Vous êtes sur la page 1sur 359

A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression
“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d’utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l’attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d’afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère.

À propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frano̧ais, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http://books.google.com
Sad Bitiethek
Recensug
SBR 069026795936
a 12.5
. Biothek
Regensburg
CONSIDERATIONS

POLITIQUES
SUR LES

COUPS D'ESTAT.

Par Gabriel Naudé, Pariſien .

Sur la Copie de Rome.


M DC LXVIl .
AU LECTEUR.

CElivre
faction n'ayant esté composé
d'un particulier , onquepour lasatis
n'en fit imprio
mer que 12 exemplaires , qui n'ont paru que dans
fort peu de Cabinets où ils ont toujours tenu le pre
mier rang entre les piecescurieuſes ; mais comme le
hazard m'en a donné une copie, j'ay cru que je
n'obligerois pas peu le public en luy donnant un thre.
for qui n'eſtcit poſſedé que de fort peu de perſonnes ;
cela joint au merite de l'auteur à celuy de l'ou
vrage, à qui on faiſoittort de ne les pas fairecon
noiſtre , m'ont obligéà le mettre ſous lapreſſe, do
à inferer à lafin de chaquepage la traduction Fran.
çoiſe des citations Greques, Latines Italiennes
quiſont dans le corps du livre afin de faire connoiſtre
le merite de l'auvre à plus de perſonnes, & donner
au livre la ſeule perfe&tion qui ſembloit y manquer ;
ceux qui le liront admireront ce Traité'w meſçau.
ront bon gré de leur avoir fait part d'une piece fi
rare . Adieu .
E livre n'a pas eſté compoſé pour
CE
plaire à tout le monde, li l'Auteur en
cuft eu le deſſein , il ne l'auroit pas écrit du
ſtile de Montagne & de Charon , dont il
ſçait bien que beaucoup de perſonnes ſe
rebuttent à cauſe du grand nombre des ci
tation's Latines. Mais comme il ne s'eſt
mis à le faire que par obeiffance, ilaené
obligéde coucher fur le papier les mêmes
diſcours , & de rapporter lesmêmes auto
sitez dont il s'eſtoit ſervy en parlant à ſon
Eminence. Aufli n'eſt-ce paspour rendre
cet ouvrage public qu'il a eſté mis ſous la
preſſe; elle n'a roulé queparle comman
dement, &pourla ſatisfaction de ce grand
Prelat, qui n'a ſes lectures agreables que
dans la facilité des livres imprimez : Et
qui pour cette cauſe a voulu faire tirer une
douzaine d'exemplaires de celuy -cy,au lieu
des copies manuſcrites qu'il en faudroit
faire. Je ſçay bien que ce nombreeſt trop
petit pour permettre quece livre ſoit veu
d'autant de perſonnes que le Princede Bal
zac & le Miniſtre de Sillion . Mais comme
les choſes qu'il traitte font beaucoup plus
importantes , il eſt auſſi fort à propos
qu'elles ne ſoient pas ſi communes. Eten
un mot l'Auteur n'a cu autre but que la ſa
tisfaction de ſon Eminence , tant pour
compoſer, quepour publier cet ouvrage.
A L'A4
A L'A U TE U R.

L'unsémervei
neffa llera devous voir enjew
Déja tout poſſeder,ceque l'antiquité,
Se travaillant ſansfin dansſon infinité ,
A peine afeeu tirerdes Treſors de ſageſſe.
3
Un autre admirera l'heroïque hardieſſe,
Dont voulant rétablir icy la liberté,
Vous combatés ſibien contre lafauſſeté,
Même dedans la place où elle eſt la Mai
treffe.
Bref, dans voſtrediſcours chacun admi
rera

Une diverſité des merveilles qu'iln;


Mais voicy celle-là qu'entre autres j'ay
trowuée :

C'eſt queſçachant ſo bien le naturel des


Grands,
Leur maxime or leurs Coups, vous
Soyez filong-temps
Reſtédans une vie innocente deprivée.
Jac. Bouchard , à Rome.
5

A MON
1
A MONSEIGNE VR ,
77
L’E MINENTISSIME
CARDINAL

DE BAGNI,
mon tres -bon & tres-honoré
Maiſtre.
*
Non equidem hoc ſtudeo , bullatis
ut mihi nugis
Pagina turgeſcat dare pondus idonea
fumo :
Secreti loquimur,tibi nunc, hortante
cament ,
Excutienda damusprécordia. (Perſ.
Sat. 5.)

M ONSEIGNEUR ,
Puis que vous ' eſtes mainte
nant à Rome , jouiſſant des hon
A neurs
Je n'ay point eſſayé d'enfler mes ouvrages
de fornettes boufies qui ne font que de la fu .
mée. Je vous parle confidemment , & la muſe
me ſollicite de vousdécouvrir le fond de mon
amic .
2 Conſiderations politiques
neurs qui ſervent de recompen
ſe à vos merites , & vivant dans
le repos que les fonctions pu
bliques heureuſement exercées
en ſept Gouvernemens , une
Vice- legation , & deux Noncia
tures vous y ont acquis : je n'ay
pas cru pouvoir mieux employer
le loiſir duquel voſtre bien- veil
lance & voſtre bonté extraor
dinaire m’y font pareillement
jouir, qu'en vous entretenant des
plus relevées Maximes de la Po
litique , & de ces grandes affai
res d'Eſtat , en la conduite def
quelles V. E. a tellement fait re
marquer ſa prudence, que les plus
grands Genies qui gouvernent
preſentement toute l'Europe, en
ſont demeurez remplis d'éton
nement , & n'ont jamais mieux
reüſli aux deliberations & entre
priſes les plus difficiles , que lors
qu'ils les ont maniées ſuivant
les bons & genereux avis qu'il
vous
ſur les coups d'Eſtat. 3
vous a pleu de leur en donner ,
Aded
* Nil deſperandum Teucro duce do
aufpice Teucro ! ( Horat. I. 1 .
carm . Ode 7.)
* Auſli ne faut-il point deſeſperer , puiſ
que Teucer marche à la teſte , il ne faut
rien craindre auffi ſous le bonheur de la con
duite.

CHAPITRE I.
Obje &tions que l'onpeut faire contre
ce diſcours avec les Réponſes
neceſſaires.

Mais à grand peine,Mon


SEIGNEUR , ay.je tracé
t
les premieres lignes de ce Dif
cours , que je me treuve renfermé
entre deux puiſlantes difficultez ,
capables à mon avis d'empécher
X
toute autre perſonne quiauroit
moins de courage & d'affection
-S
que moy , de paſſer outre, & de
ut
glacer le ſang des plus échauffez
1 à la recherche de ces Reſolutions,
A 2 non
4 Confiderations politiques
non moins perilleuſes que extra
ordinaires . Car ſi le judicieux
Poëte Horace ( ode r . lib. 2. ) di
foit ingenûment à ſon amy Pol
lio , qui vouloit écrire l'hiſtoire
des guerres civiles arrivées de ſon
temps ,
* Periculofe plenum opus aled
Tractas , & incedis per ignes
Suppoſitos cineri doloſo.
Quel bon ſuccés peut-on atten
dre de cette mienne entrepriſe
beaucoup plus difficile & teme
raire : veu que pour ne rien dire
du danger qu'il y a de vouloir
déchiffrer les actions des Princes ,
& faire voir à nud ce qu'ils s'ef
forcent tous les jours de voiler
avec mille fortes d'artifices; il y
on a encore deux autres de non
moindre conſequence ; l'un def
quelsje puis en quelque façon ap
prehen
Voſtre ouvrage eſt perilleux , & vous mar
chez ſur des feux cachés ſousune cendre trom
peuſe.
ſur les coups d'Eſtat. S
prehender pour ce qui regarde &
touche voſtre perſonne; comme
auſſi rencontrer l'autre en ce qui
concerne la mienne.
Et pour ce qui eſt du premier
je dirois volontiers avec le Poëte
qui a ſi bien traitté la Philoſo
phie dansſes beaux vers , qu'il eſt
maintenant le ſeul & unique
fouſtien de la fecte:
* Illud in his rebus vereor , ne forte
rearis ,
e
Impia te rationis inire elementa ,
viamque
r
Indugrediſceleris.( Lucret. lib. 1.)
Au moins devrois-je craindre à
bon droit de bleſſer les oreilles
er
de V.E. , d'effaroucher ſes yeux,
у & de troubler la douceur & faci
n lité de la nature , auſſi bien que
f
le repos & l'integrité de fa con
ſcience , par le recit de tant de
A 3 four
af. J'apprehende que de ce pas il ne vous
viene en l'eſprit que vous eſtes dans les ele
mens de l'impieté , & que vous entrez dansla
voie du crime.
Confiderations politiques
fourbes, de tromperies , violen
ces & autres ſemblables actions
injuſtes ( comme elles ſemblent
de premier abord) & tyranniques,
qu'ilme faudra cy-aprés deduire,
expliquer & defendre.
Que ſi Enée , l'un des plusre
ſolus Capitaines de l'antiquité,
fut tellement émeu de commiſe
ration au ſeul recit qu'il luy fal
loit faire devant laReyne de Car
thage, du fac & des ruïnes de la
Ville de Troye qu'il ne le put
commencer que par ces paro
les :
*Quanquam animus meminiſſe lor
ret , luctuque refugit. ( Virgil.
Æn.2 .)
Et ſi un certain Empereur qui n'a 3
toutefois pû éviter le ſurnom de
Cruel , dit un jourau Prevoſt, qui
luy faiſoit ſigner la condamnation
de
* Bien que mon ame ait horreur de s'en
ſouvenir , & qu'elle s'éloigne de tout ſon
pouvoir
fible. de la ſeule penſée d'un deuil fi fen
ſur les coups d'Eſtat. 7
de deux pauvres miſerables : i Vti
nam neſcirem literas : ( Senec. lib.
de clem . ) Ne pourriez-vous pas
ſouhaitter avec plus de raiſon de
n'avoir jamais veu ce diſcours ;
puis qu'il ne vous doit entretenir
que de ce qui eſt le moins con
venable à voſtre grande humani
té , candeur & bien -veillance? Et
puis ne ferois-je pas beaucoup
mieux de ſuivre le conſeil de Sa
a lomon , 2 coram Rege tilo noli videri
Lt Sapiens , & vivre dans la continua
tion des eſtudes eſquelles j'ay eſté
nourri děs ma jeuneſſe , que de
paroiſtre devant vous avec ces
1. conceptions extravagantes , com
me Diognotus fit avec les fiennes
devant Alexandre, pour ſe faire
He eſtimer un grand Ingenieur &
li Architecte ? veu principalement
n que je puis apprehender d'avoir
A 4 pa
BC
en
on i Pleût à Dieu que je n'euſſe aucune con
noillance des lettres. 2 Ne veuille pas faire
le ſage devant ton Roy .
8 Çonfiderations politiques
pareille iſſuë de ce raiſonnement,
qu'eut le Grammairien Phormion
de celuy de l'art militaire qu'il
fit devant Annibal , eſtimé le pre
mier Capitaine de ſon temps ?
Omnes fiquidem videmur nobis ſa
perde , feſtivi, belli, quum fimus co
pred. ( Varro . )
Et à la verité quand je viens à
conſiderer le peu de moyens que
j'ay pour me bien acquiter de cet
te entrepriſe , qui eſt la ſeconde
difficulté , que j'ay preſque envie
de ne point paſſer outre& dem'en
déporter entierement ; afin de ne
point encourir la cenſure que
Phoebus donna en pareille rencon
tre à ſon fils dans le Poëte ,
2 Magna petis, Phaëton , & que non
viribus ipfis
Muniera conveniunt. ( Ovid. in
Met. ) Auff

1 Veu même qu'il nous ſemble à tousque


nous ſommes ſages, plaiſans & beaux, quoique
nous ne ſoyons que des boufons. 2 Tude
mandes deschoſes grandes,lhaëton ,& des dons
qui ne ſont pas proportionnés à tes forces.
ſur lescoups d'Eſtat.
Aufli fit - il une cheute memorable
pour s'eſtre approché trop prés
du Soleil ; & pluſieurs qui n'a
voient pas moins de temerité
ont ſignalé leur perte par la trop
grande hardieſſe de leur entrepri
ſe. Et moy qui ſuis encore tout
nouveau en ces exercices ,
* Enſe velut nudo pármaque in
glorius alba. ( Virgil. Æn. 9.)
Oferay -je bien me meſler de ces
facrifices, plus cachez que ceux de
la Déeſſe Eleuſine, fans y eſtreini
tié ? Avec quelle aſſeurance pour
ray -je entrer dans le fond de ces
affaires, penetrer les cabinets des
Grands, paſſer au ſanctuaire où ſe
forment tous ces hardis deſſeins,
fans avoir eu l'addreſie & la com
munication de ceux qui les con
duiſent ? Certes je pardonnerois
volontiers à celuy qui me voyant
A 5 en

Comme portant une épée à la main avec


une rondache blanche, pour ne in’eſtre point
encore lignalé dans le peril,
IO Confiderationspolitiques
en cette reſolution , jugeroit in
continent , que ce ſeroit violenter
la nature , laquelle ne paſſe jamais
ſi promptement d'une extremité
à l'autre ; ou pour en parler plus
moderément , que ce ſeroit avec
beaucoup plus de hardieſſe que de
raiſon , vouloir ſingler ſur les plus
hautes mers fans Bouſſole , & s'en
gager dans un labyrinthe de ru
fes , & de fubtilitez infinies, fans
avoir en main le filet de cette
ſciencepour s'en déveloper avec
le ſuccés d'une ifluë favorable. Et
ce d'autant plus volontiers qu'il
n'en eſt pas icy , comme de ceux
qui enviſagent avec beaucoup
moins de difficulté le Soleil , qu'ils
ſont plus éloignez de fa face ; ou
bien comme de ces peintres , dont
ceux qui ont la veuë courte , font
d'ordinaire les plus excellens Ta
bleaux : mais pluſtoft que cette
Prudence Politique eſt ſemblable
au Prothée , duquel il nous eſt
im
ſur les coups d'Eſtat. 11

pit in impoſſible d'avoir aucune con


Jenter noiſſance certaine , qu'aprés eſtre
jamais deſcendus : in ſecreta ſenis, & avoir
remité contemplé d'un æil fixe & af
feuré , tous ſes divers mouvemens,
erplus
t avec figures & metamorphoſes , au
que de moyen deſquelles,
Esplus 2 Fit ſubito ſushorridus, atraque Ti
s'en gris ,
e 10
Squammoſuſque Draco , & ful
fans Va cerrice Leana. ( Virgil . in
cette Georg . IV.)
avec Toutefois comme le jeune Ariſtée
e. Et ne fut point détourné par les
qu'il grandes difficultez que luy pro
ceux poſoit Arethuſe , d'entreprendre
ſon voyage , & d'obtenir en ſuite
coup toute forte de contentement: Auſli
qu'ils
i ou les precedentes n'auront pas plus
dont
de force en mon endroit , & mille
font autres davantage ne me pour
! A 6 roient
Та
cette 1 Dansles ſecrets de ce vieillard. 2 Tout
able d'un coupil vous preſente l'horreur d'un ſan
glier , il ſe couvre de la peau noire d'un ty
5 eft gre , des écailles d'un dragon , & du poilcoux
d'une lionne.
im
12 Conſiderations politiques
roient empeſcher, qu'aprés m'eſtre
aviſé du conſeil que donne Pli
ne le jeune , * tutius per plana , ſed
humilius & depreſſius iter ; frequentior
ciurrentibies quàm reptantibus lapſus ;
ſed & his non labentibus nulla laus, illis
nonnulla lius etiamſi labantur , je ne
fourniſſe entierement la carriere
du deſſein que je me ſuis pro
poſé.
C'eſt pourquoy , MONSEI
GNEUR, pour répondre aux deux
difficultez queje me ſuis faites cy
deſſus; & à celle qui regardë V. E.
premierement, il ne faut pointap
prehender que cette do &trine
heurte tant ſoit peu voſtre pieté,
ou trouble aucunement le repos &
l'integrité de voſtre confcience ,
com

* Les chemins unis font bien plus aſſurez,


mais auſly plus bas & plus ravalez ; ceux
qui courent tombent bien plus ſouvent que
ceux qui marchent bellement ; mais ceux
cy ne remportent aucune loiiange quoi qu'ils
ne tombent pas,au lieu que ceux -là en acquie
rent en quelque façon encore bien qu'ils toin
bent.
fur les Coups d'Eſtat. 13
eſtre comme il ſemble de premier a
Pli bord , que ces trois vers de Lu .
+, ſed crece le veüillentperſuader : le So
centior leil épand fa lumiere ſur les choſes
1pfius; les plus viles & abjectes ſans en eſtre
$ , illis gaſté ou noircy,
je ne * Nec quia fortelutum @radiis
..
ferit,
‘riere eft ideo ipfe
pro
Fædus ; nonfordet lumen quum ſor
dida tangit. ( Paling. in Scorp .)
SEI Les Theologiensne ſont pas moins
deux religieux pour fçavoir en quoy
conſiſtent les hereſies; ny lesMe
es cy : decins moins preud'hommes, pour
V.E.
connoiſtre la force & la com
tap
Erine poſition de tous les venins. Les
habitudes de l'entendement font
Dieté,
Pos &
diſtinguées de celles de la volon
ence ,
té , & les premieres appartiennent
aux ſciences , & font toujours
comº
louables, les ſecondes regardent
Turez, les actions morales , qui peuvent
ceus
-A7 eſtre
it que
ceux
qu'ils
Bien que de ſes rayons il puiſſe toucher
de la bouë , il n'en eſt pas pourcela ſoüillé ; la
cquie lamiere ne ſeſoüille point quand elle touche
n
Stui des choſes ſales.
14 Conſiderations politiques
eſtre bonnes ou mauvaiſes. Tri
theme & Pererius ont monſtré
qu'il eſtoit expedient qu'il y euſt
des Magiciens, & que l'on ſceuſt
au vray le moyen d'invoquer les
demons, pour convaincre par l'ap
parition d'iceux l'incredulité des
Athées: Les ſoldats vont d'ordinai
re aux exercices pour apprendre à
bien manier la picque, & à tirer
du mouſquet; afin de pouvoir
avec plus d'artifice & d'induſtrie,
tuër les hommes & détruire leurs
femblables : mais ils ne s'en ſervent
neapmoins que contre les enne
mis de leur Prince , ou de la patrie :
Les meilleurs Chirurgiens n'eſtu
dient autre choſe qu'à pouvoir
dextrement couper bras & jam
bes, & ce pour le falut des malades,
* Truncantur & artus,
Vt liceat reliquis fecurum degere
membris. ( Claud.2. in Eutrop.)
Pour

* On coupe certainsmembres,afin de garan


tir les autres par le retranchement de ceux -là.
ſur les coups d'Eſtat. IS
Tri Pourquoy doncque ſera- t- il de
nſtré fendu à un grand Politique, de
y euſt ſçavoir hauffer ou baiſſer, produi
ſceuſt re ou reſſerrer , condamner ou ab
er les ſoudre, faire vivre ou mourir ,
r l'ap ceux qu'il jugera expedient de
é des traitter de laſorte, pour le bien &
Hinai le repos de fon Eſtat.
dre à Beaucoup tiennent que le Prin
tirer ce bien fage & aviſé , doit non
uvoir ſeulement commander ſelon les
ſtrie, loix ; mais encore aux loix même
leurs ſi la neceſſité le requiert. Pour
event garder juſtice aux choſes grandes,
enne dit Charon , il faut quelquefois
trie : s'en détourner aux choſes pe
ſtu tites , & pour faire droit en gros ,
avoir il eſt permis de faire tort en dé
tail.
jam Que ſil'on m'objecte qu'il n'eſt
ades,
pas toutefois à propos de diſcou
rir de ces choſes, & que c'eſt pro
degere
op .) prement mettre * gladium ancipi
tem
our
* Une épée à deux tranchans entre les
garan mains d'un fol.
x -là.
16 Conſiderations politiques
tem in manu ſtulti , que de les enſei.
gner; je répondray à cela , que les
méchans peuventabuſer de tout ce
qu'il y a de meilleur en ce mon
de , & faire comme les mouches
baſtardes & frelons , qui conver
tiſſent les plus belles fleurs en a
mertume: Les Heretiques trou
vent les fondemens de leur im
pieté dans la Sainte Ecriture : Les
Paracelfiftes abuſent du texte

d'Hippocrate pour établir leurs


fonges : " Les Avocats citent le
Code & les Pandectes, pour de
fendre les plus coupables ; & ncan
moins l'on n'a jamais ſongé à ſup
primer ces Livres:l'épée peut auſſi
toft offenſer que defendre , le vin
aufli-toft enyvrer que nourir , les
remedes aufſi-toſt tuër que gue
řir ; & perſonne toutefois n'a en
core dit que leur uſage ne fuſt
tres-neceſſaire. C'eſt une loy com
mune à toutes les choſes, qu'eſtant
inſtituées à bonne fin , l'on en a
bufc
ſur les coups d'Eſtat. 17
buſe bien fouvent: la Nature ne
produit pas les venins pour fervir
aux poiſons, & à fairemourir les
hommes,parce qu'en ce faiſant elle
ſe détruiroit elle- même : mais c'eſt
noſtre propre malice qui les con
vertit en cet uſage , * Terra quidem
nobis malorum remedium genuit , nos
illud vitæ fecimus venenum . ( Plin . lib.
18.cap . 1.)
Mais il faut encore paſſer ou
tre , & dire quela malice & la de
pravation deshommes eſt figran
de , & les moyens deſquels ils fe
ſervent pour venir à bout de leurs
deſſeins ſi hardis & dangereux,
que de vouloir parler dela Poli
tique ſuivant qu'elle ſe traitte &
exerce aujourd'huy , ſans rien dire
de ces Coups d'Eſtat, c'eſt pro
prement ignorer lå Pedie , & le
moyen qu'enſeigne Ariſtote dans
ſes
La terre nous a bien produit des reme
des pour ſoulager nos maux ; mais nous les
avons convertis en poiſon pour nous ofter la
vic.
18 Conſiderations politiques
ſes Analytiques , pour parler de
toutes choſes à propos , & ſuivant
les principes & demonſtrations qui
leur font propres & eſſentielles,
1
1

eft enim pediæ inſcitia neſcire, quo


rum oporteat quarere demonſtratio
nem , quorum verò non oporteat: com
me il dit en fa Metaphyſique.
C'eſt pourquoy Lipfe & Charon,
bien qu'ils ne fuſſent pas des Ti
mons & Myſantropes, ont voulu
traitter de cette partie , pour ne
point laiſſer leurs ouvragesimpar
faits : Et le même Ariſtote qui
n'avoit pas accouſtumé de rien fai
re 2 modevtWs , lors qu'il a traitté
de la Politique & des gouverne
mens oppoſez à la Monarchie,
Ariſtocratie & Democratie , qui
font la tyrannie , l'olygarchie &
l'ochlocratie,il donne auſſi -bien les
preceptes de ces trois vicieux que
des
! Car c'eſt ignorer la pedie , que de ne ſça
voir pas de quelles choſes il faut ou ne faut pas
chercher la demonſtration . 2 Sans en eſtre
bien informé.
ſur les coups d'Eſtat. 19
des legitimes. En quoy il a eſté ſui
viparSaint Thomas en ſes Com
mentaires, où aprés avoir blaſmć
& diſſuadé par toutes raiſons pof
ſibles la domination tyrannique ,
il donne neanmoins les avis & les
regles communes pour l'établir ,
au cas que quelqu'un ſoit ſi mé
chant que de le vouloir faire. Et
qu'ainſi ne ſoit , voila fes propres
mots tirez du Commentaire ſur le
cinquiéme des Politiques texte XI.
* Ad ſalvationem tyrannidis, expedit
excellentes inpotentia vel divitiisinterfi
cere , quia tales per potentiam quam
babent poſſunt inſurgere contra Tyran
num. Iterum expedit interficerefapiena
tes , tales enim per ſapientiam ſuam pof
ſunt invenire vias ad expellendam ty
Tanni
Pour le maintien de la tyrannie , il faut
faire mourir les plus puiſſans & les plus riches,
parce que de telles gens ſe peuvent foulever
contre le Tyran par le moyen de l'autorité
qu'ils ont. Il eſt aulli neceſaire de ſe defairc
des grands eſprits & des hommes ſçavans , par
ce qu'ils peuvent trouver , par leur ſcience , le
moyen de ruïner la tyrannie ; il ne fautmê.
pas
20 Conſiderations politiques
rannidem , nec ſcholas, nec alias con
gregationes , per quas contingit vacare
circaſapientiam permittendum eft , fa
pientes enim ad magna inclinantur ,
ideò magnanimiſunt, & tales de facili
infurgunt. Ad ſalyandam tyrannidem
oportet quod Tyrannus procuret, utſub
diti imponant fibi invicem criminado
turbent fe ipfos, ut amicus amicum ,
populus contra divites , & divites inter
fe diſſentiant , fic enim minus poterunt
inſurgere propter eorum divifionem :
oportet etiam fubditos facere pauperes ,
fic enim minus poterunt inſurgere con
tra

même qu'il y ait des écoles, nit autres con


gregations par lemoyen deſquelleson puifle
apprendre les ſciences, car les gens ſçavans
ont de l'inclination pour les choſes grandes,
& font par conſequent courageux & magnani
mes , & de tels hommes ſe ſoulevent facile
ment contre lesTyrans. Pour maintenir la ty.
rannie , il faut quele Tyran faſſe en ſorte que
fes ſujets s'accuſent les uns les autres , & ſe
troublent eux-mêmes, que l'ami perſecure
Pami, & qu'il y ait de la diffenfion entre le
menu peuple & lesriches , & de la diſcorde en
tre les opulens. Car en ce faiſant ils auront
moins demoyen de ſe ſoulever acauſe de leur
di.
ſur les Coups d'Eſtat. 21

traTyrannum . Procuranda ſunt vectie


galia , hoc eft exactiones multa, magna,
fic enim cito poterunt depauperari ſub
diti. Tyrannus debetprocurare bella in-.
ter ſubditos, vel etiam extraneos , ita ut
non poſſint vacare ad aliquid tractan
dumcontra tyrannuni. Regnum ſalva
turper amicos , tyřannus autem adfal
vandam tyrannidem non debet confide
re amicis. Et au texte ſuivant qui
eſt le XII, voila comme il enfeia
gne l'hypocriſie & la ſimulation :
* Expedit tyranno ad ſalvandam ty
rannidem , quod non appareat fubditis
favus ſeu crudelis , nam fi appareat ſa
VUS
diviſion. Il faut auſſi rendre pauvres les ſu-,
jets,afin qu'il leur foit d'autant plus difficile de
fe foulever contre le Tyran . Il faut établir des
ſabſides , c'eftadire des grandes exacions & en
grand nombre , car c'eſt le moyen de rendre
bientoft pauvres les ſujets. Le Tyran doit auſi
ſuſciter desguerres parmy ſes ſujets, & même
parmy les étrangers, afin qu'ils ne puiſſent ne
gotier aucune choſe contre lui. Les Royau
mes ſe maintienent par le moyen des amis,
mais un Tyran ne fe doit fier à perſonne pour
ſe conſerver en la tyrannie.
* Il nefautpas qu'un Tyran , pour ſe main
tenir dans la tyrannie , paroiffe à les ſujetscru
eſtre
el ,
22 Confiderations politiques
vus reddit fe odiofum ; exhoc autem fa
cilius infurgunt in eum : fed debetſe red
dere reverendum propter excellentiam
alicujus boni excellentis, reverentia enim
debetur bono excellenti ; & fi nonhabeat
bonum illud excellens , debetſimulareſe
habere illud. Tyrannus debetfe reddere
talem , ut videatur ſubditis ipſos excellere.
in aliquo bono excellenti, in quo ipſi defi
ciunt , ex quo eum revereantur. Si non
habeat virtutesſecundum veritatem , fa
ciat ut opinentur ipfum habere eas.
Voila certes des preceptes bien
eſtranges en la bouche d'un Saint,
& quine different en rien de ceux
de Machiavel & de Cardan , mais
qui ſepeuvent toutefois fauver par
ces
cruel , car s'il leur paroît tel il ſe rend odieux,
ce qui les peut plus facilement faire ſoulever
contre lùi: mais il ſe doit rendre venerable
pour l'excellence de quelque eminente vertu ,
car on doit toute forte de reſpect à la vertu ; &
s'il n'a pas cette qualité excellente il doit fai
re ſemblant qu'il lapoffede. Le Tyran ſedoit
rendre tel , qu'il ſemble à ſes ſujets qu'il poſle
de quelque eminente vertu qui leur manque,
& pourlaquelleils lui portent reſpect. S'iln'a
point de vertus en effet; qu'il fàſic en ſorte
qu'ils croient qu'il en ait.
fur les coups d'Eſtat. 23

wem for
ces deux raiſons affez probables &
tje rida legitimes. La premiere eſt, que
ces maximes eſtant ainſi declarées
lentiam
is enim & éventées, les ſujets peuvent plus
babest
facilement reconnoiſtre quand les
deportemens de leurs Princes ten
ilare le dent à établir une Domination
Feddere
ellere Tyrannique; & confequemment
defi y donner ordre : toutde même
inon que les mariniers ſe peuvent plus
facilement retirer à l'abry , lors
‫هر‬. qu'ils ont preveu l'orage & la
jen tempeſte, par les ſignes que les
7t, routiers & pilotages leur en four
niſſent. La ſeconde , parce qu'un
Es Tyran qui veut ſans confeil & a
ľ
vis eſtablir ſa domination ,
s * Cuncta ferit, dum cuncta timet
graſſatur in omnes
Viſepoſle putent. (Claudian.)
& reſſemble quelquefois au loup,
lequel eſtant entré dans la berge
rie,
Frape tout & n'épargne perſonne , &
quand il craintle plus , c'clt pour lors qu'il at
taque tout le monde , afin qu'on croit qu'il eſt
bien puiſant.
24 Confiderations politiques
rie , & pouvant fe raſſaſier & ap
paiſer fa faim ſur une ſeule brebis ,
ne laiſſe pourtant d'égorger tou
tes les autres ; où au contraire s'il
y procede avec jugement, & ſui
vant lespreceptes de ceux qui ſont
plus aviſez & moins paſſionnez
que luy , il ſe contentera peut-eſtre
d'abatre comme Tarquin les teftes
des pavots plus élevez, ou com
me Thrafibule & Periandre les
eſprits qui paroiſſent par deſſus
les autres ; & ainſi le mal qui ne ſe
peut éviter ſe rendra beaucoup
plus doux & ſupportable.
D'ailleurs ilne faut pas crain
dre que le narré de tous ces tragi
ques accidens puiſſe offenfer les
oreilles de V. E. ou troubler tant
foit peu la douceur & facilité de
voſtre nature. L'entiere connoif.
fance que vous vous eſtes acquiſe
des affaires Politiques, la longue
pratique & experience que vous
avez de la Cour des plus grands
Mo
ſur les coups d'Eſtat. 25
2 ap Monarques, où ces Machiavel
ebis, liſmes ſont aſſez frequens , ne
tou permettent pas que l'on vous pren
e s'il ne pourapprenty à les connoiſtre.
e ſuis Et puis , encore que la juſtice, & la
ſont clemence ſoient deux vertus bien
nnez fortables à un grand homme ; il
eſtre n'eſt pas toutefois à propos qu'il
eftes ait pareille inclination à la miſeri
com corde: Seneque en donne cette
e les raiſon , en fon traitté de la Cle
ellus mence , (lib. 2.c.5 .) . * Quemadmo
ne ſe dum , dit-il , Religio deos colit , Super
coup Stitio violat , clementiam manſuetudi
nemque omnes boni praftabunt , miferi
ain cordiam autem vitabunt ; eft enim vi
ragi tium pufillianimi ad fpeciem alienorum
r les malorum ſubfidentis. Or ce ſeroit un
tant crime de penſer qu'il y eût rien en
cé de V. E. de vil , rempant & abject ,
70il B dau
uiſe * Ainſy comme la religion revere les Dieux,
& que la ſuperftition les offenſe , tous les gens
gue de bien embrafferont la clemence & la dou .
vous ceur ; mais ils éviteront la compaſſion. Car
c'eſt une marque d'un cæur bas , & d'un eſprit
ands foible , de ſe laiſſer toucher aux maux que l'on
voit fouffrir aux autres.
Mo
26 Conſiderations politiques
dautant que s'il eſt vray , comme
dit le même , que : nihilæquehomi
nem quàm magnus animus decet; avec
combien plus de raiſon , cet eſprit
fort ſe doit-il rencontrer en V.E.
pour accompagner dignement , &
rehauſſer cette grande dignité
qu'elle fouſtient, non ſeulement
de Prince de l'Egliſe , mais enco
re de principal conſeiller de la Sain
teté , & quaſi de tous les plus puiſ
fans Princes d'Europe ; 2 Magnam
enim fortunam magnus animus decet ,
qui nii ſe ad illam extulit, o altior
ftetit; illam quoque infra terram dedu
cit ; au moins fait-il qu'elle en eſt
adminiſtrée avec beaucoup moins
d'autorité & de reputation. Ainſi
voyonsnous dans les hiſtoires que
le Roy Epiphanes , pour avoir mé
priſé la dignité , & ne s'eſtre pas
gou
i Qu'il n'y a rien qui ſoit ſi bienfeant à un
homme qu'un grand courage: 2 Car four
ménager une grande fortune il faut un grand
eſprit,& tel que s'il ne s’ett élevé juſques à elle
& ne s'eſt placé au deſſus , il la renverſe & la
inet plus bas que la terre .
ES ſur les coups d'Eſtat. 27
comme gouverné en Roy , fut ſurnom
ale homi mél’Inſenſé: & queRamire d'Ar
et ; avec ragon , qui n'avoit quitté toutes
et eſprit les façons defaire des Moines, en
n V.E ſortant du Convent pour prendre
ent , & la Couronne , fut grandement
dignité mocqué & mépriſé de tous ſes
lement Courtiſans. Noſtre temps même
s enco nous fournit les exemples d'un
fa Sain Roy de la grande Bretagne, le
luspuil quel * è ſtato ſchernito do beffeggia
to per haver voluto comporre libri do
is decet, fare del letterato; ( Taſſoni lib. 7.
altior cap. 4. ) & de Henry III , tant
in dedu . chanté & remarqué dans nos Hi
en eſt ſtoires modernes , lequel pour a
moins voir veſcu parmy les Moines, &
. Aina dans un excés de devotion mal re
Tres que gléc , abandonnant ſon Sceptre &
le Gouvernement de ſon Eſtat ,
voir mé
ſtre pas donna ſujet au Pape Sixte V , de
gou . dire : Ce bon Roy fait tout ce qu'il
pleant à un peutpour eftre Moine, & moy j'ay fait
Car pour B 2 tout
un grand
ques a elle A cſté mépriſé &moqué pour avoir evou
lu compoſer des livres , & faire l'homm do
zverfe & lettres.
28 Conſiderationspolitiques
tout ce que j'ay pû pour ne leftre point.
Et pour ce un des meilleurs a
vis que donnajamais Monſieur de
Villeroy à Henry le Grand , qui
avoit veſcu en foldat & carrabin
pendant les guerres qui ſe firent
à fon advenement à la Couronne,
fut, lors qu'il luy dit , qu’un Prin
ce qui n'eſtoit pas jaloux des reſpects de
Sa Majeſté, en permettoit l'offenſe &
le mépris. Que les Roys ſes predeces
ſeurs dans les plus grandes confuſions
avoient toujours fait les Roys : qu'il
eſtoit temps qu'il parlaft, écrivili &
commandaſt en Roy. Mais à quoy
bon chercher des exemples chez
les Princes étrangers , puis que
l'hiſtoire de ceux qui ont gouver
né la Ville où ſe treuve à pre
ſent V. E. nous repreſente deux
Souverains Pontifes , qui pourn'a
voir accompagné cette grandeur
de leur dignité ſupreme aveccel
le de l'eſprit, ſervent encore de
fables & de ſujet de médiſance , &
de
ſur les coups d'Eſtat. 29
de riſée à la poſterité: la grande
pieté & religion qu'ils portoient
empreinte ſur leur face n'ayant pas
eu le pouvoir d'empeſcher, que
Maſſon ne dit du premier , qui
fut Celeſtin cinquiéme , ' Vir fuit
fimplex , nec eruditus, & quihumana
negotia ne capere quidem poſſet. ( in
Epiſcop. Rom .) Et Paul Jove du
ſecond , en parlant d'une certaine
ſorte de poiſſon , qui eſtoit beau
coup encherie pendant ſon Pon
1 tificat: 2 Merluceo plebeio admodum
piſci, Hadrianus fextus ficuti in Repu
Vlica adminiftranda hebetis ingenii , vel
E depravati judicii , ita in eſculentis in
2 ſulfilmi guftus, fupra mediocre pre
tium ridente toto foroPiſcatorio jamfe
B 3 cerat .
1 Ce fut un homme ſimple, ſans erudition ,
3
& qui ne pouvoit pas même comprendre les
affaires humaines. 2 Adrien lixiême qui
avoit le gouft infipide pour toutes ſortes de
viandes auſſi bien que l'eſprit hebeté, & le ju
gement depravé pour l'adminiſtration de la
Republique , avoit déja inis un prix excellif
au Merlus , qui eſt un poiſon aſſés coinmun ,
ce qui attira la riſée de tout le marché aux
poillons.
30 Conſiderations politiques
cerat. (Libr. de piſcib. Rom.) En
quoy neanmoins il s'eſt monſtré
beaucoup plus retenu & moderé ,
que Pierre Martyr, non l'Hereti
que de Florence, mais le Proto
notaire Apoſtolique natif d'une
petitebourgade du Duché de Mi
lan , lequel avoit dit en parlant
de l'élection de ce même Pape :
* Cardinalibus hoc loco accidit quod
in fabulis de Pardo ac Leone ſuper Agno
raptando fcribitur; fortibus illis ftrenuè
ſe dilacerantibus , quodcumque quadril
pes iners aliud preda ſe dominum fecit.
De maniere qu'il faut éviter les
grandes charges, ou les adminiſtrer
avec une force & generoſité d'c
ſprit ſi relevée par deſſus le com
mun ,qu'elle ſoit capable de donner
en

* Il arriva en ce rencontre aux Cardinaux


ce que la fable raconte du Leopard & du Lion
ſur l'enlevement d'un agneau ; que pendant
que ces deux genereux animaux ſe déchi
roient en diſputant vaillamment à qui auroit
Ja proye , une autre befte à quatre pieds , des
plus brutes & lâches , s'en rendit la mai.
treffe.
litiques ſur les coups d'Eſtat. 31
Rom.) En envie à la Fortune de la feconder ,
monstré & favoriſer en toutes ſes entrepri
& moderé, ſes: la Maximeeſtant tres-affeurée ,
n l'Hereti que quiconque apporte ce principe
le Proto & fondement, qu'il faut bien ſou
atif d'une vent avoir de la nature ( bona e
hé deMi nim mens, nec emitur, nec comparatur,
parlant dit Seneque) àla conduite de ſon
ePape: bonheur, il ne peut manquer d'el
dit quod trele propre ouvrier & createur de
per igen fa fortune; 2 Sapiens polipſe fingit For
is fremste tunam fibi.(Plaut.inTrinum .) Ale
quadra xandre fe propoſe -t-il, quoyque
Enrfecits fourny d'argent
jeune& tres-mal
te le & de ſoldats, de fubjuguer les Per
iſtrer ſes , & de paſſer juſques aux In
d'ic des , il en vient à bout. Ceſar en
com treprend- il de gouverner ſeul cette
nner grande Republique qui comman
en
doit à toutes les autres , il en treu
ve le moyen . Deux Paſtres Ro
Lion
mulus & Tammerlan ont- ils vo
dant B4 lonté

coit
1 Car on ne peut acheter l'eſprit , ni l'ac
Les
querir par aucune autre voie. 2 En verité
ui
l'homme ſage ſe fabrique la fortune lui-mê.
me.
Staati. Bibliothek
Ren
32 Conſiderations politiques
lonté de fonder deux puiſſans
Empires , ils l'executent ; Maho
met ſe veut-il faire de Marchand
Prophete , & de Prophete Souve
rain d'une troiſéme partie du
Monde , il luy reüllit : Et quel
penſez -vous, MONSEIGNEUR ,
avoir eſté le principal reſſort qui a
cauſé tous ces merveilleux effets ,
nul autre en verité , ſinon celuy
que Juvenalnous enſeigne de tou
jours mettre & placer entre les pre
miers de nos ſouhaits avec ſon * for
tem poſſe animum . ( Satyr.10.) Or de
vouloir maintenantſpecifier quel
les ſont les parties qui baſtiſſent, &
compoſentce fort eſprit, ce ſeroit
vouloir enchaffer un diſcours dans
un autre , & faire commeMontai-.
gne , qui fuit pluſtoft les caprices
de fa phantaiſie,que les titresdeſes
Eſais. Il ſuffit pour le preſent de
dire , que l'une des premieres &
plus
* Demandés un fort eſprit qui ſoit gueri
des craintes de la mort.
fur les coups d'eſtar.
3 plus neceſſaires pieces, eſt de penſer
fouvent à ce dire de Seneque : ' 0
quam contempta res eft homo, nifi ſupra
humana ſeerexerit : (In proæm . nat.
u quæſt.)C'eſt à dire, s'il n'enviſage
1 d'un æil ferme & aſſeuré , & quaſi
comme eſtant ſur le dongeon de
quelque haute tour , toutceMon ..
de,ſe le preſentant comme un thea
tre aſſez malordonné,& remply de
beaucoup de confuſion, où les uns
jouënt des comedies , les autres des
tragedies, & où il luy cſt permis
d'intervenir 2 tanquam Deus aliquis ex
machina , toutes fois & quantes qu'il
en aura la volonté , ou que les di
it verſes occaſions luy pourront per
fuader de ce faire. Queſi par avan
ture , MONSEIGNEUR , il vous
es ſemble extraordinaire , & hors de
ſaiſon de mon âge , & peut -eſtre
le aulli de la bien - ſeance de ma con
BS dition ,
LIS i O que l'homme eſt une choſe mépriſable,
s'il ne s'éleve au deſſus des choſes humai
nes.
2 Comme quelque divinité qui ſore
d'une machine.
34 Confiderations politiques
dition ; que je me faffe fi reſolu en
ces matieres fort chatouilleuſes &
delicates d'elles-mêmes , & beau
coup plus encore en la bouche
d'un jeunehomme , lequel eſt ap
pellé par Horace , (deArte Poët.)
i Vtilium tardus proviſor , & n'a pas
accouſtumé de s'adonner à des
eſtudes fi ſerieuſes & importantes,
2 Qil& que decent longa decoctam
atate ſenectam .
Je puis premierement répondre à
V. E. que l'âge auquel je me treu
ve , n'eſt aucunement diſpropor
tionné à la matiere & au ſujet que
je traitte. Le Poëte qui a le pre
mier proferé ces deux beaux vers,
3 Optima quæque dies miſeris mor
talibus avi
Primafugit,fubeunt morbi triſtiſque
ſenectus. (Virgil. 3. Georg.)
paſſe
? Negligent aux choſes qui lui ſont utiles.
2 Et qui convienent à la vieilleſſe confumée
dansl'âge . 3 Le meilleur de nos jours palle
& fuit le premier: les maux marshent enſuits
& la triſte veillelle .
litiques ſur les coupsd'Eſtat. 35
fi refolu en paſſeroit à un beſoin pour garend
oüilleuſes & & caution de mon dire , puis qu'il
25 , & beau. luy donne une ſi belle epithete;ſur
la bouche lequel Seneque voulant gloſſer à
equel eſtap ſa mode , * Quare optima ? dit-il,
e Arte Poët.) quia juvenespoffumus facilem animum,
1 , & n'a pas & adhuc tractabilem ad meliora con
onner à des vertere; quia hoc tempus idoneum eft
mportantes, laboribus , idoneum egitandis per ſtudia
dit decoctam ingeniis. ( Epiſt. 108.) Et ſi beau
coup de perſonnes ont executé
t répondre à pluſieurs belles entrepriſes, aupar
eljeme treu avant la fleur de leur âge ; pour
at diſpropor quoy me ſera -t- il defendu de les
< au ſujet que ſuivre deloin , & de produire ſi
qui a le pre non des actions genereuſes & re
beaux vers, levées, au moins quelques fortes
Es miferis mer & hardies conceptions ? Veu prin
cipalement que je me fuis tou
morbi triſtique jours efforcé d'acquerir certaines
B 6 diſpo
3. Georg .)le
pal Pourquoy le meilleur ? pource que nous
pouvons beaucoup apprendre en noltre jeu
i lui font utilcese. nelle , & faire tourner noftre ame encore fa
illeffe confum cile & traitable du cofié de la vertu ; parce
e nocshejnoturs puailsse que ce temps- là eſt le plus propre à ſupporter
mar enl la peine , à exercer l'eſprit dans l'eſtude & le
corps dans le travail.
tions olitiques
36 Conſidera p
diſpoſitions d'eſprit, qui ne m'y
doivent pas eſtre maintenant inu
tiles. Car il eſt vray que j'ay cul
tivé les Muſes ſans les trop careſ
ſer; & me ſuis aſſez plû aux eſtu
des ſans trop m'y engager : jay
paſſépar la Philoſophie Scholaſti
que ſans devenir Eriſtique ,& par
celle des plus vieux & modernes
fans me partialiſer,
* Nullius addictus jurare in verba
magiſtri.
Seneque m'a plus fervi qu'Ariſto
te ; Plutarque que Platon : Juve
nal & Horace qu'Homere & Vir
gile : Montaigne & Charon que
tous les precedens. Je n'ay paseu
la pratique du Monde , pour dé
couvrir par effet les ruſes & mé
chancetez qui s'y commettent ,
mais j'en ay toutefois veu une
grande partie dans les Hiſtoires,
Satyres & Tragedies. Le Pedan
tifme
* Ne m'eſtant point.obligé par ferment, de
faivre l'opinion d'aucun maiftre.
ſur les coups d'Eſtar. 37
tiſme a bien pû gagner quelque
choſe pendant fept ou huit ans
que j'ay demeuré dans les Col
leges, ſur mon corps & façons
de faire exterieures, mais je me
puis vanter aſſeurément qu'il n'a
rien empieté ſur mon eſprit. La
Nature , Dieu mercy , ne luy a pas
eſté maraître , elle luy a donné
une bonnebafe& fondement, la
lecture de divers Auteurs l'a
beaucoup aidé , mais celle du Li
vre de S. Anthoine luy a four
ny ce qu'il a de meilleur. En
ſuite dequoy je ne croy pas
que V. E. puiſſe treuver mau
vais qu'eſtant tout plein de ze
le & de bonne affection à fon
ſervice , j'employe ces penſées
qui me font particulieres , pour
honneſtement le divertir : fans
avoir deſſein de rencontrer quel
que Agamemnon , lequel me diſe
comme à ce jeune homme de Pe
trone qui venoit faire une longue
B 7 de
38 Confiderations politiques
declamation , * Adoleſcens, quoniam
ſermonem habes non publiciſaporis , &
quod rariſſimum eft amas bonam men
tein non fruudabere arte ſecreta :
( Init. Satyr.) Et je n'eſtime pas
auſſi de manquer d'occaſion pour
faire valoir mon petit talent dans la
vie contemplative , à laquelle j'ay
voüé & deſtiné tout le reſte de
la mienne , fans me vouloir em
peſcher & empeſtrer dans l'acti
ve , ſinon autant que le ſervice de
V.E. à laquelle j'ay fait le pre
mier veu d'obeïr , m'y pourroit
engager .
Refte doncques maintenant à
voir , ſi je n'outrepaſſe point les
bornes de ma capacité , en vou
lant traitter de ces choſes autant
éloignées ſemble - t- il de ma con
noiſſance , que le jour l'eſt de la
nuit ;
Jeune homme , parce que vos diſcours
ont an agrément particulier , & que vous avez
de la pattion pour les bons efprits, ce qui eſt
tres- rare, vous ne manquerés pas d'avoirde ca
tens particuliers.
ſur les coups d'Eſtat. 39
nuit ; qui eſt la derniere difficul
té que je me ſuis propoſé cy-del
ſus de refoudre . Et à cela je pour
rois répondre brievement , que
Es
la difficulté feroit bientoft vuidée,
ar fi l'on en vouloit paſſer par cet
11 arreſt de Seneque , i Paucis ad bu
Y nam inentem opus eſt literis. Mais
pour en ſpecifier quelque choſe
davantage , j'avoue ingenûment
que je n'ay point tant de preſom
ption , & de bonne opinion de
moy-même que de penſergagner
le prix en cette courſe , oùjeſuis
encore tout nouveau . Neanmoins
puis que ſuivant le dire du Poëte,
(Horat.
2
I.Ep. 1.)
Eft aliquid prodire tenus,fi non da
tur ulira;
je feray quelque petit effort, &
marcheray juſques à ce queje fois
las ou hors du droit chemin , alors
je me repoſeray , & attandray
quel
* Un bon eſprit n'a pas beſoin de beaucoup
de lettres . 2. C'eſt toujours faire quelque
progrés , li on nepeut pas paffer outre .
40 Confiderations politiques
quelque nouvelle connoiffance (

ou inſtruction pour paſſer plus


outre. Lebon homme Aratus qui
n'entendoit pas grand choſe en
l'Aſtrologie , fit toutefois un beau
Livre de ſes Phenomenes ; Celſe
qui n'eſtoit que pur Grammai
rien , a nonobſtant compoſé un
livre de grande importance en
Medecine : Diofcoride eſtoit fol
dat , Macer Senateur , & tous deux
ont fort bien écrit des plantes ;
Hippodamus même de ſimple ar
chitecte & maſlon devint grand
Politique , & auteur d'uneRepu
blique mentionnée par Ariſtote.
Auſſi j'ay toujours eſté de cette
opinion ', que quiconque a tant
ſoit peu de naturel & d'acquis par
les eſtudes , il peut inferer & de
duire de cinq ou fix bons prin
cipes , toutes ſortes de conclus
fions , comme Pline dit , que les
Peintres anciens faiſoient leurs
plus belles pieces par le meſlange
de
ſur les Cotips d'Eſtat. 41
ce de quatre ou cing fortes de cou
lus leurs ſeulement. On peut auſſi
qui ajouſter , que les ſciences fem
z es blent eſtre comme enchainées ,
beau & cadenacées les unes avec les au
Celle tres , & avoir une telle correſpon
amai dance , que qui en poſſede une,
fé un poſlede auſſi toutes celles qui luy
ce en font ſubalternes . Et de plus que
bit fol le fiecle où nous ſommes , fem
us deus ble beaucoup favoriſer ce deſſein,
plantes; puis que l'on peut à peu prés ſça
mple ar voir & découvrir tous les plus
nt grand grands ſecrets des Monarchies ,
jeRetpotue. les intrigues des cours , les caba
Ariſ . les des factieux,lespretextes & mo.
i de cette tifs particuliers , & en un mot,
que a tant * quid Rex in aurem Regina dixerit ,
Quid luno fubulata fit cum love ,
acquis par (Plaut.) par le moyen de tant de
rer & de.
relations, memoires , diſcours, in
bons prin ſtructions, libelles , manifeſtes ,
de conclu .
dit, que les paſquins, & ſemblables pieces ſe
bient leurs cr ttes,

le melange Ce quele Roy a dit en ſecret à la Reine,


de & les diſcours que Junon a tenus à Jupiter.
42 Conſiderations politiques
Crettes , qui ſortent tous lesjours
en lumiere , & qui ſont en effet
capables de mieux & plus faci
lement former , dégourdir , &
deniaiſer les eſprits, quetoutes les
actions qui ſe pratiquent ordinai
rement és Cours des Princes, dont
nous ne pouvons qu'à grand' pei
ne connoiſtre l'importance, fau
te d'avoir penetré dans leurs cau
fes , & divers mouvemens. Bref
pour finir en peu de mots ce qui
concerne le particulier de ma per
ſonne;
* Quod Cato, quod Curins ſanctiſſ
ma nomina quondam
Senferunt, non quid vulgus, plebſque
inſcia dicat ,
Menté agito , atque mihi propona
exempla bonorum . ( Paling. in
Tauro .)
11
Je ne penſe point à ce que pourra dire le
vulgaire, & la populace ignorante , mais je
medite ſur les ſentimens qu'ont eu jadis Ca
ton & Curius , dont les noms ſont en grande
veneration , & me propoſe toujours l'exemple
des gens de bien .
olitiques ſur les coups d'Eſtat. 43
tous lesjours il eſt bien vray que ce deſſein
ſont en effet eſtant un des plus relevez que
& plus faci l'on puiſſe choiſir en toute la Po
gourdir, & litique, il en ſera d'autant plus dif.
que toutes les ficile; mais auſſi me fait- il eſperer
uent ordinai que la fin en ſera plus glorieuſe ;
Princes, dont pour moyje me ſuis toujours plû
de dire avec Properce ,
à grane d'pei. * Magnum inter afcendo,fed dat mi
ortanc , fau
ans leurs cau bi gloria vires ;
Femens. Bref Non juvat ex facili lecta corona
jugo.
e mots ce qui Et au pire aller , aux choſes grans
ier dema per des l'ofer eſt honorable , aux pe
rilleuſes l'entrepriſe eſt hardie, aux
Curiøs fanétifi hautes & relevées , la cheute glo ,
am rieuſc ; aux grandes mers ſi la rou ,
vulgus,plebſque te n'eſt heureuſe , le naufrage eſt
celebre : J'ébauche, un autre ache
mihi propone vera; j'ouvre la lyce, un autre tou,
( Paling. in chera le but ; je fonne la trom
11
pette,
que pourradire le * J'entreprens quelque choſe de grand &
mais je qui ſurpaſſe ma portée , mais la gloire que
orante ,
nt cu jadis Ca. j'eſperey acquerirmedonne des forces pour le
s ſont en granldee faire;je n'aime point les couronnes qu'on reni.
jours l'exemp porte ſans peine.
44 Conſiderations politiques
pette , un autre gagnera le prix ,
il y a aſſez de perſonnes en ce
monde qui ne peuvent marcher
que ſur les chemins tracez par
ceux quiles ont precedé; le nom
bre des eſprits, qui travaillent tous
les jours à imiter les autres eſt
aſſez grand , ſans que je captive
encore le mien fous cet eſclava
ge : & puis que tous les Auteurs
qui traittent de la Politique , ne
mettent point de fin à leurs dif
cours ordinaires de la Religion,
Juſtice, Clemence , Liberalité, &
autres ſemblables vertus du Prin
ce , ou du Miniſtre , il vaut mieux
que je m'écarte un peu , pour
n'eſtre atteint de cette contagion ,
ny envelopé d'une telle foule; &
que pour n'arriver des derniers ,
je paſſe par un nouveau chemin ,
qui ne ſoit point frequenté par
le * ſervum pecus d'Horace , ny en
trecou

tion .
Les eſclaves, ou gens de baſſe condi
ſur les coups d'Eſtat. 45
. trecoupé de ces grands Fangears
E & Marais relentis,où il y a ſi long
T temps que
Veterem in limo Rana cecinereque
relam .
Or entre tous les points de la Po
litique, je ne voy pas qu'il y en
ait un moins agité & moins re
batu , ny pareillementplus digne
de l'eſtre que celuy des ſecrets ,
ou pour mieux dire des Coups
d'Eſtat, car ce qu'en a dit Clapma
rius en ſon traitté 2 de Areanis Im
periorum , ne peut fournir une ex
1
ception valable , puis que n'ayant
pas ſeulement conceu ce que fi
gnifioit le titre de ſon livre , il n'y
a parlé que de ce que les autres
Ecrivains avoient déja dit & repeté
mille fois auparavant , touchantles
regles generales de l'adminiſtra
tion des Eſtats & Empires.Et dau
tant que cette matiere eft fi nou
velle ,
1 Les grenouilles ont chanté leurs vieilles
plaintes dans la bouë. 2 Des ſecrets des Em.
pires.
46 Confiderations politiques
velle,& relevée par deſſus les com
muns ſentimens des Politiques ,
qu'elle n'a preſque encore eſté
effleurée par aucun d'eux , comme
l'a remarqué Bodin au ſixiéme de
fa Methode en ces mots : * Mul
ti multa graviter & copiosè deferendis
moribus , de ſanandispopulis, de Prin
cipe inſtituendo, de legibus ftabiliendis,
leviter tamen de ftatu , nihil de conver
fionibus Imperiorum , & iis qua Ari
toteles Principum σοφίσματα , eu
agu Doos, Tacitus Imperii Arcana vo
cat , ne attigerunt quidem : Je mar
cheray toujours la bride en main,
& apporteray toute la precaution,
modeſtie, & retenue poſſible,pour
aſſaiſonner & temperer ces dif
cours , deſquels on peut encore
mieux

* Pluſieurs ont traité au fond & fort am


plement de l'établiſſement des mæurs , de la
gueriſon des peuples, del'inſtitution des Prin
ces , & de l'affermiſiement desloix ; mais ils
ont paſſé fort legerement ſur les affaires d'Eſtat,
& n'ont rien dit des revolutions des Empires,
& de ce qu'Ariſtote appelle ſophiſmes ou le
crets des Princes; & Tacite, ſecrets de l'Empire.
politiques ſur les coups d'Eſtat. 47
deflus les com mieux dire , que Platon ne faiſoit
les Poclioti ques, de ceux de Theologie, ετοί γε οι λό
e en re eſté 201 Xanezdí, * difficiles & cum difcri
d'eux , comme mine hiſermones. (Libr. de Repub .)
n au ſixieme de Cardan & Campanelle fontpaſſer
s mots :
* Mile pour un precepte d'importan
copiosè de ferendi ce , que pour bien traitter , ou
populis, de Prin preſenter quelque ſujet, il en faut
gibus ftabiliend,a concevoir une parfaite idée , & y
nihil de conpero tranſmuer, s'il eſt poſſible,tout ſon
& iis que Ali eſprit, & toute ſon imagination ;
d'où l'on voit ſouvent arriver, que
σοφίσματα ,, ceux des Comediens qui ſont
perii Arcana v
le mieux pourveus de cette facul
idemde: Je manre té imaginative jouent auſſi tou
bri en mai
jours mieux leurs perſonnages.
ela precaution, L'on dit en France
nce , que Dubar
ë poſlīble pour tas auparavant que de faire cette
perer ces dif
n peut encore belle deſcription du Cheval où il
mieux a ſi bien rencontré , s'enfermoit
quelquefois dans une chambre ,
u fond & fort am & ſe mettant à quatre pattes ſouf
rs de la
ioun ,
des ma
Aloit , henniſſoit, gambadoit, tiroit
aftitnt des Prin
: des loix ; mais ils des
les affaires d'Eltar,
tions des Empires
s * Ces diſcours ſont fort difficiles & dangc
ſophiſme ou le rcux ,

is de l'Empire.
4S Confiderations politiques
des ruades, alloit l'amble , le trot,
le galot , à courbette , & taſchoit
par toutesſortes de moyens à bien
contrefaire le Cheval. Agrippa
même avouë , que lors qu'il vou
lut compoſer ſa declamation con
tre les ſciences, il s'imagina d'eſtre
comme un Chien qui abayoit à
toutes ſortes de perſonnes; & lors
qu'il voulut écrire de la Pyro
technie , ou des feux d'artifice , il
fe perſuadoit d'eſtre changé en un
Dragon , qui ſouffloit le feu , &
le ſouphre par la gueule , les yeux,
les oreilles & les narines. Pour
moy lors que je traitteray ou écri
ray de quelque ſujet abſolument
bon & profitable , je ſeray bien
aiſe de me ſervir de ces imagina
tions ; mais en cette matiere qui
eſt fi panchante vers l'injuſtice,
je ne m'imagineray jamais d'eſtre
quelque Neron , ou Buſiris, pour
mieux treuver les moyens de per
dre & d'exterminer le genre hu
main .
ſur les coups d'Eſtat. 49
politiques main. Ce me ſera aſſez de ne pas
mble , le trot,
te , & taſchoit encourir le blaſme & la cenſure ,
moyens à bien que Neron donnoit aux Politi
eval. Agrippa ques & Conſeillers de ſon temps,
lors qu'il vou * quod tanquam in Platonis Republica,
clamation con non tanquam in Romuli face ſenten
imagina d'eſtre tiam dicerent. Et ſi je ſçavois que
qui asbayoit à le peu que j'en diray puſt cauſer
Conne ; & lors quelque abus & defordre plus
de la Pyro grand que celuy qui eſt aujour
u d'artifice,il
x d'huy en pratique entre les Prin
c changé en un ces, je jetterois tout maintenant
Hoit le feu , & la plume & le papier dans le feu, &
fcrois væu d'eternelſilence , pour
eulein,esles yeux,
nar . Pour ne me point acquerir la louange
y d'un homme fin & ruſé dans les
ittera ouméecnrti
et abſolu ſpeculations Politiques , en per
dant celle d'homme de bien , de
je feray bien
e ces iiemraegin
a laquelle ſeule je veux faire capi
em a t qiu tal , & me vanter tout le reſte de
ſ t i c e ma vie.
u
rs al'iisnj ltre,
jam d'e
С CHAO
Buſiris , pour Qu'ils donnoient leur avis ou opinoient
oyens de per. comme s'ils eſtoient dans la Republique de
cgenre hu Platon , & non parniy la populace abjecte de
baffe de Romulus.
main .
50 Conſiderationspolitiques
CHAPITRE II .

Quelsſontproprement les coups d'Eſtat,


&de combien defortes.
Ais pour ne pas demeurer
M toujours en ces prefaces, &
parler enfin du ſujet pour lequel
elles ſont faites, ce grandhomme
Juſte Lipſe traitant en les Politi
ques de la prudence , il la definit
en peu de mots , un choix d triage
des choſes qui font à fuir, ou à deſi
rer ; & aprés en avoir amplement
diſcouru commeon la prend d'or
dinaire dans les Ecoles , c'eſt à
dire pour une vertumorale , qui
n'a pour objet que la conſidera
tion du bien ; il vient en ſuite à
parler d'une autre prudence , la
quelle il appelle meſlée , parce
qu'elle n'eſt pas fi pure , ſi faine
& entiere que la precedente ; par
ticipant un peu des fraudes &des
ſtratagemes qui s'exercent ordinai
rement
ſur les coups d'Eſtat. SI
rement dans les cours des Princes,
& au maniement des plus impor
tantesaffaires du Gouvernement :
Auſſi s'efforce -t-il de monſtrer
par ſon eloquence , que telle forte
Fer de Prudence doit eſtre eſtimée
& honneſte , & qu'elle peut eſtre
el pratiquée comme legitime, &
ne permiſe. Aprés quoy il la definit
affez judicieuſement , * Argutum
confilium à virtute, aut legibus devium ,
Regni Regiſque bono; & de là paſſant
à ſes eſpeces & differences , il en
conſtitue trois principales : la pre
miere deſquelles , que l'on peut
appeller une fraude ou trompe
rie legere, fort petite , & de nulle
confideration , comprend fous ſoy
la défiance , & la diffimulation ; la
la ſeconde qui retient encore quel
ce que choſe de la vertu , moinstou
ne tefois que la precedente , a pour
C 2 ſes
ar
Jes
Un conſeil fin & artificieux qui s'écarte
ai un peu des loix & de la vertu , pour le bien du
nt Roy & du Royaume.
52 Conſiderations politiques
ſes parties , * conciliationem & dece
ptionem , c'eſt à dire le moyen de
s'acquerir l'amitié & le ſervice des
uns , & de leurer , decevoir , &
tromper les autres , par fauſſes
promeſſes, menſonges , preſens &
autres biais , & moyens , s'il faut
ainſi dire , de contrebande , &
plutoſt neceſſaires que permis ou
honneſtes. Quant à la derniere ,
il dit qu'elle s'éloigne totalement
de la vertu & des loix , fe plon
geantbien avant dans la malice , &
que les deux baſes , & fondemens
>

plus afſeurez font la perfidie &


l'injuſtice.
Il me ſemble toutefois, que
pour chercher particulierement la
nature de ces ſecrets d'Eſtat, &
enfoncer tout d'un coup la pointe
de noſtre diſcours juſques àce qui
leur eſt propre & eſſentiel, nous
devons conſiderer la Prudence com
me une vertu morale & politi
que ,
* La conciliation & la deception.
ſur les coups d'Eſtat. 53
ceo que , laquelle n'a autre but que de
o de rechercher les divers biais , & les
e des meilleures & plus faciles inven
r, & tions de traitter & faire reüllir
fauſſes les affaires que l'homme ſe pro
ſens & poſe. D'où il s'enſuit pareillement
' il faut que comme ces affaires & divers
nde, & moyens ne peuvent eſtre que de
rmis ou deux ſortes , les uns faciles & or
dernieret, dinaires , les autres extraordinai
otalemen res , faſcheux & difficiles; aufli ne
o ſe plon doit -on établir que deux fortes
malicmee,n&s de prudence: la premiere ordi
fonde naire & facile, qui chemine ſui
Perfidie & vant le train commun fans exce
der les loix & couſtumes du pais :
s
atefoi , qut e la ſeconde extraordinaire , plus ri
lieremen la goureuſe , ſevere & difficile. La
d'Eſtat, & premiere comprend toutes les par
oup lapointe ties de prudence, deſquelles les
fques à ce qui Philoſophes ont accouſtumé de
Tentiel, nous parler en leurs traittez moraux ,
Prudence com & outre plus ces trois premieres
le & politi mentionées cy -deſſus, & queJuſte
ques Lipſe attribue ſeulement à la pru
C 3 dence
eception.
54 Conſiderations politiques
dence meſlée & frauduleuſe. Par
ce que, à dire vray , ſi on conſide
re bien leur nature & la neceflité
qu'ont les Politiques de s'en ſer
vir , on ne peut à bon droit fou
pçonner qu'elles ſoient injuſtes,vi
cieuſes ou deshonneſtes. Ce que
pour mieux comprendre , il faut
fçavoir comme dit Charon , ( Lib.
3. C.2. ) que la juſtice , vertu
& probité du Souverain , che
mine un peu autrement que cel
le des particuliers; elle a fes al
leures plus larges & plus libres à
cauſe de la grande,peſante & dan
gereuſe charge qu'il porte , c'eſt
pourquoy il luy convient mar
cher d'un pas qui peut ſembler
aux autres detraqué & déreglé ,
mais qui luy eſt neceſſaire, loyal,
& legitime; il luy faut quelque
fois eſquiver & gauchir , meſler
la prudence avec la juſtice , &
comme l'on dit , * cum vulpe jun
Etum
* Renarder, ou uſer de fineſſe,avec le renard .
ſur les coups d'Eſtat. 55
ar &tum vulpinarier : C'eſt en quoy
de. conſiſte la pedie de bien gouver
lite ner . Les Agens , Nonces , Am
baſſadeurs, Legats ſont envoyez,
fou
& pour épier les actions des Prin
es,vi. ces étrangers, & pour diflimuler,
couvrir , & déguiſer celles de
ce que
ilfaut leurs Maiſtres. Louys X I, le plus
Lib. fage & aviſé de nos Roys , te
Vertu noit pour Maxime principale de
he fon Gouvernement, que ' qui
7, c neſcit diſſimulare neſcit regnare; &
q el
u e r
2 fes al l'Empereur Tibere, 2 nullam ex
Is libres a virtutibus ſuis magis quàm diſſimula
te & dan tionem diligebat. Ne voit -onpas que
Orte, c'el la plus grande vertu qui regne
vient mar
aujourd'huy en Cour, eſt de ſe
t ſembler
défier de tout le monde , & diſ
ſimuleravecun chacun , puis que
3 déreglé , les ſimples & ouverts , ne font en
ire, loyal,
nulle façon propres à ce meſtier
atrquelquleer de gouverner , & trahiſſent bien
bi , ma C4 ſou .
juſtice, & I Qui ne ſçait pas diſſimuler ne ſçait pas
in vulpe jina auſi regner. 2 De toutes les vertus qu'il pof
ſedoit il n'y en avoit point qu'il aimaſt plus
que la diflimulation.
avec le repard.
56 Confiderations politiques
ſouvent eux & leur Eſtat. Or non
ſeulement ces deux parties de fe
défier & diſſimuler à propos , qui
conſiſtent en l'omiſſion , font ne
ceſſaires aux Princes ; mais il eſt
encore ſouventefois requis de paf
ſer outre , & devenir à l'action &
commiſſion , comme par exemple !
de gagner quelque avantage , ou
venir à bout de fon deſſein par
moyens couverts, equivoques ,&
fubtilitez ; affiner par belles pa
roles , lettres , ambaſſades; faiſant
& obtenant par ſubtils moyens ,
ce que la difficulté du temps &
des affaires empeſche de pouvoir
autrement obtenir ; * & fi rectà
portum tenere nequeas , idipfum mil
tata velificatione aſſequi. ( Cicero 1
1

lib. II . ad Lentul.) Il eſt pareil


lement beſoin de faire & dreſſer
des pratiques & intelligences ſe
cretes , attirer finement les cours
&
* Et ſi on ne peut aller tout droit au port,
y arriver en louvoyant & en changeant de
cours.
ſur les coups a’Eſtut. 57
on & affections des Officiers, ſervi-.
teurs , & confidens des autres
De se
Princes & Seigneurs étrangers,
qui
nt ne
ou de ſes propres ſujets; ce que
il ett Ciceron appelle au premier des
Offices , conciliare fibi animos ho
de paſ. minum & ad ufus ſuosadjungere. A
ction &
quoy faire doncques établir une
exemple prudence particuliere & meſlée,
age, ou de laquelle ces actions dépendent
llein par particulierement,comme faitJuſte
ques, & Lipſe, puis qu'elles ſe peuvent
belles pa. rapporter à l'ordinaire , & que
des; failam
telles ruſes ſont tous lesjours en
5 moyens, ſeignées par les Politiques, inſe
u temps & rées dans leurs raiſonnemens , per
de pouvoir ſuadées par les Miniſtres , & pra
* Cf real tiquées ſans aucun ſoupçon d'in
idipfum si juſtice , comme eſtant les prin
.1.1. (Cicero
cipales regles & maximes pour
Il eſt pareil bien policer & adminiſtrer les
ire & dreller
Eſtats & Empires. Aufli ne meri
elligences les tent-elles d'eſtre appellées ſecrets
nent les caur CS de
&
tout droit au port, * S'acquerir les cours des hommes , & les.
< en changeant de employer àſon uſage.
58 Conſiderations politiques
deGouvernement,Coups d'Eſtat, 1

& * Arcana Imperiorum , conime


celles qui pour eſtre compriſes
fous cette derniere forte de pru
dence extraordinaire , qui donne
le branle aux affaires plus faſcheu
fes & difficiles , meritent parti
culierement & privativement à
toutes autres, d'eſtre appellées'Ar
Cana Imperiorum , puis que c'eft
le ſeul titre que non ſeulement
moy , mais tous les bons Auteurs
qui ont écrit auparavant moy leur
ont donné.
Et en cela certainement nous
pouvons remarquer la faute de
beaucoup de Politiques, & prin
cipalement de Clapmarius , lequel
voulant faire un gros Livre de
Arcanis Imperiorum , & les redui
re ſous quelques preceptes ge
neraux , il dit premierement , que
les ſecrets d'Eſtat ne font rien au
tre choſe que les divers moyens,
rai.
* Secrets des Empires
aspolitiques ſur les coups d'Eſtat. sg
Coups d'Eſtat, raiſons & conſeils deſquels les
iorum , conime Princes ſe ſervent pour maintenir
eſtre compriſes leur Autorité , & l'eſtat du pu
e forte de pru blic , fans toutefois tranſgreſſer
nire, qui donne le droit commun , ou donner au
res plus faſcheu cun ſoupçon de fraude & d'in
meritentenpatrti juſtice. Ce qu'ayant preſuppoſé
privativem à comme bien étably & veritable,
tre apspellés?.ro il les diviſe en deux fortes , & dit
pui que c'eltt que les premiers ſe doivent ap
non ſeulemen peller ſecrets d'Empire , ou de
es bons Auteurs Republiques, leſquels à raiſon des
ravant moy leur trois fortes de Gouvernemens il
ſubdiviſe encore en ſix autres
tainement nous manieres, dautant , par exemple,
ner la faute de que l'Eſtat Monarchique doit a
iques, & prin voir de certains moyens & rai
marius, lequel fons particulieres pour ſe donner
gros Livre de de garde d'eſtre commandé par
& les redu pluſieurs qui le reduiroient en A
s
precepetnet ge riſtocratie; d'autres pour obvier
ierem , que au Gouvernement d'une popula
e font rien au ce & ne ſe changer en Democra
vers moyens, tiques : & ainſi ces deux derniers
rai doivent faire en ſorte de ne point
C6 de
60 Conſiderationspolitiques
devenirMonarchiques , ou de ne
point tomber en quelque autre
forme de Gouvernement qui leur
ſoit oppoſé. Les ſeconds ſont ceux
qu'il nomme & qualifie du titre
deſecret de domination , leſquels
ceux qui commandent font obli
gez depratiquer pour ſe conſerver
en leur autorité ſoitMonarchique,
populaire ou Ariſtocratique. Ce
qu'il confirme par une curieuſe
enumeration de tous ces moyens,
fuivant qu'il les a pû remarquer
dedans Tite Live , Saluſte , Amar
cellin , & beaucoup d'Auteurs ,
leſquels ſemblent demeurer tous
d'accord de la ſignification de ces
mots, de la même façon que Clap
marius s'en eſt fervy en tout fon
livre. Or cela me feroit aucune
ment redouter l'indignation de
tous ces grandsperſonnages, li je
m'emancipois ſans leur avoir de
mandé permiſſion , de leur dire
qu'uſurpant ce mot de ſecrets
d'Eſtat,
ſur les coups d'Eſtat. 61
asposlitiques d'Eſtat, ſelon qu'il a eſté expoſé
que , ou de ne
quelque autre cy -deſſus, ils ſemblent s'éloigner
iement qui leur de fa ſignification , & ne pas bien
conds ſont ceux comprendre la nature de la choſe;
qualifie du titre eſtant certain que ces dictions La
nation , leſquels tines, ſecretum & arcanum , def
dent font obli quels ils ſe ſervent pour l'exprimer ,
ourſe conſerver ne doivent point eſtre attribuez
que aux preceptes & maximes d'une
tMonarcuhei , ſcience , laquelle eſt commune ,
tocratiq . Ce e entenduë & pratiquée par un cha
er une curieuſ
cun : mais ſeulement à ce que
us ces moyens, pour quelque raiſon ne doit eftre
pú remarquer ny connu ny divulgué, parce que
aluſte , Amar ſuivant que remarque le Poëte
p d'Auetreurs , Marbodaus ,
emeur tous
ication de ces
2 Non fecreta manent , quorum fit
conſcia turba. (Libr.de Gem .)
çon que Ctlap Auſſi apprenons nous des Gram
y en tou ſon
mairiens , que ce mot 3 d'utcanum ,
Eeroit auocnune
i peut eſtre derivé ab 4 arce , ſoit
dignat de comme eſt d'avis Feftus Pom
s lije
onnage ,
cur avoir de
C7 peius,
de leur dire 1 Secret & caché. 2 Les choſes qu’on com
te de ſecrets manique à pluſieurs perſonnes, ne demeurenz
pas ſecrctcs . Secret. 4 Forterelle .
d'Eſtat,
62 Conſiderationspolitiques
peius , que les Augures euſſent
couſtume d'y faire un certain fa
crifice , qu'ils vouloient éloigner
de la connoiſſance du peuple , ou
parce que toutes choſes ſecretes
& de conſequence font mieux gar
dées : in arce , qu'en autre lieu.
Ceux qui le tirent 2 ab arca fem
blent auſſi ne ſe pas éloigner de
la même opinion , & les bons Au
teurs ne ſe fontjamais ſervis de ces
deux mots qu'en pareille ſignifi
cation . Virgile ,
į Longius & volvens fatorum arca
namovebo. (Æneid. 1. )
& en un autre lieu :
4 Te colere , arcanos etiam tibi cre
dere ſenſus.
Horace ,
5 Secretumque teges & vino tortus
& irá.
Et
i Dans une forterelfe. 2 Coffre. 3 Et je
vous raconteray plus au loog le ſecret des fa
talités. ' 4 T'honorer & te confier les plus ſe
cretes penſées & pallions de mon cæur. s Le
vin nila colere ne te doivent pas faire reveler
le ſecret qu'on t'aura confié.
ſur les Coups d'Eſtat. 63
Politiques Et pour finir par celle de Lucain,
ures eullen
certain a. n'a- t - il pas dit en parlant de la
ſource du Nil , qui eſtoit totale
ent eloigner ment inconnuë aux Egyptiens
peuple, ou mêmes ,
Tes ſecretos
* Arcanum natura caput non proti
mieux gar lit ulli ,
autre lieu.
Alla fem
Nec licuit populis parvum te Nile
videre ,
igner de Amovitque finus, & Gentes maluit
Pons Au ortus
is de ces
Mirari quam noſſe tuos.
fignific Je remarqueray toutefois com
me en paſſant, que l'on peut ti
arca
rer un beau parallele entre ce
fleuve du Nil & les ſecrets d'Eſtat.
Car tout ainſi que les peuples
cre
plus voiſins de fa ſource en ti
roient mille commoditez ſans a
voir aucune connoiffance de ſon
tus
origi
Et La nature n'a découvert à perſonne ta
ſource , Ô Nil , & il n'y a point de peuple qui
ait pû te voir en ton commencement: elle a
éloigné tes replis , & a micux aimé faire ad
mirer ton origine aux nations , que dela leur
faire connoître.
64 Conſiderations politiques
origine ; ainfi faut-il que les peu
ples admirent les heureux effets de
ces Coups de Maiſtre ſans pour
tant rien connoiſtre de leurs cau .
ſes & divers reſſorts. Or aprés
avoir monſtré que ces Ecrivains
ont corrompu les mots , nous
pouvons encore dire qu'ils ont
pareillement depravé la nature de
la choſe , veu qu'ils nous propo
fent des preceptes generaux & des
maximes univerſelles, fondées ſur
la juſtice & droit de Souveraineté,
& par conſequent permiſes & pra
tiquées tous les jours , au veu &
ſceu de tout le monde ; leſquels
neanmoins ils eftiment eſtre des
ſecrets d'Eſtat.Auſſi ne prenoient
ils pas garde qu'il y a une gran
de difference entre ceux-là , &
ceux dont nous voulons parler ;
puis que un chacun eſt fait fça
vant, & rendu capable des pre
miers , pour ſi peu d'eſtudequ'il
veüille faire dans les Auteurs qui
en
litiques ſur les coupsd'Eſtat. os
quex les tspeu. - en ont traitté ; où au contraire
eu effe de ceux dont il eſt maintenant que
e ſans pour ſtion , naiſſent dans les plus reti
de leurs cau . rez cabinets des Princes , & ne
5. Or aprés ſe traittent ny deliberent en plein
ces Ecrivains Senat , ou au milieu d'une Cour
mots , nous de Parlement; mais entre deux ou
ce qu'ils ont trois des plus aviſez & plus con
é la nature de fidens Miniſtres qu'ait un Prin
ce . Et en effet , nous voyons
nous propo
eneraux & des qu'Auguſte, lors qu'il eut deſſein ,
fondées ſur aprés avoir gagné la bataille
- ,ouveraineté Actiaque , & appaiſé les guerres
C ,
miſes &pra civiles & étrangeres , de quitter
-, au veu & le titre d'Empereur, & de rendre
de; leſquels la liberté à fa patrie ; il n'en com
nt eſtre des muniqua pas au Senat , quoy qu'il
nt
neprenoie l'euſt augmenté de fix cens Sena
a une gran . teurs ; ny à ſon Conſeil particu
ceux-là, & lier , qui eſtoit compoſé de vingt
ulons parler; perſonnes les plus doctes & judi.
n eſt fait fça cieuſes qu'il avoit pû choifir ;
able des pre mais il propofa & remit toute cet
d'eſtude qu'il te affaire au jugement de ſesdeux
5 Auteurs qui principaux Amis , Miniſtres', &
en Con
66 Conſiderationspolitiques
Confidens, Mecenas & Agrippa,
i quibuſcum Imperii arcana commu
nicare ſolebat, dit Dion. (Libr. 53.)
Et fi nous voulons remonter juſ.
ques à ce grand homme qui luy
avoit reſigné fa fortune entre les
mains, Jules Ceſar ; nous trouve
rons dans Suetone 2 in Iulio , qu'il
n'avoit que Quintus Pædius, &
Cornelius Balbus , avec leſquels il
Communiquoit το μυστικότατα ,
c'eſt à dire ce qu'il avoit de plus
ſecret & caché dans l'ame. Les
Lacedemoniens qui augmenterent
beaucoup leur Eſtat aprés la Vi
Etoire deLiſandre, établirent bien
un conſeil de trente perſonnes
pour gouverner les affaires de leur
Republique , mais non contens
dece , ils choiſirent douze des plus
judicieux & aviſez de leurs ci
toyens,pour eftre comme les Ora
cles qui devoientpar leur répon
fe
I Auxquels il avoit accouſtumé de com
muniquer les ſecrets de l'Empire. 2 Sur Ju
lius,
ſur les coups d'Eſtat. 67
politiques ſe conclure les Coups d'Eſtat.
us ca&naAgrimippnga, Les Venitiens font aujourd'huy
zr co
de même avec leurs ſix Procureurs
on. (Libr. 53.) de Saint Marc ; & il n'y a au
remonter juſ. cun Souverain tant foible ſoit - il
omme qui luy & de peu de conſideration , qui
tune entre les
; nous trouve
ſoit fi mal aviſé , que de remettre
2 in Iulio, qu'il au jugement du public ce qui à
peine demeure aſſez ſecret dans
us Pædius, & l'oreille d'un Miniſtre ou Favo
avec leſquelsil ri. C'eſt ce qui a fait dire à Caſſio
' μυσικάτατα,, dore, · Arduum nimis eſt Principis me
avoit de plus
s l'ame. Les ruißeſecretum , (Libr. 8. Epiſt. 10.)
nt & en un autre lieu, où il parle d'un
augmentere
s Conſeiller ſecret de Theodoric ,
apré la Vi
ablirent bien 2 Tecum pacis certa , tecum belli dubia
conferebat , & quod apud ſapientes Rea
te perſonnes ges fingulare munus eft, ille follicitus ad
Haires de leur
non conten
s omnia , tecum pectoris pandebat arca
na. ( Lib. 8. Epiſt. 9.) Euſt- il pas
louze des plus fait
de leurs Ci 1 C'eſt par trop difficile d'avoir merité
mme les Ora d'etre introduit dans le ſecret du Prince . 2 11
conferoit avec toy des choſes certaines de la
r leur répon paix & des douteuſes de la guerre, & ,ce qui eſt
fe une faveur ſinguliere d’un Roy ſage & prudent,
comme ilavoit ſoin de tout , il te reveloit les
ouſtume de com
mpire. 2 Sur Ju plus ſecretes penſées de ſon coeur.
68 Conſiderations politiques
fait beau voir , que Charles IX
euft deliberé de faire la Saint Bar
thelemy avec tous les Conſeillers
de ſon Parlement , & que Hen
ry III euſt conclu la mort de
Mellieurs de Guiſe au milieu de
fon Conſeil ? Je croy certes qu'ils
у euſſent auſi-bien reüſli , com
me à vouloir prendre les lievres
au fon du tambour , ou les oiſeaux
avec des fonnettes. Et de plus je
demanderois volontiers à ces Mer
ſieurs , ſi tant eſt qu'ils appellent
les regles communes de regir &
gouverner les Royaumes , Ar
cana Imperiorum ,quel nom ils pour
ront donner à ces fecrets meſleż
d'un peu de ſeverité , & ſujets à
la prudence extraordinaire , del.
quels nous venons maintenant de
parler. Car de les appeller comme
fait Clapmarius aprés Tacite, 2 Flis
gitia Imperiorum , c'eſt pluſtoft re
marquer
1 Les ſecrets des Empires. 2 Fourberies des
Empires .
as politiques ſur les coups d'Efiat. 69
ue Charles I!
S

marquer ceux qui ſont faits en


ire la Saint Bar conſideration d'un bien particu
les Conſeillers lier , & par quelque Tyran , que
, & que Hen beaucoup d'autres qui ſe font
uclu la mort de pour l'intereſt public , & avec
iſe au milieu de toute l'equité que l'on peut ap
croy certes qu'ils porter en ces grandes entrepriſes,
en reülli, com qui toutefois ne peuvent jamais
ndre les lievres eſtre ſi bien circonſtanciées, qu'el
T, ou les oiſeaux les ne ſoient toujours accompa
s. Et de plus je gnées de quelque eſpece d'injuſti
tiers à ces Mel ce , & ſujettes par conſequent au
blaſme & à la calomnie .
qu'ils appellent
es de regir & Ces mots eſtant ainſi expli
aumes ,
quez , il nous faut paſſer à la na
nom ils pour ture de la choſe qu'ils ſignifient:
fecrets mellez Or pour la bien penetrer & com
é , & ſujets à prendre , il eſt beſoin d'en tirer
rdinaire ,ndtel la recherche de plus haut , &
maintena de monſtrer comme en la Monaſti
peller comme que ou gouvernement d'un ſeul,
Es Tacite, Flat & en l'economie ou adminiſtra
It pluſtoftureer tion d'une famille , qui font les
marq deux pivots de la Politique, il y a
ries
de certaines ruſes , détours , &
· 2 Foorbe des Itrata
70 Conſiderations politiques
ſtrata gemes, deſquels beaucoup ſe
ſont ſervis , & fe ſervent encore
tous les jours pour venir à bout
de leurs pretenſions. Charon en
ſon livre de la Sageſſe , Cardan en
fes æuvres intitulées i Proxeneta ,
de utilitate capienda ex adverſis , & de
Sapientia; Machiavel en ſes diſcours
ſur T. Live , & en ſon Prince , en
ont donné aſſez amplement les
preceptes.Pour moy ce me ſera af
ſez d'en rapporter quelques exem
ples ; aprés avoir toutefois obfervé
qu'encore queJuſte Lipfe (Civil.
doctr. lib.4.c. 13.) ait dit du der
nier , 2 Ab illo facile obtinebimus, nec
maculonem Italum tam diſtrictè da
innandum ( qui miſera qui non manu
hodie vapulat), & eſſe quandam , ut vir
Jan
1 Le Courtier , ou moyenneur , du pro
fit qu'on peut tirer des infortunes , & de la
ſageile. 2 Nous obtiendrons facilement de
luy , que ce broüillon d'Italien n'eſt pas tant
à blâmer , quoy que les plus chetifs ſe mêlent
de le condamner aujourd'huy ; & qu'il y a de
certaines ruſes louables & honneftes , comme
dit le faint homme.
as politiques ſur les Coups d'eſtar. 71
els beaucouple ſanctus ait, nono'y sy ÉTOIVĚTİV -770086
ſervent encore zixv , honeſtam atque laudabilem cal
ur venir à bout liditatem , ( Bafil. in Proverb.) &
ons. Charon en que Gaſpar Schioppius ait fait un
elle, Cardan en petit livre en fa defenſe ; on luy
Jées i Proxenita, peut neanmoins ſçavoir mauvais
ex adverfis, édse gré , de ce que
elen ſes diſcour * Floribus Auftrum
ofon Prince, en Perditus , & liquidis immifitfontibus
nt
ampleme les Apros. (Virg. Bucol. Ecl. 2.)
oyce me feral Ayant le premier franchi le pas ,
s rompu la glace , & profané, s'il
quelquse exemé
utefoi obſerv faut ainſi dire, par ſes écrits, ce
Liple (Civil. dont les plus judicieux ſe fer
ait dit du der voient comme de moyens tres -ca
mus er
btinebi ,m chez & puiſſans pour faire mieux
am diſtricte disa reüſſir leurs entrepriſes. Auſſi fe
2 qui non manu rois-je conſcience d'ajouſter quel
quandam , ut vir que choſe à ce qu'il en a dit , fi
June les ſuſnommez & beaucoup d'au
tres Politiques ne m'avoient de
ur
oyerntnuenes , du pro vancé , & donné quand & quand
nfö , & e
mendt la
drons facile de ſujet
ialien ni'feslt pas fanctt
us chet le méle Il a malheureuſement jerté un vent fue
uy ; &q u'il e
tes ya d rieux dans les fleurs , & des fangliers dans les
jonneſ , comme fontaines pour en troubler lesclairs ruiſſeaux.
72 Conſiderations politiques
ſujet de dire en cette matiere , ce
que Juvenal diſoit de la Poëſie.
*
Stulta eſt clementia , cum tot ubi
que
Vatibus occurras, periture parcere
charta. ( Satyr. 1. )
Or entre les ſecrets de laMonaſti
que , je ne penſe pas qu'il y en
ait de plus relevez , eu égard à
leur fin , que ceux qui ont eſté
pratiquez par certaines perſonnes,
qui pour ſe diſtinguer du reſte
des hommes, ont voulu établir
parmy eux quelque opinion de
leur divinité. Ainſi voyons nous
que Salmonée avoit fait élever
un pont d'airain, ſur lequel faiſant
rouler ſon carroſſe attelé de puiſ
ſans chevaux , & dardant d'un
cofté & d'autre des feux d'artifi
ce , il s'imaginoit de bien contre
faire le foudre & les tonnerres de
Ju
* C'eſt une ſorte clemence d'épargner le
papier periffable , puis que tu te rencontres ſi
ſouvent en tant de lieux parmy les poëtes.
ions politiques ſur les coups d'Eſtat. 73
cette matiere, ce Jupiter,d'où le Poëte a pris occa
bit de laPoëlie. lion de dire ,
mentia , cum totul * Vidi & crudeles dantem Salmonea
penas ,
ds, peritura parcere Dum flammas lovis, & fonitusimi
Satstydr.eI.la)Monaſti. tatur Olympi. (Virg. Æn.6 .)
re Pſaphon , qui n'eſtoit pas moins
aſe pas qu'il yen ambitieux que le precedent, nour
evez , eu égard à riſſoit grande quantité de Pies ,
ceux qui ont elté Merles , Jais , Perroquets & autres
rtaines per rſonnes oiſeaux ſemblables, & aprés leur
tingue du rette avoir bien appris à prononcer ces
nt voulu établi paroles, Pſaphon eft Dieu, illes met
que opinion di toit en liberté , afin que ceux qui
ni voyons nous entendoient tant & de fi extraor
oit fait élever dinaires témoins de ſa divinité ,
ur lequel faiſant fuſſent plus facilement portez à la
attelé dnte puiſ croire. Ainſi Heraclides le Ponti
darda d'un que avoit commandé à un de ſes
TCes feux d'artiti plus affidez ſerviteurs, de cacher
de bien corenstre ſous ſes veſtemens aprés qu'il ſeroit
les tonner de decedé , une grande Coulcuvre ,
D
Juo qu'il
J'y vis auſſi Salmonée quiſoufroit d'étran
r
mence d'épcaorngtnreesle ges peines pour avoir imité les flammes de Ju
piter Olympien , & pour avoir contrefait le
e tu te ren la
foudres
bruit de les .
les poëtes.
74 . Confiderations politiques
qu'il nourriſſoit dés long -temps
auparavant à ce deſſein , afin que
cet animal éveillé par le bruit que
l'on feroit, portant ſon corps en
terre, s'élançaſt au milieu des pleu
reurs,& donnaſt ſujet à la populace
de croire, que Heraclite avoit eſté
deifié. Pour Empedocle il y pro
ceda avec plus de courage & de ge
neroſité,comme il eſtoit bien -feant
à un Philoſophe; car eſtant aſſez
âgé & comblé de gloire & d'hon
neur,il ſe precipita volontairement
dans les fouſpiraux & volcans du
mont Ætna en Sicile , pour faire
croire ſon raviſſement au Ciel , ne
plus ne moins que Romulus éta
blit l'opinion du ſien, en ſe noyant
dans les Mareſts des Chevres,
* Deus immortalis haberi
Dum cupit Empedocles , ardentem
frigidus AEthnası
Inſiluit. (Horat . de arte Poët. )
Les
Empedocle , voulant qu'on le tinſt pour
un Dieu immortel , ſe jetta froidement dans
les flammes du mont Ætna .
aspolitiques ſur les Coups d'Eſtat. 75
dés long-temps Les Athées, qui trouvent à gloſſer
eſſein , afin que ſur tous les paſſages de la ſainte
par le bruit que Ecriture , tiennent que celuy -cy
nt ſon corps du Deuteronome, (cap. 34.) * non
milieu des pleu cegnovit bomo ſepulchruin ejus us
ujet à lapopulace que in preſentem Diem , ſe doit en
eraclite avoit elté tendre de la même forte , & que
e
pedocl ilypro. Moyſe s’enſevelit en quelque pre
couraigte & de ge cipice ou abyſme , pour eftre puis
Teſto bien -ſeant aprés élevé dans les cieux par les
car eſtant alle Iſraëlites; au lieu qu'ils devroient
gloire &irde'mheanrt plûtoſt croire, & demeurer d'ac
volonta cord avec les Chreſtiens , qu'il ca
s
* & volcan di cha veritablement ſon corps, pour
ile, pour faire empeſcher les Juifs de l'idolatrer
nt au Ciesl , ne aprés fa mort , connoiſſant fort
u
Romul éta bien qu'ils eſtoient portez non
n ,en ſe noyant moins de leur naturel , que par la
s
sChevre , hantiſe qu'ils avoient eu avec les
alis haberi Egyptiens, à adorer tous ceux del
Jacles, ardentes quels ils avoient receu quelque
bien , ou de qui ils croyoient que
992
de arte Poët.) la vertu eſtoit ſinguliere & extra
Les D2 ordi
qu'on leemteinntt pour
tta froid dans L'homme n'a point connu ſon ſepulchre
juſques à ce jourd'huy.
76 Conſiderations politiques
ordinaire. L'on peut faire encore
lemêmejugementde ce que Dio
genes Laërce rapporte de la Cuiſſe
d'or de Pythagore, puis que Plu
tarque en la vie de Numa dit ou
vertement que ce fut une feinte
& ſtratageme de ce Philoſophe,
pour établir auſſi-bien que les au 1
tres l'opinion de fa divinité. Mais
ce que fit Hercules fut beaucoup
plus ingenieux; car eſtant fort
verſé en Aſtrologie , témoin les
Fables de fa vie qui luy font por
ter le Ciel avec Atlas , il choiſit
juſtement l'heure & le temps de
l'apparition d'une grande Come
te , pour ſe mettre ſur le bucher
ardant, où il vouloit finir ſesjours,
afin que ce nouveau feu du Ciel
aſſiſtaſt comme témoin , & fiſt
croire de luy ce que les Romains
par aprés vouloient perſuader de
leurs Empereurs, au moyen de
l'aigle qui s'envoloit du milieu
des flammes , comme pour porter
l'ame
ſur les coups d'Eſtat. 77
ispolitiques l'ame du defunct entre les bras
eut faire encore de Jupiter. Beaucoup d'autres ,
deece que Dioe qui eſtoient plus modeſtes & rete
ort de la Cuil nus en leurs deſſeins , ſe ſont con
2 , puis que Plus tentez de nous donner à connoif
le Numa dit out tre le ſoin que les Dieux prenoient
e fut une feinte de leurs perſonnes , par la conti
ce Philoſophe, nuelle aſſiſtance de quelque Ge
-biennqiuteé les au nie, ou particuliere divinité ; com
a divi . Mais me firent entre les Anciens Son
es fut beaucoup crate , Plotin , Porphyre , Brutus,
car eſtant fort Sylla, & Apollonius, pour ne rien
gie , témoin les dire de tous les Legiſlateurs ; &
i luy font poitr parmy lesmodernes Pic de la Mi
tlas , il choil randole , Cecco d'Aſcoli, Her
& le temps de molaus , Savanarole , Niphus , Po
grande Comeer ſtel, Cardan , & Campanelle , qui
ſur le buch ſe vantent tous d'en avoir eu &
it finir ſes jours, de leur avoir parlé , ſans toute
au feu du Ciel fois qu'on les puiſſe accuſer d'avoir
émoin , & filt pratiqué les ceremonies Theur
s
ue les Romain giques, du livrefauſſementattri
at perſuadenr de bué à Virgile * de videndo Genio ;
au moye due ou les mentionnées par Arbatel
loit du milie D 3 dans
me pour porter * Du moyen de voir les Genics.
l'ame
ions olitiques
78 Confiderat p
dansje ne ſçay quel fatras de ſem
blables Livres, que l'on a grand
tort de publier ſous le nomd'A
grippa. Auſſi pour moy j'aime
rois beaucoup mieux établir la
verité de ces Hiſtoires , ſur lamer
veilleuſe force des contractions
d'eſprit fort bien expliquées par
Marſile Ficin & Jordanus Brunus,
deſquels auſſi Pălingenius en trois
ou quatre endroits deſon Zodia
que ne ſemble pas ſe beaucoup
éloigner. Si nous n'aimons en
core mieux dire que tous ces
Meſſieurs ont joué de l'impoſtu
re , & ont voulu imiter les fables
de Numa , Zamolxis, & Minos , ou
pluſtoſt celles que les Rabins &
Cabaliſtes ( Reuchlin . libr. de Caba
la .) ont plais ſamment forgées ſur
ament
les Patriarche du Vieil Teſt ,
& nous voulant faire croire de
bonne foy , qu'Adam avoit eſté
gouverné par ſon Ange Raziel,
Sem par Jophiel , Abraham par
Frza
115 politiques
ſur les coups d'Eſtat. 79
uel fatras de ſem . Frza-d-Kiel , Iſaac par Raphaël,
que l'on a grand Jacob par Piel , & Moyſe parMit
ous le nom d'A. taron ,
* Sed credat Iudæus apella,
oureumxoy j'liair me Non ego.
mi étab la
coires , ſur la mer Quoy que c'en ſoit, on peut re
des contractions marquer dans les Hiſtoriens, que
ces ruſes n'ont pas toujours eſté
n expluiqsuées par inutiles, puis que Scipion les ayant
ordan Brunus,
s
lingeniu en trois judicieuſement pratiquées il s'ac
its de fon Zodia quit la reputation d'un grand
p homme de bien parmy les Ro
pas ſe beoanuscou mains , & fut envoyé conquefter
us n'aim co
que tous ces les Eſpagnes n'ayant encore at
é dteerl'ismpobſlteus. teint l'âge de xxiv ans ; Mais
mi le fa voyez auſſi de quelle façon T.Li
& Minos, ou ve (Libr. 6.) en parle : 2 Fuit Scipio
s,e les Rabins & non tantùm veris artibus mirabilis, fed
D4 arte
11. libr. de Cuba
i Mais que le ſuif circoncis le croye ,& non
nent forgées nfutr pas inoy . 2 Scipion ne ſe faifoit pas ſeule
lieil Teſtame , ment admirer par les veritables arts & fciences
faire croire de qu'il poſledoit, inais auſſi par un certain arti
fice qu'il avoit trouvé & dont il ſe fervoit fort
dam avoit eſté utilement à ſe faire paroiſtre; & faiſoit pluſieurs
Ange Raziel, choſes devant le peuple ou par le moyen des
vilions qu'il diſoit avoireuës de nuit , ou com
m
Abraha par me s'il en avoit eſté divinement averti & qu'on
le luy eût inſpiré duci : l.
Frza
80 Conſiderations politiques
arte quoque quadam adinventa in
oftentationem compoſita , pleraque apud
multitudinem , aut per nocturnas vi
fas ſpecies, aut veluti divinitus mente
monita agens. Ainſi en ont fait beau
coup de Princes & particuliers ,&
quand leur eſprit n'a pas eſté ca
pable de ces fineſſes & inventions
ſi relevées , ils ſe ſont contentez
de donner par quelques autres , le
plus de luſtre & de ſplendeur à
leurs actions qu'il leura eſtépor
fible. C'eſt pourquoy Tacite a
dit que Veſpaſien eſtoit , ' omnium
que diceret atque ageret arte quadam
oftentator , (Annal. lib. 3.) & Cor
bulo nous eſt repreſenté dans
le même , 2 ſuper experientiam fi
pientiamque , etiamfpecie inanium va
lidus; & ce avec grande raiſon ,
puis que comme il dit en un au 9

tre

i Fort artificieux à donner du luſtre à rout


ce qu'il faiſoit & à tout ce qu'il diſoit. 2 Con
ſiderable par la belle apparence dont il ſçavcit
colorer même les choſes yaines , outre l'expe
rience & la ſageſſe qu'il ayoit.
politiques ſur les coups d'Eſtat. 81
n adinventa in tre endroit , ' Principibus omnia ad
4, pleraque apud fimam dirigenda, veu que ſuivant
per nocturnas via la remarque de Cardan , 2. AEfti
ti divinitus mette matio & opinio rerum humanarum Re
en ont fait benu . gine ſunt. ( Lib. 3. de utilit.)
particuliers, & L'on pourroit encore faire
n'a pas eſté cao beaucoup plus de remarques ſur
Tes &inventions ce qui touche le gouvernement
e font contentez particulier des hommes ; mais
elques autres ,le parce que cette matiere n'eſt pas
moins triviale que de peu de con
de ſplendeurà ſequence , je m'en remettray à
leur a eſté pol. ce qu'en a dit Cardan au li
quoy Tacite 2
ſtoit, ' omnium vre cité un peu auparavant ; &
ret arte quadam paſſeray aux ſecrets de l'econo
ib. 3.) &é Cor. mie , ou reglement & admini
preſentntiadmans ſtration des familles , entre leſ
experie fido quels je me contenteray de re
c i
fpe in e a n i u m marquer ſeulement & pour exem
va
grande railon, ple , quelques -uns de ceux qui
Idit en un au
ont eſté pratiquez pour reprimer,
& comme parer aux mauvais tours
DS que
nner du lustre à rout I Les Princes doivent gouverner , & avoir
qu'il diſoit. 2 Cod Soin de tout , pour leur propre renommée.
rence dont il ſcarcit 2 L'eſtime & l'opinion ſont les Reines de tou
vaines , outre l'espe tes les choſes humaines.

it
SZ Conſiderations politiques
que jouent les femmes à leursma
ris a
1 Dum avida affectant implere vora
ginis antrum .
A propos de quoy il me ſouvient
d'en avoir leu un dans les contes
facetieux de Bouchet,ou de Chau
diere, qui paſſera maintenant pour
ſerieux , comme eſtant beaucoup
plus propre à corriger ces hu
meurs gaillardes , que celuy dela
Mule qui fut huit jours fans boi.
re , dont parle Cardan en ſon li
vre 2 deſapientia. Certain Mede
cin , diſent-ils, ayant eu avis que
la femme pour quelquefois ſe der
ennuyer
3 Intrabat calidum veteri Centone
lupanar , (Juvenal. )
& qu'elle avoitmême pris heure
au lendemain pour luy jouer à
faufle
I Quand elles veulent remplir le trou de
keur goufre inſatiable. 2 De la ſageſle. 3 Elle
entroit dans le lieu infame qui fumoit de l'ar
deur des impudiques débauches ſur les vieux
tapis de diverſes couleurs .
ſur les coups d'Eſtur. 83
politiques
des à leurs ma fauſſe compagnie , il nes'en émeut
point , & n'en fit aucun ſemblant;
mais ſur la minuit , & lors que la
int implere 1074 femme ne ſongeoit à rien moins,
il me ſouvient il ſe réveille en furſaut feignant
dans les contes
que les voleurs eſtoient dedans fa
et ,ou de Chau . chambre , met la main à ſes armes ,
aintenant pour tire deux ou trois coups de piſto
ſtant beaucoup let , crie au meurtre, à l'aide , frap
rriger ces hu pe de ſon épée ſur les tables &
chenets , bref il fait tout ce qu'il
que celuy de la
jours fans bo peut pour mettre la terreur &
dan en fon li l'épouvante en la maiſon ; le ma
Certain Mede tin tout eſtant appaiſé il ne man
at eu avis que que de taſter le poux à ſa femme,
quefois ſe def lequel il feint de trouver grande
ment alteré & oppreffé à cauſe de
veteri Centone la peur qu'elle avoit euë , & pour
ce il luy fait tirer dix ou douze
menealp. r)is heure onces de fang , & cette evacuation
ayant amené une petite émotion,
- luy jouer làe
faul il commence de s'épouvanter
comme ſi c'euſt eſté quelque
remplir le trou de groſſe fievre, fait redoubler ſepe
ela lāgeflè. 3 Elle
t
qui fumoi de l'asr ouhuitbonnes ſaignées, par aprés
ches fur les vieu D 6 vient
54 Conſiderationspolitiques
vient à la raſer , ventouſer , & pur
ger magiſtralement; ce qu'il reï
tera ſi ſouvent, qu'il la fit demcu
rer plus de ſix mois au liet , fans
avoir eſté malade , pendant lequel
temps il eut tout loiſir de rompre
ſes pratiques & connoiſſances ,de
luy diminuer ſon enbonpoint
vermeil & attrayant, & ſur tout
de tellement refroidir , matter , &
adoucir la ferveur, & les humeurs
picquantes & acrimonieuſes de
fon temperament, qu'il aſſoupit
en elle ce feu plus inextingui
ble que celuy de la pierre A
sbeſtos ,
* Qui nullamoritur,nullaque extin
guitur arte. ( Trigault.)
Mais le ſecret que pratiquerent .
les peuples delaChine , pour rc
medier au même deſordre qui
s'eſtoit gliſſé dans leurs familles ,
fut beaucoup plus gentil & in
duſtrieux.
Qu'on ne peut éteindre ny faire mouri
par aucun arcifice,
ſur les coups d'Eſtat. 85
plitiques duſtrieux. Car ils ordonnerent &
ufer , & pur
ce qu'il reï établirent pour une des premie
la fit demcu
res Loix du Royaume , que toute
au lict , fans la bonne grace des femmes, ne dé
endant lequel pendroit doreſnavant que de la
iſir dencreosmpre petiteſſe de leurs pieds; & que
noiſſa , de celles-là ſeroient jugées les plus
7 enbonpoint belles , qui les auroient plus pe
ot , & ſur tout tits & mignons : ce qui ne fut pas
plûtoſt publié, que toutes les Me
dir , matter , r&s res ſansregarder à la conſequen
& les humeu
imonieuſes de ce , commencerent de reſſerrer,
eſtreſſir, & fi bien envelopper les
qu'il aſſoupit
i pieds de leurs filles qu'elles ne
15 inextingu pouvoient plus fortir de la maiſon
la pierre A. ny ſe ſouſtenir droites , que ſur les
bras de deux ou trois ſervantes.
„nullaque extin . Ainſi cette figure artificielle ayant
gaautlitq.)uerent paſſé en conformation naturel
pr le , auſſi -bien que celle des Ma
hine , proeur re crocephales dont parle Hippo
deſord qsui crates , les Chinois ont inſenſi
eurs famille , blement arreſté & fixé le Mer
gentil & eiunx cure que leurs femmes avoient
duſtri .
dans les pieds , les faiſant reſſem
bler
tre ny faire Ajout D7
86 Conſiderations politiques
bler à la Tortuë nommée par les
Poëtes ,
* Tardigrada, & domiporta ,
Subpedibus Veneris Cous quain finxit
Apelles.
Ils ont empeſché par ce moyen ,
qu'elles n'allaſſant plus à la pro
menade des bons hommes , & à
leurs paſſe - temps accouſtumez :
De même que les Dames Veni
tiennes font forcées de garder la
maiſon plus ſouvent qu'elles ne
voudroient , par l'uſage & les in
commoditez nompareilles deleurs
grands patins. Mais l'hiſtoire rap
portée par Mocquet eſt bien plus
étrange , & fent beaucoup mieux
fon Coup d'Eſtat; car il dit avoir
appris , & veu mêmement prati
quer entre les Caribes , peuples
barbares & farouches , qu'arri
vant la mort du mary pour quel
que
Marchant lentement & portant ſa mai
fon , laquelle Apelles natif de l'illede Coos a
peinte & placée ſous lespieds de Venus,
5
politiques fur les coups d'Eſtat. 87
que cauſe que ce ſoit, la femme
mmée par les
eſt contrainte ſous peine de de
meurer infame, abandonnée , &
domiporta,
Cous quam finxit mocquée de tous ſes amis & pa
rents , de ſe faire auſſi mourir , &
par ce moyen, d'allumer un grand feu au milieu
plus à la pro duquel elle ſe precipite avec au
2ommueſst,ume&&z à tant de pompe & deréjouiſſance,
o
acc : comme ſi elle eſtoit au jour de ſes
Dames Veni nopces ; de quoy ledit Mocquet
s de garder la s'étonnant fort , & en deman
nt qu'elles ne dant la cauſe , on luy répondit
ulage &les in que cela avoit eſté fagement éta
reilles deleurs bly , pour remedier à la grande
malice & lubricité des femmes de
l'hiſtoire rap
eſt bien plus ce païs , qui avoient accouſtumé
coup mieux devant lapubl ication de cette loy,
er il dit avoir d'empoiſo nner leurs maris , lors
ement prati qu'elles en eſtoient laſſes ou qu'el
bes, peuples les avoient envie d'en épouſer
nes , qu'arri quelque autre plus robuſte & gail
lard ,
y pour quel .
* Quiquee ſuo melius neryum tende
que
bat Vlylle.
t Or
portan fa mai
elile de Coosa Et quifût plus vigoureux que fon Vlyce.
de Venus.
7
88 Confiderations politiques
Or ſi ce remede eſtoit bien pro
portionné à la nature de ceux qui
l'avoient ordonné ; celuy que pra
tiqua Denys Tyran de Syracuſe
pour empeſcher les aſſemblées &
banquetsqui ſe faiſoient de nuit,
n'eſtoit pas auſli trop éloigné de
la ſienne : car ſans témoigner qu'el
les luy dépleuſſent, ou monſtrer
qu'il craigniſt qu'on ne les fiſt à 1

deſſein de conſpirer contre ſon


Eſtat , il ſe contenta d'introduire
peu à peu l'impunité pour tou
tes les voleries & larcins qui ſe
commettoient de nuit , les tour
nant plûtoft en riſée, & donnant
la hardieſſe par cette tolerance à
tous les mauvais garçons de ladi
te Ville , de ſi mal traitter ceux
qu'ils rencontroient la nuit par
les ruës , que perſonne ne pouvoit
ſortir de ſa maiſon aprés le Soleil
couché qu'il ne ſe miſt au hazard
d'eſtre dévaliſé , ou de perdre la
vie par cette forte de voleurs. Ve
nons
politiques ſur les coups d'Eſtat. 89
toit bien pro nons maintenant à quelques au
re de ceux qu tres moins ſerieux & par conſe
celuyquepra: quent auſſi moins fafcheux & dan
de Syracul gereux , en ce qui eſtoit de leur
aſſemblées & pratique ; Les Republiques de
vient de nuit, Grece voulant par regle de Po
péloigné de lice faire manger le poiſſon frais
Digner qurieerl. & à bon marché à leurs ſujets, ils
u monlt n’eurent point recours à quelque
de les filtà tariffe particuliere , de laquelle
contre fan peut- eſtre que les inluonway , ou
introduire poiſſonniers ( comme nous les ap
our tou pellons ) auroient eu raiſon de ſe
qui le plaindre ; mais en ſe ſervant de
es tour l'avis que le Poëte Comique Ale
ponant xis dit leur avoir eſté propoſé par
ance Ariſtonique, ils defendirent ſous
- ladi grieve peine auſdits Marchands
ceur de poiſſon , de ſe pouvoir ſeoir
dans le marché ny en vendant
pas
voii leurs marchandiſes , * ut ii ftandi
ei ] tædio laffitudineque confe&ti , quàm re
rd centiffimos venderent. Ainſi les Ro
mains
la
Leo Afin que lafles & ennuyés de ſe tenir de
ns bout ils les vendiflent tout fraix.
90 Conſiderationspolitiques
mains defendoient aux Preſtres de
Jupiter de jamais monter à Che
val , ne , comme dit Feftus Pom
peius , * ſi longius urbe diſcederent,
ſacra negligerentur; & pour moy
j'oſe dire , que ſi l'on vouloit re
medier à la grande confuſion
qu'apporte le nombre excellif des
caroſſes dans la Ville de Paris , il
ne faudroit que confiſquer ceux
que l'on trouveroit par les ruës
avec moins de cinq perſonnes de
dans , puis qu'au moyen de cette
ordonnance, ceux qui y vont tous
les jours feuls , prendroient la
houſle , & les autres qui nepour
roient augmenter leur famille de
trois ou quatre perſonnes , ſe re
foudroient facilement de la dimi
nuer de trois ou quatre bouches
inutiles telles que feroient pour
lors celles d'un cocher & de deux
chevaux.
Il
* Depeur qu'ils ne s'éloignaffent par trop
de la ville , & qu'ainſyle ſervice divin fuſt uc
gligé ou diſcontinué.
politiqueses ſur les coups d'Eſtat. 91
uzr Preſtr de Il ſeroit facile d'augmenter le
onter à Che nombre de ſemblables exemples
Feſtus Pom & ſecrets d'æconomie ; ſi les pre
ne difliederen , cedens ne pouvoient facilement
pour mor
nous faire juger des autres , &
vouloitre nous tracer le chemin pour paſſer
confuſion de ce fecond degré au troiſiéme,
cycelif do qui eſt celuy de la Politique & du
de Paris, il Gouvernement des peuples , fous
Padminiſtration d'un ſeul, ou de
quer ceux
r les rues pluſieurs. Or eſt- il qu'en ce qui
onnes de regarde celui- cy, pour ne rien laiſ
de cette ſer à dire de tout ce qui peut ſervir
ont tous
à ſon éclairciſſement, nous poll
ient la vons remarquer trois choſes, c'eſt
à fçavoir la ſcience generale de
pour l'établiſſement & conſervation des
Je de
ſe re
Eſtats & Empires pour la premie
limi
re ; laquelle ſcience ne comprend
pas ſeulement la traditive de Pla
ches ton & d'Ariftote , mais encore
Our
tout ce que Ciceron en ſon Livre
PUS
des loix, Xenophon en fon Prin
11
ce, Plutarque en ſes preceptes, Iſo
2P
crate , Syneſius, & lesautres Au
teurs
92 Conſiderations politiques
teurs ont jugé devoir eſtre enten
du & pratiqué par ceux qui gou
vernent: Auſſi eſt-ilvray qu'el
le conſiſte en certaines regles ap
prouvées & receuës univerſelle
ment d'un chacun , comme par
exemple que les choſes n'arrivent
pas fortuïtement ny neceſſaire
ment , qu'il y a un Dieu premier
Auteur de toutes choſes, qui en
a le ſoin , & qui a étably la recom
penſe du Paradis pour les bons ,
& les peines des enfers pour les
méchans : Que les uns doivent
commander , & les autres obeïr :
Qu'il eſt du devoir d'un homme
de bien de defendre l'honneur de
fon Dieu , de ſon Roy , & de fa
patrie envers tous & contre tous :
Que la principale force du Prince
giſt en l'amour & union de ſes
ſujets : Qu'il a droit de faire des
levées d'argent fur eux pour ſub
venir aux neceſſitez de la guerre,
& de l'eſtat de la Maiſon : & ainſi
des
ſur les coups d'Eſtat. 93
des autres que Marnix , Ammi
rato , Paruta ,Remigio , Fiorenti
no , Zinaro , Malvezzi & Botero
ont fort bien expliquées dans
leurs diſcours & raiſonnemens Po
litiques.
La ſeconde eſt proprement ce
que les François appellent, Ma
ximes d'Eſtat, & les Italiens, Rio
gion di ſtato , quoyque Botero ait
compris fous ce terme toutes les
trois differences que nous vou
lons établir , diſant, quela 2 Ra
gione di ſtato , è notitia di mezzi atti
à fundare, conſervare , e ampliare un
Dominio , en quoy il n'a pasſibien
rencontré à mon jugement , que
ceux qui la definiſſent , 3 exceſſum
juris communis propter bonum commu
ne , dautant que cette derniere de
finition eſtant plus fpeciale , par
ticuliere
I Raiſon d'Eſtat. 2 Raiſon d'Eſtat eſt la
connoiflance ou ſcience des moyens propres à
poſer les fondemens d'une Seigneurie , à la
conſerver & à l'agrandir. :3 Excés du droit
commun à cauſe du bien public.
94 Conſiderations politiques
ticuliere & determinée , l'on peut
au moyen d'icelle diſtinguer ,
entre ces premieres regles de la
fondation des Empires , leſquel
les font établies ſur les loix &
conformes à la raiſon ; & ces fe
condes que Clapmarius appelle
mal à propos , * Arcana Imperio
rum ,
& nous avec plus de rai.
fon , Maxiines d'Eſtat; puis qu'el
les ne peuvent eſtre legitimes
par le droit des Gens , civil ou
naturel ; mais ſeulement par la
confideration du bien , & de l'u
tilité publique , qui paſſe aſſez
fouvent par deſſus celles du par
ticulier. Ainſi voyons nous que
l'Empereur Claudius ne pouvant
par les loix de ſa patrie prendre
à femme ſa niepce charnelle Ju
lia Agrippina fille de Germani
cus ſon frere, il eut recours aux
loix d'Eſtat , pour fonder ſon evi
dente contradiction aux loix ordi
naires
* Secrets des Empires.
ſur les coups d'Eſtat. 95
T
naires & l'épouſa , * ne fæmina ex
perta fæcunditatis, dit Tacite , in
tegra juventa , claritudinem Cæfarum
in aliam domum transferret. ( Libr.
12. ) C'eſt à dire , de crainte que
cette femme venant à ſe marier
en quelque grande maiſon , le
ſang des Ceſars ne s'étendiſt en
d'autres familles, & ne produi
fiſt une multitude de Princes &
Princeſſes, qui auroient eu avec
le temps quelque pretenſion à
l'Empire , & en ſuite occaſion de
troubler le repos public. Tibere
pour cette même raiſon ne vou
loit donner un mary à Agrippi
na veuve de Germanicus , &
mere de celle dont nous venons
de parler , bien qu'elle luy en de
mandaſt un avec pleurs & re
monſtrances , appuyées ſur des
raiſons ſi puiſſantes & legitimes ,
qu'on
* Afin que cette femme dont la fecondité
eſtoit reconnuë, & qui eſtoit en la peur de ſon
âge,ne portaft en uneautre maiſon l'illuftre ti
ge des Ceſars.
56 Conſiderations politiques
qu'on ne pouvoit luy refuſer ſans
commettre une injuſtice , laquel
le neanmoins eſtoit legitimée par
la loy de l'Eſtat, puis que Tibe
re n'ignoroit point ' quantum ex
Republica peteretur , ( Tac. lib. 4.
Annal.) c'eſt à dire de quelle con
ſequence ce mariage eſtoit , &
que les enfans qui en provien
droient , eſtant arriere-neveux
d'Auguſte la Republique Romai
ne tomberoit quelque jour en des
grands troubles & partialitez , à
cauſe des divers pretendans à la
fucceſſion de l’Empire . Aucune
loy ne permet pareillement , que
nous procurions du mal & du
deſavantage, à celuy qui ne nous
en ajamais fait ; & neanmoins cet
te maxime d'Eſtat rapportée par
Tite Live , ( Lib. 2. dec. 5. ) 2 id
agendum ne omnium rerum jus ac po
teſtas
I Combien il y alloit de l'intereſt de la
Republique. 2 li fautfaire cela afin que tou
l'autorité viene point entre les mains
d'un ſeul peuplene.
te
ſur les coups d'Eſtat. 97
5 teſtas ad unum populum perveniat,
nous oblige de donner ſecours à
nos Voiſins contre ceux qui ne
nous ontjamais offenſé , de crain
te que leur ruine ne ferve d'un
échelon pour hafter la noſtre, &
que tous nos compagnons, eſtant
devorez par ces nouveaux Cyclo
pes , nous n'en attendions autre
grace que celle qui fut donnée à
Ulyſſe, d'eſtre reſervé pour ſatis
faire à leur derniere faim . C'eſt
le pretexte duquel ſe ſervirent les
Etoliens pour obtenir ſecours du
Roy Antiochus, & Demetrius
Roy des Illyriens pour exciter
Philippes Roy de Macedoine &
pere de Perſeus à prendre les ar
mes contre les Romains . C'eſt
encore la raiſon pourquoy ce
grand homme d'Eſtar Coſme de
Medicis , n'eut rien tant à cæur,
que d'empeſcher Milan de tom
ber ſous l'autorité des Venitiens ,
lors que la race des Vicomtes &
E Ducs
98 Conſiderations politiques
Ducs de Milan fut éteinte : &
Henry le Grand ayant ſceu que
le Duc de Savoye avoit failly à
ſurprendre Geneve , il dit tout
haut , que ſi ſon coup euſt reüſli,
il l'auroit aſſiegé dedans dés le
lendemain .Maisncanmoins quand
le Roy d'Eſpagne a voulu enva
hir les Eſtats du même Duc , la
France en vertu de la fuſdite Ma
xime , cſt allée puiſſamment au ſe
cours : Et c'eſt elle auſſi qui a
fourny d'excuſe legitime aux al
liances d'Alexandre Sixiéine & de
François Premier avec le Grand
Seigneur; de pretexte aux traittez
ſecrets de l'Eſpagnol avec les Hu
guenots de France ; & depaſſeport
à tant de troupes que nous avons
fait gliſſer de temps eri temps non
moins en la Valteline qu'enHol
lande , bien qu'en apparence con
tre les regles finon de la religion ,
au moins de la pieté communc &
de noſtre conſcience. Bref fans
cette
ſur les coups d'Eſtat. 99
R: cette conſideration l'on n'auroit

pas rompu tant de ligues dans
à
Guicciardin ; Charles V n'auroit
pas abandonné les Venitiens au
Turc ; Charles VIII n'euſt pas
eſté ſi promptement chaſſé d'Ita
lie ; Paul V n'euſt pas joüy ſi fa
cilement du Duché de Ferrare ;
ny le Pape qui ſiege à preſent de
celuy d'Urbin : Tant de Princes
ne deſireroient pas la reſtitution
1
du Palatinat , ny tant de proſpe
rité au Roy de Suede , ny que
Caſal demeuraſt au Duc de Man
touë , ſi ce n'eſtoit pour borner en
vertu de cette maxime , l'ambition
1
demeſurée de certains peuples ,qui
voudroient pratiquer ſur les Prin
ces voiſins, ce que les riches Bour
3
gcois pratiquent ſur les pauyres ,
* o fi angulus ille
Parvulus accedatqui nunc denormat
1, agellum . (Horat.2 . lib. ſerm .)
E 2 Ajouſ
$ * 0 , ſi nous pouvions faire approcher ce
ce petit coin , qui defigure maintenantnoſtreter
se, & la rendinégale.
100 Conſiderationspolitiques
Ajouſtons encore que le droit de
guerre ne permet point, que ceux
là ſoient en aucune façon outra
gez , qui mettent les armes bas
pour implorer la miſericorde du
vainqueur; & neanmoins lors que
la quantité des priſonniers eſt fi
grande qu'on ne les peut facile.
ment garder , nourrir & mettre
en lieu de feureté , ou que ceux
de leur party ne les veulent ra
cheter , il eſt permis de les mettre
tous bas par Maxime, dautant
qu'ils pourroient affamer une ar
mée , la tenir en défiance , favori
fer les entrepriſes de leurs com
Pagnons , & caufer mille autres
difficultez. Et pour cette raiſon
AldeManuce (Diſcorſo 3.) a creu,
de pouvoir legitimement excuſer
Hannibal , de ce que en partant
d'Italie il fit tuer au temple de la
Deeſſe Junon tous les captifs Ro
mains qui ne le voulurent pas ſui
vre ; encore qu'eu égard à cette
action
ſur les coups d'Eſtat IOI

de action & à quelques autres , Va


2X lere Maxime aitdit de luy , ' Han
ra nibal cujus majore ex parte virtus fa
Das vitia conſtabat. On peut encore
du rapporter à ſemblables maximes ,
ue les façons de faire , ou couſtumes
f particulieres de certains peuples
en ce qui eſt de leur gouverne
re ment ; comme par exemple cel
le de noſtre Loy Silique , fi re
ra ligieuſement 'obſervée touchant la
UTC
fucceflion des Maſles à la Cou
an ronne & l'excluſion des femmes ,
au moyen de laquelle le Royau
17 me fut preſervé pendant la Ligue
de l'invaſion des Eſpagnols : les
res bons & fideles François ayantpro
Ön
tefté de nullité contre toutes les
20, pourſuites étrangeres , & donné
fer congé à ces beaux Corrivaux par
int le texte formel de la Loy,
la 2 Francorum Regni fucceffor maſcu
O
lus efto.
E 3 De
mie
1 Hannibal dont la vertu conſiſtoit pour la
Ite plus grande partie en cruauté. 2 Que le ſuc .
21 ceſſeur du Royaume de France ſoit mâle.
102 Confiderations politiques
De même nature eſt aux Chinois
la loy qui defend ſur peine de
mort l'entrée de leur Païs aux
étrangers; au Grand Turc la
couſtume de faire mourir tous
ſes parens; au Roy d'Ormus de
les aveugler ; à l'Ethiopien de les
enfermer ſur le plus haut cou
peau d'une montagne inacceffi
ble ; l'oſtraciſme aux Atheniens;
la Matze aux peuples de Valaiz
en Allemagne ; le Conſeil des
Diſcoles aux Luquois ; le Lac
Orfane à Veniſe ; l'Inquiſition
en Eſpagne & en Italie , & autres
ſemblables loix & façons de faire
particulieres à chaque nation , qui
n'ont toutes pour fondement au
tre droit que celuy de l'Eſtat, &
neanmoins ſont tres - religieuſe
ment obſervées, comme eſtant du
tout neceſſaires à la manutention
& conſervation des Eſtats qui les
pratiquent .
Finalement la derniere choſe
que
ſur les coups d'Eſtat. IO3
que nous avons dit cy -deſſus de
voir eſtre conſideréé en la Poli.
tique, eſt celle des Coups d'Eſtat,
a qui peuvent marcher fous la mê
$ me definition que nous avons déja
+ donnée aux Maximes & à la rai.
$ ſon d'Eſtat ,* ut ſint exceſſis juris-com
munis propter bonum commune , ou
pour m'étendre un peu davan
s tage en François, desactionshardies
Z & extraordinaires que les Princes font
contraints d'executer aux affaires dif
C ficiles de comme deſeſperées, contre le
1 droit commun , ſans garder même aur
cum ordre ny forme de juſtice, buzar
TC dant l'intereſt du particulier ; pour le
ui bien du public. Mais pour les mieux
diſtinguer des Maximes , nous
pouvons encore ajouſter , qu'en
ce qui ſe fait par Maximes , les
1 cauſes , raiſons ,manifeftes, decla
n rations , & toutes les formes &
ES façons de legitimer une action ,
E 4 pre
Qu'elles ſont un excés du droitcommun , à
cauſe du bien public .
104 Conſiderationspolitiques
precedent les effets & les opera
tions , où au contraire és Coups
d'Eſtat on void pluſtoſt tomber
le tonnerre qu'on ne l'a entendu
gronder dans les nuées , ' ane
ferit quam flammamicet , les matines
s'y diſent auparavant qu'on les
ſonne , l'execution precedela ſen ,
tence ; tout s'y fait à la Judaique;
l'on у eſt pris 2 de Gallico ſur le
vert & fans y ſonger ; tel reçoit
le coup qui le penſoit donner , tel
y meurt qui penſoit bien eſtre en
ſeureté, tel en patit qui n'y ſono
geoit pas , tout s'y fait de nuit , à
l'obſcur, & parmy les brouillars
& tenebres , la Deeſſe Laverne y
preſide, la premiere grace qu'on
luy demande eft ,
3 Dafallere , dafanétum juftumque
videri ,
Noctem

1 11 frape avant que d'éclater. 2 Selon le


proverbe François . 3 Fai qu'on ſe trom
pe & que jeparoiſſe juſte & ſaint, couvre
mes pechés d'une nuit & mes fraudes d'une
nuéę.
ſur les coups d'Eſtat. 10S
Nočtem peccatis, &fraudibus objice
5 nubem. ( Horat. )
I Ils ont toutefois cela de bon que
la même juſtice & equité s'y ren
. contre que nous avons dit eſtre
dans les Maximes & raiſons
d'Eſtat; mais en celles-là il eſttper
mis de les publier avant le coup ,
& la principale regle de ceux- cy
eſt de les tenir cachées juſques à
la fin . Et qu'ainſi ne ſoit les exe
cutions notables du Comte de S.
Paul ſous Louys XI , du Maré
chal de Biron ſous Henry IV ,
du Comte d'Ellex ſous Íſabelle
Reyne d'Angleterre, du Marquis
d'Ancre ſous le Roy à preſent re
gnant , des deux freres fousHen
ry Ill , de Majon fous Guillaume
premier Roy deSicile , de David
Riccio fous Marie Stuart Reine
d'Eſcoſſe,de Spurius Melius Che
valier Romain fous Ahala Servi.
lius Colonel de la Cavallerie Ro
maine , & de Seianus & Plautian
E5 fous
106 Conſiderations politiques
fous divers Empereurs ont eſté
toutes auſſi legitimes & neceffai
res les unes que les autres , & tou
tefois les trois premieres doivent
eſtre rapportées aux Maximes &
raiſons d'Eſtat , parce que le pro
cés fut inſtruit auparavant l'exe
cution ; & toutes les autres aux
fecrets & Coups d'Eſtat , parce
que le Procés ne fut fait qu'en
ſuite de l'execution . Nous y pou
vons auſſi apporter cette differen
ce , que quand bien les formalitez
auroient precedé l'execution , ſi
neanmoins la religion y eſt gran
dement profanée , comme lors
que les Venitiens diſent , * foma
Venetiani, dopo Chreſtiani; qu'un
Prince Chreſtien appelle le Turc
à ſon ſecours; que Henry VIII
fit revolter fon Royaume contre
le faint Siege; que le Duc de Saxe $
fomenta l'Herelic de Luther , que
Char
cie*ns Nous ſommes Venitiens, & puis Chres
ſur les coups d'Eſtat. 107
Charles de Bourbon prit Rome
& fut cauſe de la priſon du Pape
& de la mort de trois Cardinaux :
ou que l'affaire eſt du tout extra
ordinaire & de tres-grandeconſe
quence pour le bien & le mal qui
en peut arriver ; alors on ſe peut
encore ſervir du terme de Coup
d'Eſtat , comme on pourra juger
par le denombrement ſuivant de
quelques-uns, quiont eſté prati
quez , non par des Turcs infide
les ou Canibales ; mais par des
Princes Chreſtiens , tels qu'ont
eſté pour ne point flater ny épar
gner noſtre Nation , les Roys de
France , entre leſquels Clovis pre
mier Roy Chreſtien , en commit
de ſi étranges, & de fi éloignez
de toute forte de juſtice , que je
ne ſçay pas quelle penſée a eu le
bon homme Savaron , de faire un
livre de ſa fainteté : Charles VII
ſe contenta de pratiquer celuy de
Jcanne la Pucelle; Louys XI vio
E 6 la
108 Conſiderations politiques
la la foy donnée au Conneſtable ,
trompoit un chacun , ſousle voi.
le de Religion , & fe fervoit du
Prevoft l'Hermite pour faire
mourir beaucoup de perſonnes
ſans aucune forme de procés;
François I fut cauſe de la deſcen
te du Turc en Italie , & ne vou
lut obſerver le traitté fait à Ma
drit; Charles IX fit faire cette
memorable execution de la Saint
Barthelemy, & fit affaffiner fe
cretement Lignerolles & Buſſy;
Henry III ſe défit de Meſſieurs
de Guiſe ; Henry IV fit la Ligue
offenſive & defenfive avec les
Hollandois , pour ne rien dire de
fa converſion à la Foy Catholi
que ; & Louys le Jufte, duquel
toutes les actions ſont des mira .
cles, & les Coups d'Eſtat des effets
de fa juſtice, en a pratiqué deux
notables en la mort du Marquis
d'Ancre , & au ſecours des Valte
lins. Pour les Venitiens s'il eft.
vray
ſur les coups d'Eftat. 109
vray qu'ils tiennent la maxime rap
portée cy -deſſus , il faut avouer
qu'ils demeurent plongez dans un
continuel Machiaveliſme, afin de
paſſer ſous ſilence beaucoup d'au
tres qu'ils commettent tous les
jours : Les Florentins en ſe ré
jouiſſant de la captivité de S.
Louys en la terre Sainte , necom
mirent pas un ſecret d'Eſtat; mais
une action tres- blaſmable & hon
teuſe , * e nota , dit le Villani , che
quando queſta novella venne in Firen
ze ſignoreggiando , Gibellini ne fecero
feſta à grandi fallo. Entre les Papes
on peut remarquer la priſon de
Celeſtin , le poiſon d'Alexandre
ſixiéme, l'aſſaſſinat intenté & non
parfait du fra Paulo , comme preu
ves tres - certaines , qu'ils ne dé
poüillent pas toute leur huma
nité lors de l'élection . Charles
d'Anjou Roy de Sicile fit deca
E 7 piter
* Etreniarquez que quand cette nouvelle
vint à Florence , lesGibellins en firent une
grande réjouiffance , mais mal à propos
IIO Confiderationspolitiques
piter Conradin & Frederic d'Auf
triche : Pierre d'Arragon autori
fa les Veſpres Sicilienes. Alphon
ſe Roy de Naples , & Alexandre
ſixiéme eurent recours à Bajazet
contre les forces de noſtre Char
les VIII : Henry VIII fit re
volter l'Angleterre contre le ſaint
Siege; Charles V ne cint conte
d'infeoder le Milanois au Duc
d'Orleans , comme il avoit promis
lors qu'il paffa par la France ; le
même pouvant ruiner les Prote
ftans, il s'en ſervit pour nous faire
la guerre , & les appella ſes ban
des noires ; il détourna ce que
l'Allemagne avoit contribué pour
la guerre du Turc à ruiner Fran
çois premier , fa haine contre le
Roy d'Angleterre à cauſe de fa
tante fit roidir Rome contre Hen
ry VIII , & donna occaſion par
ce moyen au ſchiſme qui en fur
vint , aprés lequel il ſe ligua avec
luy , & le fit armer contre le
Royau
fur les Coups d'Eſtat. III

Royaume de France : ſon Lieu


tenant Charles de Bourbon prit
Rome , & y établit une telle per
ſecution contre les Ecclefiafti
ques , * che non vi era Huomo che ha
veſſe ardire , di andar per la via in ha
bito l'i chierico , ò di frale : ( Il dia
logo diCharonte .)Bref il ſe fit de
fon temps , & par ſon commande .
ment un tel carnage d'hommes
aux Indes , & païs nouvellement
découverts , qu'il ne s'en eſt ja
mais fait un pareil. Philippes ſe
cond ne voulut jamais permettre
que le Pape ſe meflaſt de l'affaire
de Portugal ; & fit pendre tous les
foldats François , qui allerent au
ſecours de Dom Antonio ; & qui
ne ſçait par quels moyens il traver
ſa lareduction à l'Egliſe de Hen
ry IV & ſa reconciliation avec le
fáint Siege , il le peut apprendre
du Cardinal d'oſſat , qui a fort
bien
* Qu'il n'y avoit homme qui ofait entre
prendre d'aller par la ruë en habit de Clerc ou
de religieux
112 Conſiderationspolitiques
bien enregiſtré dans ſes lettres
tous les artifices qui furent lors
pratiquez contre noſtre Monar
chie. Or ces exemples tirez de
l'Hiſtoire de dix ou douze Princes
ſeulement, eſtanten ſigrand nom
bre , je croy qu'ils pourrontauſſi
ſervir de preuve tres -veritable ,
pour monſtrer, qu'encore que les
écrits de Machiavel foient de
fendus, fa doctrine toutefois ne
laiſſe pas d'eſtre pratiquée, par
ceux même qui en autoriſent la
cenſure & la defenſe.
Mais dautant qu'aprés avoir
amplement diſcouru fur la definia
tion des Coups d'Eſtat , il eſt auſſi
fort à propos de conſiderer quelle
diviſion l'on en peut faire; il ſem
ble que la premiere & plus legiti
me eſt , de les diviſer en fecrets
d'Eſtat juſtes & injuſtes, c'eſt à
dire en Royaux & Tyranniques;
& que l'on peut rapporter aux
premiers la mort de Plautian , de
Seianus,
ſur les coups d'Eſtat. 113
Scianus, du Mareſchal d'Ancre,
comme aux ſeconds celle de Re
mus & de Conradin .
Mais outre cette diviſion , que
je croy devoir eſtre ſuivie com
me la principale , on peut encore
les diviſer en ceux qui concernent
le bien public , & les autres qui
ne regardent que l'intereſt parti
culier de ceux qui les entrepren
nent. Hannibal voulant pratiquer
les premiers, commanda qu'on fiſt
mourir ce priſonnier Romain , le
quel en la preſence avoit combatu
& ſurmonté un Elephant, dicens
eum indignum vita qui cogi potuerat
cum beſtiis decertare; bien qu'il ſoit
plus vray - femblable , commea ju
dicieuſement remarqué Şarisbe
rienſis , ? eum noluiſſe captivuni inall.
dili
1 Diſant que celuy qu’on avoit pû coutrain,
dreouobliger à ſe battre contre une beſte eſtoit
indigne de vivre. 2 Qu'il ne voulut pas qu'un
priſonnier fuft honoré de la gloired'un triom .
phe inouï , & que les beltes , par la vertu def
quelles il avoit donné de la terreur à tous le
monde , fuſſent ainſy diffamées.
114 Conſiderations politiques
diti triumphi gloria illuftrari, & in
famari beſtias , quarum virtute terro
rem orbi incufferat. (Polycrat. cap.z.
lib. 1.) Etles Eliens,peuplesde la
Grece,ayant fait venir le ſculpteur
Phidias de la Ville d'Athenes ,
pour leur faire la ſtatuë d'un Ju
piter Olympien , comme ils virent
que cette ſtatuë eſtoit merveil
leuſement bien faite , & que , s'ils
laiſfoient retourner Phidias à A
thenes où il eſtoit rappellé , il y
en pourroit faire quelque autre
qui terniroit lagloire de celle-là;
iſs l'accuferent defacrilege', & luy
ayant coupé les deux mains le ren
voyerent en tel eſtat; ' nec puduit
illos lovem debere ſacrilegio , dit Se
neque : & le pauvre Phidias , 2 ta
lem fecit lovem , ut hoc ejus opus Elii
ultimum effe vellent. Quant à ceux
des particuliers ils ont eſté prati
quez
1 Et ils n'eurent pas honte de devoir Ju
piter à un ſacrilege. 2 Fit un tel Jupiter
que age. voulurent que ce fuſt fon der
ouvrEliens
nier les
fur les coups d'Eſtat. 115
quez par tous les Legiſlateurs &
nouveaux Prophetes, comme nous
dirons cy- aprés .
De plus on peut auſſi les divi
fer en fortuits ou caſuels , com
me lors que Colomb perſuada à
certains habitans du nouveau
monde, qu'il leur oſteroit la Lu
ne ( qui fe devoit bien - toſt ecli
pfer ) s'ils ne luy fourniſſoient des
vivres en abondance ; & en ceux
qui ſont premeditez, & que l'on
entreprend aprés une meure deli
beration, pour le bien evident que
l'on juge en pouvoir avenir , tels
que ſont preſque tous ceux deſ
quels nous avons parlé.
Il y en a pareillement de ſim
ples qui ſe terminent par un feul
coup , comme la mort de Seianus,
& de compoſez qui pour lors font
ou ſuivis , ou precedez de quel
ques autres. Precedez , comme la
ſaint Barthelemy de la mort de
Lignerolle , des nopces du Roy
de
116 Conſiderations politiques
de Navarre , & de la bleſſure de
l'Admiral; Suivis, comme l'execu
tion du Marefchal d'Ancre , de
celle de Travail , de ſa femme
la Marquiſe, & de l'exil de la Rei
ne Mere.
De plus il y en a qui fe font
par les Princes , quand la neceſſi
té & la conjoncture des affaires
le requierent ainſi , comme ſont
ceux deſquels nous pretendons de
parler ſeulement en ce diſcours; &
d'autres qui s'executent par leurs
miniſtres , leſquels ſe fervent bien
ſouvent de l'Autorité de leurs
Maiſtres pour conclure beaucoup
d'affaires , ſoit pour leur utilité
particuliere ou celle du public ,
fans neanmoins que le Prince en
puiſſe connoiſtre les premiers ref
forts ou mouvemens; ainſi voyons
nous que l'avancement de Poſtel
fous François I , fut un petitCoup
d'Eſtat du Chancelier Poyet ; que
le mauvais rapport , que l'on fit du
Phi
ſur les coups d'Eſtat. 117
e Philoſophe Bigot au même Roy,
en fut un de Caſtellan Evefque de
Maſcon ; & de nos jours la mort
de Reboul, la priſon del'Abbé du
Bois , le Chapeau rouge de Mon
ſieur le Cardinal d'Oſſat , ont eſté
attribuez à Monſieur de Villeroy;
ne plus, ne moins que celuy de du
Perron à Monſieur de Sully, &
l'execution de Travail à Monſieur
de Luynes. Mais parce qu'il fc
roit trop long & peut-eſtre en
3 nuyeux , de rapporter icy toutes
les diviſions que l'on peut faire
ſur cette matiere, & que d'ailleurs
elles ſont preſque inutiles & ſu
perfluës , je me contenteray des
precedentes , & laiſſeray la liberté
à un chacun d'en introduire & in
venter telles autres que bon luy
ſemblera.

1
.

CHA
US Conſiderations politiques
CHAPITRE III.
Avec quelles precautions & en quelles
occaſions on doit pratiquer les
Coups d'Eſtar.
E viens maintenant à ce qui eſt
J & puis que les bons & ſages
de plus eſſentiel à ce diſcours ,
Medecins n'ordonnent jamais les
remedes dangereux & violens ,
ſans preſcrire quand & quand tou
tes les precautions moyennant lef
quelles on s'en peut legitimement
ſervir ; il faut auſſi que je faſſe le
même en cette occaſion ,& je le fe
ray d'autant plus volontiers, que
ces Coups d'Eſtat ſont commeun
glaive duquel on peut uſer & abu
ſer , comme la lance de, Telephc
qui peutbleſſer & guerir , comme
cette Diane d’Epheſe qui avoit
deux faces , l'une triſte & l'autre
joyeuſe; bref comme ces medail
les de l'invention des Heretiques,
qui
ſur les coups d'Eſtat. 119
qui portent la face d'un Pape &
d'un diable ſous mêmes contours
& lineamens ; ou bien comme ces
tableaux qui repreſentent la mort
& la vie , ſuivant qu'on les regarde 7
d'un coſté ou d'autre ; joint que
c'eſt le propre de quelque Timon
ſeulement , de dreſſer des gibets
pour occaſioner les hommes de s'y
3 pendre ; & que pour moy.je de
fere trop à la nature , & aux re
1
gles del'humanité qu'elle nous
preſcrit, pour rapporter ces hiſtoi
res afin qu'on les pratique mal à
propos ,
* Tam felix utinam , quàm pectore
Candidus effem :
Extat adhuc nemo ſaucius ore meo.
C'eſtpourquoy voulant preſcrire
les regles que l'on doit obſerver
pour s'en ſervir avec honneur , ju
ſtice, utilité , & bien -feance , j'au
ray recours à celles qu'en donne
Cha
Plût à Dieu que je fuſſe auſli heureux que
j'ay le cæur ſincere. Il n'y a encore perſonne
quema bouche ait bleſſé.
120 Conſiderations politiques
Charon (lib. 3. cap. 2.) & mettray
pour la premiere , que ce ſoit à la
defenſive & non à l'offenſive, à ſe
conſerver , & non à s'agrandir, à
ſe preſerver des tromperies, mé
chancetez , & entrepriſes ou ſur
priſesdommageables , & non à en
faire. Le monde eſt plein d'arti
fices & de malices : 1 Per fraudem do
dolum Regna evertuntur, dit Ariftote ,
tu fervari per eadem nefas eſſe vis , a
jouſte Lipſe ; il eſt permis de jouer
à fin contre fin , & auprés du Re
nard , contrefairele Renard : Les
loix nous pardonnent les delits
que la force nous oblige de com
mettre : 2 Inſitum eft unicuique ani
manti , dit Saluſte , ut ſe vitamque
tueatur ; & au rapport de Ciceron
(3. de offic.) 3 communis utilitatis de
relictio
1 On renverſe les royaumes , par le moyen
des fraudes& des fineſſes; & tu veux qu'il ſoit
defendu de les conſerver par les mêmes
moyens. 2 C'eſt de la nature de tous les
animaux qu'ils ſe defendent & leur vie auſfi.
3 L'abandon de l'utilité commune eſt contré
la nature .
ſur les Coups d'Eſtat. I 21
relictio contra naturam eft , & pour
lors il eſt beſoin de biaiſer quel
quefois , de s'accommoder au
temps & aux perſonnes , de meſler
le fiel avec lemiel , d'appliquer le
cautere où les corroſifs ne font
rien , le fer, où le cautere n'a point
de puiſſance, & bien ſouvent le feu
où le fer manque.
La ſeconde, que ce ſoit pour
la neceſſité , ou evidente & im
portante . utilité publique de
l'Eſtat, ou du Prince , à laquel
le il faut courir ; c'eſt une obli
gation neceſſaire & indiſpenſa
ble , c'eſt toujours eſtre en ſon
devoir que de procurer le bien
public , * ſemper officio fungitur ,
dit Ciceron ( ibid. ) utilitati ho
minum conſulens da ſocietati. Cet
te loy ſi commune & qui de
vroit eſtre la principale regle
de toutes les actions des Prin
3.
F ces,

Celuy qui pourvoit au bien & à la ſocie.


té des hommes fait toujours ſon devoir.
122 Conſiderations politiques
ces , * Salus populi fuprema lex efto,
les abfout de beaucoup de petites
circonſtances & formalitez , auf
quelles la juſtice les oblige : Auſli
font-ils maiſtres des loix pour les
allonger ou accourcir , confirmer
ou abolir , non pas ſuivant ce
que bon leur ſemble ; mais ſelon
ce que la raiſon & l'utilité publi,
quele permettent : l'honneur du
Prince, l'amour de la patrie , le
falut du peuple equipollent bien
à quelques petites fautes & in
juſtices ; & nous appliquerons en
core le dire du Prophete , li tou
tefois il ſe peut faire ſans rien
profaner : Expedit ut unus Homo
2

moridtur pro populo , ne toia gens


pereat.
La troiſiéme, que l'on marche
plûtoſt en ces affaires au petit pas
qu'au galop, puiſque
Nulla
I Que la conſervation du peuple ſoit la fou
veraine loy . 2 Il eſt neceflàire qu'un hom
ine meure pour le peuple , afin que toute la
nationne periſſe pas .
ſur les Coups d'Eſtat. 123
I Nulla unquam de morte hominis
cunctatio longa eft. (Claudicn .)
& que l'on n'en faſſe pas meſtier
1 & marchandiſe , crainte que le
trop frequent uſage n'attire aprés
ſoy l'injuſtice. L'experience nous
apprend , que tout ce qui eſt
émerveillable & extraordinai
re , ne fe monſtre pas tous les
jours : les Cometes n'apparoiſ
1 fent que de fiecles en fiecles : les
monſtres, les deluges , les incen
dies du Veſuve , les tremblemens
de terre , n'arrivent que fort ra
rement , & cette rareté donne un
luſtre & une couleur à beaucoup
de choſes , qui le perdent fou
dain que l'on en uſe trop frequem
ment ,
2 Vilia ſunt nobis, quacunque priori
$. bus annis
F 2 Vidi
1 Il n'y a jamais de retardement qui ſoit
long quand ileſt queſtion de faire mourir un
homme . 2 Nous mépriſons tout ce que nous
avons veu les années paſſées, & eftimons com
me de la bouë cout ce que nous avons déja
veu.
124 Confiderationspolitiques
Vidimus , &fordet quicquid fpecta
vimus olim .
J'ajouſte que ſi le Prince ſe tient
dans la retenuë de ces pratiques ,
il ne pourra facilement en eſtre
blaſmé, ny ne paſſera à cette oc
caſion pour tyran , perfide, ou
barbare , dautant que l'on ne doit
proprement donner ces qualitez,
qu'à ceux qui en ont contracté les
habitudes , & ces habitudes dé
pendent d'un grand nombre d'a
&ions ſouventefois repetées, * ha
bitus eft actus multoties reperitus, tout
ainſi que la ligne eſt une fuite de
points , la ſuperficie une multi
plication de lignes , l'induction
un amas de pluſieurs preuves, &
le fyllogiſme un entre las de di
verſes propoſitions.
La quatriéme, que l'on choi
fiffe toujours les moyens les plus
doux &faciles , & que l'on pren
ne

fois.
L'habitude eſt un acte reïteré par plageurs
ſur les coups d'Eſtat. 125
ne garde au precepte que don
ne Claudien à l'Empereur Ho
norius ,
1 Metiiſariaberepænis ?
Triſte rigor nimiw .(de 4.Conſul.)
Il n'appartient qu'à des tyrans
de dire , 2 fentiat ſe mori, & qu'à
1 des diables de ſe plaire aux tour,
mens des hommes ; il ne faut pas
ES
imiter en ces actions les che
vaux des Courſes Olympiques,
leſquels on ne pouvoit plus re
tenir lors qu'une fois ilsavoient
pris carriere , il y faut proceder :
en juge, & non comme partic;
en Medecin , & non pas en bour
reau ; en homme retenu , pru.
dent, ſage , & difcret , & non
pas en colere , vindicatif & aban
donné à des paſſions extraordinaia
res & violentes : cette belle vertu
5
de Clemence ,
F 3 Qué
Ć
Te contenteras- tu de la punition de Me.
cius ? C'eſt une choſe cilte que la trop grande
rigueur. ¿ Qu'il ſe ſentemourir.
126 Confiderations politiques
Olta docet ut pænis hominum , vel
fanguine paſci,
Turpeferumqueputes.
eſt toujours plus eſtimée que la
rigueur & ſeverité; la maſſe dHer
cutes, diſent les Poëtes , luy avoit
eſté donnée pour vaincre les
Geans, punir les tyrans, & exter
miner les monſtres , & neanmoins
elle eſtoit faite de la fourche d'un
olivier , en fymbole de paix & de
tranquillité ; l'on peut ſouvente
fois remedier à un grand arbre
qui s'en va mourant , en taillant
ſeulement quelques-unes de ſes
branches ; & unc fimple ſeignée
faite à propos , rompt bien ſou
vent le cours à de grandes mala
dies; bref il faut imiter les bons
Chirurgiens qui commencent
toujours par les operations les plus
faciles à ſupporter ; & les Juifs
qui donnoient certains breuvages
aux
Qui enſeigne à eſtimer Sale & cruël , de
repaitre
ſeinain s.
des tourmens & du ſang des hu
fur tes Coups d'Eſtat. I 27
aux condamnez à mort pour leur
oſter les ſentimens, & la douleur du
fupplice ; la ſeule teſte de Seianus
devoit contenter Tibere ; Han,
nibal pouvoit bien rendre tous
1 ſes captifs inutiles àla guerre fans
les tuer ; le Sac de Rome eut eſté
moins odieux , ſi l'on euſt porté
6 plus de reſpect aux temples & à
] leurs miniſtres ; & le Marquis
d'Ancre n'eut pas eſté moins
juſtement puny, quand on ne
l'euſt point traiſné & dechiré.
* Illos crudeles vocabo , dit Seneque
(declem . cap.4 .) qui puniendi cau
ſam babent, modum non habent.
La cinquiéme , que pour juſti
fier ces actions , & diminuer le
blâme qu'elles ont accouſtumé
d'apporter quand & foy , lors que
les Princes ſe trouvent reduits &
5 neceſſitez de les prattiquer , ils
S F4 ne

J'appelleray ceux -là cruëls qui ont des


raiſons de panir , mais qui ne peuvent ſui
vre de regles, & qui n'ont pointde inodera
tion.
128 Confiderations politiques
ne les faſſent qu'à regret , & en
ſouſpirant , comme le pere qui
fait cauteriſer ou couper un mem
bre à ſon enfant pour luy fauver.
la vie , ou luy arracher une dent
pour avoir du repós ; c'eſt ce que
le Poëte Claudien , n'oublie pas en
la deſcription qu'il fait d'un bon
Prince :
* Sit piger ad pænas Princeps, ad
premia velox,
Quique dolet quoties cogitur effe fe
10X .
Il faut doncques retarder., ou au
moins ne precipiter ces executions,
les maſcher & ruminer ſouvent
dans ſon eſprit , s'imaginer tous les
moyens poſſibles pour les gauchir
& éviter fi faire ſe peut , ſi non
pour les adoucir & faciliter ; &
en un mot ne s'y point reſoudre,
qu'avec autant de difficulté que
fe
I Que le Prince ſoit lent au chaſtiment &
prompt aux recompenſes ; & qu'il ait du re
gret quand il eſt contraint à cftre ſevere & ri.
goureux .
ſur les coups d'Eſtat. 119
1 feroit un homme attaqué ſur mer
par la tempeſte , à facrifier tout
fon bien à la fureur de cet Ele
ment , ou un malade à fe voir cou.
11 per la jambe.
€ Auſſi n'eſt-ce pas mon inten
tion de finir icy le nombre de ces
precautions par quelqu'une , que
l'on puiſſe croire eſtre la dernie
re de celles qu'il y faut obſerver:
l'ajouſte qui voudra à ſes écrits ,
pour moyje nela mettray jamais
aux miens, n'eſtimant pas raiſon
nable, de preſcrire des fins & des
5 limites à la clemence & humanité;
가 qu'elle étende ſes bornes ſi loing
3 qu'elle voudra , elles me ſemble
ront toujourstrop courtes & ref
ſerrées. Quand on n'a point peur
que ſon cheval bronche on luy
peut lafcher la bride affeurément;
lors que le vent eſt bon on peut
deployer toutesles voiles; on ne
doit borner les vertus que par les
,&
vices qui leur ſont contraires tant
FS
130 Confiderationspolitiques
tant qu'elles s'en éloignent aſſez
pour n'y point tomber , on n'a
quie faire de les rétenir. Il eſt bien
Vray qu'elles n'ont pas leur car
riere fi franche au ſujet que nous
traitons maintenant , comme en
beaucoup d'autres , maisauſſiſera
ce aſſez que le Prince qui ne peut
eſtre du tout bon , le ſoità demy,
& que celuy qui par une raiſon
fuperieure ne peut eſtre du tout
juite , ne ſoit pas aufli du tout
cruel , injuſte & merchant. Mais
quand bien nous n'aurions que
ces cinq regles & precautions,
je croy , qu'elles ſont ſuffiſan
res de faire juger à ceux qui
auront tant ſoit peu d'eſprit &
d'inclination au bien , ce qui fe
ra de la raiſon , & encore que
je ne les euſſe point ſpecifiées ,
la diſcretion toutefois & le juge
ment des hommes ſages ne per
mettent pas qu'ils les puiſſone
ignorer , veu que
* Quid
ſur les coups d'Eſtat. 131
* Quid faciat,quid non, homini prii
dentia nonſtrat. ( Paling, in
Virgine. )
Aulli eſt-ce bien mon intention
que de toutes les Hiſtoires quej'ay
rapportéescy -deſſus & queje cot
teray encore dans la ſuite de ce
diſcours , celles-là paſſent ſeule
ment pour legitimes, leſquelles
eſtant appliquées à ces cinq re
gles ou à celles de la prudence en
general , ſe rencontreront conform
mes à ce qui ſera du droit & de la
raiſon .
Mais toutes les maximes &
1
precautions ſuſdites ne ſervant
que pour nous rendre mieux in .
ſtruits & diſpoſez à l'execution de
ces Coups d'Eſtat , il faut mainte
nant voir en quelles rencontres &
occaſions on les peut pratiquer.
Charon ſans faire ſemblant de rien
en propoſe 4 ous dans ſon livre
F 6 . de
La Prudence. montre à l'homme ce qu'il
doit ou ce qu'ilse dois pas faire.
133 Confiderationspolitiques
de la ſageſſe ( 1. 3.c. 2.) mais brie
vement * à la sfugita, & faiſant
comme les Scythes qui décochent
leurs meilleures fléches lors qu'ils
ſemblent füïr le plus fort. Je -les
étendray davantage par raiſons &
exemples , & y en ajouteray beau
coup d'autres , qui ſerviront com
me de titres , auſquels on pourra
rapporter celles qui ſe rencontre
font aprés dans les Auteurs &
Hiſtoriens.
: Or entre ces occafions il n'y a
point de doute qu'on doit faire
marcher les premieres,quoy qu'el
les foient à mon avis les plus in
juſtes , celles qui ſe rencontrent
en l'établiſſement & nouvelle ere
&tion ou changement des Royau
mes & Principautez : Et pour par
Jer premierement de l'erection ,
fi nous conſiderons quels ont eſté
tes commencemens de toutes les
Monarchies,noustrouverons tou
jours
* Ala dérobées
ſur les coups d'Eſtèt. 133
jours qu'elles ont commencé par
quelques-unes de cesinventions &
fupercheries, en faiſant marcher la
Religion & les miracles en teſte
d'une longue fuite de barbaries &
de cruautez. C'eſt Tite Live (1.4.
decad.1.) qui en a le premier fait la
remarque: * Dutur, dit-il, bec venia
antiquitati , ut miſcendo humana divi
nis , primordia urbiuin auguſtiora fac
ciit. Ce que nous montrerons cy
aprés eſtre tres- veritable ,' mais
pour cette heure, il nousfaut de
meurer dans le general, & com.
mencer noſtre preuve par l'éta
bliſſement des quatre premieres &
plus grandes Monarchies dumon
de. Cette tant renommée Reyne
Semiramis qui fonda l'Empire des
Aſſyriens , fut aſſez induſtrieuſe
pour perfuader à fes peuples,
qu'ayant eſté expoſée en fon en
F7 fance,
On permet à l'Antiquité qu'en mélant
des choſes humaines parmy les divipes , elle
: rende plus auguftes les cominencemens des
villes.
134 Conſiderationspolitiques
fance , les oiſeaux avoient eu
le ſoin de la nourrir , luy ap
portant la becquée comme ils
ont couſtume de faire à leurs pe
tits : : & voulant encore confir
mer cette fable par les dernieres
actions de ſa vie , elle ordonna
qu'on feroit courir le bruit aprés
fa mort qu'elle avoit eſté conver
tie en pigeon , & qu'elle s'eſtoit
envolée , avec une grande quan
tité d'oiſeaux qui l'eſtoient venu
querir juſquesdans la chambre.
Elle eut encore la reſolution de
feindre & changer fon ſexe , &
de femme qu'elle eſtoit devenir
mafle,jouantle perſonnage de ſon
fils Ninus , & le contrefaiſant en
toutes ſes a &tions : & pour mieux
venir à bout de cette entrepriſe,
elle s'aviſa d'introduire une nou
velle forte de veſtemens parmy
le peuple , qui eſtoient grande
ment favorables à couvrir & ca
cher ce qui pouvoit le plus facile
ment
ſur les coups d'Eſtat. 135
ment la faire reconnoiſtre pour
femme. ? Brachia enim ac crura ve
lamentis , caput tiara tegit , & ne novo
babitu aliquid occultare videretur , eo
dem ornatu populum veſtiri jubet , quem
morem veftis exinde gens univerſa te
niet , & par ce moyen , 2 primis ini
tiis fexum mentita , puer credita eft.
( Juſt. initio .) Cyrus qui établit
la Monarchie des Perſes , voulut
auſſi s'autoriſer par la vigne que
ſon grand pere Aftyages avoit
veu naiſtre 3 8% naturalibus filia ,
cujus palmire omnis aſia obumbrabatur;
& du ſonge que luy - même eut
lors qu'il prit les armes , & qu'il
choiſit un cfclave pour compa
gnon de toutes fes entrepriſes;
mais il faiſoit encore mieux valoir
l'opi
I Car elle couvrit ſes bras & ſes jambes
d'unc robe , & la tette d'un turban ; &' afin
qu'elle ne ſemblait pas cacher quelque choſe
ſous, ce nouvel habit , elle ordonna que tout
ſon peuple en priſt de ſemblables, laquelle mo.
de ce peuple garde encore. 2 Au commen

cement s'efiant traveſtic elle fut priſe pour un


garçon. 3 De ſa fille , dont l'ombre desfar
ineos couvroit toute l'Alic.
136 Confiderations politiques
l'opinion qu'une chienne l'avoit
nourry & alaité dans les bois , où
il avoit eſté expoſé par Harpago
juſques à ce qu’un Paſteur l'ayant
rencontré fortuitement,il le porta
à fa femme , & le fit ſoigneuſe
ment nourrir dans la maiſon .Pour
Alexandre & Romulus , comme
leurs deſſeins eſtoient plus rele
vez , auſſi jugerent-ils qu'il eſtoit
neceſſaire de prattiquer davanta
ge & de beaucoup plus puiſſans
ſtratagemes. C'eſt pourquoy en
core qu'ils commençaſſent auſſi
bien que les precedens par celuy
de leur origine , ils le porterent
toutefois le plus haut qu'il ſe pou
voit faire , d'où Sidonius a eu oc
caſion de dire ,
* Magnus Alexander ,nec non Roms
nus babentur
Concepti ſerpente Deo.
Car

Le grand Alexandre & le Romain font


eſtimés
Dieu .
avoir eſtéconceusd'un ſerpent & d'oa
ſur les Coups d'Eſtar. 137
Car pour Alexandre il fit croire
que Jupiter avoit accouſtume de
venir voir & de ſe réjouïr avec fa
Og
nt
mere Olympias fousla figure d'un
ſerpent, & que lors qu'il vint au
monde , la Déeffe Diane aflifta fi
no
alliduement aux couches de ladite
e
Olympias, qu'elle ne ſongea pas à
ſecourir le temple qu'elle avoit en
it
Epheſe , lequel danscet intervalle
fut entierement conſommé , par
ns
un fortuït embraſement. Quoy
.
plus , afin de mieux établir l'opi
nion de la divinité dans la croyan
ce de ſes ſujets , il diſpoſa les Pref
1 tres de Jupiter Ammon en Egy
pte , ' ut ingredientem templum fta ,
tim ut Animonis filium ſalutarent ;
(Juſtin.l. 11.) & pour mieux jouer
encore ſon perſonnage , Rogat
num omnes patris fui interfectores fit
ultus,
i Que dés qu'il entreroic au temple ils le
falüaflent comme le fils de Jupiter Ammon .
2 Il demanda s'il ne s'eſtoit pas vengé de tous
les meurtriers de ſon pere , & ils répondirent
quc ſon pere ne pouvoit ni eltre tuč ni mou
rir.
138 Conſiderations politiques
ultus , reſpondentpatrém ejus , nec posſe
interfici , nec mori ; il en vint même
aux effets, commandant à Par
menion de démolir tous les tem
ples, & d'abolir les honncursque
les peuples de l'Orient rendoient
à Jafon , * ne cujuſqaam nomen in
Oriente venerabilius quam Alexandri
effet. Ajouſtons à cela quecertains
captifs luy ayant donné la con
noiſſance du remede dont on fe
pouvoit ſervir contre les fléches
empoiſonnées des Indiens, il fit
croire auparavant que de le pu
blier , que Dieu le luy avoit re
velé en fonge. Mais cette inſatia
ble cupidité l'ayant conduit juf
ques à ſe faire adorer , il reconnut
enfin par les remonſtrances de
Calliſthenes, par l'obſtination des
Lacedemoniens, & par les bleſſu
res qu'il recevoit tous les jours en
combatant, que toutes les forces
ne

* afin qu'il n'y eût point de nom en Orient


plusvenerable que celuyd'Alexandre.
ſur les coups d'Eſtat. 139
ne ſeroient jamais fuffiſantes pour
pouvoir établir cette nouvelle
Apotheoſe, & qu'il faut une plus
grande fortune pour gagner une
ve petite place dans le ciel, que pour
ni dompter icy bas & dominer tou
te la terre . Que fi l'on veut a
jouſter à ces hiſtoires celles de la
IS mort de ſon Pere Philippe , de la
quelle il fut conſentant avec ſa
fe mere Olympias , & celle auſſi de
185 Clytus, qu'il tuade ſa propre main,
tit parce qu'il s'eſtoit acquis trop
11 d'autorité entre les ſoldats , l'on
e trouvera qu'Alexandre pratiquoit
za en ſecret ce que Ceſar a fait de
af puis tout ouvertement , * fi vio
LIE landum eft jus, regnandi caufa. Quant
à Romulus, il ſe miten credit par
les hiſtoires du Dieu Mars , qui
pratiqunit familierement avec fä
mere Rhea; par celle dela Louve
qui le nourrit ; par la tromperie
e
des Vautours , la mort de ſon fre
re ,

* S'il faut violer le droit, c'eſt pour regner.


140 Confiderations politiques
re , l'Aſile qu'il établit à Rome,
le raviſſement des Sabines , le
meurtre de Tatius qu'il laiſſa im
puny,& finalement parla mort en
ſe noyant dans des mareſts , pour
faire croire que ſon corps avoit
eſté enlevé dans les cieux , puis
qu'on nele pouvoit trouver en ter
re. Or ſi l'on ajouſte à ces Coups
d'Eſtat de Romulus , ceux que
Numa Pompilius ſon ſucceſſeur
prattiqua au moyen de fa nymphe
Egerie , & des ſuperſtitions qu'il
établit pendant fon Regne , il ſera
facile en ſuite dejuger,
* Quibus aufpiciis illa inclita Roma ,
Imperium Terris animos aquavit O
lympo. ( Virgil.)
il eſt encore à propos dc remar
quer , que tout ainfi que cette do
mination Monarchique ne s'eſtoit
pû établir fans beaucoup de ru
ſes

Par quelle fortunecette fameuſe Rome, a


maiftriſé
anfi hauttoute laterre , .& a porté ſon ambition
que l'Olympe
fur les coups d'eſtar. 141
fes & de tromperies , il n'en fal
lut auſſi gueres moins pour la dé
truire, lors que les Tarquins eſtant
chaſſez de Rome à cauſe du viole
ment de Lucreſſe ,on changea l’EC
1 tat d'un Royaume en celuy d'une
5 Republique. Car nous y pou
vons premierement remarquer la
folie ſimulée de JuniusBrutus , la
e cheute feinte, ſon bafton de ſureau
preſenté à l'oracle , & en ſuite
l'execution qu'il fit faire de ſes
deux fils, tant parce qu'ils eſtoient
amys des Tarquins, & accuſez de
les avoir voulu remettre dans la
ville, qu'auſſi parce que l'educa-.
tion qu'ils avoient receuë durant
l'Eſtat Monarchique , eſtoit di
rectement contraire à celuy qu'il
vouloit établir : & pour couron
ner toutes ces actions par quel
que grand Coup d'Eſtat , & par
un vray * arcanum Imperii, il fit
chaſſer deRome Tarquinius Col
latinus,
Secret d'Empire.
142 Conſiderations politiques
latinus , quoy qu'il fuſt mary de
Lucreſſe , qu'il euſt eſté ſon com
pagnon au Conſulat , & qu'il
n'euſt pas moins contribué que
luy à la ruine des Tarquins : car
quoy qu'il priſt pour pretexte que
le nom des Tarquins eſtoit deve
nu fi odieux aux Romains , qu'ils
ne pouvoient pas même le ſouf
friren la perſonne de leurs amis;
ſon principal but neanmoins eſtoit
de ne laiſſer aucun reſte de ceux
qu'il avoit pouſſez juſques à la
dernicre extremité , & aufli de ne
partager la gloire de cette action
avec une perſonne dont luy-mê.
me avoüoit & publioit le merite :
Meminimis , fatemur, ejeciſti Re
ges , abfolve beneficium tuum , aufer
hinc regium nomen. ( ap. Liv. l. 2.)
Que ſi nous voulions examiner
toutes les autres Monarchies &
tous les Eſtats qui ſont inferieurs
à ces
Il nous en ſouvient, nous le confeffons,
tu as challé les Roys , parachevc cette bonne
adion , & ofte d'icy le nom royal.
ſur les coups d'Eſtat. : 143
à ces quatre , nous pourrions em
plir un gros volume de ſembla.
1
bles hiſtoires. C'eſt pourquoy ce
fera aſſez pour la derniere preuve
de noſtre maxime, d'examiner ce
UE que pratiqua Mahomet , à l'éta
lo
bliſſement non moins de fa Reli
gion , que de l'Empire lequeleſt
aujourd'huy le plus puiſſant du
monde. Certes comme tous les
ES
grands eſprits ( Poftellus & alii) ont
WI toujourseu l'induſtrie de pren
dre avantage des plus ſignalées
DO
diſgraces qui leur ſont arrivées
Of
cettuy-cy pareillement voulut fai
26
rc de méme; de façon que voyant
te!
qu'il eſtoit fort ſujet à tomber du
haut mal , il s'aviſa de faire croi.
H
re à ſes amis que les plus vio
lens paroxiſmes de ſon epilepſie,
eſtoient autant d'extaſes & de fi
gnes de l'eſprit de Dieu qui
NS
deſcendoit en luy ; il leur perſua
da auſſi qu'un pigeon blanc qui
$
venoit manger des grains de bled
dans
144 Confiderationspolitiques
dans ſon oreille , eſtoit l'Ange
Gabriel qui luy venoit annoncer
de la part du même Dieu ce qu'il
avoit à faire :- En ſuite de cela il
ſe ſervit du Moine Sergius pour
compoſer un Alcoran , qu'il fei
gnoit luy eſtre di&té dela propre
bouche de Dieu ; finalement il
attira un fameuxAſtrologue pour
diſpoſer les peuples par les predi
&ions qu'il faiſoit du changement
d'Eſtat qui devoit arriver , & de
la nouvelle loy qu'un grand Pro
phete devoit établir , à recevoir
plus facilement la ſienne lors qu'il
viendroit à la publier. Mais s'ef
tant une fois apperceu que ſon
Secretaire Abdala Ben - ſalon , con
tre lequel il s'eſtoit picqué à tort,
commençoit à découvrir & pu
blier telles impoftures, il l'égor
gea un foir dans la maiſon , & fit
mettre le feu aux quatre coins ,
avec intention de perſuader le
lendemain au peuple que cela
eſtoit
four les coups d'Eſtat. 145
$ eſtoit arrivé par le feu du Ciel,
& pour chaſtier ledit Secretaire
i quis'eſtoit efforcé de changer &
1 corrompre quelques paſſages de
I l'Alcoran . Ce n'eſtoit pas toute:
fois à cette fineſſe que devoient
aboutir toutes les autres , il en fal.
1 loit encore une qui achevaſt le
T myſtere, & ce fut qu'il perfuada au
plus fidelle de ſes domeſtiques, de
deſcendre au fond d'un puits qui
eſtoit proche d'un grand chemin ,
afin de crier lors qu'il paſſeroit en
compagnie d'une grande multi
1 tude de peuple qui le ſuivoit or
dinairement, Mahomet eſt le bien -ay.
méde Dieu , Mahomet eſt le bien- aymé
de Dieu : & cela eſtant arrivé de
E, la façon qu'il avoit propoſé , il
remercia ſoudain la divine bonté
d'un témoignage ſi remarquable ,
t & pria tout le peuple qui le ſui
voit de combler à l'heure même
e ce puits , & de baſtir au deſſus une
3 petite Moſquée pour marque d'un
G tel
146 Conſiderationspolitiques
tel miracle. Et par cette inven
tion ce pauvre domeſtique, fut in
continent aſſommé, & enſevely
ſous une greſle de cailloux , qui
luy ofterent bien le moyen de ja
mais découvrir la fauſſeté de ce
miracle ,
* Excepit ſed terrafonum , calami
que loquaces. (Petron. in Epi
gram .)
La ſeconde occafion que l'on peut
avoir de pratiquer ces coups four
rez , eſt la conſervation , ou ré
tabliſſement , & reſtauration des
Eſtats & Principautez , lors que
par quelque malheur ou par la
ſeule longueur du temps, qui mi
ne & conſomme toutes choſes , ils
commencent à pancher vers leur
ruine, & à menacer d'une prochai
ne cheute , ſi bien -toft l'on n'y
donne ordre. Et certes d'autant
plus que toutes les choſes ayment
leur
* Mais
receurent laterre
le fon .
& les plames babillardes en
fur les coups d'Eſtat. 141
1 lcur conſervation , & font obligées
de maintenir autant qu'il eſt pof
ſible les principes de leur eſtre,
ou au moins deleur bien eſtre ; je
me perſuade auſſi qu'il eſt alors
permis, voire même neceſſaireque
ce qui a ſervy à les établir , fer
ve auſſi à les maintenir. J'ajouſte
encore que ſi l'opinion d'Ovide
eft veritable ,
. * Non minor eft virtus quàm quarere
parta tueri :
Caſus ineſt illic, hic erit artis opus,
on doit raiſonnablement conclu
U re, que ces Coups d'Eſtat ſontplus
neceſſaires pour la conſervation
& manutention des Monarchies,
que pour leur établiſſement; au
moins feront-ils plusjuſtes, puis
que auparavant qu'un Eſtat "foit
formé & dreſſé , il n'y a nullene .

. ceſſité de l'établir ; tant s'en faut,


G 2 c'eſt
* Il n'y a pas moins de vertu à conſerver
qu'à aquerir du bien : en celui-cy il y ade la
- fortune , mais celui- là est une cuvre de l'ins
duſtrie.
148 Confiderations politiques
c'eſt le plus ſouvent un coup de
hazard , ou l'effet de la puiſſance
& ambition de quelque particu
lier; mais au contraire quand il
eſt étably & policé, l'on eſt en ſui
te obligé de le maintenir. Or puis
qu'il ne ſeroit pas à propos de
reſſembler à cesvagabonds & Cin
gariſtes,
* Quos aliena juvant , propriis habi
tare moleftum .
aprés avoir tiré tantde preuves
& d'exemples des Hiſtoires étran
geres, ilne ſera pas comme je croy
hors de propos de feuilleter un
peu la noſtre , puis qu'elle peut
nous en fournir d'auſſi remarqua
bles que celles des Grecs & des
Romains . Et à la verité quand je
conſidere ce que fit Clovis noſtre
premier Roy Chreſtien , il faut
avouer que je n'ay encore rien
veu de ſemblable en toute l'anti
quité.
*
Qui ſe plaiſantches
demeurer autruy ,ne ſçauroient
dans leur propre maiſon .
ſur les Coups d'Eſtat. 149
quité. Car la Gaule ſe trouvant
diviſée lors qu'il vint à la Couron
ne en quatre diverſes nations ,
3 dont le Viſigoth poſſedoit la
Gaſcogne, le Bourguignon eſtoit
3 Maiſtre du Lionnois , les Romains
commandoient à Soiſſons & à tou
tes ſes appartenances, & les Fran
çois qui pour lors eſtoient encore
preſque tousPayens,gouvernoient
le demeurant: Il luy prit envie de
reünir & raſſembler ces quatre
pieces ſeparées fous fon Empire,
comme Eſculape fit les mem
u bres d'Hippolyte. Et pource fai
re , conſiderant que la Religion
? Payenne commençoit inſenſible
ment à vieillir ; & à ſe diminuer,
aprés avoir gagné la bataille de
Tolbiac fur un Prince Allemand ,
t il prit refolation de ſe faire Chref
1 tien , & de fe concilier par ce
moyen la bienveillance non feu
lement de la Reyne Clothilde fa
femme, mais encore de beaucoup
G 3 de
150 Confiderations politiques
de Prelats , & de tout le commun
peuple de la France. Surquoý je
dois remarquer comme en par
ſant, qu’encore qu'il me ſeroit
plus ſeant de rapporter les pre
miers motifs d'un changement fi
remarquable à quelque ſainte in
fpiration , octroyée au Roy Clo
vis par les prieres de la bonne
Reyne Clothilde , & que je ferois
mieux d'interpreter toutes ces
choſes douteuſes en bien ; il faut
neanmoins que je me range icy
du coſté des Politiques , qui ſeuls
ont le privilege delesinterpreter
en mal , ou au moins d'y remar
querquelque ruſe & ſtratageme,
afin de demeurer toujours du
cofté des plus fins, & d'aiguiſer
l'eſprit de ceux qu'ils inſtruiſent
par le récit de ces actions remar
quables & judicieuſes à la verité,
mais qui ne font fondées le plus
ſouvent que fur de vaines conje
Sures , & fur des ſoupçons qui ne
dona
ſur les coups d'Eſtat. 15 I
3 donnent & ne peuvent en aucune
façon prejudicier à la verité de
l'Hiſ
toire . Continuant doncques
à parler de cette converſion de
Clovis fuivant les ſentiments de
Paſquier, & de quelques autres
Politiques, nous dirons que l'Eſcu
deſcendu du Ciel , les miracles du
Sacre, & l'Auriflamb , dont Paul
$ Emile ne dit mot , furent de
s petits Coups d'Eſtat pour autori
fer le changement de Religion ,
duquel il ſe vouloit fervir com
$ me d'une puiſfante machinepour
1 ruiner tous les petits Princesqui
eſtoient ſes voiſins. Et en effet il
commença par le Romain ,. con
tée lequel la haine commune des
nations étrangeres combatoit,puis
par le Viſigoth & Bourguignon,
ſous ombre qu'ils eſtoient Ar
riens , & enſuite il entreprit les
Princes Ragnacaire, Cacarie , Si.
gebert & ſon fils, deſcendans de
Clodion , qui occupoient encore
G4 quel
152. Conſiderationspolitiques
quelques petits échantillons de la 1
France ; & il les fit tous fraudu
leuſement affalfiner , ſans autre
pretexte que pour eviter le refſen
timent qu'ils pourroient avoir un
jour du tort que leur avoit fait
Merové fon ayeul. Et aprés ce
la jelaiſſe à juger commej'ay dé
ja fait cy -deſſus, quelle raiſon a
pû avoir Monſieur Savaron de
faire un livre afin de prouver &
établir la fainteté de Clovis. Pour
moy je croy que la meilleure
preuve quil nous :en pouvoir
donner, eſtoit de luy faire dire
comme fit un certain Poëte à Sci
pion ,
* Sifas cædendo celeftia ſcandere cura
quam ,
Miſoli Cali maximaporta patet.
Neanmoins comme la ſageſſe des
hommes n'eſt que pure folie de
vant Dieu , il arriva que ſes fuc
cefleurs
* Si par des menftres on peat mouter au
ciel, la porte n'en eſt ouverte qu'à moy feul.
ſurles coups d'Eſt.le. 153
ceſſeurs ſe laiſſant conduire par
les Maires du Palais comme des
bufles par le nez , le Royaume
aprés avoir changé de diverſes
mains , aboutit finalement à Pe
pin rejetton de la famille de Clo
dion , comme il eſt fort bien ex
pliqué par Paſquier ; & ainſi Clo
vis augmenta à la verité , & unit
le Royaume de France , mais il
2 ne put toutefois le conſerver
1 long -temps à ſa maiſon , nyà ceux
qui en ſont deſcendus. La Frana
ce doncqucs ayant eſté reünie de
la forte par Clovis , & un peu
aprés baucoup augmentée par
Charlemagne , elle ſe conſerva
long -temps en un eſtat aſſez flos
riſſant , juſques à ce que les An
glois ſortant de.leur nid , ilsy apa
porterent la guerre , & la conti
nuerent ſi obſtinément , qu'en
eſtant preſque devenus maiſtres,
il fut neceſſaire fous Charles VII,
d'avoir recours à quelque Coup
GS d'Eſtat
154 Confiderations politiques
d'Eſtat pour les en chaſſer : ce
fut doncques à celuy de Jeanne la
Pucelle , lequel eſt avoué pour.
tel par Juſte Lipſe en ſes Poli
tiques, & par quelques autres
Hiſtoriens étrangers', mais parti
culierement par deux des noſtres,
fçavoir du Bellay Langey en ſon
art militaire , & par du Haillan
en fon Hiſtoire , pour ne citer icy
beaucoup d'autres Ecrivains de
moindre conſideration . Or ce .
Coup d'Eſtat ayant fi heureuſe
mentreülli quc chacun ſçait , & la
Pucelle n'ayant eſté brulée qu'en
effigie , nos affaires commence
rent un peu aprés à s'empirer ;
tant par les guerres precedentes ,
que par celles qui vinrent enſui
te ; & la France, devint comme
ces corpscachectiques& mal fains :
quinereſpirent que par induſtrie,
& ne fe fouſtiennent que par la
vertu des remedes.: car elle ne
seft depuis ce temps là mainte
nuë.
ſur les coupsd'Eſtat. I'S'S
nuë que par le moyen des ſtrata
gemes pratiquez par Louis XI ,
François 1 , Charles IX , & par
ceux encore qui leur ont ſucce
dé , deſquels je ne diray rien pre
fentement , puis que toutes nos
Hiſtoires en ſont pleines , & qu'il
y aura lieu cy -aprés de rapporter
ceux qui me ſembleront les plus
remarquables.
La troiſiénie raiſon qui peut
legitimer ces Coups d'Eſtat , eſt
lors qu'ils'agit d'affoiblir ou caſſer
certains droits, privileges,franchi
fes & exemptions dont joüiſſent
quelques ſujets au prejudice & di
minution de l'autorité du Prince;
comme lors que Charles V , voule
lant ruiner le droit de l'élection , &
aſſeurer l’Empire à ſa famille , ſe
fervit pour cet effet des predica
tions de Luthcr , & luy donna
tout loiſir d'établir fa doctrine ,
afin que la predication prenant
pied en Allemagne , la diviſion ſe
G 6 glir
156 Confiderations politiques
gliſlaſt parmy les Princes. Ele
Eteurs, & qu'il euſt le moyen de
les ruiner plus facilement, lors
qu'il les voudroit entreprendre.
C'eſt ce que Monſieur le Duc de
Nevers a ſi bien remarqué dans le
Diſcours qu'il fit imprimer en
l'an 1590 , ſur la condition des
affaires de l'Eſtat , dedié au Pape
Sixte cinquiéme , que je ne puis
moins faire que de rapporter icy
les propres termes dont il s'eit
fervy. Le pretexte de la Religion , >

dit-il , n'eft pasune choſenouvelle,


beaucoup de grands Princes s'en ſont
ſervis pour cuider parvenir à leur but,
le veux cotter la guerre que Charles V
fit contre les Princes Proteſtans de lit
fecte de Luther , car ilnel’euſt jamais
entrepris , s'il n'eut en intention de
rendie bereditaire à la Maiſon d'Auf
triche la Couronne Imperiale ; partant
il s'attaqua aux Princes Electeurs de
l'Empire pour les ruiner & abolir cetie
élection , Cor fi le zele de l'honneur de
Dirit
ſur les coups d'Efiat. 157
Dieu , & le deſir deſouſtenir la ſainte
Religion Catholique enft dominé ſon
eſprit,iln'euſt retardédepuis l'an 1519)
qu'il fut éleu Empereur , juſques en
l'année 1542 , à prendre les armes
pour éteindre, comme il luy euft efté
lors fort aiſé à faire a l'hereſie que Lu
ther commença d'allumer dés l'an 1526
en Allemagne , ſans attendre qu'elle euſt
embraſé la plus grande region de l'Eu
rope ; maisparce qu'il cftimoit que telle
nouveauté luy pourroit apporter com
modité'plusque donmage; tant à l'en
droit du Pape que des Princes de Ger
manie , à cauſe de la diviſion que cette
hereſie engendroit parmyeux, ſpeciale
ment entre les Princes feculiers & les
· autres, voire auſſi parmy les ſimples
laics , il la laiſé augmenter juſques A
ce qu'elle euft produit l'effet qu'il avoit
projetté; & lors il ſuſcita le Pape Paul
troiſiéme pour faire la grierre anx Pro
teftans ſous pretexte de Religion , mais
en intention de les exterminer & rendre
l'Empire hereditaire à la Maiſon. Cela
G7 fut
IS & Confiderations politiques
fut auſſi remarqué par François
premier en fon Apologie de l'an
1537• L’Empereur ſous couleur de la
Religion armé de la ligue des Catholi
ques, veut opprimer l'autre , & ſefaire
le chemin à la Monarchie : C'eſtoit
à la verité une grande rufe con
ceuë de longue-main , avec beau
coup dejugement& de prudence.
Mais Philippe ſecond en pratiqua
une autre , de laquelle l'effet fut
bien plus prompt & aſſeuré, quoy
qu'en choſe de moindre confe
quence , puis qu'elle n'avoit au
tre but que d'abolir les privileges
octroyez autrefois au Royaume
d'Arragon , qui eſtoient en effet
ſi avantage , & fi courageuſe
ux
ment maintenus par ce peuple ,
que les Roys d'Eſpagne neſe pou
voient pas vanter de leur com
mander abſolument:voyant donc
ques qu'il ſe preſentoit une belle
occaſion de les ruiner , ſur ce
que Antonio Perez fon Secretaire
d'Eſtat
für lès Coups d'Eſtat. 159
d'Eſtat & leur compatriote ,aprés
avoirrompu les priſons de Caſtille
s'eſtoit retiré en Arragon , pour
afſeurer ſa vie fous la faveur des
Privileges octroyez à ce Royau
H me : il jugea que c'eſtoit un beau
pretexte pour ſe tirer une telle
épine du pied : c'eſt pourquoy
ayant ſous main pratiqué les Je
ja
ſuites afin qu'ils excitaſſentle peu .
ut ple à prendre les armes , & à de
fendre les privileges & libertez du
païs, luy de ſon coſté met enſem
ble une groſſe armée , & fait mine
de vouloir combattre celle des
Arragonoiš; ſur ces entrefaites les
Jeſuites commencent à jouer leur
jeu , & à chanter la palinodie , re
monſtrant au peuple que verita
blement le Roy avoit la raiſon de
fon coſté , que ſes forces cſtoient
trop puiſſantes, les leurs trop foi
bles pour attendre le hazard de
quelque rencontre , aprés laquel
le il n'y auroit point de pardon ;.
bref
160 Confiderations politiques
bref ils font fi bien que la peur &
l'étonnement ſe gliſſent dans le
ceur des Arragonois , leur armée
fe diſlipe, chacun s'étonne , s'en 1

fuit , ſe cache, & cependant l'ar


mée du Roy d'Eſpagne paſſe ou
tre, entre dedans Sarragoffe, y
baſtit une Citadelle , demolit les
maifons principales , fait mourir
les uns , bannit lesautres ; & n'ou .
blie rien pour ruiner & dompter
entierement cette Province , la
quelle eſt maintenant plusſujette
& ſoumiſe au Roy d'Eſpagne
qu'aucune autre.
Au contraire lors qu'il faut éta
blir quelque loy notable , quel
que reglement ou arreſt de con
ſequence, il eſt bon de re fervir des
mêmes moyens, & d'avoir recours
à ces maximes; & qu'ainfi ne ſoit
nous en avons tant d'exemples
pratiquez par les Romains, &
autres peuples eſtimez des plus fa
ges , qu'il n'eſt pasmême bien
feant
ſur les coups d'Eſtat. 161
& feant d'en douter : Y a -t-il rien de
} plus cruël que de decimer toute
une legion ,pourla fuiteou laſche ,
D. té de quelques ſoldats particu .
liers ? & neanmoins cette loy fut
établie & ſoigneuſement obſervée
5 par les Romains, afin de tenir tous
es les ſoldats en leur devoir par la
FT terreur de ces fupplices. Et les
mêmes Romains , voulant em
er percher les attentats que leseſcla.
‫ܙ‬ ves domeſtiques pouvoient faire
1 ſur la vie de leurs Maiſtres , ils
ordonnerent , que lors qu'un tel
delit auroit eſté commis en quel,
que maiſon , tous les eſclaves qui
s'y rencontreroient feroient égor
gezaux funerailles de leurMaiſtre;
& cette loy fut fi religieuſement
obſervée , que Pedanius Prefect de
la ville ayant eſté tué par un de
fes eſclaves , il y en cut 400 de
compte fait qui furent executez ,
nonobftant les intercellions que
fit pour eux tout le peuple de Ro
me ,
162 Confiderations politiques
me , & nonobftant même l'avis
de quelques Senateurs, auſquels
Caſſius s'oppoſa ouvertement , &
avec tant de raiſons, que l'opinion
contraire, quoy que jugée totale
ment inhumaine, fütfuivie , com
me il eſt rapporté par Tacite. (l. 4.
Annal.) Auſſi eſt- ce le précepte
de Ciceron , ( 1. officior.) que
* ita probanda eſt manfuetudoatque cle
mentia , ut Reipublicæ caufa adhibea
tur ſeveritas, fine qua adminiſtrari ci
vitas non poteft. Les Perſesavoient
ånciennement étably cette loy
pour aſſeurer la vie de leur Prin
ce , que quiconque entreprenoit
fur elle , n'eſtoit pas ſeulement
puny en la perſonne, mais en cel
le de tous ſes parens , que l'on
faiſoit mourir du mêmeſupplice ,
comme on le remarque particu
lierement de Bellus ; & Fernand
Les Pinto
Il faut ufer de douceur & de clemencé
en la temperant de quelque feverité pour le
bien public , fanslaquelle on ne ſçauroit gou
'erner une ville ,
ſur les coups d'Eſtat. 163
Pinto dit avoir eſté en un Royau
me, où il vit pratiquer la même
couſtume, ſur plus de cinquan.
te ou foixante perſonnes , qui
eſtoient toutes parentes d'un jeu
ne Page , lequel en l'âge de dix
ou douze ans avoit bien eu la har
dieſſe de tuër Con Roy. Le grand
Tamerlan ayant fceu qu’un fol.
dat de fon armée avoit beu une
chopine de laict ſans l'avoir vou .
łu payer , il le fit éventrer en pre
fence de tous ſes compagnons ,
afin de les tenir par cet exemple
ſi extraordinaire , dans l'obeïf
fance de fes commandemens. Les
crimes de fauſſe.monoye &d'he
reſie n'eſtoient pas plus griefs il
ya cent ans qu'à cette heure , &
neanmoins en ce temps- là , les
Faux Monoyeurs eſtoient bouil .
lis tout vifs dans de l'huile , & les
Heretiques brulez , le tout non
à autre fin , que pour imprimcr-la
terreur de ces ſupplices , és eſprits
de
164 Conſiderationspolitiques
de ceux que la ſimple defenſe du
Prince n'eſtoit pas ſuffiſanté de re
tenir en leur devoir , ' & fic mul
toram falutipotius quàm libidini confit
lendum . ( Saluſt. ad Cæfar:)
Une autre occaſion de demeu
rer roide en l'execution de ces
maximes , eſt lors qu'il eſt necef
faire de ruiner quelque puiſſance,
laquelle pour eſtre trop grande ,
nombreuſe , ou étenduë en di
vers lieux , on ne peut pas facile
ment abatre par les voyes ordi
nairess
3 Cùm ill.1971
22 Defendat numerus , jun &taque um
w bone phalanges.
Et quoy qu'il fut grandement à
deſirer que l'on puſten venir tou 1
jours auſfi facilementà bout, que
les Roys d'Eſpagne ont fait des
Moriſques & Marans, qu'ils chaf
ſerent
1 Et ainſ, il fautpluſtoſt pourvoir au fálut de
pluſieurs, qu'à leur appetit particulier. 2 Parce
qu'elle eſt defenduëpar des troupes nombreu
fes & par des regimens armés.;
ſur les coups d'Eſtar. 165
Ed ferent par deux fois de leurs
Royaumes , juſques au nombre
de plus de deux cens quarante
mille familles , & ce en vertu d'un
ſimple Edict & Commandement:
Neanmoins parce que toutes les
18 affaires ne ſont pas ſemblables en
leurs circonſtances, ny les mala
dies accompagnées de mêmes ſym
2 ptomes ou accidens ; aufli faut-il
bien ſouvent changer de reme
des , & en pratiquer quelquefois
de plus violens les uns que les au
tres ,
* Vlcera poſſesſis altė ſuffufa medul
lis ,
Non leviore manu ,ferro curantur de
igne ;
Ad vivum penetrant flamm & , quo
funditushumor
De
On guerit par le fer & le feu , & nonpar
quelque remede doux , les ulceres qui ſe ſont
attachés au plus profond desmouëlles;les filam
mes penetrant juſques au vif, font çocierement
evacuer l'humeur peccante , & tarir enſuite la
cauſe du inal, ayant tiré tout ce qu'il y avoit de
mauvais ſang dans les veines.
166 Confiderations politiques
Defluat,& vacuis corruptoſanguine
venis
Areſcas fonsille mali. (Claudian.3.
in Eutrop.)
La main baſſe que Mithridates fit
faire en un ſeul jour ſur quarante
mille Citoyens Romains épandus
en divers endroits de l'Aſie , eſtoit
un des Coups d'Eſtat dont je pre
tens parler. Comme auſſi les Vefa
pres Sicilienes, autoriſées par Pier
re Roy d'Arragon , & fubtilement
tramées par Prochyte grand Sei
gneur du païs, lequel déguiſé en
Cordelier noüa fi bien la partie ,
qu'un jour de Paſques ou de
Pentecoſte de l'an M CC LXXXII ,
lors qu'on ſonnoit le premier
coup des veſpres, les Siciliens
maſſacrerent tous les François
qui eſtoient dans leur Iſle , ſans
même pardonner aux femmes
ny aux petits enfans. Pareille hi
ſtoire ſe paſſa encore il n'y a
pas vingt ans dans l'Iſle de Ma
gna,
.
ſur les coups d'Eſtat. 167
gna , où les habitans de la ville de
Corme , ſe delivrerent par un fem
blable moyen , & en une ſeule
nuit d'une armée de trente mille
hommes , qui y avoit eſté en
voyée par Arcomat Lieutenant
du Roy de Perſe. Mais puis que
nous avons dans noftre Hiſtoire
de France l'exemple de la Saint
Barthelemy, qui eſt un des plus
ſignalez que l'on puiſſe trouver
en aucune autre , il nous y faut
particulierement arreſter , pour la
conſiderer ſuivant toutes ſes prin
cipales circonſtances. Elle fut
doncques entrepriſe par la Reyne
Catherine de Medicis , offenſée
de la mort du Capitaine Charry ;
par Monſieur deGuiſe , qui vous
loit venger l'affaſſinat de ſon Pe
re , commis par Poltrot à la folli
citation de l'Amiral & des Pro
teſtans ; & par le Roy Charles &
le Duc d'Anjou ; le premier ſe
voulant vanger de la retraite que
leſdits
168 Conſiderations politiques
leſdits Proteſtans luy firent faire
plus viſte qu'il ne vouloit de
Meaux à Paris , & tous deux pen
fant de pouvoir par ce moyen rui
ner les Huguenots , qui avoient
eſté cauſe de tous les troubles &
maſſacres ſurvenus pendant l'eſpa
ce de trente ou quarante ans en
ce Royaume. L'affaire fut con
certée fort long-temps , & avec
une telle reſolution de la tenir ſe
crete , que Lignerolles Gentil
homme du Duc d'Anjou , ayant
témoigné au Roy , encore bien
que couvertement, d'en ſçavoir
quelque choſe , il fut incontinent.
aprés dépeſché, par un duel que
le Roy mêmeſous main luy ſuſci
ta . Le lieu choiſi pour y attirer
tous les plus riches & autoriſez
d'entre les Huguenots fut Paris.
L'occafion fut priſe ſur la réjouiſ
fance des noces entre le Roy de
Navarre, qui eſtoit de la Reli
gion , & la Reyne Marguerite.
La
ſur les coups d'Eſtat. 169
Lire La bleſſure de l'Amiral . cauſée
de par le Duc de Guiſe ſon ancien
ennemy , fut le commencement
ui de la tragedie : les moyens de
ent l'executer en faiſant venir douze
& cens Arquebuſiers, & les com
pagnies des Suiſſes à Paris furent
mêmement approuvez par l'A
miral , ſur la croyance qu'il eut
nt quec'eſtoit pour le defendre con
tre la Maiſon de Lorraine : bref
2 tout fut ſi bien diſpoſé , que l'on
ne manque en choſe quelconque
1 Gnon en l'execution , à laquelle
1 fi on euſt procedé rigoureuſe
ment il faut avouer que c'euſt
eſté le plus hardy Coup d'Eſtat,
& le plus ſubtilement conduit ,
que l'on ait jamais pratiqué en
France ou en autre lieu. Certes
pour moy , encore que la Saint
Barthelemy ſoit à cette heure éga
lement condamnée par les Pro
teſtans & par les. Catholiques,
& que Monſieur de I hou nous
H ait
170 Confiderationspolitiques
ait rapporté l'opinion que ſon pe
re & luy en avoient pár ces vers de
Stace ,
* Occidat illa dies &vo , neu poſtera
credant
Sacula ; noscortetaceamus, & obruta
>
multa
Nocte, tegiproprie patiamur crimin :
gentis.
Je ne craindray point toutefois de
dire que ce fut une action tres
jufte, & tres-remarquable, & dont
la cauſe eſtoit plus que legitime,
.

quoy que les effets en ayent eſté


bien dangereux & extraordinai
res. C'eſt une grande lafcheté ce
me femble à tant d'Hiſtoriens
François d'avoir abandonné la
caufe du Roy Charles IX , & de
n'avoir monſtré le juſteſujet qu'il
avoit eu de ſe défaire de l'Ami
ral
* Qu'il ne ſe parle jamais plus de ce jour,
& que les fiecles avenir ne croyent point
qu'il ait eſté ; & pour nous gardons le lilen
ce & couvrons les crimes de noſtre propre na
stion , les coſeveliſlänt dansdes profondes tepe
bres,
ſur les coups d'Eſtat, 1.71
et
ral & de ſes complices : on luy
1
avoit fait ſon procés quelques an
nées auparavant , & ce fameux
arreſt eſtoit intervenu en ſuite ,
qui fut traduit en huit langues ,
& intimé ou ſignifié, ſi l'on peut
ainſi dire , à toutes ſes troupes ;
on avoit donné un ſecond arreſt
en explication du premier, & tous
les Proteſtans avoient eſté fi fou
vent declarez criminels de leze
Majeſté, qu'il y avoit un grand
ſujet de louer cette action , com
me le ſeul remedeaux guerres qui
ont eſté depuis ce temps-là , & qui
ſuivront peut-eſtrejuſques à la fin
1 de noſtre Monarchie ,ſil'on n'euſt
point manqué à l'axiome de Car
}
dan , qui dit : * Nunquam tentabis,
14t non perficias. ( in Proxen . ) Il
falloit imiter les Chirurgiens ex
perts , qui pendant que la veineeft
ouverte , tirent du ſang juſques
H 2 aux

* Il ne faut jamais rien entreprendre lion


ae le veut achever.
172 Conſiderationspolitiques
aux defaillances , pour nettoyer les
corps cacochymes de leurs mau
vaiſes humeurs. Ce n'eſt rien de
bien partir ſi l'on ne fournit la car
riere : le prix eſt au bout de la lice,
& la fin regle toujours le com
mencement . On ne pourra tou
tefois objecter qu'il y a trois cir
conſtances à cette adion qui la
rendent extremement odieuſe à la
pofterité. La premiere que le
procedé n'en a pas eſte legitime,
la ſeconde que l'effuſion de ſang
y a eſtétrop grande, & la dernie
re que beaucoup d'innocens ont
eſté envelopez avec les coupables.
Mais pour y ſatisfaire je répon
dray à ce qui eſt de la premiere ,
qu'il faut entendre là-deſſus nos
Theologiens lors qu'ils traittent
* de fide Hæreticis Servanda, & ce
pendant je diray de mon chef,
que les Huguenots nous l'ayant
rompuë
* De la foy qu'on doit tenir aux hereti.
ques .
ſur les coups d'Eſtat. 173
rompuë pluſieurs fois, & s'eſtant
efforcez de ſurprendre le Roy
Tau
d
Charles , à Meaux & ailleurs , on
pouvoit bien leur rendre la pa
reille ; & puis ne liſons nous pas
ac dans Platon ( 5. de Rep.) que ceux .
qui commandent, c'eſt à dire les
* Souverains, peuvent quelquefois
fourber & mentirquandil en doit
arriver un bien notable à leurs
ſujets ? Or pouvoit-il arriver un
plus grand bien à la France, que
s celuy dela ruine totale des Prote . 1

$ ftans ? Certes ils nousla baillerent


fi belle par leur peu dejugement,
que c'euſt preſque eſté une pareil
le faute à nous de les manquer ,
comme à l'Amiral de s'eſtre ve
nu enfermer avec toute la fleur
0
de ſon party , dans la plus gran
* de ville & la plus ennemie qu'il
puſt avoir , fans fe défier de la
Reyne mere, à laquelle il avoit tué
Charry , de ceux de Lorraine def
# quels il avoit fait aſſaſſiner le Pere,
H 3 &
174 Confiderationspolitiques
& du Roy qu'il avoit fait gallo
per depuis Meaux juſques à Pa
ris. Ne ſçavoit-il pas que fa Reli
gion eftant haïe aux perſonnes
mêmement les plus douces & trai
tables , elle ne pouvoit eſtre qu'a
bominée & deteſtée en la fienne,
& en celle de tant de coupejarets
deſquels il eſtoit ordinairement
accompagné ? D'ailleurs le bruit
qu'on fit courir en même temps
qu'ils avoient entrepris de nous
traitter comme on les traitta in
continent aprés leur deſſein dé
couvert , ne pouvoit-il pas eſtre
veritable ? beaucoup le tiennent
pour tres-afſeuré, & pour moy
j'eſtime qu'excepté les Politiques,
chacun le peut tenir pour con
ſtant. Quant à ce qui eſt de Peffu
fion de fang qu'on dit y avoir
eſté prodigieuſe, elle n'égatoit pas
celle des journéesde Coutras , de
Saint Denys ,de Moncontour , ny
tant d'autres tueries , deſquelles ils
avoient
ſur les coups d'Eſtul. 175
avoient eſté caufe. Et quiconque
lira dans les Hiſtoires , que les ha
bitans de Ceſarée tuërent quatre
vingts mille Juifs en un jour ;
qu'il en mourut un million deux
cens quarante mille en ſept ans
dans la Judée;que Ceſar ſe van
te dans Pline d'avoir fait mourir
i un million cent nonante & deux
1 mille hommes en ſes guerres é
S trangeres ; & Pompée encore da
vantage ; que Quintus Fabius en
voya des Colonies en l'autre mon
de , de 100000 Gaulois ,' Caius
Marius de 200000 Cimbres ,
7 Charles Martel de 3000co Theu.
tons ; que 2000 Chevaliers Ro
mains , & 300 Scnateurs , furent
immolez àla paſſion du Trium
virat , quatre legions entieres à
celle de Sylla , 40000 Romains à
3 celle de Mithridate ; quc Sem
pronius Gracchus ruina 300 vil
les en Eſpagne, & les Eſpagnols
toutes celles du Nouveau monde,
H 4 avec
176. Conſiderations politiques
avec plus de 7 ou 8 millions d'ha
bitans: Qui conſiderera,dis-je,tou
tes ces ſanglantes tragedies , une
bonne partie deſquelles ſe trouve
enregiſtrée dans le traitté de la
Conſtance de Juſte Lipfe, il aura
aſſez dequoy s'étonner parmy
tant de barbaries, & de croire auſſi.
que celle de la Saint Barthelemy
n'a pas eſtédes plus grandes ,quoy
qu'elle fuft une desplus juſtes &
neceffaires. Pour la troiſiéme dif .
ficulté elle ſemble affez conſide
rable, veu que beaucoup de Ca
tholiques furent enveloppez dans.
la même tempefte, & fervirent de 1

curée à la vengance de leurs en


nemis ; mais il ne faut que la ma
xime de Craffus dans Tacite ( An
nal. 14.) pour luy fournir en deux
mots de réponſe, * habet aliquid ex
iniquo amne magnum exemplum , quod
cons

Tout grand exemple a quelque choſe


d'injuſte, qui eſt recompenſé envers les par
ticuliers.par l'utilité publique qu'il procure.
ſur les coups d'Eſfat. 177
contra fingulos uiilitate publica repen
OU
dit. D'où vient doncques que cet
te action , puis qu'elle eſtoit ſi le
gitime & raiſonnable , a nean
li
moins eſté & eſt encore tellement
blâmée & décriée ; pour moy ,
j'en attribue la premiere cauſe à
ce qu'elle n'a eſté faite qu'à de.
my , car les Huguenots qui font
reſtez , auroient mauvaiſe grace
de l'approuver, & bcaucoup de
Catholiques qui voient bien
qu'elle n'a de rien ſervy , ne ſe
peuvent empeſcher de dire , qu'on
fe pouvoit bien paſſer de l'entre
prendre , puis que l'on ne la vou
loit pas achever; où au contrai-.
re ſi l'on euſt fait main baſſe ſur
tous les Heretiques , il n'en reſte
roit maintenant aucun au moins
en France pour la blâmer , & les
Catholiques pareillement n'au
roient pas ſujet dele faire, voyant
le grand repos & le grand bien
qu'elle leur auroit apporté. La hi
H5.. fecon
:8 Confiderations politiques
feconde raiſon eft , que ſuivant le
dire du Poëte ,
* Segnius irritant animos demiffa per
aures ,
Quanı qileſunt oculis ſubjecta fide
libis .
Aulli voyons nous qu'on ne parle
pas en ſi mauvais termes de cette
execution en Italie & aux autres
Royaumes étrangers , comme l'on
fait en France , où elle a eſté
faite , au inilieu de Paris , & en
preſence d'un million de perſon
nes ; & qu'ainſi ne ſoit les Polo
nois, qui en receurent l'hiſtoire &
le narré particulier , de la partmê
me des plus feditieux & depitez
Miniſtres , pendant que l'Evêque
de Valence briguoit leurs ſuffra
ges pour l'élection de Henry III,
ne firene pas grande difficulté de
les luy accorder , parce qu'ils ſça
voient

Ce qu'on dir doucement à l'oreille irrite


bien plus lentement les elpriis , que ce qu'on
voit d'un oil fidelle .
ſur les coups d'Effat. 170
© voient bien , qu'il ne faut pas ju
ger du naturel d'un Prince , ſur
le ſeul pied de quelque action
extraordinaire & violente , à la
quelle il aura efté forcé par de
tres-juſtes & puiſſantes raiſons
d'Eſtat. J'ajouſte que cette action
n'eſt pas encore beaucoup éloi
gnée de noſtre memoire ; Que la
pluſpart de nos. Hiſtoires ont eſté
faites depuis ce temps-là par des
Huguenots , & enfin que nousen
avons la defcription ſi ample , &
fi particuliere dans les Memoires
de Charles IX , l'Hiſtoire de Be
że , lesMartyrologes,& beaucoup
d'autres livres compoſez à deſſein
par les Proteſtans , pour condam
her cette action , que rien n'y
eſtant oublié de tout ce qui la
peut rendre blâmable & odieuſe,
il nc fe peut pas faire auſſi , que
ceux qui entendent la depoſition
de ces témoins corrompus , ne
foient de leur opinion ; quoy que
H 6 tous .
280 Confiderationspolitiques
tous ceux qui la dépoüillent de
ces petites circonſtances , & qui en
veulent juger ſans paſſion , ſoient
d'unſentiment contraire. Au reſte
perſonne ne peut nier , qu'il ne
foit mort tant de factieux , & de
perſonnes de commandement à la
journée de la Saint Barthelemy ,
que depuis ce temps-là les Hu
guenots n'ont pû faire des armées.
d'eux -mêmes ; & que ce coup
n'ait rompu toutes les intelligen
ces , toutes les cabales & menées
qu'ils avoient tant au dedans qu'au
dehors duRoyaume, & qu'enfin
ce n'ait eſté peu de choſe de tous
leurs plusgrands efforts, lors qu'ils.
n'ont point efté ſouſtenus par les
broüilleries & feditions des Cas
tholiques. Il eſt vray auſſi com
me quelques Politiques. ont re
marqué, que la mênie journée a
eſté caufe d'un mal , duquel on
ne ſe pouvoit jamais douter , car
toutes les villes qui firent la Saint
Bars
ſur les coups d'effat. 182
Barthelemy , & qui tuïrent les
Huguenots pour obeïr au Roy ,
& chercher les moyens demettre
le Royaume en paix , ont eſté les.
premieres à commencer la ligue ,
fur ce qu'elles craignoient , & non
fans raiſon ,quele Roy deNavarre,
qui eſtoit Huguenot , venant à la
Couronne , il n'en vouluft faire
quelque reſſentiment ; & par ce
moyen l'on peut dire que la Saint
Barthelemy, pour n'avoir pas eſté
executée comme il falloit , non
feulement n'appaiſa pas la guerre
au ſujet de laquelle elle avoit eſté
faite , mais en excita une autre en
core plus dangereufe:
De plus lors qu'il eſt queſtion
d'autoriſer un homme, & l'affaire
dont il ſe meſle , de mettre en crew
dit quelque Prince , de gagner
quelqu'un , ou de le porter & en
courager à quelque reſolution
importante ; je croy que pour
venir plus facilement àbout de
H7 CCS
1.82 Confiderations politiques
ces choſes on peut y meſler les
ſtratagemes & les ruſes d'Eſtat.
Ainſi voyons nous que tous les
Anciens Legiſlateurs voulant au
toriſer , affermir, & bien fonder
les loix qu'ils donnoient à leurs
peuples , ils n'ont point eu de
meilleur moyen de le faire ,
qu'en publiant & faiſant croire
avec toute l'induſtrie poſſible
qu'ils les avoient receües de quel
que Divinité, Zoroaſtre d'Oro
malis , Triſmegiſte de Mercure,
Zamolxis de Veſta , Charondas
de Saturne, Minos de Jupiter ,
Lycurgue d'Apollon , Draco &
Solon de Minerve , Numa de
la Nymphe Egerie , ' Mahomet
de l'Ange Gabriel ; & Moyfe's
qui a eſté le plus fage de tous,
nous décrit en l'Exode comme
il receut la ſienne immediatement
de Dieu . En conſideration de
quoy combien que le Regne des
Juifs ſoit entierement ruïné &
abo
ſurles coups d'Eftet. 183
aboly, * manſit tamen , dit Campa
nella ( in aphoriſm . Polit:) religio
1 Moſaica cumſuperſtitione in Hebræis como
Mahumetanis, & cum reformationepre
clariſſima in Chriftiunis. C'eſt com
me je croy:, ce qui a donnéſujet
à Cardan de conſeiller aux Prin
ces , qui pour eſtre peu avantagez
de naiſſance ou dépourveus d’ar
gent , de Partiſans , de forcesmi
litaires, & de ſoldats , ne peuvent
gouverner leurs Eſtats avec affez
de ſplendeur & d'autorité , de
s'appuyer de la Religion , comme
firent autrefois & fort heureuſe
ment David , Numa , & Veſpa
fien . Philippe II Roy d'Eſpagne
ayant efté un des plus fages Prin
ces de ſon temps , s'aviſa aumi
d'une fort belle ruſe pour auto
riſer de bonne heure ſon fils par :
my les peuples à qui il devoit un
jour
Toutefois la religion Moſaïque eſt reſtée
avec ſuperſtition parmy les Juifs & les Maho
metans , & avec une tres belle reformation
parmy les Chrestiens .
184 Conſiderations politiques
jour commander. Car il fit un
Edi & qui eſtoit grandement pre
judiciable à ſes ſujets, faifant cou
rir le bruit qu'il le vouloit pu
blier & verifier de jour à autre,
dequoy le peuple commence à
murmurer & à ſe plaindre ; luy
meanmoins perfifte en fa reſolu .
tion , laquelle eſt pareillement fui
vie des plaintes redoubléesde ſon 1

peuple : enfin le bruit en vient 1

aux oreilles de l'Infant , qui pro


met d'afliſter le peuple , & d'em
peſcher par tous moyens polli
bles que cet Edi&t ne ſoit publié,
menaçant à cet effet ceux qui vou
droient entreprendre de l'execu
& n'oubliant rien de ce qui
pouvoit découvrir l'affection qu'il
avoit à delivrer le peuple de cet
te oppreſſion : de maniere que le
Roy Philippe venantà rachever
fon jeu , & à ne plus parler de
l'Edict , chacurr s'imagina que
l'oppoſition dujeune Prince avoit
efté
fur les Coups d'Eſtat. 185
eſté la ſeule cauſe de le faire ſup
primer ; & par cette invention ſon
Pere luy fit gagner un empire dans
le cœur & dans l'affection des
Eſpagnols, qui eſtoit beaucoup
plus aſſeuré , que celuyqu'il avoit
ſur les Eſpagnes : * longe enim ya
lentior eft amor ad obtinendum quod.,
velis, quàm timor ,dit Pline le jeune.
( 8. epift.) Bref fi nous prenons
garde aux moyens que l'on prati
qua pour convertir Henry IV
à la Religion Catholique , & pour
l'y confirmer , nous trouverons
que ç'a eſté une action conduite
avec beaucoup d'eſprit & d'in
duſtrie. Car encoreque nous la
devions tenir pour tres -veritable
& aſſeurée, comme en effet tant de
témoignages qu'il en a rendus tout
le
temps de fa vie , ne permettent
pas à perſonne de pouvoir douter
qu'elle ne fuſt telle. Si toutefois
nous
Car l'amour eft infiniment pluspuiſſant
quela.crainte,pour nous faire obtenir quelque
clioſe
186 Conſiderations politiques
nous voulons nous donner cette
liberté de la confiderer en Politi
que , nous pouvons facilement у
remarquer trois choſes, ſçavoir les
motifs de fa converſion, qui ne fu
rent autres que l'obſtinée reſiſtan .
ce de Monſieur du Maine, lequel
pour cette occaſion eſt qualifié
dans les mémoires de Tavanes, ſeul
auteur aprés Dieu de los conderfion de
Henry IV , & la veritéeſt qu'il n'a
voit tenu qu'à luy de traiter tres
avantageuſement , lors que fa
Majeſté n'eſtoit encore conver
tie : Maisfoit gue Dieu euft for ,
tifiéfon zele , ou que les eſperan
ces mondaines l'euffent charmé,
il fe reduiſit comme dit l'Italien
al verde, & ne faiſant rien pour foy,
il fit beaucoup pour la France. On
met auſfi entre les motifs de cette
converſion le conſeil donné au
Roy par Monſieur de Sully , l'un
des principaux & des mieux ſenſez
Huguenots de ſon armée , que la
Conta
ſur les coups d'Eſtat. 187
Couronne de France vuloit bien la peine
d'entendre une Meffe. Pour ce qui eſt
des circonſtances de la conver
fion , il s'y en paſſa deux fort re
marquables; la premiere que le
Roy fut inſtruit & catechiſé non
par quelque Theologien bigot ou
ſuperſtitieux qui luy euſt peut
eftre rendu l'entrée de nos Egli
ſes ſemblable à ces portiques &
veſtibules, de quile Poëte a dit,
* Centauri in fóribusftabulunt,ſcyl
laque biformes.
Mais par René Benoiſt Docteur
en Theologie , '& Curé de la pa
roiſſe de S. Euſtache, lequel;fi l'on
en peutjuger ſuivant le commun
bruit, & ce qui ſe paſſa à l'article
de fa mort , n'eſtoit ny Catholi
que trop zelé,nyHuguenot obſti
né. D'où vient qué maniant
dextrement la conſcience du Roy ,
& de la même ſorte qu'il avoit
fait
#*
Il y a des Centaures aux Portes, & des Scyl.
les à deux formes.
188 Confiderationspolitiques
fait celle de ſes Paroiſſiens, pen
dant l'eſpace de 25 ou 30 ans, il
luy fit ſeulement comprendre
les principaux Myſteres, ne luy
exaggerant point beaucoup de pe
tites ceremonies & traditions , &
conduit plûtoft cette converſion
en homme aviſé & en Politique,
que non pas en ſcrupuleux & ſu ..
perſtitieux Theologien. La ſecon
de choſe notable fut l'Hiſtoire de
la poſledée Marthe Brollier , la
quelle à dire vray n'eſtoit qu'une
pure feinte, entrepriſe par quel
ques zelez Catholiques , & ap
puyéepar un bon Cardinal, afin
que le Diable duquel on feignoit
qu'elle fuſt poſſedée venant à eſtre
chaſſé par la vertu du S. Sacre-. ,
ment,leRoy euft occaſion de crois
re la preſence réelle en l'Eucha
riſtie, delaquelle prefence ou pour
mieux dire tranſſubſtantiation , on ,
ne tenoit pas qu'il fuftentierement
perſuadé . Mais luy qui ne fe laiſ.
ſoit
ſur les coups d'Eſtat. 189
foit pas facilement ſurprendre,
1 voulut qu'auparavant que d'en
" Venir aux exorciſmes , les Mede
cins & Chirurgiens fuſſent appel
lez pour en dire leur avis, lequel
ayant eſté conceu en ces termes
rapportez par Monſieur Mareſcot,
dans le petit livret qu'il a com
poſé ſur cette Hiſtoire : * Natú
raliamulta , ficta plurima , à damone
nulla. Cette pauvre poſſedée,aprés
avoir découvert l'ignorance & la
-beſtiſe de tous les bigots de Paris,
fut menacée du fouët, ſi elle n'en
fortoit bien -toſt. C'eſt pourquoy
certain Abbé la mena à Rome ,
d'où Monſieur le Cardinal d'Of
ſat la fit fi promptement chaſſer,
qu'elle n'euſt pasle loiſir d'y ſur
prendre perſonne. La derniere
choſe que l'on peut remarquer en
cette converſion , eſt ce qui ſe
paſſa en ſuite. Sur quoy le Politi
que
Beaucoup de choſes naturelles , quantité
de feintes, & aucune de la part du Demon .
190 Confiderations politiques
que qui doit faire ſon profit &
tirer inſtruction des moindres fyl
labes & remarques des Hiſto
riens, pourra faire reflexion ſur
ce que répondit un païſan au
même Roy Henry IV , que la
poche ſent toujours le hareng ,
comme il l'interrogcoit ſans ſe fai
re connoiſtre de ce que l'on di
ſoitparmy le peuple de la con
verſion : Et auli que le Mareſchal 1

de Biron eſtant fafché du refus


qu'on luy avoit fait du Gouver
nement de Bourg en Breſſe , dit
à quelqu'un de ſes amys, que s'il
avoit eſté Huguenot on ne luy
auroit pas refuſé ; c'eſt de Cayer
(Hift. ſept.) queje tiens ces deux
remarques , leſquelles neanmoins,
excepté le Politique , perſonne ne
doit eſtimer vrayſemblables, puis
qu'elles ſont démenties par beau
coup d'autres , qui leur font dire
ctement oppoſées.
Finalementla loy des contrai
res
ſur les coups d'Eſtat. 191
res qui ſe doivent traitter ſous
même genre nous oblige de ran
ger encore icy les occaſions qui
ſe peuv entpreſ enter , de borner
ou ruiner la trop grande puiſſan
1 ce de celuy qui en voudroit abu
ſer au prejudice de l'Eſtat , ou
qui par le grand nombre de ſes
partiſans, & la cabale de ſes cor
reſpondances, s'eſt rendu redou
table au Souverain ; voire même
$ s'il faut le dépécher ſecretement,
fans paffer par toutes les formali
tez d'une juſtice reglée , on le peut
faire,pourveu neanmoins qu'il ſoit
coupable , & qu'il ait merité une
mort publique , s'il euft eſté por
ſible de le chaſtier de telle forte.
La raiſon ſur laquelle Charron fait
rouler cette maxime , eſt que en
cela il n'y a rien que la forme vio
lée, & que le Prince eſtant maiſtre
des formalitez , il s'en peut auſſi
diſpenſer ſuivant qu'il le juge à
propos. Chez les Romains, lors
1
que
192 Conſiderationspolitiques
que quelqu'un s'efforçoit d'obte
nir un office fans le conſentement
du peuple , ou qu'il donnoit le
moindre foupçon d'aſpirer à la
Royauté, on lepuniſſoit de mort
"lege Valeria , c'eſt à dire le plu
toſt que l'on pouvoit , & ſansfor
mede juſtice , à laquelle on ſon
geoit ſeulement aprés l'execution.
Le fameux Juris Conſulte Ulpian
paffe encore plus outre quand il
dit, que * fi forte latro manifeftus, vel
feditio prerupta , factioque cruenta , vel
alia jufta cauſa moram non recipiant ,
non pæna feſtinatione, fed preveniendi
periculi cauſa punire permittit , deinde
fcribere : telles furent les executions
de Parmenion & Philotas par Ale
xandre ; de Plautian & deSeianus
chez les Romains , de Guillaume
Ma
Si par fortune un larron manifefte , ou
une ſedition dangereuſe , & une fa & ion fan
glante , ou quelquc autre juſte cauſe , ne de
mandent aucun retardeinent, il eſt permis de
punir , non pas pour hafter la punition , mais
pour
los prevenir du
formalités le danger
procés;. & puis écrire ou faire
ſur les coups d'Eſtat. 193
ce Mafon en Sicile , de Meffieurs de
201 Guiſe & du Marefchal d'Ancre
ſous le regne de deux de nos
le Roys , & du Colonel des Lanf
rt quenets dans Pavie , auquel An
tonio de Leve fit donner un bouil
lon alteré , parce qu'il y fomen
toit le trouble & la ſedition . Or
quoy que ces actions ne puiſſent
1 eſtre legitimées , que par une ne
ceflité extraordinaire & abfolüe,
& qu'il y ait de l'injuſtice & de
la barbarie à les pratiquer trop
ſouvent; les Eſpagnols neanmoins
ont trouvé moyen de les accom
moder à leurs conſciences , & de
ſurmonter beaucoup de difficul
tez en les prattiquant. Car ils don
nent des juges cachez & ſecrets à
# celuy qu'ils eſtiment criminel
d'Eſtat , ils inſtruiſent ſon procés,
le condamnent, & cherchent aprés
de faire mettre leur fentence en
execution par tous moyens pofli
bles. Antoine Rincon Eſpagnol
I &
194 Conſiderationspolitiques
& par conſequent ſujet de Char
les V ,nepouvantdemeurer en feu
reté à ſon païs ſe retirevers Fran
çois 1,& eſt envoyépar luy à Con
ftantinople, pour traitter d'une
alliance avec Soliman : l'Empe
reur qui prevoyoit bien le dom
mage que luy pouvoit apporter
cette Ambaſſade, fait tuer Rincon
& Ceſar Fregoſe ſon Collegue ,
comme ils defcendoient ſur le Po
pour aller à Veniſe , par l'entremi
ſe d'Alfonſe d'Avalos ſon Lieute
nant au Milanois ; dequoy tant
s'en faut que ledit Empereur s'eſti
maſt coupable , que même un de
nos Evêques a bien voulu plai
der pour fon innocence , \ Rinco
exul Hifpanus, & Franciſci apud Soly
mannum legatione functus , non inju
ria fortaſſe, Fregoſus præter jus cafus
videbatur. ( Belcar. lib. 22. ) An
dré
Il ſembloit que Rincon banni d'Eſpagne,
& Ambaſſadeur de François vers Soliman , n'a
voit pas cfté tué à tort , ni Fregole tout à fait
contre le droit.
ſur les coups d'Eſtat. 195
AndréDoria ayant quitté le par
eu ty du Roy deFrance, & pris ce
20 luy de l'Empereur , ſous la fa
11 veur duquel il tenoit la ville de
une Genes comme en eſclavage, Louys
DO Fieſchy Citoyen de la même vil
le , entreprend avec l'alliſtance de
I Henry II , & de Pierre Louys
n
Farneſe Duc de Parme & de Plai
22
ſance, de la mettre en liberté : il
tuë d'abord Jannetin Doria & ſe
noie par hazard , lors que l'en
trepriſe eſtoit à peine commen
cée : Que fait l'Empereur Char
les V ? ſur cet incident il fait re
foudre en fon Conſeil ſecret , que
Pierre Louys eſt criminel de leze
Majeſté , & envoye les ordres en
même temps à Doria de le faire
affaſſiner , & à Gonzague Gou
verneur de Milan de ſe faiſir de
la ville de Plaiſance ; ce qui fut
re ponctuellement executé ſuivant
VIA
le projet qu'il en avoit donné : &
quoy qu'ilait fait le poſſible pour
I 2 té
1-96 Conſiderations politiques
témoigner qu'il n'avoit eu aucu
cune part en cette execution , tous
Ics Hiſtoriens neanmoins écrivent
le contraire , & le diſtique rappor
té par Noël des Comptes nous ap
prend aſſez ceque l'on en croyoit
dés ce temps-là :
* Ceſaris injuffu cecidit FarneſiusHe
ros ,
Sed data ſuntjuffu præmiaficariis.
Quoy plus , le Cardinal George
de Hongrie ne fut-il pas ſenten
tié de la même façon , & execu
té encore avec plus d'inhumani
te par Ferdinand d'Auſtriche , ſur
la crainte qu'il eut que ledit Car
dinal ne recherchaft l'aſliſtance du
Turc , pour commander toujours
dans la Tranſilvanie ? Et n'avons
nous pas veu depuis quatre ans
ſeulement , que le Walſtein a eſté
aſſaſſiné dans Egra , par les ſecre
tes

* Le Heros Farneſe fut affaliné ſans que


l'Empereur l'eût commandé , mais les meus
gjers furent recompenſez par ſon ordre.
ſur les coups d'Eſtat. 197
tes menées du Comte d'Ogna
CO! te , qui eſtoit pour lors Ambaffa
deur du Roy d'Eſpagne auprés
de l'Empereur ? & quele Bourg
3 meſtre la Ruelle a efté traitté
de la même ſorte dans la ville de
Liege par le Comte de Warfu
zée, ſuivant les Ordres que le
Marquis d'Aytone Gouverneur
des armes du Païs-bas luy en a
5 voit donnez , avec des formalitez
ſi preciſes, que celles de le fai
11
re mourir bien confeffé & refigné
à la volonté de Dieu , n'y eſtoient
TI pas oubliées , pour valider davan
tage cette action , & la rendre
ſemblable à une fentence crimi
nelle legitimement rendue & exe
cutée Bref cette maniere de ju
ſtice eſt tellement en uſage dans
les Maiſons d'Auftriche & d'Eſpa
to · gne , que le pere même ne vou .
.
3 lut pas en exempter ſon propre
fils , lors qu'il jugea qu'il eſtoit
1906 moins expedient pour le bien de
I 3 fon
198 Confiderations politiques
fon Royaume de le laiſſer vivre ,
que de le faire mourir. 1 Catera
enim maleficia tunc perſequare cum fa
cta ſunt, hoc niſ provideris ne accidat,
ubi evenit , fruftra judicia explores ,
comme diſoit fort bien Caton en
diſcourant de la conjuration de
Catilina dans Salufte . Et pleuft à
Dieu que ce grand Empereur
Charles V, qui avoit tant fait d'au
tres Coups d'Eſtat , ne fuſt point
demeuré court en celuy qu'il fal
loit pratiquer ſur la perſonne de
Luther , lors qu'il comparut à la
Conference d'Ausbourg ! nous ne
ferions pas maintenant contraints
de dire avec le Poëte Lucian ,
2 Heu quantum terre potuit Pelagi
queparari ,
HOE

r Pourſuivez la purition des autres cri


mes quand on les a commis , mais pour ce
luy-cy , ſi vous ne le prevenez avant ſa naiſ
Cance, quand il eſt arrivé en vain recherchez
vous d'en faire juſtice. 2 Helas ! quelle
grande étendue de terre & de mer auroit-on
pû acquerir par ce ſang que les guerres civiles.
ont faicverfer
ſur les coups d'Eſtat. 199
Hoc quem civiles fuderunt ſanguine
dextra.
Et nous n'aurions pas éprouvé
combien ce vers de Lucrece eſtoit
veritable ,
=;
* Religio peperit fcelerata atque im
pia falta .
Car pour ne rien dire de l’Alle
5 magne, & des autres païs étran
gers , l'on a verifié ( Bodin do au
tres) que depuis les premiers tu
multes excitez par les Calviniſtes
juſques au regne de Henry IV ,
les pretendus Reformez nous ont
livré cinq batailles tres - cruelles &
fanglantes, & ont eſté cauſe de la
mort d'un million de perſonnes ,
des ſurpriſesde 300 villes , d'une
dépenſe de 150 millions pour le
ſeul payement de la gendarmerie,
& que neuf villes , 400 villages,
20000 egliſes, 2000 Monaſteres,
& 10000 Maiſons ont eſté tout à
14 • fait
* La religion a produit des actions méchan
tes & impies .
200 Conſiderations politiques
fait bruſlées ou razées. A quoy
ſi l'on joint ce qui s'eſt paſſé dans
les dernieres guerres contre le
Roy d'apreſent, je m'aſſeure que
l'on pourra baſtir un ſpectacle
d'horreur, capable d'émouvoir à
compaſſion les cœurs les plus in
humains , & de tirer encore cette
exclamation de la bouche des plus
retenus ,
* Tantum religiopotuitfuadere ma
lorum
ſuper afpe& u mortalibus in
Horribili
ftans !
Or dautant que perſonne n'a en
core fait de reflexion ſur cette
Hiſtoire de Luther , je diray en
paſſant que l'on fit trois grandes
fautes, àmon avis, lors qu'il com >
mença de publier ſes hereſies : la
premiere d'avoir permis qu'il paf
faſt de la corre &tion des moeurs à
celle de la do & rine, puiſque la
pius
La religion a - t -elle pů conſeiller tant de
maux , qui ſervent maintenant d'un trifte Spe
Stacle aux mortels !
ſur les coups d'Eſtat. 201

plus commune eſt toujours la


meilleure, qu'il eſt tres- dangereux
d'y rien changer & peu utile , que
ce n'eſt pas à un particulier de lo
faire , & enfin qu'un Royaume
Chreſtien bien policé ne doit ja
mais recevoir d'autres nouveau
2 tez en la religion , que celles que
$ les Papes ou Conciles ont ac
couſtumé d'y introduire de temps
en temps pour s'accommoder aur
beſoin que l'Egliſe enpeut avoir,
laquelle Egliſedoit eſtre la ſeule
regle de la ſainte Ecriture & de
noſtre foy , comme les Conciles
le ſont de l'Egliſe , & entre les
Conciles celuy -là qui a eſté cele
bré le dernier doiteſtre preferé à
tous les precedens. La ſeconde
fut, que Luther cſtant venu de
bonne foyà Ausbourg pour con
ferer & s'accorder, sil eſtoitpoſſi
ble , avec les Catholiques , leCar
dinal Cayetan devoit accepter les
offres qu'il fit de ne plus rien di
1:
Is 09
Toz Conſiderations politiques:
re , ny écrire en la matiere dont
il s'agiſſoit, pourveu querecipro
quement on impoſalt filence à
Icchius,Cochleus, Sylveſter Prie 1

rias , & autres ſes adverſaires : &


non pas le preſſer de ſe dédire en
public, & de chanter la palino
die de tout ce qu'il avoit dit &
preſché, avec tant d'ardeur & de
vehemence. Aprés quoy la troiſié .
me faute fut de n'avoir pas eu re
cours à un Coup d'Eſtat lors que
l'on vit qu'il prenoit le frain aux
dents , & qu'il regimboit à bon
efcicnt contre le zele indiſcret du
Legat. Car il luy falloit jetter
quelque os en bouche , ou luy
cadenaſſer la langue en mettant
deſſus un Aigle, puiſque les Bæufs
& les Syrenes, que l'on employoit
à même fin au temps paſſé, ne
font plus en uſage, c'eſt à dire
qu'il le falloit gagner par quelque
bon benefice ou penſion , comme
Pon a fait du depuis beaucoup
des
ſur les coups d'Eſtat. 203
des plus doctes & autoriſez Mi
niſtres. Ferrier avoit bien entre
pris il n'y a pas trente ans , d'al
ler ſolltenir dans la ville de Ro
me que le Pape eſtoit l’Anti
3 chriſt ; & toutefois la Reine Me
re n'eut pas grande peine à luy
faire quitter ſon party , pour ſe
ranger au noſtre : Et Monficur le
Cardinal de Richelieu fut- iljamais.
venu à bout de tant de glorieuſes
entrepriſes contreles Huguenots ,
s'il ne fe fuft ſervy bien à propos:
des finances du Roy , pour ga
gner tous leurs meilleurs Capitai
nes ? tant ce dire d'Horace eſt ve:
ritable :
* Aurum per medios ireſatellites
Et perrumpere amat ſaxa, potentius
1&tu fulmineo. (Ode 16.1. 3.)
Que fi l'on ne pouvoit venir à
bout de Luther par ce moyen -là,
il falloit en pratiquer un autre ,
16 &
L'or paſſe au travers des gardes & briſe
les rochers avec un plus violent effort que le
tonnerre.
204 Conſiderationspolitiques
& faire en ſorte de le mettre en
lieu de ſeureté , comme l'on a
fait depuis peu l'Abbé du Bois &
le Benedictin Barneſe ; ou paſſer
outre , & l'expedier ſourdement,
comme l'on dit que Catherine de
Medicis , fit un ſignalé Magicien ;
ou publiquement & par forme de
juſtice, comme les Peres du Con
cile de Conſtance avoient faitJean
Huz & Hierôme de Prague :
quoy qu'à dire vray les premiers
moyens eſtoient plus à propos,
puis qu'ils eſtoient les plus doux ,
faciles & couverts , & qu'ils pou
voient plus aſſeurément produire
l'effet que l'on en eſperoit; ce que
ne pouvoient pas faire les derniers,
qui cuſſent peut-eſtreaigry l'eſprit
du Duc de Saxe , & confirméda
vantageles Sectateurs de Luther en
leurs fauſſes opinions; ce que diſoit
un ancien des Chreſtiens, * Sanguis
Mar

* Le .ſang des Martyrs eſt la ſeinence des


Chreftiens
ſur les coups d'Eſtar. 205
Martyrum ſemen Chriſtianorum , fe
pouvant auſſi dire de tous ceux
& qui ont une fois commencé à
maintenir des opinions qu'ils ſe
perſuadent eſtre veritables. Er en
effet Henry II , penſant étouffer
par ce genre de ſupplice, non
l'hereſie , mais les occaſions que
pourroient avoir un jour les Prin
ces étrangers de le traverſer par
le moyen des Calviniſtes , com
me il avoit broüillé & traverſé
l'Empereur en afſtant les Luthe
riens d'Allemagne , il ſe trompa
de telle ſorte que le nombre des
Heretiques croiſſant tous les jours
Ć davantage, ils broüillerent enfin
la France fous Charles neuf de la
façon que chacun ſçait; & Henry
troiſiéme ne pouvant moins fai
re que de s'appuyer de leurs for
ces , cela échauffa tellement la me
lancolie & le zele indiſcret du Ja
cobin , qu'il n'apprehenda point
de perdre ſa vie pour luy oſter la
17 bien
206 Conſiderationspolítiques
fienne. Le docte Mathematicien
Regiomontanus ayant eſté appel
lé d'Allemagne à Rome pourſer
vir à la reformation du Calen
drier , il y mourut lors qu'il eſtoit
au plus fort de ſon travail, & fi
l'on en veut croire ſes amis , & la
plus grande part des Heretiques ,
Ce fut par un Coup d'Eſtat de
Gregoire XIII , qui aimamieux
joüer du gobelet , que de voir ſon
deſſein & le travail des plus ha
biles Aſtronomes de l'Italie non
feulement retardé, mais entiere
ment renverſé par les oppoſitions
d'un ſi docte perſonnage: Mais
il eſt tres- certain , que la mort de
Regiomontanus ne doit aucune
ment fleſtrir l'innocence d'un fi
bon & fi genereux Pape , puis que
te fut pluſtoſt un crime des en
fans de George Trapezonze , lef
quels fafchez de fa mort , &
croyant que Regiomontanus en
eſtoit cauſe , pour avoir trop li
brement
ſur les coupsd'Eſtat. 207
brement remarqué une infinité
de fautes dans la traduction Latine
de l'Almageſte de Ptoloméé faite
par ledit Trapezonze, ils ſe refolu
rent enfin de luy rendre la pareille
& de le traitter plutoft à la Grec
que qu'à la Romaine. Si les Veni
tiens euſſent eſté auſſi innocens
de la mort de leur Citoyen Lau
redan , que le Pape de celle de Re

giomontanus, Bodin (l. 6.) n'au
roit pas remarqué dans ſa metho
thode qu'il ne vefcut guere ,
aprés avoir appaiſé par ſå ſeule
5
preſence, une furieufe fedition des
gens de la Marine, acharnez con
tre la populace , aprés que tous
les Magiſtrats & les forces même
de la ville aſſemblées , n'y avoient
pû donner ordre. Peut-eſtre crai
gnoient-ils qu'ayantreconnu quel
eſtoit ſon pouvoir , & quel em
pire il avoit ſur les ſujets de la Re
publique , il ne luy priſt envie de
fe rendre maiſtre abfolu de leur
Eftat;
208 Confiderations politiques
Eſtat; Peut-eſtre aufli le firent- ils
par jalouſie & emulation , com
me Ariſtote dit que les Argonau
tes ne voulurent point d'Hercu
le en leur compagnie, crainte que
toute la gloire d'une ſi belle entre
priſe ne fuſt attribuée à fa ſeule
valeur & vertu :
* Vrit in fulgore fuo qui prægravat
artes

Infraſopofitas. ( Horat. Ep. l. 2 .


ep . 1. )
Et le même ajouſte que les Ephe
fiens bannirent leur Prince Her
modorus , parce qu'il eſtoit trop
homme de bien. C'eſt la raiſon qui
fit établir l'Oſtraciſme à Athenes,
& quiobligea Scipion & Hannibal
à faire mourir deux braves foldats
leurs priſonniers. Mais ſi le ſtra
tageme eſtoit vray duquel on dit
que les Venitiens ſe ſervirent il
n'y a pas long -temps, lors qu'ils
firent
Car celuy de qui lavaleur ternit la gloire.
de toutes autres entrepriſes que des ſienes,atti
re l'envie par l'éclar de ſesglorieuſes actions.
ſur les coups d'Eſtat. 209
firent courir le bruit que le Duc
21 d'Oflone vouloit entreprendre ſur
leur ville , je croy que ç'a eſté
un des plus judicieux dont nous
ayons encore parlé ; auſſi leur
eſtoit-il tres-important de le fai
re, pour obliger l'Ambaſſadeur
d'un des plus grands Princes de
l'Europe , à quitter ſes prattiques
qui n'alloient à rien moins qu'à
la ruine de leur Eſtat, & le forcer
en fuite à une honncſte retraite .
C'eſt ainſi qu'il faut reſerver ces
grands remedes pour les maladies
perilleuſes , & pour s'en ſervir
comme Horace dit qu'il faut fai
re des Dieux , que l'on introduit
aux tragedies , pour achever & fi
nir ce dont les hommes ne peu
vent plus venir à bout.
* Nec Deus interfit nifi dignus vin
1 dice nodus
Ad
Il ne faut point qu'un Dieu s'entre-me
le dans l'action , fi quelque incident d'y met
un næud qui ne ſe puiſſe défaire par un autre
moyen .
210 Conſiderations politiques
Adfuerit. ( De arte poëtica ad
Pif. )
Ou comme les Mariniers font de
l'ancre double , qu'ils nejettent en
mer qu'aprés avoir perdu toute
autre aſſeurance. Et à la verité fi
un Conſeiller ou Miniſtre pro
poſoit , à toutes les difficultez qui
ſe preſentent, d'en ſortir par quel
qu'un de ces expediens , il ne le
faudroit pas tenir pour moins fot
& méchant , que feroit le Chirur
gien qui voudroit guerir chaque
bleſſure en brûlant ou coupant le
membre qui l'auroit receuë , * ex
tremis fiquidem malis extrema remedia
adhibenda funt. J'ajouſte que ſi le
même Conſeiller abuſe de ces re
medes pour appuyer ſes intereſts,
ou donner plusde champ à ſes paf
fions, outre qu'il trahit le ſervice
de fon Maiſtre , il ſe rend encore
coupable devant Dieu , & devant
les
employer les extrêmes re
fautrêm
med*esCar neext
qu'ilaux es maladies.
2II
ſur les coups d'Eſtat.
les hommes , du mal qu'il entre
prend de faire; & le Souverain mê
me, quand il en uſeautrement que
le bien du public ou le ſien , qui
n'en eſt pas ſeparé ,le requiert, il
fait plûtoft ce qui eſt de la paſſion
& de l'ambition d'un Tyran , que
Poffice d'un Roy. Ainſi voyons
nous que la Reyne Catherine de
Medicis , ' quam exitio patria natam
Mathematici dixerant , ne pouvant
fouffrir d’eſtre mariée à un fils de
Roy fans eſtre Reyne , employa
l'artifice d'un Montecuculi pour
fe delivrer du ſeul obſtacle qu'elle
en avoit , en la perſonne de l'aiſné
de ſon mary . 2 Adfinitatem enim nito
per cum Clemente contractam , tanto
ſceleri
i Dont les Mathematiciens avoient dit
qu'elle eſtoit née pour la ruine de la patrie.
2 Car on remarqua puis aprés que l'alliance
qui avoit elté contractée peu de temps aupara
vant avec Clement,avoit fourni l'occaſion d'une
fi grande méchanceté, quoi qu'àl'inſceu de fon
mary : mais quand il fut mort, fon frere eſtant
le plus proche qui pût ſucceder au royaume du
pere , ou negligea d'en faire la recherche , & la
verité fut par ce moyen ſupprimée.
2I2 Confiderationspolitiques
fceleri caufam dediffe poftea comper
tum, quamvis infcio marito ; verùm illo
mortuo, cum frater proximus effet ut in
regnum paternum ſucsederet,omiſſa in
daganda rei cura eft, de ſuppreſſa veri
tas, comme a fort bien remarqué
Monſieur de Thou dans l'original
de fon Hiſtoire. Elle entreprit en
ſuite la protection des Huguenots
par lettres & avis ſecrets,pour con
trecarrer la puiſſance du Conneſ
table & de Monſieur de Guiſe ,
à l'aſſaſſinat duquel arrivé devant
Orleans, les memoires de Tavanes
diſent qu'elle ſe vanta d'avoir eu
part , comme elle eut encore du
depuis à celuy de l'Amiral ; fans
toutefois qu'elle euſt d'autres mo
tifspour jouer toutes ces ſanglan
tes tragedies, que le ſeul delir de
contenter ſon ambition , de regner
ſous le nom de ſes enfans, & de
maintenir l'inimitié entre ceux, de
qui l'autorité portoit trop d'om
brage à la fienne.
CHA
ſur les Coups d'Eſtat. 213
CHAPITRE IV.
De quelles opinions faut-il eſtre per
ſuadé pour entreprendre des
Coups d'Eſtat.
E n'eſt pas aſſez d'avoir
СЕmonſt ré les occaſions que
l'on peut avoir d'entreprendre ces
ſtratagemes , ſi nous ne paſſons
plus outre , & que nous ne decla
rions auſſi de quelles notions &
perſuaſions il faut eftre perſuadé,
Es pour les executer avec hardieſſe ,
& en venir à bout heureuſement.
Et bien que ce titre ſemble plû
toft appartenir aux qualitez &
conditions du Miniſtre qui les
peut conſeiller , je ne lairray tou
tefois de coucher icy les princi
pales, puis que ce ſont des maxi
mes tres-certaines , univerſelles &
infaillibles , que non ſeulement les
conſeillers, mais les Princes & tou
tes perſonnes de bon ſens & de
ju
214 Conſiderations politiques
jugement doivent ſuivre & obfer
ver en toutes les affaires qui leur
peuvent ſurvenir ; & au defaut
deſquelles les raiſonnemens que
l'on fait en matiere d'Eſtat, ſont
bien ſouvent cornus , eſtropiez ,
& plus ſemblables à des contes de
vieilles , & de gens groſſiers &
mechaniques, qu'à desdiſcours de
perſonnes fages & experimentées
aux affaires du monde .
Boëce ce grand Conſeiller
d'Eſtat du Roy Theodoric , nous
fournira la premiere , qu'il ex
prime en ces termes au livre de
la conſolation : i Conftat aterna
poſitumque lege eft, in mundo conſtans
genitum effe nibil; à quoy s'accor
de pareillement Saint Hierôme
lors qu'ildit en ſes epiſtres, 2 omnia
orta occidunt & aucta ſeneſcunt : Les
Poë
I C'eſt un axiome fondé ſur une loy eter
nelle , qu'il n'y a rien d'engendré au monde
i qui ne ſoit ſujet à quelque changement.
2 Il n'y a rien qui prenne naiſſance qui ne
meure & tout ce qui prend accroiſement
vieillit.
ſur lescoups d'Eſtat. 215
Poëtes auſſi ont efté de ce même
ſentiment.
* Immortale nihil mundi compage
tenetur ,
Non Vrbes, non Regna hominum ,non
aurea Roma.
Et tous ceux -là generalement ne
s'en éloignent gueres , qui conſi
derent avec attention , comme
ce grand cercle de l'univers de
puis qu'il a une fois commencé
ſon cours, n'a point ceſſé d'em
porter & faire rouler quant & foy
les Monarchies, les Religions , les
e
ſectes , les villes , les hommes, les
beftes , arbres , pierres , & genera
lement tout ce qui ſe trouve com
pris & enfermé dans cette grande
machine; les cieux même ne font
pas exempts des changemens ny
de corruption. Le premier Em
pire des Aſſyriens, celuy des Per
fes
* Il n'y a rien d'iinmortel dans le mon,
de , non pas même les villes , ny lesroyau .
mes des humains, ny Rome qui eſtoit ſi opu
lente ,
216 Confiderationspolitiques
fes, qui le ſuivit , ont auſſi ceffé
des premiers ; le Grec & le Ro
main ne l'ont pas fait plus longue.
Ces puiſſantes familles de Ptolo
mée, d'Attalus , deSeleucides ne
ſervent plus que de fables ,
Miramur periiſſe homines, moni
menta fatifcunt;
Mors etiam ſaxis nominibuſque ve
nit. (Rutil. in Itiner.)
Cette Ille de Crete où il y avoit
cent villes , cette ville de The
bes , où il y avoit cent portes, cete
te Troye baſtie par les mains des
Dieux , cette Rome quitriompha
de tout le monde , où font- elles
maintenant ? 2 Iam ſegeseſt ubi Troja
fuit. Il ne fautdoncques pas crou
pir en l'erreur de ces foibles eſprits,
qui s'imaginent que Rome ſera
toujours le fiege des ſaints Peres ,
&

$ Nous nous étonnons de la mort des


hommes ; les ſepulcres s'ouvrent , car la mort
vient attaquer les rochers & les noms. 2 11
croiſt maintenant du bled là où cfioit autrefois
Troye.
ſur les Coups d'Eſtat. 217
ce & Paris celuy des Roys de Fran
B ce. * Byzantium illud vides quodfibi
placet duplicis imperii ſede? Venetias
iſtas quæ fuperbiunt mille annorum fir
mitate ? Veniet illisſua dies, & tu Ant
overpia , ocelle urbium , aliquando non
eris, diſoit judicieuſement Lipſe.
De maniere que cette maxime
eſtant tres - veritable, un bon eſprit
ne deſeſperera jamais de pouvoir
furmonter toutes les difficultez ,
qui empeſcheroient peut - eſtre
quelque autred'executer ou d'en
treprendre ces affaires d'impor
. tance. Comme par exemple , s'il
eſt queſtion qu'un Miniſtre , ſoit
pour le ſervice de Dieu , ou pour
celuy de fon Maiſtre, fonge aux
moyens de ruiner quelque Re
publique ou Empire, cette maxi
es K me
$
Vois-tu cette Conſtantinople qui fe fate
du ſiege d'un double empire ? & Veniſe qui ſe,
glorific d'une fermeté de mille ans ? Leur jour
viendra ; & toy Anvers, qui es l'oeillet de tou
tes lesvilles ,letemps viendraque tu neferas
plus.
218 Conſiderationspolitiques
me generale luy fera croire de pre
mier abord,qu'une telle entrepriſe
n'eſt pas impoſſible , puis qu'il n'y
en a pas une qui jouïſſe du privi
legede pouvoir toujours durer &
ſubfifter. Etfiau contraire , il eſt
queſtion d'en établir quelque au
tre , il ſe ſervira encore du même
axiome pour ſe reſoudre à l'entre
prendre, & il ſe perſuadera d'en
pouvoir venir auſſi facilement à
bout, comme ont fait les Suiſſes,
les Lucquois , les Hollandois , &
ceux de Geneve , non dans les
fiecles dont nous n'avons plus de
memoire , mais dans les deux der
niers, & quaſi de fraiſche date.
Aulli en eſt- il de même des Eſtats,
que des hommes , il en meurt &
naiſt bien ſouvent, les uns font
étouffez en leurs principes , lesau
tres paſſent un peu plus outre , &
prennent force & conſiſtance aux
dépens deleurs voiſins , beaucoup
parviennent même juſques en
vieil
ſur les Coups d'Eſtat. 219
PPA vieilleſſe ; mais enfin les forces
ep? viennent à leur manquer , ils font
ile place aux autres , & quittent la
pri partie pour ne la pouvoir plus de
fendre :
1 I Sic omnia verti
Cernimus, atque alias aſſumere pon
der a gentes ,
Concidere bu .
3 Et alors les premieres maladies les
émeuvent , les ſecondes les é
branlent , les troiſiémes les cm
L! portent ; Gracchus, Sertorius ,
b Spartacus donnerent le premier
d Coup à la Romaine ; Sylla , Ma
rius,Pompée , Jules Cæſar la por
terent ſur le panchant , à deux
doigts de fa ruine , & Auguſte
aprés les furies du Triumvirat
l'enſevelit , 2 Vrgentibus ſcilicet Im
perii Romani fatis : & de la plus ce
lebre Republique du monde il en
K2 fit
* Aing voyons nous bouleverſer toutes
choſes ; ces nations s'affoiblir , & d'autres s'ac
querir du pouvoir . 2 Les fatalités de l'Em
pirc Romain citant enfin arrivées.
220 Conſiderations politiques
fit le plus grand Empire , tout
ainſi que des plus grands Empi
res qui font aujourd'huy , il s'en
fera quelque jour des fameuſes
Republiques. Mais il faut encore
obſerver que ces changemens , ces
revolutions des Eſtats , cette mort
des Empires , ne ſe fait pas fans
entraiſner avec foy les Loix , la
Religion & les Sectes : s'il n'eſt
toutefois plus veritable de dire
que ces trois principes internes
des Eſtats venant à vieillir & fe
corrompre , la religion par les he
refies ou atheiſmes ; la juſtice par
la venalité des offices , la faveur
des grands, l'autorité des Souve
rains ; & les Sectes par la liberté
qu'un chacun prend d'introduire
de nouveaux dogmes, ou deréta
blir les anciens , ils font auſſi tom
ber & perir tout ce qui eſtoit
balty deſſus , & diſpoſent les affai
res à quelque revolte ou chan
gement memorable . Certes fil'on
con
ſur les coups d'Eſtat. 2.21
conſidere bien maintenant, quel
eſt l'Eſtat de l'Europe , il ne ſera
pas auſſi difficile de juger qu'elle
doit bien - toſt ſervir de Theatre
où ſe joueront beaucoup de ſem
blables tragedies , puis que la pluſ
part des Eſtats qu'elle contient ne
1
ſont pas beaucoup éloignez de
l'âge qui a fait perir tous les au
tres , & que tant de longues &
faſcheuſes guerres ont fait naiſtre,
3 & ont augmenté les cauſes men
tionnées cy -deſſus, qui peuvent
ruiner la juſtice; comme le trop
grand nombre de Colleges , ſe
a
minaires, étudians , joints à la fac
cilité d'imprimer & tranſporter
les livres , ont déja bien ébranlé
les Sectes & la Religion . Et en
effet c'eſt une choſe hors de dou
2. te , qu'il s'eſt fait plus de nou
veaux ſyſtemes dedans l’Aſtro
nomie , que plus de nouveautez
ſe font introduites dans la Philo
ſophic , Medecine & Theologie ,
'on K 3 que
OLA
222 Confiderations politiques
que le nombre des Athées s'eſt
plus fait paroiſtre depuis l'an
née 1452 , qu'aprés la priſe de
Conſtantinople tous les Grecs ,
& les ſciences avec eux ſe re
fugierent en Europe , & particu
lierement en France & en Italie ,
qu'il ne s'en eſtoit fait pendant
les milleannées precedentes. Pour
moy je défie les mieux verſez
en noftre Hiſtoire de France ,
de m'y monſtrer que quelqu'un
ait eſté accuſé d'Atheïſme , au
paravant le Regne de François I,
furnommé le Reſtaurateur des
lettres, & peut-eſtre encore feroit
on bien emperché de me mon
trer le même dans l'Hiſtoire
d'Italie , auparavant les careſſes
que Cofme & Laurens de Me
dicis firent aux hommes lettrez ;
ce fut de même fous le fiecle
d'Auguſte que le Poëte Horace
( lib. 1. ode > xxiv .) diſoit de foy
même :
i Par
ſur les coups d'Eſtat. 223
i Parcus Deorum cultor , e infre
quens ,
Infanientis dum ſapientia
sy
Conſultus erro.
t
Que Lucrece penſoit bien ſe con
cilier la bienveillance de ſes le
cteurs , en leur diſant qu'il les
vouloit delivrer des geſnes & des
peines que leur donnoit la reli
gion ,
2 Dum relligionum animos vinclis
exfolvere pergo.
Et que S. Paul diſoit aux Ro
mains , 3 tunc veni cum Deus non erit
in vobis. Ce fut enfin ſous les Rois
Almanſor & Miramolin , plus ftu
dieux & lettrez que n'avoient eſté
tous leurs Predeceſſeurs , que les
Aladiniftes ou libertins , eurent
grande vogue parmy lesArabes :
K4 en
1L'eftade que j'ay faite d'une ſagelfe in
ſenſée, m'avoit rendu ſi peu ſoigneux d'ho
KT norer les Dieux , que je les adorois rarement.
2.Pendantque je continueà rompre les liens
dont la religion a embarraſſé vos eſprits. 3 !
ſuis venu à vous, en un temps qu'il n'y avoit
point de Dieu parmy vous.
Pa
224 Conſiderations politiques
en ſuite de quoy nous pouvons
bien dire avec Seneque, * ut rerum
omniumfic literarum intemperantia la
boramus.
La ſeconde opinion de laquel
le on doit eſtre perſuadé pour
bien reüfſir aux Coups d'Eſtat ,
eſt de croire qu'il ne faut pas
remüer tout le monde pour oc
caſionner les changeniens desplus
grands Empires, ils arrivent bien
ſouvent ſans qu'on y penſe, ou
au moins fans que l'on faſſe de fi
grandspreparatifs.Et commeAr .
chimede remuoit les plus peſans
fardeaux , avec trois ou quatre
baſtons induſtrieuſement joints
enſemble, auſſi peut-on quelque
fois remüer , voire même ruiner
ou faire naiſtre des grandes affai
res , par desmoyens quifont preſ
que de nulle confideration . C'eſt
dequoy Ciceron ( Philip. 5.) nous
aver
* Nous fommes auſſi bien travaillez de l'in
temperance des lettres que de celle de toutes
autres choſes
ſur les coups d'Eſtut. 225
avertit lors qu'il dit , ' quis nefciat,
minimis fieri momentis maximas tem
porum inclinationes ; le monde ſui
vant la doctrine de Moyſe a eſté
fait de rien , & en celle d'Epicu
re il n'a eſté compoſé quedu con
cours de divers atomes : Et ces
grands fleuves qui roulent avec
impetuoſité preſque d'un bout de
la terre à l'autre, ſont d'ordinaire fi
petits vers leurs ſources qu’un en
fant les peut facilement traverſer,
· 2 Flumina quanta vides parvis èfon
tibus oria ?
$ Il en eſt de même aux affaires Po
TE litiques , une petite flammeche
negligée excite bien ſouvent un
grand feu ,
3 Dum negle & a folent incendia fu
mere vires.
KS Et
i Qui eſt -ce qui ignore que dans un mo
ment il peut arriver de grands chiangemens
aux temps . 2 Quelles grandes rivieres nevoit
on pas qui prenent leurnaiſſance de fort peri
tes,fontaines ? 3 Lors que les embraſemens
ont couſtume de ſe renforcer à meſure qu'on
les neglige.
226. Conſiderationspolitiques
Et comme il ne fallut qu'une pe
tite pierre arrachée de la monta
gne , pour ruiner la grande fta
tue , ou plutoſt le grand coloſſe
de Nabuchodonoſor; de même
une petite choſe peut facilement
renverſer de grandes Monarchies.
Qui euſt jamais creu que le ravif
fement de Helene, le violement
de Lucrece par Tarquin , & ce
luy de la fille du Comte Julien
par le Roy Roderic, euſſent pro
duit des effets ſi notables tant en
Grece, qu'Italie & Eſpagne ? Mais
qui euſt jamais penſé que les Eto
les & Arcades ſe fuſſent acharnez
à la guerre pour une hure de San
glier ; ceux deCarthage & de Bi
fague pour le fuft d'un brigantin ;
le Duc de Bourgogne & lesSuiſſes
pour un chariot de peaux de
Mouton ; les Frifons & les Ro
mains du temps de Druſus pour
des cuirs de Bæuf ; & les Pictes
& Eſcoſſois pour quelques Chiens
per
S ſur les coups d'Eſtat. 227
ane pe. perdus? Ou que du tempsde Ju
monta Itinian toutes les villes de l'Empi .
de ftae re euſſent pû ſe diviſer & con
cololle cevoir une haine mortelle les unes
même contre les autres , pour le diffe
cilement rend des couleurs qui ſe por
archies. toient aux jeux & recreations pu
Teravil bliques ? La nature même fém
Jement ble avoir agreable cette façon de
& ce. proceder , lors qu'elle produit
Julien les grands & ſpacieux Cedres
entpro d'un petit germe; & les Elephans
tant en & Balenes , d'un atome s'il faut
? Mais ainſi dire de femence. C'eſt en
sEto quoy elle s'efforce d'imiter ſon
zarnez Createur , qui a couſtume de ti
le San rer la grandeur de ſes actions, de
de Bi la foibleſſe de leurs principes , &
de les mener d'un cominence
ganltlions
Sui ment debile au progrez d'une
ur de perfection accomplie. Eten effet
sRo lors qu'il voulut delivrer ſon peu
s pour ple de la captivité de Pharaon ,
Pictes il n'envoya pas quelque Roy
Chiens ou quelque Prince , accompagné
K6 d'une
per .
228 Conſiderationspolitiques
d'une puiſſante armée , mais il
ſe fervit d'un ſimple homme i im
peditioris de tardioris lingue , qui
pafcebat oves lethro foceriſui; (Exod.
3. & 4. ) lors qu'il voulut chal
tier & épouvanter les Egyptiens,
il ne ſe fervit pas du foudre ny
du tonnerre , 2 ſed immiſit tantum
Tanas , cyniphes & locuftas & omne ge
nus muſcarum ; lors qu'il fallut de
livrer les Philiſtins, ce fut par les
mains de Saül qu'il fit couron .
ner Roy de fon peuple , au mêmę
temps qu'il ne penſoit qu'à cher
cher 3 afinas patris ſui Cis ; ( 1 Reg.
11. ) ainſi pour combattre Go
liath , il choiſit David 4 dum an
bulabat poft gregem patris fui; (c.17.)
& pour delivrer Bethulie de la
per
Qui n'avoit pas la langue bien pendue &
avoit peine à parler, & qui pailſoit les brebis
de ſon bcaupere Jethro. 2 Mais leur envoya
des grenouilles , des fauterelles , des mou .
chcs à chien , & toutes autres ſortes de
mouches . 3 Les âneſſes de Cis ſon fere.
4 Lors qu'il alloit aprés le troupeau de con
pere .
ſur les coups d'Eſtat. 229
perſecution d'Holofernes, il n'em
ployapoint de puiſſans & coura
geux ſoldats, * fed manus fæminæ
dejecit eum . ( Judith.9. ). Mais puis
f que ces actions font autantde mi
93 racles, & que nous ne pouvons
zy pas les tirer en conſequence , fai
(111 fons un peu de reflexion ſur la
grandeur de l'Empire du Turc,
de & fur les merveilleux progrez
les que font tous les jours les Lu
00 theriens & Calviniſtes , & je
Eme m'aſſeure que l'on ſera contraint
er d'admirer comme le dépit de
deux Moines qui n'avoient pour
JO toutes armes que la langue & la
plume , ont pâ eſtre cauſe de fi
grandes revolutions, & de chan
de la gemens en la Police & en la Re
per ligion fi extraordinaires. Aprés
quoy il faut avouer que les Am
due &
brebis baſſadeurs đes. Scythes avoient
croya bonne raiſon de remonftrerà Ale
mou. K7 xandre ,
rtes de
n rere. Mais il fut abbatu par la main d'une
. de los femme.
230 Conſiderationspolitiques
xandre , que * fortis Leo aliquando
minimarum avium pabulum eft, fer
rum rubigo conſumit , & nihil eft cui
periculum non immineat ab invalido.
C'eſt doncques le devoir du bon
Politique , de conſiderer toutes
les moindres circonſtances qui ſe
rencontrent aux affaires ſerieuſes
& difficiles , pour s'en ſervir , en
les augmentant, & en faiſant quel
quefois d'une Mouche un Elefant,
d'une petite égratignure une gran
de playe , & d'une étincelle un
grand feu ; ou bien en diminuant
toutes ces choſes ſuivant qu'il en
ſera beſoin pour favoriſer ſes inten
tions.Et à ce propos il me ſouvient
d'un accident peu remarqué qui ſe
paſſa aux Eſtats tenus à Paris l'an
1615 , lequelneanmoins eſtoit ca
pablede ruiner la France, & de luy
faire

Quelquefois le Lion courageux ſertde


pafure auxplus petits oiſeaux , que la roüil
lure confume le fer , & qu'il n'y a rien qui
necoure riſque d'eftre endommagé de la plus
foible choſe.
Es ſur les coups d'Eſtat. 231
quando faire changer ſa façon de Gouver
?, fer nement , ſi l'on n'y euſt prompte
El eft cui ment remedié ; car la Nobleſſe
alido. ayant inſeré dans ſon cahier de re
Tu bon monſtrances un article pour faire
toutes comprendre le bien qui pouvoit
guile revenir à la France de la caſſation
rieures du droit annuel , ou pour eſtre
l, en mieux entendu de la Polette , le
quel Tiers Eftat qui ſe croyoit grande
lefant, ment leſé par cette propoſition, en
gran coucha un autre dans le fien , par
le un lequel le Roy eſtoit ſupplié, dere
nuant trancher les penſions qu'il don
Til en noit à beaucoup de Gentilshom
nten mes qui ne luy rendoient aucun
avient ſervice ; là- deſſus chaque partie
quile commence à s'alterer , & chacun
is l'an de ſon coſté envoye desdeputez
bit cae pour faire entendre ſes raiſons; ils
leluy fe rencontrent , & en viennent
faire aux injures , les deputez de la No
fert de
bleſſe appellant ceux du Tiers
a roüil Eſtat des Ruſtres , & les mena
zien qui çant de les traitter à coups d'épe
e la plus ron ;
232 Confiderations politiques
ron ; ceux -cy répondent qu'ils
n'avoient pas la hardieſſe de le fai
re , & que s'ils y avoient ſeule
ment ſongé, il у avoit 100000
hommes dans Paris , qui en tire
roient la raiſon ſur le champ: ce
pendant quelques Magiſtrats &
Eccleſiaſtiques qui eſtoient pre
fens à ces diſcours, jugeant bien
des dangereuſes confequences qui
en pouvoientarriver, vontà bride
abbatue au Louvre , avertiſſent le
Roy de ce qui ſe paſſe , le prient
& conjurent d'y remedier prom
ptement, & font en ſorte que Sa
Majeſté, les Reynes & tous les
Princes y interpoſant leur auto
rité , defenſes furent faites ſur
>

peine de la vie , de plus parler de


ces deux articles , ny de plustenir
aucun diſcours de tout ce qui
s'eſtoit paſſé à leur ſujet; & bien
nous prit de ce qu'on y apporta
fi promptement remede : car ſi les
deputez de la Nobleſſe euſſent
paffé
fur les Coups d'Eſtat. 233
qu'il paſſé des paroles aux effets , ceux
du Tiers Eftat fe fuſſent peut
le fais
ſeule
eſtre rencontrez ſi violents', obſti.
0000
nez & vindicatifs , & le peuple
tire
de Paris en telle verve.& difpofi
" Ce tion , que toute la Nobleſſe qui y
-&
eſtoit , euſt couru grande riſque
d'eſtre ſacagée , & peut- eſtre
qu'en ſuite on euſt fait le mê .
si
me par toutes les autres villes du
e
Royaume, qui ſuiventd'ordinaire
l'exemple de la Capitale.
Or parce que fi cet accident
fuſt arrivé , c'euſt eſté par le
moyen de la populace , laquelle
fans juger & connoiſtre ce qui
eſtoit dela raiſon , fe fuſt jettée à
l'impourveu & à l'étourdie , ſur
ceux qu'on luy auroit mis les
premiers en butte dela fureur; il
n'eſt pas hors de propos d'avertir
& de mettre pour une troiſiéme
perſuaſion , que les meilleurs
Coups d'Eſtat ſe faiſant par fon
moyen on doitauffi particuliere
ment
234 Confiderations politiques
ment connoiſtre , quel eſt ſon na
turel , & avec combien de har
dieffe & d'aſſeurance on s'en peut
fervir , & la tourner & diſpoſer à
fes deſſeins. Ceux qui en ont fait
la plus entiere & la plus particu
liere deſcription , la repreſentent
à bon droit comme une beſte à
pluſieurs teſtes , vagabondé, er
rante , folle , étourdie, ſans con
duite, fans eſprit, ny jugement. Et
en effet ſi l'on prend garde à ſa
raiſon , Palingenius dit, que
* Iudicium vulgi inſulfum , imbecilla .
que mens eft. ( in Pifcib .)
Si à ſes paffions, le même ajouſte,
? Quod furit atque ferit faviſſima
belluavulgus. ( in Sagitt.)
Si à ſes maurs & façonsde fai
re , 3 Hi pulgimares , Odiſſe prafentia,
Orissis ven

I Lejugement da'commun peuple eſt tou .


jours ſot , & ron entendement foible. 2 Que
la populace eſt une très-cruelle beſte, & qu'el
le devient furieuſe & frape le plus ſouvent.
3 Voicy les moeurs du menu peuple, hair les
choſes preſentes , deſirer les futures,& celebrer
celles qui ſont paſſées.
ſur les coups d'Eſtat. 235
venturacupere, præterita celebrare. Si
à toutes ſes autres qualitez , Sa
It
luſte nous la repreſente , * ingenio
mobili , ſeditioſam , diſcordiofam , cu
t
pidam rerum novarum, quieti & otio.
-
adverſam . Mais moy je paſſe plus
nt outre , & dis qu'elle eſt inferieu
à reaux beſtes, pire que les beſtes,
& plus fotte cent fois que les
no beſtes mêmes ; car les beſtes
Et n'ayant point l'uſage de la raiſon,
afa elles ſe laiſſent conduire à l'inſtinct
que la Nature leur donne pour
la. regle de leur vie , actions, paſſions
& façons de faire , dont elles ne ſe
e, departent jamais , ſinon lors que
โina la méchanceté des hommes les
en fait ſortir. Là où le peuple
( j'entens par ce mot le vulgaire
ting ramaſſé, la tourbe & lie populai
re, gens ſous quelque couvert que
tou ce ſoit de baſle , ſervile , & mecha
Que nique condition ) eſtant doué de
quela
uvedl. la
air les * D'un naturel inconſtant, reditieuſe, que
elebres relleuſe , convoiteuſe de choſes nouvelles, &
cnnemic du repos & de la tranquillité.
236 Conſiderations politiques
la raiſon ; il en abuſe en mille for
tes , & devient par fon moyen le
Theatre où lesOrateurs , les Pre
dicateurs, les faux Prophetes, les
impoſteurs, les ruſez politiques,
les mutins , les feditieux , les dé
pitez , les fuperftitieux, les ambi
tieux , bref tous ceux qui ont
quelque nouveau deſſein , repre
fentent leurs plus furieuſes & fan
glantes tragedies. Auſſi ſçavons
nous que cette populace eſt com
parée à une mer ſujette à toutes
fortes de vents & de tempeſtes :
au Cameleon qui peut recevoir
toutes ſortes de couleurs excepté
la blanche; & à la fentine & cloa.
que dans laquelle coulent toutes
les ordures de la maiſon . Ses plus
belles parties ſont d'eſtre incon
ftante & variable , approuver &
improuver quelque choſe en mê.
me temps , courir toujours d'un
contraire à l'autre , croire de le
ger , fe mutiner promptement ,
tou
ſur les coups d'Eſtat. 237
toujours gronder & murmurer :
bref tout ce qu'elle penſe n'eſt
que vanité , tout ce qu'elle dit eft
faux & abſurde , ce qu'elle im
prouve eſtbon ,ce qu'elle approu .
ve mauvais, ce qu'elle louë infa
me , & tout ce qu'elle fait & en,
treprend n'eſt que pure folie.Auſſi
eſt-ce ce qui a fait dire à Seneque,
(de vita B. cap. 2. ) Non tam bene
cum rebus humanis geritur ilt meliora
pluribus placeant : argumentum peſſimi
eft turba. Et le même ne donneau
tre avis pour connoiſtre les bonnes
opinions & comme parle le Poëte
Satyrique , quid folidum crepet, fi
non de ne pas ſuivre celle du peu
ple , 3 Sanabimur fi modo ſeparemur
à cætu . Que Poſtel luy perſuade
que
i Les choſes humaines n'ont pas tant de
bonne fortune , que les plus faines & les
meilleures ſoient agreables au plus grand
nombre : La foule eft ordinairement unemar
que du peu de prix que valent 3lesNochoſ es.
us ſe
2 Qu’ett-ce qu'il y a de ſolide.
rons gueris pourveu que nousnous ſeparions
de la foule .
238 Conſiderationspolitiques
que Jeſus-Chriſt n’a ſauvé que les
hommes, & que fa mere Jeanne
doit fauver les femmes , il le croira
ſoudain . Que David George ſe diſe
fils de Dieu,il l'adorera.Qu’un tail
leur enthouſiaſte & fanatique con
trefaſſe leRoy dansMunſter, & diſe
que Dieu l'a deſtiné pour chaſtier
toutes les Puiſſances de la terre , il
luy obeïra & le reſpecteracomme
le plus grand Monarque du mon
de. Que le Pere Domptius luy an
nonce la venuë de l'Antechrift,
qu'il eſt âgé de dix ans , qu'il a des
cornes, il témoignera de s'en ef
frayer. Que des impoſteurs &
Charlatans ſe qualifient freres de la
Roſe -Croix , il courra aprés eux.
Qu'on luy rapporte que Paris doit
bien -toft abiſmer, il s'enfuira. Que
tout le monde doit eſtre ſubmergé,
il baſtira des Arches & des bafteaux
de bonne heure po ur n'eſtre pas
pour
ſurpris. Que la mer fe doit ſecher &
que des chariots pourront aller de
Gem
fur les coups d'Eſtat. 239
Genes a Jerufalem , il ſe preparera
pour faire levoyage . Qu'on luy
conte les fables de Meluſine, du
fabat des ſorcieres , des loups ga
roux , des lutins, des fées , des
Paredres, il les admirera. Quela
matrice tourmente quelque pau
vre fille , il dira qu'elle eſt poffe
dée , ou croira à quelque Preſtre
ignorant ou méchant , qui la fait
paſſer pour felle. Que quelque Al
chimiſte , Magicien , Aſtrologue,
Lulliſte , Cabaliſte , commencent
un peu àla cajoller , il les prendra
pour les plus ſçavans, & pour les
plus honneſtes gens du monde.
Qu'un Pierre l'Hermite vienne
preſcher la croiſade ,il fera des reli
ques du poil de fon mulet. Qu'on
luy diſe en riant qu'une Canne
ou un Oiſon ſont inſpirées du
S. Eſprit , il le croira ſerieuſement.
Quela peſte ou la tempeſte ruine
une province , il en accuſera ſou
dain des graiſſeurs ou MagiciBr ef.
ens
240 Confiderationspolitiques
Bref fi on le trompe & befle au
jourd'huy , il ſe lairra encore ſur
prendre demain , ne faiſant jamais
profit des rencontres paſſez, pour
ſe gouverner dans lespreſentes ou
futures; & en ces choſes conſiſtent
les principaux ſignes de fa gran
de foiblefie & imbecillité. Pour
ce qui eſt de ſon inconſtance, nous
en avons un bel exemple dans les
A &tes des A poſtres en ce que les
habitans de Lyſtrie & de Derben ,
n'eurent pas plutoft apperceu S.
Paul & S. Barnabé, que levaverunt
pocem ſuam Lycaonice dicentes; Dii fix
miles facti hominibus defcendunt ad nos;
& vocabant Barnabam lovem , Paulum
quoque Mercurium ; & neanmoins
incontinent aprés voila que a la
pidantes Paulum , traxerunt eum extra
civitatem , exiftimantes mortuum eſſe.
Les
i Ils éleverent leur voix& dirent en langue
Lycaonienne : Les Dieux ſont deſcendus vers
nous fous la forme d'hommes: Et ils appel
loient ·Barnabé Jupiter & Paul Mercure.
? Ayant lapidé Paul, ils le traiſuerept horsde
la ville croyant qu'il fuft mort,
ſur les coups d'Eſtat. 241
Les Romains adorent le matin
Seianus , & le ſoir
I Ducitur unco
Spectandus. (Juven .Sat.10.)
Les Pariſiens en font de même du
Marquis d'Ancre , & aprés avoir
déchiré la robe du Pere à Jeſus
Maria , pouren conſerver les pie
ces comme reliques , ils le befflent,
& s'en mocquent deux jours
aprés. Que s'il entre en colere , ce
ſera comme le jeune homme de
Horace , lequel
2 Iram
Colligit &ponit temerè, & mutatur
in horas. (ad Pifon .)
S'il rencontre quelque homme
5 d'autorité lors qu'il eſt en fa plus
bouillante mutinerie & fedition ,
3 il s'enfuira & abandonnera tout ;
s'il ſe preſente quelque gueux te
ES meraire, ou hardy qui luy re
L mette,
ES

1 Il eſt traîné avec un croc pour ſervir de


6 ſpectacle au peuple. 2 Se courrouce & s'ap
paiſe facilement, & change à toute heure.
242 Confiderations politiques
mette , comme on dit communé
ment , le cæur au ventre , & le feu
aux étoupes , il reviendra plus
furieux qu'auparavant ; brefnous
luy pouvons particulierement at
tribuer ce que diſoit Seneque ( de
vita B. cap. 28. ) de tous les hom
mes , * fluctuat , aliud ex alio come
prehendit , petita relinquit, reli &ta re
petit , alterna inter cupiditatem ſuam ,
& pænitentiam vices funt. Or dau
tant que la force gift toujours de
fon coſté , & que c'eſt luy qui
donne le plus grand branle à tout
ce qui ſe fait d'extraordinaire
dans l'Eſtat , il faut que les Prin
ces ou leurs Miniſtres s'eſtudient
à le manier & perſuader par bel
les paroles , le ſeduire & tromper
par les apparences , le gagner &
tour

Il eſt toujours en doute , il fait toujours


de nouveaux deſſeins , il quitte cequ'il avoit
demandé, & il redemande außli-tolt ce qu'il
vient de quitter : le deſir & le repentir com
mandent chez luy tour à tour , & poſſedent
l'un aprés l'autre la domination de ſon ame.
ſur les coups d'Eſtat. 243
tourner à ſes deſſeins par des pre
dicateurs & miracles fous pretexte
de ſainteté , ou par le moyen des
bonnes plumes,en leur faiſant faire
des livrets clandeſtins , des mani
feſtes , apologies & declarations
artiſtement compoſées pour le
mener par le nez , & luy faire ap
prouver ou condamner ſur l'eti
2
quete du ſac tout ce qu'il con
tient.
Mais comme il n'y a jamais eu
que deux moyens capables de
2
maintenir les hommes en leur de
voir,ſçavoir la rigueur des ſuppli
1
ces établis par les anciens legiſla
teurs pour reprimer les crimes,
dont les juges pouvoient avoir
connoiſſance ; & la crainte des
Dicux & de leur foudre, pour em
peſcher ceux dont par faite de té
moins ils ne pouvoient eſtre ſuffi
famment informez , conformé
il
ment à ce que dit le Poëte Palin
genius: ( in Libra. ) * Semi
L 2
244 Conſiderations politiques
Semiferum vulgus franandum eſt
relligione
Pænarumque metu , nam fallax at
que malignum
illius ingenium eſtſemper, necfponte
inovetur
Ad rectum .
Auſſi les mêmes Legiſlateurs ont
bien reconnu , qu'il n'y avoit rien
qui dominaſt avec plus de vio
lence les eſprits des peuples que
ce dernier,lequel venant à ſe trou
ver en butte de quelque action , il
porte ſoudain toute la pourſuite
que l'on en peut faire à l'extremi
té ; la prudence ſe change en pal
ſion , la colere , s'il y en a tant ſoit
peu , ſe tourne en rage , toute la
conduite s'en va en confuſion , les
biens mêmes & la vie ne ſe met
tent pas en conſideration , s'il les
faut

* C'eſt par la religion & par la crainte des


fupplices, qu'il faut brider la populace à demy
fauvage , car fon eſprit est toujours trompeur
&c malin , & de foi-mêine ne le porte point à
ce qui eft droit.
ſur les coups d'Eſtat. 245
faut perdre pour defendre la di
} vinité de quelque dent de ſinge,
d'un bæuf, d'un chat , d'un oi
gnon , ou de quelque autre idole
encore plus ridicule , ' nulla fiqui
dem res efficacius multitudinem movet
quàm ſuperſtitio. ( Q. Curt. l. 4.)
t
Et en effet ç'a toujours eſté le

premier maſque que l'on a donné
à toutes les ruſes & tromperies
pratiques aux trois differences de
vie , auſquelles nous avons déja
1
dit , que l'on pouvoit rapporter
les Coups d'Eſtat. Car pour ce
qui eſt de la Monaſtique, nous
avons l'exemple dans S.Hierôme
( epiſt. 13. lib. 2.) de ces vieux moi
nes de la Thebaïde , qui a demo
num contra ſe pugnantium portenta fin
gunt , ut apud imperitos & vulgi homi
nes miracula ſui faciant & lucra ſe
L 3 &tentur.

1 Il n'y a rien qui faſſe agir plus efficacement


es la populace , que la ſuperfition . 2 Feignent
des monſtres & Demons qui ſe batent contre
eux , pour perſuader leurs miracles aux idiots
& aumenu peuple ,& pour aquerir du bien .
246 Confiderations politiques
dentur. A quoy nous pouvons rap
porter la tromperie que firent les
preſtres du Dieu Canopus, pour
le rendre ſuperieur au feu qui
eſtoit le Dieu des Perſes; l'inven
tion du Chevalier Romain Mon
dc , pour jouïr de la belle Pauline
fousle nom d'Eſculape, les viſions
fuppoſées des Jacobins de Berne,
&les fauſſes apparitions des Cor
deliers d'Orleans, qui font toutes
trop communes & triviales pour
en faire icy un plus long recit.
Que fi l'on doute qu'il ne fe com
mette un pareil abus dans l'eco
nomic , il ne faut que lire ce que
Rabby Moſes écrit des Preſtres de
P'Idole Thamuz ou Adonis , qui
pour augmenter leurs offrandes,
je faiſoient bien ſouvent pleurer
fur les iniquitez du peuple , mais
avec des larmes de plomb fondu,
au moyen d'un feu qu'ils allu
moient derriere ſon image ; &
certes il n'y aura plus d'occafion
d'en
ſur les coups d'Eſtat. 247
d'en douter , aprés avoir leu dans
le dernier Chapitre de Daniel ,
1 comme en couvrant de cendres l'e
pavé de la Chapelle de l'Idole Bel ,
il découvrit que les Preſtres avec
leurs femmes & enfans venoient
e enlever de nuict par des con
s duits fouſterrains , tout ce que le
3 pauvre peuple abuſé croyoit eſtre
mangé par ce Dieu qu'ils ado
roient fous la figure d'un dra
gon . Finalement pour ce quieſt
. de la Politique , il faut un peu s'y
étendre davantage, puis que c'eſt
noſtre principal deſſein , & mon
e trer en quelle façon les Princes ou
C leurs Miniſtres, * quibus quæſtui ſunt
Capti ſuperſtitioneanimi , (Livius 1.4 .)
ont bien ſceu ménager la Reli
gion , & s'en ſervircommedu plus
IS facile & plus aſſeure moyen , qu'ils
1, euſſent pour venir à bout de leurs
entrepriſes plus relevées.Je trouve
& L 4 donc
DO * Qui font leur profit des efprits adonnés
211 à la bigoterie.
248 Confiderationspolitiques
doncques qu'ils en ont uſé en cinq
façons principales , ſous leſquel
les par aprés on en peut rapporter
beaucoup d'autres petites. La pre
miere & la plus commune & ordi
naire eſt celle de tous les Legiſla
teurs & Politiques , qui ont per
ſuadé à leurs peuples, d'avoir la
communication des dieux , pour
venir plus facilement à bout de ce
qu'ils avoient la volonté d'execu
ter : comme nous voyons qu'ou
tre ces anciens que nous avons
rapportez cy -deſſus ,Scipion vou
lut faire croire qu'il n'entrepre
noit rien fans le Conſeil de Jupi
ter Capitolin , Sylla que toutes ſes
actions eſtoient favoriſéespar A.
pollon de Delphe , duquelil por
toit toujours une petite image; &
Sertorius quc fà biche luy appor
toit les nouvelles de tout ce qui
eſtoit conclu dans le concile des
Dieux. Mais pour venir aux Hi
ſtoires qui nous ſont plus voiſines,
il
ſur les Coups d'Eſtat. 249
il eſt certain que par de ſemblables
moyens Jacques Buſſularius do
mina quelque temps à Pavie , Jean
de Vicence à Boulogne , & Hic
rôme Savanarole à Florence , du
quel nous avons cette remarque
dansMachiavel : ( ſur T. Liv.) Le
peuple de Florence n'eſt pas beſte , au
r quelneanmoins F. Hieróme Savanarole
ą bien fait croire qu'il pırloit à Dieu.
Il n'y a pas plus de ſoixante ans
que Guillaume Poſtel en voulut
5 faire de même en France , & de
puis peu encore Campanelle en la
haute Calabre : mais ils n'en pu
rent venir à bout , non plus que
les precedens, pour n'avoir pas eu
la force en main ; car comme dit
Machiavel , cette condition eft
neceſſaire à tous ceux qui veu
lent établir quelque nouvelle Re
i ligion. Et en effet ce fut par ſon
ES moyen que le Sophi Iſmaël,
ayant par l'avis de Treſchel Cu
felbas introduit une nouvelle fecte
S; € n1
LS
250 Confiderations politiques
en la religion de Mahomet , il
uſurpa en ſuite l'Empire de Perſe,
& il arriva preſque en même
temps, que l'Hermite Schacocu
fis , aprés avoir bien jouéſon per
fonnage l'eſpace de ſept ans dans
un deſert , leva enfin le maſque ,
& s'eftant declaré autheur d'une
nouvelle ſecte, il s'emparadeplu
fieurs villes , defit le Baſcha d'A.
natolie , avec Corcut fils de Baja
zet , & eut bien paſſé plus outre,
s'il n'euft irrité par le fac d'une
caravane le Sophi de Perſe , qui
le fit tailler en pieces par ſes fol
dats. Lipſe met encore avec ceux
cy un certain Calender , qui par
une devotion fimulée ébranla
toute la Natolie , & tint les Turcs
en cervelle , juſques à ce qu'il fuſt
défait en une bataille rangée; &
un Iſmaël Africain qui prit cette
voye pour ravir le ſceptre à ſon
maiſtre le Roy de Maroc.
La feconde invention de la
quelle
ſur les coups d'Eſtat. 251
quelle ont uſé les Politiques pour
ſe prevaloir de la religion par
my les peuples, a eſté de feindre
des miracles , controuver des ſon
ges , inventer des viſions , & pro
duire des monſtres & des pro
diges*:
Quæ vitæ rationem verierepof
ſent,
Fortunaſque' omnes magno turbare
timore.
Ainſy voyons nous qu'Alexandre
ayant eſté aviſé par quelqueMe
decin d'un remede ſouverain con
tre les fleſches empoiſonnées de
fes ennemis , il fit croire queJu
piter le luy avoit revelé en fonge :
& Veſpaſian attitroit des perſon
nes qui feignoient d'eſtreaveugles
& boiteuſes, afin qu'il les gueriſt
en les touchant ; c'eſt auſſi pour
cette raiſon que Clovis accompa
gna fa converſion de tant de mira
Ľ 6 clesz
Qui puſent changer la façon de vivre ,
& troubler toutes lesfortunes par une grande
crainte .
22 Conſiderations politiques
cles ; que Charles Sept augmenta
le credit de Jeanne la Pucelle , &
l'Empereur d'apreſent celuy du
Pere à Jeſus Maria ; ſous eſperan
ce peut-eſtre de gagner encore
quelque bataille non moindre que
celle de Prague .
La troiſiéme a pour fondement
les faux bruits , revelations , &
propheties , que l'on fait courir à
dellein pour épouvanter le peu
ple, l'étonner, l'ébranler , ou bien
pour le confirmer , enhardir &
encourager , fuivant que les occa
fions de faire l'un ou l'autre ſe pre
fentent. Et à ce propos Poftel re
marque,que Mahomet entretenoit
un fameux Aſtrologue, qui nefai
foit autre choſe que preſcher une
grande revolution , & un grand
changement qui ſe devoit faire,
tant en la religion, qu'en l'Empire;
avec une longue ſuite de toutes ſor
tes deproſperitez,afin defrayer par
cette invention le chemin au mê.
me
coups d'Eſtat.
ofur les
253
e s peu.
Pl
religion qu'il vouloit introduire,
même moyen intimider
& par même
celix qui ne la voudroient pas ap
prouver , par le ſoupçon qu'ils
pouvoient avoirde combattre con
tre l'ordre des deſtinées , en s'op
poſant à ce nouveau favory du
Ciel , celuy-là eſtant toujours le
plus avantagé,
* Cui militat aber
Et conjurati veniunt adclaſſica venti.
Ce fut par le moyen de ces folles.
creances que Ferdinand Cortez
occupa le Royaume deMexique,
où il fut receu comme s'il euſt
eſté le Topilchin , que tous les
devins avoient predit devoir bien
toft arriver. Et François Pizarre
dans celuy du Perou , où il entra
avec le general applaudiſſement
de tous les peuples , qui le pre
L 7 noient
* Pour qui le ciel combat , & les vents d'un
commun accord pienent au fon de les trom
peltes.
254 Confiderations politiques
noient pour celuy que le Viracoca
devoit envoyer pour delivrer l'eur
Roy de la captivité. Charlemagne
même penetra bien avant dans
l'Eſpagne au moyen d'une vieille
idole , qui comme les devins a
voient preveu laiſſa tomber une
groſſe clef qu'elle tenoit en la
main ; & les Alarbes ou Sarafins
venant ſous la conduite du Com
te Julian , à inonder le même
Royaume d'Eſpagne, on ne tint
preſque conte de les repouſſer,
parce qu'on avoit veu quelque
temps auparavant leurs faces de.
peintes ſur une toile qui fur trou
vée dans un vieil Chaſteau proche
la ville de Tolede , où l'on croyoit
qu'elle avoit eſté enfermée par
quelque grand Prophete. Etj'oſe
bien direavec beaucoup d'Hifto
riens, que fans ces belles predi
dictions', Mahomet 11 n'auroit
pas ſi facilement pris la ville de
Conſtantinople. Mais veut- on un
exem
ſur les coups d'Eſtat. 255
0 exemple plus remarquable , que
1 celuy qui arriva en l'an M DC
XI11 , au fujet d'Aſcofta Cité
S principale de l'Ile deMagna , la
quelle eſtant revoltée contre le
Sophi , elle fut priſe fans beau
coup de difficulté par fon Lieu
tenant Arcomat , & ce en vertu
S d'une certaine prophetie receuë
. par tradition entre les citoyens,
é qui diſoit que ſi cette ville ne ſe
rendoit à Arcomat, elle feroit Ar
3
comatée , c'eſt à dire que ſi elle
ne ſe rendoit à Dillipe elle ſeroit
diſſipée , encore que ſi elle euſt
voulu ſe defendre ,elle n'euſt peut
E eſtre pas cfté priſe, veu qu'au rap
+
port de Garcias ab Horto Medecin
Portugais, qui y avoit eſté trente
ou quarante ans auparavant, elle
contcnoit cinq lieuës de tour ,
cinquante mille feux , & rendoit
au Sophi quinze millions ſix cens
mille cfcus chaque année de re
venu aſſeuré. C'eſt doncques und
n
gra
256 Conſiderationspolitiques
grand chemin ouvert aux Politi
ques pour tromper & feduire la
ſotte populace , que deſe ſervir
de ces predictions pour luy faire
craindre ou eſperer, recevoir ou
refuſer tout ce que bon luy ſem
blera.
Mais celuy d'avoir des Predi
cateurs & de fe fervir d'hommes
bien - diſans eft ericore beaucoup
plus court & plus affeuré , n'y
ayant rien dequoy l'on ne puiffe
facilement venir àbout par ce ſtra
tageme. La force de l'eloquence
&d'un parler fardé.&induſtrieux,
coule avec tel plaiſir dans les
oreilles , qu'il faut eſtre ſourd , ou
plus fin que Ulyſſes , pour n'en
eſtre pas charmé; Auſſi eſt- il vray,
que tout ce que les Poëtes ont
écrit des douze labeurs d'Hercu
les , trouve fa mythologie dans
les differents effets de l'eloquen
ce , par le moyen de laquelle ce
grand homme venoit à bout de
tou
ſur les coups d'Eſtat. 257
toutes ſortes de difficultez ; c'eſt
pourquoy les anciens Gaulois eu
rent bonne raiſon de le repreſen
ter avec beaucoup de petites chaif
nes d'or qui ſortoient de ſa bou
che , & s'alloient attacher aux
oreilles d'une grande multitude
de perſonnes qu'il trainoit ainſi
enchainée aprés ſoy. Ce fut en
çore par ce moyen que
Sylveſtres homines facer interpref
que deorum ,
Cedibus & vi&tu fædo deterruit
Orpheus,
Dictus ob hoc lenire Tygres, rabi
doſque Leones. (Horat. de Art.
poët. )
Et par la même raiſon Philippe
Roy de Macedoine , l'un des
grands Politiques qui ait jamais
eſté, & qui fçavoit fort bien que
* omnia
Le divin Orphée interprete des Dieux a
retiré du meurtre & de la barbarie les hom
mes ſauvages ; ce qui luy a donné lebruit d'a
voir trouve l'invention d'adoucir les.Tygres &
les Lyons furieux.
258 Confiderations politiques
* omnia fumma ratione gefta etiam
fortuna ſequitur , ( T. Liv . ) ne fe
ſoucioit point de combattre ou
vertement & à main forte contre
les Atheniens , veu qu'il luy eſtoit
plus facile de les ſurmonter par
l'eloquence de Demofthenes, &
par les reſolutions prejudiciables
qu'il faiſoit paſſer au Senat. Peri
cles s'aidoit pareillement du beau
parler d'Ephialte, pour rendre le
même Eſtat des Atheniens du
tout populaire; & c'eſt pour cette
raiſon que l'on diſoit ancienne
ment , que les Orateurs avoient
le mêmepouvoir ſur la populace
queles vents ont ſur la mer. Aprés
quoy s'il fautauſſi parler de noſtre
France, ne ſçait -on pas que cette
faineuſe Croiſade entrepriſe avec
tant dezele parGodefroy deBoüil
lon , fut perſuadée & concluë par
les harangues & predications d'un
fim
* La fortuneaccompagne tout ce qu'on fait
avec un grand raiſonnement.
ſur les coups d'Eſtat. 259
ſimplehomme ſurnommé Pierre
l'Hermite , comme la fecondepar
celles de Saint Bernard; Quoy plus
y eut-il jamais un meurtre plus
meſchant, & plus abominable que
celuy de Louys Duc d'Orleans
fait l'an 1407,par le Duc de Bour
gogne ? Neanmoins il fe trouva
Maiſtre Jean Petit Theologien &
grand Predicateur, qui le fceutſi
bien pallier , couvrir & déguiſer
par les ſermons qu'il fit à Paris
dans le parvis de Noftre -Dame,
que tous ceux qui vouloient par
aprésſouftenir
d'Orleans
le party de la Mai
fon eſtoient tenus par
le peuple pour mutins & rebel
les ; ce qui les contraignit d'uſer
du même artifice que leur enne
my , & de ſe mettre ſous la pro
te &tion de ce grand homme de
bien Jean Gerſon , qui entreprit
leur defenſe , & fit declarer au
Concile de Conſtance la propoſi
tion tenue par Petit , pour hereti
que
260 Confiderations politiques
que & erronée. Mais comme ce
Jean Petit avoit eſté cauſe d'un
grand mal ſous Charles VI , il y
eut un frere Richard Cordelier
fous Charles VII , qui fut auſſi
cauſe d'un grand bien ; car en dix
predications de fix heures chacu
ne qu'il fit dans Paris , il fit jetter
dans des feux allumez tout exprés
aux carrefours, tout ce qu'il y
avoit de tables , tabliers , cartes ,
billes , billards, dez, & autres jeux
de fort ou de chance , qui por
tent & violentent les hommes à
jurer & blafphemer : mais ce bon
homme ne fut pas ſi-toſt ſorti de
Paris qu'on commença à le mépri
fer & à le gauſſer ouvertement,
& le peuple retourna avec plus
d'application qu'auparavant, à ſes
divertiſſemensordinaires : ne plus
ne moins que les metamorphoſes
étranges, & les converſions, s'il
faut ainſi dire , miraculeuſes que
faiſoit , il n'y a pas vingt ans , le
Pe
ſur les coups d'Eſtat. 261
Pere Capucin Giacinto da Caſale
par toutes les villes d'Italie où il
preſchoit, ne duroient qu'autant
de temps que ledit Pere y demeu
roit pour y exercer les fonctions
de cette charge. Que ſi nous deſ.
cendons au regne de François Pre
mier, nous y verrons cette grande
& furieuſe bataille de Marignan,
donnée avec tant d'obſtination &
& d'animoſité par les Suiſſes ,
qu'ils combattirent deux jours
entiers , & fe firent preſque tous
étendre ſur la place , ſans nean
moins en avoir eu d'autre ſujet
plus preſſant que la Harangue
que leur fit le Cardinal de Sion
nommé dans Paul Jove ( in elog.)
* Sedunenſis Antiftes; car aprés l'avoir
entendu haranguer, ils ſe reſolu ,
rent de combattre , livrerent la
bataille , & conteſterent la victoi
re juſques à la derniere goutte de
leur ſang. Nous y verronco
s auſſi
mme

* Prelat de Sion.
262 Confiderationspolitiques
comme Monluc Evêque de Va
lance, fut envoyé vers les Veni
tiens pour legitimer par ſes belles
paroles, le ſecours que ſon Maiſtre
faifoit venir de Turquie pour fe
defendrecontre l'Empereur Char
les V , & lors que la S. Barthe
lemy fut faite, le même Monluc
& Pibrac , travaillerent ſi bien de
la plume & de la langue , que cette
grande execution ne par détour
ner , comme nous l'avons déja
remarqué , les Polonois , quoy
que inſtruits particulierement de
tout ce qui s'y eſtoit paſſé par les
Calviniſtes , de choiſir Henry III
pour leur Roy , au prejudice de
tant d'autres Princes qui n'avoient
rien épargné pour venir à bout
de leurs pretentions. Ne fut- ce pas
auſſi une choſe remarquable , que
le premier fiege de la Rochelle ,
fut mieux ſouſtenu par les conti.
2
nuelles predications de quarante
Miniſtres qui s'y eſtoient refu
giez,
Sur les Coups d'Eſtat. 263
e giez , que par tous les Capitaines
& Soldats dont elle eſtoit aſſez
leni.
bien fournie ? Et du temps que,
elles
ltre les Pariſiens mangeoient les Chiens
tc & les Rats pour n'obeïrpas à un
har
Roy heretique, n'eſtoit-ce pas
Boucher , Rofe , Winceſtre , &
beaucoup d'autres Curez qui les
luc entretenoient en cette reſolution ?
de
Certes il eſt tres-conſtant que ſi
ette le Miniſtre Chamier n'euſt eſté
emporté d'un coup de canon ſur
éja les baſtions de Montauban , cette
Oy ville n'auroit peut-eſtre pas don
He
né moins de peine à prendre que
les
la Rochelle. Et lors que Cam
III
de
panelle.eut deſſein de ſe faire Roy
de la haute Calabre , il choiſit tres
ent à propos pour compagnon de ſon
UE
entrepriſe, un frere Denys Pon
:18 tius , qui s'eſtoit acquis la repu
je tation du plus cloquent , & du
‫ܕ‬ plus perſuaſif homme qui fuft de
ſon temps. Auſſi voyons nous
IC dans l'ancien Teſtament que Dieu
VOU
jo
E1
264 Conſiderationspolitiques
voulant delivrer ſon peuple par
le moyen de Moyſe, qui n'eſtoit
bon qu'à commander , à cauſe
qu'il eſtoit begue & homme de
fort peu de paroles , il luy en
joignit de ſe ſervir de l'eloquen
ce de ſon frere Aaron . 1 Aaron
frater tuus levites , fcio quod eloquens
fit , loquere ad eum ,& pone verba mea
in ore ejus , ( Exodi cap. 4. ) & un
peu aprés il repete encore , 2 ecce
s
conſtitui te DeumPharaoni , & Aaron
frater tuus erit Propheta tuus , tu lo
queris ei omnia qua mandabo tibi, &
ille loquetur ad Pharaonem . (cap. 7.)
C'eſt ce que les Payens vrais Sin
ges de nos Myſteres , ont depuis
voulu repreſenter par leur Pallas
Deeffe des ſciences & de l'elo
quence , laquelle neanmoins eſtoit
armée de la lance , bouclier , &
bour
i Je ſçay que ton frere Aaron le Levite eſt
eloquent, parle à luy , & luy inets mes paroles
en la bouche . 2 Voicy , je tay établi Dicu
ſur Pharaon , & ton frere Aaron lera tox Pro
phete ; tu luy diras tout ce que je t'ordonne
ray , & il le diralui-mêmeà Pharaon .
ſur les coups d'Eſtut. 265
bourguignote,pour monſtrer que
lesarmes ne ſçauroient beaucoup
avancer ſans l'eloquence , ny l'elo
quence ſans les armes. Or dau
tant que cette liaiſon & aſſembla
ge de deux ſi differentes quali
tez , ne ſe peut que fort rarement
trouver en une même perſonne,
comme a fort bien monſtré Vir
gile par l'exemple de Drances ,
7 * Cui lingua melior , ſed frigi
da bello
Dextra .
Cela a eſté cauſe, que les plus
-) grands Capitaines ont toujours ob
ſervé pour ſuppléer à ce defaut,
d'avoir à leur ſuite , ou de fe join
dre d'affection avec quelqu'un
aſſez puiſſant, pour ſeconder par
1 l'effort de la langue celuy de leur
8 épée : Ninus par exemple ſe fer
If vit de Zoroaſtre, Agamemnon de
8 Neſtor, Diomedes d'Ulyſſe ,Pyr
rhus
olo M
id
D* Qui a la langue bonne , mais les mains
foot froides au combat .
266 Confiderations politiques
rhus de Cynée , Trajan de Pline
le Jeune , Theodoric de Caffio
dore; & le même ſe peut ainſi di
re de tous les grands guerriers
qui n'ont pas moins que les pre
cedens careſſé cette : Venus verti
cordia , & n'ont pareillement igno
ré , que
2 Cultus habet fermo & fapiens mi
rabile robur >

Imperat affectus varios, animumque


gubernat.
Pour moy je tiens le diſcours ſi
puiſſant, que je n'ay rien trouvé
juſques à cette heure , qui ſoit
exempt de ſon empire , c'eſt luy
qui perſuade , & qui fait croire
les plus fabuleuſes religions, qui
guerresvoile
{ uſcite les donne les plus inir
& couleu
ques , qui
aux actions les plus noires , qui
calme & appaiſe les feditions les
plus
1 Venus qui change & tourne les caurs où
elle veut.
2 Un diſcours ſage & bien poli a
une merveilleuſe force , il gouverne l'eſprit , &
commande ſur des paſſions diverſes.
Sur les Coups d'Eſtat. 267
plus violentes , qui excite la rage
& la fureur aux ames les plus pai
ſibles; bref c'eſt luy qui plante
& abat les hereſies, qui fait revol
ter l'Angleterre & convertir le
Japon ,
* Limus ut hic durefcit, & hæc ut ce
ra liquefcit
Vno eodemque igne. ( Virg. Ecl.4.)
Et fi un Prince avoit douze homa
18
mes de telle trempe à ſa devotion,
je l'eſtimerois plus fort, & croi
rois qu'il ſe feroit mieux obeïr en
ſon Royaume , que s'il у avoit
deux puiſſantes armées. Mais dau
Y tant que l'on ſe peut ſervir del'e
re
loquence en deux façons pour
parler ou pour écrire ; il faut en
core remarquer que cette ſeconde
partie n'eſt pas de moindre con
ſequence que la premiere , & j'oſe
dire qu'elle la ſurpaſſe en quelque
LIS façon ; car un homme qui parle
ne
ande M 2
*. Tout ainſi qu'un même feu endurcit la
bouë & fait foudre la cire.
268 Conſiderationspolitiques
ne peut eſtre entendu qu'en un
lieu & de 3 ou 4000 hommes tout
au plus ,
* Guude quod videant oculite mille
loquentem .
Là où celuy qui eſcrit peut de
clarer ſes conceptions en tous
lieux , & à toutes perſonnes. J'a
jouſte que beaucoup de bonnes
raiſons échapent fouvent aux o
reilles par la precipitation de la
langue , qui ne peuvent fi facile
ment tromper les yeux quand ils
repaſſent pluſieurs fois ſur une
même choſe. Et ce que les armes
ne peuvent bien ſouvent obtenir
fur les hommes , ceux - cy le ga
gnent par une ſimple declaration
ou manifeſte. C'eſt pourquoy
François I , & Charles cinq ne le
faiſoient pas moins la guerreavec
leurs lettres & apologies , qu'avec
les lances & les épées : & nous
avons

* Réjouï-toi de ce qu'il y a mille yeux qui


te voient parler .
ſur les coups d'Eſtat. 269
avons veu de noſtre temps , que
DUI la querelle du Pape & des Veni
tiens ; le debat ſur le ferment de
1 fidelité en Angleterre ; la faveur
du Marquis d'Ancre & Meſſieurs
de Luyne en France , la guerre
$ du Palatin en Allemagne, & des
Valtelins en Suiſſe , ont produit
une infinité de libelles autant pre
judiciables aux uns que favora
bles auxautres . Ceux qui ont veu
les merveilleux effets qu'ont pro
duit la Caſſandre & l'Ombre de
Henry le Grand contre le Mar
quis d'Ancre , le Contadin Pro
vençal & l'Hermite du mont Va
lerien , contre Meſſieurs deLuy
ne ; le Mot à l'oreille & la voix
publique, contre le Marquis de la
Vieuville , * l'Admonitio même , &
le Myſteria Politica de Janfenius,
contre les bons deſſeins de noſtre
Roy . Ceux - là dis-je ne peuvent
M 3 pas
* L'advertiſſement & les Myſteres Politi.
ques.
470 Confiderationspolitiques
pas douter combiende femblables
écrits ont de force.Et Dieu veüille
que ceux n'en ayent pas tant con
tre l'eſtat preſent de la France qui
ſont journellement envoyez de
Bruxelles , ou qu'ilſe trouve des
perſonnes aſſez capables & affe
&tionnées, pour defendre vigou
reuſement les intereſts du Roy
contre les mutinez , comme le Pe
re Paul l'Hermite a courageuſe
ment defendu la cauſe des Veni
tiens ; & Pibrac & Monluc celle
de Charles I X & de Henry III,
contre les plus furicuſes médifan
ces de tousles Calviniſtes.
Mais aprés avoir amplement
diſcouru de tous ces moyens pour
accommoder la Religion aux
choſes Politiques, il ne faut pas
oublier celuy qui a toujours eſté
le plus en uſage, & le plus ſubti
lement pratiqué , qui eſt d'entre
prendre ſous le pretexte de Reli
gion ce qu'aucun autre ne pour
roit
ſur les coups d'Eſtat. 271
roit rendre valable & legitime.
Et en effet le proverbe com
munément uſurpé par les Juifs ,
.1.in nomine Domini committitur omne
malum , ne ſe trouve pasmoins ve
ritable , que le reproche que fit le
Pape Leon à l'Empereur Theo
doſe , a privatæ cauſa pietatis agun
tur obtentu , do cupiditatum quiſque
fuarum religionem habet velut pediffe
quam . Dequoy puis que les exem
ples font ſi communs que tous
les livres ne font pleins d'autre
choſe, je me contenteray , aprés
avoir aſſez parlé de nos François,
me m’arreſter icy ſur les Eſpa
gnols & deſuivreponctuellement
ce queMariana le plus fidele de
leurs Hiſtoriens en a remarqué.
Il dit doncques en parlant des pre
miers Goths, qui occuperent les
Eſpagnes , & des guerres qu'ils faia
M 4
I Sous le nom de Dieu on commet toute for.
te de mal . 2 On traite des affaires privécsſous
le pretexte de la religion , qu'un chacun rend
chambriere de les convoitiſes.
272 Confiderationspolitiques
faiſoient pour ſe chaſſer les uns les
autres , qu'ils ſe fervoient de la
Religion comme d'un pretexte
pour regner , & fon refrain ordi
naire eſt, ' optimum fore judicavit
religionis pretextum , (1.6.c.5.) en
parlant du Roy Joſenand qui fe
fit aſſiſter des Bourguignons Ar
riens pour chaſſer le Roy Suinti
la ; & lors qu'il eſt queſtion des
Roys de Chintila , 2 cam fpecies reli
gionis obtenderetar; ( c. 6.) comme
auſli décrivant en quelle façon
Ervigius avoit chafilé le Roy
Wamba , 3 optimum vifum eft reli
gionis fpeciem obtendere; ( c. 7. ) &
quand deux freres de la Maiſon
d'Arragon 4 violento imperioſi Pontifi
cis mandato (c'eſtoit Boniface VIII)
s’armerent l'un contre l'autre , ce
bon Pere remarque fort à propos,
qu'il
Il jugea
1 tres
roit -bon . que le pretexte de lareligion ſe
? Lors qu'on faiſoit parade de
la religion . 3. Il fut trouvé fort bon , de faire
parade de la religion. 4 Par unordre violenc
qu’un Pape imperieux donna.
ſur les coups d'Eſtat. .273
qu'il n'y avoit rien de plus inhu
. main , que de violer ainſi les loix
de la nature, ſed tantifidesreligioque
fuere ; ( lib . si . c. 1.) & le même
encore parlant de la Navarre , que
Ferdinand 2 immenſa imperandi am
bitione , ofta à fa propre Niepce ,
il ajouſte pour excuſe , : ſed fpc
cies religionis prætexta facto eft, dan
Pontificis juſſa. ( lib..25 . cap .ult. )
Mais parce que ce ne feroit jamais
fait de vouloir alleguer tous les
endroits où ce brave auteur a fait
de ſemblables remarques ,j'atteſte
ray tout ſon livre entier qui n'eſt
plein d'autre choſe ; & paſſant à
Charles V ,jeproduiray contre luy
ce que diſoit François I , en fon
apologie de l'an 1537. Charles veut
empieter ſur les Etatsfous couleur de
Religion. Et en parlant de la guer
MS re

i Mais la foy & la religion eurent tant de


force. 2 Par l'immenſe ambitio n qu'il
3 Mais il aſe.
voit de commander à tous .
couvrit du pretexte de la religion , & des ose
dres du Pape.
274. Conſiderations politiques
re d'Allemagne , l'Empereurſous cou
leur de religion armé de la ligue des
Catholiques , veut opprimer l'autre da
fe faire le chemin à la Monarchie , 1
Ce qui fut auſſi fort bien remar
qué par Monſieur de Nevers au
paſſage que nous avons allegué
cy -deſſus. Finalement lors que
le feu Roy Jacques fut appel
lé à la Couronne d'Angleterre , le
Roy d'Efpagne fe hafta de noüer
une étroitte alliance avec luy , le
Conneſtable de Caſtille y fut en
voyé , la relation en a eſté im
primée , & Rovida Senateur de
Milan appelle cette alliance une
cuvre tres- ſainte , reconnoiſt le
Roy d'Angleterre pour un tres
faint Prince Chreſtien , luy offre
de la part du Roy fon Maiſtre
toutes ſes forces par mer & par
terre , & proteſte que le Roy
d'Eſpagne le fait * divinâ admoni.
tione,
Par un avertiſſement divin , par la vo
lonté divioe , par l'aſſiſtance divine , & com
me par une grande grace de Dica .
fuir les coups d'Eſtat. 275
tione, divinâ voluntaté, divinâ ope , non
niſi magno Dei beneficio. Puis donc
ques que le naturel de la plûpart
des Princes eft de traitter de la re
ligion en Charlatans, & de s'en ſer
vir comme d'une drogue , pour
entretenir le credit & la reputa
tion de leur theatre , on ne doit
pas, ce me ſemble , blâmer un Po
litique , ſi pour venir à bout de
quelque affaire importante , il a
recours à la même induſtrie , bien
qu'il foit plus honnefte de dire
le contraire, & que pour en parler
fainement ,
* Nonfunt hæc dicenda palam , pro
dendaque vulgo ,
Quippe hominum plerique mali, ple
rique fcelefti.( Palingen. in Li
bra . )
Toutes ces maximes neanmoins
demeureroient ſans luſtre , & fans
M6 éclat,
* On ne doit point découvrir ny reveler de
relles choſes au menu peuple , veu que parmy
les hommes il y en a tant deméchants & de
fcelerats ,
276 Conſiderationspolitiques
éclat , ſi elles n'eſtoient rehauf
fées , & comme, animées d'une
autre, qui nous enſeigne de les
prendre par le bon biais, & de
bien choiſir l'heure & le temps
favorable pour les mettre en exe
cution ,
* Data temporeprofunt,
Et data non apto tempore multa no
cent .

Et encore n'eſt- ce pas aſſez d'a


voir acquis cette prudence ordi
naire & commune à beaucoup de
Politiques , ſi nous ne paſſons à
une autre encore plus rafinée , &
qui eſt ſeulement propre auxplus 3

ruſez & experimentez Miniſtres,


pour ſe prevaloir des occafion's
fortuites , & tirer profit & avan
tage de ce qui auroit eſté negligé
de quelque autre , ou qui peut
eſtre
Les chofs qu'on applique opportuné
ment , proficent & reüffiflent bien ; mais il y
en a beaucoup qui font fort nuiſibles , quand
elles ne ſont pas appliquées en un temps pro
pre.
ſur les coups d'Eſtat. :277
eſtre luy auroit porté prejudice.
Telle fut l'occaſion decette gran
de eclipfe qui arriva ſous l'Empe
reur Tibere , lors que toutes les
legions deHongrie eſtoient fifie
rement revoltées , qu'il n'y avoit
quaſi aucune apparence de les
pouvoir appaiſer ; car un autre
moins aviſé que Drufus euſtne
gligé cette occaſion , & n'euſt ja
mais penſé d'en pouvoir tirer
quelque avantage;mais luy voyant
que les mutins avoient conceu
une grande frayeur de cette ob
fcurité, parce qu'ils n'en ſçavoient
pas la cauſe , il prit l'occaſion aux
cheveux , & les intimida de telle
ſorte , qu'il vint à bout par cet ac
cident de ce à quoy tous les auz
tres Chefs , & luy -même aupa
ravant deſeſperoient de pouvoir
donner ordre. Tel fut aufli le
ftratageme duquel le Roy Tullus
couvrit ingenieuſement la retrait
te de Metius Suffetius, voiremê
me
M 7
278 Conſiderationspolitiques
meen tira un avantage nompareil,
faiſant courir le bruit & paſſer
parole d'eſcadron en eſcadron ,
qu'il l'avoit envoyé pour ſur
prendre ſes ennemis, & leurofter
tout moyen de retraite: En ſui
te de quoy je m'étonne bien fort,
comme T. Live & Corneille Ta
cite, qui rapportent ces deux Hi
ſtoires , fe font contentez d'en ti
rer des concluſions particulieres,
& que le premier ait ſeulement
dit , - Stratagema eft, qua in certa
- mine à transfugis noftris perfide fiunt
ea dicere fierinoftro juffu ; & l'autre ,
2 In commoto popula ſedando, conver
tenda in ſapientiam & occafionem mi
tigationis, qua cafu obtulit , do que
populus ille papet aut obfervat etiam
Super
I C'eſt un ſtratageme, que dedire , que ce
que nos transfuges font perfidement pendant 1

le combat, ſe fait par noſtre ordre. 2 Pour


appaiſer l'émotion d'un peuple , il fauttourner
en ſageſſe & en occaſion de l'addoucir les cho.
lesque le cas fortuit preſente , & celles dont ce
peuple s'épouvante , ou qu'il obſerve avec ſu
perftition .
ſur les coups d'Eſtat. 279
ſuperſtitiosè, veu qu'il falloit tout
d'un coup en tirer cette regle ge
nerale , ' que cafus obtulit in ſapien
tiam pertendat , puis que non ſeule
ment aux trahiſons, & aux muti
neries , mais en toutes autres for
tes d'affaires & de rencontres ,
2 mos eſt hominibus , commedit Cal
fiodore , occafiones repentinas ad ar
tes ducere. Ainſi liſons nous que
Chriſtophle Colomb , aprés avoir
fupputé le temps auquel une gran
de eclipfe devoit arriver , il me
naça certains habitans du nouveau
Monde , de convertir la Lune en
fang, & de la leur oſter entiere
ment , s'ils ne luy fourniſſoient
les rafraiſchiſſemens dont il avoit
beſoin , & qui luy furent incon
envoye
tinentenvoy ezz , dés auſſi-toft que
l'eclipſe commença de paroiſtre.
J'ay remarqué cy- deſſus que Fer
dinand
1 Il faut tourner en fagefſe les choſes que lo
cas fortuit preſente. 2 Les hommes ont ac
coutumé de mettre en æuvre & ſe ſervir 'artifi
cieuſement des rencontres impreveües.
280 Conſiderations politiques
dinand Cortez fit croire aux hà
bitans de Mexique, qu'il eſtoit
le Dieu Tophilchin , pour entrer
plus facilement dans leur Royau
me ; & que François Pizarre fe
ſervant du même ſtratageme en
la conqueſte du Perou , ſe faiſoit
nommer le Viracoca. Ce fut en
core par ce moyen que Maho
met changea ſon epilepſie en ex
tafe, & que Charles V ſe ſervit
de l'hereſie de Luther , pour di
vifer & affoiblir les Princes d'Al.
lemagne, qui pouvoient en de
$

meurant unis controller l'autori .


té qu'il vouloit avoir dans l’Em
pire, & empeſcher le projet qu'il
avoit dreſſé d'une Monarchie uni
verſelle. Diſons encore que le
même Empereur , n'ayant plus
l'eſprit & le jugement aſſez fort
pour gouverner un Eſtat ſi grand
qu'eſtoit le fien , & voyant d'ail
leurs que la fortune naiſſante de
Henry II, mettoit des bornes à la
fienne ,
fur les Coups d'Eſtat. 5281
fienne , ſe mocquoit de ſon 1 plus
ultra , & faifoit dire aux Paſqui
nades ,
2
Siſte pedem Melis, bec tibi metu
datur.
Il couvrit toutes ces diſgraces,
du voile de Pieté & de Religion ,
s'enfermant dansun cloiſtre , où il
eut pareillement la commodité de
faire penitence du peché ſecret ,
qu'il avoit commis en la naiſſan
-ce d'un fils baſtard , qui luy eſtoit
auſſi neveu . Ainſi Philippe II,
prit, ſujet de caſſer tousles Pri
vileges extraordinaires des Arra
gonois , ſur la protection qu'ils
voulurent donner à Antonio De
rez ; & je trouve entre nos Roys
de France que Philippe premier
augmenta beaucoup ſon Royau
me , & le delivra s'il faut ainſi di.
re de la Tutele des Maires du Pa
lais , pendant que tous les Prin
ces

1 Plus outre . 2 Arreſte toi à Mets ,car c'eſt


là la borne qui t'eſt donnée.
282 Conſiderations politiques
ces de la France , & fon Frere mê.
me eſtoient occupez à combat
tre les Sarraſins, ſous la conduite
de Godefroy de Boüillon ; &
pendant la troſiéme Croiſade, on
pourroit dire que Philippe Au
guſte abandonna le Roy Richard
d'Angleterre, pour s'en revenir en
France broüiller les affaires des
Anglois , parce qu'en matiere
d'Eſtat ,'* quadam niſi fallacia vi.
res affumpferint, fidem propofitinon in
veniunt , laudemque occulto magis tra
mite quàm via recta përunt. ( Val.
Max . l. 7. cap.3.)
Il y a de certaines choſes qui ne rencon
trent pas la croyance qu'on s'eit propoſée, ſi
elles n'ont pris des forces par lemoyende quel
que tromperie , & qui cherchent pluſtoit la
louange par quelques ſentiers cachez que par
- des voyes droites.

CHA
ſur les coups d'Eſtat. 283
CHAPITRE V.
Quelles conditions font requiſes all
Miniſtre avec qui l'on peut
concerter les coups
d'Eſtat.
'On me pourra objecter icy
5 L'on
que je ne devrois traitter des
conditions du Miniſtre , qu'aprés
avoir parlé de celles du Prince ,
puis que c'eſt luy qui donne le
premier branle & mouvement à
tout ce qui eſt fait dans ſon Con
feil, comme le premier mobile en .
traine tous les Cieux avec foy , &
le Soleil communique fa lumiere
à tous les Aftres & Planetes : Mais
à cela je puis répondre, que les
Souverains nous font donnez ou
par ſucceſſion ou par élection ;
or de ces deux moyens le pre
mier fuit la nature , à laquelle
nous obeïſſonsn ponctuellementa,
fans reſtrictio ou conſider
tion
284 Conſiderations politiques
tion d'aucune circonſtance voire
même ,
* Dum pecudes auro , dum murice
veſtit Aſellos.
Et le ſecond dépend des brigues ,
monopoles, & cabales de ceux qui
ſe trouvent les plus riches, & les
plus puiſſans d'amis , de faveurs,
& d'argent , pour ſatisfaire à leur
ambition ; de maniere que ce ſe
roit parler en vray pedant, de
propoſer oude penſer ſeulement,
que les conſiderations de la ver
tu & des merites , puiſſent avoir
lieu parmy un tel deſordre. Mais
pour ce qui eſt des Miniſtres , on
en peut philofopher d'autre façon,
parce qu'ils dependent abſolu
ment du choix que le Prince en
peutfaire; luy eſtantpermis, voi
re même bien -feant & honorable,
de trier ſoigneuſement d'entre
tous ſes amis ou domeſtiques ,
ce

* Quand il reveſt d'or les brebis, & les ânes


de pourpre.
ſur les coups d'Eſtat. 285
celuy qu'il jugera eſtre le mieux
conditionné pour le ſerieux em
ploy où il le veutmettre; ' Sapiena
tiffimum enim dicunt eum eſſe cui quod
opus fit veniat in mentem , proximè
accedere , illum qui alteriusbeneinven .
tis obtemperet. ( Cicero pro Cluen
tio .) J'ajoufte sencore qu'outre
l'honneur que le Prince reçoit
d'une telle election , il en retire
une commodité tres-grande, & fi
conſiderable , que s'il ne ſe veut
negliger & abandonner luy -mê.
me, ileſt preſque neceſſité de pro
ceder à cette election , Velleius Pa
terculus ayant remarqué fort à
propos, que 2 magna negotia magnis
adjutoribus egent, (lib. 2.) & Tacite,
que 3 graviffimi Principis labores queis
orbem

1 Car on appelle le plus fage celuy ,à qui


vient en la penſée tout ce dont il a beſoin , &
que celui- là en approche de bien prés qui
obeït aux bonnes inventions qu'un autre a
trouvées. 2 Les grandes affairesontbeſoin de
grandes aides. 3 La plus grande peine qu'un
Prince puiſſe prendre à gouverner le monde, a
beſoin d'affittance.
286 Conſiderations politiques
orbem terra capeflit , egent adminicu
lis. ( 12. Annal.) Joint que com
me dit fort bien Euripides , oogos
τυραννG των οφων συνεσία, * prin
ceps fit ſapiens Sapientum commercio.
Et en effet les Hiſtoires nous ap
prennent , que ceux -là ont tou
jours eſté eſtimez les plus ſages
entre les Princes , qui n'ont rien
fait de leurs teſtes , ny fans avis
de quelque fidele & aſſeuré Mi
niſtre ; d'où vient qu'Alexandre
avoit toujours auprés de ſoyCli
tus & Epheſtion qu'Auguſte ne
faiſoit rien ſans l'avis de Mecenas
& d'Agrippa; que Neron fut le
meilleur des Empereurs pendant
qu'il ſuivit le conſeil de Burrus
& de Seneque ; & pour venir à
ce qui eſt plus de noſtre connoiſ
fance , Charles V & Philippes II,
ont eu les Sieurs de Chevres, &
Ruy de Gomez pour confidents,
tout

Le Prince ſe rend lage par le commerce


qu'il a avec les ſages.
fur les coups d'Eſtat. 287
tout ainſi que les intimes Con
feillers de Charles VII , furent
en divers temps le Comte de Du
nois, Louvet Preſident de Pro
vence , Tannegui du Chaſtel, &
un Comte de Dammartin . Pour
ce qui eſt de ſon fils Louys XI ,
comme il eſtoit d'un eſprit dé
fiant , variable , & toujours trou
ble,auſſi changea-t-ilpluſieurs fois
de ferviteurs ſecrets & affidez ,
mais neanmoins il en avoit tou
jours quelqu'un à qui il ſe com
muniquoit plus librement qu'aux
autres, témoin le Cardinal Ballue,
Philippes de Comines, & fon Me
decin Cottier. Charles VIII en
fit de même du Cardinal Brillo
net, & ſon ſucceſſeur Louys XII,
du Cardinal d'Amboiſe qui le
poſſedoit entierement. Le Roy
François I avoit plus de fiance à
l'Amiral d'Annebaut qu'à nul
autre , & Henry II , au Connel
Bref,
table de Montmorency . nous
288. Conſiderationspolitiques
nousvoyons dans la ſuite de nos
Annales , que les deux freres de
Lorraine furent l'appuy de Fran
çois II , le Cardinal Birague de
.

Charles IX , Monſieur d'Elper


non de Henry III , Meſſieurs de
Sully, Villeroy & Sillery de Hen
ryl V , & Monſeigneur le Cardi
nal de Richelieu de noſtre Roy
Louys le Juſte & le Triomphant.
Mais cette maxime eftant éta .
blie comme tres - certaine & veri
table,queles Princes doivent avoir
quelqueConſeiller ſecret& affidé,
les Politiques ſe trouvent bien en
peine à ſe refoudre, s'ils ſe doivent
contenter d'un ſeul, ou en avoir
pluſieurs en égal & pareil degré de
confidence . Car ſi l'on veut agir
pár raiſons & par exemples, Xeno
phon nous avertira d'un coſté ,
que
πολαπολοί
ώτα ,
βασιλέως οφθαλμοί και
* multi debent effe Regis
oculi,
* Le Roy doit avoir pluſieursyeux, & plu
ſieurs oreilles .
ſur les coups d'Eſtat. 299
na oculi , & multa aures , ( 1.28.pæd .)
& & le Triumvirat qui a ſi heureu
211 fement gouverné la France ſous
Henry IV , fera foy de ſon dire,
quand bien nous n'aurions pas
l'exemple d'Auguſte & des an
ciens. D'ailleurs auſſi nous ſçavons
qu'entre pluſieurs ' non voto vivi
tur uno, & qu'en matiere d'affaires
1 il n'y a rien deplus prejudiciable,
ny de plus faſcheux que la diver
ſité d'opinions ; que la haine,
1 l'ambition , la vaine gloireou paf
fions ſemblables font bien fou
>

vent propoſer & autoriſer , ce qui


eſt directement contraire à la rai
fon , & Tacite remarque fort à
propos, que a cade Meffalina con
vulſa eſt Principis domus, orto apud
libertos certamine : de forte que tout
ainſi que le grand nombre deMe
N decins

I On n'eſt pas toujours d'un même ſenti


ment . 2 Par la mort de Meffalina la maiſon
du Prince fut toute bouleverſée , à cauſe de la
conteſtation qui ſurvint entre lesaffranchis.
290 Confiderations politiques
decins tuë fouvent les malades ,
le trop grand nombre de Con
feillers ruine auſſi preſque tou
jours les affaires. C'eſt pour
quoy il me ſemble à propos pour
accorder ces deux opinions ſi dif
ferentes, d'uſer de quelque di
ſtinction , & de dire , que ſi le
Prince fe juge aſſez fort, auto
riſé , judicieux, & capable pour
eftre au deſſus de fes Conſeil
lers & Confidens, il eſt bon d'en
avoir trois ou quatre , parce que
aprés qu'ils auront opiné ſur
quelque incident,il en pourra tirer
diverſes ouvertures ou moyens ,
& choiſir celuy qu'il eſtimera
plus expedient d'executer : Mais
s'il eſt d'un eſprit foible , peu
entendu & incapable de choiſir
le meilleur avis & le faire ſuivre,
il eſt ſans doute plus expedient,
qu'il ne ſe confie qu'à un ſeul
qu'il choiſira pour le plus judi
cicux & mieux conditionné de
tous
ies ſur les Corios deEſtat. 221
tous les autres ; parce que s'il ſe
commet à pluſieurs , il peut ar
river que chacun d'eux aura fes
+
intereſts particuliers differents,
fes intentions diverſes , ſes del
ſeins tout à fait diſemblables ,
ſur quoy le Prince n’eſtant pas
en eſtat de les regler , & de leur
ſervir de chef , les brigues &
les partis ſe formeront dansſoni
Conſeil, l'ambition s'y coulera ,
& la jalouſie qui la fuit d'auſſi
prés comme elle fait l'amour ,
la raiſon n'y fera rien , & la
paſſion y fera tout , le ſecret en
ſera banny, & cependant le pau
vre Prince ſera inquieté d'une
étrange façon , il ne ſçaura à quoy
fe reſoudre, ny de quel coſté
ſe tourner , il ſervira de fa
ble à ſon peuple , & de joüet
à la paſſion de ſes Miniſtres.
C'eſt ce qui a eſté tres - judi
cieuſement remarqué par Tacite
à propos de l'Empereur Galba,
N 2 i quippe
292 Conſiderationspolitiques
1
quippe hiantes in magna fortuna ami. lo
corum cupiditates, ipſa Galbe facili.
tas intendebat ; cum apud infirmum &
credulum minori metu , & majori
pramio peccaretur. Autant en arri
ya -t-il à l'Empereur Claudius , &
denoſtre temps à Charles VIII,
en ce qui concernoit les affaires
de Piſe& Siene. Guicciardin fait
la même remarque de Clement
VII , & les Politiques Italiens
ont pris ſujet d'en former cet
Axiome, 2 Ogni volta cheun Principe
ſarà in mano di più , quando non hab
bia conſiglio e prudenza da se , ſarà
preda da tutti ; où au contraire s'il
ne ſe fie qu'à un ſeul Miniſtre bien
conditionné & entretenu ſuivant
les
i Carla trop grande facilité de Galba au
gmentoit la convoitiſe de ſes amis , qui baail
loient aprés une grande fortune ; veu inê .
me que les fautes que l'on commettoit au.
prés d'un eſprit foible & credule comme le
lien , eſtoient ſuivies de moins d'apprehenſion ,
& de plus de recompenſe. 2 Toutes les fois
qu'un Prince ſe met entre les mains de plu
fieurs , s'il n'a du conſeil & de la prudence de
fay-même, il ſera la proye de tous.
ſur les coups d'Eſtat. 293
les devoirs reciproques de maiſtre
à ſerviteur , toutes choſes en iront
beaucoup mieux pour le Prince ,
ſon credit luy ſerá conſervé , ſon
autorité maintenuë , ſa perſonne
aimée , ſes commandemens exe
Il cutez , & tout ſon Eſtat en recen
vra des fruits pareils à ceux que
at reçoit maintenant laFrance du fa .
01
ge gouvernement de Monſeia
ens
gneur le Cardinal de Riche
CHI
lieu .
Cela donc eſtant reſolu qu'un
Prince doit avoir quelque Mini
ſtre ou Conſeiller ſecret, fidele , &
il confident , il faut maintenant voir
en de quelle façon il le peut choiſir,
ant & quelles qualitez il doit recher
lo cher en fa perſonne; ou pour
all
mieux dire , de quelle condition
aile il le doit prendre , tant pour ce
qui eſt du corps & des accidens
elle qui le ſuivent , que de l'eſprit.
105 Aprés quoy nous ajouſterons auſſi
ce que doit contribuer le Prince
plo à la
N 3
294 Confiderationspolitiques
à la fatisfa Ation de ſon Miniſtre ,
& mettrons fin à ce preſent diſ
Cours .

Or.pour ce qui eſt du premier


point qui nous doit principale
ment monſtrer de quelle quali
té , office ou ſorte de perſonnes
on peut prendre un Miniſtre, je
m'y trouve aufli emperché que
l'eſtoit Vegece pour reſoudre de
quch lieu & de quelle condition
de perſonnes on pouvoit choiſir
un bon ſoldat. Car comme tou
tes les affaires ne font pas ſembla
bles , auſſi toutes fortes de per
ſonnes ne ſont pas toujours bon
nes à toutes ſortes de negocia
tions , non plus que tout bois
n'eſtoit anciennement propre à
faire la ſtatuc de Mercure. Je di
ray neanmoins pour vuider ce
different , qu'il faut diſtinguer
entre le Miniſtre de Conſeil , &
le Miniſtre d'execution , car en
core que l'on leur puiſſe donner à
tous
ſur les Coups d'Eſtat. 295
Fre, tous deux cet avertiſſement rap
porté par T.Live, (lib. 24.) 'ma
gis nullius intereſt quàm tua , T. Ofa
cili , non imponi cervicibus tuis onus ,
ſub quo concidas; il faut neanmoins
pour les confiderer tous deux en
particulier, y apporter auſſi des
conditions differentes , & dire
pour ce qui eſt du dernier , qu'on
ne peut manquer de le tirer d'en
tre les plus nobles & illuſtres fa
bir milles, afin qu'il exerce la charge
& le commandement qu'on luy
donnera , avec plus d'éclar, de
L grandeur & d'autorité. Il faut
auſſi prendre garde qu'il ait l'in
clination & la fuffiſance propor
-01 tionnée à l'employ auquel il eſt
deſtiné,
di 2 Nec enim loricam poſcit Achillis
a Therfites.
UBI N 4 Et
& 1 Il t'importe plus qu'à aucun autre , TX
C1 tus Ofacilius, de ne te charger pas d'un far
2 Car
deau dont tu puiſſes eftre accablé .
eri un Therlite ne demande pas la cuiraſſe d'Achil
Jus les .
296 Confiderations politiques
Et comme un Appius ne duiſoit
aucunement aux affaires populai
res , Cleon n'entendoit pas la con
duite d'une armée , Philopæmen
ne ſçavoit nullement commander
ſur mer , Pericles n'eſtoit bon que
pour gouverner, Diomedes que
pour combattre , Ulyſſe que pour
conſeiller ; il faut de même tirer
avantage de ces diverſes inclina
tions, afin d'appeller à chaque
vacation celuy qui pour y avoir
du naturel , la peut exercer avec
honneur & ſatisfaction ; autre .
ment ce ſeroit faire tort à ceux
qui ſont nez pour commander , de
les aſſujettir aux autres , qui ne
font faits que pour obeïr; à ceux
qui ne ſont pas hardis & belli.
queux , de leur donner la con
duite d'une armée ; & d'em
ployer aux Ambaſſades ceux qui
ne ſçavent ny parler ny haran
guer; eſtant beaucoup plus à pro
pos , comme nous avertit un An.
cien,
ſur les coups d'Eſtar. 297
cien , i quemque cuique functioni pro
indoleadmovere : mais pour ce qui
eſt du choix d'un Miniſtre ſecret,
je croy qu'on en peut diſcourir
d'autre façon , & pour reſoudre le
doute propoſé cy -deſſus ſi on le
doit tirer d'entre les familles illu
ſtres de l'Eſtat, ou des perſonnes
de mediocre condition; il me fem
ble qu'on le peut faire de toutes
les deux ſortes indifferemment ,
I
parce que 2 dum nullum faftidiretur
virtus , crevit
genus in quo eniteret virtues
imperium Romanum . ( T. Livius
lib. 4. ) Il y a toutefois ces diffi
cultez du cofté des nobles &
grands Seigneurs, qu'ils ſont en
viez des autres, que bien fou
vent au lieu d'obeir ils veulent
commander , qu'ils conſeillent
plutoſt le Prince ſuivant leur in
N S tereſt

1 D'employer chacun à la fonction dont ſon


genie eſt plus capable. 2 L'empire Romain
s'eſt toujours augmenté , pendant qu'on n'a
point dedaigné ceux où l'on voyoit éclater la
vertu, de quelle condition qu'ils fuffent,
1
298 Conſiderationspolitiques
tercft particulier , que.le bien de
l'Eſtat,qu'ils veulent avancer leurs
creatures , & ruiner ceux qui ſont
contraires à leur cabale ; qu'ils
veulent bien ſouvent entrepren
dre ſur l'autorité de leur Maiſtre,
comme firent les Maires du Pau
lais en France , qu'ils broüillent
le Royaume pour ſe rendre ne
ceffaires , qu'ils ne font jamais
contens de ce qu'on leur donne,
comme eſtant toujours au deſſous
de ce qu'ils penfent avoir merité,
foit pour leurs ſervices ou pour la
grandeur de leur maiſon ; bref il
me ſemble qu'en cette occafion ,
où l'on n'a que faire de la no
bleſſe & dignité des perſonnes,
mais plutoſt de leur avis , conſeil,
& jugement, un Marquis , un
Duc , un Prince , ne peuvent pas
mieux rencontrer que les hommes
de mediocrecondition , & peuvent
cauſer beaucoup plus de mal ; où
au contraire ceux-cy peuvent fai
re
ſur les coups d'Eſtat. 299
re autant debien , ne couſtent pas
tant , ſe rendent plus ſujets , plus
faciles & traitables , & font beau
>

coup moins à craindre. Et à la


verité Seneque avoit raiſon de di
1 re , nulli præclufa eft virtus , omnes
admittit , nec cenſum , nec fexum cligir.
1 ( in epiſtol.) A propos dequoy
Tacite remarque que les Alle
os mans prenoient même conſeil de
E leurs femmes , 2 nec confilia earını
IS
!
ajp :rnabantur , nec refponfa negliga
bent. (de morib . Germ . ) Ce que
Plutarque confirme auſi des La
1 cedemoniens , & beaucoup d'Hi
7, ſtoriens, des Empereurs Auguſte
Do & Juſtinien ;& Cecilius diſoit fort
bien dans les Tuſculanes de Cice
ron , 3 ſape etiam ſub ſordido pullio
latet ſapientia. Ce ſontles occaſions,
l'employ , & les affaires qui la
705. N 6 décou
n! 1 La vertu n'eft inacceſible à perſorr.e ; elle
OH
reçoit un chacun , & ne fait choix, ny de condi
tion ny de ſexe. 2 Ils ne mépriſoient pas
al leurs conſeils ,& ne negligeoient pas leurs re :
pon
cacſes. 3 Et ſouvent auil
hée ſous un vilain inan i ily
tead .
adela lagerle
300 Confiderations politiques
découvrent , & qui la font briller
& éclatter. Si l'on n'euſt employé
Matthieu Paumier Florentin , à
l'ambaſſade de laquelle il s'acqui
ta ſi dignement , envers le Roy
Alphonſe,on auroit toujours creu
qu'il n'eſtoit bon qu'à battre le
mortier pour faire des medecines
& clyfteres; ſi le Cardinal d'offat
ne fe fuft rencontré dans les affai
res de la Cour de Rome , on ſe
fuſt toujours perſuadé qu'il n'ef
toit propre qu'à pedanter dans
les Colleges de Paris & à defen
dre Ramus contre Charpentier.
Et le ſemblable peut-on dire en
core des Cardinaux Balue , Xi
menes , & du Perron , quorum
nobilitas fola fuit atque unica virtus.
L'on dit que de toutes tailles bons
Levriers , & pourquoy non de
toutes ſortes de conditions de bons
eſprits : Cardan eſtoit Medecin ,
Bodin

Qui n'avoien
leur ſeule vertų . t point d'autre nobleſſe que
ſur les coups d'Eſtat. 301
Bodin Advocat , Charon Theo
logien, Montagne Gentilhomme,
la Nouë Soldat , & le Pere Paul .
Moine : enfin
Sæpe etiam eſt olitor verba oppor
tuna locutus.
C'eſt pourquoy je n’exclus per
ſonne de cette charge, non les
étrangers, parce que Tibere 2ſub
inde res ſuas quibuſdam ignotis man
dabat, ( Tacit. 4. Annal. ) & que
Charles V fe fervit de Granvelle,
François I de Trivulſe ,Henry II
de Strozzi , & Charles IX du
Cardinal de Birague. Non les jeu
nes, parce que 3 cani indices etatis
nonſapientia , & que Ciceron nous
avertit , 4 ab eximia virtute progres
fum ætatis expectari non oportere ,
( Philip. 5. ) témoin les exemples
N7 de
3. 1 Unjardinier même à dit rouventde bon
7,
nes choſes. 2 Commettoit quelquefois l'ad
miniſtration de ſes affaires à des gens inconnus.
3 Les cheveux blancs ſont les marques de
l'âge, & non de la ſageſſe. 4 Qu'il ne faut pas
attendre le progrés de l'âge d'une extraordinai
re vertu .
302 Conſiderations politiques
deJoſephe,David, Epheſtion ,&
Papyrius. Non les vieux,puis que
Moyſe par le conſeil de ſon beau
pere Jethro , en choiſit Lxx pour
gouverner avec luy le peuple
d'Iſraël; & que Louys XI penſa
eſtre accablé par la guerre du bien
public , pour n'avoir pas voulu
croire aux vieux Confeillers , que
ſon Pere luy avoit laiſſez. Non les
ignorans, puis que, comme dit Se
neque, * paucisad bonam mentem opis
eſt literis , & que ſuivant l'opinion
de Thucydides les eſprits grof
fiers ſont plus propres à gouver
ner des peuples, que ceux qui font
plus ſubtils & épurez; les grands
eſprits ayant cela de propre qu'ils
ſont plus portez à innover qu'à
negotier , novandis quàm gerendis re
bus aptiora ,(Curt. 1.4.) à dépendre
qu'à conſerver , à pourſuivre leur
pointe avec obſtination qu'à ceder
ou

* Un bon eſprit n'a pas beſoin de beaucoup


de lettres.
ſur les coups d'Eſtat. 3.03
ou s'accommoder à la neceſſité des
affaires , & à traitter enfin avec des
Anges ou intelligences , qu'avec
des hommes , quod enim celei iter ar
ripiunt, id quum tardè percipi videntdiſ
cruciantur. (Cic. pro Roſcio.) Non
les lettrez , veu que ? Imperator Ale
xander confiliis toga á militiæ liter.l
tos adhibebat , & maxime eos qui hifto
riam norunt , ( Lamprid. in co. )
joint que le Cardinal de Riche
lieu a eſté tiré du fond de la Bi
bliotheque pour gouverner la
France. Non les Philoſophes, à
cauſc de Xenophon , Seneque &
Plutarque. Non les Medecins,puis
quc Oribaſe par ſes bons conſeils
& avis éleva Julien à l'Empire,
que Apollophanes eſtoit chef du
Conſeil d'Antiochus , qu’Eſtienne
fut envoyé par l'Empereur Juſti
nicn
i Car ils enragent de voir aller lentement
ce qu'ils ont entrepris avec precipitation .
2.L'Empereur Alexandre employoit aux con
feils de la robe& de la guerre des hommes
lettrez, & particulierement ceux quiſçavoient
l'hiſtoire.
304 Conſiderationspolitiques
nien à Cofroës,queJacquesCottier
& Olivier le Dain furent des prin
cipaux Conſeillers de LouysXI,
le Pere de Monſieur le Chance
lier de l'Hoſpital de Charles de
Bourbon , & Monfieur Miron du
Roy Henry III. Non les Moi
nes à cauſe du Pere Paul de Ve
niſe,ny pour finir,telles autres ſor
tes de perſonnesque ce ſoit, pour
veu qu'elles ayent les conditions
que nous expliquerons cy- aprés ;
* magna enim ingenia ſape in occulto
latent , comme diſoit Plaute , ( in
Capt.) & la Prudence & Sageſſe
ne fait pointchoix de perſonnes,
elle habite auſſi bien dans le ton
neau de Diogenes , aux écoles ,
ſous un froc , & fous desméchans
haillons, queparmy les delices &
ſomptuofitez d'un Palais. Tant
s'en faut , nefcio quomodo factum eſt,
110
1 Car il arrive ſouvent que les grandseſprits
demeurentcachez. 2 Jeneſçay comment il eft
arrivé que la pauvreté ſoit toujours la ſocur &
la compagne du bon eſprit.
ſur les coups d'Eſtat. 305
ut ſemper bona mentis ſoror. fit pau
pertas.
Or les conditions que le Mi
niſtre doit apporter & contribuer
du lien au ſervice de fon Prince ,
neſe peuvent expliquer qu'aſſez
difficilement. C'eſt ce qui a fait
fuer tant d'écrivains, ce qui a ou
vert la carriere à tant de diſcours,
& ce qui a produit tant de livres
ſur l'idée , l'exemple & la parfaite
; deſcription du bon Conſeiller , du
fidele Miniſtre , du prudent Poli
3 tique , & de l'homme d'Eſtat ,
- quoy que tous ces auteurs ayent
plutoſt reſſemblé aux Archersde
Diogenes , qui ſembloyent tirer
1
au plus loing du but , qu'à Cice
5
ron en ſon livre de l'Orateur , ou
à Xenophon en ſon Prince. Pour
moy qui n'ay pas entrepris com
me eux de publier un gros livre
de toutes les vertus , fous ombre
de trois ou quatre qui ſont ne
ceſſaires à un Miniſtre , je diray
pre
306 Canfiderationspolitiques
premierement: Que je le veux
eftre tel en effect qu'il ſera en pre
dicament, connu du Prince , &
choiſi de luy-même par la ſeule
conſideration de ſes merites , ſans
autre recommendation que de fa
propre vertu , * virtute enim azn .
bire oportet non favitoribus. Beau
coup qui viennent ſur le theatre
du monde pour entrer aux hon
neurs & confidences , y paroiſſent
bien ſouvent reveſtus d'ornemens
empruntez , de faveurs , d'amis ,
d'argent, de ſollicitations & pour
ſuites ambitieuſes, ils s'y prefen
tent comme laCorneille d'Efope
couverts des plumes d'autruy , &
font parade de ce qui n'eft pas à
eux, pour obtenir ce qu'ils neme
ritent pas ; mais leur nudité paroiſt
toujours à travers de ces habits ,
qu'ils n'ont que par emprunt , &
qui les expoſe aullitoft à la honte
fur

* Car il faut aſpirer aux charges par la vertu


& non pas par le moyen des fauicurs.
fur les coups d'Eſtat. 3 307
1
fur le propre Theatre de la gloi
re. Il faut doncques qu’un hom
me qui ſe veut maintenir en cre
1 dit & en reputation juſques à la
fin , entre & penetre dans le cre
dit & la bonne opinion de ſon
Majſtre ,orné comme l'eſtoit Hip
pias Eleus de veſtemens faits de
e fa main , de ſçavoir ,de prudence,
de vertu , demerite, decourage ,
bref de choſes qui ſoient de ſon
13
propre creu : il faut que comme
sy le Soleil il produiſe du dedans la
lumiere qu'il éclaire au dehors,
de peur qu'il ne reſſemble à la
Lune , qui n'ayant ce qui la fait
luire que par emprunt, monſtre
bien - toſt ſa defaillance. Mais par
ce que ce n'eſt rien de parler des
merites en general, ſi l'on ne de.
termine en particulier , quelles
ſont les vertus qui les compoferit;
je croy qu'on les peut toutes rap
porter à trois principales , ſçavoir
la Force , la Juſtice, & la Pruden .
CC .
308 Conſiderations politiques
ce. Sur leſquelles je me veux un
peu étendre , pour les expli
quer d'une façon 'moins trivia
le & commune que celle des éco
les.
Par la force j'entens certaine
trempe & diſpoſition d'eſprit tou
jours égale en ſoy , ferme, ſtable ,
heroïque, capable de tout voir ,
tout oüir , & tout faire, fans fe
troubler , ſe perdre , s'étonner;
laquelle vertu ſe peut facilement
acquerir en faiſant des continuel
les reflexions ſur la condition de
noſtre nature foible, debile , &
ſujette à toutes ſortes de maladies
& d'infirmitez , ſur la vanité des
pompes & honneurs de ce mon
de ; ſur la foibleſſe & imbecillité
de noſtre eſprit; ſur les change
mens & revolutions des affaires;
ſur les diverſes faces &metaſche
matiſmes du Ciel & de la terre ;
ſur la diverſité des opinions, des
ſectes , des religions, ſur le peu de
durée
ſur les coups d'Eſtat. 309
durée de toutes choſes; bref ſur
les grands avantages qu'il y a de
fuïr le vice & de ſuivre la vertu.
Aulli eſt-ce à peu prés comme l'a
décriteJuvenal par ces beaux vers
de fa x. Satyre .
Fortem pofce animum , mortis ter
rore vacantem , .
Qui ſpatium vitæ extremum inter
munera ponat

I;
Natura , quiferre queat quofcunque
dolores ,
at
}
Neſciat iraſci, cupiat nibil , & po
tiores
Herculis ærumnas ducit ſavoſque la
bores
es
Et Venere, & plumis, & cænis Sar
65
danapali.
Monſieur le Chancelier de l'Hof

pital
FR
Demandez un eſprit qui ſoit gueri des
craintes de la mort , qui mette au rang des
preſens de la Nature le dernier terme de la vie,
qui puiſſe endurer toutes ſortes de fatigues,
qui ne ſe faſche point , qui ne deſire rien , &
quieſtime davantage les peines d'Hercule , &
ſes longs travaux, que les delices,les feſtins, &
les plunes (licts) de Sardanapale.
310 Conſiderationspolitiques
pital qui eſtoit pourveu de cette
force d'eſprit autant qu'aucun au
tre de ceux qui l'ont precedé ou
ſuivy , la décrivoit encore plus
brievement, quoy qu'en termes
beaucoup plus hardis , deſquels
même il avoit compoſé ſa deviſe,
* ſi fractus illabatur orbis impavidun
ferient ruine. Arriere doncques de
ce Miniſtere tant d'eſprits foibles
& effeminez, tant d'ames coüardes
& pufillanimes, qui s'épouvan
tent des premieresdifficultez , qui
fuyent à la moindre reſiſtance, &
quiperdentl'eſprit lors qu'on leur
parle de quelque grande reſolu
tion. Je veux un eſprit d'Epicte
te , de Socrates, d'Epicure , de
Seneque, de Brutus , de Caton , &
pour me ſervir d'exemples plus fa
miliers , du Pere Paul, du Cardi
nal d'Oſſat, du Preſident Janin,
de V. Eminence , de Ferrier, & de
quel
Si le monde ſe bouleverſoit,ſes ruïnes me
fraperoient, ſans que j'en fufle épouventé.
fur les coups d'Eſtat. 311
1 quelques autres de pareille mar
que. Je veux qu'il ait les bonnes
1 maximes de Philoſophie dans la
5 tefte non pas ſur les levres ; qu'il
connoiſſe la nature en fon tout &
non pas en quelque partie ; qu'il
vive dans le monde comme s'il
en eſtoit dehors , & au deſſous
+ du Ciel comme s'il eſtoit au deſ
BS fus, afin qu'il ne puiſſe pas ſçu
lement comme les Gaulois ap
prehender la ruine de cette gran
ui de machine , je veux qu'il s'ima
& gine de bonne heure que la Cour
eft le lieu du monde où il fe
dit & fait plus de ſottifes , où
Ele les amitiés font plus capricieuſes
de & intereſſées , les hommes plus
mafquez , les maiſtres moins af
fectionnez à leurs ſerviteurs , & la
fortune plus folle & aveugle ; afin
is qu'il s'accouſtume auſſi de bon
ne heure à ne fe point ſcanda
liſer de toutes ces extravagan
ces. Je veux enfin qu'il puiſie re
garder
312 Confiderationspolitiques
garder ' oculo irretorto ceux qui ſe Pa
ront plus riches , & moins di fi
gnes de l'eſtre que luy , qu'il ſe tr
picque d'une pauvreté genereuſe, do
d'une obſtination au bien , d'une fe:
liberté Philoſophique mais pour ei
tant civile , qu'il ne ſoit au mon es
de que par accident , à la Cour Pc
que par emprunt , & au ſervice fer
d'unMaiſtre que pour s'en acqui ( D.
ter honneſtement. Or quicon du
que aura cette premiere , univer in
ſelle, & generale diſpoſition , qui 91
conduit l'homme à une apathie , fic
franchiſe , & bonté naturelle , il cu
aura par même moyen la fideli ſu
té , 2 optimum enim quemque fidelifſi pas
mum puto , diſoit fort bien Pline fed
en parlant à l'Empereur Trajan ; CO
& cette fidelité ne ſera pas com &
mune , bridée de certaines cir &
conſtances , & aſſujettie à diver fil
ſes conſiderations de nos intereſts

1. D'un quil droit & non de travers.


parti
2 Car
bi
j'eſtime que le plus homme de bien eſt aufli le re
plus fidelle.
ſur les coups d'Eſtat. 313
particuliers , des perſonnes , dela
fin des affaires , & de mille au
3 tres , mais une fidelité telle que
doit avoir un galand homme, pour
ſervir celuy à qui il la promettra
enyers tous & contre tous , ſans
exception de lieu, de temps, ny de
perſonnes.C'eſt ainſi queC.Blofius
ſervoit ſon amy TiberiusGracchus,
( Valer. Max . lib.4.cap.7 .) & le Pere
du Chancelier de l'Hoſpital fon
inaiſtre Charlesde Bourbon , du
quel ſe trouvant Medecin & Con
fident lors de fa difgrace & perſe
cution, il ne l'abandonna jamais, le
ſuivant en habit déguiſé , partici
pant à toutes ſes infortunes , le
ſecondant en tous fes deſſeins
1 contre oy , contre l'Empereur
& cont Rome, les Cardinaux
& le Pape même. A & tion que ſon
fils ce grand Chancelier de Fran
ce a tellement eſtimée, qu'il l'a
bien voulu placer comme la plus
B
remarquable de ſa famille , en
O teſte
314 Conſiderations politiques
teſte de fon Teſtament. Il faut
doncques qu'un affectionné Mi
niſtreſoit premierement & prin
cipalement garny de fidelité , &
que lors qu'il ſera beſoin de la té
moigner, il diſe librement,
Huicego nec rerum metas nec tem
pora pono ,
obſequiumfinefine dedi.
Il faut auſſi qu'il ſoit dégagé d'am
bition , d'avarice , deconvoitiſe &
de tout autre deſir , que de bien
ſervir fon Maiſtre dans l'eſtat d'u
ne fortune mediocre, honnefte, &
capable de le delivrer luy & fes
plus proches parens , d'envie & de
neceſſité. Car s'il commence une
fois à aller au plus à fe vouloir a
vancer dans les charges & digni
tez,il ne ſe pourra pas faire qu'il ne
prefere ſon bien propre à celuy de
ſon Maiſtre , & qu'il ne ſe ſerve
premier que luy ; & cela eſtant ,

c'eſt
Je ne mets poincicy de bornes , & n'y li
mite
Cance point de .temps.,j'ay témoigné uneobeiſ.
ſans fin
ſur les coups d'Eſtat. 313
c'eſt ouvrir la porte à l'infidelité,
perfidie & trahiſon ,il n'y aura plus
de ſecret qu'il ne découvre , plus
de conſeil qu'il n'évente , plus de
reſolution qu'il ne declare , plus
d'ennemy qu'il ne courtiſe, bref
1 Publica privatispoſtponet commo
da rebus :
S'il deſire la grandeur de ſon
Maiſtre ce ne fera que pour avan
cer la fienne, à laquelle s'il ne peut
parvenir en le ſervant avec fidelité,
il ne fera point de doute de le de
ſervir , de le vendre & livrer à ſes
5 ennemis pour fatisfaire à ſon am
bition , ou à fon avarice deme
furée ,
2 Namque ubi avaritia eft habitane
ferme omnia ibidem
Flagitia , impietas , perjuria ,fiurta's
rapina ,
02 Frau .

! 11 preferera ſon profit particulier au bien


public . 2 Car là où eſt l'avarice , tous les au
fresvices y habitent auſſi, l'impieté,le parjure ,
le vol, la rapine,les fraudes & tromperies, les
embuſchres & les trahiſons.
316 Conſiderationspolitiques
Fraudes atque doli , infidieque de
proditiones. (Paling. in Sagit.)
C'eſt ce que pratiqua autrefois Sti
lico,quand pour s'acquerir l'amitié
d'Alaric Roy des Gots , & s'ap
puyer de ſon ſecours pour ſe faiſir
de l'Empire d'Orient , il fit une
paix honteuſe avec luy & obligea
l'Empereur de luy payer tribut
fous le nom de penſion ; & Pierre
des Vignes Chancelier de Frede,
ſic II, futà bon droit privé de la
veuë , pour avoir noué uneintel
Jigence trop ſecrete avec le Pape
Alexandre III, ennemy capital de
fon Maiſtre . Ce fut encorepour
la même cauſe que le Cardinal
Balue demeura XII ans reſſerré
dans la Tour des Loches ſous le
Regne deLouys XI,& que le Car
dinal du Prat décheut de ſa faveur,
& fut long -temps en priſon pen
dant celuy de François I. Cette
même force & diſpoſition d'eſprit
defend aufli à noftre Miniſtre
d'eſtre
ſur les coups d'Eſtat. 317
deſtre trop credule ou ſuperſti
tieux, & bigot: Car bien que creu
dulitaserror fit magis quam culpa , ce
quidem in optimi cujuſque mentem fa
cillimè obrepat, ( Cic. l. 1. ep . 23. )
c'eſt toutefois le propre d'un hom
mejudicieux & bien fenſé, de ne
rien croire 2 niſi quod in oculos in .
curret ; ( Senec. de Ira.) au moins
Palingenius eſt d'avis qu'il faut
ainſi faire, crainte d'eſtre trompé,
parce que
3 Quifacilis creditfacilis quoquefal
litur idem .
Et comme nous avons dit cy-deſ
J1 fus , qu'il y avoit quatre ou cinq
moyens d'attraper ou tromper les
trop credules & ſuperſtitieux,auſſi
} faut-il que celuy qui ſe melle de
les pratiquer , ne ſoit pas ſi ſot que
1 de s'y laiſſer prendre par d'autres
D O 3 qui
1 Lacredulité ſoit plutoſt un erreur qu'une
il faute, & qu'elle s'empare facilement des ineil
leurs naturels. 2 Que ce qu'il void de les yeux:
Te。 3. Qui croit facilement se laiſſe aulli facilement
tromper .
91 Confiderationspolitiques
qui s'en voudroient ſervir contre,
luy-même. Jointqu'à un Miniſtre
qui aura l'eſprit aſſez bas pour le
ravaler & ſoumettre à la creance
de tant de fables, impoſtures , faux
miracles, tromperies, & charlata
neries qui fe font ordinairement,
fie pourra pas donner grande eſpe
rance de bien reüſſir en beaucoup
d'affaires où il faut gaillardement
enjamber par deſſus toutes ces fo
lies. Les ſoupleſſes d'Eſtat, les ar
cifices des Courtiſans, les menées
& pratiques de quelques aviſez
Politiques , trompent aiſément un
homme plongé dans des devo
tions exceſſives & ſuperſtitieuſes.
La prediction d'un devin, le croaf
fement d'un corbeau , la rencontre
d'un maure, un faux bruit , quel
que vau de ville , tromperie , ou
fuperftition , luy feront perdre
l'eſcrime , l'étonneront , & le re
duiront à prendre quelque party
honteux & deshonnefte ; A quoy
s'il
· ſur lescoups d'Etat. 319
s'il eſt tant ſoit peu porté de ſa na
ture, la ſuperſtition fæur germai
ne de cette grande credulité, l'y
plongera tout à fait, & luy oſtera
fi peu de jugement qui luy pou
voit reſter. i Occentus foricis auditus
Fabio Maxiino dictaturani,C , Flaminio
magiſterium equitum deponendi caufam
prabuit. ( Val.Max . I. 1. cap. 10. )
Elle luy ravira le repos du corps,
& la fermeté, conſtance,& refolu .
tion de l'eſprit; - ſuperftitione enim
qui eſt imbutits queſcere nunquam po
teſt : (Cicero de fin. l. 1.) elle l'af
fujettira à mille terreurs paniques,
& luy fera craindre & redouter ,
Nihilo metuenda magis, quàm
Qua pueri in tenebrispavitant , fin
guniquefutura.
04 Elle
1 Lechant d'une ſouris fut caufequeFabius
Maximus ſe démic de la Diétature , & Caius
Flaminius de la charge de Colonel de la Cava
lerie . 2 Car quiconque eſt imbu de ſupertti
tion , il luy eſt impoſiible de repoſer. 3 Des
choſes qui ne ſont non plus à craindre que cela
les dont les enfans ont peur dans les tenebres,
& qu'ils s'imaginent deroit arriver.
320 Conſiderationspolitiques
Elle luy fera commettre plus de
pechez qu'il n'en eſt defendu aux
dix commandemens, & fe frottant
les yeux avec de l'eau benite , ou
touchant la chape d'un Preſtre, il
penſera effacer toutes les mauvai
fes actions de ſa vie : : fic errore
quodam mentis famulatur impietati;
( Paſchas, de virtut.) elle luy fe
ra trouver des fcrupules où il n'y
en a point , & auparavant que de
conclure une affaire , il en vou
dra parler cent fois à un confef
feur, 11 luy revelera le conſeil de
fon Prince , le foumettra à facen
furé, l'examinera ſuivant toutes les
regles des Caſuiſtes, & à la fin 2 en
qua Dei ſunt audacter excludit , &tſua
tantùm admittat; bref elle le rendra
fot, impertinent , ſtupide, mé
chant , incapable derien voir , de
rien faire, de rienjuger ou exami
ner

1. Et ainſi par l'erreur de l'entendement on


ſe rend eſclave del'impieté. 2 Il rejettera har:
diment les choſes qui font de Dieu pour ad
mettre les fiches propres ..
fur les Coups d’Eſtat. 321
ner à propos, & capable ſeulement
de cauſer la perte & la ruine tota
le de quiconque fe fervira de luy,
& la ſienne propre, puis que * ſu
perſtitione quifquis illaqueátus eft, non
poteft effugere proximas miſerias , ipfa
fibi fuperftitiofupplicium eft, dum quæ
son funt mala hec fingit effe talia , es
que ſuntmediocria mala , hac maxima
facit ac lethalia. Il ne faut point
tant de myſteres & de ceremos
nies pour eftre homme de bien ,
Lycurgue fut eſtimé tel quoy
qu'il euft retranché beaucoup de
choſes ſuperflues & inutiles à la
Religion. Le vieux Caton paſſoit
pour le plus vertueux de Rome,
encore qu'il ſe fuſt mocqué de
celuy qui prenoit pour mauvais
augure que les ſouris euffent ron .
gé ſes chauſſes, & qu'il luy euſt
dit,
Quiconque eſt enlafé dans la ſuperſtion ,
1 il ne peut pas éviter les miſeres qui luy pan
chent ſur la teſte ;ſa ſuperſtition luy eſt un ſup.
1 plice , lors qu'il s'imagine mauvaiſes des choſes
qui ne le ſont pas ; & qu'ilfait grands & more
tels les maux qui ne font que mediocres.
322 Conſiderations politiques
dit , * non eſſe illud monſtrum quod ar
roſafint àforicibus calige,ſed verè mon
ftrum habendum fuiſſe li ſorices à cali
gis roderentur. (D.Auguſt. de Doct.
Chriſtian .) Luculle ne fut eſtimé
impie pour avoir combatu Triga
nes un jour que le Calendrier
Romain marquoit pour malheu
reux ; ny Claudius pour avoir
mépriſé les auſpices des poulets ; f
non plus que Lucius Æmilius
Paulus pour avoir le premier com
mencé d'abatre & ruiner les Tem. S

ples d'Iſis & de Serapis. D'où l'on C


1

peut conjecturer que la ſuperſti


tion eſt le vray caractere d'une
amefoible , rampante, effeminée, P
populaire , & de laquelle tout
eſprit fort, tout homme reſolu , 1
tout bon Miniſtre doit dire, com P
me faiſoit Varroni de quelque au
tre choſe qui ne valoit pas mieux, 1
Apage le
Que ce n'eſtoit pas un prodige que les
fouris cuffentrongédes chauſſes, maisque c'en
feroit veritablement un des chaufles ron
geoient des ſouris.
ſur les coups d'Eſtat. 323
*
Apage in directum à domo nofira
iftam infanitatem . ( in Eume
nidib.)
La ſeconde vertu qui doit fer
vir de baſe & de fondement aux
merites & à la bonne renommée
de noftre Conſeiller , c'eſt la Ju
ſtice ; de laquelle ſi nous voulions
expliquer toutes les parties , il la
faudroit comparer à une groſſe
tige qui produit trois branches,
dont l'une monte à Dieu , l'autre
s'étend vers ſoy -même, & la tier
ce vers le prochain ; & chacune
deſdites branches produit encore
divers petits rameaux que je n'ex
pliqueray point en particulier ,
V m'eſtant aſſez de prendre les cho
ſes en gros, & non en détail. C'eſt
pourquoy je mettray le principal
fondement de cette juſtice à eſtre
homme de bien , à vivre ſuivant
les loix de Dieu & de la Nature ,
noblement , philoſophiquement ,
avec
* Chalfons de notre maiſon cette folie.
324 Conſiderations politiques
avec une integrité ſans fard , une
vertu fans art , une religion fans
crainte , fans ſcrupule , & une fer
me reſolution de bien faire , fans
autre reſpect & conſideration, que
de ce qu'il faut ainſi vivre , pour
vivre en homme de bien & d'hon
neur ,
i oderunt peccare boni virtutis a.
more .

Mais dautant que cette juſtice


naturelle , univerſelle , noble &
philoſophique , eſt quelquefois
hors d'uſage & incommode dans
la pratique du monde , où 2 veri
juris germanaque juſtitie ſolidam dia
expreffam effigiem nullam tenemus ,
umbris & imaginibus utimur. Il fau
dra bien ſouvent ſe ſervir de l'arti
ficielle, particuliere , politique ,
faite & rapportée au beſoin & à la
ne

1 Les gens de bien2 hajſſent


l'amour de la vertu.
le vice pour
Nous n'avons aucune
folide & expreſſe effigie du vray droit , & de
la veritable juſtice , nous nous ſervons ſeule
ment de leurs ombres.
ſur les coups d'Eſtat. 325
neceſſité des Polices& Eſtats , puis
qu'elle eſt aſſez lâche & aſſez molle
ehi pour s'accommoder comme la re
| gle Lesbienne à la foibleſſehumai
5,9
ne & populaire , & aux divers
temps,perſonnes, affaires & acci
dens : Toutes leſquellesconſidera
tions nous obligent bien ſouvent à
pluſieurs choſes que la juſtice na
turellerejetteroit & condamneroit
abſolument. Mais quoy, il faut vi
. vre comme les autres , & parmy
tant de corruptions , celuy quien
a le moins doit paſſer pour le meil
ET
leur , * beatus qui minimis urgetur ;
entre tant de vices on en peut bien
quelquefois legitimer un ; & par
my tant de bonnes actions en dé
guiſer quelqu'une. C'eſt doncques
une maxime ,» que comme entre les
July
lla lances celles - là ſont eſtimées les
meilleures , qui ſont les plus fou
ples, auſſi entre les Miniſtres , on
por P doit
& * Bienheureux eſt celuy qui eſt cravaillé des
eyik plus petites.
326 Conſiderations politiques
doit priſer davantage ceux qui
fçavent le micux plier , & s'ac
commoder aux diverſes occurren
ces , pour venir à bout de leurs
delleins , imitant ainfi le Dieu
Vertumnus qui diſoit dans Pro
perce :
* Opportuna mea eſt cunctis natura
figuris,
In quamcunque voles perte decorus
ero.

Qu'il ſe ſouvienne ſeulement d'ob


ſerver toujours ces deux prece
ptes, le premier de conjoindre &
aſſembler autant qu'il luy ſera poſ
fible l'utilité & l'honnelteté , l'en
viſageant toujours & la coſtoyant
le plus prés qu'il luy ſera poſible:
l'autre de neſervirjamais d'inſtru
ment à la paſſion de fon Maiſtre,
& de ne rien propoſer ny conclu
re , qu'il ne juge luy-mêmeeſtre
necellaire pour la conſervation
de
Ma nature eſt propre à prendre toutes for
tes de figures,donnez moy celle que vous vou
decz , je feray bcau ſous chacune.
ſur les coups d'Eſtat. 327
de l'Eſtat , le bien du peuple , ou
le falut du Prince , demeurant à
couvert pour ce qui ſera du reſte
IC fous ce bon avis de Plutarque, Que
D . bien ſouvent pour faire la juſtice il ne
A faut pas tout ce quieſt juſte. (Livre de
la curioſité.)
Enfin la troiſiéme & derniere
partie qui doit compoſer & per
15 fectionner noftre Miniſtre, eſt la
Prudence , Vertu ſi neceſſaire à un
homme de cette qualité , qu'il ne
peut en aucune façon s'en paſſer,
veu que comme nous enſeigne
Ariſtote, " prudentia & fcientia civilis
iidem ſunt animihabitus , ( 1.6. Eth.
c. 8. ) & qu'au reſte elle eſt fi
puiſſante qu'elle ſeule domine &
IE
gouverne les trois temps denoſtre
vie , 2 dum præfentia ordinat, futura
che prævidet , præterita' recordatur : ſi uni
ltri
verſelle qu'elle comprend fous ſoy
ti P 2 tou
La prudence & la ſcience civile ſont les
este mêmes habitudes d'un eſprit. 2 Lors qu'elle
ordonne pour le preſent, prevoit l'avenir & ſe
ſouvient du pale.
ns
328 Conſideratio politiques
toutes les autres vertus, circonſtan
ces,& obſervations que nous pou
vons faire icy de la ſcience, mo
deſtie, experience, conduitte , re
tenuë , diſcretion , & particuliere
1
ment de ce que les Italiens appel
lent Segretezza par un terme qui
leur eſt propre. Juvenal (San. X.)
ayant fort bien dit que
* Nullum numen abeft fi fit prae
dentia : 1
Neanmoins commepluſieurs cho
fes font requiſes pour former l'or,
qui eſt le Roy des Metaux , la
preparation de la matiere , la dif
poſition de la Terre , la chaleur
du Soleil , la longueur du temps ;
auſſi pour former cette Prudencé,
la Reyne des vertus politiques ,
l'ordes Royaumes , le threſordes
Eſtats , ilfaut de grandes aides ,
& des avantages tres-heureux ; la
force de l'eſprit , la ſolidité duju
gement,
* La fortune ne manque jamais là où il ya
de la prudence .
ſur les coups d'Eſtat. 329
fra gement, la pointe de la raiſon , la
docilité pour apprendre, l'inſtru
& tion receuë des grands perſonna
ges , l'eſtude des ſciences , la con
noiſſance de l'hiſtoire , l'heureuſe
memoire des choſespaſſées , ſont
les diſpoſitions pour y parvenir :
la ſaine conſultation , la connoif
fance & confideration des circon
ſtances, la prevoyance des effets,
la precaution contre les empeſche
mens,laprompte expedition, ſont
les belles actions qu'elle produit;
& enfin te repos des peuples , le
falut des Eſtats , le bien commun
3 des hommes , ſont les frụits divins
que l'on en recueille. Mais enco
BO re n'eſt - ce rien dire , fi nous n'a
fix jouſtons quels ſont les ſignes, par
leſquels on peut juger du progrez
que quelqu'un aura fait en l'ac
la quiſition de ce threſor , & s'ileſt
U veritablement aſſez fage & pru
Ih개 dent pour ſeconder un Prince en
l'adminiſtration de ſon Eſtat. Or
P 3 . en
330 Conſiderationspolitiques
entre pluſieurs que l'on en peut
donner , je propoſeray ceux - cy
comme les plus ordinaires & com
muns, ſçavoir tenir ſecret ce qu'il
n'eſt à propos de dire , & parler
par neceffité plutoſt que par am
bition , ne croire trop prompte
ment ny à toutes fortes de per
ſonnes , eſtre plusprompt à don
ner ce qui eſt à ſoy qu'à deman
der ce qui appartient à autruy ,
examiner bien les choſes aupara
vant que d'en juger , ne médirę
de perſonne, excuſer les fautes , &
defendre la renommée d'un cha
cun , ne mépriſer perſonne, non
pas même les moindres : Hono
rer les hommes ſelon leurs meri
tes & qualitez , donner plus de
louange à ſes compagnons qu'à
ſoy-même, ſervir & entretenir fes
amis , demeurer ferme & conſtant
parmy leurs adverſitez ,ne changer
de deffein & de reſolution fans
quelque grand ſujet , deliberer à
loiſir
ſur les coups d'Eſtat. 331
loiſir & executer gayement & avec
diligence, ne s'émerveiller de ce
qui eft extraordinaire , ny femoc
quer de perſonne , mais ſur tout
épargner les pauvres & ſes amys,
n'envier la louange à ceux qui la
meritent , non pas même à ſes en
nemis , ne parler fans ſçavoir , ne
donner conſeil qu'à ceux qui le
demandent , ne faire l'entendu en
ce qui n'eſt pas de la profeſſion, &
ne parler de ce qui en eft qu'avec
modeſtie & fans jactánce & affe
Etation ,comme faiſoit Piſo ,duquel
Vell . Paterc. a dir, * qua agenda funt
agitfineulla oſtentatione agendi; avoir
plus d'effets que de paroles,plus de
patience que de violence , delirer
plutoft le bien que le mal à ſes
1 ennemis, plutoſt perdre que plai
is
der , n'eſtre cauſe d'aucun trouble
ny remuement, finalement aymer
Dieu , fervir ſon prochain , & ne
P4 foul

* Il fait ce qu'il faut faire ſans aucune often


tation de ſes actions.
1
332 Confiderations politiques
fouhaitter la mort ny la craindre.
Or ce qui m'a fait recueillir tous,
ces ſignes fi particulierement,
c'eſt parce que le choix d'un Mi
niſtre eſt de fi grande importan
ce , que les Princes ont grand in
tereſt de ne s'y pas tromper , &
encore qu'il ne faille pas eſperer
de les pouvoir tous rencontrer en
un homme, on ne peut toutefois
manquer de preferer celuy qui en
aura le plus. Et quand le Prince
laura trouvé, ce ſera à faire à luy
de le bien maintenir & choier
comme un precieux threſor , parce
que fi ſa naiſſance ne luy'a donné
des couronnes, les couronnes tou
tefois ne ſe peuvent paſſer de luy:
fi la fortune ne l'a fait Roy , fa
fuffiſance le rend l'oracle des
Roys , & tout ce qu'il dira des
loix , fes ſimples paroles paſſeront 1

pour raiſons , fes actions pour


exemples , & toute ſa vie pour mi
Facle.

Aprés
ſur les coups d'Eſtat. 333
Aprés avoir expliqué ce qui
eſt du devoir du Miniſtre envers .
le Prince , il nous reſte à confide
rer, comme enpaſſant neanmoins,
ce que le Prince doit contribuer de
ſoncoſté , pour bien traitter avec
fon Miniſtre , & parce qu'en ma
tiere de regles & preceptes , j'ay
toujours eſtiméavec Horace, que
$ les plus courts font les meilleurs,
* Quicquid præcipies eſto brevis;
Je reduiray tous ceuxqui me
ſemblent les plus neceſſaires en
cette occaſion à trois principaux,
dont le premier fera de le traitter
en amy , non pas en ſerviteur, de
parler & conferer avec luy à caur
ouvert , de ne luy rien celer de
tout ce qu'il ſçaura, deluy ouvrir
une entiere confidence, & detrait
les ter avec luy comme feroit avec
ODI foy -même, ſans avoir honte de
Our luy declarer ſa foibleſſe, ignoran
PS се ,

Sois ſuccinct dans tous lespreceptes que


tu donnerasi
334 Conſiderations politiques
ce , imbecillité ou tel autre defaut
qu'il pourra avoir ; Ny auſſi ſon
dépit , ſes faſcheries , coleres , mé
contentemens, & femblables pal
ſions , qui le pourront tourmen
ter. Et ſi je n'ay åſſez d'autorité
pour établir cette maxime , qu'on
defere au moins quelque choſe à
l'avis de Seneque , Cogita , dit-il,
an tibi in amicitiam aliquis recipiendus
fit , quum placuerit id fieri, toio illum
pectore admitte, tam audacter cum illo
loquere quàm tecum . C'eſt ce qu'il
avoit encore dit auparavant en
beaucoup moins de paroles, 2 tu
omnia cum amico delibera , ſed de illo
prius. Que ſi l'autorité d'un fi
grand homme a beſoin d'eſtre ap
puyée & ſouſtenue par quelques
raiſons, T. Live nous en four
nira
1 Penſe s'il te faut recevoir quelcun en
ton amitié , & quand tu l'auras voulu faire,
admets l’y de tout ton cour , & luy parle
aufli hardiment qu'à toi-même. 2 Delibe.
re de toutes choſes avec ton amy ; mais de
libere
faut.
premicrement d'en avoir un tel qu'il
ſur les coups d'Eſtat. 335
nira une tres- puiſſante & valable,
1 vult ſibi quiſque credi, & habita fi
des ipſam fidem obligat : les experi
mentez Chymiſtes tiennent que
pour faire de l'or on ne ſe doit fera
vir que de l'or même ,
2 Nec aliunde quaras auri primor
dia, in auro
Semina ſunt áuri, quamvis abftrufa
recedant
Longius , de multo nobis quarenda
labore. (Augurel.)
Les Lapidaires épreuvent tous les
jours , qu'il ſe faut ſervir du dia
mant pour en tailler & preparer
un autre ; les Oiſeleurs que pour
faire bonne chaffe il fe faut ſervir
de ces oiſeaux que Varro appel
le , 3 illices de traditores generis fui:
PŐ Les
1 Un chacun veut qu'on ſe fie à luy ,& la
3 confiance que nous avons en quelcạn l'oblige
à fe confier en nous & à nous eftre fidelle.
2 Ne cherche point ailleurs l'origine de l'or ;
l'or contient les ſemences de l'or , quoi qu'el
les nous ſoient fort cachées , ce qui fait que
nous fommes obligés à travailler beaucoup
pour les chercher. 3 Traitres de ceux de leur
eſpece , & ſervant à les faire prendre.
336 Confiderationspolitiques
Les Philoſophesmoraux , que l'a
mour ne ſe peut acquerir que
par une amitié & affection reci
proque .
Veux-tu mon fils que t'apprenne en
peu d'heure 2

Le beau ſecret du breuvage amou


FCUX ;
Aime les tiens, tu ſerasaimé d'eux;
Il n'y apoint de recepte meilleure.
Comment doncques un Prince
pourra -t- iltrouver de la confiden
ce en quelque amy , s'il neluy en
communique auparavant de ſon
coſté , s'il ne luy monſtre ce qui
fera de fon devoir en s'acquittant
du ſien propre: 1 Si vis meflere ,
diſoit Horace , 2 dolendum eft prius
tibi. Cur te habebo ut Conſulem , ſime
non habeas ut Senatorem , repliquoit
un autre ? Il faut tout ou rien , &
jouïr d'une entiere confidence ,ou
n'en
I Si tu veux que je pleure , il faut que cu
L'amiges auparavant. 2. Pourquoy te traite
ve commeun Conſul, ſi tu ne me traitesi
pas commeun Senateur
1
ſur les coups d'Eſtat. 337
B
n'en avoir point ; declarer au
jourd'huy une affaire , en taire
demain une autre , en entamer
quelqu'une, & ne la pas achever,
garder toujours quelque reten
tum , & ne pas tout dire , ſont des
marques dedéfiance,d'inquietude
& d'irreſolution , qui fontperdre
au Miniſtre la viſée pource qui eſt
du conſeil , & l'affection pour ce
qui concerne le ſervice.
La ſeconde choſe que le Prince
doit obferver envers ſon Miniſtre ,
eſt qu'il le tienne commeamy , &
. non pascomme flateur , qu'illuy
of
permette de parler & d'opiner li,
EM
þrement, d'expliquer & fortifier
fon opinion , fans le contraindre
ou luy fçavoir mauvais gré de ne
point condeſcendre à la ſienne ,
z meliora enim vulnera diligentis, quàm
1
oſcula blandientis , & puis que com
me diſoit un brave Confeiller à
fon
I choſe de retenu . 2 Car les bleſſures
d'un amy font meilleures que les baiſers d'un
flateur.
338 Confiderations politiques
fon Maiſtre , ' non potes me fimul a
mico adulatore uti. Si un Prince
veut eftre flatté , il aaſſez de Gen
tilshommes & Courtiſans qui ne
cherchent que l'occaſion de le fai
re , ſansy employer celuy quidoit
eſtre ſa bouche de verité.Et celuy
là ne peut jamais bien reüllir , 2 cu
jus aures ita formata funt, ut aſpera que
utilia , & nihil niſi jucundum non lafu 1

rum accipiant. (Tacit. 3. hiſt.)


Finalement comme ceux qui
demeurent quelque temps au So
leil font échauffez par fa chaleur ;
auſſi faut-il que celuy qu'un Prin
ce ou Souverain approche de fa
perſonne, reſſente les effetsdeſon
pouvoir , & de l'amitié qu'il luy
porte par la recompenſe deüe à fés
ſervices; &quoy que la plus hono
rable & glorieuſe qu'illuy puiſſe
don
I Tu ne peux pas te ſervir de moy comme
amy & Alateur tout enſemble. 2 Dont les
oreilles ſont formées, à trouver rudes les choſes
qui ſont utiles , & à n'écouter rien que de plai.
ſant, & qui ne peut bieffer.
fur les coups d'Eſtat. 359
donner,ſoitde les agréer,& de s'en
declarer ſatisfait , i beneficium ſiqui
dem eſt reddere bonitatis verba, (Senec.)
& ſuivant même l'opinion com
mune ,
2
Principibus placuiſſe viris non ulti
malaus eft.
Il faut neanmoins paſſer outre , &
pratiquer à fon occaſion cettebel
ſe vertu de la liberalité,en luy ſub
miniſtrant les choſes neceffaires
pour vivre honneftement dans un
Soo eſtat mediocre , & autant éloigné
t; de l'ambition que de la neceſſité.
10 Philippes II diſoit à Ruy Gomes
fa fon Confident ferviteur , faitesmes
fon affaires da je feray les voſtres: Il faut
Tuy que tous les Princes en diſent au
tant à leurs Miniſtres, s'ils en veu
no lent eftre ſervis avec affection & fi
up delité , 3 liberalitas enim commune
016 quod
1 Veu quec'eſt un bienfait , ou une recom
penſe,que de parler en bons termes des ſervices
els qu'on a reçus. 2 ne remporte pas peu de
10
9
loiiange d'avoir plu aux Princes. 3. Car la li
beralité eſt un certain lien qui lie le bienfai
2

teur & celuy qui reçoit le bienfait.


349. Conſiderationspolitiques
quoddam vinculum eft, quo beneficus
& benejício devin &tus aftringuntur. Et
j'eſtime qu'il ſeroit encore meilleur
de les mettre promptement en re
pos de ce coſté-là, afin que n'ayant
plus à la teſte cet horrible monſtre
de pauvreté,ils apportentun eſprit
entierement libre & dégagé de
toutes paſſions au maniement des
affaires, qui ſeroit le premier fruit
de cette liberalité , comme le fe
cond d'acquerir beaucoup d'hon
neur & de recommandation à ce ,
Tuy qui l'auroit pratiquée , dau
tant que, ſelon la remarque d'Aris
ftote , entre tous les Princes ver
tueux , * ii ferediliguntur maximè, qui
fama & laude valent liberalitatis; & le
dernier de rendreles perſonnes en
tierement liées au ſervice de ceux
qui leur font du bien ,veu que,ſui
vantledire d'un Ancien , qui a le
premier inventé les bienfaits, il a
voulu
* On aime particulierement ceux qui ont
Te renom & la louange d'eftre les plus liberaux,
ſur les coups d'Eſtat. 341
voulu forger desſeps & des menot
tes , pour enchaiſner les hommes,
les captiver & traiſner aprés foy .
Voila,MONSEIGNEUR, tout
ce que j'avois à dire en cette mație
re, de laquelle je n'euſſe jamais
voulu entreprendre de traitter', ſi
V. Eminence ne me l'euſt com
mandé , & que fa grandebonté&
facilité ne m'eufſent fait eſperer
une excuſe favorable , de toutes
les fautes que je puis y avoir com
miſes. Jeſçay qu'elle deſiroit d'au
tres forces que les miennes , une
1 plume plus diſerte & eloquente,
une erudition plus grande, unju
gement plus fort ,un eſprit plus
univerſel : Mais nous aurions peu
de ſtatues deJupiter s'il n'euft eſté
JI
permis qu'à Phidias de les faire , &
Rome ſeroit maintenant ſans pein
tures & tableaux , fi d'autres n'y
avoient travaillé que Michel An
11 ge , & Raphael d'Urbin : lesbons
ouvriers ne ſe rencontrent pas
fou
3.
342 Confiderations politiques
ſouvent, que l'on ſe puiſſe paſſer
des mauvais , ny les grands Politi
ques,quel'onne ſe divertiſſe quel
quefois dans les écrits des moin
dres, ſous le titre deſquels s'il plaiſt
à V. Eminence de recouvrir le
preſent diſcours, elle m'obligera
de ſonger à quelque autre de plus
longue haleine ; & j'oſe bien me
promettre ſous la continuation de
voſtre faveur & bienveillance, que
* illa dies olim veniet ( modo
ftamins
Longa trahat Lacheſis) quum te do
tuafactacanemus
Vberius , nomenque tuum Gangetica
tellus ,
Et Tarteſſiaci refon.bunt littera ponti.
Ibit Hyperboreas paffim tua fama per
urbes ,
Et
* Le temps viendra un jour (pourveu que la
Parque faffe noſtre fuſée longue) que nous pu
blicrons plus amplement les belles actions de
voſtre perſonne ; & que voſtre rom retentira
dans la terre duGange, & ſurles coſtes de la
mer d'Eſpagne. Voftre nom ira juſques aux vil
les du Nord, & je vous feray connoiſtre dans
les extremités de la Libye. Alors poufle d'une
-plus grande veiac poëtique , je feray voir à
ſur les coups d'Eſtat. 343
Et per me extremis Libya noſceris in
oris ,
Tunc ego majori Mufarum percitus
vement aſtro,
Omnibus oftendam , quanto tenearis A
niore
zun
kizo Iuſtitie, ſit quanta tibi pietafque fidef
que ,
‫ر‬
TDE Quantum confilio valeas & fortibus
an di auſis,
ac, Quang Quàm fis munificus, quàm clemens,
24 denique per me
HAC
Ingenium ,moreſque tuos mirabitur or
bis .
ranica At nunc iſta tibi qua tradimus accipe
lato
erti Interea vultu , & præfentibus annue
cæptis.
k !" TA .
tout le monde combien vous eſtes amateur de
osti la juſtice , combien graude eſt la foy & la pieré
dont vous eſtes orné; combien vous eſtespuiſ
2018 fant en conſeil , & en courageuſes entrepriſes;
7
00
combien vous eftes liberal , & clement, & enfin
je feray que toute la terre admirerą voltre
eſprit & vos mæurs. Maiscependant recevés ce
que je vous offre inaintenant, & daignés pren
dre en bonne pati & favoriſor laprelenteentre
priſe.
ΤΑ B LE
des Chapitres.
OBjectretions quel'on peutfairecon
ce diſcours, avec les réponſes
neceſſairesChap. I. pag.3
Quels ſont proprement les coups d'Eſtat,
et de combien de fortes. Chap. II.
so
Avec quelles precautions, & en quelles
occaſions on doit prattiquer les Coupé
d'Eſtat.Chap. III. 118
De quelles opinionsfaut-ileftreperſuadé
pour entreprendre des coups d'Eſtat.
Chap .IV. 213
Quelles conditions ſont requiſes au Mi
niſtreavecqui l'on peut concerter les
Coupsd'Eſtat.Chap..y . 283
F I · N.

Redeng
3
1o
G
no

Vous aimerez peut-être aussi