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THECA S. J.
Saint-Augustin
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A S14 / २०५
DE

LA VÉRITABLE
DÉVOTION ;
Traité traduit de Italien de
DE L. A. MURATORI ,

Sur l'Édition de Veniſe de 1766.

VET

BIBLIOTHÈQUE S. J.
Pri Fontaines
A PARIS , 60 SHANTILLY
Chez LAMBERT , Imprimeur , rue de la Harpe.
Veuve MEQUIGNON , rue de la Juiverie.
LOTTIN , le jeune , rue Saint Jacques.
Veuve DESAINT , rue du Foin .
MORIN , Imprimeur , rue Saint Jacques.
BRADEL, rue d'Écoſſe, près Saint Hilaire.

M. DCC. LXXVIII

7
ij

ALL'IMMORTALE

G A N G A N E LLI ,
Pontefice illuminato , gran Principe,
dotto e pio Religioſo.
LA morte per il Criſtiano , per il
vero Filoſofo non è che un paſſaggio fe
lice all’immortalità . Eh come potrebbe
mai morire un Pontefice tal che fù Gan
ganelli ? Ei vive per tutti coloro che
amano la religione, la virtù , le lettere ,
e quella prezioſa ilarità che naſce dalla
pace dell'anima , e che la calma del
chioſtro unqua non puote alterare. Si ,
Santiſimo' Padre la rimembranza di
quelle bonià onde piacquevi d'onorarmi
non ſi cancllerà mai in me , mi ſarà più
preſente , più cara ſempre mi farà di
quella dei teſori infiniti , che Roma ano
tica , e moderna offre dei curiofi allo
Sguardo. Fautore zelante delle buona
>
iij

)
A L'IMMORTEL

GANG ANELLI,
Pontife éclairé , grand Prince , pieux
& fayant Religieux.
Pour le Chrétien , pour le vrai
Philoſophe , la mort n'eſt que le pré
lude de l'immortalité. Eh ! comment
un Pontife tel que GANGANELLI pour
roit-il ceſſer d'être ? Il vit à jamais
pour ceux qui aiment la Religion , les
lettres , la vertu , & cette gaieté pré
cieuſe qui naît de la paix de l’aine ,
& que le calme du cloître ne pût
jamais altérer. Oui , T. S. P. le ſou
venir de vos bontés me fera toujours
plus préſent & plus cher , que celui
des tréſors fans nombre que Rome
ancienne & moderne peut offrir à la
curioſité. Partifan zélé des bons ou
a ij
iv
opere, voi tenevate in gran pregio queſto
trattato del Muratori : non cellavate di
conſigliarne la lettura ; ho creduto dun
que non potervi preſentare un omaggio
più ſicuro del profondo mio offequio ,
e della mia riconoſcenza che con farvelo
comparire davanti tradotto nel mio lin
guaggio. Degnatevi, Santiſſimo Padre ,
digradirlo , e di ottenere in prò d'una
nazione ( dicui facevate voſtra delizia
il chiamaryi particolarmente il Pa
dre * ) , l'amore , e la praticà di
quelle virtù , di cui ſieteſtato tutta la
vita vofira il modello.
G * * *

* Parola che ſpeſo ripeteva Clemente XIV ,


e per giudicare del genio ch'egli aveva per i
France , pofono conſultarfi i ſuoi ſcritti di .
cui la craduzione è il più bel dono che l Edi
tore abbia potuto fare alle lettere , ed alla
religione

.
vrages , vous eſtimiez ce traité de
Muratori ; vous ne ceſſiez d'en con
ſeiller la lecture; & j'ai cru ne pou
voir vous offrir un hommage plus ſûr
de mon profond reſpect & de ma
reconnoiſſance , qu'en le traduiſant.
Daignez , T. S. P. l'agréer , & obtenir
à une nation dont vous aimiez à vous
dire particulièrement le Père ( 1 ) , l'a
mour & la pratique des vertus , dont
vous avez été toute votre vie le
modèle.

G * * *

( 1 ) C'éroic un mot que Clément XIV répé


toit ſouvent; & pour juger de ſon goût pour
les François , on peut conſulter ſes écrits >

dont la traduction eſt le plus beau préſent que


l'Editeur pût faire aux lettres & à la religion ,
Les lettres italiennes ſe vendent chez Pifſor,
Quai des Auguſtins, & le portrait de Ganga
nelli, d'après l'original de Battoni, chez Bradel,
Graveur, maiſon deM. Deſprez, rue S. Jacques.
a lij
vj

P R É F A C E.
Qu'il eft confolant de voir un
des hommes le plus ſavant & qui
connoiſſoit le mieux l'antiquité ,
prendre en main la défenſe de la
Religion, arracher le bandeau de la
ſuperſtition , & faire paroître dans
tout ſon éclat la véritable piété !
Le nom ſeul de Muratori ſuffiroit
pour faire l'éloge du livre dont
je donne aujourd'hui la traduc
tion , s'il ne réuniſſoit encore les
ſuffrages des deux Pontifes les plus
éclairés , & les plus reſpectables
qu'on ait vu ſur la chaire de S.
Pierre. Lambertini & Ganganelli ne
tariſſoient point en éloges du livre
de Muratori , & c'étoit l'ouvrage
que Benoît XIV indiquoit à une
Princeſſe célèbre , dont l'Europe
admire les vertus , & devenue
PR É F A C E. vij
preſque auſſi chère à la France
qu'à ſes ſujets, depuis qu'elle en
a reçu ſa Souveraine. Il eſt vrai
que dans un ſiécle auſſi diſlipé
que le nôtre , le ſujet eſt un peu
ſombre pour quiconque ne s'oc
cupe que de frivolités ou de ſpec
tacles ; mais ſans la préſomption
la plus folle , pouvons-nous né
gliger une étude qui n'a jamais
ceffé d'être celle des meilleurs
eſprits , & qui dans le fond eſt la
ſeule vraimentintéreſſante ? La pre
mière condition pour juger , eft de
le faire avec connoiſſance de cauſe ;
& le peut- on ſans s'inſtruire ? J'ofe
aſſurer que ſi on lit Muratori ſans
prévention , on trouvera fes preu
ves fi claires , ſes raiſonnemens
ſi juſtes , ſes réflexions ſi naturel
les , qu'on ne pourra manquer
d'être ébranlé , & peut-être con
duit à une façon de penſer nou

!
viij PRÉ F A C E.
velle & plus vraie. Son livre eſt à la
portée de tout le monde , & fait
pour les ignorans comme pour les
ſavans. Il cât aiſément pu faire
étalage d'érudition ; ( qui , ſur cet
article , étoit plus en fond que
lui ? ) mais peu jaloux de briller ,
pourvu qu'il fût utile , il n'a pen
ſé qu'à montrer la vérité & à la
faire aimer : j'aurois deſiré que
ſon ouvrage eût été moins char
gé de répétitions ; j'ai même été
tenté d'en élaguer quelques -unes ;
mais j'ai mieux aimé , dans un
ouvrage de dogme & de morale ,
courir le riſque d'être moins con
cis & être plus clair ; d'ailleurs ,
le copiſte d'un grand peintre eſt
il fait pour corriger les défauts
de ſon maître ! J'ai donc traduit
Muratori tel qu'il exiſte dans ſon
idiôme , & je ne doute point qu'il
ne ſoit accueilli , malgré la quan
PRÉ F À CE. ix
tité de bons livres que nous
avons en France ; je le crois eni
core très- capable de diſſiper la pré
vention où nous ſommes , qu'on
ne s'attache en Italie qu'à l'écorce

de la Religion; je puis certifier que
les lumières , les livres ſolides ,
les bons exemples n'y manquent
pas plus que dans le reſte de l’Eu
rope ; & là , comme ailleurs , la
ſuperſtition n'eſt que le partage
des ignorans , ou des gens qui
veulent ſe tromper .
La vie d'un homme tel que
Muratori, ne peut offrir beaucoup
de faits capables de piquer la cu
rioſité ; le cabinet d'un ſavant eſt
un ſéjour tranquille, où règnent
le ſilence & la paix ; cependant
je vais indiquer quelques traits
de ſa vie pour ceux qui ſeroient
jaloux de le connoître.
Muratori naquit de parens ob
P R É F A C E.
ſcurs dans le Duché de Modène , à
la fin d'O &tobre 1672. D'excellen
tes études , l'amour de la retraite ,
& le goût pour toutes lesſciences,
ſervi par une mémoire prodigieu
ſe , le portèrent à embraſſer l'état
Eccléſiaſtique; il s'étoit d'abord
deſtiné à la juriſprudence , mais
il s'en dégoûta bientôt , & fut
nommé Bibliothécaire à Milan.
C'eſt dans la bibliothèque ambroi
ſienne, le dépôt de toutes les
ſciences, & pendant le cours d'une
vie longue & laborieuſe , que
Muratori a puiſé ces grandes con
noiſſances , dont il a donné des
preuves dans tous les genres : lit
térature , philoſophie , morale ,
hiſtoire , religion ,politique , tout
a été de ſon reffort. Rappelé de
puis à Modène par ſon ſouverain ,
il fut fon Bibliothécaire , & nom
mé à la Cure de Sainte Marie de
P R É F A C E. xi
Pompoſa. Il y remplit la fonction
de Paſteur pendant 17 ans , & le
fruit de ſes inſtructions dure en
core , ainſi que les établiſſemens
utiles qu'il y fit pour le ſoulage
ment des pauvres. Une incom
modité , ſurvenue à Muratori , l'o
bligea de quitter ſa Cure , & le
temps qu'il recouvra par ſa dé
miſſion , fut employé à cette foule
d'ouvrages qu'il donna ſucceſſive
ment ; leur nombre eſt incroyable ,
puiſqu'il ne monte pas à moins de
120 vol. preſque tous in - 4º. ſans
compter une grande quantité de
lettres & de diſſertations , ſoit
manuſcrites , ſoit imprimées dans
des recueils. Muratori étoit trop
jaloux de ſon temps pour l'em.
ployer à répondre à des critiques
dictées par la jalouſie ou l'eſprit de
parti. Telle fut celle du livre dont
je donne la traduction , & qui ne
xij PR É F A CE,
pouvoit partir que de caſuiſtes re
lâchés , dont les principes étoient
directement contraires aux fiens.
Après avoir joui long-tempsd'une
ſanté conſervée par la ſobriété ,
Muratori mourut en 1750 , âgé de
77 ans , dans les ſentimens de pié
té & de réſignation qu'il avoit
pratiqués toute ſa vie. Il fut en
terré à Sainte Marie de Pompoſa , &
les louanges ſi ſouvent prodiguées
dans les épitaphes , ne ſont dans
la ſienne que l'expreſſion de la vé.
rité. Elle porte qu'il fut conſtam
ment l'ami des pauvres , auſſi mo
deſte que favant, & qu'il édifia
plus encore par ſes vertus , qu'il
n'éclaira par ſes ouvrages .

DE
IDADIN PORTU

D E

LA VÉRITABLE
DÉVOTION.
CHAPITRE PREMIER .

De la dévotion que Dieu exige de nous ,


pour que nous ſoyons de vrais Chrée
tiens.

DuU MOMENT que , par la grâce de


Dieu , nous ſommes régénérés dans les
faintes Eaux du Baptême, nous por
tons le nom de Chrétiens , & nous
devons ſuivre l'excellente Religion de
J. C. Mais les devoirs qu'elle impofe
font-ils bien connus ? On n'en contracte
A
2 DE LA VÉRITABLE
l'obligation que dans l'enfance la plus
tendre , c'eſt -à -dire , dans le temps le
moins propre à ſentir l'étendue de l'en
gagement qu'on vient de s'impoſer.
Parvenus à l'âge de raiſon , que de nuan
ces différentes ne voit -on pas parmi les
Chrétiens ? Les uns , qui ne le font que
denom , s'abandonnent à toutes les ini
quités que réprouve la ſainte Religion
qu'ils profeſſent: d'autres ſe croyent juf
tifiés, pourvu qu'ils faſſent le ſigne de
la croix , & qu'ils aſſiſtent nonchalam
ment à la Meſſe les jours de Fêtes &
les Dimanches. Moins occupés de la
crainte de Dieu que de leurs affaires ,
de leurs plaiſirs, ou de leur repos ,
leur unique étude eſt de ſatisfaire leurs
deſirs , quelque déréglés qu'ils ſoient,
Plût à Dieu que le nombre fût moins
grand de cette eſpèce de Chrétiens ſi
froids , fi indifférens ſur la grande af
faire du ſalut ! Il eſt donc néceſſaire d'in
diquer les conditions auxquelles, par

1
DÉVOTION.
le moyen du Baptême , nous ſommes
admis dans l'Egliſe de Dieu , & dans
l'affemblée des fidèles. Il en eſt des
Chrétiens comme des Soldats , qui ,
en s'engageant fous l'étendard d'un
Prince , s'obligent non -ſeulement à exé
cuter tous ſes ordres , mais même à fa
acifier leur vie pour ſon ſervice : ils ont
renoncé à tout attachement inondain ,
à toute action vicieuſe , ou condamna
ble , pour ne connoître d'autre maître
que Dieu , la ſource & le principe de
la vertu & de la ſainteté. Le Chré.
dien a promis d'obſerver fes Comman
demens , de l'aimer par -deſſus tout , &
ſon prochain comme lui-même; enfin ,
de ne s'écarter jamais en rien de ſon
ſervice. Dieu , de ſon côté , bien dif
férent des Princes de la terre , qui ſa
vent fi mal récompenſer ceux qui les fer
vent , s'engage de l'affifter dans ſesten
tations ; & ſi, par une ſuite de l'huma
nité , il ſuccombe aux aſſauts de la con
Ai
DE LA VÉRITABLE
cupiſcence , & tranſgreſſe la loi qu'il lui
a impoſée , il a promis de recevoir tou
jours avec miféricorde celui qu’un re
pentir ſincère lui ramène , & a inſtitué ,
à cet effet, le tribunal de la Penitence .
La bonté de Dieu ne s'arrête pas là ;
elle a encore préparé à quiconque le
ſert avec fidélité , une récompenſe d'un
prix immenſe , ou , pour mieux dire ,
infinie , puiſque le fidèle jouira dans
le Paradis , de la vue de Dieu : bonheur
vraiment infini, puiſqu'il n'aura d'au
tres bornes que celles de l'éternité.
Il exiſte donc dans le Baptême une
convention mutuelle entre Dieu &
l'homme. Celui - ci s'engage à aimec
fon Créateur , & à ne connoître d'au
tres loix & d'autre volonté que la fien
ne. Cette obligation s'appelle en latin
devovere se , ſe dévouer ; & de ce mot
dérive celui de dévotion , qui exprime
cette affection , cette obéiſſance à la
quelle s'engage tout homme qui ſe con :

1
DEVOTION. 5
facrant au ſervice de Dieu dans le Bap
tême , contracte toutes les obligations
du Chriſtianiſme : aufli l'Ange de l'é
cole dit-il , „ la dévotion vient de dé
» vouement : c'eſt pourquoi l'on nom
» me dévots ceux qui s'abandonnent tel
» lement à Dieu , qu'ils ne ſont occu
9
pés que de le ſervir; ( & il ajoute )
» ce qui prouve que la dévotion n'eft
Th. 24.
» autre choſe qu'une volonté décidée de, s.la ſeconde
Queſt,i . 82.Ar
» de faire tout ce qu'ordonne la loi ticle
» divine » . La dévotion eſt conſéquem
ment un acte de Religion néceſſaire à
quiconque profeſſe le Chriſtianiſme,
& du plus grand mérite pour tout Chré
tien. Ainſi qu'un vrai ſoldat , il doit
être toujours prêt à prouver , par ſes
actions, la fidélité & ſon exactitude.
Quoique la piété ſoit réellement diſtin
guée de la dévotion , la première
n'ayant pour objet que l'amour de Dieu
conſidéré comme père , & la ſeconde
embraſſanttous ſes attributs , on eſt ce
A iij
6 DE LA VÉRITABLE
pendant accoutumé à les confondre, & ;
dans le fond , elles ſont la même choſes
lorſque , par homme dévot ou pieux, on
veut déſigner ce ſentiment de l'ame
qui s'élève à Dieu comme ſon mal
tre & ſon père. Il eſt de la néceflité la
plus importante de nous rappeler & de
bien peſer toutes les conditions de cer
accord entre l'homme & Dieu . Admis
au Baptême dans un âge où la raiſon
f
ne jouit d'aucun de ſes droits , notre
devoir le plus eſſentiel, lorſqu'elle nous
éclaire , n'eſt -il pas de connoître certe
dévotion proprement dite , qui renfer
me tous les devoirs du Chrétien , c'eſt
à - dire , de quiconque eſt admis à être
enfant de Dieu ?Pareille obligation , il
faut l'avouer , ne peut manquer de pa
roître dure , & même infupportable à
bien des Chrétiens , principalement à
ceux qui ſont plongés dans les plai
firs, parce que nous portons dans nous
un maître impérieux, preſque toujours.
DÉ V OTION. 7
en contradiction avec Dieu & la Reli
gion. D'ailleurs, ſans ceſſe en burte a
l'attrait & à la ſource des tentations
nous ſommes dans un combat perpé
tuel , & dans un péril toujours pro
chain , de ne pas tenir à Dieu ce que
nous lui avons promis. Il eſt cepen
dant très - certain que Dieu n'exige
pas de nous des choſes impoſſibles , &
que le ſecours de ſa grâce , qui ne
manque jamais à perſonne , nous fera
toujours obſerver ce qu'il nous com
mande; ainſi, n'accuſons dans nos
fautes que notre lâcheté , & l'oubli
que nous aurons fait de recourir á lui
dans l'aſſaut le plus vif, la criſe la plus
forte de la tentation .
Il faudroit, en outre , avoir toujours
bien préſente une vérité importante ,
& à laquelle cependant les Chrétiens
font très - peu d'attention : c'eſt que
Dieu ne nous commande jamais rien
que pour notre plus grand bien ; de
A iv
& DE LA VÉRITABLE
façon qne quand les préceptes ne fc
roient pas un devoir , nous devrions
toujours les ſuivre , pour peu que nous
fuſſions réellement jaloux de notre
bonheur même temporel. En obſer
vant exactement tous les préceptes du
Décalogue, que deviennent tous les
vices capitaux , tels que l'orgueil , l'a
varice , l'impureté, & c ? Rien de ce qui
y eſt commandé , ne l'eſt que pour notre
propre utilité , puiſque toute action ou
toute omiſſion condainnable , ne peut
que nuire au public ou au particulier.
Le tort même que nous faiſons aux
autres rejaillit toujours ſur nous , ſoit
en nous faiſant encourir les peines im
poſées par les loix , ſoit par la perte de
l'eſtime & de la répuration , qui eſt un
des biens dont nous devons être le
plus jaloux ; ſoit enfin par celle
des biens , de la ſanté , & du calme de
la conſcience , qui eſt le tréſor le plus
précieux ſur la terre. Dieu veut que
DEVOTION. 2
nous réſiftions aux fouffles empoiſon
nés de l'impureté , à la colère , à la
gourmandiſe , à la vengeance : n'eſt
ce pas nous ordonner notre bonheur ?
La Philofophie payenne ne connut que
trop l'importance de cette morale , ou
plutôt fa néceſſité : elle ſentoit bien
que c'étoit le ſeul moyen de nous épar
gner des maux , & de nous conduire
au vrai bonheur. Dieu nous commande
l'humilité , la charité , c'eſt - à -dire , un
amour mutuel pour nos ſemblables
qui ſont nos frères, l'horreur de la fauf
feté, de la fourberie , la tempérance ,
la juſtice , &c. tout ſe réduit à n'or
donner que ce que la nature elle-même
nous indique pour notre félicité , &
dont l'oubli , ou le mépris ne peut que
faire notre tourment , ou diminuer au
moins le bonheur dont nous jouiſſons.
C'eſt donc une folie de ne pas re
parr ſes Com
connoître que Dieu , pa
mandemens , ne veut que notre bier:
Av .
JO DE LA VÉRITABLE
quelle eſt alors notre injuſtice & notre
ingratitude , fi, au lieu de le remercier ,
nous nous plaignons de la rigueur de
fes loix ? Elles ne tendent toutes qu’à
nous rendre heureux dans cette vie ,
& à nous procurer un bonheur éter
nel dans l'autre .
L'étude la plus ſérieuſe pour nous ,
eſt de bien connoître en quoi con
fifte cette vraie dévotion qui caracté
riſe le Chrétien ; l'amour de la nou
veauté , qui cherche autant à s'exercer
dans le monde fpirituel que dans le
politique , n'a pas manqué d'introdui
re pluſieurs eſpèces de dévotions , qu'on
nomme communément dévotions par
ticulières , & que nous ne diſcuterons
pas pour le moment. La nouveauté
peut certainement inventer des cultes
nouveaux très-légitimes, & fournir de
nouveaux moye is très - louables pour
honorer Dieu , & ranimer l'amour que
nous lui devons : d'un autre côté , elle
DEVOTION. 11

peut ſurcharger la Religion de ſuper


Auités , & ſouvent de pratiques con
dainnables. Il eſt des dévotions eſſen
tielles , néceſſaires, utiles au Chrétien ;
de ce nombre , ſont celles que nous te
nons de notre divin Légiſlateur lui
même, de ſes Apôtres , inftruits à ſon
école , ou de l'Egliſe , qui eſt ſon in
terprète fidèle. Il en eſt d'autres que
nous devons aux hommes , dont quel
ques unes , il faut l'avouer , peuvent
être recommandées comme très- utiles ;
d'autres ſont ſuperficielles , & de peu
de valeur ; d'autres , enfin , ſuperſtitieu
ſes & très- condamnables . Il y a plus s
les dévotions les plus néceſſaires, les
plus eſſentielles , peuvent , par l'abus
qu'on en fait , nous perdre au lieu
de nous ſanctifier. Quelle inftitution ,
par exemple, eſt plus marquée au coin
de la miſéricorde divine , que celle
du Sacrement de Pénitence ? Reſſour
ce inépuiſable de grâces pour tout pé
A vi
I 2 DE LA VÉRITABLE
cheur qui confeſſe ſes péchés avec
repentir , & la réſolution bien éprouvée
de ſe corriger. Cependant , combien
voit-on de perſonnes qui , par une
fauſſe confiance en la bonté de Dieu ,
dorment profondément dans l'iniqui
té , ou retournent avec fureur à ces
même vices , qu'ils déteſtoient un mo
ment auparavant.
Pour bien régler la dévorion , il
faut diſtinguer , dans le nombre des
actions pieuſes , celles qui ſont indif
penſables, de celles qui ne ſont que
ſurérogatoires , ou qui n'ont que l'écor
ce de la piété. Je croirois très-utile
d'indiquer toutes celles qui ſont fri
voles ou irrégulières ; mais le champ
eſt trop vaſte , & je me contenterai
d'un eſſai ſur ce ſujet; d'ailleurs , j'ai
à craindre les ignorans & les ſuperſti
tieux , qui pourroient m'accuſer de
décruire le bon grain , en arrachant
l'ivraie : objection d'autant plus fauf
DEVOTION. 13

ſe, que la parole de l'Evangile déligne


les bons & les méchans que l'Egliſe
renferme dans ſon ſein , & nullement
les abus de la piété. Il eſt conſéquem
ment utile & néceſſaire de réfuter ,
autant que l'on peut, les doctrines dan
gereuſes , parce qu'elles terniſſent la
pureté de notre croyance , & qu'un
Chrétien ne doit avoir rien de plus
cher que l'honneur de l'Egliſe.
Il eſt certain que parmi les fidèles,
il ſe trouve des opinions & des pra
tiques déréglées, fruits de l'intérêt ,
de la vaine gloire , de la inalice &
de l'ignorance : quoiqu'elles ſoient ſou
vent tolérées , il n'eſt pas moins vrai
qu'elles portent avec elles l'empreinte
du déſordre, & qu'elles ne peuvent
manquer d'être rejerées par quiconque
aime la vérité ſans réſerve , principa
lement dans ce qui touche la Religion.
Aucun ſiècle ne fur exempt d'abus ou
d'excès dans la dévotion. Les SS. Pères
14 DE LA VÉRITABLE

conviennent que l'Egliſe de Dieu n'a


jamais été fans ce mauvais levain , &
qu'elle en ſera toujours infectée. Mais
ces défauts ne peuvent jamais être ceux
de l'Egliſe, puiſqu'elle les condamne
ou racitement ou formellement. Qu'on
ouvre les Conciles , les Cathéchiſmes ,
& principalement ceux de l'Egliſe Ro
maine , qui eſt à la tête de toutes les
autres , on y verra ces abus réprouvés ,
& toutes ces mauvaiſes herbes arra
chées de la vigne du Seigneur. Mon
travail ſe réduit donc à remettre ſous
les yeux ce qui eſt vraiement impor
tant dans la dévotion & la piété chré
tienne, tant pour ce qui fait ſon ef
fence , que par rapport aux moyens
de l’acquérir, de l'alimenter & de
l'accroître. Quiconque aura les quali
tés que je vais indiquer , fera vrai
ment pieux ; fans elles on pourra bien
s'imaginer l'être , mais on ne le ſera
1
DEVOTION.
I等
jamais ni aux yeux de Dieu , ni à
ceux des gens ſages & inſtruits.

CHAPITRE I I.

De la dévotion envers Dicu .

AINSI
INSI que nous l'avons dit , nous:
entendons par le mot dévotion , ce
mouvement de reſpect & d'amour
qui s'élève dans notre cæur pour l'Etre:
dont nous dépendons , & dont tous
les attributs font aimables, Sûrs du
pouvoir qu'il a de nous récompenſer ,
nous nous engageons à fon ſervice ,
& nos actions ne tendent qu'à lui
plaire , & à mériter ſes bontés : nous
avons ſur la terre des Rois , des Maî
tres des Supérieurs; l'intérêt nous.
porte toujours à nous attacher à quel
qu'un d'eux , nous lui faiſons notre
cour avec afliduité , dans l'eſpoir d'en
obtenir quelque grace , & notre atta-,
16 DE LA VÉRITABLE
chement , ainſi que notre reſpect , aug.
mentent toujours en raiſon des fa
veurs qu'il nous accorde , ou des
qualités que nous découvrons en lui.
Mais , quel Prince peut-on comparer
à Dieu ? Aimable en lui-même , c'eſt
de lui que nous tenons notre être ,
notre conſervation , tous les biens dont
nous jouiſſons, ſans parler de ceux
qu'il nous promet , & qui ne peuvent
jamais être comparés aux premiers. La
raiſon & la nature s'accordent donc
pour nous apprendre que notre pre
mier hommage doit être pour le Maî
tre tout-puiſſant que nous connoiſſons;
c'eſt ce que dit formellement Saint
S. Ambr. Ambroiſe : ce ſentiment , ſelon lui ,
1.
de. Abr
mo .
aha -eſt le premier dans l'ordre , & le fon
dement de toute vertu ; auſi, Dieu
l'exige-t-il de nous.... Le S. Docteur
conclud de-là , qu'il faut être telle
ment ſerviteur de Dieu , que nous ne
connoillion plus d'autre volonté que
DEVOTION. 17

la ſienne, & que nous ſoyons toujours


prêts à tout abandonner pour le ſui
vre lorſqu'il nous appelle. Je crois
maintenant néceſſaire , en faveur des
gens moins inſtruits , de bien faire con
noître ce Dieu à qui toute créature
raiſonnable doit l'hommage fans ré
ſerve de tout ſon être : il n'eſt que
. trop vrai que le nom de Dieu ſe
trouve dans toutes les bouches , &
ſouvent ſans le reſpect qu'il mérite ;
mais combien de perſonnes ne le con
noillent pas , & n'y parviendront ja
mais ! Demandez-leur ce que c'eſt que
Dieu , elles vous répondront que c'eſt
N. S. J. C. parce qu'elles en connoiſ
ſent les images , qu'elles ſavent qu'il
exiſte , & qu'on l'adore dans l'Eucha
riſtie ; elles ne pourront rien dire de
plus ; & quoiqu'elles ayent appris dans
l'enfance ce que c'eſt que la Sainte
Trinité, & que même elles la nom
ment en faiſant journellement le ſigne
1

18 DE LA VÉRITABLE
de la croix , elles n'attachent cependant
aucun ſens à ce qu'elles prononcent ;
Contentes de rapporter toute leur ado
ration à J. C. qui certainement eſt
Dieu ; mais , ſans donner à leurs pen
ſées tout l'eſſor qu'elles devroient
avoir , elles n'ont pas la plus légère
idée de l'enſeignement de l'Egliſe , fur
ce qui concerne proprement Dieu. C'eſt
à cette eſpèce de gens , & même à
ceux chargés , par état, de les inſtruire ,
que je conſacre cette inſtruction fa
milière. Eh ! plût à Dieu qu'on ne
bornât pas ce genre de leçons aux en
fans ſeuls , mais qu'on l'étendît même
aux hommes parvenus à l'âge de
raiſon : dans l'enfance , les plus im
portantes vérités s'apprennent ma
chinalement , & c'eſt préciſément pour
les bien comprendre & en profiter ,
qu'on auroit beſoin de toute la force
de l'âge & de la raiſon. Qu'on me
permette donc de rapporter ici ces
DEVOTION TO

premières inſtructions que nous don


ne l’Egliſe , & que ſouvent les hom
mes faits ne connoiſſent pas.
La foi nous apprend qu'il eſt un
Dieu , père de tout ce qui exiſte. Ce
Dieu eſt unique , éternel , incréé , tout
puiſſant. Sa volonté a donné l'être aux
choſes viſibles & inviſibles , qui ne
fubfiftent que parce que fa providen
les maintient & les gouverne. Ce
Dieu eſt celui que le Symbole de no
tre foi nomme le Créateur du Ciel &
de la Terre , & auquel nous ajoutons
le titre de Père éternel . Connu &
adoré dans la fuite des ſiècles par
le peuple Juif, il l'a été par les Gen
tils mêmes , quoique leur culte fut
fouillé de fables & de fuperſtitions:
ce Dieu , dans les livres ſacrés de l'an
cien Teftament , annonçoit ſon fils à
l'Univers ; mais cette vérité fur plei
nement révélée , lorſque le Fils de
Dieu lui-mêine , deſcendant du Ciel,
20 DE LA VÉRITABLE
ſe fit homme pour l'amour du genre
humain , auquel il vint enſeigner une
Loi fainte & plus parfaite que l'an
cienne ; c'eſt ce Fils de Dieu , qui nous
apprit clairement , & ſans ombre , que
fon divin Père a engendré de toute
éternité , & non pas créé , un Fils qui
lui eſt égal , & d'une même ſubſtance
que la fienne : qu'il s'eſt incarné de
puis en uniſſant la divinité & l’huma
nicé ; & ce Fils de Dieu , nous l'appe
lons J. C. notre Seigneur , vrai Dieu
& vrai homme. Il nous eſt encore
révélé que , de l'amour ineffable entre
le Père & fon Fils conſubſtantiel , en
procède ce que nous appelons l’Eſprit
Saint , égal en divinité au Père & au
Fils : de façon que , quoiqu'il n'exiſte
qu'un Dicu en eſſence & en ſubſtance ,
nous croyons cependant qu'il exiſte en
lui trois Perſonnes : ce nom de Perſon.
nes fut toujours employé par les Saints
Pères , pour diſtinguer le Fils du Père,
Dé Y OTION. 21

& l'Eſprit-Saint du Père & du Fils ;


mais il faut bien ſe garder de donner
à ce mot la même fignification qu'il
a dans notre langage habituel , lorf
que nous diſons , par exemple , que
Pierre , Paul & Jean ſont trois perſon
nes diſtinctes. Il n'en eſt point de Dieu
comme des hommes ; & par le Fils de
Dieu , l'on entend la ſageſſe toujours
ſubliſtante, le Verbe ou la parole inté
rieure du Père : le Saint-Eſprit eſt l'a
mour qui unit le Père & le Fils.
En voilà aſſez ſur un Myſtère auſſi
grand , auſſi profond , & dont la con
templation eſt au -deſſus de la portée des
eſprits les plus élevés & les plus ſubli
mes. La Divinité fera toujours un abyf
me de grandeur & de majeſté. Il ſuffit
:
que le peuple croie ces vérités de toute
néceſſité , c'eſt -à - dire , un Dieu en trois
Perſonnes diſtinctes , & qu'il fache , en
prononçant le Symbole ou le Credo,
qu'alors il fait profelion de croire le
22 DE LA VÉRITABLI
Myſtère de la Très-Sainte Trinité. Lä
réciration de ce Symbole n'eſt, dans le
fond , qu’un 4cte de Foi tel que
toute perſonne inftruite le fait, ou a
l'intention ſecrette de le faire ; c'eſt
même la ſeule condition qui puille le
rendre méritoire. Ainſi , quand nous
nommons Dieu , quand nous le prions
de nous aider , quand nous l'appelons
en témoignage de la vérité , nous en
tendons alorsparler de la Trinité , c'eſt
à-dire , de ce Dieu tout-puiſſant & in
viſible , qui a tout créé de rien , qui eſt
préſent par cour , qui fait jouir dans
le Ciel les Anges & les Saints de
l'immenſité de ſa gloire , & qui deſire
nous faire partager à tous le même bon
heur. C'eſt donc à ce Dieu, notre fou .
verain maître , notre unique bien , que
nous devons nous adreſſer , & lui rap
porter tous nos hommages : c'eſt à lui
que nousdevons conſacrer les prémices
l'une dévotion quieſt tellement nécef
DE VOTION .

faire , que d'elle dépend notre ſalut.


Cette dévotion doit avoir pour baſe
la crainte & l'amour. Dieu eſt infini
ment bon & fainţ: il n'aime que la
vertu , & déteſte le vice ; il nous com
mande la pratique de ſes Loix , ſi nous
ne voulons pas être eſclaves de notre
cupidité : il a le pouvoir ainſi que la
yolonté , de châtier quiconque lui déſo :
béit : de-là découle la néceflité de ne
point l'offenſer , pour ne pas éprouver
ſa colère. Cette crainte de Dieu eſt le
principe de la ſageſſe , que les Juſtes
mêmes ne doivent jamais bannir de
leur cæur. Les pécheurs peuvent-ils ſe
yanter de le craindre, lorſqu'ils l'oublient
dans les accès des paſſions les plus déré
glées , ou que , dans une confiance té
méraire de rentrer en grace avec lui
quand il leur plaira, ils ſe plongent avec
fécurité dans les déſordres les plus hon
teux .

Outre la crainte , la vraie dévotion


24 DE LA VÉRITABL
E
exige néceſſairement l'amour de Dieu.
Le Commandement ſuivant eſt allez
connu : tu aimeras le Seigneur ton Dieu ,
de tout ton cæur , de toute con ame ,
de tout ton eſprit. Pouvons -nous faire
moins pour un père & un maître auffi
bon , dont tous les attributs , pour peu
que nous y réfléchiſſions , nous ravillent
d'étonnement & d'admiration . Il eſt
une infinité de motifs pour l'aimer &
pour lui faire connoître , plutôt par nos
actions que par nos paroles , cet amour
dominant qui nous doit empêcher de
l'offenſer ; je ne parlerai, dans un ſujet
auſſi vaſte & auffi touchant pour un
vrai Chrétien , que de l'obligation con
tinuelle où nous ſommes de faire , le
plus que nous pourrons , de ces Actes
dainour. Nous ne devons jamais perdre
de vue que Dieu , pour nous exciter à
l'aimer & à ſuivre fa Loi , nous propoſe
une récompenſe infinie , un bonheur
au -deffus
DÉ VOTION . 25
au -deſſus de nos inérites & de notre
penſée , & que ( comme nous le dirons
enſuite) c'eſt l'obſervance de ſa Loi,
qui fait la preuve de l'amour que nous .
avons pour lui. Nous devons donc nous
attacher uniquement à lui , non - ſeule
ment parce que ſes perfections ineffa
bles , doivent nous le faire aimer par
deſſus tout , mais encore par intérêt
perſonnel : il a daigné nous aſſurer
que ſa jouiſſance ſeroit le prix d'un
attachement que nous devrions avoir
pour lui , ſans aucun eſpoir de récom
penſe , & qu'il couronneroit une obéil
fance qui eſt un devoir pour tout ſer
viteur envers ſon maître.
Le premier Acte de notre dévotion
doit être d'adorer Dieu ſpécialement
dans ſon Temple , comme dans l'en
droit où , aſſis ſur un trône inviſible >

il donne plus particulièrement audience


à ſes fidèles : c'eſt-là que nous devons
élever nos cæurs & nos eſprits , pour
B
E
26 DE LA VÉRITABL
reconnoître la grandeur , notre dé
pendance, & l'immenſité de fa clémen
ce & de fa bonté : nous devons l'y bénir,
faire des væux pour ſa gloire & l'ac
compliſſement de fa volonté ; en un
inot , n'avoir jamais d'autre but dans
nos actions, même les plus indifféren
res , telles que le travail , les repas &
le repos : c'eſt l'intention de l'Egliſe ,
en nous enſeignant de nous ſervir ſi
fouvent du ſigne de la croix ; proteſ
tation réelle de notre part , de vou
loir faire toutes nos opérations au nom
du Père , du Fils & du Saint Eſprit.
C'eſt le même Eſprit qui a conſacré
dans l'Egliſe cette courte prière : gloire
ſoit au Père , au Fils & au Saint
Eſprit. Ainſi ſoit-il , c'eſt -à -dire , c'eſt
ce que nous deſirons. Miſérables créa
tures que nous ſommes ! ſurchargées
de péchés graves ou légers , qui nous
rendent plus ou moins coupables , à
qui devons-nous avoir recours pour en
DÉ V OTION . 27

obtenir le pardon ? Toute notre confian


ce ne doit-elle pas fe tourner vers un
père miſéricordieux , qui ſeul peut
nous accorder ce que nous lui deman
dons , ou au moins à ſon Fils , comme
nous le dirons tout- à - l'heure ? Écoutez
l'Egliſe , qui , dans le faint Sacrifice ,
après la confeſſion générale du peu
ple , implore , par l'organe du Prêtre ,
la clémence divine , en diſant : » Que
» le Dieu tout-puiſſant & iniſéricor
» dieux ait pitié de vous , & qu'en
si vous pardonnant vos péchés , il vous
» conduiſe à la vie éternelle. Que le
» Dieu tout-puiffarit & miſéricordieux,
» nous accorde l'abſolution & la rémiſ
» fion de nos péchés » . Aing , toutes les
fois que nous voulons former un acte de
repentir , avant de confeffer nos fautes
au Miniſtre de J. C. nous devons pen
ſer avec force & tremblement, que Dieu
eſt par-tout , & qu'il connoît & en
tend le langage de notre cæur. L'aveu
Bij
1

28 DE LA VÉRITABLE
que forme le Chrétien , du cæur & de
la bouche , ne ſuffit pas encore , s'il
n'eſt accompagné d'un ſentiment inté
rieur , qui fait déçeſter les fautes avec
répentir ſincère d'avoir outragé un
Maître fi redourable , li bon , îi digne
de notre amour , & d'une promeſſe
ſtable de ne plus lui déſobéir ni l'of
fenſer. La droiture du cậur n'exige
pas beaucoup de paroles : ces mots ,
mon Dieu je vous demande miſéricorde ,
daignez , ô mon Dieu , ſecourir un mal
heureux pécheur , ſuffiſent pour expri
mer une douleur réelle , qui doit être
le ſentiment habituel de tout pécheur.
Le moyen le plus ſûr encore , eſt
d'employer celui que nous indique
la Doctrine chrétienne , qui nous rap
pelle ſans ceſſe que le vrai principe
du repentir eſt l'amour de Dieu , qui
nous fait déteſter nos fautes & non
pas l'amour propre, qui nous fait crain
dre le châtiment. On doit enſuite être
DE VOTION . 29

bien pénétré de cette vérité , qu'une


foible & vile créature , qui a été aſſez
hardie & allez téméraire pour ſe ré
volter contre ſon maître & l'offenſer ,
ne doit ſe préſenter devant lui & ſon
Miniſtre , que dans tout l'appareil de
la douleur du paſſé , & la plas fermé
réſolution de ſe corriger à l'avenir. C'eſt
le bon uſage du Sacrement de la Péni
tence , qui nous fait rentrer dans nos
droits au Paradis.
Un Chrétien doit donc ſavoir qu'oư
tre le Fils de Dieu incarné , dont nous
parlerons bien -tôt , il eſt obligé, en
premier lieu , de reconnoître , adorer
& invoquer ſon divin Père , & le
glorifier ainſi que le Fils & l’Eſprit
Saint. C'eſt cette obligation que nous
rappelle l'Apôtre en nous difant : how
norez à la fois Dieu & le Père de
N. S. J. C. & avant l'Apôtre , notre
Seigneur lui-même nous enſeignoit à
qui nous devions principalement adreſ
B jij
DE LA VÉRITABLE
fer nos prières , Quand vous voulez prier,
dit- il , retirez vous dans l'endroit leplus
ſecret de la maiſon , & votre Père , 1

qui connoît les plus ſecrettes penſées ,


yous exaucera . C'eſt à ce Dieu tout
puiſſant qu'il nous apprend à adreſ
fer la plus belle des prières , ( le Pater )
en ajoutant ailleurs que quelque choſe
que nous demandions à notre Maître
au nom de fon Fils , nous l'obtiendrons.
L'Egliſe elle-même, ainſi que nous le
verrons , commence le plus ſouvent les
prières en les adreſſant à la première
Perſonne de la Sainte Trinité , & les
terminant cependant par l’union du Fils
& du Saint- Efprit , parce que fon in
tention eſt d'adorer & de glorifier en
entier la Sainte Trinité. Que penſer
donc d'un Chrétien qui ne connoîtroit ,
n'adoreroit & ne prieroit jamais que
J. C. ſans penfer à ce bon Père célef
te , pour la gloire du quel , autant que
pour notre falur , s'eſt incarné fon Fils
Dé v OTION. 31

adorable ? La raiſon exige que notre ,


dévotion , pour être conſéquente &
bien réglée , commence d'abord par
Dieu le Créateur de tout , & s'adreſſe
enſuite à l'homme Dieu , Rédempteur
du genre humain ; ſans cependant ją
mais féparer ce bon Père que nous
avons dans le Ciel , du Fils & du S.
Eſprit, qui lui font couſubſtantiels &
éternels , & ſans que notre cæur oublie
l'hommage qu'il doit à un Dieu en
trois Perſonnes , dont il tient l'être ,
& tous les biens ſpirituels & tempo
rels. En voilà aſſez pour les gens peu
inſtruits ; il eſt inutile , pour ceux qui
le ſont, d'infilter davantage ſur ces
vérités.
>

B iv
32 DE LA VÉRITABLE

CHAPITRE II I.
1
De la déyotion envers N. S. J. C.

Il n'est point de fidèle, quelque


peu inſtruit qu'il ſoit, qui ne connoiſſe
J. C. & le culte qu'on lui doit. Le
peuple groſſier ne fait point ſe for
mer une idée juſte de Dieu , c'eſt
à- dire , de la Sainte Trinité , parce
que Dieu eſt un Eſprit immenſe &
invifible , qui ne tombe point fous nos
fens. Quoique le pinceau des Peintres ,
pour s'accommoder à notre imagina
tion, nous en ait voulu donner une ima
ge ſenſible, en repréſentant Dieu le Père
ſous la forme d'un vieillard vénérable ,
qui tient le monde dans ſa main , & 1
le Saint-Eſprit comme une colombe .
pareilles images ſont trop éloignées de
la Divinité pour s'y arrêter : le Père
éternel ne peut avoir aucun rapport
aux choſes créées , ni être caractériſé
DÉ VOTION . 33

par des membres humains , ou pår les


rides de la vieilleſſe. L'Eſprit- Saint ,
quoiqu'ayant emprunté pluſieurs fois
la forme d'une colombe ou de lan
gues de feu , ne participe en rien à
ces objets terreſtres. Il n'en eſt pas de
même de la ſeconde Perſonne de la
Sainte Trinité , du Fils de Dieu ; com
me il s'eſt fait homme , les gens les plus
groſſiers peuvent le voir tel qu'il a
exiſté , dans les images qui nous l'of
frent enfant , adoleſcent, ou crucifié :
quoiqu'on ne puiſſe pas y repréſenter
fa divinité , les portraits de ſon hu
manité nous indiquent que c'eſt Jeſus
Chriſt , vrai Dieu & vrai homme ,
le Sauveur du monde..
Il faut obſerver maintenant que la
dévotion duChrétien envers cet homme
Dieu n'eſt pas ſeulement um de fes de
voirs le plus importants, mais qu'elle eſt
une condition néceſſaire pour obtenir
la vie éternelle. Examinons avec atten
Bv
DE LA VÉRITABLE
cion les æuvres admirables de ce di
vin Sauveur , dans le temps dela Mil
fion ; arrêrons-nous à toutes fes humi
liations, à routes ſes douleurs', & prin
cipalement à la paſſion & à fa mort
fur la croix : pour qui tous ces fuppli
ces ? C'eſt pour nous aſſurément , puiſ
que , par ſa nature ,il étoit l'innocence :
même, & n'avoit aucun beſoin d'exe
piation. Si notre cæur eſt ſuſceptible
de reconnoiſſance , peut-il oublier un
inſtant les preuves d'un fi grand amour
& ne pas payer du retour le plus par
fait , les bienfaits dont Dieu nous a
comblés, & qu'il ne ceſſe à chaque
inftant de nous faire éprouver.
Une ſeconde remarque à faire , eſt
que tout bien fpirituel doit être rap
porté à J. C. auteur de toute grace .
Par le péché originel nous étions en
fans de colère ; cette tache eſt effacée
par les Eaux ſalutaires du Baptême, &
nous devenons enfansadoptifsde Dieu.
DOM!
DÉVOTION . 35

C'eſt J. C. qui nous obtiene le pardon


de toutes les fautes que notre déprava
cionou notre foiblelle nous ont fait com
mettre , pourvu qu'elles foient accom
pagnées d'un ſincère repentir: il eſt le
feul médiateur entre Dieu & les hom
mes ; il n'eft point de graces qu'il ne
puiſſe nous obtenir avec le précieux
fang qu'il a répandu pour nous , &
qu'il ne ceſſe d'offrir à ſon Père pouc
les homnies. C'eſt lui qui , ainſi que
nous l'avons dit , nous a rendu nos
titres à la gloire éternelle ; le Paradis
ne peut s'ouvrir que par lui, & nous
n'y entrerons que par J. C. que par
les mérites de cet Agueau de Dieu ,
victime qui peut ſeule fuppléer à nos
démérites ; conſéquemment , c'eſt à lui
ſeul quefut donné & que peut conve
nir le nom de Sauveur. Quel nom ,
pour lui concilier notre amour , pour
nous rappeler l'obligation perpétuelle
de nous recommander à lui , & de
B xj
36 DE LA VÉRITABLE
placer en lui toute notre confiance! C'eft
en lui que réſident notre eſpérance &
notre fecours. Eh ! que ne peut-il pas
nous obtenir de ſon Père , puiſqu'il
lui eft confubftantiel ? Mais comme
homme encore , il peut tout , puiſque
l'Evangile nous apprend que ſon divin
Père lui a tout remis en main , &
lui a donné un pouvoir fans bornes
fur terre & dans le Ciel.
Nous pouvons , en conſéquence
adreſſer directement nos prières à ce
divin Sauveur , pour qu'il nous par
donne. nos péchés , puiſque l'Egliſe
elle -même nous enſeigne qu'il en a le
pouvoir. Cependant , le moyen dont
nous devrions uſer le plus fouvent ,
ainſi que nous l'avons dit , feroit d'im
plorer la miſéricorde de Dieu le Père ,
qui eft auffi le nôtre, & toujours au
nom & par les mérites de J. €. qui
peuvent ſeuls nous attirer des graces
de l'Auteur de tout bien. Enfuire
.
DEVOTION .
37
lorſque nous nous préſentons devant
J. C. dans ſon Sacrement pour l'adorer
& nous nourrir de lui , comme c'eſt à
lui préciſément que nous nous adreſ
ſons dans une fonction auſſi redoutable ,
& que notre cæur devient alors le
trône de ſon amour , c'eſt le temps
le plus propre à le ſupplier de guérir
nos infirmités, de nous fortifier dans
la voie du falut, & de nous accor
der toutes les graces néceſſaires à notre
foibleſſe & à notre dénuement. En
voyant un Dieu ſi bon ne pas ſe con
tenter de répandre tout ſon Sang pour
nous racheter , mais encore aller au
devant des pécheurs , établir réel
lement fa demeure dans le cœur de
créatures foibles & indignes d'une fa
veur aufli précieuſe , pourroit- on ne
pas aimer un auſſi bon maître & un
pareil bienfaiteur ? L'Apôtre S. Paul
excommunie quiconque n'aimepas J. C.
C'eſt donc un des premiers principes
38 DE LA VÉRITABLE
de notre ſainte Religion , & la baſe
de toute vraie dévotion , d'aimer &
d'adorer non - ſeulement le Créateur &
le Maître de tout ce qui exilte , mais
encore norre divin Sauveur . Si nous
ne pouvons jamais penſer ſans crain
te , fans recueillement , ſans recon
noiſſance à celui qui nous à créés &
1
qui nous conſerve , les mêmes fenti
mens ne ſont-ils pas dus à celui qui
nous a rachetés par ſon Sacrifice ſur
la croix , qui nous a rendus nos droits
au bonheur éternel , & qui , dansſon
Sacrement, veut bien être lui-même
notre force & notre ſoutien ? Tel eſt
l'eſprit de la Religion , ſans lequel
perſonne ne peut ſe fatter de ſe fau
ver , & qui , en ſuppoſant l'obéiſſance
aux Commandemens de Dieu & de
l'E life , nous conduira certainement
à la vie éternelle.
Ces premiers & principaux devoirs
de la dévotion.une fois connus , nous
D É V O'TION . 19

ne devons plus être étonnés du zèle des


Directeurs ſages & éclairés, lorſqu'ils
rejettent ces dévotions ſuperficielles qui
conſiſtent dans des ſignes trompeurs de
piété , & qu'ils nous rappellent à cette
véritable & folide dévotion envers
notre divin Sauveur , qui règle autant
les affections & les penſées, que les
actions extérieures. On doit juger de
notre piété par le reſpect profond avec
lequel nous adorons J. C. dans ſes
Temples, foit qu'il ſoit expoſé à la
vénération publique , ou conduit pro
cellionnellement , ou porté en viatique
aux malades. N'eſt -ce pas un devoir
que , ce Roi des Rois paroiſſant en
perſonne au milieu de ſes ſujets ,
nous courions en foule l'honorer &
l'adorer ? Une pareille démonſtra
tion d'amour ne peut qu'intéreſſer
pour nous fa miſéricorde , & nous
attirer de nouvelles grâces. Quant à
la dévotion intérieure , ſans laquelle
40 DE LA VÉRITABLE
l'extérieure n'eſt rien , nous la ferons
connoître lorſque nous parlerons de la
vie de notre Rédempteur , de ſes di
vins enſeignemens , & principalement
de fa paſſion & de fa mort , qui ſont
le dernier crait de ſon amour pour
nous. Comment l'idée ſeule de ce qu'a
ſouffert pour nous le Fils de Dieu, n'eſt
elle
pas capable de briſer nos cœurs,
pour peu que nous voulions réfléchir
que cette Victime innocente ne s'eſt
offerte que pour nous , & que Dieu le
Père ne devoic nous pardonner qu'a
près ſon Sacrifice ? La reconnoiſſance
doit nous rappeler dans un inſtant
toutes nos fautes paſſées, & affermir
la réſolution de n'en plus commet
tre : dans les circonſtances les plus fâ
cheuſes , un ſeul regard for J. C.
crucifié , ranime notre foi , & la com .

paraiſon de ce qu'il a ſouffert avec


ce qui nous afflige , ne peut manquer
de nous conſoler & d'affermir notre
DEVOTION . 41

réſignation : il étoit l'innocence même ,


& nous, chargés de fautes , nous mur
murerons ſous le poids d'une croix
mille fois plus légère que la ſienne !
C'eſt ce qui faiſoit demander à Dieu
par l'Apôtre , qu'il dirigeât nos cæurs Thef . 2.
dans la charité , c'eſt- à -dire , dans l'a- cho v.
mour de Dieu , & dans la patience
de J.'C .; à qvoiil faut ajouter ce que
N. S. lui-même a dir : Qui ne prend pas
fa croix , & ne me ſuit pas , n'eſt pas Mat. ch .
digne de moi. Certainement , la meil- 10. 38
leure preuve que nous puiſſions donner
de notre dévotion , eft de fouffrir pour
l'amour de notre Sauveur; & peut-on ſe
Aatter de l'accompagner dans ſa gloire,
lorſqu'on a craint de le ſuivre ſur le
Calvaire ?
Jaunais les ſentimens de dévotion
& de reſpect, ne doivent être plus vifs
que dans le moment où nous allif
tons au Sacrifice de la Meſſe , ou que
nous fammes admis à la fainte Ta
42 De LA VÉRITABLE
ble : on n'a pas beſoin d'exciter le
zèle d'un Chrétien qui connoît tout
le prix d'une grâce ſi précieuſe, qu'elle
feroit, pour ainſi dire , envier aux An
ges le bonheur des mortels ; il ſuffit
de ſe rappeler que le Maître de la
nature veut bien deſcendre lui-même
dans le cæar de la plus humble de
ſes créatures ; & pourquoi ? Pour lui
inſpirer ſon amour , pour s'unir à elle ,
pour être fon guide dans le chemini
de la juſtice & de la ſainteté; enfin ,
Jean. ch. 4 . la conduire à un bonheur qui n'aura
pas de fin . Qui mangera de ce pain
vivra éternellement , & qui n'en mange
ra point , & ne boira pas ſon Sang ,
eft condamné à une mort éternelle .
Un amour tout-puiſſant n'en pouvoit
pas faire davantage. Eh ! que n'a -t - on
pas droit d'attendre d'un fidèle bien
pénétré de ces penſées , & qui réfló
chir à toutes ces humiliations d'un
Dieu pour gagner nos cæurs , & les
DĚ V OTION. 43
combler de ſes grâces ? Que faiſons
nous cependant pour en profiter ? On !
voit aſſez de coinmunions, mais qu'on
voit peu de converſions ! Un homme
qui a eu le bonheur de recevoir ſon
Dieu , devroit paſſer ſa vie dans des
actes d'amour & de reconnoiiſance.
Toutes ſes exprellions ne devroient
plus tendre qu'à lui expofer ſa foi
bleſſe & la misère ; il ne devroit plus
foupirer qu'après cette grâce, qui nous
eſt néceſſaire à chaque inſtant de no
tre vie , pour nous préſerver du mal ,
& nous porter au bien. On ne man
que pas de prières écrites par des fer
viteurs éclairés de Dieu , & qui peuvent
être très-utiles à ceux qui ne favent
pas expofer leurs beſoins. L'inſtant de
la Communion eft vraiment celui où
notre amour doit avoir fon plus grand
ellor ; c'eſt encore celui où nous pour
rons eſpérer les grâces & les ſecours
les plus ſignalés. Si nous avons par la
44 DE LA VÉRITABLE
fuite le bonheur de ne plus commet.
tre les mêmes fautes , nous ne devons
l'attribuer qu'à la force que nous a
communiquée ce Dieu de bonté ; c'eft
contre elle que viennent ſe briſer ces
tentations qui nous déclarent la guerre ;
pour tout dire , enfin , la ſeule vérita
ble dévotion envers J. C. conſiſte dans
les bonnes auvres & dans l'horreur du
péché , qui naît de la charité ; c'eſt
Ep. à Tite.
là ce qui a fait deſcendre du Ciel le
ch.11. V, 14. Fils de Dieu , pour ſe former un peu
ple qui lui fût cher , & qui ne ſe plût
que dans les bonnes auvres . C'eſt - là ce
qu'il nous a ſi clairement intimé , lorf
qu'il nous dit qu'il ne ſuffit pas , pour
entrer dans le Royaume des Cieux ,
de s'écrier : Seigneur, Seigneur ; mais
qu'on n'y ſera reçu qu'après avoir fait
la volonté de ſon Père , qui eſt dans
le Ciel. Nous traiterons cette matière
par la ſuite, d'une façon plus détail
lée ; réſumons ce que nous avons dit.
DEVOTION. 4)
C'eſt dans l'annour de Dieu & du
prochain , dans notre vénération & no
tre confiance en J. C. le Sauveur des
S hommes & leur médiateur avec Dieu ,
que conſiſte la vraie dévotion , l'eſſen
tielle & ſolide piété des Chrétiens. Voi
5 là celle qui nous eſt preſcrite dans les li
1 vres de la Loi nouvelle , celle que nous
ont enſeignée les Saints , & que nous
recommandent à chaque inſtant les
maîtres de la vie chrétienne. Elle nous
eſt abſolument néceſſaire pour nous
ſauver , & aucune eſpèce de dévotion
ne peut y ſuppléer. S'il ſe trouvoit par
haſard quelqu'un qui , à la place de
ces principes · ſolides , lumineux , &
de première néceſſité , y ſubſtituât ces
menues pratiques , qui ne ſont que de
conſeil , il peut dèslors être regardé
comme l'ennemi de la Religion de
J. C. puiſqu'il en détruit toute l'éco
nomie.
ITÀ LE
46 DE LA VÉR B

CHAPITRE I V.

De la dévotion envers l'Eſprit-Saine.

Personne n'ignore que l'Eſprit


Saint eſt la troiſième perſonne de la
Sainte Trinité , adorable comme le
Père & le Fils , dont il procède , &
auxquels il eſt conſubſtantiel; le ſigne
de la croix que nous faiſons à chaque
inſtant , ſuffit pour nous rappeler ces
vérités. L'Egliſe ne nous preſcrit aucune
dévotion particulière envers l'Eſprit
Saint; elle fait qu'en rendant nos hom
mages à Dieu , nous rapportons à la
Sainte Trinité notre culte , nos prières
& notre amour : cependant , ne ſeroit
ce pas un devoir aulli juſte que raiſonna
ble , de réfléchir un peu plus que nous
ne le faiſons , aux opérations admira
bles que lui attribuent les faintes Écri
tures ? Les dons précieux que nous ob
DEVOTION. 47
tenons de ce divin Confolateur , ne doi
>

vent- ils pas faire naître en nous une


dévotion particulière & déterminée ? Il
eſt ſûr que la plus grande marque de
bonté que Dieu pût donner aux hom
mes , a été l'Incarnation de ſon Fils ;
& ce plan de miſéricorde a été , ſui
vant l'Evangile , tracé par l'Eſprit-Saint.
Qui a mieux ſenti ſon influence& fa
force , que les Apôtres & les Diſciples
de J. C. ? Après avoir vécu long-temps
avec leur divin Maître , avoir été les
témoins de ſes miracles , avoir reçu
toutes ſes inſtructions, il s'en falloit bien
encore qn'ils poſſédaſſent cette foi vive ,
cet amour généreux de la vérité , qui
ne connoît point d'obſtacles , & fait
tout mépriſer, juſqu'à la mort même.
Mais à peine le Rédempteur eſt-il moni
té au Ciel , qu'il leur envoie l’Eſprit
Saint , qui deſcend ſur eux en langues
de feu ; dans un inſtant ces pécheurs
foibles & groſſiers , deviennent des
48 DE LA VÉRITABLE
Prédicateurs éclairés & intrépides ; tou
tes les horreurs des ſupplices & de la
mort ne peuvent plus les arrêter ; &
c'eſt avec leur ſang qu'ils fcellent les
vérités qu'ils annoncent. L'annonce de
leur divin Maître eut ſon entier ac
compliſſement; le même Eſprit qui
avoit éclairé les Prophères , parla par
la bouche des Apôtres , leur rappela
toutes les inſtructions qu'ils avoient
reçues , & leur fit poſer les premiers
fondemens d'une Religion qui de
voit triompher de toutes les autres,
Ce même feu embraſa par la ſuite
les Martyrs , les Vierges , les Con
feſſeurs , & leur fit braver les tortu
ręs & les gibets. La preuve la plus
admirable que Dieu pût nous donner
de fon amour , eft allurément l'inſtitu
tion Euchariſtique , dans laquelle le
pain & le vin ſont changés au Corps
& au Sang du Fils de Dieu. Quoique
ce prodige s'opère par les paroles de
J.C.

DÉVOTION
J. C. l'Egliſe croit encore que l'Eſprit
Saint y concourt par fon influence ; &
c'eſt à cette fin qu'il l'invoque & le
prie d'y répandre fes dons. Dans le
Baptême principalement , lorſque nous
ſommes adoptés enfans deDieu , il eſt
-fûr que l’Eſprit Saint nous eſt donúć
dans ce moment , & qu'il deſcend en
nous pour y faire naître les trois ver
tus céleſtes, la foi, l'eſpérance & la
charité ; c'eſt ce que nous dic l'Apôtre :
la charité ( c'eſt-à -dire l'ainour de Dieu )
a été répandue dans nos cæurs parl’EF
prit-Saint , qui nous a été donné dans
le Baptême : il porte , par excellence , le
nom d'amour ; enforte que c'eſt parti
culièrement à ce divia Elprit, qu'ilfaut
s'adrelfer fi l'on veut obtenir la pre
mière vertu du Chriſtianiſme, l'amour
de Dieu.La grande marque que l'Eſprit
Saint habite véritablement en nous ,
eft de ſentir en foi un amour de Dieu
& våf , qu'on ne craigne que de l'of
С
SO DE LA VÉRITABLE
fenſer, & qu'il faſſe delirer que tout
l'aime autant que nous ; nous ſayons,
d'ailleurs , que l'Eſprit-Saint eſt le prin,
cipe de toutes les bonnes inſpirations,
& queç'eſt de lui que découlent les dif
ferèns dons & les grâces qui ſervont
el nous perfectionner : telles ſont la fą.
geſle, la ſcience , l'intelligence, la crain
te de Dieu , & tous ces auțres dons
que nous fait connoître la Religion ,
& qu'il départ aux fidèles en tout ou
en partie, ſelon qu'il lui plaît. La
ſcience , ſans l'Eſprit de Dieu , au lieu
de nous rendre meilleurs, ne fait que
nous corrompre & éteindre le fam
beau de la foi. D'ailleurs , comme le
remarque S. Auguſtin , d'après la paror
le de Dieu , c'eſt proprement à l'Eſprit
Saint que nous devons la rémiſſion de
nos péchés : de-là vient ſon nom de
Pacificateur , parce que toute ſainteté ,
coure grâcę intérieure dérive de lui ,
quoique la crès-Sainte Trinitéy çoncohor
DE VOTION.
re , ainſi que nous l'avons déjà ob
ſervé. Enfin , nous devons vénérer &
adorer le fils de Dieu , comme l’El
prit de vérité , & , conſéquemment,
le Maître & le Protecteur de l'Egliſe
Catholique, le Confolateur & le Con
ſeil de tous vrais Chrétiens ; enfin ,
coinme notre ſecours le plus puiſſant
dans les tentations & les contrariétés
de la vie. Ce peu de mots , ſur la troi
ſième Perſonne de la Sainte - Trinité ,
qui exigeroit ſeule un traité conſidé
rable , devroit nous faire ſentir com
bien la dévotion envers l'Eſprit-Saint,
eſt ſolide , louable & intéreſſante pour
tout Chrétien ; on ne ſauroit tropla
conſeiller & l'entretenir dans le caur
des fidèles. Nous en avons tous be
loin , puiſque nous apportons tous en
naiſſant, un autre eſprit bien diffé
rent de celui qui habite les . Cieux ,
& qui répand ſa lumière ſur la terre.
Nous n'avons en partage que l'eſprit
Cij
S2 DE LA VÉRITABLI
de concupiſcence , qui eſt cet amour
vil & terreſtre, qui nous porte toujours
avec fureur aux objets fenfibles , d'où
naiſſent ces defits déréglés , qui nous
font oublier à la fois & Dieu & la
patrie à laquelle nous devons tendre ,
& qui fouvent finiſſent par 'nous faire
méſeſtimer des hommes, & nous attirer
la colère de Dieu. Tel eſt le beſoin qu'a
chacun de nous , d'invoquer l'Eſprit de
Dieu pour qu'il triomphe dans nos
cæur de l'eſprit féducteur, & qu'il ne
nous inſpire pas inoins l'amour du bien,
que l'horreur du mal moral. Nous
devons l'implorer ſans ceſſe, pour
qu'il nous ' rende douce & facile la
pratique de la veſtu ; qu'il nous pro
‫ܝܠܐ‬

tége dans les affauts des tentations,


& qu'il ſoutienne notre foi dans les
doures qu'élève l'ignorance , ou une
e raiſon préſomptueufe. Prions le Père
• ēternel & fon divin Fils , qu'ils nous
' envoyent l'Efprit Saint : adreſſons en

1
Dé v OTION. 53
core directement nos prières au Saine
Amour , pour qu'il allume en nous
ce feu céleſte qui a créé 'tant de
Saints , & fans lequel on ſe flatte en
vain de partager leur gloire. Nous l'a
vons déjà reçu dans le Baptême &
la Confirmation ; mais qu'avons-nous
fait pour le conſerver ? Nous avons
mis le comble à nos fautes, en l'ou
bliant , ainſi que le bien immenſe
qu'il peut nous faire : nous n'avons ja
mais penſé à réclamer un fi bon Maî
tre ; quoique J. C. nous ait aſſuré lui
même que ſon Père nous le donneroit
avec la même facilité qu'un homme
donne du pain à ſes enfans. Je ne peux
mieux finir cet article , que par la belle
prière que l'Egliſe met dans la bou
che des Fidèles , le jour de la Pente
côre , d'autant qu'elle contient toutes
les demandes qu'on peut faire à ce
divin Conſolateur.
Cüj
34 DE LA VÉRITABLE
1

Venez Eſprit Saint,& faites ſuite ſur


nous du haut đu Ciel un rayon de votre
divine clarté.
Venez , Père des pauvres : venez , four
ce des dons ineffables : venez , lumière des
cours .

Copfolateur plein de bonté , vous rem


pliſſez des douceurs céleſtes les ames où
vous habitez : vous êtes leur joie & leur
Faix .
Au milieu des travaux , nous trouvons
en vous notre délaſſement: vous calmez
nos inquiétudes , & vous eſſuyez nos:
larmes .
Divine lumière , ſeule capable de nous
rendre heureux , pénétrez les cæurs de
vos fidèles .
Sans l'aſſiſtance de votre grâce , il n'y
a dans l'homme rien de pur , rien d'inno
cent .
Lavez en nous les fouillures du péché :
arroſez la féchereſſe de nos ames : guériſ
ſez nos bleſſurés.
Amolliffez la dureté de nos cæurs :
échauffez - en la glace par le feu de la cha
DEVOTION Ś Ś
tiré : remettez-les dans la voie lorfqu'ils
s'égarent.
Accordez à vos fidèles, qui mettent eri
vous toute leur confiance , les fept dong
dont vous êtes l'Auteur:
Donnez -leur le mérite de la vertu
chrétienne: faites-les arriver au port du
falut , pour jouir dans le Ciel du bon 2
1 heur éternel.

CH A P I TRE V.
Première condition de la Dévotion : elle
conſiſte dans les bonnes @uvies.
COMMENT
OMMENT prouver notre dévotion
& les ſentimens de crainte & d'amour
que nous avons pour Dieu ? Dans le
commerce de la vie , ce ſont les fairs
plutôt que les paroles , qui font con
noître notre reſpect & notre tendreſſe
pour nos Maîtres & nos Bienfaiteurs.
La véritable pierre de touche pour
juger de notre dévotion , eſt d'exa
miner ſi, dans l'ordre de nos devoirs ,
nos actions ſont conformes à la Loi
Civ
36 DE LA VÉRITABLE
de Dieu , c'eſt- à-dire , bonnes , vér
tueuſes & réglées par la Loi fainte
qui nous fait pratiquer tout ce qu'il
pous ordonne , & fuir ce qu'il réprou
ve. Voilà le ſeul moyen de diſtinguer
fi l'amour que nous avons pour Dieu
eft réel ou imaginaire; notre divin Maî
tre nous en avertit lui-même, quand'
il nous dit : Qui fait mes Commande
mens & les obſerve, c'eſt-là celui que
mon Pere & moi aimons véritablement ,
Jean.ch.14.& je me ferai connoître à lui. Coin
1. 11.
ment , ſi nous reconnoiſſons Dieu pour
Maître , avons- nous la hardieſſe de
l'irriter & de l'offenſer ? Et , s'il eft
notre Père , quelle eſpèce d'enfans
fommes-nous , lorſque nous lui refu-.
fons notre amour & notre reconnoif
fance ? Pareils ſentimens ne font-ils pas
dus à un Dieu fi bon , & l'Auteur
de tout bien ? Il eſt par eſſence le
principe de la ſainteté , de la juſtice
& de toutes les perfections ; comment
DEVOTIO -N .

alors peut-il ſouffrir des enfans qui lui


reſſemblent auſſi peu , qui s'abandon
nent à l'iniquité, qui haïſſent leurs
frères , & qui , par leurs déréglemens,
malgré les lumières de la raiſon qui
les éclaire , fe rangent dans la claſſe
des plus vils animaux . Une pareille dé
ſobéiſſance, un mépris aufli marqué
de la Loi , ne peut manquer d'être
puni dans cette vie & dans l'autre.
Eh ! de qui pourrons-nous alors nous
plaindre , finon de nous-mêmes ?
Onne ſauroit trop répéter que Dieu
étant heureux par lui-même , n'a be
ſoin ni de nous ni de nos euvres.
Notre bonheur eft le feul motif qui
ait pu le déterminer à nous créer &
nous impofer des devoirs. La moindre
réflexion ſuffit pour nous en convain
cre , ſur-tour en examinant la morale
de notre divine Religion , c'eſt-à-dire ,
les préceptes que nous tenons de la
-bouche du Fils de Dieu même , ou
Су
1
38 DE LA VÉRITABLE
des Apôtres , inſtruits à ſon école ::
c'eſt la ſageſſe , la juſtice & la chari
té qui les ont dictés. Sans eux nous
nous flattons en vain de poſſéder cette
paix de l'ame , qui eſt le vrai bonheur
de cette vie ; ſans eux n'exiſte plus
cet amour fraternel, cette 'union qui
fait la douceur & l'harmonie de la
fociété ; & conſidérez juſqu'où va la
bonté de ce Dieu , qui veut bien ré
compenſer comme mérites , des ac
tions qu'il n'exige de nous que pour
notre avantage. Cen'eſt pas encore là le

dernier terme de fon amour. Pour nouss
exciter d'unefaçonplus preſſanteà la fui
te du vice & à la pratiquede la vertu , il
propoſe & promet une récompenſe infi
nie , un règné éternel de délices , à
quiconque ſuivra fes. Commandemens.
Quand ce dernier point ne nous ſeroit
pas révélé , la raiſon ſeule devroit nous
en convaincre. Un Dieu d'une juſtice
hfinie , ne peur jamais laiſſer les. Juf
DÉVOTION ‫وك‬

e: tes ſans récompenſe , ni les méchans


fans punition. Si la terre que nous ha !

LES bitonsn'eſt pasi le lieu où la vertu ſoit


couronnée , & le. vice puni , un Dieu
juſte doit néceſſairement , dans un au
lus tre monde, diſtribuer les peines & les
récompenſes : c'eſt à ce terme que
1
nous marchons tous , & nous y at
riverons après le court pélerinage de
cette vie. ' Si la Juſtice de Dieu paroît:
dans ce monde -ci dans une eſpèce:
d'inaction , nous la verrons dans l'aul
12
tre , peſer dans la balance les actions
bonnes & inauvaiſes. C'eſt une des
grandes vérités ſur laquelle le Fils de
il Dieu a le plus inſiſté, & qu'il aſcelléede
miraclesles plus éclatanse La véritable&
i
folidel Cortfolation des Chrétiens , con 11.11
siſterà croire qu'après leur :mort's! ils
ſeront mis en poffeffion d'un Royaume
de bonheur , que l'æil n'a jamais vuli , que
Poreille n'a jamais entendu , & que toute
la force de Lefpritihumain ne peut jag
e2-35.110 2101 C vji istas
60 DE LA VÉRITABLE
mais concevoir. Dans l'exercice péni -
ble de la vertu , on ne doit jamais
oublier ces paroles du Prophète : Qui
peut comprendre , ô mon Dieu , ces dou
ceurs que vous préparez dans ce Palais ,
réſervé à ceux qui vous craignent &
vous honorent ? Nous ſommes fûrs d'être
Pf. 30. V.
30 , admis à voir Dieu face à face ; à jouir ,
dans la compagnie des Saints , d'un
bonheur pur & inaltérable , & à par
tager la gloire de Dieu , ſans que rien
en puiſſe jamais diminuer l'éclat. Qui
pourroit donc ralentir notre ardeur
pour remporter un prix auſſi ineſtima
ble : en l'obtenant , nous ſommes au
comble de la félicité , puiſque, comme
le dit l'Apôtre , nous ferons avec Dieu.
Jer. Theff. II arrivera bien tột ce jour fi deſiré ,
cap. 4. V. 17.
où nous verrons l'effet de fes promeſ
fes ; en l'astendant , n'oublions jamais
que ce même Dieu , qui exige nos
hommages & notre culte , nous a pro
mis de nous récompenſer en Maître
généreux & tout-puiſſant.
DEVOTION .
Les bonnes æuvres ſont donc pour
nous le premier des devoirs; & la
première des bonnes æuvres eſt de
s'abſtenir des mauvaiſes. Dieu eûc pu
certainement nous fauver tous , fans
que nous y coopétaſſions , ainſi qu'il
le fait pour les petits enfans qui,
régénérés par le Baptême, meurent
avant l'exercice de la raiſon ; mais il
exige de tour Chrétien parvenu à
l'âge raiſonnable , de travailler pour
fon falut; & que le bon uſage du
libre arbitre foutenu de la grâce
lui mérite la vie éternelle . Elle eft à
la fois un don purement gratuit , &
wire récompenſe du bon ufage de la
grâce. L'Évangile nous apprend avec.
quelle libéralité le Père de famille ac
dorde à des ſerviteurs ſes talens , c'eſt
à-dire , les dons de ſa grâce ; mais , te
bienfait eſt-il m titre pour l'inaction ?
Hs doivent , au contraire , fous peine
d'être rejetés comme des ferviteurs inu
62 DE LA VÉRIT
A BLE
ciles , travailler à les faire valoir. Qael
bonheur comparable à celui du ſervi
teur , qui ; ſe préſentant avec un pro
fit conſidérable., reçoit de ſonMaître le
titre de bon & de fidèle , & partage avec
lui ſes délices ! & le Maître pourra-t-il
paſſer pour cruel ou injuſte , lorſque
fes ſerviteurs , au lieu d'employer uti
lement ſes talens , ne s'en ſerviront
que pour contenter leur luxe & leur
cupidité. Il eſt donc certain que les
bonnes cuvres du Chrétien , les actions ,
mêmeen apparence indifférentes , lorf-:
qu'elles ſont animées par la charité ..!
peuvent nous mériter la vie éternelle .
N'en concluons pas', cependant , que
Phomine, par lui même , mérite auprès
de Dieu ; mais , avec le ſecours de fa
grâce , qu'il ne refuſe à perſonne, il
peut faire des actions qui lui plaiſent.
Dieu , par un effet de ſon infinie bonté,
a bien voulu faire une alliance avec
l'homme , pat laquelle cil s'engage 3
DEVOTION.

récompenſer les actions qui n'auront


d'autre principe que l'amour & l'obéif
fance. Les Apôtres , peu au fait de la
doctrine de J. C. s'adreſsèrent un jour
à lui , & lui dirent : Seigneur , vous
voyez que nous avons tout quitté pour
vous ſuivre , quelle récompenſe obtien
dronsnous ? Le Seigneur répondit fur vMath.
. 27
Ci 194
le champ , que quiconque faiſoit la you
lonté de ſon divin Père , en recevroit
la vie éternelle. Dans un autre endroit,
en encourageant les humbles , les per
fécutés , les miſéricordieux , & tous
ceux dont la vie eſt une chaîne d'auvres
méritoires , il leur promit le règne des
cieux & la jouiſſance de Dieu , &
finit par ces mots : Soyez gais & re
jouiſſez vous' , parce qu'une grande ré .V. Math.
3. 6 st
compenfe vous eſt préparée dans le Ciel.
Dans plus d'un endroit les ſaintes Écri
tures font mention de cette récompen
fe ; fous la dénomination de prix &
de paiement ; mais c'eſt ce dont il ne
64 DE LA VÉRITABLE
ſera plus permis de douter, lorſque le
Souverain Juge , citant toute l'humani
té à fon Tribunal redoutable , prou
vera , par les récompenſes dont il com
blera ſes Élus, que l'homme mérite,
ou peur amériter , dans cette vie , avec
les cuvres qu'anime la charité. Diep
eſt la vérité même , & ne peut man
quer à fa párole.
Le ſeul moyen de participer av
bonheur de Dieu , eſt donc de régler
tellement ſon cæur ſur fa crainte & fon
amour , que toutes nos actions ne sen
dent qu'à lui plaire & à lui obéir : fans
ces deux conditions , nos actions pour
tont bien être moralement bonnes ;
mais ne ſeront jamais méritoires. Ainſi ,
j'inſiſte principalement ſur les premiè
res , qui font véritablement bonnes
ceuvres , & je mets à leur tête la fuite
du péché, & l'obſervance exacte des
Commandemens de Dieu & de l'E
glife. Ici quelqu'unpourrait deman
DEVOTION. 64
der ſi l'on doit placer l'eſpérance de
la vie éternelle dans la claſſe des bon
nes æuvres ? A cela , je réponds que
nous devons toujours prendre les
Saints pour modèle. Quoique dans
tout le cours de leur vie ils n'ayent
penſé qu'à plaire à Dieu par la pra
tique de toutes les vertus ; quoiqu'il
ſoit certain qu'on mérite avec les bon
nes æuvres , & que Dieu récompenſera
les fidèles ſerviteurs à titre de juſtice ;
cependant , ces mêmes Saints ne met
toient pas leur confiance en leurs bonnes
euvres , mais en la bonté infinie du
Père des miſéricordes, & aux mérites
immenfes de ſon adorable Fils. Ce
fentiment doit être gravé d'autant plus
profondément dans notre cæur , que
l'humilité eſt la vertu par excellence
du Chrétien , & que de miſérables
créatures celles que nous ne peuvent ſe
glorifier qu'en Dieu . Telle a été la con
duite des Saints ; ils favoient bien que
66 DE LA VÉRITABLE
notre libre arbitre concourt aux bon :
nes æuvres , & que Dieu en récom
penſe le bon uſage ; mais ils n'étoient
pas moins convaincus que la plus gran
de partie de ce que Dieu couronne ,
vient de lui , moyennant le ſecours de
ſa ſainte grâce. En effet , ſans elle
que pouvons-nous faire de véritable
ment utile pour notre falur, & avec
elle toutes nos actions deviennent bon .
nes & méritoires , de façon que tout
le fruit que nous en recueillerons', ne
peut être rapporté qu'à la grâce de
Dieu. Comment, après cela , concevoir
la fureur & l'aveuglement des héré
riques de ces derniers ſiècles, qui
ofent foutenir que la foi ſeule ſuffit
au Chrétien adulte , pour ſe fauver fans
l'intervention des bonnes auvres. C'eſt
un délire dont pluſieurs de nos frères
errans fe font heureuſement apperçus.
Il eſt également démontré par l'an
cien & le nouveau Teſtament , que
DÉ VOTION. 67
les bonnes auvres ſont obligatoires ,
puiſque Dieu s'eſt engagé de les ré
compenſer. Notre Sauveur , interrogé
ſur ce qu'il falloit faire pour gagner
la vie éternelle , ne répond pas vas &
crois ; mais , ſi tu veux avoir part à la
vie éternelle , obſerve les Commande
mens de Dieu : c'eſt ce que S. Paul Math . 19 .
nous fait encore entendre : ne nous 16.
lafſons point , dit-il , de faire le bien ,
( tant que nous vivrons) parce que nous
en 'recueillerons le fruit dans l'autre
vie. Notre Seigneur dit , dans l'Apoca Galat. 6. go
lypſe : Je viens víte , & avec moi vient
la récompenſe pour payer à chacun fe- Apoc, c. 23.
lon ſes æuvres. Tour , juſqu'à un verre
d'eau fraîche donné aux pauvres par
amour de Dieu , recevra dans le Ciel
fa récompenſe. Les faintes Ecritures
font pleines de paſſages ſemblables.
Conſéquemment , la foi dans un adulte
doit être une foi opérante par la charité,
& fan eſpérance au bonheur céleſte, ainli
6$ DE LA VÉRITABLE
que le degré de félicité , doivent aug
menter en raiſon des bonnes cuyres .
qu'il aura faites.

CHAPITRE V I.

Que la pratique des vertus theologales


eſt la baſe des bonnes auvres .'
Sous le nom des bonnes euvres ,
nous coinprenons, ainda que nous l'a
vons dit , la fuite du péché & la pra
tique du bien , avec l'intention conf
tante de plaire à Dieu , & de lui
prouver notre amour , notre foumiſ
fion & notre reconnoiſſance. Le pre
mier devoir du Chrécien eft de ne
point pécher , c'eſt-à-dire , d'obſerver
ce que Dieu & l'Egliſe lui comman
dent ; il doit , en fecond lieu , tendre
à la perfection pour la pratique des
vertus morales que nous recomman
dent les faintes Ecritures, les ſaints
DE VOTION. 69

35
Pères & les pieux Ecrivains , qui nous
ont tracé le tableau d'un vrai Chrétien .
Ces actes de vertus ſe partagent en
. deux claſſes, dont l'une eſt obligatoire ,
l'autre purement de conſeil. Un Chré
tien ne doit jamais perdre de vue les
uns & les autres , mais toujours fe
reſſouvenir qu'il n'exiſte ici – bas que
pour un inſtant , & que chaque pas
qu'il fait le mène à une demeure dont
il ne pourra jamais fortir. Heureux
celui qui ſe fera conduit dans ſon pé
lerinage de façon à mériter d'être à
jamais heureux. Il eſt très-aiſé de faire ,
ainſi que les Théologiens, de longs
traités fur ces vertus , & d'élever des
queſtions qui ne ſervent qu'à piquer
I la curioſité : mais toute la Théologie
fe réduit , pour les ſavans & les igno
rans , à un point eſſentiel , qui con
fiſte à faire des actions agréables à
Dieu. La ſcience certainement ne nous
ſauvera pas ; l'on doit s'attendre , au
7 DE LA VÉRITABLL
contraire , à rendre un compte plus con
ſidérable, lorſque des connoiſſances
acquiſes, au lieu d'être pour nous un
moyen de ſalut, n'auront ſervi qu'à conf
tater notre vanité. Le titre de vrai
ſavant n'eſt dû qu'à celui qui , quoi
que peu verſé dans la littérature , con
noît la vérité que l'Egliſe lui enſei
gne , la met en pratique , & rejette
toute action que Dieu réprouve.
Il s'agit maintenant de découvrir la
fource d'où découlent ces actions qui
nous rendent agréables à Dieu: elle
nous eſt indiquée par la doctrine de
J. C. & renfermée dans les trois ver
tus nommées Theologales : la foi, l'ef
pérance & la charité. Vertus ſurnatu
relles & divines, que toutes les forces
de la nature ne peuvent jamais nous
procurer , mais que Dieu lui-même
crée en nous. Elles ſont véritablement
la mine où l'on trouve l'or des bonnes
@uvres & des vertus morales; de fa
DEVOTION, 73
OM
çon qu’un Chrétien ne plaît jamais à

Dieu , qu'en raiſon du degré de force
avec lequel elles règnent dans ſon
cæur. Si elles ſont languiſſantes &
comme mortes, non -ſeulement nous
devenons inhabiles au bien , mais la
nature corrompue s'emparanț de toutes
nos facultés, les fait obéir en efcla
yes , au mépris de nos devoirs & de
la volonté de Dieu . Ainſi , la " pre
mière choſe à laquelle nous devons
ſérieuſement nous appliquer , eſt d'exa
miner , avec attention & ſans nous flat
ter , l'influence qu'ont ſur nous ces
yerrus de première néceſſité ; puiſqu'on
ne ſauroit trop le répéter , c'eſt d'elles
que dépend noţre fort pendant l'é
fernice. Il eſt très- facile , ainſi que
. l'obſerve l'Apôtre S. Jacques , de dire Ep. 6. I.S
à Dieu , le front dans la pouſſière ,
qu'on a lą foi pour tous les dogmes
qu'il a révélés , & qu'on eſt prêt de
donner la vie pour les acceſter, Il cu
DE LA VÉRITABLE
eſt de même de l'eſpérance : on eſt
dupe de ſon propre cæur , on s'appuie
ſur la miſéricorde de Dieu , & l'on
penſe qu'elle ne peut manquer de nous
pardonner nos égaremens ; mais il n'en
eft pas ainſi de la charité , qui eſt
l'amour de Dieu & du prochain : pour
peu que nous nous étudions , nous
découvrons bien -tôt qu'il eſt très-foible
en nous , & que ſouvent il nous man
que tout-à - fait. Tel qui s'imagine le
poſſéder au degré le plus éminent ,
s'il ſe replie ſur lui-même , s’apperçoit
de ſon illuſion , & qu'il ne doit ſa
prétendue perfection qu'à ſon orgueil .
Tant que nous ſerons fermement
attachés aux vérités que Dieu nous à
révélées , & que fes Miniſtres ne cel
fent de nous prêcher; tant que notre
cæur embraſé d'amour , ne verra de
bonheur qu'en Dieu , & d'autres rè
gles que fes préceptes , il eſt certain
que le péché n'aura aucun empire fur
nous
1
1 DEVOTION. 73
hous ', ou que nousne tarderons pas à
74
JB nous relever des chûtes qu’occafionne
ra notre fragilité. Une ame vraiement
pénétrée des grands principes de la Re
ligion , doit fuir le mal ayec plaiſir ,
3 80 faire le bien avec facilité.Si nous
He ſentosa pas en nous ces diſpoſit
3 tions : c'eſt que ces vertus céleftes
font afſoupies, & trop ſouvent'étein
tes. Notre étude principale doit donc
être de leur donner une nouvelle vie& ... CC

1
un nouvel élan fans, quoi nous ne
1 fèrvirons jamais Dieu dans la ſainteté
&i la juſtice , & nous coutons : le riſ
quede -perdie pour toujours les biens
que nous attendons de lui dans l'aut
rre vie.. Soyons donc fèrinetent per
f ſuadés que ces actes de foi, d'eſpéran ?
te& d'amour de Dieu , font non - ſeule +
ment utiles , mais même indiſpenſa
bles pour créer & nourrir en nous une :
véritable piété. Nous devons former
ces actes , lupn pas une fois le jour ,
D
74 DE LA VÉRITABLE
mais preſqu'à chaque inſtant de notre
vie , ſur-tout dans les tentations & la
fréquentation des Sacremens : nous ne
devons jamais ceſſer de prier Dieu ,
de inous donner & d'augmenter en
noas ees précieuſes vertus, qui font
le gerine de toutes les autres . Les Apô
tres , quoique témoins des miracles de
leur divin Maître , quoique nourris
continuellement du pain de vie , le
Luc. cap. 17. fupplioient toujours d'augmenter en eux
la foi. S. Paul , en écrivantl aux Ro
Roin . 150 mains , demandoit à Dieu qu'il le
13 .
comblât de paix & de joie dans la foi ,
& que ſon eſpérance ( c'eſt-à-dire la
charité ) s'accrût toujours de plus en plus
par la vertu & la puiſſance du S. Eſprit.
Dans l'Epître aux Theſſaloniciens', il
redouble ſes prières , pour obtenir que
Dieu dirige leurs æuvres dans l'amour
Theff. c. 3 : de Dieu & la patience de J. C. L'idée
• que je donne de ces trois ſublimes &
importantes vertus,eſttrop légère pour
DÉ VOTION . 75 .
€ ne pas faire deſirer que les Maîtres
. de la doctrine chrétienne les traitent
3 dans l'étendue qu'elles méritent , &
les faſſent connoître aux fidèles dans
. tout leur détail ; cependant , je vais
en donner une explication fuccinte
dans les chapitres ſuivans.

CHAPITRE VI I.
De la Foi.

! I EU nous a révélé un grand nom


E bre de vérités par ſes Prophètes , &
11 principalement par fon divin Fils &
15 fes Apôtres: les unes regardent ſes at
. tributs infinis & la vie de notre Sau
i veur ; les autres ont rapport à nosac
78 rions , ſelon qu'elles ſont méritoires ou
21
condamnables. Toutes ces vérités , telles
que nous les recevons de l'Egliſe ,
R doivent être fermement crues par tout
UI Chrétien ; puiſque Dieu , qui eſt la
Dii
76 DE LA VÉRITABLE
vérité même ; ne peut nous tromper.
Il veut bien couronner dans nous , com
me un mérite , la foi qui naît d'un don
de ſa bonté , & récompenſer notre ſou
miſſion à une révélation , qui quoi
qu'élevée dans quelques points au
deſſus de notre raiſon , ne lui eſt ce
pendant pas contraire. C'eſt ce qui
fait dire à notre Sauveur lui-même ,
C. 20. 29. dans S. Jean : Heureux ceux qui n'ont
point vu , & qui cependant ont cru .
Paroles qui nous regardent viſible
ment , puiſque nous ſommes nés dans
des temps poſtérieurs à ſes miracles
& à ſa prédication. Mais dans quel abî
me d'incrédulité notre vain & foible
orgueil n'eſt -il pas capable de nous
jeter ? Les Chrétiens mêmes les plus
folidement affermis dans le bien
voyent de temps en temps s'élever des
nuages qui obſcurciſſent leur foi. Quant
aux gens peu inftruits , mais qui gé
miſſent de l'affoibliſſement de leur foi ;
1

DEVOTION. 77
je crois que le moyen le plus court
de diſliper l'orage , eſt de réciter cou
3 rageuſement le Symbole des Apôtres ,
& de former un Acte de foi con
traire à la tentation qu'ils éprouvent.
Ils peuvent aiſément encore trouver
une nouvelle force dans la réfle
xion , s'ils penfent au nombre prodi
gieux de Saints & d'Eſprits ſublimes
qui , quoique verfés dans toutes les
ſciences humaines , ont cru ces mê
mes dogmes qu'ils ſeroient tentés de
rejeter , & en ont toujours fait, juſqu'à
5 nos jours , la règle invariable de leur
vie. Comment un ignorant pourroic
CÊ il douter de vérités que des gens

75 qui réuniſſent tous les genres de ſa


u . voir , ont toujours regardées comme in
과 dubitables ? Au reſte , les eſprits les
plus pénétrans & les plus élevés , ſen
tent aiſément les preuves ſolides & iné
branlables de la Religion naturelle &
révélée , pourvu qu'ils ſoient dégagés
Düj
78 DE LA VÉRITABLE
de l'intérêt des paſſions, & que les
goûts réprouvés par la Religion , ne
leur faſſent pas ſecouer le joug de
la foi, pour jouir de la liberté la
plus pernicieuſe & la plus déraiſonna
ble.
Pour peu qu'on veuille faire atten
tion aux miracles qui ont fcellé la
Doctrine de J. C. à l'accompliſſement
des prophéties dans la perſonne , à
l'établiſſement de l'Egliſe, & ſur-tour
à cette morale ſi noble , ſi pure , fi
déſintéreſſée , fi fort au -deſſus de celle
du Paganiſine ; morale qui eſt à la
portée de tout le monde , & ſeule ca
pable de nous rendre heureux dans
cette vie & dans l'autre ; il eſt im
poſſible à des traits auſſi marqués , de
ne pas reconnoître que la loi de J. C.
nous eſt venue du Ciel ; la lecture
feule des ſaints Evangiles, le ton qui
y règne , ainſi que dans les admira
bles Epîtres de S. Paul & des Apô
DEVOTION. 70
tres , ne peuvent manquer de nous
en convaincre. Ajoutons à des témoi
gnages auſſi frappans, que ces mêmes
Apôtres & leurs Diſciples , ( ſans par
ler de leurs ſucceſſeurs ) ont donné
leur ſang & leur vie pour atteſter la
vérité de leur foi. Si les Contempo
rains de notre Sauveur en étoient fi
perſuadés, qu'ils n'ont pas craint de
mourir pour elle ; s'ils étoient ſûrs
que leur facrifice leur procureroit une
éternelle félicité ; n'eſt - ce paspour nous
la plus ſolide de toutes les preuves, que
les dogmes & les miracles de J. C.
étoient reconnus pour divins & avé
rés ? J'ai dit , en ſecond lieu , que
nous devons croire les dogmes de la
Religion de J. C. ainſi que l'Egliſe
nous les enſeigne ,, afin dene pas don
ner dans les erreurs des hérétiques &
des ſchiſmatiques , qui, ne prenant
que leur eſprit pour règle dans l'interpré
tation des Ecritures , ont rompu l'unité ,
Div
DEE LA VÉRITABLE
& formé tant de ſectes déplorables ,
tandis que Dieu nous déclare lui-même
qu'il ne reconnoît qu'une Egliſe ,
qu’une Épouſe, une Dépoſitaire de fa
vérité , & une interprête de fa Doc
trine , de qui chaque Chrétien doit
la recevoir dans ſa pureté. C'eſt cette
Thimot.3.Egliſe que l'Apôtre nomme lEgliſe
is .
du Dieu viyant , la Colonne & le Fir
mament de la vérité. C'eſt celle que S.
Math . 16. Mathieu nous aſſure être 'bâtie par
18 .
J. C. ſur la pierre , & que les portes
de l'enfer ( c'eſt-à-dire les perſécutions
des méchans , & les erreurs des héré,
tiques) ne prévaudront jamais contre
elle. Dans le même Evangile , notre
Seigneur a promis d'être toujours dans
Ibid . ch. Cette Egliſe. S. Paul nous aſſure qu'on
dernier. y verra , juſqu'à la fin des temps , des
Docteurs, des Paſteurs , des Prophères ,
des Apôtres. Si cette ' Egliſe , ſe
lon les promeſſes de Dieu qui ne peut
nous tromper, ne doit jamais être an
DEVOTION. 81

néantie , ſi elle doit toujours ſubſiſter


viſible , infaillille & exempte d'erreur
en fait de doctrine , quel parti plus
ſür que celui du Chrétien catholique,
qui ne peut jamais craindre de ſe trom
per en acceptant tout ce qu'elle enſei
gne ? Les Proteſtans, au contraire >

quand on leur demandera raiſon de


leur foi, ne pourront jamais juſtifier
leur révolte & leur nouveauté ; puiſ
qu'avant leur ſéparation , leurs Ancê
tres faiſoient partie de l'Egliſe Romai
ne , & qu'ils reconnoiſſoient pour vé
ritable cette même Egliſe , dont ils
ont abjuré la Communion. Ainſi , tout
leur édifice s'écroule dans un inſtant ,
puiſque ſelon eux l'Egliſe pourroit er
rer , & auroit erré réellement . Si Dieu

5
n'eût point en effet accordé à l'Egliſe
le droit de décider les controverſes ,
& de fixer le vrai ſens des Ecritures ;
il n'exiſteroit plus aucun ſigne''carac
sèriſtique de la vraie Egliſe , & de la
Dv
82 DE LA VÉRITABLE
Doctrine de J. C. Il n'eſt point de ſecte
qui n'eût alors le droit de ſe vanter de
ſuivre la Doctrine de l'Evangile dans
ſa pureté ; ce qui eſt une abſurdité
inſoutenable , puiſque, ſuivant les pro
meſles mêmes de Jeſus- Chriſt , il ne
doit jamais abandonner l'Egliſe qu'il a
fondée.
Le premier ſentiment d'un Catholi
que Romain , doit être celui de la re
connoiſſance envers Dieu , pour l'avoir
fait naître & renaître dans une Egli
ſe qui date de l'origine du Chriſtia
niſme , & dont la croyance ne peut
jamais être ternie par aucune erreur .
Il ſeroit certainement bien à defirer
que chaque Fidèle fût pleinement info
truit de tous les dogmes de fa Reli
gion ; mais , il faut en convenir , le
peu de capacité des enfans, la légéreté
de leur caractère ne leur permettent
pas ſouvent de retirer des inſtructions,
tout le fruit qui en pourroit réfylter,
{ {
DEVOTION. 83
Dans quelques Egliſes , on explique la
Doctrine chrétienne aux jeunes gens
3
qui paroiſſent l'écouter avec plaiſir, &
ſouvent en profiter ; mais pareil uſage
n'eſt pas auſſi commun qu'il devroit l'ê
e tre ; & les Paſteurs , faits par état pour
éclairer les Fidèles , ne peuvent trop
s'appliquer à ſe procurer toutes les lu
mières néceſſaires , afin de les com
muniquer. Quant à la dernière claſſe
du peuple, condamnée par étae au tra->
vail & à l'ignorance , il eſt indiſpen
fable qu'elle fache au moins le Sym,
bole des Apôtres , & qu'on le lui ap
prenne en langue vulgaire , afin que
l'eſprit & le cæut puiſſent acquieſcer
à ce que la boucheprononce. J'ai, dans
les Chapitres précédens , détaillé les pre
mières vérités de la Religion , qu'il eſt
€ néceffaire de connoître : telle que l'exif
tence d'un feul Dieu en trois Perſon
nes, les peines & lesrécompenſesré
fervées au crime & à la vettu , la miſe
D vj
84 DELA VÉRITABLE
fion du Fils de Dieu , ſon Sacrifice ,
qui nous a mérité de rentrer en grâce ,
ſa préſence réelle dans le Sacrement
de l’Euchariſtie , qui eſt le chef- d'æu
vre de ſon amour pour nous ; enfin
tous lesSacreinensde l'Egliſe. A l'égard
des dogmes ſpéculatifs de la Religion ,
il ſuffit aux gens ſimples d'avoir leur
cæur diſpoſé à croire tout ce que reçoit
l’Egliſe , & à rejeter tout ce qu'elle
condamne. Quant aux dogmes moraux ,
c'eſt- à -dire , ceux dont l'inobſervance
conſtitue le péché, & nous fait per
dre la grâce , tout Chrétien doit con
noître les Commandemens de Dieu
& de l'Egliſe , ainfi. que les péchés
capitaux. Avec ces premiers principes ,
& le flambeau de la raiſon , l'homme
le plus borné, ſur -tout s'il aſſiſte à quel
que inſtruction ; & s'il écoute de temps
en temps l'explication des Ecritures :
peiit aiſément diſtinguer ce qu'il doit
fuir ; dans les eas douteux ou embar
0
DEVOTION. 85
raſſans, il aura recours aux lumières
de ſon Paſteur , ou de Directeurs
éclairés.
: Voilà un tableau , en raccourci, de ce
que nous nommons la foi , c'eſt - à
1
dire la première des vertus théologa
les : vertu qui eſt un don de Dieu ,
que nous recevons de lui par le Bap
tême ; vertu qui eſt la baſe de tou
tes les autres , & qui mérite à l'hom
me le nom de Chrétien ; mais , comme
dit l'Apôtre S. Jacques , d'accord en
te point avec l'Evangile , il ne ſuffit
pas d'avoir la foi ; c'eſt un état
au contraire mille fois pire que le
premier, dielle 'n'eft pas prouvée par
nos actions"; nous croyons devoit
honorer Dieus & inous le blafphê
mons à chaque inſtant ; nous con
venons'qu'il eſt la vérité même , &
nous le prenons à témoin de nos men
fonges, nous ſommes convaincus qu'il
abhorfe & pufina les orgueilleux , les
86 DE LA VÉRIT A BLE
impudiques, les voleurs, & nos ac
cions démentent à chaque inſtant nos
ſentimens, La vraie foi, fans laquelle
perſonne ne mérite le titre de Chré
cien , eſt celle , ſelon l'Apôtre , qui
opère par la charité , par l'amour de
Dieu , & cet amour ſe connoît par
les euvres. Ne ceſſons donc point de
le répéter ; nous devons toujours prier
Dieu , qu'il augmente . & vivifie en
nous cette foi , qui eſt le plus fou
vent languiſſante ou affoupie ; qu'il
nous faſſe véritablement ſentir la pré
ſence en tous lieux , ſon intelligence
infinie , qui pénètre juſqu'aux replis les
plus cachés de notre cœur , ſon infi
nie ſainteté , qui ne peut qu'abhorrer
toute eſpèce d'iniquité , & la juſtice
ſouveraine pour punir quiconque en
freint ſes Loix ſaintes , & ſe refuſe à
ſes divines inſpirations. Alors le Chré
tien qui fe diſpoſe, à prier , ſoit dans
l'Egliſe, ſoit ailleurs ,une fois perluas
DE VOTION. $7
3
dé qu'il eſt devant Dieu, qu'il l'écoute,
& connoît les ſentimens de ſon ceur ,
ne ſera plus diſtrait par des affaires
domeſtiques , par un procès inquiétant,
par le tort qu'il peut craindre de ſon
voiſin ; ſes regards ne ſe porteront
plus de côté & d'autre , pour exami
ner ceux qui ſont dans l'Egliſe, pour
en conſidérer les ornemens , & moins
encore pour cauſer avec ceux qui ſont
à ſes côtés. On ne peut pas de même
ſe glorifier de poſſéder un véritable
amour de Dieu , toutes les fois que
dans l'occaſion prochaine de pécher ,
une foi vive & animée ne nous re
préſentera pas avec force ce Dieu ter
rible & tout-puiſſant, prêt à punir
les infracteurs de la loi. Peut-on ſe
.vanter de l'aimer , lorſque l'excès de
la témérité & de l'ingratitude nous
porte à irriter le Maître de tout ce
qui exiſte , & qui ne nous fait ſen
sir ſa puiſſance que par des bienfaits ?
88 DE LA VÉRITABLE
Prions-le donc que par ſon infinie
bonté , il veuille bien nous fonder
Coloff. c. & nous enraciner dans la foi , comme
1. 23 . le diſoit ſon Apôtre , afin qu'avec le
fecours de ſa grâce , elle produiſe des
fruits qui répondent à la ſainteté de
notre croyance.
C'eſt une vérité qu'on ne peut trop
inculquer , que plus notre foi ſera
vive , plus nous aurons préſentes les
vérités de la Religion , plus nous trouve
rons de reſſources dans les tentations, &
plus nous ménerons une vie chrétienne .
Le point principal , & qu'il eſt le plus
utile de ſe rappeler , eſt celui-ci : je
crois la vie éternelle . Voilà le terme ,
le but de l'humanité : après cette vie ,
qui ne durera qu’un inſtant, duit en
còminencer une autre qui ne finira ja
mais . Dieu va me rappeler pour me
demander compte de mes actions ,
pour me récompenſer en Dieu , ſi elles
ont été conformes à ſes préceptes , &
DEVOTION. 89
me punir fi j'oſe me préſenter devant
Er
lui chargé de péchés, ou ſans en avoir

obtenu le pardon , lorſque le temps
m'étoit encore donné de le mériter.
e
Cette grande vérité , profondément
gravée dans le cæur , ſuffit pour nous
faire marcher dans le chemin de la
juſtice, ou nous y ramener bien -tôt,
fi nous avons eu le malheur de nous en
écarter . Enfin , il faut rappeler aux gens
de lettres , à ces eſprits ſublimes &
pénétrans, qui , enflés de leur ſavoir
& de leurs talens , s’imaginent être faits
pour tout ſubjuguer , que les doutes
qui s'élèvent dans leur eſprit , ne ſont
que l'effet de leurs paſſions, & qu'on
mérite de trouver faux ce que la Re
ligion nous enſeigne, quand on defire
donner un libre cours aux deſirs &
aux actions qu'elle réprouve. Rien de
plus aiſé que d'élever des doutes con
tre les vérités de la Religion les plus
{acrées; & l'on ne manque pas d'ar
A BLE
go DE LA VÉRIT
river au dernier terme de la dépra
vation , quand on cherche & qu'on
eſt aſſez malheureux pour trouver des
Jivres dans ce genre , qui achevent de
nous corrompre. Les héréſies des der
niers temps , à raiſon des faux princi
pes ſur leſquels elles ſont établies ,
ne peuvent que nous conduire au à
l'incrédulité, & l'on ne manque pas ſur
ces matières , d'ouvrages déteſtables
qu’ont vu éclore les infortunés pays ou
règne l'erreur. Mais quiconque s'aime
oi-même, ou pour mieux dire, quicon
que fait que pour s'aimer ſoi-même
avec ſagelſe , il faut préférer Dieu à
tour , bien loin de rechercher pareils
livres, ( ce qui eſt une faute très
grave ) n'eſt véritablement curieux que
de ceux qui peuvent fortifier ſon cæuc
& ſon eſprit dans la croyance de la
vérité chrétienne & catholique. Grand
nombre d'Auteurs ont conſacré leurs
plumes à prouver la Religion naturelle
DE VOTION. 91
EP & révélée ; nous avons même ſur ces
objets beaucoup de livres utiles, com
d poſés par des Proteſtans. L'on ne man
IC que pas d'ailleurs d'ouvrages pour éta
de blir la vérité de notre doctrine con
ECH
tre les Hérétiques. C'eſt là qu'il faut
puiſer l'antidote contre les doutes qui
peuvent nous fatiguer, & non pas boire
le poiſon dans la coupe que nous pré
ſentent nos ennemis , & les ennemis de
2
toute Religion. Des paſſions fougueu
ſes peuvent obſcurcir notre raiſon ;
mais le mal le plus cruel qu'elles puif
fent nous caufer , eſt d'éteindre cette
foi que tant de glorieux Martyrs ont
: regardée comme ſi inconteſtable, qu'ils
n'ont pas craint de lui facrifier leur
vie. Mais qui néglige Dieu , doit s'at
tendre à en être abandonné , & à
n'éprouver, à l'heure de la mort , que
la terreur , & des remords ſouvent in
fructueux. Heureux pendant ſa vie ,
& plus heureux encore à ſa fin , celui
92 DE LA VÉRITABLE
qui , ſans voir , aura cru & fidelle
ment pratiqué ce qu'il croyoit. Peut
on craindre de ſe repentir d'avoir été
hoinme de bien pour plaire à Dieu
& le vice doit-il ſe flatter d'être aſſis
un jour ſur le même trône que la
vertu ?

CHAPITRE VII I.
De l'Eſpérance.
UEL fruit tirerions -nous d'une
foi vive , qui nous feroit croire un
Paradis , ſéjour de bonheur & de dé
lices , s'il n'étoit deſtiné qu'aux ſeuls
Anges, & que nous ne puiſſions ja
mais nous flatter de l'obtenir ? Il eſt
très -certainement fait pour nous , & ,
ſur cet objet , la foi ne doit jamais
marcher fans l'eſpérance , vertu ſur
naturelle , qui , ainſi que les autres ,
nous vient de Dieu , & eſt créée par
lui dans nos caurs. Sous le nom d'ef
DE VOTION . 93

€ pérance , j'entends la .confiance qu'a


chaque Chrétien de jouir de Dieu , le
Souverain bien , par un effet de ſa
bonté gratuite , les mérites de N. S.
J. C. & d'obtenir , de ce même Dieu ,
les moyens néceſſaires pour arriver à
lui. Ainſi , nous devons non -ſeulement
croire à ce Royaume céleſte , mais
. vivre continuellement dans ſon atten
te , & ne nous décourager jamais juf
qu'à ce que nous l'ayons obtenu. Dieu
ne ſe contente pas de nous permettre
de l'eſpérer, mais il nous l'ordonne ,
I pourvu que nous ſoyons, exacts à ſui
vre ſes Commandemens, Quel ordre
plus doux & plus agréable pcut-on re
cevoir de ſon Maître ? Le Paradis , le
règne de Dieu eſt fait pour nous , &
Dieu nous invite lui-même à en ve
nir jouir avec lui pour l'éternité..
Obſervons ici le fondement princi.
pal de l'eſpérance chrétienne. D'un
r
côté c'eſt l'infinie bonté de Dieu , fon
94 DE LA VÉRITABLE
immenſe iniſéricorde , ſa véracité ; de
l'autre , ce ſont les mérites de N. S.
J. C. venu au monde pour nous faus
ver , & mort pour l'amour de nous ,
afin que , rachetés par ſon ſang , nous
puiſſions régner avec lui dans la gloire.
En : nous repliant ſur nous-mêmes ,
nous ne trouverons jamais que des ini
quités , & rien qui puiſſe nous mériter
un ' pareil bonheur ; c’eſt Dieu qui,
quoique nés dans le péché , nous a
aiinés le premier, nous a adoptés, & ,
inalgré notre extrême baſſelle , a bien
voulu nous acquérir le droit de deve
nir co-héritiers de fon Fils. Mais ,
bientôt maîtriſés par la concupiſcence ,
féduits par les paſſions, nous avons
levé l'étendard de la révolte contre
Dieu , notre Créateur & notre Bien
faiteur , en mépriſant la loi & la
foulant aux pieds. Que n'a pas fait ce
Dieu de bonté ? Il a couru après nous ,
il nous a invités au repentir ; & à
DEVOTION . 95

11 peine ſommes -nous revenus à lui ,


3 qu'il oublie nos fautes', qu'il nous en
6 accorde le repentir , & veut que nous
DIE eſpérions , commeauparavant, de ré
gner avec lui. Enfin , nous avons un
+

IM Maître dont la bonté eſt mille fois au


deſſus de nos iniquités; c'eſt ſur ce
précieux attribut qu’eſt fondée toute
notre eſpérance ; & ce qui doit nous
remplir de conſolation , c'eſt que ce
i bon père eſt plus jaloux encore de
1
nous faire dų bien , que nous ne le
1
ſommes d'en , recevoir. En outre , il
nous a confirmé ſes promeſſes pada
1 bouche de fon Filş , qui , dans ſon
Evangile , nous parle à chaque inſtant
de la grande récompenſe qui nous at:
e tend. Sur quelle baſe plus ſolide peut
donc être fondée notre eſpérance , puiſ
que Dieu , qui eſt la yérité même
en eſt l'auteur & le garant ? Les
cieux & la terre paſſeront , mais ſes
paroles ne paleront point.
DE LA VÉRITABLE
Après ce premier fondement de
l'eſpérance chrétienne , le ſecond , qui
eſt le plus immédiat , le plus près de
nous , eſt le facrifice de cet Agneau
divin , qui s'eſt offert pour nous à ſon
Père ſur la croix ; c'eſt une vérité que
nous ne pouvons jamais avoir trop
préſente , que tout ce que nous avons
eu , tout ce que nous pouvons poſſé
der de méritoire , ne nous eſt acquis
que par N. S. J. C. qui ſeul nous ob
tient tout ce qui nous , eſt néceſſaire
pour nous ſauver. Nous ki ne pouvons
noite préſenter au trône de Dieu que
chargés de péchés, & il n'y a que le
ſang de notre Rédempteur qui puiſſe
effacer nos taches : la nous paroit
fons devant Dieu avec de bonnes æu
vres , elles ne deviennent méritoires
que par J. C. Qu'une pareille vérité
eſt bien faite pout ranimer notre dé
votion & notre eſpérance , dans la
grande affaire de notre ſalut, puiſ
que
DEVOTION. 97
que Dieu lui-même eſt deſcendu du
Ciel pour nous y conduire ; aufli le
Chrétien à qui l'on demande raiſon
de ſon eſpérance, doit répondre avec
foi , ainſi que l'Apôtre : J. C. eſt mon Ter. Thim se.
c. 1. v . I.

eſpérance, & en eſpérant en lui je ne


périrai jamais ; mais Dieu , l'auteur &
le diſtributeur de cette grâce , ne nous
la donne qu'en exigeant de nous l'exacte
obſervance de la loi. C'eſt ce Maître
ſouverain qui , par ſon infinie bonté ,
& les inérites ineffables de fon Fils ,
eſt toujours prêt à nous ſauver , & ne
deſire que notre bonheur ; mais , d'une
autre part , la volonté ne peut jamais
être de partager ſa gloire avec qui
conque ſe ſera révolté contre lui pen
dant toute ſa vie. La foi nous enſei
gne qu'il eſt une éternité de peines
& de récompenſes; la raiſon ſeule
exige que l'eſpérance chrétienne n'aille
jamais ſans l'exécution de la loi de
Dieu , c'eſt-à - dire , l'obſervance de ſes
E
98 DE LA VÉRITABLE
Commandemens & de ceux de l'E
gliſe , qui doit toujours être régie par
ſon Eſprit. Quelle eſpérance plus fo
lide que celle d'un Chrétien , qui ,
d'un côté , fermement appuyé ſur la
bonté & les promeſſes de Dieu , fait
que ſon divin Sauyeur tient en main
les clefs du Paradis ; & de l'autre >

n'eſt occupé qu'à lui prouver ſa fidé


lité, en faiſant ce qu'il lui com
mande , & s'abſtenant de tout ce qu'il
défend . Non -ſeulement , dans le cœur
de pareils Chrétiens , doit habiter une
eſpérance inébranlable , mais il y doit
encore régner une paix & une joie ad
mirables. C'eſt véritablement pour cette
eſpèce de Chrétiens , qu'eſt fait le Pa
radis , & pour tous ceux qui ſentent
dans leur cæur le derir véritable d'être
unis à Dieu . C'eſt à eux qu'il appar
tient de s'encourager , en diſant avec
le Pſalmiſte : » Je me ſuis réjoui lorſ
Pf. 109. V. I. >> qu'on m'a dit : Nous irons dans la
DE VOTION .
» maiſon du Seigneur » . Je ſuis cer
tain que ce Dieu de bonté , ſi je
continue de l'aimer & de le ſervir ,
m'attend avec lui, & m'a préparé une
demeure dans le ſéjour qu'il habite ,
dans la compagnie de ſes Anges &
de ſes Saints , qu'il comble pour l'éc
ternité d'un bonheur inaltérable.
2:
1
Il ſuffit d'avoir expoſé les conditions
ſans leſquelles notre eſpérance ne peut
1 jamais être réaliſée, pour que la crain
te s'empare de tous les caurs , & y
falſe naître les ſentimens les plus op
poſés à l'eſpérance ; nous ne pouvons
pas , dira-t-on , douter des promeſſes
de Dieu ; mais quel fonds faire ſur
notre fragilité ? Nous , pécheurs , vaſes
fragiles, expoſés aux vents de toutes
les tentations, comment nous Hatter de
réſiſter aux tempêtes juſqu'à la fin de
notre vie ? Je réponds à cela , que
pareille crainte eſt très -fondée ; aulli
l’Apôtre , dans les premiers temps , la
Eij
ICO DE LA VÉRITABLE
recommandoit -il aux Gentils, en leur
Philipp. c. diſant : qu'il falloit opérer ſon ſalut
( 1. 12 .
avec crainte & tremblement. Ainſi, l'ef
pérance des vrais Chrétiens ne doit
jamais marcher fans la crainte ; mais
( obſervons-le bien ) elle doit la ſui
vre en compagne , & jamais en enne
mie ; elle doit ſervir à nous faire re
doubler de prudence & de précau
tion dans le cours de notre vie , pour
- maîtriſer nos ſens, fuir les occaſions
dangereuſes , & ne pas nous laiſſer
bercer & endormir par les plaiſirs du
ſiècle. Nous en avons tous beſoin pour
nous maintenir dans l'humilité & la
conviction de notre néant ; mais elle
ne doit point troubler notre joie ;
Plal. II. II. c'eſt pourquoi le Prophère s'écrie : ré
jouiſſez-vous en lui avec crainte. Encore
moins doit -elle décourager quiconque
ſent dans ſon cœur un véritable éloi
gnement pour tout ce que Dieu con
damne. La confiance que nous avons
DÉVOTION . IOI

i de jouir un jour de Dieu , ne doit


jamais être ſéparée d'un autre acte d'ef
pérance ; c'eſt que Dieu toujours plein
de bonté nous fournira tous les moyens
de nous fauver , qu'il ne nous aban
donnera pas dans les tentations , &
qu'il ſera notre défenſeur au milieu
même de nos ennemis. Quand même ,
par fragilité , il nous arriveroit de
tomber , nous devons toujours eſpècer
que ce Père miſericordieux nous tendra
une main ſecourable pour nous rele
ver & nous ramener à lui. Nous avons
aſſurément les plus juſtes motifs de
nous défier de nous , puiſque par nous
mêmes il nous eſt impoſſible de choi
fir le bien & de fuir le mal ; mais
tout eſt poſſible avec la grâce de Dieu,
que nous a méritée J. C. Le même
Apôtre' , qui nous enſeigne d'abord à
marcher avec crainte , dit enſuite :
Je peux tout avec notre Seigneur , qui
m'aide & me fortifie. Il n'eſt pas de
E iij
ΤΟΣ DE LA VÉRITABLE
Chrétien qui n'en puiſſe dire autant ,
puifque les divines Écritures nous aſſu
rent , à chaque page , que Dieu ne
refuſe jamais le ſecours de ſa fainte
grâce à quiconque la lui demande
avec fincérité.
Heureux ceux qui , toujours aimés
de Dieu , parce qu'ils ont toujours été
fidèles , n'ont jamais marché dans la
voie de l'iniquité, & n'ont penſé ,
depuis l'âge de la raiſon , qu'à conſerver
leur innocence dans toute fa pureté.
Ceux -là peuvent ſe fatter d'obtenir
la couronne que Dieu promet à ſes
Élus. Malgré la crainte où l'on doit
toujours être tant que l'on vit, ils
ont des droits , plus que perſonne
à la confiance ; puifque Dieu les ayant
toujours préſervés des chûtes, ils doi
vent penſer que le fecours de fa grâce
toute puiſſante , les fouriendra jufqu'à
la fin de leur carrière. Mais , quel ſera
le fort de ce peuple immenfe de pé
DÉ VOTION. 103
cheurs, & quelle peut être ſon ef
pérance ? On peut le diviſer en deux
claſſes : la première , de ceux qui ſont
actuellement dans la diſgrace de Dieu ;
la ſeconde , de ceux qui , revenus de
leurs égaremens , penſent retourner en
grâce. Quant aux premiers , j'ai peine
à prononcer une ſentence contre eux
qu'ils ne doivent cependant pasignorer;
c'eſt que tant que la ſource de leurs
égaremens ne ſera pas tarie , leur eſpé
rance ſeroit injurieuſe à Dieu. Un hom
me aſſez inſenſé pour ſe révolter contre
lui , aſſez inſenſible pour dormir avec
ſécurité dans ſes égaremens , eſt dès
lors un ennemi de Dieu , qui a perdu
tout droit au Paradis , pour qui l'ef
pérance ſeroit la plus folle des pré
ſomptions, & il ne doit s'attendre qu'aux
châtimens éternels >, réſervés à tous
!

ceux qui lui reſſemblent. Dieu cer


tainement ne ceſſe jamais d'être mi
ſéricordieux ; mais eſt -ce avoir une idée
E 1

‫عر‬
104 DE LA VÉRITABLI
de ce divin attribut , que d'y pen
ſer pour s'encourager dans le vice ,
& continuer d'être impénitent , par
de que Dieu eſt bon & clément ?
L'infinie miſéricorde de Dieu ne peut
enchaîner la juſtice , & nous devons
adorer en lui ces deux attributs , en
faiſant de l'un l'objet de notre crain
te , de l'autre celui de notre con
ſolation ; & reſtant toujours perſuadés
que fi le repentir attire ſur nous la
miſéricorde de Dieu , l'endurciſſement
ne peut manquer de nous mériter fa
colère. Cependant, fi un pécheur , par
un retour ſur lui-même , effrayé du
péril où il ſe trouve de ſe perdre
pour toujours, diſoit qu'il eſpère que
Dieu briſera les liens qui l'attachent
au péché; pareil propos , qui , dans le
fond, n'eſt qu'un acte d'eſpérance ,
ne ſeroit pas à condamner. Il naîtroit ,
au contraire , d'un bon principe , c'eſt
à-dire , d'un deſir imparfait à la vé
DÉ V OTION . IOS

rité , mais déjà commencé, de changer


=;
de vie & de quitter les créatures
pour ne s'attacher qu'au Créateur.
Quand le pécheur implorera- la mi
ſéricorde de Dieu avec conſtance &
ſincérité, quoiqu'il en ſoit indigne ,
& que Dieu ne ſoit tenu de l'accor
der à perſonne ; on doit penſer avec
confiance , que Dieu ſe laiſſera fléchir
par ſes prières , & voudra bien lui
accorder le repentir de ſes fautes.
A l'égard des pécheurs rentrés en
grâce moyennant le Sacrement de
Pénitence , l'eſpérance doit régner dans
leurs cæurs en ſouveraine. Ils ont , à

la vérité , ſouvent offenfé Dieu , &


de plus d'une manière , mais dès qa’un
repentir véritable les a conduits à la
miſéricorde , & qu'ils en ont reçu des
gages par l'entremiſe du Miniſtre
auquel ils ſe ſont adreſſés , ils doivent
avoir l'eſpérance qu'ils ont recouvreles
bontés de leur Rédempteur ; & que
E ý
1

106 DE LA VÉRITABLE
Dieu déſormais les regarde , non pas
comme ſes ennemis , mais comme les
plus chers enfans. Le Créateur de l'hom
me n'eſt point , ainſi que lui , vindi
catif , ou inexorable. Ses penſées ſont
des penſées de paix & de pardon. Il
parle lui-même par une voix intérieure
à ceux qui ſe révoltent contre lui;
& pourvu qu'il les voie repentans ,
il ne tarde pas à leur pardonner ,
ſans jamais leur reprocher leurs pre
mières offenſes. Auffi fuis- je étonné
que des Chrétiens , qui ont fait tout
ce qui dépendoit d'eux pour rentrer en
grâce, ſe laiſſent toujours effrayer par
des doutes afligeans , & s'imaginent
que le Paradis leur eſt à jamais fer
mé. Cette eſpèce de Chrétiens croit
elle , ou ne croit-elle pas à l'Evangile ?
Dans ce faint Livre , notre Seigneur
nous indique , à chaque inſtant, ſous
Luc, 15. 12. l'emblême d'une parabole , le traite
ment que les pécheurs convertis éprou
DEVOTION. 107

veront de la part de ſon Père. Dans


f
quelle énormité de fautes , dans quels
égaremens n'étoit pas tombé ce fils
inſenſé, qui , après avoir exigé la part
de ſon héritage , la diſlipa au gré de
I ſon caprice & de fon libertinage ? Ce
3
pendant, il ne paroît pas plutôt de
vant ſon Père , avec le repentir & la
honte ſur le front , que , quoique cou
vert des haillons de la misère & du
déſordre , il eſt tendrement accueilli
par ſon père , qui le ſerre entre ſes
3 bras , & veut que toute la maiſon
ſoit en fête pour le retour de ſon fils.
Notre Sauveur ſe peint ailleurs ſous la Math. 18.
figure d'un Paſteur , qui, ayant perdu 12.
une brebis , laiſſe toutes les autres
& va à la recherche de celle qui s'eſt
égarée ; il ne l'a pas plutôt trouvée ,
I qu'il la prend ſur ſes épaules , & , plein
de joie , la ramène au bercail. La
tendreffe de Dieu pour les pécheurs
pouvoit-elle ſe rendre ſenſible fous des
E vj
108 DE LA VÉRITABLE
couleurs plus vives ? Il eſt encore un
autre paſſage dans l'Evangile, qu'on
ne peut lire ſans étonnement , & qui
doit nous faire éclater en reconnoiſ
ſance , pour un Dieu ſi plein de bonté :
Luc . 15. 7
on reſent plus de joie ( dit -il ) dans le
Ciel pour un ſeul pécheur qui ſe con
vertit, que pour quatre- vingt dix neuf
juſtes qui n'ont pas beſoin de pénitence ;
& le Fils de Dieu proteſte à ce ſujet ,
qu'il n'eſt point venu pour ſauver les
juſtes , mais les pécheurs. Par quels
traits plus frappans peut être marquée
la clémence divine ?
Après avoir reçu pareilles vérités
de la bouche de Dieu inême , com
ment peut-on douter de la tendreſſe
de Dieu pour nous, & le voir toli
jours courroucé , lorſqu'on a recon
nu fes fautes , & qu'on s'en eft re
penti ? Il eſt bien vrai que nous ne
devons jamais en perdre le ſouve
uir ; mais il ne doit ſervir qu'à nous
DÉ V OTIO N. 109

faire redoubler de prudence & d’hu


milité , & à ranimer en nous l'eſprit
de pénitence & de prières , pour nous
en préſerver dans la fuite. A Dieu ne
plaiſe , que le tableau de notre vie
paſſée , ſoit pour nous un germe de
mélancolie ou de ſcrupules inquiétans :
e pareils ſentimens ne ſont bons qu'à
refroidir la piété, & décourager le fidè
le; ainſi , loin de leur donner entrée
dans ſon cæur , on doit , au contrai
re , s'en préſerver avec ſoin , & les
$ déraciner en cas qu'ils s'y ſoient in
finués. En effet , Dieu veur erre ſervi
avec joie , & c'eſt ce qu'il nous re
commande dans pluſieurs endroits de
fes divines Écritures. N'eſt-ce pas lui
qui , le premier , eſt venu au-devant
11
de tant de Saints & de Saintes , qui
avoient cominencé par s'abandonner
à tous les vices ? Nous verrons , oui ,
nous verrons , que le nombre de ceux
1S
que la miſéricorde aura fait entrer dans
I10 DE LA VÉRITABLE
le Paradis, ſurpaſſera de beaucoup
celui des juſtes. Que doit -on , après
cela , penſer de certe timidité , de ces
ſcrupules, de ces inquiétudes , qui naiſ
ſent des péchés déjà commis , & de
ceux qu'on peut craindre encore à cha
que inſtant de commetſre ? Qu'ils ſa
chent , ces hommes pufillanimes, que
c'eſt non -ſeulement une choſe agréa
ble à Dieu , mais qu'il ordonne qu'on
eſpère en lui. Cette verru ſurnaturelle ,
ainſi que les autres vertus morales
peut ſe corrompre au point de deve
nir un vice , ſoit par notre préſomp
tion , ſoit par manque de confiance
en Dieu. Nous avons déjà fait remar
quer qu'on ne peut regarder que comme
des inſenſés , tous ceux qui, plongés
dans l'iniquité , oſent encore penſer
au Royaume des cieux ; ce ne ſeroit
pas une moindre folie, ou , pour
mieux dire , une moindre impiété de
la part de quiconque s'imagineroit ,
DEVOTION. IIL

2 avec ſes propres forces ou ſes méri


tes , pouvoir gagner la vie éternelle ;
d'une autre part , c'eſt faire injure à
Dieu , & lui déplaire ſouverainement ,
lorſqu'on a le bonheur d'être au nom
bre des juſtes , que de ne pas eſpérer
en lui autant qu'on le doit , & de
ſe faire une idée fi fauſſe de la bonté
-& de fa clémence , qu'on ne le re
.garde que comme un Maître dur &
inexorable. De pareils ſentimens fer
ment entièrement nos cæurs à certe
confiance en Dieu , qui , dans le fond ,
ən’eſt que l'effet de la véritable eſpé
rance . Enfin , diſons au Dieu de nos
james , que nous voulons toujours ef
pérer , & que nous ne nous en laſſe
rons jamais , juſqu'à ce qu'il nous ait
pardonné nos péchés , qu'il nous ait
foutenu par ſa grâce dans la voie de
la juſtice , & que nous n’eſpérons que
parce que lui-même nous a clairement
aſſuré que qui eſpère en Dieu , ne fera P1.70. X. de
jamais confondu.
I I2 DE LA VÉRITABLE
Il eſt très-important de remarquer
ici que , quelque graves que ſoient
nos fautes , dès qu'un véritable repen
tir nous a conduits au tribunal de la
Pénitence , on ne doit point héſiter d'ou
vrir ſon cæur à l'eſpérance chrétienne ;
nous en avons pour garant la parole
Ifaie c. 1. même de Dieu. Quand nós péchés
18 .
ſeront rouges comme la pourpre, ils de
viendront blancs comme la neige. .
Que la miſéricorde l'emporte ſur le
Jacq . c. Sacrifice
ue s Que ſi l’impie ſe repent
2. V. 13 .
de ſes péchés , il aura la vie , & que
Dieu oubliera toutes ſes iniquités. Nous
devons encore croire comme article de
foi, que la miſéricorde de Dieu eft
infiniment au deſſus de tous les péchés
que les hommes peuvent commettre ;
ainſi , que les pécheurs qui veulent
quitter leurs défordres, aillent la tête
baifiée , qu'ils ne ceſſent de ſe rap
peler leurs fautes & leurs déréglemens ;
mais qu'ils ne fe defient jamais de l'im
DEVOTION. 113
T
menfe bonté du Paſteur qui les rap
23
pelle au bercail. Il eſt auſſi impoſſi
ble de douter du pouvoir de celui
à qui rien n'eft impoſſible , que de
la volonté de celui qui veut être ap
pelé le Père de miſéricordes.
Le vice le plus coudamnable après
celui de la défiance , ſeroit celui du
déſeſpoir, puiſqu'il eſt le plus diamé
tralement oppoſé à l'eſpérance chré
tienne. Il n'eſt pas d'état pire pour
1
un Chrétien qui , victime du déſeſpoir ,
2
s’imagine n'avoir plus de pardon à
1 attendre , & que Dieu ne peut , ni ne
veut lui pardonner. Ce ſentiment eſt
à la fois le plus grand péché qu'on
puiſſe commettre , & l'injure envers
Dieu la plus ſanglante. La conſéquen
II ce la plus terrible , eſt l'impoſſibilité
ti de fe réconcilier avec Dieu tant qu'on
7.
perſiſte dans de pareils ſentimens >

3 puiſqu'au lieu de l'appaiſer', on ne


ceſſe de l'offenſer , en lui refuſant ſes
114 DE LA VÉRITABLE

plus chers attributs. Dieu ſouvent peut


permettre un pareil aveuglement dans
un Chrétien , pour le punir du mépris
qu'il a fait de ſes inſpirations; mais
que ces pécheurs déſeſpérés , écou
tent un peu , & peſent nos raiſons.
Il eſt très - vrai que leurs fautes les
rendent indignes de pardon; mais de
puis quand font-ce nos mérites qui
nous font rentrer en grâce ? Dieu ne
yoit que ceux de ſon divin Fils , mort
pour nous racheter ; c'eſt lui ſeul qui
peut nous réconcilier , & faire agréer
notre repentir. Si , par nous-mêmes ,
nous ne méritons rien , ce grand mé
diateur entre Dieu & les hommes ,
ce divin Avocat , qui ne ceſſe de plai
der pour nous , & dont le Sacrifice ,
ſuivant l'Apôtre, fuffiroit. pour rache
ter le monde entier , ne pourra-t-il pas
effacer les péchés d'un ſeul homme ?
Jean. Idee.
$. 2. 1. 2 .
C'eſt lui ( dit fon Diſciple chéri) qui
nous rendſon Père favorable , non -feu
DÉ V OTION . IIS
I
lement pour nous pardonner nos fau
LE
tes , mais celles de tout le monde
entier. Loin de nous une idée auſſi
dépravée , ou de nos mérites ou de
l'exceſſive rigueur de notre Dieu. Tant
que la foi nous fera voir ſon divin
le Fils mort pour nous ſur la croix ,
quelque grandes que ſoient nos fautes ,
ପ ce ſera une folie de douter de la
K
miſéricorde de Dieu , ſur-tout fi notre
Of
repentir eſt ſincère : auſli , le Prophè
01 te Roi avoit beau s'écrier que ſes ini. Pſ.38.v.so
quités étoient ſi nombreuſes , qu'elles
es lui couvroient la tête , il favoit que la
16 miſéricorde de Dieu n'avoit point de
es bornes; & comme il n'eſpéroit qu'en
elle , il faiſoit l'aveu de ſes fautes avec
2
larmes & ſoupirs , & enſuite il en at
f tendoit courageuſement le pardon.
%
116 DE LA VÉRITABLE

CHAPITRE I X.

De la charité , ou de l'amour de Dieu


& du prochain.
LAAFO
FOI & l'eſpérance font des
vertus de première néceſſité pour un
Chrétien ; mais elles lui ſeroient d'un
foible ſecours , ſi elles n'étoient accom
pagnées de la charité , vertu , ſuivant
l’Apôtre , infiniment au -deſſus des deux
premières. Sous le titre de charité ,
nous comprenons l'amour de Dieu &
du prochain ; deux amours qui ne dif
fèrent que par le nom , mais qui réel
lement n'en forment qu'un , puiſque
l'amour du prochain ne mérite réel
leinent le nom de charité, que lorf
que nous l'aimons pour l'amour de
Dieu. C'eſt , à proprement parler , la
jouiſſance & l'exercice de cette vertu
qui eſt un don de Dieu , qui confti
DEVOTION. 117
tue toute l'eſſence du Chriftianiſme.
On peut ſe fatter de poſſéder tout
lorſqu'on a l'amour de Dieu ; don
nez-moi quelqu'un qui aime Dieu
véritablement , il ne doit dès -lors avoir
d'autre but que de lui plaire; & , dès
qu'il plaît à Dieu , rien ne lui man
1 quera de ce qui peut lui rendre ſon
1 Créateur favorable , & lui procurer
T une heureuſe éternité. Sous le nom
d'amour de Dieu , nous entendons
celui qu'a toute créature raiſonnable
pour ſon Créateur , le Dieu tout-puif
fant en trois Perſonnes , & l'Auteur
de toute grâce. A Dieu ne plaiſe
qu'on reſtreigne cet amour à notre
3 ſeul Rédempteur, à J. C. qui certai
nement a droit de l'exiger. Avec une
pareille conduite, ainſi que nous l'a
vons obſervé , on manqueroit le but
principal de la charité chrétienne. Le
Fils de Dieu , en s'incarnant , n'a vou
lu que procurer des adorateurs à ſon
118 De LA VÉRITABLE
Père , & établir ſon culte & ſa gloire
dans tout l'Univers. La première obli
gation du Chrétien eſt donc d'aimer
Dieu , la ſainte Trinité , & de l'aimer
de tout ſon cour , de toute ſon ame
& de toutes ſes forces , ainſi que
notre divin Sauveur nous l'a enſeigné
lui - même. C'eſt lui qui nous a fait
connoître Dieu comme notre Maître &
notre Père , comme rempliſſant le Ciel
!
de la gloire , & tout ce qui exiſte ,
par ſon immenfité.
Quoique convaincus de l'exiſtence de
Dieu , comme il ne peut être fenti ni
apperçu par les ſens, il eſt à craindve
que fa majeſté , fa grandeur & fa
bonté , ne nous faſſent pas toute l'im
preſſion qu'elles devroient ; ainſi , la
Téflexion doit venir à notre ſecours ,
& élever des penſées qui ne ſont ſou
vent excitées que par des objets fenfi
bles. Il eſt ſûr que s'il daignoit ſe
lailler voir comme l'auteur de tout bien
DE VOTION. 119
& de toute félicité , ſa vue feroit pour
nous une ſource inépuiſable de bon
heur. Mais c'eſt un état qui n'eſt re
1
ſervé qu'aux Anges & aux Saints. Quant
à nous, la raiſon & la foi nous en

ſeignent qu'il eſt un Dieu , & c'eſt un


devoir de l'avoir toujours préſent à notre
eſprit & à notre cæur , afin de lui con
ſacrer notre amour. Quel eſt le ſervi
0 teur qui , comblé de biens par ſon
Maître , ne penſe point à lui , ne

l'aime pas , & ne le ſert pas avec af.


fection ; à plus forte raiſon , ſon Dieu ,
ſon Créateur , auquel une infinité de
DE raiſons plus puiſſantes doivent nous at
tacher ? Les Saints >, en élevant vers lui
leurs penſées , & connoiſſant par la
foi tous ſes attriburs , ne brûlent que
OS de l’aimer toujours davantage , parce
- qu'ils ne reconnoiſſent que lui de vé
ent ritablement aimable. Si notre imper
t fection ne nous permet pas un vol
DE aufli ſublime, au moins pouvons- nous
I 20 DE LA VÉRITABLE
& devons -nous nous exciter , en réflé
chiſſant à un Dieu bienfaiteur, à un
Dieu l'amour des hommes , comme dit
Saint Paul. Ce ſentiment doit nous
être d'autant plus facile , que l'amour
proprè ſufit pour le faire naître , &
qu'en général , il eſt notre Moteur le
plus puiſſant ; d'ailleurs , nous recevons
à chaque inſtant tant de bienfaits, qu'ils
ne peuvent manquer d'être apperçus
par les eſprits les plus bornés. Où
trouver un être plus étonnant que
l'homme , quant au phyſique & au
‘ inoral ? Et à qui devons- nous notre
exiſtence , ſinon au divin Architecte
qui nous a tirés du néant , ainſi que
tous ces corps innombrables , animés
ou inanimés, & qui ſont également
deſtinés à notre ſervice , notre confer
vation ou nos plaiſirs. En ouvrant le
livre de l'Univers , on ne peut être
qu'émerveillé à la vue des ouvrages
fortis des mains du Créateur , tant
dans
DÉVOTION . I 21

dans les cieux que ſur la terre , auſſi


admirables dans leur érendue que dans
21
leur petiteſſe. Quelle foule d'animaux
de toute eſpèce qui peuplent l’air ,
la terre & les eaux ? Quels prodiges
fe renouvellent à chaque inſtant dans
1 la lumière , les fons & les couleurs ?
>

Ces Philoſophes , dont l'æil obſerva


31
teur a découvert la main qui a créé
tous ces ouvrages , doivent s'attendre
0
à rendre le compte le plus terrible ,
quand ils n'auront pas profité de leurs
lumières pour aimer leur Créateur ;
un jour viendra qu'ils ſeront ſaiſis d'é.
tonnement & de honte , en voyant une
foule d'ignorans plus éclairés qu'eux ,
& plus conſéquens, puiſqu'ils n'auront
720 aimné & fervi que celui qui les avoit
dio créés. Devroit -on en outre oublier
[ un inſtant, que tous les biens tem-,
porels dont nous jouiſſons , font des
ge bienfaits de la Providence , & que
an c'eſt elle qui nous départ la ſanté , .
an F
1 22 DE LA VÉRITABLE
l'aiſance & les commodités de la vie ;
je ne parle pas d'autres dons bien ſu
périeurs à ces derniers , & que nous
tenons également de Dieu , tels que
l'eſprit, la mémoire , le jugement &
la bonté du caractère. Enfin , nous
ſommes entourés de toutes parts de
bienfaits , dont la voix ſemble nous
inſtruire & nous crier : Ingrats que
vous êtes , comment ne penſer pas
celui qui vous a comblés de tant de
biens ; & inille fois plus ingrats encore,
ſi, en y penſant, vous ne l'aimez
pas.
Cependant, tous ces avantages ne
font rien en comparaiſon de ceux que
Dieu nous réſerve pour notre bon
heur éternel ; c'eſt pour nous racheter
& nous fauver qu'il a facrifié fon di
yin Fils ; c'eſt pour nous qu'il a pré
paré le Paradis ; il nous a fait naî
tre dans une Religion , qui ſeule peut
nous conduire à une félicité éternelle .
DEVOTION . 123
1 C'eſt lui qui nous donne à chaque
inſtant les infpirations , les fecours &
les moyens néceſſaires pour y arriver.
Ce bonheur d'être réuni à Dieu , notre
principe & notre fin , doit être l'objet
continuel de notre amour envers lui ,
tant à cauſe de ſes perfections & de
fa miſéricorde , qué parce qu'il veut
bien partager avec nous fa béatitude.
Ainſi, de quelque côré que nous tour
nions nos regards , nous ne verrons
jamais que des traits d'un Dieu créa
1 teur & bienfaiſant , c'eſt-à -dire , des
motifs toujours nouveaux , d'aimer un
JV Maître auſii digne de l'être , auſli
72 clément , aufli miſéricordieux . C'eſt
11 lui qui, ſans avoir beſoin de nous ,
a voulu que nous lui donnallion's le
+ doux titre de père: Combien donc
devons-nous l'aimer , puiſque nous ne
pouvons rien ſans lui ?
it Les façons de faire connoître l'a
e mour que nous avons pour Dieu , fe
Fij
maken
124 DE LA VÉRITABLE
réduifent à trois : la première , dont
nous avons déjà parlé , conſiſte à obéir
à fes Commandemens. Jetons un coup
d'eil ſur nos actions. Notre divin
Légiſlateur défend les injuſtices , l'im
pureté, l'intempérance , & cesautres vi
ces que réprouve également la loi na
turelle. Comment pouvons-nous après
cela , nous vanter de l'aimer , lorſque
nos actions & nos deſirs ſont fans
ceſſe oppoſés à la volonté & à ſa fain
teté. Le premier caractère de l'amour ,
eſt de ne point offenſer celui que l'on
Jean. 14. 15.aime , dans les plus petites choſes. Si
yous m'aimez , dit le Fils de Dieu ,
obſervez mes Commandemens. La pra
tique de la loi de Dieu ne doit avoir
aucun motif humain pour principe ,
mais ſon ſeul amour. Ceux que re
tient la crainte ſeule des châtimens hu
mains , ou qui même ne recourent au
Tribunal de la Pénitence que pour évi
ter les peines que Dieu réſerve aux
DEVOTION . I2S

pécheurs, ne prouvent que trop l'état


d'imperfection dans lequel ils lan
guiſſent. C'eſt l'amour- propre qui les
domine , & non celui d'un Dieu
受9.·

qu'on doit aimer plus que foi-même.


La véritable obſervance de la loi, con
fiſte à s'abſtenir de ce qu'elle nous
JIS
défend , & à faire ce qu'elle nous or
donne ; cependant , une pareille con
120
duite n'eſt point encore un ſigne in
faillible d'un amour véritable. Les
LE
ſaintes Ecritures nous avertiſſent que
VIT
non - ſeulement nous devons éviter le
'on
mal, mais encore faire le bien , c'eſt
5
à -dire , ne pas nous contenter de
CI
fuir le péché , mais encore embraſſer
DE la vertu , & faire de bonnes euvres .
VO!
On peut en donner deux raiſons, &
per toutes deux eſſentielles. Il ne ſuffit
1
pas à quelqu'un qui aime bien , de
ht
ne pas déplaire à l'objet aimé ; il doit
20
encore s'étudier à faire tout ce qui
vi.
peut lui être agréable. En ſecond lieu,
aw
F iij
126 DE LA VÉRITABLE
il eſt bien difficile , pour ne pas dire
impollible , qu'un homme fans vertu
ne ſoit pas fans vice : la pratique de la
vertu n'étant qu'un moyen néceſſaire
pour nous préſerver du péché ; enfin ,
plus nous ferons de bien ici-bas dans
la vue de plaire à Dieu , plus nous
devons nous attendre à être récompenſés
dans le Ciel.
La ſeconde manière de prouver à
Dieu notre amour, eft de tout fouffrir
avec réſignation pour l'amour de lui,
Ce monde eſt compoſé de pauvres &
de riches , de nobles & de roturiers ,
de gens ſains & de malades , de per
fonnes qui rient dans la proſpérité ,
& d'autres qui gémiſſent dans le mal
heur. C'eſt Dieu qui eſt l'auteur de
toutes ces nuances , & nous devons
nous foumettre humblement à fes dé
crets , avec la certitude que tout eſt
gouverné par fa clémence & ſa juſti
ce , & que la diſtribution des biens &
DÉVOTION. 127
3
ła permiſſion du mal ne peuvent être
qu’un effet de la ſageſſe. Il eſt vrai
que ſouvent notre raiſon eſt en dé
7
faut, en voyant l'iniquité triompher ,
& la vertu dans les ' fers; mais alors
nous devons croire qu'un Dieu qui
3 eſt la ſageſſe même & notre père',
ne peut avoir qu'une fin jufte & fainte',
en permettant ce qui nous parcît un
1 déſordre apparent , mais qui , dans le
fond , eſt un ordre très-réel , puiſ
qu'il en eſt l'auteur. Un jour viendra
$ que cette inégale diſtribution n'exiſte
E ra plus. Malheur à ceux qui , com .
blés de biens par Dieu , n'y répon
dent que par des iniquirés. Heureux,
au contraire , celui qui , au milieu des
tribulations , ne perd jamais Dieu de
vue, & regarde fes châtiinens , quel
dheid que durs qu'ils ſoient , comme l'état
e qui lui eſt le plus avantageux ! On
n'éprouve que trop dans un fort hen
reux & tranquille, que nous nous laiſ
F iv
1 28 DE LA VÉRITABLE
fons bercer par le bonheur , & que
nous n'en ſommes que plus diſpoſés
à ſuccomber aux paſſions qui nous af
Aigent. Nous avons beſoin de temps
en temps de tribulations qui nous ré
veillent, & qui nous avertiſſent que ,
dans un monde auſſi changeant que
celui que nous habitons , il n'eſt de
félicité durable que celle que Dieu
promet à ſes Élus. L'humiliation eft
un état de joie pour un Chrétien ,
qui , marchant fous l'étendard de la
croix , fait qu'il eſt dans la voie du
Paradis , & que la véritable ſainteté
conſiſte dans une entière réſignation .
Ainſi , que la pauvreté, les maladies ,
& tous les malheurs réunis , viennent
fondre ſur un Chrétien , il ne peut
manquer de ſe dire à lui-même : „ C'est
» par la volonté de Dieu , ou ſa permiſ
» lion , que pareils malheurs arrivent :
s je ſuis né , non pour faire ma
volonté , mais pour être ſoumis à la
/

DEVOTION. 129

» ſienne : je n'ai point de preuve plus


» sûre à lui donner de mon amour ,
» que mon obéiſſance , en recevant
» avec joie de fa main , le calice
» que , par goût, j'éloignerois de inoi ;
1
» que fa volonté ſoit toujours accom
plie : qu'il coupe , qu'il brûle mon
» corps , ce céleſte Médecin , pourvu
» qu'un jour je règne avec lui » .
La troiſième preuve de notre amour
pour Dieu , eſt celle d'aimer notre
prochain , c'eſt- à-dire , les autres hom
mes , d'un amour égal à celui que
nous avons pour nous. C'eſt un des
préceptes les plus importans , & qui
nous eſt le plus ſouvent inculqué par
J.C. & ſes Apôtres. Ils veulent quenous
aimions juſqu'à nos ennemis, & que
nous faſſions du bien à ceux qui nous
haïſſent , ou nous veulent du mal.
Examinons avec quel foin pareille mc
rale nous eſt recommandée ; n'ayant
par nous-mêmes aucun moyen de ren
Fv
130 DE LA VÉRITABLE
dre à Dieu le bien que nous tenons
de lui , il a déclaré que tout ce que
nous ferions à nos femblables feroit
fait à lui-même, & que notre bien
faiſance feroit la pierre de touche de
l'amour que nous aurions pour lui. Il
ne s'eſt pas contenté de cela ; il pro
mer des récompenſes infinies à quicon
que foulagera ſes frères dans le be
foin , & nous prévient que c'eſt ce
dont il demandera le compte le plus
redoutable.. Enfin , il nous avertit ( S.
Jean. c. 13. V. 35. ) que cet amour
fraternel , cette charité agiſſante , &
non ſimplement de démonſtration , eft
le lien le plus ſûr de notre fociété ,
& doit être la livrée de les Diſciples
& le caractère du vrai Chrétien ..
DÉ Y OTION. 131

CHAPITRE X.

De la Prière.

LA SOURCE des bonnes cuvres ,


ainſi que nous l'avons remarqué , eſt
l'exercice des trois vertus divines
nommées théologales. Il faut obſerver
maintenant que nous avons toujours
au-dedans de nous un ennemi , qui
cherche à les combattre , & qui , s'il
ne parvient pas à les détruire , tâche le
plus qu'il peut d’en diminuer les effets ,
en nous portant à ces actions qui
leur font totalement contraires , & que
nous nommons péchés. Compoſés de
corps & d'eſprit , nous participons à
la fois à la nature des bêtes & à celle
des Anges. Il fernbleroit que l'eſprit ,
ou plutôt l'ame douée de raiſon , de
vroit dominer le corps , & en diriger
les affections. Mais , qui n'a pas éprou
Evi
132 DE LA VÉRITABLE
vé que les deſirs que le corps inſpire
à l'ame , ne pervertiſſent que trop ſou
vent la raiſon , & nous rangent dans
la claſſe des brutes ? Pour peu que
nous nous repliions ſur nous -mêmes ,
nous ſentons le penchant le plus de
cidé , ainſi que la plus grande facilité
à commettre le mal ; & d'un autre
côté , ce n'eſt qu'avec gêne & travail
que nous pouvons faire le bien . D'où
peut venir un pareil déſordre , ſinon
d'une nature corrompue & viciée ,
ſuivant les faintes Écritures , par la
tranfiniſſion du péché de notre premier
père ? Nous avons des penchans, des
deſirs , ſouvent des paſſions effrénées ,
qui nous portent à l'intempérance &
à la volupté. L'envie d'obtenir des
honneurs & des richeſſes , nous fait
employer les moyens les plus défendus
par Dieu & la raiſon. Le deſir de nous $

venger , de perdre nos concurrens ,


nous fait mettre tout en æuyre , juf
DEVOTION. 133

qu'aux calomnies, aux médiſances. , &


d'autres moyens encore plus condamna
bles : la jeuneſſe a des vices qui lui
ſont propres , ainſi que l'âge mûr , &
les glaces même de la vieilleſſe en
ſont infectées. Enfin , nous ſentons
toujours au -dedans de nous une im
pulſion ſecrette , qui nous porte à
n'obéir qu'à ce qui nous plaît , ſans
penſer à ce qu'exige de nous la foi,
l'eſpérance & la charité . Nous mépri
ſons toutes les promeſſes que Dieu
nous a faites pour reſter collés à la
terre , & nous rendre eſclaves de biens
fragiles & périſſables : c'eſt à ces pen
chans déſordonnés que nous donnons
le nom de concupiſcence: elle n'eſt,
dans le fond , autre choſe qu'un amour
propre , mais un amour fans régle &
fans frein ; un amour qui ne nous per
met d'écouter aucuns des ſages con
ſeils de la raiſon ; & qui , nous faiſant
préférer notre volonté à celle de Dieu ,
134 DE LA VÉRITABLE
place le bonheur où il eſt impoſſible
qu'il exiſte.
Qui remédiera aux excès d'un amour
propre dont perſonne ne peut ſe dire
exempt ? La raiſon nous indique deux
reſſources principales , auxquelles nous
devons recourit. La première vient de
Dieu , immédiatement, & conſiſte dans
le ſecours puiſſant de la grâce , que
nous pouvons obtenir par la prière.
L'autre , eſt l'effort que doit faire tout
Chrétien pour réprimer cet amour-pro
pre , & le régler tellement avec le ſe
cours de la grâce , qu'il ſoit d'accord
avec l'amour divin qui doit nous faire
aimer Dieu par-deſſus tout. En nous
conduiſant ainſi , nous nous aimons d'un
amour réglé & légitime , & nous ne
pouvons que nous conduire d'une fa
çon méritoire. Cet effort continuel du
Chrétien contre lui-même , ſe nomme
mortification , & conſiſte dans l'abné
gation de ſa volonté.; vertu de nécel
DEVOTION .
135
ſité indiſpenſable , & dont je parlerai
bien -tôt. Quant à la prière, elle n'eſt
autre choſe que la demande que nous
faiſons à Dieu dans nos beſoins , afin
qu'il nous accorde les grâces & les
fecours qui nous font néceſſaires pour
la vie ſpirituelle , & même tempo
relle. La prière eſt une pratique non
feulement utile & louable , mais en
core néceſſaire ; fans elle , la fuite du
péché & la pratique de la vércu font
également impollibles. Pareille vérité
eſt confirmée par l'Écriture & les droge
mes de notre Religion. Il eſt ſûr que
Dieu , par un pur effet de ſa bonité ,
& fans en être prié , accorde fouvent
des grâces à fes fidèles ferviteurs , &
quelquefois même à des pécheurs ;
on peut même aſſurer que le nombre
des dernières eſt plus grand que celui
des premières que nous connoiffons .
Mais notre Dieu , malgré l'amour qu'il
a pour nous , & fa libéralité gratuite ,
136 DE LA VÉRITABLE
veut que nous ayons ſans ceſſe re
cours à lui , avec la certitude de pou
voir réſiſter aux tentations, de perſé
vérer dans la juſtice , & de ne faire
aucun bien fans fon ſecours.. Nous
devons nous adreſſer continuellement
à l'auteur de ces grâces , qui non
ſeulement eſt le Maître de les diſtri
buer , mais dont la bonté ne connoît
point le refus quand on les lui de
mande. Aufli fon divin Fils nous re
cominande- t-il, dans. l'Oraiſon Domi
nicale que nous tenons de lui : de
prier ſon Père de ne pas permettre que
nous ſuccombions à la tentation. Il nous
a d'ailleurs aſſuré que quelque choſe que
nous demandions , pourvu que ce ſoit
avec confiance, que nous l'obtiendrons .
Pareille demande doit s'entendre des
biens ſpirituels : quant aux temporels ,
Dieu fait s'il nous eſt avantageux ou
non de les accorder ; & quelque auto
riſé que l'on ſoit encore à deman
DEVOTION. 137
der ces derniers , un vrai Chrétien ne
doit deſirer que l'accompliſſement de
la volonté de Dieu , & non la ſien
ne. En un mot , l'Apôtre , qui con
noiſloit certainement le grand beſoin
que nous avions de la grâce , veut
que nous ne ceſſions jamais de prier , s . 1.17.Thell. c.
ce qui ne peut s'entendre que des
prières faites à chaque inſtant.
La grande règle de la prière eſt
de ſuivre l'enſeignement & l'uſage que
l’Egliſe a établi parmi les fidèles. Le
premier devoir eſt de l'adreſſer à J. C.
à qui ſon divin Père a remis en main
toute puiſſance , tant ſur la terre que
dans le ciel , & le pouvoir de diſ
tribuer ſes tréſors à ceux qui croient
fermement en lui. C'eſt à ce Sau
veur tout - puiſſant que nous devons
recourir avec confiance , tant parce
qu'il règne dans le ciel , que parce
qu'il nous donne à chaque inſtant des
preuves de ſon ancien amour pour
138 DE LA VÉRITABLE
les hommes ; & , qu'après avoir vécu
ſur la terre , il veut bien continuer
d'habiter avec eux d'une façon invi
fible , dans le Sacrement de l'Eucha
riſtie ; mais le Chrétien ne doit ja
mais oublier l'uſage que fuit l'Egliſe,
tant à la Meſſe , qu'aux heures ca
noniales. Elle adreſſe toujours ſes priè
res au Dieu , Père éternel , ſource &
principe de la divinité , en lui de
mandant ſes grâces par les mérires de
C. ſon Fils, vrai Homme & vrai
Dieu. Ces mérites font infinis , &
le Père miſéricordieux ne peut que
nous exaucer , quand nous demandon's
au nom d'un Fils qui eſt toute fa
gloire & ſon amour. L'Egliſe recon
noît en effet que ce qui découle ſur
nous de biens de cette main puiſſante
qui a créé & conſervé le monde , ne
nous vient que par le moyen de J.C.
auſſi , toutes les prières adreſſées à
Dieu le Père , ſont toujours terminées
DEVOTION. 139
par cette formule : Au nom de N.S.
J. C. qui vit & règne avec lui & l'Eſprit
Saint , dans tous les ſiècles. La ſainte
Vierge elle-même & les Saints, quand
ils intercédent pour nous , n'offrent
point leurs mérites , mais ceux de J. C.
qui peuvent ſeuls être efficaces , puif
qu'il eſt notre Médiateur & notre
Avocat auprès de ſon père. Saint
Auguſtin dit que les Saints prient dans
le Ciel coinme ils le faifoient fur la
terre , en donnant du prix à leurs
prières, par la médiation de leur Sau
veur & le nôtre. C'eſt cette façon de
prier que le Fils de Dieu nous a en
feignée lui même : Tout ce que vous
demanderez , dit -il , à mon Père en
mon nom , il vous l'accordera. Nous
tenons encore de lui la prière par ex
cellence , qui eſt l'Oraiſon Domini
cale.
Comme Dieu eſt par -rout , & qu'il
entend les veux de quiconque re
140 DE LA VÉRITABLE
court à lui , on peut les lui adreſ
ſer dans quelque endroit qu'on ſe trou
ve , dans les lieux même les plus re
rirés de nos maiſons ; l'endroit ce
pendant le plus deſtiné à le prier , eſt
ſon Temple. C'eſt- là qu'il paroît ſur
le trône de fa gloire & de fa clé
mence pour nous écouter ; on fera
bien encore de choiſir par préféren
ce , ceux où l'on conſerve le S. Sa
crement ; c'eſt un motif de plus pour
exciter la dévotion & le recueillement;
puiſque le préliminaire d'une bonne
prière , eſt de ſe bien pénétrer de la
préſence de Dieu. On en doit dire
autant des proceſſions que l'Egliſe fait
faire hors des Temples ; il ſemble que
les prières acquierent une nouvelle
force parla réunion , & que Dieu
ne puiſſe refuſer tout un peuple
qui prie de concert. Une bonne
prière ne dépend point d'une grande
abondance de paroles ou de penſées
DEVOTION . 141

ingénieuſes & recherchées : notre divin


Maître nous en a averti lui-même;
ce n'eſt pas qu'un homme qui prie
pendant long-temps , & en beaucoup
de mots , ſoit dans le cas de lui dé
plaire. Il a ſeulement voulu nous aver
tir de ne pas faire dépendre notre
eſpérance de la longueur ou de l'orne
ment de nos phraſes , comme ſi
Dieu pouvoir ignorer ce dont nous
avons beſoin , ou être fléchi par l'élo
quence & le babil. Le payſan le plus
groſſier , avec un ſimple Pater ( la
plus belle ſans contredit des prières )
ou avec un Ave Maria , que tout
le monde ſait , a plus de mérite
que l'homme de lettres le plus inf
truit , parce que c'eſt du cæur , &
non de la bouche , qu'il faut prier
Dieu. Nous devons tous nous préſen
ter devant lui avec un cœur vraiment
humilié , pénétrés de notre foibleſſe
& de confiance en la ſainte grâce ,
142 DE LA VÉRITABLE
lui demander les ſecours contre les
périls qui nous menacent à chaque
inſtant , & le pardon des fautes que
notre malice ou notre infirmité nous
ont fait commettre. J'ai dit que les
endroits les plus propres à prier.Dieu
étoient les Temples , où le peuple
peut également prier en particulier,
& s'unir au Sacrifice de la Melle ou
aux Offices. Quiconque s'y rend aux
pieds de la Divinité , s'il réfléchit bien
à ſa demande , ne manquera pas d'a
voir l'extérieur le plus humble , le plus
modeſte , tel enfin qu'un ſuppliant qui
vient préſenter une requête à un Maî
tre tout-puiſſant. Quand la foi nous
fait vivement ſentir la préſence, &
qu'on penſe être devant un Dieu qui
pénètre les replis les plus cachés de
notre cæur , il eſt impoſſible non
ſeulement de lui manquer de reſpect ,
mais même de commettre l'irrévéren
ce la plus légère. Si l'on fait, d'une part,
DEVOTION. 143
qu'il peut faire grâce à ceux qui l'in
voquent avec humilité , on doit tren
bler de l'autre , en penſant qu'il peut
punir ſur le champ quiconque eſt aſſez
téinéraire pour oublier qu'il eſt dans
un lieu que Dieu habire , & que no
tre exiſtence eſt un don qu'il renou
velle à chaque inſtant.
Il ſeroit bien à deſirer que la tran
quillité de corps & d'eſprit, ſi né
ceſſaire pour nous recueillir & élever
à Dieu nos penſées, ne fût point
troublée par la foule importune des
mendians. Il n'eſt perſonne qui ne ſe
plaigne de la diſtraction qu’occaſion
nent à chaque inſtant les pauvres , à
qui l'on laiſſe la liberté de mandier
dans les Egliſes : ils vous harcelent juf
ques dans les confeſſionnaux , juſqu'à
la ſainte Table , & l'un n'eſt pas plu
tôt renvoyé , qu'il eſt remplacé par un
autre. C'eſt peu pour eux d’employer ,
pour émouvoir , les haillons les plusdé.
144 DE LA VÉRITABLE
goûtans, des nudités affectées', & des
plaies ſouvent factices; il faut encore
qu'avec les ſons de voix les plus lu
gubres & les plus importuns , ils dé
clarent la guerre à la dévotion des fidè
les. Comment ſe flatter de conſerver
ſon recueillement au milieu de conju
rés qui penſent plus à vous fatiguer
par leurs demandes , qu'aux prières que
vous avez commencées ( 1 ). Ce n'eſt
pas ici le lieu de rappeler combien
l'aumône nous eſt recommandée par
J. C. Toutes les chaires retentiſſent
d'un devoir auſſi important. Les livres
ſaints ne ſont pleins que des récom
penſes les plus magnifiques , deſtinées
aux perſonnes charitables; les riches
eux -mêmes , s'il penſoient que ſi Dieu

( 1 ) Il ſemble que Muratori ait voulu faire


la peinture de nos Egliſes; l'on ne penſe
guères plus en France qu'en Italie , à remédier
à un pareil abus.
eût

1
DE VOTION. 145
eut pu les faire naître dans la claſſe
des pauvres , defireroient trouver dans
leurs ſemblables la même libéralité
qu'ils éprouvent de la part de Dieu .
Mais enfin , la maiſon de Dieu n'eſt
pas le lieu deſtiné à faire l'aumône.
S. Grégoire de Naziance, S. Jean Chri
ſoſtome , & d'autres Pères , nous ap
prennent qu'anciennement il n'étoit 1

point permis de querer dans les Egliſes.


L'endroit affecté aux pauvres , étoit la
porte ou le veſtibulė du Temple ; c'eſt
là qu'ils attendoient & recueilloient
les aumônes des fidèles.
Certe police s'obſerve dans plu
fieurs endroits de l'Allemagne &
des Pays-bas. A Vienne , des per
ſonnes ſe promenene' dans les Egli
ſes , pour en chaſſer les Mendians,
ou pour avertir ceux qui , par leur
attitude ou leurs propos , prouve
roient leur irrévérence. Ajoutons à
cela , que
que le S. Archevêque de Mi
G
146 DE LA VÉRITABLE
lan, S. Charles Boromée, dans ſes régle
mens faits pour remettre en vigueur
l'ancienne diſcipline , défend aux pau
vres de mandier dans les Egliſes, &
ordonne que dans ce cas ils en ſoient
challés. Le Pape Pie V leur fit non
ſeulement une pareille défenſe , mais
il impoſa même une amende pécu
niaire aux Chapitres de Chanoines , &
aux Curés qui permettroient de pareils
abus ; les Réguliers furent aſſujettis
à d'autres peines. De nos jours , Be
noît XIII a renouvellé le même ré
glement ; & , en dernier lieu , Clé
ment XI le rappelle dans une de ſes
inſtructions ; aufli , faut-il convenir que
ſur ce point on eſt plus exact à Rome
que par -tout ailleurs.
Dans les endroits où les premiers
Paſteurs devroient faire obſerver l'ordre
& la décence, les pauvres continuent
dans les Temples leurs murmures &
leur trafic , ils y vivent ſouvent dans
-
D É VOTION . 147

une liberté ſcandaleuſe , & il n'eſt pas


rare d’en voir pluſieurs d'entr'eux ſer
vir à des intrigues infâmes , & à des
déſordres que je rougirois d'indiquer .
Cependant, les Paſteurs ne penſent
point à remédier à des abus qui def
honorent la maiſon de Dieu , & in
fultent à la piété des fidèles; mais fa
la ſentinelle dort , qui ſera donc obli
gé de veiller ?
Les Prédicateurs éclairés , ont ,
dans leur éloquence , une rellour
ce propre à faire ceſſer de pareils
déſordres. Lorſqu'ils plaident dans leurs
ſermons la cauſe des pauvres , & qu'ils
intéreſſent pour eux la libéralité des
fidèles, il ſeroit important qu'ils fif
ſent ſentir que , pour faire l'aumône
avec fruit, il ne faut point la diſtri
buer dans l'Egliſe , mais en entrant
ou en ſortant; qu'autrement c'eſt four
nir un nouvel aliment à l'importuni
té des pauvres , & les mettre dans le
Gij
148 DE LA VÉRITABLE
cas de troubler la dévotion des fidè
les .
Le ſecond point ſur lequel ils
devroient le plus inſiſter, eſt l'ou
bli des décrets des ſouverains Pon
tifes , qui , quoique connus , reſtent
fans exécution. Il ſuffiroit de mettre
ces vérités de temps en temps ſous
les yeux du peuple , pour l'accoutu
iner à ne plus donner qu'aux portes
des Egliſes, & l'on ceſſeroit enfin
d'être harcelé dans les Temples. Un
avertiſſement pour le moins aufli im
portant que devroient donner les Pré
dicateurs , regarde l'indécence des hom
mes & des femmes, qui mènent avec
eux des chiens dans les Egliſes. Ils
rendront compte de toutes les diſtrac
rions qu'ils donnent aux fidèles , ſoit
par leurs aboyemens , leurs courſes ,
les ordures qu'ils y font , & quelque
fois par un ſpectacle plus dangereux
encore pour des perſonnes innocentes.
DE VOTION. 149
Le Temple de Dieu n'eſt-il donc plus
un lieu d'édification pour les Chré
tiens , & feroit -il devenu la ſalle d'af
ſemblée des animaux ? On dit que
dans pluſieurs endroits de l'Allema
gne , les pauvres qui ſe tiennent aux
portes des Egliſes , ſont chargés
d'empêcher les chiens d'y entrer ;
c'eſt un exemple qu'on devroit bien
ſuivre en Italie , où rarement , lorf
qu'il s'y introduit un abus , l'on
trouve quelqu'un qui ſe charge de le
détruire.
Il eſt encore un uſage établi dans
pluſieurs pays , & qui mérite attention.
Pendant la célébration de la Meffe
on voit une perſonne parcourir toute
l'Egliſe , & recueillir les aumônes ; &
ſouvent il n'en eſt pas une ſeule , mais
deux ou trois , qui vous fatiguent avec
leurs bourſes & leurs deinandes : les
unés quêtent pour l'entretien de l'E
gliſe , d'autres pour des confréries ,
Gij
ISO DE LA VÉRITABLE
ou pour d'autres deſtinations ; c'eſt af
furéincar un devoir preſcrit par la
loi naturelle & divine , que le peu
ple contribue à l'entretien de ſes Tem
ples & de ſes Miniſtres , quand il
n'exiſte pas des fonds néceſſaires pour
remplir cet objet . Il feroit cependant
à deſirer , qu’ainſi que dans les Egliſes
des Réguliers , l'attention de ceux qui
aſſiſtent à la Melle , ne fûr troublée par
aucune diſtraction , & principalement
dans les Paroiſſes , où les Fabriques
pour l'ordinaire bien rentées , font faire
des quêtes comme ſi elles manquoient
de tout. Toutes ces demandes en généa
ral , à titre de piété, font indécen
tes , & les Évêques ne devroient pas
permettre que , ſous le prétexte d'au
mônes, on importunât les fidèles dedans
ou dehors les Egliſes. Ils ne devroient
pas avoir une attention moins fcru
puleuſe , à ce qu'il ne s'introduisît
point de nouvelle dévotion , & qu'on.
DEVOTION. IGT
ne vîc point trop fe multiplier le
nombre des Moines & des Reli
gieuſes, puiſque c'eſt le peuple qui
fupporte tous les frais de leur en
tretien .

CHAPITRE X I.

De l'adoration & de la reconnoiſance


qu'on doit à Dieu , & des autres
alimens de la vraie piété.

covi
E ' TOUTES les créatures qui exif
tent , l'homme eſt le ſeul à qui Dieu
ait donné la raiſon en partage , & dont
l'intelligence doive l'élever à la con
noiſſance de ſon Créateur . C'eſt une
vérité que la Religion naturelle nous
découvre ſans le ſecours de la foi. Si
donc nous connoiſſons , quoiqu'impar
faitement , notre principe & notre fin ,
c'eſt-à -dire , tout ce que Dieu a créé
Giv
152 DE LA VÉRITABLE
dans le monde , & ce qu'il y conſer
ve par un effet de ſa bonté ; c'eſt une
fource d'obligation toujours renaiſſan
te , de lui faire connoître notre dépen
dance comme à notre Souverain , &
notre reconnoiſſance coinme à notre
Bienfaiteur. Il n'eſt pas d'inſtant dans
la journée , que nous n'ayons des preu
ves de fa bonté , dans les dangers:
dont il nous défend , dans la ſanté qu'il
nous conſerve , enfin , dans toutes les
grâces fpirituelles & temporelles dont
il nous comble. C'eſt donc pour nous
le plus grand des devoirs , de for
mer , le plus que nous pourrons , des
actes de réconnoiſſance; telle étoit
l'intention de ceux qui nous ont éle
vés , lorſqué , dans le plus bas âges
ils nous ont appris à commencer la jour
née par la prière , & fur-tout par 10
raiſon Dominicale , qui contient en
ſubſtance toutes les demandes que nous
pouvons faire. Si les enfans fe font
DE VOTION. IS 3
uhe habitude de la réciter avec dif
traction , les hommes raiſonnables ſe
roient très-coupables de ne pas ren
dre à Dieu un pareil hommage avec
la réflexion & le recueillement qu'il
exige. Nous devons donc tous les ma
tins , ſoit dans un lieu retiré de la
maiſon , ſoit dans l'Egliſe , nous prof
terner devant Dieu , cette Trinité fainte
& adorable , qui remplit tout de ſa
majeſté: là , pénétrés vivement de la
préſence , & débarraſſés de toutes les
penſées terreſtres , nous lui proteſterons
de l'adorer , del’aimner , de le bénir , de
travailler pour ſa gloite , nous lui ren
drons grâcesdes bienfaits reçus, & lui en
demanderons de nouveaux avec confian
če. Nous devons nous humilier profon
dément aux pieds du Maître de la
nature , par l'aveu de notre réant ,
de notre foibleſſe , du beſoin conti.
nuel que nous avons de lui ; enſuite
nous élever juſqu'à la majeſté de ce
Gv
IS 4 DE LA VÉRITABLE
Roi des Rois , à ſa ſainteré , ſa clé
mence , fa bonté, pour en eſpérer
tous les biens, qui nous ſont néceſſai
res pour régler nos incurs, & notre
conduite,
La même prière doit avoir lieu à la
fin du jour, principalement pour remer
cierDieu desgrâces reçues dans la jour
née : nous ne devons craindre que de
pas reconnoître la millième partie.
n'en
Comment, par exemple, excuſer l'ingra
titude d'un homme qui , ayant reçu en
partage l’eſprit, les dignités, la ſanté, les
biens temporels , une femme vertueu
ſe & des enfans ſoumis , non- ſeule
ment ne remercieroit pas Dieu de ſon
bonheur , mais n'y penſeroit même pas ?
Ce feroit un ſentiment bien plus cone
damnable encore , s'il s'imaginoit de
voir pareils avantages, à ſa naiſſance , à
fon mérite, ou à ce qu'on déſigne ſous
le vain, nom de fortune ; un ore
gueil & une ingratitude auflimarqués .
DEVOTION. ISS
mériteroient que Dieu l'en dépouillât
dans l'inſtant. Il faut donc bien peu
de réflexion à quiconque eſt pourvu de
raiſon , & principalement à un Chré
tien , pour éclater à chaque inſtant en
actions de grâces & de louanges. Un
Chrétien éclairé , doit également cha
que jour ſe rappeler ſon Sauveur ,
puiſqu'il eſt l'auteur de tous ces biens.
Il doit l'adorer , lui offrir ſon amour
fa gratitude , & les plus grand deſir
de régler ſes actions ſur cet amour .
Eh ! que peut-il manquer à notre bon
heur, fi nous avons pour nous Jefus
Chriſt ?
· Un des moyens les plus ſûrs de
nourrir notre piété , eſt la pfalmodie ; & ,,
fous ce nom, nous comprenons le chant:
ou la récitation des pſeaumes & des
hymnnes en l'honneur de Dieu ( 1 ). Rien

( 1 ) Il exiſte , à ce ſujet , un excellent traité.


1
dudocte. & picux Cardinal Bona.
G vj
136 DE LA VÉRITABLE.
ne prouve mieux l'importance d'une
pareille pratique que ſon antiquité.
Les Juifs , dans leurs Temples, chan
toient des hymnes & des cantiques ,
qui , conſervés juſqu'à nous , ſervent
encore à nous inſtruire & à nous édifier;
Ecoutons S. Paul , qui, dans les ré
gleinens qu'il établit pour les Chré
tiens , recommande de pfalmodier
c'eſt -à -dire, de chanter des hymnes en
Eph. s.19. l'honneur de Dieu : Vous entretenart
dit-il , de pſeaumes , d'hymnes & de can
riques ſpirituels, chantant & pfalmodiant
du fond du caur à la gloire du Seigneur.
L'Apôtre repète la même choſe dans
' un autre endroit , en nous avertiſſant
que le cæur doit être de concert avec
Coloff. ch. 3 . la voix. Il inſiſte , ſur le même fujet ,
36 .
dans fon Epître aux Hébreux: Offrons
Hébr.c. 13.fans celle , par J. C. une hoftie de
v. 1S
louanges à Dieu , c'eſt -à-dire, le fruit
des lèvres qui rendent gloire à fon
nom . Ainſi , outre l'antiquité de cet
DEVOTION . 157
ufage , nous avons encore la convic
don qu'il vient de Dieu , qu'il a été
celui des Apôtres , & qu'ils nous ont
recommandé de le fuiyre. C'eſt là
ce qui a occaſionné par la ſuite , les
heures canoniales , compoſées de pſeau
mes, d'hymnes, d'anciennes , de ré
pons , de morceaux choiſis du vieux
& du nouveau Teſtament, & des ouvra
ges des Pères. Les anciens Moines &
les Religieuſes , & après eux , les Cha
noines en chanroient une partie &
récitoient l'autre. Une auſſi fainte pra
tique s'eſt étendue par la ſuite ſur
le haut Clergé , tant Séculier que
Régulier; quelques-uns même ont
conſervé l'ancien ufage de partager l'of
fice, dont une moitié ſe difoit à minuit ,
& l'autre à des heures fixes dans la
journée ;d'autres chapitres rempliſſent le
même devoir d'une façon différente ,
mais auſfi louable .
Pour peu qu'on ait quelque tein
158 DE LA VÉRITABLE
ture de la langue Latine , on com ,
prendra facilement l'excellence d'un
aufli faint exercice. Dans le fond , que
font les hymnes & les cantiques, ſinon
une mine inépuiſable de ſentimens &
de louanges envers Dieu & ſes Saints ?
Toute perfection & toute grâce réſide
en Dieu ; c'eſt de lui que découlent
tous les biensdont nous jouiſſons dans
cette vie , & ceux que nous attendons
dans l'autre. Ainſi , comme les An
ges & les Saints qui règnent avec lui ,
n'ont d'autre emploi que de le glo.
rifier ; nous autres , qui ſommes étran
gers ſur la terre , nous devons ſuivre
leur exemple avec d'autant plus de
juſtice, que nous ſommes appelés à
le connoître , que nous vivons comblés
de ſes grâces , & que nous ſavons
qu'il veut que ſon ſaint nom ſoit ho-.
noré & glorifié par toutes ſes créatu
res. En outre , les pſeaumes contien
nent, ue, ſuite d'inſtructions 2 de priès
DEVOTION. 152

res touchantes ; des actes ſans nom


bre , de foi, d'eſpérance & d'amour ,
& les ſentimens les plus vifs de re
connoiſſance ,, d'humiliation & de rem
pentir. Nous tenons une foule de priè
res des Auteurs les plus éclairés ; mais,
il eſt ſûr qu'il n'en eſt aucune à com
parer avec les pſeaumes & les canti
ques qui ſont pris des livres de l'E
criture , & dont ſont compoſés les dif
férens offices : les unes ſont la parole
de Dieu , les autres , dans le fond
ne ſont que celles des hommes . Il
eſt encore pluſieurs prières excellentes
& courtes , qui terminent les pſeaua
mes , mais qui font encore au-deſſous
des autres , parce qu'elles ne ſont que
l'ouvrage des perſonnes , pieuſes à la vé
rité , mais particulières.
On peut diviſer en deux claſſes les pera
ſonnes obligées de réciter les heures ca
noniales, dans l'Egliſe ou en particulier:
la première eſt compoſée de celles qui
160 DE LA VÉRITABLE
entendent le Latin , la ſeconde, de celles
qui ne le ſavent pas. Quant aux premiè
res, ( il faut l'avouer ) il en eſt tant qui
font obligées , par état , de dire chaque
jour le bréviaire , ou de le chanter dans
l'Egliſe, que c'eſt un devoir dont on s'ac
quitte avec la plusſcandaleuſe diſtraction.
On ne prend pas garde que notre Sei
Math. Is. gneur dit , dans S. Mathieu : Ce peu
ple m'honore des lèvres , mais ſon coeur
eſt loin de moi. Peut -on ſe flatter
de remplir ſes obligations , en payant
à Dieu un pareil tribut , avec indif
férence & précipitation ? Quiconque ,
en récitant ſes pſeaumes , s'abandonne
volontairement à ſon imagination , ou
tre la faute grave qu'il commet, doit
s'attendre à ne recueillir aucun fruit
de ſes prières. De pareilles diſtractions
ne peuvent avoir d'autre ſource que l'ha
bitude & le refroidiſſement de notre dé
votion. A force de ſe familiariſer avec
}

les objets les plus ſaints & les plus


DEVOTION. $ IGI

reſpectables , on perd peu -à-peu le


recueillement qu'ils exigent.
Quant aux autres perſonnes, qui ne
ſavent pas le Latin , pourvu qu'elles
aient intention d'adorer Dieu & de
le prier , elles n'ont pas moins de
mérite que les premières ; c'eſt le caur
qui prie & non la langue. Ainſi, qui
conque eſt obligé à réciter le faint
Office , doit fe figurer qu'il eſt en
préſence de Dieu , qui l'écoute , & qu'il
unit ſes prières avec celles des An
ges & de tous les Saints qui font dans
le Ciel. Enfin , on ne devroit jamais
oublier que les pſeaumes & les can
tiques font l'ouvrage de l’Eſprit de
Dieu & de l'Egliſe: une fois pénétrés
de cette vérité, nos prières ne peut
vent qu'être écoutées favorablement.
Ne nous laffon's pas de le répéter ; lorf
qu'on ſe préſente à l'audience des Prin
ces de la terre , on n'a garde d'y pa
roître avec un air diftrait & peu ret
162 DE LA VÁRITABLE
cueilli : quelle honte pour nous de
traiter avec autant d'attention des af .
faires temporelles, ſouvent îi frivoles ,
quand les ſpirituelles, qui feroient
pour nous fi importantes, ſi nous avions
de la foi , ſont traitées avec autant de
légéreté.
La pfalmodie , ainſi que nous l'a
vons expliqué , contient tous les fen
timens dont une ame peut être péné
trée , lorſqu'elle veut honorer Dieu ,
le remercier des biens reçus , & lui en
demander de nouveaux ſelon ſes be
foins. Ainſi , elle comprend l'Oraiſon
dont nous avons déjà parlé. Mais on
peut louer Dieu fans Oraiſon vocale
puiſqu'il lit dans nos cæurs , qu'il en
connoît les ſentimens & les affections ,
& n'a pas befoin de nos patoles pour
en ſonder les replis. Ce dernier genre
de prière ſe nomme Oraiſon mentale:
elle eſt le partage de ces perſonnes
vraiement ſpirituelles , qui parlent à
DEVOTION. 163
Dieu dans le ſecret de leurs caurs ,
I ſoit à des heures déterminées , ſoit
lorſque leur dévotion les y porte. Ce
ſaint exercice , à proprement par
ler , mérite plus le nom de médita .
tion , puiſqu'il conſiſte à méditer les
attributs ineffables de Dieu , la vie &
la paſſion de notre Sauveur , aingi que
les autres vérités éternelles qui ſont
l'ame de la vie du Chrétien . On ne
ſauroit trop louer une aulli ſainte pra
tique, & tous les avantages qui en
réſultent. L'ame eſt vraiement unie
avec Dieu dans le même temps que
les maximes les plus importantes de
la foi , & les vrais devoirs du Chré
tien ſe gravent dans le cæur, Quels
momens peuvent être comparés à ceux
qu'on emploie à converſer avec fon
Dieu ? C'eſt ainſi que pluſieurs ames
privilégiées ont eu l'avant-goût des dé
lices refervés aux Saints dans le Para
dis. Cependant, il faut en convenir ,
164 DE LA VÉRITABLE
pareille pratique convient à très- peu
de perſonnes : elle exige un eſprit ar
tentif , réfléchiſſant , accoutumé à ſui
vre le fil d'un raiſonnement; & tout
homme qui n'aura pas ces qualités ,
court le riſque de tomber dans le vui
de ou la ſéchereſſe. C'eſt un malheul
auquel ſe trouvent ſouvent expoſés les
hommes les plus accoutumés à ce
genre d'Oraiſon , & cela par une ſuite
de notre foibleſſe , qui nous tient
toujours collés à la terre , & ne nous
permet pas de ſoutenir long-temps
notre vol au -deſſus de l'humanité. Ceux
qui ſe ſentent totalement incapables
de pareilles méditations, peuvent y ſup
pléer par de pieuſes lectures ; c'eſt
encore un des meilleurs moyens de
nourrir la piété ( 1 ). Enfin , tant qu'on
(1) Muratori cite ici un ouvrage de S.
Ignace de Loyola , qui a pour vitre : Exercices
Spirituels comme un des meilleurs qui ayent
été faits dans ce genre .
DE VOTION . 165
s'appliquera à contempler , quoique de
loin, la majeſté & la perfection de Dieu,
qu'on fera fon étude de la volonté dans
ſa ſainte loi , & qu'on réfléchira ſur
tout ce qu'a fait J. C. pour nous ſauver,
on peut être ſûr de marcher dans la
voie du ſalut & de la bonne dévo
tion. Il eſt cependant néceſſaire d'aver
tir que ſi toutes nos méditations ne ſe
terminent pas par implorer le ſecours
de Dieu , nous n'en pouvons jamais
eſpèrer aucun fruit. Toute prière ne
doit tendre qu'à demander le ſecours
de Dieu : ſans lui nous ne pouvons
rien , & rien n'eſt impoſſible avec
lui.
Tant que nous vivons ſur la terre ,
nous ſommes tellement affectés par les
objets ſenſibles , que nous ne penfuris
qu'à nous procurer l'état le plus agréable ,
& à fuir tout ce qui pourroit troubler
notre bonheur. Ce monde , cependant ,
auquel nous tenons tant , doit s'éva
166 DE LA VÉRITABLE
nouir comme une ombre , & être rem
placé par un autre qui ne finira point.
Heureux qui peut de lui-même, ou
par les conſeils d'un ſage Directeur,
méditer ſérieuſement ſur ce qui doit
l'occuper dans ce monde , & iur ce
qui l'attend après ce court pélerinage
L'expérience ne prouve que trop que la
retraite ſeule , au moins de quelques
jours par mois , eſt néceſſaire pour
ſe corriger des mauvaiſes habitudes ,
& rendre plus ſolide une piété qui
trouve à chaque inſtant dans le monde
de nouveaux écueils. C'eſt ce que nous
conſeille l'Apôtre , lorſqu'il nous aver
tit de renouveller de temps en temps
noțre efprit, parce que nous ſommes
ſujets à nous engourdir ici- bas , & que
notre ame , trop occupée des objets
terreſtres , oublie ſouvent les éternels.
On ne manquera pas de m'objecter
que le peuple ne fait pas méditer ,
& n’a ni le temps ni la commodité
DE VOTION . 167
de fe retirer pour s'occuper de Dieu
& de ſon ſalut. Quelle reſſource lui
reſte- il donc ? Celle d'alliſter plus que
les autres aux ſermons , aux miſſions ,
enfin , à toutes ces inſtructions qui ſe
répétent à chaque inſtant dans les Egli
fes. On ne ſauroit penſer ſans effroi
à notre indifférence pour tout ce qui
regarde l'affaire de notre falut. Nous
connoiſſons les vérités de la Religion ,
nous les croyons , & nous agiſſons
toujours comine fi elles nous étoient
abſolument étrangères. Peut-il être un
principe plus ſûr de l'état de mort ,
dans lequel nous vivons , & qui nous
conduira juſqu'à cette mort réelle qui
s'avance , & dont nous ignorons le
moment ? Cependant , nous devrions
toujours être ſur nos gardes, attentifs
& vigilans , ainſi que nous le recom
mande notre Sauveur , puiſque notre
bonheur ou notremalheur éternel dépend
de mourir dans la haine ou l'amour
168 DE LA VÉRITABLE
de notre Dieu. Cependant , notre inſen
fibilité eſt telle , qu'à peiney daignons
nous penſer. Nous voyons à chaque inf
tant s'éclipſer ſous nos yeux des perſon
nes de notre connoiſſance , ſans que ces
événemens, tant de fois répétés, nous faf
ſent penſer à ce quinous attend, & peut
être très-proche. Nous avons donc grand
beſoin de Prédicateurs qui nous ré
veillent de temps en temps , qui nous
inſtruiſent , nous exhortent , & nous ti
rent de notre léthargie. C'eſt une négli
gence impardonnable dans un Chrétien
qui , pouvant chanter la parole de Dieu,
ſur-tout les jours où le travail eſt inter
dit , paſſe le temps dans l'inaction ou
dans des jeux & des plaiſirs très -con
damnables. Il ſeroit, d'un autre côté ,
très à deſirer que les Prédicateurs mif
ſent leurs raiſonnemens à la portée du
peuple , & qu'ils penſaſſent que leurs
inſtructions s'adreſſent , non pas aux
gens ſavans , qui ſont en petit nombre ,
mais
DÉ VOTION. 169
mais aux ignorans, qui forment la
partie la plus nombreuſe de l'auditoi
re . Un Prédicateur rempli de l'eſ
prit de ſon état , doit penſer à ſou
tenir les gens inſtruits , mais beau
coup plus encore à éclairer ceux qui,
privés abſolument de lumières , en ont
plus beſoin que les premniers. S'il
cherche à donner des preuves de ſon
5 eſprit & de ſon ſavoir , qu'il fache que
le vrai mérite conſiſte à faire des dif .
cours qui , par leur clarté & leur agré
ment , inſtruiſent , touchent , remuent ,
& plaiſent également aux ſavans coinme
aux ignorans : voilà la véritable élo
quence , cette éloquence populaire fa
peu pratiquée aujourd'hui, & bien pré
férable cependant à celle des écoles.
C'elt elle qui a mérité à $. Jean ,
Pratriarche de Conſtantinople , le ſur
nom de Chryſoſtôme ou de Bouche
d'Or, en nous laiſſant le modèle le
plus parfait d'expliquer au peuple la
H
170 DE LA VÉRITABLE
parole de Dieu. Une première lectu
re le feroit juger moins fpirituel que
les autres Pères , & cependant il leur
eſt très-ſupérieur , en ce qu'il ne penſe
jamais à faire parade de ſon eſprit.
On ne ſent dans ſes difcours aucun
travail, aucune recherche , point d'af
fectation de figures , de deſcriptions
pompeuſes, de ſubtilités de l'école :
après avoir littéralement & lumineu
fement’expliqué le texte de l'Écriture ,
il en tire toutes les inſtructions né
ceſſaires pour le réglement des mœurs,
& la pratique de la vertu ; le tout ac
compagné de raiſonnemens, de ré
flexions, & d'un ſtyle rellement à la
portée de fes Auditeurs , qu'il n'en eft
point qui ne puiffe en profiter. Plût
à Dieu que , pour la gloire & l'utilité
du Chriſtianiſme , nous viſfions renou .
veler un pareil ufage ! Auſli, faut - il
tonvenit que les Millions, en général ,
plus faites pour le commun des ‘Au
DEVOTION. 171
diteurs , font plus de fruit que tous
les ſermons compoſés avec tant d'art,
par les plus célèbres Orateurs.
Enfin , le moyen le plus ſûr pour
exciter & nourrir la dévotion , a tou
jours été & ſera toujours la lecture des
Livres ſaints , tels que les Pſeaumes ,
les Évangiles , les Épîtres de S. Paul
& des autres Apôtres . C'eſt dans eux
que parle l’Eſprit - Saint: eh ! pouvons
nous avoir un meilleur guide ? Pour
entendre ces céleſtes oracles, on ne
manque point d'interprètes fürs dans
l'Egliſe de Dieu , & c'eſt d'eux dont
nous devons nous ſervir . Voilà la nour
riture ſolide , faite pour ſoutenir no
tre piété ; & nous n'avons pas bea
ſoin de l'autorité des Pères ou de l'É
criture , pour prouver une pareille vé
rité. Quiconque n'entend pas "le La
tin ( 1 ) , doit faire un choix de livres
( 1 ) On ne connoît pas en Italie de traduc
tion de l'Ecriture en langue vulgaire.
Hij
172 DE LA VÉRITABLĮ
compoſés par des Auteurs éclairés, qui
1
contiennent l'explication des paſſages
de l'Écriture les plus inſtru & ifs & les
plus touchans. On fera bien d'y join
dre les vies des Saints , non pas celles
qui , remplies de fables ou de puéri
lités , font le fruit de l'ignorance ou
de la Aatterie , mais des hiſtoires au
thentiques , qui , compoſées par des
Auteurs contemporains , ou voiſins des
faits qu'ils ont écrits , portent avec
elles le caractère de la vérité. Pareille
lecture faite avec le deſir de s'inſtruire ,
& non par pure curioſité , peut pro
duire d'auſſi bons effets que la paro :
le de Dieu prêchée dans la chaire.
Nous ſommes bien coupables , tous
tant que nous fommes , avec autant de
moyens , de ne pas devenir bons &
faints; nous ne nous en ſervons que pour
nous attachet de plus en plus à la
terre . Eh ! comment le monde d'un
moment peut-il plus fixer, que la vue
d'un monde qui ne finira jamais ?
DE VOTION . 173

CHAPITRE X I I.

De la mortification & de l'humilité.

' AUTRE fecours que nous avons


indiqué comie néceſſaire au Chrétien ,
pour réſiſter aux tentations & aux dan
gers de cette vie , eſt la mortification .
Le S. Prophète Job nous aſſure que Job. 6. 7.
la vie de l'homme eſt une milice ſur lav. 1.
terre , c'eſt -à - dire , un lieu où nous
devons être continuellement en garde
contre le bonheur , pour qu'il ne falle
pis naître en nous l'orgueil , l'incon
cinence , l'injuſtice, & toutes les ac
tions condamnables. Nous ne devons
pas inoins coinbatore contre le mal
heur , afin qu'il ne nous faſſe pas
Ćulater en murmures , en inpatience ,
& qu'il ne foit pas pour nous une occa
ſion de médiſance , de vols , de lâ
cheté , & d'autres excès ſemblables.
Hiij
174 DE LA VÉRITABLE

La concupiſcence , dont nous avons


parlé, ne nous pouſſe que trop à la
vanité , à l'avarice , à l'intempérance ,
en un mot , ànous procurer ce qui peut
nous flatter par tous les moyens que
pous pouvons employer. .Ces impul
fions fecrètes , lorſqu'on ne peut les
ſatisfaire qu'en bleſſant la raiſon ou
les préceptes de l'Evangile , ſe nom
ment tentations, C'eſt une foibleſſe
dont les plus grands Saints ne ſont
pas même exempts , mais à laquelle
&

ſont plus expoſés, & fuccombent fou


vent ceux qui s'occupent peu de la vie
future ; mais le ſage & véritable Chré
tien , qui n'oublie jamais les remords
qui ſuivent les fautes dans cette vie ,
& les châtimens qui les puniſſent dans
l'autre; qui fait en outre que le che
min de la vertu eſt le ſeul dans lequd
il doive marcher, connoît toute la né
cellité de combattre , & repouſſe les
conſeils pernicieux de l'amour -propre,
DÉ V OTIO N.' 175
c'eſt -à-dire, de la concupiſcence: & ,
comment cela ? En ſe roidiſſant contre
fa propre volonté , dès qu'il s'apperçoit
qu'elle lui demande une choſe con
traire à la raiſon ou à la foi. Ce
Chrétien éclairé , fait que ce que Dieu
lui commande n'eſt que pour ſon bien ,
& que tout ce que lui inſpire la chair,
l'ambition , la haine , & les autres ap
pécits déſordonnés , ne peụt qu'être
oppoſé à la ſanctification , à la ſanté ,
à ſa réputation , ou au moins nuire à
ſon prochain ; d'ailleurs , l'affaire la
plus importante pour lui , eſt de ne
point offenſer un Dieu , dont les châ
timens redoutables ne peuvent jamais
être bravés impunément.
Ce combat perpétuel contre une
volonté corrompue , cette mortifica
tion des paſſions qui voudroient nous
dégrader, nous font recommandés par
notre divin Maître , comme un point
abſolument néceſſaire: qui me veutfui- , Math. 16.
H ir
176 DE L A VÉRITABLL
yre , dit- il , doit commencer parſe rem
noncer lui-même. Plus on contracte
cette heureuſe habitude, & plus on
s'affermie dans la piété : auſſi l'Apô
Gal. s . 24.tre aſſure - t- il que ceux qui ſont à J. C.
ont crucifié leur chair avec ſes paſſions
& ſes deſirs déréglés. Une des quatre
principales vertus morales , eſt la tem
pérance. Nous pouvons regarder la mort
rification comme ſa fille ; & qui a celle
ci , poſſéde tout ce qu'il y a de mieux
dans la première. Ce n'eſt pas, au reſte,
un combat de quelques jours ; les
Saints eux-mêmes, quoique fortifiés par
une longue épreuve, & s'étant fait
une habitude de réſiſter aux tentations ,
doivent être en garde toute leur vie , &
prêts à combattre , parce que notre
ennemi, tel qu’un lion , rôde ſanscelle
autour de nous pour nous dévorer, qu'il
nous tend de nouvelles embûches ,
& que fes défaites continuelles ne lui
font pas rallentir ſes attaques. Cette
DE VOTION. 177
ver ru n'e ſt pas le partage ſeulement
des habitans des cloîtres ou des foli
tudes ; elle doit encore être celui de
tout Chrétien qui detre véritablement
le Royauine éternel; les jeunes gens
principalement, ont beſoin plus que
tout autre d'un pareil remède , & ce
font eux en général qui s'en ſervent
le mɔins . Examinez les enfans dans
l'âge le plus tendre ; la déſobéiſſance
ſemble être leur défaut favori , & ils
naiſſent avec le defir de tout facrifier
à leur volonté. Si l'on ne ſe fervoit
pas de la force pour les réprimer , on
les verroit fe porter aux excès les plus
capables de leur nuire , & ſe former
de bonne heure à tous les vices . Les
paſſions enſuite ne manquent pas de
s'augmenter avec l'âge ; & comme
ils ſont fans expérience , elles s’en
Aamment au point de leur faire mé
priſer les conſeils de la prudence &
de l'amitié . Alors la porte eft ou
ну
LE
178 DE LA VÉRITAB
verte à tous les goûts & à tous les plai
ſirs, quelque dangereux qu'ils ſoient
pour eux & pour les autres. Qu'heu
reux eſt le fort de ces jeunes gens
qui ont appris de bonne heure le bon
emploi de la vie , & porté le joug
de l'obéiſſance ! C'eſt aux jeunes gens
principalement que Salomon adref
ſoit ſes proverbes ; & plût à Dieu que
les nôtres en fiſſent leur principale
lecture ! c'eſt encore une nouvelle
école où Dieu nous inſtruit. Nous
avons à ce ſujet pluſieurs livres ex
cellents ( 1 ) , où l'on prouve la néceſlité
de la mortification .
2. Il exiſtera, toujours des tentations;
& pour les vaincre , il faut néceſ.

( 1 ) Muratori cite en cet endroit un Traité


du Senpoli , Théatin. - Le chemin ſûr du Pa.
radis du Père Segala , Capucin , ouvrage très
eſtimé, & l'exercice des vertus chrétiennes
du Père Rodrigues , Jéſuite,
DEVOTION. 179

ſairement ſe dompter ſoi-même: c'eſt ce,


que ſignifie le précepte de notre Sau-,
veur. Le Royaume des Cieux ſe prend 72.Math. ar.
avec violence , & ce .Sont les violents.
qui l'emportent. Aufli , tous les bons
Religieux ont-ils grand ſoin de former
leurs Novices dans l'abnégation de leur
volonté , c'eſt-à -dire , l'exercice de la
mortification . Ils ſavent bien que li
nous n'accoutumons pas notre amour ,
propre à ployer ſous le joug de la
raiſon & de la volonté de Dieu ,
it reſſemblera bien - tôt à un courrier
fougeux', qui nous entraînera hors dy
chemin , & nous précipitera dansdes
abyſmes.
? Le détail de tout ce que comprend
la mortification eſt très-conſidérable ,
elle ne ſe réduit pas à tenir en bride
les paflions lorſqu'elles veulent nous
porter à des actions contraires à la
raiſon , à la loi de Dieu , aux décrets
de l'Egliſe ; elle déſigne encore , le
H vj
180 DE LA VÉRITABLE
traitement rigoureux du corps , qui ,
ſelon l'Apôtre, appeſantit l'ame, dont
les beſoins font une occaſion d'intem
pérance dans le boire, le manger , &
les autres plaiſirs illicites que nous
nommons improprement corporels ,
puiſque les affections quelconques, apě
partiennent uniquement à l'ame. Nous
avons beſoin d'une attention toujours
ſoutenue , pour ne déplaire en rien
à celui qui veut , pour notre bien , que
nous ſoyants tous juſtes & faints. Nous
ne parviendrons jamais à nous inft
truire à cette véritable école du Clicé
tien , fi nous n'avons en nous le ger-:
me d'une autre vertu peu connue ,
& encore moins pratiquée par les
Páyens ; vertu dont leursPhiloſophes ,
qui fe väntoient d'enſeigner au gente
humain la fageffe , n'avoient pas même
Tidée . Je veux parler de l'humilité ,
qui eſt proprement la vertu du Chré
tien ;' & d'une telle importancel , que
DE VOTION . 131

ſans elle , jointe à la charité , toutes


les autres ſeroient pour nous des ver
tus ſtériles. Elles ne peuvent jamais
avoir de mérite qu'autant qu'elles ſont
acco npagnées de l'amour divin , & du
ſentiment de notre foibleſſe , qui nous
fait offrir au Maître de tout , notre
néant & notre pauvreté. Que peut avoit
de bon , & que peut jamais eſpé
ter un orgueilleux ? Dieu nous a dé ..
claré qual le hait , & n'aime que les
humbles. Quoique notre divin Säu
veur nous ait , dans ſes diſcours & ſes
actions , donné l'exemple de toutes
les vertus , il a cependant exigé de
nous particulièrement, que nous apprif. 29Mark.
.
15.
fions dé lui à être doux & humbles de
cour, fi nous voulons poſſéder une
prix intérieure. L'orgueilleux, en effet ,
& l'ambitieux , pourroient -ils jamais
jouir du repos ? Ils ſont toujours més
contens d'eux & des autres : où l'huin
ble s'attiré tous les cæurs , l'orgueil
182 DE LA VÉRITABLE
leux les aigrit tous. Pour peu que l'hom
me réfléchiſſe ſur lui-même , il doit
ſentir la néceſſité d'avoir une idée
modeſte & réſervée de ſes talens , de
ſon mérite & de ſes qualités. Si nous
nous imaginons avoir plus d'eſprit &
de connoiſſances que ceux qui nous
entourent ; ( & dans le fond , nous
en avons toujours moins que nousne
penſons ) ſi nous poſſédons les richeſ
ſes , les dignités & la ſanté, &c. nę
font-ce pas autant d'avantages que nous
tenons de la libéralité de Dieu , &
qu'il a refuſé à tant d'autres qui
les méritoient plus que nous ; auſſi
peut - il nous en priver dans un
inftant. Les dangers , les maladies
font ſans ceſſe à nos côtés , & le
chemin eſt bien court du bonheur à
l'infortune. Qu'on faſſe paroître un
orgueilleux bien gonflé de ſon mérite ,
de fes richeſſes , de ſa nobleſſe , & c.
& qu'il ait la hardieſſe de nier qu'il n'a
-

D É Y OTION. 183
pas de défauts peut-être plus marqués
que ceux des perſonnes qu'il mépri
ſe ? Qu'il oſe ſoutenir n'avoir jamais
commis de fautes dans le cours de fa
vie , & n'être pas dans le cas d'en
faire chaque jour de nouvelles ? Qu'il
ait le front de ſe prétendre au -deſſus
de la colère des Princes, du fléau
des guerres & des maladies , enfin
de toutes les diſgrâces auxquelles on
eſt ſans ceſſe expoſé dans ce monde ?
Quelle raiſon a -t-il donc de marcher
avec une têre ſi altière , & de s’imagi
ner devoir concentrer dans lui tous les
biens? Certainement, ſi Dieu regarde un
pareil homme dans ſa miſéricorde ,
il ne manquera pas de lui envoyer
quelque diſgrâce ſalutaire , qui le fera
rentrer en lui-même ; & malheur à
lui ſi la mort l'inftruit de ce qu'il
eſt , ſans lui laiſſer le temps de pro
fiter de l'inſtruction.
Un ſujet auſſi vaſte , a été traité dans
184 DE LA VÉRITABLE
le plus grand détail , par les Maîtres
de la vie ſpirituelle ; & je me borne
à féliciter ceux qui ſont aſſez heureux
pour pofTeder l'humilité , vertu aufli
chère à Dieu qu'eſtimée dans les au
tres , par ceux mêmes que l'orgueil do
mine le plus. Examinons un inſtant
les perſonnes humbles ; leur état peur
changer par les dignités , les biens ,
les honneurs ; mais , avec l'idée juſte
qu'elles ontd'elles-mêmes , leurs mæurs
ne changeront point. On ne les verra
jamais ſe gonfler , leurs converſations
& leurs actions ne ſe reſſentiront ja
mais de leur p :o'périté , parce qu'el
les regardent tout ce qui leur arrive
comme une faveur gratuite de Dieu ,
qui peut la faire ce Ter quand il
lui plaît ; en un mot , que les biens
temporels font un prêt , & jamais un
don. Que les adverſités viennent en
ſuite ; avec un bon fond d'humilité
& de patience , on ne murmure point,
DEVOTION. 185
on neréſiſte point à la volonté & à
la permiſſion de Dieu ; mais con
vaincu qu'on n'a aucun droit d'être
traités avec prédilection , & que Dieu
ne nous éprouve que pour nous puri
fier, on fe difpofe à ſouffrir en paix touis
les châtiinens d'un auſſi bon Père. En
ſupportant tout pour l'amoir de Dieu ,
on ſe répète les paroles de l'Apôtre :
Que les châtimens de cette vie ne font Rom.c.5,
point à comparer avec l'immenſité de
la gloire qui nous eſt préparée & con
fervée dans l'autre. Enfin , l'humilité
fait s'accommoder à toute eſpèce de
malheurs , aux infirmités, aux contra
dictions , à la perte des biens; &
lorſque la dernière heure ſe fera en
tendre , comme elle nous apprend que
nous ne ſommes dans ce monde
qu'en paſſant, & obligés de le quit
ter lorſque notre Maître l'ordonnera
la réſignation nous fait accepter tout
ce qu'il nous impoſe ; cet acte même
186 DE LA VÉRITABLE
en devient un de plaiſir , parce que
l'humilité nous découvre toute l'éten
due de la miſéricorde de Dieu , &
que notre mort eſt la fin de nos ſouf
frances , & le commencement d'une
joie éternelle. Plus un Chrétien mor
tifiera ſon corps & plus encore ſon
cæur & ſon eſprit , plus on peut dire
de lui qu'il marche à grands pas à la
perfection ; cependant la mortification
du corps a beſoin d'être réglée encore
par la prudence. Un jeûne modéré eft
une pénitence que l'Egliſe approuve ,
& qu'elle nous ordonne. Il eſt encore
d'autres mortifications corporelles qu'on
peut permettre ; mais quant à ces re
cherches de pénitence , pour maltrai
ter ſon corps & lui déclarer la guerre ,
j'ai déjà remarqué qu'elles ſont dan
gereuſes , ſur- tout aux jeunes perſonnes
du ſexe. On lit dans la vie de S.
Philippe de Néry , ce grand maître de
la vie fpirituelle , qu'il faiſoit plus
DEVOTION. 187
xo de cas de ceux qui , châtiant leur
» corps avec modération, s'appliquoient
principalement à mortifier leur ef
9
prit & leur volonté , plutôt que de
» donner dans des pénitences & des
» auſtérités corporelles

CHAPITRE XI I I.
Du Sacrement de la Pénitence , de ſa
néceſſité , de ſon utilité, & de la
patience.

Τους les moyens que nous avons


détaillés juſqu'à préſent, font ſaints &
utiles pour la fuite du mal & la pra
tique du bien ; mais la fragilité & la
pente au péché étant l'apanage de la
nature humaine , nos chûtes ſont fré
quentes , & la loi ſouvent violée. Quel
ſeroit notre malheur , fi la miſéricorde
de Dieu ne nous eût pas réſervés des
ſecours plus puiſſans, tant pour nous
188 DE LA VÉRITABLE
relever , que pour nous donner plus de
force: diſons mieux , tout ce qu'on
peut recevoir de grâces pour la vie
ſpirituelle. Un Dieu plein de bonté ,
nous fournit deux ſecours efficaces ,
au moyen deſquels, ſi nous ſavons nous
en ſervir , nous pourrons rentrer en
grâce , & dans tous les droits d'un
Chrétien . L'un eſt le Sacrement de la
Pénitence , & l'autre le Sacrifice de
la Melle , avec le Sacrement d’Eu
chariſtie. Il eſt ſûr que voilà les deux
plus grands tréſors de la dévotion , &
deux ſources efficaces de grâces , d'au
tant plus excellentes & plus dignes de
notre vénération , que leur divin Inf
tituteur les a miſes à la portée des pé
tits & des ignorans , comme des grands
& des ſavants. Ce qui doit les rele
ver à nos yeux , eſt le prix infini dont
elles ſont. Avec la prière publique ou
particulière , on peut obtenir beaucoup
du Très-Haut ; mais à proportion de
DEVOTION. 189
ſa foi, & ſuivant les diſpoſitions qu'on
y apporte. Ici c'eſt toute autre choſe
pour quiconque a recours à ce tréſor
de la bonté de Dieu ; non - ſeulement
on reçoit un prix proportionné au de
gré de ſa dévotion , mais Dieu , par
un effet de fa pure libéralité , y ajou
te une infinité de grâces nouvelles >

afin de nous engager à l'honorer de


plus en plus , & à recourir ſouvent
à ce tréſor inépuiſable; aufli l'Egliſe
nous recommande - t- elle l'uſage &
la fréquentation des Sacremens. La
raiſon n'en peut être plus ſenſible ,
puiſque ſans eux il nous eſt impolli
ble de nous fauver , & qu'en y recou
rant de tout notre cæur , ils nous

attirent infailliblement les bénédic


tions céleſtes. Aſſez de livres ont traité
de ces deux Sacremens, & du Sacri
fice de la Meſle ; les Prédicateurs en
parlent ſouvent au peuple. Qu'il nous
ſoit également permis de dire un mot
1990 DE LA VÉRITABLE
ſur une matière ſi grave , puiſque c'eſt
de leur bon uſage que dépend la vé
ritable dévotion . Nous commencerons
par le Sacrement de Pénitence.
Je ne prétends pas parler de ceux
qui , continuellement abrutis par leurs
paſſions, ne penſent pas qu'il eſt un Dieu
qui punit l'iniquité de l'ame , après
l'anéantiſſement d'un corps auquel elle
doit ſurvivre: pareils gens ne s'occu
pent pas davantage du tribunal de la
Pénitence. Je n'ai pas en vue non

plus ces pécheurs d'habitude , qui con


ſervent encore quelque crainte de Dieu,
qui les pouſſe au tribunal de la Pé
nitence , mais dont le cæur eſt trop
gâté pour ' en pouvoir profiter : quel 1
fruit ofent-ils ſe flatter de retirer d'une
abſolution qu'ils dérobent à un Mi
niſtre trop indulgent & ſouvent
fans expérience ? Dieu peut-il éten
dre fa miſéricorde fur quiconque
ſe " trompe , ainſi que le Miniſtre ,
DÉ V OTION. 191
avec les apparences de la douleur
& de fauſſes promeſſes ? Je parle
ici de tout Chrétien qui , plein de
bonne foi & réſolu dė ſe corriger
1 va confeſſer ſes fautes avec le vrai re
į pentir de les avoir commiſes. Oh, c'eſt
:
pour celui -ci que font ouvertes toutes
}
les portes de la miſéricorde ; quel
que graves que ſoient ſes délits , quel
qu'en ſoit le nombre , on ſera tou
jours reçu par un Père, & nous en avons
la parole d'un Dieu pour garant. C'eſt
'avoir une idée bien peu vraie de ce
bon Père , ( je ne peux trop le répé
ter ) que d'être encore dans le doute
& l'inquiétude qu'il ne nous ait pas
pardonné après une confeſſion ſincère
& une contrition parfaite. Pouvons -nous
ne pas nous abandonner à la bonté
de notre Maître ? & fa miféricorde
n'eſt-elle pas infinie pour toutes les
fautes paſſées que nous avons détef
*tées aux pieds de fon Miniſtre ? C'eſt
192 DE LA VÉRITABLE
de nous dont nous devons nous défier
pendant toute notre vie , & ne pas
ciſſer d'employer la prière , pour ob
tenir la grâce , ſans laquelle il nous eſt
impoſſible de nous ſoutenir. Ainſi , ne
nous laiſſons pas arrêter par une faulle
honte , & une crainte déplacée . Çe, que
notre Dieu deſire le plus, eſt de nous
voir revenir à lui par un vrai repen
tir , & une ſincère réſolution de l'ai
mer & de lui obéir pour toujours. Avec
une pareille conduite , nous ſentirons la
paix renaître dans notre aine , & nous
marcherons devant lụi avec une fidé
lité qui ne s'altérera jamais .
n eſt une feconde eſpèce de per
ſonnes dans- l'Egliſe de J. C. qui fré
quentent le tribunal de la Pénitence,
& quiy porţent , : non pas des péchés
graves , mais des fautes légères &
vénielles , ainſi que ces défauts dont
perſonne ne peut ſe dire exempt. Les
Minifres de Dieu érant à la fois
Juges
DEVOTION. 193
Fuges & Médecins des ames , s'ils
rempliſſent bien leur devoir , s'ils con
noiſſent le chemin de la vie , & fa
vent y conduire ceux qui s'abandon
nent à leurs foins , peuvent donnet
2 à cette claſſe des fidèles, les conſeils
les plus utiles , & qui lui convienent
le mieux. Les inſtructions publiques
ſont encore très- efficaces ; comme elleś
conſiſtent en général dans la peinture
& la critique des vices dans tous leurs
détails, on ne manque pas de fe re
connoître dans les différens traits qui
nous conviennent , & l'on doit s'en
ſervir pour ſe corriger. Mais de tous
les ſecours, le plas puiſſant eſt la con
noiſſance que nous donnerons au Mi
niſtre de Dieu , de l'état de notre ame.
Quelles tentations , quels dangers ,
quelles fautes ne i s'évitent pas avec
les conſeils d'un homme « prudent &
éclairé ? De forte que li le Sacrement
de Penitence eſt nécellaire au Chrétien
1
194 De LA VÉRITABLE
pour rentrer en grâce , il n'eſt pas
moins utile pour la conſerver , & ten
dre à la perfection. Il eſt eſſentiel
de remarquer ici , qu’un Sacrement
aufli néceſſaire , a deux fins principales:
la première , de nous faire recouvrer la
grâce que nous avons perdue, moyennant
un repentir ſincère de nos péchés ; la
ſeconde , de nous exciter avec toute la
bonne foi dont nous ſommes capables ,
à nous corriger par la ſuite de nos
égaremens. Le premier ſentiment s'é.
prouve aſſez ordinairement; une fois
perſuadé de l'infinie bonté de Dieu , no
tre coeur s'ouvre à la douleur des fau
tes que nous avons commiſes , & à
la confiance que Dieu voudra bien
couronner notre repentir par le par
don. Mais en eſt-il de même du fe
cond engagement ; on voit bien des
confeſſions, mais que les converſions
ſont rares! La dévotion ne nous manque
pas pourimplorer la clémence de Dieu ;
DEVOTION , 195

mais ſubliſte -t -elle également pour nous


garantir de l'offenſer & de l'outra
gir de nouveau ? Voilà pourtant l'el
pèce de reconnoiſſance qu'attend &
exige de nous ce Dieu , qui nous a
fait rentrer en grâce. Il ſemble que
nous ne profitions de ſabonté infinie &
de ſa facilité à nous pardonner, que pour
retourner à nos anciens déſordres.
Nous ne réféchiſſons point à l'abus con
damnable que nous faiſons de fa pa
tience; nous regardons ſon Tribunal
comme une eſpèce de lieu de fran
chiſe pour vivre dans l'iniquité ; & il
ſemble que ce ſoit en raiſon de ſon
indulgence & de fa bonté , que nous
nous rendons coupables de nouvelles
défobéiſſances. S'il exiſtoit le moindre
rayon de foi dans nos cours , ne des
vrions-nous pas être couverts de honte ?
Mais c'eft préciſément le manque de
foi, le défaut d'amour de Dieu , & l'ou ."
bli de notre véritable intérêt , qui nous
lij
196 DE LA VÉRITABLE
riennent engourdis dans le vice & dans
l'eſclavage de nos pafſions.
Un autre point plus eſſentiel en
core à obſerver pour quiconque a tranſ
greſſé la loi de Dieu , & l'a grieve
ment offenſé , eft que non- ſeulement
il eſt obligé de veiller ſur lui plus ſcrų
puleuſement , mais qu'il doit encore
produire de dignes fruits de pénitence,
Tel eſt l'enſeignement de tous les SS,
Pères, qui conviennent tous que la
vie d'un Chrétien ne doit être qu'une
continuelle pénitence , tant pour effa
cer nos anciennes fautes , que pour
nous préſerver des nouvelles. La priè
re , le jeûne, l'aumône , toutes les
euvres de miſéricorde, de mortifica
tion , de piété , doivent être l'état
habituel de quiconque a abandonné
Dieu pour ne fuivre que fes paſſions.
Un eſclave qui s'eſt enfui de chez
fon maître , & qui ne reçoit à ſon re
tour que des marques de bonté , doit
$ = v à 1 Ở N. 197
redoubler de fidélité , & faire oublier ,
par fa patience & l'aſſiduité de fon
travail , le châtiment qu'il avoit mérité ;
Mais , trouvons-nous dans le monde
de ſemblables modèles ? La pénitence
& la mortification ſemblent être le
parrage de ces perſonnes pures & in
nocentes , qui vivent dedans & dehors
les cloîtres. Envain chercheroit -on pa.
reilles vertus dans ces Chrétiens de
nom , qui, bien ſûrs de tous les ou
trages qu'ils ont faits à Dieu , vont
la tête levée , pleins d'ardeur pour les
plaiſirs & pour la vanité , & s'imagi
nent avoir aſſez fatisfait , s'ils ſe ſont
humiliés, en demandant foiblement
un pardon qu'ils ſont peu jaloux d'obe
tenir. Un jour viendra , & ce jour n'eſt
peut-être pas loin , où ils envieront ,
mais inucilement , le fort de tous ceux
qui ont fervi Dieu avec fidélité , &
ſe le font rendu favorable par des au
vres de pénitence.
I iij
198 DE LA VÉRITABLE
Il faut convenir aufli de bonne foi ,
que notre penchant naturel nous éloi
gne , pour ainſi dire malgré nous , non
feulement de tout ce qui peut nous
faire ſouffrir, mais encore de ce qui
affecte déſagréablement nos corps &
nos eſprits. Auſſi, Dieu vient-il à no
tre ſecours ; & voyant notre foibleſſe
à nous impofer volontairement une
pénitence qui effaceroit nos péchés
anciens, & nous préferveroir des nou
veaux , il veut bien prendre la peine
de nous mortifier lui-même par les
guerres , les peſtes, les incendies , les
diſcordes intérieures , les procès, les
chagrins , la pauvreté , & , plus que
tout cela , par cette longue ſuite de
maladies qui affligent l'humanité. Oni
peut ſe vanter de connoître parfaite
ment la liſte des maux auxquels nous
ſommes ſujets ? Et , qui de nous n'a
pas payé ſon tribut de douleur ? Si ,
dès l'inſtant que nous ſommes en
DÉVOTION . 199
trés dans le monde , la foiblelle de
l'âge ne nous a pas permis de réflé
chir ſur les deſſeins de Dieu , nous
pouvons le faire aujourd'hui , que nous
avons l'exercice de la raiſon. 1 ° . C'eſt
un effet de fa miſéricorde , fi c'eſt
nous qu'il a choiſis au lieu de tant
d'autres , à qui il pouvoit donner la
terre pour demeure & pour héritage.
2º . La ſomme des maux ſe trouvant
auſſi forte que celle des biens , ſom
mes -nous fondés à nous plaindre lorf
que Dieu nous fait fentir les premiers ,
ou diſtribue les feconds avec une ap
parente inégalité? Quand on prend
l'humilité pour règle de ſa conduite ,
on lève les yeux en haut; & , convain
cus que les biens dont on jouit ici bas,
doivent être compenſés par les maux,
on ſe ſoumet ſans réſerve aux décrets
de Dieu , & l'on n'a d'autre volonté
que la fienne. Ces maximes générales
pour tout Chrétien , ſont d'une né
I iy
DE LA VÉRITABLE
cellité plus indiſpenſable encore pour
ces pécheurs vieillis dans l'iniquité , &
à qui des remords toujours renaiſſans
reprochent les fautes qu'ils ont com
miſes, Ils doivent ſavoir s'ils méritent
ou non d’être châtiés ; en cas qu'ils,
le reconnoiffent , ils doivent accepter
avec plaiſir une pénitence qu'ils n'au
Yoient jamais eu la force de s'impor
fer eux -mêmes , & ſe féliciter de s'acı
quitter dans ce monde d'une dette
qui auroit exigé dans l'autre une fame
tisfaction éternelle.
Cette foumiſſion volontaire , cette
réfignation filiale à toutes les adverhités
nous fait voir un ordre admirable dans
tous ces déſordres apparens , que Dieu
permerdansl'Univers. C'eft cette vertu :
qui eſt une des plus belles & des.
plus importantes. du. Chriſtianiſme : .

nous la nommons: patience ; & quoi


que j'en aie déjà parlé , qu'il me ſoit:
permis d'en dire encore un mot. Nous
DEVOTION. LO'T

nous glorifions , dic l'Apôtre , dans les Rom . co se


tribulations , ſachant que les tribula- . 3.
tions produiſent la patience. Eh ! plớc
à Dieu que chacun de nous pût en
dire autant , & ſe réjouir lorſqu'il eſt
dans le cas de fouffrir , c'eſt-à-dire ,
avoir toujours l'intention de ſouffrir
pour l'ainour de Dieu ,, ainſi qu'onc
fait & font tous les jours les Saints..
Nous avons un chef qui marche de
vant nous, & qui , par ſes fouffrances
‫و‬

& ſes douleurs , nous a appris à por


ter notre croix . Il a ſouffert pour nous , 2. Ep. Tère. Com
V. 21,
( dit S. Pierre ) en nous laiſſant l'exein
ple , afin que nous marchionsſur les
traces. Prenons donc courage dans
toutes les infirmités & les tribulations
dont eſt ſemée notre vie . Plus il ſe
trouvera d'occaſions de ſouffrir pour
l'amourde Dieu , & plus nous devons;
nous attendre à en être dédommagés :.
Bienheureux ceux qui pleurent', parce V.Math.e.
12. 18.
qu'ils ſeront conſulés. Telles ſont 1 .
202 DE LA VÉRITABLE
paroles avec leſquelles notre divin Sau
veur encourageoit ceux qui étoient dans
la peine. Nous ſerions les premiers à
nous offrir aux tribulations , fi la vi
vacité de notre foi nous faiſoit fen
tir le prix de la récompenſe , & que
c'eſt la voie la plus ſûre de l'obte
nir ; enfin , il n'eſt pas de chagrin ,
& juſqu'à la mort même , qu'un vé
ritable amour de Dieu ne puiſſe adou
cir & rendre léger. Le dernier motif
de notre conſolation , eft de penſer
que Dieu fait mieux que nous ce dont
nous avons beſoin pour ſuivre la ver
tu & ſauver nos ames , & que c'eft
une folie de notre part de murmurer
contre fa Providence. En effet , l'ex
périence ne nous fait - elle pas con
noître que la proſpérité eſt pour nous
une ſource de prévarications ; au lieu
que " affliction , en nous humiliant &
nous détrompant des faux biens , nous
ramène ſouvent à un Dieu , que nous
.
D É VOTION . 203

n'avons que trop oublié dans la proſ


périté ; mais la nature eſt ſi corrom
pue , que l'on voudroit que le che
min de la vie . ne fût ſemé que de
fleurs. Nous diſons tous les jours l'O
‘ raiſon Dominicale; nous demandons
à Dieu que fa volonté fe faffe ; mais
dans le fait , c'eſt l'accompliſſement
de la nôtre que nousdeſirons , & non
de la fienne. Heureux celui dont le
cæur accepte avec ſoumiſlion tout ce
que Dieu lui impoſe ! En voilà aſſez
fur le Sacrement de Pénitence & fúr
la patience : paſſons maintenant au
Sacreinent de l'Euchariſtie , & trai
tons en même temps le Sacrifice de
la ſainte Meffe .

Ivj
104 DE LA VÉRITABLE

CHAPITRE X I V.
De la ſainte Mele..
ILN'EST
L N'EST aucun Chrétien catholique
qui , avec la ceinture la plus légère.
de la Religion , & un peu de crainte
de Dieu , ne ſoit plein de reſpect pour:
le Sacrifice de la Meffe : ſur cet ar
ticle , la façon de penſer eſt la même.
pour le ſavant & l'ignorant. Quoique
l'obligation d'y aflſter n'ait lieu que
les jours de Fêtes , bien des perſonnes.
ne manquent pas de l'entendre tous ,
les autres jours de la ſemaine. C'eſt
aſſurément pour un Chrétien l'action :
la plus ſanctifiante, & la plus méritoire ;
nous y ſommes accoutumés dès l'en
fince, mais ſans, nous douter de
l'importance d'une pareille fonction.
Les Miniſtres de la Religion ont cou-
tume , dans leurs inſtructions , d'ex
DEVOTION 205
pliquer un ſujet auſli intéreſſant; mais:
leurs diſcours ne s'adreſſant ordinai
rement qu'à des enfans , il arrive que:
le grain qui tombe dans une terre:
aride , fe defléche & ne rapporte point
de fruit. Il n'en eſt pas de même de
ceux qui conſacrent quelques-uns de
leurs, ſermons à traiter en détail ce
füjet. On voit ordinairement l'audi
toire plein du plaiſir que lui donne
l'explication d'une aufli ſainte inſtruc
tion , de fón objet , du fruit qu'on en
peut retirer , enſuite de tout ce que la
liturgie de la Meſſe renferme d'admi
rable . Le peuple fait bien en -gros que:
la Melle eſt une dévotion du plus
grand prix ; mais il s'en faut bien
qu'il la connoille en entier. aufli quand
il acquiert ſur ce ſujer: des connoif
fances qu'il n'avoit pas , il eſt enchan
té d'avoir pratiqué, ſans s'en douter, la
plus ſublime des démotions. Il recon.
noît alors que le Chrétien n'a pas de
206 DE LA VÉRITABLE
moyen plus propre & plus efficace de
rendre à Dieu un culte qui lui con
vienne , & d'obtenir des grâces de
ſa miſéricorde .
Pour ſentir toute l'excellence de la
Meſſe, il eſt bon d'obſerver qué plu
ſieurs eſpèces de dévotions, établies par
de bons ferviteurs de Dieu , peuvent
être très-utiles ; mais qu'il n'en eſt
aucune à comparer à celles que Dieu
lui-même a inſtituées , & dont il nous
recommande la pratique. La Melle
n'eſt autre choſe qu'un renouvellement
de la dernière Cène qu'a fait notre divin
Sauveur J. C. lorſqu'il conſacra lui
même le pain & le vin , & diftribua
ſon corps & ſon ſang à ſes Apôtres ſous
les eſpèces ſacramentales. C'eſt ce mê.
me corps qu'il abandonnoit aux tortures
des Juifs , & ce même ſang qu'il
devoit répandre pour la rémiſſion de
nos péchés. Il recommanda alors à
fes Diſciples de renouveler entre eux la
Đ : v oToN. 207
mémoire de cette fainte Cène , en leur
diſant : faites ceci en mémoire de moi.
Nous ne devons pas douter que cette
pratique n'ait été fidélement ſuivie par
les Apôtres , lorſque nous liſons l'E
pître de S. Paul aux Corinthiens, où il Ep . Ière. ch .
parle de la dévotion & de la pureté que 11. v. 20.
tout Chrétien doit apporter à la Cène
ou à la Table de notre Seigneur . Les
actes des Apôtres ne nous permettent
pas encore de douter qu'on ne s'en
approchậr avec les actions de grâces
les plus touchantes . Voilà une des Ch. 11. 42.
premières réflexions que doit faire
tout Chrétien lorſqu'il va à la Mef
ſe. Que toute perſonne qui a l'a
mour de la Religion dans le cœur ,
penſe aux faints tranſports qu'il eût
éprouvés , s'il eût eu le bonheur d'af
ſiſter à ce céleſte banquet , & de re
cevoir , des mains de fon Rédempteur ,
ſon divin corps & fon précieux ſang.
Eft -il beaucoup de perſonnes ( dit Saint
208 DE LA VÉRITABL !

Chryſoſtôme au peuple d’Antioche)


qui puiſſent ſe féliciter d'avoir vu de
leurs yeux les traits & la perſonne de
J. C. d'avoir touché de leurs mains ſes.
vêtemens ? ( Hom . 9. ad Antioch . )
Mais , ajoute le S. Docteur , toutes les
fois que nous allons à la Meſſe pour
participer à la ſainte Euchariſtie , nous
le voyons réellement dans le S. Sacre
ment. Non - ſeulement il nous permet
de jouir de la préſence par les yeux de
la foi , mais encore de. le toucher & de
le recevoir dans nos cæurs. Quels ſenti
mens ne doit pas faire naître une pareille
action , lorſque la foi nous le fait
voir auſſi réellement préſent qu'il l'étoit
dans ſa dernière Cène avec ſes Dif
ciples ?
La Meſſe , en ſecond lieu , n'eſt
pas ſeulement un renouvellement de ſa
dernière Cène , mais encore de ſa pal
fion , c'eſt -à-dire , du dernier effort de
fon amour pour le genre humain .

j
DEVOTION. zog
C'eſt une vérité ſur laquelle l'Apôtre
appuie fortement dans ſon Epître
aux Corinthiens. Toutes les fois que
Ch . 11. 7. 26
yous mangerez ce pain & boirez ce
calice , vous annoncerez la mort, du.
Seigneur , juſqu'à ce qu'il vienne
nous juger. Aulli toutes les fois que
le Chrétien aſſiſte à la Meſſe , il doit
avoir fous les yeux le grand ſpecta
cle du Calvaire , voir fon Sauveur ex
pirer ſur la croix , & fon ſang couler
pour nous racheter . Conféquemment,
la Meſle renferme les deux princi
pales actions. du Fils de Dieu : l'une
comme Euchariſtie , en ce que c'eſt
un pain céleſte pour alimenter nos:
ames , & les ſoutenir dans le chemin
de la vertu ; l'autre comme Sacrifice ,
pour effacer tous les péchés. que no
tre fragilité nous fait commettre , en
nous appliquant les mérites de la pal
hon de notre Sauveur , ſi nous ſom
mes bien diſpoſés à les recevoir .. En
210 DE LA VÉRITABLE
voilà plus qu'il n'en faut pour dé
montrer que la Meſſe eſt la plus au
gufte , la plus importante & la plus
profitable des dévorions , tant pour
adorer Dieu de la façon la plus par
faite , que pour recevoir un furcroît
de grâces , qui nous empêché de l'of
fenfer par la ſuite , & nous obtienne ,
en tout ou en partie , la rémiſlion de
nos anciennes fautes. Enfin , cette
fonction eſt pour nous le moyen le
plus efficace de remercier Dieu de
ſes bienfaits , tant par rapport au Sa
crifice , qu'en conſidération du Sacre
ment , nommé à cet effet , Eucha
riſtie , c'eſt- à -dire , action de grâces.
Pour comprendre tout le fruit qu'un
Chrétien bien diſpoſé peut retirer de
la fainte Meſſe , il ſuffit de réfléchir
à ce qui en fait le principal mérite.
Elle eſt le véritable & unique facri
fice des Chrétiens ; & , comme nous
l'avons dit , un renouvellement de ce
DÍ V OTION . 2II

Sacrifice ineffable qu'offrit ſur la croix


le Fils de Dieu , en donnant ſa vie
pour tous les hommes. Pour peu
qu'on connoiſſe l'Ecriture , on voit
l'uſage des Sacrifices commencer avec
le monde , c'eſt -à -dire , tuer & offrir
à Dieu des veaux , des agneaux , des
quadrupèdes , des volatiles. C'étoit un
hommage qu'on rendoit à la puiſſance
ſouveraine ſur tout ce qui exiſtoit ; &
le ſacrifice des animaux , ainſi que le
don qu'on en faiſoit à Dieu , repré
ſentoit la diſpoſition intérieure de
l'homme , difpofé au facrifice de fa
vie pour appaiſer Dieu & venger ſes
droits. Les Payens eux-mêmes avoient
des ſacrifices pour ſe rendre leurs faux
dieux favorables. C'étoit l'effet d'une
tradition univerſelle , que le ſacrifice
étoit la ſeule façon de ſe rendre la
divinité propice. Mais l'Apôtre , &
après lui les SS. Pères , nous ont averti
que ces ſacrifices , faits par les enfans
II 3 DE LA VÉRITABLE
d'Adam & le peuple Juif , n'étoient
que des ombres & des figures de ce
Sacrifice d'amour , qui devoit avoir
lieu dans la ſuite des temps. Il falloit
que J. C. figuré par cet Agneau que
les Juifs tuoient & mangeoient le
jour de la Pâque , s'offrît lui-même
à la mort pour ſatisfaire pour nous ,
nous racherer du péché, & nous ren
dre les droits que nous avions perdus
a la gloire. Les Prophères avoient pré
dit qu'on verroit ceſſer ces facrifices
ſanglans, & qu'ils ſeroient remplacés
par un autre plus par & plus fpiri
tuel. Le Roi Prophète nous avoit en
ſeigné que le Mellie feroit Prêtre , se
lon l'ordre de Melchifedech , c'eſt-à -dire,
de ce Prêtre Roi , qui offrir à Dieu ,
non des animaux égorgés, mais ſeu
lement du pain & du vin. Aufli No.
tre Seigneur s'eſt- il ſervi du pain &
du vin dans ſon nouveau Sacrifice ,
en changeant l'un & l'autre en fon
DE VOTION . 213

corps & fon ſang. L'animal qu'on


offroit à Dieu dans les anciens facri
fices , fe nommoir Holocauſte , Hoſtie ,
oy Victime. Le fils de Dieu , incarné
depuis , & offert à ſon Père comme
une victime ſans tache , n'a jamais ceſſe
de l'être pour nous , & continuera de
1 l'être tant que le monde exiſtera , &
que les Prêtres de la nouvelle Loi
conſacreront ſous les eſpèces du pain
& du ,yin ,
Le petit nombre de vérités que je
I yiens de rapporter, doivent être profon
.
dément gravées dans le cœur de tout
Chrétien ; elles nous font clairement
comprendre quelle action admirable
eſt la ſainte Melle ; la dévotion qu'elle
exige de la part de celui qui la célè
bre , ainſi que de ceux qui y aſſiſtent.
Dans quelque lieu que ſoit notre di
vin Sauyeur dans le Sacrement de
l'Autel , qu'il ſoit conſervé dans le
) Tabernacle , expoſé à l'adoration des
214 DE LA VÉRITABLE
Fidèles , porté en proceſſion , ou don
né en Viatique aux malades , on ſe
trouve toujours au pied de ſon trône ;
c'eſt là le lieu le plus favorable pour
l'adorer , & demander à ce divin Mé
diateur les biens ſpirituels que nous
en pouvons attendre. C'eſt véritable
ment l'audience où nous devons lui
préſenter nos placets , & nous en for
tirons toujours avec une bénédiction
ou des ſecours puiſſans pour nous bien
conduire . Mais aucun de ces avanta
ges n'eſt à comparer avec celui de la
ſainte Meſſe. L'action de quiconque
s'adreſſe à J. C. hors du Sacrifice de
12 ſainte Melle , n'a de mérite qu'en
raiſon du plus ou moins de dévotion
qu'on y apporte , ce que les Théo
liens appellent ex opere operantis ; mais
tout le prix de la Melle s'applique
au Chrétien bien diſpoſé qui y aſſiſte ,
ainſi qu'au Miniſtre qui la célèbre ,
ex opere operato. La bonne diſpoſi
- Dé VOTION . 215
tion du Célébrant & du peuple , eſt
certainement néceſſaire pour remercier
avec fruit des bienfais reçus , & en
obtenir de nouveaux ; mais l'acquiſi
tion des grâces eſt néceſſairement due
à l'efficacité de ce Sacrifice non fan
glant ; le Fils de Dieu l'ayant ſpécia
lement deſtiné à appliquer les mé
rites infinis , tant au Prêtre qu'aux
fidèles , par qui ſe fait conjointement
ce même Sacrifice ; que ſi les Sacri
fices de l'ancienne loi , qui n'étoient
qu’une ombre de celui de la nouvel
le , étoient une ſource inépuiſable de
grâces, que doivent donc eſpérer les
Chrétiens qui offrent à Dieu le Maî
tre de la nature , non pas des victi
mes égorgées , des animaux terreſtres ,
mais fon Fils unique & bien aimé ; cet
Agneau ſans tache , par qui s'obtien
nent toutes les grâces , & dont la plus
petité goutte de ſang ſuffit pour effacer
tous les péchés.
116 DE LA VÉRITABLI

CHAPITRE X V.

Dil prix de la Sainte Meſle.


Si la première & la plus utile des
dévotions, eſt celle du faint Sacrifice
de la Melle , & qu'on ne puiſſe pas
offrir à Dieu une victime plus agréa
ble que ſon Fils bien aimé, il en
réſulte néceſſairement que cette Hof
tie ſans tache eſt d'une valeur infinie.
Cette vérité eſt évidente ; mais il faut
ajouter que la valeur , en tant qu'elle
eſt appliquée à chaque Chrétien en
particulier, eſt plus ou moins limitée.
En premier lieu , l'Egliſe y participe ,
c'eſt-à- dire , l'univerſalité des fidèles,
pour laquelle s'offre à Dieu ce Sai
crifice non ſanglant; enſuite les tré
paſſés , qui ſont foulagés par les priè
res des vivans : dogme fondé fur la
tradition de tous les ſiècles , & prouvé
par 1
DEVOTION 257
par les livres des Machabées. Ceux
pour qui s'offre nommément le Sa
crifice , ou auxquels le Prêtre a l'in
tention d'en appliquer le mérite , doi
vent ſans contredit en recevoir le plus
de fruit , quand même ils n'y aſſiſte
roient pas , ſuppoſé néanmoins qu'ils
ayent les diſpoſitions requiſes. Il n'eſt
perſonne qui puiſſe déterminer la quan
tité de grâces que reçoivent les morts
ou les vivans qui n'aſſiſtent pas à la
Meſſe; ce ſecret eſt renfermé dans le
ſein de Dieu : tout ce qu'il nous im
porte de ſavoir , eſt qu'il n'eſt point
de prières qu'il reçoive plus favora
blement que celles de la ſainte Meſle.
Nous pouvons aſſurer avec fonde
ment que la Meſſe ne peut être plus
ucile à qui que ce ſoit qu'au Prêtre qui
la célèbre , & à ceux qui y alliſtent.
Le Prêtre doit être le plus favoriſé
de grâces , s'il exerce dignement ſon
miniſtère; mais c'eſt des fidèles ſeuls
к
* 218 Di” LA VÉRITABLE
qui l'enscendent , que j'ai entrepris de
parler. Les juſtes re ſont pas les ſeuls
obligés d'y affiſter , elle eſt d'obliga
tion les jours de Fêtes pour tous les
fidèles , même ceux qui ſe ſentiroient
coupables de péchés graves. Quoiqu'il
ſoit vrai que l'inſtitution de la Meffe
n'a pas lieu pour rendre la grâce ſanc
tifiante à quiconque a eu le malheur
de la perdre ; & que , ſuivant les dé
ciſions du Concile de Trente , cet effet
appartienne au Sacrement de Péniten
ce ; cependant le pécheur qui y affifte
avec reſpect & componction , quoi
qu'indigne par lui-même d'offrir une
auſſi fainte victime , peut en eſpérer
des ſecours & des grâces qui le dif
poſent à un véritable repentir, & à
recevoir l'abſolution dans le tribunal
de la Pénitence .Le pécheur lui-même ,
quoique ſous la colère de Dieu , doit
élever ſon ame verslui , & deman
der les lumières & les ſecours né
DE VOTION. 219
ceſſaires pour rentrer en lui-même
& dans la voie de la juſtice & du
ſalut. Ces prières faites avec ſincérité ,
ſont preſque toujours exaucées , & les
chaînes une fois rompues , les grâ
ces deviennent par la ſuite plus abon
dantes. La Meffe étant un Sacrifice de
propitiation , ſi elle n'efface pas les pé
chés mortels , au moins nous mérite-t
elle le pardon de nos fautes légères ,
& même des graves ſi nous les avons
oubliées , & que nous les déteſtions
véritablement. Nous pouvons de même
ebtenir une diminution des peines que
nous avons méritées par nos fautes, ainſi
a que nos frères défunts. Ajoutons à cela
toutes les grâces ſpirituelles & même
les temporelles, néceſſaires dans nos bem
1
foins & dans nos adverſités , pourvu
que nos demandes n'ayent pas pour
principe une cupidité. condamnable ,
mais l'envie de nous fanctifier & de
ſervir Dieu ayec tout le zèle dont nous
K ij
229 DE LA VÉRITABLL
ſommes capables. Ces vérités font claii
rement prouvées par les prières mêmes
dont eſt compoſée la ſainte Męſfe , &
que j'expliquerai plus bas. La Meſle
eſt donc de toutes les fonctions de
notre faințe Religion , celle dont on
fe doit promettre les avantages les plus
marqués pour notre ſanctification . Ces
Théologiens , qui ſemblent reſtreindre
les effers admirables de l'Euchariſtie ,
s'ils la conſidèrent en tant que Sacri
fice , doivent néceſſairement convenir
de routes les grâces qui en découlent ;
autreinent il faudroit reconnoître la
ſupériorité des Sacrifices de l'ancienne
loi , dont la valeur n'eſt point cer,
gainement à comparer avec le Sacrifiy
fe non fanglant de la loi nouvelle ,
Il eſt eſſentiel dę marquer la dif
férence qui exiſte entre les fidèles qui
affiftent ſimplement à la Meſſe , ou
ceuxqui participent à la Tainte Table,
# n'eſt point dogreux que les pre
DÉVOTION 生

miers , quand ils font exempts de


fautes graves , & même d'attachement
aux vénielles, quand ils s'uniſſent dé
vorement aux prières du Prêtres n'en
recueillent de grands biens ſpirituels
& même temporels. Les fidèles inf
truits, ne manquent pas alors d'ajou
ter aux prières générales qu'ils font , un
acte particulier , par lequel ils fup
plient Dieu de leur appliquer les mé
rites du corps & du fang de J. C.
qu'ils n'ont pas le bonheur de rece
voir ; cela s'appelle Communion ſpiri
tuelle. Cette action , faite avec le re
cueillement & le zèle qu'elle mérite ,
eft l'aliment ſûr de la piété ; mais la
Communion ſacramentelle eft un tréſor
bien plus abondant des grâces les plus
précieuſes , puiſque le fidèle à la ſainte
Table , reçoit en réalité le corps & le ,
fang de fon Sauveur. Cette Commu
nion néceſſaire pour le Sacrifice, de
la part du Prêtre , eſt le canal & le
K iij
212 DE LA VÉRITABLE
complément de toutes les grâces que
peuvent recevoir les fidèles. Qu'un
:

Chrétien bien diſpoſé s'approche de ce


banquet céleſte , avec la certitude qu'il
n'eſt point de nourriture pour l'ame
plus ſolide & plus capable de la for
tifier dans le chemin épineux de la
céleſte patrie, pour laquelle il doit
-foupirer. Tous les Saints & les per
ſonnes Religieuſes, ſi elles ne com
mettent point de péchés, ſi elles ont la
force de réſiſter aux tentations , îi leurs
actions ont du prix auprès de Dieu,
ne peuvent en rapporter le mérite qu'à
ce pain de vie , qui foutient notre
foibleſſe , & doivent ſe flatter que la force
qu'ils en tireront leur fera remplir heu
reuſement leur carrière ; c'eſt le Sei
gneur lui-mêine qui nous en aſſure ,
J. C. 12 : en diſant: Qui mange ce pain vivra éter.
nellement.
J'ai dit plus haut qu'il falloit être
bien diſpoſé pour s'approcher de la
DÉ V OTION. 223

Table du Seigneur. Quiconque oferoit


le faire avec une conſcience chargée
de péchés mortels , ſe rendroit , com
me tout le monde fait , coupable d'un
ſacrilége ; c'eſt la déciſion de S. Paul.
Quiconque , dit-il, mangera ce pain &
boira ce calice indignement, ſera cou
pable du corps & du ſang de notre Sei
gneur ( ainſi que l'a été Judas ) ; qu'en
conſéquence chacun s'examine foi
même ; qu'il voie s'il eſt coupable
de quelque faute grave , ( & s'il
en eſt exempt ) alors qu'il mange
de ce pain , & qu'il boive ce ca
lice , parce que quiconque le boit & le
mange indignement , mange & boit fa
condamnation , ne faiſant point de diſ
tinction entre le corps de notre Seigneur
( qui mérite tous nos reſpects) & la
nourriture ordinaire. De ceci s'enſuit
la néceſſité de purifier ſon ame de tout
péché grave , avec lequel la grâce de
Dieu eſt incompatible , par une con
Kiv
724 DE LA VÉRITABLE
feffion & une abfolution facrament
telle ; ce précepte nous eſt recomman .
dé par la tradition de tous les ſaints
Pères. Quant aux fauces vénielles
quoiqu'il foit plus louable & plus pru
dent encore de les accuſer au tribunal
de la Pénitence , cependant la confef
fon qu'on en fait à la Meſſe , accom
pagnée du repentir , fuffit , avec le prix
du Sacrifice x pour les effacer. Il eſt en
core une autre diſpoſition de caur &
d'eſprit , abſolument néceſſaire pour
tirer de la Meſle tout le fruit qu'on
en doit attendre, c'eſt une attention
religieuſe aux divins Myſtères qui nous.
repréſentent la dernière Cène de N. S.,
fa Paſſion , fa. Réſurrection , fon AG
cenſion , une foi vive, de la préſence ,
1
& une confiance inébranlable en fes
mérites ; puiſqu'il s'eſt incarné , & n'eſt
mort que pour ſatisfaire pour nous ;.
enfin un amour fans bornes pour celu i
qui nous a tantaimés, qu il eſt venuk
DÉ.VOTION. 225
nous trouver , quoique pécheurs, pour
nous attirer à lui & nous remplir de
lui-même. Une Meffe entendue avec
de pareilles diſpoſitions , ſuffiroit pour
nous combler de grâces ; & fi cela n'ar
rive pas y, toute la faute vient de nous ,
qui portons à l'Autel une imagination
remplie des choſes du monde ; qui
fommes préſens de corps , mais éloi
gnés d'eſprit; qui, bien loin d'être pé
nétrés de la préſence de Dieu , n'avons
ni le recueillement ni le reſpect dus à
une fonction qui fait l'admiration des
Anges mêmes. Les Prêtres, en célébrant
tous les jours la ſainte Meſſe , & les
fidèles en y aſſiſtant & y communiant
ſouvent , contractent" par l'uſage urte
eſpèce de familiarité , qui diminue à
leurs yeux le prix d'une action auſti
terrible & auſſi reſpectable; demême
que la vue trop répétée du ſoleil',
d'une belle architecture , & des 'objets
les plus précieux:,, celle d'exciter l'ato
Kw
22.6 DE LA VÉRITABLE
tencion qu'ils méritent , & nous em
pêche de nous y fixer. Heureux ceux
qui ſavent ranimer leur foi , renou
veler leur efprit , ſur - tout quand ils
alliſtene à ce divin Sacrifice , & plus.
encore s'ils ſe préparent à approcher
de la ſainte Table ; c'eſt alors qu'on
a véritablement beſoin de nouveaux
élans , de ſentimens plus vifs , de de
firs plus actifs ; ſemblables à ces voya
geurs , qui , après la route la plus fa
tiguante & une diète auſtère , trouvenc
le meilleur des repas dans une retrai
te délicieuſe. Quoique. nous devions
les dons de Dieu à la vertu du Sa
crement & du Sacrifice , cependant les
Théologiens nous enſeignent que Dieu
nous les diſpenſe , ſelon le plus ou le
moins de dévotion que nous y appor
tons. C'eſt donc à nous , toutes les fois
que nouts, entendons la Meſſe , ou que
mous nous nourriſſons de ce pain céleſte,
à nous repréſenter toute la majefté du
D É VOTION. 227

Dieu devant lequel nous ſommes. Nous


devons croire que cette Cène eſt la
même que celle qu'il fit avec ſes Apô
tres , que c'eſt l'Aurel où le Fils uni
que de Dieu renouvelle fa mort & fa
paſſion , érant à la fois Prêtre & vic
time, pour nous rendre en tout fon
divin Père favorable . En nous con
duiſant ainſi , notre cœur ſera rem
pli d'eſpérance , d'amoar & de con
fiance. Eh ! quelles grâces ne doit -on
pas ſe Aarrer de recevoir d'un Dieu
qui ne defcend à nous que pour nous
en comblers

3
K vi
228 DE LA VÉRITABLE

CHAPITRE X V I..
Quelle pare a le peuple à la ſainte:
Melle: quand il y alyſte.
L.B SAINT SACRIFICE de la Meffe eft
compoſé de trois parties. principales :
l'Oblation , la Conſécration & la Com
munion. Par la première on offre à
Dieu le pain: & le vin ; mais il eſt une:
autre Oblacion plus importante., qui ſe.
fait tacitement dans la Confécration :
même, & expreſſément aprèsla Conſe
cration; parce qu'alors le Fils deDieu eft :
offert à fon Père comme une hoftie &
une victime non ſånglånte , pour la
rédemption du genre humain . De la :
part, des aſſiſtans , cette oblation ſe fait
par des ſentimens d'amour , non pas "
en leur nom , mais en celui de J; C..
La Conſécration a lieu lorſque le Prên.
we prononçant les paroles mêines de:
notre Sauveur,, la ſubſtànce, du , pain.
a du: vin, le change au vrai corps &
DEVOTION: ΣΣΟΣ

xu : vrai ſäng de notre Seigneur , quoi


qu'inviſibles tous les deux. Par ce mot:
Communion ,, on entend manger réel
lement l'hoſtie ou, le: pain, conſacré
qui, contenant en entier tout le. corps :
de notre Seigneur , renferme conſé.
quemment fon : précieux, ſang. Aufli ,
fans être Prêtre ',. quiconque s'appro-.
che de cette Table: céleſte ,. y participe:
auſſi complettement: que . le Prêtre,
quoique celui-ci ſeul', prenne là boiſſon
du calice que notre même Rédempa.
teur a inſtituée pour le complément:
& l'intégrité,de la Cène. Il eſt donc:
néceſſaire, en quelquemanière que facri
fie le Prêtre , au nom de J..C.de l'Egliſe :
ou du peuple, que lesaſſiſtans intervien
nent toujours au . Sacrifice , & facrifient:
avec le Miniſtre . Ils font tacitement :
avec lui l'oblation , prononcent : les:
mêmes prières, & le : Prêtre . les pré
ſente à Dieu comme leur Ambaffa ..
deur & leur repréſentant.. Ainſi que le
230 DE LA VÉRITABLE
Miniſtre , quiconque , parmi le peu
ple , a les diſpoſitions néceſſaires, peut
recevoir réellement notre Seigneur
dans fon Sacrement. La Conſécra
tion eſt le ſeul point qui appartienne
excluſivement au Prêtre. Perſonne , ex
cepté lui , n'a le pouvoir de conſacrer
le pain & le vin , & de le changer
au corps & au fang de N. S. Quant
au reſte , il eſt certain que le peuple
qui aſſiſte à la Meſſe & qui s’unit au
Miniſtre, fair avec lui le Sacrifice. Cette
vérité eſt prouvée par fes paroles mêmes
de la ſainte Melle , comme je le dé
montrerai bientôt. Je ne ferai qu’ob
ferver en paſſant que le Prêtre , retour
né vers le peuple , lui dit : Priez, mes
frères ,, que mon Sacrifice & le vôtre
ſoient reçu de Dieu le Père tout- puiſſant ,
& lui ſoit agréable ( i ). C'eſt ce qui
( 1 ) Orate , fratres , ut meum ac deftrum
fucrificium acceptabile Foat apud Deum omni
potentera ,
DE VOTION
.. 2 33
fait dire à S. Pierre Damien : Ce Sacri
i fice s'offre par tous les fidèles,tant hom
mes que femmes , quoiqu'il paroiſe qu'il
ne foit offert que par leſeul Prêtre ( 1 ):
Et après avoir cité quelques paroles
du Canon de la Melle , il ajoure
qu'il en faut conclure néceſſaire
ment que le Sacrifice fait ſur l'Au
tel par le Prerre , eſt offert à Dieu
par tout le peuple qui y alliſte. Qu'on
joigne à ces autorités celle du Pape
Innocent III , dont voici les paroles
dans ſon traité de la Meſſe ( 2. ) : Non

( 1 ) Petrus Damian. in Opufculo , cui ti


tulus Dominus vobiſcum , cap. VIII. A cunc
tis Fidelibus , non folùm viris , fed & mulie
ribus , Sacrificium illud offertur , licet ab uno
fpecialiter offerri Sacerdote videatur.
( 2 ) Innocentius III. lib. 3. de Myſteriis
Millair Non folùm offerunt Sacerdotes , fed
& univerfi Fideles. Nam quod ſpecialiter
1 adimpletur minifteria Sacerdotum , hoc unë
verfaliter agitur veto Fidelium .
231 DE LA VÉRITABLE

ſeulement l'oblation ſe fait par les


Prêtres , mais encore par tous les:
fidèles , parce que les fidèles concou
renten général , par leurs prières , à ce
qui ſe fait ſpécialement par le Mi
niſtre. L'Abbé Guéric répète la mê
me penſée ( 1.). Non -ſeulement, dit- il ,
le Prétre ſacrific, mais tous les fidèles
réunis facrifient avec lui.
La plus grande partie du peuple
qui aſliſte à la Meſe , ne ſe ſeroit
peut- êtrejamais douté d'une vérité auſli
eſſentielle. La raiſon eſt que l'Egliſe ,
dans la ſucceſſion des temps , a été
obligée de faire pluſieurs changemens
dans ſon rit. Dans les premiers ſiècles
la Melle ſe célébroir en Latin , lan-
gage commun à tous les peuples fou
mis aux Romains dans l'Occident , &

( 1 ) Guerricus in Sermre de Purificatione,


Nonfolum Sacerdosfacrificar,fed totus convena
Eus Fidelium-, quiadfunt: ,cum illo facrificata,
DEVOTION. 233

en fangue Grecque, qui étoit celle de


toutes les Provinces Romaines de l'O
rient & de l’Egypte. Le peuple Rom
main entendoit alors les belles priè
res de la Melle , il répondoit aut
Prêtre, & ne ceſſoit jamais de lui être
uni pour glorifier Dieu , & lui ren
dre des actions de grâces pendant tout
le temps du Sacrifice. Peu -à - peu les
langues Italienne ,, Françoiſe & Efpa
gnole fe ſont élevées ſur les débris
de la langue Latine , qui fe corrom
pit au point qu'elle ne fut plus en
tendue que par les gens fertrés , qui
étoient en petit nombre , & qu'elle
devint totalement étrangère au peuple.
Ceux qui aſſiſtoient à la Meſſe , ceſſè
gent alors de répondre au Prêtre , &
rOffice ne fut plus ſoutenu dans les
Meſſes, ſolennelles , que par le cheur
des. Eccléſiaſtiques , & par un Clera:
dans l'es Melſes particulières. Ce Clere:
népond. au. nom de tout le peuple ..
134 DE LA VÉRITABLE
Il eſt encore des Confréries , des Cour
vens & des Univerſités dans leſquels
ſe conſerve l'ancien rit , de répondre
avec le Prêtre. Autrefois ( comme je
le dirai bien - tôt ) quiconque parmi le
peuple vouloit communier à la Meſle,
portoit au Prêtre ſon pain & ſon vin ,
afin de l'offrir avec lui au Très- Haut,
& qu'il fût conſacré par le Miniſtre.
Quoique la façon de faire cette of
frande n'ait plus lieu , l'eſprit cepen
dant en ſubſiſte toujours , puiſque le fi
dèle qui allifte à la Melle pour y com
munier , préſente lui-même ces dons
à Dieu après l'Evangile & le Credo ',
& que tous les aſſiſtans , après la Con
fécration , offrent à Dieu le Père ſon
divin Fils , caché ſous les eſpèces du
Sacrement.
Que tout fidèle maintenant qui
a coutume d'aſſiſter à la Meſſe avec
irrévérence ou diſtraction , s'imagine >

s'il le peut , ſi une action aufli redouta


DE VOTION. 235

i ble n’exige que du Prêtre ſeul le plus


profond reſpect. Il conclura néceilai
rement de ce que nous avons dit ,
qu'il doit être uni au Miniſtre de Dieu
dans le Sacrifice , c'eſt - à - dire , parta
ger avec lui toutes les fonctions que
l'Egliſe impoſe pour honorer Dieu , le
louer des bienfaits qu'on en a reçus ,
& lui en demander de nouveaux . Il
ſentira la néceſſité des difpofitions, &
le recueillement qu'il doit apporter à
la Melle : il ne peut manquer de re
doubler de zèle , s'il veut accomplir
pour lui ie Sacrifice d'une manière
plus utile & plus profitable , en ſe
préſentant à la ſainte Table. Le peu
ple deſire , & à juſte titre , de voir les
Prêtres pénétrés de leurs auguſtes fonc
tions ; & c'eſt à tous égards pour eux
le plus eſſentiel des devoirs ; mais le
peuple , de ſon côté , ne doit pas
oublier qu'elles exigent de fa part la
dévotion la plus vraie , la plus tendre
136 DE LA VÉRITABLI
& le plus grand recueillement. Peur
on ſe fatter , en ſe conduiſant at
trement , de retirer de la Meffe le
fruit qu'on en doit attendre , & les
grâces de Dieu peuvent-elles pleuvoir
fur quiconque eſt inattentif, ou n'eſt
point pénétré de la préſence d'un Dieu ,
de qui découlent tous les biens? Comme
l'ignorance de la langue Latine eſt ſou
vent un obſtacle pour le commun des
fidèles , & les empêche de connoître
la beauté des prières que l'Egliſe a
adoptées ; je vais ici, pour l'inftruc
tion des ignorans, expliquer la fainte
Melle , & toutes les prières qu'on
n'eſt pas à portée de connoître dans
Poriginal ; d'après cela , on ſaura ce
que le Prêtre demande à Dieu dans
La célébration de la Meſſe. Cet ou
vrage a déjà été fait par le Père Lebrun ,
Prêtre de l'Oratoire , hoinme très
verſé dans la liturgie romaine , & a
depuis été traduit en Italien a par
DEVOTION. 237
Dom Antoine Donado , Théatin .
Depuis la deſtruction du paganiſine ,
la diſcipline éccléſiaſtique n'ordonne
plus de tenir la ſainte Meſſe dans le
ſecret. Si tous ceux qui comprennent
la langue Latine peuvent la lire &
s'en édifier , il eſt juſte de n'en pas ca
cher l'intelligence à ceux qui n'ont pas
le même avantage, ſurtout quand il
n'en peut réfulter qu'une augmenta
tion de piété. Ce feroit une grande
erreur de croire qu'une pareille expli
cation pût affoiblir la dignité d'une fonc
tion auſſi reſpectable. Ainſi, que chaque
perſonne du peuple s'imagine tenir
la place du Clerc , & répondre tout
ce qu'il dit ; & ſurtout qu'elle n'ou
blie pas que , ſuivant l'inftitution de
l'Egliſe , le peuple encier répondoiç
autrefois ce qui ne l'eſt plus aujour
d'hui que par șine ſeule perſonne. Nous
prendrons pour exemple la Meſle du
sinquième Dimanche après l'Epiphanie,
238 DE LA VÉRITABLE

CHAPITRE XVI I.
Commencement ou Introït de la Mefe
juſqu'au Canon .

LE PRÊtre , au pied de l'Autel , rend


fon hommage à la Trinité par le ligne
de la croix
Au nom du Père, & du Fils , & du Saint
Efprit. Ainſi ſoit -il.
Enſuite il dit l'Antienne ſuivante :

Je me préſenterai à l'Aurelde Dieu. ( le Clerc


répond :) Du Dieu qui remplit ma jeuneſſe
d'une ſainte joie.
: Le Prêtre , après l’Antienne , com
mence le Pfeaume 42 , & dir , avec
le Prophète Roi :
Jugez-moi , Seigneur , & ſéparez ma cauſe
de celle d'une nation qui eſt ſans piété ; déli
vrez -moide l'homme injuſte & trompeur , ( le
Clerc. ) parce que c'eſt vous , ô mon Dicu ,
qui êtes ma force ; pourquoi m'avez-vous re
jeré , pourquoi me laiſſez -vousdans le deuil &
DEVOTION. 239
dans la triſteſſe , ſous l'oppreſſion de mes en
nemis ? ( le Prêtre. ) Faites luire votre lumière
& votre vérité ; ce ſont elles qui m'ont conduit
& m'ont introduit ſur votre Montagne fainte ,(ou
eft le Temple qui vous eſt dédié ) & dans vos Ta
bernacles, (ou vous écoutez plus favorablement
.qu'ailleurs les prières de votre peuple). ( leClerc.)
Je me préſenteraià l'Autel de Dieu, du Dieu qui
*remplitmajeumeſſe d'une ſaintejoie.(lePrêtre.)
Je chanterai vos louanges ſur la harpe , ô mon
Seigneur & mon Dieu ; non ame , pourquoi
êtes-vous triſte & me troublez -vous ? ( le Clerc .)
Eſpérez en Dieu , car je lui rendrai encore mes
actions de grâces ; il eſt le falut & la joie de
mon viſage , il eſt mon Dieu.
Le Pſeaume ſe termine par le Prê
tre , avec la formule ordinaire an
nom du Père, &c. & le Clerc répond:
Aujourd'hui & toujours , & dans tous les fic.
cles des ſiècles , comme dès le commen
cement , & dans toute l'éternité. Aing
Coit -il.
Après quoi le Prêtre reprend l'An
tienne du commencement :
Je me préſenterai , & c. ( le Clerc répond ) du
Dieu qui , &c. ( le Prétre ajoute ) Notre ſecours
240 DE LA VÉRITABLE
eſt dans le nom du Seigneur , ( le Clerc. ) du'
Dieu qui a fait le Ciel & la terre.
Avant de monter à l'Autel , le Pré
tre paſſe à une préparation néceſſaire,
tant pour luique pour le peuple , afin
d'opérer dignement un Sacrifice auſſi
redoutable ;, il fait une Confeffion gé
nérale de toutes les fautes dont il
pourroit être coupable , ainſi que les
aſliſtans , & qui ne ſont pas dans le
cas d'exiger une Confeſſion facramen
telle. Un Dieu plein de miſéricorde ,
& qui connoît notre fragilité , eſt tou
jours prêt à nous les pardonner , quand
nous les confeſſons avec un fincère re
pentir . Il eſt certain qu'une pareille
Confeſſion efface les péchés véniels Le
Prêtre dit donc, la tête baiſſée , en
ſigne d'humilité :
Je me confeſſe à Dieu tout-puiſſant , à la
bienheureuſe Marie toujours Vierge , à S. Mi
chel Archange , à S. Jean -Baptiſte , aux Apô
Ire's S. Pierre & S. Paul , à tous les Saints , &
à
DEVOTION. 241
à vous, mes Frères , ( c'eſt -à - dire , le peuple
qui eſt préſent) que j'ai beaucoup péché par
penſées , paroles & æuvres : ( il ajoute , en
ſe frappant la poitrine ) c'eſt ma faute , c'eſt
ma faute, c'eſt ma très- grande faute . C'eſt pour
quoi je ſupplie la bienheureuſe Marie toujours
Vierge , S. Michel Archange , S. Jean-Baptiſte,
les Apôtres S. Pierre & S. Paul, tous les Saints ,
& vous , mes Frères , de prier pour moi le Sei
gneur notre Dieu .

Ici le Clerc répond au nom de tout


le peuple :
Que le Dieu tout-puiſſant vous remette vos
péchés par ſon infinie miſéricorde, & vous
conduiſe à la vie éternelle. ( le Prêtre répond )
Ainſi ſoit - il.

Enſuite le peuple , ou le Clerc en


fon nom , pour ſe diſpoſer également
à cet Auguſte Sacrifice , répète la
même Confeſſion générale , en s'accu
fant de toutes ſes fautes; il tient ſa tête
baiſſée, pour exprimer ſa douleur & ſon
humilité; il s'adreſſe aux Saints & au
Père ſpirituel , qui eſt le Prêtre , pout
obtenir de Dieu le pardon néceſſaire
L
242 DE LA VÉRITABLE
à chacun d'eux en particulier. Cette
préparation finie , le Prêtre donne l'ab
ſolutiondes péchés au peuple , en diſant :
Que le Dieu tout-puiſſant vous remette vos
péchés par ſon infinie miſéricorde , & vous
conduiſe à la vie éternelle. ( le Clerc. ) Ainſi
ſoit- il. ( le Prêtre ajoute. ) Que le Seigneur
tout-puiſſant & tout- miſéricordieux nous ac
corde le pardon , l'abſolution & la rémiſſion
de nos péchés . ( le Clerc .) Ainſi ſoit - il.
Le Prêtre continue en tenant tou
jours ſon corps profondément incliné :
O Dicu , dès que vous aurez tourné vos re
gards vers nous , vous nous donnerez la vie ;
( le Clerc. ) Et votre peuple : ſe réjouira dans
les grâces que vous lui accorderez. ( le Prétre.)
Faites-nous, Seigneur , ſentir les effets de vo
tre miſéricorde; ( le Clerc. ) & donnez-nous
le ſalut, qui ne peut venir que de vous. ( le
Prétre. ) Seigneur , écoutez ma prière ; ( le
Clerc. ) & que mes cris s'élèvent juſqu'à votre
trône .

Après ces prières , le Prêtre ſalue


le peuple ,ainſi que le faiſoient les an
ciens Prophètes , en diſant : the
DE VOTION . 143
Que le Seigneur ſoit avec vous , ( & le
Clerc répond au nom des aſſiſtans.) & avec
votre eſprit.
Enfin , le Prêtre invite tout le peu
ple à prier Dieu , en diſant à haute
voix : Oremus , c'eſt-à -dire , Prions ;
& montant enfuite à l'Autel , il dit
tout bas :
Nous vous prions, Seigneur , de nous puri
fier de toutes nos iniquités , afin qu'il ne ſe
trouve rien dans nos cæurs d'indigne de la
ſainteré du lieu où nous allons entrer ; nous
vous en prions par les mérites de J. C. N. S.
Ainſi ſoit- il.

Réfléchiſſons ici à l'ancien uſage de


l'Égliſe notre mère & notre maîtreſſe.
C'eſt toujours à Dieu le Père qu'elle
nous fait adreffer directement nos
prières par les mérites de fon Fils J. C.
N. S. Ce n'eſt qu'au nom de ce divin
Sauveur , qui veut bien être notre Avo
cat , que nouspouvonsnous flatrer d'ob
tenir les grâces du Très-Haut: c'eſt de
fes plaies & de fon fang que décou
L ij
244 DE LA VÉRITABLE
lent toute notre force & notre eſpé
rance . Quelque puiſſante que ſoitl’in
terceſſion de la ſainte Vierge & de tous
les Saints; quelque infinies que ſoient
pour nous la bonté & la miſéricorde
du Père que nous avons dans le Ciel ,
il n'accorde jamais ſes bienfaits qu'aux
mérites de ſon fils , en qui il ſe plaît
aniquement , & qui peut ſeul le recon
cilier avec les créatures. D'après cette
vérité , quel amour , quelle dévotion ne
doit pas avoir un Chrétien pour J. C.
puiſqu'il eſt fa ſeule eſpérance , & qu'il
ne peut obtenir qué par lui les biens
ſpirituels dans cette vie , & la gloire
éternelle dans l'autre ?
Le Prêtre monté à l'Aurel, s'incline
& dit la prière ſuivante :
Nous vous prions, Seigneur , par les mé
rites de vos Saints , dont les reliques ſont ici,
& de tous les autres Bienheureux , qu'il vous
plaiſe me pardonner tous mes péchés. Ainſi
Soit -il.


Il commence enſuite la partie de
DEVOTION. 245

la Meſſe , qu'on nomme l’Introït , par


les verſets que preſcrit l'Egliſe , ſui
vant la Fête que l'on célèbre ; dans le
cinquième Dimanche après l'Epipha
nie , il dit les paroles ſuivantes du
Prophète Jérémie :
Le Seigneur dit : mes penſées ſont des pen
ſées de paix & non d'affection ; vousm'invoque
rez & je vous exaucerai , & je vous retirerai
de tous les lieux où vous êtes maintenant ef
claves.

Il récite enſuite le commencement


du Pleaume 84 :
Vous avez , ô mon Dieu , béni votre terre ;
vous avez délivré de l'eſclavage les fils de Ja
cob . Gloire ſoit au Père , & c.

Après avoir répété cette Antienne,


il s'avance au milieu de l'Autel , &
dit alternativement avec le Clerc , qui
)
lui répond au nom du peuple :
Kyrie eleiſon , c'eſt -à -dire , Seigneur, ayez
picié de nous.
. Le Kyrie eleiſon eſt ſuivi de l'Hymne
L iij
246 DE LA VÉRITABLE
Angélique , ou Gloria in excelſis , dont
voici la traduction :
Gloire à Dieu dans le Ciel : paix ſur la terre
aux homines de bonne volonté. Nous vous
louons. Nous vous béniſſons. Nous vous ado
rons . Nous vous glorifions. Nous vous ren
dons grâces dans la vue de votre gloire infinie ,
Ô Seigneur Dieu, Roi du ciel , Ô Dieu Père tout
puiſſant; ô Seigneur , Fils unique de Dieu ,
J. C.; ô Seigneur Dieu , Agneau de Dieu ,
Tils du Père ! O vous qui effacez les péchés du
monde , ayez pitié de nous ! O vous qui effa
cez les péchés du monde , recevez notre priè
re ! O vous qui êtes aſſis à la droite du Père ,
ayez pitié de nous : car vous , Ô J. C. êtes
le ſeul Saint , le ſeul Seigneur , le ſeul Très
Haut , avec le Saint-Eſprit , en la gloire de
Dieu le Père. Ainſi ſoit - il.
Le Prêtre ſe retourne enſuite du côté
du peuple pour le ſaluer , en diſant :
Le Seigneur ſoit avec vous. ( le Clerc. ) Et
avec votre eſprit.
Cette forinule a ſouvent lieu pen
dant la Meſſe, & eft employée pour
ranimer l'attention des affiftans. En
-
DÉ Y OTION. 247
ſuite le Prêtre dit Oremus , c'eſt
à -dire, Prions, en invitant tout le peu
ple à ſe réunir à lui , & dire la priè
1
re ſuivante , qui eſt propre à ce Di.
manche .
Nous vous ſupplions, Seigneur , de garder
"}
vos ſerviteurs par une continuelle aſſiſtance de
votre bonté: afin que ne s'appuyant que ſur l'uni
->
que eſpérance de votre grâce céleſte, ils ſoient
-1
toujours ſoutenus de votre divine protection ,
Par N. S. J. C.

Le Clerc répond à la fin : Ainſi ſoit -il,


1 pour marquer la part qu'il prend à la
.
prière du Prêtre. Vient enſuite l'Epître,
que lit le Célèbrant. Voici celle qui
eft
propre à ce Dimanche :
Epître tirée de la Lettre de S. Paul, Apôtre,
aux Colofiens.
Mes frères : revêtez -vous comme des élus
de Dieu , ſaints & bien- aimés,de tendreſſe &
d'entraillesde miſéricorde , de bonté , d'humi
lité , de modeſtie , de patience ; vous ſuppor
tant les uns les autres , chacun remettant à
1 ſon frère tous les ſujets de plainte qu'il pour
roit avoir contre lui , & vous entre -pardonnant
L iv
248 DE LA VÉRITABLE
comme le Seigneur vous a pardonné. Mais
ſur - tout revêtez -vous de la charité , qui eſt le
lien de la perfection. Faites régner dans vos
caurs la paix de Jeſus-Chriſt, à laquelle vous
avez été appelés pour ne former tous qu'un
corps ; & foyez reconnoiſſans de ſes grâces.
Que la parole de Jeſus-Chriſt habite en vous
avec plénitude , & vous comble de ſageſſe. Inf
truiſez - vous, & exhortez-vous les uns les autres,
par des pſeaumes , des hymnes & des cantiques
ſpirituels , chantant de cæur , avec édification >

les louanges du Seigneur. Quoi que vous faf


ſiez , ou en parlant, ou en agiſſant, faites
tout au nom du Seigneur Jeſus-Chriſt , ren
dant grâces par lui à Dieu le Père.

Après l'Épître, le Clerc répond :


loué ſoit Dieu. Après quoi ſuit le Gra
duel , tiré preſque toujours des Pſeau
mes , ou d'autres endroits des divines
Écritures : voici celui du Dimanche
que j'ai choiſi :
Les nations craindront votre Nom , ô Sei
gneur , & tous les Rois de la terre votre gloi
re. W. Parce que le Seigneur a bâti Sion : &
qu'il s'y fera voir en fa Majeſté. Louez Dieu ,
louez. ¥. Le Seigneur règne , que la terre
DÉVOTION. 249

s'en réjouiſſe, & que lès iſles qui ſont en fi


grand nombre , participent à cette joie. Loucz
Dizu. Pſal. 101. 96.
Cela fait , le Diacre , dans les Mer
ſes ſolennelles , ou le Prêtre , dans les
Meſſes ordinaires , va au milieu de
l'Autel , & s'y prépare pour annoncer
le faint Évangile , en diſant :
Seigneur , qui avez autrefois purifié les lè
vres de votre Prophère Iſaie avec un charbon
de feu , daignez , par votre miſéricorde toute
gratuite , purifier mon cæur & mes lèvres ,
de telle ſorte que je puiſſe annoncer votre S.
Evangile. Je vous demande cette grâce , 6
mon Dieu , par Jeſus-Chriſt notre Seigneur.
Dansles Meſſes folennelles , le Dia
cre va demander la bénédiction au Pre
tre ; & dans les particulières , le Prê
tre s'adreſſe à Dieu ,, en lui diſant :
Seigneur , béniſſez-moi. ( & il ajoute tout de .
ſuite. · Que le Seigneur ſoit en mon copur
& ſur mes lèvres , afin que je publie digne
ment & comme il faut ſon S. Evangile. Ainſi
Love -il.
knciennement , dans les Melles fo .
Lv
250 DE LA VÉRITABLE
lennelles, le Diacre montoit ſur le
jubé , où étoit placé une eſpèce de pu
pître : là , tourné vers le peuple , il
chantoit l'Évangile; ce rit ſubliſte
encore dans quelques Egliſes. Le peu
ple avoit coucume de ſe tenir debout ,
& montroit, par cette attitude, ſon zèle
à exécuter tout ce que commande l’E
vangile. Cette louable coutume a lieu
encore dans pluſieurs Pays , & ſpécia
lement en France. Dans les Meſles
particulières , le Prêtre , placé au côté
droit de l'Autel, un peu tourné du
côté du peuple , commence par le fa
luer , en diſant :
Le Seigneur ſoit avec vous. ( le Clerc , au
nom du peuple , lui répond. )' Et avec votre ef
prit
Il lit enſuite l'Evangile du Diman
'che , & coinmence ainſi :
Les paroles ſuivantes font tirées de l'E
vangile S. Mathieu. ( le Clerc. ) Que le Sei
gneur ſoit glorifié.
( le prétre.) En ce temps -là, Jeſus dit au peuple
cette parabole : Le Royaume dss Cieux ( celt
DEVOTION. 251
à-dire , l'Égliſe militante ſurla terre, & qui ren
ferme dans ſon ſein les bons & les mauvais Chré.
tiens ) eſt ſemblable à un homme qui avoit
ſemé du bon grain dans ſon champ . Mais
pendant que les hommes dormoient , ſon
ennemi vint , & fema de l'yvraie parmi le
bled , & s'en alla. L'herbe donc ayant pouf
ſé , & étant montée en épi , l'yvraie com
mença auſſi à paroître. Alors les ſerviteurs
du père de famille lui vinrent dire : Seigneur ,
n'avez - vous pas ſemé de bon grain dans vo
tre champ ? D'où vient donc qu'il y a de l'y
vraie ? Il leur répondit : C'eſt nion ennemi qui
l'y a ſeme. Ses ſerviteurs lui dirent : Voulez
vous que nous allions l'arracher ? Non , leur
répondit -il, de peur que cueillant l'yvraie ,
:
vous ne déraciniez en méme-temps le bon
grain . Laiſſez croître l'un & l'autre juſqu'à la
moiſſon , & au temps de la moiſſon je dirai
aux Moiſſonneurs : Cueillez premièrement l’y
vraie , & liez-là en bottes pour la brûler :
mais amaſſez le bled dans mon grenier . ( Ces
paroles font une prédicton claire du juge
ment dernier. )
Après l'Evangile le Clerc répond :
Dieu foit loué. ( & le Prêtre dit tour bas ) ::
Que nos péchés ſoient effacés par le S. Evan
gile qui a été lu.
L vj
252 DE LA VÉRITABLE
Me trouvant un Dimanche dans le
Tirol, & paſſant par un Village , je
me rendis à la Paroiſſe pour entendre
ou y dire la Meſle. Le Curé commen
çoit préciſément la ſienne lorſque j'ar
rivai , & l'aſſemblée étoit très-nom
breuſe. Lorſqu'il eut chanté l'Évangi
le , il deſcendit de l'Autel & vint à la
grille du chæur , où il lut en Alle
mand le même Évangile ; après quoi
ayant fait réciter le Confiteor à toute
l'aſſemblée , il donna l'abſolution gé
nérale , en diſant : Miſereatur veftri ,
&c. Cela fait , il remonta à l'Autel
& continua la Melle. Dans la ville de
Cataro , en Dalinatie , la Meſſe ſe dit
en Latin ; mais les jours de Fères , l'É
pître & l'Évangile ſe chantent au peu
ple en langue Eſclavonne. Le même
uſage avoit lieu en Moravie , ainſi
que cela paroît par la lettre 247 du
Pape Jean VIII. L'Égliſe d'Occident
a eu de jaſtes motifs pour faire célé
DÉVOTION. 253
brer les SS. Myſtères en Latin , ainſi
que cela avoit lieu dans les premiers
fiècles ; mais depuis que cette langue a
ceſſé d'être générale , ne ſeroit -cepasune
conſolation , & le plus grand des avan
tages pour le peuple , d'avoir l'intelli
gence des précieuſes paroles & des
ſaints préceptes que renferme l'Évangi
le ? C'eſt un devoir que devroient
remplir les Paſteurs , en expliquant l’E
vangile à leurs peuples , & les ſaints
Canons le leur impoſe expreſſément.
De mêine, dans les fermons qu'il font
habituellement , l'uſage eſt de rappor
ter les textes de l'Écriture en Latin ;
ce ſont alors les gens inſtruits qui ſeuls
en profitent, & le peuple eſt con
damné à n'avoir jamais l'intelligence
de ces paroles de vie. Mais ſuivons
l'explication que nous avons com

mencée ( 1 ).
( 1 ) Il eſt à remarquer que Muratoti parle
relativement aux uſages Italiens.
254 DE LA VÉRITABLE
Après l'Évangile , les jours de Di
manches ou de Fêtes, & même à cer
tains jours marqués , le Prêtre récite
le Credo , c'eſt - à -dire, le Symbole du
premier Concile général de Conſtan
tinople. C'eſt vraiment un acte de foi ,
qui renferme les dogmes principaux de
notre croyance , & que le Prêtre &
le peuple font de concert ; le voiti
dans ſon entier :
Je crois en un ſeul Dieu , Père tout -puiſſant,
qui a fait le ciel & la terre , toutes les choſes
viſibles & inviſibles , & en un ſeul Seigneur ,
J. C. Fils unique de Dieu , & né du Père avant
tous les ſiècles. Dieu deDieu, lumière de lumière,
vrai Dieu du vrai Dieu ; qui n'a pas été fait ,
mais engendré : qui n'a qu'une même ſubſtan
ce avec le Père : par qui toutes choſes ont
été faites: qui eſt deſcendu des cieux pour
nous hommes miſérables & pour notre ſalut :
& ayant pris chair de la Vierge Marie par l'o
pération du S. Eſprit ; A ÉTÉ FAIT HOMME :
qui a auſſi été crucifié pour nous : qui a ſouffert
fous Ponce-Pilate : quia été mis dans le tom
beau ; qui eſt reſſuſcité le troiſième jour ,
felon les Ecrirures : qui eſt moncé au ciel ; qui
DEVOTION. 235 .
eſt aſſis à la droite du Père : qui viendra de
nouveau , plein de gloire , pour juger les vi
vans & les morts , & dont le règne n'aura pas
de fin. Je crois au S. Eſprit, qui eſt auſſi
Seigneur , & qui donne la vie : qui procede
du Père & du Fils : qui eſt adoré & glorifié
conjointement avec le Père & le Fils : qui a
parlé par les Prophètes. Je crois l'Egliſe qui
eſt Une , Sainte , Catholique & Apoftolique.
Je confeſſe un Baptême pour la rémiſſion des
péchés. Et j'attends la Réſurrection des morts.
Et la vie du ſiècle à venir. Ainſi ſoit -il.
Après le Symbole , le Prêtre ſe
retourne vers le peuple & lui dit :
Le Seigneur ſoit avec vous. ( le Clerc lui
répond .) Etavec votre eſprit.
Le Prêtre ajoute , 'Oremus ou Prions,
& récite l'Offertoire, compoſé de ces
paroles du pſeaume:
Du profond de mon cæur j'élève à vous
mes cris , ô mon Seigneur ; exaucez ma priè
re , ô mon Dieu ; du profond de mon cæur
j'élève à vous mes cris.
Dans les premiers ſiècles, l'Offertoi.
re ſe chantoit par le chąur avec un
plus grand nombre de verſers, que
256 DE LA VÉRITABI, E
l'on répétoit pour donues le temps au
peuple d'apporter ſon of.rande à l’Au
tel. Pour entendre ceci , il faut ſavoir
qu'autrefois quiconque affiſtoit à la
fainte Meſſe avec intention de parti
ciper à la ſainte Table , s'approchoit
du chœur , & là , remettoit aux Mi
niſtres de l'Autel un petit pain ( avec
levain ou ſans levain ) & un peu de
vin , afin que l'un & l'autre fuſſent con
facrés par le Prêtre , & lui ſerviſſent pour
communier. Avec le temps , il en eſt
tant réſulté d’abus, que les Prêtres &
les Curés ſe font chargés de fournir
l'Autel de tout le pain ( ou des hof
ties , ainſi que nous le diſons aujour
d'hui ) - & du vin néceſſaire. Les Laïcs
communioient autrefois ſous les eſpès
ces du pain & du vin , uſage que l'Égliſea
anéanti pour des raiſons très-légitimes ;
puiſqu'il eſt ſûr que dans le ſeul pain
conſacré, & devenu le corps du Sei
gneur , le Fidèle reçoit aulli fon pré
DE VOTION 257
cieux fang. Il eſt des Pays où l’u
ſage ſubliſte encore parmi le peu
ple , de faire l'Offrande en argent ,
& cela je crois pour dédommager le
Prêtre de la dépenſe qu'occaſionne l'a
chat des hofties pour les Communions.
Les pains que les Prêtres Abylins bé
niſſent avec certaines prières , eſt une
dévotion qui leur eſt particulière. Les au
tres offrandes qu'apportoit le peuple à
l'Autel, avoient encore le nom de Sacri
fice , étant deſtinées à devenir un Sa
crifice à Dieu lorſqu'elles avoient été
conſacrées. Tertullien donne le nom
de Prêtres aux Laïcs qui aſſiſtoient
à la ſainte Table , faiſant entendre ,
ainſi que nous l'avons expliquéplus haut,
qu'ils ſacrifioient avec le Prêtre , puiſ
qu'ils offroient avec lui le Sacrifice
quoique la fonction la plus élevée , qui
eſt le pouvoir de conſacrer, n'appartienne
qu'au Prêtre ſeul. Cette forme d'Obla
tion n'a plus lieu , mais l'eſprit en ſub
BLE
258 DE LA VÉRITA
ſiſte toujours , ainſi que nous le ver
rons bien-tôt.
Le Miniſtre de Dieu prenant la gran
de hoftie & les petites , qui ſont cenſées
préſentées par ceux qui veulent com
munier , les place ſur la parène , &
l'élevant avec les mains , il dit :
Recevez , ô Père ſaint , Dieu éternel & tout
puiſſant, cette Hoſtie ſans tache , ( c'eſt - à- dire ,
ce pain qui vous eſt offert pour le Sacrifice )
que , tout indigne que je ſuis d'être du nom
bre de vos ſerviteurs , j'oſe vous offrir à vous
qui êtes mon Dieu vivant & véritable , pour
mes péchés, mes offenſes & mes négligences
qui ſont ſans nombre , pour les aſſiſtans & pour
tous les fideles Chrétiens vivans & morts ,afin
qu'elle profite à eux & à moi pour le ſalut
& la vie éternelle . Ainſi ſoit-il.
Le Prêtre va verſer enſuite dans le
calice du vin & de l'eau ; & béniſſant
l'eau il dit :
O Dieu , qui par une merveille de votre
puiſſance, avez créé & élevé la nature humai
ne à un'état fi noble & fi excellent ; & qui ,
par une merveille encore plus grande , l'avez
DEVOTION . 259
rétablie dans la dignité ; faites-nous la grâce ,
par le myſtère que cette eau & ce vin repré
ſentent, d'avoir part à la divinité de celui
qui n'a pas dédaigné de ſe revêtir de notre hu
manité , J. C. votre Fils , N. S. qui vit & rè
gne avec vous dans tous les fiècles. Ainſi
ſoit - il.
Il retourne enſuite au milieu de
l'Autel ; & en élevant le calice il dit ,
en ſon nom & celui de tout le peu
ple :
Nous vous offrons , Seigneur, ce calice de
notre falut , en ſuppliant votre clémence de
le faire monter en préſence de votre divine
Majeſté , & de le recevoir en odeur de ſua
vité pour notre ſalut & celui de tout le mon
de. Ainſi ſoit -il.

Ici il incline la têre & ajoute , avec


componction & reſpect :
Nous nous préſentons devant vous avec un
eſprit & un cæur contrits : recevez-nous, Sei
gneur , & que notre Sacrifice s'accompliſſe
aujourd'hui en votre préſence , en ſorte qu'il
vous ſoit agréable , Seigneur, qui êtes notre
Dieu.
260 DE LA VÉRITABLE
Après quoi levant les yeux au Ciel ,
& les abaiſſant enſuite , il ajoute :
Venez , Sanctificateur tout-puiſſant, Dieu
éternel, béniſſez ce Sacrifice ( c'eſt -à - dire ,
ce pain & ce vin deſtiné pour le Sacrifice ) pré.
paré à la gloire de votre ſaint Nom .
En diſant ces mots il les bénit.

De-là le Prêtre va ſe laver les mains ,


en diſant en même-temps le Pſeaume
ſuivant :
Je laverai mes mains avec les perſonnes
innocentes , & j'environnerai votre Autel , Sei
gneur , afin d'écouter la voix de vos louanges ,
& de raconter toutes vos merveilles. Seigneur,
j'ai aimé la beauté de votre maiſon , & le lieu
ouì réſide votre gloire. O mon Dieu , ne faites
point périr mon ame avec celles des impies ,
ni finir mes jours avec les hommes de ſang. Ils
ont les mains ſouillées de crimes ., & leur droi
te eſt pleine de préſens qu'ils ont reçus. Mais
pour moi j'ai marché dans l'innocence : déli
vrez-moi, & ayez pitié de moi. Mes pieds
font demeurés fermes dans la droite voie ; je
vous bénirai , Seigneur , dans les ailemblées
des peuples. Gloire ſoit au Père , & c.
DÉ VOTION . 261
Cela fait, & le Prêtre étant revenu au
milieu de l'Autel , s'incline un peu , &
fait la prière ſuivante:
Recevez, ô Trinité ſainte, l'offrande que nous
vous préſentons ( remarquons que cela eſt dit
collectivement, pour prouver que le peuple con
court avec le Prêtre ) en mémoire de la pal
fion , de la Réſurrection , & de l'Aſcenſion
>

de N. S. J. C. & en l'honneur de la bienheu


reuſe Marie , toujours Vierge , de S. Jean
Baptiſte, des SS, Apôtres Pierre & Paul , des
Saints dont les Reliques repoſent ici , & de
tous les autres Saints , afin qu'elle ſoit pour
leur honneur & notre ſalut , & qu'auſſi ceux
dont nous faiſons la mémoire ſur la terre
daignent intercéder pour nous dans le Ciel :
par les mérites du même J. C. N. S. Ainſi ſoit-il.
Le Prêtre ſe retourne enſuite vers
le peuple , & dit :
Priez , mes Frères , que mon Sacrifice , qui
eſt auſli le vôtre , ſoit agréable à Dieu le Père
tout puiſſant.

Ces paroles ſont dignes de remar


que ; le Prêtre reconnoiſſant lui-même
que quoique le Sacrifice ſe falſe par
262 DE LA VÉRITABLE
ſon miniſtère , le peuple participe ce
pendant à une fonction auſſi fainte >

& facrifie avec lui. Aufli le Clerc ré


pond -t-il, & le peuple entier par ſon
organe :
Que le Seigneur reçoive , s'il lui plaît , de
vos mains , ce Sacrifice , pour l'honneur & la
gloire de ſon Nom , pour notre utilité parti
culière , & pour le bien de toute ſon Egliſe.
Le Prêtre dit à baſſe voix : Ainſi
ſoit-il, & récite après , ſur le pain &
le vin , préſentés pour faire le Sacri
fice , l'Oraiſon qu'on nomme Secrette ,
& que voici :
Nous vous offrons , Seigneur, ces hofties
de propitiation ; afin que nous faiſant miſé.
ricorde , vous nous pardonniez nos péchés ,
& que vous conduiſiez nos cæurs chancelans.
Par notre Seigneur , &c.
Le Prêtre enſuite élève la voix &
dit :
Dans tous les ſiècles des ſiècles. ( le Clerc. )
Ainſi ſoit - il. ( le Prêtre en faluant le peuple. )
Le Seigneur ſoit avec vous. ( Le Clerc ou de

1
DEVOTION. 263
peuple. ) Et avec votre eſprit. ( le Prêtre. )
Elevez vos cæurs. ( le -Clerc. ) Nous lęs avons
élevés vers le Seigneur. ( le Prêtre. ) Rendons
grâces au Seigneur notre Dieu. ( le Clerc. ) Ce
la eſt juſte & raiſonnable.

Vient enſuite la Préface , toujours


terminée par l'Hymne des Anges, ou
le Sanctus. La plus uſitée eſt celle qui
fuit :

Oui certes il eſt bien juſte & raiſonnable , &


c'eſt une choſe équitable & ſalutaire de vous
rendre grâces en tout temps & en tous lieux ,
ô Seigneur, Père ſaint, Dieu tout-puiſſant &
éternel , par Jeſus-Chriſt notre Seigneur , par
qui les Anges louent votre Majeſté, les Domi
nations l'adorent, les Puiſſances l'honorent par
un tremblement reſpectueux , les Cieux & les
Vertus des Cieux , les bienheureux Séraphins
en célèbrenc tous enſemble la gloire avec des
tranſports de joie. Nous vous prions de rece
voir nos voix , que nous uniſſons avec les leurs,
i en vous diſant par une humble confeſſion :
Saint , Saint , Saint, eſt le Seigneur, le Dieu
des armées. Votre gloire remplit le Ciel & la
terre. Hoſanna, ſalut & gloire au plus haut
des cieux. Béni ſoit celui qui vient au nom du
264 DE LA VÉRITABLE
Seigneur. Hoſanna , ſalut & gloire au plus
haur des cieux.
La Préface eſt ſuivie du Canon ,
qui eſt la partie la plus ſainte & la
plus reſpectable de la Meſſe, puiſque
c'eſt celle où le Prêtre traite en ſecret
avec Dieu , comme fon Miniſtre le
plus intime & le dépoſitaire de fa
puiſſance.

· CHAPITRE X V I I I.
Continuation de la Meſle juſqu'à la fin.
E PRÊTRE élevant les yeux &
les abaiſſant enſuite , en s'inclinant
profondément , commence à prier à
voix baſſe , en ſon nom & celui des
aſſiſtans , & dit :
Nous vous prions donc en route humilité ,
ô Père très -miſéricordieux , & nous vous de
mandons que vous ayez agréable ces dons',
ces préfens , ( c'eſt- à-dire , le pain & le vin ;
deſtinés pour le Sacrifice ) ces Sacrifices faints
&
DE VOTION . 265
& ſans tache , que nous vous offrons en pre
mier lieu pour votre ſainte Egliſe. Catho
lique , afin qu'il vous plaiſe de lui donner
la paix , de la garder , de la maintenir dans
l'union , & de la gouverner par toute la terre ,
avec votre ſerviteur notre S. Père le Pape , ( on
le nomme ici ) notre Evéque, ( dont on dit auf
fi le nom ) & tous les fidèles Orthodoxes qui
ſont dans le culte de la foi Catholique & Apof
tolique.
Le Prêtre paſſe enſuite à la com
mémoration des perſonnes vivantes :
& dir :
Souvenez-vous, Seigneur de vos ferviteurs
& de vos ſervantes,

Il ſe rappelle alors en général , ou en


particulier , toutes les perſonnes pour
qui il a intention de célébrer le Sacri
fice, ou qu'il veut recommander à Dieu.
Et de tous les aſſiſtans , dont vous connoiſſez
la foi & la dévotion , ( condition ſans laquelle
un Chrétien ne peut tirer aucun fruit de ce
banquet céleſte) pour qui nous vous offrons, ou
qui vous offrent ce Sacrifice ( nouvelle preuve
que l'Oblation ſe fait parle peuple avec le Prês
M
266 D. LA VÉRITABLL
tre ) pour eux-mêmes , pour leurs parens &
amis , pour la rédemption de leurs ames ,
( c'eſt -à - dire , pour effacer les peines que méri
tent leurs péchés ) pour l'eſpérance de leur fa
lut & de leur conſervation , & pour vous rendre
leurs hommages , à vous qui êtes le Dieu éter
nel , vivant & véritable .
Le Prêtre ne ſe contente pas de
recommander les vivans , il fait en
core mémoire des Saints qui règnent
dans le Paradis , parce qu'il ſubliſte
entre eux & les fidèles ſur la terre , une
communion d'amour, & . que dans
le Paradis ils ſe reſſouviennent de nous
&Y ſont nos interceſſeurs. Il dit donc ,
en continuant le ſens des paroles pré
cédentes :

Participant à une même communion , & ho ३


norant la mémoire ‫و‬, en premier lieu , de la glo
rieuſe Marie toujours Vierge , mère de J. C.
notre Dieu & notre Seigneur , de vos bienheu
reux Apôtres & Martyrs , Pierre & Paul, Ans
dré , Jacques , Jean , Thomas , Jacques, Phi
lippe , Barthélemi , Mathieu , Simon & Tha
déc : Lin , Clète , Clément , Xiſte , Corneille ,
DEVOTION. 267
! Cyprien , Laurent, Chryſogone, Scan & Paul,
Côme & Damien , & de tous les autres Saints ,
aux mérites & prières deſquels accordez , s'il
vous plaît , qu'en coures choſes nous foyons
munis du ſecours de votre protection. Par le
même J. C. N. S. Ainſi ſoit - il.

Étendant enſuite les mains ſur le


pain & le vin deſtinés au Sacrifice ,
04 il dit :

+
Nous vous prions donc , o Seigneur, de re
cevoir favorablement cette offrande de notre
ſervitude , qui eſt auſſi celle de toute votre fa.
'mille ; de nous faire jouir de votre paix pen
dant nos jours , & de faire qu'étant préſervés de
la damnation éternelle , nous ſoyons comptés
!!
au nombre de vos élus. Par J. C. N. S. AinG
foit - il.
16D

Nous vous prions, Ô Dieu , qu'il vous plaiſe


de faire qu'en toutes choſes cette Oblation
ſoit benie , approuvée , rendue valable , rai
ſonnable , agréable ; en ſorte qu'elle devienne ,
pour nous le corps & 'le ſang de votre cher Fils
N. S. ( paroles qui indiquentclairementla tran
ſubſtantiation dogme auſſi ancien que la Reli
gion ) ; qui le jour de devant la Paſſion , prit le
pain entre ſes mains ſaintes & vénérables, & le.
vant ſes yeux au ciel vers vous , Dieu ſon père .
Mij
268 DE LA VÉRITABLE
tout - puiſſant , vous rendant grâces , le
bénit, le rompir , & le donna à ſes diſciples ,
leur diſant : prenez & mangez tous de ceci :
CAR CECI EST MON CORPS .

Avec ces dernières paroles de J. C.


notre Seigneur , ſe fait la Conſécration
de ſon corps, action la plus vénéra
ble du Sacrifice. Il élève enſuite l'Hof
tie ſacrée, c'eſt -à -dire , le vrai corps
de N. S. afin qu'elle puiſſe être adorée
par tous les aſſiſtans. De-là ayant pris
le Calice , il dit :
Semblablement après qu'il eut ſoupé , pre
nant auſſi cet excellent Calice entie ſes mains
ſaintes & vénérables, & vous rendant pareille
ment grâces, il le bénit , & donna à ſes diſci
ples , diſant : Prenez & buvez-en tous :
Ici il profère les paroles de la Con
ſécration du vin , en diſant :
CAR CECI EST LE CALICE DE MON SANG ,
DU NOUVEAU ET ÉTERNEL TESTAMENT (MYS
TÈRE DE FOI) QUI SERA RÉPANDU POUR vous,
ET POUR PLUSIEURS, POUR LA RÉMISSION
DES PÉCHÉS .
DEVOTION. 269
Le Calice étant conſacré , le Pré
1 tre l'élève de inême, afin de l'expoſer
à l'adoration des fidèles , & il profère
en même-temps ces paroles de N. S.
Jeſus -Chriſt :
Toutes les fois que vous ferez ces choſes,
faites- les en mémoire de moi.

Vient enſuite l'Offrande , la plus


relevée & la plus utile que puiſſe faire
le Prêtre & le peuple réunis , puiſ
qu'ils préſentent àDieu, au Père éternel,
non plus du pain & du vin , mais le
yrai Corps & le vrai Sang de ſon
Fils , Dieu comme lui , caché ſous les
eſpèces du pain & du vin , & deve
nu pour nous victime non ſanglante
d'un prix infini. C'eſt ce qu'exprime le
Prêtre par les paroles ſuivantes , dont
l'intel ligence eſt très importante :
C'eſt pourquoi auſſi , Seigneur , nous qui
ſommes vos ſerviteurs , & avec nous votre
peuple ſaint, en mémoire de la bienheureurs
Paflion du même J. C. votre Fils notre Seigneur,
Miij
270 DE LA VÉRITABLE
& de ſa Réſurrection des enfers , comme aura
de fon Aſcenſion glorieuſe au ciel , nous of
frons à votre incomparable Majeſté des dons
que vous nous avez fairs , cette Hoſtie pure ,
cette Hoſtie fainte, cette Hoſtie ſans tache , cc
pain ſacré d'une vie immortelle , & ce Calice
d'un ſalut éternel.

Notre Seigneur s'appelle lui-même le


pain vivant , le pain de vie ; & c'eſt
du calice , qui contient fon précieux
Sang, que doit venir notre ſalut éter
nel. Le Prêtre continue , en étendant
les mains :

Sur leſquels il vous plaiſe de jeter un regard


doux & favorable , & de les avoir pour agréa
bles , comme il vous a plu d'agréer les dons du
juſte Abel , votre ferviteur ; & le ſacrifice d'A
braham , notre Patriarche ; & le ſacrifice ſaint
& l'Hoftie ſans tache que vous a offert votre
Grand -Prêtre Melchifedech.
Ici le Prêtre s'incline & continue :
Nous vous prions donc très-humblement , 1
Dieu tout-puiffant , de commander que ces dons
ſoient portés , par les mains de votre ſaint An
ge , ( & qu'ils ſoient accompagnés des ſenti
DÍVOTION . 271
mens de nos caurs & de nos humbles prières )
ſur votre aurel ſublime , ( ou , ſelon S, Jean
dans l'apocalypſe & ſelon S. Irenée, ſontporcées ,
nos prières par les SS. Anges ) en préſence de
votre divine Majeſté , afin que tous tant que
nous ſommes, qui , participant à cet autel ,
aurons pris le ſaint & ſacré corps & ſang de votre
Fils, nous ſoyons remplis de toutes bénédictions
& grâces céleſtes. Par le même J. C. N. S.
Ainſi ſoit-il,

Le Prêtre paſſe enſuite à la com


mémoration des fidèles crépaffes , qui,
ſelon les dogmes de l'ancienne & de
la nouvelle loi , reçoivent les plus
grands ſecours des Sacrifices & des
prières des vivans.
Reſſouvenez -vous , dit-il , ô mon Seigneur ,'
de vos ſerviteurs & de vos ſervantes N. & N.
qui nous ont précédé avec le ſigne de la foi, &
qui dorment du ſommeil de paix.
Il ſe rappelle ici le nom de tous
les fidèles trépaſſés qu'il veut recom
mander , & ceux principalement pour
qui il offre le Sacrifice , en finiſſant
ainſi fa prière :
Miv
272 DE LA VÉRITABLE
Nous vous ſupplions, Seigneur , qu'il vous
plaiſe leur donner , & à tous ceux qui repoſent
en J. C. un lieu de rafraichiſſement , de lumiè
re & de paix. Par le même J. C. notre Seignear.
Ainä ſoit -il.

Cela fait , il ſe met en prières pour


lui & les aſſiſtans, en diſant :
Et pour nous pécheurs , vos ferviteurs , qui
eſpérons en la multitude de vos miſéricordes ,
daignez nous donner part & ſociété avec vos
faints Apôtres & Martyrs , avec Jean , Etien
ne , Mathias , Barnabé, Ignace , Alexandre ,
Marcellin , Pierre , Félicité , Perpetue , Agathe,
Luce , Agnès , Cécile , Anaſtaſie , & avec tous
vos Saints , dans la compagnie deſquels nous
vous prions de nous recevoir , non en conſidé
rant nos mérites , mais en nous faiſant grâce,
Par J. C. N. S. par lequel vous créez toujours
( c'eſt-à- dire , produiſez ) vous ſanctifiez ,vous
vivifiez , vous béniſſez , & vous nous donnez
tous ces biens. (en faiſant alluſion par-là au pain
& au vin fanctifiés & vivifiés, puiſqu'étant le
corps & le ſang du Seigneur , ils ſont devenus
un Myſtère & une ſource de vie ).
Le Prêtre ajoute enſuite , en tenant
l'Hoftie élevée au deſſus du Calice :
DEVOTION. 173
C'eſt par lui , avec lui, & en lui que tout
l'honneur & toute la gloire vous appartient , ô
5
Dieu Père tout-puiſſant, en l'unité du S. Eſprit.
Ici il élève la voix pour ajouter :
Dans tous les ſiècles des ſiècles. ( le Clerc
répond. ) Ainſi ſoit -il. ( le Prétre ajoute. In
truits par les Commandemens ſalutaires, & ſui
vant la règle divine que J. C. nous a données
( c'eſt- à-dire , celle que J. C. lui-même nous a
enſeignée ) nous oſons dire :
Notre Père qui êtes dans les cieux : Que vo
tre nom ſoit ſanctifié : que votre règne arrive :
que votre volonté ſoit faire ſur la terre comme
au Ciel. Donnez -nous aujourd'hui notre pain
de chaque jour : & pardonnez-nous nos offen
fes , comme nous pardonnons à ceux qui
nous ont offenſés , & ne nous laiſſez pas ſuca
comber à la tentation. ( le Clerc . ) Mais déli
vrez -nous du mal. ( c'eſt -à -dire , du méchantou
du démon . ) ( le Prêtre répond en ſecret.) Ainſi
foit-il. Et continue les prières ſuivantes.
Délivrez -nous , Seigneur, s'il vousplaît, de
tous les maux paſſés, préſens & à venir ; &
donnez - nous par votre bonté la paix en nos:
jours , par l'interceſſion de la bienheureuſe &
glorieuſe Marie toujours Vierge , Mere de
Dieu; & par les prières de vos ApôtresS. Pietre,
S. Paul , S. André , & de tous les Saints: s
Mv
+

274 DE LA VÉRITABLI
afin qu'étant aſſiſtés du ſecours de votre miſé
ricorde, nous ſoyons toujours affranchis de
l'eſclavage du péché , & de toute crainte d'au
cun trouble. Nous vous en prions par J. C.
N. S. votre Fils ,
II rompt ici l'Hoftie en trois parts.
Qui étant Dieu , vit & règne avec vous en
l'unité du ſaint Eſprit.
Il ajoute : en élévant la voix :
Dans tous les ſiècles des ſiècles. ( le Clerc. )
Ainfi- Coit- il. ( le Prêtre, ) La paix de N. S. ſoit
toujours avecvous. (le Clerc. h Et avec votre
eſprit.
Le Prêtre mettant une parcelle de
l'Hoftie dans le Calice , ajoute la priè
re ſuivante :
Que ce mélange & cette conſécration du
corps & du ſang de notre Seigneur Jeſus-Chriſt ,
ſoient faits pour la vie éternelle de nous qui les
allons recevoir. Ainſi ſoit -il.

Il s'incline enſuite reſpectueuſement


pour dire trois fois :
Agneau de Dieu , qui effacez les péchés da
monde , ayez pitié de nous .
DÉVOTION. 275 .

A la dernière fois ſeulement il ajoute


à la fin :
+ Donnez -nous la paix.
L'Oraiſon qui ſuit n'eſt que la
!
confirmation de ce faint deſir.
.
O Seigneur J. C. qui avez dit à vos Apôtres :
Je vous laiſſe la paix , je vous donnemapaix ,
n'ayez point égard à mes péchés , mais plutôt
regardez la foi de votre Egliſe, & donnez-lui ,
s'il vous plaît, la paix & l'union telle que vous
deſirez qu'elle l'ait : Vous qui étant Dieu , vi
vez & régnez dans tous les ſiècles des ſiècles.
Ainſi ſoit il.
2 Dans les Grand'Meſſes , les Prê.
tres ſe donnent à l'Autel le baiſer de
paix , en s'embraſſant & fe diſant les
uns aux autres :
.
La paix ſoit avec vous. (à quoi l'on répond :)
Qu'elle habite dans votre cæur & votre eſprit,
Cet uſage date des premiers ſiècles
de l'Egliſe , & ne s'étendoit pas aux
Prêtres ſeuls. Le peuple en entier ſe
donnoit le baiſer de paix , chacun
M vj
276 DE LA VÉRITABLE
embraſſant fon' voiſin ; & les femmes
qui , dans ce temps , étoient toujours
ſéparées des hommes, en faiſoient de
même entr'elles. Cette cérémonie étoit
un ſigne de charité , & de cette union
fraternelle que Dieu exige de nous ,
lorſqu'il nous commande de nous -dé
faire de tout levain que nous pou
vons avoir contre nos frères , & de
nous réconcilier avec eux avant que de
s'approcher de la ſainte Table , Un pa
reil uſage s'eft perdu dans les ſiècles.
de barbarie , fi féconds en haines pu
bliques & particulières; peut-être l’a
t-on abandonné à cauſe de quelqu'au
tre abus ; & l'on a ſubſtitué à ce ſaint
baiſer , la coutume de faire baiſer au
peuple une tablette de métal, ſur
laquelle eſt gravée l'image d'un cruci
fix , en lui rappelant qu'il doit aimer
ſes frères , & leur ſouhaiter la paix ..
Cet ancien uſage ſubſiſte encore dans.
pluſieurs endroits , & il ſecoit bien à
DEVOTION. 277
fouhaiter qu'il fût univerſel , tant
am par reſpect pour les anciens rits de
l'Egliſe , que pour rappeler ſans celle
aux fidèles qu'ils doivent toujours être
prêts à pardonner à leurs frères , &
à prouver leurs ſentimens par leurs
actions.
Le Prêtre prononce enſuite les deux
Oraiſons qui ſuivent :
O Seigneur Jeſus- Chriſt, Fils du Dieu vivant ,
qui ſelon la volonté du Père , avec la coopéra
tion du S. Eſprit , avez donné par votre mort
la vie au monde , délivrez -moi par votre ſaint
& ſacré Corps & Sang ici préſens, de tous:
mes péchés , & de tous les autres maux ; faites:
que je demeure toujours attaché à vos com
mandemens , & ne permettez pas que je me
ſépare jamais de vous : Qui étant Dieu , vivez
& régnez , & c.
O Seigneur Jeſus-Chriſt , que la participa
tion de votre Corps, lequel j'oſe recevoir ,
tout indigne que je ſuis , ne tourne point à
mon jugement & à ma condamnation ; mais
que ſelon votre miſéricorde , il me ferve de
défenſe pour mon ame & pour mon corps, com
me auſſi de remède ſalutaire. Qui étant Dicus,
vivez & régnez avec Diçu le Père , & c .

1
278 DE LA VÉRITABLL
Prenant enſuite de la main gau
che la Sainte Hoſtie , il dit ces paroles
du Pleaume:
Je prendrai le pain. céleſte , & j'invoquerai
le nom du Seigneur.
Après quoi il s'incline profondé
ment , & dit trois fois ces paroles de
l'Évangile , en ſe frappant la poitrine :
Seigneur , je ne ſuis pas digne que vous en
triez dans ma maiſon ; mais dites ſeulement
une parole & mon ame ſera guérie.
( Il ajoute ) : Que le Corps de notre Seigneur
J. C. garde mon ame pour la vie éternelle .
Ainſi ſoit -il.
Cela fait , il ſe nourrit du pain
céleſte , c'eſt-à-dire , du vrai Corps de
N. S. Il ſe recueille après pendant un
court intervalle de temps , & ramaſſe
les fragmens avec la patène , en diſant
ces mots du Pſeaume :
Que rendrai-je au Seigneur pour tous les
biens qu'il m'a faits ? Je prendrai le Calice du
ſalut, & j'invoquerai le nom du Seigneur. J'in
voquerai le Seigneur en chantant ſes louan
ges : je ſerai délivré de mes ennemis,
DEVOTION. 279
Prenant enſuite le Calice de la main
droite , avant que de boire le précieux
Sang , il dir la prière qui fuir :
1
Que le Sang de notre Seigneur Jeſus- Chriſt
garde mon ame pour la vie éternelle. Ainſi
ſoit - il.
C'eſt dans ce moment que doivent
cominunier tous ceux qui ont aſſiſté
à la Mefle dans cette intention . Il eſt
à remarquer que , quoique la Commu
nion des fidèles ſuive immédiatement
celle du Prêtre, le Clerc cependant
dit le Confiteor au nom de tous ceux
qui ſe préſentent. Le Prêtre fe retourne
enſuite pour donner l'abſolution , avec
le Mifereatur & l'Indulgentiam , formu
E les qu'on a vues au commencement de
la Meffe. Prenant enſuite en main une
petite Hoftie , il dit : Voici l'Agneau
3 &c. Et après avoir prononcé trois fois :
Seigneur, je ne ſuis pas digne , &c. il
diſtribue aux fidèles le Corps de J. C.
en diſant à chacun d'eux en particu
280 DE LA VÉRITABLE
lier : Que le Corps de N. S. J. C. &c.
le peuple répondoit autrefois: Ainſi
ſoit-il, c'eſt à -dire , Je crois recevoir
le vrai Corps du Verbe de Dieu fait
homme. Quoique l'uſage en ſoit abo
li , il peut encore le ſuivre aujour
d'hui. Quant à la Confellion & Ab
ſolution générale dont je viens de
parler , elle n'avoit pas lieu dans l'an
cien rit de l'Egliſe pour ceux qui com
munioient à la Meſſe , parce que le
peuple avoit déjà fait cet acte de Con
trition avec le Prêtre au cominence
ment de la Meſle , & qu'il paroiſſoit
fuperflu de le répéter. Cet uſage, ſa
gement inſtitué pour ceux qui venoient
communier à la Meſle , ſans l'avoir
précédemment entendue , s'eſt intro
duir pour ceux mêmes qui communient
à la Meſle après y avoir affifté , à
moins qu'on ne l'ait établi pour les
fidèles en général, qui ne ſe font pas
trouvés au coinmencement du faint
DE VOTION. 28

Sacrifice. Quoi qu'il en foit , on doit


toujours le retenir , & fe conformer
à la diſcipline .
Après la Communion, le Prêtre prie
en ſecret en faiſant l'Ablucion , & dit:
Faites , Seigneur , que nous recevions avec
un caur pur , ce que nous avons pris par la
bouche , & que d'un préſent temporel il de
vienne pour nous un remède éternel.
Que votre Corps que j'ai reçu , ô Seigneur,
& que votre Sang que j'ai bu , s'attachent à mes
entrailles : & faites par votre fainte grâce ,
qu'il ne demeure aucune tache de péché en
moi , qui ai été nourri par des Sacremens fi
purs & fi ſaints. Vous qui vivez & régnez
dans tous les ſiècles des ſiècles. Ainſi ſoit-il.

Il paſſe enſuite ſucceſſivement à l'ace


tion de grâce , tant en fon nom qu'en
celui du peuple; elle eſt exprimée par
une Antienne que le chæur chantoit
anciennement pendant la Commurion;
voici celle du Dimanche que nous
avons choiſi; c'eſt le Seigneur qui parle
dans l'Evangile :
282 DE LA VÉRITABLI
En vérité je vous dis que tout ce que vous
demanderez à Dieu ( de ſpirituel ) dans la priè
re , croyez que vous le recevrez .
Se retournant enſuite au milieu de
l'Autel , en face du peuple , il le falue,
diſant:
Le Seigneur ſoit avec vous. ( & le Clerc an
nom du peuple Et avec votre eſprit.
De-là paſſant au côté de l’Epître ,
il fait la prière ſuivante :
Faites , ô Dieu tout-puiſſant, que nous re
cevions l'effet du ſalut dont nous avons déjà
reçu le gage dans ces myſtères. Par N. S. &c.

Retournant après aumilieu de l'Autel ,


il falue le peuple dans la manière ac
coutumée , & ajoute :
Allez , la Meffe eft dite. ( le Clerc répond.)
Rendons grâces à Dieu. ( dans d'autre temps
il dit ) Béniſſons le Seigneur.( & le Clerc.) Qu'il
ſoit loué.

Le Prêtre récite enſuite ſecretement


l'Oraiſon ſuivante :
DEVOTION. 283
Recevez favorablement , ô Trinité ſainte ,
se culte de ma ſervitude , & ayez pour agréa
ble le Sacrifice que j'ai offert aux yeux de votre
divine Majeſté , bien que j'en fuſſe indi
gne. Faites qu'il ſoit un Sacrifice de propitia
2 tion pour moi & pour tous ceux pour qui je
l'ai offert. Par Jeſus-Chriſt notre Seigneur.
Ainſi ſoit- il.
"S

De-là , retourné vers le peuple


il dit en le béniſſant de la main :
Que le Dieu tout-puiſſant , le Père , le Fils ,
& le S. Eſprit vous béniſſe. ( le Clerc.) Aina
ſoit- il.

Le Prêtre paſſe enſuite du côté de


l'Evangile , pour lire le morceau le
plus important & le plus reſpectable
de l'Evangile de S. Jean ; il commence
par dire :
Que le Seigneur ſoit avec vous. ( le Clerc .)
Et avec votre eſprit. ( le Prêtre.) Commence
ment de l'Evangile de S. Jean. ( le Clerc.) Gloi
se à vous & au Seigneur.
Après quoi il récite les paroles fui
vantes :
284 DE LA VÉRITABLL
Au commencement étoit le Verbe , & le
Verbe étoit en Dieu , & le Verbe étoit Dieu .
Il étoit au commencement en Dieu . Toutes
choſes ont été faites par lui , & rien n'a été
fait ſans lui. Ce qui a été fait , étoit vie en
lui , & la vie étoit la lumière des hommes : &
la lumière luit dans les ténèbres , & les ténè
bres ne l'ont point compriſe. Il y eut un hom
me envoyé de Dieu qui s'appeloit Jean. Il vint
pour ſervir de témoin , pour rendre cémoi
gnage à la lumière ; afin que tous cruſlent par
lui. Il n'étoit pas la lumière ; mais il étoit
venu pour rendte témoignage à la lumière
La lumière véritable étoit celle qui éclaire tout
homme venant en ce monde. Il étoit dans
le monde ; & le monde a été fait par lui ; &
le monde ne l'a point connu. Il eſt venu chez
foi, & les fiens ne l'ont pas reçu. Mais il a
donné le pouvoir d'être faits enfans de Dieu
à tous ceux qui l'ont reçu & qui croyent en ſon
nom , qui ne ſont pas nés du ſang , ni de la
volonté de la chair , ni de la volonté de l'hom ,
me , mais de Dieu même. EȚ LE VERBE A ÉTÉ
FAIT CHAIR : Et il a habité parmi nous : & nous
avons vu ſa gloire , ſa gloire , dis-je , comme
du Fils unique du Père , étant plein de grâce &
de vérité, ( le Clerc. ) Rendons grâces à Dieu.
Ici finit la fainte Melle.
2
Dé VOTION. 285

CHAPITRE XI X.
Du fruit qu'on doit retirer de la Mefe
& de la Communion .

Les perſonnes inftruites, & les


Eccléſiaſtiques particulièrement , n'ont
pas beſoin d'inſtruction qui leur falle
connoître toute l'importance de la
ſainte Meſſe ; aſſez d'Ecrivains éclairés
ont traité cette matière. Ce que je
vais dire n'eſt deſtiné qu'aux perſonnes
ſimples", au peuple ignorant & groſ
fier , à qui il eſt néceſſaire de four
nir des lamières ſur un ſujet auſſi in
i téreſſant. Il feroit bien à ſouhaiter
qu'on répétât ſouvent dans les chaires
publiques de páreilles inſtructions
· qu'on expliquât au peuple les grands
다 ſecours que la dévotion & la piété re
çoivent de la ſainte Meſle., & ſur
tout qu'on lui fit -bien ſentir la part
qu'a le fimple fidèle avec le Prêtre au
286 DE LA VÉRITABLE
& à la Communion du
Saint Sacrifice &
Corps & du Sang de J. C. Il faut
donc conſidérer l'Euchariſtie fous deux
aſpects différens, l'un comme Sacrifice,
& l'autre comme Sacrement. Quant
au premier , on a déjà vu que notre
Sauveur lui-même a ordonné qu'on
renouvellât ſur nos Autels , mais dans
une forme myſtérieuſe & non -ſanglan
te , le même Sacrifice qu'il a accom
pli ſur la croix , lorſqu'il a été im
molé comme victime & hoftie pour nos
péchés. C'eſt dans ce moment , plus
que dans tout autre , qu'on a droit
de s'attendre à des bienfaits ſigna
lés ; & à l'application de ces mé
rites , que J. C. nous a acquis par
fon ſang. Nous avons encore remar
qué que le Chrétien , pourvu qu'il
alliſte à la ſainte Meſſe avec une foi
vive & une conſcience pure , ne s'en
tient pas au ſimple caractère de té
moin , mais eft uni encore avec le Pre
DE VOTION. 287
tre dans le Sacrifice, c'eſt -à-dire , en of
frant ( autant qu'il eſt en lui) le pain
& le vin , & enſuite dans la Conſé
cration l'Agneau ſans tache. Ses fonc
tions ne ſe bornent pas là , puiſqu'il
eſt encore le maître de communier >

ainſi que le Miniſtre , au Corps & au


Sang de J. C. Voilà les reſſources
qu’un Dieu plein de bonté a ménagées
à tous ceux qui croyent en lui ; riches
ou pauvres , ſavans & ignorans , voilà
le chemin qui nous conduit au pied
de ſon trône , pour en obtenir toutes
les grâces qui nous ſont néceſſaires. Si
Dieu , dans l'ancienne loi , où l'on ne
lui facrifioit que des beufs & des
II
agneaux , recevoit avec tant de bonté
les pécheurs , que n'eſt-on pas en droit
d'attendre dans la nouvelle , où c'eft
fon Fils lui-même, Prêtre & Victime,
qu'on lui offre ſur nos Autels pour
racheter nos ames ? C'eſt là le moment
favorable de demander des grâces &
288 DE LA VÉRITABLE
de les obtenir. Le Fils de Dieu , dans
la ſainte Meſle , peut & veut tout faire
en notre faveur. Auſſi les perſonnes
pieuſes ont- elles ſoin d'engager le Prês
tre à demander pour elles une appli
cation particulière du S. Sacrifice , pour
le bien de leurs ames & celles des
trépaſſés. De pareilles. prières ne peu
vent être que très -utiles à ceux en fa
veur de qui elles ſe font , quoique
nous ignorions l'eſpèce de meſure avec
laquelle Dieu diſpenſe fes grâces , tant
aux morts , qu'aux vivans. Sans pouvoir
apprécier toute la valeur de la ſainte
Meſſe , & le fruit qu'en doit retirer
le Célébrant ainli que ceux qui y aſſiſtent,
il eſt à croire qu'il elt en raiſon de
leurs diſpofitions, & du degré de leur
piété. On doit penſer encore que qui
conque afliſte & communie à la fainte
Melle , eſt plus favoriſé que celui qui
eſt éloigné, quand même la Meſle ſe
diroit pour lui ; en voici la raiſon. Le
Chrétien ,
DÉ V OTION. 289
Chrétien , ainſi que nous l'avons dit ,
lorſqu'il aſlifte aux SS. Myſtères, prie, ſa
trifie, offre à Dieu avec le Prêtre, & peut,
ainſi que lui , recevoir N.S. Quoique
le point le plus eſſentiel foit la Confé
cration , cependant le mérite & le fruit
qui peuvent réſulter de la Melle , con
liſtent principalement dans l'offrande &
la communion . Or , ces deux actions
ne pouvant avoir lieu que lorſqu'on
eſt préſent, il s'enſuit qu'on en pro
fire plus que quand on eſt éloigné, &
conſéquemment hors d'état de pouvoir
le faire. Nous devons encore être très
fürs que l'offrande , & les prières de
ceux qui aſſiſtent à la Meſſe; font du ,
plusgrand fecours pour les trépaſſés ;
ainſi , lorſqu'on aimé véritablement
1

les fiens , on ne peut manquer de


12
s'unir au Prêtre, & de prier Dieu
qu'il les falle participer à ce Sacrifice
ineffable. !
5. Quant à l'Euchariſtie comme Sacre
N
290 DE LA VÉRITABLE
ment , c'eft -à -dire, une Communion
dans laquelle tout Chrétien reçoit le
corps & le ſang de J. C. il eſt affez
de livres qui expliquent toute la fain
reté d'une pareille action ; elle eſt ,
comme nous l'avons dit, une mé
moire ou un renouvellement de la
dernière Cène de N. S. & l'on peut ,
à juſte çitre , l'appeler un tréſor de
grâces pour quiconque en fait pro
fiteri, & s'en approche avec une
conſcience pure & exempre de fau
tes au moins mortelles. Quelle au
tre raiſon auroit pu faire adopter à
notre Sauveur un pareil moyen de
venir habiter en nous , fi ce n'étoit
pour nous faire du bien , & nous con
duire à la vie éternelle ? Aufli nous
en a-t- il aſſuré lui- même dans S. Jean ,
quand il nous dit : ( Qui mange ma
chair & boit mon fang, a la vie éter
nelle. Ma chair eſt véritablement vian
de , & mon ſang est véritablement
DEVOTION. 298
breuvage. Qui mange ma chair & boit
mon fang , habite en moi & moi en
lui ) . Auſſi cette viande factée , ce
pain vivant , eſt -il deſcendu du Ciel
pour être l'aliment de nos ames. Si
nous nous fommes convertis par le
paſſé , ſi notre changement a été fta
ble , c'eſt à cette nourriture divine que
nous devons l'attribuer ; c'eſt elle qui
nous a fanctifiés & qui nous foutient
dans notre pélérinage. Le S. Concile
de Trente reconnoît que la commu
nion eſt un antidote pour nous pré
ſerver des péchés, & l'on ne peur
qu'en louer le fréquent uſage dans les
perſonnes affermies dans la piété. Heu
reux celui qui connoît tout le prix de
ce Banquet céleſte , & quel eſt le
Maître qui nous y invite ! A quelles
faveurs ne doit-on pas s'attendre lorf
qu'on y apporte cette ferveur, ce re
cueillement , cette tendreſſe nécef
ſaires pour bien recevoir fon Seigneur
N ij
292 DE LA VÉRITABLE
& fon Dieu . Concluons de tout ce
que nous venons de dire , que la piété
chrétienne pourra bien trouver de nou
veaux moyens pour honorer Dieu ,
pour avancer dans la vie ſpirituelle ;
mais qu'aucun ne fera jamais à com
parer avec la Meſſe bien entendue ,
& à laquelle l'on communie. Le peu
ple principalement , dont le temps eſt
preſque toujours rempli par les occu
pations de ſon état , ne peut pas exer
cer toutes ces pratiques religieuſes , qui
deviennent un devoir pour des perſon
nęs libres ; mais n'a- t-il pas à ſe fé .
liciter d'avoir dans la Meſſe un moyen
facile , à la portée de tout le monde ,
qui renferme tout ce que peut offrir
de mieux la prière , & qui eſt à la fois
le culte le plus ſublime, & le plus
agréable que la créature puiſſe rendre
à fon Créateur. En un moi , c'eſt la
dévotion par excellence pour quicon
gue affifte à la Meffe. & communie , &
DEVOTION. 29
plus encore pour celui qui la célèbre ;
pourva cependant que la commodité &
l'habitude de l'entendre ne diminuerit
pas notre attention , & , comme dit
1
l'Apôtre, ne nous rendent pas engouro
1
dis ; pourvu encore que nous ne négli
gions pas de nous unir à ce Dieu ,
)
qui fait tant de miracles pour nous
attirer à lui,
Il y a quelque temps qu'on a trai
té la queſtion ſuivante ; ſavoir , fi le
fidèle qui affifte à une Melle célébrée
à un Aurel conſacré par quelque dée
votion particulière, y peur recevoir
la communion , ou l'aller prendre au
maître Autel , ou à tel autre indiffé .
remment. On peut conclure de ce qu'on
a vu ci-deſſus , que le peuple à droit
à la Meſſe qu'il vient d'entendre ,
pour y recevoir , s'il le veut , le Corps
de N. Seigneur ; ce droit eft fondé
ſur l'inſtitution même de ce Sacrifice
non ſanglant ; puiſque le Prêtre n'eſt
Niij
294 DE LA VÉRITABLE
pas le ſeul qui fait cette ſainte fonc
tion , mais qu'il dit en commun : nous
offrons , nous prions , ou quivous of
frent, &c. Il exiſte une union entre
lui & les fidèles qui prient & offrent
avec lui; enſorte qu'il eſt défendu au
Prêtre de dire la Mefſe ſeul, & que
l'aſliſtance du peuple eſt néceſſaire, ou
au moins celle du Clerc , qui le re
préfente. Le fidèle a droit conſéquem
ment à la communion après celle du
Prêtre ; & le Docteur Angélique s'ex
plique clairement à ce ſujet : Quicona
que, dit-il , offre le Sacrifice , y doit
participer ( 1 ). Ainſi le Prêtre ne peut
jamais ſe refuſer au pieux defir de
quiconque ſe préſente à la ſainte Ta
ble. On demande en ſecond lieu s'il
faut diſtribuer la Communion pen

( 1 ) Quicumque Sacrificium offert , debet


Sacrificiifieriparticeps. S. Thomas, Part IIL
Quæſt. 82. Art. 4 .
DE VOTION . 295

!
dant ou après la Meſſe. Je ne ſaurois
répondre rien de mieux à ce ſujer , que
ce qu'a dicté la prudence & le ſavoir
du faint Cardinal Querini , Evêque
de Breſce. Il recommande , dans deux
lettres paſtorales adreſſées à ſes fidéles ,
en 1742 , que la Communion du peu
ple ſe faſſe immédiatement après celle
du Prêtre, & il en donne pour rai
' fon les paroles ſuivantes du Concile
2
de Trente: » Le faint Concile defireroit
squ'à chaque Melle qu'entendent les
» fidèles, non -ſeulement ils y com
!
» muniaſſent ſpirituellement, mais qu'ils
i
» y reçuſſent réellement l’Euchariftie ,
puiſqu'ils retireroient le plus grand
» fruit de ce Saint Sacrifice : mais la
1
» Communion n'ayant pas toujours lieu
» de la part des aſſiſtans, le Concile eſt
„ bien loin de condamner , comme par
» ticulières & défendues, les Meſſes
dans leſquelles le Prêtre ſeul commu
» nie facramentellement; au contraire ,
Niv
196 DE LA VÉRITABLE
» .il les approuve & les recommande ( 1).
Le veu du Concile étant donc quà
chaque Meſle non-ſeulementle Minif
tre , mais que tous ceux qui l'enten
dent y communient , il s'enſuit que
le peuple devroit communier à la même
Melle. Les paroles du rituel , citées
à ce ſujet par le même Cardinal , ſont
encore plus préciſes. » La Communion
w du peuple à la Meſſe , ſe doit faire
» immédiatement après celle du Prêtre ,
và moins qu'il n'y ait quelque incone
» : vénient majeur, parce que les prières

.. ( 1 ) Optaret quidem Sacrofan &ta Synodus ,


ut in fingulis Miffis. fideles adftantes , non for
liemSpirituali affe&tu , fed Sacramentali etiam
Euchariſtie perceptione communicarent : quo:
ad cos hujus fanctiſſimi Sacrificii fructus ube
Spior proveniret : nec tamen , fi id non femper
fiat, propterea Miſſas illas in quibus folus Sa
cerdos Sacramentaliter communicat ut priva..
las & illicitas dainnat , fed probat atque
adeo commendat..
DE VOTION. 297

qui ſe diſent à la Meſſe après la Com


munion , appartiennent également au
SS peuple quicommunie,& au Célébrarit
( 1 ). Dans les actes de l'Egliſe deMilan ,
ainſi que dans les Synodes tenus par
S. Charles Boromée , on y lit CES mots :
» Que le Curé ait grand foin de con
» ſerver ce fage inſtitut, qui eſt de droit
très-ancien; c'eſt - à dire , qu'après avoir
* pris le précieux Sang de N. S.
il diſpenſe la ſainte Communion aux:
» fidèles ( 2 ) . Le faint Cardinal recom
( 1 ) Communio autem populi intra Mifant
ftatim poft communionem Sacerdotis celebran
tisfieri debet , nifi quando ex rationabili caufa
poft Miffam eft facienda : cum orationes que
poft Communionem dicuntur , non ad folum Sao
cerdotem , fed etiam ad alios communicantes
Spectent. Rituale Romanum .
( 2 ) Hoc inftitutum Parochus ſervare stum
deat. Ut quod antiquiffimi juris eft , intra
Mifarum folemnia poft Sanguinis fumptionem
prabeat facram Euchariftiam . Acta Synod. Me.
diolanenfi
NW
298 DE LA VÉRITABLE
mandeavec les plus vives inſtances, d’obu
ſerver cet ancien rit , afin que la Com
munion des fidèles. ait toujours lieu
pendant la Meſſe , & non pas après.
Commeil pourroit arriver que quel
qu'un , d'après les raiſons que nous
venons d'alléguer , regardar la Coin
munion à la Meffe comme un rit né
ceſſaire. & inviolable , il eſt bon d'ob
ſerver qu'un pareil réglement ne doit
pas être pris à la rigueur ; c'eſt , ſe
lon : le rituel romain, un point de diſ
cipline que l'Egliſe a pu changer, ſui
vant que l'exigeoient les circonſtances ..
Il eſt ſûr , fuivant le Cardinal Bona
que dans les premiers ſiècles , l'E
gliſe ne permettoit la diſtribution de
TEuchariſtie qu'à la fainte Meſſe ; mais
cet uſage & cette ferveur commencè
kent. bientôt à dégénérer . Nous en
avons pour garans, faint Ambroiſe & .
faint Chryſoſtôme , qui vivoient dans
le quatrième ſiècle. CesPères fe. plai
D É VOTION. 199
13

gnent de ce qu'on ne voyoit aucun


des affiftans à la fainte Melle , s'ap
procher de la fainte Table . Vinrent
enſuite les ſiècles de barbarie , dans
leſquels la piété des fidèles ſe refroi
dit au point qu'on fur obligé d'im
poſer au peuple de communier av
moins trois fois l'an ; & l'on a fini
par n’exiger que la Communion Pafi
chale. J'ignore ſi l'on doit fixer à ce
temps l'uſage de communier après la
Meſſe ; le ſentiment le plus général
eſt qu'il s'eſt établi en 1200. Il eſt
certaiir qu'il devint beaucoup plus:
commun dans le ſeizième ſiècle & le
fuivant, & cela pour la plus grande
commodité des fidèles ; on s'apperçuc
dans ce temps , d'un renouvellement de
ferveur dans le peuple , qui le portar
à communier plus ſouvent. Ceux
3
que leurs affaires appeloient ail
leurs , & qui ne communioient pas
ainſi que les autres , étoient dans le
N.vij
300 DE LA VÉRITABLE
cas de s'impatienter , & n'attendoient
pas ſouvent la bénédiction du Prêtre
pour s'en aller ; de ſorte que pour
éviter cer abuis , on remit la Commu
nion du peuple à la fin de la Meſſe. Les
perſonnes qui laiſſent des enfans ſeuls.
dans leurs maiſons, les. domeſtiques ,
& principalement les payſans ſouvent
éloignés des Egliſes , ne peuvent pas
reſter pendant tout le temps qu'exige
une communion, noinbreuſe ; ce ſont
ces raiſons., & pluſieurs autres que
jomets, qui ont déterminé le Souve
rain. Pontife Benoît XIV , à adreſſer aux:
Evêques d'Italie,ſon Bref , en date du
13: Novembre 1742. Il y déclare très
vepréhenſibles, les Prêtres. qui refuſe
roient la Communion aux fidèles qui
auroient la dévotion de la recevoir
pendant la Meſſe.;, mais quant au reſte ,
il s'en rapporte à la prudence. des :
Évêques », pour preſcrire cequi eſt plus,
commode, an. peuple , & ce qui con
DEVOTION. 3:01
+

vient aux circonſtances & aux lieux..


Quant à moi , je penſe que lorſque
peu de perſonnes ſe préſentent pour
TIL
communier , il eſt mieux qu'elles le
faſſent après le Prêtre ; inais il faut les
remettre après la Meſſe lorſque le
1 nombre des Communians eſt trop con
Gdérable.

CHAPITRE X X.
De la dévotion envers les Saints.

Il me reſte à parler de. la dévotion :


envers les Saints,, qui fait une partie
conſidérable de la piété , & ſur la
quelle le peuple a grand beſoin d'être
inſtruit , pour ne pas tomber dans des
abus. D'un côté les Hérétiques, rejet
tent abſolument l'invocation des Saints ,
& de l'autre , les Ruſſes. & , les Chré
tiens. d'Orient donnent à ce ſujet dans
pluſieurs excès.. L'Eglife , qui: tient
14 le milieu entre les deux fectes', 2. fiz
302 DE LA VÉRITABLE
fe préſerver également de leurs erreurs ;
il eſt conſéquemment très-important
de connoître ſes dogmes à ce ſujet.
Les Saints ont reçu dans le Ciel le
prix de leurs vertus , & la récompen
fe d'une vie paſſée dans la fainteré
& la perfection que nous impoſe l'E
vangile : ils font heureux , & jouiſſent
de leur Dieu , dont ils font les favo
ris pour toute l'éternité : ſemblables
aux Anges , ils méritent que nous leur
rendions ſur la terre nos hommages:
& notre vénération . Le ſiécle a fes:
héros , dont la grandeur eſt fouvent
ternie par bien des vices. Les Saints
font les héros du Chriſtianiſme, &
bien plus dignes de nos reſpects , puiſ
qu'ils ſont les modèles de toutes les
vertus: aulli S. Auguſtin ne craignoit- il
de leur donner le titre de héros
que parce que la Religion s'oppoſe à
une pareille façon de parler: L'Egliſe ,
en établiſſant des Fêtes en leur hon
DEVOTION. 30.B
E peur , a
pour but d'honorer Dieu
dans ſes Saints , & de célébrer la mé
moire des perſonnages qui ont fi bien
2 profité de ſes dons ; mais elle ſe pro .
poſe encore deux points plus importans
& plus avantageux aux fidèles: le
1 premier' , fondé ſur la plus ancienne
tradition , & confirmé par les Pères
de tous les ſiècles, eſt de nous faire
clairement connoître ce qui peut nous.
être le plus utile auprès de Dieu pour
en obtenir les grâces temporelles . & fpi
rituelles. Le ſecond , c'eſt que ces ſer
viteurs de Dieu ont conſervé dans le
. Ciel cette ardente charité qu'ils avoient
für la terre pour Dieu & leur pro
chain , qu'ils n'aimoient que pour lui.
‫و‬

Ce feu divin n'a pu que s'augmenter:


dans le foyer même de la charité ;
aufli il exiſte une Communion entre
les Saints couronnés dans la gloire.,. &
1
l'Eglife militante ſur la terre ; elle
nous rappelle à leur. ſouvenir , & les
304 De LA VÉRITABLE
intéreſſe en notre faveur. Toutes les
fois que nous inyoquons leur ſecours ,
ils voyent en Dieu nos prières , ils
les lui préſentent accompagnées des
mérites de notre divin médiateur , &
nous obtiennent aiſément tout ce qui
peut nous fanctifier; L'invocation des
Saints eſt donc un moyen utile & loua
ble pour fléchir Dieu ; la Religion nous
le recommande , & nous offre des Li
tanies pour les prier d'intercéder er
notre faveur. La ſeconde intention de
l'Egliſe , en nous faiſant célébrer les
Fêtes des Saints , eft de nous mettre
fous les yeux des modèles vivans de
toutes les vertus , afin qu'en voyant
ce qu'ils ont fait pendant leur vie , &
la récompenſe ineffable qu'ils ont re
çue , nous ne confervions que du mé
pris pour les biens caducs & fragiles
de certe vie , & que nous nous piquions
d'émulation pour les iiniter. C'eſt là
te que les faints Pères & les Minil
DEVOTION , 305
**
tres ne ceſſent de nous répéter dans
leurs panegyriques. Un moyen encore
fûr-de ſuivre la route que nous ont
PES : tracée les Saints, eſt de lire leur hiſ
toire & leur vie , quand elle eſt com
GC poſée par des Auteurs éclairés & bons
:2 ‫܀‬ critiques.
Tels font les dogmes de l'Egliſe
ſur les habitans de la Jeruſalem céleſte ,
3 Mais comme l'ignorance & une dé
votion peu réglée occafionnent ſouvent
des abus, l'Egliſe, pour y remédier ,
nous enſeigne les vérités ſuivantes. Au
cun des Saints ne peut , ſans impiété ,
93 6 fe croire ou s'appeler Dieu. La foi
) -"
ne reconnaît qu'un ſeul Dieu , feul
2.1 dans fon eſſence & en trois Perſon
nes ; les Saints ne ſont que les ferviteurs
de Dieu ; & quoique leur dignité
pike foit éminente par rapport à nous , elle
7103 ne peut jamais être comparée avec la
majeſté ineffable de Dieu : elle n'eſt
rien , pour ainſi dire , relativement à
306 DE LA VÉRITABLE
l'infinie diſtance qui exiſte entre le Créa
teur univerſel & ſes créatures ; aufli les
anciens regardoient-ils avec horreur qui
i conque donnoit aux Saints le titrede
divin . A leur exemple le pieux Car
dinal Bellarnin , dans l'examen qu'il a
fait de ſes ouvrages , a ordonné qu'on
mît le mot Saint ou Bienheureux à
la place de celui de Divin , qui lui
étoit échappé en parlant des Saints.
Nous diſons d'une Eglife quelle eſt
celle d'un Martyr, d'un Confeffeur
d'une Vierge Sainte ; mais la vérité
eft que les Temples & les Aurels ne
ſe conſacrent & ne fe dédient qu'au
ſeul vrai Dieu , en honneur & en mé
moire de ſes ſerviteurs. Cette Meſſe ,
dit-on , eſt celle d'un tel Saint; mais
ce n'eſt réellement qu'à Dieu qu'on
offre le Sacrifice non -ſanglant de l'Au
tel ,,
pour célébrer , il eſt vrai , la mé
moire de ſes ſerviteurs , mais plus en.
core pour glorifier le Très-Haut , que
DEVOTION. 307
nous vénérons dans ſes Saints. Aufli le
Docteur Angélique dit -il que notre
3 dévotion envers les Saints ne ſe ter
mine pas à eux , mais paſe à Dieu
que nous célébrons dans ſes Miniſ
tres ( 1 ). On lit dansS.Jérôme ( 2 ) :
» Nous vénérons les Reliques des Mar
» tyrs pour adorer celui dont ils ont été
Martyrs; nous honoronsles ferviteurs,
afin que l'honneur rejailliſſe ſur le maî
» tre » . Il eſt également eſſentiel de ſavoir
que le pardon de nos péchés ne peut
fe demander qu'à Dieu , & ne peut
s'obtenir que de lui ; parce que , com
me l'Evangile nons l'enſeigne, lui ſeul,
& non aucun Saint , ne peut nous re
mettre nos péchés. Perſonne n'ignore
1
qu'en déclarant nos faures dans le Sa
crement de la Pénitence , c'eſt à Dieu.
que nous les confeffons, & que c'eſt

( 1 ) Secunda fecunda. Quæſt. 84. Art. In


f
( 2.2 Epiftola ad Riparimin
L E
308 DE LA VÉRITAB
de lui que nous recevons l'abſolution
par le moyen des Miniſtres auxquels
il a remis ſon pouvoir. Nous devons en
outre être très-fûrs que les grâces &
les miracles ne s'obtiennent jamais des
Saints ; c'eſt un degré de puiſſance
auquel ils ne peuvent jamais atteindre.
Le Dieu tout-puiſfant les opère ſeul à
nos prières ou à celles de ſes Saints ;
quoique dans un ſens il ne ſoit pas dé
placé de dire qu'ils en font les cauſes
morales ou les inſtrumens par leur
interceſſion. Si donc, ſuivant le dog
me de l'Eglife , nous prions les Saints
d'intercéder pour nous ; fi , par leur
médiation , nous obtenons des grâces ,
Dieu veut que nous reconnoiſſions ne
les tenir que de lui ; parce qu'il eſt
le feul maître de les accorder , &
non celui qui les follicite : autrement
fi l'on croyoit les Saints capables par
eux-mêmes de diſtribuer les grâces &
les miracles , il faudroit les ſuppoſer
DEVOTION. 3.09
des Dieux , ce qui eſt une véritable
impiété. Enfin , ſi l'uſage s'eſt intro
duit ( dans l'Iralie ) de bénir le peuple
avec les reliques & les images des
Saints , ce n'eſt ni des unes ni des
>

autres que découle la bénédiction


1
mais de Dieu ſeul, ſelon le rituel
romain .
D'après ces vérités bien établies , exa
minons maintenant notre dévotion
envers les Saints. 1 ° . Il eſt ſûr que
lorſqu'elle eſt bien réglée , ſelon l'in
tention de l'Egliſe, elle eſt un ſecours
puiſſant pour la piété. 2°. Elle peut
être ſuperficielle, & n'avoirque l'écorce
de la dévotion. 30. Il arrive ſouvent que
par ignorance elle dégénère en abus
qui ſont dès lors réprouvés nommé
ment par l'Egliſe, ou au moins taci
tement. Quant au premier article , li
la lecture de la vie des Saints , fi le
détail de leurs actions & de leurs
vertus eſt un motif qui nous excite ,
--
310 DE LA VÉRITABLX
à les honorer ; ſi, en comparant nos
actions avec les leurs , nous ſommes
portés à les imiter , à nous confor
mer à eux , à quitter la voie large
& périlleuſe , pour ne ſuivre que le
fentier étroit quiconduit au Ciel ; nous
ne pouvons que nous féliciter d'une
dévotion utile & falutaire. Si nous
invoquons les Saints pour qu'ils
nous obtiennent de Dieu un repentir
véritable, des grâces pour vaincre les
tentations, la force pour quitter de
mauvaiſes habitudes , & acquérir une
vertu qui nous manque , notre piété
eſt alors éclairée & folide. Si les Fè
tes des Saints réveillent en nous l'ar
deur d'approcher des Sacremens , le
delir d'accroître dans nos cæurs l'amour
de Dieu & du prochain , l'hommage que
nous leur rendons nous eſt certaine
ment très avantageux .
Quant au ſecond point , ( hé ! plût
à Dieu qu'il fût moins commun ) on
DEVOTION. 311
n'a de la dévotion pour les Saints, qu'au
T tant qu'on ſe flatte , par leur moyen ,
3 d'obrenir des biens temporels : tels que
la fin d'une maladie , d'échapper aux 1

tempêtes , aux inondations , aux incen-,


dies , de faire une bonne récolte , de
gagner un procès , d'avoir des enfans
&c. Eſt - ce une action condamnable
de recourir aux Saints pour de pareils
objets ? Non , aſſurément, pourvu que >

les prières ne contiennent jainais rien


d'injuſte , ou qui puiſſe préjudicier à
notre prochain & à notre falut. Dieu
ne nous défend pas de recourir à la
bonté, même pour les biens temporels.
H -nous a appris à lui demander le pain
de chaque jour; & l'Egliſe, dans les
Litanies des Saints , le prie de nous
donner & de nous conferver les fruits
de la terre ; pareille demande eſt non
ſeulement licite , mais encore louable,
pourvu que les biens temporels ne ſe
f
demandent qu'autant qu'ils ſervent à
-P
312 DE LA VÉRITABLE
gagner les ſpirituels. On doit prier pour
la paix publique , & particulière ,
parce que la guerre & la diſcorde
font une ſource de déſordres &

de péchés. On doit recourir à Dieu


dans les calamnités générales & parti
culières , parce que l'exceſſive pauvreté
peut nous porter à pluſieurs péchés,
& ainfi dans pluſieurs autres circonſtan
ces fâcheuſes. Mais le premier état
du Chrétien , en demandant cette ef
pèce de grâce, eſt une humble réſigna
tion à la volonté de Dieu , qui fait
mieuxque nous ce qui nous convient,
& ce qu'il eft à propos de nous re
fuſer ou de nous accorder ; fans ces
diſpoſitions, & ſi nous ne recourons
aux Saints que pour des avantages
temporels , notre dévotion eſt ſuper
ficielle & mondaine ; ce n'eſt plas
qu’un vil trafic de l'amour -propres qui
ne penſe qu'aux chofes de la terre ,
tandis que la vraie dévotion ne s'élance
que
DÍ VOTION . 313

que vers les biens ſpirituels. Ce ſeroit


bien pis ſi nos prières contenoient des
demandes indécentes , injuſtes & pré
ſomptueuſes , telles qu'en adreſſoient
les Payens à leurs faux dieux , & dont
Juvenal , quoique Payen lui-même
s'eſt ſi bien moqué .
En troiſième lieu , il peut exiſter
dans la dévotion envers les Saints plu
ſieurs abus', & des excès qui ont pris
naiſſance dans des ſiècles de barbarie ,
ou qui ne doivent leur origine qu'à
des opinions peu fondées; je n'en don
nerai qu'un exemple , pris dans la foule
de ceux que je pourrois citer. Que
l'on demande au peuple ignorant le
Saint auquel on peut avoir recours pour
garder des groupeaux , pour ſe garan
tic des incendies , il ne manquera pas
de vous indiquer ſaint Antoine , Abbé.
Mais pareille opinion ne s'eſt établie.
1 que ſur l'idée que faiſoit naître la façon
dont on repréſentoit ce Saint. Il eſt
O
314 DE LA VÉRITABLE
peint dans certains tableaux avec une
Aamme en main : donc il a l'inſpection
du feu ; on voit à ſes pieds un co
chon : donc la protection s'étend prin
cipalement ſur les bæufs, les chevaux ,
les brebis , & c . Mais ſi l'on ſe fût
adreſſé à des gens inftruits , on au
roit appris que la famme qu'on voit
à ce grand Saint , marque le feu de la
charité qui l'animoit pour Dieu &
ſon prochain ; que le cochon n'eſt
mis à fes pieds que pour indiquer les
tentations charnelles qu'il avoit ſurmon
rées ; que la cloche attachée au bâton
ſur lequel pluſieurs Peintres le repré
fentent appuyé , fait alluſion à la vi
gilance & au zèle avec lequel ce Saint
faifoit ſes prières. Toutes ces explica
tions ne ſont pas faites pour arrêter
le peuple ; quoique fa Fête ne fût point
de précepte , il s'eſt mis en tête de la
fêter, il eſt même des endroits où ,
dans la campagne & même dans les
DEVOTION. 305
villes, perſonne n'auroit la hardielle
de travailler : malheur à quiconquel
ſe conduiroit différemment; il courroit
le riſque de perdre ſes troupeaux dans
l'année , de voit fa maiſon incendiée ;
comme ſi les Saints pouvoient éprou
ver les mouvemens de la vengeance ,
& exigeoient qu'on ceſſât de travailler
lorſque la vie dépend du travail. Dans
les anciens temps , le peuple diſtri
buoit aux Saints des vertus felon les
caprices de ſon imagination. Le nom
feul de ſainte Luce ſuffiſoit pour con
ferver la vue' , quoiqu'on ne voie
dans aucun Auteur accrédité qu'on lui
ait crevé les deux yeux. Il en eſt
de même de ſainte Agathe, de fainte
Apollonie , de faint Roch ,& de tant
d'autres. C'eſt le feul nom de fainte
Libérate qui a fait ſa réputation. Ce
pouvoir particulier de chaque Saint ſur
les maux & les différen's beſoins des
Chrétiens, quoiqu'au fond peu con
O ij
316 DE LA VÉRITABLE
damnable , n'a ſon principe que dans
l'imagination du peuple , qui , ainſi
que les Payens, a cru pouvoir don
ner aux Saints le même pouvoir que
çes derniers attribuoient à leurs faux
dieux , La vérité conſiſte à croire que
chaque Saint dans la gloire , peut
s'invoquer dans nos beſoins & nos
infirmités. Chacun d'eux peut nous être
également utile , & ce ſeroit une er
ieur de penſer différemment. Le peu
ple ,même aujourd'hui , ſuffiſamment,
inſtruit , ne ſe trompe point ſur cet
article ; & fi dans une circonſtance il
s'adreſſe par préférence à l’un plutôt
qu'à l'autre , il n'ignore pas que leur
intercellion eſt également puiſſante.
Il eſt une autre eſpèce de Chré
tiens , dont le chriſtianiſme ſe réduit
à l'invocation des Saints. Toute leur
inſtruction , toute leur pratique, ſe
réduit à faire & conſeiller des neu
vaines, & des Fêtes en l'honneur de
DEVOTION. 317
tel Saint plutôt que d'un autre , ou à
1
leur attirer des partiſans en exaltant
12
leur pouvoir & leur protection. Avec
l'invocation d'un tel Saint , ils ne s'at
tendent pas moins aux biens tempo
3
rels qu'aux ſpirituels. On ne peut af
ſurément que louer quiconque cholit
un Saint pour fon Protecteur & fon
Avocat. Je ne recherche point ici le
motif de l'empreſſement qu'on a pour
attirer le concours à celui qu'on a choi
fi. Il me ſuffit de dire que ſi la dévo
tion envers les Saints ne conduit pas
à cette piété véritable dont nous avons
parlé , c'eſt- à -dire , celle qui fait ai
mer Dieu & le ſervir dans la juſtice
& la ſainteté; ſi elle ne nous fait pas
aimer notre prochain comme nous
mêmes , elle n'eſt alors que l'écorce
de la piété ; elle dégénérera même
en ſuperſtition , quand on ſe perſua
dera que , ſans ces æuvres méritoires
-3
qui ont formé les Saints , on pourra
O iij
318 DE LA VÉRITABLE
parvenir à la même récompenſe qu'eux
avec la protection de tel ou tel Saint
C'étoit autrefois une dévotion très
accréditée que celle de S. Chriſtophe.
Il n'étoit pas permis de dourer qu'en
regardant fa figure , on n'avoit pas al
craindre une mauvaiſe mort pendant
toute la journée ; c'eſt ce qui avoit
occafionné ces deux vers :
Chriſtophori Sandi fpeciem quicumque tuetur ,
Iftâ namque die non morte malâ morietur.
Quiconque regardera la figure de S. Chrif
tophe, eſt ſûr, pendant la journée, de ne pas
mourir d'une mauvaiſe mort.
Er encore le vers ſuivant :
Chriſtophorum videas , poftea tutus casa
Regardez S. Chriſtophe, & marchez fans:
rien craindre .

Aufli, quiconque vouloit attirer un


grand concours à ſon Egliſe , avoit
foin de faire peindre ſur le portail
un S. Chriſtophe de forme gigantef
DEVOTION. jig

21
que , conformément aux traditions fa
buleuſes du Saint ; cette dévotion eſt
entièrement tombée, & plûc à Dieu
qu'il n'en exiſtât aucune de ce genre.
Ah ! ſi nous pouvions nous inftruire
avec les Saints du Paradis , & favoir
d'eux ce qui les touche le plus, tous
nous répondroient d'une voix, que leurs
deſirs ne rendent qu'à voir Dieu , no
tre Père commun , aimé & glorifié ;
qu'on ne peut plaire à ſes ferviteurs
1

qu'autant qu'on lui eſt agréable ; &


que faire brûler des cierges ſur les
Autels , eſt une cérémonie vaine & fu
cile , fi le feu de l'amour divin n'em
braſe réellement nos cours. Les Saints ,
dans le centre de la gloire , n'ont be- :
foin ni de nos illuminations ni de la
pompe de notre culte , ſurtout quand
c'eſt la vanité ou d'autres motifs hu

3
mains qui en ſont le principe ; ils n'y
peuvent être ſenſibles que quand il en
réſulte une gloire véritable pour Dieu ,
0 iv
320 DE LA VÉRITABLE
par la réforme de notre vie , & l'i
mitation de leurs vertus. S'il ne nous
eſt pas pollible d'interroger les Saints
dans le Ciel , nous avons ſur terre les
ouvrages qu'ils nous ont laiſſés, & des
Saints qui exiſtent dans les Directeurs
inftruits & religieux. Ces derniers
approuveront la dévotion envers les
Saints ; nous exhorteront à les invo
quer ; mais ils nous inculqueront ſur
tout qu'il eſt indiſpenſable de nous
nourrir de cette dévotion ſolide & vé
ritable , qui ſeule nous peut conduire
au Ciel , & fans laquelle il eſt impoſ
fible d'arriver au port. S. François de
Sales nous recommande en peu de
mots la dévotion aux Saints , & ſur
tout à la ſainte Vierge , & tout ſon
ouvrage eſt conſacré à expliquer la vé
ritable dévotion , & les moyens de
l'acquérir. ( Introduction à la vie dé
vote. )
Il ſeroit à deſirer, en troiſièmelieu,
DIVOTION , 32 I
1

que les Prédicateurs , dans leurs pa


1 négyriques , fiſſent avec plus de dif
crétion l'éloge des Saints , pour ne
pas tomber dans l'excès condamnable
de leur attribuer ce qui n'appartient
qu'à Dieu , ou de faire contraſter un
Saint avec un autre , pour donner la
ſupériorité à celui qu'ils veulent célé
brer. On ne peut entendre qu'avec
horreur les éloges outrés de quelques
Prédicateurs , qui n'ont pas rougi de
mettre les actions & les miracles d'un
Saint au -deſſus de ceux de N. S. J. C.
Si l'on vouloit examiner avec criti
que tant de panégyriques imprimés ,
& plus encore ceux qui ne le font
pas , qu'on y trouveroit de choſes
oppoſées à la doctrine de l'Egliſe ,&
faites pour alarmer la piété ! Nous
devons certainement aimer & véné
rer les Saints ; mais pour faire leur
éloge, doit-on employer l'hyperbole ou
la flatterie ? Ils étoient pleins d'hy
OY
3:22 DE LA VÉRITABLI
milité dans le cours de leur vie , &
ne ſont pas dépouillés de cette vertu
à laporte du Paradis. Comment , après
cela , n'avons-nous pas honte de les
repréſenter comme les arbitres du Ciel
& de la terre , les diſpenſateurs du
bien & du mal ; en un mot , com
me les dépoſitaires d'une autorité ſans:
bornes , pour exaucer quiconque les
invoque ? Ce feroit une folie de dou
ter des vrais miracles opérés par Dieu
de Pinterceffion des Saints , ſur- tout
quand ils font reconnus & conftatés.
pat l'autorité légitime;maisceux qui en
débitent defaux & d'imaginaires , doi
vent s'attendre à en rendre compte à
Dieu. De inoin temps on avoit grande
foi à un Saint , parce que la nuic il
ne manquoit pas de faire du bruit
hi l'on devoit obtenir la grâce qu'on
kui demandoir pareille pauvreté étoit
contactée avec emphare dans une hym
He: imprimée. J'ai encore la la rela:
DEVOTION. 323
cion d'un miracle arrivé à Lima , pays
*
fort éloignés ſur deux enfans morts
7 à l'âge de deux ou trois ans , & ré
fuſcités au bout de ſeize ans par an
Saint , en ſorte qu'ils ſe trouvèrent
parvenus tout de ſuite dans leur tom
beau , à la grandeur convenable à cet
ấge ; on ne voyoit dans la relation
ni l'année , ni le nom des parens , ni
aucune eſpèce d'approbation , ce qui
fuffiſoit pour démontrer la fauſſeté da
fair; cependant l'impreſſion en fur
permiſe. On débite encore nombre
de miracles éclatans , atcribués à des
1 Saints pendant leur vie , quoique les
Auteurs contemporains n'en diſent rien .
Malgré les défenſes des Pontifes Ro
mains & des Conciles, malgré les
plaintes des Théologiens éclairés , &
toutes les précautions qu'emploie PE
gliſe pour empêcher les faux miracles
de s'accréditeris : le vil intérêc prévaur
toujours, & voudroit nous ramener à
Ovj
324 DE LA VÉRITABLE
la licence de ces ſiècles de barbarie ,
que tout bon Chrétien ne peut trop
déteſter. On ne manque point, comme
je l'ai dit , de miracles authentiques
qui doivent nous faire honorer les
Saints , diſons mieux , honorer Dieu ,
qui eſt admirable dans ſes Saints. Mais
à propos de miracles , il ſeroit à dé
ſirer qu'on appuyât moins ſur cet ob
jet dans les panegyriques , & beaucoup
plus ſur le détail de leurs vertus , afin
que ces grands exemples puſſent nous
ſervir de modèles. Quiconque ne penſe
qu'à exalter les miracles des Saints ,
fans décrire , autant qu'il le peut , leurs
actions , eſt à coup ſûr plus occupé du
profit de ſon Egliſe, que de l'avanta
ge fpirituel qu'en pourroit retirer le
peuple , ce qui doit être cependantle
but principal du Prédicateur. Ce ſont
aſſurément les vercus des Saints qui
ont déterininé l'Egliſe à les canoniſer,
parce que c'eſt par elles qu'ils ont plu
DEVOTION. 325
*
à Dieu , & qu'ils ſont devenus les
co- héritiers de fon Fils. Les miracles
ſont la moindre partie des Saints ;
all pourquoi donc gliſſer li légèrement ſur
les premières , & ne faire retentir les
chaires que des derniers ?
Enfin , il pourroit ſe trouver des
perſonnes ſi ardentes pour la gloire des
Saints , qu'elles regardaſſent la dévo
tion envers eux comme eſſentielle &
néceſſaire à tout Chrétien. Un Auteur
moderne , en avançant que c'eſt un
précepte général de les invoquer, a
ajouté aux anciens Commandemens un
Commandement nouveau , inconnu
dans les ſiècles paſſés. Certainement
l'Egliſe ne nous a jamais impoſé pa
reille obligation ; elle ſe contente de
déclarer dans le Concile de Trente, l'in
16
vocation des Saints utile & louable ;
ces mors expliquent aſſez ſon inten
tion , confirmée depuis par la foule des
bons Théologiens. Leur invocation n'est
326 DE LA VÉRITABLE
de précepte que pour les performes
obligées aux heures cano :riales. Quicon
que n’invoqueroit jamais la fainte Vier
ge ou les Saints , pourroit ſe rendre
fuſpect de croire leur invocation illé
gitime ou inucile ; parcette raiſon , j'ap
prouverois aſſez la conduite de ceux
qui conſacrent un jour de la femaine
à honorer quelque Saint ; mais en par
riculier , je ne pourrois jamais regarder
comme bien réglée, la dévotion d'un
Chrétien qui mettroit plus de ferveur
à célèbrer pareille Fête , que le Di
manche , qui appartient eſſentiellement
à Dieu . Envain . l'on dira que l'inyo
cation des Saints a paru ſi importante ,
que leur office excluc celui du Diman
che, quand la Fête tombe la pareil
jour. L'on peut répondre à cela que
cet uſage doit être reſpecté quand il
eſt établi & réglé par la prudence des
Paſteurs qui ont l'inſpection de la
diſcipline. J'obſervecai cependant que
DEVOTION 3:27
1
dans les premiers ſiècles , l'office d'au
cun Saint ne pouvoit empiétes ſur ce
lui du Dimanche, jour conſacré à Dieu ,
feut , appelé par excellence : Dies Do
1
mini , hæc dies quam fecit Dominus : Le
1 jour du Seignear , le jour qu'a fait le
Seigneur. L'Egliſe Romaine a conſer
vé cer arrcien rit pendant tous les Di
1 manches de l'Avent & du Carême;
l'Eglife Ambroiſienne , plus jalouſe
encore de l'ancienne diſcipline, la gar
dé pendant tous les Dimanches de
l'année. On aura beau, alléguer que
8 toute la gloire des Saints fe rapporte
Dieu ; qu'en honorant leur mémoire
le Dimanche, c'eſt à Dieu que nos
hommages s'adreſſent , puiſque c'eſt de
lui que découle leur ſainteté';. il fera
toujours vrai de dire qu'il feroit plus
+
conforme à la diſcipline de l'Egliſe
B1
de célèbrer le Dimanche , ainſi que le
porte for inftitution , & d'adreſſer à
Diet directement nos prières & nos
3 28 DE LA VÉRITABLE
louanges. Quoiqu'on honore le Prin
ce dans ſes courtiſans ; cependant fi
ce même Prince ordonnoit une fete
ſolennelle pour recevoir les veux &
les reſpects de ſes ſujets, ſeroit -on alors
fondé à ne faire la cour qu'à ſes Mi
niſtres ? En outre , un grand incon
vénient qui réſulte de tous les offices
& des Meſſes des Saints , c'eſt que
toutes ces belles leçons , tous ces
pſeaumes touchans, toutes ces prières
édifiantes dont ſont compoſés les of
fices , non - ſeulement du Dimanche
mais encore des Féries , nous devien
nent abſolument inutiles. C'eſt la con
fidération de ces vérités, qui fit pro
poſer à Rome , il y a quelques années ,
d'abolir tous les offices des Saints , &
de ſe contenter ſeulement de faire
mémoire d'eux lorſque leur Fête arri
veroit le Dimanche . J'ignore ce qui
peut avoir empêché un Réglement auſſi
ſage; tout ce que je fais , c'eſt que
DEVOTION. 329

le vénérable Cardinal Thomafi , Prélat


non moins reſpectable par ſes lumiè
res que par ſa piété , a obtenu , de
notre temps , du S. Père , la permiſſion
de dire toujours l'office de la Férie ,
tant il étoit convaincu qu'il trouveroit
dans pareille pratique de quoi nour
rir fa piété; & que les Saints qu'il
vénéroit & qu'il invoqoit , ne man
queroient pas d'approuver ſa conduite.
Il s'en faut bien que cette façon de
penſer ſoit celle de tous ces Panégy
riſtes enthouſiaſtes , qui voudroient at
tirer tout l'univers dans leurs Egliſes.
Si nous ne pouvons pas nous Alat
ter d'obtenir ce que nous deſirons ,
qu'il nous ſoit permis au moins de
faire des væux pour la modération dans
7 le culte des Saints . On répéteroit ſans
celle que les Fêtes ne ſont faites que pour
célébrer Dieu , admirable en lui-même
& dans ſes Saints , toujours eſt - il vrai
de dire que le Dimanche ceſſe pour
330 DE LA VÉRITABLE
ainſi dire d'être la Fête du Seigneur,
lorſqu'à l'office du jour on y ſubfti
tue celui d'un Saint.

CHAPITRE X X I.

Des Fêtes , & de la dévotion qu'elles


exigent.
Sıx jours de la ſemaine Sone em
ployés par les gens du monde , &
même par la plupart des Eccléfiaftiques,
à leursoccupations temporelles & jour
nalières. La ſeule foi naturelle exigeoit
qu'il y eût un temps déterminé , con
ſacré par l'homme , à rendre à ſon
Créateur & à fon Rédempteur le culte
qu'il lui doit. Il étoit juſte que cer
tains jours fuſſent particulièrement em
ployés à penſer à cetre ame immor
telle qui nous anime, & qui doit vivre
éternellement ; aufli Dieu commanda
que chaque ſeptième jour de la fe
DEVOTION. 331
maine fût un jour de repos , appelé
pour cela Sabat. L'Eglife a indiqué
le Dimanche pour ce jour , ainſi que
les Fêtes mobiles ou immobiles, qui
XI arrivent dans le cours de l'année. Plût
à Dieu que l'intention de Dieu & de
1.3
l'Egliſe fût auſſi fidèlement ſuivie
qu'elle eſt généralement connue ; on
face
ne feroit plus alors occupé de travaux
terreſtres , ou d'occupations mondai
‫ܐܐ‬
Ja
nes ; on ne penſeroit qu'à ſe préſen
ter devant Dieu dans ſon ſaint Temple,

pour y reconnoître ſa puiſſance ſuprê
me , adorer fa Majeſté , le remercier
che,
des bienfaits reçus , & lui en deman
der de nouveaux . Dans les jours de
-:
Fêtes , l'Egliſe ne nous impofe d’au
ulc á tre obligation que de ne point vaquer
Denta

à des travaux ſerviles , & d'aſſiſter à la


imo fainte Meſle. Mais. fi nous ſommes
véritablement animés de l'eſprit de la
Religion , devons- nous nous en tenir
ebt simplement à ce qu'on nous comman
332 DE LA VÉRITABLE
de ? Les Fêtes ſont le temps favora po
E
hle d'approcher avec ferveur des Sa
df
cremens , d'aſſiſter dévotement au ſer
ГО
vice & -aux ſermons , & de rentrer
chez ſoi avec la confolation d'avoir été ce

EC
béni par ſon Rédempteur. Telle eſt
ret
la façon de bien employer les Fêtes ;
CE
mais le plus grand des abus fera de
ve
deſtiner ces ſaints jours aux danſes ,
Pa
aux jeux , aux comédies , ou à d'au
tres divertiſſemens profanes , & lou
un
vent ſcandaleux. C'eſt aſſurément pen
COD
ſer bien peu à ſon ame , que de ne
hr
pas profiter du peu de Fêtes qui ſe
pre
trouvent dans l'année pour la ſancti
vat
fier; & c'eſt n'y pas penſer du tout ,
que de les faire ſervir à offenfer Dieu. de
Fêtes , mais je
J'ai dit du peu de Fêtes
dois ici me rétracter : il faut convenir
qu'elles ſont en trop grand nombre , 90
& qu'une réforme à ce ſujet ſeroit
bien néceſſaire. Elle eſt deſirée depuis C

bien long-temps par grand nombre de


DE VOTION . 333
perſonnes aufli fages que religieuſes.
En effet , s'agiſſant ici d'un point de
diſcipline , & l'Egliſe ayant le pou
voir d'établir de nouvelles Fêtes , outre
celles qui le ſont déjà par les ſaintes
Écritures , il s'enſuit qu'elle peut en
retrancher lorſque la prudence l'exige.
Ces væux ſont parvenus juſqu'au Sou
verain Pontife , & ont donné lieu au
Pape le plus ſaint & le plus éclairé,
( Benoît XIV ) de publier à ce ſujet
une longue diſſertation . Il y fait
connoîtré en détail la diſcipline dif
férente , qui tantôt a dimninué le nom
bre des Fêtes , ou l'a augmenté, ſui
vant les circonſtances & les raiſons qui
deyroient engager aujourd'hui d'en
abolir. Il ne fuç jamais un temps plus
propre à ſe fatter de cette réforme ;
que ſous un Pontife auſſi éclairé , aufli
compatiſſant envers les pauvres , dont
c'eſt évidemment la cauſe , puiſque le
grand nombre de Fêtes. qui les em
334 DE LA VÉRITABLE
pêche de travailler , ne peut qu'agra.
ver leur miſère. Le S. Père ne pou
voit pas propoſer un meilleur Régle
ment que celui que contient ſa dif
ſertation ; mais ſon humilité l'ayant
engagé à prendre à ce ſujer le conſeil
des Evêques d'Italie , pluſieurs furent
de fon avis , un grand nombre d'un
avis différent, & quelques-uns même
lui furent totalement oppoſés. Avec
tous les égards que je dois à ces
Prélars reſpectables , j'oſe aſſurer qu'ils
n'ont pas examiné ce point de diſci
pline avec toute l'attention qu'il mé
ritoit.
La grande raiſon pour s'oppoſer à
cette réforme , eſt qu'elle préjudicieroit
à la gloire des Saints , & diminueroit
la piété des fidèles : voilà , ſuivant
moi , la plus forte des objections,
Mais ceux qui la font ont-ils peſé tou .
tes les raiſons des pauvres , & bien
examiné le tort qu'elles leur font ?
DEVOTION. 335
C'eſt une choſe bien étonnante que
Père et la charité , qu'on doit ſuppoſer dans
-illari des Évêques au plus haut degré, n'ait
nicht Í pas aſſez élevé la voix pour leur faire
entendre les plaintes de tant de gens
elle qui compoſent au moins la moitié de
clients l'humanité , & qui , grâce aux Fêtes ,
2013 ne peuvent point ſe procurer les cho
S-UDST ſes de première néceſſité pour eux &
pola : leur famille , Le réſultat de toutes les
dai réflexions qu'on peut faire à ce ſujet ,
ole eſt que la gloire des Saints ne peut
it di ſouffrir en rien du plus ou du moins
archi d'apparat que nous mettons dans leur
culte , aulieu que les pauvres ont
loput toujours beſoin de pain. Eſt-il poſſi
JULLE ble de s'imaginer que des Saints
remplis de charité , puiſſent ſe plaire
Bir à voir les pauvres ſe priver , pour les
bizti honorer, du plus étroit néceſſaire ? La
pejeo gloire ineffable dont ils jouiſſent dans
& ti le Ciel, les reinplit en entier , & les
els facile rend parfaitement heureux ; ſi nous les
336 DE LA VÉRITABLE
honorons ſur terre , c'eſt relativement
à nous. Mais il eſt juſte que cette
dévotion ſoit tellement réglée , que
l'état des pauvres n'empire pas , &
ſur-tout qu'elle n'en faſſe pas augmen
ter le nombre. On fête en général tous
les Saints ; mais le précepte ne s'é
tend pas à tous en particulier. La gloire
de ces derniers en ſera - t-elle moindre
pour cela ? Les offices qu'on fait en
leur honneur , exiſteroient-ils moins
quand il n'y auroit pas
défenſe de
travailler ? On verroit certainement
uue réclamation générale de la part
de tous les gens ſenſés , fi, ſous pré
texte de la gloire des Saints & de ra
nimer la piété des fidèles , on vou
loit augmenter le nombre des Fêtes
d'obligation ; pareille dévotion ſeroit
regardée comme très- indifcrette pour
deux raiſons : 10. L'on doit ſe préſer
ver de l'excès toujours dangereux ,
même dans les plus ſaintes inſtitutions,
29 .
DE VOTION . 337
20. Suivant le précepte même de l'É
vangile , l'on ne doit point charger
1 le peuple d'un poids inſupportable.
Auſſi, le pieux Empereur Charles VI ,
à la ſollicitation des perſonnes peu
faires pour ſouffrir de la multiplicité
des Fêtes , eut beau demander à la
>

Cour de Rome que la Fête de Saint


Joachim fût célébrée , ainſi que celle
de Sainte Anne , il ne put jamais y
réuſſir. En 1653 , le Sénat de Milan
ordonna que la Fête de Saint Do
minique fût de précepte dans tout le
Milanois. Le Pape Innocent II calla
l'Edit comme contraire à l'autorité ec
cléſiaſtique , & ne voulut jamais , par
égard pour les pauvres , conſentir à
l'établiſſement de certe Fête. D'au
tres Pontifes , contre leur gré , &
forcés par les inſtances des Princes &
des Souverains , ont bien voulu con
deſcendre à ordonner des Fêtes qui
durent encore, Les Régens , admi
1 P
338 DE LA VÉRITABLE
niſtrateurs du Royaume de Naples ,
ſollicitèrent ſi vivement , en 1644 , Ale
xandre VII , qu'il établit dans tout ce
Royaume la Fête du même Saint Do
minique. Les Religieuſes du Couvent
royal de Sainte Claire, prièrent avec tant
de chaleur Benoît XIII , qu'il con
ſentit enfin que la Fête de leur Pa
trone fût de précepte dans Naples ,
& les lieux circonvoiſins. C'eſt ainſi
que la piété peu réglée de quelques
perſonnes , eſt parvenue à faire gémir
le peuple ſous un nouveau joug. Il
ne réſulte aucun inconvénient pour
les Eccléſiaſtiques, & les gens d'une
fortune aiſée , qu'il ſoit Fête toute
l'année ; mais en eft - il de même des
pauvres ? On ne peut penſer à en ac
croître le nombre , fans condamner
tout le bas peuple à manquer de
fubfiftance.
Venons maintenant aux Fêtes de
précepte déjà établies. Dans le prin
DEYOTION. 339

cipe , ces Fêtes , inſtituées par un mo


tif reſpectable , pouvoient n'être pas
auſſi à charge aux gens pauvres . An
ciennennent les ſerviteurs étoient ce que
nous nommons aujourd'hui eſclaves ;
le nombre en étoit très -conſidérable
chez les Juifs , lesGrecs , les Romains
& les Chrétiens . Ils ont exiſté juf
qu'environ l'an 1200. C'étoit par
eux que les maîtres faiſoient cultiver
les campagnes ; ils étoient condamnés
par , état à exercer tous les arts mé
chaniques ; & c'eſt de là que dérive
le titre d'auvres ſerviles. Or , quand
on ſuppoſeroit ( ce qui n'eſt pas )
qu'anciennementily eût autant de Fêtes
de précepte qu'aujourd'hui , le même
abus n'eût pas fubfifté pour les pau.
vres , parce que les eſclaves , travail
lant ou ne travaillant pas , ne rece
voient pas moins le pain de leurs mai
tres , & la Fête n'étoit pour eux qu'un
jour de repos ; mais depuis la ſup
pij
340 DE LA VÉRITABLE
preſlion de l'eſclavage , le ſyſtême po
litique a bien changé; les gens de la
campagne , ainſi que les artiſtes , jouiſ
ſent de leur liberté ; & fi leur induſtrie
& leur travail font leur ſeule reflource
pour vivre il s'enfuit que lorſqu'ils
ne peuvent pas les employer , il faut
qu'ils meurent de faim , & qu'ils
demandent l'aumône , ainſi que leurs
enfans. Qu'on ajoute à cela que de
puis environ 200 ans , la face des
choſes a beaucoup empiré en Italie ,
par la ceſſation du commerce , l'an
néantiſſement des manufactures , &
l'augmentation des impôts. Ainſi, qui
conque avtrefois ne s'appercevoit point
de toutes ces Fêtes , eſt obligé au
jourd'hui de gémir ſous leur poids.
Qu'on penſe , ſans être effrayé , au
nombre conſidérable de Fères qui ar
rivent dans le cours de l'année ; on en
peut compter 12 en Italie dans le ſeul
mois de Décembre ( 1742) & le même
DÉ VOTION 341
nombre ſe trouvera toujours quand la
lettre dominicale fera la lettre G. Je
ne parle point ici de la Circonciſion
& de l'Épiphanie , qui arrivent peu
de jours après ; ce ne ſont pas encore
là toutes les Fêtes ; il n'eſt point de
ville ou de pays qui n'en ait de par
ticulières , pour remercier de la cef
ſation d'une peſte , de la levée d'un
fiége , ou de toute autre calamité pu
blique. Les Fêtes , qu'on ne doit fou
vent qu'à l'imagination d'un peuple
ignorant, ſont célébrées en général avec
plus de pompe que toutes celles établies
par l'Egliſe. Telles font, dans quel
ques pays , celles de S. Antoine Abbé, &
de S. Roch. Je connois des campagnes
où l'on n'oſeroit pas , le jour de S. An
toine de Padoue , faire la moindre
euvre ſervile , parce qu'à pareil jour
la grêle détruiroit les moiſſons. Mal
heur à quiconque travailleroit , ou
tiendroit ſa boutique ouverte ; on le
Piij
342 DE LA VÉRITABLE
montreroit au doigt comme un hom
me ſans conſcience & ſans religion.
En bonne foi , ne peut-on prier les
Saints qu'en ceſſant de travailler ? Il
s'enſuit , de toutes ces Fêtes qu'il y a
dans le cours de l'année , trois mois
de moins à travailler pour les payſans
& les ouvriers , & qu'on n'apas le temps
de femer , labourer , récolter , &c. ſur
tout ſi les Fêtes arrivent dans les jours
les plus convenables à ce genre de tra
vail. Qu'arrive-t-il de cela ? N'eft-ce pas
la raiſon pour laquelle notre pays four
mille , plus que tout autre , de pauvres
‫و‬

& de mendians ? Les ouvriers em


ployés dans les manufactures , n'ayant
pas la reſſource du travail les jours
de Fête , & ne pouvant pas conſé
quemment nourrir leurs enfans , en
voyent quêter leurs fils & leurs filles,
pour gagner , par l'aumône ; ce qu'ils ne
peuvent obtenir par leur travail ; dès
qu'ils ont une fois goûté ce genre de
DEVOTION. 343
vie commode , ils ne le quittent plus.
Quel eſt enſuite le ſort de toutes ces
jeunes perſonnes qui s'accoutument
à demander ? L'expérience ne le prou
ve que trop. Les Payſans voulant en
ſuite , ainſi que c'eſt leur devoir , ob
ſerver les Fêtes , il en réſulte le plus
grand préjudice pour l'agriculture , qui
eſt la première & la plus précieuſe
reſſource d'un État ; & l'on perd tout
le profit qu'on en pourroit retirer , ſi
les Fêtes n'étoient pas en aufli grand
nombre . Un autre abus qui a ſou
vent lieu dans les campagnes , eſt qu'on
y prend de ſon chef la liberté de tra
vailler fans en demander la permiſ
fion à ceux qui ont droit de la don
ner ; ce qui ſe pratique également dans
les villes , parmi les ouvriers , qui ne
B
s'en font aucun ſcrupule. En troiſiè
me lieu , il eſt nombre de perſonnes
réduites à la miſère , qui ne peuvent
pas ſe déterminer à demander . Ne
Piv
344 DI LA VÉRITABLE
conviendroit -il pas que
que les Miniſtres
de Dieu leur accordaſſent la permiſ
fion de travailler , pourvu qu'il n'en pût
naître aucun ſcandale , & qu'elles n'euf
ſent aucun témoin de leurs occupa
tions . Enfin , la multiplicité des Fêtes ,
loin d'exciter la dévotion parmi les
artiſans , ne ſert le plus ſouvent qu'à
les perdre pour le temps & l'éternité ;
elle conſiſte , la plupart du temps , à
paſſer toute la journée aux cabarers ,
à jouer des jeux défendus , & s'aban
donner ſouvent aux déſordres les plus
honteux ; ce qu'on a gagné dans le
cours de la ſemaine eſt dépenſé dans
un inſtant , tandis que les femmes &
les enfans périſſent de misère. Il ar ·
rive encore que pareille eſpèce de gens
s'accoutumant à l'oiſiveté , au vin & à
des amuſemens criminels , contractent
le goût de la fainéantiſe; on ne penſe
à travailler que pour ſe diſliper les jours
de Fêtes. Voilà le tableau fidèle de
DEVOTION . 345
ADI!
tous les déſordres qu’occaſionnent les
Fêtes , & qui ne peut paroître exagéré
qu'à ceux qui n'ont aucune connoiſ
ICH
Shenya
fance de l'humanité . Doit- on , après
‫که با‬ ‫ای‬ cela, s'étonner ſi les partiſans d'un bon
Gouvernement font tant de veux pour
MCE
qu'on y remédie ; & qu'en diminuant
na pe le nombre des Fêtes , on ſoit obſer
four
d: ཐག་ vateur plus religieux de celles qui ſub
‫سن ل‬ fiſteront après la réforme ? Qu'on vien
ne enſuite nous dire qu'on laiſſe ſub
fiſter l'ancien uſage , parce qu'on voit
dress
toujours le peuple également exact aux
offices & aux ſermons : mais où vou
z- ‫ܕ܂‬
droit -on qu'il fût , & que peuvent faire
7
femme
des gens qui n'ont pas la permiſſion
de travailler ? Les artiſans de toute
del:
eſpèce s'occuperoient bien plus volon
ce des tiers de leurs différens ouvrages ; ce
u vin &
n'eſt que l'oiſiveté qui les pouſſe dans
ntracke
les Egliſes ; & l'office une fois fini, le
nee prezi
reſte de la journée n'eſt employé qu'en
lesjou jeux, en veilles & en libertinage de
dele de
Pv
346 DE LA VÉRITABLE
toute eſpèce. Ces vérités feront claires
pour ceux qui connoiffent les mæurs
des villes & des campagnes. Les per
fonnes mème honnêtes , & accoutu
mées au travail des mains , s'ennuyent
la moitié de la journée , & ne fou
pirent qu'après la permiſſion de tra
vailler.
On devroit , avec d'autant plus de
raiſon , ſuivre les intentions du fage
Pontife dont nous avons parlé, que
ce ſeroit ſe conformer au véritable
eſprit de la Religion. Qu'on me
permette à ce ſujet quelques réfle
xions. Toutes les loix que nous avons
reçues de notre divin Maître , n'ont
d'autre fin que notre bonheur , &
principalement notre bonheur ſpirituel ,
en ce qu'elles ne tendent qu'à nous
faire acquérir des vertus ſolides & vé
ritables ; c'eſt u'elles que dépend notre
félicité intérieure ſur la terre , & celle
que nous attendons dans le Ciel pen-,
DEVOTION. 347
BI!

eruntde dant l'éternité ; mais ces vertus que


donne la Religion , ne touchent pas
res. La moins le gouvernement temporel; en
& 2.0 effet , fi les préceptes de l'Evangile
, secure étoient exactement ſuivis , la terre ſe.
roit un ſéjour enchanté de paix & de
on
concorde , où régneroient la juſtice &
l'équité ; les Princes feroient moins
all
occupés de leur bonheur que de celui
nS COM
de leurs ſujets. L'Evangile , il eſt vrai ,
nous prêche la mortification & l'amour
park:
de la croix ; mais c'eſt un moyen
d'acquérir & de conſerver la vertu ,
ſans laquelle nous ne pouvons pas
1 ជា
DOBBY
nous Aarter d'écre heureux : les Payens
eux-mêmes en reconnurent la néceſſité
ſous les noms de continence & de tem
heur
Apunte pérance ; que fi l'Egliſe nous impoſe
quama
en outre quelques jeûnes , convenons
ed
qu'outre le bien ſpirituel que nous
en retirons , ils ſervent encore à la
ndow
& cell
conſervation de notre ſanté. Liſez &
reliſez les livres du nouveau Teſta
delpor Pvj
348 DE LA VÉRITABLE
ment , vous n'y trouverez rien quine
concoure au bien du gouvernement
temporel , à rendre le joug de la Re
ligion plus léger , en aboliſſant tous
les rits, les facrifices & les pratiques
difficiles de l'ancienne loi. Comme N. S.
n'eſt point venu chercher , ſur la terre ,
les honneurs ou les avantages mondains,
ſa Religion veut le même déſintéreſſe
ment dans ſes Miniſtres , & qu'ils ne
ſoient pas dans le cas d'éprouver les
mêmes reproches que ceux de la Sina
gogue. Dieu établit dans l'ancienne
alliance le Sabat , & quelques Fêtes
dans le cours de l'année; la dévotion des
Juifs en fit ajouter pluſieurs autres :
non -ſeulement dans ces jours toute
eſpèce d'ouvrage ſervile étoit défendue,
mais il n'étoit pas même permis de cuire
les choſes néceſſaires aux repas , de
voyager plus d'un tiers de lieue , &
beaucoup d'autres obſervances encore
qu'il eſt inutile de rapporter. Le Fils
-
BI ! DEVOTION. 349
z Tiençu: de Dieu , venu pour perfectionner , tant
FOUNCIL
ce qui eſt ſur la terre , que ce qui eſt dans
ug de bed les Cieux , abolit en partie , ou chan -loffAux. Col.
poliza a gea les cérémonies fatiguantes du Ju - 20.
les pranga daïſme , & débarraſſa ſa Religion de
Comune toutes ces entraves. C'eſt pour cette
fur le raiſon , & d'autres encore , qu'il di
es more ſoit : Venez à moi vous tous qui êtes Math.c. II.
delina chargés & fatigués , & je vous ſoulage- v. 28.
& quis rai, parce que mon joug eſt doux , &

POTOM mon poids eſt léger. La preuve que tou


dels tes ces cérémonies légales ont été dé
SP truites par la Loi nouvelle , eſt encore
elges plus claire dans S. Pierre , lorſqu'il
dit : qu'on ne doit pas impoſer aux
urs Chrétiens un joug judaïque , que ni nous
ni nos pères n'avons pas pu porter. Il
Curs 10 A &t. Apoft.
defendi n'eſt pas poſſible de douter que tou -ch.Is. v. 1o.
ISdeup tes ces Fêtes n'ayent été retranchées ,
renas,de quand nous liſons dans l'Apôtre : ( 'Que
jeue, perſonne ne vous condamne pour le
ES ENCAT manger & pour le boires, ou ſur le
ſujet des jours de Fêtes , des nouvel
350 DI LA VÉRITABLE
Aux Collorc. les lunes , ou des jours de Sabat ). Saint
II . V. 16 .
Auguſtin inſiſte ſur cette douceur de
la loi de J. C. quand il écrit à Janua.
rius: ( Je vous recommande en pre :
Auguſtin .
Ep.5 + .Olim . mier lieu de ne jamais oublier que
IIS ,
N. S. comme il le dit lui-même , nous
a ſoumis à un joug léger & facile ,
& que ſon nouveau peuple n'eſt lié
que par un petit nombre de Sacremens,
adınirables par leur eſſence , & dont
l'obſervance eſt facile ). Il parle enſuite
du petit nombre des Fêtes de l'Egliſe ,
& d'autres particulières à certains lieux
où étoient les tombeaux des Martyrs.
Les Apôtres ſe conformèrent donc à
la loi naturelle , en indiquant un temps
déterminé pour adorer Dieu , & lui>

rendre l'hommage de nos ſentimens ,


principalement dans ſon Sacrifice. Ou
tre les Dimanches de l'année , ils éta
>

blirent quelques Fêtes en mémoire


d'événemens célèbres , tels que la Ré
ſurrection de N. S. la Pentecôte , &
ABIL DEVOTION. 351
Sabelli d'autres jours affectés aux myſtères
ce docze principaux de notre Religion ; on ne
éctuale voit point d'autres Fêtes dans les pre
miers ſiécles de l'Egliſe ; il n'eſt pas
souble même tûr que les auvres ſerviles fuf
-mềm, ſent défendues , puiſque pareille prati
er & que faiſoit partie des cérémonies Ju
uple cit daïques, anéanties avec le Chriſtia
de Sucre niſme. Je n'oferois m'autoriſer de deux
nice, da paſſages de Saint Auguſtin , que je ſou
parlez mets aux lumières de gens plus éclai
s dels rés que moi. ( 1 ). (Nous n'ordonnons
Cercana pas d'obſerver le Sabat , en s'abſtenant
des Alarm à la lettre , ainſi que les Juifs , de toute JanEpift. Ad
uar. C. 14 •
rent de eſpèce d'ouvrage; pareille obſervance
ut ur et eſt ridicule , à moins qu'elle ne figni
fie un repos ſpirituel en Dieu ). On
ſentima
( 1 ) Obfervare diem Sabbati , non ad litte
riace o
ram jubemur , ſecundàm orium ab opere corpo
ée, ile rali ficut obfervant Judai. Et ipſa eorum obſer
memicu vatio , quia ita precepta eft, nifi aliam quam .
uela dam ſpiritualem requiem fignificat , ridenda juo
ecóre , dicatur .
352 DE LA VÉRITABLE
lit les paroles ſuivantes du même Père ,
dans ſon expoſition de l'Evangile de
S. Jean : ( 1 ) ( Les Juifs obſervent fer
vilement le Sabat , pour s'adonner à la
débauche & à l'ivrognerie. Leurs fem
mes ne feroient-t - elles pas mieux de
filer que de danſer dans les aſſem
blées ? A Dieu ne plaiſe que nous di
Auguſtin. ſions qu'ils gardent le Sabat. C'eſt le
1. in Evang.Chrétien ſeul qui l'obſerve fidellement,
Joannis .
en s'abſtenant des æuyres ſerviles , qui
ne ſont autre choſe que le péché ). Il
eſt cependant certain que du temps t
même de Saint Grégoire le Grand , le C
travail étoit défendu les jours de Fê
f
( 1 ) Judai ſerviliter obfervant diem Sabbati
1
ad luxuriam , ad ebrietatem . Quantò melius fe.
mina eorum lanam facerent , quàm illa die in
menianisſaltarent. Abfit fratres ut illos dica
mus obſervare Sabbatum. Spiritaliter obſervat
Sabbatum ( Chriſtianus ) , abſtinensfe ab opere
Servili. Quid enim eft ab opere ſervili ? A pece
cito .
E!
DE VOTION. 353
tes , ainſi que Greg:
cela paroît par une de gnus. Ep.Ma
s
ſes lettres . Tout ce qu'on en pourra lib. 11,
conclure , c'eſt que cette défenſe n'eſt
pas d'une telle importance , que l’E
gliſe ne puiſſe diſpenſer d'un pareil
précepte , ſelon les beſoins publics ou
particuliers , les jours mêmes de Fêtes
qui ſont d'obligation . A plus forte rai
fon , lorſqu'il ſera notoire que la mul
tiplicité des Fêtes fait actuellement
un tort à l'Etat qui n'avoit pas lieu
anciennement , la prudence des Paſ
teurs peut y remédier , puiſqu'ils ont
droit de le faire , & cela ſans s'ar
rêter à la dévotion indiſcrette de per
ASE
ſonnes peu éclairées. Il eſt ſi vrai que
de
la piété Chrétienne ne doit point nuire
à la félicité temporelle du peuple ,
‫ܐܐܐ‬ que Conſtantin -le -Grand , en ordon
nant , en 321 , la célébration du Diman
che, voulut néanmoins que les Payſans,
lorſqu'il y avoit néceſſité, puffene libre
ment vaquer aux travaux de l'agricul
354 DE LA VÉRITABLE
ture ; arrivant quelquefois qu'il ne le
trouvoit pas de jour plus propre à fe
mer , à faire des foſſes aux vignes , &
ne voulant pas qu'on manquât l'occa
fion favorable que fourniſſoit la Provi
dence. S'il étoit alors permis aux gens
de la campagne de travailler le Di
manche , jour privilégié & ſi reſpecta
ble par ſon objet & fon inſtitution ,
quel égard n'auroit-on pas eu pour les
travaux de la campagne , en n'établiſ
ſant pas toutes les Fêtesque nous avons
aujourd'hui ? On dira : mais Conſtan
tin n'étoit pas Souverain Pontife , pour
donner de pareilles permiſſions ; d'ac
cord ; inais peut-on croire qu'il ait
donné un ſemblable Edit ſans avoir con
ſulté les Saints Evêques de ſon temps ?
Nous voyons que Juſtinien , qui vi
voit plus de 200 ans après , a con
firmé le même Réglement dans ſon
Code ( lex omnes judices) & l'on n'a
jamais çité de réclamations d'Evêques
ABLI DEVOTION. 355
Dis qu'il : à ce ſujet ; de même le Souverain C.Licet.de
Es prorre: Pontife a permis , ſelon que l’exige Feriis.
แน : 1 roit le beſoin , la pêche des anchois
zangutid tous les Dimanches & Fêtes de l'an
ijodhte née , tant il eſt vrai que les pratiques
Ermis en de piété doivent être combinées , de
vailler. façon qu'il n'en réſulte aucun dom
é & fic mage à l'Etat ; & que , contre le vé
on inte ritable but de notre divin Légiſ

pas eum lateur , elles ne deviennent pas nui


-, en D: libles au bien général & particulier.
quenas
Il eſt inutile de rappeler ici ce qui
masco a fait augmenter le nombre des Fêtes
Pontik au point où nous les voyons ; je re
milioni marquerai ſeulement , d'après les ca
oire ai pitulaires de Charlemagne & le
Lansar
Concile de Mayence , tenu en 813 ,
Te for tal qu’au neuvième ſiécle il n'exiſtoit que
en , 97
trois Fêtes des Apôtres S, Pierre &
mres, ac
S. Paul , S. Jean & S. André. Main
mt dan i tenant qu'elles ſont en li grand nom
& l'on bre , cela eſt aſſez indifférent aux gens
s d'Evém qui , par leur état , jouiſſent d'un
E
356 DE LA VÉRITABL

revenu ſûr ; mais pour bien juger du


tort qu'elles font aux pauvres , il faut 1

ſe mettre à leur place , & l'on n'hé


ſitera pas alors de deſirer qu'on re
tranche toutes ces Fêtes , qui ont été I

ajoutées ſans néceſſité , & qui cauſent


un ſi grand préjudice aux artiſans &
à tout le public , relativement aux
manufactures & aux travaux intéreſſans ē

de la campagne. Après avoir défendu


la cauſe des Pauvres , ( je ne parle pas le
ici des mendians , les Fères ne leur
ſont qu’utiles ) il eſt clair que notre a

fainte Religion n'a été établie que pour


le bonheur même temporel des peu
ples , & que des Paſteurs éclairés ne
peuvent qu'applaudir aux veux que
l'on fait pour le retranchement de tant
de Fêtes de précepre . Ce que nous
diſons ne peut jamais regarder l'obliga
tion de fêter le Dimanche , les myſ
tères de notre Rédemption , ceux de
la ſainte Mère de Dieu , les Fêtes
ITÀBI!
DEVOTION. 357

ar bisa je des premiers Apôtres & du Patron ;


PANS mais quant aux autres , elles doivent
e , dilin étre abandonnées à la dévotion li
bre des fidèles. Ce que nous deſi
es, que rons aujourd'hui , l'étoit il у a plus
- &q: de 300 ans par Pierre d'Ailli de
AUX
Cambrai , célèbre Cardinal , qui s'ex
lativen
prime ainſi dans un mémoire préſenté ,
avaux en 1415 , au Concile de Conſtance :
Es avons
On devroit pourvoir à ce qu'excepté
(jem ? les Dimanches & les Fêtes principales
Fes :
de l'année , il fût permis de travailler
Clair ce après l'Office , tant parce que nous
Etablies voyons les déſordres ſe multiplier en rai
morel des fon des Fêtes , que parce qu'il reſte à
curs éclats peine aſſez de temps au peuple pour
x yeur travailler à ſa ſubſiſtance. La diſci
ementde pline de l'Egliſe a ſouvent varié à
Ce que en l'égard des Fêtes de précepte. Sans
rderlodi parler des premiers ſiècles , en 1999 ,
he, les Henri IV , Roi de France , ſuivant
In , Ceuta les Lettres du Cardinal d'Ofſar, fit
, les foto de vives inſtances à Clément VIII pour
358 DE LA VÉRITABLE
les diminuer ; elles n'abourirent à rien.
Les Evêques & Archevêques firent ſur
le même ſujet de grandes remontran
ces à Urbain VIII. Il laiſſa fubfifter
celles qui avoient lieu dans toute l’E
gliſe , en abolit quelques autres >

& même celle qu'il avoit accordée


aux inſtances de la Vice - Reine de
Naples , & de l'Ambaſſadeur d’EF
pagne à Rome ; la Bulle eſt de l'an
née 1642. En 1666 , M. de Pérefixe ,
Archevêque de Paris , abolit 17 Fe
tes de précepte. En 1673 , M. de
Harlai en rétablit si l'un & l'autre
avoient des motifs différens. En Eſpa
gne , pluſieurs diocèſes, en dernier
lieu , viennent d'obtenir des Papes Be
noît XIII & Benoît XIV , la dimi
nution de ces mêmes Fêtes , ainſi qu'il
eſt prouvé par la diſſertation lumi
neuſe qu'a faite à ce ſujet Benoît XIV.
Ce Pontife a accordé le même privilege
à pluſieurs diocèſes de la Pologne , & à
ITABLI
DÉ V OIIO N. 359

bonirea quelques-uns de l'Italie , tels que l'Ar


vêquesta chevêché de Sermo , ſous l'obligation
ndessemua .
légère d'entendre la Melle ; pratique
1 lailla aiſée & qui ſuffit pour entretenir la
dans toe piété. On peut donc eſpérer que les
Paſteurs , pénétrés des raiſons du Sou
elques
avol 2 verain Pontife, & réfléchiſſant plus
ice
mûrement aux beſoins de l'état , ne
négligeront pas de ſolliciter ce que
ila el a des gens fages ont déjà obtenu. Quant
V. del
à la crainte que la diminution des
Fêtes ne faſſe tort à la dévotion du
abol :
163,4 peuple, cette peur paroîtra frivole
>

relativement au grand nombre de Di


ens.Ent manches & de Fères qui reſteront. Le
en
peuple ne manquera ni de temps ,
des Pantal ni de facilité pour rendre ce qu'il doit
à Dieu & aux Saints. Pour tout dire
V, lhe
, aintede enfin , rappelons-nous ce que Dieu ,
ation les
le meilleur des Pères , nous recom
erot W
mande dans les ſaintes Ecritures , pour
ne priviks
aider & ſoulager les pauvres ; & d'a
ogne,do
près le tort que leur font les Fêtes ,
ABLI
360 DE LA VÉRIT
qu'on décide ſi nos réclamations ſont
juſtes?
· Ce qu'il y a de mieux à ſouhaiter
après ce que nous venons de dire
eſt que les Fêtes ſoient mieux ſancti
fiées qu'elles ne le font, tant par les
pauvres , que par les riches. Ce ſeroit
un grand bien qu'elles fuſſent en plus
petit nombre ; mais que ſeroit -ce en
comparaiſon de celui qui exifteroit , fi
l'on voyoit le peuple ne pas ſe con
tenter d'une Meſſe entendue à la hâte ,
& ne plus offenſer Dieu par ſes déſor
dres tout le reſte de la journée ? Je n'ai
pas envie de défendre tous les plai
ſirs honnêtes ; ſurtout quand on a fa
tisfait aux devoirs qu'impoſe l'Egliſe ;
mais quelle réſerve ne doit-on pas
employer quand ils peuvent être une
occaſion de vices & de péchés , d'au
tant plus condamnables , qu'ils ſe com
mettent dans des jours conſacrés au
culte de Dieu , & à ſe fanctifier. Je
pourrois
DÉ VOTION . 361
4

pourrois rapporter ici ce que S. Léon


le Grand , les deux Saints Grégoire
12
de Nice & de Nazience , S. Eucher ,
& d'autres Saints , ont écrit ſur la
célébration des Fêtes. Ils concluent
que lorſqu'elles ne ſont qu'une occa
fion de parure & de divertiſſement ,
elles ne fervent qu'à nous perdre au
lieu de nous ſanctifier. Saint Auguſtin
dit clairement:qu'honorer les Fêtes dés
Martyrs , ( parmi leſquels il com,
prend les Apôtres) ſans les imiter
c'eſt les flatter avec fauſſeté ; mais il
vaut mieux rapporter ici le texte entier
de ſon fermon ſur la Fête des vingt
Martyrs. » ( Qu'on ne s’imaginepoint ,
30
dit-il , que nous ajoutions quelque
» chofe au bonheur des Martyrs , lorf
» que nous les célébrons avec

folennité ; ils n'ont aucun beſoin : de


C nos Fêtes, puiſqu'ils jouiſſent dans le
< Ciel avec les Anges ; ils ſe réjouiſ
ſent avec nous, non pas quand nous
Q
362 DE LA VÉRITABLE
» les honorons , mais quand nous les
„ imitons. C'eſt à nous & non pas à
po eux que nos hommages ſont utiles i
» mais les honorer & ne lespas imiter ,
» c'eſt les flatter avec faulleté ).

CHAPITRE XXII.
De la dévotion envers la ſainte Vierge.
ON - S'E U'L É MENT la fainte Vier
gé , Mère de J. C. eſt au nombre
des Saints , mais elle eſt encore appe
lée à juſte titre la Reine des Saints.
Outre qu'elle l'emporte fur eux par
Féminence de fes vertus ; ſes préroga
tives font fi ſublimes , que tout l'é
clat des habitans des cieux diſparoît
vis- à -vis d'elle.. C'eſt un titre fi élevé
d'avoir été choiſie pour Mère du Fils
unique de Dieu , que notre eſprit ne
peut jamais atteindre au degré de vé
nération qui lui eſt dae ; ainſi , nous
lui devons un honneur au -deflus de

"
DEVOTION. -363
celui que nous rendons aux autres
Saints. Le ſentiment de l'Egliſe, eft que
dans nos befoins nous obtiendrons
d'elle des ſecours plus puiſſans que ·
des autres Bienheureux ; elle eſt par
excellence celle qui a été comblée
de grâces , celle pour qui celui qui
peut tout a fait de grandes choſes.
Favoriſée, tant qu'elle a vecu , des
dons furnaturels , élevée dans le Ciel
à des honneurs ineffables, & toujouts
pleine de miſéricorde, elle eſt ſur la
terre la protectrice des Chréciens &
le refuge des pécheurs. Auſfi tout
fidèle , jaloux de ſon ſalut, doit-il avoir
une dévotion particulière à la fainte
Vierge , la vénérer comme une Mère
tendre , & la regarder coinme une
Avocate puiſſance auprès de Dieu. La
3다 . ſainte Vierge , en outre , eſt le mo
dèle le plus parfait que nous puiſſions
choiſir , d'humilité , de pureté , de
patience , de charité , d'amourdeDieu
Qij
364 DE LA VÉRITABLE
& de coutes les vertus ; c'eſt ſur elle
que les Vierges ſacrées doivent toujours
fixer les yeux , elles у trouveront le
modèle le plus parfait de ce qu'exi
ge d'elles leur divin époux. Nous ne
pouvons cependant pas nous Alatter
d'avoir une véritable dévotion envers
la ſainte Vierge , ſi nous nous con
tentons d'étudier la vie & ſes actions.
La piété réelle & ſolide conſiſte dans
l'imitation de ſes vertus , autant que
nous le permet notre fragilité. Com
ment pourrions-nous ſonger à lui plai
re avec un cour ennemi de Dieu ,
avec des paſſions que nous ne réprimons
point , & une vie criminelle que nous
ne penſons point à changer ?
Voilà la doctrine répandue dans
une infinité de livres , qui font tous
retentir les louanges de la Mère de
notre Sauveur , & ne font compoſés
que dans la vue de donner un nou
vel effor à notre dévotion. Je n'ai
I ANI !
DEVOTION . 365
s ; cette pas beſoin d'appuyer ſur un ſujet qui
doivent a été ſi bien .traité , que je ne pour
y tronen rois У. rien ajouter ; ne ſeroit -il pas
de : plus utile de m'étendre ſur les excès
pou 1 & les différens abus dans leſquels
ES nos tombent les fidèles , faute de con
dévorio noître la véritable doctrine de l'Egliſe ?
OUS Les Hérériques nous inſultent , parce
e&li qu'ils mettent ſur le compte des Ca
de cont tholiques quelques propoſitions dépla
cées , concernant le culte de la ſainte.
fragiles Vierge ; mais les dogmes de l'Egliſe
gardles doivent fe puiſer dans les décrets des
mi de Souverains Pontifes, dans les Conci
5It les , les Catéchiſmes , & non dans
nelle gesig les écrits de quelque Auteur particulier ,
anger? qui n'aura pas ſu ſe préſerver de ces
pandue excès que l'Egliſe réprouve. Je fais.
qui fon : qu'il eſt nombre de perſonnes qui n'ai
la Media
ment point qu'on traite pareilles queſ
ont com tions, par la peur qu'elles ontqu'on ne re
er un I froidiſſe la vraie dévotion en en dévoi
on Je : lant les abus; mais ont-elles fait réflexion
Qiij
E
366 DE LA VÉRITABL
que ſi c'eſt une choſe louable de 'tra
vailler au culte de la ſainte Vierge &
des Saints , il n'eſt ni moins important,
ni moins néceſſaire d'empêcher que
l'ivraie ne ſe mêle avec le bon grain.
Leur faux zèle les empêche de voir
que c'eſt faire un tort réel à l'Egliſe ,
que de laiſſer la carrière ouverte à
une dévotion indiſcrette , ſurtout quand
il eſt évident que cette même dévo
tion eft nuiſible aux fidèles mêmes ,
en leur faifant rendre à la fainte Vier
ge un culte qui n'eſt dû qu'à Dieu
& à notre divin Médiateur. Comment
eſt - il poſſible de porter le titre de
Chrétien , & ne pas ſouhaiter qu'on
diſipe de pareilles ténèbres ? Affure
ient ce zèle n'eft pas ſelon la ſcien
ce ; auffi je ſuis bien ſûr que les gens
fages ne manqueront pas de m'ap
prouver , fi j'indique quelques-uns de
ces abus , afin que les perſonnes peu
inftruites , non - ſeulement honorent &
3 !! DEVOTION . 367
prient notre grande Avocate , mais
nie encore le faſſent d'une façon qui lui
plaiſe ; puiſqu'il eſt indubitable qu'elle
ampa
ne peut approuver un honneur & un
de best culte qui ne lui conviennent pas.
pêche i Je répéte donc que la dévotion en
vers la ſainte Vierge eſt au -deſſus de
cre de celle qu'on peut avoir pour tous les
aurres Saints , & qu'on ne ſauroit
Tin trop louer & trop rechercher tout ce
Geles qui peut l'augmenter & l'entretenir ;
mais ce qu'on ne doit pas moins fa
voir , c'eſt que la fainte Vierge n'eſt
ur. Come
ieu , comine nous en avertiffent
pas DDieu
S. Épiphane , & après lui Théodoreri
Nous devons la vénérer comme notre
inairer
TES? AREA Avocáte , mais ne jamais penſer qu'elle
ait le droit de nous fauver & de nous
hon hel
pardonner. Rien de plus commun que
queleso
de : d'entendre dire qu'elle commande dans
ques-uns i le Ciel ; mais pareille expreſſion, échap
clonnes pée à la ferveur de quelque Saint , ou
onere à la vivacité de l'éloquence d'un
Qiv
E
368 DE LA VÉRITABL
Prédicateur , doit être entendue avec
t
reſtriction , puiſque la faine & vraie
Théologie n'admet de toute-puiſſance q
qu'en Dieu , notre Maître , la fource P
de tout bien & de toute grâce. J. C. m
V
même comme homme, eſt encore notre
Maître , par la conceſſion que lui en a 1
faite ſon Père. L'office de Marie eft ſe
m
de prier & d'intercéder pour nous ,
mais non pas de commander. Sancta di
no
Maria , ora pro nobis. Sainte Marie,
priez pour nous. Voilà ce que l'Egliſe fe
nd
nous enſeigne, & c'eſt elle que nous
devons écouter , & non les hyperbo c.

les de tout Auteur particulier , fût-ce d!


même un Saint. L'aſſertion ſuivante &
n'eſt pas moins commune , que nous de

n'avons aucune grâce, aucun bien à atten . Pc


dre de Dieu , que par le canal de Marie. lo
Ce ſentiment eſt très-juſte , s'il expri la
me que c'eſt par cette Vierge , pure nc

& fans tache , que nous avons reçu T


J. C. le ſeul diſpenſateur de tous les al
ARI! DEVOTION . 369
encenca 1 dons & des bénédictions céleſtes; au
Canete trement ce ſeroit une erreur de croire
Couteau que Dieu & ſon Fils bien -aimé , ne
LTEM puſſent nous accorder de grâces ſans la
e gre médiation & l'interceſſion de la ſainte
Bitence Vierge. ( Nous ne reconnoiſſons, dit Fes première
muz l'Apôtre , qu'un ſeul Dieu , & un 11. v. s.
de L ſeul médiateur entre Dieu & les hom
mes ( J. C. ). Sans l'interceffion de ce
pour
ander divin Médiateur , nous n'avons aucu
ainte de ne grâce à attendre , puiſque ,
eੇ que le
felon S. Paul , il eſt le ſeul qui ait pu
nous réconcilier avec Dieu ; & que
c'eſt par fon propre mérite, indépen
les bras
mlia,
damment de tout autre , qu'il a pu
con für & qu'il peut nous obtenir les grâces
dont nous avons beſoin . Cela n'em
e, gu?
brendatia pêche point qu'on ne puiſſe, par ana
logie, donner le titre de médiatrice à
s'il espa
la ſainte Vierge , lorſqu'en priant pour
, nous elle nous obtient les grâces du
g e
er , par
Vons ten
Très-Haut; mais cette médiation eſt
abſolument différente de celle de J. C.
le con
Qv
370 DE LA VÉRITABLE
Dans ce fens , nous pouvons égale
ment donner le titre de médiateurs à
tous les Saints , en reconnoiffant avec
leConcile deTrente, qu'aucun desSaints
ne nous obtient des grâces que par
l'unique & vrai médiateur , J. C. Ce
feroit donc une pieuſe exagération que
celle de quiconque prétendroit que
toutes les grâces & les faveurs qu'on
reçoit de Dieu , font dues à l'intercel
hon de la fainte Vierge. C'eſt une
véritable réverie , & qu'aucun Catho
Fique nec eroita jamais , qu'en impla
tant le ſecours ' & l'interceſſion des
1
Saints , ils ayent beſoin de recourir à
la médiation de la fainte Vierge , pour
obrenir de Dieu ce que nous deli
rons. ??? -

Jefus-Chriſt eft donc la véritable ef


pérance des Chrétiens ; ce font fes
mérites qui nous obtiennent le par
don de nos faures, qui nous foutien
ment au milieu des écueils & des
BI ! DE VOTION. 371
von du dangers de cette vie , & qui nous ou
TOKK vrent les portes du paradis. Il nouseft en
Dow!! core permis d'appeler la faince Vierge
notre eſpérance, relativement à l'éten
CASPER due de fa charité pour nous , & l'effi
4,10 cacité de fes prières ; mais fi l'on veut
marca étendre ce titre juſqu'à lai faire
entry fignifier qu'avec la dévotion à la ſainte
Vierge on ne peur jamais ſe damner ,
n'être jamais furpris par une mort fu
bite , & avoir toujours le temps de fe
kul réconcilier avec Dieu ; pareil enſeigne
ment n'a jamais été celui de la véri
TEINE table Religion de Jio c'eft-à-dire ,
de l'Eglife Catholique Romaine. Avec
tre dévotion véritable à la Mère de
Kerge,
sous # Dieu , & wire conduite qui y répon
de , on peuéfer flattet döbtenir beau
i coup de feni interceflion ; mais pareille
ford idée doit être réglée , de façon qu'elle
e le sue ne dégénère pas en une eſpérance illie
fore foire qui endorme les méchans dans
leurs vices avecl'extérieur ſéut de la dévo
Qvi
372 DE LA VÉRITABLE
tion , ou qui rende les bons moins
attentifs & moins vigilans. Eh ! le Chré
tien , ſelon ſaint Paul , ne doit-ilpas,
tant qu'il vit , opérer ſon ſalut avec
crainte & tremblement ? C'eſt un ar
ticle de foi que la perſévérance finale,
ainſi que la converſion , eſt un don gra
tuit de Dieu ; & , ſans une révéla
tion particulière , dont perſonne ne doit
ſe flatter , on ne peut jamais être ſûr
de bien finir. Ainſi pareille eſpérance
- doit être rejetée commeſuperſtitieuſe ,
-nuiſible aux Chrétiens, & contraire
à l'enſeignement de l'Egliſe. Je fais
qu'on raconte pluſieurs miracles pour
autoriſer ce privilégé des dévots en
vers la ſainte Vierge ; mais de pareils
faits ne ſont pas l'enſeignement de la
foi , & un Chrétien fage ne doit pas
riſquer ſon ſalut ſur la foi de légen
des fauſſes ou douteuſes , mais s’ap
puyer ſur la vérité infaillible des fain
tes Éctitures , qui , ainſi que les Pères.
ITAB!! DÉVOTION. 373
lesbonne & les bons Théologiens , réprouvent
uns. En de pareilles prétentions.
De di Une dévotion indiſcrette envers la
fon fainte Vierge , pourroit encore tomber
? C'er dans l'excès , en affoibliſſant celle qui
Veranto doit être la première , ſans laquelle on
eſt un& nepeut être Chrétien , la dévotion
Sun : envers N. S. J. C. Cette dernière claſſe
erlonne de dévots , peu contente de toutes
amais é. les Fêtes fagement inftituées en l'hon
eille ei neur de la ſainte Vierge, & dont le
dupects nombre furpaſſe celles de N. S. J. C.
& penſe encore à en inventer de nou
glide 1 velles. L'Egliſe propoſe aux fidèles le
ſaint temps de l'Avent pour ſe prépa
miracle
deros- rer à la naiſſance du Fils de Dieu >, &
is depat méditer ſur ce myſtère ineffable de l'a
mour de Dieu pour les pécheurs ; &
e daup il eſt une eſpèce de dévots qui a conſa
cré ces jours en entier à l'honneur
de lei
usa de la ſainte Vierge. Après l'Avent vient
deslais la Fête de l'Annonciation ; le myſtère
les Pes principal de cette grande folennité
374 De LA VÉRITABLE
eft l’Incarnacion & la Conception de
Dieu fait homme , c'eſt - à -dire , da
principe & de la ſource de tous les
biens fpirituels du genre humain . Que
l'on voit cependant bien peu de Pré
dicateurs traiter ce fujet fublime d'une
façon à inftruite & confoler les fidè
les ! Le panégyrique eſt toujours celui
de la ſainte Vierge ; & , dans le fond ,
ils méritent un peu d'indulgence ; en
agiffant autrement , ils courroient pref
que le riſque de paroître indévor's
envers la fainte Vierge. La mère de
Dieu mérite affurément nos hoinma.
ges, mais incomparablement moins
que ſon fils, notre Rédempteur & no
tre Dieu. Qu'il me foit permis ici de
préſenter une réflexion que je fou
mers aux fumières de gens plus éclat
rés que moi.
L'uſage généraldes fidèles , eft d'ap
prendre aux enfans trois prières prin
cipales , qu'on a foin de leur faire
RITAN!!
DEVOTION . 37 $

a Concerning réciter chaque jour , le Pater , l'Ave


c'eſt Maria & le Credo. Ainli que nous l'a
ource di me vons obfervé , nous tenons la premiè
enre huss re de notre Sauveur lui-même; &
Dien c'eſt la plus belle de toutes les priè
jer lubos! res que nous puiſiọns adreſſer au
confolers Père éternel, Le Credo ou le Symbole
Eft roniza des Apôtres , eft notre profeſſion de
foi. Par la Salutation Angélique , ou
induk 1*Ave Maria , nous rendons honneur
COUNT
à la fainte Vierge, nous, implorons
croires fa protection , & nous la prions d'in
tercéder pour nous. On ne manque
t 1205 AC pas d'autres prières , que noustenons,
olemen foit de l'Eglife , ſoit des Saints qui
kes ont compoſées ; mais ne ſeroit- il
m;preur di
pas à défirer qu'il en exiftât tme him
*permis a ple , courte , populaire, qui fùc dans
que je
us plus de le cas d'être apprife par le peuple le
plus groſſier , & qui lui ferviroit à re
connoître les bienfaits fans nombre
les, el di
qu'il tient de Dieu , & à lui deman
Drières roi
leur fi des tout ce qui peut nous ſanctifier.
376 DE LA VÉRITABLE
Quant à moi , je me flatte qu’un jour
nous aurons cette obligation au Sou
verain Pontife , dont le zèle & la
viété font ſi connus. Je deſirerois en
core que cette prière fût non - ſeule
ment en Latin , mais encore en lan
gue vulgaire , afin qu'elle fût davan
tage à la portée du peuple . Quicon
que connoît notre Sauveur J. C. doit
s'attendre à la plus précieuſe des ré
compenſes, lorſqu'il travaille à éten
dre fon culte , & à la fanctification
du peuple de Dieu .
Je demande pardon pour la réfle
xion ſuivante qui eſt du même genre.
Lorſque N. S. J. C. eſt expoſé à l'a
doration publique , ſous les eſpèces
ſacramentales , l'uſage , en pluſieurs
endroits de l'Italie , eft de chanter les
Litanies de la ſainte Vierge avant de
recevoir la bénédiction . Cette coutu
me eſt bonne , en ce que le peuple
n'ayant point de prière particulière à
TABU! DE Y OTION . 377
ante che
réciter , ne peut rien faire de mieux
ation sú que de s'adreſſer à J. C. par l'inter
le mie ceflion de fa fainte Mère ; mais ne
e dei ſeroit-il pas plus à propos qu'il y eût
für al des Litanies conſacrées à cette fonc
encor tion particulière , qui ſerviroient à s'a
Ale to: dreſſer au Rois des Rois , qui eſt pré
ipli ſent pour nous écouter ? Les Litanies
eur de la Vierge furent faites pour être
cientii chantées devant ſes images , & non
albit devant Dieu préſent dans ſon Sacre
ment. Il ſemble qu'admis avec bonté
à l'audience de notre Maître , il eſt
Our is plus dans l'ordre de lui adreſſer direc
em:
UCHY tement nos prières. Un Prince de la
INUW.I terre ſe trouveroit choqué , ſi , paroiſ
les ſant pour donner audience à ſon peu
7 p. ple , & lui diſtribuer des grâces , on
chanz préſentoit les mémoires à ſon favori
plutôt qu'à lui-même ; une ſeule rai
DIE COC ſon peut juſtifier cet uſage , c’eft que
te per nos prières peuvent contracter une nou
culita velle valeur & un plus grand prix ,
ABLE
378 DE LA VÉRIT
1

étant préſentées par la ſainte Vierge ;


niais en voulant trop prouver on ne
prouve rien. Il s'enſuivroit de-là qu'on
n'oſeroit jamais prier J. C. fans invo
quer préalablement la ſainte Vierge ;
ce que perſonne n'oſeroit avancer. Les
perſonnes vraiement religieuſes , &
tous ceux qui s'approchent de la fainte
Table , ne s'entretiennent qu'avec leur
divin Rédempteur , & les fruits de vie
qu'ils recueillent font toujours en raiſon
de leur ferveur & de leur piété. Nous
tenons ces promeſſes de notre Ré
dempteur lui-même , qui s'exprime
ainſi : Si vous demandez quelque choſe en
Jean. c . 14. mon nom je vous l'accorderai. Il ne dit
v . 14 .
pas au nom d'autrui , mais en mon nom.
La confiance & la voix peuvent-elles
nous manquer pour parler à un Mai
tre fi bon & fi miſéricordieux ? Ecou
tons l'Apôtre à ce fujet.
Hebe. Co 4 . Ayant donc pour Pontife Jeſus
V. 14
- Fils de Dieu , qui eſt monté au ciel ,
LITAT:
Dé y : 0TION . 379
la laiak » demeurons fermes dans la foi dont
o prora » nous avons fait profeflion ; car le
Voit tilata » Pontife que nous avonsn'eſt pas tel ,
J. Ca qu'il ne puiſſe comparir à nos infir
» mités , puiſqu'il a été éprouvé com
Proit A » me nous , quoiqu'il fût ſans pé
religii » chés. Préſentons-nous donc avec con
» fiance devant le trône de fa grâce >
nent cus » afin d'y recevoir miſéricorde , & d'y
les fra v trouver grâce pour être ſecourus dans
» nos beſoins Qui doit -on croire
Dujore
leuren qui aime le plus le peuple chrétien ,
ddes
e de la Vierge , des Saints , ou de J. C. ?
qui se Seroit-il permis d'héſiter en pareil ças ?
quelzo Celui qui eſt mort pour nous, qui
derai. Ili nous nourrit de fa chair & de fon
ISen17 fang , celui qui n'attend nos prières.
perest que pour les exaucer , pourroit-il laiſ
r d'un fer dans nos caurs une place à la crainte
jeusit & à la défiance ? Auffi croirois-je très
à propos qu'il exiſtât une Litanie

nvite ! faite exprès pour prier notre divin Sau


veur , lorſqu'il eſt expoſé ſur nos Au
380 DE LA VÉRITABLE
tels ; c'eſt de l'Egliſe que nous de
vons la recevoir ; & ſi un jour elle nous
fait cette grâce , nous devons bénir
la Providence , qui nous donne tous
les moyens de pratiquer la piété vé
ritable & néceſſaire à tout Chrétien.
J'ajouterai encore que les ennemis de
notre Religion ne pourroient man
quer d'être ſcandaliſés , s'ils voyoient le
peuple dans nos Egliſes baiſſer la tête
avec reſpect lorſqu'on dit ſainte Vier
ge priez pour nous , & ne faire aucune
démonſtration à ces paroles : Sainte
Trinité un ſeul Dieu, ayez pitié de nous.
La ſainte Vierge , diroient-ils , eſt
elle donc au -deſſus de Dieu ? Cette
bienheureuſe créature ne reçoit que
de lui tout ſon éclat , toute fa lumiè
re , tout ſon pouvoir. Aufli un des
principaux devoirs des Paſteurs, ſeroit
de bien inſtruire leur peuple des
regles de la vraie piété , en les ex
hortant à louer la ſainte Vierge , à
DÉ VOTION. 381
TAKK !

QUE JE
recourir à ſon aide ; mais , ſelon l'in
tention de l'Egliſe , & ſans paſſer les
bornes qu'elle poſées elle-même
US does
autrement ces abus , ainſi que ceux qui
her 12
oferoient les propoſer , ſeront égale
Tour L
ment réprouvés par la ſainte Vierge
elle-même. Notre dévotion envers la
les er
UITO
la ſainte Vierge , dit un Auteur reſpec
table , doit nous conduire à l'honorer ,
s'ilspui
buie
mais non pas à la flateer ( 1 ). C'eſt un
des points les plus importans pour
it
ofertes
quiconque aime la Religion , de dé
couvrir les abus anciens ou nouveaux
rok
qui ſe gliſſent dans le culte des Saints ,
d'en avertir les Paſteurs auſſi bien que
jenis
le peuple , afin d'écarter tout ce qui
Deu eft contraire à la pureté de notre foi,
& de mettre des barrières à la fu
e ta ka
perſtition. Le grand S. Charles Boro.
urs, is
( 1 ) Domina noſtra beatiſſima Virginis Ma
euple ria obſequia venerationem poftulant , non adula
en lesz
rionem. Petrus abbas Cellenſis, lib . 9. Epit. 10.
Tiergesi
382 DE LA VÉRITABLE
mée , qui a fant travaillé pour faire
exécuter la diſcipline du Concile de
Trente , & pour purger ſon diocèſe
de ces pratiques abuſives , qu'y avoit
fait naître l'ignorance , écrivoit ainh
dans ſon quatrième Concile Přovin
cial:(« Autanton doit s'appliquer à éta
» blir tout ce qui peut augmenter la Re
ligion , ou lui donner un nouveau
» luſtre, autant on doit apporter de foin
» & d'attention pour déraciner la ſu
perſtition des cæurs ou elle s'eſt éta
blie ( 1 ). Que dans le culte de la fainte
Vierge , fi fagement établi, ſi recom
mandé dans l'Egliſe, il fe foit intro
duit des opinions fauffes , des prati
ques condamnables , c'eſt ce dont ne
doutoit pas M. Godeau , Evêque de

( 1) Quantum in Religione ftabilienda , atq.


augenda laboris ponendum eft , tantum in fu
perftitione ex hominum mentibus epellenda
cure , & diligentia eft impendendum .
ERITI
DEVOTION. 383
Vence, qui s'exprime ainſi dans l'élo
ne da cop ge du même S. Charles Boromée :
pargerit ( La dévotion envers la fainte Vierge
Allves, o alla toujours en augmentant après la
nce , condamnation de Neſtorius , & l'igno
me Come rance du peuple parvint au point qu'il
i s'amplia fe commiç une infinité d'excès ; de
It augimi ſorte qu'il faut avouer qu'au moment
onner :
des héréſies de Luther & de Calvin ,
utapport la ſuperftition étoit telle, qu'elle faiſoit
e die géinir tous ceux qui connoiſſoient vé
s ou ely ritablement le degré d'honneur qu'on
e cult:e1 devoit rendre à la Mère de J. C. ( 1 ).
étab Le fameux P. Pecau , de la Compa
illie gnie de Jeſus, s'exprime ainſi à ce
iles,de ſujet en Latin , que je vais traduire :
'elle doit ( Je ne crains point de donner ici un
raw ,Friz avis aux dévots & aux panégyriſtes de
la fainte Vierge, c'eſt de ne pas ſe
faiſler trop emporter par la piété &
fabilica,i la dévotion qu'ils croyent lui devoir ;
,

z:ibus eroulis
cdr
(1) Godeau. Hiſt. de l'Egliſe.
384 DE LA VÉRITABLE
» mais que , contens des vrais & ſolides
» hommages qui lui conviennent , ils
» laiſſent de côté toutes ces pieuſes fa
„ bles , qui ne ſont fondées ſur aucune
» autorité ; autrement ce feroit tomber
» dans cette eſpèce d'idolâtrie , que
Saint Auguſtin prétend être cachée
» & comme innée dans le ceur de tous
les hommes ; idolâtrie qu’abhorre la
» faine Théologie , ou plutôt la fagele
» céleſte, puiſqu'elle ne peut admettre
» & enſeigner que ce quieſt exactement
» conforme aux régles certaines de la
Raynald. » vérité ( 1 ) » . C'eſt encore le ſentiment
Dyptic. Ma-de M. Théophile Renaud , dont je ne
Punet. 1. nó.rapporterai point le paſſage pour abré
ger ; c'eſt également celui desplus fa
meux Théologiens, & ce ſera conſtam
ment celui de la fainte Egliſe Romaine
& de tous les bons Catholiques , qui,

( 1 ) Petavius, lib . 14. č. 8. n. 9. Theolo


gia dogmatica de Incarnat.
en
DE V OTION. 385
en conſeillant & prêchant la vraie &
bonne dévotion envers la fainte Vier
ge & tous les Saints , déſapprouvent &
dereftent les excès & les abus qui en
T:
peuvent réſulter.

CH A P I TRE X XI I I.

De la dévotion envers les Reliques &


les Images des Saints.
L'ENSEIGNEMENT de l'Egliſe eſt que
les reliques des Saints méritent de notre
part l'honneur & le reſpect , tant pour
avoir été le réceptacle de l’Eſprit- Saint ,
que parce que la foi nous enſeigne
que ces mêmes corps , à la réſurrec
tion générale , participeront à la gloire
de Dieu. Il en faut dire autant des
images : nous ne pouvons voir des
yeux du corps les Saints qui règnerit
dans le Paradis ; rous les connoiſſons
par leurs images , & elles ſont di
1
R
:
E
I TABL
DE LA VÉR
3386
gnes de notre reſpect & d'un culie
religieux , par rapport aux perſonnages
dont elles nous refracent les traits. Je
dois avertir cependant que l'honneur
qu'on rend aux reliques & aux ima
ges n'eſt pointde précepte, excepté
dans les fonctions eccléſiaſtiques , dans
les occaſions , & les temps détermi.
nés , où ce ſeroit un ſcandale de ne
les pas vénérer. Il eſt toujours ordonné
de ne les pas mépriſer , encore moins
de les deshonorer , parce qu'alors on
ſeroit juſtement ſoupçonné de ne pas
rendre aux Saints mêmes le culte qui
leur eſt légitimement dû, Plût à Dieu
que le peuple fût éclairé ſur ce point ,
& connût ce qu'enſeigne l'Egliſe , &
ce que, croyent les gens inſtruits en
dépit des déclamations & des injures
des hérétiques ! On ne peut nier , &
l'expérience le prouve,que les véri
gés ſpéculatives ne font pas à la por.
péę du menu peuple ; les livres ne
DEVOTION. 387
font pas faits pour lui ; il lui faut des
objets fenſibles , capables d'affecter les
-yeux & les oreilles . Les ſaintes images
furent » par cette raiſon , appelées , par
S. Grégoire le grand , le livre des igno
Tans ; leur uſage ainſi que leur utili
té reconnue , date des premiers ſiè
cles de l'Egliſe : elles excitent la dé
"votion du peuple , ainſi que les tom
beaux des Saints & leurs ſaintes reli
ques. Quoique , ainſi que je l'ai dit ,
« les perſonnes véritablement éclairées ,
n'ayent pas beſoin d'objets phyſiques
pour élever à Dieu leurs penſées , il
arrive cependant que ces mêmes ima
ges donnent un nouvel élan à leur
dévotion , ainſi que nous la voyons
ſouvent ſe ranimer à la vue des cé
Sréinonies de l'Egliſe & de ces ſaints
Temples , où l'on conſerve les re
liques authentiques des Martyrs. Il eſt
fûr que les perſonnes les plus émi ,
hentes en piété , en ſe mettant à ge
Rij
388 DE LA VÉRITABLE
noux devant l'image de J. C. cru
cifié , fentent leur imagination s'échauf
fer , & leur cæur plus vivement re
mué qu'auparavant.
Il n'eſt aucun fidèle , dans quel
que claſſe qu'on le ſuppoſe, qui ne
doive être inſtruit de la doctrine de
l'Egliſe, ſur la vénération qu'on doit
aux reliques & aux images ; le ma
tériel de tous ces objets n'eſt point
le but de nos penſées, & elles doi
vent s'élancer juſqu'à Dieu & ſes Saints,
que ces mêmes objets retracent d'une
manière plus vive à nos yeux & à
notre imagination. Les reliques des
Saints , conſidérées en elles-mêmes ,
ne ſont autre choſe qu'une matière
terreſtre , les images une réunion de
couleurs , dépoſées ſur le bois , la
toile ou le papier; enfin , les ſtatues
les plus précieufes ne
ne font que du
bois , du marbre , de l'or ou de l'ar
sent ; ce qui eſt matière ne peut mé
TAN
DEVOTION . 389
riter aucun culte fans tomber dans
DIE l'idolatrie. Auſli les Payens furent-ils
également condamnés par les Écritu
res de l'ancienne & de la nouvelle Loi ,
parce que non contens d'adorer de
,
fauſſes divinités , ils rendoient encore
uppe
‫ܐ ܐܐ‬loi‫ܝ‬ hommage à leurs fimulacres. Ainſi ,
Cion lorſque nous ſommes profternés devant
les tombeaux , les reliques ou les ima
.USB:
ges des Saints , nous devons penſer
que le Saint qu'elles nous rappellent ,
ou qu'elles nous repréſentent , n'eſt
‫ماندا‬ pas dans le lieu où nous nous trou
TIOS
vons , mais dans le ciel , où il jouit
d'un bonheur que rien ne peut alté
fer ; c'eſt la
là que doivent ſe porter nos
penſées , nos prières , nos actions de
e Town
grâces , & non pas s'arrêter à une
le has
matière inſenſible . De même lorſque
que nous vénérons ou baiſons la ſainte
OT COM
Croix , lorſque nous prions devant l'i
ou d.
mage de J. C. crucifié , nous fommes
poza
bien ſûrs que J. C. n'eſt pas réelle
R iij
390 DE LA VÉRITABLI
ment devant nous ; mais dans le ciel
à la droite de fon Père , & que c'eſt
là où nous devons l'adorer & nous
recommander à ſa miſéricorde. Enſorte
que les images , quelque reſpectables
qu'elles ſoient , non par elles-mêmes ,
mais par l'objet qu'elles repréſentent
ne ſont faites que pour ſervir d'ali
ment à notre dévotion , & lui don
ner un nouveau degré de vivacité :
telle eſt la différence eſſentielle qui
fe trouve entre l'image de J. C. cru
cifié , & le S. Sacrement de l'Autel. Per
fonne n'ignore que dans ce dernier
il eſt réellement & perſonnellement
préſent, conſéquemment que nos priè
res & notre adoration doivent s'adref
fer directement à lui , au lieu que
l'image qui le repréſente n'eſt faite
que pour nous conduire & nous élever
à celui qui règne glorieuſement dans
te Ciet .
Plût à Dieu que la devotion du peu .
TABII DEVOTION . 391
is done ple envers les images fût auſſi bien
=,da réglée que la doctrine de l'Egliſe eſt
dores de pure, & à l'abri de toute critique.
Les abus & les excès qui eurent lieu
de felt dans les ſiécles d'ignorance, & que
- ellesa M. de Fleuri détaillé ſi bien dans ſon
repro hiſtoire Eccléſiaſtique , furent cauſe
cler qu'on donna par la ſuite dans un ex
,&
cès oppoſé , & de-là vint l'héréſie des
Iconoclaſtes. Encore aujourd'hui la
Religion des Ruſſes & des Abilling
de! conſiſte preſque en entier dans le
Felles culte & la vénération des images. Mais
un Catholique inſtruit ne fait pas de
rionnels pendre ſon ſalut de pareils moyens. 11
fait que ſi ſon cæur n'eſt pas rempli
94
iverses de cette première & eſſentielle dé
au lieu : votion , dont nous avons parlé dans
les premiers chapitres de cet ouvrage
COUS
A toute autre pratique eſt non -ſeulement
cmens inutile , ſuperficielle", inais peut encore
devenir condamnable '& ſuperſtitieuſe.
Il exiſtoit autrefois chez les Grecs
Honde Riv
392 DE LA VERITABLE
une image de la Vierge, qui paſſoit pour
avoir été peinte par S. Luc ; auſſi ła
populace croyoit-elle qu'elle contenoit
tout l'eſprit de la ſainte Mère de Dieu.
Le Pape Innocent III condamna certe
opinion comme ſuperſtitieuſe ; je ne
ſais G la même erreur a cours dans
d'autres pays , où l'on a de pareilles
images , qu'on croit bonnement pein
tes par S. Luc ; ce dont je ſuis ſûr ,
c'eſt que les gens les plus enracinés.
dans le vice,les ſcélérats les plus détermi
nés ont auſſi leur genre de dévotion ; ils
ne manqueront pas d'allumer des cier
ges devant les Madones, & de porter
ſur eux des reliques vraies ou fauf
ſes ; car la race des impoſteurs n'eſt
pas près de finir ſitôt, & la paix du cæur.
eſt un fi grand bien , que la claſſe des
hommes , même les plus criminels ,
cherche à ſe la procurer .
Venons maintenant au véritable
uſage des images & des reliques; tout
l'effet que nous en devons attendre
DEVOTION. 393

eſt de réveiller en nous la mémoire


des Saints & de leurs vertus ſublimes
pour les imiter; de nous retracer leur
bonheur ineffable, pour excireren
nous le deſir d'y aſpirer , enfin de nous
rappeler leur charité ſans bornes , pour
nous engager à recourir à leur intercef
fion . Si ce n'eſt pas là l'effet que nous
en refſentons , notre dévotion ſe réduir
à bien peu de choſe ; nous décorons
du noin de piété toutes ces. Feres
bruyantes que nous célébrons en l'hon
neur des Saints , avec l'appareil le plus
éclarant , de grandes illuminations , des
muſiques harmonieufes , & foavent
des repas , dont la gourmandiſe eſt
toujours le principe , & jamais la cha
rité. Ce que les Saints: defirene de
1

nous , nous l'avons indiqué précedem


ment ; ces conditions manquanr , nos
dévotions reſſemblent à ces fuſées
qui, pendant un moment , brillent
wec bruit dans les airs , mais recoin
Riva
12
394 DE LA VÉRITABLE
bent preſqu'au même inſtant dans la
plus profonde obſcurité.
Ce que l'on devroir deſirer avec le
plusd'ardeur , c'eſt que les Chrétiens,
partiſans des images & des reliques ,
prouvaſſent réellement par leur con
duite , que le premier des honneurs ,
e reſpect le plus profond , eſt dû , fans
aucune comparaiſon , à notre divin Saut
veur , vrai Homme & vrai Dieu. Com
ment eſt - il poſſible d'excuſer la conduite
d'une perſonne qui , entrant dans un
Temple & négligeant d'en adorer le
Maître , court fe profterner devant ſes
ferviteurs ? C'eſt à ce ſujet qu'écri
voit Nicolas deCléminge ( 1): ( Nos pères
avoient autant de dévotion que nous
envers les Saints; mais leur zèle étoit
ſelon la ſcience , & ils ne nous en
feignèrent pas àles vénérer , defaçon
( 1) Nicol. de Cleminge. lib . demóvis: codes
Brisatibus non inftituendis ,
TABE DÉ V OTIO N. 395

las que nous manquaſlions à l'honneur &


au reſpect que nous devons à Dieu ).
delicet Il n'eſt pas rare de voir ſans aucune
parure l'Autel où notre Seigneur cft
expoſé à l'adoration publique, tandis
par 2. qu’un Autel particulier, où l'on verra
cich la ſtatue de quelque Saint , ſera char
de gé de tous les ornemens les plus re
CIRCLE
cherchés. N'eſt- il pas révoltant que le
Da Maître de tout ſoit moins fêté que
fes ferviteurs ? Le rituel romain & les
Center
décrets des Souverains Pontifes fonc
directement oppoſés à ces abus ; les
Evêques ſe font pareillement élevés.
contre les excès de ces gens , qui, uni
ujet quement occupés d'élever leurs Saints ,
ne penſent qu'à créer des nouveautés
dans l'Egliſe du Seigneur. Cependant ,
e tek !
malgré la clarté & la publicité de ces
décrets', nous les voyons journelle
ment tranſgreſſés. Je ne dois pas paf
ECAH
fer ſous filence une inſtruction palto
rale qu'a donné à ce fujer Clément
Rivi

!
LE
396 DE LA VÉRITAB
XI. If ordonne que l'on couvre les
images & les ſtatues des Saints , &
qu'on ne mette ſur l'Autel aucunes
reliques dès le moment qu'on expo
fera le faint Sacreinent. Il feroit bien
à deſirer que de pareils Mandemens
fuſſent auſſi connus que ſtrictement
obſervés. On ne peut que rendre juf
tice à la piété du peuple , qui lui
fait placer dans l'es rues & les places.
publiques des images de la ſainte:
Vierge & des Saints ; cependant à voit
le peude reſpect qu'on a pour elles ,
& que fouvent elles ne font qu’oc
caſionner des ſcandales ou exciter lä
cupidité des voleurs , ne ſeroit-il pas
mieux qu'on ne les exposat que dans les
Egliſes publiques , plutôt que dans les
maifons particulières ? C'eſt de certe
multiplicité d'images dont ſe plaignoit
à fi juſte titre Ambroiſe Cartarin >

lorſqu'il 'élevoit contre les perſónues:


qui fout des quêtes pour les parer.
DE VOTION 397
ou faire brûler des cierges devant elles ..
Pareille dévotion populaire eſt très
peu importante , quoi qu'en diſe uir
Prédicateur , à qui j'entendis faire le
plus pompeux éloge d'une ville , parce
qu'on y voyoit , plus que dans toute
autre de l'Italie , des ſtatues & des
images de Saints, ornées avec le plus
grand foin . Je ne peux me. laſſer de
répéter que la ſainte Vierge & les
Saints demandent autre choſe de nous
que des apparences vaines , ou des. de
hors ſouvent troinpeurs.
Après le reſpect & la vénération
qu'on doit aux imagesdes Saints , com
ment ne pas trouver indécent qu'on
les faſſe ſervir d'enſeigne aux tavernes ,
aux cabarets , & qu’on place des croix
le long des murs , pour les garan
tir des ordures ( 1 ). Le peuple devroic:

( 1) L'uſage à Florence, & dans preſque tou


Les les Villes d'Italie , eſt de garair d'un grand
E
398 DE LA VÉRITABL
encore ſavoir qu'il n'exiſte qu'une ſeule
Vierge bienheureuſe , quoiqu'elle chan
ge de nom ſuivant les Egliſes & les
Confrèries ; la Vierge du Roſaire ou
du Carmel n'eſt pas plus reſpectable
que celle de tout autre endroit ; elle
règne dans le ciel, toujours diſpoſte
à écouter quiconque recourt à fon in
tercellion ; c'eſt notre opinion qui la
différencie , & ſes faveurs ne dépen
dent pas d'un lieu plus orné ou plus
fréquenté qu'un autre , mais des dif
poſitions & du degré de foi de ceux
qui l'invoquent.
Un des excès qui mérite le plus d'ê
tre reprimé, eſt celui des perſonnes du
peuple , qui paroiſſent, par leur con
duite, mettre le culte de la ſainte Vier
ge & des Saints au -deſſus de celui de

nombre de croix en peinture , le bas des main


fons, afin qu'on n'y vienne point faire d'or
dure
DEVOTI
ON .
STABIL
399
J. C. Qu'on faſſe une proceſſion de
2010 la ſainte Vierge, on les verra auſſi-tôt.
ES abandonner celle du faint Sacrement
du pour courir à la première ; la même
blusa choſe arrive fouvent à Padoue à celle
e cada de faint Antoine; aulli plufieurs Evê
2001 ques pleins de zèle , l'ont-ils quelque
Clour fois défendue , ou remiſe à un autre :
OHARI
or jour ; parce que tombant préciſément:
urs : dans l’octave du faint Sacrement , tout
CIK le peuple ſe portoit à la Proceſſion
‫المال‬
du Saint , & celle de notre divin
e do Sauveur étoit déferte. Și l'on pouvoit:
lire dans le cœur des ignorans , on y
verroit que c'eſt la ſeule idée d'ob
Perhe tenir des miracles qui les détermine
al lui plutôt pour le Saint que pour J. C.
Laine To qui eſt véritablement l'Auteur & la
de che fource de toute grâce . L'imagination:
des gens groſiers eſt d'ailleurs plus:
remuée par la ſtatue de la fainte Vier
asdesmas
ge ou d'un Saint , que par le Sacre
ment de l'Autel‫رو‬, où ils ne voyent à

400 DE LA VÉRITABLE
l'extérieur aucun trait du Dieu qui
eſt réelleinent préſent. Pareils défor
dres ont été cauſe que des gens > aulli
fages qu'inſtruits , ont ſouvent formé
des ſouhaits pour remédier aux abus
des images & des ſtatues. Ils convien
nent que l'uſage en eſt utile & con
forme à l'enfeignement de l'Egliſe ;
mais ils avouent en mêmetemps que
la méthode de les porter en proceſſion ,
n'a commencé que dans des ſiécles de
barbarie , peu faits pour nous fervir de
règle ; & que dans les temps vraiment
éclairés , les Proceſſions n'avoient lieu
que pendant les jours de pénitence, lorf
que l'on chantoie les Litanies , ou dans
d'autres circonſtances particulières. On
doit encore convenir , ajoutent-ils, que
l'Egliſe ayant permis l'uſage des ftatues ,
c'eſt un point de diſcipline qu'elle eſt
maîtreſſe de changer ; je n'infifterai pas
davantage ſur les raiſons qui peuvent
Iy déterminer ; je dirai ſeulement que
TAIS
DEVOTION . 40T .
du
l'Egliſe , dans les premiers ſiécles , or
donnoit les Saints banquets , les baifers
[com entre les fidèles, & les Vigiles pendant
la nuit ; cependant, à raiſon des dé
3. Bi
fordres qui s'enſuivoient, elle a jugé
à de les défendre. Quand il s'a
propos
: de git d'uſages bons , quant au fond , mais
2.7163
done l'abus paroît certain , eſt- il fage
de conſerver un bien lèger , mais peut
en mm

S 83
für ſous prétexte qu'il en peut réſulter
Danske
un mieux ? & quand cela ſèroit , écou
tons là -deſſus l’Apôtre : » (Et ce que je
mr lui demande, eſt que votre charité croiſ
» ſe de plus en plus en lumières , afin
UIN
que vous ſachiez difcerner ce qui eſt
ies, co „ le meilleur ( 1 ) ». Je n'étendrai pas plus
CURTO loin ces réflexions , & je conclus que
toute opinion particulière eſt ſubordon
née au jugement de la ſainte Egliſe no
quái rre Mère , & que nous devons nous
hilterna foumettre à rout ce qu'elle approuve ou
it ಇದರ
ument y (1 ) Ad Philippenfes, C. 1, V. 2
402 DE LA VÉRITABLE
le
ce qu'elle permet. N'oublions pas encore
pe
que cette même Egliſe , dans le faint
de
Concile de Trente , ordonne à tous les
eft
Supérieurs Eccléſiaſtiques , de veiller à
rit
ce qu'il ne ſe falſe point de Procellions
&
prophanes & théâtrales , qui , loin d'a
nimer la piété , n'excitent que le rire qu
ou le ſcandale. Que penſer, par exem gu
fac
ple, de ce qu'on voit dans certains pays d'u
éloignés de l'Italie & voiſins des Héré
dir
tiques , où règnent les abus les plus ne.
crians ſur l'article des images & des ſta bre
tues ! J'ai dit hors de l'Italie , quoiqu'à
de:
ce ſujet encore elle ne ſoit pas fans re
tei
proche , & qu'on voie dans certaines
m
villes , aux Proceſſions du S. Sacrement,
les folies les plus ſcandaleuſes , & les Sys
dos
maſcarades les plus indécentes. Pareils
lec
ſpectacles ſont-ils faits pour exciter la
un
dévotion ? Ils peuvent bien ſervir à la
‫ و‬11
diſtraction & à l'amuſement du peuple,
a fe
mais il ne ſeront jainais goûtés des gens
>
ſenſés, qui n'aiment la décoration dans
TABU DÉ Y OIIO N. 403
Sonstezi le culte , qu'autant qu'elle ne fait point,
perdre le but eſſentiel de la piété. Le
Connen devoir le plus important des Paſteurs >

es, de eſt d'inſtruire avec ſoin le peuple du vé


1: de Pie ritable eſprit de l'Egliſe fur les images
- qu ..
& les ſtatues. Il ne ſuffit pas d'expli
rent go quer la doctrine chrétienne aux enfans ,
qui , ou n'entendent point, ou oublient
us Cor
facilement les inſtructions ; elles ſont
d'une néceſſité & d'une utilité plus
abra
directe aux adultes , pour ne pas don
ner dans des ſentimens que grand nom
3g:
alien bre de Théologiens regardent comme
des fautes très- graves. Je pourrois m'é
It pe
dans en tendre beaucoup là-deſſus, mais j'aime
S. Sacred mieux faire parler à ma place les Pères du
Synode de Mayence , tenu en 1549 , &
Dites.Pas
dont les décrets ſe trouvent dans la col
Ir EIJIN
lection des Conciles, Voici le quarante
fanta unièmeCanon: - (Nous recommandons.
» inſtamment de conſerver dans nos Egli
dinpa » fes l'uſage des images , comme très
Es disse
tionde » utiles pour inſtruire le peuple & exciter
-
404 DE LA VÉRITABLE
» la dévotion ; pourvu cependant que les
Paſteurs ayent le plus grandſoinďavera
» tir les fidèles, qu'elles ne ſont point fai
» tes pour être adorées , mais pour nous
» rappeler ſeulement ce que nous devons
» vénérer & adorer, & en général tout ce
n dont il nous eſt avantageux de nous
» reſſouvenir. Quant aux peintures indé
» centes, ou celles inême dans leſquelles
» on voit que le Peintre n'a penſé qu'à
95 faire briller ſon talent ou ſervir la vo
lupté, nous les défendons abſolument;
>>

» bien ſûrs que fi un Père de famille


» ne peut pas , fans être coupable , en
» faire l'ornement de ſa maiſon , elles
„ doivent être intolérables dans les Tem
» ples) » .LesPèresdu mêmeConcile s'ex
priment ainſi dans le quarante -deuxiè
me Canon : » (L'uſage utile & légitime
» des images doit être renfermé dans de
» telles bornes , que le ſimple peuple ne
» puiſſe jamais être induit à les adorer ou
và ymettre fa confiance , mais qu'elles
DEVOTION. 405
TABI

perkte
» lui faſſent comprendre qui il doit ado
» fer, connoître les Saints qu'il faut hono
Deforma » rer , & celui dont nous devons tout at
mah
» tendre.Voulant prévenirtouteſurperſti
ution , par haſard les Ordinaires des
que mai
lieux s'appercevoient qu'il y eût con
igenen
» cours à quelque image , & que par un
agDenn
e
» faux reſpect pour elle on lui attribuật
darse quelque pouvoir qui n'appartient qu'à
nie
» la Divinité ; en ce cas ( de l'avis des
ULET - Théologiens & de perſonnes pieuſes,
„ bien inftruites de l'ancienne & vraie
0152
» doctrine) nous leur ordonnons d'enle
erede
» ver cette image, ou de la changer en en
COM
» remettant une autre, abſolument diffé
malla
Hanski
» rente de la première, afin que le peuple
9 ignorant , & qui, vu ſa groſſiereté, eſt
Сола
„ fait pour s'élever aux choſes ſpirituelles
» par le moyen des corporelles , n'aille
iedes
» puint , contre l'intention de l'Egliſe,
placer ſon eſpérance dans une image
» quelconque;comme ſic'étoit une nécef
adorera
» fité d'y avoir recours ,& qu'on ne pât
squad
E
406 DE LA VÉRITABL
» que par elle obtenir de Dieu & des
» Saints ce qu'on leur demandent .
» Cette Ordonnance faire , comme on
„ l'a dit , de l'avis des Théologiens &
„ de perſonnes ſages , n’a lieu que pour
préſerver le peuple du péché de l'ido
lâtrie, aumoyen des précautions ſages
» que prendront les Ordinaires pour l'en
préſerver) » .

CHAPITRE XXIV .

Des autres dévorions populaires.

TETŐ
ETÖns un coup d'æil ſur les autres
dévorións , qui font particulières au
peúple : je vois parmilui des chapelets ,
des médailles , des' fcapulaires , des
Agnus Dei , des Confrèries , &c. ( 1 ),

( 1 ) Je n'ai pas traduit ici Muratori , parce


qu'il rapporte pluſieurs -genres de dévotions
qu'on ne connoît point en France.
STANI
DEVOTION .
407
de Di & je ne ſais combien d'autres inventions
de la piété ; je n'ai envie d'en blâmer
aucune , mais je rapporterai à ce ſujet
There un trait que je tiens d'un Gentilhomme
ale qui avoit beaucoup voyagé , & beaucoup
- pero
profité de ſes voyages. Se trouvant en
recall France,il s'arrêta quelques jours à Cam
inale brai pour y voir M. de Fénélon ; ce fa
meux Prélat avoit été prié de ſe charger
. de la converſion de deux jeunes demoi
felles Angloiſes , qui étoient nées
dans l'erreur du Calviniſme ; ce ne fut
pas un travail bien difficile au ſaint
F
Archevêque de leur faire connoître la
vérité de nos dogmes , & les erreurs de
Coins leur ſecte. Un jour qu'il leur avoit ex
eschoses pliqué routes les cérémonies de notre
Religion , il leur demanda ce qu'elles
Se da en penſoient : Monſeigneur , lui ré
pondit l'une des deux , la Religion de
3Calvin me paroít trop nue , & la Ca
2011, tholique trop habillée. Elle vouloit dire
eren
par-là qu'elle voyoit dans la Religion
408 DE LA VÉRITABLE
Romaine tant d'Ordres Religieux, tant
d'inftiruts différens , tant de rits , tant
de cérémonies , qu'elle lui paroiſloit
étouf/ée ſous les ornemens. Leſage Pré
lat ne manqua pas de lui obſerver que de
pareils vêtemens n'avoient par eux-mê
mes aucune indécence, qu'ils ne ſont op
poſés ni aux dogmes de l'Egliſe, ni aux
principes de la piété ; qu'il eſt libre à
chacun de les porter , ſelon qu'il le juge
à propos ; enfin , qu'ils peuvent être
d'une grande reſſource pour la piété ,
quand on s'en ſert avec intelligence
& diſcrétion . D'ailleurs , peut-on dire
combien l'homme eſt partiſan de la
nouveauté ; c'eſt à qui trouvera des
moyens nouveaux d’exciter la piété,
les uns par un véritable amour de la
Religion , d'autres par émulation , &
d'autres enfin par des motifs différens.
Comme on a toujours inventé, & qu'on
invente à chaque inſtant , depuis que
le monde exiſte , il ne fautpas s'éton
ner
DEVOTION.
409
ner que les pratiques anciennes & mo
se le
dernes ſe trouvent en fi grand nom
bre , qu'elles paroiſſoient plutôt acca
bler fous leur poids notre ſainte Reli
ent
gion , que lui ſervir d'ornement. Pa
reille dévotion , ou plutôt pareils fi
20250
gnes de piété , n'étant pas défendus >
étant même approuvés par l'Egliſe,
font non - ſeulement licites , mais même
sont
louables. Si l'Hérétique Jurieu, ainſique
les genasde fa ſecte , s'en mocquent &
e percent les condamnent comme une ſuperſti
VE
tion , qui prend la place de la vraie
piété , aucun d'eux n'a prouvé ni ne
part
prouvera jamais que l'inſtitution en
ſoit mauvaiſe & puiſſe déplaire à Dieu ;
icer bi au contraire , ces pratiques , fagem
20TOTI

mulai
ment réglées , ne ſont qu'un
is die
moyen de plus d'honorer Dieu & fes
Saints,
Certainement l'Egliſe n'a jamais faic
confifter , la vraie dévotion dans ces
‫های کار‬
fignes extérieurs ; mais ils condui
S
410 DE LA VÉRITABLE
ſent ſouvent le peuple à ce qui fait
l'eſſence du Chriſtianiſme , & voilà
pourquoi l'Egliſe les ſouffre & les ap
prouve. Nous ne nierons pas qu'il peut
arriver que des gens ſimples en abuſent;
un homme , par exemple , dans l'ha
bitude du péché , peut croire ſe pré
ſerver des maux temporels , ou ne
jamais mourir dans la diſgrâce de
Dieu , au moyen de quelques prières
récitées dans certains temps ; mais ces
excès n'ont d'autre principe que l'aveu .
glement ou la dépravation de quicon.
que ignore ou ne veut point connoî
tre la doctrine pure de l'Egliſe Ca
tholique ; il eſt certain qu'elle abhor
re & rejette route eſpèce de ſuperſtition,
& que les abus dont je viens de parler ,
ſont ſpécialement condamnés. Je vais
rapporter à ce ſujet ce qu'on lit dans
le Concile Provincial tenu à Cam
brai en 1565. ( Art. 19. ) » ( On doit
enſeigner au peuple ( il faut peſer les

e
RITABI DEVOTION .
411
Dle ci paroles ſuivantes , pour juger ſi l'on
Euniſme, doit ſe ſcandaliſer de ce qu'on dévoile
au peuple les abus & les excès de la
cons pas dévotion ) » que c'eſt l'action la plus
amples utile de prier les Saints pour obtenir
emple, non -ſeulementlesbiens terreſtres,mais
CUT CTOR » encore les ſpirituels. On ne doit pas
mpored prêcher avec moins de ſoin que c'eſt
» ' une vanité & une ſuperſtition très
quelques » condamnables dans ceux qui oſent
temps » promettre qu'une dévotion particulière
Finck » à tel ou tel Saint , tiendra lieu de pé
ation: » nitence ou de Sacrement ; qu'on ne
ut pour
» peut alors manquer de réuſſir dans
dela » toutes les affaires qu'on entreprendra,
inqueks » & que moyennant un certain nombre
edelingerie w de Melles , on tirera infailliblement
viens depe » du Purgatoire un nombre déterminé
amines de d'ames) ». L'ignorance du peuple, ainſi
qu'on les que la mauvaiſe foi , peuvent également
TEN au
faire abuſer des pratiques anciennes
1991 (tó les plus reſpectables, ſoit en promet-,
faiten tant ce qu'on ne peut pas tenir , foit .
Sij
412 DE LA VÉRITABLE
en ne s'arrêtanţ pas au but qu'ont
marqué les pieux Inſtituteurs. Nous
ſavons que les Confrèries féculières fe
font établies fur le niodèle des Collé
giales Eccléfiaftiques ; qui oſeroit avan
cer que ce ne ſoit pas une ſage &
pieuſe coutume que de s'aſſembler les
jours de Fêtes pour chanter , ainſi que
les Eccléſiaſtiques , les louanges de
Dieu , de la ſainte Vierge & des Saints,
ou pour vaquer à tout autre exercice
de piété ? Cependant il exiſte dans ces
înêmes Confrèries , des abus & des
diſſenſions ; - faudra-t-il pour cela les an
néantir ? Non certainement , ce n'eſt
pas dans la Confrèrie même que ſont
les abus'; il ne naiſſent que des dé
fauts particuliers des perſonnes qui la
compoſent. Il en faut dire autant du
Roſaire & de tous les autres genres
de dévotion , où le peuple réuni em.
ploie ſon teinps utilement , en éle
vant ſon cæur à Dieu , en récitant
DÉ V OTION. 413
en commun certaines prières , & en
invoquant la protection de la ſainte
Vierge & des Saints. Pareilles Congré
gations ne ſeront que plus utiles , s'il
ſe trouve quelque Miniſtre inſtruit ,
. qui, dans des ſermons clairs & courts ,
explique les principaux points de la
doctrine chrétienne , & les devoirs qui
conviennent à chaque état. D'autres
->
exercices de piété peuvent encore être
I très-recommandables par eux- mêmes ;
mais ce qui ſeroit à deſirer , c'eſt que
la cupidité n'y entrât jamais pour rien ,
& qu'on n'eût d'autre but , en ' ex
hortant les fidèles, que de rendre les
méchans moins mauvais , & de con
duire les bons à la perfection.
Cette dernière réflexion pourroit pa:
roître tomber ſur les devoirs des fidé.
les envers les défunts , & l'obligation
où l'on eſt de les aider & de prier
pour eux ; je n'ai garde de mettre
cette dévotion au rang des dévotions
Sinj
414 De LA VÉRITABLE
populaires : elle eſt de devoir pour tout
Chrétien ; ce que je dis s'adreſſe à
ceux qui ne ſemblent occupés qu'à
inſpirer au peuple cette eſpèce de
piété. La doctrine de l'Egliſe con
fiſte à croire que les ames des dé
funts , retenues dans le Purgatoire ,
ſont foulagées par les prières des vi
yans , & que le temps de leur exil
peut être abrégé , ainſi que celui de
leurs ſouffrances. Quiconque aime les
ſiens, ne doit jamais les oublier , &
les aider le plus qu'il peut dans l'au
tre vie ; c'eſt un devoir d'autant plus
grand qu'on tient d'eux la vie , l'édu
cation , & tout ce dont on jouit. Pour
quelques-uns c'eſt un acte de juſtice ,
pour d'autres c'en eſt au moins un de
charité , qui conſéquemment ne peut
être que très-agréable à Dieu. Les
faints Pères & le Concile de Tren
te nous font connoître les différentes
manières de ſecourir les défunts
DEVOTION. 415

W
telles que le faint Sacrifice de la Meſſe ,
les prières , les aumônes , & d'autres
auvres de piété faites à leur intention.
L'Egliſe, dès les premiers ſiécles , a
toujours offert le faint Sacrifice pour
les fidèles morts dans la paix du Sei
-
gneur. Les Pères & les ſaintes Ecri
tures nous atteſtent également l'effica
cité des prières & de l'aumône, pour
obtenir de Dieu le repos des fidèles
trépaſſés : voilà tout ce que nous enz
ſeigne la doctrine chrétienne. Les au
tres queſtions ſur le Purgatoire , ſur
l'état des ames dans ce lieu , ſur le
temps de leurs ſouffrances, ſur la ya
leur du Sacrifice , en tant qu'il leur eſt
appliqué , ſont toutes du reſſort de
la Théologie , & les opinions peu
vent varier à ce ſujet , puiſque la ré
vélation ne nous apprend rien de'cer
tain . Quiconque propoſeroit au peuple
de pareilles queſtions, comme des
13
vérités inconteſtables , ne pourroit ja
Siv
416 DE LA VÉRITABLE
mais les prouver : auſſi le Concile de
Trente ordonne- t- il » ( qu'on ne traite
jamais devant le peuple ces queſtions
épineuſes & difficiles , qui ne con
» tribuent en rien à l'édification , &
» encore moinsà la piété des fidèles( 1) ».
Il enjoint enſuite aux Evêques » (dene
jamais permettre , fur une pareille ma
s tière , des diſcours indiſcrets , ou qui
» portent avec eux l'empreinte de la fauf
» fecé ; enfin , il défend tout ce qui
» eſt du reſſort de la curioſité , de la
3)
ſuperſtition ,de la cupidité , comme
» ne pouvant que ſcandaliſer les fidèles , .
Il ſeroit à ſouhaiter que chaque fi
dèle fût par cæur les décrets que je
viens de rapporter , & entrât bien
dans les vues du Concile. N'eſt -on
pas naturellement porté à croire que
ees exhortations , pour ſecourir les dé
funts avec de l'argent , n'ont pour

( 1 ) Concilium trid . Seffione XXV.


DEVOTION. 417
principe que l'intérêt ? Ces peintures
effrayantes qu'on fait des ſupplices du
Purgatoire , ne tendent qu'à remuer
l'imagination , pour pouvoir enſuite
tirer ce qu'on veut de ſon auditoire,
Ce n'eſt pas ainſi que ſe conduiſent
de ſages Religieux , des Prêtres édifians :
ils connoiſſent les propos des Héréti
ques ſur le zèle apparent de ſecourir
les trépaſſés, & ont grand ſoin d'é
carter tout ce qui peut avoir la moin
dre ombre de cupidité. ( Gardez -vous,
3
nous dit l'Apôtre , de ce qui peuč
même avoir l'apparence du mal ( 1 ). Il
avoit dit plus haut : ( Agiſſez de fa
çon que vous ne ſcandaliſiez pas les
étrangers ( 2). Or , li par haſard il arri
voit que ce grand zèle pour les tré
-

( 1 ) Prima ad Theſſal.c. v. 22. Ab omni fpe


cie mała abſtinete .vos.
(2) Ibidici 4. v .'11, ut honefte ambuleris
ad eos qui foris ſunt.
Sv

1
LE
418 DE LA VÉRITAB
paſſés fût plutôt une occaſion de plai
ſir pour les vivans , qu'une ſource de
confolation pour les défunts , ne fe
roit-il pas à defirer qu'on fît à ce ſu
jet une réforme ? Ceci au reſte eft
abandonné à la ſageſſe des Paſteurs ,
& à tous ceux en général qui defi
rent que la doctrine chrétienne ſe cons
ſerve dans toute fa pureté.
Cette méthode de tant infifter ſur
la néceſſité des Meſſes pour les dé
funts , ne peut que chagriner les pau
vres , qui ſe trouvent dans l'impuiſ
fance d'en faire dire , & voyent les
gens aiſés penſer à leur falut, finon
pendant leur vie , au moins à leur mort,
en ordonnant des milliers de Meſſes .
Les gens peu inſtruits s'imaginent que
leurs ames , ainſi que celles de leurs
parens & de leurs amis, ſeront condam
nées à un éternel oubli. Mais le peuple
doit ſavoir pour ſa conſolation , que l’E
gliſe applique toujours unepartie du prix
DEVOTION. 419
ER du S. Sacrifice à toutes les amies de ceux
qui ſont morts ſans péché grave. L'E
gliſe les recommande également, & leur
*
partage les indulgences & les prières. Il
peut arriver que de toutes les Meſles qui
ſe célèbrent journellement, la plus gran
de partie ne ſoit d'aucune utilité à ceux
pour qui elles ſe diſent , ſoit qu'ils
ne puitſent pas être aidés par des priè
res , ſoit qu'ils jouiſſent de la gloire ,
& conſéquemment qu'elles leur foient
inutiles; enſorte que toute la valeur
du Sacrifice retombe ſur ceux qui ont
beſoin de ſecours. On devroit encore
bien inculquer au pauvre peuple que
non - ſeulement les mérites du S. Sacri
fice s'appliquent aux défunts par le
Célébrant; mais que quiconque , ainſi
que je l'ai déjà dit , aſlifte dévotement
à la Melle, étant alors uni au Mi
niſtre de Dieu , peut appliquer lui.
même à ſes parens la valeur du ſaint
Sacrifice ; je dis du faint Sacrifice ,
Svj
420 DE LA VÉRITABLE
parce que pluſieurs Théologiens font
d'avis que la Communion n'eſt d'au
cun fecours aux trépaſſés ; le faint
Sacrement n'étant inſtitué que pour
alimenter & fortifier nos ames , &
non pour ceux qui ne peuvent pas
réellement y participet. Je ne crois
pas cependant qu'il ſoit poflible de
nier que les défunts puiſſent recueillir
le fruit d'une auſſi fainte action . It
faut en effet diſtinguer deux choſes
dans la Communion : le Sacrement
proprement dit , & les diſpoſitions ,
qui rendent l'action méritoire , fanc
tifiante & fatisfactoire . Ce font ces
dernières qualités qui , ainſi que tant
d'autres bonnes æuyres , peuvent êrre
profitables aux trépaſſés , & leur fer
vir de ſoulagement. C'eſt d'ailleurs un
dogme de foi que la Meſſe , en tant
que Sacrifice , eft inſtituée pour les
vivans & les morts. Auſſi tout Chré
tien , après l'élévation , ne doit pas
DEVOTION. 42 .

manquer d'offrir avec confiance au Père


Tout-puiſſant cette céleſte victime, en
le priant au nom de ſon fils bien:
aimé , d'être propice aux fidèles tré
paſſés. Une offrande de cette eſpèce
19
+
ne peut manquer d'être profitable ,
non pas en raiſon de nos prières ,
9 mais par les mérites infinis de l'A ..
gneau ſans tache , qui s'offre fans
celle pour les vivans & les morts à
fon Père céleſte & miſéricordieux .
On devroit enſuite faire ſentir au
peuple la valeur de l'aumône; ft
elle n'a pas autant de prix que le Sa
crifice , l'Ecriture & l'Egliſe nous ap
prennent qu'elle eſt un moyen très
puiſſant pour ſoulager les trépaſſés..
Mais , direz -vous , je ne peux pas faire
l'aumône; eh bien , adreſſez-vous
humblement à notre ſouverain Mais
tre , & votre prière ne peut manquer
d'être accucillie par celui qui nous
allure que nous obtiendrons tout ce
422 DE LA VÉRITABLE
que nous demanderons au nom de
J. C. L'aumône la plus légère du pau
vre pèſe autant dans la balance de
Dieu que l'or du riche. C'eſt l'Evan
gile qui nous en affure ; ainfi les
pauvres ne doivent pas avoir la crainte
déplacée que les ames de leurs parens
reſtent oubliées dans l'autre vie. Dieu
a pourvu à tout ; mais ce qu'on ne
ſauroit trop ſouvent répéter , c'eſt
que Dieu n’abhorre rien tant que la
cupidité dans ſes Miniſtres ; que c'eſt
une choſe infâme que de faire un
trafic de la Religion , & d'employer,
la doctrine & les préceptes de l'Egliſe
à des avantages mondains & tempo
rels. Rien n'eſt plus capable de faire
trembler , que les reproches que fit à
ce ſujet notre Seigneur aux Prêtres de
l'ancienne Loi.
Post
DE VOTION . 423

CHAPITRE X X .
V.

De la dévotion extérieure néceſſaire au


Chrétien .

PERSONNE
ER SONNE n'ignore que la vraie
dévotion eſt intérieure , & réſide dans
le cæur vraiment attaché à Dieu , &
au prochain pour l'amour de lui ;
dans un caur toujours prêt à obéir
à ſes Commandemens , & à n'atten
dre que de lui fon ſecours & ſes mé
rites. Notre devoir cependant ne ſe
réduit pas à cette dévotion interieure ,
& les actes extérieurs doivent prouver
les ſentimens de l'ame. Nous avons
déjà traité ce ſujet ; il ſuffit d'ajou
ter que nous ſommes aſſujettis à ce
devoir , autant pour notre prochaiii
que pour Dieu. Quiconque nous verra
lui manquer de reſpect , ne peut que
ſe ſcandaliſer ou s'autoriſer de notre
424 DE LA VÉRITABLE
exemple pour en faire autant. Et voila
1
pourquoi l'on entend fi ſouvent les
Prédicateurs tonner dans les chaires con
tre le manque de reſpect dans les
Egliſes. Je ne m'arrêterai pas à prou-,
ver combien il eſt révoltant qu'un
Chrétien ſe tienne immodeſteinent
dans les Temples , y paſſe le temps à
cauſer , parler de nouvelles , & trop
fouvent de ſes déſordres; nous ne de
vrions nous y préſenter que dans l'atti
tude de pécheurs qui viennent lup
plier , & nous y paroiſſons avec l'air
diſſipé de gens qui vont à des affem
blées mondaines ou au théâtre. Tout
cela vient de n'être pas pénétrés de la
préſence de Dieu , de ne pas réfléchir
qu'on ne ya dans ſon Temple que
pour lui parler , & que ce même Dieu
exige de nous un redoublement de
ferveur & de reſpect dans toutes les
fonctions de l'Egliſe , & principale
ment dans le Sacrifice de la Meſle.
DEVOTION. 429
C'eſt un ſcandale révoltant que de
voir des Chrétiens dans des procef
lions , où ils ſont ſous les yeux & en
la préſence de leur Maître , ne pas
y paroître dans le ſilence & le ref
pect le plus profond ; ils ſemblent
n'y aſſiſter que pour promener leurs
regards de tous côtés , ſe faire voir
& être vus ; enfin , ne ſe mettre à
la ſuite de J. C. que pour l'inſulter ,
& braver le châtiment de leur im
piété. Quel ſpectacle au contraire plus
touchant que celui qu'offrent ces Chré
tiens , qui , le corps & le cæur dans
l'humiliation , prouvent les ſentimens
de leur ame par la modeſtie de leur
extérieur , & ſemblent voir des yeux
du corps tout ce que la foi leur
ordonne de croire .
C'eſt un devoir particulier pour les
Eccléſiaſtiques, de faire connoître à
l'extérieur les ſentimens de Religion
qui les animent. Ce n'eſt pas l'habit
426 DE LA VÉRITABLE
ſeul qui devroit les diſtinguer des ſécu
liers , mais une ſageſſe habituelle , & 1

une retenue conſtante dans le parler ,


dans la démarche & dans tout l'ex
térieur. Ce ſont eux principalement
qui doivent montrer dans les fonctions
eccléſiaſtiques à quel point ils ſont
pénétrés de leur ſainteté ; c'eſt ſur eux 1

que ſont fixés tous les regards. Si l'on ne


remarque en eux que de la diſipas
tion ou de l'irrévérence , il en réſulte
ra néceſſairement le plus grand des
ſcandales , & preſque toujours le mé
pris des ſaints Myſtères , ou aumoins
celui des Miniſtres. Si dans les pro
ceflions , dans les enterremens , on les
>

voit rire , parler , & jamais avec l'at


tention convenable à quiconque chan
te les louanges du Seigneur , ne doit
on pas alors penſer qu'ils n'ont en
d'autre vocation que leur cupidité , &
que l'amour de dieu & du prochain
n'eſt entré pour rien dans le choix de
DEVOTION. 427

leur état. Aulli quel compte terrible


rendront à Dieu ces Prêtres ſcanda
leux , qui diſent la Meſſe avec tant
de précipitation ? Ils ſont inexcuſables
s'ils ignorent que la fonction dont
ils s'acquittent eſt au - deſſus de celles
des Anges & des Saints ; mais à quel
châtiment affreux ne doivent-ils pas
s'attendre , ſi, le ſachant , ils paroiſſent
devant Dieu pour oublier la préſence ,
ou braver ſon infinie majeſté ? Quel
eſt l'homme aſſez téméraire, aſſez for
cené qui , venant demander une grâce
à un Monarque , paroîtroit devant
lui avec une impatience marquée de
ſe retirer , lui feroit quelques génu
flexions avec l'étourderie d'un danſeur ,
& ne lui diroit à la hâte que des pa
roles coupées , qu'il ſeroit impoflible
il d'entendre? Une des plus importantes
obligations des Paſteurs , ſeroit d'éloi
gner de l'Autel quiconque , engagé par
état à honorer Dieu , ne fait au con
428 DE LA VÉRITABLE
traire que ſeandaliſer le peuple , &
l'autoriſer par ſom exemple à manquer
de reſpect aux choſes les plus facrées
& les plus ſaintes.
Si d'une part on voit pluſieurs per
ſonnes dont l'extérieur eſt très-blama
ble, il peut arriver qu'il en exiſte
d'autres qui ne ſe ſervent d'une ap.
parence de dévotion que pour couvrir
leur hypocriſie.Ce ſont ceux qui étoient
fi communs du temps de J.C. & qu'il
nous dépeint dans ſon Evangile ſous
l'emblême de loups couverts de la peau
de brebis. Je ne doute point que le
nombre n'en ſoit encore fort grand
aujourd'hui, & je laiſſe à d'autres le
ſoin de les faire connoître ; tout ce
que je dirai , c'eſt que ce vice eſt le
plus infâme de tous , au -deſſus mille
fois de celui des pécheurs publics ,
puiſqu'au moins ceux-ci ne trompent
ni Dieu ni les hommes , au lieu que
les derniers ne pouvant ſe moquer
DEVOTION. 429

de Dieu , ne penſent qu'à cro'mper &


ſéduire quiconque ne fait pas fe pré
ſerver de leurs artifices. Il eſt encore
une autre eſpèce de dévotion extérieu
re >
dont le principe , à la vérité , n'eſt
pas condamnable , mais qui le devient
par ſes effets"; telle eſt celle de ces
perſonnes qu'on ne voit jamais dans
24 l'Egliſe qu'avec un col penché,
qui ne peuvent parler à Dieu fans fe
frapper la poitrine ou faire mille gri
maces ridicules ; ce ne ſont pas de pa.
reilles finagrées qu'exigent de nous
Dieu ou le public, mais un air modeſte
& recueilli , des yeux baiſſés ou tour
nés vers l'Autel , une attention ſuivie
à la célébration des SS. Myſtères , &
ſur tout d'y alliſter à genoux autant que
l'onpeut. Enfin , toue ce qui , dans la
dévotion , porte une empreinte de fin
gularité , eſt une choſe blâmnable , &
qu'il faut rejerer.
Ç’eſt, à ce que je crois , des Efpa.
430 DE LA VÉRITABLE
gnols que nous eſt venu l'uſage de
porter en main le Roſaire ou Chape
let ; peut-être étoit-ce dans le prin
cipe une marque pour diſtinguer les
Catholiques des Juifs ou des Héréti
ques ; mais en Italie il n'eſt point de
ces derniers, & c'eſt aux Juifs & non
pas aux Chrétiens à porter à l'exté
rieur un ſigne qui les faſſe connoître.
Prérendroit-on par-là nous faire croire
qu'on à voulu nous apprendre à per
dre le moins de temps poſſible , en nous
faiſant marmoter en chemin des Pa
L
ter & des Aye ? Mais notre Seigneur
lui-même nous'a ordonné d'entrer dans
ſon Temple , ou de nous retirer dans
l'endroit le plus écarté de notre mai
ſon lorſque nous voulons prier ; une
dévotion inentale & des mouvemens
du cæur vers Dieu , valent mieux que
tout ces ſignes extérieurs , qui ne ſont
la plupart qu'une écorce vaine de
piété.
DEVOTION . 431
Je ne peux qu’approuver la Police
d'une de nos villes d'Italie , où les
femmes ne paroiſſent jamais que voi
lées dans les Egliſes. Je ſais qu'il ré
ſulteroic beaucoup d'inconvéniens qu'el
les marchaffent ainſi dans les rues ; leurs
démarches alors ſeroient ignorées , &
les libertins pourroient tirer parti de
Wh
pareils déguiſemens; mais dans les
Egliſes où l'on ne ſe rend ni pour voir
ni pour être vu , où Dieu eſt le ſeul

objet qui doit nous fixer , ne ſeroit


Pa
il pas à deſirer que le voile devint un
uſage général pour les femmes ? Dans
-dan quelque pays les jeunes demoiſelles ne
paroiſſent jamais que le viſage caché
mai par une coëffe ou un voile ; comme
elles ſont toujours accompagnées par
leur mère ou ſuivies par une gouver .
mer
nante , cette précaution devient alors
10
le rempart le plus ſûr de leur model
e foi
tie. N'eſt-ce pas là ce que conſeilloit
ou plutôt ce que nous commandoit
432 DE LA VERITABLE

l'Apôtre , lorſqu'il vouloit que toutes


les femmes priaſſent dans l'Egliſe avec
Cor. c . II . la tête couverte. Nous tenons des ſaints
f. Io . Pères que c'étoit anciennement une
coutume générale. L'uſage contraire a
prévalu depuis , mais les mêmes prin
cipes d'honnêteté & de pudeur qui
l'avoient établi , ſubſiſtent toujours. Au
trefois , dans les Egliſes, les hommes
étoient toujours féparés des femmes.
S. Charles Boromée , qui eſt au -deſſus
de tous les éloges , a retabli cet uſa
ge dans l'Egliſe de Milan , & fon
exemple a été ſuivi par le Cardinal
Thomaſi,& quelques autresEvêquesdans
leurs diocèſes; mais quel en a été le
fruit? Peu à peu la règle a été ſecouée ,
& notre corruption eſt telle , que cette
coutume n'a plus lieu que dans quel.
ques campagnes. Je dois dire encore
un mot ſur l'uſage aſſez connu en
Italie , de s'engager par veu ou par dé
votion de porter l'habit d'un Ordre
Religieux ;
DÉVOTION .
433
Religieux ; je n'oferois pas ouvertes
ment le condamner , mais je ferois
bien tenté de la placer dans la claſſe
des dévotions ſuperficielles; que ſert
il en effet de reſſembler aux Saints
par leur habit , fi notre conduite ne
rappelle pas leurs vertus ?

CONCLUSION
.

DE L'OUVRA G E.
CHAPITRE XXV I.

hi de
ONN peut conclure de tout ce que
nous avons dit,que l'eſſence de la Reli
10 gion dans tout Chrétien , conſiſte prin
cipalement dans l'amour de Dieu & du
2

prochain ; cet amour doit ſe prouver par


73 13 les faits & non par les paroles, c'eſt-à
EINO dire , nous déterminer à fuir le mal qui
NANO déplaît à Dieu , pour ne nous attacher
parc qu'au bien qu'il nous conſeille & nous
0 ordonne, Nous avons détaillé tous les
UEUX, T
434 DE LA VÉRITABLE
moyens néceſſairespour parvenir à ce
but ; nous avons en même-temps fait
connoître cette dévotion fuperficielle ,
qui, n'ayant que l'écorce de la piété ,ne
profite pas de la loi de Dieu pour nous
corriger de nos vices , & ne s'attache
qu'à regler l'extérieur. A quoi ſervent
en effet des habits pauvres & négligés ,
l'air de retenue & de mortification , la
ſcience même de la Théologie & des
choſes ſpirituelles ; ce ne ſont là que
des ſignes douteux & équivoques de
dévotion . Il faudroit pouvoir ſonder les
caurs >
& l'on verroit ſouvent au lieu
de l'humilité ,qui eſt la baſe de toutes
les vertus , la préſomption & l'orgueil
être le principe de nos actions. Tant
que l'amour de Dieu & du prochain ne
régnera pas dans nos cœurs , nous au
rons beau prier , jeûner , vivre dans la
mortification , nous ne ſerons que des
çimbales retentiſantes qui rendront un
vain bruit. Un pauvre payſan qui , après

1
DE VOTION . 435
avoir entendu la Meſſe le matin , s'a !

bandonne à Dieu , & emploie avec


rélignation toute la journée à travail
ler pour vivre ; s'il eſt doux dans ſon
intérieur, humble envers tous , retenu
dans ſes propos , ennemi de la fraude;
s'il évite lesoccaſions du péché , s'iiem
ploie ſon temps à prier Dieu les jours
de Fêtes & de Dimanche ; ce payſan ,
dis -je, en fait plus que les Théologiens
les plus fameux , dont les maurs ne
répondent pas aux lumières. Jetons les
yeux encoreſur cette femme, qui , ja
louſe de conſerver ſa pureté , non-ſeu
lement ne recherche pas , mais fuit
avec foin tous les ſpectacles mondains;
qui ſupporte avec patience les humeurs
d'un mari débauché, ou d'une belle
mère acariâtre. Uniquement occupée
1
du ſoin de ſa maiſon & de l'éduca
tion de ſes enfans, elle trouve avec pei
!!
ne le temps de ſe rendre les jours de
Fêtes l'Egliſe, pour y participer au ban
Tij
436 DE LA VÉRITABLE
quet céleſte; elle gémit le reſte de la
journée de ne pouvoir conſacrer à des
@uvres de piéré, un temps que les autres
n'emploient qu'en plaiſirs ou diſſipa
tions. Un pareille femme a fait plus de
progrès dans la dévotion & la piété, que
tant de perſonnes qui, menant par étac
une vie auſtère & jamais mortifiée ,
prouvent par leur conduite diſſipée,com
bien elles ſont attachées à un monde au.
quel elles ont renoncé. Ne nous arrêtons
donc point à l'extérieur pour être fürs
de la vraie & ſolide piété. Elle habite
le cour de ces Chrétiens , qui, mar
chant en préſence de Dieu avec ſincérité
& ſimplicité , béniſſent l'état où la Pro
vidence les a placés , enchaînent leur '
volonté pour ne faire que ce que Dieu
exige d'eux , & s'éloignent avec horreur
de tout ce que réprouve leur divin Maî
tre. Il ne faut pas s'imaginer que les
perſonnes les plus religieufes ſoient cel
DÉ VOTION. 437

les qui , maîtreſſes de leur temps , fré


quentent le plus ſouvent les Egliſes , &
diſent le plus de prières ; fi leur caur
eſt partagé entre Dieu & le monde , fi
en nourriſſant dans leur ame des haines
ſecrertes , des ſemences d'orgueil, ou
d'autres paſions condamnables , elles
veulent à la fois ſervir deux inaîtres
auli oppoſés, leur piété n'eſt qu'un
maſque faux & trompeur, qui n'offre
aucun trait du Chrétien.
Ne nous flatrons pas ; notre grande
étude doit être d'acquérir cette ſolide
& vraie dévotion , dont nous voyons le
tableau dans les ſaintes Ecritures ; c'eſt
celle que nous ont prêchée les Pères de
l'Egliſe , & qu'ont pratiquée les Saints
de tous les ſiécles. Nous voyons s'éta
blir journellement des dévotions nou
velles, c'eſt- à- dire, de nouveaux moyens
d'exercer notre piété,(plût à Dieu qu'elles
fuſſent toutes propres à nous faire ac
quérir celle dont nous avons parlé !
T iij
438 DE LA VÉRITABLE
malheureuſement c'eſt ce qui n'eſt pas.)
Dès qu'elles n'ont pour but que les biens
ou les avantages du ſiécle, dès qu'elles
ne tendent qu'à nous délivrer des maux
& des chagrins dont eſt ſemée la vie :
peuvent -elles alors mériter le nom de
dévotion ? Tant qu'elles ne produiront
pas en nous l'amour de Dieu & du
prochain , & qu'elles ne ſeront pas un
frein pour nos paffions, ce ne font que
des dévotions imaginaires & fans réa
lité. Telle eſt la pierre de touche pour
connoître toutes les dévotions anciennes
ou modernes. En vérité nous fommes
dans une erreur bien groſſière , & nous
devons nous attendre à être cruellement
détrompés à l'inſtant de la mort , ſi ,
au lieu de prendre la vie de J.C. crucifié
pour modèle de la nôtre , nous penſons
être juſtifiés en marmotant des prières ,
en portant des ſcapulaires & des reli
er
ques , ou en nous faiſant enterr dans
l'habit d'un Pénitent,lorſque nous aurons
DEVOTION . 439
paſſé toute notre vie dans le déſordre; ce
ne ſont pas , nous le répétons , les ha
bits de la vertu qui nous fauveront, mais
les cuvres qu'elle nous aura fait pro
+ duire.
Il eſt encore des dévotions qui, quoi
que bonnes en elles-mêmes, peuvent de
venir blâmables & ſuperſtitieuſes, par
l'abus qu'en fait l'ignorance & la malice.
La folie & la méchanceté des hommes
a ſouvent corrompu les inſtitutions les
plus ſages & les plus ſaintes ; ne
s'eſt - on pas fervi des Sacremens
mêmes pour autoriſer des crimes ou des
ſuperſtitions? Ce que doit faire alors
un Chrétien prudent , eſt d'examiner
avec attention ſi c'eſt l'Egliſe elle
même qui a établi pareille dévotion , &
ſi au contraire la malice & l'ignorance
n'auroit pas mêlé l'ivraie avec le bon
+
grain. Lorſque les dévotions ne ſont pas
autoriſées par l'Egliſe, mais établies
ſeulement par des perſonnes
pieuſes &
Tiv
440 DE LA VÉRITABL !
fans miſſion , on eſt alors en droit de
doucer de leur bonté, & conſéquem
ment de ne lespas ſuivre , parce qu'el
les n'ont pas le ſceau de celui que Dieu
a établi ſur terre pour veiller à la fois
ſur la Religion & nosconſciences. Ecou
tons S. Auguſtin : » Je ne puis approu
».ver , dit-il, certaines choſes oppoſées
» aux uſages de l'Egliſe , & qu'on nous
w exhorte à ſuivre, comme s'il s'agiſſoit
>>
de quelque Sacrement;ſije n'oſe pasou
» vertement les condamner , ce n'eſt que
w dans la crainte de ſcandaliſer des per
» ſonnes foibles , ou de fâcher celles qui
» ſont aiſées à irriter Il n'eſt pas
rare de trouver de nos jours de ces
caractères , qui s'inquiétent aiſément
lorſqu'on veut leur prouver les excès &
les abus qui ſe ſont gliſſés dans la Re
ligion ; comme ſi le plus grand de nos
intérêts n'étoit pas de la dégager de tout
ce qui peut en ternir la pureté. Le S.
Docteur continue : « Je ſens un vérita
DÍVOTION. 441

» ble chagrin quand je vois le peu de ſoin


» qu'ont quelques Chrétiens d'obſerver
» les préceptęs ſalutaires que les livres
» facrés nous recommandent ; les eſprits
» ſont tellement aveuglés par des idées
* » fauſſes ou des préjugés,qu'on ſera plus
„ fortement ſcandaliſé de voir une per

» ſonne manquer à une pratique ſouvent
indifférente , que d'en voir une autre
» plongée dans l'ivrognerie " .

3 Ce qui n'eſt pas moins rare encore ,


eft de yoir des Chrétiens attacher
plus d'importance à une dévotion de
choix , qu'aux devoirs importans que
Dieu & l'Egliſe nous impoſent; on jeû
nera plutôt . la veille de la Fête d'un
-3 Saint qu'on aura choiſi , que pendant le
Carême, ou les autres jours d'obligation.
VA
» Toutes ces inventions de la piété(con
M „ tinue le même Saint ) que nous nete
» nons ni des ſaintes Ecritures , ni des
I Conciles, ni des Evêques , qui ne ſont
point adoptées par l'Egliſe univerſelle,
Ty
1
1

442 DE LA VÉRITABLE
» mais particulières à certains lieux, fans
» qu'on puiſſe découvrir le motifdeleur
» inſtitution ; je penſe qu'on ne doit pas
„ héſiter de les abolir. Quoiqu'on ne
puiſſe pas prouver qu'elles ſoient con
» Traires à la foi , elles ſurchargent une
Religion que Dieu , dans ſa mi
ſéricorde , a établie fimple & pure ,
» en ordonnant peu de pratiques , mais
» claires & néceſſaires. Notre Religion
» eſt étouffée ſous le poids de tant d'obli
s>
gations, que la condition des Juifs ſe
» roit plus ſupportable; en effet,quoique
» ils ne connuſſent ni le temps de la grâce
ni de la liberté, au moins n'étoient-ils
» tenus que des préceptes & des obſer
» vances de la loi, fans être aſſervis par
» des imaginations oudes inventions hu
o maines » .
Ces paroles du S. Evêque font très
remarquables, & nous ne devons plus
être ſurpris que , depuis tant de fiécles
que la Religion de J. C. eſt établie , il

1
DE VOTION. 443
.

1 ſe ſoit introduit parmi nous quelques


1

dévotions indifférentes , ou même ſu


perſtitieufes, quand le même abus avoit
déjà lieu il y a 1300 ans. Si S. Auguf
cin en deſiroit la ſuppreſlion , quoi
qu'elles ne fuſſent pas contraires à la
foi , que doit-on penſer de celles qui
ne doivent leur naiſſance qu'à la cupidi
té , au menſonge ou à l'intérêt ? L’E
gliſe n'a jamais manqué de remédier
à de pareils déſordres , quand on les
lui a denoncés. On en trouve la preuve
dans les Conciles & les décrets des Sou
verains Pontifes , qui depuis environ
100 ans ont proſcrit & défendu plu
ſieurs dévotions de ce genre, qui avoient
dégénéré en abus. Il s'étoit établi au
trefois une Confrérie ſous le nom
d'Eſclaves de la ſainte Mèrede Dieu ;
cette dévotion devint abuſive & inju
fieuſe à Dieu mêmé. Elle fut abolie
par ordre de Clément X , le s Juin
1673. On avoit , par un trafic abomi
T vj
444 DE LA VÉRITABLE
nable ,vendu on fallifié des Indulgences ;
le Pape Innocent XI les fit examiner ;
& en ayant trouvé une grande quantité
de fauſſes ou inſuffiſantes, il les an
nulla toutes. En Mars 1768 , le ineme
Pape , & depuis, Benoît XIV , ont tous
deux condamné un office en l'honneur
de l'Immaculée Conception ; dans le
fonds , à quoi peuvent ſervir de pareil
les dévotions , ſi elles ne ſontque ſuper
ficielles ou fuperflues ? Si au contraire
elles ſontoppoſées aux préceptes & à l'en 1

ſeignement de l'Egliſe , elles doivent


s'attendre aux anathêmes, dont pluſieurs
rits , quoique très-anciens , ont été déjà
frappés par les Souverains Pontifes.
Enfin , S. Auguſtin conclut ainſi ſon
raiſonnement : » L'Egliſe de Dieu , au
» milieu de la paille & de l'ivraie, ſup
porte beaucoup de choſes.Quant à celles
quifontoppol'esà la foi & à la morale,
» l'homme de bien ne les approuve , ni
w ne les cait , ni ne les fait ». Nous ſom
DÉVOTION. 445

mes encore aujourd'hui temoins de ce


qui avoit lieu du temps du S. Docteur,,
On voit pluſieurs abus , quelques opi
nions fauſſes & condamnables , & qui
ne ſubliſtent que par ce qu'elles n'ont
pas encore été ſoumiſes au jugement
de celui qui gouverne l'Egliſe de Dieu;
l'Egliſe elle -même ſe tait ſur de pa
reils déſordres , parce qu'elle ne les
connoic pas. Mais quand il s'agit de
l'honneur de la Religion & du bien des
fidèles, les particuliers inftruits ont ,
ſelon Saint Auguſtin , le droit de les
lui dénoncer. S'il n'eſt point d'inſtitu
&없
tion fi parfaite qui ne puiſſe ſe cor
rompre avec le temps , les enneinis
de l'Egliſe ſont-ils fondés à luireprocher
des abus , dont les Catholiques inſtruits
gémiſſent? Les Proteſtans, dans leur
fecte , en ſont-ils exempts ? Eux-mêmes
n'ont pas craint de me l'avouer. Ainſi ,
quiconque voit avec peine qu'on veut
effacer de pareilles taches , n'eſt à coup
446 DE LA VÉRITABLE
ſûr ni bon Théologien , ni véritable
ment attaché à la religion ; on ſeroit
inême fondé à le croire partiſan inté
relle de pareilles opinions , puiſqu'en ne
permettant pas de les dénoncer , il eſt
cenſé les approuver, & deſirer qu'elles
ſubliftent. Les Miniſtres de Dieu ne
font pas moins faits pour indiquer
les erreurs & ë devoiler la ſuperſtition ,
que pour expliquer au peuple ce qui
concerne le dogine & la morale. Avec
toutes ces menues pratiques, on ou
blie les grands devoirs pour ne s'at
tacher qu'à l'écorce vaine & frivole
de la piété. L'Egliſe de Dieu porte
ſur la baſe de la vérité , & n'a
beſoin pour ſupports ni de miracles
douteux , ni de fauſſes légendes. Elle
ne craint pas qu'on découvre les dé
fordres qui exiſtent dans ſon ſein ; ils
ne ſont pas les liens , mais le fruit
de la fourberie, de l'intérêt , de l'i
gnorance ou de la fimplicité. Cono 3
DE VOTION. 447
11
cluons de tout ce que nous avons
dit , que nous ſommes ſûrs de ne nous
jamais tromper en pratiquant la piété
que nous recommandent à la fois l'E
glife & l'Evangile. Les autres eſpèces
de dévotion ont beau être légitimes ,
elles ne peuvent jamais être que fu
perficielles , ſi elles n'augmentent pas
en nous l'ainour de Dieu & du pro
chain. S'il en exiſte après cela quel
ques-unes , que non -ſeulement l'Egliſe
n'ait pas approuvées, mais qu'elle ait ou
tacitement ou nommément réprouvées,
il faut les abhorrer & les dévoiler ' ou
yertement pour l'intérêt des fidèles &
.
la gloire de la Religion.
FIN
5

5
448

T: A B L E
en ce
Des Chapitres contenus
Liyre.

CHAPITRE I. De la dévotion que


Dieu exige de nous, pour que nous
foyons de vrais Chrétiens pag . 1
CHAPITRE II , De la dévotion en
vers Dicu , is
CHAPITRE III . De la dévotion
envers N. S.J. C. 32
CHAPITRE IV . De la dévotion
envers l'Eſprit- Saint , 46
CHAPITREV. Première condition
de la dévotion : elle conſiſte dans
les bonnes euvres , SS
CHAPITRE VI. Que la pratique
des vertus theologales eſt la baſe
di Connes cuvres ,
des 68
CHAPITRE VII. De la Foi, 75
TABLE. 449

CHAPITRE VIII. De ľEſpéran


ce , 92
CHAPITRE IX . De la charité ,
ou de l'amour de Dieu & du
prochain , 116
CHAPITRE X. De la prière , 131
CHAPITRE XI. De l'adoration
& de la reconnoiſſance qu'on doit
à Dieu , & des autres alimens
de la vraie piété , ISI
CHAPITRE XII. De la mortifi
cation & de l'humilité , 173
CHAPITRE XIII. Du Sacrement
de la Pénitence , de ſa nécellité ,
de ſon utilité , & de la patience , 187
1
CHAPITRE XIV . De la Sainte
Melle , 204
CHAPITRE XV . Du prix de la
Sainte Meſe , 216
CHAPITRE XVI. Quelle part a
le peuple à la Sainte Melle quand
il y alliſte , 228
CHAPITRE XVII. Commencement
450 TABLE .
ou Introït de la Melle juſqu'au
Canon , 283
CHAPITRE XVIII. Continuation
de la Mele juſqu'à la fin , 264
CHAPITRE XIX. Du fruit qu'on
doit retirer de la Meſle & de la
Communion , 285
CHAPITRE XX . De la déyotion
.

envers les Saints , 301


CHA PIT RE XXI. Des Fête s , &
de la dévotion qu'elles exigent , 33
CHAPITRE XXII. De la dévotion
envers les Reliques & les Images
des Saints , 385.
CHAPITRE XXIV. Des autres
dévotions populaires , 406
CHAPITRE XXV. De la dévotion
extérieure néceſſaire au Chrétien , 423
CHAPITRE XXVI & dernier.Con
cluſion de l'ouvrage 433

Fin de la Table.
A P P R O BA TI ON .
AI lu par ordre de Monſeigneur le
Garde des Sceaux un livre intitulé : De
la Véritable Dévotion ; je n'y ai rien
trouvé qui puiſſe en empêcher l'impreſ.
fion. A Montmorenci , ce 13 Janvier
1777 .
BRUTÉ , Cenſeur Royal.
PRIVILEGE DU ROI.
Louis, PAR LA GRACE DE DIEU , ROI DE FRANCE
ET DE NAVARRE : A nos amés & féaux Conſeillers ,
les Gens tenant nos Cours de Parlement , Maîtres des
Requêtes ordinaires de notre Hôtel , Grand -Conſeil,
· Pérvôt de Paris, Baillifs , Sénéchaux , leurs Lieutenans
Civils , & autres nos Juſticiers qu'il appartiendra :
SALUT : Notre amé le sieur G * * * Nous a fait
cxpofer qu'il deGreroit faire imprimer & donner au
Public un Ouvrage intitulé: De la véritable Dévorion ,
traduit de l'Italien de Muratori ; s'il nous plaiſoit
lui accorder nos Lettres de Privilège pour ce néceſ.
faires. A ces CAUSES , voulant favorablement trai
ter PExpoſant , Nous lui avons permis & permettons,
par ces Préſentes , de faire imprimer ledit Ouvrage
autant de fois que bon lui ſemblera , & de le vendre,
faire vendre.& débiter par tout notre Royaume ,
pendant le tems de fix années conſécutives, à compter
du jour de la date des Préſences. Faiſons défenſes &
tous Imprimeurs , Libraires, & autres perſonnes , de
quelque qualité & condition qu'elles ſoient, d'en
introduire d'impreſſion étrangère dans aucun lieu de
potre obéiſſance. Comme auſſi d'imprimer ou faire
imprimer , vendre , faire vendre, débiter ni contre.
faire ledit Ouvrage , ni d'en faire aucuns extraits ,
fous quelque prétexte que ce puiſſe être , ſans la per
million expreſſe & par écrit dudit Expoſant, ou de
ceux qui auront droit de lui , à peine de confiſcation
des Exemplaires contrefaits , de trois mille livres
d'amende contre chacun des contrevenans , donc un
tiers à Nous , un tiers à l'Hôtel- Dieu de Paris ,
& l'autre ciers audit Expoſant, ou à celui qui aura
droit de lui , & de tous dépens , dommages & intérêts,
àla charge que ces Préſentes ſeront enregiſtrées rout
au long ſur le Regiſtre de la Communauté des Impri
meurs & Libraires de Paris , dans trois mois de la
date d'icelles; que l'impreſion dadit Ouvrage ſera
faite dans notre Royaume, & non ailleurs , en beau
papier & beaux caractères , conformément aux Ré
glemens de la Librairie , & notamment à celui du
10 Avril 1725 , à peine de déchéance du préſene
Privilége; qu'avant de l'expoſer en vente , le Ma
nuſcrit qui aura ſervi de copie à l'impreſſion dudis
Ouvrage , ſera remis dans le même état où l’Appro .
bation y aura été donnée , ès-mains de notre très-cher
& féal Chevalier , Garde-des-Sceaux de France , le
Sieur HUE DE MIROMENIL ; qu'il en fera enſuite
remis deux Exemplaires dans notre Bibliothèque pu
blique , un dans celle de notre Château du Louvre ,
un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier
Chancelier de France le sieur d& MAUPBOU , & up
dans celle dudit Sieur HEU DI MIROMENIL , le tou á
peine de nullité des Préſentes ; du contenu deſquelles
vous mandons & enjoignons de faire jouir le lit Ex
poſant & ſes ayans cauſes , pleinement & paiſible
ment , ſans ſouffrir qu'il leur ſoit faic aucun trouble
ou empêchement. Voulons que la copie des Préſentes,
qui ſera imprimée tout au long , au commencement
ou à la fin dudit Ouvrage , ſoit tenue pour duemenc
fignifiée , & qu'aux copies collationnées par l'un de
nos amés & féaux Conſeillers Secrétaires , foi ſoit
ajoutée comme à l'original. Commandons au pre
mier notre Huiſier ou Sergent ſur ce requis , de faire
pour l'exécution d'icelles tous a &tes requis & néceſſai
$
res , ſans demander autre permiflion , & nonobſtant
clameur de haro , Charte Normande , & Lettres à
ce contraires : CAR tel eſt notre plaiſir. Donné à
Paris le vingt-ſixième jour du mois de Mars , l'an de
grace mil ſeprcent ſoixante-dix-ſept, & de notre règne
le troiſième. Par le Roi eu ſon Conſeil.

L'E B E G U E.
Je transporte & cède à perpécuité le préſent Privilège
au Sieur Louis- PIERRE BRADEL, Libraire à
Paris , pour en jouir ſuivantles conventions faites en
sre nous. A Paris , ce vingt-ſept Mars mil ſept cent
ſoixante -dix -ſept.
G ***
3
Regiſtré le préſent Privilège , & enſemble la Ceſſion ,
1 Sir le Regiſtre XXde la ChambreRoyale & Syndicale
des Libraires & Imprimeurs de Paris , N° 914 fol.
386, conformément au Réglement de 1722 , qui fait dé
jenſes, art. 4 , à toutes perſonnes de quelque qualité &
condition qu'elles ſoient , autres queles Libraires & Im
primeurs , de vendre, debiter, faire afficher aucuns Li
vres pour les vendreen leurs noms ,ſoitqu'ils s'en diſent
les Auteurs ou autrement , & d la charge de fournir á
lá suſdire Chambre huit Exemplaires, preſcrits par l'art.
108 du mêmeRéglement. A Paris , ce 26 Mars 17776
LAMBERT , Adjoint.
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chez BRADEL , Libraire à Paris,
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in - 12, rel. sli
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Figures de la Bible , miſes en vers François
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in - 12 . 22 l. 101.
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morales , de la diverſité du Génie, des Mæurs
& du gouvernement des Nations, par M.
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Commentaires ſur ia Coutume du Bailliage
& Comté d'Auxerre , par M. de la Rochelle ,
Avocat au Parlement , in - 4 ', rel. .
Dictionnaire Philoſophico - Théologique
portatif , in - 8 °. rel. .
Guide du Fermier , ou Inſtructions pour
élever , nourrir , acheter & vendre les bêtes à
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& les cochons , in - 12. rel. 3 l.
Guide de la Correſpondance , contenant
l'ordre général du départ & de l'arrivée des
Couriers des poſtes dans toutes les principales
villes de France & des pays étrangers , par
M. Guyot. vol. in-4. de 74 planches gravées
en taille- douce , rel . ISI .
Hiſtoire des Guerres Civiles de d'Avila ,
- 3 vol. in - 4 °. rel. 361.
Géographie Sacrée , à l'uſage des jeunes
gens , in - 12 . rel . il. 41.
Abrégé de la Géographie , à l'uſage des
jeones perſonnes, extrait de la Géographie
Moderne , in - 12. rel. 21 .
Hiſtoire de la Révolution de Siam , 2 vol.
in - 12. rel. 61 .
Hiſtoire Naturelle de l'Homme , conſidéré
dans l'état de maladie , 2 vol. in - 8°. rel. 81,
Hiſtoire de la Religion , par M. Mallemans ,
Prêtre , Chanoine de l'Egliſe Royale de Sainte
Opportune , 6 vol . in . 12. rel. 181 .
Hiſtoire du Droit Canon , par M. Durand
de Maillane , Avocat au Parlement d'Aix ,
10 vol. in - 12 , rel. 201.
Hiſtoire Militaire des Suiſſes , s vol. in - 12 .
rel. 12 l. 10
Hiſtoire Civile, Eccléſiaſtique & Littéraire
de Montdidier , in - 12 . rel. 2 l. 10 f.
Journal de Louis XIV , depuis 1684 juſqu'à
1715: avec des notesintéreſſantes, in-8 °r. 3 1.
Traité des Lélions de la tête par contre
.

coup , avec des conſéquences pratiques, par


M. Dupré de l'Ile , Docteur en Médecine,
in- 12 . rel. 21.
L'Homme confondu par lui-même , in - 12.
Tel. il. 10 f.
Laboratoire de Flore , ou Chimie champêtre
végérale , in - 12 , rel. 2 1.
Théorie nouvelle ſur les Maladics Can
céreures , nerveuſes , & autres affections du
même genre , avec des obſervations pratiques
ſur les effets de leurs remèdes appropriés , par
M. Gamer , 2 vol. in - 8 °. rel. 6 1,
Traité des Maladies de la Poitrine , congues
ſous le nom de Phtiſie Pulmonaire, par M.Dupré
de l'Ine , Docteur en Médecine , in- 12. rel. 2 1.
Magaſin des Jeunes Dames , 4 vol. petit
in - 12, rel. 101.
Manuel des Artiſtes , 4 gros v . in - 12, 5, 141 .
Manuel de Médecine Bourgeoiſe & Pra
tique , par M. Buc'hoz , petit-in - 8 °, rel. 41.
Manuel Médical & Uſuel des Plantes , 2
vol. in- 12 . rel . 2 1. 10 f,
Mavuel des Paſteurs , 3 v. in - 12. r. 7. 1. 1ol.
MédecinePrimitive , ix- 12. rel. 21.
@uvres de Monteſquieu , 7 vol. in -12.
tel. 17 1. lol.
Principes de l'Ortographe, in - 8 ° .1. 21. 102.
Poélies tirées de l'Ecriture - Sainte, par M. de
Reyrac , in - 8 °. rel. 2 1. 10 f.
Pamela , ou la Vertu récompenſée , 4 vol.
in - 12 . rel. 81.
Peoſées de Paſcal, en Italien , 2 vol. in - 12.
rel. 61,
Topographie de l'Univers , 2 vol. in-8.
rel . I 2l.
Théâtre de Sophocle , 2 vol. in - 12. rel. s.l.
Idem . in - 4 °. rel. 10 l.
Manuel du Naturaliſte , in - 8 ° . sl.
Hiſtoire Naturelle , 31 vol. in - 12 . rel. 104.
Le Maître Toſcan , in - 8 °, rel. 41, 101 .
Coutume du Bolonnois , in 2 vol.
rel. 211,
1
1
1
!

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