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c , ༡: ༡ :
UNIVEA TENT
..
Collegii Joétis IESV ontuepikes
LES
PASSIONS
DE L'AME
PAR
R O V E N,
Chez I ACRVES BESO NGNE ,
dans la Court du Palais.
M. DC. AS LI.
ITE
OT
LETTRE PREMIERE ,
A Monſieur
DES CARTES
>
M ONSIEVR ,
mens,
mens , élevé les principalesmurailles
de quelque grand baſtiment, on nedoute
point qu'il ne puiſſe conduire ſondeffein
iuſquesà la fin , à cauſe qu'on voit qu'il.
deſia fait cequi eſtoit le plus difficile.
Ainfi ceux qui ont les anec attention le
Liure de vos Principes , conſiderans com
ment vous y awez poſé les fondemensde
toute la Philoſophie naturelle , combien
ſontgrandes les ſuites de veritez, que
vous en avez déduites , ne peuuent douter
que la Methode dont vous yfez neſoit
Juffiſante, pour faire quevous acheuliez
de trowertoutce qui peuteftre trouué, en
la Phyſique : d . cauſe que les choſes que
vous auez defia expliquées sfauoir le
nature de l'agmant, du feu ,de l'air , de
l'ean dela terre, de tout ce qui paroiſt
dansles cieux , ne ſemblent point eftre
moins difficiles que celles qui peuuent en
coreeftre deſirées.
- Toutesfois il faut icy adjouſter , que
tant expertqu'un Architecte ſoit en for
Art ,il eſt impoſible qu'il acheuele baftt
ment qu'il a commencé , ſi les materiaux
1
qui doiuent geftre employez luy man
quent. Eten mefme façon que tant par
faitequepuiſſe eſtre voſtre Methode,elle
VONS
MonsieVR ,
Parmy les injures & les reproches que
ie trouue en la grande Lettre que vous
auez pris la peine de m'eſcrire, i’y remar
que tant de choſes à mon auantage , que
و
A Monſieur
DES CARTES:
MONSIEVR ,
Ily a fi long -temps quevousm'auez.
fait attendre voſtre Traicté des Paßions,
que ie commence à ne le plus eſperer , e
à m'imaginer que vous ne me l'aniex
promis que pour m'empefcher de publier
la Lettre que je vous auois cy - devant
eſcrite. Car i'ay ſujet de croire que vous
feriez faſché , qu'on vous oftaſt l'excuſe
que vous prenez pour ne point acheuer
voſtre Phyſique : mon deffein eftoit
devous l'ofterpar cette Lettre': d’autant
que les raiſons que i’y anois déduitesſont
telles , qu'il ne me ſemble pas qu'elles
puiſſent eſtre lenës d'aucune perſonne,
qui ait tant ſoit peu l'honneur ca la
Vertu en recommandation , qu'elles ne
l'incitent à deſirer comme moy , que vous
obteniezdu public ce qui eſt requis pour
les experiences que vous dites vous eſtre
neceſſaires : & i’eſperois qu'elle tombe
roitaiſément entre lesmains de quelques
vns qui auroient le pouuoir de rendre ce
defir efficace, ſoit à cauſe qu'ilsont de
l'accez auprés de ceuxqui diſpoſent des
biens du public , ſoit à cauſe qu'ils en
diſpoſent eux -meſmes. Ainſi ieme pro
mettois de faireen ſorte que vousauriez
malgré vous de l'exercice.Car ie ſçay que
vous auez tant de coeur , que vous ne
voudriez pas manquer de rendre auec
vſurece qui vousſeroit donné en cettefa
fon , eque cela vousferoitentierement
quitter lanegligence , dont ie ne puis à
preſent m'abſtenir de vous accuſer, bien
que ie fois , c.
Le 23. Iuillet , 1649:
RESPONSE
A la ſeconde Lettre.
Monsieva,
Je ſuis fort innocent de l'artifice , dont
vous voulez croire que i'ay yſé » pour
empeſcher que la grande Lettre que
vous m'auież eſcrite l'an paſſé ne ſoig
publiée. Ie n'ay eu aucun beſoin d'en
vſer. Car outre que ie necroy nullement
qu'elle půſt produire l'effect que vous
pretendez , ie neſuis pas ſi enclin à l'oili
ueté, quela crainte du trauail auquel ie
ſerois obligé pour exaniner pluſieurs
experiences , lii'auois receu du public la
commodité de les faire , puiſſe preualoir
au decir que i'ay de m'inſtruite , & de
mettre par eſcrit quelque choſe qui ſoit
vtile aux autres hommes. le ne puis pas
fi bien m'excuſer de la negligence dont
vous me blaſmez. Car i'auouë que i'ay
eſté plus long-temps à reuoir le petit
Traiểé que ie vousenuoye , que ic n'a
uois eſté cy-deuant à le compoſer &
que neantmoins ie n'y ay adjouſté que
peu de choſes , & n'ay rien changé au
diſcours , lequel eſt li limple & fibref,
qu'il fera connoiſtre que mon dellein n'a
pas elté d'expliquer les paffions en Ora
teur, ny meſmeenPhiloſophe Moral, mais
ſeulementen Phyſicien .Ainſiiepreuoy que
ce Trai & é n'aura pas meilleure fortune que
mes autres Eſcrits ; & bien que ſon tiltre
conuie peut eſtre dauantage de perſonnes
à le lire, il n'y aura neantmoins que ceux
qui prendront la peinede l'examiner aueć
foin auſquels il puiſſe fatisfaire. Tel qu'il
eft, ie le mets entre vos mains, & c.
D'Egmont, le 14. d'Aouft, 1649
229
!! , .
PASSIONS
DE L'AME.
PREMIERE PARTIE ,
DES PASSIONS
EN GENERAL : 1
ARTICLE IV .
ARTICLE VIII.
Quel eſt le principe de toutes ces
fonctions,
Ais on ne ſçait pas commu
MA nément en
eſprits animaux & ces nerfs con
tribuent aux mouuemens & aux
DES PASSIONS
ſens , ny quel eſt le Principe corpos
rel qui les faitagir ; c'eſt pourquoy,
encore que i'en aye desja touché
quelque choſe en d'autres eſcrits,
ie ne lairray pas de dire icy ſuccin
Etement , que pendant que nous
viuons il y a vnechaleur continuel
le en noſtre cour , qui eft vne eſpece
de feu que le ſang des veines y entre
tient , & que ce feu eſt le principe
corporel de tous les mouuemens de
nos membres .
ARTICLE IX.
Comment ſe fait le mouuement
du coeur.
S
te la chaleur , qu'il acquiert dans
le coeur à toutes les autres par
14 DES PASSIONS
ties du corps ; & il leur ſert de
nourriture.
ARTICLE X.
/
Comment les objets de dehors agiſſent
contre les organes des Sens.
L reſte encore icy à fçauoir les
I cauſes , qui font que les eſprits
ne coulent pas touſiours du cer
ueau dans les muſcles en meſme
façon , & qu'il en vient quelque
fois plus vers les yns que vers les
autres. Car outre l'action de l'ame
qui veritablement eſt en nous l'vne
de ces cauſes , ainſi que ie diray cy
PREMIERE PARTIE. 19
apres , il y en a encore deux autres,
qui ne dépendent que du corps ,
leſquelles il eſt beſoin de remar
quer. La premiere conſiſte en la
diuerſité des mouuemens , qui ſont
excitez dans les organes dès ſens
par leurs objets , laquelle i'ay.deſia
expliquée aſſez amplement en la
Dioptrique ; mais afin que ceux
qui verront cét eſcrit , n'ayent pas
beſoin d'en auoir leu d'autres , ie
repeteray icy qu'il y a trois choſes à
conſiderer dans les nerfs ; à fçauoir
leur moëlle ou ſubſtance interieu
re , qui s'eſtend en forme de petits
filets depuis le cerueau d'où elle
prend ſon origine , iuſques aux ex
tremitez des autres membres auſ
quelles ces filets ſont attachez ;
Puis les peaux qui les enuironnent ,
& qui eſtant continuës auec celles
qui enuéloppent le cerueau , com
poſent de petits tuyaux dans leſ.
quels ces petits filets font enfer
mez ; Puis enfin les eſprits ani,
B 2
20 DES PASSIONS
maux , qui eſtantportez par ces meſ
mes tuyaux depuis le cerueau iuſques
aux muſcles, ſont cauſe que ces filets
у demeurent entierement libres , &
eftendus en telle ſorte ; que la
moindre choſe qui meut la partie du
corps ou l'extremité de quelqu'vn
d'eux et attachée , faitmouuoir
par mefme moyen la partie du
cerueau d'où il vient : En mefme
façon que lors qu'on tire l'vn des
bouts d'vne corde on fait mouuoir
l'autre.
ARTICLE XIII ,
وال
Que cette action des objets de dehors ,
peut conduire diuerſement les.
eſprits dans les muſcles.
T i'ay expliqué en la Dioptri
Eq ue
que , comment tous les objets
de la veuë ne fe communiquent à
nous que par cela feal , qu'ils meu
uent localement , par l'entremiſe
PREMIERE PARTIE . 21
des corps tranſparens qui ſont en
tre eux & nous , les petits filets des
nerfs optiques , qui ſont au fonds
de nos yeux, & en ſuitteles endroits
du cerueau d'où viennent ces nerfs;
qu'ils les meuuent, dis-ie , en autant !
+
B4
24 DES PASSIONS
ARTICLE XV .
ARTICLE XVIII,
De la volonté,
с
34 DES PASSIONS
ARTICLE XXII.
De la difference qui eſt entre les autres
perceptions.
Outes les perceptions que ic
T n'ay pas encore expliquées
viennent à l'ame par l'entremife
des nerfs , & il y a entre elles cette
difference , que nous les rapportons
les-vnes aux objets de dehors qui
frappent nos ſens , les autres à noſtre
corps , ou à quelques-vnes de ſes
parties , & enfin les autres à noftre
ame.
15 ARTICLE XXIII.
Des perceptions que nous rapportons
aux objets qui ſont hors de nous.
Elles que nous rapportons à
CO des choſes qui ſont hors de
nous , à ſçauoir aux objets de nos
ſens , ſont cauſées ( aumoins,lors
que noſtre opinion n'eſt point fauf
PREMIERE PARTIE . 35
ſe ) par ces objets , qui excitant
quelques mouuemens dans les or
ganes des ſens exterieurs , en exci
tent auffi par l'entremiſe des nerfs
dans le cerueau , leſquels font que
l'ame les ſent. Ainſi lors que nous
voyons la lumiere d'vn flambeau,
& que nous oyons le fon d'yne clo
che , ce ſon & cette lumiere font
deux diuerſes actions , qui par cela
ſeul qu'elles excitent deux diuers
mouuemens en quelques-yns de nos
nerfs , & par leur moyen dans le
cerueau donnent à l'ame deux
ſentimens differens , leſquels nous
rapportons tellement auxſujets que
nous ſuppoſons eſtre leurs caufes,
que nous penſons voir le flambeau
meſme, & ouy la cloche ,' وnon pas
ſentir ſeulement des mouuemens
qui viennent d'eux,
C 2
S
I ON
S SS
36 DE PA
ARTICLE XXIV.
Des perceptions que nous rapportons 고
noſtre corps:
Es perceptions que nous rap
Loree n
porton s àprioriter iosustalpa
noſtre corp s , ou à
ies
quelques vnes de ſes part , font
celles que nous auons de la faim ,
de la ſoif , & de nos autres appe
tits naturels ; à quoy on peut join
dre la douleur , la chaleur , & les
autres affections que nous fentons
comme dans nos membres , & non
pas comme dans les objets qui ſont
hors de nous ; Ainſi nous pouuons
ſentir en meſme temps , & parl'en
tremiſe des mefmes nerfs , la froi
deur de noſtre main , & la chaleur
de la flanime dont elle s'approche;
ou bien au contraire la chaleur de
la main , & le froid de l'air auquel
elle eſt expoſée : Sans qu'il y ait
aucune difference entre les adions
qui nous font ſentir le chaud ou le
PREMIERE PARTIE . 37
froid qui eſt en noftre main, & celles
qui nous fontſentir celuy qui eſt hors
de nous ; finon que l'vne de ces
actions furuenant à l'autre , nous ju
geons que la premiere eſt desja en
nous , & que celle qui furuient n'y
eſt pas encore , mais en l'objet quila
caufe.
ARTICLE XXV .
ARTICLE XXVI.
Que les imaginations , qui ne dépen
dent que du mouuement fortuit des
eſprits , peuvent eſtre d'außi verita
bles paßions , que les perceptions qui
dépendent des nerfs.
L reſte icy à remarquer , que tou
Ites les meſmes choſes que l'ame
PREMIÈRE PARTIE . 39
apperçoit par l'entremiſe des perts,
luy peuuent auffi eftre repreſentées
par le cours fortuit des eſprits , ſans
qu'il y ait autre difference , ſinon
que les impreſſions qui viennent
dans le cerueau par les nerfs , ont
couſtume d'eſtre plus viues &plus
expreſſes , que celles que les eſprits
y excitent. Ce qui m'a fait dire en
l'art. 25. que celles - cy ſont comme
l'ombre ou la peinture des autresa
Il faut auſſi remarquer qu'il arriue
quelquesfois , que cette peinture eſt
li ſemblable à la choſe qu'elle re
preſente , qu'on peut y eſtre trom
pé touchant les perceptions qui ſe
rapportent aux objets qui ſont hors
denous , ou bien celles qui ſe rap
portent à quelques parties de nô.
tre corps , mais qu'on ne peut pas
l'eſtre en meſme façon touchant
les paſſions , d'autant qu'elles ſont
fi proches & fi interieures à noftre
ame , qu'il eſt impoſſible qu'elle les
fente ſans qu'elle ſoient veritable
C4
:
40 DES PASSIONS
menit telles qu'elle les ſent. Ainſi CS
ARTICLE XXXVII.
Comment il paroiſt qu'elles ſont toutes
cauſées par quelque mouuement
des eſprits.
T pource que le ſemblable ara
E.riue en toutes les autres pal
tions , à fçauoirqu'elles ſont prin
cipalement cauſées par les eſprits
contenus dans les cauitez du cer
ueau
entant qu'ils prennent leur
cours vers les nerfs , qui feruent à
eſlargir ou eſtrecir les orifices du
caur ou à pouſſer diuerſement
vers luy le ſang qui eſt dans les au
tres parties , ou en quelque autre
façon que ce foit à entretenir la
'meſme paſſion : On peut claire.
ment entendre de cecy , pourquoy
i'ay mis cy -deſſus en leurdefinition,
qu'elles ſont cauſées par quelque
mouuement particulier des eſprits.
D4
56 DES PASSIONS
ARTICLE XXXVIII.
Exemple des mohuemens du corps qui
accompagnent les paßions ,ene
dépendent point de l'ame.
V reſte en meſme façon que
AYle cours que prennent ces eſ
, ſuffit
prits vers les nerfs du cour
pour donner le mouuement à la
glande , par lequel la peur eſt miſe
dans l'ame ; ainfi auffi par cela ſeul
que quelques eſprits vont en mef
me temps vers les nerfs , qui fer
uent à remuer les jambes pour fuyr,
ils cauſent vn autre mouvement en
la meſme glande , par le moyen du-.
quel l'ame ſent & apperçoitcette
fuitte , laquelle peut en cette façon
eſtre excitée dans le corps , par la
ſeule diſpoſition des organes, & fans
que l'ame y contribuë.
! PREMIERE PARTIE. 57
!
ARTICLE XXXI X.
Comment une meſme cauſe peut exciter
diuerſes paßions en diuers hommes.
A meſme impreſſion que la
preſence d'vn objet effroyable
fait ſur la glande , & qui caufe la
peur en quelques hommes , peut
exciter en d'autres le courage & la
hardieſſe : dont la raiſon eſt , que
tous les cerucaux ne font pas diſpo.
ſez en meſme façon ; & que le meſ.
mc mouuement de la glande , qui
en quelques yns excite la peur ,fait
dans les autres que les eſprits en.
trent dans les pores du cerueau ,
qui les conduiſent partie dans les
nerfs qui ſeruent à remuër les mains
pour ſe deffendre , & partieen ceux
qui agitent & pouſſent le ſang vers
le coeur ,en la façon qui eſt requiſe.
pour produire des eſprits propres à
continuer cette deffenſe , & en rete
nir la volonté,
DES PASSIONS
ARTICLE XL.
Quel eſt le principal effect des
paßions.
Ar il eſt beſoin deremarques
CA que le principal effect de tou
tes les paſſions dans les hommes
eft qu'elles incitent & diſpoſent
leur ame à vouloir les choſes auf
quelles elles preparent leur corps :
En ſorte que le ſentiment de la
peur l'incite à vouloir fuyr , celuy
de la hardieſſe à vouloir combata
tre : & ainſi des autres.
ARTICLE XL I.
1
60 DES PASSIONS
ARTICLE XLII.
Comment on trouve en ſa memoire les
choſes dont on veut ſe ſouvenir.
Infi lors que l'ame veut ſe
A fouuenir de quelque choſe ,
cette volonté fait que la glande ſe
penchant ſucceſſivement vers di
uers coſtez , pouſſe les eſprits vers
diuers endroitsdu cerueau , iuſques
à ce qu'ils rencontrent celuy où
font les traces que l'objet dont on
veut ſe fouuenir y a laiſſées. Car ces
traces ne ſont autre chofe finon
que les pores du cerueau , par où
les eſprits ont auparauantpris leur
cours à caufe de la preſence de
cét objet , ont acquis par cela vne
plus grande facilité que les autres
à eſtre ouuerts derechef en meſme
façon , par les eſprits qui viennent
vers eux : En ſorte que ces eſprits
rencontrant ces pores ) entrent
i ARTICLE XLIX.
ARTICLE L.
Qu'il n'y a point d'ame ſi foible , qu'elle
ne puiſe eſtant bien conduite ac
querir un pounoir abſols ſur
ſes paßions.
Tileft vtile icy deſçauoir , que
EC O il a deja eſté dit cy
comme
deſſus , encore que chaque mou
uement de la glande ſemble auoir
eſté joint par la nature à chacune
de nos penſées dés le commence
ment de noſtre vie , on les peut
toutefois joindre à d'autres par ha
bitude ; Ainſi que l'experience fait
voir aux paroles , qui excitent des
mouuemens en la glande , leſquels
ſelon l'inſtitution de la nature ne
repreſentent à l'ame que leur fon,
lors qu'elles ſont proferées de la
voix , ou la figure de leurs lettres,
)
76 DES PASSIONS
lors qu'elles ſont eſcrites , & qut
neantmoins par l'habitude qu'ona
acquiſe en penſant à ce qu'elles fi
gnifient, lors qu'on a oüy leur ſon,
ou bien qu'on a veu leurs lettres ,
ont couſtume de faire conceuoir
cette ſignification , pluftoft que la
figure de leurs lettres , ou bien le
fon de leurs fillabes. Il eſt vtile
auſſi de ſçauoir, qu'encore que les
mouuemens tant de la glande que
des eſprits & du cerueau , qui re:
preſentent à l'ame certains objets ;
ſoient naturellement joints auec
ceux qui excitent en elle certaines
pafſions , ils peuuent toutefois par
habitude en eſtre ſeparez, & joints
à d'autres fort differens ; Et meſ.
me que cette habitude peut eſtre
acquiſe par yne ſeule action , & ně
requiert point vn long vſage. Ainſi
lors qu'on rencontre inopinément
quelque choſe de fort ſale, en vne
viande qu'on mange auec appetit,
la ſurpriſe de cette rencontre peut
PREMIERE PARTIE. 77
tellement changer la diſpoſition
du cerueau , qu'on ne pourra plus
yoir par apres de telle viande qu'a.
uec horſeur , au lieu qu'on la man,
geoit auparavant avec plaiſir. Et
on peut remarquer la meſme cho .
ſe dans les beſtes ; car encore qu'el.
les n'ayentpointde raiſon , ny peut
eftre auſi aucune penfée , tous les
6
mouuemens des efprits & de la
glande , qui excitent en nous les
paffions, ne laiſſent pas d'eftre en
elles , & d'y ſeruir à entretenir &
fortifier , non pas comme en goys
les paſſions , mais les mouvemens
desnerfs & des muſcles , qui ont
couſtume de les accompagner.
5
Ainſi lors qu'vn chien voit vne
perdrix , il eſt naturellement por
té à courir vers elle , & lors qu'il oit
tirer yn fuzil , ce bruit l'incite na.
turellement à s'enfuyr: maisneant.
moins on dreſſe ordinairement les
chiens couchans en telle forte , que
la veuë d'vne perdrix fait qu'ils
58 DES PASS. PREM: PART.
s'arreſtent , & que le bruit qu'ils
oyent apres , وlors qu'on tire ſur el
le , fait qu'ils y accourent. Or ces
choſes ſont vtiles à ſçauoir , pour
donner le courage à vn chacun d'éa
tudier à regler ſes paſſions. Car puis
qu'on peut auec vn peu d'induſtrie
changer les mouuemens du cerueau ,
dans les animaux dépourueus de
raiſon , il eſt éuident qu'on le peut
encore mieux dans les hommes ; &
que ceux meſmes qui ont les plus
foibles ames , pourroient acquerir
vn empire tres abſolu ſur toutes
leurs paſſions , ſi on employoit af
ſez d'induſtrie à les dreffer , & à les
conduire.
79
LES
PASSIONS
DE L'AME.
SECOND E PARTIE ,
ARTI :
SECONDE PARTIE . 81
ARTICLE LII.
Quel eſt leur vlage, la comment on les
peut dénombrer.
E remarque outre cela s, que le
.citetsntquipasmeuenuenr les ſens
1n'exobje
nous diuerſes
pafſions à raiſon de toutes les di
uerſitez quifont en eux , mais ſeu
lement à raiſon des diverſes façons
e nuire
ter ou bien en general eſtre im
portans ; Et que l'vſage de toutes
les paſſions .confifte en cela ſeul,
qu'elles diſpoſent l'ame à vouloir
5 les choſes que la nature dicte nous
eſtre ytiles , & à perlifter en cette
volonté 3 comme auffi la meſme
agitation des efprits , qui a couftu
me de les cauſer , diſpoſe le corps
aux mouvemens qui ſeruent à l'e
xecution de ces chofes. C'eſt
pour
quoy afin de les dénombrer jrit
faut ſeulement examiner par or
F
82 DES PASSIONS
dre en combien de diuerſes fa
çons qui nous importent nos ſens
peuuent eſtre meus par leurs ob.
jets. Et ie feray icy le dénombre
ment de toutes les principales paſ
fons felon l'ordre qu'elles peuúent
ainfi cftre trouuées. 17
ab2017
L'ordre e le dénombrement
des Paſions.
20 :
ARTICLE LIII.
L'Admiration ,
9. Ors. que la premiere rencon
LI tre : desi
de quelque objet nous
lurprendi, & que nous le iugeons
eſtre nouueau, ou fort different de
ce que nous connoiſſions aupara
uant , ouibien de ce que nous ſup
poſions qu'il deuoit eſtre , cela fait
que nous l'admirons & en ſommes
eltonnez. Et pource que cela peut
ärriuer auant quenous connoiſſons
aucunementih. cér objet inous eft
SECONDE PARTIE . 83
conuenable , ou s'il ne l'ent pas , il
me ſemble que l'Admiration eſt la
premiere de toutes les paſſions. Et
elle n'a point de contraire , à cauſe
que ſi l'objet qui ſe preſente n'a
rien en ſoy qui nous ſurprenne ,
nous n'en ſommes aucunement
émeus , & nous le conſideróns fans
paffion.
ARTICLE LIY. .
ARTICLE LVII .
Le Deſir.
E la mefme conſideration du
D bien & du mal naiſſent tou
tes les autres paſſions ; mais afin de
les mettre par ordre , ie diſtingue
les temps , & conſiderant qu'elles
nous portent bienplus à regarder
l'auenir que le preſent ou lepaſſé,
ie commence par le Deſir . Car
non ſeulement lors qu'on deſire
acquerir vn bien qu'on n'a pas. en .
1 core , ou bien euiter vn mal qu'on
iuge pouuoir arriuer ; mais aufli lors
qu'on ne ſouhaitte que la conſer
uation d'vn bien , ou l'abfence d'un
mal , qui eſt tout ce à quoy ſe peut
eſtendre cette paſſion , il eſt eui
dent qu'elle regarde touſiours l'a 1
uenir.
F 3
86 DES PASSIONS
ARTICLE LVIII .
L'Eſperance , la Crainte ; رla Ialouſie,
la Securité , e leDeſeſpoir.
L ſuffit de penſer que l'acquiſi
In i
tion d'vn bien ou la fuite d'vn
mal eſt poſſible pour etre incité à
la delirer. Mais quand on conſi
dere outre cela , s'il y a beaucoup
ou peu d'apparence qu'on obtien
ne ce qu'on deſire , ce qui nous re
preſente qu'il y en a beaucoup
excite en nous l'Eſperance , & ce
qui nous repreſente qu'il y en a
peu , excire la Crainte : dont la la .
louſie eft vne eſpece, Et lors que
l’Eſperance eſt extréme , elle chan
ge de nature , & ſe nomme Securité
ou Affeurance. Comme au con
traire l'extréme Crainte deuient
Deſeſpoir .
SECONDE PARTIE . 87
ARTICLE LIX .
F4
88 DES PASSIONS
ARTICLE LX.
Le Remors .
La Toye e la Trifteffe.
T la conſideration du bien
ET
preſent excite en nous de la
loye , celle du mal de la Triſteſſe,
lors que c'eſt vn: bien ou vn mal
qui nous eſt reprefenté comine nous
appartenant. :.;
SECONDE PARTIE . .89
ARTICLE LXII.
ARTICLÉ LXXI.
Qu'il n'arriue aucun changement dans
le cæur ny dans le ſang en
cette paßion .
T cette paſſion a cela de par
E ticulier , qu'on ne remarque
point qu'elle ſoit accompagnée d'au :
cun changeinent qui arriue dans le
cæur & dans le ſang , ainfi queles
autres pafſions. Dont la raiſon eft,
que n'ayant pas le bien ny le mal
pour objet ), mais ſeulement dą
connoiſſance de la choſe qu’on ade
mire , elle n'a point de rapport auec
le cœur & le ſang , deſquels dés
pend tout le bien du corps , mais
/
ſeulement auec le cerueau , où font
les organes des ſens qui feruent à
cette connoiſſance.
ARTI .
SECONDE PARTIE . 97
ARTICLE LXXII .
ARTICLE LXXIII.
Ce
que c'eſt que l'Eſtonnement.
T cette de pou
faire que eſprits,
qui ſont dans les cauitez du cer
ueau , ý prennent leur cours vers le
lieu où eſt l'impreſſion de l'object
qu'on admire , qu'elle les y pouſſe
quelquesfois tous , & fait qu'ils ſont
tellement occupez à conſeruer cet
te impreſſion , qu'il n'y en a aucuns
qui paſſent de là dans les muſcles,
ny meſme qui ſe detournent en au.
cune façon des premieres traces
qu'ils ont ſuivies dans le cerueau : ce
qui fait que tout le corpsdemeure
immobile comme yne ftatuë , &
qu'on ne peut apperceuoir de l'objet
que la premiere face qui s'eſt pre.
ſerítée ; ny par conſequent enac,
querir vne plus particuliere con
noiſſance. C'eſt cela qu'on nomme
communément eſtre eſtonné ; &
G 2
100 DES PASSIONS
l'Eltonnement eſt vn excez d'ad
miration , qui ne peut iamais eſtre
que mauuais.
ARTICLE LXXIV.
ARTICLE LXXV .
PS ARTICLE LXXVI.
En quoy elle peut nuire ;: Et comment
on peut ſuppléer à fon deffaut,
& corriger ſon excez :
Ais il arriue bien plus fou
Maleisie
uent qu'on admire trop , &
qu'on s'eſtonne, en apperceuant des
choſes qui ne meritent que peu ou
SECONDE PARTIE . 103
point d'eſtre conſiderées, quenon
pas qu’on admire trop peu . Et ce
la peut entierement ofter ou per
uertir l'yſage de la raiſon. C'eſt
pourquoy encore qu'il ſoit bon
d'eſtre né auec quelque inclina
tion à cette paffion , pource que ce
la nous diſpoſe à l'acquiſition des
ſciences ; nous deuons toutesfois
taſcher par apresde nous en deli
urer le plus qu'il eſt poſſible. Car il
eft ayſe de fuppléer à ſon deffaut
par vne reflexion & attention par.
ticuliere , à laquelle noſtre volonté
peut touſiours obliger ‘noſtre en
tendement , lors que nous iugeons
que la choſequi ſe preſente envaut
la peine. Mais il n'y a point d'autre
remede pour s'empeſcher d'admi
rer auec excez , que d'acquerir la
connoiſſance de pluſieurschoſes ,
& de s'exercer en la conſideration
de toutes celles qui peuuent ſem
bler les plus rares& les plus eſtran
geş.
G4
104 DES PASSIONS
: ARTICLE LXXVII.
Que ce ne ſont ny les plus ftupides , ny
les plus habiles , qui fontle plus
porter à l'Admiration.
V reſte encore qu'il n'y ait
Aqueque ceux qui ſont hebetez &
Itupides , qui ne ſont point portez
de leur naturel à l'Admiration ce
n'eſt pas à dire
que ceux qui ont le
plus d'eſprit , y ſoienttouſiours les
plus enclins : mais ce font principa
lement ceux qui , bien qu'ils ayent
vn ſens commun aſſez bon , n'ont
pas toutesfois grande opinion de
leur fuffiſance .
ARTICLE LXXVIII.
Que ſon exceż peut paffer en habitude,
lors qu'on manque de la
corriger.
T bien que cette paſſion fem
ETbleE ſe diminuer par l'vſage , à
รý
SECONDE PARTIE . IOS
cauſe que plus on rencontre de
choſesrares qu'on admire , plus on
s'accouftume à ceſſer de les admi.
rer & à penſer que toutes celles
qui ſe peuvent preſenter par apres
ſont vulgaires.Toutesfois lors qu'el
le eſt exceſſiue & qu'elle fait qu'on
arreſte ſeulement ſon attention ſur
la premiere image des objets qui
ſe ſont preſentez , ſans en acqueric
d'autre connoiffance , elle laiffe
apres ſoy vne habitude, qui diſpoſe
l'ame à s'arreſter en meſme façon
ſur tous les autres objets qui ſe pre
fentents pourueu qu'ils luy paroiſ
ſent tant ſoit peu nouueaux. Et
c'eſt ce qui fait durer la maladie de
ceux qui ſont aueuglément cu
rieux , c'eſt à dire , qui recherchent
les raretez ſeulement pour les ad
mirer , & non point pour les con
noiſtre : car ils deuiennent peu à
peu ſi admiratifs , que des choſes
de nulle importance ne ſont pas
moins capables de les arreſter , que
106 DES PASSIONS
celles dont la recherche eſt plus
vtile.
ARTICLE LXXIX.
Les definitions de l'Amour & de
la Haine.
ARTICLE LXXXI.
Dela diſtin &tion qu'on a couſtume de
faire entre l'Amour de concupiſcence
de bien -cueillance.
R on diſtingue communé
O ment deux fortes d'Amour ,
l'vne deſquelles eſt nommée Amour
de bien -vueillance , c'eſt à dire , qui
incite à vouloir du bien à ce qu'on
aimé ; l'autre eſt nommée Amour
de concupiſcence , c'eſt à dire , qui
fait deſirer la choſe qu'on aime.
Mais il me ſemble que cette diſtin
&tion regarde ſeulement les effects
de l'Amour , & non point fon effen
ce . Car ſi toſt qu'on s'eſt joint de
volonté à quelque objet , de quelle
nature qu'il ſoit , on a pour luy de
la bien-vueillance , c'eſt à dire on
joint auſſi à luy de volonté les cho.
ſes qu'on croit luy eſtre conuena .
bles : ce qui eſt yn des principaux
effe &ts de l'Amour. Et ſi on iuge
SECONDE PARTIE." 109
que ce ſoit vn bien de le poſſeder,
ou d'eftre aſſocié auec luy d'autre fa
çon que de volonté , on le deſire : ce
qui eft auffi l'un des plus ordinaires
effects de l'Amour.
ARTICLE LXXXII.
1
Comment des paßions fort differentes
conuiennent en ce qu'elles par
.
u $
ticipent de l' Amour.
L n'eſt pas beſoin aufti de diſtin
Iqu'iluse
guer autant d'eſpeces d'Amour
y a de diuers objets qu'on peut
aymer. Car , par exemple , enco
re que les pallions qu'vn ' ambi
tieux a pour la gloire , yn ayari.
cieux pour l'argent , yn yurongne
pour le vin , vn brutal pour une
femme qui veur violer 7
yn hom
me d'honneur pour ſon amy , ou
- pour la Maiſtreſſe , & vo bon pere
pour fes enfans , ſoient bien diffe
rentes entre elles , toutesfois en ce
qu'elles participent de l'Amour ,el
110 DES PASSIONS
les ſont ſemblables. Mais les qua
tre premiers n'ont de l'Amour que
pour la poſſeſſion des objets auf
quels ſe rapporte leur paffion ; &
n'en ont point pour les objets meſ
mes , pour leſquels ils ont ſeulement
du deſir >
meſlé auec d'autres paſ
ſions particulieres. Au lieu que l'A
mourqu'vn bon pere a pour ſes en
fans eft fi pure , qu'il ne deſire rieni
auoir d'eux, & ne veutpoint les pof
feder autrement qu'il fait , ny eſtre
joint à eux plus eſtroittement qu'il
eft déja : mais les conſiderant com
me d'autres ſoy.meſmes , il recher
che leur bien comme le fien pro
pre , ou meſme auec plus de ſoin,
pource que ſe repreſentant que luy
& eux font vn tout , dont il n'eſt pas
la meilleure partie , ilprefere fou.
uent leurs intereſts aux liens , & ne
craint pas de ſe perdre pour les
fauuer. L'affection que les gens
d'honneur ont pour leurs amis eſt
de cette meſıne nature > bien qu'el
SECONDE PARTIE . III
le ſoit rarement ſi parfaite ; & celle
qu'ils ont pour leur Maiſtreſſe en
participe beaucoup, mais elle parti
cipe aulli vn peu de l'autre.
ARTICLE LXXXIII.
De la difference qui eſt entre la ſimple
Affection , l'Amitié , ela
Denotion.
ARTICLE LXXXIV.
Qu'il n'y a pas tant d'eſpece de Haine
$
que d'Amour.
>
AliſoVeitreſtedireenctcoemreenqut eoplapoſéHaeineà
H
114 DES PASSIONS
l'Amour , on ne la diſtingue pas
toutesfois en autant d'eſpeces à cau
fe qu'on ne remarque pastant la dif
ference qui eſt entre les maux deſ
quels on eſt ſeparé de volonté , qu'on
fait celle qui eft entre les biensauf.
quels on eft joint.
ARTICLE LXXXV .
De l'Agréement & de l'Horreur.
Tie ne trouue qu’vne ſeule di
E ſtinction conſiderable , quiſoit
pareille en l'vne & en l'autre. Elle
conſiſte en ce que les objets tant
de l'Amour que de la Haine , peu.
uent eſtre repreſentez à l'ame par
les ſens exterieurs ou bien par les
interieurs & par ſa propre raiſon .
Car nous appellons communément
bien , ou mal ز, ce que nos ſeus inte
rieurs ou noftre raiſon nous font
iuger conuenable au contraire à
noftre nature : mais nous appel
lons beau ou laid , ce qui nous est
SECONDE PARTIE. 115
ainſi repreſenté par nos tens exte
rieurs , principalement par celuy
de la veuë , lequel feul eſt plus con
ſideré que tous les autres. D'où
naiſſent deux eſpeces d'Amour , à
fçauoir, celle qu'on a pour les cho
les bonnes , & celle qu'on a pour
les belles , à laquelle on peut don
ner le nom d'Agréement , afin de
ne la pas confondre auec l'autre,
ny aulli auec le Deſir, auquel on at .
tribuë fouuent le nom d'Amour.
Et de la naiſſent en meſme façon
deux eſpeces de Haine , l'vne deſi
quelles ſe rapporte aux choſes
mauvaiſes , l'autre à celles qui ſont
laides ; & cette derniere peut eſtre
5 appellée Horreur ou Auerſion,
afia de la diftinguer. Mais ce qu'il
y a icy de plus remarquable , c'eſt
que ces paſſions d’Agréement &
d'Horreur ont couſtume d'eſtre
plus violentes que les autres eſpe
ces d'Amour ou de Haine , à cauſe
que ce qui vient à l'ame par les
H 2
116 DES PASSION'S
fens , la touche plus fort que ce qui
lay eſt repreſenté par la raiſon ; &
toutesfois elles ont ordinaire .
que
ment moins de verité. En force que
de toutes les paſſions ce ſont celles.
cy quitrompent le plus , & dont on
doit le plus ſoigneuſement ſe gar
der.
ARTICLE LXXXVI .
La Definition duDeſir.
A paſſion du Deſir eft vneagia
L tation de l'Ame cauſée par les
ciprits , qui la diſpoſe à vouloir
pour l'auenir les choſes qu'elle ſe
repreſente eſtre conuenables. Ainli
on ne delire pas ſeulement la pre
fence du bien abſent , mais auſſi la
conſeruation du preſent ; Et de plus
l'abſence du mal , tant de celuy
qu'on a déja , que de celuy qu'on
croit pouuoir receuoir au temps à
venir.
SECONDE PARTIE. 117
ARTICLE LXXXVII ,
1
ARTICLE LXXXIX .
ARTICLE XCI.
La definition de la Yoye.
0
A loye eſt vne agreable émo.
tion de l'ame , en laquelle con
lilte la joüiſfance qu'elle a du bien ,
I que les impreſſions du cerueau luy
repreſentent comme ſien. le dis
que c'eſt en cette émotion que con
Gifte la jouiſſance du bien : car en
effect l'ame ne reçoit aucun autre
fruie de tous les biens qu'elle pof
-
124 DES PASSIONS
ſede ; & pendant qu'elle n'en a au
cune loye,on peut dire qu'elle n'en
ioüit pas plus que ſi elle ne les poſ.
ſedoit point. l'adjouſte aufli , que
c'eſt du bien que les impreſſions
du cerueau luy repreſentent com :
me lien , afin de ne pas confondre
cette ioye qui eſt vne paſſion , auec
la ioye purement intellectuelle,
qui vient en l'ame par la ſeule as
&tion de l'ame', & qu'on peut dire
eſtre vne agreable émotion exci
tée en elle par elle meſme , en la
quelle conſiſte la ioüiffance qu'elle
a du bien que ſon entendement
luy repreſente comme sien. Il eſt
vray que pendant que l'ame eſt
jointe au corps , cette ioye intelle
Quelle ne peut gueres manquer
ܕ.
d'eſtre accompagnée de celle qui
eſt vne paffion. Car fi toft que nnô
ổ.
tre entendement s'apperçoit que
nous poffedons quelque bien , en
core que ce bien puiſſe eſtre fi dif
ferent de tout ce qui appartient au
SECONDE PARTIE . 125
corps qu'il ne ſoit point du tout
imaginable , l'imagination nelaiſſe
pas de faire incontinent quelque
impreſſion dans le cerueau , de la
quelle ſuit le mouuement des ef
prits , qui excite la paſſion de la
loye.
ARTICLE XCII .
La definition de la Triftere.
A Triſteſſe eſt vne langueur
2
Lliite, l'incommodité
deſagteable , en laquelle con
que l'ame re
çoit du mal, ou du deffaut, que les
impreſſions du cerucay lay répre
ſentent comme luy appartenant.
Et il y a auſſi vne Triſteſſe intelle
el ctuelle, qui n'eſt pas la paſſion , mais
qui ne manquegueres d'en eftre ac
compagnée.
126 DES PASSIONS
ARTICLE XCIII .
ARTICLE XCIV.
Comment ces paßions ſont excitées par
des biens des maux qui ne regar
dent
que le corps : Gen quoy conſiſte
le chatoüillement en la douleur.
Inſi lors qu'on eſt en plaine
A
ferain
ſanté , & que le temps elt plus
que de couſtume, on ſent en
ſoy vne gayeté qui ne vient d'au
cune fondion de l'entendement :
mais ſeulement des impreſſions
que le mouuement des eſprits fait
dans le cerueau ; Et on ſe ſent
triſte en meſme façon lors que le
corps eſt indiſpoſé , encore qu'on
ne ſçache point qu'il le ſoit. Ainſi
le chatoüillement des ſens eſt ſuis
ui de fi prés par la loye, & la Dou
leur par la Triſteſſe , que la plus.
128 DES PASSIONS
part des hommes ne les diftin .
guent point. Toutesfois ils diffe.
rent li fort , qu'on peut quelques
fois ſouffrir des douleurs auec loye ,
& receuoir des chatoüillemens qui
deſplaiſent. Mais là cauſe qui fait
que pour l'ordinaire la Ioye ſuit du
chatoüillement , eſt que tout ce
qu'on nomme chatouillement ou
ſentiment agreable , conſiſte en
ce que les objets des ſens excitent
quelque mouuement dans les
nerfs , qui feroit capable de leur
nuire s'ils n'auoient pas aſſez de
force pour luy reſiſter , ou que le
corps ne fuſt pas bien diſpoſé. Ce
qui fait une impreſſion dans le cer
ueau , laquelle eſtant inſtituée de la
Nature pour teſmoigner cette bon.
ne diſpoſition & cette force , la re.
preſente à l'ame comme vn bien
qui luy,appartient , entant qu'elle
eſt vnie auec le corps , & ainſi exci
te en elle la Ioye. C'eſt preſque
la meſme raiſon qui fait qu'on
prend
SECONDE PARTIE . 129
prend naturellement plaiſir à ſe
ſentir émouvoir à toutes ſortes de
paſſions , meſmes à la Triſteffe, & à
ia Haine lors que ces paſſions, ne
ſont cauſées que par les auantures
eftranges qu'on voit repreſenter
1 fur vn theatre , ou par d'autres pa
reils ſujets , qui ne pouuant nous
nuire en aucune façon , ſemblent
chatoüiller noftre ame en la rou
chant . Et la cauſe qui fait que la
douleur produit ordinairement la
Triſteſſe,eſt que le ſentiment qu'on
nomme douleur, vient touſiours de
quelque action ſi violente qu'elle
offenſe les nerfs ; en forte, qu'eſtant
inſtitué de la nature pour ſignifier à
l'ame le dommage que reçoit le
corpspar cette action , & fa foibleſſe
en ce qu'il ne luy a pû reliſter , illay
) repreſente lyn & l'autre comme
des maux, qui luy ſont touſiours
deſagreables , excepté lors qu'ils
caufent quelques biens qu'elle eftir
me plus qu'eux. 2
I
130 DES PASSIONS
ب,
ARTICLE XCV.
ARTICLE XCVI.
Quels ſont les mounemens du ſang !
des eſprits, qui cauſent les cinq
paßions precedentes.
Es cinq pafſions que i'ay icy
L commencé à expliquer , ſont
tellement jointes ou oppoſées les
vnes aux autres , qu'il eſt plus ayſe
de les conſiderer toutes enſemble ,
que de traiter ſeparément de cha
cune
ainſi qu'il a eſté traité de
l'Admiration . Et leur cauſe n'eſt
pas comme la ſienne dans le cera
ueau ſeul : mais auſſi dans le coeur ,
dans la rate , dans le foye, & dans
toutes les autres parties du corps ,
i
entant qu'elles ſeruent à la prody.
I 2
132 DES PASSIONS :
& tion du ſang , & en fuite des eſ.
prits. Car encore que toutes les vei
nes conduiſent le ſang qu'elles con
tiennent vers le cour , il arriue
neantmoins quelques fois que celuy
de quelques-vnes y eſt pouſſé auec
plusde force que celuy des autres ;
es
il arriue auſſi que les ouuerturou
par où il entre dans le coeur
bien celles par où il en ſort , ſont
plus élargies ou plus reſſerrées yne
fois que l'autre.
ARTICLE XCVII.
Les principales experiences qui ſeruent
à connoiſtre ces mouuemens
en l'Amour.
R en conſiderant les diuerſes
ORalterations que l'experience
fait voir dans noſtre corps , pen
dant que noſtre ame est agitée de
diuerfes pafſions , ie remarque en
l'Amour quand elle eſt ſeule, c'eſt
à dire , quand elle n'eſt accompa
1 SECONDE PARTIE. 133
gnée d'aucune forte loye , ou Delir,
ou Triſteſſe , que lebattement du
poulx eſt eſgal , & beaucoup plus
grand & plus fort quede couſtume,
qu'on ſent une douce chaleur dans
la poitrine , & que la digeſtion des
viandes ſe fait fort promptem ent
dans l'eſtomac ; en forte que cette
S
Paſſion eft vtile pour la ſanté.
3
ARTICLE XCVIII.
En la Haine.
E remarque au contraire en la
I Haine , que le poulx eft inégal,
& plus petit, & fouuent plus viſte,
qu'on ſent des froideurs entremel,
lées de ie ne ſçay quelle chaleur al
pre & picquante dans la poitrine,
que l'eſtomac ceffe de faire ſon of
2
fice , & eft enclin à vomir , & rejet
ter les viandes qu'on a mangées ,
ou du moins à les corrompre &
conuertir en mauuaiſes humeurs.
I 3
134 DES PASSIONS
ARTICLE XCIX.
En la Toye.
Nla Ioye , quele poulx eſt égal
EX plus viſte qu'à l'ordinaire:
mais qu'il n'eſt pas ſi fort ou ſi
grand qu'en l'Amour , & qu'on
ſent vne chaleur agreable , qui n'eſt
pas ſeulement en la poitrine : mais
qui ſe refpand auſſi en toutes les
parties exterieures du corps , auec
le ſang qu'on voit y venir en abon
dance ; & que cependant on perd
quelquesfois l'appetit , à caufe que
la digeſtion ſe fait moins que de
couſtume.
ARTICLE C.
En la Triſteſſe.
N la Triſteſſe, que le poulx eft
poi & lent , &
E foible qu'on fent
comme des liens autour du coeur ,
qui le ferrent, & des glaçons qui
SECONDE PARTIE. 135
le gelent , & cominuniquent leur
froideur au reſte du corps ; & que
cependant on ne laiſſe pas d'auoir
quelquesfois bon appetit, & de ſen
tir que l'eſtomac ne manque point
à faire ſon deuoir , pouruea qu'il n'y
ait point de Haine meſlée auec la
Triſteſſe .
ARTICLE CI.
Au Deſir. i
1.4
136 DES PASSIONS
ARTICLE CII.
1 V contraire en la Haine , la
1 A premiere penſée qui
donne de l'auerſion , conduit telle
3 ment les eſprits qui ſont dans le
cerueau vers les muſcles de l'efto .
mac & des inteſtins , qu'ils empef
chent que le ſuc des viandes ne fe
melle auec le fang , en refferrant
138 DES PASSIONS
toutes les ouuertures par où il a
couſtume d'y couler 3 & elle les
condait auſſi tellement vers les pe .
tits nerfs de la rate , & de la partie
inferieure du foye , où eſt le rece
ptacle de la bile, que les parties du
ſang qui ont couſtume d'eſtre re.
jectées vers ces endroits là , en ſor
tent, & coulent, auec celuy qui eſt
dans les rameaux de la veine caue ,
vers le coeur ; ce qui cauſe beau
coup d'inégalitez en fa chaleur ,
d'autant que le ſang qui vientde la
rate ne s'échauffe & fe rarefie qu'à
peine , & qu'au contraire celuy qui
vient de la partie inferieure du
foye, où eſt touſiours le fiel , s'em
braſé & fe dilate fort prompte
ment. En ſuite dequoy les eſprits
qui vont au cerueau , ont auſſi des
parties 'fort inégales , & des mou.
uemens fort extraordinaires ; D'où
vient qu'ils y fortifient les idées de
Haine qui s'y trouuent deſia ima
primées, & diſpoſent l'ame à des
SECONDE PARTIE . 139
1 penſées qui ſont pleines d'aigreur &
d'amertume .
ARTICLE CIV.
En la Ioye.
N la loye ce ne ſont pas tant
E
l'elt
les nerfs de la rate , du foye, de
omac , ou des inteſtins , qui agil
ſent , que ceux qui ſont en tout
le reſte du corps ; & particuliere
ment celuy qui eſt autour des ori
fices du coeur , lequel ouurant &
élargiſſant ces orifices donne
moyen au ſang , que les autres nerfs
chaffent des veines vers le coeur,
d'y entrer & d'en ſortir en plus
다. grande quantité que de couſtume.
3 Et pource que le ſang qui entre
alors danslecour ,y'a déja paſſé &
repaſſé pluſieurs fois , eſtant venu
des arteres dans les veines , il ſe di
} late fort ayſément , & produit des
eſprits , dont les parties eſtant fort
égales & ſubtiles , elles ſont pro.
140 DES PASSIONS
pres à former & fortifier les im .
preſſions du cerueau , qui donnent
å l'ame des penſées gayes & tran.
quilles.
ARTICLE CV .
En la Trifteffe.
V contraire en la Triſteſſe, les
AVouuerture
E s du coeur ſont fort
retrecics par le petit nerf qui les
enuironne , & le fang des veinės
n'eſt aucunement agité: ce qui fait
qu'il en va fort peu vers le coeur :
& cependant les paſſages par où
le ſuc des viandes coule de l'eſto
mac & des inteſtins vers le foye,
demeurentouverts ; ce qui fait que
l'appetit ne diminuë point , ex,
cepté lors que la Haine , laquelle
eſt ſouuentjointe à la Trifteffe , les
ferme.
}
SECONDE PARTIE. 141
ARTIC it cv I.
no
An Defir.
N fin la paſſion du Deſir a cela
de propre , que la volonté
qu'on a d'obtenir quelque bien , ou
de fuir quelque mal , enuoye prom
prement les eſprits du cerueau vers
coutes les parties du corps , qui peu
uent ſeruir aux actions requiſes
pour cét effe t; & particulierement
ers le coeur , & les parties qui luy
fourniſſent le plus de ſang , afin
qu'en receuantplus grande abon
dance que de coutume , il enuoye
plus grande quantité d'eſprits vers
1 le cerucau , tant pour y entretenit
& fortifier l'idée de cette volonté ,
que pour paſſer de là dans tous les
organes des ſens , & tous les muſcles
qui peuuent eſtre employez pour
obtenir ce qu'on delire.
142 DES PASSIONS
ARTICLE CVII .
Velquesfois au contraire il
venoit quelque ſuc eſtranger
vers le coeur , qui n'eſtoit pas
propre à en entretenir la chaleur,
oumeſmequi la pouuoit eſteindre:
ce qui eſtoit cauſe que les eſprits,
qui montoient du coeur au cer
ueau excitoient en l'ame la paf
ſion de la Haine. Et en melme
temps auſſi ces eſprits alloient du
cerueau vers les nerfs į qui pou
uoient pouſſer du ſang de la rate,
& des petitesveines dufoye,vers le
coeur , pour empeſcher ce luc noi:
fible d'y entrer ; & de plus vers
ceux qui pouuoient repouſſer ce
meſme fuc vers les inteſtins ; &
vers l'eſtomac , ou auſſi quelques
fois obliger l'eſtomac à le vomir.
D'où vient que ces mefmes mou
uemens ont couſtume d'accompa
gner
SECONDE PARTIE. 145
gner la paffion de la Haine. Et on
peut voir à l'oeil qu'il y a dans le
foye quantité de veines , ou con
duits , aſſez larges , par où le ſuc
des viandes peut paſſer de la veine
porte en la yeine caue , & de là au
ceur , fans s'arreſter aucunement
au foye :mais qu'il y en a auſſi yne
7 infinité d'autres plus petites où il
peut s'arreſter , & qui contiennent
touſiours du ſang de reſerue , ainſi
que fait auſſi la rate ; lequel ſang
eſtant plus groſſie que celuy qui
1 eſt dans les autres parties du corps,
peut mieux ſeruir d'aliment au feu
$ qui eſt dans le coeur quand l'eſto ,
mac & les inteſtins manquent de
luy en fournir,
ARTICLE CIX.
En la Ioye.
L eſt auſſi quelquesfois arriué au
ICO
commencement de noſtre vie ,
que le ſang contenu dans les veines
K
146 DES PASSIONS
eſtoit vn aliment aſſez conuena .
ble pour entretenir la chaleur du
cæur , & qu'elles en contenoient
en telle quantité , qu'il n'auoit
point beſoin de tirer aucune nour
riture d'ailleurs . Ce qui a excité
en l'ame la Paſſion de la loye , &
a fait en meſme temps que les ori.
fices du cœur ſe ſont plus ouuerts
que de couſtume ; & que les eſprits
coulans abondamment du cerueau ,
non ſeulement dans les nerfs qui fer
uent à ouurir ces orifices : mais auſſi
generalement en tous les autres qui (
accompagnent la loye. |2
fe
d
d
SECONDE PARTIE . 147
ARTICLE CX .
t
En la Triſteſſe.
Velquesfois au contraire il eſt
3
OY arriué que le corps a eu faute
de nourriture , & c'eſt ce qui doir
auoir fait ſentir à l'ame ſa premiere
Triſteffe , au moins celle qui n'a
point eſté jointe à la Haine. Cela
meſme a fait auſſi que les orifices du
coeur ſe font eſtrecis, à cauſe qu'ils
ne receuoient que peu de ſang ; &
qu'vne aſſez notable partie de ce
ſang eſt venuë de la rate à cauſe
e qu'elle eſt comme le dernier reſer
uoir qui ſert à en fournir au cour,
lors qu'il ne luy en vient pas aſſez
d'ailleurs. C'eſt pourquoy les mou
uemens des eſprits & des nerfs , qui
feruent à eſtrecir ainſi les orifices
du coeur , & à y conduire du fang
de la rate, accompagnent touſiours
la Trifteffe.
K 2
DES PASSIONS
148
ARTICLE CXI.
Au Deſir.
Nfin tous les premiers Deſirs
que l'ame peutauoir eus , lors
qu'elle eſtoit nouuellement jointe
au corps , ont elté , de receuoir les
choſes qui luy eſtoient conuena
bles , & de repouſſer celles qui luy
eſtoient nuiſibles. Et ç’a eſté pour
ces meſmes effects , que les eſprits
ont commencé dés lors à mouvoir
tous les muſcles & tous les organes
des ſens, en toutes les façons qu'ils
les peuuent mouuoir. Ce qui eſt
cauſe que maintenant lors que l'a.
me deſire quelque choſe , tout le
corps deuient plus agile & plus diſ
poſé à ſe mouuoir , qu'il n'a couftu
me d'eſtre ſans cela . Et lors qu'il ar
riue d'ailleurs que le corps eſt ainſi
diſpoſé , cela rend les deſirs de l'ame
plus forts & plus ardens .
SECONDE PARTIE. 149
ARTICLE CXII .
1
Comment la Triſteſſe fait paſlir.
E A Triſteſſe au contraire , en é.
B L treciſſant les orifices du cour;
fait que le ſang coule plus lente
ment dans les veines , & que deue
154 DES PASSIONS
nant plus froid & plus eſpais , il a
beſoin d'y occupermoins de pla
ce ; en ſorte que ſe retirant dans
les plus larges , qui ſont les plus
proches du cour il quitte les plus
éloignées : dont les plus apparen.
tes eftant celles du viſage , cela le
fait paroiſtre pafle & décharné :
principalement lors que la Tri,
Iteffe eſt grande ou qu'elle ſur
uient promptement , comme on
voit en l'Eſpouuante , dont la ſur
priſe augmente l'action qui ſerre le
ceur .
ARTICLE XCVII,
Comment on rougit Connent
eſtant triſte.
Ais il arriue fouuent qu'on
M& qu'aunecontraire
paſlit point eſtant triſte,
on deuient rou
ge. Ce qui doit eſtre attribué aux
autres paſſions qui ſe joignent à la
Triſteſſe, à ſçauoir, à l'Amour , ou
SECONDE PARTIE . 155
1
au Delir , & quelquesfois auſſi à la
Haine. Car ces paſſions eſchauf
3
fant ou agitant le ſang qui vient
1
du foye, des inteſtins , & des autres
5
parties interieures , le pouſſent vers.
le cour , & de là par la grande arte
re vers les veines du viſage , fansque
la Triſteſſe qui ſerre de part & d'au
tre les orifices du coeur le puiſſe
empeſcher , excepté lors qu'elle eſt
fort exceſſiue. Mais encore qu'elle
ne ſoit que mediocre , elle empel
che aiſément que le fang ainſi venu
dans les veines du viſage ne deſcen
de vers le coeur , pendant que l'A
mour , le Deſir , ou la Haine y en
pouſſent d'autres des parties inte
rieures. C'eſt pourquoy ce ſang
eſtant arreſté autour de la face , il la
rend rouge ; Et meſme plus rouge
que pendantla loye , à cauſe que la
couleur du ſang paroiſt d'autant
mieux qu'il coule moins viſte , &
auſſi à cauſe qu'il s'en peut ainſi
D3 aſſembler dauantage dans les vei
156 DES PASSIONS
nes de la face , que lors que les ori
fices du coeur ſont plus ouuerts. Ce
cy paroiſt principalement en la
Honte , laquelle eſt compoſée de
l'Amour de ſoy -meſme , & d'vn
Deſir preſſant d'éuiter l'infamie
preſente ; ce qui fait venir le ſang
des parties interieures vers le coeur ,
puis de là par les arteres vers la face;
Et quec cela d'vne mediocre Tri.
ſteffe , qui empeſche ce ſang de re
tourner vers le coeur. Le meſme
paroiſt auſſi ordinairement lors
qu'on pleure ; car comme ie diray
cy -apres, c'eſt l'Amour jointe à la
Triſteſſe qui cauſe la pluſpart des
larmes. Et le meſme paroiſt en la
colere , où ſouuent yn prompt Delir
de vengeance eſt mellé auec l'A .
mour , la Haine, & la Trifteffe.
SECONDE PARTIE. 157
ARTICLE CXVIII .
Des Tremblemens.
10 Es Tremblemens ont deux di
L Juerſes cauſes : l'vne eft , qu'il
yient quelquesfois trop peu d'eſ
prits du cerueau dans les nerfs , &
l'autre qu'il y en vient quelquesfois
trop , pour pouuoir fermer bien
iuſtement les petits paſſages des
muſcles , qui ſuiuant ce qui a eſté
dit en l'article XI . doiuent eſtre
fermez pour determiner les mou
uemens des membres. La premie
re cauſe paroilt en la triſteſſe & en
la peur ; comme aulli. lors qu'on
tremble de froid . Car ces Paſſions
peuuent auſſi bien que la froideur
de l'air tellement épaiſſir le ſang;
qu'il ne fournit pas aſſez d'eſprits
au cerueau , pour en enuoyer dans
les nerfs. L'autre cauſe paroiſt fou
uent en ceux qui defirent ardem
ment quelque choſe , & en ceux
O NS
158 DES PASSI
qui font fort émeus de colere ;com :
me auffi en ceux qui ſont yures .
Car ces deux paſſions , auſſi bien
que le vin , font aller quelques
fois tant d'eſprits dans le cerueau,
qu'ils ne peuuent pas eſtre regle
ment conduits de là dans les mul
cles .
ARTICLE CXIX.
De la Langueur.
A Langueur cſt vne diſpoſi
LA
tion à ſe relâcher & eſtre ſans
mouuement , qui eſt ſentie en tous
les membres. Elle vient , ainſi que
le tremblement , de ce qu'il ne va
pas aſſez d'eſprits dans les nerfs,
mais d'vne façon differente : car la
cauſe du tremblement eſt, qu'il n'y
en a pas aſſez dans le cerueau , pour
obeir aux determinations de la
glande , lors qu'elle les pouſſe vers
quelque muſcle ; au lieu que lalan
gueur vient de ce que la glande ne
SECONDE PARTIE. 159
les determine point à aller vers au
cuns muſcles, pluftoft que vers d'au,
tres.
ARTICLE CXX.
FM
ARTICLE CXXVII.
1
Quelle eſt ſa cauſe en l'Indignation.
Our le Ris qui accompagne
P quelquefois l'indignation ifthe
ordinairement artificiel & feiot.
Mais lors qu'il eſt naturel , il fem
ble venir de la loye qu'on a , de ce
qu'on voit ne pouuoir eftre offen ,
cé par le mal dont on eſt indigné ,
L 4
168 DES PASSIONS
& auec cela de ce qu'on le trouue
ſurpris par la nouveauté ou par la
rencontre inopinée de ce mal , زde
façon que la loye , la Haine &
l'Admiracion y contribuent . Tou
tefois je veux croire qu'il peut auſſi
eſtre produit ſans aucune joye, par
le ſeul mouuement de l'Auerſion ,
qui enuoye du ſang de la rate vers
le coeur , où il eſt rarefié, & pouſſé
de là dans le poumon ; lequel il
enfle facilement , lors qu'il le ren
contre preſque vuide. Et. genera
lementtout ce qui peut enfter fua
bitement le poumon en cette fa
çon ; cauſe l'action extérieure du
Ris, excepté lors que la Triſteſſe la
1.L.vi- change en celle des gemiſfemens
nes,3de & des cris qui accompagnent les
Anima.
cap.de
larmes , A propos dequoy Viues
Rif . eſcrit de foy -meſme , que lors qu'il
auoit eſté long-temps ſans man
ger , les premiers morceaux qu'il
mettoit en fa bouche l'obligeoient
à rire : ce qui pouuoit venir de ce
SECONDE PARTIE. 169
1 que fon poumon vuide de ſang par
! faute de nourriture eſtoit prom
Ć ptement enflé par le premier ſuç
qui paſſoit de ſon eſtomac vers le
cæur, & que la ſeule imagination
$ de manger y pouuoit conduire,
auant melme que celuy des viandes
qu'ilmangeoit y fuft paruenu.
ARTICLE CXXVIII.
De l'origine des Larmes.
Ommele Ris n'eſt iamais Cau
Cepar
pår les plus grandes loyés ,
ainti les larmes ne viennent point
d’yne extrémne Triſteſſe , mais fer
lement de celle qui eſt mediocre , &
accompagnée ou ſuiuie de quel ,
que ſentiment d'Amour , ou auſſi
de loye. Et pour bien entendre
leur origine , il faut remarquer que
bien qu'il ſorte continuellement
Ï quantité de vapeurs de toutes les
s parties de noſtre corps, il n'y en a
&
toutefois aucune dont il en forte
170 DES PASSIONS
tant que des yeux , à cauſe de la
grandeur des nerfs optiques , & de
la multitude des petites arteres
par où elles y viennent ; Et que
comme la ſueur n'eſt compoſée que
des vapeurs ; qui ſortant des autres
parties ſe conuertiſſent en eau ſur
leur ſuperficie , ainſi les Larmes ſe
font des vapeurs qui ſortent des
yeux .
ARTICLE C XXIX .
1
ARTICLE CXXX.
Comment ce qui fait de la douleur à
l'vil l'excite à pleurer.
Tie ne puis remarquer que
E deux cauſes qui faſſent que les
vapeurs qui ſortent des yeux fe
changent en larmes . La premiere
eft quand la figure des pores par où
elles paſſent elt changée , par quel
que accident que ce puiſſe eſtre:
car cela retardant le mouuement
de ces vapeurs , & changeant leur
ordre , peut faire qu'elles ſe con
uertiffent en eau . Ainſi il ne faut
qu'vn feftu qui tombe dans l'oeil,
pour en cirer quelques larmes : à
cauſe qu'en y excitant de la dou
leur , il change la diſpoſition de
ſes pores : en ſorte que quelques
yasdeuenant plus eſtroits , les peci.
SECONDE PARTIE . * 173
1
tes parties des vapeurs y paſſent
moins viſte ; & qu'au lieu qu'elles
en ſorroient auparauant eſgale
ment diſtantes les mes des au
tres & ainſi demeuroient ſepa
rées, elles viennent à ſe rencontrer,
à cauſe que l'ordre de ces pores eft
troublé , au moyen dequoy elles ſe
joignent, & ainſi ſe conuertiſſenten
-larmes .
ARTICLE CXXXI.
Comment on pleure de Triſteſſe.
'Autre cauſe eſt la Triſteſſe,
L ſuiuie d'Amour , ou de Ioye ,
ou generalement de quelque cau
ſe qui faitque le coeurpouffe beau
1 coup de ſang par les arteres. La
Triſteffe y eſt requife', à cauſe que
refroidiſſant toutleſang , elle étre
cit les pores des yeux. Mais pour
ce qu'à meſure qu'elle les étrecit,
elle dimninuë auſſi la quantité des
vapeurs , auſquelles ils doivent
174 Des PASSIONS
donner paſſage , cela ne ſuffit pas lle
pour produire des larmes , fi la pa
quantité de ces vapeurs n'eſt à ord
ARTICLE CXXXIII.
Pour les enfans a les vieillards
pleurent aiſement.
Es enfans & les vieillards font
plus enclins à pleurer, que ceux
de moye n aage , mais c'eſt pour din
uerſes raiſons. Les vieillards pleus
rent ſouuent d'affection & de joye:
NS
176 DES PASSIO
car ces deux paffions jointes en
ſemble ; enuoyent beaucoup de
ſang à leur coeur , & de là beau
coup de vapeurs à leurs yeux ; &
l'agitation de ces vapeurs eſt telle
ment retardée par la froideur de
leur naturel , qu'elles fe conuer
tiſſent aiſément en larmes enco
ARTICLE CXXXIV .
Pourquoy quelques enfans paliffent , an
liex de pleurer.
Ou qu
tesfois il y en a elques vns
TO qui paliſſent , au lieu de pleu
rer ,quand ils ſont faſchez : ce qui
peut teſmoigner en eux vn iuge
ment , & vn courage extraordinai
te ; à ſçauoir lors que cela vient de
ce qu'ils conſiderent la grandeur
du mal, & ſe preparent à vne forte
reſiſtance en meſme façon que
ceux qui font plus aagez . Mais
c'eſt plus ordinairement vne mar
que de mauuais naturel : à ſçauoir
lors que cela vient de ce qu'ils font
enclins à la Haine , ou à la Peur ;
á car ce ſont des paſſions qui dimi
nuent la matiere des larmes. Et
on voit au contraire que ceux qui
M
178 DES PASSIONS
pleurent fort aiſément font.ena
2
ARTICLE CXXXIX.
3
De l'uſage des meſmes Paßions , entant
qu’elles appartiennent à l'ame,
premierement de
PAmour.
.
SECONDE PARTIE. 187
mauuais. Et elle eſt neceſſairement
ſuiuie de la ioye , à cauſe qu'elle
nous repreſente ce que nous ay
mons , comme vn bien qui nous ap
partient.
ARTICLE CXL .
De la Haine.
ng
çoitdu mal , & en la premiere que
ܪ
conſiſte toute la jouiſſance du bien
15
qui luy appartient . De façon que
ſi nous n'auions point de corps ,
el
i'oferois dire que nous ne pour
es
rions trop nous abandonner à l'A
20
ut
mour & à laloye , ny trop euiter la
Haine & la Triſteſſe. Mais les mou
uemens corporels qui les accom
190 DES PASSIONS
pagnent , peuuent tous eftre nuiſi
bles à la fanté lors qu'ils ſont fort
violens ; & au contraire luy eſtre
vtiles lors qu'ils ne ſont que mode
rez.
ARTICLE CXLII.
De la Toye es del'Amour , comparées
auec la Triſteſſe & la Haine.
reſte puis que la Haine &
A laV Triſte
tées par
ſſe doiúent eſtre reje
l'ame ; lors ' meſme qu'el
les procedent d'une vraye con
noiſſance elles doiuent l'eſtre à
plus forte raiſon lors qu'elles vien
nent de quelque fauſſe opinion.
Mais on peut douter fi l'Amour &
la loye ſont bonnes ou non , lors
qu'elles ſont ainfi mal fondées ; &
il me ſemble que ſi on ne conſide
re preciſément que ce qu'elles ſont
en elles m' eſmes , au regard de l'a
me , on peut dire que bien que la
loye ſoit moins ſolide , & l'Amour
SECONDE PARTIE. 191
moins aụantageuſe , que lors qu'el
les ont' vn meilleur fondement ,
**
elles ne laiſſent pas d'eſtre prefe
3 rables à la Triſteſle & à la Haine
auſſi mal fondées : En ſorte que
dans les rencontres de la vie , où
nous ne pouuons éuiter le hazard
d'eſtre trompez , nous faiſons toû
jours beaucoup mieux de pancher
vers les paſſions qui tendent au
bien ; que vers celles qui regardent
le mal , encore que ce ne ſoit que
pour l'euiter : Et mefme fouuent
vne fauſſe loye, vaut mieux qu'vne
Triſteſſe dont la cauſe eſt vraye.
M Mais ie n'oſe pas dire le meſme de
1 l'Amour , au regard de la Haine:
& car lors que la Haine eſt iuſte, elle
ne nous éloigne que du ſujet qui
contient le mal dont il eſt bon
d'eſtre ſeparé ; au lieu que l'A
mour qui eſt injuſte , nous joint à
des choſes qui peuuent nuire ou >
ARTICLE CXLIII.
Des meſmes Paßions , entant qu'elles fe
rapportent au Defir.
Til faut exactement remar .
E quer , que ce que ie viens de di
re de ces quatre paſſions , n'a lieu
que lors qu'elles ſont conſiderées
preciſément en elles meſmes , &
qu'elles ne nous portent à aucune
adion . Car entant qu'elles exci
tent en nous le Deſir , par l'en .
tremiſe duquel elles reglent ' nos
mæurs il eſt certain que toutes
celles dont la cauſe eſt fauſſe peu
uent nuire , & qu'au contraire tou
tes celles dont la ' caufe eſt iuſte
peuuent ſeruir , Et meſme que lors
qu'elles ſont également mal fon
dées , la loye eft ordinairement
plus nuiſible que la Triſteſſe , pour
ce que celle-cy donnant de la re
tenuë
SECONDE PARTIE . 193
tenuë & de la crainte , diſpoſe en
quelque façon à la Prudence au
lieu que l'autre rend inconſiderez
& temeraires ceux qui s'abandon
nent à elle.
ARTICLE CXLIV.
.다.
Des Defirs dont l'enenement
no
ne depend
que de us.
Ais pou
PC rce que ces Paſſions
M e
ne noos peuuent porter à au
cun action tremiſe
, que par l'en du
Defir qu'elles excitent , c'eſt par
ticulierement ce Deſir que nous
deuons auoir ſoin de regler, & c'eſt
. en cela qne conſiſte la principale
vtilité de la Morale . Or comme
i'ay tantoft dit , qu'il eſt toûjours
bon lors qu'il ſuit vne vraye con
noiſſance , ainſi il ne peut man
quer deftre mauuais , lors qu'il eſt
fondé ſur quelque erreur . Et il me
1 femble que l'erreur qu'on conmet
f le plus ordinairement touchant
N
194 · DES PASSIONS
les Deſirs eſt qu'on ne diſtingue :
pas aſſez les choſes qui dependent
entierement de nous , de celles qui
n'en dependent point. Car pour
celles qui ne dependent que de
nous , c'eſt à dire de noſtre librear
bitre , il ſuffit de fçauoir qu'elles
font bonnes , pour ne les pouvoir
deſirer auec trop d'ardeur , à cauſe
que c'eſt ſuiure la vertu , que de
faire les choſes bonnes qui depen .
dent denous , & il eſt certain qu'on
ne ſçauroit auoir vn Delir trop ar
dent pour la vertu , outre que ce
que nous deſirons en cette façon
ne pouuant manquer de nous reül ܐ
ARTICLE CXLV.
De ceux qui ne dependent que des au >
2
SECONDE PARTIE . 197
arriuer , & qu'il en eſt arriué autre
fois de ſemblables. Or cette opi.
nion n'eſt fondée que ſur ce que
nous ne connoiffons pas toutes les
cauſes, qui contribuent à chaque
effect. Car lors qu'vne choſe que
nous auons eſtimée dependre de
la Fortune n'arriue pas, cela tel
moigne que quelqu'vne des cauſes
qui eſtoient neceſſaires pour la
> produire a manqué , & par conſe.
quent qu'elle eſtoit abſolument
impofſible; & qu'il n'en eſt iamais
arriué de ſemblable, c'eſt à dire,
3 à la production de laquelle vne
pareille cauſe ait auſſi manqué ; en
forte queſi nous n'euſſions point
ignoré cela auparavant , nous ne
l'eufſions iamais eſtimée poſſible,
I ny par conſequent ne l'euflions
deſirée.
lo
21
el
N 3
S
198 DES PASSION
ARTICLE CXLVI.
De ceux qui dependent de nous &
d'autruy.
L faut donc entierement rejetter
Idehopindheregali er qu'ilyales
у
nous vne Fortune , qui fait que
les choſes arrivent ou n'arriuent
pas ſelon ſon plaiſir ; & ſçauoir que
tout eſt conduit par la Providence
diuine , dont le decret eternel eft
tellement infaillible & immuable,
qu'excepté les choſes que ce meſ.
me decret a voulu dependre de
noſtre libre arbitre , nous deuons
penſer qu'à noſtre eſgard il n'arriue
rien quine foit neceffaire , & com
me fatal en ſorte que nous ne
pouuons ſans erreur : defirer qu'il
arriue d'autre façon. Mais pour
ce que la pluspart de nos Delirs
s'eſtendent à des choſes , qui ne
dependent pas toutes de nous ,
ny toutes d'autruy , nous deuons
SECONDE PARTIE. 199
exactement distinguer en elles ce
qui ne depend que de nous afin
de n'eſtendre noſtre deſir qu'à ce
la ſeul. Et pour le ſurplus , encore
que nous en deuions eſtimer le
ſuccés entierement fatal & im .
muable , afin que noſtre Delir ne
3
s'y occupe point, nous ne deuops
pas laiſſer de conſiderer les raiſons
qui le font plus ou moins eſperer,
afin qu'elles ſeruent à regler nos
actions. Car par exemple , ſi nous
auons affaire en quelque lieu , ou
nous puiſſions aller par deux di
uers chemins , l'vn deſquels ait
couſtume d'eſtre beaucoup plus
ſeur que l'autre , bien que peut eu
Itre le decret de la Prouidence foit
tel , que ſi nous allons par le che
min qu'on eſtimele plusſeur , nous
ne manquerons pas d'y eſtre vo.
lez , & qu'au contraire nous pour
rons paſſer par l'autre ſans aucun
danger , nous ne deuons pas pour
cela eſtre indifferens à choisir l'yn
NA
200 DES PASSIONS
ou l'autre ; ny nous repoſer ſur la
fatalité immuable de ce decret.
inais la raiſon veut que nous choi
fiſſions le chemin qui a couſtume
d'eſtre le plus ſeur , & noftre Deſir
doit eſtre accomply touchant cela ,
lors que nous l'auons ſuiui, quelque
malqui nous en ſoit arriué ; à cau
fe que , ce mal ayant eſté à noftre
eſgard ineuitable, nous n'auons eu
aucun ſujet de ſouhaitter d'en eſtre
exempts , mais ſeulement de faire
tout le mieux que noſtre entende. 1
ment a pû connoiſtre , ainſi que ie
fuppoſe que nous auons fait. Et il 1
eſt certain que lors qu'on s'exerce
àdiſtinguer ainſi la Fatalité , de la .
Fortune 3 on s'accouſtume ayſe.
ment à regler ſes Deſirs en telle f
forte, que d'autant que leur accom
pliſſement ne depend que de nous,
ils peuuent touſiours nous donner 0
{
SECONDE PARTIE. 201
ARTICLE CXLVII.
Des Emotions interieures de l'ame.
PASSIONS
DE L'AME. 2
e
TROISIESME PARTIE,
Des Paſſions particulieres.
ARTICLE CXLIX.
8
ARTICLE . CL .
Que ces deux Paßions ne ſont que des
efpeces d'Admiration .
1
Inſi ces deu x Paſſions , ne ſont
.
1
A que des eſpeces d’Admiration,
Car lors que nous n'admirons point
1 la grandeur ny la petiteſſe d'vn ob.
1
jet , nous n'en faiſons ny plus ny
1
moins d’eſtat que la raiſon nous di,
1 Ate que nous en deuons faire de
" façon que nous l'eftimons ou le mel.
3 priſons, alors ſans paffion, Et bien
que ſouuent l'Eftime ſoir excitée en
nous par l'Amour , & le Melpris
par la Haine , cela n'eſt pas vniuer:
ſel, & ne vient que de ce qu'on eſt
plus ou moins enclin à conſiderer la
grandeurou la peciteſſe d'vn objet,
3 à raiſon de ce qu'on a plus ou moins
d'affection pour luy.
208 DES PASSIONS
ARTICLE CL I.
ARTI .
TROISIESME PARTIE . . 209
ARTICLE CLII.
Pour quelle cauſe on peut s'eſtimer.
T pource que l'vne des princi.
ET pales parties de la Sageſſe , eft
de Içauoir en quellefaçon & pour
quellecauſe chacun ſe doit eſtimer
ou meſpriſer , ie taſcheray icy d'en
dire mon opinion . le ne remar
que en nous qu'vne ſeule chofe,
qui nous puiffe donner iuſte raiſon
de nous eſtimer , à ſçauoir l'vfage
FE de noftre libre arbitre , & l'empire
que nous auons fur. nos volontez.
Car il n'y a que les ſeules actions
TA qui dependent de ce libre arbitre,
pour leſquelles nous puiſſions aues
0
raiſon eſtre . loüés,ou blaſınęz , &
il nous rend en quelque façon ſemi
blables à Dieu , en nous faiſant
maiſtres de nous meſmes , pourucu
que nous ne perdions point par là
1
cheté les droits qu'il nous donne.
0
210 DES PASSIONS
ARTICLE : CLII.
t cette connoiſſan
CEEuce x&qucei onſentiment d'eux-meſ.
mes , fe perſuadent facilement que
chacun des autres hommes les
avoir de
peut auſſi avoir foyy , pource
de ſo
qu'il n'y a rien ' en cela qui depen
de d'autruy. C'eſt pourquoy ils
.
ARTICLE CLVI.
Quellesſont les proprietez de la Genero
ſité; comment elle fert de remede
contre tous les dereglemens
des Paßions.
Eux qui ſont Genéreux en cer;
CE
Até façon ; font naturellement
pörtez à faire de grandes choſes
& toutefois à ne rien entrepren
dre dont ils ne ſe ſentent capables
0
Et pource qu'ils n'eſtiment rien
de plus grand que de faire du bien
aux autres hommes & de mef.
priſer ſon propre intereſt pour ce
ſujet , ils ſont touſiours0 parfaite.
3
214 DES PASSIONS
ment courtois affables & offi
cieux enuers vn chacun . Et auec ,
cela ils ſont entierement maiſtres
de leurs Paſſions ; particulierement
des Deſirs , de la Ialouſie ; & de
l'Enuie , à cauſe qu'il n'y a aucune
choſe dont l'acquiſition ne depen
de pas d'eux , qu'ils penſent valoir
aſſez pour meriter d'eſtre beau.
coup ſouhaitée ; & de la Haiñe en
uers les hommes , وà cauſe qu'ils les
eſtiment tous ; & de la Peur , à cau
ſe que la confiance qu'ils ont en
leur vertu les affeute ; & en fin de la
Colere , à cauſe que n'eſtimant que
fort peu toutes les choſes qui dé
pendeot d'autruy iamais ils ne
donnent tant d'avantage à leurs
ennemis : que de ,, reconnoiſtre
qu'ils en ſont offencem,
1 . rio
TROISTESME PARTIE. 215
ARTICLE CLVII.
rgu
De l'O15
u 20
eil. hivi
Ous ceux qui conçojuent bona
}
T ne opinion d'eux nyelmes pour
queique autre cauſe ; telle qu'elle
puiffe eftregi n'ont pas vpet vraye
Generoſité, mais ſeulement yn Ors
gueil qui eſt toujours fort vitieux ,
3 encore qu'il le ſoir d'autant plusz
que la cauſepour laquelle on s'eftią
1 me eſt plus injuſte, : Et la plus ins
juſte de toutes elt , lors qu'on eſt
orgueilleuxſans aucunſujeel,c'eſt
à dire ſans qu'on penſe pour cela
qu'il y ait ceno ſoy aucun merite ,
pour lequel on doive eftre priſé:
mais ſeulement rpource qu'on ne
fait point d'eſtat du merite.n & que
s'imaginant que la gloire n'eſt aus
tre choſe qu’yne vfurpation ', l'on
croit que ceux qui s'eo attribuend
le plus en ont le plus, Ce vice eſt
fi déraiſonnable & fi abſurd s quer
O A
216 DESA PASSIONS10
i'aurois de la peine à croire qu'il y
euft des hommes qui s'y laiſlaſſent
aller , fi iamais perſonne n'eſtoit
loüé injuſtement , mais la Aatterie
eft fi commune par rout , qu'il n'y
au point d'hommel defectueux,
qu'ils ne fo voye fouuent eſtimer
pour des choſes qui ne meritent
aucune sloüange ou nieſme qui
meritent du blafmeis ce qui donne
occaſion aux plus ignorans & aux
plus ſtupides ; de comber en cette
eſpece d'Orgueil,9;
din C 270
$ ARTIGLGL VIII.
Que ces effets font contrairesà ceux de
láGeneroſité.
de voia TS 19 :
Ais quelle quepuiffe eftre la
Mcaufe pour laquelle on s'efti
me, elle eſt autre que la volonté
qu'on ſenti en foy meſme, d'vſer
touſiours bien de ſon libre arbitre,
de laquelle i'ay dit que vient la Ge
nerolité , elle produit touſiours un
TROISIESME PARTIE. 217
Orgueiltres- blaſmable , & qui eft li
different de cette vraye Generoſie
té , qu'il a des effecs entierement
contraires. Car tous les autres
biens , comme l'eſprit , la beauté ,
les richeſſes , les honneurs , & c.
e ayant, coultume d'eftre d'autant
. plus eſtimez , qu'ils ſe trouuentea
moins de perſonnes , & meſme
eſtant pour la pluspart de telle na
ture , qu'ils ne peuuept eſtre com
muniquez à pluſieurs , cela fait que
les Orgueilleux taſchent d'abaiſſer
tous les autres hommes , & qu'é
tant eſclaues de leurs Defirs , ils
ont l'ame inceſſamment agitée de
Haine , d'Enuie , de lalouſie , ou de
Colere...!!
ARTICLE CLIX.
t L 31 De l'Humilité vitienſe:
el
Our la Baſſelfelou Humilité vi
->
ARTICLE CLXI.
Comment la Generoſité peut
eſtre acquiſe.
I il faut remarquer que ce
ETU qu'on nomme communément
des vertus , ſont des habitudes en
l'ame qui la diſpoſent à certaines
penſées, en ſorte qu'elles ſont diffe
rentes de ces penſées , mais qu'elles
les peuuent produire ,,& recipro
quement eſtre produites par elles.
8 Il faut remarquer auſſi que ces pens
!
ſées peuuént eſtre produites par
l'ameſeule , mais qu'il arriue ſous
224 DES PASSIONS: 1
vent que quelque mouuement des
eſprits les fortifie , & que pour lors
elles ſont des actions de vertu ,
& enſemble des Paſſions de l'ame.
Ainſi encore qu'il n'y ait point de
vertu , à laquelle il ſemble que la
bonne naiſſance .contribuë tant ,
qu'à celle qui fait qu'on ne s'eſti
me que ſelon ſa iuſte valeur ; &
qu'ilſoit ayſé à croire , que toutes
les ames que Dieu met en nos
corps , ne ſont pas également 110
bles & fortes, ( ce quieſt cauſe que
i'ay nommé cette vertu Generoſi
té , ſuivant l'vfage de 'noſtre lan
gue, plutoſt que Magnanimité,
fuiuant l'vſage de l'eſcole, où elle
n'eſt pas fort conneuë ) . il eſt certain
neantmoins que la bonne inſtitu
tion ſert beaucoup , pour corriger
les defauts de la naiſſance ; Et que
ſi on s'occupe ſouuent à conſiderer
ce que c'eſt que le libre arbitre , &
combien font grands bes auanta
ges qui viennent de ce qu'on a vne
ferme
TROISIESME PARTIE. 225
ferme refolution d'en bien vſer :
comme auſſi d'autre coſté , combien
font vains & inutiles tous les ſoins
qui trauaillent les ambitieux jon
peut exciter en ſoy la Paſſion , &
en ſuitte acquerir la vertu de Ge.
1 nerofité , laquelle eftant comme la
clef de toutes les autres vertus & c.
vn remede general contre tous les
dereglemens des Paſſions il me
ſemble que cette conſideration meri,
te bien d'eſtre remarquée.
ARTICLE CLXII.
De la Veneration .
A Veneration ou le Reſpect,
L eft vne inclination de l'ame ,
non ſeulement à eſtimer l'object
qu'elle reuere , mais auffi à fe lou
mettre à luy auec quelque crainte ;
pour taſcher de fe le rendre fagora:
ble. De façon que nous n'auons
de la Veneration que pour les cau
ſes libres , que nous iugeons capa
G P
226 DES PASSIONS **
bles de nous faire du bien ou du .
mal, ſans que nous fçachions le
quel des deux 'elles feront. Car
nous auons de l'Amour & de la de.;
úotion , plútoft qu'vne fimple Ve
neration , pour celles de qui nous
n'attendons que du bien , & nous
auons de la Haine pour celles de
qui nous n'attendons.que du mal ;
& fi nous ne iugeons point que la
cauſe de ce bien ou de ce mal ſoit
libre nous ne nous ſoumettons .
point à elle pour taſcher de l'auoir
fauorable. Ainſi quand les Payens
auoient de la Veneration pour des
bois , des fontaines , ou des monta .
gnes , ce n'eſtoit pas proprement
ces choſes mortes qu'ils reueroient,
mais l'es diuinitez qu'ils penſoient
y preſider. Et le mouuement des ef
prits qui excite cette Paffion eſt
compoſé de celuy qui excite l’Ad
miration, & de celuy qui excite la
Crainte , de laquelle ie parleray cy
apres.
TROISIES ME PARTIE . 227
ARTICLE CLXIII .
Du Dédain .
Out de meſme ce que ie nom
T me le Dédain , eſt l'inclina
tivo qu'à l'ame à meſpriſer vne cau
ſe libre, en iugeant que bien que de
ſa nature elle ſoit capable de faire du
3 bien & du mal , elle eſt neantmoins .
I ſi fort au deſſous de nous , qu'elle ne
nous peut faire ny l'on ny l'autre. Et
? le mouuement des eſprits qui l'exci
te , eſt compoſé de ceux qui excitent
5 l'Admiration , & la Securité , ou la
Hardieſſe.
ARTICLE CLXIV.
-
De la Talouſie.
A lalouſie eſt vne eſpece de
5
LACrainte , qui ſe rapporte au
Detir qu'on a de ſe conſeruer la
poſſeſſion de quelque bien ; & elle
ne vient pas tant de la force des rai
3
ſons , qui font iuger qu'on le peut
perdre , que de la grande, eſtime
I
qu'on en fait , laquelle elt cauſe
qu'on examine juſques aux moin.
dres ſujets de ſoupçon , & qu'on les
prend pour des raiſons fort conlide
rables.
ARTICLE CLXVIII .
ARTICLE CLXIX.
En quoy elle eſt blaſmable.
11
Ć
-
234 DES PASSIONS
ARTICLE CLXX.
De l'Irreſolution.
' Irreſolution eſt auſſi vne eſpe.
La ce de Crainte , qui retenant
l'ame comme en balance , entre
pluſieurs actions qu'elle peut faire
eft cauſe qu'elle n'en execute au
cune , & ainſi qu'elle a du temps
pour choiſir auant que de ſe de
terminer. En quoy veritablement
elle a quelque vlage qui eſt bon..
Mais lors qu'elle dure plus qu'il ne
faut , & qu'elle fait employer à de
libérer le temps qui eſt requis pour
agir , elle eſt fort mauuaiſe . Or ie
dis qu'elle eſt vne eſpece de Crain
te, nonobitant qu'il puiſſe arriuer,
lors qu'on a le choix de pluſieurs
choſes , dont la bonté paroiſt fort
égale , qu'on demeure incertain
& irreſolu , ſans qu'on ait pour ce
la aucune Crainte. Car cette forte
d'irreſolution vient ſeulement du
TROISIES ME PARTIE . 235
ſujet qui ſe preſente , & non point
d'aucune émotion des eſprits ; c'eſt
pourquoy elle n'eſt pas vne Paſ
lion , li ce n'eſt que la Craipte
qu'on a de manquer en ſon choix,
en augmente l'incertitude. Mais
cette Crainte eft fi ordinaire & fi
forte en quelques - vns , que fou 1
ARTICLE CLXXIV.
De la Laſcheté o de la Peur.
A Laſcheté eſt directement
L oppoſée au Courage >
ARTICLE CLXXVII.
Du Remors .
ARTICLE CLXXVIII.
De la Mocquerie.
A Deriſion ou Moquerie eſt
3
LA vne eſpece de loye meflée de
Haine, qui vientde ce qu'on apper
çoit quelque petit malen vne per
Tonne , qu'on penſe en eftre digne.
Ona de la Haine pour ce mal , &
on a de la loye de le voir en celuy
qui en eft digne , & lors que cela
Q2
244 DES PASSIONS
ſuruient inopinément , la ſurpriſe
de l'Admiration eſt cauſe qu'on s'é
clace de rire , ſuiuant ce qui a eſté
dit cy-deſſus de la nature du ris.
Mais ce mal doit eſtre petit : car s'il
eft grand , on ne peut croire que ce
duy qui l'a en ſoit digne , ſi ce n'eſt
qu'onſoit de fort mauuais naturel,
ou qu'on luy porte beaucoup de
Haine.
ARTICLE CLXXIX.
Pourquoy les plusimparfaits ont conſta
me d'effre les plus moqueurs.
T on voit que ceux qui ont des
Elledefauts fort apparens , par ex
emple qui ſont boiteux , borgnes,
bolus , ou qui ont: receu quelque
affront en public, Tont particuliere
ment enclins à la moquerie. Car
delirant voir tous les autres aulli
diſgraciez qu'eux , ils ſont bien ay.
ſesdesmaux qui leur arriyent , & ils
les en eltiment dignes.
TROISIESME PARTIE. 2.45
ARTICLE CLXXX .
De l'uſage de la Raillerie.
Our ce qui eſt de la Raillerie
P modele,qui feplenáveitirferie
les vices en les faiſant paroiſtre ri
dicules , ſans toutesfois qu'on en rie
3 foy -meſme, ny qu’on teſmoigneau
cune haine contre les perſonnes ,
elle n'eſt pas vne Paſſion mais
vne qualité d'honneſte homme , la
quelle fait paroiſtre la gayeté de ſon
humeur & la tranquillité de ſon
>
on
nomm . comm e uné
C.Equ'
ment Epuie , eſt vn vice qui
contiſte en vne peruerfité de natu
re , qui fait que certaines gens ſe
faſchent du bien qu'ils voyent ar.
riuer aux autres hommes. Mais ie
me fers icy de ce mot pour ſigni
fier vne Paſſion qui n'eſt pas tous
jours vicieuſe. L'Enuie donc en
tant qu'elle eſt vnę Paſſion , eſt vne
eſpece de Triſteſſe meſlée de Hai
TROISIESME PARTIE. 247
ne , qui vient de ce qu'on voit ar
riuer du bien à ceux qu'on penſe
3 en eſtre indignes. Ce qu'on ne peut
penſer avec raiſon , que des biens
de fortune. Car pour ceux de l'ame,
ou meſme du corps , entant qu'on
les a de naiſſance , c'eſt aſſez en
eſtre digne , que de les auoir receuş
3 de Dieu auant qu'on fuſt capable
de commettre aucun mal.
ARTICLE CLXXXIII.
Comment ellepeut eſtre juſte ou injuſte.
Ais lors que la fortune enuoye
Máis des biens à quelqu'vn , dont
il eſt veritablement indigne , &
que l'Enuie n'eft, excitée en nous
que pource qu'aymant naturelle.
3 ment la iuſtice , nous ſommes fal-,
chez qu'elle ne ſoit pas obſeruće
en la diſtribution de ces biens
c'eſt vn zele qui peut eſtre excu.
fable ; principalenient lors que le
bien qu'on enuie à d'autres , eſt de
24
348 DES PASSIONS
telle nature qu'il ſe peut conuertit
en mal entre leurs mains : comme
fi c'eſt quelque charge ou office,
en l'exercice duquel ils ſe puiſſent
mal comporter. Meſme lors qu'on
deſire pour ſoy le meſme bien , &
qu'on eſt empeſché de l'auoir , par
će que d'autres qui en font moins
dignes le poſſedent, cela rend cette
paſſion plus violente ; & elle ne
laiſſe pasd'eſtre excuſable , pourueu
que la haine qu'elle contient , ſe
rapporte ſeulement à la mauuaiſe
diſtribution du bien qu'on enuie,
& non point aux perſonnes qui le
poſſedent, ou le diſtribuent. Mais
il y en a peu qui ſoient li juſtes , &
fi genereux , que de n'auoir point
de Haine pour ceux qui les pre
uiennent, en l'acquiſition d'un bien
qui n'eſt pas communicable à plu
fieurs & qu'ils auoient deſité
pour eux meſmes , bien que ceux
qui l'ont acquis en ſoient autant
ou plus dignes. Et ce qui eft ordi
3
TROISIEŠME PARTIE. 249
2 nairement le plus enuié , c'eſt la
3 gloire. Car encore que celle des
autres n'empeſche pas que nous n'y
puiſſions aſpirer , elle en rend toute
fois l'accez plusdifficile , & en ren
1 cheric le prix,
ARTICLE CLXXXIV .
D'où vient que les Envieuxſont ſujets
å, auoir le teint plombé.
V reſte il n'y aaucun vice qui
Ariel
muiſe tant à la felicité des
hommes ; queceluy de l'enuie. Car
Outre que ceux qui en ſont entaz
chez s'affligent eux meſmes ils
troublent auſſi de tout leur pou
11 úoir le plaiſir des autres. Et ils ont
ordinairement le teint plombé ,
c'eſt à dire palle , mellé de jaune&
de noir , & comme de ſang meur
tri, d'où vient que l'Enuie elt nom
mée linor en latin. Ce qui s'accor
de fort bien auec ce qui a eſté dit
су deſſus , des mouuemens du ſang
250 DES PASSIONS
en la Triſteſſe & en la Haine. Car,
celle су fait que la bile jaune qui
vient de la partie inferieure du foye
& la noire qui vient de la rate , ſe
reſpandent du coeur par les arteres
en toutes les veines ; & celle la fait
que le ſang des veines a moins de
chaleur , & coule plus lentement
cequi ſuffit pour
qu'à l'ordinaire , liuide.
rendre la couleur Mais pour
ce que la bile tant jaune que noire,
peut auſſi eſtre enuoyée dans les
yeines par pluſieurs autres cauſes ,
& que l'Enție ne les y pouſſe pas
en aſſez grande quantité pour chan .,
ger la couleur du teint , fi ce n'eſt
qu'elle ſoit fortgrande & delongue
durée , on ne doit pas penſer que
tous ceux en qui on voit cette cou ,
leur y ſoient enclins.
TROISIESME PARTIE. 251
ARTICLE CLXXXV.
De la Pitié.
A Pitié eſt. vne eſpece de Tri
L ſteſſe , meflée d'amour ou de
bonne volonté enuers ceux à qui
nous voyons ſouffrir quelque mal,
duquel nous les eftimons indignes,
Ainſi elle eſt contraire à l'Enuie à
raiſon de ſon objet ; & à la Moque
3
rie , à cauſe qu'elle le conſidere d'au
3 tre façon.
ARTICLE CLXXXVI.
Qui ſont les plus pitoyables.
CEEux qui ſe ſentent fortfọibles,
& fort ſujets aux aduerſitez de
la fortune , ſemblent eſtre plus en
clins à cette paſſion que les autres;
à cauſe qu'ils ſe repreſentent le mal
d'autruy comme leur pouuant are
riuer ; & aioſi ils ſont émeus à la
Pitié , pluſtoſt par l'Amour qu'ils
252 DES PASSIONS
ſe portent à eux meſmes , que par
celle qu'ils ontpour les autres.
ARTICLE CLXXXVII.
Comment les plus genereux font
touchez de cette paßion.
Ais neantmoins ceux qui font
MAS
les plus genereux , & qui ont
l'eſprit le plus fort , en ſorte qu'ils
ne craignent aucun mal pour eux, &
fe tiennent au delà du pouuoir de
la fortune, ne ſont pas exempts de
Compaſſion , lors qu'ils voyent l'in.
firmité des autres hommes &
qu'ils entendent leurs plaintes,
Car c'eſt vne partie de la Gene
roſité, que d'auoir de la bonne vò .
lonté pour vn chacun. Mais la
Triſteſſe de cette Pitié n'eſt pas
amere ; & comme celle que cau
ſent les actions funeſtes qu'on voit
repreſenter ſur vn theatre , elle eſt
plus dans l'exterieur & dans leſens,
que dans l'interieur de l'ampe la
TROISIESME PARTIE. 253
quelle a cependant la ſatisfaction
de penſer , qu'elle fait ce qui eſt de
ſon deuoir , en ce qu'elle compatit 2
17
el
254 DES PASSIONS 5
ARTICLE CLXXXVIII.
ARTICLE CLXXXIX.
ARTICLE CXC.
De laſatisfaction deſoy-meſme.
A Satisfa & ion , qu'ont tous .
LA jours ceux qui ſuiuent con
Itamment la vertu , eft vne, ha
bitude en leur ame , qui ſe nomme
tranquillité & repos de conſcien
ce. Mais celle qu'on acquiert de
nouueau , lors qu'on a fraiſchea
ment fait quelque action qu'on
5 penſe bonne, eft vne Paſſion à
ſçagoir vne eſpece de loye , laquela
le ie croy eſtre la plus douce de tou .
tes , pource que la cauſę ne dépend
que de nous meſmes. Toutesfois
lors que cette cauſe n'eſt pas iuſte ,
c'eſt à dire lors que les actions dont
on tire beaucoup de ſatisfaction ,
ne ſont pas de grande importance,
og meſme qu'elles ſont vicieuſes,
356 DES PASSIONS
elle eſt ridicule , & ne ſert qu'à pro
duire yn orgueil & vne arrogance
impertinente. Ce qu'on peut par,
ticulierement remarquer en ceux ,
qui croyant eſtre Deuots , ſont feu
lement Bigots & ſuperſtitieux c'eſt
à dire qui ſous ombre qu'ils vont
fouuent à l'Egliſe , qu'ils reçitent
force prieres , qu'ils portent les che.
ueux courts , qu'ils jeufnent, qu'ils
donnent l'aumoſne ; penſent eſtre
entierement parfaits ; & s'imagi
nent qu'ils ſont ſi grands amis de
Dieu ,qu'ils ne ſçauroient rien faire
qui luy déplaiſe ,& que tout ceque
leur dicte leur Paffion eft vn bon
zele 3 bien qu'elle leur dicte quel,
quefois les plus grands crimes qui
puiſſent eſtre commis par des hom :
mes comme de trahir des villes,
de tuër des Princes , d'exterminer
des peuples entiers , pour cela ſeul
qu'ils ne fuiuent pas leurs opinions.
AR ',
TROISIESME PARTIE. 357
ARTICLE CXCI .
1
D# Repentir.
E Repentir eſt directement
L Econtraire à la Satisfaction de
ſoy meſme; & c'eſt yne eſpece de
Triſteſſe , qui vient de ce qu'on
croit auoir fait quelque mauuaiſe
action ; & elle eſt tres amere , pour
çe que la cauſe ne vient que de
nous. Ce qui n'empeſche pas
neantmoins qu'elle ne ſoit fort vti
le , lors qu'il eſt vray que l'action
dont nous nous repentons eſt
mauuaiſe , & que nous en auons
yne connoiſſance certaine , pour .
ce qu'elle nous incite à mieux fai.
re vne autrefois. Mais il arriue ſou
uent , que les eſprits foibles ſe re.
pentent des choſes qu'ils ont fai
tes ,ſans fçauoir aſſeurément qu'el
les ſoient mauuaiſes ; ils ſe le per
ſuadent ſeulement à cauſe qu'ils
le craignent , & s'ils auoientfait le
R
258 DES PASSIONS
contraire , ils s'en repentiroient en
meſme façon : ce qui eſt en eux
vne imperfection digne de Pitié.
Et les remedes contre ce defaut ,
font les meſmes qui feruent à ofter
l'Irreſolution.
ARTICLE CXCII.
>
De la Faneur.
ARTICLE CXCIII.
De la Reconnoiſſance.
A Reconnoiſſance eſt auſſi
LAvne eſpece d'Amour , excitées
en nous par quelque action de ce
luy pour qui nous l'auons, & par la
quelle nous croyons qu'il nous a
fait quelque bien , ou du moins
qu'il en a eu intention. Ainſi elle
contient tout le meſme que la Fa.
ucur , & cela de plus qu'elle eſt
fondée ſur vne action qui nous
touche , & dont nous auons Delic
de nous reuancher . C'eſt pour
quoy elle a beaucoup plus de for
R2
260 : DES PASSIONS
ce , principalement dans les ames
tant ſoit peu nobles & genereuſes.
ARTICLE CXCIV.
De l'Ingratitude.
Our l'Ingratitude , elle n'eſt pas
Poole
mis
vne Paſſion ; car la nature n'a
en nous aucun mouuement
des eſprits qui l'excite : mais elle
eſt ſeulement vn vice directement
oppoſé à la reconnoiſſance , en
tant que celle -cy eft touſiours ver
tueuſe , & l'vn des principaux liens
de la ſocieté humaine. C'eſt pour,
quoy çe vice n'appartient qu'aux
hommes brutaux , & fotcement ar
rogans ; qui penſent que toutes
choſes leur font deuës ; ou aux ſtu .
pides , qui ne font aucune refle.
xion ſur les bienfaits qu'ils feçoi.
uent ; ou aux foibles & abjets , qui
fentant leur infirmité & leur be ,
foin , recherchent baffement le
fecours des autres , & apres qu'ils
TROISIESME PARTIE. 261
l'ont receu, ils les ' haïllents pour
ce que n'ayant pas la volonté de
leur rendre la pareille , ou deſeſpea
rant de le pouuoir , & s'imaginant
que tout le monde eſt mercenaire
comme eux, & qu'on ne fait au
cun bien qu'auec 'eſperance d'en
eſtre recompenſé, ils penſent les
1
auoir trompez .
ARTICLE CXCV.
De l'Indignation.
2 'Indigration eſt une eſpece de
3
LH Haine ou d'auerſion qu'on a
naturellement contre ceux qui
font quelque'mal , de quelle 'natų
| re qu'il foit. Et elle eft foluent
$ menée auec l'enuie , ou auec la pi
tié , mais elle a neantmoins vn ob
jet tout different. Car on n'eſt in
digné que contre ceux qui font
du bien ou du mal aux perſonnes
1 qui n'en ſont pas dignes ; mais on
porte enuie à ceux qui reçoiuert
R 3
262 DES PASSIONS
cebien , & on a Pitié de ceux qui
reçoiuent ce mal. Il eſt vray que
c'eſt en quelque façon faire du
mal ; que de poſſeder vn bien dont
on n'eſt pas digne. Ce qui peut
eſtre la cauſe,pourquoy Ariſtote
& fes ſuiuans , ſuppoſent que l'En
uie eſt tousjours vn vice , ont ap
pellé du nom d'indignation celle
qui n'eſt pas vitieuſe .
ARTICLE CXCVI .
Pourquoy elle eſt quelquefois jointe à la
9. Pitié ; & quelquefois à la
4. Moquerie. Il
Eftaufli en quelque façon re
CE
ceuoir du mal, que d'en faire;
d'où vient que quelques-vos joi
gnent à leur Indignation la Pitié,
& quelques autres la Moquerie ;
ſelon qu'ils ſont portez de bonne
ou de mauuaiſe volonté , enuers
ceux auſquels ils voyent commet
tre des fautes. Et c'eſt ainſi que le
TROISIESME PARTIE. 263
ris de Democrite & les pleurs
d'Heraclite ; ont pû proceder de
meſine cauſe.
ARTICLE CXCVII.
ARTICLE CCIII.
Que la Generoſité ſert de remede
contre ſes excés.
V reſte encore que cette Paf.
lion ſoit vtile , pour nousdon .
ner de la vigueur à repouſſer les in .
jures , il n'y en a toutefois aucune,
dont on doiue éuiter les excez auec
plus de ſoin ; pource que troublant
le iugement , ils font ſouuent com.
mettre des fautes , dont on a par
apres du repentir , & melme, que
quelquefois ils empeſchent qu'on
ne repouſſe fi bien ces injures ,
qu'on
TROISIESME PARTIE. 273
qu'on pourroit taire 'li on auoic
moins d'émotion . Mais comme it
n'y a rien qui la rende plus excef.
fiue que l'orgueil, ainſi ie croy que
la Generoſité eſt le meilleur remé.
5
de qu'on puiſſe trouuercontre ſes
excez : poutce que faiſant qu'on
eftime fort peu tous les biens qui
peuuent eftre oftez , & qu'au con
traire, on eſtime beaucoup la liberi
té , & l'empire abſolu fur foy mefe
me , qu'on ceſſe d'auoir lors qu'on
peut eftre offenſé par quelqu'vn, elle
fait qu'on a que du meſpris , Qu
tout au plus de l'indignation , pour
les injures dont les autres ont
couſtume de s'offenfer.IT IS
ARTICLE CGIV .
De la Gloire.$ }"
E quei'appelleicy du nom de
С Gloire , eft vne eſpecede loye ;"
fondée ſur l'Amour qu'on a pour ?
ſoy meſme, & qui vient de l'opie !
1 S
1
274 DES PASSIONS
nion ou de l'eſperance qu'on a d'ê.
tre loüé par quelques autres. Aina.
fi elle eſt differente de la ſatisfa.
Aion interieure , qui vient de l'o .
pinion qu'on a d'auoir fait quelque
bonne a & ion. Car on eft quelque
fois loué pour des choſes qu'on ne
croit point eſtre bonnes , & blaſa
mé pour celles qu'on croit eſtre
meilleures. Mais elles font l'une
& l'autre des eſpeces de l'eſtime
qu'on fait de ſoy-meſme, aufli bien :
que des eſpeces de loye, Car c'eſt
vn ſujet pour s'eſtimer , que de
voir qu'on eſt eſtimé parles autres.
ARTICLE ccv.
De la Honte ,
A Honte au contraire eft vne
reſpece de Trifteffe , fondée
autli ſur l'Amour de foy -meſme,
& qui vient de l'opinion ou de la
crainte qu'on a d'eſtre blaſmé. El
le eſt outre cela yne eſpece de moe
TROISIESME PARTIE. 273
deitie ou d'Humilité , & de fiance
de ſoy - meſme. Car lors qu'on s'e.
ftime ſi fort , qu'on ne ſe peutima
giner d'eſtre meſpriſé par perſon
ne , on ne peut pas ayſement eſtre
honte ux .
ARTICLE CCVI .
De l'uſage de ces deux Paßions.
R la Gloire & la Honte ont
?
meſme vſage , en ce qu'elles
nous incitent à la vertu, l'vne par
l'eſperance, l'autre par la crainte ,
il eſt ſeulement beſoin d'inſtruire
5
ſon iugement , touchant ce qui eſt
veritablement digne de blaſme ou
de louange , afin de n'eſtre s
honteux de bien faire , & ne tipa
rer
point de vanité de ſes vices , ainfi
qu'il arriue à pluſieurs .Mais il n'eſt
pas bon de ſe dépouiller entiere.
ment de ces Paffions, ainſi
que.
faiſoient autrefois les Cyniques
E Car cncore que le peuple iuge
S 2
276 DES PASSIONS
tres -mal : toutefois à cauſe que
nous ne pouuons viure ſans lay, &
qu'il nous importe d'en eſtre eſti
mez , nous deuon's fouuent ſuiure
ſes opinions; pluſtoſt que les nô
tres , touchant l'exterieur de nos
actions.
ARTICLE CCVII.
De l'Impudence.
'Impudence ou l'effronterie,
LE qui eſt vn meſpris de honte ,
& Touuent auſſi de gloire , n'eſt pas
vne Paſſion , pource qu'il n'y a en
pous aucun mouuement particu
lier des eſprits qui l'excite : mais
c'eſt yn vice oppoſé à la Honte , &
auſſi à la Gloire , entant que l'vne
& l'autrefont bonnes : ainſi que
l'Ingratitude eft oppoſée à la re
connoiſſance ; & la cruauté à la
Pieté. Et la principale cauſe de
l'effronterie , vient de ce qu'on a
receu pluſieurs fois de grands af.
TROISIESME PARTIĚ. 277
fronts. Car il n'y a perſonne qui ne
s’imagine eſtant jeone, que la locan
ge eft vn bien , & l'infamie vn
mal , beaucoup plus important à
5 la vie qu'on ne trouve par expe.
rience qu'ils font, lors qu'ayant re
ceu quelques affronts ſignalez , on
ſe voit entierement privé d'hon .
neur , & mieſpriſé par yn chacun .
C'eſt pourquoy ceux -là deuiennent
effrontez ,qui nemeſurant lebien !
& le mal que par les commoditez
$
du corps , voyent qu'ils en riouïf-:
ſent apres ces affronts , toutauſſi,
bien qu'auparayant , ou meſme
quelquefois beaucoup mieux gà
cauſe qu'ils ſont déchargez de !
pluſieurs contraintes , auſquelles
l'honneur les obligeoit ; & que fi !
la perte des biens eſt jointe à leur .
diſgrace , il ſe trouue des perſon
nes charitables qui leur donnent.
S 3
278 DES PASSIONS
ARTICLE CCVIII.
D# Degouft.
E Degouſt cſt voc cfpece de .
L Triſteſſe , qui vient de lameſ.
ine cauſe dont la loye eft venuë
auparauant. Çar nous ſommes tel.
lement compoſez , que la pluſpart :
des choſes dont nous jouiffons , ne :
ſont bonnes à noftre égard que pour
vn temps , & deuiennent par apres
incommodes . Ce qui paroiſt prin
cipalement au boire & au manger,
qui ne ſont vtiles que pendant que i
l'on a de l'appecit , & quiſont nuiſi
bles lors qu'on n'en a plus'; & pour.
ce qu'ellesceſſentalors d'eſtre agrea
bles au gouft , on a nommé cette
Paſſion de Dégouft.
C
TROISIESME: PARTIE. 279
ARTICLE CCIX .
Du Regret.
E Regret eft aufi vne efpece
Lticuliere
de Triſteſſe , laquellea vne para
amertume , en ce qu'ela
le eſt touſiours jointe à quelque
Deſeſpoir , & à la memoire duplais
1 fir que nous a donnéla louïſſance,
Car nous de regrettons iamais que
les biens dont nous auons jouy , &
qui ſont tellement perdus , que
nous n'avons aucune eſperance
de les recouurer au temps & en la
façon que nous les regtettons.
4
ARTICLE CCX. ***
De "l'Allegreffe.
PS: *11.2 . I
Nfin ce que je nomme Alle
en laquelle il y a cela de particus
lier , que fa douceut eft augmentée
par la ſouuenance des maux qu'on
S
280 3 DESA PASSIONS
a ſoufferts , & deſquels on ſe ſent
allegé; eh meſmefaçon" que ſi on
ſe ſentoir déchargé de quelque pe
ſant fardeau , qu’on euſt long.
temps porcé ſur ſes efpagles. Et ic
nevoy rien de fortremarquable en
des trois paffions: auff neles ay.ie
miſés icys que pour ſuiure l'ordre
dudénombrement que iay faitcy
deſfús Malissib meſemble que ce
dépombrement a eſté vtile , pour
faire voir que nous n'en obmections
aucune quiifqit digne'ide quelque
particuliere conſiderations'a sufi
2091 US 900 :010919b
ARTICLE GGXL.
Vn remede generalcontre lespaßions.
T maintenant que nous les
EC O
conno iſſons toutes, nous auons
beaucoup moins de fijer ideTeş
çrajodrés y que nous n'anions au .
paravant.Car popsyvbyonsu qu'elo
iedsfont goudes bonnes de deur nail
wwé. , &que nous n'avons sien à
2 ,
TROISIESME ?PARTIE. 281
euiter que leurs mauuais vlages',
ou leurs excés , contre deſquels les
remedes que i'ay expliquez pour
roient ſuffire , fi chacun agoitaffez
de ſoin de les pratiquer. Mais
pource que l'ay mis entre ces rex
medes la premeditation , & l'in
dyſtrie par laquelle on peut corri
ger les defauts de ſon naturel , en
s'exerçant à ſepareren foy. les
mouuemens du fang & des eſprits,
d'avec les penſées auſquelles ils
ont couſtume d'eſtre joints. I'aq
ugüe qu'ily apeude perſonnesqu
) ke, ſoiene affezt preparez en certe
façon , contre toutes ſortes de ren
çonţres & qué ces mouuemens
.
excitez dans le ſang , par les objet's)
les des Pallions yeſuivent d'abord fil
JN promptemeatu des ſeules imprefas
To lions quiſe font dans le cerueau ,
221
& de la diſpoſition des organes,
ele encore que dame n'y contribuë em
aucune façon qu'il n'y a pointde
-1 ſageſſe humaine qui foit capable
282 DES PASSIONS
de leur reſiſter , lors qu'on n'y eſt
pas aſſez preparé. Ainſi pluſieurs
ne ſçauroient s'abſtenir de riro
eſtant chatouillez j encore qu'ils
n'y prennent point de plaiſir. Car
l'impreſſion de lajoye & de la ſur.
priſe , qui les a fait rire autrefois
pour meſme ſujet , eſtant réueillée
en leur fantaſie , fait que leur poule
mon eft fubitement enflé malgré
eux , par le fang que le coeur luy
enuoye. Ainſi ceux qui font fort
portez de leur naturelsaux émou
tions de leur loye & de laPitié , ou
de la Peur , ou de la Colere , no
peuvent s'empeſcher de palmer,
ou de pleurer ou de trembler , ou
d'auoir le lang tout émeu , en mef
me façon que s'ils auoient la fie
ure , lors que leur phantaſie eſt for
tement touchée parcours
l'objet de
quelqu'vne de ces . Mais
faire en
ARTICLE CCXII .
Que c'eſt d'elles ſeules que dépend
tout le bien ca le mal de
cette vie .
고.
V reſte l'ame peut auoir ſes
plaiſirs à :
qui luy ſont conimuns
Mais pour ceux
auec le
corps, ils dépendent entierement
des Paſſions, en forte que les hom
mes qu'elles peuuent le plus émou
uoir , ſont capables de gouſter le
plus de douceur en cette vie. Il eſt
vray qu'ils y peuuent auſſi trouuer le
plus d'amertume, lors qu'ils neles
ſçauent pas bien employer , & que
la fortune leur eſt contraire. Mais
la Sageſſe eſt principalement vti
le en ce poina , qu'elle enſeigne à
586 DES PASS. TROIS. PART.
s'en rendre tellement maiſtre , &
à les meſnager auec tant d'adreſſe,
que les maux qu'elles cauſent font
fort ſupportables , & meſme qu'on
tire dela loye de tous.
F I N.
1