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BIBLIOTHEQUE DU PALAIS DES ARTS
Dead 1822 .
#
1
396497

ESSAI CRITIQUE

SUR

L'HISTOIRE

DES

ORDRES ROYAUX ,

HOSPITALIERS

ET MILITAIRES
DE

SAINT LAZARE DE JERUSALEM


ET DE

NOTRE-DAME DU MONT- CARMEL


ARBITB
S
DE

LIO
T
RJOEAN BONTUHR .
ALLE

UG
NA E
RD

A LIEGE , (1855)
Chez J. J. TUTOT , Imprimeur - Libraire , Place
Saint-Barthelemi.

Et à BRUXELLES ,
Chez le même , au haut de la rue de la Magdeleine.

BIBLIOTH
M. DCC . LXXV . DE LA
VILLE DE
LYON
A

LA NOBLESSE

DE FRANCE.

MM.

L'Ordre de Saint Lazare eft forti de


votre fein ; il doit fa naiffance aux vues
généreuses & bienfaifantes de vos Ancê-
tres. La valeur & la piété de fes Fonda-
teurs les couvrirent de gloire dans les
Guerres contre les Infideles : on admira
leur valeur , on admira davantage leur
humanité. Combien de Guerriers n'ont été

que les fléaux du monde ? Ceux-ci fe dé-


clarerent l'appui des foibles , les protec-
teurs des malheureux les plus obfcurs : ils
fe firent un devoir de les fervir dans les
afyles dédiés à l'infortune; dans ces lieux
où babitent la mifere , la douleur & la
mort. C'eft affez d'annoncer que Henri-
le- Grandfut Inftituteur de la Milice Hof-
pitaliere de Notre - Dame du Mont- Car-
mel , pour laiffer juger qu'elle méritoit
d'être unie à l'Ordre de Saint Lazare.
A2
4 A LA NOBLESSE , & c.
Les faveurs que le Roi a daigné verfer
fur cet Ordre , déja fi illuftre , en lui
donnant pour Chef un Prince devenu
Héritier du Trône ( * ) , relevent de
plus en plus fon éclat & fa dignité , ra-
niment fon émulation & fixent fon bon-
beur. Vous y trouverez déformais , MM. ,
une récompenfe utile , toujours destinée à
la bravoure & à l'honneur , aux qualités
militaires , & aux fentimens religieux.
Tant de graces récentes accordées à un
Corps compofé , depuis une longue fuite
de fiecles , de vos Membres les plus ref-
pectables , augmenteront fans doute l'in-
térêt que vous prendrez à fon Hiftoire.
C'est le feul qui pouvoit m'engager à en
écrire cet Elfai: jofe vous le préfenter ,
MM.;je me flatte que vous excuferez ma
témérité, enfaveur des droits que le bard
m'a donnés à votre indulgence & à l'hon
neur de votre protection.
Jefuis avec un profond respect,
MM.
Votre très-humble & très-
obéiffant Serviteur *** .

(*) Mgr. le Dauphin , ci-devant Mgr. le Duc


de Berri. Not. L'Auteur écrivoit ceci en 1771.
PRÉFACE.

Es commencemens du douzieme fie-


cle, où remonte l'origine des Ordres Mi
litaires , étoient plongés dans l'ignorance.
Des Guerriers peu inftruits les avoient inf
titués ; ils n'ont laiffé aucuns mémoires
fur ces monumens de leur religion & de
leur bravoure. On pourroit en faire hon-
neur à leur modeftie , s'ils étoient moins
foupçonnés d'incapacité. La Nobleffe avoit
alors une averfion invincible pour l'étude ;
elle n'exerçoit que fon adreffe & fes for
ces; les armes & la chaffe paffoient dans
fon efprit pour les feules occupations ho
norables ; elle ne connoiffoit guere d'au-
tre mérite que celui de la valeur. Telles
font les raifons de l'obfcurité qui regne fur
l'Hiftoire des Ordres Militaires. L'Hiftoire
des Ordres Monaftiques eft moins envi-
ronnée de ténebres. La plupart des Moines
-favoient lire , quelques-uns ont écrit des
Chroniques : l'on y trouve le menſonge ,
le merveilleux , les contes ridicules , mêlés
parmi les détails de la vie & des mœurs
aufteres de leurs Fondateurs.
Les Inſtitutions Religieufes & Militaires
A3
6 PREFACE.
ont un autre défavantage. Si elles furent
protégées des Papes , comme utiles à leurs
vues , elles furent déteftées des Moines .
& de tout le Clergé , comme nuiſibles à
leurs intérêts. Les fouverains Pontifes ef-
péroient beaucoup de cette Milice extra-
ordinaire ; ils fe l'attacherent par des graces
apoftoliques , préfens peu difpendieux . Les
Princes en tiroient parti pour leur gloire ,
les Peuples en étoient charitablement ſe-
courus ; ils l'enrichirent. Sa fortune rapide
excita la jaloufie du Clergé. Il ne faut donc
pas s'étonner fi. les Hiftoriens du temps
gardent un profond filence fur les vertus
de ces Cénobites guerriers , & s'ils font
une critique amere de leurs défauts : pref-
que tous ces Ecrivains étoient Moines ou
Prêtres.
Les Hofpitaliers de St. Jean , appellés
maintenant les Chevaliers de Malte, n'ont
pas été mieux traités des anciens Hiſto-
riens. Nous avons plufieurs Hiftoires mo-
dernes de cet Ordre fameux ; nous n'en
avons aucune de celui de St. Lazare.
Un Corps , qui s'éleve par degrés juf-
qu'à la Souveraineté , ne manque point
de Panégyriftes. Le petit Etat de Malte
fournit , à proportion , plus de détails
brillans pour l'Hiftoire , que les puiffans
Royaumes qui l'environnent , ou plutôt
dans lefquels il eft répandu. Il les doit à
PREFACE. 7
fa conftitution finguliere ; il n'a pour Su-
jets que des Guerriers ; il eft continuel-
lement en guerre ; l'on n'y cultive que
cet art deftructeur ; les arts utiles en font
bannis ; l'Europe prend foin de fa popu-
lation ; ce n'eft point l'induftrie de fes
Membres qui l'enrichit , ce font des reve
nus en biens-fonds , & ces revenus font
immenfes. Cet Ordre eft parvenu au plus
haut point d'élévation où il puiffe arri-
ver. Des fieges fréquens , foutenus avec
une poignée de Soldats contre des armées
formidables , des combats fans nombre fur
mer , publieront à jamais l'héroïfine de fes
Guerriers.
Depuis plus de quatre cens ans que les
Hofpitaliers de St. Lazare , leurs anciens
Confreres , ont abandonné la Paleſtine
qui les vit naître , ils fe font bornés à exer-
cer leur charité dans les Hôpitaux des Lé-
preux , & leur bravoure dans les Guerres
de la France contre fes ennemis. Leur ori-
gine m'eft point obfcure ; les armées des
Croifés les ont vu fe former , combattre
& vaincre ; mais le détail de leurs exploits
ne nous a point été tranſmis.
Guillaume , Archevêque de Tyr , le
Cardinal de Vitry , Hiftoriens & Sujets
des Rois de Jerufalem , ont beaucoup parlé
des Hofpitaliers. Le premier a rapporté leur
Inftitution , & celle des autres Sociétés
A4
8 PREFACE.
Religieufes & Militaires ; le fecond eft en-
tré dans les plus grands détails fur leurs
Eglifes & fur leurs Maifons ; aucun n'a
parlé des Chevaliers de Saint Lazare, On
peut à peine tirer quelqu'induction en leur
faveur de ce que ces Hiftoriens ont dit en
général des Hofpitaliers.
En remontant à la fource de cette an-
cienne Inftitution , on voit que fes com-
mencemens font prefque inconnus. Nul
doute que les Chevaliers de St. Lazare ne
fuffent du Corps de ces fameux Hofpita-
liers , compofé de la Nobleffe la plus brave
& la plus généreufe de l'Europe ; mais on
defire inutilement favoir quelle part ils
eurent aux périls des combats , à l'hon-
neur des victoires remportées dans l'Afie ,
lors de la conquête de la Paleſtine ; quels
Chefs les ont commandés , ont combattu
à leur tête , pendant que le Royaume de
Jerufalem a fubfifté ?
Depuis Louis-le-Jeune , le premier de
*en 1149. nos Rois , qui amena * de la Paleſtine en
.
France quelques Chevaliers de St. Lazare ,
jufques vers la fin du regne de Philippe-
le-Hardi , la même obfcurité fe trouve ré-
pandue fur leur Hiftoire. On ne commence
à connoître les noms de leurs Grands-
Maîtres que vers le milieu du treizieme
fiecle ; on ne fait ni le temps de l'élec-
tion , ni celui de la mort de plufieurs d'en-
PREFAĊ É. 9
tre eux. Une tradition conftante publie la
célébrité de l'Ordre ; il peut fe paffer de
l'exactitude de ces détails. Il a non-feule-
ment perdu les actes de fes anciens Cha-
pitres , le plus grand nombre de fes Sta-
tuts , enfin , tout ce qui concerne , à peu
de chofes près , fon gouvernement fpiri-
tuel & temporel ; mais encore les titres
de fes poffeffions , & la plus grande partie
de ces mêmes poffeffions. On attribue fes
pertes à la négligence des Chefs , à l'in-
cendie des titres pendant les temps mal-
heureux des Guerres civiles & étrangeres
furvenues dans le Royaume.
On ne trouve rien dans les manufcrits
de la Bibliotheque du Roi , qui ait rapport
à cet Ordre. Si l'on confulte André Favin ,
Pierre de Belloy , Claude Floriot , & au-
tres , qui ont écrit fur les Ordres Militai-
res , l'on n'y voit prefque rien d'appuyé
fur des preuves folides : ce qu'il leur plaît
de raconter fur l'Ordre de St. Lazare , fe
trouve le plus fouvent rempli de fables &
d'erreurs. Lorfque d'autres Ecrivains , trai
tant divers fujets , ont parlé de ce même
Ordre , ils fe font contentés de copier fans
examen ce que l'on en avoit dit avant eux.
Le P. Touffaint de St. Luc , Carme , a
publié les Annales de l'Ordre de St. La-
zare , dont il étoit Aumônier. Cet ouvrage ,
peu exact , ne contient que des extraits de
A5
10 PREFACE.
quelques titres , fiecles par fiecles : ce font
des Bulles des Papes , des Chartres de do-
nations , des commiffions ou procurations
données par les Grands -Maîtres , des Ar-
rêts du Parlement , & autres pieces fem-
blables. L'Auteur s'eft fouvent appliqué à
leur donner la torture , pour les plier à fon
fens , & en tirer des conféquences peu
juftes , mais favorables à l'Ordre . Ces ti-
tres , pour la plupart , femblent affez inu-
tiles à fon Hiftoire ; ils confervent la mé-
moire des dons faits à l'Ordre , des privi-
les qui lui ont été accordés par les Papes ,
les Rois & les grands Seigneurs ; ils font
mention des noms des Chefs qui l'ont
gouverné , & de ceux de quelques Cheva-
liers ; ils ne nous apprennent rien de leurs
vertus , ni de leurs actions mémorables.
Les Annales de St. Luc parurent en
1666. Il en donna une feconde édition en
1681 , dans laquelle il corrigea les plus
groffieres erreurs de la premiere ( 1 ) . C'eſt

(1 ) La premiere édition porte pour titre : Mé-


moires en forme d'Abrégé biftorique , Progrès &
Privileges de l'Ordre Royal des Chevaliers de No-
tre-Dame du Mont-Carmel , & de St. Lazare de
Jerufalem, La feconde : Mémoires & Extraits
des Titres qui fervent à l Hiftoire de l'Ordre des
Chevaliers de Notre-Dame du Mont-Carmel , &
de St. Lazare de Jerufalem , depuis Fan 1100
jufqu'à 1673.
PREFACE. II
de cette feconde édition dont je me fuis
fervi avec la plus fcrupuleufe réſerve ; je
n'ai prefque rien tiré de cet ouvrage . J'ai
puifé dans de meilleures fources , mais peu
abondantes ; dans quelques pieces origi-
nales ; dans des Mémoires fur l'Ordre , &
autres , que j'ai pu me procurer.
Le P. Maimbourg , Hiftorien plus amu-
fant qu'exact , plus eftimé pour les agré-
mens du ftyle , que pour fon attachement
à la vérité , paroît cependant s'en être
moins éloigné dans ce qu'il dit de l'Ordre
de St. Lazare , que les Écrivains qui l'ont
précédé ; mais il eft tombé dans la con-
fufion & dans les anachronifmes . (1)
LeP. Héliot , Religieux Picpuce , donna
en 1714 , l'Hiftoire générale des Ordres
Monaftiques & Militaires. Travail qui n'a
guere d'autre mérite , que celui d'un pro-
jet de détails immenfes , plus curieux que
vraiment utiles. Outre le défordre qui re-
gne dans ce qu'il rapporte de nos Cheva-
fiers , il ajoute fes propres erreurs à celles
de Touffaint de St. Luc (2).
Nous avons les Differtations d'un au-
tre Carme , le P. Honoré de Sainte-Ma-
rie ,fur la Chevalerie ancienne & moder-

(1) Hiftoire des Croifades , Tom. 1 , Liv. 3.


) Hift . générale des Ordres Monaft. Relig.
& Milit. Tom. 1 , Chap. 32.
A6
12 PRÉFAC E.
né. Cet ouvrage , publié en 1718 , paroît
être auffi confus , que les écrits des Au-
9
teurs dont il est tiré ( 1 ). Un Hiftorien
moderne vient de rajeunir les anciennes
méprifes de tous ces Ecrivains ( 2 ).
Il y. avoit en 1740 deux Hiftoires ma-
nufcrites de l'Ordre dans la Bibliotheque
de M. le Duc d'Orléans , alors Grand-
Maître , dont les Auteurs font Julien de
St. Didier , & N. de Guénégaud , Maître
des Requêtes & Chancelier de l'Ordre.
Le dernier de ces manufcrits eft muni de
l'approbation de Gros de Boze , de l'Aca-
démie Françoife , & Cenfeur Royal , da-
tée du 15 Septembre 1717 , ce qui an-
nonce qu'il avoit été deſtiné à l'impreffion.
D'après ces manufcrits les Auteurs du
Gallia Chriftiana , laiffant à part les fa-
bles & les difcuffions inutiles qu'ils con-
tiennent , ont inféré dans leur ouvrage
une lifte hiftorique des Grands-Maîtres
de l'Ordre , depuis fon établiffement en
France jufqu'en 1720. C'eſt le feul mor-
ceau imprimé , dont j'ai fait ufage avec fû-
reté. Il eft malheureufement peu étendu.
A l'égard de tous les autres ouvrages con-

( 1 ) Voyez la Differtation 5 , fur l'Ordre


de St. Lazare , pag. 61.
(2 ) L'Abbé de Velly , Hift. de France , Tom,
2, pag. 472 , édit, in-12.
PREFACE. 13
nus , j'y ai trouvé plus de fauffes opinions
à combattre , que de faits vrais & intéref-
fans à rapporter. Au lieu de jouir du plai-
d'édifier , je me fuis trouvé dans la trifte
néceffité de détruire..
Cette ftérilité générale auroit pu me dé
goûter, fi de puiffans motifs ne m'avoient
animé. Un Ordre vraiment illuftre , infti-
tué par des François , célebre autrefois
dans l'Europe entiere , & par l'utilité de
Les fervices , & par la gloire de fes ar-
mes , devenu plus intéreffant pour la Na-
tion , depuis la nomination d'un premier
Prince du Sang pour fon Grand-Maître ,
& qui fera toujours une diftinction du plus
grand prix pour la Nobleffe , puifque le
Fils aîné de France n'eft préfentement à
fa tête que pour lui rendre fon premier
éclat : cet Ordre m'a paru mériter , qu'on
raffemblât les fragmens de fon Hiftoire ,
& qu'on les purgeât des erreurs dont ils
ont été défigurés. Je me fuis donc appli-
qué à les recueillir , bien réfolu de pré-.
férer la vérité aux déguiſemens , toujours
trop mal empruntés , pour n'être pas re-
connus & néceffairement méprifés des
Lecteurs.
Je n'afpire ni aux avantages ni aux hon-
neurs littéraires. Dans l'heureufe pofition
de pouvoir choisir des occupations con-
formes à mes goûts , j'avois précédem
14 PREFACE.
ment écrit fur des objets utiles ( 1 ) . Moyen
certain, ce me fembloit , pour refter auffi
inconnu que je defirois de l'être. En m'an-
nonçant avec auffi peu de prétentions ,
j'aurai fans doute plus de droits fur l'in-
dulgence du Public.
J'ai cru devoir commencer cet Effai par
une courte differtation fur le titre de Che-
valier , dans laquelle je tâche de donner
une notion exacte de cette ancienne qua-
lification de la Nobleffe de France , & de
faire remarquer la différence qui fe trouve
entre l'ancienne Chevalerie , & les Or-
dres Religieux & Militaires.
J'ai fuivi dans le corps de l'ouvrage l'or-
dre des temps , autant qu'il m'a été poffi-

(1 ) C'eft fans mon aveu qu'on m'a fait


l'honneur de placer mon nom dans la nou-
velle édition de la France Littéraire. J'avois
gardé l'anonyme dans l'Ecrit que j'ofai pu-
Blier en 1762 ; cet ouvrage eft un préferva-
tif contre l'épidémie économique , qui com-
mençoit dès-lors à fe déclarer. Comme la con-
tagion gagnoit avec fureur , je fis imprimer
deux ans après la Traduction du Livre de PAgri-
culture de Pline le Naturaliffe , & je le préfen-
tai comme un fpécifique qui devoit en arrê-
ter les progrès. Je crois avoir été afſez heu-
reux pour empêcher plufieurs de mes conci-
toyens de fuccomber à la violence d'un mal
auffi dangereux , & j'en fuis encore plus flatté
que de l'acceuil favorable que le Public a bien
voulu faire à ces foibles Ecrits.
PREFACE. 15
ble : c'eſt le plan commun , c'eſt la for-
me ordinaire de ces fortes d'écrits. Je parle
des Lépreux ; j'aurois peut-être dû en par-
ler davantage. Ils ont un rapport fi effen
tiel aux Chevaliers de St. Lazare , que leur
Hiftoire fe trouve néceffairement liée à
celle de ces malheureux , & aux loix par-
ticulieres auxquelles ils étoient aftreints.
L'ouvrage eft divifé en quatre Livres.
Les trois premiers renferment l'Histoire
des Chevaliers de St. Lazare , depuis leur
origine jufqu'en 1608 , époque de l'érec-
tion de l'Ordre de Notre-Dame du Mont-
Carmel. Le quatrieme traite de cette nou-
velle Inftitution Religieufe , de fon union
avec celle de St. Lazare ; & l'on y con-
tinue jufqu'en 1770 , l'Hiftoire de ces
deux Ordres réunis.
Je ne crois pas m'être trompé en pen-
fant que la matiere pouvoit à peine four-
sir un volume d'une groffeur médiocre.
On s'eft plaint tant de fois de la mul-
titude des pieces juftificatives , dont les
Auteurs accompagnent depuis quelque
temps leurs écrits hiftoriques , que je n'ai
pas cru devoir fuivre cette méthode : ces
fortes de pieces , groffiffant extrêmement
les volumes , ennuient auffi fouvent les
Lecteurs , qu'elles deviennent à charge au
public , fur-tout lorfqu'elles ne font in-
téreffantes , ni par leur ancienneté, ni
E
FAC
16 PRE .
par leur objet je me fuis donc contenté
de les citer dans le corps de l'Hiftoire.
Mon deffein étoit de donner ce petit
Ouvrage au public dès 1770. Des Com-
mandeurs de l'Ordre de St. Lazare & plu-
fieurs Gens de Lettres , ayant bien voulu
lire mon manufcrit , me parurent approu
ver le courage que j'avois eu le premier
de traiter dans toute fon étendue un fu-
jet auffi ingrat ; mais un Particulier de la
République des Lettres , guidé par l'in-
térêt , a trouvé les moyens de m'obli
ger à en fufpendre l'impreffion pendant
plufieurs années.
SOMMAIRE

DES LIVRES .

LIVRE PREMIER.

XPOSE des circonftances qui ontfait


naître les Ordres Religieux & Militai-
res. Guerres Saintes ; l'Ordre des Hof-
pitaliers s'éleve pendant ces Guerres.
Erreurs fur l'ancienneté de l'Ordre de
St. Lazare. Hôpital de Céfarée , fondé
par St. Bafile. Conquêtes de Mahomet.
Etat des Chrétiens dans l'Orient. Dé-
votion pour le Pèlerinage de Jerufalem;
prife de cette Ville par les Armées Eu-
ropéennes. L'Ordre de St. Lazare a été
confondu mal-à-propos avec celui de
St. Bafile. Incertitudes de la préémi-
nence de fon origine fur celle de l'Or
dre de St. Jean. Hôpital de Jerufalem :
quels furent fes Fondateurs & fes pre-
miers Adminiftrateurs ? Silence des Hif
toriens fur les Chevaliers de St. Lazare.
Diffentions entre le Clergé & les Hof-
pitaliers ; leurs privileges ; leur exemp-
18 SOMMAIRE
tion de l'interdit. Critique des Hofpi-
taliers par Guillaume de Tyr. Eloge
de ces Religieux par Bernard. Second
Hôpital établi à Jerufalem ; erreur des
Hiftoriens modernes à cet égard. Sépa-
ration des Hofpitaliers de St. Lazare
d'avec ceux de St. Jean. Premier Mai-
tre de l'Ordre de St. Lazare.

LIVRE SECON D.

ANCIENNETÉ de l'Ordre de St. Laza-


re; inductions qu'on tire en fa faveur
des Loix Syriaques. Arrivée des pre-
miers Chevaliers de St. Lazare en Fran-
ce : Louis-le-Jeune leur donne le Châ-
teau de Boigny ; autre donation qui
leur avoit été faite. Premieres Lépro-
feries connues en France & en Angle-
terre. Confirmation des dons faits à
l'Ordre par Philippe- Augufte. Legs de
Louis VIII. Retour des Chevaliers de
St. Lazare de la Paleftine en France.
Du prétendu ufage d'élire un Chevalier
Lépreux pour Grand- Maître. Confir-
mation de l'Ordre par les Papes. Ré-
glement pour les Lépreux. Thomas de
Saintville , premier Grand-Maître en
France. Philippe- le - Bel met l'Ordre
fous fa protection. Adam du Veau ,
DES LIVRES. 19
Jean de Paris , Jean de Couras , Jean le
Comte , Jacques de Beynes , IIme. IIIme.
IVme. Vme, & VIme. Grands-Maîtres.
Pierre des Ruaux , VIIme, Grand-Mai-
tre. Monafteres de Scédorf & de Gfenn
en Allemagne. Le Grand-Maître leur
permet de créer un Chevalier pour en être
le Supérieur. Jean Defmares , VIIIme.
Grand- Maître. Quelle étoit la forme
de la Croix de l'Ordre. Jean le Cornu,
IXme. Grand-Maître. Entrepriſes d'In-
nocent VIIIfur l'Ordre. Thomas d'Am-
boife , Agnan de Mareul, Xme, & XIme
Grands-Maîtres. L'Ordre de St. Jean
veut faire valoir une Bulle d'Inno-
cent VIII, qui fupprimoit l'Ordre de
St. Lazare ; prétexte de cette Bulle.
Confifcation des biens des Lépreux.

LIVRE TROISIEME.

GUERRES de Mahomet - le- Grand ; fa


mort. Bajazet & Zizim , fes enfans "
fe difputent fes Etats. Zizim vaincu ,
fe retire à Rhode. Paix des Chevaliers
de Rhode avec Bajazet ; nouvel Em-
pereur des Turcs. Zizim paffe en Fran-
ce; d'Aubuffon , Grand-Maître de l'Or-
dre de St. Jean, le cede à Innocent VIII;
en reconnoiffance , ce Pape réunit l'Ore .
20 SOMMAIRE
dre de St. Lazare à celui de St. Jean.
Captivité de Zizim fous Alexandre V1.
Mort violente de ce Sultan. La Bulle
d'Innocent VIII eft déclarée abufive par
le Parlement. Jean le Conti , XIIIme
Grand-Maître. Jean de Lévis , XIVme.
Grand-Maître , eft confirmé par le Pa-
pe , & troublé dans fa poffeffion : c'eft
le premier Grand- Maître qui ait été
nommé par le Roi. Michel de Seure
XVme, Grand-Maître. Jeannot de Caf
tillon eft confirmé par le Pape dans la
même dignité. Léon X, rétablit l'Ordre
de St. Lazare en Italie. Pluralité des
Grands-Maitres. Privileges accordés à
l'Ordrepar Pie IV; modérés par Pie V.
Mariage des Chevaliers. François Sal-
viati , XVIme, Grand- Maître. Bulle
d'union de l'Ordre de St. Lazare à ce-
lui de St. Maurice de Savoye , donnée
par Grégoire XIII. Aimard de Chat-
tes , XVIIIme, Grand-Maître. Comman-
derie rentrée dans l'Ordre. Philbert de
Néreftang , XIXme, Grand-Maître.

LIVRE QUATRIEME

INSTITUTION de l'Ordre de Notre-Da-


me du Mont- Carmel , par Henri IV.
Bulles de Paul V , pour fon érection.
DES LIVRES. 21
Nomination de Philbert de Néreftang,
à la Grande-Maîtrife du nouvel Or-
dre. Doutes fur fon union avec celui
de St. Lazare. Plaintes du Clergé fur
l'Inftitution de l'Ordre de Notre-Dame
du Mont-Carmel. Jean-Claude de Né-
reftang, XXme. Grand-Maître de l'Or
dre de St. Lazare & de Notre-Dame du
Mont - Carmel. Charles de Néreftang ,
XXIme, Grand-Maître. Charles- Achille
de Néreftang, XXIIme, Grand-Maître.
La Commanderie d'Aigrefeuille eft jugée
par le Parlement appartenir à l'Ordre.
Edit de 1664 , confirmatif des privile-
ges de l'Ordre. Réfiftance du Grand-
Confeil à fon enregistrement. Bulles
d'union des deux Ordres accordées par
le Cardinal de Vendôme , Légat du Pa-
pe. Enregistrement de l'Edit de 1664.
Campagnes de l'Ordre fur Mer. Libé-
ralités du Duc d'Orléans à fon égard.
Louis XIV fufpend l'exécution de fes
deffeins fur l'Ordre de St. Lazare , pour
fonder les Invalides. Réunion de plu-
fieurs Ordres Militaires à celui de St.
Lazare , par un Edit de 1672. On en
forme des Commanderies deftinées à des
récompenfes militaires. Néreftang fe dé-
met de la Grande-Maîtrife. Le Marquis
de Louvois eft nommé Vicaire- Général de
l'Ordre. Revocation de l'Edit de 1672.
22 SOMMAIRE , & c.
Le Marquis de Dangeau , XXIIIme.
Grand-Maître. Réparation du Château
de Boigny. Fondations de Comman-
deries permifes. Le Duc de Chartres ,
XXIVme, Grand-Maître. Edit de 1722,
portant réunion de l'Hôpital de St.Jac-
ques à l'Ordre de St. Lazare ; révoca-
tion de cet Edit. M. le Duc de Berri,
préfentement, Monfeigneur le Dauphin ,
XXVme, Grand-Maître. Le Comte de
St. Florentin eft nommé Gérent & Ad-
miniftrateur- Général de l'Ordre. Les
Eleves de l'Ecole-Royale & Militaire
y font agrégés. Nouveau Réglement pour
l'Ordre. Premiere Cérémonie de Récep-
tion de Chevaliers , faite par le Prince
Grand-Maître. Lettres-Patentes confir-
matives des Privileges de l'Ordre , don-
nées au mois de Septembre 1770.
DISCOURS

PRÉLIMINAIRE

SUR LE TITRE

DE CHEVALIER .

LE titre de Chevalier fut long-temps in-


connu chez les François ; il ne commença
d'être en ufage que plufieurs fiecles après la
fondation de la Monarchie. Les diftin&tions
civiles de nos premiers ancêtres ne font guere
mieux connues , que leur origine. On ignore
s'ils étoient tous de condition égale , tous nés
libres & portant les armes ; ou bien ſi au def-
fous de la race des Guerriers , il y avoit des
hommes non nobles , colons & efclaves. Les
lambeaux épars du commencement de notre
Hiftoire font fi équivoques & fi embrouillés
qu'ils fe prêtent à tout ce que l'on veut ima-
giner fur ces faits. Il faut franchir les premiers
temps , pour appercevoir une claffe d'hommes
nobles de naiffance , formant un corps parti-
culier dans l'Etat.
On ne connoiffoit d'autre inégalité entre
les perfonnes de cette claffe diftinguée , que
24 D. IS COURS
cellé du mérite. La fupériorité de génie , de
fagacité , de courage , de bravoure , détermi-
noit le choix du Souverain dans la diſtribu-
tion des emplois & des titres militaires , tou-
jours dépendans de fa volonté fuprême ; ils
n'étoient pas même viagers , ils le devinrent ;
infenfiblement on les regarda comme hérédi-
taires & attachés à la naiſſance ( 1 ). Ce n'étoit

(1 ) Perfonne n'ignore que l'hérédité des Fiefs , to-


lérée fous les Rois foibles de la feconde race , & foli-
dement affermie fous Hugues Capet , fixa là nobleffe
dans les familles qui pofféderent ces mêmes Fiefs. Mais
depuis l'origine de la Monarchie jufqu'à cette époque ,
l'existence & les privileges de cette nobleffe femblent
fort incertains. Nos plus célebres Hiftoriens modernes
foutiennent le pour & le contre. Suivant Adrien de
Valois , Hertius , l'Abbé du Bos , & le Préfident Hé-
nault , tous les anciens François étoient égaux ; ils ne
connoiffoient entre eux qu'un feul ordre d'hommes li-
bres. Leurs efclaves étoient des peuples conquis , ou
bien une race particuliere , qui n'étoit point iffue des
Francs. Tout homme libre étoit également fufceptible
des dignités & des charges amovibles de l'Etat. Au
contraire , le P. Daniel , l'Abbé le Laboureur , le
Comte de Boulainvilliers , penfent qu'il exiftoit , dès
les commencemens de la Monarchie , un corps de No-
bleffe diftingué du refte des citoyens , qui feul avoit
droit aux mêmes dignités & charges de l'Etat.
Tous ces Savans prétendent juſtifier leurs ſentimens
oppofés par les fragmens , qui ont pu fe conferver
des loix des Francs , des Gaulois , des Bourguignons ,
des Peuples de la Scandinavie & autres , foumis à l'Em-
pire des François , avant & après le regne de Charle-
magne. A force de tourmenter ces écrits obfcurs &
entortillés , de les tourner & retourner , d'y ajouter
ou d'en retrancher , fous prétexte de fuppléer le fens,
on vient à bout de trouver tout ce dont on a befoin
pour étayer divers fyftêmes. Notre Hiftoire , dans fes
commencemens , dit l'Abbé de Vertot , eft un chaos
rempli de ténebres , où l'on a placé bien des chimeres
impunément.
point
PRELIMINAIRE. 25
point de vains noms ; des fonctions hono-
rables & des récompenfes proportionnées •
étoient jointes aux charges de Duc , de Com-
te , de Marquis & autres. Mais avant toutes
ces qualifications , le feul titre général & in-
né , pour ainsi dire , de la Nobleffe , étoit ce-
lui de Soldat , ou de Guerrier , exprimé par
le mot latin Miles.
Les anciens Francs firent tel ufage qui leur
convint de la maniere dont les Romains gou-
vernoient les Gaules , lorfqu'ils en étoient les
maîtres . En adoptant quelquefois leurs ufages ,
en fe fervant de quelques-uns de leurs mots ,"
tels que ceux de Duc , de Comte & autres ,
ils y attacherent des fonctions différentes ,
convenables à leurs moeurs & à leur maniere
de faire la guerre. Avant que ces mêmes
Francs fe ferviffent des noms latins , ils
avoient , pour mot de qualité générale , celui
de Leudes , ou de Druts ; termes Teutoniqués
& Gaulois , que l'on trouve traduits en latin
dans des anciens mémoires fur notre Hiftoire ,
par Fideles Regni , Fideles du Royaume. A me-
fure que la langue latine devint chez eux d'un
ufage plus général , on vit difparoître le nom
de Leudes. Pendant qu'il exprima une qualité ,
on ne fait quels furent leurs autres noms ,
pour défigner les Chefs de l'adminiftration
publique , ou de l'économie particuliere du
petit Etat qu'ils commencerent de former. La
plupart de nos Hiftoriens affurent , qué ces
Leudes étoient de riches Seigneurs & les pre-
miers Pairs de France ; il eft plus probable
que ce n'étoit que de braves Soldats , pauvres
B
26 DISCOURS
& ignorans , compagnons des premiers Géné-
raux , Commandans ou Rois ( car on ne fait
trop quel nom leur donner ) qui jetterent les
fondemens de l'Empire des François. Quoi
qu'il en foit , ils cefferent de faire ufage des
noms Gaulois , pour exprimer leurs qualités ,
& fe fervirent uniquement des noms latins ;
le mot de Leudes fit place à celui de Miles.
La langue latine , comme l'on fait , étoit
encore la langue vulgaire des François , au
commencement du huitieme fiecle ; mais ce
n'étoit plus qu'un latin barbare & corrompu ,
tel qu'on le voit dans Grégoire de Tours &
dans quelques autres Auteurs , où l'on trouve
d'ailleurs tous les vices du ſtyle réunis. Cette
langue devint inconnue au Peuple fous Pe-
pin ; elle s'éteignit entiérement avec la pre-
miere race de nos Rois. On continua cepen-
dant d'écrire les diplômes en latin ( 1 ) . C'eſt
pour cela qu'il eft difficile de découvrir le
remps où commença le titre de Chevalier ,
parce qu'on l'exprima par le même terme

(1 ) Depuis que les Romains fe furent rendus les


Maîtres des Gaules , la langue latine , telle que la
parloit le Peuple Romain , y prit la place du Celti-
que , que parloient les Gaulois , & devint la langue
vulgaire ; les femmes mêmes écrivoient en latin. Ce
fentiment commun de nos Hiftoriens a trouvé peu de
contradicteurs. Au fixieme fiecle , la langue latine fe
corrompit de plus en plus , & forma le Romans. On
vit naître enfuite la langue que nous parlons aujour
d'hui, elle devint commune au dixieme fiecle. Cepen-
dant les Ordonnances de nos Rois , & tous les actes
publics, furent écrits en latin jufqu'à St. Louis. La
plupart furent encore écrits en cette langue juſques
fous François 1 , mais ce Roi ordonna , en 1539 , que
tous ces actes feroient rédigés en François.
PRELIMINAIRE. 27
Miles , ou plutôt , parce qu'on ne l'exprima
point du tout. "
Si l'ufage de la Cavalerie dans nos armées
en eft le principe , comme il y a lieu de lé
croire , car il eft fort différent du même titre
ufité chez les Romains ( 1 ) , il dut commen-
cer fous Charles - Martel , lors de l'irruption
des Arabes , communément appellés Sarra-
zins , Peuples belliqueux , & qui s'étoient au-
trefois diftingués parmi les troupes auxiliaires
des Romains & des Perfes ; leur Cavalerie
paffoit dès-lors pour la meilleure du monde.
Une prodigieufe armée de ces Arabes , après
avoir ravagé l'Eſpagne , pénétra dans la Fran-

(1) Le titre de Chevalier , chez les Romains , s'ex-


primoit par le mot Eques , qui n'a point été employé
parmi nous pour fignifier un Chevalier. Tout Citoyen
Romain de la claffe du Peuple pouvoit , à la volonté
du Cenfeur , être fait Chevalier , pourvu qu'il eût le
revenu fuffifant & fixé pour entretenir le cheval que la
République lui donnoit. Ces Chevaliers n'étoient point
réputés Nobles ; les vrais Nobles étoient les Praticiens.
Dans la fuite la Nobleffe ne fervit prefqu'à rien ; elle
ceffa d'être attachée à la naiffance & à la vertu. Le
bien qu'il falloit pofféder , même pour être Sénateur ,
fut réglé par la Loi Roffia. Les Patriciens , comme les
autres , furent fujets à ce Réglement. Malgré l'ancien-
neté de leur race , s'ils n'avoient pas les biens néceſ-
faires , ils demeuroient confondus parmi le Peuple. Ils
avoient le chagrin de voir des riches Plébéiens remplit
les places vacantes du Sénat. On fait affez que l'on
tiroit du corps des Chevaliers Romains les Fermiers
des revenus de la République. Ceux qui exerçoient
cette profeffion étoient appellés Scriptuarii ; elle étoit
fort honorable à Rome ; elle a toujours été peu confi-
dérée en France , où la plupart des Financiers fe con-
tentent d'être recommandables par leurs richeſſes •
fource principale de l'antipathie qui regne entr'eux
les autres ordres des Citoyens.
B 2
28 DISCOURS
ce , & fut prefqu'entiérement détruite dans la
fameufe bataille que gagna ce même Char-
les-Martel près de Tours , en 732. Avant ce
temps , toute la Milice ou Nobleffe Françoiſe
avoit combattu de pied ferme ; mais cette In-
fanterie parut trop foible contre des ennemis
auffi redoutables. On imagina qu'une Cavale-
rie nombreuſe & couverte de fer réſiſteroit
davantage à la Cavalerie pefante & aux armes
meurtrieres des Arabes ( 1 ). Les François pri-
rent du goût pour ce nouveau genre de fer-
vice ; il eut les plus grands fuccès ; la No-
bleffe y fignala fon adreffe & fon courage.
L'Infanterie tomba dans le mépris ; ce ne fut
plus , pour ainfi dire , qu'une horde d'enfans
de la terre , mal armés , & plus mal diſciplinés
encore.
Cette Cavalerie étoit de deux fortes , la
Légere & la Gendarmerie. La premiere , quoi-
qu'auffi brave que la feconde , acquit moins
de réputation. La Gendarmerie devint le
Corps le plus eftimé ; les Rois & leurs en-
fans combattoient à fa tête ; les Princes &
les Seigneurs cherchoient à y acquérir de

(1 ) L'expérience a prouvé dans tous les temps que


'Infanterie étoit fupérieure à la Cavalerie. Cette Ca-
valerie , très-tardive chez les Grecs , s'introduifit de
bonne heure chez les Romains. On a remarqué qu'elle
étoit plus confidérable chez ceux-ci , que chez les pre-
miers. Romulus , dont le corps d'Infanterie étoit de
trois mille hommes , n'avoit que trois cens Cavaliers ,
ce qui faifoit la dixieme partie de fa troupe ; au lieu
que la Cavalerie des Armées Grecques n'en faifoit or-
dinairement que la trentieme partie , quelquefois que
la quarantieme. FRERET , Rech.fur l'Equitation.
PRELIMINAIR E. 29
la gloire. Ce Service fut l'unique profeffion
des Nobles pendant plus de fix fiecles .( 1 ).
Il devint général fous la feconde race de
nos Rois , mais on continua d'appeller ces
Guerriers Milites , comme dans les temps où
les armées n'étoient compofées que d'Infan-
terie. La langue Françoife , venant à fe for-
mer on rendit le mot Eques , par Cheva-
lier , du cheval que montoit le Guerrier. Ce-
pendant le titre de Chevalier fut particu-
liérement affecté à la Gendarmerie , qui n'é-
toit composée que des perfonnes Nobles , &
qui feule avoit le droit d'être armée de tou-
tes pieces , c'est- à-dire , de porter les armes
défenfives & offenfives , que nous décri-
rons dans la fuite. La Cavalerie légere , fui-
vant fon nom , étoit plus légèrement armée.
On fait affez que les Seigneurs , ou Pof-
feffeurs des grands Fiefs , en céderent une
partie à des Guerriers , qui formerent des
Chevaliers en fous-ordre , & que l'on nom-
ma Milites Militum , c'eſt-à-dire , Chevaliers
des Chevaliers. Les premiers , à raison de leur
fupériorité & de leur commandement , dont
la Banniere étoit le figne , fe qualifioient
Chevaliers Bannerets ; les autres , qui ſervoient

(1 ) C'est-à-dire , jufqu'à l'extinction de la Milice


Féodale , temps où l'infanterie reprit fon ancienne ré-
putation. On reconnut fa fupériorité dans toutes les
opérations de la guerre. Ce ne fut pas fans éprouver
de grandes contradictions , que nos Rois parvinrent à
avoir de l'Infanterie nationale. Ils y parvinrent enfin ,
& fons Louis XII , la Nobleffe la plus diftinguée voulut
bien entrer dans ce fervice. BRANTH..
B 3
URS
30 DISCO
fous leurs ordres , s'appelloient Bacheliers :
tous avoient le titre de Milites.
La bravoure des anciens Chevaliers ne
s'affoiblit point ; mais leurs mœurs fe dépra
verent au point de ne reconnoître que la loi
du plus fort. Leurs violences avoient été
portées par degrés jufqu'aux plus grands ex-
cès vers le regne de Henri I. La reli
gion fit alors entreprendre à quelques Guer-
riers honnêtes & vertueux de former une
Chevalerie nouvelle , une efpece de confra-
ternité militaire , dans laquelle s'empreffe-
rent d'entrer tous ceux qui fe piquerent de
leur reffembler. On y prenoit l'engagement
de défendre les opprimés , les veuves , les
orphelins , la liberté des chemins ; on en fai-
foit le ferment folemnel . On peut juger , par
cette inftitution , à quel point l'anarchie &
le brigandage défoloient la France.
Certe Chevalerie vint à bout de ce que
l'autorité des Rois avoit inutilement tenté.
Ses loix corrigerent un peu les mœurs de
la Nobleffe. La fûreté des chemins fe réta-
blit , les femmes & les filles purent parol-
tre en public fans craindre d'être enlevées.
Peu-à-peu les proueſſes galantes fuccéderent à
la brutalité ; on fit affaut d'adreffe & de cour-
toifie dans les Tournois & autres Specta-
cles militaires , où l'on ne pouvoit être ad-
mis fi l'on n'étoit Chevalier fans reproches.
Quoique le caprice n'eût pas préfidé à la
naiffance de cette Inftitution , qu'elle eût eu
pour baſe l'humanité , la juftice , & l'hon-
neur , elle devint cependant la fource des
PRELIMINAIRE. 31
extravagances & des excès romanefques ,
qui commencerent vers le milieu du douzie-
me fiecle , & qui furent toujours en augmen-
tant. Ces Chevaliers , remplis d'ailleurs de
franchiſe & de probité , provoquoient au com-
bat le premier venu , dans la feule vue d'exer-
cer leur courage. Quelquefois ils faifoient
annoncer à grand bruit , qu'un certain jour ,
ils combattroient à toute outrance quicon-
que auroit l'audace de ſe préfenter. C'étoit ,
ajoutoient-ils , pour éviter l'oifiveté & pour mé-
riter la grace de la Dame , dont ils étoient fer-
viteurs (1 ). Ce genre d'extravagance étoit de-
venu néceffaire , on ne faifoit aucun cas d'un
Chevalier qui n'étoit point amoureux , on
doutoit même de fa bravoure.
L'ancienne Chevalerie s'étant établie de la
maniere dont on vient de le voir , le titre
de Chevalier , commun à toute la Nobleffe
avant le onzieme fiecle , devint enfuite un ti-
tre perfonnel & mérité. Il fut défendu de le
prendre, fi l'on ne l'avoit obtenu , après s'en
être rendu digne par un férieux apprentiffage
des exercices militaires.
--LesNobles , non reçus Chevaliers , ne pou
voient prendre que la qualité d'Ecuyer , donr
l'origine eft peu connue. Quoique cette qua.

(1) La galanterie qui , parmi nous , a fuccédé à celle


de s'entr'égorger pour plaire aux Dames , et moins
barbare, mais prefqu'auffi folle. Depuis qu'il eft devenu
rare de fe difputer les Belles le fer à la main , on a
donné dans une métaphyfique de fentiment , imaginée
pour empêcher de fuivre la nature de trop près , mais
qui ne produit preſque jamais cet effet.
B 4
32 DISCOURS
lité foit devenue fort honorable , fes com-
mencemens font foibles & obfcurs. On trouve
dans les anciens titres , que nos Rois avoient
un grand Ecuyer , nommé Scutifer, qui por-
toit leur écu, & plufieurs fous-Ecuyers. Les
grands Vaffaux eurent auffi des efpeces d'E-
cuyers , nommés Armigeri , c'eſt-à-dire , por-
teurs d'armes. On croit que ce n'étoit d'abord.
que de fimples affranchis , auxquels ces Sei-
gneurs diftribuerent certaines portions de
terre pour les fervir à la guerre. Ils en cé-
derent , aux mêmes conditions , à un grand
nombre de perfonnes franches ; & toutes dans
la fuite prirent la qualité d'Ecuyers , parce
qu'ils alloient à la guerre , & avoient acquis ,
où s'étoient arrogés le droit de porter des,
écus , efpece de bouclier fur lequel l'ufage
s'introduifit de peindre les armoiries. Ces
Ecuyers pouvoient aſpirer à la qualité de
Chevalier.
Les cérémonies de réception dans la Che-.
valerie devinrent brillantes & mystérieuses ;
elles avoient été fort fimples jufqu'au milieu
du douzieme fiecle. On paffoit l'habillement .
de fer & le bouclier , on mettoit le cafque "
on ceignoit l'épée , on donnoit la lance , &
l'on faifoit l'impoſition des mains.
L'habillement militaire de ces. temps , ou
le haubert , étoit de mailles de fer , il couvroit
les épaules , les bras & tout le corps du Che-
valier jufqu'aux genoux .
Les cafques ou héaumes , fort différens de
ceux dont on fe fervoit fous Charles-le- Chau-
ve , ne tenoient plus de l'antique. Etroits &
PRELIMINAIRE. 33
terminés en pointe par le haut , ils defcen-
doient parderriere fur le col , & pardevant
ils avoient une fimple avance , qui garantif-
foit le nés du Cavalier. Ces caſques laiſſoient
la plus grande partie du vifage à découvert ,
& par conféquent la refpiration libre. Ceux
des temps poftérieurs enfermoient toute la tê-
te, il n'y avoit que de petites ouvertures par-
devant, en forte qu'il falloit en ouvrir la par
tie antérieure , quand on vouloit ſe rafraî-
chir ou fe procurer de l'air à refpirer. On
ne mettoit point encore pardeffus le haubert
ces cottes d'armes , faites d'étoffes riches &
chamarrées des couleurs du Chevalier , que le
luxe introduifit dans la fuite ( 1 ). La chauf
fure étoit auffi de mailles de fer , comme le

(1 ) Ces fortes d'habits blafonnés fe portoient à la


guerre , à la chaffe & dans les grandes cérémonies. Les
amateurs des marques diftinctives paroiffent regretter
que la Nobleffe ait abandonné ces robes ou tuniques ,
ornées de pals , de faces , de bandes , d'hypogryphes .
de dragons , de hiboux , de ferpens & autres figures ;
outre le bel effet que ces ornemens , felon eux , pro-
duifoient fur les habits , ils fervoient à faire connoître
aux étrangers qui arrivoient à la Cour , le nom , la di-
gnité , les alliances des perfonnes qu'ils y rencon-
troient. L'Abbé de St. Pierre donne des raifons plus
férieufes des avantages que trouveroit l'Etat à affigner
des marques diftinctives à la Nobleffe. L'Académie de
Caen propofa , ily a quelques années , cette question :
» Y a-t-il eu autrefois en France dans les habillemens
» ordinaires des particuliers , une marque diſtinctive
" de leur état ; cette diflination feroit-elle utile dans
une Monarchie ; quels feroient les moyens de la ré-
» blir & de la perfectionner , fans nuire aux Manufac-
» tures? « Nous ignorons fi cette Académie a reçu
quelque Differtation fatisfaifante fur cette question,
& qui ait mérité le prix qu'elle avoit annoncé.
B5
34 DISCOURS
haubert. Les boucliers avoient tantôt peu de
convexité , tantôt ils étoient plus convexes
& de diverfes formes , foit rondes , ovales ,
ou àpans. On voyoit fur quelques- uns des
figures de lions , de dragons , ou autres ani-
maux féroces .
L'épée , la hache d'armes , les lances ou ja-
velots & les fleches , n'avoient rien de par-
ticulier. On remarquera , que la maniere de
fe fervir alors des lances étoit de les jetter en
l'air.
On portoit les éperons affez courts ; la
Mémoi- mode en introduifit de plus longs dans la fui-
res de l'A-te. Les chevaux n'étoient pas bardés de fer.
cadém.des Les felles groffieres & fort fimples , reffem-
Infcrip. & bloient affez à des bâts , c'eft-à-dire , que le
Bell. Let.
Anciens Cavalier fe trouvoit emboîté entre deux pom-
Monum. meaux ou parties. affez élevées.
Ces armes & ces habillemens en ufage à la
fin du onzieme fiecle & au commencement
du douzieme , furent ceux des premiers Che-
valiers de St. Lazare.
L'armure complette des Chevaliers étoit &
plus pefante & plus compliquée au treizieme
fiecle. Les cafques à grille & à mentonniere ,
ainfi que le camail , capuchon ou coëffe de
mailles de fer , dont on fe fervoit vers ces
temps , enveloppoient la tête & le vifage . On
ajouta à l'ancien habillement les braffarts , les
cuiffarts & les gantelets , le tout de fer. Tel
étoit l'habillement militaire , alors moderne ,
que portoient les Chevaliers qui fe trouve-
rent à la bataille de Bouvine fous Philippe-
Augufte en 1214. On affure que les Guer-
PRELIMINAIRE. 35
riers ainfi vêtus ne couroient prefque d'au-
tres rifques dans les combats , que d'être dé-
montés. Philippe - Augufte l'ayant été dans
cette fameuſe journée de Bouvine , fut en dan
ger de perdre la vie.
L'ancienne Chevalerie fut long-temps con-
fervée , comme un moyen d'exciter l'émula-
tion des jeunes Guerriers. Il étoit alors af-
freux de dégénérer , d'être moins braves que
fes peres , & de n'être pas admis au grade de
Chevalier. Les Rois mêmes fe faifoient ar-
mer Chevaliers avec beaucoup d'appareil &
de cérémonies , ce qui dura jufqu'au milieu du
quatorzieme fiecle. La Chevalerie s'étoit de
plus en plus diftinguée par fa nobleffe, fa va-
leur & fes mœurs , fuivant que l'affure le Roi
Jean (1).
Elle vint enfin à s'obſcurcir ; il n'en reftoit
plus qu'une foible image fous François I , mal-
gré tout fon goût & toute fon adreſſe pour les
fêtes galantes & les jeux militaires. Pierre du
Terrail , dit le Chevalier Baillard , lui donna , Mém. de
du Belloy,
l'accolade après la glorieufe journée de Ma- Liv. 1.
rignan en 1515. On fait combien les fpecta-
cles guerriers devinrent funeftes à Henri II.
Il avoit auffi voulu recevoir l'accolade d'Ou
dard de Biès , dans fon camp près d'Avi- Hiftoire Lalouettde
e,

gnon (2). Ce Monarque étoit pour lors âgé Couci.

(1) Per univerfum orbem fic ftrenuitate & nobilitate


floruit, & viguit probitate. Ord. de 1352.
(2 ) Oudard de Biès étoit Chevalier de l'Ordre du
Roi , Maréchal de France , & Lieutenant-Général en
Picardie. Il fut condamné le 13 Août 1551 , à avoir la
tête tranchée pour prétendus crimes de leze-Majefté ,
B 6
76 DISCOURS
de plus de 29 ans. Dans les beaux jours de
la Chevalerie le fimple Gentilhomme avoit
le droit d'être lui-même fait Chevalier dès
l'âge de 21 ans.
Il paroît que ces Rois ne reçurent l'acco-
lade , que pour encourager la vertu , en ho-
norant d'une maniere fi publique celle des
grands Capitaines , à qui ils permirent de la
leur donner. Remarquons encore qu'avant
ces accolades , ces mêmes Rois étoient déja
Chevaliers de St. Michel , & en portoient
les marques. Cet Ordre honorifique , infti-
tué par Louis XI , en 1469 , avoit beaucoup
contribué à faire tomber l'ancienne Chevale-
rie , qui n'avoit rien de comparable aux hon-
neurs & aux privileges attachés à la nou-
velle Inſtitution. D'un autre côté , la Nobleffe
abandonna les jeux fouvent fanglans desTour-
nois. L'invention des armes à feu , rendant
ces violens exercices inutiles pour la guer-
re , les fit entièrement négliger. On oublia
juſqu'à la maniere de ſe ſervir de la plupart
des armes anciennes.
Ces fortes de fêtes , où les Chevaliers s'af-
fembloient à jour marqué pour faire parade
de leur force & de leur adreffe , avoient fouf-
fert quelque légere interruption au milieu du
4 treizieme fiecle. Les Conciles les avoient pro-

de péculat , & de plufieurs autres. L'arrêt ne fut point


exécuté ; il fut même remis en liberté , & mourut de
trifteffe à Paris au mois de Juin 1553. Sa mémoire &
celle de Jacques de Couci , fon gendre , furent réta-
bliespar Lettres- Patentes de Henri III , du mois de Sep
tembre 1575, Manuſe DE BRIENNE, Tom, 189 , fol, 122
PRELIMINAIRE. 37
hibées ( 1 ). Philippe-le-Hardi les avoit auffi
défendues , mais il les rétablit en 1279 , pour
procurer des amuſemens aux Princes étran-
gers qui fe trouvoient pour lors à fa Cour..
Le Pape eut beau en marquer fon méconten-
tement à ce Monarque , on les continua.
Enfin on a ceffé de conférer l'ancienne
Chevalerie , & le titre de Chevalier , com-
mun dans fon origine à l'ancienne Gendar-
merie ou Nobleffe , eft redevenu le titre gé-
néral & diftin&tif des defcendans de cette
même Nobleffe , ou réputés tels ; car il faut
convenir que ce qu'il en refte à préſent for-
meroit un corps peu nombreux.
Ce feroit prefqu'anéantir la Nobleffe de
France, que de vouloir la réduire à la pofté-
rité de fes conquérans. On convient qu'il
eft très- difficile de prouver des généalogies
qui remontent au de-là du onzieme fiecle ;
les noms propres & fixes des Familles n'ont
commencé qu'à cette époque. D'un autre côté ,
les récompenfes militaires , appellés Bénéfices
ou Fiefs , ne devinrent héréditaires que fous
Charles- le-Chauve. L'étendue & les préroga-
tives de ces Fiefs déciderent la grandeur & la
nobleffe de ceux qui les pofféderent ; mais
pendant l'espace de quelques fiecles qui s'é-
coulerent depuis le regne de Charles - le-

(1 ) Le 12e. Canon du Concile de Rheims tenu en


1131, défendit les Tournois , parce qu'on y mettoit en
péril la vie du corps & de l'ame : on refufoit la fépul-
ture eccléfiaftique ceux qui y mouroient. Ils furent
auffi défendus par le troifieme Concile de Latrap tenu
en 1179 , fous le Pape Alexandre III,
38 DISCOURS
Chauvejufqu'à celui de Philippe-le- Bel , s'em-
para fouvent , qui le put , de ces Fiefs. La foi-
bleffe du Gouvernement facilita ce briganda-
ge, enfeveli dans la nuit des temps ( 1 ). II
ceffa ; l'achat d'un Fief , toléré pour de l'ar-
gent, ne changea plus la condition du nou-
veau poffeffeur ; la tranfition fubite de la ro-
rure à la Nobleffe n'eut plus lieu . Il reſte
cependant quelques defcendans des anciens
Seigneurs légitimes des grands Fiefs , auffi dif-
tingués par la haute eftime que le courage &
la vertu leur ont acquife , que par leur ex-
traction. Il eſt encore un autre ordre de Fa-
milles , qui , fans participer à des fources auffi
brillantes , ont poffédé des Fiefs inférieurs pen-
dant plufieurs fiecles , en confervant une No-
bleffe connue depuis la propriété des noms ,
& foutenue par la pratique conftante des ver-
tus de leur état. Ayant mérité les anciens
honneurs militaires , voudroit- on les priver
de la qualité de Chevalier ? Je ne diſcuterai
point les droits que prétendent y avoir les
.
hommes de baffe condition que nos Rois ont
fouvent jugé à propos d'approcher de leurs
Perfonnes , & qu'ils ont annoblis. Je n'exa-

( 1 ) La confufion des conditions eft attachée à l'état


focial. Il n'eft point de Roi , dit Platon , qui ne tire
fon origine de quelqu'Efclave ; il n'eft point d'Esclave
qui n'ait quelque Roi parmi fes aïeux. D'anciennes ré-
volutions ont couvert de ténebres la faite de nos ancê-
tres , & la fortune a confondu & brouillé toutes les
races. Plato ait neminem Regem non ex Servis effe oriun
dum , neminem non Servum ex Regibus. Omnia illa longa
varietas mifcuit , & furfum deorfum fortuna verfavir
SEN. Ep. 44.
PRELIMINAIRE. 39
minerai pas davantage , fi un Bourgeois , ve-
nant de retirer du fceau fes lettres de Magif-
trature , ou de quelque autre charge , peut
fe qualifier Chevalier. Ufurper des qualités
ne paffe que pour un ridicule ; on fe donne
volontiers celui de prendre au moins les
titres & les marques de la condition qui pré-
cede la fienne. Autrefois les perfonnes No-
bles rendoient la juftice & alloient à la guerre ;
ils acquéroient dans les Tribunaux , comme
dans les armées , un furcroît de générofité.
Les vertus d'attention à difcuter les intérêts
publics & particuliers font fatigantes & plus
triftes que les vertus militaires. Tandis que
les connoiffances humaines faifoient des pro-
grès dans les autres conditions , la Nobleffe
confervoit fon ignorance auffi foigneufement
que fa bravoure. Les Chevaliers , pour la
plupart , fe trouvant incapables de remplir
les fonctions de la Magiftrature , furent obli-
gés de les abandonner aux perfonnes lettrées.
On créa même en leur faveur une forte de
Chevalerie de plume ; il fuffifoit pour l'ob-
tenir de faire preuve de capacité dans la con-
noiffance des Loix : cet honneur ne changeoit
point leur condition. La Nobleffe n'a été ac-
cordée aux Magiftrats des Cours fupérieures ,
que par nos derniers Rois. La poftérité d'un
fimple Confeiller au Parlement devient No-
ble , celle du Maréchal de Faber , s'il en eût
eu , feroit reſtée dans la roture. On s'eft plaint
pendant des fiecles de cette inconféquence
dans la diftribution des graces; notre. Augufte
Monarque , Louis XV , l'a fait ceffer , en
45 DISCOURS
créant une Nobleffe Militaire. Mais retour-
nons à la chûte de l'ancienne Chevalerie &
à fes fuites.
Il eſt certain que l'Inftitution de l'Ordre
de St. Michel fit infenfiblement tomber l'an-
cienne accolade dans le mépris général . Cet
Ordre tomba lui-même dans la confufion ,
parce que les défordres des Guerres civiles
empêcherent de le refufer à des perfonnes
fans naiffance. Henri III , ne voulant ou ne
pouvant pas le fupprimer , y joignit celui du
St. Efprit en 1578. Il n'admit dans ces deux
Ordres réunis qu'un petit nombre des plus
grands Seigneurs de la Cour. Cependant tour
le refte de la Nobleffe du Royaume conferva
l'ancien titre de Chevalier. Les cérémonies :
de réception , devenues ridicules , cefferent
feulement d'être obfervées. Les Ecrivains des
derniers fiecles prétendent que ce fut une
ufurpation de la part de la Nobleſſe , un
abus qui a toujours augmenté. Leur erreur
vient de ce qu'ils ont négligé de remonter
à la fource , & confondu le titre de Che-
valier d'un Ordre avec la fimple qualité de
Chevalier.
Quelques Auteurs ont admis , dès les com-
mencemens de l'affociation de l'ancienne Che-
valerie , une diftinction entre Chevalier &
Chevalier de cet Ordre ; entre Chevalier de
race , & Chevalier de dignité : ils ſe font
trompés. L'ancienne affociation ne paroît
pas avoir été appellée Ordre ; ceux qui n'y
étoient pas initiés ne fe qualifioient point du
titre de Chevaliers. Les Loix avoient pronon
PRELIMINAIRE. 41
cé des peines contre les perfonnes qui pour-
roient avoir la témérité d'ufurper cette qua-
lité ( 1 ), On ne connoiffoit point la dénomina-
tion d'Ordre de Chevalerie avant l'établiffe-
ment des Ordres Religieux & Militaires. L'an
cienne Chevalerie feroit devenue un fantô-
me , s'il eût fuffi d'être de naiffance à pouvoir
y prétendre pour en prendre le titre avant
d'y être admis. La Nobleſſe n'eſt rentrée dans
fes droits de naiſſance , quant à ce titre , que
lorfqu'on a ceffé de le folliciter , & par con-
féquent de le conférer.
Les anciens Légiftes, ont dit , que le titre
de Chevalier n'étoit point héréditaire ( 2) ;
ils avoient raifon. Les Légiftes modernes ont
répété la même chofe après l'extinction de
l'ancienne Chevalerie , & c'eft fans aucun
fondement. Traité de
La Rocque & fes copiftes rapportent des Le. la Noblef-
Remontrances des Provinces d'Etat , & des
Ordonnances de nos Rois , qui défendent à
la Nobleffe de prendre la qualité de Cheva-
lier. Mais ces pieces font ou fauffes , ou mal
interprétées. Nos Rois n'ont jamais prétendu

(1 ) Quiconque ufurpoit le titre de Chevalier , &


ofoit en porter les marques , qui étoient des éperons
dorés , devoient être condamnés à avoir les éperons
tranchés fur un fumier. Etab. de St. Louis , Chap. 130.
Outre des éperons dorés , les Chevaliers avoient des
manteaux particuliers , appellés , Pallia militum. lis
pouvoient porter des habillemens auffi magnifiques
que les Princes. Les éperons des Ecuyers n'étoient
qu'argentés , & leur habillement confiftoit dans une
tunique brune & toute unie. Dans la fuite ils pu-
rent porter de l'argent fur leurs habits.
(2) TitulusMilitis ad hæredes minime traſmittitur,
42 DISCOURS , &c.
détruire les droits de l'ancienne Nobleffe du
Royaume. L'Ordonnance de Louis XIII , de
1629 ; celle de Louis XIV , de 1664 , ont
été données en général contre les ufurpateurs
de la Nobleffe & de tous les titres.
Quoique les Ordres Militaires réguliers
foient une imitation de l'ancienne Chevale-
rie , ils font cependant très-différens. Ils ont
un Chef, ils jouiffent d'honneurs & de pri-
vileges particuliers , confirmés par les Rois
& par les Papes , ils portent une marque
diftinctive , ils font aftreints à des vœux ,
particulièrement à celui de prendre les ar-
mes pour la défenfe du Chriftianifme. Com-
mençons l'Hiftoire de l'Ordre de St. Lazare ,
par un expofe fuccin& t des guerres & des cir-
conftances qui l'ont fait naître.

C
** 火烧
* **

ESSAI CRITIQUE

SUR

L'HISTOIRE

De l'Ordre Royal , Hofpitalier &


Militaire de Saint LAZARE

DE JERUSALEM.

LIVRE PREMIER.

N Prêtre vagabond , fier & dé-


vot, irrité des mauvais traite-
U mens qu'il avoit reçus dans un
Pélerinage de Jerufalem , fut ,
de concert avec le Patriarche
de la Paleſtine , trouver > à fon retour , le
Pape Urbin II. Pierre l'Hermite , c'étoit le
nom de ce Prêtre , échauffa par fon imagina-
tion forte l'efprit du Pontife , au point de le
déterminer à déclarer la guerre aux Mahomé-
tans. Il courut enfuite de Province, en Pro-
44 Effai critique fur l'Hiftoire
vince , exagérant l'état malheureux des Chré-
tiens en Afie: Delà le vertige religieux qui
s'empara des efprits , à la fin du onzieme fie-
cle , pour la conquête des Lieux Saints.
La premiere des armées , fi connues fous le
nom de Croiſades , entreprit de paſſer dans
P'Afie , s'ouvrit , à force de combats , un che-
min par la Syrie , jufqu'aux portes de Jeru-
falem , affiégea cette Ville , la prit , & donna
pour Souverain à la Judée un Héros François.
Ce nouvel Empire , à peine élevé fous
Philippe I , menaçoit déja ruine. Louis - le-
Jeune vint à fon fecours , fuivi d'une armée
de quatre-vingt mille hommes : il fut défait.
Les affaires des Croifés chancelerent encore
pendant un affez long efpace de temps : enfin
Lufignan tomba du Trône de Jerufalem. Phi-
lippe -Augufte & d'autres Princes s'embar-
querent avec des armées formidables , pour
l'aller relever. Les divifions s'oppoferent aux
fuccès ; une maladie violente força le Roi de
repaffer en France. Il permit depuis de lever
des troupes pour la Terre-Sainte ; mais les
Généraux de ces armées , éblouis d'une bril-
lante aventure , qu'ils rencontrerent , chemin
faifant, s'y livrerent inconfidérément , & per-
dirent de vue leur objet principal . Aidés des
Vénitiens , ils s'arrêterent à venger les torts
d'un tyran , ufurpateur du Trône de Conf-
tantinople ; ils y rétablirent le légitime Sou-
verain , qui périt fous le fer d'un autre ufur-
pateur. Alexis Comnene fut égorgé , avant
même que l'armée Françoife fût fortie de la
Grece. Elle revint fur fes pas , affiégea une
des Ordres Royaux , &c. 45
feconde fois Conftantinople , le prit d'affaut ,
punit du dernier fupplice le tyran Murzul-
phe , mit en fa place Baudouin , Comte de
Flandre , & ne penfa plus qu'à affermir fes
nouvelles conquêtes , connues fous le nom
de l'Empire des Latins , qui fut de courte
durée .
Enfin St. Louis conduifit fucceffivement au
delà des mers , deux armées , qui fembloient
invincibles , à en juger par le nombre & la
qualité des combattans. Les Princes du Sang ,
la plus grande partie des Seigneurs & des
Gentilshommes François , fuivis de leurs vaf
faux, compofoient la premiere de ces armées,
qui fe rendit en Afie. Les maladies & l'en-
nemi la détruifirent. Le Monarque le plus di-
gne de triompher , fut réduit à fe racheter
des fers , pour repaffer dans fes Etats. La fe-
conde expédition fut plus malheureuſe enco-
re. Ce Roi n'alla pas même jufqu'en Egypte ,
où il avoit deffein de pénétrer. Dans l'espoir
de convertir le Roi de Tunis , il cingla vers
l'Afrique ; fa flotte paroiffant bientôt à la vue
des ruines de Carthage , fes troupes firent leur
deſcente près des débris de cette ancienne ri-
vale de Rome , peu éloignée de Tunis , dont
elles devoient entreprendre le fiege. Une ma-
ladie épidémique défola leur camp ; le St. Roi
en fut attaqué , & mourut de certe contagion
avec la piété d'un Chrétien & le courage
d'un Héros. Tous ces imprudens projets de
conquérir la Terre-Sainte , font , pour ainfi
dire , defcendus dans le tombeau de ce grand
Roi , & y font reftés enfevelis avec lui. L'ar-
46 Effai critique fur l'Hiftoire
mée chrétienne , à moitié détruite , fit la paix
avec Tunis , & repaffa en France , où l'on
continua vainement de prêcher des Croisades
pour la Paleſtine.
Telle fut la part que prirent les François
dans ces guerres , que l'on croyoit faintes
dans leur principe , mais dont la corruption
humaine avoit fait une espece de mode ou de
maladie du fiecle ; & même un inftrument de
toutes fortes d'intérêts pour les Rois , auffi-
bien que pour les particuliers. Les Empe-
reurs , les Rois d'Angleterre , de Danemarck ,
de Hongrie , de Navarre , toutes les Puiffan-
ces de l'Europe , dépeuplerent leurs Etats ,
pour tranſporter en Afie des troupes qui n'en
revinrent point. On eftime que l'Orient fut
le tombeau de plus de deux millions d'Eu-
ropéens.
Les Ordres de Chevalerie Religieuſe pri-
rent naiffance dans ces armées. Le foulage-
ment des malheureux , le ſervice des malades ,
la défenſe des Chrétiens contre les Infideles ,
furent les motifs de ces diverfes Affociations ,
dont les plus remarquables furent celles des
Hofpitaliers , des Templiers & des Teutons.
Les François formerent les deux premieres ,
& les Allemands la troifieme.
Les Hofpitaliers joignirent les premiers la
valeur à l'humanité , les vertus chrétiennes
aux vertus militaires. Si l'on confidere qu'il
étoit alors affez difficile de les interdire aux
perfonnes engagées dans le Sacerdoce , il
paroîtra moins étonnant que de fimples
Hofpitaliers fe foient attachés à les exer-
des Ordres Royaux , &c. 47
cer ( 1). D'ailleurs le goût pour l'indolente
folitude s'étoit ralenti ; on ne fe foucioit plus
de mériter le ciel , en imitant ces hommes ti-
mides qui avoient vécu dans l'oifiveté des dé-
ferts de la Thébaïde & du Mont- Caffin. On
préféroit de périr les armes à la main : moyen
plus vif & plus brillant.
Quelques perfonnes pieufes fe deſtinerent
d'abord au fervice des malades de Jerufalem ;
le zele accrut leur nombre au point de for-
mer un Ordre conſidérable de Soldats Hofpi-
taliers. Voués aux œuvres de mifericorde , ils
n'en devinrent pas moins redoutables aux en-
nemis du nom chrétien. Utiles aux malheu-
reux , fervant les Rois , ils furent comblés
de bénédictions & de richeſſes.
Les anciennes Hiftoires de ces Ordres font ,
pour la plupart , remplies de fables & d'ab-
furdités. On trouve fouvent dans les moder-
nes de l'obfcurité , de l'incertitude & de la
confufion. Quoiqu'il foit certain que ces Affo-
ciations n'aient commencé que dans le dou-
De Belloy
zieme fiecle , quelques Auteurs ont imaginé & autres.
de les faire remonter jufqu'aux premiers tems
du Chriftianiſme. Il leur a plu de trouver des
veftiges de l'Ordre de St. Lazare , dans le
Concile tenu par les Apôtres avant leur ſépa-

(1) Sous Louis-le-Débonnaire , fous les autres Rois


de la feconde Race , & pendant tout le dixieme fie-
cle , les Evêques & les Abbés alloient à la guerre ,
autant par inclination , que parce qu'ils y étoient
obligés pour le fervice de leurs Fiefs. Lors même
que les Princes leur eurent accordé plufieurs privi
leges , pour les en diſpenſer , la plupart continuerent
encore d'être guerriers.
48 Effai critique fur l'Hiftoire
ration. Ils penfent qu'il fut créé dans l'Orient
du temps du Pape Damafe , & confirmé par
plufieurs de fes fucceffeurs. Pie IV n'a pas
peu contribué à accréditer cette erreur dans
la Bulle Inter affiduas , donnée l'an 1565 en
faveur de cet Ordre. Nous aurons fouvent
occafion de parler de cette Bulle.
Vers l'an 370 , St. Bafile , Evêque de Cé-
farée en Capadoce , fonda près de cette Ville
un Hôpital , dont parle St. Grégoire de Na-
zianfe dans l'oraiſon funebre qu'il a faite à la
louange de cet Archevêque , fon contempo-
rain & fon ami : mais il en parle en Orateur ,
dans un difcours orné , peu fufceptible de dé-
tails hiftoriques , qu'il n'avoit même aucun
deffein de donner. Il cite cet Hôpital pour
exemple de la charité & de l'affection de Ba-
file pour les pauvres. Voici comme il s'ex-
prime : » Que la bienfaiſance a de charmes !
» qu'il eft agréable de fecourir les malheu-
reux, de foigner les malades , d'alimenter
» les pauvres ! Portez vos pas à peu de dif-
" tance de Céfarée ! confidérez la nouvelle
» Ville ! « .... Expreffion figurée & la feule
dont fe fert St: Grégoire pour défigner cet
Hôpital & fa vafte étendue. Il ajoute qu'on y
trouvoit les fecours fpirituels , les confola-
tions de l'amé tréfors plus précieux que
toutes les richeffes dont on l'avoit abondam-
ment muni pour les befoins temporels. L'O-
rateur met , avec raiſon , ce monument de la
piété de Bafile , au deffus de la fameuſe The-
bes à cent portes ; des murailles de Babylone ,
ouvrage renommé de Sémiramis ; du magni-
fique
des Ordres Royaux , &c . 49
que Sépulchre de Maufolus , Roi de Carie ;
& des autres merveilles inutiles du monde , fi
vantées dans l'Hiftoire. » Quel avantage plus
» defixé pouvoit-on procurer aux citoyens de
» Céfarée , continue-t-il , que de les délivrer
» de la vue du trifte & dégoûtant ſpectacle de
» ces hommes regardés comme morts , quoi-
» que vivans encore : on les chaffe des Villes ,
» des maiſons , des places publiques , du bord
» des fontaines ; ils font privés de la fociété
>> des perfonnes qui leur étoient les plus
» cheres ; il n'eft plus poffible de les recon-
» noître qu'à leurs voix , tant les traits de
» leurs vifages font défigurés : les amis , qui
» autrefois vivoient & fe réjouiffoient avec
» eux , ne les amenent plus dans les affem-
» blées publiques ; il ne refte d'autres amu-
» femens à ceux de ces malheureux , qui
» n'ont pas perdu jufqu'à la voix , que de
» chanter quelques lugubres chanfons. La
» vue de ces affreux moribonds caufe plus
» d'horreur que de pitié. (1)

(1) Pulcra res eft benignitas & pauperum alendorum


ftudium, atque humanæ infirmitati opem ferre. Paulum
extra civitatem pedem affer , ac novam civitatem conf-
. . non jam ocu
pice, illud, inquam , promptuarium ...
lis noftris trifte & miferandum fpectaculum proponitur ,
homines ante mortem vitâ functi , ac plurimis membris
mortui, civitatibus expulfi , domibus , foro , aquis , ho-
minibus fibi cariffimis , nominibus potius quam corpo-
rum lineamentis cognofcendi : nec in publicis calibus
& conventibus per fodalia & contubernia offeruntur ,
non jam mifericordiam ob morbum , fed odiumfui con-
citantes, miferabilium cantionum artifices, fi quibus ta-
men vos ipfa fupereft. S. GREG . NANZIA . Op. Græcè
& Latine. Typis Regiis. 1609. Tom. I , fol. 359. Le
même St. Grégoire , dans fon Poëme 65eme. , loue
C
50 Effai critique fur l'Hiftoire
On voit , par tout ce difcours , que l'Hô-
pital de Céfarée étoit non-feulement deſtiné
aux infirmes & aux pauvres malades , mais
encore à renfermer les Lépreux , qui aupara-
vant étoient vagabonds. On fait d'ailleurs qu'il
s'y trouvoit des logemens pour toutes les per-
fonnes néceffaires au foulagement des pau-
vres : les Médecins , les Serviteurs & les Ou-
vriers de différens Métiers. Les terres que
l'Empereur Valens avoit donné à l'Eglife de
Sozom. Céfarée , fourniffoient un revenu conſidéra-
Liv. v1 ble à cet Hôpital , qui fubfifta long-temps en
cap. 34. ,
grande réputation fous le nom de Bafiliade.
Je ne trouve point que St. Grégoire ait dit
que cet Hôpital fût dédié à St. Lazare ; il pou-
voit être voué , foit à Ste. Marie , foit à Ste.-
Marthe Saintes auffi fouvent invoquées dans
ces Maiſons que leur parent St. Lazare. ( 1)
En rapportant exactement ce qui ſe trouve
dans St. Grégoire touchant l'Hôpital de Céfa-

affez finguliérement St. Bafile , en difant , que comme


il n'y avoit qu'un Dieu, fon fiecle n'avoit connu qu'un
Evêque, qui étoit St. Bafile. D. Ceillier. Tom. 7.
( 1 ) Ce Saint, que les Lépreux ont choisi pour leur
Patron , eft le Lazare , dont il eft parlé dans l'Evan-
gile. Les anciens Chroniqueurs ont imaginé de le faire
voyager dans la Provence avec fes fœurs , Marthe &
Marie , Ste. Véroniques , & autres Femmes Afiati-
ques. Ils affurent que , chemin faifant , il devint Evê-
que de Marseille , & Fondateur de l'Ordre de nos
Chevaliers. De Launoy , fi connu par le titre de Dé-
nicheur de Saints, a publié une differtation pour dé-
truire cette fable ridicule. De Valois à dit à l'oc-
cafion du voyage de Lazare : n Credant qui volent ,
pour moi je n'en croirai jamais rien , & tiendrai tou-
jours cette arrivée en France pour la chofe du monde
la plus fabuleuſe. Ce n'eft pas que je fois incrédule;
des Ordres Royaux , &c.
farée , nous détruifons les erreurs avancées
par les Auteurs anciens & modernes * " qui * Ciacon .
Chro. Her
prétendent que ce Saint a parlé des Hofpita- man , Tam-
liers de St. Lazare , & que l'Hôpital de Céfa- burin & au
rée eſt le lieu de leur origine. A l'exemple de tres.
ce fameux Hôpital , on bâtit dans la fuite plu-
fieurs de ces Maiſons charitables dans la Mo-
rée ; elles fe multiplierent dans la Romanie
& dans tout l'Orient. t
On lit dans Baronius , à l'an 530 , que fous
l'Empereur Julien il y avoit à Jerufalem une
de ces Retraites deftinée au foulagement des
malades , dont l'Egliſe étoit bâtie fur le ter-
rein des Lazes , in eremo Lazorum : ces Laześ
pouvoient être des Arméniens , des Géor-
giens , ou quelques autres Peuples de l'Afie ,
qui avoient fait conftruire cette Maiſon
d'Hoſpitalité pour les pauvres infirmes de
leur Nation.
Sous l'Empire de Charlemagne , dont la
gloire avoit pénétré jufques dans l'Afie , &

mais en fait d'hiftoire , je veux quelque bonne auto-


rité , autrement je n'y ajoute point de foi. « Vale-
fiana , pag. 44.
Dans les fiecles d'ignorance , l'on a fouvent invo-
qué plufieurs Saints pour certaines maladies , par la
feule confidération de quelqu'allufion , de quelque ref
femblance de nom du Saint avec celui de la maladie.
On ne connoît point d'autre motif qui ait pu enga-
ger les hydropiques à prendre St. Eutrope pour leur
Patron ; les goûteux , St. Genou ; les aveugles , St.
Clair , &c. &c. Anciennement on appelloit Ladres ,
les Lépreux. Ces malheureux imaginerent d'appeller
le Lazare , leur Patron , St. Ladres , quoiqu'il n'eût pas
été attaqué de la maladie de la lepre : ce qui paroît
plus probable que de faire dériver le mot Ladres , de
Lazare , comme l'ont fait quelques Ecrivains.
C2
52 Effai critique fur l'Hiftoire
l'avoit fait refpecter des Califes , ces Princes
permirent aux Chrétiens , à fa confidération ,
d'avoir à Jerufalem une Maiſon particuliere
pour loger les Pèlerins que la dévotion au St.
Sépulchre pourroit y amener.
Liv. 37. Le P. Mabillon , dans les Annales de fon
Ordre , parle d'un certain Moine François ,
qui vivoit en 870 , & qui , dans fa relation
d'un voyage fait à Jerufalem , rapporte qu'il
y avoit trouvé un Hôpital pour les Latins.
Cette Ville , & prefque tout l'Orient , étoit
dès-lors fous la domination des fucceffeurs de
Mahomet. On fait affez que ce fameux Im-
pofteur eut l'audace de s'ériger en Prophete
dans fa patrie. Fort adroit , mais trop igno-
rant pour établir fa nouvelle doctrine par la
feule perfuafion , il eut recours aux armes.
Tout-à - la-fois Conquérant & Inftituteur
d'un culte religieux , il fubjugua les Arabes ,
& leur fit embraffer fa nouvelle Religion ,
qu'il affermit par l'intolérance abfolue. Rien
ne parle en faveur de Mahomet , que fes fuc-
cès étonnans. Fut-il un grand homme , oufeu-
lement un fcélérat heureux ? Nous ignorons
trop les actions de fa vie pour en décider.
On convient que les Hiftoires , que nous en
avons , ne contiennent que des fables , dont
les unes l'honorent , & les autres le décrient.
S'il eft vrai que les conquêtes parmi les
Princes , comme les grandes fortunes chez
les Particuliers , annoncent toujours une ef-
pece de mérite , on ne peut en refufer à Ma-
homet & à fes fucceffeurs. Ceux- ci , fous le
nom de Califes , c'est-à-dire , de Vicaires du
des Ordres Royaux , &c. 53
Prophete , étendirent leur Empire , avec la
Religion de leur Maître , dans toute la Syrie
& l'Egypte , détruifirent la Monarchie des
Perfes , pafferent en Afrique , en Europe ,
pénétrerent en Eſpagne , dans la France , &
fans la victoire de Charles-Martel , dont nous
avons déja parlé, ce Royaume feroit peut-être
paffé fous la domination Mufulmane ; enfin ,
ils défolerent toutes les parties de la terre ,
alors connues. Ils auroient pu mettre le mon-
de entier dans les fers , fi la diverfité de leurs
opinions dogmatiques n'avoit fait naître par-
mi eux des guerres civiles qui arrêterent leurs
conquêtes. Les Chefs fe difputerent le droit
de fucceffeurs de Mahomet , le pouvoir légi-
time & exclufif d'interpréter fa loi. On a cru
mal-à-propos que la perfécution des Chrétiens
fut toujours entre eux un dogme uniforme &
non contefté. Leur zele pour le profėlytiſme a
fouvent été modéré par l'efprit de tolérance.
En étendant leurs victoires & leur Religion
ils n'ont pas toujours forcé les Peuples vain-
cus à abandonner l'ancien culte religieux au-
quel ils étoient attachés.
Pendant que l'Egypte , la Syrie & la Palef-
tine furent le théatre fanglant de leurs guer
res inteſtines , la Ville de Jerufalem fut plu-
fieurs fois prife & repriſe ; l'Egliſe du Saint
Sépulchre réduite en cendres , puis rebâtie
vers l'an 1048 , par Conftantin XI , dit l'Ef
crimeur. Cet Empereur en avoit obtenu là
permiffion du Calife Aber; celui-ci avoit d'ail
leurs permis aux Chrétiens Grecs , anciens
fujets des Soudans d'Egypte , de s'établir à Je-
C3
54 Effai critique fur l'Hiftoire
rufalem près du St. Sépulchre , dans un quar-
tier féparé des nationaux.
Plufieurs Califes , Princes éclairés & hu-
mains , favoriferent les Chrétiens pendant que
la Paleſtine fut fous leur domination. Mais la
Syrie ayant été conquife par les Turcs vers
le milieu du onzieme fiecle , ces fectateurs fé-
roces de la Religion Mahométane accablerent
les Chrétiens de toutes fortes d'outrages. Ce-
pendant ces nouveaux Souverains conferve-
rent l'Eglife de Jerufalem à titre d'objet utile.
Ils retiroient un revenu certain des permif-
fions de la vifiter , que demandoient les Chré-
tiens étrangers. Ils épuifoient d'ailleurs ceux
de l'Orient par des contributions de toute ef-
pece , en forte qu'il leur reftoit à peine de
qui foutenir une vie malheureuſe : il leur étoit
par conféquent impoffible de donner les plus
foibles fecours aux Chrétiens d'Occident , que
rien ne pouvoit guérir de la pieuſe fureur du
Pélerinage de Jerufalem , où ils arrivoient'
prefque toujours volés & manquant de tout.
C'eft ce qui engagea des Marchands Italiens
de la Ville d'Amalphi , comme nous le ver-
rons , d'obtenir la permiffion d'y bâtir un Hô-
pital , pour retirer les Pélerins. Enfin , les
Princes Chrétiens , à la tête de la première
armée des Croifės , reprirent Jeruſalem fur
Aladin , Sultan d'Egypte , l'an 1099 , & cette
Ville fe vit enfin hors de la fervitude des
Infideles.
Pendant
“འ tous ces temps , les Religieux de
l'Institut de St. Bafile fervoient les malades
des Hôpitaux épars dans diverfes parties de
des Ordres Royaux , &c. 55
l'Orient , où il reftoit quelques miférables dé-
bris du Chriftianifme. Il n'y avoit point d'Or-
dre d'Hofpitaliers proprement dits. D'où il eft
arrivé qu'en confondant ceux de St. Lazare
avec l'Ordre de ce Saint Fondateur , on les a
pris pour les plus anciens Religieux de la
Chrétienté titre qui ne convient qu'à ceux
de St. Bafile. Nés dans l'Orient , il y refte
encore quelques-uns de leurs Monafteres. On
peut dire que fans cet Ordre , la Religion
Chrétienne feroit totalement abolie dans cette
partie du monde.
C'est ainsi qu'en confondant les objets , les
temps , & les lieux , on a pris l'Hôpital de
Céfarée en Cappadoce , bâti par St. Bafile ,
comme nous l'avons vu ci-deffus , & qui ,
peut-être , étoit dédié à St. Lazare , pour le
premier Hôpital de nos Chevaliers ; on a fait
cet Evêque Fondateur de leur Ordre , auquel
il ne penfa jamais , & qui n'a été inftitué
que plufieurs fiecles après lui. L'Ordre de
St. Lazare a même jamais adopté la regle
de St. Bafile. Les Hiftoriens , qui prétendent
qu'il a fuivi cette regle , font dans l'erreur.
D'un autre côté , l'on ne doute plus que ceux
qui vont chercher l'origine des Ordres Mi-
litaires au de-là du douzieme fiecle , ne fe
trompent eux-mêmes , ou qu'une baffe flat-
terie ne les engage à tromper les autres ( 1 ).
Quoique l'Ordre de St. Lazare ait toujours

( 1 ) Fallunt aut volentes falluntur adulatorio ftudio'


placendi abrepti quicunque Militarium Religionum prin-
cipia antè feculum x11. requirunt. P. PAPEBROCH.
Apud Boland , Tom. 3 , April. pag. 155.
C4
56 Effai critique fur l'Hiftoire
été regardé en France comme le premier des
Ordres Militaires , il n'eft pas sûr qu'il foit
plus ancien que celui de St. Jean ou de Malte.
Ces deux Ordres paroiffent tellement nés en-
femble , & fi fort confondus dans leur fource ,
qu'il eft difficile de les bien diftinguer. Quel-
que temps rivaux en pieté & en bravoure ',
le plus heureux l'a emporté fur l'autre , par
les richeffes & l'éclat des établiſſemens ; l'un
eft refté dans les bornes de fon état , l'autre
eft devenu Souverain. L'Hiftoire des Guer-
res Latines de l'Orient n'a , le plus fouvent
fait mention de ces deux Ordres , que fous
le nom général d'Hofpitaliers ; & voici ce
qu'elle nous apprend.
Vers le milieu du onzieme fiecle , temps
où Jerufalem étoit en la puiffance des Ca-
lifes Fatimites , des Marchands d'Amalphi ,
Ville d'Italie , faifoient un commerce dans
l'Orient , dont ils étoient peu fatisfaits ; ils
penferent à le rendre plus lucratif, en l'é-
tendant dans les parties de l'Egypte & de la
Syrie , qui étoient fous la domination de
Muftaphet Billoch. A la faveur des riches
étoffes , & des autres ouvrages curieux , dont
ils firent des préfens à ce Prince & aux Grands
du Pays , ils en furent bien reçus. Les peu-
ples mêmes leur furent gré des chofes utiles
qu'ils leur apporterent , & qui leur étoient
entiérement inconnues. On permità ces Mar-
chands de parcourir librement les Etats du
Calife Muſtaphet ; ils en profiterent pour
établir des Comptoirs dans les Villes Mariti-
mes dont il étoit le maître. Leur commerce
des Ordres Royaux , &c. 57
réuffit , ils firent de gros gains. Il leur man-
quoit un établiffement à Jerufalem , ils l'ob-
tinrent. Le Calife écrivit au Commandant de
cette Ville de leur accorder , à titre d'amis &
de gens utiles , le terrein qu'ils defiroient. Ces
Marchands payerent chèrement celui qui leur
fut cédé dans le canton des Chrétiens ; ils y
bâtirent une maifon près de l'Eglife du St.
Sépulchre , & un Monaftere dédié à la fainte
Vierge , où ils amenerent un Abbé & des
Moines d'Italie , qui y donnoient l'hofpita-
lité aux Pèlerins de l'Europe : ce qui les en-
gagea à donner à ce Monaftere le nom de Ste.
Marie de la Latine. Comme les femmes fai-
foient auffi le Pèlerinage , on bâtit un autre
Monaftere pour des Religieufes , qui ren-
doient les mêmes fervices aux perfonnes de
leur fexe. Enfin ces Marchands Italiens fon-
derent un Hôpital pour loger les Pélerins
fains & malades. Ces trois Maiſons , favoir ,
les deux Monafteres & l'Hôpital , n'avoient
aucuns revenus , & ne fubfiftoient que des.
contributions charitables de ces mêmes Ita-
liens. Avant cet établiſſement , des Pélerins
de toute nation périffoient , faute de fecours
& d'afyle. L'Hôpital fut dédié à St.Jean l'Au-
mônier : c'étoit un Patriarche d'Alexandrie né
dans l'ifle de Cypre. Comme il avoit été très-›
charitable pendant fa vie , on lui donna le
furnom d'Aumônier après fa mort.
Lorfque les Armées Chrétiennes prirent
Jerufalem , l'Abbeffe de la Magdeleine étoit
une Noble Romaine nommée Agnès , & l'Ad-
miniſtrateur de l'Hôpital un certain Gérard ,
C5
58 Effai critique fur l'Hiftoire
qui fervoit les pauvres depuis long-temps ,
fous les ordres de l'Abbé & des Moines de
Ste. Marie. Gérard étoit un homme recom-
Guill. de mandable par la fainteté de fa vie , fa grande
Tyr , Liv.
18 , cap. 4, foi, & les tourmens qu'il avoit foufferts de
5 & 6. la part des Sarrazins pendant le fiege de Jeru-
falem. Tout ceci eft extrait de Guillaume ,
Archevêque de Tyr.
Les combats , le climat & les diffolutions ,
avoient multiplié les bleffés & les malades.
dans l'armée victorieufe des Croisés. L'Hô-
pital qu'ils trouverent à Jerufalem leur fut
d'un foible fecours , en attendant qu'on en eût
établi d'autres plus proportionnés aux befoins
preffans qu'ils en avoient. Godefroy de Bouil-
lon , proclamé Roi de Jerufalem , fut par
piété vifiter cet Hôpital , qui jouiſſoit déja de
quelque réputation. Il le trouva rempli des
bleffés , qu'on y avoit tranfportés après la
prife de la place. Edifié de la charité que
Gérard & fes compagnons y exerçoient à
l'égard de ces malheureux , il leur fit à l'inf-
tant de grandes largeffes. On croit que dans
la fuite il donna à cette Maiſon les biens qui
lui reftoient dans le Brabant. Ce Prince avoit
vendu les grandes terres qu'il y poffédoit
pour faire le voyage de la Paleſtine , & pour
foutenir les dépenfes qu'exigeoient fon rang
& le commandement qu'il avoit dans l'ar-
mée des Croisés. Les Hiftoriens contempo-
rains font l'éloge des agrémens de la per-
fonne de ce Général , de fa générofité , de ſa
bravoure , & de fes vertus. La plupart des
Seigneurs François s'étoient , comme lui , dé
des Ordres Royaux , &c. 59
barraffés de leurs biens en les vendant à vil
prix. Ils comptoient aveuglément fur la con-
quête de l'Afie , qui devoit les empêcher de
fe repentir du facrifice qu'ils faifoient de leur
fortune en Europe. Ils imiterent les libérali-
tés du Roi à l'égard de l'Hôpital de Jérufa-
1 lem , de forte qu'en peu de temps il fe trouva
richement doté.
Son Adminiftrateur Gérard étoit un Péle-
rin , qui aprés avoir vifité les faints lieux ,
réfolut d'y refter & de s'affocier à d'autres Pé-
lerins , afin de fecourir tous ceux que le goût
du fiecle pour cette dévotion ameneroit à
S Jerufalem. Il fe trouva dans cette focieté des
perfonnes de tous les états , & quelques Gen-
tilshommes ; plufieurs Guerriers de l'armée
des Croisés en augmenterent le nombre. Gé-
rard gouverna d'abord cet Hôpital , fous l'au-
a torité de l'Abbé de Ste. Marie , enfuite fes
Freres & lui-même s'en féparerent , formerent
une Congrégation particuliere , adopterent
une regle , firent des voeux , & furent ap-
prouvés des Papes. La premiere Bulle en leur
faveur eft celle , Pia poftulatio voluntatis , de
Pafcal II , datée du 15 Février 1113 , &
adreffée à Gérard , Inftituteur & Gouverneur
de l'Hôpital de Jerufalem , & à fes légitimes
fucceffeurs : Gerardo , Inftitutori ac Præpofito
Hierofolymitani Xenodochii , ejus que legitimis
fuccefforibus.
L'Hôpital des Marchands d'Amalphi devint
donc le berceau d'un Ordre fameux , & Gé-
Traité de
rard en fut le Fondateur. Larocque , d'après la Noblef-
le Commandeur de Naberat , l'appelle Gérard fe , ch.115.
C6
60 Effai critique fur l'Hiftoire
de Tum , & le dit né à Martigues en Pro-
vence. Il eſt certain qu'il ne portoit d'autre
nom que celui de Gérard ; c'eſt par une fin-
guliere méprife que le furnom de Tum lui a
été donné. La regle de l'Ordre des Hofpita-
liers de Saint Jean fut imprimée à Rome en
1586 , fous le Pape Sixte V : l'on grava au
frontispice de ce Livre le portrait de Gérard ,
avec cette infcription : Frater Gerardus tùm
Hofpitalis Præfectus , cùm a Chriftianis Duce
Godofredo Hierufalem capta eft anno D. M. L.
XXXXIX. Naberat , Hiftorien de l'Ordre de
St. Jean , a pris la particule tùm dans cette
infcription , pour un nom de terre , dont il a
jugé à propos de décorer Gérard , en l'appel-
Hift. des lant Gérard de Tum. Le P. Maimbourg , en co-
Croisades.
piant mal Naberat , l'appelle Gérard de Tunc.
Favin le nomme Gérard de St. Didier : cet
Auteur prétend qu'il étoit Gentilhomme Pi-
card , de la maifon de St. Didier , & donne le
blafon de fes armes.
Hift. des Suivant le même P. Maimbourg , avant que
Croifades, les Princes Chrétiens euffent conquis la Terre-
To. I.Liv. Sainte, il y avoit à Jerufalem des Hofpitaliers ,
3.
dont les uns recevoient les Pèlerins , & les autres
avoient foin des pauvres malades ; & les Hofpi-
taliers qui avoient foin des Lépreux , étoient plus
Touffaint anciens que les autres. Touffaint de St. Luc les
deSt.Luc, fait exifter fous Godefroy de Bouillon ; il pré-
p.6 & 11. tend que leur Chef ou Supérieur tenoit un
rang confidérable parmi les Prélats de l'Egliſe
d'Orient , dès le temps de ce premier Roi
de Jerufalem. Ces opinions n'ont aucun fon-
dement.
des Ordres Royaux , &c. 61
Il ne fe trouva point d'Hôpital à Jeruſalem
fous le titre de St. Lazare , lorfque cette Ville
fut prife ; il n'y avoit que l'Hôpital de St.
Jean l'Aumônier , comme nous l'avons déja
remarqué. Une Léproferie n'y devoit pas être
fort néceffaire. Il eft probable que les Mar-
chands Italiens Lépreux ne voyageoient pas ,
& que les voyages étoient même défendus
aux perfonnes attaquées de la lepre.
On prétend que cette maladie ne reparut
en Italie qu'après les conquêtes des Empe-
reurs Grecs , qui avoient dans leurs armées
des milices de la Paleftine & de l'Egypte.
Quelques Ecrivains affurent qu'il n'y avoit
point eu de lepre avant Rotharis , ſeptieme
Roi des Lombards , qui vivoit vers le milieu
du feptieme fiecle. Il fit des loix fi féveres
pour en arrêter les progrès , qu'elle difparut
entiérement. On ne la vit renaître que plu-
fieurs fiecles après.
La maladie de la lepre étant fort commune
dans l'Afie , beaucoup de Croisés dûrent en
être attaqués ; ainfi la néceffité d'une Lépro-
ferie ou Hôpital de St. Lazare , titre affez
commun à ces Maifors , fuivit de près l'arri-
vée des armées Européennes en Orient. Au-
paravant les Lépreux Chrétiens , qui fe trou-
voient à Jerufalem , étoient reçus dans l'Hô-
pital de St. Jean l'Aumônier , & renfermés
dans quelqu'endroit féparé des autres malades.
Tandis qu'on admit les Lépreux dans cet Hô-
pital , l'Ordre ou la Congrégation des Hofpi-
taliers fut unique. Dès qu'on leur deftina un
Hôpital féparé , il y eut deux Maifons d'Hof
62 Effai critique fur l'Hiftoire
pitaliers , celle des Lépreux , & celle du refte
des malades. Ainfi la Société auparavant uni-
que des Hofpitaliers , fe divifa en Hofpitaliers
de St. Lazare , & en Hofpitaliers de St. Jean.
Guillaume , Archevêque de Tyr , ne nous
apprend rien des Hofpitaliers de St. Lazare
dans fon Hiftoire des Guerres Saintes ; il les
a confondus , fans doute , avec ceux de St.
Jean. Les uns & les autres jouiffoient des
mêmes privileges , de la même exemption de
la Jurifdiction du Patriarche , & devoient
par conféquent avoir les mêmes démêlés avec
le Clergé. Ainfi cet Hiftorien , en rapportant
leurs querelles , ne les diftingue point. On
n'en doit pas conclure que les Hoſpitaliers de
St. Lazare n'exiftoient pas , car ces diviſions
éclaterent en 1154 , & certainement les Hof-
pitaliers de St. Lazare avoient avant ce temps
de grands établiſſemens dans le Royaume de
Jerufalem.
Bull. Rom. La nouvelle Bulle , Chriftianæ fidei Religio ,
Roma 1739 d'Anaftafe IV , du 15 Octobre 1154 , en fa-
To . 2, fol.
346. veur des Hofpitaliers de St. Jean ; celles ac-
cordées à ceux de St. Lazare , qui ne font
pas connues , réveillerent la jaloufie & les
plaintes du Clergé de la Paleftine. Les prin-
cipaux privileges de ces Hofpitaliers confif-
toient dans l'exemption de la jurifdiction du
Patriarche , ( les Papes s'étoient déclarés feuls
Evêques immédiats de tout l'Ordre ) dans la
franchiſe des dixmes , dans la défenſe de pu-
blier aucune fentence d'interdit , de fufpenfe
ou d'excommunication , dans les lieux de leur
dépendance. Lors même qu'il plaifoit au Pape
des Ordres Royaux , &c. 63
de jetter un interdit général fur tout un Etat ,
les Hoſpitaliers pouvoient continuer de faire
célébrer le fervice divin dans leurs Eglifes ,
pourvu que ce fût à portes fermées , & fans
fonner les cloches. Il leur étoit encore permis
d'admettre dans l'Ordre des Prêtres & des
Clercs , pour célébrer l'office divin , & leur
adminiftrer les Sacremens. Ils y recevoient
d'ailleurs , outre les Gentilshommes , des Laï-
ques de condition libre , c'eſt-à-dire , non no-
bles , pour le ſervice des pauvres : ainſi l'Or-
dre étoit compofé de Chevaliers , de Clercs
& de Freres Servans.
Le fyftême de l'excommunication géné-
rale étoit alors affez moderne. Il s'étoit écoulé
dix fiecles fans qu'on l'eût imaginé dans l'E-
glife. Ses nouveaux Chefs rendirent enfuite
cette excommunication , & les autres cen-
fures eccléfiaftiques très - communes. C'étoit
pour ainfi dire la derniere raiſon des Papes ,
les armes les plus offenfives qu'ils puffent
employer contre les Têtes couronnées. Les
peuples , alors peu inftruits , regardoient com-
me le plus grand des malheurs , d'être privés
de l'exercice extérieur de la Religion. Les
inquiétudes , les frayeurs continuelles , que
leur caufoit cette privation , pouvoient les
conduire à une révolte générale , ce qui for-
çoit fouvent les Souverains à plier fous le
joug. De même que les Papes s'attribuoient
le droit abufif de mettre les Royaumes en
interdit , il n'y avoit point d'Evêque , qui
pour le moindre intérêt temporel , ne crût
avoir auffi le droit d'y mettre fon Diocefe,
64 Effai critique fur l'Hiftoire
Les Patriarches de Jerufalem fupportoient
donc impatiemment , que les Papes euffent
fouftrait de fimples Hoſpitaliers aux peines de
l'interdit , dont les Rois n'avoient pu fe dé-
fendre. L'Hiftoire nous en fournit vers ces
temps un exemple trop fameux dans la Per-
fonne de l'Empereur Henri IV , forti vain-
queur de quarante batailles ; malgré tant de
victoires , on le vit fuccomber fous le poids .
des cenfures. Abandonné des fiens , perfé-
cuté par fon propre fils , il fut obligé de ſe
foumettre à un Pape , & de renoncer à l'Em-
pire. Parmi nos Rois , Robert & fon petit-fils
Philippe I , avoient été excommuniés , quel-
ques années auparavant. La raifon & l'ex-
périence ont défabufé les hommes. Il y a long-
temps que les Papes ont abandonné le projet
chimérique de fe rendre les Monarques Sou-
verains , les Maîtres des Couronnes de la
terre , & les Juges des Rois. L'exemption
des dixmes accordée aux Hofpitaliers étoit
encore très-ſenſible au Clergé. Ces Religieux
abuferent peut-être de leurs privileges : c'eſt
le fentiment de Guillaume de Tyr, que nous
rapporterons ici , parce qu'on en peut tirer
quelques éclairciffemens.
» Sous le regne de Baudouin III , dit
» cet Hiftorien , les Hofpitaliers commence-
» rent à inquiéter le Patriarche de Jerufa-
» lem , & les autres Prélats , & à fecouer
» le joug de leur autorité. Ils recevoient in-
» différemment tous ceux qui venoient à
» eux ; les fcélérats , les excommuniés étoient
» admis dans leurs Eglifes , & en cas de mort
des Ordres Royaux , &c. 65
ils leur faifoient adminiftrer le Viatique ,
» l'Extrême- Onction , & la fépulture ecclé-
» fiaftique. Lorfque pour des crimes énor-
» mes , on avoit jetté un interdit général fur
» une Ville , ils ne laiſſoient pas de fonner
» leurs cloches , de célébrer publiquement
» l'Office divin à haute voix. Par ce moyen ils
» attiroient à eux toutes les oblations & s'en
"
» engraiffoient aux dépens des Eglifes Ma-
>> trices..... Si le Patriarche vouloit annon-
» cer à fon peuple la parole de Dieu , comme
» leur Eglife étoit voifine de celle du St. Sé-
» pulchre , ils faifoient fonner leurs cloches ,
» afin d'empêcher qu'il n'en fût entendu. Sur
les plaintes qu'ils en avoient faites aux
» Citoyens , plufieurs en avertirent les Hof-
» pitaliers ; mais loin de fe corriger , ils me-
» nacerent de faire pis encore ; & en effet
» ils vinrent en armes attaquer la maiſon du
» Patriarche " entrerent avec irréverence
» dans l'Eglife du St. Sépulchre & y tirerent
» plufieurs fleches, qui furent depuis ramaf-
" fées & fufpendues devant le Calvaire , pour
» mémoire de cet attentat. Guill, de Tyr. Lib.
» 8, cap. 3 & 6.
Tous les critiques conviennent du mérite
& de l'exactitude de l'Hiftorien qui rapporte
ces faits ; mais ils conviennent en même
temps , qu'il cenfure la conduite des Hofpi-
taliers avec aigreur & trop d'amertume. Il
devoit paffer quelque rudeffe à des hommes

de guerre devenus Religieux. Il eft vrai
qu'une pareille nouveauté devoit paroître
auffi finguliere au Clergé , qu'elle lui étoit
66 Effai critique fur l'Hiftoire
défavantageufe. Ces Soldats religieux favori
foient l'enthouſiaſme des Chrétiens du temps ,
qui penfoient que leur falut étoit attaché à
la confervation des Lieux Saints , & que le
zele & la valeur de ces fortes de Guerriers
y contribueroient beaucoup ; il n'y avoit
donc plus d'aumônes , ni d'offrandes que
pour eux.
Il faut convenir auffi , que fi les Ordres
Militaires rendirent de grands fervices dans .
les commencemens de leur Inſtitution , deve-
nus dans la fuite avares , indociles , jaloux les
uns des autres , au point de ſe faire la guerre
entre eux fous des prétextes affez légers , ils
contribuerent beaucoup aux malheurs de la
Paleſtine. On les a plus d'une fois accufés
d'avoir rendu inutiles plufieurs expéditions
militaires , par un vil attachement à leur in-
térêt particulier , & même par de coupables
intelligences avec les ennemis. Cette con-
duite criminelle eſt attribuée aux Ordres Mi-
litaires en général , notamment aux Templiers.
On accufe les Hofpitaliers de fautes moins
graves. Les grands exemples de vertu qu'ils
donnerent , tant que dura leur premiere fer-
veur, furent la caufe de leur élévation & de
leur opulence. L'Hiftorien des Guerres Sain-
tes les paffe fous filence , & femble ne s'être
attaché qu'à les repréfenter que comme des
gens ambitieux , ennemis de la paix , peu fcru-
puleux fur l'exacte difcipline eccléfiatique.
Oppofons à toute cette fatyre le magnifi-
que éloge qu'a fait St. Bernard de ces mê-
mes Hofpitaliers. 29 Cet Ordre , dit-il , eft
des Ordres Royaux , &c. 67
» un nouveau genre de Milice inconnu aux
" fiecles précédens , où l'on joint les deux
" combats contre les ennemis corporels , &
» contre les fpirituels. Il n'eſt pas rare de
voir de braves Guerriers , le monde eft
" plein de Moines , mais il eft merveilleux
» d'avoir allié l'un & l'autre...... Ces Reli-
" gieux obéiffent exactement à leur Supé-
» rieur , évitant toute fuperfluité dans la
» nourriture , le vêtement , & vivent en
» commun dans une fociété agréable , mais
» frugale ; fans femmes ni enfans , fans pof-
» féder rien en propre , pas même leur vo-
» lonté. Ils ne font jamais oififs , ni répandus
» au dehors par curiofité : mais quand ils
" ne marchent point à la guerre , ce qui eft.
» rare , ils raccommodent leurs armes , ou
» leurs habits , les mettent en ordre , ou font
» enfin ce que le Maître leur ordonne. Une
» parole infolente >, un ris immodéré , le
» moindre murmure , ne demeure point fans
» correction. Ils déteftent les échets , les
» dés , & la chaffe , ils rejettent avec hor-
» reur les bouffons , les charlatans ridicules , &
» les fpectacles. Ils coupent leurs cheveux,
» ſe baignent rarement font pour l'ordi-
» naire négligés , couverts de pouffiere , &
» brûlés du foleil. A l'approche du combat
» ils s'arment de foi au dedans , de fer au
» dehors , fans ornemens fur eux , ni fur leurs
» chevaux , ils fe préparent à l'action avec
» toute forte de foin & de prévoyance ; mais
» quand il eſt temps , ils chargent vigoureu-
» fement l'ennemi fans craindre le nombre ni
68 Effai critique fur l'Hiftoire
» la fureur des Barbares..... Ce qu'il y ade
» plus étonnant , c'eft que la plupart de ceux
» qui s'enrôlent dans cette Sainte Milice ,
» étoient des fcélérats , des impies , des ravif-
» feurs , des facrileges , des homicides , des par-
» jures , des adulteres. " Opufcul. 6 , an. 1136.
Venons aux derniers reproches que le
Clergé de Jerufalem faifoit aux Hofpitaliers :
par mépris , difoit-il , pour l'Eglife du St.
Sépulchre , ils en ont mafqué les portes , en
élevant vis-à-vis des bâtimens plus magnifi-
ques , que certe Eglife refpectable ( 1 ) . Voilà
donc de fomptueux bâtimens élevés par les
Hofpitaliers , fort différens du petit Hôpital
des Marchands d'Amalphi , dedié à St. Jean
l'Aumônier ( 2). L'Hiftorien ne s'explique pas
davantage fur ces édifices magnifiques ; mais
on fait d'ailleurs que c'étoit un temple ſpa-
cieux fous l'invocation de St. Jean-Baptifte ;
plufieurs corps de logis , les uns pour l'habi-
tation des Chevaliers , d'autres pour recevoir
⚫les Pélerins & les malades. Tous ces édifices
avoient été bâtis par les foins de Gérard. La
Bulle de Paſcal II , qui approuve fon inftitut ,
fait mention du nom de cette Egliſe & de ce
nouvel Hôpital ( 3 ) . Ils avoient été conftruits

(1 ) Ante Santa Refurrectionis Ecclefia ædificia ca-


perunt erigere multofumptuofiora &fublimiora plurimùm
quam habet illa Ecclefia Domini Salvatoris. GUILL .
TYR. Lib. 8. Cap . 3.
(2) Ubi erat oratorium modicum in honore Sancti
Joannis. Heleymon. ibid.
(3 ) Pafcalis Epifcopus S. S. dei Venerabili filio
Gerardo Inftitutori ac Præpofito Hierofolymitani Xeno-
dochii , ejufque legitimis Succefforibus in perpetuum...
Poftulavit fi quidem Dilectio tua Xenodochium quod in
des Ordres Royaux , &c.` 69
dans l'intervalle qui fe trouve entre l'année
1099 , époque de la prife de Jerufalem , &
l'année 1113 , date de la Bulle de Paſcal. L'an-
cienne Maifon d'Hofpitalité de St. Jean l'Au-
mônier fut confervée ; l'Archevêque de Tyr
ne ceffe d'en parler ; il écrivoit en 1180 ,
temps le plus brillant des Hofpitaliers. Vou-
lant les humilier, il leur rappelle qu'ils n'a-
voient pas toujours été dans l'opulence ,
qu'ils avoient autrefois vécu dans une extrême
pauvreté ; que leur Fondateur avoit dépendu
des Moines & de l'Abbé de Sainte Marie de
la Latine , qui lui donnoient charitablement
& à fes Freres leurs reftes pour fubfifter ( 1).
Le P. Héliot , malgré ces faits , a avancé, Hift. des
que le Grand Maitre Raymond du Puy changea lig. Ordr. Re-
& Mi-
le titre de fon Hôpital , dédié à St. Jean l'Au- lit. To. 1 ,
mônier , en celui de St. Jean Baptifte , qu'il prit p.261.
pour Protecteur de fon Ordre , voulant imiter la
1
pénitence de ce précurfeur du Sauveur du Monde ,
& l'ayant propofé pour modele à fes Chevaliers.
Raymond du Puy ne changea point le nom
de fon Hôpital ; il n'eut même aucune part à
la conftruction de celui de St. Jean - Baptifte ,
en qualité de Maître des Hoſpitaliers , puif-
qu'il ne l'étoit pas alors ; qu'il ne le devint
qu'à la mort de Gérard , arrivée en 1118 ; &
que cet Hôpital avoit été achevé , & approuvé

civitate Hierufalem juxta Beati Joannis Baptifta Eccle-


fiam inftituifti , Apoftolica fedis authoritate muniri , &
Beati Petri Apoftoli Patrocinio confoveri.
(1) De reliquiis fragmentorum ad quotidianam fubf
tentationem qualem qualem miniftrabant. GUILL. TYR,
ibid.
7,0€ Effai critique fur l'Hiftoire
du Pape dès l'année 1113 , comme l'on vient
de le voir.
Un Autre auteur a trouvé plus commode
de donner le nom de St. Jean-Baptiste à l'Hô-.
pital des Marchands d'Amalphi , & d'affurer
qu'il s'appelloit ainfi , lorfque Godefroy de
Bouillon le vifita immédiatement après fon
élévation au trône : ce que l'on prouve par
des Lettres-Patentes de ce Roi accordées à
cette Maiſon d'Hofpitalité , & rapportées par
Naberat ( 1 ). Malheureufement ces Lettres
font fauffes : le filence que garde l'Abbé de
Vertot fur un titre auffi effentiel , fait affez
connoître qu'il n'exiſta jamais (2 ) . D'ailleurs ,
cet Hiftorien convient que les Hofpitaliers
ont honoré St. Jean l'Aumônier comme leur
Patron dans les commencemens de leur infti-

( 1 ) Le P. Honoré de Ste. Marie ; Differt. Hift. &


Critiq. fur la Chevalerie , Liv. 1 , pag. 244. Naberat ,
Priv. de l'Ordre , pag. 4. Bofio , dans fon Hiftoire de
cette Religion , affure auffi que cet Hôpital a toujours
porté le nom de St. Jean-Baptifte , que c'eft par haine
& par envie que l'Hiftorien des Guerres Saintes à avan-
cé, que les Marchands d'Amalphi l'avoient dédié à
un St. Jean l'Aumônier. Qui croira fur la foi de Bo-
fio , Ecrivain du xvime. fiecle , que l'Archevêque de
Tyr ait imaginé cette impofture ?
(2 ) De nos jours , le P. Cordelier, Cuftode de la
Terre-Sainte , tâche de perpétuer une femblable im-
pofture. Il reçoit des Chevaliers du St. Sépulchre , &
leur fait expédier des Patentes dans lefquelles l'hif-
toire de cet Ordre Militaire eft rapportée , fuivant
la tradition des Peres qui gardent le St. Sépulchre :
fon inftitution y eft attribuée à l'Empereur Charle-
magne ; l'on y expofe les privileges dont doivent jouir
ces Chevaliers , & l'on y joint une ordonnance de
Godefroy de Bouillon pour la conceffion , ou le re-
nouvellement de ces mêmes privileges, Mémoires du
Chevalier d'Arvieux.
des Ordres Royaux , &c. 71
tut , & que les Marchands d'Amalphi en
avoient jetté les premiers fondemens.
Il y avoit donc deux Hôpitaux à Jerufalem
en l'année 1113 , l'ancien & le nouveau , ce-
lui de St. Jean l'Aumônier & celui de St.
Jean- Baptifte. Ce dernier avoit été bâti ,
comme on l'a vù , par Gérard ; il en prit le
gouvernement , & céda celui de St. Jean l'Au-"
mônier à Boyant Roger, un *de fes freres. La
néceffité d'une retraite féparée pour les Lé-
preux , cette ancienne Maiſon d'Hoſpitalité
où ils étoient déja foignés avec les autres

malades , & qui fe prefentoit fi naturellement
pour continuer de fervir d'afyle à ces mal-
heureux , perfuadent qu'elle leur fut unique-
ment deſtinée. Roger la gouverna , comme
avoit fait Gérard , qui , de fon côté, n'innova
rien dans l'Hôpital de St. Jean- Baptifte. Il
fe contenta d'y exercer avec fes freres les
œuvres de la charité chretienne ; fon exemple
étoit leur regle ; ils n'en avoient point d'écri-
{ te. Raymond du Puy , Gentilhomme du Dau
phiné, & fon fucceffeur , rédigea des ſtatuts.
fit quelques changemens aux anciens ufages ,
& y ajouta l'obligation de porter les armes
contre les ennemis de la Religion. Les Hof-
pitaliers ne parurent à la guerre que vers
l'an 1119 ; Gérard étoit mort l'année précé--
dente : ainfi pendant que dura fon Gouverne-
ment , qui fut à peu près de dix-huit ans , à
compter depuis la priſe de Jerufalem , les Hof-
pitaliers ſe bornerent au foin des malades.
Ceux de St. Lazare ne changerent point leur
ancienne regle ; ils fe trouverent féparés ,
72 Effai critique fur l'Hiftoire
par les circonftances des Freres de St. Jean ,
avec lefquels ils ne faifoient auparavant qu'un
feul & même Ordre. Ils les imiterent cepen-
dant dans le deffein qu'ils avoient formé de
facrifier leur vie pour la défenſe de la Terre-
Sainte , en ajoutant à leurs autres vœux celui
d'être toujours prêts à combattre contre les
ennemis du nom Chrétien. Ils prirent , pour
fe diftinguer, une croix différente de celle de
leurs anciens Confreres. On ignore quelles
étoient la forme & la couleur de celles qu'ils
arborerent . Depuis long-temps , ils en portent
une verte ; celle des Chevaliers de St. Jean eft
blanche ; les formes des unes & des autres
ont beaucoup varié . On a remarqué qu'au-
cuns des monumens de la Religion de St. Jean
ne fourniffent des preuves , que la croix de
fes Chevaliers fût attachée à un cordon noir.
Ils n'ont commencé de porter en France leur
croix en écharpe attachée à un ruban de cette
couleur , que quelques années après la mort
de Louis XIV .
Bofio rapporte un titre de l'an 1120 , qui
prouve que Boyant Roger remplaça Gérard.
C'est l'acte d'une donation faite à ce Roger ,
Gouverneur de l'Hôpital , par Atton , Comte
d'Abruzze , en reconnoiffance de la maniere
généreufe & honorable avec laquelle il avoit
été reçu & traité dans cette Maiſon pendant
une année entiere avec fon frere & fes domef-
tiques (1 ). La qualité vague de Gouverneur

( 1 ) Dell'iftor della Sacra Relig. & Milit. di fan


Giovani Gierofol. pag. 12. Rom. 1594.
de
des Ordres Royaux , &c. 73
de l'Hôpital , donnée à Roger dans cet acte ,
pourroit faire douter duquel des deux il étoit
Adminiftrateur. Mais fi l'on confidere qu'en
cette année 1120 , Raymond du Puy fe trou-
voit Maître ou Gouverneur du nouvel Hô-
pital de St. Jean-Baptifte , on verra que Ro
ger nepouvoit être que le Chef de celui de St.
Jean l'Aumônier. Cependant Marulli prétend
que Roger n'a pu être l'Adminiftrateur d'au-
cune de ces Maiſons charitables. Le titre de
Gouverneur , qui lui eft donné dans l'acte de
la donation du Comte d'Abruzze , prouve , fui-
vant cet Ecrivain , qu'il n'a point été Maître
des Hofpitaliers ( 1). Si Marulli avoit obfervé
que Raymond du Puy prit le premier la qua-
lité de Maître des Hofpitaliers , & que Gé-
rard n'avoit porté que celle de Gouverneur ,
comme le prouve la Bulle de Paſcal , adreffée
à ce même Gérard , Inftitutori ac Præpofito Hye-
rofolymitani Xenodochii , il auroit penfé que fon
fucceffeur dans l'Hôpital de St. Jean l'Aumô-
nier pouvoit bien ne prendre que la même
qualité. Il paroît donc certain que Roger a
été le Supérieur de la Maiſon d'Hoſpitalité de
St. Jean l'Aumônier , vers les temps qu'elle
devint la premiere Léproferie de Jerufalem.
Les Ordres des Milices Religieufes les plus
remarquables ayant été inftitués à peu près
dans les mêmes temps , leur rang d'ancien-
nété eft devenu , pour ainfi dire , impercep-
tible : je l'ai déja dit , on ne croit plus aux

(1 ) Vite de Gran Maeft. della Relig, di S, Giov.


Gierofol, pag. 15. Nap. 1636.
D
74 Effai critique fur l'Hiftoire
Légendaires , qui ont apperçu le germe des
Chevaliers de St. Lazare dans les Archers
deſtinés à la garde du Labarum ( 1 ). De favans
critiques ont fixé le poids des autorités de
Tamburin , de Ciaconius , d'Onuphre Panvi-
ni , & des autres Auteurs du 16e. fiecle , co-
piſtes ferviles des anciennes Chroniques (2).
Si enchériffant fur ce qu'ils rapportent de la
Religion de St. Lazare , un Ecrivain de nos
jours avançoit , que Baudouin I, Roi de Jerufa-
lem , après avoir affiégé & pris la Ville d'Acre ,
en 1104 , en confia la garde aux Chevaliers de
St. Lazare , on lui diroit que cette fable eft
fans vraisemblance ( 3 ) . Nous ferions la mê-

(1 ) Enfeigne de Conftantin-le-Grand , fur laquelle


étoit empreint le monogramme du nom de J. C.
( 2 ) La plupart de ces Ecrivains , & particuliére-
ment Ciaconius , ont paffé pour les hommes de leur
temps qui poffédoient mieux la fcience de l'antiquité.
Ce dernier , abufant de fon érudition , a donné un
Traité de l'ame de Trajan , tirée des enfers par les
prieres de St. Grégoire , & une differtation pour prou-
ver que St. Jérôme avoit été Cardinal.
(3) Perfonne n'ignore que Ptolémaïde ou Acre ,
Port de mer de Phénicie , pris par l'Armée Chrétienne
fur les Infideles en 1104 , fut repris par Saladin en 1187.
Philippe-Augufte affiégea de nouveau cette Place, &
s'en rendit le maître en 1191. Elle refta aux Chré-
tiens jufqu'en 1291 , que le Soudan d'Egypte la re-
prit, & les en chaffa pour toujours. Pendant l'inter-
valle d'un fiecle , que Ptolémaïde fut en la puiffance
des Rois de Jerufalem , elle devint une des plus puif-
fantes Villes de l'Orient , & la Capitale du Royaume,
depuis la prife de Jerufalem. Ses nouveaux maîtres
l'avoient fortifiée , à la maniere du tems , d'une en-
ceinte de fortes murailles , avec leur barbacanes ou
avant-murs , de foffés larges & profonds , & de bonnes
tours, placées à des diftances convenables pour s'en-
re-défendre. L'on a marqué ſur d'anciens plans trentes
des Ordres Royaux , &c. 75
me reponſe , fi l'on venoit à nous objecter >
que l'Auteur inconnu de l'abrégé de l'Hiftoire
de cet Ordre , imprimé à Lyon en 1649 , rap-
porte , que Jean Horcan & Jean de Chypre ont
été les Supérieurs des Chevaliers de Sr. Lazare
avant l'arrivée des armées Chrétiennes dans la
Palestine. Mais c'eft trop infifter fur de pa-
reilles opinions .

cinq Edifices publics. On voit , nº. 21, Sanctus Laza


rus , la Paroiffe de St. Lazare ; nº. 31 , porta Sancti
Lazari, la porte de St. Lazare : porte principale de
la Ville du côté de la Mer , ainfi nommée , parce
qu'elle fe trouvoit proche de cette Eglife Paroiffiale ;
n°. 4, Moniales Sancti Lazari , le Couvent de St.
Lazare , dans un quartier oppofé & affez éloigné de
cette porte ; l'on voit enfin à l'extérieur de la place ,
du côté de l'Orient , Cuftodia Templariorum , Cuftodia
Hofpitalariorum , Cuftodia Venetorum. Bien lein que
ces plans puiffent fervir à confirmer que la Garde de
Ptolémaïde étoit confiée aux Freres Chevaliers de St.
Lazare , ils font voir au contraire que leur Milice n'a-
voit point de pofte marqué , point de corps -de-garde
à l'extérieur de la place , qu'elle ne poffédoit qu'un
Couvent dans l'intérieur , tandis que les autres Mi-
lices Religieufes , notamment celle de St. Jean , ou-
tre un pofte ou corps-de-garde au dehors , avoit en-
core deux maiſons au dedans ; l'une nº. 1o , Hofpi-
tale, & l'autre, n°. 25, Hofpitium Hofpitalis. Mon def-
fein n'eft pas , en faifant cette remarque , de dépri-
mer les Chevaliers de St. Lazare. Leurs vues moins
ambitieuſes , & peut-être plus charitables que celles
des autres Hofpitaliers , méritent des éloges ; ils ont
toujours été mis au rang des plus anciens & des plus
braves Religieux Militaires : je penſe ſeulement qu'il
eft au moins inutile de prétendre le prouver d'un ton
d'oracle par des récits romanefques.

D2
ESSAI CRITIQUE

SUR

L'HISTOIRE

De l'Ordre Royal , Hofpitalier &


Militaire de Saint LAZARE

DE JERUSALEM.

LIVRE SECOND .

Ous continuerons de rétablir


la vérité des faits , que lès Ecri-
N Ivains déja cités & autres ont di-
verſement altérée , & fouvent
fans rapporter leurs erreurs.
Des fautes groffieres ne méri-
tent pas de fatiguer nos Lecteurs de trop fré-
quentes difcuffions critiques.
L'Ordre utile des Hofpitaliers forma deux
branches vers l'an 1112. Roger fut le pre-
mier Chef de celle qui fe dévoua au foulage-
ment des Lépreux & à la deftruction des In-
des Ordres Royaux , &c. 77
fideles , en prenant St. Lazare pour fon Pa-
tron , comme nous venons de le prouver par
de fortes probabilités , au défaut de preuves
plus certaines . Cette Religion particuliere , qui
dès-lors étoit fous la regle de St. Auguftin ,
y fut de nouveau confirmée par les Papes
Innocent III & Honoré III , dont les Bulles
font des années 1213 & 1220. Elle avoit
été approuvée long-temps auparavant par
leurs prédéceffeurs , puifqu'il eft inconteſtable
qu'elle exiftoit depuis près d'un fiecle , lorf-
que ces Papes la confirmerent.
L'Hiftoire ne nous a confervé aucunes par-
ticularités , aucuns détails , concernant cet
Ordre , pendant qu'il fubfifta dans la Palefti-
ne. Les autres Inftitutions pieuſes & militai-
res ne font guere plus heureufes. Leurs Hif-
toriens modernes font réduits à en convenir
& à s'en plaindre . On attribue cette profonde
obfcurité fur les premiers fiecles de ces Or-
dres , à l'éloignement des temps , à la négli-
gence des anciens Hiftoriens , à l'ignorance
des Chevaliers , qui faifoient plus d'ufage de
leur épée que de leur plume ; la plupart fa-
voient à peine lire. Il ne s'eſt trouvé aucun
d'eux qui ait daigné nous inftruire des évé-
nemens mémorables de leurs Ordres. Auffi
remarque-t-on que l'Abbé de Vertot , dans
l'impoffibilité de faire l'Hiftoire des commen-
cemens de l'Ordre de St. Jean , a feulement
donné une partie de celle des Guerres-Sain-
tes , en y plaçant çà & là , fouvent au ha-
fard , les noms des Grands-Maîtres , qui fe
font confervés , & de la plupart defquels on
D 3
78 Effai critique fur l'Hiftoire
ignore l'extraction & la patrie. Nous man-
quons même de ces foibles reffources pour les
commencemens de l'Ordre de St. Lazare. On
ne fair qui fut le fucceffeur de Boyant Roger.
Nous verrons qu'il fe trouve un vuide de plus
de cent ans dans la fucceffion de fes Grands-
Maîtres , ou fi l'on veut de fes Maîtres-Gé-
néraux ; car ils n'ont long-temps porté que
ce dernier titre.
On apperçoit des traces de fon exiſtence
en Orient dans les fragmens du code des Loix
de Jerufalem , appellés les Affifes de ce Royau-
me. Le P. Labbe les a publiées en 1651 , d'a-
près la copie d'un manufcrit de la Bibliothe-
que du Vatican , dans un ouvrage qui porte
pour titre : Abrégé Royal de l'alliance chrono-
logique. Ces Affifes de Jerufalem avoient été
citées auparavant par Chopin dans fon Livre
de Sacra Politiâ , qui parut en 1577 , pour
prouver que par-tout & dans tous les temps
les Rois avoient protégé l'Eglife & le Clergé.
Ces Affifes font une collection des Loix Sy-
riaques , commencées dès le regne de Gode-
froy de Bouillon, & continuées fous les Rois
Lib. 19 , de Jerufalem , fes fucceffeurs. L'Archevêque
cap. 2. de Tyr les appelle Jus confuetudinarium quo
regebatur Regnum Orientale : c'eft-à-dire , le
droit coutumier du Royaume de l'Orient.
Ces Loix furent fuivies par Pierre I , Roi
de Chypre , fucceffeur de Hugues IV , qui
mouruten 1361. Ces Rois de Chypre fe qua-
lifioient toujours Rois de Jerufalem , comme
fucceffeurs de Guy de Lufignan , qui tomba
du Trône en 1187 , après la perte de la ba-
des Ordres Royaux , &c. 79
taille de Tibériade contre Saladin. Ce Sul-
tan d'Egypte s'empara peu de temps après de
Jerufalem ; Lufignan prit le parti d'aller re-
gner dans l'Ifle de Chypre , conquête de Ri
chard, Roi d'Angleterre , qui la lui avoit ven-
due en 1180. Les débris du Royaume de Jeru-
falem pafferent au Comte de Champagne. Pto-
lémaïde étoit la feule place qui reftoit aux
Européens ; mais en ayant été chaffés l'an
1291 , leur Empire en Afie fut entiérement
détruit.
Revenons à Pierre premier , Roi de Chy
pre ce Prince , dans le préambule des Affi-
fes particulieres de fon Royaume , tenues à Ni-
cofie l'an de l'Incarnation 1368, fe dit Pierre
quinzieme , Roi de Jerufalem & de Chypre, On
a inféré parmi les actes de cette aſſemblée un
état de l'ancienne Hiérarchie du Royaume de
Jerufalem fous ce titre : Ci dit quans Suffragans
à le Patriarche de Jerufalem. L'on trouve dans
cet état que l'Archevêque des Ermins , c'est-à- Le P. Lab.
dire , des Arméniens , avoit pour Suffragant be , To. I ,
Liv . 2.
Archevêque des Jacobins , ou Jacobites , & le
Maître de St. Ladre de Meféaux , c'est-à-dire ,
des Lépreux , fuivant Ducange. L'on trouve
encore dans ce même état trois Abbayes de
femmes , dont une de St. Ladre , Suffragante de
l'Evêque d'Ebron.
Il est certain que Godefroy de Bouillon
convoqua les Barons & les autres Perfonnes
notables , pour faire & rédiger les Loix qui
devoient être obfervées dans le nouveau
Royaume de Jerufalem. Mais est-il également
certain , que la Hiérarchie , dont il s'agit ,
D 4
80 Effai critique fur l'Hiftoire
ait été inftituée fous Godefroy de Bouillon ;
c'est-à-dire , que les Archevêchés , Evêchés ,
Prieurés & Abbayes , tant d'hommes que
de femmes , infcrits dans l'état rapporté par
le P. Labbe , aient été créés dans l'efpace d'un
an que dura le regne de Godefroy de Bouil-
lon ? Cela eft poffible : mais ce même état des
dignités eccléfiaftiques fournit une preuve
du contraire. Voici ce qu'on y lit à l'article
d'un Archevêque , qui étoit le cinquieme Suf-
Le P. Lab- fragant du Patriarche de Jerufalem : L'Arche-
be, ibid. vêque Don Rabath , que les Grecs appellent Fi-
ladelfe , qui au temps du Roi Amauri fut tranf-
laté au Crac , & eft appellé l'Archevêque de la
Pierre du Défert.
Cet article prouve incontestablement , que
cet état des Prélats de Jerufalem a été rédigé
après le regne du Roi Amauri , qui mourut
en 1171. Cette piece ne peut donc pas prou-
ver que les Chevaliers de St. Lazare for-
moient un corps confidérable dans l'Ordre du
St. Luc Clergé de Jerufalem fous Godefroy de Bouil-
lon , ainfi que Touffaint de St. Luc & fes co-
P. II.
piſtes l'ont affuré.
Les Affifes de Jerufalem ne peuvent donc
fervir qu'à convaincre , s'il en étoit befoin ,
quefous le regne d'Amauri & avant l'an 1171 ,
il y avoit à Jerufalem une Communauté de
Chevaliers de St. Lazare , dont le Chef étoit
mis au rang des Prélats du Royaume , & un
Couvent de filles Hoſpitalieres du même Or-
dre, dont la Supérieure avoit le titre d'Abbeffe.
Nos faftes ne font mention des Chevaliers
de St. Lazare que fous le regne de Louis VII ,
des Ordres Royaux , &c. 81
dit le Jeune. Ils portent que ce Roi revenant
de la Paleſtine , amena les premiers en Fran-
ce , l'an 1149. La lepre commençoit à faire
de grands progrès en Europe , graces aux Croi-
fés , qui y avoient apporté ce malheureux
fruit de leurs pélerinages. Le Monarque Fran-
çois ne pouvoit prendre de plus fages précau-
tions contre la contagion de cette affreuſe ma-
ladie , que de faire renfermer ceux qui en
étoient attaqués , & de tirer des Hôpitaux de
l'Orient des perfonnes vouées , par religion ,
à leur donner tous les fecours dont ils avoient
befoin. Il concéda donc aux Chevaliers de St.
Lazare la Terre & le Château de Boigny ,
où ils commencerent leur établiſſement , ou
plutôt leur agrandiffement , car ce n'eft pas
le premier Hôpital qu'ils eurent en France.
Cette donation leur fut faite en 1154 , par
des Lettres-Patentes , fignées du Chancelier
Hugues , en préſence du Connétable Matthieu
de Montmorenci ( 1 ). Il eft probable que ces
Chevaliers avoient alors un Chef pour les
gouverner , fous la dépendance du Maître-Gé-
néral qui étoit refté dans Ptolémaïde.
Le même Roi Louis-le-Jeune leur avoit
donné dès l'année 1150 , un ancien Palais ſi-
tuéà Paris , Fauxbourg St. Denis , que nos Rois
avoient autrefois habité. Ils firent une Eglife
de la chapelle de ce Château , qui prit le nom
de St. Lazare. Ce Prince leur accorda dans le
même temps le droit de couper dans la forêt

( 1 ) Registre du Parlement de Paris , année 1154.


LEMAIRE , Antiquit, Aurelian, pag. 328.
DS
82 Effai critique fur l'Hiftoire
de Vincenne les bois néceffaires pour la pro-
vifion de leur Maiſon. Philippe - Auguſte fit
l'échange de ce droit en 1190 , avec un moulin
fitué fur le pont aux meuniers (1). Cette mai-
fon du Fauxbourg St. Denis fut donc la pre-
miere que pofféderent les Chevaliers de St.
Lazare. Favin rapporte qu'ils étoient au nom-
bre de douze.
Felibien , Il fembleroit, fuivant Félibien, qu'il y avoit
Hift.dePa- dès-lors au Fauxbourg St. Denis un Hôpital
ris, T. I. que Louis VII donna aux Chevaliers de St.
Lazare , en même temps que le Château dont
on vient de parler. Quelque aient pu être
les dons que leur fit ce Roi dans ce Fauxbourg
de Paris , ils leur ont été enlevés , & il paroît
fort difficile de découvrir comment & en
quel temps ils font fortis de leurs mains.
On trouve un titre de l'an 1194 , par le-
"quel Robert , Prieur de S. Martin-des-Champs ,
& Daniel , Prieur de St Lazare , tranfigerent
des rentes cenfives , que leurs Maiſons fe de-
voient mutuellement , dont ils refterent quit-
tes de part & d'autre , à la réſerve de trois fols
de rente cenfive , que la maifon de St. Martin-
des -Champs reconnut devoir à celle de St.
Lazare. (2)

( 1 ) Voyez Bacquet , Dom. de France , § . 4; Amotf.


Chap. 46 , n . 6.
(2 ) Notum fit omnibus , &c. quod Robertus , Prior
Sandi Martini de Campis , affenfu totius Capituli , &
Daniel, Prior Sancti Lazari , aſſenſu Capituli ejufdem
Domus quamdam commutationem fecerunt fuper cenfum
quem debebat Sanctus Martinus Sancto Lazaro , & Sanc-
tus Lazarus Sanéto Martino , tali conditione quod &c....
Liberantur ab omnibus confualibus invicem refpondenti-
des Ordres Royaux , &c. 83
Il n'eft pas vraisemblable que ce Prieur de
St. Lazare fût un Chevalier de l'Ordre , &
moins encore le Grand-Maître ; il n'étoit pas
en France lors de cette tranfaction faite en
1194. Depuis cette époque , quatre fiecles fe
font écoulés , pendant lefquels on ne trouve
aucuns indices de ce qu'eft devenu ce Prieuré
de St. Lazare. Enfin il en eft parlé dans l'Hif-
toire des Etabliſſemens pieux du dix-feptieme
fiecle , fous le titre de Léproferie de St. La-
zare , deffervie en 1632 , par Andrien le
Bon , Auguftin. On rapporte , que l'Arche-
vêque de Paris nommoit un Clerc féculier ou
régulier , à fa volonté , pour la deffervir ; que
cet Eccléfiaftique étoit amovible , & devoit
rendre compte tous les ans à l'Archevêque de
l'adminiſtration des revenus de cette Maiſon.
Telle étoit cette Léproferie lorfque ce mê
me André le Bon , du confentement de Jean-
François de Gondy , Archevêque de Paris ,
la céda en 1632 , à Vincent de Paul , pour
l'établiffement des Prêtres de la Miffion ( 1).
Sauval , en parlant de cette Léproferie , s'expri-
me ainſi : » S'il eft vrai que les Chevaliers
» de St. Lazare prétendent que cet ancien Antiq. de
Paris.
» Prieuré " leur
appartient , on ne fait à quel
>> titre.
Quelques Auteurs affurent que peu detemps
après le don du Château de Boigny , fait aux

bus excepto quod Sanctus Martinus debet Sancto Lazaro


tres folidos confuales.... actum hoc anno ab Incarna
tione Domini M , Co. nonagefimo IIII° . Vide Gall,
Chrift. Tom. 7. col. 195. Pieces juftificatives,
(1) Fide Gall . Chriſt , Tom. 7. col. 999.
87.
84 Effai critiqu fur l'Hifto
e ire
Chevaliers de St. Lazare par Louis VII , ce
Roi fonda un Couvent de Religieufes du mê-
me Ordre à la Sauffaye près de Ville-Juif, où
étoient reçues les femmes Lépreuſes. Je n'en-
trerai point dans la difcuffion de ce fait , qui,
bien examiné , pourroit ſe trouver au moins
très-incertain.
Plufieurs Chevaliers , revendiquant des biens
qui avoient pu être ufurpés à leurs Comman-.
deries , ont avancé qu'il y avoit beaucoup de
Commanderies ou Léproferies de l'Ordre ,
long-tems avant celles que fonda Louis-le-
Jeune , appuyés de l'autorité de l'Hiſtorien
de Thou , & de quelques actes ou fufpects ,
ou mal-interprétés. Il eft vrai que de Thou ,
après avoir fait remonter les Chevaliers de St.
Lazare jufqu'au milieu du quatrieme fiecle ,
ajoute » Tant d'Hôpitaux & de Maladre-
» ries établies dans toute la Chrétienté fous
» le nom de St. Lazare , font foi de fon anti-
» quité. Mais ces premiers établiſſemens ayant
» été ruinés par les incurfions des Barbares ,
» & par l'injure du temps , Innocent III , &
» Honoré III , les prirent fous leur protection
"9
» vers l'an 1200. De Thou , Lib. 38 , ann.
1565 , Reg. Char. IX.
S'il fe trouvoit beaucoup de Léproferies avant
le douzieme fiecle , c'étoit dans l'Aſie & non
pas dans toute la Chrétienté. L'on ne fonda
des Hôpitaux en France pour les Lépreux
qu'après les Croifades. Le plus ancien que l'on
découvre , après la Commanderie de Boigny ,
eft une Maladrerie qui fubfiftoit auffi à peu de
diftance d'Orléans , en 1172. Cette maiſon
des Ordres Royaux , &c. 85
avoit fervi de retraite charitable aux pauvres
infirmes avant l'an 1112 , fous le titre d'Hô-
pital de St. Lazare. Louis VI , dit le Gros , fui-
vant une chartre de cette même année , avoit
donné des terres & quelques bois de chauffage
dans fes domaines aux pauvres de cette Mai-
fon d'Hoſpitalité : beatis pauperibus Sanéti La-
zari nominatis ; ce font les termes de cet acte.
Une autre chartre de fon fils & fon fucceffeur ,
Louis-le-Jeune , de l'an 1172 , confirmative de
ces donations , ne permet pas de douter que
cet Hôpital ne fût alors une Léproſerie , puiſ-
que les malheureux qu'il renfermoit font ap-
pellés , infirmi qui Leprofi dicuntur. (1)
Les Lépreux étoient fecourus dans ces an-
ciens Hôpitaux par des perfonnes charitables
qui avoient formé des Confrairies , avant que
les Hofpitaliers de St. Lazare fuffent établis en
France ; ces pieufes affociations fubfifterent
même après leur établiſſement. Il eſt proba-
ble que ces Confrairies furent agrégées dans
la fuite à l'Ordre de St. Lazare. On ne peut
pas croire que cet Inftitut ait été affez nom-
breux dans fes commencemens , pour foigner
feul la multitude des perfonnes qui fe trouve-
rent attaquées de la maladie de la lepre.
Henri II , Roi d'Angleterre , Duc de Nor-
mandie & d'Aquitaine , fit non-feulement de
grandes libéralités à l'Ordre , mais il voulut
bien approuver encore , dans les années 1154 ,

( 1 ) M.... Commandeur de l'Ordre , qui ne me


permet pas de le nommer , m'a communiqué des co-
pies de ces deux chartres , qui fe trouvent parmi les
titres du Duché d'Orléans,
86 Effai critique fur l'Hiftoire
1155 & 1159 , celles que lui firent plufieurs
Seigneurs de fa Cour ( 1 ) . On diftingue fur-
tout l'Hôpital de St. Lazare de Burton , fondé
par ce Roi. Richard , à fon retour de la Terre-
Sainte , imita Henri fon pere ; il donna de
grands biens à l'Ordre , & lui accorda de nou-
veaux privileges très-étendus. Jean , frere de
Henri , devenu l'héritier de la Couronne , ne
le protégea pas moins que les Rois , fes pré-
déceffeurs.
Il reçut auffi des bienfaits de Thibaud
Comte de Blois. Ce Seigneur accorda , par une
chartre de l'an 1185 , à une Maiſon de Lé-
preux de Jerufalem , appellée Marzelle-la-
Pierreufe , fon chauffage dans une de fes fo-
rêts. Il paroît que cette Maiſon exiſte encore ,
& qu'elle a été réunie à l'Hôtel-Dieu de
Meung, depuis l'Edit de 1693.
Dans le troifieme Concile de Latran , con-
voqué par Alexandre III , l'an 1179. Le Clergé
renouvella fes plaintes contre les Hoſpitaliers
& les Ordres Militaires. Ils prenoient des
Eglifes des mains des Laïques ; ils inftituoient
& deftituoient des Prêtres dans les leurs ; ils
recevoient des excommuniés à la participation
des Sacremens. Le troifieme canon de ce Con-
3e. Conc. cile les condamna. Il blama en même temps la
de Latran , dureté de quelques Eccléfiaftiques , qui ne
chap. 23 &
25. permettoient pas aux Lépreux d'avoir des
Eglifes particulieres , quoiqu'ils ne fuffent pas
admis dans les Eglifes publiques. Le Concile

(1) Voyez Touffaint de St. Luc , pag. 8. Il donne


Textrait des deux premieres chartres.
des Ordres Royaux , &c. 87
ordonna que dans tous les lieux où les Lé-
preux vivroient en commun , ils puiffent avoir
une Eglife , un Cimetiere & un Prêtre parti-
culier ce même Concile les exempta de
donner la dixme de leurs jardins & de leurs
beftiaux.
Ces décrets prouvent affez qu'il y avoit
alors beaucoup de Lépreux , & qu'ils vivoient
en commun des aumônes que leurfaifoient les
fideles ; on les qualifioit même de Freres Lé-
preux ce qui a fait dire mal-à-propos à
quelques Ecrivains , que ces Freres Lépreux
tenoient Chapitre , faifoient des actes capitulaires ,
& fe conduifoient comme les Corps religieux
les plus réguliers , & les mieux conftitués. Il
eft inutile de remarquer que les plaintes du
Clergé , portées à ce Concile , regardoient
particuliérement les Ordres Militaires de l'O-
rient , dont l'établiffement en Europe ne fai-
foit que de commencer.
Lorfque fous Philippe-Augufte la dixme
Saladine fut établie , afin de fubvenir aux frais
de l'armement projetté entre le Roi de France
& celui d'Angleterre , pour la Terre-Sainte ,
l'on exempta de cette fubvention les Ordres
de Cîtaux , des Chartreux , de Fontrevaux ,
& les Lépreux .
Le même Philippe-Augufte confirma l'an
1208 la donation qui avoit été faite du Châ-
teau de Boigny aux Chevaliers de St. Lazare ,
& leur permit de faire leurs armemens &
défarmemens dans le Port d'Aiguemorte fans
payer aucuns droits royaux
On croit que le peu d'ufage du linge & la
88 Effai critique fur l'Hiftoire
malpropreté des peuples avoient beaucoup
contribué aux progrès de la maladie de la le-
pre. On peut juger de ceux qu'elle avoit faits
par le grand nombre des Maladreries qui fu-
rent établies. Il y en avoit deux mille en
France lors de la mort de Louis VIII , arrivée
l'an 1226 , à chacune defquelles ce Roi légua
par fon teftament la fomme de cent fols , qui
reviennent environ à quatre-vingt-quatre li-
vres d'aujourd'hui. Il fe trouve dans le même
teftament un legs particulier pour deux cents
Hôtels-Dieu , Maifons où tous les pauvres
malades étoient reçus .
Le nombre des Lépreux devint fi confidé-
rable , dit Mézeray , qu'il n'y eut prefque , ni
Ville , ni Bourgade , qui ne ſe vît obligée de
bâtir un Hôpital pour les retirer. On plaçoit
ces Maifons charitables dans les lieux écartés ,
fouvent , cependant , près des grands chemins.
Les libéralités de nos Rois , celles des Princes ,
& les charités des peuples , enrichirent ces
retraites , & bientôt les Ladres , c'est le nom
qu'on donnoit à ces malheureux , devinrent
plus digne d'envie que de pitié. Cette remarque
peu jufte d'un Auteur affez décrié ( 1 ) , ſe
trouve répétée par un très-moderne Ecrivain
de notre Hiftoire de . France ( 2) . L'on n'en-
vioit certainement pas la lepre, mais les biens
des Lépreux. L'on tenta dans la fuite de s'en
emparer , ce qui ne réuffit que trop.
Les Empereurs , les Rois de Sicile , procu-

De Larray, Hiftoire de Louis XIV. t . 4 , p. 189.


(2) L'Abbé de Velly,Hift, de France, tom. 4, p. 63.
des Ordres Royaux , &c. 89
rerent des établiffemens à l'Ordre dans la Ca-
labre , la Pouille , & dans d'autres Provinces
de leurs Etats. La plus confidérable des Mai-
fons de St. Lazare en Sicile fut l'Hôpital de
Capoue , fondé en 1226 , par Lazare Raimo.
Le Maître-Général , & prefque tous les
Chevaliers de St. Lazare ayant été tués dans
les batailles funeftes , qui entraînerent la
chûte totale des affaires des Chrétiens en
Orient, ce qu'il en reftoit fut contraint de
fuivre en France le Roi St. Louis , vers l'an
1253. Ce pieux Monarque eft un de ceux
dont ils reçurent les plus grands bienfaits.
Il les mit en poffeffion d'un grand nombre
d'Hôpitaux ; il fonda plufieurs Maiſons ou
Commanderies de l'Ordre , leur accorda de
nouveaux privileges , de nouvelles immu-
nités , & confirma toutes celles qui avoient
été accordées à la Maifon de Boigny. Ce
fut dans ce Château que nos Chevaliers éta-
blirent le Chef-lieu de l'Ordre. Le Supé-
rieur prit le titre de Maître-Général des
Chevaliers de St. Lazare , tant deçà que delà
les mers , & fa jurifdiction s'étendit dans
toutes les parties de l'Europe , où l'Ordre
avoit des établiffemens. Depuis ce temps ,
la Commanderie de Boigny a toujours été
la Commanderie Magiftrale , & le fiege de
ce même Ordre , dont les Rois de France
n'ont point ceffé d'être les fouverains Chefs ,
Fondateurs & Protecteurs.
On a cru que les Chevaliers de St. Lazare
recevoient des Lépreux dans leur Ordre , &
qu'ils ne pouvoient même élire pour Maî-
905 Effai critique fur l'Hiftoire
tre-Général qu'un Chevalier Lépreux. La
Bulle de Pie IV autorife cette opinion ; elle
rapporte que fous Innocent IV , ces mêmes
Chevaliers furent obligés de lui demander
la permiffion de nommer , pour Maître-Gé-
néral , un Chevalier fain , vu l'impoffibilité
où ils fe trouvoient de choisir un Cheva-
lier Lépreux , comme ils l'avoient toujours
pratiqué depuis leur inftitution , parce que
les Infideles avoient tué tous les Chevaliers
Lépreux de l'Hôpital de Jerufalem. Le Pape
Innocent IV mourut en 1254. ( 1 )
Il eft difficile de fe perfuader , qu'on élût
pour Chef de cet Ordre des perſonnes at-
taquées d'une maladie horrible , pour laquelle
on étoit banni de la fociété . Comment croire
qu'un Lépreux commandoit un Corps de
Guerriers auffi diftingués que l'étoient les
Chevaliers de St. Lazare ? Nous héfiterions
davantage à révoquer ce fait en doute , fi
la Bulle , où il fe trouve , ne contenoit
d'autres erreurs. D'ailleurs fi ce fait étoit
vrai , il faudroit convenir que le Maître-

(1).... Et Innocentius IV, per eum accepto , quod


licet de antiquá approbata , & ea tenus pacificè obfer
vatá confuetudine oblentum effet , ut miles Leprofus Do-
mus Sandi Lazari Hierofolymitani in ejus Magiftrum af-
fumeretur : verùm quiafere omnes Milites Leprofi dicta
Domus ab inimicis fidei miferabiliter interfecti fuerant,
& ejufmodi confuetudo nequiebat commode obfervari :
idcircò tunc Epifcopo Tufculano commiferat , ut fibi fe-
cundùm deum vifum foret expedire , Fratribus ipfis licen
tiam aliquem Militemfanum ex Fratribus Pradica Do-
mus Sandi Lazari in ejus Magiftrum ( non obftante con.
fuetudine hujufmodi) de catero eligendi authoritate apof-
tolica concederet. Bull, de Pie IV, inter affiduas. 1565.
S. 41.
des Ordres Royaux , &c. 91
Général des Lépreux , au lieu de tenir un
rang diftingué dans l'ordre politique & dans
l'Etat Eccléfiaftique du Royaume de Jeru-
falem , n'étoit qu'un moribond enfermé avec
fes Freres , accablés des mêmes maux : ce
qui eft infoutenable.
Augufte de Thou rapporte qu'Innocent
IV preſcrivit aux Chevaliers de St. Lazare
une nouvelle forme d'élire le Grand-Maître. Ces
expreffions vagues femblent défigner la pré-
tendue permiffion que leur donna ce Pape
d'élire, pour Supérieur un Chevalier fain
& non Lépreux .
Jufqu'ici nous avons rapporté tout ce qu'il
a été poffible de recueillir des Hiftoire des
Chevaliers de St. Lazare , depuis le com-
mencement du douzieme fiecle , époque de
leur inftitution dans la Paleſtine , juſqu'au
milieu du treizieme fiecle > où ils furent
obligés de l'abandonner , & de paffer en
France. Pendant cet intervalle de cent cin-
quante ans , on ne fait quels ont été leurs
Supérieurs , comme nous l'avons déja dit.
Depuis Boyant Roger , Maître-Général en
1112 , l'on ne trouve plus qu'un certain
Renaud , qu'ils avoient pour Chef en 1234:
Ce Renaud n'eft connu que par la chapelle
de St. Blaise de la Lande Dairou près Ville-
Dieu , Dioceſe de Coutance en Normandie.
Le Seigneur de la Lande Dairou donna cette
chapelle en ladite année , 1234 aux Cheva-
liers de St. Lazare de Jerufalem , & à Re-
naud leur Maître , avec promeffe d'y ajouter Gal, Chrif
d'autres biens.
92 Effai critique fur l'Hiftoire
Bullar.
Rom. To . Alexandre IV , par fa Bulle , eum a nobis
3 ,fol. 363. petitur , du 11 Avril 1255 , mit l'Ordre fous
la protection du St. Siege , l'approuva de
nouveau , & le confirma fous la regle de
St. Auguftin. Il fut auffi confirmé dans fes
privileges fous la même regle , par la Bulle
de Clément IV , Venerabilibus Fratribus , du
5 Août 1265. Elle ordonne d'ailleurs , fous
peine d'excommunication , à tous les Prélats ,
de donner main-forte aux Chevaliers de
St. Lazare , pour contraindre les Lépreux
de fe retirer dans les Hôpitaux de l'Ordre
avec tous leurs biens , meubles & immeu-
bles ( 1 ). Ordonnance finguliere , qui , fi
elle avoit été exécutée , auroit porté dans
les familles le double chagrin de la perte
néceffaire d'un parent , & de la privation
injufte de fa fucceffion.
Les Lépreux étoient feulement tenus en
France , fuivant les Réglemens , de prendre
la qualité de Lépreux dans les actes qu'ils
paffoient ; ils étoient auffi obligés de fe dé-
mettre des charges publiques , dont ils fe
trouvoient revêtus , & il leur étoit par confé-

(1) Volumus itaque , ficut deo complacet , tam mares


quam mulieres , Clerici & Laici , Religiofi & Seculares
morbo lepra laborantes inventi , per eofdem Fratres &
Procuratores eorum capiantur & ejiciantur extrà , ficut
dominus præcipit in lege Moyfis cum eorum bonis tum
mobilibus, quem immobilibus ad habitationem cum aliis
infirmis Domorum ejufdem Ordinis. §. 1. de la Bulle
Venerabilibus. Bullar . Rom. Tom. 3 , fol. 428. Cette
Bulle avoit été précédée de celle cum dilectis , datée
du 27 Avril de la même année 1265 , & dont l'objet
eft le même .
des Ordres Royaux , &c. 93
quent défendu d'y afpirer. Dans quelques
Provinces , auffi-tôt qu'on les avoit folem-
nellement féparés de la focieté par des cé-
rémonies religieufes ( 1 ) , ils devenoient fim-

(1) Voici celles qui fe trouvent dans l'ancien Ri-


tuel de l'Eglife de Rouen , fous ce titre : Modus fe
parandi Leprofos a populo.
Si Deo permittente contingat aliquem lepra laborare ,
Parochus ea de re certior factus , una cum Magiftratu
feculari quàm primum curabit domum ab aliis fepara-
tam infirmo deftinari , ut occuratur incommodis , quæ
ex ejus converfatione oriri poffent in populo. Poftquàm
Domus linteis, veftibus , vafis , cultro , doliolo , infun-
dibulo , aliá que neceffariafupellectile inftructa fuerit ;
Parochus , ceu ejus Vicarius pro Leprofo célebrabit
miffam.... finitâ miffâ Parochus ducet infirmum ad
locum ejus habitationi deftinatum , fequentes prohi-
bitiones denunciabit , dicens.
Je vous défends de plus entrer ès Eglifes , moulins
fours ou marchés , ni de vous trouver ès affemblées
du peuple ; de laver vos mains , ni chofes aucunes
qui foit à votre ufage ès fontaines , rivieres ou ruif-
feaux , qui fervent au public , vous enjoignant , que
fi vous voulez puifer de l'eau pour votre néceffité ,
vous vous ferviez de votre baril , ou de quelqu'autre
vaiffeau propre à cet effet.
Je vous défends d'aller déchauffé hors de votre mai-
fon , ni fans habit de Lépreux & vos cliquettes , afin
d'être connu d'un chacun.
De toucher, quelque part que vous vous trouviez ,
quelque chofe que vous voudrez acheter , pour la
reconnoître , finon avec une verge ou bâton.
D'entrer aux tavernes ou autres maiſons , fous quel.
que prétexte que ce foit ; vous enjoignant que fi vous
Voulez acheter ou recevoir du vin , qu'on voudra vous
donner, vous le faffiez mettre en votre baril.
De répondre fur les chemins à ceux qui vous in-
terrogeront , fi vous n'êtes au deffous du vent , de
peur que vous n'infectiez les paffans.
De paffer par les chemins étroits , pour obvier aux
rencontres contagieufes.
Que fi vous êtes contraint en voyageant de paffer
l'eau , je vous défends de toucher les pieux & au-
94 Effai critique fur l'Hiftoire
ples ufufruitiers de leurs biens , & ne pou-
Coutume voient plus les aliéner. * Il fut défendu dans
de Nor-
mandie , un Concile Provincial tenu à Nogaro en.
art. 274. Armagnac l'an 1290 , de les pourfuivre de-
vant les Juges féculiers , comme étant ſous
la protection de l'Eglife.

Le premier Grand-Maître que les Che-


THOMAS Valiers de St. Lazare élurent en France , ou
de SAINT- du moins le premier dont le nom fe foit
VILLE , confervé , fut Thomas de Saintville. Louis ,
prem. G.
Maître. fils de Philippe-le-Hardi , fonda la Comman-
derie de Fontenay - le - Comte dans le Poi-
tou en faveur de ce Grand- Maître. Ce
Prince mourut en 1276. Ainfi cette fonda-
tion étoit faite pour lors : on ne fauroit en
fixer la date plus préciſement.
L'année fuivante , après la fête de St.
Pierre , Thomas de Saintville tranfigea de
certains droits de la Baronie de Boigny ,
'dûs par les habitans des Villages du Tertre
& des Epoiffes , avec ces mêmes habitans.
Les fceaux du Chapitre & du Grand-Maître
fe trouvent appofés à cet acte.
De l'avis & du confentement de fes Freres ,
Saintville rendit aveu au Seigneur Hugues
de Carbonnieres , pour la Commanderie &
Maiſon conventuelle de St. Antoine de Rof-
fon , fituée dans la Paroiffe de Pléaux , Dio-

tres inftrumens , qui fervent à cet effet , fans avoir


premiérement pris vos gands ; de toucher aucunement
les petits enfans , ni leur donner aucune chofe que ce
foit. De plus de manger ni boire en compagnie , finon
de Lépreux.
des Ordres Royaux , &c. 95
cefe de Clermont , que les Seigneurs de
Roffon , ancêtres de la femme de Hugues deTHOMAS SAINT-
de Carbonnieres , avoient fondée. VILLE, Ir
Les Officiers du Roi ayant entrepris de G. M.
contefter à ce Grand - Maître la haute-juf-
tice de la Baronie de Boigny , la conteſta-
tion portée au Bailliage d'Orléans , il fut rendu
deux fentences contradictoires , l'une du jeudi
avant la Fête de St. Grégoire 1288 ; la fe-
conde du jour de St. Michel 1298 , qui con-
firmerent les droits de l'Ordre fur la haute-
juftice de cette Terre. Le Grand-Maître obli-
gea Richard de Boifvert , en 1304 , de rendre
aveu , & de reconnoître qu'il devoit ſeize
boiffeaux d'orge pour le Fief qu'il poffédoit
dans la Paroiffe de Fontenay , auprofit de
Jean du Ruy , Commandeur de St. Antoine
de Gratemont , Commanderie fituée dans la
Paroiffe de Panneville au Pays de Caux.
Enfin Saintville obtint en 1308 , un diplô-
me de Philippe-le-Bel , par lequel ce Roi
mit les maifons & les biens de l'Ordre fous
fa protection Royale.
On penfe que Thomas de Saintville étoit
iffu d'une famille noble de ce nom , dont
Jean de Saintville , Chevalier , vendit la
Terre , fituée dans la Beauce près Danneau ,
au mois de Juillet 1238 , aux Religieux de
St. Benoît-fur-Loire , Dioceſe d'Orléans.
On cite encore , pour preuve de ſon ex-
traction , une enquête du 29 Mai 1521 ,
faite fur la nobleffe de Jacques de Prégri-
maud', qui defiroit d'être admis dans l'Ordre
de St. Jean de Jerufalem. Les témoins affu-
96 Effai critique fur l'Hiftoire
rent dans cet acte , que Jacques de Prégri-
THOMAS maud , fon pere , & Alife de Saintville , fa
de SAINT-
VILLE , Ir . mere , étoient perfonnes nobles. On fait que
G. M. dès la fin du quatorzieme fiecle , il devint
néceffaire , fuivant les ftatuts de cet Ordre ,
de faire preuve de la nobleffe de fes pere &
mere , pour y être admis.
Le tombeau de ce Grand Maître fe voit
dans la chapelle de Boigny , fur lequel eſt
gravée cette fimple inſcription : Cy gift Frere
Thomas, de Saintville , Chevalier , Maître de
l'Ordre de St. Ladre de Jerufalem , qui trépaffa
l'an de grace 1312 , le jeudi devant la Pente-
côte ; priez Dieu pour l'ame de ly , amen. Pen-
dant le cours du treizieme fiecle , outre les
Papes , dont nous avons rapporté les Bulles ,
plufieurs autres confirmerent les privileges
des Chevaliers de St. Lazare. Ces Pontifes
furent Grégoire IX, Innocent IV, Grégoire X,
& Nicolas IV , dont les noms font cités
dans la volumineufe Bulle , Inter affiduas ‫و‬
de Pie IV. On y lit ceux de plus de trente
autres Souverains Pontifes , dont en divers
temps , les conftitutions ont été favorables
à nos Chevaliers.

Adam du Veau , fucceffeur de Thomas de


ADAM du Saintville , s'occupa des intérêts de l'Ordre
VEAU, 2e. dès les commencemens de fon adminiftra-
G. M. tion. Par un Arrêt rendu au Parlement en
1317 , le famedi avant la Fête de l'Affomp-
tion , à la requête du Procureur-Général ,
ce Grand Maître obtint main-levée de la
faifie des revenus de la Commanderie Ma-
giftrale
des Ordres Royaux , &c. 97
giftrale de Boigny , & la confirmation du
droit de haute & baffe-juftice de cette Ba- ADAM du
VEAU , 20.
ronnie , contre les Commis du Domaine , qui G.M.
prétendoient que la ceffion de cette Terre
n'emportoit pas ce droit. Sous fon Magif-
ter, Jean XXII mit de nouveau l'Ordre fous
la protection du St. Siege , & l'exempta de
la jurifdiction des Evêques , par une Bulle
du 22 Mars de l'an 1318. Cette Bulle eft
prefque femblable à celle qui avoit été ac-
cordée par Urbain IV , le 13 Novembre
1262. Adam du Veau expédia une com-
miffion en 1320 , pour faire faire une quête
en faveur des Lépreux dans le Dioceſe de
Bourges , & nomma , pour recueillir les au
mônes , Guillaume Hardouin & Jean Hé-
merande , Freres Chevaliers de l'Ordre. On
obfervera qu'il ne fe trouve preſque point
de Bulles des Papes en leur faveur , où ils
ne foient autorifés à faire des quêtes. On
ne fait ni l'année de la mort , ni quelle étoit
l'extraction d'Adam du Veau.

L'Ordre élut en fa place Jean de Paris.


Peu de temps après fa promotion au Ma- JEAN de
gifter, il délégua l'an 1332 , Frere Jean Cor- PARIS , 3e.
G. M.
bet , pour recueillir en fon nom les au-
mônes faites aux Lépreux dans les Diocefes Gal. Chrif.
de Rheims , de Cologne & de Treves , &
pour arrêter les faux Quêteurs & les Freres
qui auroient quitté l'habit de l'Ordre,
Il obtint le 25 Juin 1343 , du Duc de
Normandie , Comte d'Anjou & du Maine ,
fils de Philippe de Valois , & qui fut fon
E
98 Effai critique fur l'Hiftoire
fucceffeur , la confirmation du droit , dont
JEAN de jouiffoit l'Ordre , de prendre du bois pour
PARIS, 3e, fa confommation dans la forêt de Bray , &
G. M.
les autres forêts du Duché de Normandie. Ce
Touffaint même Prince confirma , le 10 Juillet de la
de St. Luc. même année , fon exemption de tous droits
Gal. Chrif. & fervitudes. On croit que Jean étoit de la
même famille que Michel de Paris , Bailli de
Vermandois. Celui- ci donna ordre en 1328,
le lundi ayant la mi-Carême , au Gouver-
neur de Mont-Didier , d'envoyer aux deux
Gouverneurs de Langeft les lettres de Phi-
lippe-le-Bel , qui leur enjoignoient de s'aſ-
fembler le Dimanche des Rameaux , avec les
autres Nobles de ce Gouvernement . On croit
encore que Jean étoit parent de Raimond de
Paris , qualifié dans un titre du 9 Juin 1365 ,
Ecuyer du Roi de Navarre , & enfin de
Jean de Paris , propriétaire , vers la fin du
quatorzieme fiecle , de la Terre de Guigny,
Paroiffe d'Arou , Election de Château-neuf ,
Généralité d'Orléans.
Le tombeau de ce Grand-Maître eft dans
la chapelle de Boigny ; on y lit cette épi-
taphe : Ci gift Frere Jean de Paris , Maître
de St. Ladre de Jerufalem , qui trépaffa l'an de
grace 1349 , le 20 du mois de Janvier. Priez
Dieu pour l'ame du défunt. ( 1)

Son fucceffeur , Jean de Couras , n'eſt


JEAN de
COURAS ,
49. G. M. (1 ) Au lieu de l'an 1349 , Touffaint de St. Luc a
lu dans cette épitaphe , l'an 1304. Cet anachroniſme
de 45 ans, l'a entraîné dans plufieurs erreurs , qui
ne nous paroiffent pas mériter d'être relevées.
des Ordres Royaux , &c. ୨୭
connu que par ce qu'en a dit de Belloy. Il
cite un acte du 14 Juillet 1354 , par lequel COURAS
JEAN de,
ce Grand-Maître nomme pour fon Procureur 4e. G. M.
en Angleterre & en Ecoffe , Frere Robert
Halidey , Ecoffois , & l'oblige de payer tous
les ans à la Commanderie de Boigny trente
marcs fterlins d'argent , & d'affiſter aux Cha-
pitres généraux qui s'y tiendront , ou d'y
envoyer un Chevalier Ecoffois. Mais cet
acte rapporté par de Belloy , en citant même Touffaint
le nom du Notaire qui l'avoit paffé , ne fe de St.Luc.
Gal. Chrif
trouve plus dans les archives de l'Ordre.
Aucun autre Auteur n'a parlé de Jean de
Couras : fa famille eft inconnue. On conjec-
ture qu'il mourut vers la fin de l'année 1354:

Jean le Comté , cinquieme Grand- Maître


de l'Ordre , a long- temps été ignoré ; il le JEAN le
feroit encore , fi vers le commencement de COMTE ,
5e. G.M.
ce fiecle l'on n'avoit découvert un vieux
papier terrier de la Baronnie de Carbon-
nieres , où se trouve un aveu rendu à cette
Baronnie par la Commanderie de Roffon en
1357 , le 24 Novembre , par le Procureur
de ce Grand-Maître. Cette Commanderie re-
levoit , comme on l'a déja vu , de la Terre
de Carbonnieres ; & deux ans auparavant ,
Frere Jean de Roffon en avoit rendu un pa-
reil aveu. Ce papier terrier s'eft trouvé dans
les archives du Château de Peignieres en
Armagnac , qui appartient au Duc de Noail-
les , ainfi que la Terre de Carbonnieres.
On conjecture que le tombeau de Jean le
Comte eft dans la chapelle de Boigny, presTH
E 2 DE LÁ
E
VILL DE
N
LYO
100 Effai critique fur l'Hiftoire
de l'efcalier de la tour ; il ne reftoit , il y
JEAN
COM le a quelques années , du monument funebre
TE,
Je. G. M. qu'on y avoit placé , qu'une ftatue mutilée ,
& dans une attitude couchée ; on diftinguoit
au genou droit une fleur de lys , avec ces
mots prefqu'effacés .... de l'Ordre de St. La-
zare de Jerufalem , qui trépaffa l'an de grace
1361. Jean le Comte gouverna l'Ordre pen-
dant , à peu près , fix années ; il eut pour
fucceffeur Jacques de Beynes.

Ce Grand-Maître étoit d'une illuftre naiſ-


JACQUES
de fancefont
BEY- tion premiers
; lesde l'annéetitres
1368.quiIl en font men-
conféra le 1
NES , 6e.
G. M. Juin 1381 , la Commanderie de Montliout ,
Diocefe de Seez , à Philippe de Grignard ;
elle étoit vacante par la mort de Jean de
Blefme. Il eſt dit dans l'acte de nomination ,
qu'elle s'eft faite le Chapitre affemblé , au
fon de la cloche , fuivant l'ufage. Jacques de
Beynes afferma le 16 Juillet 1384 , la Com-
manderie d'Aigrefeuille en Breffe , à Etienne
Maréchal cette Commanderie appartient
encore à l'Ordre. Le prix du bail étoit cent
francs d'or par an, payables au Grand-Maî-
tre. De Belloy ajoute un quatrieme titre à
ceux ci-deffus. On trouve , dit cet Auteur ,
dans les archives de l'Ordre , un acte paffé
à Paris en 1377 , par Thomas Sacii , Notaire-
Apoftolique , par lequel Dominique de Sain-
troy promet de fe trouver tous les ans au
Chapitre-général de Boigny , & d'y apporter
quatre marcs d'argent , pour reſponſion an-
nuelle de fa Commanderie , fituée à Gran
des Ordres Royaux , &c. ΙΟΣ
en Hongrie. Il s'oblige auffi de faire deffer-
vir à fes frais par un Prêtre , qui fera nom- JACQUES
mé par le Grand-Maître , la chapelle de cette de BEY-
NES , 6e.
Commanderie . Ce titre ne fe trouve plus G. M.
dans les archives de l'Ordre. + Gal. Chrif
.
Jacques de Beynes eft inhumé dans la cha-
pelle de Boigny ; on voit fur fon tombeau une
épitaphe , dont on ne peut plus lire que ces
mots.... De Beynes , Chevalier , jadis Maître de
St. Ladre de Jerufalem , qui trépaſſa l'an 13………….
feria tertia poft Epiphaniam , c'est-à-dire , le
mardi d'après l'Epiphanie.
Jeanne de Beynes , femme d'Alain , & mere
de Jacques , morte au mois de Janvier 1372 ,
eft inhumée dans l'Eglife Paroiffiale de Boi-
gny. Elle eft qualifiée , dans l'épitaphe gravée
fur fon tombeau , Bourgeoife de Paris , qualité
qui ne s'oppofe pas à ce qu'elle fût iffue d'une
famille noble. On pourroit citer pluſieurs per-
fonnes de grande naiffance , qui prenoient
cette qualité. On en verra ci-après les raiſons.
Tels furent les Chefs de l'Ordre pendant le
quatorzieme fiecle, Les Papes qui occuperent
le Siege Apoftolique pendant ce même fiecle
le protégerent , comme avoient fait leurs pré-
déceffeurs. Au lieu des détails des affaires de
l'Ordre , indifpenfables pour juftifier la fuc-
ceffion de ces Grands-Maîtres , nous àurions
defiré de la pouvoir conftater par le récit des
actions que les fentimens de charité , & l'a-
mour de la gloire , ont pu infpirer tant aux
Chefs , qu'aux Membres de cet Ordre illuf-
tré , mais il ne nous a pas été poffible d'en dé-
couvrir les moindres traces.
E 3
102 Effai critique fur l'Hiftoire
Pierre des Ruaux fut élu Grand-Maître à la
PIER.des recommandation de Charles VI , qui defiroit
RUAUX, récompenfer des fervices qu'il avoit
7. G. M. de le
rendu à la France fous fon regne. Il ne fe
trouve point de titres qui annoncent le gou-
vernement de ce Chef , avant l'an 1413. Le
10 Décembre de cette année , il donna un
diplôme aux Sœurs de deux Couvens de l'Or-
dre de St. Lazare établis en Allemagne , dans
le Dioceſe de Conftance , par lequel il leur
permet de faire un Chevalier du même Or-
dre , & de le nommer Commandeur de leurs
Maifons , pour remplacer celui qui étoit mort ,
à condition qu'il feroit tenu de rendre compte
tous les ans , foit au Grand-Maître , foit aux
Supérieures de ces Communautés , de l'admi-
niftration du fpirituel & du temporel. Cet
acte fe trouve cité dans l'Hiftoire de Zurich,
par Hottinger , publiée en 1664 , fous ce titre:
Speculum Helvetico - Tigurinum , fous l'année
1443. Mais les favans Auteurs du Galliâ Chrif
tiana , penfent qu'il faut lire fous l'an 1413 .
Le Commandeur de l'Ordre , auffi diftingué
par fes lumieres , que par fon état , dont j'ai
déja avoué les fecours qu'il m'a généreuse-
ment donnés pour cette Hiftoire , a bien voulu
me communiquer des Mémoires fur ces deux
anciennes Maiſons de l'Ordre , dont Hottin
ger dit fi peu de choſes. Suivant ces Mémoi-
res, elles furent fondées au commencement
du douzieme fiecle , l'une à Scédorf, &
l'autre à Gfenn , pour des Religieufes Béné-
dictines , qui devoient être Nobles d'extrac-
tion. Depuis l'établiffement du Corps Hel-
des Ordres Royaux , &c. 103
vétique , Scédorf fe trouva en Suiffe , dans
le Canton d'Uri , & Gfenn dans le Canton de PIER.des
RUAUX ,
Zurich. On attribue la fondation de l'Abbaye 7e. G. M
de Scédorf à Rodolphe , Comte de Brientel.
Ce Seigneur Allemand fuivit la premiere Croi-
fade , & fonda ce Monaftere à fon retour de
la Terre-Sainte. Les Chroniques Allemandes
portent que le Roi Baudouin IV , qui mourut à
Jerufalem en 118 , de la maladie de la le-
pre , à l'âge de vingt- cinq ans , fut le Fonda-
teur de l'Abbaye de Gfenn , en reconnoiffance
de ce qu'il avoit été miraculeuſement guéri de
cette même maladie. Je ferai grace à mes Lec-
teurs du refte des abfurdités miraculeufes
que contiennent les Mémoires que j'ai fous les
yeux , touchant l'établiſſement de ce dernier
Monaftere , auffi-bien que de celui de Scédorf.
On ne fait comment ni en quel temps ces
deux Abbayes de Bénédictines font devenues
des Maifons de St. Lazare , fuivant la regle de
St. Auguftin , & enfuite des Maifons mixtes
compofées de Chevalieres & de Chevaliers.
Il eft prouvé cependant par les Nécrolo
gues , & autres Mémoires manufcrits , con-
fervés dans les archives de Scédorf , & com-
muniqués à l'Ordre , que dès l'an 1185 , un
Chevalier de St Lazare étoit Supérieur de
cette Maifon. L'on trouve dans ces mêmes
manufcrits les noms d'un grand nombre de
Chevaliers & de Dames Religieufes , fou-
mifes au Gouvernement du Grand-Maître de
St. Lazare , jufqu'en l'année 1413 , où Pierre
des Ruaux leur accorda la permiffion de créer
un Chevalier , & de le nommer Comman-
E 4
104 Effui critique fur l'Hiftoire
deur de leur Couvent , aux conditions que
PIER.des nous avons exposées .
RUAUX , Il eſt probable que les troubles dont la
78. G.M.
France & l'Allemagne étoient alors agités à
l'occafion des nouvelles religions , rendoient
les chemins peu sûrs , & ne permettoient pas
au Grand-Maître de vifiter ces Maiſons , ou
d'y envoyer quelque Chevalier chargé de fes
pouvoirs , ce qui l'engagea d'accorder à ces
Religieufes , par une fimple lettre , la grace
qu'elles lui demandoient.
Ces deux Commanderies de l'Ordre fem-
blent avoir fubfifté jufqu'au commencement
du feizieme fiecle , temps où les opinions
de Zuingle fur la religion s'accréditerent ,
& furent adoptées par plufieurs des Can-
tons Suiffes , particuliérement par le Sénat
de Zurich en 1523. La Commanderie de
Gfenn étoit dans ce Canton , & elle fut dé-
truite la premiere. Peu de temps après celle
de Scédorf fubit le même fort , quoique fituée
dans le Canton d'Uri , qui conferva la reli-
gion Catholique. Dans la fuite elle fut réta-
blie fous la regle de St. Benoît. C'eſt donc à
peu près vers l'an 1523 , que l'Ordre de St.
Lazare a perdu ces deux Maiſons en Allema-
gne. Les Mémoires que nous avons ne fuffi-
fent pas pour traiter plus à fond ce morceau
fi intéreffant de fon Hiftoire. D'ailleurs celle
de l'Abbaye de Scédorf , qu'un illuftre Ecri-
vain promet de publier ( 1 ) , ne laiffera rien

(1) M. le Baron de Zurlauben , Maréchal de Camp ,


Capitaine au Régiment des Gardes-Suiffes , & de l'A-
cadémie des Infcriptions & Belles-Lettres .
des Ordres Royaux , &c. 105
à defirerfur ce qu'elle peut avoir de commun
avec l'Hiftoire des Chevaliers de St. Lazare. PIER.des
RUAUX ,
Reprenons l'ordre des temps , fur lequel 7e. G.M.
nous avons anticipé , pour finir ce que nous
avions à dire des Commanderies de Scédorf
& de Gfenn.
Le fiege d'Orléans entrepris par les Anglois
en 1428 , eft fameux dans notre Hiftoire. On
fait affez , qu'il fut fi vaillamment foutenu par
les affiégés , que les ennemis furent obligés de
le lever au mois de Mai 1429. La Comman-
derie Magiftrale de Boigny , fe trouvant fi-
tuée à peu de diftance d'Orléans , fut expo-
fée aux infultes des Anglois. Des Ruaux pro-
fita de la levée du fiege , qui rétabliſſoit la
tranquillité dans ces cantons , pour affermer ,
en 1429 , la Petite-Jerufalem & fes dépen-
dances , biens de l'Ordre fitués près de Beau-
gency.
Sur une conteftation entre l'Ordre & les
Doyen & Chanoines de l'Eglife d'Orléans ,
au fujet de la jurifdi& tion que ces derniers
prétendoient exercer fur la Maison de Boi-
gny , le Roi nomma le Bailli de Chartres pour
en connoître ; & il fut jugé , par ſentence du
14 Avril de l'an 1431 , que cet Ordre n'étoit
fujet à aucune autre jurifdiction eccléfiaſti-
que , qu'à celle du Pape , ni à d'autre autorité Gal, Chrif.
féculiere , qu'à celle du Roi.
Le Grand-Maître obtint d'Eugene IV , une
Bulle donnée à Florence le 27 Mars 1436 >
par laquelle ce Pape nomma l'Abbé de Ste.
Genevieve de Paris , le Doyen de l'Eglife de
Lizieux , & l'Archidiacre de celle de Rouen ,
E S
106 Effai critique fur l'Hiftoire
pour faire reftituer à la Commanderie de Gra-
PIER.des temont les biens qui lui avoient été ufurpés ,
RUAUX,
7e . G. M. ou qui en avoient été diſtraits , quoique cette
diſtraction eût pu être approuvée par les Pa-
pes , fes prédéceffeurs. Martin Joannis étoit
pour lors Commandeur de cette ancienne
Commanderie de l'Ordre.
Des Ruaux informé de la mauvaiſe conduite
de Frere Nicolas de la Motte , Commandeur
de Montliout , Diocefe de Seez , le fit déclarer
fufpens dans un Chapitre- général tenu à Boi-
gny , aux Fêtes de la Pentecôte de l'an 1438 ,
& le priva pour un temps de fa Commande-
rie , dont l'adminiſtration fut confiée à un au-
tre Chevalier.
Ce Grand-Maître nomma , le 17 d'Avril
1441 , Frere Philippe Rouxel , en confidé-
ration de fon mérite diftingué , & de fon
ancienneté dans l'Ordre , aux Commanderies
de Gournay & de Lions , Dioceſe de Rouen ;
à celles de Ste. Magdeleine , dans la Mar-
che ; de St. Léonard de Pacy , de Ste.
Magdeleine de Liré , Dioceſe d'Evreux ; de
St. Sanfon , Diocefe de Lizieux : toutes
étoient vacantés par le décès de Frere Pierre
de Fois. Il conféra le 12 de Juin 1449 , la
Commanderie de St. Antoine de Gratemont
à Frere Pierre Pottier , dit Conflans. Enfin
le 23 Septembre 1453 , il obtint deux Ar-
rêts du Parlement de Paris : le premier lui
adjugea la propriété conteftée de certains
droits fur des maifons fifes à Paris , appel-
lées le Fief de la Pierre-au-Lait , près de
l'Eglife de St. Jacques de la Boucherie , dona-
des Ordres Royaux , &c. 107
tion faite à l'Ordre par St. Louis. Le fe-
cond Arrêt lui accorda les prérogatives de PIER.des
Bourgeois de Paris , qualité fouvent defirée , RUAUX
7e. G. M.,
& follicitée par les perfonnes de là plus
grande naiffance ; elle devenoit de jour en
jour plus précieufe , à caufe des privileges
qui avoient été accordés par nos Rois aux
citoyens de cette Capitale. On difputoit cette
qualité au Grand-Maître , parce qu'il ne de-
meuroit pas ordinairement à Paris , mais
dans la Maifon conventuelle de Boigny. On
eftime que le Magifter de Pierre des Ruaux
dura près de quarante ans. Les derniers actes
qui en font mention font de 1453. L'on n'a
pu découvrir jufqu'à préfent aucun monu-
ment qui puiffe indiquer le temps de fa
mort.
La Maiſon des Ruaux étoit ancienne.
Pierre eut pour frere Jean Seigneur de.
Crane , dans la Paroiffe de Boeffe en Gâti-
nois. Le Château de cette Terre étoit fi
confidérable , & fi agréablement fitué , que
nos Rois y ont fait plufieurs fois quelque
féjour. Cette belle maiſon fubfiftoit encore
! dans tout fon éclat en 1660 , felon que l'af-
fure Guillaume Morin , dans fon Hiftoire du
Gâtinois. Pierre eut un fecond frere , Bertrand
des Ruaux , Chevalier de l'Ordre , Com-
mandeur de Fontenay-le-Comte en 1478 ,
& • qui mourut en 1498.

A peine fait-on le nom de G. Defmares


qui fuccéda à Pierre des Ruaux. Il ne refte MAR
G. DES-
ES ,
aucuns titres dans les archives de l'Ordre , se. G. M.
E 6
108 Effai critique fur l'Hiftoire
qui en faffent mention. Il n'eft connu que
G. DES- par l'épitaphe de Frere Pottier , gravée fur
MARES,
Se. G. M. une pierre , placée du côté droit , proche
l'autel du Choeur de la Commanderie de
Gratemont. Voici cette épitaphe : Cy-devant ce
Grand - Autel gift noble Homme & religieuſe
Perfonne , Frere Pierre Pottier , dit Conflans ;
Prêtre en l'Ordre & Chevalerie de St. Lazare
de Jerufalem , Commandeur de Céans & de la
Lande-Daron , en fon vivant , Vicaire- Général
de noble & puiſſant Seigneur F. G. Defmares
Chevalier Grand-Maître- Général de tout le
fufdit Ordre & Chevalerie , decà & delà la mer
Commandeur de la Maifon conventuelle de
Boigny près Orléans , qui trépaſſa l'an 14 ..... Le
refte des chiffres eſt effacé.
On voit dans la même Eglife , du même
côté de l'évangile , une ftatue de pierre repré-
fentant St. Antoine , placée contre le mur
au bas de laquelle on lit cette autre inf-
cription : En l'honneur de Dieu & de St. An-
toine , celui-cy deffus dit m'a fait , & au devant
de cet Autel il gift , feu noble & religieufe Per-
fonne, Fr. Pierre Pottier , dit Conflans , Prêtre
en l'Ordre & Chevalerie de St. Ladre de Jeru-
falem , Commandeur de Céans , & de la Lande-
Daron en fon vivant , Vicaire - Général de
noble & puiffant Seigneur F. G. Defmares "
Chevalier , Grand - Maître Général de tout le
fufdis Ordre.
Les qualités de haut & puiſſant Seigneur
que Frere Pottier donne à G. Defmares
paroiffent bien faftueufes pour le temps , au-
curs des Grands-Maîtres qui l'ont ou précédé
des Ordres Royaux , &c. 109
out fuivi , ne les ont priſes. L'abus des titres
étoit encore très - rare : ce ne fut que vers G. DES-
MARES ,
l'an 1500 qu'on commença de donner aux ge. G. M.
perfonnes de qualité le titre de Monfieur ;
on nommoit fimplement les Gentilshommes
par leurs noms & furnoms ; les Evêques ne
prenoient que le titre de Maître. Frere Pot-
tier a pris d'ailleurs la précaution de faire
placer près de fon tombeau des ornemens
affez finguliers. Comme ils nous font con-
noître quels étoient alors les habillemens &
la croix que portoient les Chevaliers de St.
Lazare , il ne fera pas tout-à-fait inutile de
les décrire, La ftatue de St. Antoine , dont
nous venons de parler , eft pofée fur une
efpece de colonne ; au deffous eft un bas-
relief, repréſentant cinq Chevaliers de St.
Lazare à genoux , armés de cuiraffes , & un
Chapelain de l'Ordre ; tous ont un manteau
long , fur la partie gauche duquel eft une
croix fimple , feulement un peu patée aux
extrêmités. On diftingue encore une autre
croix fur leur poitrine , différente de la pre-
miere , en ce qu'elle eft plus longue par le
pied , & qu'elle fe termine en pointe. Juf-
ques-là rien d'extraordinaire ; voici le fingu-
lier : la ftatue de St. Antoine eft au milieu
des flammes , & à fes pieds paroît un trou-
peau de pourceaux dans les mêmes flammes ,
qui ne fe trouvant pas à leur aife , font des
fauts en l'air. Ce tombeau a été gravé , &
il s'en trouve diverfes eftampes.
On ne diftingue fur le tombeau de Frere
Pottier , pour marquer l'année de fa mort
110 Effai critique fur l'Hiftoire
que les chiffres romains , mille quatre cent ,
G.DES- les autres font effacés , & l'on ne fait pas
MARES , en quelle année il mourut. II eft certain
Se. G. M.
comme on l'a vu ci-deſſus , que le Grand-
Maître des Ruaux lui conféra la Comman-
derie de Gratemont en 1449 : il eft encore
certain que des Ruaux vivoit en 1453. Nous
verrons ci - après que Jean le Cornu étoit
Grand-Maître en 1470. C'est donc néceffai-
rement dans cet intervalle que G. Defmares
parvint à la Grande - Maîtrife , & qu'il fit
Frere Pottier fon Vicaire-Général. Nous ver-
rons que celui- ci avoit fait des acquifitions
au profit de fa Commanderie de Gratemont
en l'année 1478 , & que par conféquent il
vivoit encore alors.
Il eft probable que G. Defmares étoit iffu
de l'une des familles de ce nom qui fe font
illuftrées , & qui ont été répandues dans dif-
férentes Provinces , fans qu'on fache de la-
quelle defcendoit ce Grand- Maître.

Jean le Cornu , dont la famille a donné


JEAN le dès le treizieme fiecle , trois Archevêques
CORNU,
9e . G. M. au fiege de Sens , entra d'abord dans l'Or-
dre du St. Efprit de Rome , & fut pourvu
de la Commanderie de St. Severe , dépen-
dante de l'Ordre du St. Efprit de Montpel-
fier. Le Grand-Maître des Ruaux l'avoit reçu
dans celui de St. Lazare le 12 Août 1449 "
après avoir obtenu les difpenfes néceffaires
pour y être transféré , du confentement de
Frere Guerin Tailleray , Grand-Maître de.
POrdre du St. Efprit , deçà les monts. On
des Ordres Royaux , &c. III
conjecture qu'il devint Grand-Maître de l'Or-
dre de St. Lazare vers l'an 1466. JEAN le
Jacques de la Chaftie , Procureur de ce CORNU ,
9e. G.M.
Grand-Maître , inféoda l'an 1470 , des biens
démembrés de la Commanderie de Roffon
dont on avoit formé celle de Paftoral. Jean
le Cornu , en fa qualité de Grand-Maître
rendit aveu , l'an 1478 , de cette Comman-
derie de Roffon , à Guy, Baron de Carbon-
nieres & de Merle , ainfi que l'avoient ren-
du fes prédéceffeurs. Il prend dans cet aveu
les qualités de venerabilis & religiofus Magifter
totius Ordinis , & nobilis Militia Sancti Lazari
de Jerufalem , citra & ultra maria , & Præceptor
Domus Conventualis Boignaci. Il accepta au
nom de l'Ordre , dans un Chapitre du 13 Juin
1481 , les acquifitions faites en 1478 , par
Frere Pottier , au profit de la Commanderie
de Gratemont. Il nomma le 11 Juillet 1485 ,
Guillaume Martin , fucceffeur de Frere Pot
tier , dans la Commanderie de Gratemont ,
pour faire une quête , deſtinée à réparer les
Eglifes de l'Ordre , qui avoient été endomma-
gées pendant les guerres précédentes. Nous
croyons inutile de rapporter ici les titres qui
font mention de ce Grand-Maître jufqu'en
l'année 1492 , où par un acte capitulaire du
12 Juin , Bertrand des Ruaux , frere du Grand-
Maître de ce nom , fut autorisé à recevoir
trois cens livres de François Texier , Secré-
taire du Roi , pour le rachat d'une rente de
dix livres qu'il devoit à l'Ordre für une Mé-
tairie appellée la Moife. Partie de cette fom-
me fut deſtinée , par le même acte capitulaire ,
112 Efai critique fur l'Hiftoire
à acheter un Hofpice à Orléans , pour loger
JEAN le le Grand-Maître ou les Chevaliers , lorſque
CORNU, les affaires de l'Ordre demanderoient leur fé-
ge. G. M.
jour en cette Ville , & le refte à acquitter des
dettes. Jean le Cornu , après avoir rempli les
fonctions du Magifter pendant plus de vingt
années , avec le plus grand zele , mourut à Boi-
gny , le 9 Mai l'an 1493 , où il eft inhumé.
N'oublions pas de remarquer qu'Innocent
VIII entreprit , fous ce Grand-Maitre , d'é-
teindre l'Ordre de St. Lazare , en l'uniffant à
celui de St. Jean par une Bulle de l'an 1489 ,
dont nous parlerons ci-après , & dont Jean
le Cornu n'eut aucune connoiffance.
Le 27 du même mois de Mai 1493 , où
mourut ce Grand-Maître , l'Ordre élut provi-
foirement Bertrand des Ruaux Vicaire-Géné-
ral. S'étant encore affemblé le lendemain , il
indiqua unChapitre à Boigny au premier Juil-
let fuivant , pour procéder à l'élection d'un
nouveau Grand-Maître. Ce Chapitre ſe tint
avec les formalités ordinaires , & les fuffrages
tomberent fur Frere François d'Amboife.
Nos Chevaliers avoient continué pendant
l'efpace d'environ deux fiecles d'être réglés
dans leurs mœurs , & exacts dans l'obfervance
de leurs vœux. L'Ordre étoit devenu florif-
fant en Europe. Les Papes & les Rois l'avoient
à l'envi comblé de privileges & de richeffes.
Il poffédoit de grands biens non-feulement en
France , mais auffi en Allemagne , en Eſpa-
gne , en Ecoffe , & en Angleterre. L'on comp-
toit jufqu'à trois mille Maifons de St. Lazare ,
toutes bien adminiftrées.
des Ordres Royaux , &c. 113
Les Chevaliers qui gouvernoient ces Mai-
fons , fe rendoient exactement aux Chapitres- JEAN le
CORNU,
généraux , qui felon l'ancien uſage ſe renoient 98. G. M.
tous les trois ans dans le grand Couvent de
Boigny , aux Fêtes de la Pentecôte , où ils
apportoient les fommes fixées pour leurs ref-
ponſions (1 ). Cette bonne difcipline fut ob-
fervée jufques vers le commencement du
quinzieme fiecle ; mais de-là jufqu'au milieu
de ce même fiecle , les guerres furvenues en-
tre les Rois de France , d'Espagne & d'An-
gleterre , empêcherent les Chevaliets étran
gers de fe rendre aux Chapitres-généraux te-
nus en France ; ceux qui étoient en faute ne
recevant plus les corrections du Grand-Mai-
tres , s'éloignerent de plus en plus de leurs
devoirs , & finirent par ne plus reconnoître
leur Chef. D'un autre côté les Puiffances uſe-
rent d'autorité fur les biens de l'Ordre , qui
fe trouvoient dans leurs Etats ; ils pafferent
dans des mains étrangeres , les familles des
Chevaliers s'en approprierent une bonne par-
tie ; infenfiblement l'Ordre ne poffèda plus
rien hors de la France.

Tel étoit l'état de l'Ordre lorfque Fran-


FRANÇOIS
çois d'Amboife en devint le Chef. L'illuftre D'AMBOI-
SE , 10e. G.
M.
(1)Autrefois les Commandeurs n'avoient que l'ad-
miniftration de leurs Commanderies ; ils rendoient
compte de la recette & de la dépenfe , & remettoient
chaque année au tréfor de l'Ordre , ce qui reftoit des
revenus. Dans la fuite il fut réglé que les Comman.
deurs ne rendroient aucun compte , mais qu'ils paie
roient tous les ans à l'Ordre une fomme fixée , qui
fut appellée refpontion,
114 Effai critique fur l'Hiftoire
maifon d'Amboife eft affez connue en France
FRANÇOIS par les grands hommes qu'elle a produits.
D'AMBOI
SE, loe, G. François étoit fils aîné de Charles , qui fut
M. fucceffivement Chevalier des Ordres du Roi ,
Maréchal de France , Grand-Amiral , Am-
baffadeur de Louis XII , à Milan & à la Ré-
publique de Gênes. L'acte de fon élection
s'eft trouvé dans les archives de l'Ordre de
Cluny. Il eft probable que François d'Am-
boife étant allé voir fon oncle paternel , qui
en étoit Abbé , y laiffa cet acte ; on croit
qu'il y mourut. Le même jour premier de
Juillet 1493 , où fe tint le Chapitre pour
fon élection , Agnan de Mareul , Comman
deur de Beaugency & de Villaraye , & Louis
de Voifins , Commandeur de Gratemont , fu-
rent nommės pour la faire approuver par le
Pape , ou par le Patriarche de Jerufalem. Ce
font les premiers veftiges qui ſe trouvent
dans les archives de l'Ordre de la néceffité de
faire approuver par le Souverain Pontife l'é-
lection des Grands - Maîtres de St. Lazare.
Bertrand des Ruaux , Vicaire-Général , étant
mort , François d'Amboiſe nomma en ſa place
Agnan de Mareul , le 9 Juin 1498 , & lui con-
féra la Commanderie de Fontenay- le-Comte.
Ce Grand-Maître vécut au moins jufqu'en
l'année 1499 , temps où l'on penfa à lui don-
ner un fucceffeur. Il prenoit ces qualités :
Frater Francifcus de Ambofia , Miles , humilis
3 Magifter Generalis totius Ordinis Sanéti Lazari
Hierofolymitani , ultra & citra mare , & Pra-
ceptor Præceptoria de Bogniaco , Diœcefis Au-
relianenfis.
des Ordres Royaux , &c. 115
François étoit neveu d'Emeric d'Amboiſe ,
Grand-Maître de l'Ordre de St. Jean , qui FRANÇOIS
d'AMBOI-
obtint du Pape Julle II , une Bulle du 20 Juil- SE, 10e , G.
let 1505 , confirmative de l'union de l'Ordre M.
de St. Lazare à l'Ordre de St. Jean , pronon-
cée par Innocent VIII. Mais Léon X , en l'an-
née 1517 , ne fit aucune attention à ces for-
tes de Bulles , comme nous le verrons dans la
fuite. Il confèra même la Grande-Maîtriſe de
St. Lazaré en 1519 à Claude de Mareul , fuc
ceffeur d'Agnan , qui fuit.

- Agnan de Mareul , Commandeur de Ste.


Catherine de Montrevault en 1481 , de AGNAN de
MAREUL ,
Beaugency & Villaraye en 1493 , Vicaire- 11e. G. M.
Général & Commandeur de Gratemont en
1498 , fut le fucceffeur de François d'Am-
boife. Il figna en qualité de Grand-Maître ,
une quittance , le premier Juillet de l'an
1500. Le même jour il reçut le compte de
l'adminiſtration de la Commanderie de Boi
gny , que lui rendit Guillaume Martin , Com-
mandeur de St. Antoine de Gratemont , Vi
caire-Général , qui avoit géré la Comman-
derie Magiftrale pendant fa vacance. Il pa
roît qu'Agnan céda la Commanderie de Fon-
tenay-le-Comte à Antoine de Mareul , puif-
que ce dernier la poffédoit en 1503. En-
fuite elle paffa àCharles de Mareul , furnom-
mé la Baſtie , vers l'an 1544. Etienne de Ma-
reul fit profeffion dans l'Ordre en 1549 , mais
il fut relevé de fes vœux par une Bulle de
Pie IV, du 12 Octobre 1565 , adreffée à Mi-
chel de Seure , Prieur de Boigny. Agnan , de
116 Effai critique fur l'Hiftoire
l'avis & du confentement des Chevaliers de
AGNAN de l'Ordre , arrêta , dans un Chapitre tenu en
MAREUL ,
ne. G. M , 1501 , qu'il étoit néceffaire de faire appor-
ter à Boigny les baux des biens de l'Ordre ,
tant pour les approuver , que pour en con-
noître le prix. Il fut particulièrement en-
joint à Guillaume Martin , Commandeur de
Gratemont , de veiller à l'exécution de cette
délibération. Agnan paffa un bail emphitéoti-
que à Orléans , le 11 Juin 1506 , d'une mai-
fon fife à Paris , faifant face fur la rue de la
Pierre-au-Lait , bornée d'un côté par les mai-
fons de la Fabrique , d'autre côté par les héri-
tiers de Pierre Quatre-livres , & parderriere
de la maifon de la Coupe.
" Ce Grand · Maitre détermina l'Ordre en
1507 à acheter un terrein dans la place de
Bourgogne à Orléans , pour y bâtir un Hof-
pice , projet arrêté dès l'an 1492 , comme on
l'a vu ; mais il fut vendu l'an 1678 , au Re-
ceveur des Subfides d'Angoulême , à la charge
d'en payer une rente perpétuelle de 60 livres.
Ce même Grand-Maître afferma par un bail
emphitéotique en 1511 , le Petit-Boigny , pour
le prix de treize boiffeaux de froment par an.

Enfin Agnan , après avoir adminiftré l'Or-


CLAUDE dre pendant 18 ans , fe démit de la charge de
de Grand-Maître entre les mains du Pape Léon
MAREUL , X, en faveur de Claude de Mareul, fon neveu,
12e. G. M.
dont il voulut bien être le Grand-Vicaire pen-
dant neufannées , favoir depuis 1519 jufqu'à
fa mort , qui arriva en 1528.
Ces Mareuls étoient iffus d'une ancienne
des Ordres Royaux , &c. 117
famille noble du Berry , divifée en plu-
fieurs branches , qui toutes ſont actuellement CLAUDE
éteintes. de
MAREUL
Claude de Mareul devint Grand-Maître de 12e. G.M.
l'Ordre à l'âge de 16 ans. Le Pape lui conféra
cette dignité le 30 Mai 1519 , par le feul
droit de la réfignation faite entre ſes mains ,
comme il eft expreffément porté dans la Bulle.
Claude tint un Chapitre-général à Boigny le
2 Juin 1521. Il travailla beaucoup au bien
de l'Ordre depuis 1537 jufqu'en 1554 ; ce
qu'il fit fur-tout en 1557 , le couvrit de gloire.
Il avoit conféré la Commanderie de Fonte-
nay-le-Comte à Charles de Mareul ; mais Jac-
ques Peloquin , Chevalier de Malte , & Grand-
Prieur d'Aquitaine , en avoit pourvu dans le
même temps Frere André Suriot , Chevalier
du même Ordre, fondé fur la Bulle de réunion
des deux Ordres , donnée par Innocent VIII ,
en 1489. Depuis cinquante-huit ans que cette
Bulle exiftoit , l'Ordre de Malte n'en avoit
fait aucun ufage en France ; ce qui nous a
engagé à ne pas en parler à la fuite des événe-
mens du quinzieme fiecle. Nous expoferons
d'abord les circonftances qui fervirent de pré-
textes à cette réunion ; nous en développe-
rons enfuite les véritables motifs.
Nous avons déja parlé des fâcheux revers
qu'éprouva l'Ordre dans les commencemens
du quinzieme fiecle. D'ailleurs la maladie de
la lepre difparut prefqu'entiérement. Les Che-
valiers de St. Lazare eurent moins d'occafions
d'exercer leurs anciens devoirs charitables.
La vie oifive qu'ils menoient dans leurs Hô-
118 Effai critique fur l'Hiftoire
pitaux , les conduifit au déréglement. Des
CLAUDE mains avides profiterent de leur négligence
de & de leur inconduite , pour dépouiller & les
MAREUL ,
12e. G. M. Maladreries , & les Commanderies de l'Ordre.
On fait que dès le regne de Philippe-le-
Long , le defir de s'emparer des biens qui
appartenoient ſpécialement aux Lépreux , les
fit accufer des plus horribles crimes , entr'au-
tres d'avoir empoifonné les puits & les fon-
taines, Plufieurs Hiftoriens n'ont pas craint
d'affurer , fans preuves , que les Infideles alar-
més de la nouvelle Croifade , où l'on paroif-
foit fe difpofer en France , tramerent cet af-
freux complot avec les Juifs. Ils ajoutent que
ceux-ci confierent aux Lépreux l'exécution
de çet horrible attentat , en les affurant que le
poifon qu'ils emploieroient , donneroit la le-
pre à toute la nation , & que cette maladie
cefferoit de paroître honteufe , dès qu'elle fe-
roit devenue générale. On croit que fur l'im
putation de ce crime , le Roi fit brûler plu-
fieurs Lépreux , & confifqua tous leurs biens
en 1321. Dans la fuire leur innocence ayant
été reconnue , on ordonna la main -levée de
toutes ces faifies. ( 1 )

(1) Sponde , fur l'an 1321 , raconte ainfi ce fait , mê-


lé , fans doute , de beaucoup de fauffetés , d'après Au-
ger , Gaguin , & autres : On découvrit en France
cette année , vers le Rhin , que les Lépreux avoient
29 empoifonné les puits & les fontaines , pour faire
» périr les habitans ; & dans l'eſpérance où ils étoient
» de venir à bout de leurs deffeins , ils avoient déja di-
" vifé entre eux les places de guerre & les terres des
» Seigneurs , fe donnant d'avance les noms des Prin-
" ces , Comtes & Barons , à qui elles apparteroient,
des Ordres Royaux , &c. 119
On cite peut-être trop légèrement certains
excès reprochés aux Lépreux ,, pour exem- CLAUDE
de
ple de la corruption de nos ancêtres. C'eſt MAREUL
par erreur que l'on a long-temps confondu 12e. G.M.
leur maladie avec celle dont on penſe que
le libertinage fut la fource. Se rendre eunu-
que parut aux Médecins du temps un remede
für , pour fe preſerver de cette peſte , & les
Cafuiftes l'approuverent. On avoit obfervé
que la lepre n'attaquoit jamais les enfans
avant l'âge de puberté , ni les eunuques , ce
qui fit prendre cette opération pour un pré-
fervatif contre cette maladie , ainfi que le
rapporte Aëtius. Suivant l'opinion la plus
commune des Médecins , la maladie que l'on

Un Edit de Philippe - le- Long ordonna d'arrêter


» tous les Lépreux , & de condamner au feu tous ceux
» qui fe trouveroient coupables. Il fut défendu aux
» autres , par ce même Edit , de fortir de leurs Mala-
dreries , fous peine de mort. Comme ils difoient que
» les Juifs les avoient engagés à commettre ce crime
» ceux-ci furent auffi arrêtés , & le peuple en fit brû-
» ler un grand nombre , fans autre forme de procès ;
» le refte fut chaffé du Royaume. »
Le Continuateur de Nangis rapporte , que les Lé-
preux mirent la peſte dans l'Aquitaine en 1321 , Le
Roi y étant, par le moyen des puits & des fontai-
nes qu'ils avoient empoifonnés. Ce Continuateur af-
fure qu'il avoit vu un des facs qui contenoient ces poi-
fons. Le témoignage du Moine inconnu , qui a écrit
tout ceci , n'eft d'aucun poids ; nous n'avons trouvé
d'autres indices de ces faits , qu'une Ordonnance de
Charles IV , du 20 Février 1322 , par laquelle on voit
que le feu Roi Philippe-le- Long , fon frere , avoit
fait condamner les Juifs , par un Arrêt du Parlement ,
à une amende de cent cinquante mille livres , comme
complices des Lépreux , accufés d'avoir empoisonné
les puits & les fontaines dans plufieurs endroits du
Royaume .
120 Effai critique fur l'Histoire
avoit confondue avec la lepre en eft une fort
CLAUDE diftinguée, Quelques modernes cependant
de
MAREUL , penfent que ceux-ci n'ont pas affez obfervé
26.G. M. avant de généraliſer ainfi leurs prétentions ,
qu'ils auroient été plus réservés , s'ils avoient
fait attention que ces deux maladies fe con-
tractent de la même maniere.
Quoi qu'il en foit , la maladie de la lepre
ayant heureuſement ceffé avant l'année 1489 ,
la prétendue inutilité des Chevaliers de St.
Lazare , fut le prétexte de la Bulle de fup-
preffion d'Innocent VIII ( 1 ). Nous en allons
expoſer les véritables raifons dans le Livre
fuivant.

(1 ) Il paroît cependant que vers l'an 1435 , il fe


trouvoit encore dans le Languedoc , particuliérement
aux environs de Toulouſe ; » hommes , femmes , &
" enfans , qui étoient malades & entichés d'une très-
" horrible & grieve maladie , appellée la maladie
de la lepre & capoterie. « Le Dauphin, qui étoit alors
dans la Province , nomma des Commiffaires pour vi-
fiter ces perfonnes malades, ou fufpectes , & pour les
féparer des autres habitans. On prétend que » ces
Capots , ou Cagots , font un peuple particulier , qui
» fubfifte encore & habite dans le Bearn & la Gal-
cogne, & qui paffe pour infect & fujet à la lepre. «
Hift. du Languedoc , par Dom Vaiffette . Tum, 4 L. 34.

ESSAI
ESSAI CRITIQUE

SUR

L'HISTOIRE

De l'Ordre Royal , Hofpitalier &


Militaire de Saint LAZARE

DE JERUSALEM.

LIVRE TROISIEME.

Na vu dans le premier Livre


de cette Hiſtoire , que Maho- CLAUDE
de
met fubjugua les Arabes ; que MAREUL
ces premiers fucceffeurs du faux 12e. G. M.
Prophete foumirent preſque
toute l'Afie- Mineure , la Syrie , la Perfe ;
& queles Arabes , à leur tour , furent fubju
gués par les Turcs , déja Mahometans , vers
le milieu du onzieme fiecle , où commence
leur Empire , & où finit celui des Califes.
Mahomet Second , furnommé le Grand ,
F
122 Effai critique fur l'Hiftoire
un de leurs Empereurs , fils d'Amurat II ;
CLAUDE
de Philofophe & Guerrier célebre , imita da-
MAREUL , vantage la valeur de fon pere que fa phi-
1ze. G.M. lofophie. Il avoit fait entrer dans fes vaftes
projets de conquêtes l'efclavage de l'Empire
Grec , de la Hongrie , de l'Allemagne , de
l'Italie. Il prit Conftantinople & affiégea Bel-
legrade en 145.6. Mais malgré fa valeur &
celle de fes troupes , il fut contraint d'en lever
le fiege. Il tourna ſes armes vers l'Achaye ,
prit Corinthe , rendit le Péloponneſe tributai-
re, & renverfa le petit Empire de Trébifonte.
Ce Sultan , irrité jufqu'à la fureur de ce
que les Vénitiens avoient ruiné le Port d'A-
lene , le ་ meilleur de ceux dont il étoit le
maître dans la Thrace , jura , dit-on , & fit
le vœu folemnel » de ne plus dormir , ni faire
» bonne chere , ni jouir d'aucun plaifir , ni
» de tourner fon vifage vers l'Occident , juf-
» qu'à ce qu'il eût fait fouler aux pieds de
» fes chevaux les adorateurs de Jeſus-Chriſt ,
» & qu'il eût exterminé toute leur impiété
» fur la terre , depuis l'Orient jufqu'à l'Oc-
» cident , à la louange du vrai Dieu Sabahot ,
» & du grand Prophete Mahomet ( 1 ). "L

(1 ) Plufieurs Critiques penfent que les Hiftoriens


Grecs ont débité des fables atroces fur le compte de
set Empereur, au nombre defquelles on peut mettre
cette imprécation. A quelques excès qu'il ait pu por
ter la valeur , l'ambition , la fenfibilité , le goût des
arts, il eft incroyable qu'il ait coupé , comme ils le
racontent , la tête de fa maîtreffe , pour calmer les mur
mures de fes foldats , qui l'accufoient de préférer l'a
mour à la gloire ; & qu'il ait fait couper celle d'un
efclave , pour faire voir à un Peintre l'effet d'un col
coupé.
des Ordres Royaux , &c. 123
Cet Empereur fit la guerre à ces mêmes
Vénitiens dans l'Archipel , attaqua l'Ifle de CLAUDE
de
Négrepont , pilla Lemnos , & prit Timbre. MARZUL ,
Cette Ville fut abandonnée à la fureur des 12e.G.M.
Muſulmans , à la vue de la flotte Vénitienne ,
qui ne put la fecourir. Cependant les Vé-
nitiens , aidés du Pape & de quelques Princes
d'Italie , continuerent cette guerre avec une
forte de fuccès ; mais l'armée de Mahomet
tomba fur Mathias , Roi de Hongrie , mit tout
à feu & à fang dans la Dacie , ou Meffie ,
fit auffi quelques ravages en Italie , & fut
enfuite battue des Hyrois. Enfin elle entre-
prit le fiege de Rhodes en 1480. Ce Sultan
ne pouvoit fouffrir que cette Iſle , voiſine
de fes Etats , fervit de retraite à des Che-
valiers , qui attaquoient fans ceffe fes fujets ,
& leur ôtoient la liberté de la mer (1 ). Il
fut obligé d'abandonner ce fiege , & mourut
l'année fuivante , lorfqu'il fe préparoit à le
recommencer , & à continuer fes ravages
dans les Etats des Princes Chrétiens de l'Eu-
rope. On affure qu'il ordonna de finir une
infcription , deftinée à mettre fur ſon tom-
beau , & qui contenoit l'énumération de fes
victoires , par cette phraſe : Je me propofois
la conquête de Rhodes , & celle de la fuperbe Italie.

(1) Rien certainement n'eft plus religieux , que les


engagemens que prennent les Chevaliers de St. Jean,
deSt. Lazare & autres , de défendre l'Eglife Chrétienne
contre les ennemis ; mais ces guerres perpétuelles con-
tre les Turcs , auxquelles s'engagent les Chevaliers
de St. Jean , font fujettes à une infinité d'inconvéniens ;
& l'on a remarqué , qu'il feroit peut-être très-em-
barraffant d'en établir la juſtice ſur de folides principes.
F 2
124 Effai critique fur l'Histoire
Mahomet-le-Grand , titre qu'il paroît avoir
CLAUDE mérité , laiffa deux fils , Bajazet & Zizim ,
de qu'il avoit toujours tenus éloignés l'un de
MAREUL ,
12e.G. M. l'autre , & de lui-même. Politique commune
à ces Souverains , leurs enfans leur portent
ombrages. Aucun d'eux ne voulut entendre
parler de partage ; tous les deux firent leurs
efforts pour s'emparer de l'Empire. Bajazet
fe trouva le plus fort , fon armée battit celle
de Zizim. Le victorieux fut proclamé Em-
pereur des Mufulmans , & le Prince vaincu
paffa dans le Caire pour demander du fecours
à Gait-Beï , Soudan d'Egypte , qui ne lui en
donna point. Il fe retira vers Arande , Ville
de Capadoce ; il y raffembla même quelques
troupes , qui furent bientôt diffipées par
celles de Bajazet. Zizim pourſuivi fe retira
dans les déferts du Mont Taurus , où ap-
puyé des armes de le Caraman , Prince de
Cilicie , il préfenta une feconde bataille à
Bajazet , qu'il perdit encore à peu de dif-
tance de cette montagne .
Dans ce dernier malheur , Zizim eut re-
cours aux Chevaliers de Rhodes ; il leur en-
voya demander un afyle. Non-feulement ils
lui accorderent l'hofpitalité , mais ils le com-
blerent d'honneur , & le reçurent en Prince
qui pouvoit être utile.
Bajazet , informé que fon frere avoit choifi
certe Iſle pour le lieu de fa retraite , pro-
pofa une paix folide aux Chevaliers : ils l'ac-
cepterent. Le traité en fut conclu à la con-
dition principale que Zizim ne feroit remis à
aucun Prince Chrétien ou autre , qui pût
des Ordres Royaux , &c. 125
fe fervir de fon nom & de fes prétentions
pour troubler l'Empire. Bajazet s'engagea CLAUDE
de
d'ailleurs de payer tous les ans une groffe MAREUL
fomme à la Religion pour l'entretien & la 12. G. M.
garde du Prince ( 1 ) . Afin de gagner de plus en
plus l'amitié du Grand-Maître , il lui fit pré-
fent peu après , de la main droite de St. Jean-
Baptifte , Patron de l'Ordre. Mahomet fon
pere, à la priſe de Conftantinople , avoit fait
mettre cette Relique dans fon tréfor , à cauſe
de la richeffe de fon reliquaire ( 2) .
Cette paix alarma Zizim ; il vit que la perte
de fa liberté en étoit le prix ; qu'il n'étoit plus
en fûreté , dès que le commerce devenoit li-
bre entre les Turcs & les Rhodiens ; qu'il au-
roit fans ceffe à redouter ou le fer ou le poi-
fon. Penfant que la France feroit un afyle
plus affuré pour lui contre la tyrannie de fon
frere , il réfolut d'y paffer. Louis XI regnoit
alors. Le Grand-Maître de Rhodes lui envoya
un Ambaffadeur , pour lui demander la per-

( 1 ) Bajazet s'engagea de payer tous les ans 40 mille


ducats , dont 30 mille pour la penfion de Zizim , &
10 mille au Grand-Maître , par forme de préfent.
(2) On prétend que le Grand-Maître de l'Ordre
(d'Aubuffon ) fit examiner la Relique , & qu'il fe trou-
va clairement prouvé , que St. Luc avoit eule deffein
d'enlever pendant la nuit , le corps entier de St. Jean-
Baptifte , enfeveli dans la ville de Sébaſte , mais que
le fardeau lui paroiffant trop pefant , il fe contenta
d'en féparer la main droite , qui avoit baptiſé le Sau-
veur du Monde , & de la porter à Antioche , où elle
refta pendant 300 ans , jufqu'a ce qu'un mauvais fu-
jet , Diacre de cette Eglife , la vola pour la vendre à
l'Empereur Porphyragenete. Celui-ci la fit placer dans
une Eglife de Contantinople , après l'avoir fait mettre
dans un riche reliquaire .
F3
126 Effai critique fur l'Hiftoire
miffion de faire conduire Zizim fur fes terres.
CLAUDE Le Roi y confentit volontiers , il ne prenoit
de
MAREUL , aucun intérêt aux affaires de l'Orient. Le
28.G. M. jeune Prince Muſulman fut mené en Poitou,
dans une des Commanderies de l'Ordre , ap-
pellée le Bourg-neuf.
Plufieurs Rois envioient Zizim , comme un
frein affuré contre les projets d'invaſion que
Bajazet pouvoit former fur leurs Etats. Le
Pape Sixte IV , les Vénitiens , Ferdinand , Roi
de Caftille , & fur-tout Mathias Corvin , Roi
de Hongrie , fe mirent fur les rangs , pour
tâcher de l'obtenir. Ce Mathias , auffi grand
Capitaine que Jean Corvin fon pere , & com-
me lui la terreur des Turcs , avoit réfolu de
déclarer la guerre à Bajazet , & de mettre
Zizim à la tête de fon armée', tandis que ce
Sultan étoit occupé contre le Soudan d'Egyp-
te. La conjoncture fembloit favorable pour
porter Zizim fur le Trône. Les Turcs fatigués
& mécontens de la domination de Bajazet , ne
cherchoient qu'à fe déclarer en faveur de fon
frere; Prince dont l'ame étoit noble , l'efprit
vif, & toutes les inclinations généreuſes. Ba-
jazet n'avoit aucune de ces belles qualités ;
aimant peu l'étude & le vin avec excès , il
ne faifoit la guerre que par néceffité , & ſous
la conduite de fes Généraux.
Innocent VIII , fucceffeur de Sixte IV, ap-
préhendoit , plus que tout autre , les infultes
de l'Empereur des Turcs. Imaginant d'ailleurs
que , fi Zizim étoit en fon pouvoir , il vien-
droit aisément à bout de réunir les forces de
l'Europe contre les Mufulmans , il preffoit
des Ordres Royaux , &c. 127
vivement d'Aubuffon de lui remettre lejeune
Sultan. Ce Grand-Maître de Rhodes parut ba- CLAUDE de
lancer pendant quelque temps. Enfin trouvant MAREUL
plus d'avantages à le livrer au Pape , qu'à quel- 12e. G, M.
qu'autre Puiffance , il le lui promit. Comme
Zizim fe trouvoit fur les terres de France , le
Pape avoit befoin du confentement du Roi.
Ses Ambaffadeurs l'obtinrent de Charles VIII,
qui avoit fuccédé à Louis XI. A peine le Mo-
narque avoit-il donné fa parole , que Bajazet
lui fit faire de vives inftances d'empêcher
que fon frere ne fortît de fes Etats. Il pro-
mettoit de payer des fommes confidérables
pour l'entretien de Zizim. Outre cet avantage
folide , il devoit faire préſent au Roide beau-
coup de reliques , que Mahomet fon pere
avoit trouvées à la prife de Conftantinople .
Ces reliques , fouvent fauffes , & devenues
très - communes , commençoient à tomber
dans le difcrédit. Le Miniftre du Sultan ne
gagna rien fur l'efprit de Charles. On prétend
même qu'il ne négocia que par lettres , &
qu'il partit fans que le Roi voulût le voir :
d'ailleurs il étoit arrivé trop tard ; cependant
Zizim étoit encore en France , Charles pou
voit le retenir ; c'étoit l'avis du plus grand
nombre des perfonnes de fon Confeil. Mais
foit qu'il ne voulût pas manquer à la pa
role qu'il avoit donnée au Pape , foit pour
quelqu'autre raiſon , il laiffa partir Zizim,
Comme ce Roi avoit des vues fecretes de
porter unjour les armes en Orient , il ne con-
fentit à l'éloignement du Prince qu'à condi-
tion qu'il refteroit toujours à la garde des
F 4
128 Effai critique fur l'Hiftoire
Chevaliers François , & que le Pape s'obli-
CLAUDE geroit , fous àleaucun
dédit de mille ducats
deuxSouverain de
de ne le céder autre fans, fa
MAREUL ,
12e. G. M. participation : enfin il arriva à Rome. Lorf-
que l'Ambaffadeur de France ,2 & le Grand-
Prieur d'Auvergne le préſenterent au Pape ,
on ne put jamais l'engager à baifer , fuivant
l'ufage , les pieds de Sa Sainteté ; il fit mê-
me paroître quelques mouvemens d'indigna-
tion , ne comprenant rien à cette vaine mar-
que d'humilité chrétienne.
En faveur du préfent de Zizim , fait à
Innocent VIII , par le Grand-Maître d'Au-
buffon , ce Pape lui donna le chapeau de
Cardinal, & accorda des Bulles confiftoria-
les , qui rétabliffoient l'Ordre de Rhodes
dans tous fes droits , ufurpés par la Cour de
Rome. Comme il étoit à craindre que Ba-
jazet , irrité de ce changement , ne ceffat de
payer aux Chevaliers de Rhodes la penſion
de Zizim , pour les en dédommager par avan-
ce , Innocent réunit l'Ordre de St. Lazare à
celui de St. Jean (1 ).
Ce Pape étant mort , le malheureux Zi-
zim tomba en la puiffance de fon fucceffeur
Alexandre VI ; ce Pontife le réduifit dans
une dure captivité , l'enfermant dans le Châ-
teau St. Ange , fous prétexte de le mettre
plus en fûreté. Alexandre avoit acheté ché-

(1) Ce Pape avoit réuni par la même Bulle l'Or-


dre des Chevaliers Religieux du St. Sépulchre , à ce-
lui de St. Jean , & obligé ceux qui poflederoient les
biens de ces Ordres fupprimés , de prendre l'habit &
d'obſerver la regle des Hofpitaliers de St. Jean.
des Ordres Royaux , &c. 129
rement la Tiare ; fon premier foin fut de tra
vailler à s'en dédommager , en vendant les CLAUDE
Evêchés & les autres Bénéfices ou Dignités 'de
MAREUL ,
eccléfiaftiques. Ce fructueux négoce fut le 12e. G. M.
moindre de fes crimes. Son affreux & fecret
libertinage , fes injuftices , fes cruautés pu-
bliques , l'ont fait mettre dans l'Hiftoire au
rang des tyrans les plus exécrables. Bajazet
lui payoit tous les ans quatre mille ducats ,
pour l'empêcher de remettre Zizim en liberté,
Cependant Charles VIII afpiroit au titre
d'Empereur. Mais nous bornant à l'unique
développement des faits néceffairement liés à
notre Hiftoire , nous n'entrerons point dans
les détails des droits de ce Roi fur Conftan-
tinople. On fait affez la néceffité où il fe
trouvoit de commencer par la guerre d'Ita-
lie ; la facilité avec laquelle il pénétra jufques
dans Rome ; l'horrible peur qu'eut Alexan-
dre d'être dépofé ; les ftratagêmes qu'em-
ploya ce Pape pour tirer de l'argent de Ba-
jazet ; la convention affreuſe qu'il fit avec
ce Sultan , fi le Roi de France perfiftoit à
vouloir qu'on lui livrât Zizim pour fervir à
fes projets : convention qu'il exécuta. Car en-
fin Charles força ce Pape de lui remettre
Zizim ; mais il lui remit tout empoisonné.
Ce malheureux Prince , ayant pris le chemin
de Naples avec le Roi , ne fut pas plutôt ar-
rivé à Terracine , qu'il y mourut.
Les forfaits d'Alexandre refterent impunis ;
les remords de d'Aubuffon le mirent au tom-
beau; les loix impérieufes de l'honneur &
de l'humanité lui reprochoient fans ceffe
FS
130 Effai critique fur l'Hiftoire
d'avoir facrifié un Prince infortuné à de vils
CLAUDE intérêts , d'avoir abufé de fa confiance , pour
de
MAREUL , le traiter comme le dernier des efclaves : un
128. G.M. autre réflexion achevoit de le confondre ;
il avoit inutilement immolé cette victime à
la gloire de fon Ordre. Alexandre continua
fa vie licencieuſe , & n'eut aucuns égards pour
la Bulle qu'Innocent avoit accordée à l'Or-
dre de Rhodes ; il en viola les privileges.les
plus facrés ; il conféra les plus riches Com-
manderies à fes parens , même à des Séculiers.
La fuppreffion de l'Ordre de St. Lazare ,
& fa réunion à celui de St. Jean , ne réuſſi-
rent pas davantage. La Bulle d'Innocent VIII ,
qui les avoit prononcées en 1489 , fut incon-
nue à Jean le Cornu , comme nous l'avons ob.
fervé , en parlant du Magifter de ce Grand-
Maître , ainfi qu'à fes fucceffeurs François
d'Amboife , & Agnan de Mareul. Elle parut
enfin fous Claude de Mareul. L'Ordre de
St. Jean, en vertu de cette Bulle , entreprit
de donner à Frere André Suriot , un de fes
Chevaliers , l'expectative & la réſerve de la
Commanderie de St. Thomas de Fontenay-
le-Comte , avant fa vacance. Le Grand-Mai-
tre de St. Jean lui en envoya les provifions
après la mort du titulaire , Frere Antoine de
Mareul. Cependant le Grand-Maître de St.
Lazare conféra cette Commanderie de l'Or-
dre à Frere Charles de Mareul de la Baſtie ,
dans la forme ordinaire : celui-ci trouva des
oppofitions à fa prife de poffeffion , & le pro-
cès porté au Parlement , il fut contradictoi-
rement jugé , que la Bulle d'Innocent VIII
des Ordres Royaux , &c. 131
étoit nulle & abufive , les formalités de droit ,
& fur-tout celles prefcrites par le Concile CLAUDEde
de Conftance , n'ayant pas été obfervées ; & MAREUL,
le Grand-Maître de St. Lazare fut maintenu 12e. G.M.
dans tous fes droits. Ce jugement fut rendu
le 16 Février 1547 ( 1 ) . On obferve qu'avant

( 1) Voici l'Arrêt, tel qu'il a été extrait des Regif-


tres du Parlement de Paris : » Entre Frere Claude
Marueil Chevalier , Grand-Maître & Chef- Général
de l'Ordre de St. Lazare de Jerufalem , Nazareth &
Bethleem , tant deçà que delà les Mers , Comman-
deur de la Commanderie de Boigny-lès-Orléans ; &
Frere Charles de la Baftie , furnommé de Marueil ,
auffi Chevalier dudit Ordre de St. Lazare , Appellans
comme d'abus de l'exécution de certaines Bulles Apof-
toliques de fuppreffion dudit Ordre de St. Lazare ,
& union à l'Ordre de St. Jean de Jerufalem , d'une part.
Et Frere Jacques Pelloquin , Chevalier dudit Or-
dre de St. Jean de Jerufalem, Grand-Prieur d'Aqui❤
taine ; & Frere Henri Suriot , Religieux dudit Ordre
de St. Jean de Jeruſalem , Intimés , d'autre part.
Après que Seguier , pour les Appellans , & de la
Porte , pour les Intimés , ont déduit leurs raiſons.
Le Maître pour le Procureur-Général du Roi , dit
que P'Ordre de St. Jean de Jerufalem eft compofé
de huit nations , de diverſes langues , avec le Grand-
Maître , & font les Statuts dudit Ordre , tels qu'aucun
dudit Ordre n'eft capable de Commanderie , finon qu'il
ait fait profeffion , réfidé & porté l'habit trois ans au
grand Couvent , ou cinq ans en autre Couvent, & n'eft
reçu aucun à prendre l'habit, & faire profeffion , finon
au grand Couvent , où réfident les huit langues , ou
huit diverfes nations. Et faut qu'il foit approuvé de
ceux de fa langue , & ayant fait leurs trois ans de ré-
fidence au grand Couvent , s'ils s'en retournent en
leur pays avec le congé du Grand-Maître , & s'ils de-
mandent leur ancienneté , on la leur baille , qui eft
à dire une nomination ou expectative de la premiere
Commanderie qui vaquera dedans le Prieuré, duquel
ils font , en leur rang & ordre , & felon leur antiquité
& réception : & ceci fait bien à noter, de la forme
de bailler l'ancienneté , car c'eft un des principaux
F 6
132 Effai critique fur l'Hiftoire
cet Arrêt , le titre de Grand-Maître n'avoit
CLAUDE point été donné aux Supérieurs de l'Ordre.
de
MAREUL ,
120. G.M. points par lequel il entend faire vuider cette cauſe ,
combien que les parties n'y foient entrées. A
Et de l'inftitution dudit Ordre de St. Jean de Je-
rufalem , & de celui de St. Lazare auffi de Jerufalem ,
fe trouvent bien peu de gens qui en aient écrit. Ri
chardus de St. Vidor a fait un petit traité , ainsi que
récite Oldra , in Concil. chap. 28 , incip. quoniam ad in-
veftigandum , où il récite la plupart des Statuts dudit
Ordre , & eft la vérité qu'ils font Religieux , & font
les trois vœux, & font de l'Ordre de St. Auguftin.
Toutefois ils font Laics , & leurs Commanderies ne
font Bénéfices ; qu'ainfi foit , il n'eft réquis , qu'ils
foient nés Prêtres , ni Clercs , pour tenir une Com-
mande de leur Ordre. Ita tenent Hoft. in C. Canonica
de Sentent. ex com. Innocent. in capit. in noftra defe-
pulturis. Panor. in capit. quamvis , &c. Et pour cet en-
droit , les Commendes dudit Ordre ne font appellées
Bénéfices , mais font appellées Præceptories C.cumde-
putati de Jud. Le Grand-Maître dudit Ordre fe crée
par élection du Couvent, fans autre confirmation , com-
me dit Oldra , in diet. Concil. C. XXVIII. Et font au-
cuns qui ont voulu dire que fon élection ne ſe con-
firme , pour ce qu'il n'a Supérieur comme le Pape :
mais Oldra dit , quod hoc ideo eft , quia habet nudam
adminiftrationem non inftitutionem quæ poteft quando-
cunque revocari. Et dit que de fon temps il vit révo-
quer un Grand-Maître dudit Ordre de St. Jean de
Jerufalem , qui fe nommoit Frere Falcy ; in cujus lo-
sumfuffectusfuit Magifter Ordinis quidam Frater Mau-
ricius. La vérité eft qu'ils ont un Prieur , qui eſt Prê-
tre , qui en tout cas , les peut abfoudre. Etiam in
cafibus refervatis : hoc habet ex privilegio apoftolico . Et
faut que ce Prieur foit Prêtre , quia illi committuntur
qua funt fori pænitentialis , tellement qu'il abfout le
• Grand-Maître dudit Ordre , combien qu'il foit infé-
rieur de lui ; & cela eft amplement traité par le texte
de tous les Canoniftes. In cap. Canocica de fententia
excommunicationis .
Il y a auffi l'Ordre de St. Lazare de Jerufalem ,
qui eft un autre pareil Ordre , dont eft Chef le Com-
mandeur de Boigny près Orléans , & font tous pareils
voeux, & font Séculiers, & n'y a différence , Anon
des Ordres Royaux , &c. 133
Les précédens Arrêts du Parlement , toutes
les Bulles des Papes avant celles de Pie IV , CLAUDE
de
MAREUL ,
12e. G.M.
que ceux de St. Lazare de Jerufalem peuvent être
mariés, & portent la croix verte ; où ceux de St. Jean
de Jerufalem portent la croix blanche ; ceux de St.
Jean s'occupent à la guerre contre les Infideles ; ceux
de St. Lazare s'occupent à tenir l'Hoſpitalité aux pau
vres Lépreux & Paffans.
Pour le fait particulier , la Commanderie de St.
Thomas, près Fontenay, au Diocefe de Mallezais , a
vaqué par le trépas de Frere Antoine de Mareuil :
le Commandeur de Boigny , qui eft Maître & Chef-
Genéral de tout l'Ordre de St. Lazare , dont dépend
ladite Commanderie , y a pourvu , & ufe de ce mot
conferimus. Au contraire le Grand-Maître de l'Ordre
de St. Jean de Jerufalem y a pourvu d'un nommé Frere
Henry Suriot, & la forme de fa proviſion eft , qu'il
narre, que ci-devant le Pape Innocent VIII a uni l'Or-
dre de St. Lazare à l'Ordre de St. Jean de Jerufa-
lem , duquel Ordre St. Lazare étoit la Commande-
rie de St. Thomas de Fontenay , fur laquelle Com-
manderie , Prieuré ou Bénéfice , avoit été ci-devant
donnée ancienneté à droit acquis audit Suriot , avec
fpéciale expectative & réferve. A cette caufe , ledit
Grand Maître du Couvent de St. Jean de Jerufalem ,
le lui confere , ordonne pour le tenir régir , & ad-
miniftrer in fpiritualibus & temporalibus ufque ad de-
cem annos, & ultra ad eorum placitum. Sur ces deux
provifions , les parties entrent en procès en matière
de nouvelleté aux Requêtes du Palais. Le procès prend
fa forme, les parties produifent , & fe trouve que pour
vérifier par Suriot , que l'Ordre de St. Lazare eft fup-
primé & uni à l'Ordre de St. Jean de Jerufalem´, ´il
produit une Bulle du Pape Innocent VIII , de l'an 1489,
portant ladite fuppreffion & union dudit Ordre à ce-
lui de St. Jean. Lors Appellant appelle commne d'a-
bus defdites Bulles , s'y dit que l'Intimé leur a com-
muniqué l'original , & par icelles trouve :
1. Que ladite fuppreffion & union dudit Ordre St.
Lazare eft faite fur le narré defdits de St. Jean de
Jerufalem , fans connoiffance de caufe , authoritate apof-
tolica , fans adreffe in partibus , pour enquérir de la
vérité des caufes , & non vocatis quorum intereft , qui
eft directement contre le Concile de Conftance ; &
134 Effai critique fur l'Hiftoire
de l'an 1565 , ne leur donnent que la qualité
CLAUDE de Maître-Général , ainfi qu'aux Chefs des
de
MAREUL ,
12e. G.M. eft plus de foixante-dix ans depuis ; car le Concile
de Conftance fut dès ces temps du Pape Martin V ,
qui fut Pape en 1417.
2º. Il trouve que cette Bulle n'a été mife en évi
dence, & ne s'en font aidés ceux de l'Ordre de St.
Jean de Jerufalem jufqu'à préfent ; car ceux de St.
Lazare font apparoir ces Bulles du Pape Clément VII
& Paul III , Papes modernes , confirmatives des droits
& privileges de leur Ordre ; font auffi apparoir plu
fieurs Arrêts donnés au profit dudit Ordre de St. La
zare, depuis la prétendue union. Davantage , in fpecie
font apparoir plufieurs collations des Commanderies
dépendantes dudit Ordre de St. Lazare , faites par le
Commandeur de Boigny , comme Chef dudit Ordre ,
depuis ladite prétendue union , & me fuis fait appa
roir de plufieurs collations de la Commanderie de
St. Thomas , dont eft question , & fignament de la
derniere collation faite par le Commandeur de Boi-
gny à celui , par le decès duquel elle a derniérement
vaqué , tellement qu'il appert , fcripto , de la pof-
feffion de pourvoir à ladite Commanderie de St. Tho
mas par le Commandeur de Boigny , etiam , depuis la
prétendue union , conféquemment fommes au cas du
chapitre , confultationibus de jure patronatus C. que-
relam de elect. &c. cum Ecclefia de cauf. poft.
3°. Il y a autre point , plus que péremptoire , que
contre ladite prétendue fuppreffion & union , il y a
prefcription de plus de cinquante ans , verifiée ,fcripto ,
fuffit , voire de quarante ans , pour réputer ledit
Ordre & Commanderies dépendans d'icelui être de-
meurés en leur état par la Théorique des Cafuiſtes,
in cap. cum de Beneficio & Prebenda , in capit. VI,
Rotta pleniffime decis. 32.
Poftremo, dit qu'il appert de l'iniquité évidente du
titre de l'Intimé , car fa lettre d'ancienneté , porte
réferve & expectative expreffe & nomination fur cette
Commanderie quand elle vaquera , foit par réfigna-
tion , ou par mort , & lui eft dès-lors permis de fe
mettre dedans ladite Commanderie , & eft cela de
l'an 1537, & fon titre eft de l'an 1540 , récitatif de
ladite réferve , & fondé fur icelle. Or c'eft une chofe
atteſtée que grace expectative , mandat , ne réſerve,
des Ordres Royaux , &c. 135
autres Ordres Religieux. Claude de Mareul
continua de gouverner l'Ordre jusqu'au 29 CLAUDE
de
MAREUL,
ne fe peut bailler ad certum Beneficium ; immo l'on a 126. G.M.
fait grande difficulté de recevoir expectative , ad pri-
mum Beneficium væcaturum , quod dixerit acceptandum ·
C. ne captanda de concef. Præben. lib. VI, parce que
par telle ouverture daretur via ad vocatura , contre
le Concile de Latran & le Concile de Bafle, & tou-
tes les prohibitions Canoniques , C. nulla de concef.
Praben. & pour cette caufe , difent les Canoniftes ,
quod non poteft conftitui Vicarius ad conferendum cer-
tum Beneficium cum vacabit, in cap. dilectus de concef.
Prab. immo etiam legatus de latere non poteft alicui
committere quod recipiat refignationem certi Beneficii,
& poftea illud conferat. cap. deliberatione prohibemus
de offic. legat. lib. VII.
Et fi l'on dit que les Commanderies dudit Ordre
ne font Bénéfices , il en eft d'accord ; mais quand fe-
roit chofe purement temporelle , encore y a Ordon-
nance du Roi Philippes - le-Vallois , de l'an 1310 , ès
Registres de la Cour de Céans , qui veut qu'expecta-
tive , ne réserve d'Office , ne Bénéfice non vacant ne
fera faite ne foufferte en ce Royaume. Et pour ce
l'on voit le tort de l'Intimé , tant en la forme qu'en
la matiere.
Conclut avec l'Appellant à mal , & abufivement exé-
cuté & bien appellé. Et attendu que ces deux parties
fe combattent en procès du bien des pauvres , qu'ils
confomment, cependant l'un & l'autre requiert le pro-
cès de complainte être évoqué , & que fur le champ
par la lecture du titre de l'Intimé , qui porte fon vice
il foit vuidé & conclu : le titre de Suriot par le Grand-
Maître de St. Jean de Jerufalem , celui de la Baſtie
par le Grand-Maître de l'Ordre de St. Lazare , autre
titre & provifion dudit Grand-Maître de l'Ordre de
St. Lazare de l'an 1500 , de la Commanderie St. Tho-
mas-les-Fontenay Leus.
La Cour dit qu'il a été mal & abufivement exé-
cuté , & conféré par le Collateur en foi fondant für
la prétendue union qui n'a été exécutée felon la forme
du décret du Concile de Conftance, bien appellé par
les Appellans, & condamne la partie Intimée ès dépens
de la caufe d'appel. Et en conféquence a ordonné &
erdonne la Cour , qu'il fera procédé tant au juge
136 Effai critique fur l'Hiftoire
Décembre 1554 , on ne fait pas précisément
le temps de fa mort.

Son Succeffeur fut Jean le Conti , dont


JEAN le
CONTI, quelques Auteurs , particulièrement de Bel-
13e.G.M. loy ont parlé. Ce dernier prétend que Jean
le Conti tint un Chapitre-général à Boigny
en l'année 1554 , & qu'il y donna l'admi-
niftration des biens de l'Ordre , fitués dans le
territoire de Sueffano , au Royaume de Na-
ples , àunChevalier de la Calabre , à la charge
de payer tous les ans au Couvent de Boigny ,
le jour de St. Jean- Baptiſte , deux cens vingt
florins. C'est tout ce que l'on fait de Jean le
• Conti. Il ne fe trouve préfentement aucuns
titres dans les archives de l'Ordre , où il foit
parlé de ce Grand-Maître. Les uns croient
qu'il étoit iffu d'une famille Romaine de ce
nom , les autres le font defcendre de la fa-
mille de Conti de Picardie.

Jean de Lévis fuccéda au Magifter de ce


JEAN de
LÉVIS , dernier , il étoit fils de Jean , de la branche
14e.G.M. aînée de Lévis Caylus , nom illuftre , fur le-
quel je ne m'étendrai point , m'étant propofé

ment du procès par écrit pendant à ladite Cour , qu'au


jugement de la complainte pendant pardevant les gens
tenans les Requêtes du Palais , fans avoir égard au
prétendu titre de ladite union , & fauf à la partie In-
timée , foutenir & déduire fes droits , autrement que
pat la vertu de ladite Bulle. Fait en Parlement le
feizieme jour de Février 1547. “
Le Grand-Prieur d'Aquitaine fe tint pour bien ju
gé , & ceffa toutes pourſuites , n'ayant d'autre titre
produire que cette Bulle.
des Ordres Royaux , &c. 137
d'éviter les détails généalogiques , toujours.
ennuyeux dans un ouvrage , dont l'objet n'eft JEAN de
LÉVIS
pas l'Hiftoire d'une maiſon particuliere. Jean 14e.G.M.
de Lévis , d'abord Chevalier de Malte , fe
fignala dans le fervice de la Marine fous
Henri II. Ce Roi , pour lui marquer fa fatisfac-
tion des fervices qu'il avoit rendus , le nomma
Grand-Maître de l'Ordre de St. Lazare . Il eſt
certain qu'il étoit élevé à cette dignité en
1558 , année où il convoquaun Chapitre-gé-
néral. De Belloy rapporte qu'il s'y trouva
des Commandeurs d'Angleterre , de Hongrie,
& de Savoye. Ce fait acquéreroit plus de cer-
titude , s'il fe trouvoit confirmé par d'autres
Ecrivains. On voit , pour ce qui regarde l'An-
gleterre , que dès l'an 1454 , le Commandeur
de Burton étant mort , les Chevaliers de ce
Royaume élurent pour Maître - Général de
l'Ordre , Guillaume Sulton , au préjudice des
droits de Pierre des Ruaux , alors Grand-Maî-
tre , & fans même qu'il en fût informé. Cette
élection fut confirmée par une Bulle de Ni-
colas V , datée du 13 Juin de ladite année
1454. Il y a tout lieu de croire , que dès-
lors le Grand-Maitre avoit bien de la peine
à contenir fous fon obéiffance les feuls Che-
valiers François .
Nous ne connoiffons pas les raiſons pour
lefquelles Frere Jean de Bievre attaqua la
nomination de Jean de Lévis , comme dé-
fectueufe. On affure qu'elle avoit été con- Gal. Chrif,
firmée par le Pape. Nous trouvons cependant
que Jean de Bievre avoit obtenu des provi-
fions du Cardinal Trivulce , Légat en France
e
138 Effai critique fur l'Hiftoir
& que , celui-ci étant mort , Frere François
JEAN de Odet continua les mêmes chicanes , après
LEVIS avoir obtenu des proviſions du même Légat.
14e. G. M.,
Le Chevalier Odet ayant été appellé à un
Chapitre-général pour ſe déſiſter de ſes pré-
tentions, & n'y ayant pas comparu , il fut
expédié une commiffion le 9 Août 1560 pour
le pourfuivre. Quoiqu'il y eût un accom-
modement commencé entre Odet & le Grand-
Maître , il intervint un jugement le 13 Mai
1563 , pour continuer les procédures de droit ;
elles durerent juſqu'à la mort de Jean de Lé-
vis, & furent terminées par fon fucceffeur ,
Michel de Seure.
Sous le Gouvernement de Jean de Lévis ,
Pie IV approuva , par une Bulle du 25 Juin
1560 , tous les privileges de l'Ordre. Il eft
fait mention de ce Grand-Maitre dans une
Bulle du même Pape , dès l'an 1564 , adreffée
à Michel de Seure.
On pense que Jean de Lévis changea la
forme de la croix de l'Ordre ; les bras tranf.
verfaux de celle que portoient les Chevaliers
en 1314 étoient plus courts que les autres ,
comme nous l'avons déja remarqué , & fui-
vant que l'a obfervé le Commandeur N. de
Flatte , dans les Statuts de l'Ordre qu'il rédigea
en cette même année 1314. Il paroît vrai-
femblable que cette croix inégale fut chan-
gée en celle à huit pointes fous Jean de Lé-
vis; c'est-à-dire , que les Chevaliers imiterent
le Grand-Maître , qui en portoit une de la
même forme que celle de Malte. Tel eft le
fentiment des Auteurs du Gallia Chriftiana.
des Ordres Royaux , &c. 139
On peut remarquer que la croix de St. La-
VISde,
JEAN
zare de forme inégale l'an 1314 , étoit confi- LE
dérablement changée dès l'an 1525 , felon 14e.G.
M.
qu'on le voit dans une eftampe de la Biblio-
theque du Roi , repréfentant les divers Or-
dres qui fuivent la regle de St. Auguftin.
On y diftingue la figure d'un Chevalier de St.
Lazare , revêtu d'une cuiraffe , & de braf-
fards , ayant fur la poitrine une croix fimple ,
dont le pied eft un peu plus long , que les
trois parties fupérieures & égales , qui for-
ment la croix. Pardeffus cette cuiraffe eft un
manteau, du côté gauche duquel est une croix
fimple , à quatre rayons égaux , un peu pa-
tés aux extrêmités . Il s'enfuit donc , que la
croix de St. Lazare étoit confidérablement
changée dès le commencement du feizieme
fiecle , puifqu'elle étoit à quatre rayons égaux.
Elle fut doublée fous le Grand-Maître Jean
de Lévis , comme on vient de le dire , ou peut-
être feulement fous fon fucceffeur Michel de
Seure.
Ce qui nous porteroit à donner la préfé-
rence à cette derniere opinion , eft que nous
lifons dans une Bulle de Pie V, de l'an 1567 ,
dont il fera parlé ci-après , que le Grand-Maî
tre pourra, de l'avis de fes Religieux , tranf-
férer le fiege principal de l'Ordre , chan-
ger l'ancienne forme de l'habit & de la croix
de la Religion en une plus propre & plus
agréable.
Jean de Lévis eft le premier Grand-Maître
que nous trouvons avoir été nommé par le
Roi. Jufques-là les Chevaliers , fuivant les
140 Effai critique fur l'Hiftoire
conftitutions de la regle de St. Auguftin ,
JEAN de élifoient leur Général , & faifoient confirmer
LEV I'S ,
146. G. M. fon élection par les Papes & les Rois de Je-
rufalem , lorfqu'ils étoient fes fujets , & par
les Rois de France , lorfqu'ils eurent aban-
donné la Paleſtine.
C'est par erreur que plufieurs Auteurs ont
rapporté que Philippe de Valois , Charles V ,
furnommé le Sage , Charles VII , Louis XI ,
& Louis XII , nommerent les Grands-Maîtres
de l'Ordre de St Lazare. Nos Rois n'uferent
pas de ce droit , tant que la Pragmatique-
Sanction eut lieu ; on l'attribue à St. Louis.
On peur dire que , par fon moyen , ce grand
Roi rétablit la plupart des libertés de l'Eglife
Gallicane , prefqu'éteintes fous fes prédecef
feurs. Les Papes s'étoient mis en poffeffion
de pourvoir d'authorité abfolue à tous les Bé-
néfices du Royaume; ils avoient envahi les
droits des Ordinaires & des Elections ; ils
commettoient des exactions énormes.
La Pragmatique-Sanction fouffrit diverfes
altérations jufqu'au regne de Charles VII...
Elle fut de nouveau rédigée à Bourges en
1438 ; & conformément à plufieurs décrets
du Concile de Bâle , les élections libres
furent rétablies ; les réferves & les expec-
tatives abolies. Les Papes ne purént plus
donner en France des cédules d'affurance d'a-
voir un bénéfice quelconque , ou un béné-
fice défigné , foit dans les Cathédrales , foir
dans les autres corps du Clergé. Ces fortes
de réſerves ont fait jouer plus d'un mauvais
tour à des Bénéficiers par leurs Expectans.
des Ordres Royaux , &c. 141
Les Papes defiroient ardemment l'abolition
de cette Pragmatique. Louis XI , dans des JEAN de
LÉVIS,
vues politiques , & à certaines conditions 14e . G.M.
tacites , en accorda la révocation à Pie II , en
1461 ; mais le Pontife ayant manqué de pa-
role au Roi , il ne fe crut pas obligé de faire
exécuter fort exactement l'Ordonnance de fa
révocation. Enfin François I la fupprima l'an
1515 un des articles de l'arrangement , ou
concordat qu'il fit avec Léon X , détruifit les
Elections , & remit aux Rois le droit de nom-
mer aux Evêchés & Abbayes , excepté un
petit nombre d'Ordres Religieux , purement
monaftiques , qui ont confervé l'ufage de nom-
mer leurs Abbés. Jufqu'à ce temps diverfes
circonftances avoient fufpendu l'ancien droit
de nos Rois de nommer à tous les bénéfices.
On a remarqué que St. Louis même , mal-
gré la Pragmatique, nommoit à ungrand nom-
bre , puiſqu'avant de partir pour fon fecond
voyage de la Terre- Sainte , fa piété l'obligea
de charger ſpécialement l'Archevêque de Pa-
Duchef
ris de nommer des fujets capables aux bénéfi- Lib.del'E
ces qui vaqueroient , & qui dépendoient de glife Gall
lui. Les Régens du Royaume n'avoient point
certe nomination; ils ne devoient donner que
les permiffions néceffaires pour les élections
des Evêques & des Abbés. Ce St. Roi ne nom-
ma point de Maître-Général de St. Lazare ; il
amena probablement en France celui que
l'Ordre avoit élu dans la Paleſtine. Conti-
nuons de fuivre la fucceffion de ces Chefs.
142 Effai critique fur l'Hiftoire
Michel de Seure , né à Lemigny en Brie,
MICHEL étoit fils d'Antoine & de Deniſe Verdelet ; on
de SEURE, le préfenta le 12 Janvier 1539 au Grand- Prieur
15e.G. M.
de France , pour être reçu dans l'Ordre de
Malte. Henri II le nomma fon Ambaffadeur
en Portugal en 1558 : Don Sébastien occu-
poit alors ce trône. L'année fuivante , qui fut
la derniere du regne de Henri II , il députa
extraordinairement le Chevalier de Seure en
Corfe après la ceffion de cet Etat , faite aux
Génois par la paix de Cateau- Cambrefis , afin
d'en faire part aux Corfes , & de les affurer
de la protection de la France. A fon retour
il fut envoyé vers Elifabeth , Reine d'Angle-
terre , pour y remplacer Eloy de Noailles ,
qui s'étoit parfaitement bien acquitté de fa
charge auprès de la Reine Marie , morte au
mois de Novembre 1558.
Le Chevalier de Seure fe diftingua dans ces
diverſes Ambaffades. Charles IX le nomma
Grand-Maître de St. Lazare après le décès de
Jean de Lévis. Pie IV confirma fa nomina-
tion par une Bulle du 3 Mai 1564 ; elle fut
de nouveau confirmée par un Arrêt du Grand-
Confeil du 12 Décembre 1565 , du conſen-
tement de Frere François Odet , Commandeur
de Villaraye. Ce Chevalier pourfuivoit au-
paravant , comme on l'a dit , l'exécution d'un
Brefdu Cardinal de Trivulce , qui lui avoit
conféré le Magifter. Les Contendans avoient
paffé une tranſaction entre eux dès le 19 No-
vembre de la même année.
Je dois avouer ici l'incertitude où l'on eft
fur ce que contient la Bulle de Pie IV , quoi-
des Ordres Royaux , &c. 143
que je vienne de rapporter , fur la foi de plu-
fieurs Auteurs , qu'elle confirme la nomina- MICHEL
de SEURE,
tion de Michel de Seure. D'autres Ecrivains 15e. G.M.
difent , que ce n'eft qu'un Bref de confirma-
tion pour ce Chevalier dans la Commanderie
de Boigny, comme Bailliage de l'Ordre de
Malte. Les uns & les autres citent pour ga◄
rant la Bulle même , qu'aucun d'eux n'a peut-
être lue , & que tous diſent être confervée
dans les archives fecretes duVatican. S'il étoit
vrai qu'elle ne regardât que la nomination du
Chevalier de Seure à la Commanderie de Boi-
gny , l'inconféquence de la conduite de Pie
IV fe trouveroit fauvée ; il feroit moins
étonnant, qu'il eût confirmé , le 4 de Mai de
l'année fuivante 1565 , la nomination de Jean-
not de Caſtillon à la même Grande-Maîtriſe.
Quoi qu'il en foit , ce Pape , à la follicita-
tion de Philippe II , Roi d'Espagne , accorda
cette Bulle à Jeannot de Caſtillon , élu Grand-
Maître dans les Etats de ce Monarque. II
étoit Noble Milanois , parent & même ne-
veu de Pie IV : nous reviendrons à ce fait
fingulier, lorfque nous aurons fini de rappor
ter ce qui concerne le gouvernement de Mi-
chel de Seure , d'autant mieux qu'il ignora,
ou feignir d'ignorer la promotion de Caftil-
lon , qui , de fon côté , ne fit aucun exercice
de fa nouvelle dignité en France , où de Seure
continua de gouverner l'Ordre comme aupa.
ravant.
P Charles IX , & la Reine Mere , Catherine
de Médicis , chargerent ce Grand - Maître
d'une commiffion particuliere à Rome en
144 Effai critique fur l'Hiftoire
1566 , auprès de Pie V , dont l'objet paroît
MICHEL avoir été de calmer les mécontentemens que
de SEURE,
15e.G.M. ce Pape avoit de la Cour de France.
De Seure tint un Chapitre-général le jour
de St. Michel de l'année fuivante 1567 , ne
l'ayant pu tenir , fuivant l'ufage , aux fêtes
de la Pentecôte , parce qu'il n'étoit pas de
retour de Rome. Il ne refte aucuns des ac-
tes de ce Chapitre.
Ce Grand - Maître étoit devenu Gentil-
homme de la Chambre , Capitaine d'une Com-
pagnie de cent hommes d'armes , & Con-
feiller au Confeil-Privé. Toutes ces charges
l'empêchant de remplir fes devoirs de Grand-
Maître , avec l'exactitude qu'il auroit defiré ,
il nomma le Chevalier Salviati , fon Vicaire-
Général ; enfuite il fe démit en fa faveur
du confentement du Roi , de la Grande-Mai-
trife , le 9 Août 1571. Mais en donnant fa
démiffion , il s'étoit réfervé la Commande-
rie de Boigny , & le droit de nommer aux
deux premieres Commanderies qui vaque-
roient. Jacques de Seure , fon petit-neveu ,
Commandeur de Fontenay - le - Comte , étant
mort en 1573 , il en pourvut Frere Jean de
Frétey. I obtint l'Abbaye de la Trape ,
dont Grégoire XIII lui accorda les Bulles.
Difgracié de la Cour en 1584 , il fe retira
dans le Grand- Prieuré de Champagne , de
l'Ordre de Malte , dont il avoit été pour-
vu en 1571 , & dont le lieu principal s'ap-
pelle Velaines. Il vivoit encore le 7 Juin
1594. Il mourut au commencement de l'an-
née fuivante.
L'on
des Ordres Royaux , &c. 145
L'on vient de voir qu'il y avoit deux
Grands-Maîtres de l'Ordre de St. Lazare en MICHEL
de SEURE,
1565 Michel de Seure en France , & Jean- 15e. G. M.
not de Caſtillon en Italie , tous les deux re-
connus du Pape Pie IV. Léon X avoit re-
gardé comme nulles les Bulles d'Innocent VIII
de 1489 , & de Julles II , de 1505 , qui fuppri-
moient l'Ordre de St. Lazare. Julles avoit
confirmé la nomination de Claude de Ma-
reul en 1519 , comme nous l'avons déja
dit ; ce Pape paroît avoir autorifé la plura-
lité des Grands-Maîtres , dès l'an 1517 , dans
une Bulle accordée aux Freres de St. La-
zare de Rome. L'Ordre fut rétabli par Léon X
en Sicile , dans l'état où il étoit avant la
fuppreffion d'Innocent VIII , à la priere de
Charles - Quint , alors Roi des Romains &
d'Efpagne. Julles lui fit reftituer les Malade-
ries de St. Jean de Salerme & de Ste. Agathe
de Meffine , dépendantes de la Commande-
rie de Capoue , dont les Religieux de St. Au-
guftin s'étoient fait pourvoir , prétendant que
l'Ordre de St. Lazare , fupprimé , étoit un
membre de celui de St. Auguftin.
Ce fait eft rapporté dans la Bulle de Pie IV ,
Inter affiduas , de 1565 , confirmative de l'é-
lection de Jeannot de Caſtillon ( 1 ). Celui-ci

( 1 ) . . . . Et Leon X , ad Caroli Romanorum &


Hifpaniarum Regis preces , Hofpitalia Sancti Joannis Le-
proforum Panormitanum , & San& tæ Agata Meſſinenſæ
Ordinis Sancti Auguftini , olim Sanéti Lazari , tanquam
membra capiti fubjecta , Religioni & Hofpitali Capuano
Sancti Lazari præfati , cum omnibus juribus , & per-
tinentiis , ac membris corumdem , præfata authoritate
G
146 Effai critique fur l'Hiftoire
n'étoit pas le premier qui fe fût dit Grand-
MICHEL Maître de St. Lazare en Italie. Un certain
de SEURE,
15e. G.M. Pyrrhus Louis Caraffa prenoit , dès l'an 1539,
le titre de Maître & Commandeur-Général
de St. Lazare de Jerufalem , deçà & delà le
Phar. Mectio de Azzia fe qualifioit , en 1561 ,
de Maître-Général de l'Hôpital de St. Lazare
de Jerufalem.
On ne peut donc pas ſe diſpenſer de con-
venir que l'Ordre de St. Lazare , toujours
reconnu pour un Ordre inftitué par les Fran-
çois, dont l'unique & légitime Grand-Maître
devoit être un François , n'en ait eu d'autres ,
injuftement autorifés par les Papes. Leurs
Bulles illicites extorquées , fouvent inconnues
en France , n'ont pu nuire aux droits incon-
teſtables de nos Rois fur cet Ordre.
Telle eft la Bulle , Inter affiduas , de Pie IV ;
non-feulement elle confirme de Caftillon dans
la Grande-Maîtriſe de St. Lazare , mais elle
renouvelle en fa faveur les privileges qui
avoient été accordés à cet Ordre par un grand
nombre de Papes , fes prédéceffeurs , dont elle
cite les noms , & elley ajoute encore de nou-
velles graces. Entre une immenfité , pour ainfi
dire , de privileges , que contient cette Bulle ,
l'on n'y a pas oublié les penfions fur toutes for-
tes de bénéfices , dont peuvent jouir les Che-
valiers , quoique mariés , & même bigames,
On peut dire que Pie IV avoit traité dans cette

apoftolicafubjectis , modo & formá, perpetuo reftituerat ?


dictum que Hofpitale Capuanum adverfus fuppreffiones
& extinctiones per Innocentium VIII, ctiam prædecef-
forem noftrum factas , repofuerat , & reintegraverat.
des Ordres Royaux , &c. 147
Bulle Jeannot de Caftillon en parent. D'ail-
MICHEL
leurs ce Pape l'avoit accordée à la recomman-
dation du Roi d'Eſpagne , dans un temps où de 15eSEURE,
. G. M.
la Cour de Rome étoit indifpofée contre celle
de France , qui refufoit d'accepter le Concile
de Trente , & parloit d'affembler un Concile
national. Charles IX , qui regnoit alors ,
avoit donné des Edits favorables aux Pro-
teftants. Philippe au contraire montroit beau-
coup de zele pour Rome , & promettoit d'ex-
tirper l'héréfie : Philippe enfin avoit de l'ar-
gent ; un Prince riche ſe fait toujours écouter.
Pie V,fucceffeur de Pie IV, trouva les pri-
vileges que ce dernier avoit accordés à l'Or-
dre fi exceffifs , qu'il crut devoir enfupprimer
plufieurs , & en modérer quelques -uns, par Bull. Rom.
la Bulle , Sicuti bonus agricola ; elle eft datée To. 4 , fol .
de Rome du 26 Juin 1567. Cette Bulle eſt 336.
reçue en France , & fixe les privileges de
l'Ordre , quoiqu'elle ait été adreffée à Jean-
not de Caſtillon , & non au Grand-Maître
Michel de Seure. Nous verrons dans le qua-
trieme Livre de cette Hiftoire , qu'elle fut
vérifiée au Grand-Confeil en 1669.
Vers ces temps du milieu du 6e. fiecle , les
Chevaliers de St: Lazare fe trouvoient fort
éloignés de la vie réguliere que menoient
leurs anciens Freres. Ils faifoient autrefois les
mêmes vœux , ils jouiffoient des mêmes privi-
Leges que ceux de St Jean , ils étoient regar-
dés comme des membres du même corps ,
n'ayant formé , dans les commencemens ,
qu'une feule & même Religion. L'un & l'au-
tre gardoient le célibat. On ne trouve aucuns
G 2
148 Effai critique fur l'Hiftoire
veftiges du mariage de ceux de St. Lazare dans
MICHEL les Bulles des Papes avant celles de Pie IV
de SEURE, & de Pie V. Tous les Pontifes qui ont précédé
15e. C. M.
ceux-ci , les ont traités comme les autres Re-
ligieux, fuivant la Regle de St. Auguftin. On
ne voit pas qu'aucun Pape leur ait permis le
mariage , en les difpenfant , à cet égard , des
conftitutions de ce même Ordre. Ils vivoient
en commun dans leurs Maifons conventuel-
les , avant qu'ils fuffent nommés à des Com-
manderies , ou deſtinés à remplir les charges
de la Religion. Boigny étoit le grand Cou-
vent , & le Grand- Maître y faifoit fa réſidence.
On a vu que l'Hôpital de Jerufalem &.
fon Maître - Général , étoient mis au rang
des Maiſons religieufes & des Prélats régu-
liers de ce Royaume ; qu'il y avoit dès-lors
un Monaftere de Religieufes de St. Lazare , &
qu'enfin il exiftoit encore deux Couvens de
Religieufes de cet Ordre en Allemagne l'an
1413 :: nos Chevaliers menoient donc la vie
réguliere.
Le changement eft une fuite de tous les éta-
bliffemens humains ; plus ils font féveres &
religieux , moins ils exiftent de temps dans
l'état de perfection où l'on avoit prétendu
les établir. Le relâchement qui étoit déja con-
fidérable vers le milieu du quinzieme fiecle >
comme nous l'avons obfervé , alla toujours
en augmentant. On remarque dans les regif-
tres du Parlement de ces temps , des Arrêts ,
où il eft fait mention des murmures & des
plaintes des malades contre les Chevaliers de
St. Lazare ; ils leur reprochoient de fe réjouir ,
des Ordres Royaux , &c. 149
& de faire bonne chere dans les Hôpitaux
MICHEL
avec leurs femmes & leurs enfans , pendant SEURE,
de
qu'ils laiffoient manquer de tout les pauvres 150. G. M.
malades. Ces Chevaliers avoient donc pris la
licence de fe marier au quinzieme fiecle. Dans
la fuite les Papes Pie IV & Pie V , les ayant
trouvés pour la plupart engagés dans le ma-
}
riage , les y tolérerent.
On ne fait fur quel fondement le Pere
Maimbourg affure que le premier inftitut de
St. Lazare permettoit le mariage à fes Che-
valiers ( 1 ). L'Abbé de Velly adopte ſon opi-
nion , & beaucoup d'autres erreurs fur ce
qui regarde cet Ordre (2) . Il faudroit , pour

(1) On trouve dans les Mémoires qui nous ont


été communiqués , & dont nous avons déja parlé
que les anciens Nécrologes de Scédorf , depuis la fin
du douzieme jufqu'au commencement du quinzieme
fiecle , contiennent les noms d'un grand nombre de
Chevaliers mariés , & ceux de leurs femmes , qui
étoient elles-mêmes Chevalieres. Ce fait i favora-
ble à l'opinion du P. Maimbourg, n'exifte que dans
l'interprétation forcée que l'on donne à ce Nécro-
loge. Il n'eft pas poffible de croire que les Religieu-
fes & Chevalieres de St. Lazare de Scédorf fuffent
mariées. Ces autres femmes & leurs maris qu'on veut
bien appeller Chevaliers & Chevalieres , étoient des
perfonnes que la dévotion à cet Ordre engageoit à
s'y faire agréger , telles qu'on en recevoit dans l'Or.
dre de St. Jean , fous le titre de Donnés : ces Seigneurs
& autres gens riches léguoient des terres à la Reli-
gion , & l'on n'avoit garde de manquer d'inferire leurs
noms & ceux de leurs femmes dans le Nécrologe
avec la qualité de Freres & de Soeurs de l'Ordre . Il eft
certain d'ailleurs que pendant les fiecles dont il s'a-
git , l'ufage s'étoit confervé parmi les gens de con-
dition , de fe donner pour Freres & Sœurs dans quel-
que Monaftere, de fe faire revêtir avant la mort de
l'habit religieux , & de fe faire inhumer dans cet habit.
(2) Hift. de France. Tom. 2 , pag. 472 & 474, in-12.
G3
150 Effai critique fur l'Hiftoire
perfuader que le mariage étoit permis dans
MICHEL ce même Ordre , le prouver par de fortes
de SEURE ,
5e.G. M. autorités , puifque ce feroit un privilege
d'autant plus fufpe& t , que l'Ordre de St. La-
zare a été créé Ordre régulier, tel que ceux
de St. Jean , des Templiers , & des Theu-
tons. Or il eft certain que l'on faifoit dans
ceux-ci les trois vœux monaftiques ordi-
naires de pauvreté , de chafteté & d'obéif-
fance. Le 27e. article de la regle des Tem-
pliers donne même des bornes très-étroites
à leur vœu de continence : ideo nec viduam ,
nec virginem , nec matrem , nec fororem , nec ami-
cam , nec ullam aliam faminam , aliquis frater
ofculari prafumat ( 1 ). Revenons à la fuite
des Grands-Maîtres.

François Salviati , reçu Chevalier de Malte


FRANÇOIS en 1541 , à l'âge
SALVIA- Commandeur des Fieffes , &ans
de treize , fut d'abord
Ambaffadeur de
Ti , 16e. G.
M. l'Ordre. Admis enfuite dans celui de St. La-
zare , Charles IX lui en donna la Grande-
Maîtriſe. Le brevet de fa nomination eft daté
du Bois de Malesherbes , le 9 Août 1571 ,
comme il a déja été dit. Ce Grand-Maître
fe conduifit dans les commencemens › com-
me s'il n'avoit été que le Vicaire de l'Or-
dre. Son prédéceffeur avoit confervé le ti-
tre de Chef, & continua de jouir preſque
de tous les honneurs qui y font attachés ,
en forte que Salviati ne fut véritablement

( 1 ) Jacob. de Vitriaco, lib. 2. Hift. Orient. ex The


fauro novo anecdot, Mart, Tom. 3 , pag. 277.
des Ordres Royaux , &c. 151
reconnu pour Grand-Maître , que dans un
Chapitre-général › tenu à Boigny , le 19 FRANÇOIS
Mai 1578. SALVIA-
TI, 16e. G.
Jeannot de Caftillon , prétendu Grand- M.
Maître , étoit mort à Verceil en Piémont ,
dans les Etats d'Emmanuel Philbert , Duc
de Savoye , vers la fin de l'année 1570. Cè
Prince repréſenta fauffement à Grégoire XIII
que l'Ordre de St. Lazare , prefqu'éteint &
ruiné , reftoit fans Chef & fans appui ; il
lui demanda de le réunir avec fes biens à Bul. Rom.
To. 4, Pars
l'Ordre de St. Maurice. Ce Pape venoit de 3, fol. 236.
l'ériger par la Bulle , Chriftiani populi corpus ,
du 18 de Septembre 1572. Le Prince joi-
gnit les promeffes aux inftances ; il offrit
au Pape , s'il vouloit faire cette réunion ,
d'entretenir deux galeres dans le Port de
Ville-Franche , pour la défenfe du St. Siege Ibid. fol.
contre les Infideles & les Pirates. Le Pon- 239.
tife lui accorda fa demande par la Bulle Pro
commiffa , du 13 de Novembre de la même an-
née 1572. Il y prefcrit aux nouveaux Che-
valiers de fuivre la regle de Cîtaux , de faire
les vœux de pauvreté , d'obéiffance & de chaf-
teté ; il leur accorde la permiſſion de ſe marier
une fois feulement , & à une vierge ( 1 ) .
Le Duc de Savoye prit le titre de Grand-
Maître des Ordres de St. Maurice de la Lé-
gion de Thebe , & de St. Lazare de Jerufa-
lem. Cette union faite fans aucunes des for-

( 1 )Ils ont deux Maifons principales , l'une à Tu-


rin , l'autre à Nice. Les Chevaliers y vivent en com-
mun. La croix de l'Ordre eft blanche avec des ban-
des vertes.
G4
152 Effai critique fur l'Hiftoire
malités canoniques , étoit abfolument nulle.
SALVIA- Emmanuel , appuyé de fa Bulle , s'arrogea la
FRANÇOIS
TI, 16e. G. Commanderie d'Aigrefeuille en Breffe , &
M. écrivit légèrement à l'Ordre , que la Grande-
Maîtriſe lui appartenoit , comme fucceffeur
de Jeannot de Caftillon. Cependant Salviati
continua d'être reconnu pour Grand- Maître ,
& tint un Chapitre-genéral à Boigny tous
les ans , depuis 1579 , jufqu'en 1583 ; il
en tint encore un autre en 1585 ; ce der-
nier fut convoqué dans l'Abbaye de St. Ger-
main-des-Prés à Paris , parce que la Ville
d'Orléans avoit été prife par les Confédérés ,
& qu'on ne pouvoit le tenir en fûreté à
Boigny , qui eft très-proche de cette Ville.
S'il eft vrai , comme quelques Ecrivains
le rapportent, que le Duc de Savoye obtint
deux Brevets qui confirmerent fes droits de
Grand-Maître de l'Ordre de St. Lazare en
France , l'un de Charles IX , & l'autre de
fon fucceffeur Henri III , ces Brevets furent
extorqués , & non revêtus de formes légales
& effentielles. Le Grand-Maître Salviati mou-
rut en 1586 , au mois de Septembre , étant
pour lors Gentilhomme ordinaire du Frere
du Roi.
La maifon de Salviati étoit une des plus
illuftres de Florence , dès l'an 1200. Une fille
de ce nom époufa Jean de Médicis , & fur
mere de Côme I , Duc de Florence , aïeul
de Marie de Médicis , Reine de France. Cette
famille fut féconde en grands hommes ; les
uns pofféderent les premieres charges de la-
République , d'autres fe diftinguerent dans
des Ordres Royaux , &c. 153
les Cours étrangeres en qualité d'Ambaffa-
deurs , & dans l'Ordre de Malte. Plufieurs FRANÇOIS
SALVIA-
furent Cardinaux , entre autres Bernard Sal- TI, 16e.C.
viati , Evêque de Clermont , enfuite de St. M.
Papoul , & Grand-Aumônier de la Reine de
Médicis. Après la mort de François , la Gran-
de-Maîtriſe reſta vacante pendant ſept années.
Frere François de Fleuri gouverna l'Ordre
en qualité de Vicaire-Général. Henri III re-
gnoit alors , & du caractere dont étoit ce
Roi , il ne faut pas s'étonner du peu d'at-
tention qu'il fit à l'Ordre de St. Lazare. Il
fe reffentit des factions qui défolerent la
France fous ce Prince foible & irréfolu ,
baffement fcandaleux & ridiculement dévot.

Aimard de Clermont de Chattes , Seigneur


de Broffe , près le Puy , de l'ancienne mai- AIMARD
fon de Clermont du Dauphiné , Chevalier de TESCHAT-
17e.
de Malte , fut nommé Grand-Maître le 26 G. M.
Janvier 1593 , par Henri IV. Il avoit été
pourvu de la Commanderie de Lomentaur,
de l'Ordre de Malte , en 1530 , enfuite du
Grand-Prieuré de Champagne. Se trouvant
Gouverneur de Dieppe fous Henri III , il
continua de l'être fous Henri IV. Sa fidélité
& fa prompte obéiffance à ce grand Roi ,
font affez connues. Auffi-tôt qu'il fe préfenta
devant Dieppe , Aimard lui remit cette place ,
fans aucunes conditions & fans réferves. Il
ne prit poffeffion de la dignité de Grand-
Maître que par Procureur. L'ancien Grand-
Maître Michel de Seure , qui s'étoit réſervé
la Commanderie de Boigny , vivoit encore ;
G5
154 Effai critique fur l'Hiftoire
après fa mort , il donna de nouveau ſa pro-
AIMARD Curation à Charles le Prieur , Bourgeois d'Or-
de CHAT- léans , le 19 Décembre 1595 , pour prendre
TES , 17e.
G. M. poffeffion de cette Commanderie , & pour
convoquer les Chevaliers à un Chapitre-gé-
néral indiqué à Boigny , aux Fêtes de la Pen-
.tecôte 1596. Il chargea fon même Procu-
reur , le 7 Février de ladite année , d'affer-
mer les biens de la Commanderie.
Aimard fe démit , le 27 Février 1599 , du
Magifter en faveur de Jean de Gayand, fon
neveu, fe réſervant le droit de faire des Che-
valiers , jufqu'à ce qu'il eût pris poffeffion de
la Grande-Maftrife. Attaqué par les Confé-
• dérés dans le Bourdun , Village à trois lieues
de diſtance de Dieppe , & fe défendant vail-
lamment, il reçut une bleffure dont il mou-
rut le 3 Mai 1603 , Il avoit beaucoup con-
tribué à la conftruction de l'Eglife des Mi-
nimes de Dieppe , où il fut inhumé.
Anne de Joyeuſe , Pair de France , Gou-
verneur de Normandie , & Grand - Amiral
en 1582 , coufin-germain d'Aimard de Chat-
tes , le fit nommer Vice-Amiral. Le Cardi-
nal de Joyeuſe , fon parent au même degré ,
laiffa une fomme confidérable pour lui éle-
ver un tombeau ; mais on fe contenta de
placer une fimple infcription gravée fur une
lame d'airain , contre le mur près de la Sa-
criftie. Elle a été détruite lors de l'incendie
de la Ville , arrivé en 1694 , en forte qu'il
ne reſte d'autre monument de ce grand hom-
me qu'une petite piece de vers à fa louange ,
écrite en ftyle du temps, & confervée par
des Ordres Royaux , &c. 155
la tradition des Citoyens , que nous tranfcri-
rons ici : AIMARD
de CHAT-
La Nobleffe n'eft rien fans l'appui de vertu, TES , 178.
Sans la Nobleffe auffi , la vertu n'a la preffe : G. M.
Mais celui qui a joint la vertu à Nobleſſe ,
Ne fe verra jamais fous le temps abattu.
Vous donques, Monfeigneur, qui tout êtes vertu ,
D'un vertueux honneur , joint à noble Sageffe ,
N'ayantjamais manqué de vaillance & proueffe ,
Pour rendre à point nommé votre ennemi vaincu ;
Merités à bon droit un immortel registre >
Où vos nobles vertus & votre brave titre
De Grand-Maitre foit mis à la postérité :
Mais faire ne le penfe, car pour un tel Achille,
Un Homere ilfaudroit , qui d'un plus divinftyle,
Sút graver jufqu'aux Cieux votre immortalité.
On vient de voir qu'Aimard de Chattes
& fes deux prédéceffeurs , Michel de Seure
& François Salviati , étoient Chevaliers de
Malte : voici ce que rapporte à ce fujet ,
l'Hiftorien de Thou. » L'Ordre de Malte >
» jaloux de celui de St. Lazare , n'ayant pu
faire valoir la Bulle d'Innocent VIII , qui
le détruifoit , & leur en accordoit les re-
» venus , mit tout en ufage pour obtenir
par adreffe , ce qu'il n'avoit pu gagner par
" la force , & pour faire peu à peu oublier
» l'Ordre de St. Lazare , s'il ne pouvoit pas
» entiérement l'éteindre. Ainfi ils en obtin-
» rent la Grande-Maîtrife jufqu'à Aimard
de Chattes , homme illuftre par fa naif-
fance , mais encore plus diftingué par fa
candeur & par fa vertu. Car quoiqu'il fût
» Chevalier de Malte , il entreprit de réta-
» blir l'Ordre de St. Lazare , dont il étoit
G 6
156 Effai critique fur l'Hiftoire
» le Chef; & appuyé du Parlement de Paris ,
AIMARD " il réfolut de retirer tous les biens des
de CHAT- » mains de ceux qui les poffédoient injuſ-
TES , 17e .
G.M. » tement. « De Thou , lib. 38. Reg. de Char.
IX , anno 1565.
Il faut fans doute prendre ce que rapporte
un Hiftorien , tel qu'Augufte de Thou , qui
a écrit l'Hiftoire de fon temps avec autant
de lumieres que de bonne foi , comme des
faits certains. Aimard fut malheureufement
trop occupé dans les guerres de Henri IV ,
pour accomplir le projet qu'il avoit pu
former , de rétablir la bonne difcipline de
T'Ordre , & pour lui faire reftituer les biens
ufurpés. D'ailleurs il n'en fut le Chef que
pendant fix années , intervalle trop court pour
exécuter de femblables deffeins.

Jean Charles de Gayand nommé Grand-


LES Maître , par Henri IV , fur la démiffion de
JEAN-
CHAR
de GAY- fon oncle, Aimard de Chattes , comme nous
il ne
G. M. 18e. l'avons dit , ne prit point poffeffion ;
AND,
fit aucunes fonctions de fa charge ; il figna
comme fimple Chevalier , avec Aimard de
Chattes , la quittance du droit de paffage
dans l'Ordre , donnée à Robert de Brage-
longue , fils du Préſident de ce nom , lorf-
qu'il paya ce droit le 23 Octobre 1601 .
Aimard le reçut Chevalier le 28 du même
mois dans la chapelle de St. Lazare de Paris ;
& le 25 Novembre fuivant , il lui conféra
la Commanderie de Sainte Catherine de
Montrevault, fuivant les droits qu'il s'étoit
réfervés en abdiquant le Magifter.
des Ordres Royaux , &c. 157
Le 17 Janvier de cette année 1601 , le
Marquifat de Salufe fut donné en échange JEAN-
au Duc de Savoye pour la Breffe : par ce CHARLE S
de GAY-
moyen la Commanderie d'Aigrefeuille , fituée AND, 18e,
dans cette Province , rentra dans l'Ordre. G. M.
De Gayand fe démit de la Grande-Maî-
trife , ou plutôt céda les droits qu'il y avoit
à Philbert de Néreftang , le 5 Août 1604 ,
& fut fait Chevalier de St. Michel en 1606.
Il mourut en 1640. Il étoit iffu d'une fa-
mille noble du Dauphiné ; fon pere , Baltha-
fard de Gayand , avoit époufé , en 1558 ,
Marguerite de Chattes , foeur du Grand-Maî-
tre Aimard.

Philbert , Marquis de Néreftang , fils d'An-


toine , Chevalier de St. Michel , Meftre-de- PHILBERT
de NÉRES-
Camp d'un Régiment d'Infanterie de Hen- TANG ,
ri IV , après avoir été Capitaine dans l'armée 19e. G. M.
des Confédérés en 1590 , fut nommé Grand-
Maître par le Roi , fur la démiffion de Charles
de Gayand. Le brevet de fa nomination eft
daté de Fontainebleau , le 7 Septembre 1604.
Nous ignorons ce qui engagea le Roi à don-
ner à ce Grand-Maitre , de nouvelles provi-
fions au mois de Janvier 1606 , en vertu
defquelles il prit de nouveau poffeffion de
fa charge , le 24 Mai de la même année.
C'eſt à Philbert de Néreftang , que fi-
niffent les Grands-Maîtres , qui ont gou
verné l'Ordre de St. Lazare , depuis fon éta-
bliffement en France , jufqu'à l'inſtitution de
l'Ordre de Notre-Dame du Mont- Carmel ‫و‬
& fon union à cet ancien Ordre , dont nous
158 Effai critique fur l'Hiftoire , &c.
continuerons l'Hiftoire dans le Livre fui-
-PHILBERT Vant.
de NERES
TANG , On pourra remarquer , que nous ne fom-
A 19e.G.M. mes d'accord , ni fur les noms , ni fur le
nombre des Grands-Maîtres de St. Lazare ,
avec l'annaliſte de l'Ordre , Touffaint de St.
Luc ; & que nous ne le fommes pas davan-
tage avec les derniers continuateurs de Mo-
réry. La lifte haſardée , qu'en ont donné
ceux-ci , ne vaut pas la peine d'en parler.
Il en eft à peu près de même de celle de
Touffaint de St. Luc , puifqu'il avoue qu'il
ne s'eft pas propofé de faire des recherches
exactes fur les Chefs de l'Ordre.
豬豬

ESSAI CRITIQUE

SUR

L'HISTOIRE

Des Ordres Royaux , Hofpitaliers &


Militaires de NOTRE- DAME

DU MONT- CARMEL ,
& de Saint LAZARE DE

JERUSALEM.

LIVRE QUATRIEME .
Es véritables motifs qui por-
terent Henri IV à inftituer un PHILBERT
Ordre de Chevalerie en l'hon- de NÉRES-
L TANG ,
neur de la Sainte Vierge , ne Ige. G.M.
font pas connus. Ce Prince ,
le meilleur & le plus grand
de nos Rois , fe trouva dans l'affreufe né-
ceffité de délibérer' , à fon avénement au
trône , s'il fuivroit la fecte moderne , dans
160 Efai critique fur l'Hiftoire
laquelle il étoit né , ou bien s'il y renon-
PHILBERT ceroit pour embraffer les anciennes maximes
de NÉRES. de la Religion des Francois. Un choix im-
TANG ,
19e. G. M. prudent pouvoit lui faire perdre la Cou-
ronne il fut long-temps indécis.
Tandis que la contagion de la nouvelle
doctrine avoit gagné une partie des Princes ,
des grands Seigneurs , & du Peuple , l'autre
partie fembloit redoubler de zele pour les
anciennes pratiques religieufes ; elles lui fer-
voient de prétexte pour faire la guerre à
fon légitime Souverain , & à fes conci-
toyens. Enfin Henri reprit le culte primitif,
& l'on vit ceffer ces longues & fanglantes
guerres inteftines. (1)
Le Roi fut obligé de faire abjuration de
fon héréfie , & d'en demander l'abfolution
au Pape. Du Perron & d'Offat , fes Ambaf-
fadeurs à Rome , qui furent depuis Cardi-
naux, la reçurent pour lui d'Innocent IX (2).
Ce Pontife , fuivant l'ancien ufage de l'E-
glife , impofa des obligations particulieres au
Roi converti. Elles confiftoient à réciter cer-
taines oraifons , à entendre la meffe tous les
jours , à bâtir des Monafteres , ou à former.
quelqu'autre pieux Etabliſſement. Peut - être
fût-ce pour remplir cette derniere obliga-

(1) Ce Monarque, à l'âge de dix-huit ans , étant


alors Roi de Navarre , fut obligé , après le maffacre
de la St. Barthelemi , de profeffer la Religion Catho
lique ; il fit abjuration en 1572 , pour fauver ſa vie.
Ce ne fut qu'une feinte converfion.
( 2 ) Il abjura volontairement fon hérée dans l'E-
glife de St. Denis , le 25 Juillet 1593. Le P'ape ne lui
en accorda l'abſolution que le 13 Novembre 1595.
des Ordres Royaux , &c. 161
tion , & pour donner des marques de fa
converfion fincere , que le Monarque inftitua PHILBERT
de NERES-
P'Ordre de Notre-Dame du Mont - Carmel. TANG ,
Favin & quelques autres Ecrivains , pré- 19e. G. M.
tendent que le Roi avoit deffein de confier
la garde de fa perfonne à ces nouveaux Che-
valiers. Touffaint de St. Luc a penfé , que
cet Ordre avoit été créé pour donner un
nouveau luftre à celui de St. Lazare , &
pour lui faire reftituer fes biens. Créer un
nouvel Ordre , pour faire fleurir un Ordre
ancien , paroît un projet fingulier.
Herman ne ſemble pas avoir rencontré
plus jufte , en difant que le Grand-Maître
Aimard de Chattes mourut dans le deffein
de relever l'Ordre de St. Lazare ; mais
que fon fucceffeur , Philbert de Néreſtang ,
ayant eu la même penſée , profita du crédit
qu'il avoit fur l'efprit du Roi , pour pour-
fuivre à Rome le rétabliffement de cet Or-
dre ; qu'il obtint en effet une Bulle fort
avantageufe de Paul V , & qu'enfin le Roi ,
voulant imiter le Duc de Savoye , inftitua
l'Ordre de Notre Dame du Mont-Carmel ( 1 ).

(1 ) Voici comme toutes ces erreurs ont été rédi-


gées par Sponde , fur l'an 1608. » Au mois de Février,
Paul V érigea l'Ordre de Ste. Marie du Mont- Car-
mel , fondé par Henri IV ; il n'étoit pas cependant
» entiérement nouveau , mais formé de l'ancien Or-
" dre de St. Lazare , qu'Innocent VIII avoit uni à ce-
» lui des Chevaliers de St. Jean de Jerufalem . Ai-
mard de Chattes , Gentilhomme François , mourut
» dans le louable deffein de le renouveller en Fran-
» ce, de forte que Philbert de Néreftang , auffi Gen-
» tilhomme François , accomplit fon projet en ob-
" tenant du Pape que cet Ordre feroit appellé de
162 Effai critique fur l'Hiftoire
Tout ce récit eft plein d'anachronismes
PHILBERT & de faits oppofés à la vérité de l'Hiftoire.
de NÉRES-
TANG , Si Philbert de Néreftang fut à Rome , ce
19e.G.M. ne put être pour y pourſuivre le rétabliſ-
fement de l'Ordre de St. Lazare ; il n'étoit
point détruit. Il fembleroit , d'après une ré-
ponſe de Henri IV au Clergé , que nous
aurons occafion de rapporter dans la fuite' ,
que ce Roi defirant renouveller l'ancien Or-
dre des Ducs de Bourbon & de Vendôme ,
fes ancêtres , dédié à la Sainte Vierge , avoit
inftitué celui de Notre-Dame du Mont- Car-
mel ; mais fans faire de tort à la piété du
"Monarque , on peut penfer qu'il étoit trop
fage pour renouveller les caprices de mode
du quatorzieme fiecle , où il parut une foule
d'Ordres de Chevalerie , dont les noms vrais
ou fuppofés , font à peine parvenus juſqu'à
nous. Rapportons feulement le fait dépouil-
lé de toutes ces vaines conjectures.
Henri defirant d'inftituer dans fon Royau-
me un Ordre de Chevalerie en l'honneur
de la Sainte Vierge , fous le titre de No-
tre-Dame du Mont-Carmel , en fit deman-
der l'agrément au Pape Paul V , par Char-
les de Neuville , Marquis d'Alincourt , Che-
valier de fes Ordres , & fon Ambaffadeur
à Rome. Le Pontife confentit à l'inftitution
de cet Ordre , & l'approuva par les Bulles
Romanus Pontifex , & Militantium Ordinum

Ste. Marie du Mont-Carmel & de St. Lazare , &


" qu'il ne feroit que pour les François , afin de le
» diftinguer de l'Ordre de St. Maurice & de St. La-
» zare , inſtitué pour les Savoyards & les Italiens. «<
des Ordres Royaux , &c. 163
inftitutio , datés des 16 & 20 Février 1608
(1 ). Il ne s'agit aucunement dans ces Bulles PHILBERT
de NÉRES-
de l'Ordre de St. Lazare , mais de la feule TANG ,
inſtitution d'un Ordre Militaire , fous le ti- 19e. G- M.
tre & la regle de Notre- Dame du Mont-
Carmel. Paul V donne pouvoir au Roi &
à fes fucceffeurs , de nommer le Grand-Maî-
tre de cet Ordre , qui pourroit créer au-
tant de Chevaliers que bon lui fembleroit.
Il leur permet de ſe marier , de paffer à de
fecondes nôces , d'époufer même une veuve ;
il leur défend les troifiemes nôces ; les obli-
ge de faire vœu d'obéiffance & de chaf-
teté conjugale : enfin il leur accorde la per-
miffion de pofféder des penfions fur toutes
fortes de bénéfices , quoique mariés & bi
games, Celles du Grand-Maître peuvent s'é-
tendre jufqu'à la fomme de mille cinq cens
ducats d'or de la Chambre Apoftolique , &
celles des Chevaliers jufqu'à la fomme de
cinq cens. Voilà ce que contient la premiere
Bulle.

(1 ) Des Hiftoriens éclairés , ceux mêmes du Gallie


Chriftiana , ont donné dans l'erreur de croire , que
la premiere Bulle , Komanus Pontifex , pour l'infti-
tution de cet Ordre , étoit du 16 Février 1607 , parce
que les anciens Editeurs de la compilation des conf-
titutions des Papes , fous le titre de Bullaire Ro-
main , l'ont ainfi datée : faute groffiere , puifque da-
tant d'ailleurs cette même Bulle de la treizieme année
du Pontificat de Paul V , il étoit impoffible qu'elle
fût de 1607. Ce Pape ayant été élu le 15 Mai 1605 ,
cette faute a été corrigée dans la derniere édition
de ce Bullaire , faite en "1739. Les deux Bulles y
font datés de la même année 1608. Voyez le Tom. 5,
pars 3 , fol. 297 & 299,
164 Effai critique fur l'Hiftoire
La feconde prefcrit plus particulièrement
de NERES- aux
PHILBERT Chevaliers
Le Pape , ce qu'ils
les oblige doivent
de faire obferver.
leur profeffion
TANG ,
19e. G.M. de foi entre les mains du Grand-Maître , ou
de celui qui fera député de fa part , avant
d'entrer dans l'Ordre ; de porter fur leur
manteau une croix de couleur tannée avec
l'image de la Sainte Vierge dans le milieu
& une autre croix d'or fufpendue à leur cou
par un ruban de foie de même couleur
au milieu des deux côtés de laquelle fera
pareillement l'image de la Sainte Vierge ( 1 ).
Il leur est encore enjoint de prendre les
armes contre les ennemis de l'Eglife , lorf-
que les Papes & les Rois de France leur
ordonneront ; de réciter, tous les jours l'of-
fice de la Ste. Vierge ; d'entendre la Meſſe
les Samedis , outre les jours de Fêtes ; de
faire maigre les Mercredis ; de fe confeffer
& communier le jour de la fête de Notre-
Dame du Mont-Carmel , qui fe célebre le
19 Juin ; de s'affembler pour célébrer cette
Fête , & de payer au Tréforier de l'Ordre
les refponfions d'ufage fur les Commande-
ries qu'ils pofféderont.
Auffi-tôt que ces Bulles furent arrivées de
Rome , le Roi fit expédier des Lettres le 4
Avril 1608 , par lesquelles Sa Maj . en confé-

( 1 ) Nec non palliis crucem fulci feu impluviati co-


loris , imaginem dia Virginis Maria in medio haben-
tem geftare , aliam quoque crucem auream , cui ab utro-
que latere ejufdem gloriofa Virginis imago fit , ferica
ejufdem coloris è collo pendentem deferre. Voyez la
Bulle Militantium Ordinum inftitutio. § 4.
des Ordres Royaux , &c. 165
quence defdites Bulles , déclara le Sr. de
Néreftang , Grand-Maître de l'Ordre de No- PHILBERT
de NÉRES
tre-Dame du Mont-Carmel , comme il l'étoit TANG ,
de celui de St. Lazare. 19e. G.M.
Le Pape confirma la nomination par un
Bref, qui commence , Nobilitas generis. » Le
Sr. de Néreftang prêta ferment de fidélité
" au Roi le 30 Octobre 1608 , en après ,
» dit l'Etoille , le Roi lui a mis au col la
» croix d'or au ruban tanné , & l'a vêtu du
» manteau de l'Ordre , & lui a donné la
» permiffion de faire juſqu'à cent Chevaliers ,
» fauf audit Sr. Grand-Maître d'en augmen-
» ter le nombre dans la fuite. «<
Henri étoit obligé , par la Bulle d'érection ,
de doter le nouvel Ordre ; pour remplir ce
devoir il fit expédier un brevet d'union des
deux Ordres , daté du dernier jour d'Oc-
tobre 1608 ( 1).

(1 ) Comme ce Brevet eft une piece effentielle ,


nous le tranfcrirons ici : » Aujourd'hui dernier jour
» d'Octobre 1608 , le Roi étant à Fontainebleau , ayant
» fait expédier au Sr. de Néreftang , Chevalier de
" fon Ordre , Meftre-de-Camp de l'un de fes régimens
entretenus , fes Patentes en date du 4 Avril der-
" nier, par lefquelles Sa Majesté l'a fait & ordonné
" Grand- Maître de l'Ordre & Milice de la Vierge
» Marie , nouvellement inftitué en ce Royaume par
la Bulle de notre St. Pere le Pape , du 14 des ca-
» lendes du mois de Mars 1608 , comme il l'étoit au-
» paravant de celui de St. Lazare de Jerufalem &
" Bethléem , tant deçà que delà les mers , pour ladite
2 dignité de Grand- Maître dudit Ordre , nouvelle-
ment, comme dit eft , établi , jouir & ufer par ledit
" Sr. de Néreftang , ainfi qu'il eft porté par lefdites
Lettres , & avec le pouvoir de faire dorénavant des
Chevaliers , felon qu'il eft contenu en ladite Bulle ,
» qu'il pourra faire , quand bon lui ſemblera ; au moyen
166 Effai critique fur l'Hiftoire
» Le Dimanche 9 de Novembre , dit en-
PHILBERT » Core de l'Etoille , le Sr. Philbert de Néreſ-
de NIRES-
TANG , » tang , premier Grand - Maître de l'Ordre
19e.G.M. » de Notre-Dame du Mont-Carmel , donna
» ledit Ordre à trente-cinq Gentilshommes ,
» ou Pages , dans l'Eglife & Monaftere de St.
» Lazare , au fauxbourg de Paris. Cette cé-
» rémonie fut faite avec beaucoup de, fo-
» lemnité & de magnificence , en préſence
» d'un grand nombre d'honnêtes gens , & de
« Dames ( 1 ). “
Le Roi unit donc de fon autorité Royale ,
l'Ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel à
celui de St. Lazare. Il femble qu'il en avoit
le droit ; c'est une maxime des libertés de
l'Eglife Gallicane , que les fondations Roya-
les , qui ne font point à charge d'ame , peu-

de quoi à l'avenir feront affectées les Commande-


» ries , Prieurés , & autres Bénéfices dudit Ordre de
St. Lazare, qui font en ce Royaume , Pays , Ter-
res & Seigneuries de l'obéiffance de Sadite Ma-
jefté , aux Grand-Maître , Chevaliers , & Officiers
» dudit Ordre de la Vierge-Marie , pour icelles ap-
préhender & pofféder , quand elles leur écherront ,
tout ainfi que s'ils étoient , ou avoient été faits Che-
#valiers dudit Ordre de St. Lazare. Et pourront en
outre , en conformité de ladite Bulle ,jouir des pen-
fions defquelles il plaira à Sa Majefté de les grati-
fier fur les Evêchés , Abbayes , & autres Bénéfices
» même confiftoriaux , qui font en la nomination , col-
lation , ou autre difpofition de Sadite Majefté , non-
" obftant qu'ils foient mariés en témoin de quoi elle
» m'a commandé d'en expédier le préfent Brevet
» qu'elle a voulu figner de fa main , & fait contre-
» figner , par moi Secrétaire d'Etat & de fes Com-
" mandemens & Finances. Signé HENRI , & plus bas ,
» par le Roi , Brulard. «
(1) Journal de Pierre de l'Etoille , édit. de 1741,
des Ordres Royaux , &c. 167
vent être unies ou divifées par le Roi d'au-
torité abfolue , & fans le miniftere de la PHILBERT
de NÉRES-
puiffance fpirituelle , felon qu'il le juge utile TANG ,
aux befoins de l'Eglife , ou de fon Etat ( 1 ) , 19e.G.M.
parce que ces Bénéfices font , à proprement
parler , des Bénéfices féculiers & profanes ,
que le Roi a érigés , & dont il doit tou-
jours avoir l'autorité & l'adminiſtration (2).
Auffi trouve-t-on quantité d'exemples de ces
réunions , faites de pleine autorité pas nos
Rois (3 ).
Nous infiftons fur l'union de ces deux Or-
dres , parce que plufieurs Ecrivains ont en-
trepris de prouver que Henri IV n'avoit ja-
mais réuni l'Ordre de Notre-Dame du Mont-
Carmel à celui de St. Lazare. C'eſt le fen-
timent des PP. Heliot & Honoré de St. Ma-
rie. Dans les oppofitions que l'on a formées à
diverfes réunions de Bénéfices & Hôpi→
taux , faites par le Roi , à ces Ordres , non-
feulement on a cité les autorités de ces Au-
teurs , mais l'on a même prétendu que les
revenus de l'Ordre de St. Lazare avoient été
illégitimement unis à celui de Notre-Dame
du Mont-Carmel (4 ). Le P. Heliot rapporte

(1) Traité de l'abus , liv. 2 , chap. 4 , nº. 20.


( 2 ) Du Moulin ad Reg. de infirm. refign.
(3 ) Preuves des Libertés , chap. 55 , nº . 19 , &
chap . 5o, n . 41 .
(4) Divers Corps Eccléfiaftiques Séculiers & Ré-
guliers ont foutenu ces principes , contre les Cheva-
fiers de St. Lazare , lors des réunions , dont il fera
parlé ci-après ; notamment les Chanoines de St. Jac-
ques de l'Hôpital , dans le cours de leurs conteftations
avec ces mêmes Chevaliers au fujet de l'Edit de 1722 ,
qui réunifloit cet Hôpital à leur Ordre.
168 Effai critique fur l'Hiftoire
en faveur de fon opinion , des Lettres-Pa-
PHILBERT tentes qui fuppriment l'Ordre de Saint La-
de NÉR ES-
zare , & qui furent données à Fontaine-
TANG ,
19e. G.M. bleau , au mois de Juillet 1608 ( 1 ). La

(1) Voici ces Lettres-Patentes : » Henri , par la


grace de Dieu , Roi de France & de Navarre , à
" tous ceux qui ces Préfentes Letttres verront. Notre
» St. Pere le Pape ayant , à notre fupplication , faite
par notre Ambaffadeur , Réfident près de fa Per-
» fonne , par fa Bulle du 14 des calendes du mois
dernier , érigé & inftitué en notre Royaume un
" Ordre, à titre de la Vierge-Marie , ou Notre Dame
» du Mont- Carmel , ainfi que le contient la Bulle ,
" dont copie eft ci-attachée fous le contre-fcel ; fa-
" voir faifons , que nous ayant bien agréable le con-
» tenu en icelle , & defirant , en ce qui nous fera poffi-
ble , promouvoir à l'établiſſement d'icelui , orner &
» enrichir de mérites convenables à la fplendeur d'ice-
" lui , pour l'augmentation de la gloire de Dieu en ce-
» lui notre Royaume , que nous eſpérons devoir réufkir
» à ladite inftitution , avons de notre certaine fcience ,
" puiffance & autorité Royale , éteint & fupprimé ,
éteignons & fupprimons par ces Préfentes l'état de
Grand-Maître de St. Lazare , qui a eu ci-devant
» lieu en notredit Royaume , & en ce faifant avons
" toutes & chacunes les Commanderies & Bénéfi-
» ces , de quelques qualité & condition qu'elles foient ,
» qui ont été fous ledit titre en la collation , provi-
» fion , & autres difpofitions du Grand-Maître , unies
» & annexés & attribués , uniffons , annexons & at-
» tribuons audit Ordre & Milice de Notre-Dame du
» Mont-Carmel , pour dorénavant être tenues , poffé.
" dées , & deffervies par le Grand- Maître , qui fera
» par nous établi; & les Commandeurs , Chevaliers ,
» & autres Officiers , qui feront créés par ledit Grand-
» Maître , en vertu du pouvoir qui lui fera donné
" pour cet effet , nonobftant oppofitions , ou appel-
» Îations quelconques , defquelles , fi aucunes inter-
» viennent , nous avons retenu & réfervé , retenons
» & réfervons la connoiffance & jurifdiction à nous &
» à notre Confeil d'Etat , & icelle interdite & dé-
" fendue , interdiſons & défendons à toutes nos Cours
» & Juges quelconques. Ci donnons en mandement
copie
des Ordres Royaux , &c. 169
copie s'en trouve inférée dans les manuf-
PHILBERT
crits de la Bibliotheque du Roi , qui por- de NÉRES-
tent le nom de Brienne ; mais malgré l'au- TANG ,
thenticité de ces manufcrits , & la foi qui 19e. G.M.
leur eft due , on peut penfer qu'on y a
inféré par erreur la copie d'un projet de
Lettres-Patentes , qui n'ont point eu lieu ,
pour celle d'un original : s'il reftoit quelque
foupçon de cette fuppreffion , il devroit >
ce femble , être détruit par les Edits &
Déclarations de nos Rois > fucceffeurs de
Henri IV , tous ont fuppofé la réunion de
ces Ordres faite par ce Roi. On n'apperçoit
pas d'ailleurs les raifons qui auroient pu
l'engager à fupprimer un Ordre auffi ancien-
nement illuftre , que l'étoit celui de St. La-
zare. On ne peut diffimuler cependant , que
les Lettres de fuppreffion , dont on vient de
parler , jointes au filence gardé fur les Che-
valiers de St. Lazare , qui exiftoient lors de
l'inftitution de l'Ordre de Notre -Dame du
Mont-Carmel , ne laiffent quelques nuages
fur les véritables intentions de Henri IV ;
il ne prononça point fur le fort de ces an-
ciens Chevaliers. L'union des deux Ordres
fuppofée faite , ils devoient être agrégés au
nouvel Ordre. Il eft certain que la puif-
fance eccléfiaftique ne concourut point à
n à nos amés & féaux les Gens tenant notre Grand-
» Confeil , que ladite Bulle ils faffent enregistrer , &
le contenu d'icelle obferver inviolablement : car
tel eft notte plaifir.... Donné à Fontainebleau
a au mois de Juillet l'an de grace 1608, & de notre
» regne le 19e. » Extrait des Manufc. de Brienne ☀
La Biblioth. du Roi. Tom. 274 , fol. 120.
H
170 Effai critique fur l'Hiftoire
cette union on vient de remarquer , que
PHILBERT fuivant nos libertés , ce concours ne fembloit
de NÉRES.
TANG pas néceffaire. Cependant le Grand-Confeil
198. G.M. en jugea autrement , lors de l'enregiſtrement
de l'Edit de 1664 , comme on le verra dans
la fuite. Au refte , Henri IV ne furvécut
que deux ans à ſon inſtitution : fa mort , fi
funefte pour tout le Royaume , le fut fans
doute en particulier pour l'Ordre de Notre-
Dame du Mont-Carmel ; il n'eut pas le temps
d'exécuter les projets qu'il avoit pu former
pour fa plus grande élévation. Il donna le 29
Mai 1609 , des Lettres- Patentes , qui attri-
buerent au Grand - Confeil la connoiffance
des affaires de l'Ordre ; elles y furent en-
regiftrées le 5 Juillet de la même année ;
& le 11 Août fuivant , les Bulles de Paul V ,
furent fulminées par l'Official de l'Evêque
du Puy.
Ce ne fut pas fans raifon que la naiſſance
de l'Ordre du Mont-Carmel alarma le Clergé
de France. La Bulle de fon inftitution permet-
toit au Grand-Maître de faire autant de Che-
valiers qu'il jugeroit à propos ; & ces Cheva-
liers pouvoient poffeder des penfions fur tou-
tes fortes de Bénéfices , même fur ceux à
charge d'ame ; difpofition peu conforme aux
anciens décrets des Conciles. Le Clergé vi-
vement inquiet arrêta des remontrances dans
une affemblée tenue à Paris dès 1608. Le ca-
hier qui en fut préfenté au Roi au mois de
desRecueil
aff. du Juillet 1609 , contenoit : » Que l'intention des
Clergé,T. " Fondateurs n'a été de faire & accomplir les
1 , p. 247. » prieres & fervices qu'ils ont fondés , par
des Ordres Royaux , &c. 171
Chevaliers & Penfionnaires ; la Chrétienté
» ne reçoit de cette nouveauté , ajoutoient- PHILBERT
de NÉRES-
» ils aucun fupport ni commodité , au con- TANG
» traire , le ſervice divin eſt affoibli. « Enfuite 19e. G.M.
le Clergé fupplioit le Roi de demander au
Pape de révoquer la Bulle portant inſtitution
de l'Ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel.
Dans le cours de la même année le Clergé
réitéra fes remontrances : André Fremiot
Archevêque de Bourges , portant la parole ,
fupplia Sa Majesté » de ne pas permettre une
» nouveauté fi inouie , que certains Cheva-
» liers de l'Annonciade , ( c'eſt le nom que
» ce Prélat donnoit aux Chevaliers de No-
» tre-Dame du Mont-Carmel ) gens attachés Ibid.
» au mariage , enveloppés dans les affaires du
» monde , & de qui le bras deftiné au fer
» devoit être plutôt couvert de fang, que de
» la fumée des encens & des facrifices , n'euf-
» ſent à mettre les mains fur les tables facrées ,
» prendre les pains de proportion , & entre-
» prendre fur les revenus qui n'avoient été
» voués que pour les Lévites , & pour ceux
» qui offroient à l'Autel. «<
Le Roi leur fit cette réponſe : » J'ai infti-
» tué l'Ordre & la Milice au nom dela Vierge
» Marie dite du Mont-Carmel , pour la par.
» ticuliere confiance ? qu'à l'imitation des
De Serres
» Ducs de Bourbon , & de Vendôme , mes Inv.génér.
» aïeux , j'ai toujours mife au fecours & prie- de l'Hif. de
» res d'icelle ; & je leur ai affigné , non pas France, T.
p. 173.
» les revenus de vos Bénéfices , mais feule-
» ment ceux des Hôpitaux & Commanderies
» de l'Ordre de St. Lazare ; que s'ils ont
H 2
172 Effai critique fur l'Hiftoire
» quelques petites penfions fur les Bénéfices,
"3
PHILBERT » c'eft le Pape qui le leur a accordées.
de NÉRES-
TANG Cette réponſe du Roi au Clergé fait clai
198. G. M, rement voir , que devant doter l'Ordre de
Notre-Dame du Mont-Carmel , & même de
biens purement laïques , fuivant que le porte
la Bulle de fon inſtitution , il le dota de ceux
de St. Lazare. Dans la fuite la trop grande
extenfion des penſions fur toute forte de Bé-
néfices fût limitée , & le Clergé n'a pu défap-
prouver ces penfions en faveur des Laïques ,
privilege bien plus étendu dans les autres
Etats , qu'il ne l'eft en France.
On rapporte à l'appui de l'union des deux
Ordres le fceau de Philbert de Néreftang, qui
repréſentoit un Chevalier armé de toutes pie-
ces , avec cette légende : Sigillum Ordinis &
Militia beata Maria Virginis de Monte Carmelo
& San&ti Lazari in Jerufalem. Ce Grand-Maî-
tre accorda le 25 Janvier 1610 , à Jacques
Séguier, Secrétaire du Roi , les proviſions
de premier Secrétaire de l'Ordre , avec la per-
miflion de fe dire Chevalier , quoiqu'il ne le
fût pas , & de pouvoir pofféder des Comman-
deries ( 1 ). Il avoit fans doute rendu quel-
ques fervices à l'Ordre , qui engagerent le
rand - Maître à lui accorder cette grace. 11
créa au mois d'Août de la même année 1610 ,
plufieurs Chevaliers , du nombre defquels fut
Jean-Claude de Néreftang , ſon fils. La Reine-

(1) Joan. Jacobum Seguier Regi a fecretis fcribam ,


unicum , & primum Ordinis Secretarium nominavit cumz
privilegio fe dicendi Equitem , quanquam non effet, &
Præceptorias poffidendi. Gall, chriſt, Tom. 7 , cel, 1987.
des Ordres Royaux , &c. 173
Mere , Régente du Royaume , & fon fils le
PHILBERT
Roi Louis XIII , affifterent à la cérémonie. de NERES-
Le jeune Roi reçut le ferment de Claude de TANG ,
Néreftang ; il fit la même grace à Jacques 190. G. M.
d'Aigremont , & il y ajouta celle de les tou-
cher à la joue , pour marque de bienveillan-
ce. Ancien ufage obfervé dans les Ordres de
Chevalerie , lors de la réception.
Philbert tint un Chapitre-général le 12
Février 1612, où il régla différentes affaires
de l'Ordre , dans le détail defquelles nous
n'entrerons point. Au mois d'Avril de la
même année , la Commanderie de Mont-
liout , vacante par la démiffion de Jean le
Mouton de la Mothe , fut donnée à Jacques
Guillebert de la Lande. On obſerve que dans
cette collation le Marquis de Néreſtang s'eft
qualifié Grand-Maître des Ordres de Notre-
Dame du Mont-Carmel , & de St. Lazare. II
obtint la même année , le 26 Octobre , la fur-
vivance de fa dignité pour fon fils Jean-Claude.
Enfin Philbert de Néreftang fut tué le
20 Août 1620 , à l'attaque du pont de
Cé près d'Angers : on fait que Louis XIII ,
la tête de fes troupes , força ce pont , &
foumit les rebelles. Ce Grand-Maître eft in
humé dans l'Eglife des Carmes-Réformés , de
Lyon , qu'il avoit défignée pour le lieu de
fa fépulture. Il étoit le Fondateur de ce Mo-
naftere. Son portrait fe voit dans une des
falles de la maifon , au bas duquel on lit
cette infcription : Meffire Philbert de Néref-
lang, Chevalier de l'Ordre du Roi , Confeiller de
Sa Majesté en fes Confeils d'Etat & Privé ,
H3
174 Effai critique fur l'Hiftoire
Grand-Maître des Ordres Militaires de Notre-
PHILBERT Dame du Mont-Carmel & de St. Lazare de Jetu-
de
TAN G falem deçà & delà la mer, Maréchal de Camp dans
NERES
ge. G.M. les armées du Roi , Meftre-de- Camp d'un Régi-
ment de gens de pied François entretenu , Seigneur
& Baron de St. Didier , Auret , Oriol , St. Fé-
réol , la Chapelle St. Victor , Antremont , &c.
L'ancienne devife de la maifon de Néref-
tang étoit nec nimis nec minus . Henri-le-Grand
permit à Philbert d'ajouter à fes armes , qui
étoient à trois bandes d'azur , trois étoiles
fixes d'argent fur la feconde bande , en té-
moignage de la fidélité conſtante qu'il garda
pour le Roi , & de changer fon ancienne de-
vife en celle-ci : Stellæ manentes in Ordine. La
famille de Néreftang étoit connue dans l'Au-
vergne dès le treizieme fiecle , on affure
qu'elle y poffédoit la charge de Grand-Bailli ,
qui a long-temps refté dans la famille.
Malgré le vif intérêt que prit ce Grand-
Maître au rétabliffement de la bonne admi-
niftration des affaires de l'Ordre , il ne put ap-
porter de remedes à fes maux invéterés , c'eft-
à dire ,à l'ancienne ufurpation de ſes biens , &
au mauvais emploi de ceux qui lui reſtoient.
Plufieurs malheureux imaginerent de fe faire
paffer pour Lépreux , au moyen de certains
cauftiques qu'ils s'appliquoient fur la peau ,
ce qui les rendoit affez femblables aux per-
fonnes attaquées de la lepre. Ces fourbes men-
dioient , & obtenoient des penfions fur les
anciennes Léproferies. Leur ftratagême ayant
été découvert , Louis XIII ordonna, par une
Déclaration de 1612 , qu'il feroit pourvu aux
des Ordres Royaux , &c. 175
befoins des véritables Lépreux , mais que
pour s'affurer de leur état , ils feroient vifi- PHILBERT
de NERES-
tés par des Médecins , enforte que ceux qui TANG
fe trouveroient attaqués de cette maladie fe- 19e.G.M.
roient féparés du refte des peuples , avec les
cérémonies eccléfiaftiques accoutumées , &
enfuite reçus dans les Léproferies , fur les
bulletins que délivreroit le Grand - Aumô-
nier de France. Ces faits font connoître l'état
de difperfion & de dépériffement où l'Ordre
fe trouvoit alors , & dans lequel il reſta juf-
qu'à l'Edit du Roi Louis XIV , du mois d'A-
vril 1664 , dont nous parlerons ci-après.
Sous le prétexte de la Déclaration de Louis
XIII , le Grand- Aumônier prétendit en 1672 ,
être fondé à pourvoir à tous les Hôpitaux ,
Maladreries ou Léproferies du Royaume. Il
alléguoit de plus , en fa faveur , une concef
fion de François I , expédiée pendant les guer-
res & les defordres des temps ( 2). Mais cette
conceffion ne pouvoit préjudicier aux droits
des Chevaliers.

Jean-Claude de Néreſtang , déſigné fuccef- JEAN-


feur de fon pere le 26 Octobre 1612 , avoit CLA
UDE
été reçu Grand- Maitre en furvivance par de NÉRES-
Louis XIII , & lui avoit prêté ferment de TANG
20e. G.M,
. ( 1 ) La dignité des Archi-Chapelains ou Grands-
Aumôniers de France , a toujours été une dignité très-
confidérable. Baluze affure que celui qui en étoit re-
vêtu tenoit le premier rang parmi les Grands- Offi-
ciers du Palais. Tous les Hopitaux étoient ancienne-
ment fous fa dépendance , ce qui a été réduit dans
la fuite à ceux des Quinze-Vingts de Paris & des
Six-Vingts de Chartres.
H 4
176 Effai critique fur l'Hiftoire
fidélité dès le 16 Janvier 1613. Quelques Au-
JEAN- teurs rapportent que le Roi lui avoit fait ex-
CLAUDE
de NERES- pédier deux proviſions différentes , l'une pour
TANG, l'Ordre de Notre-Dame du Mont- Carmel , &
zoe. G.M. l'autre pour celui de St. Lazare ; ils ajoutent
que ces proviſions ſe trouvent dans les archi-
ves de l'Ordre. Cette formalité annonce l'in-
certitude où l'on étoit fur l'union des deux
Ordres. Si ces deux provifions différentes peu-
vent fervir à prouver que l'Ordre de St. La-
zare n'étoit pas fupprimé , elles pourroient
auffi fervir à perfuader que le même Ordre
n'avoit point été réuni à celui de Notre-Dame
du Mont-Carmel. Claude de Néreſtang fut
premiérement Abbé-Commendataire de Bénif-
fon-Dieu , enfuite de Megemont (2). On lui
donne ce dernier titre dans les Lettres de
Louis XIII , du 22 Mai 1624 , par leſquel-
les il ordonne à ce Grand-Maître de recevoir
Chevalier J. de Maron de Pifani. Il donna le
cordon de l'Ordre à cet Italien le 13 Juin ,
dans l'Eglife des Carmes-Réformés de Lyon.
Voici les noms de quelques autres Chevaliers
auxquels il l'accorda : Gabriël d'Aligier , reçu
dans la même Ville , le 11 Juillet fuivant ;

( 1) L'Abbaye de Béniffon-Dieu , fituée fur la pe-


tite riviere de Teffone , à trois lieues de Roane , Dio-
cefe de Lyon , étoit autrefois une Abbaye d'hommes
de l'Ordre de Clairveaux ; & celle de Mégemont
Dioceſe de Clermont , étoit une Abbaye de femmes.
Par une échange faite en 1612 , les Religieux de Bé-
niffon-Dieu pafferent à Mégemont, & ceux de Mégẹ-
ment vinrent à Béniffon- Dieu ; c'eft pourquoi Claude
de Néreftang eft fucceffivement appellé Abbé de Bé-
niffon-Dieu , & de Mégemont.
des Ordres Royaux , &c. 177
Guillaume Séguier de la Verriere , Enſeigne
de la premiere Compagnie du Régiment de JEAN-
CLAUDE
Néreſtang , dont Claude étoit devenu Colo- de NÉRES-
nel , après la mort de Philbert , fon pere , TANG,
reçu en 1637 à Caffał , où commandoit le 20.G. M.
Grand-Maître ; fon fils Charles de Néreftang ,
reçu le premier Février 1639 , dans l'Eglife
de l'Abbaye de Béniffon-Dieu ; & Jacques
de Caftelan , reçu à Paris au mois de Mars
de la même année par le Commandeur de
Courville , Doyen des Chevaliers , à qui le
Grand-Maître en avoit donné la commiffion.
Il fit exécuter le papier terrier de la Pierre-
au-Lait , Fief appartenant à l'Ordre , fitué à
Paris , près l'Eglife de St. Jacques de la Bou-
cherie ; il avoit obtenu à cet effet des Lettres
du grand fceau , dès 1629.
Enfin Claude de Néreftang , Maréchal-de-
Camp , défendant Turin , dont il étoit Gou-
verneur , contre l'armée du Cardinal , &
du Prince Thomas de Savoye , qui l'affié-
geoient , fut tué le 2 Août 1639 , âgé de
quarante-huit ans. Son corps fut tranfporté
à Lyon , & inhumé dans l'Egliſe des Carmes-
Réformés , & fon cœur dans celle de Bénif-
fon-Dieu. On trouve dans les Mémoires du
temps l'éloge du bon naturel de ce Grand-
Maître, de fes vertus , de fa bravoure , & de
fon expérience dans l'art militaire.

Charlesde Néreftang , fils aîné du précédent ,


CHARLE
fut nommé Grand-Maître le 12 Août 1639 , de NÉRES-S
n'ayant que quatorze ans. Le Roi lui accorda TANG,
cette place en faveur des fervices importans 219, G. M.
HS
178 Effai critique fur l'Hiftoire
de fon pere , & de ceux de fon aïeul. Il re-
CHARLES quelques Chevaliers , & conféra plufieurs
de NERES- çut
TANG , Commanderies. Ce jeune guerrier , ſe trou-
21e.G. M. vant à la tête du même Régiment qu'avoit
! commandé fon pere , eut à peine le temps
d'effayer fa valeur. Il venoit de rejoindre
l'armée de Catalogne , & marchoit à l'enne-
mi , lorsqu'il reçut une bleffure , qui l'obligea
de fe retirer. Les progrès du mal le forcerent
de quitter l'Espagne , où étoit le théatre de la
guerre. Arrivé à Lyon , il y mourur , le 30
Décembre 1644 , âgé de dix-huit ans.

Charles- Achille de Néreftang , frere du


CHARLES feu Grand-Maître , fut nommé en fa place le 8
A CHILLE
de NERES- Novembre 1645. Le Pape Innocent X con-
TANG firma fa nomination au mois de Décembre de
22e. G. M. la même année. Charles - Emmanuel II , Duc
de Savoye , fe difant Grand-Maître au delà
des Monts , prétendit que la Commanderie de
Pignerol lui appartenoit , quoique Pignerol
& fes dépendances euffent été cédées à la
France en toute propriété & fouveraineté en
1631 , par Victor Amédée , fon pere. Il avoit
les mêmes prétentions fur la Commanderie
d'Aigrefeuille en Breffe. Deux Arrêts du
Grand-Confeil des 29 Mars , & 22 Septem-
bre 1646, jugerent que cette Commanderie,
dont le précédent Grand-Maître avoit pourvu
frere Balthafar de Lemps , lui appartenoit
& que celui qui avoit été nommé par le Duc
de Savoye en feroit expulfé. L'Ambaffadeur
de ce Prince à la Cour de France s'oppofa à
l'exécution de ces Arrêts , & s'en plaignit au
des Ordres Royaux , &c. 179
Roi. L'affaire de nouveau difcutée devant les
Commiffaires du Confeil nommés par Sa Ma- CH. ACH.
de NÉRES-
jesté , il intervint un Arrêt le 23 NovembreT TANG ,
1649 , qui confirma le premier jugement. 22e.C.M.
Ce Grand - Maître entreprit de faire plu-
fieurs fages réglemens pour la diſcipline de
l'Ordre , & pour tâcher de recouvrer les biens
qui lui avoient été enlevés , tant par la né-
gligence des Commandeurs , que par l'aví
dité de gens de divers états , & même du
Clergé. Nous n'entrerons point dans les dé-
tails , crainte d'ajouter par méprifes des im-
putations odieufes à quelques faits certains.
Nous remarquerons que Charles - Achille
de Néreftang n'avoit que dix ans lors de fa'
nomination à la Grande-Maîtriſe. Pour peu
que l'on fe rappelle d'ailleurs les revers fà-
cheux que les guerres de la Fronde firent
éprouver à la France pendant la minorité de
Louis XIV , on fera moins furpris de l'état
de léthargie où continua de refter l'Ordre de
St. Lazare pendant tout ce temps. Nous allons
le voir reparoître avec un nouvel éclat. Les
premieres marques de protection que lui ac-
corda Louis XIV, fut l'Edit du mois d'Avril
1664 , qui confirma cet Ordre , réuni à celui
de Notre-Dame du Mont-Carmel , dans tous
les privileges qui leur avoient été accor-
dés par les Papes , & par les Rois , fes prédé
ceffeurs.
Dans le même-temps , l'Ordre élut pour
Grand-Prieur fpirituel , Bonaventure Rouf
feau de Bazoches , Evêque de Céfarée , &
Le Roi approuva cette élection.
H 6
180 Effai critique fur l'Hiftoire
Le Grand - Confeil , auquel cet Edit de
CH. ACH. 1664 fut adreffé , trouva beaucoup de diffi-
de NÉRES- cultés en le vérifiant. Vu les reftrictions avec
-I TANG
226. G.M. lefquelles il propofa de l'enregiſtrer , il y
eut des Lettres de juffion le 21 Avril 1667 ,
pour l'enregiſtrement pur & fimple. Ce Tri-
bunal perſiſta à ne vouloir l'enregiſtrer qu'à
la charge , que les profeffions de foi des
Chevaliers fe feroient entre les mains du
Grand-Prieur Général de l'Ordre , auquel ap-
partiendroit l'adminiſtration de tout le fpiri-
tuel dudit Ordre , conformément à la Bulle
de Pie V , & que dans fix mois de délai
en préſence de deux Confeillers , & du Procu-
reur-Général du Grand-Confeil , il feroit tenu
un Chapitre , pour faire des ftatuts & régle-
mens , concernant la police & difcipline du
même Ordre , & auffi la qualité des pen-
fions , & le nombre de ceux qui pourroient
être admis dans l'Ordre.
Le Cardinal de Vendôme , Légat de Clé-
ment IX en France , approuva , par une
Bulle du 6 Juin 1668 , l'union des biens de
l'Ordre de St. Lazare , à l'Ordre de Notre
Dame du Mont-Carmel ; & confirma l'un &
l'autre dans tous leurs privileges , notam-
ment celui de St. Lazare. Cette Bulle levoit
bien des difficultés , qui s'oppofoient à l'en-
régiftrement de l'Edit. Cependant il y eut
encore de nouvelles Lettres de juffion du
14 Août de la même année 1668. Enfin l'E-
dit de 1664 fut enregistré le 18 Mai 1669 ;
avec la Bulle du Cardinal de Vendôme ; à
la charge cependant du confentement d'A-
des Ordres Royaux , &c. 181
chille de Néreftang , Grand-Maître , ( ce font
les termes de l'Arrêt ) que les perfonnes CH. ACH.
deNÉRES
defdits Ordres ne pourroient jouir d'aucunes TANG ,
penſions fur les Cures , s'ils n'avoient les qua- 22e . G.M.
lités requifes par les faints canons. Le Grand-
Confeil enregiſtra encore par ce même Ar-
rêt , la Bulle de Pie V , Sicuti bonus agrico-
la, qui fixe les privileges de l'Ordre de St.
Lazare.
Il eſt à remarquer qu'on rapporte dans la
Bulle d'union des deux Ordres , donnée par
le Cardinal de Vendôme , les motifs qui
avoient pu engager Henri IV à les réunir :
c'étoit peut-être , dit ce Cardinal , que fi l'on
eût laiffé fubfifter les deux Ordres féparé-
ment , l'un portant envie à l'autre , il ne
furvînt entre eux quelques difficultés : Hen-
ricus Rex ex certis rationalibus caufis , & nefor-
fan alter illorum Ordinum Militarium alteri in-
videns ex illorum pluralitate & diftinctione ulla
controverfia aut difficultas poffet intercedere. →
utrum que Ordinum... Perpetuo connexit , &
univit. Bull. Card. Vend. §. 1.
La longue minorité par où commença le
regne de Louis XIV , fut agitée , comme
on l'a déja remarqué , de guerres étrangeres,
& de divifions domeftiques ; elles ne permi-
rent pas à la Régence de s'occuper d'autres
objets , que de la pacification des troubles ,
du rétabliffement de l'ordre & de la tran-
quillité dans l'Etat. Le jeune Monarque étoit
fur le Trône depuis près de dix-huit ans ;
mais penfant que fon premier Miniftre en
ayoit été le défenfeur , il lui laiffa la con-
182 Effai critique fur l'Hiftoire
duite de fes affaires. Enfin ce Miniftre mou-
CH. ACH. rut , & l'on apperçut auffi-tôt que Louis XIV
de NÉRES- regnoit en France. Ayant jetté dès-lors les
TANG ,
22e. G.M. fondemens de fa grandeur future , il ne né-
gligea rien de tout ce qui pouvoit y con-
tribuer. I deftina l'Ordre de St. Lazare à
fervir à fes vues. On n'y admit plus d'autres
perfonnes que des Officiers , foit de terre ,
foit de mer.
L'ordre étoit devenu nombreux ; la mai-
fon qui lui appartenoit près St. Jacques de
la Boucherie , où il tenoit fes affemblées ,
fe trouvoit trop petite, pour les y continuer ,
& pour fervir aux autres projets que l'Or-
dre avoit formés. Il paroît que fon intention
étoit alors d'exercer Bhofpitalité envers les
pauvres Gentilshommes. eftropiés au fervice
de la Religion & de l'Etat , & de faire faire
les épreuves néceffaires aux Novices. Dans
ces vues , le Grand-Maître obtint du Roi la
permiffion d'acheter , ou de louer une mai-
fon plus propre à les remplir , que ne l'é-
toit l'ancienne maifon. L'Arrêt du Confeil
Privé du Roi , qui donna cette permiffion
au Grand-Maître , eft du 9 Juin 1665 : on
ne voit pas que cet établiſſement ait eu lieu.
Nos Chevaliers , tous de l'élite de la No-
bleffe , & la plupart riches , parurent defi-
rer de lever un Régiment à leurs frais , qui
porteroit le nom de l'Ordre , feroit comman-
dé par des Officiers de la Religion , & dans
lequel les Novices pourroient faire leurs pres
mieres armes. Mais la chofe mûrement exa-
minée, les Chevaliers donnerent la préfé
des Ordres Royaux , &c. 183
rence à des armemens fur mer , eſpérant ,
s'ils étoient affez heureux pour y réuffir , Сн. Асн
d'obtenir du Roi quelque port dans l'Océan , de NÉRES.
TANG ,
ou dans la Méditerrannée, pour y établir le 22e,G.M.
fiege de l'Ordre , & y continuer leurs ar-
memens.
Les circonftances étoient favorables , la
France étoit en guerre avec l'Angleterre ;
le Grand-Maître demanda au Roi , au nom
de l'Ordre , la permiffion d'armer deux vaif-
feaux ; il l'obtint. Les Chevaliers , afin de
fe procurer plus abondamment les fonds né-
ceffaires aux frais de l'entrepriſe , firent entre
eux un traité de contribution , où ils ad-
mirent quelques externes. Par cet arrange-
ment l'Ordre fe trouva en état d'armer deux
frégates dans le Port de St. Malo. Le Com-.
mandeur de la Barre de Groflieu , & le Che-
valier de la Riviere , dont la naiffance , le
mérite , & la vertu , étoient connus , furent
nommés pour commander ces deux frégates.
Plufieurs Chevaliers , les uns Officiers , les.
autres fimples Volontaires , s'embarquerent
fur ces vaiffeaux de la Religion , dont l'un
avoit été nommé la Notre- Dame* du Mont-
Carmel , & l'autre le St. Lazare. Ils mirent
à la voile le 1er. Août 1666 , pour aller
croifer fur les côtes de Bretagne , & y don-
ner la chaffe aux ennemis , qu'ils pourfui-.
virent fouvent jufques fur celles d'Angle-
terre. Ayant rencontré vers le Cap Lézar
Te cinq Août , fix vaiffeaux Anglois , armés
en guerre & marchandifes , le Commandeur
de Großlieu fit auffi-tôr donner le fignal du
184 Effai critique fur l'Hiftoire
combat ; il fut vigoureux & opiniâtre de
CH. ACH. part & d'autre. Mais enfin les deux frégates
de NÉRES- de la Religion prirent quatre des vaiffeaux
TANG ,
a2e. G.M. ennemis , & forcerent les deux autres de
faire côte , & de fe brifer contre les ro-
chers , préférant le naufrage à la honte d'être
pris , comme leurs compagnons l'avoient été.
La petite eſcadre victorieuſe ne penfoit plus
qu'à conduire fes prifes en France , lorf
qu'elle fut attaquée par deux autres frégates
Angloifes ; elle fit face à l'ennemi , pour
donner le temps à fes prifes de gagner le
large , & d'arriver dans quelque Port. La
nuit qui furvint fit ceffer le combat. Quel-
ques jours après les deux fregates de l'Ordre
furent encore attaquées par trois frégates
ennemies , qui leur étoient fort fupérieures ,
tant en hommes , qu'en artillerie. Le Com-
mandeur de Groflieu fe défendit tout un
jour , & une nuit , & il alloit fortir vain-
queur de ce combat fi inégal ? lorfque
deux nouvelles frégates Angloiſes vinrent au
fecours des trois autres. Accablé par le nom-
bre , il ne ceffa d'encourager les fiens , &
de combatre , jufqu'à ce qu'il fut tué. Après
fa mort les frégates fe débarrafferent du com-
bat , & fe retirerent dans le Port de St.
Malo , où le Grand-Maître ordonna de faire
des obfeques au Commandeur de Groflieu
aux dépens de l'Ordre ( 1 ) . Des quatre fré-

(1 ) Mérault, Chancelier de l'Ordre , lui fit cette


épithaphe : Ad perpetuam rei memoriam , viri que no-
biliſſimi Domini D. Ludovici de la Barre de Gros
des Ordres Royaux , &c. 185
gates prifes fur les Anglois par celles de la
Religion , deux feulement arriverent au Port CH. ACH.
de St. Malo , l'une des deux autres avoit de NERES-
TANG ,
été repriſe par les ennemis , & la quatrieme 22e. G.M.
étoit en fi mauvais état , que l'on avoit été
obligé de l'abandonner.
L'année fuivante les Chevaliers augmen-
terent leur armement de deux frégates , en
forte qu'ils en mirent quatre en mer au mois
d'Avril 1667 , commandées par le Chevalier
René Champion de Cicé , Gentilhomme de
Bretagne ; il tint la mer pendant tout le
Printemps , & une partie de l'Eté fur les
côtes de la Manche. Ayant été détaché avec
la frégate qu'il montoit , pour eſcorter des
vivres que l'on conduifoit de Calais aux
vaiffeaux de France , qui étoient à Fleffin-
gues , il fut attaqué à fon retour par deux
vaiffeaux Anglois ; quelques fupérieurs en
force qu'ils lui paruffent , il ne chercha point
à éviter le combat , mais il lâcha fi à propos
fes bordées fur le premier de ces vaiffeaux ,

lieu , Regii Ordinis B. D. G. V. Maria de Monte-


Carmelo , & Sandi Lazari Hierofolymitani Militis , qui
cum adverfus Anglos , Romana Ecclefiæ infenfos , claffis
ejufdem Ordinis fumptibus armata fuiffet , dux propofi
tus, naves hoftiles , quatuor , praliis totidem victor ca-
piffet , & duas infcopulos impuliffet fequenti die , ingenti
hoftium numero oppreffus , longe viribus impar , necta
men periculi magnitudine ut falutem deprecaretur ad
ductus , poftquam propriâ manu cladem fuorum præ-
liando per diem noctem que ultus effet , ipfe mortem intre-
pidè adiit XIX kalendas Septemb . ann . repar. falut.
M. D. L. XVI , monumentum hoc Carolus Achilles
de Nereftang ejufdem Ordinis humilis magnus Magif-
ser, cateri que Milites mærentes pofuére.
186 Effai critique fur l'Hiftoire
qu'il en rafa toutes les manoeuvres , & le
CH.
de ACH. Contraignit de fe rendre. Il préfentoit l'a-
NERES-
TANG , bordage au fecond , lorfqu'un coup de gre-
226. G.M. nade lui enleva la main gauche : Ce n'est
rien , s'écria-t-il ! courage , Meffieurs ! la victoire
eft à nous ! Dans l'inftant un coup de mouf-
quet le renverfa mort fur le tillac de fon
vaiffeau. L'abattement que caufa la perte
de ce brave Capitaine parmi tout l'équipa-
ge , ralentit l'ardeur du combat. Le vaiffeau
ennemi en profita pour gagner le large. La
frégate de l'Ordre qui avoit beaucoup fouf-
fert , rentra avec fa prife dans le Port de
Dieppe , & y débarqua le corps du géné-
reux Commandant enveloppé de fon pavil-
lon ; les Chevaliers , fes Compagnons , le
firent inhumer dans l'Eglife des PP. de l'O-
ratoire. Le Chevalier du Coudrai- Condée fut
nommé pour commander l'efcadre en fa place.
La Province de Bretagne obtint , que les
vaiffeaux de la Religion feroient deſtinés la
campagne fuivante à garder fes côtes. Les
Etats affemblés à Vannes au mois d'Octobre
de cette année 1667 , délibérerent de lui
faire préfent d'une fomme de cinquante mille
écus , pour contribuer aux frais de fon pro-
chain armement , & que le Roi approuva.
Il fit expédier au mois de Décembre fui-
vant , les Lettres-Patentes , & les Commif-
fions néceffaires pour équiper dix frégates.
Cet armement fe fit à St. Malo , au com-
mencement de 1668.
Le Grand- Maître commanda cette efca-
dre ; il avoit fous lui pour Capitaines &
des Ordres Royaux , &c. 187
Officiers , les Chevaliers du Coudrai-Con-
dée , d'Olonville , de Caftelneau , de Méré , CH. ACH.
de NÉRES.
de Bifay, Borel , Villemotte , & de la Bor- TANG ,
de. Elle fe mit en mer au mois d'Avril ; 22e. G.M.
auffi-tôt les Corſaires qui infeftoient les cô-
tes de Bretagne , & en troubloient le com-
merce , prirent la fuite & n'y reparurent plus.
Cet armement devint prefqu'inutile , par le
traité de paix d'Aix - la - Chapelle , qui fut
figné le 2 Mai de la même année. L'Ordre
ne continua plus de fervir en corps dans les
guerres qui fuivirent celle-ci.
Monfieur , Frere unique du Roi , voulur
contribuer à ſon élévation , en lui faifant
expédier des Lettres-Patentés , par lesquelles
fon Alteffe Royale lui céda la jouiffance &
adminiſtration de toutes les Maladreries qui
fe trouvoient dans fes Duchés , & fous le
reffort des Préfidiaux d'Orléans , Chartres ,
Crépi en Valois , & autres lieux de fon appa-
nage. Ces Lettres font du 15 Septemb. 1668.
En reconnoiffance de ce bienfait , l'Ordre
fit le choix de douze jeunes Chevaliers , de
la naiffance la plus diftinguée , & les pré-
fenta à Son Alteffe Royale , pour être tou-
jours auprès de fa perfonne. Ils devoient
être entretenus aux frais de l'Ordre , & re-
levés tous les trois ans par douze autre Che
valiers. Les actións de valeur de cette pe-
tite troupe , & celles des Chevaliers , ré-
pandus dans les armées du Roi , l'engagea
de plus en plus à exécuter le deffein qu'il
avoit formé d'élever cet Ordre , d'en aug-
menter les revenus , fur lefquels il affigne-
188 Effai critique fur l'Hiftoire
roit des récompenfes militaires pour les Of
CH. ACH. ficiers de fes troupes , comme on le verra
de NERES-
TANG dans la fuite.
aze.G. M. Avant l'Edit de confirmation des privile-
ges de l'Ordre , donné en 1664 , dont nous
avons parlé , Achille de Néreftang n'avoit
point reçu de Bulle de confirmation du Pape
pour la Grande - Maîtrife. Il paroît même
qu'excepté Philbert de Néreftang , auquel
Paul V en accorda pour confirmer fa no-
mination à la Grande-Maîtriſe de l'Ordre de
Notre-Dame du Mont-Carmel , alors nouvel-
lement inftitué , fes fucceffeurs , Jean-Clau-
des , & Charles- Achille de Néreftang , ne re-
çurent point de Bulles de Rome , confirma-
tives de leurs nominations. Le Cardinal de
Vendôme en accorda le 4 Juin 1668 , à
Charles-Achille , veille du jour qu'il donna
la Bulle d'union des deux Ordres.
Ce Grand-Maître avoit diftribué ces mê-
mes Ordres , dès le 4 Juin 1666 , en cinq
Grands-Prieurés ou Bailliages , & il avoit
donné aux Prieurs des marques extérieures ,
honorables & diftinctives , de leur dignité ,
dont nous ne trouvons pas la deſcription. Il
eft probable qu'elles durerent peu , ou mê-
me qu'elles n'eurent pas lieu. Voici les noms
des Grands-Prieurés, & ceux des Comman-
deurs qui en furent pourvus. 1 °. Le Grand-
Prieuré d'Aquitaine, Frere Céfar Broffin , Mar-
quis de Méré. 2 °. Le Grand-Prieuré du Dau
phiné & du Lyonnois , F. Loras de Chama-
nieu , Commandeur de Roffon. 3 °. Le Grand-
Prieuré de la Langue-des-Belges , F. Picard ,
des Ordres Royaux , &c. 189
Marquis de Sévigny. 4° . Le Grand-Prieuré
de la Langue-de-France , F. François de Ber- CH. ACH.
de NÉRES-
nieres. 5. Le Grand-Prieuré de Languedoc , TANG ,
F. de Loras , Préſident de la Cour- des- Aides 22e. G.M.
de Montpellier. Les titres de ces Grands-Prieu-
rés furent changés en 1680 , ſous le Marquis
de Louvois , Vicaire-Général de l'Ordre , en
ceux de Grands-Prieurés de Normandie , de
Bretagne , de Bourgogne , de Flandre , &
de Languedoc. རྩྭ ་ ་ ་
Louis XIV , avant de penſer aux récom-
penfes des Officiers de diſtinction , & de
rendre l'Ordre de St. Lazare capable de lui
en fournir les moyens , commença par pour-
voir aux befoins preffans des fimples Sol-
dats , & des pauvres Officiers. On fait qu'an.
ciennement la retraite des Officiers & Sol-
dats , qui ne pouvoient plus continuer leurs
fervices , étoient les Abbayes & les Prieurés
de nomination Royale , où ils devoient être
nourris & entretenus pendant le reste de
leur vie. Nos Rois avoient le droit de les y
préfenter fous le titre d'oblats ; c'eſt ainfi
qu'on appelloit ces Officiers & Soldats in-
valides (1). On avoit penfé qu'ils trouve-
roient dans ces afyles , plus aifément qu'ail-
leurs , les fecours fpirituels & temporels ,
qui leur étoient néceffaires. Mais les Moi-
nes s'accommoderent difficilement de tels
hôtes ; & ceux- ci , accoutumés à une vie

(1) On a remarqué que les Ordonnances de nos


Rois, au fujer des oblats, ne remontent pas plus haut
que celle de Charles IX , du 28 Octobre 1568.
190 Effai critique fur l'Hiftoire
plus libre & plus agitée , trouverent la
CH. ACH. gêne & la tranquillité des Cloîtres infup-
de NÉRES-
TANG portables. C'eft ce qui engagea Henri IV ,
22e. G.M. à les en retirer , pour les raffembler , &
les faire vivre en commun. Ce Roi , par
un Edit de 1600 , leur affigna pour les
loger (1 ) , la Maifon Royale de la Charité
chrétienne , rue de l'Arbalêtre , Fauxbourg St.
Marceau , où eft aujourd'hui le jardin des
Apothicaires , & pour doter cette maifon
il y affecta les fonds qui proviendroient de
la recherche des comptes des Léproferies &
autres Hôpitaux. Cette recherche produifit
peu de chofes. On y ajouta , par un autre
Edit de 1604 , les revenus des places des
oblats , convertis en penfions , ce qui ne
put fuffire pour l'entretien de ces invali-
des réunis. On voulut encore , par des Let-
tres-Patentes de 1605 , augmenter ce nou-
veau fonds du tiers des revenus des Hôpi-
taux & des Maladreries. Ces Lettres n'eu-
rent point d'exécution. Cet établiſſement
ne put donc fe foutenir. Ii étoit digne de
Henri IV ; mais par le malheur des temps ,
qui ne permit pas apparamment à ce grand
Roi de prendre d'affez juftes meſures › il
n'eut que de foibles commencemens , & ne
dura qu'autant que fon regne.
Un Arrêt du Confeil enjoignit aux oblats

( 2 ) Ces Soldats invalides devoient porter fur leur


manteau une croix de fatin blanc , bordée de bleu ,
avec un écuffon rond de velours bleu , bordé de blanc ,
au milieu duquel il y auroit une fleur de lis de fa
tin orangé, fuivant un Brevet du 31 Mai -1603.
des Ordres Royaux , &c. 191
d'aller reprendre , comme auparavant , leur
place dans les Monafteres. Ce réglement fub- deCH. ACH
NÉRES
fifta jufqu'en 1629 ; alors Louis XIII , VOU- TANG
lut bien convertir en une penfion de cent 22e. G.M.
livres l'entretien des oblats , " qui dégoûtés
de la vie des Cloîtres , demanderoient la li-
berté. Il arriva que la plupart traiterent
de leur penfion , diffiperent promptement ce
qu'ils en recurent , & retomberent dans la
mifere dont on les avoit voulu tirer.
Louis XIII en revint à l'ancien projet
de faire vivre les Soldats invalides en com-
mun. Il érigea , par Edit du mois de No-
vembre 1633 , une Communauté en Ordre
de Chevalerie , fous le titre de Comman-
derie de St. Louis , où tous ceux qui
avoient été eftropiés à la guerre , feroient
fubftentés & entretenus. Pour fonder cette
maifon il fut ordonné que les Abbayes &
les Prieurés , dont les revenus excéderoient
deux mille livres , paieroient une penfion
annuelle de cent livres. Le fonds n'étoit pas
fuffifant , & ce fecond projet s'évanouit ,
comme celui de Henri IV. nip
Enfin Louis XIV , après la paix des Pire-
nées prit des mefures certaines en 1659 ,
pour l'exécution de ce même projet. Ce Roi
voulant donc foulager les principaux inftru-
mens de fes victoires , Officiers & Soldats
qui fe trouvoient accablés de miſere , après
avoir confumé leurs biens & leur âge à le
fervir dans fes armées , fit élever un Hôtel
magnifique , pour loger ces guerriers mal-
heureux. Il fit jetter en l'année 1670 , les
192 Effai critique fur l'Hiftoire
fondements de ce vafte édifice , fi capable
CH. ACH. de contribuer à ſon immortalité. Il le fonda
de NÉRES.
TANG à perpétuité , par un Edit du mois d'A-
22e.G.M. vril 1674 , fous le nom d'Hôtel-Royal des
Invalides , & prit tous les arrangemens , que
la plus haute fageffe pouvoit fuggérer , pour
affigner les fonds néceffaires à la fubfiftance
de trois ou quatre mille hommes ( 1 ).
Cet établiffement n'étoit point encore ache-
vé , lorſque le Monarque chercha les moyens
de récompenfer les Officiers de fes troupes ,
recommandables par leur naiffance , & les fer-
vices qu'ils avoient rendus à l'Etat. L'Ordre ,
comme on l'a vu , avoit repris une nouvelle
fplendeur ; on s'empreffa d'y être admis au
point , que pendant l'efpace d'environ huit
années , on trouve les noms de cent quarante
Chevaliers qui avoient été reçus. Louis XIV
penfa que c'étoit le moment de le faire fervir
à fes vues de bienfaiſance , en y réuniffant les
biens de divers autres Ordres , dont on for-
meroir des Commanderies , qui feroient con-
férées aux Officiers qu'il defiroit de récom-
penfer , & qu'on admettroit dans l'Ordre.
Pour parvenir à ces fins , le Roi , par un

(1 ) Ces revenus confiftent dans les penfions des


places d'oblats , fixés par l'Edit de 1673 , à cent cin-
quante livres par an , pour les bénéfices au deffus de
mille livres ; & à celle de 75 liv. pour ceux dont le
revepu eft au deffous de mille livres. Un autre fonds
plus important eft celui qui provient des trois deniers
pour livre de tous les paiemens qui font faits par les
Tréforiers -généraux de l'ordinaire & extraordinaire
des guerres. Il y a eu des années où cette impofition
a produit douze cens cinquante mille livres.
Edit
des Ordres Royaux , &c. 193
Edit du 20 Février 1672 , réunit aux Or-
dres de St. Lazare & de Notre-Dame du Mont- CH.ACH.
de NERES-
Carmel les biens de tous les autres Ordres TANG ,
Hofpitaliers , Militaires , Réguliers & Sécu- 22e, G.M.
liers , fpécialement les Ordres du St. Eſprit
de Montpellier , de St. Jacques de l'Epée , du
St. Sépulchre , de Ste Chriftine de Somport ,
de Notre-Dame , dite Teutonique , de St. Louis
de Boucheraumont & autres. On y réuniffoit
encore l'adminiſtration & jouiffance de tou
tes les Maladreries , & de tous les Hôpitaux
du Royaume. L'on devoit lever , par forme
de refponfion, fur les Commanderies , les fom-
mes néceffaires pour l'entretien des Hôpitaux
des armées. Cet Edit fut vérifié & enrégiftré
au Grand-Confeil , le 20 Février 1673 , mal-
gré les oppofitions du Général des Hoſpita-
liers du St. Efprit , & de celles des préten-
dus Chevaliers du même Ordre, Pour fon exé
cution , & pour connoître de toutes les con-
teſtations qui en naîtroient , il fut établi une
Chambre à l'Arfenal , compofée de Confeil-
lers d'Etat , de Maîtres des Requêtes , & de
Confeillers au Grand-Conſeil , au nombre de
quinze.

Les procès , les chicanes immenfes , qui


alloient s'élever au fujet de cet Edit , paru- FRANÇOIS
rent un fardeau trop pefant au Grand-Mattre LIER
LE TELde
de Néreftang , qui d'ailleurs étoit devenu LouvOIS,
infirme. Il fe démit de fa charge entre les Vic. Gén.
mains du Roi , le 26 Février 1673. Les Che-
valiers le ſupplierent de la réunir à la Cou-
ronne , & de daigner leur donner le Marquis
I
194 Effai critique fur l'Hiftoire
de Louvois , pour fon Vicaire - Général. Le
FRANÇOIS Roi ne répondit point à leur premiere deman-
LE TEL- de , mais il leur accorda la feconde. Il fit ex-
LIER de
Louvois, pédier des Lettres de Vicaire-Général le 4
Vic. Gén. Février de la même année 1673 , à Fran-
çois le Tellier , Marquis de Louvois , Secré
taire d'Etat de la guerre , & le 8 du même
mois il reçut. fon ferment de fidélité. Le Mar-
quis de Néreftang , avant fa démiffion , avoit
annoncé aux Chevaliers , qu'il tiendroit un
Chapitre à Boigny le 19 Février 1673 ; le
Marquis de Louvois approuva ce Chapitre ;
mais comme il ne put y affifter , il commit
le Chevalier Mérault , Chancelier de l'Or-
dre , pour y préfider en fon nom.
Le nouveau Vicaire-Général demanda inu.
tilement à Rome une Bulle de confirmation.
Le Pape Léon X refufa de l'accorder , quel-
ques preffantes que fuffent les follicitations
du Docteur de Sorbonne , Coquelin , qui avoit
été envoyé à Rome , chargé de cette com-
miffion. Nous n'entrerons point dans le détail
des petites intrigues de cette Cour , qui occa-
fionnerent ce refus. Le Marquis de Louvois
ayant été canoniquement élu par l'Ordre , on
regarda la Bulle confirmative de cette élec-
tion , comme fuperflue. Il continua donc de
faire les fonctions de fa charge , & de rece-
voir des Chevaliers. Par les foins de ce Mi→
niftre , un grand nombre de Maladreries &
d'Hôpitaux furent réunis à l'Ordre. Onenfor-
ma en 1680 , cent quarante Commanderies , -
divifées dans les cinq grands Prieurés , favoir
vingt- huit fous chaque Prieuré , dont le Roi
des Ordres Royaux , &c. 195
qualifia les Officiers de fes troupes. Le Titu-
laire d'une Commanderie étoit chargé d'une , FRANÇOIS
LE TEL
ou de plufieurs penfions. Il fut fait un régle- LIER de
ment fur la maniere de parvenir aux Com- LouVOIS
manderies , par des Lettres-Patentes du 28 Dé. Vic, Gén,
cembre 1680. On vit alors la Nobleffe quali-
fiée , comme les fimples Gentilshommes ,
s'empreffer d'entrer dans l'Ordre. On lit dans
les liftes du temps les noms des Pannelier ,
Chefd'Efcadre ; des Vauban , Chef du Génie
des Vintimille , Comte du Luc , Capitaine
des Galeres ; des Château-Renaud , Maréchal
de France , & de beaucoup d'autres. L'Ordre
commença plufieurs établiffemens utiles à la
Nobleffe , tels que des Ecoles pour former des
Gentilshommes aux exercices militaires , par-
ticuliérement à l'art de la Marine. Il y eut mê-
me des Lettres - Patentes données en 1669 ,
pour l'établiſſement d'une Académie Royale
de Marine à Paris. Nous entrerions inutile-
ment dans de plus grands détails des projets
i de l'Ordre , fondés fur la réunion qui lui
avoit été faite des revenus de divers autres
Ordres de Chevalerie , en exécution de l'Edit
de 1672. C'étoit l'ouvrage du Marquis de
Louvois ; le crédit de ce Miniftre avoit fur-
monté bien des obftacles ; mais la mort le
furprit le 16 Juillet 1691 , & l'on fut obligé
de détruire tout ce qu'il avoit fait , avec
beaucoup de peines , pour les avantages de
l'Ordre.
La multitude des plaintes & des procès,
que ces réunions avoient occafionnés , força
le Roi de nommer des Commiffaires pour
12
196 Effai critique fur l'Hiftoire
examiner les raifons des parties ; & fur leur
FRANÇOIS rapportprefque
LE TEL- toient , on reconnut
d'aucuneque cesaux
utilité unions n'é-,
Officiers
LIER de
Louvois, & les engageoient à des procès inévitables.
Vic. Gen. En effet , ces fortes de biens confiftoient
pour la plupart , en de petites pieces de terre
éparfes en divers endroits , fort éloignées les
unes des autres , & le plus fouvent enva-
hies par les propriétaires des terres voiſines.
D'un autre côté , il falloit faire des répara-
tions aux Commanderies , & foutenir les
droits ; chofes qui ne pouvoient s'exécuter
par des Officiers employés dans les ar-
mées. L'abandon de ces biens auroit caufé
dans la fuite leur ruine & leur entiere def-
truction. Enfin plufieurs de ces réunions pou-
voient être abufives & contraires aux ca-
nons des Conciles. Sur toutes ces confidé-
rations , le Roi annula l'Edit de 1672 , par
un autre Edit du mois de Mars 1693 , &
ordonna que les biens & revenus poffédés
avant cet Edit , tant par divers Ordres Mi-
litaires , que par des Hôpitaux , leur fuffent
reftitués , & maintint les Chevaliers de St.
Lazare dans la poffeffion de leurs anciens
biens , & de tous leurs privileges. Après l'E-
dit de défunion & plufieurs Déclarations du
Roi interprétatives de ce même Edit , qui
réunirent les Léproferies , Aumôneries , &
autres lieux pieux , aux Hôpitaux des pau-
vres malades , il fut rédigé un état général ,
Dioceſe par Dioceſe , de toutes ces réunions ,
1. & imprimé à Paris en 1705 , dont il réfulte ,
que les feules Maladreries , non compriſes
des Ordres Royaux , &c. 197
celles qui appartenoient à l'Ordre de St. La-
zare , montoient à plus de douze cens.

Philippe de Courfillon , fils de Louis , Mar- PHILIPPE


quis de Dangeau, Comte de Mêle & de Cir de COUR-
vray, Baron de St. Hermine & de Breffiure, SILLON de
Lieutenant-Colonel du Régiment du Roi en Dangeau ,
1665 ; Gouverneur de Tours en 1666 ; Am- 23e.G.M.
baffadeur de Suede en 1671 ; Envoyé vers
les Electeurs , du Palatin , de Mayence , &
de Treves, & à Modene , en 1673 , pour
le mariage du Roi d'Angleterre , Jacques fe-
cond, alors Duc d'Yorck , avec la Princeffe
Marie d'Eft , Soeur du Duc de Modene , qu'il
conduifit en Angleterre ; Aide-de - Camp du
Roi , depuis 1672 , jufqu'en 1684 ; l'un des
fix Gentilshommes de Compagnie de M. le
Dauphin en 1685 ; reçu Chevalier des Or-
dres du Roi en 1689 ; & enfin Ecuyer de la
Ducheffe de Bourgogne , fut nommé Grand-
Maître par le Roi , le 24 Décembre 1693 ;
deux ans après la mort du Marquis de Lou-
vois. Il fit fa profeffion de foi devant N.
Cavallerini , Nonce du Pape Innocent XII ;
il reçut la Bulle de confirmation le 29 Avril
1695 ; il prêta ferment le 22 Août fuivant ,
à Paul Godet des Maretz , Evêque de Char-
tres ; au Roi le 18 dans les appartemens de
Verfailles (1) ; & enfin à l'Ordre le 26 Jan-

( 1) Nous tranfcrirons ici ce ferment , tel qu'il eft


rapporté dans le Gallia Chriftiana. » Nous , Frere
Philippe de Courfillon , Marquis de Dangeau , par
grace de Dieu , du St. Siege Apoftolique , & de Votre
Majefté , Grand-Maître de l'Ordre Royal , Militaire
I13
198 Effai critique fur l'Hiftoire
vier 1696 , dans le Couvent des Carmes
PHILIPPE Billettes. Les Chevaliers lui rendirent l'obé-
de COUR- dience ; c'est-à-dire , fe mirent à genoux ,
SILLONde
Dangeau , & lui baiſerent la main en figne de reſpect
23c. G. M. & d'humilité. Ce Grand-Maître fit enfuite
Chevaliers, Charles , Comte de l'Hôpital ;
Charles de la Rochefoucault de Roye , Comte
de Blanzac ; Henri d'Apremont , Aide-de-
Camp de Monfieur , Frere unique du Roi ,
& plufieurs autres. Il nomma Secrétaire Gref-
fier , le Chevalier de Carcavi d'Uffi : cette
place fe trouvoit vacante par la démiffion du
Commandeur Séguier de Liancourt , Doyen
Gal. Chrif. des Chevaliers. La charge de Tréforier-Gé-
néral fut donnée à Jean-Baptifte Bréget.
Le 19 Février fuivant , le Marquis de Dan-
geau difpofa de fept Commanderies vacantes ,
en faveur de trois anciens Chevaliers , &
de quatre nouveaux. Il nomma le Cheva-

& Hofpitalier de Notre-Dame du Mont-Carmel , &


de St. Lazare de Jérufalem , Bethiéem & Nazareth
deçà & delà la mer , jurons & promettons à Dieu
tout · puiffant de garder & obferver toute notre
vie fes faints Commandemens , & ceux de la fainte
Eglife Catholique , Apoftolique & Romaine , de vivre
& de mourir dans la foi qu'elle nous enfeigne , de la dé-
fendre d'un grand zele , & de ne nous jamais départir,
Sire , de la défenſe de Votre Majefté , & de lui être
toute notre vie très-humble & très -fidele Sujet & Ser-
viteur ; d'obferver & de faire obferver exactement les
regles & les ftatuts dudit Ordre , d'adminiftrer & faire
adminiftrer tous les biens dont il jouit , pour la gloire
de Dieu & le foulagement des pauvres , & párticu-
liérement des Lépreux , & d'en procurer de tout no-
tre pouvoir la confervation & l'agrandiffement. Ainf
Dieu , très-bon & très-puiffant , nous foit en aide , &
les faints Evangiles par nous touchés. «
des Ordres Royaux , &c. 199
lier de Balaine à la Commanderie de Baro-!
che , Dioceſe de Soiffons , vacante par la de PHILIPPE
COUR-
mort de Frere Hins de Hautmenil; le Che- SILLON'de
valier de Guénégaud , à celle de Souville , Dangeau
près d'Yeures-le- Châtel , dans le Gâtinois , 230.C.M,
vacante par la mort d'Etienne de la Borde ,
Capitaine des Vaiffeaux du Roi , qui la pof-
fédoit depuis 1664 ; le Chevalier de Sau-
leux , à celle de St. Laurent de Pignerol ;
le Comte de Balzac , à celle de St. Thomas
de Fontenay-le-Comte en Poitou , vacante
par la mort du Commandeur de Bragelon-
gne ; Frere d'Arnault , à celle de Montliout ,
Diocèle de Séez ; le Chevalier Carcavi d'Uffi ,
à celle de St. Jean , hors les murs de Geneve ;
& enfin le Chevalier Maigret de Hauteville ,
à celle d'Aigrefeuille en Breffe , vacante par
la mort de Guillaume de Baumont de St.
Quentin. Le Chevalier de Grenouillac , Pro.
cureur-Général de l'Ordre , fut pourvu de la
Commanderie de Montrevault , Diocefe d'An-
gers , en 1697.
La charge de Chancelier étant vacante ,
le Marquis de Dangeau y préfenta le Che-
valier de Guénégaud , Maître des Requêtes ,
& le Roi lui en accorda l'agrément. Il prêta
ferment de fidélité à l'Ordre dans un Chapi-
tre tenu le 16 Décembre 1696.
Le Grand-Maître , dans les vues de tra-
vailler efficacement au bien de l'Ordre , pro-
pofa dans ce Chapitre de former un Confeil
de Direction , où feroient examinées toutes
fes affaires , & dont les membres veilleroient
à la recherche des titres , & à la bonne ad-
I 4
200 Effai critique fur l'Hiftoire
miniftration des revenus. Le Marquis de Dari-
PHILIPPE geau propofa plufieurs autres réglemens uti-
de COUR- les , qui furent acceptés & que nous paf-
SILLON de
Dangean , fons fous filence. On choifit pour membres
23e.G.M. du Confeil de l'Ordre les Commandeurs de
Sauleux , Maître des Cérémonies ; de Gre-
nouillac , Procureur-Général ; de la Barre ;
d'Uffi , Secrétaire ; Bréget , Tréforier ; de Co-
lins ; Pidou de St. Ollon ; & André Ri-
chaume de la Borde , Frere Servant. On y
ajouta le Chevalier de Pontmarin , Gouver-
neur de Douai , & l'Ordre leur expédia les
commiffions convenables.
Le lendemain d'un Chapitre général tenu
à St. Germain-des-Prés le 15 Juin 1698 ,
on célébra dans l'Eglife de cette Abbaye ,
la fête de Notre-Dame du Mont - Carmel ,
- Patrone de l'Ordre , où affifta Monfieur ,
Frere unique du Roi, Le Grand-Maître y
reçut Chevalier , N. Granoufcki , Noble Po-
lonois ; le Marquis de Caftelane ; le Mar-
quis de Panneville ; le Grand de Vittenval ,
& autres. Nous découvrons par un Arrêt
du Confeil du mois de Mars de cette même
année 1698 , qu'on voulut diſputer aux Che-
valiers mariés , le droit de poffèder des pen-
fions fur des bénéfices , droit de l'Ordre très-
ancien; droit légitime & canonique , confir-
mé par un grand nombre de conftitutions
des Papes , reçues en France , & vérifiées
par les Parlemens. Cependant Louis Alvarès
de Courfon, Prieur-Commendataire de Sainte
Onézine de Donchery , refuſa au Chevalier
Gilles-Michel de Marefcot , Lieutenant-Co-
des Ordres Royaux , &c. 201
lonel au Régiment Royal-Etranger , de lui
payer une penfion de fept cent livres , qui PHILIPPE
de COUR-
lui avoit été accordée fur ce Prieuré. Les SILION de
Agens du Clergé intervinrent dans la con- Dangeáu ,
teftation, & le Prieur de Donchery fut con- 23e. G.M.
damné par l'Arrêt contradictoire ci-deffus rap-
porté. On pourroit citer beaucoup d'autres
Arrêts pareils .
Les Ducheffes d'Orléans & de Lorraine
fe trouverent à la fête de St. Lazare , qui
fut célébrée l'année fuivante 1699 , dans l'E-
glife de St. Germain-des-Prés. François de
Polignac de Montbrifon , Louis de Marolles
de Rocheplatte , Vincent de la Lane , & Dro-
gon de Creppy , y recurent le Cordon de
'I'Ordre. Dans un autre Chapitre du 16 Juil-
let de la même année , on approuva la con-
vention que le Grand - Maître & le Confeil
de l'Ordre avoient faite le 30 Mars précè-
dent avec le Chevalier François Huguet de
Sémonville , pour réparer le Château de Boi-
gny. Le Grand-Maître Salviati l'avoit fait
réparer vers la fin du 16e. fiecle. Mais fes
fucceffeurs le négligerent au point qu'il étoit
tombé en ruine. Il fut donc arrêté qu'on bâ-
tiroit une autre Maiſon Magiftrale , que le Che-
valier de Sémonville fe chargea de faire conf-
truire à fes dépens. En confidération de cette
générofité , on lui accorda l'adminiſtration
de la Commanderie de Boigny , & pour en
perpétuer la mémoire , on a placé au deſſus
de la principale porte de cette maifon , l'inf
cription fuivante :

Is
202 Effai critique fur l'Hiftoire
Regiam hanc Domum
PHILIPPE Ludovici feptimi & Sandi Ludovici pietate
de COUR- Sacra divi Lazari Militia caput
SILLON de Vetuftate collapfam
Dangeau Ludovico magno regnante
23e. G.M. Phil.de Courfillon Marchione de Dangeau Smo. Magiftre
Promovente & juvante
Francifcus Huguet de Semonville Præceptor
Adminiftrator reftituit
Anno Domini M. D. CC.
La Commanderie de St. Antoine de Gra-
temont , & deux autres , dont s'étoit démis
le Chevalier Séguier de la Verriere , furent
données , le ro Janvier de l'année 1700 ,
au Chevalier de Guénégaud , Chancelier de
l'Ordre. Celui-ci ayant remis la Comman-
derie de Souville , dont il étoit Titulaire
le Chevalier de Collins en fut pourvu. Frere
Pidou de St. Ollon fut nommé à la place de
Secrétaire , vacante par le décès du Che-
valier Carcavi d'Urfi.
Nous omettons plufieurs Chevaliers créés
par ce Grand-Maître en 1704 , pour ne ci-
ter qu'un des plus diftingués ; Philippe Cyon ,
Marquis de Courfillon , fon fils. Il fut reçu
'le 8 Mars , jour de la Fête de St. Lazare
dans l'Eglife de St. Germain-des-Prés , jour
où on l'avoit transférée , au lieu de la célé-
brer le 17 Décembre de l'année précédente.
Le Duc d'Orléans , & le Duc d'Albe , Am-
baffadeur d'Eſpagne , honorerent de leur pré-
fence , la cérémonie de réception du nou-
veau Chevalier.
Le Marquis de Dangeau avoit fait faire
en cette même année un modele de collier
pour les Chevaliers de l'Ordre ; mais le Roi
des Ordres Royaux , &c. 203
fe l'étant fait repréſenter , ordonna que ce
projet n'auroit aucune exécution , parce qu'il PHILIPPE
de COUR-
trouva que ce collier étoit imité de celui du ་ SILLON de
St. Efprit , & que d'ailleurs ce nouvel or- Dangeau
23e. G.M.
nement n'étoit autorifé ni par les ftaturs ,
ni par l'ufage : les Chevaliers continuerent
de n'en porter d'autre que le ruban de cou-
leur amarante , où étoit fufpendue la croix
à huit raies ou pointes , cantonnée de qua-
tre fleurs de lis ; d'un côté émaillée d'ama-
rante avec l'image de la Sainte Vierge au
milieu , & de l'autre émaillée de finople avec
F'image de St. Lazare.
Les fentimens du Marquis de Dangeau
fuivoient fa naiffance ; ils étoient élevés. Mais
peu réfléchi dans fes idées , trop étendu dans
fes vues , il fit des fautes effentielles en dif
férens temps , & notamment dans le cours
de cette année 1700. Il crut procurer à
P'Ordre des richeffes réelles à la place des
biens imaginaires qu'il avoit perdus par l'E-
dit de 1693 , comme nous l'avons vu . l'Ordre
avoit heureuſement trop de fplendeur pour
être terni de la légere tache que nous ne
chercherons point à diffimuler. Le Marquis
de Dangeau avoit remarqué , que fous le
gouvernement du Grand-Maître Salviati ,
l'on avoit admis au rang des Chevaliers ceux
qui donnoient à l'Ordre des biens fuffifans "
pourfonder une Commanderie , quoiqu'ils ne
fuffent pas nobles. Il l'engagea , fuivant cet
exemple , à donner la même facilité à des
perfonnes fans naiſſance. On crut éloigner
celles de toutes eſpèces , qui oferent fe pré-
16
204 Effai critique fur l'Hiftoire
fenter , en mettant ces fondations à quarante
PHILIPPE mille livres , au lieu de vingt , prix trop
de COUR modique auquel elles avoient été portées
SILLONde
Dangeau , d'abord. Ceux qui donnoient des fonds de
23e. G.M. la valeur de ces fommes étoient reçus comme
Commandeurs Fondateurs , & avoient en-
core le droit de fe nommer des fucceffeurs
de leur famille juſqu'à l'extinction de la ligne
directe. On pouvoit même être Comman-
deur Fondateur à meilleur marché. Selon que
l'on defiroit faire la fondation , foit à vie ,
foit avec le droit de fe nommer un , ou deux
fucceffeurs , on payoit une moindre fomme,
Quoique l'on ait prefque toujours réuffi de
tirer avantage de la vanité des hommes ri-
ches d'un état abject , l'expédient du Mar-
quis de Dangeau ne produifit que de foibles.
reffources ; elles ne purent remplir les loua-
bles deffeins qu'il avoit , de fecourir la No-
bleffe indigente & de donner quelques ré-
compenfes à ceux des Chevaliers , qui pou-
voient les mériter. Finiffons fon Magifter.
Il annonca dans le Chapitre du 16 Dé-
cembre 1706 , qu'il avoit nommé les Che-
valiers Bréget à la Commanderie de Cour-
3:3 fon ; Pidou de
St. Ollon , à celle de Mont-
liout ; de la Barre , à celle de Bétiſi en Pi-
cardie ; & Padournay , à celle de St. Quen-
tin. Le jour fuivant 17 Décembre , la Fête
du Patron de l'Ordre fut célébrée dans l'E-
glife de St. Germain-des-Prés. Le Prince de
Bourbon , le Prince & la Princeffe de Conty ,
le Duc & la Ducheffe du Maine , y, affif-
terent. Sous ce Magifter , toutes ces fortes
des Ordres Royaux , &c. 205
de cérémonies , comme on a pu le remar
PHILIPPE
quer , fe firent avec beaucoup de pompe ; de COUR-
elles intérefferent , ou amuferent fouvent
les Princes , les Princeffes & les autres per- Dangeau
fonnes de la Cour. 23e. G.M.
La plupart des Chevaliers fe trouvant em→
ployés dans les guerres malheureufes de la fin
du regne de Louis XIV , le Marquis de Dan-
geau fut plufieurs années fans tenir de Cha-
pitre ; la diſcipline de l'Ordre s'en reffentit ;
elle étoit un peu atterrée à fa mort , qui
arriva le 9 de Septembre 1720. Ce Grand-
maître étoit âgé de 84 ans (1 ).

L'Ordre , qui jufqu'alors ne comptoit que LOUIS


des Gentilshommees au nombre de ſes Chefs , de BOUR-
eut l'honneur d'avoir pour Grand-Maître le BON , Duc
premier Prince du Sang. De l'avis de Mr. le de Char-
tres , 240.
Régent , Louis de Bourbon, Duc de Char- GM.
tres , & depuis Duc d'Orléans , fut nommé
par, Louis XV. le 12 Septembre 1720. Clé
ment XI confirma fa nomination par un Bref
du 17 Septembre fuivant. Le Prince fit fa $
profeffion de foi entre les mains du Cardi-
nal de Gêvres le 13 Février 1721. Il prêta
ferment au Roi le 23 du mois , & reçut ,
fuivant l'ufage , l'obédience des Chevaliers
dans l'Eglife des Carmes le 31 Mars. Le
Roi , par un Edit du 21 Avril 1722 , con-

1) Le Marquis de Dangeau étoit de l'Académie


Françoise & de celle des Sciences ; il a laiffé des Mé-
moires manufcrits fur les événemens de fon temps ,
que quelques critiques attribuent à fon Valet - de-
chambre.
206 Effai critique fur l'Hiftoire
firma non-feulement tous les privileges de
Le Duc l'Ordre , mais y réunit encore l'Hôpital &
D'ORLÉ- l'Eglife de St. Jacques , avec l'adminiſtration
ANS , 240,
G. M. & jouiffance de cet Hôpital. Cette faveur fut
un effet de la protection du Prince Grand-
Maître. 奥
L'Hôpital de St. Jacques eft un de ces
établiffemens qui doivent leur naiſſance à
la dévotion que l'on avoit toujours pour les
pélerinages vers la fin du treizieme fiecle.
Ceux qui le formerent avoient fondé une
Confrairie , dans laquelle on n'admettoit que
des perfonnes qui avoient fait le pélerinage de
St. Jacques en Galice. Les Grands du Royau-
me continuoient , comme le peuple , de don-
-1 ner dans cette forte de dévotion. Charles ,
*
Comte de Valois & d'Anjou , fils puîné de
Philippe-le-Hardi , voulut être infcrit au
nombre des nouveaux Confreres. Louis-le.
Jeune fit le pélerinage de St. Jacques en 1-155.
Il eft vrai que l'on a foupçonné que c'étoit
pour éclaircir les doutes qu'il avoit fur la lé.
gitimité de Conftance , fille d'Alphonfe VIII ,
Roi de Caftille , qu'il avoit toujours commen.
cé par époufer.
C'étoit des Pélerins choifis , qui devoient
adminiftrer l'Hôpital de St. Jacques , & nom-
mer aux Prébendes de l'Eglife. Peu à peu les
honnêtes gens fe dégoûterent des Pélerina
ges ; il ne fe trouva plus que des perfonnes
viles & déréglées dans leurs moeurs , à qui ces
courfes puffent convenir. On en reconnur
l'abus. Louis XIV , par un Edit du mois d'A-
vril 1671 , & par une Déclaration de 1686 ,
des Ordres Royaux , &c. 207
défendit de les entreprendre fans une per-
miffion expreffe , contrefignée de l'un de fes Le Duc
D'ORLE
Secrétaires d'Etat . Mais les permiffions que ANS , 24€.
prirent ou fuppoferent plufieurs particuliers , G. M.
ne firent que multiplier les défordres infé-
parables de ces dévotions. L'adminiſtration
de l'Hôpital fe trouva dans de mauvaiſes
mains , on en porta des plaintes. Le Parle-
ment y pourvut en ordonnant que les Con-
freres Pélerins repréfenteroient les pieces fur
lefquelles ils fondoient leur qualité de Péle-
rins , & juftifieroient qu'ils avoient fatisfait
aux déclarations concernant les Pèlerins. Ils
préſenterent des pieces fi défectueuses , que
le Procureur-Général requit , que défenſes
feroient faites à ces particuliers de prendre
la qualité de Pèlerins.
C'est dans ces circonftances que le Roi
donna l'Edit de réunion ci-deffus. L'Hôpital
de St. Jacques étoit compris dans la Décla-
ration de 1672 , & les Chevaliers de St. La-
zare en avoient pris poffeffion ; mais ils en
furent privés par l'Edit de 1693. On avoit
1 penfé que l'Hôpital de St. Jacques ne fe trou-
vant dans aucun des cas qui avoient été le
motif de cet Edit de 1693 , il pouvoit de
nouveau être réuni à l'Ordre de Notre-Da-
me du Mont-Carmel & de St. Lazare. Ce-
pendant l'Archevêque de Paris , & les Cha-
noines de St. Jacques s'oppoferent à l'exé-
cution du dernier Edit de 1722. L'Arche
vêque prétendoit devenir Patron au défaut
des Pelerins , Patrons Laïques expulfés ; les
Chanoines vouloient que les revenus de l'Hô
208 Effai critique fur l'Hiftoire
pital fuffent déclarés biens eccléfiaftiques , atta-
Le Duc chés à leurs Prébendes. Les prétentions des uns
D'ORLE & des autres , portées au Grand-Confeil , & dif
ANS , 24e.
G. M. cutées pendant plus de dix années , on nomma
des Commiffaires , & entre autres difpofitions
du réſultat , la premiere fut , que l'Edit d'u-
A nion de 1722 , feroit révoqué en tout ſon
entier. Les Arrêts rendus au Confeil les 26
Septembre 1733 , & 15 Mars 1744 , con-
tiennent ces difpofitions , & ont été confirmés
par des Lettres-Patentes du 15 Avril de la
même année.
Le long Magifter du Duc d'Orléans ne
nous préfente rien digne d'être remarqué.
Ce Prince pofféda des vertus qui fe ren-
contrent rarement dans les perſonnes de fon
rang. Après avoir mené une vie chrétienne
& retirée , il mourut au mois de Février
1752. (1)

L'Ordre de St. Lazare fi diftingué par fon


M. le Duc origine , par les graces qu'il a reçues du St.
de BERRI, Siege , par la protection dont nos Rois
préfente-
ment Mon- l'ont toujours honoré , réuni d'ailleurs à celui
feigneur le de Notre-Dame du Mont-Carmel , eft par-
DAUPHIN venu au plus haut degré de fplendeur par
25e. G.M.
le choix que le Roi a bien voulu faire de

(1 ) L'Ordre étoit très - nombreux dans les com-


mencemens du Magifter du Duc de Chartres : la lifte
imprimée de 1722 , contient les noms de 412 Cheva-
liers , de 19 Chapelains , & de 34 Freres Servans. On
trouve dans celle de 1725 , les noms de 585 Cheva-
liers , de 25 Chapelains , & de 72 Freres Servans.
Enfin , la lifte de 1729 fait mention de 658 Chevaliers,
dé 34 Chapelains & de 84 Freres Servans.
des Ordres Royaux , &c. 209
la perfonne de M. le Duc de Berri , devenu
depuis Dauphin de France , pour en être le M. le Duc
de BERRI ,
Grand-Maître. En même temps M. le Comte 25e.G.M.
de St. Florentin , aujourd'hui le Duc de la
Vrilliere , fut nommé par Sa Majeſté , Gérent
& Administrateur de l'Ordre pendant la mi-
norité de Monfeigneur le Dauphin. La no-
mination de ce Prince eft du 26 Février
1757. La place étoit restée vacante depuis
la mort du Duc d'Orléans.
Le Roi a daigné agréger à cet Ordre des
enfans , dont l'ignorance , fuite de la pau-
vreté , n'cbfcurcira plus l'éclat des fervices
de leurs peres. Près de cet Hôtel ſuperbe ,
où l'on a rien épargné pour faire diſparoî-
tre l'indigence , & où jouiffent d'un doux
repos les reftes , pour ainfi dire , des bra-
ves guerriers , tant la plupart font mutilés
& couverts de bleffures , fe conftruit par
les ordres du Roi , un Hôtel non moins
utile , dans lequel feront élevés cinq cens
Gentilshommes , nés fans biens. Le premier
de ces établiſſemens les empêchoit de mou-
rir dans l'indigence , le fecond les en retire
dès leur naiffance. Tous les deux affurent
à leurs Fondateurs la reconnoiffance pu-
blique de la poſtérité.
Ces Eleves Militaires font envoyés au
fervice dès que leur éducation eft affez for-
mée pour y être utilement employés. Le
Roi leur à permis de porter, pour ainfi dire ,
le fceau de la bravoure , & de l'humanité ,
les premieres livrées de l'Ordre de St. La-
1
zare. Ces marques honorables leur rappel-
210 Effai critique fur l'Hiftoire
leront fans ceffe , s'ils pouvoient l'oublier ,
M. le Duc & les bontés de leur Roi , dont ils font
de BERRI, comblés , & les vertus de leurs aïeux ,
25e.G.M.
qu'ils doivent imiter. La Nobleſſe du Royau-
me , n'a pu voir fans atendriffement , que
le meilleur des Maîtres foit devenu le pere
de ces infortunes enfans de guerriers , moif-
fonnés par le fer de l'ennemi ; & qu'il ait
trouvé dans fa générofité Royale des reffour-
ces publiques , pour les mettre en état de
paroître & de fe fignaler dans la carriere de
l'honneur. Ces jeunes Gentilshommes feront
adinis, en fortant de l'Ecole Militaire , dans
l'Ordre , en qualité de Chevaliers novices ,
dont ils porteront la croix ; mais ils ne
peuvent être reçus Chevaliers Commandeurs
qu'à l'âge de trente ans , comme on le verra
dans le Réglement ci après. On fait qu'on
n'eft admis dans l'Ecole Royale Militaire ,
qu'en faifant des preuves de Nobleffe. L'Edit
de création de cette Ecole eft du mois de
Janvier 1751 .
Rien n'étoit plus capable de foutenir le
nouvel éclat que donne à l'Ordre le Ma-
gifter de Monfeigneur le Dauphin , que le
Réglement donné par le Roi , en fa qualité
de Chef, Fondateur & Protecteur ; comme
ce Réglement a peu de publicité , & qu'il
eft d'ailleurs effentiel pour les perfonnes
qui defirent de connoitre l'état préfent de
l'Ordre , nous le tranfcrirons ici.

Réglement du 15 Juin 1757.


n Les marques d'honneur étant la plus no-
des Ordres Royaux , &c. 211
ble récompenſe que Sa Majefté puiffe ac-
corder à ceux de fes Sujets qui en font M. le Duc
fufceptibles par leur naiffance , & qui fe de BERRI,
25e.G.M.
rendent recommandables par les fervices qu'ils
lui rendent & à l'Etat , dans les différentes
places où elle juge à propos de les deſtiner ;
elle a cru devoir , à l'exemple des Rois fes
prédéceffeurs , foutenir les Ordres de Che-
valérie qu'ils ont établis , & dont ils fe font
déclarés fouverains .Chefs & Protecteurs , &
qu'ils ont toujours regardé comme un des
plus sûrs moyens d'exciter cette émulation fi
avantageuſe à l'Etat. C'eft dans cette vue que
Sa Majefté a voulu donner un nouveau luf-
tre aux Ordres de Notre - Dame du Mont-
Carmel & de St. Lazare de Jerufalem , en
nommant à l'état & dignité de Grand-Maî-
tre de ces Ordres , qui fe trouve vacant
par le décès de feu Monfieur le Duc d'Or
léans , Monfieur le Duc de Berri , Fils de
France : Sa Majefté ne pouvant donner une
plus haute idée de l'eftime & de l'affection
qu'elle porte auxdits Ordres 2 en qualité
de fouverain Chef, Fondateur & Protecteur
d'iceux , qu'en leur donnant un Chef auffi
augufte ; mais elle croit en même temps
devoir prendre les mefures néceffaires pour
que ces Ordres puiffent fe foutenir avec
fplendeur , & expliquer par un nouveau,
Réglement fes intentions fur le nombre des
Chevaliers , dont elle juge à propos qu'ils
foient à l'avenir compofés , & fur les qua-
lités des perfonnes , qui y feront admiſes ,
afin de rendre cette récompenfe encore plus
212 Effai critique fur l'Hiftoire
flatteufe à ceux qui en feront décorés ; com-
M. le Duc me auffi pourvoir à l'adminiſtration de tout
de BERRI , ce qui peut avoir rapport auxdits Ordres
25e. G.M.
jufqu'à ce que Monfieur le Duc de Berri
foit en âge d'y vaquer par lui - même. A
cet effet Sa Majesté a ordonné ce qui fuit.
ARTICLE PREMIER.

Nulle perfonnne ne pourra être reçue &


admife à l'avenir par le Grand-Maître des
Ordres de Notre-Dame du Mont-Carmel &
de St. Lazare de Jerufalem , qu'elle n'ait
fait les preuves de la Religion Catholique ,
Apoftolique & Romaine , dans la forme ufi-
tée dans lefdits Ordres , &. celle de quatre
degrés de Nobleffe paternelle feulement , le
Novice compris , fondée ſur un principe cer-
tain & inconteftable de Nobleffe , fans qu'il
puiffe, fous quelque titre & prétexte , ni pour
aucune caufe que ce foit , être accordé aucune
difpenfe des preuves fufdites , tant de Reli-
gion que de Nobleffe , ni que perfonne puiffe
être reçu dans lefdits Ordres avant d'avoir fa-
tisfait auxdites preuves.
I I.
Pour rendre lefdits Ordres d'autant plus
recommandables , Sa Majefté juge à propos
de fixer les Chevaliers qui y feront admis à
l'avenir au nombre de cent , conformément
à ce qui avoit été preſcrit par le Brevet du
Roi Henri IV , du 30 Novembre 1608 , y
compris les Eccléfiaftiques , qui ne pourront
y occuper plus de huit places , & qui feront
obligés aux mêmes preuves que les Cheva-
des Ordres Royaux , &c. 213
liers Laïcs ; l'intention de Sa Majeſté étant
que le nombre de cent Chevaliers ne puiffe M. le Duc
de BERRI,
être augmenté par le Grand-Maître , auquel 25e. G.M.
elle recommande très-expreffément d'y rece-
voir par préférence à toutes autres conſidéra-
tions , les perfonnes qui feront , ou qui au-
ront été employées utilement au ſervice de
Sa Majefté dans l'intérieur du Royaume , près
de fa perfonne , dans les Cours Etrangeres ,
ou dans les places & emplois de confiance ,
& qui auront les qualités requifes par l'arti-
cle premier du préſent Réglement ; dérogeant
pareillement à tous Edits , Statuts , Régle-
mens , ou autres Titres & ufages defdits Or-
dres , en ce qui fe trouveroit de contraire
au préfent article. Les familles des Chevaliers
qui viendront à décéder , feront obligées d'en-
voyer au Secrétaire defdits Ordres , des ex-
traits ou certificats de la mort du Chevalier
décédé , pour en être fait mention fur les re-
giftres defdits Ordres.
I I I.
Aucunes perfonnes ne pourront pareille-
ment être reçues dans lefdits Ordres , qu'à
l'âge de trente ans accomplis ; & fi par des
confidérations particulieres & relatives à l'a-
vantage de la Religion , & au bien du ſervice
de Sa Majefté , le Grand-Maître jugeoit à
propos de conférer plutôt ces Ordres à quel-
ques perfonnes , l'intention de Sa Majesté eft
qu'il ne le puiffe faire au deffous de l'âge de
vingt-cinq ans accomplis , fans qu'il puiffe
pareillement être accordé de difpenfe fur cet
article , à ce nonobftant tous Statuts , Régle
214 Effai critique fur l'Hiftoire
mens , & Ufages defdits Ordres à ce con
· M. le Duc traires.
de BERRI , I V.
25e. G.M.
Sa Majefté n'entend par l'article précédent
préjudicier à tous ceux qui jufqu'à ce jour
auroient été reçus dans lefdits Ordres , lef-
quels continueront leur vie durant de jouir
des honneurs & prérogatives qui y font atta-
chés , ainfi que des Commanderies , Penſions
& Bénéfices , dont ils font en poffeffion.
V.
Sa Majesté veut qu'à l'avenir il ne foit plus
reçu dans lefdits Ordres des Chevaliers de gra
ce , des Commandeurs-Fondateurs , ni Ser-
vans ; fon intention P étant que lesdits Ordres
ne foient compofès que des perfonnes en état
de fatisfaire à l'article premier de ces préfen-
tes , révoquant en outre toutes conceffions qui
peuvent avoir été ci-devant données, par les
Grands-Maîtres defdits Ordres , d'en porter la
croix , fi les perfonnes qui บ ont obtenu cette
permiffion n'ont pas été reçues Chevaliers , &
en conféquence leur fait défenfe de porter à
l'avenir la croix & le ruban defdits Ordres :
enjoignons aux Grands- Officiers d'iceux d'y
tenir exactement la main.
V I.
Veut & ordonne Sa Majesté que les fon-
dations faites par quelques perfonnes , afin
d'être reçues Chevaliers dans lefdits Or-
dres , pour lefdites fondations appartenir
auxdits Ordres après le décès du Fonda-
teur , aient leur ancienne exécution ; à l'é
gard des fondations faites pareillement à l'ef-
des Ordres Royaux , &c. 215
fet de pouvoir être admis & reçus Cheva-
liers dans lefdits Ordres , lefquelles doi- M. le Duc
vent paffer aux fils aînés , & au défaut de 25e. de BERRI,
G.M.
l'ainé au puîné , & , ainfi fucceffivement à
tous les enfans mâles du Fondateur , l'inten
tion de Sa Majefté eft , que le Fondateur
reçu Chevalier , jouiffe fa vie durant de la
Commanderie par lui fondée , qu'il continue
de porter la croix defdits Ordres , & de
jouir des honneurs , prérogatives , privileges
& diftinctions qui y font attribués ; mais
après fon décès le fonds de fa Commanderie
retournera à fa famille dans l'état où il ſe
trouvera alors , comme un bien patrimonial ,
fans que les enfans & defcendans du Fon-
dateur puiffent prétendre , en vertu de la fon-
dation faite par leur pere ou aïeul , être
reçus Chevaliers defdits Ordres 2 à moins
qu'ils n'aient les qualités requiſes par l'art.
Ier, du préſent Réglement , & l'âge prefcrit
par l'art. III d'icelui ; l'intention, de Sa Ma-
jeſté étant en réformant lefdits Ordres , de
reconnoître & de récompenfer le mérite &
les fervices , fans avoir égard à toutes au-
tres confidérations particulieres, Veut que la
même difpofition ait lieu, à l'égard des fon-
dations pareillement faites par quelques au-
tres perfonnes , à l'effet d'être reçues Cher
valiers , à condition, que lesdites fondations
pafferont à perpétuité à leurs enfans & def
cendans mâles en ligne directe ; ordonne
que les Fondateurs jouiront leur vie durant ,
en qualité de Chevaliers Fondateurs , de leur
Commanderie , mais après leur décès lefonds
216 Effai critique fur l'Hiftoire
defdites Commanderies retournera à la famille
M. le Duc du Fondateur dans l'état où il fe trouvera ,
de BERRI ,
25e. G.M. comme un bien patrimonial , fans que les en-
fans ou deſcendans du Fondateur puiffent pré-
rendre , fous prétexte de ladite fondation , à
être reçus Chevaliers defdits Ordres , à moins
qu'ils n'aient les qualités & âge fufdits.
·V I I.
Defirant renouveller les anciens ufages
defdits Ordres concernant les fonctions des
Grands Officiers , l'intention de Sa Majesté
eft qu'à mesure que ceux qui font actuelle-
ment revêtus defdites places viendront à dé-
céder , ils foient remplacés dans leurs fonc-
tions par ceux des Chevaliers que le Grand-
Maîtrejugeraà propos de nommer à cet effet ,
attendu qu'il n'y a dans lefdits Ordres au-
cunes chargés vénales ; le Héraut & les deux
Huiffiers defdits Ordres continueront de faire
les fonctions dépendantes de leur place , leur
vie durant , mais après leur décès , ceux qui
leur fuccéderont jouiront des privileges at-
tribués auxdits Ordres , fans être tenus de faire
d'autre preuve que celle de Religion , & lef-
dits Hérauts & Huiffiers , préfens & à venir ,
ne pourront porter que la médaille de l'Or-
dre , attachée à la boutonniere , avec le petit
ruban de la couleur de celui defdits Ordres.
VIII
Voulant ftatuerfur le droit de paffage &
autres frais qui feront payés par chacun des
Chevaliers qui feront à l'avenir admis dans
lefdits Ordres , Sa Majesté a , par le préſent Ré-
glément , fixé le droit de paffage à la fomme
de
des Ordres Royaux , &c. 237
de mille livres , pour être diftribuée en-
tre eux fuivant l'ufage jufqu'à préfent ob- M. le Duc,
fervé , independamment des honoraires du de BERRI ,
25e . G.M.
Généalogiſte , qui n'aura aucune part dans
le préfent droit de paffage , & qui fera payé
par les Chevaliers reçus.
Ι Χ.
Veut Sa Majesté que les preuves de No-
bleffe de ceux qui feront nommés auxdits
Ordres , foient faites par le Sieur de Clai-
rambault , Généalogifte de fes Ordres , qu'elle
commet par le préſent Réglement , fans qu'il
foit tenu de faire aucun nouveau ferment, le-
quel , après les avoir fignées & certifiées , en
fera le rapport au Grand-Maître , lorſqu'il ad-
miniftrera lui-même lefdits Ordres , & en pré-
fence de ceux des Officiers & Chevaliers qu'il
lui plaira de nommer, & jufqu'à ce que le
Grand-Maitre gouverné par lui-même lefdits
Ordres, les preuves de Nobleffe feront admi-
fes de la maniere dont Sa Majefté l'expliquera
par le préſent Réglement ; & d'autant que le
Généalogifte des Ordres de Sa Maj . fe trouve.
faire les mêmes fonctions dans ceux de Notre-
Dame du Mont-Carmel & de St. Lazare de Je-
rufalem , il portera la croix defdits Ordres , fans
être tenu à aucune des formalités preſcrites
par l'article premier du préſent Réglement.
X,
Les Chevaliers porteront au col la croix
defdits Ordres attachée à un ruban de cou-
leur amarante : & dans les occafions de cé-
rémonies , ils porteront la croix ainfi & de
1
maniere dont il en a été ufé jufqu'à préfent.
K
238 Effai critique fur l'Hiftoire
X I.
M. le Duc Et attendu que Monfieur le Duc de Berri
de BERRI,
25e. G.M. n'eft pas en état d'adminiftrer par lui-même
lefdits Ordres , Sa Majefté a cru devoir en
confier la régie , adminiftration , & gouver,
nement à une perfonne dont le zele pour la
Perfonne de Sa Majefté , celle de Monfieur
le Duc de Berri , & pour lefdits Ordres ,
lui foient également connus ; & à cet effer
Sa Majefté a fait choix du Sr. Louis Phé-
lypeaux , Comte de St. Florentin , Conſeiller
en tous fes Confeils , Miniftre d'Etat , Se-
crétaire d'Etat & de fes Commandemens ,
Commandeur & Chancelier de ſes Ordres ,
Chancelier de la Reine , pour avoir l'Ad-
miniftration générale de tout ce qui peut
concerner lesdits Ordres , tant pour les
biens qui lui appartiennent , que pour tout
ce qui a rapport au cérémonial , comme auffi
pour préfider aux Chapitres généraux ou
Affemblées particulieres & Confeil defdits
Ordres , recevoir de par Sa Majeſtė , Mon-
fieur le Duc de Berri , & en fa préſence
le ferment des Chevaliers que Sa Majesté
fe réſerve de nommer jufqu'à la majorité de
Monfieur le Duc de Berri, & générale-
ment pour faire & ordonner au nom du
Grand-Maître , tout ce qu'il pourroit faire
& ordonner par lui-même. Et attendu que
cette fonction honorable exige une diſtinction
extérieure defdits Ordres , l'intention de Sa
Majesté eft , que ledit Sr. Comte de St. Flo-
rentin puiffe en porter la croix fans être tenu
à aucune réception ; , Sa Majefté a commis
des Ordres Royaux , &c. 239
& commet par ledit préſent Réglement ledit
Sr. Comte de St. Florentin , pour entendre M. le Duc
les preuves des Chevaliers qu'elle aura nom- de BERRI,
25e. G.M.
més , & pour lui en rendre compte avant la
réception , comme auffi pour prendre pof-
feffion, pour & au nom de Monfieur le Duc
de Berri , dudit état & dignité de Grand-
Maître defdits Ordres , & de tout ce qui
en dépend.
X II.
Voulant régler la forme dans laquelle les
Chevaliers defdits Ordres , qui auront été par
Sa Majesté nommés , feront reçus , fon in-
tention eft qu'ils le foient en préfence &
dans l'appartement du Grand-Maître : & le-
dit Comte de St. Florentin , que Sa Majesté
a commis à cet effet , recevra leur ferment
pour & au nom du Grand-Maître , en pré-
fence des Grands-Officiers & Chevaliers qui
y auront été appellés , & ce , juſqu'à ce que
le Grand-Maître foit en âge de recevoir par
lui-même le ferment des Chevaliers , & de
fe conformer à l'ancien cérémonial ou à celui
qu'il jugera à propos d'introduire , Sa Ma
jefté veut que les réceptions foient faites à
l'iffue de la Meffe qui fera célébrée dans la
Chambre ou Chapelle dudit Grand-Maître.
X II I.
Sa Majefté confirmant lefdits Ordres de
Notre-Dame du Mont-Carmel & de St. La-
zare de Jerufalem , dans tous & chacuns des
droits , privileges , franchiſes & exemptions
qui y ont été attribués par les Papes , par
les Rois prédéceffeurs de Sa Majefté , & par
K2
240 Effai critique fur l'Hiftoire
elle-même , & ce conformément aux Bulles
M. le Duc des Papes , Edits , Déclarations , Arrêts &
de BERRI,
25e. G.M. Réglemens rendus par les Rois fes prédé-
ceffeurs , ou par Sa Majefté , en faveur def-
dits Ordres. 1
X I V.
Les Chevaliers de minorité qui ont été
jufqu'à préfent admis & non reçus , qui ne
font point en état de faire les preuves pref
crites par l'art. 1er. de ces Préſentes , ne
pourront être reçus à Profeffion dans lefdits
Ordres , ni en porter la croix. A l'égard de
ceux qui ont été admis en minorité pour
être reçus dans la fuite , l'intention de Sa
Majefté eft qu'ils ne le puiffent être que
lorſqu'ils auront atteint au moins l'âge de
vingt-cinq ans accomplis , & en fatisfaifant
par eux au préfent Réglement , fans qu'à l'a-
venir ils puiffent être reçus dans lefdits
Ordres , aucuns Chevaliers de minorité.
X V.
Veut néanmoins Sa Majefté , que ceux des
Gentilshommes qui auront été élevés dans
l'Ecole-Royale Militaire , & qu'elle jugera à
propos d'admettre dans lefdits Ordres, puif-
fent y être reçus en fatisfaifant à l'art. Ier.
du préfent Réglement , quoiqu'ils n'euffent
pas l'âge prefcrit par l'art. III d'icelui , &
que le nombre de cent Chevaliers , auquel
elle veut que lesdits Ordres foient réduits à.-
l'avenir , fe trouvâr rempli ; fon intention
étant qu'il puiffe être excédé en faveur def
dits Gentilshommes feulement qu'elle ju-
gera à propos d'y admettre. Veut pareille-
des Ordres Royaux , &c. 241
ment que ceux d'entre eux , que Sa Majesté
ou le Grand-Maître jugeront à propos de re- M. le Duc
droit dedans
cevoir lefdits&Ordres
paffage , foientdroits
tous autres exempts du de
, lorf- BERRI,
25e. G.M.

qu'ils feront reçus dans lefdits Ordres : fon


intention eft au furplus , que jufqu'à ce qu'ils
aient l'âge de trente ans accomplis , ils ne
puiffent porter que la petite croix defdits Or-
dres à quatre faces , attachée à la boutonniere
avec un ruban de la couleur de celui defdits
Ordres ; & même lorfqu'ils auront atteint
ledit âge de trente ans , ils ne pourront por
ter la grande croix & cordon defdits Ordres ,
fans en avoir obtenu la permiffion du Grand-
Maître.
Mande & ordonne Sa Majefté au Grand-
Maître defdits Ordres , audit Sr. de St. Floren-
tin, aux Grands-Officiers & Chevaliers , &
à tous autres compofant ou dépendans def
dits Ordres , de garder , obferver , & de fe
conformer au préſent Réglement , qui fera en-
régiftré ès registres de l'Ordre dans un Cha-
pitre général, pour être exactement exécuté
felon fa forme & teneur. Fait & arrêté à
Verſailles , le Roi y étant , le quinze Juin
mil fept cent cinquante-fept. Signé LOUIS ,
& plus bas , PHELYPEAUX .
Lu & enregistré au Regiſtré capitulaire defdits
Ordres , le Lundi vingt Juin mil fept cent cin-
quante-fept , au Chapitre tenu au vieux Louvre
par ordre du Roi ledit jour , par nous Claude
Dorat de Chameulles , Chevalier , Commandeur ,
Greffier , Secrétaire général defdits Ordres. Signé
Dorat de Chameulles.
K 3
242 Effai critique fur l'Hiftoire
La premiere grace accordée à l'Ordre par
Monfei- le Roi, après la nomination de Mr. le Duc
gneur le
DAUFHIN de Berri, pour en être le Chef, a été d'y réu-
ase. G.M. nir les biens & revenus de celui du St. Ef-
prit de Montpellier. Union autorisée par une
Bulle du Pape Clément XIII , du mois de Juin
1762, & par des Lettres-Patentes du 22 du
même mois , enrégiftrées au Grand-Confeil
le 2 Août fuivant.
En exécution du nouveau Réglement , les
Perfonnes nommées par Sa Majesté , pour
être admiſes dans l'Ordre , ont été reçues
par le Comte de St. Florentin , en préſence
du Prince Grand-Maître , jufqu'en 1767 ; &
le 16 Décembre de cette année , jour de la
Fête de St. Lazare , Mr. le Duc de Berri ,
alors Monfeigneur le Dauphin , tint ſon pre-
mier Chapitre dans la Maifon des Miffion-
naires deffervans l'Eglife Royale & Paroif-
fiale de St. Louis de Verfailles , pour l'ad-
miffion d'un Chevalier , & de huit Cheva-
liers Novices , Eleves de l'Ecole-Militaire.
Après avoir admis leurs preuves & leur in-
formation de vie & de moeurs , Monfeigneur
le Dauphin , accompagné des Grands- Offi-
ciers , & de plufieurs Chevaliers de l'Ordre ,
paffa dans l'Eglife pour y entendre la Meffe ,
qui fut célébrée par l'Evêque de Condon ,
Commandeur Eccléfiaftique ; la Meffe étant
finie , le Prince reçut les nouveaux Cheva-
liers avec les cérémonies d'ufage. Les liftes
des différentes promotions de Chevaliers ,
faites fous le Magifter de Monfeigneur. le
Dauphin , ſe trouvant fous les yeux de tout
des Ordres Royaux , &c. 243
le monde , il paroît inutile de les tranf
Monfei-
'crire ici.
gneur le
Le Roi vient d'accorder à l'Ordre , au mois DAUPHIN
de Septembre 1770 , de nouvelles Lettres-Pa- 25e. G.M.
tentes , enrégiftrées au Parlement le 5 du mê-
me mois , qui confirment tous fes privileges :
& c'eft où nous terminons cette Hiftoire.

BULLES du Pape PAUL V , pour


l'Inftitution de l'Ordre de NOTRE-
DAME DU MONT-CARMEL.
PAUL V, Pape.
Pour mémoire perpétuelle de la chofe.

LE Pontife Romain , dont la Majeſté di-


vine a élevé la puiffance au deffus des autres
Puiffances , exauce volontiers les prieres de
fes enfans pieux & très-foumis , qui defirent
non-feulement d'égaler leurs ancêtres , mais
encore de tranfmettre à leur poftérité , avec
des accroiffements notables , la nobleffe qu'ils
en ont reçue ; & il approuve qu'ils rem-
pliffent des vues , qui lui paroiffent felon
Dieu , puifqu'elles font utiles à la défenſe
& à la confervation de la foi catholique"
à la deftruction de fes ennemis , & à prod
curer le falut des ames.
§. I.
Notre Fils bien-aimé , noble homme Char

* Traduction de la Bulle Romanus Pontifex , inférée


dans le Bullaire Romain , édition de 1739. Tom. 5,
pars 3 , fol. 297.
K 4
244 Effai critique fur l'Hiftoire
les de Neufville , Seigneur d'Alincourt , Che-
valier des Ordres du Roi , nous a expofé au
nom de notre très-cher Fils en Jefus- Chrift "
Henry , Roi de France Très-Chrétien , dont
il eft Ambaffadeur auprès de nous & du St.
Siege Apoftolique , que ce même Roi defi-
roit particuliérement , comme Fils aîné de
l'Eglife , de défendre la Religion & de con-
tribuer à fes progrès , en continuant d'em-
ployer les moyens dont il s'eft fervi dans
fon Royaume & les lieux de fon obéiffance ,
depuis fon heureux avénement au trône ,
pour l'exaltation de l'Eglife Romaine , l'ex-
tirpation des héréfies & la deftruction des
hérétiques ce qui lui faifoit fortement fou-
haiter d'ériger & inftituer , fous notre bon
plaifir & fous l'autorité du Saint- Siege , une
Milice ou Ordre Militaire , qu'il dotera fuf-
fifamment de biens purement laïques & non
point de bénéfices ou revenus eccléfiaftiques ,
& qui fera compofé de Perfonnes nobles &
d'une naiffance diftinguée , fous le Nom , le
Titre & la Regle de la très-glorieufe & tou-
jours Vierge Marie Mere de Dieu Notre-
Dame du Mont-Carmel , que le même Roi
a pris pour fa Patrone & Avocate , & qu'il
honore toujours d'une dévotion particuliere.
Ledit Charles de Neufville nous a hum-
blement fupplié de favorifer de nos graces
fpéciales le même Roi , & de fatisfaire à la
demande de Sa Majesté.
§. II.
Defirant donc contribuer à l'accompliffe-
ment d'un deffein auffi pieux , & qu'on ne
fauroit trop louer ; ayant abfous & tenant
pour abfous le même Roi Henry , à l'effet
des Préfentes , de toutes fentences d'excom-
munication , fufpenfion , interdit , & autres
des Ordres Royaux , &c. 245
cenfures & peines eccléfiaftique portées con-
tre lui de droit ou par les hommes , pour
quelques caufes ou occafions que ce foit ; &
condefcendant à fes mêmes demandes , nous
avons , par l'Autorité Apoftolique & par la
teneur des Préfentes , érigé & inftitué fous la
fufdite Regle , pour maintenant & à l'avenir
à perpétuité , & fans préjudice d'autrui , la-
dite Milice & Ordre Militaire , dont le Siege
& Couvent principal fera affigné & éta-
bli par le même Roi dans tel lieu de fon
Royaume ou Pays de fa domination que
voudra choifir Sa Majefté. Il y aura un Grand-
Maître , qui tiendra la fuprême & princi-
pale dignité , fera comme le Chef de ladite
Milice & du Couvent établi par le même
Roi Henry , & y recevra tel nombre de
Chevaliers & Officiers qu'il lui plaira. Les
Grand -Maître & Chevaliers pourront feule-
ment contracter mariage une premiere fois
& fe marier en fecondes nôces , même avec
une veuve. Ils feront vou de chafteté con-
jugale & d'obéiffance à leur Supérieur ; por-
teront l'image de la Bienheureufe Vierge Ma-
rie Notre-Dame du Mont-Carmel , avec un
habit différent des autres Ordres Militaires ,
qu'ils ne pourront changer ; & enfin ils au-
ront une table magiftrale , des Prieurés , des
Commanderies , & autres Bénéfices & Offi-
ces , qui feront dotés , comme on a dit , de
. biens purement laïques , & non de revenus
--eccléfiaftiques .
§. III.
Lorfque la Grande-Maîtriſe fera vacante
dès le commencement de fon érection & inf-
titution , ou quand elle vaquera dans la fuite ,
de quelque maniere que ce foit , & de quel-
• que qualité que foit la perfonne , même au-
K5
246 Effai critique fur l'Hiftoire
près du Saint Siege , ou en quelqu'autre temps
& maniere qu'elle vienne à vaquer , la pro-
vifion & entiere difpofition en doit appar-
tenir au Roi Henry , & aux Rois de France
fes fucceffeurs.
§. IV.
La premiere fois que vaquera la Grande-
Maîtrife , ainfi que dans toutes les autres va-
cances qui la fuivront , celui qui en fera
pourvu par le Roi , fera tenu& obligé d'en
demander & obtenir du St. Siege , dans trois
mois , une nouvelle provifion & confirma-
tion de plus il fera obligé de faire & d'en-
voyer, fous ledit temps , au même St. Siege ,
fa profeffion de foi fignée de fa main , fuivant
les articles donnés par le Siege Apoftolique ;
en forte .que ledit Grand- Maître ne pourra
faire aucunes fonctions de fa charge , ni gou-
verner la même Milice , qu'il n'ait obtenu fa
nouvelle provifion du Pape , & qu'il n'ait
envoyé , comme dit eft , fa profeffion de foi.
Enfin nous avons concédé & appliqué à per-
pétuité à ladite Milice la dot , & tous les
biens que ledit Roi lui fait & lui fera.
§. V.
Les Grands-Maîtres , qui fuccéderont au
premier , pourront tranférer le Siege principal
de la même Milice ou Ordre en tout autre
lieu qu'il n'étoit , même maritime , du Royau-
me de France , Pays & Terres de l'obéiffance
du Roi Très-Chrétien , avec la permiffion du
St. Siege ; & ils y pourront créer des Che-
valiers , qui feront obligés de faire la même
profeffion de foi & ferment de fidélité , tant
au Pontife Romain , qu'à leur Grand-Maître.
S. VI.
Par la même autorité & teneur des Pré-
fentes, nous leur accordons le pouvoir & la
des Ordres Royaux , &c. 247
faculté de faire des Réglemens , Statuts &
Ordonnances concernant le bon gouverne-
ment de la même Milice ou Ordre , qui fe-
ront approuvés du St. Siege Apoftolique , &
de changer ceux qui auront été faits en d'au
tres plus convenables à la difpofition des
chofes , & des circonftances des temps ;
pourvu que ces Réglements foient licites &
honnêtes , & non contraires aux faints canons ,
particuliérement aux décrets du Concile de
Trente , & aux Conftitutions Apoftoliques.
S. VII.
Ledit Grand - Maître pourra à perpétuité
& dans tous les temps à venir , par lui-même
& non par d'autres , felon l'établiſſement &
les fufdits décrets , pourvoir les Chevaliers
& les perfonnes dudit Ordre de tous & d'un
chacun Prieurés , Commanderies , Membres ,
& autres Bénéfices eccléfiaftiques de ladite
Milice ou Ordre érigé , comme dit eſt , quand
ils viendront à vaquer , de quelque maniere
que ce foit , par la mort des perfonnes , de
quelques qualité & condition qu'elles puif
fent être , même portant quelques réferves
que ce foit ; & même auprès du St. Siege
Apoftolique.
§. VIII.
Les Prieurs , Commandeurs & Chapelains
de la même Milice & Ordre , après avoir
obtenu le confentement & la permiffion de
leur Grand-Maître , avec } l'approbation de
l'Ordinaire des lieux , pourront célébrer la
Meffe dans les Eglifes de l'Ordre , adminif
trer les Sacremens de l'Eglife dans tous les
temps aux Chevaliers , & autres perſonnes
dudit Ordre , même adminiftrer l'Extrême-
Onction à l'article de la mort , fans cepen-
dant préjudicier aux droits des Eglifes Paroif
K 6
248 Effai critique fur l'Hiftoire
fiales & de leurs Curés ; ils pourront auffi ,
après avoir été approuvés des Ordinaires ,
entendre leurs confeffions , & les abfoudre
de leurs péchés en la forme ordinaire de l'E-
glife , leur ayant impofé une falutaire péni-
tence.
§. IX.
De la même Autorité Apoftolique , & en
vertu des Préfentes , • nous difpenfons lefdits
Grand-Maître , Chevaliers , Prêtres & Cha-
pelains , tous & un chacun d'iceux , tant Clercs
que Laïques , même mariés & bigames , non
toutefois trigames , & leur accordons par une
grace fpéciale de pouvoir pofféder une ou
plufieurs penfions annuelles à eux refervées
ou à réferver ; favoir , le Grand-Maître , juf-
qu'à la fomme de quinze cens ducats , &
les Chevaliers jufqu'à celle de cinq cens du-
cats d'or de la Chambre , fur les revenus
droits , émolumens , diftributions quotidien-
nes des Cathédrales , Métropolitaines & au-
tres Eglifes & Monafteres , même Confifto-
riaux , Prieurés, Dignités , Perfonnats , Admi-
niſtrations , Offices , & autres Bénéfices ec-
cléfiaftiques , qualifiés de quelque maniere que
ce foit , dans le Royaume & Pays de la do-
mination du Roi , encore bien qu'après la
réfervation defdites penſions ils aient con-
tracté mariage , & comme dit eft , qu'ils foient
bigames, & non trigames ; + defquelles pen-
fions ils pourront librement & licitement
jouir, fe faire payer , & les convertir en leur
ufage pendant leur mariage & leur vie durant ,
avec les Commanderies & Bénéfices de la
፡ même Milice & Ordre.
§. X.
En outre nous exemptons à perpétuité &
délivrons la même Milice & les Chevaliers ,
des Ordres Royaux , &c. 249
leurs biens & revenus , de toutes fortes de
charges & impofitions mifes ou à mettre ,
& de l'entiere dépendance de la jurifdiction
des Ordinaires , & les foumettons entiére-
ment à la fupériorité , jurifdiction & obéif-
fance dudit Grand-Maître .
§. XI.
Enfin , pour augmenter la dévotion des Fi-
deles de Jefus-Chrift , & pour procurer le
falut des ames , par la mifèricorde de Dieu
tout-puiffant, par l'autorité des bienheureux
Apôtres St. Pierre & St. Paul , & par la
même autorité des Préfentes , nous donnons
& concédons à perpétuité , miféricordieuſe-
ment en notre Seigneur , Indulgence pléniere
auxdits Grand-Maître , Chevaliers & Per-
fonnes dudit Ordre , qui étant confeffées &
vraiment pénitentes , & ayant reçu la fainte
Communion , tant les jours qu'elles feront
reçues dans ledit Ordre , & qu'elles y feront
Profeffion , que tous les ans au jour & Fête
de la bienheureuſe Vierge-Marie Notre-Dame
du Mont-Carmel , qui arrive le 16 Juillet
depuis les premieres Vêpres jufqu'au foleil
couché de ladite Fête , comme auſſi à l'article
de la mort , étant contrites & prononçant
de cœur , fi elles ne le peuvent de bouche
le très-faint Nom de Jefus.
§. XII.
C'est pourquoi nous mandons à nos bien-
aimés Fils , les Officiaux des Evêchés du Puy ,
de Damas & de Paris , par la teneur des Pré-
fentes , que tous , ou deux , ou un d'entre eux
publient ou faffent publier , de notre autorité ,
les Préfentes & le contenu en icelles , toutes
fois & quantes qu'il en fera néceffaire ; veil-
lent à ce qu'elles foient gardées par tous ceux
à qui il appartient ou qu'il appartiendra , ne
250 Effai critique fur l'Hiftoire
fouffrant pas que lefdits Chevaliers foient
troublés en aucune maniere , ni par qui que
ce foit ; & contraignent par fentences , cen-
fures, peines eccléfiaftiques, & autres moyens
de fait & de droit , qu'ils jugeront à propos ,
les rebelles & tous ceux qui voudroient con-
tredire & refufer d'obéir aux Préfentes.
§. XIII.
Nonobftant toutes Conftitutions & Ordon-
nances Apoftoliques , proteftations des fufdites,
Eglifes confirmées par le Saint - Siege , ou
autrement , Statuts , Goutumes , Indults , &
Lettres Apoftoliques qui leur auroient été
concédées ou à leurs Prélats , Chapitres , Cou-
vens , Supérieurs & Perfonnes , fous quelque
teneur & forme , & avec quelques clauſes
ou décrets , au contraire , & en quelque ma-
niere que ce foit , auxquels pour cette fois
nous dérogeons fpécialement & expreffément ,
tout ainfi que fi dans les Préfentes il étoit
fait fpéciale , fpécifique , expreffe & fingu-
liere mention de leur teneur , & non par ces
claufes générales fignifiant la même chofe ,
lefquelles néanmoins demeureront d'autre part
dans leur force & valeur ; & à toutes chofes
contraires , même à l'Indult , que quelques-
unes des perfonnes fufdites auroient obtenu
du St. Siege , portant défenfe par des Lettres
Apoftoliques de les interdire , fufpendre , ou
excommunier 2 fices Lettres ne font une
entiere & expreffe mention , de mot à mot ,
de cet Indult.
§. XIV.
Que perfonne donc ne foit affez hardi de
contredire , par un attentat téméraire , ni de
violer la teneur des Préfentes , de notre ab-
folution , érection , inftitution , application ,
diſpoſition , indults , exemptions , libérations ,
des Ordres Royaux , &c. 251
fuppofitions , conceffions , mandemens , dé-
rogations & largeffes : or fi quelqu'un préfu-
moit d'y attenter , qu'il fache qu'il encourra
l'indignation de Dieu tout-puiffant & des bien-
heureux Apôtres St. Pierre & St. Paul. Donné
à Rome à St. Marc , l'an de l'Incarnation
de Notre Seigneur 1608 , le 16 Février , &
de notre Pontificat l'an troisieme.

Suivent la Regle & les Statuts de l'Ordre


*
prefcrits par le Pontife.

ON convient que l'Inftitution des Ordres


Militaires eft utile à la République Chrétien-
ne , & qu'ils fervent à la défenfe & à la pro-
pagation de la foi catholique , fi l'on preſcrit
aux Chevaliers de ces Ordres certaines regles
de conduite , fous l'heureux aufpice defquel-
les ils puiffent bien vivre , combatre & fur-
monter les ennemis du nom chrétien.
§. I.
C'est pourquoi ayant égard aux humbles
prières qui nous ont été faites de la part
de notre très - cher Fils en Jefus - Chriſt
Henry , Roi de France , nous avons , il y a
quelques jours , érigé & établi une Milice ou
Ordre Militaire pour la plus grande gloire
de Dieu & de la très-glorieufe Vierge Marie
fa Mere , & pour l'exaltation de l'Eglife
Romaine , l'extirpation des héréfies , compofé
de Perfonnes nobles & d'une naiffance dif
tinguée de la Nation Françoife , fous le Nom ,
le Titre & la Regle de la même très-glo-
rieufe Vierge Marie Mere de Dieu Notre-
Dame du Mont-Carmel , & afin que cette

Traduction de la Bulle Militantium Ordinum.


Bull, Rom. ibib. fol. 299.
252 Effai critique fur l'Hiftoire
Milice appuyée fur des réglements pieux &
convenables , faffe continuellement & heu-
reufement , felon nos defirs > des progrès
religieux , nous lui donnons , à la priere du
même Roi Henry , les Regles fuivantes.
§. II.
Les Chevaliers de ladite Milice feront leur
Profeffion de foi entre les mains du Grand-
Maître , ou de celui qui fera député de fa
part , felon les articles propofés par le St.
Siege , & approuvés du temps de Pie IV ;
laquelle Profeffion ils figneront de leur main ,
pour être dépofée dans les Archives de l'Or-
dre , entre les mains de celui qui fera prépofé
pour en prendre foin.
§. III.
Ils font tenus de confeffer leurs péchés fa-
cramentalement, & de recevoir le très -faint
Sacrement de l'Euchariftie le jour qu'ils feront
reçus dans l'Ordre , & avant que ,d'en pren-
dre l'habit.
§. IV.
Ils porteront fur leurs manteaux une croix
de couleur brune , avec l'image de la Sainte
Vierge dans le milieu , & une autre croix d'or
fufpendue au col par un ruban de foie de
même couleur , fur les deux côtés de laquelle
fera l'image de la même Vierge.
§. V.
Ils feront à Dieu , à la glorieufe Vierge Ma-
rie & au Grand-Maître , vou d'obéiffance &
de chafteté conjugale.
§. VI.
Ils combattront contre les ennemis de l'Egn-
fe Romaine , toutes les fois que le St. Siege ou le
Roi de France l'ordonnera audit Grand-Maître.
§. VII.
Ils réciteront tous les jours , avec la plus
des Ordres Royaux , &c. 253
grande dévotion qu'ils pourront , l'Office ou
faCouronne de la bienheureuſe Vierge Marie.
§. VIII.
Ils entendront la fainte Meffe tous les jours
de Fêtes & tous les Samedis de l'année , s'ils
ne font pas légitimement occupés.
§. IX.
Et s'abftiendront les Mercredis de chaque
femaine de manger de la viande.
§. X.
Ils confefferont facramentalement leurs pé-
chés , & recevront le très-faint Sacrement de
l'Euchariftie toutes les Fêtes de la fainte Vier-
ge , principalement le jour de la Fête de No-
tre-Dame du Mont-Carmel , qu'on a coutu-
me de célébrer le 16 Juillet.
§. XI.
Et ils s'affembleront le même jour dans le
lieu qui leur fera affigné par le Grand-Maî-
.tre , pour célébrer dévotement , tous enfem-
ble , ladite Fête.
§. XII.
Ceux qui obtiendront les Commanderies ,
qui feront fondées fuivant la teneur des Pré-
fentes , feront obligés de payer au Tréforier
de l'Ordre les Refponfions & Droits à raifon
de leurfdites Commanderies , ainfi qu'il fe pra-
tique par les Chevaliers des autres Milices.
§. XIII.
Et parce que les Chevaliers dudit Ordre
doivent être Sujets du Roi de France , felon
leur établiſſement , ils ne pourront fervir à la
guerre fous un autre Chef ou Commandant ,
fans l'expreffe permiffion de leur Grand-Mai-
tre, à peine d'être privés de l'habit de l'Ordre.
§. XIV .
Enfin nous ordonnons , ftatuons , mandons
& commandons auxdits Chevaliers de garder
·254 Effai critique fur l'Hiftoire
& obferver les Regles contenues dans les Pré-
fentes , nonobftant toutes Conſtitutions , Or-
donnances Apoftoliques & autres chofes con-
traires. Donné à Rome , à St. Pierre , le 26 Fé-
vrier , l'an de l'Incarnation de Notre Seigneur
1608 , & le troifieme de notre Pontificat.

BULLE du Cardinal de VENDÔME ,


Légat de France , qui confirme l'Union
& les Privileges des Ordres de Notre-
Dame du Mont - Carmel & de Saint
Lazare de Jerufalem.

LOUIΟι S , Cardinal Diacre du titre de Sainte


Marie in Porticâ , appellé de Vendôme , Lé-
gat à Latere de Notre Saint Pere le Pape Clé-
ment IX, & du St. Siege Apoftolique , & c.
Pour perpétuelle mémoire de la chofe.
Les devoirs de la Légation Apoftolique ,
qui nous a été accordée par une grace ſpéciale
du Saint Siege , exigent que nous nous appli-
quions de toutes nos forces aux chofes que
l'on croit utiles à la République Chrétienne ,
& avantageufes à la propagation de la Foi ,
& que nous verfions libéralement nos graces
fur les Fideles , qui expofent généreufement
leur vie fous les enfeignes de la Croix , pour
la confervation de cette même République
Chrétienne , & pour le fervice des pauvres &
des malades.
§. I.
Nos bien-aimés en Jefus-Chriſt , Charles-
Achille de Néreſtang , Grand-Maître des Or-
dres Royaux , Hofpitaliers & Militaires de
Notre-Dame duMont-Carmel & de Saint La-
des Ordres Royaux , &c. 255
zare de Jerufalem , tant de-çà que de -là les
mers , les Prieurs , Commandeurs & les au-
tres Freres Chevaliers defdits Ordres , nous
ont fait repréſenter que l'Ordre Militaire de
St. Lazare de Jerufalem , créé dans l'Orient,
dès le temps du Pape St. Damaſe & de St.
Bafile-le-Grand , & enfuite confirmé par plu
fieurs fouverains Pontifes , ainfi que l'affure
le Pape Pie IV, dans la Bulle qui commence ,
Inter affiduas , fut d'abord établi en France.
par le Roi Louis VII ; que dans la fuite des
temps , St. Louis , eftimant fingulièrement ce
même Ordre , le confirma & le deftina à fer-
vir & foulager les Soldats eftropiés , les pau-
vres Gentilshommes , les Lépreux , à défen-
dre les Pélerins & à leur donner l'hofpitalité ;
& qu'enfin cet Ordre fut réformé , fuivant les
décrets du Concile de Trente , par le Pape
Pie V, d'heureufe mémoire, felon fes Lettres
en forme de Bulle , qui commence , Sicuti bo
nus agricola , en date du 7 des calendes de
Février 1567. De plus les fufdits Grand-Maî-
tre & Chevaliers nous ont repréſenté , que
le Pape Paul V , de fraiche mémoire , érigea
& inftitua par fes Lettres en forme de Bulle ,
qui commencent , Romanus Pontifex , données
à Rome à St. Marc , le 16 de Février 1608,
à l'inftante priere de Henry IV , pour lors
Roi Très-Chrétien de France & de Navarre ,
qui avoit une dévotion très-particuliere à la
très-Sainte Vierge Mere de Dieu , une Milice
où Ordre Militaire fous le Titre , la Dénomina-
tion & la Regle de Notre-Dame du Mont-Car-
mel , auquel il attribua & concéda plufieurs
fingulieres graces , privileges & indults , en fa-
yeur des Perfonnes nobles & d'une naiſſance
diftinguée de la Nation Françoife , qui entre-
roient dans ledit Ordre , pour la défenſe &
256 Effai critique fur l'Hiftoire
l'exaltation de l'Eglife , & pour la deftruc-
tion des héréfies ; & afin que ladite Milice
ou Ordre fe confervât & fût foutenu par des
regles particulieres & par des ftatuts conve-
nables , le même Pape Paul V , à la priere du
même Roi Henry IV, fit & accorda par fes au-
tres Lettres , qui commencent, Militantium Or-
dinum Inftitutio , données à Rome à St. Pier-
re , le 26 Février de la même année , cer-
taines regles particulieres à ceux qui feroient
reçus à l'avenir dans cette Milice. Enfuite le
fufdit Roi Henry , pour certaines raifons , &
peut-être dans la crainte que laiffant fubfifter
ces deux Ordres féparément , l'un ne portât
envie à l'autre , ce qui pourroit faire naître
des difficultés entre eux , joignit & réunit pour
toujours , de fon Autorité Royale , l'un &
l'autre Ordre Militaire de la bienheureuſe
Vierge Marie du Mont-Carmel , & de Saint
Lazare de Jerufalem , par un acte & brevet du
dernier Octobre 1608 , laquelle jonction &
union le Séréniffime Prince Louis XIV , pré-
fentement Roi de France & de Navarre , a
confirmée par fes Lettres-Patentes du mois
d'Avril 1664.
§. II.
En outre les mêmes Supplians nous ont re-
préſenté que les Souverains Pontifes , de leur
libéralité & bénignité , avoient concédé &
attribué plufieurs privileges particuliers , gra-
ces " & indults , foit à l'ordre de St. Lazare
de Jeruſalem , ſoit à celui de la bienheureuſe
Vierge Notre-Dame du Mont-Carmel , tant
par les fufdites Bulles de leur inſtitution que
par celles qui dans la fuite les ont confirmés ;
& qu'ayant tout lieu de craindre que par le
laps du temps & la vétufté , ces mêmes pri-
vileges ne vinffent à diminuer & à périr , ils
des Ordres Royaux , &c. 257
defiroient de faire révalider. & fortifier de
l'Autorité Apoftolique lefdites inftitutions, Re-
gles, Privileges , Indults & prérogatives , don-
nées & concédées tant auxdits Ordres qu'aux
Freres Chevaliers d'iceux , par les fufdites
Bulles.
§. III.
Nous donc , felon les devoirs que nous im-
pofe la Légation Apoftolique , approuvant li-
béralement les pieux defirs des Perſonnes Re-
ligieufes , & particuliérement ceux de la fer-
vente dévotion des nobles Chevaliers , & de-
firant feconder les louables intentions des Rois
Henry & Louis , & favorifer de graces fpécia-
les le Grand-Maître & les autres Freres Cheva-
liers ; abfolvant & tenant pour abfous cha-
cun d'eux , à l'effet des préfentes , de toutes
fentences d'excommunication , ſuſpenſion , in-
terdiction , & autres cenfures & peines ec-
cléfiaftiques , qui pourroient être portées con-
tre eux par le droit ou par les hommes , s'ils.
s'en trouvent liés à quelqu'occaſion , & par
quelques caufes que ce foit ; & condefcen-
dant à leur demande ; à ce fuffisamment au-
torifé par les Lettres du St. Siege , que nous
ne fommes pas tenus d'inférer ici : ayant
attentivement examiné tout ce qui nous a
été dit & expofé , & après avoir approuvé
la louable & noble Inftitution des fufdits Or-
dres , nous , de l'Autorité Apoſtolique que nous
exerçons en cette partie , approuvons & con-
firmons par les Préfentes l'union defdits deux
Ordres , faite comme il a été dit , par l'Au-
torité Royale , leurs regles , privileges , pof-
feffions , facultés , conceffions , exemptions ,
droits , prérogatives , prééminences , graces ,
faveurs , indults , licites toutefois & honnê
tes , qui leur ont été légitimement concédés
respectivement ou enfemble , par les Bulles fuf-
258 Effai critique fur l'Hiftoire
dites & autres ; nous les révalidons & forti-
fions de l'inviolable Autorité Apoftolique.
§. IV.
Déclarant ces Préfentes devoir être pour
toujours valides , fermes , efficaces , fortir &
obtenir leur plein & entier effet ; & que
tous Juges ordinaires ou Délégués , même les
Auditeurs des caufes du Palais Apoftolique ,
& enfin tous ceux à qui il appartient ou ap-
partiendra ou pourra appartenir , feront obli-
gés de donner leurs fuffrages , de juger &
définir pleinement en toutes chofes & fur
toutes les affaires defdits Ordres , conformé
ment à la teneur des Préfentes , & que s'il
arrivoit à quelques-uns d'aller au contraire ,
par quelqu'autorité que ce foit , nous dé-
clarons , dès-à-préfent , tout ce qu'ils feront nul
& de nul effet.
§. V.
Nonobftant toutes Conftitutions , Ordon-
nances , Privileges , Indults & Lettres Apof-
toliques , concédées en quelque maniere que
ce puiffe être , même confirmées & renou-
vellées , auxquelles , par ces Préfentes , nous
avons dérogé fpécialement & expreffément ,
en général & en particulier , & à toutes au-
tres Lettres que ce puiffe être à ce contraire ,
dont nous déclarons la teneur pour fuffifam-
ment & de mot à mot inférée dans les Pré-
fentes , quoique d'ailleurs elles demeurent 曹
dans leur force.
§. VI.
Donné à Paris le cinq de Juin l'an de l'In-
carnation de Notre Seigneur 1668 , & le pre-
mier du Pontificat de notre Saint Pere le
Pape. Signé L. Cardinal de VENDÔME , Légat
C. de Lionne , Proto-Notaire Apoftolique Da-
taire. A. de Maflac Sous-Dataire. L. De la
Foucherie. R. S.
des Ordres Royaux , &c. 259
Et fur le repli , J. Monceft , Secrétaire, &
au dos eft écrit , lib. 2 , fol. 37. Riolan , & fcellé
de las de fils rouges & blancs , en cire rouge.

ADDITIONS.
J'ajouterai ici une fimple note de ce qui eft arrivé
de plus remarquable dans l'Ordre de St. Lazare de-
puis 1770 , temps où mon deffein étoit , comme je
l'ai dit dans la Préface , de publier fon Hiftoire , juf-
qu'en la préfente année 1774 , où divers obftacles
m'ont conduit à en différer l'impreffion.
Par une Bulle de Clément XIII , du onze Juin 1762,
& les Lettres-Patentes du Roi fur cette Bulle , don-
nées le 22 Juin 1763 , enrégiftrées au Grand-Con-
feil le 13 Août fuivant , les biens & revenus de l'Or-
dre du St. Efprit de Montpellier avoient été réunis
à celui de St. Lazare.
Suivant une autre Bulle du Pape Clément XIV ,
du 1er. Juillet 1771 , & les Lettres-Patentes du Roi ,
données à Compiegne le 24 Août fuivant , enrégiftrées
au Parlement le 5 de Septembre de la même année ,
l'Ordre des Chanoines Réguliers de St. Ruf, devoit
être éteint & fécularifé , & fes biens pareillement
réunis à l'Ordre de St. Lazare.
Mais fur les repréſentations faites au Pape , par l'Af
femblée générale du Clergé de France de 1772 , & le
confentement donné par l'Ordre de St. Lazare , de ne
pas jouir de ces réunions , mais feulement d'une pen-
fion , les Chanoines Réguliers de St. Ruf n'ont point
été fécularifés , & le même Pape Clément XIV a
donné une Bulle le 10 Décembre 1772 , qui révo-
que lesdites réunions. Cette Bulle a été enregistrée
au Parlement le 27 Février 1773, conformément aux
Lettres-Patentes du Roi , données à Verfailles le 10
Janvier de la même année .
Le Roi ayant accordé à Monfeigneur le Comte de
Provence , la dignité de Grand- Maître, dont Mon-
feigneur le Dauphin s'étoit démis , l'Ordre députa le
9 Mai 1772 , les principaux Membres de fon Corps
pour remercier le Prince de la protection qu'il avoit
accordée à l'Ordre pendant qu'il en étoit Grand-
Maître , & pour rendre fes refpects à Monfeigneur
le Comte de Provence. Les difcours furent pronon-
cés par M. le Marquis de Paulmy , Chancelier de
P'Ordre. Ces difcours & la réponfe de Monfeigneur
260 Effai critique fur l'Hiftoire &c ,
le Comte de Provence font rapportés dans le Mer-
cure de Juin , pag. 206.
Le Prince, nouveau Grand-Maître , a prêté ferment
entre les mains du Roi le 12 Septembre 1773. En-
fin le même Prince , » dans un Chapitre tenu à Ver-
» failles le 19 d'Avril 1774 , a ordonné , avec l'agré-
» ment du Roi , à tous les Chevaliers & Comman-
" deurs Profés , de porter journellement une croix
» verte, à huit pointes , coufue fur leurs habits , &
" dans les céremonies de l'Ordre , fur leurs man-
" teaux , faifant revivre , par ce Réglement, un uſage
» pratiqué anciennement dans l'Ordre de St. Lazare..
Gazette de France.
Etat actuel de l'Ordre de ST. LAZARE.
SOUVERAIN CHEF ET PROTECTEUR.
LE ROI.
GRAND-MAITRE ET CHEF-GÉNÉRAL .
Monfeigneur le Comte DE PROVENCE.
M. le Duc de la Vrillieres , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , Commandeur des Ordres du Roi , commis
par Sa Majefté pour être Gérent & Adminiftra-
teur de l'Ordre.
GRANDS-OFFICIERS COMMANDEURS.
Chancelier Garde-des-Sceaux.
M. le Marquis de Paulmy , Miniftre d'Etat , Com-
mandeur des Ordres du Roi , honoraire Grand-
Croix & Chevalier de l'Ordre de St. Louis.
Prévôt & Maître des Cérémonies.
M. le Comte de Bombelle.
Procureur-Général.
M. Ménard de Chouzy , Confeiller d'Etat , premier
Commis au département de M. le Duc de la Vril,
lieres , Miniftre & Secrétaire d'Etat.
Nota. Cet Office a été éteint & fupprimé dans un
Chapitre général de l'Ordre , tenu à Versailles le 19
d'Avril 1774 .
Tréforier-Général.
M. de Lattaignan Comte de Bainville.
Greffier Secrétaire-Général.
M. Dorat de Chameulles.
AUTRES OFFICIERS .
Généalogifte.
M. Chérin , Généalogifte des Ordres du Roi.
Les autres Officiers de l'Ordre font un Intendant ,
un , deux Huiffiers , & un Agent
B& D Cd'Armes
ommis du Greffe .
DE LA FIN.
VILLE DE
LYON

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