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2
2
0
0
2
810402 3.

ex Libris, A Jerruset ,

cenno Domini .
1790 .
ΟΙ ΟΙ

ΜΙΑ
A M Ν

MARC
ELLI
N

FRAN
EN ÇOIS
.

3.
LES 610401

DIX -HUIT LIVRES

QUI NOUS RESTENT DES XXXI.

DE L'HIST
OIRE
QU'AVOIT.C
OMPOSEZ
AMMIAN MARCELLI
N ,

Depuis l' An de Noſtre Seigneur 354. iuf


ques en 378. qui font en tout 24. Ans.

Pour l'uſage des Gens de Guerre , & de


tous ceux qui aiment les. Vcritez
de l'Hiſtoire .
BIBLIOTHÈQUE
Fonia
E
4

owe
sunagg
a

A PARIS ,

Chez CL AU DE BARBIN
9 au Palais
lle . ,
ſurle ſecond Perron de la Sainte Chappe

M. DC . LXXII.
Avec Privilege du Roy.
Hinc [ Conſtantius ] com
motus , ut injuſta perferent &
indigna , Præfecti cuſtodiam
Protectoribus mandayeràt fi

dis. Liv . 14. Section 6.Ben

ſuitte , parlant de Gallus Ceſar.

Exindeque per Protectores re


fractus artiflimè tenebatur .

Dans le Livre 18. en la Section 5 .


Antonin Officier des Gardes du
Duc de Meſopotamie eſt appellé ,
Protector exercicatus & prudens.
OUG30 30 OOOO OOOOOG
decostos de cortos aconchologacto
POVR

LES PROTECTÉVRS

MILITAIRES.

C'eſt à dire,pour les GensdeGuer


re,de qui la vaillance & la fidelité
fe ſignalent dansle ſervice pour
la gloire du Roy & de l'Eſtac.

L eſtaiſé de juger que l'on entend


icy parler de touslesGens deGuer .
re , ſoit de ceux qui ſont Domeſti
ques deftinez à la gardedu Prince , ou qui,
fous fon anihorité , marchent à la ſuite en
quelquelieu qu'il aille , ou quiſont envoyez
pour fon ſervice dans l'es Provinces éloi
gnées ſousla Charge des Lieutenans Gene
raux dont la prudence de la fidelité fone
connuës , touſiours preft's decombattre pour
ſa gloire', et pour la liberté publique , en
quoy conſiſtent la dignité & l'a venerable
Maieffé des Couronnes . Du moins 4 -t on
voulu ſuivre en cecyle stile des Anciens,
et particulierementde l'Autheur que l'on a
traduit : carils appelloient ainſi les Gens de
Guerre fideles e valleureux, quimarchoiết
fous les Etendarts de l'Empire , obeiſantsde
Pour ceux quivont à la Guerre.
des Dncs ; des Comtes , à des Prefers to
à des Tribuns.
Deceux-là donc , il y en avoit de Dome
ſtiques,et d'autres qui ne l'eſtoientpas tous
recommandables par leurs faits Guerriers
pourmeriter će nom , auquel on a depuis don
néun autre employ , commeon appelloit au
tresfois Vidames & Advoüez , ceux qui
eſtoient les Vicedomini de les Advocati,
des Egliſes Epiſcopales , des Abbayes
conſiderables : car en effet l'on protege ceux
que l'on deffend , que lon aime, ſelon la
i uſtice , contre des attaintes diverſes , ſous
l'authorité ſouveraine. Au reſte , l'uſage de
faire des Epiſtres liminaires pourmettre à la
teſtedes Livres qui s'impriment , eſttelle
ment décrié dans l'opinion de pluſieurs;
que c'eſt en quelque forte bleffer la reputat
tion des Ouvrages , que de les enrichir
d'un ornement auſſi vain que celuy-la ,
puis que tout le monde s'en peut ſi aisément
paſſer, & qu'à la verité,on ne ſçauroit pref
que dire , qu'il ait eſté iamais avantageux.
à quique ce ſoit. Cependant, c'eſt avec re
pugnance que jeme range de cetavis : car.
iem'eſtois perſuadé qu'il y des Seigneurs
oudes Princes meſmes qui accueillent aſſez
favorablement les Livres qu'on leur dédie,
quand cela ſe fait reſpectueuſement , et
ſans intereft , bien que toute la Cour aia
Pourceux quivont à la Guerre,
ſçeu , qu'un hommed'eſprit , qui fait des
Vers ; mais qui n'eft pas du nombre de ces
opulents.,au devantde quiles faveurs fem
blentdccouriren foule ; en perdant ſes ſoins
ſes peines , comme il preſentoitfon Livre
à un Seigneur , dont la prosperité n'a pas eſté
longue ; Jeneſçay pas lire , & vous pou
vez garder voſtre preſent pourun autre,
luy dit ce Seigneur, qui ni aimoit pas la Poë
fie,se qui craignoit les beſoins du Poëte : en
cela bien different. de feu M.de Belin qui,
pourun pareilſujet , fut au devant desfou
baits & de la neceſſité preffante d'un autre
Eſcrivain qui luyvoulătdédier'un Ouvra
ge, y avoit employé toute l'induſtrie dont il
estoit capable , pour en obtenir à la verité
quelque ſecours , parce qu'il eſtoit chargé
d'une famille pauvre. Cet hommepourtant
eſtoitde l' Academie Françoiſe alors ſoûte
nuë de Mile Cardinal de Richelieu vers le
Roy infiniment au ffusde cette Eminen
Ce', comme à Rome les autres Cardinaux
fone vers le Pape protecteurs des Con .
gregations Religieuſes ; do le fontmeſmes
A
encoredes Couronnes les plus indépendan
tes o les plus abfoluës ,tantleurs ſollicitu
des ſont officieuſes. Ainfi iln'a pas eſténe
ceſſaire de mettre un tiltre à ce diſcours ,non
plus que d'y marquer le nom de fon Au
shent', qui ne le rendroit pas aufi plus
ii ‫زن‬
Pour ceux qui vont à la Guerre
conſiderable . D'ailleurs , ilferoit pént-effre
également à propos de celler de faire des Lia
ores , du moins à quelques- uns qui n'y font
queperdreleurtemps,puis que les Bibliothes
ques en font déja tellement remplies , qu'il
ne s'en lit tantoff plus aucun pour neſçavoir
lequel choiſir. Pen de perſonnes ſont auffs
d'humeur de regarder ſeulement aucun de
ceux que l'on s'eft efforcé depuis quelques
années de mettre en lumiere ; bien qu'il's.
ne fuſſent pas entierement deftituez de ce
quiles pouvoit rendre ſuportables. On n'as
me tantoft plus la Proſe nyles Vers. On
pointille ſur tout. In chagrin critique s'en
prend à lamoindre faute d'edition , les
principaux Autheurs en l'un d en l'autro
genre , ſe condamnent reciproquement ſans:
Je faire de quartier. Chacun n'eſt épris que
desbeautez de ce qu'il fait : on reiette preſ
que toutle reſte : & ceux qui s'érigent en
Souverains pourdécider de toutes choses, à
cet égard , le-voutant ainſi , trouventenco
re aſſez d' Amis & de credit pour en donner
l'opinion telle qu'illeurplaist à force gens,
quine ſontdéia que trop endormis dans la
pareſſe. Sibien qu'il arrive ſouvent que
les meilleures choſes font mépriſées , & que
Coux quiles ont faites ont ſuiet d'en rougir
& de ſe cacher , tandis que l'on applan
dit aux autres que la fortune favoriſe en
Pour celrx qui vontà la Guerre :
Houtesmanieres ſans ſe donner beaucoup de
peine. Mais le Ciel es la Terre le vore
lant ainſi ,qui peuty trouver à redire ? Pero
fonne n'en doit murmurer , l'Hiſto
rien qu'on á traduit, en dit plus en quel
que endroit de ſes Livres qu'on n'en vou
droit dire icy , apres avoir parlé du luxe
des Citoyens Romains de ſon temps. Lé
meilleur ſeroitdonc , fi'ie nemetrompe,de ne
j'engager jamais dansune carriere filongue
of li difficile : & l'on doit avoir ſujet dere
gretter d'y avoir employé les plus beaux
jours de ſa vie:
Quant au ſuiet de cette Hiſtoire compoſée
par un Guerrier ſçavant deplein d'eſprit,
qui avoit vû les choſes dont il a parlé ; s'il
euft fallu ſe déterminer pour quelqu'un afirz
de luy en dédierlatraduction , qui s'eſt ache
vée à l'ouverture d'une grande Guerre , il
eaſt eſté bon de te chercher dans de pareils
ernplois. On n'auroit pas manqué d'y en
trouver de toutes les qualitez , e de beau
coup demerite.LeROT eftſi puiſſantqu'il en
a derefte: il ne faut pas douter que la gloi
re de fon feulNom de fes Vertus Guer .
rieres auſſi bien que Civiles , ne le faſſent
touſiours reſpecter de toutes les Nations. Il
eſt égal à tous , ſansavoirbeſoin d'un autre
nom , ou que la foibleſſe em la flatterie en
cherchent quelque étranger , qui n'eft pas
Pour ceux qui vont à la Guerre.
meſme dans le bel uſage., pour luy plaire.
On a fait aſſez voir ailleurs que le Nom de
Ror , eſt au desſus de celuy d'Empereur ,
quelqueopinion que des perſonnes en repu
tation d'eſtre ſi habiles , en ayent conçenë :
e certes , comme il ne faut rien changer,
ie ne tiens pas auſſi qu'il y ait de dignités
nidegrandeur téporelle au monde au deffus
dela puiſſance que nousreverons, comme la
premiere au deſſousde la Divinitédans les
bornes qu'elle voudra luy preſcrire. Les
grandsPreparatifs qui ſe fontpour quelque
haute expedition , fonttels, qu'ils auroient
efté mal- aiſément égalez par ces fameux
Chefs dela Republique Romaine , qui ont
eu defi terribles Guerres à demeſer contre
les Perſes , pour s'oppoſer à leur orgueil ,ou ,
pour reprimer l'inſolence des Scythes , des
Hurs.des Alains of des Goths, qui ſe dé
chainerent de leur temps de toutes les Re
gionsdu Nord , pour inonder de leurdébor
dement , comme ils firent enſuite les plus.
belles Provinces de l'Empire , d'où vinrent
auſſi les François qui furent des peuples ſo
belliqucux , demefme que les Gepides , les
Bourguignons , les Lombards , lesHerules,
les Normans les Saxons, les V vandales,
quiſe ſont épandus dans les Gaules, dans
ľ Affrique , dans l'Eſpagne,dans l'Angle ..
terre e dans l'Italie , ſans en excepler :eux
Pour ceux qui vont à la Guerre.
qui , depuis plusde deux foebles, occupent
Conſtantinople & tout l'Empire d'Orient.
Cespreparatifs ſont donc telsqu'il n'y atan .
toft plus de liewde douter, quel'année 1672 .
fera voir des choſes, auſquelles on ne s'eſt
point attendu iuſques icy , & dont la poſte
ritéſera émerveillée. Car , quene doit-on
point augurer de la maiefté de cette Couron
ne, & dubon- heurqui l'accompagne ? La
France quiproduit tant decours genereux ,
ſecondera touſiours les grandsdeffeins de fon
Ror, qui voudra moins ſansdoute étendre
les limites de ſes Eſtats , que de pacifier
toutela Terre , & de reprimer la licence de
ceux qui perdent le-reſpect qu'ils doivent à
fa vertu eở à unepuiſſance aufſi étenduë que
la fienne . Mais tous ces Guerriers , fans en :
excepter un ſeul , dont j'ay voulu parler;
fous le regne d'un fi grand Prince, ſepaffe
ront bien denos complimensſur ce ſuiet. Ils
n'ont beſoin ., ny de l'Hiſtorien en fa per
fonne,nyde civilitez du Traducteur :@ce
ſera bien affez dans leur intention dans
la noſtre , que l'Ouvrage leur plaiſe avec
toute ſa diverſité , ou qu'il ſoit utile pour ſer-,
vir demodelle à quelqu'un d'entr'eux , s'it
fe veut un jour donner la peine d'en écrire
autantde la felicité de ce Regne , qu ' Am
mian Marcellin en a fait du gouvernement
des Princes qui ont veſcu de ſon temps.
á vj
类染 染 染 : 张 经

PREFACE.

· AUTHEUR de cet ouvrage


qui l'acheva dés l'ānée 1664 .
ne s'attendoit plus de le voir
-imprimé. On le luy avoit
bien demandé pluſieurs fois , parce qu'en
effet le ſujec en eſt conſiderable ; mais
on ſouhaite des choſes en un temps,
defquelles on fe foucie peu dans un au
tre. Ainſi cout change dans le monde ,
/ & l'inconſtance eſt le plus grand partage
de tous leshomes. Enfin ,la fortune a vou
lu que l'on ait redemandé ce que
avoitli long -tempsnegligé : & voicy la
premiere fois que l'on pourra voir une
Traductió françoiſe des dix .huict Livres
quinous reſtent dés 31..qu'Ammian Mar
cellin avoit compoſez de l'Hiſtoire Ro
maine depuis l'Empire de Nerva , iuf
ques à la fin deceluyde Valens. Celledes
dix - huict derniers Livres que nous en
avons,contenant les chofes plusmemo
tables qui ſe ſont paſſées en vingt- qua
treans , depuis le quatorziémedu Regne
de Conſtantius fils de Conſtantin , iuf
ques à la mort de Valens frere de Va
lentinien , qui avoit fuccedé à Jovien ,
P'REF AC'E .
& à falien le dernier de la famille des
Flaviens , depuis l'année 354. de Noſtre
Seigneur , iuſques à la trois cent ſoixanı
te & dix - huictiéme.
On fçait bien que les nouveautéž ont "
des charmes , que rarement l'Antiquité
porte avec elle . Et, quand cette Anti
quité feroit encore cent fois plus“ vene
rable qu'elle ne l'eft , ou que ceux qui
Paiment tant , ou qui la preferent de fi
loin à tout ce quenous avons vû de plus
grand & de plus furprenant en nos
jours ; feroiene capables de le perſuader
/
à force gens avec toure leur éloquence za
plugeurs toutesfois , fans y avoir iamais.
appliqué leurs foins , s'imaginent de la
connoiſtre affez..pour le beſoin qu'ils en
ont , & fe perſuadent mefmes de fça
voir des chofes conſignées dans les Li
vres des grands Hiſtoriens , leſquelles
ils ne ſçaventpoint du tour. Ils ont opi-
nion d'avoir vû ce qu'ils ne virent ia
mais , ou dont ils n'ont oüy parler quem
legerement. Si bien qu'ils negligent fou
vent d'apprendre des veritez imporran
res pour ne s'occuper l'eſprit que de
choſes imaginaires quin'ont pointde ſo
lidice ,
» quoy qu'elles ne foient pas toữa
jours deftituées des graces de l'élocu .
tion , & dece qu'il y a melme de plus gas
P R EF A CE.
land & deplus iuſte dans les belles mas
nieres de s'exprimer ;, au lieu que dans
lesbons Livres , l'utilité ſe trouve éga
lement jointe avec le plaiſir , ſans don
ner ſujet à perſonne de s'en plaindre ,
comme il arrive quelquesfois quand on
porte la fatire trop avant , ou qu'on la
particulariſe auſſi trop , pour en faire
I comber l'ourage ſur des gens qui ne
l'ont pointmerité.
L'Hiſtoire bien écrite qui ne doit
point affecter la médiſance , & dont les
Autheurs auſſi ſe doiventbien empeſchee
de deshonorer leur proprepais , ou d'in
ſulter aux Nations voilines, ſous pre
texte de ne dire quela verité , eſt certai
nement du nombre des Ouvrages con
ſiderables. Mais , il y faut faire choix
des matieres, les cxprimer noblement, &
s'empeſcher bien d'y conſerver la
memoire des choſes indignes d'eſtre
fçeuês , ou quine valentpas la peine d'ê
tre écrites . Ceux qui ſe ſont perſuadez ,
que pour l'Hiſtoire Roinaine , celle de
feu M. Coëfeteau n'a rien laiſſé en ar
riere , & qu'elle fuffit pour tout le reſte ,
ont paſſé lesbornes dans l'eſtime qui eſt
duë au merite de la plumequil'a compo
Lée : elle a eſte recomandable en ſon téps :
& ccftcs, l'ouyrage de ce Prelat eſt bien
PREFACE
écrit ; mais cela n'a pas empeſché qus
l'on n'ait leu tres-agreablement Tacite,
& les autres Autheurs qui ont écrit de
vant Conſtantin . Voºmeline ſujet ſe
peut traiter avec des differences agrea
bles : & les. Hiſtoriens Originaux ont
beaucoup de particularitez qui ne ſe
trouvent point ailleurs.
L'Hiſtoire d'Ammian Marcellin eft
aſſeurément divertiſſante . Iene croy pas
meſme qu'il y en ait aucune de l'anti
quité où la variecé ſoit plus frequente.
Elle ſe trouvemeſléedu Paganiſme,& de
la Religion Chreſtienne : Et, quoy que
ſon Autheur ne fuſt pas perſuadé de la
verité de l'Evangile , l eſt ce que com
meileſtoit honneſte homme, il parle des
Chreſtiens avec tantde inoderation & de
dés-intereſſement,qu'ily a ſujet d'en étre
ſatisfait; bien que ce neſoit pas la
pen
fée d'unexcellent Cardinal denos iours ,
qui s'en explique tout autrement dans le
dénombrement des Authcurs qu'il a citez
dans ſon Livre de divina Pſalmodia eiuf
que caufis , où il dit d'Ammian Marcel
lin , Ammianus Marcellinus Hiſtoricus
Ludicio e fide clarus , dont il eſt aiſé de
demeurer d'accord , parce que cela eſt
vray , mais non pas
de ce qu'il écrit en
ſuites ſedſtylo Poëtico,duro dinepro :homo
PREFACE
enim Gratus,Gretas retinuit loquëdi formas;
Juliani Apoſtat& miles of Parafitus fuit ,
Chriſtianis inſenſus. Ce qui eſt bien con
traire à ce que j'en viens-d'écrire , &
ce qu'il me ſemble qu'on en doit croire,
Au reſte , pourquoy appeller Ammian
Marcellin , Parafite de Iulien l" Apoftar?
Nultémoignage de l'Antiquité ne nous
le peut perſuader : Et ſi, pour loüer un
Prince en ce qu'il avoitdelouable, l'ayai
connu particulierement, eſt un argument
pour dire qu'ileneſtoit parafite,ſans avoir
beſoinde faire aucunebaſſeffe pourcela ,il
eſt certain qu'Ammian Marcellin pour
roit eſtre appellé de la ſorte. Mais M.le
Cardinal Böna eſttrop farát,& tropiudi
cieux poue inferer ſerieuſement l'un de
l'autre. Le ſtyle de cét Autheur pourroic
bien avoir à la verité quelque dureté, de
la façon que nous prenons aujourd'huy
les choſes en cęgenre là.Mais de l'appel
Jer Poëtique ( iinepte , c'eſt à dire impro .
pre , j'avouë que ie ne m'y connois pas
aſſez pour eftre de cet avis. Outre que ,
pour eftre Grecou Syrien ( car Ammian
Marcellin eftoit d'Antioche en Syrie ) ce
n'eſt pas une raiſon convainquante de
n'avoir pas bien ( çeu la langueLatine,où
il s'eſtoit pourtant appliqué avec foin .
Vlpien qui eſtoic d'Antioche comme
PREFACE.
luy n'a pas laiſſé debien écrire: & Terene
ce a parlé élegamment Latin , quoy qu'il
fult Affricain; Mais M.le Cardinal luy
mclmequi écrit fi poliment en cetre lan
gue ,auroit fujer de faire peu d'eſtime de
quelqu'un qui diroit ſur un pareilſujer ,
qu'il eſt né Piémontois ſur les rives
du Pau , ou le Latin n'eſt plus du tout en
ulage dans la bouche des peuples , com
me ilne l'eſt pasmeſme à Romedepuis ſi
long- temps: car en effet,eedéfaur de l'ela
fage fe peur corriger par un excellent
naturel , & par une grande application ,
quoy qu'il ſoit bien mal-aiſé denefrete
nir pas toûjours quelque petit Idiome
de ſon païs. Mais cela ne gaſte rien du
tout dans les beaux Ouvrages de cet il
kultre Prelat, à qui ſa derniérc dignité ,
qui couronne fon merite , acquiert de
formais la qualité d'Eminence , depuis
le ſtyle introduit dans l'Egliſe Romai.
ne dés l'année 16-29 . par un decret qui
en fur fait exprés ſous le Pontificat du
Pape Vrbain VII.
On trouve dans Ammnian Marcellim
des deſcriptions exactes: & curieuſes:
de lamaniere d'attaquer & de défendre
les places : il ne s'en voit pointderelles
autre part O'n
. y apprend mille choſes.
sares desmachines de guerre , & des di
PREFACE.
gnitez de l'Empire , auſſi bien que des
lieux pour la connoiſſance de la Geo
graphie : ce qui, pour eſtre ſouvent diffi
cile à exprimer , ſelon noſtreuſage sn'en
eſt pas moins conſiderable. Et ce que
nousn'avons pû employer dans le texte
pour n'y laiſſer aucune difficulté , nos
Remarques à la fin de chaque Livre ſup
pleeront au défaut, où il ſera aiſé de les
trouver par les renvois qui en font pre
cis . Les Tables quiachevenr le dernier
volume n'y ſervirontpasmoins en beau
coup. d'endrois pour les choſes de la
Chronologie , & pour celles des ma
tieres , & de tous les lieux où il eſt parlé
des dignitez de l'Empire, & des Offices
militaires , aufli bien que des païs ,
des Fleuves , des Villes , des Peuples, &
des Regions.
Toutes les digreſſions qu'Ammían a
jettées dans les Livres ſur des ſujets dif
ferens, font à mon avis belles & ſçavan .
tes : elles ſont preſque toutes à propos
des choſes où la ſuitce de fon hiſtoire l'a
engagé ; ce qui donne une merveilleuſe
recreation à ceux qui la liſent , & leur
offre d'eſpaceen eſpace , autant de repos
foirs delicicux .
Ses Harangues , les Lettres , ſes conſi
derations Politiques & morales meritent
PREFACE.
bien auſſi qu'on en faſte de l'eſtat. Iln'y
a que le peu d'induſtrie du Traducteur
qui nerépondra pasau merite de l'Ou
vrage : & il ne doute pas meſme qu'il
ne luy ſoit arrivé quelque mépriſe ou
inadvertance , ce qui eſt aſſez ordinaire
en travaillant ſur un Autheur auſſi long
& aufli difficile
que l'eft Ammian Mara
cellin , & ſur tout, les Editions qui en
ſont venuës iuſques à nous, n'eſtant pas
ſans beaucoup de lacunes & d'alcera
tions des textes cauſées par l'ignorance ,
oupar le peu de ſoin des Copiltes , dont
celuy qui l'a commenté de nos 'iours
avec beaucoup d'érudition , a fait un
grand nombre de corrections cres - iudi
cieuſes. On voit bien
que ie veux
parler du fameux Henry Valois , qui eſt
un grand Critique, & un excellenthom
me pour cette ſorte de litterarure.Celuy
là meſme qui a donné la Vie d'Ammian
Marcellin en Latin , dans ſon Edition ,
comme nous l'a donnons en celle- cy en
François , & qui a joint à la ſuitte de
ſon Hiſtoire , celle qu'il dit avoir euë
du feu Pere Jacques Sirmond , apres un
ancien Manuſcrit d'un Autheur Chrê
tien , dont le nom eſt ignoré ; mais qui
vivoit ſur la fin du ſixieme ſiecle , & fucle
commenceme
nt du ſeptiéme c'eſt à dire ,
PREF ÄCE.
il y a prés d'onze cent ans , où il eft
parlé de Conſtantius Chlorus pere de
Conſtantin , de Conſtantin luy -meſme
furnommé le Grand, & des autres Empe
feurs iuſques à la fin de l'Empire de Juſtin
& de Thcodoric en Italie , ou commence
l'Hiſtoire de Procope de Cefarée , tradui
te depuis peu , auſſi bien que celle d'A
gathias , du remps de Iuſtinien > avec
coure l'elegance qu'on l'euſt pû deſi
fer, par M. le Preſident Coulin , qui
nous en fait eſperer la fuitte par tous
les Autheurs qui ont compoſé en Grec
l'Hiſtoire qu'on a ppelle Bizantine.
l'ay joint à cet Ouvrage , la Verfion de
cette pieceantique d'un Autheur incer
Cain , laquelle fe trouvera ſur la fin du 3
Tome, commençant à la page 1500. où
Certainement , l'on peut dire qu'il ſe
lit des choſes qui ne ſe voyent point
ailleurs.
La Vie d'Ammian Mercellin ſuit cette
petite Hiſtoire , apres les Remarques
qu'on y a miles ,.en la page 1543. Puis laz
Chronologiedes choſes s:que cét Autheur
a écrites avec un ſtile militaire en la page
1565. en fera la concluſion avec les Ta
bles deſquelles i'ay déja parlé .
L’Aucheur de cette Verſion n'ignore
pas le peu.d’accucil que l'on a faic fou
PREFACE.
vent à des ouvrages accomplis , ſans s'a
tre beaucoup ſoucié d'apporter à celuy
Cy des ſoins extraordinaires.Il n'en a pas
melmes fait deux Copies , & s'eſt con .
tenté d'une ſeule færlaquelle cetre Edi
tion s'eſt formée , bien qu'en travaillant
il n'y ait rien ncgligé de toutes les cho
les qu'il a pu croire eſtre neceffaires
pour la rendre ſupportable & intelligi
ble . Il y auroit retouché plus de dix fois,
comme d'autresont fait dans des pieces
de cette qualité , qu'ils ont enfin don
nées au public , apres beaucoup de fe
cours precedcns, quiont manqué en cefa.
te occafion. Mais il ſeroit à ſouhaiter
que ce Public , où que ceux qui le gou
werneut ſousvneauthorité ſuprême, euſt
efté auſsi facilc . à favorifer fes labeurs
qu'il a eſté autresfois enclin à couron
ner de quelque petite guirlande ceux des
autres qui Pavoientbien merité , ou qui
ont efté affez heureux de leur temps ,
pour entendre de cous coftez des voix
obligeanges ſur les pieces qu'ils avoient
déja miſes au iour , eſperant qu'ils en
trouveroient toûjours de relles pour cel
les qu'il y deſtinoient encore , en quoy
ils ne ſe ſont pas crópez , ſansle pouvoir
imaginer , que rien en cela les peut
égaler : Et certes les plus grands tras
PREFACE .
vaux ne ſont pas également conſiderez
par toutes ſortes de perſonnes. Tant il
eſt aiſé de voir , que , par une certains
fatalité inviolable les uns ſont cholis , &
les autres ſont delaiſſez :ce qui eſt meſme
un ſecret de la providencedans laquelle
nul de nous ne ſçauroit penetrer : Et il
n'eſt pas meſme à propos de s'en emba
raſſer , mais bien de s'humilier devant
cette Providence divine, & de l'adorer
avec beaucoup de reſpect.

Cineri gloria fera venit . — Martialis.


l.1. Epist. 85 .

Il peut eſtre ſurvenu des fautes dans cerie Edi


tion ,leſquelles.ic n’ay pas apperçcuës , excepté
celles-cy .Dans la page 20.apres cesmots, Batné
eſtoit une ville,il fauteffacer qui jouïſoit des prie
vileges de celle de Rome. Ce quieſt échappé de
lamarge dans le texte , & dans la page 36.ligne
1. il faut lire cour de ſuitec, voſtre vie, do ſur tout,
au lieu de toutesfois qu'il faut effacer avecle point
qui le precede , page 6oo.lig. 7 ,lespecies , liſez le
Species & ligne 25 au lieu delemerveilleux Iris, il
Laut lire la merveilleuſe Iris.
606 obo co
୨୧୭୧୭୧ go 29 CLOU
BORSE

EXTRAIT DV PRIVILEGE
du Roy .

Ar grace & Privilege du Roy , dona

Decembre , l'An de Grace , milſix cens


foixante & fix , & de noftrc Regne lc
vingt-troiſiéme. Signé, Par le Roy en
fon Conſeil , Du I ARDIN ; Il eſt
permis à : M . DE MAROLLES,
ABBÉ DE VILLE LOIN , de faire
imprimer'un Livre intitulé Ammian
Marcellin , qu'il a traduit de Latin en
François ? Eczce pendant le temps &
eſpace de dix années , à compter du
iour que ledit Livre aura eſté achevé
d'imprimer pour la premierefois ; avec
défenſes à toutes perſonnes d’en impri
mer , vendre & débiter d'autres que de
Çeux imprimez par ordre dudit Sieue
de Marolles , à peine de confiſcation
des exemplaires contrefaits , des amen
des portées par les Lettres dudit Privile.
ge ; & des dépens , dommages & in
Cereſts.

M. de Marelles 4 cedé le droit dudit


Privilege à Claude Berbin Marchand Lju
braire à Paris , ſuivant l'accord fait ex
freux .

Achevé d'imprimer pour la premiecc


fois , le 30. d'Avril 1672

Les Exemplairesont efté fournish

Regiſtré ſurle Livre de la Communauté


des Imprimeurs.. MarchandsLibraires
de Paris , fuivant l' Arrest de Parlement,
er dette du 8, Avril 1653.

Signé PIGET, Syndic.

19 :

LES DIX -HUIT


LES
DIX -HUIT LIVRES

QUINOUS RESTENT DE L'HISTOIRE


R Ο Μ Α Ι Ν Ε
D'AMMIAN MARCELLIN ,

Depuis l'Empire de Nerva , juſques


à la mort de Valens.

Les treize premiers Livres des 31. qu'il


Avoit faits, ont efté perdus.

Ceux-cy .comprennent l'Hiſtoire


des choſes plusmemorables qui
ſe ſont paffées du vivant de
l'Autheur , ſous les Empereurs
Conſtantius' fils de Conſtantin

Iulien , lovien , Valentinien &


Valens , en l'eſpace de plus de
26. ans, depuis la dix -huitiéme
année de l'Empereur Conſtan
tius, juſques à la mort de Valens;
C'eſt à dire depuis l'année de
Notre-Seigncur 354.juſques en
378.
AMMIANI MARCELLINI

RERVM GESTARVM ,

Libri 18. ex Bibliotheca Fr. Lin


debrogij, Hamburgi, Anno
1609. in 40.

De Ammiano fic Frid. Lindebrogius


in Præfatione ad Lectorem .

VRV S ille quidem & afper , fi cum


D Auguſtiævo conferatur : at vero or
natus & ſuas habens veneres , fi poftuma
tempora & ſectam auctoris fpe & as. Quicum
Græcusoriginitiùs effet , & caftra ſequeretur,
caſtrenſi quoquc dictione uſuseſt . Attamen
ur in ſenticeto rofæ nonnunquam & lilia
fuccrefcunt, ita in hujus afpritie velut flofcu .
li quidam elegátiarum urbanarum renident,
qui cum Livianis de jure latinitatis certare
nus Grammati
poffint :unde neque Priſcia
cus veritus eft authoricare cius uri. Itaque fi
minus interdum placet , & obſcurus elle vi
detur , obfcuritates non adfigncmus culpæ
fcribentis , fed infcitix non affequentis.
3
AMMI
AN

MARCE
LLIN

LIVRE XIV . *

CONSTAN
TIUS

ET

GALLUS.

1.
Les Crimes abominables de Gallus Ceſar
en Orient, ſuggerez par les mauvais
conſeils de fa femme.

PRES une expedition ſi me


A morable, a les homes de part &
IZER
d'autre ſe trouverent fatiguez
par les grands travaux qu'ils avoient
Toufferts, & par les divers perils qu'ils
avoient courus. Lebruit des Trompet

A ij
AMMIAN MAR . Liv. XIV .
tes avoit à peine ceſſé , que les Soldats
ſe rendirent dans leurs Garniſons pour
leur quartier d'Hyver. Mais toutauſſi
toftla fortune fit tomber d'autres orages
ſur le peuple par les furieux emporte
mensdeGallus Cefar , qui,dans la fleur
deſon âge, ſe voyant élevé à la puiſſan
ce ſouveraine , ne ſe crur point obligé
demettre des bornes à la licence , &
foüilla toute choſe par ſon excellive
cruauté. L'honneur qu'il avoit detou
cher auſang linperial, & d’eſtre de la
famille de Conſtantin , luy donna tant
de preſomption , que s'il cuft eu dauan
tage de forces qu'il n'en avoit , iln'euſt
point fait de ſcrupule d'entreprendre
ouvertement toutes choſes contre l'au
theur de la fortune & de la dignité où il
ſe voyoit élevé. A quoy la femme le
portoit avec d'autant plus d'ardeur
qu'elle eſtoit elle-meſme pleine de va
nité , pour eſtre leur propre de l'Empe
reur. Son Pere Conſtantin l'ayant au
paravant donnée pour femme b au Roy
Hanniballian fils de fon Frere. Cette
femme eſtoit une vraye Megere avide
de ſang, quimettoit le feu par tout. Si
bien qu'elle n'avoit pas plus d'humani
té que ſon Mary , qui n'en avoit point
du tout, & quipeu à peu affectoit l'indé
CONSTANTIUS ET GALLUS.
pendance & la ſouveraineté abſolue par
toutes ſortes de ruſes & de méchan
cetez noires que luy fuggeroient les fla
reurs de Cour, qui ſont des gens cor
tompus. Cela parut dans lesmoindres
choſes, quand la puiſſance eut palle les
bornes , par la mort ſoudaine & mal
heureuſe d'un certain perſonnage de
maiſon Illuſtre d'Alexandrie , appel
lé Clematius ; Quand la belle - Me
re, qui ſe trouva bleſſée d'amour à
fon ſujer , ne pouvant obtenir de
luy des faveurs où elle afpiroit , cl
le ſe fit introduire dans le Palais
par
une fauſſe porte : Etapres qu'elle eut
faitun preſent à la Reine d'un collier
de perles , elle obtint une Lettre de
Cachet à cHonorat,qui cominandoit en
Orient , pour luy donner charge de faire
mourir Clematius , fans autre forme
de procez , quoy qu'il ne fuſt point
artcint de crime. Ce qui fut executé
avec beaucoup d'impieté , & fut un fu
jet de crainte à pluſieurs , qui pou
voient juſtement aprchender d'eſtre
condannez de la mefme forte ſur le
moindré ſoupçon , puiſqu'on avoit tant
d'indulgence pour la cruauté : Et cer +
tes les uns eſtoient égorgez , les autres
eſtoient privez de leurs biens, d'autres
A iij
AMMIAN MAR . Liv . XIV .
cſtoient bannis , & à pluſieurs on n'a
voit laiſſé que les larmes & les plain
tes , apres leur avoir tout oſté , n'ayant
plus de moyens de vivre que par les
aumoſnes qu'on leur faiſoit. Ainfi
l'Empire eftant devenu deſpotique, de
juſte & de legitime qu'il eſtoit aupara
vant ( car il n'eut plus d'autre modera
tion , que d'une volonté dépravée par
la cruauté ) les meilleures maiſons
eſtoient opprimées , ou bien on les te
noit étroitement ſerrées. Dans cette
foule de maux on ne fe mettoit pas fort
en peine de chercher un Accufatear ,
afin qu'il y euft au moins quelque appa
rence de Juſtice dans la punition des
criines imputez, ce que les Princesmela
mes les plus cruels ont quelques -fois
obſervé :mais tout ce quiavoit eſté re
ſolu dans l'eſprit barbare deCeſar, pal
foit auffi-toſt
pour une chofe juridique,
& on l'executoit à la mefme heure. On
trouva l'invention en ces rencontres- là ,
que des gens inconnus , & d'une condi
tion fi baffe qu'on ne s'en fuſt jamais
défié, eſtoient envoyez par tous les car
tiers de la Ville d'Antioche , pour en
tendre tous lesbruits qui s'y paſſoient ,
afin d'en faire un rapport fidele . Ceux
là s'approchoient des perſonnes de
CONSTANTIUS ET GALLUS. 7
qualité qu'ils voyoient aſſemblées, ou
entroicnt dans les maifons desRiches
en habit de pauvres qui demandent l'au
mône, pour voir ce qui s'y paſfoit, &
puis eſtant admis dans le Palais , par
quelque fauſſe porte , ils venoient rap
porter tout ce qu'ils avoient pû décou
vrir : mais , afin de mieux réuſſir dans
feur deffein , ils faiſoient ſemblant d'en
trer dans les fencimens de ceux qui
avoient des ſujets de plaintes , & aug
mentoient le blâme qu'on faiſoit du
gouvernement , en ſupprimant les
loüanges de Ceſar que la crainte des
maux ( defquels on eſtoit menacé)tiroit
dela bouche de pluſieurs ,malgré qu'ils
en cuffent. Et cependant il arrivoit, que
fi un Perede famille difoit quelque chos
fe en ſecrer à l'oreille de la femme, quoy
qu'iln'y euft pointde tiers pour l'écou
ter, li eſt-ce qu'il ſe trouvoit que dés le
lendemain , l'Empereur en eſtoit averty ,
comme ſi quelque Amphiaras ou qucl
que Marcius quifurent autresfois de fi
grands Devins , luy en euſſent appris
tout le détail, & tout le particulier.C'eſt
pourquoy chacun apprehendoit juf
ques aux murailles de fon logis , ou iuf
ques aux cloiſons de fon Cabinet,com
melesſeules choſes, quien euffent på
A iiij
8 AMMIAN MAR . Liv . XIV .
reveler le ſecret. Vn diſcours croiſloit
toûjours en cesmatieres-là , & en d'au
tres ſemblables . A quoy l'eſprit curieux .
de la Reyne incita tout le Monde, quoy
que par une conduite ſiodieuſe, elle rui
noit entierement la fortune de ſon ma.
ry , au lieu d'adoucir ſon naturel farou
che, par la douceur quiſied ſi bien à une
Dame, en luy donnant de bons conſeils
pour fa propre utilitéé , comme nous
avons rapporté dans l'Hiſtoire des
actions des Gordians , qu'en uſoit de la
femme du cruel Empereur Maximin .
Enfin Gallus entreprit par un exemple
nouveau de faire une action bien vilai
ne , comme on dit que Gallien : l'avoit
eſſayé quelquesfois aucc la derniere in
famie : car prenant à la ſuite peu de gens
avec des épées , il ſortoit le ſoir en habit
déguiſé, & s'en alloit dansles cabarets ,
ou dans les carrefours de la Ville , &
s'informoit en langage Grec , qu'il ſça
voitaſſez bien,du jugement que chacun
faiſoit de Gallus Celar. Il en uſoit dong
de la ſorre la nuit à la clarté des Han
beaux . Mais il y fut ſouvent reconnu ,
quoy que pour faire croire que ce n'é
toit pas luy, ilne ſe montroit le jour en
public quepour faire les choſes ſerieu
ſes. Tout le Monde en geiniſſoit au
CONSTANTIUS ET GALLUS:
fond de ſon cœur : Et e Thalaffius Pre
fect du Pretoire en ce téps-là,voyant les
dangereuſes ſuites d'uva ſi inéchant natu
rel,au lieu de l'adoucir pour prendre de
bons & de ſages conſeils,comme quel
quesfois les puiſſances ſupericures tem ,
perent la colere des Princes; il l'animoit
davantageen le contrariant , & -avertir
l'Empereurde ſes déportemens, dont il
cxaggeroit ſouvent l'excés ; & cela,ſans
qu'on ait jamais bien (çeu par quel def
ſein ,> afin de ne rien diffimuler de l'affe
Etation qu'il y apportoit. Mais Ceſar
n'en devint que plusdébordé, comme
s'il euſt levé l'étendart de l'infolence
& de l'opiniâtreté ,dans le libertinage,
fansſe ſoucier du bien d'autruy , ny du
ſien propre, & bouleverſanttoutce qui
s'oppoſà à la furie , comme un fleuve
rapide , dont l'impetuoſité ne ſe peut
moderer .
HI.

LaGuerre ſuſcitéeparles Brigands Iſaú


riens, dont la fin est ſanglante y
diverſe.

Ette peſte n'eſtoit pas la ſeule qui


CE affligeoit l'Orient: Carles Iſauriens
auſquels c'eſt une chofe ordinaire de
AV
10 AMMIAN MAR . Liv . XIV .
faire ſouvent la paix , & de confondre
ſouvent toutes choſes par leurs incur
fions, & leurs brigandages, & qui aug .
mentent leur audace par l'impunité de
leur inſolence , ſe porterent à nous
faire ouvertement la guerre, ne pouvant:
demeurer en repos. Ils ſe fonderent
neantmoins ſur le tort qu'on leur avoit

>
fait, que quelques-uns des leurs ayant
cfté pris, on les avoit expoſez dans.
l'Amphiteatrea aux beſtes farouches à
Icone Ville de la Piſidie, dont ils ſe vou
loient reſſentir. Et certes , comme l'a
dit Ciceron , les beftes ſauvages averties:
par la faim qui les preffe retournent
Ainfi ſouvent aux memes lieux où elles:
ont pris quelquesfois leur pâture. Tous.
cés gens-là deſcendirent du haut de
leurs montagnes pour s'épandre dans
les plaines d'enbas le long de la Mer ::
& par des lieux détournez , ils vinrent
juſques ſur les ports, où il y avoit des
vaiſſeaux , pour obſerver pendant la
nuit,à une foible clarté de Lune, en quel
eſtar ils eſtoient : Et comme ils ſe fue
rentapperceus que lesMatelots-étoient:
endormis, ils ſe gliſſerent par les cor
dages, pour ſe jetter dans les barques,
& delà dans les navires , où par l'avia

dité , qui animoit leur cruaưré inhu


CONSTANTIUS ET GALLUS.
maine, ils affáſlinerenttous ceux qu'ils.
rencontrerentdevant eux, & pillcrent
les meilleures marchandiſes dont ils:
eſtoient chargez , fans y avoir trouvé
la moindre reſiſtance. Toutesfois il ne
leur fut pas aiſé d'en uſer fouvent de
la melme forte : car fi-toft qu'on eut
connu les meurtres que ces brigans
avoient fairs , perſonne du depuis ne
voulut s'arrêter ſur une coſte fidange
reufc : mais chacun s'en détourna com
me on fit autrefois du bord , où le bara
bare Sciron exerçoit autresfois fa ty .
rannie, & ſe retira du coſté de-Cypre ,
qui n'en eſtoit pas loinz à l'oppofite des
Rochers de l'Iſaure. Orpar la fuite du
temps , comme il ne noit donc rien
fur la coſte de ces peuples barbares ,
enfin s'eſtant refolus de l'abandonner ,
ilsſe tranſporterent dans la Lycaonie,
qui joint l'Ilure : Et là ſe tenant au
paſſage des grands chemins , ils vo
loient les Pallans , & s'enrichiſſoiene
de leurs dépoüilles. Cette ardeur de
piller émur les ſoldats qui eſtoient en :
garniſon dans les places voiſines : 86
chacun du país s'efforçant de tout fon
pouvoir de reprimer une li grande li
cence , tantoſt ſe trouvoit accablé -рас.
la multitude des voleurs , qui ſe met
A Vj
AMMIAN MAR . Liv. XIV :
toienten gros, & qui ayant eſté noul
ris dans l'aſpreté des Rochers , ne pen
ſoient que faire un jeu de ſe jetter dans
la plaine, & de battre à coups. de trairs
tous ceux qui ſe preſentoient devant
eux apres les avoir épouvantez par des
Gris & par des hurlemens terribles . Et
tantoſt nos gens les voulant pourſuivre
dans la montagne par de rudes ſentiers , :
bien que de la main ſe prenant aux
branches des arbres, ils euiffent atteint
juſques au ſommet, avançant toûjours
d'une plante gliſfante & peu ferme pouc
la roideur de la montée , ſi eſt- ce que
ne pouvant marcher en ordre de ba
taille , ny former un corps fue le ter :
rain elevé, les ennemis qui ſortoienrdo
leurs Rochers , les venoient charger
rudement, & les contraignoient de re
deſcendre bien viſte , mais non pas ſans

un peril extréme de fo rompre le coû :


ou bien s'ils eſtoient contraints de foû .
tenir le combat , dans la derniere ne
ceflité de fe deffendre , ils eſtoient ac
cablez des pierres qu'on faiſoit rouler
fur eux . C'eſt pourquoy , pour ne s'y
lailler pas attraper une autresfois , on
garda depuis cette meſure , que lors
que les Brigans commencent de ſe re
tirer ſur le haut de leurs montagnes ,
CONSTANTIUS ET GALLUS. IF
les Soldats ne leur reſiſtent point , à
cauſe de l'incommodité du lieu : mais
auſſi quand on les peut attraper en
quelque cafe campagne , comme il ar---
rive ſouvent., on les tuë .comme des
moutons , ſans leur permettre de dé
ployer les bras ; ny de brandir des ja-:
velots, quoy qu'ils en portent desdeux
& des trois tout à la fois . Ces voleurs
voyant donc par une longue experien
ce qu'ils n'avoient pas aſſez de forces
pour nous reſiſterdins les plaines de la
Lycaonie , où nous les attendions de
pied-ferme, ils s'en allerent par des
lieux détournez dans la Pamphylie;
...

qui avoit eſté longtemps fans crous


bles , & qui, pour la crainte des incur
fions des ennemis, s'eſtoit munie de
toutes parts de bonnes places& de fortes
garniſons. Si bien que fe hârant d'y
paſſer, afin de prévenir par une grande
promptitude le bruit que feroit leur en
trepriſe , comme ils s'aſſeuroient en leur
propre vigueur , & à la legereté de
leur course , ils ſe hâtcrent un peu
moins pour arriver par des ſentiers dé
tournez : ſur le haut des montagnes .
Puis ayant ſurmonté des paſſages fort
difficiles , quand ils furent arrivez au
lieu elevé, d'où ſort le feuve Mela
* AMMIAN MAR , Liv , Xry .
nis , qui tombe en tournoyant de ros
che en roche , & qui fert comme d'un
mur aux gens du païs, eſtant fort pro
fond, la nuit, qui augmente la terreur,
les ayant furpris dans un lieu incon
nu , ils s'y arreſterent tant ſoit peu at
tendant le jour : Car ils penſoient
qu'eſtant venus juſques-là fans avoir
trouvé d'empeſchement , ils auroient
plü: oft ravagé toutes chofes qu'on nc
fe feroit deffié de leur arrivée. Mais ils
fe donnerent beaucoup de peine inati
lement. Car le Soleil eſtant levé, ils ſe
virent arreſtez par le fleuve qui n'eſtoit
pas à la verité fort large ; mais qui
eſtoit fort profond . Et tandis qu'ils
cherchoient quelque nacelle de pelo
cheur pour paſſer , ou qu'ils s'effor
çoient de le traverſer ſur des Radeaux
attachez les uns aux autres , les Le
gions qui avoient eu Side pour leur
quartier d'hyver , s'allemblerent en di
ligence pourvenir au devantd'eux : &
s'eſtant plantez ſur la rive du fleuve ,
& ne demandant pas mieux que de les:
joindre , pour les charger , ils joigni
rent leurs boucliers enſemble avec
beaucoup d'induſtrie, & en tuerent fort
aiſément quelques-uns qui s'eſtoient
hazardez de paſſer le fleuve à la nage ,
CONSTANTIUS ET GALLUS.
ou qui avoient creuſé des troncs d'ar
bres en guiſe de batteaux pour
le tra
verſer. D'où vint qu'aprés avoir eſſayé
pluſieurs artifices , juſques à s'expoſer
au dernier danger, voyant que tout ce
la n'avoit point rcüſli , & que la for
ce & la crainte les avoient enfin chal
fez de là , comme ils ne fçeurcnt plus
de quel coſté le tourner, ils vinrent
auprés d'une Ville de l'Iſaure appellée
Laranda, où dés qu'ils ſe furentun peu
rafraichis , & que leur frayeuc fut paf
fée , ils ſe rendirent Maiſtres de quel
ques Villages riches avec le ſecours de:
certaines troupes de Cavaleric, que la
fortune leur avoit amenées, auſquelles
ils n'cuſfent pas ſeulement eſſayé de re
fifter en plaine campagne ; c'eſt pour
quoy ils fe retirerent , & firent ſortir
PInfanterie qu'il avoit laiſſée dans les
garniſons. Toutesfois comune ils ſouf:
froient beaucoup de peines par la gran
de diſerte , ils fë rerirerent en un licu
appellé Paleas du colté de la Mer , le
quel eſtoit fortifié d'un bon mur , où
l'on a mis juſques à prefent des ma
gaſins de tout ce qui cīt neceſſaire pour
Fournir aux ſoldats qui gardent les
frontieres de l'Ifaure. Ils furent donc
autour de ce Fort-là trois jours & trois
Å MMIAN MAR . Liv. XIV .
nuits : & comme on ne pouvoit appro
cher la inontée qu'il y avoit ; ſans
fe mettre en peril d'eſtre entierenient
défairs, & qu'on n'y pouvoit auſſi arri
ver par des mincs fous terre , & que tou
tes les inventions qui s'employent au
fiege d'une Placen'y ſervoient de rien,
ils ſe retirerent bien fâchez de n'avoir
rien gagné à celle-cy ; mais non pas
fans deſlein d'y retourner,& de l'attaquer
à l'extremité avec de bien plus grandes
forces. D'ailleurs , ayant conceu'une
rage furieuſe que le deſeſpoir & la fa
mine leur avoicnt miſes dans le cour,
leurs forces accreurent demoitié , & ſe
porterent avec une ardeur vehemente à
l'attaque de Seleucie capitale des Villes
de ce païs-là, que Caftricius, quiavoit
la qualité de 6 Comte defendoit avec
trois Legions endurcics aux fatigues
de la guerre Ceuxdonc qui gardoient
.
la place ayant eu avis par des Vedetes
fideles des approchesdeces gens-là, &
le inot ayant eſté donné, ils firent pren
dre les armes à toute la Milice qu'ils
firent ſortir promptement; & pafferent
encore avec plus de diligence le pont
du Calycadne , dont les grandes eaux
barrirent les tours des murailles de la
Ville, où -ils prirene un poſte de gens
CONSTANTIUS ET GALLUS.
17 :
qui eſtoient en humeur de combatre. Il
ne ſortit pourtant pas une ame de la
Place : & de la ſorte' il n'y cut
pas moyen de ſe joindre enſemble, Ce
corps d'armée fé faiſoit craindre par
l'emportement de ſa folie , outre qu'il
paſſoit les autres en nombre , & qu'il
fit bien connoiſtre que la crainte de f :
perdre ne l'empeſcheroit pas de donner .
Cette Armée ayant donc eſté vuë de
loin , quand elle fit entendre le bruit
de ſes clairons, les Brigans firent hal
te , & s'arreſterent tant ſoit
peur. Puis
ayantmis lepée à la main , ils avan
cerent à petit pas. Audevant deſquels
l'arınée le mie en bataille ayant dou
blé ſes lignes de front, & frappant les
ţarges du fer des javelots ( par une
coûtume vſitée pour allumer la colere
& l'ardeur des combatans ) elle don
noit déja de la terreur par ſon gelte ,
quand elle ſe vid tout proche. Mais
les Capitaines arreſterent tant foit peu
les ſoldats , qui alloient gayement au
combat, croyant qu'il n'eſtoit pas err
core teinps de ſoutenir le choc , dans
l'incertitude de l'evenement , parce que
la Ville eſtant proche, chacun pourroit
eſperer qu'il y trouveroit beaucoup
mieux la reureté. Ils ſe renfermerent.
18 AMMIAN MAR. Liv . XIV .
donc dans ſes murailles, & en bouche
tent toutes les approches par des ba
ſtions & par des plates-formes qu'ils
mirent tout autour , d'où avec des cail.
loux & des darrs, dont ils avoient fait
bonne proviſion , ils ſe propoſerent,
que ſi quelqu'un des ennemis fe jet
toit dans le rampart, il en feroit aufli
toſt accablé. Mais, ce quidonna bien
de la peine aux Affiegez , fur que les
llauriens ayant pris tous les batteaux
qui amenoient du bled dans la Ville
par la Riviere, en reccurent un grand
foulagement, & les Afficgez en pâti
Fent ſi fort , qu'ils en fouffrirent une
horrible diferte de vivres.
: Le bruit coniinun en apprit la nou
velle à Gallus Ceſar qui en fut émeu ;
mais parce que c ſon Conneſtable ou
Colonel de la Cavalerie, eſtoit alorsoc
cupé bien loin de là , d Nebridius qui
avoit la qualité de Comte dans l'O
rient, fut commandé d'affembler des
Eroupes de toutes parts pour aller fai
te lever le fiege de cette grande Ville,
& la délivrer du peril où elle ſe trou
voit reduite . I s'y en alla donc le plus
promptement qu'il pût, & obligea ve
ritablement les Brigans de ſe retirer ,
fans que perſonne s'y füít lignalé par
CONSTANTIUS ET GALLUS.
quelque exploit memorable : & les
Brigans s'eſtant diſpercez , comme ils.
avoient accoûtume , fe retirerent dans
les lieux inacceſlibles de leurs haures
montagnes .
III.

L'irruption qu'un appellé Nahodares fait


dans la Meſopotamie , avec les Sar
rafins, dont les meurs ſont icy
dépeintes.

Omme les affaires ſe paſſoient de


la o
Clar forte dans l'Ifaurie , & que le
Roy de Perſe qui s'étoit lié dans les
intereſts de cette guerre , ayane repouſ
fé de ſes limites des nacions farouches,
qui l'incommodoient fort, & quinous
eſtoient quelquesfois utiles , quand if
avoit deſſein de nous faire la guerre ,un
certain Nahodares , du nombre des
Grands de fon Royaume , qui eſtoit
ordonné pour faire des courſes dans la
Meſopotamie , ne cherchoit que l'oc
caſion de ſe jetter ſur les terres de l'Em
pire . Et parce que toutes les avenuës
de cette Province eſtoient ſujettes aux
incurſions des Perfes, on y avoit bâty
des Forts , & on avoit mis dedans des
garniſons, avec des magaſins: car on
AMMIAN MAR . Liv. XIV .

fe perſuadoit que s'il quittoit ſa route


ordinaire , pour ſe détourner à gauche,
& faire une entrepriſe du coſte d'Or
drocne, il y pourroit reüſlir ; mais il
eſſaya de prendre un autre paſſage, qui
avoit eſté tenté de peu de perſonnes , &
crût que s'il en venoit à bout, il fou
droiroit toutes choſes dans le païs. Ce
qu'il ſe propoſoit qui pourroit eſtre
comme je le vay dire .
Batné eſtoit une Ville qui jouiſſoit
des privileges de celle de Romeauprés
d'Anthemuſie , laquelle fut bâtic par les
anciens Macedoniens proche de l’Eu
phrate. Elle eſtoit remplie de Mar
chands fort riches, où pendantune ſo
lemnité, qui s'y faiſoit tous les ansvers
le commencement du mois de Septem
bre, force gens de toutes ſortes de con
ditions & de fortunes diverſes venoient
à la foire qui s'y tenoit , pour ache
ter toutes forres de marchandiſes , qu'on
y apportoit des Indes & du païsdes Se
res , & s'y fournir de pluſieurs autres
choſes d'ailleurs , qu'on a coûtume de
faire venir par mer &
par terre... Naho
dares, quej'ay déja'nommé,s'eſtant pre
paré à une entrepriſe pour envahir ce
païs-là ,pendant la folénité des jours que
jte viens de dire, comme il s'yacheminois
CONSTANTIUS ET GALLUS. 21
par le deſert, & par les prairies quiſont
le long de la riviere d'Abora , il fut tra
hypar quelques-uns desSiens, qui dans
la crainte qu'ils eurentde porter lapei
nede leur infidelicé , ſe jetterent en la
protection des Romains ; fi bien que
cette entrepriſe fut fans aucup effet,
dont il enragea de bon cøur.
Toutesfois les Sarrafins, que nous
n'avons jamais deû ſouhaiter d'avoir
pour nos Amis, ny pour nos Ennemis ,
rodoiene çà & là ; & coinme des oy
ſeaux raviſſeurs , qui deſcendent avec
roideur ſur leur proye , & l'emportent
toutde meſme, ſans s'arrêter aprés l'a
voir enlevée , ils ravillojent & rava
geoient en peu de
temps tout ce qui
Le rencontroit devant eux . Quoy que
j'aye parlé de leurs mæurs a dans ce
que j'ay cy.devant écritdes actions du
Prince Marc Aurelle , & dont je pour
ray bien avoir encore occaſion d'écrir
re quelque choſe cy apres , ſi eſt- ce que
je veux bien en dire icy encore un per
titmot, puiſque l'occaſion s'en offre à
propos.
6 Chez ces Nations qui prennent
leur origine des Affyriens, & dont le
païs s'étend vers les cataractes du Nil,
& le long des frontieres des c Blein .
AMMIAN MAR . Liv. XIV .
miens; Tous les peuples qui s'y trou
vent fontd'humeur guerriere : Ils vont
demy nuds, portant des ſayes colorez,
qui les couvrent juſques aux parties
honteuſes , montant d'ordinaire des
Chevaux fort viftes, ou des Chameaux
grelles , qui les portent en divers lieux,
foit qu'ils demeurent en paix ou qu'ils
foient en guerre. Jamais aucun d'eux
ne touche le manche de la charruc , ou
ne cultive quelque plante que ce ſoit,
ny ne laboure les champs, pour y cher
cher dequoy vivre :maisils ſont tou
jours errans, & pallent d'un lieu à un
autre, ſansmaiſon , ſans demeure arrê
tée , ſans Loix . Ils ne durent pas
long-temps ſous un meſme ciel, &
dans un mcfineterroir . Leur vie eft va
gabonde, elle eſt perpetuellement dans
la fuitre . Leurs femmes font mercenai
res , & ils demeurent d'accord avec el
les de les prendre à louage pour un
temps. Etafin qu'il y ait pourtant quel
que eſpece de inariage entre-eux , celle
quidoit devenir la femmede quelqu'un
apporte en dot à ſon mary une Pique ,
& une Tenre : & apres un certain jour
préfix , s'il accepte cela , elle ſe doit re
tirer : Et il n'eſt pas croyable avec
quelle ardeur parmy eux l'un & l'autre
CONSTANTIUS ET GALLUS.
fexe s'abandonne dans les plaiſirs de la
volupté.Ainfi tant qu'ils vivent, ils s'ć
Cartent cà & là, en ſorte que quand une
femme Ic marie en un endroit , elle er
fante en un autre , & nourrit ſes enfans
en quelqu'autre licu , ſans qu'il luy ſoit
permis de demeurer jamais en repos.
La chairde beſte ſauvage eſt l'aliment
detous tát qu'ils ſont: Ils ont auſſi abon
dance de laict , ils ont force herbages
dont ils ſe nourriſſent , auſſi bien que
des oyſeaux qu'ils peuvent attraper, en
ayant vû pluſieurs quineſçavent point
du tout ce que c'eſt que de l'uſage du
bled , ny du vin . Voilà ce que j'ay crû
à propos dedire juſqu'icy decette abo
minable nation . Reprenons mainte
Aant le fil de noſtre Hiſtoire.

I V.

Les cruautez de Conſtantius Ceſar dans


l'Occident, par les ſollicitations & les
mauvais conſeils de fes Flatteurs.

Andis que ces choſes ſe com


portoient de la forte en Orient,
Tandi
Conftantius paſſoit l'hyver en la vil
le d'Arles , ou apres qu'il eut don
nó au peuple le divertiſſement des jeux
24 AMMIAN MAR. Liv. XIV .
Circenſes, & des jeux repreſentez ſur
le theatre avec beaucoup de magnifi
.cence le dixiéme jour d'Octobre a qui
achevoit la trentiéme année de fon Re.
gne, comme il eſtoit porté de ſon in
clination à châtierrigoureuſementceux
qui avoient pris desemplois contre ſon
ſervice, fi.on luy en raportoit quelque
choſe de douteux, ou de faux, il le pre
noir auſli- colt pour indubitable ; ce qu'il
fit bien paroiſtre au ſujet de Geronce ,
hommede qualité , qui avoit eſté dans
le party deMagnence. Il le fit perir par
la main du bourreau , apres l'avoir afli
gé de la peine du bannilement. Et com
me un corpsmalade, qui ſe trouve d'or
dinaire abbatu par les moindres ſecoul
ſes qui luy arrivent , ainſi ſon eſprit
foible & denulle capacité s'imaginant
que tout ce qui le choquoit eſtoit une
entrepriſe formelle contre ſon ſervice
ou contre la propre vie, il ſe ſatisfai
foit par le máſfacre de pluſieurs per
ſonnes innocentes , & remportoit ainſi
une victoire lugubre ſur ſoy -meſme.
Que ſi quelqu'un d'entre les b Officiers
d'armée , ou ceux quiavoient des char
ges honorables , & des perſonnes de
qualité de la Cour , luy avoit donné
Sujet decroire, & meſmes ſans y penſer,
par
CON ET GAL
STA
NTI LUS .
par quel U
lege ſ Soup qu'i euſt fa
voriſ le qmuoei t m çon l
é ns du onde le party de
e
fes nnem ; aufli - toft il le faiſo
is it
traî
ner en priſon comme une beſte fau
vage : Et ſoit qu'u enn c
n emy ſe hargeaſ
de ce oupç ,ou u'il n'y en euft point
ſ q
du tour , coom n
ine fi c'eût eſté Tež d
t
e
l'avo d p
ir énoncé , il le uniſſoit de la
pein de mor , ou de la pert de ſes
e t e
bień , ou de banni dan
s ffem s quel
que ifte deſertë . Måis ,ece nt qui augmen
toit encore infiniment la dureté de ſon
naturel, c'eſtoit ſi quelqu'un luy diſoit
que fa dignité en eſtoít bleſſée , ou que
fon Empire en eſtoit diminué .
D'ailleurs les 'cruelles flatteries de fes
proches, & de pluſieurs qui exagerent
toûjours les choſes qui ſe font, aufli
bieri que de ceux qui feignoient d'eſtre
touchez de déplaiſir de l'eftat des cho
ſes preſentes , & qui diſoient, que li la
vie du Prince venoit à manquer tout fe
roit perdu ; acqueroient beaucoup de
pouvoir ſur la facilité de ſa colere , pour
les ſoupçons qu'il avoit conceus. C'eſt
pourquoy , on dit, qu'en de pareilles
rencontres , il n'a jamais revoqué les
peines de mort , ou d'autre châtiment
qu'il avoit une fois infligées. Ce qui eſt
aſſez ordinaire aux Princes inexorables.
B
26 AMMIAN MAR , Liv . XIV .
Ce vice pourtant fut plus capital en luy
qu'en qui que ce ſoit au monde, où il a
quelquefois trouvé du relâche : & cer
tes il s'augmétoit en ſon courage à me
ſure qu'il augmentoir en âge , à quoy
la foule de ſes facteurs avoit auſſi beau
coup contribué. Or entre ceux -là ex
celloir un Secretaire de ſes commande .
mens appellé Paul , originaire d'Eſpa
gne, qui cachoir un naturel artificieux
d ſous un viſage efeminé qui n'avoit
point de barbe. Il preſſentoit admira
blement les voyes ocultes des dangers
qu'il y avoit à courre. Celuy -là en
voyé dans la grande Bretagne, pour en
attirer quelques-uns, qui avoient osé
conſpirer avec Magnence , leſquels
n'eurent pas la forçe de luy reſiſter , &
luy s'eſtant emancipé au delà des com
mandemens qui luy furent faits, ſe ré
pandit inopinément ſur la fortune de 2
pluſieurs , comme un fleuve débordé , 2
quin'épargne quoy que ce ſoit : & efé
comportoit parmy les maſſacres , & les
ruines publiques commeun enragé, qui
mettoit dans les fers les perſonnes de
condition, & faifoit ferrer étroitement
les mains à pluſieurs , pour des crimes
imaginaires qu'illeur imputoit.
D'où vint que du temps de Conſtan
ividendius ET GALLUS. 27
tius on admit une fois un forfait impie,
par lequel on donna une Aétriffeure
perpetuelle , avec le fer chaud, Marcin
qui gouvernoit alors ces Provinces,f en
Fabience des Prefects , portant avec
beaucoup de déplaiſir tant de miſeres
qu'on faiſoit ſouffrir àdes Innocents,&
s'eſtant fort ſouvent employé pour fai
1: re qu'on épargnât ceux qui n'avoient
point failly , commeil vid qu'il n'en put
sien obtenir , il menaça de ſe retirer,afin
au moins que ſi l'Exacteur en avoit ap
prehenſion , il s'abſtintde jetter, comme
il faiſoit , dansdes perils extrémes, ceux
qui avoienteſté élevez , & nourris avec
luy. Mais Paul s'eſtant perſuadé , que
par là ſon entrepriſe auroit peu de fuc
cés; commeil eſtoit plein d'adreſſe pour
embaraſſer des
gens dans des affaires li
fâcheuſes ( d'où vint qu'on luy don
na le ſurnom de Catena,c'eſt à dire chai
ne , ) il attira dans le meſmefort des au
tres gceluy qui comandoit en l'abſen
ce du Gouverncur , parce qu'il prote
gcoit ceux qui eſtoient ſous fon autho
rité. Il faifoit inſtance pour l'envoyer
lié à la Cour de l'Empereur , avec des
Tribuns & pluſieurs autres , dont le
Lieutenant du Gouverneur s eftantifen
zti outré, quand l'entrepriſe qu'on avoit
Bij
28 AMMIAN , MAR . Liv. XIV .
faire contre luy eut manqué, ilmit l'ef
pée à la main pour en frapper le traître
Paul.Mais , parce qu'ayant la main foi
ble , ilnele pûtbleſſer mortellement, il
s'enfonça la melme épée dans le corps:
& ainſi par une mort infame, ün Per
ſonnage tres- juſte finit ſesjours,s’eſtant
efforce d'en délivrer pluſieurs de leurs
miſeres , s'il cult tué un fort mér
chant homme. Ce futdonc de la for
te qu'apres beaucoup de mauyaiſes
actions , Paultout couvert de ſang , re
tourna au Camp du Prince , où il amena
avec luy pluſieurs perſonnes enchaiſ
nées , quieſtoient dans l'ordure , acca
blées de miſere & d'ennuy . A leur ar
rivée, des pointes de fer furentdreſſées
ſur leur paſſage : & leur 'Bourreau leur
preparoit des Croix & des tourmens.
Sibien quedeceux-là inėſmes pluſieurs
furent proſcripts , d'autres furent en
yoyez en exil , & quelques-uns furent
égorgez.Et certes on peur dire qu'iln'y
a qui que ce ſoit , qui ſe pût ſouvenir
que ſous Conſtantius il y ait eu quel
16

qu'un d'ablous , qui ait jamais eſtē ſu


jer à un telmurmure.
Cependant h Orphite qui avoit la
puiſſance du Prefect , adminiſtroit le
gouvernement de la Ville eternelle , &
CONSTANTIUS ET GALLUS.
29
ſe glorifioit avec infolencede la dignité
quiluy eſtoit attribuée. Ce Perſonnage
quid'ailleurs ne manquoit pas de
prus
dence , & qui entendoit parfaitement
les affairesdu Barreau ; mais qui n'eſtoit
pas aufli fort inftruit aux connoiſſances
des Lettres, qui fieſent fi bien aux per
ſonnes de qualité , vid fous ſon gouver
nement de grandes ſeditions qui s'é
meurent dans la Ville , parce qu'il y
eut diſette de vin , dont le peuple qui
en aime l'uſage, ſe porta facilement à
une émotion , qu'il fut aſſez difficile
d'appaiſer .
V.

L'Imagenaivede Rome dans ſon adolef


cence , fon âge viril, & ſa vieilleſſe ojo
elle est atteinte de playes mortelles. Et
le miſerable estat de l'Empire fous Con
stantius it sousGallus Ceſar.

Mai Ais parce que j'ay fujet de croi:


s que des Etrange
des Etrangers qui liront
ce que i'écris , fi quelques-uns te li
fent , ſe pourront émerveiller , que fi
toſt que l'ordre du diſcours me porte
parler des chofes qui ſe paſſent à Rome,
je n'en dis rien qu'au ſujet des ſeditions
populaires , ou des noiſes qui ſe paſſent
B iij
30 : AMMIAN . MAR . Liv . XIV .
dans les Cabarets , & d'autres balleffes
ſemblables , j'en toucheray icy ſuccin
ctement les cauſes, ſans m'abſtenir ja
mais à deſſein d'écrire la verité.
a Dés le temps que Romeparut au
mondeavec d'heureux auſpices , pour y
demeurer aulli long.temps qu'il y aura
d'hommes ſur la terre , La Vértu e la
Fortune , quine ſont pas toûjours bien
d'accord enſemble , firent neantmoins
entre ellesune Alliance perpetuelle, en
ſorte que fi quelqu'une venoit à man .
quer , l'autren'arriveroit point aulli au
faiſte de la grandeur où elle pouvoit al
pirer, Le Peuple Romain depuis ſon ber
Ceau , juſques au dernier temps de ſon
Enfance, ce qui ſe renfermeen l'eſpa
ce de trois censans )n'eut des Guerres à
déméler qu'autourde ſes murailles.Puis
ayantatteint l'âge de ſon adoleſcence,
apres avoir endurébeaucoup de travaux
en divers combats , il palla les Alpes
& la Mer. Es ſuite , dans la fleur de fa :
jeuneſſeis & dans la vigueur d'un âge
plusmeur , iln'y a point de Region ſur
la terre,ny de contrée au Monde, quel
que immenſe & grand qu'il ſoit , qu'il
n'y ait remporté des triomphes. Enfin
‫ت‬

ayantapproché de la Vieilleſſe , quand


la ſeule reputation de ſon nom luy cut
CONSTANTIUS ET GALLUS. 31
quelques fois apporté des Victoires, ille
relâcha dans une vie plus tranquile .
C'eſt pourquoy cette Ville li digne de
reſpect , apres avoir aſſujetitant de tê
tes ſuperbes des Nations les plus fieres ,
apres tant de Loix promulguées , apres
avoir jerté des fondemens fiprofonds de
la liberté , & avoir mis des crampons,
s'il faut ainſi dire , pour la conſerver
dansune eternelle durée commeun bon
Pere de famille quieſt prudent & riche,
ila laiſſé aux Ceſars , comme à ſes
pros
pres Enfans le gouvernement de ſes
biens & de tous les droits qui luy pou
voient appartenir . Cependant bien que
les b . Tribus fuſſent ocicuſes , comme
elles le furentautresfois ,& que les Cen
turies ne fuſſent point troublées , ou
qu'il n'y euft aucunsdebats pour les ſuf
frages , mais que la ſeureté publique
quićſtoit du temps de Numa fuſt retour
née ſur la terre , fi eſt-ce que Rome ſe
roit toûjours reconnue par toute la ter
re habitable , comme la Princeſſe & la
Reyne des Villes : par tour les cheveux
blancs des Peres ſeroient en veneration
avec l'authorité du Senat , & le nom du
Peuple Romain ſeroit reſpecté. Mais
Cette magnifique ſplendeur ſe trouve
lezéepar unelegereté hors de ſaiſon de
B iiij
92 . AMMIĄN MAR . Liv. XIV . -
peu d'aſſemblées, qui ne conſiderent
pas le ſujet de leur convocation ; Mais
qui ne ſont en effet qu'une eſpece de li
cence accordée aux vices aufquels ils
font enclins : & certes ( comme nous."
l'enſeigne Simonide Poëte Lyrique )

« A quelqu'un la vie eſt heureuſe,


Si ſa Patrie est glorieuſe .

De-là vient qu'il ſe trouve des hom = "


mes , qui pour ſe rendrerecommenda
bles à l'Eternité par des Statuës , lesont
deſiréęs ardamment comme s'ils die-
voient recevoir une plus grande recoin
penſe par des figures de bronze , qui
n'ont point de ſentiment, que par une
conſcience ſatisfaire des bonnes actions ;
d'une vie honnefte & vertueufe , & ils
ont eſté quelquesfois en grand ſoucy de
les faire dorer , comme cela meſme fur
autrefois fi recherché d'Acilius Gla
brio , pour avoir ſurmonté le Roy An
tiochus par la ſageſſedeſes conſeils , & "
par la force de ſes Armes.Mais combien
doit-on eſtimer ,

d Celuy quimépriſant deschofes ſipetites;


Par degrés à la gloireéleve fes merites ? :9
CONSTANTIUS ET GALLUS. 33
Comme le dit le Poëte Heſiode : Et
certes Caton le Cenſeurle fit bien con
noiſtre , lors qu'eſtant interrogé pour
quoy il n'avoit point de Statues entre
celles de tant de grands Perſonnages ?
I'aimebien mieux , dit-il,
que lesgens de
bien ſoiene en peine de ſçavoit pourquoy
jen'en ay point eſtéhonoré.que s'ilseſtoient
étonnez que je les euſſeobtenues : car , pour
en dire la verité ; adjoûta-t'il, cela meſme
ſeroit un peu fâcheux. D'autres cher
chent leur principale gloire à ſe faire
traîner dans des e Carroſſes plus ma
gnifiques qu'à l'ordinaire, &c à paroiſtre
vêtus d'habits ſomptueux , qu'ils ſem
blent avoir de la peine à ſoûtenir , atta
chant leurs Manteaux ſur leurs épaules
avec des boucles ;mais en verité its font
d'une écoffe fi legere, qu'il ??
roientpas tenir ſans cela, & les reſſer
rant davantage du coſté gauche , que
par ailleurs , afin
que le bas de la Robe
d'étoffe figurée qui eſt par deffous éclat
te davantage par la varieté de ſes cou
leurs , où ſont repreſentéesdiverſes eſ
peces d'Animaux . D'autres avec un yi
fage ſevere exaltent ſans ceſſe l'eurs bel
les ſucceſſions , fans que perſonne ſe
foucie d'en eſtre informé: ilsne parlent
que des revenus de leurs grandesterres,
BV
34 AMMIAN MAR . Liv. XIV .
& de tous les biens qu'ils en recüeillent
d'une année à l'autre , n'eſtant pas ſans
donte informez que leurs Anceſtres par
qui la veritable grandeur deRome s'eſt
étenduë ſi loin , ne cherchoient leur
gloire que par des Guerres difficiles,
fans fe diftinguer des ſimples ſoldats,par
des biens ſuperflus , ou par leur façon de
vivre, ou par la maniere de ſe yêrir , ils
avoient ſurmonté toutes choſes par leur
valeur . De-là vint que Valerius Publi
cola qui fut fi fameux en ſon temps,fut
inhumé auxdépensdu public : la femme
de Regulus devint fort pauvre , & fut
nourrie, avec ſes Enfans du ſecours
qu'elle reccut des amisde lon Mary : &
la fillede Scipion fut dotée des deniers
del'epargne , quand le voyant en âge
d'eſtremariée, la Nobleſſe luy fit avoir
quelque pudeur de ce que la Aeur de fa
jeuneſſe eſtoit paffée, pendant la longue
abſence de ſon Pere , qui eſtoit pauvre.
Mais aujourd'huy , fi comme un hon
neſte eſtranger vous allez falüer quel
que homme riche , & par conſequent
-

fuperbe, d'abord vous y ferez bien receu


& meſmescomme ſi vous y eftiez atten
du : mais quand il vous aura demandé
bien des choſes, & que vous aurez eſté
contraint de luy mentir , vous vous
CONSTANTIUS ET GALLUS.
35
émerveillerez qu'un ſi grand Perſonna
ge que vous n'aviez jamais vû , vous
conlidere , eſtant fi peu de choſe en
comparaiſon delüy : Et pourcela mel
me vous luy témoignerez avoir regret ,
pour tantdebelles choſes qu'il vous fe
ra voir , dene l'avoir point viſité depuis
dix
ans qu'il y a que vous eſtes à Rome.
Si vouspenſez prendre confiance à une
affabilité fi obligeante , quand vous en
voudrez faire autant le lendemain , il ne
Vous connoîtra plus. Et celuy.lå meſme
qui vousavoir fait tant d'accüeille jour
d'auparavant, ne vous dira pas un ſeul
mot, ou il vous demandera qui vous
eſtes , & d'où vousvençż, ne fongcant
pasmeſme à ce qu'ildit. Mais enfin , li
vous renouvellez connoiſſance , & fi
vouseſtesreceu en ſon amitié , en forte
que vous ſoyez ſi mal-aviſé que de vous
accoûtumer de l'aller faluër tous les
jours pendant trois ans, & qu'apres ces
la ,vous paſſiez autant de temps ſans le
voir , &
que vous retourniez en ſuite à
faire la mefme choſe , cominc aupara
Vant , il
ne vous demandera pas ſcules
mentoù vousavez eſté , & ne ſe feroit
pas mis non plus fort en peine que vous a
fuſſiez mort. Mais vous feriez bien ſtue ;
pidede paſſer ainſi miſerablement toutes
B vj
38 AMMIAN MAR, Liv . XIV .
voſtre yie. Toutesfois , quand detemps
en temps , on preparera de grands fe
<
ftins , quiſont li prejudiciables à la ſan
té : au qu'on fera - la diſtribution des
penſions celebres , apres s'eſtre donné
bien de la peine à s'y reſoudre , mais ſur
tout pour ſçavoir ſi elle ſe doit faire à
d'autres qu'à ceux qui y doivent avoir
part à leur tour , ou s'il faut y admettre
quelque Etranger . Que li enfin on le
juge à propos , apres unemeure delibe
ration , on y admettra celuy qui ſe tient
à la Porte pour mener adroitement ur
Carroſſe,ou qui fait profeffion de jouer, "
ou qui s'eſt vétépluſieurs fois de fçavoir
quelque beau ſecret.Car pour les perſó
nesmodeſtes , & quiſont d'une grande
capacité ,on les évite commedes miſera
bles & des gens inutiles. Ioint que ceux
qui ſe mellentde donner leurs avis pour “.:
nommer les perſonnes qu'ils en croyent
dignes, font accoûtumez pour celamef
mede vendre leurs ſuffrages : & de ce
qu'ils entirent de l'utilité , ils y admet
tent des gens obſcurs , & de nulle con
ſideration .
Je paſſe ſous ſilence les excés de la ...
Table , qui ſont autantde gouffres pour
toutes fortes de delices & de débauches,
ayantà paſſer parles grandes places &
CONSTANTIUS ET GALLÚS. 37
ruësde la Ville , leſqueļles font pavées,

-
où les Enfants de famille ayant la per
miſſion de courre , font aller en trouppe

1
les Chevaux à toute bride, ſans crainte
de peril pour les pouſſer trop vivement,
comme s'ils entraînoient aprés eux-le
butin de quelque Conqueſte,
Sansmeſme avoir laiſſé Sannius au logis .
f Comme dit le Poëtę Comique , lef- :
quels pluſieurs Dames imitent auſſi.cou
rant par tous les cartiers de la Ville ?
avec leurs Coëffes ſur la g teſte dans
leurs Caleches fermées ; & comme de
bons Sergens de bataille mettent les
meilleurs ſoldats au premier rang , au
ſecond ceux qui ſont armez plus à la le-
gere , enſuite les jetteurs de darts , &
fur l'arriere gardeles Troupes-ſubſidiai:
res, G le hazard your qu'ellesſoient atta 1
quées par là. Ainſi les jeunes Gens de
Ville Tous la conduite de ceux qui les
fontmarcher avec des bâtons façonnez ,
qu'ils tiennent à la main , lefquels les
font remarquer entre les autres, comme
une enſeigne quileur a eſtédonnée ex
pres avec lemor du guet , marchent à la
teſte , c'eſt à dire devant tout l'appareil
du Char qui les fuit. Le noir equipage
de Cuiſine eſt au ſecond rang : puis tout
le reſte du ſervice va confulement avec
38. AMMIAN MAR . Liv. XIV .

les petites gensdu peuple qui ſont dans


le voiſinage : & , pour la fin , c'eſt une
multitude d'Eunuquesdepuis les Vieil
lards iuſques aux Enfans,vêtus de gris
brun, tous fort vilains de viſage, & tels ,
qu'à les voir , on diroit que ce ſont des
gens mutilez , faiſant ſouvenir de ce
qu'on dir de cette ancienne Reine Sc
miramis, qui fut la premiere qui s'aviſa
. de faire chaîtrer de jeunes hommes ,com
mepour faire violence à la Nature, & la
décourneſ de ſonpremier deſſein , qui en
ſeigne d'elle-meſme les voyes ſecrettes
de la generation,pour le bien de la poſte
rité. Ce qui eſtantainſi, peu demaiſons
de celles qui eſtoient autresfois occu
pées à des Etudes ſerieuſes, ſontmainte
nantpleinesde foliesou de jeux de Ma
rionnettes, pour entretenir la faineanti
ſe,où l'on n'oit que des Chanſons & des:
fons d'inſtrumens , qui ont beſoin de
ſouffle, ou qui s'expriment ſur des cor
des, avec les doigts. Enfin au lieu d'un
Philoſophe , on y trouve un Chanteur:
& au lieu d'un homme qui faſſe profeſ
fion d'éloquence , on y admet un igno,
rant ou un joueur de paſſe paſſe. Les :
Livres font enfermiez dans des Biblio
theques, comme dansdes Sepulchres ;
mais en recompenſe on a trouvé l'in ,
CONSTANTIUS ET GALLUS.
vention de faire des inſtrumensde inuſi
‫ܢܫ‬

que avec de l'eau,des Lyres qui ſont auſ


ſi grandes quedes Chariots ſuſpendus ,
des Flûtes & des Guitarres qui s'ajuſtent
avec les mouvemens de ceux quidan
fentavec despoſtures. Enfin on eſt ve
nu juſques à ce point d'infamic que
commeon a chaffé de la Ville les Etran
gers, pour la crainte qu'on y a euë qu'il
n'y euſt pas ſuffiſamment des vivres ,
ceux qui enfeignoient les diſciplines
honncſtes, quoy qu'ils y fuſſenten petit
nombre & à
peu de frais en ſont égale
ment chaffez ſans avoir loiſir de reſpi
ser , ou bien on les retenoir
pour eſtre
les veritables ſuivants des Mimes ; c'eſt
à dire des bâteleurs , des bouffons, & des
danceurs . Ce qu'ils ont diſſimulé pour
un temps : & cependant on a retenu juf
quesà troismille baladins & fauteurs , &
tout autant de menetriers & de joueurs
d'inſtrumens pour la ſymphonic des
Comedies & des Balets . Et bien que de
quelque coſté que vous tourniez les
yeux vous voyez des feinmes avec des
cheveux bouclez , qui dans l'âge où el
les font nous auroient pû donner déja
trois fois des Enfans ſi elles eſtoient ma
riées,depuis le temps qu'ellesnettoyent
deleurs pieds la place où elles danſent ,
404 AMMIANMAR. Liv . -XIV .
fe tournant avec uneagilitémerveilleu-
fc , & repreſentant par leurs geſtes une
infinité de choſes imaginaires , ſelon les
fictionsdespieces de Theatre. Etcertes,..
on nedoute nullement que commc Ro
me eſtoit autresfois le domicile de tou:
tes les vertus , pluſieurs perſonnes de
qualité, quieſtoient pleines de courtoi
lie , y avoientretenu d'honneftes Etran
gers (par la douceur de leurs fruits,com
• me les Lotophages d'Homere.:) Mais
aujourd'huy, tant ilsont de vanité , ils :
tiennent vil & de mulle conſideration
tout ce quinaiſt au de-là de leurs Faux
bourgs s excepté ceux qui n'ont plus
d'Enfans , ou quine ſont point en eſtat
d'en avoir n'eſtant pointmariez : Et cer
tes , on ne ſçauroit croire combien de
ſervices on rend maintenant à Rome à
ceux qui n'ont point d'Enfans , & de
quelle forte on les honore. Ec dautant
que, parmy eux , cơmmeau commence :
ment du Monde, les violentesmaladies
‫܀܀‬

gourmandent imperieuſement ceux


qu'elles attaquent , vers leſquelles tou
te la Profeffion de la Medecine eſt deve.
nuě languiſſante , on a trouvé une in 2
vention admirable pour faire bien pâtir,
afin que qui que ce ſoit ne voye point
fon amy endurer choſe ſemblable.Eton
CONSTANTIUS ET GALLUS. 1
a joint à cela avec peu de precautions,
un autre remede aſſez falutaire , qu'on
envoyedes.Valers frappez de la meſme
infirmité, pour s'informer de leur ſanté,
ſans qu'ils oſent retourner au logis , ?
qu'ils ne ſoient bien nettoyez dans le :
bain . Auſſi eſt - ce de la forte qu'uncma
ladie qui eſt fort apprehendée , ſe gucrit.
par les yeux d'autruy . Toutesfois com
me ces chofes - là meſınes s'obfervent
pour plus grande ſeureté , ſi eſt-ce que
quelques-uns Sſentant avoir moins de
vigueur, que de coûtume, lion les lol
licite de ſe marier en des lieux où il y a
bien de l'argent, & où ilſe donne à plei:..
nemains; ils ne ſont point pareſſeux d'y
aller, & ils iroientmefmepour cela juf
ques à Spolete. Voila les façons de vi
vredes perſonnes de condition . Quant
à la foule des petites Gens, & de ceux
quifont pauvres ; quelques -uns paſſent
les nuits entieres dans les Cabarets : &
quelques autres ſe tiennent cachez ſous
les centuresdes Theatres que i Catule ,
pourimiter les delices de la Campanie
pendant le temps qu'ilſut Edile, ayoit le
premier fait dreſſer pour la commodité
des ſpectateurs : ou bien ils s'échauffent
au jen faiſant un bruit importun & rude
avecleurs narines quand ils retirentleur
42 AMMIAN MAR . Liv. XIV .
haleine: ou , ( ce quieſt leur plus grand
ſoucy ) depuis le matin juſques au ſoir
ils ſont au Soleilou à la pluye,pourob
ſerver juſques aux moindres défauts des
Chevaux , & de ceux qui les guident ou
quiles tiennent par la bride. Et verita
blement c'eſtune choſe tout à fait admi
rable, de voir un Peuple tres nombreux
échauffé d'une certaine ardeur qui l'é
meut,ſelon les divers ſuccés de ceux qui
ſe diſputent quelque prix à la courſe des
Chevaux ou des Chariots. Ainſi des
choſes ſemblables ne laiſſent point de
temps àtous ceux quiſont dans Rome,
de faire quelque choſe de memorable ,
ou de fort ſerieux. Mais il faut repren
dre la ſuite de noſtre Hiſtoire .

VI.

Gallus d'un naturel fanguinaire s'aquite


mal-heureuſement de fon devoir
Gouvernement des affaires : il ſe troue
ble enſuitedesavis qu'il a receus de la
part de Conftantius : el de- là viennent
des maſſacres horribles par tout l'O
rient.

Eſar a ayant long.temps diſſimulé


Com
ſon libertinage , lerendit enfin in
CONSTANTIUS ET GALLUS.
ſupportable à tous les gens debien ,par
ce qu'ilnemettoit plusdebornes à la li
cence. Il affligeoit toutes les Provinces
de l'Orient, & n'y épargnoit ny' les per
ſonnes de qualité, ny les principaux Ci
toyensdes Villes,ny ceux dumenu peu
ple. Enfin d'un ſeul commandement
qu'il fit,ilabbatit les b principalesteſtes
du Senat d'Antioche,s'eſtantmis en co
lere , de ce qu'il voulut empeſcher un
bon marché de chofes qui ſe debitoient
dans la Hale , lequel il introduiſoit
mal à propos , à cauſe de certaine di
fette, & qu'ils lay avoient répondu à
ſon avis trop rudement. Et certes il
n'en euſt pas épargné un ſeul , fi Ho
noratus , qui avoit alors la qualité de
Comte en Orient, ne luy euſt reſiſté en
cela fort conſtamment. Pour marque
de la grandecruauté, il n'en faut point
d'autre
que de dire qu'il ne trouvoit
point de plus grand divertiſſement que
de répandre le fang : & quelquesfois
meſmeil ſe réjouiſſoit de voir égorger
dans le Cirque juſques à fix ou fept
Gladiateurs qui ſe tuoient l'un l'autre,
ayant defendu les combats des c Pugi
les. Une certaine feinine de baſſe con
dition, l'y avoit grandementincité, la
quelle ayant eſté admiſe dans ſon Pa
44. AMMIAN MA R. Liv. XIV ..
lais , comme elle l'avoit demandé ,
luy fit entendre, qu'il y avoit des pie
ges qui luy eſtoient fecrctementtendus
en cachette par des ſoldats obſcurs qui
avoient conſpiré contre luy. Conſtan

3
tine qui cut grande joye de mettre la
vie de ſon mary en feureté, recompen
fa certe femmepour l'avis qu'elle avoit
donné, & .la renvoya publiquement
dans un Carroſſe par la grande porte de :
Palais, pour faire connoiſtre par là .
qu'elle n'en feroit pas moins, & qu'el
le en feroit meſine bien davantage
pour d'autres , en pareille occaſion

.
ſi l'on avoit des avis à luy donner éga
lement importans.
Apres cela , Gallus qui s'eſtoit pro
poſé d'aller à Hieropolis ,ſous pretexte .
qu'il avoit quelque choſe à faire de ce
cofté- là , pour le peuple d'Antioche qui
le prioit de luy oſter l'apprehenſion de
ſe voir reduit à l'extréme difette de la
quelle il fe voyoit menacé par bien des
raiſons ; qui ſeroient longues à dire.
Il ne ſe diſpoſa point , comme c'eſt
la coûtume desbons Princes , de pro
curer du foulagement au peuple, de
faire venir du bled des Provinces , mais
il-laiſta Theophile Proconſul de Syrie,
qui eſtoit auprés de luy, pour gouver- *
CONSTANTIUS ET GALLUS. 45
ner ce peuple qui apprehendoit la der
niere extremité, auquelil avoit dit ſou
venta

quer des choſes neceſſaires pour la vie


malgré le gouvernement. Ce qui fit
croiltre l'audace du petit peuple. Eten
effet, commela diſette commençoit de
lus en plus, la fureur & la faim ve
nant à le preſſer , le porterent facile
ment à la ſedition , ſi bien qu'il mit le
feu dans la ſuperbe maiſon d'un illuſtre
Citoyen de la Ville appellé Eụbule ,
& foula aux pieds le Gouverneur , qui
luy fur donné de l'authorité de l’Em
pereur, puis l'ayant laiſſé demymort, il
le reprit & le déchira miſerablement.
Mais chacun fe voyanten grand peril
apres la mort de cet homme, apprehen
doit, par ſon exemple , le meſme traite
ment qu'il luy avoit fait ſouffrir.
Aumeſme temps Serenian , qui avoit
eſté Gouverneur , & par la lâcheté de
qui, comme nous l'avons dit, le Chá
teau de Celle dans la Phenicie fut en
sierement deſolé , en fut juſtement de
noncé criminel de leze -Majeſté , felon
la Loy ; mais on ne ſçait pas de quelle
forte il en fut abfous. Comme il en fuc
neantmoins ouvertement convaincu ,
on dit qu'il envoya un de les gens avec
AMMIAN MAR. Liv . XIV .
le chapeau qu'il mettoit ſur ſa ceſte , le
quel eſtoit enchanté par des charmes
qu'enſeignentdes Arts defendus, pour
Conſulter un certain Oracle dans un
certain Temple , & luy demander ex
preſsément, s'il ne luy prédiroit point
que ſon gouvernement feroit ferme &
de durée & univerſel, comme il le fou .
haitoit. Il furyint donc en ce temps-là
deux inaux à la fois : car un accident
furieux fic perir Theophile innocent;
& Serenian , digne de l'execration
de tout le monde, ne fut point puny.
Si bien qu'il s'en alla fans que le pu
blic , qui en avoit eſté ſimal traité, euſt
eſté vangé .
Conftantius eût avis de toutes ces
choſes, d'une bonne partie deſquelles
Thalaſſe l'avoit informé:mais ayant ap .
pris qu'il eſtoit mort, il en écrivit doua
cement à Gallus. il luy ofta en ſuite
peu à peu toutes les choſes qui le pou
voient conſerver dans ſon authorité ,
feignant qu'il apprehendoit que le de
fautd'employ de ſes troupes ne les por
taſt, comme il arrive d'ordinaire, à fai
redes conſpirationscontre ſon ſervice,
il fur d'avis qu'il ſe paſsât de ſes ſeuls
domeſtiques , & d’und certain nombre
d'Eſcuyers & de Gentils-hommes , &
CONSTANTIUS ET GALLUS.
47
commanda à Domitian qu'il envoyoit
pour e Gouverneur en Syrie , ayant la
qualité de f Comte de ſes largeſſes , de
l'exhorter à un prompt retour en Italie,
& de s'acquiter de cette commiſſion
avec douceur & retenuë. Mais, quand
Domitian fut arrivé Antioche , où il
vint en diligence , les Portes du Palais
s'y eſtant trouvées fermées, ilne ſe mit
pas fort en peine de viſiter Ceſar, com
mela bien - ſeance l'y ſembloit obliger :
Et s'eſtant fait conduire avec pompe
au logis du Preteur , il s'y tint long
temps enfermé ſous pretexte de
quel
que legere indiſpoſition , & ne futnya
la mailon du Prince , ny ne parut en pu
blic ::mais ſe tenant clos dans ſon logis,
il y reſolut la perte deGallus, & cher
cha tous les moyens qu'il y falloit gar
der Il y ajoûtoit beaucoup de circõſtan .
ceshorsde propos, dont rempliſſoit les
Relations qu'ilenvoyoit à l'Empereur,
Enfin Cefar l'ayant prié de le venir
voir , & luy ayant donné audiance il
luy dit, ſans compliment , & avec fort
peu de civilité. Ceſar , le vous ordonne
de la
part de l'Empereur, de vous retirer
promptement d'icy : & fi vous n'eſtes pas
en intention d'obeir , se commanderay
qu'on vous laiſſe manquer de toute forte
48 AMMIAN MAR . Liv . XIV .
de ſecours. Cette parole ayant eſtédite
avec beaucoup de rudeſſe , le Gouver
neur ſe retira tout en colere , & ne vid
plus Ceſar depuis , bien qu'il euſt eſté
invité pluſieurs fois de le venit voir.
Cependant Ceſar qui ſe trouva choqué
1 d'une li grande arrogance , ayant été
contraint de ſouffrir uneindignité ſi'ex
traordinaire , commanda qu'on s'aſſeu
raft de la perſonne du Prefect, & qu'il
fuſt gardé par des gens fideles. Cepen
dant un Queſteur appellé Maontius,
ayant appris cela ( un hommeadroit &
qui avoit des inclinations qui le por
j toient à la douceur ) fut d'avis d'en de
liberer pour l'intereſt du ' public . Et
s'eſtant procuré l'audiance des Chefs
des g Officiers de la maiſon du Prince ,
il leur parla fort doucement, & leur' dit .
franchement; Que tout ce qui s'eſtoit .
fait n'eſtoit nullement dans la bien -ſean
te, & qu'ilne fervoit de rien . Ajoûtantà
cela d’un ton elevé; Que ſi cette condui
1 te eſtoit approuvée , apres qu'on auroit ab
batu les ſtatnës de Conſtantius , il fau
droit auſſi fonger, pourplus grande feure
té à ofter la vie au Prefet. Gallus, qui
fur áverty de ces choſes, commeun fer
pent qui eſt frappé d'un dart ou d'une
pierre , voulant pourvoir à ſa ſeureté ,
dans
CONSTANTIUS ET GALLUS.
dans les dernieres eſperances qui
luypouvoient retter, fit affembler tout
cequ'il avoit de ſoldats autour de luy ,
& commeils eſtoient tousattentifs pour
l'écoûter ; apres qu'il eat grince les
dents decolere, Valeureux gens d'armes ,
leur dit-il ,aſiſtés-moy dans le peril ex
trême où ie me trouve à preſent reduit
avec vous . Montius, à qui fon infolence
a faitperdre le reſpect, nous accuſe d'eſtre
ribellés , de n'obeir pas à la Maiefté
Imperiale, parce qu'iltrouvemauvais que
i'uy fait empriſonner te Prefet; mais ie
n'ay pû m'en diſpencer , dans la neceſſité
des affaires, estant l'homme du monde
le pliss temeraire , par l'audace qu'il a
enë d'esſayer de nous iniimider. Les ſol
dats qui ne demandent pas mieux que
Ics troubles , ne délibererent pas plus
long-temps à ſe faiſir de Montius. Ils
la prirent commeil eſtoit à la promeni
deprochede ſon logis. C'eſtoit un hom
me d'âge, & maladif, & qui d'ailleurs
eſtoit allez delicat. Mais cela ne les em -
peſch2 pas de le lier de cordes bien ru
des, & de le traîner juſques au logis du
Prefect, apres
l'avoir etranglé . Er avec
la meſmeimpetuoſité, ilsallerent preci
piter Domitian par les degrez d'un haut
édifice, apres l'avoir lié , ils traînerent.
с
so AMMIAN MAR . Liv. XIV .
par les ruës les corps de l'un & de l'au- .
tre ; puis les ayant froiſſez & foulez aux
pieds,pouraſſouvir leur colere, en forte
qu'ils les rendirent méconnoiſſables, ils
les jetterentdans la Riviere . Vn certain
b Lufcus, Procureur des affaires de la :
Ville avoit incité l'audace de ces gens
là. Il les y avoit engagez juſques à la
folic, par lesefforts d'une malice noire,
& les y exhortoit par des icris frequens
& lugubres tels qu'en fait ſouvét pár les
ruësun Preconiſeur des Treſpaſſez ,pour
les expedier promptement. Ce fut aulli
pour cela melmes qu'il fur bien -coſt
apres brûlé tout vif. Et parce que Mon
tius , qui s'en alloit expirer entre les
mainsde ceux qui le déchiroient , avoit
nommépluſieurs fois Epigone & Euſe
be, Lausdire de quelle qualité ou profeſo
fion ils eſtoient, on eniploya beaucoup
d'induſtrie pour ſçavoir quelles gens ce
pouvoient eſtre : & de crainte que la
choſe ne vint à ſe ralentir par quelque
negligence, on fir venir de la Province
de Lycie un Philoſophe appellé Epigo
ne, & on alla chercher dans la Ville d'E ,
miſſene un Oratcur appellé Euſebe ſur
nomméPithacas ( c'eſt à dire, qui porte
un bandeau ) quoy que le Queſteur
Montius n'entendoit pas parler de ceux
CONSTANTIUS ET GALLUS.FI
là,mais de k deux Tribunsdes fabriques ,
quiavoient promis de fournir des Ara
mesau beſoin , li l'occaſion s'en offroit .
En ce meſmetemps Apollinaire, gen .
dre de Domitian , qui avoit quelques
jours auparavant l'Intendance du Palais
de Celar ,
ayant eſté envoyé par fon
Beau-pere en Meſopotamie , cherchoit
ayectrop de ſoin entre les gens de guer
te, ſi quelques-unsd'entr'eux , n'avoient
pointreceu de lectres ſecretes ou de bil
lets de Gallus , quiavoit ſans doute de
grands deſſeins , & ayant découvert ce
quis'eltoit paſſé à Antioche, ilſe coula
par la petite Armenie , & vint à Con
ftantinople ; d'où ayant eſté retiré par
les Protecteurs , il fut étroitement re
tenu . Tandis que ceschoſes ſe tramoiene
de la ſorte, on apprit qu'on faiſoir à Tye
un Manteau Royal, mais fort fecrette
ment,ſans qu'on ſceût quile-faiſoit fai
re, ny pour qui c'eſtoit. C'eſt pourquoy
le Gouverneur de cette Province - là ,
pere d'Apolinaire, & quiportoit aufli le
meſinenom , fut apprehendé , & amené
comme coupable , & pluſieurs autres
gens accuſez de crimes atcroçes furent
allemblez de diverſes Villes , pour le
meſme ſujet. Orcommcalors les Trom
pettes ne ſonnoient point comme au
cij
52 AMMIAN MAR . Liv. XIV .
paravant en cachetre les allarines des
inaſſacres internos , un certain eſprit
de trouble & de confufion s'aigrilloir
furieuſement. On ne s'informoit plus
de la foy des iinpoſteurs & des exam
Ateurs publics , perſonnene faiſoit plus
de diſtinction des innocens & des coul
pables. Il n'y avoit plus de juſticedans
les Tribunaux , les defenſes legitimes
n'eſtoient plus permiſes , les Bourreaux
cſtoient en poſeſſion de faire des rapi
nes , & de couper les teſtes , & les gens
debien eſtoient opprimcz pat toutes les
Provinces de l'Orient, deſquelles je
penſe qu'ilne ſera pasmal à propos que
jc faſſe içy maintenant quelque deſc.i.
ption . Ce que je feray donc tres-volon
tiers, excepté dela Meſopotamie , dont
j'ay parlé en faiſant le recit des guerres
des Parthes : 8 je ne diray rien aulli de
l'Egypte , parce que je reſerve d'en par
ler en quelque autre licu .
VII.
Deſcription des Provinces de l'Orient,
excepté de la Meſopotamie apo
de l'Egypte.
Vand on a paſsé a les ſommets dų
Q Mont Taurus du coſté qu'ils s'éle
vent le plushautvers le Soleil levant,
CONSTANTIUS ET GALLUS. 53
la Cilicie s'élargir en de grandseſpaces ,
& la terre y abonde en toutes ſortes de
biens, ayant à droite l'Ifaurie , qui n'eſt
pas moins fercile en coures forres de
grains & de fruits , eſtant ſeparée par le
milieu du Calycadne , qui eſt un feuve
navigable, & ornée de deux Villes prin
cipales entre pluſieurs autresdela Seleu
cie , qui fur bâtie par Seleucus, & de
Claudiopolis , où Claude Celár mic
ane Colonie : car pour Iſaure , b qui
eſtoit autresfois une puiſſante Ville , elle
a eſté détruire , comme une ville fedi
tieuſe, & preiquc toûjours rebelle , la
quelle montre toûjours force veſtiges
de ſon ancienne ſplendeur. Quant à la
Cilicie arroſée des eaux du Cydne , elle
eſt honorée de la Ville de c Tarſe , qui
eſt à la verité une belle Ville , que Per
ſéc fils de Jupiter & de Danaé , bârit , à
ce qu'on dit ,ou plûtoſť ce futun certain
perſonnage fort riche, & d'une maiſon
illuſtre appellé d Sandan , qui vinten
ce païs-là de l'Ethiopie : 6 Anazarbe
Phonore pareillement ,laquelle porte le
nom de ſon ancien Autheur , aulli bien
que f Mopfueſtic, la demeure deMopfc
qui furce Prophete , qu'une mort fou
daine fit perir lur fá coſte d'Afrique, où
ilfutjecté ſansy penſer , & ſeparéde la
Ciij
54 AMMIAN MAR . Liv . XIV .
compagnie des Argonautes , quand ces
braves Avanturiers retournerent de la
conqueſte de la toiſon d'or : d'où ſes 8
manes heroïques enſevelis ſous un ga
zon de la terre punique , donnent four
vent des remedes pour la ſanté de plu
fieurs. Ces deux Provinces s'eftant au
tresfois trouvées remplies de Pyrates ,
attirerentune guerre qui fit qu'elles fu
rent aſſujetties par le Pro - Conful Ser
vilius, & devinrent tributaires , toutes
deux fituées ſur un promontoire elené ,
leſquelles ſont ſeparées de la plage
Orientale par le Mont Amane . Quant.
à la Province d'Orient , ſes limites s'é .
tendentau long & au large depuis les rie
ves de l'Euphrate , juſques aux Monta ,
gnes d'où fortent les ſources du Nil ,
1
touchant le païsdes Sarraſins à la gau
che, & s'ouvrant à la droite par les em
brafuresde la Mer . b Nicanor Selecus,
qui l'occupa de ſon temps , l'accrut
merveilleuſement , quand apres lamort
d'Alexandre le Macedonien le Royau :
me de Perſe luy échût pour fon droit
de ſucceſſion , comme le fait affez con
noiſtre ſon ſurnom , qu'il obrint en qua
lité de Roy : car ayant abusé de la gran
demultitude des peuples qu'ilgouverna
long.temps paiſiblement, il fit des Vil
CONSTANTIUS ET GALLUS.
lesde lieux qui n'eſtoient que des vil
lages, leſquelles il munit d'hommes &
de grandes commoditez , dont pluſieurs
ſe trouvant aujourd'huy appellées de
noms Grecs , qui leur furentdonnez à
·la fantaiſie de celuy qui les avoit bâties,
neperdirent pas pourtant leurs premiers
noms, que leurs anciens fondateurs
leur avoient donnez en langue Aly
rienne. La premiere Ville qui ſe rencon
tre apres Ofdroene , laquelle ſe f: pare
de cette deſcription , comme je l'ay dé
ja dit, i eſt Comagene maintenant; Eu
phrata , quis'éleve doucement ſur Hie
rapole, anciennement k la Ville de Ni
nive , & Samoſate, qui ſont de grandes
Villes. Puis la Syrie s'entr'ouvre dans
une belle & ample planure ennoblie par
la Ville d'Antioche, connuë de tout le
monde, à laquelle aucune autrene ſçau
roit débattre le prix des richeſſes & des
commoditez qu'elle a chez elle , & en
core par les Villes de Laodicée , d'Apa
mic , & de Seleucie, qui ſont floriſſantes
dés leur premiere origine. Apres la Sy
rie , il y a la Phenice ſur la pante du
Mont Liban ; cette contrée eſt parfai
tement agreable & pleine de delices ,
ornée de belles & grandes Villes , entre
leſquelles Tyr excelle en douceur de
C iiij
so AMMIAN MⓇA R. Liv . XIV .
climat & grandeur de reputation avec
Sidon & Beryte, à quine ſont point infe
'rieures Emiſſe & Damas , fondées d'une
haute antiquité.Or toutes cesProvinces
que l’Oronte environne , & qui apres
' avoir coulé au pied du Mont Callius, ſe
va décharger dans la Mer Parthenienne,
Pompée apres avoir ſurmonté Tygra
nes les aſſujercit à la domination Ro .
maine , apres les avoir diſtraires da
Royaume des Armeniens. La derniere
des Syrics eſt la Paleſtine , qui s'étend
par de grands intervalles , abondante
en terres fertiles faciles à cultiver, con :
tenant des Villes d'importance , qui ne
ſe cedent point les unes aux autres , &
qui gardent entre-elles reciproquement
nne conſideració égale : Celarée qu'He
rode fit baſtir en l'honneur d'Octavien
Ceſar, Eleutheropole, Neapole, & en
core Aſcalon & Gaza, edifiées de-lon
gue-main . En tous ces quartiers-là on
ne voit point de riviere navigable : *
mais en beaucoup de lieux, il y a des
, caux chaudes qui ſortent du fond de la
terre, leſquelles ſont propres à la gueri
ſon de pluſieurs ſortesde maladies Mais
Pompée ayant dompté les Juifs, & pris
la Ville de Jeruſalem , aſſujettit avecun
parcilſort toutes ces Regions , leſquels
CONSTANTIUS ET GALLUS. 57
fès il rangea ſous l'authorité d'un Gou
verneur en formede Provinces. L'Ara
bie qui touche ce païs- là , joint d'un
autre cofté la contrée des Nabatheens ,
& ſe trouve enrichie d'une grandt va
ricté de commerce, & remplie debon
nes Places & de Châteaux fortificz ,pour
empeſcher les incurſions des Nations
voiſines; leſquelsont eſté baſtis par les
foins & par la vigilance des Anciens ,
aux endroits les plus propres , & ſur les
avenuës les plus dangereuſes. Il y a
auſſi de grandes Villes entre ces Places
& Châteaux , & entr'autres Boſtra ,
Gerala, & Philadelphie,munies de For
tereffes & de murs rerraflez . L'Empc
feur Trajan luy ayant donné le nom de
Province, ſousla charge d'un Gouver
heur, la contraignit d'obeit à nos Loix
apres avoir ſouvent batru ſes habitans,
quand par de glorieux combats il dom
pta les Parches- & le païs des Medes. En
tre les bonnes Villes qui rendent cele
bre l'Ille de Cypre fort éloignée du
Continant, & pleinede bons Ports, il y
en a deux, Salainine & Paphe, l'une reo
commandable par les lieux dediez à Ju
piter, & l'autre par le Templede Venus.
Au reſte, le terroir de Cypre eſt fertile ,
& abonde rellement en toute ſorte do
су
AN
18 AMMI MAR . Liv . XIV .
choſes, que l'Ill e n'a pas beſoin du com
merce ny du ſeco ursdes Etrangers , par
l'induſtrie de ſes habitans, quid'ailleurs
fabriquentdes vaiſſeaux depuis le fond
de cale juſques aux voiles de la hune ,
Jeſquels ils chargent de Marchandiſes ,
& lesmuniffent de toutes les chofes ne
ceſſaires priſes de chez eux , pour les
mettre en Mer , & je ne merepentiray
point de dire que le peuple Romain n'a
pas envahy cette belle ifle avec moins.
d'avidité que de juſtice . Car le Roy
Prolemée , qui nous eftoit allié & aſſo
cié , ayant eſté proſcrit fans qu'il euſt
fait de fautes ; parce que nous eſtions
preſſez pour avoir peu d'argentdansnos.
coffres , L ilavalla du poiſon , & com
me il eut ainfi finy fes jours par une
mort volontaire , & que toute l'Ille fut
renduë tributaire , toutes ſes richeffes
furent chargées ſurdes vaiſſeaux , & fu
rent amenées à Rome comme des dé
pouilles conquiſes par Caton . Il faut
maintenant reprendre la ſuite de l'Hi
Itoire.
CONSTANTIUS ET GALLUS .

VIII.

Pluſieurs endurent le fupplice de la mort


par le commandement de Gallusseo
entre autres Epigone Eufebe.

Army ces miſeres diverfes , Vrlicin


qui fut rappellé de Nigbe dont il
eſtoitGouverneur , & auquel un ordre
de l'Empereur nous commandoit doo
beir , fe vid obligé de regarder d'où
pouvoient venir les ſemencesd'une que
relle fi dangereuſe , & fe doura bien que
c'eſtoit une piece qui luy eſtoit faite par
les flatteurs qui abboyent ſans ceſſe
apres les biens de la fortune. C'eſtoit
Certainement un homme de cæur , qui
avoit toûjours eſté foldat & capitaine ;
mais furpeu verſé aux débats qui ſe de
cident dans le Barreau : fe trouvant
troublé de l'apprehenſion qu'il eût de
la perte, quand ilvid que ceux qui l'ac
culoient , & qui faiſoient des perquiſi
rions de ſes vic & meurs eſtoient au def
fous de luy , & qu'ils eftoient fortis des
meſmes fóffes où il voyoit bien qu'on
le vouloit precipiter ( ce qu'ils faiſoient
ouvertement & à la vuë de tout lemon .
de) il fut d'avis quant à luy d'en infor
C'vi
60 AMMI:AN MAR . Liv. XIV :
mer ſecrettement l'Empereur Conſtan
ce , implorant des ſecours pour rendre
vaine cette fierté ſi connue de Cefar ,
qui donnoit de la crainte à tout le mon

1
dc. Mais une trop grande précaution
fur cauſe de la ruyne , comme nous le
dirons cantoft , parce que cela donna :
fujet à ſes envieux de tramer des accu
ſations contre luy auprés de l'Empe
reur , qui ſans.cela fult demeuré dans
l'indifference à ſon égard . Mais ſi quel
que inconnu venoit à luy ſoufler aux
oreilles , auffi- toft il devenoit cruel 80
implacable , & a.la moindre choſe du
monde eſtoit capable de le faire chan
ger. C'eſt pourquoy le jour qui eſtoie
arreſté pour faire les interrogationsdans
les affaires criminelles, un Jage imagi
naire Meſtre de Camp de la Cavalerie
s prenoit ſa place, affociant quelques au
tres avec foy , qui eſtoicnt inſtruits des
choſes qu'il y avoit à faire : & de part &
d'autre il y avoit des Greffiers & des Sex
cretaires quiſe tenoiét auprésdeceluge,
& en portoient à Celar le procez verbal
de l'interrogation & des réponſes : Et
par fon commandement , ou s'eſtoient
meſlez les.reproches & la paſſion de la
Reine pleine de cruauté , qui prêtoio
l'oreille derriere la tapiſferic pour écoûn
CONSTANTIUS ET GALLUS. 67
ter ce qui ſediſoit ; pluſieurs periffoient
fans qu'il leur fuſt permis de répondre
aux inſtances qu'on leur faiſoit , ny de
repliquer aux raiſons de ceux qui les
avoient accuſez. Entre les premiers de
tous qu'on fit donc.comparoiſtre , Epi
gone & Euſebe furent opprimez par la
conformicé de leur nom : Car nous ,
avons dejà dit que Montius eſtant ſur
le pointdemourir, s'eſtoit ſervy de ces
noms- là pourmarquer les Tribuns des..
fabriques , qu'il invitoit à donner les
choſesneceſſaires pour l'executió d'une
grande entreprife . Epigone qui n'eſtoit
Philoſophe que de l'habit, comme ille
fit bien paroiſtre apres qu'ileuben vain
eſſayé toutes ſortes de prieres pour ſe
fauver, on luy donna descoupsde bârð :
Er ſe trouyant ſäiſi de la crainte de
mourir , il avoüa lâchement que ſon
compagnon eſtoit complice d'une con
fpiration à laquelle il n'avoit jamais
penſé , auflix ne l'avoit-il jamais vû nx
connu, & il ne ſçavoit en façon quck
conque les chicanes de la pratique, ny.
les rubriques du Palais . Mais Euſebe
ayant touſiours 'nie conſtamment les
choſes qu'on luy avoit impoſées, s'é.
cria plufieurs fois que ce qui ſe faiſoit
en cette occaſion citoit unbrigandage,
62 AMMIAN MAR . Liv . XIV .
& non pas un jugement. Et comme il
fçavoit parfaitement l'uſage des Loix ,
& qu'il demandoit que ſon Accuſateur
comparuft devant luy , & que l'on gar
daft les formalitez i Cefar qui ne les
ignoroit pas auſſi, & qui b appelloit or
gueil & inſolence la liberté d'un hom
me..de bien , commanda qu'on l'égor
geaſt comme un calomniateur outra.
geux . Ainfi les entrailles luy ayanteſté
arrachées du corps, afin que les mem
bres de faillitlent aux tourmens, il ſem
bloit qu'il imploroitla juſtice du Cicl,
demeurant immobile & ferme, & l'on
cult dit qu'il n'ouvroit la bouche que
pour fcmoquer de l'inhumanité de ce
luy qui le faiſoit ſouffrir. Cependant il
eut l'ameaffeurée , ſans ſe charger ſoy
meſme ny autruy d'un reproche eternel:
il ne confeſſa rien , & ne fut point con
vaincu de crime, & fouffrit la meſme
peine de mort que ſon compagnon, qui
futbeaucoup moins genereux que luy ,
& parut intrepide quand on le mena au
fupplice , & l'on cuſt dit qu'il inſultoir à
la juſtice de ſon fiecle , en quoy il imita
cét ancien c Zenon Stoicien , qui apres
avoir eſté long-temps tourmenté d pour
dire un menſonge , le tronçonna la lan
guc avec les dents, & la cracha ayec Son
CONSTANTIUS ET GALLUS. 63
fang au viſage d'un Roy de Cypre que
l'int errogeoit .
Apres cela , on s'informa du veſte
ment Royal , dont il a deſia eſté parlé .
Et apres qu'on euttourmenté ceux qui
eſtoient employez à la teinture de la
Pourpre, ces gens-là n'ayant rien con
feſsé , finon qu'ils avoient travaillé à f
une Tunique pectorale ſans manches ,
un certain perſonnage appellé Maras ,
für amené, quiportoit la qualité deDia
cre, comme parlent les Chreſtiens , du
quel on fit voir des lettres écrites en
Grec, qu'il addreſſoit au Prevoſt des
Manufactures d'étoffes de Tyr , pour
luy faire hafter cet ouvrage qu'il ne re
preſentoit point, Enfin celuy -cy tour
inenté juſques à perdre la vie , ne pût
jamais eſtre forcéde rien confeſſer.Ain
hi la queſtion ayant elté donnécà diver
fes perſonnes de toutes ſortes de condi
tions, commeon eſtoit en doute de cer
taines choſes qu'on vouloit ſçavoir , &
qu'en beaucoup d'occaſions on s'en fut
donné la peine inutilement , enfin apres
qu'on en eutmaſſacré pluſieurs, les deux
Apollinaires pere & fils furent envoyez
en cxil : & comineils furent arrivez en
un lieu appellé Crateres , qui eſtoit un
A MMIA N. MAR . Liv . XIV
village qui leur appartenoit , à une f "
demy - lieuë d'Antioche on les mit
mort , apres: qu'on leur eut rompu les
jambes par l'ordre qui en fut donné:
Cependantune action A barbare.ne fut

16
point capable d'aſſouvir la cruauté de
Gallus , tout ainſi qu'un Lion , qui
s'eſtantunefoismis au carnage, ne s'en
laſſe jamais , & demande toûjours une
ſemblable pâture . Il n'eſt pas neceſſaie
re de raporrer icy ces choſes-là par le
menu, depeur que jene paſſe les bornes
' dudeſſein
que je me ſuis propoſé..


1.X

Gonſtantius ennemy de la conduire de


Gallus , declare la guerre aux Roysdes
Allemans, auſquels il accorde la paix
qu'ils demandent du conſentement de
Armée Romaine.

Andis que l'Orient ſouffroit depuis

l'année ayane repris la douceur , Con ,


ſtance qui entroit dans ſon ſeptiéme
Conſulat avec Gallus qui entroit dans
lefien a pour la ſeconde fois, ſortit d’Ar
les pouraller ducoftéd: Valence faire
CONSTANTIUS ET GALLUS. 65
la guerre à Gondomad & à b Vadoma
re , deux Roys Allemands, quieſtoient
freres, & qui faiſoient des incurſions
fâcheuſes ſur les frontieres du païs des
Gaulois . Et comme il y fitun long fe
jour attendantles convois quidevoient
venir de l'Aquitaine ; mais qui en
eſtoient empeſchez par les pluyes du
printemps , leſquelles furent plus fre
quentes qu'elles n'avoient accoultumé
de l'eſtre , & qui firent groſſir les tor
rents & déborder les rivieres : 6 Hercu
lanasqui avoit la qualitéde Protecteur
domeſtique , vint å la Cour , il eſtoit
fils d'Homogenc Colonelde la Cavale
ricà Conſtantinople , comme nous l'a
vons dejà dit , lequel fut dechiré dans
une ſedition populaire. Cet Herculanus
ayantraporté au vray toutes les choſes
que Gallus avoit faites, dont il ſe repea
tir bien - toft, & la crainte de l'avenir le
rctenanttout penfif, il remcdioit autant
qu'il pouvoit , à la douleur tres-ſendi
ble qu'il en avoir. Cependant tous
les
s gens de guerre , qui furentaſſemblez
à Chalon , ou fut le a rendez -vous
de l'Armée, s'impatienroient de partir ,
& fe fâchoient d'autantplus de leur ſe
jour en ce lieu -là , qu'on neleur don
66 AMMIAN MAR. Liv . XIV .
noit pasmoyen d'y ſubliſter , & qu'on
ne leury fourniſſoit pas à l'ordinaire les
pains de munition . D'où vint que e
Rufin qui eſtoit alors Prefect du Pre
toire ſe vid dans le plus grand danger où
il fur de ſa vie : car on le contraignoit
d'aller à l'armée que la diſette & la fex
tocitéémouvoient d'une eſtrange for
te, joint que fans cela meſme,elle n'euſt
jamais manqué de faire ſentiefon dépic
& fa colere aux Commiſſaires & à ceux
quifont les Charges ordinaires , pour
leur apprendre à s'aquiter de leur de
voir , ou qu'ils euſſent au moins à luy
faire connoiſtre pour quel ſujet il n'é
toit point venu de pain de munition.Ce
qu'il faiſoit neantmoins à deſfein , afin
que par cét artifice conduit avec beau
coup d'adreſſe , il fiſt perir gi l'Oncle de
Gallus [ c'eſtoit Rufin ] de crainte que
commeileſtoit puiſſant, il nedonnaftde
la défiance de luy, parce qu'il affectoit
des entrepriſes pernicieuſes qui alloient
à de trop grandes conſequences.Mais il
ménagea doucement cette affaire. Et ,
quand on luy eut rapporté comme la
choſe s'eſtoit paſſée , Euſebe premier
Gentilhomine de la Chambre fue en
voyéà Châlon portant de l'argent avec
ſoy ; k quel ayant diſtribué en cachette
CONSTANTIUS ET GALLUS. 67
parmy ceux qui avoient ſuſcité le trour
ble: & le tumulte des Soldats fur appai
[ć , & la vie fut aſſeurée au Prefect . Puis
les vivres ayant eſté donncz en abon
dance,on firmarcher les Troupes.Apres
donc qu'elles eurent ſurmonté beau
coup de difficultez par le chemin qui
eſtoit fort couvert deneige , quand elles
furent arrivées aupres de Baſle où eſt le
cominencement du Rhin , elles ſe trou
verent arreſtées par lesAlemans , qui
leur firentdela reſiſtance: & qui empel
cherent par leur multitude les Romains
de paffer la riviere ſur un pont de bat
teaux , qu'ils ayoient liez enſemble : car
les darts comboient ſur eux comme de la
grêle. En effet,comme l'Empereur crût
que ce paſſage luy eſtoit feriné , & ne
re , il arriva
* fçachant à quoy ſe reſoud
que commeil y penſoit lemoins,un cer
tain hommequiconnoiffoit le Païs, vint
enſeigner un lieu pour paſſer de nuit la
riviere à gay , moyennant une recom
le bon avis
penſe qu'on luy fit pour
qu'il en avoit donné. Et certes tandis
que les ennemis eſtoient occupez ail
leurs, les Romains ayant paſſé le Fleu
ve , fans que perſonne s'en fuſt défié,
pouvoient ſe jetter dans le Pays, & y fais
re un grand dégalt ;mais peu de gensde
68 AMMIAN MAR . Liv. XIV .
la nation des Alemans , honorez des
plusbelles Chargesde l'Armée,en don
nerentavis à leurs Compatriotes par des
Meſſagers ſecrets, comme le tiennent
quelques- uns. Le ſoupçon d'une trahi
fon ſi grande, tombaſur Latin ) Comte
des Domeſtiques , ſur Agilon i Tribun
de l'Eſtable , & ſur Scudilon grand El
cuyer, qui eſtoientalors en grandecon
fideration , comnre des gens qui por
toient l'eſtat & la fortune de la Repu
blique entre leurs mains. Mais les Bar.
bares ayantpris conſeil entr'eux de ce
qu'ils avoient à fairedans l'eſtat pref
ſantdesaffaires , peut- cſtre à cauſe que
les aufpices ne leur eſtoient pas favora
bles; quoy qu'il en ſoit , cette fermeté
qu'ilsmontroient avoir fi forte du com
mencement pour refifter eſtant venuë à
fe ramollir , par l'authorité de quelque
perſonne conſiderable ou par le reſpect
des choſes ſacréesou de Religion , les
Grands d'entr'eux envoyerent deman
der la Paix , & en meſme temps pardon
de leur offenſe . Ayant donc oùy les
Ambaſſadeurs de l'ün & de l'autre Roy,
& l'affaire ayant cſté miſe en délibera
tion , comme on eut jugé à propos d'ac
corder la Paix ,quieſtoit demandée à des
conditions juſtes , & que parbcaucoup
CONSTANTIUS ET GALLUS. 69
deraiſonselle cut eſté approuvée,l'Em
pereur ayant fait aſſembler l'armée au
tour de luy pour luy faire un petit dil
cours ſur les circonſtances du temps;
voyant tous les hauts Officiers devant
fon Tribunal, où il ſe tenoit debout , il
leur parla en cette forte .
de Queperſonne ne s'émerveille, je
» vous prie, fi apres avoir eſſuyé la fati
» guede tant de chemins , & d'avoir fait
„ venir des convois de filoin , citant ar
„ rivez dans le païs des Barbares avec
»,la confiance que j'ay miſe en vous ,
» que neantmoins tour d'un coup ve
» nant à changerdedeſfein ,nouselten
dions à des Traitez de Paix ; Que
», chacun d'entre vous y penſe bien
» pour ſon intereſt particulier , & pour
fon
repos, il trouvera veritable qu'un
ſoldat en quelque lieu qu'il ſoit n'a
rien demeilleur à ménager , s'il a de la
» vigueur & de la force de relte , que la
» propre perſonne & fa vie : 173.1is l'Em
uspereur quidoit veiller au ſalur des au
s, tres , doit bien auſſi prendre garde
» qu'il ne peutpenſer à la propre con
„ ſervation , que par celle des Peuples
quiluy lonţ Coûmis , & doit recevoir
savec joye tous les remedes qui luy long
sofferts pour le bien de les Eitats, puiſ
N
70 AMMIA MAR . Liv . XIV .
0
que c'eſtmeſmespar les ordres d'une
„, volonté ſupréme. Afin donc que je
vous faſſe voir pour quel lujet je vous
» ay icy aſſemblez , mes fidcles Com
>> pagnons , écoutez paiſiblement ce
99 que je vous en diray en peu de pa 4
„ roles : car le diſcours de la verité eſt
..

1
toûjours ſimple & concis. L'excellen
», ce de voſtre gloire , que la Renommée

--
publie en tous lieux , s'eſt accruë de
,, telle forte dans la créance de toute la
» terre, que les Roys des Alemans, & lcs
Peuples quileur obeïllent, dans l'ef
,, froy qu'ils ontconceu de nos Armes,
nous demandent par leurs Amballa
deurs que vousvoyezicy ſoumis,lou
bly des choſes paſſées , & la Paix , ia
quelle , apres y avoir bien penſé, &
JE me croyant obligé de vous tenir aver
„ tis des choſes qui font de la derniere
importance pour votre utilicé , li
vous n'y avez point de rcpugnance, je
s croy qu'elle leur doit eſtre accordée
» pour pluſieurs raiſons. La premiere ,
s pour ne nous engager pas dansles
ſuites douteuſes de la Guerre : la
ſeconde, pournous donner des trolin
pes auxiliaires au lieu de nous aça
so tirer des ennemis puiſſans ſur les
., bras : la troiſieſme , afin que ſans
CONSTANTIUS ET GALLUS. 71
avoir répandu deſang ,nous adouciſ
fions une ferocité qui eſt ſouvent per
„, nicicule aux Provinces; & la derniere ,
», que nous ne devons pas tenir que ce
„ luy qui eſt noſtre ennemy fe peut
» Vaincre ſeulement quand il ſuccombe
ſous l'effortdes Armes ;maisbien plû
„ toft , quand la tromperce ne ſonne
>> point ſes allarmes , qu'il ſe range de
luy meſmeſousle joug , & qu'il lente
» par ſa propre experience que ny la
force nenousmanque point contre les
Rebelles, ny la manſuctude à l'égard
>> de ceux qui implorent nottre cle
„ mence. Enfin , j'attens ce que vous
» ſerez d'avis que je determine là-deſſus;
» comme un Prince tranquile qui veut
» que toutes choſes ſe faffent avec juge

ment,pour voftre propre felici . Car
„ ne penſez pas que ce ſoit à ma lâche
os té ; mais bien àmamodeftic , & à la
„, douceur demes ſentimens pour voſtre
bien , que je deſire que vousdonniez
, voſtre conſentement,à ce que je penſe
avoir meurement deliberé . .
Dés qu'il eut achevé de parler ,
la multitude conſentit à tout ce que
l'Empereur voulut , elle loua fon con
ſeil, & approuva la paix pour cette rai
fon , principalement qu'elle avoit ap
72 AMMIAN MAR . Liv . XIV .
prisdes frequentes expeditions que fa
fortunes'eftoit conſervée dansles guer
res civiles , mais qu'elle s'eſtoit le plus
ſouventnegligée dansles guerres étran .
geres,
X.

Gallus ayant perdu sa femme , Conftan


tiusl'attire aupres de Joy pardiversare
tifices , & le fait mourir.

E Traité de Paix fut donc conclu ,


LE & quand la ſolemnicé en cut cité
celebrée , ſelon la coûtume des Na
tions, l'Empereur s'en alla paſſer l'Hy
ver à Milan ; où s'eſtant déchargé du
foin de toutesautres affaires , il ne ſon
gea plus qu'à ſe débaraſſer de Ceſar ,
dont la puiſſance luy eſtoit un næud
gordien , qui luy paroiſſoit difficile à
rompre , & qui l'eſtoit en effet: mais,
commeil en cherchoic lesmoyens en fa
penſée , & qu'il en conferoit la nuit
avec les proches & ſes plus intimes
amis , devant que la confidence l'cuſt
pû faire reſoudre à s'en expliquer plus
clairement, il fut d'avisde l'actirer par
des Leteres pleines de douceur, & ſous
pretexte d'avoir beſoin de luy pour un
Traitce de grandc importance, qui con
cernoit
CONSTANTIUS ET GALLUS. 73
Cernoit l'intereſt public , afin que le
trouvant d'ailleurs abandonné de toute
forte de fecours , il fuít aiſé de le tuer .
Ses flatteurs ne furent pourtant pas de
cét avis, & entr'autres Arbetion homme
violent,mais adroit & ruſé à dreſſer des
embuſches à quelqu'un , & Euſebe , qui
eſtoit alors premier Gentil- homme de
la Chambre ; & plas porté que l'autre à
faire du mal. Ilſe rencontroit ,
, que Cc
(ar venant à quitter l'Orient , il y falloit
laiſſer Vrlicin qui eſtoit un homme i
craindre, il n'y avoit perſonne au deſſus
de luy pour le contenir en ſon devoir ,
& l'empefcher de s'élever trop haut.
Aupresde ceux- là ſe rangerent tous les
Eunuques de la Maiſon Royale qu'il y
avoit de reſte, de qui la convoitiſe de
s'enrichir eſtoit en ce temps-là plus
grande qu'on nele ſçauroit exprimer , &
qui, pour cela meſme, parmy les ſuivi .
Ces qu'ils rendoient dans la vie privée ,
chtretenoient l'animoſité par de I. crets
murmures & par des crimes ſuppoſez ,
opprimant ainſi par le poidsde leur en
vie un fort brave homme, qu'ils diſoient
ſourdement , Qu'il n'eſtoit pas mal-aiſé
des'appercevoir qu'ildeſtinoit ſes enfans
àl'Empire. A quoy leur âge et la beauté
de leurs perſonnes n'estoient pasmoins fa
D
AMMIAN MAR . Liv . XIV .
74
vorables, que les exercices qu'ils faiſoient
continuellement au métier des Armes ,
avec une adreffe admirable pourleur ſervir
d'effay,à quelque choſe de plus grande im
portance , quand l'occaſion s'en offriroit;
qu'au reſte Gallus estoit d'un naturel fa
rouche , do qu'il étoit d'autant plus porté
par ces gens-là à ſuivre ſesmauvaiſésin
clinations qu'ils ſe perfuadoient , que
quand , par ce moyen il ſe feroit rendu
odieux à toute la terre , on tranſporteroit
facilement les enſeignes de la principauté
aux Enfansa du Colonelde la Cavalerie.
Comme donc ces Flatteurs eurentbattu
inceſſamment les oreilles de l'Empereur
de toutes ces choſes-là , leſquelles ſont
toûjours ouvertes à de ſemblables ru
meurs, puis ayantintroduit en ſon ef
prit diverſespenſées ſur toutes ces cho
ſes, enfin il choiſit , comme le meilleur
conſeil qu'il.cuſt pâi ſuivre , premiere
ment de rappeller Vrlicin , & de luy
mander de venir par des Lettreshonora
bles , ſous pretexte d'avoir à prendre
avec luy un conſeil d'importance dans
la neceſſité desaffaires , pour tenir tou
tes choſes preſtes, afin de foûtenir & de
diſſiper les efforts des Parthes, qui fai
foient une puiſſante armée, dont l’Em
pire eſtoitmenacé. Etde peur qu'il nç
CONSTANTHUS ET GALLUS. 15
Le défiaft de quelque choſe de ſiniſtre,on
luy envoya le Comte Proſper pour te
nir ſa place dans le païs attendant ſon
retour ; puis quand les Lettres luy eu
rent eſté miſes en main propre , & que
l'ordre eureſté donné pour les chariots
de voiture,nous nous rendiſines à gran
des journées à Milan . Il nereſtoit plus
apres.cela ſinon que Cefar fuſt rappellé
de lameſme ſorte , & qu'il uſaſt de pa.
reille diligence à venir : & ,pour luy ôter
tout ſujet de ſoupçon , Conftantius fei
gnit qu'il deſiroit paſſionnément de voir
la four feinme de Gallus , & pour l'e
bliger à ſemettre en chemin , illuy écri
vit aulli des Lettres tout à fait flatteuſes ,
& y employales paroles les plus civiles
& les plus honnettes dont il ſe pût avi
fer .Mais comme elle eſtoit incertaine li
elle viendroit , car elle apprehendoit ce
luy qu'elle avoit reconnu fi ſouvent
.eſtre " fanguinaire , . & croyant neant
-moins qu'elle pourroit adoucir le natu
rel de ſon frere , elle partit pour le venir
trouver :mais entrant dans la Bithynie ,
la fiévre la prit dans b une Hoſtellerie
!

Lur le chemin , appellée c le Bourbier


des Gaulois , où elle mourut inconti
pent apres. Et quand ſonmary vid qu'il
ayqit perdu , ſelon la creance , le plus
Dij
76. AMMIAN . MAR . LIV. XIV .
ſolide appuy de la fortune, ne ſçachant
plus ce qu'il avoit à faire : car entre des
choſes tres-épineuſes & fort embarral
ſées , il n'avoir l'eſprit inquieté que de
la maniere qu'il avoit à ſe comporter à
l'égard de Conſtantius , qui tournoit
toutes choſes à ſon ſens , & qui comme
il ne recevoit jamais d'excuſes , aufli ne
pardonnoit-il jamais les offences qu'il
avoit rcccues : inais que comme il cītoit
coûjours fort enclin à faire demauvais
traitemens de ſes proches , il ne doutoit
auſſi nullement qu'il ne luy teodiſt des
pieges , & que s'il le pouvoit attrapper,
ille feroit mourir. Enfin il ſe trouvare
duit å telle extremité , qu'il crur ckro
obligé d'avoir recours aux remedęs ex
trémes , & nefit plus de ſcrupule d'oc;
cuper la preiniere place, fi l'occaſion luy
ouvroit la porte , pour y arriver. Mais il
fe défioit dela perfidie de ſes proches,
pour deux raiſons,& parce qu'ils appre
hendoient de ſe commettreåvec luy, à
cauſe de la ferocité & de fa legereté , &
parce que d'ailleurs ils redouroient la
fortune de Conſtantius , qui , dans les
diſcordes civiles , avoit toûjours eu le
deſſus. Cependant , il recevoit conri
nuellement des Lettres de l'Empereur,
qui luy donnoienc ayis , & meſme quile
CONSTANTIUS ET GALLUS.
Conjuroient de ſe rendre promptement
aupres de la perſonne , luy faiſant en
tendre que la Republique ne fe pouvoit
& neſedevoit jamais diviſer ; mais que
chacun dansles agitations qu'elle ſouf
froit, cftoit obligé de l'aſſiſterde toutes
ſes forces , luy faiſant connoiſtre la rui
ne & le dommage que ſouffroient les
Gaules en ce temps-là , quoy qu'il ne
luy mandoit toutesces choſes qu'à mau
vaiſe intention . Surquoy il entremeſloit
un exemple quin'eſtoit pas trop ancien ;
que du temps de Diocletien & de con
Collegue à l'Empire ,les Cefars ne s’ar
feſtoient point en un ſeulendroit; mais
obeïſfoient, & qu'ils alloient çà & là,
comme des Appariteurs , ſelon les or
dres qui leur en eſtoient donnez : &
mcſmc qu'en Syrie Galterius , quoy
qu'il euſtlemani cau de pourpre, ne lail
fa pas d'aller prés d de mille pas à pied
devant le chariot de l'Empereur , qui
eſtoit fâché. Scudilo Tribun des El
cuyers , ouvrier artificieux de la perſua
fion qu'on fuy voulut donner", vint
apres pluſieurs autres , qui avec un dif
cours Aatteurmeſfé de raiſons fericuſes,
fut ſeul capable de l'obligerde partir ,
avec un viſage diſſimulé ; & luy répli
quant ſouvent la mefine chofe , que ſon
Dij
78 AMMIAN MAR, Liv. XIV .
frere fils de ſon Oncle paternel,ſouhait
toit paſſionnément de le voir , le pou
vant aſſeurer au reſte que comme il
eſtoit doux & clement,il ſeroit toûjours
preſt à pardonner ce qu'il pouvoit avoir
commis par imprudence ; & qu'il luy
vouloit aſſeurément faire part de la Ma
jeſté, & l'aſſocier preſentement à l’Em
pire , ce que toutes les. Provinces du
Nort , qui eſtoient fatiguées de longue
main luy demandoient tres-inſtam
ment. Enfin , commeeles deſtinées ont

1
accouſtumé d'hebeter l'eſprit des hom
mes , où elles portent la main , Gallas
ſe trouvant gagné par ces raiſons, daus
l'eſperance qu'il conceur de: ſe voir
bien -coſt élevéà quelque choſe de plus
grand, fortit d'Antioche ſous la condui
te f de fa mauvaiſe fortune, allantde la
fumée au feu , comine le dit l'ancien
Proverbe : Et quand il fur à Conſtanti
nople il y donna des jeux publics & des
courſes de chevaux , comme s'il euſt
eſté en grande profperité , & y mit une
Couronne de victorieux ſur la teſte d'un
Cocher appellé g Thoras , comme de
celuy qui avoit gagné le prix .. Ce que
Conſtantius ayant appris s'en fâcha ou
tremeſure: mais de peur que Gallus qui
eſtoit incertain de ce qui luy devoit ac
CONSTANTIUS ET GALLUS: 79
1
river, ne fiſt rien par le chemin qui luy
puſtdonner lieu d'eſſayer de ſe fauver ,
on retira exprés toutes les garniſons qui
eltoient dans les Places ſur le paſſage.
Et au meſmetemps, Taurus fut envoyé
Queſteur en Armenie ,mais il paſſa ou
tre avec affeurance ,ne l'ayantnyvû ,ny
eſté ſollicité de le voir . Quelques-uns
vinrent neantmoins par les ordres de
l'Empereur , ſous pretexte de ſervir en
divers employs , de peur que Gallus ne
1

priſt d'ombrage , & qu'il ſe défiaft de


quelque choſc. Entre leſquels eſtoient
Leonce , qui depuis fur Prefect de la
Ville, & quis'en alloit là en qualité de
Queſteur Lucillian comme s'il y euſt
dû avoir la qualité de Comte des Do
meſtiques & Bainobaucles comme
Tribun des Ecuyers.
Vn grand temps ſe paſfa de la Corte ,
puisGallusvint à Andrinople Ville de
la Thrace Hemimentane , auparavant
appellée Vſcudume ; & quand il s'y fut
repoſé douze jours , il crouva que les
Legions Thebaines qui paffoient leur
quartier d'Hyver dans les places voiſi
nes, envoyerent quelques - unsdes leurs
pour le prier , deleur conſerver l'hon .
neurde les bonnesgraces & de ſes pro
meffes, l'afſeurant de leur part qu'ils lay
D iiij
80 AMMIAN MA R. Liv . XIV ,
ſeroient aulli toûjours fidelles ,aux lieux
où ils eſtoient établis. Mais il fut em
peſché par le ſoin & la vigilance de ſes
proches , de voir & d'oüir ce qu'on luy
vouloit dire pour en tirer quelqueavan .
tage. Depuis, lettres ſur lettres luy ve
nane inceſſamment , pour l'obliger à
partir d'Andrinople , & dix chariots pu
blics eſtant toutpreſts pour ſon équipa
ge par l'ordre quien fut donné, laiſſant
tous les gens de ſon Palais , excepté peu
d'officiers de la chambre & de la table ,
qu'ilavoit amenez avec foy , quoy qu'il
fuſt couvert de pouſlicre , il fut neant
moins comme forcéde ſe hafter par plu
ſicurs fortes de perſonnes qui ne luy
permirent pas de s'en diſpencer, faiſant
des imprecations avec larmes contre la
temerité, qui l'avoit abaiſséde telle forte
qu'ilſe voyoit gourmandé par la canail
le . En ces entrefaites neantmoins, come
il penſoit repoſer , ſon imagination qui
luy repreſentoit des ſpectres affreux qui
fremiffoient autourde luy , le troubloit
horriblement , & tous ceux qu'il avoit
fait mourir yayant à leur tefte Domitien
& Montius, le venoient tourmenter en
ſonge; & illuy ſembloit qu'illes voyoit
avec des crocs tels
que ceux que l'on
peint entre les mains des Furies. Car
CONSTANTIƯS ET GALLUS. 81
l'eſprit quiſe détachedes liens du corps
eſt toûjours agiſſant, & le ſoin par des
émotions infatigables & par des pen
sées & des ſoucis qui donnent de gran
des inquietudes, räivaſſa toutes ces vi
fions nocturnes que nous appellons
phantômes b: Sa mauvaiſe deſtinée luy
ayant doncouvert le chemin , par lequel
il s'en alloit eſtre dépouillé de la vie &
de l'Empire , ayant trouvé des Relais
fur la route pour l'amener plus viſte, il
vint à Perobion , qui eſt une ville des
Noriciens, où tous les pieges qui luy
avoient eſté tendus, luy furent connus.
(
Et Barbation qui avoit fans luy la qua
lité de i Comte des Domeſtiques , luy
parut en un inſtant avec Apodemius ,
qui'avoit l'intendance des affaires, con
duiſant apres eux des gens de guerre ,
1 leſquels l'Empercar avoir principale
mentengagez'à ſon ſervice par les biens
qu'il leuravoit donnez en fonds de ter
re,eſtant bien affeuré qu'il ſeroit impol
fible de les corrompre par quelques pre
fensque ce puſt eitre ; ny par quelque
compaſſion qu'on féar pult donner. It
n'y avoit donc plus de diffimulation :
maisle Château qui eſtoit hors de la Vil.
le, où il futmené , eſtoit tout environné
deſoldats: & dés qu'il y fut entré ſur la
Dv
AMMIAN MAR . Liv. XIV .
brune, comme le jour commençoit :
s'obſcurcir , on ledépoüilla des habits
Royaux , & on le revêtit. d'une robe &
d'un manteau de perſonne privée , l'al
ſeurantneantmoinspar l'ordre du Prin
ce, avec ferment reiteré pluſieurs fois,
qu'on ne luy feroit point de mal .-Puis
Apodemius luy dit; bâtez - vous dc par
tir : & l'ayant fait monter tout auſſi-toft
fur un chariot cominun , il le mena kà
Pola Ville de l'Iſtrie , où nous avons
appris que Criſpus Ceſar, fils de Con
ſtantin , fut autresfoismaſfacré. Et quád
on luy eut donné des Gardes , & qu'il
eſtoit demymort , par la crainte qu'il:
cut de finir bien -toft ſa vie, Euſebe pre
mier Gentilhomme de la Chambre de
l'Empereur , Pentadius Secretaire , &
Mellobaudes. Tribun de. la guerre , le
vinrent trouver par le commandement:
de l'Empereur pour l'interroger & fça
voir de luy , les raiſons qu'il avoit euës
d'exercer tant de cruautés à Antioche, a
d'y faire tant demaſſacres ? Si-toſt qu'il
les vid, & qu'il les oüitparler , la pâleur
s'épandit ſurſon viſage, commeautres;
fois ſur celuy d'Adraſte , quand il vid
perir ſes deux gendres,& leurdir,qu'à la
verite'il en avoit fait égorger pluſieurs ;
mais qu'il y avoitesté incité par ſa fem .
CONSTANTIUS ÉT GALLUS. 83
me Constantine ; en quoy il fic bien pa
roiſtre qu'il ignoroit ce qu'on dit qu'A
lexandre le Grand ſe trouvant un joue
preſsé par ſamere, de faire mourir quel
qu'un qui n'eſtoit point coupable : &
luy diſant en ſuite , dans l'eſperance
qu'elle eut d'obtenir ce qu'elle defiroit
qu'elle l’ayoit poçté neufmois dans ſon
ventre ; il luy répondit fort [agement ;
Que fa bonne Mere luy devoit deman
der une meilleure recompense que celle -là ,
parce que la vied'un homme n'entre point
en payement dequelque benefice que ce ſoit .
Cela s'eſtant découvert de la ſorte , le
Prince ſe trouva tellement ſaiſi de CO :
ſere & de douleur , qu'il ne crût pas fe
pouvoir aſſeurer qu'en le perdant. C'eſt
pourquoy ayant'envoyé Serenian , que
nous avons fait connoiſtre cy devant
avoir eſté abſous par de certainspreſti
ges du crime de leze -Majeſté , au ſujet
dequoy on l'avoit apellé en jugement,
avec Pentadíusle Secretaire, & Apode
mius quiagiſſoit dans les affaires , ille
deſtina au dernier ſupplice : & ainliGal
las ayant lesmainsliées derriere le dos ,
comme un voleur ou commeun enne
my public , m on luy trancha la teſte ,
& celuy qui eſtoit formidable aux Vil
les & aux Provinces , ne fut plus qu'un
D vi
84 AMMIAN MAR . Liv . XIV :
tronc difformedépouillé de ſon princi•
pal ornement.

XI.

La Tuftice divine éclate par la diverſité


du fort de quelques perſonnes de
qualités & entr’autres deGallus
Cefar.

A juſtice de Dieu parut en ce ren


contre de tous coſtez ; & les actions
inhumaines de Gallus le firent enfin pe
rir . Mais ceux qui luy donnerent le
de la mort , bien qu'il fuſt coupa
ble, parcequ'ils l'avoient flatté & abu
sé par de douces paroles, & meſmes par
ſermens qu'ils luy avoient faits de n'a
tanter point à ſa perſonne , & que non
obſtant tout cela ils l'attirerent au lieu
de ſon ſupplice, ne la firent pas longue
apres luy , & perirent malheureuſe
ment. Scudilo finit ſa vie en crachant ſes
poulmons , & Barbation quidepuis fore
long-temps avoit controuvé des crimes
contre luy, s'eſtant voulu ſervir de la
charge de Colonel de l'Infanterie com
med'un degré pour s'élever plus haut,
il en fútaccuſé lourdement par des gens
leilii ne l'aimoient pas il fut condamné,
,
CONSTANTIUS ET GALLUS. $S

1
& fit en quelque forte reparation aux
dépens de ſa vie à l'ombre de Ceſar ,
qu'il avoit attiré dans le precipice par
fes rufes. a Ainſi Adraſtie vangereſſe
des crimes, & remuneratrice des bonnes
actions, fic ces choſes, & en uſe ſouvent
de la forte (pluft à Dieu que ce fût toû= !
jours )nous l'appellons auſſi Nemeſis :
car elle porteun double nom ;mais c'eſt
en effet une certaine authorité ſublime
d'unepuiſſance effective , laquelle , ſe
lon l'opinion des hommes, eltelevéeau .
deſſus du cercle de la Lune, ou comme
d'autres la definiſſent', une puiſſance
ſubſtancielle qui a loin de toutes cho
ſes , & quiprelidemeſmes aux deſtinées
particulieresde chaque chofe , laquelle
les anciens Theologiens ont feintefiro
fille de la luſtice , qu'ils diſent regarder
d'une certaine eternité cachée toutes
les chofes d'icy- bas. Elle eſt comme une
Reine de toutes les cauſes , & comme
l'Arbitre des choſes de l'Univers : Elle
les diſcute routes, & tient l'une des Sorts
--

qu'elle jette à la diſcretion , mêlant


une certaine viciſſitude dans tous les ac
cidensde la vie, tournant nos volontez
d'un autre coſté que de celuy qu'elles
penſent aller, terminant toutes choſes
par l'évenement, & bouleverſant plu
86 AMMIAN MAR, Liv . XIV .
fieurs actions par les changemens fre
quens qu'elle y apporte. Elle lie l'or

. gueil de noſtre mortalité par le lien in


diſſoluble de la neceſſité, & commec'eſt
+ elle qui fait rouler lesmomensde noſtre
accroiſſement & de noſtre détriment,
comme elle en fçait parfaitemét les cau
fes ; tantoſt elle nous opprinte , & nous
fait baiſſer la teſte que nous tenions trop
haute , & cantoſt elle retire les honne
ftes gens de la pouſſicre , & les éleve à la
gloire de bien vivre. La fabuleuſe anti
quité luy a donnédes aiſles , afin qu'on
ſoit perſuadé qu'elle accourt avec une
promptitude merveilleuſe aux beſoins
de chacun : On luy donne auſli un goul:
vernail, & on luy inet une rouë ſous les
pieds,afin qu'on ne puiſſe ignorer qu'el
le ne gouverne le monde par tous les
elements.
Gallus fe trouvane faiſi luy-meſme
d'horreur de ſa vie paſsée, finit ſes jours
par unemort precipitée en la vingt-neu
fiéme année de ſon âge, & en la qua
triémede dignité de Ceſar. Il eſtoit né
dans une ville de la Toſcane appelléc
Maffa , fils de Conſtantiusfrere de l'Em
pereur Conſtantin , & de Galla four de
Rufin & de Cerealis, honorez de la ro
be trabée, quimarque la dignité Con
CONSTANTIUS ET GALLUS. 87
fulaire, ayant auſſi exercé la charge de
Prefect. Il eſtoit fort bien fait de la per
fonne,avoit la taille belle ,eſtoit debon
nemine , avoit les cheveux blonds , le
poil delié ſurdes joues delicates , avec
unecertaine dignité ſur le viſage : mais
d'ailleurs lidifferent des bonnes quali
tez de ſon frere l'ulien , qu'on euſt pû
dire de ces deux Princes ce que l'Hiſtoi
re a remarqué des deux fils de Veſpa
fien , Tire & Domitien), que le jour et la
nui£t n'estoient pas plus contraires que
leurhumeur: 11 fut elevé au ſuprême de
gré de la fortune , ayant auſi bien ef
prouvé les mouvemens de ſon incon
Itance , qui ſe jouë de la mortalité de
tous les hommes , en élevant quelques
uns tantoſt juſqu'au Ciel, & tantoſt les
abaillant juſques au fond de l’abyſme :
dont, comme il ſe rencontre une infini
té d'exemples ,je n'en feray que toucher ;
legerement quelques-uns pour juſtifier
ce que je dis. Cette fortune muable &
inconſtante a fait devenir Roy Agatho
cles Sicilien , de ſimple Potier de terre
qu'il eſtoit : & de ce Denys qui fut au
tresfois la terreur de cantde peuples, il
en fir un Maiſtre d'Ecole à Corinthe .
Elle mit en la b place de Philippe , par
un nom ſuppoſé , un certain Andriſcus
AMMIA:N MAR . Liv . XIV.
Adramitain , quieſtoit né dansun mou :
lin à foullon : & enſeigna le meſtier de
Forgeron au fils legitime de Perfeus,
pour luy donnermoyen de vivre le reſte IN
de ſes jours, La meſmelivra Mancinus
aux Numantins apres avoir exereé la
fouveraine puiſſance : Elle livra tourde
meſmeVeturius à la barbarie des Sam
nites ', & Claudius à celle des Corfes.
Elle aſſujetit Regulus à la feverité ine
xorable de Carthage , par ſon injuſtice:
Pompée, quiaprestant debelles actions
merita enfin le furnom de Grand , futal
Caffiné en Egypte par des Eunuques , qui
fe flatterent eux-meſmes de l'eſperan
ce qu'ils en ſeroientbien récompenſez :
Et un cerrain Eunus fit une armée d'ef .
claves en Sicile, eſtant à peine luy -meſ
me ſorty des fers. Combien de perſon
nages de naiſſance illuſtre ont-ils, ſous le
pouvoirde la fortune maiſtreſſe de tou
tes choſes , embraſsé les genoux de Vi
riathus & de Spartacus ? Combien de
bourreaux funeftes ont- ils tranché de
teftes , dont les Nations les plus fauva
ges ont eu meſmes de l'horreur ? L'ün
eft jetre dansles fers, & l'autre , contre
ſon efperance , eſt elevé à la puiſſance
ſuprêine : Vn autre en eft arraché &
precipité dans la miſère de la fervitude.
CONSTANTIÚS ET GALLUS. 89
Toutes choſes leſquelles , fi quelqu'un
veut ſçavoir comme elles ſont diverfes , :
& comme elles arrivent fort ſouvent ,
pourra auſſi (çavoir le nombre des Arai- i
gnées, qu'il regarde avec tant de iné
pris , & connoiſtra le poids des Mona '
tagnes.

La Chronologic Latine que j'ay luë con


tenant la durée de l'Hiſtoire d'Ammian ,m'a
abusé pour le temps que j'ay marqué dans
la premiere page de cette édition depuis
l'année 354. juſques en 478. car au lieu de
plus de 26. ans, il faut mettre ſimplement
14. Ans, ou quelque choſe de plus,
WE
90
***

REMARQVES
S VR

AMMIAN MARCELLIN .

SUR LE XIV . LIVRE.

E que nous avons des Livres


d'Ammian Marcellin à com
mencer lau 14. Livre ( car les
treize premiers ont eſté per
dus ) contient l'Hiſtoire de
ſuite de 24 ans , c'eſt à dire
des choſes , que l'Autheur meſme a vuèsde
ſes yeux ,ou quiſe ſont paſſéesdeſon temps,
Jeſquelles il a écrites avec autantde verité ,
qu'il a eſte capable de la connoiſtre , parce
qu'en effet cette Hiſtoire paroiſt fort ſince
re; & nousapprenons de luy des choſes tres
rares & tres- lingulieres. Mais il eſt vray que
ſon ſtile, quoy qu'il ait de l'ornement & de la
magnificence en beaucoup d'endroits , &
qu'il ſoit digne inelme en quelques lieux d'e
ſtre inis en comparaiſon de celuy de Tite
Live, fi quelques Critiques en doivent eſtre
erus; eft neantmoins en beaucoup d'autres,
fort obſcur , avec des periodes longues &
entortillées , leſquelles nous tâcherons de
rendre claires s intelligibles parnoſtre vel
Rem .ſurle XI.Liv.d Ammian . 9;I
fion , ce qui neſepeut faire autrement ſi l'on
ſe veut bien aquiter de ce devoir .
a Les hommes ſe trouverent fatiguez . Il y a
les Eſprits ſe trouvant fatiguez , Languentibus
Animis. Mais il prend les Eſprits ou le coura
gedeshommes pour les hommesmeſmes : &
fe fert ſouvent d'ablatifs abſolus & de parti
cipes de Verbes qui ſe doiventrarement ein
ployer dans le bel uſage, & ſur tout en noſtre
Langue , où d'ordinaire les ablatifs ablolus
font vicieux , c'eſt pourquoy nous nous ſer
vons plûtoft du gerondif que du participe.
Feu M. d'Ablancour qui écrivoit fi bien
d'ailleurs, n'y regardoit pas de fi prés. Cette
Hiſtoire qui coinmence par des hommes fa
1

tiguez'nous devroit faire peur , s'il falloit


preudre cemot- là , pour un preſage des pei
--

Hes que nous avons à ſouffrir dans certe vie


depuis le commencement juſquesà la fin .
6 Au Roy Hanniballian'ſón frere. Car en efa
‫مه‬

fer cée Hanniballian fut fait Roy de Ponte;


de Capadoce., & de la petite Armenie par
an

Conſtantin qui le révétit de la Pourpre ,


quand il l'envoya 'pour Gouverneur en la
Ville de Celarée de Capadoce , Jules Con
ftance, '& Rufius Albinus eſtant Conſuls , ſee
lon l'Autheurde la Chronique d'Alexandrie
alleguée'fur ce ſujet par M. Valois; qui a fait
an illaſtre Commentaire ſur cét Autheur, ou
il rapporte l'Image d'une Medaille de cét
Hanniballian frere de Dalmatius, autourde
laquelle on lit ces mots. Cl. Hanniballiano
Regi, & adjoûte en fuite une brićve Genealo
gie de tous les Princes de la Maiſon de Con
Itantin , laquelle j'ay cru qu'il ſeroit à propos
derapporter en ce lieu , parce qu'elle peut
fervir beaucoup à l'intelligence de l'Hiſtoi
Ic. La voicy .
92 Remarques
Conftantius Chloruscut pour femme He
lene , qui fut celle-là meſme qu'on appelle
encore aujourd'huy Sainte Helene , de qui
ſortit Constantin ſurnommé le Grand , à la
difference d'un aurre Conftantin du ſecond
lict . Puis Conſtantius Chlorus devenu Ce
ſar, ayant repudié cette Helene, eſpouſa Fla
via Maximiana Theodora belle- fille de l'Em
pereur Maximian Herculée , de laquelle il
cut fix Enfans,ſelon le témoignaged'Eutro
ре .dans le 9 . Livre de ſon Epitome Hiſtori
que , ſçavoir un autre Conſtantin ſurnommé
Tejcunc, à la difference de ſon frere aiſné dia
premier li& , ſurnomméle Grand ,pour eſtre,
à mon avis, l'aiſné de celuy -cy . Dalınarius;
quc Zonare & d'autres appellent Hannibal.
lian ,& Julius Conſtantius, & trois filles,Ana.
Italia , Flavia Conſtantia , & Eutropia. De
Dalmatius, quifut Conſul, ſortirentun autre
Dalmatius , & Hanniballian qui fut Roy de
Ponte & de la petite Armanic. Jules Con
ftance épouſa en premieres Nopces une fem
meappelléc Galla , de laquelle il eutGallas
Cefar : Puis en ſecondes Nopces , il efpouſa
Bafiline , de laquelle fortit Julien Auguſte
ſurnommé l'Apoftat. De Conſtantin le jeu
ne, quieſtoit ſ'aiſné du ſecond liet de Con
ftantius Chlorus, ſuivant l'authorité de Zo
nare , il ne s'en trouve rien d'elerit. Quant
aux Filles du meſme Conſtantius Chlorus &
de Flavia Maximiana , Conſtantia furmariée
à Liciniųs , dont elle eut un autre Licinius
quifut Ceſar. Anaſtaſia fut femine de Ballian
Ceſar : Et pour le nom du Mary d'Eutropia,
il eſt ignoré : Mais ſon Fils appellé Nepo
tian , uſurpa l'Empire à Rome. Conftantin le
Grand fils du premier lict de Conſtantius
ſur le 14. Livre d'Ammian . 93
Chlorus & d'Helene , eut un fils de Mieervi
neſa Concubine, appellé Criſpus, puis ayant
épouſé Flavia Maxiiniana Fauſta Fille de
Maximian Herculée,il en cur trois fils Con .
ftantin , Conſtantius & Conftans, & deux
filles Conſtantine & Helene. Conſtantine
fut mariée premierement à Hanniballian
... 7

Roy de Ponte ſon Couſin Germain , puis à


Gallus Ceſar : & Helene épouſa Julien Con
parent qui fut depuis Auguſte. Conftantin ,
l'aiſné des Enfans de Conſtantin le Grand
épouſa unefemme que ſon pere luy donna ,
au rapport d'Euſebe, qui ne la nommepoint.
Pais, ayant eſté élevé à la dignité Imperiale,
il en épouſa une autre d'uneMaiſon illuſtre
d'Eſpagne, laquelle n'eſt point auſſi nom .
mée . Conftans épouſa Olympias fille d'A
blabius : & pour Conſtantius, il épouſa pre
mierementpar l'ordre de ſon perc la fille de
fon Oncle Conſtantiusfourde Gallus:Puis,
1

en ſecondes Nopces, il épouſa Eufebie, & en


troiſieſmes Nopces Fauſtine,de laquelle for
:

tit Conſtantia Poſthuma, qui fut depuisma


rićc à l'Empereur Gratien fils de Valenti:
nien.
ç Honorat quicommandoit en Oriert. Jl y a
Comte d'Orient Comitem Orientis , quipeu de
temps auparavantavoit obtenu la qualité de
Conſulaire de Syrie . Il n'eſt rien de plus dif.
ficile que de rendre juſtement le ſens des
qualitez des Anciens, ſelon leurs divers em
ploys dansles Charges , dont perſonne que
je Içache n'a encore fait de Dictionnaire , qui
feroit pourtant une choſe bien utile. La qua
lité de Comte d'Orient dont il eſt fait men
tion dans le Livre de la Notice de l'un & de
l'autre Empire , auſſi bien que dans Ammian
94 Remarques
en cér endroit & en pluſieurs autres en ſuite,
eſtoic le noin d'une dignitéplutoft civile que
militaire, quoy que Saint Ambroiſe dans la
29.Epiſtre qu'il eſcrit à Theodoſeait dit,Rea
latum eft à Comite Orientis militarium partium
incenſam esſe Synagogam.Mais cela ſe pourroit
prendre aufi d'une Charge qui approcheroit
de celledenos Incendansde Juſtice dans les
Armées , leſąnels ne ſont paspour cela gens
deGuerre. Ce qui ſuffira pourdénouer cette
difficuité.
d La Femme de Maximin . Le nom de cette
excellente femme eſt ignoré: il ne faut pas
adherer à Camerarius dans ſesNotes ſur la
Chronologie du Patriarche Nicephore , qui
l'appelle Calpurnia , s eſtantméprisdans l'in
telligence d'un lieu du Livre des trente Ty
rans de Trebellius Pollio , où il parle de Ti
tus & non pas de Maximin ; mais , ſelon la
conjecture de M. Valois,cctre Damne s'appel
loit Pauline, parce qu'il luy fit une conſecra
tion , de laquelle il ſe voit desmarques dans
unemonnoye qu'il fit battre , où ſe liſent ces
mots, Diva Paulina .
Thalaſius Frefect du Pretoire , ou , ſelon
d'autres, Thalafus, quiavoit eſté auparavant
Comte. la qualité de Prefect du Prętoire
cftoitla plus grande de toutesdans la maiſon
du Prince , & peut revenir à cellede nos an
ciensMaires du Palais , ou plutoſt du grand
Seneſchalde France, quieſt une dignité ſup
primée, laquelle on a confonduë en quelque
Torte avec celle de Chancelier ,mais non pas
entierement. Je n'ay donc pas jugé à propos
de larendre d'autre ſorte,non plus que beau
coup d'autres qui reviennent peu ou pointdu
tout à noftre uſage .
fur le 14.Livre d ' Ammian . 9-5

1.1.

$ 2 Vrent expoſez aux beſtes farouches.Carj'ay


11 leu feris, & non pas foris , commeil y a
en quelques editions, & meline en celle de
M. Valois , qui prefere neantmoins feris à
foris : car c'eſtoit une choſe aſſez ,ordinaire
10 parmy lesRomains d'expoſer ainſi leurs En
nemis auxbeſtes dansles Amphiteatres. Ec
ce fut aing que Conſtantin meſıne expoſa
"! aux beſtes Aſcaric & Ragaïſe Rois des Fran
çois,ſelon l'allegation qu'en fait cét Autheur
dans ſes Annotations en la page-8 . où il cite
l'abregé d'Eutrope.
b Qui avoit la qualité de Comte. Il n'y a
que Comte ;mais cela ne dit pas aſſez en no
tre langue: & la Notice de l'Empire fait
mention d'un Comte Militaire dans l'Ifaurie ,
ſous l'authorité duquel eſtoient la ſeconde
& la troiſiémelegion Iſauriques. D'où il pa
roiſt que la premiere legion Iſaurique fut
tranſportée ailleurs depuis lamort de Con
ftantin . M.Valeis .
al cson Conneſtable ( ou for Colonel de la Ca
21 palerie. ] Ily a Magiſter Equitumi, que nous
AIC pourrions rendre par Meſtre de Campde Ca
0 valerie ; mais je neIçay fi ce ſeroit aflez . J'ay
M opinion que cette qualité revient mieux
celle de Conneſtable, ou de Mareſchal , ou
tour au inoins de Colonel; c'eſt pourquoy
jetraduis preſque partout Colonel, auſſi bien
pour l'Infanterie que pour la Cavalerie .
OS d Nebridius Comte dans l'Orient. Il avoit
ſuccedé à Honoracus coinine'nous l'aprou
nons de l'Epiſtre 390. de Libanius à Man
tithec : puis il fut fait Queſteur du Palais par
96 Remarques
Conftantius, qui le donna à Julien Ceſar.En
fin commeil fut fait Prefect du Pretoire,ayan
refuséde prefter ſerment à Julien către Con
{tantius , il fut dépoüillé de ſes Charges , &
relegué en Toſcane d'où il eſtoit , comme il
ſe peut voir en ſuite dansle 20. livre, M. y .

III.

3 Ans ce que j'ay écrit des actions deMars


D Aurelle. Comme il n'eſt point parlé
de ces choſes en aucun des Livres quinous
reſtent de l'hiſtoire de Marc Aurelle, cela
nousdonne ſujet de regrecer la perte des lie
vres d'Ammian , parce que cér Autheur , qui
eſt certainement exact, nous en euſt appris
des chofes fingulieres. Et nous ne ſçaurions
ſçavoir quel comınerce cét Empereur put
avvir eu avec les Sarrafins , ce qui pourroir
eftre neantmoins , quand apres la mort de
Çaffius qui fut tué, il fit un voyage en Syric
& en Egypte , ſelon la pensée de M. v .
b Chez ces Nations dont l'origine vient des
Allyriens. Il ſemble qu'Ammian Marcellin
comprenneicy ſous le nom de Sarraſins tou
tesles Nations de l'Arabie , qu'il appelle Al
Syrie en ce lieu.cy , parce qu'elle touche ve
fitablement l'Allyrie du corte de Babylone,
La deſcription que l'Autheur fait en ce lieu
dosmæuis des Saraſins, eſt la premiere des
belles digreſſions dontil cạrichit ſon ouvra
ge , leſquelles ſervent beaucoup aux con
noiffances del'Hiſtoire parmy d'autres auſſi,
qui font purement Philofophiques. Quant
aux Sarafins, c'eſtoientproprement des Ara
bes, Sunites ou Nomades ; mais au coirmen
ceineut ils ne faiſoient qu'une petite partie
furle 14. Livre d'Ammian. 97
de l'Arabieheureuſe , témoin Pline au 6.1. &
Hiolemée. Depuis ils ſe ſontaccrusen gran
de puiſſance , & ont donné leur nom aux
Arabes Scenites. Toutesfois , outre le nom
de Sarafins quieſtoit commun , ils portoient
encore les noms de Nations particulieres :
car on les appelloit les uns Maaddenes , les
autres añanites , les autres Anthropopha
ges , & pluſieurs de divers autres noms.
c Frontieres des Blemmyens. Ces Peuples
efoient prochesdes Cataractesdu Nil , que
d'autres appellent Cataduppes . Les Bleunyens
U

ont pris leur nom de Blemye Ambaſſadeur


de Deriades Roy.des Indes , qui ayant cfté
vaincu par Bacchus , ſe retira en cette partie
de la Lybic. Les uns eſcrivent ce nom par
deux inm , & les autres par une ſcule.M. V.

1 y.

Vi achevoit la trentieſme année de son


" O regne. C'eſt à dire l'an 353. de Noſtre
Seigneur. Conſtantius Auguſte eſtant Con
il pour la fixieſme fois, & FlaviusConſtan .
tiusGallus Geſar pour la ſeconde fois , qui
futl'année que Magnence fut vaincu dans
la Gaule , & que Decentius Ceſar ſon frere
s'étrangla , dont ileſt parlé dans le dixiémne .
Livre d'Eutrope.
b.officiers d'Armée. C'eſt ce qu'il appelle
Militares, commeles Tribuns, les Capitaines
& les-Comtes, ou les Meſtres de Camp.Pour
çeux qu'il dit enſuite qui avoient les Charges
honorables, c'eſtoient ceux qui exerçoientles
Charges.civiles dans les Provinces , qu'ils
appelloient Honorati.
Vn Secretaire de ſes commandemens. Il y a
E
98 Remarques
Notarius , que j'ay rendu par Secretaire des
commandemens en ce lieu cy ; comme en
d'autres, je rendslemeſmemoc par Secretaire
fimplement ou par Secretaire d'Eſtat , ou pár
Greffier du Conſeil, ou ſimplement par Notaire:
car ce mot ſe peut prendre pour ces choſes.
là .
d Sur un Viſage effeminé. C'eſt à dire , qui
n'avoit point depoil , comme s'il euſt cffe
brûlé ,ou qu'il euſt efté gâté par la petite ve
role, comme il arrive quelquesfois , ou que
ce fuſt le Viſage d'un Eunuque . *
e Etſe comportoit parmyles maſ acres. Il taxe
icy la rudelle & la cruauté de Conſtantiùs,
çn décrivant celle de Paul fon Secretaire',
pour faire voir la baſſeffe de ſon Eſprit.
f En l'abſence des Prefects. Ou pour les Pre
feas, c'eſt à dire pour les Gouverneurs ,
qu'ils appelloient Vicari Provinciarum .
& Celuy qui commandoit en l'abſence du Goxe
verneur. II l'appelleVicarium Mais cette qua
lité ne s'entendroit pas bien à la marquer de
la forte en noſtre Langue, pour y avoir un
uſage trop frequent au ſujetdes Preſtres qui
ſerventdans les Egliſes pour les Curez des
Parroiſles , ou pour ceux quiadminiſtrent la
Charge des Paſteurs.
h Orfite quiavoit la puiſſance de Prefect. On
l'appelloitMemmius VitrabusOrfitus, qui fút
Prefect de la Ville qu'Ammian appelle eter
nelle, c'eſt à dire Roine, comme ſi cette Ville
euft deù durer autant que le Monde , ou
qu'elle fuft la ſeule exceptée de la miſerable
condition de toutes les choſes mortelles.
C'eſt ainſi que cér Autheur la nommc en di
yers autres lieux.
fur le 14. Livre d'Ammian .

y .

fait.icy une excellente digreſſion de


Rome , & desmeursde ſes Citoyens, par oii
il fait bien connoiftre les bons ſentimens
qu'ilavoit dela vertu , & de quelle ſorte il
eſtoit ennemy du,.vice.
6 Les Tribus, les grandes familles qui ck
comprenoient pluſieurs autres ſous elles ,
par les Centuries , il entend une autre diſtribue
tion du peuple qui eſtoit diviſé par Ceatu
rics & par Décuries.
cAquelqu'un la vie eft heureuſe. J'ay tendu
.la Sentence de Simonide en vers ; quoy que
l'Autheuren rapporte fimplement le ſens,
.

12 ſans en dire les propres termes :mais , parce


que la Sentence eſt d'un Poëte , il m'a ſemblé
bien -feant dela tourner en vers , comme je
• l'ay fait en d'autres endroits, quand il allegue
des authoritez des Poëtes. Plutarque actri
buc cette meſme Sentence à Euripide au
11

commencement de la vie de Demoſthene ,


coinme l'a bien remarquéMonſieur Valois.
::

d Celuy quimépriſant & c. J'ay cncore tour


---

né cecy en vers , puiſque c'eſt une penſée du


2

Poëte Hefiode , ce qui a beaucoup meilleure


grace que de le rapporter ſimplement.com
me il eſt dans l'Autheur.
.

e A ſe faire traîner dans des Carroſſes plus


magnifiques que l'ordinaire. Il y a dans le Latin
in carrucis ſolito altioribres i pour dire ſump
tueux & magnifiques : Et pour le inot Carru
cis ou Carruchis , comme il y a dans l’Edi
ion Romaine on diroit qu'il auroit eſté fait
par noſtre terms François Carroces , qui ex
Eij
100 Remarques
prime juſtement le ſens de l'Autheur, parce
qu'il eſt en cela tout à fait conforme à noſtre
uſage. Il peint enſuite naïvement le luxe
d'une Ville qui eſt dans les delices , où l'on
vojd une eſpece de ſatyre,tres-agreable.
f Comme dit le Camique. L'Autheur ne le
nomme point, & il ſeroit bien inal- aiſé dele
deviner. Il y a neantmoins de l'apparence

de Sannion , qui ſe trouve dans la Comedie


des Ade!pbes pour un Marchand d'Eſclaves
qu'il appelle Leno.
g Dans leurs Calleches fermées,rend mieux, à
mon avis , le mot Baſternis du Larin , que ſi
j'eufle traduit Lictieres , qui eſt la propre fi
gnification que quelques- uns ont penſé qu'il
falloit donner au cerme Latin , Tuivant le
ſens de cette ancienne Epigramıne .

Aurea matronas claudit bafterna pudicas,


Qua radianspatulum geftatutrinque latus , obf.

Car en effet les Lictieres de la façon quç


nousles ayons aujourd'huy ne ſeroient pas
bien propres à courirpar les ruïs, comme le
ſont les Calleches.
h Les Livresſont enfermez dans des Bibliothe
ques Nous voyons aujourd'huy la meſme
choſe dans les Maiſonsde quelques gens qui
poſledentde grands biens , & qui ont meſ
mes de grands amasde Livres deſquels ils ne
font rien , & ne ſouffrent pas le plus ſouvent,
que les gensdeLettres en puiſſent uſer.Il eſt
yray que tout ce Chapitre en parlant des
vicesdeRome, dépeint aflez heureuſement
ce quenousavons veu rcgner denoſtretemps
en d'autres lieux , & que tout Paris ne peuve
t ignorer,
für le 14. Livre d ' Ammian , TOI
i Catule . Valere Maxime attribuë cecy à
Quintus Catulus pendant qu'il fut Edile , cc.
luy -là meline dont il eſt parlé dans les Cata
lectes des anciens dontnous avons quelques
pieces en Vers.

Eſar ayantlong-temps diffimulé. C'eſt à


dire Gallus , & ce qui ſuit pour def
crire les vices de ceméchant homme s'expri
mepar l'Autheur avec des paroles aſſez en
tortillées.
b Les principales teftes du Senat . Comme la
Eoy 39. du Code Thcod . remarque ceux qui
ý tenoient le premier rang . Tam primarios
curiarum quam hos qui Magiſtratus gerunt at
que geſſerunt ſinceritās tua incit are debebit V.
C Des Pugiles qui ſe battoient à coups de
poing fans répandre le fang .
d in certain nombre d'Eſcuyer's ag'de Gentils
hommes . Car de tourner ſoliſque Scholis iuffit
este contentum . Palatinis , par Eſcrivains ou
compagnons d'Eſtude,il y a peu d'apparence ,
& ilfaut avouer que cesſortes de licux ſont
difficiles à bien interpreter.
e Gouverneur. Il y a Prefect ;qui eſt une quali
té des Anciens qui peut revenir à celle de
Gouverneur.
f Comte de ſes laigeffés , comine nous pour
rions dire aujourd'huy Aumoſnier, oú Treſo
rier des inenus Comes largitionum .
& Les Chefs des Officiers , ou les principaux
Seigneurs de la Cour , Palatinarum primos
Scho'aram . Mais je croy qu'officiers eſt meil
leur , que Seigneurs de la Cour, & ilne fautpas
douter qu'il ne ſoit tres-mal aiſé de tourner
E. iij.
102 Remarques
juitementcesſortes de choſes -là, quiont peau
de rapport aux Couſtumes de noſtre temps.
b Luſcus Procureur": car c'eſt ainſi que j'ay
tourné Luſcus Curator , quine ſe peut prendre
en ce lieu-là que pour Procareur ou Adini
niſtrateur desaffaires de la Ville,
i Des crisfrequents i'y adjouſte Lugubres,paró
ce qu'il convient au ſujer , par la comparai
fon , qui ſe fait en ce lieu de ceux qu'on apo
pelle crieurs ou pleureurs pour les Trepal
lez , Cecy neantmoins ſe pourroit auſſi tour
per par des gens qui crient devant d'autres
quiportent de grands fardeaux pour avertir
le Peuple de feranger.
* Tribuns des Fabriques. C'eſt à dire , In
tendans des Armeures & des Boucliers quide
fabriquoient à Antioche comme nous l'ap
prenons de laNotice de l'Empirc,& cela ſous
la charge & ſous l'authorité du Maiſtre des
Offices. Il y a un lieu dansle is . Livre fem
blable à celuy.cy, où il eſt parlé d'un Tribua ,
la Fabrique de Cremone,

VII.

Es foramets du Mont Taurus. Et ce qui


L. ſuit eſt une digreſſion importante &
curieuſe pour inſtruire les Lecteurs de la :
connoiſſance des Provinces de l'Orient,entre
leſquelles il range l'Egypte , que les Anciens
& particulierement la Notice de l'Empire,fe
paroientdes Provinces de l'Orient.
b. Iſaure, & non pas Ifaurie, ſelon la remar
que de V. Plinemet cette Ville -là dans la Ci
licie au quatriémeLivre , laquelle fut ruinée
par deux fois, du temps de Perdiccas apresla
more d'Alexandre, au rapport de Diodore au :
furle 14. Livre d'Ammian , 103
18. Livre,& par Serúlius Ifauricus, dont Floa
Ius a parlé .
c Tarse d'un motGrec qui ſignifie Talon,à
cauſe des ailes que les poètes ont attachées
aux talons de Perſée , de l'une deſquelles qui
tomba dans le Fleuve Cydnus la Ville de
Tarſe fut denommée , ſelon la penſéede De
nysPoëte Grec dans ſon Livre du Monde .
Auſfi Lucain dans ſon troiſieſme Livre l'ap
pelle - t- il Perſea Tanfeo
d Sandan . C'eſt ainſi que fut appelle le
Pere d'Athenodore de Tarle , quifut un Phi
loſophe celebre Precepteur d'Auguſte , au
rapport de Strabon dans ſon 14. liv .
Anazarba . Cette Ville fut fondée par
Azarbas, que Suidas appelle Zarbas,on l'ap
pelloit au commencement Cyinde, & depuis
Dióceſarée , qui futrenverſée parun trem
blement deterre du tempsde Nerva , & re
Baſtie enſuite par un Senateur appellé Ana
żarbe,qui l'appella de ſon nom .
f Mopjueſtie . Icy l'Autheur confond deux
Moples, celuy quieſtoit fils de Mantho &
d'Apollon , avec un autre Mopfe fils d'Am
Pycus & de Chloris fille d'Orchomene , le
premier de la Ville d'argos,.& l'autre de Ti
careſe qui eſt en Theſalie , l'un de ceux qui
furentau Voyage des Argonautes ,mais l'un
& l'autre Prophetes. Le Fondateur de Mop :
fueftic ou deMopſueſte fur celuy d'Arogs, qui
apres le Siege de Troye fueavec Amphiloque
en Cilicic, où il bâtit la Ville deMalle &
quelques autres fur les frontieres de cette
Province , comme l'eſcrit Straboni au 14.1.
g Ses Manes heroiqués. C'eſt à dire de Mop
ſe qui eut un Temple celebre dans la Provina
CeCyrenaïque pour les Oracles qu'il y ren
E isij
104 Remarques
doit , dont il eſt parlé dans le premier Livre
de Clement Alexandrin , ou il confond le
Mopſe Argien avecle Theflalien , diſant que
Mopfe & Amphiloque florirent au temps de
la guerre de Troye.
h Nicanor ou Nicator tous deux ſurnom
mez de Seleucie . Nicanor fut ua des ſucceſ.
feurs d'Alexandre ſurmonté par Arfaces Roy
des Parthes .
į Euphrata . Ou comme la nomme Victor
dans fon Epitoine Auguſteuphratenſis Coma
gena , c'eſt dans ſon Veipafien.
K La vieille Ninive. Par ces paroles vitere
Nino,parce que Ninive futfondée par Ninus,
fi c'eſt neantmoinsde celle-là qu'il faille in
terpreter l'Hierapole qui eſt dans la Coma
gene , au deçà de l'Euphrate , & non pas au
dc-là , comme Pline & Strabon ont eſcrit
qu'eſtoit la grande Ninive.
| Ilavalla du poiſon . Cecy eſt marqué par
Sextus Rufus dans ſon Epitome , où il dit
que Ptolemée avança la fin avec dupoiſon,
pour perdre plutoſt la vie que des richeffes fi
conſiderables ,

VIII

T la moindre choſe du Monde. Les paroles


"ET font, Et in hoc caufarum titulo diſsimi
lem ſui, comme ſi nous diſions, que la ſenle ets
quette du ſac & c. mais ces façons de parler
proverbiales ſont trop baffes pour la dignité
de l'Hiſtoire.
b. Appelloitorgiseil es inſolence la liberté d'is
homme de bien . C'eſt ainſi que pour enveni
iner lesmeilleures actions, on appelle enco
re, quelquesfois orgücil , la conſtance des.
ſur le 14 : Livre d'Ammian . ios
Martyrs dans la perſecution ; & ce qu'il y a
de plus vertueux eſt ſouvent des-honoré par
des noins injurieux ,en ſorte quela pieté ſo
lide eſt appellée hypocriſie,la fermetédans la
foy , opiniaſtreté , la modeſtie , inſolence, la
patience, temerité, & l'itinocence la pluspu
se, vanité & ſuperſtition. Car iln'eſt rien de
1
plus injuſte que des ignorans ou desméchans
qui font en credit , quand pour vanger les
paflions particulieres , ils abufent deleur au
thorité , & feduifent les puiſſances legitimes,
par des calomnies outrageuſes & des flatte
fies dangereufes.
6 Zenon Stoïcien . Peut- eſtre. 1-Autheur
1 confond - il icy Zenon lc Stoïcien avec
Zenon Elcate à qui Ciceron au ſecond
Livre de ſes Tuſculanes , Philon & Dio
gene de Laérce attribuent l'Hiſtoire qui eſt
icy touchée . Cene fur pas aulli par le Roy de
Cypre que Zenon fut tourmenté , mais par
Nearche deMyfie Tiran des Eleates,ou,ſelon
d'autres par Demyle , aina
que le rapporte
Clement Alexandrin en ſon quatriefme Li
vre :
d Pour direun Menſonge. Un Payen ſouffre
la mort plucoſt que de dire un menſonge , &
il en eſt loué par l'Autheur de cette Hiſtoire
qui n'eſtoit pas Chreſtien ; en quoy ,it furen
core imité par le genereux Eurebe dont il eſt
icy fait métion ;& on trouveroit digne de blâ .
me des Aines conſtantes & fidelles quiaiine
roientmieux mourir quede métirou faire un
faux ſerment, ou de témoigner une choſe qui
nepeur eſtre de leur connoiſſance, pour des
honorer la memoire des gens de bien , Oll
pour facer la paſſion de perfonnes puiſſan
tes qui en yculent opprimer d'autres , pour
E V
106 Remarques
faire connoiſtre au reſté deshommes , qu'ils
font incapables de ſe tromper.
e Vole tunique Pettorale ſansmanche: Celieu
eft excellent pour faire connoiſtre l'uſage de
la Dalmatique aux Diacres de l'Egliſe Chrê
tienne,dés le commencement du quatriéme:
fiecle, dont la deſcription qu'en fait icy Am
mian Marcellin , qui obſerve meſme la quali
té de Diacre , eft tout à fait digne de remar
que.
f A une demy lienë d'Antioche: Il y a vice
fimo quarto disjungitur lapide. Ce quipeut
revenir environ à une demie lieuë , encore:
cft- ce tout au plus .

IX.

Our la deuxiéme fois. C'eſt ainſi que j'ay


* Pou r Caſaris iterum ; inais ſelon le Li.
tourné
vre des Faſtes, il faudroit pour la 3.fois .
b.Vadomare, ou Vadamnire; ou Vadome,c'eſt
la meline choſe .
6 Herculaus quiavoit la qualité deProtecteur:
L'edition Romaine porte Broulanus. Quant
i la qualité de Protecteur , elle appartenoit à
in Commandant des troupes, ſoit de Cava
lerie, ſoit d'Infanterie , comme nous pour
tions direColonel, & pour lemot Domeſtiques
qui eſtjointpar oppoſition à celuy de Prote
Eteur, il ſe doit prendre pour lesGens-d'ar
mes domeſtiques, ou pour les ſoldats du Re
gimentdes Gardes du Prince , les uns & les
autres ayant leur Cointe , c'eſt à dire leur
Capitaine , leur Marefchal , ou Meſtre de
Cainp, comme nousl'apprenons de la Noti
ce de l'Empire, Il n'eſt rien de plus difficile
fur lé 14. Livre d'Ammian . 707
qüe d'ajuſter à noftre uſage toutes ceschos
tes-la.
de Chalon pour lemot apud Cabilona , fans
qu'il ſoit neceffaire de dire Chalon ſur Saone;
á la diſtinction de Chaalons en Champagne ,
qui ſe nomme en Latin Cathalaununi , parce
que cette Ville-là de la Province de Rheims
s'appelle Chaalons, & non pas Chalon .
e Rafins Prefe&t du Pretoire.. It appartenoit à
cette ſorte de dignité- là d'avoir loin desmi
nitions neceffaires pour faire ſubfifter les
Armées, commenous l'apprenons de Trebel
lius Pollio dans ſon Macrian , & de Vopiſcus
dans la vie dë Probus. Mais Zozime écrit
dans ſon z. liv.que la puiſſance de cette char
ge fut bien diminuée par Conſtantin , parce
qu'auparavant luy, elle s'étendoit encore für
le chaſtiment des vices desfoldats ,ce qui luy
fút retranché par cét Empereut.
f Qui est les charges ordinairés. C'eſt à dirc
civiles, Marcellin oppoſant ſouventles di
---

gnitez ordinaires aux charges Militaires .


Comine il ſe peut voir au' fepriéme livie, &
fur la fin du zi.
gi L'Oncle de Gallas. C'eſt à dire Rufin , car
CeſarGalluseſtoit fils de Galba ſeur de Ru
fin , comme il ſe verra ſur la fin de ce livre,
& ailleurs il eſt appellé Vulcatius Rufinus.
b Comte des Domeſtiques ; Capitaine dam
Regimentdes Gardes.
i Tribun de l'eftable. Comme Eſcuyèrde la
grande Eſcurie ,
k Que perſonne ne s'émerveille, Cecce baran :
gue eſt bien faite, & marque également l'e
loquence de l'Empereur , & le jugement de
l'Hiſtorieni

Evi
You Remarques

v Colonel de la Cavalerie , ou du Corps


DI neſtable, pour ces paroles ad Magiftri :
Equitam liberos, c'eſt à dire les enfans d'ør
licin .
b Dans une hoſtellerie-Sur le chemin . Il у a
in tatione, pour dire un logis de paſſagepour
les gens dee sguerre.
c Le bourbier des Gaulois. C'eſt le nom de
cette ſtation, ou eſtappe des gens de guerre à
l'entrée de la Bithynic, delaquelle il eſt fait
mention dans l'Ireneraire.d'Antonin ,en cette
forte. Totajo 28. mille , d'Ablis 286 mille. De
Bourbier Gaulois. 18.millo. Dadaſtane 21.mille.-
C'eſtoit donc la preiniere . ſtation à venir de
la Galatie en Bithynic.
d Prés de mille pas à pied . Cecy eft marqué .
par Eutrope & par Rufus. Ce qui fut apres le
premier combat quc Galerius donna contre
les Perfes
6. Les deſtinées ont: accoutumé d'hebefter l'ef .
prit, ou de le ſtupefier , ſuivant cette parole "
d'un Ancien , quos. Deus vult perdere hos doa
mentat,.& certe autre d'un Prophete , qui fait :
dire à Dicumeſıne, je leur envoiray d'aves
glement , la demence.& la fureur.
f Sous la conduite de la mauvaiſe fortune; ou
d'une divinité contraire,numine Lavo.
& Thoras, ou Ceras, qui eſt le nom du Co
cher qui fut couronné aux jeux Equeſtres ,
comme il ſe pratiquoit fort ſouvent.
g Fantomes ou fantaiſies , comme il arrive
3

lors que l'imagination eft troublée par l'hor


reur d'un crime.
h Comte des Domestiques. Capitaine desGar
des ,
ſur le 14. Livre d'Ammian . LOG ‫سر‬
isil le mena à Pola . C'eſt auprés d'une Ide
appellée Flavoneou Flavøna , où Socrate &
Sozomene écrivent que Gallus fut tué. Fla
vone n'eſt pas une Me; mais une Ville Ma
riciine à l'entrée de Livourne, & fort proche
de Nefactce qui joint Pola , ſelon Pline &
Proloméc . D'ùù vient que quelques-uns ont
dit, que Pola eſtoit la fin de l'Italie.
l Adraſte quand il vid perire ſes deux gen
dres. Cét Adraſte fils de Talaus Roy d'Ar
gos, & beau-pere de Tydée & de Polinice ,
qu'il vid perir tous deux à la guerre de The
bes.
m On luy trancha la teſte. Zonare écrit que
cela ſe fit ſans avoir attendu precisément les
ordres de Conſtantius,quiayant appris qu'on
avoit dépoüilléGallusde la Pourpre, envoya
bien des gens pour le tuer , & qu'il revo
qua ces ordres incontinentapres,mais qu'Eu
lebe fon Chambellan , ne les voulut point
ouvrir qu'apres l'execution. -
XI.

fille de la Nuit dans la Theogonie,


eſtoit principalement honorée à Sinyrne ,
commePauſanias le témoigne dás ſes Achai
ques. L'Autheur explique icy ce que c'eſt
que cette Adraſtie ou Nemeſis, & en fait une
digreſſion curieuſe & agrcable.
En la place de Philippe , & quelques au
tres hiſtoires qui ſont touchées en ſuite de's
diſgraces de la fortune , en la perſonne de
Persée, de Mancinus, & de Veturius,ſontra
portées dans le 4. livre de l'Epitome d'Eu
uropei
rio

AMMIAN

MARCELLIN

LIVRE XV . *

CONSTANTIV S:

Conftantins devenu plus farouche par la


mort de Gallus, & trompé par les arts
fices des flatteurs de Cour , s'efforce de
faire perir Vrficin , Iulien , Gorgo- *
nius, perſonnages illuftres.

VTANT a que j'ay eſté capable


A de connoiſtre la verité , & de
voir les choſes en l'âge que j'a
vois , ou que je les ay pû apprendre de
CONSTANTIU S.; IIT
ceux qui en eſtoient inftruits , à qui je
m'en ſuis informé avec ſoin , je les ау di
tes dans l'ordre que lés évenem ns fe
fontpaſſez . Le reſte que comprendra la
fuite de cette hiſtoire , je le feray de
toutmon pouvoir , avec un ſoin encore
plus laborieux , ne pouvant pas beau
coup eſtimer le jugement de ceux , qui
pour blâmer toutes choſes , font fem
blantd'apprehender les longueurs d'un
ouvrage . Et certes la briéveté eſt loüa
ble , quand elle entraîne des longueurs
hors depropos, &t qu'elle n'ofterien de
la connoiſſance deschoſes qui fontbon
nes à ſçavoir. A peine Gallus fut- il dé
pouillé des ornemens de la Pourpredás
le pais dès Noriciens; qu'Apodemius ;
qui devoit toûjours'eſtre le boute- feu
de rous les troubles de ſon temps , prit
les brodequins de ſes pieds qu'il vint
apporter à grandes journées à Milán , où
il les jetta aux piedsde l'Empereur com
melesdépouilles d'un Roy des Parthes;
mais par un ſoudain avis qui fut appor
té , lequel apprenoit qu'une Sentence
rigoureuſe avoir eſté exécutée inopiné
ment avec toute la facilité qui fe peut
dire, ceux qui cſtoient à la Cour éle
vez au plus haut degré d'honneur &
de credit,ne penſant qu'à rendre à l’Em
112 AMMIAN MAR. Liv . X V.

pereur des complaiſancesflareuſes pour


eſſayer de luy plaire , élevoient juſques
au Ciel fa vertu & fon bon - heur, puiſ
que ſelon ſes ſouhaits, deux Princes en
divers temps, avoient eſté li heureuſe
mentdépoüillez de leur dignité, enten
dant parler de Veteranion & de Gallus,
queb.deux ſimples ſoldàrs n'auroiếtpas
elté plusfacilement degradez à la teſte
des troupes ; ce qui l'éleva de telle for
te, que ſe perſuadant que deſormais il
feroit exempt de toutes les infirmitez de
la condition humaine , & que la mort
meſme n'auroit point de pouvoir ſur
luy, il fut ſiemporté,s'eſtāt détourné de
la voye detoute juſtice , que parlantde
ſoy -meſme, ou écrivant des memoires
ou des mandemens de la main , ituſoit
quelquesfois de ces termes c'mon eterni
té , & s'appelloit Seigneurde tout l'V
nivers : Ce qu'il euſt deû ſouffrir avec
indignation , lid’airtres s'en fuffent fer
vis pour l'honorer, puis qu'il ſe vantoit
fi fort d'avoir toûjours eſté ſoigneux de
Le former ſa vie & fés meurs ſur le inodel
le des Princes, qui s'eſtoient rendus te
plus recommendables par leurs belles
actions . Et certes , bieti
qu'il euſt regi
les mondes infinis de Democrite , 1cf
quels Alexandre le grand avoit relvé
CONSTANTIUS. liz
de conquerir à la ſollicitation d'Ana
xarque, ileuſt pû croire en liſant cela ,
ou l'ayant oüy dire, que,ſelon ce queles
Mathematiciens nous en apprennent ;
le circuit de toute la terre , qui nous pa
roiſt immenfe , n'eſt qu'un point en
comparaiſon de lag grandeur de l'Unio
versi
Apres la malheureuſe fin de Celar
qu'on avoit fait mourir,come le bruiten
couroit pour la crainte du peril où plu
ficurs ſe trouvoient d'eftre chaftiez , on
faiſoit yenir en jugement Vrficin , accu
-sé de crimede leze-Majeſté ; & l'envie ,
qui croiſſoit contre luy de jour en jour,
alloit pour le faire perir au grand regret
de tous les gens de bien . Et certes il
avoit contre luy l’averſion de l'Empe
reur, qui n'eſtoit point diſposé à l'oüir
dansſes juſtes deffenſes,mais bien à ef
coûter toutes les calomnies-ſecretes de
Ceux qui avoient deſſein de le perdre
dans ſon eſprit,& qui ſuppoſoient qu'il
avoit eſſayé de ruiner dans toutes les.
Provinces de l'Orient, le credit & l'a
mour de Conſtantius, pour s'y faire de
firer au lieu de luy en paix & en guerre ,
comme eftant tres-redoutable à la Na
tion des Perſes ; Mais contre toutes ces
traverſes ce perſonnagemagnanimedes
si6 AMMIAN MAR . Liv. XV.

meuroit intrepide, & fans s'émouvoir ,


de peur de ſe trahir ſoy -meſme, s'il ſe
comportoir avec quelque baſſeſſe , quoy
qu'ileut déplaiſir que fon innocence ne
trouvoit point de lieu pour s'aſſeurer de
quoy que ce puft eftre ; toutesfois il ne
ſe pût empefcher de donner des mar
ques de ſon ennuy , de ce que tant d'amis
qu'il avoit auparavant autour de luy ,

;
s'eſtoienttournez du coſté des Puiſſans,
& l'avoient abandonné , auſſi bien que
les Liêteurs , qui felon l'uſage de leurs
offices , ont accouſtume de chercher
leuremploy du coſté de ceux quiſucce
dentaux charges. Son Collegue Arbe='
tion luy nuiſoit auſſi tant qu'il pouvoit
fousmain , ſous couleur d'avoir beau
coup d'eſtime & d'affection pour luy,
& l'appellantmeſme ſouvent devant le
monde brave & vertueux , pour luy dreſ
fer en arriere des embuſches mortelles,
eftant fort capable denuire à un homme
quineſedefioit derien , par le grand crea
dit qu'ilavoit en ce temps-là. Car, tout
ainſi qu'un ſerpent, qui ſe cache fous.
terre, dans un trou d'où il obſerye tout
ce qui paſſe pour ſe jetter ſur la proye :
-Ainſi Arbetion elevé de fimple" foldat
aux plus hautes charges de la Milice ,
fans avoir eu de bleſſures , ny efté tour
CONSTANTIUS. 117
menté de qui que ſoit, ne faiſoit point
deſcrupule d'offènfer par unemalice ex
tréme tous ceux qui n'eſtoient point en
eſtar de s'en vanger : Il avoit donc'arrê
té dans un conſeil ſecret avec l'Empe
reur, què la nuict” ſuivanté on feroit
ſourir Vrficin , fans eſtre condamné ,
j

hors de la preſence des gensde guerre ,


comme on dit qu'autresfois Domitius ”
Corbulo fut tué du temps de Neron ,
l'ordure & labomination de ſon fiecle,
quoy que Corbulo fuftun fidelle & fage
deffenſeur des Provinces de l'Empire .
Cela donc ayant eſté reſolu , comine
ceux qui en dévoient faire l'execution ,
n'attendaient plus que le temps pro
pre, on fut d'avis de ſuivre un plus doux
conſeil , & de remettre l'affaire à une
autrefois. Et cependant on tourna tog
te la machine des calomnies contre Fu
lien , quidepuis fut un Prince a recom
mandable, l'injuſtice pretendant de l'a
voir enveloppé dans un double crime,
de ce que du Château de d Macelle, qui
eſt dans la Capadoce , il eſtoit venu en :
Alie pourétudier aux Lettreshumaines;
& que pafſant par Conſtantinople , il y
avoit vû ſon frere. Mais comme il ne
luy fut pas difficile de repliquer à ces
raiſons , il fic voir en melmetemps qu'il
116 AMMIAN . MAR . Liv . XV.

n'avoit point entrepris l'un & l'autie


fans permiſſion , nymelmes ſansun co
mandement exprés. Cependant il pe
riffoit infailliblement par la cabale de's
fateurs , qui s'eſtoient declarez contre
luy , li parune divineinſpiration le cre
dit de l'Iniperatrice Euſebie , ne l’euſt
point fait conduire à Comeproche de
Milan ,où'apres qu'il eut fejourné peu
die temps, il ne luy euft eſté permis de
s'en aller en Grece, pour cultiver ſon
cſprit par les lettres , comme il y eſtoit
parfaitement porté deſon naturel. De
toutes ces choſes- là il en vint d'autres ,
qui furent aſſez heureuſes , puis qu'on
en punit pluſieurs avec juſtice, ou qu'on
s'en defit , comme de perſonnes vaines
& inutiles. Maisil arrivoit ſou vent que
des gens riches allant implorer le le
cours des Puiſſans, ils y demeuroient at
rachez commele lierre qui s'attache aux
grands Arbres, pour y achepter par des
dons immenfes la remiflion de leurs cri
mes : mais les foibles qui n'avoient que
peu de bien , ou qui n'en avoientpoint
du tout pour ferachepter , eſtoiét prom .
prement condamnez.C'eſt pourquoy la
verité eſtoit couverte du menſonge, & la
fauſſetécſtoit quelquesfois priſe pour la
" verité. On fit venir en ce meſme temps.
CONSTANTIU :S . 119
Gorgonius,à qui eſtoit commiſe la char
gede e Maiſtrede chambre de Ceſar : &
commeon diſoit qu'il avoit.cu part aux
entrepriſes qu'on avoit découvertes, &
qu'il en avoir eſté l'inſtigateur , comme
il l'ayoitmeſme confeſsé ; que neant
moins par la conſpiration des Eunu
ques , & par toutes les impoſtures dont
la Iultice eſt ſouventobſcurcie , il s'étoit
ſauvédu peril, & s'eſtoit abſenté ,

Plufieurs qui avoient ſuivy le party do


Gallus , fone affligez de digers fuppli
-- 1 i

ces avec pluſieurs innocens. Quelques


uns s'eftant échauffez par les fumées
du vin , ſe donnent la liberté de dire
beaucoup de choſes contre l'Empereur
Conſtantius , leſquels ſont en ſuite ri
goureuſement chaſtiez , de retenus ex
priſon .

Omine toutes ces choſes ſe pafe


ſoient à Milan , des troupes furent
Cloiem
amenées de l'Orient à Aquilée , avec
pluſieurs perſonnes de qualité qui lan
guiſfoientdans les fers, deteſtant la mi
fere de leur vie . On les accuſoit d'avoir
eſtéMiniſtres de la fureur deGallus, &
120 AMMIAN MAR . Liv. XV .
on eſtoit meſme perſuadé que Domi
tien , Montius & quelques autres avoiết
cfté mis à mort par čux , & qu'ils les
avoient traitez d'unemaniere fort crucl.
le. On leur envoya donc, pour eſtre
oüis a Arbora & Euſebe premier Gen
til-hommede la chainbre, l'un & l'autre
pleins d'orgueil;& devanité,& tous deux
également injuſtes & fanguinaires, qui
fans aucun diſcernement ny diſtinction
des innocens ou des coupables , banniſ
foient les uns, aprçs lesavoir fait battre
ou amiger detortures inhumaines,rele
guoient les autres dansla plusbaſſe fon
ction de la milice , & faiſoient mourir
tout le reſte. Enfin , apres avoir bien
coupé des teſtes , ils retournerent auſſi
glorieux que s'ils euffent gagné quel
que victoire, & leur belle action futap
prouvée du Přince, quiavoit l'ame dure
& le courage obſtinéen ces choſes-là:
Depuis Conſtantius agit toûjoursavec
plus de violence , comme s'il euſt voulu
forcer l'ordre des Deſtinécs , & mon
troit éuidemment ce qu'il avoit dans le
caur à pluſieurs qui luy dreſſoient des
embulches . D'où vint qu'en peu de
temps il ſe trouya force gens qui n'at
tendoient que l'occaſion de faire du
bruit, & d'exciter quelque rumcur, pak
CONSTANTIU.S. 119
ce qu'ils ne vouloient que mordre ceux
qui eſtoient élevez aux principaux hon
neurs, & enſuite les pauvres & les ri
ches indifferemment , non pas comme
ces b Cibyrates du tempsde Verres , qui
lechoient comme des chiensle Tribu
nal d'un ſeul Lieutenant; mais , quipar
des maux imprevûsaffligeoiét ſansceſſe
les membres de toute la Republique.
Entre ceux - là ,il fauc avouer qu'il n'y
en eut point qui s'y firent remarquer
davantage que Paul & Mércure, celuy- !
cy Perſe d'origine, & cet autre né dans c
le païs des Daces, le premier Secretaire ,
& le ſecond d gardien du Regiſtre des
comptes de la Chambre, ſous un Inten
dant. A ce Paul, comme nous l'avons
déja dit cy devant , en avoit donné l'e
furnom de Catena, c'eſt à dire la Chaine,
parce qu'il ſçavoir l'arc d'enchaînerune
2
affaire par les næuds entortillez de di
verſes calomnies qu'il meſloit ſi bien
enſemble , qu'il eſtoit difficile de s'en
débarraſſer , Turquoy il répandoit enco
re un venin obſcur quicorrompoitrou
tes choſes : commedans les luitres , il y
en a qui font fi adroits qu'ils arreſtent
leurs Antagoniſtes e par le talon .Mer
cure fut appellé le f Comte des fonges,
parce que comme un chien quimordch
118 AMMIAN MAR . Liv . XV.
trahiſon, ſe laiſſant cmporter au vice de
ſon naturel, remuant la queuë, & ſe jet
tarit aux lieux où l'on mange , parmy
beaucoup de monde , ſi quelqu'un ve
noit dire à fon amy qu'il auroit yû quel
quechoſe en dormant pendant ſon re
pos, lors que la Nature ſe promene en
išnagination , auſſi -tolt il en venimoit
ſon recit par un artifice malin , rendant
la choſe ſpecieuſe , qu'il venoit dire auf
k -toit à l'Empereur. Et pour cela mef
me, commc.fi cer hominc cuft eſté .cou.
pable d'un grand crime, il en eſtoit ap
prehendé. La Renommée augmenta
encore l'opiņion de toutes ces choſes ; Gi
bien que chacun eſtoit G cloigné de ra
conterfes fonges, quepluſieurs euſſent
cu de la peine ſeulement d'avoüer qu'ils
euffent dormy devant quelque Etran
ger :: & des gens doctes eurent déplaiſir
de n'eſtre pas nez parmy ces Nations
Atlantiques , où l'ondit qu'on ne ſonge
jimais, dont nous laiſſerons à connoiſtre
les cauſes à ceux qui ſont fi ſçavans aux
choſes naturelles,
Pendant qu'on exerçoittous ces cruels
genres de queſtions & de ſupplices, il
s'éleva un autre deſaſtre en Illyrie, qui
naquit.de paroles de rien au peril de
pluſieurs perſonnes. Dansun feſtin que
fic
CONSTANTIU S. 121
fit a Smirne Africanus Gouverneur de la
Pannonic, quelques gens de qui l'ima
gination s'eſtoit échauffée par le vin , ſe
perſuadant qu'il n'y avoit-là perſon
ne pour trouver à redire à leurs dif
cours , ſe donnerent la liberté toute
entiere de parler mil du gouverne
ment , & de l'accuſer d'une extréme
dureté ,d'entre leſquels les uns ſouhai
toient qu'il y eutt du changement, &
affeuroient ineſine qu'il y en avoit déja
des preſages ; les autres , avec une in
croyable folie,diſoient qu'ils en avoient
des conjectures encore plus fortes que
tout cela : Et Gaudentius qui agiſloit
dans les affaires , & qui certainement
n'eſtoit pas un eſprit fort delié , & qui
s

faifoit toutes choles avec beaucoup de


precipitation , s'eſtant trouvé en cette
Compagnie, reputa ce qui s'y eſtoit dit ,
commeune choſe ſerieuſe à Ruffin , qui
eſtoit alors Chefdu Conſeil, tenant lieu
dela Prefecture Pretoriane,mais l'hom .
me du inonde le plus porté à prendic
toutes choſes au criminel, ne faiſant
point de quartier à perſonne, & fameux
par la malignité qu'il avoir toûjours
nourrie dans ſon cour , comme s'il euſt
eu des aîles , accourut auſſi-toſt vers le
Prince, qu'il enflammade telle forte ,
F
AMMIAN MAR . Liv . XV.
122
( ce qui eſtoit bien facilc par ſa creduli .
té, & par lamollefſe de ſon eſprit ) que
ſans y faire plus dereflexion , il.ordonna
qu’Africanus, & ceux qui ſe trouverent
à ſon feſtin , fuſſent pris & amenez : mais
le funefté Delateur delirant obtenir , ſui
vant la mauvaiſe inclination de tous les
hoinmes , ce qu'il euſt dû le moins deſi
rer, parce qu'il eſtoit deffendu , fut con
tinué deux ansdans la charge qu'ilavoit
exercée , comme il l'avoit demandé.
Teutomere Protecteur domeſtique, fut
donc envoyé avec ſon Collegủe , pour
prendre ces gens-là : & les amenoit tous
en effet chargez de chaînes, comme on
luy avoit coinmandé. Mais quand ils
furent arrivez à Aquilée , Marin Tri
bun , qui g de Meſtre de Camp, en ce
temps-là , n'avoit point de gens ſous luy,
autheur dumauvais diſcours qui s'eſtoit
fait, & qui d'ailleurs eſtoit d'un naturel
un peu chaud , ayant eſté laiſsé dans
Phôtellerie , cominc on preparoit toutes
les choſes neceſſaires pour le chemin ,
trouva un coûteau de cas fortuit fous fa
main qu'il s'enfonça dans le coſté , &
inourue tout incontinent. Les autres
furent menez à Milan , où apres qu'ils
curent elté cruellement tourmentez , &
quilscvenaconfeſsépar la violence de
CONSTANTIUS.
123
la queſtion , qu'il estoit vray que dans le
feſtin , il leur eſtoit échappé quelques pa
roles imprudentes , on leur donna pour
peines la priſon , Cous quelque eſperance
neantmoins, quoy qu'un peu incertaine, (
d'en ſortir ablous. Mais les Protecteurs
ayant prononcé, qu'il ſe falloit conten
ter de l'exil , commeils avoientapproui

queMarin ſe fuft defait luy -meſme,
ils imp etrerent le pardon , qui leur fut
octroyé à la priere d’Arbetion .
III.

guerre contre les Lentiates , peuples


Allemans. Le lac de Brigance. L'ar
mée Romaine chaſſée & miſe en fui
te , peu de temps apres que les Ale
mans eurent eſté vaincus. L'Empereur
retourne à Milan pour y paffer l'hyver.

Etre affaire s'eftant ainſi terminée ,


n1

Con declara la guerre aux Lentiates,


quieſtoient Alemans , parce qu'ils fại
ſoient ſouvent des irruptions ſur les
fronticres des Provinces Romaines.
L'Empereur fut en perſonne à cette er
pedition , & vint rencontrer ces peuples
dans la Rethic , & dans les plaines de
Kaines , où ils s'eſtoient jettez ; fi bien
qu'ayant tenu divers conſeils de guer
Fij ,
124 AMMIAN MAR . Liv. X y .
re, on jugea qu'il eſtoit à proposd'y en
voyer Arbetion qui commandoit la Ca
valerie , lequel s'avança pour les com
battre juſques ſur les bords du lac de
Brigance , dont je veux bien décrire icy
en peu de paroles la figure du lieu , au
tant que la raiſon le peut ſouffrir . Entre
les circuits que prennent de hautesmon .
tagnes , le Rhin qui ſort avec impetuo
face d'une profonde ſource , s'échappe
parmy des roches entre -coupées, lans
avoir receu des eaux étrangeres, comme
le Nil quiſe jette au travers les Cataras*
ctes d'une cheuteprecipitée. Et certes ,
il pourroit porter batteau dés la ſource ,
eftant aſſez abondantpar ſes propres ri
cheſſes, s'ilne couroit point plûtoſt en
toinbant, qu'en coulant doucenient
dans ſon liet. Mais quand il eſt degagé
des lieux difficiles, & qu'il s'eſt débar
raſsédes rives hautes qui le renferment,
leſquelles ilne fait quebaiſer , il entre
dansun grand lac de forme ronde, que
le Rhetien quidemeure dansle pais ap
pelle b Brigance , & conſerve ce nom
là quatre cens ſoixante ſtades de che
min, s'eſtant élargy dansun eſpace prel
qu'auſſi long, où l'horreur des foreſts le
rend preſque inacceſlible ( ſi ce n'eſt
aux lieux où cette ancienne vertu Ros
CONSTANTIUS. 125
fhaine, avec une fobrieté nompareille, a
fait un chemin ſpacieux ) quoy que les
Barbares, la nature des lieux & les in
jures du Ciel y euſſent apportéde grāds
obſtacles. Ce Fleuve ſe jettant donc
avec bruit & avec une groſſe eſcume, au
-

travers de ce lac , dont il fend les eaux


pareſſeuſes , & les entre-couppe parle
milieu également juſques au bout,com
me s'il le diviſoit de ſoy-meline par une
perpetuelle difcorde. Cependant ſans
s'eſtre augmenté ny diminué des eaux
qu'il y apporte , il s'en dégage avec ſes
forces toutes entieres , en conſervant
fon nom qu'il n'y a point perdu : &
delà , ſans recevoir de dommage , il ſe
va perdre dans l'Ocean . Mais ce qui eſt
encorede plusmerveilleux, c'eſt qucny
les caux du lac ne ſont point émuës par
celles du fleuve rapide,ny le fleuve auſſi
n'eſt point arreſté par le limon eſpais
du champmareſcageux ,où l'un & l’au
, en qu'ils ſetouchent, ne ſe
tre corps ,bi
mélent point enſemble : ce qui ne ſe
roit pascroyable, fi les yeux n'en eſtoiét
pas convaincus.Ainſi Alphée quiprend
fa fource en Arcadie , ſe trouvant èpris ,
s'il faut ainſi dire, des beaurez de la fon
1 taineArethufe , coupant la:Mer Jonien
1 ne , comme les fables le racontent, le
F iij
726 AMMIAN MAR . Liv . XV.
porte enfin comme de luy -meſme juf
ques au païsdela belle qu'il aime ***.
Arbetion ayant eu avis de la venuë
des Barbares,ne lesvoulutpas attendre,
bien qu'ilſccult que les commencemens
de la guerre ſont toûjours difficiles; il
s'allamettre ailleurs en embuſcade , où
ilſe tint ferme, quoy qu'il ſe fuft trou
vé abbatu par une ſurpriſe qu'il n'avoit
point preveuë. Cependant les Ennemis
lesayant vû paroiſtrc , fortirentdu licu
où ils eſtoient cachez, & chargerent
fansceſſe ſur tout ce qui ſe pût preſen
ter , tuant de toutes les forces de pi
ques , de javelines & de dards , dont
jās eſtoient armez . Et certes, il n'y en
cut pas un ſeul des noſtres qui y puſt
reſiſter , & ne trouva point d'autre
moyen de ſe fauver que par une prom-)
pre retraite . C'eſt pourquoy , n'ayant
point d'autre pensée que d'éviter les
coups , le defordre ſemit dans les trou
pes qui s'écarterent çà & là , tournant
le dos aux atteintes des traits ennemis.
Pluſieurs neantmoins qui furent diſper
cez dans des ſentiers étroits, fe cirerent
du peril par le ſecours de la nuict : &
conime le jour recommença de paroî
tre, ils ſe rallierent au gros de l'Armée,
& chacun ſe remit dans les rangs qu'il
CONSTANTIUS. 127
devoit tenir. Cette rencontre inopi
née nous fur bien mal- heureuſe , & nous
ý perdiſmes force ſoldats , & dix Tri
bunsde la guerre . Les Alemans en eu
rent cant de preſomption , qu'ils ve
noienttous les jours à faire des courſes
auprés du Camp des Romains. Et dés
qu'une petite nuée dumatin offuſquoit
tant ſoit peu la lumiere, ils faiſoientdes
courſes l'épéc nuë à la main , nous fai
'fantavecdépit des menaces infolentes ;
mais quelques-uns de nos gens de pied
ſe détacherent avec leurs Boucliers, &
forrirent bruſquement. Puis enfiii
s'eſtant tenus fermes contre l'attaque
des troupes ennemies , ils vinrent atti
#

rer au combat tous ceux qui eſtoicat


derriere eux. Mais comme l'exemple res
cent de la derniere perte qu'ils avoient
1

faite en étonnoit encore pluſieurs , &


qu’Arbetion " n'eſtoit pas luy-meſme
‫تن‬

bien refolu de donner, ne voulant ſien


hazarder , trois Tribuns fortirent en
ſemble , Arinthée , qui tenoit la place
du General , Seniauque qui comman
doit la troupe des Comtes à cheual , &
--

Bappo qui conduiſoit les c Promores,


en les Officiers reformez , & ceux qui luy
avoient eſté commis par le Prince. La
cauſe commune les preſſoit comme la
Fiiij
I28 AMMIAN , MAR . Liv . X V.
leur propre, & leur donnoit du courage
pour repouſſer l'effort des Ennemis ,
à l'exemple des Anciens, fe jettant ſuc
cux , comme im Fleuve debordé, non
pas pour combatre , ſelon les regles ;
mais pour fairedes dégats dans le pais,
& pour y mettre tout le monde en fuite.
Toutesfois ceux qui ſortoient de leurs
rangspenſant échapper, eſtoientaffom
mez ou dépoüillez .Pluſieurs qui eſtoiét
tuez avec leurs chevaux , y paroiſſoient
encore attachez fur leur dos, quoy qu'ils
fuffent abbatus par terre. Tous ceux
qui eſtoient ſortis du Camp, qui ne iça
voient s'ils devoient fe refoudre d'en
venir au combat avec leurs compagnós,
dés qu'ils eurent vû ces choſes , ne ſe
ſouvenant plus de ce qu'ils avoient à
éviter , accabloient le pauvre peuple de
la campagne, & n'en épargnoient que
ceux qui s'eſtoient fauvez par la fuite ,
foulant aux pieds lesmonceaux de corps
morts , qui les ſoüilloient d'un ſang
Corrompu. Cette guerre s'eſtant termi
née par un tel evenement , l'Empereur
ſe retira fort ſatisfait à Milan , où il palm
la l'hyver.
CONSTANTIUS. 129
IV .
---

Les abominables conſeils que donnent les


principaux Seigneurs de la Cour de
l'Empereur contre Silvanus, excellent
Capitaine enGeneral d'Armée.

Elà nâquit un tourbillon d'autres


miſer & de calamitez ſembla
bles, quis'épandit dans les Provinces ,
lequel certainement euſt eſté capable
de faire tout perir, li.la fortune quimo
dere toutes les avantures humaines ,
n'euſt diſſipé par un prompt evenement
une émotion literrible. Alors les Gau
les ſe trouvant accablées par les meur
tres , les brigandages , & les incendies
que leur apportoient les incurſions des
Barbares, ſans qu'on y donnait aucun
remede , Silvanus Lieutenant Colonel
de l'Infanterie , y fueenvoyé exprés par
les ordres du Prince , pour empeſcher
rous ces deſordres. A quoy Arbetion
aida de tout ſon pouvoir , afin que li le
feulquireſtoit capable de luy donner de
la jalouſie , & qui luy donnoit certaine
ment de la peine eſtoit abſent, il trou
vaſt moyen de le charger d'un fardeau
qu'il ne pourroit porter **.
Vn cercăin Dynamius commis pour
la garde e desRoolcsdes beſtes d'attirail
Ev
130 AMMIAN MAR . Liv. XV..
de lamaiſon du Prince,luyavoit deman
dé des lettres de recommandation à fes
Amis , comme une perſonne qui luy
eſtoit fort.connuë [ c'eſt à dire à Ar
betion , ] Ayantobtenu cela de luy, par-
ce que ne ſe doutant de rien , il les luy.
accorda bonnement , il les garda bjen
aufli, afin de s'en ſervir dans le temps ,
pour quelque mauvais deſſein. b.Sylva
nus eftant donc allé faire une courſe
dansles Gaules pour en chaffer les Bar
bares, qui commençoient déja à ſe de
fier d'eux-meſmes, & qui avoient peur,
le meſme Dynamius qui agiſſoit à la
Cour avec inquietude, comme il cſtoit
rusé , & qu'il ſçavoit l'art de tromper
finement, méditoit quelque fraude im-
pie , à la follicitation c de Lampadius:
Prefect du Pretoire, d'Euſebe exclus de
fa charge de Comtedes affaires privées,
à quion avoit donné le ſurnom de Mar
tiocopa , c'eft à dire chiche vilain , &
d'Ædelle , qui avoit eſté d Maiſtre des
Regiſtres ou des Memoriaux de la mai
fon du Prince , leſquels eſtant les Amis
intimes, à ce qu'on diſoit , il avoit de
mandé quand il eſtoit. Prefect , qu'ils
fuſſent à la dignité Conſulaire : &
ayant effacé des Lettres qu'il
obtenuës , tout ce qu'il y avoit d'é
CONSTANTIU S. 1JT
crit , excepté le feing , il y mit d'au
cres paroles en la place,leſquelles étoiét
fort differentes des premieres ; comme
fi Sylvanus euſt prié obliquement les
.

amis qui eſtoient à la Cour,de l'aſſiſter ,


dans le grand deffein qu'il avoit conçû
de s'élever ſur le trône, entre leſquels
il n'avoit point oublié Albinus de la
-

Province de Toſcane, & pluſieurs au


42

tres. Il fabriqua ces Lettres à ſa fantai


lie, pour faire perir un innocent. Dyna
mius eutcharge pour l'Empereur d'exa
ininer toures ces choſes. Et comme il
ourdiſſoit certetrame avec tour l'arrifi .
ce qu'ilpût s'imaginer, ayantd'ailleurs
beiucoup de credit , il entra ſeul dans
le Conſeil ſecret , eſperant qu'il pren
deoit ſibien ſon téps, qu'il ſurprendroit
ccluy quiveilloit à la gardede la vie dir
Prince.. Et ayant leu dans le Conſeil
l'impoſtùre qu'il avoit écrite, on fic co
mandement d'arreſter les Tribuns, dont
les Lettres deſigndient les noins, & les
fit amener des Provinces apresles avoir
dégradez. A uſli-coſt Malarich e Capi
1 caine des Gencils hommes ſe trouvant
choqué d'une fi grande injuſtice , en fit
beaucoup de bruit avec ſes Collegues ,
diſant tout haut , que c'eſtoit impoſer à
des gens debien employez dans le ſervice ,
Fyj
132 A MMIAN MAR . Liv . X V.
pour les des-honorer , & qu'il ne les fal
Loit pas traiter dela forte pardes factions,
ny par des ruſes malignes , dont il est
malaisé de ſe garder ; & demandoit que
luy-meſmelaiflaſt pourune eſpece d'o
tage, dans les neceſſitez preſſantes où il
ſe trouvoit,Mallobaudes Tribun des ac.
mes , qui répondroit de ſon retour , & .
qu'il fuft commandé de marcher pour
faire venir Sylvanus, qui n'avoit rien
attenté de pareil ;mais que c'eſtoit une
pure calomnie de les Ennemis , qui luy
faiſoient cette piece ſous main , ou que
lion le trouvoit bon , il eſtoit tout preſt:
de s'offrir luy meſme pour répondre de
la choſe en ſon propre & privé nom ;
mais qu il prioit qu'on permiſt à Mal.
Jebaudes deprendre cét.employ, & qu'il
pouvoit aſſeurer qu'il accompliroit éga
lementce qu'il avoit promis de ſon chef,
proteſtant qu'il eſtoit bien aſſeuré que
Si l'on y envoyoit quelque Etranger ,
Sylvanus, qui de ſon naturel eſtoit de
fiant, & ſuſceptible de la crainte, pour
roit troubler les choſes quieſtoient pai
fibles , quoy qu'il n'y en cult point de
ſujet. Mais quoy qu'il donnaſt des avis.
utiles & neceſſaires, ſi eſt-ce qu'il par
loitaux vents , & tour cela ne ſervit de
sien : car , ſuivant le ſentiment d'Arbe
CONSTANTIUS:
tion , quieut l'authorité route entiere ,
Apodemius , ennenıy.perpetuel de tous
les gens de bien , fut envoyé avec des
Lettrespour fairevenit Sylvanus : Mais
fans ſe ſoucier de beaucoup de choſes
quiſe pourroient rencontrer en chemin ,
il les negligea toutes. Et quand il fuc
dans les Gaules , il s'y arreſta ſans voir
Sylvanus ,ny fans luy donner avis par
Lettres qu'il y eſtoit arrivé ; & ayant:
pris auprés de ſoy un g Auditeur &
Controlleur des Comptes , il perſecu
toit grandement tous les ſerviteurs &
les Ainis du Colonelde l'Infanterie, qui
devoit eſtre luy-meſme affaffiné, eſtant
déja proſcript. En ces entrefaitesneant
moins, comme on eſperoit que la ſeule
presécedeSylvanus calmeroit toute cet.
te tempeſte, au meſmetemps qu'Apode
mius excitoit le trouble de tous coſtez ,
Dynamius s'efforçant de s'acquerir le
plus de creance qu'il luy ſeroit poffi
blc pour faire reüſlir la trahiſon qu'il
avoit prémeditée avec toute l'impie
té qu'on ſçauroit s'imaginer , envoya
au Tribun de Cremone , au nom de
Sylvanus & de Malarich , de fauſſes :
Léttres, qu'il avoit compoſées, comme
celles qu'il avoit preſentées à l'Empe
reur par lePrefect , par leſquelles,.com
314 AMMIAN MAR, Liv. XV.
me ſi ce Tribun euſt eſté complice d'un
deſſein caché,il luymandoit , de ſe hâter
de tenir toutes choſes preſtes. Mais lay
n'ayant rien pû comprendre à un tel a
vis , & ne ſçachantauſſi que faire, ſur
-une choſe qui luy eſtoit ſi peu connuë,
( car il ne ſe fouvenoit point du cout
d'avoir jamais eu de part avec qui que
ce ſoit pour une affaire ſecrete ) enfin
apres en avoir cſté quelque temps en
perplexité,il envoyaces melmesLettres
par celuy qui les luy avoit apporées,
avec un ſoldat à Malarich , le priant de
luy mander ouvertement ce qu'il defiroit
de luy , l'affeurant que comme il n'avoitpas
l'eſprit fort éclairé , il n'avoit rien půcom
prendre en la Lettre qui luyparoiſſoit tout
fait obſcure. Auſli toft Malarich s'é
tant apperceu de quelque fourberie , il
en fut tellement touché, & s'en plaignit
fi haut pour l'amour de Silvanus qui
eſtoit de Ton pays , que s'eſtant aff:uré
du ſecours & de l'amitié des b François,
qui eſtoient alors en grand nombre, &
en beaucoup de credit à la Cour de
l'Empereur , qu'il ne craignir point de
declamer contre tous ceux quitramoiét
fourdementune grande trahiſon contre
luy, & contre la fortunede Silvanus:car
enfin la choſe fut averée & la tromperie
CONSTANTIUS. 135
für découverte. L'Empereur voulut
:

ettre informéplus au long de cette af


faire en preſence de tous ceux de ſon
Conſeil & .des Officiers de l'Armée. Er,
commeFlorent fils de Nigrinien , qui
eſtoit alors dans les fonctions de la
Charge de Grand Maiſtre , luy en eut
fait connoiſtre exactement la verité par
les effaceures & la nouvelle eſcriture ,
qui avoit eſté malicieuſement ſuppoſée
dans les Lettres de Silvanus , on voulut
à force de tourmens contraindre Dyna
mius [ le Prefect ] d'en avouer le fair;
mais il fortit abſous dela gehenne à la
- j

ſollicitation de pluſieurs complices, qui


trempoient dans le meſine crime. Tou
tesfois Euſebe qui avoit eſté Comte des
affaires privées futſuſpendu pour avoir
dit que ces choſes avoient eſté faites de
ſon conſentement:car,pour Ædeſſe , qui
maintintopiniâtrément qu'il n'en avoit
rien ( ceu , il futrenvoyéabſous, & ainſi
cette affaire eſtant terminée , tous furent
declarez innocens du crime qui leue
eſtoit imputé : Et Dynamius, commele
plus celebre de tousles fourbes ( car c'é
toient lesbeaux Arts dont il faiſoit pro
fellion ) fut honoré de la dignité de Cora
recteur , pouraller prendre la direction
des affaires parmy les Toſcans.
136 AMMIAN MAR . Liv . XV.

Syluanusinduit à prendre desconſeils vio


lents par l'importunité de ſes Adverſai
res, s'éleve dansles Gaulesau ſommet de
l'Empire ,mais il n'y demeure pas longo
temps; o perit demort violente.

Ependant Silvanus qui eut peur


CI d'eftre condamné abſent, apprit à
Cologne de divers endroits toutes les
choſes qu'Apodemiusavoit eſſayé de fai
re pour ruïner la fortune , quoy que
l'Einpereur fuſt tres perſuadé d'ailleurs
qu'il eſtoit innocent : ( car ce Prince
avoit l'eſprit fort foible. ) Et certes il
en cut tant d'inquietude,qu'il ſe vouloir
abandonner entierement à la foy des
Barbares mais Langaïſe qui eſtoit alors
Tribun , l'en empefcha entierement.
Celuy -là ſeul , commenous l'avonsdé
ja dit, quidu temps que Sylvanus com
batoitan'ayant point encore de Char
trouva b aupres de l'Einpercur
ges ſe
Conſtans , lors qu'ilmourut, & l'avertit
que les François de la Nation le tue
foient, ou qu'ils le trahiroient pour peu
de choſe , î bien que ne voyant rien
d'aſſeuré de quelque coſté qu'il ſe pult.
CONSTANTIUS. 147
tourner , il ſe refolur à des extremnités
eſtranges. Puis s'eſtant aſſeuré peu à
peu de la paroledes principaux de l'ar
mée , & leur ayant fait de grandes pro
meſſes , il ſe ſervit dela pourpre des En
fcignes des Dragons , pour ſe faire un
Manteau Imperial , & receut ainſi pour
un temps les Enſeignes de la ſouveraine
té , dont la nouvelle fut ſi promptement
portée à Milan , qu'on y apprit le mef
mejour que Silvanus Colonel de l'In
fanterie Romaine avoit receu à Cologne
le titre d'Empereur. Mais Conſtantius
frappé commed'un coup de tonnerre ,
d'une nouvelle fi ſurprenante , ne laiſſa
pas d'aſſembler promptement ſon Con
Teil : & dés la ſeconde veille de la nuit ,
tous les Grands fc rendirent à la Maiſon
Royale. Cependant comme perſonne
ne s'aviſoitde l'expedient qu'il y avoit
à choiſirdansuneaffaire de ſi grande im
portance , quelqu'un fit mention tout
bas di merite d'Vrlicin s comine de
l'homme du monde le plus habile pour
les conſeils de guerre , & qui eſtoit alors
negligé , & fort mal traité fans ſujet .
Enfin celuy -làmefme ayant eſté appelle
& par leMaiſtre des Ceremonies ( qui eſt
la plushonorable maniere qui ſe puiſſe:
chaiſir pour amener quelqu'un comme
138 AMMIAN MAR . Lit. XV.
il entroitdans le Conſeil , on luy offrir
la Pourpre , c'eſt à dire avec beaucoup
plus de civilité d qu'on ne l'avoit fait
auparavant.....[ N ]fut le premier,qui
ſelon l'uſage des Etrangers & à la ma
niereRoyale , établit la coûtume de ſe
faire adorer , au lieu quenous liſonsque
les Princes auparavant n'avoient ac.
• coûtumé que de ſe faire faluër. Erce
luy, quin'agueres par une grande ani
moſité eſtoit appellé le gouffre de tout
l'Orient , & que l'on vouloit ſoupçon
ner d'aſpirer à la puiſſance ſupréme,
eſtoit alors reconnû comme un tres-la
ge Capitaine , & qui avoit eſté compa
gnon d'armes du grand Conſtantin , &
eſtoit le ſeul qu'on recherchoit , pour
éteindre le feu qui s'allumoit , mais
avecdesraiſonscaptieufes, quoy qu'el
les fuffent veritables. Car on recher
choit toute forte demoyens pour exter
miner Silvanus, qui eſtoit un ennemy
redourable : ou , li la choſe ne pouvoit
réüſlir, qu'on feroit au moins perir Vr
ficin qu'on avoit ulceré juſqu'au vif,
afin que de ce coſté-là , il ne demeuraſt
pas lemoindre fcrupule quifuft à crain
dre par la dépenſe quiſe faiſoit. Comme
donc, toutes choſes ſe diſpoſoient pour
fon Voyage , l'Empereur empeſcha para
CONSTANTIUS. 139
an diſcours fort honneſte toutes les cho
fes qul'Vrlicin pouvoit objecter ,» pour
les crimes qu'on luy avoit impurez , di
fant; Que ce n'étoitpaslà letempsqu'ilfal
loit prendre pour la deffenſe d'une cauſe
tres-juſte', vũ que la neceſſité des affaires.
preſentes obligeoit de rétablir toutes choſes
dansla premiere concorde, & de n'attendre
pas que le defordre euſt paſſé plus avant.
Apres donc que cette affaire cut eſté
agitée par divers avis , qui furentpropo
fez , on chercha par quel inoyen, on
pourroit trouver l'invention que Silva
nus pult croire que l'Empereurn'avoit
rien İçeu de ce qui s'eſtoit paſſé. Etpour
luy en donner la perſuaſion plus forte
par une raiſon problable , on fur d'avis
de luyćerire des Lettres fort honneſtes ,
pour le convièr de retourner avec toute
la puiſſance qu'il avoit receuë , & qui
3

luy ſeroit conſervée ayant accepté Veſi


cin pour ſon fucceffeur. Ces choſess'é
tantreſoluës de la ſorte, on donna ordre
à Vrlicin de partir inceffamment , & de
mener avec luy dix Tribuns & Exempts
desGardes,qu'on appelle Prote&teurs do
meſtiques , comme il l'avoit demandé
luy -meſmepour l'allifter dans le beſoin
des affaires publiques. le fus du nom
brede ceux-là , & Vicinian mon Coller
140 AM MIAN MAR . Liv.Xv.
gue , & tous les autres avec moy nous
eſtoient amis ou proches. Quand il fue
party , chacun de nous ne penſa qu'à
foy pendant la longueurdu chemin . Et,
quoy qu'il nous paruſt bien que nous
eſtions commedes gens que l'on expo
ſoit à des beſtes feroces quin'auroient
pointde pitié denous, fieſt-ce que nous
conſiderionsauſli que les choſes quipa
roiſſent funeſtes d'abord , ont cela de
bon , que lors qu'on y eſt engagé,laſui
te n'en eſt pas de meſme , & que l'on
trouve de la proſperité , où l'on penſoit
qu'il n'y eult que de lamiſere, admirant
e cette Sentence de Ciceron , quiſemble
eſtre ſortie du fond de la Vericé , Bien
1 qu'il ſoit fort å defirer , dit-il , d'avoir
toûjours une fortune floriſſante , fo est-ce
que l'égalité de la vie n'eſt pas fi ſenſible,
i qu'il y a dejoye lors quela fortune nousre
tire d'une condition fâcheuſe of deplorable,
pour nousmettre en meilleur eſt at. Nous
állionsdonc à grandes journées afin que
l'ambitieux Colonelne puſtcroire qu'il
y euſt eu la moindre nouvelle du mon
de de fatirannie , que le bruitde la Re
nommée euſt porté par l'Italie dans les
Provinces qui luy eſtoient ſuſpectes.
Mais , quoy qu'il en ſoit , cette meſme
Renommée quivole en tant de lieux, fic
CONSTANTIU S. 141
entendre que nous eſtionspartis , & que
nousnoushaſtionsdemarcher. Et quãd.
Es

nous füiſmesarrivez à Cologne , nous y


trouvâmes toutes choſes au deſſus de
10 nos efforts . Il y venoit du Monde de
All tous coſtez , & des Troupes s'y amal
foientdetoutes parts. Ce qui ſembloit
d'autant plus propre, ſuivant l'eſtat des
affaires d'alors , qu'il n'en falloitpas da
vantage pour faire tourner lateſte à nô
tre Capitaine , parce qu'en effet routes
choſesparoiſſoientfavorables à l'affer
miſſement du nouveau Empereur ; mais,
quoy qu'il en ſoit ,il eſtoit d'autant plus
en danger qu'il ne craignoit plus rien .
La fin de noſtre entrepriſe paroiſſoit
donc difficile ; car il falloit bien prendre .
garde pour agire avec prudence , que
l'impatience de faire ſon coup devoit
ceder au temps , fans devancer l'occa
fon opportune , ny aulli fansla lailler
échapper. Que fi nous en eullionsfait
paroiſtre quelque choſemal à propos,il
eſt certain que c'cuſt elté nous expoſer
tousà unemort aſſeurée. Noſtre Capi
:

taine fur receu civilement :mais il fut :


contraint par la neceflité des affaires de
baiſſer la tefte , & derendre folemnelle
ment les reſpects qui ſont deûs à la
Pourpre,ou plutoit à celuy qui en eſtang
142 AMMIAN MAR . Liv. XV.
revêru aſpiroir à quelque choſe de plus
haur. Il le traitra commeune perſonne
conſiderable , & comme ſon ancien
amy , luy permit l'entrée de ſon Cabi
net, & le fit aſſeoir à la table Royale au
deſſusde tous les autres Seigneurs qu'il
y avoit admis , pour luy'donner la liber
té de conferer avec luy des affaires les
plus importantes.
Silvanus ſupportoit impatiemment
qu'on euſt élevé des perſonnes indignes
au Conſulat & aux autres puiſſances fü
blimes, & que luy & Velicin euſſent eſté
les ſeuls, quiapres les grands travaux
qu'ils avoient ſoufferts tantde fois pour
le ſervice de l'Eſtat, euffentneantmoins
eſté rellement negligez , que luy;(parce
qu'on écoutoit des entretiensde petites
gens , qui ne diſoient que des forciſes )
avoit eſté cruellement traité,commes'il
euſt commis quelquecrimede leze-Ma
jeſté,au ſujet dequoy , il avoit eſté chal
ſé de la Cour ; & que pour Viſicin , on
l'avoit riré de l'Orient pour la haine de
ſes ennemis, & fe plaignoit de cela con
tinuellement en particulier & devant
tout le monde. Ces choſes neantmoins
& autres ſemblables , nous étonnoient
bien fort, parce que nousn'entendions
autour de nous que des murmures de
CONSTANTIUS. 143
S

ſoldats, quis'entretenoient de leurdi .


fetce , & de l'impatience qu'ils avoient
de paſſer les Alpes. Nous eſtions fort
incertains dans l'execution du conſeil
que nousavions pris , parmy une telle
L'émotion : & nous cherchionspar quels
moyens nous en pourrions venir à bout,
Mais enfin , nous prîmes reſolution
ayant changé pluſieurs fois d'avis , &
apres avoir cherché avec ſoin & beau
3 coup d'adreſſe des gens habiles
pour
ili nous jallikei , nous jugeâines à propos
d'en conferer avec les Braceates & les
Corautes. Et,parce que leur parole n'eſt
I pas toûjours fort aſſeurée , mais que ſe
lon la recompenſe qui leureſt promiſe ,
ilschangent à tout moment , nous les
engageâmes encore par ſerment à nous
eftre fideles. Nous eſtantdonc determi
nez à cela ; comme nous euſines jugé
propres à l'execution de noſtre deſſein ,
• quelques ſoldats mercenaires & de nul
le reputation , quieſtoient à la ſuite de
l'Armée, leur ayant promis de l'argent,
11 pour les y encourager davantage , Iur le
point que le Soleil commençoit depa
는 8
1

roiſtre , auſſi-toſt un peloton arméqui


11 augmente ſon audace par l'incertitude
de l'évenement ſe jetre avec furie : &
15

apres avoir égorgé tous les ſoldats dų


144 AMMIAN MAR . Liv. X V.
Corps de garde, ils entrerent dans le
Palais, & d'une petite Chapelle où Sil
vanus s'eſtoit refugié , f pour prier à la
mode des Chreſtiens,ils le cirerent de là ,
& l'affaſſinerent depluſieurs coups d'é
pées. Ainſi ce Capitaine mourut de ce
genre demort, dans l'exil qu'il n'avoit
pas merité, & par la crainte qu'il eut
des calomnies , dont ſes Ennemis le
chargerent abſent , il fe porta à des re
medes extrémes pour ſe conſerver la
vie. Car bien qu'au ſujet de la trahiſon
qu'ilfit avec l'Infanterie qu'il comman
doit devant la bataille de Murſe , il ſe
fuft obligé Conftantius, îi eſt-ce qu'il
le craignit toûjours pour ſon inconſtan
ce ; parce qu'en effet il eſtoit fort ſujet
au changement. D'ailleurs il croyoit
qu'il pouvoit tirer de la gloire des bel
les actions de ſon pereg Bonite , qui
eſtoit François,mais quiavoit ſouvent
combatu avec beaucoup de valeur dans
e
la guerre Civile,, pour le ſervic de
Conftantin contre le party de Licinius.
Or avant que toutes ces choſes ſe pal
faſſent de la forte dans les Gaules , il ar .
riva un jour à Romeque comme le peu
ple eftoit aſſemblé dans le grand Cir
que, il eſt incertain li ce fut à deſfein , ou
par quelque autreſorte de préfage,qu'il
s'écria
CONSTANTIU S.
145
s'ecria de toute la force , Silvanus eft
vaincit.

VI.

Conftantius élevé comme au Ciel par les


3

fauſes louanges de fes flatteurs , exerce


de grandes cruautez contre des perſonnes
de qualité. Leonce reprimeune ſedition
qui s'estoit émeuë dans la Ville. Libe
rius Evefque de Romeeſt chaſſé de fon
Siege , parce qu'il favoriſoit le party
ď Athanaſe Eveſque d'Alexandrie.

Pres donc que Silvanus eut eſté


AP : à Cologne, commeje l'aydé
tué
ja dit,on en apprit la nouvelle à la Cour
avec unejoye incroyable :mais le Prin
ce en devint infolent, & fa vanité en fuc
ſi grande, qu'il donnoit également à
ſa bonne conduite la gloire de toutes
ſes proſperitez , de lameſmeſorte qu'il
avoit toûjours haï les gens de bien ,
comme autresfois Domitien qui s'ef
' forçoit neantmoins de les vaincre
par
un art contraire , il s'abſtint fi bien de
loüer ce qu'Vrſicin avoit fait avec tant
d'induſtrie , qu'il eſcrivitmeſınes à ſon
fujet , qu'il avoit mis la main a aux cof
fres de l'Epargnedes Gaules , ou
G
746 AMMIAN MAR . 'Liv . XV.
p'avoittouchéayant luy. C'eſt pourquoy
ilavoit mefme commandé de s'en infor
mer de plus prés ayant fait interroger
Remy , qui eſtoit alors Commiſſaire
Controleur du b Conneſtable , auquel
depuis,du tempsde Valentinien,undicol
oſta la vie , au ſujet de l'Ambaſſade de
Tripoli,
Apres toutes ces choſes , Conſtantius
qui êlevoit ſa gloire juſqu'au Ciel, &
quiſe perſuadoir qu'eſtant au deſſus de
.
tous les accidens humains , il pourroit
auſſi leur preſcrire celles bornes qu'il
voudroit , s'enfloit tous les jours d'or
gueil de plus en plus par les faußeş
louanges que luy donnoient ſes flat
teurs , dont il faiſoit augınenter le nom
bre en mépriſant & rejettant ceux qui
ſçavoient un peu mieux ces choſes-là ,
comme nous liſons que Creſus bannig
Solon de ſon Royaume , parce qu'il ne
{ çavoit pas flatter , & que Denys avoit
fait mourir le Poëte Philoxene , parce
que recitant des vers mal- tournez &
demauvais ſens qu'il avoit faits , tandis
que tout le monde leur donnoit de
grandes louanges , il avoit eſté le ſeul
quin'en avoit pas dit un ſeulmot. Tanț
La Aatterie eſt une choſe pernicieuſe , &
qu'on la peut appeller" veritablement
CONSTANTIUS. 147
selle qui nourrit & fomente les vices. Car
enfin : la louange doit eſtre agreable à
une puiſſance fupréme, quand il n'eſt
pas deffendu de blâmer les choſes qui le
meritent. Quoy que toutes choſes fu
rentalors en grande ſeureté, on nelaiſ
fa pas pourtant d'en faire de grandes
queſtions ; ſelon la coûtume de ce
temps-là , & pluſieurs furent mis en
priſon & dans les chaînes , comme
des coupables. Paul, cét infernal dela
teur de toutes ſortes de crimes., eſtoit
d'un naturel boüillant, & ſe tranſpor
toit d'une grande joye, parce qu'il.fc
voyoit en citat d'exercer avec plus de li
cence que jamais ſes artifices empoiſon ,
nez . Et, parles informations quifurent
faites ſur l'affaire dont j'ay déja parlé
par les ordres de ceux du Conſeil d'E
ſtar & des Officiers de la guerre,Procu
le c Officier de la maiſon de Silvanus
fue preſenté à la torture, c'eſtoit un ho
megrelle & maladif , pour lequel cha
cun apprehendoit que la violence des
tourmens ſur un corps delicat.comme le
lien , luy feroit avoiier indifferemmeno
que plulieurs eſtoicnt coupables de cris
mes atroces :mais ce futtout le contrai
re, car s'eſtant ſouvenu du ſonge parle
quel illuy furdeffendu en dormant, co
G ‫از‬
148 AMMIAN MAR . Liv , X Vi
me il l'a dit liy-meſme, de faire tort à
quelque innocent que ce pult eſtre ,
quoy qu'il euft eſté tourmenté juſques
à la mort pour en accuſer d'autres, fi
eſt-ce qu'il ne chargea perſonne, & ne
nomina pas une ame vivante : mais il
dit toûjours conſtaminent , que Silya
nusn'avoit point entrepris ce qu'il avoit
fait , par aucune convoitiſe de regner,
mais par la ſeule neceſſité de ſe conſer
ver, comme il le prouva clairement par
le réinoignage de pluſieurs perſonnes,
que cinq jours devant qu'il euſt receu
les enſeignes de la Principauté , il ex
horta l'Armée, en luy donnant la paye
au nom de Conſtantius, d'eſtre touſiours
preſte à bien combattre & fidelle à ſon
ſervice. D'où il paroiſſoit évidemment ,
que s'il cuft aſpiré à une plushaute for
tune , iln'euſt pas fi-toft donné de l'ar
gent au nom du Prince , qu'en ſon

propre .
nom re
Ap s cér homme-là , qui eut le Sore
des perſonnes condamnées , Pæinenius
futégalement entraîné au ſupplice , ce
luy-là meſme, qui, commenous l'avons
dit cy-devant , quand ceux de Treves
fermerent leur Ville , pour Decentius
Ceſar , fur choiſi pour deffendre le ped
ple. Puis Aldepiodore, Lutte , & Mau
CONSTANTIU'S . 14
dion , qui avoient la qualité de Comtes ,
furentmis à mort avec pluſieurs autres.
Ceschoſes & autres femblables , furent
des effets de la dureté de ce temps- là .
Enfin des troubles funeftes s'eftant émus
de la forte, Leonce quiavoit le gouver
nement de la Ville eternelle , donnoit
beaucoup de marques d'etre un fuge

1
fans reproche , prompt à entendre les
raiſons de chacun , juſte dans la diſcu
tion des choſes les plus embarraſsées ,
d'un naturel bien faiſant, quoy quepour
conſerver ſon authorité , il paruſt un
peu trop fermeau jugement de quel
ques-uns, & trop enclin à favoriſer les
Amis. La premiere caufe qu'il y eut
doncd'unefedition , qui s'émût contre
luy, futbien legere & de fort perire con
fequence : car ayant ordonné une priſe
de
corpscontre un cocherappellé Phi
lorome; tout le petit peuple s'eftant
affcmblé
pour deffendre celuy qu'il ai
moit comme fon propre enfant , aſſail
lit le Prefect avec unemportement ter
rible pour l'intimider : mais luy fans
s'étonner , avec une fermeté inébrane
lable, envoya des Sergens pouren pren
111 dre quelques-uns des plus mutins, &c les
ayant fait châtier ſeverement , fans que
perſonne en cuft ſeulement osémurmu
G iij
A MMIAN MAR . Liv. XV.
rer ny faire du bruit ,il leur donna la pei
ne du banniſſement, & les relegua dans
une Ille. Depuis comme la meſme po
pulace qui s'eſtoit émuë , ſelon la coll
tume, lors qu'elle n'a pointde vin , ſe
fut aſſemblée d au Septizone, lieu ccle
bre, où l'Empereur Marcus a fait con
ſtruire edes Thermes d'un ouvrage ſom
ptueux , le Prefect s'y eſtant rendu tout
exprés, il y futprié de toutes les perſon.
nes de qualité , & de tous les Officiers
qui l'y avoient ſuivy , de ne fe cominet
trepoint avecune populace infolepte &
temeraire, qui pouvoit avoir du riffen
timent de ce qui s'eſtoit paſsé dans l'e
motion precedente : mais ileſtoit diffi
cile de Pintimider , & ne laiſſa pas de
continuer ſon chemin . Ce qui le fit a
bandonner d'une partie de ceux qui
eſtoient à la ſuite ,'s'en allant expoſer
dans le peril. Eſtant donc allis ſur ſon
Charior , comme il regardoit d'un cil
ferme & d'une contenance affeurée la
foule tumultueuſe, & le viſage des fe
ditieux, comme des ſerpens quiſe tre
mouſſent , & qu'il eur meſme ſouffert
qu'on luy cuſt dit beaucoup d'injures ,
en ayant reconnu un entr'autres , qui
eſtoit de grande taille & puiſſant de
corps,avec des cheveux roux, il luy.de
CONSTANTIUS:
manda , s'il n'estoit point Pierre Val
vomere; car ilavoit oùy dire qu'on l'ap
>

pelloit ainſi. Cét hommeluy ayantré


pondu d'un ton elevé que c'eſtoit ſon
nom , ille fit prendre,comme le Chef des
feditieux, & luy ayant fait lier lesmains
derriere le dos , ſelon le ſouhait de plu
14 fieurs il l'envoya pendre. Ce que les
gensde ſa forte n'ayant pû empeſcher ,
quoy qu'il en euſt imploré le ſecours ,
rout ce petit peuple ſe diſlipa : & ayant
fait foüerer l'Autheur de la ſedicion , il
le relegua dans la marche d'Ancoſne ,
où depuis ayant eu l'audace de violer la
pudicité d'une fille d'honneſte famille ,
il fut condamné à la peine du dernice
fupplice , par la Sentence de mort que
prononça contre luy Parruinus perſona
nage Conſulaire:
Pendantlegouvernement de Leonce,
f Liberius Preſtre de la Loy Chreſtien
ne, fur commandé de ſe rendre à la Cour
pour dire ſes raiſons de la reſiſtance qu'il
avoit faite aux commandemens de l'Em .
pereur, & aux decrets de pluſieurs de ſes
11

confreres , ſur un ſujet que je diray en


peu de paroles. Une aſſemblée de plu
fieurs en un meſmelieu, qu'ils appellent
g Synode,dépolah Athanaſe en ce temps
Là. Eveſque d'Alexandrie , qui s'élevoit
Ġ iiij.
A MMIAN MAR . Liv . X V.
au deſſus de la condition , & qui, ſuivant
le bruit commun, s'efforçoitde prendre
connoiſſance de choſes qui eſtoienthors
defa profellion . Et certes, on diſoit que
comme il ſçavoit parfaitementbien l'art
de devindr, & de fe connoiſtre aux au
gures qui ſe tirentdu vol des oyſeaux',
il avoit aufli ſouveņt predit les choſes
futures. On luy attribuoir aufli beau
coup d'autres choſes contraires aux def
feinsde la Loy ſur laquelle il preſidoit.
Liberius quiavoit de pareils fentimens
que les autres,perſeveroit à ne vouloir
point ſouſcrire qu'il fuft chaffé du lie
ge de ſon Sacerdoce , quoy que le Prin
çel'euſt ainG ordonné, & diſoit ſouvent
tout baut que c'eſtoit le dernier crime
de condamner un homme ſans l'avoir
entendu ny vû , ce qui eſtoit s'oppofer
ouvertement aux fentimens de l'Empe
reut. Car ayant toûjours eſté fort con
traire à Athanaſe , bieri qu'il fçcuft que
la chofe cuft eſté accomplie felon fon
intention , li eſt- ce qu'il enſt bien enco
re defiré que la chofe euft efté confirmée
par l'authorité de l'Éveſque de la Ville
i éternelle . Ce que n'ayant donc pů
impetrer de la bonne volonté de l'Evel
que Romain , Liberius pour lequel le
peuple qui l'aimoit eut peur qu'on ne
CONSTANTIUS.
luy fiſt du mal , fut tranſporté hors de
Rome ſur la minuit avec beaucoup de
difficulté. Ce furent là les choſes qui
fe paſſerent à Rome, comme nous l'am
vonsdéja remarqué cy.deffus.

VII.

Dautant que les Gaules panchoient à la


reuolte,Conſtantins ſeiugeant lwy-mef
me trop foible pour porter ſeul le far
deau de l'Empire , penſe à s'affecier
Iulien fon Couſin Germain frere de
Gallus ,dont il eſt détournépar ſes flat
teurs : mais enfin il deelare Fulien fon
Collegue, e le reueftie de la Pourpre,
avecun grand applaudiſſement de toute
Armée .

L venoit tous les jours de mauvaiſes


nouvelles à Conſtantius , qui luy ap
In
prenant le déplorable eſtar des Gaules,
ſuy apportoient en 'meſme temps beau
coup de déplaiſir , par les incurſions
continuelles des barbares quideſoloient
tout le Païs & ravagcoient toutes les
Provinces fans qu'on y paſt apporter
de remede. Ayant donceſté long-temps
agité pendantſon ſejour en Italie , pour
l'inquietude où il eſtoit de trouver les
Gy.
454 AMMIAN MAR. Liv . XIV .
moyens de repouſſer un ſi grand deſor
dre ( car d'ailleurs il tenoit qu'il y avoit;
du peril, de fe porter luy -meſme ſur les
lieux., & d'aller établir ſon Siege dans.
une partie fort éloignée. ) Enfin il s'a-.
viſa que le plus ſeur eſtoit de rappeller
de l'Achaïe a Iulien fon Couſin Ger .
main fils de ſon Oncle paternel, qui por..
toit alors la longue robe, pour l'aſſo
cier à l'Empire. Mais comme il l'a
voüa franchement , à quelques-uns de
ſes proches, qu'il ſuccomboit ſous le
faix des affaires, & qu'eſtant ſeul,il luy :
eſtoit impoſſible d'y refifter,ce qu'iln'a-
voit pourtant jamais fait juſques-là ,
quelques. Matteurs qui connoiſſoient
ſon humeur , ſemoquant de luy par des ,
complaifances exceſſives , luy diſoient
qu'il n'y avoit pourtant rien de fi difficile -
A Monde , que fa vertu toute puisſante,
foutenuë de la haute fortuge,qui égaloit les
Aftres , ne puſt aiſément ſurmonter . A.
quoy pluſieursadjoûtoient , dans l'apr
prehenſion qu'ils avoientdu peril , qu'il .
faloit neantmoins: ſe donner de garde def
ormais : du : nom.de Ceſar. , & ne man
quoient pas de rapporter là-dellus les
actions & la conduite de Gallus. A quoy
la b Reyne ſeule [ c'eſt l'Imperatrice Eu
fabia ] s'oppo foitopiniaftrément, parce :
CONSTANTIUS 155
qu'elleapprehendoit dans l'incertitude
des affaires qu'il arrivaſt du trouble , ſi
l'Empereur s'éloignoit tant ſoit peu , &
crur que le meilleur avis eſtoit d'ufer
de ſa prudencenaturelle , apres en avoir
deliberé dans le Conſeil de preferer å
tous autres une perfonne qui eſtoit pro
che de ſon fang . Enfin , apres divers avis
l'Empereur perfevera dans la reſolution
qu'il avoit priſe : & laiſſant toutes con
tentions à part; il luy plânt d'aſſocier lui
lien à l'Empire. Commeil fut donc ve
nu au jour qu'on avoit marqué , car or
luy avoit mandé de venir , toure la Mi
lice ayant eſté convoquée , l'Empe
reurmonta fur un licu élevé , entouré
des Aigles romaines & de tous les E
tendars, & tenant clulien par la main ,it
parla ainſi à route la multitude d'un air
53 fort gracieux. d C'eſt à vous, valeu
» reux défenſeurs de la Republique , à
ss qui je veux propoſer en peu de paro
„ les, comme à des Tages tres-équita
s,bles, l'unique moyen qui nous reſte
» pour le bien de la caufe commune , 80
s pour conſerver les intereſts de l'Eſtat :
Depuis la deffrite des Tirans rebelles
so à quila rage & la fureur avoient fait
»s prendre les armes , pour ſe rougir du *
jo-Cang de la Patric , les Barbaresanimez
G .. vj
356 AMMIAN MAR , Liv . XV.

» par noſtre diviſion , ont paſſé leslimi


„, ces qui leur avoienteſté preſcrites par
,, les Traitez de Paix , & fe font jettez
dansles Gaules,à quoy ils ſe ſontpor
„ tez avec d'autant plus d'audace , qu'ils
» nous ont vûs éloignez pour des ne
cellitez preſſantes qui nous y ont
obligez. Mais enfin apportons à ce
mal les remedes neceffaires , vous y
pouvez beaucoup contribuer par vos
ſuffrages. Etainfinous ferons baiſſer
w lecol aux Nations les plus ſuperbes,&
„ nos frontieres ſeront en feureté.Ilreſte
sa que vous fecondiez mon deſſein dans.
», l'eſperance'du reſtabliſſement des af
faires que je tiens à la main . Je deſire
élever à la puiſſance de Ceſar , Iulien
> mon Couſin Germain du coſté démon
,, Pere , ou plutoſt mon propre frere , de
qui vous connoiſſez comme inoy la:
>; modeſtie , & routes les bonnes quali
s tez , qui m'ont rendu ſon amitié fort :
„ chere . Si la chofe vous ſemble utile,
» comineje n'en doute pas, je vous prie
,,de me le faire paroiſtre & de le confir
mer de voſtre confentencnt. Voulant
pourſuivredavantagefon diſcours ,une:
douce acclamation de toute l'Armée ,
luy ferma labouche, pour luy faire en
tendre
que le Ciel preſidoit à cette. Ele
CONSTANTIUS. 157
Fion , a que c'étoit un bon preſage pour
l'adrnir. Alors l'Empereur reprenant
la parole . Puiſqu'il eſt donc ainſi que
„ vous approuvez le choix que j'ay fait
is commeje le puis juger par vos accla
s,marions , quele jeune honime,dontlı
» vigueur paiſible, & lamodeſtie ſe doi
» vent plutoſt imiter , qu'il n'eſt ne
,, cellaire de le dire , fewleve pour rece
‫ رز‬voir l'honneur quiluy eſt preparé.
s l'ay affez. juſtifié l'eſtime que je fais“
de ſon education , par le choix que
j'ay fait de la perſonne. Te luydonne
w.ray dóc leManteau dePourpre avec le
confentement iacire du Dieu du Ciel;
» qui eſt preſent à cette action . Quand
Lulien eut eſté reveſtu du Manteau de
Pourpre , qui avoit honoré fes Ance
Atres , toute l'Armée le proclama Ceſar
avec grande joye. Et.Conſtance adjoû
ta encore ces paroles d'un air & d'un ton
y ſerieux . Enfin ,mon cher frere, vous
$» avez receu un honneur , qui ſembloit.
Y ne pouvoir eſtre refuſé à la Noblefle
de voſtreMaiſon . Certes j'avoue que
ma gloire eſt bien augmentée , plutoſt:
de ce que j'ay eſté juſte à vous déclarer
e mon ſucceſſeur à l'Empire par la di
wgniré de Celär , que je vous confere
so ayant l'honneur dem'appartenir , que
2.88 " AMMIAN MAR . Liv . XV.
», de ce que la ſouverainepuiſſancem'em
s, a donné le pouvoir . Soyez avecmoy,
» pour prendre part aux travaux & à
sybeaucoup de perils qu'il faut courre
» dans la défenſe & la protection des
„ Gaules , que je commets entre vos
»,mains. Vous foulagerez par voſtre
w courage, & par vos ſoins nosProvin
» . Ces quigemiſfent ſous le faix des Ar
„ mes ennemies : Et', s'il eſt neceſſaire
„ d'enrepouſſer l'effort,vousvous tien
„ drez ferme, entre ceux quiportentles
„ Enſeignes & les Etendars,ſans crain
> drele peril quand l'occaſion s'en of
» frira, pour exhorrerſagement les Sol
„ dats, vous inettaneavec difcretion à la
» teſte des Troupes lors qu'elles ſeront
s.engagées dans le combat,faiſant avan .
cer les autres pour ſoûtenir celles qui
,, feroient minede plier,reprenant avec
„ modeſtie les pareſſeux , & vous ren
99 danttémoin par vousmefme de la va
leurou de la fâcheté de tous les mem
mbres de l'Armée . C'eſt
pourquoy at
tendu l'exigeance d'une affaire tres
,, importante g . allez en homme de
wgrand cæur,telque vous eftes , & me
nez avec vous des troupes valeureu
„ les ; l'affection que je vous porte me
stendra aulli ferine aupresde vous,nous
CONSTANTIUS: 159
sy.combatronsl'un aupresde l'autre : Et
„, fi Dieu exauce nos Prieres,nousregi
„ rons enſemble avec une pareille pieté
,, & modeſtie tout l'Vnivers, qui jouira
ſous noſtre Empire du doux repos de la
Paix . On vousverra par tout aupres
„ demoy , & en quelque lieu que vous
w agiſſiez aulli , je ſeray aupres de vous.
Haſtez-vous donc de prendre polfeſ-
lion de la ſouveraine puiſſance aupres
„ demoy , ſelon les ſouhaits de tout le
„ Monde, afin qu'avec un ſoin vigilant
„ Vous preniez incellamment la défenſe
de cette partie de l'Empire , laquelle
„ .vous vient d'eſtre allignée ; comme ſi
c'eſtoit la Republique inefmequivous
my euft appellé.
pres ce diſcours perſonnene deiner
ra dans le filence ; mais tous les ſoldats
choquant leurs Boucliers de leurs ge-
noux parmy, le bruit fourd qa'ils fai
ſoient oüir ( ce quieſt un ſigne de joye
& de proſperité, comme lors que les pi
ques frappent les boucliers , c'eſt un ſi
gne de colere & de douleur ) ſi bien
qu'ils marquerent par·là , peu de gens
exceptez ,de quelle forte ils furent lain
tisfairs du jugement que l'Empereur
avoit fait paroiſtre en cette occaſion , &
Ieccurent" Ceſar tout rayonnant de la..
160 AMMIAN MAR . Liv . XV.
gloire de la Pourpre Imperiale , dontils:
furent émerveillez, voyant ſes yeux qui
donnoient de la crainte avec une certain
nedouceur bien -ſeante : & plus ils con
temploient les graces & la majeſté de
fon viſage , & plus ils eſtoient per
fuadez de ce qu'il devoit eſtre un jour,
comme ſi avec cela ils ſe fuffent appli
quez à rechercher dans les anciens Li
vres les lignes que peuvent donner les
torps , pour connoiſtre l'interieur des
Ames: & pode luy rendre plus d'hon
neur , ils s'abſtenoient de l'exalter par
des louanges exceſſives, & ne vouloient
pas aulli manquer à la bien -feance pour
luy en donner trop peu . Si bien qu'on
cuſtpris leurs paroles pourcître plûtoſt .
de Cenſeurs, que de gensde guerre. En
fin comme il ſe fut aſſis ſur le Char qui
luy futamené, & qu'il fut entré dans le
Palais , il dit ce Vers d'Homerc .

6 Sa mort eſt empourprée, ci son deſtin


l'emporte .

f Ces choſes ſe pafferent le ſixiéme


jour dumois de Novembre, Arbetion &
Lollian eſtant Conſuls:
CONSTANTIUS. 165

V III .

Julien ayant épousé la ſoeur de Constan


tiusſa Couſine germaine',vient à Vien
ne , où une vieille femme luy prédit des
choſes qui luy doivent arriver touchant
le fait de la Religion .

Velques jours apres , Helene ſaur


de Conſtantius, ayant eſté jointe
en mariage avec Ceſar , & toutes choſes
ſe trouvant preſtes pour le partement, a
avec peu d'attirail , Iulien ſortit de la
Ville le premier jour de Decembre , &
fut conduit par l'Empereur juſques à un
lieu remarquable , par deux colomnes
qui s'y trouvent élevées entre Launel
le & Pavie, d'où il s'en alla par le droit
chemin à Turin , où il apprit une nou
velle fâcheuſe, que pour eftre venu en la
compagnie de l'Empereur, on n'en par
ła pointà deffein ,de peur que les choſes
qu'on avoit préparées ne vinſſent à ſe
perdre. On luy dit que Cologne , qui
eſt une ville de grande reputation dans
la fécondeGermanie , ayant efté forte
mcnt battuë par les Barbares qui l'a
voient aſſicgée avec opiniaſtreté , elle
leur avoit ouvert ſes portes , & qu'ils
162 AM MIAŃ MAR . Liv. X'v .
l'avoient entierement ruïnée. Il cn fue
faili au vif, comincd'un mauvais preſa
ge à ſon avenement, & on luy entendit
faire ſouvent ces plaintes ; Qu'il n'auoit
gagné autre chose par la nouvelle digni
i té qui luy avoit eſté donnée , finon qu'é
tant plus occupé qu'il n'eftoit auparavant
1 il en mourroit auffi plúroft: Et commeil
vint à Vienne , où toute la Ville le re
ceutavec toute la magnificence & tou
tes les demonſtrations de joye qu'il luy
fut poſſible, & que de tant loin quele
peuple le vid', avec tous ceux des Pro
vinces quiy accoururent pour luy faire
honneur , il l'appella Empereur cle
ment & heureux , & celebra ſes louan
ges,regardantcette pompe Royale dans
un Prince legitime, & confiderant fa ve
núë comme l'uniqueremedeà toutes ſes
miſeres, ou , comme ſi dans ſa perſonne;
chacun euft vû reluire un certain genie
ſalutaire, quivenoit rétablir toutes cho
fes en bon eſtat. Parmy tout cela , une
vieille femme, qui avoit perdu les yeux,
ayant demandé qui c'eſtoit , comme on
luy cutdit que c'eſtoit lulien Céſar, elle
s'écria , Que celuy-là rebâtireit les Tema
ples des Dieux . Mais dautant que com
me le ſublime Poëte de Mantouë. a.dic:
autresfois ,
CONSTANTIU'S . 163

b Vn ouvrage plus grand , d'une ſuite


importante ,
Pour écrire l'hiſtoire à mes yeux fe
preſente:

le croymaintenant qu'il ne ſera point


hors de propos que je faffe icy une deſ
eription desGaules,de peur que parmy
beaucoup d'entrepriſes difficiles, & d'a
vantures guerrieres, ayant à paſſer en di
vers lieux inconnus, il ne ſemblaft que
je vouluſſe iiniter les Matelors paref
feux , qui negligent de preparer leurs
voiles & leurs cordages , & qui ne ſon
gent point à les redoubler quand ils ſont
rompus,que lors qu'ils ſe trouventpref
fez par la tempeſte & par la violence.
des flots !
IX .

De la premiere origine des Gaulois , de


leurs Bardes , ori de leurs Druydes.
La deſcription du climat e du pais
des Gaules & des Alpes.

Es anciens Ecrivains ſe trouvant


en peine ſur la premiere origine
des Gaulois, ne nous en ont laiſsé qu'u-.
ne connoiſſance imparfaite. Mais ,des
164 AMMIAN MAR . Liv . XV.
puis,a Timagenes Grec de Nation , en a
recueilly en la langue pluſieurs chofes
fingulieres qui ont eſté lóg-temps igno
rées; leſquelles je rapporte icy ſur le
témoignage qu'ilnous en a laiſſé,apres
que j'en auray ofté toute l'obfcurité , &
je feray voir en ſuite clairementce qu'il
en a écrit. Quelques- uns aſſeurent que
les premiers b Aborigenes de ces païs
là furent c les Celtes , qui prirent leur
nom d'un Roy parfaitement aimable ;
& qu'ils furent appellez Galates du nom
de la mcre de cemeſıne Roy : car la fa
çon de parler Grecque dénommeainfi
les Gaulois . Les autres diſent que les
Dorienfes ayant fuiuy l'ancien Hercu
le, vinrent habiter en des lieux proches
de l'Ocean . Les d Draſides alfcurent
pourtant qu'une partie de ce peuple
eſtoit originaire du païs ,mais que d'au
tres y eſtoient venus des Illes éloignées,
& des contrées qui font au delà duRhin ,
e d'où ils furent chaffez par les guerres
frequentes, & par les inondationsde la
Mer. Quelques-uns diſent auffi, que
depuis l'embraſementde Troye, peude
gens, qui en échaperent, fuyant la pre
ſence des gens qui eftoient diſpercez de
tous coſtez , occuperent ces lieux-là ,
leſquels cſtoient vuides alors.. Et certes:
3
CONSTANTIUS. : 16
les habitans qui y ſontle maintiennent
ainſi à tout le inonde, & nousavons vù
5

nous-meſmes dans une inſcription qui


ſe lit ſurun de leurs anciensmonumens,
qu'Hercule fils d’Amphitryon , avoit
autresfois entrepris la defaite de deux
cruels Tyrans Gerion & Tauriſque,
l'un deſquels deſoloit l'Eſpagne, & l'au
tre ravageoit lesGaules, & que lesayant
tous deux ſurmontez , il eut affaire à
leurs femmes genereuſes , deſquelles il -

1
cutpluſieurs enfans, qui donnerent en
fuite leurs nomsaux païs qui leur furent
aſſujetis . Vn peuple Aſiatique qui eſtoit
forty dela Phocée , pour fuir l'inhuma
nité d'Harpale, Lieutenant generaldes
Armées du Roy Cyrus, paffa ſur des
vaiſſeaux en Italie , dont quelques-uns
bâtirenef Velic dans la Province de Lu
canie, & les autres vinrent dansles Gall
1les, en la Province de Vienne, où ils bâ
tirent g Marſeille : puis à meſure qu'ils
crurent en âge, & qu'ils ſe multiplie
rent, ils augmenterent des Villes , & cn
fonderent pluſieurs de nouvelles. Mais
enfin la varieténeſuffit pas, & on ſe laf
ſe de tour. Dans ces lieux-là , comme
les hommes fe polirent peu à peu , les
études des ſciences honneſtes y flori
rent aufi leſquelles commencerent
2.66 AMMIAN MAR , Liv . XV.
par les g Bardes, les b Euhages & les
Druldes. Les Bardes chanterenten Vers
heroïques , ſur les tons de la Lyre, les
valeureuſes actions des hommes illum
ſtres. LesEuhages qui s'appliquoient
des choſes tres- ſerieuſes, s'efforçoient
de penetrer dans les plus ſublimes les
crets de la nature. Ecles Druides , de
quil'eſpriteſtoit encore plus elevé que
de tous les autres, ſelon les preceptes de
Pythagore, s'adonnoient dans leurs ſo
cietez Academiques à des queſtions des
choſesocultes & profondes , & mépri
fant la connoillance des ſciences humai
nes, k ils déterminoient que les Ames
cftoient immortelles.
Cette contrée des Gaules, qui parmy
les / hautesmontagnes qui ſontautour,
leſquelles ſont toûjours couvertes de
neiges, eſtoit autresfois preſque incon
nuëau reſte des hommes , li ce n'eſt en
la partie qu'elle eſt proche de la Mer.
Dů.colté de Midy elle a les Mers Tyr
Thenienne & Gallicane. Du coſté qu'el
le regarde la conſtellation du chariot ,
c'eſtà dire le Septentrion , elle eſt diſtin
gućedes fieres Nationsdu Nort par les
eaux du Rhin . Vers le coſté qu'elle re
garde le Soleil couchant, elle eſt cein
rcde l'Ocean & des Monts Pyrenees ;
CONSTANTIUS. 16.1
& du coſté qu'elle s'éleve å l'aſpect de
3 l'Orient, elle a pour frontieres les Alpes
Cottiennes, leſquelles le Roy Cottius,
apres avoir ſurmonté les Gaulois, ſe te
nant ſeul reſſerré entre deslieux étroits ,
& fe fiant à ces Roches inacceffibles;
Enfin quand il eut apprivoisé ſon fier
orgueil , il futreceu en l'amitié d'Octa- :
vien Auguſte , & pour reconnoiſſance
d'une faveurfimemorable , il fit dreſler
avecde grandesmalles une route abbre
géepour les paffans , au milieu des Al
pes, au ſujet deſquelles je diray tantoſt.
..

ce qui s'y eſt rencontré. Dans ces Al >


pes Cotienes quicommencent au pas de
Suſe,un Rocher s'éleve d'une fort gran
de hauteur , lequel à peine quelqu'un
peut-il paller ſans ſe mettre en grand
danger. Caren retournant des Gaules,
il y a unedeſcente precipitée parmydes
rochers ſuſpendus terribles à voir , prin .
cipalement au Printemps, lors que la
glace , & les neiges venant à ſe fondre
par des vents qui portent une chaleur
humide parmy les ruptures étroites , &
des lacunes cachées où ſe font amaſsées
des bruines de part & . d'autre , ny les
hommes , ny les beſtes d'attirail , ny les
chariots nepeuvent ſe tenir fermes, ny
s'empeſcher de tomber ou de verſer dans
168 AMMIAN MAR . Liv. X V.
des precipices. A quoy on n'a point
trouvé d'autre remede pours'empelcher
de perir , que d'attacher pluſieurs ttail
neaux avec des cordages qui ſoientre
tenus par un grand effort ou d'hommes,
oude bæufs , encore cela les empeſche
t il bien mal -aiſémentde tomber d'une
cheute impetueuſe. Ceschoſes, comme
je l'ay déja dit , arriventau printemps,
Mais en l'hyver , la terre eſt commeen
veloppée d'une croute par le froid , &
i applanie en pante, ſi bien qu'il eſt diffi
cile de s'y tenir debour, & plusmal-aiſé
encorede n'y pas gliſſer dans l'horrible
abiſme: & les valées , qui ſontouvertes
dansdes eſpaces unis par la glace, trom
pent le plus ſouvent , & engloutiſſene
les paſſans. C'eſt pourquoy les plus avi
fez fichent des pieux dans les lieux les
plus ſeurs, afin que leur fuite ferye de
guide aux paſſans, & qu'elle les empef
chede perir . Que fi ces pieux ſont cou
verts de neiges , ou qu'ils viennent à
eftre emportez par les torrens quidel
cendentdesmontagnes , quandles nei
ges ſe fondent, ces lieux-là ſe paſſent
mal-aisément. Depuis le commence
ment de cette deſcente quiregardel'Ita
lie, il y a une plaine juſques à une mfta
cion qui porte le nom de Mars dans une
eſpace
CONSTANTIUS. 169
eſpacede ſept mille : & de-là , il ſe trou
veuneautre élevation plus droite, mal
aiſée à paffer , laquelle s'étend juſques
aun ſommet de la Dame, ( ou de la Ma
trone ] quicſt un nom ciré d'un accident
que courut en ce lieu -là une femme de
qualité. D'où il ſe trouve un chemin
en pente , inais plus aiſé iuſques au o
Chateau de Briançon .
Le Sepulchre de ce petit Roy qui fit
dreſſer un chemin dans les Alpes , dont
nous avons tantoſt parlé , eſt proche
des murailles de Suze , & fes Manes y
ſont reverées pour unedouble raiſon de
6

Religion , & parce qu'il avoit gouverné


fes ſujets avec une grande moderation ,
& qu'ayant eſté aſſocié aux intereſts de
la Republique il acquit à la Nation un
repos perpetuel. Cette route que nous
venons de dire , eſt la mitoyenne & la
meilleure & la plus courte : car il y en a
deux autres quiont eſté faitesdés long
temps auparavant en divers temps ; la
premiere par Herculele Thebain quand .
il fut en Eſpagne pour exterminer Ge
ryon , & dans la Gaule ,
pour tuer Tau
riſque, comme il a eſté dit,pour s'en fa
ciliter le paſſage plus commodément
aupres des AlpesMaritimes , auſquelles
il donna le nom , [ parce qu'elles furent
H
170 A MMIAN MAR . Liv . X V.
appellées Grecques. ] Il y fit auſli une for
tereſſe avec un port qu'il appella Monas
cho,pour conſerver à perpetuité la me
moire de ſon nom .
Enfin pluſieurs siècles s'eſtant écou:
la raiſon pour la
lez depuis , voyons
quelle les Alpesont eſté nommées Pa
nines (ou Carthaginoiſes.] PubliusCor
n
nelius Scipion pere de Scipio l'Afri
cain , apres avoir deffendu les Sagun
tins,quiſe rendirent ſi recommandables
par leur fidelité & par leur extrémne di
fette , quand ils ſouffrirent avec tant de
conſtance le Siegedes Carthaginois ,qui
s'eſtoient opiniaſtrez à leur Siege , vou
lant aller en Eſpagnc pour leur donner
par Mer dans une
du fecours , il il yy fut
Flot te qu'il remp li t de bons Soldats.
Ma is Sa gu nt e ay an t eſté emportée de
e
vive forc par les Carthaginois , ne
pouvant atteindre Annibal , qui ayant
paſſé le Rolne trois jours auparavant,
tiroit du coſte de l'Italie , il fc remit ſur
fes Vaiſſeaux , & par une prompte navi
gation , ſur un eſpace deMer qui n'eſt
pas fort long, il vint à Génes Ville de la
Ligurie , pour l'obſerver à la ſortie des
Montagnes , afin que ſi l'occaſion s'en
offroit, ille battît dans la plaine, eltanț
fatigué de la rudeffe du chemin . Cepen .
CONSTANTIU S.
171
dant ayantfoin de toutes choſes pour la
ſeureté cominune , il fut d'avis que ſon
frere Cn. Scipion s'en allaſt en Eſpa
gne,pour arreſter Haſdrubal, s'il vou
loir faire une pareille irruption . Ce
qu'Hannibal ayant appris par des fugi
tifs, commeil eſtoit prompt & ruſé dans

.
toutes ſes entrepriſes, il vint ſousla gui
dedes gens de Turin e de Piémont, par
un lieu qui s'appelle trois Chaſteaux
[ Tricaſtin ] le long des liſieres de Vo :
contiens [ c'eſt à dire par Chambery ] aux
forţs des Tricoriens ( au pasde Cratex . ]
Et de -là il entreprit de s'ouvrir un che
min au travers des Alpes , lequel avoit
elté impenetrable juſques-là : & ayant
rompu par lemoyen du feu & du vinai.
gre la roche dure quis'éleve d'une hau
teur predigieuſe , parny les entortille
inens (cabreux de la Durance rapide , il
ſe jetta dans les Regions Hetruſques .
Voila pour ce qui regarde les Alpes.
Venonsmaintenant au reſte .

Hij
172 AMMIAN MAR. Liv . XV.

X.

Les Gaules Celtique , Aquitanique alio


Belgique , leurs parties principales,leur
figure , eller lesmeurs de leurs peuples .

Nciennement tous ces licux qui


connus ,
A eſtoient barbares & peu
eſtoientdiviſez , à ce qu'on dit , en trois
parties , en Celtes qui eſtoient propre
ment les Gaulois , en Aquitaniens, &
en Belges , tousdifferensdelangues , de
coûtumes & deLoix. La Garonne, qui
prend ſon origine aux Pyrenées, ſepare
lesGaulois quifont lesCeltes des Aqui
taniens : puis ayant abbreuvé pluſieurs
Villes, elle va tomber dans l'Ocean . La
Marne & la Seine ſeparent les meſmes
Gaulois du Païs des Belges : ces deux
rivieres affez groſſes s'eftant jointes
apres avoir couru dans la Province
Lionnoiſe , & avoir entouré dans une
Ifle le a Chaſteau des Pariſiens , appellé
Lutece , ils vont enſemble ſe jetter dans
la Mer aupres d'une forter efle appellée
b Conſtance.
De tous ces Peuples , les Belges o
eſtoient en reputation d’eſtre les plus
vaillins, parce qu'ils eſtoient plus éloi.
ĆONSTANTIUS. 1731
gnez de la politeſſe desPeuples civiliſez ,
n'eſtant pas effeminez par les de
& que
lices,ils avoiēr tous les joursdes guerres
à deméleravec les Germains; qui étoiét
au de-là du Rhin . Pour les Aquita-. '
niens , comine il arrive ſouvent chez
eux desMarchandiſes diverſes , pour le
commerce , à cauſe de leurs coſtes qui
font proches , s'eſtant laiſſés tomber
dans la mollefle ,ils furentbien aiſément
aſſujetis ſous la domination Romaine.
Or toutes les d Gaules eſtoient gou
vernées ſelon leurs Loix : niais ayant
enfin cedé aux Armes de lules le Dictz
teur , qui les y obligea par la force des
armes & par des guerres continuelles, $
elles furent diſtribuées en quatreparties,
deſquelles la Narbonnoiſe eſtoitunedes
principales, contenant en elle-melinela
Viennoiſe & la Lugdunoiſe. L'autre
avoit l'authorité ſur tous les Aquita
niens.Er deux juriſdictions en ce temps
là tenoientaſſujeries la Germanie fup
rieure & inferieure, & la Province des
Belges.
Maintenant on compte pour les Pro
vinces dans tout le circuit des Gaules, a
feconde Germanic , qui eſt diſtinguée de
la premiere , à commencer aux rivages
dela Mer d'Occident , & ſe trouve mu
H iij.
174 AMMIAN MAR . Liv . X V.
nie des grandes & opulentes Villes de
Cologne & de Tongres. Puis la pre
miere Germanie où il y a entre autres
places fortifiées Majance , e Vvormes,
Spire , & Straſbourg ,affez connuë par
la défaite des Barbares . Apres les deux
Germanies , la premiere Belgique s'é
tend f à Mets & à Treves , illuſtre ſe:
jour des Princes: puis la ſeconde Belgi

g
que eſt jointe à celle-cy , où ſont
Amiens , Ville excellente cittre les au
tres , & h Chaalons & Rheims. Parmy
les i Sequaniens nous avons vû k Be
Zançon & Baffe , qui en ſont les Villes
principales entre pluſieurs autres. Lionl
orne la premiere Lionnoiſe , & avec
Lion, m Chalon, Sens, & Bourges,avec
l'ancienne grandeurdesmurailles d'Au
thun . n . Dans la feconde Lionnoiſe , 9
Rouen & Tours , montrent une ville
appelléep Mediolane. Les g Tricaſtins
& lesr Alpes Greques & Puniques, ſans
parler de leurs moindres Villes ,'s ont
Avence , Ville à la verité maintenant
defcrre, mais qui n'eſtoit pas autresfois
depetite conſideration , comme les mai
fonsà demiy ruinées , le font bien voir
encore à preſent : ce ſont là les Provin
ces & les Villes ſplendides des Gaules.
Dans l'Aquitaine qui regarde les Pyre
CONSTANTIUS. 175
nées & cette partie de l'Ocean , qui tou
che à l'Eſpagne, la premiere Province
Aquitanique ſe trouve ornée de fort
grandes Villes : entre leſquelles , fans
parler de pluſieursmoins conſiderables ,
excellent Bourdeaux, Clermont,Sain
tes & Poićtiers. v Auſch & Bafas re
commandent la * Novempopulane.
Dans la Narbonnoiſe . Euli , Nar
bonne, & Toloſe tiennent le premier
rang, La Viennoiſe ſe glorifie de la beau
té de pluſieurs Villes , les principales
deſquelles ſont Viennemeſme, Arles, &
Valence ; & l'on y joint Marſeille , de
qui nous liſons que Roinea quelques
fois profité de ſes forces , l'ayant affo .
ciée à ſes intereſts. Aupres de ces Villes.
là ſontzaufli Aixaa Nice & Antibe, &
lesifles bb d'Heres.Erdurant que 17OLIS
fomines venus à parler de ces quartiers
là pár la ſuite de noftre diſcours , coilſe
coitmalà propos de nerien diredu Rof
ne qui eſt certainement un fleuve de
grande reputation .
LeRhołne prend la fource aux Alpes
Panincs d'où il fort avec abondance
d'caux , & ſe répand dansla plaine avec
impetuoſité , il couvre ſes rives de les
propres richeſſes , & ſe jettant au tra
vers d'un lac appellé Leman , il le cou
нiiij
126 AMMIAN MAR . Liv. X V ..

pe par le milieu , & ne meſle point fes


eaux avec les ſiennes :mais coulant ſur la
ſurface d'une onde pareſſeuſe,il fe cher
che une ſortie , avec rapidité . D'où
vient que ſans porter dommage
quoy

‫مردم‬
que ce ſoit, il paſſe en Savoye & dans
le Païsdes Sequaniens : & s'éloignant
de- là en continuant ſon cours , il refer
re la Province Viennoiſe de ſon colte
gauche,& preſſe la Liönnoile de ſon cô
té droit. Puis ayant couru des eſpaces
tortueux, il reçoit l'Arar , qu'on appel
le la Saone , qui apres avoir coulé au
travers de la premiere Germanie ,y vient
perdre ſon nom au lieu où commencent
les Gaules. De-là , les chemins ne ſe
meſurent pluspar lesmille ,mais par les
lieuës. Puis le Rhoſne s'eſtant accru par
deseaux eſtrangeres porte de grandiffi
mes Vaiſſeaux , leſquels le plus ſouvent
ſontpouffez par le vent ; & quand ce
fleuve a terminé le cours que la nature
luy a preſcrit , il s'incorpore tour boüil
lonnant d'efcumedans la Mer Gallique
par un fin fort ouvert , qu'on appelle
Angrade; qui eft à dix -huit mille d'Ar
les. Que cecy nous ſuffiſe pour laſitua
*cion des lieux. Maintenant , je diray
quelquechoſe de la figure & desmæurs
des gens de ce Pais-la .
CONSTANTIUS. 177
dd Les Gaulois ſont preſque tous de
haure ſtature , & d'une carnation blan
che & vermeille , ils ont le regard terri
ble , font enclins à faire des noifes , & .
n'ont pas moins d'infolence qued'au
dace. Etcertes un gros d'eſtrangers n'en :
pourroit ſupporterun ſeul , dans la ve
hemence de la colere li fa femme s'en .
meſle encore plus forte que luy & yêu
tuë de couleur bleuë , & ſur tout quand
Cette femme gonflantla gorgeſemet en
colere , & qu'elle décharge de grands
coups de ſesbras blancs come la neige,
ou que dés lemoment qu'elle ſerre les
poings,elle leve auſſi la jambe,ruantdes
coupsdes pieds& des poingsavecautant
d'impetuoſité que ſi c'eſtoit quelque ca
tapulte dont l'on euit deſferré les nerfs ,
cntortillez . La voix menaçante de plu .
Gieurs donne de la crainte , & de ceux
meſmes qui font adoucis comme de
ceux qui ſont en colere. Ils ſont tous:
neantmoins fort propres , & ne ſouf .
frent point d'ordure. Et dans tous ces.
quartiers-là , & principalement parmy
les Aquitaniens , on n'y pourroit trou
ver commeailleurs , un ſeul homme ou :
une ſeule femme, quoy que fort pauvre,
quireuſt des habits ſales ou déchirez.ee
Toutâge y eſt propre pour la guerre , &
HV
AMMIAN MÅR . Liv . XY:
le Vieillard s'y porte de ſoy-meſmo
avec autant de courage & de vigueur
que le jeune homme ; ayant endurcy
fon corps à la gelée , & à la fatigue con
tinuelle , mépriſant tout ce qui eſt à
craindre. Ny jamais quelqu'un parmy
eux , comme en Italie apprehendant
d'aller à la guerre, ne ſe couppe le poul
ce, qu'ils appellent en feraillant par un
mot du Païs ff Poltrons & Pagnotes. Ils
ayınent le vin , & affectent tout au moins
deboire des choſes quireſſemblent à du :
vin , outre leſquels il y a depetites gens
quiont l'eſprit émouſſé pour eftre pref,
que toûjours yvres. Ce qui eſt une eſpe:
ce de fureur volontaire qui les porte
‫میم‬
des extravagances.des - ordonnées ,ſans
ſçavoir ce qu'ils font, ſelon la penſée de
Caton ; afin que paroiſſe veritable ce
que dit Ciceron dans ſon Oraiſon pour
Fontejus , Que lesGauloisapres tout cela
n'en boiront pas leur vin plustrempé. Et
tiennent que demettre de l'eau dans du
vin , c'eſt y mettredu poiſon .,
Ces Nations, & principalement celles
qui ſont voiſines de l'Italie,ſont venuës
inſenſiblement avec peu de peine louis
l'Empire Romain . Elles en ont eſté
premierement textéespar Fulvius : puis
Sextius les ayant laffées par de petits
CONSTANTIUS. 179
combats , enfin Fabius Maximus les a
domptées. Ce quiſe fait connoiltre en
core par le- ſurnom d'Allobrogique ,
qu'ilremporta apres qu'il eut vaincules
Allobroges, les plus rudes de tous les
Peuples de ces lieux -là : car Ceſar ſub
jugua toutes les Gaules apres des pertes
mutuelles pendant une guerre de dix
ans, fi ce n'eſt celles qui eſtoient inac
ceſſibles dans des lieux mareſcageux ,
commenous l'apprenonsde Salluſte , &
les joignit à noſtre ſociecé par des al
liances eternelles: le me ſuis un peu .
bien écarté de mon ſujet:mais je retour
nc enfin au lieu d'où je ſuis party.

XI.

L'estatdesGaules fous les Empereurs Cont:


Stantiu Iulien .

Omitien ayant finy par une mort


' cruelle , Muſonian fon ſuccél
ſeur gouvernoit l'Orient ſous l'autho
rité de Prefect du Pretoire , recomman
dable par la facilité qu'ilavoir de bien
parler l'une & l'autre langue: D'où vint
qu'il fut élevé plus haut qu'il ne l'euſt:
oté cfperer. Car, commede ſon temps ,
Conítancin faiſoit rcherche des fectes
180 AMMIAN MAR . Liv . XV.
de diverſes ſuperſtitions , telles que des:
Manichéens & autres ſemblables , &

-
qu'il ne s'y trouvoit pointdebon inter
prete , il choiſir celuy.cy comme tres
Capable , qui pour s'eſtre adroitement
acquité de cette Charge luy voulut
donner le nom deMuſonian :car il s'ap
pelloit auparavant Strategius. Et de- là,
ayant paſſé par degrez à tous les hop
neurs , il monta enfin à la dignité de
Prefect , eſtant d'ailleurs prudent , pro
pre à divers emplois , doux & affable;.
mais en toutes ſortes d'occaſions , & fur:
toutdans les jugemens des Procés , ce
qui eſt deteſtable , il eſtoit emporté par
le gain d'une fordide avarice : commeil
le parutévidemment entre pluſieurs au
tres dans les queſtions qui furent agi-.
tées au ſujet de la mort de b Theophile
Proconſul de Syrie , qui fut déchiré
par le Peuple dans une fedition ſuſcitée
par la trahiſon de Gallus Ceſar , où les
pauvres ayant eſté condamnez leſquels
ſe trouverent meſlez parmy les riches,
autheurs du meurtre , ceux-cy, furent
abfous ayant eſté dépouillez de leurs:

biens. En quoy il fut bien égalé par


Proſper, qui commandoit dans lesGaur
les en la Chargede Lieutenant du Colo
nel de la Cavalleric : c'eſtoit un homme
CONSTANTIUS: 181

fåns caur, qui avoit l'ameballe , & qui


commedit le c Poëte Comique.

Des Voleurs mépriſoit de l'art a la fi


neſle ,
Pilloit ouvertement, & déroboit fans ceffe.

A quoy s'accorderent ceux qui s'é-


toient enrichis par un ſemblable com
merce ; & les Capitaines Perfes , qui
eſtoient voiſinsdes Fleuves quand leur
Roy cut occupé les lieux quiſont ſur
nos frontieres , ſe jettoient par pelot
tons ſurnos terres , où ils faiſoient de
grands degats impunément , tantott
dans l'Armenie, & quelquesfois dansla
Meſopotamie , pour s'enrichir des dé .
pouilles des Romains.
182

se C
5ooooooooooooo

2009090 1999 509


es

REMARQUES

SYR

AMMIAN MARCELLIN .

SVR LE X Y. LIVRE.

Vtantquej'ay eſté capable de cor


noiſtre la verité. Ainmian Mar-,
cellin ayant fait ſes premieres
A Armes au coirmenceinent de
l'Empire de Conſtantius , s'acom
quit un peu deconnoillance des
choſ qui ſe paſſerent de ce tenips -là; mais
es
comme il eſtoit jeune , cette connoiſſance
eſtoit auſſi confuſe & imparfaite. Depuis
ayant atteint un âge plus avancé , les choſes
luy parurent avec un jugement beaucoup
plus raſſis. S'eſtant done appliqué à eſcrire
I'Hiſtoire , il en entreprit le dellein depuis le
cominencement de Nerva juſques à lamore
de Conſtantin , ſur les témoignages des Ang
nales , des Regiſtres publics & des Livres :
d'Hiſtoires qu'il avoit leus, Mais enfis ,
Rem . ſur le is.Livre d' Ammian . 183
eſtantparvenu au temps de l'Empereur Con
Atance , il a décrit ſoigneuſement les choſes
qu'il avoit vuës dans la jeuneſſe , ou qu'il
avoit appriſes de vive voix de ceux qui les
avoient connuës par eux -melines , comme
pourroient eſtre entre autres la guerre de
Magnence , & les actions & la mort de Gallus
Ceſar. Delormais il proiner de dire les cho
ſes qu'il a vuës dans un âgemeur . M.Valois
obſerve que toutle cominencementde ce Li
vre n'eſtoit pas intelligible dans les premie
res Editions devant Gelonius , la preiniere
quej'en ay yuë eſtde 1591. à Lion,de laquelle
i jemeſuis fervi devant que d'avoir vú celle
de M. Valois , & m'a ſemblée aſſez correcte.
b Veteranion . Il eſt appellé dans les. Mona
noyes antiques FlaviusVeteranio.
c Mon eternité. Conftantius qui oſtoit fa
qualité Néternel à lesus-CHRIST parce
qu'il eſtoit Arrien ,,ne faiſoit point de Tcru
pule de ſe l'attribuer, comme Saint Athanaſe
qui vivoit de ſon temps le luy a reproché
dansſon Traité des Synodes de Rimini & .de
Seler:cie contre les Arriens,
d Du Chateau de Maccello. C'eſt une place
dans la Capadoce quiappartenoit à la famil
le Flavienne, où lülien demeura fix ans en
feriné avec fon fiere , ſans y eſtre viſité.que
de ſes proclies, dont Iulien faitmention luy
meſmedans ſon Epiſtre au Peuple d'Athenes.
Les paroles du teste font à Macelli.fundo .
Pour dire que ce lieu - là eſtoit du Doinaine
des Princes. Sozomene le nomine de la meſa
meſorte au 2. Chap.dus. L. & apres luy Cc
drenus & Nicephore Calixte au deuxieſine
Livre ,
& Maiſtre de Chambre de Cefar , comme nous
184 Remarques
pourrions dire grand'Chambrier, ou Chain
bellan ; ou preinier Gentil - homme de la
Chambre , Cuithalamicura commifa .

HI.

* A labore de bouw.ou Arborius,felor


7 Cibyratesdu temps deVerres. Il fait icy al
luſion à quelques paroles de Ciceron dansla
3. Verrine , où il entend ſous un nom de
chiens Tlepolome & Hieron freres Cibyra
res , qu'ilappelle auili chiens Cibyrates dans
la 4.action contre Verres.
c. Dans le païs des Daces. Il avoit dit vers le
commencement du 14. L. que Pauleſtoit nay.
d'Eſpagne . Si bien qu'il faut qu'il y ait erreur
ca l'un ou en l'autre lieu ..
d :Gardien du Regiſtre.ou plutoft Officier de
la Sale , ou l'on preparoit la Table & les Sie
ges pour le feſtin , Turquoy il ſeroit un peu :
long d'examiner les raiſons de part & d'au
tre , pour éclaircir lequel ce pourroit eſtre
des deux, fans qu'on en puſt tirer d'ailleurs
beaucoup d'utilité , outre que je ne voy pas
que ces fortes de choſes là peuſſent ſervir de:
beaucoup à la connoiſſance de l'Hiſtoire.
é par le talon . D'autres avec de la chaulx .
f Le Comte des fonges. Car j'ay leu Comer
fomniorum , & non pas ſolemniorum Comes,
pour les raiſonsde la ſuite .
& De Meſtre de Camp. Ou de Mareſchal de
Camp , ex Campiductore.
III.
Es plaines de Kaines pour ces mots Cam .
* Love
Polguse vinit Caninos, les Alemans les ap
für le 15. Livre d'Ammian . 185
pellent Chraspundiner , dans le païsdesGri
fons.
b Lac de Brigance , du mot Brigantia lacus.
dans la Rhecie ou le païs des Griſons, qu'on
appelle Bregent. C'eſt aujourd'hùy le lac de
Conſtance. Il y a une Ville des Segufiens ap
pellée auffi Brigantium par Strabon , Ptolomée
& Antonin , laquelle eſt connue dans le Dau
phiné ſous le nom de Briançon .
c Les promotes. Il en eſt parlé dansla No
tice de l'Empire, auſſi bien que dans le der
nier Livre de cette Hiſtoire , où il dir que
Potentius Tribun des Promotes fut tué. lay
icy adjouſté , ou les OfficiersReformez , quel
ques-uns ayantcte que ce lieu le devoit ainſi
interpreter;mais il n'y a pas grande apparen
te,quoy quenous fçachions beaucoup mieux
ce que c'eſt d'oficiers.Reforinez , que de
Promotes , qui eſtoit le nom d'une troupe Ro
maine.

IV .

Iluanus, il y a le capitaineque j'ay déja


nommé. Nominato jam ducé. C'étt á dire
Sylvanus.
6 Pour la gardedes Rooles , ou pour tenir Rea
giſtre des beſtes d'atirail : car il ne faut pas
..

prendre icy A uarius ſarcinalium principis ju


mentorum , pour le noin propre d'un homme
écrivant Atuariüsparun grand A. mais pour
une qualité. Et c'eſt en ce ſens que dans la
Loy 21. & 22. du Code Thcodoſien , au titre
dediverſis officijs, il faut entendre Adriarius
Thymela equorumque curulium .Ce qui fe prend
pour l'artiraildu bagage.
¢ De Lampadius, Žozimc en "fait 'méation
186 Remarques
dans ſon 2. Livre avec Dynamins & Picen
tius qu'il dit eſtre autheur de la mort do
Gallus .
d Maiſtre des Regiſtres ou des Mensoriaux,
C'eſt à dire , qui avoic la charge dedicter &
d'envoyer les petits Brefs , & les Lettres de
Cacher du Prince ſouſcrites de la main.com
me il eſt marqué dans la Norice de l'Em
pire .
e Capitaine des Gentils- hommes , ou desgers
des Provinces, ou des Etrangers ,pour le mos
Gentilium Rector , carce terme là peut ſouffrir
diverſes interpretations.
f Tribun des Armes , chargé du ſoin des ar
meures des gens de Guerre pour ses inots,
Armaturarum Tribuno : car on appelloit Trike
tuns dans les choſes de la guerre , tous coux
quiavoient les principales charges de l'Ar
ince ,
g Vn Auditeur cô Contrôleur des compteso ,
C'eft ainfi que j'ay crû pouvoir tourner aſci
toque Rationali; car que ſeroit-ce autre chofe
que ceux qu'ils appelloient Rationales, lel
quels avoient ſoin de prendre garde & de
veiller aux aubaines & aux biens vacants
pour les confiſquer au profit du Prince , ou
bien de payer les Troupes & les Officiers
d'Armées & de Police , qui eſtoient dans les
Provinces ? On les appelloit auſſi Comites
largitionum , comme il le voit dans la Notice
de l'Empire. Mais il feroit difficile de dire
icy , ſi ces fortes de Receveurs ou decompta
bles ou.de paycurs , eſtoient pour lesaffaires
particulieres ou pour les publiques. Il fem
ble neantmoins que la cliarge de ceux.cy
eftoit d'employer les revenus des Domaines
particuliers à deslargeſles publiques, c'eſt à
ſur le 15. Livre d ' Ammian . 187
dire au payement des perſonnes employées
aux Charges publiques.
Les François . Ce qu'il dit icy du credit
A des François , & non pas des Gaulois ,
la Courde l'Empereureft confiderable , pour
marquer leſtime qu'on faiſoit dés lors de
11 cette Nation .

V.

' Ayant point encore de Charge. Je croy


' N qu'il ne faut point chercher icy d'ad
tre interpretation au moi Candidatus , bien
qu'il y cuftdeux Colleges de ces Candidats
ſelon la remarque de Monſieur Valois,des
anciens & desjeunes , les uns du fixiéme, &
les autres du feptiéme College,le vieuxGore
dian ayant inſtitué les anciens, & Gordian le
jeune ceux quisortoient lameſıne qualité de
jeunes, les premiers forts & robuftes , & les
autres qui n'eſtoient pas entierement for
mez, choiſis de l'ordre de ceux qui s'appli
quoient à l'eſtude des diſciplines dans les
Academies.
b supres de l'Empereur Conftans lors qu'il
mourut.Il fut tuéparGaïſo dans la faction de
Magnence , en une Ville appellée Helene,
Sergius & Nigrinianus eſtane Conſuls. C'eſt
à dire l'an 350.tout lemonde ayant abandon
né cét Empereur , excepté taniogaïſe qui
eſtoit alors Candidat , comme l'eſcric icy
Ainmian ,
>

c ParleMaiſtre des Ceremonies. Pour ces pa


roles per admiffinum Magiftrum . Qui ne le
peut interpreter autrement , àmon advis; cec
te Charge cftoit ſoumiſe à celle de Maiſtre
des Offices comme il paroiſt par la Notice de
es
188 Remarqu
l'Empire , & dont auffi Caffiodore peut eftre
téinoin dans ſon fixiémeLivre,in formula Ma.
Siſterie dignitatis.
d Qu'on ne l'avoit fait auparavant. Apres
cesmots , il y a une lacune de peu de paroles
de manque , pour dire ſeuleinent qui eſtoit
le Prince qui avoit le premier introduit la
couſtume de ſe faire adorer, eſtant reveſtu dw
manteau de Pourpre. Eutrope & Aurelius
Victor l'attribuent à Diocletien .
e Cette sentence de Ciceron 00:6. Elle ne le
trouve pas maintenant dans lescuvres,com
med'autres l'ont remarqué, & il ne faut pas
douter qu'il n'y en ait beaucoup de cér excel
lent Autheur quine ſont pas venuës juſques
à nous.
f Pour prier à la modedesChreſtiens.Cecy don
ne ſujet de croire que Sylvanus François de
Nation eſtoit Chreſtien , lequel fut tué l'an
née du Conſulat d'Arbetion & de Lollian qui
eſtoit la 355. de noſtre i'alut, & il y a desMon
noyesde luy , ſelon le témoignage de Gol
zius, quiportent en leur Legende Dn. Fl.Sila
vanus. P. F. Aug.
8. Bonite , ou Ponite , ſelon l'Edition Ro.
maine ,

VI.

offres de l'Eſpargne des Gaules. Ils étoitt


" Copenreſervez pour les emplois importans,
& on diſoit que céc argent eſtoit deſtiné pour
les ſacrées largeſfes, & ceux qui les avoient
en garde eſtoient ſous la difpofition ou l'in
tendance du Comtedes largeſles , coinme il
paroift par la Noticede l'Empire , dontAm
ſur le 15. Livre d'Ammian . 189
mian fait encore inention au 22. Livre.
6 Du Conneſtable , ou du maiſtre des Armes ,
Armorum Magiftri, il parle icy d'un principal
Officier de ce Maiſtre des Arines, que j'ay ap
pellé Commiſſaire Contrôleur pour ce mot Ra
tionario apparitionis , quipourroit eſtre auſſi un
Treſorier payeur .
b officier dela maiſon de Sylvanus. Pour le
mot Silvani Domeſticus. Ces Domeſtiques
cſtoientdes Appariteursou des Officiers des
Juges , tant pour les cauſes civiles que pour
les cauſesMilitaires , comine il paroiſt par la
Loy 3 . du Code Theodoſien des Affeffeurs ,
Loy16 . & 17.ilne faut que cesgés cy avec ceux
qu'il appelle ailleurs Domefticos Protectores.
c Septizone. C'eſtoit un baſtiment ſuperbe
de ſept étages l'un ſur l'autre , proche du
Capitole ,dont il reſte encore quelques ve
ftiges.
d Des Thermes, ou des Fontaines , pour le
mot Nymphaum Marcus condidit. Ne ſeroit- ce
point les Thermesde Marc Antonin ?
f Liberius Preſtre de la Loy Chreſtienne. Ou
Eveſque, Antiſtes Chriſtiana legis ; car il eſtoit
Eveſque de Rome, & le fut 15 ans , quatre
mois & deux jours , & 'mourut le 13. jour de
Septembre de l'année 367. Il fut relegué en la
quatriéme année de ſon Pontificat en la Ville
de Berée de Thrace , d'où il ne fut rappeile
que pour ſouſcrire en faveur de l'Arianiſine ,
Telon les intentions de l'Empereur.
& Qu'ils appellent Synode. Un Payen parle
des affaires des Chreſtiens, ſans prendre part
à leurs differens.
Athanaſe Evefque d'Alexandrie. C'eſt s .
Athanaſe perſecuté pour la Foy de l'Egliſe par
les Arriens. Ce qu'en dit icy l’Autheur inas
190 Remarques
quebien l'eſtime qu'il faiſoit de luy , & 24
tribuë à la ſcience le don qu'il avoit de faire
desmiracles, & de prédire l'avenir.
i La Ville eternelle , Rome dont Liberius
eſtoit Evefque.

VII,

Vlien son Couſin germain. J'ay déja dit de


quelle ſorte Julien eſtoit Couſinde Có
" Jquien
ftantius,mais je ne ſçaurois obinettre de di
reicy que comme on luy eutapporté la nou
velle que l'Empereur l'ayant appellé pour
huy conferer la qualité de Ceſar , & l'obliger
de quitter l'Academie d'Athenes , il pleura
amcrement. Et Libanius ajoûte dans ſon
Oraiſon funebre, qu'il faigna du nez pour la
crainte & pour l'effroy qu'il en conceut, quel
que intrepide & valeureux qu'il fuft.
b La Reine ſeule . Il donne ainſi ſouventda
qualité deReine à l'Imperatrice , commeun
nom beaucoup plus grand & plus venerable
que celuy d'Auguſta .
c Iulien . Si je Tuivois inon inclination j'és
crirois Iulian , & non pas Iulien ,mais il ſe faur
ranger à l'avis de ceux , qui contre les regles
& l'ancien uſage, préferent la prononciation
de l'e , à celle de l'a , parce que nous diſons
Chreſtien , Tertullien , Sebaſtien , & non pas
Chreſtian , Tertullian , ego Sebaſtian . On y pour
roit inetire neantmoins, ce ine ſemble,de la
difference ou de la diſtinction . Mais toutes
lesraiſons quenouscn pourrions alleguer ne
ſeryiroient de rien ,
d c'eſt de vous. Il y a certainement de l'elca
gance en ces diſcours de l'Empereur Con
Itantius, pour l'adoption de ſon Coulin Jus
sur le 15. Livre d ' Ammian . 191
fien , & l'Autheur quiles rapporte y conſerve
bien la reputation .
e Arbetion og Lollian eſtant Confuls. Ce fuç
donc l'annéežss. de Noitre Seigneur.
f sa mart eſt empourprée, for deſtin l'empor
se. Il ne marque pas le lieu d'où ceVers d'Ho
mere a eſté tiré , lequel le pourroit traduire
plus litteralement; mais il y faudroit plus de
paroles qu'il n'en peut contenir dans un ſeul
Vers,pour le ſensde ces mots Latins Corri
puit lethum purpureum , en fati fors robufta ,
qui tournent litteralement le Grec,

VIII.

hommes, commenous l'apprenons de


Zozime au 3 . liv . Ce
que Libanius confirme
encore dans ſon Oraiſon Conſulaire à Ju
lien . Et dans celle qu'il prononça depuis à
ſa loüange dans la ceremonie de ſes obſe
ques, il n'en compre que trois cens.
b Vn ouvrage plus grand , & c. Pources pa
róles, Majus opusmoveo majorque mihi rerum
nafcitur ordo. C'est le 44. Vers du 7. liv . de
l'Eneïle que j'ay rendu d'autre ſorte dans la
Traduction entiere que j'ay faite de cet ou
vrage, & de toutes lesOcuvresdeVirgile en
Vers .
IX .

d'Alexandrie
Tamamen der er, fils
talis du Maiſtre de la
dunMaithericien
Monnoye Royale. Ayant eſté pris par Gabi
nus, il futamené à Rome, & de captif ilde
vint cuiſinier , & de cuiſinier il devine coş
ducteur de lictieres , & de là ſon bon - heur
192 Remarques
fut ſi grand , qu'il parvint à l'amitié d'Augu .
ſte : Mais ayantméprisé une li bonnefortu
ne, Ceſar s'en mic en colere de celle ſorte ,
qu'illuy deffendit l'entrée de la maiſon , &
le porta par le déplaiſir qu'il en eut à bidler
les Hiſtoires qu'il avoit écrites des choſes
memorables qu'il avoit fajces, au rapportde
Sencque dans ſon 10. liv .des Controverſes.
Depuis il vieillit auprés d'Aſinius Pollio, &
fut aiıné de toute la Ville ; ainſi que nous
l'alleure l'autre Seneque dans ſon 3. liv.de
la Colere. Quintilien fait un jugement de
luy fort favorable dansſon 10. liv. Quinte.
Curſe en parle dans ſon 9 . liv . Et Jolepla
dans ſon 2 . liv.contre Appian, auſſi bien que
Saidas ſous lenom de Tiinagene , & Horace
dans ſa 19. Epiſtre à Mecenas,où ildit que la
langue Hyarbite quiveut imiter celle de Ti.
magene,ſemet en piecespouracquerirla re
putation d'eltreun hommepoly & eloquent.

Rapit Hyarbitam Timagenis amula lingua ,


Dum ftudetVrbanus,tenditquedife £tus haberi.

b Aborigeres. Ce ſont des originaires d'un


païs, ou les premiers quiont habité quelque
païs que ce ſoit, ou qui ſont venus de loin
habiter dans un païs,commeles Scythes dans
le païs des Parthes, les Atheniens dans A
kie, les Phrygiens dans l'Italie , les Pheni
ciens dans l'Afrique , quiſont les exemples
que Terrullien a choiſis ſur ce ſujetdans ſou
livre de l'Ame.
c Les Ce'tes qui tirent leur nom d'un Roy.
Parthenedans les Erotiques au chap:30.écrit
qu'Hercule retournāt d'Erithie,& voyageant
dans un païs qu'on appelle maintenant le
Païs
furle 15. Livre d' Ammian .
païs des Celtes, vint chez un Roy appe193 llé
Britannus, dont la fille appellée Celtine ,
eſtant devenuë amoureuſe d'Hercule , luy ca
chales bæufs qu'il avoit enlevez à Gerion ,
& ne les luy voulut point rendre que le He
rosn'cuft couché avec elle , & que de lå elle
cut un fiis appellé Celte,de quiles Celtes ont
pris leur noin .
d Les Drofides , ou Dryfides , commeil ſe lit
dans les anciennes editions de Pline, quipou .
roient bien eſtre' les ineſme's que les Druy
es ,
e D'ox ils furent chafez par les inondations
de la Mer . Les Anciens ont dit cela mefine
des Cymbres & des Ambroncs , ſelon le té
moignage de Strabon en fon 7. liv . Mais
Pollidonius a refuté ces choſes-là , comme
des fables , n'entendant ces inondationsde
Mer que du flus & du reflus,
f Baftirent Velie. Herodote en parle dans
fon 1, liv, aufſi bien qu'Antiochus fils deXca
nophane, dans le 6. liv . de Strabon .
& Marſeille. Il y a deux opinions touchant
la fondation de Marſeille. Les uns l'arcri
buentaux Phocenſes chaſſez de leur païs par
Harpale General de l'Arméede Cyrus Roy
desPerſes, dontles unsbâtirent Velie , & le's
autres Marſeille, & cela du temps de Servius
Tullius Roy des Romains, ſix cent ans apres
qu’Enée fut entré dans l'Italie. C'eſt à dire
environ la 57. Olympiade. Les autres diſent
que Marſeille fut fondée par des Marchands
Phoceens long -temps auparavant, environ la
45 Olympiade ſous le Regne de Tarquin le
Priſque, dont Solin a parlé en ſon chap. 8. &
Juſtin dansſon 43. liv .
b Bardes,ou ſelon l'edition Romaine V as -
I
194 Remarques
des. Ces gens chantoient les louanges dos
Princes ſur des inſtrumens , & chargeoient
d'injures les Ennemis de leurs Roys.
i Euhages ,ou Eubages, qui eſtoient des Phi
loſophes quiobſervoient l'ordre des choſes ,
& difcouroien des plus ſublimes , pour en
rechercher les cauſes.
k Ils déterminoient que les ames eſtoient imq
morteiles. Ce que ne faiſaient pas les autres
Philoſophes, en quoy l'opinion des Druydes
eltoit plus conforme au deſir desautres hom
mes, mais il eſt vray que c'eſtoit dans le ſeil
timeur de Pythagore qui admettoit la crank
migracion des Ames.
ľ Les hautes montagnes qui ſont autour. Les
Alpes & les Pyrenées.
m V ne ſtation , ou logis , ou eſtape pour les
gens de guerre , ou hoſtellerie pour les pal
lans , il confondicy manfion avec ftation .
in Au ſommet de la Dame. Les termes ſont
ad Matrona porrigitur verticem , n'eſt ce point
le Mont de la Vauge , d'où la Marne prend
ſon orifte e?
ginau
» Cha de Briançon . C'eſt ce que l'Au
theur appelle Caftrum Virgantium , qu'il eſt
beaucoup mieux de lire Brigantium , comme il
y a dans Prolemée & dans l'Ireneraire d’A9
tonin , ſur le chemin d'Arles à Embrun , a
Briançon , à Turin , & à Milan en cette ſorte .
Ebrodunum , Rame, Brigantionens , ad Mortis fe
sufionem . C'eſt à dire Embrun , Rame, Brian ,
çon , Oulx & Suſe . Carfationem nomine.May:
fis,dont il eſt parlé un peu plus haut , le doit
catendre par Oulx .
1
fur le 15. Livre d'Ammian . 19.5

E -Chateau des Pariſiens. Pour ces pa


* LIE roles Pariſiorum Caſtellum Lutetiam no
mine. Car Paris qui portoit alors le nom de
Lutece, avoit un Chateau conſiderable dans
Une Ille que font les riviercsde Seine & de
Marne, jointes enſemble , leſquelles ſepa
sent les puis des Celtes & des Belges. Mais
pour le mor Caſtellum , il faut entendre
afleurémentune place forte qui ne laifloit
pas d'avoir l'étenduë & la conſiſtance d ' :
ne Ville. De là vient qu'il y avoitmeſıne un
Eve ( que des Chreſtiens dés le temps de
Decius, quand ſaint Denys , depuis Martyr ,
y fut envoyé l'an deux cens cinquante de no
ſtre ſalur.
b Conſtance Ce n'eſt pas Coutances daus
la baſe Normandie ; mais quelque place for
te à l'emboucheure de la Seine , telle que
pourroit eſtre le Havre ou Harfleur,qui s'ap
pelloit peut -eſtre anciennement Conſtantia ,
du nom del'Empereur Conftantius , Toit du
pere de Conſtantin , qui avoit eſté ſouvent
de ce coſté-là, ou du fils dumeline Conſtan
ſtin appellé Conſtantius.
..c Les Belges eſtoient les.plass vaillents. Il fait
icy alluſion à ce que Celar écrit de ces peu
ples au commencement de ſon premier liv .
de la guerre des Gaules.
d Les Gaules eſtoient gouvernées, j'ay ajouté,
ſelon leurs Caix , parce que cela ſe doit entena
dre ainſi, chacune ayantſes Loix & (es Coû
tumes particulieres,où il y avoit un fort grand
nombre de peuples , d'où ſont encore venuës
las Couſtumes de nos Provinces.
I ij
Remarques
e Vormes, Spire e Straſbourg . C'eſt ce qu'il
appelle Vangiones , Nemetes , en Argentoratus :
mais proprement Vvormes s'appelloit Borme
tomagum Nemetum , Spire Noviomagum ou No
viomagus , & Stralbourg Aogentoratum ou Ar
gentorate, qu'on a depuis nommé Argentaria .
f A Metz og à Treves. Il deſigne ces Villes
par le nom des peuples Mediomatricos en Tre
viros : car ces Villes - là s'appelloient propre .
ment Divodurum ou Divodurimedio pour Meiz
& Augufta Treverorum pour Treves.
8 Amiens. Illa marque auſſi par le nom des
Peuples de ce Païs : car le nom propre de la
Ville eſtoit Sammarobriga ou Sammarobrina ,
cóme quidiroit Pont ſur la Somme, interpre
tant le'mot Briga par un pont. Il donne icy une
louange confiderable à la Ville d'Amiens, qui
eſt encore aujourd'huy une fort belle Ville.
h Chaalons Rheims, qu'il marque par les
noinsdes Peuples Cathelauni & Remi: car les
Villes s'appelloient Durocatelaunum & Duro
cortorum , leinot Dura ſepouvant interpreter
par le mot de Vill e.
i Les Sequaniens. Les peuples de la Fran
che-Comt é.
K Beſançon do Bafle . Il marque ces Villes
lesnoins de Bifóncios & Rauracos , au lieu
de Vefontionem ou Velontine, & Arialbinum qui
par
eſtoit le propre nom de Baſle .
| Lion on l'appelloit Lugdunum Segulbano
rum , ou ſimplement Lugdurum ,quidovnoir le
nom aux deux Provinces Lionnoiſes , quide
puis ont eſté diviſées en deux autres, dont les
Metropoles , font Lion , Rouen , Tours &
Sens:Chalon ,Sens & Bourges , ces Villesmar
quées parles nomsdes Peuples ,Cabillones, $c
ſur le 15. Livre d'Ammian . 197
Fones et Bituriga : car elles s'appelloient pro
prement Cabellionem ou Cabellione,pour Cha
lon , Agedincum ou Agetincum , pour Sens, &
Avaricum pour Bourges .
n Autun , c'eſt afleurément l'Auguſtodunum
Eduarum des Anciens , quoy qu'elle ait ausſi
porté le nom de Flavia du nom de Flavius
Conſtantinus.
o Rosen en Tours, Les Metropoles de la 2 .
Lionnoiſe,marquées par les noms de Rotho
magi & de Turini , qu'on appelle auſſi Turoni
& Turones , & Turopii , lelquels comprenent
Sous eux les Bretons Armoriques, les Ange
vins , & les Manceaux . Le propre noin de
Roüen eſtoit Latomagum ou Rathumagus , ou
Rothomagus , & celuy de Tours eſtoit Cæſaro
dunum Turonun : car alors on ne comptoit en
core dansla Gaule que deux Lugdanoiſes , la
premiere diviſée avec la quatrieſme , & la
ſecondeavec la troiſieſme.
♡ Mediolane , ou Mediolanum , qu'il y a de
l'apparence que ce ſoit le Mediolanum Auler
corum des Anciens , qu'op a interprecé par
Evreux.
9 Les Tricastins,& non pas Tricaſſins.
♡ Alpes Grecques en Puniques > ou Penines
pourcesmots Alpes Graica dos Pænire. Les Al.
pes Grecques , ſonttproprement le petit Mont •
Saint Bernard , & le Mont Cenis : & pour les
Alpes Pænincs , elles font propreinent le
.
graud Mont ſaint Bernard , & une partie du
Mont Cenis. Leandre l'appelle Monte, di
Love .
ſ Avanche, pour lemot Aventicum , qui eſt
une Ville des Suiſſes de laquelle il eſt fait
mencion dans Tacite, Antonin l'appelle
I iij
1989 Kemarques
Aventiculum > & les Alemanis la Pomment
Miefelſburg.
Bourdeaux , Clermont, Saintes e Poichiers,
qu'il deſigne par cesmots Burdegala, Aruerning
Santonese Pictaui. D'autres liſent Burdigala:
& quant au propre nom de Clermont, c'eitoit
Auguſta Nemeto. La Ville des Saintongeois
portoit le nom de Mediolanum Santonum ,
Boictiers s'appelle dans l'Itineraire d'Anto
nin Limonum ou Lemunum .
Auſch & Bafous, pour ces mots Auſci
Vaſate, qui ſont les noms des Peuples plutoft
que des Villes : car Auch , ou Aux s'appelloit
Tliberte dans l'Itineraire d'Antonin . Pour Ba
fas, Aulone l'appelle Vafatas qu'ilſurnomme
arenofas, c'eſt à dire Sablonneuſes.
* La Novempopulane. C'eſt le nom d'une
Province de la 3. Aquitanique , qui s'appelle
ainſi de oeuf Peuples qui la compoſent dans
les,Dioceſes de Baras,deMende,de Xaintes,
Auch , de Cominges, de Colerans , de Tar
be,de Bayonne, & de Leſcar , la Province
s'appelle Gaſcogne.
7. Euje pourEluſa, ou Cluſa, cócurrente avec
Climbers qui eſt Aux , pour eftre la Metropo
le de la Novempopulane .
2 Aix , pour le mot Salluvij .de l'Autheur
ayant ainſi nomméles Peuples autour de la.
Ville d'Aix , qu'on appelloit Aquas fextias.
an Nice eś Antibe pour ces paroles Nicea (g.
Antipolis ,marquées dans l'Itineraire d'Anto
nir , Antipolim , Cemenelexm .
bb Les illes d'Hieres pour Injula Stachadesde .
PAutheur.
cc Il ſeroitmal à propos dene rien dire du Rhof
nes Auſſi en parle-t-il ſuffiſammenten ſuites
mais il eſt bien eſtrange qu'il n'ait pas dit un
ſur le 15. Livre d'Ammian . 199
ſeulmot de la Riviere de Loire , qui est
neantmoins le plus grand Fleuve des Gaules ,
où il n'a nóimé que la ſeule Ville de Tours,
laquelle eſtoit Metropole comme elle l'eſt
encore aujourd'huy des Cenomans ou des
Manceaux , des Angevins & des Bretons Ar
moriques. Et les Turini , ou Turones des an
ciens qui font les Tourangeaux , compre
noient ſous eux les autres Peuples que je
viensde nommer. Ce qu'il eſt encore aiſé de
jugerde deux réinoignages de Ceſar, & de
quelques autres Anciens. Ainſi je ne voy pas
pourquoy ceux d'Anjou , principalement le
hâlent tantde kommer leur Ville & leur Pin .
vince devantcelle de leur Metropole , fi ce
n'eſt parunevanité aſſez naturelle à ceux de 1
ce païs-là,pourdes cholesmeſines quiſouvent .
n'en valentpas la peine. Mais il n'y a point
d'apparence qu'ilsen doivent eſtre crûs , iront
plus que dans l'ordre des Generalitez de
France , de ne dire jamais la Generalité de
Tours ou de Touraine , comme on dit celles
de Paris, deLion , d'Orleans , deBourges ,de
Poidiers, de Limoges, de Rion , de Soiffons
d'Amiens ,deRouen ,de Caën & d'Alençon ,
de Chailons & deMoulins ,au lieu dequoy ils
diſent par quelqueſorte de petite jaloafie , la
Generalité d'Anjou , du Maine & de la Tou
ràine. Ce qui eſt pourtant aſſez malparler,
Tours n'eſtantpas ſeulement la Ville princi
pale de la Generalité , mais eſtant d'ailleurs
l'une des anciennesMetropoles de France , &
la capitale dela 3. Lugdunoiſe,commeRoiien
l'eſt de la ſeconde, Lion de la premiere , &
Sens dela quatrieſine , depuis diviſée de no
ſtre temps en la cinquierme pour Paris , au
jourd'huy la Rcine & Ja capitale de toutes les
Tiiii
200 Remarques
Villes du Royaume, & qui pour cela meſma
va naturellement à la dignité Primatiale , ſans
en excepter aucune , puis qu'elle ſoûtiene
avec tant de ſplendeur le TroſnedesRoys,
& qu'elle porte avec elle toute la magnifi ,
cence & toure l'authorité de l'Eſtat. Qui ſont
les raiſons qu'ont toûjours euës les princ
paux Sieges de l'Eglire, ſelon le jugementdes
Princes & des Nations ; à quoy les Prelats
meſmes ſe font rapportez
Orde ce que la Ville de Toạrs eſt la ſeule
noinmée de la Riviere de Loire dansAmmian
Marcellin , c'eſt une marque certaine , quc de
fon temps elle eſtoit tres- conſiderable , com
me elle eſt encore la plus grande, la plusbel
le , la plus populeuſe & la principale Ville qui
ſe trouvedans toute la troiſieme Lugdunoi
ſe , laquelle contientdouze Dioceſes , quatre
Provinces ſeculieres , & an Parlement tous
entier, qui eſt celuy de Bretagne eſtabli dans
la Ville de Renes, dont l'Egliſe eſt la ſeconde
de la Province de Touraine apres le Mans .
dd Les Gaulois. La deſcription qu'il fait icy
des Gaulois pourleurs mæurs & leur façon
de vivre eſt affeurémentune choſe ſinguliere,
mais ſur tout, ce qu'il y dir des femmesrobu
ſtes quiſe melloient dans les.combats,eſt une
choſe adinirable .
ee Tout âge y estpropre à la guerre. Cecymar ,
que l'humeur belliqueuſe de la Nacion .
ff Poltrons do Pagnotes. Pour le inotMurcos,
qui eſt un nom d'injure & de mépris contre
ceux qui ſe mutilent eux -inelines pouravoir
des pretextesden'aller poiņt à la guerre. Ce
que les Gaulois ne failoient point par pula
tronuerie, commebeaucoup d'Italiens.
88 Fulvins. Marcus Fulvius Flaccus Colle
fur le is . Livre d'Ammian. 201
gucau Conſulat avec Marcus Plantius Hyp
fæus, qui triompha des Gauies , comme il eſt
marqué dans le Prologue du 6o Livre de Ti.
te-Live , & dans le ſecond Livre de Velleius.
Pour Sextius qu'il nomme enſuitte, c'eſt Caïus
Sextius Calvinus qui fut Conſul avec Caïus
Caſſius Longinus duquel Strabon a parlé en
Con quatrieline Livre , Velleïus en ſon pre
mier, & le Prologue du 61. Livre de Tiré Li
ve . Quant à Quintus Fabius Maximus Allo
brogicus, il en eſt parlé dans le prenier Livre
de Celar , 8 dans la guerre Celtique d'Ap
pian Voyez auſſi les Faſtes de Calliodore , de
Sigonius, & de Cufpinian .

XI.

v ſonian . C'eſt Arian dont Si Atha


*M naſe a parlé dans ſon Epiſtre aux Soi
litaires , qu -il dit que Muſonian & Heſychius
amena avec foy les Euſebiens au Concile de
Sardis. Il en parleauſſi dans ſon Apologie à
Conſtantius, Il fut fait enſuire Proconſul de
L'Achaye par Conftantius, quand il eut éteint
la faction de Magnence , ainſi que l'eſcritLi
Banius dans l'Oraiſon qu'il compoſa de la
vie.
6 Theophile. Libanius efcrit que la mort de
ec perſonnage Conſulaire fut grandement de
plorée par l'Empereur Conſtantius.
c Le Poëte Comique. Il entend Plaure dans
fon Epidicusvers le coinencement ou Terpfio
dit Minus jam furcificus fum quam ante hac.
Epid. Quid ita ? Terp.rapio propalam . Et c'est
par excellence que Plaute eſtoit appellé:
par les anciens Poëte Comique , à la di
Ik
202 Remarques
ference de cous les autres. Monſieur Van.
lois qui cft un fort ſçavant homme, a fait
la meilleure partie des obſervations que
je donne icy en noſtre Langue , afin qu'el
les ſoient connuës de pluſieurs qui n'ont
pas fon Livre ſous la main , ou qui ſont .
reu verſez dans les connoiſſances de la .
Langue Latine.

Il ne faut pasoublier ſur le dixieſme


Chapitre, que l'Autheurayant parlé dç
Lion & de la Riviere de Saone, il obſerve
que de -là , on ne compte plus les diſtan
ces par lesmilles,mais parles lieuës, & en
parle en cette ſorte.Exindeque non milles
nis pafſibus, ſed leugis itinera metiuntur;
ſurquoy l'on peut remarquer qu'il em
ploye le mot lengis pour lieuës,& qu'ilne
faut donc point faire de ſcrupule de s'en
fervir écrivanten Latin , quand l'occa
ſion s'en preſente, & non pas dire comme
un (çavant hommedenoſtretemps dans
ſon Hiloire, altero lapide, pourdire deux
lieuës , ce quin'eſt ny vray , ny intelli:
gible.
• 203

英 英 英 英 英英 英 英 英

AMMIAN

MARCELLIN

LIVRE XVI. *

CONSTANTIVS

ET JULIEN .
1.

Eloges de lülien , qui laiſſant toutes ſortes


de delices fait beaucoup de chemin en
pen de temps , pour ſe rendre dans les
Gaules , où il range à leur devoir quel
gues Provinces revoltées , le fait avec
une diligence c une prudence nompa-:
reilles,parmy beaucoup demarques qu'il :
donne de fá valeur de ſa generoſité .

AN D'is que ces choſes ſe


paſfoient de la Corte a dans
T l’Empire Romain par l'or
dre des Deſtinées, Čelar qui
eſtoit à Vienne , fuit aſſocié à la dignité
1 vj
204 AMMIAN MAR. Liv . XVI.
Conſulaire par Augufte Conſtance , qui
fur b Conſulpour la huitiéme fois. Ec
comme Julien ſentoir la vigneur de ſon
courage, ilne fongeoit qu'à la guerre ,
& à reprimer l'inſolence des Barbares, ſe
preparant à recueillir le débris des Pro
vinces, pour en faire un corps d'Armée
conſiderable , s'il avoit quelque vent
favorable. Or puiſque les grandes cho
ſes qu'ilrétablit dans les Gaules par fa
valeur & par la felicité , excellent par
deſſus les memorables exploits de quel
ques anciens fameux , je veux bien en
faire connoiſtre ledétail par la ſuite , li
toute l'induſtrie d'un eſprit mediocre y
peut ſuffire ; auſſi ne manqueray - je pas.
de la recherchier ſoigneuſement , & de
l'employer ſur ce ſujet. Cependant tout
ce qui s'y dira ne ſera point controuvé
par des inventions fubtiles. La foy fin
cere y paroiſtra par tour, & lije dóne des
louanges à celuy qui les mérite, elles
ſeront fondées ſur la verité de l'Hiſtoi
re. On diroit qu'une certaine Loy.de
• bien vivre ne s'eſt jamais départie du
€cur du jeune Prince , dont j'ay main
tenant à parler, laquelle il a conſervée
dés le berceau , juſques au dernier ſou
pir de ſa vie . Certes il fit un fi heureux
progrez en touteschoſes, pour les affai
CONSTANTIUS ET JULIEN . 105
res du dedans & du dehors, qu'il fut eſti
méen prudence comme un autre Tire
filsde Veſpaſien .Dans le cours gloricux 2
des guerres qu'il eut à démeſler, il ref
fembla parfaitement à Trajan : il eut la
clemence d'Antonin : & n'eut pas
moinsde fageffe & de juſtice quel'Em
percur Marc Aurelle , qu'il prit pour
delle de ſes verrusdans toutes les actios
de ſa vie . Et dautant que, commenous
l'apprenons de Ciceron , la hauteur &
l'excellence de cous les Arts , auſſi bien
quedes arbres,nousdonnentde la joye,
il n'en eſt pas de meſme des fouches
& des racines. AinG: les principes & les
Rudimens, s'il faut ainſi dire , du benu
naturel de celuy.cy , eſtoient alors- ob
{curcis debeaucoup de nuages, qui de
voiếr devancer tousſes nobles exploits.
Et certes dés fa premiere adoleſcence,
commeErechthée, qui fut nourry dans
un lieu caché pour cultiver les Arts de
Minerve, il fut retiré de l'ombre du re
posde l'Academie, & non pas de la Ten
te militaire , pour paroiſtre dans le
champdeMars, où apres avoir terraſsé
la Germanie, & pacifié le Rhin , ily ré
pandic le ſang de pluſieurs Rois , quine
reſpiroient que la cruauté , & ailleurs.it
en mitd'autres dans les fers:
206 AMMIAN MAR . Liy . XVI,
Comme il paſſoit donc ſon hyver à
Vienne, veillant à toutes les choſes qu'il
y avoit à faire ;. entre tous les bruits qui
couroient , il apprit que les murailles
C d'Autun, qui eſtoit une ancienne Vil
lc , & d'un fort grand circuit , eſtoient
devenuës ſi foibles
par leur antiquité ,
qu'elles pouroient à peine reſiſter å Val
faut des Barbares : mais
que tandis que
la jeunemilicequialliegçoit:cette place,
cftoit dans l'oiſiveté , la vieille quieſtoit
allicgée, & quiveilloit inceſſaminét à ſe
conſerver , l'avoitdeffenduë, comme il
arrive ſouvent quedans le dernier deler:
poir, on repouſſe des dangers imprévûs.
Julien ne negligeoit donc rien de ſes
toins, pour y apporter les remedes ne
ceſſaires, & ſans écoûter les bafles Alar
teriesde ceux quieltoientautourdeluy,
pour le porter au luxe, & aux delices de
12 vie, ayant fait tous les apprefis qui
pouvoient ſuffire à l'execution de l'en
trepriſe qu'il avoit conceuë, ilſe rendit
le 24. jour de Juin à Autun , comme
un Capicaine vigilant , quin'excelloit
pas inoins en valeur qu'en bons.c01
leils, ayant deſſein d'attaquer les Bar
barres diſpercez çà & là , quand l'occa
fion s'en offriroit . Sa reſolution s'eſtant
donc formée, il prit des guides qui cons
CONSTANTIUS ET JULIEN . 207
noilfoient le païs, pour ſçavoir quel
cheinįn il choiſiroit pour le plus ſeur...
Car les uns diſoient qu'il falloit aller.
par icy & les aurres par là . Les uns te :
noient
que le plus ſeur eſtoit de paſſer
par les bois, & quelques-uns aſſeuroient
que le meilleur eſtoit d'aller par Saulieu
& par Core. Mais comme d'autres ad
joûtoient que Sylvanus, peu de temps
auparavant Colonel de l'Infanterie ,
eſtoit allé par le plus court chemin ,
quoy qu'il fuſtle plus dangereux , parce
qu'il eſtoit fort couvert, & qu'il y avoit
paſsé mal-aisémentavec huit mille hó
mes destroupes auxiliaires,Ceſar trouya
que le plushonneſte & lemeilleur eſtoit
d'imiter autant qu'il luy feroit poſſible ,
l'audace d'un fi vaillant homme. Et de
pourqu'il y eutle moindre retardement:
du monde,n'ayantpris avec luy que des
gens armez de toutes pièces , & des..
Rueursde pierreavec desmachines mal
propres à garder un General d'armée ,
ayant parcouru le meſmecheiningil vint
à Auxerre , où s'eſtant rafraîchy avec
ſesſoldats,apres un peu derepos, ſelon
ſa couſtume, il prit la route de Troye, &
obſerva les Barbares qui ſe mettoieut
par bandes pour ſe jetter fu : luy, ou
quand il les voyoit en plus grand nom

i
208 AMMIAN MAR . Liv . XVI.
bre, il reüniſſoit ſes troupes pour s'op
poſer à leur effort, de peur d'en eſtre ac
cablé. Se logeant quelquesfois en des
lieux avantageux , il en defaiſoit d'au .
tres facilement : & en prenoit quelques
uns que la terreur avoit livrez entre les
mains. Le reſte fe fauvoit à la fuite ,
mettant la confiance en fa legereté,par
ce qu'en effet la peſanteur des Armes
des Romains les empeſchoir de les ac
taindre, & ne leur permettoit pasde les
ſuivre li viſte. C'eſt pourquoy s'eſtant
afleuré par là , que l'eſperance qu'ila
voit conceuë de leurreſiſter ne le trom
poit pas , il vint à Troye parmybeaut
coup deperils , où il eſtoit lepeu atten
du, que cette Villene luy ouvroit point
fes
portes, par la crainte qu'elle avoit
des incurſions des Barbares , quoy qu'il
l'en euſt ſommée pluſieurs fois. Mais
enfin elles luy furent ouvertes parmy le
trouble où le peuple ſe trouvoit . Puis y
ayant fait peu de fejour,pour y rafraî
chir ſes ſoldats , il vint à Rheims, ou
eſtoit le rendez - vous de fon Armée , ne
croyant pas qu'il falluſt temporiſer. Il
luy avoit commandé de l'attendre en ce
licui- là , ſous la charge deMarcellus,qui
avoit ſuccedé à Vrficin , & fous l'autho
žitémeline d'Vrlicin, quiavoit eu.ordre
CONSTANTIUS ET JULIEN . 209
d'y attendre la fin decette expedition .
Enfin ,apres divers avis, quand il eut
plû à noſtre General d'attaquer les Al
femans dansles villages,les troupes s'é
tant aſſemblées , le Toldat у accouroit
1
avec grande allegreſſe. Et parce qu'un
jour humide & obſcurnous oftoit l'af
pect des lieux les plus proches, les En
nemis aidez de la connoiſſance du pais,
ayant pris une route oblique derriere
Ćelar , euſſent preſque'mis en picces
deux denos Legions, lil'alarme que dó
na le bruit de l'attaque, n'euſt fait tour
nef teſte aux troupes auxiliaires. De là ,
& toûjours depuis cette journée , qui
fut tres-perilleuſe, ce ſage Capitainene
s'engagea plus dans pas une route ou
paffage de riviere, ſansdéfiance ny fans
toutes les précautions neceſſaires, où il
évita également la precipitatio. Et cer
tes la principale qualité des grands Ca
pitaines , eſt de ſecourir à propos leurs
troupes, & de les fauver dans le peril.
Ayant donc appris que les Barbares
eſtoient en poſfellion des Villes de Stras
bourg,de Brucomat,de Saverne, de Sa
liſone, de Spire,de Vvormes & de M2
jence,& qu'ils occupoientleurs territoi
res ( car ils tenoient toutes ces places
comme enveloppées dans des rers
210 AMMIAN MAR. Liv . XVI,
dont ellesnele pouvoienr dépeſtrer ) it
ſe renditMaiſtre preinierement de Bru
comat : mais non pas.fansy, avoir trou

--
vé d'abord de la reſiſtance par les Alle
mans. Puis ayant divisé fon Armée en
deux pointes de Croiſſant, apres qu'il
eut fait le commandement à l'Infanteric
de donner , les Ennemis preſſez de la
forte, ſe virenten grand danger de pe
rir : auſſi y en eut-il quelques-uns de
pris , d'autres furent taillez en pieces
dans la chaleur du combat , & le reſte le
fauva comme il pût à la fuite ; car la
prompte retraite eſt le plus grand ſe
cours, où ces gens-là mettent leur con
fiance, quand ils ſont prelfez. Ainſi co

-
me il n'y eut plus perſonne qui luy fift
de reſiſtance, il voulut bien aller à Co --
logne pour la reconquerir , parce qu'el
le avoit eſté prifc par les Ennemis de
vant la venue de Cefar dans lesGaulcs ,
n'y ayant ny Ville ny Place fur cette
route-là, fi cen'eſt à Coublens , qui eſt
un lieu qu'on appelledela ſorte , parce
que les eaux de la Moſelle s'y affem
blent avec celles du Rhin , où ſe voit le
chaſteau de Rigodule , & une Tour qui
eſt proche de Cologne:
Quand ilfutdansCologne, il ne s'en
éloigna point qu'il n'cult affermy la
CONSTANTIUS ET JULIEN . 117

paix pour le bien de la Republique, à


qui elle futdepuis profitable,apres qu'il
eut donné l'épouvanté aux Rois des
François , & qu'il cut adoucy leur fus
reur: Auſli cette Place qu'il avoit con
quiſe eſtoit elle tres-forre, & ne faut pas
douter que de fr glorieuſes premicesde
les victoires 11e luy donnerentbien dela
joye: De Cologne,il vint à Tréves , &
de là il ſe rendit à Sens, commedansune
Place commode en ce temps- là pour y.
paſſer l'hyver, où traînanr, comme on
dit, le fardeau des guerres ſur les épau .
les, ilſe partageoit en divers ſoucis, afin
de remettre dans des lieux ſuſpects les
Garniſons qui s'en eſtoient retirées , &
2
dediſſiper les gens, quiavoient confpi
ré la
perte du nom Romain , donnant
ordre au pain de munition pour la ſub
fiſtance de l'Armée en quelque lieu
qu'elle fuft obligée de marcher. Com
me il eſtoit penlifà toutes ces choſes ,
pluſieurs ennemis le vinrent attaquer ,
ſous l'eſperance de reprendre des Places
qu'ils avoient perdiës , parce qu'ils
avoient appris de quelques transfuges
qu'il n'y avoit dedans ny földats ny
Gentils -hommes armez de boucliers ,
de peur d'y faire trop de dépence , &
ile AMMIAN MAR. Liv . XVI.
youlant vivre ailleurs plus commodem
ment. La Ville où il eſtoit eftant donc
bien fermée & munie de bons remparts,
& de bonnes murailles , on le voyoig
jour & nuit dans les fortifications , &
dans les Creneaux des Tours parmy les"
foldar's qui eſtoient en faction , ſe fâ
chant tout debon , lors que fon courage
Juy ſuggeroit ſouvent de faire des for
ties, & qu'il s'en trouvoit empeſché par
le peu de gens qu'il avoit autourdeluy;
Mais quoy qu'il en ſoit , trente jours
apres, les Barbares ſe retirerene avec
grand déplaiſir d'avoir entrepris lefiege
d'une ville où ils avoient fimal reülli.
Cependant ( ce qu'il faut attribuer à je
ne Içay quelle malignité de toutes les
choſes humaines ) d Marcellus Colonel
de la Cavalerie,ayant la charge depour
voir à tous les campemens qui ſe doi
yent faire en ces quartiers-là,manqunde
fournir lesmunitions neceſſaires à l'Ac
méedeCeſar,qui eſtoit en peril, comme
ſi la Ville venantà pâtir ſans ſon Prin
ce, elle euſt pû ſe garentir elle-meſme
des uniſeres qu'apporte un liege , quand
il eſt formé par des troupes nombreua
fes .
CONSTANTIUS ET JULIEN . 213

Les vertus de les grandes qualitez de


Tulien dignes d'un grand Prince.

Elar ſe trouvant delivré de cette


crainte par ſes ſoins effectifs, avoic
Cefan
pourvû à tous ces beſoins, afin delaiſſer
quelque repos aux ſoldats qui avoient
beaucoup fatigué ; & qu'apres un peu
de relâche & de rafraîchiſſement ils
peuſſent reprendre leurs forces . Quoy
que le païs fuſt dans la dernieremiſere ,
par les defolations frequentes que la
campagne avoit fouffertės , ſieſt- ce que
les terres dans leur grande diſette , ne
ui
Jaifferent pas de promettre encore quel
que choſe pour le coûtien de la vie,
Mais ayant donné ordre à toutes ces
choſes avec une diligence incroyable ,
& s'eftantremply l'eſprit de l'eſperance
agreable de jouir un jour des proſperi
tez d'unemeilleure fortune, il s'élevoit
avec un courage ſublime à de hautes
entrepriſes. Il ſe preſcrivit en premier
licu la temperance qui s'accomplit ai
mal- aisément, & la miten uſage , com
mes'il euft efté aſtraint par les loix qui
reglent la dépenſe & les excez , leſquel
2:14 AMMIAN MAR. Liv . XVI.
lesayanteſté tiréesdes ordonnances de
Lycurgue, & des inaximes a de Solon ,
furentapportées à Rome, & y furent
long-temps obſervées . Puis ayantvieil
ly peu à peu , le Dictateur Sylla les re
nouvella, ayant apprisdes Sentences de
Democrite , que la bonne fortune dos
- ne une table ſomptueuſe , & que la ver
1 tu n'en permet qu'une bien modeſte .
Ce que b Caton de la Ville Tuſculane,
à qui le furnom de Cenſeur fur donné,
parce qu'il fut moderé dans toutes les
actions de la vie, avoit prudemment de
finy , lors qu'il.dit ; que c le grand ſoin
de la bonne chere,eſt une grande negligen
ce dela veriu . Enfin , commeil liſoit con
tinuellement le ſommaireque Conſtan
tius luy bailla comme à ſon beau - fils,
quand il l'envoya dehors pour s'appli
quer à l'étude, & lequel il avoir.écrit de
la main , pour luy marquer toutes les
choſes qui devoient eftre ſervies ſur la
table de Celac,il defendit expreſsément
qu'on recherchaft pour cela ny d phai
fan ,ny poictrine,ny ventre de truye, &
ne voulutpas meſme qu'on en preſen
taft devant luy , parce que menant une
vie deſoldat, il ſe devoit contenter, dit
il,de choſes depetit prix, & de viandes
qui ſe trouventcommunément. Il arrir
CONSTANTIUS ET JULIEN . 265
ixa de là qu'ildiviſa pour ſoy les nuits e
en trois tempspour le ſommeil,pour le
Soin des affaires publiques, & pour l'en
tretien des Mules. Ce que nous liſons
que fit autresfois Alexandre le Grand ,
mais ce Prince icy le fit bien plus coura
geuſement : car Alexandre faiſant met
treun ballin decuivre auprés de ſon lit ,
& tenant en la main une boule d'argent,
ayant le bras étendu horsdu lit, lors que
le ſommeil venoit à relâcher la con
tention de fon bras, la boule qui luy
échapoic comboit dansle baſin , & du
bruit qu'elle faiſoit, il ſe réveilloit , &
revenoit de ſon aſſoupiſſement. Mais
Julien ſans uſer d'une pareille in ven
tion , veilloịc tant qu'il vouloir : & ſe
levant toûjours à minuit , non pas de
deſſus la plume,ny de deſſus les matelas
de foye, qui éclatent f d'une douteuſe
ſplendeur ; mais de deffus un tapis , ou
une couverture, que le peuple dans la
ſimplicité grolliereappelle Siſurne, qui
eſt un lodier faitde peau de chevre , ou
d'autres animaux, il faiſoit fecrertement
ſa priere à Mercure , queg la Theolo
gie dit eftre le ſens ſubtil du monde , le ,
quel reveille le mouvement des eſprits,
Etdanslemauvais eſtar où ſe trouvoient
alors les affaires Ņe la Republique , il
286 AMMIAN MAR . Liv. XVI.
s'appliquoit entierement au ſoin de les
rétablir. C'eſtoit là une partie de ſes oc
cupations ſerieuſes , leſquelles ayant
terminées, il portoit ſon eſprit à d'au
trespenſées pour l'exercer : & n'estt pas
croyable avec quelle ardeur, dans le dic
fir qu'il avoir de ſe perfectionner en la

-
connoiſſance des choſes ſolides & prin
cipales, comme s'il euſt manqué de ma
tieres ſublimes pour ſe nourrir, il rai
{onnoit avec une ſageſſe merveilleuſe
ſur toutes les principales difficultez de
la Philoſophie . Toutesfois les choſes
ſublimesne l'occupoient point de telle
ſoite qu'il mépriſaſt les moindres : car
on peut dire qu'il aimoit raiſonnabler
mentla Poëſie & la Rhetorique ( com
me le font bien voir ſes Oraitons & ſes
Epiſtres ,où la galanterie ſe trouve join .
te avec la gravité ) & qu'il ne haïſſoit
pas l'hiſtoire de toutes les choſes quiſe
paſſent chez nous, & parmy les Etran
gers. Surquoy il h avoit aufe fuffilam
ment l'uſagede la langue Latine, pour
en parler agreablement. S'il eſt donc
vray ce que racontenc divers Ecrivains,
quele Roy Cyrus, le Poëte Simonide ,
& Hippias d'Élée ,qui futun Sophiſte fi
vehement, eurent beaucoup dememoi
* re, parce qu'ils avoient pris des breu
yages
CONSTANTIUS ET JULIEN . 277
vages pourcela , il eſt croyable que ce
luy-cy eſtant forty de fa :premiere jeu
neſſe, avoit épuisé i tout le vaiſſeau de
lamemoire, s'il ſe peut trouver en quel
que part du monde que ce ſoit , tant il
eſt vray.de dire qu'il en cftoir doüć. Ce
ſont là les ſignes que la nuit nous don
nede ſa pudicité & de ſes vertus. Pour
Jes.choſes qu'il diſoit le jouravec toutes
les graces & toute la bien -ſeance qu'on
ſçauroitdeſirer,ou qu'il a faites dans les
preparatifs de guerre , ou dans les coin
bats qu'il a eus, ou dansles choſes civi .
les ,qu'il a moderées par ſamagnanimité
& par ſa liberalité , elles ſe feront voir A
chacunes en leur lieu , quand nous au
rons occaſion d'en parler .
Quand il fit ſon apprentiſſage pour la
diſcipline.militaire, à quoy il força en ſa
perſonne le Philoſophe & le Prince de
s'appliquer avec un ſoin laborieux pour
{e perfectionner en l'art de marcher de
bonne grace par.
la k Pyrrique, au ſon
des Hutes melodieuſes, il rappella ſou
vent ce Proverbe à lon ſouvenir , en
nommant Platon ,

1 Le bas ſe met ſur le ienne bouveau ,


Mais ce n'est pas noſtre propre fardeau .

K
218 AMMIAN MAR . Liv. XVI.
Les Agents dansles affaires ayant eſté
appellez au Conſiſtoire dansune certai
ne folemnité , pour recevoir de l'ar
gent, quelqu'un d'entre-eux le receut,
non pasayant étendu ſa caſaque, com
me c'eſt la coûtume, mais de ſes deux
mains. Surquoy l'Empereur prenant la
parole, c'est ainſi, dit- il, que les Agents
dans les affaires ſçavent prendre , e non
pas recevoir. Des parens deleur fille en
levée, l'étát allé trouver pour s'en plain
dre , celuy qui l'avoit violée ayant eſté
convaincu du crime, il ordonna qu'il
fult relegué : Et à ceux qui ſe plaigni
rent, que ce n'eſtoit pas un châciinent
dignedu crime, parce qu'ilmeritoit la
mort,ilrépondit, Quela Iuſtice accuſe.iuf
ques icy la clemence;mais que quoy qu'il en
i ſoit,il eſt toujours bien ſeant à unEmpereur
d'eſtre plus doux que les loix ne le font à
tout le monde. Comme il s'en alloit à une
expedition , & que pluſieurs ſe plaignirét
à luy qu'on leuravoit fait tort, il lesre
commanda aux Gouverneurs des Pro
vinces pour les oüir : Et, comme il fur de
retour, s'eſtant informe de la maniere
que chacun en avoit uſé , il adoucit au
tant qu'il pût la vangeance des délits.
Au reſte , fans parler de ſes victoires, par
leſquelles il a Louvent defait les Enne
CONSTANTIUS ET JULIEN . 219
mis qui ne purent reſiſter à ſon inviola
ble perſeverance , qu'il n'ait eſté fort
utile aux Gaulois, qui eſtoient reduits
à la derniere extremité, cela ſe voit bien
clairement, de ce que du teinps qu'il
vint en ces quartiers-là , il y trouva les
Triburs par capitation à vingt-cinq ef
cus d'or pour chacun , & quand il s'en
retourna, il m n'y en cut plus que fepe
pour toute ſorte d'impolition . Au fu
jer dequoy on ſe réjouiſſoit de le voir
comme un Soleil Terein apres des tene
bres épaiſſes .' Enfin nous ſçavons qu'il
a obſervé ucilement juſques à la fin de
ſon Empire & de ſa vie, qu'on ne don
neroit point les reſtes des impofitionis
aux coffres de l'épargne par les remiſes
qu'on appelle indulgences, parce qu'il
(çavoit bien que s'il n'en uſoit de la lor 1
ý moyen d'en faire
te , c'eſtoit le vray
profiter ſeulement les riches, qui n'ont
jamais halte de payer , & que paitant
les pauvres au commencement des im
poſitions ſont toûjours contraints de
payer leur taxe entiere , & de la payer
lans ſurcéance & ſans relâche quelcon
que. Toutesfois entre ces façonsde re
gir & degouverner, dignes de l'emula
tion des bons Princes, la rage des Bar
bares s'alluma de plusen plus. Er com
K ij
220 AMMIAN MAR . Liv. XYI.
mc les beftes, quipar la negligence de
leurs gardiens vivent de la rapine , à
quoy elles ſontaccoûtumées . quand ils
ſont éloignez , ou qu'on leur preſente
des beſtes plus fortes , clles ne ſe reti
rent point pour cela ; mais quand la
necellité qui les preſſe leur enfe le cou
rage, alors fans craindre le peril , elles ſe
jettent ſur les bæufs & ſur les troupeaux
champeſtres. Tout de meſme .ceux-cy
ayantconſumnétoutce qu'ils ont rava
gé, la famine les contraint quelquesfois
de chercher leurproye, & meurent quel:
quesfois devant que d'avoir attaint à ce
qu'ils pretendent avec tant d'ardeur.

III ,

Troubles dans la maifon de Conftantius


gui écoute toute forte de calomnie pour
le fait des crimes. Arberion pourfuivg
par quelques-uns, s'en échape heureu
fement. Iulien eſt luy -meſme accusé;
mais ilift deffendu parun Eunuque ap
pellé Eusherius, dont les belles qualitez
font repreſentéespar Ammian .

Eschoſes ſe paſſoientdans les Gau


CES (les cette année- là avec une eſpe
rance à la verité douteuſe , mais avec
CONSTANTIUS ET JULIEN . 221

à
din évenement heureux. Cependant
Ta Courde l'Empereur Conſtantius, l’en
vie abbayoit autour d'Arbetion ', qui
fembloit afpirer à la ſouveraine puiſ
fance,de laquelle il prenoit déja lesmar:
ques par tous les ornemens de la dignité
Imperiale . Le Comte Veriſſime, luy re
prochoit fans ceſſe ſon ambition , & di 14.
foit ouvertement que de ſimple foldat,il
s'eſtoit elevé au ſuprême degré deschar
gesde la guerre ; mais que ne ſe conten
tant pas die fi
peu de chofe , on voyoit
bien qu'il s'efforçoit de ſe mettre en
eſtar de nerien voir au deſſus de luy. Ces
luy quil'inquiera le plus, fut un certain
Dorus, qui de a Medecin qu'il avoir
eſté des porteurs de Boucliers , s'eſtant
vû elevé à la charge de Centenier des
choſes qui ſe doivent tenir propres dans
Rome, du temps de Magnence, comme
nous l'avons b -rapporté cy deuant', a .
voit acclisé c Adelphius Prefect de la
Ville d'avoir conçû des contrepriſes trop
hautes. Comme donc la chofe en vind

juſques à un point qu'il fallut s'cn in


former : 8c quetoutes les choſes necef
faires eſtant preparées pour cela , on
n'attendoit plus que les preuves de ce
que l'on avoit dit, auffi-toft à l'inſtance
de tous les domeſtiques de la chambre
K iij.
222 AMMIAN MAR. Liv . XVI.
du Prince , qui parurent en foule & en
tumulte , ainſi que le fit entendre je ne
{çay quelle rumeur opiniaſtre , les gens
qu'on avoit mis en priſon comme cou
pables, furent déliurez , Dorus s'éva
noüit, & Veriſſime ne dit plus mot,
comme un joueur de Comedie quand
les tapiſſeries de la ſcene ſontabbatue's.
En ce temps-là meſmeſur un bruit qui
s'eſtoit gliſsé, Conſtantius ayant appris
que Marcellusn'avoit pas donnéle le
cours qu'il pouvoirdonner à Ceſar qui
futaffiegé à Sens,luy ofta ſa charge , &
le laiſfa lans employ ; mais il en euttant
de reſſentiment , comme ſi on luy euſt
fait grand tort, qu'ilnemanqua pas d'ef,
ſayer à s'en vanger contre Julien , fur
l'afleurance qu'il eut que Conſtantius
avoit toûjours les oreilles ouvertes pouç
écouter les accuſations detoutes ſortes
de crines. C'eſt pourquoy , comme il
ſe retiroit , Eutheriuspremier Officier
de la chambre , fut envoyé apres luy ,
pour le convaincre, s'il avoit controu
vé quelque choſe. Mais luy , fans ſe de
fier de rien , vint à Milan , où il ſe tour
menta fort : Et comme il eſtoit plein de
vanité, & plusproche de la folie quede
la ſageſſe, ayant eſté admis au Conſeil ,
il cut l'efronterie d'y blâmer Julien ,
CONSTANTIUS ET JULIEN . 223
commeun eſprit incominode & ambi
tieux qui vouloit prendre desaiſles pour
s'élever trop haut: car il en parloit ainſi
avec un certain mouvement de corps,
quimontroit bien qu'il eſtoit paflionné.
Mais comme il controuvoit toutes ces
chofes-là avec une extrémne licence , Eu
therius ayāt été introduir come il l'avoir
demandé, & ayant receu le commande
mentdedire ce qu'il voudroit, il fit có
noiſtre avec quelle pudeur & modeſtie
il falloit envelopper de menſonges la
verité, quandil eſt dangereuxde la dire :
Etcertes,dit-il,le d Commiſſaire general de
l'armée ne fit point ſa charge exprés ( com
me tout le monde l'a crû ) cependant Ce
far eſtant aſſiegé à Senspar les Barbares ,
ne laiſa pas de les repowſer valeureuſe
ment; mais il ſe peut bien aſſeurer auffi
qu'il en répondra de ſa teſte toute fa vie.
Cette occaſion medonne la pensée d'a
joûter icy peu de chofe , qui feroit à
peine croyable au ſujet d'Eutherius. En
forte que ſiNuma Pompil
ius ou Socra
te avoient dit quelque choſe de bon
d'un Eunuque , & qu'ils euſſent ajoûté
à ce qu'ils en euſſentdit la foy de la Re
ligion , ilsſeroient repris de s'eſtre écar
tez de la verité. Mais les roſes naiſſent
entre les épines, & d'entre les beſtes fa
K iiij
124 AMMIANMAR . Liv . XVI.
rouches,il y en a quelques-unes quis'ap" 1
privoiſent. Je diray donc ſuccincte 11
ment les choſes principales qui ſe ſont
pû trouver de cét excellent perſonnage.
Il naquit en Armenie d'une famille
honneſte ; & comme il eſtoit petit en
fant, des Ennemis qui faiſoientdes cour
fcs dans cette Province , l'ayant enlevé,
ils e le taillerent , & le vendirent à des
Marchands Romains, qui le menerent
au Palais de Conſtantinople , où quoy
qu'il fuſt encorebien jeunc, il apprit la
methode de bien vivre , & fe comporta
en coutes ſes actions avec une adreffe
nierveilleuſe , inſtruit aux bonnes lettres
autant qu'un garçon de la fortune le
pouvoit eſtre, doué d'un eſprit naturel,
qui le rendoit capable d'imaginer &
d'inventer des expediens merveilleux
pour ſe débarraſſer des affaires les plus
inalaisées, avec une memoire heurcuſe ,
un eſprit judicieux , & un naturel bien
faiſant. Que li autresfois l'Empereur
Conſtans l'euſt écouté dans la fagelſe
qu'ilavoit à la ſortie de l'enfance , s'il
faut ainſi dire, & comme il ne ſuggeroit
quedespensées honneſtes , & des actiós
vertueuſes, aſſeurément, il n'cuſt rien
fait que de bien , ou n'euft rien fait das
• four qui eult eu beſoin d'excuſe, Eſtant
CONSTANTIUS ET JULIEN . 2-25
Maiſtre de chambre , il corrigea bien
auſſi quelquesfois Julien meſme qui a
voit eſté elevé dans les mæurs Aliati
ques, & qui par conſequent eſtoit fun
peu leger. Enfin s'eſtant retiré pour
mener une vie ocicule , il fut rappellé
dans le Palais , où il fut toûjours ſobre ,
& perſevera dans ſes premieres habitu
des, gardant la fidelité. & . la retenuë ,
quiſont deux grandes vertus , en ſorte
qu'il ne revela jamais un ſecrec qui luy
avoit eſté confié,finon pour ſauver quel.
qu’un opprimépar une puiſſance étran
gere , & jamais il ne ſe laiſſa emporter
par aucun defir de poſſeder plusdebiens
que les autres. D'où il arriva que s'é
tantretiré à Rome, & qu'y ayant éta
bly fa demeure pour y paſſer le reſte de
ſes jours, & portant par toutune bonne
conſcience , il y eſt encore honoré &
chery de tous les ordres de l'Etat , 203
lieu que les gens de cette forte , apres
avoir acquis de grandes richeſſes par
toutes ſortes de voyes, cherchent d'ora
dinaire les lieux écartez , comme ceux
qui fuyent la lumiere ou la preſence du
monde qu'ils ont outragé. Pour faire
donc comparaiſon de cét Eunuque aug .
autres des liecles paſſez , je n'en ſçaurois
trouver pas un ſeul d'entre pluſieurs *
KV
226 AMMIAN MAR. Liv . XVI.
dont il eſt parlé dans l'antiquité. Car
certainement il y en a bien eu parmy les
Anciens de fidelles , & de comunodes
pour l'utilité, quoy qu'il y en ait eu fort
peu ; mais ils ont toujours eſté ſouillez
de quelques vices. Entre les grands
biens que chacun d'eux avoit poffedez
par ſes ſoins ou par ſon induftrie , il faut
auoüer aufli que ce n'eſtoit pas fans rapi
ne ou ſans barbarie, ou fans cruautés
ou bien il cſtoit trop complaiſant à ceux
qui l'aimoient, ou il eſtoit devenu trop
infolent par ſon credit. Mais celuy-cy
eft fi avisé , de quelque coſté que l'on le
conſidere , queje confeſſe de n'avoir ja
mais lû ny oüy dire qu'il y en ait eu ja
mais quelqu'un de ſemblable . Que fi
d'avanture quelque Lecteur quiait re
cherché diligemment les choſes de l'an
tiquité, nousoppoſe Menophile Eunu
que de Mithridate Roy de Pont, qu'il ſe
fouvienne de l'avis que je luy donne,
qu'il ne ſe lierien de memorable de luy,
outre la glorieuſe action qu'il fit paroî
tre, lors qu'ilſe vid reduit à la derniere
extremité. Mithridate ayant eſté vaincu
par les Romains & par Poinpće , & s'en
eſtant fuïen Colchos, laiſſa & Dripeti
ne ſa fille afligéc de maladie , dans le
Château de to Synhore, fous la gardede
CONSTANTIUS ET JULIEN . 227
Menophile , qui la conſervant ſeure
nent à ſon pere , apres l'avoir guerie par
tous les remedesqu'il cut ſoin de luy ad
iņiniſtrer , quand la place où elle eſtoit
renfermée eut commencé d'eſtre allie
géc par Manlius Priſcus Lieutenant du
General de l'armée Romaine , & qu'il
s'apperceut que ceux qui deffendoient
la place commençoient à capituler pour
ſe rendre , ayant peur qu'à la honte du
pere, ſi la Princeſſe demeuroit captive ,
elle feroit violée , il la tua , & fe donna
en ſuite de l'epée dans le cœur,

IV .

D'autres exemples de Tragedies dans la


Cour de Conſtantius. L'heureuse.de ge
nereuſe liberté d'Vrfulus perſonnage
illuſtre pour la deffenſe de la verité .

E reprendray maintenant la narra


tion quej'ay quittée. Marcellus ayát
eſté ſurmonté , comme je l'ay dit , &
s'en eſtant retourné à Serdique d'où il
eſtoit,dans le Camp de l'Empereur , il
s'y faiſoit bien d'étranges choſes , ſous
pretexte d'y maintenir la Majeſté impe
riale. Car ſi quelqu'un pour le petit cry
d'une fouris , & pour la rencontre d'uns 1
K vi
228 AMMIAN MÅR. Liv . XVI.
Leletre , ou de chofe feinblable , en avoit
tonfulcé quelque perſonne verſée en la
connoiſſance de ces fortes de fignes , ou
s'ilavoit employé quelque charmevain
pour appaiſer une douleur ( ce que l'au
thorité meſmc de la Medecine pourroit
fouffrir ) on luy en faiſoit un crimecapi
tal, dont il ne fc fuſt jamais douté , &
ſe voyant pour cela tiré en jugement ,il
en eſtoit puny & condamné à mort.
En ce temps-là meſme, on dit qu'il y
cut-un certain homme appellé Danus,
que la femme ſurpriſe de crainte avoir
accusé pour deschoſes fort legeres, ſoit
dóc qu'elles fulfent certainesou douteu
ſe; elles n'eſtoiétpas connuës de tout le
monde :mais quoy qu'il en foir , Rufin
sās avoir oiiy la deffenſe, s'eſtoitmoqué
de luy.Ce futpar l'avis de cethomme-là
que certaines choſes ayanteſté cónuës , ,
Gaudentius Agent dans les affaires , a
voit fair mourir Africanus Pro - Conful
dans la Pannoniesavec tous ceux quifu :
rentconvicz avec lay dansun feſtin , A.
commenous l'avonsdéja dit. Alors Ru
fin exerçoit la charge de Prefect da Pre
toire, parce qu'il eſtoit entierement de
voué. Et cet homme-là , pour en par
ler plus hardiment , avoit attiré cette
femme artificicule dans une fraude pe
CONSTANTIUS ET JULIEN . 229.
rilleuſe, apres avoir abusé d'elle , & luy
perſuada par l'impoſturedesmenſonges
controuvez , d'accuſer fon Mary de cri .
mede leze.Majeſté , quoy qu'il fuſt in
nocent, & de feindre qu'il avoit volé le
poile de Pourpre qui eſtoit ſur bile tom
beau de Diocletien , & de l'avoir caché
au logis de quelques receleurs compli
ces. Et cette malice ayant eſté tramée
de la forte , où la ruïne de pluſieurs ſe
trouvoit enveloppée , il s'en alla au
Camp de l'Empereur, ſé frant en ſon
credit, pour y faire recevoir les calom
2
nies qu'il croyoit avoir ſi bien ourdies.
Mais la choſe ayant eſté averée, c Ma 1
vorcius, quieſtoit alors Prefect du Pre
toire , perſonnage d'une ſublime con
ſtance , receut le commandement de
faire uneexacte perquiſition du crime ;
ayant aſſocié au jugement de cette affai
Te Vrfulus Comte Treſorier des deniers
du Prince pour faire ſes largeſſes , & qui
eſtoit recommandable par ſa ſeverité.
L'affaire ayant donc elté remiſe -fur le
bureau , pour eſtre examinée , ſelon les
circonſtances du temps, commeon n'y
eut rien trouvé , apres les tourmenis
qu'on fit ſouffrir à pluſieurs, & que les
Juges ne ſçavoientde quel coſté porter
leur jugeinent , enfin la verité opprin
20 AMMIAN MAR : Liv . XVI.
mée , commença un peu à reſpirer , &
tout ſoudain la femmeſe trouvant prel
sée par la force de la conſcience , con
fella que Rufin eſtoit l'Autheur de tou
te cette machine, ſans avoir nié l'infa
mie de ſon adultere. Et tout auili- toſt
lesLoix ayant eſté meprisées de la forte ,
apres que la choſe eut eſté exactement
diſcutée de part & d'autre, enfin l'ordre
de la juſtice les condamna tous deux par
une Sentence de mort. Ce
que Con
ftantius ayant appris avec un déplaiſir
extréme, ne pouvant aſſez regreter la
perte d'un homme qu'il tenoit cominele
deffenſeur de ſa vie, envoya des cour
riers par la poſte , pour commander à
Urſulus de ſe rendre inceffamment à la
Cour, & le menaçoit en meſmetemps :
mais ilmépriſa fi fort les Lettres qui luy
en faiſoient le cominandement qu'il les.
rompir hardiment , & entra au Con
feil, où il dit de bouche & d'un cæurli ,
bre tout ce qu'il avoit fait . Et avec cette
confiance , il ferma la bouche aux flat
teurs , & délivra le Prefect , & ſe déli
vra aulli du danger , où fa vertu l'avoit
exposé.
Voicy une choſe qui ſe paſſa en ce
temps- là parmy les A quitaniens y. done
ilfut parlé en divers lieux . Ua certain
CONSTANTIUS ET JULIEN . 231
Perſonnage appellé Veterator , fut invi
té à un grand feſtin , où la propreté
égaloit la mignificence , il s'en faic plu
fieurs de la imeline forte en ces quartiers
là:comeil y vid une paire de linceuls, &
deux dcouvertures de lit en broderie,tel
lement larges , que parl'artificede ceux
quiſervoient ilſembloit quecen'en fuſt
qu'une ſeule , & la table couverte de ta
pis ſemblables , tirant le devant de la
caſaque à deuxmains, par où il fit con
noiſtre qu'il cherchoit tous les beaux
meubles d'unemaiſon ſi bien ornée , il
pilla tout ce qu'il y avoit de richeſſes, &
renverſa tout .
Avec une pareille malignité un cer
tain Intendant , pour agir dans les affai 6
res en Eſpagne, ayant eſté invité de la
meſme ſorte à un feſtin , comme il eut
qüides garçons qui portoientdes fam
beaux pour le ſoir ,quis'écrierent,côme
ils ontde coûtume,Vištoire ,ayant inter
preté celamalignement,quin'eſt qu'une
façonde parler ordinaire pour dire que la
clartéest une belle chose , il fit un prodi
gieuxravage dans toute la noble Mai
fon. Ces choſes & autres pareilles croiſ
foientainli d'autant plusde jour en jour ,
que Conſtantius qui eſtoit timide , crai
gnoit toûjours parmy la dépenſe qu'il
232: ' A MMIAN MAR . Liv . XVI.
faifoit d'eſtre affaliné comme Denys
tyran de Sicile , quipour le meſme dé
faut , avoit fait apprendre à ſes filles à
faire le poil , afin de n'abandonner point .
ſa teſte ny fa gorge à d'autres pour le ra
ſer : & la petite Maiſon où il avoitac
coûtuméde coucher , il la fit entourer
d'un grand foffé , où il.mit un Pont-le
vis qui levoit de ſon coſté pendant qu'il
dorinoit, & quand le jour eſtoit venu , il
le faifoir baiſſer.
Les Grandsdans la Maiſon Royale,
faiſoient gloire , pourmarquer leur cre:
dit , de demander les confiſcations de
ceux qui eſtoicnt condamnez , pour en
faire croiſtre d'autant plus leurs poſſeſ
fions, & étendre leurs limites par le bien
de leurs Voiſins. Car afin que de cescho.
ſes-làmeſmes,il y cât de bons preceptes,
Conftantin fut le premier de tous qui fit
concevoir à ſes proches l?a vidité de tout
engloutir : mais Conftantius eſt le pre
mier qui ait engraiſſé ſes favoris de la
moëlle des Provinces : Et certes , ſous
ce Prince les Chefs detousles ordres ont
eſté embrazez d'une convoitiſe infinie
d'amafler desricheſſes , fans nulle diſtin
ction de droit ny de juſtice , entre les
Jugsordinaires , Rufin premier Prefect
du Pretoire , entre les
geos de guerre
CONSTANTIUS ET JULIEN , 235
Arbetion Colonelde la Cavallerie , &
Eufebele chefdes Officiers de la Cham
bre, & ... Queſteur & les Anicesdans
la Ville ,la poſterité deſquels ſe formant
fur le modelle de leurs ayeuls , neſe peut
jamais alfouvir avec de grandes poffef
fions , quelques conſiderables qu'elles
peuſſent eſtre.
Cependant les Perſes dans l'Orient
enlevoient des hommes & les beſtiaux
plûtoſt par larcins & par brigandages
que pardes courſes , comme ils faiſoient
aurresfois, enquoy ils avoient quelques
foisdu profit par la furpriſe ; mais auſſi
quelquesfois ils y perdoient beaucoup ,
cſtant ſurmontez par le nombre, n'ayant
pas ſeulement le loiſir de reconnoiſtre ce
qu'ils avoient ravy . Toutesfois Muſo .
nien Prefect du Pretoire , habile en
beaucoup de choſes , comme nous l'a
vons dit cy-devant,mais venal & facile à
corrompre par argent , s'informoit par
certains Emiſſaires quientendoient l'in
trigue & la tromperie , quels pouvoient
eſtreles conſeils des Perſes , ayantappel
lé pourceluy qu'ilavoit à prendre, Caf
fien Gouverneur de la Meſopotainie ac
coûtumé à profiter de tout , & à ſe met
tre en danger de tout perdre.
Apres que tous deux enſemble curent
234 AMMIAN MAR : Liv. XVI.
connu clairement par le rapport des gara
niſonsdes places frontieres, que Sopores
chaſſoit de celles de lon Royauine aux
dépens du ſang de ſes ſujets , les Nations
quiluy faiſoient la guerre , ils ſollicite
rentpar de ſecretes pratiques & par des
conferences de foldats inconnus , Tam
fapor Capitaine des troupesde Perſe qui
commandoitdans la Province laquelle
nous eſtoit la plus proche , que ſi l'occa
ſion s'en offroit , & qu'il le jugeaſt à
propos , il perſuadaſt au Roy ſon maî
trepar ſes Lettres, de trouver bon d'éta
blir enfin une paix de durée avec le Prin
ce Romain , & que par cemoyen il pour
roit en ſeureté aſſujétir de toutes parts
les Rebelles. Tamſaporreceur l'avis en
bonnepart , & ſur les paroles qu'on luy:
avoit données , il repreſenta au Roy ſon
Maiſtre que l'Empereur Conſtantius oc -i
cupé à de grandes guerres, le prioit de
luy accorder la Paix. Er pendant queces
Lettres furent envoyées aux Provinces
des Chionites & des Éufenes, où le Roy
paſſoit ſon Hyver ; il s'écoula beaucoup
de temps.
CONSTANTIV S ET JULIEN . 235

V.

Conſtantius Prince pareſſeuse to pufilani


me , penſe neantmoins á la gloire du
Triomphe , dont il ſe fait icy une agrea
ble deſcription . Son entrée dans Rome.

Endant quetoutes ces choſes ſe pal


PEonda
ſoient en Orient & dans les Gaules
felon la portée des temps , Conftantius
ayant fermé les portes du Temple de Ja
nus, & terraſſétous ſes ennemis , eut del
ſein de voir Rome pour y triompher
apres la défaite de Magnence , qui ſe fit
fans honneur , quoy que ce ne fut pas
fansy avoir verſé du ſang Romain . Car,
pour en dire la verité , Conſtantius n'a
voit point ſurmonté par ſoy.meſme de
Nation quiluyeſt fait la guerre, & n'en
avoit point vû de vaincue par la valeur
de ſes Capitaines : Il n'avoit rien adjoû .
té à l'étenduë de l'Empire : Iln'avoit ja
mais paru le premier , ny entre les pre
miers , dans les grandes occaſions , ny
dans les beſoins preſſans. Mais quoy
qu'il en ſoit il voulut faire paroiſtre la
pompe exceflive qui l'environnoit avec
For de ſes Enſeignes , & la magnificence
de ceux qui eſtoient autour de lux , pour HI
ej AMMIAN MAR, Liv . XYI.
réjouir un peuple oiſif qui n'avoit ja
mais vû cela , & qui n'eſperoit jamais
voir rien de ſemblable . Il ignoroii peur
eſtre que quelques- uns des Princesan
ciens fecontentoientpendant la paix de
marquer leur dignité par un certain
nombre de Licteurs : Et quand l'ardeur
des combats ne pouvoit rien ſouffrir de
läche , l'un pendant la furie des venes s'a
bandonnoit ſur une barque de peſcheur
pour traverſer laMer, l'autre à l'exemple
des Decies , ſe dévoüoit pour le falur de
la Republique , un autre fe traveftiſfoit
avec des ſoldats du dernier ordre ; pour
aller épier par ſoy -meſme ce qui ſe pal
ſoit dans le camp des Ennemis : & ſe fi
gnaloient tous par quelque belle action
pour rendre leur memoire celebre à la
poſterité.
Quand on eur donc preparé toutes cho:
ſes pour un ſi grand appareil .. A en la
ſecondePrefecture d'Orphite,ayantpaſſé
Ocricule , Conftantius, fe voyant: élevé
par les grandshonncurs qu'on luy faiſoit,
& ſe trouvant environné de troupes for
midables , fit ſon entrée avec une ſuite fi
nombreuſe, qu'on eſt dit que c'eſtoit une
armée entiere , & attiroit les yeux detout
le monde à le regarder. Quand il appro 3
cha de la Ville , conſiderantles Officiers,
CONSTANTIUS ET JULIEN . 237
du Senat , & les Viſages venerables des
chefs des familles patriciennes , avec une
preſence grave & modeste , ilnedit point
comme ce Cineas Ambaſſadeur de Pyr
rhus, que c'eſtoituneaſſemblée de Roys ;
mais qu'il luy ſembloit que c'estoit l'Afile de
tout le monde. Puis s'eſtant tourné vers lc
Peuple , il s'émerveilloit que tous les
hommes vivans fuflent venus à Rome
pour le voir. Et comme s'il euſt voulu
épouvanter l'Euphrate & le Rhin par la
terreur de ſes Armes, il faiſoit marcher ſes
Enſeignes devant luy , & eſtoit allis ſeul
ſur un char tout éclatant d'or. & de
pierreries, où il ſembloit que parmy un ſi
grand luſtre ſemelloit encore une lueur
eſtrangere. Les Dragons en broderie ſur
des étcndars de Pourpre eſtoient autour
de luy apres les autres Enſeignes atta
chez à des lancesd'or enrichies de pierres
precieuſes, leur gueule eſtoit bcante , & il
Lembloit à les voir lifler qu'ils fuſſent en
colere ,laiſſanc ondoyer au ventles replis
de leur queuë. Un double rang de gens
armez de toutes pieces marchoir à ſes cô
tez : Ils avoient le bouclier au bras ,> l'ar
met en teſte , & la cuiraſſe ſur le dos , qui
brilloit au Soleil d'une vive fplendeur,
LesGens d'armes à cheval auſſi armez de
Couces pieces , eſtoientdiſperſcz toutall ,
238 AMMIAN MAR. Liv . XVI.
tour. Les Perſes les appellent des hom
mes fortis de la fournaiſe , portant des
corcelets bandez delames de fer comme
des figures de bronze façonnées de la
main de Praxitele. Il futappellé Auguſte
dans les acclamations de voix quiſe firent
en ſon honneur, & fut étonné du bruit
quien retentit dans les Vallées & ſur les
Monts. Il ſe inontroittel & aufli immo
bile qu'ilavoit paru quelquesfois dans les
Provinces. Il courboit ſon corps qui
reſtoit petit , en paſſant fons des portes
quelques hautes qu'elles fullent ; mais
apres cela , il tenoit ſa teſte ferme , & nc
regardoir que devant luy , fansdétourner
ſes yeux à droite ou à gauche , comme s'il
n'euſt eſté qu'une ſtatuë de ſoy-meſme,
fans ſe laiffer aller au branfle de Ton Char ,
Diy.sāsoſer.cracher ,ny ſe moucher,ny s’é.
fuyer le viſage , ny remuer la main .Mais,
bien qu'il affectalt ces choſes inutiles &
autres ſemblables , li eſt- ce qu'elles
cſtoient toûjours un ſigne de ſa patience
quin'eſtoit pasmediocre dans les actions
exterieures de ſa vie , pour luy donner
quelqueforte d'eſtime. Et,de ce quepen
dant toute la duréede ſon Empire , il ne
perniit à qui que ce ſoit d'eſtre dans ſon
Carroſſe aupres de luy, & qu'il ne receut
jamais en la compagnie aucune perſonne
CONSTANTIUS ET JULIEN .
239
privée avec la Robe rayée d'or & de pour
pre, comme l'avoient fait devant luy les
Princes conſacrez , & autres choſes ſem
blables , leſquelles ( ſe tenant toûjours
ſur ſon ſerieux,.). il a toûjours obſervées
commedes Loix tres-équitables, je m'ab .
Atiens d'en parler , & je n'en ay meſme
rien dit que par occaſion .

V 1.

Ce qui ſe fit en se dit alors à Rome.


Eufebie femme de Constantius rend
de fort mauvais offices à Helene fem
me de Tulien . Nouvelles aſſeurées
continuelles , des ravages et des bri
gandages que font certains Peuples ,
dont Conſtantius est effrayé , fort
de la Ville .

Vand ilfat doncentré dansRome, &


Q qu'ilfut venu en la Place aux haran
gues , il y admira a la grandeur qui ſerc
d'habitation à la dignité de l’Empire , &
à toutes les vertus où l'on pouvoit
amieux remarquer qu'en lieu du monde la
gloire de l'ancienne puiſſance :Erde quel
que coſté qu'il tournalt ſes yeux , ſe trou
vant ſurpris de l'abondance des merveil
des, il addreſla dans la Cour ſa parole à la
140 AMMIAN MAR . Liv . XVI,
Nobleſſe , & parla au peuple du haut du
Tribunal. Puis eſtant receu au Palais avec
grand applaudiſſement,ilſe ſentit le caur
touché de la joye qu'ilavoir deſirée.Com .
me il donna des jeux Equeſtres , il ſe plût
ſouvent d'y entendre les b ſobriquets du
l'euple qui n'eſtoit ny ſuperbe , ny dé
tourné de cette liberté dans laquelle il
avoit eſté nourry , gardant quant à luy,
dans cette rencontre , la moderation qu'il
у devoir garderpour la reverence de la di
gnité : Eccertes dans les autres Villes , il
ne ſouffroit pas queles combats d'exerci
ce finiſſent à la diſcretion ;maisil les per
mectoit pourdivers ſujets, ſelon la coûtu
me. Enfin toutes les premieres choſes
qu'il vid ſur le haut des ſepr Monts , ou
fur leurs pantes , ou dansle basde la Vil
le , ou dans les Fauxbourgs , il eſperoit
qu'ellesexcelleroiententre toutes les au
tres , qui luy tomberoient ſous les yeux.
C'eſt ainſi qu'ildiſoit , que le Temple de
Jupiter qui eſtoit bâty ſur le Mone du
Capitole excelloit autant pardeſſus tout
le reſte, que les choſes divines font cau
deſſus des humaines . Il admiroit aing les
baings ſpacieux qu'ildiſoit eſtre bâtis en
forine de Provinces ; la maſſe de l’Amphi
theatre conſtruit de pierre de Tivoly ,à la
hauteur duquelà peine la veuë d'un hom
me
CONSTANTIUS ET JULIEN . 2411
me ſe peut-elle élever : d Le Pantheon
comme une Region entiere en forme
ronde voutée ſur une hauteur propor
tionnée :les Colomnes élevées , où il eſt
pourtant facile de monter , leſquellus
portent les ftatuës des Conſuls & desana.
ciens Princes : c Le Temple de la Divi
niré de la Ville & le marchéde la Paix : le
Theatre de Poinpée, l'Odée qui eſt le
lieu où chantent les Muſiciens ſur la
Scene , le Stade , & les autres choſes qui
embelliſſent divers quartiers de la Ville
cternelle. Mais quand il fut venu dans
la placede Tr.jan , autour de laquelle il
jetra les yeux avec admiration ; Ie
croy ,
dit -il , qu'il n'y a rien de ſi beau fous le
Ciel,& que les Dieux ont rendu ce bati
mentadmirable pour y eſtre bien -venus: 11
s'étonnoit auſſi des grands édifices qu'il
voyoit quand il y arreſtoit fa penſée ,ne
croyant pas qu'il fuft poſſible d'en ex
primer la beauté , ny que tous les hoin
mes enſemble en peuffent jamais faire
autant : toute eſperance luy eſtant do ic
ôtée de pouvoir de ſa vie entreprend . e
quelque choſe de ſemblable , il crut
neantmoins qu'il ne luy ſeroit pas im
poſlible d'imiter le ſeul cheualde Tra
jan , qui portoit l’Image de ce Princeau
milicu de la place , & dit qu'en effec ille
L
242 AMMIAN MA R. Liv . Xvi.
vouloit imiter, & qu'ilenauroit bien le
pouvoir, Et comme f Hormiſda Prince
de Maiſon Royale qui eſtoit aupres
de luy , eſtant venu de Perſe , comme
nousavons déja remarqué, luy eut dit
en riant & d'un air eſtranger , faites plutoft
bâtir ,ſi vous le pouvés, une Eſcurie comme
celle-cy , afin que le cheval que vous vou
lez faire n'y fost pas moinsau large , que
Peſticy celuy quenousvoyons : Lemelme

.
eltant interrogé de ce qu'il luy ſembloit
de Rome , dit ; Qu'il n'en faiſoit pas
grande difference d'une autre Ville , puif.
que les hommes y pouvoient auſſi bien mox
rir quils font autre part.
L'Empereur ayant donc vû beaucoup
de ces choſes- là avec un eſtrange éton-,
nement, le plaignit de ce que la Renom
mée eſtoit bien inpuiſſante ou bien ma- :
ligne , puis qu'eſtant d'humeur à aug
mcnter toûjours les choſes , elle avoit
pourtant eſté foible à ſon égard à parler
de toutes les ſingularitez qui ſont à Ro
m . Et delibcrant long- temps en luy
melmede ce qu'ilauroit à faire,enfin il ſe
reſolut d'adjouter aux ornemens de la
Villeun Obeliſque qu'il érigeroit dans
le Cirque qui eſtoit le plus proche de
la place de Trajan , duquel Obeliſquc
je diray en ſon lieu l'originc& la formeo
CONSTANTIUS ET JULIEN . 2.43

Cependant l'Imperatrice Eufebie


s'efforça de nuire à Helche ſeur de ſon
mary Constantiưs; & femme de Julien
Celar, qui eſtoit venuë à Rome pour
l'affection qu'elle portoit à ſon frere',
parce qu'eſtant ſterile & ne voulant pas
zufli qu'Helene cuft des Enfans , h elle
chercha du poiſon avec l'invention de
le luy faire prendre, afin de la faire avor
ter fi elle devenoit groſſe : car quelqu :
temps auparavant , comme elle eſtoit
dans les Gaules ,
ayant mis un fils au
monde, elle le fit perir par le moyen de
la ſage- femme quiluy coupa trop toſt le
nombril , commeelle en avoit convenu
pour une recompenſe qu'elle luy pro
mit ; tant il falloit prendre de peine &
avoir de ſoin qu'il n'y cuft point de poa
feriré d'un Prince tres- vertusux ,
L'Empereur voulant donc demeurer
plus long - temps dans le plus auguſte ſe
jour de la terre , afin de jouir d'un plus
agreable loiſir qu'ilnes'en peut trouver
partout ailleurs , & d'une douceur plus
fenfible , il fur épouvancé par des avis
continuels & aſſeurez qui luy furent
donnez , que lesSuèves eſtoient entrez
dansla Rhetic , & les Quades dansla Ya
lerie ; & que les Sarmates quiſontfi ver 1
ſez à exercer leur brigandage ; s'eſtoient
L ij
2:44 AMMIAN MAR. Liv. XVI.
jettez dans la Maeſie & dans la ſeconde
Pannonie , où ils ravageoient tout le
Païs. Dont fe trouvant choqué,il partic
deRome le trentieſune jour d'après qu'il
у fut accivé , c'eſt à dire i lc 4 : des Ca
Ícndes de luin , & prit farouce par Tren
te pour aller en Illyrie avec diligence
d'où ayant envoyé Severe en la place de
Marcellus, il rappella aupres de ſoy Ui
licin , que ſon âge & Con experience
avoient rendu tres- conſiderable . Ur
ficin ayantreceu avec reſpect les Lettres
qu'illuy écrivit, vint à Širmeavec ſes
compagnons : Puis l'Empereur ayanc
long - temps balancé les avis quis'étoiét
propoſez touchant la paix que Mulo
nien avoirmandé qui ſe pourroit affcc
mir avec lesPerſes , ilil renvoya Vrlicin
en Orient avec la puiſſance du Magiſte
re , les plus avancez de noſtre Compa
gnie ayant eſté choiGis pour commander
aux ſoldats :Et quelques jeunes que nous
fullions , nous receufines l'ordre de le
ſuivre , & nous fuſmes tous bien reſolus
de luy obcïr en quelque choſe que ce
puſt eſtre pour le ſervice de la Repu.
blique.
CONSTANTIUS ET JULIEN . 245

VII.

Fulien ayant paſé l'Hyver à Sens', re


poufle di bat les Alemans, qui s'étoient
jettez furieuſement dans les Gaules : il
paſſe le Rhin , apres avoir batru les
Ennemis,illes chaiſe des Iſles du Rhin .

Ependant Ceſar ayantpaſſé un fort

Conſul,
pour la ſeconde , parmy les troubles &
les menaces que les Alemans faiſoient
de toutes parts, ils'en alla avec de bons
preſages à Rheims, & avec beaucoup de
joye dece qu'on avoit donné la charge
de commander l'armée à Severe , qui
n'eſtoitny contrariantny ſuperbe ;mais
accoûtumé de longue-main à la frugali
ré & à la fatigue de la guerre , & qui le
ſuivroit toûjours par lesbonnes voyes ,
commeun ſoldat luit ſon Capitaine, qui
ſçait luy.meſmebien obeïr. D'autre cô
té Barbation qui eſtoit parvenu à la
Charge de Colonel de l'Infanterie de
puis la mort de Silvanus , luy amenoit
vingt-cinq mille hommes qu'il avoit
fait partir d'Italie par les ordres de
kEmpereur,pour l'aller attendre à Baflc.
iij
.2
246 AMMIAN MAR . Liv. XVI,
Mais commeon eſtoit en peine d'enfer
mer en quelque encongneure de païs les
Alemans , qui rodoient de tous coſtez ,
afin de les défaire entierement, ils paſſe
rent à la dérobée entre les deux Armées ;
& ſans que la Ville de Lion ferma dili
gemment ſes portes , elle ne ſe fuſt pas
exemptée d'eſtre priſe & brûlée,comme
le furent ſes Fauxbourgs , & tout ce qui
cſtoit à l'entour, quifutpillé & ſaccagé.
Ce quiayant eſté connu de Ceſar , il ula
fi prudément de cette occaſion , qu'ayant
détaché de ſon armée trois troupes de
Cavalerie des meilleurs hommes qu'il
cut ; il lesmir ſur les trois avenuës.p. I
où les Barbares eſtoient contraints de
paſſer pour ſe retirer , & leur fit bien
‫܀‬

payer l'amende de leur temerité : car il


en prit une grande partie ,avec tour leur
butin , & fit miſerablement perir-cout le
Lefte , excepté quelques-uns quiſe faur
verent le long du rampact de Barbations
parce que le Tribun Baïnobaudes, &
Valencinien qui depuis fut Empereur,
avec les troupes de Cavallerie qu'ils
commandoient , furent ordonnez pour
cette expedition par Cella Tribun des
Gensd'armes, qui eſtoit venu pour ſou
tenir Barbation , & leur fut deffendu de
garder le paſſage par lequel ils avoienç
CONSTANTIUS ET JULIEN . 247
appris que les Alemans ſe devoient reti
ter. Le lâche Colonel de l'Infanterie en
nemyiuré de la gloire de Julien , ne fut
pas autheur de tout cela , Iyachint bien
qu'il avoit donné ce commandement,
contre le ſervice de la Republique ( car
Cella en ayant eſté repris le confeffa
franchement , ) & par le rapport qu'il
en fità Conſtantius , ille trompa, & fei
gnit que ces Tribuns cftoient venus ſous
pretexte du bien public pour ſeduire des
gensde guerre qu'il avoit amenez ; c'eſt
pourquoy ayant eſte caſſez de teur
Charge, ils furentrenvoyez chez'eux, &
reduits à la condition privée.
Les Alenins qui avoient étably leitts
demeures fur lesterres qui ſont au deçà
du Rhin , prirent une telle épouvante,
quand ils virent approcher les armées
Romaines , quepour ſe fauver d'un pe
cil éminent , les uns fe firent desbarrica
des de faſcines & d'arbrescoupez entre
mcllez enſemble , & les autres fe iette
rentdans quelques Iſles de la Riviere,
d'où ils firent oüir des tons lugubres ,
comme s'ils euſſent pouſſé des hurle
mens, faiſant inceflamment des repro
ches iniurieux contre les Romains &
contre Ceſar. Mais pour reprimer cette
inſolence, Julien quis'en trouva piqué,
L iiij.
248 AMMIAN MAR . Liv, XVI.
demanda ſept batteaux deCelix que Bar
bation reſervoit pour faire un ſur
la Rivicre : mais Barbation lespont
fit tous

, pour ne luy donner pas ce ſe


cours . Toutesfois ayant appris , par le
rapport de quelques gensdu païs, que le
Fleuve eſtoit gayable en Eſté , quand il
fait grand chaud , il encouragea des
Troupes auxiliaires armées à la legere
commandées par Baïnobaudes Tribun
des Cornutes , de faireune entrepriſe de
ce coſté-là , quiſeroit memorable ſi la
fortune les favoriſoit . Ayant donc pris
le plus court, & s'eſtant quelques fois
ſervis de leursboucliers comme de peti
tes barques pour ſe ſoutenir en nageant,
ils ſe jetterent dans l'Ile proche : où
quand ils eurentmis le pied , ils y tue
rent indiffereminent les honimes & les
femmes , commedes beſtes , ſans diſtin
etion d'âge. Et ayant trouvé de petits
batteaux , ils ſe inirent dedans , bien
qu'ils fuſſent foibles , & s'eſtant jertez
en plufieurs lieux ; apres qu'ils ſe fu
rent laſſez de tuer , ils ſe chargerent de
riches dépoüilles, dontayantperdu une
partie qui tomba dans l'eau , ils revir.
rent tous en bonne diſpoſition . Lereſte
des Alemans quieſtoientdemeurez dans
les Iles , commedans un lieu pcu ſeur,
1
CONSTANTIUS ET JULIEN . 249 '
palla de l'autre colté , avec tout ce qui
luy eſtoitneceffaire , & avec toutes les
proviſions & les richeſſes des Barbares .

VIII.

Ilbatit un Fort , auquel il donne le nom de


trois Tavernes , ou de Saverne , ayant
mis en fuite Barbation Colonel de i Ine
fanterie., avec une partie de l'Armée:
Chonodomaire du Veftralpe Roys des
Alemans , font autour de Straſbourg
avecune Armée puiſſante , em infultent
Iulien par leurs Ambaſſadeurs.

Vlien au partir de la vint reparer les "


ruïnes de arSaverne , on appelloic
avoit esté ruinée,
ainli cette place , qui avoit
parce qu'il en ſçavoit bien l'importan
ce , & queficlle eſtoit bien fortifiée ,elle
ne devoit point ſervir d'un foible ram
part aux frontieresdes Gaules , pour les
conſerver contre les approches des Ale
mans. Il acheva céc ouvrage en peu de
temps , & il fit un Magazin pour les col.
dats de la garniſon , où il avoit amallé
force bleds recücillis des moiſſons des
Barbares pour toute une année,maisnon
pas ſans crainte d'un grand danger pour
les ſoldats qui en faifoient la recolte
LV
Jo AMMIA N.MAR . Crv. XVI.
pour la proviſion d'une année enciere :
On ne fut pas neantmoins content de
cela , chaque foldar fit :encore les provi
fions de vivres pour vingtjours : & tous
Jes gensuſoient d'autant plus volontiers
de ce qu'ils s'eſtoient acquis de leurs .
propresmains; qu'ils avoient d'indigna
tion de ne rien tirer du pain demunition
qui leur venoit par le Convoy , parce
que Barbation en retenoit infolemment
pour luy unebonne partie en paſſant, &
mertoit lerefte des farines ou des bleds .
dans ſon magazin . Le ſujet d'une con
duite ſi extraordinaire fut ignoré en ce
temps-là : car on ne pût ſçavoir ſi ce
ce für un effet de fon caprice , ou de
quelques ordres ſecrets qu'il avoit re
ccus du Prince , qui certainement fit
beaucoup de chofes de travers : Et cer
tes ce fur alors un bruit aſſez commun ,
que Julien n'avoit pas tant eſté choiſi
pour envoyer du ſoulagement dans les
Gaules, que pour le faire petir dans les
i

tempeſtes de guerres furieuſes ; ce qui


eſtoit d'autant plus crayable que Julien
"n'eſtoit eſtiméqu'un jeune apprentif, &
qu'eſtant effrayé du ſeul bruit des ar
mes, il ne pourroit jamais faire un fi.pe
nible métier. Cependant , comme les
Fortifications du Camp le furent bien
CONSTANTIU SET JULIEN . 258
avancées, & qu'une partie de la Milice
pretendit de fúbliſter par les contribu
tions, une autre partie amaſſa du bled
par addreſſe , de crainte de ſurpriſe , la
multitude des Barbares , qui ſe porta
bien facilement à la ſedition , ayant at
taqué inopinément Barbation avec le
corps d'armée qu'il commandoit , fepa
ré, comme il a déja eſté dit, du Rampart
des Gaulois, ellé le fit avec tant d'impe
tuoſité , qu'elle le contraignie de pren
dre la fuite, & le pourſuivit juſques dans
Balls , apres avoir pris tout ſon bagage,
tuéune grande partie des goujats &
de ſon attirail. Toutesfois , comme s'il
euſt terminé quelque grand exploit
apres qu'il eut diſpercé les troupes en
garniſon dansles places pour leur quar
tier d'hyver, il-revint en Cour pour im
poſer , ſelon ſa coûtume , des crimes à
Ceſar,
Cetre yilaine terreur s'eſtant épan
duë par tout, les Roys des Alemans
Chonodomare,Veſtralpe,Urius & Urli
cin ,avec Serapio , Suomaire & Hortaire
unirent toutes leurs forces enſemble aji
prés de Strasbourg , croyant que celac
s'eſtoit retirébien viſte, de peur d'eſtre
mis en pieces, quoy qu'en effet il fût
toûjours occupé à fortifier fon Camp:
L vja
282. AMMIAN MAR, Liv. XVI.
Ecles Barbares ayant appris de la bolim .
che d'un Transfuge , que l'armée Ro
maine n'eſtoit compoſée que de treize
mille hommes en tout( car ce fut un pa
seil nombre de gens qui fut inis en fui
te , par la multitude qui le jetta ſur les
troupes Romaines que cominandoit
Barbation ) ſe promirent de reinporter
ſi aisément la victoire ſur.Iulien , qu'ils.
curent bien l'audace de luy envoyer b
des Ambaſſadeurs pour luy faire enten
dre qu'ileuſtà ſe retirer ſoudain des Pro
vinces , que leur valeur & leurs epécs ,
ayoient conquiſes.

IX .

Tandis que le
less Ennemis fe glorifient di
vec excez , Iulien ſe tenant prudem
stuent ſur les gardes,exhorte ſon armée
à la bataille. Les Soldats & les ca
pitaines approuvent l'avis de leur Ge .
neral.

Ais Cefar qui ne fçavoit-ce que


c'eſtoit que de la peur, & qui ne
fut ny outré de colere ny de déplaiſir ,
mais qui fe mocqua de l'infolence des
Barbares , retint leurs Ambaſſadeurs,
juſques à ce qu'ileuſt achevé l'ouvrage
CONSTANTIUS ET JÜLIEN . 253
de fon Camp, & demeura toûjours fer
me & inébranlable dans le inelme de
gréde conſtance qu'il avoit paru d'a
bord .
LeRoy Chonodom.aire quiavoitbeau
coup defierté, & qui ne craignoit point
d'entreprendre des choſeshardies & pe
rilleuſes , ſe tourmentoit bien forr, &
mettoit tout dans le defordre , ſon cou
rage s'eſtant éléué par- la proſperité.
Car ce fur luy qui vainquit en Champ
de bataille a Decentius Ceſar ; & qui
apres avoir ravagé pluſieurs Villes opu
lentes, s'épandit dans lesGaules où il fit
de grands dégus, ſans qu'il y euſt per
fenne pour l'en
empeſcher . Maisla fui
te quevenoit de prendre devant luy un
Capitaine Romain , qui f: pouvoit faire
reſpecter par le nombre, & par la force
de les ſoldats ,luy fit bien augmenter la
confiance qu'il avoit en fon bon - heur.
Car les Alemins avoient reconnu par
le nombre des Boucliers , que les gens
quiavoient pris la fuïte avoient lailsé le
pais avec peu des leurs , & que la peur
les avoit difpercez , comme ils pen
ſoient ſe ranger en bataille apres en a
voir perdu pluſieurs. Ceſar qui eut de
la peine à ſouffrir une telle audace , ſe
videnfin contraint par la violence dela
2:54 AMMIAN MAR . Liv . Xiyr:
neceſſitéde s'oppoſer avec peu de gens
yaleureux à une Nation nombreuſe.
Déja le jour coinmençoit de paroiſtre ,
& l'on entendoit déja le bruit des trom
pettes, quand on fit avancer l'Infanterie
& la Cavalerie à petit pas, cntre leſquel
les eſtoient les gens-d'armes armez de
toutes pieces , avec les Archers , qui
eſtoient des troupes formidables. Et
dautant que du lieu d'où les étendars
Romains furent levez , juſques au ram
part des Bar bares, iln'y avoit que qua
forze lieuës, c'eſt à dire vingt-unmille ,
Ceſar voulant pourvoir à l'utilité & à la
ſeureté publique, fit rappeller les Avat
.coureurs; & leur ayant imposé à tous
le filence , apres qu'ils ſe furent arran
gez par bataillons autour de luy,il leur
parla en cette forte , avec cette grande
douceur quiluy eſtoit fi naturelle.
La ſeule raiſon du bien public &
de voſtre conſervation en particu
„ lier, afin que je vous le die en peu de
» mots, mes compagnons,me preſſe de
» vous exhorter , & de vous conjurer
s, tout enſemble, dansla confiance que
j'ay toute entiere en vôtre valeur, que
» nous prenions le chemin le plus ſeur,
», pour l'entrepriſe que nous faiſons,
plûtolt que de nous engager dans le
CONSTANTVUS ET JULIEN . 255
plus court, quiſeroit peut-eftre le plus
99 dangereux pour ſolltenir les efforts,
„ & nous débarraſſer des piegesoù nous
pourrions eftre attendus : car com
medans les perils il fert à la jeuneſſe
> de ſe montrer prompte & audacieu
„, fe, aulli en de certaines occafions doit
i elle ſe laiſſer conduire , & uſerde prus
dence & de diſcretion . Je vous feray
donc entendre là -deſſus mon fenti
», menten peu demots, ſi vous le trou
» Vez bon , ou plūcoſt ſi une jufte indi
gnation , de laquelle je ſuis perfuadé
» que vous eſtes touchez , le peut fouf
» frir. Il eſt présdemidy ; quelle appa
» rence y a -t-il qu'eſtant haraſſez com
» nous le ſommes par le travail d'un
long chemin , nous nous expofions
dans des routes difficiles & obfcures
ſur les approches de la nuit, n'y ayant
preſque pointde Lune, by d'Éſtoiles
» qui nous peuſſent éclairer , outre que
» le pais eftfec , & qu'ilne fe faut point
„ attendre d'y trouver de l'eau ? Que'fe
roit-ce ſi quelqu'un ouvroir un paſſa
is gelibre à nosEnnemis, pourvenir ſur
nous apres tout le loiſir qu'ils ont eu
de ſe repoſer ? Avec quelle valeur
s . nous pourrions-nous deffendre eſtant
travaillez de la faim , de la foif , & de
.
256 " A MMIAN MAR . Liv. XVI.
la fatigue du jour ?: Mais puiſque
» dans les rencontres les plus difficiles ,
», il n'eſt queſtion que de bien prendre
ſon temps , & de ſe ſervir d'un bon
conſeil , qui remedie le plus ſouvent
» aux affaires les plus déplorables , je
vous prie de trouver bon que nous
» campions en ce lieu .-cy, dans les se
tranchemens quc nous ferons pour
,, nous mettre en ſeureté, & pour pren
dre en ſuite un peu der
e repos.Puis nous
ettant rafraîchis par le ſommeil , &
» par les autres choſes neceſſaires à la
„ vie, ſelon le temps ; que cecy ſoitdit
» avec le reſpect de Dicu, qui preſide à
» tout ce que nous faiſons, demain dés
le point du jour nous leverons nos
„ Enſeignes victorieuſes, & nos Aigles
»» quidoivent triompher.
Maisles ſoldats qui brûloient d'une
vehcmente ardeurde combattre, ne luy
permirent pas de continuer davantage
fondiſcours, & frappant de leurs jave
lots contre leurs boucliers pour faire
remarquer leur impatience, ils luy de
manderent inſtamment qu'ils puffent
voir l'ennemy ce jour-là meſme , le te
nantaſſeurez de leurcourage & de la fa
veur d'enhaut, aulli bien que de la bon
ne fortune , & de la valeur de celuy qui
CONSTANTIUS ET JULIEN . 257
les avoit amenez . Et certes, commel'e
venement le fit voir , un certain genic
falutaire quilesaccompagnoir , leur in
fpiroit auſli le delir de combattre. Tous
Yes principaux Officiers ajoûterent à
Cetre allegreffe un pareil conſer tement ;
mais principalement Florentius , Pre
feet du Pretoire, qui demeura bien d'ac
cord du peril qui s'y rencontroit ;mais
qui fut pourtant d'avis ,, apres y avoir
pensé, que le meilleur eſtoit de comba
tie , tandis que les Barbares s'eſtoient
mis en grospour les venir charger : lel
quels, s'ils venoient à ſe ſeparer', ildi
foit , qu'on ne pourroit ſoutenir l'émo
tion du fo dat , qui par ſon ardeurna
turelle ſe
por: e aisément à la ſedition ,
& qui s'imagineroit auſſi-toſt qu'il ne
pourroit ſolltenir une victoire à laquel
le ilnes'attendoit pas , fansun peril ex
tréme.Une double conſideration ajoû
toit encore une grande confiance aux
noſtres , qui ſe cuvenoient que b l'an
née precedente , les Romains ayant
fait des courſes dans les Provinces qui
font au delà du Rhin , ils ne virent ny
qui que ce ſoit quideffendiſt ſes foyers,
ny homme vivant qui vinſt au devant
d'eux :mais ayant coupé force arbres ,
ils en ayoient fait des barricades pour
258 AMMIAN MAR. Liv. XVI.
fermer les paſſages de cous coſtez : &
comme la froidure de l'hyver avoir deſ
ſeiché toute la campagne , les Barbares
chaffez horsdechez eux par la neceſſité,
eurentdela peine à y trouver des vivresi
Et, de ce que l'Empereur eſtant entré
dans leur païs,ils n'oferentny luy reſi
kter, ny comparoiſtre devant luy, ilsim
petrerent pourtant la paix , qu'ils de
mandcrent en toute humilité . Mais per
ſonne d'entr'eux ne prenoit garde que
les raiſons du temps eſtoient bien chan
gées, & qu'alors ils ſe trouvoient expo.
ſez à un triple danger : l’Empereur les
.

preſſantpar le païs des Grifons, & Ce


ſar qui les ferroit d'un autre coſté, n'a
voient gardede les laiſſer jainais échap
per : outre que les diſcordes les ayant
rendus ennemis de leurs voiſins, ils n'a
voiét pas encore eu le loiſir de ſefortifier
contre ceux quiles chargeoient conti
nuellement à dos. Mais depuis l'Empe
reur s'eſtant retiré apres leur avoir ac
cordéla paix , & les querelles s'eſtant
appaisées, les Nations voiſines cſtoient
auſli d'accord entr'elles: & l'infame re
:

traite d'un Capitaine Romain avoit


beaucoupaidé à fairecroiſtre leur fiercé
naturelle. Mais les affaires de Rome
furent encore empirées pour une telle
CONSTANTIUS ET JULIEN . 259
ocçafion , Deux frcres Roys furentunis
enſemble par le lien de la paix qu'ils a
voient obtenuë l'année d'auparavant de
l'Empereur Conſtantius, ſi bien qu'ils
n'oferent ny faire des troubles, ny le di
vifer.Mais peu de teinps apres l'un deux
appellé Gondomad , qui eſtoit le plus
puiſſant & le plus fermeà tenir la parole
qu'il avoit une fois donnée , ayant eſté
tué en trahiſon, tout ſon peuplefe ligua
contre nous avec nos Ennemis , & tout
1
auſſi-toft le peuple de Vadomaire , com
me ils l'aſſeuroient, ſe joignit avec les
troupes quinous faiſoient la guerre.De
l'avis donc des plus grands & des plus
petits , la reſolution fut priſe de comba
fre : Er commeperſonne ne rclâcha le
moins du monde d'une fi forte reſolu
tiö,un Porte- Enſeigne s'écria auſſi toit.
6. Allez , henreux Cefør , as voſtre bonne
fortune vous conduit. Enfin nous fentons
en nous-mefmes que c'eſt par vous seul
quela vertu les fages conſeils nous oblin
gent de combatre, Allez à nostre teſte ,
comme noſtre heureux Chef de valeu
reux Capitaine , qui marche devant les
Guidons i les Etendarts. Vous approu
verés ce que fera le foldat à la vue de
ſon braue Conducteur, & du perpetuel té
moin de ſes exploits : Pourvû que Dieu
260 AMMIAN MAR . Liv . XVI.

nous afſifte, il y fera ſans doute paroiffre


Son courage.
X ,

L'ordre de l'armée des Alemans , A


Ses principaux Capitaines. Iulien ani
me encore les fiens à la guerre, tant les
inconnus que ceux qu'il connoiſt de lon
gue -main .

Yant oüy ces choſes , comme on


AX donnoit point de relâche aux
crieries , on fit avancer l'armée auprés
d'une colline cultivée quis'élevoit dour.
cement ,où il y avoit déja du bledmeur:
Cen'eſtoit pas loin du lieu d'où le Rhin
prend ſon origine. Trois Cavaliers des
Ennemis parurent ſur une éminence ,
qui allerent tout auſli toſt avertir leurs
gens que l'armée Romaine approchoit.
Mais un homme de pied qui ne les pût
ſuivre, fut pris par les noſtres, & a nous
rapporta que les Alemans avoient eſté
trois jours & trois nuits à paffer la Ri.
viere. Er nos Capitaines les ayant bien
apperceus, coinme ils ſe mettoient par
pelottons, ils ſe tinrent fermes , ayant
mis ſur le devant b les piquiers pour ſer
vir commed'un murmal-aisé à rompre :
Etles Ennemis avec la meſme prévoyā.
CONSTANTIUS ET JULIEN . 261
ce le porterent de la mefme forre ſans
branler. Et, ſuivant le rapportde l'hom
me qui futpris , commeon eut eſté aver
ty que toute leur Cavalerie eſtoit op
posée à l'aiſle droite de l'armée Romai
ne , les Romainsmirent poure la leur à
l'aille du colté gauche ; & ils у mé
lerent pariny de l'Infanterie armée à
la legere , comme des avant- coureurs ,
celuy qui eſtoit avancé demandant ce fc
cours- là pour eſtre en plus grande ſeu
reté. Car ils ſçavoient bien que le gen
darme à cheval qui combat avec noſtre
ſoldat arıné detoutes pieces , qui tient
la bride de ſon chevalayec ſon bouclier
d'une main , & de l'autre ſeule lançant
le javelor , ne peut nuire en façon
quelconqueau ſoldar qui combat avec
larmer en tefte & le.corſeletde fer .Mais
le fantaſſin qui danslamelée n'a rien à
ſe donner de garde que de ce qui vient
devant luy, s'eſtantbaiſsé en terre où il
rampe ſans eftre apperceu , ayantdonné
de l'epéc dans le ventre d'un cheval, il
voit tomber à bas le Chevalier qu'il tuë
fort aisément. L'armée ayant donc eſté
rangée de la forte en bataille , dreſſa
des pieges cachez & des çmbuſches ob
{cures à fon aiſle droite. Or Chnodo
maire & Serapion , les plus puiſans
262 AMMIAN MAR . Liv. XVI.
Roys d'entre les Nations Alcmandes ,
commandoient à tous les peuples les
plus belliqueux . Et Chnodomaire qui
avoit allumé le feu de la guerre , por
tantau deſſusde ſon armet cun bolira
reler flamboyant,marchoit avec audace
à la teſte de l'aiſle gauche, & fe fioit à la
force extraordinaire de fon bras , pour
ſe ſignaler dans le combat, quand il ſe
roit le plus echauffé monté ſur un che
val écumeux , arméde toutes pieces , &
tenant un javelor à la main d'unepro
digieuſe grandeur , apres avoir donné
des preuves qu'il eſtoitbrave ſoldat , &
qu'il avoit des qualitez de Capitaine,
quile rendoient recommandable entre
tous les autres. Quant à Serapion , il
commandoit l'aiſle droite , quoy qu'il
fuſt encore bien jeune, n'ayant point
encore de barbe ; mais certainement fa
capacité devāçoit ſon âge, & il eſtoit fils
deMederic frere de Chonodomaire, qui
fut toute ſa vie l'un des hommes du mnó
de le plus perfide. Er de ce que ce pere
futlong-temps retenu dans les Gaules ,
où il fut donné en oftage, & que pen
dant le ſejour qu'il y fit , il apprit quel
ques ſecrets de la Langue Grecque, il
voulut que ſon fils fuit appellé Sera
pionau lieu d'Agenarich , qui eſtoit un
CONSTANTIUS ET JULIEN , 263 ,
noin de fa Nation. Cinq Roys ſuivoiét
ceux .cy avec une puiſſance preſque ég.?
le, & avec ces cinq Roys & dix perſon
nes Royales , une grande ſuite de Sei
gneurs , & trente - cinq mille hommes
armez de diverſesNations, partięmer
cenaires, & partie engagez pour ſervir
à leur tour, ſelon les conditions des
traitez ,
Comme les Trompettes eurent déja
cominencé de ſonner, Severe qui com
mandoit l'aiſle gauche de l'Atinée des
Romains , eſtant venu auprés des ree
tranchemens rernplis de gens armez ,
d'où il eſtoit ordonné
que les gens qui
s'y tenoient cachez devoient ſortir pour
mertre le deſordre par tout, ſe tint fer
me : & ſe defiant des lieux obſcurs qu'il
euſt dû paſſer, ilne voulutny ſe retirer
en arriere ny avancer plus avant. Ce
qu'ayant apperceu , Cefar quiaugmen
toit ſon courage à meſure que les tra
vaux eſtoient grands & perilleux ( il
avoit à la ſuite deux cent chevaux )
commela chofe preſſoit d'elle-meſme ,
il couroir de bataillons en bataillons ,
pour exhorter chacun à bien faire. Mais
commeil n'eſtoit pas poſſible de parler
à tous à la fois , parce qu'ils n'eſtoient
pastousenſemble, & qu'il euft eſté dif
264 ' AMMIAN MAR . Liv . XVI,
ficile d'aſſembler une ſi grande multitu
de en meſme lieu ( joint que par ce
moyen-là,il évitoit un grand ſujet d'en
vie , de peur qu'il euft ſemblé qu'il euſt
affecté un pouvoir qu'on tenoite qu'il
n'appartient qu'au ſeul Auguſte ) ayant
donc ſoin de luy meſme en cette occa
fion , allant plus vifte que les traits des
Ennemis qui eſtoient décochez contre
luy , il animoit à combattre valeureuſe
mentpar de tels diſcours & autres ſem-:
blables ceux qu'il connoiſſoit , & les
gensmeſmes qu'il ne connoiſſoit pas f.
Enfin , mes compagnons, le temps eft ve
nu que i'ay tant ſouhaité pour comba'tre
auec vous,et qu'il fembloit que vous fou
hairiez n’agueres auec tant de paſſion . Et
parlant aux gens de pied quimarchôient
apres les Enſeignes : Voicy , leur diſoit
il, voicy ce iour tant defiré , qui doit ren
dre
par nostre valeur la gloire qui a esté
rauie à la dignité du nom Romain. Nous
n'auons à faire qu'à des Barbares qui
entendent peu lemétier de la guerre ; mais.
Seulement , que la rage o la fureur ont
scy entraînez à leur perte. Puis ſe to :11
nantdu coſté de ceux qui avoientvieilly
dans les Armécs , il leur repreſentoit la
gloire qu'ilsréporteroiết ca cette occa
fon
CONSTANTIUS ET JULIEN . 265
ision . Et quand à pluſieurs qui avoient de
la peine à fe contenir dans les rangs, il
leur tenoit ce langage. Allons,mes com
pagnons , vous eſtes des gens de ceur, re
pouffons courageuſement tout ce qui nous
pourroit apporter de la honte , c'eſt pour

1
quoy ie ne me fuis iamais precipité de re
cevoir le nom de la qualité de ce ar. Et
à tous ceux qu'il voyoit qui demandoiết
inconliderément le ſignal debataille , & *
qu'il prévoyoit que par leur impatien
ce, ils pourroient rompre l'ordre du có .
mandement , il leur dit ; A quel deſein
voulez -vous tant precipiter l'honneur de

-
la Victoire , pour mettre les ennemis en
fuite ? Gerdez - vous bien ſeulcment d'a
bandonner le terrain à l'Ennemy, fi ce
n'eſt apres une neceſſité extréme : carpour
vous en parler ſainement, je ne veux ia
mais voir ceux qui auroient le cxur fila
che
que de frir : mais auſſi feray -ie pre
ſent indifferemment à tous ceux qui char
geront vigoureuſement l'Erinemy à dos, o
qui le feront prudemment de avec difcre
tion .
266 AMMIAN MAR . Liv . XVI.

XI.

Sanglante bataille entre les Alemans de


Les Romains , one ſe ſignalent principa
lement la ſageffe , la force , le como
rage inuincible de Iulien .

Epetant pluſieurs fois les melmes

poſa la plusnombreuſe partie de ſon ar


méc, au front de celle des Barbares. Et
toutauſſi - coſt on oüit un fremiſſement
quiſe mefloit à l'indignation des trou
pes d'Infanterie des alemans, qui éle
verent incontinent leur voix par une
conſpiration vnanime , laiſſant toute la
Cavalerie autour des perſonnes Roya
les, de peur que s'il arrivoit du deſordre,
& que l'Infanterie vintà lâcher le pied ,
ils peuſſent faire plus aisément la retrai
te. Chnodomaire deſcendit de cheval ,
& tout le reſte qui fit lameſme.choſe , le
fuivit au meſme inſtant , ſans que per
fonne miſt en doute que fon party ne
fult victorieux. Quand donc le ſignal
de combatre fut donné par le bruit des
Trompettes, les dards furent lancez de
part & d'autre : & les Alemans s'avan
de
çant avec plus de promptitude que
CONSTANTIUS ET JULIEN . 267
conGderation en décochant des traits ,
ils ſe jetterent avec furie ſur nos trou
pesde Cavalerie : & dans l'ardeur vehe
mente quiles pouſſoit , leurs chevelures
éparſes fe herifferent ſur leur reſte plus
qu'elles n'avoient de coûtume : unç
certainė fureur s'allumoir dans leurs
yeux : inais le ſoldar Romain opiniaſtre
ſe couvrant la teſte de ſa rondache , &
mettant l'epée à la main , ou brandiſſant
le javelot , qui inenaçoit de tuer , arrê
toit ſon ardcur & luy dónoit de la crain
te. Et commeſur le point de donner le
combat , la Cavalerie le prefſoit par El
cadrons, & que l'Infanterie la fortifioit .
par les coſtez , & qu'elle ſe couvroit le
front de ſes boucliers ſerrez , entrant
dans la mellée,des nuages d'une poullie
ré épaiſſe s'élevoient en l'air , quoy que
les courſes & les agitations furent di
verſes, tantoſt pour ſoûtenir les efforts
des Ennemis , & tantoſt pour les repouſ
fer. Quelques Barbares excellens guer ,
riers, ſe ſerrant les
genoux les unscon
tre les autres, s'efforçoient de repouſler
l'Ennemy : mais de propos deliberé , ils
méloient leurs mains enſemble , & les
Boucliers s'entre- choquoient rudemét.
.

L'air eſtoit remply des acclamations des


Victorieux & des cris des vaincus : &

Mij
268 AMMIAN MAR . Liv. XVI.
comme l'aifle gauche qui s'avançoit ſur
une eminence, cut repouſsé avec beau
coup de vigueur les troupes des Ale
mans, & qu'elle donnoit rudement dans
le corpsdes Barbares , noſtre Cavaleric
qui tenoit noſtre aille droite , lâcha le
pied fort mal à propos, contre l'eſperan
ce qu'on en avoit conceuë. Et tandis
que lespremiers qui prenoient la fuite,
empeſchoient les derniers, qui ſe trou
xerentcouverts du gros des Legions, ils
s'arreſterent tousde pied -ferme, & re
commencerent le combat. Ce qui arri
va de ce que ſur le point qu'on remet
toit chacun en ſon rang, les gensde che
val qui eſtoicnt armez de toutes pieces,
ayant vû lcùr" Capitainc legerement
bleſſé , & fon camarade accablé ſous le
poidsde ſes armes, ayant eſté renverse
parlateſte d'un chevalqui le choqua rų.
dement, chacun y pouvoit tomber éga
lement , & l'Infanterie en paſſant par
deſſus cuſt troublé toutes choſes, ſi elle
neſe fuftpoint reſſerrée, & ne fultpoine
demeurée ferme. Cominedonc Celar ſe
fut apperceu de n'avoit point d'autre
>
reſſource que de fuir, il' lâcha la bride de
fon coſté , & fe mit devant elle pour l'ar
reſter, & pour luy oppoſer une eſpece de
CONSTANTIÚS ET JULIEN . 269
barriere. Ce qu'ayant reconnu par la
cornette dePourpre du dragor , où b leś
dépouilles de la vičilleſſe ſont appan
duès au bout d'une lance , le Tribun
d'une troupe s'arrelta tout coure , & le
fentant touché de
regret de ce que la
crainte l'avoit fait pâlir , il retourna
pour rallier les gens & les remettre en
bataille. Et Celar les reprit ainſi avec
beaucoup de douceur. Où allons- nous ,
dit- il , valeurenſes troupes ? ignorez :
vous que la fuite qui n'a " iamais eſte
un bon remede poitr se ſauver , ne faffe
cönnoiſtre à tout le monde la honte qui
nous allons recevoir , fi noſtre entrepriſe a
esté inutile ? Retoumons au fecaurs de nos
compagnons pour le moins, afin d'avoir
part à leur gloire future , fi combattant
pour la Republique nous ne les avons
point lâchement abandonnés. Diſant ces
choſes, avec grande authorité, il rame
na tout le monde à fon devoir , ayant
imité,c fans comparaiſon,le vieux d Syl
la , qui combattant contre Archelaus
Lieutenant general de l'armée de Mi
thridate , fut abandonnéde tous ſes fol
dats au fort de la bataille . Il courut à la
reſte du premier rang , & ayant pris l'é
tendare qu'il jertà pariny les Enneinis;
M iij
270 AMMIAN NIAR . Liv. X VI.
Allez , dit-il, mes compagnons, qui as
vez eſté choiſis avec moy pour courir tou
tes les fortunes de la guerre , ou à ceux
qui vous demanderont où vous avez laif
sé voſtre General , vous leur répondrez ,
ſans leuren faire acroire ; qu'il est demeuré
ſeul pour une fois en Beotie , o il.com
bat nos Ennemis aux dépensde fon ſang.

L'âpre combat quifut foutenu par les gens


de pied avec un ſuccés diuers. Enfin
les Alemans mis en fuite, souffrent
une horrible defaite.

Es Alemans ayantpouſsé & mis en


I re noſtre Cayaicrie , attaque
Ldeſord
rent le premier bataillon de nos gens de
pied , croyant bien qu'ils l'enfonceroiét
n'ayant plus de courage de reſiſter .Mais
quand ils en furentproches ,on coinba
tir long -temps avec de pareils ſuccez.
Car les Legions a Cornute & Bracca
te afleurées par le frequent uſage des
combats, éconnerent les Ennemis par
leur contenance , & par le terrible bour
donnement qu'elles firent, d'où une
grande clameur s'éleva quand la batail

+
CONSTANTIUS. ET JULIEN .' 271
le s'éch auffa , & caut peu à peu à la ina
niere des flots qui choquent les Ro
chers. Enfin la poudre s'élevant d'un
mouvemét égal parmy la foule des traits
qui fremiſfoient en l'air , & qui offuf
quoiér la vuë, faiſoit choquer rudement
les armes contre les Armes , & les corps
contre les corps. Mais les Barbares
tranſportez de vehemence & de cour
roux paroiſloicat enflammez : & ferrant
Icursboucliers les uns contre les autres ,
folltenoient l'effort des noſtres ben for
me de Tortuë, & tailloient en pieces par
les coups qu'ils donnoient de leurs ef
pées. Les & Bataviens accoururent au
ſecours de leurs Amis avec cinq Roys
( cette troupe formidable eſtoit capa
ble de retirer d'un peril extréme , ceux
quieſtoientpreſſez de toutes parts ; file
fort des Armes leur euſt eſté favorable )
& comme ils ſonnerent de leurs cornets
retors, on euft dit que la bataille repre
noit de nouvelles forces. Les Alemans
en parurent plus animcz ; leur courage
s'augmenta, & il ſembloit ( tant leur fu
reur eſtoit allumée ) qu'ils alloient tout
exterminer. Cependant de l'autre coſté
les darts & les javelots tortus inceſſam
ment lancez , les fléches acerées pleu
M iiij
272 AMMIAN MAR . Liv . X v 1.
voientde toutes parts : quoy quede prés
unc pointe detrait frappoir contre une
autre pointe , leurs cuiraſſes eſtoient en
tre- ouvertes par les lamesde fine trem
pe , & ceux quicftoient bleſſez n'ayant
point encoreversé leur fang , fe follle
voient encore pouroſer entreprendreun
dernier exploit.
Enfin les uns & les autres eſtoient
preſque égaux . Les Alemans eſtoient
grands & robuſtes, & nos ſoldats eltoiét
accoûtumez à la guerre par un longula
ge. Ceux-là eſtoient farouches & turbu .
lens, & les noſtres eſtoientpoſez & ar
tificieux. Ceux- cy pleinsdeceur, & les
autres d'une grandeur de corps fort avā .
tageufe.LeRomain abbatu ſous le poids
de ſes armes, ſe relevoit quelquesfois,&
le Barbare pliant le jarret gauche , le
fouloit de ſes genoux laſſez
pour l'érou
fer, qui eſtun ſigne d'une extrémeopi
niaſtreté. On vid auffi-toft ſortir avec
une ardeur nompareille l'Eſcadron des
perſonnes de qualité , où il y avoit des
Roys, ſuivis de leurmilice , qui atta
qucrent nos troupes de referue, & qui
s'ouvrirent le paſſage juſques à d la Le
• gion des Primans, quieſtoit au milieu du
& corpsde bataille ( quis'appelle la forte
CONSTANTUS ET JULIEN . 173

)
reſſe de la garde Pretorienne ) où les
foldats ſe preflant le plus fore dans leurs
rangs, tenoient fermes cóme des tours,
puis le combat ſe reprit avec une n01t
velle vigueur. Celuy quieſt dans la mé
lée évite les coups adroitement, & ſe.
couvrant comme un Gladiateur de la pe:
cite rondache , il donne de l'épée jul
qu'aux gardes dans les flancs de ſon en
nemy. Cependant ceux-cy s'abandon .
nant courageuſement dansle peril pour
obtenir la victoire, s'efforçoient de for
cernos troupes ; & de rompre nos ba
taillons : Ils ſe ſubſtituoient les unsaux
autres pour prendre la place de leurs
gens, que lesnoſtres avoient tuez . Mais
enfin
ayant oüy les cris de leurs bleſtez ,
parmy la foule des morts , la peur les
ſaiſit, & ſe trouvant extrêmement fati
guez , leurs plus braves gensne virent
plus d'autre moyen de fe ſauver que
danslafuite ; C'eſt pourquoy ils hâte
rent leur retraite par divers fentiers
comme ceux qui fe lauvene du nau
frage.
Quiconqüe fut preſent à cette occa
fion avouëra , je m'affeure ; qu'elle fur
plûtoſtuneheureuſe ſuite denoſtre ſou
hair, que de noſtre eſperance , & que ce
Mv
394 AMMIAN MAR . Latv. XVI.
fut un effer de la bonté d'unedivinité fa ..
vorable. Le ſoldat chargeant à dos ſur
celuy quiprenoit la fuite , enfin les ef
pées eſtant émouſsées, ou les lames s'é
tant pliées à force de battre , & ne fe
trouvant plus d'inftrumens pour fraper,
il plongeoit les darts des Barbares dans
leurs propres entrailles , Perſonnen'ai
ſouviſſoit ſa colere par le fang des tuez :
nulle inain ne ſe contentoit des maſſa
cres qu'elle avoit faits, & on n'exerçoit.
pointdemiſericorde vers ceux qui l'im
ploroient.Pluſieursmortellement blef
ſez par terre , demandoient qu'on leur
filt la grace de les achever . D'autres à
demymorts, ou eftant prés d'expirer ,
cherchoient encore à leurs yeux mou:
rans l'uſagede la lumiere: les teſtes de
quelques-uns tronçonnées par de lar
ges épicux, eſtoient encore attachées au
goſier . Pluſieurs eſtoicnt tombez ſur le
terrain gliſſant & fangeux par le ſang de
leurs compagnons, quoy qu'ils ne fuſe
ſent point bleflez , eſtoient étouffez fous
la foule des paſſans. Toutes ces choſes
s'eſtant donc paſsées avec beaucoup de
bon-heur pour le victorieux , comme il
s'encourageoit toûjours de plus en plus
à pourſuivre fa victoire, les pointes de
CONSTANTIUS ET IULIEN . 275
ſesarmes s'émoufferent par les coups: &
lesarmers luiſans & les boucliers eſtoiét
roulez ſous les pieds. Et pour comble
dedeſaſtre pour les vaincus, les Barba
res ſe voyant empeſchez de paſſer par la
foule des morts qui eſtoient élevez de
vant eux en pile comme un rampart ,
chercherent à ſe ſauver du coſté de la ri
viere , quifut l'unique recours quis'of
froit
pour favoriſer leur fuite. Er
t parce
queles Romains les preſſoient vivemét ,
quelques-uns qui fçavoiene nager , ſe
jetterentdansle fleuve , pour le traver
fer. C'est
pourquoy Ceſar prévoyant
le danger d'une chaleur fi bruſque, prit
avis avec les Tribuns & les Capitaines
d'empefcher l'armée parde fortesrepri.
mandes de pourſuivre l'Ennemy plus
loin, de peur qu'en le pourſuivant avec
trop d'avidité, il n'y en euſt quelques
uns quiſe jettaſſent auſli dans l'eau , &
qu'ils ſemiſſent en danger deperir,parce
que le fleuve eſtoit profond , & que les
eaux eſtoient groffies. D'où vint que
les noftres s'arreſtant ſur la rive du feu
ve , tirerent ſur les Alemans, de qui fi
la legereté en fauvoit quelqu'un ,iltom
boit au fond de l'eau par la peſanteur
du corps : Et comme il arrive en quel
11 vi
276 AMMIAN MAR , Liv . X VI.
que ſpectaclede Theatre, où les tapiſſe
rics font voir des choſes admirables, il
eftoit auſſi permis d'en voir beaucoup
en ce lieu - là fans crainte ; quelques.
uns qui ne ſçavoient pas nager , qui
s’atta choient à ceux qui en avoiene l'u
ſage & l'experience , d'autres qui flora
toient con /medes ſouches, n'ayantplus
de forces , quoy qu'ils euſſent eſté des
plus adroits en cette forte d'exercice.
D'autres encore qui ſe voyoient em
portcz par la rapidité du fleuve, ou de
vorez par la furie des flots : Et quel
ques-unsportez ſur leurs propres bou
cliers , comme ſur de petites barques,
qui s'eſtant détournées commeles eaux
quand elles choquent des maſſes qui
s'oppofent à leur courant, attaignirent
l'autre rive , apres beaucoup de perils.
Enfin le liet du fleuve écumeux fut teint
da lang des Barbares , & en fut enfile .
d'une maniere étonnante.
CONSTANTIUS ET JULIEN , 277

XIII.

Chnodomaire retiré du lieu de fa fuite ,


est amené à Tulien quile reçoit hursai .
nement, a l'envoye à Rome, oxo:il finit
ſes jours. Les flatteurs de Conſtantius
obfcurciſſentla gloire de la Victoire et
de toutes les belles aétions de Julien ,
pourla donner toute entiere à Conſtan
tius quiestoit alorsen Italie, et qui en
tira de la vanité.
I

E Roy Chnodomaire ayant trouvé


une voye pour ſe retirer , ſe gliſſa
entre les Morts : & avec peu de gens qui
reſterentaupres de luy , il ſe fauva dili
gemment au Camp qu'il avoit fortifié
aupresde A Tribunce & . de Concorde,
deux bonnes.płaces qui appartenoient
aux Romains , afin , en cas de neceſſité ,
d'y mettre en ſeureté les batteaux qui
montent par le Fleuve . Et parce qu'il
n'y pouvoic arriver qu'en paſfant le
Rhin , s'eſtant couvert le viſage depeur
d'eſtre connu , auffi-toft il retourna fur
ſes
pas. Ercommeil fut prés des rives
du Fleuve , ſe jettant pour paſſer dansun
licu mareſcageux,il n'en eut pas ſenty le
fonds qui eſtoit plein de bourbe & de
278 AMMI'AN MAR . Liv . XVF
fange,qu'ildeſcendit decheval;& quoy
qu'il fuſt peſant'ayant le corps épais, ſi
eſt-ce qu'il échappa d'un lieu ſi dange
reux & fe fauva ſur une colline proche.
Où eſtant reconnu ( car il ne pût diſli
muler qui il eſtoit , la grandeur de fa
premiere fortune l'ayant trahy.). Aufli
toſt une Cohorteavec un Tribun l'ayant
fuivy à perte d'haleine, l'afliegea fur'l'é
minence couverte debois , où il s'eſtoit
retiré ,ne faiſant point dedoute qu'il ſe
roit pris ou défait en ce lieu - là , a
par
quelqueruſe cachée , il neſe jettoit dans
le fort du bois. Mais enfin Chnodomai
re ſe trouvant ſaiſi de la derniere crainte,
fansſe voir aucune eſperance d'échapper
de ce lieu - là , ſe rendit volontairementà
la diſcretion de ſes ennemis , eſtant forti
feul: Er les deux cens trois hommes les
amis intimes qui l'avoient accompagné,
Croyant qu'ils feroient un crime,s'ils vi
voient apres leur Roy , ou s'ils nemou
roientpas pour luy , G la fortune le vou
loit ainſi , ſe livrerent également pour
eftre faits priſonniersavec luy . Et com
me les Barbares, ſelon leur naturel , ont
i le cæur basdans l'adverſité , & ſontmé
• connoiſſables dans la proſperité,ileſtoit
traîné tout pâle dansla fervitude eſtran
gere, le reinors de ſes crimes luy fer
CONSTANTIUS ET JULIEN . 279
manr la bouche , forr differenr de ce
qu'il eſtoit , quand apres avoir inſulté
ſur les cendresdes Gaules qu'ilavoir ra
vagéespar une ferocité funeſte , il leur
faiſoit encore desmenaces cruelles .
Toures ces choſes sóftant heureuſe
ment terminées par une faveur fingulie
re de la Divinité fupréme; Enfin apres
cette grande journée , la trompette ayāt
fonné la retraite , l'Armée invincible .
prit la route vers la Montagne d'où le
Rhin prend la ſource : & Te fortifioic
dans tous ſes logemensd'un double rang
de ſoldats quiportent des Boucliers tour
à tour, afin que le reſte priſt ſa refection
en ſeureté , & qu'il dormiten repos.
Il y eurde tuezen cette bataille 243.
Romains , & quatre chefs principaux
Baïnobaudes Tribun de la legion des
Cornutes , Laipſo quiavoit une parcil
lecharge de Tribun de la guerre , Inno
cent qui commandoit le corps des gens
de Chevalarmez de toutes pieces , & un
autre Tribun dont le nom ne revient
à

pas mon ſouvenir . Et pour les Ale


inanson cn trouva ſix b mille corps fur
:

la place , & une quantité innombrable


de morrs furent entraînez par les eaux
du Fleuve. Cetre Victoire G heureuſe
mentremportée fir que tous les ſoldats
280 AMMIAN MAR , Liv . XVI.
proclamerent Julien Auguſte;mais con
meil eſtoit plus grand que la fortune, &
plus puiſsãt par ſon merite que par PEm
pire , come il en fit une grande repriman
de à la Milice , il protelta qu'il n'aſpiroit
ny cér honneur, 'ny qu'il ne le vouloit
point du tout recevoir. Et pour faire
croiſtre la joge d'un ſi heureux évenea
ment, on layamena Chnodomaire , qui
s'eſtantpremierement profterné, & puis
jetrépar terre devant luy ,lc fupplia tres.
humblementde luy pardonner, & fir ce.
la , ſelon la coûtumede ſon païs. Mais
Julien luy dir; qu'il prift courage. A quel

-
ques jours de là , il furmené à la Cour
de l'Empereur : & de la Cour , il fut en
voyé à Rome,où eſtant logédans l'Hô
.tel des Princes Etrangers , qui eſt ſur le
MontCelien , ily finit les jours parune
lethargie qui le prit , & quiluy fut cau
féc parune vie ocieuſe , à laquelle iln'é
toit point accoûtumné.
Apres un exploit fi memorable , il y
eurdes gensdans le Palais de l'Empereur
quiblâmerent Julien ,pour réjouirCon
ftantius , & l'appellerent meſmepar dé
riſion c Victorin , de ce qu'il n'avo
point de honte de fe vanter que depui.
qu'il eſtoit Empereur , il avoit ſouvent
furmonté les Alemans. Et ourre l'exag
CONSTANTIU S ET JULIEN . 281
geration des vaines louanges qu'on luy
donnoit , & l'oſtentation des choſes qui
avoient de l'éclat , ils faiſoient croiſtre
la vanité de l'Empereur qui n'y eſtoit
déja que trop porté de ſon naturel , luy
attribuant la gloirede tout ce quiſe fai
ſoit degrand ſur la terre. De-là vint que
fut la bonne opinion que fes Aatteurs
luy avoient fairconcevoir de fa perſon
ne, il eut bien l'arrogance de publier par
ſes propres Edicts qu'il eſtoit le ſeul qui
avoit combata & vaincu, quoy qu'il ne
fe fult trouvé en pas ime occaſion de :
tolit ce quis'eſtoit fait, & qu'iln'y avoit
point cu de part, il cſcrivoit qu'il avoit
quelquesfois reſtably desRoys,des Na
tions quand ils s'eſtoient humniliez des
vant luy : Et li , par exemple , comme il
eſtoit en Italie , quelque Capitaine euſt
fait quelque belle expedition contre les
Perles, ſans faire aucune mention de luy
dans une longue narration qu'il en fai
foit écrire , il envoyoit des Lettres tou
tes pleines de ſes Victoires au dommage
des Provinces par les contributions qu'il
en exigeoit , par leſquelles il faifoit en
tendre avec une vanité odieuſe qu'il y
avoit eſté en perſonne , entre ceux qui
s'y eſtoient le plus ſignalez. Enfin il y a
deles Edićts , dans des actes publics affi ,
* AMMIAN MAR. Liv . XVI,
chez au nom du Prince , où il s'exalte
foy.meſmeen racontanttous ſes grands
exploits , comme lors. que la bataille ſe
donna quarante jours apres ſa ſortie de
Straſbourg , & décrivant cette bataille ,
ildit que ce fut luy-meſine qui rangea
l'Armée , où il eſtoit en perſonne entre
ceux quiportent les Enſeignes, & qu'il
inir les Bårbares en fuite : En ſuite de
quoy Chnodomaire luy für preſenté
( quelle indignité !) ſansdire pas un ſeul
mor des glorieuſes actions de Julien,
qu'il euſt volontiers enſevelies dans
l'oubli par un odieux filence , ſi la Re
nommée qui publie les choſes memora
bles pouvoit ſe taire , quand pluſieurs ſe :
voudroient efforcer d'en obſcurcir la :
veriré.
283

2012 ON
0.5

REMARQUES
3

SVR

LE XVI. LIVRE D'AMMIAN .

I.

'Empire Romain , ou danslemonde:


Romain ,ſelon les propres termes
del'Autheur , per orbem Romanum ;
c'eſt à dire danstoute l'étenduë de
l'Empire. Et c'eſt ainſi meline qu'il eſt écrit
dans l'Evangile , Exivit edictum à Cæfare Au
gufto , utdefcriberetur univerfus orbis , ou ilne
faut rien entendre davantage que le meſine
Empire ,où l'ambition Romaine n'euſt point
youlu preſcrirede bornés plus étroites que
du Monde entier .
b Conſulpour la 8. fois. Ce fut l'an 356. de
Noftre- Seigneur , & le premier Conſulat de
Julien Ceſar. Tout le reſte de ce Chapitre eft
un abregédes grandes louanges qu'il ſe pro
poſe de donnerà Julien ,dans la luite de ſon
Hiſtoire,pour lemerite de ſes belles actions .
c Autun. C'eſt l'ancien & celebre Auguſto
dunum Heduorum des Anciens où paſſe la Ri
viere d'Aroux qui va tomberdans Loire. On
avoit donné anciennement à cette Ville le
nom de Flavie à cauſe du nom de Flavius que
portoit Conſtantin , comme il ſe peut voir
par le Panegyrique d'Eumenius. Et Tacite
284 Remarques
dans ſon 3. Livre eſcrit que la principale Not
bleſſc des Gaules faiſoit élever ſes Énfans
Autun ,
d Marcellus Colonel de la Cavalerie. Conftan
tius l'avoit mis aupresde Julieu pour veiller
à ſes actions avec Saluſte , & avoir le com
mandement general ſur toute l'Armée , ſans
rien laiſſer à Julien que la qualité de Ceſar,
au rapport de Zozinnedans ſon z. Livsc .

II.

Is Maximes , ou des Axiomes de Solon ,


* Dile le nom de Solon ayant cite icy adjovité
pour l'intelligence de ce que l'Authcur velit
dire en cét endroit .
b Caton de la Ville Tuſculane , ou Caton Tur .
culan , ſelon les propres parolesde l'Autheur.
C'eſt à dire Marcos Porcius Cato originaire
de Tuſculi, qui fut élevé par fa vertu aur
honncurs ſuprétnes , & qui avoit exercé la
Charge de Cenfeur.
c. Le grand ſoin de la bonne chere doc. Si cç
ſentiment eſt veritable , quelle opinion de
vons nous avoir deceux quieftant prepoſez
pour ſervir d'exemple à tousles autres , pra
tiquent neantmoinstoutle contraire , & qui
exigent pour cela des taxes de ceux qui leur
font ſoumis ?
d Phaiſan . Parce que c'eſtoit un manger
trop delicieux pariny les anciens, aúlli bien
que la tetine ou le venire d'une Truye , & le
foye d'une Oye .
e. En trois'temps , ou pour trois choſesdiffe
rentes ad officia dividerat tripartita. Qui eſt
une marque d'un homme veritablement: la
boricux & quiavoit grand ſoin de la repus
ration .
furile 16. Livre d'Ammian . 285
ſ D'une douteuſe ſplendeur , parce que les
étoffesde foye éclatent diverſement ſelon les
oursauſquels elles ſont expoſées.
** LA Theologie , ou plúroft la Philoſophic
qui eſtoit la Thcologic des Anciens , parce
que cette Philofophic faſoic connoiſtre la
nature des Dieux.
hil avoit ſuffiſamment l'uſage de la Langue
Latine. Car Julien parloit Grec ordinaire
ment , & les Livres que nous avons de luy
ſont en Grec.
i Avoit épuiſé tout le vaiſſeau de la memoire ,
pour dire qu'il en avoitbeaucoup.Ce qui luy
acquir la connoiſſance de tapt de chofes iin
portantespour luy faire meriter la gloire d'ê
yeun Prince digne de commander à pluſieurs
Nacions.
k Parla Pyrrique. C'eſtoit pour de certains
cxercices de Guerre qui ſe faiſoient au ſon
des Auftes & dés Tambours , li toutesfois
l'uſage des Tambours eſtoit en ce temps-là .
Ce qui ſe faiſoit fans parler avecdes geſtes
& des poſtures differentes.
| Lebas femet donc. par ces paroles du Latin .
Clitella bovi impoſite sunt , planènon eft noftrum
onus. Qui cſtapt une eſpece de Proverbe, j'ay
jugé à propos de le rendre du mefmeair avec
unemeſure de Vers .
m iln'y en eutplus que fept. C'eſt une grande
diminution ſur le peuple de 25. à 7.mais d'en
öterencore tous lesreſtars du paſſé , pour le
çoulagementdespauvres ſujets , c'eſt une li
beralité de Prince qu'on ne ſçauroit aſſez
loüer , aufli acquit: elle enmeſme temps à Ju
lien les cours de tout le monde, & aſſeura Com
Empire dans lesGaules ,
286
Remarques

III.

Edecin des porteursde Boucliers, ou des


' M faileurs de Boucliers ou
des El.
cuyers , pour parler ſelon noſtre uſage : car
chaques Legions & chaques forres d'employs
& demétiers avoient leurs Medecins. Ainſi
eſt- il fait mention du Medecin de la ſeconde
Legion appellée Adjutrice dans le Code de
Juſtinien en la Loy 1. de Profeſſoribus Me
dicis. Etdans une vieille inſcription ſe trou
ve nommé le Medecin de la cinquieſine co
horte Pretorienne , dont il ſe pourroit voir
beaucoup de choſesdansle chreſor de Golt
zius , & dans les inſcriptions de Greuter. M.
Valois.
b . Centenier ou Centurion , des choſes quiſe doi
venttenir prupres. C'eſt à dire qui devoient te
nir uettes les ftatuës & les fimulachres de
bronze & de marbre qui eſtoicnt élevées en
divers lieux dans Rome, & faire le guet la
nuit avec des ſoldats , pour empeſcher que
quelqi’un ne les vint rompre. Depuis au licu
d'un centenier ou Centurion de ces choſes
àmeſines , on fit un Tribun , qui eſtoit fous
la charge du Prefect de la Ville, comme il eſt
marqué dans la Notice de l'Empire . Enfin ,on
appella Comte celuy qui ne portoit aupara
vant que la qualité de Tribun pourcette forte
d'employ . ld .
c Adelphius. Clodius Adelphius qui fut
Prefect de la Ville apres le Conlular de Ser
gius & de Nigrinianus, en l'an du Seigneur
351. Id .
Le Commiſſaire General de l'Armée . Il l'ap
pelle Magifler armorum , entendant parler de
Sur le 16. Livré ďAmmian . 287
Marcellus,duquel il a eſté parlé au 15. Livre
ſelon la penſée de Monſieur Valois. Je ne
Açai pas neantmoins ſi je rendrois aſſez for
tennent ſelon ſon ſens la qualité de Magifter
Armorum , qu'il ſemble interpreter comme
Colonelde l'Infanterie ou de la Cavallerie .
e Ils le taillerent. C'eſt à dire le charrerent,
ayant interpreté ainſi ces paroles abſtractis
gemins , pour le rendre.enticrement incapable
d'engendrer.
f vn pex leger. Il attribuë cela aux meurs
Aſiatiques ,dans le ſentimentde preſque tous
les Anciens qui affectoientcoûjours quelque
imperfection particuliere à chaque Nation .
Cripetipe , ou Drypetis , qui eſtoit le noin
que porroit la fille de Darius, laquelle Ale...
Sandre donna pour femmeà Epheſtion , au
raport de Diodore & ďAmmian . Si Dripetine
portoit le meſmenom que cette Princeſſe de
Perre .
h Syxhore ou fimplement Sy'nore qui eltoic
l'un desgs. Chaſteaux que Mithridate avoid
bâris dans la petite Armenie pour y garder
Ics Troupes.

IV •

Homme nous l'avonsdéja dit. C'eſt au 1.5.


* C2 Livre , où cette Hiſtoire eſt racontée
tour du long .
b Le Tombeau de Diocletien . Il n'eſtoit pas
loin de Salone en un Chaſteau appellé Aſpald
te, ſelon le témoignage de S. Hierofme dans
ſa Chronique. On y mit an Poële de Pourpre,
parce qu'enfin il futconſacré entreles Dieux
Apres lamort. Ce quin'eſtoit point arrivé à
aucun autre avant luy qui fuſt mort dans une
288
Remarques
condition privée , comme Diocletien y mo!..
rut s'eſtant volontairement dépouillé de
l'Empire pluſicurs années avant la mort, M.
Valóis.
c Maportius. C'eſt Marortius Lollianus à
quiJulius Firinicus dedia ſes Livres d'Aſtro .
nomie . Il fut auļi Conſul avec Arbecion en
la 355. année de Noftre- Seigneur.
Couvertures.deli &t. Il faut neantinoinsen
tendrede ces fortes de licts deſquels les An
cicos ſe fervoientpour ſe mettre à table.
e Queſteur. Il y a icy une lacune , qui nous
Öte la connoiſſance du nom de ce Queſteur.

V.

N la ſeconde Prefecture d'Orfite. C'eſtoit


* EM ſousle Conſular de Conſtantius Augų .
fte pour la 9.fois , & de Julien Ceſarpour la
feconde quífur l'an de Noſtre- Seigneur 357 .
Ce qu'il décrit en ſuite eſt une choſe aſſez
curieuſe .
b.L'aſyle de tout le monde. Parce qu'on rece
voit alors dansle Senat Romain des hommes
de toutes parts. Mais la loüange que penſe
luy donner en cecy l'Empereur Conſtantius
eft aflez impertinente , aufli bien que l'opi
nion qu'il conçoit en ſuite que tout le mon
de fuſt venu à Rome pour le voir, & pourad ,
mirer la pompe de ſon triomphe. A la verité
les Princes glorieux ne voyent gueres de
choſes au delà de celles.qui combent ſous
leur ſens , & ne s'en mettent pas fort ep
peine.

VI.
fur'le 16. Livre d'Ammian . 289
VI.

grandeur, ſoit qu'ilfaille entendre cea


*S4 la de Rome , ou de la place auxharail
gues qui eſtoit fort ſpacicuſe dansRome.
b .Les ſobriquets du Peuple , par cesmots Dicke
citate plebis obie&tabatur : car d'ordinaire le
peuple ſe plaiſt à parler detoutes choſes , &
quoy qu'il en parlemal , cela ne laille de ré
jouir quelquesfois les Princes quand ii mar
que pour eux des lentimensde reſpect.
c Au desſus des humaines, ou terriennes.
d Le Pantheon comme une Region entiere . Ce
Temple eſt encore debout, & l'on peut dire
de ce qu'il s'en voit , que la grandeur n'a ja ,
mais eſté telle qu'elle meritait une ſi grande
cxaggeracion . Qu'auroit- il pû dire de l'Egli
ſe de S. Pierre de Rome de la ſtructure de
Bramante & de Michel Ange , qui enferme
soit fix Temples commele Pantheon ?
e Le Temple de la Divinité de la Ville. C'eſt à
dire de la Deefle Roma qui avoit auſſi un
Temple proche lemarché de la Paix , & qu'il
appelle enſuite la Ville éternelle , dans la
penſée que les Romains avoient qu'elle ne
comberoit jamais de la hauteur où elle ſe
voyoir élevée au deſſus de toutes les autres
Villesde la Terre , dont elle effaye toûjours
au moins de conſerver quelque Image.
f Hormiſda, C'eſtoit un frere de Sapores
Roy de Perfe , & meſme plus âgé que luy ;
mais pouravoir un jour nienacé les Grands
du Royaume quine s'eſtoient pas levez en la
preſence , leurayant témoigné qu'il s'en rel
ſentiroic en leur faiſant Louffrir le meſme
Lupplice qu'avoit cadure Marſyas, c'eſt à dire
N
290 Remarques
qu'il les feroit écorcher tout vifs ; quand le
Roy Narſes ſon pere füc mort , ils éleverent
en la placc Sapores , qui fit auſſi-toſt jetter
Hormifda dans les fers , d'où quelque temps
apres ayant efté délivré par l'industrie de la
femme , il ſe refugia aupres de Conſtantin ,
comme le rapporte Zozimedans ſon 2.livre,
& Suidas ſous le nom de Marlyas. M..V .
g D'un air eſtranger ou d'unemaniere de ſon
Pais goſtu gentili : car chacun conſerve tolls
jours quelque mode & façon de faire de ſon
'Païs.
i Elle cherchadu poiſon . Juſques ou va la ja
louſie d'une femme ambitieuſe qui eſtant ſte
rile , ne veut pas qu'Helene la belle-sour
femme de Julien ait aufli des enfans.
K Ls 4. des Cal. de luin . C'eſt à dire le 27.de
May . Si bien que de ce licu -là il eſt aiſé de
voir que l'Empereur Conftantius n'ayant ſe
journé que trente jours à Rome il y arriva
donc le 26. jour d'avril, luy-meſme eftant
Conſul pour la ncufviéme fois avec Julien
pour la feconde .
VIU .

Averne. C'eſt ce qu'il appelle Trestaber


* S Miss,quieſt dans l'Alſace aupresde Ştral.
bourg , & de Saliſonc , coinme le reinarque
Scaliger ſur le premier Livre de ſes diveries
Leçons ſur Aufone, & Lindebrugcius fur ce
melme licu . Car ce n'eſt pas un autre lieu ap
pellé Tabernas Rhexanas "ſurile Rhin dans le
païs desNemetes qui cſt Spire, come l'a pen
ſé Cluverius au : . Livre de ſon anrique Ger
manic au Chap .12. Ceque le Jeſuite Pctaua
refuté dans ſes Noces , Iur les Epiſtresde Ju
lica .
Jur le 36. Livre d'Ammian . 291
b Des Ambaſſadeurs, ou desHeraults,con
me Libanius le fait aſſez entendre dans l'Ó
faiſon funebre qu'il écrivit pour Julien .

IX .

Ecentius Ceſar. C'eſtoit le frere de Mar


1

de Ceſar dans les Gaules pour les conſerver,


ainſi que l'eſcrivent Eutrope & Aurelius Vi
ctor. Toutesfois Zoziinc eſcrit
que Decen
tius n'eſtoit que Couſin de, Magnence ; mais
il eſt le ſeul, il fut Conſulavec Paul en l'an
née 352. comme il.paroiſt par les fites
uous a donnez Cuſpinien : Et de ſon nom quc
quelques ſoldats furent appellez Decentiens,
deſquels Ammian fait mention .
b L'année precedente . Conftantius Auguſte
pour la feptieſme fois , & Conſtantius Gallus
Ceſar pour la troiſicſmefois eſtant Conſuls;
c'eſt à dire l'an 354. dc Noftre-Seigneur : car
indubitablement il entend parler de l'cape
dition de Conſtantius contre Gundomad &
Vadomaire freres Roys des Alemans , de la
quelle il eſt parlé au 9. Chap. du 23. Livre.
c. Allez heureux Ceſar donc. La grande opi .
nion que l'Armée Romaine a de la valeur &
de la ſageſſe de Julien Ceſar, augmente lon
courage de telle forte qu'elle eſpere de tout
vaincre.
X.
A
T nous rapporta . Cette façon de parler
E. fait connoiſtre qu'Ammian Marcellia
eſtoit dans l'Ar mée .
6. Les Piquiers .C'eſt ce qu'il appelle Anto
.pilanis baftatiſque , ou bien des porteurs de
Nij
292 Remarque's
darts & de jayelors ſelon l'anciennemilice .
c Portant au deſſus de son armet un bourrelet
flamboyant :-car c'eſt ainſi qu'il faut tourner
cujus vertici flammeus torulus aptabatur: Ce
qu 'ildécrit avec beaucoup d'élegance , mais
non pas ſans bçaucoup de difficulté pour en
faire une expreſſion agreable & jufte en nô
tre Langue.
d Dix perſonnes Royales , tous fils deRoys ou
Princes du ſang Royal. Ce qui rendoit cette
ármée fortleite & fort conſiderable.
e Qui n'apparlient qu'au ſeul Auguſte. C'eſt à
dire à la perſonne ſeule de l'Empereur donc
a
Julien s'abſtint avec grand ſoin de peur de
donner de la jalouſie a Conſtantius, qui d'ail
leurs eſtoit aſſez deffiant , & il y avoit des
Officiers dans l'Armée qui peut-cſtre auſſi
l'euffent trouvé fore'mau yais.
f Enfin mes Compagnons doc . Ces harangues
bruſques & militaires , directes & indire
tes ſont adınirablesdans la bouchë d'un Ca
pitaiuc aufli bravc & aufliprudent que l'eſtoit
Julieno
XI.

Ans queperſonnemijt en doute que ſon parti


Sv füſt victorieux . Cette expreſſion mar
que bien la vigueur & le courage de l'une &
de l'autre Arinée ; mais l'ardeur du combat
les fic bien connoiſtre davantage.
b On les dépoüille de ſa vieilleſſe. Les ſerpens
changent de peau , & il y en avoit quelque
forte de dépouille appenduë aupres de la
Cornette ou du Guidon ou du Drapeau : car
toutes ces ſortes d'Enſeignes Militaires ſe
nomment diverſement.
• Sans comparaiſon . C'eſt ce qu'il dit Salva
ſur le 16 , Livre d ' Ammian . 293
differentia , pourgarder le reſpect qu'on veut
rendre à quelqu'un.
. Le vieux Sylla Frontin recite la meſme
choſe au 8: Chapitre du ž. Livre de les ſtrata
geſmes.
XII.

Ornuté do Braccate. Ce ſontLegion's


" CG T
Gauloiſes qui eſtoient conſiderables
entre toutes les autres.
6 En forme de Tortuë. C'eſt à dire ſerrant
leursBoucliers les uns fur les autres , qui fai
foient une ſorte deMur qu'il eſtoit mal- aiſé
de forcer.
· Les Bataviens. Ce ſont lesHollandois , qui
ſont icy fort louez pourleur valeur.
di La Legion des Primans. Elle eſt nominée
dans la Norice de l'Einpire entre les Legions
Palatines ſous la charge de celuy quicoin
mandoit à toute la Milice .

XIII

Ribance Concorde. Ces deux places


* T eſtoient aupres de Bretomagum " ou
Brocomagus, comme il ſe lit dans l'Itineraire
d'Antonin au deſſous de Straſbourg. Rhena
nus croit que c'eſt Brucomat.
b Six mille corps ſur la place. Zozime qui ſe
paſſionne trop pour la gloire de Julien en
anarque ſoixante mille , & tout autant qui fu
rent noyez : mais tout cela n'eſt point vray ,
puiſque toute l'Armée des Alemans n'eſtoit
que de trente-cinq mille hommes , comine
Marcellin l'a bien inarqué , & Libanius dans
l'Oraiſon
que j'ay déja citée n'en a pas fait un
plus grand dénombrement . Cette bataille ſe
Niij
294 Remarques ſurle 16.1.d " Amim
donna dans la Campagne de Straſbourg en
l'année de Noſtre- Seigneur 357. M. V.
é Vittorin au licu de Victorieux , cominc file
ritre n'en cuft eſté dû qu'à Conſtantius qui
n'avoit bougé de fon logis , & que Julien
n'cuft pasmerité de l'obtenir.
d Ses flatteurs. Ils ſonttoujours bien odieux
qui les ſçait bien connoiſtre ; mais ceux-cy
‫به‬.

font inſupportables. La fuite marque bien la


baffefie & la chetiyecé de l'eſprit de Con
itantius ,
AMMIAN

MARCELLIN

LIVRE XVII. *

CONSTANTIVS

ET JVLIEN .

Julien bat les Alemans : & les ayant af


Rigez par des pertesdiverſes,illescon
traint de demander des tréves,leſquelles
ils obtiennentpour dix mois.

PRES la bataille de Strasa


bourg , le jeune Prince ſe
Voyant en repos & en ſeure
té , de peur que les oyſeaux
carnaciers ne vindent å ſe jetter ſur les
N iiij
296 " AMMIAN MAR. Liv . XVII.
Corps des tuez , il les fit tous enterrer
ſans diſtinction. Et ſi -toft qu'il eut re
mis en liberté les Ambaſſadeurs qu'il a
voit arreſtez au cominencement de la
guerre , parce qu'ils luy avoient parlé
infolemment, il revint à Saverne, d'où il
fit conduire à Mers tous lespriſonniers,
avec les dépouilles qu'il avoit conqui
ſes , pour les y garder ſcurement juſques:
à blon retour , & fit faire un pont ſur le
Rhin pour aller à Maïence , quoy qu'il
fuſt empeſché par l'armée de chercher
s'ily avoit des Barbaresdans leurópais ,
puis qu'il n'en reſtoit pas un ſeul dans
les noſtres ; mais illa gagna ſi bien par
ſon cloquence & par les paroles roll
jours obligeantes , qu'elle n'eut point
d'autre volonté que la ſienne : car l'a
mour qui s'enflame par lesbons enſeis
gnemens, l'obligea deſuivre librement
celuy qu'elleavoitvû comme elle dans
les emplois de la guerre , & qui eſtoit en
effet un excellent Chef , qui s'eſtant ac
quis une tres-grande authorité dansl'e
ftime de tout le monde, s'impoſoit plus
de labeur à foy-meſme qu'il n'en euſt:
voulu impofer au moindre ſoldat , com
me il le fit paroiſtre dans toutes ſes a
&tions.
Quand on fut donc.yenu au lieu que :
CONSTANTIÚS ÉT JULIEŃ . 297

j'ay déja dit , & que le fleuve eut eſté


paſsé ſur le pont qu'il y avoit fait, on
s'épandit dans les terres des Ennemis.
Mais les . Barbares refferrez chez- eux
pour la grandeur de l'affaire qu'ils a
voienteuë ſur les bras,& qui pouvoient
eſperer que deformais on ne les vien
droit plus gueres troubler, venant tout
-tesfois à penſer avec inquietude par la
deffaite des autres , le danger dont ils
eſtoientmenacez , jugerent à proposde
faire ſemblantde demander la paix, pour
éviter Pimpetuoſité d'un premier em
portement, & envoyerent desAmbaffa
deurs, qui avec des paroles concertées ,
porterent les affeurancesd'une alliance
perpetuelle ; mais on ne ſçauroit dire
par quel changement,ils en envoyerent
d'autres pour menacer nos ge d'une
guerre furieuſe , s'ils ne ſe retiroient
promptementdechez - eux. Ce qui ayat
eſté ſçeu debonne part, Celar dés la pre
miereveille dela nuit, fit paſſer dans de
petites barques legeres huit cent fol
dats en remontant la riviere , & leur fit
commandement de mettre à feu &
fang tout ce qui fe pourroit preſenter
devant eux. Il donna cér ordre dés e
qu
le Soleil fut levé, & les Barbares ayant
parů (ur:le hautdes montagnes , le ſol
Nv
3.98 AMMIAN MAR . Liv . XVII.
dat y.fut conduit avec allegreſſe ; mais
nºy ayant trouvé qui que ce ſoit ( car G
toſt qu'ils ſe furent doutez qu'on s'ap
prochoir d'eux , ils ſe retirerent bien
vifte ) ils ' virent de loin de gros tour
billons de fumée qui leurdonnerent ſu
jet de croire que lesnoſtres ravageoient
leur pais. Ce qui donna de la frayeur
aux Alemans, qui ayant enfin abandon
né les embuſcades qu'ils avoient tendus
pour attraper les noſtres entredes lieux
'étroits & cachez, paſſerenten diligence
un fleuve appellé le Mein , pour fe fub
venir les uns aux autres dans leurs ne .
ceflirez, Car, comme on eſt bien- aiſc
qu'il arrive quelquesfois des ſurpriſes
dans les troubles & dans les choſes dou
teuſes , ces gens-là ſe trouvant épou
vantez d'un coſté par nos Eſcadrons, &
de l'autre par les batteaux qui avoient
déchargé de nos foldats ſur leurs terres,
ils échaperent prudemment, & trouve
rent promptement un lieu de refuge.
Mais , par leur evaſion noftre foldat eut
la liberté de ſe promener partout , & fic
un grand butin de cour, le beſtail qu'il
trouva dans lesmaiſons champeſtres,où
il y en avoit en quantité , & n'en épar
gna pas une ſeule . Il fit force priſon
niers, & brûla toutes les inaiſons qui
CONSTANTIUS ET JULIEN . 299
eſtoient bâties avec le plusde ſoin , à la
Romaine. Et quand il eut fait environ
10

dix mille de chemin , comme il fe vid


proche de b'cerre grande foreſt que l'é +
paiſſeurdes tenebres rendoit affreuſe , il
demeura long-temps ſansayancer,ayant
appris par quelque transfuge, qu'en cer
tains lieux ſoûterrains, & dansdes fofa
ſes entre- coupées en divers endroits ,
pluſieurs qui s'y eſtoient cachez , ſça
voient bien par quelles iffüës il leur ſe
roit facile d'en forrir , ſans danger. Ils
eurenttous neantmoins la hardieſſe d'en
approcher, & le firentmeſme avec gran
de afſeurance ;ayantcoupé force chef
neaux, & fraiſnes ſauvages ; mais eſtant
tout contre , ils trouverent toutes les
foutes fermées de ces cheſneaux qu'ils
avoient coupez , auſli bien que de fraiſ
nes ſauvages , & de grands Arbres de
Lapin qu'ils y avoient abbatus. C'ells
pourquoy feretirant finement en arrie
re,ils virent bien qu'il n'eſtoit pas pofli
ble aux courages les plus reſolu d'aller
s
plus avant, lansfe-déterminer à paſſer
par de longs détours , par des lieux
toutà fait difficiles. Ee;dautant que pas
la rigucur du temps qu'il faifoit, comine
on s'y fuſt on vain bien donné de la peis
ne parmy les plus grands perils qu'on
Nvb
300 AMMIAN MAR, Liv. XVII.
fçauroit s'imaginer : ( car dés que l'E .
quinoxed'Automne eſt paſsé, les neiges
en ces quartiers- là couvrent toutes les
montagnes & les plaines ) on fir certai
nement une entrepriſe memorable. Co
me perſonne nerefiftoit , on y repara en :
grande diligence un Fort que Trajan
avoit autresfois bâty dans le territoire
des Alemans, & qu'il voulutappeller de
ſon nom , lequel avoit eſté depuis quel
que tempsemporté par force : & y ayat
mis garniſon pourun temps, on y amal
fa des provifions tirées de la ſubſiſtance :
des Barbares.
Conſiderant donc que cér ouvrage les:
incommoderoit fort, & qu'il pourroit
meſme cauſer leur ruine totale, ces Bar
bares en eurent ſi grand peur qu'ils s'al-
ſemblerent promptement, & ſe refolu
rent de deputer quelques- uns d'entre
eux pour aller dernander la paix en tou
te humilité,que Ceſar leur accorda pour
dix mois , apres avoir mearement pesé
dans ſon Conſeil roures les raiſons qui
ſe purent alleguer pour l'en diſſuader ;
mais enfin il conſidera qu'il falloit mu
nir cette place de toutes les choſes ne
ceſſaires pour la mettre en deffenſe. Sur
cette confiance, trois Roys des plus re
dourables qu'euſſent les Barbares , ſe
CONSTANTIUS ET JULIEN . 301
டப்

vinrent jetter en tremblantaux pieds de


Cefar. Ils eſtoientde ceux qui avoient
envoyé du ſecours aux gens qui furent
vaincus en la journée de Strasbourg ,
Enfin ils luy jurerent en paroles con
ceuës à la mode de leur païs, qu'ils ne
l'inquieteroiét plus deſormais, & qu'ils
garderoient inviolablement le traité
juſques au jour qui leur eſtoit preſcrit,
puiſque nous l'avions ainſi deliré , ſans
rien entreprendre contrenoſtre Fort, où
ils apporteroientdesmunitionsſur leurs:
épaules , fi nous n'avions pas dcs gens
pour y fournir,ce qu'ils firent par la ſeus
le crainte qui bridoit leur perfidic .

II...

s François font des ravages autour de


Cologne & de Iuliers : ilsſont repouſ
sez par Iulien , apres Avoir aſſiegé eto
pris une place appellée Caftel. Il don
ne ordre que les Provinces ne ſoient
point affligées par les impots au delà de
leurs forces.

Omme Ceſar, que le bon - heur ac


C.co m
compagnoit par tout, eut ſujet de ſe
réjouir du luccez de cette guerre com
parable aux guerres Puniques & Teu
AMMIAN MAR. Liv. XVII.
coniques ; mais qui fut terminée avee
beaucoup moindres frais pour la Repu
blique, on pouvoit bien ajoûter foy aux
diſcours des médiſans , qui feignoient
qu'il s'eſtoit porté par tout avec ranide
valeur, qu'il ſouhaitoit plûtoſt de mou
rir glorieuſement , que d'eftre tué com
me ſon frere Gallus par le fortde ceux
qui ſont condamnez à perir , comme ils
l'eſperoient, fi depuis la mort de Con
Itantius, cér excellent Prince, ne fe fuft
encore ſignalé par des actions merveil
leuſes , ayant toûjours perſeveré dans
fes bons deſſeins. Toutes choſes eſtant
donc pacifiées, commeils'en retournoit
à fon quartier d'hyver , il y trouva de
telles reliques de tant de travaux qu'il
avoit foufferts, Severe Colonel de la
Cavalerie , s'en allantà Rheims parCoo
logne & par Juliers , rencontra des.El
cadrons de François compoſez de lix
cent Chevaux-legers, comme il parut
en ſuite, leſquels ruinerent tous les lieux
dénuez de leurs garniſons : mais avec
tant de licence qu'ils tournerent leur
audace en crime, tandis que Ceſar eſtoit
accupé à recogner les Alemans : car ils
fe perfuaderent aisément que puis qu'il
n'y avoit perſonne pour arreſter leur
impetuolite , il ne leur ſeroit pas-aufli
CONSTANTIUS ET JULIEN . 309
deffendu de ſe rømplir du plusriche bu
tin qu'ils pourroient rencontrer. Mais ,
pour la crainte qu'ils eurent que l'Ar
mée furt déja de retour , s'eſtant rendus
Maiſtres de deux Forts qui avoient eſté
abandonnez & dénuez de toutes choſes,
ils s'y conſerverent lemieux qu'il leur
fut poſſible . Julien ſe trouva touché de :
cette nouvсauté , & longeant en ſoy
meſme de quel coſté il ſe jetceroit pour
faire éclater fon reſſentiment, ſi d'avan-
ture il épargnoit ces gens-là , ayant re
tenu l'armée auprés de luy ,il ſe reſolut
d'aſſieger a uneplace appelléc Keſſel ſur
la Meuſe , où il fue cinquante -quatre
jours, c'eſt à dire tous lesmois de Don .
cembre & de Janvier , parce que ceux .
quis'y eſtoient renfermez s'opiniaſtre
Tent grandement à la deffentc . Alors -
Celar parfaitement avisé en toutes cho
ſes, craignant que pendant la nuit qu'il
n'y avoit point de Lune, les Barbares
paffaſſent la riviere ſur la glace ; tous les
jours depuis le Soleil couché juſques
aumatin , il y faiſoit courir de petits bat
teaux çà & là,afin d'empeſcher les gla
ces de ſe ferrer , & qu'il ne fuſt pas facile
à qui quece fuſt.de s'y fier pour paſſer
la riviere. Avec cette invention , ayant
fatigué les aſſiegez, par une diſette cx
304 AMMIAN MAR . Liv.XVII.
créme, par les veilles &
par le dernier
deſeſpoir, ils ſe rendirent'à diſcretion ,
& furent incontinét enyoyez à la Cour
de l'Empereur. Unemultitude de Fran
çois ſe mit en campagne pour les déli
vrer de ce peril ; mais ayant vû que la
place eſtoit prife , & qu'on avoit déja
tranſporté ceux qui la deffendoient,elle
n'oſa rien entreprendre davantage , &
.chacun s'en retourna aux lieux d'où il
eſtoit party. Puis Ceſar revint à Paris
Four y paſſer l'hyver. Mais , parce que
diverſes Nations eſperoient aſſembler
pluſieurs Chefs pour nous venir atra
quer avec de plus grandes forces, noſtre
prudentGeneral ſe defiant des ruſes de
guerre, qui ſe pourroient tramer contre
luy , ſe trouvoit preſsé de grandes in
quietudes. Ertandis que par des tréves
laborieuſes & courtes il crur pouvoir
remedier aux pertes que craignoient les
poſſeſſeurs desheritages, il ne demanda
point compte des contributions qui ſe
devoient lever . Er comme Florent Pre
fect du Pretoire , ayant pris ſes meſures,
faiſoit ſibien fon compte qu'il affeuroit
qu'il ſuppléeroit à tout ce qui ſe trouve
roit mãquer à la capitation , & qu'iļ étroit
fort versé en ces choſes- là , il diſoit qu'il
perdroit plûtoſt la vie que de le ſouffrir :
CONSTANTIUS ET JULIEN . 305
Car il connoiſſoit les playes incurables
que ces fortes de proviſions, ou pour
mieux dire renverſemensde toutes ſor
tes de diſciplines; faiſoientaux Provin
ces qui en eſtoient reduites à la derniere
pauvreté. Ce qui fur, commenous le fe
fós voir en ſuite,l'entiercruine de l'Illy
rie, D'où vint que le Prefect du Pretoire,
s'écriant qu'on ne pouvoit ſouffrir que
celuy-là fuſtdevenu en un momentinfi
delle , à qui l'Empereur avoit donné
l'intendance de toutes les affaires , Ju
lien eſlaya de l'adoucir , faiſant exami
ner les choſes par lemenu , & fit con
noiſtre quenon ſeulement la capitation
eſtoit ſuffiſante ; mais encore qu'elle
eſtoit exceſſive pour ſubvenir aux be
ſoins des convois neceſſaires. Toutes
fois long -temps depuis ne pouvant lire
nymarquerde ſon ſeing.les rôlles d'au
gmentation qui luy furent preſentez ,
il les jetta par terre. Et par des Lettres de
l'Empereur qui luy furent écrites ſurle
rapport du Prefect , qu'il ne devoit pas
agiravec tant de ſeverité dans cette af
faire , qu'il paruſt qu'ilmettoit peu de
confiance à Florent , il luy récrivit ,
qu'il le falloit gratifier ý le traiter dou
sement, ſi les Provinciaux qui eſtoient
ruinez de tous les coſtés, iuftificient and
306 AMMIAN MAR. Liv. XVN .
moins par despreuves authentiques, qu'il
né falloit pas donner des augmentations
d'impots ſur des miſerables , fur leſquels
il n'eftoit plus poſſible d'exiger des choſes
Semblables.Enfin la reſolutiõ fue priſe dê.
lors, qu'ilne falloit plus ſe porter à fai
redes exactions ſur les pauvres peuples
dela Gaule, au delà de ce qu'ils avoient
accoûtumé de payer. Et, par un exem
ple nouveau , Ceſar avoit impetré du
Prefect , que l'intendance de la ſeconde
Belgique oppriméeen tantde manieres,
luy ſeroit entierement laiſsée , à condi
tion neantmoins, que ny les fergens du
Prefect,ny celuy de la puiſſance preſi
diale n’executeroit qui que ce ſoit b
pour le contraindre de payer . Au ſujet
dequoy tous ceux qui furent receus en
La protection , ayant fenty un notable
ſoulagement,nefurentplus ny allignez
devát les Juges exacteurs, ny contraints
de payer devant que les termes-fuſſent
écheus .
III

Ample diſcours ſur l'Obeliſque, qui fut"


elevé à Rome dans le grand Cirque:

Army ces commencemensdu foulas


Pem
gementdes Gaules,du temps qu'Or.
CONSTANTIUS ET JULIEN . 307
phite adminiſtroit ſa ſeconde prefecture,
un Obeliſque fut elevé dans le grand
Cirque de Rome, au ſujet duquel , puiſ
que l'occaſion s'en offre à propos, je
veuxbien en faire une petite digreflion :
Ceux qui fonderent autresfois la Ville
de Thebes , & qui labaſtirent d'une ma
gnifique ſtructure , la rendirent encore
celebre par les cent portes qu'ils luy fi
rent; c'eſt pourquoy elle fut furnon
méc Hecatompyle ; pour dire Ville à cene
portes, & la Province de cette Ville - là
s'appelle encore aujourd'huy Thebaide.
Quand on fir fa grande enceinte , les
Carthaginois l'attaquerent furieufemér
par une courſe imprévuë , & la ruine
rent : mais depuis Cambyſe Roy des
Perles la rebâtit, celuy -là meſme, qui
tant qu'il vecquit fut ſi avidedu bien 8
des proſperitez d'autruy, & qui la pric
ayantſubjugué-l'Egypte , pour en ravir
toutes les richeſfes , ſans épargner mef
mes celles des Temples des Ďicux. Et
come il couroit étourdiment entre ceux
qui enlevoient les dépoüilles , & qu'il
ſetrouva embarraſsédans les amples ha
bits , dont il eſtoit vefu, il tomba par
terre, & de la daguc qu'il portoit ſur la
cuiſſe, laquelle vint à fortir de ſon four
rcau , il fe fuc une bleſfcuremortelle . Mais .
gö8 AMMIAN MAR. Liv . XYIT.
long -temps apres a Cornelius Gallus,
Intendant de l'Egypte , du temps qu'O .
etavien gouvernoit l'Empire, dépoüilla
cecte Ville de force choſes ſingulieres
qu'il en fit enlever. Et comme il fut re
cherchéde ſes larcins apres fon retour,
aufli bien que d'avoir meſmeravagé cet
te Province, par la crainte qu'il eut de la
Nobleſſe indignée , à qui l'Empereur
avoir doné la conoiſſance de fon affaire,
il ſe donna de fon épée dans le corps.Ce:
luy-là, li jeneme trompe, eſt le Poërę
Gallus , que Virgile déplore d'un Vers
plein de charmes & de douceur dans la
derniere de ſes Buccoliques. Dans cette
Ville, entre les grands Baffins, & les di
verſes ſtructures mallives, ſur leſquelles
s'expriment des figures emblematiques
des Divinitez Egyptiennes , nousavons
- vû pluſieurs Obeliſques , les uns cou
chez par terre, & les autres rompus, que
les anciens Roys ayant vaincu des Na
tions en guerre, ou ſe voulant glorifier
dans les proſperitez de leur opulence ,
ont tiré des veines des Montagnes , ou
ont fait venir depaïs fort éloignez pour
ལོའི་
ཆམཔཚ*ོེ་

les dedier aux Dieux ſuprêmes, par des


actesde Religion . L'Obeliſque eſtune
pierre tres-dure en formede borne , qui
s'éleve inſenſiblement du fortau foible,
CONSTANTIUS ET JULIEN . 309
comme un rayon qui devient grelle en
ſe hauſſant de figure quarrée , loûtenant
une pointe menuë , & polie d'unemain
15

artiſte. L'Antiquité y a mis les figures


Hieroglyphiques des elemens de la pre
miere ſageffe que nous y voyons gra
vées de tous coltez . Là , ſe montrent en
ſculpture pluſieurs eſpeces de beſtes &
d'oyſeaux, & melmes de païs inconnus ,
pour marquer aux fiecles à venir la vie
& les actions memorables des Empe
reurs, ou les promeſſes & les veux dont
les Roys ſe fontacquitez. Car un cer
tain nombre de caracteres & facile, com
me nous l'avonsaujourd'huy , n’expri
moir pointparmy les Egyptiens comme
parmy nous ,tout ce qui peut venir en la
pensée des hommes ; mais chaque Let
tre ſervoit à chaque nom & à chaque
Verbe, & quelquesfois meſmes chaque
caractere ſignifioit un ſens complet.
Pour la connoiſſance dequoy , en ces
deux choſes-là , meſmes nous allegue
rons ſeulementun exemple. Par le Vau .
tour , ils entendent le mot Nature , par
ceque la Phyſique nous enſeigne qu'il
n'y a point de inafle entre ces eſpeces
d'oyfeaux : & par la figure d'une Abeil
Te qui fait le miel, ils font entendre le
Roy, voulant dire qu'à celuy qui gous
N
310 AM MIA MAR . Liv . XYH ..
e r n e vec ouceur l oit avoir udi
w a d , i d y a
illon pour piquer quand il eſtà
un aigu ,s
s i ieur chofes fem
blo ; & ainſ de pluſ

Et dautant que des flatteurs ſouffloiệt


inceffamment , ſelon leur coûtume,aux
oreilles de Conſtantius , que commc.
O & avien esAuguſte avoi olisdeux
t faitivenir
iſqu le el op
Obel de la Vil d'H en
Egypte, l'un deſquels eſt dans le grand
Cirque, & l'autre eſt dans le champ de
-Mars ; mais de celuy - cy qu'on ne fai
foit que d'amener ,
on fut ſi effrayé par
Ja difficulté de vaincre la grandeur, qu'ó
-n'ola pas ſeulement y toucher pour ef
ſayer de lemouvoir du lieu où il eſtoit.
Queceux qui l'ignorentappreonét donc
qu'un Prince de l'Antiquité en ayant
amené quelques-uns , laiſſa .celuy - cy
fans y toucher, parce qu'il eſtoit dedić
au Soleil', & fut arreffé au fonds d'un
Temple ſomptueux où l'on ne pouvoir
atteindre , non plus qu'au ſommet d'une
Pyramide qui s'éleve au deſſusde toutes
les autres. Mais Conſtantin ne s'eſtanc
pas figuré que ce fuſtune choſe fi diffici
le, tira cette piece mallivedu licu où elle
eſtoit , & ne crût pas pecher contre la
Religion , fi ayant ofté cettemerveille
d'un Temple faint, illa conſacroit dans
CONSTANTIUS ET JULIEN . 31
Rome, c'eſt à dire dans le Temple de
tout lemonde ; mais il la laiſſa couchée
par terre, juſques à ce que toutes lesma
chines fuffent preſtes pour la tranſpor
ter, Et quand elle eut eké amenée par le
Canal du Nil, & qu'elle fut deſcenduë
en Alexandrie, on y prepara une Galere
d'une grandeur extraordinaire , où il y .
avoit trois.cent raines, ſur laquelle ayāt
eſtémiſe , on l'amena.par Mer, & onla
fit remonter par le canal du Tibre , qui
fut comine laifi de crainte de ne pouvoir
ſolltenir le preſent que luy faiſoit lc
Nil,lequel luy eſtoit preſqueinconnu ,
pour le porter dans les murailles de la
Ville d'où il tire ſa gloire. Il fut porté
juſques au Village d'Alexandre à trois ·
milles de la Ville : Er de là il fut chargé
ſur des eſpeces de traineaux ſoutenus
ſur des roulcaux qui le porterene lente
ment par la porte Oſtienſe , & par la
Poiſſonnerie publique juſques au grand
Cirque. Il ne reſtoit plus après cela que
de lever cette éguille. Ce qui eſtoit fi
difficile qu'à peine oſa-t-on eſperer ja
mais d'en venir à bout. On l'entreprit
pourcát, par le moyen des grandespou
tresqui furentdreſſées debout,mais non
pasſansperil, & detelle force qu'on cuft
dit , qu'il y avoitune foreſtdebois tou .
3 iz AMMIAN MAR , LIV , XVII .
te entiere b pour compoſer les Machi
nes qui furent preparées pour une en
trepriſe ſi hardie. Ony attacha de gros
chables d'une longueur prodigieuſe ,à la
- maniere des filets d'un Tilleran,quand il
veut ourdir ſa trame, & il y en avoit une
ſi grande quantité entrenneſlez les uns
dans les autres , que le Ciel en eſtoit ob
ſcurcy . c Cerre Montagne où tant de
caracteres eſtoient figurez en balle tail
le fur liée de tous ces cordages , & fur
guindée peu à peu en l'air , où elle fur
long-temps ſuſpenduë , à force debras
de pluſieurs iniliers d'hommes, comme
s'ils ſe fuffcnt voulu efforcer de lancer
des meules de moulin , & fut enfin pla
céedebour au milieu de la place : & fur
le haut d'une piece fi merveilleuſe , on
voit une boule d'airain , qui éclatroit
ſur des lames d'or. Où tout auſſi toft fe
trouvant frappéc de la force d'un feu di
vin , & par conſequent enlevée, dlecui
pre s'y trouva imiter la figure d'un flam
beau , lequeleſtoit aulli couvert de feuil
les d'or , comme s'il cuft veritablement
efté animé d'une flamme de feuz e Les
âges ſuivans ont élevé d'autres Obelif
ques, l'un deſquels eſt dans le Vatican:il
y en a un autre dans les jardins de Sal-,
lufte , & deux autres qui ſont debout
[ur
CONSTANTIUS ET JULIEN .
313
fur le Monument d'Auguſte.

I V.
L'explication Grecque Latine des figu
res Hyerogliphiques marquées ſur
lóbeliſque.

R le ſens des paroles qui ſont gra


véesſur l'ancie Obeliſque que nous
voyons dansle Cirque, ſelon ce qui s'en
trouve eſcrit dans le Livre a d'Herma
pion , que nous avons ſuivi. 6 Nous le
rapportons icy en caracteres Grecs de la
forte qu'il y eit interpreté. Apres le Gres
qui ſelit dans l'Original,il adjoûte . C'eſt
-

dire .
Dans la premiere facedu coſté de Mi
di, le ſensdes premiers caracteres hiero
glyphiques eſtrel.
Ce ſont icy les choſes que nous
- avons miſes en l'honneur du Roy G
» Rameſtes , que d cherit le Soleil , qui
->> gouverne avec joye tout le monde ha
» bitable , cér: Apollon puiſſant , am2
, teur de la verité,fils e d'Heron 'engen
dré des Dieux , qui a fait l'Univers
„ habitable; c'eſt celuy -là meſme que le
., Soleil a élu . Le Roy Rameſtes valeu
ng reux fils de Mats , ſous
qui toute la
» terre eſt aſſujetie par une force invin
314 AMMIAN MAR. Liv . XVII.
„ cible : toute la terre a eſté reduite fous
ſon pouvoir , & rien ne l'en pourra
jamais feparer .
La ſeconde inſcription porte. Apol
„, lon puillant ,amateur dela verité, Sei
» gneurdu Diademe. Il a glorifié l'E
gypte commeſon principal heritage,il
.

na porté un grand luftre à Heliopole ,


» c'est à dire à la Ville du Soleil, & a fait
„ le reſte de la terre habitable , ayantho
noré en diverſes manieres les Dieux
, d'Heliopole , que le Soleil.cherit.
Il y a pour la troiſiéme inſcription.
,, Apollon puiſſant fils du Soleil , tout
s, lumineux , que le Soleil a élû , & que
„, le valeureux Mars a enrichy, de qui
les biens ſerontperdurables , Ammor
», l'affcctionne , & lamaiſon de Phenix
( ou de la Palme) eſt remplie de biens,
wles Dieux luy ont 'accordé une lon
» gue vic .
» Apollon puiffant fils d'Heron , R.1
jomeſtes.Roy de la terre habitable , qui
» parſes Victoires conſerve l'Egypte de
la violence de tous lesautres bommes:
» Rameſtes Seigneur de la terre habita
„ ble , qui vit éternellement,
Le fecond texte de la ſeconde facepor
13te. Le Soleil eſt le grand Dicu Sei
gneur dy Cic!, je t'ay.donné vie de
CONSTANTIUS ET IULIEN .
313
,, raſl aſiement , exempte d'ennuy. Apol
» lon puiſſant Seigneur du Diadéme
» plus éclatant & plusbeau qu'on ne le
siſçauroit concevoir , en l'honneur de
>> qui le Roy d'Egypte a élevé des ſta
„, tucsdans ſon Royaume, il a aulli orné
, Heliopolis, & a fait honneur au Soleil
sodu Ciel : le Roy fils du Soleil , quivic
i, éternellement, a conſommé cc bel oli
» Vrage.
Le troiſiéme écrit porte. Le Dieu So
„ leil, Seigneur du Ciel, a donné l'Em
pire au Roy Rameſtes : il luy a donné
la puiſſance ſur tous les hommes le
quel Apollon Seigneur des temps qui
» aime la verité , - & Vulcan
pere des
Dieux l'ont élû à cauſe de Mars : le
Roy fils du Soleil eſt plein de toute
-sy joye , il eſt cheri du Soleil .
Sur la face d'Orient , la premiereinf
» scription . Heliopolitan grand Dieu Cea
„ leſte. Apollon puiſſant fils d'Heron ,
» que le Soleil cherir , que les Dicux ho
-5, norent , eftRoy de la Terre univerſel
ole , que le Soleil a choiſi , Roy valeu
» reux à cauſe de Mars, qu'Ammon af
fectionne , celuy qui eſt cout lumi
neux ſe l’eſt acquis pour Roy éternel
lement,
316 AMMIAN MAR . Liv. XVII,

V.

L'Ambaſſade que Sapor Roy de Perſe


envoye á Conſtantius touchant le
Traité de Paix .

A ciana & Cercalis eftant Con


D ſuls, comme toutes choſes ſe rétą
bliſſoient dans les Gaules avec beau
coup de foin & de prudence , où la
crainte de ce quis'y eſtoit paſſé avoit ar
reſté les incurſions des Barbares , le Roy
de Perſe s'eſtant trouvé prochedes froņ.
tieres de ſes Eſtats , apres avoir fait la
paix avec les Chionites , & b les Alains
qui ſont des peuples belliqueux; il eſtoit
preſt de s'en retourner au licu de ſon ſe
jour , lors qu'il receut les Lettres que
luy écrivoit Tampſapor , leſquelles luy
donnoient avis que l'Empereurdes Ro
mains luy demandoit la paix. C'eſt pour
quoy s'eſtant aiſément perſuadé, qu'il
n'auroit pastenté cettevoye, ſi le corps
de l'Empire n'cutt eſté fort affoibli , la
propoſition qu'on luy fit , ne luy fut pas
affeurément une choſe des-agreable , il
embraſſa bien le nom de paix ;mais ilne
la voulut point accorder qu'à des condi
cions fort onereuſes , & luy ayant en
CONSTANTIUS ET JULIEN . 1.317
voyé Narſéc pour Ambaſſadeur c avec
des preſens,il le chargea de Lettres pour
Conſtantius , leſquelles ne perdirent
rien de ce faſt orgücilleux qui eſt ſi natu
rel aux Roysde Perſe, & nous avons ap
pris que c'en fut icy le ſens.
Sapor Roy des Roys', d'allié des
» Altres, frere du Soleil & de la Lune, à
» mon frere Conftantius Ceſar , à qui je
is ſouhaite beaucoup de proſperité. Je
me réjouis , & veritablement j'ay ap
» prisavec beaucoup de plaiſir que vous
>> loyez enfin retourné dans lebon che
osmin , & que vous ayez reconnu les
,, ſuffrages incorruptibles de l'équité ,
» apres avoir éprouvé les mallieurs qui
» Vousont eſté cauſez par voſtre opiniâ
» treté à vous rendre poffèffeur du bien
s, d'autruy : Mais, parce que le diſcours
, de la verité doit eltre libre & concis, &
qu'ilappartientſeulement aux ſouve
sslaines fortunes de parler le meſınelan
» gage de leurs penſées, je vous diray'en
» peu de paroles & fort franchement
»smon intention , quine ſera que toute
j, lamelme que je vous ay fait connoi
tre ailleurs . Vos vieilles Annalesmef
» mes nous font des témoins irre
prochables , que mes Predeceſſeurs
» ont étendu leur domination juſques
Oiij :
N MAR
378 A MMIA . Liv . XyOT .
» aux rives du Strymon , & aux frontie
gures de la Macedoine. Je meſuis ſenti
obligé d'en rechercher la poſſeſſion
» quim'a eſté ravie, puiſque ſans vanité ,
afin
que je ne paſſe point dans voſtre
i, eſprit pourun arrogant, je ſurmonte
debeaucoup par la ſplendeur de mes
> vertus le luſtre des anciens Roys qui
„ m'ont devancé. On m'a toujours im
„ bu l'eſprit dés mon Enfance que je
» n'entreprendrois jamais rien pour
m'en repentir , Je ne dois donc pas
craindre de reprendre l'Armenie avec
„ la Meſopotamie qui a eſté ravie par
», ſurpriſe à mon ayeul. Nous n'avons
» jamais penſé comme vous , que ſans
savoir d'égard à la vertu ou à la trom
>> perie , toutes fortes d'heureux évene
o,mens en la guerre meritent de la
louange. Enfin , ſi vous m'en croyez,
» vous negligerez unepetite partie , qui
» vous a toûjours eſté ſimalheureuſe &
fi funelte , afin que vous regiſſiez le
reſte en ſeureté , imitant prudemment
lesbons Medecins qui brûlentou qui
1 » Coupent ſouvent une petite partie du
» corps, pour rendre la ſanté aux au
tres membres : Ce que fmeſmes font
», certains animaux , qui s'appercevant
du ſujet pour lequel on s'efforce de
CONSTANTIUS ET JULIEN . 319
ss les prendre , le perdent de leur bon
u gré, afin qu'apres cela ils puiſſent vi
s vre ſans crainte. Je ne veux donc
point vous celer que ſi l'Ambaſſade
» que je vous envoye retourne fans
Veffer que je deſire ; Aufli-toſt que
l'hy ver fera pafsé, jeme feray affilter
» de toutes les forces demon Royau
» mc, & je mehâteray dem'approcher
oj ſous les heureux auſpices demabonne
fortune, où la juſtice & mon reſſenti
ment guideront mes pas avec une
‫ زو‬puiſſantearmée.

VI.

La réponſe de Conftantius aux Lettres de


Sapor Roy de Perſe.Les luihungesper
ples d' Alemagne , sont ſurmontez par
l'armée que commande Barbation .

Quoy apresavoir meurement pen


AS sé à cette affaire , l'Empereur fit
une telle réponfe .
jj Conſtantius toûjours Auguſte, vain
» queur ſur la terre & fuc la Mer, à mon
„ frere le Roy Sapor,à qui je ſouhaite
» beaucoup de proſperité. Je vous feli
cite de ce que vous avez eſté conſer
vé dans les affaires que vous avez euës
Oiiij
320 AMMIAN MAR . Liv . XVIY...
afin
que vous me ſoyez Amy li volis
w youlez . Mais cette opiniaftre con
» voitiſe que vous m'attribuez ne ſçau
» roic changer que par la penſée de la
» porter plus loin qu'elle nedoit aller .
» Vousme demandez la Meſopotamie ,
» comme ſi elle eſtoit à vous, & par
meſmc moyen , vous ine faites con
» noiſtre que je vous dois l'Armenie: &
» pour me faire micux entendre ce que
» vousmedites, vousmele prouvez par
» une comparaiſon , qu'il faut quelqueso
fois brûler ou couper un membre du
so corps pour luy rendre la ſanté : ce qui
» ne merite aucune réponſe. Mais é
„ . coûtez la verité toute purę, & telle
qu'elle eft, fans querien ſoit capable
de l'étonner par de vainęs inenaces .
Le chef de mon Conſeil ayant pris
„, cette affaire en main pour la condui
» re à une fin qu'il a pensé eſtre utile au
public , m'eſt venu trouver avec le
Commandant de vos troupes , dels
quels in'ont tenu ſouvent des diſcours
» peu honorablestouchant le deffein de
faire la paix , quoy que je n'en euffe
s pointeſté averty auparavant, Cen'eſt
» pas en effet que je la refuſe , ou que je
» , n'en veuille point oüir parler , mais
» je la veux honorable , & fansqu'elle
CONSTANTIUS ET JULIEN . 321
puiſſe en façon quelconque diminuer
, lamoindre choſe de noſtre gloire ou
de la Majeſté denoſtre Empire :'ou je .
aj n'en veux point du tout ; car , à n'en
s point mentir , ilnous feroit fort mal
ſeant, tandis quetoutlemonde eſt at
tentifaux louanges qu'on nous don
j ne ( quoy que l'envie s'y oppoſe ) &
» que l'Empire Romain quielt d'une ſi
„ vaite étenduë , ne releve plus que de
„ noſtre authorité , apres que nous a
3. vons exterminé les Tyrans , d'aban
s donner, ce qu'eſtane reduits à de grā
des extrémitez dansles Provinces de
l'Orient , nous avons conſervé fans
s; aucune tache d'infamie . Nous vous
is prions donc de n’uſer plus en noſtre
js endroit de ces fieres menaces que
» -vous faites ſi ſouvent, ſelon vosbelles
façons de parler , elles ſont inutiles.
s» Etcomme nous n'apprehendonsrien
» dece coſté-là ; ce n'eſt point noſtre
»» pareffe ny aucune lâcheté , croyez
jy moy; mais une grande modeſtie qui
jy nous conſeille plâtoft de repouſſer
„ l'effort de vosarmes, que d'aller porcer
gy la guerre juſques chez-vous. Toutes
3 ) les fois que les Romains ont entre
‫ رد‬pris par leur valeur de deffendre ce
>> qui leur appartiene ( l'experience &
322 AMMIAN MAR . Liv. XVII.
.
„, l'hiſtoire nous l'apprennent ) ils ont.
„, rarement eſté vaincus en quelques.
batailles. Et quand il s'y eſt agy d'une.
» guerre deciſive, quiportoit en conſe
» -quence quelque diminution ou‘ac
2. Croiſſement à leur Empire , ils n'ont.
» jamais eſté ſi fort abaiſſez, qu'ilsne.
s'en ſoient pû relever.
Cette negociation finit ſans avoir.
rien conclu de part ny d'autre : Et a.
il n'y cut pas inoyen d'écouter plus.
long -temps la vanité & le langage info
lent du Roy de Perfe . Peu de jours
apres , le Comte Proſper b Spectatus.
Tribun , & Secretaire de grande conſide-.
ration , & le.Philoſophe Euſtatius, cà la.
recommendation de Muſonian , comme
un hommetres-capable de bien perſua-.
der, furent choiſis pour porter la répon
fe de l'Empereur avec des preſens , pour.
eſſayer de ſuspendre au moins par leur
addreſſe pour quelque temps l'entrepri
ſe du Perſan , afin d'avoir loiſir cepen
dant de munir les Provinces du Seprena
rrion au deſſus de tout ce que peut
s'i.
maginer l'induſtrie des hommes.Parmy.
toutesces choſes, les d Juchunges qui
font une partie ambiguë de la Nation ,
des Alemans, laquelle joint les frontie
res d'Italie , ayant perdu le ſouvenir de
CONSTANTIUS ET JULIEN . 323
la paix & de l'alliance qu'ils avoient ob
tenuëspar leurs propres prieres, rava
geoient tumultuairement e le païs des
Griſons-, en ſorte qu'ils eſſayoient de
ſurprendre les Places, & de les aſſieger
contre leur coûtune. Barbation qu'on
1
avoit elevé à la charge de Colonel de
l?Infanterie en la place de Sylvanus, fut
envoyé avec main - forte pour les re
pouſſer . Il eſtoit auſli peu brave , qu'il
cſtoit pareſſeux ; mais grand parleur : &
ncantmoins parce quil avoit de bons
ſoldats dans les troupes , qui ſe porte
rent allaigrement à l'employ qui leur
fut ordonné, il tailla en pieces pluſieurs
deces Barbares : &< peu de
gensd'entre
eux qui prirent la fuite pour la crainte
qu'ils eurent du peril, fe débanderent, &
s'cſtant retirez en deſordre , ils virent
chez.eux la defolation de leurs biens ;
mais non pas ſans larmes & ſans un dé.
plaiſir extréme. On tient que Nevitra,
qui futdepuis Conſul, & qui comman
doit la Cavalerie , ſe trouva à cette ba
taille, & qu'il y combatic yaleureuſe
ment ,
324 AMMIAN MAR. Liv . XVII.

VII.

Les horribles tremblemens de terre qui


affligent la Macedoine , l'Aſie et le
Pont, dont pluſieurs Montagnes font
ébranlées , e des Villes entieres font
renversées . Confideration phyſique four
les tremblemens de terre .

Nces temps- là il y eut d'horribles ..


EN
doine , dans l'Afic & dans le Pont, où
des Villes entieres furent renversées, &
des rochers fe détacherent, des Monta
gnes. Mais entre toutes les ruines qu'ils
cauſerent , celles de la Ville de Nico
medie capitale de la Bythinie , furent les
plus conſiderables : del'evenement de
quoy, je diray quelque choſe en peu de
paroles, a Le 24.jour du mois d'Aoult,
ſur le point que le Soleil ſe leve, degros
nuages ſombres ſe formerent en l'air ,
qui confondirent en un inſtant l'agrea
ble ſerenité du Ciel : & la ſplendeur des
rayons du Soleil etant obfcurcie , on ne
ny leschoſes proches, ny celles qui
vid ny
eſtoient oppoſées , tant lestenebres fu
rentépaiſſes ſur la terre. Puis, commeſi
le Dieu ſuprême euft lancé les fatales..
CONSTANTIUS ET JULIEN . 325
foudres de ſesmains, & qu'il euſt excité
les vents de cous les coins du monde, un
orage furicux le déchargea d'enh . l,
de l'impetuoſité duquel on oüit un ge
miſſementdes Montagnes choquées 2
vecun fracas du rivage entre- ouvert ; ce
qui fut ſuivy de tourbillons & de va
peurs bitumineuſes avec un horrible
tremblement de terre , qui renverſa la :
Ville & les Faux -bourgs. Etdautant que
pluſieurs maiſons rouloient ſur le pan
chant des colines , les unes comboient -
fur les autres , tandis quetout le monde
s'écriçit parmy l'épouvantable bruit
des ruines infinies . Cependant lescom
bles des edifices retentiſfoient de cla
meurs diverſes de gens quicherchoient
leurs femmes & leurs enfans , ou s'il y
avoit quelque choſe que la neceſſité :
pult faire deſirer . Enfin entre les deux
& trois heures , l'air humide & mollaffe
découvrir les funeſtes maſſacres. Car
pluſieurs furent étouffez dans les rui
nes. Quelques-uns y furent enſevelis
juſqu'au coû, quien euſſent pû réchap-.
per, s'il y euft eu quelqu'un pour les ai
der à ſe tirer de là , inais ils y furent cons
traints demourir faute de ſecours. Quel
ques autres y eſtoient ſuſpendus à des
chicots de bois qui les avoient percez
326 AM MIAN MAR. Liv . XVH :
$ de part en part. Pluſieurs tuez d'un ſeul
coup le voyoientmélez indifferemment
lesunsparmy lesautres : & il y en avoit
qui ſe trouvant enfermez ſous les toicts.
panchez de leursmaiſons , ſans en avoir
receu d'autres bleſſeures , eſtoient con
traints d’y mourir de faim , pour n'y
trouver point d'iſſuë. Entre leſquels b
Ariſtenet , quiavoit depuis peu recher
ché l'employd'unecharge en ce pais là
pour exercer la puiſſance que Conſtan---
tius a voit inſtituée en l'honneur de la
pieté de ſa femmeEufebie , y expira par
un ſemblable accident , apres - y avoir
long: temps pâty . D'autres accablez
ſous la peſanteur des ruines.y font enco
re enſevelis . Aux uns les teſtes furent
caſsées, ou les épaules rompues, ou les
cuiffes brisées , entre la mort & la vie ,
implorant le ſecours de quelques autres
qui ſe trouvoient dans une pareille de
treffe;mais qui eſtoient également aban
donnez par l'impuiſſance de ſe ſecourir.
Cependant la plus grandepartie des edi
fices ſacrez , & des maiſons pårticulie
res, auſibien que des homines , qui nc
furent pas tuez d'abord , euſſent encore
pû reſiſter, fi l'ardeur des fâmes qui
court inceffainment de toutes parts jour
& nuit pendant cinquante jours, n'euſt
CONSTANTIUS ET JULIEN . 327

devoré tout ce quipouvoit eſtre conſu- !


1 mépar le feu .
Je croy maintenant devoir dire quel,
que choſe de ce que les Anciens ontpû
recueillir touchant ces tremblemens
foûterrains. Máis, pour en parler ſaine
ment, ny noſtre ignorance vulgaire ne
fçauroit penetrer dans les fecrets de la
verité en ces choſes -là, ny meſmetout
l'eſprit queles plus ſçavansPhiloſophes
y ontemployé avec beaucoup de veil
les , n'en eſt pû venir encore à bout.
D'où il arrive que dans le Rituel des
Pontifes, & dans toutes les c les recher
ches facrées , on obferyc bien exa-.
ctement de ne prendre pasun Dieu pour
l'autre, de peur que quelqu'un d'entre
eux qui ébranle la terre, ne ſe trouve ca-:
chédeſſous,lors qu'on fait des ſacrifices !
pour l'expiation du peché. Il arrive doc
( ſelon les plus communes opinions, en
tre leſquelles Ariſtore s'échauffe & tra
vaille beaucoup ) que les vents ſe ren
contrent dansles petites concavitez de
la terre ( que nous appellons Syringues
en lingue Grecque ) & que par une im
pullió frequente,lorsque les eauxboüil
lonnent, ou bien ( comine le maintient
Anaxagore ) que par la force des Vents
qui ſe gliſſent dans les lieux profonds,
3289 AMMIAN MAR , Liv . XVII.
2 leſquels venant abatre les crouſtes ſo
lides qui les environnent , & ne trou
vánt point d'illuës, ils choquent rude
nientces parties de la terre -ferme, qu'ils
. ont penetrées par leur humidité . D'où
l'on à obſervé pluſieurs fois que quand
• la terretreible, nous ne fentonspas les
inoindres haleines de vent parmynous,
parce qu'ils ſont tous occupez dans les
entraillesdela malfc folide. Anaximan
dredit que la terre devenant aride par
l'extréme fechereffe que peuvent caufer
les grandes chaleurs, ou après les humi
dicez des pluyes, s’entr'ouvre en quel
ques endroits par de grandes fentes, où
s'inſinuë d'en -haut un air violent, &
qu'aprés s'y eſtic engagé, e venant à ſe
dilater, il l'ébranle avec vehemence de
fon propre liege. C'eſt pourquoy nous
voyons arriver quelquesfois ces terri
bles mouvemens dans la faiſon que les
vapeurs s'élevent, ou quand l'année a
trop pluvieuſe. Et c'eſt pour cela
que les anciens Poëtes & Theologiens
ontnominé Neptune, c'eſt à dire la puiſ
fancedela fubftáce humide Ennofigeons
Sifichthona. Or lesmouvemens de la
terre ſe fonten quatre façons: ou ce ſont
des Bracmaties , qui ébranlant la terre
avec vehemence , pouſſent en haut des
CONSTANTIUS ET JULIEN . 329
malfes demeſurées , comme dans l'Alie
l'Ilede Delos, quiſe ſouleva du fond de
la Mer, & les Illes d'Hiere , d'Anaphe ,
de Rhode , d d'Ophiuſe , qui eſt l'Ille
des ſerpens, appellée anciennement Pe
lagie,arrosée autresfois d'unepluye d'or,
e d'Eleuſis dans la Bæorie ,des fRoches
Vulcaniennes dans la Mer Tyrrhenien
ne , & de pluſieurs autres Illes : ou ce
fontdes Climaces ; quiuniſſent les che
mias de traverſes qui font haut & bas ,
auſli bien queles Villes, les edifices éle
vez & les Montagnes : ou ce ſont des
Chaſmates; quiouvreni des abyſmes en
un inſtant par une émotion extraordi
naire, leſquels engloutiſſent des terres
à
proportion de la grandeur de l'ouver
ture , comme dans la Mer Athlantique ,
dans la partie de l'Europe g il y eut une
grande Ille abyſmée , & dans le ſin de
Crete, Helice & Bure furentabſorbées ,
& dans le quartier de hCiminie en Italie,
la Ville de i Succume; qui tomba dans
les gouffres de l'Enfer, & fur envelop
pée de tencbres eternelles . Mais outre
ces trois genres de tremblemensfoûter
rains, il y a encore les Mycemuces, k qui
ſe font cüir par un bruit menaçant ,
quand les Elemens ſe ſeparent de leur
bon gré lesuns des autres,où ils retom
33.0 AM MFAN MAR, Liv. XVII.
1 bent quand les terres ſe tiennenten leur
place : car alors il eſt neceſſaire que les
fremiſſemens de la terre faſſent ouir un
bruit pareil au mugiſſement des Tau
reaux. Mais retournons à noſtre pro
pos.
VUI.

Iulien demeurant à Paris, se prepare à la


guerre contre les Alemans : Apres a
voir battu les François Saliens, a les
Chamaves ;-leſquels il affuiertit à ſon
pouvoir , la famine apporta du tumul.
te dans l'armée ; mais incontinent apres
on luy fait paſſer le R bin , ego fait
le dégaſt dans les terres des Alemans.

Chlar:qui paſſoit l'hy ver à Paris, ſe


hâroit avec un grand ſoin de pré
venir les Alemans qui n'eſtoient pas en
core affemblez ,mais avec toute leur an
dace & leur impetuoſité, ils eſtoient en
core étourdis de la journée de Stras
bourg : & attendant le mois de juillet ,
qui eſt le mois que l'on commence les
campagnes dans la Gaule , il eſtoit dans
une continuelle inquietude : Et certes,
il ne pouvoic marcher qu'il ne fuft venu
des bledsde l'Aquitaine, quád les froids.
ſont entierement diſſipez , & que les
CONSTANTIUS ET JULIEN . 338
pluyes ſont paſsées. Mais comme une
fageſſe diligente eſt preſquetoûjoursvi
étorieuſe des plus grandes difficultez ,
roulantpluſieurs choſes en ſon eſprit, il
trouva que le meilleur moyen eſtoit
d'aller inopinémentau devant des Bar
bares, fansattendre que l'année fuft a
vancée. Et s'eftant determiné à ce con
feil, il prit du bled pour vingr jours de
celuy qui cſtoir de proviſion dans les
places , & l'ayant fait moudre pouren
faire du pain demunition , il le fir cuire
à loiſir , afin qu'il ſe puſt long-temps
garder, ce qui s'appelle communément
du Biſcuit , & le diſtribua aux ſoldats ,
quien chargercnt volontairement leurs
épaules : Et avec ce ſecours, il ſe mit
aux champs avec de favorables auſpices,
commeil avoitfait auparavant, ne fai
ſantpointde doute qu'entre le cinquié
me & le fixiémemois il ne puſt venir à
bout de deux expeditions qu'il devoit
entreprendre de toute neceilité. Tous
ces preparatifs eſtant donc en eſtat a les
premiers de tous qu'il attaqua furent les
François Saliens, qui o ſerent autresfois
mettre le pied dans le territoire Ro
main , & de s'établir dansila Toxiandrie .
Et comme il fut dans le.païs de Tun
gres, il ſe trouva complimenté d'uns
332 AMMIAN MAR .Liv. Xyli .
Ambaſſade de ces peuples, qui croyoiét
trouver l'Empereur dans ſon quartier
d'hyver, & cette Ambaſſade luy fut auf
fi envoyée pour luy demander la conti
nuation de la paix, à la charge qu'ilsde
meureroient en repos chez - eux fans
rien entreprendre , & que pas un d'eux
ne ſortiroit de la Province
pour aller
faire des courſes ailleurs. Quand ces
Ambaſſadeurs eurent achevé leurnego
ciation aux conditions qu'ils avoient
eux-melinesproposées dedemeurer ref
ferrez , il leurdonna congé, apres leur
avoir fait des preſens, & demeura en ce
païs-là juſques à ce qu'ils fuſſent de re
tour : & les ayant ſuivis plâtoft qu'ilne
leur eut parlé , apres quil eut envoyé
Severe pour commander les troupes le
long des rivagesmaritimes , il attaqua
ſoudain tous ceux qui ſe pouvoient op
poſer à ſes deſſeins, & les étonna com
me s'il les cuít frappez d'un coup de
foudre. Et les ayant plâtoſt receus en
qualité de ſupplians que d'adverſaires ,
il leur donna desmarques de fa clemen
ce eſtant victorieux, parce qu'ils ſe ren
dirent à la diſcrerion avec leursenfans,
& toutes leurs commoditez .
Ayantattaqué bʻles Chamaves, qui a
voient entrepris des choſes ſemblables,..
CONSTANTIUS ET JULIEN . 333
il les diſlipa en partie avec lameſme ce
lerité, & en partic lesayant pris vivans
les armes à la main , il les jetta dans les
fers, & mit les autres en fuite , s'eſtant
contenté de cela ſans les pourſuivre da
vantage,ny faire plusdemal, de peur de
fatiguer ſes genspar un trop long che
min . Puis ayant receu peu de jours a
pres des Ambaſſadeurs qu'ils luy en
voyerent pour le bien deleurs affaires,
& pour le prier de les laiſſer en repos ,
s'eſtant jettez à terredevant luy, il leur
accorda la paix , à la charge qu'ils re
tourneroient chez -eux , avec les condi.
stions qu'eux -meſmes avoient propo
sées,& leur donnacongé. Tout lemon
de accourant doncvers luy, chacun ſe
lon ſes beſoins & ſes ſouhaits , tandis
qu'il appliquoit ſon eſprit pour travail
ler en toutesmanieres à l'utilité des Pro
vinces, apres avoir reprimé la licence
des Barbares, il repara trois places ſur la
riviere de Meuſe pour les contenir en
leur devoir : au ſujet dequoyillulpen
dittant ſoit peu le deſſein qu'il s'eſtoit
propoſé . Et afin d'aſſeurer le conſeil
qu'il avoit pris par une promptitude a
visée, n'ayant plus de pain de munition
quepour dix-ſept jours, lequel le ſoldac
portoit pourletemps quieſtoitnecellai
334 AMMIAN MA R.. Liv . XVII.
re pour faire ſon expedition , il en mitde
reſerve une partie dans le Camp, efpe
rant qu'il ſuppléeroit aisément au reſte
par le bled qu'il tireroit des Chamayos
en la place de celuy qu'il laiſſoit. Mais
ilen arriva tout autrement : car le bled
n'eſtant pas encore meur , & le ſoldat
ayant mangé toutes les proviſionsqu'il
avoit, & ne pouvant trouver dequoy
vivre, neceſſoit point de-crier apres Ju
lien , & de luy faire des reproches inju
rieux, l'appellant:c Aſien ‫ام‬
, Grec, trom
peur, & de peu de jugement avec toute
fa minefericuſe , à quoy beaucoupajoû :
terentencore des diſcours plus piquans.,
Et commeil s'en trouve d'ordinaire par
my· les gens de guerre , qui ſe font re
marquer par la liberté de leur langue,
quelques-uns s'en expliquerent aindi,
å ſommes - nous entraînez n'ayant
plus d'eſperance de quelque choſe de
mieux , apres quenous avonsenduré
de tres.grandes fatiguespar les neiges,
» par les glaces & par les frimats ? Mais
», maintenant, ô inifere ! nous nous opi
ER niaſtrons contre les dernieres deſti
> nées de nos Ennemis, en periſſant de
,, faim , & ſuccombant par le plus mi
ſerable genre de mort qui le puille
„ imaginer. Etafin qu'on ne ſe perſuade
CONSTANTIUS ET JULIEN . 335
, pas quenous ſuſcitons des troubles ,
nous proteſtons franchement que tout
...ce quenous en diſons n'eſt que pour
», la ſeule vie , ne demandant ny or ny
1.
», argent que nous n'avons pû cy -de
4. vant ny voir ny toucher , nous ayant
,, elté dénié comme ſi c'euft eſté en fa
ſant la guerre contre la Republique ,
» que nous euſſions entrepris de fi grāds
travaux & couru tant de fortunes .
Le ſujet de leurs plaintes eſtoit bien ju
fte : car entre le cours de tant de choſes
douteuſes, & des beſoins fi preſſans , le
ſoldar épuisé parmy les ſueurs qu'il a
voit fouffertes dans les Gaules , n'avoit
pû meriter ny donatif ny paye depuis
que Julien fur envoyé pour en chaffer
les Barbares , parce qu'on ne luy avoit
pas laiſsé à luy : meline le moyen de
donner , & que Conftantius , ſelon la
coûtume, ne permettoit pasqueles Of.
ficiers euffent ſoin de luy envoyer les
choſes neceſſaires . Mais il parut évi
demment que cela ſe faiſoit plûtoft par
malice que par avarice , de ce
que Cefar
ayant donné fort peu de choſe à un pau
vre ſoldat quile luy avoitdemandé pour
ſe faire raſer le poil ,ilfut attaqué de pa
roles outrageuſes par Gaudence , alors
Secretaire d'Eſtat, quiavoit eſté envoyé
AMMIAN MAR . Liv .XVII.
pour obſerver ſes actions, & qui avoit
long-temps demeuré dans les Gaules ,
qu'il fit tuer en ſuite , pour le ſujet que
nous dirons en fon licu .
Le tumulte ayant eſté appaisé ; mais
non pas ſans quc Ceſar y cuſt employé
beaucoup de bonnes paroles , & toutes
fortes de raiſons , il paſſa le Rhin avec
ſon armée ſur un pont de batteaux : & *
ſi-toft qu'il fut ſur les terres des Ale
mans, Severe Colonel de la Cavalerie ,
quiavoit eſté un ſi ſage & fi valeureux
guerrier vintà défaillir en un inſtant : &
celuy qui avoit li fouvent exhorté tout
lemonde à bien faire paroiſſoit timide,
& commcun hommequin'avoit plus de
ceur, il ſembloit qu'il vouloirdilluader
toutes les troupes de combatre, eſtant
poſſible ſaiſi de l'apprehenſion de la
mort qui luy devoit bien - toft arriver ,
comme il ſe lit dans les livres de d Ta.
ges, que ceux quidoiventeſtre frappez
de la foudre deviennent cellement he
beſtez , qu'ils ne peuventoüirnyleton
nerre, ny des fracas plus horribles , s'il
y en a quelques- uns qui ſepuiſſentoüir:
Et certes, contre fa.coûtume, ilavoit
fait fi lâchement qu'il épouvantoit les
guides qui alloient devant avec alle
greſſe, en lesmenaçantde les châtier de
la
CONSTANTIUS ET JULIEN . 337
la derniere peine, ſi tous enſemble ilsne
«conſpiroient à dire & affirmer qu'ilsne
connoiſſoient pas
le païs. Ces gens-là
craignirent donc l'authorité de celuy
qui leur faiſoit cette deffenſc, &
nepal
Terentpas plus avant.

IX .

Les Roys Suomaire et Hortaire n'ayant


pas la force de reſiſter aux Romains, se
viennentietter aux piedsde Iulien pour
luy demander la paix , & l'obtiennent.

Ependant Suomaire Roy des Ale


Cena
mans, vint de ſon bon gré inopi
nément avec les fiens au deyant de luy ,
quoy qu'il euft eſté auparavant furienx
& fort animé contre lesRomains;mais il
crut alors qu'il profiteroit aſſez s'il luy
cftoit permis de conſerver ce qui eſtoit
à luy. Et dautant que ſon viſage & ſon
marcher , firene croire qu'il eſtoit ſup
pliant, il fut bien receu . On luy dir qu'il
euſt bon
courage : il ne ſe reſerva
que ce ſoit, & s'eſtantmis à genoux quoy
, il
demanda la paix. Elle luy fut accordée
avec la jouiſſance de les biens , à condi
tion qu'il rendroit nos priſonniers qu'il
avoit faits, & qu'il fourniroit des yiyres
P
IAN
338 AMM MAR . Liv . XVII .
à nos ſoldats, quand ils en auroient be
foin . Ainſi à la maniere des perſonnes
vilcs , il obrint la ſeureté pour les cho
ſes qu'il avoit accordées : & s'il n'en
euſt point donné des effets en ſon temps,
il euſt bien appris en ſuite le inal qui luy
en fuſt arrivé.Ce quiayant eſté ainſior
donné, furaccomply en ſuite ſans delay.
Il fallur aller à la Ville d'un autre Roy
appellé - Hortaire , & parce qu'il n'y
manquoit rien que des guides, Cefar a
voit commandé à Neftica Tribun des
Gens-d'armes quiporterit desboucliers,
& à a Charietton , perſonnage d'une
force merveilleuſe, qu'on cherchaft à
quelque prix que ce fuſt un priſonnier
du païs : & comme on eut amené un
jeune Aleman , il promit qu'il montre
roit le chemin , pourvû qu'on luy con
fervaſt la vie. II.marcha donc devant,
mais l'armée qui le ſuivoit ne pût aller
fort viſte , à cauſe des grands arbres qu’ó
avoit coupez ſur lesavenuës, toutesfois
elle arriva enfin par de longs détours au
lieu où elle vouloit aller, & chaque ſol
datanimépar la colere, brûloit la cam
pagne ; enlevoit les hommes & les ani
maux, & tuoit ſans remiffion tous ceux
qui s'efforçoient de luy reſiſter . Le Roy
affligé de ces miſeres , voyant tout ſon
CONSTANTIUS ET JULIEN .
339
Epaïs defolé auſſi bien que ceux de ſes
Voiſins , & ſe voyant luy -meſme acca
blé des coups de la fortune, il demanda
pardon , promit de faire tout ce qu'on
voudroit, & s'obligea par ferment de
rendre tous ceux qu'il avoit pris : car
c'eſtoit pour cela principalement qu'on
le preſſoit ſi fort : mais en ayant retenu
plulieurs ( s'il eſt vray qu'il en rendit fort
peu ) Julien qui en cutconnoiſſance, en
conceutune juſte indignation , quand il
fut venu pour recompenſer , ſelon la
coûtume, quatre de ſes Comres, ſur l'aſ
diſtance & la fidelité deſquels il ſe repo
foit principalement ; mais il ne les en
tinc pas quittes auſſi , juſques à ce que
tous les Captifs euſſent eſté rendus.
Toutesfois ayant eſté admis auprés de
Ceſar , pour parler à luy , il y vint avec
:

des yeux tremblotans : il ſe proſterna


devant luy, & ſe trouvant ſurmonté par 3
la ſeule preſence de ſon vainqueur , il ne
ſe ſentoit pas moins oppriméde la con
dition difficile qu'on exigeoit de luy :
ſçavoir celle -cy'; que comme il eſtoit
raiſonnable , apres tant d'heureux ef
venemens , les villes qui avoient eſté
ruinées par la violence des Barbares
fuſſent inceſſamment reparées , & qu'ils
fourniſſent pour cela des chariots & des
Pij
340 AMMIAN MAR . Liv . XVII.
materiaux de leurs propres richeſſes. Il
le promit enfin , & fit ferment de tenir
ſa parole , & de la garder au peril de la
propre vic. Il luy fut permis en ſuite de
Te retirer chez luy . Car de l'obliger de
faire venir des bléds , comme on y avoit
obligé Suomaire , il n'y eut pas moyen ,
parce que tout ſon païs avoit eſté ruiné,
& qu'il n'y en eut plus de reſte. Ainſi ces
Rois quicſtoient autresfois ſi orgueil
leux , & fi accoûtumez de s'enrichir par
le brigandage aux dépens des noſtres ,
aſſujettirent leur tefte ſous le joug de la
puiſſance Romaine : & ,commes'ilsfuf
ſentnais tributaires, ou qu'ils euſſent
efté élevez dans noſtre obeïſſance , ils
furent enfin ſoûmis aux Loix de l'Ém
pire. Ces choſes s'eftant paſsées de la
ſorte, les ſoldats furent diſpercez dans
leurs garniſonsaccouſtumées, & Ceſar
revint à Paris , où eſtoit ſon quartice
d'hyver.
CONSTANTIUS ET JULIEN . 341

Les flatteurs effayent de ruiner le merire


des ſervices de Julien dans l'eſprit de
Conſtantius. Ce qu'Ammian dit n'eſtre
pas nouveau , & le iustifie par divers
exemples.
-

Oinmeles nouvelles de toutes ces


Chores furene venues a la Cour de
Conſtantius ( car il eſtoit neceſſaire , de
rapporter tout ce qui ſe faiſoit à la con
noiſſance de l'Empereur , commes'il-en
cult eſté le principalagent , & que Ce
far n'y euſt pas plus de part qu'un ſim
ple Apariteur qui manifcfte les inten
tions & les exploits du Prince- ) Tous
ceux qui avoient le plus de credit au Pa
lais, eſtoientles plus grands flatteurs, &
tournoient toutes les belles actions de
Julien dans le ridicule , difant inceffam
ment de la maniere du peuple la plus in
fipide ; Ce n'est pas un homme , c'eſt une
shevre qui est venuë avec ſes belles via
Etoires pour fe faire bairde toute la terre,
ſe voulant moquer de luy , parce qu'il
eſtoit fort barbu . Puis ils l'appelloient
Taulpe babillarde , Singe vestu de la
Pourpre, & petit écolier de Grece , & de
D iij
342 --A MMIAN MAR . Liv. XVII:
beaucoup d'autres noms ſemblables,
avec de inéchans Cobriquers en langue
vulgaire , pour réjouir le Prince, qui
témoignoit d'y prendre plaiſir , & s'ef
forçoient autant qu'il leur eſtoit poſſi
ble , d'obſcurcir le luſtre des vertus de
Julien par des paroles inſolentes, com
me s'il cuft eſté un lâche, un poltron , &
un homme de neant, quin'euft eſté ca
pable que de déguifer de mauvaiſes a
ctions par des paroles étudiées. Cc qui
ne ſe fit point alors pour la premiere
fois, Car une grande gloire a toûjours
eſté l'objet de l'envie : & nous liſons
dans l'hiſtoire des plus fameux Capitai
nesde l'Antiquité , quelamalignité des
hommes leur a ſouvent imputé des vi
Ces & des crimes , dont ils n'eſtoient
point coupables, pour ternir le luſtre de
leursbelles actions, commeon dit faul
ſeinent que Cimon fils de Mitjade ,
eſtoit venu d'un inceſte,celuy-là ineſme
qui auprés d'un fleuve de la Pamphilic
appellé Eurymedon , avoit deffait un
peuple innombrabledes Perſes, & avoit
Contraint cette fuperbe Nation d'im
plorer la paix Scipion l'Æmilien fut ac
cusé d'eſtre un dormeur par la malice de
fes Ennemis, quoy que par la rare vigi
lance deux puiſſantes Villes opiniâ :
CONSTANTIUS ET JULIEN . 343
trées contre la gloire de Rome, furent
entierement delolées. A Pompée mef
me, quoy que les médiſans les plus in
juſtes,n'euſſentrien pû trouver à redire
en un fi excellent homme,li eſt-ce qu'ils
luy objecterent deux choſes ridicules &
Paines , de ce que par une habitude na
turelle , il ſe gratoit la teſte d'un ſeul
doigt, & de ce qu'il metroit quelques
fois une jarriere blanche à la jambe,
pour y cacher la deformité d'une certai
ne bleſſeure. Ce qu'ils attribuoient à
unemarque de diſſolution , & quant à
l'autre, à je ne ſçay quelle vanité de
faire paroiſtre qu'ilaimoit lesnouveau
tez , n'obmettant rien d'ailleurs à une
raiſon ſi froide, pour dire qu'il auroit
bien plusdejoye de mettreautour de la
telte le bandeau Royal, quoy qu'iln'y
ait point cu de perſonnage plus valeu
reux, ny plus acquis que luy au ſervice
de la Patrie, commele juſtifient affez les
témoignages que nous en avonsde tou
te l'hiſtoire.
Comme ces choſes ſe paſſoient de la
forte, Artemius qui exerçoit dansRome
la Lieutenance de la Prefecture pour a
Baſſus, qui ayant eſté élevé à la dignité
de Prefect de la Ville , eſtoit decedé par
un accident funeſte , fon adininiſtration
P - iiij.
AN MAR . Liv . XVII
344 AMMI
fut troublée par les feditions; mais il ne
s'y paſſa rien de memorable pour merie
ter d'eſtre écrit dans l'hiſtoire.

XI.

Conftantius fait la guerre anx Sarmatas


aux Quades.

Ependant comme l'Empereur ſe


C journoit a à Sirme pour y paſſer
l'hyver, on luy venoit dire inceſſaminét,
queles Sarmates & les Quades b mellez
enſemble pour eſtre dans le voiſinage,
& avoir une conformité demeurs,d'ac
meures, & demanicre de combatre, s'é
toient jettez dans l'une & l'aucre Pan
nonie, & dans c la ſeconde Mæſie ,pour
у faire plůcoft des brigandages , que
pour faire une guerre ouverte , & que
pour cela ils portoient de longues pi
ques , & des cuiraſſes faites de cornes ra
les & polies tiſſuës & entre-mellées en
forme de plumes, avec des habits de toi
le : & que la pluſpart de leurs chevaux
eſtoient hongres , de peur qu'ils ne ſe
fuſſent emportez en la preſence des ca
valles ,ou que ſe mettant en furie, lors
qu'on en a beſoin , ilsnetrahiſſent par
leurs hanniſlemens, ceux qui eſtoient
CONSTANTIUS ET JULIEN . 345
montez deffus : qu'ils couroient dans les
raſes camp
agnes les unsapres les autres ,
ou que s'ils tournoient le dos, ils avoiét
beſoin que leurs chevaux fuſſent viſtes
& obeïffans, & en avoient toûjours un
ou deux en main , pour entretenir ainſi
leurs forces par le changement, & qu'ils
repriſſent haleine en ſe repoſant alterna
tivement,
Quand l'Equinoxe du Printemps fue
paſsé, l'Empereur ayant aſſemblé force
troupes , & s'eſtant mis en campagne
fous la conduite d'une fortune qui luy
promettoit bien de la joye , il vint en un
lieu commode, & paſſa le Danube en
Aé des pluyes de la ſaiſon , fur un pont
de batteaux , pour ſe jetrer dans les ter
res des Barbares, afin d'y faire le dégalt.
Ils furent furpris d'une venuë li ſoudai
ne, & ſe voyant menacez par des troll
pes guerrieres , quils n'euſſent pas crû
qu'on euſt pû aſſembler en ſi
peu de
temps, ils n'eurent ny le loifir de reſpi
rer , ny l'audace dene bouger d'un lieu :
mais eſſayant d'éviter la ruineà laquelle
ils ne s'attendoient nirent
pas , ils ſe
tous en fuite. Et pluſieurs ayant eſtéde
faits , parce que la crainte avoir lié leurs
pas , ceux que leur
enlevez à la mort , promptitude avoit
ſe cacherent dans les
ру
346 AMMIAN MAR . Liv . XVII.
antres obſcurs des vallées , parmy les
rochers des montagnes, d'où ils voyoiét
perir par le fer leur Patrie, qu'ils en euf
ſent pû deffendre aſſeurément, s'ils euf
ſent reſiſté avec la meſmevigueur qu'ils
s'eſtoient retirez . Ces choſes ſe pal
foient dans cette partie du paisdes Sar- ..
mates, qui regarde la ſeconde Panno
nie : & la licence guerriere par une va.
leurégale, ravagea de lamelme forte la
Valerie , d'où elle enleva les richeſſes
des Barbares , & bruſla tout ce qu'elle -
put rencontrer ſuſceptible du feu qu'el-
le mir en divers lieux. Dont les Sarma
tes furent fi effrayez, qu'apres avoir pris »
le conſeil de ſe cacher , ils fe reſolurent
enfin de ſortir ſous pretexte denous de
mander la paix, & fe diviferent en trois :
troupes pour nous attaquer avec plus..
deſeureté, afin que nous ne pufſionsny
nous ſervir de nosarmes,ny éviter leurs ».
coups, ny meſme prendre la fuite dans
l'extremité , eſtant prellez de tous les
coſtez . Les Quades qui avoient eſté -
fouvent complices des Sarmates , voula ..
Jurent auſſi courre la meſme fortune
avec eux .Mais commece fut auec beau
coup d'indiſcretion , leur audace ne leur
fervit de rien qu'à les jetter dans un pe
ril évident. Car pluſieurs d'enti cur
CONSTANTIUS ET JULIEN . 347
ayant eſté tuez , la partie qui en pût re
chapper ſe fauva dans les montagnes,
dont ils connoiſſoient les avenuës & les
détours. D'où il arriva que l'Armée
ayant redoublé fon courage & ſes for
ces, réunir toutes ſes troupes , & ſe jetta
dans le pais des Quades , qui de peur
qu'ils eurentd'eltrebattus, par l'exem
ple de ce qui s'eſtoit paſsé, reſolurent de
venir demander la paix au Prince , ne
frilant pointde doute qu'il ne fuften
tierementadoucy par leur ſoûmillion .

XII.

Zizaïs , Acabacius , vſafer , on all


tre's Roytelets des Quades , deman
dent la paix avec de tres - humble's
prieres i en l'obtiennent de Conſtan
tius.

E forte qu'au jour qui fut arreſté


pour cela à certaines conditions ,
Zizaïs jeune Prince du ſang Royal, qui
eſtoit d'une taille avantageuſe, avoit in
ftruit tous les ordres des Sarmates à faire
leurpriere à la ſoldateſque : & dés qu'il
vid l'Empereur, il ſe dépoüilla de ſes ar
mes , & s'eſtant jercé par terre devant
luy , il perdit la voix pour la grande
Pvj
348 AMMIAN MAR. Liv . XVII:
crainte qu'il en cut; puis quand il vou..
lur faire la Harangue, il l'émeur d'au
tant plus à pitié, qu'il luy fut impoſi
ble de parler : toutesfoisapres qu'il luy :
cut eſté permis de décharger fon pre
mierreſſentiment par quelques ſanglots
quiluy ſerroient le cœur , & qu'on luy
eur commandé de ſe relever , ayant re
pris l'uſagede la parole, il firdes excu
Tes de ſon imbecillité , & demanda par
don. Puis toute la multitude ayant eſte
admiſe à faire fa tres -humble requeſte ,
commela crainte luy eut auſſi fermé la
bouche , Zizaïs dans l'incertitude où il
le vit, quand on luy eut commandé de
ſelever de terre , fit figne à ceux qui l'a
voient long - temps attendu pour com
mencer leur pricre : Et tout auſſi coſt
ces gens ayant jeté leurs boucliers &
leurs javelots par terre , a firent donc
leur humble priere , & ſouhaiterent que
par leur ſoumiſſion toute entiere ils
peuffent vaincre la ſeverité del’Empe
reur victorieux. Il avoit amené à la
ſuite , commeles principaux d'encre les
Sarmares, Rumon , Zinafre, & Fragila
de b Roytelecs ſubalternes, & pluſieurs :
des plus conſiderables d'entr'eux , pour
demander des choſes ſemblables , avec
l'eſperance qu'elles ne leur ſeroiér point
CONSTANTIUS ET JULIEN . 349
déniées. Bien que tous ceux - là fuſſent
pleins de joye de la vie , qui leur eſtoit
accordée, ils proinettoient d'accomplir
les conditions qui leur furent propo
sées ;mais , pour en dire la verité, ce fut
avec une reſolution d'ennemy, & s'of
froientlibrement à la puiſſance Romai
ne,avec toutes leurs facultez , leurs fem ,
mes & leurs enfans. Toutesfois la cle
mence qui ſe trouva jointe avec la juſti
ce, prévalut ſur la compagne; & comme
ils eurent eſté reſtablis chez eux,ilsnous
rendirentnos priſonniers, & nous ame
nerent lesoftages qu'on leur avoit de
mandez , avec proteſtation d'obeïr pon
ctuellement à cout ce qui leur ſeroit
commandé..
li grande clemen
A l'exemple d'une ſi
ce, Arahaire & Ulafer, perſonnes dedi:
gnité Royale , accoururent avec tous
leurs gens , pour obtenir une pareille
grace. Ils eſtoient ſignalez entre tous
les Chefs des troupesdes Barbares , l'un
deſquels avoit ſolltenu le party des
Quades Transjugitains , & l'autre a
voit commandé quelques Sarmates voi:
fins des Quades, leſquelsavoient beau
coup de conformité avec eux pour la
ferocité. Mais l'Empereur craignant
que leur peuple ne filt ſemblant d'en :
350 AMMIAN MAR . Liv. XVII.
trer dans l'Alliance , & qu'il ne ſe
portalt incontinent aux Armes , ayant
interrompu ſa conference avec eux, il
fit retirer pour un peu de tempsceux qui
l'eſtoienc venus prier pour les - Sarma
tes, juſques à ce quela negociation d'A
rahaïre & des Quades euſt paru . Ayant
donc eſté preſentez ſelon leur coûtumeg ,
commeils ſe renoientdebout en ſe cour
bant le corps , & qu'ils ne pouvoient ſe
juſtifier des crimes atrocés qui leur
eſtoient objectez;mais craignant le ſort
de la derniere infortunc , ils donnerent
les ôtages qu'on exigea d'eux, n'ayant:
pointdonné jufques là de gages de leur
alliance. A ces conditions qui avoient
eſté ſtipulées , ſelon l'équité & la ſeure
té publique , Uſafer für admis à faire
ſon compliment , tandis qu'Arahaire
murinuroit opiniâtrément, & s'obſtinoit
à dire, que la paix qu'ilavoitmericée, luy
devoit eſtre aulli utile, qu'ellel'étoit à ce
luy quiparticipoit à ſa gloire, bien qu'il
luy fuft inferieur , & eftoit accoûtume
d'obeïr à fon Empire. Mais la queſtion
ayant eſté examinée , les Sarmates apres
avoir receu ordre de ſe dégager d'une
puiſſance eſtrangere , comme eſtant de
ſormais entierement acquis au ſervice
des Romains, ils leur devoieat bail
CONSTANTIUS ET JULIEN . 35
lerdes ôrages pour entretenir les liens
de la paix , ce qu'ils embraſſerent de
tout leur caur. Apresces choſes-là , il y
eut auſſi un grand nombre de gens & de
Roys meſmes qui vinrent en foule , &
parbandes , pour prier qu'on leur oftaſt
le couteau de dellus la gorge , depuis
qu'ils eurent connu qu'Arahaire s'eſtoit
retiré simpunément, Si bien qu'ils im
petrerent auſſi la paix qu'ils deman
doient , ayant fait venir pour le meſme
ſujerdu fonds de leurs Eſtats les enfans
des principaux d'entre- eux , pour les
rendre garans de leur fideliré, les met
tant en oftage, & rendirent par meſme
moyen nos priſonniers , comme la choſe
cut efté trouvée bonne de la forte , def
quels ils ne ſe défirentpas avecmoins de
déplaiſir qu'ils euffent fait de leurs pro
pres gens.
552 AM MIAN MAR . Liv. XVII.

XIII.

Ees Eſclaves Sarmates ayantmis en fui


te leurs Maiſtres , les ayant pouſſez
juſques dans l'exil , apres qu'ils eurent
méprisé la clemence de Conſtantius, ſo
tenant aſſeurez de la force des lieux o ?
ils eſtoient , fe munirent desruſes d'ar
mes & de prieres dans le beſoin pour fe
conſerver .

Es choſes eſtant établies de la for


CES te, on porta tous ſes ſoins vers les
Sarmares , qui eſtoient certainement
plus dignes de pitié que de haine . Ec
certes il n'eſt pas croyable , combien ce
cy leur apporta d'utilité , afin qu'il n'y
eaſt pas lieu de douter de ce que quel
· ques -uns tiennent que a la deſtinée fe
fürimonte , ou ſe fait par la puiſſance du
Prince . Les habitansdece Royaume-là
eftoient autresfois nobles & puiſſans ;
mais une conjuration inteſtine arma
leurs Serviteurs pour ſe ſignaler contre
eux par quelque memorable exploit. Et
comme parmi les Barbares , toutle droit
ne conlite qu'en la force , ils vainqui
rent leurs Seigneurs & leurs Maiſtres
qu'ils égalerent en ferocité , & qu'ils
CONSTANTIUS ET JULIEN .
furpaſſerent en nombre. Mais enfin la
crainte ayant troublé leurs conſeils , ils
fe refugierent chez les Victobales qui
eſtoient fort éloignez d'eux , aimant
mieux eſtre dans la ſervitude chez leurs
défenſeurs , que de demeurer chez leurs
Maiſtres qui les avoientacheptez , com
mec'eſt l'ordinaire dans les maux de des
firer le changement. Mais enfin , com
me ils déploroient leur eſtat, apresqu'ils
eurent impetré leur pardon , ayant eſté
receus à ſerment de leur fidelité , ils de
manderentde la protection ,pour l'aſſels
rance de leur liberté : Et l'Empereur
s'eſtant trouvé touché de l'injuſtice de
la choſe en elle-meſme, & lesayanttous
affemblez , il leur parla fore humaine
menten preſencedetoute l'Armée ;mais
illeur deffendit bien expreſſément d'o
beïr jamais à d'autres qu'à luy & aux
Capitaines desRomains. Et afin que le
reſtabliſſementde leur liberté , euſtauſſi
un accroiſſement de dignité , il leur fit
accepter c Zizais pourRoy , qu'iljugea
dignedes marques d'une fortune écla
tante , & qu'il crut fidelle à ſon ſervice,
comme il le fut en effet : mais apres ces
choſes , ilne voulut pas permettre à qui
que ce fuſt de ſe retirer auparavant que :
nos priſonniers euſſent eſte de retour.
354 AMMIAN MAR . Liv . XVII.
Ces choſes-là s'eſtant ainſi paffées
dans le paisdes Barbares , il fit marcher
fon Armée du coſté de d ' Bregece dans
la Pannonie , afin d'y éteindre aufli les
reliquesde la guerre par les larmes ou
pár le ſang des Quades qui émouvoient
encore des troublesen ces quartiers-là.
Vitrodore fils du Roy Viluaire, & Agili
mund Roycelet ſubalterne , & autres
principaux d'entre-eux , & Juges de di
verſes Nations , voyant l'armée au
cæur de leur Royauine & de leur pars
natal s'humiliercnt aux pieds des fol
dats ; & quand ils curent obtenu leur
pardon , ils firent ce qui leur fur com
mandé ; ils donnerent leurs enfans pour
gage de leur fidelicé , & en firent le fer
ment ſur leurs e cfpées qu'ils tirerent
du fourreau , leſquelles ils reverent
comme leurs Divinitez .
Ces choſes s'eſtant terminées heureu
fement , comme il a eſté dit , l'utilité pu
blique requeroit qu'on portaſtla guerre
contre les Limigantes qui eſtoient les
Eſclaves revoliez des Sarmates, que c'é
roit un crime de laiſſer impunis pour
beaucoup deméchancetez qu'ilsavoient
commiſes. Et certes , comme s'ilseul
ſent perdu le ſouvenir des choſes paf
ſées, ou qu'ils euſſent eſté libres de leur
CONSTANTIUS ET JULIEN . 355
Condition , ils attendirent le temps à
propos , pour faire des irruptions ſur les
frontieres de l'Empire , n'ayant eſté
d'accord , qu'en cette infidelité ſeule
avec leurs Maiſtres & leurs ennemis.
On refolut neantmoins de ſe vanger de
cela avec plus de douceur , que la gran
deur du criinene le deinandoit : & on en :
differoit le châtiment , afin qu'eſtant
éloigné , ils perdiſſent le pouvoir de
nous inquieter pour ce qui nous appar-
tenoit. Il faut avouer pourtant que leur
conſcience ulcerée leur devoit faire ap
prehender le peril du châtiment que
leurs crimes avoient merité. C'eſt
pourquoy ſedéfiant que le fardeau de la
guerre alloit tomber ſur eux , ils prepa
roientpour leur défenſe toutes les ruſes
imaginables , avec le fer & les pricres:
Maisdés qu'ils eurentcomencé de jetter
les yeux für l’armée qui s'approchoit
d'eux; on euſ dit qu'ilseuſſent eſté frap
pez d'un coupde foudre , & conſiderant
à quelleextremité ils s'en alloient eſtre
reduits , ils demanderent la vie , & pro
mirent toute forte d'alliſtance,de Tribut
annuel , de choix de leur meilleure jeu
neſle & de ſervice ; D'ailleurs faiſant
connoiſtre par ſignes , & par des geſtes
decorps & de viſage , qu'ils eſtoient res
356 AMMIAN MAR , Liv . XVII .
folus de n'obeïr point ſi on leur com
mandoit d'aller autre part , ſe confiant
en la protection des lieux où ils avoient
établi leurs demeures depuis qu'ils en
curent chaſſé leurs Maiſtres. C'eſt en ce
païs-là que le f Parthiſque ayant arroſé
de ſes eaux tortueuſes,les va meſler dans
celles du Danube .Mais tandis qu'il cou
le ſeul en liberté , & qu'il s'épand au
long & au large dansdes lieux ( pacieux,
& qu'il ſe reſſerre prochede la fin , ildé
fend ceux quihabitent le long de ſes ri
ves de l'impetuoſité des Romains par le
lićt du Danube , & par le ſien propre il
les tient en feureté contre les incurſions
des Barbares , où la nature du licu humi
de avec le débordement des autres ri
vieres qui y tombent , les couvre de
marefcages , parmi force faules qui en
rendent les approches inacceſſibles à
tous ceux qui ne connoiſſent pas le pais:
& là meſine il ſe fait une eſpece d'Iſle
par le moyen des Canaux du Parthiſque,
qui les ſepare desautres terres fermes, &
les tient en ſeureré .
CONSTANTIUS ET JULIEN . 359

X I V.

Ils ont l'audace de s'effayer avec les Ro


mains , en font pouſſez en ſuite dés la
premiere bataille ; elle en moins d'une
demi- heure , apres s'estre ralliez ils
font entcrement défaits. On recherche
juſques dans des Maiſons , ceux qui
pouvoient y eſtre demeurez dereſte pour
ne les pas épargner.

E Prince ayantdonc encouragé les


LE ,
qui leur eſt naturelle de l'autre coſté du
Fleuve , comme l'évenement le fit voir,
non pas pour faire ce qui leur eſtoit
commandé;mais pour ne donner pas ſu
jet de croire qu'ils apprehendoient la
preſence du ſoldar Romain . Er fi on leur
diſoit qu'ils ſe tinſſent fermes , ils fai
foient ſemblant d'avancer , pour mon
trer qu'ils eſtoient libres , & qu'ils ne
vouloient pas obeïr. L'Empereur .qui
jugea de là ce quipourroit arriver d'une
humeur ſi contrariante , diviſa ſecrete
ment ſon armée en pluſieurs bataillons,
& renferma diligemment ceux qui s'a
vançoient versluy , & ſe tenant debout
ſürunc éminence, avec peu de gens où il
353 AMMIAN MAR . Liv . XVII .
eſtoit entouré de ſes Gardes , il les con
vioit tous pardedouces paroles de ne fe
laiſſer point emporter à la fureur. Mais
cux n'ayant point encore pris de refo
lution certaine ſe laiſſoient emporter à
des penſées diverſes , & mellant la ruſc
avec la fureur , ils tentoient le combat ,
Lavecdes prieres qu'ils faiſoicit pour la
Paix, & ſe preparerent à ſe ruer de furie
ſur les noſtres. Ils jetterent à deſſein
leurs boucliers bien loin d'eux , afin
qu'eſtant avancez inſenſiblement pour
les reprendre, ils gagnaffent toûjours de
l'eſpace , ſans qu'en cela il y euſt la
moindre apparencede ruſe. Enfin com
me le ſoir approchoit , & que la clarté
du jour cominençant à ſe retirer , faiſoit
allez connoiſtre qu'il n'y avoir plus de
temps à perdre , on leva aulli -toft les
Enſeignes , & le foldat Romain fe tranf
porta contre eux avec un grand delir de
combattre . Ils ſe tinrent lerrez , & l'ar
mée s'eſtant preſſée, ils s'en alloient tout
droit vers le Prince qui eſtoit debout ,
comme nous l'avons dit , & alloient
porter toute leur impetuolité contre
luy , le regardant d'un « il farouche, &
luy faiſant des reproches amers . Mais
luy fronçant le fourcil , ( la naïveté ſol
dateſque appelle cela faire la telte a de
CONSTANTIUS ET JULIEN .
Porc) illeur fit perdre en un inſtant tou
te leur impetueuſe ardeur. Et à la mef
me heure les compagnies d'Infanterie
battirent les compagnies d'Infanterie $
de l'aifle droite, & les troupes de Cava
lerie ſe jetterét parmy les troupesde Ca
valerie de l'aiſle gauche,tādis que la co
horte Pretorienne fe tenant autour de
l'Empereur, romboit tantoſt ſur le ven
trede ceux qui reliſtoient , & tantoſt ſur
le dos de ceux qui fuyoient : & les Bar
bares en tombant avec leur opiniaſtrere
invincible faiſoient connoiftre qu'ils
n'avoient pas tant de regret demourir,
quede voir en mourant que les noſtres
eſtoient ravis dejoye d'eftre victorieux :
Et pluſieurs eſtant par terre fans eſtre
morts avec les jarrets coupez , & par
conſequent le remede de la fuite leur
eſtant ofté , les autres n'ayant plus de
mains , quelques autres ſans eſtre bleſ
ſez par l'epée , mais eftant froiſſez louis
le poids des maſſes , fouffroient toutes
ces peines avec un -filence profond . Et
parmy tantdeſupplices divers, il n'y en
cut pas un ſeul d'entre-eux qui deman
dalt quartier , ou qui jettaſt l'epée, ou
qui priaft quelqu'un de Pachever : mais
chacun rerenant ſes armes , bien qu'ils
fuffent ſerrez de la derniers détreſſe, te
20 AMMIAN MAR . Liv . XVII,
noit que c'eſtoit un moindre crime d'e
tre vaincu par des forces eſtrangeres
que de l'eſtre pay le jugementde la pro
. pre conſcience : & on leur entendoit

:
dire tout-bas, que ce qui leur arrivoirn'é
toit pas tant par leut merite que pardes
coups de la fortune. Ainfi en l'eſpace
d'une demi-heure de temps que dura le
combat , il y eut ſi grand nombre de
Barbares tuez, que la ſeule Victoire fit
aſſez connoiſtre de quelle forte ilsavoiét
combatu . A peine tantde pauvres gens
curent -ils eſte exterminez , que leurs
proches de tous âges & de tous ſexes
ſortirent par troupes de leurs petites
chaumieres : & la vanité de leur premie
re vie n'ayant plusde moyen de ſe con
tenir , ils ſe porterent d'eux -meſmes à la
baſſeſſe des fervices les plus contempti
bles : & dansun fort pecit intervalle de
temps , on vid des monceaux d'hommes
tucz , & des foules nombreuſes de cap
tifs. Mais quoy qu'il en ſoit , par la fer
veur des combats, & par les fruits ordi
naires de la Victoire, on s'émer encore
plus fort à la ruine corale de ceux qui
avoient deſerté les combats , & qui s'en
eſtoient fuits
pour ſe cacher ſous leurs
petits coicts. Commedonc le ſoldatavi
de du ſang des Barbares , fut venu aux

lieux
CONSTANTIVS ET JULIEN , 361
lieux où eſtoient ces pauvres gens, il les
maſſacroic impitoyablement, ayantren
verſé leurs petites hutes : car il n'y avoit
point demaiſon appuyée ſur des poutres
-

ſolides qui les puſt gacentir de la mort.


Enfin , comme toutes choſes eſtoient
embraſées , & qu'il ne fur plus au pou
voirdeperſonne de ſe cacher , tous les
moyens de vivre eſtant ôtez à chacun , il
falloit deneceſité ou qu'il periſt par le
feu ,ou s'il vouloir éviter l'incendie,pour
ſe fauver d'un ſupplice , il ſe jettoir dans
un autre , & il eſtoit égorgé par le fer.
Quelques-uns neantmoins ſe garantiſ
ſoient du fer & des flâmes , par la fuite ,
& ſe jettoient au fond de la riviere qui
eſtoit tout proche', eſperant par leur ad
dreſſe de pouvoir atteindre l'autre rive ;
mais pluſieurs furentnoyez , ou bleſſez
dans les eaux qu'ils rougirent de leur
ſang. Ainſi la colere & la valeur des Vic
ctorieux exterminerent les Sarmates ſur
l'un & ſur l'autre élement . On voulut
doncpar cette conduite ôter toute cipe
rance de ſe pouvoir fauver à tous ces
gens-là : & apres que leurs maiſons fu
rent brûlées , & leurs familles furent
diſſipées , on fit affembler tous les bat
teaux
que l'on pût trouver pour faire
perquiſition de tous ceux que l'autre ri
Q
-362 AMMIAN MAR . Liv . XVII.
ve du Fleuve avoit ſeparez de noſtre ara
mée. Auff -toſt de peur que l'allegreffe
de nos gens acharnez au combat,ne vinſ
à s'aciedir , on mitſur de petites barques
des ſoldats armez à la legere , qui állo
rent chercher le reſte des Sarmates jul
dans leurs trous , leſquels furent
ques
tro mpe z par l'aſpect inopiné de leurs
Vaiſſeaux, qu'ils reconnurent ſur l'eau ,
fans ſçavoir qui eſtoient ceux dont ils
eſtoient chargez . Mais quand ils virent
briller de loin le fer des épieux , & qu'ils
ſentirent approcher ceux qu'ils crai
gnoient comme la mort , ils ſe refu
gierent dans leursMareſcages , où le fa
cheux ſoldat les pourſuivit : & apres en
avoir encore tué pluſieurs en ce lieu- là,
iltrouva la Victoire , où l'on n'euft ja
mais crû qu'il euft pû ſe conſerver , ny
oſer entreprendre quoy que cc pult
eſtre.
CONSTANTIUS ET JULIEN ,
36

XV.

Les Picenfes of les Limigantes épou


vantez de l'horrible défaite de leurs
Alliez , s'abbaiſent sous le jong des
Romains , fe trouvant contraint
de chercher d'autres demeures
a que
celles qu'ils avoient choiſies , ils font
enfin repousſez iuſques dans leur'an
cienne habitation d'ois ils eſtoient
fortis .

PRES que les Anicenſes eurent


eſté mis
A presque tous serté en déro
mis en utee,
dérout ,
on attaqua incontinent apres les Picens
fes, qui ſont des peuples qu'on appelle
ainſi , pour etre proches des contrées
qui portent ces noms- là , leſquels fe fi
rent ſages par la ruine de leurs compa
gnons qui leur fut cauſée par leurs free
quentes émotions. Mais , pour acca
bler ces gens-là ( car il eſtoit difficile de
les ſuivre en divers lieux où ils s'eſtoient
diſpercez , outre que l'entrepriſe en euſt
eſtémal-aiſéepour ne connoiſtre pas le
pais ) on ſe ſervir du ſecours des Taïfa
les , & cette expedition fut terminée par
l'aſſiſtance des Sarmates libres. Enfin ,
comme la diſtance des lieux , öroit tout
Q ij
-,64 AMMIAN MAR . Liv . XVII.
le ſecours qu'on ſe fuſtpû promettre des
Troupes auxiliaires , l’armée choiſit la
route qui touchoit les frontieres de la
Mælie : les Taïfales eurent pour cuxle
païs voiſin de leurs demeures, & les Sar
mates libres occuperent les terres qui
deur eftoient oppoſées .
Les Limigantes épouvantez des exem
ples recens de ceux qu'onavoit aſſuje
tis, ou quiavoient eſté mis en pieces, fu
rent long-temps incertains , s'ils ſe re
ſoudroientà perir , ou à demandermiſe
ricorde , ayant des raiſons aſſez conſide
rables de part & d'autre pourne ſe dérer
miner pas facilement : toutesfois l'avis
des Anciensfut de ſe rendre à l'extremi
té. Et on jugea que l'humble priere de
ceux quiavoient envahi par armes la li
berté qu'ils avoient , devoit intervenir
pour ſe la conſerver , s'il eltoit poſſible,
aupres des Victorieux, ſans fairede ſcru
pule de courber le col ſousla puiſſance
des plus forts, pour marquer davantage
le mépris qu'ils faiſoient des lâches
Maiſtres , dont ils avoient ſecoüé le
joug. Ayant donc receu la foy publique
quileur futdonnée , la plus grande par
tie d'entre eux lailla les Montagnes , &
ſe rendit au Camp des Romains , avec
les femmes , les enfans, & tous ceux de
CONSTANTIUS ET JULIEN . 365
leurs familles , & toutes leurs commodi
tez qui s'eſtoient pû enlever , de diſper
cée qu'elle eſtoit en des lieux fort ſpa
cieux . Et ceux que l'on crut qui aime
roientmieux perdre la vie que de labou
rer la terre , comme ils eſtimerent liber
té ce quin'eſtoit qu'une pure folie , ils ſe
follmirent à l'obeillance , & furent ad
mis à recevoir d'autres demeures , où ils
fepurent perſuader qu'ilsjoüiroientd'u
ne vie tranquile & affeurée , ſans eſtre
travaillez des guerres , ny eſtre obligez
de changer par des feditions continucl
les. Ces conditions ayant eſté accep
tées , ils eurent tant ſoit peu de repos:
mais par leur ferocité naturelle ils re
tournerent bien -coſt apres à leurs mé
chantes habitudes , commeil ſe connoî
tra facilement par la ſuite de cette Hi
ſtoire , quand l'occaſion s'offrira d'en
parler .
Parmy toutes ces proſperitez on af
fermit la protection de l'Illyrie parun
double moyen : & l'Empereur qui en
treprit luy-meſme la grandeur de cette
affaire , y reüllīt heurcu femét. Il rétablit
dans leurs anciennes deineures des peu
ples qui en avoient eſté bannis , quoy
qu'ils luy fuſſent ſuſpects par leur in
conſtance : Et pour les combler de ſes
Q iij
366 AMMIAN MAR . Liv . XVIF
graces, il leurdonna pourun Roy non
pas un homme de peu de merite , ou
quelqueRoy que ce fuſt ; mais celuy
qu'ils avoient eux -meſmes étably aupa
rayantpour leur commander , & qui ccr
tainement eſtoit doué d'excellentes
qualitez de corps & d'eſprit.
XVI.

Constantius fe glorifiant dis ſurnom de


Sarmatique, pour la viltoire qu'il a fi:
heureuſement remportée ſur ſes Enne
mis, en felicite fon Armée par une
barangue qu'il fait.

Onſtantius qui fut glorieux de tant


Co
de proſperitez , & quidu conſente
ment de toute l'arınée , fe vid appeller
pour la ſeconde fois Sarmatique , du
nom de ceux qu'il avoit domprez, s'é
tantreſolu de partir , fir aſſembler cou
tes les troupesautour de luy, & leur par
la ainſi fort gracieuſement, du tribunal
où il eſtoit élevé.
» Le ſouvenir des glorieux faits d'ar
„ mes, lequel eſt toûjours agreable aux
» gensdecæur , m'oblige ( Hidelles def
„ fenſeurs des droits de l'Empire ) de
„ me réjouir avec vous des Victoires
» quele Ciel nous a données. Car , qui
CONSTANTIUS ET JULIEN . 367
5, a-t-ilde plus beau ou de plus digne de
», recomınandation , que comme le ſol
s, dat ſe réjouic apres de bonnes actions,
»; le Chefy prenne part avecmoderation
», pour les bonsavis qu'il a eus , & pour
ules ſages conſeils qu'il a pris ? Nos
» Ennennis qui s'eſtoient épandus avec
»; beaucoup de fureur par toute l'Illy
„ rie , mépriſoient noſtreauthorité par
mune vanité indiſcrete, tandis que nous
» -eſtionsoccupez aux affaires des Gau
‫ رد‬les & de l'Italie. Ils ravagcoient nos
,,
„ frontieres par des incurſions diverſes ,
so tantoſt en creuſant des pieds d'arbres
» pour traverſer des riviercs , & tan
,, toſt en les paſſant ſur la glace, fans
employer d'autres armes pour nous
faire la guerre, ou pour exercer leurs
» brigandages que leursruſes & leurs ar
9 ) tifices, qui s'eſtoient à la verité rendus
formidables à nos Anciens ; Nous a
„ vions eſperé qu'eſtant fort éloignez
. d'eux , il ſuffiroit de les châtier par
ng nos Lieutenans.Mais comme leur im
.. ) punité a fait croiſtre leur audace, ils
ſe ſont jettez dās les Provinces qu'ils
s, ont ſouventdeſolées parmydesmaſſa
,, cres funeſtes : & nous ont enfin obli
» gez , apres que nous avons muny les
places frontieres de la Rhetie, & que
giiij
368° AMMIAN MAR , Liv . XVII.
» par une vigilance infatigable nous a.
s vons affeuré le reposdans les Gaules,
» n'ayant rien laiſsé derriere nous qui
», nous puiffe donner de ſujet de crain
, te, nous ſommes venusdans les Pan
„ nonies pour en rétablir l'Eſtat quime
; naçoit de ruine.De là , vous le ſçavez ,
» ,ayant reglé toutes choſes, fi-coſt que
le Printemps a eſté un peu avancé ,
, nous ſommes ſortis de ces Provinces

pour nous charger les bras de plus
, grandes affaires. Premierement, con
tre unemultitude incroyable de traits .
par leſquels on s'efforçoit de nous em
peſcher de faire un pont ſur le Danu
„ be, n'avons- nous pas eſſuyé ce peril
& défait en ſuite les Sarmates, ſans y
» avoir perdu un ſeul homme, bien
qu'ils ſe fuſſent tous opiniaſtrez de
s, reliſter juſques au bour Nousavons
pareillement vaincu les Quades , qui
eſtāt venus au ſecours des Sarmates, le
» jetterentavec une femblable furic al
travers de nosLegions,apres qucnous
„, les cuſmes battus pluſieurs fois en di
„ verſes rencontres. Ils ſe fontdépouil
lez devant nous de toutes leurs def
,, fenfes : Et quoy qu'ils euſſent encore
lesmains aſſez arméespourcombatre ,
,, fi cſt-ce queſe les eſtant liées derriere
» le dospour ſe venir jetter à nos pieds,
CONSTANTIUS ET JULIEN . 369
s;ils ne ſe ſont plus reſervé d'eſperance
de ſe ſauver qu'en leurs prieres , & en
,,la ſeule cleinence de l'Empereur.Apres
ceux -là , nousavons dompté les Li
migantes avec une pareille valeur , &
„ nous les avons contraints pour la fe
i , conde fois de ſe retirer en des lieux
» mareſcageux apres quenousles avons
,,bien battus , où ilne leur eſt reſté au
», cun pouvoirde nousnuire , ny à nous
auſſi aucun ſujerde les craindre .Nous
» avons accordé le pardon à pluſieurs
qui ont imploré noſtre miſericorde.
Er quant à ceux qui eſtoient de libre
sicondition , nous leur avons fait acce
o pter Zizaïs pourRoy,de quinous de
» vons attendre toute ſorte de fidelité ,
» marquant en cela noſtre authorité ,
„ & failant en meſme temps une choſe
agreable à cette Nation , qui l'avoit
» auparavant appellé, par la liberté de
»,ſes ſuffrages,à lameſmedignité. Ainſi
un ſeulappareil de guerre,nous a don
„ né toute la recompenſe quenouspou
„ vionseſperer. Nous avons arreſté les
„ courſes qui ſe faiſoient dans les Pro
, vinces. Vous vous eſtes enrichis des
dépouilles des Ennemis par un grand
» noinbre de caprifs : Nous avonsaug
„ menté les revenusde la Republiqu ,
Qv
AN
370 AMMI MAR . Liv . XVII.
& nous nous ſommes vangez . Voſtre
vertu ſe doit bien contenter de ce
qu'elle s'eſt acquis par voſtre fueur &
» par vos ſervices. Enfin , pour ce qui
„ me concerne, j'y acquiers aufli beau
„, coup d'honneur , puiſque pour mes
‫ رد‬dépouilles , je remporte pour la le
conde fois, ayant vaincu nos Enne
„ mis, le ſurnom de Sarmatique, lequel
„ je veux croire , & jele diray fans pre
ſomption , quevous mel'avez donné
» par vos libres ſuffrages apres l'avoir
», merité .
Quand il eur mis fin à ſon diſcours,
toute la multitude en eut de la joyé, el
le conceut eſperance qu'il luy en arri
veroit quelque choſe de meilleur , outre
le gain qu'elle s'en promettoit , & fic
entendre de grandes acclamations à la..
louange de l'Empereur , appellant les
Dieux à témoin , Selon l'anciennecoûe
tume, que rien n'eſtoit capable de vain
cre Conſtantius. Puis chacun ſe retira :
gayement dans les tentes. L'Empereur
ayant eſté auſſi reconduit de ſon pavil
Ion Royal : Et apres y avoir pris deux :
joursde repos, il retourna a à Sirme, où
il fit une entrée triomphale , & toutes :
11

les troupes reprirent les lieux qui leur


eſtoient deſtinez pour y demeurer en
garniſon .
CONSTANTIUS ET JULIEN . 371
En ces meſmes jours-là Proſper, Spe
&tatus& Euſtathius, qui furent envoyez
en Ambaſſado en Perſe , comme nous
l'avons dit cy -devant , ſe rendirent à
Creſiphonte où le Roy eſtoit retourné,
& luy preſenterent les Lettresdel'Em
pereuravec les preſens qu'illuy faiſoit,
& demanderent bien la paix , pourvû
que toutes choſes demeuraffent enteur
entier, & qu'il n'y euft rien depréjudi
ciable à la dignité & à la grandeur de
l'Empire Romain : qu'au rette il ſeroit
facile de lier enſemble une étroite ami
tić:mais qu'il n'y ocupoit rien en l'eſtat
que les choſes eſtoient alors, touchant
l'Armenie & la Meſopotamie .Ils furenc
1

donc long-teinps pour ce ſujet- là dans


la Courde Perſe. Mais le Roy s'eſtant
opiniaſtré , pour avoir lesdeux Provin .
ces en fon obeillance , ſans quoy il ne
voulut point entendre aux conditions
de la paix ; les Ambaſſadeurs retourne
rent ſans avoir rien terminé. En ſuite
de quoy farent envoyez en Perſe pour
impetrer lameſmechoſeavec de pareil
les conditions 6 Lucillien Comte du
Palais & ProcopeSecretaire d'Eſtat, qui
depuis s'eſtant trouvé lié par le noud
d'une violente necellité, ſe ſouleya pour
faire des nouveautez .
Q vj
372

a
Cocoos
OOT

REMARQUES

S V R

LE XVII. LIVRE D'AMMIAN .

P.RE'S la bataille de Straſbourg,il y a :


A dans le texte le ſens de ces paroles.com
AD GUITIRRUS toutes choſes que nous avons deſcrites -
avec beaucoup de varieté ; mais outre
qu'elles ne ſontpas neceſſaires , elles corrom
proient dans la verſion la beauté du ſens & de
la periode.
b Cette grandeforeft. Il ſemble que ce ſoit la
foreſt Hircinic , qui fait partie de celle des Ar
dennes.
II,
Ne place appellée Kefſel. Il eſt vray que
* V l'Autheurne la nomme pas, & qu'il n'y
a ſimplement dans le Latin que Caftellum opo
pidum ; mais c'eſt indubitablement ce,meſme
Chaſteau aupres de la Meuſe , dont Ptolomée
faitmention ſous le nom de Caſtellum Menapi
norum , qui eſt aujourd'huy Kefel. M. V.
6 Pour le contraindre depayer . Enfin il en faut
venir làmalgré qu'on en ait quand les peuples
ſontaccablez , & qu'ils n'ont plus la force de
payer leurs contributions , quoy qu'elles fuf
leor diminuées, parce que le peuple- foulé
fürlë 17. Livre d'Ammian . 373
a eſté entierement dépouillé , de les meubles
& de couces ſes petites facultez.

III .

OrneliusGallus. L'Autheurnous apprent


dra en ſuite que c'eſt le meſme du
quel Virgile a parlé , qui ruina la Ville de
Thebes , dont Strabon nous rapporte les rai
ſons dansſon dernier Livre, la principale defe
quelles fur de ce quele peuple ayant eſté ſur
chargé d'impots ; & ne pouyant payer,ſe porra .
dans la revolte', & attira ſur lùy la colere de la
puiſſance Romaine .
b Pour compoſer lesMachines, esc Toute cet
te deſcription eſt aſſez curieuſe , & a beaucoup
de reſemblance à celle qui ſe peut voir dans le
livre de Dominique fontane , qui fut l'Ar
chitecte ingenieux qui leva cette belle Equille
du Vatican du temps du Pape Sixte V ..
c Cette Montagne, Cerce prece peſante &
groſſe commeuneMontagne.
d Le cuivre s'y trouva imiter la figure d'un
flambeau . Auſfi eſtoit-il doré , ce qui luy donna
un eclat merveilleux , & plusmeſmes que fi
l'ouvrageeuſt eſté tour d'or , qui eſt un effet
aſſez ſingulier du cuivre doré quand il eſt bien
poli.
e Les Aages ou les ſiecles. Il ſemble que cecy
ſoit prophetiquede ce qui ſe fit encore à Rome
ſous le Pontificat de Sixte en l'année 158.9 ..

IV .

Ermapion . Nousn'avonspoint d'autres


* H témoignagesdecét Autheur que celuy
cy, de quiAmmian a tiré l'interpretation des
374 Remarques -
figures hieroglyphiques qui ſont exprimées.
ſur les quatre faces de l'Obeliſque de Con
ftantin . Surquoy il eſt bon de remarquer que
les Anciens ne le fuſſent jamais aviſez de faire
des inſcriptions en d'autres Langues qu'en la
leur , parce qu'ils vouloient que le peuple les
puft entendre. Et d'ailleurs ,il y a quelqueca
ractere particulier en chaque Langue,de l'hu
meur & de l'eſprit de ceux qui la parlent avecje
ne ſçay quoy d'Hiſtorique danstoutes les Lan
gues , qui ne paſte pas tonjours dans l'uſage
d'un ſiecle à l'autre. Ce quime fait étonner-
quedansuneNation aufli polie que la noſtre ,
pluſieurs ſe ſont contentez de n'en faire qu'en
Latin , quieſt une Langue morte que le peuple
ne parle point du tout , & qu'il n'entend
( point.
b Nousrapportons icy en caracteres Grecs.Je n'ay.
pas crû qu'il fuít necefl'aire de les rapporter
icy, & certainement la verſion y peut fuffre
en la place de la Latine qui ſe trouve en
quelquesEditions; mais non pas en cellede M ..
Valois , où elle n'auroit pas eſténeantmoins
inutile .
c Ramaftes. C'eſt un nom de quelque Roy
d'Egypte , autrement Rhameſés ou Řhamees,
commeil eſtmarquédans la Chronique d'Eu
ſebe , & par Joſeph au 2 .. Livre contre Apion ,
& qu'Herodote appelleSefoftris dansſon Euter
pe , que d'autresnomment Sejathis ou Setboliso
Tacite l'appelle Ramſes au 2. Livre de ſes An
nales . M.Valois.
d . Que cherit le Soleil: Er routes les autres fa
çonsde pailer figurées qui ſont en ſuite, ſont
du ſtile des Orientaux , & particulierement,des
Egyptiens.
e Heron engendré desDieux. Ne pouvant aller

C
ſur le 17. Livre d' Ammian. 375
plus haut, pour dire qu'il eſtoit deſcendu des
anciensRoys d'Egypte , que le peuple a reveré
commedes Dieux .

Acien di Cerealis. C'eſtoit en l'année


* D de Noſtre Seigneur 358 : qui fut l'année :
de la mort de Saint Anthoine.
b Les Alains, ou les Gelaniens.
c Avec des preſents. Idacius dans ſes Faſtes -
parle de cette Ambaſſade qui fit ſon entrée à
Conſtantinople le 7. des Cale de Mars de l'an- .
née 358. & Themiftius en parle auſſi dans ſa 13..
Oraiſon à la louange de Conſtantius.Monacur .
Valois.
. Allié desEtoiles frere du Soleil. Cetitre fi
ſpecieux que prenoientles Roys de Perſes ve
noit premierement d'Arſaces , qui depuis la .
more fut élevé parmyles Aftres,ſelon la créan
ce des Perſes , pour la commune conſecration
que tout le monde en fit : & de-là eſt venu que
tous les autres Roys des Perſes ont trouvé bon
qu'on les appellaſt freres du Soleil & de la Lu
ne, comme l'Autheurmeſıne le dit en ſon 23.
Livre .
e A mon frere Conſtantius Ceſar: Ce ſtile entre
les Roys de s'appeller Freres n'eſt donc pas..
d'aujourd'huy : & certes leur dignité fait entre
eux un certain lien qui ne les attache pasmoins
à certain égard , que s'ileſtoit purementnaru ,
rel. Ainſi Achab Roy d'Iſraël appelle Bcnadad o
Roy de Syrie fon frere dans le 3. Livre des
Roys au Chapitre 20. Et dans le premier des
Maccabées au Chapitre premier , le Roy Ale
xa zdre écrit à Jonathas qu'il appelle ſon fre
16.ErHydaſpe Roy des Æthiopiens dans He
376 Remarques
liodore ſur la fin du 9. Livre appelle le Roy des
Perſes ſon frere. M.V.
f Ce que meſmes font certains animaux. Il
veutmarquer icy le Caſtor qui eſtant preſſé par
lesChafleurs ſe coape certaines parties pourleſ
quelles il ſçaitbien qu'il eſt pourſuivi , & les
abandonne à ſescruels perſecureurs , ainſi que
le Scholiaſte ſur Nicander en fait le recit, auſſi
bien que Juvenal. Id . C'eſt donc le Caftor qui
ſe chaître ſoy- inelme quand il eſt pourſuivi
par les Chafleurs .

VI.

T il n'y eut pas moyen . Ou bien mettre


* Eececy
n en parentheſe , pour dire : car on n'a
på avoir 'la patience d'entendre plus long -temps
les diſcours ſur les pretentions, dereglées du Roy
de Perſe ,' ce qui ſemble a voir plus de rapport
au Latin , car le terme que j'ay pris reflerie
mieux à mon avis le ſens de l'Aurheur, .
b Spectatus Tribun e Secretaire, Celuy - cy é
. : toit d'Antioche , parentde Libanius , comme
Libanius le dit lùy -meſine dans les Epiſtres,
414. & 426. & parle en divers endroitsdeſon
Ambaſſade aux Perſes , & particulieremene
dans ſon Epiſtre 321. à Ariſtener-, dans la
quelle il celebre fort l'éloquence de ce perſo
nage qui refuta puiſlam :nent coures les rai
ſons des pretentions du Roy de Perſe.
c Euſtatius. CePhilofophe, DiſcipledeIan
blique , eſtoit de Capadoce, de l'Ambaſſade
duquel vers le Roy de Perfe ; Eunapiusdans la
vie d'Ædelius fait une honnorable mention .
Ily a une Epiſtre de S. Bafile le Grand , qui
s'adreſſe à luy.
dLes Iuthunges , ou bien les Thiantuges , Ol
ſur le 17. Livre d'Ammian . 377
fes Tuthiuntuges , & les Intbruntuges , ou les
Vithiuntuges , car tous cesnoms ſe trouvent en
diverſes Editions d'Autheurs divers . Ainſis
Aurelius Victor dans ſon Galien , dit que les
Vithunges qui font Peuples Alemans , entrerent
dans l'Italie , mais la pluſpart des Authcurs
les appellent Inthunges.
& Le Puïs des Griſons. La Rethie .

VII.

a
E 24.jour d'Aouft. Il y a le neufviéme

la meſme choſe. La deſcription qu'il adjouſte


enſuite d'un grand tremblement de terre , eſt
une choſe curieuſe , mais bien terrible en
nieſme temps. Idarius marque cecy dans ſes
Faſtes ſous le Conſulat de Dacien & de Ce
reale , c'eſt à dire , l'an 358. de Noſtre Sei
gneur , & Socrate en parle au troiſiémeCha
pitre du ſecond Livre de ſon Hiſtoire Eccle
fiaftique, où il dir qae Conftantius avoit in
diqué un Concile d'Evefques á Nicomedie ;
mais qu'au lujer decét accident , il fut trauss
feré à Seleucic de l'Iſaure .
b Ariftenet. Il eſtoit de la Ville de Nicée en
Bithynie, remarquéentre l'un des principaux
amis de Libanius , comme il eſt aiſé de le
juger de pluſieurs Epiſtres de Libanius, qui
témoigne par tout l'eſtime qu'il fait de ſon
élegance & de la douceur de ſon Eſprit. Les
Epiſtres de Libanius parlent ausſi en divers
lieux de la mort d'Aritener & de Hierocles;
qui perit dans la ruine de Nicomedie , &
principalement la 22. Lettre , à Acacius.
c .Les obſervations ſacrées , ou dans tout le Cea
feimonial des fondions Sacerdotales:
378 Remarques
d Ophiuſe. C'eſt la meſme Ide que celle de
Rhodes , du moins Rhodes fut-elle appellée
autrefois Ophiuſe, parce qu'il s'y trouvoit
force Serpens , comme Heraclides l'a remar
qué dans la Republique des Rhodiens. Stra
bon dans ſon 14. Liv. & Pline dans ſon so
Quant à l'Ide Pelagie elle n'eſt nommée ny
par Pline ny par Strabon.
6 Eleuſis dans la Boeotie. Cette ville fex
abiſmée par un tremblement de Terre , ſelon
le témoignage de Strabon au Livre g. Pline
dans ſon livre ſecond , & Pauſanias dans les
Bæotiques.
f Roches Vulcaniennes, C'eft l'ifle de Vulcan
proche de la Sicile.
& Ily est une grand' iſe abyſmée. C'eſt une
fiation de Platon dans ſon Timée , ſur le ſujet
d'une grande Iſle que des Nauchersavoient
trouvé dans la Mer Atlantique , & quine
pue eſtre depuis deſcouverte par aucun voya
geur. Il y a ſujet de croire que c'eſtoientdes
Coſtes de l'Amerique , fort éloignées à la ve
rité de cellesde l'Affrique , où des vents &
des courants de Mer pouvoient avoir jetté
des Pilotes , & qu'eſtant de retour de ces:
lieux-là , ils en perdirent la route & la con
noiſſance , ce qui donna ſujetdedire à quel
ques-uns, que cette grande Iſle qui eſtoit dans
la Mer Atlantique avoit eſté abyſmée.
h Ciminie en Italie. Le chemin de Ciminic
cſt Atlantique par Publius Victor,dans ſa del
cription de la Ville de Rome: Tire - Live :
parle auſi du bois de Ciminie dans ſon neu
vićne Livre.Pline duLac de Ciminie dans ſon
deuxieſme Livre , & Virgile ne l'oublic pas
dans ſon ſeptiéme de l'Encïde .
2 Sacume , ou Succune, ou Succhnie , ſelon
ſurie 17. Livre d'Ammian . 379
Popinion d'Acurfe & de Gelenius.
k le ne ſçaurois dire les raiſons des noms
de quatre ſortes de tremblemens de Terre que
l'Hiſtorien marque en ce lieu , par cesmots ,
Braſmatia , Climatia , Chalmatia, Mycema
tid , dont auſſi M.V.ne dit rien , finon qu'A
riſtote & Strabon en ont ainſi appellé quel
ques uns , ſans dire proprement ce qu'ils ſie
gnifient , non plus que les nomsdonnez à
Neptune de Ennoji gæon & Sifiahona, qui ſont
pourtant des nomsGrecs , qui ont leur lignifia
cation , mais que je ne ſçaurois interpreter
n'ayant pas aſſez de connoiſſances en cette
Langue- là pour en dire mon avis.
VIII.

Es premiers de tous qu'ilattaqua, furent les


* L François, ou bien il ouvrir la Campagne
par les combats qu'il eût à demefler avec les
François , qu'il appelle Saliens , dans la To
xiandrie , qui eſt vneProvince que Pline loge
dans la Belgique proche de l'Eſcaut , car
c'eſt là où les François commencerent d'é
tablir leur demeure dans les Gaules , depuis
qu'ayant eſté chaffez par les Saxons ils vin
rent dans la Batavie qui eſt l'ile de Hol
lande, & dans les autres Ifes & Terres voi
fines ſelon le témoignage de Zozime en ſon
troiſiéme Livre . La Toxiandrie , c'eſt le Païs
de Liege.
b Les Chamaves. Ils demeuroient autour des
embouchures du Rhein , du coſté de Cleves &
de luliers , mais ils furent alors
envoyez par
les Saxons , deſquels ils faiſoient partie , pour
paſſer le Rhin , & furent battre les Saliens pour
cklayer de les challer de la Batavie ,ainſi que le.
380 Remarques
raconte Zozime en ſon troiſiéme Livre , a fort
qu'ils eſtabliſſent leur demeure ſur les fion
tieres des Terres de l'obeyſſance des Roo
mains, Leur Roy s'appelloit Nebisgaſte , au
rapport d'Eunapius , qui fait une grande Nar
ration de toutes ces choſes-là dans les extraits
qu'il a compoſez de diverſes Ambaffades .
Afien , Grec , doc. c'eſt à dire effeminé &
de nulle foy , ce qui montre que les Soldats
confiderent la dignitédeleur Chef, files cho
les neceſſaires leur viennent àmanquer.
d Tages , C'eſtoit un Devin de Toſcane,
celebre dans l'Antiquité & dans les Eſcrits des
Poëtes,
I X.

Harieton . Zozime, dans ſon troiſié


" CH me Livre , parle de la grande taille
& des belles actions de celuy- cy : Mais Eu-
Qapius n'en parle pas fi avantageuſement .

Aßus. Junius Baffus Prefea de la Vil


* BUM Ble,
I quimourut Neophite le 8. des Cal.
de Septembre , Euſebe & Hypatius eſtant
Conſuls l'an de Noſtre Seigneur 358. comme:
il ſe juſtifie par une inſcription ſepulchrale,
rapportée par le Pere Jacques Sirmond fur
fon Ennodius. Celuy- cy fut le premier des
Bafles qui embrafla la Religion Chreſtienne,
felon le témoignage de Prudence contre:
Sy inmachus, où il dit dans ſon r. Liv.

Non Paulinorum ,non Balforum dubitavit:


Prompta fides dare ſe Chriſto. M..V ..
fur le 17. Livre d'Ammian . 381

X I.

Irme,quieſt le Sirmium des Anciens Vil


le de la Pannonie ou de la Hongrie, ce
" Selena
lebre par la naiffance de l'Empereur Probus.
Evagrius l'appelle Sirgis: & Onuphre a trouvé
par une ancienne infcription qu'elle eſtoit
Colonie. On l'appelle aujourd'huy Sirmifth ,
elle eſt ſituée entre la Save , la Drave & le
Danube.
b Les Quades. Zozine en faitmention dans
ſon -3. liv . & dit qu'ils font partie des Saxons,
mais d'autres tiennent que c'eſtoient des peu
ples de l'Autriche : & Eutrope maintient
qu'ils eſtoient anciennement appellez Helve
tiens.
c La ſeconde Mæfie , a auſſi eſté appellée
Flaccia, quieſt la Valaquie , & lelon d'autres
12 Bulgarie .
XI I.

'Irent leur humble priere. Chaque nation


* F a ſon uſage & ſa maniere pour cela, &
il n'y en a pas une qui n'ait recours à Dieu
dans ſes beſoins preſſans. Ceux.cy , quel
ques barbares qu'ils fufient, ſe dépoüillerent
de leurs arines , ou le profternerent à terre
pour eſſayer de fléchir Dieu .
6 Roytelets ſubalternes, parce qu'ils eſtoient
ſujets à deplus grands Roys. Noſtre Autheur
les appelle encore petits Roys au livre ſui
yant. Ainfi Sulpice Alexandre dans Gregoire
de Tours , appelle Marcomer & Sumnom pe
tits Roys ou Roytelets des François ſuus
d'autres Roys.
7
182 Remarques

XII .

A deſtinée ſeſurmonte, & c. cette penſée


* L eſt aſſez ſinguliere , & quipeut eftre
fort utile au Prince , ſi chacun en eſtoit bien
perſuadé. Claudien neantmoins la debite
ainſi dans le Poëmequ'il a fait du quatriéme
Conſulat d'Honorius -largitor honorum ,
Procul in melius gaudensconvertere fata .
Et Pacatus ne feint point de dire quela feli
cité du Princerend les autresheureux, quand
il ſubvient à lamiſere de ſes ſujets , & qu'il
leur donneune nouvelle deſtinée.
me
b 'Les Victobales, ou Victouales , com il ſe
litdans Capitolin en la vie deMarc.Aurelle ,
ce ſont peuples au delà du Danube , autour
dela Dace & de la Mælie , leſquels furent
vaincus par Trajan , ſelon Eutrope.
:c Zizais pour Roy . Surquoy on pourroit icy
adjoûter ce que dit Aurelius Victor , que
Conſtantius qui avoit déja gouverné l'Em .
pire 23. ans fous le titre d'Auguſte , s'eſtane
trouvétantoſt exercé par les guerres étran
» geres , & tantoſt par les ciuiles , ſe fâcha
, en quelque ſorte de n'avoir plus d'employ
» parles armes, qui luy avoienteſté ſi favo
rables pour chaffer la tyrannie , loûtenir
l'effort des Perſes , & donner un Roy aut
Sarmates. Orcette creation de Roy fur ces
peuples barbares ſe fit ſous le Conſular de
Dacien & de Cerealis .
& Bregece ou Bregetion : car le texte porte
Bregetionem caftra commota ſunt, AureliusVi
ctor l'appelle Bregentio , & Paul Diacre Brigie
aujourd'huy Bregaitzdans la haute Pannonie,
é Feront le ferment ſur leurs épées , coming
Jur le 17. Livre d'Ammian . 383
Nous le ferions ſur le Livre des Evangiles, &
regardoient ſans doute leurs épées comme
l'inſtrument myſterieux de leur ſalut.
f Parthiſque. C'eſt le Tibiſque fleuve de
Hongrie, quiſe va décharger dansle Danube
du coſté du Nort. On l'appelle aujourd'huy
Teiſſa . La deſcription qu'il fait icy de ſon
cours , & des avantages qu'il porte à ceux
quihabitent le long deſes rives, eſt une cho.
fe cres-agreable .

XIV .

Aire la teſte de porc , non pas de pere ,


* F quoy qu'il ſeroit peut- eſtre auſſi bien
mais j'ay leu caput porci,, & non pas caput pe
tris, pourmarquer unemine grogneuſe, qui
cftoit une façon de parler proverbiale .

XVI.

Sirme ose il fit une entrée triomphale.


ſe
ſon de ce triomphe de Conſtantius dans la
Ville de Sirme capitale de la Pannonic . C'eft
à dire dansune Epiſtre qu'il écrit ſur ce ſujet
là meſme aux Atheniens . M. y .
b Lucilien . Il ſemble que ce ſoit celuy -là
meſme à quiConſtantius avoit donné toute
la charge de faire la guerre aux Perſes, ſelon
Zozime en ſon deuxiéme liv . lors qu'il en
voyaGallus en Orient, & qu'il écrit au troi
fiéine livre qu'il deffendit Nifbe alfiegée par
Sapores.
33.

AMMIAN

MARCELLIN

LIVRE XVIII . *

CONSTANTIN S

ET JVLIEN
1.

Tulien s'eſtant délivrédes ſollicitudes de la


guerre, veille au ſalut des Provinces des
Gaules , & fait paroiſtre lesſoinsqu'il
de rendre la iuſtice à tout le monde. Il
dreſſe desmagaſinspourne manquer pas
des choſes neceſſaires,ayant à declarer la
guerre contre les Alemans. Il viſite
Jept Villes, et faitreparerleurs forti
fications.

E s choſes ſe ſont paſsées en


une meſme année en diverſes
C parties du monde. Maisdans les
Gaules, commeles affaires ſe trouvea
lent
CONSTANTIUS ET IULIEN . 385
rent en meilleur eſtat qu'ellesn'avoient
cíté , & que les deux freres. Euſebe &
Hyppatius honorerent de leur nom la
dignité Conſulaire ; Julien quis'eſtoit
ſignalé par ſes belles actions, & par le
fuccez de toutes ſes nobles entrepriſes ,
à

mettant
part ſes ſollicitudes guerrie
res pe ndant l'hyver , au lieu qu'il avoit
choila pour y paffer cette ſaiſon, ne laif
ſoit pasneantmoins d'appliquer ſon ef
prit à faire des reglemens utiles pour le
bien des Provinces , prenant garde dili
gemment qu'il n'y euſt perſonne de lur
chargé par
les impoſitions, ny que quel
qu’un fult opprimé par une puiſſance
étrangere , qu'on fift appeller en Juſtice
Ceux de qui les Domaines s'eſtoient ac
crus par les calamitez publiques , & que
nulde ceux qui eſtoient Tagesne ſe dé
tournaft impunément de l'equité. Il
corrigea ces defauts fans beaucoup de
travail ,
par fon
tant le cours de propre exemple,
toute forte arrê
de débats .
Et quand la grandeur des cauſes , ou que
la qualité des parties l'obligeoit d'y
prendre garde encore de plus prés, il
ehtoit Juge incorruptible , & metroic
toûjours la diſtinction toute entiere en
tre ceux qui avoient droit , & ceux qui
ne l'avoient pas. Et bien qu'en de pa
R.
306 AMMIAN MAR. Liv . XVIII.
reilles rencontres ilait fait beaucoupde
il
choſes dignes de grandes louanges ,
me-ſuffira neantmoins d'en rapporter
une ſcule , pour montrer de quelle for
te ils?y comportoit, ſoit de parole, ſoit
d'action . It'écoûtoit un jour un certain
Numerius , peu de temps auparayant
Gouverneur dans la Province Narbon
noiſe ,accusé commeun voleur devant
ſon Tribunal, où tout le monde eſtoit
admis pour l'audiance publique. Delo
phidius qui eſtoitl’Advocar de fa partie
adverſe ,netrouvant plus debonnes rai
ſonspour le convaincre, s'écria du.cofté
du fiege où le Prince eſtoit aſlis pour
rendre la juſtice ; Qui fera-ce, tres- flop
riſſant Ceſar, qui pourra iamais eſtre con .
vaincu de crime, s'il ſuffit denier ? A qui
Julien répondit ; Qui ſera-ce qui pour
ra jamais eſtre innocent, s'il ſuffit d'accu;
ſer ? Il fit donc ces choſes & beaucoup
d'autres ſemblables dans l'adminiſtra
tion des affaires pour les choſes civiles.
Et comme il eut deffein d'aller à cette
expedition qu'il tenoit preſſée du coſté
des Alemans, quiavoientfortifié quel
ques bourgs contre nos frontieres pour
faire des hoftilitez ſur nous: car ilsa
voient beſoin d'eltre reprimez ,à l'exem
ple des autres, toutesfois il eſtoit incer:
CONSTANTIUS ET JULIEN . 3%7
stain par quelle force,& par quelmoyen
il en viendroit promptement à bout ,
pourne leur donner pas le loiſir de ſe re
connoiſtre. Enfin il ſe refolut dc tenter
beaucoup de choſes par divers moyens
quiluy reüllirent , comme l'evenement
te fit connoiſtre. Il envoya ſous titre
d'Ambaffade au Roy Hortaire, avec le
quel nous eſtions déja en paix , Hario
baudes qui avoit eſté Tribun, perſon
nage d'une probicé & d'une valeur con
nuë , afin qu'eſtant avancé ſur les fron
cieres de les Etats , il ne crouvaſt point
de difficultez au paſſage pour aller con
tre ceux auſquels on vouloit porter la
guerre , eſtant d'ailleurs tres -verre en la
connoiſſance du langage des Barbares,
Hariobaudes eſtant donc parti pour ne
gocier cette affaire , Cefar de fori conté
voyant que la ſaiſon eſtoit propre,ayant
fait affembler l'arınée fe mit en eſtat de
partir : mais il jugea premierement à
propos devant que de declarer ouverte
ment la guerre, de reprendre quelques
placis qui avoient eſté ruïnées long
temps auparavant, & de les faire forti
fier , auſſi bien que de rebâtir des gre
niers , & derétablir les Magazins en la
place de ceux qui avoient eſté brûlez,
afin d'y pouvoir affembler les provi
Rij
285 AMMIAN MAR , Liv . XVIIT.

-
lions pour le vivre annuel, lequel on
avoit accoûtuméde faire venir tous les
ans c de la grand'Bretagne. Cequiſe fic
en moins de temps qu'on ne l'cuſt oſé
eſperer : car en effet , les 'Magazins fu
rent promptementrebâtis , & ón y mit
toutes lesmunitions & toutes les provi
ſionsneceſſaires , & ony prit ſeptVilles,
d Ertelens ou le fort d'Hercule , Quadri
burg , Ştircenſe ,Niveze, Bonne , An
tonay & Binge : où Florent qui avoit la
Charge de Prefect , amena fans delay
un Convoy fi conſiderable qu'il y eut
desmunitions pour long-temps. Apres
cela , il ne reſtoit plus qu'à reparer les
murailles & les fortifications des Villes
reconquiſes,dont il n'y avoit pasmoyen
de ſe diſpenſer ; mais auſli n'y eut- il per
fonnc pour en empeſcher l'ouvrage : &
il parut clairement que les Barbares
obeïrent en ce temps-là par la crainte
à l'utilité publique, & pointdu tout par
l'amour qu'ils portoient à leur Gouver
neur. Les Roys , ſuivant le Traité qui
avoit eſté faitl'année d'auparavant en
voyetent aux Romains des chariots
chargez de beaucoup de choſes necel
ſaires pourmettre dans leurs places : &
les Troupes auxiliaires qui mépriſent
toûjours les choſes de leur devoir , fuz
CONSTANTIUS ET JULIEN . 389
rent neantmoins fléchis par les careffes
de Julien pour obeir avec ſoin ,& porte
rent des pieux de cinquante pieds de
long avec des faſcines", pour avancer
les travaux quieſtoient commencez .

II.

Les Alemans voyant les approches & fen


tantl'irruption de l'Armée Romaineau
de-là du Rhin , où elle ſeiournoit , vien
nent implorer la Paix , qui leur eft ac
cordée à certaines conditions,

Ars enfin comme on


ny travail
Hario
baudes ayant reconnu l'eſtat de toutes
les choſes , rétourna au Camp, & en ap
prit tout le détail.Enſuite on fit marchci
les Troupes vers Mayance', où Flo
rent & Lupicin quiavoit fuccedé à Se- .
vere, aſſeurant que l'Arméedevoit paf
fer furle Pont qu'on y avoit fait , Cefar
y repugna fort , ſur ce qu'il diſoit qu'il
nefalloit pas fouler le paisde ceux avec
leſquelson avoit traité la Paix , de peur
que , comme il arrive fouvent,la licence
ſoldatefque , quiravage tout ce qu'elle
rencontre , ne fuft cauſe que l'alliance
ne fut rompuë. Tous les Alemans
ncantmoins , que l'Armée alloit atta
Riij
390° AMMIA- N MAR . Liv. XVIH .
quer , voyant le danger proche, donne
rent avis au Roy Suomaire, quieſtoitde
venu noſtre amidepuis l'Alliance qu'il
avoit faire avec nous , d'empeſcher le
paſſage aux Romains, à quoy ils adjoû
terent des menaces : car les Villages &
fes places eſtoient au de -là du Rhin.
Toutesfois conſiderant qu'il ne luy fe
roit pas poſſible de reſiſter ſeul , toute la
multitude des Barbares s'eſtant réünie
vint aupres deMayance ,pour empeſcher
l'Armée de paſſer le ficuve avec toutes
les forces qu'elle avoit pû aſſembler ,
qui eſtoient certainement confidera
bles. L'avis de Ceſar fut donc trouvé
judicieux pourdeux raiſons , & de peur
que les terresdes Alliez ne fuſſent rava
gées , & que par la reſiſtance d'un peuple
animé quiſçavoit lemétier de la guerre,
il ne fuſt pas aiſé de paffer ſur le pong
fans y perdre beaucoup de gens. Ceque
les ennemis ayant bien conſideré , cou
lerent doucement le long des rives du
fleuve qui nous feparoit , où ils virent
de loin que les noſtres drefferent leurs
Tentes , & veilloient toutes les nuits
pour empeſcher qu'on n'eſſayaſt de pal
ſer la riviere ſur un pont d'artifice . Mais
commelesnoſtres furent venus au lieu ,
où ils avoient deſſein de s'arreſter , ils. y.
CONSTANTIUS ET JULIEN .
391
demeurerent en repos apres l'avoir forti
fié d'un foſſé & d'un rampart : & Lupicin
ayant eſté appellé au Conſeil,Ceſar-com
manda à quelques Tribuns qu'ils prif
fent trois cens bons ſoldats avec des
pieux , fans leur faire connoiſtre pour
quel ſujet , ny où l'on les menoit: Les
ayant donc choiſis & fait équiper de la
forte , la nuit eſtant fort avancée,on les
mit dans quarante Batteaux de plaiſir ,
les ſeuls qui s'y peurent trouver alors, &
on leur donna charge de courir le long
du fleuve , mais avec tant de ſilence quo
les rames n'y fuſſent pas ſeulementem
ployées , de peur que le bruit de l'eau ne
yinít à réveiller les Barbares : & que par
une grande preſence d'eſprit & agilité
de corps ,tandis que les ennemis obſer
Veroient les feux dans le camp des nov .
tres, la Riviere entre-deux , ils paſſaffent
de l'autre coſté. Cependant le Roy
Hortaire qui nous eſtoit cy -devant al
lić , ne voulurrien innover ; mais com
menoſtre ami , il rerint fur les frontie
res de ſon païs , tous les Roys , & tous
les enfans dès Roys , & les Roycelets
ſubalternes,pour un feſtin où il les avoit
invitez : & ſelon la coûtume du pays , ils
y paſſerent juſques à la troiſieſme veille
de la nuit , d'où enfin eſtant ſorris pour
R iiij
392 AMMIAN MAR . Liv .XVIII .
ſe retirer , les noſtres les ayant attaquez
à l'impourvuë par hazard , ne les peu
rentpourtant ny tuer , ny arreſter , leur
ayant échappé par le fécours des tene
bres , & de leurs chevaux : car ils cſtoiét
bien montez. Mais ils tucrent leurs la
quais & les ſerviteurs qui les ſuivoient
à pied , excepté ceux qui ſe ſauverent
encore à la faveur de l'obſcurité. Tou
tesfois ayant connu que les Romains
avoient traverſé le fleuve , ceux qui

apres les expeditions paſſées s'eſtoient


perfuadez de recevoir du foulagement
de leurs travaux s'il leur arrivoit jamais
de trouver l'Ennemi, les Roys & leurs
peuples qui s'eſtoient appliquez avec
tantdeſoin , pour empeſcher qu'on ne
fiſt un Pont fur le Rhin , ſe trouverent .
bien ſurpris , & la crainte les ayant fai
Gis , ils fe mirent en fuite : & cette fu
reur indomptée qui les poffedoit ayant
eſté appailée , ils ſe hârerent de retirer
toutes leurs commoditez pour les tranſ
porter plus loin . Puis,toutes lesdifficul
tez eftant levées , un Pont ayant eſté fait:
en peu de temps ſur le Fleuve, l'opinion
des Nations inquiettes ayant eſté preve,
nue , le ſoldat Romain's'eſtant montré
dans le païs des Barbares , traverſa le
païs d'Hortaire fàns y faire aucun dés
CONSTANTIUS ET JULIEN . 393

gaſt ; mais quand il eut commencé de


mettre le pied dans le païs ennemi , il
porta le feu par tout, & ne craignit
pointde s'y épandre avec toure la licen
ce que permet la guerre,pour faire ſentir
aux Rebelles qu'ilsne devoient pas s'at
tirer une grande guerre ſur les bras.
Apres donc que ces peuples eurent vû
le feu dans leursMaiſons, & une grande
multitude de leurs
gens taillez en pic
ces, tandis qu'on en tüoie pluſieurs de
vant leurs yeux's & que les autres ſe jet
toient par terre pour implorer la miſeri
corde des Victorieux ils s'eſtoient avan
cez juſques à la contrée d'Heydelbert,
qu'ils appelloient Capellace ou Pale ,
à l'endroit que des bornes de pierre
étoient élevées pourmarquer la fepara
tion du pays des Alemans & des Bour
guignons : Et là , comme l'Armée Ro
maine eut campé , elle y init bas les ar
mes, & s'y dépoüilla detous actes d'ho
ftilité , afin que Macrian & Hariobaude
qui eſtoient freres', & tous deux Roys, y
faffent receus fans avoirdeſoupçon , ny
de crainte , l'un & l'autre ayant vû leur
ruine inévitable s'ilsnevenoient implo
rér la Paix . Ils y vinr
ent donc ; mais
non
pas fans avoir le cour ſerré avec
beaucoup d'inquietudes en l'eſprit, leſs
Re
394 AMMIAN MAR , Liv . XVIII.
quels furent ſuivis incontinent apres
de Vadomaire , dont la demeure eſtoit.
proche de Baſle. Celuy - cy.ayant des let-
tres de recommendation de l'Empereur
Conſtantius , fut receu avec grande.
courtoiſie , comme la choſe devoit bien
cítre ainſi, puiſque l'Empereur l'avoir
honoré de ſon eſtime, & de fon amitié,
& qu'illuy avoit promis ſa protections,
tant qu'il ſeroit ſoumis à la puiſſance
Romaine.EtMacrian & .fon frere, eſtaur
admis entre les Aigles & les Enſeignes
de noſtre Milice, fut émerveillé de l'é
clat denos Armes , & de l'ornement de
tant de Troupes diverſes qui compo
ſoientles corps
de l'Armée qu'iln'avoit .
jamais vûs , & prioit qu'on euſt pitié de
ſes gens. Pour Vadomaire qui avoit eſté
nourri parmilesnoſtres, commeproche
de.nos frontieres , il eſtoit bien aulli ravi
de voir toutes nos Cornpagnies & nos,
Legions Gileſtes;mais ilſe ſouvenoit bien
d'en avoir vû ſouvent de telles dés ſon :
Enfance. Enfin toutes choſes ayant eſté
bien peſées dansle Conſeil de guerre,on
accorda la paix d'un commun conſente
ment à Macrian & à ſon frere Hario .
haude. Pour Vadomaire qui voyoit les
affaires en ſeureté , & qui, ſous une ef
peçed?Ambaſſade, eſtoit venuprincipa :
CONSTANTIUS ET JULIEN . 399
lement à deſſein d'interceder pourUrie ,
pour Uilicin , & pour Veſtralpe tous
Roys qui demandoient aulli la Paix , on
ne jugea pas à propos de luy répondre
ſur le champ , depeur , que commeil y a
peu de ſeureté à prendre en la parole des
Barbares , & qu'on avoit ſujet de croire
qu’apres que les noſtres ſeroicnt partis,
ils auroient auſſi peu de ſoin de garder
leurs promeſſes; ils l'obtinrentpar d'au
tres.Et certes ayant vû qu'on avoit brû
lé tous leurs bleds ſur les champs , aufli
bien que leurs granges & leurs maiſons,
& qu'on avoit pris & tué pluſieurs de
leurs ſujets , ils envoyerenc des Ambaſ
ſadeurs , quidemanderent excuſe , com
me ſi eux - melines fe fuffent faits ce
mal, pour nuire à nos T-roupes ;- ſi bien
qu'ils furentjugez meriter la paix par la
reffemblance des conditions raiſonna
bles ,avec leſquelles ils la demandoient,
entre leſquelles on fe hâta principale
ment demettre dans les articles, qu'ils
rendroient inceffamment tous les Efe
claves qu'ils avoient faits dans leurs frc
quentes incurſions .

R vj
39.6 AMMIAN MAR LIT. XVIII.

III.

Barbation qui commandoit l'Infanterie


Romaine , Aſyrie fot.femme Accu
ſez de crime de leze:Majeſté » sontpas
nis de mort.

Andis dans les Gaules un ſoin


Telelefungeoit toutes choſeschosesdans
dans
l'ordre qu'ellesdevoicnt eſtre ; Dans la
Cour de l'Empereur un trouble s'éleva
par des nouveautéz dangereuſes , qui de
petits principes d'une foible origine
s'accrutd'une maniere déplorable , & fe
termina par une fin funeſte. Dans la
Maiſon de Barbation qui eſtoit alors
Colonel de l'Infanterie , des Abeilles fi
rent un Exain admirable.Surquoy ayant
bien voulu conſulter les perſonnes ha ...."
biles en l'art d’expliquer les prodiges,
on luy dit que cela preſageoit quelque
grand danger, parce que ces petits ani
maux , apres avoir bâti leurs demeures
dans les ruches qu'elles occupent, & y
avoir fait amasde toutce qu'elles ont de
plus precieux , en font neantmoinschal
fées avec de la fumée , & avec le bruit
turbulent des Cimballes. La femme de
Barbation qui s'appellois Allyris , n'é
CONSTANTIUS ET JULIEN . 397
toit ny diſcrere ny prudente , & parloit
beaucoup . Coinme il futallé à une ex
pedition de Guerre où l'Empereur l'a
voit deſtiné , mais non pas ſans avoir
l'eſprit partagé de diverſes craintes ,
cette femme ſe ſouvenant de beau
coup de chofes qu'il luy avoit dires ,
& ſe trouvant emportée d'une vanité
aſſez ordinaire à ſon ſexe , ayant con
fié un ſecret à une fervante qui ſçavoit
écrire , & qu'elle avoit cuë de la Mai
ſon de Silvanus , elle écrivir hors de
propos , par la main de certe femme
à ſon mary , comme ſi elle l'euft vou
la conjurer avec larmes , qu'aprés la
mort de Conſtantius qu'elle tenoit pro
che , lors qu'il ſeroit ellevé à l'Empire ,
comme elle avoit grand ſujer de l'eſpe
rer , il ne la meſprifaſt pas , & .qu'alors
it la preferalt touſiours à l'Imperatrice
Euſebic , qui eſtoit une des plus belles
femmes du monde . Cette Lettre
ayanti
eſté envoyée le plus fecretement qu'il
fut poflible , ce que cette Servante :
avoit écrit par le commandement de
fá Maiſtreſſe qui l'avoit dictée , quand
la Campagne fue finie , & que tout le :
monde fut de retour du voyage , certe
femme ayant preſenté ſur le fois la co
pic de cette Lettre à Arbetion , elle
IAN
398 AMM MAR . Liv .XVIII .
fur receüe avec grande joye : & , fur
un fi puiſfant indice , Arberion le
plus propre de tous les hommes du '
inonde à trahir les gens , & à leur fai
re des affaires fâcheuſes , ne inanqua
pas auffi- coſt de porter cette copie de
lettre à l'Empereur , & ſansapporter de
delay en cette affaire , comme il ne s'en
apporte jamais en choſe ſemblable,
Barbation confeffa qu'il avoit receu la
lettre : & , la femmeayaneeſté convain
cuë par de violents indices de l'avoir
écrite, eurent tous deux la teſte tran
chée. Et apres qu'ils eurent eſté pu
nis de la forte , on en fit encore depuis
de grandes recherches , au ſujet dequoy
pluſieurs coupables & innocentsfurent
tourmentez. Entre leſquels Valentin ,
qui a de premier Archer des Gardes
avoit eſté fait Tribun , ayant ſouffert
de grandes tortures , les ſurveſquit
quelque temps , & il ne ſçeut jamais
rien du fait dont il fut accuſé : &
pour reparation du : toit qu'on luy
avoit fait. injuſtement , & du peril
de la vie qu'ilavoit couru , on luy don
na la puiſſance de commander en Illy
rie , ce qu'il avoit bien merité. Or ce
Barbation eſtoit un homme groſſier &
laperbe ; c'eſt pourquoy il fur haide
CONSTANTIUS ET JULIEN . 399
pluſieurs: & ,de ce que dés le temps qu'il
eſtoit Capitaine des Gardes de Ceſar
Gallus , il eſtoic tenu déja en reputa
tion de traiftre & de perfide : & depuis
que Gallus fut mort , ayant encore
monté d'un degré dans les Charges .
militaires , il inventa de pareilles cho
les contre Julien Ceſar., & faifoit fort.
ſouvent de mauvais rapports à l’Em
pereur qui ſe plaiſoit à la mediſance ;.
l'enquoy il cltoit dereſté de tous les ..
gens de bien , parce que cela donnoit .
ſujet au Prince de faire beaucoup de
mal. Sansmentirileſtoit bien ignorant
de cette belle parole d'Ariſtote , qui:
donnant charge à Caliſthene fecta
teur de la doctrine, & ſon parent pro
che , d'aller trouver le Roy Alexan
dre de la part , luy donnoit ſouvent avis
de s'entretenir rarement avec un hom .
me qui avoit ſur la langue la puiſſance
de la vie & de la mort , ou c qu'il ne
luy parlaſt que de galanterie : parce
qu'il n'eſt rien de fi dificile aux hom
mes , que de diſcerner les choſes qui
peuvent profiter d'avec celles qui peu
vent'nuire , & que ceux qui en ſont
capables , ont une intelligence compa
rable à celle des Dieux ; mais que les.
animaux qui ſont privez de la raiſon ,ac
400 AMMIAN MAR. Liv. XVIII.
tufe conſervent jamais mieux que par un
profond lilence : comme il n'eſt rien
de plus connu que l'exemple que nous
en avons , quand les e Oyes fauvages
quittent l'Orient à cauſe du chaud
qu'il y fait , & qu'elles s'én vont vers:
la partie Occidentale , lors qu'elles
approchent du Mont Taurus, où il y a
force Aigles , par la crainte qu'elles
ont de ces Oyfeaux redourables , afin
de s’empeſcher de faire du bruit ,elles
s'étoupent le gofier avec de pecites
pierres : puis ayant paſſé la Monta
gne avec toute l'agilité qui leur eſt pof
lible , elles : recirent les petites piero
res de leur gorge babillarde , & con-'
cinuënt aindi en l'air avec feurreté le
reſte du chemin qu'elles ont entreprise

IV .

Tandis que Sapor Roy de Perfe fe pro


pare à la Guerre contre les Romains,
Constantius abuſé des flateries de les
Courtiſans, prend Conſeil de rapeller
Vrficin Prefe &t de l'Orient , qui eſtoit
un sage on vaillant Capitaine.

Andis qu'on fait ces perquiſitions


TA
à Sirme , avec cinc de diligence"
CONSTANTIUS ET JULIEN . 401
la Fortune de l'Orient faiſoit fonner
la trompette pour donner de l'ef
froy , & faire craindre le danger de la
Guerre par la terreur de ſes armes. Le
Roy de Perſe aydé du ſecours des Na
tions fieres qu'il avoit pacifiées , &
bruflant d'un defir vchement d'eſten
dre les limites de fon Empire , faiſoit
de grands preparatifs de Guerre pour
fe mettre en Campagne , ayant bien
voulu meſler dans les Conſeils qu'il
en avoit pris les foinbres:puiſfances des
Enfers , & les devinations de ceux qui
cherchent dans leurs ſuperſtitions les
connoiſſances de l'avenir : puis avec ce
qu'il afſembla de gens , qu'il croyoit
en nombre fuffiſant , il ſe propoſoit de
faire marcher les Troupes dés la pre
mierc douceur du Printemps. Er com
me il courut d'abord des bruits ,
qu'en ſuitte on vint dire des nouvel
les affeurées des calamirez qui appro
ehoient , & qu'il y avoit tant de ſujet
d'aprehender , tone l'artifice de la Cour
eſtoit d'en faire tomber le blâme ſur
Urficin pour le perdre dans l'efprit de
l'Empereur qui eſtoit foupçonneux &
timide , & cela , comme lil'on cultbattu
le fernuit & jour fur une enclume, pour
tourner tout le jugement de cette af
H02 AMMIAN MAR . Liv. XVIH .
faire à la diſcretion des Eunuques , qui
cſtoient capables de la defigurer , &
d'y donner une face de Gorgone qui
regardetoutes choſes de travers , diſant
& recominançant ſouvent la meline
choſe & autres ſemblables , de ce que
depuis qu'on eût fait mourir Silvanus,
il avoit eſté envoyé en Orient , com
me îi l'on euft cû faute d'un meilleur
Sujet, pour conſerver dans l'obeiflanca
les Provinces qui font de co cofté-là;
mais qu'il aſpiroit encor à quelque
choſe de plus haut. Pluſieurs s'effor
çoienr ainſi par le commerce d'une
infame flaterie de les bonnes
gagner
graces d'Euſebe , qui eſtoit alors grand
Chambellan , aupres duquel ( il faut di
re les choſes comme elles ſont ) Con
ftantius: avoir beaucoup de pouvoir's
ayant deux raiſons de traverſer autant
qu'il luy ſeroit poflible la vie d'Vrficin
Colonel de la Cavalerie, & de ce qu'il
eſtoit le ſeul qui n'avoic pas beſoin de
luy , comme toutesles autres perſonnes
de qualité , & de ce qu'il ne luy vou
loit point céder a une maiſon qu'il
avoit à Antioche, laquelle il foûhai
toit pallionément d'avoir , julquesà le
preſſer avec importunité dene la luy pas
refuler. Il eſtoit comme une couleuvre
CONSTANTIUS ET JULIEN . 40 ,
qni ſe gonfle de venin , ne ſe conten- !
tant pas du mal qu'elle fait, mais ani: -
me encore les Serpens ſes enfants à ..
faire comme elle ; & portoit ainſi tous
les Officiers de la Chambre à ſuivre
ſon exemple , pour les obliger tous.
dans les ſervices qu'ils avoient à ren
dre aux choſes les plus particulieres
aupres de la perſonne du Prince , de
luy fuggerer doucement de l'averſion
& de la haïne , contre une perſonne
d'un li haut merire : à quoy ils ne man
querent pas, & firent en peu de temps
ce qui leur fur commande.
Or de l'ennuy que donnent ces fortes
de gens à toute la Terre , je n'aurois
pas
de peine à louer cet ancien Domitien ,
qui bien qu'il fût fort different de ſon
pere & de ſon frere', & qu'il euſt terny
la gloire de ſon nom d'un eternel op
probre , li eſt-ce qu'il fit une Loy ce
Icbre , par laquelle il deffendoit ſur de
grandes peines de tailler deformais les
enfans dans toute l'eſtenduë de l'Em
pire.: Et certes fi cela n'euft elté , qui
pourroit fouffrir des eſſains de ces
gens-là , s'ilfautainſi dire , puis qu'il eſt
L : dificile d'en ſuporter un petit nom
bre ? On fit neantmoins la choſe adroi
tement , de peur que comme on le fai
404 A MMIAN MAR . Liv .XVII.
ſoir accroire , Urciſin eſtant appellé
pour la ſeconde fois, ne vinſt à trou
bler toutes choſes par la crainte ;mais
que fi- toft que l'occaſion s'en offriroit,
on le puſt entraîner à la mort.

V,

Antoine on Antonin , Perſonage fort avi


sé de grande experience, abandonne
Conftantius ega ſe range au ſervice di
Roy de Perſe.

Omme ces gens-là s'occupoient


Ca.
à ces choſes , & que leurs penſées
eſtoient flotantes ſans ſçavoir à quoy
fe determiner , & que pour nous autres'.
nous eſtions à Samozate Ville celebre gi
autrefois la Capitale du Royaume de
Comagene , pour y faire peu de ſejour;
auſli- toſt nous oüymes parler de nou
velles émotions par des rumeurs fre
quentes & ſuſcitées de delibes
propos
ré , que la ſuite fera connoiſtre diftin
ctement. Un certain Antonin , qui, de
riche Marchand eſtoit devenu Appari
teur des Comptes du Gouverneur de
Meſopotamie , & qui eſtoit alors Offi
cier des Gardes , prudent & habile en
fa
charge , & parfaitement connu en
CONSTANTIUS ET JULIEN . 405
fous ces quartiers-là , s'eſtant engagé
de grands perils par l'avidité de
quelques-uns, quand à force de pren
dre des démelez avec les Puiſſans , il
Le fut fait conſiderer de plus en plus
pour eftre bon à corrompre par l'in
juſtice , pour plaire à ceux qui avoient
le plus de credit , ſelon qu'ils enviſa
geoient une affaire pour la favoriſer
ou pour la perdre i car ne voulant
point regimber contre l'eſperon , ilac
commodoit ſon eſprit à la fiaterie & aux
.careſſes les plus tendres dont il ſe pou
voit aviſer ; que s'il confeſſoit qu'il é
toit redevable de quelque choſe , il ſe
tranſportoit à d'autres ſous le noin du
Fiſque , parune eſtrange colluſion ; &
ſe donnant l'audace d'entreprendre tou .
tes choſes , il cherchoit tous lesinem
bres de la Republique pour couvrir
mieux fa mauvaiſe intention . a Il ſça
voit l'une & l'autre langue, en perfe
&tion , & s'en fervoit adroitement dans
Les compres où
, il tenoit regiſtre de:
tout ce que faiſoient les Soldats : il y
marquoit leur capacité , leurs noms,
les lieux de leur naiſſance , & depuis
quel temps ils eſtoient dansle Service:
Il n'y oublioit pas la quantité...des ar
mes , des Convois , & de tout ce qui
406 AMMIAN MAR , Liv. XVIII.
eſt neceſſaire pour une Armée dan
tous les emplois de la guerre : En quor
il ſe montroir tout à fait laborieux,
Et comme il entendoit parfaitement
les affaires de l’Orient , & qu'ayant di
ftribué la plus grande partie des mon
cres qui eſtoient deuës aux Troupes
qui ſerveient dans l'Illyric , où l'Em
pereur eſtoic arreſté pour des affaires
d'importance , le jour eſtant proche,
qu'il devoit donner de l'argent, il fut
contraint de confeſſer par force ou par
crainte, qu'il y eſtoit obligé. Se voyant
environné de toutes ſortes de perils ,
& à la veille d'eſtreepprimé, le Comte
des largeffes l'ayant preſſe de chercher
ailleurs de la protection , il s'efforça de
ſe retirer chez les Perſes avec ſa femme
& ſes enfans , & tout ce qui luy poll
voit appartenir . Et , pour cacher des
Soldats de la Garniſon qu'il avoit avec
key , il achepta pour peu de choſe un
fonds dans la concrée d’Hiaſpis ſur les
rives du Tigre. Et avec cette inven
tion , comme perſonne n'euſt ozé le
chaffer de-là pour venir prendre la pla
ce , ſur les Frontieres de l'Empire , il
negotia par des avis adroits & fideles
un Traitté ſecret avec Tamſapor , qui
avoit alors le Gouverneinent de la Pro
CONSTANTIUS ET JULIEN . 407
vince & des Places Frontieres de Per
fc , de ce colté -là . CeGouverneurluy
envoya du ſecours de ces Places, avec
des bacteaux , où s'eftantmis avec tou
te la Famille , & tout ce qui luy ap
partenoit , il paſſa le fleuve pendant
toute la nuit , à la maniere à de Zo
pyre , ce fameux traitre Babylonien ,
quoy que ce fuſt pour un deſlein bien
contraire.
VI.

Sabinien Vieillard de nul merite e de


beaucoup de lafcheté, eſt envoyé en la
place d'Vrſicin deſigné Succeſſeur de
Barbatian . Antoine eſt recen des Per
ſes avec honnenr , & leurrend enſuite
une affistance tres-urile.

Esaffaires s'eſtant ainſipaſſées dans


dla
Palais chantant touſiours a une mef
me chanſon contre nous , trouva enfin
l'occaſion denuire à un excellent hom
me, par la temerité & par la conſpira
tion des Eunuques , qui font touſiours
cruels & laſches, & qui aſpirant par
leur avarice à prendre le bien de tout
le monde , cmbraffent les ſeules ri
chelles comme leurs filles tres- che
408 AMNIAN MAR. Liv . XVIII .
res. La reſolution que l'on prit dans
le Conſeil demeura ferme; qu'un cer
tain vieillard imbecile appelléSabinien,
hoinme puiſſant en biens ; mais de nul
merite & de nulle valeur , & qui pour
l'obſcurité de la vie , eſtoic fort élois
gné de pouvoir aſpirer aux !grandes
Charges, ſeroit envoyéen Orientpour
y avoir celle de l'Armée , & qu'UC
licin retourneroit à la Courpour coni
mander l'Infanterie , & pour ſucce
der à Barbation , où il ſeroit pour
ſuivy par des Enneinis puiſſans & re
doutables , commeun ſedicieux '& un
amateur de nouveautez .
Tandis que ces choſes ſe paſfoient
ainſi dans la Cour de Conftantius, com
me fi l'on y euft joué des Comedies
& que les Payeurs de ceux qui vendenc
leurs ſuffrages pour l'Eflection desMa
giſtrats , portoient dans les maiſons
principales le prix de leurs voix , Anto
• nin qui fut conduit chez le Roy de Per,
ſe , dans le Palais où il s'eltoit retiré
pour l'Hyvert , y fue receu avec joye,
& s'y trouva honoré de toutes lesmar
ques qui diſtinguent la premiere No
blelle de tout le reſte des Sujets, comme
d'eſtre allis à la Table du Roy , & d'a
voir l'authorité de juger dumerite,&
deparler
CONSTANTIUS ET JULIEN . 409
de parler en public des choſes impor
tantes. Ainſi b.ce ne fut point avec l'a
viron ny avec la corde, commeon par
le, c'est à dire , ce ne fut point par des
deſtours , ny par des traverſes obſcures ,
inais ce fut à pleines voiles qu'il fut
-1 porté par ſon audace & fon ambition
en lieu de ſeureré ſe declarer
pour Ou
vertement contre la Rep ubl ique, com
me fit autrefois c Maharbal , qui re
prenant Hanibal de la lenteur , luy di
Toit ſouvent qu'il pouvoit bien vain
cre ſes ennemis , mais qu'il ne ſçavoir
pas uſer de la Victoire. Car ayant eſté
amené devant le Roy & devant tous
les Grands du Royaume, comme il
eſtoit parfaitement intelligent , ayant
trouvé tout le monde preparé à l'en
tendre , & qui n'attendoit de luy quc
des choſes agreables , ſans le loiier ;
mais l'admirant en Glence cominc
ces Phæaciens dont il eſt parlé dans
Homere ; il leur rafraiſchir la memois
re de tout ce qui s'eſtoit paſſé , & prin .
cipalement à d Hileje & à Singare ,
où l'on combatir pendantla nuit, avec
tant d'opinialtreté , quand il y demeu
fa tant denos gens, & puis quivint dà ſe
ſeparer, commeſi quelque Heraut d'Ar
mos ſe fût trouvé au milicu
pour de
$
410 AMMIAN MAR . Liv. XVII.
noncer la Paix ,ſur le point que les Perſes
Victorieux alloient prendre Edeſſe , &
s'alloient rendre maiſtres des Ponts de
l'Euphrate, au lieu que par la puiſſan
ce des armes qu'ils avoient toute entic
re , & qui leuravoit acquis tantde bons
ſuccez , il leur cuſt eſté facile d'eſtendre
leur Conqueſte, & ſur tout en un temps
que le feu des Guerres Civiles eſtoit le
ng Romain
plus allumé , & que le fa
le reſpandoit de tous coſtez . Comme
ce transfuge qui n'eſtoit point étourdy
les fumées du vin , eut entretenu
par
la compagnie de tels diſcours aumi
lieu du Feſtin touchant les affaires de
la Guerre , & de inatieres tres-ſerieu
ſes ſur les queſtions qu'on luy faiſoit,
à la façon des anciens Grecs , il é
chauffa l'eſprit du Roy', qui l'eſtoit
delia de luy-meſme, afin que dés que
l'Hyver feroit paſſé, il ſe miſten Cam .
fe pou
pagne pour faire la Guerre ,
vant fier à la grande ur de la Fortu
ne, pourveu qu'il promiſt ſon aſliſtan
ce & ſon ſecours dans toutes les choſes
neceffaires,
CONSTANTIVS ET JVLIEN 4IT.

Y II.

L'arrivée de Sabinien , le deſpart


ď Vrficin , apportent bien du deplaiſir
aux Provinces de l'Orient affujetties à
l’Empire , & de l'inquietude aux Ca
pitaines qui commandent les Troupes.

Nviron ce meſme temps , Sabi


snien qui ſe glorifioit de la Puiſſance
Erich
qu'il avoit receuë d'une maniere allez
Turprenante , quand il fut en Cilicie ,
donna les Lettres de l'Empereur à ce
luy dont il alloit exercer la Charge ,
pac leſquelles il luy mandoitderetour.
ner incontinent à la Cour pour y recc
voir un plus grand & plus noble em
ploy , & cela , ſur le point ( dans la ne
cellice preſſante des affaires ) que ſi Urſi
cin cult eſté relcgué dans l'iſle de Thu
lé , il euft fallu le rappeler de là, pour
l'employer au lieu d'où l'on leretiroir ;
parce qu'il ſçavoie parfaitement l'an
cienr.: diſcipline des Armes , & qu'il
connoilloit par une longue experience
l'art de faire la Guerre aux Perſes.
Cela fit un grand bruit dans le pays.
Les Provinces en furent émeuës , &
tous les Ordres des Villes aufli bien
Sij
412 AMMIAN MAR . LIT. XVIII ;
que le Peuple en firent de grandscris,
& s'efforcerent de retenir par force
leur illuſtre deffenſeur , ſe ſouvenant
qu'ayant eſté laiſſé parmy eux pour
avoir ſoin de leur protection , il neleur
à avoit rien gaſté avec des Soldats qui
n'avoient point d'employ pendant les
. dix années qu'avoit duré fon Gouver
nement : Et craignant en meſmetemps
pour leur ſeureté , que dans un temps
où toutes choſes eſtoicat pleincs d'in
certitudes , éloignant celuy cy , on en
faiſoit venir un autre quin'avoit nulle
capacité . Car nous ſommes perſuadez,
& certainemér , il n'y a pas lieu d'en dou
ter, quc la Renoméc qui vole liviſte,
avoit publié que celuy par l'avis de qui
cela eſtoit arrivé, eſtoit en grand credit
chez les Perles , & qu'enfin apres plu
ſieurs conſeils agitez depart & d'autre,
Antonin avoit perſuadé les Perſes , que
puis qu'on avoit éloigné Urficin ,
qu'on avoitmis en la place un nouveau
Gouverneur qui n'eſtoit de nul merite,
que ſans fe mettre en peine d'aſſieger
des Places , il falloir paſſer l'Euphrate ,
& fc jetter avant dans le Païs , de
vant que le deffein fût éventé. Et, pre
venant par ſa diligence tout le bruit
qui s'en pourroit former pour ſe ren
CONSTANTIUS ET JULIEN . 413
dre Maiſtres des Provinces , qui n'aa
voient point eſté le Theatre de la guer
Éc que ſous l’Empire de Gallien , s'é
tant d'ailleurs prodigieuſerneut enri
chies par une longue Paix , dont, avec
l'ayde de Dieu , il ſe promettoit qu'il
feroit un tres.cominode & tres-heu
reux conducteur. Son avis ayant eſté
approuvé de tout le monde, & toutes
chofes ayant esté preparées pendant
l'Hyver, pour l'entrepriſe , les Soldats,
les armes , lesmachines de guerres &
toutes les choſes neceſſaires pour les
munitions , on n'attendoit plus que la
fuiſon
propre pour fc mettre en Cam
pagne & pour marcher. Nous aautres
cependant nous cſtantarreſtez tant ſoit.
peu au deca du Mont Taurus , comme
nous cuſmes commandement de mar
cher du colté d'Italie , nous vinſmes
aupres de l'Hebre , qui découle des
Monts d'Odryfc : Et là nous reçû
mes des ordres precis de l'Empereur
de retourner en Meſopotamie , fans
nous informer s'il y avoit du peril ny
fi la puiſſance du commandement eſtoit
donnée à quelqu'autre . Cequiſe pro
jettoit de la forte par les Directeurs des
affaires de l'Empire quinous vouloient
traverſer , afin que liles Perſesretour
S iij
414 AMMIAN MAR . Liv . XÝIII.
noientchez eux ſans avoir profité ,on err
donnaſt toute la gloire au nouveau
Gouverneur , & que ſi la fortune nous
étoit contraire , Urſicin fuſt accuſé du
crime de haute trahiſon. Ayant donc
eſté ballotez de la forte fansſujet, apres
que nous euſmes patienté long-temps,
& que nous fuſmes de retour , nous
trouvaſmes Sabinien tout plein d'in
quietude & d'ennuy . C'eſtoit un hom
me d'une ſtaturemediocre , depeu d'en
rendement , qui ſans la vilaine crainte
qui le ſaiſiſſoit en quelque lieu qu'il fult;
euit peû à peine ſouffrir le brüit , je
ne diray pasdes armes preſtes à coniba
fre , mais des plats d'un Feſtin : toure
fois parce que nous avions appris par
nos épics , & par quelques transfuges,
que l'Armée denos ennemis eſtoit bien
reſoluë denous attaquer ; le petit hom
me qui ne ſçavoit de quel coſté ſetour
ier , & qui crioit ſans ceſſe apres tous,
nous obligea de nous retirer prom
tou
prement à Niſibe, afin d'y preparer
tès les choſes neceſſaires, de peur que ſi
les Perles y venoient mettre le Siege,la
place furt depourycuë d'hommes & de
munitions.
CONSTANTIUS ET JULIEN . 413

VIII.

Les Perles font la guerre aux Romains


avec une puiſſante Armée , mais avec
des ſuccez divers ſelon la coustume.

Andis qu'on ſe preſſoit dans la


T Ville de mettre la Place en dé
fenfe , on voyoit continuellement de
la fumée & des feux dans le Campdes
Maures , qui eſtoit au de-là du Tygre.
Siſare & tous les autres lieux de la
frontiere juſques à la Ville , éclatroient
de toutes parts , ce qui faiſoit connoî
tre que les Troupes ennemics quive
noient faire ledegaſt , avoient paflé le
fleuve . C'est pourq
uoy de peur que
les chemins n'en fuffent occupez , nous
eſtant avancez d'une courfc legere l'ef
pace de deux mille , nous vilmės un
enfant de condition , d'un viſageagrea
ble, a avec un collier au col , agé d'en
viron huit ans , comme nous le poli
vions conjecturer , qui pouſſoit des
cris ſur le milieu du rainpart. Il nous
dit qu'il eſtoit fils d'une perſonne de
qualité , & que famere ſe trouvant fai
fie de crainte , à cauſe des ennemis
qu'elle vid approcher , l'avoit laiſſé
S iiij
16 AMMIAN MAR . Liv. XVIII.
ſeul fans y penfer en prenant la füitte ;
Noſtre Capitaine qui le vid en eût pi
tié , & ine coinmanda de le mettre lur
un cheval devant moy pour le reme
nec à la Ville , qui eſtoit fermée de
niurailles , ſur le chemin de laquelle
il y avoir des voleurs , qui rodoient
rout autour. Et parce que les miſeres.
qa’apportent d'ordinaire les Sieges ,
me donnoient de la terreur ,ayantmis
l'enfant que je tenois dans une porte de
derricre entre ouverte, cóme jem'en re
tournois demy mort en noſtre quartier ,
avec toute la diligence qu'ilm'étoitpof"
fible, & cerres bil nes'en falut pasbeau
coup queje nefuſſe pris:car,ſur le point
qu'un Eſcadron d'Ennemis ſuivoit un
certain Tribun appellé Abdigide, qui
fuyoit avec un Valet de pied , & que
le Maiſtre s'eſtant laillé tomber en
fuyant , fon ſerviteur avoit eſté pris ,
je m'y trouvépar hazart, coinmeje pal
fois fort viſte , & me demanderent qui
eſtoit c ce Magiſtrat fort avancé en
âge qui venoic depaſſer ayant oüy di
" re qu'Vrlicin s'eſtoit rendu peu aupa,
Sravant dans la ville , & que de-là il
s'en alloit au Mont Izale , apres que
Con guide cur eſté tué,ne s'eſtane infor
mez que d'un ſeul, ils cn pourſuivoient
CONSTANTIUS ET JULIEN . 417
pluſieurs des noſtres par des courſes qui
ne leur laiſſoient point de repos. Mais
quand je les eûs palfez , ayant donné
de l'eſperon à mon cheval, que je poul
fois à toute bride, jemerendis áun lieu
appellé s Amude , qui eſt un petit Fort,
où je trouvay les noſtres qui ſe rafrai
chiſſoient un peu , & qui faiſoient re
paiſtre leurs chevaux ; je leur tendis les
bras , & ayant retrourré le bord dema
eotte d'arme', je leur fis ligne que les
Ennemis approchoient , & m'eſtant
joint avec eux , je m'y partay avec une
pareille vigueur, bien que mon che
val fuſt un peu fatigué. Cependant la
Lune qui cſtoit au plein nous donnoic
de la terreur au milieu de la nuit ; &
la plaine qui eſtoit toute ouverte , lu
quelque accident nous fuſt arrivé , ne
nous offroit point de lieu pour nous
mettre à l'abry , car il n'y avoit nyar
breny buiſſon , & l'on n'y voyoit rien :
que de l'herbe menuë . Nous trouva
mes donc l'invention , qu'ayant allu-
mé un Aambeau , & que l'ayant bien
lié à la croupe d'un chevalde peur qu'il
ne tombaft , nous le laiſsâmes aller , a
gauche, fans cavalier ny fansbride, tan .
dis quenous retirant à droite du coſte
des Montagnes , afin que les Perſes
SY,
48 AMMIAN MAR, LIT. XVIII.
voyant luire le flambleau defuif, creuf
fent qu'il éclairoit le Capitaine qui
marchoit lentement, & qu'ils priſſent
leur route de ce coſté -là . Et certes,
s'ils ne l'euſſent ainli vû , nousallions
avancer dans le piege,& noustombions
infailliblement au pouvoir de nos en
nemis .
Ainſi nous eſtant tirez de ce peril,
comme nous fuſmes venus en un lieu .
couvert,où il y avoit des vignes & des
arbres fruitiers , on l'appelloit e Me
jacarire , à qui des Fontaines fraiſсlies
ont donné le nom ; tous les habitans.
du lieu ayant pris la fuite,nousn'y trou:
valines perſonne qu’un Soldat; qui ſe
cachoit dansun lieu retiré : lequel ayant
eſté amené à noſtre Capitaine , & luy
ayant dit force choſes diverſes par la
Crainte dont il ſe trouva ſaiſi , & par.
Conſequent s'eſtant rendu ſuſpect; enfin
l'apprehenſion des tourmens doncilfuc
menacé , luy fit découvrir tout le ſecret.
Il dit donc f qu'il cſtoit né à Paris dans
les Gaules', & qu'il avoit fervy dans
la
les. Troupes de Cavalerie , mais que
Crainte du chaſtiment pour un crime
qu'il avoit commis, l'avoit obligé de
ſe refugier parmy les Perſes, & quede
là , pour la bonne opinion, qu'on , avoit
CONSTANTIVS ET JVLIEN . Hig
conçeuë de luy, ayant pris femme en ce
païs-là , dont il avoit eu des enfans , on
l'avoit envoyédansnoſtre quartier pour
épier & pour voir ce qui s'y paſſoit , &
qu'il leur en avoit fouvent porté des
nouvelles certaines : Mais qu'alors il
avoit eſté envoyépar Tamſapor, & par
Nahodaredeux Seigneurs conſiderables
entre les Perſes, quiavoient amené des
Troupes pour ravager le pais, & qu'il les
devoit aller retrouver , pour les avertir
de ce qu'il avoit appris. Apres cela;
ayant adjoûté ce qu'il penſoit que les:
autres euſſent à faire , il fut mis à mort ,
Puis la follicitude yenant à croiſtre pous
toutes les affaires que nous avions ſur
les bras, nous nous en allâines en dili
gence à Amide , qui eſt une Ville qui
fut depuis celebre pour les fanglans
combats qui s'y firent quelque temps
apres. IX

Les
7 Romains qui eſtoient dans | Amide ;
ayant déchiffré des Lettres des Perſes,
envoyent Ammian Marcellin , qui
ayant reconnu l'eſtat de l Armée enne
mnie , retourne chez les fiens plütoft qu’or
ne l'eust' oſé eſperer .

FO's Eſpionseſtant deretour,nous


No.
trouvâmes au fonds d'une gaine a
Svį
420 AMMIAN MAR ; Liv. XVIII.
unemembrane écrire de divers caracter
res,par laquelleProcope nous mandoit
1
desnouvelles . Nous avonsmarquécy
devant qu'il fut envoyé en Ambaſſade:
avec le Comte Lucillien , nous faiſant
entendre avec obſcurité à deſlein les
choſesqu'il nous écrivoit , de peur que
G la Lettre eſtoit interceptée , & qu'elle
fuſt entenduë , il nenous en arrivaſt du :
malheur. Il y avoit eſcrit dansle billet.
Ayant donné congé aux Ambaſſadeurs
des Grecs , qu'il enft esté peut-eſtre bon
de faire affaſſiner , b le vieux Roy non
content de l'Hellespont om l'on avoit joine
les Ponts du Granique o du Ryndace,vien .
dra avec une Armée nombreuſe pourrava
gerl'Aſie , eftant facile à mettre en colere
de fon naturel , é d'une humeur fort ai
gre: à quoy il s'est porté par la perſuaſion
di ſucceſſeur d ' Adrien autre-fois Empe
11
reur. Fait & publié ſi la Grece n'y prend
garde.Ce quiſignifioit, que leRoy deper
le ayāt paſſé lesFleuvesAnzaba & Tigris,
à la follicitation d'Antonin , ſe vouloit
sendre Maiſtre detout l'Orient.Ces cho
kes ayanteſté leuës avec grāde difficulté ;;
Il y avoit en ce temps - là c un Satrape de
la Province de Gordueye dans l'obciſe
fancedu Roy de Perſe , qui s'appelloit
Fovinien , jeune homme élevé dans la
CONSTANTISET JULIEN . 427

partie de cette meſme Province , qui


cftoit de l'Empire Romain , lequel eſtoic:
fecrereinent d'intelligence avec nous,en .
reconnoiſſance dece qu'ayant eſté rete
nu pour oftage en Syrie , qui luy échut.
par fort; & pour l'affection qu'il porroit
aux Lettres,dót la douceur l'avoic char
mé, il eutun deſir extréme de retour
ner parminous. Je fus envoyé vers luy
avec un Capitaine de cent hommes, de
qui la fidelité m'eſtoit connuë. Et dans,
la défiance où j'eſtois de tomber dans,
quelques pieges quinous fuſſent tendus,
je le vins trouver par des monts & des
precipices inacceſſibles. Puis l'ayant vû
& l'ayantreconnu , je fus receu de luy
fort civilement, & jene dis qu'à luy ſeul
le ſujet demon arrivée. Puis .ayant pris.
un homme quifçcult garder le ſecret, &
quiſceûrle païs pourmeſervir de guide,
je fus envoyé dans des Roches élevées
leſquelles en font fortéloignécs. D'où ,,
lila vuë eſtoit aſſez forte , elle découvri
roit lamoindre choſe que ce puſt eſtre
dans la plaineà plusde cinquantemille
de-là. Nous y demeurâmes deux jours.
entiers ; & le troiſieſme jour, nous y dé
couvrîmes fans empeſchement l’Hori
fon tour autour , où nous viſines des
Troupes.fansnombre , & à leur teſte le
422 AMMIAN MAR , Liv. XVIII .
Roy couvert d'un riche vêtement qui
le faifoit éclater entre tous les autres.
Grumbates Roy des Chionites inarchoit
aupres de luy d à ſon coſté gauche à
moitié d'aage toutcouvert derides,mais
d'un courage intrepide & glorifié des
Victoires qu'il avoit gagnées : au coſté
droit eſtoit le Roy des Albanois , éga
lement honoré du rang qu'il tengíti.
Enſuite eftoient divers Princes & Capi
taines generaux élevez par leur puiſſan
ce & par leurauthorité, leſquels eſtoient
ſuivis d'une grande inultitude de divers
ordres , & des Nations voiſines , d'où ils
avoient eſté choiſis , pour s'eſtre rendus
capables de ſoûtenir les fatigues de la
guerre par une longue experience. Juf
quesà quand e ô Grece fábuleuſe,nous
parleras-tu de la Ville des Doriens dans
la Thrace , & nous feras- tu le dénom
brement des Armées qui furent renfer
mées dans l'enceinte de ſes murs ? Puis
que nousautres , avec beaucoup depre
caution , ou , pour en parler plusſaine
ment , avec la crainte que nous avons
d'eſcrire quelque choſe contre la verité;
nous n'exaggerons quoy que ce ſoit ,
hors des choſes qui nous ſont affeurées ,
par des témoignages indubitables', ou
e e
quinous font connuës. par tout fort
CONSTANTIUSET JULIEN . 413
de certitude? Apres que les Roys eurent
Paſſé Nineve, qui eſt une grande Ville de
la Province d'Adiabene , & qu'ils eu
rent facrifié desHofties ſur le milieu du
pontd'Anzabe, & qu'ils en'eurent trou
vé f les entrailles de bon augure , ils le
traverſerentavec grande joye , ſe figu
rant que nous ne pourrions faire paſſer
tour le peuple en trois jours : mais ayant
eſté plus diligens que cela , nous cûmes
loiſir de venir retrouver le Sarrape , qui
nous receut officieuſement, & nous per
mitdenousrafraîchir. D'où ayantpaffé
par des lieux deſerts avec toutle ſecours
que l'on ſe peut promettre dans une
grande neceſſité ,nousretournâmes avec
plusde diligence qu'on ne l'euſt oſé ef
perer, fortifiant le courage de tous ceux
quipouvoient ballancer, & ayant appris
avec certitude, que les Roysavoient paſ
ſé la riviere di Anzabe ſur un pont de
batteaux

**
434 AMMIAN MAR . Liv . XVIII.

10
X.

RE
La Meſopotamie ayant esté ravagée par
1
les Romains , quimirent le feu partoute
la campagne, & dans tous leslieux, où le
pouvoient por.eriles fureurs de la guer
re, Sabinien ſuit ridiculement ſon peu de
genie , pour le métier des armes on il
pi'entendoit rien du tout.

Vffi-toft on dépeſcha des Cour-


A riers à Caſſien Duc de la Meſopo
tamie , & à Euphrone qui eſtoit alors
Gouverneur de la Province , pour les
obligerde preſſer les Païſans avec tou
tes leurs familles & leurs beſtes de ſe re .
cireren des lieux de ſeureté , & d'aller
proinptement à Carras qui eſtoit une
Ville forte de murailles. Enſuite dequoy
il falloir brûler toute la campagne, pour
n'y laiſſer point de fourage. On obeïta
ces ordres , le feu futmis dans les Moil
fons qui eſtoientpreſtes à cüeillir: & les
. bleds furentbrûlez avec la paille & les
herbes,depuis l’Euphrate juſques aux ri
vesdu Tigre. Beaucoup de bettes y ſen
rirent anfi la furie des Aames , particu
· lierement les Lions qui eſtoient furieux
ences pais- là , leſquels on fait d'ordi
CONSTANTIUS ET JULIEN . 4259
naire perir , ou tout au moins on les
aveugle peu à peu par le meſmemoyen .
Il ſe a trouve force Lions en Mefo 7
potamie , qui rodent parmiles Roſeaux
des rivieres , & parmi les Arbriſſeaux ,
leſquels ne font jamais de mal en hiver,
parce que cette ſaiſon eſt toûjours fort
douce en cepaïs- là :mais quand le temps.
vient à s'échauffer par l'ardeur des
rayons du Soleil, dansces Regions qui
font brûlécs par le chaut , ſe trouvant
agitez par l'ardeur de la ſaiſon , & par la
piqueure des puces & des mouches qui
piquent cruellement en ce pais-là , qui
en eſt rempli.
Et d'autant que les yeux de ces Ani
maux ſont les parties les plus humides
& les plus luminetiſes de leurcorps , ces
cruelles mouches les attaquent incef
fainment , & ſe tiennent opiniâtrement
à leurspaupieres; ſi bien queces Lions
apres en avoir eſté long- tempstourmen
tez , ou ſe jcrtent dansles Rivieres , ou
ils ſont ſuffoquez , penfant y trouver
quelque remede au mal quiles preſſe, ou
bien ils perdent les yeux qu'ils s'arra
chentavec les ongles , ne pouvant ſouf
frir la douleur qui les fait enrager .Mais ,
fans cela , il fautavoüçr auſſi que tout
l'Orient ſeroit trop peuplé de ces Ani
426 AMMIAN MAR . Liv . XVIIT.
maux dangereux . Tandis qu'on brûloit
donc les plaines , comme il a déja eſté
dit; on envoya des Tribuns avecdes Of 6
ficiers des Gardes pour fortifier les pla
ces qui ſont au de-là de l’Euphrate , &
pour y mettre les munitions neceſſaires ,
aux lieux qui' furent jugez les plus
propres .
Pendant que ces travaux avançoient,
Sabinien quiavoit elté b' ce rare Capi
taine qu'on avoit ſibien choiſi pourme
nerà la fin une guerre tres-importante,
s
A aumilieu des périls les plus commun ,
dontles momens font precieux , pour les
éviter adroitement, il eſtoit c' parmiles
fepulchres d'Edeffe , conimes'il euft af
fermi la paix avec les Morts ; & qu'il
n'euſt rien eu à craindre d'ailleurs, agif
fantfoiblement, ſelon la vie lâche qu'if
avoit toûjoursmenée , & ſe plaiſant ſur
toutes choſes au ſon dės Auſtes douces ;
pourles dances Pyrriques , qu'ildeman
n

doit aux ſoldats pour faciliter leur ad


dreſle , au lieu de geſtes de bouffonne
ries quiſe faifoient en ſilence , à quoy it
fe plaiſoit grandement, pourun prelage
funeſte de ce qui luy devoit arriver,
ayant fibien commencé, & dans le lieu
qu'il avoit choiſi pour l'exercice de ſes
Troupes. Comme tout cela donc ne:
CONSTANTIUS ET JULIEN . 426
pouvoit rien augurer que de lugubre, ap
prenons de quellc forte , chaque homme
de bien le doit éviter dans le cours de la
vic.

Cependant que les Perſes par le conſeil


d'Antonin employé dans leurs affaires
pourvoyentutilement aux beſoinsdeleur
Armée, & enfermentdeux Troupes de
Cavalerie Romaine envoyées pour le ſea
cours de la Mefopotamie ; Antonin
quimarche à la teſte des Perles, ſo
naoque bartiment d'Vrficin .

Cependant les Roys ayant paſte


Niſibe , comme un lica indignede
les obliger à quelque ſejour , tandis que
les incendies augmentoientpar la diver
fité des fourrages & des munitions,
IN
fuyant la diſette des vivres , ils mar
11
choient le long des Vallées pleines
d'herbes au pied des Montagnes. Ee :
quand ils furent venus à un Village ap
pellé Bebaſe , d'où il y avoit cent mille
de chemin juſques à une place qui por
toit lenom de b Constance , ils.endurc
rent beaucoup de ſoif, & ne trouverent
que fort peu d'eau ,en creuſant des puits:
mais ayant long-temps ballancé, lur ce
428 AMMIAN MAR. Liv. XVIII.
qu'ils avoient à faire , enfin ſe fiant lút
ce queleurs Troupes eſtoient endurcies
au travail, ils creurent qu'ils pourroienç
paſſer : & quand ils curent envoyé un
homme fidelle pour reconnoiſtre les
paſſages , ils apprirent que l’Euphrate
eſtoit enflé par les neiges , & quemeſme
il eſtoit débordé en beaucoup de lieux ,
fibien qu'ileſtoit impoſſible de le paffer
à gai. Ils ſo reſolurent donc à ſuivre la
route que la fortune leur offriroit , ſo 4
trouvant éloignez contre leur opinion
iu
de l'eſperance qu'ils avoient conçeuë.
Surquoy , dans une affaire ſi preffante ,
Antonin ayant eſté obligé de dire luy
meſıne ce qu'il en penſoit , fue d'avis
qu'il falloit prendre la route à main
droite , afin que par un plus long circuit,
on trouvaſt commodement des vivres 4
M1
dans un bon païs, où les Ennemis quine
s'eſtoient point écartez,n'avoient point 1
touché & n'y avoient rien gåré , & que
d'ailleurs il ſe trouveroit par là deux
places qui leur donneroient du ſecours,
Barzale , & Laudias ; qu'il s'offroit de
les y conduire , parce qu'il en ſçavoit le
chemin , & qu'il y avoir un fleuve fort
petit & fort étroit aupres de fa ſource,
n'eſtant pointencore accru par des eaux
eſtrangeres , & qu'il ſeroit facile de lę
CONSTANTIUS ET JULIEN . 429
paſſer à gai. On donna des louanges à
celuy qui avoit dit ces choſes , & il luy
fut commandéde conduire l'Armée par
les lieux qui luy eſtoient connus . Tou
tes les Troupes le ſuivirentpar le che
min qu'il s'eſtoit propoſé. Nous euf
mes avis detour cela pardes Eſpions aſ
ſcurez , ce quinous fic reſoudre de hâter
noltre chemin vers Samoſate , afin que
de- là , apres avoir traverſé le fleuve Tur
des ponts à Zeugma & à Caperlanc,nous
fuftions en eſtar derepouffer les attaques
de l'Ennemi, ſi l'occaſion s'en offroit à
propos.Mais il nous arrivaun cruel des
honneur , & qu'ilfaudroit enſevelir per
peruellement dans le filence. Car envi
ron ſept cens Cavalliers de deux Trou
pos , ayant eſté envoyez depuis peu de
l'Illyrie pour le ſecours de la Meſopota
mic ,furentdes polcrons & des lâches,
quivenant par la droite route , & crai.
gnant des embuſchesnocturnes , s'éloi
gnoientle ſoir du retranchementdes au
fres , quand il cuft eſté bien plus à pro
pos degarder toutes les avenuës. Ce qui
ayant cité obſervé , & que ceux-cy
eſtoient enſevelis dans le vin & dans le
11
ſommeil , vingt mille Perſes qui mar
choicnt ſous la conduite de Tamſapor
& de Nohodare , ayant paſſé ſans eſtre
430 AM M :IAN MAR . Liv. XYHI.
apperçeus de quique ce ſoit , s'eſtoient
cachez danslevoiſinage,derriere les Tó.
beaux élevez d'Ainide , & à la mcſine
heure , ainſi que je l'ay deſia dit , comme
nous eſtions deſia parris pour aller à Sa 11
moſare , le jour eftant à peine levé, nous 11
apperccuſmes de loin , d'un lieu haur ,
des armes qui jertoient des éclats de
13
lueur , & nous écriant que les enne.
misn'eſtoient pas loin , nousdonnaſmes
en meſme temps leſignal pour nouscan
eſtat 14
ger en battaille ., & nousmettre en 1
de combatre , ſanspenſer à la fuite , les
voyant en preſence devantnos yeux ,ny
{ansles attaquer auſſi,ayant leurcavale
rie beaucoup meilleure & plus nom

S
12
breuſe que la noſtre ; Nous crûmes que
le meilleur eltoit donc de nous tenir ſur
nos gardes , dans la crainte que chacun
de nous avoir que la mort nous eſtoit in
dubitable. Enfin , comme nous eſtions
en balance de ce que nousavions à faire;
mais pourtant reſolus à nous bien de
fendre dans la derniere extreinité, quel
ques-uns des noſtres qui s'avancerent
trop , pour s'eſtre mis avec trop de re
merité au rang des avantcoureurs , fu
rent tuez . Et comme les Troupes s'a
vançoient de part & d'autre , Antonin
quivoulutavoir la vanicé de paroiſtre
CONSTANTIUS ET IULIEN .
à la teſte des fiennes , fut reconnu d'Ur
ficin qui luy en fir des reproches , l'ap
pellant traiſtre & meſchant. Antonin
doſta la Thiare qu'il portoit ſur ſa teſte
pour marque d'honneur , & deſcendit
de cheval : & s'eftant courbé le ventre
en terre , la touchantpreſque de fon vi
ſage , il falüa Vrſicin l'appellant ſon
Maiſtre & fon Seigneur, tournant les
mains derriere ſon dos , qui eſt une
marque de ſuppliant parmy les Ally
riens, & luy dit ; Pardonnez -moy, trese
e excellent Comte , puis que c'eftla necef
fité plutot quema propre volonté ,quim'a
fait tomber dansune faute quim'eſtoitbien
connuë , maisque je n'ay pii éviter: ceux
quidemandoientma ruine ont eu beſoin du
mal-heur queie me ſuis procure moy-meſ
me, vous le ſçavez , à l'Avarice deſquels
vostre haute fortune , qui le pourroit en
vierà mes miferes, n'a pû refifter , diſant
ces paroles , il ſe retira de la preſence ,
non pas en tournant le dos , mais ſeres
cirant en arriere avec modeſtic,
the

1
44
432 AMMIAN MAR . Liv. XVII .

Les deux Troupes de la Cavallerie Ro


maine fontmiſes en déroute , de le reſtede
leurdefaite , fe ſauve à grand peinedans
la Ville d'Amide.

Out cecy s'eſtant paſſé en moins


WN demy- heure , nos Enfeignes
TOd'une
de l'arriere- garde qui eſtoient portées
fur le haut de la colinc , s'écrierent IT

qu'ils deſcouvroient une autre Troupe


de Cavallerie qui s'avançoit à grands
4 pas. Et comme il arrive d'ordinaire
dans lesmauvaiſes affaires, ne ſçachant
où aller , ou de quelque coſté tourner
face , nous voyant ſur les bras une
foule immenſe , nous nous jetrâmcs
tous ça & là en trouble où chacun
voyoit ſon camarade : Et tandis que
nous nous efforcions de nous cirer du
peril où nous allions tomber , nous
nous trouvâmes mélez indifferainment
avec l'Ennemy, qui courut avec nous,
ſi bien que n’eſtant plus touchez dude
fir de la vie , nous combatiſmes tous
de grand cæur , & nous nous trouvâ
mes repouſſez juſques ſur les rives du
Tigre , qui eſtoient eſcarpées ſur une
grande
CONSTANTIUS ET JULIEN . 433
grande hauteur d'où quelques- unsayant
eſté precipicez du haut en bas , ſe troue
verent debout ſur les armes , où le feu
.
ve eſtoit gayable , d'autres у furent
engloutis dans des precipices , où
l'eau n'avoit point de fonds : quel
ques-unsdebattoient leur vie l'épée à la
main contre les Ennemis avec divers
fuccez : quelques autres épouvantez de
leurs Eſcadrons épais, firent leurretrai
te parmy les rochers du Mont Taurus,
qui eſtoit proche. Entre leſquels noſtre
Capitaine meſme , qui fut reconnu en
touré d'un gros de combattans, s'eſtoit
Tayvé à Cheval avec le Tribun Ajadal
the & un Valet de pied . Pour moy ne
ſçachanten quel lieu j’eſtois, & me trou
vant ſeul eloignédemes compagnons,
comme le regardois de tous coſtez , &
que j'citois en peine de ce que j'avois à
faire , Verermien Officier des Archers
de la Garde , ſe preſenta devant moy
eſtant bleſsé à la cuiffe d'une Aéche 21
tachée à ſa playe ; d'où commej'eſſayois
dela retirer à la priere demon camarade,
jemetrouvay de toutes parts entouré de
Perles quimarchoient deyantmoy : & ,
quoy que je fuſſe preſque hors d'halei
ne, je tâchois neantmoins de gagner la
Ville, qui eſtoit du coſté quenous eftiás
T
434 . AMMIAN MAR . Liv. XVIII.
les plus preſlez . CetreVille eſt ſituée ſur
un coſtau où il n'y avoit pas moyen
d'aborder que parun ſeul lieu où le che
min eſt fort étroit , lequel encore eſtoit
einbarraſsé des a pierresmolieres qu'on
avoit elevées en pile les unes ſur les au
țrespour lerendre encore plus ſerré. Là,
nous trouvant meſlez avec les Perſes
qui eſſayoient avec nous de gagner le
haut, nous y demeurâmes ſans pouvoir
avancer ;mais fi preliez , que les corps
des tuez appuyez de la multitude , n'y
euſſentpû trouver de l'eſpace pour roue
ler en bas : comme il y eutdevant moy
un certain ſoldat qui avoit la teſte fen
duë d'un grand coup de fabre, qui l'a
voit ſeparée en deux parts égales, eſtant
neantinoins foûtenu de part & d'autre,
il fe.cenoit debout comine s'il eûc eſté
fiché en terre : Er bien que des darts
lancez detoutes ſortes de machines, vo
laſſent par deſſus les baſtions & les pla
tes-formes, G eſt- ce que pour eftre fort
proches des murailles , nous en eſtions
moinsdans le peril. Enfin , commeje fus
entré par une fauſſe -porte, je la trouvay
remplie de gens de i'un & de l'autre le
xe, quiy accouroient detous les lieux du
voiſinage : car il ſe trouva par hazard
que.çc jour- là , comme il ſe tenoit une
CONSTANTIUS ET JULIEN . 435
Foire en ce lieu-là, les païlans eſtoient
venus de toutes parts, ſelon leur coûtu
me. Cependant toutes choſes le con
fondoient par un bruit terrible ,en partie
par les plaintesdeceux qui avoiét perdu
leurs Amis , en partie par les gemiſſe
mensdes bleſſez , & en partic par les cris -
de ceux qui eſtoient dansle befsin , &
quine pouvoient eſtre exaucez .

XIII.

Deſcription d'Amide , qui eſt une place


bien fortifiée , & munie de toutes les cho
Ses-neceſſaires. Sapor Roy de Perſe ayant
pris quelques châteauit , & enlevé for
ce spriſonniers , en excepte avec beau
coup de clemence quelques Vierges
Chreſtiennes conſacrées particuliere -
ment au Culte divin , & ordonnequ'on
ait ſoin de les conſervet.

Onftantius eftant Cefar avoit au


Consta
tres fois balty certe petite Ville
qu'il avoit fortifiée de cours & de mu
railles, afin que ceux du païs y peuſſent
trouver un refuge aſſeuré , au mefme
temps qu'il bâtit auſli une autre pla
ce appellée Antoninopolis. Er,ayant
fait en ce lieu - là un Arſenac qu'il
ті)
436 AMMIAN MAR . Liv. XVIII.
remplit de machines propres à def
fendre une place , il mit cette Ville en
eſtat de ſe faire craindre des Ennemis , &
la fit appeller de ſon nom . Elle eſt arro
sée du cofté de.Midy par le Tigre, a qui
y fait un coude. Elle regarde vers l'O
rient les plaines de la Meſopotamie : El
le a au Septentrion 6 lc Nymphée qui
eſt ur perit fleuve, & au delà les rochers
du Mont Taurus , qui luy font de l'om
brage , & quidiviſent l’Armenie dans
les Nations qui ſont au delà du Tigre :
& du coſté queluy viennent les ſouffles
de zephyre , elle touchela Gumathene,
qui eſt une ample Region , où les terres

2
eſtant bien cultivées ont auſli beaucoup
de fecondité : Il y a un lieu celebre
par lesBains d'eau chaude, qui s'y trou
vent naturellement , appellé Abarne.
Au milieu d'Amide meſme il y a une
groſſe fontaine au deſſous de la forte
reſle , dont l'eau eſt fort bonnçà boire ;
mais quipar la chaleur qui s'en exhale
cſt auſſi quelquefois deinauvaiſe odeur.
La cinquiéme Legion Parthiquc eltaic
toujours en garniſon dans cette Place ,
pour la garder, avec une troupe de gens
dupars, qui n'eſtoit point à mépriſer.
Mais alors , à cauſe des Perſes qui s'en
approchoicnt avec une nombreuſe Ar
CONSTANTIUS ET JULIEN . 439
mée, fix Legions en deffendoient les
approches , & enfermoient les paſſages
pour deffendre cette Place fortc ; les
Magnentiens & les Decentiens ( lel
quels apres que les guerres Civiles fu
FC at paſsées , l'Empereur avoit en
voyez en Orient, comme des trompeurs -
& des gens qui aimoient le trouble , n'y
ayant rien à craindre dece coſté -là que
des guerres étrangeres ) les c Triceli
mans, & les Decimans , qui compo
foienţ la Legion fortenſe,lesSurvenans
& les Prevenans , 10:15.nomas de Legions ,
avec le Comte Ælien , leſquels nous a
volis rapporté eſtre ces Apprentifs, &
ces troupes nouvelles , qui eſtant ſorties
de Singare , ayanteſté encouragées par
le Capitainedes Gardes, dont j'ay déja :
parlé , ta illa en pieces un fi grandnom-
bre de Perſes, qui ſe trouverent affou-
pis par le ſommeil. Il y avoit auſſi la
plus grande partie des Comtes Archers,
qui eſtoient des troupes de Cavaleric ,
qu'on nommoit ainſi , ou eſtoient ad
mis à la paye tous les Barbares de con
dition libre, qui excelloient entre les
autres en experience d'armes & en for
ce. Tandis que le tourbillon de la pre
miere ardeur venoit à ſe décharger fư ='
ricuſemcat par des efforts imprevûs, le
Tiij
438 AMMIAN MA R. Liv . XVIII.
Roy de Perſe avec ſon peuple , & avec
toutes les Nations qu'il conduiſoit a
pres foy, ayant pris à droite depuis un
lieu appellé Bebaſe , ſelon l'avis qu'en 18
avoitdonné Antonin , par Horre, Me
jacarire & di Charcha , pour venir à
Amide ; quand il für proche de deux
châteaux qui eſtoient aux Romains ,
dont l'un s'appelle Rema, & l'autre Bu
- fa , ilappris par des Transfuges qu'on y
avoit renfermé dedans.comme dansdes
Places de ſeureté , force richeſſes des
à quoy l'on ajoûtoit ,
gens du païs ;
qu'outre les beauxmeubles, ils'y trou
veroit une fort belle fémine , avec une
petite fille qu'elle avoir, & que c'eſtoit
la femme d'un certain homme de Niſi
be appellé Craugaiſe , l'un des princi
paux perfònnages de ſon païs , tant à
cauſe de la Nobleſſe , que pourſa repu
tation particuliere, & pour les grands
biens qu'il avoit, L’avidité du pilliage
l'ayant donc attiré de ce coſté -là , il at
taqua furieuſement ces deux Châteaux,
d'où ceux qui eſtoient dedans, ſe trou
vant ſaiſis d'effroy par le nombre , &
par la diverſité des armes de ceux qui
leur donnoient l'aſſaut, ſe rendirent,
& dans le congé qu'ils eurent de ſe re
tirer en leurs garniſons, ils reſtituerent
CONSTANTIUS ET JULIEN 439
les clefs des portes. Mais enfin quand
les portes furent ouvertes , on en oſta
tout ce qu'on y avoitainaſsé. Les fem
mes éperduës de crainte en furent ti
rées avec les enfans, qui ſe lioient au
cou de leurs Meres, éprouvant des mi
ſeres extrémes dés leur tendre jeuneſ
fe. Et quand le Roy ſe fur infornré de
celle quieſtoit la femme de Craugaife,
& que dás la crainte où elle cftoit qu'on
ne luy fiſt quelque violence , il luy eut
permis de s'approcher de luy , & qu'il
luy eut fait dire qu'elle n'euſt poine de
peur, il l'aſſeura encore quand il la vid
avec un voile noir ſuc ſa teſte, qui luy
couvroit le viſage juſques à la bouche ,
qu'elle pouvoit eſperer que ſon hon
neſteté ſeroit conſervée toute enciere
pour ſon Mary , & qu'elle ne ſeroit
point violée . Car il avoit oüy dire que
ſon Mary l’aimoie chcrement , & crût
que par meſmemoyen il gagneroit ſon
eſprit, & ſe pourroit rendre Maiſtre de
Nilibe. Il y trouva e d'autres Vierges
conſacrées pour le Culte diyin , à la ma
niere des Chreſtiens, leſquelles ilcom
manda d'eſtre conſervées , & qu'il leur
fuſt permis de ſervir Dieu dans lcur Re
ligion , ſelon leurcoûtume, ſans qu'el
les en fuſſent empeſchécs par qui que
Í iiij .
440 AMMIANMAR . Liv . XVIH .
ce ſoit , feignant dela douceur pourun
afin que tous ceux qu'il épou
temps,
vantoit par ſa leverité & par la cruaugé ,
ſe vinffent rendre de leur bon gré à fa
diſcretion , ayant banny toute crainte ,
& s'eſtant inſtruirs par de nouveaux
cxemples, poureſtre veritablement pero .
fuadez qu'il avoit temperé la grandeur
de la fortune, par l'humanité & par..la
courtoiſie .

dos
2920

REMARQUES
S VR

LE XVIII. LIVRE D'AMMIAN .


F.

V SEBE Hypati . C'eſtoit en


l'annéede Notre- Seigneur 359 .
b Qui fera - ce,ene. Ce beau moć
de Julien ſe trouveauflirapporté par
Zonare dans ſes Annales,
b De La Grand'Bretagne. C'eſt à dire le bled
pourle vivre annuel que Julien faiſoit venir
tous les ans de l'Angleterre , ce qui coûtoit
beaucoup aux Gaulois , par les grands frais
qu'il y avoit à faire , tant pour l'efcorte des
Vaiſicaux , de pour qu'ils fullept attaquez par
Rem.furli 18. Liv,d ' Ammian . 441
les Barbares,que pour la marchandiſe. Depuis
les choſes ça lontvenues à un point qu'on n'en
tend plusdire , qu'on nous ameine du bled de la
Grand'Bretagne. Mais au contraire çerte Ife:
auroit plus grand b :ſoin qu'on luy en portaſt
de France , que la Francen'auroit befoin qu'o'n
luy en a pportaft de- là ,ny des autres Provinces :
duNort : car certes le bied d'Angleterre n'eſt
pasſi bon que celuy de France , qui eſt beau
coup plus beau & micux nourri que celuy
d'Angleterre .
d Ertelens, c'eſt ce qui traduit Caftra Hercu
lis, dont Libanius a entendu parler dans ſon :
Oraiſon . Oir dir ce qui eſt des autres villes
dans la Table qui eſt à la firi. '

III.

Videpremier Archer des Gardes ; fi c'eſt


ainſi qu'il faille tourner ex- primicerio
prot:corum , comme je n'en ay point faitdedif
ficulté Il pourroit bien eſtre auſſi que le inot
Prote.Joires eſcrit par un grand 1. figoifieroit
le nom de quelque Legion . Ce premier s'appel
loit Primicerius; & celuy d'apres portoit la qua
lité de Secundicerius.*' & ainſi les dix premiers
cſtoient diſtinguez des autres. Au reſte c'eſtoit:
l'ordre que du Primicere des Gardes ou de ceux :
qu'ils appelloient Protecteurss on eſtoit élevé à
la charge de Tribun . Ce quiſe fit en la perſon
2
nede Valentinien , lelon le témoignagemeline
denoſtre Autheurau 30. Livre. Apres la digni...
téde Protecteur & de Tribun , celle de Comte -
eut l'Intendance ſur toutes les affaires de la :
guerre dans l'Afrique .
b . En quoy il eſtoit detefté C'eſt parce qu'il ſe .
plaiſoit à la inéditance , qui nemanque jamais
T.V.:
442 Remarques
a la verité de rendre les gens odieux ; ce qui a
fait reconnoiſtre à l'un desplus beaux Elprics
de nos joursdans l'une de ſes Satyres qui ſont
tantadmirécs.

C'est un méchantmétier queceluy demédire.

Quoy que dans ce qu'on appellemédiſance ,il


ya d'ordinaire beaucoup plus de veritez que
dans les Eloges érudiez qui ſe font à la louange
des gens:
s . Qu'ilne luy parlaſt que de Gallanterie. Et
certes il faut demeurer d'accord qu'il eſt ſou
vent bien dangereux de s'entretenir de choſes
2
forç ſericoſes avec le Prince ſans luy rien dé
guiſer , parce qu'il y en a peu qui n'aiment
d'ouir des
beaucoup micux eſtre trompez , que
veritez importantes, & ſinceres ou ſans dégui
ſement. D'où il arrive que la flatterie qui of .
cupe l'attention des Grands , les éblouit , les
échauffe , & donne lieu à une infinité demaox
100
qu'engendrent la vanité & la preſomption de
pouuoir toutes choſes impunément, comme les
Diesx , pour parler au langage des Poëtes & de
noftre Autheur.
d Les Oyes ſauvages . Ce qu'il dit icy de ces
Oyes eſt unc choſe merveilleuſe , que d'autres
i neantmoins ontobſervé devant luy. Et certes il
ſe trouve quelquesfois des inſtinéts aux Ani
maux qui égalent les raiſonnemens les plus ra
finez.
I Vi

* U NeMaiſon qu'il avoit à Antioche. Les Em


pereurs qui avoient ſouventdes gaerres à
faire avec les Parthes , s'avançoient d'ordinai.
re juſques à Antioche où la beauté du ſejout
ſur le 19: Livre d " Ammián . 443
lés convioit allez de s'arreſter . Ce qui oblia
geoitles perſonnes de qualité de la Cour d'y
prendre les plus beaux logis qu'ils pouvoicat,

)
& meſmes d'y en avoir à eux , comme Libanius
l'a bien remarqaé dansſon Antiochien .

V :
*
1

ſçavoit l'une des l'autre Langue. C'eſtà di


re la Langue Latine & la Langue Greque
toutes deux vivantes, & non pasmortes, com
me ellesſont à preſent , & plus encore la Lan ,
gue Latine que la Greque , je veux dire qu'il
n'y a plusde Nation vivante qui les parle com
nic elles ſontdans les Livres.
b Zopyre. C'eſt avec beaucoup de jugement "
& d'érudition , que Monſieur Valois obſerve
que l'Autheur auroit inieux dit Demarate que
Zopyre , parce qu'en effet, dit-il , Libanius
dans ſon Oraiſon Conſulaire à Julien , l'appel
lc Antonin ſurnommé Demarate : & ' remarque
ca meſme temps l'Hiſtoire de Demarate de :
Şparthe qui ſe refugia,entre les bras du Roy :
des Perſes..comme l'eſcrit Herodote . -

V 1.

NemeſmeChançon , ou une vieille Chanoq


*UI fon , & non pas Chançon contraire ; quia
s'entend par le mot de Palinodie .
b Cene fut point avec l'aviror ny avec la corde.:
On vois bien que c'eſt là un Proverbe, qui s'ap:
plique à un autre ſens que celuy que portent :
naturellement les paroles. Peut-eſtre au licu !
de corde, faudroit-il tourner eſchif ou petite bara
quer, qui ſe conduir avec la corde , parce qu'en :
cffer c'eſt la propre ſignification du mot remnl ..
T. Vj
444 Remarques
ce qui cſt dans le texte ; mais cela eſt fort in
different, & jen'ay pas jugé à propos pour ce
la de rien changer.
( Maharbal. Cela eſt pris du 22. Livre de
Tite - Live.M. Valois . 1
d A Hiloïge cor à Singare. Il ſemble que Sex
tusRufus dans ſon AbregéHiſtorique, appelle
ce lieu - là Eleiam & non pas Helejam , comme il
ſe nomme icy. Libanius dans ſon Oraiſon K
Royale décrit l'Hiſtoire du combat nocturne
dontil eſt parlé en cet endroit , & Julien cu
fait auflimention dans la premiere Oraiſon à
Conftantius , l'un & l'autre ayantobſervé que
le fils de SaporRoy de Perſe y fut tué. Certę
bataille ſe donna l'an de Noſtrc-Scigneur
348. Philippe & Sallea eſtant Conſuls , Celon
idace dans les Faſtes. Mais Saint Hieroſme
dạns fa Chronique dit que ce ne fur que l'an
née ſuivante . Toutesfois Julien ſemble rejet
ter l'une & l'autre opinion dans la premiere 1
Qraiſon . M. Valois.

VII.
IN

Ous autres cependant, cecy donne ſujet


'N de croire qu'Ammian Marcelin eſtoit
Lors dans l'Arniée Romaine pour faire la
guerre aux Perfes, dont aufli n'y a-t'il pas
lieu d'en douter par la ſuitte..

VIII.

# Vec un collier au çok. Ce qui mar


--

Jon la couſtume & l'uſage des Barbares , &


tout des Syriens, comme parmy les Ros
fur le 18. Livra do Ammian . 445
mains c'eſtoit une eſpece de petite phiale ou
bulle , comme ils parloient anciennemene,
qu'ils pendoient au col des Enfans de libre
condition . L'hiſtoire qu'il recite en ce lieu eft
allez conſiderable pourla pitié que donncun
enfant inconnu .
b bh me s'en fallait pas beaucoup que je ne fue
pris. Ceresit que l'Hiftorien fait deluy.mel
me eſt plaiſant à lire , & fait une peinture
naïve de l'avanture qu'il de ferit.
CoMagiftrat fort avancé en áge , c'eſtoit le
Tribun Abdigide, que les Ennemis prenoient
pour Vrſiçin .
d Amude ou Amides comme il y a dans le
texte ; mais c'eſt une erreur de Copiſte , car
il faut Amude & non pas Amide , quine peut
eltre co ce quartier-là,au G Procope en ſon ſee
cond Livre appelle - t'il. Amude ce lieu -là mef
me. M.y.
Mojacarire .Ce fut par le meſme chemin que
marcha Cardarigan Capitaine des Perfes , &
par le meſme endroit qu'il paſſa pour aller au
Mont Yzale , au rapport de Theophylacte Sy
mocata,dans le 13.Chap.de fon premier Livre.
Majocavireaeſtmarqué dans la Notice de l'Em
pire,ſous la diſpolition du Duc de la Mefom
potamic.
f Ileſtoit néà Paris. Quec'eſt un graod plai
är de trouver dansun Païs éloigné quelqu'un
de la Patrie ; un Parifien s'eſtoit donc retiré
de l'obeyſſance des Romainspour aller ſervir
le Roy de Perſe , à quoy l'avoir obligé fans
doute quelque mauvaiſe action , mais quoy
qu'il en ſoit , il fit ce qu'il pût pour ſauver la
vie dans la profeſſion des Armes , & l'Hiſto
rien nous auroit fart obligé de nous en dire
encore plus de particularitez , quoy que l'une
446 Remarques
des principales eſt celle de faire connoiſtte ·
qu'il avoit du coeur & de l'eſprit , & qu'on
avoit mis bcaucoup de confiance en luy.

I X:

Ne membrane eſcrite , un morecau de par


UMA chemin écrit que l'on avoit caché au fond
d'une gaine , où tout le monde ne s'aviſeroit
pas d'aller chercherune Lettre .
bi Le vieux Roy. C'eſt ainſi', que ſur la fin
du 27 , Livre. Sapor eſt appellé vieux : & Aga
thias écrit en ſon quatriéme Livre , que Sapor I
fut couronné Roy fi -toft qu'il naquift, &
que ſon âge fui de 70 ans, & qu'en la 24 .
année de fon Regne, ayant fait un Traitcé de
Paix avec les Romains, il receur la ville de
Niſibe , que s'il eſt ainſi que ſon Regne & fa
vie commencerent en meline année , ce fut
dans l'an deNoſtre Seigneur340. Acyndinus
& Proculus eſtant Conſuls; & ſousle Conſulat
d'Euſebe & d'Hipace , il devoitia voir vinge
ans. Pourquoy donc eſt- il appellé vieux par
Ammian ? ces choſes-là font voir qu'il y a de la
faute dans l'Edition d’Agathias , puis qus
dansla bataille Singarene , de laquelle ila eſté
parlé cy- devant , le fils de Sapor fut tué com
me Libanius & lulien meſme l'ont écrit. Ce
qui donne ſujet de croire que Sapor avoit
alors trente ans cout au moins quand la batail.
le le donna. Libanius teſmoigne dans ſon
Oraiſon Royale., que Sapor avoit quarante
aos , quand Conftantin le grand mourut , fi
bien que cela eſtant, il faudroit que le Regne
de Sapor euft, commencé l'an 309. de noſtre
Salut. Toutefois Theophanes met le commen
cementde ce.Regne en la 19, anpéc de Dioclo ...
fürle 19. Livre d'Ammian . 447
tien , quieſtoit l'an 303. de Noſtre Seigneur
mais ſuivant le raiſonnement d'Agathias , il
faudroit que се fuft en l'année 312. M.V.
6.Vn Satrape.deGorduend , ou de Corduenne,
qui eſt l'une des quatre Provinces Romaines
au de-là du Tigrehe. .
d - A ſon coté gauc Le plus honnorable licu
parmy les Perles eſtoit le nilicu , oiì le Roy
avoit accouſtumć d'eſtre, comme Plutarque
le remarque au 3. Chap. du premier Livre de
ſon Sympoſe: & apres lemilieu c'eſtoit le cofté
gauche , & le coſté droit eſtoit le troiſiéme ,
apres celuy-là , le ſecond du coſté gauche , &
puis le ſecond du coſté droit , & ainſi des au
tres , comme nous l'apprenons de Xenophon ,
au huitiéme Livre dela Cyropedie . M. V.
e O Grece fabuleuſe ! Quoy qu'Ammian ſoit
Grec , il ne laille pas de reprocher franche
ment à ſon Païs.le vice dont il eſtoit accuſé ;
mais auſſi faut-il.avvüer qu'Ammian s'eſtoit, ſi
bien tranſplanté à Rome , & dans les Pays de
la Langue Latine , qu'il ne gardoit plus ny.
les Coultumes , ny, lesmeurs , ny le langage
des Grecs : & s'eſtoit fi , bien , accouſtume à
parler Latin qu'il y eſtoit tres-elegant pour
Ton temps.
f Les entrailles de bon augure. C'eſt à dire
les entrailles de l'Hoftie ou de la Victime
immolée,deſquelles ils tiroient un bon augurc ,

X
* L ſe trouve force Lions ez.Meſopotamie: Cette
digreſſion des Lions eſt curieuſe & fort
" thingle , comme ſont toutes celles que l'Au
Ieab
agr
cheur- entremclle dans ſon Hiſtoire .
b Cerare Capitaing .Ammian dit cela par iro .
348 Remarques
nie , car il ne faiſoit point du tour d'eſtar de
Sabinien dont il parle icy .
c Parmy los Sepulchres d'Edeſſe. Les com
beaux des Anciens eſtoicnt preſque tous hors
des Villes, d'où vient que les Conges qu'on fai
i foit d'entrer dans une Ville ' eſtoient de bon
augure , & ceux qu'on faiſoit d'en ſortir:
i altoiene un ligne demort.

XI.

Tlfibe. Zonare quieſt un Autheur aſſez."


* N diligent , écrit que-Nigbe fur alors
afliegée par Sapor; mais que ce Roy s'eftant
apperceu qu'il ó'y avoit rien à gagaer, levale
liege , pour aller attaquer d'autics Places , &
qu'ilprit Amide. M.V.
b Conſtance , ou bien Conftantina, ſelon le
Code Florentin : car il eſt vray que.Conftan
tine eſt une ville de la Meſopotamie dans la 26
Province d'Ordroëne aflez prés de l'Eufrate,
au deſſus de Carras, ſelon le témoignage de
Procope dans ſon ſecond Livre de la guerre
des Perſes, où il deſcrit le retour de Chofroes -
de la Ville d'Antioche poạr retourner en Pera
ſe : & Sextus Rufus parle dela bataille Con
tantinicone. Id .
c Qu'il faudroit enſevelir dans le filence. Ceux
qui aymentla gloire de leur Nation, n'en ( çana
soient rien dire de deſavantageux , ſans remac
quer ledeſplaiſir qu'ils en ont ; & ceux -là cer
tainement ſont ennemis de leur Patrie , qui
prennent à taſche de la deſhonnorer dans l'él
prit des autres Nations. Il faut avouër neant
moins avec regret que nous avons quelques
François de cette humeur , & qui ac lailleur:
pas d'en profiter.
fur le 18. Livre di Ammian . 449
Ofa la Thiare qu'il avoit ſur la teſta. Les
Perſesavoient accouſtuméde ſaliier de la for
te, ſelon le témoignage d'Heliodore, au 7 ;
Livre de Theagene. M. V.
e Tres-excellent Comte , il ſe fert du terme
d'ampliffime, qui fe pourroit auſſi tourner par
Tres-Puiffant parce qu'il eſtoit ColonelGène
ral de toute la MiliceRomaine.

XII.

Terresmolieres, c'eſt à dire propres à faire.


desmeules demoulin ,

XIII.

Viy fait un coude, il y a genou genicu .


lato Tigridis meatu ;mais noftre uſage.
nous fait dire plâcoſt coude que genou , en cet
te occaſion - là .
b Le Nymphée. C'eſt un petit fleuve de la
Sophene qui eſt un perit canton de Pays , pro
che d'Amide , comme le kelmoigne Pro
cope en ſon premier Livre des guerres de
Perfe.
c Les Triceſimans c'eſtoient ceux qui com
batoient dans la trentiéme Legion appellée.
Vilpienne, dontune vieille inſcription faitmçn
tion. Pour les Decimıns , c'eſtoient les Sol
dats de la dixiéme Legion , apelléc Fortenſe,
comme il ſe peut voir dans la Notice de l'Em
pire , laquelle eſtoit ſous le Duc de la Palc
Itine : & ' de la meſmc ces Soldats furent ap
pellez Fortenſes . Ainfi Vopiſcus dans la vie
de Probus parle des Decimans, qui eſtoient
les plus vaillants de l'Arniće , avec leſquels
cét Empereur avoit fait:ſes plus beaux exploits,
450 Remarques ſur le 19.Liv.d' Ammian
Les Survenans & les Prevenans eſtoicnt des
noins d'autres Legions. M. V.
d Charcha. Theophilacte Simnocata dans ſon
cinquiéme Livre, dit que c'eſt une ville de

>
laMeſopotamie au deſſus de Nigbe, où il y a
force fruits & beaucoup d'habitans. La Notice
de l'Empire l'apellc Charta , & dit qu'elle eſt
ſous le Duc de la Meſopotamie . Mi V.
e D'autres Vierges , Ce licu' eft remarqua
ble pour faire voir par le teſmoignage melme
d'un Payen , qu'il y avoit de ſon temps ſur
les frontieres de la Perſe , des Vierges conſa
crées à Dieu ſelon la pieté Chreſtienne , del
quelles furent reſpectées pour leur ſainteté.
45r

AMMIAN

MARCELLIN .

LIVRE X I X. *

CONSTANTIVS

ET JVLIEN .
1,

Sapor enfié de vanité pourune légere Vi


Etoire aſſiege Amide où il ſe met en
grand peril. Le fils du Roy Grumbate ,
ieune Prince fortbien fait, y eſt tué d'un
coup de Balište , auquel on fait des ob
ſeques avec unepompe Royale.

E Roy de Perſe qui futravi de


la malheureuſe captivité des
noſtres , & qui ſe promettoit
bien qu'il auroit toûjours des ſuccés
ſemblables , partit de celicu - là , & cong
(
452 AMMIAN MAR . Liv . XIX :
tinua fa route vers Amide , ou il arriva
trois jours apres. Etdés que le jour com !!
mença de paroiſtre , on vid par tour érin :
celer des Armes , & les collines & les: YM
plaines furent couvertes de Cavaliers 11
armez de toutes picces.
11
LeRoy plusgrand que tous les alittes
eſtoit à cheval à la teſte de toutes les
Troupes. Son armet qui eſtoit d'or enri ula
chide pierreries , avoit la forme d'une
teſte de Belier, & luy ſervoir de Diadé:
me : On y voyoit beaucoup demarques
detoutes les dignitez qu'il portoit, & la
ſuite qu'il y avoir de diverſes Nations,
faiſoit aſſez connoiſtre fon élevation .
1
Au reſte il paroiſfoit ſuffilamment qu'il.
tenteroit les places par capitulation, cap,
il ſe dépeſchoit d'aller ailleurs par le
conſeil d'Antonin . Mais le Ciel vou .
lant renfermer le mauvais eſtat de toutes
les affaires deRome dans le contour d'u
G

ne feule Province ; avoit permis qu'ilſe


portait de luy -meſme à tant d'excez,.
qu'il puſt croire que fi -toft que les Affie
gez l'auroient vû paroiſtre,la crainte les
feroit tous venir' ſe jetter à ſes pieds
pour luy demander quartier. Il le pre
Tentoit en perſonne à cheval devant les
Portes , avec un Eſcadron Royal à fa.
fuitc. Et , comme il s'en approchoit f:
CONSTANTIUS ET JULIEN . 453
prés par la confiance qu'il avoit en la
bonne fortune , qu'il pouvoit aiſément
eſtre reconnu , ſe trouvant attaqué entre
tous les autres par des fléches & par tou
tes ſortes detraits , à cauſe des belles ar
mes qu'il portoit, il y euft ſuccombé lans
doute , ſi la pouſicre que faiſoient les
pieds des chevaux ne l'euft caché aux
yeux deceux quitiroient ſur luy , & s'il
ne ſe fuſt retiré bien viſte pour répandre
enfuite beaucoup de fang , apres qu'une
javeline eut déchiré une partie de ſon
peftement. De- là , ſon courroux s'eſtant
allumé , comme s'il euft voulu punir des
ſacrileges quieuſſent violé un Temple ,
diſant en effet qu'ils avoient perdu le
reſpect contre le Seigneur de tant de
Roys & de tant de Nations, il fe reſolat
s
de s'en vanger , & fit de grands effort
pour ruïner entierement la Ville qui
avoit l'audace de luy reſiſter . Mais Ics
Grandsde fa ſuite, & lesprincipaux Of
ficiers de fon Armée l'ayant ſupplié de
ne ſe laifler pas emporter à la colere , &
de nequitter pas ſa glorieuſe entrepriſe ,
il s'addoucit un peci, & ſe reſolur dés le
lendemain de former la Place , & de
parler d'accommodement avec ceux qui
la défendoient . Si bien que dés que le
jour parut , Grumbate Roy des Chioni
|
(
454 AMMIAN MAR . Liv . XIX :
tes , ſe promettant de faire quelque
grand exploit , s’approcha desmurailles
avec une Troupe de Cavalerie Legere
quimarchoit à ſes coſtez .Un ſoldat fort 1
habile qui eſtoit en garde l'ayant vû ap
procher, frappa d'un coup de trait par
hazard ſon fils qui eſtoit aupres.de luyla
machine qu'il tira , pouſſa rudement le
trait contre le fils de Grumbate , qui
eſtoit un jeune hommeen la fleur de ſon
âge marchantau coſté de ſon pere. Son
corps en fut percé de part en part avec la
cuirace , & tomba de ce coup fatal celuy
quidevançoit en la taille & en la beauté
de la perſonne tous ceux de ſon âge & de
fa condition . Par la chute dece jeune
Seigneur , tous ceux de ſon païs prirent
la fuitc ; puis eſtant recournez inconti
nent ſur leurs pas, de peur que fon.corps
ne fuſtenlevé,ils donnerent l'allarmeau
Camp, & force Nations lemirent ſous
les Armes avec des clameurs diverſes , à
l'approche deſquelles, ily eur de part &
d'autre un âpre combat, & lesfeches qui
voloient en l'air tomboient du comme
la grefle , Apres un démellé furieux qui 25
dura, juſques à la fin du jour , ſur le com
mencementde la nuit,on tira parmil'ob .
ſcuritéavec bien de la peine au travers
de l'horrible tuerie , & des ruiſſeauxde
CONSTANTIUS ET JULIEN . 45
fang, le corpsde celuy quiavoit eſté li
long- temps deffendu , comme autresfois
les deux Armées qui ſe battirent avec
tantd'animoſité au Siege de Troye pour
lecorps du a favori du Prince de Thef
ſalie. Toute la Maiſon Royale fut af
fligée de cette mort & tous les
Grands en témoignerent un regree
ſenſible , auſſi.bien que le pere ; c'eſt
pourquoy on ordonna un dcüil public
pour la perte d'un jeune homme ſi re
commandable par la dignité de la nail
ſance , & par fon propre merite aufli
bien que par l'eſtime particuliere que
tout le monde faiſoit de luy. Chaque
Nation en fit les Ceremonies , ſelon les
coûtumes & Ton propre uſage. On éle
va le corps de l'illuſtre deffunt ſur une
eſpece de Tribune avec les meſmes ar
mes qu'il portoit. Dix licts de parade
eltoient autour ſoûtenant les effigies
dauitant de perſonnes, & ſi bien faites
qu'elles rellembloient parfaitement à
ceux qu'on avoir déja mis dans le tom
beau : & ,par l'eſpace de ſept jours, tous
les gens ſelon leurs chambrées, & les ef
coüades,s'employerent en feſtins,à dan
ſer & à chanter des chants lugubres pour
le jeune deſfunt : mais ſur tout les fem
mes firent de grandes lamentations de
a
486 AMMIAN MAR . "Liv . XIX .
ce que l'eſperance d'une libelle jeunes
ſe avoit elté retranchée en la premiere
fleur, qui cuft efté quelque jour une
grande gloire à la Nation , comme on
191
voit ſouventpleurer les femmes aux Fe
ites d'Adonis, qui eſt un certain ſimula.
cre desbledsmeurs, b tel que celuy que
mettent en uſage les Myſteres de la
Religion des Dieux .
20
II,

Deſcription du ſiege Amide : où les


Perſes font une violente attaque , DC
quelle les aſſiegez foûtiennent valex
"reuſement iuſques à la nuit .

Pres que le corpsdu jeune Prince


ALE eur eſté brûlé , & que fes oseurent
efté inis , dans une Vrne d'argerit , que
ſon pere ordonna d'eſtre tranſportée en
ſon païs pour la mettre en terre,la refo
lution qu'on prit dans le Conſeil, fut
qu'on ne feroit qu'un bucher de toute la
Ville alliegée, pour expicr les cendres
MIL
du detfunt : car le Roy Grumbate ne
voulut pas laiſlet ſans eftre vangée l'om
bre de ſon fils unique . Deux jours ayant
elté employez à prendre du repos , les
melmes
~
CONSTANTIUS ET JVLIEŃ . 454
meſmes qui demandoient n'agueres la
paix, envoyerent des gens pour faire le
dégaſt à la campagne , & la Ville fut
bloquée par cinq ordonnances de gens
de guerre portant des Boucliers : Et le
troiſiéme jour dés que le Soleil com
mença de paroiſtre , des Eſcadrons qui
éclatoient ſous les armes , s'épandirent
partoutoù la vuë ſe pouvoit étendre, &
chacun y occupa ſans bruit le poſte qu'il
y devoit tenir. Les Perſes tenoient les
murs de la Ville aſſiegez tout autour. La
partie qui eſtoit vers l'Orient écheut
aux Chionites , où le jeune Prince fut
tué, qui nous fut une mort ſi funeſte. b
Les Vertcs furent deftinez du coſte de
Midy : Les Albanois eurent le Septen
trion : Et les Segelées qui eſtoient les
meilleurs ſoldats de cous , furent oppo
ſez à la porte Occidentale : avec leſ
quels eſtoient les troupes des Elephans ,
leſquelles s'élevoient en formede mon
tagnes, avec leurs corps ridez , qui fai
foient horreur, & qui marchoient len
tement,eftant chargez des gens armez ,
dont il y avoit certainement ſujet de
s'étonner par la fray
eur d'un fitorcible
ſpectacle ,
ſouvent, comme nous l'avons dit fort,

Conſiderant tant de peuples amaſlez


V
A MMIAN MAR . Liv . XIX .
enſemble , recherchez depuis ſi long
temps pour l'embraſement du monde
Romain , & conjurez contre noſtre rui
re perte comme aſſeu
ne , voyant noſt
rée ,nous ne penſions plus qu'à trouver
une fin glorieuſe à notre vie, & nous la
ſouhaitions tous de la forte , puis qu'il
ne nous reſtoit plus d'eſperance. Depuis bi
donc quc le Soleil eſtoit leyć , juſques
au point qu'il ſe couche, les armées le
tenoient ſans branler ſous les armes ,
comme ſi elles euſſent eſté fixes , on n'y
i entendoit poinede bruit, ny de hanniſſe
ment de chevaux : puis on ſe retiroit
dans le meſme ordre que l'on eſtoit ve
nu : & quand on s'eſtoit un peu rafraî
chy par le repos & par le ſommeil, s'il
reſtoit quelque petite partie de la nuit,
on ſe mettoit autour des murailles au NO
bruit dos Trompettes , les ceignant d'u :
ne terrible Couronne, comme ſi toute la
Ville eult eſté ſur le pointde perir, Ec
dés que Grumbate cut à peine jetcé une
lance teinte de fang , ſelon la coûtume
de ſon pais, & pouſsé à noſtre maniere,
pour declarer la guerre , l'armée fit un
grand bruit , & fe mit ſur les murailles.
Auli-toft l'orage de la guerre lamenta
ble fit éclater få furie : les troupes vin
Efntgayement à l'aſſaut,lequel fut four
CONSTANTIUS ET JULIEN . 459
tenu avec beaucoup de vigueur : Er dás
cette premiere approche il y eut plu
fieurs teltes caſsées d'entre les Ennemis
par les maſſes de pierres que lancerent
nos c Scorpions : D'autres furent per
cez de Aéches , & d'autres fentirent les
coups des javelines qui les renverſerene
par terre. Quelques-uns le retirerent
promptement entre les leurs eſtant bien
bleffez : & iln'y eutpasmoinsde deüil
nyde morts dansla Ville, que cauſerent
les nuages épais formez en l'air par une
grefle de traits décochez des machines,
que les Perſes gagnerent en la priſe de
Singare : car les combatans ayant re
cueilly leurs forces , retournoient au
combat qu'ils avoient quitté , & tom .
boient au milieu de leur ardeur par le
renouvellement de leurs bleſſeures, co
me ils penſoient ſe deffendre , ou s'ils
tomboientd'enhaut eftantdéchirez , ils
en abbatoient d'autres au deſſous qui
eſtoient debout ,ou ils cherchoient des
gens habiles à tirer des fléches qui fuf
fent encore vivans. Ainſi les maſſacres
s'entaffant les uns ſur les autres , leſ
quels continuerent juſques à la fin du
jour, nc furentpoint arreſtez par les orn
* bres de la nuict, parce quele combat fut
opiniaftré furicufement de part & d'au
460 AMMIAN MAR. Liv. XIX . ,
tre . On fut toute la nuit ſousles armes :
& du bruit qui ſe faiſoit de tous coſtez ,
les collines retentiſſoient çà & là , par
les clameurs des noſtres, qui exaltoient
les vertus de Conftantius Cefar , qu'ils
appelloientSeigneur dumonde & Mai
tre de toutes les grandeurs de l'Univers,
& par les acclamations des Perſes qui
nommoient Sapor Saanſaan . Pyroſen,
c'eſt à dire Roy qui comande aux Rois ,
& le vainqueur des combats. Ecdevant
que la lumiere commençait à reparoî
tre , le ſignal ayant elté donné par les
clairons , les troupes de part & d'autre
s'animerent comme auparavant : D'où
vint qu'au long & au large on n'euft på
voir dans les champs & dans les vallées
que des armes étincellantes des fieres
Nations.Puis la clameur s'eſtant appai
sée, chacun ſe jettant avec furie dans le
peril , force traits furent decochez du
haut des murailles : & , comme on le
pûr juger, il n'y en eut pasun ſeul quile
für en vain parce qu'ils eſtoient pouſſez
au travers d'une foule d'hommes. Para
my tous les maux qui nous environ
noient, nousn'avions plus de ſujet d'el
perer de ſalut , comme je l'ay déja dir ;
Inais nous ſouhaicions ſeulement avec
paflion demourir avec honneur : & de
CONSTANTIUS ET JULIEN . 461
puis l'aube du jour juſques à la noire
nuict ,on combattoit avec plus de fero
cité que de prudence, quand la fin de la
bataille approchoit: car d les clameurs
de ccuix quidonnojét les allarmes croiſ
foient de plus en plus, ſi bien qu'à peine
quelqu'un pouvoit-il avoir de la joye
de quitter le combat qu'il n'euſt receu
quelque playe. Enfin la nuictmit fin à
la tuerie, & l'on ſe battit fi bien de part
& d'autre que chacun en fut content ,
l'allouviſſement des miferes fur com
plet, & apporrá une longue tréve entre
les deux partis. Et certes quand nous
cuſmes le temps de prendre un peu de
repos, un labeur continuel qui nousfut
Cauſé par l'inſomnie, acheva de conſu
mer le peu de force que nous avionsde
reſte, eftant épouvantez du ſang quia
voit eſté répandu , & de la pâleur de
ceux qui eſtoient prés d'expirer , auf
quels lc peu d'eſpace de terre que nous
avions ne fouffroit pas que nous leur
rendillions les derniers honneurs de la
ſepulture dans l'enceinte denos murail
les, qui n'eſtoit pas trop grande pour
contenir ſept Legions, avec un peuple
de l'un & de l'autre ſexe, tant des gens de
‫ ܕܐ‬Campagne qui s'y eſtoient refugiez ,
V iij
462 AMMIAN MAR . Liv. XIX ,
que des citoyens,& peu d'autres ſoldats
juſques au nombrede vingtmille. Cha
Cun penſa donc ſes playes le mieux qu'il
pût, ſelon la quantité deMedecins &
de Chirurgiens que nous pouvions a
voir; lors que quelques-uns griéve
ment bleſſezayant perdu toutleur ſang,
expiroient dans l'operation ; d'autres

23
traverſez de Aéches, eſtoient renverſez .
par terre ou repouſſez rudement venant
derendre le dernier ſoupir : à d'autres
qui eſtoient percez de tous coſtez , les
habiles Operateurs defendoientde leur
mettre aucun appareil, de peur de les
affliger inutilement d'une douleurame
re ;mais il y en eutauſſi qui endurerent
des tourmenspires que la mort, comme
dans l'incertitude de la cure qu'on en
faiſoit , on eſſayoit de tirer les Aéches,
des lieux où elles eſtoient enfoncées.
CONSTANTIUS ET FULIEN . 463

Le foin que prend Vrſicin pour donner


fecours aux afſiegez , tandis que Sabi
nien demeure inurile , comme un
mort qui habite les ſepulchres. La pe
fte affige ceux d' Amide , & peu de
jours apres elle s'éteint par des pluyes
mennes qui tombent du Ciel.

Endant le ficge d'Amide, Urlicin


Prin ding eant de ce qu'il dépendoit du
s'afflig
jugement d'un autre , donnoit ſouvent
avisà Sabinien , quiavoit la principale
authorité de l'armée , & qui eſtoit alors
attaché fort inutilement a parmyles ſee
pultures desmorts , de faire avancer tou
tes les troupes de la Cavalerie legere par
des roures cachées qui eſtoient au pied
desmontagnes, afin que par leur ſecours
(G la fortune eſtoit un peu favorable y
bayantpris quelquespoſtes avantageux
elles vinſſene attaquer la nuict des rea
doutes des Ennemis quiavoient fait une
grande circonvallation autour des mu
railles, ou que par des eſcarmouches
frequentes elles barriſſent vigoureuſe
ment ceux qui alliegeoient la place:
Mais Sabinien y reſiſtoit comme à des.
v iii
464 AMMIAN MAR. Liv . XIX .
choſes qui luy eſtoient fort préjudicia
bles, & faiſoit voir ouvertement des let
cres de l'Empereur, par leſquelles il pre
tendoit qu'ilfalloit apprendre ce qu'il
y avoit à faire , ſans employer d'autre
milice que celle qui eſtoit dans la place ?
& retenoit ſouvent caché au fond de
ſon cœur ce qui luy avoit eſté ordonné
par la Cour d'oſter toute ſorte demoyé à
celuy qui l'avoit devancé dans ſa char
ge, d'aquerir de la gloire & de meriter
de la louange, quand ce moyen - làmel
meluy cuſt dû venir du coſte de la Re
publique. Tant ilavoit depeur, & mel
meau peril de ruiner des Provinces en
tieres, qu'un fibrave homine fuſt decla
ré autheurde quelquememorable actió ,
où l'on ne vouloit pasmeſmes qu'il euſt
la moindre part , pour en recevoir un
peu d'honneur . Se trouvant donc eſton
né de toutes cesmiſeres, commeil nous
envoyoit ſouvent des Efpions ( bien
qu'il ne fuſt pas facile d'entrer dans la
place , à cauſe des Vedettes & des Sen
tinelles qui eſtoient fort ſerrées tout
autour , & qu'il agiſſoit toûjours de la
bonne ſorte pour nousaider de quelque
ſecours ; auſfi voyant qu'il n'y pro- .
fitoit de rien , il paroiſſoit comme un
Lion terrible par la grandeur de ſa taille ,
CONSTANTIUS ET JULIEN . 465
& par ſa ferocité, lequel eſtant hors du
peril,n'oſe pourtant aller dans les toi
les où ſes petits lionceaux ſont enfer
mez, parce que les ongles luy onteſté
rognez , & que ſes dents luy ont eſté
arrachées,
Mais dansla Ville , comme la niulti
tade des inorts eſtoit ſi grande qu'il n'y
avoit pasmoyen de leur rendre à tous
les devoirs de la fepulture, la peſte ſur
vint encore à tant de miſeres , laquelle
fut entretenue par la corruption des
cadavres infects rongez des vers, auſſi
bien que parles grandes chaleurs qu'il
faiſoit, & par les diverſes langueurs du
peuple . Je veux bien dire icy en peu de
paroles, d'où ces fortes de maladiesont
accoûtumé deprendre leur originc. Les
Philoſophes & les Medecins illuſtres
nous ont enſeigné que c les peſtilences
font d'ordinaire engendrées par lesex
ceſſives qualitez du froid ou du chaud ,
du ſec ou de l'humides. D'où vient que
ceux quihabitent les lieux mareſcageux
ou humides font ſujets à la toux , aix ;
maux des yeux , & à d'autres ſembla
bles : Et tout au contraire , ceux qui
demeurent en des païs chauds, ſontdeſ
feichez le plus ſouvent par l'ardeur des
--

fiévres. Mais d'autant plus que la ina ;


AMMIAN MAR . Liv.XIX .
ciere ignée a plus d'activité que toutes
les autres, aufli la feichereffe tuë-t-elle
plus promptement que les autres quali
tez. Delà vient, que comme la Grece
eut tant ſouffertde fatigues pendantune
guerre de dix années , de peur qu'il n'y
41
eût qu'un ſeul Eſtranger, qui cult por
té la peine d'avoir ſepará un mariag ?
Royal, par une tellemalignité,pluſieurs
perirent en meſme temps d par les traits
d Apollon , que l'on tient eſtre lemeſme
que le Soleil. Et, comme e Thucydide
le raporte , cette maladie qui affligea fi
fort les Atheniens au commencement.
de la guerre du Peloponeſe , vint peu

‫مدم‬
peu depuis la plage brûlante de l'Éthio ;
pie, & s'étendit juſques dans la Provin
ce de l'Affrique. D'autres ont crû,com
l'air
me il arrive le plus ſouyent, que
é
infect , & les eaux corrom pu es par la
puanteur des cadavres , ou d'autres cho
ſes ſemblables , affectent la plus grande
partie de ce qu'il y a de fain , ou que met:
tant de l'alteration dans l'air , cela au
moins engendre les légeres maladies .
Quelques -uns affirment auſſi que l'air
épaiſli par les exhalaiſons de la terre ,
1

lors qu'il empeſche lès. tranſpirations


des corps , en tuë pluſieurs . C'eſt pour
quoy lors que la contagion ſe commu .
CONSTANTIUS ET JULIEN . 467
nique le plus, les animaux quiſonttoû
jours couchez vers la terre entre les
hommes,ſelon la penſée d'Homere , &
felon l'experience de pluſieurs , en font
plütoft frappez., & en meurent le plus
ſouvent. La premiere eſpece de ce venin
peſtifere s'appelle Pandeme; qui fait :
queceux quihabitent dans des lieux ari
des , ſont tourmentez de chaleurs fre
quentes. La ſeconde eſpece s'appelle
Epideme , qui trouble la vuë en certain
temps, & émeut des humeurs dangereu
ſes. La troiſiéme eſpece s'appelle Lamo-
des, qui eſt momentanée , & qui tuë en
fort peu de temps. De pluſieurs qui fus
rent frappez de cette peſte mortelle , peu
cſtát decedez ,par la chaleur intemperés
qu'il fit, enfin -la nuit qui ſuivit le dixiée,
mejour,depetites pluyes qui vinrent à
tomber, ayant amolly le temps & remis :
les eſprits en liberté , qui s'eſtoicnt
épaiſſis par la cauſe de lamaladie , la ſana
té fur rétablie dans les corps où elles
wyoit eſté alterée.

Yvi
468 AMMIAN MAR . LIV, XIX .

IV .

La Ville eft entourée de parapets faits


avec des faſcines : e par le ſecours
d'un citoyen transfuge , les Perfes oc
cupent une haute Tour, d'où ils ſement
des traits allumez ſur les afſiegez , hon
les incommodent en diverſes manieres :
puis ayant pris un château appellé Zia
te, ils exercent leur colere par pluſieurs
miliers de Captifs.

Ependant le Perle qui ne pouvoir


C Cel
E emedier en repos fit entourer la
Ville de gabions façonnez avec des fal
cines liées d'ozier, 11 éleva un rampart
totīt autour avec des Tours fort hautes
revêruës par devantdebarres de fer , au
deſſusdeſquelles ilmit des machines de
guerre pour abbatre des murailles , &
pour en chaſſer ceux qui les deffendoiér.
Toutesfois lespetits combats comence
sent par les Frondeurs & par lesArchers,
quine ceſſoient point de ruer des pier
rcs, & de tirer des traits . Nous avions
avec nous les deux Legions deMagnen .
ce qu'on avoir fait venir des Gaules de
puis peu , comme nous l'avons déja dit ,
toutes deux de genis de coeur, fort próprs
CONSTANTIUS ET JULIEN . 469
& bien aguerris ;mais pour le métier
que nous avions à faire eſtant renfermez
dans une place, où il ſe falloit deffendre
d'une autre maniere , ils eſtoient non
ſeulement mal- adroits;mais ils n'y ap
portoient que du crouble , parce qu'en
effet ils ne s'entendoient,nià faire jouer
lesmachines ,ni à s'employer dans les
travaux qui ſe font dans les places affic
gées. Ils eftoient bien toûjours preſts à
faire des ſorties , & coinbattoient avec
affeurance ; mais certainement c'eſtoit
avec peu d'induſtrie , & ils s'en retour
noient toujours en petit nombre , ne
rendant pas plus de ſervice que feroit
un feul homme à porter de l'eau pour
éteindre un embraſement public. Enfin
portesleur eftantfermées par l'ordre
des Tribunsdela guerre , commeils ne
pouvoient ſortir , ils en enrageoient
commedesbeſtes ſauvages. Mais quel
ques jours apres , leur valeur diminua
beaucoup, comme nous le dirons en ſui
te. En un lieu un pelt reculé de la mu
raille du coſte de Midy , qui regarde le
Tigre, il y avoit une Tour fort elevée,
fous laquelle des roches eſcarpées s'en
tr'ouvroient en ſorte qu'il euſt efté male
aisé de yoir de là fanss'étourdir les pre
cipices qui eſtoient au deſſous : D'où ,
470 : AMMIAN MAR . Liv . XIX.
par des voûtes ſouterraines il y avoit 09
desdegrez du pied de la montagne qui
menoient juſques dans la Ville, & par là
meſme on venoit querir de l'eau à la ri
viere fanseſtre appefceu , comme nous
l'avons yeu dans toutes les places qui
font ſituées ſur le bord des fleuves par
des routes ingeniculement prariquées .
Or par celles-cy qu’on avoitnegligées,
à cauſe des ruptures qu'il y avoit en
quelques endroits , ſous la guide d'un :
certain Transfuge, quis'eſtoit jerté dans
l'autre party , ſoixante & dix.Archers.de.
l'armée Royale des Perſes, gens demain
& debeaucoup d'induſtrie, en quil'on ſe
pouvoit fier , {e coulerent par là lans.

‫۔ص‬
bruit pendant la nuit, & monterentjul
ques.au troiſiéme eſtage de la Tour. Et Sa
là , s'eſtanr cachez , ils attendirent lema:
tin : Etdés qu'il fut jour ayantelevé un
hocqueton d'écarlate , qui eſtoit un fi
għal qu'il eſtoit temps de donner l'al
laut, ils ne l'eurent pas plûtoft appercelli
que de toutes parts . la Ville fut en
tourée de leurstroupes : & apres qu'ils.
eurent vuidé leurs trouſſes qu'ilsmirent
à leurs pieds., ils éleverent de grands .
cris pour donner l'alarme , & femerent.
des fléches de toutes parts avec uncad
disffemerveilleuſe . Aufli -toft.cous les
CONSTANTIUS ET JULIEN , 471
corps d'armée s'eſtant épaiſlis, donne
entencore avec plusde furie qu'ils n'a
voient fait dans la premiere attaque.
Quant à nous , comme nous eſtions in
fi nous
Certains de quel coſté tourner ,
devions nous oppoſer à ceux qui eſtoiés
en haut,ou bien à la multitude quieſtanc
montée par les degrez cachez , ſe ren
doitmaiſtrelle de nos baſtions, nos em
plois furent fort diviſez . Nous tranſpor:
tâmes cinq de nos plus legeres machines
pour braquer contre la tour. Elles poul
ſoient des javelots de bois d'une grande
viſteſſe , leſquels pouvoient tuer deux
des Ennemis à la fois : Et certes lesuns .
qui en eſtoient grićvementbleſſez tom
boient par terre : d'autres effrayez du :
feulbruit desmachines, s'en trouvoient
attrapez , & leurs corps en eſtoient mis
en pieces, quand ils penſoient fuir. Ces .
choſes s'eſtanç expediées promptement,
& les machines ayant eſté remiſes en
leurs places accoûtumées , les murailles
ſe deffendirentavec un peu plusde ſeus
reté. Et dautant que le crime abomi
nable du Transfuge avoit augmenté les
Coins & les peines denos ſoldats , on cuſt :
dit que les tireurs qui décochoient tou .
tes ſortes de traits d'un bras robuſte ,
de telle :
cuffent couru dans un lieu uny...
472 AMMIAN MAR: Liv . XIX .
forte que les reſtes qui eſtoient du coſté
de Midy , eitantmis horsde combat par
les furieuſes blefleures qu'ils avoientre
ceuës, & par le failiffeinentde la mort
de leurs compagnons , fe retiroient de
crainte dans leurs tentes . La fortune
nous donna donc quelque eſperance de
ſalut ce jour- là par la perte que firent
les Ennemis quinoustenoient afficgez :
& le reſte de ce meſme jour nous ayant
eſté accordé pour nous rafraîchir , &
pourprendreun peu de repos, dés le len
demain defort grandmatin,nous viſmes
du haut de la fortereſſe un peuple in
nombrable, qui s'eſtoit refugié dans le
château de Ziare , commedans une pla
ceforte, qui avoic dix ftades de circuit;
mais ayant eſté pris de vive force , ce
peuple eſtoit emmené caprif. fl y eut
auſſi bien d autres lieux fortifiez qui fu
tent pris & brûlez en ce meſme temps
là, d'où pluſieursmilliers d'hommes fu
renttirez pour eſtre mis dansla ſervitu
de : Et des femmes déja avancées en
aage, eſtant infirmes pour des cauſes di
verſes, & ne pouvant ſupporter la fati
gue nila longueur du chemin , n'ayant
plusauſſi de loucy de la vie, on lcurcour
poit les grasde la jambe ou les jarrets ,
& on les abandonnoit en cét cſtar .
CONSTANTIUSET JULIEN . 473

V.

Des ſoldats Gauloisenfermez dans la pla


ce,demandentla permiſſion de faire une
Sortie ſur les ennemis , l'ayant ob
tenuë dans l'impatience qu'ils ont de ſi
gnaler la valcur naturelle à ceux de
leur Nation , ils entrent dans le Camp
des Perſes, composé de centmille home
mes,où leur Roy est en perſonne , đen
tuent pluſieurs qu'ils trouvent endor
mis: logo apres avoir perdu quarre cent
hommes dansune ſi memorable expedi
tion, ils s'en retournent pleinsde gloi
re dans Amide : Et quelque temps a
pres, pour honorer leur memoire, Con
ftantius fait dreſſer des ſtatuës armées
en leur honneur.

Es foldats a Gaulois voyant ces mni


Lesab s troupes , demandoientbien
ſerable
par une émotion raiſonnable ,mais hors
deſaiſon ,qu'illeurfuſt permisd'en venir
aux mains avec les Perſes , menaçant
meſmede tuer les Tribuns & les grands
Officiers s'ils ne leur donnoient
congé de faire une fortie . Etcommedes
beltes farouches dans des cages aigui
ſent leurs dentsde rage, & ſe les froil
474 AMMIAN MAR . Liv . XIX .
fent ſouvent contre les barreaux quiles
renferment,dans l'eſperance continuel
le qu'elles ont de ſortir ; ils donnoient
ainli de leurs cpées dans les portes qu
eſtoient fermées , comme nous l'avons
dit cy- devant, eſtant tout à fait inquie M
tez dansla crainte qu'ils avoient de pe
sir miſerablement ſans ſe ſignaler par
quelque noble action , lí la Ville venoit
à etre priſe , ou qu'eſtant hors deperil ,
ils n'euffentrien fait de memorable qui
• fuſt digne de lamagnanimité Gauloiſe;
bien qu'ayant fait plufieurs ſorties du
commencement , & que s'eſtant effore
cez d'empeſcher l'ouvrage de ceux qui
élevoient un rampart autour de la Vil
le , ils en euſſent tué quelques-uns, &
euſſent ſouffert beaucoup de pertes dc
leur coſté.
Enfin nous trouvant dépourveus de
conſeil, & ne ſçachant ce que nous
devions oppoſer à la furic de ceux qui
nous preſſoient ſi vivement; nous nous
arretâmes à l'offre des Gaulois, & nous
fulmesd'avis, quedeleur propre conſen
tement, puis qu'ils ne pouvoient ſouf
frir dedemeurer davantage les bras croi:
(ez , apres un peu de patience il leur
fero it permis d'aller attaquer la garde
avancée des Ennemis , laquelle n'eſtoit.
CONSTANTIUS ET JULIEN . 475
pasfort éloignée de la portée des darts ,
afin que l'ayant rompue, il fuſt plus fa
cile d'avancer leur entrepriſe : car il pa
roiſtoit clairement que s'ils obtenoient
ce qu'ils demandoient, ils répandroient
bien du lang. Pendant tous ces prepara
tifs , nos murailles ſe deffendoient par
diverſes fortes de combats ; mais non
pasſansbeaucoup de travaux , de veil
lan
les & de machines de guerre pour
cer de tous coſtez des cailloux & des
darts . Il y eut toutesfois deux terraſſes
anterie des
qui furent elevées par l'inf
Perſes,pourbattre la Ville & l'emporter
par là devive force ;mais le labeur eſtoit
un peu lent. Et contre cela meſme, les
noſtres dreſſerent des plates- formes
hautes avec un ſoin laborieux , leſquel
les pouvoient foûtenir des fardeaux
tres-pefans. En ces entrefaites, lesGau .
lois qui ne ſçauroient temporiſer fi
Jong-temps , eſtant armez de haches &
de labres, fortirent parune fauſſe- porte
pendant une nuit tres-obſcure , ayant
meſme obſervé qu'il n'y euſt point de
Lunc, apres avoir fait leur priere au Ciel
pour l'avoir favorable & propice . Et
retenantmeſme leur haleine , quand ils.
fc furent rendus promptement au lieu
où ils vouloient aller,apres qu'ils eurent
476 AMMIAN MAR. Liv . XIX .
tué quelques gens qui eſtoient en fa
ction , ils ſe propoſerent de paſſer au
fil de l'épée quelques Sentinelles avan
cées qui eſtoient en vedete hors dir
Camp, cominc dansle ſujet d'une crain
te pareille, il ne falloit pas croire qu'ils
en pouſſent égorger d'endormies : aulli
voulurent- ils menager les choſes de
telle forte , que perſonne n'en puſt
donner l'allarme au quartier du Roy ,
fi l'entrepriſe reüſilloit. Mais le
bruit s'étant fait entendre de * ceux qui
ſe jetterent avec tant d'ardeur à une
expedition ſi perileuſe , & de ceux qui
eſtoient bleſſeż , le ſommeil ayant eſté
troublé , & pluſieurs s'eſtant reveillez ,
chacun s'écria tant qu'il pût aux armes,
& nos Soldats ſe tinrent ferme fans
branler sny fans ozer avancer d'un
pas : car certaineinent , il n'euſt pas
cfté feur , d'aller à deſcouvert à des
gens quiavoient eſté reveillez par ſur
priſe , parce que deſia de routes parts
les trouppes des Perſes s'eſtoient miſes
de bout , & s'animoient au combat.
D'autre coſté les Gaulois qui ſe te
noient inébranlables autant qu'il leur
eſtoit pollable par leur audace , & par
leur force naturelle , taillant en pieces
leur- adverſaires , quoy qu'une partic
CONSTANTIVS. ET JULIEN . 477
d'entre eux euft eſté terracée ou percée
des fléches quivoloient de toutes parts,
s'eſtant apperceus que tout le fort du
peril s'eſtoit reduir en un ſeul endroit ,
& que les Trouppes ennemies y accou
roient en foule , pas un ſeul toutefois ,
ne ſemettoir en eſtat de tourner le dos :
& comme ſi tous ſe fuſſent retirez par
complot , ils furent inſenſiblement
chaftez du rampart, ne pouvant plus
Couſtenir les Pelotons qui ſe ſuivoient
les uns les autres pour les opprimer, &
combatirent valeurcuſement en retrai
te, au bruit des Trompettes qui ſon
noient dans le Camp, & de pluſieurs
elairons qui retentiſſoient dans la ville ,
dont les portes cftoicnt ouvertes pour
les recevoir, s'ils l'cuſſent pû retourner.
Cependant les Machines guerrieres fre
miſſoient inceſſamment , fans lancer des
traits , afin que ceux qui eſtoient tout
contre en faction , ſe trouvaffent au
moins occupez à faire quelque choſe ,
fans ſçavoir que leurs compagnons
euſſent eſté taez pour eftre mis en lcurs
places ſur lesmurailles pour les defen
dre à leur tour ſans avoir encore eſté
bleffcz . Avec cette invention , lesGali
lois rentrerent ſur le point du jour par
la porte quileur futtenue ouverte;mais
478 AMMIANMAR . Liv. XIX .
Bon pas ſans que leur nombre euft eſte
diminué , quelques-uns fort bleſſez , &
d'autres qui l'eſtoient legerement, apres
qu'il s'y en fût trouvé quatre centádi
re de cette nuit-là : Ils n'euflent pas cué
à la verité ny Rheſus , 6 ny les Thra
ces endormis aupres des murs de Troye;
mais le Roy de Perſe dans ſes propres
Tentes , accompagné de cent mille
hommes, ſi un plusviolentaccident no
s'y fuft oppoſé. L'Empereur fit tranſpor
ter à Edeſſe dans une Province cele
• bre , les Staruësarmées de ces gens- là,
en memoire de leur exploict genereux,
apres que la Villefut prile , où elles ſe
voyent encore aujourd'huy . Ce quifuc
exccuté par les Principaux Officiers
de l'Armée, VI.

Deüil dans le Camp des Perſes , pour la


mort de quelques Satrapes Grandsde
la Cour; & enſuitede trois jours de tré
vit , ceux d'Amide font fort preſſez de
puis le marin iuſques an foir ; mais les
Perſes ayant eſté repouſſez ce jour-làs
recommencent lendemain le combat
plus furieux qu'auparavant.

E jour ſuivant on reconnut dansle


Campdes Perſes , coux qui avoient
CONSTANTIVS ET JVLIEN . 479
cſté tuez parmy leſquels ſe trouverent
des Grands & des Satrapes. Puis des
clameurs diverſes où ſe meflerent forcs
larmes, ayant fait connoiſtre qu'il s'é
toit paſſé ailleurs d'autres coups de la
fortune, on n'entendit par tour que des
cris de deüil , & des lamentations de
Roys , qui crûrent que les Romains
eſtoient fortis des corps-de-Garde avan
cez aupres des murailles de la Ville .
Etapres que d'un conſentement com
mun ont eut accordé une treve de trois
jours, nous cuſmes quelque loiſir de
reſpirer ; mais enfin les Nations alliées
des Perſes, s'eſtant étonnées d'une nou
Veauté fi extraordinaire , s'en mirent
dans une colere furieuſe , elles ne ſon
gerent plus qu'à ſe vanger , & fansdi
ferer davantage dans l'ardeur extréme
qui les tranſportoit , toutes ſouhaite
rentde mourir glorieuſement,ou d'im
moler bien - toft à leur animoſité par la
raïne de la Ville , tous ceux qui eſtoient
renfermez dedans pour la defenſe. Del
ja toutes choſes eltoient preſtes pour
le combat, & chacun s'y diſpoſoit avec
allegreffe , quand on commença d'ap
le
procher de la muraille , avant que
Soleil fuftlevé, divers travaux, avec des
Tours ferrées,ſur le haut deſquelles il y
480 AMMIAN MAR. Liv . XIX .
avoit des Machines de guerre quibat
coient de haut en bas ceux quideffen
doient la place. Etcommele journe fai
ſoit encore que de blanchir , les payois 12
de fer couvrirent le Ciel à chacun de
ceux qui les portoient, & les bataillons
reflerrez fans confuſió au fon des Trom
pettes qui ſonnoient ſur le ton grello ,
les ſoldats fe mirent à couvert Tous le
toict des machines où il у avoir des
clayes d'ozier. Quand ils furent venus
à la portée du trait, l'infanterie des Per
ſes ſe couvritde ſes boucliers pour pa
rer aux coups de fléches qui eſtoient
décochées par lesmachines de deſſusles
murailles : mais , quoy qu'elle puſt faire ,
il n'y en eut gueres qui portalt en vain ,
& meſmes leurs Gens- d'armesarmez de
toutes pieces, s'en trouverent étonnez .
Ce qui accrut le courage des noſtres .
Toutesfois , parce que les machinesde
nos Ennemis propres à lancer des pier
res , eſtoient miſes ſur les tours fer
rées , leſquelles faiſoient une rude
batterie de haut en bas i comme le
lieu eſtoit inégal , auſli par un contrai
re evenement nous firent-ils paroître.
couverts de beaucoup de ſang, quand
les deux partis vinrent à ſe repoſerſur le
Loir, & qu'une grande partie de la nuit
fur
CONSTANTIUS ET JULIEN . 481
furemployée, à nous faire ſentir les per
tes & les dommages que nous en avions
receus,plus conſiderables.cerit fois qu'ő
neſçauroit ſe l'imaginer . Enfin , parmy
beaucoup de penſées, qui nous vinrent
en l'eſprit, nous priſmes ce conſeil quc
le plůtoſt que nous pourrions oppoſer
nos Scorpions aux machines de guerre
denos Ennemis , par leſquelles ils lan
çoientſur nous une foule de pierres & de
darts, ce ſeroit lemeilleur. Comme nous
les tranſportions donc du lieu où ils
eſtoient
» pour les mettre où nous les
avions deſtinez , ce qui eſtoit fortdiffi
cile , le jour qui nous fut tres-funeſte
commença de paroiſtre , lequel nous fit
voir les Eſcadrons formidablesdes Peris
ſes ,avec leurs troupes où eſtoient leurs
Elephans ,dont le ſeul fremiſſement &
la taille épaiſle donnoient certainement
de la frayeur. Commedonc nous fuf
imes attaquez detous coſtez par les are
mes, par les travaux, & par les terribles
maſſes des beftes ſauvages, les frondes
de fer de nos Scorpions lancerent du
haur denos baſtions des pierres rondes,
qui renverſerent leurs tours de charpen
te avec les machines qu'elles ſoûte -
poient, & ceux qui les faiſoient joüer ,
dont quelques-uns, outre les bleſſeures
482 AMMIAN MAR . Liv. XIX ,
qu'ils avoient receuës , furent accablez
fous les ruines de leurs travaux . Leurs
Elephans furent repouſſez avec beau
coup de violence, & les feux qui furent
lancez fur eux , comme ils eſtoient em
barraſſez de leurs harnois , les firent re
culer en arriere, ſans qu'il fuſt pollible à
leurs Maiſtres de les retenir, Et quand
tous les travaux furent brûlez , on n'en
dóna pas plus de relâchciaux cõbats .Car
le Roy de Perſe meſme , qui n'a jamais
accoûtumé de ſe trouver en perſonne
au Champ de bataille , fut tellement
touché despertes qu'il fiten cette occa
fion , qu'il y fut dans la mêlée comme
un ſimple Cavalier : & parce qu'il pa
toiſſoit de loin plus remarquable que
les autres , qui ſe couvroient de leurs
boucliers , il fut aufli affailly de plusde
traits , quituerent force gens autour de
lay ; c'eſt pourquoy il ſe retira ; chan
1

geant le commandement de ſes troupes :


& juſques à la fin de la journée , ſans
eſtre épouvanté de la multitude des
norts ni des bleſſez , enfin il ſe permit
de prendre un peu de repos. Cependant
la nuit qui ſepare toutes ſortes decon
de
bats , fit prendre un ſommeil de peu
durée dans un loiſir fort ſerré. Mais dés
que le jour cominença de paroiſtre , la
CONSTANTIUS ET IULIEN . 483
colere & ledépit ſe renouvellant en ſon
caur, pour l'animer à pourſuivre ſa
conqueſte par cous les efforts qui luy ſe
roient poſſibles , ſans ſe mettre aucun
reſpect devant les yeux , il y émûrtout
t'es ſes Nations dans de pareils reſſenti
mens. Quand donc tous ſes travaux eu
Tent eſté brûlez , comme nous l'avons
déja dit, ayant commencé l'attaque par
ſes hautes plattes-formes , qu'il avoit
dreſſées contre nos murailles, de ce que
les noſtres avoient auſſi pû amaſſer en
ſemble par dedans,ils y reſiſterent long .
tempsavec des forces égales. Le com
baifut ſanglant, ſans quela crainte de
• lamort, de quelque coſtó que ce fuít, en
fiſtretirer un fent, tant le delir de com
batre eſtoit vehement. Et certes, il fut
ſibien diſputé de part & d'autre , qu'il
cufteftémal-aisé de dire quelque temps,
qui en euft dû remporter l'avantage ;
inaisenfin , lamaſſe ayant eſtéagitée par
diversefforts , s'ébranla de noſtre coſté ,
& tomba en ruine comme ſi un tremble
iment de terre s'y fuſt meſlé. Noſtre ter
raffe s'éboulla & applanit l'eſpace.com
melil'on y euft voulu dreſſer une roure ,
ou que l'on euſtmis un pont par dellus.
Si bien que le boulevart qui eſtoit elevé
entre le mur , & la platte-forme qu'on
Xij
)
484 AMMIAN MAR . Liv . XIX .
avoit faire par dehors fut abbatu , & for
une bréche pour donner paffage aux MO
Ennemis , fans que rien puſt empeſcher
leur itnpetuoſité : & une bonne partie
des ſoldats qui furent renverſez en meſ
me temps, fut étouffée, ou miſe entiere.
ment hors de combat. On accourut
ncantmoins de toutes parts , où le bruit
s'eſtoit fait entendre d'une cheute fiter
rible, & où le peril eſtoit le plus grand.
Mais on s'empeſchoit les uns les autres
par la precipitation : & l'audacedes En
nemis croidoit par leur proſperité.

VII.

Enfin Amide eft priſe , d'où fort peu fo


Sauvent , entre leſquels ſe trouve Am
mian. Marcellin , qui ſe retirent apres
beaucoup de peine en un lieu deſeureté.
Sapor ayant fait perdre le Comte Æ .
lien , quelques Tribuns Romains,
paſſa encore au fil de l'épée tous les ha
bitans quiestoient au delà du Tygre.

E Roy mit la Ville au pillage : &


comme tous ſes ſoldats l'épée à la
Lcom
main répandoient le fang de toutes
parts , les foffcz furent remplis de corps
morts ; c'eſt pourquoy le chemin s'ou
CONSTANTIUS ET JULIEN . 489
vrit plus commodément pour cntrer
dansla Ville , qui eſtanť remplie d'une
foule d'Ennemis où ils s'eſtoient jettez
avec furie, commeiln'y eut plusd'cfpe
rance de fe deffendre ny de fuir, on y
tuoit comme desbeſtes ceux qui eſtoient
armez , & les pauvres habitans qui ne
s'eſtoient pas armez , fansdiſtinction de
ſexe , ny
de qualité. Mais ſur le point
quela nuit approchoir, tandis quebeau
coup desnoſtresdans le déplorable eſtat
où nous eſtionsparnoſtre mauvaiſe for
tune, s'eſtoient encore ralliez pour elor
ſayer de faire quelque effort, in’eſtant
caché avec deux autres dans un coin de
la place, connu de fort peu de perſonnes,
à la faveur de la nuit qui eſtoit fort ob
fcure , jeme ſauvay par une fauffe porte,
vers laquelle on ne prenoit point garde:
& par la connoiſſance que j'avois des
lieux pleins de fange & d'ordure , & par:
le ſecours que j'eus dela
demes compagnons, je me rendis avec
cux à dix mille delà : O nous cftant un
peu rafraîchis , comme nous nous hâ
li
tionsd'aller plus loin , & ne pouvant
bien marcher quemes camarades,parce
qu'eſtant né de condition libre , je n'ê
tois accoûtumé à un exercice firu
pas
de,je fis rencontre d'une choſe horri,
X.iij.
486 AMMIAN MARi Liv . XIX :
ble à voir ;mais qui, dans la fatigue où
j'eſtois ,me fut un ſoulagementmerveil
leux, & quime vint le plus à propos du
monde. Un valet d'écurie eſtoit ſur un
cheval fanis ſelle & fansbride, qui pre
noit la fuite : & de peur que ce valerne
puſt tomber,une desreſnes avec laquel
le il eſtoit mené, ſe trouva ſerrée , Gi fort
autour de la main gauche , que s'eſtant
fe
croisée commeun neud qui ne pou
voit rompre , ce peuvre garçon ſe trou
va dechiré par les cailloux & les buil
-

fons où il fut traîné : Enfin le cheval


s'eſtant fatigué par la courſe , cſtoit ar
reſté par le poids du cadavre qu'ilpor
toir . ſervis du dos de ce cheval
Je me
que l'occaſion m'offroit fi à propos, &
je me rendis avec mes camarades , mais
non pas laus beaucoup de peine , aux
-

fontaines d'eau chaude',leſquelles ſont


fulphurées.Et parce que nousmourions
de ſoif, à cauſe de la chaleur qu'il fai
ſoit , & que nous avions beaucoup tra
vaillé , comme nous euſmes cher
ché long-temps de l'eau pour boire ,
nous viſmes bien un puy profond ;mais
nous n'y pûmes faire deſcendre quoy
que ce ſoit pour la hauteur, & nousn'a
vions point de cordes pour en puiſer .
Toutesfois la necellité nous fournit une
CONSTANTIUS ET JULIEN . 487
invention pour y atteindre : a nous dé
chirâmes le linge que nous avions ſur •
te corps, pour en faire une corde, l'ayát
mis en pieces de longueur ; puis ayant
attaché au bout b un bonnet de laine ,
qu'un de nos compagnons portoit ſous
ſon armer, nous le deſcendîmes en bas ,
pour le tremperdans l'eau ,nous en tira
mes ſuffiſamment à diverſes fois pour
uousdeſ-alterer, le preſſantſur nosbou
ches commeun torchon mouillé , d'où
l'eau diſtilloir. Delà , nous filmes dili
gence pour nous rendre aux rives de
' Eufrate , & traverſer ce fleuve dans
quelque batteau , commeil s'y en trou
voit d'ordinaire pour le paſſage deshó
mes & des beſtes d'attirail. Mais voicy.
que nousaperceûmes de loin une troupe
de Cavalerie Romaine avec ſes Corner
tes, qu'une multitude de Perſes ferrois
de prés, ſans que nous puſſions deviner
d'où cela venoit , ny d'où les uns & les
autres eſtoient partis . Nous ne ſçavions
pas d'où venoientces enfans de la terre
quicouroientavec tant d'empreſfemér :
Ec parce que noſtre vuë en fur toute
ſurpriſe les voyant paroiſtre en un in
ftant, nous euſſions pû les comparer à
Ces ſoldats de Sparte , que la fabuleuſe
antiquité fit naître en un moment de la
X iiij
488 AMMIAN MAR . Liv . XIX .
2
terre, où l'on avoit ſemé des dents defer
pent. Nous trouvant émus d'une ren
contre li fort inopinée , comme il ne
nous reſtoit plus rien que la diligence
pour nous ſauver dansune ſi grande ex
tremité , nous cherchâmes lesmonta
gnesles plus hautes , & les bois les plus
épais pour nous cacher , d'où nous paf
sâmes à Melitine, qui eſt une ville de la
petite Armenie , & là , nous trouyâmes
un Capitaine quinous fit prendre la rou
te d'Antioche, & nous reviſies ce lieu
là. Cependant parce que Sapor & les
Perſes fe voyoient empeſchez de s'en
gager plus avant dans le païs,à cauſe de
l'Automne qui eſtoitdejà fort avancée,
& que la conſtellation pluvieuſe des
chevreaux commençoir à fe lever ſur
l'orizon , ils penſoient à ſe retirer chez
eux avec leurs captifs , & tout le butin
dont ils s'eſtoient enrichis. Toutesfois.
parmybeaucoup de funerailles & de ra
vages qui ſe firent dans la Ville conqui
fe, le Comte Ælien & les Tribuns par le
Coin & la vigilance deſquels nos murail
les furent li long-temps defenduës, &
tant de Perſes furent taillez en pieces,
ayant eſté attachez à des gibets c Jaco
bus & Cælius Commiſſaires des guerres .
fous l'authoricé du d Colonel de la Cas
CONSTANTIUS ET JULIEN . 489
valerie , & les autres officiers de l'ar
mée furent eminenez les mains liées:
derriere le dos, apres qu'on cur égorgé
au delà du Tigre tous ceux qui s'y trou
verentgrands & petits ſans aucune di
& inction , dont il ſe fit uneperquiſition
tres- exacte: VIII:

La femmedeCrauguaïſe perſonnedequali
těrevient captive,& fait venir ſon mary
qui étoità Niſibeavec le Prefet Romain.
Iluſe de fineſſe pour ſe défaire deluy , to
fe iette dans l'Armée au ſujet de la fem .
me,laquellé ayant recouvrée , il ſe trouve
élevéà de nouveaux honneurs parSapors
quiavoit perdi trente mille hommes as
Siege d' Amide.
Vant à la femme de Crauguaïſe ,
Qui elle füſt- honnorée comme une
Dame illuſtre qui: conſerva ſa pudeus
ſans eſtre violéc, & s'affligea cependant
d'aller voir un autre monde ſans eſtre :
à la compagnie de ſon mary , bien que
par la maniere qu'elle avoit eſté traitée,
iuſques-là , elle euft ſujer d'eſperer as
quelque choſe de plus grand. Songeant :
à l'eſtat de ſes affaires , & regardant de :
loin aux choſes qui luy pouvoient ara
river , elle ſe geſnoit l'eſprir d'une doua -
ble inquietude , nç deteſtant pasmoins ;
XY
AMMIAN MAR . Liv. XIX :
490
l'eſtat de ſon naufrage que la penſéede
ſe remarier.
Elle enyoya donc un ſerviteur fidelle ,
qui ſçavoir le Païs de toute la Melo
potamie , & luy ordonna de paſſer par
W le mont d'Yzale , entre deux Cha
fteaux appellezc Maride & Lorne, pour
ſe rendre à Nilibe , ſans qu'on s'en puſt
appercevoir , & que là , il donnaît avis
à ſon mary de l'eſtat où elle eſtoit, &
qu'elle le convioit de la venir trouver
vivre heureux le reſte de ſes jours ,
pour
aupres d'elle. Le ſerviteurfidelle , ayant
cíté depeſché de la forte, prit des che
mins detournez par des lieux couverts .
& Colitaires , & ſe rendit promptement
à Nilbe , dit que n'ayant jamais pû
voir fa Maiſtreſſe , & qu'ayant peut
eſtre eſté tuée , on l'avoir laiſſé échap
du camp des Ennemis , comme un
per
homme de neant auquel on n'euſt pas
pris garde , & informa Craugaiſe de
tout ce qui s'eſtoit paſſé : puis ayant
receu parole de Craugaiſe ", que s'il
pouvoic Corrir avec ſeureté, il ſuivroit
volontiers ſa femme en quelque lieu
qu'on la paſt tranſporter , 'ic Mellager
s'en alla porter cette bonne nouvelle à
Ja femme , qui dés le moment qu'elle
la receut , alla ſupplier le Roy par l'en
CONSTANTIUS ET JULIEN . 491
remiſe de Tamſapor , de trouver bon
que devant que ſon mary fortiſt des li
mites de l'Empire , il l'a puft avoir en
ſa puiſſance. Le Roy fit entendre ſes in
tentions , l'eſtranger retourna contre
l'eſperance de tout le monde , & re
vient encore ſurſespas ſans
que perſon .
ne s'en miſt en peine. Ce qui donna du
ſoupçon à Callien , qui commandoit à
Nilibe , auſſi bien qu'aux autres perſon
nes de qualité qui eſtoient dans la Ville ,
fi bien qu'ils en marquerentleur reſſen -'
timent à Craugaiſe , & luy firent con
noiſtre qu'ils ne pouvoient douter que
Gét hom se ne fuſt allé , & venu fi lið
brement qu'il avoit fait, fans fa parti
cipátion ; Ce quileur faiſoit croire qu'il
y avoit de l'intelligence. Craugaïſe qui
Craignit d'eſtre accuſé de crime de
trahiſon , & que l'on cruſt que ſa femen ,
me fuſt cauſe", qu'il renonceroit à la -
Patrie , & qu'il le refugieroit entre les
bras des ennemis , où il ſeroit receu fa
vorablement , feignit de prendre une
feconde femme , & de rechercher ens
mariage une fille d'une excellente beau-
té. Et comme s'il euft deſia preparé :
routes les choſes neceſſaires pour le fer
ſtia de les Nopces , il s'en alla à une :
maiſon des champs, à huit mille de la
vį ;
492 AMMIAN MAR . Liv . XIX .
Ville , d'où il s'alla jetter parmy des
coureurs Perſans qu'il avoit appris de
voir arriverdans le Païs ſous pretexte
d'y faire le degaſt. Il y. fur receu les
bras ouverts, parce qu'il y eſtoit con
nu , pour les choſes qu'on leur en avoit
dites , & fut mené le cinquiéme jour
d'apres à Tamſapor , qui le preſenta au :
Roy. Là toutes choſes luy furent ren
duës avec ſa femme qu'il aimoit che
rement : mais il la perdit peu de mois
apres. Il tenoit dans la Cour de Perfe
le ſecond rang apres Antonin., & ,d !
commedit un excellent Poëte;
Le plus proche apres luy , mais d'unlong ?
intervalle.
Car celuy-cy d'un eſprit ſolide & ém.
prouvé par une longue experience eſtoic
ferme dans toutes les reſolutions qu'il
prenoit ; & l'autre eſtoit d'un naturel
plus ſimple , quoy qu'il cuft auſſi acquis
de la reputation . Ces choſes ne furent
pourtant pas de longue durée.
Au reſte , quoy que le Roy de Perſe
fiſc paroiſtre par ſon viſage qu'il eſtoit
fort content pour la ruine de la Ville ·
qu'il avoit conquiſe par la force de ſes .
Armes , & qu'il jouiſſoit d'une tran
quilité nompareille, li eſt -ce qu'il avoit
de grands reſſentiments en lon cæur
GONSTANTIUS ET JULIEN .
des pertes qu'il avoit faites , qui ne
pouvoient eſtre.recompenſées par le
nombre de ceux qu'il avoit tuez en die
vers combats , ou qu'il tenoit priſon
niers, comme il luy eſtoit arrivé quel
quefois à- Niſibe & à Singare. Auſli
ayant aſſiegé la Ville d'Amide l'eſpace
de ſoixante- & treize iours , il y avoit
perdu crentemille hommes , qui furent
depuis comptez par le Tribun Diſcenis,
qui avoit auſſi la Charge de Secretaire ,
& qui gardoit les Regiſtres , ſur le diſ
cernement qu'il fie des corps des cuez ,
en ce que ceux des noſtres ſe defigurent
& fecoulent par la pourricure , en ſorte
qu'on n'en reconnoiſt plus aucun
quand il eſt mort de quatre jours , au .
lieu quc les corps dës Perſes ſe deſfei- .
chent & .deviennent comme des ſoi
ches, & ne fe pourriffent point ; & ne
ſont nullement couverts de fanie : cc
qui arrive de la fobrieté de la vie qu'ils ,
ontmenée , & qu'ils ont efté eſlevez :
dans un climat plus chaud & plus foc .
que celuy où nous avons cfté nourris..

葉 茶
494 AMMIAN MAR . LIT. XIX .

IX .

Rome eſt affligée par la diſette ; dont le


Peuple s'estantporté à la ſedition , Tere
tulle , Prefect de la Ville ,le rapelled for

a
devoir: & les vents ayantchangé, il ar
rivedesvaiſſe aux chargez de bled.Con
ftantius prepare une expedition contre
les Sarmates .

Omme ces choſes ſe paſſoientdans


С le fond de l'Orientparing des troue
bles divers, a la Ville Eternelle ſouffroit
beaucoup par la diſetrc , & par la diffi
culté de faire venir des bleds:Et Tertul
le qui en eſtoit Prefect en ce temps -là ,
en eſtoit en grand ' peine par la violence
du Peuple , qui ſe voyant preſsé par la
famine, la derniere de toutes les miſeres,
lemenaçoic de ledéchirer , quoy que.ce
fuft bien injuſtement : car il ne renoit
pas à luy que dans la ſaiſon propre , il ne
vinſt du blé par mer dans des vaiſſeaux :
mais les vents eſtoient ſi contraires , &
la mer fiagitée , qu'ils ne pouvoient en
trer dans le port d'Auguſte ſans un peril
extrême. C'eſt pourquoy ce Prefect
ayant eſté ſouvent inquieté parde celles
ſéditions , & ſe voyant étrangement
CONSTANTIUS ET JULIEN . 499
preſsé par l'indiſcretion d'un Peuple fu
ricux , que la proche ruïne inerioit au
deſeſpoir , comme il luy ſembla qu'il
eſtoit horsdetoute eſperance , ( car il ſe
le perſuadoit ainſi; ) & ne ſçachant plus .
ce qu'ily avoit à faire pourappaiſer une
émotion ſi extraordinaire , il oppola fes
petits Enfansavec beaucoup de pruden
ce à l'impetuoſité de ce Peuplc , & ac
compagna cette action de ſes larmes &
de ces paroles ; Ceux-cy , dit-il, font Ci- .
toyens comme vous( que les Dieux détour
nent le mal-heurde deſſus leurs teſtes ) ils
font preſts de fouffier toutes choſes avec
vous, ji la fortune s'opiniafire à ne nous
eftre pas plus favorable. Que ſi , pour dé
charger vostre colere ſur ces Enfans , vous :
. necroyez pas qu'il vous en puiſſe rien arri
verde funeſte , ils ſont entierement en vốn
tre puiſſance pouren faire tout ce qu'il vous
plaira . Le Peuple porté de ſon naturelà .
la clemence , für adoucy par la pitié que.
luy fic ce diſcours , & s'eſtant reſolu de.
ſupporter conſtamment quelque ſort
qui luy puſt arriver. Il répondit ; qu'il ſe
laiſſeroit conduire à la Providence divi
ne , qui avoit touſiours pris ſoin de la
conſervation & de la grandeur de Rome
depuis ſon origine. Cependant, apres
quc Tertulle eftant à Oſtie cut offert un
496 AMMIAN MAR . Liv. XIX :
Sacrifice b dans le Temple de Caftor & CH

le
de Pollux , la mer devint tranquile , le
vent changea , .& des Navires chargez
de bled entrerent dans le Port , dont les
Greniers de la Ville furent remplis.
Parmy toutes ces traverſes , Conſtan ,
tius qui eſtoit à Sirme , où il palloit
l'Hyver , receur de mauvaiſes nouvel.
lesdes Sarmates Limigantes quiavoient
chaſsé leurs Mailtres de leur propre
païs , comme nous l'avons montré cy
devant , ayant repris peu à peu- les lieux
qui leur avoient eſte deſtinez dés l'an
née precedente ,de peur que comme ils
ſont changeans ils ne vinſſent à fairs
quelque hoftilité , puis qu'ils s'eſtoient
déja jetrez dans les contrées voiſines , &
de crainte encore qu'ils ne miſſent le de
fordre par tout , faiſantleurs courſes ac
coûtumées., s'ils n'eſtoient repouſſez de
5

bonne heure. L'Empereur croyant qu'il


falloit donner ordre bien -toft å cerceaf
faire, quiavoit eſténegligée affez long
temps , fit aſſembler promptement des
Troupes de tous coſtez : Et, fans atten
dre que le Printemps fuſt un peu avan :
cé , il ſemit en campagne pour deux rai
ſons , quiluy en firent prendre le deſſein
avec d'autant plus de joye , que ſon ar:
mée s'eſtant enrichie de butin l'Esté pre:
CONSTANTIUS ET JULIEN , 197
cedent, il pût croire qu'elle ſeroit ravic
d'eſtre employée à quelque chofe de
femblable , qui luyapporteroit poſſible
autantdeprofit, & que rien ne luyman
queroit des choſes neceſſaires pour la
ſubſiſtance , & meſmes que tout luy
viendroit à ſouhait ayant le temps , puis
qu'Anatoliuscavoit alors le Gouverne
ment de l'Illyrie , d'où il.envoyroit tou
tes choſes ponctuellement ,eſtant par
faitement ſoigneux & vigilantdans tou
tes les fonctionsde ſa charge. Car cer
tainement, il n'y cut jamais tant d'ordre
fous le gouvernement d'un autre pour
les Provinces du Scptection , qu'il y
en a touſiours eu juſques à preſent par
les ſoins de celuy.cy , qui n'a point
craint de faire de la dépenſe pour faire
amener les pains de munition par char
roir , ſansavoir pour cela forcé les mai
fons de la campagne ,ny deſolé le païs,
où chacun demeuroit en repos. Il
éteignoit toutes ſortes de querelles &
de plaintes : ce que n'ont pas fait depuisa.
ceux quiont exercé les melmescharges,
fous diverſes qualitez , parce qu'ils ont
usé de violence avec excez , & qu'ils ne
fe font pas ſouciez d'épargner les pau
vres , & n'ont pas eu peur de faire des
miſerables. L'Empereur voulant donc
48 AMMIAN MAR . Liv . XIX .
remedier aux maux qui ſe faiſoient, &
reſtablir les choſes dans leur ancien
eſtat, s'en alla avec le ſomptueux équi
page qui pouvoir faire reſpecter par
tout ſon authorité , comme je l'ay déja
dir , & vint dans la Valerie , qui eſt une
Province de la Pannonic , qui fut infti
tuée & appelléede la ſorte en l'honneur
de la Princeſſe Valerie fille de Diocle
tien : Er l'arınée veſtuë de fourrures, s'é
tant épanduë le long des rivesdu Danu
be , obſervoit les Barbares , qui, devant
ſon arrivée ; ſous couleur d'amitié , fe
propoſoient d'envahir à la dérobée pen
dantl'Hyver l'une & l'autre Pannonie,
devant que les neiges & les glaces fuf
ſent fonduës par les douceurs du Pria
temps , quand le froid qui ſerre toutes.
les rivieres , en rend les paſſages faciles ,
& que nos gens pendant la ſaiſon des
bruines ſouffrent mal-aisémentd'y pa
tir à l'air fans agir.
4
CONSTANTIUS ET JULIEN . 499

Il s'efforce d'adoucir le naturel farouche


des Limigantes Sarmates, qui feignent
de demander pardon de leurinſolence ,
tandis qu'ils eſſayent de le ſurprendre à
main armée , še qu'ils le contraignent
mefme de penſer à la fuite , mais bien-
totapres ils font tous exterminez .

Yant donc envoyé auſſi -toſt deux


A Tribunis avec leurs Interpretes vers
les Limigantes , il ſe voulut informer
doucementd'eux -melmespour quel ſu
jet, ayant abandonéleurs maiſons apres
la Paix , & les Traittez d'alliance , ils
couroient encore ça & là , & qu'ils ne
faiſoient point de ſcrupule de ſortir de
leurs limites contre les deffenſes qui en
avoient eſté faites ſi preciſément. Ils
s'excuſerent par des raiſons frivoles ,
& la crainte qui les faiſoit mentir les o
bligeoit encore de prier le Prince de leur
pardonner s'ils avoientuſé de diſfimu
lation , & de leur permettre de paſſer le
Fleuve, pour avoir l'honneur de venir
à ſes pieds , & d'apprendre de la bou
che , les peines qu'il leur ordonneroit:
dç ſouffrir , eſtant tout preparez dere
400 ' AMMIAN MAR . Liv . XIX .
cevoir dans l'eſtenduë du Monde Ro
main , pourmarque defes grandes libc
ralitez , les terres qu'il luy plairoit de

LP
leur donner , quelques éloignées qu'el
les peuffent eſtre , afin que ſe trouvant
enveloppez d'un grand loiſir , ils hono.
raſſent le repos comme une Divinité fa
lutaire , & qu'ils ſubiroient les Char
ges avec le nom de Tributaires. On ap
prit ces choſes par le retour des Tribuns:
& l'Empereur ravy qu'une affaire la MA

IG
quelle du commencement il necroyoit
pas eſtre faiſable,fe pourroit neantmoins
accomplir fans beaucoup de peine , les
à
receur tous avec grande joye , quoy
il fut d'autantplus porté,que ſon avidi
té de poſſeder , le "farfoit pancher du
coſté de l'avarice , outre que la mul
titude des flateurs , qui ne parloient
d'autre choſe , augmentoit forr ſon in
clination dans ſon eſprit , ſouspretexto
qu'ayant a-Toupy toutes choſes au de
hors , & mis la Paix en tous lieux , il
gagneroit des gens, qui luy donne.
roient force enfans , pour le ſervice ,
qui apprendroient lcmeſtier des armes ,
& qui ſeroient propres à renouveller
les troupes , qu'au reſte les Provinciaux
feroient de leur bon gré les contributiós
pour la ſubliſtance des corps quiſeroiens
CONSTANTIUS ET JVLIEN . SOI
tirez de chez eux. Il faut avouër pour
tantque cette ſorte d'attentea quelque
fois elté onercule à la Republique.
L'Empereur ayant campé aupres d'un
lieu appellé a Acumince ; quand on
cût eſlevé uneeſpece de Terraſſe en for
me de Tribunal , des bateaux qui ame
nerent quelques Legionnaires, ces gens
là eurent ordre de couler le long du
Fleuve, ſous la charge d'un certain hom
mebappellé Innocent , autheur de ce
Conſeil , commis pour la meſure des
champs , afin que s'ils s'appercevoient
que los Barbares s'émeuſſent 'tant ſoit
peu , ils vinflent à les charger à dos ,
quand ils ſeroientle moins du monde
occupez ailleurs. Bien que les Limi
gantes connuſſent à quoy toutes ces
choſes aboutilloient , ils ne firentpour
tant rien avec precipitation , & firent
ſemblant de demeurer les bras croiſez ;
mais ils avoient bien d'autres penſées ,
que ce qu'il eſtoit facile d'en juger par
leur actions & par leurs paroles : car ils
eſtoient artificieux . Ayant donc vû
l'Empereur debout ſurla Tribune, d'où
‫جی‬

il ſe propoſoit de faire un diſcours au


11 Peuple , plein de douceur , comme s'il
cult dcub parler à des gens preſts à luy
ebeïr pour rout ce qu'illeur commande
a
go2 AMMIAN MAR, Liv. XIX .
roit. Vn d'entre eux tranſporté d'une
maniere tout à fait impetueuſe , luy jer
tant ſon ſoulier à la reſte , s'écria tant
qu'il pût Marha , Marha , qui
eſtoit parmy eux un ſignal de guerre.
Et tout à la melmeheure la multitude,
qui ſuivit avec indiſcretion l'emporte
mentdecet homine, ayantlevé l'éren
dart tel que le portoient ces Barbares,
& faiſant des cris furieux , s'alloitruer
ſurla perſonne du Prince : mais lay, du
lieu elevé où il eſtoit , voyant que la
foule s'épandoit par tout, courant çà &
là parmy les ſoldats , avec l'epée nuë &
les petits darts à la maiir, & que fa ruine
eſtoit proche, ſe trouvantmellé avec les
Eſtrangers & avec les fiens, & que l'on
ne connoiſſoit plus s'il eſtoit Chef ou
ſimple ſoldat, parce qu'il n'y avoit plus
de temps à perdre, ayant trouvé heureu
ſeinent un cheval bien vifte , il monta ,
deſfus , & fe fauva dece danger . Mais
quelques-uns de les gardes s'efforçárd'é
teindre ce feu ,oufurent tuez ſur la place,
1

ou furent accablez ſous le poidsde ceux


qui ſe rucrent fur eux : & le liege Royal
avec ſon marche- pied d'or , fut enlevé ,
ſans qu'on le puft empeſcher . Cepen
dant l'Empereur ayant appris le grand
peril qu'ilāvoit coutu feroit encore de
CONSTANTIVS ET JVLIEN , 503
meuré aumelme lieu où l'on avoit rom .
pu ſon liege, croyant que par la plus an
cienne & la plus naturelle de toutes les
coûtumes, c'eſtoit à l'armée de luy don
ner tout le ſecours qui luy feroit necef
faire ( car il ne croyoit pas qu'il fuſt en
core tout à fait hors de peril) ſe fiant
neantınoins en fa proſperité, bien que
pour l'émeute ſoudaine qui eſtoit arri
vée, il s'eſtoit mis aucunement à cou
vert, comme il entendit le bruit des ar
mes , il ſe jetta luy -meſmo parmy les
es ob
troupes , à la maniere des Barbar
ftinez. Et parce que ces meſmes trou .
pes. furent animées d'un jufte dépit ,
pour fe purger de leur des honneur par
quelque noble action , elles ſe mirent
en eſtat de combatre ,ſe jetterent de co
lere ſur le perfide Ennemy , & tuerent
tous ceux quiſe preſenterent devant el
les , ſansdiſtinction de perſonne, fou
lant également aux pieds les hommes
vivants , les bleſſez & les morts. Er de
vant que de s'aſſouvir du fang des Bar
bares , elles firent pluſieurs monceaux
de ceux qu'elles avoientmis en pieces.
Ainſi les Rebelles furent rudement trai
tez, lesunspar le fer, & les autres par la
fuite : Et d'une bonne partie qui mit
fon eſperanceaux prieres, on n'en épar
9104 AMMIAN MAR . Liv . XIX .
gna pasun ſeul: on les fit tous perir à
force de coups de bâton & d'eſtrivieres:
Et quand on les eut exterminez de la
forteau fon des clairons, quelques-uns
des noſtres, parurentauſſi à demy-morts ,
pour la fatigue qu'ils s'eſtoient donnée
dans les combats , & pouravoir coura
geuſeinentreliſté à la fureurextréme,ils
expiroientapres s'eſtredépoüillez, quoy
qu'ils n'euffent point de cuirace ſur le
dos. Toutesfois la mort de Cella Tri
bun de ceux qui portoiét des Boucliers,
fut remarquable entre les autres , ayant
câté le preinier de tous qui ſe jetta au
fort de la inelée dans les bataillons des
Sarmates.
Apres tant de rudes combats c pour
la ſeureté de nos fronticres , que nous
cuſmes tant de ſujet deconſerver,Con
fantíus revint à Sirme, apres la juſte
vangeance qu'il avoit priſe de l'infideli
té du perfide Ennemy. Et quand il eut
haſté les expeditions de toutes choſes,
ſelon les beſoins du temps, il partit de
Sirme, & ſe rendit à Conftantinople ,
afin que de là , eſtant proche de l'o
rient, il pult remedier aux pertes que
nous avions faites à Amide , & qu'ayant
refait l'armée par de nouvelles recruës,
il puſt reprimer l'impctuoſité & la puiſ
fance
CONSTANTIUS ET JULIEN . So's
fance du Roy de Perſe , par des forces
qui peuſſent au moins égaller les- lien
nes ; parce qu'il le falloit chalfer de la
Mefopotamie qu'il avoit laiſſée derrie
se luy , -li le Ciel le permettoit , où s'il
n'y avoit point d'autres affaires plus
preſsées qui l'éloignalfent de ce def
lein .
X1.

Pne nouvelle Tragedie paroiſt ſur le


: Theâtre pour un vil ſuiet , dont les
principales aétions ſont données à fai
re à un certain Paul tout noir de cria
mes.

Outesfois entre ces follicitudes ,


T Corneste partije ficar qu'ellemau
vaiſe coûtume, qui venoit de longue.
main , certains crimes de leze -Majeſté
donnoient ſujer à des émotionsde guer
res civiles, dont le principal organe fut
* ce Paul Secretaire , dont je dois fou
Vent parler , l'un des hommes du mon
-

de le plus inhumain , & le plus habile


pour exercer toutes ſortes de cruautez,
comme le premier Maiſtrede la terre en
fait d'eſcrime b pour les jeux funebres,
& qui faiſoit gain des tortures & des
inventions qu'il donnoit aux bourreaux
306 AMMIAN MAR , LIV. XIX .

0
des plus cruels fupplices . Car comme
il eſtoit toûjours dans le deſſein de mal
fairc, & de nuire à quelqu'un , auſſi ne

P
s'abſtenoit-il jamais de brigandages , &
de charger de crimes les ames les plus
innocentes , tandis qu'il s'adonnoit à
des gains pernicieux pour attirer des ca
lamitez publiques .Une petite occaſion
ou quelque choſe quin'en valoit pas la
peine, luy fourniſſoit ſuffiſamment de la
matiere pour l'étendre à l'infiny, par de
longues difficultez qu'il y faiſoit naiſtre
inſenſiblement . Abyde eſt un château
ſitué à l'extremité de la Thebaide : là
eſtoit l'Oracle c d'un Dieu appellé Be
ſa, qui prédiſoit les choſes futures , le
quelon avoit accoûtumé d'honorer par
toutes les Provinces circonvoiſines , ſe
lon les anciennes ceremonies. Et dau
tant que quelques-uns en preſence, &
d'autres par lettres qui contenoient
leurs intentions , y faiſoient leurs priet
res pour conſulter leurs Dieux ; les cho:
fes qui eſtoient écrites ſur des cartes ou
Y

ſur desmembranes , & les réponſes qui


s'y faiſoient demeuroient dansle Tein
ple. Deces choſes-là il en fut envoyé
quelques-unes malicieuſement à l’Emn
pereur, qui eſtant d'un eſprit foreborné,
comune en d'autreschofes plus ſerieuſes,
CONSTANTIUSET JULIEN . 507
ne marquoit quetrop ſon abſurdité , en
conceut aufli des foupçons ridicules où
ilmelloitun fieltres-amer , & fit avertir
Paul d'aller en meſme temps en Orient
avec pouvoir d'écouter les cauſes à la
diſcretion, comme ſi cér honime euſt ey
l’experience de quelqueGouverneur ce
lebre. Cependanton avoit donné cet
te charge à Modeſte , qui avoit la quali.
téde Comte par tout l'Orient , & qui
eſtoit certainement propre à cela, auſſi
bien qu'à d'autres emplois. Cependant
d Hermogenes Pontique qui eſtoit Pre
fect du Pretoire en ce temps-là , eſtoit
méprisé, parce qu'ilavoit l'eſprit beau
coup plus doux . Mais parce que celuy
de Pauleſtoit furieux , il ne manqua pas
d'avoir cét employ. Ils'en alla où illuy
fut ordonné, & commeon luy eutlaiſsé
toute ſortede licence pour la calomnie ,
ilmena avec ſoy pluſieurs perſonnes
obſcures qui luy tenoient lieu de per
ſonnesde qualité, qu'il avoit attirez de
toutes parts , quelques -uns deſquels a
voienteſté mis en priſon pour leurs de
merites , & d'autres avoient eſté exem
plairementchâtiez. Il choiſit la Ville de
Scythopole dans la Paleſtine pour eſtre
la ſpectatrice des ſupplices inhumains
qu'il devoit excrser, l'ayant jugée plus
Yij
508 AMMIAN MAR. Liv . X1X.
propre pour cela que nulle autre, pour
deux raiſons , & de ce qu'elle eſtoit en
un lieu à l'écart, & dece qu'elle ſe trou
voit ſituée entre Antioche & Alexau
drie , d'où pluſieurs perſonnes eſtoient
entraînées pour ſouffrir le châtiment
des crimes qui leur eſtoient imputcz.

X11.

Divers fupplices infligez à des perſonnes


de qualité par Paul Notaire on Gref
fier de Iuge , furquoy Ammian Mar
cellin donne ſon iugement bien conſide
rable.Vn monſtre horrible né à Antio
che. Les Ifauriens affligent tous leurs
voiſins par leurs brigandages perpe
tuels ; maisils fontplütoft corrigez par
les menaces de Lauricius , que par la
ſeverité.

Implicius a fils de Philippe , ayant


Sim elté Prefect du Pretoire & Conſul ,
accusé de crimepour ce ſujet-là , luy fut
amené entre les premiers , ſur ce qu'on
diſoit qu'il avoitmis en queſtion s'il ſe
soit bon à quelqu'un d'aſpirer à l'Empi
10 : & ſur unelettre de cacher de l'Em

pereur l'ordre eſtant venu de le tour


izmenter pour averer ce crime , quoy
CONSTANTIUS ET JULIEN . Fage
qu'en choſes ſemblables ſa pieté n'euſt
jamais eſté le moins du monde Aétrie ,
& qu'il n'euſt jamais failly , ſi eſt-ce
qu'avec toute ſon innocence il fur rele.
gué dans le banniſſement b . Parnaſius
qui avoit efté Prefect de l’Egypte, per:
ſonnage demeurs honnetes , & d'une
vielas reproche, fut pourtant exposé
à un ſigrand peril, qu'il fue declare at
reintde crime capital, & fut également
banny , parce qu'on luy avoit oùy dire
Long-temps auparavant , que comme il
eſtoit de Patras Ville de l'Achaïe, où il
avoit une maiſon , laquelle il avoit laiſ
sée à quelqu'un pour avoir la charge;.
1 qu'il avoit vû endormant pluſieursper
ſonnages traveſtis en habits tragiques co
5

Andronicus, qui depuis ſes études aux


Jertres, s'eſtoit fait connoiſtre par quel
ques belles Poëhes qu'il avoit compo-
sées, futamené en jugement, ſans ſuiet :
mais comme on ne pût- jamais prendre
lemoindre ſoupçon contre luy, s'eſtane
facilementpurgé par la grande confian
ce qu'il avoit en ſon innocence, il fut
enfin envoyé abſous d . Demetrius ſure
nommé Chytras Philoſophe Cynique ,
homme dejà fort avancé en aage , robu
e
te d'eſprit & de corps, ne put pas nic
qu'il n'euft quelquesfois ſacrifié ; mais
Y. iij
TO AMMIANMAR . Liv. XIX ,
il dit qu'il en avoit coûjours usé de la
forte dés la jeuneſſe , pour avoir les
Dieux favorables , & non pas pourpe
netrer comme on diſoits , à des choſes
plus ſublimes : cariln'en connoiſfoit pas
mesme aucun ,dit-il, qui eust affecté quel.
que choſe de fen blable . Ayant donc eſté
long-temps ſur le chevalet quiluy fut
preſenté, il y'parutavec tant d'aſſeuran
ce, que ſans jamais varier , il demanda
conſtamment d'eſtre renvoyé en Ale
xandric, d'où il eſtoit, ce qui luy fue en

11
fin accordé. Ceux.cy & quelque per
d'autres furent afliitez de leur bonne
fortune, & de la force de la verité qui

11
les tira des perils où ils furent expoſez.
Mais ceux qui n'eſtoient pasdu tout ſi
innocens, ou qui trouverentplus de pei
neà ſe juſtifier, les tourments ne leur fu
fent point épargnez. Quelques-uns pe
rirent eltant démembrez : d'autres fu
rentcondamnez à des peines exceſſives,
-

avee confiſcations de biens : & tout ce


la par les cruelles pratiquesde Paul, qui
tiroit de ſon méchant elprit commed'u
r ne feconde ſource toutes les fourberies
& toutes les trahiſons imaginables pour
faire perir ceux qu'ilvouloit : Et certes
il s'en faut peu que je ne die que la vie
de tous ceux quimarchoient ſur la terre
CONSTANTIVS ET JVLIEN : SIE
ne fuít en fon pouvoir , tant il eſtoit ar
tificieux & méchant. Car ſi quelqu'un
portoit à ſon col quelque remede pour
guerir de la fiévre quarte , ou de quel
qu'autremaladie, aufli- roſton le decla
roit criminel & digne demort par les
indices de quelques méchans, qui l'ac
cuſoient d'avoir paſſé le foir par quel
que inonument comme un Enchanteur,
& d'y avoir appellé les vains fantômes
desmorts pour donner de la terreur , &
la choſe par fois eſtoit pouſſée fi avanty
quc ſi pluſieurs ſe fuſſent crouvez avoir
eſté e ſolliciter contre la vie de l'Em
pereur & Claros, & les chefnes de Do
done, & les vieux Oraclesde Delphes.
D'où il arriya que les facteurs de Cour
Controuvant deméchants artifices pout
ſe rendre agreables; difoienc qu'il eſtoit
exempt de toute forces de malefices, que
fon genie eſtoit puiſſant , & qu'il avoit
une preſence d'eſprit admirable pour
détruire tout ce qui s'efforçoit de luy
nuire : que perſonne n'eſtoit ſi capable
que luy de s'informer de toutes ces cho
ſes pour en trouver la verité , & qu'il
n'y avoit qui que ce ſoit au monde qui
Pen puſt juſtementblâmer. Certes nous
nenions pas que la vie du Prince legitis
16 mc, qui protege & qui defend les gens
Y iiij
$12 AMMIAN MAR . Liv . XIX .
de bien , d'où chacun atted fon ſalut &
protection, ne doive aufli eſtre deffendit
& conſervé par les ſoins de tous les aus
TC
tres hommes, & qu'où il s'agit de ſoû
tenir les droits , & de maintenir la ma-,
jeſté de l'Empire contre ceux quil'atta
quent,il n'y a point de f loy. Cornelien
ne qui en puille exempter qui que ce
foit. Mais en verité , il eſt fortmal- feant
de ſe réjouir d'unemaniere effrenée en
des
des accidens lugubres où il n'y a que
ſujets de deüil , pour ne paroiſtre pas
aſſujettis au Souverain par la puiſſance;
mais par la licence à faire tout ce qu'il
voudra. Surquoy il faut, à mon avis ,
imiter Ciceron , qui pouvant épargner
ou châtier quelqu'un , comme il le dit
luy -incline, il ne cherchoit que des ſu
jets de pardonner , & non pasdes occa
fions de punir : qui eſt certainement le
proprcd'un Jugeprudent & bien avisé
Alorsdans un Fauxbourg d'Antioche
appellé Daphné , qui eſt un lieu deli
cieux , & orné de beaucoup de magni
ficence, un monſtre naquit qui fut une
choſe horrible à voir , & quidonne inel
mede la terreur d'en parler :: un enfant
qui avoit deux bouches, deux dents en
chaquebouche avec dela barbe, quatre
ycux, & deux oreilles d'unepetiteſle ind
CONSTANTIUS ET JULIEN . $ 13 .
croyable. Ce quifut un ſigne de;la de
formité dans laquelle alloir degenerer
l'eſtat de la Republique. Il naiſt ſous
ventde tels prodiges pour marquer les..
changemensqui arrivent, leſquels pout
n'eftre pas expiez g comme il ſe prati
quoit autresfois publiquement , on les
paſſe ſans en parler, ny fans y faire de
reflexion :
En cemeſme temps les llauriens qui
avoient demeuré pluſieurs années.en re
pos; apres les actions dont il a eſté par
lé, & apres le ſiège qui fut tenté en la
Ville de Seleucie , reprenano leur via
gueur peu à peu , comme les Serpents
quand ils foitent de leur trou au prin
temps , ils ſortirent de leurs foreits & :
des lieux inacceſſibles parmy les roches
cſc rpées qu'ils habitoient, & s'aſſem
blerentpar bandes, pour faire leurs bris
gandages ſur les terres de leurs voiſins
Ils deſcendirent de leurs montagnes
pour venir courir dans la plaine , 803
tromperent l'attente des ſoldats qui
estoient au guet pour lés. attraper com
me des beltes ſauvages. Mais enfin b .
Lauricius à qui l'on avoit donné la die
gnité de Comte, fut envoyé pour lesress
primer par forceou par raifon . Ce pere
Tonnage qui cutbeaucoup de prudence
Y V
s14 Remarques
civile , en reprima bien plus par les me
naces que par ſeverité. Sibien que tan
dis qu'il exerça la charge, qui fut pen
dantpluſieurs années, il ne s'y paſſarien :
qui ſoit digne d'eftre obſervé.

DONDAS
eba
Coch

REMARQ_V E S.
S VR

LE XIX . LIVRE D'AMMIAN ..


L.

E favory du Prince de Theffalie. C'eſt


Patrocle qui fut fi chery "d'Achile ,
& qui fut tué ſous ſes armes parHe
& or , dont le Combat eſt ample
znent deſcrit par Homere dans le vingtiéme
Livre de ſon Iliade. Vue choſe pareille eſt
agreablement deſcrice par Stace dans la The.
baïde au ſujet des corpsde Tydéc & de Pas.
thenopée.
6. Tel que celuy, Ou comme nous l'aprenons:
desMyſteres religieux , ou plutoft fuperfti
tieux ; car le Paganiſme avoit beaucoup plus
de fuperftition que de Religion . Religiones.
myſtica docent. Celieu ſert à faire voir quelle
Itoit la Religion d'Ammian..
Rem .ſur le 19i Liv . d Ammian . Jis

II.

Ans une Vrne d'argent. Cette façon de :


D Sepulture fe doit raporter auxmæurs.
des Chionines & non pas des Perſes : car alors
les Perſes ne bruſloient pas les corps , mais
ils les jettoient hors des Villes ſans eſtre iohu .
mez , & tenoient ceux -là bien-heureux de qui
des corps eſtoient devoreż par les beſtes , ou
par les oiſeaux , ainſi que l'a écrit Agathias
dans ſon deusiéme Livre M. V ..

*
b .Les Vertes. Ce ſont des Peuples alliez des
Perles , auf bien que les autres qui font
nommet enſuite ,
« Nos Scorpions, c'eſt une Machinede guerre
quijoüait par de certains refforts pour lancer
fur les ememis une grefle de cailloux , &
quelquefois mefme des quartiers de pierre de:
taille ,'.
id Les clameurs de ceux , donc, Ce lieu eſt cera
tainement difficile pour ea bien faire la con
Itruction , ce qui donne fajet de croire qu'il y
a quelque chofe de perdu , au lieu dexurgeo .
bant,d'autres liſent exurebant , qui eſt le fen
riment de M.V ..
III,
$

Aimy les Sepultures desmerts .Nousavons :


remarqué lur la fin du Lívte precedents
. coinme Sabinien s'eftoit logé dans le Cime-
ricre hors de la Ville :
b Ayant pris quelques poſtes avantageux . Il y
a ftationibus interceptis , qui fe pourroit aulas
tourner par fotts.
Les peftilences. C'eſt icy une grande & bele .
11 deſcription de la perte , & de l'origine de
X vi
516 Remarques

N
cette dangereuſe maladic qui affigea beaua
coup l'Armée Romaine .
. Par les traits d'Apollon . C'eſt dans le pre
mier Livre de l'Iliade.
• Thucydide rapporte cette maladie, cielt au .
huitiéme Chapitre du ſecond Livre

V.

Es soldats Gaulois. Cequ'il dit icy de :


" Le Cette valeureufc .Milice , eſt une cho.
ſe admirable , & nc faio pas moins d'honneur
à la Nation , que ceux quine l'aiment pas ,
quoy qu'ils ayent l'honneur d'en eſtre , luý
font beaucoup de confuſion , quand faiſant
les ſuffiſants pour fe diſtinguer des autres ,
ils ont. l'audace de medire d'elle , & de la
decrier à : la face de ſes ennemis , qui en font
fans doute un meilleur jugement :
b Ny Rheſuu ny les Thraces. Il fait alluſion
à cette grande expedicion de Diomede &
d'Vlyffe , quand ils voulurent entrer traveſtis
dans Troyes pour enlever le Palladium , qui
cftoit uneImage fatale do Pallas,dontHomere :
parle dans ſon lliade , & Virgile apres luy au
leçond Livre de ſon Encide.

VII.

"Ousdeſchiraſmes le linge que nous avions:


"NI Sur le corps , c'eſt à dire nos chemiſes;
car les soldats en portoient en ce temps-là.
Toute cette Hiſtoire tres-fingụliere , clt delo .
crite avec beaucoup de ſoin .
b.Vn bonnet de laire. Lequel ils mettoicnt:
ſousle caſque , & appelle cela Centonem , & le.
Portoient ainſi de pour que le for de l'armst
für le 19. Livre d'Ammiani 17
ne les blefait à la teſte, ce que nous appellons.
aujourd'huy proprement une Calotte .
Jacobus. Il ne ſeroit pas de bonne grace
de traduire icy ce nom -là , comme nous le:
prononçons.communément , le nom de Coca
Ius qui eſt incontinenc apresnele ſouffre pas.
Colonel de la Cavalerio , Ou qui avoit la.
e
charge de longeſtáble , pour revenir à noſtr
uſage , ſi c'eſtoitdela ſorte qu'il faluſt toura
ner Magifter militum

Vill 12

Velque choſe de plus grand , Ou bien uno

b Lemons d'Izale , c'eſt ainſi qu'il faut lirë


per Izalum ., montem , & non pas per Zagrum ;
montem , Izale eſt proche de Niſibe & le Zagre
en eſt fort éloigné dans la Medie.
€ Maride my Lorne, Procope.dans-Con ſca
cond Livre parlant des Edifices de luſtinien , .
nomme ſur le chemin Smardisoo lorne , entre
Daras & Amide , & Theophylacto le nomme
Mardis , & dit que c'eſt un Chaſteau dans le
Dioceſe de l'& veſque d'Amide.
e Comme dit le Poëte. C'eſt Virgile au s. de .
de l'Encïde V. 329. Longo proximus intervallon

IX .

A Ville Etemelle. C'eſt ainſi qu'il'appelle -


Rome,comme ſi elle n'euſt dû jamais per
*rirL, ou commelelle devoit touſiours durer :
mais ils'en fautbeaucoup quece ne ſoit le ſore
de toutes les choſes inondaides. Rome n'eſt
plus ce qu'elle eſtoit alors, elle a depuis eſté
Sujette aux rayagesdes Goths , & depuis, elle
518 Remarques
s'eſt encore relevée . Er depuis l'ancienne
Rome , elle n'a peut-eſtre jamais efté plus
belle qu'elleeſt a preſent, à la reſerve du peu
ple qui a'y est pas fi nombreux , ſe trouvant
I ulement aſſujetrie ſous la domination de
perſonnes Ecclefiaftiques, qui ontconſervé 11
autant qu'ils ont pîle luſtre & la majeſté de
l'ancien Senat Romain , avec la dignité du
fouverain Pontificar.
b Dans le temple de Caſtor e de Pollux . Ilya
fimplementdes Caſtors , mais cela ſe doiten

>
tendre infailliblement des deux lumeaux , qui
ſont ces Tyndarides fi fameux qu'on appelle
Caftor & Pollux.
c Anatholius. It eſtoit Syrien de la Ville'de
Beryte , ayant appris la ſcience du Diciet ci
vil en la patrie » il vint à Rome, où il fut
receu dans le Palais , & élevé par tous les
degrez des Charges , juſques à la dignité de
Prefect. Ce fut un perſonnage admirable par
le jugeinene meſme de ſes ennemis, comme
l'eſcrit Eunapius dans la vie de Proceraſius.
Il eſtoit de la Religion des Grecs , & il y a
grande apparence que c'eſt le meſme que
Photius appelle Vindanius Anacolius de Beo
tyte; qui a eſcrit des choſes suftiques & qui
eſtoic forr eſtimé dans le Paganiſme, comme
le teſmoigne Photius. Au refte Libaniusdans
fa quinziéme Epiſtre recommandé fort ſous
induſtrie , la vigilance , ſon intelligence , ſa
grandeurd'ame,Ion éloquence : il fut premier
sement Conſulaire de la Galatie , puis Vicai
re de l'Affrique , & enfin Prefect , ſous le
Conſulat de Limenius & de Catalinus en l'an
née de Noſtre Seigneur 3:49. M.V...
furle 19. Livre d'Ammian . 319

X.

Cumincs ou Acimince , comme il ſe lic


* A dans la Norice de l'Empire. Cette
place eſt dans la baſſe Pannonie.
b. Innocent commis pour la meſure des Champs.
Il dit cela d'un ſeul inor , 'Innocentio Agrimen
fore. lean Sichard dans le Prologue qu'il a
fait à l'edition du Code Theodolien , tiene
quc c'eſt le meſme qui a laiſſé un Livreécrit
des Nortesde Droit : Vn certain luriſconſulte
appellé Innocent eſt marqué par Eunapius
dans la vie de Chryfancius.
c: Pour la ſeureté denos Frontieres , car j'ay lû, .
Pro ſecuritate limitum , & non pasmilitum , le
lon l'avis de M. V.

21 XI.

TE Paul Secretaire dont je doy Jouvent:


parler. Car j'ay leu , fæpe dicendus , &c.
‫ܪ‬
, 1

" Can
non pas sæpe ditaneus ou dictanus, qui font:
destermes que je n'entens point. Au.reftelu
lien fait mention de ce Paul qui eſtoit un
fort mefchant homme, dans ſon Epiſtre aux
Atheniens, & Libanius dans ſon Oraiſon pour
Ariſtophane, & dans ſon Oraiſon funebre .
3

b.Pour les jeux funebres, doc. Par cesmots , Ex :


commerciis libitin & vel ludi , entendant les
jeux funebres par le noin de Libitine , parce
qu'on donnait d'ordinaire des Gladiateurs à
la fin des pompes funebics , qui eſtoit une coll -
tumebarbare & tout à fait cruelle . C'eſt pour
quoy meline Ciceron appelle les Gladiateurs
Buftuaires. M. V.
& Vin Dies appelle Befa . C'eſtoit un Dieu des
520 Remarques
Egyptiens , ſelon la crcance de Caſaubon dang
ſes Nutres ſur l'Hiſtoire Auguſte , où il dit
qu'une ville fut appellée de ſon noin, laquelle
depuis fut nommée Befantinoë , d'un nom come
poſé de deux autres, ſçavoirde Bela & d'An.
tinoë . Id .
d .Hermogene Pontique. Il avoit fuccedé à
Muſonian ou à Strateige, comme le dir Liba
nius, dans- l•Oraiſon qu'il a faite de ſa vie ,
il le recommande fort pour la douceur de ſes
mours, commeAminian le fait aulli à ce lieu
cy. Id.

XII:

implicius . fils de Philippe. Son Conſulat


avec Salia , futen l'année 348. & la mer
meannée ,le Prefcet du Pretoire chafla Pauldu :
Siege de Conftantinople par le commande
ment de Conſtantius , & il y reſtablit l'impic:
Macedonius:, comme il aiſé de le juger
par l'Apologic de S. Athanaſe à Conftantius,
& comine nous l'apprenons encore parles actes
de Conſtantinople & par les autres. Id .
b . Pamafori Libanius en faitmention dans
ſon Epiſtre 352. auſſi bien que dans la belle
Oraiſon qu'il fit pour Ariſtophane de Coria
the, où il dit beaucoup de choſes de l'affaire,
dont il eſt icy parlé , dans laquelle Ariſtopha.
ne fur fort embaraſſé. Id...
c. Andronicus. Libanius en parle également
dans ſon Epiſtre 69. à Themiſtius , & encore
dans l'Oraiſon qu'il a faire de la Vie. Photius
dans la Bibliotheque apres ce qu'il a tiré
d.Helladius,dut au meline lieu que cesOuvra.
ges fontd'Andronicus Decurion d'Ermopolęà :
Phoebammon Conito: Cynopolitain , & qu'il :
ſur le 19. Livre d'Ammian . 525
avoit écrit des Pables & des Poëmes de divers
genres , mais il eſt incerrain , ſi c'eſt lemeſa
meduquel il eſt icy parlé. Id .
d Demetrius ſurnommé Philoſophe Cyniquez
pourroitbien eſtre ce Philoſophe Cynique que
Julien dans ſon Oraiſon · Heraclius,appelle
Chytron , où il trairte de la maniere de Philoſo
pher à la façon des Cyniques. Au reſte Chy
tron & Chyrtras, reviennent à la meſmo
choſe . V.
& Solliter ou conſulter :. car on die melnie
plutoft conſulter un Oracle , que le ſolliciter ,
mais je me ſuis voulu ſervir du terpe de
l'Autheur.
f La Loy Cornelienne.Elle concernoit la Ma
jeſté , comme Ciceron le fait connoiſtre dans ,
Ion Oraiſon contre l'iſon ;mais apres que lu
les Ceſar erit corrigé les Loix Corncliennes , &
1 qu'il y eûtfait des ſuppléments ; la Loy Iulia ,
fut touſiours depuis appellée la Loy concer
nant la Majeſtě. Ce qui s'apprend du Droid
Civil. M , V.
& Comme il ſe pratiquoit autrefois . Il veut
dire qu'on ne s'arreſtoit plus à expier les mau
vais augures que pouvoienr apporter les Mon- .
Itres , quand ils naiſſoient en quelque lieu . A
quoy s'occupoit la ſuperſtition Payenne :
mais depuis la Religion Chreſtienne ; on ne
s'arreſtoit plas fi fort à ces choſes- là ..
h Lauricius. Les Hiſtoriens Eccleſiaſtiques
ont parlé de luy , & n'ont pas oublié qu'il ſe
trouva avec Lcon au Synode de Seleucie dans
l'Iſaurie . en l'année du Conſulat d'Euſebe &
d'Hypace , qui fut l'an 359. de noſtre Salut,
Socrate au ſecond Livre de fon Hiſtoire . Am .
mian Marcellin nomme ce Leon en qualité de :
Queſteur dans fon Livre lyiyapt.Mivo
522

选 装 选 装 选 装

AMMIAN

MARCELLIN

LIVRE X X. *

CONSTANTIVS

ET JVLIEN .
1.
Lupitin est envoyé par Iulien dans la
Bretagne pour en appaiſer les tumula
tes. Vrlicin mal-traité de la Cour, a
cauſe de la calomnie des flatteurs, eſt
degradé de ſa charge of releguédans
une condition privée .
ELLE fut la fuite des affai
resdans l'Illyrie & dans l'O
T rient. Cependant ſous le a
Conſular." de Conſtantius
pour la dixiéme fois ,& de Julien pour la
troiſiéme,la Paix qui avoit eſté faite dans
la grand Bretagne, ayant eſté rompuç
CONSTANTIUS ET JULIEN . 523
par les incurſions des Eſcoffois & des
Pictes , Nations Barbares , qui rava
geoient toutdans bles Provinces voi
lines, où ſe mefloit encore le fouve
nir de leurs premieres miſeres , qui
leur donnoit de la frayeur , Ceſar paſſoit
fon Hiver à Paris , où ſon eſprit eſtoit
partagé de diverſes follicitudes , &
Craignoit d'aller au ſecours des Provin
ces d'Outremer ( comme nous avons
rapporté cy-devant que l'avoit fait o
l'Empereur Conftans , de peur de laiſ
fer les Gaules ſans avoir des Gouver
neurs apresavoirforcé les Alemans, &
les avoir obligez de ſe mettre ſous les
armespour nous faire la guerre. Il com
manda dốc à Lupicin d'y aller en la pla
ce pour appaiſer les troubles. Ce per
fonnage qui commandoit alors la Mis
lice , cftoit veritablement homme de
guerre, & entendoit parfaitement la
diſcipline militaire : mais comme il
avoit lamine fiere & qu'il eſtoit en effet
d'une humeur affez haute , & qu'il
avoic beaucoup de ſeverité , on fut
long -temps incertain s'il eſtoit plus
cruel qu'il n'eſtoit avare. Il vint donc,
à Bologne fur la fin de l'Hyver,avecun
fecours de Trouppes de Cavalerie.le
gere,compoſée d'Herules,deBataviens,
f*24 AMMIAN MAR . Liv . XIX .
& de deux Eſcadrons de Mæſiens. Puis
ayant fait Proviſion de Vaiſſeaux , il y
fit embarquer cous ſes gens , & quand
il eut le vent
propre , il vint aborder
à d Rocheſtre , & de là il ſe rendit à
Londres,pour continuter enſuitte prom
prement ſon entrepriſe , apres qu'il en
cûr deliberé meurement dans le Con
feil , ſelon l'importance & la qualité
de l'affaire.
Comme ces chofes fe paſſoient donc
ainſi , apres la priſe d'Amide , les calom
niateurs receurent au Camp de l'Emper
reur , & à la charge de Colonel de lin
fanterie Urlicin car nous avonsécrit
cy- devant , qu'il avoit ſuccedé à Bar:
bation ) & ſemerent premierement des
mediſances fourdes, puis ils y meſlerent
ouvertementdes crimes imaginaires : à
quoy l’Empereurpreſtoit ſon conſente
ment , faiſant jugement des choſes ,
ſelon l'oppinion d'autruy ', & s'eſtant
touſioursmontré fort credule aux trom
peurs, & aux fourbes, qui tendoientdes
pieges aux gens debien . Aufli leur don
na- t - il Arbetion & Florent.e Maiſtre
des Offices , pour informer de tout ce
qui s'eſtoit paſſé en Meſopotamie , &
voir le ſujet pour lequel Amide avoit
cſté priſe & ruïnéc . par les. Ennemis .
CONSTANTIUS ET JULIEN , 5255
Surquoy alleguant des raiſons proba
bles , & craignant d'offencer Euſebe ,
quieſtoitalors f Maiſtre de la Chambre ;
ils entreprenoient de faire voir clairc
ment que tout le mal- heur ne venoit
que de l'opiniaſtrelaſcheté de Sabinien ;
fî bien que diflimulant la verité , ils n'a
voient loin que de debiterdesmenton
ges, & de mettre des choſes' en avant ,
qui ne ſervoient de rien . Cette injuſtice
fur li fenfible à Urſiçin , que ne pou
vant reliſter à inne viole ice ſi outrageu
ſe , il ſe concenta de dire : Bien que
PEmperélr memeſpriſe , cette affaire eft
neantmoinsdeſi grande conſequence,qu'el
le ne ſe peut deciderque parle iugement du
> comrne
Prince . Qu'il ſçache pourtant
par un certain preſage , que tandis qu'il
s'affligedes choſesgui ſe fontpaffées à Ami
de, dont iln a pas eſté fort bien informé.com
qu'il ſe laiſſe eller au jugement de les Eu
nuques, la preſence meſme nepourralan
nie prochaine au retour du Printemps ,
avec toutes les forces de ſon Armée con
ferver la Meſopotamie ', ny empeſcher
qu'elle ne periſſe. Ces paroles ayant eſté
rapportées, avec pluſieurs interpreta
cionsmalignes , Conſtantiús s'en mit
en une extrême colere , & fans avoir
d'avantage approfondi l'affaire , ny
426 AMMIAN MAR . Liv . X X.

fans avoir permis à qui que ſoit de l'en


éclaircir , il eſcouta ſeulement la meſdi
fance , & ſuivantla paſſion des Ennemis
d'un li honnefte homme, il le deſgrada

E
de la charge , le renvoya dans unecon
W
dition privée , & mit en la place g par
unc eflevation extraordinaire , Agilon
qui n'eſtoit que Tribun des b Gentils
hommes Eſcuyers.

I I.

Memorable Eclypſe du Soleil, e confide


ration phyſique ſur les Eclipſes
du Soleil de la Lune.

Nce meſme temps , vers l'Orient,


EN Cicl fut couvert d'une grande ob
fcurité , & depuis l’Aube du jour juf
ques à midy , on y vid étinceler conti
nuellementdes Eltoiles . Et à cet effroy,
il arriva que comme la lumiere celeſte
fut offuſquée , & fut entierement oftée
au monde , ( ce qui fie croire aux ames
timides que le Soleil avoit deffailly )
il fut premierement attenué en for
me de Croiſlänt, puis augmenté com
me la Lune quand elle a fourny ſon pre
mier quartier , & enfia il fut refta
bly en -Ton plein . Ce qui ne fe peutman
CONSTANTIUS ET JULIEN . 427
nifefter fi clairement d'autrefois , ſi ce
n'eſt qu'apres un cours inégal , la a Lu
ne en ſes entre -mois revienne à fonco
mencement par certains intervalles de
temps, c'eſt à dire quand elle ſe trou
ve toute entière dans le domicile d'un
meſmeligne , oppoſée directement aux
rayons droits du Soleil, & qu'elle y
demeure de la ſorte pendant quelques
minutes , que les raiſons Geometri
ques appellent parties.des parties : &
bien que les converſions & lesmouve
mens de l'un & de l'autre Aſtre , com
me l'obſervent ceux qui recherchent
les cauſes des effets de la nature , con
viennent en une ſeule & meline fin ,
apres que le cours lunairea eſté accom ,
ply , par une diſtinction perpetuelle .
Toutefois le Soleil en ces jours- là , ne
ſe rencontre pas touſiours au devant,
mais ſeulement quand la Lune , de la
Region où elle elt ,, ſe trouve oppoſée
à ſon Orbe flamboyant, comme l elle
eſtoit poſée entre -deux dansun meſme
niveau. Mais quand elle y eſt toute
entiere , alors le Soleil eſt caché , & fa
ſplendeur eſt étouffée à notre égard ,
parce que luy -meſme, aufli bien que
Ic Globe lunaire eſt plus bas que tous
les autres.Altres , qui luy faiſant com
$ 28 AMMIAN MAR. 'L1v. XX .
pagnie ont chacun leurs cercles pro
pres , avec leursdiſtances & leurs hau
teurs differentes , jointes toutesfois en
Temble , comme Ptolemée l'a enſeigné
doctement, & avec grandeclarté, pour
venir à certaines dimentions, qu'ils ap
pellent Aſcendants of Deſcendants, &
ſelon les paroles Grecques Affemblages
deffe&tueux . Que ſiles eſpaces contigus
ſe ſerrentaupres des jointures,le defaut
en ſera plus luiſant : Que s'ils ad
herent par leurs jointures , qui fer
rent plus étroitiement l'Afcendant & lc
Deſcendant , le Ciel ſe trouve offuſqué
de tenebres plus épaiſſes , comme l'air
eſtant épaifi,nous ne ſçaurionspas mel
mes voir les objets plus proches, quoy
qu'ils ſoient juſtement devant nous ;
Ainſi le Soleilnous paroift quelquefois
double , fiune nuée eſt plus traure qu'el
le n'a de couſtume, & que reſplandiſtant
par la proximité des feux eternels , elle
exprime comme dans un miroir la clar
té d'un autre Orbe qu'elle connoiſt.
Venonsmaintenantà la Lune. Voicy de
quelle forte elle ſoûtient ouvertement
ſon defaut: quand elle eſt au plein , &
qu'elle eſt parfaitement arondie.parfon
oppoſition directe au Soleil, elle eſt ſe
parée de ſon orbede centquatre -vingt
parties ,
CONSTANTIUS ET JULIEN . $29
parties , c'eſt à dire au ſeptiéme ſigne.
quoy que cela arrive preſque toa
jours à tous les pleins de la Lune, ſi eſt
ce qu'elle ne defaut pas touſiours. Mais
parce qu'elle ſe trouve lituée b vers la
mobilitédela terre, & qu'elle occupe la
derniere place entre les belles choſes
qui ſont au Ciel , quelquesfois elle ſe
trouveempeſchée de recevoir la lumie
re qui la frappe quand les ombres de la
nuićt qui finiſſent en cône , la cachent
pour un peu de temps : Alors, elle roule
citant obſcurcie , file Soleil c offuſqué
du ceintre d'une Sphere inferieure , avec
lamaffe de la terre qui s'y oppoſe , il ne
Iany eſt pas poflible de l'éclairer de les
rayons , d'où les opinions diverſes en
ces fortes dematieres ſonttoutes neant
moins demeurées d'accord en ce rén
contre, que le corps de la Lune n’a point
de lumiere propre. Et quand elle con
court avec le Soleil dans le melme li
gne , elle s'obſcurcit , à nostre égard , en
parties égales , commeila eſté dir, & fa
ſplendeur eſt entierement émouſsée ; ce
que les Grecs appellent la Lune conioin
te avecle Soleil. Oron s'imagine qu'elle
naiſt, quand avec unepetite declinaiſon
delaligne perpendiculaire , dil ſemble
qu'elle ſoutienne le Soleil. A fon lever
Z
-
50 AMMIAN MA R. Liv. XX.
clle paroiſt greſle , quand elle eſtvenuë
au ſecond figne , ayant quitté l'Aſtre du
jour.Et s'eſtant un peu avancée davan
tage, elle ſe revelt de cornes reſplendif
ſantes, & s'appelle du nom de Lune dont
elle porte lImage. Quand elle commence
à s'éloigner du Soleil par un longinter
ſtice , & qu'elle eſt venuë e au cinquié
me ſigne , comme elle enviſage ſes
rayons qui la regardent , elle conçoit
auſſi une plus grande lumiere , & s'ap
pelle d'un nom Grec qui ſignific demy
Lune , parce qu'ellc en exprime le demy
rond. Puis enfin commeelle avancetoû .
jourspaïs en s'éloignant davantage , &
qu'elle attrape le cinquiéme ſigne , elle
remplir toutes ſes cornes, & ſe montre
bofluë de part & d'autre. Mais quand
elle eſt directement opposée dans la
maiſon du ſeptiéme ligne, elle reluit d'u.
ne pleine lumiere ; & fi elle avance tani
ſoit peu , elle diminuë à proportion , ce
que nous appellons declin , & reprend
en vieilliſſant les meſmes formes qu'elle
avoit en croiſſant : & nous ſoinines ina
fruits par diverſes connoiſſances que la
Lune ne manque jamais entierement
que dans le temps des Entre-mois, lors
que l'on dit communement , qu'il n'y *
point de Lune. Quant au Soleil que
IP

CONSTANTIVS ET JVLIEN , 337


nous avons dit cy - devant, qui court
tantoſt dans la Region etherée , & tan
toft dans le monde interieur , il faut
ſçavoir que les corps des Aſtres , à l'ef
gard de I'Vniverſalité du monde, ne
ſe couchent point , & qu'ils ne ſe
leventpointaulli: Mais qu'ils ſe voyenc
de telle forte de la Terre où nous ſom
mes , qu'ils ſont ſuſpendus par le mou
vement internede je neſçay quel eſprit,
& qu'ils ſont poſez comme de petits
points , dans l'immenfe grandeur des
choſes, & quenous voyons les Eftoiles
fixes dans le Ciel , dont l'ordre eft érer
nel , & qu'il ſemble quelquefois à la
veuë languiſſante des hommes , qu'el
les s'eſcartene d'elles -ineſmes de leur
propre ſicuarion.Mais retournonsmain
tenant à noſtre propos.

111.

Les vertus de Tulien affligent Conſtantins,


... Comme l'Empereur luy veut ofter les
Trouppes auxiliaires , les soldats qui
favoriſent Iulien , y reſistent de vive
voix afc parécrit.

Es transfuges avoient appris à des


D gens qui eſtoient allez recon
Zij
N
AMMIA MAR . Liv . XX .
532
noiſtre le Païs , que l’Empereur Con
ftantius fe haftoit de porter du ſecours
dans les Provinces d'Orient , tandis
que les Perſes continuoient à y faire

des courſes qui rroubloient le repos.


Cependant les Vertus de Iulien le fai
loient enrager , leſquelles ſa renommée
avoit épanduëspar toute la Terre,dans
la bouche de toutes les Nations, pour
luy donner de grandes louanges, apres
qu'il eut abbatu dans l’Alemagne des
Royaumes entiers , & qu'il euç recon
quis & rcbaſty des Villesdans la Gaule
que les Barbares avoient priſes ou de
truites , leſquels il rendit tributaires.
L'eſprit de Conſtantius eſtantdonc cho
qué de ces choſes & d'autres ſembla
bles, & craignant que le merite de lu
lien n'augmentaſt encore de plus en
plus à la ſollicitation , à ce qu'on diſoit
de Florent , qui exerçoit la charge de
Prefect , il envoya expres Decentius
Tribun & Secretaire pour retirer d'au
pres de luy les Troupes auxiliaires, c'eſt
à dire les Herules & les Bataviens d'en
tre les Celtes , avec les Perulans , &
trois cent homines d'élite d'entre les
autres , fouspretexte qu'il en avoit af
faire pour le.commencement du Prin
tempscontre les Parthes. Et, pour faire
CONSTANTIUS ET IULIÊN . 533
venir en diligence les Auxiliaires , avec
les trois cent , on jetra les yeux ſur Lu

picin ſeul, à quil'on donna la chargede


Iesamener : car on ne ſçavoitpas enco
re qu'il euſt paſſé dans la grand ' Bre
tagne pour amener promptement les
Soldats armez de Boucliers , avec ceux
des Nations; on en donnale comman
dement à Sintule qui eſtoit alors Tri
bun de l’Eſcuric , ou grand Efcuyer de
Cefar . Iulien ne dit rien de ces choſes,
il y acquieſla ſans inurmurer, parce qu'il
vouloit tout ceder à la diſcretion de
celuy qui eſtoit le plus puiſſant. Il ne
pûr toutesfois ny diſſimuler ce qu'il
avoir ſur le cœur , ny ne point parler
pour ceux qui nedevoient point ſouf
frir de deſplaiſir , de ce qu'ayant aban
donné leurs maiſons au delà du Rhin ,
ils s'eſtoient rendus à condition qu'ils
ne feroient jamais menez au -de -là des
Alpes : car ilmaintenoit pour l'intereſt
de la Republique , qu'il y avoit grand
ſujet de craindre que les Barbares vo
lontaires , qui ſe ſont rangez ſouvent à
de telles conditions, venantà connoî
tre qu'on leur manqueroit de parole
s'en retireroientpour touſiours . Mais il
parloit en vain , car le Tribun qui fai
foit peu d'eſtat des plaintes de Celar,n'a :
Z iij
934 AMMIAN MAR . Liv. XX .
voit ſoin que d'obeyr aux commande
mens d'Auguſte. Ayant donc choitiles
meilleures Troupes , il leur ordonna de
le ſuivre , & s'en alla , ſe tenant fier par
l'eſperance qu'il avoit conceuëducoté
de ceux qui eſtoient les plus puiſſants.Et
d'autant que Ceſar eſtoit en peine de ce
qu'il avoit à faire des autres, qu'il luy
eſtoit ordonnéd'envoyer , & que ſurce
la meſme, il rouloit beaucoup de pen
ſées en ſon eſprit,il crût quecette affaire
ſe devoit menager doucement , parce
que d'un coſté ilſe trouvoit attaqué par
la felonie des Barbares, & de l'autre il ſe
voyoit preſſé par les commandemens
de l'Empereur : mais ſur tout , comme
l'abſence du Colonel de la Cavalerie ,
partageoit ſon eſprit , il fut d'avis de
rappeller le Prefect de Vienne , où il
cftoit allé ſous pretexte d'en faire venic
des bleds , & de ſe délivrer parluydela
charge de la Milice qu'il avoit ſur les
bras. Car il conſideroit que pourle ſu
jet qu'il avoit eſté envoyé en ces quar
tiers-là , on jugeoit à propos de reti
ser de la deffenſe des Gauleslesmeilleu
res Troupes qu'il euſt,leſquelles étoient
devenuës formidables aux Barbares.
Ce Prefect ayant receu les Lettres de
Ceſar , qui le prioit & qui luy ordon
CONSTANTIUS ET JULIEN . 555
noit en meſme temps de hafter ſon re
tour , pour aſſiſter la Republique deſes
bons Conſeils , il y relittoit opiniaftré
ment, parce qu'il avoit peur , comme
fon commandeinent les portoit expreſ MA
ſément , que le Prefect dans la plus
grande chaleur des affaires , & mef
mes des affaires les plus terribles
vinſt à ſe ſeparer des ordresde l'Empe.
feur; adjoûtant à cela que s'il diflimu .
loit quelque choſe où il s'agiſt des de
voirs de la Chirge , il vaudroit autant
qu'il ſe defpoüillaſt de la bonne volon
té des enſeignes de la puiſſance qu'il
exerçoit , & qu'il tiendroit glorieux
de mourir plutoft que d'abandonner le
foin des Provinces qui luy avoient eſté
confiées. Mais , quoy qu'il en ſoit, le
Prefect perſiſta dans la reſolution , & ne
voulut point obcir , parce qu'il ne:
crût pas qu'il у fuít raiſonnablement
obligé. En ces entrefaitesneantmoins,
à cauſe de l'abſence de Lupicin , & de
la crainte du Prefect qui craignoic les
émotions militaires , Iulien ſe trou
vant dépourvû de Conſeil; enfin apres
>

avoir long -temps balancé , creûrque le


meilleur ſeroit de tirer promptement
toutes les Troupes des Garniſons , où
elles.cftoientdeſtinées pour paſſer l'Hyo:
Ż . iiij.
135 AMMIAN MAR. Liv . XX.
ver , & les ayant fait aſſembler en un
lica appellé Petulance , quelqu'un jetta
par terrcua libelle diffamatoire , où il
y avoir écrit entre autres choſes ; Nous
ſommes à la verité chaſſez juſques au bout
du monde , commedes coupables condam
nez , qui ontmerité quelque rude chati
ment.Cependant nos femmes ſeront redui
tes en fervitude chez les Alemans , les
quelles nous avions pourtant delivrées de
leur captivité apres avoir gagné des Ba
tailles Sang!antes. Par cet écrit qui fult
rapporté & leu à la Cour , Iulien con
fidcrant les juſtes plaintes qu'on faiſoit,
leur ordonna d'aller en Orient avec
leurs familles , ayant donné ordre pour
cela aux Roulliers & aux Voicuriers ,
de ſe tenir preſts pour le voyage : Et
comme on eut eſté long-temps en pci
ne par quelle route on iroit , le Secre
taire Decentius fur d'avis de paſſer à
Paris , où Ceſar eſtoit encore , & d'où
il n'avoit point bougé. Et la choſe fut
faite ainfi .
CONSTANTIUS ET JULIEN 337

IV.

Iulien ſouffre de ſatisfaire au defir de


Conſtantius : mais les Capitaines co
les Soldats émeurent une ſedition ng
prirent les armes pour élever Tulien à
la dignité d'Auguſte', ils le contraigni
rent d'accepter le Diadeſine qu'ils luy
mirent sur le teſte.

V meſme temps qu'ils s'approche


rent , le Prince vin't au devant
Arion
d'eux ſelon la couſtume, juſques dans
le Faux-bourg , donnant des louan
gesà ceux qu'il connoiſſoit , & les ex
hortant touſiours par de douces paro
les , à faire de bonnes actions , afic
qu'ils allaffent gayement trouver l'Em
pereur , où eſtoit l'entiere & la pleine :
puiſſance , pour recevoir de ſes libera
litez les dignes recompenſes qui
eſtoient deuës à leurs travaux . Et afin :
de leur donner à tous des marques
plus honnorables de ſon eſtime, avant
que de parler il voulut traitrer en
feltin les principaux Officiers , & les;
conjura tous de luy demander ſur le:
champ , ce qu'ilsjugeroient qui fuften :
Lon pouvoir , & qu'il le leur accordes
ZIV:
348 MMIAN MAR . Liy . XX .
roit volontiers pour leur témoigner l'e
ſtimequ'il faiſoit d'eux. Ayant dóceſté
reçeus de la forte avec tant decourtoi.
fie , ils ne ſe ſeparerent pas d'aupresde
luy qu'avec regret & deſplaiſir, de ce
que leur mauvaiſe fortune les retiroit
du ſervice d'un Prince.fi-moderé , &
qu'elle les éloignoit: du Païs de leur
naiſſance.Setrouvant donc preſſez d'un
regret fi ſenſible , ils ſe retirerent dans
leur quartier accoûtumé. Et commela
nuit commençoit , ils eurent debat en
tre eux. Puis s'eſtantencouragez les uns
les autres dans l'inquietude que leur dó .
noit une affaire inopinée , ils mirent la
main aux armes , & tous avec un fre
miſſement & un bruit extraordinaire
coururent au Palais , & l'ayant entou
ré de toutes parts ; afin que perſonne
du monde n'en pût ſortir , ils procla
merent ·Iulien Auguſte avec de terribles .
clamcurs , le preſſant de ſortir & de ve-,
nir vers eux. Mais ayant eſté contraints .
d'attendre qu'il fuſt jour ; enfin , ils l'o
bligerent de paroiſtre.Si-coſt donc qu'ils
le virent , ils redoublerent leur voix , &
l'appellerent Auguſte d'un commun
conſentement. Mais a . il reſſtoit con
ſtammentà tousen general & à chacun
deux en particulier , tantoft leur té
CONSTANTIUS ET JVLIEN . 339.
moignant ſon indignation , & tantoſt
leur tendant les mains pour les conju
rel , de ne rien faire demal à propos ,
apres tant de Victoires qu'ils avoient
{i heureuſement gagnécs , dont ils ſe.
mettoient en danger de perdre tous les
fruits en un inſtant : que leur temerité.
eſtoit hors de propos , & que la faute
qu'ils faiſoient , appreſtoit des matic
res dediſcordes , qu'il ne ſeroit pas fa
cile d'appaiſer . Puis il adjoûtoit apres..
les avoir un peu adoucis . De grace ,
, que voſtre colere ſe modere tant ſoir:
» pou ſans tant de diſſention , ny fans.
tant d'ardeur que vous faites paroître
d'avoir pour desnouveautez : ce que.
», vous deſirez vous ſera facilementace .
» cordé , parce qu'en effet , il n'y a rien
quivous recienne que la douceur dela :
„ Patrie , & il vous fäſche d'aller en des ;
Païs étrangers , que vousn'avez point
accouſtumez . Retournez donc inain
tenant chez vous,pourne voir rien de
,, ce qu'il y a au de là des Alpes , puis ;
„ que cela vous deſplaiſt. Je vous en
excuſeray aupres de l'Empereur , qui
,, eſtcapable de raiſon , & plein de gran
4
,de prudence. On ne s'eſcrioit pas

moins apres cela de toutes parts : cha ,',
& fous enſemble avoient une parcille :
Z - vj ,
5:40 AMMIAN MAR . Lir . X X.
ardeur, où l'audace des injures fe mefloit :
parmy la contention , li bien que Ceſar
fut contraintde conſentir à fon elévatio.
Ilfutmis ſur un Bouclier degensdepied
où il fut ſoulevé pour eſtre vû deplus
demonde : & , commeil fut ſalüé Augu
ſte ſans que perſonne gardaſt le ſilence,
on luy demandoit ſon Diadême; mais .
ilaffeura qu'iln'en avoit point, & qu'il
n'en avoit jamais eu de la vie.On luy
demanda donc le collier de la femme ,
ou toutaumoins l'atour qu'elle met ſur
fa teſte ;mais commeil s'en fur excusé ,
parce qu'il n'euſt pas eſté debon augure
au commencement de la dignité de ſe
parer des ornements d'une femme, on
voulut fc ſervir d'une bandelette d'or
qu'on mettoit ſur le chamfrain des Che
vaux allant à la guerre , afin qu'eſtano
couronné de cela , il portaſt au moins
quelque apparence obſcure de la puiſ
fance ſuprême. Mais comme il aſſeuroit
encore que cela ne ſeroit pas honneſte ,
un certain hoinme appelle Maurus, qui
depuis ayanteſté fait Comte ſe compor
ta fort mal au détroit des Sucques , &
quieſtoit alorsGend'arme de la troupe
des Petulants, s'eſtant oſté un c carquan
qu'il portoit comme Dragon , c'eſt à di
me.Cavalier de la Compagnie des. Dra:
CONSTANTIUS ET JULIEN . 541
gons , il le mit hardiment ſur la teſte de
Julien , qui eſtant pouſsé à la derniere
extremitê, & voyant bien auſſi qu'il ne
pouvoit éviter le grand peril dont il
eſtoit menacé , s'il faiſoit une plus lon
guerelittance , promit à tous cinq ef
cus d'or, & des Medailles d'argent de
meſıne poidsà chacun .
Apres ces choſes , il ne ſe trouva pas
moins inquicté qu'ileſtoit auparavant ,
& prévoyant bien en fon eſprit ce qui
devoit arriver, il neporta ny Diadême ,
ny n'oſa jamais paroiſtre en habit Im
perial, ny faire des choſes ſerieuſes qui
peuſſent choquer le moins dumondela :
delicateſſe de Conſtantius. Mais comme
Julien épouvanté des accidens qui le,
pouvoient accueillir dans cette conjon -
cture, ſe fur retiré dans ſon cabinet ; un
d Decurion du Palais , qui eſt un ordre
dedignité , eſtant parvenu à une Enſei
gne des Petulants & des Celtes , s'écria
qu'on avoit fait en tumulte une fortmau .
vaiſe action , & que celuy qu'ils avoient:
declaré Auguſte le jour d'auparavant ,
avoit eſté tué ſecrettement. Les ſoldats
qui apprirent cettenouvelle n'en eſtoiét
pasmoins en peine pour leschoſes qu'ils
Içavoient, & pour celles qu'ils ne ſça
voient pas. Une partic brandiffoir dejà
5423 AMMIAN MAR . LIV. X.X.
ſesjavelots,d'autres menaçoientl'épéeà
la m.in , & tous par unc émorio ſoudaine
& diverſe, comme il arrive d'ordinaire ,
coururentau Palais ; & du grand bruit
qui ſe fit , les Gardes meſmes & les Tri
buns quiſont les Capitaines des Gardes,
& le Comte des Domeſtiques , ou le
grand Prevoſt de l'Hoſtel appellé Excll
biror, furenttelleinent éronnez , & ſe de
fierent li fort de l'humeur changeante
des ſoldats , que la craintedeltre égor
gez les fit diſparoiſtre. Toutesfois ayant
vû que tout eſtoit en repos dans le Pa
lais, ils s'appaiſerent tant ſoit peu : Er
comme on leur elit demandé paiſible
ment quel eſtoit donc le ſujet de leur
émotion ſi ſoudaine, apres qu'ils eurent
eſté long-temps ſansdire un ſeul mot,
dans l'incertitude où ils eſtoientau ſujet
de la vie du Prince , ils ne ſe retirerent
point de là , qu'ayant eſté admis en la
chambre , ils ne l'euflent,vû en habit
Imperial.
Ayantoüi ces choſes,ceux quieſtoient
fortis , comme nous l'avons dit cy-de
vant , ſous la conduite de Sintule , s'en
retournent paiſiblement à Paris avec
luy: on publia un ordre pour le premier
jour , que tous euſſent à s'affembler dans
un champ; & ce jour-là eſtantvenu, 8
CONSTANTIUS ET JULIEN . 543
toute la Milice s'eſtant aſſemblée , le
Princemonta ſurun Tribunal plus ſom-
ptueux que l'ordinaire ,entouré des En ,
ſeignes , desAigles, & des Eſtendarts au
milieu des troupes armées. Puis, quand
ilſe fut reposé cant ſoit peur , & qu'ilcut
conſidere de haut en bas les viſages de
tous les gens de guerre , où il remarqua
de la gayeté & dela joye, illes animade
ces paroles ſans artifice , prononcéesdi
ſtinctement , afin qu'elles fuſſent plus
faciles à entendre , & qu'elles ne fuſſent
pasmoins capables de les toucher , que
leſon des trompettes & des clairons.

Haranguede Julien aux Soldats ,touchant


les recompenſes Militaires ; & par quel
..

Les paroles il fut ſalüéparle Genie de la


Republique la nuict de devant qu'il fut
proclamé Auguſte.

Ne choſemal-aisée , dit -il, mes


> compagnons,.quiavez combat
tu ſous moy avec tant de valeur & de
fidelité , pour le ſervicedela Republi
» que, & qui avez expoſé li ſouvent vos
» vies pourle ſalut des Provinces ; m'o
bligede deſirer de vous ( puiſque par
$ 44 AMMIAN MAR . Liv. XX ,

» , voſtre jugement ſolide , vous avez


• », élevé voſtre Ceſar au ſuprémedegré
,,de toutesles Puiſſances de la terre,) que
», vous me permettiez de vous dire en
, peu de paroles dansle changement où
„ font maintenant les affaires, que nous
s, apportions les remedes neceſſaires
,, avec prudence , que vous jugerez à
» propos pour nous conſerver. A peine
, ay-je eſté ſorti de l'enfance , que j'ay
y eſté reveſtu dela pourpre , vous le ſça
s , vez , pour eſtre mis en voſtre tutelle ,
, ſous la protection du Ciel : & je neme
„ ſuis jamais éloignédu deſſein de bien
» vivre : vous m'avez vû occupé avec
„, vous dans toutes ſortes de travaux
» quand nous avons diſſipé l'intelligen
» ce des Nations , apres la deſtruction
des Villes , & c la défaite d'une infinité
,, d'hommes , dont fort peu fontdemeu
„ rez de refte à demycſtropiez . Je croy
qu'il ſeroit ſuperflu devous remettre
„ en memoire toutes les fois que pen
2 dant la rigueur de l'hyver , & dans la
rude ſaiſon qu'on s'abſtient de faire la
o guerre par terre & parmer,nousavons
on neantmoins en ce temps- là repouſsé
„,les Alemans indomptez , avec dimi
nution de leurs forces . Mais certaine
winent iln'eſt pas juſte de paſſer ſousfi
CONSTANTIUS ET JULIEN . 545
s,lence ce qui ſe fit en l'heureuſe jour
s»née de Strasbourg , qui rendit aux
--Gaulois une perpetuelle liberté, quand
in je courois parmi l'épaiſſeur des darts,
» & que vous eûres une conſtance Gi fer
> me avec beaucoup de vigueur , foûte
„ nant les Ennemis qui fondoient ſur
», vouscomme des corrents, & que vous
> lcs ſurmontaftes neantmoinsavec l'é
pée , ou que vous les contraigniſtes de
», ſe jetter dans la riviere , où ils furent
» noy.ez , peu desnoſtres y eſtant demeu .
» rez , dont nous honorâmes pluſtoit
» leurs Reliques de louanges celebres,
» que de nos larmes.Apres quoy, je puis
croire que la poſterité ne ſe taira ja
s mais ,de ce que vous avez merité de la
Republique par des actions ſi memo
istables , vers toutes les Nations, lice
luy que vous avez honoré de tant de
» marques de voſtre eſtime , par le com
» ble de la majeſté , vous le deffendez .
» par voſtre valeur & par voſtre coura
» ge intrepide , s'il arrive qu'on s'effor
cede leperdre , ou qu'on attente quel
» que choſe contre luy . Mais afin d'ob
> ſerver l'ordre en toutes chofes , & que
,, les prix qui ſont dûsà la vaillance de
„ meurent inviolables , & qu'une am
bition clādeſtine ne vousraviffe point
$ 46 AMMIAN MAR . Liv . XX .
»,les honneurs que vous meritez , j'or
», donne que de voſtre conſentement &
», de voſtre conſeil que ie veux touſiours
», confiderer,iln'y ait point delugecivil,
„ ny de Conducteur deMilicequiarrive
» autrement que par le merire aux de
„ grez de l'honneur, & qu'il y ait de la
honte à celuy quiledemanderoit pour
quelqu'un qui n'en fuſt pas digne.
Lemoindre ſoldat animé par cette con
fiance d'une plus grande eſperance pour

9
parvenir aux honneurs & aux charges ,
où il n'a point eu de part , s'éleva de la
pouffiere parun grand bruit , frappant
fes boucliersde les darts pourmarquer
fajoye , & chacun le favoriſant en met
me temps de ſes ſuffrages & de ſes ſou
haits. Tout aufli -toft , de peur que
quelqu'un ne vinſt en peu de temps ap
porter du trouble dansune libonne dit
poſition , les Peculants & les Celtes de
manderent d'eſtre envoyez en quelques
Provinces qu'on voudroit , & que les
Controoleurs en cinſſent regiſtre . Ce
que n'ayant point obtenu , ils ſe retire ...
rent ſansen avoir de faſcherieny de ref
ſentiment dans le cour. Toutesfois la
nuict qui devança le jour , quc Cefar fut
declaré Auguſte, l'Empereurrapporta å
quelques-unsde ſes plus confidents , quc.
CONSTANTIUS ET JULIEN . 547
pendant le ſommeil il avoit eu quel
qu'un en viſion , comme on a accoûtu
mé de figurer le Genie public , qui luy
dit ces paroles avec reprimande .
Julien , j'obſerve depuis long -temp3
„ Pentrée de voſtre logis,pour augmen B
„ ter ſecrettement voſtre dignité, quand
„ l'occaſion s'en offrira : & quelques
„,foisie m'en ſuis retiré , coinmeſi j'en
,, cuſſe cíté repouſsé. Mais ſi mainte
„ nantie n'y ſuis receu , par le ſuffrage
de pluſieurs quis'y accordent, ie m'en
„ iray touttrifte , comme ſi l'on m'avoit
congedié. Toutesfois , retenez bien
1
„ Cecy dans voſtre cœur , a que iene de
,mcureray pas long- temps avec vous,

VI.

Le Roy de Perſe envahit la Meſopota


mie, tandis que Constantius en eſtoit
fort éloigné; il détruit la ville de Sin
gare , ayant défait deux Legions Ro
maines , tran
anſporté tout le reſte avec
les Citoyensiuſques aux derniers confins
de la Perfe.

Omme ces choſes ſe paſſoient dans


les >
fc trouyant animé du deſir de conquerir :
548 AMMIAN MAR . Liv. XX .
la Meſopotamie à la ſollicitation d'Ara
tonin & de Craugaïſe , tandis que Con
ſtantiuseſtoit occupé bien loin ailleurs
avec ſon armée , fit de grandes recruës
dans ſes troupes ; & ayant paſsé le Ti
gre, il entreprit le Siege de Singare qui
eſtoit uneplacebien munie , & lagarni.
ſon y eſtoit forte , felon l'opinion de
ceux qui commandoient dans les Pro
vinces voiſines. Ceux qui eſtoient de
dans,n'eurent point découvert de loin
l'Ennemi, qu'ils fermerentleurs portes,
& coururent de grand caur par coutes
les tours & par toutes lesmines & caſe
martes , amaſſant des pierres , 4 autour
des Mangonneaux & des Dondons. Et
touseftant armez de toutes pieces ,fai
ſoient bien connoiſtre qu'ils eſtoient
tout preſts de combattre, & derepouſſer
lamultitudeennemic,ſi elle venoit acta
quer leurs murailles. Le Roy commen
çantdonc à faire ſes approches, quand
il eut eſſayépar ſes principaux Officiers,
& par des conferences amiables de Alc
chir ceux de la place à ſe rendre ſans
combattre , & qu'iln'en eut pû rien ob
tenir , il leur donna encore un iour de
repos pour y penſer : & dés que le iour
commença de paroiſtre enſuite , le ſignal
ayant eſté donné par le grand Eſtendart
CONSTANTIUS ET JULIEN . 549
de couleur de feu qu'il fit déployer , la
Ville fut environnée de tous coſtez par
des gens qui traînoient des échelles ,
d'autres qui rouloient desmachines , &
de pluſieurs qui ſe couvroient de ga
bions , de mantelets , & de vignes , qui
fontdes Galleries pour aller ſous terre ,
& ſe frayer un chemin juſques aux fon
demens des murailles pour les fapper
& les faire ſauter . Contre toutes ces
choſes-là , ceux de la place ſe tenant
debout ſur le haut des Baſtions , re
pouſſoient de loin avec des pierres &
des darts de coures ſortes d'eſpeces ,
ceux qui s'efforçoient de les eſcalader ,
ou qui s'eſtoient déja jettez dedans .
On combatic quelques jours avec des
evenemensdouteux , pluſieurs ayant eſté
bleffez & tuez de part & d'autre. Mais
enfin la guerre s'eſtantun jour échauffée
plus que decoûtume, quand ce vint le
foir , un horrible Bellier entre pluſieurs
autres machines , qu'on appelle Carca
mousſes , c{tantyenu à jouer, & à donner
degrands coupscontre une Tour ronde,
detelle forte , qu'il en ébranla les pier
res, & y fit une ouverture , coinme nous
l'avons montré dans le lege que nous
avons cy -devátdécrit. Là ,noltre peuple
cóbatit vigoureuſement : & les feux &
tigo AMMIAN MAR . Liv. X X.
les torches ardentes, n'y furent pas 011
bliées, non plus que b'les maillottes ,
quivoloient de toutes parts pour mettre
le feu , auſſi bien que les lagerres , inceſ
ſamment décochées, & les boulets qui
cſtoientpouſſez d'une grande roideur.
Cependant la tcfte ferrée du Beliermet
toit tout en poudre , eſtant ébranlée de
vant & derriere pour donner de plus
grandscoups, elle defaiſoit le joint des
pierres fraiſchement bâties , que leur
inoiteur rendoir moins ſolides. Mais
tandis qu'on employoit le fer & le feu ,
quand la cheute de la Tour cut fait une
bréche pour entrer dans la ville , ceux
qui defendoient la place n'ayant rien
qui les couvriſt de ce coſté -là , ne
peurent empeſcher l'inondation des
Derſes qui entrerent en foule dans la
Ville , où ils remplirent tous les quar
tiers , tuerent quelques habitans
avec tres - peu de diſtinction , & fi
rent tous les autres priſonniers pourles
tranſporter en Perſe par les ordres de Sa
pores. Orles deux Legions quidefen
doient cette Place furent la premiere
Flavienne & la preiniere Parthique, a
vec pluſieurs gensdu pais , & quelques
troupes auxiliaires de Cavalerie , lef
quelles s'eſtoient renfermées dans la
!
CONSTANTIUS ET JULIEN . Ssi
Ville eſtant ſurpriſes par les miſeres ino
pinées de la guerre, tous leſquels furent
menez en captivité ayant les mainsliées
derriere le dos, ſans que pas un ſeul des
noſtres leur puit donner de ſecours. Car
la meilleure partie de l'armée eſtoit à
Nilibe, où elle gardoir cette place d'im
portance, fort éloignée de là , reconfere
vant chaudemétfous des fourures,autre
mentil n'euſt pas eſté poſſible à qui que
ce ſoit de porter du ſecours à Singare
quand elle fult preſte de comber, & mel
mes ce temps là eſtant paſsé , parce que
tousles lieux d'alentour étoient ſi arides
qu'iln'y cuſtpas cu moyen d'y ſubliſter.
Etbien que l'Antiquité euſt fortifié cet
te place, contre les emotions ſoudaines
des Enremis, fi eſt -ce qu'elle a eſte priſe
quelquesfois au dommagedes affairesde
Rome, avec perte de la garniſon qui N
cſtoit dedans pour la deffendre.

VII.

Il attaque vivement , emporte Bezab


de , autrement appellée Phenicha .

Pres que le Roy de Perſe cut pris

conſeil d'aller à Nilibe, ſe ſouvenant


552 AMMIAN MAR . LIV . X X.
bien des peines inutiles qu'il avoit ſou
vent priſes de ce coſté -là , & des maux
qu'il y avoit foufferts, ſi bien qu'il prit
la route à main droite par un chemin
oblique , & s'en alla à Bezabde, queles
anciens Marchands appelloientautres
fois Phoënique, pour ellaycr par promef
ſes ou par forcede prendre cette place,
qu'on avoit fortifiéeà grands frais fur
une coſte mediocrement élevéc, qui a
voit unepante ſur les bords du Tigre,
d'où l'on découvre tous les lieux bas
d'alentour, la place revêtuë d'un dou
ble mur tout autour, pour la garde de la
quelle il y avoittrois Legions, la ſecon
de Armenienne , & la ſeconde Parthi
que avec pluſieurs Archers des Zabdi
Cenes, parce qu'elle eſtoit ficuée dans le
territoire de ces peuples reduits dans
l'obeïſſance des Romains. Le Roy y
vintdonc d'abord avec un Eſcadron de
Cavalerie arınée detoures pieces , où il
paroiſſoit plus grand que tous les autres,
coucant hardimentautour du Camp ſur :
le bord des foffez : Mais comme il vid
qu'on tiroit ſur luy, & queles Mangon
neaux faiſoient pleuvoir les fléches &
les pierresdetous coſtez,ſes gensſe pref
ferent autourde luy pour le couvrir de
leurs Boucliers en formede tortuë, & ſe
retira
CONSTANTIVS ET JVLIEN . "553
retira ſans avoir eſté bleſsé. Toutesfois
n'ayant pas voulu faireéclatter ſa cole
re, il envoya des Herauts, ſelon la coû
tume, pour convier les affiegez par des
voyes douces,depourvoir à leur propre
ſalut, & de rendre la place ſans foûtenir
deliege, qui ne leur feroit quc domma
geable :mais qu'ils pouvoient remedier
à ce malheur s'ils ouvroient leurs por
tes , & s'ils venoicnt ſe jetter de leur
bon gré aux piedsdu vainqucur de tou .
tes les Nations. Les Afliegez épargne
rent la hardieffe des Herauts qui s
toientapprochez ſi fort deleursmurail..
les,parce qu'ils avoientauprés d'eux des
gens de leurs païs qui leureftoient con
nus, leſquels furent faits priſonniers à
la priſe de Singare. Car , pour l'amour
d'eux, ilnefut tiré pasune ſeule féche ,
& perſonne auſſi ne répondit touchant
les propoſitionsde paix. Puis ayant ac
cordé une tréve d'unjour & d'une nuit ,
dés,devant que la clarté parut du jour
ſuivant, les Perſes ſe preſenterent ſur le
bord du rampart,avec force menaces &
grand bruit : & comme ils furent au pied
desmurailles, il fut combatu valeureu
ment de part & d'autre. C'ef pourquoy
pluſieurs desParthes furentbleſſez, par
ce que les uns traînoient des échelles ,
Аа
AMMIAN MAR. Liv. XX ,
les autres porroient devant eux des
clayes d'ozier qui leur fervoient de
mantelers , & ſe jettoient comme des
aveugles dans la place ; inais non pas
fans que les noſtres leur donnaſſent bien
e
de la peinepar leur courageuſ reſiſtan .
ce. Car des nuages de traits fondoient
fur eux, & les perçoierit eftant preſſez
les uns contre les autres. Puis , quand
le Soleil fut couché, chacun ſe retira
avec perte égale : & dés que le jour eut
recommence , la bataille recommença
auſſi avec plus d'ardeur qu'elle n'avoir
fait auparavant. Les Trompettes ſon
nerent de & d'autre : Il ne ſe vid
part
pas moins de perte de tous les coſtez ,
parce qu'on ſebattit avecune égale opi
niaſtreté .
VIII.

Sapor ayant reietté les avis d'un Evers


que Chreſtien , prend la Ville vafliegées
il exerce de grandes cruautez ſur les
citoyens, fait une tentative pour
emporter Virta Ville tres-forte , mais
il en quitte l'entrepriſe et ſe retire.

Ais le jour fuivant qu'une tréve


M fut accordée de part & d'autre
d'un common contentement, comme la
CONSTANTIUSET JULIEN .
terreur fut grande à ceux qui deffen
doient la place, & qu'elle ne fut pas
moindre aux Perſes qui la-cenoientaſſie
gée, a l'Evefque de la Loy Chreſtienne
témoigna par ligne & par geſte qu'ilde
firoit ſortir : & ayant receu parole qu'il
luy ſeroit permis de s'en retourner , &
qu'on ne luy feroit pointdemal, il vino
juſques au pavillon du Roy. Où, com
me on luy cut donné la licence de dire
ce qu'il vouloit, il s'efforça par un diſ
coursaffable de perſuader aux Perſes de
ſe retirer chez - eux, apres les pertes co
munes qui avoient eſté ſouffertes de part
& d'autre, lespouvant aſſeurer que lice
la n'eſtoit point, il ſe failoit bien reſou
dre à en ſupporter de plus grandes, dont
chacun d'eux eſtoient menacez . Mais
il parloit inutilement , & toutes ces rai
fons, & autres ſemblables furent peu
conſiderécs . Le Roy s'y oppoſa entie
rement par ſes emportemens, & luy pro
teſta qu'il ne partiroit point de là que la
placene fuſt derruite , ou que ſon Camp
ne fult renversé . Un vain ſoupçon fic
concevoir neantmoins je neſçay quel
le recenuë à cet Eveſque, comme je me
l'imagine, bien que, ſelon que plafieurs
l'aſſeurent, il eult eu de ſecrettes con +
ferences avec le Roy', par leſquelles-il
Az ij
56 AMMIAN MAR . Liv. X X.
luy declara quels eſtoient les endroits
les plus foibles des murailles de la pla
:ce, pour l'attaquer avec plus de ſeureté.
par ces lieux -là. Ce qu'il reconnue dc
puis d'autant plus vray -ſemblable , que
dans ſes attaques il y trouva beaucoup
moins de reſiſtance qu'ailleurs , parce
qu'en effet ces lieux eſtoient beaucoup
moins fortifiez , & les murailles n'y
eſtoient pas fi bien terraſsées qu'elles
l'eſtoient ailleurs. Et quoy que les che
mins étroits ydonnoienrún abord plus
difficile , les Belliers qui furent dreſſez
contre les murs y joüerent avec plus de
difficulté, outre quela crainte des pier
res de main & des fléches , defendoit
L'approchc: & certes les b Baliſtes & les
Scorpionsruoient auſli celles- cy des flé
ches, & ces autres des cailloux. Et com
me s'ils euſſent tous eſté enduits de poix
& de bitụme, on cuſt dit qu'ils s'allu
moient en l'air,tant ils eſtoient pouſſez
dru desmachines ; aulli y ajoûterent - ils
desmaillotes & des torches allumées,
qui portoient le feu par tout. Mais, co
meces choſes ſe paſſoient dela ſorte, &
que pluſieurs en furent abbatus de parc
& d'autre, ceux qui attaquoientavoicot
d'autantplus d'ardeur d'emporter la pla
ce qu'ils voyoient qu'ils auroient de la
CONSTANTIUS ET JULIEN . 887
peine à la prendre devant l'Hyver ,
caule de l'avantage de la ſituation , &
des grands travaux dont elle eſtoit mu
nie, & que cependant ilne ſeroit pas fa
cile d'appaiſer la coleredu Roy. C'eſt
pourquoy, ny l'effuſion de beaucoup de
ſang, ny les bleſſeures mortelles d'une
infinité de valeureux foldars, n'eſtoiegt
pointcapables de ramener les autres du
deſfein de perir ou d'achever leur.con
queſte. Mais ayatcombatu long -temps,
avec perte,enfin ils ſe jercerentaveuglé
mentdans le peril, & comme les Alfail
lans penſoient ébranler leurs Beliers
pour hcurter contre les murailles , les
Tenans faiſoient pleuvoir les cailloux
de leurs Perriers en ſi grande abondan
ec , avec les feux qu'ils jettoient de
tous coſtez , qu'ils les empeſchoient d'am
vancer leur travail. Mais un Belier plus
puiſſant quetous les autres , couvert de
cuir de bæuf humectépour eſtre moins
ſuſceptible des accidents du feu , ou des
atteintes des darts, devançant tous les
autres, ſe traîna avec de grands efforrs.
juſques au pied du mur , où enfonçant
d'une robufte atreinre les liaiſons des
pierres, il abbatit une Tour quiavoit lâ
ché, laquelle tombant avec un grand
bruir,en tua pluſieurs qui eſtoient del ,
A a iij
558 AMMIAN MAR. Liv. XX
fous, & les fic perir de morts diverſes &
imprevûës , & quand la multitude eut
trouvé une ouverture plus commode ,
le
elle s'y jecta en foule. Puis , parmy
bruit des uns & des autres, la bataillere
commença plus fort des Ennemis & des
noſtres, dansl'enceintedesmurs, fe joi
gnantcorps à corps , en ſorte que per
lonne ne fut epargné ný çà ny là. En
fin les afficgez , apres avoir long-temps .
reſiſté,pendant que leur ruine eſtoit en
core incertaine, furent accablez par le
nombre. Et tout auſſi -toft les epées des
Ennemis furieux mettoient en pieces
tout ce qu'elles rencontroient. Et les
petits enfans arrachez du ſein de leurs.
Mercs furent maſſacrez , & les Meres
-mefmes furent égorgées , fans que per
fónne cuft égard à ce qu'il faiſoit. Par
my tant de choſes funeltes, le ſoldarvi
storieux avide de pillage , seſtant char
gé de toute forte de dépouilles , & trai
nant apres ſoy force captifs , le retiroit
plein d'allegreffe dans ſes tentes. Tout
tesfois le Roy quelque tranſporté qu'il:
fuſt d'une inſolente joye , ayant long
temps brûlé du delic de prendre Pheni
če, quieſtoit une place qui luy ſembloit.
propre à ſes deſſeins, nes'en retira point
qu'iln'en cuft auparayant reparé lesrui
CONSTANTIUS ET JULIEN . $59
Nes, & que l'ayant bien munic de contes
les choſesneceſſaires, il n'y euſt mis de
dans une bonne & forte garniſon de no
bleſſe , & de gens qui ſçavoient le mê
tier de la guerre. Car il craignoit, ce qui
luy arriva , que les Romains portantcet.
perteavec impatience , parce qu'elle
leur eſtoit de grande conſequence , ne
vinſſentavec des forces puiſſantes pour
l'aflieger à leur tour: puis s'eſtant écarté
dansla campagne, ayant conceu l'eſpe
fance d'emporter tout ce qu'il attaque
roit , apres qu'il eut enlevé d'emblée
d'autres Châreaux demoindre impor
tance,il ſe diſpoſa d'attaquer Virte ; qui
eſtoit une fort ancienne place que l'on
croyoit avoir eſté bâtie par Alexandre
/

Roy deMacedoine ſur la frontiere de la


Meſopocamic ;mais entouréedemurail
les irregulieres & avancées en demy
Lunes dans une ſituation preſqueinac
cellible. Cependant comme il s'effor
çoit del'avoir par toutes ſortes d'artifia
ces, tantoſt ſollicitant la garniſon par de
belles promeſes, tantoſt la menaçant de
peines cruelles , quelquesfois ſe diſpo
fant à élever des plates- formes tout au
tour, & faiſant meſmes approcher des
machines pourbattre les murailles,apres
qu'il y eut reçeu plus de doinmage dans
Aa iiij
360 AMMIAN MAR . Liv. XX.
fon armée, qu'il n'en fir aux Aflicgez ;
Enfin ayant jugé à propos de quitterſon
entrepriſegil ſe recira ſans avoir rien fait.
Ces choſes ſe pallerent cette année
entre le Tigre & l'Euphrate. Ce que .
l'Empereur Conſtantius ayant appris de
divers avis qui luy venoient coup ſur
coup , eut peur des expeditions des Par
thes, & vint paſſer l'Hyver à Conſtan
tinople, pour eſſayer de fortifier la fron
tiere , tandis qu'il faiſoit pour l'année
fuivante de grands preparatifs pour la
guerre. Ilaſſembloit ſes troupes de tous
coſtez, où il faiſoit cntrer les Apprene
tifs , & faiſoit des recruës dans les Le
gions qu'il rempliſſoit d'une valeureuſe
jeuneſſe, apres s'eſtre ſignaléesdansdes
combats de pied ferme en Orient : &
imploroit encore pour ce ſujet le ſe
• cours des Scythes , ſoit de leur bonne
volonté, ſoit pourune ſomme d'argent
conſiderable qu'illeur offroit; afin de ſe
joindre à luy pourmarcher fi-toft que
le Printemps ſeroit un peu avancé.
CONSTANTIUS ET JULIEN SQ1

IX .

Fulien prenant garde ſoigneuſement à la


tat de ſes affaires écrit une grande let
tre à Conftantius pour eſſayer de fles
chir son eſprit .

Nces entrefaires , Julien qui palloie


l'hyver à Paris, craignant l'illuëdes
ENO
choſes qui avoient eſté entrepriſes en ſa :
perſonne, eſtoit en grande inquietude ,
ne croyantpas qu'il puft jamais aborder
Conſtantius, en l'eſprit de quiil ſçavoit
bien qu'on l'avoit mis dans le dernier
mépris. Conſiderant donc que dans les
grandes nouveautez il n'y a rien quiſoit:
davantage à craindre que les commen
cemens, il ſe reſolur..de luy envoyer des
Ambaſſadeurs, & de luy rendre compte :
de tour ce qui s'eſtoit paſsé , leur done .
nant pourcér effet des lectres qu'il avoit
écrites & concertées avec beaucoup de
ſoin , touchant ce qui s'eltoit paſsé, & ce
qu'il y avoit à faire pour l'avenir, à quoy
il ajoûtoit clairement les avis qu'il
croyoit neceſſaires pour ſon ſervice
quoy qu'il fuſt bien .perſuadé qu'il y
avoit dejà quelque temps qu'il euſtapa
pris toutes choſes par le rapport de De
Aa V
562 AMMIAN MAR. L17. XX.
centius qui s'en eſtoit retourné en Cour,
& de quelques Officiersde la Chambre
qui s'y en eitoientauſſi retournez depuis
peu des Gaules , où ils avoient apporté
quelques ordres à Céſar. Er bien que ce
ne fult pas fans repugliance, il ne le fer
vit point danstout ce qu'il écrivitde pa
roles arrogantes, de peur que d'abord il
ne parusavoir perdu le reſpect. Leſens,
des lettres eſtoit tel.
ss J'ay toûjours a conſervé la fidelite
» que je ine ſuis proposée pour voſtre
» ſervice, non moins parmon inclina
tion particuliere que par les obliga
, tions de l'alliance que j'ay .l'honneur :
»; d'avoir avec vous. Te n'ay point chan-..
„ gé , & j'ay toûjours le meſme ſénti
„ ment de reconnoiſſance pour vous
», rendre ce que ie vous dois , comme je
so l'ay fait paroiſtre juſques icy bien évi
demment. Depuis que vous m'avez :
» honoréde la dignité de Ceſar , vous:
m'avez exposé à des calamitez de co
bats horribles, vous eftaut contenté
o , dela puiſſance que vousm'aviez don
née de les foûtenir ſous voſtre autho .:
marité : mais cela n'a pas empeſché que:
yous n'ayez ſouvent appris le bonheur
dont j'ay eſté aſſiſté par les yeux que
mj'ay faits pour voſtre profperité, ſans
CONSTANTIUS ET JULIEN . 563
, rien attribuer aux perils que j'ay cou
rus, n'y ayant paslieu de douter que
» comme j'ay mis pluſieurs fois les A
,, lemans en fuire , ie me fuis vû le
premier dans les travaux , & le der
» nier à prendre mes repas. Mais ie
,le diray avec voſtre permillion , s'il y
» a quelque choſe quiayt cfté mainte
so nanc innové , comme vous le pen
fez , le Soldat ayant conſumé fon
so aageen pluſieurs guerres dificiles fans -
» y avoir rien gagné, a fait cn tenal
„ quát toutesles choſesneceſſaires pour
un accoinplir ce qui avoit efté deliberé,
is, & ne pouvant demeurer en un poſtes
wil a molpriſé con Chef , conſiderant
» que Celar n'eſtoit pas capable de
-payer les labeurs continuels , ny de re
„ .compenſer: fes Victoires qu'il avoit :
» gagnées. Il ne profitoit de rien non
plus par la colere, & comme on nelay :
donnoic point la recompenſe qui luy .
is eftoit denë pour fes ſervices , 'il luy
s, arrivoit encore cela de ſurprenant,
squ'ayant efté commandé d'aller juf
>> ques au fond de la Province de l'O ..
zs.ricnc, des hôinmes accouſtuinez aux :
-glaces du Nort , eftoient entraînez
tout nuds & deñuez de toute alliſtan . -
>> CC, pous eftre feparez de leurs fems
A2. Vj
$ 64 AMMIAN MAR . LIỹ . XX .
„ mes & de leurs enfans. D'où il eſt
„ arrivé que s'eſtant emportez unenuit
d'une maniere extraordinaire, ils s'a
mafferent enſemble autour du Palais,
appellant de toute leur force Julien
», Auguſte , & repetant inceſſamment
Ces mefmes paroles. I'en fremis je l'aq
2.vouë, & : je me retiray dans un lieu à .
„ .l'écarti , & m'elloignant d'eux le plus
qu'il me fut polīble , je cherchois
» mon ſalutdans la fuite , & dans les ca
„ ches les plus obſcures que je pus in'i
maginer . Et comme ils ne donnoient
„ point de treves à leur impatience ,ny,
sàmon repos , tenant ma liberté affie
» gée dansmoy.meſme,s'il fautainſi dira
je ſortis du licu où j'écois , & je me
» preſentay devant.eux, eſtimant queje
pourrois appaiſer leur tumulte par
» mon authorité , & par des paroles gra
cieuſes : mais ils ne s'en émeurent que
plus fort, & juſques à tel point, que
» .que plus je m'efforçois de vain
» Cre leur opiniąſtreté par mes prieres,
& plus ils devenoient farouches , &
fe reſolurentmeſmes deme tuer , ſiję
, ne voulois pointaccepter leurs ſuffra
>ges. Enfin , ne pouvant reſiſter à leur
violence , ny, me reſoudre en moy,
semeſme à ce qu'ils exigeaient de mon
CONSTANTIUS ET JULIEN . 56 .
3.conſentement, quoy que ie viſſe bien :
» qu'apres qu'ils m'auroient tué, ils en :
» pourroient:declarer quelqu'autre en
wo ma place , quine la refuleroit pas , jo
», conſentisà leur volonté, eſperant que
„ je pourrois adoucir leur.impetuoſité
» armée . C'eſt là certainement le veri
» table recit de tout ce qui s'eſt paſſé ,
» que ie vous ſupplie de recevoir , en
» bonne part. Er ne croyez point que
„ la chofe ait efté autrement , que.com
s,me je vous la dis. Que s'il y a quel
» ques . Efprits malins quivous,la rap
portent d'autre ſorte , n'y adioultez
point de foy : Ces fortes degens ſont
waccoultumez d'allumer de la diviſion
» entre les Princes. Mais chaſſez d'aus
» pres de vous la flatterie qui fomente
w les vices , & donncz - y couſiours ac
„ cez à la ſuſtice , qui eſt la plusexcel
„lente de toutes les vertus. Recevez - y
„ l'équité des conditions que ie vous
propoſe , conſiderant en vous meſme,
,,de quelle forte il importe au bien de .
» l'Eſtat , & :denous-meſmes , qui ſom :
» mes ſi proches par la naiſſance , eſtant
,, fortis . d'un 'melme ſang , que nous
» loyions parfaitement unis au ſuprê .
» me degré de la fortune.Pardonnez .
sa moy, li ie prends la liberté de yous
8:66 AMMIAN MAR . Liv . XX .
» dire , que ie ne coûhaite pas tant que
e, les choſes ſe faffent ainſi, parce qu'el
» les font raiſonnables,que parce qu'el
xs les vous font utiles autant qu'elles
ſont iuftes , ayant d'ailleurs,tous les
s, defleins du monde , de recevoir toû
s jours avec refpeét les ordres que vous
s, ine preſcrirez . Au reſte ie vousdiray
7, en peu de paroles , fi vous me le per
» mettez, que ie tiens qu'il eſt neceſſaire
•; qu'elles ſe faffent ainſi. Je fourniray
»s des chevaux d'Eſpagne pour les cha
»; riots , avec de ieunes gens d'élite, qui
9, ferontmeſlez avec les Gentils-hom .
%;mes & les Gensd’arines , qui portent
by des Boucliers, tous originaires des
Barbares , ou deceux qui ſe ſont ren
ss dusen noſtre obciſſance , & qui de
os meurent parmy nous. Voila ce que
ie promets de faire iuſques au du pier
og foûpir de mavie, non ſeulement de
» bonne volonté ,maisavecune paſſion
„, extrêmede le faire touſiours pour vo
jo tre ſervice. Voltre clemence nous
s donnera s'il luy plaiſt des Prefects du :
» Pretoire , qui ſeront des perſonnes
»,confiderables pour leuréquité & pour
leur merite . Et ie croy que vousmeſ
wjmeneiugerez pas qu'il ſoitmalà pro
» pos que ie choififfe àma diſcrecion le
CONSTANTIUS ET JULIEN : 567
refte des Juges ordinaires , auſſi bien
os que incs Gardes & les Directeurs de la
>; Milice, car c'eſt une imprudence vom
» pareille , quand on ſe peut donner de:
mgarde d'une choſe , de recevoir aupres
,du Prince des gens dót lesmours & les .
» , inclinations ſeroienr ignorées. Au
9, reſte ie ne craindray point de vous af
> ſeurer , que les Gaulois fatiguez par
les troubles qu'ils ont ells de lon
» gue-main , & par les travaux qu'ils.
», ont ſoufferts , ne pourront pas de leur
, bon gré, ny cftre aufli facilement con
», traints d'envoyer de jeunes Soldats
), en des Pays éloignez , ny parmy les
7, Errangers , de peur que s'ils avoient
>, entierenientperdu leur jeuneſſe, ilsne
», fuſſent encore plus affligez qu'ils ne
s l'ont elté , & ſerellouvenant du paſſé,
»; ils ſe conſiderentcouſioués dansle de ...
„ ſeſpoir,commedes gens qui ſont preſts
à tomber . Et certes , il ne fera pas à :
- propos de tirer de là du ſecours pour
„ faire la guerre aux Parthes, puis que
»,d'ailleurs l'imperuofité des Barbares
du coſté de deça n'eſt pas encore en
- tierement reprimée : Èt, ſi vousme
permettez de vous dire la verité , ces
„ Provinces agitées pardesmiſeres con
antinuelles , auroient plus beſoin de ſe
568* AMMIAN MAR. Liv . XX.
» cours puiſſants des Etrangers , qu'elles
„ ne ſont en eſtat d'en pouvoir donner .
„ le croy , que je ne vous auray pas
„ écrit inutilement ces choſes , que je
, vous ſupplie tres-humblement d'avoir
„ agreables. Car je ſçay , & je le ſçay de
ſcience certaine afin que je n'uſe point
de termnes plus. ſublimes , qui ſoient
d'avantage proportionnez à la digni
té de l'Empire ; quelles rigueurs des
choſes , allez deſcriées deformais , la
concorde desPrinces unis n'eſt-elle pas
capable de remettre en meilleur eſtat,
qu'elles ne furent jamais, puis quepar
l'exemple de nos Anceſtres, il paroiſt
, affez que ceux qui ont gouverné avec
de tels Centiments,ont trouvé en quel-
„ queforce le. inoyen demener unedou :
„ ce & heureufe vie , & de rendre en
o
temps & à la poſterité leur mc
leur temps
moire recommendable ?
CONSTANTIUS ET JULIEN . 569

Constantiusne pouvantſouffrir qu'on euft


donné le nom d'Auguſte à Tulien , entre
prend beaucoup de chofes inutilement;
tandis que lulien ſe comportant adroi
tement dans toutes ſes actions, reprime
les François de les Anthuariens , da se
retire à Vicnne , où ilpaſſe l'Hiver,

L joignit d'autres Lettres à celles- cy ;


pour les rendre en ſecrer à Conſtan
I do
tius, parce qu'elles eſtoient un peu plus
fermes & plus piquantes , deſquelles le
n'ay point vû de copie : & quand it
m'auroit eſté permis d'en avoir , ie me
ferois abſtenu de la donner au public ,
parce a qu'il ne ſeroit pas bien - feant de
publier ce qu'on a voulu tenir ſecret.
Des perſonnages graves furent choiſis
pour faire cette negotiation , Pentadius
Maiſtre des Offices , & Eucherius qui
eſtoit alors grand Chambellan , leſquels
apres avoir preſenté les Lettres devoiene
rapporter tout ce qu'ils avoient vû fans
en rien obmettre , & agir fidellement
touchant les ordres qui feroient donnez
pour l'avenir . Parmy toutes ces choſes ,
la retraite de Florenc Prefect ,ayoit for :
$ 70 AMMIAN MAR , Liv . X X.
augmenté l'envie de toutes les entre
priſes qui s'eſtoient faites , lors que s'é
tant bien douté des émotions qui ſe
toientcausées par les ſoldats , apres s'ê
tre vanté qu'il les ameneroit où il vou
droit, il s'en alla de propos delibecé à
Vienne ſouspretexted'en fairevenir des
vivres ;mais veritablement , pour ſe ſe .
parer de Ceſar , qu'ilapprehendoit, par
ce qu'il l'avoit ſouvent mal-traité. Puis
ayant appris qu'on l'avoir élevé à la
Puiſſance ſupréme, luy eſtant reſté peu
ou point d'eſperance de vivre , il eut
peurde ſe voir éloigné ; c'eſt pourquoy ,
pourſedelivrer des maux dont il le de
fioit, ayant laiſsé toutes ſortes d'affai
res, il ſe retira à petites journées auprés
de Conſtantius : & , pourmontrer qu'il
n'avoit point de part à la faute de qui
quece ſoit , il chargeoit Julien de plu
ſicurs crimes. Si bien que tout auſſi-toſt
qu'il fe futretiré , Julien (ongeant avec
beaucoup de prudence à ce qu'il avoità
faire, & voulant qu'on ſgeult qu'il par
donnoit debon cæurà ceux qui eſtoient
preſents , ilne coucha point à ſon bien,
& renvoya feurement dans la Province
d'Orient tout ce qui luy pouvoit venir
par les voitures publiques . Les Ambaſe.
Ladeurs qui portoient avec eux lescho
CONSTANTIUS ET JULIEN . 571
„ses quenous avonsditessſuivirent apres .
& l'on pourvût également à toutes les
choſes qui leur furent neceſſaires pour
le voyage : & quand ils venoient chez
les principaux Juges des lieux où ils pal
foient , ils s'y arreſtoient pour des Cau
fes obliques : & ſouffrirentdes retarde
ments fort longs & fort incommodes
par l'Italie & par l'Illyrie . Enfin ayant
traversé la mer par le Bosphore, ils fe
rendirent à petites journées à Ceſarée
de Capadoce , où ils trouverent Con
- ftantius arrefté pour y.faire ſejour. Cette
Ville qui s'appelloit auparavantMaza
e
62., eſt une ville celebre & commod ,
fituée au pied du Mont Argée.Là, ayant
eſté introduits auprés du Prince , ils eut
rent congé de preſenter leurs Lettres.
Mais quand l'Empereur les eut fait lire ;.
il s'en alluma d'une colere excellive , &
les regarda de travers & d'un wil chaf
ſieux , comme on parle , leur donnant;
une peurde mort , & leur commanda de
ſe retirer , läns ſe imettre en peinę apres:
de leur rien demander , ny fans leur don ..
ner d'audience . Il eſtoit toutesfois en
grand peine de ſçavoir de quel coſté il
feroitmarcher l'armée , fi ce feroit con
tre les Perfes , ou bien contre Julien .
Mais apres avoir long -temps balance
872 AMMIAN MAR . Liv, XX .
dans une ſi grande incertitude qui parta
geoit ſon eſprit & fa reſolution ;'Enfin
s'eſtant laiſsé Aéchir aux raiſonsdu meil
leur conſeil , il fit commandement de
marcher vers l'Orient. Puis il donna
congé aux Ambaſſadeurs , & envoya
6 Leonas ſon Queſteur dans les Gaules,
avec des Lettres qu'il luy donna pour
Julien , & luy commanda de s'en aller
en diligence, pour luy faire croire qu'il
n'avoit rien appris des nouveautez qui
s'eſtoient paſſées; mais qu'il luy ordon
noit de la part de l'Empereur de demeu
rer dans les bornes de la puiſſance de
Ceſar , & de quitter tout le falt d'une
plus grande dignité, s'il vouloit avoir
foin de ſa propre vie & de celle de ſes
proches. Etafin que la crainte des cho
fes quiavoient eſté entrepriſes , fiſt cela
plus facilement , comme s'il euſt eſté
appuyé de grandes forces , il eſtablit
Nebridius Prefect du Pretoite en la pla
ce de Florent , au lieu qu'il eſtoit aupa
ravant Queſteur aupres de Ceſar , & fic
Intendantdes Officiers ou grand Mai
tre du Palais Felix qui eſtoit Secretaire,
& en éleva quelques: aurres à proporc
tion à des charges diverſes. Il fit auſſi
Chef des Armes Gumohaire en la place
de Lupicin , avant meſme qu'il ea cult:
CONSTANTIUS ET JULIEN . 578
appris quoy que ce ſoit. Leonas eſtant
donc arrivé à Paris , y futreceu comme
une perſonne de grande qualité , & de
beaucoup de merite. Le lendemain , le
Prince ſortit à la Campagne avec ſes I's
Troupes armées, & le Peuple qu'il avoit
affemblé à dcffein , & d'un Tribunal
M
qu'il y fic élever expres , où il monta 1
pour eſtre vû deplus loin , il comrnanda
que les Lettres qu'ó luy avoit écrices luy
fuſſentpreſentées . Et quand on luy eût
ouvert le Volume de l'Edit qui luy fuc
envoyé , commeon en faiſoit la lecture
dés le commencement , & qu'on fut
venu au licu , qui contenoit que Con
ftantius n'approuvoit pas leschoſes qui
s'eſtoient paſſées, & qu'il croyoit que
la puiſſance de Ceſar devoit ſuffire à Ju
lien ; Auſli-coſt , on s'écria de tous cô
tez avec un bruitterrible : Iulien Augu
fte , comme les Officiers des Provinces,
Les Soldats l'ont voulu , á que l'authorité
de la Republique la decreté de la forte ,
estant bien ſolllagée de l'aſſiſtance qu'elle
a receüe ; mais n'eftant pas encore delivrée
de la crainte des Barbares qui font revi
vre leur haine, de leur animoſité contre nous
par leurs continuelles incurſions. Ce qui
n'eût point eſté entendu par Leonas ,
qu'il s'en retourna , ſans danger , avec
$74 AMMIAN MAR. Liv. XX.
des Lettres de Iulien , diſant toutes les
choſesqu'ilavoit vuës, & commeelles
s’eſtoientpaſſées ; & il n'y eut que Ne
bridius ſeul qui futreceu à la Charge
de Prefect,ſuivant ce que Ceſar luy.mef
meen avoit dit dans la Lettre, qu'il écri
vit à Conſtantius , ne voulantpointde
tous les autres officiersde lamain que
celuy -là, comme il s'en eſtoit'expliqué
auparavant ; car il y avoit deſia quelque
temps qu'il avoit ordonné Anatolius
pour eftre grand Maiſtre de la Maiſon ,
de Secretaire qu'il eſtoit de ſes Com
mandements b pour faire les reſponſes
aux Lettres qu'on luy écrivoit, & quel
ques autres , comme il luy avoit ſem
blé eftre le plusutile & le plus ſeur pour
ſon ſervice. Et pour Lupicin on le crai
gnoit , bien qu'il fuft abſent, car il eſtoit
cmployédans la grand’Bretagne;c'eſtoit
un homme fier & ambitieux qui avoit
beaucoup de vanité dans l'eſprit. Eron
avoit opinion , quedés qu'il auroit apa
pris ces choſes outre-mer , il ne man
queroit jamais de fournir de matiere
pour de nouvelles affaires. On envoya
donc un Secretaire à Boulogne pour
prendre garde ſoigneuſement que per
lonne ne paſlaſt la Mer:mais dés qu'on
furfait cette deffence , Lupicin retours
CONSTANTIUS ET JULIEN . 575

na de la grand' Bretagne avant qu'il cuſt


appris quoy que ce ſoit de toutes ces
choſes; ſi bien qu'il ne put mettre au
cunestroupes ſur pied. julien , qui fut
comblé de la haute fortune , & de la
confiance qu'il pouvoit prendre en la
Milice, de peur qu'il ne vinſt á ſe ralen
tir, & qu'il ne fuſt repris de ſe relâchet
ou de ne rien faire,ayant encore envoyé
des Ambaſſadeurs à Conftantius, il for
tit de Paris pour aller ſur les frontie
res de la ſeconde Germanie : & a
vec tous les preparatifs que l'urgen .
ce des affaires pouvoit deinander , il
s'approcha de d Tricenſime, puis e
ayant paſsé le Rhin , il ſe jetta ſoudain
dans la contrée des François , qu'on apě
pelle f Atthuariens, Nation inquietre ,
qui fait des courſes juſques au fond des
Gaules. Julien les alla donc attaquer
juſques chez.cux, quoy qu'ils ne creuf
fent pas avoir des Ennemis à craindre ,
& qu'ils ſe tinflent affeurez aux lieux où
ils eſtoient,par la difficulté qu'il y avoit
de les aborder, à cauſe des cheminsmal
aiſez , & ne ſe ſouvenoient point qu'il y
M
euſt jamais eu de Prince qui fuft en
tré dans leurs Bourgs. Mais , quoy
qu'il en ſoit, il lesſurmonta apresun le
ger combat , & en ayant pris pluſieurs
$ 76 AMMIAN MAR . Liv. XX.
depriſonniers, & tuéun grand nombres
quelques- uns demanderent quartier , &
à ceux qui reſterent , ilaccorda la paix
de ſon propremouvement, ce qu'il cruc
pouvoir eſtre utile pour ceux du Voiſi
nage. D'où vint qu'eltant retourné par
le Heuve avec la meline diligence qu'il
s'eſtoit avancé de ce coſté- là , il viſita en
paſſant toutesles places de la frontiere,
où il ordonna toutes les reparationsne
ceſſaires , & vint à Bafle. Puis ayant
repris tous les lieux dont les Barbares
s'eſtoient emparez , & qu'ils retenoient
commekurs propres Domaines, apres
qu'il les eutrétablis & fortifiez, il vint
par Beſançon , & fc retira à Vienne
pour y paſſer l’Hyver .

XI.

La paix ayant eſté confirmée avec le Roy


d ' Armenie , Constantius afſiege Be
zabde avec toute fon armée, & nepeut
prendre cette place.

El cſtoit l'ordre des choſes qui ſe


TEHpaſſoient dans lesGaules : Et com
me tout y ſuccedoit de la ſorte avec
proſperité, Conſtantius ſollicitoit Ar
Laces Roy d'Armenic d'entrer dans ſes
intereſts ,
CONSTANTIUS ET JULIEN . 577
intereſts, il le traita fort civilement, &
luy fit de grands preſens pour l'obliger
à nous donner ſon amicié , & de nous
eſtre fidelle. Car il avoit oüy dire quele
Roy de Perſe l'avoit fouvent preſsé
par ſes artifices , par ſesmenaces & par
ſes ruſes , d'abandonner l'alliance des
Romains pour ſe lier avec luy. Il luy
proteſta pluſieurs fois qu'il perdroit plû
toſt la vie que dechanger de ſentiment.
Er, apres qu'il eut receu force preſens,
il's'cn retourna en ſon Royaume avec
les gensde qualité qu'il avoit amenez à
ſa ſuite, n'ayant osé depuis violer la foy
de ſes promeſſes , pouravoir des obliga
tions trop étroites à Conftantius des

graces & des courtoifies qu'il en avoir


reccuës. Mais principalement a de ce
qu'il luy avoit donné pour femme O
lympiade fille d'Ablabiisautresfois Pre
fect du Pretoire , depuis qu'elle fur de
meurée veufve par la mortde ſon frere
Conſtans.Quand l'Empereur cut don
né congé au Roy d'Armenie , il partit
de la Capadoce, & apres qu'il eutpaf
sé parMelitine Ville de la petite Armc
nie, & par Lacotenc , & Samoſate , il tra
verſa l'Euphrate , & vint à Edeffe, où il
fit quelque ſejour attendant de toutes
parts les troupes qui s'y aſſemblerent ,
Bb
R
ANMA
AMMI . Liv . XX .
$ 78
avec les Convois neceſſaires pour les
munitions & les vivreș . Puis il en partit
apres l'equinoxe de l'Autoinne poural
ler à Ainide. Et , comme il futproche
deſes murailles , la voyant preſque toul
teen cendres , il neſe pût empeſcher de
pleurer , conſiderant quelles pertes fu
neftes cette iniſerable Ville avoit faites.
Là d'avanture Urſalus grand Treſorier
qui eſtoit preſent, ſe trouvant ſaiſi de
douleur s'écria ; Voyez avec quelle cha
deur les Villes ſont defenduës parles fol.
dats, pour leſquels neantmoins, afin qu'il
y euft des ſoldes qui leur peuffent fuffire.
les richeſſes de l'Empire viendroient à de
faillir ! Parole affez amere, dont les gens
de guerre s'eſtant depuis ſouvenus à
Chalcedoine , s'éleverent contre luy.
Puis Conſtantius, au partir d'Amide, fit
marcher ſes troupes: & quand il futpro
che de Bezabde il fit dreſſer ſes tentes,
& Caimpa tout autour, s'eſtant renfermé
dansdes tranchées qu'ilmunit de ram
parts & debons fofrez : Et comme il fit
:

Ja ronde à cheval autour de la place, pre.


nant un grand circuit, il appritde la re
dation de pluſieurs , qu'elle eſtoit bien
fortifiée en comparaiſon de ce qu'elle
eſtoit auparavant par la negligence des
Gouverneurs , qui n'en ayoicnt point
CONSTANTIUS ET JVLIEN . $79
reparé les vieilles ruines. Et de peur de
n'obmettre rien detout ce quieſtoit ne
ceſſaire devant que de commencer la
guerre , & de s'engager dans l'ardeur
des combats , on fut d'avis d'envoyer
gens ſages pour faire deux propo
fitions, qui peuffent obliger ceux qui
eſtoientdans la place de ſe rendre à leurs
anciens Maiſtres , ſans retenir le bien
d'autruy, ny fansrépandre une goute de
ſang , ou d'entrer dans l'obeïſſance des
Romains , pour en recevoir & des re
compenſes utiles & desmarques d'hon
neur. Or commeces gens-là , qui avoiét
de la naiſſance & du ceur, n'y voulu ,
rent point conſentir, ils ſe reſolurent à
ſouffrir le fiege, & ſe preparerent à tous
lesperils, & à tous les travaux qui l'ac
compagnent d'ordinaire. Ce ſoldat ayat
doublé les rangs & ſes files, alla donc -
gayement à l'alfaut, au bruit des Trom ,
pettes. Il attaqua la place detous coſtez :
les Legions s'approcherent avec ſeure
té au pied du mur , apres s'eſtce ſerrées
ſous leurs Boucliers en forme de ror
tuës : & dautant queles darts de toutes
eſpeces ſe décochoient en foule ſur les
Alfaillans, la tortuë s'eſtant ouverte ,on
ſe retira pour ce jour -là chacun en ſon
quartier pendant l’alarme queſonnoiét
Въij
980 AMMIAN MAR . Liv. X :X .
les Trompettes. Puis apres un jour de
repos, le troiſiémejouron retourna plus
couverts que la premiere fois, pour ef
ſayer de toutes parts à monter fur les
murailles parmy de grandes clameurs.
Et bien que les Allicgez ayent tendude
groſſes toiles pour ſe cacher derriere, &
n'eſtre point vûs des Ennemis, fi eſt-ce
qu'au beſoin , & toutes les fois que la
neceſſité le requeroit , ils étendoient les
bras, & fe les découvroient fortement,
pour lancer de toute leur force des pier
res & des darts ſur ceux qui eſtoient au
deſſous. Les clayes d'ozier portées de
vantles aſſaillants pour lesdécouvrir &
leur ſervir demantelets , eſtant proches
des murailles ,des tonneaux remplis de
terre tomboient ſur eux avec des meu
lesdemoulin, des chapiteaux & des ba
ſes de colomnes,dont la peſanteur acca
bloir ceux qui ſe trouvoient deſſous: &
les autres ſe retiroient quand la tortue
cſtoit entre-ouverte par uneli furieuſe
wiolence."
CONSTANTIUS ET JULIEN : 581

XII.

Il renverſe les murs – Amide avec da


nouvelles machines : ele s'eſtant opi
niâtré à divers ſieges , il fatigue les
Joens, les Perſes ſont affiegez .

E dixiéme jour d'apres qu'on cut

quand l'eſperance des noftres cut rem


ply dedeüil & de triſteſſe tous ceux qui
cltoient renfermez dedans , il trou
va bon de faire apporter a le prodigieux
Belier dont les Perſes s'eſtoient aurre
fois ſervis à la priſe d'Antioche,& qu'ils
avoient laiſsé à Carras , lequel ſi- coſt ,
qu'on le vid , & qu'il eut eſté dreſsé a
vec les engins pour le faire jouer , les
Aſiegez cn furent épouvantez , & leur
eſprit en fut tellement eſtonné, qu'ils
faillirent à ſe rendre au ſeul aſpect d'u
ne machine ſi terrible , li ayant repris
courage.ils ne ſe fuſſentenfin diſpoſez à
reſitter puiſſamment, la temerité ny le
conſeil ne cefferent point en ſuite . Car
tandis qu'on dreſſoit le vieux Belier qui
avoit eſté demandé pour l'amener plus
facilement , on ſe ſervoir de toutes les
forces, & de toute ſon adreſſe de part &
B b. iij.
58: AMMIAN MAR. Liv. XX .
d'autre pour attaquer & pour bien def
fendre. Les perriers & les frondesruoiét
des pierres de tous coſtez , qui en affom
moient pluſieurs. On faiſoit hauſſer les
terraſſes en peu de temps pardes travaux
aflidus : & de jour en jour, l'attaque qui
s'échauffoit nous faiſoit perdre plu
fieurs de nos gens, parce que chacun
s’animóit dans le peril par la preſence
de l'Empereur, pour l'efperance des re
compenſes ; & afin que l'on pult eſtre
plus facilement reconnu , on le décou
roit la teſte en quitcant ſon armet, & en
meſme temps les Ennemis adroitsne dé
cochoient point de traits inutilement.
D'où vint en ſuite que chacun nuit &
jour ſe tenoit ſur ſes gardes. Mais enfin
los Perfes , quand la platte-forme fut
élevée bien haut, ſe trouperent ſailis
d'horreur quand ils virent la grandema
chine, & demoindres en ſuite, dans tou
tes leſquelles ils s'efforcerent de mettre
le fort : & ruerent inceſſaminent, mais
fort inutilement des maillotes & des
torches ardentes pour ymettre le feu :
parce que les unes eſtoient couvertes de
peaux humides, & de couverturesmoüil.
lées; & les autres eſtoient ſi bien enduices
• d'alun , que le feu n'y pouvoitmordre.
Mais lesRomains les faiſant approcher
CONSTANTIUS ET IULIEN .
de vive force, bien que dans un travail
li penible ils euſſent peu de choſe pour ►
fe defendre , ils avoientneantmoins tant
de paſſion d'emporter la place , qu'iln'y
avoit point deperils qu'ils nemépriſal
ſent , quelques prompts qu'ils fuſſent.
Au contraire les Tenans quand le grand
Belier qui devoit abbatre la Tour qui
luy fur opposée vint à s'approcher, rem
tinrentpar un artifice ſubtil avec de lon
gues courroyes de part & d'autre , le
front de fer avancé de cette machine ,
qui repreſentoit veritablement la forme
d'un Belier naturel, de peur que retour
nant en arriere pour reprendre ſes for
ces, il ne revint en ſuite pour heurter
rudement les murailles par des coups re
doublez , & verferent en mefme temps
des huiles bouillantes ſur la reſte de ceux
quifaiſoient un effort fi violent. Les ma
chines qu'on avoitapprochées leſquel
les portoientdes Roches entieres & des
daris, demeurerent long-temps fermes.
Et b quand on eurélevé desplatres-for
mes,les Tenants voyant que leur ruine
eſtoit proche, s'ils n'y prenoient garde,
ſe ruerent la teſte baiſsée dans le peril
par une genereuſe audace , & firent une
furieuſe ſortie lors qu'on y penſoit lc
moins: & s'eſtant jettez ſur les premiers
Bb iii ‫ز‬
584 A MMIAN :MAR . Liv. XX .
des noſtres, ils pouſſerent contre le Be
lier des torches, ardentes & des ſeaux de
fer remplis de macieres combuſtibles
toutes en feu pourle brûler. Mais apres
que chacun eut éprouvé la valeur dans
un combat douteux, pluſieurs, ſans y a
voir rien gagné, furent repouſſez dans
leurs murailles. Et tout auſſi- toft les
Romains ( des:ramparts qu'ils avoient
élevez ) & les Perſes (des Baſtions qu'ils
avoient faits ) ſe battoient à coups de
Aéches & de fronde, où ils melloient les
javelors allumez , qui volant dans les
toicts des tours , y tomboient le plus
ſouvent ſans effer, parce qu'il s'y trou
voit des gens preparez pour les étein
dre . Comme les combatans diminuoient
de part & d'autre, lesPerles euſſent eſté
repouſſez dans leur dernier retranche
mét, s'il ne leur fult ſurvenu un meilleur
avis, qui fut de center quelque grand
exploit par une ſeconde ſortie. De for
te que s'eſtane faite en foule parmy des
gens armez qui portoient des feux , le
le reſte du corps des troupes beaucoup
plusnombreuſes, eſtant mis en ordre de
bataille , jetroit des corbeilles & du ſar
ment dans desmatieres feiches & arides
pour tout embraſer. Er dautant que
les nuages épais que faiſoit la fumée de
CONSTANTIUS ET JULIEN , 585
la matiere viſqueuſe où l'on avoit mis le
feu,empeſchoientdevoir les Trompettes
venancà ſonner l'allarme, auſſi-coſt les
Legions qui eſtoient en ordre de batail
le avancerent le pas : & l'ardeur de come
batre s'eſtant allumée peu à peu dansle
cæur des ſoldats , quand on en vintaux
mains,le feu fut jetcé dans lesmachines,
qui les brûla coutes , excepté la plus
grande à demy columée , qui fur retirée
de l'embraſement à force d'hommes,ler.
quels couperent les cordes que les En .
nemis y avoient jeteées du haut de leursa
murailles, pour l'embarraſſer au pied ;.
de telle ſorte qu'elle ne leur purnui
re. Mais quand la nuit eut mis fin à
leurs combats , on ne laiſſa pas beau-*
coup de temps au ſoldat pour dormir ::
car apres qu'il ſe fut refait par un peur
de repos & de ſommeil,dés qu'il fut re
ueillé par les ordres des Commandans ,
iléloigna du mur les munitions qu'il y
avoit toutes preſtes pour l'attaque, & fer
délibera de combatre avec moins d'ap-.
pareil du haur des terraſſes , qui eſtane
achevées eſtoient plus hautes que less
murs. Et afin que les Tenants fuffeno:
chaſſez de leur parapet , ou de leur con
tre-eſcarpe ,,on mit c ſur le haut de la
platte-forme deux bricolles , qui ſono:
Bb V
1986 AMMIAN MAR . Liv. XX .
deuxmachines de guerre pour lancer des
pierres , pour la crainte deſquelles on
put croire qu'il n'y auroit pas un ſeul
des Ennemis qui ofaſt montrer le nez.
Avec cet appareil on diſpoſa ſur le ſoir
noftre armée en trois bataillons , quid
menaçant du haut de l'armet , alloite
faire une tentative poureſcalader la Vil
le & l'emporter d'aſfaut. Chacun eſtoit
donc déja ſous les armes , & l'on enten
doit de cous coſtez le bruit des Trompe
tes, quand on combatit de part & d'au
tre avec une pareille ardeur. Et tandis
que chacun eſlayoit de le ſignaler, les
Romains s'eſtantapperceus que les Per
fes ſe cachoient pour la frayeur qu'ils,
eurent des engins qui furent dreſſez ſur
les plattes-formes, batrirent une Tourà
grāds coups de Belier, & s'approcherent
au pied de la muraille avec des piques,
des haches, des leviers & des échelles ,
faiſant voler inceffamment des traits de
tous coſtez . Toutesfois les coups divers
qui eſtoient décochez des machines
de guerre , comme s'ils euſſent efté
pouffez par une corde tenduë , affli
gcoient bien davantage les Perſes.
D'où vint
que le voyant commereduits
au deſeſpoir , ils ſe precipitoient all
danger de la mort qu'ils croyoient ne
CONSTANTIUS ET JULIEN . 87
Pouvoir éviter , & dans la neceſſité où
ils ſe trouverent , s'eſtant partagez les
divers employs de la Guerre , ayant
abandonné la garde des murailles , &
s'eſtant ouvert une fauſſe porte , une
Troupe valeureuſe ſortit l'épée à la
main , & derriere cux, d'autres hommes
deterininez tout proches s'avancerent
portát des feux qu'ils tenoient cachez ,
Et tandis que les Romains preſſoient
Lantoſt ceux-cy qui laſchoient le pied ,
& tantoſt ſouſtenoient les gens qui
leurs tomboient ſur les bras ; ceux
qui portoient ces feux cachez , allu
merent des charbons, éteins dans les
jointures de lune des plattes formes bâu
tiesdebranches d'arbres , de facines , de
joncs & de faiſceaux de cannes , toutes.
matieres combuſtibles , leſquellesayant
conçeu la flâme, brûlerent vivement; &
les Soldats incontinent retirerent leurs
Machines ,mais non pas ſans grand
danger d'eftre brûlez eux- meſmes avec
elles.

Bbc vi
588 AMMIAN MAR . Liv. XX:

XIII.

Tandis que Constantius eft refolu de dex


meurer en ces quartiers-là poury faia.
re quelque conqueſte , les pluyes vien
nent qui l'en chaffene, donet Arc-en-
Ciel avoit eſté un ſigne évident : AB
ſujet dequoy Ammian fait une digref
fron , pour parlerdes cauſes de ce Phe
nomene . Puis comme l'Hyver appro-.
che , l'Empereur craignant la mutine
riedes Soldats , ſe retire ſansavoir rien
fait, de retourne en Syrie,

R li -toft que la nuit qui appro


O choit eut mis fin à tous ces com
bats , quand on fe fut ſeparé , l'Empe-.
feur qui partageoit ſon eſprit ſur diver
les penſées , rapellant à ſon ſouvenir
qu'il faloit reparer les ruïnes de Phe
nice , qui eſtoit une Place de tres- gran
de importance ſur les frontieres de la
Province , pour arreſter les courſes des
ennemis , le rcfolur de faire encore là .
quelque ſejour , pour y donner de le
>

gers combats, croyant que les Perſesſe


roient enfin contraints de rendre la Vil.
le faute de vivres : mais il en arriva
toutautrement qu'il ne penſoit: car tan
CONSTANTIVS ET JVLIEN 589
dis que la guerre s'y faiſoit lentement;
la ſaiſon devint pluvieuſe , & le temps
fut limauvais , que l'on eût bien de la
peine à ſe cirer des bouësdans ce Païs
où les terres ſont fort graſſes , &
tout le monde en fur incommodé , aulli
bien que des tonnerres continuels qui
s'y firent , dont les eſprits timides fu •
à quoy furent
rent fort épouvantez ,
ajoûtéesdes apparences frequentesade
l'Arc -en -Ciel, dont ie veux bien eſſayer
de faire voir par des raiſons naturelles,
d'où viennent les couleurs diverſes qui
le forment en l'airde la forte que nous
le voyons. Les exhalaiſons chaudes de
la terre , & les vapeurshumides qui s'a
maſſentdans les nuës , ſe ſeparent de là
en petites bruines qui éclatent par l'ef
fuſion des rayons du Soleil, lors qu'ils
fe refléchiſſent vers leur origine, & for
ment ainſi l'Iris , qui fait un cintre ſpa
cieux , lequel s'ouvre ſurnoſtre horiſon ,
queles raiſons Phyſiques ſuppoſent à la
partie de l'autre demy- Sphere . De fa
beauté apparente autant que nos yeux
on peuvent juger , la b - premiere par
cic nous paroiſt jaune la ſeconde
rouſſe , la troiſiémerouge , la quatrieme
pourprće , & la derniere bleuë quiap
proche du verd. Cemélange de beautez
590 AMMIAN MAR . Liv. XX .
ſe fait de la ſorte , comme on ſe l'imagi
ne ſur la terre , de ce que la premiere
parcie qui ſe voit plusclaire que lereſte,
c'eſtpour avoir plus de conformité avec
l'air qui l'environne : la ſuivante eft
rouffe , c'eſt à dire plus égayée que le
jaune : la troiſiémeelt rouge,parce qu'é
tant opposée à la clarté du Soleil , elle
effleure la ſplendeur de ſes rayons : la
quatriéme eſt pourprée , de ce que la
fplendeur des rayons qui éclarent dans
l'épaiſſeur de la nuée , faic paroiſtre aux
yeux de ceux qui la voyent une couleur
de feu , laquelle plus elle s'épand , &
plus elle s'approche du bleu & du verd.
D'autres tiennent que la formede l'Iris
paroiſt icy bas, quand les rayonsdu So
leil répandus ſur le hautdela nuëépaiſſe
dilatée en l'air , y jettent unelumicre li
quide , laquelle ne trouvant point d'illuë
fe ramalle en elle -meſme, s'entrechoque
en quelque ſorte , ce qui fait qu'elle re
double ſon éclat , & reprend du Soleil
qui eſt au deffus les couleurs qui appro
chent le plus de la blancheur : quant aux
vertes , elles ſe tirent de la rellemblan
cedela nuée qui les Coûtiennent : com
me dans la mer , où ilarrive d'ordinaire
queles eaux deviennent blanches quando
elles choquent les rivages , au lieu que
CONSTANTIUS ET JULIEN . S90
loin de lacoſte elles ſont bleuës, quand
il n'y a point de confuſion . Et dautant
que c'eſt un ſigne que le vent change,
quand le Ciel, comme nous l'avonsdit,
amaſſe des Hoconsde nuée d'un air hu
mide , ou tout au contraire , quand d'un
affeniblagede nuées , il reprend une fe
renité agreable,nous avons leu ſouvent
dans les Poires , Iris deſcend du Ciel,
quand il eſt neceffaire qu'elle change
icy-bas l'eſtat des choſespreſentes. Il y
a bien d'autres opinions diverſes de
l'Arc-en -Ciel, qu'il ſeroit inutile & hors
de propos de rapporter icy , où nous
fonames obligez de reprendre la ſuite de
noſtçe difcours.
Parmi toutes ces chofes , l'Empereur
eſtoit agité entre l'eſperance & la crain
te au fort de l'hiver, & les chemins eſtant
devenus auſſi mauvais qu'ils eſtoient
dangereux , parce qu'il y avoit ſujet de
tout craindre , juſques au tumulte des
gens de guerre qui n'eſtoient pas con
tens. Il avoit aufli de l'inquietude en
l'eſprit ,dece que la porte de la maiſon
des Richeſſes luy paroiſſant ouverte , il
fe trouva en quelque forte empeſché
d'y entrer, quoy qu'il en euſtle deſſein ,
& s'en eſtoit meſme retourné ſans rien
faire. C'eſt pourquoy ayant quitté ſon
592 AMMIAN MAR. Liv . XºX ;
entrepriſe vaine, ilrevint en Syric pour
paſſer le reſte de l'hyver à Antioche,
apres avoir eu l'Eſté tres-long & tres
incommode : Car il arriva commepar
une fatalité inévitable des Etoiles qui
preſident à divers évenemens, qu'une
• mauvaiſe fortune fuiyoit touſiours par
tout Conſtantius , quand il combattoit
• en perſonne avec les Perſes. Ce quiluy
donna ſujet de deſirer au moins devain
cre par ſes Lieutenants ; ce que je me
ſouviens bien luy.eſtre arrivé quelques
fois.
$ 93
24
Gosto 072610

REMARQUES
S VR

LE X X.LIVRE D'AMMIAN ..
1.

WN E Conſulat de Constantins pour la


10 fois Ce futen l'année 360. de
noſtre (alur.
b Les Provinces voiſines , c'eſt à
dire les Provinces de l'Angleterre voiſines de
celles de l'Eſcoffe , qui a pris ſon nom des Ef
collois qui eſtoientdes peuples ſauvages aufli
bien que les Pictes qui furent ainſinoinmez
des diverſes peintures qu'ils inettoient ſur
leur corps.
L'Empereur Conftans. Il avoit paſsé dans
l'Ille de la Bretagne , pour faire contenir les i
Barbares dans leurs limites. Ce qu'Ammian
avoit bien décrit dans ſon Hiſtoire : mais cet
te partie a eſté perduë entre les creize premiers
Livres de ſon Quvrage. Cette expedition de
Conſtans ſe paíla apres la victoire des Fran
çois , témoin Libanius qui le dit ainſi dans ſon
Oraiſon Royale , laquelle eſt rapportée par
Idace & par Socrate en l'année du Conſulatde
Conftantius pour la troiſiéme fois , & de Con
ftans pour la ſeconde qui eſt l'année 342. do
notre ſalut.Et l'année ſuivante fut l'expedition
Britanique, M. V.
d Rocheftre. C'eſt la Ville qu'il appelle ad
Rutupias,
594 Remarques
é Maiſtre des Offices , ou Intendantdes af
faires.
fiMaiſtre de Chambre , ou grand Chambellan ,
ou premier Gentil-homme de la Chambre .
g Par une eſlevation extraordinaire, ou par un
ſault étrange , immodico faltu .
h Gentils-hommes Eſceyers , pour cesmots, ex
gentilium fcutariorum Tribuni, qui ne ſe pogi
voit ſe tourner , à mon avis, gueres autre
• ment , s'il ne faut entendre ces Elcuyers pour
des Gendarmes qui portent des Efcus ou des3
Boucliers .

I I.

N ſes entre-mois , pour lemot , intermen


* EM Struum Luna , qui s'interprere icy le plein
de la Lune, lors que cét Altre peutſouffrir
Eclypſe.Au reſte cette digreflion de l'Eclypſex
eſt une fort belle choſe , & fait bien voir la
capacité de l'Autheur , qui prend enſuitte le
not inter Lunium , pour lc temps qu'il n'y a
point de Lune.
b Vers la mobilité de la Terre : ou mobilité rer
reſtre , reconnoiſt- il que la Terre ſe meuves
qui eſt aujourd'huy Poppinion la plus fonte
nuë , comme elle eſt la plus probable pour
beaucoup de raiſons qui ſeroient troplongues
à rapporter en ce lieu ?
c Offuſqué du Ceintre , ou bien entouré da
convexe d'une Sphere , & c.
d 11ſemble,qu'ellefoutienne le Soleil, ou qu'elle
enfante le Soleil.
e Au cinquieſmefigne.Ne faudroit-il point dire
au quatrićme, commela Lunen'a que quatre
quartiers ?
for te 20. Livre d'Ammian, 598
III.

Decles Petulants , c'eſtoient les Sola


* A dats d'une Legion appellée Petwiante ,
ou bien les Petulants , eſtoient une partie des
Celtes.
IV .

Ly refiftoit conſtamment : Cette reſiſtance


de Lolien n'eſtoit pas moins judicieuſe
qu'elle eftoit unemarque de la grande mode
ration , & c'eſt ſurce ſujet que Libanius dans
ſon Oraiſon funebre , triomphe à la loiiange
de Iulien , dont aufli lulien melme a parte
dans ſon Epiſtre aux Atheniens: d'où il paroiſt
que ce fut parune extrême contrainte qu'il re
cît le Diadême, ce qu'Eutrope confirme auſſi
dans ſon dernier Livre , 8c d'entre les Chré
tiensSocrate & Sofomene : ce qui donne oc
caſion de penſer que ce qu'en dit S. Gregoire
de Nazianze n'eſtpas fort croyable , & certes
il en parle comme d'un Tyran qui auroit uſur
pé l'Empire avec lesmarques de la fouveraine
dignité.
b ilfutmis ſurun bonclier . C'eſtoit l'ancien
ne façon de proclamer les Roys, & c'eſt ainſi
qu'on en auſé depuis les Roysde France de la
premiere Race , quand ils eſtoient mis en poſ
feffion de leurdignité.
c s'eſtant ofté un Carquar . Libanius dit la
meſme choſe dans ſon Oraiſon funebre , & lu
lien luy-meſme dans ſon Epiſtre aux Athe
niens , mais plus particulierement Zonare, fe
lon la diſcription qu'en fait icy Ammian .
din Decurion . On appelloit Clariffimes , les
Decurions du Palais du temps de Symmaquer
596 Remarques
comme il ſe lit dans l'Auctuaire de ſes Epiſtres,
il n'y avoit pas beaucoup de difference entre
Doyen & Decurion .

V.

E ne demeureray plus long -temps avec vous.


" J Cecy fut un preſage à lulien qu'ilne de
yoit pasvivre long- temps , comme en effet la
durée de ſon Empire fut fort court.

VI.

V tour des Mangonnent des des dondons.

re qui ſervoient à lancerdes pierres , ou à tem


nir les beliers ſuſpendus .
b Les Maillites ,pour le Malleolos du Larin .
VIII.

* L'Evefquedela Ley Chreftienne. Il ne nomine


riennc, & jeneſçay qui c'eſt;mais ilca dit des
choſes qui font ſuſpendre la bonne opnion
qu'on en pouvoir concevoir d'abord .
b Les Baliſtesenles Scorpions. Ce ſontmachi
ncs de guerre des Anciens, leſquelles portoient
de terribles dommages à ceux contre leſquels
elles eſtoient braquées , & fi elles en faiſoient
moins que nos canons , elles en faiſoient coû .
jours beaucoup , & exigeoient plus de labeur
de ceux qui s'en ſervoient, ne les faiſant pas
joiier de ſi loin . Les lieges & les attaques des
Places qu'il a décrites en ce Chapitre , & aut
deux precedens , ſont des pieces des plus cu :
ſur le 20. Livre d'Ammian . 597
ficules en ce genre-là ,, qui, à mon avis, nous
ſoient reſtez de l'Antiquité.

IX .

IJulien
dag er denà ene se confermé,&c
Conſtantius, eſt.certainementtil
Cette lettre de
ſuëavec un grand art.

L ne ſeroit pas bien ſeant de publier ce qu'on


* A! voulu tenir ſecret. Cette maxime eſt tout
à fait prudente. Et certescominc un bon Hi
ſtorien nedoit rien mettre en avant quine ſoit
veritable; Il faut avouërauſli qu'il y a des ve
ritez qu'il ne faut pas publier,& ſurtout quand
elles ſont contre l'honneurde la Patrie, ou des
Princes vertueux, & dela Religion .
b Leonas ſon Queſteur , ou Leon , celuy-là
meſme qui ſe trouva au Concile de Seleucie ,
dont j'ay parlé cy.devant. Quant aux fon
ctionsde la Charge de Queſteur d'alors elles
eſtoient de dicter les Loix, comme il eſt mar
qué dans la Notice de l'Empire , & dans Cal
fiodore au ſujet de la formule de la Queſteure.
Qr ces Qusfteurs- cy qui avoient elté créez
par l'Empereur Conſtantin , eſtoient appellez
Queftenrs du ſacré Palais , à la difference des
autres qui eſtoientdans le Senat Romain ,dont
parle Vlpian au titre de l'Office de Queſteur :
Et ces dernierseſtoient des Magiſtrats du peu
ple Romain . M. v .
c Pour faire les réponſes Aux lettres , ou aux
Rcqueftes, s'il faut interpreter Magiſtrum of
fịciorum par Magiftrum libellorum , qui ſeroir
proprementMaiſtredes Requeſtes, on je trou
59.8 Remarques
ve qu'il y a grande apparence.
d Tricenfime, carj'ay leu Tricenfima, & non
par Obtricenjima, ou Obtricenfi Moſa oppido, qui
quieſt proprement Verech , ou Nicumcguc.
e Ayant paſsé le Rhin . Julien eſtant Ceſar
paſla crois fois le Rhin , comme il le dit luy
meſme dans ſon Epiſtre aux Atheniens. La
premiere fois apres la bataille de Strasbourg ,
comine l'Aurbeur le fait voir au commence
mentdu 17. liv . en 357. Puis il le paſſa encore
aux années 358. & 359. & celle- cy fut la 4. fois
ayant la qualité d'Augufte en 360. Conftan
rius pour la 9. fois , & luy-mifine pour la 3:
eſtant Conſuls . Puis enfin il pafla encore le
Rhin ſous le Conſulat de Taurus & de Floren
tius,comme il ſe verra au 21. livre.
f Antuariens ou Antuaires, ou Attuaires, fai
foient partiede la Nation des François , qui
n'eſtoient pasalors trop d'humeur de s'arreſter
en un lieu .
X I.

ftans, que Conſtancius accorda pour


femine à un Prince barbare. Ce que S. Atha
nale objecte entre -autres choſes à Conſtan
riusdans la lettre qu'ila ecrite aux ſolitaires.
M. V.
XII.

* Leprodigieux Bellier, c'eſtoit unemachine


de pierre d'une grandeur extraordinaire,
pour le coûtien de laquelle il falloit des En
ginsde charpente qui s'élevoient en formedes
• plus groſſes & des plus puiffantes gruës , def
quelles on ſe ſert pour conftruire des Palais
élcvez, où il faut quelques fois lever des mal
Sur le 19. Livre d Ammian . ‫وور‬
fes & des colomnes de Marbre d'une eſtrange
peſanteur.
6 Quand en eut élevé des plattes-formes, & c .
toute cette deſcripcion a tant de beauté en nô .
tre langue, qu'il ne faut point s'imaginer qu'il
y en ait davantage dans le Latin. Cela n'eſt
point auſſi. Etcertainement quand on s'eſt ac
quis un peu d'uſage de bien écrire, il n'y a
point de langue, quoy que toutes les Vniueiſi
tez en puiflent dire, qui égale l'élegance &
l'harmonie de la noſtre. Dont li ces excellens
eſprits de l'Antiquité pouroient revenir , &
qu'ils euſſent la connoiffance de l'une & de
l'autre , j'ay opinion qu'ils en demeureroient
d'accord .
c Deusse Bricoles. Je ne ſçaurois dire moy-mcf
me d'où j'ay pris tous ces noms de Machines
pour les ajuſter aux termes de l'Autheur. Il
nomme celle-cy , in aggerum fummitatibusbina
4 Junt locate Baliſta .
d Menacent du haut de l'armet, ou de la creſte
de l'armet, conisgalearum minaciusnutans .
e Alloit faire une tentative & c . Pour cesmots
impetum conabatur in muros, & les autres
preſſions qui ſont en ſuite , leſquelles ne ſc
trouvéc pas toûjours fi facilement ſouslaplume
que ſe le pourroient imaginer ceux qui ne Iça
vérpas enquoy conſiſte cetteforte de labeur, &
qui auroient peut eſtre de la peine à croire
qu'il faut quelquefois autantou plus d'art pour
faire belle verſion d'un Ouvrage élegant, qu'il
s'en pourroit trouver à compoſer un Livre
d'invention .
XIII.

' Arc en Ciel. Il fait icy une agreable &


[çavante digreſſion au ſujet de l'oriſon
* LA
600 Remarques
de l'Arc-en- Ciel. Surquoy l'on pourroit voir
ce qu'on a dit fi élegamment le Poëte Lucrece
en lon Livre des Meteores qui cſtile:6 . de Son
bel Ouvrage deschoſes de la Nature ,dont j'ay
fait une Traduction qui s'eſt vuë en deux cdi
rions diverſes.
b laune,ou.bourbeufe, à quoy revient les peciu
Jutea du Latin .
Voicy de quelle forte Vitalis, qui eſtoit un :
Poëre du liccle d'Auguſte a depeint cette Iris
par ces vers.
Quand le Soleil remplit d'une vive ſplendeur
Les Nuages épais quiprennentſa couleur,
Iris la belle Iris ſemontre variée ,
Elle pare le Ciel de cequ'elle eſt paréc.
Afmenus la repreſente aufli en cette ſorte.
Iris paroiſt dans les nuages
Avec les diverſes couleurs
Le Soleil en eft.caule , dom fes vives images,
Peignent le Ciel de leurscouleurs.
Et c'eſt encore ainſi que Pompejanus lais
preſente
Quand le Soleil remplitd'une lueur ſoudaine
Lenunge opposé ,
Lemerveilleux Iris , éclate ſe promeine
Avec fon veftement rouge , vert, orangé.

AMMIAN
,

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