leurs dispositions pour entrer en campagne dès le re-
tour du printemps .
IV. Les Athéniens , comme ils l'avaient résolu , employèrent
l'hiver à construire une flotte ; à cet effet ils se procurèrent
des matériaux. Ils fortifièrent aussi le cap Sunion , pour assu-
rer l'arrivage des subsistances. Ils abandonnèrent le fort qu'ils
avaient élevé en Laconie lors de l'expédition de Sicile, et sup-
primèrent , dans des vues d'économie , toutes les dépenses su-
perflues ; enfin ils redoublèrent de vigilance pour prévenir les
défections des alliés.
V. Pendant qu'on se préparait ainsi de part et d'autre à la
guerre comme si elle n'eût fait que de commencer , les Eu-
béens les premiers députèrent, cet hiver même, auprès d'Agis,
dans l'intention de se détacher d'Athènes . Ce roi accueillit leur
proposition, et fit venir de Lacédémone Alcaménès fils de Sthé-
nélaïdas avec Mélanthos , pour leur confier le commandement
de l'Eubée. Ceux-ci arrivèrent, amenant avec eux environ trois
cents Néodamodes ; mais pendant qu'Agis disposait tout pour
leur trajet, survinrent des Lesbiens qui offraient aussi de faire
défection. Secondés par les Béotiens , ils décidèrent Agis à
ajourner ses projets sur l'Eubée pour appuyer la révolte de
1
Lesbos. Agis leur donna pour harmoste Alcaménès, qui était
à la veille de s'embarquer pour l'Eubée ; les Béotiens leur pro-
mirent dix vaisseaux et Agis le même nombre . Tous ces arran-
gements se prenaient sans la participation de l'Etat de Lacé-
démone. Pendant tout le temps qu'Agis était à Décélie avec
son armée, il était maître d'envoyer des troupes où bon lui
semblait, comme aussi de faire des levées d'hommes et d'ar-
428 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
gent. On peut dire qu'à cette époque les alliés lui obéissaient
mieux qu'aux Lacédémoniens de la ville ; car les forces dont il
disposait le rendaient partout redoutable.
Au moment où il se préparait à secourir les Lesbiens , les
habitants de Chios et d'Erythres , également portés à la défec-
tion , s'adressèrent , non point à Agis, mais à Lacédémone. En
même temps arriva un ambassadeur de la part de Tissapherne,
qui gouvernait au nom du roi Darius fils d'Artaxerxès les pro-
vinces inférieures . Tissapherne appelait les Péloponésiens , en
s'engageant à leur fournir des vivres. Le roi venait de lui ré-
clamer les tributs de son gouvernement , que les Athéniens ne
lui avaient pas permis de faire payer aux villes grecques. Il
espérait donc , en affaiblissant la puissance d'Athènes , faciliter
la rentrée des tributs . D'ailleurs il désirait attirer les Lacédé-
moniens dans l'alliance du roi , afin qu'ils l'aidassent à exécuter
l'ordre qu'il en avait reçu de prendre mort ou vif Amorgès,
bâtard de Pissouthnès, révolté en Carie . C'est ainsi que les
Chiotes et Tissapherne se trouvèrent agir de concert.
VI. Sur ces entrefaites , Calligitos fils de Laophon de Mé-
gare , et Timagoras fils d'Athénagoras de Cyzique , tous deux
exilés de leur patrie et réfugiés auprès de Pharnabaze fils de
Pharnacès , arrivèrent à Lacédémone avec mission d'obtenir
pour ce satrape l'envoi d'une flotte dans l'Hellespont. Il aspi-
rait, ainsi que Tissapherne , à détacher des Athéniens les villes
de son gouvernement , pour faciliter la perception des tributs ,
et à négocier une alliance entre le roi et les Lacédémoniens.
Tandis que les députés de Pharnabaze et ceux de Tissapherne
agissaient ainsi chacun de leur côté, il y eut une grande lutte
à Lacédémone, les uns voulant qu'on envoyât d'abord une flotte
et une armée en Ionie et à Chios , les autres dans l'Hellespont.
Cependant les Lacédémoniens , à une grande majorité , accueil-
lirent de préférence les propositions de Chios et de Tissa-
pherne ; et cela devait être, car elles étaient appuyées par
Alcibiade que d'anciennes relations d'hospitalité unissaient à
l'éphore Endios c'est même à cause de ces relations que sa
famille avait adopté le nom lacédémonien d'Alcibiade , déjà
porté par le père d'Endios ' . Les Lacédémoniens envoyèrent
préalablement à Chios un périèque nommé Phrynis, pour s'as-
surer s'il y avait effectivement dans cette ville autant de vais-
seaux qu'on prétendait , et si le reste de ses ressources était
d'accord avec la renommée. Sur le rapport favorable de cet
envoyé, les Lacédémoniens reçurent aussitôt dans leur alliance
LIVRE VIII. 429

les villes de Chios et d'Erythres , et décrétèrent l'expédition de


quarante vaisseaux , nombre suffisant , puisque les Chiotes af-
firmaient n'en avoir pas moins de soixante. On devait d'abord
en faire partir dix avec le navarque Mélancridas ; mais un
tremblement de terre étant survenu , Mélancridas fut remplacé
par Chalcidéus , et le nombre des vaisseaux équipés en Laconie
réduit à cinq. Là-dessus l'hiver finit , ainsi que la dix-neu-
vième année de la guerre que Thucydide a racontée.
VII. Dès le commencement de l'été suivant (a), les habitants
de Chios pressèrent l'envoi de la flotte ; ils craignaient que
leurs démarches ne parvinssent à la connaissance des Athéniens,
à l'insu desquels toutes ces députations avaient lieu. Les Lace-
démoniens envoyèrent en conséquence à Corinthe trois Spar-
tiates , avec ordre de faire transporter au plus tôt par-dessus
l'Isthme les bâtiments , de la mer où ils se trouvaient dans celle
1
qui est du côté d'Athènes et de les diriger tous sur Chios ,
ceux qu'Agis avaient destinés pour Lesbos aussi bien que les
autres . Ces navires, appartenant aux alliés , étaient au nombre
de trente-neuf.
VIII. Calligitos et Timagoras , agents de Pharnabaze , ne
prirent aucune part à l'expédition de Chios. Ils ne donnèrent.
point l'argent qu'ils avaient apporté pour l'équipement d'une
flotte, et qui montait à vingt-cinq talents ; mais ils songeaient
à faire plus tard une expédition pour leur propre compte .
Agis, voyant les Lacédémoniens décidés à se rendre d'abord à
Chios, se rangea lui-même à cet avis . Les alliés réunis à Co-
rinthe tinrent conseil et résolurent qu'on irait premièrement à
Chios , sous les ordres de Chalcidéus qui équipait les cinq
vaisseaux en Laconie , que de là on passerait à Lesbos sous la
conduite d'Alcaménès , déjà désigné par Agis , et finalement
dans l'Hellespont , où Cléarque fils de Ramphias ' aurait le
commandement. Il fut convenu qu'on transporterait d'abord
par-dessus l'Isthme la moitié de la flotte et qu'on l'expédierait
sans délai , afin que l'attention des Athéniens fût partagée entre
ce premier convoi et celui qui devait suivre. Au surplus , si
l'on prenait cette voie sans mystère , c'est qu'on méprisait la
faiblesse des Athéniens , dont la marine ne se montrait nulle
part en force. Cette résolution arrêtée , on fit traversér immé-
diatement vingt-un vaisseaux.
IX. Les Corinthiens , malgré les instances de leurs alliés , ne

(a) Vingtième année de la guerre , ou 412 avant J. C.


430 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

se pressèrent pas de partir avant d'avoir célébré les jeux Isth-


miques, dont le temps était arrivé . Agis consentait volontiers
à ce qu'ils ne rompissent pas la trêve sacrée , et offrait de
prendre l'expédition sous son nom ; mais les Corinthiens refu-
sèrent. Il en résulta des longueurs , qui permirent aux Athé-
niens d'ouvrir les yeux sur ce qui se tramait à Chios . Ils y
déléguèrent Aristocratès , l'un de leurs généraux , pour faire
entendre leurs plaintes ; et, comme les Chiotes opposaient des
dénégations , ils les requirent , en vertu de l'alliance , de leur
envoyer des vaisseaux pour gage de fidélité. Les Chiotes leur
en donnèrent sept. Ce qui les y détermina, ce fut que le peuple
de Chios ignorait ces menées et que les oligarques , mieux
instruits , ne voulaient pas s'aliéner la multitude, avant d'avoir
pris leurs sûretés . D'ailleurs ils n'attendaient plus l'arrivée
des Péloponésiens , qui tardaient à se montrer.
&
X. Sur ces entrefaites , eurent lieu les jeux Isthmiques. Les
Athéniens y assistèrent, car ils y avaient été invités. Ils eu-
rent donc toute facilité pour éclaircir leurs doutes relative-
ment à Chios ; aussi , dès leur retour, s'empressèrent-ils de
prendre leurs mesures pour que la flotte ne pût leur cacher
son départ de Cenchrées .
Les Péloponésiens , après la fête , mirent en mer pour Chios
avec vingt-un vaisseaux commandés par Alcaménès. Les Athé-
niens marchèrent à eux avec un pareil nombre de bâtiments
et cherchèrent d'abord à les attirer en pleine mer ; mais,
comme les Péloponésiens , loin de les suivre , rebroussèrent
chemin, les Athéniens se retirèrent également. Ils n'étaient pas
sans défiance à l'égard des sept vaisseaux de Chios qu'ils
avaient avec eux. Plus tard , ils équipèrent une nouvelle es-
cadre de trente-sept voiles , atteignirent la flotte ennemie qui
longeait la côte et lui donnèrent la chasse jusqu'à Piréos , port
désert, appartenant aux Corinthiens et situé sur la lisière de
PEpidaurie . Les Péloponésiens perdirent un vaisseau surpris
au large ; mais ils rallièrent les autres et jetèrent l'ancre. Les
Athéniens les attaquèrent par mer avec leurs vaisseaux et par
terre avec des troupes de débarquement, les mirent dans le
plus grand désordre , endommagèrent la plupart des bâtiments
sur le rivage et tuèrent le commandant Alcaménès ; eux-mêmes
perdirent quelques hommes.
XI. Lorsqu'on se fut séparé , les Athéniens laissèrent un
nombre suffisant de vaisseaux pour tenir les ennemis bloqués;
avec le reste, ils allèrent mouiller à la petite île qui est située
LIVRE VIII. 431

à peu de distance et où ils campèrent. De là ils envoyèrent à


Athènes demander du renfort ; en effet , dès le lendemain , les
Corinthiens, et bientôt après les autres peuples du voisinage ,
accoururent au secours de la flotte ; mais , voyant la difficulté
de la défendre sur une plage déserte , ils ne savaient à quoi
s'arrêter. Leur première idée fut de brûler leurs vaisseaux ;
ensuite ils résolurent de les tirer à sec et de les garder avec
leur infanterie , jusqu'à ce qu'il s'offrit une occasion de s'é-
chapper. Informé de leur situation , Agis leur envoya le Spar-
tiate Thermon.
A Lacédémone on apprit d'abord que les vaisseaux avaient
quitté l'Isthme ; en effet les éphores avaient enjoint à Alcaménès
de leur expédier un cavalier à l'instant du départ. Aussitôt on
décida d'envoyer, sous la conduite de Chalcidéus accompagné
d'Alcibiade , les cinq vaisseaux armés en Laconie ; mais , au
moment où ils appareillaient , on apprit la retraite de la flotte
à Piréos. Découragés par ce fâcheux début de la guerre d'Io-
nie, les Lacédémoniens renoncèrent à faire partir leurs vais-
seaux, et songèrent même à rappeler les quelques bâtiments
qui étaient déjà en mer.
XII . Témoin de ces fluctuations, Alcibiade persuada de nou-
veau à Endios et aux autres éphores de ne pas renoncer à
l'expédition. Il leur dit qu'on avait le temps d'arriver avant
que la mésaventure de la flotte fût connue à Chios ; qu'une fois
en Ionie, il n'aurait pas de peine à déterminer les villes à la
révolte par le tableau qu'il leur ferait de la faiblesse d'Athènes
et de l'ardeur des Lacédémoniens ; que sur ce point on le croi-
rait mieux que personne. A Endios en particulier il représen-
tait qu'il serait glorieux pour lui d'attacher son nom au soulè-
vement de l'Ionie et à l'alliance du roi avec les Lacédémo-
niens ; qu'il ne devait pas laisser cueillir cette palme à Agis,
avec lequel il était brouillé . Alcibiade , ayant réussi à le con-
vaincre lui et les autres éphores , partit avec les cinq vaisseaux
et le Lacédémonien Chalcidéus. Ils firent promptement la tra-
versée.
XIII . Vers la même époque , revinrent de Sicile les seize
vaisseaux péloponésiens qui avaient fait la campagne avec
Gylippe. Arrivés dans les eaux de Leucade , ils furent joints et
maltraités par les vingt-sept vaisseaux athéniens qui , sous les
ordres d'Hippoclès fils de Ménippos , épiaient leur retour. Ce-
pendant tous , à l'exception d'un seul, échappèrent aux Athé-
niens et abordèrent à Corinthe.
432 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

XIV. Chalcidéus et Alcibiade, après avoir intercepté sur leur


route, de peur d'être signalés , tous les bâtiments qu'ils rencon-
traient , touchèrent d'abord à Corycos sur le continent. Ils y
relâchèrent les bâtiments arrêtés et se mirent en rapport avec
quelques Chiotes qui trempaient dans le complot. Ceux-ci leur
ayant conseillé d'aborder dans leur ville sans avis préalable,
ils se présentèrent inopinément devant Chios , et remplirent le
peuple de surprise et d'effroi ; mais les oligarques avaient pris
leurs mesures pour que le conseil se trouvât rassemblé . Chal-
cidéus et Alcibiade annoncèrent l'arrivée d'une flotte nombreuse
et se gardèrent bien de parler des vaisseaux bloqués à Piréos .
En conséquence, les Chiotes d'abord et les Érythréens ensuite
s'insurgèrent contre les Athéniens ; après quoi ils allèrent avec
trois vaisseaux à Clazomènes , qu'ils entraînèrent dans leur dé-
fection. Les Clazoméniens passèrent aussitôt sur le continent
et se mirent à fortifier Polichna ' , afin de pouvoir s'y retirer
au besoin , en abandonnant l'îlot qu'ils habitent . Tous les in-
surgés travaillaient à se fortifier et se préparaient à la guerre .
XV. A Athènes on eut bientôt la nouvelle de la défection de
Chios. Dès lors les Athéniens jugèrent le péril aussi grave que
manifeste , et ne doutèrent pas que les autres alliés ne fussent
disposés aussi à se soulever après la révolte d'une ville si consi-
dérable. Dans le premier moment d'effroi , ils levèrent les
peines portées contre quiconque ferait ou mettrait aux voix la
proposition de toucher aux mille talents qu'ils tenaient à gar-
der en réserve durant toute la guerre¹ . Ils décidèrent d'en dis-
poser pour l'armement d'une flotte nombreuse. Huit vaisseaux
qui, sous le commandement de Strombichidès fils de Diotimos ,
avaient été détachés de l'escadre de Piréos à la poursuite de la
flotte de Chalcidéus et qui étaient revenus sans l'avoir atteinte,
eurent ordre de se rendre immédiatement à Chios . Ils furent
bientôt suivis par douze autres , commandés par Thrasyclès et
pareillement détachés de la croisière. On rappela les sept vais-
seaux chiotes qui participaient au blocus de Piréos ; les es-
claves qui les montaient furent affranchis , et les hommes libres
mis aux fers. En remplacement de tous les vaisseaux distraits
du blocus, on se hâta d'en équiper d'autres et de les faire
partir . On songeait même à en armer trente nouveaux. L'ar-
deur était extrême , et l'on ne prenait contre Chios que des
mesures énergiques.
XVI. Sur ces entrefaites , Strombichidès arriva à Samos avec
ses huit vaisseaux. Il s'adjoignit un bâtiment samien et se
LIVRE VIII . 433

rendit à Téos , dont il engagea les habitants à demeurer tran-


quilles . Chalcidéus de son côté avait fait voile de Chios pour
Téos avec vingt-trois vaisseaux, soutenus par l'armée de terre
des Clazoméniens et des Érythréens , qui suivait le rivage.
Strombichidès , averti à temps , leva l'ancre et gagna le large ;
mais , à la vue de la flotte nombreuse qui venait de Chios , il
s'enfuit vers Samos. Les ennemis le poursuivirent. Les Téiens
avaient d'abord refusé de recevoir l'armée de terre ; mais .
lorsqu'ils virent les Athéniens en fuite , ils lui ouvrirent
leurs portes. L'armée de terre attendit d'abord sans faire au-
cun mouvement que Chalcidéus fût revenu de sa poursuite ;
comme il tardait, les Téiens renversèrent le mur que les Athé-
niens avaient élevé du côté qui regarde le continent. Ils
furent aidés dans cette opération par un certain nombre de Bar-
bares qu'avait amenés Stagès , lieutenant de Tissapherne.
XVII . Chalcidéus et Alcibiade , après avoir poursuivi Strom-
bichidès jusqu'à Samos , armèrent les équipages de la flotte
péloponésienne et les laissèrent à Chios. Ils les remplacèrent
par des matelots de cette île , équipèrent vingt autres vaisseaux ,
et cinglèrent vers Milet pour l'insurger. Aloibiade voulait pro-
fiter de ses liaisons avec les principaux habitants de cette ville
pour la gagner avant l'arrivée de la flotte péloponésienne . Il
ambitionnait cet honneur pour Chios , pour lui -même , pour
Chalcidéus, enfin pour Endios qui l'avait envoyé et auquel il
avait promis de soulever le plus de villes possible avec les
seules forces de Chios et de Chalcidéus . Ils firent secrètement
la plus grande partie de leur traversée , devancèrent de peu
la poursuite de Strombichidès et de Thrasyclès , qui arrivait
d'Athènes avec un renfort de douze vaisseaux, et firent révol-
ter Milet. Les Athéniens les suivaient de près avec dix-neuf
voiles ; mais n'ayant pas été reçus par les Milésiens , ils allèrent
stationner dans une île adjacente nommée Ladé.
XVIII. Aussitôt après le soulèvement de Milet , la première
alliance des Lacédémoniens avec le roi fut conclue, par l'entre-
mise de Tissapherne et de Chalcidéus , dans les termes sui-
vants :
« Les Lacédémoniens et leurs alliés font alliance avec le roi
et Tissapherne aux conditions indiquées ci-après :
« Tout le pays et toutes les villes que possède le roi ou que
possédaient ses ancêtres appartiendront au roi .
<< En ce qui concerne les revenus , soit en argent , soit de
toute autre nature , que les Athéniens retiraient de ces villes ,
THUCYDIDE . 25
434 GUERRE DU PELOPONÈSE .

le roi , les Lacédémoniens et leurs alliés empêcheront les Athé-


niens de les percevoir .
Le roi , les Lacédémoniens et leurs alliés uniront leurs
forces pour soutenir la guerre contre les Athéniens , et ne fe-
ront la paix avec eux que d'un commun accord.
« Quiconque se révoltera contre le roi sera tenu pour en-
nemi des Lacédémoniens et de leurs alliés. Pareillement, qui-
conque se révoltera contre les Lacédémoniens et leurs alliés
sera tenu pour ennemi du roi . >>
XIX. Telles furent les bases de cette alliance . Aussitôt après
sa conclusion , les Chiotes armèrent dix nouveaux bâtiments et
firent voile pour Anéa ' , dans le double but de s'informer de ce
qui se passait à Milet et d'exciter les villes à la révolte . Mais
Chalcidéus les ayant rappelés sous prétexte qu'Amorgès ap-
prochait par terre avec une armée , ils cinglèrent vers Dios-
Hiéron³ . Là ils aperçurent seize vaisseaux que Diomédon ame-
nait d'Athènes , d'où il était parti après Thrasyclès ; à leur
aspect, ils prirent la fuite , l'un des bâtiments vers Ephèse , les
autres vers Téos. Les Athéniens se saisirent de quatre vais-
seaux abandonnés de leurs équipages ; le reste gagna Téos.
Après cette rencontre , les Athéniens se retirèrent à Samos ; les
Chiotes , avec le surplus de leur flotte et leur armée de terre,
allèrent insurger Lébédos et ensuite Eræ ; après quoi , les trou-
pes et la flotte rentrèrent dans leurs foyers.
XX . Vers la même époque, les vingt vaisseaux péloponé-
siens qui, après avoir été poursuivis, comme on l'a vu¹ , étaient
bloqués à Piréos par un nombre égal de vaisseaux athéniens,
sortirent du port à l'improviste ; et, après un engagement dans
lequel ils eurent l'avantage , s'emparèrent de quatre bâtiments
athéniens. Ensuite ils firent voile pour Cenchrées, d'où ils se
disposèrent de nouveau à gagner Chios et l'Ionie . On leur en-
de Lacédémone, en qualité de navarque, Astyochos , dès
Jors
investi du commandement général de la flotte².
Lorsque l'armée de terre fut revenue de Téos , Tissapherne
s'y rendit avec des troupes ; il acheva de démolir ce qui restait
du mur d'enceinte et s'en retourna 3. Peu après son départ,
Diomédon survint à son tour avec dix vaisseaux athéniens ,
et conclut avec les Téiens un accord en vertu duquel ceux-ci
devaient le recevoir . De là il rangea la côte jusqu'à Éræ qu'il
attaqua , mais sans succès ; après quoi il se retira.
XXI. Ce fut aussi vers le même temps qu'eut lieu à Samos
l'insurrection du peuple contre l'aristocratie. Ce mouvement fut
LIVRE VIII . 435
appuyé par les Athéniens , qui se trouvaient là avec trois vais-
seaux. Le peuple samien fit périr deux cents de ses adversaires,
en bannit quatre cents , et se partagea leurs terres et leurs
maisons . Les Athéniens, regardant désormais les Samiens
comme dignes de confiance, leur octroyèrent le droit de légis-
lation . Depuis ce moment, les Samiens furent maîtres chez
eux; ils ne laissèrent aucun droit aux propriétaires fonciers , et
allèrent même jusqu'à interdire au peuple la faculté de s'unir à
eux par des mariages .
XXII. Le même été , à la suite de ces événements , les
Chiotes, toujours pleins du même zèle , continuèrent à se pré-
senter en force , sans le concours des Lacédémoniens , devant
les villes et à les insurger, afin d'en associer le plus grand
nombre possible à leurs propres périls . C'est ainsi que seuls ,
avec treize vaisseaux , ils se rendirent à Lesbos , qui avait été
désignée par les Lacédémoniens comme le second but à at-
teindre , avant de passer dans l'Hellespont. En même temps , les
troupes de terre des Péloponésiens présents et les alliés de
la contrée se dirigèrent parallèlement sur Clazomènes et sur
Cymé. Leur chef était le Spartiate Evalas ; celui de la flotte, le
périèque Diniadas. La flotte aborda premièrement à Méthymne ,
qu'elle fit révolter et où elle laissa quatre vaisseaux ; les autres
allèrent insurger Mytilène.
XXIII . Astyochos , navarque lacédémonien , partit de Cen-
chrées avec quatre vaisseaux et se rendit à Chios , selon sa des-
tination . Le surlendemain de son arrivée, les vingt-cinq vais-
seaux athéniens commandés par Léon et par Diomédon cinglèrent
vers Lesbos. Léon , parti d'Athènes après son collègue , lui avait
amené un renfort de dix vaisseaux. Astyochos se mit en mer le
même jour, sur le soir ; et, après s'être adjoint un vaisseau
chiote , il fit voile pour Lesbos, afin d'y porter secours , s'il était
encore temps. Il atteignit Pyrrha et le lendemain Érésos . Là, il
fut informé que Mytilène avait été prise d'emblée par les Athé-
niens . Leur flotte s'y était présentée à l'improviste , avait pé-
nétré dans le port et s'était emparée des vaisseaux chiotes ' ; ils
avaient ensuite débarqué, défait les opposants , et occupé la
ville. Astyochos apprit ces nouvelles des Erésiens et des vais-
seaux chiotes venus avec Euboulos de Méthymne , où ils avaient
été laissés comme on l'a vu , et qui , aussitôt après la prise de
Mytilène , avaient gagné le large . Ils n'étaient plus que trois, le
quatrième ayant été capturé par les Athéniens . Astyochos re-
nonça dès lors à reprendre Mytilène ; mais il insurgea Erésos ,
436 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

arma les habitants et envoya par terre les hoplites de ses vais-
seaux à Antissa et à Méthymne sous la conduite d'Étéonicos .
Lui-même s'y rendit par mer avec ses vaisseaux et les trois de
Chios , dans l'espérance que les Méthymniens, en le voyant,
reprendraient courage et persisteraient dans leur défection ;
mais , ne rencontrant à Lesbos que des obstacles , il rembarqua
son monde et reprit la route de Chios . L'armée de terre, qui
avait dû se rendre dans l'Hellespont, se sépara de la flotte et
regagna ses foyers .
Après cela, six des vaisseaux fournis par les alliés du Pélo-
ponèse arrivèrent de Cenchrées à Chios . Les Athéniens , après
avoir rétabli à Lesbos l'ancien ordre de choses, reprirent la
mer, s'emparèrent de Polichna que les Clazoméniens fortifiaient
sur le continent, et ramenèrent ces derniers à la ville située
dans l'île, excepté toutefois les auteurs de la défection . Ceux-ci
se réfugièrent à Daphnonte , et Clazomènes rentra sous la domi-
nation des Athéniens .
XXIV. Le même été, les Athéniens qui bloquaient Milet avec
vingt vaisseaux stationnant à Ladé, firent une descente à Pa-
normos dans les campagnes de Milet, et tuèrent le général
lacédémonien Chalcidéus, venu à leur rencontre avec une poi-
gnée de monde. Le surlendemain , ils revinrent élever un tro-
phée ; mais les Milésiens le renversèrent, sous prétexte que les
ennemis n'étaient pas restés maîtres du champ de bataille.
Léon et Diomédon, avec la flotte athénienne de Lesbos , com-
mencèrent alors des courses contre les Chiotes, en prenant
pour point de départ les îles OEnusses vis-à-vis de Chios , Si-
dussa et Ptéléos , châteaux forts qu'ils occupaient sur le terri-
toire d'Erythres, et finalement Lesbos . Ils avaient comme sol-
dats de marine des hoplites mis en réquisition d'après le rôle ' .
Ils allèrent descendre à Cardamyla , battirent à Bolissos les
Chiotes qui essayèrent de leur résister, en tuèrent un grand
nombre et dévastèrent la campagne. Ils remportèrent une se.
conde victoire à Phanae et une troisième à Leuconion. Depuis
ce moment, les Chiotes ne firent plus de sortie, tandis que les
Athéniens pillèrent cette contrée abondamment pourvue , et qui
n'avait aucunement souffert depuis les guerres médiques . A part
les Lacédémoniens, les habitants de Chios sont, à ma connais-
sance, le seul peuple qui ait su allier la sagesse avec la prospé-
rité. Plus leur ville prenait d'accroissement, plus ils cherchaient
à y faire régner le bon ordre. S'ils paraissent avoir compromis
leur sûreté par leur défection, il est juste de dire qu'ils ne s'y
LIVRE VIII . 437

portèrent qu'après s'être ménagé l'appui d'auxiliaires puissants


et nombreux , et lorsque les Athéniens eux-mêmes , sous le coup
de leur désastre de Sicile , ne firent plus mystère de leur situation
désespérée . Ils tombèrent , il est vrai, dans un de ces mécomptes
si fréquents dans la vie ; mais la même erreur fut partagée par
bien d'autres, qui crurent également à la prochaine destruction
de la puissance athénienne .
Lorsqu'ils se virent bloqués par mer et pillés par terre ,
quelques-uns d'entre eux entreprirent de soumettre leur ville
aux Athéniens. Les magistrats , informés de ce projet, ue firent
eux-mêmes aucun mouvement ; mais ils mandèrent d'Erythres
le navarque Astyochos , qui s'y trouvait avec quatre vaisseaux ,
et tâchèrent de calmer l'agitation , soit en prenant des otages ,
soit de quelque autre façon . Telle était la position de Chios.
XXV. Sur la fin du même été , mille hoplites d'Athènes ,
quinze cents d'Argos , sur lesquels cinq cents hommes de trou
pes légères avaient été armés par les Athéniens, et mille hoplites
fournis par les alliés, partirent d'Athènes sur quarante- huit
vaisseaux, y compris les transports. Les chefs étaient Phrynichos ,
Onomaclès et Scironidès. Ils touchèrent à Samos et passèrent
ensuite à Milet, où ils campèrent. Les Milésiens firent une sortie
au nombre de huit cents hoplites , soutenus par les Péloponé-
siens de Chalcidéus , par les auxiliaires étrangers de Tissapherne,
et par Tissapherne lui-même à la tête de sa cavalerie . Ils livrè-
rent bataille aux Athéniens et à leurs alliés . Les Argiens , à l'aile
où ils étaient , se portèrent en avant et marchèrent en désordre ,
méprisant les Ioniens et persuadés qu'ils ne les attendraient
pas ; mais ils furent vaincus par les Milésiens et perdirent près
de trois cents hommes . Les Athéniens au contraire défirent d'a-
bord les Péloponésiens , puis les Barbares , et finalement le reste
de la troupe. Cependant ils ne joignirent pas les Milésiens ,
parce que ceux -ci , lorsqu'ils eurent mis les Argiens en fuite et
qu'ils virent la déroute du gros de leur armée , se retirèrent
dans la ville. Les Athéniens allèrent, comme vainqueurs , cam-
per sous les murs de Milet. Dans cette journée , le hasard vou-
lut que, de part et d'autre, les Ioniens remportassent l'avantage
sur les Doriens ; en effet les Athéniens vainquirent les Pélopo-
nésiens qu'ils avaient en tête , tandis que les Milésiens vainqui
rent les Argiens . Après avoir dressé un trophée , les Athéniens
se mirent en devoir d'investir la place , qui est située dans une
presqu'île . Ils pensaient que , s'ils pouvaient réduire Milet, le
reste se soumettrait sans difficulté ..
438 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

XXVI. Mais, sur le soir , ils reçurent la nouvelle que les vais-
seaux du Péloponèse et de la Sicile, au nombre de cinquante-
cinq, allaient paraître. Les Siciliens, pressés par le Syracusain
Hermocratès de porter le dernier coup à la puissance d'Athènes ,
avaient envoyé vingt vaisseaux de Syracuse et deux de Séli-
nonte. Ceux qu'on armait dans le Péloponèse se trouvant prêts,
les deux escadres réunies avaient été confiées au Lacédémonien
Théraménès , pour être conduites au navarque Astyochos. Ces
vaisseaux touchèrent premièrement à Léros ' , île située en
avant de Milet ; ensuite, ayant appris que les Athéniens étaient
sous les murs de cette place, ils entrèrent dans le golfe d'Iasos ,
afin de se procurer de plus amples renseignements. Parvenus
à Tichiussa sur le territoire de Milet, ils y passèrent la nuit et
apprirent les détails du combat par Alcibiade, qui vint les y
joindre à cheval . Alcibiade avait assisté à cette rencontre, où il
avait combattu pour les Milésiens , à côté de Tissapherne. Il
exhorta les Péloponésiens, s'ils ne voulaient pas ruiner les af-
faires en Ionie et ailleurs , à secourir promptement Milet pour
l'empêcher d'être bloquée.
XXVII . Il fut donc résolu qu'on s'y porterait sitôt qu'il ferait
jour. Cependant les Athéniens avaient reçu de Léros des nou-
velles précises de la flotte ennemie. Phrynichos, un de leurs
généraux, voyant ses collègues disposés à l'attendre et à livrer
une bataille navale , déclara que, pour lui, il n'en ferait rien, et
qu'il s'opposerait de tout son pouvoir à une pareille impru-
dence. « Puisqu'on peut, disait-il, connaître plus tard le nombre
exact des vaisseaux ennemis et préparer à loisir les moyens de
défense, ce serait folie que de se mettre en danger par fausse
honte ; il n'y a point de déshonneur pour la marine athénienne
à reculer à propos ; il y en aurait bien davantage à être vaincue ;
c'est alors que la république serait exposée , non pas seulement
à la honte , mais à un danger imminent ; après les revers anté-
rieurs, à peine était-il permis, avec des forces éprouvées, de
prendre l'offensive sans y être absolument contraint ; à plus
forte raison, comment serait-il pardonnable de se jeter de gaieté
de cœur dans des périls volontaires ? » Il conseillait d'embar-
quer au plus tôt les blessés, les troupes de terre et le matériel
de siége, d'abandonner , pour alléger les navires, tout le butin
fait sur le territoire ennemi, et de cingler vers Samos , d'où l'on
pourrait, une fois la flotte réunie, faire des courses à l'occasion.
Cet avis ayant prévalu , on l'exécuta sur-le-champ. Ce ne fut
pas seulement alors, mais dans la suite et dans tout le reste de
LIVRE VIII. 439

sa carrière, que Phrynichos fit preuve de sagacité . Les Athé-


niens s'éloignèrent donc de Milet dès le soir même, laissant
leur victoire incomplète. Les Argiens , furieux de leur échec ,
partirent immédiatement de Samos pour retourner chez eux .
XXVIII. Au lever de l'aurore , les Péloponésiens quittèrent
Tichiussa et abordèrent à Milet, où ils restèrent un jour. Le
lendemain, ils rallièrent les vaisseaux chiotes qui avaient ac-
compagné Chalcidéus et que l'ennemi avait poursuivis , et re-
tournèrent à Tichiussa pour prendre les gros bagages qu'ils
y avaient laissés ' . A peine y étaient-ils arrivés, que Tissa-
pherne survint avec son armée de terre , et leur persuada de
cingler contre lasos, résidence d'Amorgès son ennemi . Ils atta-
quèrent à l'improviste cette place, où l'on ne s'attendait pas à
voir paraître d'autres vaisseaux que ceux des Athéniens, et s'en
emparèrent. L'honneur de la journée revint aux Syracusains.
Amorgès, bâtard de Pissouthnès , révolté contre le roi , fut pris
vivant et livré à Tissapherne , avec pouvoir de le mener au roi,
selon l'ordre qu'il en avait reçu. Les Péloponésiens pillèrent
Iasos, où ils firent un immense butin , car c'était une ville
extrêmement opulente. Ils firent venir les mercenaires d'Amor-
gès, dont la plupart étaient Péloponésiens ; et loin de leur faire
aucun mal, ils les incorporèrent dans leur armée . La place fut
remise à Tissapherne, ainsi que les prisonniers, tant esclaves
qu'hommes libres , moyennant un statère darique par tête 2.
Les Péloponésiens revinrent ensuite à Milet. Ils envoyèrent à
Chios , par voie de terre jusqu'à Érythres et avec les merce-
naires d'Amorgès , Pédaritos , fils de Léon, venu de Lacédémone
pour prendre le commandement de Chios ; celui de Milet fut
donnéà Philippos. Là-dessus l'été finit.
XXIX . L'hiver suivant, Tissapherne , après avoir mis lasos
en état de defense, se rendit à Milet. Là , selon l'engagement
qu'il avait pris avec Lacédémone, il paya un mois de solde aux
équipages de tous les vaisseaux, à raison d'une drachme atti-
que par homme ; pour le reste du temps , il ne voulut donner
que trois oboles , jusqu'à ce qu'il en eût référé au roi ; promet-
tant, avec son autorisation , de donner la drachme entière. Le
général syracusain Hermocratès fut seul à réclamer ; car Thera-
ménès, n'étant pas navarque, mais seulement chargé de re-
mettre la flotte à Astyochos , prit médiocrement à cœur la ques-
tion de la solde . Toutefois, il fut convenu que, par groupe de
cinq vaisseaux, on donnerait aux équipages une légère somme
en sus des trois oboles par homme en effet, Tissapherne
440 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

payait trois talents par mois pour cinq vaisseaux, et pour le sur-
plus une somme proportionnelle ' .
XXX. Le même hiver , les Athéniens , qui étaient à Samos,
recurent d'Athènes un renfort de trente - cinq vaisseaux, com-
mandés par Charminos , Strombichidès et Euctémon. Ils y réu-
nirent ceux qu'ils avaient à Chios , et ailleurs , dans le double
dessein de bloquer Milet par mer et de diriger contre Chios
une attaque combinée . Le sort consulté désigna Strombichidės,
Onomaclès et Euctémon pour agir contre Chios . Ils partirent
avec trente vaisseaux et des transports chargés d'une portion
des mille hoplites qui avaient fait l'expédition de Milet. Les au-
tres généraux, avec soixante- quatorze vaisseaux, restèrent à
Samos, maîtres de la mer et faisant des courses contre Milet.
XXXI. Astyochos , qui, dans le temps , s'était rendu à Chios
pour choisir des otages par suite de la trahison ¹ , suspendit cette
mesure en apprenant l'arrivée de la flotte que Théraménès lui
amenait et la fortune meilleure des alliés. Il prit avec lui dix
vaisseaux du Péloponèse et dix de Chios , mit à la voile et alla
attaquer Ptéléos ; mais n'ayant pu s'en emparer, il poussa jus-
qu'à Clazomènes . Là , il ordonna aux partisans d'Athènes de se
retirer à Daphnonte et de faire leur soumission . Il était appuyé
par Tamos , sous- gouverneur de l'Ionie . Sur leur refus , il assail-
lit la ville, qui n'était pas fortifiée ; mais ayant été repoussé, il
repartit par un grand vent et aborda de sa personne à Phocée
et à Cymé, tandis que le reste de sa flotte allait jeter l'ancre à
Marathussa , Pélé et Drimussa, îles voisines de Clazomènes . Les
vents les y retinrent huit jours , pendant lesquels ils pillèrent
ou consommèrent sur place les provisions déposées dans ces
îles par les Clazoméniens ; puis ils se rembarquèrent en empor-
tant leur butin , et rejoignirent Astyochos à Phocée et à Cymé.
XXXII. Il était dans ces parages lorsqu'il reçut une députa-
tion des Lesbiens, qui offraient de nouveau de se révolter. Il
accueillit leurs ouvertures ; mais comme les Corinthiens et les
autres alliés montraient de la tiédeur pour une entreprise avor-
tée, il mit à la voile pour Chios , où ses vaisseaux , battus par
une tempête, arrivèrent tard et isolément.
Pédaritos, parti de Milet par voie de terre, avait traversé
d'Erythres à Chios avec ses troupes. Il avait près de cinq cents
hommes armés, provenant des cinq vaisseaux laissés par Chal-
cidéus . Quelques Lesbiens garantissaient la défection de leur
patrie. Astyochos proposa donc à Pédaritos et aux Chiotes d'al-
ler avec leurs vaisseaux à Lesbos pour l'insurger. Par là , disait-
LIVRE VIII. 441

il, on grossirait le nombre des alliés, et , dût- on échouer , on ne


manquerait pas de faire du mal aux Athéniens. Mais il ne fut
point écouté ; Pédaritos déclara même qu'il ne lui céderait point
la flotte de Chios.
XXXIII. Astyochos prit avec lui les cinq vaisseaux de Co-
rinthe, un de Mégare, un d'Hermione, indépendamment de
ceux qu'il avait amenés de Laconie , et cingla vers Milet, où il
devait se saisir du commandement de la flotte . En partant, il se
répandit en menaces contre les Chiotes , et protesta que, si ja-
mais ils avaient besoin de secours , ils ne devaient pas compter
sur lui pour leur en fournir. Il toucha à Corycos , sur le terri-
toire d'Erythres , et y passa la nuit. Les Athéniens , partis de
Samos pour aller attaquer Chios avec toutes leurs forces , vin-
rent jeter l'ancre au même lieu , mais derrière une éminence
qui leur masquait la vue de l'ennemi ; en sorte que ni les uns
ni les autres ne s'aperçurent. Pendant la nuit, il vint une lettre
de Pédaritos annonçant que des Érythréens , prisonniers à Sa-
mos et relâchés dans un but de trahison , venaient d'arriver à
Erythres . Sur cet avis, Astyochos reprit aussitôt la mer pour
retourner dans cette ville. A cela tint qu'il n'allât donner au
milieu 'des Athéniens . Pédaritos étant venu le rejoindre , l'en-
quête qu'ils firent ensemble prouva que cette prétendue conspi-
ration n'était qu'un prétexte inventé par ces gens pour s'é-
chapper de Samos ; aussi furent-ils libérés . Pédaritos repartit
pour Chios et Astyochos pour Milet, sa destination primitive.
XXXIV. Cependant la flotte athénienne avait quitté Corycos
et tournait le rivage . A la hauteur d'Arginon ' , elle fit la ren-
contre de trois vaisseaux longs de Chios , et à l'instant elle leur
donna la chasse ; mais un violent orage s'étant élevé , les vais-
seaux chiotes se réfugièrent à grand'peine dans leur port ;
quant à ceux d'Athènes , les trois qui s'étaient le plus avancés
firent côte et furent jetés près de la ville de Chios. Les équi-
pages furent pris ou massacrés ; le reste de la flotte chercha un
asile au pied du Mimas , dans le port appelé Phéniconte. De là,
les Athéniens allèrent mouiller à Lesbos et firent leurs prépara-
tifs de siége.
XXXV . Le même hiver, le Lacédémonien Hippocratès partit
du Péloponèse avec dix vaisseaux de Thurii ' commandés par
Doriéus , fils de Diagoras , lui troisième, un vaisseau de Laco-
nie et un de Syracuse. Il prit terre à Cnide , que Tissapherne
avait déjà fait révolter. Dès que son arrivée fut connue à Milet,
la moitié de la flotte eut ordre de couvrir Cnide , tandis que
442 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

l'autre moitié irait croiser à Triopion pour enlever les vaisseaux


marchands qui venaient d'Égypte. Triopion est un cap du ter-
ritoire de Cnide, consacré à Apollon . Les Athéniens, à cette nou-
velle, appareillèrent de Samos . Ils prirent les six vaisseaux qui
étaient de garde à Triopion et dont les équipages s'échapperent ;
ensuite ils descendirent à Cnide , attaquèrent la ville , qui n'é-
tait pas fortifiée , et faillirent s'en emparer. Le lendemain, nou-
velle attaque ; mais pendant la nuit les habitants s'étaient mieux
retranchés et avaient été renforcés par les équipages des vais-
seaux de Triopion ; aussi les Athéniens n'eurent- ils plus le
même avantage . Ils repartirent donc après avoir dévasté la
campagne , et regagnèrent Samos.
XXXVI. A l'époque où Astyochos vint à Milet prendre le
commandement de la flotte , l'abondance régnait encore dans
l'armée péloponésienne . La solde était servie avec régularité ;
le pillage d'Iasos avait enrichi les soldats ; enfin les Milésiens
supportaient courageusement les charges de la guerre. Néan-
moins les Péloponésiens trouvèrent que le premier traité conclu
entre Tissapherne et Chalcidéus laissait à désirer et n'était pas
assez à leur avantage . Ils en firent. donc un autre pendant
que Théraménès était encore à Milet . Il était conçu en ces
termes :
XXXVII. « Entre les Lacédémoniens et leurs alliés , d'une
part, le roi Darius , ses fils et Tissapherne d'autre part , est con-
clu un traité de paix et d'amitié aux conditions suivantes :
< Tout le pays et toutes les villes qui sont au roi Darius ou
qui étaient à son père ou à ses ancêtres , seront à l'abri de toute
hostilité et dommage quelconque de la part des Lacédémoniens
et de leurs alliés . Aucun tribut ne sera levé sur lesdites villes
ni par les Lacédémoniens ni par leurs alliés.
« Le roi Darius s'engage, ainsi que ses sujets , à ne com-
mettre aucune hostilité ni dommage quelconque envers les La-
cédémoviens et leurs alliés .
« Si les Lacédémoniens et leurs alliés ont besoin de l'assis-
tance du roi, si le roi a besoin de celle des Lacédémoniens ou
de leurs alliés, on s'entendra pour agir d'un commun accord.
Les parties contractantes s'engagent à continuer ensemble
la guerre avec les Athéniens et leurs alliés , et à ne la terminer
que de concert.
« Tout corps de troupes qui, à la demande du roi , se trou-
vera sur son territoire, sera défrayé par le roi.
« Si quelqu'une des villes comprises dans le traité attaque
LIVRE VIII . 443

le pays du roi , les autres s'y opposeront et prêteront main-


forte au roi de tout leur pouvoir.
« Si quelqu'un du pays du roi ou des États, soumis à son
empire attaque le pays des Lacédémoniens ou de leurs alliés ,
le roi s'y opposera et prêtera main-forte de tout son pou-
voir. »
XXXVIII . Après la conclusion de ce traité , Théraménès re-
mit la flotte à Astyochos, monta sur un brigantin et disparut .
Déjà les Athéniens étaient passés de Lesbos à Chios avec une
armée ; maîtres sur terre et sur mer , ils fortifiaient Delphi-
nion , place défendue du côté de terre , pourvue de ports et
située à proximité de la ville de Chios. Les Chiotes , battus
antérieurement dans plusieurs rencontres , étaient en mésin-
telligence entre eux . Pédaritos avait fait périr comme partisans
d'Athènes Tydéus fils d'Ion et ses adhérents ; le reste de la po-
pulation était soumis de force à un régime oligarchique ; aussi
les citoyens , livrés à des défiances réciproques , restaient- ils
dans l'inaction ; ils ne comptaient ni sur eux-mêmes ni sur les
auxiliaires du Péloponèse pour résister aux ennemis . Cepen-
dant ils avaient envoyé à Milet demander des secours à As-
tyochos , et, sur son refus , Pédaritos avait écrit à Lacédémone
pour se plaindre de lui . Telle était pour les Athéniens la situa-
tion des affaires à Chios . La division navale qu'ils avaient à
Samos fit une démonstration contre la flotte stationnée à Mi-
let ; mais celle - ci ne sortant pas à sa rencontre, elle revint à
Samos et s'y tint en repos.
XXXIX. Le même hiver , les vingt- sept vaisseaux armés
par les Lacédémoniens à la sollicitation de Calligitos de Mé-
gare et de Timagoras de Cyzique , agents de Pharnabaze , par-
tirent du Péloponèse pour l'Ionie , vers le solstice . Ils étaient
commandés par le Spartiate Antisthénès . Les Lacédémoniens
firent monter sur la même flotte onze Spartiates pour servir de
conseil à Astyochos ; l'un d'eux était Lichas fils d'Arcésilaos.
Ces commissaires avaient toute latitude pour prendre les me-
sures les plus convenables ; pour envoyer, s'ils le jugeaient à
propos , dans l'Hellespont vers Pharnabaze cette même flotte
ou un nombre plus ou moins grand de vaisseaux , sous la con-
duite de Cléarque fils de Ramphias qui était à bord , enfin pour
révoquer et remplacer par Antisthénès le navarque Astyachos ,
devenu suspect depuis la lettre de Pédaritos . Ces vaisseaux ,
partis de Malée , prirent le large et touchèrent à Mélos . Ils y
trouvèrent dix bâtiments d'Athènes , en saisirent trois vid s et
444 GUERRE DU PELOPONÈSE.

les brûlèrent ; puis , craignant comme il arriva en effet ― que


les vaisseaux échappés de Mélos ne donnassent l'éveil à la
flotte athénienne de Samos, ils firent voile vers la Crète, allon-
geant à dessein la route , et allèrent jeter l'ancre à Caunos en
Asie. De là , se croyant hors de danger , ils avertirent de leur
approche la flotte de Milet , pour qu'elle vînt à leur rencontre.
XL. Cependant les Chiotes et Pédaritos , nonobstant le
mauvais vouloir d'Astyochos , lui envoyaient message sur mes-
sage pour le presser de venir avec toute sa flotte au secours
de leur ville assiégée , et de ne pas souffrir que la plus impor-
tante des cités alliées en Ionie fût bloquée par mer et infestée
par térre. Aucune ville , celle de Lacédémone exceptée , ne
possédait plus d'esclaves que Chios ; leur multitude nécessi-
tait à leur égard un système de répression sévère ' . Aussi , dės
qu'ils virent l'armée des Athéniens solidement établie dans
une position retranchée , ils se mirent à déserter en foule ; et,
par leur connaissance des localités , ils firent un mal incal-
culable. Les Chiotes insistaient donc pour être secourus , pen-
dant qu'on avait encore l'espoir et le moyen d'arrêter les tra-
vaux inachevés de Delphinion , et avant que l'ennemi eût
entouré d'ouvrages plus étendus son camp et sa flotte . Astyo-
chos , d'après ses précédentes menaces , n'était guère disposé
à les secourir ; cependant il se mit en devoir de le faire , lors-
qu'il vit les alliés en manifester le désir.
XLI. Sur ces entrefaites , on apprit de Caunos l'arrivée des
vingt-sept vaisseaux et des commissaires lacédémoniens . As-
tyochos, jugeant que tout devait être subordonné à la double
nécessité d'escorter une flotte si nombreuse, qui lui promettait
l'empire de la mer , et d'assurer la traversée des Lacédémo-
niens chargés de contrôler sa conduite , renonça sur-le-champ
à l'expédition de Chios et se mit en route pour Caunos . Dans
le trajet , il descendit à Cos-la-Méropide . Il pilla cette ville
ouverte, et alors bouleversée par le plus violent tremblement
de terre qui, de mémoire d'homme , se soit fait sentir ; les ha-
bitants s'étaient réfugiés sur les montagnes . Il fit des courses
sur le territoire et enleva tout, à l'exception des hommes libres
qu'il relâcha . De Cos , il arriva pendant la nuit à Cnide. Là il
fut contraint par les instances des Cnidiens à ne pas débarqucr
ses équipages , mais à se porter sans désemparer contre les
vingt vaisseaux d'Athènes , avec lesquels Charminos , l'un des
généraux de Samos , guettait ces mêmes vingt-sept navires
péloponésiens qu'Astyochos venait chercher. Un avis de Mélos
LIVRE VIII. 445

avait fait connaître à Samos l'approche de cette flotte : aussi


Charminos se tenait-il en croisière dans les parages de Symé,
de Chalcé, de Rhode et de la Lycie ; déja même il était instruit
de sa présence à Caunos.
XLII . Astyochos , avant que sa marche fût signalée , cin-
gla immédiatement vers Symé. afin de surprendre en pleine
mer l'escadre ennemie. Mais la pluie et la brume dispersèrent
sa flotte dans les ténèbres ; au point du jour elle était en dé-
sordre, et déjà l'aile gauche se trouvait en vue des Athéniens,
tandis que le reste errait encore autour de l'île . Charminos et
les Athéniens s'avancent à la hâte, avec moins de vingt vais-
seaux, dans la persuasion que cette flotte est celle de Caunos
qu'ils épiaient . Ils attaquent à l'instant , coulent trois vais-
seaux et en endommagent d'autres . L'affaire en était là et
semblait tourner à leur avantage , lorsque le gros de la flotte
ennemie parut à l'improviste et les cerna de toutes parts. Les
Athéniens prirent alors la fuite et perdirent six vaisseaux : le
reste se réfugia d'abord dans l'île de Teutlussa, puis à Halicar-
nasse. Après ce succès , les Péloponésiens abordèrent à Cnide , où
ils furent rejoints par les vingt vaisseaux venant de Caunos.
Les deux flottes réunies firent voile pour Symé, y érigèrent un
trophée, et revinrent mouiller à Cnide.
XLIII. A la nouvelle de ce combat naval, les Athéniens sta-
tionnés à Samos appareillèrent avec toutes leurs forces et firent
voile vers Symé. Ils n'attaquèrent point la flotte qui était à
Cnide et n'en furent pas attaqués ; mais ils prirent les gros
bagages qu'elle avait déposés à Symé , touchèrent à Lorymes
sur le continent et regagnèrent Samos .
Les vaisseaux péloponésiens rassemblés à Cnide reçurent les
réparations dont ils avaient besoin . Tissapherne s'y trouvait
aussi. Les onze commissaires de Lacédémone entamèrent avec
lui des conférences sur les points qu'ils n'approuvaient pas
dans les conventions déjà faites , de même que sur la meilleure
direction à donner aux affaires militaires dans l'intérêt com-
mun. Lichas était celui qui apportait à cet examen l'attention
la plus scrupuleuse . Il soutint que les deux traités , celui de
Chalcidéus aussi bien que celui de Théraménès, étaient défec-
tueux. Selon lui , il était inadmissible que le roi se prétendît
maître de tous les pays que lui ou ses ancêtres avaient jadis
possédés : c'était dire en effet que toutes les îles , la Thessalie ,
la Locride et jusqu'à la Béotie rentreraient sous sa domina-
tion ' , et que les Lacédémoniens , au lieu d'affranchir les Grecs ,
446 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

devraient leur imposer le joug des Mèdes . Lichas voulait donc


un nouveau traité , fait sur de meilleures bases ; autrement le
précédent serait nul et non avenu ; il ajoutait qu'à ce prix on
n'avait que faire des subsides , Tissapherne indigné se retira
plein de colère et sans avoir rien conclu.
XLIV . Les Lacédémoniens formèrent le projet de passer à
Rhode , où ils étaient appelés par les principaux citoyens. L'ac-
quisition de cette île avait pour eux de l'importance par le
grand nombre de ses marins et de ses soldats ; ils espéraient
d'ailleurs , avec le concours de leurs alliés, pouvoir entretenir
leur flotte sans demander d'argent à Tissapherne . Ils partirent
donc aussitôt de Cnide ce même hiver, et allèrent première-
ment aborder à Camiros sur terre de Rhode avec quatre-vingt-
quatorze vaisseaux. Le peuple, qui ne savait rien des négocia-
tions entamées , s'enfuit épouvanté ; car la ville était ouverte.
Les Lacédémoniens convoquèrent les habitants de Rhode avec
ceux des deux villes de Lindos et d'Ialyssos , et les déterminé-
rent à se détacher d'Athènes . C'est ainsi que Rhode passa du
côté des Péloponésiens.
Cependant, au premier avis reçu , les Athéniens étaient par-
tis de Samos pour prévenir l'ennemi, et déjà ils se montraient
au large ; mais il était trop tard : aussi remirent-ils à la voile,
d'abord pour Chalcé , puis pour Samos . Ensuite ils se mirent
3 en course contre Rhode , en partant de Chalcé , de Cos et de
Samos . Les Péloponésiens levèrent sur les Rhodiens une con-
tribution de trente - deux talents , tirèrent leurs vaisseaux à
sec, et se tinrent dans l'inaction durant quatre- vingts jours.
XLV. Dans l'intervalle et même avant l'expédition de Rhode ,
il survint quelques incidents . Depuis la mort de Chalcidéus
et la bataille de Milet , Alcibiade était devenu suspect aux Pé-
loponésiens , comme ennemi d'Agis et comme traître , à tel
point que de Lacédémone on avait mandé à Astyochos de le
faire périr. Alcibiade effrayé se retira chez Tissapherne et s'at-
tacha de tout son pouvoir à le brouiller avec les Péloponésiens.
Devenu l'âme de ses conseils , il fit réduire la solde d'une
drachme attique à trois oboles¹ , qui n'étaient même pas payées
régulièrement. D'après ses conseils , Tissapherne déclara que ,
si les Athéniens , bien plus expérimentés dans la marine , don-
naient seulement trois oboles à leurs matelots , c'était moins
par économie que pour les empêcher de se pervertir par l'a-
bondance, d'affaiblir et de ruiner leur santé par des excès , ou
d'abandonner leurs navires en laissant pour gage l'arriéré qui
LIVRE VIII. 447
leur était dû. Il lui apprit encore à gagner par des gratifica-
tions l'appui des triérarques et des généraux des villes . Tous
s'y laissèrent prendre , excepté les Syracusains. Hermocratès
fut seul à protester au nom des confédérés . Lorsque les villes
venaient demander de l'argent , Alcibiade les éconduisait lui-
même en répondant, au nom de Tissapherne , que les Chiotes
étaient bien impudents , eux les plus riches des Grecs et rede-
vables de leur salut à une assistance étrangère , de prétendre
que d'autres exposassent leurs vies et leurs biens pour les affran-
chir. Quant aux autres villes, elles seraient , disait -il , impar-
donnables , elles qui , avant leur défection , contribuaient si
largement en faveur d'Athènes , de se refuser aujourd'hui à
faire les mêmes sacrifices et de plus grands encore dans leur
propre intérêt. Enfin il représentait que Tissapherne , faisant
la guerre à ses dépens , avait bien raison d'user d'économie ;
mais que le jour où le roi enverrait des fonds , la solde serait
intégralement payée et les villes recevraient d'équitables in-
demnités.
XLVI . Alcibiade exhortait encore Tissapherne à ne pas trop
se hâter de terminer la guerre , et à ne pas donner au même
peuple l'empire de la terre et de la mer , soit en faisant venir,
comme il en avait l'intention , la flotte phénicienne , soit en
soudoyant un plus grand nombre de Grecs . Il valait mieux,
lui disait-il , laisser la prépondérance indécise , afin que le roi,
lorsqu'il aurait à se plaindre de l'un des deux partis , pût tou-
jours lui opposer l'autre ; si au contraire la force continentale
et la force maritime étaient concentrées dans les mêmes mains,
il ne saurait plus à quels alliés recourir pour abattre la puis-
sance prédominante , à moins qu'il ne voulût un jour s'enga-
ger lui-même dans une lutte dispendieuse et pleine de périls; il
était bien plus simple, moins coûteux et plus sûr pour lui de
laisser les Grecs s'entre-détruire. Mieux vaut, ajoutait-il, par-
tager l'empire avec les Athéniens ; moins ambitieux du côté
de la terre ferme et plus accommodants soit en actions soit en
paroles , ils soumettent la mer à leur autorité , mais ils aban-
donnent au roi les Grecs qui habitent son empire ; les Lacédé-
moniens au contraire se posent en libérateurs ; dès lors il n'est,
pas à croire que , venant pour affranchir les Grecs de la domi-
nation d'autres Grecs , ils ne veuillent pas aussi les délivrer de
celle des Barbares , à moins qu'on ne les empêche de terrasser
les Athéniens . Il lui conseillait donc de les affaiblir les uns au
moyen des autres ; puis, lorsqu'il aurait autant que possible
448 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

amoindri la puissance athénienne ,, de se tourner alors contre


les Péloponésiens et d'en débarrasser le pays.
Tissapherne entra en grande partie dans ces vues, à en juger
du moins par sa conduite. Charmé des avis d'Alcibiade, il lui
donna toute sa confiance , fournit irrégulièrement la solde aux
Péloponésiens , et ne leur permit pas de livrer une bataille na-
vale . En affirmant que la flotte phénicienne allait venir et qu'on
aurait alors des forces de reste, il ruina leurs affaires et paralysa
leur marine, si florissante jusqu'à ce moment. Enfin, dans toute
la part qu'il prit à cette guerre, il manifesta trop d'inertie
pour qu'on pût méconnaître ses véritables intentions.
XLVII. Tout en donnant à Tissapherne et au roi, en retour
de leur hospitalité, les conseils qu'il estimait les plus utiles;
Alcibiade se ménageait les moyens de rentrer dans sa patrie ,
persuadé que, s'il la préservait de la ruine, il pourrait un jour
obtenir son rappel ; dans ce but , il comptait en première ligne
sur l'effet de ses liaisons avec Tissapherne . L'événement lui
donna raison . Les soldats athéniens de Samos furent bientôt
informés de son crédit auprès du satrape . D'autre part Alci-
biade se mit en rapport avec les plus influents d'entre eux , pour
qu'ils déclarassent de sa part aux honnêtes gens que , s'il était
rappelé à Athènes sous le régime de l'aristocratie et non de
l'odieuse démagogie qui l'avait chassé, il offrait de leur procu-
rer l'amitié de Tissapherne et de partager le pouvoir avec eux .
Ces propositions eurent d'autant plus de succès que les trié-
rarques et les plus puissants des Athéniens en station à Samos
étaient naturellement portés au renversement de la démocratie ' .
XLVIII . L'affaire fut d'abord agitée dans le camp , puis dans
la ville . Quelques Athéniens étant venus de Samos pour s'abou-
cher avec Alcibiade , il se fit fort de leur concilier l'amitié de
Tissapherne et ensuite celle du roi , pourvu qu'ils renonçassent
à la démocratie , et qu'ainsi le roi pût avoir confiance en eux.
Dès lors, les principaux citoyens , ceux qui supportent les
plus lourdes charges, conçurent un grand espoir de se saisir
de la direction des affaires et de triompher des ennemis.
De retour à Samos , ils réunirent leurs affidés, se lièrent entre
eux par serment, et déclarèrent sans détour à la foule que le
roi serait l'ami des Athéniens et leur fournirait des subsides
sitôt qu'Alcibiade aurait été rappelé et la démocratie abolie.
Bien qu'au premier moment la multitude ne vît pas de bor
œil ces menées, la perspective des subsides fournis par le roi
la fit tenir tranquille. Les chefs du parti oligarchique , après
LIVRE VIII. 449

avoir communiqué au peuple leur projet, examinèrent entre eux


et avec le reste des conjurés les propositions d'Alcibiade . Elles
leur parurent à tous avantageuses et sûres. Le seul Phryni-
chos , alors général , les repoussa complétement. A l'entendre, -
et c'était la vérité, -Alcibiade ne tenait pas plus à l'oligarchie
qu'à la démocratie ; il ne cherchait qu'un moyen de renverser
l'ordre établi dans la ville, afin de s'y faire rappeler par ses
amis ; or on devait avant tout prévenir les dissensions. Quant
au roi , il n'était pas de son intérêt, au moment où les Pélopo-
nésiens étaient devenus sur mer les égaux des Athéniens et oc-
cupaient dans ses États des places importantes , de se créer des
embarras en s'unissant aux Athéniens dont il se défiait , au
lieu des Péloponésiens dont il n'avait point à se plaindre . A l'é-
gard des villes alliées auxquelles on promettait l'oligarchie
parce que Athènes cesserait d'être gouvernée démocratique-
ment , il savait bien , disait-il, que ce ne serait ni un motif de
soumission pour les cités révoltées , ni un gage de fidélité pour
celles qui leur restaient ; car plutôt que d'être esclaves de
l'oligarchie ou de la démocratie, elles aimeraient mieux être
libres, n'importe sous lequel de ces deux gouvernements ; elles
se diraient sans aucun doute que ceux qu'on appelait les hon-
nêtes gens ' ne leur susciteraient pas moins d'ennuis que la dé-
mocratie, puisque c'étaient eux qui commettaient toutes les
exactions , et causaient au peuple mille vexations dont ils ti-
raient bénéfice ; que s'assujettir à eux, c'était vouloir le régime
des condamnations arbitraires et des exécutions violentes , au
lieu que le peuple était un refuge ouvert à tous et un frein aux
excès du petit nombre. Phrynichos prétendait savoir pertinem-
ment que les villes s'étaient formé cette opinion par expérience ;
aussi repoussait-il à la fois les offres d'Alcibiade et l'ensemble
du projet.
XLIX. L'assemblée des conjurés n'en persista pas moins
dans sa première résolution d'approuver ce qui avait été pro-
posé. On décida d'envoyer à Athènes Pisandros avec d'autres
députés pour travailler au rappel d'Alcibiade , au renversement
de la démocratie et à la réconciliation de Tissapherne avec les
Athéniens .
L. Phrynichos , sachant que le rappel d'Alcibiade serait mis
en avant à Athènes et probablement accepté , craignit , après
l'opposition qu'il y avait faite , qu'Alcibiade, une fois de retour ,
ne lui en voulût pour ce motif. Il s'avisa donc d'un stratagème .
Il envoya un message au navarque lacédémonien Astyochos ,
450 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

alors à Milet, pour lui mander en grand secret qu'Alcibiade


ruinait les affaires de Lacédémone en opérant un rapproche-
ment entre Tissapherne et les Athéniens. Il entrait dans tous
les détails, et s'excusait de poursuivre un ennemi personnel au
détriment de sa patrie. Astyochos ne songea pas à tirer ven-
geance d'Alcibiade, qui d'ailleurs n'était plus comme aupara-
vant sous sa main ; au contraire, il alla le trouver à Magnésie
où il était avec Tissapherne, leur communiqua la lettre de Sa-
mos et prit le rôle de délateur. En même temps , il profita, dit-
on, de la circonstance pour témoigner de son dévouement à Tis-
sapherne , en vue de son intérêt particulier. C'était déjà pour la
même raison qu'il avait pris si froidement à cœur la diminution
de la solde. Aussitôt Alcibiade écrivit à Samos pour dénoncer
Phrynichos et demander sa mort. Phrynichos , déconcerté et fort
compromis par cette accusation , écrivit à Astyochos une seconde
lettre . Il se plaignait de ce que le secret n'eût pas été mieux
gardé, et offrait de lui livrer toute l'armée athénienne de Sa-
mos. La place étant ouverte , il suffisait de suivre la marche
qu'il lui traçait . Phrynichos ajoutait que, risquant sa vie pour
Lacédémone, il était bien excusable d'avoir recours aux der-
niers expédients plutôt que de tomber sous les coups de ses
ennemis jurés. Astyochos communiqua pareillement cette lettre
à Alcibiade .
LI. Phrynichos , qui s'attendait à cet acte de perfidie , de
même qu'à un nouveau message d'Alcibiade, prit les devants.
Il avertit l'armée que , Samos étant ouverte et les vaisseaux ne
mouillant pas tous dans l'intérieur du port , il tenait de bonne
source que les ennemis se disposaient à l'attaque du camp ; qu'il
fallait donc fortifier la ville au plus tôt et faire soigneuse
garde. Comme général, l'exécution dépendait de lui. On se mit
donc à l'œuvre ; voilà pourquoi Samos , destinée d'ailleurs à
être fortifiée , le fut plus promptement. Bientôt vint la lettre
d'Alcibiade annonçant que l'armée était trahie et les ennemis
sur le point de l'attaquer ; mais on ne donna aucune attention
à ses paroles. On pensa qu'instruit des projets de l'ennemi ,
il en avait, par motif de haine, rejeté la complicité sur Phryni-
chos . Loin de rendre celui- ci suspect, cet avertissement ne fit
que confirmer son témoignage.
LII. Là-dessus Alcibiade mit tout en œuvre pour réconcilier
Tissapherne avec les Athéniens. Quoique ce satrape redoutât
les Péloponésiens, qui avaient en mer une flotte plus forte que
celle d'Athènes , il ne demandait pas mieux que de se laisser
LIVRE VIII. 451

convaincre, surtout depuis qu'il avait connaissance des diffé-


rends qui s'étaient élevés à Cnide entre les Péloponésiens au
sujet du traité de Théraménès ; - ceci se passait dans le temps
où ils étaient à Rhode. Cette contestation était venue à point
nommé pour corroborer l'assertion d'Alcibiade sur le projet
prêté aux Lacédémoniens d'affranchir toutes les villes grec-
ques. Or Lichas, sans s'en douter, lui avait pleinement donné
raison, en déclarant inadmissible la clause qui conférait au roi
la souveraineté des villes jadis appartenant à lui ou à ses an-
cêtres . Alcibiade, qui avait pris en main de si grands intérêts ,
déployait toutes ses ressources pour s'insinuer dans l'esprit de
Tissapherne.
LIII. Les députés athéniens envoyés de Samos avec Pisan-
dros arrivèrent à Athènes et parurent devant le peuple assem-
blé. La conclusion de leurs discours fut que , si l'on voulait
rappeler Alcibiade et renoncer au gouvernement populaire, on
pouvait compter sur l'alliance du roi et triompher des Pélopo-
nésiens . Plusieurs voix s'élevèrent en faveur de la démocratie.
Les ennemis d'Alcibiade criaient à l'indignité, s'il rentrait dans
une ville dont il avait foulé aux pieds les lois. Les Eumolpides
et les Hérauts ' protestaient contre son rappel au nom des dieux
et des mystères qui avaient occasionné son exil . Pisandros ,
montant à la tribune , répondit à ces plaintes et à ces réclama-
tions . Interpellant chacun des opposants , il lui demandait quel
espoir de salut il conservait pour la république , lorsque les
Péloponésiens avaient autant de vaisseaux en mer et plus d'al-
liés qu'Athènes ; lorsque le roi et Tissapherne leur fournissaient
de l'argent, tandis qu'ils étaient à la veille d'en manquer eux-
mêmes, s'ils n'attiraient le roi dans leur parti . Quand il leur
avait ainsi fermé la bouche, il leur disait ouvertement : « Notre
seule et unique ressource est d'adopter un régime plus modéré ,
en remettant le pouvoir à un petit nombre de citoyens , pour
inspirer de la confiance au roi. Aujourd'hui , ce n'est pas de
constitution, c'est du salut qu'il s'agit pour nous ; plus tard ,
nous pourrons faire les modifications désirables . Pour le mo-
ment rappelons Alcibiade, le seul homme capable de mener à
bien ce projet. »
LIV. Le peuple ne put d'abord entendre parler d'oligar-
chie sans un vif déplaisir ; mais quand Pisandros lui eut clai-
rement démontré que c'était le dernier moyen de salut, d'une
part la crainte , de l'autre l'espoir que ce changement ne
serait que temporaire , le décidèrent à céder. On décréta que
452 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Pisandros et dix autres iraient auprès de Tissapherne et d'Al-


cibiade pour s'entendre avec eux sur les mesures à prendre.
Conformément aux plaintes de Pisandros , le peuple déposa
Phrynichos et Scironidès , qu'il remplaça par Diomédon et
Léon dans le commandement de la flotte. Pisandros en vou-
lait à Phrynichos pour son opposition au rappel d'Alcibiade ;
le motif qu'il fit valoir contre lui fut qu'il avait livré Iasos et
Amorgès.
Pisandros se mit en rapport avec toutes les associations qui
existaient dans la ville pour les élections et les procès . Il leur
recommanda de se réunir et de se concerter dans le but d'abolir
la démocratie. Enfin, après avoir pris les derniers arrangements
afin d'éviter les retards , il s'embarqua avec ses dix collègues
pour se rendre auprès de Tissapherne.
LV. Le même hiver, Léon et Diomédon , après avoir rejoint la
flotte athénienne, dirigèrent une attaque contre Rhode. Ils trou-
vèrent les vaisseaux péloponésiens tirés à sec, mirent pied à
terre , défirent les Rhodiens dans un combat et s'en retournè-
rent à Chalcé. Cette île devint , préférablement à Cos, la base
de leurs opérations. Elle leur offrait plus de facilités pour sur-
veiller les mouvements de la flotte péloponésienne.
Il arriva aussi à Rhode un Laconien nommé Xénophantidas,
envoyé de Chios par Pédaritos. Il annonça que le fort des Athé-
niens était complétement achevé et que, si la flotte entière ne
venait au secours de Chios, cette île était perdue. On songea
donc à la secourir. Sur ces entrefaites Pédaritos , s'étant mis à
la tête de ses auxiliaires et de la levée en masse de Chios , alla
assaillir le retranchement élevé autour des vaisseaux athéniens.
Il emporta une partie de cet ouvrage et prit quelques vaisseaux
tirés à sec ; mais, les Athéniens étant accourus, les Chiotes
furent défaits et entraînèrent dans leur fuite le reste de l'ar-
mée. Pédaritos périt avec bon nombre de Chiotes ; beaucoup
d'armes furent prises. Dès lors Chios fut encore plus étroite-
ment bloquée par terre et par mer, et la famine s'y fit cruel-
lement sentir.
LVI. Cependant Pisandros et les autres députés athéniens ,
arrivés auprès de Tissapherne,, ouvrirent des conférences pour
se mettre d'accord . Alcibiade n'était pas tout à fait sûr de Tis-
sapherne ; celui-ci redoutait les Péloponésiens et voulait , d'après
le système d'Alcibiade lui-même, affaiblir les uns au moyen des
autres. Alcibiade imagina donc de faire échouer la négociation
à force d'exigences . Tissapherne avait , je crois , les mêmes
LIVRE VIII. 453

vues ; mais chez lui , c'était l'effet de la peur, tandis qu'Alci-


biade, témoin de ses hésitations , voulait dissimuler aux Athé-
niens sa propre impuissance ; il préféra donc leur faire accroire
que Tissapherne était bien disposé à traiter, mais peu satisfait
de leurs concessions . Alcibiade , portant la parole au nom et en
présence de Tissapherne , annonça des prétentions tellement
exorbitantes que les Athéniens , malgré leur intention de
souscrire à tout, en furent scandalisés. Il réclama l'abandon
de toute l'Ionie , des îles adjacentes et de divers autres points.
Les Athéniens y consentirent. Enfin dans la troisième confé-
rence, Alcibiade, craignant de laisser entrevoir combien son
ascendant était faible , exigea pour le roi la faculté de con-
struire des vaisseaux de guerre et de naviguer le long des côtes
de son empire, dans la direction et avec le nombre de bâtiments
qu'il lui plairait¹ . Pour le coup les Athéniens perdirent patience ;
voyant qu'il était impossible de traiter sur de pareilles bases et
qu'Alcibiade les avait joués , ils rompirent la négociation et se
retirèrent à Samos .
LVII. Le même hiver, aussitôt après ces événements , Tissa-
pherne se rendit à Caunos , dans le dessein de ramener les Pélo-
ponésiens à Milet, de conclure avec eux un nouveau traité à
telles conditions qu'il pourrait, de leur fournir des subsides et
de ne pas se brouiller définitivement avec eux. Il craignait que ,
faute de subsistances pour leur nombreuse flotte, ils ne fussent
contraints de livrer un combat naval aux Athéniens et n'eussent
le dessous, ou que la désertion ne se glissât dans leurs équi-
pages et ne permît aux Athéniens d'en venir à leurs fins sans
avoir besoin de lui ; surtout il appréhendait qu'ils ne pillassent
le continent pour se procurer des vivres. Ce fut donc par suite
de ces calculs et de ces prévisions , comme aussi dans le but
d'établir l'équilibre entre les Grecs, qu'il appela les Péloponé-
siens, leur fournit des subsides et conclut un troisième traité
dans les termes suivants :
LVIII. « La treizième année du règne de Darius ' , sous l'é-
phorat d'Alexippidas à Lacédémone , le traité suivant a été con-
clu dans la plaine du Méandre , entre les Lacédémoniens et leurs
alliés d'une part, Tissapherne, Hiéraménès et les fils de Phar-
nacès d'autre part, touchant les affaires du roi , des Lacédémo-
niens et de leurs alliés .
« Tout le pays que le roi possède en Asie demeure sa pro-
priété, avec faculté d'en disposer comme bon lui semble.
<< Les Lacédémoniens et leurs alliés ne commettront aucun
454 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

acte d'hostilité contre le pays du roi ; non plus que le roi contre
le pays des Lacédémoniens et de leurs alliés.
Si quelqu'un des Lacédémoniens ou de leurs alliés commet
un acte d'hostilité contre le pays du roi, les Lacédémoniens et
leurs alliés s'y opposeront. Pareillement, si quelqu'un des su-
jets du roi commet un acte d'hostilité contre les Lacédémoniens
et leurs alliés , le roi s'y opposera.
& Tissapherne s'engage à fournir aux vaisseaux actuellement
présents les subsides convenus , jusqu'à l'arrivée de la flotte
du roi,
« Si, après l'arrivée de la flotte du roi, les Lacédémoniens et
leurs alliés veulent entretenir leurs propres vaisseaux, ils en
seront les maîtres. S'ils aiment mieux recevoir de Tissapherne
la solde convenue, celui-ci la fournira, à la charge pour les
Lacédémoniens et leurs alliés , la guerre terminée, de rembour-
ser à Tissapherne tout l'argent qu'ils auront reçu.
« Quand la flotte du roi sera venue , les vaisseaux des Lacé-
démoniens et de leurs alliés , de concert avec ceux du roi , feront
la guerre en commun, selon le plan convenu entre Tissapherne,
les Lacédémoniens et leurs alliés . S'ils veulent faire la paix avec
les Athéniens , ce sera d'un commun accord . »
LIX. Telles furent les stipulations de ce traité. Aussitôt Tis-
sapherne se mit en devoir de faire venir, comme il était dit, la
flotte phénicienne, et d'accomplir toutes ses promesses ; du
moins voulait-il en avoir l'air.
LX. Sur la fin de cet hiver, les Béotiens prirent par trahison
Oropos, qui était occupé par une garnison athénienne. Ils furent
secondés par quelques habitants d'Erétrie et même d'Oropos,
qui méditaient la défection de l'Eubée. Oropos étant situé en
face d'Érétrie, il ne pouvait y avoir de sécurité pour cette ville
ni pour le reste de l'Eubée tant qu'il serait aux Athéniens.
Maîtres d'Oropos , les Érétriens se rendirent à Rhode pour
attirer en Eubée les Péloponésiens. Ceux- ci étaient alors occu-
pés à secourir Chios , toujours plus étroitement bloquée. Déjà
ils avaient quitté Rhode avec toute leur flotte et se trouvaient
sous voiles, lorsque , à la hauteur du Triopion, ils aperçurent
au large les vaisseaux athéniens venant de Chalcé. Aucun des
deux partis n'ayant commencé l'attaque, ils se retirèrent les
uns à Samos, les autres à Milet . Dès lors il fut reconnu qu'à
moins d'une bataille navale , il était impossible de secourir
Chios. Là-dessus l'hiver finit, ainsi que la vingtième année de
la guerre que Thucydide a racontée.
LIVRE VIII. 455
LXI. L'été suivant (a) , dès les premiers jours du printemps, le
Spartiate Dercyllidas fut envoyé par terre dans l'Hellespont
avec quelques troupes, afin d'insurger Abydos , colonie de Milet .
Les Chiotes, pendant l'inaction forcée d'Astyochos , se virent
contraints par la rigueur du siége à livrer un combat naval. Dans
le temps où Astyochos était encore à Rhode, le Spartiate Léon ,
qui avait fait la traversée sur le vaisseau d'Antisthénès , était
venu de Milet pour les commander après la mort de Pédaritos .
Ils avaient également reçu douze vaisseaux détachés de la sta-
tion de Milet, savoir : cinq de Thurii, quatre de Syracuse, un
d'Anéa, un de Milet, enfin celui de Léon. Les Chiotes firent une
sortie en masse et occupèrent une forte position , tandis que
leurs vaisseaux, au nombre de trente-six, se portaient contre
les trente-deux vaisseaux athéniens et engageaient le combat.
La lutte fut acharnée. Les Chiotes et leurs alliés n'eurent pas
le dessous ; mais, comme le jour baissait, ils rentrèrent dans
leur ville.
LXII . A peine Dercyllidas était-il arrivé par terre de Milet à
Abydos sur l'Hellespont, que cette ville se prononça en faveur
des Péloponésiens et de Pharnabaze. Lampsaque en fit autant
deux jours après. A cette nouvelle, Strombichidès partit préci-
pitamment de Chios avec vingt-quatre vaisseaux athéniens, dont
quelques-uns portaient des hoplites. Il défit dans un combat les
habitants de Lampsaque sortis à sa rencontre , prit d'emblée
cette ville ouverte ; et, après avoir livré au pillage les effets et
les esclaves , mais rétabli dans leurs demeures les hommes
libres , il se dirigea vers Abydos. N'ayant pu amener cette ville
à composition ni la prendre d'assaut , il cingla vers la côte
opposée, et alla se poster à Sestos , ville de la Chersonèse, jadis
au pouvoir des Mèdes . Il en fit une place forte destinée à com-
mander tout l'Hellespont.
LXIII. Depuis ce moment , les Chiotes eurent un certain
ascendant sur mer, d'autant plus qu'Astyochos et les Pélopo-
nésiens de Milet, instruits du combat naval et du départ de l'es-
cadre de Strombichidès , avaient repris courage. Astyochos avec
deux bâtiments se rendit à Chios, en ramena les vaisseaux qui
s'y trouvaient ' , et cingla contre Samos avec la totalité de ses
forces ; mais les Athéniens , qui se défiaient alors les uns des
autres, n'étant point venus à sa rencontre, il repartit pour Milet.
A la même époque ou même un peu auparavant, la démo-

(a) Vingt et unième année de la guerre, an 11 avant J. C.


456 GUERRE DU FÉLOPONÈSE.

cratie avait été renversée à Athènes . Pisandros et ses collègues ,


de retour à Samos après avoir quitté Tissapherne, s'assurèrent
encore mieux de l'armée et engagèrent les principaux des
Samiens à rétablir chez eux l'oligarchie , malgré l'opposition
sous laquelle ce régime avait succombé. En même temps, les
Athéniens qui étaient à Samos tinrent conseil ; et, considérant
qu'Alcibiade refusait de les seconder, que d'ailleurs il était peu
fait pour entrer dans une oligarchie , ils résolurent de ne plus
senger à lui, mais de ne compter que sur eux-mêmes pour
l'exécution de leurs desseins. Ils décidèrent que la guerre serait
poussée avec vigueur , et que, travaillant désormais pour leur
propre compte, ils feraient sans hésitation tous les sacrifices
pécuniaires ou autres que les circonstances pourraient exiger.
LXIV. Après s'être confirmés dans ces résolutions , ils délé-
guèrent immédiatement à Athènes Pisandros et la moitié des
députés pour effectuer leur projet, avec charge d'établir l'oli-
garchie dans toutes les villes sujettes où ils toucheraient en
passant. L'autre moitié fut envoyée dans les divers endroits de
la domination athénienne. Diotréphès , commandant désigné du
littoral de la Thrace et alors à Chios , eut ordre de se rendre à
sa destination. Arrivé à Thasos, il y abolit le gouvernement
populaire ; mais deux mois ne s'étaient pas écoulés depuis son
départ, que les Thasiens se mirent à fortifier leur ville ' , sans
plus se soucier de l'oligarchie d'Athènes , et s'attendant d'un
jour à l'autre à ce que les Pélopónésiens leur apportassent la
liberté. Il se trouvait en effet dans le Péloponèse une émigra-
tion composée d'hommes bannis par les Athéniens. Ces gens ,
de concert avec leurs amis de la ville , travaillaient avec ardeur
à obtenir l'envoi d'une flotte et à provoquer la défection de
Thasos . Le hasard les servit à souhait. Leur ville se maintint
sans danger, et la démocratie , qui leur avait été contraire , fut
renversée . Ainsi donc à Thasos les choses tournèrent tout au-
trement que n'avaient oru les oligarques athéniens ; et sans
doute il en fut de même chez beaucoup d'autres peuples sujets .
Une fois émancipées , les villes marchèrent vers une franche
liberté, sans se laisser éblouir par l'indépendance équivoque
que leur offraient les Athéniens.
LXV. Pendant leur traversée , Pisandros et ses collègues ,
conformément au plan adopté, abolirent la démocratie dans les
villes et recrutèrent çà et là quelques hoplites pour auxiliaires.
Árrivés à Athènes , ils y trouvèrent leurs affaires déjà bien
avancées par les conjurés . Quelques jeunes gens, s'étant donné

!
LIVRE VIII. 457
le mot, avaient tué secrètement un certain Androclès , l'homme
le plus influent du parti populaire et le principal auteur dú
bannissement d'Alcibiade. En l'immolant, ils avaient voulu à
la fois frapper le démagogue et complaire à Alcibiade, dont le
retour semblait prochain, et qui devait leur procurer l'amitié
de Tissapherne. Ils s'étaient également défaits de quelques
autres citoyens qui leur portaient ombrage . Enfin ils avaient
déclaré, dans un discours médité de longue main, que les seuls
emplois rétribués devaient être ceux de l'armée , et la gestion
des affaires n'appartenir qu'à cinq mille citoyens , les plus
capables de servir l'Etat de leur fortune et de leurs per-
sonnes.
LXVI . Ce n'était là qu'une amorce jetée à la multitude ; car
les meneurs entendaient bien garder pour eux le gouverne-
ment. Néanmoins le peuple et le conseil élu au scrutin des
fèves 1 se rassemblaient encore ; mais ils ne décidaient rien
sans l'agrément des conjurés. Les orateurs mêmes étaient du
complot et leurs discours concertés d'avance . Personne n'osait
les contredire, tant la faction inspirait de frayeur . Quelqu'un
élevait-il la voix , on trouvait bientôt le moyen de s'en défaire.
Les meurtriers n'étaient ni recherchés, ni poursuivis lorsqu'on
les soupçonnait. Le peuple ne remuait point ; sa terreur était
telle que, même en restant muet, il s'estimait heureux d'échap-
per à la violence . Les esprits étaient subjugués , parce qu'on
croyait les conjurés bien plus nombreux qu'ils ne l'étaient. A
cet égard, on ne savait à quoi s'en tenir, à cause de la gran-
deur de la ville et parce qu'on ne se connaissait pas assez les
uns les autres. Aussi , malgré l'indignation qu'on éprouvait,
nul n'osait confier à son voisin le secret de ses plaintes ou ses
projets de vengeance ; il eût fallu pour cela s'ouvrir à des in-
connus ou à des suspects. La défiance était générale dans le
parti populaire ; on se soupçonnait mutuellement de tremper
dans le complot, surtout depuis qu'il y était entré des gens
qu'on croyait incapables de pactiser avec l'oligarchie . Rien ne
contribua davantage à inspirer au peuple de l'inquiétude et aux
oligarques de la sécurité , en confirmant la multitude dans cette
suspicion envers elle- même .
LXVII . Telle était la situation d'Athènes, lorsque Pisandros
et ses collègues y arrivèrent. A l'instant ils se mirent à l'oeuvre
pour achever ce qui était si bien commencé . D'abord ils con-
voquèrent les citoyens et firent décider qu'on nommerait dix
commissaires munis de pleins pouvoirs et qu'on les charge-
THUCYDIDE. 26
458 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

rait d'élaborer un projet de constitution et de le soumettre au


peuple dans un délai déterminé. Le jour venu , ils réunirent
l'assemblée dans une enceinte close , à Colone , lieu consacré à
Neptune et situé à dix stades de la ville . Là les commissaires
proposèrent un article unique, portant que tout Athénien aurait
le droit d'émettre l'avis qu'il voudrait et prononçant des peines
sévères contre quiconque poursuivrait , pour violation de loi ou
pour tout autre motif, celui qui aurait usé de cette liberté 2.
Cela fait, on proposa nettement l'abolition des anciennes ma-
gistratures , la suppression des emplois salariés et la nomina-
tion de cinq présidents , chargés d'élire cent citoyens, qui à
leur tour s'en adjoindraient chacun trois autres . Ces quatre
cents devaient siéger au conseil , exercer selon leurs lumières
une autorité sans limites , et rassembler les cinq mille quand
ils le jugeraient à propos.
LXVIII. Ce fut Pisandros qui ouvrit cet avis et qui en gé-
néral se montra le plus ardent adversaire de la démocratie.
Mais celui qui avait conçu le plan de cette résolution et qui
l'avait longuement préparée , fut Antiphon, l'un des hommes
les plus vertueux qui fussent alors à Athènes. Penseur profond
et non moins habile orateur, il n'intervenait pas volontiers
dans les débats politiques ou judiciaires, car sa réputation
d'éloquence prévenait la multitude contre lui ; mais c'était
l'homme le plus capable de servir par ses conseils ceux qui
'avaient une lutte à soutenir dans l'assemblée ou dans un tri-
bunal. Lorsque plus tard, après la chute des Quatre- Cents, il
fut en butte à l'animosité du peuple pour la part qu'il avait
prise à leur établissement , il présenta, contre l'accusation capi-
tale qu'on lui intentait, la plus belle défense qui de mémoire
d'homme ait jamais été prononcée ¹ . Phrynichos fut aussi l'un
des plus fougueux partisans de l'oligarchie. Il craignait Alci-
biade , qu'il savait instruit de toutes ses intrigues de Samos
auprès d'Astyochos , et il ne croyait pas son rappel possible
sous un régime oligarchique . Une fois compromis, il fit preuve
d'une fermeté peu commune . Enfin, au premier rang des en-
nemis de la démocratie, on doit encore placer Théraménès fils
d'Hagnon, homme qui ne manquait ni d'éloquence ni de génie.
Faut-il donc s'étonner qu'une affaire , conduite par tant de
gens habiles, ait réussi malgré son extrême difficulté ? Ce n'é-
tait pas chose aisée en effet, cent ans après l'expulsion des
tyrans d'Athènes , que d'arracher au peuple sa liberté ; d'au-
tant plus que, durant plus de la moitié de cette période, loir.

www
LIVRE VIII. 459

de subir aucune sujétion , il avait contracté l'habitude dé com-


mander à d'autres 3.
LXIX. L'assemblée dissoute et ces divers articles sanctionnés
sans opposition, il fut immédiatement procédé à l'installation
des Quatre-Cents dans la salle du conseil . Les Athéniens étaient
continuellement en armes, ou sur les murailles ou dans les
corps de réserve, depuis que les ennemis occupaient Décélie.
Ce jour-là on licencia, comme de coutume, ceux qui n'étaient
pas du complot ; les autres eurent pour consigne d'attendre
paisiblement , non sur la place d'armes, mais à une certaine
distance, prêts à donner main-forte en cas d'obstacle . C'étaient
des gens d'Andros, de Ténos , trois cents Carystiens, quelques
Athéniens de la colonie d'Egine , venus tout armés dans ce but '.
Ces mesures prises , les Quatre-Cents , munis de poignards
sous leurs vêtements et accompagnés des cent vingt jeunes
2
Grecs qui les servaient dans les coups de main, se présen-
tèrent à la porte du conseil élu au scrutin des fèves ³ . Ils som-
mèrent les membres de se retirer en recevant leur indemnité.
Ils avaient apporté eux-mêmes la somme nécessaire pour le
reste du temps à courir, et ils la leur distribuèrent à leur
sortie * .
LXX . Le conseil s'était écoulé sans mot dire et les citoyens
ne faisant aucun mouvement, les Quatre-Cents entrèrent dans
1
la salle, tirèrent au sort parmi eux des Prytanes ¹ , et s'instal-
lèrent dans leurs fonctions avec les cérémonies, les vœux et les
sacrifices d'usage. Ensuite ils modifièrent profondément la con-
stitution démocratique , sans toutefois , à cause d'Alcibiade , rap ,
peler tous les bannis. En général leur administration fut vio-
lente. Ils se défirent de quelques citoyens qui leur portaient
ombrage ; ils en condamnèrent d'autres aux fers ou à la dépor-
tation ; enfin ils envoyèrent un héraut à Décélie auprès d'Agis,
roi de Lacédémone, pour lui dire qu'ils étaient prêts à conclure
un accord , et qu'il aimerait mieux sans doute traiter avec eux
qu'avec une populace indigne de confiance.
LXXI . Mais Agis se refusait à croire qu'Athènes fût tran-
quille et le peuple résigné à la perte de son antique liberté. Il
s'imagina qu'il lui suffirait de se présenter en forces pour faire
éclater un, mouvement déjà tout préparé. Aussi ne fit-il aux
envoyés des Quatre-Cents aucune réponse pacifique : au con-
traire , il manda du Péloponèse des troupes nombreuses ; et,
peu de temps après , joignant ce renfort à la garnison de Décélie ,
il descendit jusque sous les murs d'Athènes. Il espérait que les
460 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

Athéniens , dans leur état de trouble, se soumettraient plus ai-


sément, ou même qu'il prendrait la ville d'emblée, lorsqu'au
danger du dehors s'ajouteraient, selon toute apparence , les
agitations du dedans ; au moins comptait-il s'emparer des longs
murs , abandonnés par l'effet des circonstances. Mais à son ap-
proche, les Athéniens, sans remuer le moins du monde à l'in-
térieur , firent sortir leur cavalerie avec une partie des hoplites,
des peltastes et des archers , renversèrent ceux des ennemis
qui s'étaient trop aventurés ,. et restèrent maîtres de quelques
armes et de quelques cadavres. Agis , sachant dès lors à quoi
s'en tenir , effectua sa retraite, reprit ses anciens cantonne-
ments de Décélie, et renvoya au bout de peu de jours les nou-
velles troupes dans leurs foyers. Les Quatre-Cents ne laissé-
sent pas de lui adresser une nouvelle ambassade , qu'il reçut
mieux que la première . Sur son conseil , ils députèrent à La-
cédémone pour traiter de la paix.
LXXII. Ils firent aussi partir pour Samos dix commissaires
chargés de tranquilliser l'armée et de lui faire entendre que
ce n'était pas au détriment de la ville ou des particuliers que
l'oligarchie avait été établie , mais dans un but d'intérêt géné-
ral ; que c'étaient cinq mille citoyens et non pas seulement quatre
cents qui géraient les affaires ; que les Athéniens , distraits par
les guerres et les occupations lointaines, n'avaient jamais dans
aucune assemblée atteint le nombre de cinq mille, quelle que
fût l'importance de la délibération. Ils leur dictèrent le langage
à tenir et les expédièrent aussitôt après leur entrée en charge.
Ils craignaient , comme il arriva, que la foule des marins ne
voulût pas de l'oligarchie , et que de là ne partît un mouvement
qui les emporterait eux-mêmes .
LXXIII. Déjà s'opérait à Samos , contre l'oligarchie , une
réaction, dont l'origine datait de l'établissement des Quatre-
Cents. Ceux des Samiens qui formaient le parti populaire et
qui, dans le temps ' , s'étaient soulevés contre les riches, avaient
modifié leurs opinions. Sollicités par Pisandros pendant son
séjour à Samos et par les conjurés athéniens qui étaient dans
cette ville, trois cents d'entre eux avaient ourdi une conspi-
ration dans le but d'attaquer les citoyens restés fidèles à la dé-
mocratie. Il y avait alors à Samos un Athénien nommé Hyper-
bolos, homme pervers , qui avait été banni par l'ostracisme ,
non pas qu'on redoutât son pouvoir et son crédit , mais pour
sa méchanceté et pour son infamie. Les conjurés l'assassinė-
rent, d'accord en cela avec Charminos , l'un des généraux , et
LIVRE VIII . 461

avec d'autres Athéniens résidant à Samos , auxquels ils vou-


laient donner un gage de fidélité . Ils accomplirent de concert
quelques entreprises de la même espèce ; après quoi ils se mi-
rent en devoir d'assaillir les démocrates . Ceux-ci , instruits de
leur projet, en donnèrent avis aux généraux Léon et Diomédon,
tous deux fort mal disposés pour l'oligarchie , à cause de la
considération dont le peuple les entourait. Ils en parlèrent
également à Thrasybulos et à Thrasylos , l'un triérarque , l'autre
servant dans les hoplites , ainsi qu'à d'autres Athéniens , enne-
mis avoués des conjurés . Ils les supplièrent de ne pas souffrir
qu'eux-mêmes fussent égorgés et que Samos se détachât d'A-
thènes après avoir tant travaillé au maintien de son empire.
Sur cet avis , ces Athéniens prirent à part chacun des soldats
et les engagèrent à faire avorter le complot. Ils s'adressèrent
eu particulier à l'équipage de la Paralienne , exclusivement
composé d'Athéniens de condition libre , toujours prêts à pour-
suivre le fantôme même de l'oligarchie . Dès lors Léon et Dio-
médon ne s'éloignèrent jamais de Samos sans y laisser quel-
ques vaisseaux de garde. Aussi , à la première levée de bou-
cliers faite par les trois cents , tous ces gens et notamment les
Paraliens , prirent les armes et donnèrent la victoire au parti
populaire . Les Samiens tuèrent une trentaine de conjurés , en
bannirent trois des plus coupables , amnistièrent les autres , et
se constituèrent désormais en pleine démocratie.
LXXIV. Les Samiens et les soldats , qui ne savaient pas en-
core les Quatre-Cents au pouvoir , firent promptement partir
pour Athènes la Paralienne avec l'Athénien Chéréas , fils d'Ar-
chestratos , l'un des principaux acteurs des derniers événements .
Il devait annoncer ce qui venait de se passer . Mais à peine la
Paralienne fût-elle arrivée, que les Quatre-Cents mirent aux
fers deux ou trois de ses matelots , ôtèrent aux autres leur
vaisseau, et les transférèrent sur un bâtiment de charge des-
tiné à croiser autour de l'Eubée . Chéréas trouva moyen de s'é-
vader ; et, sitôt qu'il eut vu ce qui se passait à Athènes, il
revint à Samos , apportant aux soldats des nouvelles étrange-
ment exagérées . Il leur dit que les citoyens étaient battus de
verges ; que nul ne pouvait ouvrir la bouche devant les maî-
tres de l'État ; que ceux-ci outrageaient leurs femmes et leurs
enfants ; qu'ils songeaient à saisir et à emprisonner les parents de
tous ceux qui , dans l'armée de Samos , ne leur étaient pas favo-
rables , afin de les mettre à mort si l'on refusait de leur obéir.
Il ajouta encore beaucoup d'autres détails aussi peu véridiques .
462 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

LXXV. A ce récit , les soldats faillirent lapider les prin-


cipaux fauteurs de l'oligarchie et leurs adhérents . A la fin
cependant ils se calmèrent , grâce à l'intervention des gens
modérés, qui leur firent comprendre qu'en présence de la flotte
ennemie, c'était le moyen de tout perdre. Alors voulant asseoir
solidement la démocratie à Samos , Thrasybulos fils de Lycos ,
et Thrasylos , qui étaient à la tête du mouvement , firent prê-
ter à tous les soldats , surtout à ceux qui avaient trempé dans
l'oligarchie, les plus terribles serments de maintenir le régime
démocratique , de vivre en bonne harmonie , de poursuivre avec
ardeur la guerre contre les Péloponésiens , d'être ennemis des
Quatre-Cents et de n'entretenir avec eux aucune relation quel-
conque. Tous les Samiens en âge de porter les armes se lièrent
par le même serment. Les soldats mirent en commun avec eux
tous leurs intérêts, toutes les éventualités , tous les périls, per-
suadés que c'était l'unique chance de salut pour les uns comme
pour les autres , et qu'ils seraient perdus sans retour si les
Quatre -Cents ou les ennemis postés à Milet prenaient le
dessus.
LXXVI . II y eut alors une scission bien prononcée , les uns
voulant ramener la ville à la démocratie , les autres faire pré-
valoir l'oligarchie dans le camp. Aussitôt les soldats se forme-
rent en assemblée . Ils déposèrent les précédents généraux et
tous ceux des triérarques qui leur étaient suspects ; à leur
place ils en élurent d'autres , notamment Thrasybulos et Thra-
sylos. Les soldats se levaient pour s'adresser des exhortations
mutuelles. Il ne fallait pas , disaient-ils , se laisser abattre parce
que la ville avait fait divorce avec eux ; c'était la minorité qui
s'était séparée d'une majorité bien plus puissante . Maîtres de
toutes les forces navales, ils obligeraient les villes de leur dé-
pendance à leur payer tribut, aussi bien qu'ils l'auraient fait
en partant d'Athènes . Ils avaient dans Samos une cité consi-
dérable , qui, lors de sa guerre avec Athènes , avait failli lui
enlever l'empire de la mer . Elle leur servirait, comme aupa-
ravant, de point d'appui contre l'ennemi . Grâce à leurs vais-
seaux, ils étaient mieux en état que les citoyens de la ville de
sé procurer des subsistances. C'était la flotte qui , de Samos
comme d'un poste avancé , avait jusqu'alors assuré les com-
munications du Pirée. Dorénavant, si la ville leur déniait leurs
droits , il ne tiendrait qu'à eux de lui fermer la mer , ce qu'ils
n'avaient pas à craindre d'elle. Les secours à attendre d'A-
thènes pour la continuation de la guerre étaient nuls ou à peu
LIVRE VII. 463

près. On n'avait pas perdu grand'chose, puisqu'elle n'avait à


leur envoyer ni argent - les soldats s'en procuraient eux-
mêmes ni conseil utile , seuls points sur lesquels une ville
soit supérieure à une armée . C'était à eux à se plaindre de
la ville, qui abrogeait les lois de la patrie, tandis qu'eux-
mêmes les maintenaient et s'efforçaient de les rétablir ; ainsi
l'armée ne le cédait point en sagesse à la ville. Alcibiade , si
l'on décrétait sa grâce et son rappel , s'empresserait de ména-
ger l'alliance du roi . En définitive , quand tout viendrait à leur
faire défaut, une flotte aussi nombreuse que la leur saurait
bien trouver des retraites , où les champs et les villes ne leur
manqueraient pas.
LXXVII. Tout en s'excitant de la sorte, les soldats n'en con-
tinuaient pas moins leurs préparatifs de guerre. Quant aux dix
députés que les Quatre-Cents avaient envoyés à Samos, ils
étaient déjà à Délos lorsqu'ils apprirent ces nouvelles ; ils ne
poussèrent pas plus loin.
LXXVIII. A cette même époque , les Péloponésiens de l'ar-
mée de Milet murmuraient tout haut contre Astyochos et Tis-
sapherne qui , disaient-ils , ruinaient leurs affaires . Ils accu-
saient le premier de s'être refusé à livrer un combat naval ,
lorsque leur flotte était au grand complet et celle des Athé-
niens peu nombreuse ; de différer maintenant encore, quoique
l'ennemi fùt en dissension et n'eût pas concentré tous ses
moyens ; d'attendre indéfiniment, et au risque de tout compro-
mettre, la flotte phénicienne , dont on parlait toujours et qui ne
paraissait jamais. A Tissapherne ils reprochaient de ne point
amener cette flotte et de paralyser leur marine en ne fournis-
sant la solde ni régulièrement ni en son entier. Il fallait , selon
eux, ne pas rester plus longtemps dans l'inaction , mais livrer
une bataille décisive . Les Syracusains surtout se montraient
exaspérés.
LXXIX . Les alliés et Astyochos , instruits de ces murmures
et de l'agitation qui régnait à Samos , tinrent conseil et réso-
lurent d'engager une action générale. En conséquence , ils se
mirent en mer avec tous leurs bâtiments au nombre de cent
douze, prescrivirent aux Milésiens de se rendre par terre au
Mycale, et firent voile pour la même destination . Les Athé-
niens , avec quatre-vingt-deux vaisseaux, étaient alors en sta-
tion à Glaucé près du Mycale, en face et à peu de distance de
Samos. Dès qu'ils virent la flotte péloponésienne en marche
contre eux , ils se retirèrent à Samos , car ils ne se croyaient
464 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

pas en mesure de risquer une action décisive ; d'ailleurs , ayant


reçu de Milet l'annonce du mouvement offensif de la flotte pé-
loponésienne, ils avaient fait dire à Strombichidès de ramener
de l'Hellespont l'escadre détachée de Chios pour Abydos , et ils
voulaient attendre son arrivée . Tels furent les motifs de leur
retraite à Samos . Les Péloponésiens abordèrent à Mycale et y
campèrent , ainsi que les troupes de terre de Milet et des en-
virons. Le lendemain , au moment de cingler contre Samos,
ils apprirent le retour de Strombichidès et de la flotte de l'Hel-
lespont ; ils se hâtèrent alors de rentrer à Milet. Les Athé-
niens , dont ce renfort avait porté la flotte à cent huit navires ,
firent voile à leur tour contre Milet, dans le dessein de livrer
bataille ; mais personne n'étant sorti à leur rencontre , ils re-
gagnèrent Samos.
LXXX. Le même été, peu de temps après ces événements ,
les Péloponésiens qui, malgré la concentration de leurs forces,
ne s'étaient pas crus en état de se mesurer contre les Athé-
niens , se trouvèrent fort embarrassés pour l'entretien d'une
flotte si considérable , surtout avec le peu de régularité que Tis-
sapherne mettait dans ses payements . Ils songèrent donc à
exécuter les instructions qu'ils avaient reçues à leur départ du
Péloponèse, en envoyant vers Pharnabaze , Cléarchos fils de
Ramphias avec quarante vaisseaux. Pharnabaze les appelait en
leur offrant des subsides , et Byzance manifestait l'intention de
se révolter. Ces vaisseaux prirent le large pour dérober leur
marche aux Athéniens ; mais ils furent assaillis par une tem-
pête la plupart, avec Cléarchos , gagnèrent Délos et revinrent
à Milet, d'où Cléarchos se rendit ensuite par terre dans l'Hel-
lespont pour y prendre le commandement. Dix vaisseaux, con-
duits par Hélixos de Mégare , parvinrent heureusement dans
l'Hellespont et firent soulever Byzance . A cette nouvelle , les
Athéniens envoyèrent de Samos dans l'Hellespont un renfort de
vaisseaux et de troupes. Il y eut même devant Byzance un léger
engagement de huit vaisseaux contre huit.
LXXXI. Cependant Thrasybulos , qui depuis la révolution
opérée à Samos n'avait pas cessé de travailler au rappel d'Alci-
biade, parvint enfin , de concert avec les meneurs , à obtenir
l'assentiment des soldats assemblés . Dès qu'il eut fait voter par
eux son rappel et sa grâce , il se rendit auprès de Tissapherne
et ramena Alcibiade à Samos ; car à ses yeux le seul moyen
de salut était de s'attacher Tissapherne en l'enlevant aux
Péloponésiens .
LIVRE VIII. 465
Une assemblée fut convoquée . Alcibiade commença par déplo-
rer les malheurs de son exil ; puis il s'étendit sur les affaires
publiques et fit briller les plus belles perspectives pour l'ave-
nir ; enfin il exagéra démesurément son crédit auprès de Tissa-
pherne. Par là il voulait intimider les chefs de l'oligarchie d'A-
thènes, dissoudre les associations , inspirer à ceux de Samos
plus de respect pour lui et de confiance en eux- mêmes , enfin
brouiller toujours plus les ennemis avec Tissapherne, en fai-
sant évanouir les espérances qu'ils avaient mises en lui. Alci-
biade étala donc les promesses les plus pompeuses , affirmant
que Tissapherne lui avait donné sa parole que , s'il pouvait se fier
aux Athéniens , l'argent ne leur manquerait pas , tant qu'il lui
resterait quelque ressource , dût-il faire monnayer son propre
lit ; qu'il amènerait pour eux, et non pour les Péloponésiens ,
la flotte phénicienne déjà arrivée à Aspendos ; mais qu'il ne se
fierait aux Athéniens que lorsque Alcibiade rappelé lui répon-
drait de leurs sentiments.
LXXXII. Après avoir entendu ces promesses et d'autres sem-
blables, ils l'élurent aussitôt général, conjointement avec ceux
qu'ils avaient déjà nommés , et lui remirent la direction des
affaires. Dès lors chacun se crut tellement assuré de son salut
et de la punition des Quatre-Cents , qu'il n'eût échangé cet espoir
contre rien au monde. Déjà même, sur la foi de ce qu'ils ve-
naient d'entendre , ils étaient tout disposés à cingler immédia-
tement contre le Pirée , sans s'inquiéter des ennemis qu'ils
avaient devant eux. Mais Alcibiade , malgré leurs instances ,
s'opposa formellement à ce qu'ils prissent un tel parti en lais-
sant des adversaires qu'ils avaient plus près d'eux. Il dit que ,
étant nommé général, son premier soin était d'aller trouver
Tissapherne pour concerter un plan de guerre ; et en effet, au
sortir de l'assemblée, il partit sur-le-champ. Il voulait d'une
part faire croire à une entente complète entre lui et ce satrape,
de l'autre se grandir à ses yeux en se montrant investi du com-
mandement et désormais en mesure de lui faire ou du bien ou
du mal. Alcibiade avait ainsi l'avantage d'effrayer les Athéniens
par Tissapherne et Tissapherne par les Athéniens.
LXXXIII. Quand les Péloponésiens de Milet connurent le
rappel d'Alcibiade , la méfiance qu'ils avaient déjà pour Tissa-
pherne s'accrut considérablement. Il s'y joignait encore un
autre motif de haine, provenant de la négligence avec laquelle
Tissapherne servait la solde depuis la démonstration faite par
les Athéniens contre Milet , lorsque les Péloponésiens avaient re-
466 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

fusé le combat. Formant des groupes entre eux, comme précé-


demment, les soldats et même quelques hommes haut placés se
prirent à considérer qu'ils n'avaient pas encore touché la solde
entière , que le peu qu'ils recevaient n'était pas même payé régu-
lièrement ; qu'enfin, à moins de livrer une bataille décisive ou
de se transporter là où il serait possible de subsister , on verrait
la désertion se mettre dans les équipages . « Tout le mal , disaient-
ils, vient d'Astyochos , qui , pour des intérêts privés, caresse
les passions de Tissapherne. »
LXXXIV. Pendant qu'ils se livraient à ces réflexions, il s'é-
leva tout à coup une mutinerie contre Astyochos. Les matelots
syracusains et thuriens, d'autant plus arrogants qu'ils étaient
de condition libre, se portèrent en masse auprès de lui en récla
mant la solde. Astyochos répondit avec hauteur ; il alla même
jusqu'à lever son bâton sur Doriéus ' , qui s'était fait l'organe
de son équipage. A cette vue , la foule des soldats, en véritables
gens de mer, éclate avec furie contre Astyochos et s'apprête à
le lapider. Il prévint le danger en se réfugiant près d'un autel .
Il en fut quitte pour la peur, et la foule se dissipa.
C. Les Milésiens s'emparèrent par surprise du château que Tis-
sapherne avait fait construire dans leur ville 2 , et en chassèrent
la garnison . Cette action fut bien vue par les alliés, surtout
par les Syracusains ; mais elle n'eut pas l'approbation de Li-
chas. Selon lui, les Milésiens et tous les autres habitants du
pays du roi de vaient se soumettre à une servitude modérée et
ménager Tissapherne jusqu'à ce que la guerre eût pris une
heureuse fin. Ce propos et d'autres analogues indisposèrent
contre lui les Milésiens ; aussi lorsque plus tard il fut mort de
maladie , ils ne permirent pas qu'on l'enterrât à l'endroit qu'a-
vaient choisi les Lacédémoniens présents .
LXXXV. Les choses en étaient là et l'irritation contre Astyo-
chos et Tissapherne était parvenue à son comble, lorsque Min-
daros arriva de Lacédémone pour remplacer Astyochos dans
les fonctions de navarque . Astyochos lui remit le comman-
dement et s'embarqua . Il était accompagné par un ambassadeur
de Tissapherne, le Carien Gaulitès , qui parlait les deux langues .
Ce dernier était chargé de se plaindre des Milésiens au sujet
du fort et de disculper Tissapherne ; car celui-ci n'ignorait pas
que les Milésiens étaient partis dans l'intention de l'accuser et
qu'avec eux se trouvait Hermocratès , qui devait le représenter
comme ruinant, de concert avec Alcibiade , les affaires des Pélo-
ponésiens par ses fluctuations . Tissapherne ne lui avait pas
LIVRE VIII . 467

pardonné sa conauite dans la question de la solde . Lorsqu'en


2
dernier lieu ce général avait été banni de Syracuse et rem-
placé par Potamis , Myscon et Démarchos dans le commande-
ment de l'escadre syracusaine alors à Milet, Tissapherne avait
redoublé d'acharnement contre Hermocratès dès lors exilé . Il
lui reprochait, entre autres choses , de n'être devenu son ennemi
que parce qu'un jour il lui avait demandé de l'argent sans l'ob-
tenir. C'est ainsi qu'Astyochos , les Milésiens et Hermocratès
partirent pour Lacédémone. Alcibiade quitta Tissapherne et
revint à Samos.
LXXXVI . Là-dessus arrivèrent de Délos les députés envoyés
dans le temps par les Quatre-Cents pour tranquilliser l'armée
et lui faire entendre raison . Alcibiade était alors à Samos . Une
assemblée fut convoquée ; mais lorsque les députés voulurent
prendre la parole , les soldats refusèrent de les écouter et s'é-
crièrent qu'il fallait tuer ces destructeurs de la démocratie . A la
fin cependant ils se calmèrent, non sans peine , et consentirent
à les laisser parler.
Les députés déclarèrent que la révolution avait eu pour but,
non pas la ruine, mais le salut de la ville ; qu'on ne songeait
aucunement à la livrer aux ennemis : et la preuve , c'est que rien
n'était plus facile à faire lors de l'incursion des Péloponésiens,
quand on était déjà au pouvoir ; que tous les citoyens à tour de
rôle feraient partie des Cinq-Mille ; que les familles des soldats
n'étaient point outragées , comme Chéréas l'avait faussement
annoncé ; qu'on ne leur faisait aucun mal et qu'elles vaquaient
paisiblement à leurs affaires . Ils eurent beau répéter ces asser-
tions , les soldats ne voulurent rien entendre ; la colère leur suggé-
raittoute sorte d'avis , surtout celui d'aller au Pirée. En cette occa-
sion, Alcibiade rendit à la patrie le service le plus signalé : au
moment où l'armée , cédant à l'entraînement, allait faire voile
pour Athènes, ce qui était évidemment livrer aux ennemis l'Io-
nie et l'Hellespont, il sut l'en empêcher. Nul autre que lui n'é-
taient alors capable de contenir la multitude. Alcibiade la fit
renoncer à son dessein et apaisa par ses remontrances l'irri-
tation contre les députés . Ce fut lui qui les congédia, en leur
disant qu'il ne s'opposait point à ce que les Cinq- Mille gouver-
nassent ; mais que les Quatre- Cents devaient se démettre et
rétablir l'ancien conseil des Cing-Cents ; que si l'on avait fait
quelque réduction dans les dépenses pour alimenter l'armée , il
y donnait son plein assentiment. Au surplus il recommandait de
tenir ferme et de ne point céder aux ennemis : car , dit - il , la
468 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

ville sauvée , on peut espérer un rapprochement ; mais si l'un


des deux partis , celui de Samos ou celui d'Athènes , vient à suc-
comber, il ne restera plus personne avec qui se réconcilier.
Il y avait là des députés d'Argos , venus pour offrir leurs ser-
vices au parti populaire résidant à Samos . Alcibiade les remer-
cia, et leur dit en les renvoyant qu'on s'adresserait à eux en
temps utile. Ces députés avaient fait leur traversée avec les
Paraliens. Ceux- ci , comme on l'a vu ,. avaient été placés par les
Quatre-Cents sur un bâtiment de transport avec ordre de croi-
ser autour de l'Eubée ; ensuite ils avaient été chargés de con-
duire à Lacédémone Lespodias , Aristophon et Mélésias , envoyés
en députation par les Quatre-Cents ; mais parvenus à la hauteur
d'Argos , ils s'étaient saisis de ces ambassadeurs et les avaient
livrés aux Argiens , comme coupables du renversement de la
démocratie ; puis , au lieu de revenir à Athènes , ils avaient pris
à bord des députés argiens et s'étaient rendus à Samos avec
leur trirème.
LXXXVII . Le même été , dans le temps où divers motifs et
surtout le rappel d'Alcibiade avaient porté au comble l'irrita-
tion des Péloponésiens contre Tissapherne, qu'ils regardaient
comme partisan déclaré d'Athènes, celui-ci, voulant apparem-
ment dissiper ces fâcheuses impressions , prit le parti d'aller
à Aspendos au - devant de la flotte phénicienne . Il engagea
Lichas à l'accompagner et promit que son lieutenant Tamos
fournirait en son absence les subsides à l'armée. Les opinions
varient au sujet de ce voyage , et il n'est pas facile de savoir dans
quelle intention Tissapherne se rendit à Aspendos , ni pour-
quoi, après y être allé, il n'en ramena pas les vaisseaux. Que
la flotte phénicienne , forte de cent quarante-sept voiles , soit
venue jusqu'à Aspendos , c'est un fait avéré ; mais pour quel
motif ne poussa-t-elle pas plus loin ? à cet égard le champ est
ouvert aux conjectures . Les uns prétendent qu'en s'absentant
ainsi il était fidèle à son système d'affaiblir les Péloponésiens,
et pour preuve ils citent l'extrême négligence apportée par
Tamos dans le règlement de la solde ; d'autres , qu'en faisant
venir les Phéniciens à Aspendos, il voulait spéculer sur leur
retraite, sans avoir la moindre intention de les employer ; d'au-
tres enfin, qu'il n'avait pas d'autre but que de répondre aux
plaintes élevées contre lui à Lacédémone , en disant à sa dé-
charge qu'il était allé bien réellement chercher cette flotte ,
dont la présence n'était pas une fiction. Quant à moi , ce qui me
paraît le plus probable, c'est que , s'il n'amena pas la flotte
LIVRE VIII. 469

phénicienne , ce fut pour miner et paralyser la puissance des


Grecs. Il les ruinait par les lenteurs que causait son absence ,
et maintenait l'équilibre entre les deux partis . S'il eût voulu
sérieusement mettre fin à la guerre , il ne tenait qu'à lui ; car
en amenant la flotte , il eût selon toute probabilité donné la
victoire aux Lacédémoniens , dont les forces navales balan-
çaient presque celles d'Athènes . Enfin rien ne révéla mieux sa
pensée que le prétexte allégué par lui pour n'avoir pas amené
ces vaisseaux. A l'entendre , c'est parce qu'ils étaient moins
nombreux que le roi ne l'avait ordonné ; mais , dans ce cas , il
aurait d'autant mieux servi son maître en épargnant les fi-
nances royales et en atteignant le même but à moins de frais.
Quoi qu'il en soit, Tissapherne se rendit à Aspendos où il trouva
les Phéniciens. Sur sa demande , les Péloponésiens envoyèrent
au- devant de cette flotte le Lacédémonien Philippos avec deux
trirèmes .
LXXXVIII . Pour Alcibiade , il ne sut pas plutôt Tissapherne
en route pour Aspendos , qu'il partit lui- même avec treize vais-
seaux. Il dit à ceux de Samos qu'il ne manquerait pas de leur
rendre un grand service en amenant aux Athéniens la flotte
phénicienne, ou tout au moins en l'empêchant de se joindre
aux Péloponésiens. Apparemment il savait depuis longtemps
que l'intention de Tissapherne n'était pas de faire venir cette
flotte ; il voulait le brouiller de plus en plus avec les Pélopo-
nésiens , en le faisant passer pour son ami et pour celui d'A-
thènes , et le forcer ainsi de se jeter dans les bras des Athé-
niens. Il mit donc à la voile et se dirigea en droite ligne sur
Phasélis et sur Caunos.
LXXXIX . De retour à Athènes , les députés envoyés à Samos
par les Quatre-Cents rapportèrent la réponse d'Alcibiade , qui
était de tenir ferme sans céder aucunement à l'ennemi , vu qu'il
avait les meilleures espérances de les réconcilier avec l'armée
et de triomper des Péloponésiens. Déjà plusieurs de ceux qui
avaient donné les mains à l'établissement de l'oligarchie en
étaient aux regrets , et ne demandaient pas mieux que de trou-
ver un prétexte pour y échapper sans danger. Le langage d'Alci-
biade les enhardit ; ils formèrent des réunions , dans lesquelles
on critiquait la direction des affaires. Parmi eux se trouvaient
quelques-uns des chefs du parti aristocratique , généraux et
fonctionnaires , tels que Théraménès fils d'Hagnon , Aristo-
cratès fils de Scellias , et plusieurs autres . Bien qu'ils tinssent le
premier rang dans le régime actuel , ils n'étaient pas , disaient-
THUCYDIDE . 27
470 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

ils, sans inquiétude à l'égard de l'armée de Samos , et particu-


lièrement d'Alcibiade ; ils craignaient même que les députés
partis pour Lacédémone ne prissent , sans l'aveu de ceux qui
les avaient envoyés , quelque résolution funeste à l'État. Sans
donc renoncer à une tendance oligarchique , ils se bornaient à
demander qu'on désignât effectivement les Cinq-Mille , qui
n'existaient encore que de nom , et qu'on établit plus d'égalité
entre les citoyens. Du reste il n'y avait là que de vains sem-
blants de popularité ; au fond , la plupart n'écoutaient que leur
ambition personnelle , cause fréquente de la chute des oligar-
chies issues de l'état populaire ; chacun aspire à devenir de
plein saut , non pas l'égal , mais le premier de tous ; dans la
démocratie au contraire on prend mieux son parti du résultat
des élections , parce qu'on ne se voit pas préférer ses égaux¹ .
Mais rien ne fit sur eux plus d'impression que l'autorité
dont Alcibiade jouissait à Samos et le peu d'avenir que leur
semblait avoir l'oligarchie. Aussi travaillaient-ils à l'envi à de-
venir chacun les chefs du parti populaire.
XC . Ceux des Quatre -Cents qui étaient le plus opposés à
cette forme de gouvernement et qui avaient alors la haute
main dans les affaires, savoir : Phrynichos , le même qui dans
son commandement de Samos avait eu des démêlés avec Alci-
biade ; Aristarchos , l'un des plus ardents et des plus anciens
adversaires de la démocratie ; Pisandros , Antiphon et d'autres
hommes des plus puissants, avaient, dès leur entrée en charge,
envoyé quelques-uns des leurs en ambassade à Lacédémone
pour travailler à un rapprochement ; plus tard ils en firent
partir d'autres , lorsqu'ils connurent la réaction démocratique
de Samos. Ils avaient aussi commencé à fortifier l'endroit ap-
pelé Éétionéa 2. Leur activité ne fit que s'accroître , lorsqu'au
retour de leurs députés de Samos , ils virent le changement qui
s'opérait dans la multitude et même chez plusieurs de ceux sur
lesquels ils avaient jusqu'alors compté. Doublement inquiets ,
à l'égard d'Athènes et de Samos , ils se hâtèrent d'envoyer à
Lacédémone Antiphon , Phrynichos et dix autres , qu'ils char-
gèrent de traiter à tout prix, pour peu que les conditions fus-
sent tolérables . Ils pressèrent aussi les travaux d'Éétionéa.
Le but de cette construction , au dire de Théraménès et de ses
adhérents, n'était point de fermer le Pirée à la flotte de Samos ,
dans le cas où elle voudrait en forcer l'entrée , mais plutôt de
recevoir à volonté les ennemis par terre et par mer. L'Éétio-
néa sert de môle au Pirée , dans lequel on pénètre en la rasant.
LIVRE VIII. 471
A la muraille déjà existante du côté du continent , on en ajou-
tait alors une nouvelle , afin qu'il suffit d'une garnison peu
nombreuse pour commander l'entrée du port. En effet , c'était
à l'une des deux tours fermant son étroite embouchure 3 que
venaient aboutir l'ancien mur du côté du continent et le nou-
veau mur intérieur que l'on construisait alors du côté de la
mer. Ils barrèrent aussi par une traverse un portique spacieux
qui touchait au Pirée, et en firent un entrepôt, dont ils se ré-
servèrent l'administration ; chacun fut tenu d'y déposer le blé
qu'il pouvait avoir et celui qui arrivait par mer. C'est de là
qu'on devait le tirer pour le mettre en vente.
XCI . Depuis longtemps , Théraménès allait se plaignant de
toutes ces mesures . Lorsque les députés furent revenus de La-
cédémone sans rapporter de solution , il prétendit que ce fort
menaçait la sûreté de la ville . Par une singulière coïncidence ,
quarante-deux vaisseaux dont quelques-uns italiens , de Ta-
rente et de Locres , quelques autres siciliens partirent du
Péloponèse et vinrent mouiller à Las en Laconie 9 se dispo-
sant à passer en Eubée à la requête des Eubéens . Cette flotte
était commandée par le Spartiate Agésandridas fils d'Agésan-
dros. Théraménès soutint qu'elle avait moins en vue de secou-
rir l'Eubée que d'appuyer ceux qui fortifiaient l'Éétionéa , et
que, si l'on n'y prenait garde , la ville s'en irait tout doucement
à sa perte. Il y avait quelque chose de vrai dans cette accusa-
tion et ce n'était pas une pure calomnie. Les Quatre- Cents vou-
laient avant tout maintenir leur autorité oligarchique , même
sur les alliés ; si cela n'était pas possible , conserver l'indépen-
dance en gardant la flotte et les murs ; enfin , en désespoir de
cause, n'être pas les premières victimes du peuple redevenu
souverain, mais plutôt introduire les ennemis , traiter avec eux,
moyennant le sacrifice des murs et de la flotte , et sauver ce
qu'ils pourraient de la ville, en assurant leur sécurité person-
nelle. Aussi pressaient-ils l'achèvement de la fortification
commencée : ils y ménageaient des guichets et des passages
dérobés pour donner entrée aux ennemis . Tout devait être
achevé en temps utile.
XCII. Ce furent d'abord de sourdes rumeurs répandues entre
peu de personnes ; mais sur ces entrefaites Phrynichos, au re-
tour de son ambassade à Lacédémone , fut frappé en trahison par
1
un des péripoles et tué roide en pleine agora, au sortir même du
conseil. Le meurtrier s'échappa. Un Argien , son complice , arrêté
et mis à la question par les Quatre- Cents , ne nomma aucun in-
472 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

stigateur de ce crime , et déclara ne savoir autre" chose , sinon


qu'il y avait de fréquents conciliabules chez le commandant
des péripoles et en d'autres maisons . Comme cette affaire n'eut
pas de suites , Théraménès , Aristocratès et leurs adhérents
pensèrent que le moment d'agir était venu. Déjà la flotte pélo-
ponésienne, partie de Las, avait tourné la côte jusqu'à Epi-
daure , d'où elle avait fait une excursion contre Égine . Théra-
ménès soutint que , si elle était effectivement à destination de
l'Eubée, il n'était pas naturel qu'elle entrât dans le golfe d'E-
gine pour retourner mouiller à Epidaure , à moins qu'elle ne
fût appelée dans le but qu'il ne cessait de lui prêter , ajoutant
qu'il n'était plus possible de se croiser les bras.
Enfin, après maint propos séditieux et sur quelques nouveaux
soupçons, l'on en vint aux effets. Les hoplites du Pirée qui tra-
vaillaient aux fortifications d'Éétionéa et parmi lesquels se trou-
vait, en qualité de taxiarque , Aristocratès avec sa tribu , se
saisirent d'Alexiclès , l'un des généraux les plus dévoués à l'o-
ligarchie, le conduisirent dans une maison et l'y enfermèrent.
Ils furent activement secondés par Hermon, chef des péripoles
de garde à Munychie ; et , ce qui était plus grave, la masse des
hoplites les soutenaient.
Les Quatre-Cents se trouvaient alors en séance au conseil . A
cette nouvelle leur premier mouvement fut de courir aux armes,
excepté toutefois ceux à qui ne plaisait pas l'état actuel ; en
même temps ils éclataient en menaces contre Théraménès et
ses adhérents. Celui-ci se défendit en disant qu'il était prêt à
aller de ce pas avec eux délivrer le prisonnier. Il s'adjoignit un
des généraux de la même opinion que lui et se rendit au Pirée.
Aristarchos s'y porta de son côté avec quelques jeunes gens
d'entre les cavaliers. Le tumulte était à son comble . Dans la
ville on croyait le Pirée occupé et le prisonnier déjà mort ; au
Pirée on s'attednait de moment en moment å se voir attaqué
par les citadins. De toutes parts on prenait les armes. Ce ne fut
pas sans peine que les vieillards parvinrent à contenir la foule.
Ils furent aidés par le Pharsalien Thucydide, proxène d'Athènes ,
qui, se jetant en travers des plus échauffés , criait de ne pas per-
dre la république menacée de près par l'ennemi . A la fin cepen-
dant ils se calmèrent et s'abstinrent de s'entr'égorger.
Arrivé au Pirée , Théraménès, en qualité de général , se fâcha
contre les hoplites, mais pour la forme seulement. Aristarchos
au contraire et les ennemis de la multitude étaient furieux tout
de bon. La plupart des hoplites n'en persévérèrent pas moins
LIVRE VIII. 473

dans leur entreprise, sans témoigner le moindre repentir . Ils


demandèrent à Théraménès s'il croyait les fortifications élevées
à bonne fin et s'il ne vaudrait pas mieux les détruire. Il répon-
dit que, si tel était leur avis , c'était aussi le sien . A l'instant les
hoplites et beaucoup de gens du Pirée escaladèrent la muraille
pour la démolir. Le mot d'ordre parmi la foule était : « A l'œuvre
ceux qui préfèrent le gouvernement des Cinq-Mille à celui des
Quatre-Cents. >> On employait encore le nom des Cinq-Mille, pour
se mettre à couvert et ne pas dire ouvertement le peuple . On crai-
gnait que les Cinq -Mille n'existassent en réalité , et qu'on ne se
compromît en s'adressant à des inconnus . C'est pour cette raison
que les Quatre-Cents n'avaient voulu ni désigner effectivement
les Cinq-Mille, ni faire savoir qu'ils n'étaient pas désignés . D'une
part, un personnel si nombreux leur semblait être une véritable
démocratie ; de l'autre , ils pensaient que l'incertitude sur leur
existence entretiendrait la crainte parmi les citoyens .
XCIII . Le lendemain les Quatre-Cents, malgré leur trouble ,
s'assemblèrent au conseil . Les hoplites du Pirée, après avoir
relâché Alexiclès et rasé la muraille , se rendirent au théâtre de
Bacchus près de Munychie, mirent les armes à terre et se for-
mèrent en assemblée . Après une courte délibération , ils se
transportèrent à la ville , et allèrent faire halte dans l'Anacéion ' .
Quelques émissaires des Quatre-Cents vinrent les y trouver,
s'entretinrent individuellement avec eux et engagèrent les plus
modérés à demeurer en repos et à contenir les autres. Ils leur
dirent qu'on allait proclamer les Cinq -Mille , que dans ce nombre
seraient pris alternativement les Quatre-Cents , d'après le mode
que les Cinq-Mille auraient fixé 2 ; qu'en attendant il ne fallait
pas perdre la république ni la livrer aux ennemis . Ces discours ,
répétés dans les groupes, calmèrent la masse des hoplites , en
leur inspirant des craintes pour le salut de l'État . On convint
de convoquer, à jour déterminé, une assemblée dans le théâtre
de Bacchus pour le rétablissement de la concorde .
XCIV. Le jour marqué pour cette assemblée était venu et la
séance allait s'ouvrir , lorsqu'on apprit que les quarante-deux
vaisseaux d'Agésandridas , partis de Mégare, côtoyaient Sala-
1
mine. Il n'y eut alors parmi le peuple ¹ personne qui ne vît dans
ce fait la réalisation des craintes exprimées depuis longtemps
par Théraménès et par ses adhérents . On ne mit pas en doute
que cette flotte ne vint occuper le fort d'Éétionéa , et l'on s'ap-
plaudissait de sa destruction. Il se peut qu'Agésandridas fût
resté dans les parages d'Epidaure par suite de quelques intelli-
474 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
gences ; peut-être aussi attendait-il tout simplement l'issue des
dissensions d'Athènes pour intervenir à propos. A la première
nouvelle de son approche , les Athéniens en masse coururent au
Pirée , pensant que leurs divisions intestines devaient s'effacer
en présence de l'ennemi , qui était, non plus à distance, mais
déjà devant le port. Ceux-ci montaient sur les vaisseaux qui
étaient à flot ; ceux-là en tiraient d'autres à la mer ; quelques-
uns couraient à la défense des murailles ou vers l'entrée du
port.
XCV. La flotte péloponésienne, après avoir rangé la côte et
doublé le cap Sunion , alla mouiller devant Thoricos et Prasies ' 1
d'où elle atteignit ensuite Oropos . Les Athéniens , malgré l'état
de désorganisation de leurs équipages, conséquence inévitable
des troubles civils , voulurent néanmoins secourir promptement
la plus importante de leurs possessions ; en effet, depuis le blo-
cus de l'Attique, l'Eubée était tout pour eux. Ils envoyèrent
donc en grande hâte à Érétrie une flotte commandée par Thy-
mocharès. Cette flotte, réunie aux vaisseaux qui étaient déjà à
Érétrie, se trouva forte de trente- six voiles . Bientôt elle fut con-
trainte de livrer bataille. Agésandridas , après le repas du matin,
avait levé l'ancre d'Oropos , ville qui n'est séparée d'Erétrie que
par un bras de mer large de soixante stades . Dès qu'il s'avança,
les Athéniens commencèrent à s'embarquer, croyant leurs sol-
dats dans le voisinage ; mais ceux-ci n'ayant pas trouvé de vivres
au marché, où les Érétriens avaient eu soin de ne rien laisser
en vente, avaient été obligés d'aller dans les maisons situées à
l'extrémité de la ville. Par là on avait voulu que l'embarquement
se fît avec lenteur, afin que les ennemis eussent le temps de
fondre sur les Athéniens et les forçassent à combattre dans l'état
où ils se trouveraient. Un signal avait été élevé d'Érétrie pour
indiquer à Oropos l'instant de mettre en mer. Ce fut dans cette
situation que les Athéniens appareillèrent et engagèrent le com-
bat en avant du port d'Erétrie . Ils tinrent quelques instants ;
mais ils ne tardèrent pas à être mis en fuite et jetés à la côte.
Ceux d'entre eux qui cherchèrent un asile dans Érétrie, comme
dans une ville amie, furent le plus maltraités ; le peuple les
massacra ; ceux au contraire qui gagnèrent le fort occupé par
les Athéniens sur la terre d'Erétrie furent sauvés , de même que
la partie de la flotte qui atteignit Chalcis. Les Péloponésiens
prirent vingt-deux vaisseaux athéniens, tuèrent ou firent pri-
sonniers les équipages , et dressèrent un trophée. Peu de temps
après, ils insurgèrent toute l'Eubée , excepté Oréos que les
LIVRE VIII. 475

Athéniens occupaient, et ils organisèrent le pays à leur vo-


lonté.
XCVI. Quand on connut à Athènes les événements de l'Eubée ,
on fut dans la dernière consternation. Ni le désastre de Sicile ,
tout affreux qu'il parut dans le temps, ni aucun autre revers
n'avait encore causé une pareille épouvante. L'armée de Samos
était en pleine révolte ; plus de vaisseaux, plus d'équipages ;
dans la ville , la désunion ; la guerre civile près d'éclater ; enfin,
pour comble de disgrâce , on venait de perdre une flotte et , ce
qui était encore pis , l'Eubée , l'Eubée plus précieuse à elle seule
que l'Attique elle-même. Comment ne pas éprouver un profond
découragement ? Ce qui augmentait encore les alarmes, c'était
la crainte que les ennemis , enhardis par leur victoire, ne cin-
glassent directement contre le Pirée dépourvu de vaisseaux ; à
chaque instant on s'attendait à les voir arriver . S'ils eussent été
plus audacieux , ce leur eût été chose aisée ; leur présence eût
accru la division entre les citoyens ; le blocus eût forcé les sol-
dats de Samos , quoique hostiles à l'oligarchie, de venir au se-
cours de leurs parents et de la république entière ; dès lors
l'Hellespont était aux ennemis , de même que l'Ionie , les îles,
tous les pays jusqu'à l'Eubée , en un mot la totalité de l'empire
des Athéniens . Mais ce ne fut pas la seule occasion où les Lacé-
démoniens se montrèrent pour les Athéniens les plus commodes
adversaires . L'extrême différence de caractère de ces deux
peuples, l'un vif et audacieux, l'autre circonspect et timide ,
procura un immense avantage aux Athéniens , surtout dans une
lutte maritime. C'est ce que firent bien voir les Syracusáins ; ce
peuple qui avait avec les Athéniens plus de ressemblance que
tout autre, fut aussi celui qui leur fit la plus rude guerre .
XCVII. Sur ces nouvelles , les Athéniens n'en équipèrent pas
moins vingt vaisseaux et convoquèrent immédiatement, pour la
première fois depuis la révolution , une assemblée dans le
Pnyx , lieu ordinaire des séances. Là ils déposèrent les Quatre-
Cents ; ils décidèrent que le pouvoir serait remis aux Cinq- Mille,
dont ferait partie quiconque se fournissait d'armes³ ; et qu'au-
cun emploi ne serait rétribué, sous peine de malédiction * . Il y
eut par la suite de fréquentes assemblées , où l'on vota la
création de nomothètes et divers arrêtés législatifs . Jamais
de mémoire d'homme les Athéniens ne furent mieux gouvernés
qu'en ces premiers temps ; il y avait une sage combinaison de
l'oligarchie et de la démocratie ; aussi la ville ne tarda-t- elle
pas à se relever de son abaissement. Enfin on vota le rappel
476 GUERRE DU PÉLOPONÈSE.

d'Alcibiade et d'autres exilés . On lui envoya, ainsi qu'à l'ar-


mée de Samos, un message pour l'inviter à se mettre à la tête
des affaires .
XCVIII. Pendant que cette révolution s'accomplissait , Pisan-
dros, Alexiclès et les principaux oligarques se réfugièrent à
Décélie. Le seul Aristarchos , se trouvant alors général , prit à
la bâte quelques archers des plus barbares et se dirigea
vers OEnoé , château fort des Athéniens sur la frontière de
Béotie. Les Corinthiens, avec un certain nombre de Béotiens,
l'assiégeaient comme volontaires 2 , pour venger le massacre de
quelques-uns des leurs , tombés sous les coups de ceux d'OEnoé
en revenant de Décélie. Aristarchos , après s'être concerté avec
les assiégeants , trompa la garnison d'OEnoé en lui disant qu'A-
thènes avait conclu un accommodement avec les Lacédémo-
niens et qu'il fallait remettre la place aux Béotiens en vertu du
traité. Ces gens le crurent sur parole , parce qu'il était général
et qu'eux-mêmes , étant assiégés , ne savaient rien de ce qui se
passait au dehors . Ils sortirent donc sous assurance de la foi
publique. C'est ainsi que les Béotiens devinrent maîtres d'OEnoé
en même temps que prenaient fin l'oligarchie et les troubles
d'Athènes .
XCIX. Vers la même époque de cet été, les Péloponésiens
qui étaient à Milet se décidèrent à passer vers Pharnabaze. La
solde n'était servie par aucun de ceux qu'à son départ pour
Aspendos Tissapherne avait chargés de ce soin. Ni la flotte phé-
nicienne ni Tissapherne ne paraissaient. Philippos , qui l'avait
accompagné dans ce voyage ainsi qu'un autre Spartiate nommé
Hippocrates, mandaient de Phasélis au navarque Mindaros que
cette flotte ne viendrait pas et qu'ils étaient complétement joués
par Tissapherne. D'autre part, Pharnabaze les appelait à lui et
se montrait disposé à insurger , dès leur arrivée , les villes de
son gouvernement qui restaient encore aux Athéniens ; en quoi
il trouvait pour son compte le même avantage que Tissapherne
pour le sien . Par ces divers motifs , Mindaros , avec soixante-
treize vaisseaux, partit de Milet pour l'Hellespont dans le plus
grand ordre, à un signal donné à l'improviste, afin de dérober
sa marche aux Athéniens stationnés à Samos. Déjà ce même
été seize vaisseaux étaient entrés dans l'Hellespont et avaient
infesté une portion de la Chersonèse. Mindaros, assailli par une
tempête, fut contraint de relâcher à Icaros , où les vents con-
traires le retinrent cinq ou six jours ; il aborda ensuite à
Chios.
LIVRE VIII. 477

C. Dès que Thrasylos le sut parti de Milet , il quitta lui-


même Samos avec cinquante-cinq navires , et fit diligence afin
de ne pas être devancé par lui dans l'Hellespont. Informé que
Mindaros était à Chios , et croyant qu'il y séjournerait , il éta-
blit des vigies à Lesbos et sur le continent voisin , afin d'être
prévenu du moindre mouvement que ferait la flotte ennemie.
Lui-même se rendit à Méthymne, où il ordonna de préparer
de la farine et d'autres substances alimentaires , dans le des-
sein de diriger des courses de Lesbos contre Chios , pour peu
que la guerre traînât en longueur. De plus , comme Érésos
dans l'île de Lesbos avait fait défection, il voulait se porter
contre cette ville et , s'il se pouvait , la détruire . Il faut savoir
que les plus riches bannis de Méthymne avaient fait venir de
Cymé , grâce à leurs affiliations , une cinquantaine d'hoplites ,
levé des mercenaires sur le continent, et réuni ainsi trois cents
hommes, dont ils avaient donné le commandement au Thébain
Anaxandros , à cause de la parenté des deux peuples ' . Ils avaient
d'abord assailli Méthymne ; mais l'entreprise avait manqué par
un mouvement de la garnison athénienne de Mytilène . Vaincus
dans un second combat et rejetés au dehors, ils avaient franchi
la montagne et fait révolter Érésos . Thrasylos commença donc
par s'y rendre avec toute sa flotte et fit ses dispositions d'at-
taque. Thrasybulos l'y avait précédé avec cinq vaisseaux par-
tis de Samos à la première nouvelle du passage des bannis ;
mais, arrivé trop tard , il s'était contenté de mettre le blocus
devant Érésos . Les Athéniens furent aussi ralliés par deux vais-
seaux venant de l'Hellespont et par des bâtiments de Méthymne ,
ce qui porta l'effectif de leur flotte à soixante - sept voiles . A
l'aide des troupes qui étaient à bord , ils se disposèrent à enle-
ver Érésos avec des machines et par tous les moyens possibles.
CI. Cependant Mindaros et la flotte péloponésienne qui était
à Chios , après avoir mis deux jours à se procurer des vivres
et reçu des Chiotes trois tessaracostes de Chios par tête, ap-
pareillèrent à la hâte le troisième jour. Craignant , s'ils pre-
nent le large , de rencontrer la flotte qui assiégeait Érésos , ils
laissèrent Lesbos sur la gauche et cinglèrent vers le conti-
nent. Ils touchèrent au port de Cartéries sur le territoire de
Phocée, y prirent leur repas du matin , côtoyèrent ensuite la
campagne de Cymé et allèrent souper aux Arginuses du con-
tinent , à l'opposite de Mytilène. De là , par une nuit obscure,
ils continuèrent à serrer le rivage et atteignirent Harmatonte
sur le continent en face de Méthymne. Après le repas du ma-
478 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .
tin, ils passèrent avec rapidité devant Lectos , Larissa , Ha-
maxitos et d'autres places de ces parages , et avant minuit ils
parvinrent à Rhétée , qui fait déjà partie de l'Hellespont . Quel-
ques-uns de leurs vaisseaux prirent terre à Sigée et sur d'au-
tres points de la côte.
CII. Les dix-huit vaisseaux athéniens qui étaient à Sestos
comprirent , aux signaux des vigies et au grand nombre des
feux allumés tout à coup sur le territoire ennemi , que les
Péloponésiens entraient dans l'Hellespont. En conséquence , et
sans attendre la fin de la nuit, ils se dirigèrent de toute leur
vitesse sur Éléonte , en côtoyant la Chersonèse et tâchant de
gagner le large avant la rencontre des ennemis . Ils échappè-
rent aux seize vaisseaux péloponésiens qui étaient à Abydos ,
bien que ceux-ci eussent reçu des leurs qui s'avançaient l'ordre
d'avoir l'œil ouvert sur les mouvements des Athéniens ; mais,
au point du jour, ils furent aperçus par la flotte de Mindaros,
qui aussitôt leur donna la chasse. La plupart se sauvèrent dans
la direction d'Imbros et de Lemnos ; mais quatre vaisseaux
qui fermaient la marche furent atteints devant Éléonte. L'un
d'eux alla s'échouer près du sanctuaire de Protésilas ' et fut
pris avec ceux qui le montaient ; deux autres furent capturés
sans leurs équipages ; le quatrième , qui était vide, fut brûlé
devant Imbros.
CIII. Ensuite les Péloponésiens , ayant rallié les vaisseaux
d'Abydos et porté leur flotte au nombre de quatre-vingt-six
voiles, assiégèrent Éléonte le même jour ; mais n'ayant pu s'en
rendre maîtres , ils se retirèrent à Abydos .
Cependant les Athéniens , trompés par leurs vigies et ne pré-
sumant guère que la flotte ennemie passât à leur insu , bat-
taient à loisir les murailles d'Érésos . Mieux informés , ils le-
vèrent à l'instant le siége et se portèrent en toute hâte vers
l'Hellespont. Deux vaisseaux péloponésiens qui , dans l'ardeur
de la poursuite , s'étaient aventurés en pleine mer , vinrent
donner au milieu d'eux et furent pris. Arrivés un jour trop
tard, les Athéniens mouillèrent à Éléonte, recueillirent les bâ-
timents réfugiés à Imbros et se préparèrent au combat pendant
cinq jours.
CIV. Ensuite l'action s'engagea de la manière suivante. Les
Athéniens, rangés en file, serraient la côte en se dirigeant vers
Sestos ; les Péloponésiens , qui les avaient aperçus d'Abydos,
s'avancèrent à leur rencontre. Quand le combat parut immi-
nent, les Athéniens se déployèrent le long de la Chersonèse,
LIVRE VIII. 479
depuis Idacos jusqu'à Arriana, avec soixante-seize .vaisseaux .
Les Péloponésiens en firent autant, depuis Abydos jusqu'à Dar-
danos, avec quatre-vingt-huit. A l'aile droite des Péloponé-
siens étaient les Syracusains , à l'autre aile Mindaros en per-
sonne avec les bâtiments qui marchaient le mieux. Du côté
des Athéniens, Thrasylos occupait la gauche, Thrasybulos la
droite ; au centre étaient les autres généraux, chacun à son
rang. Les Péloponésiens se hâtèrent d'entamer le combat. Leur
aile gauche débordant la droite des Athéniens , ils voulaient,
s'il était possible, leur fermer la sortie du détroit , les charger
au centre et les pousser à la côte qui est peu éloignée. Mais
les Athéniens , devinant leur intention, s'étendirent du côté où
les ennemis manoeuvraient pour les enfermer, prirent l'avance
et les débordèrent. Leur aile gauche avait déjà dépassé le pro-
montoire nommé Cynosséma¹ . Ce mouvement laissait faible et
dégarni le centre de leur ligne, déjà inférieur en nombre à
l'ennemi ; de plus, le contour du Cynosséma , formant un angle
aigu, ne permettait pas d'apercevoir ce qui se passait au delà .
CV. Les Péloponésiens , ayant donc enfoncé le centre , pous-
sèrent à la côte les vaisseaux athéniens, suivirent les ennemis
à terre et eurent sur ce point une supériorité marquée. Thra-
sybulos, qui avait sur les bras un grand nombre de vaisseaux,
était dans l'impossibilité de se porter de l'aile droite au secours
du centre. Thrasylos ne le pouvait pas davantage de l'aile
gauche ; car le promontoire de Cynosséma lui masquait en-
tièrement la vue , quand il n'aurait pas été empêché par les
vaisseaux syracusains et autres qu'il avait en tête et qui n'é-
taient pas inférieurs aux siens. A la fin cependant, les Pélopo-
nésiens qui , dans l'entraînement du succès , poursuivaient les
ennemis dans toutes les directions , commencèrent à se mettre
en désordre sur quelques points. Thrasybulos , qui s'en aper-
çoit, suspend aussitôt son mouvement allongé ; et , tournant
vers les vaisseaux qui le menacent , il les attaque brusque-
ment et les force à prendre la fuite. Il se porte ensuite vers le
point où les Péloponésiens ont l'avantage, surprend leurs vais-
seaux épars, les enfonce et les met en déroute , sans résistance
pour la plupart. Au même instant, les Syracusains pliaient
devant la division de Thrasylos ; ils s'enfuirent encore plus
vite lorsqu'ils virent la défaite des autres.
CVI. Après la perte de la bataille , les Péloponésiens se réfu-
gièrent d'abord vers le fleuve Midios et ensuite à Abydos. Les
Athéniens ne prirent qu'un petit nombre de bâtiments ; car le
480 GUERRE DU PÉLOPONÈSE .

peu de largeur de l'Hellespont procura aux ennemis des re-


traites voisines. Mais rien ne pouvait arriver plus à propos que
cette victoire navale. Jusqu'alors les Athéniens avaient redouté
la marine péloponésienne, à cause de leurs revers consécutifs
et du désastre de Sicile ; depuis ce moment , ils cessèrent de `se
défier d'eux-mêmes et de faire cas des forces maritimes des
ennemis. Ils leur prirent huit vaisseaux de Chios , cinq de
Corinthe , deux d'Ambracie , deux de Béotie , un de Leucade ,
un de Laconie, un de Syracuse et un de Pellène ; ils perdirent
de leur côté quinze vaisseaux. Ils érigèrent un trophée sur le
promontoire de Cynosséma , recueillirent les débris , rendirent
aux ennemis leurs morts par composition , et dépêchèrent une
trirème pour annoncer cette victoire à Athènes . L'arrivée de ce
bâtiment, apportant la nouvelle d'un succès inespéré , releva
les courages abattus par les récentes infortunes de l'Eubée et
par les dissensions intestines. Les Athéniens pensèrent qu'avec
du zèle il était encore possible de prendre le dessus.
CVII. Le quatrième jour après ce combat naval , les Athé-
niens , qui avaient radoubé à la hâte leurs navires , cinglèrent
de Sestos vers Cyzique , insurgée contre eux. Ils aperçurent
à l'ancre devant Harpagion et Priapos les huit vaisseaux venus
de Byzance. Ils fondirent sur eux , défirent les troupes qui
étaient débarquées et s'emparèrent de ces bâtiments. Arrivés
à Cyzique , ils firent rentrer sous leur obéissance cette ville
ouverte et la frappèrent d'une contribution.
Pendant ce temps, les Péloponésiens passèrent d'Abydos à
Eléonte et reprirent ceux de leurs vaisseaux capturés qui
étaient encore intacts ; les autres avaient été brûlés par les
Éléontins . Ils envoyèrent Hippocratès et Epiclès en Eubée
pour ramener là flotte qui s'y trouvait.
CVIII. Sur ces entrefaites , Alcibiade , avec ses treize vais-
seaux, revint de Caunos et de Phasélis à Samos , annonçant
qu'il avait empêché la flotte phénicienne de se joindre aux
Péloponésiens et cimenté les bonnes dispositions de Tissa-
pherne pour Athènes. Il équipa neuf bâtiments outre ceux
qu'il avait déjà, leva une forte contribution sur Halicarnasse
et fortifia Cos ; après quoi , il établit un gouverneur dans cette
dernière ville et regagna Samos à l'approche de l'arrière- sai-
son. Lorsque Tissapherne apprit que la flotte péloponésienne
avait passé de Milet dans l'Hellespont, il partit lui-même d'As-
pendos et s'achemina vers l'Ionie.
Pendant que les Péloponésiens étaient dans l'Hellespont , les
LIVRE VIII . 481
habitants d'Antandros , Éoliens d'origine, ayant à se plaindre
d'Arsacès , lieutenant de Tissapherne , firent venir par terre , à
travers le mont Ida , des hoplites d'Abydos , qu'ils introduisi-
rent dans leur ville. Cet Arsacès avait indignement traité ceux
des Déliens qui s'étaient établis à Atramyttion , lorsque les
Athéniens les avaient expulsés de Délos pour purifier cette île ' .
Sous prétexte de combattre un ennemi qu'il ne désignait pas ,
il avait mis en réquisition les principaux d'entre eux, les avait
emmenés sous les dehors de l'amitié et de l'alliance ; puis, sai-
sissant le moment de leur repas, il les avait fait envelopper
par ses gens et percer de traits. Cette action fit craindre aux
Antandriens qu'un jour il ne se portât contre eux à quelque
violence analogue ; et, comme ils ne pouvaient plus supporter
les charges qu'il leur imposait, ils chassèrent sa garnison de
leur citadelle .
CIX . Tissapherne, sentant que cette expulsion était l'ou-
vrage des Péloponésiens , non moins que ce qui s'était passé à
Milet et à Cnide¹ , dont ses garnisons avaient été pareillement
chassées , les crut définitivement brouillés avec lui , et appré-
henda de leur part quelque nouveau dommage. D'ailleurs il ne
voyait pas sans dépit que Pharnabaze , qui les avait appelés
depuis moins de temps et à moins de frais que lui , en tirât
contre les Athéniens de plus grands services. Il résolut donc
de les aller trouver dans l'Hellespont , afin de se plaindre des
événements d'Antandros et de se disculper de son mieux au
sujet de la flotte phénicienne et des autres griefs articulés
contre lui. Il se rendit en premier lieu à Ephèse , où il offrit
un sacrifice à Diane.
Quand l'hiver qui suit cet été aura pris fin , la vingt et
unième année de la guerre sera terminée 2.
NOTES.

LIVRE PREMIER .

CHAP. II. 1. Avant d'être occupée par les Thessaliens, peuple venu
de Thesprotide , la Thessalie s'appelait Éolide , Hémonie , Pélasgie,
d'après les différents peuples qui l'habitaient. L'immigration des Thes-
saliens est postérieure à la guerre de Troie. Ils subjuguèrent les Eoliens,
les Magnètes , les Perrhèbes et les Achéens.
2. Les Béotiens étaient une des peuplades éoliennes qui furent
expulsées de Thessalie par l'immigration des Thessaliens. Les anciens
habitants de la Béotie étaient les Cadméens, du nom desquels le pays ,
ou du moins sa partie centrale , s'appelait Cadméide. Chassés par les
Béotiens soixante ans après la prise de Troie , ces peuples allèrent en
Asie Mineure fonder les colonies qui , de leur nom , furent appelés
éoliennes. Ils y furent conduits par Penthilos , fils d'Oreste.
3. Les Arcadiens se vantaient d'être autochthones , et d'avoir fondé
leur ville de Lycosoura antérieurement à l'existence de la lune. L'â-
preté de leurs montagnes les préserva de l'invasion dorienne.
4. Par exemple la famille des Néléides , venue avec Mélanthos , père
de Codros , lequel , chassé de Pylos par les Héraclides , se retira en
Attique , et devint roi d'Athènes.
5. Les Ioniens , partis d'Athènes sous la conduite de Néléus et d'au-
tres fils de Codros ( 1044 av. J. C.) , fondèrent douze villes en Asie
Mineure, dix sur le continent, savoir : Phocée, Clazomènes, Erythres ,
Téos , Priène , Colophon , Lébédos , Myonte , Ephèse et Milet ; deux
dans les îles voisines , savoir : Chios et Samos. Les Ioniens d'Asie
étaient originairement unis par une confédération , dont le centre
était le temple de Neptune Héliconien , sur le promontoire de Mycale,
où se célébraient les fêtes appelées Panionia.
CHAP. III. 1. C'est mal à propos qu'on restreint quelquefois le
nom d'Hellas à la Grèce continentale . par exclusion du Péloponèse.
484 NOTES.

Ce nom désignait en général tout pays habité par une population hel-
lénique , et spécialement la Grèce d'Europe dans sa totalité.
2. La Phthiotide ou pays de Phthie , berceau de la race hellénique
et royaume d'Achille à l'époque de la guerre de Troie , comprenait la
partie moyenne de la vallée du Sperchios , entre l'Eta et le mont
Othrys , limite septentrionale de la Grèce moderne. Les fils d'Hellen
étaient Doros , Xuthos (père d'Ion et d'Achéos) et Æolos , patriarches
des quatre branches de la nation grecque.
3. Hérodote (II , 53) fixe l'âge d'Homère à 400 ans plus haut que
le sien , c'est-à-dire à 884 av. J. C. On sait qu'il n'y a pas de date plus
incertaine dans toute l'histoire ancienne. Larcher, d'après Velléius
Paterculus , place Homère à l'an 968. L'auteur de la vie d'Homère ,
faussement attribuée à Hérodote , dit qu'il naquit 622 ans avant l'expé-
dition de Xerxès , c'est-à-dire 1102 av. J. C.

CHAP. IV. 1. D'après Homère , Minos était roi de Cnosse en Crète ,


père de Deucalion et aïeul d'Idoménée , conséquemment antérieur de
deux générations à la guerre de Troie. Les Cariens qu'il expulsa des
Cyclades habitaient la côte S. O. de l'Asie Mineure , où était leur
principale ville de Mylassa. De là ils s'étaient étendus dans les îles
voisines.

CHAP. V. — 1 . Par anciens poëtes , Thucydide entend essentiellement


Homère. Dans l'Odyssée (III , 71 ) , Nestor dit à Télémaque : « Etrangers ,
qui êtes-vous ? d'où venez- vous à travers les plaines humides ? est- ce
pour quelque affaire , ou bien errez-vous à l'aventure , comme des
pirates , qui parcourent les mers en exposant leur vie et portant le
ravage en d'autres pays ? » - Le Cyclope adresse la même question à
Ulysse (Od. IX , 252).
CHAP. VI. - 1. C'est-à-dire des épingles d'or en forme de cigales.
La cigale, qu'on croyait naître de la terre , était un symbole d'autoch-
thonie pour les anciens Athéniens.
2. Les Spartiates portaient sur leur tunique un manteau extrême-
ment court, d'étoffe grossière et de couleur brune.
CHAP. VIII. - 1. Sur les détails de cette purification , voy. livre III ,
104. Pisistrate avait déjà purifié un tiers de l'île de Délos (Hérodote ,
I, 64).
2. Le scholiaste de Thucydide explique ce passage en disant que les
Cariens avaient la coutume de déposer dans les sépulcres de petits bou-
cliers et des aigrettes de casque , en mémoire des perfectionnements
que ce peuple avait introduits dans la fabrication de ces armes (Héro-
dote , I, 171 , et Strabon , XIV , p . 976) . Quant aux Phéniciens, le même
scholiaste affirme qu'ils enterraient les morts la tête tournée vers
l'Occident, contrairement à l'usage des autres peuples.
LIVRE I. 485

CHAP. IX. 1. Une ancienne légende , inconnue cependant à Ho-


mère , portait que Tyndare , père d'Hélène , craignant que la beauté
de sa fille n'attirât des ennemis à celui qu'il lui aurait donné pour
époux, rassembla , avant de faire connaître son choix , tous les pré-
tendants , et leur fit solennellement jurer qu'ils prendraient tous la
défense du futur époux d'Hélène , dans le cas où il serait outragé dans
son hymen; serment en vertu duquel Agamemnon et Ménélas leur
firent ensuite prendre les armes , pour venger l'attentat de Pâris.
2. Pélops , fils de Tantale qui régnait à Sipyle en Phrygie , chassé
d'Asie Mineure probablement par les armes des Troyens , se réfugia en
Grèce , où il épousa Hippodamie , fille d'Enomaos , roi de Pise en
Elide. Les fils de Pélops (Atrée , Thyeste , Pitthée) obtinrent , par des
alliances matrimoniales , la royauté des principales villes de la pénin-
sule , qui , du nom de leur père , fut ensuite appelée Péloponèse ou ile
de Pélops. On peut présumer que le motif de la guerre de Troie fut le
désir que les Pélopides , devenus puissants , eurent de se venger des
Troyens , qui avaient détrôné leurs ancêtres.
3. Il s'agit ici de l'expédition qu'Eurysthée , roi de Mycènes , fils de
Sthénélos et petit-fils de Persée , fit contre les Athéniens pour les forcer
à lui livrer les fils d'Hercule réfugiés à Athènes. Le combat eut lieu à
l'isthme de Corinthe , jusqu'où l'Attique s'étendait alors. Eurysthée fut
tué , les uns disent par Hyllos , fils aîné d'Hercule , les autres par
Iolas , ami et compagnon de ce héros.
4. Atrée et Thyeste , fils de Pélops et d'Hippodamie , avaient tué
Chrysippos leur frère , que Pélops avait eu d'une autre femme. Ce
meurtre les fit exiler de Pise par leur père. C'est alors qu'ils se retirè-
rent à Mycènes , auprès d'Eurysthée , qui était leur neveu , puisqu'il
avait pour mère Astydamie , fille de Pélops.
CHAP. X. -1 . D'autres entendent que des cinq provinces dans les-
quelles on divise communément le Péloponèse , les Lacédémoniens en
possédaient deux (la Laconie et la Messénie) . Il vaut mieux , d'après
l'usage ordinaire de la langue grecque , entendre ici la division en
surface carrée.
2. La ville de Sparte était bâtie sur plusieurs collines et comprenait
quatre quartiers (Limnæ , Messoa , Cynosoura , Pitane). Du temps de
Thucydide , elle n'était pas entourée de murailles; elle ne fut fortifiée
que par le tyran Nabis (190 ans av. J. C.)
3. Le catalogue des navires dans l'Iliade est l'énumération détaillée
des divers contingents qui composaient la flotte des Grecs devant Troie.
Ce catalogue , appelé aussi Boría parce qu'il commence par les
vaisseaux des Béotiens, occupe toute la dernière partie du II chant
de l'Iliade , depuis le vers 494. Le nombre total des vaisseaux n'est
pas de 1200 , mais de 1186. Ceux des Béotiens sont cités au vers 510 ,
ceux de Philoctète au vers 719.
486 NOTES.

4. Si l'on prend le nombre rond de 1200 vaisseaux , nombre indiqué


par Thucydide , la moyenne serait de 85 hommes par vaisseau , c'est-
à-dire 102 000 hommes pour la totalité de l'armée.
CHAP. XI. - 1. Ce premier combat livré sur le rivage de la Troade,
Homère n'en fait aucune mention, à moins que ce ne soit celui où
périt le héros Protésilas (Iliade , II , 695) . Mais il dut nécessairement
avoir lieu ; car les Troyens ne pouvaient manquer de s'opposer au
débarquement des Grecs, avant de leur permettre de tirer leurs vais-
seaux à terre et de s'entourer d'un retranchement.

CHAP. XII.- 1 . La ville d'Arné , métropole des Béotiens , était , à ce


qu'on croit , située dans la partie centrale de la Thessalie , entre les
fleuves Enipée et Apidanos. Cette ville disparut dans la suite ; mais il
en resta un temple de Minerve Itonienne , divinité nationale des
Béotiens, et à laquelle ils en élevèrent un nouveau près de Coronée en
Béotie.
2. Thucydide va au-devant d'une objection que les Grecs n'auraient
pas manqué de lui faire. Dans le catalogue des navires , Homère cite
en première ligne les Béotiens. Suivant l'usage , il leur assigne l'ex-
trême droite, parce que l'armée avait été rassemblée dans le port
d'Aulis , sur leur territoire. Il fallait donc qu'à cette époque il y eût
déjà des Béotiens en Béotie.
3. La conquête du Péloponèse par les Doriens , ayant à leur tête les
Héraclides ou descendants d'Hercule , eut lieu , selon les calculs les
plus probables , 1104 ans av . J. C.; ce qui reporte la date de la prise de
Troie à 1184 av. J. C. Hérodote parle incidemment (IX, 26) de la ten-
tative faite par Hyllos , fils d'Hercule , pour rentrer en possession du
royaume de Mycènes; mais il ne raconte pas la grande expédition des
Doriens. On peut consulter sur ce sujet l'ouvrage classique d'O . Müller
(Die Dorier), ouvrage qui attend toujours une traduction française.
1
CHAP. XIII.1 . La tyrannie chez les Grecs était une autorité illé-
gitime que s'arrogeait un citoyen dans un Etat ayant une constitution
républicaine. C'était un retour extralégal à l'ancienne royauté. Pres-
que partout les tyrans avaient commencé par être les chefs du parti
populaire dans la lutte de celui - ci contre l'aristocratie , ou des classes
indigènes contre la noblesse dorienne dans les Etats fondés par les
Doriens . C'est pourquoi Lacédémone fit partout la guerre aux tyrans ,
jusqu'à ce qu'elle les eût renversés. Le sixième et le septième siècles
avant notre ère sont, pour la majeure partie de la Grèce, l'époque des
tyrannies.
2. Les priviléges des rois dans les temps héroïques consistaient à
rendre la justice, à commander l'armée, à présider les assemblées (sans
cependant rien décider que de l'aveu des vieillards ou du peuple) , à
faire fonctions de sacrificateurs dans les sacrifices publics. Ils avaient
LIVRE I. 487
un domaine réservé , une double portion des victimes , des présents
nombreux et une part prélevée sur le butin. La royauté était héré-
ditaire, mais toujours avec l'agrément de la multitude.
3. La trirème (rpinpns) était une galère à trois rangs de rames et
à 200 hommes d'équipage. C'était le modèle uniforme des vaisseaux de
guerre grecs à l'époque de Thucydide.
4. On ignore le sujet de cette ancienne guerre de Corinthe contre
sa colonie. Le scholiaste prétend qu'elle eut lieu à la suite du meurtre
de Lycophron, fils de Périandre, tyran de Corinthe (Hérodote III , 50).
Mais Wesseling et Larcher ont prouvé que ce serait reculer de plus
d'un siècle la date fournie par Thucydide. Au surplus Homère ne fait
jamais mention de bataille navale. De son temps, les vaisseaux ne ser-
vaient qu'au transport des guerriers, sans qu'on eût l'idée de se battre
sur mer.
5. L'épithète d'opulente (apvetós) est donnée à Corinthe par Homère
(Iliade II, 570) et par Pindare (Ol. XIII , 4).
6. Ceux des Ioniens d'Asie Mineure qui eurent le plus de vaisseaux
furent les Milésiens, les Phocéens , les Chiotes et les Samiens. Leur
. marine était déjà considérable du temps de Crésus , roi de Lydie
(Hérod. I , 27 et 163) . Sous le règne de Cambyse , une flotte ionienne
prit part à l'expédition de ce prince contre l'Egypte. A lui seul Poly-
crate, tyran de Samos , y envoya 40 trirèmes (Hérod . III , 44 ) . Sur
l'empire maritime de Polycrate, voy. encore Hérodote, III, 122 et 39,
où il est dit qu'il possédait 100 pentécontores ou bâtiments à 50 rames.
Sur Rhénéa , voy. III , 104.
7. La fondation de Marseille par une colonie de Phocéens est placée
communément 600 ans av. J. C. Hérodote (I , 166) parle bien d'un
combat naval entre les Carthaginois et les Phocéens , dans lequel ces
derniers eurent le dessous ; mais il ne dit mot de la fondation de Mar-
seille . Cette fondation est indiquée par Isocrate (Archid. , p. 149) , par
Athénée (XIII , v) , par Justin (XLIII , ш ) et par Agathias (I , p. 12).
CHAP. XIV. - 1. Les pentécontores étaient des vaisseaux de guerre à
50 rames , disposées sur un seul rang , 25 de chaque côté. Les pre-
miers bâtiments de ce genre qui servirent en Grèce furent ceux sur
lesquels arrivèrent à Argos les Egyptiens de Danaüs (Pline , Nat. Hist. ,
VII, 57). C'est probablement à cette circonstance qu'il faut rapporter
le nombre légendaire des 50 filles de ce prince et des 50 fils de son
frère Ægyptus (Sésostris). Plus tard , le navire Argo fut construit sur
ce modèle. Le nom de vaisseaux longs est un terme générique, dési-
gnant les vaisseaux de guerre , par opposition aux vaisseaux ronds
ou bâtiments marchands.
2. Gélon , tyran de Syracuse , offrit aux Grecs menacés par les
Perses , 200 trirèmes , à condition qu'il aurait le commandement en
chef des alliés; ce qui ne fut pas accepté. Les Corcyréens envoyèrent
488 NOTES .
60 vaisseaux qui ne rejoignirent pas la flotte grecque (Hérod. , VII,
158 et 166).
3. A Salamine . Peu avant la guerre , Thémistocle avait persuadé aux
Athéniens de consacrer à l'augmentation de leur flotte les revenus des
mines d'argent de Laurion (Plutarq . , Thém. , 4).
CHAP . XV . - 1. Chalcis et Érétrie, villes principales de l'Eubée , se
firent la guerre au sujet de la plaine fertile de Lélanton. Les Milésiens
soutinrent Érétrie , les Samiens Chalcis. L'époque de cette guerre est
approximativement fixée à l'an 800 av. J. C.
CHAP. XVI. 1. Les villes grecques d'Asie Mineure. Le fleuve Halys
(Kisil- Irmak) formait la limite orientale de l'empire de Crésus. Il sort
du mont Antitaurus , coule au nord et se jette dans le Pont-Euxin ,
en séparant la Paphlagonie et le Pont.
CHAP. XVII. -- 1. Le plus puissant des anciens tyrans de la Sicile
fut Gélon de Syracuse , qui remporta sur les Carthaginois une grande
victoire près de la ville d'Himéra en Sicile, le même jour, dit-on, que
fut gagnée par les Grecs la bataille de Salamine (30 septembre 480
av. J. C.).
CHAP. XVIII.1 . Les Lacédémoniens expulsèrent les Cypsélides de
Corinthe , Lygdamis de Naxos , Eschines de Sicyone , Symmachos de
Thasos , Aulis de Phocide, Aristogénès de Milet , enfin les Pisistratides
d'Athènes.
2. Thucydide parle encore , au livre V, 16 , de la fondation de La-
cédémone par les Doriens. Il veut dire leur établissement dans cette
ville; car elle existait longtemps avant l'invasion dorienne ; mais elle
était peu considérable , tandis que les Doriens en firent la capitale du
pays.
3. On fixe communément à 885 av. J. C. l'époque de la législation
de Lycurgue. La guerre du Péloponèse finit en 404. Donc Thucydide
rapproche de 81 ans la date de Lycurgue.
4. L'expulsion des Pisistratides eut lieu en 510 av. J. C.; la bataille
de Marathon en 490.
CHAP. XIX.- 1 . Les conditions primitives de l'alliance d'Athènes sont
indiquées aux chap. xcXVI et XCVII. Au commencement de la guerre
du Péloponèse , il ne restait plus que les îles de Chios et de Lesbos à
qui elles s'appliquassent encore. Toutes les autres villes alliées , après
avoir voulu secouer le joug , avaient été successivement désarmées et
soumises à une aggravation de tribut.
O CHAP. XX. 1. Comparez VI , 54-59. Ce préjugé populaire , déjà
combattu par Hérodote (VI , LV) , se trouve reproduit dans l'hymne
LIVRE I. 489
patriotique d'Harmodios et d'Aristogiton , ainsi que dans le dialogue
d'Hipparque, attribué au philosophe Platon.
2. Monument érigé en l'honneur des filles de Léos , immolées pour
la patrie. Sur les Panathénées ou fêtes de Minerve , voyez liv. V,
ch. XLVII , note 3.
3. Allusion dirigée , à ce qu'il paraît , contre l'historien Hérodote ,
auquel appartiennent ces deux opinions (VI , LVII , et IX, LIII).
CHAP. XXI. - 1. Ce nom désigne les plus anciens chroniqueurs
grecs , qui recueillirent les traditions concernant les origines des
villes , des temples , des peuples ou des rois , et qui les rédigèrent en
prose , dans un style simple et naïf. Les logographes furent la plupart
Ioniens. Parmi eux on cite Cadmos , Hécatée et Denys, tous trois de
Milet , Hellanicos de Mytilène , Charon de Lampsaque. Sauf de rares
fragments , leurs ouvrages sont perdus.
CHAP. XXIII . 1. Sur terre, les batailles des Thermopyles et de
Platée ; sur mer , celles de l'Artémision et de Salamine.
CHAP, XXIV. — 1. Thucydide , ainsi qu'Hérodote , donne à l'Adria-
tique le nom de golfe Ionien ou de golfe de la mer Ionienne . Épi-
damne était située sur une presqu'île de l'Illyrie , à quarante lieues au
N. de Corcyre. Elle fut fondée en 627 av. J. C. Corcyre elle-même
avait été fondée par les Corinthiens sept cent trente-cinq ans av. J. C. ,
la même année que Syracuse. Les Romains changèrent le nom d'E-
pidamne en celui de Dyrrachium. C'est aujourd'hui la ville de Durrazzo.
2. Les députés d'Epidamne se constituaient suppliants , parce que ,
venant d'une ville qui avait fait une révolution populaire , ils crai-
gnaient que le gouvernement aristocratique de Corcyre ne voulût pas
les écouter. La posture des suppliants consistait à s'asseoir sur les
marches d'un autel , en tenant à la main un rameau d'olivier entouré
de laine. Par ce moyen on était sûr d'obtenir audience . Junon était
la divinité nationale de Corcyre.

CHAP. XXV. - 1 . L'ile de Corcyre passait pour être la même qu'Homère


appelle Schéria , et où il place l'habitation des Phéaciens. Aussi les
Corcyréens rendaient-ils un culte au héros Alcinoüs. Voyez liv. III ,
ch. LXX.
CHAP. XXVI. - 1. Ville située près de l'embouchure du fleuve
Aous (Voïoussa) en Illyrie. Elle s'appelle aujourd'hui Pollina .
2. Ils faisaient remarquer l'identité des noms inscrits sur les sé-
pulcres de Corcyre avec ceux qu'ils portaient eux-mêmes , afin d'éta-
blir leur filiation , en prouvant que les deux peuples avaient les mêmes
ancêtres.

CHAP. XXVII . - 1 . C'est- à-dire que les anciens habitants n'auraient


490 NOTES .

aucun privilége , mais seraient sur le pied d'égalité avec les nouveaux
venus.
2. Soixante-quinze francs. La drachme corinthienne était la même
que celle d'Egine , ou drachme épaisse , en usage dans le Pélo-
ponèse. Elle valait un franc cinquante centimes , tandis que celle d'A-
thènes, ou drachme légère , ne valait que quatre - vingt-dix centimes.
CHAP. XXVIII. 1. C'était donner assez clairement à entendre
qu'ils rechercheraient l'alliance des Athéniens. Les Corcyréens étant
d'origine dorienne , leurs alliés naturels étaient les Péloponésiens ,
malgré la rupture survenue avec Corinthe et l'éloignement systéma-
tique où se tenaient les Corcyréens.
CHAP. XXIX . - 1. En termes de marine , la ceinture d'un navire
est un renfort adapté extérieurement à la coque des vieux bâtiments
pour en consolider les bordages.
CHAP. XXX . 1. Pointe méridionale de l'île de Corcyre ; elle s'ap-
pelle encore aujourd'hui Leukimo. Le trophée d'une victoire navale
était la carcasse d'un vaisseau ennemi , qu'on tirait sur le rivage et
qu'on dédiait à une divinité. Le trophée d'une victoire sur terre con-
sistait dans une panoplie ou armure complète prise à l'ennemi , et
qu'on érigeait autour d'un pieu planté sur un champ de bataille , à
l'endroit où la déroute avait commencé . Dans les guerres entre Grecs ,
ces sortes de monuments étaient toujours temporaires ; on ne les rele-
vait pas lorsqu'ils venaient à être abattus.
2. Port et promontoire de l'Épire, près de l'embouchure du fleuve
Achéron , vis-à-vis de la pointe méridionale de Corcyre.
CHAP. XXXI. - 1. Traité conclu entre les Athéniens et les Lacédé-
moniens, après la conquête de l'Eubée (I , CXIV , cxv). Ce traité stipu-
lait que tous ceux des Grecs qui le voudraient pourraient , à leur
choix , se faire inscrire parmi les alliés de l'une ou de l'autre des par-
ties contractantes. Jusqu'alors les Corcyréens n'avaient pas jugé à
propos d'user de cette faculté.
V
CHAP. XXXII . - 1. Les affronts qu'ils ne manqueraient pas d'es-
suyer, lorsqu'ils s'adresseraient à des alliés pour obtenir leur coopé-
ration à des entreprises injustes.
CHAP. XXXIX. - 1 . Après ces mots , les éditions anciennes ajoutent
une phrase que Didot traduit ainsi : «Il n'y a que les crimes auxquels
vous n'avez point participé ; vous n'en devez donc pas partager les
conséquences. » Cette phrase manque dans les meilleurs manuscrits ,
et doit être considérée comme une glose explicative .
CHAP. XL. -- 1. Pour les détails de cette révolte des Samiens et sa
répression opérée par Périclès , voyez liv. I , ch. cxv. Elle eut lieu
quatre cent quarante ans av. J. C., sept ans avant la délibération actuelle.
LIVRE I. 491
CHAP. XLI. -- 1. Ce fait est rapporté par Hérodote (VI , LXXXIX).
Cette guerre d'Egine et d'Athènes se place quatre cent quatre-vingt-
onze ans av. J. C. , l'année qui précéda la bataille de Marathon.
CHAP. XLII. - 1. Il ne s'agit pas ici du décret contre Mégare , qui
ne fut rendu que l'année suivante , mais de la défection des Méga-
riens , qui , à la suite d'une guerre avec Corinthe , avaient quitté l'al-
liance de Lacédémone pour celle d'Athènes. Les Corinthiens en avaient
été fort irrités contre les Athéniens. Voyez liv. I , ch. cII .
CHAP. XLIV. - 1. Le trajet de Grèce en Sicile s'opérait en longeant
la côte occidentale de la Grèce jusqu'au promontoire Acrocéraunien
(cap Linguetta) en Épire. De là on traversait vers la pointe d'Iapygie
en Italie (canal d'Otrante) , sans perdre de vue la terre . Il était donc
naturel que , dans ce trajet , on relâchât à Corcyre.
CHAP. XLVI. — 1. D'après ce qui vient d'être dit, il paraît que ,
près de ce promontoire , était un port du même nom. Strabon (VII ,
p . 224) mentionne le port Glykys , comme étant situé à l'embouchure
de l'Achéron.
CHAP. XLVII. 1. Il y avait deux endroits distincts , désignés par
ce même nom : 1° de petites îles , adjacentes à la côte d'Epire, vis-à-
vis de la pointe méridionale de Corcyre ; 2° un port sur le continent,
dans le voisinage de ces mêmes îles.
CHAP. XLVIII. - 1. Les apprêts d'un combat naval consistaient
principalement à débarrasser les vaisseaux de tout le matériel superflu.
On déposait à terre les grandes voiles ; car on ne manœuvrait qu'à la
rame pendant le combat.
CHAP. XLIX. - 1. Au commencement d'une action navale , l'usage
était d'arborer pour signal un drapeau sur la rive voisine, où il restait
déployé tant que durait le combat. La même chose avait lieu sur
terre , quand l'action se passait sous les murs d'une ville. Voyez liv. I ,
ch. LXIII.
2. Manœuvre favorite des Athéniens. Elle consistait à percer la
ligne de bataille , en endommageant les flancs des vaisseaux ennemis,
puis à virer de bord pour les attaquer par derrière, en semant le
désordre parmi eux.

CHAP. L.-1 . On peut s'étonner que ce corps auxiliaire n'eût pas été
placé par les Corinthiens à la garde de leur camp, pour l'empêcher
d'être pillé. Dans l'attente d'une bataille navale , on cherchait à s'as-
surer de la côte la plus proche , afin de protéger les vaisseaux échoués
ou de recueillir les hommes échappés au naufrage. Comme la flotte
corinthienne avait un long trajet à faire pour rejoindre celle des Cor-
cyréens, les Barbares avaient dû suivre parallèlement le rivage et se
trouvaient par conséquent assez éloignés du campement de la nuit.
492 NOTES .
2. Il s'agit ici du péan de guerre , hymne martial que les armées
grecques chantaient avant le combat et après la victoire. Cette espèce
de Marseillaise grecque était l'œuvre de Tynnichos de Chalcis, lequel ,
ainsi que Rougé Delisle , n'avait fait aucun autre poëme. Ce péan ne
s'est pas conservé. Il y en avait un autre qu'on chantait pour invoquer
Apollon dans les épidémies. Homère (Il. , 1 , 473) parle de cette der-
nière espèce de péan , mais jamais de l'autre . Le péan attribué à
Aristote et cité par Athénée est de la seconde espèce.
CHAP. LIII. 1. Le caducée (baguette de Mercure) était le signe
distinctif des hérauts d'armes ou parlementaires. Si les Corinthiens
eussent envoyé un de ces derniers , sa personne eût été respectée ,
conformément au droit des gens , et le but que les Corinthiens se pro-
posaient n'eût pas été atteint. Son retour au camp n'eût pas été la
preuve de la non-hostilité des Athéniens.
CHAP. LVI. - 1. Presqu'île sur l'isthme de laquelle était bâtie la
ville de Potidée . En détruisant le mur de ce côté de la ville , les Athé-
niens se ménageaient la faculté d'y entrer quand bon leur semblerait ,
parce qu'ils étaient toujours les maîtres de descendre par mer dans la
Pallène.
2. C'étaient probablement des inspecteurs ou commissaires , comme
les harmostes des Lacédémoniens , ou comme les magistrats que ceux-
ci envoyaient chaque année à Cythère . Voyez liv. IV, ch. LIII .
3. Désignation ordinaire de la péninsule Chalcidique et de toute la
côte septentrionale de la mer Égée jusqu'à Amphipolis. C'est par suite
d'un ancien usage que ces pays sont ainsi désignés ; car ils étaient
plutôt sur les côtes de la Macédoine , la Thrace proprement dite ne
commençant à se rapprocher de la mer qu'à l'est du Strymon. Mais
anciennement elle s'étendait davantage à l'O .
CHAP. LVII. - 1. Le texte porte dix ; mais ce chiffre est nécessai-
rement fautif. Le nombre des généraux ordinaires , choisis chaque
année par les Athéniens , était de dix, savoir un par tribu . Or , comme
il y en aurait eu onze d'après le texte , et qu'au chap. LXI cinq nou-
veaux sont expédiés , il faudrait admettre la création de six généraux
extraordinaires , ce qui serait sans exemple. M. Krüger a donc pensé
avec assez de vraisemblance que le texte original portait A , c'est-à-
dire quatre , chiffre qu'on aura confondu avec déxx. De cette manière
les dix généraux auraient été employés à cette expédition , vu son
importance , de même qu'ils l'avaient été à celle de Samos . Voyez liv. I,
ch. CXVI.
CHAP. LVIII . 1. La Mygdonie était une province de la Macédoine,
située au N. de la Chalcidique , et s'étendant depuis le fleuve Axios à
l'O. , jusqu'au golfe Strymonique à l'E.. Le lac Bolbé (aujourd'hui
Beschik) se trouve dans cette province , et communique avec le golfe
Strymonique par un canal.
LIVRE I. 493
CHAP. LX. - 1. Les peltastes étaient des soldats armés à la légère
et destinés à combattre de loin , par opposition aux hoplites, qui se
rangeaient en phalange. Leur nom de peltastes venait du petit bou-
clier échancré (réλτn) dont la plupart d'entre eux étaient armés. Ils
sont fréquemment confondus avec les psiles ou gymnètes , archers ,
frondeurs , gens de trait et lanceurs de pierres, tous soldats faisant le
service de voltigeurs. A Athènes les , peltastes n'avaient pas d'armure
régulière (IV, XCIV) ; ils n'en• recurent une que du temps d'Iphicrate.
CHAP. LXI . - 1 . Berrhée était une ville de l'Emathie en Macédoine ,
au N. O. de Pydna et à cent soixante stades du golfe Thermaïque . En
'essayant un coup de main sur cette place , les Athéniens violaient
la paix qu'ils venaient de conclure avec Perdiccas. Ce fut peut-être
cette perfidie qui engagea ce prince à rompre de nouveau avec eux.
2. Probablement un de ces frères de Derdas , dont il est parlé au
chap1. LIX.
3. Petite ville de Macédoine , sur un promontoire du golfe Ther-
maïque.
CHAP. LXIII.1 . En termes de constructions maritimes on appelle
berme ou risberme un enrochement destiné à protéger contre les vagues
le pied d'un mur baigné par la mer.
2. Potidée occupait toute la largeur de l'isthme , et ses murs étaient
de part et d'autre battus par les flots. Aristéus ne pouvait pénétrer
dans la ville par les portes dites de Thrace , tournées vers le continent ,
et apparemment fermées pour empêcher les Athéniens de s'y jeter tout
d'un trait avec les fuyards. Il fut donc obligé de gagner les portes ou-
vrant sur la Pallène , et pour cet effet de longer le pied du mur de la
ville , en s'exposant aux traits des vaisseaux Athéniens.
3. Le stade , mesure de distances , équivaut à cent quatre -vingt-
cinq mètres. Il faut huit stades grecs pour faire un mille romain.
CHAP. LXIV. 1. Le mur construit par les Athéniens pour bloquer
la ville du côté de l'isthme devait être double , afin d'être à l'abri
des attaques du dehors. Celui qu'ils élevèrent plus tard du côté de la
Pallène pouvait être simple , puisqu'il n'y avait rien à craindre de la
part de la péninsule. Une fois ces murs élevés , il suffisait d'une gar-
nison pour les défendre ; le reste de l'armée devenait disponible.
2. Petite ville maritime , sur la côte S. O. de la Pallène.

CHAP. LXV. 1. Sermylé , petite ville située sur l'isthme de la


la presqu'ile Sithonia , à l'E. de la Pallène. Elle était alors alliée des
Athéniens.
2. Pays habité à cette époque par les Bottiéens , peuple d'origine
grecque et alors allié des Chalcidéens. Ce pays était situé à l'E. de
THUCYDIDE 28
494 NOTES.

Potidée et du golfe Thermaïque. Primitivement les Bottiéens avaient


habité à l'O. de ce golfe , sur la rive droite du fleuve Axios ; mais
ils avaient été chassés de là par les Macédoniens. Le nom de Bottiée ou
Bottie était resté à leur ancien pays (II, xc). Il ne faut donc pas con-
fondre la Bottiée , province macédonienne (capitale Pella), avec la Bot-
tique, habitée par des Grecs. Dans l'invasion de la Macédoine (II, c,
CI) , Sitalcès ravage la Bottique , mais ne pénètre pas jusqu'à la Bottiée.
CHAP. LXVII . 1. Il se tint à Lacédémone deux assemblées dis-
tinctes au sujet de la guerre. Dans la première , dont il est ici ques-
tion , les Lacédémoniens sont réunis pour entendre les plaintes de
leurs alliés et pour décider en principe s'il y a lieu de regarder le
traité de paix comme rompu. Dans la seconde (ch. cxix) , les députés
de toutes les villes alliées sont convoqués à Lacédémone , avec voix
délibérative , pour voter la déclaration de guerre aux Athéniens.
Dans cette dernière assemblée , on vote par ville et non par tête.
2. Ce décret , qui tuait le commerce de Mégare , fut porté par Cha-
rinos , à l'instigation de Périclès , probablement dans l'été de l'an-
née 432 av. J. C. , très- peu de temps avant l'assemblée actuelle. Voyez
Plutarque (Périclès , xxIx) et plusieurs allusions d'Aristophane .
CHAP. LXX. 1. Critique indirecte des Lacédémoniens , qui ne se
détournaient à aucun prix de la célébration de leurs grandes fêtes , les
Hyacinthies et les Carnies . Il est reconnu que ce qui retarda leur
départ lors de la bataille de Marathon , fut ce genre de scrupule,
plutôt que la raison alléguée par Hérodote (VI , cvr) et qui consistait
à attendre la pleine lune. Voyez un exemple du même genre pour les
Gymnopédies (liv. V, ch. LXXXII) .
CHAP. LXXIV. — 1. D'après Hérodote (VIII , XLVIII) , le nombre
exact des vaisseaux grecs rassemblés à Salamine était de trois cent
soixante-dix-huit; celui des vaisseaux athéniens de deux cents (dont
cent quatre-vingts montés par les Athéniens ou par les Platéens , et
vingt prêtés à la ville de Chalcis) . Le rapport indiqué par Thucydide
est donc exagéré à l'avantage des Athéniens. Ce sont licences ora-
toires. La leçon TεTρaxooiac est celle de tous les bons manuscrits.
Poppo a cependant préféré τpiaxosías. Si ce dernier chiffre était véri-
table , l'orateur athénien n'aurait eu garde de dire à peu près deux
tiers.
2. Hérodote (VIII , cxxiv) rapporte que Thémistocle s'étant rendu à
Lacédémone après la bataille de Salamine , y reçut le plus honorable
accueil. On lui décerna une couronne de laurier ; on lui fit présent du
plus beau char qu'il y eût dans la ville ; enfin , à son départ, trois
cents jeunes gens à cheval l'accompagnèrent jusqu'à la frontière.
CHAP. LXXVII. -- 1. Il s'agit ici des procès entre les Athéniens et
leurs alliés. Chez les Grecs , le droit de rendre la justice était insépa-
rable du droit de législation , dont il émanait. Aussi , dès qu'un Etat
LIVRE I. 495

perdait son autonomie , il perdait en même temps sa juridiction. Il


résultait de là que la plupart des alliés d'Athènes , réduits à l'état de
sujets , étaient obligés d'aller plaider leurs causes devant les tribunaux
de la ville souveraine , au risque d'y rencontrer peu d'impartialité ,
lorsque leur partie adverse était un citoyen d'Athènes.
2. Allusion à la conduite despotique de Pausanias (ch . xcv) , la-
quelle fut une des principales causes du mouvement qui porta les
alliés ioniens et insulaires à abandonner l'alliance de Lacédémone
pour se ranger sous celle d'Athènes.
CHAP . XC. - 1. On sait que Thèbes servit de quartier général à
Mardonius, et qu'après la bataille de Platée , les Grecs furent obligés
de faire le siége de cette ville (Hérodote , liv. IX, ch. XIII et LXXXVI).
CHAP . XCIII. - 1. C'est pour cela qu'on fut obligé de démolir les
sépulcres les plus voisins de l'ancienne enceinte ; autrement ils eussent
été enclavés dans la nouvelle ville , contrairement à la loi.
2. On n'est pas d'accord sur la date de l'archontat de Thémistocle.
Clinton (Fasti Hellenici) le place en 481 av. J. C.
3. Les trois darses du Pirée s'appelaient Zéa , Aphrodision et Can-
tharos.
4. Ceci doit s'entendre de chars à deux roues, attachés de manière
à n'en former qu'un , ressemblant à un fardier. La pierre , trop grosse
pour être placée sur un seul char, était supportée d'un bout par le
premier train , de l'autre par le second , comme cela se pratique pour
le transport des longues pièces de bois.
CHAP. XCV. - 1. Attachement au parti des Mèdes , crime de haute
trahison. Voyez I , cxxxv ; III , LXII , LXIV.
CHAP. XCVI. - 1 . Trésoriers des Grecs. Ces magistrats athéniens ,
probablement au nombre de dix , étaient chargés de recevoir le tribut
que les alliés apportaient à Athènes à l'époque des fêtes de Bacchus.
Le trésor commun ne resta pas longtemps à Délos ; les Athéniens le
transportèrent à Athènes , et en disposèrent comme d'un revenu. Les
assemblées de Délos cessèrent pareillement.
2. Environ deux millions cinq cent mille francs. Au commence-
ment de la guerre du Péloponèse , la somme était de six cents talents
(II , XIII) , parce que les défections successives avaient été punies par
une aggravation de tribut.
CHAP. XCVII. - 1. Hellanicos , ancien historien grec , né à Myti-
lène dans l'île de Lesbos. Il est classé parmi les logographes et doit
être antérieur à Hérodote. Les ouvrages attribués à Hellanicos , et
dont nous ne possédons guère que les titres , sont fort nombreux. Son
histoire d'Athènes ( At0 ) , dont il est ici question , était divisée en
quatre livres, et remontait jusqu'aux temps fabuleux .
496 NOTES.
CHAP. XCVIII. - 1. L'ile de Scyros est voisine de la Thessalie . Ses
habitants exerçaient la piraterie. Ils furent condamnés par les Am-
phictyons pour avoir capturé des vaisseaux qui se rendaient à Delphes .
Les Athéniens furent chargés de l'exécution de la sentence. De la dime
du butin fait à Scyros , ils élevèrent à Athènes le célèbre temple de
Thésée , Cimon ayant soi- disant retrouvé dans l'île les ossements de
ce héros.
2. Carystos , ville située sur la côte méridionale de l'Eubée , au
pied du mont Ocha. Le reste de l'île était tributaire des Athéniens .
CHAP. XCIX . - 1. Sur la répugnance des Ioniens pour le service
militaire , voyez Hérodote , VI , XII.
CHAP . C. 1. Ce sont les fameuses mines d'or et d'argent du mont
Pangée , dans la Thrace méridionale , entre les fleuves Strymon et
Nestos. Ces mines avaient été découvertes par les Phéniciens ; puis
les Grecs les avaient exploitées ; enfin elles tombèrent entre les mains
de Philippe de Macédoine , qui en tira un revenu considérable , et
bâtit dans le voisinage la ville de Philippes.
2. Amphipolis était situé à l'endroit où le Strymon sort du lac Cer-
cinitis , à deux lieues de la mer. Aristagoras de Milet avait essayé d'y
établir une colonie ; mais elle avait été détruite par les Edoniens
(Hérodote , V , CXXIV , où l'endroit est nommé Myrcinos) . Attirés par les
avantages de cette position , les Athéniens renouvelèrent deux fois la
même entreprise , d'abord sans succès; mais enfin , en 437 av. J. C. ,
sous la conduite d'Hagnon , ils triomphèrent de la résistance des
Thraces , et fondèrent définitivement la ville d'Amphipolis. Voyez
liv. IV, ch . CII.
CHAP . CI . 1. Ce tremblement de terre eut lieu en 465 av. J. C.
Il renversa toute la ville de Sparte , excepté cinq maisons , et fit périr
vingt mille personnes. Voyez Diodore de Sicile , IX , LXIII ; Plutarque ,
Cimon , XVI ; Pausanias, IV , xxIv; VII , xxv.
2. Les périèques de Laconie étaient les anciens habitants du pays ,
Achéens d'origine , qui furent soumis à une sorte de vasselage par les
conquérants doriens. A la suite d'une révolte , un grand nombre
d'entre eux furent réduits à la condition d'Hilotes ou d'esclaves
publics.
3. Du temps de Thucydide , la Messénie était , depuis près de trois
siècles , incorporée à la Laconie , et avait perdu son nom. Ethéa était
en Laconie , Thuria en Messénie , à l'embouchure du Pamisos. Ithome
est la célèbre montagne qui , dans la première guerre de Messénie ,
avait servi de citadelle aux Messéniens.

CHAP. CIII.1 . Le sommet du mont Ithome , de même que celui


de toutes les hautes montagnes de la Grèce , était consacré à Jupiter.

T
LIVRE I. 497
Ce dieu y avait un autel entouré d'une enceinte en pierres brutes.
Voyez Pausanias , III , xxvï ; IV , v.
2. Place maritime , appartenant à la Mégaride , et située au N. de
ce pays , sur le golfe de Corinthe. Elle occupait un passage menant en
Béotie.
3. Port de Mégare , à 18 stades de cette ville et sur le golfe Saro-
nique. Voyez liv. III , ch. LI , note 3.
CHAP. CIV. - 1. Petite île située sur la côte d'Egypte et célèbre par
son fanal. Alexandre la relia au continent par une chaussée de 7
stades pour former le port d'Alexandrie. Maréa était une ville de la
basse Égypte , à l'extrémité N. O. près de la bouche Canopique et du
lac Maréotis , qui lui doit son nom .
2. Quartier de Memphis , ainsi appelé , dit le scholiaste , parce qu'il
était construit en pierres de taille , tandis que le reste des murailles
de Memphis était en briques rouges. Le Mur-Blanc servait de citadelle
à la garnison que les Perses tenaient à Memphis.
CHAP. CV. - 1. District situé au S. de l'Argolide , entre la ville
d'Hermione et le promontoire Scylléon.
2. Petite île du golfe Saronique , entre Egine et Epidaure (aujour-
d'hui Angistri).
3. La Géranie , montagne faisant partie de la chaîne des monts
Onéens , qui traversent l'isthme de Corinthe dans toute sa largeur en
Mégaride. De Corinthe à Mégare il y a deux chemins, presque aussi
mauvais l'un que l'autre le premier traverse les défilés de la Géranie
au centre de l'isthme , en passant par le village de Tripodiscos (au-
jourd'hui Dervenia) : c'était la route militaire ; le second n'est qu'un
étroit sentier le long des roches Scironiennes , au bord du golfe Saro-
nique (aujourd'hui Kaki Skala) .
CHAP. CVII.— 1. Canton montueux , situé au N. de la Phocide et au
S. du mont Eta. C'est de là que les Doriens étaient anciennement
partis pour marcher à la conquête du Péloponèse. Il renfermait quatre
villes , d'où lui venait le nom de Tétrapole dorienne. La quatrième ,
que Thucydide ne nomme pas, était Pindos.
2. C'est ainsi que l'auteur appelle toujours le golfe de Corinthe.
Crisa était une petite ville maritime , située au S. de Delphes. Les
Athéniens tenaient en tout temps une croisière à Naupacte..
3. L'aristocratie athénienne , qui s'appuyait sur les Péloponésiens ,
avait intérêt à ce que ceux -ci pussent , dans un moment donné , in-
vestir Athènes et la séparer de la mer. La construction des longs
murs avait précisément pour but de leur ôter cette possibilité.
CHAP. CVIII. 1. Ville de Béotie , située entre Oropos et Tanagra,
sur la rive gauche de l'Asopos .
498 NOTES.

2. Gythion , au fond du golfe de Laconie. Cette place était le port


militaire des Lacédémoniens. Elle avait un Bassin creusé de main
d'homme, des arsenaux et une citadelle.
3. Il ne s'agit pas de Chalcis en Eubée , place appartenant depuis
longtemps aux Athéniens ; mais d'une autre ville du même nom ,
située en Etolie, à l'embouchure de l'Evénos (II , LXXXIII).
CHAP . CIX . 1. Ile continentale , faisant partie du Delta , et men-
tionnée par Hérodote (II, XL1) . Elle était probablement comprise entre
les bouches Canopique et Sébennytique et un canal que les Perses
desséchèrent. Ce dernier devait suivre à peu près la direction du canal
actuel de Mahmoud.

CHAP . CXI.1 . La Thessalie ne formait point un royaume unique ,


mais chaque ville avait son gouvernement particulier. Oreste ne devait
donc être roi que de Pharsale. Hérodote (VIII , LXIII) qualifie égale-
ment de rois de Thessalie les Alévades de Larisse.
2. Ville maritime d'Acarnanie , à l'embouchure de l'Achéloos. Elle
était indépendante et fréquemment en guerre avec les Achéens , en
faveur desquels les Athéniens paraissent avoir fait cette expédition.
CHAP. CXII. - 1. La haute surveillance de l'oracle de Delphes ap-
partenait aux Amphictyons; mais , dans l'intervalle des sessions de
cette assemblée, l'administration des affaires courantes , la justice
criminelle et la garde du temple étaient du ressort du gouvernement
local. Les Delphiens avaient un régime oligarchique , en harmonie
avec celui de Lacédémone , tandis que les Phocéens , alors alliés d'A-
thènes , se gouvernaient démocratiquement. La ville de Delphes , bien
que comprise dans les limites générales de la Phocide , était indépen-
dante des autres cités phocéennes, et faisait bande à part.
CHAP. CXIII. 1. C'est-à-dire de l'opinion aristocratique , la pré-
sence des Athéniens ayant momentanément donné gain de cause au
parti populaire , et occasionné l'exil des hommes les plus marquants
du parti opposé .

CHAP. CXIV. - 1 . Cette révolte , ainsi que celle de Mégare , fut une
conséquence naturelle de la perte de la Béotie par les Athéniens.
2. Hestiéa ou Histiéa était une ville du N. de l'Eubée , dans un
canton extrêmement fertile. Depuis que les Athéniens s'en furent em-
parés , en y établissant une colonie de deux mille de leurs concitoyens ,
elle prit le nom d'Oréos qu'elle a toujours conservé.
3. C'est-à-dire qu'ils se mirent en possession de leurs terres , et les
partagèrent au sort entre des colons athéniens. Cette espèce de colo-
nisation s'appelait xλnpouxix et les colons xλnpouyo . Voyez II , XXVI ;
III, L, note 1 .
LIVRE I. 499
CHAP. CXV. - 1. On a vu au chap. III que les Achéens étaient
alliés des Athéniens ; mais , pour ce qui est de Trézène , Thucydide ni
aucun autre auteur ne dit à quelle occasion elle était entrée dans
l'alliance d'Athènes. La même énumération se lit au liv. IV, ch. xxi.
2. Apparemment des employés civils que les Athéniens avaient placés
à Samos.

CHAP. CXVI .- 1. Petite île au sud de Samos et à l'entrée du grand


golfe de Milet.
2. Bâtiments de transport, appropriés à l'embarquement des troupes
de terre , comme on en avait aussi pour le transport des chevaux.
C'était sans doute l'armée expéditionnaire dirigée par les Samiens.
contre Milet.
3. Cela doit s'entendre de trois forts élevés contre les trois côtés de
la ville qui regardent la terre , et non d'une muraille triple , qui` eût
été sans objet.

CHAP. CXVII.1 . La flotte athénienne n'était protégée par aucune


estacade , comme on avait coutume d'en planter devant les stations
maritimes pour les mettre à l'abri d'un coup de main.
2. Il ne s'agit pas,ici de l'historien , qui a soin de se désigner plus
exactement lui-même, lorsqu'il figure comme général , et qui d'ail-
leurs eût été beaucoup trop jeune pour commander alors . Peut-être
indique-t-il Thucydide fils de Mélésias , le célèbre adversaire de
Périclès.
CHAP. CXVIII. 1. A la rigueur , il ne s'écoula que quarante-neuf
ans entre la fuite de Xerxès, 480, et le commencement de la guerre du
Péloponèse , 331 av. J. C. Mais d'une date à une autre , les Grecs
avaient coutume de compter le point de départ et celui d'arrivée. Il
n'y a donc rien à changer ni à l'expression ni à la chronologie.
CHAP. CXXI. - 1. Il n'est pas question d'un emprunt tel que nous
l'entendons aujourd'hui. Le crédit public était alors chose inconnue.
Mais , en cas de nécessité , l'Etat pouvait emprunter les trésors des
temples nationaux , en s'engageant à les restituer. Plusieurs inscrip-
tions présentent des reconnaissances d'objets précieux ainsi emprun-
tés aux temples .
CHAP. CXXIV. 1. Je lis tautà , eadem , au lieu de tauta , hæc, et
cela à cause du sens , qui me paraît être le même que cette phrase de
Salluste (Catilina , xx) : Idem velle atque nolle , ea demum firma ami-
citia est. Comparez Cicéron , pro Plano , II , et Tite Live , XXXVI , vii.
CHAP. CXXVI. 1. La tentative de Cylon pour s'emparer de la
tyrannie d'Athènes eut lieu en 612 av. J. C. , cinquante-deux ans avant
500 NOTES.
l'époque où Pisistrate exécuta le même projet. On n'est pas d'accord sur
l'olympiade où Cylon avait été vainqueur.
2. D'après le scholiaste , les pauvres offraient des gâteaux de farine
qui avaient la forme d'animaux , tandis que les riches offraient des
victimes proprement dites.
3. Depuis la constitution de Solon et les progrès de la démocratie à
Athènes , les attributions des archontes furent successivement res-
treintes. A l'époque de la guerre du Péloponèse , ces magistrats n'a-
vaient plus que des fonctions judiciaires , l'instruction des causes , la
présidence des tribunaux et l'intendance des fêtes. Quant au crime
cylonien , Hérodote (V , LXXI) l'attribue , non pas aux archontes , mais
aux prytanes des naucrares , qui , selon lui , avaient alors l'autorité. Le
passage de Thucydide pourrait être une rectification d'Hérodote (comme
au chap. xx) , quoique au fond les deux assertions ne soient pas con-
tradictoires.
4. Les Euménides ou Furies , dont le sanctuaire se trouvait situé
au pied de l'acropole.
5. Lorsque , affligés par une maladie contagieuse , ils firent venir de
Crète le devin Epiménide , qui ordonna la purification d'Athènes , en
694 av. J. C. (Plutarque , Vie de Solon , XII. )
6. Avec le parti aristocratique ou la faction d'Isagoras , à laquelle
Cléoménès , roi de Lacédémone , était venu prêter main-forte. (Héro-
dote , V, LXXII .)
7. Il s'agit en particulier de la grande famille des Alcméonides ,
dont le chef Mégaclès se trouvait être premier archonte ou éponyme
à l'époque du crime cylonien.
CHAP. CXXVII . 1. Agariste , mère de Périclès , était nièce de l'Alc-
méonide Mégaclès.
CHAP. CXXVIII. 1. Comme étant l'effet de la vengeance de Neptune.
-
Ce dieu était considéré comme l'auteur des tremblements de terre.
2. Minerve , protectrice de Sparte. Le surnom de xaλxioixos donné
à cette divinité vient de ce que son temple avait des portes d'airain et
un revêtement intérieur de plaques de ce métal. Ce temple était situé
au sommet de l'acropole , c'est-à-dire de la plus haute des collines sur
lesquelles Sparte était bâtie.
CHAP. CXXIX. 1. Cette préfecture de l'empire des Perses tirait
son nom de la ville de Dascylion , située sur la Propontide , à l'embou-
chure du Rhyndacos. Cette ville était la résidence du satrape de la
province.
2. Les rois de Perse regardaient comme un devoir sacré de témoi-
gner une reconnaissance royale pour les moindres services qu'ils
avaient reçus. On tenait pour cet effet un registre officiel, où étaient
LIVRE I. 5015

inscrits les bienfaiteurs du roi (en langue perse Orosanges, Hérodote ,


VIII , LXXXV). On voit dans l'histoire d'Esther que les rois se faisaient
lire de temps en temps ce registre.
CHAP. CXXXI . - 1. Message officiel. La scytale était un bâton rond
et allongé , que les magistrats de Lacédémone remettaient à chaque
général en mission . Ils en gardaient eux-mêmes un pareil , et , lors-
qu'ils avaient à envoyer quelque dépêche secrète , ils enroulaient au-
tour de ce bâton une bande de cuir , sur laquelle ils écrivaient dans
le sens de la longueur du bâton ; puis ils déroulaient la bande , en
sorte que les caractères n'étaient intelligibles que pour le général , qui
en rétablissait l'ordre à l'aide de son propre bâton.
CHAP . CXXXII . 1. Cléombrotos , père de Pausanias , et Léonidas ,
père de Plistarchos , étaient frères.
2. Voyez Hérodote , IX , LXXXI. La base de ce trépied , formée par un
enroulement de trois serpents de bronze , a été retrouvée en 1856 , sur
la place de l'Atméidan (Hippodrome) à Constantinople.
3. Argilos , ville grecque en Macédoine , située à l'0 . d'Amphipolis
et colonie d'Andros.
CHAP. CXXXIII . 1. Sur le cap Ténare , pointe méridionale de la
Laconie , était un sanctuaire de Neptune , asile particulièrement révéré
des Lacédémoniens. Voyez liv. I , ch. CXXVIII.
CHAP. CXXXIV . - - 1. C'était la roche Tarpéienne de Sparte , comme
à Athènes le Bápa pov , et à Delphes les roches Phédriades.
CHAP. CXXXV. 1. L'ostracisme était une sentence de l'assemblée
du peuple à Athènes , par laquelle on bannissait pour un temps , sans
accusation formelle ni débats publics , le citoyen dont la présence
paraissait dangereuse pour l'égalité républicaine. C'était une précau-
tion introduite , dit-on , par Clisthénès , après l'expulsion des Pisis-
tratides (509 av. J. C.) pour prévenir le retour de la tyrannie. La durée
de cet exil fut d'abord de dix ans , puis de cinq. Il n'entraînait ni
confiscation ni infamie. Le bannissement de Thémistocle remonte à
l'an 473 av. J. C.
CHAP . CXXXVII . — 1. Pydna était en Macédoine , sur le golfé Ther-
maïque. La Molosside , d'où venait Themistocle , est la portion méri-
dionale de l'Épire , conséquemment sur la mer Ionienne. Alexandre
est le fils d'Amyntas et le prédécesseur de Perdiccas sur le trône de
Macédoine.
2. A l'occasion de la révolté de cette île contre les Athéniens. Voyez
liv. I , ch. XCIII.
CHAP. CXXXVIII. - 1. Formule employée pour désigner les pen-
sions allouées par les rois de Perse. Ainsi , selon Hérodote (I , xvcII) ,
quatre villages de la Babylonie étaient affectés à l'entretien de la
502 NOTES.

meute du satrape de la province. Ainsi encore Xénophon (Anabase, I,


IV) parle de villages donnés pour sa ceinture, c'est-à-dire pour sa toi-
lette, à Parysatis , mère d'Artaxerxès. Platon (Alcibiade, I , p. 123)
fait aussi allusion à cette coutume des rois de Perse . Cinquante talents
valaient environ deux cent soixante-quinze mille francs.
CHAP. CXXXIX . 1. Deux territoires distincts , situés sur les confins
de l'Attique et de la Mégaride. Le premier était consacré à Cérès et à
Proserpine , comme dépendance du temple d'Eleusis. Le second avait
été longtemps un sujet de litige entre les deux peuples voisins , mais
enfin il avait été convenu que ni l'un ni l'autre ne le cultiverait.
CHAP. CXLII. -- 1. Désertions d'esclaves fugitifs , telles qu'Athènes
en éprouva un si grand nombre pendant l'occupation de Décélie par
les Lacédémoniens. Voyez liv. VII , ch. xxvII.
CHAP. CXLIII . —1 . Les métèques étaient les étrangers domiciliés à
Athènes. Ils formaient près du quart de la population libre. Entre
autres obligations , ils étaient astreints au service militaire. Les plus
aisés faisaient fonction d'hoplites; les autres servaient comme troupes
légères ou comme rameurs sur les vaisseaux de l'Etat.
2. Parce que ces matelots devaient , pour la plupart, appartenir aux
îles et aux villes maritimes de l'empire d'Athènes , et que les Athéniens
puniraient de bannissement ceux de leurs ressortissants qui auraient
pris du service dans la marine ennemie.
CHAP. CXLIV. - 1 . A Sparte , une loi , dite xénélasie , ne permettait
pas l'établissement des étrangers. On ne tolérait que ceux qui étaient
en passage, mais aucun métèque ou étranger domicilié.

LIVRE II .

CHAP. II . 1. Première année de la guerre , 431 av. J. C. -L'au-


teur accumule les indications chronologiques , afin de bien établir ce
point de départ. Chaque peuple de la Grèce avait sa manière de
compter les années) civiles : les Athéniens, d'après l'archonte-éponyme
(entrant en charge au commencement de juillet) ; les Lacédémoniens ,
d'après le premier de leurs éphores ; les Argiens , d'après le sacerdoce
de la prêtresse de Junon. Dans sa narration , Thucydide ne suit pas
l'année civile , mais l'année solaire , qui cadre mieux avec l'époque
des opérations militaires. L'entreprise des Thébains sur Platée corres-
pond à la fin d'avril 431 av. J. C.
2. Magistrats supérieurs de la confédération béotienne. Ils étaient
annuels , rééligibles, et commandaient les troupes de leur Etat. La
LIVRE II. 503

ARS
ville de Thèbes avait deux béotarques ; les autres seulement un. Le
nombre de ces magistrats varia suivant les temps. A la bataille de
Délion , où se trouvaient toutes les forces béotiennes, il y avait onze
béotarques (IV, XCI).
3. La faction oligarchique de Platée. Ce Léontiadès est le même qui
était à la tête du gouvernement thébain pendant la guerre Médique.
(Hérodote , VII , ccv et ccxxIII.)
4. Les portes de ville se fermaient au moyen d'une barre mobile,
qui s'ajustait à deux crochets fixés aux battants, et dont les deux bouts
s'enfonçaient dans des cavités ménagées dans les montants. Pour que
la porte fût fermée aussi bien en dedans qu'en dehors , on insérait un
boulon ou cheville de fer (ẞáλavos) dans un trou pratiqué à la barre
et à l'un des montants , de manière à ce que la cheville s'y noyât
complétement. Cette cheville était creuse et munie d'un pas de vis à
l'intérieur. Pour ouvrir , il fallait une clef (Baλaváypa) , qui s'adaptait
au boulon et permettait de l'extraire. Ici le Platéen remplace le boulon
par un fer de javelot , à peu près de la même forme , et dont il casse
ensuite le bois , en sorte qu'il n'y ait plus moyen d'ouvrir.
CHAP. VIII. 1. Nouveau démenti donné à Hérodote , lequel
(VI , xcviii) affirme que Délos éprouva un tremblement de terre peu
avant la guerre Médique. On a cherché assez inutilement à concilier
ces deux assertions contradictoires.
CHAP. IX. - 1. Pellène , une des douze villes de la confédération
achéenne , était située à l'extrémité orientale de ce pays , sur les
confins de la Sicyonie. Le lien fédéral entre les villes achéennes était
assez faible , à l'époque de la guerre du Péloponèse , pour que chacune
pût agir isolément. Sicyone formait une république indépendante,
nullement comprise dans l'Achaïe .
2. Ces deux îles étaient des colonies lacédémoniennes. Théra (San-
torin) est ordinairement attribuée au groupe des Sporades ; mais cette
dernière dénomination est inconnue de Thucydide.
3. Voyez liv. VII , chap. LVII, LVIII , une nouvelle énumération des
alliés des deux partis à cette seconde époque de la guerre.
CHAP. XIII. - 1. Environ trois millions trois cent mille francs. La
somme du tribut fixée par Aristide était de quatre cent soixante ta-
lents (I , xcvi) . Le surplus provenait de l'adjonction de nouveaux al-
liés, des subsides consentis en remplacement des prestations mili-
taires , enfin de l'aggravation de tribut imposée aux alliés révoltés
et soumis.
2. La construction des Propylées coûta seule deux mille douze ta-
lents ; celle du Parthénon mille. Ajoutez-y l'Odéon , le temple de Cé-
rès à Eleusis, et une foule d'autres édifices moins considérables. Le
siége de Potidée coûta aux Athéniens deux mille talents. (Voyez liv. II,
ch. LXX .)
504 NOTES .

3. Entre autres , le trône à pieds d'argent massif qui avait appartenu


à Xerxès , et le cimeterre de Mardonius.
4. Le talent pesant équivalait à trente-deux kilogrammes. La statue
de Minerve , œuvre de Phidias et placée dans le Parthenon , avait
trente-sept pieds de haut. Le buste , les bras et les pieds étaient d'i-
voire; le vêtement et les armes étaient d'or. Sur les emprunts
temporaires faits aux temples par les États , voyez liv. I , ch.cxxi , note 1 .
5. Les jeunes Athéniens , avant d'être incorporés dans la milice
régulière , devaient faire pendant deux ans , sous le nom de péripoles,
un service de garnison dans les places fortes sur les frontières de l'At-
tique. (IV , LXVII , note 1 , et VIII , xcII , note 1 . )- Pour ce qui est des
métèques et de leur service militaire , voyez liv. I , ch. CXLIII , note 1 .
6. Le bras occidental des longs murs , appelé aussi le mur extérieur ,
et dans la direction duquel venaient les Péloponésiens. Le bras oriental ,
qui était couvert par l'Ilissus et par les péntes de l'Hymette , se trou-
vait d'ailleurs protégé par les fortifications du Phalère.
7. La partie qui bordait la mer n'avait pas besoin de défense.
8. Les archers à cheval , Thraces ou Scythes , étaient une sorte de
gendarmerie que les Athéniens entretenaient pour faire la police.
Leur quartier était sur l'agora et s'appelait lá tente des Scythes.
CHAP. XV. - 1 . Les bourgades de l'ancienne Attique étaient au nombre
de douze , comme dans les autres États ioniens. Le prytanée était
l'hôtel de ville , où s'assemblaient les prytanes ou présidents du
conseil.
2. Suivant la légende , Eumolpos était d'origine thrace , fils de Nep-
tune et roi d'Eleusis. On lui attribue la fondation des mystères de
Cérès , dont le sacerdoce resta dans sa famille , les Eumolpides.
Erechthée est le plus ancien roi d'Athènes connu , prédécesseur de
Cécrops. Il eut à soutenir une guerre contre les Eleusiniens , les vain-
quit, tua leur roi Eumolpos , et fut lui-même tué par Neptune.
3. La fête des Xynacia (réunion des habitations) , que Plutarque
(Vie de Thésée , xxiv) appelle Metacia , se célébrait le seizième jour
du mois Hécatombéon (juillet-août) . On rapporte à la même origine
l'institution des Panathénées.
4. Les Limnæ ou Marais étaient le quartier d'Athènes situé au S.
de l'acropole jusqu'à l'Ilissus. C'est dans ce quartier que se trouvaient
le grand théâtre et le temple de Bacchus.
5. Il y avait à Athènes quatre fêtes de Bacchus 1° les petites Dio-
nysies , dites des champs , qui se célébraient dans toute l'Attique au
mois Posidéon (décembre-janvier) ; 2º les Lenæa (fête des pressoirs) ,
particulières à Athènes , et qui avaient lieu au mois Gamélion (janvier-
février) ; 3° les Anthestéries (février-mars) , dont il est ici question ;
4° les grandes Dionysies , dites de la ville , le douzième du mois Éla-
LIVRE II. 505
phébolion (mars-avril) . Celles-ci duraient plusieurs jours et contenaient
les représentations dramatiques.
6. Pisistrate ou , selon d'autres , ses fils , avait fait arranger la fon-
taine Callirrhoé (au beau courant) , de manière que l'eau fût distribuée
par neuf bouches , d'où lui vint le nom d'Ennéacrounos . Elle était
située un peu au S. de l'Olympéion.
CHAP. XVII . - 1. Temple de Cérès Eleusinienne , situé au N. de
l'acropole , dans le voisinage de l'agora.
2. Espace situé le long du mur septentrional de l'acropoie , mur que
les Pélasges avaient anciennement construit (Hérodote, VI , cxxxvii). Ce
terrain devait rester vague et inhabité , peut-être pour des raisons
religieuses , comme le pomarium romain , peut- être aussi pour des
motifs militaires , comme le rayon des forteresses modernes.
3. D'après les vestiges encore existants des longs murs près du
Pirée , la distance entre leurs deux lignes parallèles était de cinq cent
cinquante pieds.
CHAP. XVIII. - 1. Des béliers. Les autres machines de siége , telles
que catapultes , balistes ou oxybèles , sont d'un usage plus récent , et
qui date de l'époque de l'ancien Denys , tyran de Syracuse. (Voyez
Diodore de Sicile , XIV, XLIII .)
CHAP. XIX . - 1. Les dèmes (bourgs ou communes rurales) de l'At-
tique étaient une division territoriale du pays . Autre est la division
par tribus ; celle-ci était basée sur l'origine des citoyens . Du temps
de Clisthénès (509 av. J. C.) , auteur de la division des Athéniens en
dix tribus , il y avait cent dèmes , dix par tribu (Hérodote, V, LXIX) ; mais
le nombre en fut ensuite augmenté ; et , du temps de Strabon , con-
temporain de l'ère chrétienne , il y avait cent soixante - quatorze dèmes.
Ils étaient d'inégale importance. Leurs noms se tiraient des villes ou
villages qui s'y trouvaient.
CHAP. XXI. 1. Sur l'expédition de Plistoanax en Attique , voyez
liv. I , ch . cxiv , et, sur son exil à Sparte , liv. V, ch. xvI.
CHAP. XXII. - 1. Demander à l'ennemi la permission d'enlever les
morts , c'était reconnaître qu'on n'était pas maître du champ ' de ba
taille , et par conséquent s'avouer vaincu .
2. Sur l'alliance des Thessaliens avec Athènes , voyez liv. I , ch. ci
et cvi . Voyez aussi liv. IV , ch . LXXVIII , où il est dit que le peuple de
Thessalie était de tout temps favorable aux Athéniens. Cependant la
coopération des Thessaliens paraît s'être bornée à ce premier envoi de
cavalerie auxiliaire. Dès lors il n'en est plus question ; c'est ce qui
explique pourquoi Thucydide ne mentionne pas les Thessaliens dans
son énumération des alliés d'Athènes
THUCYDIDE . 29
506 NOTES .
3. Le texte reçu ajoute Пapάotot , nom d'une ville tout à fait in-
connue. Il y avait bien une ville de Parrhasie en Arcadie ; mais le
scholiaste de Thucydide est le seul qui parle de Parasie en Thessalie.
Or ce scholiaste n'est pas très-versé dans la géographie , puisque
(I, XII) il place en Afrique la ville de Marseille , la confondant sans
doute avec les Massyles.
CHAP. XXIII.- 1. Au lieu de revenir sur leurs pas en traversant
les cantons ravagés de l'Attique , ils suivirent la route de Décélie , et
laissèrent à gauche le mont Parnès. D'Oropos ils remontèrent la vallée
de l'Asopos , et prirent , à travers le Cithéron , le chemin des Dryos-
céphales et d'Eleuthères , qui les ramenait à Eleusis .
2. Cette dénomination n'est pas certaine. D'autres lisent гpaïxv.
Il s'agit d'un district situé entre Oropos et Tanagra, en face de Chalcis
et d’Érétrie , et qui , pour cette raison , se nommait πepaĩa ou répaν
γῆ. Hérodote (VIII , XLIV) appelle ce même pays ἡ περαίη τῆς Βοιωτίης
χώρης.
CHAP. XXIV . - L. Les triérarques étaient les commandants des
trirèmes. Chaque année les généraux désignaient à tour de rôle , parmi
les citoyens les plus imposés , autant de triérarques qu'il y avait de
galères disponibles . L'État fournissait les vaisseaux , leurs agrès et la
solde des équipages . Les triérarques étaient chargés de l'entretien de
leur galère pendant la durée de la campagne . Cet impôt était très-
onéreux. Après la guerre du Péloponèse , l'amoindrissement des for-
tunes particulières rendit cette organisation impossible . On permit
alors à deux ou à plusieurs citoyens de se réunir pour faire les frais
de la triérarchie .

CHAP. XXV. 1. Nom de l'Elide proprement dite , comprenant la


vallée encaissée qu'arrose le fleuve Pénéos. C'est là que se trouvait la
' ville d'Élis . Les sujets des Éléens sont ici les habitants de la Pisatide ,
où était située la ville de Phéa.

CHAP . XXVII . 1. C'est probablement alors que de la dime prẻ-


levée pour légitimer cette spoliation , les Athéniens firent construire
le fameux temple d'Egine , dont les ruines subsistent encore , et dont
les statues frontonales se voient à Munich. Ce temple était consacré à
Minerve, comme le prouvent les deux grandes figures de cette déesse ,
au centre des deux frontons. Les groupes représentent des sujets athé-
niens ; l'architecture est de l'ancien style attique ; enfin la situation
du temple , élevé loin de la ville et en face d'Athènes , est une preuve
qu'il ne fut pas l'œuvre des Eginètes indépendants. Le Panhellénion
d'Eaque , avec lequel cet édifice a été souvent confondu , était sur la
cime du mont Panhellénien (Saint- Élie) , la plus haute sommité de
l'ile, et où se trouve encore aujourd'hui la clôture d'un terrain con-
sacré.
LIVRE II . 507
2. Voyez liv. I , ch. cr, et liv. IV, ch. LVI.

CHAP. XXVIII.1 . C'est l'éclipse que les tables de Pingré placent


le 3 août 431 av. J. C.

CHAP. XXIX. - 1 . Les proxènes ou hôtes publics , qu'on a quelquefois


assimilés à nos consuls de commerce , étaient des agents que les dif-
férents Etats grecs désignaient dans les villes étrangères avec lesquelles
ils entretenaient des relations. Les fonctions des proxènes consistaient
essentiellement à recevoir et à héberger les ambassadeurs de l'État
dont ils exerçaient la proxénie , et à les introduire dans les assemblées
publiques de la ville où ils résidaient; ce qui suppose qu'ils étaient
citoyens de cette dernière. La proxénie était ordinairement hérédi-
taire. Ainsi la famille d'Alcibiade exerça longtemps à Athènes la
proxénie des Lacédémoniens. Voy. VI , LXXXIX.
2. Itys , fils de Téréus et de Procné , fut tué par sa mère , qui fit
cuire son corps et le donna à manger à Téréus , pour se venger de
l'infidélité de celui-ci.
3. Nous n'avons à ce sujet aucune citation d'auteur grec ; mais cette
locution se trouve dans Ovide (Héroïdes , XV, 144 , ad Liv. 106) et
dans Catulle (LXV, 14) , qui l'avaient sans doute empruntée aux Grecs.
CHAP. XXX. 1. Sollion ou Solion (Strabon , X , p. 459), place ma-
ritime de l'Acarnanie , située à l'opposite de Leucade , et colonie de
Corinthe.

CHAP. XXXIV. - 1. Ceux qui avaient péri dans les combats de l'été.
Après une action , le premier soin des généraux était de relever leurs
morts et de les brûler. On recueillait les os de chaque tribu dans des
urnes distinctes , qui étaient rapportées à Athènes , en attendant les
funérailles qui avaient lieu en hiver.
2. Le Céramique extérieur , à l'O. d'Athènes , sur le chemin d'Éleu-
sis. On y jouit d'une belle vue ; il y avait des arbres et des ruisseaux.
Ce faubourg était réservé pour les sépultures publiques ; les tom-
beaux particuliers étaient sur les autres avenues de la ville.
3. Le sépulcre des morts de Marathon consistait en deux tertres ou
tumuli , tels qu'en élevaient à leurs chefs les Grecs des âges héroïques.
L'un de ces tertres était pour les Athéniens, l'autre pour les Platéens.
Ces tumuli existent encore . Hérodote (IX, LXXXv) dit qu'on enterra
pareillement sur le champ de bataille les Athéniens morts à la journée
de Platée ; mais peut-être ne veut-il parler que d'un cénotaphe.
CHAP. XXXV. - 1 . L'institution des obsèques publiques est attribuée
à Solon (Diog. Laert. I , Lv) . Plus tard on y joignit un discours . on
ignore depuis quelle époque (Dion. Hal. V, xvii). Ce discours différait
de nos oraisons funèbres en ce que l'orateur devait louer non-seule-
508 NOTES.

ment ceux à qui l'on donnait la sépulture , mais encore tous les guer-
riers enterrés dans le Céramique , ce qui faisait que ces discours ,
coupés sur le même modèle , offraient toujours une revue des fastes
militaires d'Athènes. Ici Périclès s'écarte de l'usage , en prenant pour
thème l'éloge des institutions et des mœurs des Athéniens. C'était le
conseil qui désignait l'orateur officiel très-peu de jours d'avance. -
Comparez le Ménexène de Platon , l'oraison funèbre réellement pro-
noncée par Lysias, celle qu'on attribue à Démosthène sur les Athe-
niens morts à Chéronée , enfin les fragments de Gorgias et d'Hypé-
ridès.
CHAP. XLVII. - 1. Ce morceau, justement célèbre , a donné lieu à
de grandes controverses , principalement entre médecins , les uns y
retrouvant les caractères de la peste d'Orient, les autres ceux de la
rougeole, de la petite vérole ou de la suette miliaire , maladies qui tour
à tour ont décimé l'espèce humaine. Sans entrer dans cette discussion,
nous ferons remarquer que la peste proprement dite, endémique dans
le Delta , où elle reparaît tous les automnes , se propage , deux ou trois
fois par siècle, jusqu'à Thèbes ; mais qu'on ne lui a jamais vu suivre
la marche inverse , c'est-à-dire descendre d'Ethiopie en Egypte ; que
notre auteur ne fait aucune mention de bubons ni d'anthrax , lésions
particulièrement caractéristiques et aussi apparentes que formidables ;
enfin que les exanthèmes fébriles , ci-dessus nommés , n'ont fait leur
première apparition en Europe que huit ou neuf siècles plus tard , et
que les traits pathognomoniques ne cadrent pas non plus avec ceux
de la maladie décrite par Thucydide. Il ne faut pas s'obstiner à pour-
suivre , dans ces pages admirables, la solution d'une question d'identité
nosologique. Il doit nous suffire d'y reconnaître la forme d'une de ces
affections très-meurtrières , à la fois épidémiques et contagieuses , qui
ont avec le typhus des camps une étroite parenté , et qui recevaient
des Grecs , au siècle d'Hippocrate et de Thucydide , le nom générique
de λοιμός.

CHAP. LIV. 1. En grec les deux mots signifiant peste et famine


( ouds et pos) ne diffèrent que d'une voyelle , et , d'après la pronon-
ciation indigène , ont absolument le même son.
2. Voyez liv . I , ch. cxvIII . On regardait communément la peste
comme suscitée par Apollon , en tant que produite par l'excès de la
chaleur atmosphérique.-

CHAP. LV. - 1. Paralos ou Paralia (le littoral), district de l'Attique


situé le long de la côte occidentale , entre le Pirée et le cap Sunion ,
ou plus exactement depuis le dème d'Halæ Æxonides jusqu'à celui de
Prasiæ. Du côté de l'intérieur, il touchait au district appelé Mesogæa
(méditerranée) , autrement dit la Plaine, et comprenant les alentours
d'Athènes .
2. Laurion , bourg et montagne à l'extrémité méridionale de l'At-
LIVRE II. 509

tique. Les mines s'étendaient depuis le cap Sunion jusqu'au village de


Thoricos.
CHAP . LVIII . - 1. Sur la mortalité produite à Athènes par la peste ,
comparez le calcul fait au liv. III , ch. LXXXVII.
CHAP. LIX . ― 1. Les Athéniens avaient deux sortes d'assemblées du
peuple les ordinaires (xupía èxxλnoía) , qui étaient convoquées par
le conseil, dix fois par année (une par prytanie) , avec un ordre du
jour affiché d'avance ; et les extraordinaires (σúyxλntos éxxλnoía) , qui
étaient convoquées par les généraux, pour des circonstances pressantes ,
et surtout pour affaires militaires.
'CHAP. LXV . 1. Si le texte est fidèle , ces trois ans doivent se
compter entre l'explosion des troubles d'Athènes et l'intervention de
Cyrus dans la guerre du Péloponèse (de 411 à 408 av. J. C.) , et non
pas entre le désastre de Sicile et la prise d'Athènes par Lysandre , ce
qui ferait une période de dix ans.
2. L'alliance de Cyrus avec les Lacédémoniens est postérieure a
l'époque où s'arrête la narration de Thucydide ; elle est racontée par
Xénophon (Hell. II , 1 ) . Preuve de plus que Thucydide n'a pas ´eu
le temps d'achever la rédaction de son histoire. Comparez le passage
formel du liv. V, ch . xxvi.
CHAP. LXVI. - — 1. Amiral des Lacédémoniens , fonction annuelle et
élective , qui donnait le commandement de la flotte , tandis que les
rois étaient les chefs naturels de l'armée de terre . Les Athéniens n'a-
vaient pas de navarques. Leurs généraux exerçaient indifféremment
leur autorité sur terre et sur mer.

CHAP. LXVIII.1 . Parce que , dans l'intervalle , son frère Alcméon


avait tué sa mère Ériphyle , pour venger la mort de son père le devin
Amphiaraos. w Argos Amphilochicon était situé au fond du golfe
Ambracique (d'Arta) , du côté méridional.
CHAP. LXIX. 1. Ces bâtiments apportaient surtout des grains
d'Égypte en Grèce. - Phaselis est le célèbre port de mer en Lycie ,
sur les confins de la Pamphylie. Sur ce commerce , voyez liv. IV ,
ch. LIII , et liv. VII , ch. xxxv.
CHAP. LXXI. - 1 . Repris sur les Perses , qui l'avaient occupé . Pour
la déclaration de Pausanias à l'honneur des Platéens , voyez Hérodote ,
IX, LIX; Diodore de Sicile , XI., XXIX ; Plutarque , Arist. XVII .
CHAP. LXXV.— 1. On a souvent cité le siége de Platée comme un
échantillon de la poliorcétique des Grecs. C'est une erreur. Les Lace-
démoniens étaient très- ignorants dans la tactique obsidionale . Ce
siége , loin de faire règle , ne doit être considéré, vu sa bizarrerie et
sa petitesse , que comme un trait tout à fait exceptionnel , destiné à
510 NOTES:

faire sourire de pitié tous les tacticiens d'Athènes. L'auteur paraît


avoir voulu , par cette description , faire la contre-partie du siége de
Syracuse , que les Athéniens conduisent selon les principes.
2. L'attaque des villes par le moyen de terrasses ou de plates-formes
élevées en plan incliné jusqu'au niveau des murs de la place assiégée ,
était une tactique ancienne , que nous voyons employée par les Perses
pour prendre les villes grecques d'Asie Mineure ( Hérodote , I , CLXII) .
Cette méthode était depuis longtemps abandonnée pour la circonval-
lation, dont l'effet était beaucoup plus sûr.
CHAP. LXXVIII.--1. Le lever héliaque (ênitoλn) de l'Arcturus a lieu
peu de jours avant l'équinoxe d'automne ; ce qui correspond à la date
du 17 au 20 septembre.
CHAP. LXXIX. — 1 . Ville de la péninsule Chalcidique, située dans
l'intérieur des terres , à peu de distance d'Olynthe, du côté N. O.
2. District de la Chalcidique , longeant le golfe Thermaïque, au
N. O. de Potidée. C'est le même pays qu'Hérodote appelle Crosséa .
CHAP. LXXX . - 1. Il exerçait déjà la même fonction l'année pré-
cédente (ch. LXVI) . Il devait donc avoir été prorogé dans le comman-
dement. D'après la règle , la charge de navarque ou d'amiral des La-
cédémoniens était annuelle (Thucydide , VIII , xx; Xénophon, Hell. ,
I, VI).
2. Qui n'ont point de rois . Les Chaoniens , les Thesprotes et les
Molosses étaient les trois grandes tribus de l'Epire. Les Atintanes , les
Paravéens et les Orestes étaient des peuplades situées au N. de
l'Athamanie , entre l'Epire et la Macédoine .
3. Territoire d'Argos Amphilochicon . L'expédition , partie du golfe
Ambracique , traversa l'Arcarnanie du N. au S. La ville de Stratos
était située sur l'Achéloos, à dix lieues au-dessus de son embou
chure, à l'endroit où ce fleuve est guéable , parce qu'il se divise en
plusieurs bras .
CHAP. LXXXIII . - 1. Petite ville de l'Etolie méridionale , au pied
d'une montagne du même nom. L'Événos , aujourd'hui Phidari.
2. Les Péloponésiens donnaient là un exemple de l'esprit routinier
de la race dorienne. La disposition circulaire qui avait réussi contre
les Perses à l'Artémision (Hérodote , VIII , XI) n'était plus praticable de-
puis les perfectionnements apportés par les Athéniens dans la tactique
navale.
CHAP. LXXXIV. - 1. Les céleustes étaient des officiers inférieurs ,
espèce de contre-maîtres , qui , sur les vaisseaux, réglaient par un cri
cadencé les mouvements des rameurs..
CHAP. LXXXV. - 1. Sur les proxènes , voyez chap. xxix , note 1 .

1
LIVRE II. 511
- Cydonie était sur la côte septentrionale de la Crète. Ses ruines
(Paléocastro) sont dans le voisinage de la Canée. Polichna était limi-
trophe.
CHAP. LXXXVI. 1. Les batailles navales ayant presque toujours
lieu près des côtes , on réunissait des troupes de terre à proximité ,
afin de recueillir les naufragés ou les vaisseaux poussés au rivage.
2. Les deux promontoires qui forment l'entrée du golfe de Corinthe
(châteaux de Morée et de Roumélie) s'appelaient l'un et l'autre Rhion
(ancien mot grec signifiant cap) . Toutefois ce nom désignait plus par-
ticulièrement le promontoire du Péloponèse. Celui d'Etolie s'appelait
communément Antirrhion ou Rhion de Molycrion , à cause d'une
petite ville étalienne de ce nom située dans le voisinage.
CHAP. XCIII.1 . La courroie servait à attacher la rame , le cous-
sinet à s'asseoir sur les bancs de rameurs. Corinthe n'est qu'à vingt
kilomètres de Mégare.
CHAP. XCIV. - 1. Sur cette espèce de télégraphie nocturne au
moyen de signaux de feu , comparez liv. III, ch . XXII , LXXX ; liv. IV,
ch. XLII , CXI ; liv. VIII , ch. CII . Selon le scholiaste , l'approche de
l'ennemi était indiquée par des flambeaux agités en l'air , celle d'amis
par des flambeaux élevés tranquillement.
CHAP. XCVI..- 1. Le mont Hémus des Grecs et des Romains est le
Balkan moderne , qui sépare la Roumélie de la Bulgarie et qui s'étend
jusqu'à l'Euxin. Les Gètes habitaient la Bulgarie moderne , ou le pays
situé entre le Balkan et le Danube. Le Rhodope est la chaîne qui
séparait la Thrace et la Macédoine en allant du N. au S.
CHAP. XCVII.1 . Vaisseau marchand , par opposition aux vaisseaux
longs ou de guerre . La forme arrondie donnait aux bâtiments de charge
plus de capacité . Hérodote (IV , LXXXVI) évalue le trajet de jour à
sept cents stades et celui de nuit à six cents. Le même auteur compte
la journée d'un piéton à deux cents stades. On sait que le stade , me-
sure de distance , équivaut à cent quatre-vingt-cinq mètres.
2. Les nombreuses villes grecques situées sur le littoral de la
Thrace , depuis l'embouchure du Nestos jusqu'à celle de l'Ister , c'est-à-
dire sur la mer Egée , la Propontide et le Pont-Euxin .
CHAP. XCIX . - 1. Famille de l'Héraclide Téménos , roi d'Argos de-
puis la conquête dorienne. Un de ses descendants , Caranos , frère du
tyran Phidon , alla s'établir en Macédoine, et , par ses exploits , fonda
le royaume de ce nom (Hérodote, VIII , cxxxvII). Le peuple macédo-
nien était barbare ; mais la famille régnante , jusqu'à Philippe et
Alexandre , était grecque , originaire d'Argos et issue d'Hercule.
CHAP, C. - 1 . D'après Hérodote (VIII , CXXXIX) , ces huit rois furent :
512 NOTES .

Perdiccas , Argéos , Philippe , Aéropos , Alcétas , Amyntas, Alexandre,


Perdiccas.
CHAP . CII.1 . La prédiction de l'auteur s'est depuis longtemps ac-
complie. Les Echinades sont , pour la plupart , soudées au continent ,
et n'apparaissent plus que comme des collines s'élevant dans un ma-
rais , sauf quelques-unes qui forment une barre à l'embouchure de
l'Achéloos. Le cours même du fleuve a changé près de la mer. Son
ancien lit se reconnaît au milieu des lagunes de Mesolongi. La posi-
tion exacte d'Eniades est incertaine. Elle ne devait pas être éloignée
d'Anatolico. Voyez liv. III , ch . VII .

LIVRE III.

Į CHAP. II. - 1. On voit par ce qui suit que cette défection fut l'ou-
vrage du parti aristocratique..
2. Ces deux peuples étaient de race éolienne. Lesbos considérait la
Béotie comme sa métropole , parce que c'était de ce pays qu'était
parti Penthilos fils d'Oreste , conducteur de la colonie éolienne dont
Lesbos fut le centre. Voyez Hérodote , liv. VII , ch. CLXXVI.
CHAP. III.1 . Ainsi appelé parce que le temple de ce dieu était
situé près du promontoire Maléa , pointe méridionale de l'île de
Lesbos.
2. Port situé près du promontoire du même nom , à l'extrémité
méridionale de l'Eubée , où était un temple de Neptune.
3. La distance entre ces deux villes est de cent quatre -vingt-douze
milles nautiques de soixante au degré.
CHAP. IV. - 1. Il est évident qu'il n'est pas ici question du pro-
montoire Maléa , pointe méridionale de l'île de Lesbos. Si la leçon est
exacte , il faut admettre qu'il y avait un autre endroit du même nom,
situé au N. de Mytilène. Ce serait le seul passage où un tel endroit
aurait été mentionné. Voyez ch. vi.
CHAP. V. 1. Les deux îles d'Imbros et de Lemnos avaient été
colonisées par les Athéniens cinq cents ans av. J. C. Leurs habitants
étaient considérés comme citoyens d'Athènes. Voyez liv. VII , ch . LVII.
2. Manière ordinaire de constater la victoire , en obligeant l'ennemi
à demander une trêve pour enlever ses morts , et par là à s'avouer
vaincu. Comparez liv. IV , ch . CXXXIV.
CHAP. VI. — 1 . L'ancienne ville de Mytilène était dans une petite île ,
LIVRE III . 513

séparée de la grande île de Lesbos par un canal maintenant comblé .


Cette petite ile formait deux baies , l'une au S. et hors de la ville ,
l'autre au N. , plus vaste et servant particulièrement de port. Cette
dernière était protégée par un môle , qui existe encore aujourd'hui en
grande partie. Ge sont là les deux ports de Mytilène.
2. Ici encore il n'est pas possible de songer au promontoire Malée ,
situé à 70 stades de Mytilène , et par conséquent beaucoup trop
éloigné pour un marché. Nouvelle raison pour admettre l'existence
d'un second lieu du même nom et plus rapproché de la ville . Peut-
être était-ce la dénomination du port septentrional .

CHAP. VII. 1. Il paraît qu'à cette époque Phormion était mort . On


conçoit que sa campagne d'Acarnanie (II , LXVIII) , et surtout ses bril-
lants combats maritimes (II , LXXXIII-XCII) , eussent donné aux Acarna-
niens une haute idée de ses talents militaires.
2. Sur la situation de cette ville , voyez liv. II , ch. cII note 1 .
3. Néricos ou Néricon , ville de l'ile ou presqu'île de Leucade , quel-
quefois confondue avec Néritos , flot voisin d'Ithaque.
44. Les Corinthiens entretenaient des garnisons dans les villes de leur
alliance situées sur les côtes , pour les préserver des déprédations.

CHAP. VIII.- 1 . Olympiade 88 (428 av. J. C.) . Thucydide ne désigne


les olympiades que par le nom de l'athlète vainqueur (comparez liv. V ,
ch. XLIX) . L'indication numérique ne se rencontre que dans les auteurs
d'un âge plus récent. On doute qu'elle soit authentique dans l'histoire
grecque de Xénophon . Selon Polybe (XII , XII ) , l'historien Timée ,
contemporain d'Alexandre le Grand , fut le premier qui établit la
chronologie d'après l'ère des olympiades. Ce fut postérieurement
encore , par exemple par Diodore de Sicile , qu'elle fut suivie avec
régularité.
CHAP. XIII. 1. Dans ce passage , comme dans le second para
graphe du chapitre x , le nom de Grecs s'applique , non pas à la tota-
lité de la nation , mais seulement aux peuples qui se confédérèrent
contre les Perses après les guerres médiques . Cette ligue fut appelée
l'alliance des Grecs , quoiqu'elle ne comprît qu'une partie de la Grèce.
C'est pour la même raison que les gardiens du trésor commun furent
appelés Hellénolames , ou trésoriers des Grecs.
CHAP. XV. 1. Manœuvre usitée chez les Grecs , et consistant à
faire glisser sur des rouleaux , et à force de bras , les vaisseaux par-
dessus une langue de terre . L'endroit où l'isthme de Corinthe est le
plus étroit (díoxog) , n'a que six milles de largeur et n'offre que des
collines peu élevées. La même opération est répétée liv. VIII , ch. vii ,
et pour l'isthme de Leucade , liv. III , ch . LXXXI et liv. IV, ch . vIII.
CHAP. XVI. Voyez liv. I , ch. CXLIII , note 1 .
514 NOTES .
2. Les Athéniens étaient divisés , sous le rapport du cens , en quatre
classes : 1° les pentacosiomédimnes , c'est-à-dire ceux qui avaient un
revenu d'au moins cinq cents boisseaux provenant de leurs pro-
priétés ; 2° les chevaliers , de trois cents ; 3° les zeugites , de cent
cinquante ; 4° les thètes , qui ne possédaient pas de biens-fonds.
Les pentacosiomédimnes fournissaient les triérarques ; les chevaliers
devaient recruter la cavalerie.
3. Voyez II , ch. LXVI et LXXX.
CHAP. XVII . 1. Cette solde était supérieure à la paye ordinaire ,
qui , pour un hoplite athénien , était de quatre oboles ou soixante
centimes par jour. L'augmentation était motivée par la rigueur dé
l'hiver dans le climat de Thrace. Voyez liv. II , ch. LXX.
2. C'est-à-dire la même que les hoplites , savoir une drachme par
jour , le matelot n'ayant pas de valet . La paye ordinaire des matelots
n'était que de trois oboles ou demi-drachmes (VIII , XLXV) ; mais en
certains cas elle était augmentée. Ainsi , dans l'expédition de Sicile ,
elle était d'une drachme parjour (VI , xxx1) .

CHAP. XVIII.1 . Trois petites villes qui , avec Mytilène et Mé-


thymne , complétaient la population de Lesbos. Antissa et Erésos
étaient situées sur la côte occidentale de l'ile ; Pyrrha sur un golfe au S.
2. Les assiégeants avaient peu à redouter du dehors , la majeure
partie des Lesbiens étant concentrée à Mytilène. Une double circon-
vallation était donc superflue.

CHAP. XIX.— 1 , Un million quatre-vingt mille francs. Les Athéniens


ne payaient point d'impositions directes régulières. Lorsque les re-
venus ordinaires de l'Etat ne suffisaient pas , on décrétait une contri-
bution extraordinaire (elogopá) pour une somme déterminée. Cette
levée d'argent était répartie par tribus , et payée proportionnellement
au cens , par les citoyens des trois classes imposables , savoir : les
pentacosiomédimnes , les chevaliers et les zeugites.
2. On suppose que cet endroit était voisin du Méandre.
3. Habitants de la petite ville d'Anéa , située sur le continent , en
face de Samos , et l'asile ordinaire des mécontents Samiens. Voyez
liv. III , ch . XXXII ; liv. IV , ch . LXXV ; liv. VIII , ch . xIx.
CHAP. XXI . - 1. C'était une faute de la construction , puisque les
assiégeants ne pouvaient, en cas d'alarme , se porter sur le mur que
par les étroits passages des tours , et que les ennemis , en s'empa-
rant de ceux-ci , devenaient maîtres de la plate-forme.
CHAP. XXII . 1. La circonvallation était bordée de deux fossés ,
l'un à l'extérieur , l'autre du côté de la ville (II , LXXVIп) . La place
elle-même de Platée ne parait pas avoir eu de fossé.

#
LIVRE III. 515
- 1. Ici , comme dans la phrase suivante , il est ques-
CHAP . XXIII . —
tion du fossé extérieur de la circonvallation .
2. Le flanc droit , non protégé par le bouclier.
CHAP. XXIV. 1. Ancien héros platéen , dont le sanctuaire était au
pied du Cithéron, dans le voisinage du champ de bataille de Platée.
Hérodote , IX, XXVII ; Plutarque , Aristide , II.
2. Les Têtes de chêne. C'était le nom d'un des principaux passages
du Cithéron, conduisant d'Hysies à Eleuthères.
3. Deux petites villes du pays de Platée , au pied septentrional du
Cithéron. Hysies était à vingt-six stades de Platée , Erythres à trente
stades
CHAP. XXV. - 1. Voyez liv. III , ch. xvш , note 1.
CHAP. XXVI. - 1. Cléomènes exerçait la tutelle parce que son
frère, le roi Plistoanax, était alors en exil (II , xxi ; V, xvi) . Cléomènes
et Plistoanax étaient fils de Pausanias , qui commandait à la bataille
de Platée. Suivant l'usage des Grecs , le petit-fils portait le même nom
que son aïeul.
CHAP. XXVII. -- 1. C'était une coutume générale dans les villes
grecques. Les gens de la classe pauvre ne faisaient pas le service
d'hoplites , comme n'ayant pas les moyens de s'armer. Ils servaient seu-
lement en qualité de troupes légères ou de rameurs sur les vaisseaux.
Ainsi la force militaire se trouvait concentrée dans la main des classes
aisées , ce qui contribuait à éloigner les révolutions.

CHAP. XXIX. - 1. La situation géographique de ces deux îles , par


rapport au Péloponèse , d'où la flotte était partie , eût exigé que
Myconos fût nommée la première , comme étant à l'O. d'Icaros.
CHAP. XXXI. - 1. Quelques aristocrates , partisans de Lacédémone ,
et notamment les députés qui avaient été envoyés dans cette ville , et
qui revenaient alors sur ces vaisseaux.
2. De toutes les corrections qu'on a proposées pour cet obscur pas-
sage, la seule qui me paraisse acceptable est de lire autoïç (au lieu de
autoùs) opioiv. Le premier des deux pronoms se rapporte aux Athé-
niens; le second (opíov) à ceux qui parlent. La phrase entière présente
une réticence ; après γίγνηται on doit sous- entendre ταῦτα ἄριστα ,
c'est bien.
3. Pissouthnès , fils d'Hystaspes et satrape de Sardes , avait déjà
favorisé la défection de Samos. Voyez liv. I , ch. cxv.

CHAP. XXXII . — 1 . Trait de barbarie déjà reproché aux Lacédémo-


niens (II , LXVII) . Les Corcyréens tuent aussi leurs prisonniers de
guerre (1 , xxx) , ainsi que les Platéens (II , v) , mais par inimitié
516 NOTES.
nationale , tandis que la cruauté d'Alcidas naissait du préjugé qui
faisait considérer aux Lacédémoniens tous les peuples navigateurs
comme alliés actifs d'Athènes.
2. Voyez liv. III , ch. xIx , note 3.
CHAP. XXXIII . 1. Endroit de l'Ionie situé près de Colophon ,
entre Myonnésos et Ephèse , avec un temple d'Apollon et un oracle. Il
faut admettre , malgré le silence de l'auteur , qu'Alcidas avait relâché
en cet endroit pendant sa navigation le long des côtes de l'Ionie.
2. Deux vaisseaux de guerre athéniens , toujours armés et com-
missionnés pour le service public , par exemple pour le transport des
dépêches et de l'argent , pour les voyages des ambassadeurs et autres
missions officielles. Ces vaisseaux avaient des équipages d'élite , uni-
quement composés de citoyens. Voyez liv. III , ch. LXXVII ; liv. VI ,
ch. LIII et LXI ; liv. VIII , ch . LXXIII et LXXIV. ,
3. Les villes grecques d'Asie Mineure avaient été démantelées par
les Perses à la suite de la révolte d'Histiée et d'Aristagoras (Héro-
dote , VI , XXXII) . Plus tard , lorsque sur la fin de la guerre du Pélo-
ponèse elles se révoltèrent contre les Athéniens , leur premier soin
fut de relever leurs murailles (VIII , XIV, LXXXIV) . Auparavant les
Athéniens ne leur eussent pas permis de le faire par crainte des dé-
fections.

CHAP . XXXIV . -1 . La ville de Colophon était située à quelque dis-


tance de la mer. Notion lui servait d'échelle . On ignore qui était cet
Itamanès; peut- être était- ce un lieutenant du satrape de Sardes.
2. Les satrapes perses avaient l'habitude de prendre à leur solde
des bandes de Grecs mercenaires , principalement recrutés en Arcadie ,
et dont ils se servaient pour garder les forteresses de leurs pro-
vinces.
3. Non pas une colonie exclusivement composée d'Athéniens , mais
dont les chefs étaient d'Athènes , et dont cette ville prenait la direc-
tion.
CHAP. XXXVI. - 1. Les Lesbiens et les Chiotes étaient les seuls
alliés d'Athènes qui fussent demeurés jusqu'alors indépendants , en se
conformant aux conditions primitives du traité d'alliance , telles qu'elles
avaient été stipulées du temps d'Aristide , c'est-à-dire en fournissant
leur contribution de guerre et leur contingent de vaisseaux.
2. Ce Cléon est le célèbre démagogue qui fut à la tête de la répu-
blique pendant les sept années écoulées depuis la mort de Périclės
jusqu'à la bataille d'Amphipolis (429-422 av. J. C.) .
CHAP. XXXVII . -- 1. Le mot de tyrannie est pris ici dans le sens
grec de souveraineté absolue , de domination monarchique , sans im-
pliquer l'idée de despotisme ou d'abus d'autorité .
LIVRE III. 517
CHAP. XL. - 1. Il y a ici une ironie . Ce serait sans doute , pour
les Athéniens , faire preuve de vertu que d'abdiquer volontairement
l'empire qu'ils exercent sur leur alliés ; mais Cléon , en parlant ainsi ,
n'ignore pas qu'ils sont fort éloignés d'une abnégation pareille
CHAP. XLIII. 1. A Athènes , lors même que l'assemblée du peuple
avait adopté un projet de loi , l'orateur qui l'avait proposé n'en demeu-
rait pas moins responsable . On pouvait lui intenter une accusation
d'illégalité (ypaqǹ пaρavóμwv) , si par exemple son décret se trouvait
être en contradiction avec une loi antérieure . C'est pour cette raison
que la formule des arrêts législatifs portait toujours en tête le nom de.
l'orateur sur la proposition duquel le décret avait été rendu.
CHAP. XLIV. - 1. Le texte porte : ἦν τε καὶ ἔχοντές τι ξυγγνώμης
ETEV , construction barbare et inintelligible. Je regarde le mot ɛɛv
comme une glose à supprimer. Là proposition entière est elliptique ;
on sous-entend : soit , à la bonne heure , ou même un simple geste
d'adhésion.

CHAP. XLIX.- 1 . Cuite en forme de gâteaux ou de beignets . Le mets


appelé pala , et très-goûté des Grecs , se composait de farine pétrie
dans de l'eau et de l'huile .
CHAP. L. 1. La mine valait cent drachmes ou quatre-vingt-dix
francs . Cette redevance était au profit des colons athéniens. Par ce
partage de leurs terres , les Lesbiens perdaient leur droit de pro-
priété et devenaient les fermiers de leurs propres domaines. Leur état
se trouvait donc de beaucoup pire que celui des sujets tributaires
d'Athènes. Il se peut que la perspective de ce partage entrât pour
quelque chose dans l'excès de rigueur déployé envers Lesbos par les
Athéniens.

CHAP . LI . — 1 . Château fort sur la pointe occidentale de l'ile de


Salamine. Les Athéniens y tenaient une station navale d'observation .
Voyez liv. II , ch. XCIV.
2. Allusion à l'expédition racontée au livre II , ch. XCIII.
3. Il est difficile de se rendre compte de l'état des lieux. On regarde
ordinairement comme Niséa la petite colline située près de la mer au-
dessous de Mégare , et sur laquelle se voient les ruines d'une ancienne
tour. Mais il n'y a aucune ile assez rapprochée de ce point pour ré-
pondre à la description de Minoa . Les ingénieurs anglais qui ont
dressé la carte marine de l'Archipel ont admis l'hypothèse que ladite
colline , actuellement partie de la terre-ferme , était jadis l'île de
Minoa , et que Niséa devait être située vis- à -vis , dans la plaine . L'as-
pect des lieux ne confirme guère cette supposition . Il serait sans
exemple qu'une ville grecque aussi ancienne que Niséa eût été bâtie
sur une côte absolument plane et à la merci des coureurs de mer.
Reste à supposer que Minoa ait disparu dans les flots , à moins qu'on
518 NOTES .
ne la cherche plus à l'E. dans la presqu'île de Ticho , et que le port
de Mégare, au lieu d'être placé où on le met communément , ne fût
sur la baie de Ticho. Du temps de Strabon (IX , p. 270) Minoa n'était
plus une île , mais un promontoire. Cette dernière hypothèse prẻ-
sente aussi des objections. Niséa était à dix-huit stades de Mégare.
Ticho serait trop éloigné.
CHAP. LII. 1. Aïmnestos est le Spartiate qui tua Mardonius à la
bataille de Platée (Hérodote , IX, LXVIII) . C'est apparemment à sa
mémoire que le Platéen ici mentionné avait reçu le même nom. A
son tour il avait appelé son fils Lacon , de même que l'Athénien
Cimon avait nommé le sien Lacédémonios (I , XLV) en témoignage de
son attachement à Lacédémone. - Le choix de cet orateur fut sans
doute dicté par l'opinion qu'en sa qualité de proxène il serait bien-
venu des Lacédémoniens. - Sur les proxènes , voyez liv. II , ch. xxix ,
note 1 .
CHAP. LIV. - 1. Voyez Hérodote , liv. VIII , ch. 1 , et liv. IX, ch. XXVII.
2.1 Comparez , liv. 1 , ch. cv .
CHAP. LV. - - 1. C'est la réponse que leur fit le roi Cléomènes , selon
Hérodote (VI, CI).
2. Depuis la bataille de Marathon , où ils étaient venus en masse au
secours d'Athènes , les Platéens avaient reçu dans cette ville le droit
de cité. Cette naturalisation générale conférait aux Platéens les droits
utiles , mais non pas les droits honorifiques , par exemple d'être éligi-
bles aux charges de l'État.
CHAP. LVI.-- 1. Littéralement dans un mois sacré. Il ne peut
s'agir du mois Carnéen , Platée n'étant pas dorienne , et l'entreprise
des Thébains ayant eu lieu à la fin d'avril , tandis que le mois Carnéen
correspond , pour la plus grande partie , au mois d'août. Ce n'était pas
non plus l'année des jeux olympiques . Il doit donc être question ici
de quelque solennité particulière à Platée.
CHAP. LVII.1. C'était l'usage, après les grandes spoliations pu-
bliques , de les légitimer en quelque sorte en consacrant aux dieux la
dime du butin .
2. Voyez liv. I, ch. cxxxII , note 2.
CHAP. LVIII. 1. L'oblation de vêtements qu'on brûlait sur les
sépulcres est une coutume des temps héroïques , dont l'exemple ici
indiqué est une sorte de réminiscence . Plutarque (Aristide, xx1) donne
le détail des cérémonies funèbres qu'accomplissaient les Platéens dans
la fête des Eleuthéries .
2. Après la victoire de Platée , les Grecs instituèrent une fête per-
pétuelle en l'honneur de Jupiter protecteur de la liberté. Cette fête
s'appelait Ελευθέρια .
LIVRE III. 519
CHAP. LXI. 1. Il ne faut pas prendre au pied de la lettre cette
manière d'expliquer les origines béotiennes. Platée n'avait été ni
fondée ni constituée par les Thébains; mais l'assertion s'applique à la
contrée située le long de l'Asopos jusqu'à l'Euripe , contrée qui était
primitivement habitée par des Hyantes , des Thraces et des Pélasges.
Voyez Strabon , liv. IX, p. 277.
CHAP. LXII.- 1. Selon Hérodote (IX , LXXXV) , les chefs de l'oli-
garchie thébaine étaient Timagénidas et Attaginos. Ils furent chassés
par les Grecs immédiatement après la bataille de Platée.
2. Voyez liv. I , ch . CXIII.
3. Voyez liv. I , ch. xcv, note 2.
CHAP. LXVIII.1. C'étaient des membres du parti aristocratique ,
exilés par la faction contraire et réfugiés à Pagæ. Voyez liv. IV,
ch. LXVI .
2. Maison de refuge , sorte de kan destiné à héberger les voyageurs.
Sur cette manière de sanctifier les spoliations publiques , voyez liv. II ,
ch. XXVII , note 1 .
3. On doit conclure de là que l'alliance de Platée et d'Athènes (Hé-
rodote , VI , CVIII) eut lieu en 519 av. J. C. Les Platéens échappés à la
catastrophe furent transplantés par les Athéniens à Scione (IV , cxx) . ·
Après la paix d'Antalcidas (387 ans av. J. C.) , Platée fut rebâtie , puis
détruite de nouveau , en 374 , par les Thébains . Elle sortit encore une
fois de ses ruines . Plus tard , sous Alexandre le Grand , les Platéens se
vengèrent de Thèbes en concourant activement à sa prise et en obte-
nant du roi de Macédoine l'arrêt de sa complète destruction .
CHAP. LXX. -1 . Voyez livre I , ch . XLVII.
2. Ces prisonniers étaient au nombre de deux cent cinquante
(I , Lv) . La somme de huit cents talents paraît exorbitante. La rançon
offerte pour les prisonniers atheniens en Sicile est d'un talent par
tête (VII , LXXXIII) . Cependant , comme il ne s'agit ici que d'une cau-
tion nominale , il se peut que les Corinthiens l'eussent exagérée à
dessein , pour mieux dissimuler leur intention véritable.
3. Apparemment il remplissait les fonctions de la proxénie par bonne
volonté et sans caractère officiel. Sur les proxènes , voyez livre II ,
ch. xxix , note 1 .
4. Ancien héros national de Corcyre , et qui , dans l'Odyssée , est
roi des Phéaciens. Suivant l'usage , son tombeau avait été converti en
sanctuaire et entouré,d'un bocage sacré. Il était sévèrement interdit
de toucher aux fruits et aux arbres de ces sortes d'enceintes.
5. Vu la grandeur de la somme , il est probable qu'il s'agit du sta-
tère d'or , valant vingt drachmes ou dix-huit francs. Il y avait aussi
des statères d'argent , valant quatre drachmes ou trois francs soixante
centimes.
520 NOTES .
CHAP. LXXII . 1. L'ile d'Egine était alors peuplée d'une colonie
d'Athéniens. Voyez liv. II , ch . xxvII .
2. Corcyre avait deux ports principaux le port Hyllaïque (ainsi
appelé de la rivière Hyllos qui s'y jette) et celui d'Alcinoüs , le pre-
mier au N. , le second au S. de la presqu'île sur laquelle l'ancienne
ville de Corcyre était bâtie.
CHAP. LXXIV. - 1. Maisons où habitaient plusieurs ménages. Les
maisons ordinaires n'étaient habitées que par une seule famille.
CHAP. LXXV. - 1. Principale divinité de Corcyre. Les suppliants
espéraient être plus en sûreté dans son temple que dans celui de
Castor et de Pollux. L'Héréon ou temple de Junon était situé au bord
de la mer. Il y a plusieurs îlots devant l'ancien site de Corcyre.
CHAP. LXXVI. -- 1. Voyez liv. I , ch. XLVII , note 1 .
CHAP. LXXVII. -
– 1. Voyez liv. III , ch. xxxшI , note 2.
CHAP. LXXVIII.1 . Voyez liv. II , ch. LXXXIII , LXXXIV.
CHAP. LXXIX. -- 1. Voyez liv. I , ch. xxx , note 1 .
CHAP. LXXX . -- 1. Leucade était primitivement une presqu'ile ,
jointe au continent par un isthme de cinq cents pas. Les Leucadiens
coupèrent cet isthme pour se mettre à l'abri des Acarnaniens ; mais ,
du temps de Thucydide , il était de nouveau ensablé. Plus tard , pro-
bablement à l'époque romaine , le canal fut rétabli , en sorte que
Leucade est demeurée une île. - Sur le transport des vaisseaux, voyez
liv. III, ch. xv , note 1.
CHAP. LXXXV. 1. Plus tard il y eut à Corcyre une nouvelle
sédition non moins cruelle que la première. Voyez liv. IV, ch. XLVI.
2. On présume que c'est la montagne qui domine la ville de Corfou ,
et sur laquelle sont les ruines du fort Saint-Ange , construit dans le
moyen âge ; à moins que cette montagne d'Istone ne soit autre que le
mont Ithone qui traverse l'île dans toute sa longueur.
CHAP. LXXXV1 . - 1 . Ces deux villes étaient des colonies de Chalcis
en Eubée , et par conséquent de race ionienne.
2. C'est la célèbre ambassade dont faisait partie l'orateur Gorgias.
Son éloquence eut un si grand succès auprès des Athéniens qu'ils l'en-
gagèrent à se fixer dans leur ville.
CHAP. LXXXVII . 1. Les Athéniens en âge de porter les armes
étaient inscrits sur des rôles ou catalogues , tenus par chaque tribu .
Ces rôles servaient d'état civil. On n'enregistrait ni les femmes , ni
les enfants, ni les esclaves. D'après les données du livre II , ch . XIII ,
LIVRE III. 521
le nombre total des hoplites athéniens était de vingt-neuf mille , et
celui des cavaliers de douze cents. Cela suppose une mortalité très-
considérable , à répartir vraisemblablement sur les deux irruptions.
Comparez liv. II , ch . LVIII.
CHAP. LXXXVIII . - 1. Ainsi appelées comme séjour présumé du dieu
des vents (Homère , Odyssée , X, 1 ) îles Vulcaniennes ou de Lipari.
Elles sont au nombre de dix. Thucydide ne cite que les principales ;
les autres sont Phénicusa , Ericusa , Evonymos , Hicésia , Basilidia et
Ostéodès.
CHAP. LXXXIX. - 1. Petite ville sur le golfe d'Oponte en Eubée ,
vis-à-vis de la ville béotienne d'Anthédon. Sur l'ile d'Atalante et sur
le fort des Athéniens , voyez liv. II , ch . XXXII .
2. Ile nommée aujourd'hui Scopélos , et qui fait partie du groupe
situé près de la côte S. E. de la Thessalie. Elle est voisine de l'île
d'Halonésos , à qui elle appartenait.
CHAP . XC.. 1. Les Eixɛλi@tat sont les Grecs de Sicile , habitants des
colonies grecques de cette île , tandis que les Exɛλo ou Sicules étaient
un peuple barbare qui occupait l'intérieur et la côte septentrionale de
la Sicile .

CHAP. XCI. 1. Les Athéniens , qui étaient maîtres de la mer et


qui avaient soumis presque toutes les îles à leur empire , trouvaient
étrange que Mélos fit exception . Or cette ile était une colonie des
Doriens du Péloponèse ; il était donc naturel qu'elle se refusât à mar-
cher contre sa métropole. Mélos ne fut réduite que dix ans plus tard .
Voyez liv. V , ch. cxvI .
2. Voy. liv. II , ch. XXXIII , note 2.
CHAP. XCII . - - 1. Peuplade du S. de la Thessalie , entre les monts
Eta et Othrys , dans la vallée du Sperchios. Elle a donné son nom
au golfe Maliaque.
2. Il paraît que les Lacédémoniens songeaient déjà à l'expédition
qu'ils effectuèrent deux ans plus tard sous la conduite de Brasidas.
Voyez liv. IV , ch . LXXVIII.
CHAP. XCII. 1. Pointe septentrionale de l'Eubée , en face de la
Locride. L'Eubée tout entière appartenait alors aux Athéniens .
2. D'après Diodore de Sicile (XII , LIX) , la colonie d'Héraclée
compta dans l'origine quatre mille Péloponésiens et six mille colons
du reste de la Grèce.
CHAP . XCIV. 1. Les trois peuples ici mentionnés faisaient partie
de l'Étolie conquise (èπíxτηtoç) . Les Apodotes habitaient au S. , près
de Naupacte ; les Ophionéens sur le mont Corax ; les barbares Eury-
522 NOTES.

tanes étaient les plus septentrionaux ; ils s'étendaient jusqu'à la chaîne


de l'Eta.
CHAP. XCV. - 1 . Épibates , soldats de bord ou de marine , servant
comme troupes de débarquement. Ce n'étaient pas toujours des citoyens
de la classe inférieure . On voit au chapitre XCVIII que ceux-ci étaient des
jeunes gens appartenant aux meilleures familles d'Athènes . Peut-être
étaient-ce des péripoles.
2. Chez les Locriens-Ozoles , près du golfe de Crisa , à l'E. de
Naupacte.
CHAP. XCVI. 1. Sur la fin tragique du poëte Hésiode , voyez
Plutarque (Banquet des sept Sages) et Pausanias (IX, XXXI). L'oracle
se vérifia pour lui d'une manière imprévue. Il fuyait Némée du Pélo-
ponèse , et vint mourir en Locride dans un endroit du même nom.
2. Ces peuplades peu connues habitaient le revers méridional du
mont Eta , près des sources de l'Événos et sur les confins de la Tétra-
pole dorienne. Elles ne s'étendaient pas jusqu'au golfe Maliaque , mais
elles n'en étaient pas fort éloignées.
CHAP. XCIX . — 1. La ville des Locriens-Epizéphyriens , située à
l'extrémité S. E. de l'Italie. Le fleuve Halex formait la limite entre le
territoire de cette ville et celui de Rhégion. Les Locris d'Italie
étaient alliés de Syracuse et par conséquent ennemis des Athéniens.
CHAP. CII. 1. District de l'Etolie méridionale ou ancienne , compris
entre le mont Aracynthe et le cours de l'Événos . Ce pays était primi-
tivement appplé Éolide , parce que les Eoliens s'en étaient emparés
sur les Curètes, ses anciens habitants. Les Eoliens furent à leur tour
expulsés par les Etoliens. Calydon et Pleuron étaient les villes de cette
contrée.
CHAP. CIV. — 1 . Sur la première purification de Délos par Pisis-
trate , voyez Hérodote , liv. I , ch. LxIv. Les décès et les accouche-
ments étaient considérés comme des souiilures pour les lieux sacrés.
Délos fut donc traitée comme aurait pu l'être un vaste temple. Diodore
de Sicile (XII , LVIII) prétend que l'oracle dont il est ici question fut
rendu aux Athéniens comme un moyen de se délivrer de la peste.
2. Ces vers et les précédents se lisent , avec quelques variantes , dans
l'hymne à Apollon , attribué à Homère. Thucydide ne paraît pas
mettre en doute l'authenticité de ces petits poemes , qu'on s'accorde
aujourd'hui à regarder comme d'un âge plus récent. Il les appelle
préludes (лpooíua) , et en effet ce sont moins des hymnes que des
chants destinés à préluder à la récitation des vers d'Homère , telle que
la faisaient les rapsodes dans les fêtes où elle était l'objet d'un prix.
CHAP. CV. 1. Sur l'origine de l'inimitié entre les Ambraciotes et
leurs voisins d'Argos Amphilochicon , voyez liv. II , ch. LXVIII.
LIVRE III . 523
2. Les villes acarnaniennes formaient ensemble une confédération
plutôt administrative que militaire. Outre ce tribunal central , elles
avaient une monnaie commune , mais non un chef unique.
CHAP. CVI. - 1 . L'Achéloos fait la limite entre l'Etolie et l'Acarnanie.
On ne le passe à gué que là où il se divise en plusieurs branches ,
c'est-à-dire près de son embouchure et vis-à-vis de Stratos. Les Pélopo-
nésiens , voulant éviter cette ville , qui est située sur la rive droite du
fleuve , prirent vraisemblablement la première de ces deux routes , et
traversèrent l'Acarnanie du S. au N. , en remontant , mais à dis-
tance , le cours de l'Achéloos..
CHAP. CXII . - 1. Les Messéniens, venus de Naupacte, étaient de
race dorienne et originaires du Péloponèse. Les Ambraciotes , colonie
de Corinthe, parlaient également le dialecte dorien . Ceux-ci pouvaient
donc assez facilement prendre les Messéniens pour des compatriotes.
CHAP . CXIII. 1. Ambracie se releva plus tard. Elle était redevenue
la plus grande ville de la contrée à l'époque de Pyrrhus , qui en fit sa
résidence.

CHAP. CXV. - 1 . Aristophane (les Guêpes , v. 240) nous apprend que


Lachès fut rappelé à Athènes pour cause de malversations.
1. Voyez chap. XCIX. Il paraît que , dans l'intervalle, les Locriens
l'avaient repris.
CHAP. CXVI . 1. Ainsi la première éruption de l'Etna aurait eu
lieu en 475 av. J. C. Les marbres de Paros la placent en 479. Selon
Diodore de Sicile (xiv , 59) , une quatrième éruption eut lieu en 396.
Thucydide n'en parlant pas , on en conclut qu'il ne vivait plus à cette
dernière époque .

LIVRE IV.

CHAP . I. 1. Au N. Rhégion avait pour ennemie la ville de


Locres , dont le territoire était limitrophe du sien , et au S. celle de
Messine , dont elle n'était séparée que par le détroit.
CHAP. II. J 1. Sur le mont Istone. Voyez liv. III , ch. LXXXV.
CHAP. III.. 1. Coryphasion était proprement le nom du promon-
toire qui ferme au N. la baie de Pylos , et sur lequel étaient les
ruines de l'ancienne ville de Pylos en Messénie , aujourd'hui Vieux
Navarin.

CHAP. IV. 1. Les taxiarques étaient des officiers commandant les


524 NOTES .

hoplites dans l'armée athénienne . Ils étaient au nombre de dix , un


par tribu, subordonnés aux généraux ou stratéges. Il est probable que,
dans la circonstance actuelle , Démosthène se sert de leur intermé-
diaire pour communiquer avec les soldats.
CHAP. VII. — 1. Il ne faut pas confondre cette ville avec celle d'Eion ,
située à l'embouchure du Strymon. Celle-ci était une colonie d'Athènes
(I , xcvin) , et les Athéniens n'avaient pas cessé d'en être les maîtres
(IV , CV , CVII). La ville d'Eon , qui n'est pas mentionnée ailleurs ,
était probablement en Chalcidique.
CHAP. VIII. 1. Un peu plus de deux kilomètres et demi. Le stade
vaut cent quatre-vingt-cinq mètres. La longueur de l'île qui s'étend
devant le port de Navarin est au moins le double de cette indica-
tion. Aussi le chiffre donné par le texte a-t-il soulevé quelques doutes.
2. Probablement à raison d'un serviteur par hoplite , suivant l'usage
général des Grecs. On ne peut appliquer ici le calcul fait par Héro-
dote (liv. IX , ch. xxvIII) à l'occasion de la bataille de Platée ; car il
n'y avait point à Sphactérie de troupes légères.
CHAP. IX . - - 1. Bâtiments légers , à trente rames , et armés en
course. Les Messéniens sont ceux de Naupacte.
2. On peut conclure de là que le premier combat livré par Démo-
sthène n'eut pas lieu sur la côte qui borde le port de Pylos , mais dans
la partie extérieure , au N. de la pointe de Sphactérie . Le mot édα-
yos, dont se sert ici Thucydide , indique toujours une mer ouverte.
CHAP. XIII . - 1. Place maritime , appartenant aux Lacédémoniens ,
et située à l'entrée du golfe de Messénie , à quarante stades du cap
Acritas.
2. Le texte reçu porte teσσapáxovta . Le nombre primitif des vais-
seaux athéniens était de quarante. Démosthène. en avait gardé cinq ,
puis renvoyé deux : restaient trente-sept. Ajoutez le renfort de quatre
bâtiments chiotes et de quelques-uns de Naupacte , cela ferait déjà
plus de quarante. Enfin , on voit au chapitre XXIII qu'après un nou-
veau renfort de vingt vaisseaux envoyés d'Athènes , la totalité de la
flotte athénienne fut de soixante-dix (sans variante) ; preuve qu'on
doit lire ici TEντýжоνтα avec quelques manuscrits.
CHAP. XVI . - 1. Le chénice était une mesure de capacité valant
un litre huit centilitres. La cotyle était le quart du chénice , soit vingt-
sept décilitres.
CHAP . XXI. - 1. Voyez liv. I , ch. cxv , note 2.
CHAP. XXIV. 1. La flotte d'Eurymédon . Voyez liv. III , ch. CXV,
et liv. IV , ch. II.
2. Homère , Odyssée , XII , 235. La légende du cap monstre (πé-
LIVRE IV. 5.25

2wpov) fut probablement accréditée par les premiers navigateurs


grecs qui exploitèrent la mer Tyrrhénienne et qui voulurent écarter la
concurrence commerciale en exagérant les dangers de cette navigation .
CHAP . XXV. - 1. Grappin destiné à retenir le vaisseau ennemi
pendant qu'on l'attaquait à l'abordage. Voyez liv. VII , ch . LXII. 1
2. Ainsi appelée pour la distinguer de l'île du même nom. La ville
de Naxos, sur la côte N. E. de la Sicile , était une colonie de Chalcis
en Eubée. Voyez liv. VI , ch. III.
3. Rivière qui se jette dans la mer , un peu au S. de Naxos. La
flotte devait donc avoir passé devant cette ville , puisqu'elle venait de
Messine.
CHAP. XXVIII . - 1. Les îles de Lemnos et d'Imbros , dans la mer
Égée , étaient habitées par des colonies d'Athènes. La ville d'Enos, en
Thrace , était éolienne , mais alliée et tributaire des Athéniens. Voyez
liv. VII , ch. LVII.
CHAP. XXXI. 1. Près du centre de Sphactérie , on remarque une
excavation , qui paraît avoir servi de puits . C'est là apparemment l'eau
saumâtre dont s'abreuvaient les Lacédémoniens. Voyez ch. XXVI.
CHAP. XXXII . - 1. Les trois rangs de rameurs dans les trirèmes
formaient trois classes distinctes de matelots. Le rang supérieur , com-
posé des hommes les plus vigoureux et qui maniaient les plus longues
rames , s'appelait thranites , le rang intermédiaire zeugites, le rang
inférieur thalamiens. Voyez liv. VI , ch. xxxi , note 3.
CHAP. XXXIV . — 1. Les cuirasses des fantassins grecs étaient de
laine ou de lin fortement drapé , et assez épaisses pour être à l'épreuve
des projectiles. Les cavaliers portaient des corselets de métal , pour
suppléer au bouclier d'airain , arme défensive des hoplites.
CHAP. XLI. ---- 1. Le dialecte dorien , parlé en Laconie , et qui leur
permettait de parcourir plus sûrement le pays , de communiquer avec
les esclaves et de les exciter à la désertion .
CHAP . XLII. - 1. La Chersonèse corinthienne doit être une langue
de terre qui s'avance dans le golfe Saronique , au S. de Cenchrées ,
en prolongement du mont Onéon . Rhitos est , à ce qu'on présume , le
nom d'un ruisseau qui coulait un peu plus au S. La colline de
Solygie était une des sommités du mont Onéon.
2. Les Doriens qui , à l'époque du retour des Héraclides , s'emparè
rent de Corinthe , étaient conduits par l'Héraclide Alétas. Ils assié-
gèrent Corinthe à l'ancienne manière , consistant à s'établir solide-
ment dans le voisinage de la place qu'on voulait prendre , et à ravager
son territoire , afin d'amener les ennemis à combattre en rase cam-
pagne ou à capituler .
526 NOTES.
3. La Corinthie s'étendait au N. de l'isthme , probablement jus-
qu'aux monts Onéens , limite de la Mégaride , à laquelle la Géranie
appartenait (liv. I , ch. cv). Dans ce district étaient les petites places
de Schoenus, de Sidus et de Crommyon.
4. Les Corinthiens craignaient que l'armée athénienne n'eût fait
qu'une fausse démonstration en abordant à la Chersonèse , afin d'at-
tirer les ennemis de ce côté ; mais que son intention véritable ne fût
que de traverser le golfe pour aller attaquer Crommyon , sur le chemin
de Corinthe à Mégare.
CHAP. XLIV. 1. Le mont Onéon s'étendait à l'E. de Corinthe
jusqu'au golfe Saronique. Il ne faut pas le confondre avec les monts
Onéens , qui croisent l'isthme entre Corinthe et Mégare .
CHAP. XLV. — 1. Méthone en Trézénie , pour la distinguer de Mé-
thone en Messénie (Modon) . Le village moderne de Méthana est sur
l'emplacement de la première de ces deux villes.
CHAP. XLVI . - 1. Voyez liv. III , ch. LXXXV, note 2.
2. Ilot situé devant le port de Corcyre.
CHAP. XLVIII. 1. Ce passage semble indiquer qu'il n'y eut de
nouveaux troubles à Corcyre qu'après la fin de la guerre du Pélopo-
nèse, c'est-à- dire postérieurement à 404 av. J. C. , et que Thucydide
vécut assez longtemps pour en être témoin . D'autres, s'autorisant de
ce que Diodore de Sicile (XIII , XLVIII) parle d'une sédition arrivée à
Corcyre en 410 , en concluent que par ces mots : la guerre actuelle,
Thucydide désigne seulement le première partie de la guerre du Pélo-
ponèse , jusqu'à la paix de Nicias.

CHAP. L. - 1 . Selon Diodore (XII , LIV), Artaxerxès mourut sous


l'archontat de Stratoclès (olympiade 88 , 4) , ce qui s'accorde avec
l'époque indiquée ici . Il eut pour successeur Xerxès II , qui ne régna
que quarante-cinq jours , puis Sogdien pour six mois. Après ce dernier
vint Darius II , surnommé Nothus , qui est cité plusieurs fois dans le
VIII livre de Thucydide . Voyez liv. VIII , ch . LVIII , note 1 .
CHAP. LII. 1. Ville de Mysie , près du cap du même nom, à
l'entrée de l'Hellespont. Voyez liv. VIII , ch. CI.
2. Le statère de Phocée était une monnaie d'or , équivalente au
darique , c'est-à -dire à vingt drachmes athéniennes , soit dix-huit
francs. Voyez liv. III , ch. LXX , note 5.
3. Les mêmes qui , au livre III , chapitre L , sont dites les villes du
continent en face de Lesbos. Les Athéniens s'en étaient emparés après
la soumission de Mytilène .
CHAP. LIII.-- 1. Juge de Cythère , sorte de bailli ou de provédi-
LIVRE IV. 527
teur. Sur l'importance de Cythère pour Lacédémone , comparez Héro-
dote , liv. VII , ch. ccxxxv. La restitution de Cythère fut stipulée en
première ligne par les Lacédémoniens dans le traité de paix. Voyez
liv. IV, ch. CXVIII , et liv. V, ch. XVIII.
2. Cet abord des vaisseaux marchands venant d'Egypte est de neu-
veau mentionné au livre VIII , chapitre xxxv. Il paraît avoir surtout con-
sisté en cargaisons de blé , la Grèce ne suffisant pas à sa consom-
mation.

CHAP. LIV. 1. Si le nombre indiqué est exact, il faut admettre


qu'il y avait sur la flotte autant d'hoplites milésiens que d'hoplites
athéniens , et que les troupes de débarquement étaient aussi nom-
breuses que les équipages , ceux-ci devant monter à deux mille hommes
pour dix vaisseaux , à raison de deux cents par trirème. Enfin Poppo
remarque avec justesse que les Milésiens n'étaient guère en état
de fournir tant d'auxiliaires , eux qui , ayant à défendre leurs foyers
(liv. VIII , ch. xxv) , ne mettent sur pied que huit cents hoplites. Il
est probable qu'il y a dans le texte une erreur de chiffre.
2. Il y avait dans l'ile de Cythère deux villes distinctes : celle
de Scandéa au S. , et celle de Cythère au N. Celle-ci se subdivisait
en deux parties : la ville basse ou maritime et la ville haute ou
acropolis.
CHAP. LV. - 1. Sans doute un corps permanent de troupes merce-
naires. La cavalerie de Lacédémone était mauvaise et peu nombreuse
(Voyez Xénophon, Hell . , VI , Iv) . Elle se composait de six compagnies
de cent hommes , attachées à chacune des six divisions (uópai) de
l'armée lacédémonienne , et commandées chacune par un hippar-
moste. Le service de cavalier était dédaigné par les Spartiates. Les
archers étaient étrangers , ordinairement Crétois.
CHAP. LVI. - 1. Bourgades situées près de la ville de Boce , entre le
cap Malée et la presqu'ile d'Onougnathos.
2. Voy. liv. I, ch. ci , note 1.
3. Voy. liv. I, ch. LXVII , et liv. II , ch. XXVII.
CHAP. LXI. 1. La race chalcidique , dont faisaient partie plusieurs
villes de Sicile , par exemple : Léontini , Naxos , Catane , était un
rameau de la grande famille ionienne , à laquelle appartenaient les
Athéniens.
CHAP. LXIII. 1. Ils seront forcés d'entrer dans l'alliance des
Athéniens , qu'ils détestent , et de faire avec eux la guerre aux Pélo-
ponésiens , auxquels les unissent les liens d'une antique amitié.
CHAP. LXVI. 1. L'auteur a passé sous silence les détails de cette
sédition de Mégare , à la suite de laquelle les aristocrates exilés se
528 NOTES.
réfugièrent à Page; mais elle se trouve racontée par Diodore de
Sicile (XII , LXVI) . Quant aux dévastations périodiques exercées en
Mégaride par les Athéniens , voyez Thucydide , liv. II , ch. LXXXV.
Sur le décret qui interdisait sous peine de mort aux Mégariens l'entrée
de l'Attique , voyez Plutarque , Périclès , xxx. Sur les souffrances qui en
résultèrent pour Mégare , voyez Aristophane, les Acharniens, v. 761 .
CHAP. LXVII. - 1. Les péripoles é un corps de jeunes Athé-
niens de dix-huit à vingt ans , qui , avant d'être incorporés dans la
milice régulière , faisaient un service d'école , et étaient ordinairement
employés pour la garde des frontières. Voy. liv. II , ch. xIII , note 5 ,
et liv. VIII , ch. XCII , note 1 .
CHAP. LXX. 1. Sur la Géranie et le village de Tripodiscos , voyez
liv. I , ch. cv , note 3. En cet endroit se rencontraient les deux
chemins, venant l'un de Corinthe par l'isthme , l'autre de Béotie par
Platée ou par Creusis.
CHAP. LXXV. -- 1. Voyez liv. III , ch. xix et XXXII.
2. Fleuve de Bithynie , plus souvent appelé Calès ( aujourd'hui
Chelit) . Il se jette dans le Pont-Euxin , un peu au S. O. d'Héraclée-
Pontique.
CHAP. LXXVI. 1. Cette ville est ainsi désignée pour la distinguer
d'Orchomène en Arcadie. Les Minyens étaient une ancienne tribu
hellénique , ayant pour chef le héros Minyas , dont le fils Orchoménos
passait pour le fondateur de la ville d'Orchomène en Béotie.

CHAP. LXXVIII . —1 . L'Achaïe thessalienne ou le pays des Achéens-


Phthiotes , était la partie S. E. de la Thessalie, comprenant les deux
versants du mont Othrys , depuis le golfe Maliaque jusqu'à celui de
Pagase , entre les fleuves Sperchios et Enipée. La Thessalie propre
commençait à ce dernier.
CHAP. LXXX. - 1. C'était le but d'une institution atroce , attribuée
à Lycurgue et nommée xpuяteix , la chasse aux Hilotes (Plutarque ,
Lycurgue, XXVIII) . Les jeunes Spartiates sortaient en secret de la ville,
se répandaient dans les campagnes en se cachant pendant le jour, et
la nuit ils couraient sus à tous les Hilotes qu'ils rencontraient , pour
les tuer et diminuer ainsi leur nombre. Platon (Des lois , I , p. 783)
cherche à atténuer la barbarie de cette institution.
CHAP. LXXXI. ― 1. Pays situé au N. O. de la Macédoine , sur les
confins de l'Illyrie. Les Lyncestes , alors indépendants , furent plus
tard annexés à la Macédoine.
CHAP. XCI. - 1. Ville située sur l'Euripe , en face d'Erétrie . Elle
appartenait originairement à la Béotie , mais les Athéniens s'en étaient
rendus mattres . Voyez liv. II , ch. XXIII.
LIVRE IV . 529
CHAP. XCIII. - 1. Le lac Copaïs ou Céphissis.
CHAP. XCIV. - 1. L'armement des psiles athéniens ne fut régula-
risé que par Iphicrate , postérieurement à la guerre du Péloponèse.
Il leur donna un petit bouclier ou rondelle (Téλtn) , une lance plus
longue et une épée plus forte que celle des hoplites , une cuirasse de
lin et une chaussure commode , à laquelle son nom demeura attaché.
Voyez liv. I , ch. Lx, note 1.
CHAP.XCVII. - 1. Sur le champ de bataille , afin d'empêcher les
Athéniens d'enlever leurs morts sans en avoir préalablement demandé
l'autorisation.

CHAP. C. 1. Probablement des Trachiniens et des Etoliens auxi-


liaires , qui sont mentionnés ( liv. III , ch. XCVII et XCVIII ) comme
d'habiles gens de trait. Les Bomiens et les Calliens , peuplades éto-
liennes , habitaient dans le voisinage du golfe Maliaque (liv. III ,
ch. xcvi).
2. Il paraît qu'un petit nombre seulement des Péloponésiens en-
fermés à Niséa avaient été livrés aux Athéniens lors de la capitulation
de cette place (ch. LXIX) , et que la majeure partie avait réussi à
s'échapper.
CHAP. CII. - 1. Comparez Hérodote , liv. V , ch. II et CXXIV.
2. Voyez liv. I , ch. c. On rapporte généralement la mort d'Aristagoras
à l'an 497 av. J. C. , l'envoi de dix mille colons athéniens à l'an 465 ,
enfin l'établissement d'Hagnon à l'an 437 av. J. C.
3. Le Strymon , áprès sa sortie du lac Cercinitis , forme un coude
ouvert du côté de l'E. L'espace circonscrit de la sorte est occupé
par une colline , sur les deux penchants de laquelle fut bâtie Amphi-
polis. Le mur construit par Hagnon formait la corde de l'arc décrit
par le fleuve. De cette situation dérive le nom d'Amphipolis (la ville
double) , parce qu'elle était à cheval sur la colline , partie sur la pente
septentrionale et partie sur la pente méridionale.
CHAP. CIII. - 1. Le pont d'Amphipolis était le seul qui existât sur
le Strymon. Les campagnes des Amphipolitains étaient pour la plupart
situées au delà du fleuve. Depuis cette époque la ville s'agrandit et
atteignit la rive gauche du Strymon.
CHAP. CV..- - 1. Sur les mines situées vis-à-vis de Thasos , voyez
liv. I , ch. c. Ces mines appartenaient alors aux Athéniens , qui les
affermaient comme les autres branches du revenu public. Thucydide
avait peut-être soumissionné l'exploitation , et y employait un grand
nombre d'ouvriers.
CHAP. CIX . - 1. Le pays de la côte , presqu'île du mont Athos ,
THUCYDIDE. 30
530 NOTES .
entre le golfe Strymonique à l'E. et le golfe Singitique à l'O . C'est
ce dernier qui est indiqué ici comme regardant l'Eubée.
2. C'est le célèbre canal creusé par ordre de Xerxès. Voyez Héro-
dote , liv. VII , ch. xxII et CXXII .
3. Peuples bilingues , parlant le grec outre leur langue maternelle.
4. Les Pélasges tyrséniens ou tyrrhéniens sont les mêmes qui con-
struisirent pour les Athéniens les murailles de l'acropole , et qui ,
après avoir été expulsés de l'Attique , passèrent à Lemnos , à Imbros ,
à Scyros et finalement en Thrace. Voyez Hérodote , liv. I. ch. LVII .

CHAP. CXVI . - 1. Deux mille sept cents francs. La mine était une
monnaie de compte valant cent drachmes , soit quatre-vingt-dix francs.
CHAP . CXVII . - 1. Cet instrument , qui est moins un traité qu'un
protocole, est évidemment composé de parties hétérogènes, savoir : d'un
avant-projet , comprenant les instructions données aux plénipoten-
tiaires , et dont les différents articles sont insérés textuellement , à
mesure qu'ils sont admis par les partis contractantos. Viennent en-
suite quelques points additionnels , proposés par les Lacédémoniens
d'accord avec leurs alliés; puis le décret d'acceptation fait à Athènes ,
puis enfin l'échange des ratifications.

CHAP. CXVIII, — 1. La garnison athénienne établie à Pylos. Le


but de cette clause et des suivantes est de faire cesser les courses et
brigandages partant de ces différents points .
2. Localités inconnues , qui devaient être voisines de Pylos . ,
3. Porte de Mégare , située près du tombeau ou sanctuaire de l'an-
cien roi Nisos..
4. L'île de Minoa . Voyez liv. III , ch. LI.
5. La presqu'île de Méthone. Voyez liv. IV , ch . XLV.
6. Manière d'évaluer le tonnage des vaisseaux de charge. Le talent,
poids attique , valant trois kil. , et le tonneau mille kil. , les bâtiments
indiqués ici ne seraient que de quinze tonneaux , ce qui paraît bien
faible. Peut-être s'agit-il d'une mesure maritime plus considérable ,
mais dont nous ne connaissons pas la valeur.
7. Président de l'assemblée du peuple dans laquelle ce décret avait
été rendu. On l'appelait aussi le prytane , parce qu'il était désigné
chaque jour par le sort dans la fraction du conseil des Cing-Cents qui
exerçait la prytanie ou présidence .
8. Neuvième mois athénien , correspondant à la fin de mars et au
commencement d'avril.
CHAP. CXIX . - 1. Ce mois lacédémonien paraît correspondre à la
date indiquée en style attique au chapitre précédent. On voit pareil-
LIVRE IV . 531

lement (liv. V , ch . xix) une double date ajoutée au traité de paix.


Ce chapitre CXIX est ordinairement considéré comme historique.
Cependant l'indication de la date d'après le calendrier lacédémonien
et la rédaction générale prouvent qu'il n'est pas l'œuvre de Thucy-
dide , mais que , sauf la dernière phrase, c'est un appendice du traité.
CHAP. CXX. — 1 . Une des douze villes de la confédération achéenne.
Voyez liv. II , ch. Ix , note 1.
CHAP. CXXIV. - 1 . Sur les dix -sept cents hommes qu'il avait amenés
du Péloponèse (ch. LXXVIII) , Brasidas en avait mis cinq cents en
garnison à Scione (ch. cxxIII) et avait fourni probablement encore
d'autres détachements.
CHAP. CXXVIII. - 1. Le roi de Macédoine avait intérêt à éloigner
les Athéniens, qui , par leur alliance avec les villes grecques du littoral
de son empire, exerçaient une sorte de souveraineté dans ses États. Il
devait au contraire voir avec plaisir les Lacédémoniens pousser ces
villes à la révolte , bien convaincu qu'avec le temps ils les abandon-
neraient et qu'elles finiraient ainsi par tomber entre ses mains. C'était
également la politique de Tissapherne et de Pharnabaze à l'égard des
villes grecques de l'Asie Mineure.
CHAP . CXXX. - 1. En doublant le cap Posidonion , sur les deux
pentes duquel était bâtie la ville de Mende.
CHAP. CXXXII. - 1. Le même est appelé Pasitélidas au liv. V ,
ch. III, où ce nom est répété trois fois.
CHAP. CXXXIII.1 . La bataille de Délion , où les Thespiens avaient
été particulièrement maltraités. Voyez ch. xcvi.
2. On a vu liv. II , ch . II , que les Argiens comptaient les années
civiles d'après la série des prêtresses de Junon , et que Chrysis , au
commencement de la guerre , était en charge depuis quarante-huit ans.
CHAP. CXXXIV. - 1. Territoire de la ville d'Oresthéion, fondée par
Oresthéus , fils de Lycon. Elle était dans le district de Ménale en Ar-
cadie. Voyez liv. V , ch. LXIV.
CHAP. CXXXV. - 1. A certaines heures de la nuit , les sentinelles
des remparts faisaient la ronde , en se transmettant de main en main
une clochette qu'elles agitaient , afin de s'assurer qu'aucune d'elles
n'était endormie..
532 NOTES.

LIVRE V.

CHAP . I. - 1. On admet communément que les jeux Pythiques se


célébraient en automne la troisième année de chaque clympiade . Cette
époque cadre mal avec la fin de la trêve , qui avait commencé le 10 du
mois Elaphébolion (mars- avril). Aussi , pour éluder cette difficulté,
a-t-on proposé d'entendre cette phrase comme si la trêve était expirée
et que la guerre eût recommencé jusqu'aux jeux Pythiques , à l'occa-
sion desquels une nouvelle trêve aurait eu lieu ; explication bien com-
pliquée et qui s'accorde mal avec la précision ordinaire du récit de
Thucydide. L'époque des jeux Pythiques est controversée. Ne pour-
rait-on pas inférer de ce passage qu'ils avaient lieu au printemps?
2. Voyez liv. III , ch. civ. On reprochait aux Déliens de n'avoir
pas toujours respecté la sainteté de leur île.
3. Pharnacès était le père de Pharnabaze et le satrape de la province
Dascylitide pour le roi Artaxerxès. Voyez liv. VIII , ch. vI et LVIII.
CHAP. II. 1. Place maritime appartenant aux Toronéens. On
ignore l'origine de son nom et le rapport qu'il pouvait avoir avec la
ville de Colophon en Ionie.
CHAP . III. 1. Au liv. IV , ch. cxxxII , le commandant lacédé-
monien de Torone est appelé , sans variante , Épitélidas. Il faut donc
admettre , ou bien un changement de gouverneur à un si court inter-
valle , ou bien , ce qui est plus probable , une confusion de noms.
CHAP. IV. 1. Voyez liv. IV , ch. xxv.
2. Contre les Syracusains , qui voulaient les forcer à résider à Sy
racuse.
CHAP . V. - 1 . Plus tard une réaction les en avait chassés .
2. Locriens -Épizéphyriens , habitants de la ville de Locres en
Italie.

CHAP. VI. 1. En partant d'Amphipolis. Le fleuve est le Strymon.

CHAP. VII. - 1. Le lac Cercinitis , au N. d'Amphipolis.


CHAP. X. 1. Les autels destinés aux sacrifices n'étaient pas dans
les temples , mais dans les pourpris extérieurs.
2. Le côté droit , non protégé par le bouclier. L'armée athénienne
était déployée sur les hauteurs qui s'étendent à l'E. d'Amphipolis ,
ayant sa droite du côté du lac Cercinitis , sa gauche du côté qui regarde
LIVRE V. 533
la mer et la ville d'Éion . En présence de l'ennemi , elle ne pouvait se
retirer que par la manoeuvre d'abord indiquée. L'aile gauche devait se
replier la première et prendre position , pour permettre à la droite
d'opérer à son tour son mouvement rétrograde. Celle- ci devait jus-
que-là faire face aux ennemis , afin de masquer la retraite. La préci-
pitation de Cléon fit changer cette prudente manœuvre et amena la
déroute des Athéniens.
3. La muraille mentionnée au liv. IV , ch . ci . Amphipolis avait une
double enceinte du côté qui n'était pas couvert par le Strymon.

CHAP. XI. - 1 . La loi chez les Grecs ne permettait pas d'enterrer


dans l'intérieur des villes. On ne dérogeait à cet usage que pour les
fondateurs de la cité ou pour des bienfaiteurs signalés. Dans ce cas ,
le tombeau était considéré comme un sanctuaire. C'est ainsi que Ti-
moléon fut enterré sur la place publique de Syracuse , et Thémistocle
sur celle de Magnésie.
2. L'ancien conducteur de la colonie athénienne (liv. IV , ch. CII) ,
et qui , en cette qualité, conservait à Amphipolis les honneurs rendus
par les colonies à leurs fondateurs..

CHAP. XIV . - 1 . District de Thyréa , situé entre la Laconie et l'Ar-


golide. Il avait anciennement appartenu aux Argiens , qui n'avaient
jamais cessé de le revendiquer. Voyez Hérodote , liv. I , ch. LXXXII.
CHAP. XVI. ― 1. Hercule , ancêtre des rois de Lacédémone.
2. Leur donnant à entendre que leur sol serait frappé de stérilité,
et qu'ils ne se procureraient des vivres qu'à un prix exorbitant .
3. Afin d'y être à l'abri comme dans un asile , sans toutefois se priver
de l'usage d'une habitation profane. Il y avait sur le mont Lycée, en
Arcadie , un célèbre temple de Jupiter Lycéen (Pausanias , liv. VIII ,
ch. XXXVIII ).
CHAP. XVIII. - 1. C'est-à-dire qui n'appartenaiedt pas en particu-
lier à une ville , mais qui étaient la propriété de tous les Grecs ; par
exemple le temple de Delphes , appartenant aux villes Amphictyoni-
ques, et celui de Délos aux Ioniens.
2. Lors de la conclusion de l'alliance primitive avec les Athéniens
après les guerres Médiques.
3. La défection de Scolos n'est pas mentionnée par Thucydide.
4. Le temple d'Apollon Amycléen , particulièrement vénéré par les
Lacédémoniens , et situé , suivant Polybe (liv. V , ch. xix) , à vingt
stades de Sparte. Lacédémone est ici le nom du pays.
CHAP. XIX . 1. Calendrier lacédémonien. Sur le mois athénien
Elaphébolion , voyez liv. IV , ch. CXVIII .
534 NOTES.
CHAP. XXII . 1. Je lis Αργείους au lieu de Αθηναίους , quoiqu'il
n'y ait point de variante , parce que je ne comprends pas cette in-
clination générale des Péloponésiens pour Athènes. Comparez la fin
du ch. XIV.

CHAP. XXIII. --- 1. Il manque des Athéniens , parce que le texte du


traité a été transcrit de la colonne d'Athènes, où l'addition était su-
perflue .
2. Sur les Dionysies ou fêtes de Bacchus à Athènes , voyez liv. II,
ch. XV , note 6. Les Hyacinthies étaient une des plus grandes fêtes
de Sparte , instituée en mémoire de la mort prématurée du héros
national Hyacinthe , fils d'Ebalos. On la célébrait en grande pompe .
durant trois jours , à Amycle en Laconie, à la fin du mois Hécatom-
béon (juin-juillet).
CHAP. XXIV. 1. Au ch . XIX , dans une énumération identique,
on lit Alcinidas.
2. La onzième année de la guerre correspond à 421 av. J. C..
CHAP . XXV. — 1. Les hostilités ne recommencèrent que dans l'été
de la dix-huitième année (liv. VI , ch . cy ; liv. VII , ch. XVIII) , c'est-
à-dire plus de sept ans après la première paix. Aussi plusieurs commen-
tateurs regardent-ils la donnée du passage actuel comme inexacte , et
proposent dans le texte divers changements. Il est superflu d'y avoir
recours , si l'on admet que Thucydide a eu en vue ici la résolution
prise par les Lacédémoniens d'envahir l'Attique (liv. VI , ch. xcIII) ,
résolution qui eut lieu dans l'hiver de la dix-septième année , six ans
et dix mois après la paix.
CHAP. XXVI. 1. Ce passage prouve que Thucydide comptait
pousser son histoire jusqu'à cette époque , en ajoutant à son ouvrage
un neuvième livre , dont il avait sans doute rassemblé les matériaux.
2. Voyez ch. XXXIII et LIII.
3. C'est-à-dire renouvelés de dix en dix jours.
4. Voyez liv. IV , ch. CIV. L'exil de Thucydide commença au mois
de janvier 423 av. J. C.
CHAP. XXX . - 1. Dans le traité par lequel les confédérés de Lacédé-
mone s'étaient liés en commençant la guerre du Péloponèse. L'auteur
ne cite pas le texte de ce traité ; mais il en fait encore mention vers
la fin du ch. XXXI.
CHAP. XXXI . - 1. Principale ville de la Triphylie , pays situé au
S. de l'Elide. A cette époque la Triphylie était encore indépendante ;
plus tard elle fut soumise par les Éléens. La ville de Lépréon était à
quarante stades de la côte , entre Pylos et Pyrgi.
LIVRE V. 535

2. Il s'agit probablement du pays contesté et conquis sur l'Arcadie.


D'autres l'entendent du territoire des Lépréates eux-mêmes.
3. La guerre du Péloponèse au point de vue des Péloponésiens.
4. En s'astreignant à l'offrande d'un talent au temple de Jupiter, les
Lépréates s'étaient constitués dans une sorte de sujétion à l'égard des
Eléens , maîtres de ce temple.
CHAP. XXXII. - 1 . Les Athéniens , par un scrupule de conscience ,
se reprochaient d'avoir expulsé les Déliens , et attribuaient à cet acte
d'inhumanité l'échec éprouvé par eux à Délion et à Amphipolis.
2. Les deux villes d'Argos et de Corinthe.
3. Les Corinthiens avaient refusé d'adhérer à ce traité : aussi se
considéraient-ils comme en dehors de la convention ; mais leur
refus ne regardait que Lacédémone , et les Athéniens étaient censés
l'ignorer.
4. On traduit ordinairement guvléolai oqíoi par s'allier avec eux.
Je pense qu'il s'agit , non pas d'une alliance , mais de l'engagement
tacite pris par les Béotiens de rompre avec Athènes , et auquel les
Corinthiens leur reprochaient de manquer.
CHAP. XXXIII . 1. Ville d'Arcadie , située dans une plaine près du
cours supérieur de l'Alphée et de l'endroit où plus tard fut construite
Mégalopolis.
2. Pays montueux , formant la partie N. O. de la Laconie , et con-
finant aux territoires de Ménale et de Parrhasie en Arcadie.
CHAP. XXXIV. - 1. Dans l'état de servage les Hilotes étaient atta-
chés à la glèbe. Leurs maîtres n'avaient pas le droit de les vendre
hors du pays.
2. C'était le nom des affranchis à Sparte et , à ce qu'on croit , le
premier degré pour parvenir à la bourgeoisie. Les Néodamodes ser-
vaient comme hoplites. Leur nombre était considérable. Xénophon
(Agesilas , 1) en cite deux mille dans une expédition.
CHAP. XXXV. 1. Le texte reçu porte Aixtidine , nom absolument
inconnu. J'ai suivi la conjecture de Didot , qui a proposé de lire As,
les Diens , habitants de la ville de Dion , sur la côte du mont Athos.
Il est vrai que les Diens étaient alliés d'Athènes et qu'ils ne se révoltè-
rent que plus tard (liv. V, ch. LXXXII) ; mais , avant leur défection ,
ils peuvent avoir eu une guerre particulière avec leurs voisins de
Thyssos.
CHAP. XXXVIII . 1. Thucydide est le seul auteur ancien qui fasse
mention de cette autorité supérieure de la confédération béotienne.
On a prétendu que ces quatre conseils correspondaient à une cir-
conscription territoriale de la Béotie; mais cette conjecture ne repose
536 NOTES.

sur.aucun fondement. D'autres pensent que c'était une division admi-


nistrative , ayant pour but l'expédition des affaires. Nous connaissons
trop peu l'organisation intérieure du gouvernement béotien pour avoir
à cet égard une opinion arrêtée . On peut croire que ces quatre con-
seils délibéraient en commun , puisque , quelques lignes plus bas , il
n'est plus question que d'un seul conseil. Il est vraisemblable que cette
assemblée se tenait à Thèbes, sous la présidence du premier béotarque
de cette ville, lequel, dans quelques inscriptions, est qualifié de apxwv
ἐν κοινῷ Βοιωτῶν.
CHAP. XXXIX. 1. Cette clause ne se trouve pas dans le texte du
traité de paix ni dans celui du traité d'alliance entre Athènes et Lacé-
démone (ch. XVIII et XXII) . Il se peut que ce fut un article addi-
tionnel , du genre de ceux qu'on s'était réservé le droit d'ajouter d'un
commun accord , et tel qu'il se trouve dans le traité entre Argos et
Lacédémone (ch . LXXX).

CHAP . XL. - 1 . L'alliance particulière que les Béotiens venaient de


conclure avec les Lacédémoniens était sans doute la même que celle
de ceux-ci avec Athènes . C'était donc pour les Béotiens une accession
indirecte à la paix conclue entre les Athéniens et les Lacédémoniens ,
puisque c'était s'allier avec les alliés d'Athènes.
CHAP. XLI.-―- 1. Cet ancien combat entre les Argiens et les Lacédé-
moniens se disputant la Cynurie , est raconté par Hérodote , liv. I ,
ch. LXXXII . Il eut lieu en 555 av. J. C.
CHAP . XLIII. 1. A cette époque , Alcibiade n'avait que vingt-sept
ans. Or , dans la plupart des villes grecques , notamment à Sparte ,
l'exercice des droits politiques ne commençait qu'à trente ans. A
Athènes , les citoyens faisaient partie de l'assemblée du peuple dès
l'âge de vingt ans ; mais pour être éligible aux charges , au conseil ,
aux tribunaux , il fallait avoir trente ans.
12. Sur les proxènes , voyez liv. II , ch. xxix , note 1. Le grand-père
maternel d'Alcibiade s'appelait comme lui . Ce nom , d'origine laco-
nienne , indique les relations qui existaient entre cette famille athé-
nienne et les Lacédémoniens . Comparez liv. VII , ch. LXXXIX , et liv. VIII ,
ch. VI.

CHAP . XLV. - 1. Les ambassadeurs étrangers étaient introduits par


leurs proxènes dans le conseil , qui devait ensuite les présenter dans
l'assemblée du peuple , avec son avis préalable sur l'objet de leur
mission .
2. En leur faisant croire que sa propre influence était supérieure à
celle de ce général .
3. Un tremblement de terre , une éclipse de soleil , un coup de
tonnerre, des gouttes de pluie par un temps serein , en un mot tous
LIVRE V. 537
les signes célestes (Siconuia ) , suffisaient pour faire lever la séance dans
les assemblées du peuple. Comparez livre V , ch. L, et liv. VIII , chap. VI.
CHAP. XLVII. --- I. Voyez livre I , chap , xxvII , note 2.
2. Ces noms et les suivants désignent des magistratures locales ,
dont les attributions sont peu connues ou même ne le sont pas.
3. Le délai assigné au voyage des députés athéniens est plus long,
parce qu'ils devaient aller successivement dans les trois villes , tandis
que les députés péloponésiens n'avaient à se rendre qu'à Athènes. Ce
serment se renouvelait tous les quatre ans. Les grandes Panathénées
se célébraient la troisième année de chaque olympiade ; les jeux
Olympiques tous les quatre ans, et ils commençaient le 11 du mois
Hécatombéon (juin-juillet) .
4. La ville d'Elis n'est pas mentionnée , parce qu'il suffisait pour
elle de la colonne d'Olympie.
CHAP. XLIX . 1. Olympiade XC , quatre cent vingt ans av. J. C.
Thucydide désigne ordinairement les olympiades par le nom du vain-
queur à la course du stade ; ici l'exception est motivée par la célébrité
de l'athlète victorieux. Le pancrace était une combinaison de pugilat
et de lutte , dans laquelle toutes les forces du corps trouvaient leur
emploi. Ce genre de combat fut introduit pour la première fois à la
trente-troisième olympiade .
2. Probablement situé en Triphylie.
3. Voy. chap . xxxi. On sait qu'il y avait , pour le temps des jeux
Olympiques , une trêve sacrée dans tout le Péloponèse, afin d'assurer
la libre fréquentation de ces jeux . Les Éléens , en qualité de prési-
dents des jeux Olympiques , faisaient publier cette trêve dans tous les
Etats.
4. C'est-à-dire trois cent mille francs. La somme doit être calculée
en monnaie d'Egine , puisqu'il s'agit d'un Etat péloponésien . Or , la
drachme éginétique était à la drachme attique dans le rapport de dix
à six.

CHAP. L.-I. Porte-verges ou licteurs , chargés) de veiller à ce que les


combats du stade eussent lieu selon toutes les règles établies , et de
punir les infractions. Il paraît , par la présence de Lichas , que la
défense faite aux Lacédémoniens d'assister aux jeux Olympiques ne
s'étendait pas aux particuliers en tant que simples spectateurs.
CHAP. LII. 1 1. L'ancienne ville achéenne de Patræ était située à
quelque distance de la mer. Ces murs devaient la relier à son port,
Quant au Rhion , voyez livre II , chap. LXXXVI , note 2.
CHAP. LIII. 1. Pausanias (II , XXIV . XXXV . XXXVI) cite trois tem-
538 NOTES .
ples de ce nom en Argolide. Probablement il s'agit ici de celui qui
était dans le voisinage d'Asiné.
2. Les Athéniens , maîtres d'Egine , n'avaient qu'un bras de mer à
traverser jusqu'à Epidaure , et de là il leur restait un assez court
trajet par terre jusqu'à Argos . La route de mer était beaucoup plus
longue, il fallait tourner toute l'Argolide, dont le cap Scylléon forme
l'extrémité méridionale.
CHAP. LIV. - - 1. Montagne située au S. de l'Arcadie , et se pro-
longeant jusqu'à l'ancienne province de Messénie. Leuctra ou Leuc-
tron était la dernière place de Laconie sur le chemin de Sparte à
Mégalopolis. Il y avait une autre ville de Leuctra au bord du golfe de
Messénie. Ni l'une ni l'autre n'ont rien de commun avec la ville béo-
tienne de Leuctres , illustrée par la victoire d'Epaminondas.
2. Le mois Carnéen , correspondant au mois athénien Métagitnion
(juillet-août) , devait son nom aux fêtes d'Apollon Carnéen , qui se
célébraient à cette époque et duraient neuf jours. Le mois entier était
pour les Doriens un temps de réjouissance , une espèce de carnaval
ou de ramadan , pendant lequel les hostilités étaient généralement
suspendues.
3. Les six jours qui restaient avant le commencement du mois Car-
néen. Au surplus le sens de ce passage est controversé. D'autres tra-
duisent : « quoiqu'ils eussent de tout temps observé ce jour , » en ponc-
tuant après xpóvov , et non après taútny. J'ai préféré l'autre leçon ,
qui nécessite , il est vrai , éc餤λλov au lieu de έcé6ɑλov , l'invasion
s'étant prolongée un certain temps.
CHAP. LV.. 1. Ville de Laconie , à l'extrémité N. E. de ce pays ,
sur les confins de la Thyréatide et sur la route de Sellasie à Argos.
CHAP. LVI. 1. La colonne sur laquelle était gravé le traité d'al-
liance entre Athènes et Lacédémone. Voyez chap . XXIII.
SX
CHAP. LVII. - 1. Fantassins mêlés à la cavalerie. Cette institution
était particulière aux Béotiens parmi les Grecs; mais elle existait chez
les Germains (César , Guerre des Gaules , liv. I , chap. XLVIII). D'au-
tres l'entendent de soldats instruits à combattre à pied ou à cheval ,
comme nos dragons.
CHAP. LVIII. 1. Le chemin direct de Tégée à Phlionte passait
par Mantinée; mais cette ville étant au pouvoir des ennemis , les La-
cédémoniens la laissèrent à leur droite , et passèrent par Méthydrion ,
qui est plus au centre de l'Arcadie.
2. De Némée à Argos il y a encore aujourd'hui deux routes : l'une,
plus longue et meilleure , par le village de Saint-George ; l'autre , plus
courte et très-mauvaise , par le village de Carvathi , près des ruines de
Mycènes. Celle-ci est connue dans le pays sous le nom de Contoporia.
LIVRE V. 539
Les Argiens ne supposaient pas qu'une armée pût passer par ce der-
nier chemin.
3. Sur la droite du grand chemin de Némée , de manière à former la
troisième colonne d'attaque.

CHAP. LX. 1. Torrent près d'Argos (Pausanias , liv. II , ch. xxv) ,


sur le bord duquel se tenaient les assises militaires des Argiens , par
la raison qu'une fois rentrés dans la ville les citoyens ressortissaient
à la justice civile , qui se serait opposée à des condamnations som-
maires.
CHAP. LXIII . - 1. Apparemment des drachmes d'Egine , soit
cent cinquante mille francs.
2. J'ai suivi la correction de Haase x ts Toleμías au lieu de
Tóλews. Si l'auteur eût voulu dire que le roi ne pouvait pas , sans
l'avis des commissaires , faire sortir aucune troupe de Sparte , il eût
mis égayev , et non anάyev. D'ailleurs, les Lacédémoniens n'avaient
pas de précaution à prendre pour l'entrée en campagne , car c'était
eux-mêmes qui la votaient . Ce qui leur importait , c'était de prévenir
le retour du fait imputé à Agis , de même qu'à Plistoanax (liv. V ,
chap. xvi) , de l'évacuation intempestive du territoire ennemi.
CHAP. LXIV. 1. Voyez liv. IV , chap. CXXXIV , note 1 .
CHAP. LXV -- 1. Ordinairement les eaux coulaient au S. de la
plaine , vers Tégée. Agis leur donna une direction contraire , vers
Mantinée. Il ne peut donc être ici question du fleuve Ophis , qui tra-
verse la plaine de Mantinée dans toute sa longueur , du S. au N.
Plusieurs rivières d'Arcadie se perdent sous terre , faute d'écoulement
direct.
CHAP. LXVI. - 1. D'après Xénophon , le polémarque était le chef
d'une mora , l'une des six divisions de l'armée lacédémonienne. On
n'est pas sûr du rapport qui existait entre la mora de Xénophon et le
lochos de Thucydide. Le lochos ou bataillon se composait de cinq cent
douze hommes , et se subdivisait en quatre pentecostys , composées
chacune de cent vingt-huit hommes , et commandées par un penté-
costère. La pentécostys se divisait à son tour en quatre énomoties , de
trente-deux hommes chacune , sous le commandement d'un énomo-
tarque.
CHAP. LXVII. 1. Habitants de la Sciritide , district de la Laconie
septentrionale. Ils formaient un corps spécial d'infanterie légère. On
ignore d'où leur venait le privilége d'occuper un poste d'honneur.
2. Les Tégéates occupaient l'aile droite de l'armée lacédémonienne
d'après un privilége qui leur avait été accordé depuis que leur roi
Echémos avait tué en combat singulier Hyllos, fils d'Hercule (Héro-
dote , liv. IX, chap. xxvi).
540 NOTES .
3. C'était une ancienne coutume grecque. Déjà dans Homère le
catalogue des vaisseaux commence par les Béótiens , parce que la
flotte s'était rassemblée à Aulis en Béotie.
4. Les villes de Cléones et d'Ornées étaient sujettes des Argiens .
Thucydide les appelle alliées, parce que , pour les Athéniens , ces deux
mots étaient ordinairement synonymes.
CHAP. LXVIII. 1. Le front de bataille étant composé de quatre
cent quarante-huit hommes sur huit de hauteur , donne trois mille
cinq cent quatre-vingt-quatre , et avec les six cents Scirites , un total
de quatre mille cent quatre-vingt-quatre combattants. Ce chiffre ne
comprend que les hoplites , qui seuls se rangeaient en phalange. Il
faut y joindre les cavaliers, les troupes légères , très-nombreuses dans
l'armée lacédémonienne, et enfin les alliés, car le calcul de Thucydide
ne s'applique qu'aux Lacédémoniens proprement dits.
CHAP. LXIX. —1 . Ces chants de guerre étaient sans doute du genre
des anapestes (péλn éµbatýpia) du poëte Tyrtée , dont quelques vers
nous ont été conservés ; mais nullement de ses élégies.
CHAP. LXX . 1. Les Spartiates étaient les seuls Grecs qui se ser-
vissent de flûtes comme musique militaire. Les Crétois marchaient au
son des lyres ; les autres Grecs avaient généralement des trompettes ,
dont l'invention est attribuée aux Tyrrhéniens. Ce qui a pu faire
nattre l'opinion que c'était , chez les Lacédémoniens , un usage reli-
gieux , c'est qu'à Sparte les aulètes ou joueurs de flûte formaient une
corporation composée de certaines familles , comme les prêtres et les
devins.
CHAP. LXXII. 1. C'était une élite de jeunes Spartiates qui , à la
guerre , formaient la garde du roi . Leurs chefs s'appelaient hippa-
grètes.
CHAP. LXXIV.- 1. Manière de constater la victoire et la possession
du champ de bataille , en forçant les ennemis à demander une trêve
pour l'enlèvement de leurs morts. Voyez liv. IV , chap. XCVII .
2. L'ile d'Egine était alors habitée par une colonie athénienne.
Voyez liv. II , chap. XXVII.
CHAP. LXXV. 1. Pausanias (II , XXIX) : « Le temple qui est près
du port (d'Epidaure) , sur un promontoire qui s'avance dans la mer ,
est celui de Junon. >>
CHAP. LXXVII. 1. Le texte de ce traité et du suivant (chap. LXXIX)
est en dialecte dorien , tel qu'on le parlait dans le Péloponèse. Plu-
sieurs passages sont obscurs et controversés.
2. Les enfants sont les otages mentionnés au chap. LXI les hommes
sont probablement des prisonniers de guerre.
LIVRE V. 541

3. Les esclaves fugitifs. Les Etats en guerre étaient les seuls qui
leur donnassent asile.
4. D'Apollon Pythéen , sacrifice qui avait occasionné la guerre entre
Argos et Epidaure. Voyez chap. LIII.
5. Ce passage est inintelligible dans le texte reçu . Je lis : «¿ µèv
λῆν , τοῖς Ἐπιδαυρίοις ὅρκον δόμεν. αἱ δὲ , αὐτοὺς ὀμόσαι . Si placet, jus-
jurandum in Epidaurios transferant ; sin minus , ipsijurent.
CHAP. LXXX. - 1. La famille royale de Macédoine descendait de
l'Héraclide Téménos, roi d'Argos. Voyez liv. II , chap. xcix , note 1.
2. Démosthène voulait conserver aux Athéniens le fort d'Epidaure.
Pour cet effet , il fallait que la garnison cessât d'être composée d'élé-
ments étrangers , mais qu'elle fût exclusivement formée par des Athé-
niens.
3. Les Epidauriens , en qualité d'alliés des Lacédémoniens , étaient
compris dans le traité de paix conclu par ces derniers avec les Athé-
niens.

CHAP. LXXXII.- I. C'est-à-dire un régime franchement aristocratique .


Dès lors tous les Achéens prirent une part active à la guerre du Pélo-
ponèse. Au commencement , les Pelléniens seuls l'avaient fait. Voyez
liv. 11 , chap. IX.
2. Une des principales fêtes lacédémoniennes. Elle tombait sur le
milieu de l'été , durait de six à dix jours , et consistait en exercices de
danse, de musique et de gymnastique. C'était une occasion de grandes
réjouissances à Sparte. Ces fêtes y attiraient un concours considé-
rable , car les étrangers pouvaient y assister.
CHAP. LXXXIII . - 1. Je lis , avec la plupart des éditeurs modernes :
κατέκλησαν.... Μακεδονίαν Ἀθηναῖοι , Περδίκκα ἐπικαλοῦντες etc. , au
lieu de Maxedovíaç…….. Пɛpdíxxav , ce qui signifierait qu'ils fermèrent
à Perdiccas l'accès de son propre royaume . Göller est l'auteur de cette
correction , que le sens rend indispensable. Seulement il lit Maxe-
δονίας.
2. Thucydide n'a pas fait mention , dans ce qui précède , de cette
expédition préparée par les Athéniens contre Amphipolis , et proba-
blement postérieure à la mort de Brasidas.
CHAP. CXII . — 1. Mélos fut colonisée , en même temps que Théra ,
par des Doriens partis de Laconie peu de temps après le retour des
Héraclides , c'est-à- dire environ 1050 av. J. C. Il y avait donc précisé-
ment six cent quarante-quatre ans à cette époque de la guerre du
Péloponèse.

THUCYDIDE . 31
542 NOTES .

LIVRE VI .

CHAP. I. - 1. Voyez liv. III , chap. LXXXVI et cxv, et liv. IV , ch. I


et LXV.
CHAP. II. 1. Spécialement d'Homère , Odyssée , IX -XII.
2. On ignore quel est le fleuve que Thucydide appelle Sicanos.
3. Les Opiques ou Osques étaient un des plus anciens peuples de
l'Italie centrale. Ils habitaient principalement la Campanie et le
Samnium .

CHAP . III.-1 . C'est -à-dire conducteur primordial , épithète donnée


à Apollon dans son temple de Naxos , parce que ce fut le premier en-
droit où les Grecs abordèrent en Sicile.
2. Députés sacrés , que les villes envoyaient pour consulter l'oracle
de Delphes ou pour prendre part aux solennités religieuses des autres
pays.
3. Syracuse et Corcyre , colonies de Corinthe , furent fondées la
même année (probablement sept cent trente-cinq ans av. J. C. ), la pre-
mière par Archias , la seconde par Architélès .
4. La petite île de Syracuse , que Virgile appelle Ortygie et Tite
Live Nasos , par opposition au quartier d'Achradine , situé sur la
grande île de Sicile. Du temps de Thucydide , Syracuse ne comprenait
que ces deux quartiers ; plus tard elle embrassa aussi les faubourgs.
Le nom d'Achradine ne se trouve pas dans Thucydide.
CHAP. IV. --- 1. Nom dérivé de Lindos , une des villes de l'île de
Rhode.
2. Anaxilas était d'origine messénienne (Strabon , VI, 1) . Son entre-
prise sur Zanclé , avec des Samiens et des Milésiens fugitifs , est
racontée par Hérodote , liv. VI , ch . XXIII.
CHAP . V. 1. J'ai suivi la correction proposée par Dodwell , de
Γελώων au lieu de Γέλωνος . Le fait de la restauration de Gamarine par
les habitants de Géla , postérieurement a la mort de Gélon , est d'ail-
leurs attesté par Diodore de Sicile , XI , LXXVI.
CHAP. VI.-I. Les Léontins, comme aussi les Naxiens et les Catanéens ,
en tant que colonies de Chalcis en Eubée, appartenaient à la grande
famille ionienne , dont les Chalcidéens étaient un rameau , et se
trouvaient ainsi en "arenté avec les Athéniens.
LIVRE VI. 543
2. Le droit d'épigamie (jus connubii) consistait dans la faculté ac-
cordée , sous réciprocité , entre deux peuples , de prendre des femmes
l'un chez l'autre. Ce droit formait souvent une clause des traités , et
sa violation pouvait devenir un cas de guerre.
CHAP. VII. —1 . Il faut admettre , malgré le silence de l'auteur ,
que les Lacédémoniens s'étaient précédemment emparés de cette
ville , sujette et alliée des Argiens , dans les rangs desquels les Or-
néates figurent à la bataille de Mantinée.
2. A cette époque, la ville de Méthone (située près du golfe Ther-
maïque , à peu de distance de Pydna) n'était pas encore soumise aux
Macédoniens ; mais elle était alliée d'Athènes. Voyez liv. IV , ch . CXXIX.
3. C'est-à-dire renouvelée de dix en dixjours. Voyez liv. V , ch. XXVI.
CHAP. VIII.1 . soixante talents font trois cent quarante mille francs.
L'équipage d'une trirème étant de deux cents hommes , la solde offerte
à chaque matelot était d'une drachme par jour , c'est-à-dire le double
de la paye ordinaire .
CHAP. XII.1. Allusion dirigée contre Alcibiade. A cette époque il
devait avoir trente-trois ans.
CHAP. XIII. - I. La mer Adriatique.
CHAP. XIV. - 1. Président de l'assemblée du peuple. Il était désigné
par le sort , et pour un jour seulement , parmi la fraction du conseil des
Cinq-Cents qui exerçait la prytanie.
CHAP. XVI. 1. La victoire d'Alcibiade remonte , à ce qu'on croit ,
à l'olympiade LXXXIX , soit à 424 av. J. C. Les dispositions prises par
lui à cette occasion consistaient dans les sacrifices , les offrandes faites
dans les temples , les festins donnés par le vainqueur , les chants
composés à sa louange. La loi , chez les Grecs , honorait les vain-
queurs aux jeux Olympiques , comme ayant procuré de la gloire à
leur patrie. On leur ménageait un retour triomphal , et on leur assi-
gnait l'entretien dans le prytanée .
2. La chorégie était une des plus lourdes charges incombant aux
riches citoyens. Elle consistait à fournir un choeur pour les représen-
tations dramatiques .
3. Je lis , avec tous les éditeurs modernes , Яô' ʼn άvota .
CHAP. XX. 1. Il n'est ici question que des principales villes grec-
ques de Sicile. Ce sont Syracuse , Sélinonte , Géla , Agrigente , Messine ,
Himéra et Camarine.
CHAP. XXVII. 1. Bustes de Mercure , placés sur un piédestal ou
stylobate, et considérés comme symboles de la sécurité des chemins
(statuæ viales).
544 NOTES.
CHAP. XXX . - 1. La pointe d'Iapygie est le cap actuellement nommé .
Santa Maria di Leuca, dans la Pouille.

CHAP. XXXI . 1. Voyez liv. II , ch . LVI et LVIII.


2. C'était le double de la paye ordinaire , vu la longueur du voyage
et les dangers de l'expédition . La même augmentation avait eu lieu
pour le siége de Potidée (liv. III , ch. xvII) .
3. Sur la division des rameurs des trirèmes, voyez liv. IV , ch . XXXII .
note 1. Les thranites ou rameurs de la première classe avaient à manier
les rames les plus longues et à supporter le travail le plus pénible. Ils
se composaient d'hommes de choix.
4. La milice régulière d'Athènes (hoplites et cavaliers) était formée
des citoyens des trois premières classes , inscrits à cet effet dans un
rôle (zatáhoyos) tenu dans chaque tribu. La quatrième classe , com-
posée des thètes , n'était astreinte qu'au service maritime ou à celui de
troupes légères . Voyez liv. III , ch. LXXXVII , note 1.
CHAP. XXXIV . -1 . En déposant à terre leurs grandes voiles , leurs
gros bagages et leurs troupes de débarquement , comme on le faisait
lorsqu'on s'apprêtait à livrer un combat naval . Voyez liv. I , ch. XLVIII,
note 1 , et livre VIII , ch. XXVIII.

CHAP. XLIII.1 . Les thètes étaient la quatrième classe des citoyens


d'Athènes d'après le cens. Ils correspondaient aux prolétaires de Rome ,
et, comme ceux-ci , ne possédaient pas de biens-fonds. Ils étaient dis-
pensés du service d'hoplites , parce qu'ils n'auraient pu faire les frais
de leur équipement , et peut-être aussi par mesure de sûreté publique ;
mais ils servaient sur les vaisseaux et comme troupes légères .
1
CHAP. XLIV. — 1. C'étaient probablement des bâtiments de com-
merce à destination de la Sicile ou de l'Italie , et que la flotte forçait
de naviguer à sa suite, afin de les empêcher de porter prématurément
de ses nouvelles aux ennemis.

CHAP. XLIX . - I. L'opinionde Lamachos semble plus conforme à la


tactique moderne , et Thucydide lui-même (VII , XLII) paraît lui donner
raison. Cependant le plan proposé par Alcibiade s'accordait mieux
avec les principes de la stratégie ancienne. Pour faire la guerre à une
grande puissance , qui possédait un empire , on regardait it comme
nécessaire de détacher préalablement d'elle le plus grand nombre •
possible de ses sujets , et de ne l'assaillir directement que lorsqu'on
l'avait réduite à ses propres forces . Tel est le plan suivi par Alexandre
contre les Perses , par Annibal contre les Romains , et par les Lacé-
démoniens contre Athènes dans la dernière période de la guerre
du Péloponèse. Même après le désastre de Sicile , ils ne se crurent pas
en état d'assiéger Athènes.
LIVRE VI. 545
CHAP. L. ---- 1. Rivière qui coule près de Léontini , et s'appelle au-
jourd'hui San Leonardo.
2. Syracuse avait deux ports : le grand ou la rade au S. de la ville,
et le petit (Aάxxios λtµýv , Diodore de Sicile , XIV, vii) , situé entre
l'ile d'Ortygie et l'Achradine , et dans lequel se trouvait l'arsenal des
Syracusains. La présence de vaisseaux dans le grand port eût été
l'indice de préparatifs maritimes extraordinaires.
CHAP. LII. - 1. Probablement lors de l'édit de pacification inter-
venu entre tous les Grecs de Sicile dans l'année 424. Voyez liv. IV ,
chap. LXV.
CHAP. LIII. — 1. Voyez Hérodote , liv. V , ch. LXI-LXVI .
2. On a vu, au ch. xxvII , que le peuple regardait la mutilation des
Hermès comme le résultat d'un complot organisé contre la démo-
cratie.
CHAP. LIV. 1. Les Grecs n'avaient point de nom de famille. L'usage
était de donner à l'aîné des fils le nom de son aïeul paternel , quel-
quefois avec une légère modification .

CHAP. LV. —1 . Thucydide est le seul auteur qui parle de ce mo-


nument de malédiction érigé par les Athéniens après la chute de la
tyrannie.
CHAP . LVII. - - 1. Il y avait à Athènes deux Céramiques : l'un , dit
extérieur , dont il est ici question , était le faubourg situé à l'O.
d'Athènes ; l'autre était un quartier de la ville , à l'O. de l'acro-
polis.
2. Voyez liv. I , ch. xx , note 2 .
CHAP. LIX . 1. Le mariage d'une Athénienne avec un étranger
n'était pas permis par les lois ordinaires d'Athènes.
2. Cette inscription est attribuée par Aristote (Rhétorique , I , 1x) au
poëte Simonide .
3. Sur les Alcméonides , famille noble d'Athènes , qui avait été
exilée par le tyran Pisistrate et qui contribua efficacement à l'ex-
pulsion de ses fils. Voyez Hérodote , liv. V , ch. LV.
4. Hippias sortit d'Athènes en vertu d'une capitulation qu'il fit
pour recouvrer ses enfants , devenus prisonniers des ennemis qui
l'assiégeaient dans l'acropole. Voyez Hérodote , liv. V , Ich. LXV .
CHAP. LX. 1. Au dire de Plutarque (Alcibiade , xx1) ce dénoncia-
teur ne fut autre que l'orateur Andocide , dont nous possédons le dis-
cours intitulé : Sur les Mystères.
CHAP. LXII. --- 1. Il y avait en Sicile deux villes d'Hybla : l'une
546 NOTES.

(Hybla major) , située au pied méridional de l'Etna , à peu de distance


de Catane ; l'autre (Hybla Heræa) , dans la partie méridionale de l'île ,
et assez voisine de Géla , d'où elle empruntait aussi le surnom de
Géléatis.
CHAP. LXIV. - 1. La foule des valets et des hommes sans armes
qui accompagnaient les armées , en nombre quelquefois aussi grand
que celui des soldats.
2. Ce temple était situé sur une éminence , au S. de la vallée
de l'Anapos , à quinze cents pas de Syracuse (Tite-Live , liv. XXIV,
ch. xxxIII) . Il avait été construit par le tyran Gélon , avec les dépouilles
des Carthaginois.
3. Le camp athénien était placé hors de Catane . Les armes , telles
que lances et boucliers , étaient déposées en front de bandière. Catane
est à dix lieues au N. de Syracuse.
CHAP. LXVI. - 1. C'était le nom d'une darse et d'un village situé
au fond du grand port de Syracuse et au pied des pentes de l'Olym-
péion. Voyez liv. VII, ch . LII.
2. Ou voie Hélorine. C'était la route qui conduisait de Syracuse à
la ville d'Hélore , en suivant le bord de la mer, au S. de Syracuse.
• Voyez liv. VII , ch. LXXX.
CHAP. LXXII. - 1. Le texte reçu porte xɛipotέxvas , qu'on rapporte
par opposition à idiótas, et qu'on traduit par de simples artisans.
Mais en lisant xepotéxvac, on établit une antithèse expressive entre les
soldats passés maîtres et les simples apprentis. J'ai suivi cette variante,
quoiqu'elle n'ait pour elle que l'autorité d'un seul manuscrit.

CHAP. LXXV. —1 . Faubourg de Syracuse , ainsi appelé à cause du


temple d'Apollon Téménités qui s'y trouvait. Ce faubourg était contigu
à la nouvelle ville , plus tard appelée Neapolis.
CHAP. LXXVI . - 1 . Il ne s'agit pas ici des Grecs en général , mais
seulement des Grecs d'Asie , confédérés contre les Perses après les
guerres médiques.
CHAP. LXXXIX . - - 1. C'est-à-dire de Nicias , qui avait attaché son
nom à ce traité de paix. Voyez liv. V , ch . xvI.
CHAP. XCI. — 1 . Du temps de la guerre du Péloponèse les mines
d'argent de Laurion produisaient à l'Etat un revenu annuel de mille
talents (Xénophon , Red. Iv) .
2. Les amendes et les confiscations , ainsi que les rétributions des
juges payées par les plaideurs. La guerre intérieure constituait pour
Athènes une espèce d'état de siége pendant lequel les tribunaux de-
vaient fréquemment chomer.
LIVRE VI . 547
CHAP. XCIV..-- 1. Voyez liv. VI , ch. IV.
2. Il s'agit ici d'Hybla Major , qui se trouve sur le chemin de Cento-
ripes à Catane.
3. Un million six cent vingt mille francs. Sur les archers à cheval,
voyez liv. II, ch. XIII, note 8.
CHAP. XCVI. - 1 . Le nom d'Epipoles dérive de niñodáleiv , planer
au-dessus , et non pas de nós, comme on l'admet communément.
CHAP. XCVII. - 1. Il doit y avoir ici quelque altération dans le
texte , bien que le sens soit parfaitement clair. Le moindre des chan-
gements qu'on a proposés consiste à insérer le relatif après ts
νυκτός.
2. Au fond de la baie qui est au N. de Syracuse , à moitié chemin
entre la presqu'île de Thapsos (aujourd'hui Magnisi) et la pente sep-
tentrionale des Epipoles..
3. Pour bien entendre les opérations de ce siége , il faut se rap-
peler que Syracuse n'avait pas cette époque l'étendue qu'elle acquit
plus tard , du temps de Denys ou des Romains. Elle ne renfermait pas
encore dans son enceinte les cinqquartiers dont parlent Diodore , Cicéron
et Tite Live. Elle ne se composait alors que de deux parties : l'an-
cienne ville (Nasos , l'île d'Ortygie) et la nouvelle , ou Achradine , au
S. O. des Epipoles. Le faubourg Téménités avait seul été annexé à la
nouvelle ville (liv. VI , ch. LXXV).
CHAP. XCVIII . - 1. Faubourg situé au N. E. de l'Achradine , et
nommé aussi Tycha , à cause d'un temple de la Fortune qui s'y trouvait.
(Cicéron , Verr. , IV , LIII. )
2. Il paraît, d'après les ch . XCIX , CI et CII , que c'était un ouvrage
préliminaire , une sorte de camp retranché ou de réduit , distinct de la
circonvallation proprement dite , à laquelle il servait de centre et de
point d'appui . M. Didot est le premier qui ait donné à ce terme sa
véritable valeur. Avant lui , on prenait le xúxλoç pour l'ensemble des
lignes obsidionales élevées par les Athéniens . L'emploi de l'article
montre qu'il s'agit d'un travail connu et usité dans les siéges.
CHAP. XCIX . -- 1. C'est probablement une petite crique , appelée
aujourd'hui Santa Bonagia , et située à l'extrémité septentrionale de
l'Achradine, entre ce faubourg et celui de Tycha. Tite Live (XXV, Xx111)
cite aussi le Trogiliorum portus , qu'il place près des murailles des
Epipoles. Quelques interprètes supposent qu'il était plus à l'O . , et
croient en trouver un vestige dans le village moderne de Targia ou
Targetta; mais dans ce cas la circonvallation eût été démesurément
étendue.
CHAP. CII. - 1. Le plèthre, mesure de distance , longue de cent
pieds.
1
548 NOTES.

CHAP . CIV. — 1. Cléandridas, père de Gylippe , avait été adjoint au


jeune roi Plistoanax pour commander une expédition en Attique (liv. I,
ch. CXIV) . Accusé son retour de s'être laissé corrompre par Périclès ,
il avait été exilé de Sparte et s'était retiré à Thurii , où il avait reçu
le droit de cité. Voyez Plutarque , Péricl. , XXII , et Diodore , XIII, CVI.
2. Le golfe Térinéen (aujourd'hui de Sainte-Euphémie) est situé sur
la côte occidentale du midi de l'Italie , dans la mer Tyrrhénienne. Il
doit y avoir ici une erreur dans le texte.

LIVRE VII .

CHAP. IV.- 1 . Cette contre-approche est celle qui est mentionnée au


liv. VI, ch. XCIX. Elle n'existait plus , ayant été détruite par les Athé-
niens; il n'est donc ici question que de sa place. Le nouveau mur ,
construit par les Syracusains , est un troisième ouvrage de défense ,
partant de l'enceinte de la ville , et se dirigeant parallèlement à la
circonvallation , qu'il croisait dans la partie N. , où s'était arrêtée la
première contre-approche abattue par les Athéniens. Ce mur parallèle
était simple, parce que, étant adossé à la ville , il n'était exposé que du
côté qui faisait face au mur des ennemis.
2. La partie de la circonvallation qui s'étendait au S. du retran-
chement circulaire des Athéniens jusqu'au grand port.
CHAP. XIII. - 1. Les Athéniens tiraient surtout leurs vivres de
Catane (ch, LX) . Pour pénétrer dans le grand port , les bâtiments qui les
amenaient étaient donc forcés de passer devant la ville de Sycuse.
2. Voyez liv. VI , ch. LXII .

CHAP. XVI. — 1 . On a soupçonné ici une erreur de chiffre dans le


texte , vingt talents (cent huit mille fr.) paraissant une somme trop
faible pour les besoins d'une armée. C'était probablement un premier
envoi provisoire. Au reste , c'est pendant son absence qu'Eurymėdon
fut élu comme collègue de Démosthène. Voyez ch . xxxi.
CHAP. XVIII . — 1. Les trente vaisseaux envoyés au secours d'Argos
et qui avaient dévasté la Laconie. Voyez liv. VI , ch. cv.
CHAP. XIX. - 1 . Nom des affranchis à Lacédémone. Voy. ch LVIU OÙ
ce mot est défini.

CHAP. XXV. — 1 . C'est-à-dire dix mille talents pesants (le talent valait
trente kil.). C'était un fort tonnage, correspondant à trois cents tonneaux.
CHAP. XXVI. - 1. Ce doit être la presqu'ile appelée "Ovov yvásos
LIVRE VII . 549

(aujourd'hui Elaphonisi) . Elle est située un peu à l'O. du cap Malée ,


à l'entrée du golfe Laconique. Aucun autre auteur n'y place un temple
d'Apollon.
CHAP. XXVII . - 1. Lorsqu'une troupe de Péloponésiens arrivait
pour relever la précédente , la garnison de Décélie se trouvait momen-
tanément doublée.
2. A Athènes les professions manuelles étaient en général exer-
cées par des esclaves , sous la direction et pour le compte de leurs
maîtres. On peut se faire une idée du tort occasionné à ceux-ci par la
fuite de leurs ouvriers , en se rappelant qu'un esclave sans aptitude
spéciale valait jusqu'à cinq cents drachmes , et que les artisans de-
vaient avoir beaucoup plus de prix.
CHAP. XXVIII.1 . C'était remplacer un impôt direct par un impôt
indirect de cinq pour cent sur les provenances maritimes. Le nom de
tribut était devenu odieux. D'ailleurs la perception de cette nouvelle
taxe était plus commode pour l'Etat , parce qu'elle s'affermait à des
particuliers ou à des compagnies.
CHAP. XXXI. - -1. On a vu au ch. xvi que la mission d'Eurymédon
en Sicile était antérieure à sa nomination comme collègue de Nicias
et de Démosthène. Il n'apprit qu'alors cette élection , qui avait eu lieu
pendant son absence.
CHAP. XXXIII.- 1 . Deux îlots adjacents à la côte orientale de l'Italie,
et nommés aujourd'hui Sainte-Pélagie et Saint-André.
CHAP. XXXIV. - 1. Il paraît qu'aux vingt-huit vaisseaux men-
tionnés au ch. XXXI , il s'en était joint cinq autres , amenés vraisem-
blablement par Diphilos, successeur de Conon.
22. Les épotides (oreillettes) étaient deux pièces de bois , arc-boutées
des deux côtés de la proue , afin de renforcer l'éperon . L'innovation des
Corinthiens consistait à donner plus de solidité à ces pièces , en les
raccourcissant , afin d'avoir l'avantage dans la lutte de la proue contre
les vaisseaux athéniens , plus légèrement construits.
CHAP. XXXVII. - 1. C'est le même nombre que dans le combat
naval où ils en avaient perdu onze (ch . xx11) . Il paraît que , dans l'in-
tervalle , cette perte avait été réparée .
CHAP. XXXVIII. - 1. C'est-à-dire deux cents pieds. Voyez liv. VI ,
ch . cii , note 1 .
CHAP. XXXIX . 1. Il y avait dans toutes les villes grecques une
magistrature de cette espèce , connue sous le nom d'agoranomes ou
surveillants des marchés. A l'ordinaire , la vente des denrées se faisait
sur la place publique.
550 NOTES.
CHAP. XLI. - 1. Les dauphins suspendus à ces vergues consistaient
en lourdes masses de métal qui , en tombant sur le navire ennemi , en
fracassaient les ponts . Les mains de fer ou corbeaux , également em-
ployés dans les batailles navales , étaient des grappins destinés à saisir
le vaisseau ennemi pour l'empêcher de reculer.
CHAP. XLIV . 1. Sur le péan , voyez liv. I , ch. L , note 2. La con-
fusion venait des deux dialectes , ionien et dorien , et de leur accent
différent; car il n'est pas prouvé qu'il y eût plusieurs espèces de péans
de guerre .
CHAP. LVII. 1. On a vu (liv. II , ch. xxvII) que , la seconde année
de la guerre , les Eginètes furent expulsés de leur ile par les Athéniens,
qui s'en partagèrent le territoire . Mais cette spoliation n'eut qu'un
temps. Après la prise d'Athènes par Lysandre , les Eginètes furent
réintégrés dans leurs foyers. Thucydide , qui a rédigé son histoire après
cette époque , indique ici la population athénienne qui occupait Egine
pendant la guerre du Péloponèse. Lemnos , Imbros et Hestiéa
étaient également peuplées d'Athéniens.
2. C'est- à-dire pour la solde et pour les profits de la guerre.
3. Le texte reçu porte Exeλav , contre- sens manifeste ; il faut néces-
sairement Σικελιωτῶν .
CHAP. LVIII. - 1. Avec Corinthe , leur métropole.
2. Sans doute par suite du gouvernement oligarchique , qui leur
avait été imposé par les Lacédémoniens. Voyez liv. V, ch. LXXXI.
CHAP. LXII.1 . Corbeaux ou grappins. Voyez ch. XLI , note 1. Sur
les épotides , voyez ch. xxxiv, note 2. La tactique des Syracusains con-
sistait à heurter à plusieurs reprises le vaisseau ennemi , en se servant
de l'éperon comme d'un bélier. Les mains de fer étaient destinées à les
empêcher , après un premier choc, de reculer à la rame pour heurter
de nouveau. Dès lors le combat devenait un abordage.
CHAP. LXXVIII . 1. Le carré ( λaíσtov) était un ordre de marche.
Il se composait de quatre divisions , rangées , la première et la der-
nière en phalanges , les deux latérales en colonnes. Le centre était
réservé pour les bagages et pour les troupes légères. On adoptait cet
ordre lorsqu'on avait à traverser des pays ouverts , où l'on s'attendait
à être attaqué d'un côté ou de l'autre. Dans ce cas , le carré tout
entier faisait halte , de manière à faire face à l'ennemi , de quelque
côté qu'il se présentât. Ici il doit y avoir deux de ces carrés , celui de
Nicias et celui de Démosthène.

CHAP. LXXX. 1. Le premier projet Athéniens était de se retirer


à Catane. Ils avaient donc d'abord à l'Anapos, puis à cheminer
au N. , en laissant les Epipoles à main droite. Le chemin moderne ,
LIVRE VII . 551
passant par le village de Floridia et par les montagnes dites Sierra di
Buon Giovanni , rejoint près de Thapsos la route directe de Syracuse
à Catane. Mais les Athéniens , n'ayant pu franchir ces montagnes
défendues par les Syracusains , se décident à changer de direction et
à se retirer chez les Sicules , dans la partie S. O. de la Sicile . Ils re-
viennent donc sur leurs pas pour atteindre la route qui longe la côte
au S. de Syracuse .
2. Voyez liv. VI , ch . LXVI , note 2.
CHAP. LXXXVI. - 1. Les Latomies sont les célèbres carrières de
Syracuse , profondes excavations situées sur les Épipoles , et qui
existent encore aujourd'hui . Elles sont connues pour avoir souvent
servi de prison.
CHAP. LXXXVII. -1 . Par jour sans doute. La mesure appelée cotyle
équivalait au quart du chénice , c'est-à-dire à vingt-sept décalitres.
2. L'auteur ne dit pas ce que devinrent les prisonniers Athéniens.
On voit seulement , par ce qui précède , qu'ils furent détenus pendant
huit mois. Après ce temps , il est à croire qu'ils furent vendus comme
les autres; s'ils eussent été échangés , il en serait fait mention dans
le livre suivant.

LIVRE VIII .

CHAP. I. 1. D'après la loi , toute décision de l'assemblée du


peuple devait être précédée d'un avis du conseil des Cinq-Cents. Il
est probable que l'autorité dont il s'agit ici était une commission
choisie parmi les membres les plus âgés de ce corps , et chargée
d'examiner préalablement les questions , avant que le conseil lui-même
ne formulât son avis .
CHAP. III.- 1. Le butin que les peuplades du mont Œta avaient fait
dans leurs continúelles incursions contre les habitants d'Héraclée-Tra-
chinienne. Voyez liv. V , ch . LI.
CHAP . V.— 1. Les harmostes étaient des commissaires extraordi-
naires qu'à cette époque les Lacédémoniens envoyaient dans les villes
alliées , pour commander les garnisons et les habitants. C'est le seul
endroit de Thucydide où cette autorité soit mentionnée. Peut-être
était-elle alors de nouvelle création . Plus tard les exemples abondent.
2. Les provinces inférieures ou maritimes étaient la portion de
l'Asie Mineure située le long des côtes occidentales, savoir : la Carie ,
la Lycie , la Pamphylie , la Mysie et la Lydie. L'empire des Perses
avait une double circonscription : 1° les satrapies , pour le gouverne-
552 NOTES.
ment civil et la perception des impôts; 2° les arrondissements mili-
taires , composant plusieurs satrapies et ayant une pláce d'armes et
un commandant désigné d'avance éventuellement. Ce commandant
militaire ( panyós) cumulait quelquefois ces fonctions avec celles de
satrape d'une province , comme c'est ici le cas pour Tissapherne et
plus tard pour Cyrus le Jeune.
CHAP. VI.. 1. Le nom d'Alcibiade, comme l'indique sa désinence ,
était d'origine lacédémonienne. Il y avait deux séries d'Alcibiades ,
l'une à Lacédémone , l'autre à Athènes . Le père de Clinias s'appelait
comme celui d'Endios ; et , selon l'usage des Grecs , qui n'avaient pas
de noms de famille , ces noms propres se transmettaient de l'aïeul au
petit-fils.
2. Ce phénomène , au début d'une entreprise, était considéré comme
de mauvais augure. Pour le même motif , une assemblée est ajournée ,
liv. V, ch . XLV.
CHAP. VII. - 1. C'est- à-dire du golfe de Corinthe dans le golfe
Saronique. Sur le transport des vaisseaux, voyez liv. III , ch. xv,
note 1 .
CHAP. VIII. - 1. Le même qui , plus tard , commanda les dix mille
Grecs de l'expédition de Cyrus le Jeune.
CHAP. IX . - 1. Les jeux Isthmiques se célébraient tous les deux
ans (la première et la troisième année de chaque olympiade) , au
commencement de l'été , dans l'enceinte consacrée à Neptune , sur
l'isthme de Corinthe. Les Corinthiens , qui les présidaient, les faisaient
publier par toute la Grèce, avec proclamation d'une trêve sacrée, comme
pour les jeux olympiques. Bien que cette trêve fût moins religieuse-
ment observée que celle d'Olympie, les Corinthiens , dans le cas actuel,
ne voulaient pas donner eux-mêmes l'exemple de sa violation .
CHAP. X. - 1. Piréos ou Piréon (Steph. Byz. , Пapaiós. Xénoph. ,
Hell. , IV, ch. v; Agés. , II , xvIII , тò Пɛípaιov) , aujourd'hui baie de
Sophico , à moitié chemin entre Epidaure et l'isthme de Corinthe. En
avant de cette baie sont quelques îlots , dont le plus grand s'appelle
Hévréonisi.
CHAP. XIV. - 1. Bourg situé sur le continent asiatique , vis-à-vis
de Clazomènes . Le nom de Polichna était, commun à plusieurs bour-
gades.
CHAP. XV. 1. Voyez liv. II , ch . xxiv.
CHAP. XIX. 1. Voyez liv. III , ch. xix, note 3.
2. Voyez ch et XXVIII. Il devait tenir pour les Athéniens , puis-
que Tissapherne avait appelé les Lacédémoniens dans le but de le
détruire.
LIVRE VIII. 553

3. Place d'Ionie , située entre Lébédos et Colophon . Elle tirait son


nom d'un temple de Jupiter , construit dans le voisinage , de même
qu'une autre ville du Bosphore , également appelée Dios-Hiéron . S'il
s'agissait ici du temple et non pas de la ville , l'article ne serait pas
omis.
CHAP. XX. -— I. Voyez ch . x.
2. En remplacement du navarque Chalcidéus , dont les fonctions
n'étaient que temporaires (ch. vi) . Astyochos devait prendre le com-
mandement de toutes les forces maritimes des alliés , tandis que son
prédécesseur n'avait que celui de la flotte lacédémonienne.
3. Contre la puissance maritime des Athéniens , c'était une garantie
que d'assurer la communication de la ville avec le continent.
CHAP. XXI. - 1. Samos avait été privée de l'autonomie à la suite
de sa révolte , comprimée par Périclès (liv. I , ch . cxvII).
CHAP. XXIII. - 1. Ces vaisseaux devaient être au nombre de neuf,
puisque sur les treize indiqués au chapitre XXII , quatre avaient été
laissés à Méthymne.
2. Les mots ỏ àñò twv veœv teĽós sont diversement interprétés. Je
pense qu'ils désignent , l'armée de terre , mentionnée au ch . xxII , et
qui , sans être à bord , devait appuyer les opérations maritimes. Cette
armée , qui jusqu'alors avait marché de conserve avec la flotte , s'en
sépare ici pour regagner ses foyers.
CHAP. XXIV. 1. Les hoplites ne faisaient qu'exceptionnellement
le service de soldats de marine (liv. III , ch. xcv ; liv. VI , ch. XLII).
Ceux-ci étaient tirés , pour l'ordinaire , de la dernière classe des ci-
toyens , c'est-à-dire des thètes ; or , le rôle de conscription ne compre-
nait que les citoyens des trois premières classes. Ici l'exception se
justifie par l'embarras des affaires d'Athènes.
2. Sur les désastres éprouvés par les Chiotes dans la révolte de
l'Ionie contre les Perses , voyez Hérodote , liv. V, ch. xv et xxvII,
CHAP. XXVI. - 1. Le texte reçu porte 'Eλeóv , nom parfaitement
inconnu. On a proposé d'y substituer celui de Léros , île qui se trouve
è l'entrée du golfe Iasique , et qui , bien qu'assez éloignée de Milet ,
peut cependant être considérée comme en avant de cette ville , puis-
que, pour une flotte venant du Péloponèse , elle est le dernier endroit
de mouillage avant d'arriver à Milet. On voit d'ailleurs , au ch. xxvII ,
que c'est de Léros (ici la leçon est certaine) que les Athéniens re-
çoivent la nouvelle de l'apparition de la flotte péloponésienne.
CHAP. XXVIII. 1. Dans la perspective d'une bataille navale , à la
veille de laquelle on déposait toujours à terre les grandes voiles des
vaisseaux et les agrès les plus encombrants.
554 NOTES.
2. Monnaie d'or , frappée par le roi Darius fils d'Hystaspe , et équi-
valente à vingt drachmes attiques , soit dix-huit francs.
CHAP. XXIX . - 1. A deux cents hommes d'équipage par trirème , la
solde d'un mois pour cinq vaisseaux , à raison de trois oboles ou d'une
demi -drachme par jour et par homme , n'aurait fait que quinze mille
drachmes. Tissapherne donnait trois talents ou dix-huit mille drachmes;
il y avait donc un excédant mensuel de trois mille drachmes , à répartir
entre les mille hommes qui formaient l'équipage des cinq vaisseaux.
Ainsi chaque matelot recevait par mois dix-huit drachmes , au lieu de
trente qu'il aurait eues , si la solde promise eût été payée intégralement.
CHAP. XXXI . - 1. Voyez la fin du ch. XXIV.

CHAP. XXXIV.- 1 . Arginon ou Argennon (aujourd'hui Cap Blanc),


promontoire du pays d'Erythres.
2. Montagne située sur la côte de l'Asie Mineure , en face de Chios.
On croit que Phéniconte est la fameuse baie de Tchesmé.
CHAP. XXXV. 1. On a vu (liv. VII , ch. xxxIII) que , l'année pré-
cédente , les Thuriens , à la suite d'une révolution , s'étaient prononcés
en faveur d'Athènes. Plutarque (Dix Orat.) nous apprend que, plus
tard , le parti oligarchique reprit le dessus , el contracta une alliance
avec Lacédémone.

CHAP . XL. -1. Etienne de Byzance (s . v. Xíog) dit : « Les Chiotes


sont les premiers qui aient usé de serviteurs (Sepάлоνтεç) commе les
Lacédémoniens usent des Hilotes , les Argiens des Gymnésiens , les
Sicyoniens des Corynéphores , les Grecs d'Italie des Pélasges, les
Crétois des Mnoïdes . » Athénée (VI , xxvIII) , en confirmant le fait,
parle des séditions excitées à Chios par les esclaves , et ajoute que les
Chiotes étaient les premiers des Grecs qui eussent établi la traite (owμa-
τεμлоρíα) ou le commerce des esclaves.
CHAP. XLI.1. Méropis était l'ancien nom de l'île de Cos. On avait
continué à la désigner par cette épithète , quoiqu'il n'existât pas en
Grèce d'autre ville du même nom.

CHAP. XLIII.- 1 . Ces divers pays avaient été anciennement soumis


aux Perses , les uns , tels que les îles de la mer Égée et le littoral de
la Thrace jusqu'à la Thessalie , dès avant le règne de Xerxès , les
autres à l'époque de l'expédition de ce prince contre la Grèce.
CHAP. XLIV. -- 1. Cent soixante-douze mille huit cent francs.

CHAP. XLV. - 1 . C'était la moitié de la solde promise (chap. XXIX) . La


drachme attique (quatre-vingt-dix centimes) se subdivisait en six oboles .
CHAP. XLVII. - 1. Les triérarques ou commandants des triremes
LIVRE VIII. 555

étaient pris exclusivement dans la classe des pentacosiomédimnes ,


c'est-à-dire des plus riches citoyens. Ils devaient donc avoir peu de
goût pour la démocratie , qui faisait peser sur eux les charges les plus
lourdes.

CHAP. XLVIII , -1 . Dénomination ordinairement donnée à l'aristo-


cratie d'Athènes...

E CHAP. LIII . - 1 . Deux corporations sacerdotales , dont les membres


appartenaient à d'anciennes familles d'Athènes. Les Eumolpides , des-
cendants d'Eumolpos , prêtre -roi d'Éleusis , exerçaient le sacerdoce de
Cérès Eleusinienne. Les Hérauts ou Céryces étaient des espèces d'au-
gures , chargés des sacrifices officiels. L'arrêt porté contre Alcibiade
avait été accompagné de malédictions solennellement prononcées
contre lui par ces colléges de prêtres.
CHAP. LIV.. 1. On a souvent assimilé ces associations aux clubs
politiques et aux sociétés secrètes des États modernes. Elles avaient
peu d'analogie avec les uns et avec les autres. C'étaient des confré-
ries , dont les membres s'engageaient par serment à se prêter un appui
mutuel, soit dans les candidatures pour les charges politiques , soit
dans les affaires judiciaires , auxquelles les Athéniens étaient si fré-
quemment exposés . Pour ce double motif, ces associations se recru-
taient dans les classes aisées , et devaient par conséquent être déjà
disposées à soutenir l'oligarchie . Voyez ch. LXXXI .
CHAP. LVI. - 1. Il est difficile d'entendre ce passage autrement
qu'en admettant l'existence de la paix dite de Callias. A la suite des
victoires de Cimon , le roi de Perse conclut avec les Athéniens un
traité par lequel , en reconnaissant l'indépendance des Grecs d'Asie ,
il s'engageait à éloigner de leurs frontières ses armées et ses flottes.
Ce traité fut négocié par l'Athénien Callias , fils d'Hipponicos , proba-
blement en 449 av. J. C. La critique moderne a contesté la réalité de
cet acte , sur lequel les historiens grecs gardent , à la vérité , le silence ,
mais qui est cité à l'envi par les orateurs Athéniens.
CHAP. LVIII. 1. Darius II, surnommé Nothus, père d'Artaxerxès-
Mnémon et de Cyrus le Jeune , régna dix -neuf ans ; il était monté sur
le trône en 424 av. J. C. - Hiéraménès , beau-frère du roi Darius ,
était probablement alors satrape de Sardes. Les fils de Pharnacès sont
Pharnabaze et ses frères ; celui- ci avait la satrapie Dascylitide sur
l'Hellespont.
CHAP. LXIII.:- 1. C'est-à-dire les vaisseaux péloponésiens ou alliés
que l'auteur a énumérés au ch. LXI, et que Léon avait conduits de
Milet à Chios.
CHAP. LXIV. - 1. On a vu (liv. 1 , ch. cı) qu'à la suite d'une pré-
cédente révolte de Thasos , les Athéniens vainqueurs avaient exigé
556 NOTES.
que cette ville fût démantelée , afin qu'à l'avenir elle ne pût opposer
aucune résistance à leur marine.
CHAP. LXVI. ----- 1. Le conseil des Cinq-Cents était ainsi appelé à
cause de son mode d'élection . Chacune des dix tribus nommait cin-
quante membres , tirés au sort parmi les citoyens âgés d'au moins
trente ans et non récusables. Pour l'élection , on se servait du registre
nominatif (ληξιαρχικόν γραμματείον) tenu dans chaque tribu ; et , a
mesure qu'on lisait les noms (probablement par rang d'âge) , on tirait
d'une urne des fèves blanches ou noires. Celui dont le nom était
accompagné d'une fève blanche était élu , sous la réserve de l'examen
de vie et de moeurs (δοκιμασία) .
2. D'après un calcul approximatif, on évalue à cent mille âmes le
chiffre de la population d'Athènes à cette époque.
CHAP. LXVII. 1. Le lieu ordinaire des assemblées du peuple à
Athènes était le Pnyx (ch . xcvII) , quelquefois le théâtre de Bacchus
(ch. xçıv) , ou d'autres endroits voisins de la ville . En convoquant
le peuple dans un local fermé et restreint , l'intention des meneurs
était apparemment d'exclure de la délibération une partie de leurs
adversaires . Les conjurés avaient le mot pour occuper la majeure
portion de l'enceinte et empêcher la multitude d'y trouver place. Les
clôtures consistaient en balustres ou cancellages qu'on ne devait pas
franchir.
2. Par cette décision préalable , on enlevait aux démagogues leur
arme favorite , qui consistait à intenter une action d'illégalité (ypaqn
παраνóμшv) à quiconque proposait le moindre changement à la con-
stitution.
CHAP. LXVIII. 1. On assure que l'orateur Antiphon avait été le
maître d'éloquence de Thucydide. On ne peut attribuer qu'à un sen-
timent de reconnaissance les éloges excessifs donnés par lui à un
homme qui , de son aveu , était le principal auteur d'une révolution
attentatoire à la liberté d'Athènes, et blâmée par Thucydide lui- même.
Après la chute des Quatre-Cents , Antiphon paya de sa vie la part
qu'il avait prise à leur établissement. Il fut condamné à mort cette
même année. Le discours qu'il prononça en cette occasion , et dont
Thucydide fait un si bel éloge , ne s'est pas conservé. Il ne reste
d'Antiphon que dix-sept plaidoyers ou fragments de plaidoyers , in-
sérés dans la collection des orateurs athéniens.
2. L'expulsion des Pisistratides eut lieu en 510 av. J. C. Il y avait
donc précisément un siècle à cette époque.
3. A dater de l'alliance dite des Grecs , laquelle fut l'origine de
l'empire d'Athènes , jusqu'à l'époque actuelle , il y aurait eu soixante-
cinq ans.
CHAP. LXIX. -1. Sans doute les hoplites que Pisandros avait ra
LIVRE VIII. 557
massés pendant sa traversée (ch. LXV) . Sur la colonie athénienne
d'Égine , voyez liv. II , ch. xxvII .
2. Cette désignation , regardée par quelques éditeurs comme su-
perflue , est ajoutée par opposition au corps ordinaire des soldats de
police (archers scythes) , composé d'étrangers.
3. Voyez ch. LXVI , note 1 .
4. L'indemnité ou droit de présence des membres du conseil des
Cinq- Cents était d'une drachme par jour de séance. L'année civile
athénienne commençant au mois Hécatombéon (juillet-août) , il restait
encore à l'ancien conseil environ quatre mois jusqu'à l'expiration de
ses fonctions.

CHAP. LXX. —1 . Le conseil des Cinq-Cents , composé de cinquante


membres de chaque tribu , se trouvait naturellement divisé en dix
sections , dont chacune à son tour exerçait la prytanie ou présidence ,
et devait consacrer tout son temps aux affaires publiques pendant la
dixième partie de l'année. Les Quatre- Cents , n'étant pas également
tirés des dix tribus , étaient obligés de recourir au sort pour constituer
entre eux des prytanies de quarante membres.
CHAP. LXXIII.1. Voyez ch. XXI.
2. Selon Plutarque (Alcibiade , ch. xIII) , le bannissement d'Hy-
perbolos fut le résultat d'une coalition entre Nicias , Phéax et Alci-
biade , lesquels se voyant menacés d'ètre bannis eux-mêmes , s'enten-
dirent ensemble pour faire tomber la sentence sur cet homme mal
famé. La condamnation d'Hyperbolos fut le dernier exemple d'ostra-
cisme à Athènes (quatre cent seize ans av. J. C.).
CHAP . LXXVI. — 1. Allusion à la guerre soutenue par Samos contre
Athènes du temps de Périclès. Voyez liv. I , ch . cxv.
CHAP. LXXXI . - 1. Voyez ch. LIV, note 1. Quoique ces associations
eussent été travaillées dans le sens de son rappel (ch. XLVIII) , Alci-
biade aspirait à les dissoudre à cause de la froideur que l'aristocratie
avait montrée envers lui (ch. LXIII) .

CHAP. LXXXIV . 1. Voyez ch. xxxv. Les chefs lacédémoniens


portaient habituellement une canne , et s'en servaient pour se faire
obéir. Cette rudesse leur est souvent reprochée par les Athéniens. Du
reste , il ne faut pas conclure que le port d'un bâton fût un insigne
distinctif de leur charge; car à Lacédémone cet usage était général.
2. Il paraît de là , quoique l'auteur n'en ait pas fait mention , qu'à la
suite de l'accord fait avec les Milésiens (ch. LVIII) , Tissapherne avait
élevé un château fort à Milet.
CHAP. LXXXV. - 1. La charge de navarque était annuelle.
558 NOTES.
2. Hermocratès était , comme on l'a vu , un des chefs du parti aris-
tocratique de Syracuse . A l'époque dont il s'agit , un mouvement
populaire avait eu lieu dans cette ville, et , suivant l'usage , les chefs
du parti opposé avaient été bannis (Diodore de Sicile , XIII , LXIII).
CHAP. LXXXIX . - 1. Sous la constitution démocratique d'Athènes ,
toutes les élections, excepté celles des généraux, se faisaient par le
sort. «Le sort , dit Montesquieu , est une façon d'élire qui n'afflige per-
sonne; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir
la patrie. »
CHAP. XC. -- 1. Au lieu de oλyapxíav , je lis óuoλoyíav , d'après le
manuscrit du Vatican. On ne voit pas ce que signifierait ce zèle
déployé en faveur de l'oligarchie déjà établie à Athènes.
2. L'Eétionéa est une jetée naturelle , située à gauche en entrant
par mer au Pirée. L'intention des Quatre-Cents était d'en faire un
point isolé , également défendable du côté de la mer et du côté de la
terre. Extérieurement elle était protégée par les fortifications du
Pirée. Le nouveau mur qu'on élevait alors devait mettre à l'abri des
attaques de l'intérieur. A l'extrémité de l'Éétionéa s'élevait une tour ,
où aboutissait l'ancien mur du Pirée. Le nouveau partait de ce même
point , et, longeant la côte , formait le second côté d'un triangle
allongé ; le troisième côté était formé par le mur transversal qui bar-
rait le portique ou halle aux grains.
3. A l'entrée du Pirée étaient deux tours, l'une à gauche , à l'extré-
mité de l'étionéa; l'Eautre à droite , sur la presqu'île de Munychie.
CHAP. XCI . - 1. Petite ville sur le golfe de Laconie , à quarante
stades S. O. de Gythion. Ses ruines subsistent près du village moderne
de Passava.

CHAP. XCII . - 1. Voyez liv. II , ch. xIII , note 5. Les péripoles


étaient sous les ordres d'un commandant spécial , nommé péripo-
larque.

СНАР. ХСІІІ. - 1. Temple de Castor et de Pollux ou des Dioscures


("Avaxes dans la langue sacrée) , situé au pied de l'acropole .
2. Ils entendaient que l'institution des Quatre-Cents serait perma-
nente, et que ce corps remplacerait le conseil des Cinq-Cents , avec
cette différence que les Quatre-Cents ne seraient pas inamovibles ,
mais qu'ils seraient pris alternativement parmi les cinq mille.
3. Le grand théâtre d'Athènes, dit de Bacchus aux Marais , servait
quelquefois aux assemblées du peuple , surtout à celles qu'on pré-
voyait devoir être fort nombreuses. Il y avait place dans ce théâtre
pour trente mille personnes .
LIVRE VIII. 5.59
CHAP. XCIV. — 1. Je lis , d'après les meilleures manuscrits , τῶν
πολλῶν. Le texte reçu porte τῶν ὁπλιτῶν.
CHAP. XCV. - 1. Deux dèmes de l'Attique, situés sur la côte orien-
tale de ce pays , en face de l'Eubée. Il y aussi une ville de Prasies en
Laconie (II , LVI).

CHAP. XCVII. -- 1. Depuis l'établissement des Quatre- Cents les


assemblées du peuple avaient été suspendues.
2. Colline située dans l'intérieur d'Athènes , au S. O. de l'acropole.
Le Pnyx servait aux assemblées ordinaires du peuple. A cet effet, il
avait été garni de gradins de pierre , en forme de théâtre ou d'hémi-
cycle , et en face desquels s'élevait la tribune aux harangues.
3. Il n'y avait donc que les hoplites et les cavaliers , c'est - à-dire les
citoyens appartenant aux trois premières classes , qui fissent partie
de ce corps privilégié . Les thètes ou prolétaires en étaient exclus.
Cette forme politique répondait à notre cens électoral.
4. Ainsi furent supprimées les indemnités allouées aux conseillers ,
aux juges et aux citoyens qui assistaient aux assemblées.
5. C'est-à-dire législateurs. C'était une commission permanente ,
chargée de rédiger les projets de lois qui devaient être soumis à la
sanction du peuple.
6. Le retour d'Alcibiade à Athènes n'eut cependant lieu que quatre
ans plus tard (Xénophon , Helléniques , I , IV) .
CHAP. XCVIII. - 1. Probablement de ces Scythes que les Athéniens
entretenaient pour faire la police.
2. Cette opération n'entrait pas dans le plan général de la guerre ,
et n'avait été ordonnée ni par les Lacédémoniens ni par le roi Agis.
Les Corinthiens faisaient le siége de cette place à leurs frais et pour
leur propre compte.
CHAP. C. - 1. Les Lesbiens et les Béotiens étaient d'origine éo-
`lienne ( liv. III , ch . 1 ) . Les Lesbiens , se considérant comme une
colonie béotienne , déféraient le commandement à un Thébain qui se
trouvait parmi eux.
CHAP. CI. - 1. La tessaracoste était une monnaie particulière à
l'île de Chios , et qu'on suppose valoir la quarantième partie du statère
d'or , c'est-à -dire une demi - drachme attique , soit 45 centimes.
2. Ils traversèrent le canal qui sépare Lesbos du continent. Érésos
était située dans cette partie de l'île qui regarde la haute mer.
3. Cette désignation est ajoutée pour distinguer cette localité d'avec
les îles Arginuses , situées dans le canal, entre Lesbos et la côte
560 NOTES.
d'Asie . Pareillement il y avait sur la côte d'Épire deux Sybota, ceux
de le et ceux du continent.
CHAP. CII - 1. Le tombeau de Protésilas , le premier des héros
-
grecs qui mourut au siége de Troie , était situé à la pointe méridio-
nale de la Chersonèse de Thrace. Avec le temps il fut considéré comme
un sanctuaire et un oracle.
CHAP . CIV. -- 1. Pointe de la Chersonèse de Thrace , un peu à l'E.
de Madytos. Son nom (le Tombeau de la chienne) dérive d'Hécube ,
qui , dans l'excès de sa douleur, fut métamorphosée en chienne , et à
laquelle on avait élevé un tumulus en cet endroit.
CHAP. CVIII . - 1. Voyez liv. V , ch. 1.
CHAP. CIX. - 1. Voyez liv. VIII , ch. LXXXIV.
2. Cette dernière phrase a été probablement ajoutée par une main
étrangère , pour indiquer le point d'interruption où Thucydide a laissé
son histoire.

FIN.
TABLE ALPHABÉTIQUE

DES NOMS ET DES CHOSES .

N. B. Le chiffre romain indique le livre, et le chiffre arabe le chapitre.

A
ABDERE, ville de Thrace, II, 97 ; un 78, VIII, 3; Achéens, nom des Grecs
Abdéritain, II, 29. à Troie, I, 3, IV, 120, VI , 2.
ABRONYCHOS , Áthénien, I, 91 . ACHARNES, dême d'Attique, Il, 19, 20,
ABYDOS, ville de l'Hellespont , VIII, 61, 21, 23.
62, 79, 102, 103 ; bataillenavale livrée ACHÉLOüs , fleuve d'Acarnanie, II, 102,
dans son voisinage, VIII, 104. III, 106.
ACAMANTIDE, tribu d'Athènes, IV, 118. ACHERON, fleuve de Thesprotide, I, 46.
ACANTHE, ville de Thrace, IV, 84, 114, ACHILLE , I , 3 .
V, 18 ; Acanthiens , IV, 88, 124 ; dis- ACRE , villé de Sicile, VI, 5.
cours que leur adresse Brasidas, IV, ACRAGAS, ville et fleuve de Sicile, VI,
85. 4. Voy. AGRIGENTE.
ACANTHOS. Lacédémonien, V, 19, 24. ACREON-LEPAS, colline de Sicile, VII,
ACARNAN, fils d'Alcméon, II, 102. 78.
ACARNANIE, origine de son nom, II, ACROPOLE D'ATHÈNES ; occupée par
102 ; mœurs des Acarnaniens , Í, 5 , Cylon, I , 126 ; anciennement nom-
II, 81 ; leur confédération , III, 105 ; mée la Cité, II, 15 ; renferme un au-
leur alliance avec Athènes, II, 7, 9, tel et un temple de Minerve, I, 126,
78, VII, 57 ; les Lacédémoniens en- V, 23 ; une colonne sur l'injustice
voient Cnémos pour les soumettre, des tyrans, VI, 55 ; propylées de l'a-
II, 80; campagne de Phormion en cropole, II , 13 ; dite simplement la
Acarnanie, II, 102 ; les Acarnaniens citadelle, V, 18, 23, 47.
reçoivent Argos Amphilochicon, II, ACROTHOOS, ville de l'Athos, IV, 109.
68 ; attaquent Leucade . III, 94 ; font ACTÉ, presqu'ile de Thrace, IV, 109.
la guerre aux Ambraciotes, III, 105 ; ACTION, promontoire d'Acarnanie, I,
fournissent des troupes légères aux 29, 30.
Athéniens en Sicile, VII, 31 , 60, 67. ADIMANTOS, Corinthien, I, 60.
ACÉSINĖS, fleuve de Sicile, IV, 25. ADMÈTE, roi des Molosses, I, 136.
ACHAÏE, province du Péloponèse ; alliée ANTIDES, tyran de Lampsaque, VI,
d'Athènes, I, 111 ; rendue aux Pélo- 59.
ponésiens, I, 115 ; revendiquée par AGAMEMNON, I , 9.
les Athéniens, IV, 21 , les Achéens, AGATHARCHIDAS, Corinthien, II, 83.
excepté ceux de Pellène, neutres au AGATHARCHOS , Syracusain, VII , 25, 70.
début de la guerre ; puis toute l'A- AGÉSANDRIDAS, Spartiate, VIII, 91 .
chaïe prend parti pour les Lacédé- AGÉSANDROS , Spartiate, Í, 139 , VIII ,
moniens, II, 9 ; l'Achaïe reconstituée 91.
par ces derniers, V, 82 ; Achéens- AGÉSIPPIDAS, Spartiate, V, 56.
Phthiotes , peuple de Thessalie, IV, AGIS, roi des Lacedémoniens, III, 89 ;
562 TABLE ALPHABÉTIQUE
envahit l'Attique, IV, 2, 6 ; jure le ses prisonniers, III, 32 ; sa fuite, III,
traité, V, 24 ; marche sur Argos, 33 ; les Lacédémoniens lui donnent
V, 54 ; se retire, V, 60 ; défait les Brasidas pour conseil, III, 69; il est
Argiens à Mantinée, V, 72 : fait une envoyé à Corcyre, III, 76 ; sa timi-
autre expédition contre Argos, V, dite, III, 79 ; délégué pour la fonda-
83; fortifie Décélie , VII , 19 ; ra- tion d'Héraclée-Trachinienne, III, 92.
vage l'Attique, VII, 27 ; son auto- ALCINOüs, héros de Corcyre, III, 70.
rité à Décélie, VIII, 3, 5 ; traite ALCIPHRON, Argien, V, 59.
avec les aristocrates athéniens, VIII, ALCISTHENES, Athénien, III, 91, IV, 66,
70; s'approche d'Athènes, VIII, 71. VII, 16.
AGRÉENS, peuple qui habitait au nord ALCMEON, fils d'Amphiaraüs, II, 102.
de l'Acarnanie, II, 102, III, 106, 113; ALCMÉONIDES, ancienne famille d'A-
leur roi Salynthios, 111 , 114 ; s'al- thènes, VI, 59.
lient aux Athéniens, IV, 77 , 101 ; ALEXANDRE , roi de Macédoine, père de
leur pays nommé l'Agraïdé, III, 111 . Perdiccas, I, 57, 137, II, 29 ; origi-
AGRIENS, peuplade péonienne, III, 96. naire d'Argos, II, 99.
AGRIGENTE, ville de Sicile ; sa fonda- ALEXARCHOS, Corinthien, VII, 19.
tion, VI, 4 ; ses dissensions , VII , 46, ALEXICLÈS, un des Quatre-Cents, VIII ,
50; reste neutre entre Athènes et 92, 93, 98.
Syracuse, VII , 32, 33, 58. ALICYÉENS, tribu des Sicules, VII, 32.
AIRAIN, déesse à maison d'airain, Mi- ALLIES d'Athènes et de Lacédemone
nervé Chalciæcos à Sparte , I, 128, dans la guerre du Péloponèse, II, 9;
134. d'Athènes et de Syracuse dans la
ALCAMÉNÈS, Lacédémonien, VIII, 5, 8, guerre de Sicile, VII, 57.
11 ; défait et tué au Piréón. VIII, 10. ALMOPIE, district de Macédoine ; ses
ALCEOS, archonte à Athènes, V, 19. habitants Almopes, II, 99.
ALCIBIADE, Athénien ; sa famille, V, ALOPÉ, ville des Locriens-Opontiens ,
43; soncaractère, VI, 15, 29 ; sa vic- II, 26.
toire aux jeux olympiques, VI, 16 ; ALYZIA, ville d'Acarnanie, VII, 31.
proxène des Lacédémoniens, VI, 89 ; AMBRACIE, colonie de Corinthe, II, 80;
trompe leurs députés, V, 45; fait une alliée des Lacédémoniens, II, 9, 80,
expédition dans le Péloponèse, V, 52; III, 69, VIII. 106 ; les Ambracíotes
pousse les Argiens à la guerre contre aident les Corinthiens dans leur
Lacédémone, V, 61 , 76 ; emmène des guerre contre Corcyre, I, 26, 27, 46,
Argiens suspects, V, 84 ; élu général 48; très-belliqueux; III, 108 ; origine
pour l'expédition de Sicile, VI, 8, 15; de leur inimitié contre Argos Am-
son discours en réponse à Nicias, philochicon , II , 68 ; leur guerre
VI, 16 ; accusé de sacrilége, VI, 28, contre cette ville, II, 80, ils font une
29; son avis dans le conseil de expédition malheureuse contre les
guerre, VI, 48 ; rappelé de Sicile, VI, Acarnaniens , III, 105; alliés de Syra-
53; il s'évade et est condamné à cuse, VI, 104, VII, 7, 25, 58 ; golfe
mort par contumace. VI, 61 ; réfugié d'Ambracie, Í . 29, 55.
à Sparte, il conseille aux Lacédémo- AMINIADÈS, Athénien, II, 67.
niens de fortifier Décélie, VI, 88; AMINIAS, Lacédémonien, IV, 132.
leur persuade d'envoyer une flotte AMINOCLÈS , constructeur corinthien,
en Ionie, VIII. 6, 12 ; s'y rend avec I, 13.
Chalcidéus, VIII, 17 ; se brouille avec AMMÉAS, Platéen , III, 22.
les Péloponésiens, et passe auprès AMORGÈS , révolté contre le roi de Perse,
de Tissapherne, VIII, 45 ; procure VIII, 5, 19; pris et livré, VIII, 21.
aux Athéniens l'amitié de ce satrape, AMPÉLIDAS, Lacédémonien, V, 22.
VIII, 52 ; rappelé de l'exil et nommé AMPHIARAUS, père d'Amphilochos, II,
général par l'armée de Samos, VIII, 68 ; d'Alcméon, II, 102. •
81, 82; son rappel est également voté AMPHIAS, Epidaurien, IV, 119.
à Athènes, VIII, 97 ; se rend à AS- AMPHIDOROS. Mégarien, IV, 119.
pendos avec Tissapherne, VIII , 88 ; AMPHILOCHIE, située au nord de l'A-
revient à Samos, VIII, 106 ; le nom carnanie, et annexée à ce pays, II,
d'Alcibiade était d'origine lacédémo- 68; envahie par les Ambraciotes, III,
nienne ; c'était celui du père de l'é- 102; les Amphilochiens barbares, II,
phore Endios, VIII, 6. 68, III, 112.
ALCIDAS, navarque lacédémonien, en- AMPHILOCHOS, fils d'Amphiarüs, II, 68.
voyé à Lesbos, III, 16, 26 ; refuse AMPHIPOLIS ville du littoral de la
d'attaquer Mytilène, III, 31 ; égorge Thrace, colonie d'Athènes, I, 100, IV,
DES NOMS ET DES CHOSES. 563
102, 103; sa situation, V, 7, 11 ; ANTIPPOS, Lacédémonien, V, 19.
prise par Brasidas. IV, 102 ; Cléon se ANTISSA, ville de Lesbos, III, 18, 28
dirige vers elle avec une flotte athé- VIII, 23.
nienne, V, 3 ; bataille livrée sous ses ANTISTHÉNÈS, Spartiate, VIII, 39, 61 .
murs, V, 6 ; malgré le traité, cette APHRODISIA, ville de Laconie, IV, 56.
ville n'est pas rendue aux Athéniens, APHYTIS , ville de la Pallène , Í, 64.
V, 18, 21 , 35, 46 : ceux-ci préparent APIDANOS, fleuve de Thessalie, IV, 78.
une expédition contre elle, V, 83 ; APODOTES, peuplade étolienne, III, 94.
Évétion, général athénien, la bloque, APOLLODOROS, Athénien. VII, 20.
VII, 9. APOLLON, Son temple à Action, I, 29 ;
AMPHISSA, ville des Locriens-Ozoles , près de Naupacte, II, 91 ; à Leucade,
III, 101. III, 94 ; à Délion, IV, 90 ; au cap
AMYCLE, ville de Laconie, V, 18. Malée, VII, 26 ; à Cnide, VIII, 35 ;
AMYNTAS, roi de Macédoine, II, 95, temple d'Apollon Pythien à Del-
100. phes, IV, 118. V, 18 ; à Athènes , II,
AMYRTÉE, Égyptien , I, 110. 15, VI, 54; Pythéen, en Argolide , V,
ANACÉION , temple des Dioscures à 53 ; Archégétès , près de Naxos en
Athènes, VIII, 93. Sicile, VI, 3 ; fête d'Apollon Maléen
ANACTORION, colonie de Corinthe, à à Lesbos, III, 3 ; l'île de Rhénéa
l'entrée du golfe Ambracique , I, 55 ; consacréé à Apollon Délien , I , 13.
alliée des Lacédémoniens , II, 9, 80, III, 104 ; hymne à Apollon , III ,
81 ; ennemie des Acarnaniens, III, 104.
114; prise par eux et par les Athé- APOLLONIE , colonie corinthienne en
niens, IV, 49 ; n'est pas rendue aux Illyrie, I , 26.
Corinthiens , V, 30, VII, 31 . ARCADIE, province du Péloponèse ; a
ANAPOS, fleuve d'Acarnanie, II, 82 ; de toujours eu les mêmes habitants, I,
Sicile, VI, 66, 96, VII, 42, 78. 2; alliée des Lacédémoniens, V, 57,
ANAXANDROS, Thébain, VIII, 100. 60, 64, 67 ; soumise en partie par les
ANAXILAS, tyran de Rhégion, VI, 4. Mantinéens, V, 29; en guerre avec
ANDOCIDES, général athénien, I, 51. Lépréon, V, 31 ; otages arcadiens
ANDROCLES. Athénien, VIII , 65. déposés à Orchomène, V, 61 ; Arca-
ANDROCRATES, son monument près de diens mercenaires, III, 34, VII, 19,
Platée, III, 24. 57, 58.
ANDROMÉNÈS, Lacédémonien, V, 42. ARCESILAS, Lacédémonien, VIII, 39.
ANDROS, une des Cyclades, II, 55; al- ARCHÉDICÉ, fille d'Hippias ; son épita-
liée d'Athènes, IV, 42, VII, 57, VIII, phe, VI, 59.
69. ARCHELAOS, roi de Macédoine, II, 100.
ANDROSTHÉNÈS , Arcadien, vainqueur à ARCHERS à cheval, à Athènes, II, 13.
Olympie, V, 49. V, 84, VI, 9 ; Gètes, II, 96.
ANEA, ville sur le continent en face de ARCHESTRATOS, fils de Lycomédès, I,
Samos, III, 32 ; refuge des exilés , 57 ; père de Cheréas, VIII, 74.
IV, 75, VIII, 19 ; les Anéites tuent ARCHÉTIMOS, Corinthien , I , 29.
Lysicles, III, 19 ; un vaisseau d'A- ARCHIAS, Camarinéen, IV, 25 ; Héra-
néa, VIII, 61. clide, fondateur de Syracuse, VI, 3.
ANÉRISTOS, Lacédémonien, II , 67. ARCHIDAMOS, roi des Lacédémoniens,
ANTANDROS , ville d'Éolide , VIII, 108 ; I, 79 ; son discours à Lacédémone ,
prise par les exilés de Lesbos, IV, I, 80; commande la première inva-
52 ; reprise par les Athéniens, IV, sion de l'Attique, II, 10 ; hôte de
75 ; chasse la garnison perse, VIII, Périclès, II, 13 ; lenteur de ses opé-
108, 109. rations, II, 18, 19, 20 ; sa deuxième
ANTHÉMONTE, ville de Macédoine, II, invasion, II, 47 ; troisième, III, 1 ;
99. commence le siége de Platée, II, 71 ,
ANTHENA, ville de Cynurie, V, 41. son fils et successeur Agis, III, 89,
ANTHESTÉRION, mois attique , II, 15. IV, 2, V, 54.
ANTICLES , Athénien, I, 117. ARCHONIDAS , roi des Sicules, VII , 1.
ANTIGÉNÈS, Athénien, II, 23. ARCHONTES, leur nombre et leur pou
ANTIMÉNIDAS, Lacédémonien, V. 42. voir, I, 126 ; anciennement il y avait
ANTIMNESTOS , Athénien, III, 105. des archontes dans toutes les villes
ANTIOCHOS, roi des Orestes , II, 80. de l'Attique, II, 15 ; archontat de
ANTIPHEMOS, fondateur de Géla, VI, 4. Thémistocle, I, 93 ; de Pythodoros,
ANTIPHON, orateur athénien, VIII, 68, II, 2 ; d'Alcéos, V, 19, 25 ; de Pisis-
90.. trate, VI, 54.
564 TABLE ALPHABÉTIQUE
ARCTURUS, lever de cette constella- ARSACES, lieutenant de Tissapherne,
tion, II, 78. VIII, 108.
ARGILOS, ville de Thrace , colonie ARTABAZE, satrape, I, 129, 132, VIII, 5.
d'Andros, IV, 103, V, 6, 18 ; un Ar- ARTAPHERNE, Perse , IV, 50, VIII, 5.
gilien serviteur de Pausanias, I , 132. ARTAS, roi d'Iapygie, VII , 33.
ARGINON, en Ionie, VIII, 34. ARTAXERXES, roi de Perse ; son avéne-
ARGINUSES , îles voisines de Lesbos, ment, I, 137 ; sa mort, IV, 50 ; cité
VIII, 101. outre cela, I, 104, 109, VIII, 5,
ARGOS, ville du Péloponése , ennemie ARTÉMISIEN, mois à Lacédémone, V,
de Lacédémone , 1, 102 ; gouvernée 19.
démocratiquement, V, 44 ; ses ma- ARTEMISION, promontoire de l'Eubée,
gistrats, V, 47, 59 ; son ancienne III, 54.
domination, V, 69 ; Themistocle exilé ARTYNES, magistrats d'Argos, V, 47.
s'y réfugie, 1, 135 ; temple de Junon à ASIE, II, 97 ; mineure, I, 16.
Argos, II, 2, IV, 133. Les Argiens ASINÉ, ville de Messénie, IV, 13, 54,
forment une ligue contre Lacédé- VI, 93.
mone, V, 27, 28 ; s'allient avec ASOPIOS, Athénien , père de Phormion,
Athènes, V, 47; sont en présence I, 64 ; fils de Phormion, III, 7.
des Lacédémoniens et de leurs alliés, ASÓPOLAOS, Platéen, III, 52.
V, 58 ; sont defaits à Mantinée par ASOPOS, fleuve de Béotie, II, 5 .
les Lacédémoniens, V, 70 ; font avec ASPENDOS, ville de Pamphylie, VIII,
ces derniers un traité de paix et 81 , 87 , 88 , 99, 108.
d'alliance , V, 76 ; le gouvernement ASSJNAROS, fleuve de Sicile, VII, 84.
démocratique d'Argos est renversé ASSOCIATIONS à Athènes, VIII, 54, 81 .
par les Lacédémoniens, V, 81 ; les ASSYRIENS ( caractères), IV, 50.
Argiens le rétablissent, s'allient avec ASTACOS, ville d'Acarnanie, II, 30,
Athènes, et construisent leurs longs 102.
murs, V, 82 ; renouvellent la guerre ASTYMACHOS, Platéen, III, 52.
avec Lacédémone, V, 83 , VI, 7, 105 ; ASTYOCHOS, navarque Lacédémonien,
Argiens auxiliaires des Athéniens en VIII, 20 ; envoyé à Chios, 23; ses
Sicile, VI, 29, VII, 44, 57 ; battus par opérations en Ionie, 24 ; refuse de
les Milésiens , VIII, 25 ; Argos Am- secourir Chios, 38 ; les Lacédémo-
philochicon, II, 68, III, 102, 105. niens lui donnent des conseillers,
ARIANTHIDES, Athénien, IV, 91. 39; continue la guerre maritime,
ARIPHRON, Athénien, IV, 66. 40 ; mutinerie de ses soldats, 78,
ARISTAGORAS de Milet, IV, 102. 83, 84 ; son retour à Sparte, 85.
ARISTARCHOS , Athénien. VIII, 90, 92 ; ATALANTE, île voisine de la Locride
livre Enoé aux Béotiens, VIII, 98. opontienne, II, 32, III, 89, V, 18.
ARISTEUS, Corinthien, fils de Pelli- ATHENAGORAS, Syracusain, VI, 35, 41.
chos , I, 29 ; fils d'Adimantos , I, 60, VIII, 6.
61 , 63 , II, 67 ; Lacédémonien, IV, ATHÉNÉOS , Lacédémonien , IV, 119 ,
132 . 122 .
ARISTIDE , fils de Lysimachos, I, 91 , ATHÈNES, ancien asile, I, 2 ; centre de
96, V, 18 ; fils d'Archippos, IV, 50, l'État sous Thésée, II, 15 ; embellie
75. par les Pisistratides, VI, 54 ; rétablie
ARISTOCLES, Lacédémonien, V, 16, 71 , après la retraite des Perses, I, 89;
72. fortifiée par Thémistocle, I, 90 ; ses
ARISTOCLIDES , Athénien, II, 70. longs murs, I, 93, 107 ; étendue de
ARISTOCRATES , Athénien, V, 19, 24 , son enceinte, II, 13 ; reçoit les habi-
VIII, 9, 89. tants des campagnes, II, 14 ; origine
ARISTOGITON, I, 20, VI, 54. de l'empire des Athéniens, I, 96, 99
ARISTON, pilote syracusain, VII, 39. VI, 82 ; tributs payés par leurs al-
ARMÉS pesamment , voy. HOPLITES ; à lies, I, 96, II, 13, V, 18 ; caractère
la légère, voy. PELTASTES. des Athéniens, I, 70, 102, II, 40, VI,
ARNE, ville de Chalcidique, IV, 103. 87, VII, 14 , 48 ; leur goût pour la vie
ARNÉ, ville de Thessalie, I, 12. champêtre, II, 14 ; leur amour pour
ARNISSA, ville de Macédoine , IV, 128. les procès, I, 77; les premiers des
ARRHIBÉOS, roi des Lyncestes, IV, 79, Grecs qui aient déposé le fer pour un
83;
124. sa guerre contre Perdiccas, IV, genre de vie plus civilisé, I, 6 ; leur
constitution, II, 37, VI, 89 ; leur ha-
ARRIANA, ville de la Chersonèse, VIII, bileté dans la tactique obsidionale,
104. I, 102 ; leurs progrès dans la naviga
DES NOMS ET DES CHOSES . 565
tion, I, 93, 121 , 143, II, 88, 89, IV, BISALTIE, district de Macédoine, II,
14, VII, 34. 99, IV, 109.
ATHOS, situation de cette montagne et BITHYNIENS de Thrace, IV, 75.
villes qui s'y trouvent, IV, 109, V BOLBÉ, lac de Mygdonie , I, 58 , IV, 103,
3, 35, 82. BOLISSOS, village de Chios. VIII, 24.
ATINTANES , peuplade d'Epire, II, 80. BOMIENS, peuplade étolienne, III, 96.
ATRAMYTTION, ville d'Eolide, V, 1, BORÉE, III, 23, VI, 104.
VIII, 108. BORIADES , Eurytane , III, 100.
ATRÉE , fils de Pélops , I , 9. BOTTIE OU BOTTIÉE, district de Ma-
AULON , ville de Chalcidique, IV, 103. cédoine, II, 99 , 100 ; Bottique , partie
AUTEL, des Euménides à Athènes, I, de la Chalcidique, 1 , 65, II , 101 ; ses
126 ; de Jupiter à Olympie, V, 50 ; habitants sont appelés Bottiéens , I,
d'Apollon Archégétès à Naxos, VI, 3 ; 57, II, 79.
d'Apollon Pythien à Athènes, VI , 54 ; BOUCOLION, ville d'Arcadie , IV, 134.
des douze dieux, VI, 54 ; autel ser- BOUDORON , fort à Salamine , II, 94. III,
vant de refuge, IV, 98, VIII, 84. 51.
AUTOCLES, Athénien , IV, 53, 119. BOUPHRAS, endroit près de Pylos, IV,
AXIOS, fleuve de Macédoine, II, 90 : 118.
BRASIDAS , Spartiate, secourt Méthone .
II, 25 ; donné pour conseil à Cné-
B mos, II, 85 ; à Alcidas, III. 69, 76,
79 ; tente un coup de main sur le
BACCHUS , Son temple aux Marais, II, Pirée, II, 93 ; sa vaillance à Pylos,
15 ; son théâtre à Athènes , VIII, 93, IV, 11 , 12 ; secourt Mégare , IV, 70 ;
conduit une armée en Thrace à tra
94; à Munychie, VIII, 93 ; à Corcyre , vers la Thessalie , IV, 78 ; son éloge ,
III, 81 ; ses fêtes, voy. DIONYSIES. II, 25, IV, 108, V, 7 ; son expédition
BARBARES, Homère n'oppose jamais ce dans le Lyncos , IV, 83 ; il s'empare
nom à celui de Grecs, 1, 3 ; les Bar- d'Acanthe , IV, 84 ; et de plusieurs
bares vont toujours armés et ont autres villes du littoral de la
plusieurs coutumes conformes à cel-
les de l'ancienne Grèce , I, 6 ; leur Thrace, notamment d'Amphipolis ,
tactique , IV, 126 ; parlant deux lan- IV, 102. 120 ; couronné comme libé
gues, IV, 109 ; le Barbare, le roi de rateur de la Grèce, IV, 121 ; il fait
Perse, comme ayant porté ses armes une seconde expédition dans le
contre la Grèce, I, 14, 18, 69, 73, 75, Lyncos, IV, 124 ; s'approche de Poti-
90, 96, 97, 118, 132, 144 , III , 56, 62, dée, IV, 135 ; ses manœuvres devant
VI, 83. Amphipolis, V, 6 ; sa victoire et sa
BATAILLONS, des Lacédémoniens, IV, mort, V, 10; honneurs rendus à sa
mémoire, V, 11 .
8, V, 67, 68 ; des Corinthiens, IV, BRAURO, femme de Pittacos, IV. 107.
43; des Argiens . V, 72. BRICINNIES, fort des Léontins, V, 4.
BATTOS, général corinthien, IV, 43. BRILESSOS, montagne d'Attique, II, 23.
BÉLIERS, Voy. MACHINES .
BELLONE , Son temple près de Mégare , BROMEROS, père d'Arrhibée, IV, 83.
BROMIScos, ville de Chalcidique, IV,
IV, 67. 103 .
BÉON, ville de la Tétrapole dorienne, BRULOT, VII, 53.
I, 107.
BÉOTARQUES , magistrats supérieurs BYZANCE, prise par les Grecs sur les
de la Confédération béotienne , II, 2, Mèdes. I, 94, 128 ; se révolte contre
V, 37 ; leur nombre, IV, 91 ; de les Athéniens, I, 115 ; rentre dans le
Thèbes, II, 2, VII , 30. devoir, I, 117 ; passe aux Péloponé-
BÉOTIE, anciennement nommée Cad- siens, VIII, 107.
méide, I, 12 ; sa fertilité, 1, 2 ; sa
population , I, 12; III. 61 ; ses limites,
ÎII, 95. IV. 76, 99, VII, 19 ; ses qua- C
tre Conseils, V, 38 ; sa cavalerie, II,
9, IV. 72; les Béotiens parents des CACYPARIS , fleuve de Sicile , VII, 80.
Lesbiens, III, 2, VIII, 5, 10 ; leurs
vaisseaux dans la guerre de Troie, I, CADMÉIDE , ancien nom de la Béotie ,
I, 12.
10 ; alliés des Lacédémoniens , II, 9 ; CADUCÉE , insigne des hérauts , 1 , 53.
de Syracuse, VII, 58. CALEX, fleuve de Bithynie, IV, 75.
BERRHÉE, ville de Macédoine , I, 61 . CALLIADES, Athénien, I, 61 .
THUCYDIDE .
32
$566 TABLE ALPHABÉTIQUE
LLÉNIE , île de la mer Ionienne ,
CALLIAS , père de Callicratès , I, 29 ; de CEPHA I, 27 , II, 80 ; ses villes, II, 30 ; alliéé
Calliadès , I, 61, 63; d'Hipponicos , III, d'Athènes , II, 9, 30, III, 94, VII, 31,
91 ; fils d'Hypéréchidès , VI, 55. 57; attaquée par les Corinthiens ,
CALLICRATES , Corinthien , 1 , 29. II, 33.
CALLIENS , peuplade étolienne , III, 96. CÉRAM IQUE , faubourg d'Athènes , VI ,
CALLIGITOS , Mégarien , VIII, 6, 8, 39. é II, 34..
CALLIMACHOS , père de Phanomachos , 57 ; indiqu
NE
II, 70; de Léarchos , II, 67. CERCI , montagne de Thrace, II, 98.
CALLIRRHOE , fontaine d'Athènes , II, 15 . CERDYLION , ville de Thrace , V, 6, 8 ,
CALYDON , ville d'Etolie , III, 102. 10.
CAMARINE , ville de Sicile ; sa fondation , CÉRYCINE ES OU HÉRAUTS , VIII, 53.
CESTR
VI, 5 , neutre entre Athènes et Sy- CHALCÉ , ile , district d'Épire , I, 46.
racuse, 75; les deux partis cherch . ent voisine de la Carie , VIII ,
à l'attirer , 76 ; s'allie avec Syracuse, CHALC41, 44, 55 , 60.
ÉDOINE , ville du Pont, IV, 75.
VII, 33, 58. CHALCIDÉENS DE THRACE, se révoltent
CAMBYSE, roi des Perses, I, 13. contre les Athéniens, I, 57, 58 ; com-
CAMIROS , place de l'ile de Rhode, VIII, battent à Potidée, I, 62; leur pays
44. est ravagé, 1, 65 ; vainquent les Athé-
CANASTREON , en Chalcidique, IV, 110. niens, II, 79 ; Sitalcès dévaste la
CAPATON , Locrien , III , 103. Chalci dique, II, 101 ; ils appellent
CARCINOS , Athénien , II, 23. Brasidas , IV, 79 , 81 ; s'allient avec
CARDAMYLA , village de Chios, VIII, 24. Argos , V , 31 ; renouvellent leur al-
CARIE , province de l'Asie Mineure, I, liance avec Lacédémone, V, 80 ; n'ont
116 , VIII , 5 ; la Cariemaritime alliée avec les Athéniens que des trêves de
des Athéniens , II, 9 ; pirates cariens , dix jours, VI, 7, 10; leurs cavaliers,
II, 69; les Cariens , anciens habitants II , 79, V, 10 ; leurs peltastes , IVrs
des îles, I, 4 , 8 ; voisins des Doriens, 123 , V, 6, 10; leurs ambassadeu
II, 9 ; un Carien parlant deux lan- accompagnent Perdiccas, IV, 83 .
gues , VIII, 85. IDÉUS , navarque lacédémonien ,
CARNÉEN , mois à Lacédémone , V, 54; CHALC VIII , 6 , 8 , 11 , 12 , 17 ; traite avec
fêtes carnéennes , V, 75, 76. Tissap herne, 18, 36, 43; sa mort, 24.
CARRIÈRES DE SYRACUSE , VII , 86, 87. CHALCIS, ville d'Eubé e, VI, 4, VII, 29,
CARTERIES, port d'Ionie , VIII, 101 . VIII, 95 ; son ancienne guerre avec
CARTHAGE , CARTHAGINOIS , I, 13, VI , Érétrie , I, 15 ; asservie par les Athé-
2, 15, 34, 90. niens, VI , 76 , VII , 57 ; ses colonies
CARYE, place de Laconie , V, 55. en Sicile , III, 86 , VI, 3 , 4, 5; les
CARYSTOS , ville d'Eubée, I, 98 , IV, 42 , Chalcidéens parents des Ioniens, IV,
VII, 57 , VIII , 69. 61 ; dialecte chalcidéen , VI, 5 ; villé
CASMENES , ville de Sicile ; VI, 5. d'Etolie, colonie de Corinthe, I, 108,
CATANE, ville de Sicile , sa fondation ,
VI, 3; sa situation, III, 116; sa puis- CHALÉ II, 83.
ENS de locrienne , III, 101 .
sance, VII, 14 ; les Catanéens parents · CHAONIENS, peupla , nation barbare du nord
des Léontins, VI, 20 ; alliés des de l'Épire , II , 68 , 80 , 81 ; défaits à
Athéniens , VI, 64 , 98, VII , 57. Stratos , II, 81.
CAULON, ville d'Italie, VII, 25. DRON, endroit près d'Argos , V,
CAUNOS , ville de Carie , I , 116 , VIII , CHARA 60.
39, 41, 42. 57, 88 , 108. ADES, Athénien, III, 86 , 90.
CEADE , précipice à Lacédémone , I , CHARÉ CHARICLES , Athénien, VII, 20, 26.
134. CHARM INOS , Athénien, VIII, 30, 41 , 42,
CÉCALOS , Mégarien , IV, 119. 73 .
CÉCINOS , fleuve d'Italie , III, 103. CHARYBDE , détroit de Sicile, IV, 24.
CÉCROPIA , Voy. CROPIES . CHÉNICE , mesure de capacité , IV, 16,
CÉCROPS , II, 15. VII, 87.
CÉCRYPHALÉE , îlot près d'Égine, I, 105. CHÉRA , îles d'Iapygie , VII, 33.
CÉLEUSTES , sur les vaisseaux , II, 84 , CHEREDES AS , Athénien , VIII , 74.
VII, RÉES,
70. he CHÉRO NÉE , ville de Béotie, I, 113, IV,
CENCH port de Corint , IV, 42 ,
76, 89.
44, VIII, 10, 20, 23.
CENÉON, promontoire d'Eubée , III, 93. CHERS ONÈSE DE THRACE , I , 11 , VIII ,
99, 102, 104 ; de Corinthie , IV, 42.
CENTORIPES , ville de Sicile , VI , 94 , CHIMERION en Thesprotide , I, 30, 46.
VII, 32. CHIONIS , Lacédémonien , V, 19, 24.
CEOs, une des Cyclades, VII, 57.
DES NOMS ET DES CHOSES . 567
CHIOS, île d'Ionie , alliée autonome CLÉONYMOS, Lacédémonien, IV, 132.
d'Athènes, VI, 85 : sa richesse, VIII, CLEOPOMPOS, Athénien , II, 26, 58 ..
45 ; sa modération , VIII , 24 ; grand CLÉRUQUES, colons athéniens, III, 50.
nombre de ses esclaves , VIII, 40 ; CLINIAS, Athénien, II, 26, 58.
sa défection, VIII, 14 ; assiégée par CLOCHETTE DES SENTINELLES , IV, 135 .
les Athéniens, VIII, 24; citée comme CNÉMOS , navarque lacédémonien , II ,
séjour d'Homère, III, 104. 66, 80, 81 , 82, 84, 85, 93.
CHORÉGIE, VI, 16. CNIDE , ville de Doride ; sa défection ,
CHROMON, Messénien, III, 98. VIII, 35, 41 , 52, 100 ; le promontoire
CHRYSIPPOS, fils de Pélops, I, 9. Triopion dans son territoire , 35 ;
CHRYSIS, prêtresse de Junon à Argos, II, l'ile de Lipara colonie des Cnidiens,
2; occasionne l'incendie du temple , III, 88.
IV, 133 ; Chrysis, Corinthien, II, 33 . CNIDIS, Lacédémonien, V, 51 .
CIGALES D'OR , portées anciennement COLONE, dème d'Attique , VIII , 67;
par les Atheniens, I, 6. Colones en Troade , I , 131.
CILICIENS , vaincus par les Athéniens , COLONIES ancien usage pour leur
I, 112. fondation , I , 24 , 27 , III , 92 ; leurs
CIMON, général athénien, prend Eïon , rapports avec leurs métropoles ,
I, 98 ; défait les Perses près de l'Eu- 25 , 34, 38 , III , 34, V, 11 , VI , 4 , 5.
rymédon , 100 ; va au secours des COLOPHON , ville d'Ionie, III, 34 ; port
Lacédémoniens, 102 , 108 ; sa mort , des Colophoniens près de Torone ,
112. V , 2.
CITÉ , ancien nom de l'acropole d'A- COMBUSTION SPONTANÉE , II, 77.
thènes, II, 15. CONON, général athénien, VII, 31.
CITHERON, montagne de Béotie, II, 75, CONSEIL DES 500 à Athènes , élu au
III, 24. scrutin des fèves , VIII , 66 ; son in-
CITION, ville de Cypre, I, 112. stallation , 70; expulsé par les oli-
CLAROS, une des Cyclades, III, 33. garques, 69 ; rétabli , 97. Les quatre
CLAZOMÈNES, ville d'Ionie , se révolte. conseils de Béotie , V, 38 : conseils
contre les Athéniens, VIII, 14 ; sou- d'Argos et de Mantinée , V , 47 ; de
misé par eux, 23 ; pillée par Astyo- Corcyre, III, 70 ; de Chios, VIII, 14.
chos , 31. COPE, ville de Béotie, IV, 93.
CLEANDRIDAS , Lacédémonien , VI , 93 , CORCYRE , colonie de Corinthe , I , 25 ,
104, VII, 2. VII, 57 ; sa situation , I. 36 , 44 ; sa
CLEARCHOS, Lacédémonien, VIII, 8, 39, marine, I, 25, 33, 36 ; Thémistocle y
80. cherche un asile , I, 136; guerre de
CLEARIDAS, Lacédémonien , gouverneur Corcyre et de Corinthe au sujet
d'Amphipolis , IV, 132 , V , 6, 8, 10 , d'Epidamne, I, 24; son alliance avec
11 , 21, 34. Athènes , I , 44 , II , 9 , VII , 57 ; ses
CLÉENÉTOS, Athénien , III, 36. dissensions, III, 69, IV, 46 ; péan des
CLEIPPIDES, Athénien , III , 3. Corcyréens, VII , 44.
CLÉOBOULOS , éphore à Lacédémone , CORÉBOS, Plateen, III, 22.
V, 36, 37, 38. CORINTHE, ville du Péloponèse, sa si-
CLÉOMBROTOS, Spartiate, père de Pau- tuation, son commerce, I, 13, II, 92,
sanias , I, 94, II, 71 ; de Nicomédès , 93, 94, III, 85, 100, IV, 70, 74, VIII,
I, 107. 3, 7, 8 ; son isthme, I, 13, II, 10, 13,
CLÉOMÉDES, Lacédémonien , V, 84. III, 89, V , 75 , VIII, 7 , 11 ; les Co-
CLEOMENES, roi des Lacédémoniens, I, rinthiens reçoivent Épidamne, I, 25;
126 ; tuteur de Pausanias, III, 26 . défaits sur mer par les Corcyréens ,
CLÉON , orateur athénien , III , 36 , IV, I , 29 ; vainqueurs dans un second
21; son caractère, IV, 21, 22, 27, V, combat, I, 48 ; instigateurs de la
7, 16; sa harangue contre les Myti- guerre du Péloponèse , I , 67 , 119 ;
léniens, III, 37 ; s'oppose aux Lacé- alliés de Lacédémone , II , 9 ; se
démoniens , IV, 21 , 22 ; adversaire brouillent avec elle , V , 27 ; auxi-
de Nicias, IV, 27 ; son expédition à liaires de Syracuse, VI, 93, VII, 58 ;.
Pylos, IV , 28 ; fait massacrer les repoussent une descente des Áthé-
Scionéens , IV , 122 ; son expédition niens en Corinthie , IV, 42 ; livrent
en Thrace contre Brasidas , V, 2 ; sa un combat naval aux Athéniens, VII,
mort à la bataille d'Amphipolis , V, 34; drachme corinthienne , I , 27;
10. vaisseaux corinthiens , II, 9, VI, 104;
territoire de Corinthe, IV, 42, VIII ,
CLÉONÆ, ville d'Argolide , VI , 67 , 72 , 10.
74, 96 ; ville de l'Acté, IV, 109.
568 TABLE ALPHABÉTIQUE
CORONÉE, ville de Béotie, I, 113, III , CYRRHOS, ville de Macédoine, II, 100.
62, 67, IV, 92, 93. CYRUS l'Ancien, I, 13 , 16 ; le Jeune,
CORONTA, ville d'Acarnanie , II, 102. II, 65.
CORYCOS , place en Ionie, VIII, 14, 33, CYTHERE, ile, IV, 53 ; VII, 46 ; appar-
34. tenant à la Laconie , VII , 26 ; ses
CORYPHASION, nom donné à Pylos par villes, IV, 54; les Athéniens l'occu-
les Lacédémoniens, IV, 3, 118 , V, 18. pent . IV, 54 ; la gardent, IV, 118 ;
COS LA MÉROPIDE, VIII, 41. dirigent de là des courses en Laco-
CÔTE ( ville de la ) ou Acté, IV, 109. nie, V, 14 ; à rendre aux Lacédémo-
COTYLE , mesure de liquides, IV, 6; niens, V, 18 ; les Cythéréens servent
VII, 87. les Athéniens en Sicile, VII, 57 .
COTYRTA, place de Laconie, IV, 56. CYTINION, ville de la Tétrapole dorienne
COURONNE décernée à Brasidas , IV, I, 107 ; III, 95. 102.
121. CYZIQUE , ville de la Propontide, VIII,
CRANIENS de Céphallénie , II , 30 , 33 ; 107 ; Timagoras de Cyzique , VIII,
V, 35, 56. 6, 39.
CRANONIENS de Thessalie, II, 22.
CRATÉMÉNÈS , fondateur de Zanclé ,
VI, 4 . D
CRATESICLES, Spartiate, IV, 11 .
CRÉNE , place d'Amphilochie, III, 105 , DAÏMACHOS, Platéen, III, 30.
106. DAÏTHOS, Lacédémonien, V, 19, 24.
CRESTONIE, contrée de Macédoine, II, DAMAGÉTOS, Lacédémonien, V, 19, 24.
90, 100, IV, 109. DAMAGON, Lacédémonien, III, 92.
CRÉSUS, roi de Lydie, I, 16. DAMOTIMOS . Sicyonien, IV, 119.
CRÈTE, île, II, 9, 85, 92, III, 69 , VIII , DANAENS, nom général des Grecs dans
39; les Crétois fondent Géla, VI, 4, Homère, I, 3.
VII, 57; archers crétois, VI, 25, 43 ; DAPHNONTE, ville d'Ionie, VIII, 23, 31.
mercenaires, VII, 57 ; mer de Crète, DARDANOS, ville de l'Hellespont, VIII,
IV, 53, V, 110. 104.
CRISA (golfe de), I, 107; II, 69, 83; son DARIQUE ( statère ) , monnaie d'or ,
entrée, II, 86. VIII, 104.
CROCYLION, en Étolie, III, 96. DARIUS, fils d'Hystaspe, I, 14 ; soumet
CROMMYON , village de Corinthie , IV, les iles grecques , I , 10 ; combat les
42, 44, 45. Athéniens à Marathon, VI, 59; Aris-
CROPIES (dans les anciennes éditions, tagoras le fuit, IV. 102 ; fils d'Ar-
Cécropie), en Attique, II , 19. taxerxès, VIII, 5 ; traite avec les La-
CROTONE, ville d'Italie, VII, 35. cédémoniens, VIII , 18, 37 , 58 ; ses
CRUSIS , district de Thrace, II, 79. fils. VIII, 37.
CUIRASSES des Lacédémoniens, IV, 34. DASCON, fondateur de Camarine, VI, 5;
CUME, Voy. CYMÉ. nom d'une baie près de Syracuse,
CYCLADES, îles, I, 4, 9 ; colonisées par VI, 66.
les Athéniens , I, 12 ; alliées d'Athè- DASCYLITIDE, Satrapie, I, 129.
nes, II, 9. DAULIS, ville de Phocide, II, 29; donne
CYCLOPES, VI, 2. son nom au rossignol, II, 29.
CYDONIE, ville de Crète, II, 65. DAUPHINS , machines navales . VII, 41.
CYLLENE, port des Eléens, I, 30; II, 84, DÉCÉLIE, en Attique ; la situation, VII,
86, III, 69, 70, VI, 88. 19 ; fortifiée par les Péloponésiens,
CYLON, sa conspiration, I, 120 , 121.. VI , 91 , 93 , VII , 18 , 19 , 20; pertes
CYME, ville d'Eolide, III, 31 ; VIII, 22, qui en résultent pour les Athéniens,
31 , 100; son territoire . VIII , 101 ; VII, 27, 28 ; Agis y commande en sou-
ville d'Italie, VI, 4; île d'Ionie, VIII, verain, VIII, 3, 5 ; guerre de Décélie,
41, 42, 43. VII, 27; VIII, 69.
CYNES, Acarnanien. II, 102. DÉESSES vénérables ou Euménides ,
CYNOSSÉMA, promontoire de la Cher- I, 126.
sonèse, VIII, 104, 105. DÉLION, temple d'Apollon en Béotie,
CYNURIE , pays situé entre l'Argolide IV, 76, 89 ; fortifié par les Athéniens,
et la Laconie, IV, 56 ; sujet de guerre 90; pris par les Béotiens, 100 ; ba-
entre les deux peuples, V, 41. taille de Délion, IV, 93 ; ses résul-
CYPRE, ile, I, 94, 104, 128. tats, V, 14, 15.
CYPSELA, en Arcadie, V, 23. DELOS, une des Cyclades ; sa purifica-
CYRENE, ville de Libye, I, 110; VII, 50. tion, I, 8, III, 104, V, 1 ; trésor des
DES NOMS ET DES CHOSES. 569
alliés, I, 96 ; éprouve un tremble- d'Ionie, 23, 24, 54, 55 ; partisan de la
ment de terre, II, 8 ; les Péloponé- démocratie, 97.
siens y abordent, III, 29, VIII, 80 ; DIOMILOS, Andrien, VI, 96, 97.
ses fêtes, III, 104 ; les Déliens ex- DION, ville de Macédoine, IV, 78 ; du
pulsés, V, 1 , VIII , 108 ; rétablis, V, mont Athos, IV, 109.
32. DIONYSIES, fêtes de Bacchus ; urbai-
DELPHES, Son temple accessible à tous nes, V, 20, 23 ; anciennes, II, 15.
les Grecs, IV, 118, V, 18 ; sujet de DIOSCURES, Castor et Pollux ; leur tem-
guerre, I, 112 ; dépouilles qu'on y ple à Corcyre, III, 75, près de To-
envoie, I, 132 , IV, 134 ; les Lacédé- rone, IV, 110.
moniens songent à y faire un em- DIOTIMOS, Athénien, I, 45, VIII, 15.
prunt. I , 121 ; sa prêtresse gagnée DIPHILOS, Athénien, VII, 34.
par Plistoanax , V, 16 ; son oracle DOBÉROS, ville de Péonie, II, 98, 99,
I, 25, 28, 103 , 118 , 126, 134 , II, 17, 100.
54, 102, III, 96 , IV, 118, V, 16. 32. DOLOPES, peuple de Thessalie , I, 98,
DELPHINION , place de Chios, VIII, II. 102, V, 51.
38, 40. DORCIS , Lacédémonien, I , 95.
DÉMARATOS, Athénien, VI, 105. DORIENS, Conquérants du Péloponèse,
DEMARCHOS, Syracusain, VIII, 85. I, 12 ; fondent Lacédémone, I, 18,
DÉMÉAS, Athénien, V, 116. V, 16; ennemis constants des Ioniens,
DÉMIURGES, magistrats de Mantinée et IV, 61, VI, 80, 82 , VII, 57 ; dialecté
d'Élis, V, 47. dorien, III, 112, VI, 5; institutions
DÉMODOCOS, Athénien, IV, 75. doriennes, VI, 4; villes doriennes de
DÉMOSTHENE, général athénien ; con- Sicile, III, 86, IV, 64 ; Doriens de la
duit une flotte autour du Pélopo- Tétrapole , I , 107 , III, 92 ; Doride
nèse, III, 91 ; sa malheureuse expé- d'Asie Mineure, II, 9.
dition en Etolie, III, 94 ; élu général DORIEUS, athlète rhodien, III, 8 ; géné-
par les Acarnaniens , il défait les ral des Thuriens, VIII, 35, 84.
Ambraciotes , III , 107 ; rentre à DOROS , Thessalien, IV, 78.
Athènes, III , 114 ; son expédition de DRABESCOS, place en Edonie, I, 99, IV,
Pylos et de Sphactérie, IV, 2 ; à Ni- 102 .
sea, IV, 66 ; en Béotie, IV, 76; en DRACHME attique, VIII, 29 ; corinthien-
Sicile, VII, 16 ; attaque les Épipoles, ne, I, 27 ; éginétique, V, 47.
43; opine pour la levée du siége, 47; DROENS, peuplade thrace, II. 101 .
commande l'arrière-garde pendant DRYMUSSA, ilot près de Clazomènes,
la retraite, 80 ; capitule, 82 ; est mis VIII, 31.
à mort, 86. DRYOPES, VII, 57.
DÉMOTÉLÉS, Locrien, IV, 25. DRYOSCEPHALES , col du Cithéron, III,
DERCYLLIDAS, navarque lacédémonien, 24.
VIII, 61. DYMÉ, ville d'Achaïe, II, 84.
DERDAS, Macédonien, I, 57, 59.
DERSÉENS , peuple de Thrace, II, 101.
DEUCALION, I, 3. E
DIACRITOS, Lacédémonien, II, 12.
DIAGORAS, Thurien, VIII, 35. ECCRITOS, Spartiate, VII, 19.
DIANE d'Ephèse, III, 104, VIII, 109. ÉCHÉCRATIDAS, Thessalien, I, 111.
DICTIDIENS, voy. DIENS. ÉCHÉTIMIDAS, Lacédémonien, IV, 119.
DIDYME, une des îles d'Éole, III , 88 . ÉCHINADES, îles à l'embouchure de l'A-
DIEMPOROS, Thébain, II, 2, chéloüs, II, 102.
DIENS, peuplade thrace, II, 96, V, 35 (où ÉCLIPSES de soleil , I, 23, II, 28, IV, 52;
le texte reçu porte Dictidiens), V, de lune, VII, 50.
82, VII, 27. ÉCOLE à Mycalessos, VII, 29.
DIITRÉPHES, général athénien, III, 75, ÉDONIENS, peuple de Thrace, I. 100, II,
IV, 53, 119 ; emmène les Thraces. 99, IV, 102, 107, 108, 109, V, 6.
mercenaires, VII, 29 ; envoyé en ÉÉTIONEA, partie du Pirée , VIII, 90,
Thrace, VIII, 64. 91, 92.
DINIADAS, Lacédémonien , VIII, 22. ÉGALÉE, montagne d'Attique, II, 19.
DINIAS, Athénien, III, 3.' ÉGÉE (mer), I, 98, IV, 109,
DIODOTOS, Athénien, III, 41 ; son dis- ÉGESTE, ville de Sicile, VI, 2, 6 ; ap-
cours en faveur des Mytiléniens, 42. pelle les Athéniens , 6. 8 ; artifice
DIOMEDON, général athénien. VIII, 10, pour les tromper, 44 ; les Égestains
20; dirige les opérations sur les côtes barbares, VI, 11 .
570 TABLE ALPHABÉTIQUE
ÉGINE, sa marine, I, 14 ; sa guerre con- EOLIDE, partie de l'Etolie, III, 102.
tre Athènes, I, 105; sa soumission, ÉOLIENS, anciens habitants de Corin-
I, 108 ; les Éginètes secourent Lace- the, IV, 42 ; villes éoliennes, IV, 52;
démone lors de la révolte des Hilotes, Eoliens d'Asie et de Thrace sujets des
IV, 56; excitent les Péloponésiens à Athéniens, VII, 57.
la guerre contre Athènes, I , 67 ; ex- EON, ville de Chalcidique, IV, 7.
pulsés de leur ile par les Athéniens, EORDIE, district de Macédoine, II, 99.
qui la peuplent d'une colonie, II, 27 ; ÉPHÈSE, ville d'Ionie, III, 32, 33 , IV,
s'établissent à Thyréa, II, 27, IV, 56; 50, VIII, 19 ; son temple et ses fêtes
y sont massacrés par les Athéniens, de Diane, III, 104, VIII. 109.
IV, 57 ; colons d'Égine auxiliaires des ÉPHORES, magistrats de Lacédémone ,
Athéniens en Sicile, VII, 57 ; secon- I, 131 , 133, 134 ; leur pouvoir, I, 87,
dent l'établissement de l'oligarchie à 131 , V, 36, VIII, 6, 12 ; éponymes :
Athènes, VIII, 69 ; pillés par la flotte Enésias, II, 2 ; Plistolas, V, 19.
lacédémonienne , VIII, 92. ÉPHYRA, ville de Thesprotide, I, 46.
ÉGITION, ville d'Etolie, III, 97. ÉPICLES, Athénien, I , 45, II, 23 ; Pélo-
ÉGYPTE, se révolte contre le roi de ponésien, VIII , 107.
Perse, I, 104 ; les Athéniens secou- ÉPICOUROS, Athénien, III, 18.
rent les insurgés, 109 ; retombe sous EPICYDIDAS, Lacédémonien, V, 12.
la domination des Perses, 110; nou- ÉPIDAMNE, ville d'Illyrie, I, 24, III, 70.
velle flotte athénienne, 112 ; blé ap- ÉPIDAURE, ville indépendante, située à
porté d'Égypte, VIII, 35 ; satellites l'est de l'Argolide, II, 56, IV, 45; son
égyptiens de Pausanias, I, 130. territoire confinait à celui de Corin-
EÏON, ville de Thrace, I, 98, IV, 50, the, VIII, 10 ; en guerre avec Argos,
102, 104. 106, 107, V, 6. V, 53 ; temple de Junon à Epidaure,
ÉLAPHÉBOLION, mois attique, IV, 118, fortifié par les Athéniens. V, 75.
V, 19. ÉPIDÉMIURGES , commissaires corin-
ÉLÉATIDE, district de Thesprotide, I, thiens à Potidée, I, 56.
46. EPIPOLES, colline à Syracuse, VI, 75,
ÉLÉONTE, ville de la Chersonèse, VIII, 101 , 102, 103 ; sa description, VI, 96,
102, 103, 107, attaquée par les Athéniens, VII, 43.
ÉLÉOS, VOY. LÉROS. ÉPISTATE, président de l'assemblée du
ÉLEUSINION, temple à Athènes, II, 17. peuple à Athènes , IV, 118.
ÉLEUSIS, ville d'Attique. I, 114, II, 9, ÉPITADAS, Lacédémonien, IV. 8, 31, 38.
20, 21 , IV, 68 ; les Éleusiniens en ÉPITÉLIDAS, Lacédémonien, IV, 132.
guerre avec Erechthee, II, 15. ÉPOTIDES , Soutiens des éperons de ga-
ÉLIDE, province du Péloponèse, II, 66; lères, VII, 34, 36, 62.
creuse, II, 25 ; le chantier des Éléens, ERE, ville d'Ionie, VIII, 19, 20.
I, 30 ; leur territoire, V, 34 ; ils en- ERASINIDÈS, Corinthien, VII, 7.
trent dans la ligue d'Argos, V, 31 ; ÉRASISTRATOS, Athénien, V, 4.
sebrouillent avec les Lacédémoniens ERATOCLIDES, Corinthien, I, 24.
au sujet de Lépréon, V, 49 ; prési- ERECHTHÉE, roi d'Athènes, II, 15.
dent aux jeux olympiques, V, 50. ÉRÉSOS. ville de Lesbos, III , 18, 35,
ELIMIOTES, peuple de Macédoine, II, 90. VIII, 23, 100, 101 , 103.
ELLOMÈNE, endroit du territoire de ÉRÉTRIE . ville d'Eubée ; sa situation,
Leucade, III, 94. VIII, 60 ; son ancienne guerre avec
ÉLYMES, VI, 2. Chalcis, I, 15 ; métropole de Mendė,
EMBATOS, endroit du pays d'Erythres, IV, 123 ; tributaire d'Athènes, VII,
III, 29. 57 ; sa défection, VIII, 95.
ENDIOS, éphore à Sparte, VIII, 6, 12 ; ÉRINÉOS, ville de la Tétrapole dorienne,
député à Athènes, V, 44. I, 107; ville d'Achaïe, VII, 34; fleuve
ÉNIENS, peuple de Thessalie, V , 51. de Sicile, VII, 80.
ENIPÉE, fleuve de Thessalie, IV. 78. ERYTHRES, ville d'Ionie, III, 33, VIII,
ENNÉACROUNOS , fontaine d'Athènes , 5.6, 14, 24. 28, 32, 33; son territoire,
II, 15. III, 29 ; ville de Béotie, III, 24.
ÉNOMOTIES, Subdivision de l'armée la- ÉRYX, montagne de Sicile, VI, 2 ; son
cédémonienne . V, 68. temple de Vénus. VI. 46.
ENOS, ville de Thrace, IV, 24; tribu- ERYXIDAÏDAS, Lacédémonien, IV, 119.
taire d'Athènes , VII, 57. ÉTÉONICOS, Lacédémonien, VIII, 23.
ENTIMOS, fondateur de Géla, VI, 4. ÉTHÉENS, de Laconie, I, 101.
EOLADAS, Béotien , IV, 91. ÉTHIOPIE, II, 48.
ÉOLE (iles d'), III, 98. ETNA, montagne de Sicile, III, 116.
DES NOMS ET DES CHOSES. 571
ÉTOLIE, sa description, III, 94 ; expé- FLOTES, leur usage dans l'armée lacé--
dition désastreuse des Athéniens en démonienne, V, 70.
Etolie, III, 97. FONTAINES (Les), ou CRENÆ, endroit
EUBÉE, sa situation, II, 55. III, 93, IV, de l'Amphilochie, III , 105 , 106.
76 ; conquise par les Athéniens, I, FORÊT D'ÉTOLIE, III, 98 ; de Sphacté-
23 ; se soulève, est soumise par Pé- rie, IV, 30 ; forêts qui s'enflamment
riclès, I , 114 ; asservie aux Athé- spontanément, II, 77.
niens, IV, 92, VI, 76 , 84 ; gardée par Fossé du roi de Perse, IV, 109.
eux, II, 26, 32. III, 17, VIII, 1 , 74 ; FRONDEURS, IV, 100 , VI, 22, 25 ; rho-
grenier d'Athènes, VII, 28, VIII, 96 ; diens, VI, 43 ; distincts des lanceurs
Eubéens auxiliaires des Athéniens en de pierres, VI, 69, VII, 31 , 42.
Sicile, VII, 57 ; défection de l'Eubée. FURIES , voy. DÉESSES VÉNÉRABLES .
VIII, 5 , 95.
EUBOULOS , Lacédémonien, VIII, 23.
EUCLES, général athénien, IV, 104 ; Sy G
racusain. VI, 103.
EUCLIDES, fondateur d'Himéra, VI, 5. GALEPSOS , ville de Chalcidique, IV, 107,
EUCRATES, Athenien, III, 51 . V, 6.
EUCTÉMON, Athénien, VIII, 30. GAULITES, Carien. VIII, 85.
EUMACHOS, Argien, II, 33. GELA, ville de Sicile ; sa fondation, VI,
EUMOLPE, roi d'Eleusis , II, 15. 4, VII, 50; colonie de Rhode, VII, 57,
EUMOLPIDAS, Plateen, III, 20. 58 ; alliée de Syracuse, VII, 33, 57,
EUMOLPIDES, college de prêtres à Athè- 58.
nes, VIII, 53. GÉLÉATIS, Voy. HYBLA.
EURIPE, canal de l'Eutée, VII, 29, 30. GELON, tyran de Syracuse, VI, 4.
EURIPIDES, général athénien, II. 70, 79. GÉRANIE, montagne de Mégaride, I,
EUROPOS, ville de Macédoine , II, 100. 105, 107, 108 , IV, 70.
EURYALE Sommité des Épipoles de Sy- GERASTIEN, mois à Lacédémone, IV,
racuse, VI , 97, VII, 2. 43. 119.
EURYBATOS, Corinthien, I, 47. GÉRESTOS, port de l'Eubée, III, 3.
EURYLOCHOS . Spartiate, III, 100 ; sou- GETÆ, fort dans le pays des Sicules ,
met les Locriens, 101 , 102 ; secourt VII, 2.
les Ambraciotes, 106 ; sa mort, 109. GETES, peuple voisin des Scythes, II,
EURYMACHOS, Thébain. II, 2, 5 . 96.
EURYMEDON, fleuve de Pamphylie,1,100 . GIGONOS , ville de Macédoine, I, 61 .
EURYMEDON, général athénien ; envoyé GLAUCE, endroit du pays de Milet,
à Corcyre, III, 80 ; en Béotie, 91 ; en VIII, 79.
Sicile, 115, IV, 2 ; intervient à Cor-GLAUCON, Athénien , I , 51 .
cyre, IV, 46 ; collègue de Nicias, VII,GOAXIS , Édonien, IV, 107.
16, 31, 33, 42 ; opine pour la levée GOLFE d'Ambracie , I, 55 , III, 107 ; de
du siége, VII, 49 ; est tué, 52. Crisa, I , 107 , II, 92 ; d'Iasos , VIII ,
EURYSTHÉE, roi de Mycènes, I, 9. 26 ; Ionien, I, 24, VI, 13, VII, 57 ;
EURYTANES, peuplade étolienne , III, 94. Maliaque, III, 96 , IV, 100, VIII , 3 ;
EURYTIMOS, Corinthien, I, 29. Piérique, II, 99 ; Térinéen, VI, 104 ;
EUSTROPHOS , Lacédémonien, V, 40. Tyrrhénien, VI, 62.
EUTHYCLES, Corinthien, I, 46, III, 114. GONGYLOS, Éretrien , I, 128 ; général
EUTHYDÉMOS, général athénien, V, 19, corinthien, VII , 2.
24, VII, 16, 69. GORTYNE, ville de Crète, II, 85.
EUXIN (PONT), II , 96, 97. GORTYNIE, ville de Macédoine, II, 100.
ÉVALAS, Spartiate, VIII, 22 . GRAÏQUE, Voy. PÉRAÏQUE.
ÉVARCHOS, tyran d'Astacos, II, 30, 33; GRÉÉENS , peuple de Thrace, II, 96.
fondateur de Catane, VI, 3. GYLIPPE, Lacédémonien, envoyé pour
ÉVÉNOS, fleuve d'Etolie, II , 83 .. commander les Syracusains,,VI, 93;
ÉVESPERITES, peuple de Libye, VII, 50. sa traversée, 104 ; son arrivée à Sy-
ÉVÉTION, général athénien, VII, 9. racuse, VII, 1 ; prend le fort de Lab-
EXÉCESTOS , Syracusain, VI, 73 . dalon, 3 ; battu par les Athéniens
dans une première rencontre, il prend
sa revanche, 5. 6 ; rassemble des
F troupes en Sicile, 7 , 12, 21 ; prend
les forts de Plemmyrion, 22 ; amène
FÈVES, Conseil élu au scrutin des fèves, de nouveaux renforts, 46, 50 ; combat
VIII, 66, 69. les Athéniens sur le rivage, 53;
572 TABLE ALPHABÉTIQUE
exhorte les Syracusains, 65 ; défait HERCULE, V, 16 ; son temple près de
les Athéniens, 69 ; fait Nicias prison- Mantinée, V, 64, 66 ; sa fête à Syra-
nier, 85 ; ramène ses vaisseaux de cuse, VII, 73.
Sicile, VIII, 12. HÉRÉA, ville d'Argolide , V, 67.
GYMNOPÉDIES, fête à Lacédémone, V, HERMÉONDAS, Thebain, III, 5 .
82. HERMÈS, bustes de Mercure, VI, 27;
GYRTONIENS , peuple de Thessalie, II, enquête sur leur mutilation , 53,
22. HERMIONE, ville située au sud de l'Ar-
golide, I, 27, 128, II , 56, VIII , 3, 33.
HERMOCRATES, Syracusain, fils d'Her-
H mon, IV, 58; son caractère, VI, 72 ;
exhorte les Siciliens à la paix et à la
HAGNON, général athénien; envoyé à concorde, IV, 59 ; annonce l'approche
Samos, I, 117 : à Potidée, II, 58 ; au- des Athéniens, VI, 33 ; élu général,
près de Sitalcès, II, 95 ; jure le traité, 73 ; député à Camarine, 76 ; exhorte
V, 19, 24; fonde Amphipolis, IV, 102; les Syracusains à équiper une flotte,
ses monuments détruits , V, 11 ; père VII, 22 ; son stratagème, pour faire
de Théraménès, VIII, 68, 89. différer le départ des Athéniens , 73;
HALEX, fleuve d'Italie, III, 99. conduit une escadre syracusaine en
HALIARTIENS, peuple de Béotie, IV, 93. Ionie, VIII, 26 ; résiste à Tissapherne,
HALICARNASSE, ville de Doride, VIII, 29, 45, 85 ; exilé, 85 ..
42, 108. HERMON, Syracusain, IV, 58, VI, 32 ;
HALIENS, pays maritime au sudde l'Ar- Athénien, VIII, 92.
golide, I, 105, II, 56, IV, 45. HÉSIODE, sa mort, III, 96.
HALYS, fleuve d'Asie Mineure, I, 16. HESSIENS, peuplade locrienne, III, 101.
HAMAXITOS . ville d'Eolide, VIII, 101 . HESTIEA, ville d'Eubée, dépeuplée par
HAMIPPES, fantassins mêlés à la cava- les Athéniens, I, 114 ; habitée par
lerie, V, 57 . des colons d'Athènes, VII, 57.
HARMATONTE, ville d'Eolide, VIII, 101 . ПESTIODOROS, Athénien, II, 70.
HARMODIOS, I, 20, VI, 54. HIERA, une des îles d'Eole, III, 88.
HARMOSTE, Commissaire lacédémonien, HIERAMÉNÈS, Perse, VIII, 58.
VIII, 5. HIÉRÉENS, branche des Maliens, III, 92.
HARPAGION, ville de la Propontide , HIEROPHON, Athénien, III, 105.
VIII, 107, HILOTES, leur nombre, VIII, 40 ; crain-
HEBRE, fleuve de Thrace , II, 96. tes qu'ils inspirent aux Lacédémo-
HÉGÉSANDROS, Lacédémonien , IV, 132; niens, IV, 80 ; sollicités à la révolte
Thespien, VII, 19. par Pausanias, I, 132 ; se retirent sur
HÉGÉSIPPIDAS, Lacédémonien, V, 52. le mont Ithome, I, 101 , III, 54, IV,
HÉLÈNE, I, 9. 56 ; assiégés pendant dix ans et chas-
HÉLIXOS, Mégarien , VIII . 80. sés du Péloponèse, I, 102 ; établis à
HELLANICOS, historien, I, 97. Naupacte par les Athéniens, I, 103 ;
HELLAS,
tendaitnom qui anciennement ne s'é- employés dans l'armée lacédémo-
pas toute la Grèce, I, 3. nienne, IV, 6. V, 57, 64, VII, 19; la
HELLEN, fils de Deucalion , 1, 3. liberté promise à ceux d'entre eux
HELLENES, quels furent les premiers qui introduiront des vivres à Sphac-
peuples ainsi nommés, I, 3. térie, IV, 26 ; on affranchit ceux qui
HELLÉNOTAMES, trésoriers des alliés, ont servi sous Brasidas, V, 34 ; plu-
I, 96. sieurs désertent à Pylos, IV, 41 ; les
HELLESPONT, I , 89, 128 , II, 9, 96, VIII, Athéniens les en retirent, V, 35.
6, 8, 22, 23, 39, 80, 86, 96, 99, 100, HIMÉRA, ville de Sicile, VI , 5, 62, VII,
103, 106, 108, 109. 1. 58 ; son territoire, III, 115.
HELORE (route d' ), au sud de Syracu- HIMÉRÉON, place voisine d'Amphipolis,
se, VI, 66, 70, VII, 80. VII, 9.
HELOS, ville de Laconie, IV, 54. HIPPAGRÉTAS, Lacédémonien, IV, 38.
HEMUS, montagne de Thrace, II, 96. HIPPARQUE, fils de Pisistrate, I, 20, VI,
HERACLÉE PONTIQUE, IV, 75 ; Trachi- 54.
• nienne, III, 92, 93, IV, 78, V, 12, 51 , HIPPIAS, père de Pisistrate, VI, 54;
52. fils aîné de Pisistrate , I, 20, VI, 54;
HERACLIDES, tuent Eurysthée, I, 9; comment il exerça la tyrannie, VI,
occupent le Péloponèse, I, 12 ; Pha- 59 ; Arcadien, III, 34.
lios Héraclide , I, 24 ; Archias, VI, 3. HIPPOCLES, Athénien, VIII, 13.
HERACLIDES, Syracusáin, v 73, 103. HIPPOCLOS, tyrandeLampsaque, VI, 59.
DES NOMS ET DES CHOSES. 573

HIPPOCRATES, général athénien , s'em- INESSA, ville des Sicules, III , 103 , VI,
pare de Niséa, IV, 66 ; trame un com- 94.
plot contre la Béotie, 76 ; fortifie Dé- IOLCIOs, Athénien, V, 19, 24.
lion , 90 ; exhorte ses soldats, 95 ; est ION, de Chios, VIII, 38.
tué, 101 ; týran de Géla, VI, 5 ; Lacé- IONIENS, parents des Chalcidéens, IV,
démonien, VIII, 35, 99, 107. 61 ; les Ioniens d'Asie originaires
HIPPOLOCHIDAS, Thessalien, IV, 78. d'Athènes , I, 2, 12, 95, II, 15 , III,
86, IV, 61, VI, 82 ; avaient le même
HIPPONICOS, Athénien, III , 91.
HIPPONOÏDAS , Lacédémonien, V, 71 , 72. costume que les Athéniens, I, 6 ; les
HOMÈRE, bien postérieur à la guerre mèmes fêtes, II, 15 ; leurs assem-
de Troie, 1, 3 ; exagère les faits, 9, 10; blées à Délos, III, 104 ; leur marine
Athènes peut se passer de ses louan- du temps de Cyrus, I, 13 ; soumis
ges, II, 41 ; citation de son hymne à par ce roi, I, 16 ; se révoltent et se
Apollon, III, 104. placent sous la protection des Athé-
HOPLITES, soldats pesamment armés . niens, I, 89, 95 , VI, 76 ; l'Ionie n'a
leur nombre à Athènes, II, 13 ; leur pas de place fortifiée, III, 33 ; les
solde, III, 17. Lacédémoniens font révolter une
HYBLA-GÉLÉATIS, ville de Sicile, VI, grande partie de ce pays, VIII, 6, 11,
62, 94. 39 ; golfe Ionien , mer Adriatique,
HYBLON, roi des Sicules, VI, 4. I, 24, II, 97, VI, 30, 34, 104, VIII,
HYCCARA, ville des Sicaniens , VI, 62 ; 33.
esclaves provenant du pillage de cette IPNÉENS, peuplade locrienne, III, 101.
ville, VII, 13. ISARCHIDAS, Corinthien, I, 29.
HYÉENS, peuplade étolienne, III, i01 . ISARCHOS, Corinthien, I, 29.
HYLIAS, fleuve d'Italie, VII, 35. ISCHAGORAS, Lacédémonien, IV, 132,
HYLLAÏQUE (Port), à Corcyre, III, 72, 6 V, 10, 21 , 24.
81. ISOCRATES, Corinthien, II , 83.
HYPERBOLOS, Athénien, VIII , 73. ISOLOCHOS , Athenien, III, 115.
HYSIES, ville de Béotie, III, 24; d'Ar- ISTER, fleuve de Scythie, II, 96, 97.
golide, V, 83. ISTHME de la Pallène, I, 56, 62, 64 ; de
HYSTASPÉ, Perse, I, 115. Leucade, III, 81 , IV, 8 ; de Corinthe,
voy. CORINTHE ; jeux isthmiques ,
VIII , 9, 10.
ISTHMIONICOS, Athénien, V, 19, 24.
I ISTONE, montagne de Corcyre, III, 85,
IV, 46.
IALYSOS, ville de l'ile de Rhode, VIII, ITALIE, origine de ce nom, VI, 2 ; colo-
44. nisée par les Péloponésiens, I, 12 ;
IAPYGIE (Pointe d') , en Italie, VI , 30 , alliée de Lacédémone, II, 7 ; abonde
44, VII, 33 ; mercenaires iapygiens , en bois de construction, VI, 90, VII,
VII, 33, 57. 25 ; fournit des vivres aux Athéniens,
IASOS, ville de Carie, VIII , 28, 29, 30, VI, 103, VII, 14 ; Grecs d'Italie (Ita-
54; golfe d'Iasos , VIII, 26. liotes), VI, 90, VII, 87, 91.
IBÉRIE, VI, 2 ; Ibériens mercenaires, ITALOS, roi des Sicules, VI, 2 .
VI, 90. ITAMANÈS, Perse, III , 34.
ICAROS , île, III, 29, 33, VIII, 99 . ITHOмE, montagne de Messénie, I, 101 ,
ICHTHYS, promontoire d'Elide, II , 25. 102 ; autel de Jupiter Ithomatas ,
IDA, montagne de Phrygie, IV, 52, VIII, 103.
108. ITONIENS, peuple d'Italie, V, 5.
IDACOS, place de la Chersonèse, VIII , ITYS, II, 20.
104.
IDOMÈNE, ville de Macédoine, II, 100 ;
colline d'Amphilochie, III, 112. J
ILION, I, 12, VI, 2.
ILLYRIENS, attaquent Epidamne, I, 26;
soudoyés par Perdiccas, IV, 124, JUNON, Son ;temple à Corcyre, 24,
125 ; Taulantiens, nation illyrienne, III, 79, 81 à Platée, III, 68 ; à Ar-
I , 24. gos, IV, 128 ; à Epidaure, V, 75.
IMBROS, ile de la mer Egée, VIII, 102, JUPITER, Ithomata s, I, 103 ; Milichios,
108 ; Imbriens alliés d'Athènes, III, 128 ; Libérateur, II, 71; Néméen, III,
5, IV, 28, V, 8, VII, 57. 96 ; Olympien, III, 14, V, 31 , 50 ;
INAROS, roi des Libyens, I, 104, 110. Olympéion d'Athènes, II, 15 ; de Sy-
574 TABLE ALPHABÉTIQUE
racuse, VI, 64, 65, 66, 70, 75 , VII, 4, LEMNOS, île de la mer Egée ; soumise
37. par les Athéniens, I, 115 ; colonisée
par eux, VII, 57 ; alliée d'Athènes,
II, 47, IV, 28. 109 , VIII, 102.
L LEOCORION, monument à Athènes, I,
20, VI. 57.
LABDALON, fort situé au sommet des LEOCRATES, Athénien, I, 105.
Épipoles, VI, 97, VII, 3. LÉOGORAS. Athenien, I. 51.
LAC COPAÏS, IV, 93 ; Bolbé, I, 58, IV, LÉON, Lacédémonien, III, 92, V, 44,
103 ; du Strymon, V, 7. VIII, 28, 61 ; Athénien, V, 19, 24,
LACÉDÉMONE, son aspect, I, 9; coloni- VIII, 23, 24, 54, 55 ; nom d'un en-
sée par les Doriens, I, 18 , V, 16 ; sa droit près de Syracuse, VI, 97.
distance de Pylos, IV, 3; multitude LEONIDAS Spartiate, I, 132.
de ses esclaves, VIII, 40: renversée LÉONTIADES, Thébain, II, 2.
par un tremblement de terre, I, 101 , LÉONTINS . fondation de leur ville, VI,
IV, 56 ; les Lacédémoniens possèdent 3; leur origine chalcideenne, 4, 20,
les deux tiers du Péloponèse, I, 10 ; 76, 79 ; leur parenté avec Athènes,
n'ont jamais eu de tyrans, et ont 50, 76 ; leur guerre avec Syracuse,
chassé ceux des autres villes. 18 ; III, 86 ; leurs dissensions, V, 4 ; leur
n'exigent point de tribut de leurs ville détruite par les Syracusains ,
alliés, 19 ; leur caractère, 69, 70, 84, VI, 6; les Athéniens veulent la réta-
118, VIII, 96 ; simplicité de leur cos- blir, VI, 8, 19, 47, 48, 50.
tume, 1, 6; leur loi de xénélasie, I, LÉOTYCHIDAS, roi des Lacédémoniens,
144, II, 39 ; division de leur armée, I, 89.
V, 68 ; ils ne poursuivent pas loin LÉPRÉON, ville de Triphylie, V, 31, 34,
les ennemis vaincus, 73 ; leurs géné- 50, 62.
raux portaient des bâtons, VIII, 84. LEROS, île voisine de Milet, VIII, 26,
LACÉDÉMONIOs, fils de Cimón, I, 45. 27 (dans le premier de ces passages,
LACHES, général athénien ; envoyé en l'ancien texte porte Éléos).
Sicile, III, 86, 90, 103, 115, 118, V, LESBOS, alliée autonome d'Athènes, I,
19, 24, 43; à Argos, V, 61 ; sa mort, 19, III , 10 ; sa défection, III, 2; sa
V, 74. soumissi on, 27; sa punition, 50 ; se-
LACON, Platéen, III, 52. conde défection, VIII, 5, 22.
LADE, île voisine dé Milet, VIII, 17, 24. LESPODIAS , Athénien, VI, 105 , VIII, 86.
LAMACHOS. général athénien ; perd sa LESTRYGONS, VI, 2 .
flotte dans le Pont, IV, 75 ; jure le LEUCADE, colonie de Corinthe, I, 30 ;
traité, V, 19, 24 ; envoyé en Sicile, sa situation, II, 30. III, 94; alliée
VI, 8; son avis dans le conseil dé des Péloponésiens, II, 84. III , 7, 80,
guerre, 49 ; sa mort, 101 , 103. VI. 104, VII, 2 ; leur fournit des
LAMIS, fondateur de Trotilos, VI, 4. vaisseaux, I, 27, 46, II, 9, III, 69,
LAMPON, Athénien, V, 19, 24. VII, 7, 58, VIII. 106 ; repousse une
LAMPSAQUE, ville de la Propontide ; descente des Athéniens, III, 7; rava-
fertile en vin, I, 138 ; se révolte con- gée par eux, III, 94. Isthme de Leu-
tre Athènes, VIII, 62; antidès son cade, III, 81 , IV, 8.
tyran, VI, 59. LEUCIMME, pointe de Corcyre, I, 30, 47,
LAODICION, endroit en Arcadie, IV, 134 . III. 79.
LAOPHON, Mégarien, VIII, 6. LEUCONION, endroit de Chios, VIII, 24.
LARISSE, ville de Thessalie, II, 22, IV, LEUCTRA, endroit de Laconie, V, 54.
78; de Phrygie. VIII, 101. LIBATIONS avant le départ d'une flotte,
LAS, ville de Laconie, VIII, 91, 92. VI, 32.
LATMOS, ancienne leçon pour Patmos, LIBYE, I, 110 ; atteinte de la peste , II,
III, 83. 48 ; il en vient des vaisseaux mar-
LATOMIES, carrières de Syracuse, VII , chands, IV, 53; encore citée. VI , 2,
86, 87. VII, 50, 58 ; Libyens voisins de l'E-
LAURION, ses mines, II, 55, VI, 91 . gypte, I, 104: vaincus par des Pélo-
LEAGROS, Athénien , I, 51. ponésiens, VII, 50.
LEARCHOS, Athenien, II, 67. LICHAS, Lacédémonien ; battu de ver-
LÉBÉDOS, ville d'Ionie, VIII, 19 . ges à Olympie, V, 50 ; député à Ar-
LECTOS, ville d'Eolide, VIII, 101 . gos, V, 22, 76 ; donné pour conseil à
LÉCYTHOS, ville de Chalcidique, IV, Astyochos, VIII, 39 , désapprouve le
113, 115, 116. traité fait avec Tissapherne, 43, 52 ;
LÉÉENS, peuple de Thrace, II, 96, 97. sa mort, 84.
DES NOMS ET DES CHOSES. 575
LIGURIENS OU Ligyens, VI, 2. MAGNÈTES, peuple de Thessalie, II, 101.
LIMNÉA, Village d'Acarnanie, II, 80, III, MAIN de fer, IV, 25 , VII, 62.
106. MALÉE, promontoire de Laconie, IV,
LIN, tuniques de lin, I, 6 ; graine, IV, 54, VIII, 30 ; de Lesbos, III, 4; fête
26. d'Apollon Maléen, III, 3.
LINDIES, citadelle de Géla, VI, 4. MALIENS , peuple de Thessalie, III, 92,
LINDOS, ville de l'île de Rhode, VIII, 44. V, 51 ; golfe Maliaque, III, 96, IV,
LIPARA, une des îles d'Éole, III, 88. 100, VIII, 3.
LITS d'airain et de fer, III, 68 ; sangles MANTINÉE, ville d'Arcadie, V, 55 ; en-
des lits, IV, 48. tre dans la ligue d'Argos, 29; en
LOCRIENS Ozoles , I , 5 ; les Athéniens guerre avec Lacédémone , 33 ; ba-
leur prennent Naupacte, I, 103 ; alliés taille livrée dans son territoire, 66 ;
des Athéniens , III, 95; servent comme fait la paix avec les Lacédémoniens,
troupes légères, 97 ; Eurylochos tra- 81 ; fournit des mercenaires aux
verse leur pays, 102 ; sans désigna- Athéniens , VII, 57.
tion, IV, 96, V, 32, 64 ; Opontiens, I , MARAIS , d'Égypte, I, 110 ; près de Sy-
108, II, 32, III, 83 ; sans désignation, racuse, VI, 10 ; Lysimélia, VII, 53 ;
I, 113, II, 9, 26, VIII, 43 ; Epizėphy- quartier d'Athènes, II, 15.
riens, VII, 1 ; sans désignation, IV, MARATHON, I, 18, 73, II, 34, VI, 59.
1, 24, V, 5, VI , 44, VII, 4, 25 , VIII , MARATHOUSSA, ilot voisin de Clazo-
91. mènes, VIII, 31.
LOGOGRAPHES , anciens historiens, I, 21 . MARCHÉ aux denrées, VII, 39, 40, VIII,
LORYMES, endroit sur la côte de Carie, 95.
VIII, 43. MAREA, ville d'Égypte, I, 104.
LYCÉE, montagne d'Arcadie, V, 16, 54. MARSEILLE , fondée par les Phocéens ,
LYCIE, province d'Asie Mineure, II, 69, I, 13.
VIII, 41. MÉANDRE (Plaine du), III, 19, VIII, 58.
LYCOMÉDÈS, Athénien, père d'Arches- MÉCYBERNA, ville de Chalcidique, V,
tratos, I, 57 ; père de Cléomédès, V, 18, 39.
84. MÉDÉON, place d'Acarnanie, III, 106.
LYCOPHRON, Lacédémonien, II , 85 ; Co- MÈDES, leurs guerres contre les Grecs,
rinthien, ÍV, 43. • I, 18 , III, 57, 58, VI, 4 ; leur retraite ,
LYCOS, Athénien, VIII , 75. I , 89 ; anciens maîtres de Byzance,
LYNCOS, pays des Lyncestes-Macédo- I, 128 ; de Sestos, VIII , 62 ; les Mè-
niens, IV, 83, 124, 129, 132 ; Lyncestes, des distingués des Perses, I , 104; le
II, 90, IV, 83, 124. Mède pour le roi de Perse, I, 69, 74,
LYSICLES, Athénien, I, 91 , III, 19. III, 54, VI, 17, 77, 82 ; guerres mé-
LYSIMACHOS, père d'Aristide, I, 91 ; diques, I, 41 , 69. 142, II, 16 , 21 , VI,
d'Arianthidès, IV, 98 ; d'Héraclidès, 82 ; costume médique, 1 , 130.
VI, 73. MÉDIENS, peuple de Thrace, II, 98.
LYSIMÉLIA, marais près de Syracuse, MEDISME, crime des Grecs partisans
VII, 53. des Mèdes, I, 95, III, 62.
LYSISTRATOS, Olynthien, IV, 100. MEGABATES, Perse, I, 129.
MÉGABAZE, Perse, I, 109.
MÉGABYZE, Perse, I, 109.
M MEGACLES, Sicyonien, IV, 119.
MÉGARE, alliée d'Athènes, I, 103, 105 ;
MACARIOS, Spartiate, III, 100. sa défection , 114 ; décret des Athé-
MACÉDOINE, sa description, II, 99 ; ses niens contre cette ville. I, 67 , 139,
rois originaires d'Argos. II, 99, V, 80; 144 ; son territoire annuellement ra-
sa population barbare, IV, 124, 126; vagé, II, 31 ; vaisseaux de guerre
cavaliers macédoniens, I, 62, II, 100; dans son port, 93 ; blocus de ses
exilés macédoniens, VI, 7 ; expédi- côtes, III, 51 ; complot pour la livrer
tion de Sitalcès en Macédoine, II, 95. aux Athéniens, IV, 66 ; ses longs
MACHAON, Corinthien, II , 93. murs, I, 103 ; pris par les Athéniens,
IV, 67 ; repris et démolis, 109 ; sa
MACHINES de guerre, spécialement bé- révolution aristocratique. IV, 74;
liers, II, 18 , 58, 76, 77, III , 51 , IV, 13, exilés mégariens auxiliaires des Athé-
V, 7, VI, 102, VII, 43, VIII, 100; ma- niens en Sicile. VI, 43 ; Mégara-Hy-
chine incendiaire employée à Délion, bléa, ville de Sicile, VI, 4, 49, 94 ;
IV, 100. Mégara, endroit voisin de Syracuse,
MAGNÉSIE, ville de Lydie, I, 138, VIII, VI, 49, 75, 97.
50.
576 TABLE ALPHABÉTIQUE
MÉLANCRIDAS, Lacédémonien, VIII, 6. Trézénie, IV, 45, V, 18 ; de Macé-
MELANOPUS, Athénien, III, 86. doine, IV, 129, VI, 7.
MÉLANTHOS, Lacédémonien, VIII, 5. METHYDRION, endroit d'Arcadie, V, 58.
MÉLÉENS, Voisins des Locriens d'Ita- MÉTHYMNE, ville de Lesbos ; ennemie
lie, V, 5. de Mytilène, III. 2, 18 ; alliée auto-
MÉLÉSANDROS, Athénien , II, 69. nome des Athéniens. VI, 85, VII.
MELESIAS, Athénien, VIII, 86. 57; sa défection, VIII, 22; vaisseaux
MÉLÉSIPPOS , Lacédémonien, I, 139, II, de Methymne, 100.
12. MÉTROPOLIS , ville d'Acarnanie, III, 107.
MÉLITIE, ville de Phthiotide, IV, 78. MICIADES, Corcyréen, I, 47..
MÉLOS, une des Cyclades, II , 9 ; colo- MIDIOS, fleuve de l'Hellespont, VIII,
nie des Lacédémoniens , V, 84; atta- 106.
quée par les Athéniens, III, 91 , 94 ; MILET, ville d'Ionie ; en guerre avec
assiégée et prise, V, 84, 115 ; confé- Samos , I, 115 ; se révolte contre
rence de Mélos, V, 85. Athènes, VIII. 17 ; repousse les Athé-
MEMPHIS, ville d'Egypte, I, 104, 109.. niens, 25 ; sert de station à la flotte
MÉNALE, ville d'Arcadie, V, .67 ; son péloponésienne, 26, 27, 50, 78 , 85 ;
territoire, 64 ; ses habitants, 77. les Milésiens détruisent le fort de
MÉNANDROS, 'général athénien, VII, 16, Tissapherne, 84, 109.
43, 69. MILICHIOS, Voy. JUPITER.
MÉNAS, Lacédémonien, V, 19, 21 , 24. MILTIADE, père de Cimon, I, 100.
MENDÉ, ville de Chalcidique, IV, 121 . MIMAS, montagne de Lydie, VIII , 34 .
123, 124. MINDAROS , navarque lacédémonien ,
MENDÉSIENNE, une des bouches du Nil , VIII, 85 ; conduit sa flotte dans l'Hel-
I, 110. lespont, 99 ; perd une bataille na-
MÉNÉCOLOS, fondateur de Camarine, vale, 104.
VI, 5 . MINE d'or près de Thasos, I, 100, IV,
MÉNECRATES . Mégarien , IV, 119. 105 ; d'argent à Laurion, II, 55, VI ,
MÉNÉDÉOS, Spartiate, III, 100, 109. 91 ; mine creusée, II , 76.
MÉNIPPOS, Athénien , VIII, 13. MINERVE, sa statue, II, 13 ; son tem-
MÉNON de Pharsale , II, 22. ple à Athènes, V, 23; à Sparte, I.
MERCURE. Son temple près de Myca- 128, 134 ; à Lécythos, IV, 116 ; près
lessos, VII, 29 ; ses bustes à Athènes, d'Amphipolis, V, 10 ; appelée sim-
VI, 27. plement la déesse, I, 126.
MÉROPIDE, Voy. Cos. MINOA, île voisine de Mégare, III , 51,
MESSAPIENS. peuplade locrienne , III, IV, 67, 118.
101 ; d'Italie, VII, 33. MINYENS d'Orchomène, IV, 76.
MESSENIE , province du Péloponèse, MOLOBROS, Lacédémonien. IV, 8.
IV, 3, 41 ; Messéniens insurgés à MOLOSSES, peuple d'Épire, I, 136, II, 1
Ithome, I, 101, 102 ; expulsés du Pé- 80.
loponèse et établis à Naupacte, 103 ; MOLYCRION, ville d'Etolie, II, 84, III,
auxiliaires des Athéniens , II , 9, 25, 102 ; Rhion de Molycrie, II, 86.
90, 102, III, 75 , 81 , 95, 97, 107 ; par- MORGANTINE, ville de Sicile, IV, 65.
lent dorien, III, 112, IV, 3; secon- MOTYA, ville de Sicile, VI, 2.
dent Démosthène à Pylos, IV, 9, 32, MUNYCHIE , dème d'Attique , II, 13,
36; infestent la Laconie, 41 ; retirés VIII, 92, 93.
de Pylos, V, 35 ; ils y sont replacés MUR-BLANC, quartier de Memphis, I,
par les Athéniens , 56 ; accompagnent 104.
les Athéniens en Sicile, VI, 31 , VII, MYCALE, promontoire d'Ionie, I, 89,
57. after. VIII, 79.
MESSINE OU MESSENE, ville de Sicile ; MYCALESSos , ville de Béotie , VII , 29,
sa fondation, VI , : sa situation, 30.
III, 88, IV, 24, 25, VI, 48 ; se sou- MYCENES, ville d'Argolide, I, 9, 10.
met aux Athéniens, III, 90 ; s'en dé- MYCONOS, une des Cyclades, III, 29.
tache, IV, 1 ; sa guerre avec Naxos, MYGDONIE, contrée de Macédoine, I,
IV, 25; les Athéniens essayent en 58, II, 99, 100.
vain de s'en rendre maîtres , VI. 74. MYLÆ, ville de Sicile, III, 90.
MÉTAGÉNÈS, Lacédémonien , V, 19, 24. MYLÉTIDES , exilés syracusains, VI, 5.
METAPONTE, ville d'Italie, VII, 33. 57 . MYONÉENS , peuplade locrienne , III,
MÉTEQUES. étrangers domiciliés à Athè· 101.
nes, II, 13, 31 , IV, 90, VII, 63. MYONNÉSOS, ville d'Ionie, III, 32.
METHONE, ville de Laconie, IV, 41 ; de MYONTE, ville de Carie, I, 128, III, 19.
DES NOMS ET DES CHOSES. 577
MYRCINE, ville d'Edonie, I, 107 ; pel- Minoa, 51 ; à Tanagra et en Locride,
tastes myrciniens, V, 6, 10. 91 ; en Corinthie, IV, 42 ; à Cythère,
MYRONIDÈS, général athénien, I, 105, 53 ; en Chalcidique, 129 ; médiateur
108 , IV. 95. de la paix, V, 10, 43, 46 ; un dés
MYRRHINÉ, femme du tyran Hippias, chefs de l'expédition de Sicile , VI, 8;
VI, 55. déconseille la guerre, 9, 20 ; son plan
MÝRTILOS, Athénien, V, 19, 24. de campagne, 47 ; reste seul général
MYSCON, Syracusain , VIII, 85. devant Syracuse , 103 ; son rapport
MYSTÈRES, leur violation, VI, 28, 53 , aux Athéniens, VII, 8, 11 ; sa lenteur
60. le fait mépriser, 42, 49 ; s'oppose à
MYTILENE, ville de Lesbos ; ses deux la levée du siége, 48 ; se rend à Gy-
ports, III, 6 ; située en face des Ar- lippe, 85 ; est mis à mort, 86. Cré-
ginuses, VIII, 101 ; sa défection , III, tois de Gortyne, II, 85.
2; assiégée et prise par les Athéniens, NICOLAOS, Lacédémonien, II, 67.
27 ; décret contre les Mytiléniens, 36 , NICOMACHOS, Phocéen, IV, 89 .
49, 50; se révolte de nouveau , VIII, NICOMÉDÈS, Spartiate, I, 107.
5, 22 ; reprise par les Athéniens, 23. NICON, Thébain, VII, 19.
NICONIDAS, de Larisse, IV, 78.
NICOSTRATOS, général athénien, IV,
N 119; secourt le peuple de Corcyre,
III, 75 ; prend Cythère , IV, 53 ;
Mendé, 129, 130 ; porte secours aux
NAUCLIDES, Platéen, II, 2. Argiens, sa mort, V, 61.
NAUCRATES, Sicyonien, IV, 119. NIL, fleuve d'Égypte, I, 104 ; bouche
NAUPACTE, ville des Locriens-Ozoles : mendésienne , 110 .
prise par les Athéniens, I, 103, II, NISÉA, port de Megare, réuni à la ville
69, 80, 84, 90, 102, III, 7, 78, 94, 96, par de longs murs, I, 103 ; au pou-
98, 100, IV, 77 ; les Athéniens y te- voir des Athéniens, 103, 114 ; rendu
naient une station navale, III, 69, à ses anciens maîtres, 115 ; réclamé
75, 114, IV, 13, VII, 17 , 19, 31 , 34 ; par les Athéniens, IV, 21 ; retombe
son territoire, III , 102'; Messéniens en leur pouvoir , II, 31, IV, 69, 118 ;
de Naupacte, II, 90 , VII, 31 , 57. n'est pas rétrocédé, V, 17.
NAXOS, une des Cyclades, I, 98, 137 ; NISOs (Portes de) à Mégare, IV, 118 .
ville de Sicile ; sa fondation , VI, 3 ; NOMOTHÈTES , VIII, 97.
sa guerre avec Messine, IV, 25 , 26; al- NOTION, ville d'Ionie, III, 34 .
liée des Athéniens, VI, 20, 72, 98, VII, NYMPHODOROS , Abdéritain , II, 29.
20, 57.
NEAPOLIS, ville de Libye, VII , 50.
NÉMÉE, III, 96, V, 58, 59, 60 ; Jupiter 0
Néméen, III, 96,
NÉODAMODES , affranchis lacédémo- OBOLE, monnaie , V, 47, VIII, 29 ; trio-
niens, V, 34, 67, VII, 19, 58 , VIII , 5 . bole, VIII, 29 , 45.
NEPTUNE, Son temple au Ténare, I, OCYTOS, Corinthien, IV, 119.
128, 133 ; près de Niséa, IV, 118 ; ODOMANTES, peuple de Thrace, II, 101,
près de Mendė, IV, 129 ; à Colonos, V, 6.
VIII, 67 ; vaisseau consacré à Nep- ODRYSES , leur empire, II, 29, 96, 97 ;
tune comme trophée d'un combat
naval, II, 84 . expédition de leur roi Sitalcès contré
NÉRICOS , endroit de Leucade, III, 7. la Macédoine et la Chalcidique , II ,
NESTOS, fleuve de Thrace, II, 96. 95 ; vaincus par les Triballiens, IV,
101.
NEUF-BOUCHES, fontaine à Athènes, EANTHÉENS, peuplade locrienne , III,
II, 15. 101.
NEUF-VOIES, ancien nom d'Amphipo- CENÉON, ville des Locriens - Ozoles, III,
lis, I, 100, IV, 102. 96, 98, 102.
NICANOR , chef des Chaoniens, II, 80. CENIADES, ville d'Acarnanie, I, 111 , II,
NICASOS, Mėgarien, IV, 119. C
NICERATOS, Athénien, III, 51, 91 , IV, 82, 102, III, 7 , 94, 114, IV, 77.
53, 119. CENOÉ, ville de l'Attique , II, 18 , 19,
NICIADES , Athénien , IV, 118 . VIII , 98.
NICIAS , Athénien , père d'Hagnon , II, CENOPHYTES , endroit du territoire de
Tanagra en Béotie, I, 108, IV, 95.
58, IV, 102; général athénien , fils de ENUSSES , îles voisines de Chios, VIII,
Nicératos , III, 91 ; son expédition à 24.
THUCYDIDE. 33
578 TABLE ALPHABÉTIQUE
CESYMÉ, ville de Thrace, IV, 107. P
CETEENS, habitants du mont Eta, III,
92, VIII, 3. PACHES, général athénien, envoyé con-
OLOPHYXOS, ville de Thrace, IV, 109. tre Mytilène , III, 18 ; la prend, 28 ;
OLOROS, père de Thucydide, IV, 104. poursuit Alcidas, 33; soumet toute
OLPE, ville d'Acarnanie , III, 105 , 106, l'île de Lesbos, 35 ; est sur le point
107, 111 , 113. de passer les Mytiléniens au fil de
OLYMPE, montagne au nord de la Thes- l'épée, 36, 40.
salie, IV, 78. PAGE , ville de Mégaride, aux Athé-
OLYMPÉION, temple de Jupiter Olym- niens, I, 103, 107, 111 ; rendue aux
pien près de Syracuse, VI, 64, 65, Péloponésiens, 115 ; réclamée par
66, 70, 75, VII, 4, 37. Athènes, IV, 21 ; sert de refuge aux
OLYMPIE en Élide, III, 8, V, 47 ; son Mégariens exilés, IV, 66, 74.
temple de Jupiter, III, 14, V, 31, 50; PALE, ville de Céphallénie, I , 27, II, 30.
son trésor, I, 121 , 143; jeux olym- PALÉRÉENS , peuple d'Acarnanie, II, 30.
piques, V, 47, 49 , leur publication , PALLENE, presqu'ile de Chalcidique, I,
56, 64, 116, 120, 123, 129; son isthme
V, 49 ; Cylon vainqueur, I, 126 ; Do-
riéus, III, 8 ; Androsthénès , V, 49 ; IV, 120.
Lichas, V, 50 ; Alcibiade, VI, 16: an- PAMILLOS fondateur de Sélinonte ,
ciennement les athlètes portaient VI, 4.
des ceintures , I , 6 ; olympiade , PAMPHYLIE, province d'Asie Mineure ,
III, 8. I, 100. a
OLYNTHE, ville de Chalcidique ; forti- PANACTON, fort d'Attique , pris par les
fiée. I, 59 ; ennemie d'Athènes , 62 , Béotiens, V, 3 ; réclamé par les Athé-
II, 79, IV, 123 ; déclarée libre par niens, 18, 35, 36; démoli, 39, 40, 42,
le traité, V, 18 ; Olynthiens , V, 3, 46 .
39. PANATHÉNÉES, fête à Athènes, I, 20, V,
ONASIMOS, Sicyonien, IV, 119. 47, VI, 56.
ONÉTORIDES , Thébain, II, 2. PANCRACE, aux jeux olympiques, V, 49.
ONÉON, montagne de Corinthie, IV, 44. PANDION, roi d'Athènes, II, 29.
ONOMACLES , général athénien , VIII, PANEENS, peuple de Thrace, II, 101 .
25, 30. PANEROS, Thessalien, IV, 78.
OPHIONÉENS, peuplade étolienne, III, PANGÉE, montagne de Thrace, II, 99.
94. PANORMOS, ville d'Achaïe, II, 86, 92 ;
OPIQUES, peuple d'Italie, VI, 2, 4 . ville de Sicile, VI, 2 ; endroit du ter-
OPONTE, ville de la Locride orientale, ritoire de Milet, VIII, 24.
II, 32, Opontiens , voy. LOCRIENS. PANTACYAS, fleuve de Sicile, VI, 4.
ORACLE de Delphes , I, 25 , 28, 103, PARALIENS, branche des Maliens, III,
118, 123, 126, 134, II, 17 , 54, 102 , III, 92.
96, IV, 118, V, 16, 32 ; oracles chan- PARALOS, partie de l'Attique, II, 55, 56,
tés au commencement de la guerre, nom d'une galère d'élite à Athènes;
II, 8, 21. III, 33, 77, VIII , 73 , 74, 86.
ORCHOMÈNE, ville de Béotie, I, 113, III, PARASIENS, ancienne leçon, II, 22.
87 ; anciennement appelée des Mi- PARAVÉENS, peuple d'Épire, II, 80.
nyens. IV, 76 ; Orchoméniens. IV, 76, PARNASSE, montagne de Phocide, III,
93 ; ville d'Arcadie, V, 61, 62, 63; 95.
otages orchoméniens. V. 77. PARNES, montagne d'Attique, II, 23,
OREOS, ville d'Eubée, VIII, 95. IV, 96.
ORESTE, Thessalien, I, 111. PAROS, une des Cyclades, IV, 104.
ORESTHÉON en Arcadie, V, 64 ; Ores- PARRHASIENS d'Arcadie, V, 33.
thide, IV, 134. PASITÉLIDAS, Lacédémonien, IV, 132,
ORNÉES, ville d'Arcadie, VI, 7 ; Or- V, 3.
néates, V, 67, 72, 74. PATMOS, île, III, 33.
OROBIES, ville d'Eubée, III, 89. PATRE , ville d'Achaïe, II, 83, 84, V,
ORODOS, roi des Paravéens. II, 80. 52.
OROPOS, ville située sur l'Euripe ; su- PATROCLES, Lacédémonien, IV, 57.
jette d'Athènes, II, 23 ; III, 91 , IV, PAUSANIAS , Lacédémonien , fils de
91 , 96 ; prise par les Béotiens, VIII, Cléombrotos, défait les Mèdes à Pla-
60. tée, I, 94 ; tuteur de son neveu Plis-
OSKIOS, fleuve de Thrace, II, 96. tarchos, I, 132 ; ses promesses aux
OSTRACISME, I, 135 , VIII, 73. Platéens, III, 54, 58, 68 ; soumet Cy- 1
OZOLES, voy. LOCRIENS. pre et Byzance, I, 94 ; sa conduite
DES NOMS ET DES CHOSES. 579
arrogante, 95 ; sa trahison, son rap- née de la guerre, 35 ; les Athéniens
pel et sa mort, 128. Pausanias, fils lui imputent leurs souffrances et le
de Plistoanax, roi de Lacédémone, mettent à l'amende, 59 ; il répond
III, 26, V, 16. avec dignité à ces accusations, 60 ;
PEAN, hymne de guerre, I, 50, II, 91, son éloge et sa mort, 65.
IV, 43, VI, 32, VII, 44, 83. PÉRICLIDAS , Lacédémonien, IV, 119.
PÉDARITOS , navarque lacédémonien , PÉRIÉRÈS, fondateur deZanclé, IV, 104.
VIII, 28, 32, 33, 38, 40 ; sa mort, 55 . PÉRIÈQUES de Laconie, I, 101 , II, 25 ,
PÉLASGES, I, 3 ; Pélasges-Tyrséniens, IV, 8, 53, VIII, 6, 22.
IV, 109. PÉRIPOLES, jeunes soldats à Athènes,
PELASGICON, endroit d'Athènes, II, 17. IV, 67, VIII, 92.
PÉLÉ, ile voisine de Clazomènes, VIII, PERRHÈBES , peuple de Thessalie, IV,
31. 78.
PELLA, ville de Macédoine, II, 99, 100. PERSÉIDES, descendants de Persée ,
PELLENE, ville d'Achaïe, II, 9, V, 58, I, 9.
VIII, 3, 106 ; les Scioniens de la Pal- PERSES , distincts des Mèdes, I , 104;
lène se disaient originaire d'Achaïe, table servie à la manière des Perses,
IV, 120. 130 ; générosité de leurs rois, II, 97;
PELLICHOS, Corinthien, I, 29. les États du roi de Perse ravagés
PÉLOPS, Pélopides, I, 9. par la peste , II , 48 ; langue perse,
PELOPONÈSE, nom, division, habitants, I, 138, IV, 50.
colonies, I, 9, 10, 12 ; Égine lui est PESTE d'Athènes, II, 47, 58, III, 87.
adjacente, II, 27 ; les Athéniens cher- PÉTRA, ville dans le territoire de Rhé-
chent à s'assurer des pays qui entou- gion, VII, 35.
rent le Péloponèse. II, 7, VI, 85 ; il PHACIÓN, ville de Thessalie, IV, 78.
possède une nombreuse jeunesse, II, PHAGRÈS, endroit de Thrace, II, 99.
8; exemptde la peste, II, 54 : il jouit PHAÏNIS, prêtresse de Junon, IV, 133.
de la liberté, VII, 77 ; il fournit des PHALÈRE, ancien port d'Athènes ; mur
soldats mercenaires, IV, 52, 76, VIII, qui y aboutissait, I, 107, II, 13.
28. PHALIOS, fondateur d'Epidamne , I, 24.
PÉLORIS, place du territoire deMessine, PHANE, endroit à Chios, VIII, 24.
IV, 25. PHANOMACHOS, Athénien, II, 70.
PELTASTES, soldats armés à la légère ; PHANOTÉE, ville de Phocide, IV, 76, 89.
leur équipement chez les Athéniens PHARAX, Lacédémonien, IV, 38.
n'était pas régulier, IV, 94 ; un pel- PHARNABAZE, satrape perse, II, 67 ; ap-
taste myrcinien tue Cléon, V, 10. pelle les Péloponésiens dans l'Hel
PENTECONTORE, vaisseau à cinquante lespont, VIII, 6, 8, 39, 62, 80, 99,
rames, I, 14, VI, 43, 103. 109 ; ses fils, VIII , 58.
PEONIENS, peuple de Thrace, II, 96, 98 . PHARNACES, Perse, Í, 129, II, 67, V, 1,
PÉPARÉTHOS, île de la mer Egée, III, VIII, 6, 58.
89. PHAROS, en Égypte, I, 104.
PÉRAÏQUE, district près d'Oropos (d'au- PHARSALE, ville de Thessalie, I, 111 ,
tres lisent Graïque) , II, 23. IV, 78 ; Pharsaliens, II, 22.
PERDICCAS , roi de Macédoine , se PHASELIS, ville de Lycie, II, 69, VIII ,
brouille avec les Athéniens, I, 57 ; 88, 99, 108.
engage les Chalcidéens à se concen- PHEA, ville d'Élide, II, 25 , VII, 31 .
trer à Olynthe, I, 58 ; se réconcilie PHÉACIENS, anciens habitants de Cor-
avec les Athéniens, II, 29 ; sa guerre cyre, I, 25.
avec Sitalcès, II, 95 ; avec Arrhibée, PHEAX, général athénien, V, 4.
IV, 79; fait une deuxième expédition PHÉNICIE, II , 69.
dans le Lyncos, IV, 124 ; sa guerre PHÉNICIENS , peuplèrent les îles grec-
contre les Athéniens, V, 83, VI, 7. ques et exercèrent jadis la piraterie,
PERICLES, Commande les Athéniens à I, 8 ; aidèrent Darius à subjuguer les
Sicyone et en Acarnanie, I, 111 ; fait iles grecques, I, 16 ; colonisèrent la
la conquête de l'Eubée, 114 ; soumet Sicile, VI, 2 , vaincus sur mer par
Samos, 116 ; son autorité sur le peu- les Athéniens, I, 100, 112 ; assail-
ple d'Athènes, 127 ; ses talents, 139 ; lent les Athéniens en Égypte, I, 110 ;
prononceun discours avant la guerre, viennent au secours de Samos, I,
140; ses conseils et ses plans, II, 13; 116 ; une flotte phénicienne appelée
irritation des Athéniens contre lui, en Ionie, VIII, 46, 59, 78 , 81 , 87, 99,
21 ; prononce l'oraison funèbre des 108, 109.
citoyens morts dans la première. an- PHÉNICONTE, port d'Tonie, VIII, 34.
580 TABLE ALPHABÉTIQUE
PHÉRÉENS, de Thessalie, II, 22. II, 93 ; fermé de chaines et mieux
PHILEMON, Athénien , II, 67. gardé, II, 94 ; crainte des Athéniens
PHILIPPE, frère de Perdiccas, I, 57, 59, à son sujet, VIII, 1 , 96 ; les quatre-
II, 95 , 100. cents y construisent un fort, 90 ; ce
PHILIPPOS , Lacédémonien , VIII, 28 , fort est démoli, 92 ; théâtre du Pi-
87, 90. rée, 93 ; alerte des Athéniens, 94;
PHILOCHARIDAS , Lacédémonien , IV, prise du Pirée par les Péloponésiens ,
119, V, 19, 21, 24, 44. V, 26.
PHILOCRATES , général athénien , V, PIRÉON, port de la Corinthie, VIII, 10,
116. 11 , 14, 15, 20.
PHILOCTÈTE , ses vaisseaux, I, 10. PISANDROS , Athénien, VIII, 49; per-
PHLIONTE, ville du Péloponèse, IV, 133, suade aux Athéniens d'abolir la dé-
V, 57, 58 ; ses habitants Phliasiens, mocratie, VIII, 53, 54 ; s'abouche
I, 27, IV, 70, V, 58, 59 ; son terri- avec Tissapherne, 56 ; revient àAthè-
toire, Phliasie, V, 83, 115, VI, 105. nes, 64 ; établit le gouvernement oli-
PROCÉE, ville d'Ionie, VIII, 31 ; Pho- garchique, 65, 68 ; exhorte les Sa-
céens, fondateurs de Marseille , I, 13. miens à en faire autant, 73 ; est un
PHOCÉES, quartier de Léontini, V, 4. des principaux des quatre-cents, 90;
PHOCIDE , province de la Grèce conti- s'enfuit à Decélie, 98.
nentale, voisine de la Béotie, III, 95 ; PISISTRATE , tyran d'Athènes , père
soumise par les Athéniens, I, 108 ; d'Hippias, d'Hipparque et de Thessa
ies Phocéens alliés de Lacédémone, los, 20, VI, 54; purifie Délos, III,
II, 9 ; en guerre avec les Doriens dé 104; sa mort, VI, 54. Pisistrate, fils
la Tétrapole, I , 107 ; avec les Lo- d'Hippias, VI, 54. Pisistratides, VI,
criens, V, 32 ; maîtres du temple de 53 ; leur modération, 54 ; renversés
Delphes, I, 112 ; quelques-uns s'éta- par les Lacédémoniens, 53, 59.
blissent en Sicile, VI, 2. PISSOUTHNES, Perse, I, 115 ; III, 31 ;
PHORMION, général athénien à Samos, père d'Amorgès, VIII , 5, 28.
I, 117 ; à Potidée, I, 64, 65 ; attaque PITANATES , bataillon qu'on prétend
les Chalcidéens, II, 29; revient de exister à Lacédémone, I, 20.
Potidée, II, 58 ; secourt les Acarna- PITHIAS, Corcyréen, III, 70.
niens, II, 68 ; à Naupacte, II, 69 ; li- PITTACOs, roi des Édoniens, IV, 107.
vre deux combats à la flotte pélopo- PLATÉE, ville de Béotie , alliée des
nésienne, II, 83 , 85 , 88 ; fait une ex- Athéniens, II, 2 ; III , 52 ; envahie
pédition en Acarnanie, II, 102 ; les par les Thébains, II, 2 ; assiégée par
par
Acarnaniens demandent un de ses les Péloponésiens, II, 71 ; évasion
parents pour général, III, 7. des Platéens, II, 20 ; sa destruction ,
PHOTIOS, chef des Chaoniens, II, 80. III, 68; Platéens établis à Scione, V,
PHRYGIES, endroit de l'Attique, II, 22. 32 ; auxiliaires des Athéniens en Si-
PHRYNICHOS, général athénien, VIII, 25, cile, VII, 57.
27, 39; opposé à Alcibiade, VIII , 48; PLEMMYRION, promontoire à Syracuse,
déposé, VIII, 54 ; soutient l'oligar- VVII, 4; les forts que Nicias y avait
chie, VIII , 68, 90 ; assassiné, VIII, construits sont pris par Gylippe ,
92. 22.
PHTHIOTIDE, partie de la Thessalie, I, PLEURON, ville d'Etolie, III, 102.
3; IV, 78 ; Achéens-Phthiotes,VIII, 3. PLISTARCHOS, fils de Léonidas, I, 132.
PHILIDES, Béotien, II , 2. PLISTOANAX , roi de Lacédémone , son
PHYRCOS, fort en Triphylie, V, 49. expédition en Phocide, I, 107; son
PHYSCA, en Macédoine, II, 99. invasion de l'Attique et sa retraite, I,
PHYTIA, en Acarnanie, III, 106. 114; suspect de trahison, II, 21 ; exilé
PIÉRIE, partie de la Macédoine, II, 99 , pour ce fait, il suborne la Pythie et
100 ; golfe Piérique, II, 99. obtient son rappel, V, 16: travaille à
PIÉRION, endroit de laThessalie, V, 13. la paix , V, 17, 24; fait une expédi-
PINDE, montagne de Thessalie, II, 102.. tion en Arcadie , V, 33; se met en
PIRATERIE , était générale dans l'an- campagne après la bataille de Man-
cienne Grèce, I, 5 ; pirates, III, 51 , tinée, V, 75.
IV, 67. PHISTOLAS, éphore à Lacédémone, V,
PIRÉE, port d'Athènes, sa construction 19, 24, 25.
par Thémistocle, I , 93 ; mur qui y PLONGEURS, IV, 26, VII, 25.
aboutit, I, 107 ; son enceinte, II, 13 ; PNYX, lieu des assemblées du peuple à
n'avait pas de fontaines, II, 48 ; ten- Athènes, VIII, 97.
tative des Péloponésiens sur ce port, POLÉMARQUES, officiers supérieurs de
DES NOMS ET DES CHOSES. 581
l'armée lacédémonienne, VI, 66 ; ma- çaient la présidence, IV, 118 , V, 47,
gistrats des Mantinéens, V, 47. VI, 14, VIII, 70.
POLICHNA , endroit près de Syracuse, PSAMM ITICHOS, père d'Inaros, Libyen,
VII, 4 ; endroit près de Clazomènes, I, 104.
VIII, 14 ; Polichnites de Crète , II, PTÉLÉOS , ou PTÉLÉON , localité incer-
85. taine, V, 18 ; fort sur le territoire
POLIS, village des Hyééens; III, 101 . d'Erythres, VIII, 24, 31.
POLLÈS, roi des Odomantes , V, 6. PTÉODOROS, Thébain , IV, 76.
POLLIS, Argien, II, 67. PTYCHIA, îlot près de Corcyre , IV, 46.
POLYANTHÈS, Corinthien, VII, 34. PYDNA, ville de Macédoine, I , 61, 137.
POLYCRATE , tyran de Samos, sa ma- PYLOS, place de Messénie , occupée par
rine, I, 13 ; consacre l'ile de Rhénéa les Athéniens, IV, 3; son port, 13 ;
à Apollon , I, 13, III, 104. combats autour de Pylos , 8 ; le dé-
POLYDAMIDAS, Lacédémonien, IV, 123, sastre de Pylos est mentionné, V, 14,
129.
POLYMEDES , de Larisse, II, 22. VI, 89 , VII, 71 ; à la paix, les Athé-
niens refusent de rendre Pylos , V,
PONT sur le Strymon, III, 103; à Minoa, 35, 39, 45 ; ils en retirent les Messé-
IV, 118 ; sur l'Anapos, VI, 66. niens, ; les y ramènent, 56 ; de là
PONT-EUXIN, II, 96, 97 ; Pont , III, 2, ceux-ci35pillent la Laconie , 115, VI,
IV, 75. 105, VII, 18 , 26 ; Messéniens dits de
PORTE de Thrace à Amphipolis , V, 10 ; auxiliair
Pylos,
de Nisos à Mégare, IV, 118 ; ouverte Sicile, VII, 57. es des Athéniens en
par stratagème, IV, 67; poterne, VI, PYRASIENS, de Thessalie , II, 22.
100. PYRRHA , ville de Lesbos, III, 18 , 25, 35,
PORTIQUE de temple , IV, 90 ; au Pirée, VIII, 23.
VIII, 90. PYRRHICHOS, Corinthien, VII , 39.
POTAMIS , Syracusain, VIII, 85. PYSTILOS , fondateur d'Agrigente, VI, 4.
POTIDANIA, place d'Etolie, III, 96. PYTHANGELOS, Thébain, II, 2.
POTIDÉE , ville de Chalcidique , alliée PYTHEN , Corinthien , VI , 104, VII , I,
d'Athènes, I, 56 ; sa défection, 59 ; 70.
assiégée par les Athéniens, 64 ; dé- PYTHÈS, Abdéritain, II, 29.
penses de ce siége , II , 13 , III, 17 ; PYTHIQUES (jeux), V, 1 , 16 ; oracle py-
prise par eux, III, 70 ; attaquée par thique, I, 103 ; Apollon pythien , II,
Brasidas, IV, 135 . 15 , VI , 59 ; prêtresse du temple, V,
PRASIES, ville de Laconie, II, 56, VI, 16; colonné à placer dans le temple
105, VII, 18 ; dème de l'Attique, VIII, de Delphes, 18 .
95. PYTHODOROS , archonte éponyme à
PRÉTENDANTS d'Hélène, I, 9. Athènes, II, 2 ; jure le traité, V, 19,
PRIAPOS , ville de l'Hellespont, VIII, 24; général athénien en Sicile, III,
107 .
PRIÈNE, ville d'Ionie, I, 115. 115 , IV, 2, 65 , VI, 105.
PROCLES, général athénien , III , 91 , 98;
autre Athénien, V, 19, 24.
PROCNÉ, femme de Téréus, II , 29. Q
PRONNÉENS, division de Céphallénie ,
II, 30. QUATRE-CENTS, gouvernement aristo-
PROPYLÉES de l'acropole d'Athènes, II, cratique établi pendant quelque temps
13. à Athènes ; VIII, 63, 67 ; leur tyran-
PROSCHION, place d'Etolie, III, 102 . nie, 70 ; ils proposent la paix aux
PROSOPITIDE, ile d'Égypte, I, 109. Lacédémoniens 2 71 ; envoient des
PROTÉ , ilot près de Pylos, IV, 13 . députés à l'armée de Samos, 72, 86 ;
PROTEAS, général athénien, I, 45 , II , 23. fortifient l'Eétionéa du Pirée, 90, 92;
PROTESILAS , Son sanctuaire, VIII, 102. sont renversés, 97.
PROUES des vaisseaux, rendues plus
solides, VII, 34, 36.
PROXENES , hôtes publics, II, 29, 85 , III, R
2 , 52, 70, IV, 78, V, 59, 76, VIII, 14;
volontaire, III, 70 ; proxénie, fonc- RAMPHIAS, Lacédémonien, I, 139, V,
tion de proxène, V, 43, VI, 89. 12, 13 ; père de Cléarchos, VIII, 8,
PROXENOS, Locrien, III, 103. 39, 80..
PRYTANÉE, édifice public, II, 15, III, 89. RHÉGION, ville d'Italie ; son origine
PRYTANES, fraction du conseil'; exer- chalcidéenne , III , 86 , VI, 44 ; sa si-
582 TABLE ALPHABÉTIQUE
tuation; IV, 24 ; son territoire, IV, 1 , gée par eux, 130, 131 , V, 18 ; prise ,
24, VII, 35 ; sa guerre avec les Lo- 32..
criens , IV , 1 , 24 ; neutre dans la SCIRITIDE , district de Laconie, V, 32.
guerre de Sicile, VI, 44, 79. Scirites, 67.
RHÉNÉA, ile voisine de Délos, I, 13, SCIRONIDES, général athénien, VIII, 25,
III, 104.
54.
RHÉTÉON, Ville de l'Hellespont, IV, 52, SCIRPHONDAS, Thébain, VII , 30.
VIII, 101. SCOLOS, ville de Chalcidique, V, 18.
RHION, promontoire d'Achaïe, II, 84, SCOMBROS (vulg. Scomios), montagne
92, V, 52 ; de Molycrie, II, 84, 86. de Thrace, II, 96..
RHITES, endroit de l'Attique, près d'É- SCYLLÉON , promontoire du Pélopo-
leusis, II, 19. nèse, V, 53.
RHITOS, endroit de Corinthie, IV, 42. SCYROS, île de la mer Égée, I, 98.
RHODE, ile d'origine dorienne, alliée SCYTALE lacédémonienne , 1, 131 .
d'Athènes, VII, 57; sa défection, VIII, SCYTHES, II, 96 ; leur puissance , 97.
44; frondeurs rhodiens, VI, 43 ; pen- SECRÉTAIRE de la ville à Athènes , IV,
técontores rhodiennes, VI, 43. 118, VII, 10.
RHYPE , ville d'Achaïe, VII, 34. SELINONTE , ville de Sicile ; sa fonda-
tion, VI, 4, VII, 57; alliée de Syra-
cuse, VII, 58 ; sa guerre avec Égeste,
VI, 6, 47, 62 ; vaisseaux sélinontins ,
S VIII, 26.
SENTINELLES , leur clochette, IV, 135.
SABYLINTHOS, chef des Molosses, II, 80 . SEPULTURES DES CARIENS ET DES PHÉ -
SACON, fondateur d'Himéra, VI, 5. NICIENS, I , 8 ; les traîtres ne peuvent
SACRÉE ( guerre),. entreprise par les être enterrés en Attique, I, 138 ;
Lacédémoniens, I, 112. sépultures irrégulières pendant la
SADOCOS, fils de Sitalcès, II, 29 ; natu- peste, II, 52 ; sépultures publiques à
ralisé Athénien, 67 ; livre les ambas- Athènes , II, 34 ; sépulture héroïque
sadeurs péloponésiens, 67. de Brasidas, V, 11 .
SALAMINE , île appartenant à l'Attique, SERMYLIENS, leur ville en Chalcidique,
VIII, 94; ravagée par les Péloponé- I, 65, V, 18.
siens, II, 93 ; gardée par les Athé- SESTOS, ville de la Chersonèse , I , 89,
niens, III, 17; sert de station pour le VIII , 62, 102, 104, 107.
blocus dé Mégare, III, 51 ; bataille SEUTRÈS, roi des Odryses, II, 97, 101,
de Salamine, I, 73, 137 ; galère sala- IV, 101.
minienne, vaisseau d'élite à Athènes, SICANIA , ancien nom de la Sicile, VI,
III, 33, 77, VI, 53 , 61. 2; Sicaniens, 2 ; Hyccara , ville sica-
SALETHOS , Lacédémonien , envoyé à nienne, 62.
Mytilène, III, 25, 27; pris par les SICANOS, fleuve d'Ibérie, VI, 2; nom
Athéniens et mis à mort, 35, 36. d'un général syracusain, VI, 73, VII,
SALYNTHIOS, roi des Agréens, III, 111, 46, 50, 70.
114, IV, 77. SICILE, son étendue , VI, 1 ; sa popu-
SAMÉENS, de Céphallénie, II, 30. lation grecque et barbare, 2, 3, 4, 5;
SAMOS, île d'Ionie, sa situation , VIII , sa distance de l'Afrique, VII, 50 ; co-
79; sa puissance , VIII, 73, 76 ; sa lonisée par les Péloponésiens , I, 12;
guerre avec Milet, I, 115 ; sa défec- ses tyrans, I, 14, 17 ; les Athéniens
tion réprimée par Périclès, 116, 117; y envoient une première expédition,
sa révolution démocratique, VIII, 21, IV, 60, 61 ; édit de pacification entré
73 ; la flotte athénienne y stationné tous les Siciliens , IV, 65 ; seconde
pendant la guerre d'Ionie, VIII, 16, expédition des Athéniens, VI, 1, 8, 30;
19, 39, 44, 50, 60, 63, 80, 108. Grecs de Sicile ( Sicéliotes) , III , 90,
SANDIOS, colline en Carie, III , 19. 115 , IV, 58 , VI, 103 , VII, 32, 57,
SANÉ, ville de Thrace, IV, 109. VIII , 26.
SARDES, ville de Lydie, I, 115. SICULES, peuple barbare de Sicile, VI,
SARGEUS, Sicyonien, VII, 19. 2, III, 88, IV, 25 , V, 4, VI, 3, 4;
SCANDEA, port de Cythère, IV, 54. leur conduite dans la première expé-
SCEAU du roi de Perse, I, 129 ; contre- dition des Athéniens, III , 103 , 115,
fait, 132. IV, 25 ; dans la deuxième, une partie
SCELLIAS, Athénien , VIII, 89 .. de cette nation est alliée des Athé-
SCIONÉ, Ville de la Pallene ; se révolte niens, VI, 62, 65, 88, 94, VII, 1, 2, 32
contre les Athéniens, IV, 120 ; assié- SICYONE , Ville du Péloponèse, I, 108,
DES NOMS ET DES CHOSES . 583
111, 114, II, 80, V, 52, VII, 19, VIII, STROPHACOs, proxène des Chalcidéens ,
3 ; alliée des Lacédémoniens, II, 9, IV, 78.
VII, 58. STRYMON, fleuve de Thrace, I, 100, II,
SIDUSSA, place d'Ionie, VIII, 24. 96, 99, 101, IV, 102, 108, V, 7, VII, 9.
SIGÉON, ville de l'Hellespont, VIII, 104. STRYPHON, Lacédémonien, IV, 38.
SIGNAUX de combat, I, 49, 63, VII, 34; SUNION, promontoire d'Attique, VII,
signaux de feu, II, 94, III, 22, 80, 28, VIII, 95; fortifié par les Athé
IV, 42, VIII, 102. niens, VIII, 4.
SIMONIDES, général athénien, IV, 7. SYBARIS, fleuve d'Italie, VII, 35.
SIMOS, fondateur d'Himéra, VI, 5. SYBOTA, île et port de la Thesprotide ,
SINGÉENS, peuple de Thrace, V, 18. I, 47, 50, 52, 54, III, 76.
SINTES, peuple de Thrace, II, 98. SYKA, faubourg de Syracuse, VI, 98.
SIPHÆ, ville de Béotie, IV, 76, 89. SYMÉTHOS, fleuve de Sicile, VI, 65.
SITALCES, roi des Odryses, II, 29 ; son SYRACUSE, ville de Sicile ; sa fondation,
expédition contre la Macédoine et la VI, 3 ; aussi grande qu'Athènes , VII,
Chalcidique, II, 95 ; sa mort, IV, 28 ; dominée par les Épipoles , VI,
101 . 96 ; ses conduits d'eau , VI, 100 ; ses
SOCRATES, général athénien, II, 23. ports, VI, 50, 101 , 102 , VII , 2, 22, 23,
SOLDE des fantassins et des cavaliers, 25, 36, 52 ; fermeture du grand port,
V, 47; des hoplites au siége de Poti- VII, 56, 59, 60, 69, 70.
dée, III, 17; des matelots, VI, 8, 31 ,
VIII, 29, 45 ; des Thraces merce-
naires, VII, 27 ; solde donnée par Τ
Tissapherne aux vaisseaux péloponé-
siens, VIII, 29, 45. TALENT D'ARGENT, I, 96, 138, II, 13,
SOLLION , village en Corinthie , II, 30, 24, 70, 97, III, 19, 70, IV, 57, V, 31 ,
III, 95, V, 30. VI, 8, 31 , 46, 62, 94, 95, VII , 16, 48,
SOLOïs, ville de Sicile, VI, 2. 83 , VIII, 8, 15, 29 , 44 ; poids , II,
SOLYGIE, village en Corinthie , IV, 42. 13 ; mesure de tonnage, IV, 118 .
SOPHOCLES , général athénien, III, 115, TAMOS , gouverneur de l'Ionie, VIII,
IV, 2, 3, 46, 65. 31, 87.
SPARDACOS , père de Seuthès, II, 101 . ITANAGRA, ville de Béotie, I, 108, III,
SPARTE, IV, 3, 15 , 81 , V, 14 ; Spar- 91 , IV, 76, 91, 93, 97, VII, 29.
tiates, I, 132 , III, 100, IV, 8, 38, VI , TANTALOS, Lacédémonien
91 , VIII , 19 , VIII , 39. Voy. LACÉDÈ- TARENTE, ville d'Italie, VÍ,, IV, 75.
34, 44, 104,
MONE .
SPARTOLOS, ville de Chalcidique, II, TAULANTIENS VII, 1 , VIII, 91 .
, nation illyrienne, 1, 24.
79, V, 18. 119.
SPHACTÉRIE , ile située en face de TAXIARQUES, officiers de IV,
TAUROS, Lacédémonien,
l'armée athé-
Pylos, IV, 8 ; les Lacédémoniens pris nienne, IV, 4, VII, 60.
en cet endroit sont dits souvent les ville d'Arcadie, alliée de Lacé-
prisonniers de l'île , IV, 108 , V, 15 , TÉGÉE,
démone, V, 32, 62, 64, 74, 75 , 76, 82;
24, 34, 35, 43, 75. en guerre avec Mantinée, IV, 134, V,
STAGES , lieutenant de Tissapherne,
VIII , 16. 57; les Tégéates occupent l'aile droite.
STAGIRE, ville de Macédoin e , IV, 88, de l'armée, V, 67 ; leur territoire, V,
65.
V, 6, 18. TELLIAS, Syracusain, VI, 103.
STATERE, monnaie d'or, III, 70 ; da- TELLIS, Lacédémo nien, V, 19, 24 ; père
rique, VIII, 28 ; phocaïte, ÍV, 52. de Brasidas, II, 25 , III, 69, IV, 70.
STÉSAGORAS , Samien, I, 116.
STHÉNÉLAÏDAS , éphore à Sparte, I, 85, TÉMÉNIDES , ancêtres des rois de Ma-
VIII, 5. cédoine, II, 99.
TÉMÉNITES, faubourg de Syracuse, VI,
STRATODEMOS, Lacédémonien , II, 67. 75, 99, 100, VII, 3.
STRATONICE, Sœur de Perdiccas , II, 101 . TEMPLES communs de la Grèce, III, 57,
STRATOS , ville d'Acarnanie, II, 80, 81, V, 18; quartier d'Athènes où sont
82, 102, III , 106. situés les plus anciens, II, 15 ; pro-
STRÉBOS , Athénien , I, 105. fanation des temples, I, 126, II, 52,
STROMBICHIDÈS , général athénien ,
VIII, 15, 16, 30, 62, 79. IV, 97 ; les temples des pays conquis
STROMBICHOS, Athénien , I, 45. appartiennent aux conquérants , IV,
STRONGYLÉ , une des îles d'Eole, III , 98; on doit respecter les temples,
88. même en pays ennemi, IV, 97, dé-
pouilles suspenduesdans lestemples,
584 TABLE ALPHABÉTIQUE
III, 57, V, 16 ; pour les différents Cents, VIII, 68, 89 ; sa mésintelli-
temples, voy. les noms des divinités gence avec eux, 90 ; navarque lacé-
auxquels ils étaient consacrés. démonien , VIII , 26 ; traite avec Tis-
TÉNARE, promontoire de Laconie, I , sapherne, 36, 43, 52 ; son retour, 38-
128, 133, VII, 19, 133. THERMÉ, ville de Macédoine, I, 61 , II,
TÉNÉDOS, ile adjacente à la Troade , 'II, 29.
28 , 35. Ténédiens alliés d'Athènes, THERMON, Spartiate, VIII, 11.
III, 2, VII, 57. THERMOPYLES , II, 101 , III, 92, IV, 36.
TÉNOS,
69. une des Cyclades, VII , 57 , VIII, THÉSÉE, II, 15; son temple, VI, 61.
THESMOPHYLAQUES, magistrats d'Elis
TEOS , ville d'Ionie , III, 32, VIII , 16, V, 47.
19, 20. THESPIES, ville de Béotie ; son terri .
TERES, père de Sitalcès, II, 29, 67, 95. toire, IV, 76 ; les Thespiens dans
TÉRÉUS, mari de Procné, II, 29. l'armée béotienne à Délion, 93; sur-
TÉRIAS, fleuve de Sicile, VI, 50, 94, tout maltraités, 96 ; les Thébains dé .
TÉRINÉEN (golfe), VI, 104. mantèlent Thespies, 133 ; les Thes
TERRE, Son temple à Athènes, II, 15. piens se soulèvent, VI, 95 ; auxiliaires
TESSARACOSTE, monnaie de Chios, VIII, des Syracusains, VII, 25.
101. THESPROTIDE, partie de l'Épire, I, 46,
TEUTIAPLOS, Éléen, III, 29, 30. 50 ; Thesprotes sans roi, II, 80.
TEUTLUSSA, ile adjacente à la Carie, THESSALIE , sa fertilité , 1, 2 ; sa con-
VIII, 42. quête, I, 12 ; son gouvernement aris-
THALAMIENS, rameurs du rang infé- tocratique, IV, 78 ; son ancien pacte
rieur dans les trirèmes, IV, 32. avec Athènes, I, 102, 107 , II, 22 ;
THAPSOS, presqu'ile voisine de Syra- expédition des Athéniens pour rame-
cuse, VI, 97 , 99, 101 , 102 , VII, 49 ; ner le roi Oreste, I, 111 ; Brasidas
ville de Sicile, VI, 4. traverse la Thessalie, IV, 78 ; les
THARYPAS, roi des Molosses, II, 80. Thessaliens font la guerre à Héra-
THASOS, île de la mer Egée , ses mines, clée, III, 93 , V, 51 , VIII, 3.
I, 100 ; colonie de Paros, IV, 104 , THESSALOS, fils de Pisistrate, I, 20, IV,
107 ; sa défection , VIII, 64. 55.
THÉAGENES, tyran de Mégare, I , 126 ; THÈTES, prolétaires d'Athènes, VI, 43.
Athénien, IV, 27, V, 19, 24, THORICOS, dème d'Attique, VIII, 95.
THEATRE, VOY. BACCHUS. THOUCLES, Athénien , père d'Eurymé-
THEBES, ville de Béotie, quartier géné- don, III, 80, 91 , VII, 16 ; fondateur de
ral des Barbares dans la guerre Mé- Naxos, VI, 3.
dique, I, 90 ; sa distance de Platée, THRACE, I, 100, II, 96, IV, 101 ; Thra-
II, 5, 22, 24 ; son territoire, III, 58 ; ces indépendants armés d'épées ,
ses deux Béotarques, IV, 91, VII, 19; II, 29; en partie autonomes, en par-
ses ressortissants, IV, 93 ; les Thé- tie soumis à Sitalcès , II, 96 , 101 ;
bains prêtent de l'argent aux Co- Thraces-Bithyniens, IV, 75 ; les Thra-
rinthiens, I, 27 ; fournissent de la ces exigent des présents, II, 97 ; sont
cavalerie à l'armée péloponésienne, barbares et sanguinaires , VII , 29;
II, 9 ; surprennent Platée, II, 2 ; mercenaires de cette nation, IV, 129,
combattent les Athéniens à Délion, V, 6, VII, 27 ; les Thraces habitaient
IV, 93 ; démantèlent Thespies, IV, anciennement la Phocide, II, 29 ; bat-
133; secourent les aristocrates thes- tent les Athéniens , I , 100, IV, 102 ;
piens, VI, 5 ; poursuivent les Thraces leur expédition contre la Macédoine
qui avaient pillé Mycalessos, VII, 30. et la Chalcidique , II , 100 ; pillent
THEENÉTOS, Platéen, III, 20. Mycalessos, VII, 29 : leur manière de
THEMISTOCLE , archonte à Athènes, I combattre en retraite, VII, 30; villes
93 ; général, 74; relève les murs dé grecques du littoral de la Thrace ,
la ville, 90 ; tourne les Athéniens I, 56, 68, II, 9, V, 12. Portes de
vers la marine, 93 ; son exil, 135 ; sa Thrace à Amphipolis, V, 10.
retraite en Perse , 137 ; son éloge et THRANITES, rameurs du rang supérieur
sa mort, 138. dans les trirèmes, VI , 31.
THEODOROS, Athénien , III, 91 . THRASYBULOS, général athénien, parti-
THEOLYTOS, Acarnanien, II, 102. san de la démocratie , VIII, 73, 75,
THEORES, députés sacrés, V, 16, VI, 3; 76 ; ramène Alcibiade , 81 ; se rend
magistrats à Mantinée, V, 47. dans l'Hellespont , 100; commande
THERA, une des Cyclades, II, 9. l'aile droite dans le combat naval,
THERAMÉNÈS, Athénien, un des Quatre- 104; est vainqueur, 105.
DES NOMS ET DES CHOSES. 585
THRASYCLES , Athénien , V, 19, 24, nésiens à lui livrer Amorgès, 27, 29;
VIII, 15, 17, 19. se brouille avec eux, 43; sa politique
THRASYLLOS, Athénien, partisan de la ambiguë, 45 ; irritation des soldats
démocratie, VIII, 73, 75 ; élu général péloponésiens contre lui, 78 ; son
par les soldats, 76 ; se rend dans voyage à Aspendos, 87, 88, 99.
I'Hellespont, 100 ; commande l'aile TLÉPOLÉMOs, général athénien , I ,
gauche dans le combat naval, 104 117.
est vainqueur , 105. Argien , V; TOLMÉOS, Athénien, père de Tolmidės,
59, 60. I, 108, 113 ; père d'Autoclès , IV ,
THRÁSYMÉLIDAS, Spartiate, IV, 11. 53, 119.
THRIA, plaine voisine d'Eleusis, I, 114, TOLMIDES, général athénien , I , 108 ,
II, 19, 20, 21. 113: Platéen, III, 20.
THRONION, ville des Locriens-Épiecné- TOLOPHONIENS , peuplade locrienne ,
midiens, II, 26. III, 101.
THUCYDIDE, fils d'Oloros, IV, 104 ; at- TOLOPHOS , Ophionéen, III, 100.
teint de la peste, II, 48 ; possesseur TOMÉOS, Athénien, IV, 119.
de mines d'or, IV, 105 ; commande TORONE, ville de Chalcidique, prise par
une flotte athénienne , 105 ; arrive Brasidas, IV, 110 , reprise par les
trop tard au secours d'Amphipolis, Athéniens, V, 2, 3.
106 ; protége Eïon contre Brasidas, TORYLAOS, Thessalien, IV, 78.
107 ; passe vingt ans en exil , V, TRACHINIE (Héraclée en) , III, 100, V,
26 ; ses motifs pour écrire son his- 12, Trachiniens, III, 92.
toire, I, 1 , 19 : autre Athénien du TRAGIE , ile adjacente à la Carie ,
même nom , I , 117 ; Pharsalien , I, 116.
VIII, 92. TREMBLEMENT de terre à Sparte , I,
THURIATES, de Laconie, I, 101. 101 , II, 27 , 128 , III, 54 ; à Délos, II,
THURII , ville d'Italie , VI , 61 , 88 , 104, 8; en divers lieux de la Grèce, I, 22 ,
VII, 33, 35, 57 ; son territoire, VII, III, 87 , IV, 52, 56 , VIII, 41 ; cause
35; vaisseaux thuriens auxiliaires des des inondations , III, 89 ; fait lever
Lacédémoniens en Ionie , VIII, 35, les assemblées, V, 45, 50 ; arrête une
61; mutinerie de leurs matelots, 84. expédition des Lacédémoniens , VI ,
THYAMIS, fleuve d'Épire, I, 46. 95, VIII, 6.
THYAMOS , montagne d'Acarnanie , TRÉPIED de Delphes, I, 132, III, 57.
III, 106. TRÈRES, peuple de Thrace, II, 96.
THYMOCHARÈS , général athénien , TRÉZENE, ville du Péloponèse, I, 115 ,
VIII, 95. IV, 21, 45, 118 ; son territoire, II,
THYRÉA, ville de Cynurie, V, 41 ; don- 56, IV, 45.
née aux Éginètes , II, 27, IV, 56 ; TRIBALLIENS, peuple de Thrace, II , 96,
prise par les Athéniens, IV, 57 ; son IV, 101.
territoire, II, 27 , VI , 97. TRIBUT payé aux Athéniens par leurs
THYSSOS, ville de l'Athos, IV, 109. alliés, II, 13, 96 ; fixé par Aristide, I,
TICHION, Village d'Etolie, III, 96. 96, V, 18 ; abrogé, VII , 28.
TICHIUSSA, place du territoire de Milet, TRIERARQUES, commandants des trirè-
VIII, 26, 28. mes athéniennes , II, 24, VI, 31 ;
TILATÉENS, peuple de Thrace, II, 96. leurs obligations, VII , 70; élus
TIMAGORAS de Tégée, II, 67; de Cyzique, comme les généraux, VIII, 76.
VIII, 6, 39. - TRINACRIA, ancien nom de la Sicile ,
TIMANOR, Corinthien, I, 29. VI, 2.
TIMANTHES, Corinthien, I, 29. TRIOPION , promontoire de Carie ,
TIMOCRATES, Lacédémonien, II, 85 ; VIII, 36.
s'égorge pour ne pas être fait pri- TRIPODISCOs , village en Mégaride ,
sonnier, II , 92. Athénien, III, 105 , IV, 70.
V, 19, 24; Corinthien, II, 33. TRIRÈMES, vaisseaux à trois rangs de
TISAMENOS, Trachinien, III, 92. rames; les premières furent construi-
TISANDROS, Apodote, III, 100. tes à Corinthe, I, 13 ; légères ou ser-
TISIAS, Athénien, V, 84. vant au transport des soldats , VI,
TISIMACHOS, Athénien, V, 84. 43 ; réparées aux frais des triérar-
TISSAPHERNE, satrape de l'Asie mari- ques, VII, 38 ; les matelots athéniens
time, VIII, 5, 16; appelle les Pélo- recevaient trois oboles de solde ,
ponésiens, 5; fait un traité avec eux, VIII, 45.
17, 36, 57; vaincu par les Athéniens TRITÉENS, peuplade locrienne, III, 101 .
'j devant Milet, 25; engage les Pélopo- TROADE (Colones en), I, 131 .
586 TABLE ALPHABÉTIQUE .
TROGILOS, endroit voisin de Syracuse, VULCAIN , ses forges à. Hiéra , III ,
VI, 99, VII, 2. 88.
TROIE, sa guerre, I, 8, 9, 11 , 12 ;
Troyens établis en Sicile, VI, 2; re-
tour des Grecs, I , 12, II , 68; les X
fondateurs de Scioné revenaient de
Troie, IV, 120 ; la migration des Béo-
tiens est postérieure de soixante ans, XANTHIPPOS, père de Périclès,, I , 491,
I, 12. 127, II, 13, 31.
TROPHÉE, érigé par les deux partis , XÉNARÈS, éphore à Sparte, V, 36 ,
I, 105, II, 62 , IV, 134 ; le bouclier de 37, 38, 46 ; autre Lacédémonien ,
Brasidas placé dans un trophée, IV, 12; V, 51.
carcassedevaisseau ennemi servant de XÉNÉLASIE , loi qui, à Lacédémone, in-
trophée pour une victoire navale, II, terdisait l'établissement des étran-
84, 92 : le trophéed'Amphipolis subsis gers, I, 144, II, 39.
tait encore à l'époque où Thucydide a XÉNOCLIDAS , Corinthien , I , 46 ,
écrit, V, 10 ; trophée renversé parce III , 114.
que ceux qui l'avaient élevé n'é- XENON, Thébain, V, 7.
taient pas restés maîtres du champ XENOPHANÈS , Athénien, VI, 8
de bataille, VIII, 24. XÉNOPHANTIDAS , Lacédémonien , VIII,
55.
TROTILOS, place de Sicile, VI, 4. XENOPHON , général athénien , II ,
TYDEUS, de Chios , VIII, 38. 70 , 79.
"TYNDARE, I, 9. XÉNOTIMOs , Athénien , II , 23.
TYRANS en Grèce, I, 13, 17 ; renversés
par les Lacédémoniens , 18 ; puis- XERXES, roi des Perses, I, 14, 114, 118,
sance des tyrans de Sicile, 14, 17 ; 129, III , 56 ; sa lettre à Pausanias ,
tyrannie des Pisistratides , VI, 53, 54 , I, 129; Artaxerxès son fils lui suc-
cède, I, 137, IV, 50.
59; époque de leur expulsion, VIII: XYNCCIA , fête à Athènes , II, 15.
68; politique des tyrans , VI , 85 ;
l'empire des Atheniens est une sorte
de tyrannie, II, 63, III, 37, VI, 85.
TYRRHENIE , VI, 86 ; Tyrrhéniens auxi- Z
liaires des Athéniens en Sicile , VI ,
103, VII, 53, 54, 57; mer tyrrhénienne,
ZACYNTHE, ile de la mer Ionienne, II,
VII, 58 ; golfe tyrrhénien , VI, 62 , 7, 80, IV, 8, 13, 7, 31 ; sa situation,
Pélasges-Tyrséniens , IV, 109. II, 66; alliée de Corcyre, I, 47 ; des
Athéniens , II, 9, VII, 57.
U ZANCLÉ, ancien nom de Messine, VI, 4;
fonde Himéra, 57.
ULYSSE, traverse le détroit de Charybde, ZANCLON, nom de la faux chez les Si-
IV, 24. cules, VI, 4.
ZEUXIDAMOS, Lacédémonien, père d'Ar-
V chidamos, II, 19, 47, III, 1.
ZEUXIDAS, Lacédémonien, V, 19, 24
VÉNUS, Son temple à Éryx, VI, 46. ZOPYRE, Perse, I, 109.

FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE.


TABLE DES MATIÈRES.

LIVRE I.

Introduction. L'auteur passe en revue les temps primitifs de la Grèce ,


afin de prouver que la guerre du Péloponèse a surpassé en impor-
• tance toutes les guerres qui avaient précédé , ch. 1-XIX . — But qu'il
s'est proposé dans la rédaction de son ouvrage ; méthode et moyens
qu'il a employés pour y parvenir , ch. xx -xxIII. Epidamne et
Potidée. Evénements qui provoquèrent la guerre du Péloponèse.
Affaire d'Epidamne ; guerre entre Corcyre et Corinthe ; premier
combat naval , ch. XXIV-XXXI.- Les Corcyréens obtiennent l'alliance
d'Athènes. Discours des Corcyréens et des Corinthiens , ch. XXXII-
XLIII. Second combat naval entre les Corcyréens et les Corinthiens;
fin de la guerre de Corcyre , ch . XLIV-LV. - Défection de Potidée ;
combat livré sous les murs de cette ville et siége commencé par
les Athéniens , ch. LVI-LXVI . - Les Lacédémoniens , dans leur as-
semblée ordinaire, déclarent que le traité avec Athènes est rompu.
Discours des Corinthiens , des Athéniens , d'Archidamos et de Sthé-
nélaïdas , ch. LXVII- LXXXVII. —— Les cinquante ans. Digression sur
la période écoulée entre les guerres médiques et celle du Pélo-
ponèse. Progrès de la puissance des Athéniens ; origine et condi-
tions de leur empire , ch. LXXXVIII-CXVIII. Préparatifs de guerre.
Les Lacédémoniens convoquent une assemblée générale de leurs
alliés , et conviennent avec eux de déclarer la guerre aux Athé-
niens. Discours des Corinthiens , ch. cxIx-CXXV. - Plaintes et ré-
criminations réciproques des Lacédémoniens et des Athéniens.
Conjuration de Cylon ; sacrilége à expier , ch . CXXVI-CXXVII .
Trahison et mort de Pausanias, ch. CXXVIII-CXXXIV. Exil et fin de
Thémistocle , ch. cxxxv-CXXXVIII. Ultimatum des Lacédémoniens ,
ch . CXXXIX . --Les Athéniens se décident à la guerre. Discours de
Périclès , ch. CXL-CXLVI. 1

LIVRE II.

Première année de la guerre. Entreprise des Thébains contre Platée ,


ch . I-VI. - Préparatifs et alliés des deux partis , ch. VII-IX. - Les
588 TABLE DES MATIÈRES .
Péloponésiens se rassemblent à l'Isthme , ch. x. Harangue d'Ar-
chidamos , ch. XI. Inutile envoi d'un parlementaire à Athènes ,
ch. XII. -- Périclès expose aux Athéniens son plan de guerre, ch. xi .
--Retraite des campagnards dans la ville ; digression sur l'ancien état
de l'Attique , ch. XIV-XVII. ―― Première invasion des Péloponésiens
en Attique ; envoi d'une flotte athénienne autour du Péloponèse ,
ch. XVIII-XXV. Expédition navale des Athéniens contre la Locride,
ch . XXVI . - Expulsion des Eginètes , ch. xxvII. -- Eclipse de soleil ,
ch . XXVIII . - Alliance des Athéniens avec Sitalcès , roi des Odryses ,
.ch. XXIX.- Les Athéniens prennent Sollion , Astacos et Céphallénie ,
envahissent la Mégaride et fortifient l'ile d'Atalante , ch . xxx-xXXII.
Dans l'hiver , expédition des Corinthiens contre Astacos , ch . xxxiii .
Sépulture des Athéniens morts dans les combats de l'été , ch . xxxiv.
- Oraison funèbre prononcée par Périclès, ch . xxXV-XLVI. - Deuxième
année de la guerre. Seconde invasion des Péloponésiens en Atti-
que. Peste d'Athènes , ch. XLVII-LVII. Renforts envoyés à l'armée .
athénienne assiégeant Potidée , ch . LVIII. - Irritation des Athéniens
contre Périclès , ch. LIX. - Discours de Périclès , ch. LX-LXIV. -
Mort de Périclès et jugement porté sur son administration , ch. LXV.
Expéditión navale des Péloponésiens contre Zacynthe , ch. LXVI.
Arrestation de députés lacédémoniens envoyés au roi de Perse ,
ch. LXVII. ― Expédition des Ambraciotes contre Argos Amphilochi-
con , ch. LXVIII. - Dans l'hiver , opérations maritimes des Athéniens
contre le Péloponèse, la Carie et la Lycie, ch . LXIX. Prise de
Potidée, ch. LXX. - Troisième année de la guerre. Siége de Platée
par les Péloponésiens , ch. LXXI-LXXVIII. - Défaite des Athéniens à
Spartolos , ch. LXXIX. - Défaite des Péloponésiens à Stratos , ch . LXXX-
LXXXII. Batailles navales dans le golfe de Corinthe ; harangues de
Brasidas et de Phormion, ch. LXXXIII-XCII. Tentative des Péloponé-
siens sur le Pirée , ch. XCIII-XCIV. ---- Expédition de Sitalcès en Ma-
cédoine ; digression sur le royaume des Odryses , ch. xcv-cI.
Expédition de Phormion en Acarnanie , ch . CII-CIII. 76

LIVRE III.

Quatrième année de la guerre. Troisième invasion de l'Attique par


les Péloponésiens , ch. 1. - Lesbos , excepté Méthymne , se révolte
contre les Athéniens , ch . II-VI. - - Expéditions maritimes des Athé-
niens contre le Péloponèse , Eniades et Leucade , ch, vII. Les
Péloponésiens reçoivent les Lesbiens dans leur alliance ; discours
des députés de Lesbos , ch. vIII-XV. Envoi d'une flotte athénienne
contre le Péloponèse , ch . XVI. - Forces maritimes déployées par
les Athéniens , ch. XVII. 1 Les Athéniens commencent le siége de
Mytilène , ch. XVIII. - Dans l'hiver , les Athéniens s'imposent une
première contribution de guerre et envoient Lysiclès lever le tribut
chez les alliés, ch. xix. - Evasion d'une partie des Platéens assié-
TABLE DES MATIÈRES . 589
gés , ch. XX-XXIV. Envoi du Lacédémonien Saléthos à Mytilène ,
ch. XXV. - Cinquième année de la guerre. Quatrième invasion de
l'Attique par les Péloponésiens , ch. xxvi. Reddition de Mytilène ,
ch. XXVII-XXVIII. - Une flotte péloponésienne fait une apparition en
Ionie, ch. XXIX-XXXII. - - Pachès lui donne la chasse , ch . XXXIII-XXXIV.
- Il envoie à Athènes mille Mytiléniens prisonniers , ch. xxxv.
Les Athéniens condamnent à mort tous les Mytiléniens ; nouvelle
assemblée à ce sujet , ch. XXXVI. Discours de Cléon , ch . XXXVII-XL.
- Discours de Diodotos , ch . XLI-XLVIII. - Les Athéniens se conten-
tent de punir les coupables et de confisquer les terres de Lesbos ,
ch. XLIX-L. SFE Nicias s'empare de Minoa , ch. LI. - Reddition de
Platée , ch. LII. -- Discours des Platéens , ch . LIII-LIX. -- Réplique
des Thébains , ch. LX-LXVII. - Les Platéens sont mis à mort et leur
ville rasée , ch . LXVIII. - Sédition de Corcyre , ch . LXIX-LXXXI. --
Digression sur les troubles de la Grèce , ch . LXXXII-LXXXV. - Envoi
d'une flotte athénienne en Sicile , ch . LXXXVI. - Dans l'hiver, recru-
descence de la peste à Athènes , ch . LXXXVII . - Expéditions des Athé-
niens en Sicile et des Rhégiens contre les îles d'Eole , ch. LXXXVIII.
- Sixième année de la guerre. Tremblements de terre et inonda-
tions sur divers points de la Grèce , ch . LXXXIX . — Les Athéniens
s'emparent de Messine , ch. xc. - Expédition maritime contre le
Péloponèse et contre Mélos , ch. xci . - Fondation d'Héraclée-Tra-
chinienne , ch. XCII-XCIII. - Expédition malheureuse de Démosthène
en Etolie , ch . XCIV-XCVIII . — Expédition des Athéniens contre Locres ,
ch. XCIX . -- Tentative infructueuse des Lacédémoniens et des Eto-
liens contre Naupacte , ch. c-CII. FRA Dans l'hiver, combats en Sicile ,
ch. CIII. - Purification de Délos , ch. CIV. Guerre des Acarna-
niens et des Ambraciotes , ch . CV-CXIV. -- Affaires de Sicile , ch . cxv.
-- Eruption de l'Etna , ch . cxvI ... 135

LIVRE IV.

Septième année de la guerre. Prise de Messine par les Syracusains ,


ch. I. - Cinquième invasion des Péloponésiens en Attique. Dé-
mosthène fortifie Pylos , ch . 11 -VI. - Eon en Chalcidique conquise
et perdue par les Athéniens , ch. VII.-- Attaque de Pylos par les
Lacédémoniens , ch . VIII-IX. - Harangue de Démosthène à ses sol-
dats , ch. x. - Combat sous les murs de Pylos. Une troupe de Lacé-
démoniens bloquée dans l'île de Sphactérie , ch . XI-XIV. - Armistice ,
ch . XV-XVI. - Discours des Lacédémoniens à Athènes , ch. XVII-XX.
- - Reprise des hostilités , ch. xxI-XXIII . --· Événements militaires en
Sicile , ch. XXIV-XXV. - Cléon prend le commandement des Athé-
niens à Pylos et fait prisonniers les Lacédémoniens de Sphacté-
rie , ch. XXVI-XLI.- Expédition navale des Athéniens en Corinthie ,
ch. XLII-XLV. Nouveaux troubles à Corcyre ; massacre du parti
aristocratique , ch. XLVI -XLVIII . -
- Prise d'Anactorion par les Athé-
-590 TABLE DES MATIÈRES.
niens et les Acarnaniens, ch. XLIX. - Dans l'hiver, arrestation d'un
ambassadeur du roi de Perse par les Athéniens , ch. L. -- Chios dé-
mantelée , ch. LI. Huitième année de la guerre. Les bannis de
Mytilène s'emparent d'Antandros , ch. LII. - Les Athéniens font la
conquête de Cythère , ch. LIII-LV. - Prise de Thyréa par les Athé-
niens , ch. LVI. - Les Grecs de Sicile font la paix entre eux. -
Discours d'Hermocratès , ch . LVII-LXV. - Les Athéniens s'emparent
de Niséa et des longs murs de Mégare , ch . LXVI-LXXIV. — lls re-
prennent Antandros. - Revers de Lamachos dans le Pont , ch. LXXV.
-Entreprise des Athéniens contre la Béotie , ch. LXXVI. - Brasidas
conduit par terre une armée péloponésienne en Thrace , ch. LXXVII-
LXXXII. - Son expédition contre Arrhibéos , roi des Lyncestes ,
ch. LXXXIII. - Brasidas s'empare d'Acanthe. Son discours aux
Acanthiens , ch. LXXXIV-LXXXVIII . - Dans l'hiver, les Athéniens
fortifient Délion , ch. LXXXIX-XCI. - Harangue de Pagondas aux Béo-
tiens , ch. XCII. - Dispositions d'attaque , ch. xcin -XCIV. Harangue
d'Hippocratès aux Athéniens , ch. xcv. - - Bataille de Délion; défaite
des Athéniens ; prise de Délion par les Béotiens , ch. XCVI-CI. -— Bra-
sidas s'empare d'Amphipolis , ch. CII -CVIII. -- Ses progrès sur le
littoral de la Thrace , ch. cix. - Il prend Torone et Lécythos , ch. cx-
CXVI. - Neuvième année de la guerre. Trêve entre Athènes et Lacé-
démone , ch. CXVII -CXIX. - Défection de Scione et de Mendé soutenue
par Brasidas malgré la trêve , ch. cxx-cxxIII . --- Seconde expédition
de Brasidas et de Perdiccas contre Arrhibéos , ch. CXXIV-CXXVIII.
Les Athéniens reprennent Mendé et assiégent Scione , ch. cxXIX-
CXXXI. Perdiccas se réconcilie avec les Athéniens , ch. CXXXII.
Les Thébains démantèlent Thespies. Incendie du temple de Junon
à Argos, ch. CXXXIII . - Dans l'hiver, combat des Mantinéens et
des Tégéates , chap. CXXXIV. - Tentative de Brasidas sur Potidée ,
ch. cxxxv.. 194

LIVRE V.

Dixième année de la guerre. Les Athéniens expulsent de leur île les


Déliens , ch. 1. - Cléon reprend Torone, ch . 1-III. - Ambassade
des Athéniens en Sicile , ch. IV-V. -
· Cléon marche contre Amphi-
polis , ch. VI-VIII. — Harangue de Brasidas , ch. IX. - Bataille
d'Amphipolis; mort de Cléon et de Brasidas , ch. x-xI. - Dans
l'hiver , Ramphias part de Lacédémone avec des renforts destinés à
l'armée de Thrace ; les nouvelles pacifiques l'engagent à rebrousser
chemin, ch. XII-XIII. Préliminaires de paix, ch. XIV-XVII. -- Traité
de paix entre Athènes et Lacédémone , ch. XVIII-XX. - Cléaridas
refuse de rendre Amphipolis , ch . XXI. Alliance d'Athènes et de
Lacédémone , ch . XXII-XXIV. — Onzième année de la guerre. Ob-
servations chronologiques sur la durée de la guerre du Péloponèse ,
ch. xxy-xxvI.- Les Argiens se mettent à la tête d'une ligue opposée
TABLE DES MATIÈRES . $591
aux Lacédémoniens , ch. XXVII-XXVIII. Mantinée entre dans la
ligue d'Argos , ch . XXIX.-- Les Lacédémoniens essayent inutilement
d'engager Corinthe et la Béotie dans le traité de paix conclu par
eux avec Athènes , ch. xxx. - Les Éléens , les Corinthiens et les
Chalcidéens entrent dans la ligue d'Argos , ch . XXXI.- Les Athéniens
reprennent Scione. Les Tégéates et les Béotiens refusent d'accéder
à la ligue d'Argos , ch. xxxII. Expédition des Lacédémoniens
contre Parrhasie , ch. XXXIII . Récompenses accordées aux soldats
de Brasidas ; dégradation des prisonniers de Sphactérie , ch . XXXIV.
Prise de Thyssos par les Diens , ch . xxxv. - Dans l'hiver, intri-
gues des éphores pour rompre la paix , ch . xXXVI-XXXVIII . Les
Lacédémoniens concluent une alliance séparée avec les Béotiens ,
ch. XXXIX. Douzième année de la guerre. Pourparlers entre
Argos et Lacédémone , ch. XL-XLI.Les Béotiens rasent Panacton
avant de le rendre aux Athéniens; ceux- ci , irrités à ce sujet contre
les Lacédémoniens , concluent une alliance avec Argos , Mantinée et
Élis , ch. XLII-XLVII . - Corinthe se réconcilie avec Lacédémone ,
ch. XLVIII.- Démêlés entre les Éléens et les Lacédémoniens au
sujet de Lépréon , ch. XLIX-L. - Dans l'hiver , défaite des Héracléotes
par les Etéens , ch. LI. --- Treizième année de la guerre. Expé-
dition d'Alcibiade dans le Péloponèse , ch. LII. Guerre entre Argos
et Epidaure , ch. LIII -LIV. - Dans l'hiver , les Lacédémoniens en-
voient des secours aux Epidauriens ; pour ce motif, les Athéniens
déclarent le traité rompu , ch . LVI.- Quatorzième année de la
guerre. Expédition des Lacédémoniens contre Argos ; trêve de
quatre mois , ch. LVII-LX. - Reprise des hostilités. Les Argiens
s'emparent d'Orchomène et menacent Tégée , ch. LXI - LXII . - · Les
Lacédémoniens marchent au secours des Tégéates , ch. LXIII-LXIV.
-Bataille de Mantinée ; victoire des Lacédémoniens ,. ch. LXV-LXXIV.
Hostilités entre Argos et Epidaure , ch. LXXV. Dans l'hiver ,
paix et alliance des Lacédémoniens et des Argiens , ch . LXXVI-LXXIX.
- Dissolution de la ligue d'Argos , ch . LXXX-LXXXI. Quinzième
année de la guerre. Révolution démocratique à Argos ; alliance
de cette ville avec Athènes, ch . LXXXII . Dans l'hiver , expédition
des Lacédémoniens contre Argos et des Argiens contre Phlionte ,
ch. LXXXIII . Seizième année de la guerre. Expédition des Athé-
niens contre l'île de Mélos , ch. LXXXIV. - Conférence entre les
députés athéniens et les Méliens , ch . LXXXV-CXIII . - Siége de Mélos ,
ch. CXIV.-wd Entreprises diverses des Argiens , des Athéniens , des
Lacédémoniens et des Corinthiens , ch. cxv.-- Dans l'hiver , prise
de Mélos par les Athéniens ; cruel traitement infligé à cette ville ,
ch. CXVI.. 263

LIVRE VI.

Les Athéniens projettent de conquérir la Sicile ; grandeur , population


et colonisation de cette île , ch. I-VI. Expéditions des Lacédémo-

1
592 TABLE DES MATIÈRES .
niens en Argolide et des Athéniens en Macédoine , ch. vII. — Dix-
septième année de la guerre. Les Athéniens décrètent l'envoi d'une
flotte en Sicile pour secourir les Égestains et rétablir les Léontins ,
ch. VIII. Nicias s'oppose à cette expédition , ch . ix-xiv. - Alci-
biade au contraire la recommande , ch. xv-XVIII. ·C Les Athéniens
votent l'expédition de Sicile , ch . XIX . -Nicias cherche à les effrayer
par la grandeur des préparatifs , ch. XX-XXIII . - Son discours pro-
duit l'effet contraire , ch . XXIV-XXV. — Commencement des prépara-
tifs , ch. XXVI. Mutilation des Hermès , ch: xXVII-XXIX . - Départ de
la flotte athénienne , ch . xxx-XXXII. -· A Syracuse Hermocratès an-
nonce l'approche des Athéniens et sollicite des mesures de défense ,
ch. XXXIII-XXXIV . - Athénagoras cherche à le réfuter en parlant
dans le sens populaire , ch. xxXV-XL. Un des généraux met fin au
débat , ch. XLI . — Marche de la flotte athénienne , ch. XLII-XLIV. —
Préparatifs des Syracusains , ch . XLV. Conseil de guerre tenu par
les généraux athéniens , ch . XLVI-XLIX . — Naxos et Catane se décla-
rent pour les Athéniens , ch. L-LII. Rappel d'Alcibiade , ch. LIII.
- Digression sur les Pisistratides , ch . LIV-LIX. - Alcibiade s'échappe ;
il est condamné par contumace , ch . LX-LXI.- Prise d'Hyccara par
les Athéniens , ch . LXII.- Dans l'hiver , les Athéniens abordent près
de Syracuse, battent les Syracusains et retournent à Catane , ch. LXIII-
LXXI. Les Syracusains demandent des secours à Corinthe et à
Lacédémone , ch . LXXII-LXXIII . - Les Athéniens hivernent à Naxos ,
ch. LXXIV. Les Syracusains se fortifient , ch . LXXV. Ambassade
des deux partis à Camarine; discours d'Hermocratès et d'Euphémos ,
ch. LXXVI-LXXXVII. Corinthe et Lacédémone décident l'envoi de
secours à Syracuse , ch . LXXXVIII . - Discours d'Alcibiade , ch. LXXXIX-
XCII. - Gylippe est désigné pour aller prendre le commandement
des Syracusains , ch . XCIII.- Dix-huitième année de la guerre. En-
treprises partielles des Athéniens et des Lacédémoniens , ch. xcIv-
xcv.- Les Athéniens s'établissent sur les Epipoles et entreprennent
le siége de Syracuse , ch. XCVI-XCVII. - Ils commencent l'investis-
sement de la place ; les Syracusains cherchent inutilement à s'y
opposer , ch. XCVIII - CIII. Gylippe arrive en Italie avec des ren-
forts , ch. CIV. Les Lacédémoniens envahissent l'Argolide ; les
Athéniens ravagent les côtes de Laconie ; rupture ouverte de la
paix , ch. cv... 316

LIVRE VII .

Gylippe arrive à Syracuse par Himéra ; il prend le fort de Labdalon ,


ch. I-III. Les Syracusains élèvent un mur à travers les Epipoles ;
lés Athéniens fortifient le Plemmyrion , ch. iv. Deux combats sur
terre ; dans le premier les Syracusains sont vaincus, dans le second
vainqueurs, ch. v-VI.- Arrivée de la flotte corinthienne à Syracuse,
ch. VII.- Nicias demande des renforts à Athènes, ch. vIII. —Expé-
TABLE DES MATIÈRES. 593

dition des Athéniens contre Amphipolis , ch. IX. - Dans l'hiver , la


dépêche de Nicias parvient à Athènes ; son contenu , ch. x-xv. --Eu-]
rymédon et Démosthène sont envoyés en Sicile avec des renforts ,
ch. XVI-XVIII. — Dix-neuvième année de la guerre. Les Lacédémo-
niens entrent en Attique et fortifient Décélie , ch. xix. Envoi
d'une flotte athénienne sur les côtes du Péloponèse , ch . xx. -
Gylippe engage les Syracusains à tenter une bataille navale, ch. xxI.
Attaque du Plemmyrion par terre et par mer ; Gylippe s'empare
des forts; la flotte syracusaine est repoussée , ch . XXII-XXIV. Les
Syracusains envoient douze vaisseaux en Italie , ch . xxv. - Les
Athéniens fortifient un promontoire en Laconie vis-à-vis de Cythère ,
ch. XXVI.- Des Thraces mercenaires pillent la ville de Mycalessos ,
ch. XXVII-XXX.- Démosthène prend des troupes à Corcyre , ch. xxxi.
Les Sicules interceptent un renfort destiné aux Syracusains ,
ch. XXXII. La Sicile entière , excepté Agrigente et les alliés d'A-
thènes , se coalise avec Syracuse , ch . xxxII - Combat naval dans
le golfe de Corinthe , ch. XXXIV. — Démosthène et Eurymédon en
Italie , ch . xxxv. — Deux batailles navales dans le grand port de
. Syracuse ; dans la seconde les Athéniens ont le dessous , ch. xXXVI-
XLI. Démosthène et Eurymédon arrivent au camp , ch. XLII , -
Attaque nocturne des Epipoles ; défaite des Athéniens, ch. XLIII-XLV.
-Les Syracusains appellent de nouveaux secours de Sicile , ch. XLVI.
- Conseil de guerre tenu par les généraux Athéniens , ch . XLVII-
XLIX. Les Athéniens , sur le point de partir, sont retenus par une
éclipse de lune , ch. L-LI.- Grand combat sur terre et sur mer;
défaite des Athéniens , ch. LII-LIV. Leur abattement; espérances
des ennemis , ch. LV-LVI. - Énumération des alliés des deux partis ,
ch. LVII-LVIII. Fermeture du port de Syracuse , ch. LIX. - Les
Athéniens abandonnent leurs lignes sur terre et se préparent à un
combat naval , ch. LX. - Harangue de Nicias , ch . LXI-LXIV. - Pré-
paratifs des Syracusains , ch. LXV. - Harangue de Gylippe , ch. LXVI-
LXVIII.- - Nouvelle exhortation de Nicias , ch . LXIX. - Dernier combat
naval; déroute des Athéniens , ch . LXX-LXXI . - - Ils prennent le parti
de se retirer par terre ; ruse d'Hermocratès pour les arrêter ,
ch. LXXII -LXXIV. - Evacuation du camp par les Athéniens , ch. LXXV-
LXXVI. -- - Discours de Nicias , ch . LXXVII. Retraite des Athéniens ,
ch. LXXVIII-LXXX . - Capitulation de Démosthène , ch. LXXXI-LXXXII .
Massacre de la division de Nicias au passage de l'Assinaros; Ni-
cias se rend à Gylippe, LXXXIII-LXXXV. Mort de Nicias et de Dé-
mosthène; triste sort des captifs , ch . LXXXV-LXXXVII . 374

LIVRE VIII .
Consternation d'Athènes à la nouvelle du désastre de Sicile , chap. I.
Dans l'hiver de la dix-neuvième année , effervescence générale
des Grecs pour prendre part à la guerre , chap. II. — Expédition
594 TABLE DES MATIÈRES.

d'Agis contre les Etéens , chap. шi. - Préparatifs de défense des
Athéniens , chap . IV. L'Eubée , Lesbos , Chios et Erythres mani-
festent l'intention de se révolter contre les Athéniens , chap. v.-
Les Lacédémoniens se décident à secourir d'abord Chios , chap. VI.
Vingtième année de la guerre. Les Lacédémoniens envoient une
flotte à Chios ; elle est bloquée par les Athéniens au port de Piréos
en Corinthie , ch . VII-XI. -- Alcibiade est envoyé par les Lacédémo-
niens en Ionie , ch . XII . - Retour de la flotte péloponésienne de
Sicile à Corinthe , ch. XIII. — Défection de Chios , d'Erythres , de
Clazomènes , de Téos et de Milet , ch. XIV-XVII. - Premier traité
d'alliance des Lacédémoniens avec le roi de Perse , ch. XVIII .
Opérations des Athéniens contre Chios , ch . XIX-XX. Insurrection
démocratique à Samos , ch. XXI. Inutile tentative des Péloponé-
siens sur Lesbos ; les Athéniens soumettent Clazomènes , ch. XXII-
XXIII. Guerre autour de Milet , ch. XXIV-XXVII. Les Péloponé-
siens aident Tissapherne à prendre Iasos et le rebelle Amorgès ,
ch . XXVIII . Dans l'hiver , Tissapherne se rend à Milet et entre en
négociation pour des subsides à fournir aux Péloponésiens , ch . xxix.
-Une partie de la flotte athénienne passe de Samos à Chios, ch. xxx .
-Les Péloponésiens attaquent inutilement Ptéléon et Clazomènes ,
ch. XXXI.-- Lesbos négocie sa défection , ch. XXXII. La flotte
athénienne , partie de Samos pour attaquer Chios , est dispersée par
la tempête , ch. XXXIII-XXXIV . Les Péloponésiens échouent à l'at-
taque de Cnide ; ch . xxxv. - Second traité d'alliance entre les Lacé-
démoniens et le roi de Perse , ch. XXXVI-XXXVII . - Les Athéniens
abordent à Chios , ch. XXXVIII. Les Péloponésiens envoient une
flotte à Pharnabaze , ch . xxxix. Astyochos défait une escadre
athénienne près de Cnide , ch . XL-XLII. - Les commissaires lacédé-
moniens désapprouvent le traité conclu avec Tissapherne, ch . XLIII.
-- Défection de Rhode, ch. XLIV. — Alcibiade , suspect aux Péloponé-
siens , passe chez Tissapherne et l'engage à tenir la balance égale
entre les deux partis , ch . XLV-XLVI .-Ses premières démarches pour
obtenir son rappel , ch . XLVII . Conjuration ourdie à Samos pour
le rappel d'Alcibiade et le renversement de la démocratie à Athènes ,
ch. XLVIII-LIV. Les Athéniens attaquent Rhode et bloquent Chios,
ch. LV. - Démarche infructueuse de Pisandros auprès de Tissa-
pherne et d'Alcibiade , ch . LVI. - Tissapherne conclut avec les
Péloponésiens un troisième traité , ch. LVII-LIX.-Les Béotiens s'em-
parent d'Oropos , ch. LX. Vingt-unième année de la guerre. Les
Chiotes livrent aux Athéniens une bataille navale sans résultat pro-
noncé , ch. LXI . - Défection d'Abydos et de Lampsaque; les Athé-
niens reprennent cette dernière , ch . LXII . ― Pisandros et les con-
jurés établissent l'oligarchie d'abord à Samos , puis à Athènes.
Gouvernement des Quatre-Cents , ch. LXIII-LXXI. ― L'armée athé-
nienne à Samos se déclare pour le maintien de la démocratie ,
ch. LXXII-LXXVII. - Mécontentement des Péloponésiens contre As-
tyochos , ch. LXXVIII-LXXIX. › -- Les Péloponésiens envoient qua-
TABLE DES MATIÈRES. 595

rante vaisseaux à Pharnabaze ; défection de Byzance , ch. LXXX.


Alcibiade rappelé par l'armée athénienne revient à Samos , où il est
élu général , ch . LXXXI-LXXXII. - Emeute de l'armée péloponésienne
à Milet contre Astyochos ; celui-ci est remplacé par Mindaros ,
ch. LXXXIII-LXXXV. ― Des députés des Quatre-Cents arrivent à
Samos et essayent en vain de faire accepter ce gouvernement par
l'armée , ch. LXXXVI . Tissapherne et Alcibiade se rendent à As-
pendos au- devant de la flotte phénicienne , ch . LXXXVII-LXXXVIII . Ging
Opposition que rencontre à Athènes l'établissement de l'oligarchie ,
ch. LXXXIX-XCIII . -
· Une flotte péloponésienne fait révolter l'Eubée ,
ch. XCIV-XCVI.—- Les Athéniens déposent les Quatre-Cents et instituent
un gouvernement composé de cinq mille citoyens, ch. XCVII -XCVIII.
A l'invitation de Pharnabaze , les Péloponésiens passent dans
l'Hellespont; la flotte athénienne les suit , ch. XCIX- CIII.- Bataille
-
navale de Cynosséma ; les Athéniens sont vainqueurs , ch. CIV-CVI.
Les Athéniens reprennent Cyzique , ch. cvi ..- Retour d'Alci-
biade et de Tissapherne; ce dernier se rend dans l'Hellespont ,
ch. CVIII-CIX.... 424
NOTES.. 483
TABLE ALPHABÉTIQUE des noms et des choses . 561

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.

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artificiels pisciculture ; abeilles , vers à soie ; animaux et in-
sectes nuisibles : - maladies des plantes, etc.;
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à initier le public aux progrès des connaissances humaines , et
à mettre la science à la portée du plus grand nombre. Les
sciences morales et politiques, les sciences physiques et natu-
relles , l'histoire et la géographie, le droit et la médecine, l'agri-
culture, l'industrie et le commerce , ont aujourd'hui leurs traités
spéciaux, leurs dictionnaires particuliers, dans lesquels les es-
prits curieux de s'instruire peuvent puiser des notions utiles et
intéressantes, apprendre la définition et l'étymologie des termes
techniques, l'origine et les progrès des inventions, les procédés
industriels de tout genre. Mais il y a un point de vue sous le-
3

quel les choses n'ont pas encore été considérées , c'est la


science pratique de la vie. S'il importe que personne ne reste
complétement étranger aux notions générales des sciences hu-
maines , il n'est pas moins important que chacun connaisse
exactement les moyens de satisfaire à toutes les exigences de
sa condition , à tous les devoirs de la société . Il y avait là là
matière d'un livre utile à faire : c'est ce livre dont nous annon-
çons aujourd'hui la publication sous le titre de Dictionnaire
universel de la vie pratique à la ville et à la campagne.
Le titre seul de cet ouvrage indique déjà suffisamment et la
pensée qui l'a fait entreprendre et le but éminemment utile
qu'on s'est proposé d'atteindre.
Réunir dans le plus commode des cadres , celui d'un dic-
tionnaire , et sous la forme la plus favorable aux recherches,
c'est-à-dire la forme alphabétique , la connaissance exacte de
tous les intérêts et de tous les devoirs de la vie ; mettre à la
portée des lecteurs toutes les notions usuelles , tous les rensei-
gnements utiles dont ils ont journellement besoin ; indiquer ce
qu'ils doivent faire dans toute espèce de circonstances ; leur
éviter des pertes de temps qu'entraînent les incertitudes, les
démarches inutiles, les embarras de tout genre ; répondre aux
mille questions qu'on se pose tous les jours et qu'on adresse
souvent à dix personnes sans pouvoir obtenir une solution
satisfaisante ; fournir enfin à chacun un guide sûr et fidèle qui
le mette en état de faire ses affaires lui-même et de résoudre,
sans autre peine que celle d'ouvrir un livre, toutes les difficul-
tés qui se rencontrent dans le cours ordinaire de la vie, tels
sont en peu de mots les avantages qui peuvent recommander
cette nouvelle publication à l'attention des classes diverses de
la société.
Propriétaire ou locataire d'une maison de ville ou de cam-
pagne, d'un appartement, d'une ferme, d'un bois , on a souvent
à rédiger ou à signer un bail sous seing privé, à donner des
quittances, à demander des réparations, à faire constater un
délit forestier ou un délit de chasse; mais la plupart du temps
on ignore la manière de procéder dans ces diverses circon-
stances, la forme dans laquelle les actes doivent être rédigés ,
les obligations qu'ils imposent, les formalités qu'ils exigent,
les frais qu'ils peuvent entraîner. Veut- on obtenir une conces-
sion d'eau, une concession de mines; s'assurer la propriété
d'une œuvre littéraire ou artistique, prendre un brevet d'in-
vention, se faire délivrer un passe-port, un permis de chasse?
On se demande souvent à qui il faut s'adresser et dans quelle
forme. ་ S'agit- il d'une déclaration de naissance ou de décès ,
de la célébration d'un mariage , d'un engagement militaire , d'un
placement de fonds , de la constatation d'un incendie ? Nou-
velles obligations , nouvelles formalités, nouvelles démarches
également embarrassantes. Un père , une mère de famille
recherchent-ils quels sont les avantages , les inconvénients et
les conditions d'une carrière, d'une profession pour un fils ?
quels sont pour de jeunes enfants les soins d'hygiène les plus
simples et les meilleurs ? quels moyens peuvent rendre plus .
faciles l'ordre et l'économie dans un ménage ? -Enfin, on veut
savoir à quoi obligent les devoirs religieux , les devoirs de so-
ciété, les règles du savoir-vivre, et, dans un autre ordre d'idées ,
quels sont les meilleurs procédés de chasse et de pêche , quelles
sont les meilleures recettes d'économie domestique ?
Pour trouver une réponse à ces questions et à tant d'autres
semblables, il fallait jusqu'ici se procurer des ouvrages spé-
ciaux et souvent coûteux , consulter une foule de documents
qu'on n'a pas sous la main , ou chercher au loin les conseils des
hommes expérimentés . Le Dictionnaire de la vie pratique a pour
objet de répondre sur tous ces points à tout le monde. Pro-
priétaires, commerçants , industriels , agriculteurs , ménagères,
pères de famille, tuteurs , maîtres ou domestiques, patrons, ou-
vriers et apprentis ; électeurs, gardes nationaux, maires ou
conseillers municipaux, chacun dans les diverses conditions
de la vie, pourra avoir auprès de lui comme un guide universel
ce vaste répertoire d'indications sûres et précises. Religion,
droit et législation ; administration , assurances et tontines ;
industrie et commerce, agriculture, horticulture et sylviculture ;
médecine domestique, hygiène et art vétérinaire ; économie
domestique et rurale ; cuisine et office ; méthodes d'ensei-
gnement , exercices du corps ; chasse , pêche , jeux de toute
sorte, etc.; toutes ces matières ont été abordées au point de
vue purement pratique, dans tout ce qui peut intéresser cha-
cun, à Paris et dans les départements , à la ville comme à la
campagne.
Malgré l'étendue de son plan et l'importance des matières
qui y sont traitées , le Dictionnaire universel de la vie pratique
ne forme qu'un volume, mais ce volume , avec ses quatre mille
colonnes , a permis que toute espèce de renseignements usuels,
toute notion pratique de quelque importance put y trouver
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Homère : OEuvres complètes , tra-
duction nouvelle , suivie d'un Es- Sénèque le philosophe : OEuvres
sai d'encyclopédie homérique , par complètes, traduction nouvelle avec
M. P. Giguet. 5e édition . 1 volume. une notice sur la vie et les écrits de
Lucien : OEuvres complètes, trad . l'auteur et des notes , par J. Bail-
nouv. , suivie d'une table analytique, lard. 2 volumes.
par M. E. Talbot, professeur de Tacite : OEuvres complètes, traduites
rhétorique au collège Rollin . 2 vol . en français par J. L. Burnouf, avec
Thucydide : Histoire de la Guerre une introduction et des notes.
du Péloponèse , traduction nouvelle 1 volume.

Paris. Imprimerie de Ch. Lahure et Cie, rue de Fleurus, 9

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