Vous êtes sur la page 1sur 363

A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression
“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d’utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l’attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d’afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère.

À propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frano̧ais, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http://books.google.com
7
ve 7
Cr
G hii 556

al
.it
P.O 746
n

Bibl. erot.
Fr. Krenneri .

1426

J
x
D.
Pa

E
LETTRES

AMOVREVSES
DE MESSER GIROLAM
Parabolque, auec quelques autres
adioultees de nouueau à la fin:
1
duites de l'Italien en vulgaire
François , par Hubert Philipe de
Villiers.

Et depuis illuftrees de leurs argu


mens & fommaires.

ALTON,
PAR BENOIST RIGAVD.

6..
,Juge sumur Jan-Ger
Permubal
BIBLIOTHECA

REGIA
MONACENSIS.

t
Bayerische
Staatsbibliothek
München
AV SEIGNE VR
KERTIN DE LA HER
baudiere Secretaire de Madame ,
Madame la Ducheffe de Neuers ,
Hubert Philippe de Villiers. S.

L nefut onq que la Genti


leffe & courtoisiene rendif
fent aymable à tous laper
fonne, en quielles fe retrou
uent:& croy que ce foyent les deux cho
fesdu monde , qui peuuent mieux ano
blir & illuftrer ceux, lesquels font tant
fauorifez du Ciel,que de s'enpouuoir ac
cofter, dont les efprits font dignes K de
les receuoir. Ainfi ( monsieur & amy )
taifant icyce que voz vertus manifeftent
affezielairray àpenser à ceux qui come
A 2 moy
moy les admirent,combien voftre honne
Steté agaigné fur moy. Detant pourray
ie bien dire,qu'elle ne me laiffe chofe ,par
laquelle ie m'en puiſſe bonnement acqui
ter. Ce qui ne m'apporte petitefafcherie:
car de tant plus s'acroit en moy le aejir,
quand moins ie me trouue lepouuoir de
recognoftre par effect , la grandenr de
voftre merite en mon endroit.Toutesfois
l'affection grande que i'ay d'yfatisfaire,
en partie,m'a tant peu commander , que
ie mefuis fenty volontairement forcé,en
recognoiffance d'iceluy , de vous preſenter
(puis que ie nepeux mieux ) ces Lettres
Amoureufes mefaifant à croire que l'a
dreffenenfera que bienſeante, à qui vou
dra bien confiderer voz gentiles quali
tez. Et s'il eftoit ainsi qu'onpeuft per
f
fuader la vehemence d'vne affection par
ene grande parade de paroles , affeurez
vous qu'elles ne me defaudroyet : mef
mementpourmonftrer , que ie ne vous
9% euffe
‫یا‬
euſſefait offre d'vn telfubie&t , fi ie ne
l'euffefenty digne de vous :& tel que bie
difficilemet s'entrouueroit vn autre qui
fe peuft parangonner à iceluy.Mais quit
tant cefte curiofitéà ceux dot l'effectgift
plus à langager,qu'autrement , e me tie
drayà cepeu , tant à cefle occafion , come
pour ne meconfondre aux chaos detelle
matiere. Et bien que i'euffe encor' enuie
de m'arrefter à la pourfuitte d'icelle, i'en
ferois deftourné par les aigres crisi
plaintes amoureufes des Amans paßõ
nez, lefquels ie voyme faire figne , fup
plier , & adiurer defaire François leurs
douloureux efcrits , quifurent premiere
ment Tufcans:afin que les Dames Fran
çoifes en ayent l'intelligence: ayec la lectu
re , pourles mouuoir, fi non à mercy , au
moins à copaßion,qui leur tournera (co
meils efperent) à trefgrand heur: eftimas
qu'ils pourront,parlà rapporter quelque
foulagement à leur amoureux martyre.
A Dieu .
A 3 SON
SONNET.

Voyez icyles aigreurs douloureufes


Dont Amourpaift vncœurpaßionné.
Voyez icy comme affectionné
Au beaufeplaift enpeines lagoureuſes.
Voyez les ris en larmes douloureufes,
Voyez vnfiel en miel mixtionné,
Voyez on beur en defaftre ordonné
Ity dedans ces Lettres Amoureuſes .
Mais par cela n'en retirez vozyeux:
Car enlifantypourreztrouuer mieux,
Auec lebiend'vn de ces auantages,
Defuyure Amour, s'y trouvezduplaifir
Oulefuyr,s'y uoyezdefplaifir:
Auperild'autreapprenas d'efirefages.

SI PLYS NON MIEVX.


7

LAV TEVR DEDIE

fes Lettres amoureuses à tres


valeureux Seigneur Got
tard Occagne.

ON tref-honnoré Sei
gneur , eftant fi fort cu
rieux & ardent de mon
Mftrerà V.S. que comme il
ne fe trouue au monde
homme, qui puiffe parangonner l'ex
cellence de fes vertus & gentileffes, à
la rarité des voftres,ainfi n'y a il aucũ
qui s'ofe venter de vous eftre plus af
fectionné que moy:iene fçaurois ma
quer , queie ne vous defcouure l'ar
deur du defir que i'ay de faire chofe
A 4 qui
8

quivousfoit agreable, à toutes les oc


cafions qui s'y preſenteront.Au moye
dequoy ayant faict remettre fus la
preffe mes lettres amoureuſes , & a
pres en auoir adiouftéd'autres à icel
les,ie vous enay voulu aduertir: priát
V.S.ne defdaigner fi ce peu fort en lu
miere orné de lagloire de voſtre no,
auffi bien que le plus grand nombre
des premieres s'en eft voulu illuftrer.
Vous promettant, cependant,de m'e
ftudier à vous donner iournellement
toufiours plus grandfigne del'amitié
queie vous porte:laquelle eft fi vche
mente,qu'elle ne laiffe loger en
moyaucune penfee,finon 1
de vous reuerer &
L
honnoreràper
peruité.

Lettres
6
cove

LETTRES
AMOVRE VSES.

L'amy trauaillé de longamour,prend af


feurance defecours, en induifantl'a
mie à receuoir fon feruice.
LETTRE I.

ADAME , Pour autant que


naturellement chafcun s'ef
force auec tout fon pouuoir
de refifter & parer à tout mortel enco
bre,il m'a eftéforce(apres vnlog fouf
frir )de vous donner à cognoiftre la
grande ardeur qui peu à peu me mine,
& va confumant: comme on le peut
apperceuoir à l'œil par plufieurs fi
5 gnes , qui en portent affez ample tef
mái
A S
10 LETTRES

moignage. Et ne pefez que i'aye faict


cecy come à lavolee, ou fans vn tres
ferme efpoir & affeurance,deme voir
en fin foulagé par vn liberal fecours 1
de voftre humaine douceur : m'adui
fant que de chofe celefte & non terre
ftre,(comelesgraces,vertus, & beau
tez furhumaines, qui reluisét en vous,
pour telles que d'vn chacun vous font
cftimer ) on ne sçauroit eſtimer atté
dre finon vne fincere imitation , pour
faiure à la trace en toutes chofes , les
couftumes de l'amoureuſe humanité,
fe faifantcognoiftre pitoyable en tous
fes faicts & paroles, & vfant de fa libe
rale grace fur tous ceux qu'elle co
gnoift la reclamer,& enauoir àfaire.
C'eſtla raiſon, Ma- dame,qui m'a laif
fé quelque efpoir de ne voir totalemet
mes paroles efparfes au vent , par lef
quelles ie vous demandefecours,pen
dant que ic fens encore en moy,vert
affez
AMOV REVSES. n
affez fuffifante pour le recevoir : vous
affeurant que ce feratrop tard pour fi
peu, que vous differez à mefaire par
ticipant de l'heur de voftre grace , de
laquelle tres-defireux , ie demeure en
attendant voftre reſponſe,auec l'heu
reuſe nouuelle , que vostre plaifir foit
de m accepter pour feruiteur, comme
iele feray tant qu'il yaura en moy vne
feule fcintille de vie:qui pour moy fe
ra courte , fi mon inique defaftre per
metque voftre vouloir fe trouue con
traire à mapriere affectionnee.

Vn Gentilhomme perfuade vne Dame ?


l'aymer,fe voulant contenter d'elle
pour contemner les autres.

LETTRE I 1.

Ivous fuftes iamais à l'effay, & fi


S ftes onquesaucune preuve , pour
fçauoir
12 LETTRES

fçauoir de quelle trempe font les fle


ches d'amour , & come fes flammes /
font chaudement cuifantes, ie ne dou
te point qu'il ne me foit facile a trou I
uer, non feulement pardon à mon er
reur ( fi erreur fe peut appeller,reque
rirayde , pour euiter la mort ) mais ie
fuis tout affeuré que cecy vous fera
efmouuoir à trefgrande pitié & com 1
paffion pourautant que fi ie n'ay peu
iamais tirer aucun figne de vous (co
me vous dites ) par lequel ie puiffe
coniecturer n'y me donner à enten
dre d'auoir gaigné quelque part en
voftregrace , nefe peut-il dire,qu'au
trequ'vne trefafpre & insupportable
paffion , ne m'a forcé à coucher &
exprimer par efcrit l'hiftoire de mes
aigres peines & durs tormens , ne
vous tenant pour Dame d'vne ny
d'autre qualité , mais pour celle qui ·
entre les autres me femblez iufques
au
AMO VREVSES. 13
au bout doüee de toute honnefte
té ? Et de ce vous peut faire foy ma
taifible feruitude , en laquelle ie me
fuis fi acortement maintenu qu'à
peine vous en eftes vous apperceüe.
Dictes-moy de grace ( ma dame &
maiftreffe ) fi ie vous euffe cogncüe
pour autre , & eüe en autre eftime ,
que de celle qui eft extremement de
fireufe d'honneur , à quel propos me
rangeroy-ie iufques là , que de vous
porter fr grand refpect , lequel vous
cuft efté de peu de profit , & de moin
dre plaifir ,fi vous vous fuffiez trou
uee autre ? Là où au contraire il m'a
caufé mille dommages & ennuis :
pource que ie me fuis retrouué mille
fois en lieu, où ie pouuois predre vne
longue iouyffance & meraffafier, en
contemplant le doux afpect de voftre
aymee & defiree prefence : mais pour
ne vous faire tomber en la fafche
rie


14 LETTRES
rie d'aucune crainte que voftre hon
nefteté fuftpar moy tantaffectionne
mentnotee & cogneûe , iç detour
nois modeftement ma veue autre 『
part:cequi m'apportoit douleur, tel- ,
le que peuuent fçauoir ceux qui fe
font trouuez en la peine de fembla
ble extremité langoureufe . Autres
non:car c'eft vne paffion , à laquel
le toutes les plus extremes nefe peu
uent parangonner. Encore n'eſt ce
pas tout,mais à quoy eft bon › que ie f
paffevnan & plus ( me confommant
toufiours de plus en plus ) fans vous,
monftrer quafi le moindrefigne pour
vous faire cognoiftre la violence de
mon ardeur, finon à ce que vous en
pouuez coniecturer , par le tefmoi
gnage de mon trifte vifage palle , &
deffait : Dequoy deuoy- ie craindre,
finon que vinffiez à vous perfuader
4
Ce que fauffement vousvous cftes, de
Vous
AMOVREVSES. IS
vous mefmes , donné à entendre .
Vous fçauez encores auec quelles im
portunes prieres & larmes i'ay foli
cité voftre feruante pour vous faire
tenir ce mien douloureux efcrit : ce
queie n'euffe iamais fait , & ne m'en
fuffe tant trauaillé, quand i'euſſe cui
dé auoir àfaire auec vne de telle qua
lité,que vous meprefumez auoir pen
fé : car cefte foliciteufe diligence m'a
dónévne faſcherie nompareille : vous
auifant que i'euffe bien peu trouuer
mille femmes , qui pluf- que volon
tiers fe fuffent rangees à me faire vn
tel feruice : mais moy , comme ce
luy à qui voftre honneur n'eft en
moindre recommendation que le
fien propre, i'ay eu efgard à vous en
uoyer cefte lettre par perfonne qui
n'ayt cognoillance de vous feule
ment , mais qui foit encore partici
pante de la plus profonde portee de
voftre
16 LETTRES

voftre cœur & penfee. Voila tous les


fignes & indices ( Madame ) qui vous
peuuent veritablement acertener que
ie n'ay feulement cogneüe voftre
honnefteté , ny cu efgard à icelle,
mais que ie l'ay beaucoup plus aymee
que la propre beauté de vostre corps
mefme, encore que iel'aye enlieu de
la plus digne chofe & requife d'entre
toutes celles qui fe puiffent auiour
d'huy trouuer parmy nous. Affeurez
vous donc que ie ne demande rien
de vous,finon qu'il vous plaife de me
receuoir pour celuy lequel ne defire
autrechofe quevous n'ayez à defdain
( m'aduouant pour voſtre tref-af
fectionné feruiteur ) de me
voir paffer mes iours heu
reufement fous la fa
ueur de voftre
bone grace.
***
*1
L'amy
AMOVREVSES. 17

L'Amyrendgraces à l'amie de ce
qu'elle luy a efcrit.
LETTRE III.

Eluy feul qui s'eft trouué capti


C ué dans les prifons, d'où n'efpe
rantautre yffue que de la mort , & en
a efté deliuré auec pitoyable grace
(ma gentile Dame)peut comprendre
par imagination quel grand plaifir &
confortiay receu par voftretresdou
celettre:& ne penfe point quenul au
tre en puiffe auoir tant parfaicte co
gnoiffance,ny en iuger fi bien à la ve
rité. Tout ainfi que ie n'euffe aufsi
peu mieux exprimer , ny par plus ef
gale comparaifon donner à cognoi
ftre la gradeur de mon martyre , qua
uec ceſte cy:que ne pouuant receuoir
aucune reſponſe à tant & tant de let
tres que ie fuis affeuré eftre parue
nucs de mapart entre vos mains , ie
B n'auo
18 LETTRES

n'auois occafion de penfer autre cho


fe ,finon que ma feruitude ne vous c
oitaggreable :au moyen dequoy le
but de toutes mes meilleures attentes
ne confiftoit qu'en la mortfeule : &
defia commençois à confoler l'efprit
angoiffeufement troublé, & l'affeurer
de ladepartie : comme celuyquipeu à
peu,entrant en defefpoir par telle oc
cafion s'enfentoit efloigner. Et fi le
don devoftre mifericordieufe mercy
m'cuſt efté autant bien refufé, comme
à mon grand befoing & extremité
vous m'en auez efté liberale ( me fai
fant digne de voftre faueur en m'ef
fcriuant ) affeurez vous que les iours
de ma langoureufe vie eftoyent li
mites à vnc bien courte fin. De
quoy i'en remercie Amour , quiyous
donnant la cognoiffance de l'infi
nie langueur de mon martyre , a
monftré encecy combien fa diuini

AMOVREVSES. 19
Itéeft a venerer , & quelle puiffance
ila , venant à ietter deux perfonnes
hors d'ennuy& defplaifir par vn mef
{ me moyen : vous , ne tumbant en
= erreur fi grand de. commettrepeché
i tant enorme que de me donner la
I mortne l'ayant meritee : & moy , re

prenant la vie, qui ne dependoit d'au
tre- part que de voſtre ſeul vouloir..
Tellement que dorenauant mon vi
T
ure ne peut eftre accompaigné que de
ioye & plaifir, & ne sçaurois auoir
fortune fi contraire , par quelque oc
cafion que cefoit, quel'heureux fou
uenir d'vn fi charitable effect neföit
toufiours fuffifant pour me rendre
content & bien-heureux. Et quand
ie ferois hebeté iufques à dire que
l'extreme courtoifie de laquelle auez
vfé en mon endroit , ( m'acceptant
pour fidelle & affectionné feruiteur
voftre,tel que ie fuis ) m'ait rend
B 2 VO
20 LETTRES

voftre obligé & redeuable d'auanta


ge que ie me trouuay eftre des le pre
mieriourque ie vins à iecterma veuë
fur vous , certainement ie m'efloi
gnerois totalement de la verité : car
ie n'eu pas fitoft enuoyé au cœur la
belle Idee de voſtre prefence par la
fente de mes yeux , que deflors ie
me vouaytotalementvoftre,pendant
que ie viurois , & encore apres que
l'ame auroit quitté la place de fon
mortel feiour. Siquelagrace de vos
beaux yeux & la perfection des ce
leftes vertus qui vous illuftrent , me
rendirent voltre redeuable , fi eftroi
tement que par vn long temps ie de
meuray fufpens , fi ie me deuois ha
zarderàvous donner à entédre com
bien i'eftois voftre , ou non : balan
çant ma feruitude au poys de vos
merites , à la grandeur defquels el
le me fembloit offerte trop baffe.
Com
AMOVREVSES. 21

Combien que ie vous la promets tel


le , qu'à peine en pourroit- on fou
haitter , ny trouuer vne autre plus fi
delle ny affectionnee.

Va amant confeffe auoir aßis foncœur


en trop haut liens.
LETTRE IIII.

Ognoiffez vous pas bien ( treſ


CO
beledame ) queplus vous m'ap
pellezfot & prefumptueux , & moins
auezyous occafion de me faire ſen
tir l'efpoignant efguillon de fi fiere
ingratitude , & inhumaine cruauté?
Vous dictes que ie me fuis faict co
gnoiftre partrop hardy & temerai
rede m'addreffer à vous , pour y met
tre mon amitié , veu que ie ne me
fçaurois vanter , que m'ayez iamais
monftré le moindre figne , par lequel
ie peuffe ou deuffe efperer quelque
chofe en voftre grace : ceque ie vous
B 3 confef
22 LETTRES

confeffe , fans y vouloir contrarier


d'vnfeulpoint.Mais dictes moy,quel
le feruitude merite d'eftre mieux
remuneree : celle de celuy qui fert,
ayant efgard feulement au gain qu'
il en penfe retirer , ou d'vn autre ,qui
totalement efloigné de telle efperan
ce lucratiue , fe monftre toufiours.
de plus en mieux diligent en fem
blable office ? Il ne faut point dou
ter, que le merite de celuy qui fert
fans penfer au gain , eft beaucoup 45
plus grand,voire& excede fans com
paraifon celuy de l'autre , qui s'ypor
te autrement : attendu que fon ferui
ceprocedefeulement d'vne vraye &
incomparable amitié. Combien me
deuez donques plus largement re
compenfer , fii'ay defia employé vn
fi long temps à vollre feruice tant
fidellement , & non pas ( comme
bien vous le confeflez ) fous cfpe
rance
AMOVREVSES? 2}~
rance d'en eftre aucunement recom
penfè , mais auec ferme affeurance
d en rapporter , pourtout guerdon ,
vne peine infinie ? Penfez vous que
ie ne cogneuffe bien voſtre hautes
fe des le premier iour que ie vous
contemplay ? Eftimez vous que ie né
veiffe appertement comme vous
viendriez à refufer & defdaigner ma
feruitude ? & que je ne l'euffe ma
mort en lumiere de vos beaux yeux?
Si fey certainement : mais pour tout
cela ie ne voulu fuyr , pendant que
i'auoisbon loyfir de le faire , les lacs
qui me deuoyent auec va fi grand
torment garroter & captiuer en per
petuelle flamme. Ainfi , fans vier
d'aucune defenfe , me laiffay enui
ronner le cœur , à mon efcient , de
millenoeuds indiffolubles . Voyez dóc
que ie ne fus for ny prefumptueux ,
mais trop bien amiable & autant li
B 4 beral
24 LETTRES
beral de ma vie , que ie vous co
gnois cruelle & auare de l'heureux
don de voſtre grace.

L'amyfe reputebien-heureux d'ef


crire àfa Dame.

LETTRE V.

Atref honnoree maiſtreffe , le


pouuoir de voz commande
mens en mon endroit me fait pluf
toft mettre la main à la plume pour
vous efcrire , qu'aucune volonté que
i'en aye , à caufe de l'infini torment
que i'efprouue en vous escriuant.
Quelle douleur penfez vous que ie
fupporte ( ma douce vie ) pour l'en
uie que l'ay fus l'heur de cefte bien
heureufe carte : laquelle d'icy apeu
de temps fe trouucra digne de tou
cher ces delicatemet blanches mains,
& d'eftre regardce par ces doux
yeux
AMOVRE VSES. 25
yeux,fans lefquels Amour ne pour
roit eftre craint , ny reueré? le vous
iure que iefen mes efprits fi fort tor
mentez par la bien-heureufe auen
ture de ceſte mienne lettre , qu'aceſte
heure mefme i'en ay efcrit mille , &
mille brulees . Et croy encor que me
monftrant à cefte fois peu obeyffant
à voz commandemens , ie me ferois
en fin refolu de ne vous enuoyer au
cunes de mes nouuelles , fi ie ne me
fuffepuis apres auifé (& bien à point)
que ceft chofe hors de fentiment &
non capable pour iouyr de l'heur de
fi grande beatitude. Ha mon Dieu,
qu'il me fouuient maintenant des
tromperies dont fouloyent iadis v
fer les Dieux pour paruenirà la iouy
fance de leurs bien- aymees : fi que
ie me fens tout plongé en vne froi
decrainte , pour la peur que i'ay que
Iupiter ne fe foit frauduleufement
B5 tran
26 LETTRES

transformer en ce papier , pour plus


couuertement & à fon plaifir tou
cher fes delicates mains , & doux te
tins, entre lefquels femblables mien
nes efcritures par voltre grace ont ac
couftumé de trouuer place par quel
que temps. Et ne - trouuez eftrange
fi à telle occafion ie fuis tombé en
foupçon tant extreme : car ie fuis
affez affeuré , qu'en beauté excel
lente & grace exquife ne fe pourro
yent parangonnerà vous Lede , Eu
rope , ny Danaë : efpris de l'amour
defquelles ce puiſſant Dieu vint à
les deceuoir , tantoft foubs figure de
Cyne , ou de Taureau , & mainte
nant de pluye d'or. Mais puis qu'il
m'eft impoffible de pouuoir parer
à ceft inconuenient , s'il deuoit ad
uenir,il vaut beaucoup mieux ( com
me il fe dit ) que ie donne ce qui ne
fe peut vendre : & que ie tafche par
quelque
AM OVREVSES. 27

quelque gratieux eff & à me le ren


dre bening & courtoys , quand il au
roit du tout arrefté de iouyr d'vne
partie de voz beautez. Il vous plai
ra doncques par amour , & pour
mon grand bien de relire cent fois
le iour ce mien efcrit , & le baifer au
tant de fois, puis luy donner place en
tre ces deux aigrement douces pom
mes : lefquelles i'ofebien affeurer, de
uancer en toute beauté les plus bel
les que porterent oncques les arbres
des Hefperides. Quant à la douleur
grande qui fans celle m'eguillonne
& trouble , ie ne fuis defliberé vous
la faire entendre , ny auec quel affe
ctionné defir ie demeure attendant
voftrevenue , pour- autant qu'eftant
affez acertenè par gratieux effects,
quel & combien eft extreme l'ami
tié qu'il vous plaift me porter , ic
ne doute pas que ne cognoifsiez auf
fià
28 LETTRES

fià l'exemple de vous mefmes comme


ie ne fuis moins affectionné en voltre
W
endroict.

Vn Amantfe contente defon tour


ment pour complaire àfa
Dame.
LETTRE VI.

Ima mortvous eftoit autant ag


ST greable comme vous eftes defi
reufe que ie meine le refte de ma vie
douloureuſement & en toute peine,
ie penſe bien que voftre cruel defir
ne tarderoit gueres à fortir piteux ef
fect. Dont cognoiffant l'enuie que
vous auriez de me voir fi foudaine
ment arriuer à lafin demes iours , &
n'ayant le pouuoir de vous fatisfaire
en cela ( à caufe que le mourir n'eft
permis toutes les fois qu'on voudroit
bien ) la douleur que l'en receuroys
feroit fivehemente , qu'elle me cau
feroit
AMO VREVSES. 29

feroit vne plus que douloureufe mort:


au moyédequoy i'accomplirois par
tie de voftre vouloir par le mourir
quis en enfuiuroit. Ce qui m'eft im
pofsibile de faire en la douleur : pour
autant que ie ne fçaurois efprouuer
en endurantfiafpre nycruel torment
qui ne me plaife , & ſemble doux,
pourueu que ie fache & cognoiffe la
peine vous en eftre aggreable. Alleu
rez-vous donq que ie me fentiray
d'autant fatisfaict & content , pen
dant que ie vous verray baigner au
mal-heur de mes peines , ce qui vous
doit induire à confiderer qu'il ne
me peut aduenir finon tout bien &
bonheur en vous aymant. Et enco
re que ie vous fçeuffe eftre affamce
de ma mort : & que par celaie vinffe
encouriren icelle ( comme i'aydefia
dit ) foyez toute affeuree que ie ne
ferois efchange d'vntel mourir, con
tre
30 LETTRES.
tre le mieux fortuné viure que l'on
pourroit fouhaiter ou imaginer : &
mefmement par deux raifons : L'vne
pour me voir rendre l'ame en voftre
feruice : & l'autre , qu'apres ma mort
l'efprit ne fçauroit finon tres-heu
seufement voler en Paradis , où l'on
void clairement ce que l'on defire,
comme dans la Lune d'vn tref- clair
& tranfparent mirouër. Or penfez
maintenant , en quel plaifir & con
tentement ie metrouuerois , lors que
ie me fentirois participer de fi gran
defelicité , comme de vous contem
pler à chafque heure & fans nul def
dain : veuque pour fi peu que ie puif
fe voir voftre angelique face ( dontie
fuis tant defireux ) encore qu'elle fe
monftre par fois trop farouche en
mon endroit ( combien qu'à tort ) ie
me repute du nombre des bien heu
reux. Vous auez entendu(madame)
Pocca
AMOVREVSES. 31

Toccafion par laquelle ie m'eftime


ray toufiours autant voftre redeuable,
quand vous meferez cruelle, comme
quand ie vous efprouueray humaine
mentbenigne & debonnaire.

L'amant accuſe l'amante d'eftre trop


cruelle enuers luy.
LETTRE VII.

Leuft àDieu qu'ilfuft vray , que


de mon amour
vous fuft incognuë : car fi ainſi eſtoit
l'aurois efperance de cueillir vn iour
de vous quelque fruit de ma longue
feruitude , ceque maintenant ie ne
puis pour-autant que vous fçauez
bien que pour m'vfer d'ingratitude
ne fe pourra iamais rompre ny de
flier le lacs auquel ie fus amoureufe
ment captiué, & qui par noeuds fi fors
& eftrois me tient le cœur enferré.
Ah ingrate ,à quelle plus ferme prou
ue
32 LETTRES

ue adioufterez vous donques foy, fị


ma defefperee & angoiffeufe vie ne
vous donne affez ample figne & cer
tain tefmoignage, en fon extreme ar
deur , du bon vouloir que ie vous
porte? Qui vous en pourroit mieux
au vray, & plus clairement acertener
que ma langue ? laquelle fe trouue
muette , & ne peut ( bien que vou
lant ) vfer de fon office accouftumé
en voftre prefence. Vous voyez bien
que deformais ie ne differe en rien à
vne froide ftatue de marbre , finon
par chaudes larmes , & continuels
foufpirs. Mais que me fert de vous.
ramener au deuant les triftes fignes
de ma piteufe mort , veu que ie fuis
tout affeuré , que vous vous mirez en
iceux , tour ainfi qu'en vn miroüer,
lequel vous monftre clairement com
bien vous eftes peu efloignee de vo
fre contentement , comme celle qui
ne
AMOVREVSE S. 33
ne le cerche , finon au malheur de
ma douloureufe fin? Pourquoy donc,
vous efforcez-vous de me cacher &
celer le plaifir que vousen receurez?
ahtref- cruelle femme non pour au
tre efgard,que pour ne me caufertel
alegement & alegreffe que l'en au
rois,lors que ie vo en cognoiftrois
joyeuſe & contente. Maisvous em
ployez en cela vainementvoſtre du
recruauté : car il va mille occafions.
par lefquelles la mort me doiteftre
beaucoup plus aggreable & affe
Aueufement defiree que la vie : ce
que je n'attend auec moindre affer
tion & ardent defir, que t'ay
fait autrefois le veritable t
effect de voz fau 6158
Les promel 11% 2
Les.

Kulath
с NA
34 LETTRES

L'Amyfe complaifant en fespleurs fe


plaint à l'Amie defon ingratitude.

TETTRE "" VIII..

A-dame,fi de tout temps vous


M auez trouué en moy vne fidel 2
leferuitude , auffi ne trouuaftes ia
mais mon vouloir autre que de fe
ranger à toutce qu'il penfoit vous ,
cftre plaifant & agreable . Chofe qui :
vous doitinduire à croire,que ie me
fuis defliberé de vous faire entédre í
+
par la prefente , la vehemente paſ- >
Tron de la douleur qui me tourmen->
re , efloignéde vostre prefence,pon
fant plaſtoſt vous en caufer plaifir
& ioye (purf-que fe vous cognois
tant defireufede mes trauaux & en
nuis ) que pour efperance que ve
niez à prendre aucune compaffion
d'iceluy. Ne craignez donc à faire
ioyeu
AMOVKE VSE S. 35
joyeuſement lecture de ceſte lettre,
& enfeureté : vous affeurant que n'y
trouuerez chofe , par laquelle voftre
durtépuiffe auoir occafionde fe fen
tir offenfee , pour autant qu'en y
S trouuant la mifere de ma vie au vray
grauee & depeinte , vous la verrez
par mefme moyen , toute pleine de
larmes ,foufpirs, tourments , & en
nuys,qui mefont iournellement cō-*
pagnables:aufquelles pafsions ie me
plais fi tres-fort, cognoiffant certai
nement la cruauté de voftre courage
s'ybaigner & efiouir, que le contrai
re me feroit trop plus grand marty
re,& rengregement de plus extreme
douleur :ic demeureray donc confir
néicy, aui'efprouueray millemorts
le iour, me retrounantſi lointain de
ceft angelig femblat, qfed pourroin
adoucir toute l'amertume demes faf
cheries : à caufel de quoy ieme voy!
Sp C 2 mon
36 LITTRES

monftrer au doigt par vn chacun ,


comme pourvn eftrange cas & mi
racle : pource qu'à dire vray , on ne :
fçauroit trouuer autre figne, ny ap-,
parence devie en moy,ſinon la feu
le parele dont c'eſt vn trop eſtrange:
& merueilleux cas , de voir mouue
ment en vn mort:& ne me puisaffez
efmerueiller,comme la nature puif
fefi longuement fupporter , & faire
deffenfe corre le violent affaut d'vn
fcruel martyre: & quelamort n'ayt
tiré plus de mille fois mon efprit, la
goureufemét trauaillé, hors de cefte:
ennuyeufe prifon.Ce qui ne peut ad
wenir,ſelon mõ aduis, à cauſe que la
mortne s'ofe hazarder à naurer mo
crur, pour la reuerence de voſtre -
beau nom , lequel par millefois y eft .
empraint & graue, iufques au plus
profond, en lettres diamantines : ou
bien , pource qu'elle s'eft aduifee,
C.. que
AMOVREVSES. ^37

que ce feroitpitié grande,que de me


tuer,encore qu'elle ne foitaccouſtu
mee d'envfer.Or comment que s'en
foit, ie m'entretien en vic, portant
enuie à l'infortune de tout mifera
blefort: & ne trouue helas,finon en
nuy en toutes chofes,Si d'aduenture
iemerencotre parm y les inftrumés
ouvoix musicales,l'ame alechee par
la plaifante amorce de ces douxac
cors s'accorde auec ce plaifant fon
en la profonde pêlée de fes dons,ce
qui rameine & caufe dans mon eſto
mac , vne fi parfaicte harmonie de
douleurs, que l'enfer mefme ſe. pour
roit trouuer en ce lieu. Si l'entend
puis quelquefois louer & cltimer au
cune gétile Dame, en grace & beau
té,incontinent, comme forfenné je
m'efcrie: O mó clair & beau Soleil,
où est-ce que tu eftends maintenant
les tayons relu yfans de ta digne lu
! C } miere
38 LETTRES

miere? pourquoy n'apparois tu clai


rementen ces parties,pour faire pa
rangon deta fouueraine fplendeur ?
Siencorei'entend quelque Amant fe
glorifier & louer de fon amour,alors
ieredouble mes cris , me courrouf
fantcontre le Ciel,pour m'auoir de
ftiné à fi miferable auenture , que sie
ne vous ay feulement peu mouu oir
à pitié ( ingrate Dame ) auec la lan
gueur de mes douleurs , ou par la fi
delité de mo continuel feruice, mais
non pas encorefaire fi bien que de
tirer vn feul figne de vous,pour m'in
duire à coniecturer que l'eufsiez au
cunemet aggreable:qui feroit la feule
occafion , par laquelle ie m'eftime
rois bien heureux , fi elle aduenoit
auffibien comme mon defaflre per
metobtinement le cótraire. Penſez
-vous que la compagnie en tribula
tion m'apporte aucun allcgement,
comme
AMOVREVSE S. 39
comme elle faict à vn chafcun?Rien
moins:car bien fouuent i'enten les

plaintes langoureufes, que beaucoup


forment à l'occafion d'Amour, dont
par tel ramenteuoir, ie vien àrenou
uellerl'afprepaffio, qui me tourme
te,fi qu'il m'eft impofsible de n'eftre
efmeuà pitié , & regretter ceux que
iefçay eftre femblablementfubiects
à la fupporter. Ainfi , il nefe trouue
chofe , qui ne femble eſtre faicte fi
non pour expreffement me caufer
douleur & marriffon . Icy feray fin,
vous aduertiffant ( ma dame ) que
i'efpere me retrouuer de retour bien
toft aupres de vous : ce qui ne m'ef
iouyra,peut eftre , fi fort,pour l'heur
que l'auray de contempler voftre
belle face , que pour vous montrer
la mienne paflement horrible,par la
maigreur efpouuentable : eſtant bien
certain , que voftre cruauté aura fuf
C 4 fifante
46 LETTRES
fifante occafion de demeure fatisfai
&e , quand elle viendra à regarder
f
Pobiect d'vn fipiteux fpectacle :tant
le figne dema paffio y eft clairemét
exprimé.
Vn gentil-homme s'excufe de n'auoir
efcrit à fa Dame,& laprie auoir
pitié de fes douleurs.
LETTRE IX.

Iray differé plus que beaucoup *


Sara y ire certaine de monpor
à vousfa
tement,la honte que i'ay de metrou
spuer encore en vie , en a efté la feule
occafion : me femblant d'auoir fait
vntrop grand tort à voſtre amour,
pour auoir vefcu par fi long temps
efloigné de votre prefence. Et ne
fçauroy tatbien penfer , que ie puif
...ſe trouuer excufefuffifante à effacer
latache detel crime:ce qui m'aainfi
retardé àvous refcrire , toufiours at
tendant
AMOVREV SE S. 41
tendant que la mort, apportant quát
& foy mon excufe, me deliuraft,par
vn mefme coup , de vergoigne , du
debte& dumartyre. Mais puis que
iel'aycognetic toufiours plus fourde
& retiue à qui meine fes iours plus
mal-heureuſement , l'ay defliberé
vous faire entendre,iufques au bout,
toutl'estat auquel l'entretien ma mi
ferable vie, & auec quelle douleur :
qui eft telle , que l'ofe bien afſcure
mentaffermer, puis que ie demeure
vif, qu'aucun tourment n'a pouuoir
defeparer mon ame hors du corps.
Mon cófort ie feiourne icy dans ce
fte noble Cité , laquelle , combien
queparfa magnificence , & gentilef
fe des habitans , fepuiſſe pluſtoſt, &
à meilleur droit nõmer Paradis que
Ferrare: elle mefemble neantmoins
propremét vn trefobfcur Enfer, fans
la plaisate lumiere de voz yeux. Dót
Ci Vous
S
TRE
42 LET
vous m'ypourriez voir inceffammet
auecla face baignee enpleurs conti
3
nuels , & chaudement foufpirant ,
faire rompre les pierres par pitié.lcy
m'orriez mille fois le iour fouhait
ter la mort , & par autant de fois ,
vaincu par l'afpre pafsion & douleur
prendre de vous l'extreme congé ,
penfant eftrearriué aubut limité de
la fin de mes iours. Mais apres queie
ie
me fuis apperceu de mon erreur ,
repren derechef mes pleurs & do
leances accouftumees , qui me font
pleuuoir & diftiller les larmes de çes
dolents yeux par vne fi large veuë ›
que fi l'efloignement de voſtre bel D
obiect ne meraméteuoit à tous pro
pos d'eftre tel mal-heureux que ie
fuis , peut eftre que ie trouuerois
quelquefois trefue auecques mes
douleurs ,penfant d'eftre, non ce que C
ie fuis , mais vne viue fource & fon
taine
AMOVREVSES, 143
taine.Telle eft ma vie, tels font mes
plaiſirs, telle eft ma iournaliere vaca
tio,& employe partie de la nuict en
fi douloureufe peine, pour autat que
mes yeux mal-heureux ne donnent
aucun repos aux larmes qu'ils iectét
hors. Et fi d'auanture ils viennent
à fe clorre par fois , laffez d'vn exer
cice tantlong & ennuyeux , ne pen
fez pas pourtant que T'en rapporte
aucun repos.Car le fonge,au cas pa
reil, complice en la coniuration du
labeurde mes maux , ne ceffe de tor
menter & affligermon ame par tous.
les plus cruels moyens qui luy font
poffibles: me reprefentant fihorri
bles & efpouuentables vifions , que
elles me mettroyent incontinent en
crainte de plus grand malheur , fi
plus grand que le mien fe pouuoit
exprimer. Voyla ( mavie ) tout ce
que l'auois propofé de vous dire.
Pricz
44 LETTRES
Priez donc Dieu , fi ma vie vous eft
tant foitpeu aggreable, qu'il vueille
faire cefferle mal,qui me tienten fi
grande mifere : car loingde vous le
viure me teroit impoffible , & arri
uerois incontinent à la fin de mes
iours.
Vn amantpaßionné de colere,fe plaint
de la cruauté d'vne Dame.
LETTRE X.
"
Left donc vray qu'auez du tout
IL
arresté de ne plus receuoir, ny lire
mes lettres : imitant la façon de fai
re de ce caut & venimeux ferpent ,
quiauec la queue s'ettouppe l'oreil
le pour n'ouyr paroles , par la vertu
deſquelles il foit contraint à faire
contre fon vouloir. Ah cruelle en
nemie de toutepitié : comment n'a
uezvous le cœur,de fupporter le tri
fte chantde mes ameres complain
tes, puisque voftre durté,ne s'adou
cit
AMOVREV SE S. 45
cit en rien , me voyant demembrer
par la fierté de mille afpres martires?
Mais que dy- ie , las de mes dolean-
ces?Vous ne m'ouyftes iamais com-
plaindre auec vous , & ne vousfoli
citayiamais de choſe qui fuft contre
la fierté de voſtre courage : mais
Vous cognoiffant pour celle qui ne
fouhaittiez rien plus affectionnemét
que ma mort, ie vous l'ay bien mille
fois demandee combien que me
voyant fi contant & prompt à la re
ceuoir , ou pour autant qu'en icelle
cogneuftes confifter la fin de toutes
mes douleurs , defquelles vous n'e-'
ftiez encoreaffez repeüe, ny faoulee
àvoftre gré,mela maftes, bie que fi
nablement vous me l'ayez cruelle
mentdonnee Ah trefingrate Dame,
eft-ce le merite de mon amour ? de
ma fidelleferuitude ? & de ma lon
gue loyauté
Vn
46 LETTRES

VnAmatſeingeà iufte cauſe eſtre mal▾


traillé d'vne Dame,parce qu'il n'a
tenuloyauté à vne autre.
44 .
LETTRE X L
Ombien cuft il efté meilleur
Co pour moy(ma dame)que n'euf
Lez prinfe aucune pitié de ma lan
gueur:car par vn certain aduertiſſe
ment de voftre durté , i'euffe misau
tre ordreà mes affaires,ou bien vous
ne m'euffiez donné , tant fuffifante
occafion de me plaindre iuftement
de voftre cruauté , par deux raifons.
L'vne pource qu'il ne me deuoit
fembler , que me fifsiez aucun tort,
quand bien . l'obftination de votre
courage nefe fuft plié par mes chau
des larmes & foufpits amers , puis
qu'autre chofe ne vous y obligeoit.
L'autre à caufe que ie ne deuois
trouuer fi eftrange ne pouuoir ac
querir
AMOV REVSES.

quérirla chofe defiree , que de per- -


dre celle que i'auois acquife. O que
ievous voudroisauoir donné occa
fionpar laquelle ie meritaffe d'eftre :
devous ainfi abandonné : car ayant 1
raifon d'vfer defurieufe cruauté en
uers moy-mefme , ie me ferois tan
toft defliuré d'entre tant de torméts
& ennuys.D'orefnauant toute choſe
1
impoffible me pourra bien fembler :
facile , puis que ie voy vne fi grande
grace & extreme beauté clairement ,
vous illuftrer , fans eftre aucunemét !
accompaignee d'aucune foy, nypi- !
tié. Où eft ce que font maintenant I
tournez tesyeux, tres iniufte Amour? )
regarde vn peu cefte cy , qui faict fi
peu de conte de ton ardent flam- :
beau,& quiates poignantes fleches i
en fipeu d'eftime,ne craignar point .
de te pariurer. Ah , ingrate Dame ,,
prenez compaſſion de vous-meſme
à l'e
48 LETTRES

à l'exemple de mon dommage : car


ie vous affeure n'eftre tombé en fi
douloureux & grief malheur , & ne
puis penfer auec quelle autre oc
cafion auoir prouoqué , non irri
té Amour ,finon pour m'eftre ma
litieuſement porté par mille torts,
& defloyautez enuers vne tres-fi
delle Dame, qui auoit entierement
remis entre mes mains l'arbitre de
fon cœur. Tel & fi enorme peché à
efté iniquement commis à l'occa
fion de vous, tres- inique Dame : Ex
fi i'enfuisainfi tref- rigoureuſement
puny , confiderez quelle peine vous
deuez attendre, qui faictes le fem

blable , & eftant la feule cauſe qui
m'aincité à faire faute fi lourdemét.
Helás , ma douce vie , rompez vne
fi dure & rigoureufe Loy par le faint
effort de voftre benignité , & ne
m'abandonnez : m'affeurant que
Vous
AMOVREVSE S. 49
vous meferez trouuer pardo enuers
Amour de mon erreur, &n'aurez ot
cafion de craindre la punition de vo
ftre offenfe.

Vn Amantfe complaint àfa Dime du


peu d'amitié qu'elle luy porte.
LETTRE. XII.
A Dame,certainementvos cf
Mfects m'ortoufiours veritable
ment donné à cognoiftre que vous
ne me portaftes onques aucune ami
tié,ny bo vouloirmais : i'ay toufiours
diffimulé l'experience que i'en auois,
pour cefte occafion , que vous fça
chant creature humaine , ie ne pou
aois péfer autremét, que voftre efprit
ne donnaft lieu , comme fontles an
tres , à la pitié, vray commencement
& fin de toutes bonnes œuures : çe
qui me faifoit accroire , que fina
blement , mes l'armes & foufpirs fe
D royent
jo LETTRES
royent caufe de faire venir ma dow
leur en cognoiffance. Dont puis
apres la recompenfe de ma longue
feruitude & ferme foy ne me de
uoit eftre refnfé. Mais à chef de
temps cognoiffant cefte efperan
ce , dont ie me paiffois , fortir vn
vain effaict , i'ay, fupporté occulte
ment & au mieux que l'ay peu tou
tes mes douleurs & fafcheries , touf
jours en attendant · que le temps
vinft , pourvous offer la couuerture
de toute excufe , par laquelle peut
fiez palier voftre cruauté. Mainte
nant l'heure eft venue ( ingrate Da
me ) & ne pouvez dire que ne vous
foyez toufiours monftree rigoureu
fement peruerfe en mon endroit:car.
vous fçauez bien comme vous m'a
nez touftours vainement entretenu :
difant , que vous n'auiez autre defir
finon que le ciel vouspeut amener
oppor
AMOVRE VSES. ་་
opportunecommodité,pour medon
ner à cognoiftre quel doux fruct
auoit engendré la femence demon
amour. L'occafion eft venue , & fe
prefente plus belle & plus feure que
n'eufsiez fceu defirer à me la faire en
tendre. Oùfont donc à cefte heure
les bellespromeffesioù eſt la recom
penfe de mes fi grands travaux ? Ah
cruelle Dame , que refpondez vous
maintenantàcecy? Direz vous par
aduéture que ie nemerite par amour
tout l'heur de voſtre grace:ie ne pour
rois iamais croire que celavint à for
tir devoftre bouche :pour autant que
vous m'auez mis à tous les effais
qu'on fçauroitimaginer poureſprou
uer la fidelité & conftance d'vn A
mant:voire en telleforte & maniere
que cela, fans plus, mepouuoit eltre
argument fuffifant pour penfer in
continent le peu de foy & loyauté
D 2 qui
32 LETTRES

quivous fait compaignie , fi Amour


ne m'euft obfcurci la veuëpar le ban
deau qu'il m'auoit mis deuant les
yeux. Dictesmoy fi vous en trouue
rez vn autre par fon cruel defaftre
(carquant àmoy ie ne me tiens plus
-pour voltre lequel vueille endurer
que vous paiffiez fus luy à toutes
heuresvostre cruel vouloir , comme
moy? qui mefuistrouué tant de fois
deceu toubs voftre fauce promeffe
demedonner benigne audičce, mu
fant le log de la nuict au pied de vo
ftre maifon,our'eftois reduit en telle
perplexité,parla violence du vent &
dela pluie , que ie m'eſtonne com
mentie n'en fuis mort : & puis à la
fin laffee , mais non pas faoulee de
metenir enlangueur m'auez fait di
repar la chambriere , auec quelque
maigreexcufe, qu'il n'y auoit aucun
remede pour celle nuict.Et ainfi d'v
4743 ne
AMOVREVSES.
.
ne à autre me pourmenant tout au
tour me teniez aux aboys,& recepez
vn plaifirinfiny de me voir confom
mer en tel torment tant qu'en finie :
vins à m'en apperceuoir. Mais mon i
smal- heureux deftin m'ayant du tour
doné en voftre puiffance ,ie fus con
straint à fairetout ce quiestoit envo
eftre vouloir : non autrement que ce- !

luy lequel fe rangeátau vouloir d'au ,


truy , s'achemine de fonbon gréau 4
lieu de fa mort . le ne vueil pas ra P
cópter le refte , pource que je ne tafa
che devous efmouuoir à pitié par le
= douloureux raméteuoir de mestor
ments & ennuys paffez :tant pource
je fuis affeuré que vous les pren
que ie
driez en mocquerie , fi ie les vous
recitois foubz cefte efferance , (veu
que vous avez bien permis que tie
les fupportaffe ) comme pour ay .
mer beaucoup mieux maintenant
= D3
que
M LETTRES

que me foyez rebelle , qu'humaine


&fauorable. Car ne me fentant le
cœur de telle trempe , comme i'aý
à mon dam efprouué le voftre , ie
fuis certain qu'auec quelque figne
d'humanité vous pourriez bien , fi-"
non empefcher au moins adoucir
la vengeance que ie m'appareille &
pretens de prendre fur vous , pour
toutes les trahifons defquelles vous
auez vféfauſement en mō endroict .
27 BUY
Vn Amantpourſuitpar iniures vne
Slave damequi l'auoit esti
** T Amévillain.

LETTRE XIII.
A tref- noble Dame , ie vous
M
P prie tant humblement qu'il·
"y
m'eft poffible en compaffion dé
mon indignité & pour recompen
fe de l'amitié que ie vous porte , a
baiffer
AMOVREVŠES.
baiffer detant voftre hauteffe , que
de m'enfeigner au moins ) quelle
chole c'ett que Nobleffe : à fin que
dorefnauant ie ne tombe en telle fau
P
te & erreur , que de mettre mon
amour fuschofe noble , puis que ie
nefuis tel . Ah ma trefilluftre dame'
& maiftreffe , ne pouvez vous pen
fer que tant plus vous vous nommez

noble , & moy ignoble , que d'au
tant plus vous faictes cognoiftre le
contraire? Dictesmoy, ie vous prie,
fi vous eftés noble , celuy ne l'eft il
femblablement qui ayme voftre no
bleffe ? & fr vous n'aurez iugement
pour fçauoir difcerner cela , n'eftes
vous pas trefignoble ? Certainement
ouy car fi vous efticz autre que
vile, vousn'euffiez trouuce vne tel
le excufe , de donner congé à qui
vous' eftimant gentile , ne vous te-.
noit moins chere que fa propre vi :
D 4 com
36 LETTRES

comme difant,Tu n'es pas noble, c'eſt


à dire , tu n'es pas digne, Tref-vile
femme , quel figne pourriez vous
donneraumonde de ma vilennie fi
non qu'en difant,' lm’aymoit , quifuis
la vilennic mefme ? Et fi voulez enco
re future plus outre , vous direz:
Apres m'auoir cogneur pour telle,il me
print enhaine,combiè que par cela il ne
laiffa deperfeuerer enmon amié. Mal
heureufes que vous eftes , fi vous a
uiez feulement affez de fens pour
cognoistre voltre neantife & baf
feur,vous vous tiendricz encor pour
bien heureufes , lors queferiez ad
uouees & retenues pour fimples
chambrieres d'hommes femblables.
à vous en toute efpece de vilennie, 14

auifont proprement ceux , qui , ay


mant & jouyllans à leur plaifir &
quand bon leur femble de la partie
de vostre corps à laquelle ils pren
nent
AMOVREVLIS. 57
nent gouft, vous donnent occafion
de vous glorifier en icelle , quand
plus vous en deuriez receuoir de
honte. le parle toufiours de celles
quivous reffemblent, lefquelles efti
ment feulement celuy noble , qui
eft plongé en richeffe , & non celuy
qui vit vertueufement . Or demeurez
en la fange , grenouilles depintes,
& vendez votre beauté feinte &
fardee à qui a bonne bource , pour
pouuoir fournir à l'appointement;
mais ne foyez puis apres tant arro
gantes ny audacieufes,que de paran
gonnervous denrees à celles des au
tres , d'autant mieux en honnefteré,
renommee , quand plus vous eſtes
en infamie difamees : lefquelles , ayas
l'honnefteté en eftime fur toute au
tre chofe , vendent la naïve & cele
ftebeauté de leur diuin efprit a qui
la peut payer par la fueurde la ver
DS tu:
V
LETTRE 9

ta : & rels acheteursfe peuuent ap


peller vrayement nobles , comme ils
le font: ce qui vous peut deformais
clairement donner à cognoftre qu'il
ne s'en pourroit trouuer vn feal en
treles innombrables troupes des vo
ftrés.

A MADAME ME .
dee Pauoni.

Amypreuze par raifons,que l'a nour


del'onne est plus vehemente, que
celle de la femme

LETTRE XIIII.

A trefgentile dame Medee , il


Mya ia huit iours paffez que vo
frerrel-douce lettre mefut prefen
te , à laquelle , plus fage qu'obeyf
fant, ie ne ferois aucune refponfe,
quand te penferois que la belle de
mande
AMOVREVSES.

hande dontvous m'interroguez fuft


douteusé dans voftre deuin efprit,
Car fiie penfois que la difficulté do
telle matiere vous fift ran: foit peu
varier ou douter , l'eftimerois lors
eftre impoffible à tout le refte des
viuans d'en affeoir vn vray & cer
tain iugement. Mais eftant affeuré
que vous faictes cela pluftoft pour
exerciter vos feruiteurs , à fin que
parvnfi loüable exercice : ils fe puif
fent trouuer dignes en quelque par
tie de feconder le rang que vous-te
nez , ie m'efforceray volontiers de
vous complaire en cecy. le dy don
ques Madame , qu'il y a plufieurs rai
l'amour
fonsqui me fontcroire que
del'homme eft plus vehemente &
affectionnee , que celle de lafemme.
Dont la premiere eft , que generale
mentl'homme exerce plus les vertus
de l'ame que ne fait la femme : au
moyen
LETTRES

moyen dequoy par tel & fi frequent


exercice il vient à s'aquerir vn iu
gement plus parfait . Pourquoy il
eft facile à croire qu'il ayme plus ar
demment , d'autant qu'il cognoift
plus parfaictemet la beauté du corps
ou de l'efprit qui l'attire & faict ay
mer. Il ne faut point douter que la
figure que montrera vn Paintre, ti
ree auec tres fubtil ingement , fera
fans comparaifon beaucoup plus age.
greable à qui cognoiftra entiere
ment la perfection de l'art , qu'à
ceuxlefquels s'arrefterontfeulement
à labeauté & au luftré des couleurs.
On ne fçauroit donques nier ( tref
vertueufe dame Medee ) que l'hom
me ne nourriffe en fon cœur vne
amourplus vehemente. Car par la
continuelle profeffion qu'il faict des
Vertus , il fçait beaucoup mieux iu
6
ger & difcerner : & quand encore il
ne
AMOVREVSES. 61

nes'y adonneroit fi for , il ne lairroit


par cela d'imaginer en la chofe ay
meedeplus hautes qualitez,lefquel
les eftans conceües en imagination à
plus parfaic degré, d'aurát plus font
elles eftimees par celuy qui les ima
gine. Et certainement la chofe qui
eft plus prifee, fe rend d'auantage
aymee & defiree. Qu'ainfifoit , que
chaſque amant court fubitement a
uec la vertu imaginative à s'impri
merdáslafantaficdiuines excellen
cesen la chofe aymee,enquerez vous
en de qui que ce foit qui ayme de
cœur , attiré par la vertu defquelles
il cognoift fa dame eftre ennoblie:
Vous orrez incontinent que de pre
miere entrée il vous dira ( comme
s'il parloit auec mille tefimoignages
& fans auoir efgard à l'iniure que
le refte y pourroit bien pretendre)
que fa dame eft la plus belle , la plus
gen
62 LETTRES

gentile & la plus vertueufe que l'on


fçauroit tronuer en ce mode: & vien
dra cefte impref ion àluy offufquer.
de forte l'entendement , qu'il affer
mera contre tout deuoir ( & ainfi
luy femblera ) n'eftre digne feule
ment d'vn feul regard d'icelle : bien
qu'elle foit la plus vile , la plus ab
iecte , & la plus difforme du monde,
Erde cefte credule indignité proce
de l'occafiondont l'amat n´adioufte
iamais ferme foy aux œillades, aux
parolles , ny aux autres fignes que
s'amie luy donne pour le rendre af
feuré de fa grace. Au moyen dequoy
les Amans meritent bien de trouver
excuſe envoftre endroit (tref-valeu
reufe dame ) fi quelque fois ils fe
monftrent importuns , demandans
gaige d'affeurance de voftreamytié ,
que vous pouuez en vne feule ma
niere liberalement leur cctroyer. Et,
pour
AMOVRE VSE 5. 63

pour autant qu'aucunes de vous ont


couftume de dire que la femme en
amytić & haine paſſe aux extremi
tez , fi on vouloitpar celainferer &
fouftenir que l'amour de la femme
foirextreme , ie vous refpons , que
confidereela premiere raifon , à fça
uoir,que l'amour eft caufé par la ver
tu qui eft, ou qu'on prefuppofe eftre
en la chofe aimee, cefte extremité ne
fepeut aucunemet appeller Amour,
car il eft neceffaire que l'effect s'ac
corde auecl'occafion. La vertu cau
fe l'Amour & ne peut endurer ex
tremité , dont il faut conclure , que
ceux lefquels fetormentent , parvne
tant effrenee volonté , fe doyuent
nommerpluftoft& à meilleur droict
furieux , qu'amiables : laquelle furie
vient encore à bien toft manquer
& defaillir , d'autant qu'elle n'a au
cun ferme ny affeuré fondement,
ains
LETTRES

ains prouient des appetits fenfuels,


& de chofes qui mille fois le iour
par vielegereté grande tournent à
plaifir & defplaifir. le veux encore
refpondre à l'opinion d'aucuns , lef
quels difent, que la femme fouffre
plus grande paffion que l'homme,
voulans par cela donner à enten
dre , que fon ardeur foit plus gran
de & plus parfaicte. Ceux-la veu
lent dire , que l'amour prend nour
riture , & saugmente par le fouue
nir de la chofe aymee : & pourau
tant que la penfee de la femme eſt
plus continuelle que n'eft celle de
Phomme à caufequ'il eft detenu par
vne infinité de chofes qui mettent
hots de touteamoureufe péfee,com
meferoit de voir diuers obie&siour
nellement , entre lefquels il eft im
poffible qu'il ne s'en trouve d'au
cuns, qui luy caufent plaifir , & les
autres
AMOVREVSES. 65
autrès fafcheries: difans , par cefte
raifon , que tel plaifir & defplaifir
luy fait aucunefois prendre trefue
anec Amour , qui luy donne enco
requelque relafche , par le moyen
des frequentes compaignies. Ce qui
ne peut aduenir à la femme , qui le
plus communement eft deftinces à
demeurer continuellement dans la
maiſon, & àlaquelle eſt oftee tou
te licence de pouuoir conuerfer a-f
uec les perfonnes,qui la pourroyent
deftourner hors de ceprofond pen
fer, qui l'ard & confomme.Cela(Ma
dame ) et tout au contraire devous
autres , & contre l'opinion de coux
quivous enfuyuent en cecy. Car ce
luyqui demeure en continuelle dous !.
leun , s'acquiert toufiours plus de
force à la pouuoir füpporter tel
lement que la conuertiffant quafren
nature, en percle fentiment. Mais
E. celay
66. LETTRES

celuyfent entieremet l'extremité de


la paffion , auquel eft permis auoir
quelque trefue , ou relafche en icel
le, par le parangon du bien & du
mal. Etpourvous donner meilleure
preuue de mon dire. Regardez que
ceux lefquels ont cheminé longue
ment par les tenebres ; n'en tien
nent plus de conte d'autant quele
long efpace, parlequel on les accou-:
ftume , leurrendbeaucoup moindre
force à offencer laveüe. Dont s'ils
viennent puis apres à rencontrer.
:
quelque lumiere , elle n'eft pas plu
ftoft perdue ouefuanouye, qu'ils de ba
mourenbtotalemet aueuglez:car pari.
cemoyenkobfcurité vientàrepren
dre fus leurs yeux fon accouftumee
vigueur voire & encore plus puif
fante qu'auantla lumiere apparue }
Donques , encores qua.io vouluffet
concedenquelapenfee dela femme..
fuft
AMOVREVSES. 67
fuft plus cótinuelle,il ne s'enfuiuroit
encore par cela qu'elle fentiſt plus
grande paffion , ains bien moindre
de beaucoup. Mais ie vous dy , pour
toute refolutio,que celuy lequel par
vn feul moment, fe trouue defchargé
de penfee,en aymant ne peut aymer
parfaictement, & ne merite le nom
d'Amant. Vous auez entendu ( Ma
dame) partie de mes raifons , lefquel
lesie penfe deuoir eftre approuuees
de vous, comme pour veritab les, &
dignes d'efère receuës: de quoy m'af
feurent affez les diuines vertus,beau
tez, & graces , qui vous font fain
tement compaignie , par laquelle
&
elles embrafent fi fort les efprits de
quiconques les voit reluire en vous,'
que vous ne fçauriez voir ny copren
dré en aucun,autre chofe, qu'vn fer
me & defliberé vouloir de toufiours
vousaymer,feruit, & honoter, d'uff
...ds E 2 bon
68 LETTRES
bon cœur que ievous baife les mains.
en toute reuerence..

Vn Amant feperfuade de iouyr


de fes amours.
KETTRE X V..

Ertainement celuy qui ſe met à


Caymer d'vnegrade amour naï
ne & parfaicte,neſe doit iamais def
fier, ny penfer , que le ciel permette:
qu'ilnevienne à fentir le plaifir du:
falaire, que merite la loyauté de fa
feruitude , & ne fe doit defpouiller
d'efperance, pour quelque fafcherie:
& difficulté , tant grande foit elle,,
qu'il y puiffe comprendre. Et croy
( ma trefdouce Dame & maiftreffe )
qu'encecyvous vous ragerez a mon
opinion, fi vousvenez à diligemmét
confiderer l'eftrange & miraculeuſe.
voye , qui s'eft offerte à moy, pour
edonner l'onuerture à vous faire
entendre
AMOVREVSES. 69
entendre affeurement la grand' ar
deur, qui m'enflamme en voſtre a
mour, ily aià tant de mois, fans que
iefois peu iamaisparuenir au moyen
de vous en aduifer , qui n'euft eſté
au danger de blecer votre hōncur,
lequel ne m'eft en moindrerecom
mendation , que ma propre vie. Il
vous plaira donc de coliderer le mi
racle, que me prefente l'opportune
⚫ commodité de vous efcrire en affeu
rance , & fans auoir crainte qu'au
cun inconuenient, nyempeſche en
puiffe furuenir : car en cela vous
pourrez clairementcomprédre, que
les prieres que l'ay prelentees aux
aftrespour meles rendre propices,à
l'heureufe conduicte de c'eft affaire,
ont efté de grande efficace:puis , de
là,vous viedrez à cognoistre la gran
de amour que ie vous porte eftre in
cófiderable . Parquoy fi mes prieres,
E ; larmes
70 LETTRES

larmes, & foufpirs ont eu pouuoir de


me rendre le ciel benignement pro
pice & fauorable , vous devez aufsi
bien confiderer que ie les ayprefen
tees par vne fi vehemente affection ,
qu'elles ont efté trouuees dignes
d'impetrer & obtenir fa faueur, le
ne vous tiendray plus long propos,
vous cognoiffant autant fage que
belle, mais i'adioufteray ſeulement
cecy à ma lettre,que le fecours m'eft *
tant neceffaire , qu'à peinepourra il
iamais venir àtemps. Le refte vous
fera declairé par celuy quifauorife à
mesfecrets.

L'amy eft trifte & marryde la tristef


}
fe de l'anye , & la confole.
LETTRE XV I.
deftin m'euft efté aussi bien
S fauorable,àfaire fortir effect au
bien qu'il fembloit me prefenter, có A
me
AMOVRE VSE S. 71
me ilm'a tourné le dos en ceft affai
re mefme , il ne m'euft feulement
obligé à luy remettre & pardonner
tous les torts & iniuresque i'ay re
ceües de luy par le paffé, qui font in
finies,mais de la remercier affectió
nement de tous les outrages qu'il
m'euft peu faire à l'aduenir. Si eft- ce
que ie ne fçaurois encor auoir fi grã
de occafion de me plaindre de luy
en cecy , que pour m'auoir donné
force & vigueur de pouuoir tenir &
durer contre le tourment. Ce qui
m'a empeſché de trouuer le chemin
pour m'acheminer à la mort, mais
non pas le fentiment de tant trifte &
amere nouuelle: qui venantà m'ad
uancerles griefues pointuresde vos
ennuys , m'a acertené , non feule
menttous vosprojects & deffeinsa
uoir trouué vne vaineyflue, mais qui
redonde encore à voftre grade perte
E 4 & dom
N 72 LET TRES .

& dommageirreparable.Bien que ie


nefçaurois penfer quel dommage ie
pourrois deformaisfupporter , qui à
cóparaison de ceftuy quei'ay main
tenant receu , ne me foit de grand
proffit, & ne me caufe plaifir infiny.
Ainfi celuy qui a efté caufe que no
ftre defir n'ait efté mené iufques à fa
fin treldefiree , foit referué à endurer
la mefinepeine & douleur,& entel
le maniere.Autre chofe ne luy pour
roy-ie fouhaitter , qui peut mieux
faire la vengeance d'vne fi grande
trahilon. Car tout ainfi que, plus
grand peché ne pouuoit eftre faict,
comme eft celuy , lequela comis ce
fte mefchante & enuieufe perfonne,
deftourbant le plaific d'vn effect tát
aggreable,femblablement, il eft im
pollible defentir plus violente dou
leur , que celle en laquelle ie fuis
maintenantdetenu , quand ie vienà
penfer
AM OVRE VSES.
73
penfer au douloureux viure, dans le
quelvouseftes iniquement tombee.
O diuins yeux , comme a peu le ciel
iamaispermettre & confentir qu'on
vous ait donné occaſionſi cruelle de
refpadre tant de larmes fi ameres? O
bel eftomac , quel cruel deſtin t'a
códemné à manifefter ton dueil par
vne fi grande abondance d'ardans
foufpirs ? Et toy Amour , comme
peux tu endurer qu'vnemain tat in
humaine vienne àarracher ces tref
fes dorees, qui eftoyent lefainct lacs
auec lequel tu foulois lier , quicon
ques eftoit trouué digne de les con
templer vne feule fois? O angelique
voix , comme ne s'ouure la terre au
fon deton trifte chant , pour trálglou
tir & prendre trehuſte vengeance de
celuy quite faict remplir l'air de tát
& fi dolentes complaintes ? Et toy
mon efprit, comment ( penſant à fi
ES pitoya
74 LETTRES

pitoyable infortune ) n'abandonnes


tu cefte tant afpre & tenebreuſe pri
fon?

Vn Amant defefperé defire la mort,


ou mifericorde.
LETTRE XVII.

Quel grand heur feroit pour


les Amas , fi l'homme pouuoit
mourir toutes les fois , qu'il luy en
prend enuie. lelefçaybien: car vo
ftre obftinee cruauté m'a reduit àtel
le angoiffeufe perplexité , que toute
choſe maintenant m'eſt de peu de
plaifir,à comparaifon de la mort que
Rappelle à toutes heures. Al Dame
trelingrate , regardez fiie fuis arri
ué à tout l'extreme de ce qu'vn hom
me peut endurer , quand la douleur,
que ie fen me caufe fi grande pitié,
qu'à peine pourroy- ie fouffrir de la
voir reiectee fur vn autre , encore q
par
AMOVRE VSE S. 73
parcela i'é deuffe eſtre defliuré.Que
voulezvous donc plus de moy , puis
que vous m'auez laiffé pour rel,
rel , que
ie ne fçaurois deformais auoir expe
riencedeplus grand crue! martyre?
A quoy eft bon doirather nou
ueaux moyens pour me plonger en
plus aigre tourmet?Pourroit- ce eftre
pour me faire acheminer àla mort ?
Oque l'efperace m'en cauferoitvne
ioyeuſe vie.Mais ie cognoy apperte
ment que ie demeure en vie mira
culeufemét: car c'eft vne chofe hors
de nature,que la vie d'vn homme ſe
puiffe maintenir fi longuement par
my les ennuys de tant douloureufe
peine,& ce qui m'afflige encore d'a
uantage , c'eſt la certitude que l'ay
devoir ma douleur eternelle , puis
qie ne puismourir, & qu'il ne m'eft
permis d'efperer autre remede,nyſe
cours. Car encore que l'occafio s'of
1 fre
76 LETTRES

fre moins à mon dommage , mom


torment ne ceffera pour cela de con
tinuer:veu que,Desbåder l'arc negue
ritpoint la playe. Bien que le temps,
nyquelconque autre occaſion n'aura
iamais po "effacer la memoire
de voſtre diuine image dedans mon
cœur , où elle eft fi bien grauee , ne

LILA
pouuant endurer qu'vne autre de
moindre beauté , ou valeur,fift quit.
ter la place à celle qu'amour y logea
premierement,quand par fon traict
il me fit la premiere playe , qui eft
incurable : puisque pour moy , & à
mó dam, ne fe trouue en vous aucu
ne eftincelle de mifericorde :laquelle
il me fembla voir autrefois , fi viue
ment reluire dans voz beaux yeux,
que l'exemplede celuy qui mourut
foudainement , pour auoir indigne
ment ofé toucher les chofes diuines,

nemepeut en rie efmouuoir,ny par


aucu
AMOVREVSES. 77
aucune crainte de tell accident me
faire defifter de mon entreprinfe.
Helas ,fii'ay peché , pourtrop pre
fomptueufement m'eftre prefumé
digne de vous voir & attoucher,qui
eftes toutediuine, pourquoy nefuis
ie punyd'vnefemblable peine?Mais
f'en excufele ciel, s'il ne m'a deftiné
à cela : pour autant qu'à cefte heu
re le mourir ne me feroit pleine,
mais occafion de plus grand con
fort.lcy feray fin,priantAmour qu'il
maintienne toufiours voftre ob-.
finé courage rebelle à mes
defirs , s'il penfe quepour
merendrecontentvous.
cuiezperdre le moin- .
dre plaifir qui
foit..

PAMY
ES
78. LETTR

L'amy fe plaint dudefdain de s'amic,


s'excufe de n'eftre venu
à l'aßignation.
LETTRE xviln

Adame, fi vous auiez efprou


ué vne fois la grande peine
que m'apporte vn voſtre feul def
dain, ie fuis bie affeuré , que pour rié
vous ne vous moftreriez deſdaignee
alencontre de moy , pour quelque
tort que ie vous euſſe faict,tant grief
fuft-il , encore que vous euffiez le
cœur de la plus cruelle Dame qui
foit aumonde & ne permettriez que
ie vin fe à fentir les pointures de vo
ftre rigueur vno feul moment , tant
s'enfaut que me portiffiez mauuais
vifage par l'espace de huic iours ,
comme vous auez faict. Ah ma vie,
ne fçauez vous pas que ceſte maudi
te fieure quarte rompit noftre en
VIDA I treprin
7
AMOVREVSES. 7999

treprinſe , m'épeſchant de me tranf


porter au lieu affigné,auquel ne fail
liftes de vous y acheminer?Helas co
tentez vous du grand regret que l'en
eu à l'heure , & qui continuera tant
que ie viuray en ce monde , & ne
me donnez occafion pour abreger le
termede mesiours. La douleur que
Eie fentoypour ne pouuoir venir,me
mitfi bien hors de moy, que malgré
3
le mal , & de tous ceux qui eftoyent
autour de mo lict,il fallut que ie me
tranfportaffe vers vous , de qui le di
4
uin afpect me pouuoit miraculeuſe
ment cauferfoudainefanté & gueri- ›
fony & me rendre difpos. Il ne
m'eft aduenue chofe que ie ne pre
upyaffe bien glencore que le merite
demon amour nem'y laiffaſt adiou.
fter toyb levous accorde que ie ne
denois faire eftimede fieure , ny de
tous les maux accidens qui me
onob fuffent
80 LETTRES

fuffent peu furuenir , à l'occafion de


séblable defordre: mais fi eft- ce que
vous pouuez: encore par cela claire
mentapperceuoir , combien ie vous.
ayme & tien chere , & mefmement
fçachant bien quelpeu de cote ie fai
fois de ma vie,auant queie metrou
uaffe faict digne de voftre amour.
Alors tant s'en falloitqueieme.con
tregardaffe du mal , quad auec toute
diligence.ievenois (come defefperé).
à me le pourchaffer . Mais mainte
nantqueie fuis(mercy à vous ) enri
chy d'vnfibeau & precieux threfor,
comme de voftre grace, ce n'eſt pas
de merueille fi ie tafche par tous
moyens àme garder la vie. Dont s'il
vous ſembloitque i'euffe faict faute,
n'eſtátvenu à vous par le mal de fie
ure q me detenoit, la crainte d'vneft.
gradeperte mepourra feruir defuffi
fante& raisonnable excuſe.Vueillez.
donc
AMOVREVSES. 81

donc ( ma douce Dame ) bannir de


formais de voſtre bel eſtomac l'ire
& l'orgueil , la feule & vraye occa
fion que mes vrayes excufes ne font
pasfi bien receües enuers vous com
me elles deuroyet . Reiettez les donc
arriere : car ie ne vueil pas eftre en
voftrefouuenir par le moyé de deux
-fi cruels miniftres : & lors que vous
aurez banni deux fi grands ennemys
depaix, & de pitié, vous cognoiftrcò
puis apresfiie vous ayme & adore.
dequoy vous ne pourrez auoir aucu
ne cognoiffance, pendant qu'ils au
ront en main le gouuernement du
freinde voftre courage. Iedemeure
en attendant la confirmation de vos
ftre grace, laquelle ie ne perdray ia
mais à mon occafion , ny par voſtre
defaut,que la vie nevienne à m' aban
Edonnerincontinent.
F L'Amant
82 LETTRES

L'Amant lonë la beauté defa Dame,


dont il eft ioyeux & triste.
LETTRE XIX.

E ne iamais que la vie du


I cher enfant apportaft tant de ioyc
à la piteuſe mere ( bien qu'elle en
mouruft ) laquelle peu auparauant
auoit tant refpandu de larmes par
cruels rapports & faulfes nouuelles,
comme l'en reçoy à l'occafion de vo
ftre excellente beauté , que les aftres
fauorables me permettent de con
templer maintenant. Parquoy vous.
pouuez penfer qu'il me feroit defor
mais impoffible de pouuoir en vo
ftre prefence manifeſter & monftrer
depeinte fus moviſage la trifteffe de
madouleur,qui à l'apparition de vo
ftrefainct obiect ne s'efcarte moins
nuë en l'air,agi
de moy , que faict la nue
teeparle foufflemet violent de quel
que
AMOVREVSES. 83
que gros vent impetueux : ainfi ne
print elle la fuitte , carfi ie la fen
tois en pleurant & foufpirant , elle
me contraindroit à vous manifefter
quelle eft favehemence , qui vous
rendroit ( peut eftre) vn peu plus pi
toyable & humaine.Ne penfez donc
que len'endure tel & fi afpre tormét
qu'il eft poffible à homme de fouf
= frir & endurep : combien que vous
n'en pourriez auoir nulle cognoif
fance, veu que vous ne me fçauriez
voir autre que ioyeux,telle & fi gran
de rigueur reçoit ma foible vie par
leplaifir, que luy caufe la douceurde
vosregards. Now!

L'Amantcontinue à louer la beauté


de fa Dame.
eidsid .
LETTRE XX.
thats
Ombienferoit il meilleurpour
C moyfi vous cognoiffiez parfait
F 2 te
&
84 LETTRES

Atement lavertu & force grande de


vos regardz: car parauanture tirant
de là quelque cognoiffance de ma
douleur, vous prendriez à chef de
quelque temps pitié de ma vie : mais
au contraire,ilvaut beaucoup mieux
que vous l'ignoriez: car facilement
renouuellant l'exemple du tresbeau
& trefcruel Narcis , vouspourriez fi
fortvous enflammer en voſtre ange
lique beauté , que puis apres le reti
rer vousenferoit impofsible. Dont
ie perdrois encore par cela ce peu
d'efperance,que memaintientenvie
à fi grande peine . Mais s'il fe pou
uoit faire qu'efchapifsiez incontinet
de ces dangers , on pourroit , bien
fouhaitter qu'efprouuifsiez le mal
heur de femblable aduenture: á fin
que fifsiez l'effay par quelque temps,
comme vit mal- heureufement ce
luy , qui ayme & n'eft aymé. Mais
$ 1
pour
AMOV.REVSES. 85
pourquoyne le croyez vous fans ve
nir à enfaire preuue , me voyant par
cela feulement n'auoir , & ne tenir
deformais autre chofe d'homme, ſi
non la feule & encor debilevoix, qui
neceffe iamais d'appellermort ou pi
ttié, encore que de l'vne & de l'autre
elle foir fourdement entendue? O
1 bien-heureux yeux , ains foudre in
uifible d'Amour , las pourquoy , tout
ainfi que vous eftes prompte à ma
naurer & à foudroyer le cœur , ne
regardez vous aufsi quel maffacre
Na faict de moy voftre cruauté ? pour
quoyn'auez vous mercy de mes don
leurs? levous coniure par cefte ver
tu infinie & extreme beauté laquelle
a efté du ciel refufee à tant de Sie
cles pour vous en faire vu trefriche
prefent, & par cefte ardantefoy que
ie vousfçay voir en moy, auec vne
fi grande merueille , qu'ilvous plaife
F3 dorel
86 LE TITRES

dorefnauant tirer ceſte pauure ame


miferablement affligee de mort ou
de martire.
VnAmantfe veut laiſſer mourir,pour
la crnauté defa Dame.
LETTRE XIIII.

L'Ay teceu ce matin voſtre lettre,


par laquelle i'ay cogneu vostre
cruauté iournellement s'enuenimet
deplus en plus à l'encontre de moy.
Ne voulez vous pas croire la gran
deur du tourment que l'endure par
vous?affeurez vous qu'encore le ciel
permettra queme rendiez à la mort,
les larmes & foufpirs que vous tirez.
en vie à fi grand tort de mon efto
mac & de més yeux.Et confiderant
plus d'vne fois l'ennuy merueilleux
que m'auez faict , & auquel vous me
detenez iournellement, puis en pen
fant à ma fermeté &fidelité, icne pé
fe
AMOVREVSES. 87
fe point qu'il ne vous viene enuie de
vous tuervous mefme. Ie ne vous
vueil dire autre chofe , finon que des
maintenatie m'appareille &mefou
metz à donner accopliffement à tout
voftre vouloir,lequel n'eft autre(à ce
que ie puis comprendre) finon que ie
1 3
meurebien toft. l'ay veu là où ( me
niant le temps & le lieu auquel ie
vouspuis parler)vous me raméreuez
que ie vous ay refcrit mille fois &
plus , qucie tien à douceur l'endurer
pour vous toute amere douleur:mais
cela me femble pluftoft aduertiffe
3 ment de cruelle que de fage , neant
moins vous prendrez pour reſponſe
ces miénes petites rhimes (puis qu'il
vous a pleu me cómáderque ie vous
cnuoye)qui vous donnerontà enten
dre l'occafion par la quelle ic procu
re diligemment queme faciez ioüyf
fant devoftre ayde & fecours.
F 4 SON
L
983 SONNET.

Damegentile, alme,plaifante & belle


Ieprenpour vous le malfi doucement
Que telle aigreur m'eft pour conten
tement, 91V 3

Etfi parfois vostrefecours i'appelle


C'est d'vnepeur quifroidementmartelle
Le cœurplonge en telleperplexité:
Craignat que toft du mali'extremité
Neluy enuoye vne attaintemortelle.
Peum'eft la mort, mais tropgriefd'ab
fenter
Si toft l'obiect qui vient reprefenter
Tout ce de beau que le Ciel mefme
enuie.
Etfipouuois heurepar quelquefort,
Commele Phenix reni re apres ma
* mort, A
Plustoft la mort chofirois que la
pic.
L'Amant
AMOVREVSES. 89

L'Amantcontinue enplus extreme


douleurpour donner ioye defa
mort à fa Dame.

LETTRE XXII.

E ne me fouuien point que me


Iayez iamais donné fi,douce & io
yeufe occafion de vous refcrire, pen
dantque i'eftoisetrvoftre grace, com
me voftre dure cruauté maintenant
me la prefente :à laquelle ieme fens
par cela tant redeuable , que ie ne
vueilauec pleur ny prieres , cercher
chofe dont elle ne refte plainement
P fatisfaicte de ma vie. levous refcry
trefioyeuſement ( ingrate Dame)
pour-autant que ie fçay certainemét
vous donner la meilleure & plus ag
greable rouelle que receures ia
mais:qui eft la certitude de ma mort,
quevous attendiez auec fi grand de
fir.Voicy les derniers accens & fouf
FS pirs
50 LETTRES

pirs , lefquels ie vous enuoye : vous


priant & coniuraut par l'allegreffe
que vous aurez de ma mort , qu'il
vous plaife , aumoins m'ottroyer
tant de grace à ceft extremepas , de
me faire veoir appertementvn figne
du plaifir que vous fentiez occulte
ment:àfinqu'auec cefte remembran
ce mon efprit qui defcendra aux En
fers (& non àautre occafio que pour
vous auoir adoree pourfavraye ido
le)puiffe parer à tous les tourmens
qu'on luy pouurroit là basfaire dou
Toureufement fentir. Vous affeurant
que non feulement le fouuenir de
vous auoir compleu en celte vie
l'alegera de toute peine,
mais ferafuffifant de
le maintenir en
parfaicte
lieffe.
*

L'Amant
AMOVREVSES. 91
L'Amant defire vn regard deſa Dame,
pour luy restituer la vie.

LETTRE XXIII .

A dame , voftrepitié fe pour


12V Mroit faire voir eftendre beau
coup plusloing de me laiffer mou
rir , fans courtoylement mefaire di
gne d'vn feul de vos regards , que
mefecourant par iceux en mon ex
treme neceffité , vous vinffiez à me
retenir en vie , pour me priuer puis
apres par vn filong temps de voftre
angelique veuë. Car par le moyen
d'vne feule , i'euiterois mille angoif
feufes mors , qui me plongent au lac
de tous fafcheux ennuis , tous les
iours queie demeure fans vous voir.
Pourquoy eftes vous fi auare de ce
dont le Ciel s'eft monftré tant libe
ralen voſtre endroit? Craignez vous
par-aduenture , d'eftre defrobee ào
Vous
92 LETTRES

vous-mefme? lefuis bien affeuréque


rien ,fors vous,ne vous peut eſtre en
ce monde aggreable, & que non fans
cauſe vous eſtes tref ialouſe de vo
ftre celefte beauté. Mais en quelle
parties'en fent elle diminuee, ou bie
offencee,fiautruy en prend vie?Rien
moins , helas, ains pluftoft pourmon
plus grand malheur elle fe maintiet,
&augmenté en mes l'armes,tormés,
& ennuys. S'il eftoit ainfi , ô fortu
nez pleurs, ô bien- heureux fanglots,
ô tref. douce douleur. Ieferois bien
auffi transporté & hors du fens de
penfer qu'vne choſe diuine vinft à
prendre nourriture & fe paiftre du
dommage d'autruy. Mais pourquoy
le faictes vous donques , Ma-dame?
pour-autant que vous tencz fi peu
de conte de mon torment , que vous
pourriez adoucir&aleger par vn feul
regard de vos rians yeux.le croyMa
dame,
AMOV
AMOVREV SES. 93
dame , que vous eftes extremement
defireufede ma mort , & que fim a
uez fecouru fur le point que l'eftois ,
pour vous enfaire paffer l'enuie , ç'a
efté pluftoft par le moyen de mon
heur ougrád malheur qu'à l'occafion
d'aucune pitié , ou compassion que
vous ayez prinfe de ma douleur.

Vers amoureux.
&

Yeuxferenement beaux
D'amour les clairs flambeaux,
ParcestefplendeurJain&te,
Dont le Soleil d'autant oupluspaſſez
Quefon rayondes astrescompaffez
Rend la lumiere esteinte,
·Oyezvnpeu maparole non feinte.
Si vous auezde me voir viure enuie,
Secourezmoy:carie me Jensauoir
Tant de tormens ,par toufioursne vous
voir,
Que
·
24ま LETTRES

Queplus que mort m'eſt amere la vie,


Maisfinement tafchez
De vous tenir cachez,
Sansiamais apparoistre
Si vousauez couſtume de nature,
La mort d'autruy prendre pour nourri
ture:
Carpourmes maux defcroitre,
Auec ma mort contens vous feray
estre,
Lors au milieu des amoureux efprits
Iraychantant, voulant madestinee,
O de mes iours doucefin terminee,
Puis que lamortpour vous mourir m'a
pris.
L'Amy confolel'amye efploreepour
auoirperdu la commodité de
leurs plaifirs.
LETTRE XXIIII.

Ncore que ceft inconuenietayt


E efté le plus douloureux de tout
ceux
AMOVREVSES. 25
ceux qui nous euffent peu furuenir,
ie vueil,toutesfois , quenous en ref
iouyfsions :comme par cela certains,
que fortune ayt deformais employé
fur no'l'extreme effort de toutes fes
puiffances, & qu'elle nous a mis fi au
bas de fon inftable roüe, qu'il faudra
malgréfon courage , qu'elle nous re
tourne au plus hault d'icelle. Certai
nement nous ne pouuions receuoir
d'elle plus grandoutrage,ny defplai
fir au moyen dequoy nous nous
pouuons affeurer d'auoir fupporté
tout le faix de fon trefnique pou
uoir. Parquoy(madame) prenez bon
courage , & file Ciel nous a ofté ſa
commodité d'vnlieu tant feur & pro

pice à nos plaifirs, ie donneray ordre.


àceluy,duquel ie vous ay referit au
trefois , quine nous viendra moins à
propos. Et que cela doiue aduenir,
prenez en de cecy ferme efperance
&
96 LETTRES

& argument: qu'auant que nous euf


fions ce lieu,que nous auons mainte
nant perdu ,nous eftimions eftre im
pof ible entre nous d'y pouuoir ia
mais paruenir,toutesfois nous y trou
uafmespeu dedifficulté.le veux dire,
que toutfepeut obtenir, & ſe doit eſpe
rer.Parquoy , vie de ma vie , mettez
fin deformais à ce long lamenter , &
pardonnez à la belle cheuelure , le
peché de la Fortune. Vous fçauez
que ie ne voulu iamais permettre , ny
fupporter, que m'appellifsiez Sei
gneur , mais maintenant ie fuis con
tent de l'eftre,& auec cefte authori
tévous commande d'obeyr à ce que
ie vous made.Et ne penfez pas,pour
tant , que j'en doiue feulement rece
uoir ce contentement que i'en auray
pour vostre refpect : cariefuis pour
en prendre tout autantpour mon ef
gard : puis qu'il n'y a chofe qui me
puiffe
AMOVRE VSE S. 97

puiffe caufer plus grand tourmet, q


devo'voirfafchee & ennuyee.Vous
defifterez donc ( fivous m'aymez )
de cótinuer en tels pleurs & gemif
femens.Faites le(ma vie)& confi
derez puis que la terre vn peu au
parauant entierement couuerte de
gelee& tresfroide neige , fe efgaye
maintenant en la diuerfité des fleurs
& verdures,dontelle fe monftre no
blementaornee, que le cielnous gar
76 de encorevne primeuere,pour nous
folatier.

VnAmypromet à fa Dame de luy


garderfon bonneur.
LETTRE XXV.

I l'Amour & reuerence qu'àbó


S droictievou
&F s porte,fut moindre
d'vnefeule dragme (ma Dame) vous
auriez bien occafion , & ne feroit
pas mauuais , queme recommandif
G Gez
28 LETTRES

fiez voftre honneur par toutes voz


lettres , comme vousfaictes. Car ie
vous affeure qu'il eft beaucoup plus
difficile de tenir fousfiléce telles ad
uentures , que de publier quelques
mefchancetez , qui ne peuuent ap
porter quant & elles , finon mort ou
vergoigne: & fe doit l'Amante efti
mer redeuable à l'Amantplus par ce
filence , que par toute espece de fer
uitude , par laquelle il fe puiffe faire
cognoiftre amy puis que toutes noz
œuures ne tendent qu à nous rendre
admirables. Dont n'ayant chofe qui
peuft mettre enapparence plus gran
de merueille de moy,ny qui me tour
naft à plus grade gloire & honneur,
que de faire cognoiftre au monde
pourceluy qui a pcu trouuer lieu en
voftre grace , ie ne donnerois occa
fionfeulement à vn chaſcun de grá
deadmiratio, mais de mefaire efti
mer
AMOVREVSES. ;
99
mer doüé de vertu finguliere , & de
parfait entendement : iugeans par
cela que vous(qui eftes l'excellence
de toutes les excellences ) m'auriez
faict capable de fi grande faueur: &
ainfi prenans la chaffepour les reli
ques, i'en demeurerois glorieufemét
honnoré & reueré. Toutesfois , affeu
rez vous que ceſte conuoitiſe d'hon
neur ne pourra non feulement auoir
aucun pouuoir de tafcher en rien qui
foit le bruit de votre bonne renom
mee, ny mafoy : mais encore que je
peuffe , pourpublier ma felicité, ob
tenir la iouyflance de l'Empire vni
uerfel de tout le monde ( qui ne me
feroit aggreable , finon pour vous
honnorer ) que ie ne le ferois. Vous
iurantpari obligation dont ic vous
fuis redeuable , vos commandemens
pouuoir tátfur moy. , queie ie ne l'o
ferois penfer feulemet en moy- mef
G. 2 me
100 LETTRES

me. Aumoyen dequoy ie viens à en


perdre tant, que fi i'en pouuois au
tant acquerir, peut eftre que ie ne
voudrois fouhaitter autre paradis.
Repofezvous en donc affeurement
fur mapromelle & fidelité : viuant
ioyeuſement en toutes vos penfees.
Carayant receu telle grace de vous,
pour m'auoir toufiours eu en eftime
d'hommefecret , ie ne fuisfeulemét
tenu auoir le taire en recommanda
tion de ce que me commandez ne
diuulguer,mais encore à prier leciel
de mefaire deuenir muet,pour vous
rendre plus affeuree.

VERS AMOVREVX.

Puisqu'elleveut & qu'elle en a mafoy


Quecele à tous l'heur de ma iouyßäce,
Aumeins,Amour,dy qu'on n'euft co
gnoiffance,
Onc
AMOVREVSES. 101

Oncfous les Cieux d'vn plus heureux


que moy.
Mais qui feit oneapprouche
Dedeux fi belles mains ?
Quidetous les humains
Baifa plusdouce bouche?
Ha quel mourircruellement efprouue
Par telceler:dy donc, Amour, à mains
Quefousle cielnulplus heureux fe
trouue.

Vn Amant efirit àſa Dame qu'elle eſt


feule caufede fa maladie.
TETTRE X X V I.
3
E receu voftre lettre fur le foir ,
IFpar laquelle vous monftriez eſtre
fort elmerueillee , de ce que ie ne
vous auois donné aduertiſſement
de ma maladie. Ce queie n'ayfaict
pour autre occafion, que pour ne
vous caufer . fafcherie : non que ie
penfe quecela vous en puiffeappor
G3 ter
102 LETTRES

ter aucune,mais pour autat que vous


voulant deduire par le menu la four
ce de mon mal , & quel ileft , il me
falloit neceffairement dire,que vous
en eftes la feule occafion : dont iene
doute pas que ie n'euffe par ce moye
prouoqué voltre ire à l'encontre de
moy: cachant fort bien que c'euft
efté en vous vn reueille pitié , de la
quelle vous eftes mortellement en
nemie . Face donc mó excufe enuers
vous , voftre cruauté & mon amour:
celle qui vous fait fi fortdefireuſe du
mal d'autruý , que vous vous mon
ftrez ennemie de quicoquesvous de
mandefecours: ceftuy cy qui me fait
baigner en tout ceque ie penfe vous
eftre aggreable:tellemétque i'endu
rerois pluftoft mille morts , q deme
mettre à l'effay de choſe, dot ie vous
péfaffe demeurer offenfee. Icy feray
fin,pour n'entrer en difcours de ma
tiere
-
AM OVREVSES . 103

tiere,le raméteuoir de laquelle vous


caufa defplaifir.
L'Amant offre tout fon feruice
à l'Amante.
LETTRE XXVII.

Atref-amiable maiftreffe , tät


vous daignez par voſtre
modeſtie me nommer plus que di
gne de voftre grace, & moins ofe-ie
mele perfuader:par ce que tantplus
ceſte amiable & gétile humilité, ac
croift en vous la nobleffe & valeur ,
d'autant moindres ferédent tous les
effects qui fçauroyét venir de moy,
fous l'intention de me faire apparoi
ftre enpartie digne d'eftre employé
à voftreferuice. Et ne fuft l'incom
parable amitié que ie vous porte , &
s la courtoisie grande que l'ay touf
T iours cogneüe vous accompaigner,
qui m'affeure de toute crainte , ie
G 4 penfe
104 LETTRES

penferois totalement que vous mo


quiffiez de moy : ce que l'eftimerois
encor pour moy à trefgrand heur, fi
fort ie defire que vous vous puiffiez
feruir de moy en quelque chofe qui
vous foit aggreable. Mon cœur le
fçait,fi ie pren plaifir à vous faire fer
uice, quand ie vous le fei fi volótiers
feruirde butte & de blanc, desle pre
mier iour , que ma benigne eftoille
mefift contépler voftre beauté, dont
il receut plus de mille dards & mille
fleches,fans qu'vne feulefuft iamais
en vain decochee. Vousvousdeuez
donctenirtoute affeuree, que le plus
grand & mieux affectionné de tous
mes defirs eft , de vousferuir en tout
ce que mes forces fe pourront eften
dre:& fur ceft offre que ie vous fay,
ie vous prie me comander , afin que
cefte faueur & plaifir me foit pour
vraye affeurance de ma felicité, qui
nc
AMOVRE VSES. 105
ne confifte autre part, finon en vo
ftre feule grace .

L'Amy ofteles doutes qui caufent


ne ialoufie àl'Amie.
LETTRE XXVIII.

Egardez, ma douce vie,de quel


5 R le puiffance s'emparefur nous
la ialoufie , mais bien pluſtoſt veni
meuſe & incurable pefte : puis que
de la crainte que vous dictes auoir,
queie nevous abandonne, ie deurois
prendre vn vray & treffeur argumét
= de l'amour que me portez , il m'en
J faut malgré moy auoir trefdoulou
3 reuxfoupçon de voſtre foy. l'en fuis
contrainct par le violent effort de
ceft homicide foin , qui m'a mis en
teſte que telles parolles ne prouien
nent aucunement de crainte , que
vous ayez,mais qu'elles font pluftoft
dites & efcrites, pour commence
G 3 ment
RES
j06 LETT

ment de prendre occafion paliee ,


pourreietter arriere ma feruitude, &
n'en vouloir plus : laquelle , quand
ainfiferoit,ne vous deuroit auoir en
nuyee , finon pour eftre trop ardáte,
caute,& foliciteufe. O tref-cruel pé
fer, tu troubles & affliges fi inhu
mainementce miferable eftomac ,où
tu prens naiffance, que tous les tour
ments,qui fe peuuent fentir en enfer
luy feroyét plus aggreables, & beau
coup moindres à ceſte ame infortu
nee. Si i'auois de ma vie feulement
penfé(ma Dame ma maiſtreffe) cho
fe qui euftefté contre les merites de
voftre beauté & gentileffe, certaine
menti'adiouſterois telle & fi grande
foy à ces miennes coniectures , que
i'en mourrois de douleur:maispar ce
que ie me fuis toufiours monftré fer
me & conftant àvous aymer , feruir
& honnorer,ie pren confort en moy
meſme
AMOV REVSES. 107
mefme: & m'efforce de me couurir
& defédre, auec ces armes,de fifiers
ennemis , qui liurent fi chaude alar
me à ceſte ame dolente, qu'à peine la
peut-elle plus fouftenir. le vous prie
ne vouloir eftrereîfôfi , que i'en
dure tant de peines & tormens auec
voz nouueaux doutes , qui font nai
ftre en moy vne trefcruelle crainte
de voftre grace, & qui n'abandonne
ramon cœur, que ie n'aye premiere
met parlé àvous,qui pouuez me fai
re longuemét láguir en ces fafcheux
ennuis , ou bien m'en ietter hors in
continent.

L'Amantrequiert laprefence de la
beauté de fa Dame, en recom
penfe de fa loyauté.
LETTRE XXIX.
Iiene me maintien en vie,finon
S&
de ce peu que ie puis tirer à la
defrobee
108 LETTRES
defrobee decefte douce & angeli

que veûe , pourquoy vous plaignez


vous de moy ? Si ie fay tout deuoir
pouriouyr fouuent de voſtre prefen
ce , queldommage vous en vientil?
Je vous iure unfiny amour qui
m'a rendu voftre captif, que le tor
ment que m'apporte voſtre ſi gran
de & in-vfitce cruauté ne me rend
tant paffionné , comme la peur que
i'ayde vous voir yn iour ( contrain
te parfemblables & trop ameres oc
cafions) repentir fi fort de voftre er
reur,que l'ame vous abandonne , ou
. rompe les lacs, auquel, pour n'auoir
iamais paix, elle fe retrouue fi eftroi
ctementliee. Voyez quelle, & com
bien eft grande mó amitié en voſtre
endroit,qu'auec tout ce que i'endu
re vn martyre , qui n'a fon fembla
ble,ie ne voudrois neantmoins faire
efchange à vn autre plus doux eftat:
bien
AMOVREVSES. 109
bien que finablement force mefera,,
fivousnemettez deformais fin à vo
ftre dureté, car il ne mereste plus rie
auiourd'huy pourme trompermoy
mefme.le nefçaurois plus fuir le pé
fer , qui dans l'eftomac de voftre
cruauté me parle : dont la raiſon en
17 reprent fon accouftumee vigueur.
Helas donnez ordre à cecy, & y pre
nez garde : car ma foy nevous doit
eſtremoins recommandable , que ie
prife & tien chere voftre beauté.

A LA VERTVEVSE DA
moyfelle, Madamoyſelle Gaf
parine Stampe.
L
L'Amoureux confeſſe eſtreſurpris
de nouuelle beauté.
LETTRE XXX.

A trefgentile Dame,fi ie pou


Muois auoir puiffance de me
donner
ΠΟ LETTRES

donner à autre qu'à vous, ie vous af


feure qu'autre que le magnifique M.
A. n'auroit la maiftrife de moy , &
aurois bonne raifon de ce faire : &
de tant plus volontiers , quand il me
cognoiftroit de plus grand prix & va
leur: puis que luy vrayementfils de
la vertu & peredes vertueux,m'a fait
prendre la cognoiffance de V. S. la
tref-belle prefence de laquelle , ac
compaignee de ces rares vertus ,def
quelles on nevous veit iamais, fepa
ree, m'a tout en vn temps , me na
urantle cœur de mille bleffeures, a- ·
eertené & rendu certain d'autant de
doutes qui me molettoyent. Penfez
vous ma trefdouce Dame , qu'on
m'euft par le paffé iamais peu perfua
der,ny induire à croire , qu'vn hom
me peuften vn feul poinct geler &
brufler ?Eftimez-vous que l'euffe ia
mais penfé de voir au monde vne
Dame
A MOVRE V SE S. III

Dame parfaictement accomplie en


toutes les vertus?Croyez vous qu'on
m'euft iamais peu donner a enten
dre que le chant des Seraines euft eu
pouuoir de tirer les eſcoutans hors
d'eux-mefmes ? Certainement non.
Mais des cy en auant ie ne pourray
plus contrarier àcecy : cari'ay efté
du tout acertené & refolu , par le
moyen de vous feule, de qui ie n'eu
pas pluftoft aduifé la fplendeur des
beaux & eftincellans yeux, que ie me
fentyincótinent tranfpercer le cœur
de millepointures: dont par fi fou
dain & vehement affaut demeurant
toutfroid , i'eftois defliberé à vous
demander prompt fecours , fi ie
n'cuffe efte tout à tempsfecouru par
ladouceur amiable d'vn de vos re
gards: lequel amoindrit en ceft in
itant, non feulemét la force de ceſte
vehementefroideur(qui pour fipeu
d'auan
RES
112 LETT

d'auantage qu'elle cuft enuironné


mon cœur eftoit fuffifant àme priuer
de vie ) mais rauiua vne fi grande
chaleur dans mon eftomac , qu'à
peine la puy-ie eftimer moins cui
fante que celle de la plus ardente
fournaife qu'il eft poffible de trou
uer. O Dame fouuerainement ay
mee & fauorifee des aftres , ce feu
eft celuy qui ne fera iamais de moin
dre valeur ,mercy à l'infinité de vos
rares vertus.Qui veit iamais fi extre
me beautéautre part logee ? qui tel
legrace?qui fi douces manieres ? qui
ouyt iamais le fon de fi douces &
fouefues paroles: & qui fentit iamais
vn fi haut cóceuoir?Que diray- ie de
cefte voix angelique , qui toutes les
fois qu'elle fe defploye & iette gaye
mét en l'air auec fes diuins accords,
rend vne telle & fi douce harmonie,
gelle ne faitpas(en guife de Serenes)
emparer
AMOVREVSES. 113
emparer le frere de la mort de tous
ceux qui fe trouuent dignes de l'heur
de l'efcouter:mais vient à animer les
plus froides pierres , qu'elle fait lar
moyer par fon extreme douceur,
Vous vous deuez donques affeurer,
tres-belle & tref- graticufe Damoy
felle Gafparine , que tous ceux lef
quels regardent la perfection devo
ftrecelefte obiect,auec vous diuines
qualitez ,vous doyuét demeurer per
petuels feruiteurs d'entre lefquls,
bien que iefoy par aduenture le plus
indigne en vertu ,ie nele feray pour
tant en amitié , vous promettant des
icy en auant de vous en monftrer
trefclair & certain indice , en
tout ce que ie penferay
pouuoirfaire chofe
quivous foit
aggrea
ble.
H LA
114 LETTRES !
L'Amoureux estime lamortfin des
paßions defonamour & de
toutes autresmiferes.

LETTRE XXX I.

A maiſtreffe , te fuis affeuré &


Mle côteffe,de ne porter fi dou
loureufement l'infortune de votre
doux & cher enfant que ie deurois,
par le torment que vous en endurez.
mais en cela, mepeut feruir d'excufe
voftre dureté , au moyen de laquelle
ie ne peux iamais fçauoir quevaut la
perte de chofe de contentement,veu
que par fa faute ie ne me vey onques
receuoir devous autre chofe ,finon
tropgrands martyres & cruelles paf
fions.Dont n'ayant eu au parauant à
cefte occafion aucune cognoiffance
de bien , ie ne fçaurois confiderer la
paffion qu'on fupporte pour en eftre
priué. Ce qui m'empefche & ofte
grande
AMOVREVSES. IIS

grande partie de la douleur qui m'en


aduiendroit par voltre efgard,quand
vous vous feriez monftree courtoife
en mon endroit , aumoins de quel
que acte pitoyable feulement. Par
ainfi ma vie s'eft toufiours trouuee,
par voftre moyen , miſerablement
efloignee de tout bien & contente
ment.A quoy voulant bien diligem
ment confiderer ,vous y trouuerez
peut eftre, le plus fingulier remede
qu'il eftpoffible d'auoir pour appai
fer le dueil de vos trifteffes : pour
autant que viuant , il eſtoir ſouſmis
au mefme danger , auquel ie * fuis
maintenant reduit : ce que luy ad
uenant , comme , il n'en faut point
douter d'autant que les flammes
d'Amour font ineuitables ) il luy
euft femblé plus durà le fupporter,
que mille mors en vne heure mef
me. Maispourquoyvoy- ie accufant
H 2 mort
116 LETTRES

mort ,faſcherie , peine ou tourment


quandie ne puy imaginer chofe qui
me caufaft plus grand contétement,
Pelle ne feroit , en exerçant fur
qu'elle
moy le deuoir de ſon office ? & qui
melafaict loüer fi froidement , s'il
eft affez certain , que c'eft lafin de
toutes les miferes ? La mort( mada
me ma maiftreffe ) u'a pas efté feu
lement tenue pour chofe douce , &
defirable par ceux qui ont paffé le
cours de leur vie en toute mifere &
defefpoir, mais par les autres , qui
pour le repos de l'efprit ne pou
uoyentfouhaitter plus grand alege
ment en l'eftat auquel ils fe retrou
uoyent. Obien-heureux ceux , qui
ainfi apoint ontaffrachy vn tel pas,
pour quitter ce monde. Tref-heu
reux ,certainement , & bien cheris
du ciel : quand à peine eftans parue
nus , ou ayans les yeux ouuers ,aux
miferes
AMOVREVSES. 117
miferes & calamitez humaines,qua
fi comme vrays Angesfendans l'air
auec leurvol eflé , font incontinent
retour à celuy qui les enuoya ça bas.
Quel plus grand , ny euident figne
pouuiez vous receuoir du Souuerain
Facteur , par lequel vous vous peuf
fiez affeurer d'eftre en fa grace , que
ceftuy-cy? Puis qu'il vous a manife
ftement donné à cognoiftre qu'il a ,
bien voulu aorner & remplir lesfie
ges bien-heureux par voftre moyen ,
& a bien voulu tant aymer & cherir
cefte fiennefacture , qu'il n'a permis
qu'elle vint à peine , fentir le moin
dre coup des outrages du monde.
Confortez vous donques , & remer
ciez iceluy qui l'a daigné reprendre.
auant que fon net efprit fuft peruer
ty & fouillé par la malice.'e ne par
leray pas des peines qui s'efprouuent
iournellement en celte deteftable &
H } mon
118 LETTRES

mondaine priſon : car ie fuis bien af


feuré que la cognoiffance qu'en a
uez n'eft moindre que celle, laquelle
ie me fuis peniblement acquife : ie
vous dirayfeulemét que nous, com
meprefages dicelles, ne fommes pas
quafi nez , que commençons par
pleurs & gemiffemés noftre mifera
ble vie , laquelle eft par continuels
tormens fi fort troublee & agitee,
que pourautre occafion le blanc Cy
ne ne fe meta chanter à fa mort ,li
non pour le voir eltre arriué à fa fin.

A TRESVERTVEVX ET
GENTIL M. но
race Vecelio.

Vngentilhomme remercie vn pein


tre de luy auoir monstré le
pourtrait d'vne
Dame.
LET
AMOVRE VSES. 119
LETTRE XXXII.
HORACE, i'ay veu la tref
M belle pourtraiture de ceſte
cruelle , qui m'a deformais- rendu
vray pourtraict & ymage de la mort.
Certainement plus haut fubiect ne
pouuoit arriver entre vos mains,
que ceftuy , par lequel vous cuffiez
meilleur moyen de mostrer au mon.
de combien le Ciel vous fauorife:
car autre que celuy , auquel il feroit
liberal de fesgraces & courtois s'ef
forceroit vainemét auec tout ce que
peuuent lesforces de l'efprit humain
T à imiter les traits de fa diuine beau
té , & luy faire retenir cefte naïve
té qui eft tant familiere à la grace
dont elle eftilluftree, lesquelles deux
chofes vous ayez fçeu auec vne fi
grande excellence & fiau vif repre
fenterfur ce peu de toile , que qui en
meſme temps & heure viendroit à
H 4 con
120 LETTRES

contempler le naturel & l'imité , ie


fuis affeuré qu'il ne fçauroit difcer
ner le vray d'auec le feinct. Et vous
jure par l'amour d'entre nous, qu'au
tre choſe ne m'afait apperceuoir de
P'herreur en quoy vn chafcunferoit
deceu , finon que pour ne trouuer
en fes beaux yeux l'orgueil accouftu
mé ,feul figne qui me donne la co
gnoiffance d'elle , car iamais elle ne
me voulut complaire d'vn feul re
gard bening feulement ; bienque ie
aye compleu à fa dure cruauté par
vne mer de l'armes & d'autant de
foufpirs. Quand vous m'en ferez la
copie, alors ie vous en remercieray:
mais non pas comme me fentant par
cela d'auatage voftre redeuable que
je fuis à prefent , & pour deux rai
fons.L'vne, pour autant que l'amour
quele vous porte ne m'a laiffé choſe
dontvous ne puiffiez difpofer. L'au
tre
L
AMO VREVSES. 121

tre à caufe que vous auez defia fort


bien accomply ce que i'efperois de
vous, par femblable peinture :à fça
uoir pour m'auoir vengét accomplif
fant icelle par plus grande perfectió)
de la Nature , laquelle pour ma per
petuelle douleur , eflargir fi peu de

pitié à vne tant belle dame . Viuez
heureux , & me ramenez fouuent en
voftre fouuenir.

L'Amyfedeult qu'en fa dame n'y a


aucune pitié,& la requiert
du don de mercy.
LETTRE XXXIII.

'Amitié que ie vous porte eft fi


m'eft
beaucoup plusfafcheux me plaindre
de vous , que l'occafion que men
donnez ne m'apporte de douleur.
Mais ie nyfçaurois faire autre cho
fe , puis que Fortune toufiours en
HS uieuſe
122 LETTRES

nieufe fur laprofperité d'autruy, m'a


toutné & abbatu auplusprofond de
fon inconftante roue. Ce qui me
femble d'autant plus dur & eſtrange
à fupporter , quand moins ie le crai
gnois ou pouuois meriter , & tou
tes les fois queie vien à confiderer
P'heur, que ie mefuis veu d'eftre plus
que nul autre aduancé à la cime d'i
celle. Car & foyez en affeurce)
tádis que ie mefentoy' auoir la meil
leure part en voftre grace , ie me re
putois iouyr d'vne fi grande beati
tude , que ie prins bien la hardieffe
de penfer, non feulement les mor
tels , mais les efprits celiques auoir
occafion d'enuier mo eftat: & main
tenant , pauure moy , ie me fens re
duit à telle extremité , que de por
terenuie au plus malcontent hom
me de ce monde , par la faute de vo
ftre ingratitude , laquelle me range.
iuf
AMOVREYSES. 123

iufques au point de croire,qu'il n'y a


= pitié fus la terre , ny iuftice au ciel..
Quant à la pitié, ie puis bien vraye
ment croire que le monde en foit
priué, puis que ie voy vne tant fage
& valeureufe dame en eftre totale
ment efloignee. Or que iuftice ne
regne point au ciel , ie le puis fem
blablementdire, quand ie voy fi lon
guementdifferer la fentéce des dieux
fur vous , qui les auez tant & tant
de fois pariurez. Ne vous fouuient
il pas combien de foisvous m'auez
iuré & promis parleur fainete Dei
30 té,de ne vous monftrer iamais re
belle en mon endroit ?Helas ma da
me , gardez de prouoquer fur voftre
iniquité lire de qui peut ce qu'il
veut : & vous fuffite de la douleur
quim'a triftement accompaigné iuf
ques à cefte heure,fans vouloir qu'a
uec voftre trefgrád & eminent dan
ger
124 LETTRES

ger le ciel permetre que ie vienne


å en fupporter vne trop plus gran
de : qui fera la continuelle crainte
que les dieux , quelquefois miferi
cordieufement entétifs à la langueur
de mon martyre,ne reduifent en me
moire le peu de crainte qu'auez euë
de leur diuinité, & combien inique
ment vous les auez eu en mefpeis.
Etquand bien encore mon cruel de
ftin permettroit que mes trauaux
ne vous peuffent rendre pitoyable,
& que voz pechez ne vous eſmeuf
fentà crainte:rangez vous au moins
à medonner fecours pour le feul ef
gard de voſtre profit : pour autant
qu'apres que vous m'aurez donnee
la mort , vous ne trouuerez plus qui
nourriffe de pleurs voftre felon &
cruel vouloir , qui ne fe paift d'autre
viande. Car tout homme fera, fi non
plus fage , au moins mieux fortuné:
d'au
AMOVREVSES. 125
d'autant qu'il fe gardera bien de ſe
donner en proye àqui pourroit fai
re maffacre de luy comme vous eſtes
accouſtumee faire de moy à toutes
heures. Mais , que ma foy , ma fer
uitude , l'extreme amour , qui con
tinuellement à voftre occafion m'en
flamme le cœur , meferue au moins
de quelque chofe : ne comportant
que qui vous adore , ferue au mon
de d'exemple de toute mifere. Don
nez donc aide dorefnauant ( Ma-da
me )àceluy qui en a grandement af
faire , & le pluftoft que vous pour
rez:car en faifant autrement , vous
pourriez paraduenture , trop
tard pitoyable à mes en
nuys, pleurer ma
mort & voftre
*cruau
té.

L'Amy
126 LETTRES

L.Amy rendgraces à l'amye de la cour


toifie dont elle à fé enuersluy.
LETTRE XXXIII I

Es le iour que ie fus acerrené


D par daine E. del'incompara
ble beauté & courtoyfie qui vous ac
compaigne , l'ay toufiours efté com
battu de deux penfers : l'vn defquels
me commandoit le taire , pour n'a
uoir aucune familiarité auec vous:
l'autre ( comme il eſt raiſonnable)
vouloit que je vous remerciaffe de
l'honnefte graticufeté , de laquelle il
yous a pleu vfer en mon endroit.
Donten fin i'ay quitté a ceftuy - cy la
victoire fur mon ame , arreftantà
part moy qu'il mevaudra mieux met
tre au hazard de me monftrerhardy,
quevillain & mal courtoys. Car ad
uenant que ie n'euffe que dire fur
I'vn de ces deux , ietrouuerois àlau
tre
AMOVREVSES. 127
tremille raiſons fur le champ : Que
quand vous m'appellericz temerai
re, ie vous pourrois reſpondre & fai
revoir quetant s'en faut qu'en cecy
i'euffe vfé de temerité , car ie me

pourrois vater à bon droit d'y auoir


procedè auec vne trefgrande vertu.
Pource que tout ainfi qu'on nefçau
Croit auoir l'experience de plus grand
vice , ny qui foit plus odieux à Dieu
que d'ingratitude : aufsi n'y a il plus
grande vertu , ny qui foit d'auanta
ge aggreable à la Diuinité, que lafou
uenance des plaifirsreceus , & les re
cognoiftre par efgale recompenfe:
bien qu'il mefoit à iamais impofsi
ble d'accomplir ce dernier point icy,
- en tant quele deuoir le requiert , d'au
tant que le merite de l'amiable cour
toifie de laquelle il vous a pleu vfer
en mon endroit , eft de fi grande
eftendue , que quand l'auray faict
en
128 LETTRES

en faueur de vostre plaifir tout ce


que ie pourray , iufques à l'extre
mité,encore n'auray- ie accomply la
miliefme partie de ce à quoy ie fuis
obligé encore que celuy ne doit
craindre qui s'efforce de faire ce qui
eft en foy.Eftimez donc que ie vous
demeureray à perpetuité redeuable
& feruiteur ( mercy à l'infinité de
voftre cortoific(tant par obligation,
comme auffi par expreffe electió de
vos rares vertus & beautez diuines
& incomparables. Donques foyez
contente de me faire digne de vo
ftre grace , & me commandez , à fin
que ie vouspuiffe faire voir, en vous
feruant, que ie n'en fuis totale
mét indigne:en figne de
quoy ie vous baife les
deux mains , en
toute reue
rence.
35
J
L'Amy
AMOVRE VSES. 129

L'Amyfent allegreffe de ce que


Amie luy aefcrit.
LETTRE XXXV.

Enetafcheray iamaisà vous rac


Icoter l'allegreffe que m'a cauſé la
lecture devoftre lettre pource que ie
fuis autant certain de me trouuerin
et capable à le faire, commeie fuis af
feuré d'eftre foible à la fupporter,fi
lefouuenir du malheur,quinousfur
uint à l'effect de noftre deffein ne la
rendoit moindre: Si eft-ce que auec
tout cela ie ne mefçaurois encore
garderque ie n'é demeine telle ioye,
qu'elle feroit fuffifante pour m'ac
querir,d'vn chafcun qui me verroit,
Feftime & reputation de fol , alors
que ie me doute moins d'eftre ap
perceu. O quantefois (ma vie ) ay
ie releu, ce qui eftoit escritfus cefte
heureufe carte que me mandaſtes
I Lundy
30 LETTRES

Lundy, penfant en errat m'eftré de


çeu. Combien fouuentay- ie crainc
defonger, & de n'eftre celuy auquel
s'addreffoit l'heur d'vne fi grade ad
uenture:puis m'en tenant allez affeu
ré , l'ay eu peur que le Soleil ne de
meuraft immobile , ou bien pour le
moins,qu'il ne feiſt fon mouuement
filet & tardif, que ces trois iours en
trepofez à ma felicité ne deuiennét
ans: combien qu'en toutesfortes ils
ne me fçauroyetfembler autres:tant
ardant eft le defir,auec lequel i'atten
qu'ilsfoyentcoulez. l'ay donné vn
tresbon ordre à nos affaires , & fuis
de meilleur courage que ie ne fusia
mais:& bien que l'affection que l'ay
devous parler foitextreme, ce qui a
de couftume n'apporter petite crain d
te à celuy qui attend en grande de
uotion,ie ne doute,pourtat, que no¬
ftre proiect ne vienne á fortir tout.
tel
AMOVREVSES. 131
tel heureux effect , que nous le defi
rons.Dot de cefte affeurance ie pren
argument,que noftre penfee nefera
vaine: & d'autant plus certainemét,
quand l'autre fois , alors que moins
ie deuois craindre , pour fçauoir le
terme eftre plus court , & par mille
autres raiſons , tant s'en faut que ie
vinffeà fentir l'allegreffe qui à pre
fent me fait compaignie , que ie ne
pouuois mefmes retirer mon cœur
des triftes penfees qui les venoyent
inceffamment molefter , ce qui me
fut vn certain prefage du malheur
aduenir , encore que ie n'en euffe
pour lorsaucune cognoiffance. Vi
uez donc ioyeuſement(mon foulas)
& vous tenez toute affeuree , quoy
qu'il enfoit,que nous nous parlerons
bien toft:comme nous l'auons touf
iours defiré.
I 2 Vn

ff -
132 LETTRES

VnAmant afferme quefa ialoufiepro


cede de la tropgrande beauté
de s'Amie.
LETTRE XXXVI.

E matin i'ay receu voftre let


CE tre,& enſemble entenduparle
moyen d'icelle, l'aigre reprehenfion
que mefaictes pour eftre fi ialoux
de vous. Ah(mon efperance ) quand
vousconfidereriez bien l'amitiéque
ie vousporte, vous nevous trouve
riez aucune occafion de me repren
dre:carparcela ceſtevertu qui pro
uientdevos regards, vousferoit ma
nifeltee,lefquels font fuffifans pour
enflammer la glace mefme. Et dece
cy , mon cœur en peut prendre tef
moignage de foymefme: lequel s'e
ftát remparé d'vn fort de pierredia
mantine, prifoitalors bien peu les
flaches amoureufes : & mefmes en
auoit
AMOVREVSES. 133
auoit rebouché plus de mille , fans
qu'aucune d'icelles luy peuft faire.
aupar-auant la moindre ouuerture
qui foit, quãd ilfe fentit en cét lieux
mortellement nauré , ayant à peine
regardé le plaifant regard de vos
doucement rians yeux. Commét ne
2 voulez vous donc que ie craigne
qu'vn autre,efpris de voſtre grace &
honnefteté en procurant fon reme
de,ne viennerauir la medecine dont
defpend le feul falut de mes playes?
Ahlumiere demes vœux , encore que
t
T les
neesarres, lefquelles vous&m'auez
pourtelmoignage feuretédō
de

voftre amourfoyet telles,qu'elles ne


medeuroyent laiffer aucune apparé
ce de douter à perdre vostre grace,fi
eft-ce qu'il y a vne infinité d'occa
fions , qui me couurent de la repre
henfion ,qui me pourroit encourir,
pour la crainte que i'en reçoy. L'vne,
13 pour
134 LETTRES
pour vous trouuer de telle beauté
qu'elle doiue eftre par vn chafcú af
fectionnement defiree , & aymec.
L'autre , pourautant que c'eft chofe
naturellemétpropre à toute perfon
ne d'eftre auare & ialoux de ce , qui
s'acquiert auec labeur & fafcherie
extreme.Orqui acquit iamais chofe
auec fi grande peine, que m'a efté la
conquefte de voftre amitié , ny auec
fi grandtrauail de corps & d'efprit ?
& qui refpandit iamais tant de lar
mes,qu'elles euffent efté fuffifantes à
former vn lac trefprofond ? Puis,qui
croira , que le vent de mes foufpirs
euft peu par faviolence enfler lavoi
le de tout grand vaiffeau?Vous ne de
uez donc trouuer eſtrange ( mon a
me)nyvous efmerueiller fi ie fuis ia
loux de tel threfor, que ie vous efti
me:& fi ie vous ramene fouuent au
deuant mon amour & ma foy : qui
Vous
AMOVREVSES. 135
vousdeuroitfort affectioner en mon
endroit, car ces deux chofes fe trou
uent enmoy parfaictes , fans com
paraifon.le ne vous diray autre cho
fe pour cefte heure , fino que ie vous
prie de regarder & trouuer par quel
moyen ie vous pourray parler , &
paiſtre mes yeux tant defireux de la
douce veie de voftre prefence, que
la longueur d'vn tel ieufne leur eft
: tant fafcheufe,qu'à peine la peuuent
I ils plusfupporter.
L'Amy remonftre à l'Amie qu'il ay
meplus fon bonneur que
Sa propre vie.
LETTRE XXXVII.

Atref-finguliere Dame, enco


M reque les occafions qui m'ot
incité à vousporter amitié & adorer
ainfi reueremment que ie fais , foyet
infinies,fi eft-ce qu'entre vn fi grand
1 4 nom
war
136 LETTRES
nombre ne s'en trouuera aucune qui
foitde fi grand pouuoir que celle qui
me faict cognoiftre vous eftre cher
& aggreable.Dequoy eſtant certain,
ie ne pourrois iamais adiouſter foy à
quelques paroles qu'on mepeuft di
re,ny à chofe qui me peuft faire fou
pçonner d'aucun tort ou outrage. Ie
vueildire ainfi , que files merites de
ma feruitude ne me donnoyent af
feurance,ie craindroye grandement
que ie ne me veiffe à peu pres hors
de voſtregrace,eftimant qu'ignorif
fiez cóbien je vous fuisaffectionné.
Dequoy vous medonez vne trefgrá
de apparece de croire ce que ie vous
dy eftreveritable:puisquepar les pa
roles delangues malignes & enuieu
fes vous vous laiffez guider à lafoy
de quelque vain foupçon : iettát der
riere vos efpaules les experiencesin
finies qu'auez fait dema foy, & le
moyen
AMOVRE VSES. 137
moyenque i'ay tenu ,pour ne don
ner matiere à aucude s'apperceuoir
de noftre amour. Et qui fait mieux
foy de cecy que vous meſme?me ref
criuant dans vne lettre que la chofe
d'entre plufieurs autres, par laquelle
vous m'auez eſtimé digne de voſtre
grace,a efté la cognoiffance qu'auez
eüe de ma fidelité, & de m'auoir trou
uéaccord en noftre amoureuſe pour
fuitte : dequoy vous n'eftes aucune
10 ment deceüe: & croy qu'aucunefois
그 l'occafion s'eft offerte à moy , pour
It vous le faire voir , que quand l'heu
reuſe fortune m'a conduit en lieu où
vous eſtiez,ie me fuis tellement por
té auec les yeux , auec les actes & la
langue , que non feulement l'oftoy'
toute occafion aux affiſtans de s'ap
perceuoir de rien , mais ie chaffois
la crainte de ceux qui m'eftoyent
corriuaux par vne certaine affeu
I S rance
138 LETTRES

rance. Oublierez vous donc cela?


Las reduifez en memoire quantes
occaſions ie laiffe paffer , non fans
trefgrande peine & ennuy , pour ne
vouloir en rien quifoit hazarder vo
ftre honneur , ny mettre en danger.
Vous fcauez bien qu'en mille lieux
i'euffe peu cueillir le bien que me
cauſe voftre heureuſe preſence , &
iouyr de ce qui en vn feul moment
mebeatific, qui eft voftre angelique
vifage: mais pour ne donner foup
çon à qui nelaiffoit paffer l'occafion
detelles auentures ,ie demouros la
mentant mon defaftre , combattu
d'vneialoufie enragee : me mettant
quafi en dangerde perdre voftre gra
ce , qui m'eſt beaucoup plus chere
quela vie mefme Et de ce vous faites
foyenplus d'vnede vos lettres : par
lefquelles me reprochát cecy , dictes
que le peu d'amitié que ie vous porte
eft
AM OVREVSES. 139
eft caufe de me faire ainfi proceder,
& non la recommendation que i'ay
de voſtre honneur.Mais ie remercie
celuy , qui m'a donné occafion pour
vous faire cognoiftre l'erreur , en
quoy vous vous eftes laiffee tomber.
Ah ma douce mailtrelfe , fouuenez
vous de cecy : que tout ainſi qu'au
monde on ne veit femme plus belle,
nyfage,auffi n'y a Dame feruie , par
Amant,plus fidele,ny amiable.
Vn Amant accuſe l'aymee de grande
ingratitude.
LETTRE XXXVIII.

I vous eſtiez autant foigneuſe , à


Si recompenfer ma longue feruitu
de,que vous eftes diligente à me co
blerde martyres, dictes(cruelle fem
me ) quelle recompenfe penferiez
vous trouuer , qui peuſt eſtre ſuffi
fante à meguerdonner, comme ie le
merite
140 LETTR
ES
merite?Las comme fe conferme en
moy le prouerbe qui dict : Les grans
feruices recompenſez pargrådes ingra
titudes.Quelle grade feruitude pour
roit on dire exceder la mienne?quel
leplus conftante ? ny quelle plus fi
delle?vous le fçauez bie, & n'ayfou
cy qu'autre que vous en ait la co
gnoiffance,pourautant que ie la paf
feray auec filence. De quelle plus
cruelle forte d'ingratitude pourriez
yous vfer enuers ma loyauté,ny me
recompenfer, que de me códamner,
(comme vous faictes)àla mort? à la
quelle ie defirerois encor ioyeufe
ment m'acheminer,vous en voyatfi
fortdefireuſe, fi ie ne craignois que
vous(defpouillee de toute mercy)ne
vinffiez à excogiter quelque moyen
de m'ofter encore à ceft extreme pas
vn fibref& vain contentemét.Vous
n'aurez maintenant autre chofe de
moy,
AMOVREVSES. 14
moy , finon que vous affeuriez voir
voftre cruel defirfortir bien toft ef
fect. f
VnfolAmoureux fe dit eftre captif
paron regard.
W LETTRE XXXIX.

Oftre incomparablebeauté,e
Voftant affez de vous cogneüë ,
(comme ie croy qu'elle foit ) il ne
vousfemblera miracle, fi parle pre
mier regard que me ietterent vos
beaux yeux, ie me trouuay feru & ca
ptiué, entelle forte , que ie fuis con
traint à vous demander fecours.Ce
que ie feray tant plus courageuſe
ment,en tantque ie me fens vous e
ftre plus que nul autre tres-affectiō
né feruiteur. Et ne penfe pointpar
cela que me iugiez eftre digne d'au
cune reprehenfion. Mais fivousvou
lezauec vnfain & droict iugement
penfer
142 LETTRES

penfer à ma hardieffe , ie ne doute


point que neveniez à exaucer incō
tinet mes chaudes prieres. Carvous
pourrez de là tirervn trefgrad figne
de l'affectionque ie vous porte, inci
té par le doux effort de voz lainctes
couftumes & diuines beautez : & me.
faifant digne de voftre grace , vous
m'inciterez à vous lademander auec
plusgrand' hardieffe,Vous affeurat,
que ie ne fuis de rien plus defireux,
que de me voir par vous accepté,
pourtresfidelle & affectionné ferui
teur: & vous prie de ne predre plai
fir en la mort de la perfonne , qui
vousadore: car foyez toute affeuree
que le don de voftré grace m'eftant
refufé,fera caufe de mefaire bie toſt
finirle cours de ma vie , laquelle me
fera dorefnauant autat chere , queic
lafçaurayvous eftre aggreable.Ï'atté
(ma valeureufe Dame)voftre refpo
fe, la
AMO VREVSES. 143
fe , laquelle ie fouhaitte toute telle
que l'å merité la grandeur de mon
amour,
Ynautre Amoureuxfe repute fol &
malheureux d'aucir trop aymé
f fu Dume.
LETTRE X.L.
Ertainement celuy doit eſtre à

fols , & deceux qui font totalement


defnuez de leur bon fens , qui ole,
pour quelque aduenture qui luy
puiffe venir le nommer bien heu
reux.le me fuis veu ( voſtre mercy)
cheminer au rang de tels idiots : car
pendant que ieme fenty eftre en vo
9
Are grace, ie me penfoy alors, que
leparadis n'euft peu donner iouyf
fance de plus grande gloire , & qu'il
eftoit impofsible de fauourer la dou
ceur d'vne ioye plus parfaicte. Or fi
iemefuis tenu pourtel,vous mefmes
confeffe
144 LETTRES

confefferez que i'en auois tresbonne


occafion,quand vous viendrez quel
quefois àdroictement cófiderer, en
quel eftatieme trouuois de cetemps
là: pour autant que vous me donna.
ftez tant & tels fignes de voſtre ami
tiéen mon endroit, que ie ne mefuf
fe peu nommer autre,que bien heu .
reux: & n'euffe iamais penſé de me
trouuerpriué d'vn fi doux & aggrea
ble no,finon par la mort feulement.
Ah cruelle féme,tant plus les plaifirs
quel'ay trouué en vous , m'ont fem
blé grands , d'autant plus vous co
gnoy-ie maintenat cruellemét mau
uaife. Ce qui me donne à entendre,
que vous cognoiffez mon amour e
freincóparable:car fi vous en auiez
autre eftime ,ayant efgard aux cho
fes quifont paffees entre nous ,vous
ne m'vferiez de telle rigueur , crai
gnantqueie ne vinffe (comme peu
amiable
AMOVREVSES. 145
amiable & moinscurieux de voſtre
honneur) à deſcouurir & publier ce,
qui eftant fçeu vous pourroit eſtre
occafion de perpetuelle douleur. Ha
monDieu,pourrez vous maintenant
dire que ie ne vous ayme &tien che
re,autant que ma propre vie.
Vn Amydonne raiſon àfa Dame de ne
Layrenuoyerles lettresqu'elle
luy à enuoyees.
LETTRE XLI.

A maiſtreffe , hierà heure de


Mmy-iour voz lettres mefurent
prefentees , qui me cauferent l'ale
greffe accouftumee en les voyant,
maisvn tourment inuſité & incroya
ble en les lifant , quand ie vey par
icelles queme demãdiez toutes cel
les que m'auiez enuoyé auparauant .
Ce qui me donne trefeuidente oc
cafion de penfer, que l'amitié la
K quel
146 LETTRES

quelle vous avez toufiours dicte me


porter,n'eft fi vehemente, ny parfai
&te que ie me la fuis imaginee , ny
telle que vous vous eftesefforcee de
mele monftrer par vos lettres. Er ce
qui melefaictpenfer, eft: pource que
ie cognoy clairemet l'affectio gran
de,que ievous porte vous eftre tota
lement cacheee : dont i'ay autrefois
eftimévoſtre amour trefgrande en
uers moy. Mais qu'il foitainfi , que
ne cognoiffez le bon vouloir que ie
vousporte,on le peur affez compren
drepar la feule requeſte que me fai
tez maintenant :car on ne doitcroi
reque vous me demandiez vozler
tres pourautreraifon,que de lapeur
que vous auez qu'Pelles ne foyent
diuulguees par mon moyen, & mon
ftrees à qui que ce foit.Dont ie m'at
trifte grandement , & mefmes quand
iemefensaffeuré,queie ferois pluf
toft
AMO VREVSES. 147

toft toute autre chofe impoffible,


que cefte cy:voyant que vous ne m'a
uez en reputation de fi fidele & a
miable que vous deuriez, & ne trou
uant en moy finon ces deux feules
parties,parlefquelles ie me'doiue efti
mer digne de voftre amour , ie crain
qne m'aymiez enforte que ce foit,
puis que ne cognoiffez en moy ce
qui plus vous deuroit affectionner
en mon endroit. Ily aencor vn att
tre plus violent foupçon , qui me gla
ce tout le fang dans les veines , qui
me faictpenferque vous ne voulez
retirer vos lettres aupres de vous
pour autre raison , qu'à fin de me
defpouiller des armes , auec lefquel
lesie me pourrois véger de quelque
offenfe que vous tramez (peut eftre)
fecrettement à me faire. Soit ainfi
que bonvous femblera:mais ie vous
ofe bien affeurer que ie me lairrois
K 2 plu
148 LETTRES

pluftoft priuer des yeux,que permet


tre de me fentir iamais priué de vos
lettres lefquelles m'entretienent en
fi grand plaifir & cótentement , qu'
vn plus grand feroit incroyable . Et
quand bien ainfi ne feroit : ne doy
ie pas croire que vousauez encore,
par ce moyen voulu faire vne feure
preuue de mon amour: qui merite
roitd'eftre defprifé & eftimé bien
froid , quand ie m'oublierois de tant
que de vous les renuoyer. le vous
prie donc vous contenter que ie les
retienne , & qu'elles demeurent en
mapoffeffion , pour auoir ce bien
que de les lire & relire iournelle
ment , comme c'eſt ma couftume:
& vous affeurez quelles feront au
tant fecretement tenues aupres de
moy , que vous les auiez entre
vos propres mains : puis faictes tel
maffacree de moy commebon vous
femble
AMOVREVSES. 149
femblera: car ie ne tafcheray iamais
par le moyen d'icelles, ny autremét,
à merefentir , ny venger de tous les
outrages que vous mefçauriez faire,
& eftimez queie vous ayme autant
parfaictement,qu'encore que ievinf
fe à receuoir aucun tort de vous di
gnedede vengeance , & que ie n'y vif
fe autre remede à l'executer , que ie
me donnerois la mort pluftoft , que
de commettre, ou faire aucune chofe
contre voſtre hōneur:parquoy vous
n'auez occafion de craindre , que la
iufte iuftice des dieux fouuerains.

L'AmantprielAmie auoir com


paßion de luy.
LETTRE XLII.

TiE ne fçay pas Ma dame , en quel


leepart vous aucz apprinſe vne tát
eftrage & nouuelle cfpece de cruau
té, de laquelle vous vfez iournelle
K 3 ment
150 LETTRES

ment enuers moy :faifant femblant

ES
d'ignorer ma douleur, & ne voulant,
toutesfois , comporter que ie luy en
ouure l'occafio , par la moindre pa
role du monde.levous dy(ma mai
ftreffe)que vous auez vainemet pen
fé,fi vous efperez tirerautre figne de
moy, plus grand que ma douleur:
tout ainfi que vous vous tromperiez
auffi de penfer eftre croiable qu'hom
me du monde ayt iamais faict l'ex
'perience d'vneautre plus vehemen
te:trop bien vous affeure ie que vous
en ferez dorefnauant clairement a
certenee , par le pitoyable accident
d'vne dure mort qui m'affommera,
fivous nefaites conte de mettre fin
deformais à votre rudeffe, que fi au
trement deucit aduenir , & vous de
uiez longuement maintenir voftre
cruauté, ic voudrois defia que mes
yeux fuffent clos d'vn eternel fom
meil.
AMOVREVSES. 151
meil. Vous me mandez que ie vous
enuoye de mes rhimes :ie n'ay rien
de moy que vous n'ayez veu , ſinon
ceſte petite chanfon,que ie vous en
uoye,vous priant d'auoirde moy pi
tié & compaffion .

CHANSON.

Si ie vousfolicite
D'onprompt fecours à mon martyre
extreme,
Plus n'ignorez que l'ignorăce mefme.
Et fi ie le recite,
Vostre durtéfi afprement i'irrite,
Quefilabouche à l'heure
Ieneferrois , vostre rigueur depite
Mettroit mon ame horsfon mortelde
meure.
Oùprendra donc monferuir recopenfe,
Ouguerifon laplaye de mon cœur.
Puis quefaifant à pitié refiftance,
Dites toufiours ignorer ma douleur?
K 4 Et
152 LETTRES

Et lafaifant entendre
L'efprit mefaudra rendre.

A M. ANTOINE
Franc.Domi,

Vn Amy efcrit à l'autre Amy,neſe


laiffer abufer enfole amour.
LETTRE XLIII.

E ne me plaindray iamais devous,


Ipour m'auoir tat de fois abufé, me
faifant mettre en ordre tant de cham
bres & licts , foubs ombre de dire
toufiours qu'auez bonne enuie de
vous tranfporter à Venife : & l'occa
fio qui me garde de me plaindre eft:
que i'ay honte de dire que m'en ayez
tant de fois ioue d'vne auec ce que ie
ne vous vueilramenteuoir ma fotti
ſe , eſtant bien certain quand vous
feriez affeuré d'icelle , que ne feriez
faute
AMOVRE VSES. 153
faute àm'en vouloir encore donner
d'vne autre,& que vous n'y faudriez
à ce coup. Mais ie vous affeure que
quelque iour vous oferiez bien dire
vray,& puis ie vous diray: Quare pe
regrinum. Or àpropos , comment le
faictes vous fur l'amour ? mais fim
ple que ie fuis à vous faire telle de
mande , comme fi ie ne fçauois vos
amours eftre toutes fainctes & diui
nes:dont il ne vous en peut enfuiure,
I
finonplaifir & ioye infinie: bien que
1 vousfoyez tant heureufement fortu
t ne , que fi vous vous mettez au fer
ť uice de dame ingrate, encore ne fçau
riez vous receuoir aucune ingrati
} tude d'icelle ? ce que ie fçay certai
nement , pour le grand nombre des
experiences que i'en ay deuant les
yeux. MonDoni gentil:quant à moy
ie ne me fçaurois voir en pire eftat:
malheur,qui m'auient , pour n'auoir
K 5 fçeu
154 LETTRES

fçeu imiter ceux qui fe trouuent àvn


conuy,lefquels s'entretiennent touf
ioursattendant mieux,Car moy mi
ferable & affamé , ie ne me mis àat
tendre Faifans , ny Canars : mais me
rempli fi bien de groffe chair de va
che, que ie n'ay l'eftomac affez am
ple,nyfpacieux pourloger mille au
tres chofes tant delicates , qu'elles
pourroyentrendre la veuë à vn aueu
gle,& à vn trefpaffé la vie . le conclu
ray icy:qu'on ne fe doit hafter en
amour , mais cheminer à pas lents &
tardifs:& n'aboucher l'hameçopour
touteforte d'apaft : combien qu'à la
parfin nous nous trouuons puis a
pres auoir fouppé au banquet de la
Marquife deMonferrat. Icy feray fin
me recommádant à vous,apres vous
auoir aduerty que nous vous defi
rons tous en ce lieu.
A Mef
AMOVREVSE 3. 155

A Meffer Gafpard Curto.

Refponce à la fufdicte.
LETTRE XLIIII

Refuertueux Meffer Gafpard,


Ti'ay receuvoftre douce & plai
fante lettre accompaignee d'vn tref
beau Sonnet, par lequel vous me de
mandez d'où il aduient que ie vey
ainfi ioyeulement , mefmement en
temps que i'ay trefgrande occaſion
de receuoir beaucoup de meſconten
tement , pour me trouuer captiué
: dans la retz amoureufe d'vne tref
cruelle Dame: laquelle vous dictez
cognoiftre de tant, qu'elle ne fe mon
ftra iamais courtoyfe en mon en
droit d'vn doux regard feulement.
Vous en entendrez l'occafion en ce
mien Sonnet , que ie vous enuoye
pour refponſe aux rhimes du voftre:
lequel
15G LETTRES

lequel iene loueray autrement , pour


ce que ce feroit autant que vouloir,
dire,le Soleil eft refplédifsát.Demeu
rez fain &vous fouuenez de moy.
SONNET.

Pourquoy ne doyie en mon mal m'ef


iouir,
Etdouxchater ma douleur pitoyable,
Puis qu'en beauté & valeur n'afem
blable
Celle, qui mefait d'heur en langueur
iouyr?
Ainfi toufiours puiffe elle aymer d'ouyr
Quemon ailfonde en humeur lamen
table,
Comme pendant qu'elle l'aura aggrea
ble,
Doux mefera en douleur m'en fouyr.
Doux m'eft lefeu,douce maplaye trou
ue,
Doux lesliens dont douce ardeur i'e
prouue,
Le
AMOVREVSES. 157
Lelanguirdouxdufoucy mevengeat:
Peudonques m'eft qu'aymant ie bruſle
meure.
:
Car en elle a mon cœur fi doux de
meure,
Qu'inceffammet iel'iray louangeant.

Vn Amyſedefpartant de lapreſen
ce des'Amyefe trouue tranf,
porté d'efprit.
LETTRE XLV.

E faydefpart,puis que le Ciel m'y


I cótrainet:mais auec fi grandever
goigne , pour me voir encor en vie,
que ie ne fçay,fi ie pourray auoir ia
mais la hardieffe de comparoiftre
deuant voſtre prefence , quand l'ef
perance quei'ay d'eſtre bien toft pri
ué de vie , demeureroit vaine tota
lement. Mais pourquoy dy- ie a
uoir efperance que torment me
tue, fi ie fuis demeurant maintenant
en
158 LETTRES

en vie au defpartir ? Sot que ie fuis,


doy- ie pas par cela croire d'eftre im
mortel, ou bien defonger Helas,que
trop pour moy fe trouueront mes
ennuis immortels , & fiie ne fonge
ia , car ie fen trop cuifamment la
poincte des paffions qui me tranf
percent le cœur. O dieux celeftes, ce
font les peines qui vous pourroyent
faire porrer enuie,fi vous les efprou
uiez, à quiconques eft affubiectyà la
mort.Mamaiftreffe ,puisque la mau
uaiftié d'autruyleveur & peut ainfi,
ie nefaudray à faire demain la del
partie :vous priant, qui pouuez for
cerle Ciel parla vertueufe douceur
de vosparoles, d'imperrerpour moy
que ie meure,fi celuy qui me fait en
durer mille morts trefameres à fi
grand tort , doit encore viure lon
guement.
Vx
AMOVREVSES.
159
.
V'n nouuel Amantfe repute indigne
d'vne Dame,à laquelle il donne
grandes louanges.
LETTRE XLVI.

A doucedame & maiftreffe,il


M m'eft aduenu tout ainfi quà ce
lay ,lequel a efté longuement à la
chaffe,& pourfuitte de quelque gen
til & plaifant oyfeau , auec ferme
efperance de le voir finablement ef
tendre les aifles fi bas , qu'il le puif
ſe prendre incontinent : & qui le
voit puisapres en vn inſtant s'eflan
cer fiinellement contre le ciel , qu'il
en perd par va meſme moyen &
en vn rien la veuë , & l'esperance.
Ainfi en eft il pris maintenat à moy,
qui iufques à cefte heure auois eue
ferme efperance (mercy à vos beaux
yeux qui ont daigné ietter la veuë
fibas) de pouuoir moyennant la di
ligence,
160 LETTRES

ligence , la foy , & l'amour , acque


rir l'heur devostre grace. Mais puis
tout auffi toft f'ay veu ouurir de
uant moy le tref- profond abyfme de
vos vertus , lefquelles vous enleuans

par deffus les eftoilles , m'ont faict
confiderer & cognoiſtre mon indi
gnité : ce qui ma faict perdre , tou
té l'efperance que l'auois aupara
uant : dont ie ne fçay autre choſe
faire , finon accufer le Ciel , qui n'a
voulu me rendre tel que i'euffe occa
fion d'efperer pour quelque vertu
quei'euffe en moy , que d'eftre par
vousfaict digne pour m'appeller à fi
grande aduenture : comme elle fe
roit,quand vous me daigneriez re
ceuoir pour feruiteur autant bien
par effect , que ie fuis de volonté.
Peuffe-ie , au moins , monftrer le
cœur , eftant affez affeuré que vous
leverriezbrufler , tellement dans le
feu
AMOVREVSES. 161

feu de voſtre amour, que iamais on


ne veitamorcé , tantfine fuft elle,ny
paillepourfeiche qu'elle fuft , s'en
Hammer de la forte. Au moyen de
quoy ie pourrois trouuer en vous
quelque pitié, tref-puiffante occafio
pour rédreautruy courtois de fa gra
ce, & liberal. Mais puis qu'il ne fe
peutfaire ainfi, & quela hauteffe de
vos merites m'intimide à vous de→
noir offrir tout ce que ie puy, & qui
eft en ma puiffance, ie feray icy fin :
fuppliant Amour qui guide & gou
uerne le freinde ma vie,de vous vou
loirfaire Foy , comme l'affectió que
jevousporte eft infinie : tout ainfi
quefont auffi infinies les graces, les
vertus , & les beautez qui vous illu
ftrent , & font voir au monde
comme pour vn diuin
exemple.
L LA
162 LETTRES

L'Amy efcrit àl'Amie qu'il aprié


Dieu pour fa fanté.
LETTRE XLVIII.

I les vehementes & affectueufes


S
mais force & valeur d'efmouuoir le
Ciel à pitié, certainement, ma mai
ftreffe,ie croy me pouuoir predre &
auoüer pour l'vn de ceux aufquels
les larmes & foufpirs ont de beau
coupferuy :puis queie vous voy re
uenue en vn momentfibié , & auoir
repris vos efprits , qui avoyent vn
peu au parauant quafi abandonné
cemortel corps: fi bien que vous ne
medonnez feulement figne de vo
ftrebreue fanté : mais vous effacez
toute la crainteque l'auois conceûe,
de peurqu'il n'auinft ainfi. Ienevo
ay pluftoft refcrit : pourautant que
vous fachant ainfi preffee & mole
tec
AMOVREVSES. 163

ftee par la vehemence du mal com


me vous eltiez , ie n'euffe peu faire
autrement, que de me moftrer crue!
enuers vous , en vous referiuant : à
caufe qu'il eftoit neceffaire que ie
declaraffe la douleur que me faifoit
fouffrir lefouuenir de vcftre mal, ou
bié que ie la celaffe.Si ie l'euffe teüç,
quel,& plus grand figne pouuoy- ie
donner au monde pour l'induire à
m'auoir en eſtime d'homme fans pi
tié, nem'atriſtant de ce qui faifoit
douloir lespierres mefmes ? Si ie la
publiois,ne me monſtroy-ie ſembla
blement trop plein de cruauté, vous
adiouftant douleurfur douleur?com
me celuyqui eftoit affez affeuré, que
le moindre de mes ennuys you's eult
caufévne trop grade fafcherie.Loué
foir docle Ciel qui en a délivré deux
en vn mefme teps , & par vn mefme
moyen : vous , d'vne fi dangereufe
L 2 infir
164 LETTR
ES
infirmité, & moy,d'vn fi grief & de
teftable office. Vous pourrez com
prendre par la lecture de ce Sonnet
le piteux eftat en quoy ie me retrou
uois, & auec quelle grande affectio
jepriois le Ciel de ne vouloir per
mettre que le monde fe trouuaft fi
toft defpouillé de beauté & vertu,
comme il euft efté,fe trouuant privé
de vous,
SONNET.
Puis qu'à tort viết vnenue importune
De no soleillesbeaux rays offencer,
Je voy mesiours triftement balancer,
Et l'airpar tout vestu de couleur bru
ne.
Quifais vaguer le Soleil & la Lune,
Puffant Seigneur, vueille toy auăcer
Pourdeffus nous ton fecours eslacer
Ои
Ou nousferostoft sås lumiere aucune.
Si taiufte ire,ô Eternel,endure
Que nospechezgrenet ceste amepure,
Qui
AMOVRE VSES. 165

Quipluspredra vers tapitié adreſſe?


Romps la douleur quipar elle nous on
trage :
Puis tous ioyeux,dirons Biebcureux
aage
Oùnostre Dieu encor ne nous delaiffe.

L'Amant demande à l'Amie luy


10 eftre fauorable.
LETTRE XLVIII.

Fin qu'il ne me reste autre cho


A fe dont ie me doiue douloir fi
non de mo infortuné defaftre , quád
vous qui eftes la courtoifie meline,
vous eftes monftree en mon feel en-
droit , & contre voftre nature mal
courtoife,& auifi pour aucunement
defaigrir ceſte trefapre douleur , qui
continuellement ne ceffe d'affliger
ma pauure vie,& la tourmenter par
voftre feule occafion.l'ay bien enco
re voulu(bié qu'auce pet.te efperan
L 3 cc,
166 LETTRES
ce,pour me voir tát infortuné ) vous
reſcrire ces quatre paroles : aufquel
lesic prie Amour donner telle ad
uenture , & tat les fauorifer,que me
rite la fidelité de ma Foy : afin que
(vous purgé de peché, & mo y fatif
faict de mespeines & tormes ) nous
nous trouvions tous deux pendans
en efgale balance . Et vous affeure,q
le refus de la refponſe à ma lettre ,
que vous prefenta mon Laquais ,m'a
caufé fi grand' douleur que l'ay quali
donnéfin,en vne mefme heure,à ma
vie,& àmes ennuis. Ce qui m'auroit
apporté vn plaifir indicible , quand
Teuffe eu feulement le moindre ob
iect de péfer q cela vous cuft efté ag
ie ne
greable ? car alleurez vous que
fuis noplus cher à moy-mefme , que
autant que je me fen eftre en voltre .
grace. Las,mafeule Dame, permet
tez deformais que ces miennes affe
Etueu
AMOVREVSES. 167
&ueuſes & chaudes paroles puiffent
auoirentree dans le plusprofond de
voftre froide penfee , puis venez à
confiderer quelle vie eft & fera la
miéne quad pitié defaudra en vous,
qui eftes mon feul appuy & confort.
lenevous vueil dire maintenant au
tre chofe,finon que ie vous prie que
me daigniez rendre refponſe , & le
pluftoft qu'il vous fera poffible : car
le retarder d'auantage me caufera la
pertede ma vie , & à vousd'vn fer
uiteur que vous deuez aymer & ie
nir cher.

L'Amant fe repute heureux d'auoir


neu l'Amie.
LETTRE XLIX.

Vandila pleu au Ciel,fi ay- ie


efté tantfortuné,que de m'e
Q
ftre trouué à paffer tout fur le point
que vous vous eftes( de bon - heur )
L mon
168 LETTRES
monftree à la feneftre:qui vous pour col
ramaintenant ofter tout occafio de ba
dire que je n'y fuis paffé : combien
queie penferois pluftoft que m'ayez
accufé de negligence pour m'abreu
uer de quelque douce amertume,
que pouropinion que vous en ayez.
Suy-ie donc negligent ? le le ferois
pluftoft à fuir la flamme , fi elle me
pourfuiuoit pour me confommer,
qu'à lafuitted'vn tát heureux & di
gne voyage. Car encoreque la for
tune le plusfouuent m'ofte le moye
de vouspouuoircontépler (inafeule
vie & confort) ic regarde , pourtant
cefte , fur toute autre bien fortunee
maifon,quivous cache à ma veie:ce
quim'apporte fi grand' delectation,
quei'épaife tout le reste du iour que
ie la voy,en ioye & cótentement. le
vous ay veüe ( ma douce maiftreffe)
ayant voftre trefcher & beau fils au
col,
AMOVREVSES. 169
col, & ay encore veu ces trefdoux
baifers,que vous luy dōniez mignar
demet,pour appaifer fes larmes, dót
ie les ay gouſtees tout en la meſme
+3fie forte que le malade a couftume de
fauourer le vin qu'il void boire à vn
autre.O heureux gemiffemét,ô hau
te aduéture :fi l'eftois luy , ie ne vou
drois iamais faire autre chofe que
‫مع‬ gemir : mais peu vous vaudroit me
peler appaifer & me faire taire pour
vn baifer ou deux : car mille ne fe
royent pas fuffifans àce faire. Mais

que dy-ic ? mille & mille , quand vn


G feul feulement auroit la force de me
!
cobler de douceur,iufquès à me faire
expirer.
3 Vn Amant fe trouue extremement
content des faueurs de s'Amie.
LETTRE I.
A trefchere maiftreffe,ie vous
MAenuoye ce Sõnet,afin que par
Lle
170 LETTRES

le moyen d'iceluy vous puiffiez co


prendre en partie combien m'a efté
aggreable la courroifie de laquelle il
vous a pleu vſer enuers moy. Au
moyen dequoy(comme vous pour
rezvoir) e promets à Venus tous les
plus grandsfacrifices qui peuuent e
ftre offers par vn humble & pauure
paſteur : Vous affeurant qu'on ne
verra iamais apres cela, ma langue
laffe d'exalter & loüanger fes dards,
fon flambeau, & fes chaines : par le
moyendefquelles ie fauoure en ter
retoute telle vie,dot le Ciel fçauroit
donner experience . A vous , ie pre
fente continuellement le cœur enfa
crifice,lequel, non moins que la Sa
lemandre , fe nourrit en bruflantà
toutes heures dans le fen inextingui
ble que darderent vos flamboyans
yeux,ea cópagnie des beaux efprits
amoureux , le premier iour que ie
vins
AMOVREVSES. 171
vinsàvous contempler. Quant au
contentement que me caufa la dou
in
ceur de vos baifers , mon ame feule
en a la cognoiffance , laquelle rauie
en la grandeur d'vn tel plaifir, abá
donna fus l'heure mefme fon ac
couftumé feiour , pourfe venir ioin
E. dre & demeurer auec la voftre , en
compagnie de laquelle elle demeu
reraiufquesau dernierpoinct. Et ne
trouuez cela eftrange, ny difficile à
croire , veu que vous me voyez en
core en vie. Car fi autres corps peu
uentprendre nourriture de l'odeur,
& autres de l'air feulement : pour
quoy ne puy-ie ſemblablement vi
ureen la feule remembrance d'vn fi
pitoyable & courtois effect , duquel
vous vous eftes monftree cant libera
le en mon endroit ? Ainfi vy ie cer
tainemét,& ne me pais d'autre cho
fe , & d'autre chofe ie ne goutte que
de
172 LETTRES

de celle là en contemplant voſtre


angelique beauté. Parquoy il vous 1
plaira , pubyde vous feule de
péd toute la nourriture, auec laquel
le ma vie eft entretenue , ne vous
monstrer auare enuers moy de ce
qu'en donnant ne vous peut porter
aucun preiudice , & vous fouuenez
fouuét d'auoir en moy vn feruiteur,
qui par amour & ferme loyauté eft
digne que toute grace luy foit eflar
gic.

V OE V A VENVS.
SONNE T.

De la plusblache & plus douce femelle


Qu'ait motroupeau,lepremierfruit
auras.
Et tout autour de ton temple verras
Semer de fleurs vne faifon nouuelle.
Del'odorant geneure haute eftincelle,
Et
AMOVREVSES. 173
Et millefeux clairs autour receuras,
Que t'offriray chacun an eùferas
Enfimulachre,ô d'Amour mere bel
le,

U Puis que,mercyà tes diuins flăbeaux,


Mespleursontpeu tirer fous ces or
meaux
Ma Sylue ardant en chaleur amon
reuſe.
Ou de pitié en mon endroit vfant,
Pour mill tormes nemefut refuſant
Millebaifers de douceur fanoureuſe.

L'Amy fe dit feruiteur treshumble


de l'Aymee.
LETTRE LI.

Atreshonnoree maiftreffe , la
M courtoifie infinie , dont vſez
continuellement enuers moy, m'af
feurant toufiours mieux de la part
que j'ay envoftre grace me fait ac
croire
174 LETTRES

croire que vostre image , qui fied au


milieu de mon eftomac,gouuernant
le frein de toutesmes penfees , vous
advertiffe come mon cœur ard con
tinuellement au facrifice de voz di
uines vertus. le dy cela, pour autant
que ie ne cognois en moy autre cho
fe , qui me puiffe rendre digne pour
me voir parvous tant honnoré, có
me de m'accepter pour feruiteur.
Carl'amitié que je vous porte eft tel
le,que ie n'en fçaurois donner fi viue
experience au dehors, qu'elle ne fuft
petite , ou nulle , à comparaifon de
celle quife pourroit voir au dedans.
Otresbelle & valeureufe Dame, ain
file Ciel me face grace de pouuoir
arriver là où me guide la fplendeur
de vos diuins exemples , come il eft
vray,que mon amour eft incompa
rable & fans pair. Ma dame ie prie
ray le Cielqu'il vous rende le meri
te
AMOVRE VSES. 175
te querequiert voftre courtoisie,me
failant tel que de vous pouuoir ag
greer en tous vos honnefte & pu
dicques vouloirs ;tout ainfi qu'en ce
cy ie ne feray iamais trouué las,ny
recrcu. Icy feray fin , en vous priant
de vouloir auoir memoire de la me
moire que l'ay de voz fainetes ver
tus & diuines beautez .

VnAmant promet àl'Amante de ne


l'abandonner jamais.

LETTRE LII.

'Eft à tort que vous vous plai


gnez,vous femblant d'auoir re
CBez
ceuë quelque iniure de moy.Et alle
guez par voftre lettre que ie vousay
refpondu de laiſſer voftre amitié
quand vous m'en donnerez occa
fion , alors que Vous me ramente
uiez , par voftre lettre,la Foy que ic
vousaypromife , de ne vous aban
donner
176 LETTRES

donneriamais,dont par ceftemien


nerefponfe, vous prefumez que i'ay
defia l'efprit difpofé à vous quitter.
Quant à ce concepuoir , ie ne fuis
deliberé de vous reprendre : car en
cela,auffi bie qu'e autre choſe , vous
me donnez affez à cognoiftre quelle
eft l'amour que me portez. Mais ie
veux vous le mettre hors de la fanta
fie, fi vous voulez prefter l'oreille à
la raifon. le vous dy donc que cefte
maniere de dire,le vous laifferay tou
tes les fois que m'en donnerez occa
fion, ne doit eftre entendue de vous
ny de moy,finopour lamais . Ce que
vous doit perfuader & fairecroire le
voftre, & le mien Amour. Votrea
mour , pour autant queous deuez
bien confiderer qu'ayant efté ample
mét acertenee,quel il eft en mon en
droit,que ie doy croire & eftre affeu
ré que vous manquericz pluſtoftde
vie
AM OVRE VSES. 177

vie que defoy. Et par ainfi , quand


i'ay dict, toutes lesfois que m'en done
rez occafion, il s'enfuit bien qu'ayant
efgard à voftre loyauté , que l'aye
voulu dire que ie ne me detourneray
iamais de voſtre amitié : eftant trop
bien affeuré que vous ne m'en don
nerez iamais l'occaſion . Outre ce,
inon amour vous en doit faire foy
& rendre affez fuffifant tefmoigna
ge: carfi vous voulez bien confide
rer & prendre garde auxfignes que
ie vous ay donnez pour vous ren
dre certainede mon affection enuers
vous,certainement vous l'eftimerez
& la iugerez eftre telle, fi viue & ve
hemente,que quand bien vousvien
= driez à m'vfer de toutes les cruautez
qui pourroyent eftre imaginees,qu'
elles ne feroyent fuffifantes à me
donner occafion , ie ne diray de me
refroidir envoftre amour feulem
M
178 LETTRES
mais pour fairefortir vn feul mot de
ma bouche par lequel la clarté de la
Aamme , qui pour vous m'eſchauffe
continuellement le cœur, peut eftre
tantfoit peu offufquee .
Vn Amant renoncefa Damepour
fa +deshonnefteté & la
prent en bayne.
LETTRE LIIL

'Ay bien receu ſi grand plaifir de


vous ( Madame Ifabelle ) que fi ie
m'en fuffe trouue iouyffant à voftre
occafion , certainement ie me con
fefferois eternellement voftre rede
uablede la vie.Mais pour autant que
vous eftiez totalement ententiue à
me caufer douleur & defplaifir , ie
m'efforceray à me refentir de l'outra
ge & d'en prendre toute telle ven
geance que fi vous me l'auiez faict:&
jouyray du proufit & du plaisir que
13
AMOVREVSES. 179

vous me niez fi obſtinemét.Leplaifir


que m'auez faict eft que vous auez
fauorifé A. B. tref- vile & forte per
THE fonne,auec mille actes & fignes peu
conuenables & mal feansà vous, qui
faictes profeffion de fage & toute
honefte:ne daignant feulement tour
ner la veuë du cofté où ie m'eftois
retiré, comme par miracle & totale
ment deliuré de voslacs à l'occafion
d'vn fi nouueau accident & eftran
ge maniere de faire:meriant & mo
quant de voftre folie , auec la iouy
fance de ma liberté. Toutesfois ie
me vueil bien fentir trefredeuable a
fa baffeur , vilité , & neantife , pour
autant que ayant efgard en ces telles
fiennes qualitez , i'ay conuenu clai
rement que vous n'eftes bon fubiect
pour moy , ny auquel ie me doyue
arrefter , puis quevousprenezgouft
à fes femblables. Si vous auiez de
M 2 libe
185 LETTRES
liberéde me donnermartel, comme
ilfedit , vous vous deuiez addreſſer
àvn autre, quipar la vertu ou beau
té euft femblé digne d'eftre careffé
de telles faueurs,& non àvn tel ba
bouin & inepte moftre , moyennant
lequelie fuis venu à cognoiftre l'in
dignitéqui vous accompaigne:fique
de feruiteur & Amant que le vous
éftois ( vous ayant en eſtime & re
putaciód'autre Dame quevous n'e
ftes ) vous m'auez rendu voſtre ca
pital ennemy. Vous affeurant de
m'efforcerpartous moyens & voyes
qui me feront pofsibles, pourle vous
donneràcognoiftre. Mais ne penfez
paspar haine que ie vous porte que
ie vienne à publier ( comme chacun
feroit) voltre peu d'honnefteté , car
ie ne le ferois iamais : pour autant
que le vous ay en fibonne opinion
& cftime, que l'ay honte à penfer,
tant
AMOVREVSES. 181

tant s'en faut que i'en vienne à rire,


de m'eftre tenu & reputé autrefois
" pour voftre Amant : & d'autre co
pi
fté , ie vous cognois tant defireufe
d'honneur , que vous auriez petit
foucy de telles paroles. Et qu'ainfi
foit,que vous faciez peu ou point
de conte de voſtre honneur : voyez
que vous veniezvergoigneufement
à abandonner , & faire copie à tout
le monde de ce que toute Dame
faifant profefsion d'honneſteté euft
foubs mille centres celé & couuert.
Mais quoy plus ?nepuy- ie pas ,fans
S m'eflongner
vous en rien pour
faire cognoiftre de la la
verité,
plus
1
coulpable femme du monde?& pour
cela n'auez eu efgard à m'endonner
trefeuidente occafion. Mais ie ne
vueil predre toutes les raifons cy def
fus alleguees pour fin ny commece
ment de ma vengeance,ains pluftoft
M3 pour
182 LETTRES

pour le chaftiment de vos mefchan


tes œuures.Prenez doc garde à vous:
carie vous promets & affeure de me
efforcer,& employer toute diligen
ce à vous fairefentir,par effect ,quel
le eft ma fantaſte.

L'Amantferendferfà la beau
té de l'Aymee.
LETTRE LIIII.

Endant quecefte defpouille fet


P uira de feiourà ceſte ame venuë
au monde pour voftre feruice feu
lement, ie me trouuery toufiours
plus ardent & ententifà faire ce à
quoy le Ciel me deſtina : caren vain
fuit on ce qu'il ordōne. Et quad bien
ie neferois deftiné à cela ,ie voudrois
que monvouloirmefme vinft à m'y
ranger: encore que ie fuffe affeuré de
nevoiriamais ma feruitude par vous
recompenfee autrement , que d'vne
amere
AMOVREVSES . 183
amere occafion de continuellement
larmoyer , & telle que vous me don
nez. Car affeurez vous que voftre
beauté eft telle,qu'elle fera toufiours
fuffifante à faire que chacun ne face
eftime de mille tourmens & mille
cruelles morts iournalieres pour vo
ftre feruice:auec ce que vos yeux lef
quels font vergogne anx plus luifan
tes eftoilles, promettet toufiours paix
à quiconques les regarde , bien que
puis apres en lieu de cela ils viennet
à rendre vne eternelle guerre.Com
ment voulez vous donc ( douce en
nemie de mon bien ) efperer que ie
defifte iamais à continuer mon ami
tié en voftre endroit ,pour me mon
ftrer à toutes heures voftre vifage co
me defdaigneux & plein de cruauté,
fii'ay efté deftine par le Ciel à vous
demeurer perpetuel feruiteur ? fi vo
ftre beauté eft telle qu'elle me faict
M 4 rciet
184 LETTRES

reictter arriere tout l'ennuy que me


fçauroyent caufer les plus cruels tor
mens, & fi vos yeux me detiennent
toufiours auec l'apaft qui m'aleche
foubs efperace de paix qu'ils me pro
mettent?Las fi les liens font tels & fi
puiffans que ne deuez croire qu'au
tre que mortles puiffe rompre,& me
deuelopper d'vne fi douce feruitude,
endurez que pitié vienne à eſchau
fer ce cœur glacé , dans lequel au
cun traict amoureux ne fçeut iamais
faire brefche , tant il eſt bien enui
ronnéd'vn rampart diamantin:& co
gnoiffez deformais combien le pen
fer eft vain que ie laiffe de vous ay
mer,puis , que ie fuis totalement
difpofé de viure & mourir
comme voftre amia
ble & tref-affe
ctionné fer
uiteur.
L'Amy
AMOVREVSES. 18,
L'Amyfeditfi coblé depleurs qu'il
en produirapluye arrou
fante la terre.
LETTRE LV.

A-dame,ces dolens yeuxvous


Mferoyent foy de la grádeur de
la douleur que ie fen , fi l'humeur
qui en diſtille,par telle occafió , pou
uoit moter aux nues pour puis apres
fe refpandreça bas : carelle pourroit
bien caufer telle pluye , qu'il y en
auroitàfuffifance pour vous empef
cher de partir pour toute ceſte an
nee , tant s'en faut qu'elle ne diffe
raft l'entrepriſe de voſtre depart que
iufques à la fin de ce moys feule
ment : lequel me femblera autant
foudain , & court è ramener le iour
11
de voſtre departie,que l'autre lent &
tardıf à arriuer au terme que vous
auez arreſté pour votre retour.Vous
MS me
186 LETTRES
me refcriuez que la difpofition du
temps pourroit eftre telle , & venir fi
malàproposque vous rompriez l'é
trepriſe de voftre voyage, mais vous
n'auez garde , & ne deuez craindre
que le temps fe monftre autre que
beau & à fouhayt : car le Soleil fefe
ra voir plus clair & plus beau que ia
mais à voftre depart , pour l'alegref
fe de voir vn fi grand parangon à luy
fe partir du lieu ou il a efté plufieurs
fois eftimé de moindre beauté . Mais
fi eft- ce qu'il ne fçauroit fi luyfam
mét eſclairer ça bas , que le plus clair
iour pendant voftre abfence , ne me
femble vne obfcure nuict , iuſques à
tant que vous me ramenerez la lu
miere auec voftre retour , lequel ne
fçauroit cftre ſi
fi foudain que ie ne le
trouue de plus longue duree qu'vn
aage ne me fembleroit.

L'Amant
AMOVREVSES. 187
L'Amatfe treune joyeux outre me
fure pour le termed af
fignation.
LETTRE LVI.

Ertainement il eft impofsible à


CE celuy, quiayme de cœur,de fe
trouueriamais fans douleur & fou
cy extreme. Quel aduertiffemét me
pouuiez vous donner pour me cau
fer plus grande allegreffe , que ce
luy par lequel vous me faictes enten
dre que fans doute aucun vous be- .
foignerez tellement, que m'ouuriez
tous les moyens par lefquels i'auray
bonne commodité de vous parler
dans le terme de trois iours ? Neant
} moins le defir qui me point pour fi
douce & aggreable nouuelle , eft fi
grand que tant s'enfaut qu'il me laif
le goufter le plaifir que l'en reçoy,
quand il m'afflige iufques au mourir:
car
188 LETTRES

car ils'eft accompaigné d'vne crain ouce


tequi me gelle fi fort le fang dans epuif
lesveines, qu'ilmefaict le plus fou- oulez
uentfouftraire àvne froide ftatue de cauoir
marbre : & a fibien gaigné fur mon evoft
cœur , qu'il mefaut malgré moy la arler
menter mon bonheur & felicité, d'v annir
ne tant eſtrange & occulte maniere,
que jene vous fçaurois dire commet,
nyauec quelle raifon : mais tanty a OUTTH
que ie ne me puis refiouyr : & me
femble defia voir que notre deffein
doyue fortir tout contraire effect à uder
noftre defir.Ma-dame,ie vous reſcryder
pluftoft cecy pour vous raconter la rendr
nouueauté d'vn fieftrange miracle, Quepar
que pour defir qne i'aye qu'en pre dices
nions mauuais augure : car à dire rement
vray , c'eft totalement hors de natu ta༑༢
re que chofe tantchere , tant defiree,
& tantdouce , puiffe apporter dou Accur
leur & melancolie.le vous prie, ma Touse
douce
AMOVREVSES . 189
douce damemaiftreffe , faire tát que
ie puiffefçauoir le moye duquel vous
voulez vier , pourfaire que je puiffe
fçauoirl'endroit où ie pourray iouyr

polog
de voſtre prefence àfouhait , & vous
parler, afin que l'aye matiere pour
bannir & chaffer de mon eftomac
cefte froide & cruelle crainte ( qui
afflige tantfort mon ame en fi aigre
tourment,fans aucune preuue ny rai
18
fon ) apres auoir diligemment con
fideré voftre bon aduis & difcrette
prudence. Il me fouuient encor que
me demandiezpar voſtre lettre fiie
prendrois plaifir à vous parler :Puis
que parcecy & auec mille autres in
dices iefuisvenu à cognoiftre clai
rement voſtre amitié , ie ne refpon
dray autre chofe à voftre demande,
finon que le contentement que i'en
receuray fera tel que celuy lequel
vous en ſentirez.& dirois encor plus
grand
190 LETTRES
grand , quand ie ne craindrois d'of
fenfer ou troubler voftre gétil efprit,
qui ne peutfupporter d'auoir fupe
rieuren amitié. Affeurez vous donc
que l'ay fi grand defir de me trou
uer auec vous & vous parler , queie
conteray toutes les heures lefquel
les fuiront en l'efpace de ces trois
iours.encore me fera il aduis qu'en
tre l'vne & l'autre y aura l'entremiſe
d'vn an, ou plus.
Yn Amant confole fon aymee laquel
le cft an defefpoirfe trouuant
enceinte.
LETTRE LVII.

Ce que ie puis comprédre par


Avoftre lettre ( M.G. ) vous auez
donné tarde lieu à la douleur , & l'a
uez laiffee gaigner fifort fur voftre
ame,quevous estimeriez celuy faire
plus grand office de pitié qui vous
preſen
AMOVREVSES 191

prefenteroit vn poignart pour vous


ofter la vie, qu'vn autre lequel auec
viues & certaines raifons s'efforce
roit à vous donner confort contre
l'extreme fafcherie qui vous poinct
& mine inceffamment. Mais pour
autant que ie ne fçaurois máquer de
tel deuoir,tát pour l'intereft de moy,
que pour l'auantage & prouffit de
vous,ievous prie par l'amour que ie
vous porte , & par la voftre , que ie
la voſtre T
cognoy reciproque à la miene , qu'il
vous plaife , auant que vous paffiez
plus outre en la lecture de la prefen
te,appaiſer au mieux que vous pour
rez ce grand trouble , qui gehenne
voftre efprit , & prefter l'oreille à ce
que ie vous diray : puis vous remet
tre entre les mifericordieufes mains
de celuy qui peut toutce qu'il veut.
Vous me refcriuez , que ne pouuez
plus gueres tarder à enfanter , & que
Yous
192 LETTRES
}
vous ne fçauez plus commér couurir
leventre ny la vergoigne : & donnez
à cognoiftre par cefte occafion de
ne defirer feulement , mais de vous
donner la mort par vos mains mel
mes. Certainement la vergoigne que
Vous vous acquerez maintenant en
mon endroict , vous monftrant de fi
petit cœur, eft beaucoup plus gran
de,q nefçauroit eftre celle que vous
enreceurez parmyle monde, encore
que cela vinft àeftre defcouuert , que
vous pouuez celer & tenir fecret,
quand vous viendrez àvous ranger
à mon confeit & confort. Car auant
route chofe :pofons le cas , qu'il fe
fçeuft, que vous vous trouuiſsiez re
duitte à tels termes & extremité,que
vous eftes:dires moy ,Ma-dame, qui
feroit le courage tát afpre & dur,au
pres duquel vous ne peuffiez trou
uer excufe feulement , mais qui ne
Yous
AMOVREVSES. 193
vous iugeaft incontinent digne de
toute grande loüange?le vous affeu
re , que celuy lequel aura fait preu
ue des indontables forces d'amour,
ne faudra iamais à donnerfa voix en
voftre faueur, & vouslouergrande
menten cecy: & n'auez aucune oc
cafion de craindre d'encourir en au
cun blafme enuers le refte des au
tres belles & fages Dames , pour
deux cauſes :l'vne, pour autantqu'el
les font trefpiteufes : l'autre, à caufe
qu'onleur pourroit dire , que celle
d'entre elles,laquelle fe fentoit inno
centedefemblable erreur,futla pre
miereà vous en donner chaſtiment.
Combien que ie ne croiray iamais
qu'on puiffe iuftement imputer er
reur à vne perfonne , pour auoir
prefté fon fecours à vne autre , con
tre les violents affauz d'vne dure
mort : qui auoit deſia limité le cours
N de
B
194 LETTRES

de ma vie , en peu de iours , n'euft


efté l'heur de voftre fecours , dont
tout àpoint furuintes à mon extre
mité. Ce qui vous deuroit cauſer ( fi
vous m'aymiez ) vn confort & alle
gement nompareil : veu que ce vous
euftbien efté vnmerueilleux erreur,
& peché irremiffible , de me laiffer
droictementtirer à la mort,fans me
daigner aucunement fecourir. Ce
que vous ne fçauriez nier : dont il
s'enfuit que le fecours , lequel il
vous à pleu m'ottroyer , vous tour
ne à vne trefgrande & finguliere
vertu. Au moyen dequoy , tant s'en
faut , que vous ayez occafion de
craindre que tel effect foit defcou
uert, quand vous mefmes deuriez
quafi exercerl'office de heraut,pour
le publier, en preſence de tout le
monde. Voyez donc le peu d'appa
rence qu'il y a pour vous faire ainſi
triſte
A MOVREVSES. 195
triftement lamenter , & auec quelle
foible raifon vous vous donnez trop
à la volee en proye à la crainte , &
commefans aucun iugement vous
venez àvous rendre cruellemét en
tre les mains du meurtrier defefpoir,
puis qu'il vous eft forty de la bou
che ,que vous vous tuerez. Dictes
moy , ie vous prie, penferiez vous
par cela euiter le blafme que Vous
penfez fortement vous acquerit? No
certainement : mais auec l'eternel
deshonneur que vous en rapporte
ricz àvous & aux voftres , vous fe
riez tóber vn chacun en l'erreur de
croire,par le figne manifefte de vo
ftre inhumaine cruauté , que voftre
fecours , en mon endroit , pendant
icule
que je m'acheminois àe
mil larmort, n'au
roit tedu à fin de pi
tié,(qui vous peut, comme l'aydefia
dict,caufervne trefgrande louange)
N 2 mais
si a
196 LETTRES

mais il fe diroit par tout ( lors qu'on


vous auroit veu exercer fi grande
cruauté enuers vous mefme ) que
vous l'auriez pluftoft faict pour a
uoir l'accompliffement de quelque
voftre defordonné appetit. D'auan
tage,ne cófiderezvous pas, que vous
priuant de vie , vous viendriez par
mefme moyen àdonner la mort au
corps & à l'ame d'vne tres-inno
:(
cente petite creature ? Laquelle ayat
į ceft heur,que de venir fur terre plei

B ne devie , pourra prolonger & efté


dre le cours de nos ans , nous fai
fant viure les deux plus heureux A
Imants , dont le Ciel euft iamais la
t
cognoiffance. Tafcherez vous donc
à effacerle figne auec la memoire
de noftre vraye & incomparable a
mour: Sera il dict que vous vous ef
forciez à vous reueftir du nom de
la plus cruelle , de la plus ingrate,
& de
"
AMOVREVSE S. 197
& de laplus criminelle femme,dont
les Siecles paffez eurent oncques
l'experience ? De quel genre de plus
grande cruauté pourriez vous ver
quede tuer, fans apparence de rai
fon , qui ne fait , ny ne peut faire
deffenfe ? Quelle plus grande , ny
damnable merchanceté pourroit on
pourpenfer ? quelle plus apparente
marque de lafcheté fçauroit mon
ftrer vn , qui n'ayant encor deſcou
uertſon ennemy , vient donner la
mortàfoymefme ? Las, retournez à
vous deformais : & quad les raifons
cy deffus alleguees , ne feroyent
baftantes à vous diuertir de fi dom
mageable & fcandaleufe opinion ,
ceffezde proceder plus outre en l'i
nique vouloir de fi dure iffue , par
la felicité que vous prefente voſtre
bonheur , de cacherce que vous ne
in voulez eftre fceu. Premierement,
N } que
198 LETTREŚ

que celuy à qui ce faict requiert d'e


ftre plus cautement celé, eft tant ef
loigné,qu'il ne pourroit iamais fans
ailles fe trouuer icy à poinct , pour
s'en apperceuoir. Outre ce , vous a
ucz mille tres-prochaines paréntes
par le moyé defquelles vous pouvez
receuoir, fans aucune crainte , tout
l'aide & foulagement,qui vous peut
eftre neceffaire,tant pour la confer
uation de voftre vie , comme pour
l'entretenement de voftre bonnere
nomee. Ie ne vous diray autre cho
fe,pour cefte heure: pourautant que
i'efpere das le terme dequatre iours,
me trouuer par deuers vous , oùie
péfe vous faire recognoiftre en quel
erreur vous vouseftes laiffee condui
re,parvne vaine crainte.Tenez vous
ioyeuſe , car il ne vous manque au
trechofe pour maintenir voftre fe
licité.
L'Amy
AMOVRE VSES. 199

L'Amycaptine la gracede l'Amie.

LETTRE LVIII.

Asma douce dame & maiftref


Lfe,cöbien vaudroit il mieux que
terminiffiez deformais voftre durté,
& que vinffiez à guerdonner d'vne
iufte recompéfe, celuy qui s'eft touf
jours moftré en voftre endroit , plus
fidele que la Foy mefme. O qu'il fe
roitbeaucoup meilleur qu'vn deux
feu depitié vinft deformais à defei
cher & effuyer les ameres larmes,
qui diftillent inceffamment de mes
yeux, à l'occafion de voſtre orgueil.
Car peut eftre recueillãt mes esprits
efcartez en plus de mille lieux , par
NOS l'afpreté du torment , ie feconderois
voftre courtoified'vnerelle recopen
fe , que vous pourriez bie remercier
& rendre vne infinité de graces au
14 N 4 pen
i
200 LETTRES

péfer,qui vous feroit venu au cœur,


pour vous induire à me donner ay
de & confort. Ie me fen à toutes
heures efpoinçonné par vn ardent
defir de furhaucer iufques au Ciel,
& eternifer de toute mapuiffance la
gloirede vos diuines graces , & fur
humainesbeautez : mais ma langue
ne fe peut employer à autre choſe
qu'à piteufement lamenter , ny mó
eftomac ne fe fent maintenant en
la puiffance de monftrer ce qu'il a
en foy ,finon vn cruel fubiect d'i
re & de mort , qui le ronge incef
famment, tantil eft comblé de dou
leur & d'amertume. Ie vous en
uoye ce Sonnet, que ie fey
l'autre iour :PriantA
mourde levou
loir fauo
rifer.

SON
AMOVRE VSES. 201
SONNE T.

Vous qui portez d'amours la flamme


ardente
Auec fes trais dans vos faints &
beauxyeux,
Regardez moy,qui enpleurs peu ioyeux
Mon amepay,par trop plusqu'autre
dolente.

CAN
Adiouflezfoy à moy qui me lamente:
Et s'entre tant de dons qu'auez des

amoy mundamere
cieux
Pitiéfe treune , enris foulatieux
Changezbien toft le dueilqui me tor
mente.
Puis vous orrezma lăgue,quifunsfin
S'oyt lamenter de fon cruel deftin,
Siplaifamment , & d'vne veine telle
Haucer le los ,peut eftre en chatfidoux
Des qualitez qui reluiſent en vous,.
Qu'encormil ans , & plus , vous vi« ,
urczbelle,
Ni LA
202 LETTRES

L'Amyfe plainct de ne pouuoir


voir s'Amie.
LETTRE LIX.

Ivoftre hauteffe eftoit telle qu'el


SIVOlevous fift paroiftre ma ſeruitu
da,indigne de vous, vous ne me de
uiez jamais contraindre à me con
feffer pour voftre feruiteur , comme
vousauez faict ou bien fii'auois co
mis erreur en vous le difant , ie n'a
uois merité la peine que i'en porte,
veu que ce que i'en auois faict, cftoit
par la force de voftre commande
ment.Mais quelle faute ay ie faict fi
grande que i'en doine parcela per
dre la vie perdre ie dy, car en me ce
lant ceft angelique vifage , & ces
heureufes lumieres qui efclairent &
+ donnent fplendeur au monde , ce ne
mepeut eftre finon vne vraye occa
fion pour me conduire incontinet à
la
AMOVREVSES, 203
V
la mort. Oùfe trouue la Loy, qui co
damne la perfonne à mourir par
trop aymer Helas, que preuoyant la
chofetout ainfi qu'elle eft aduenue,
f'entray tout auffi toft en delibera
tion deferuir , & perdre la vie en
taifant:en laquelle fantafie ie m'en
tretiensparc 1 aps, melaif
fant confoler& gouuerner par quel
que efperance , que m'apportoit le
merite de mon amour & de ma foy,
4
Cependant ie me paiffois , & aucc
la veiiele plus que ie pouuois depar
tie de voſtre celefte beauté, attendat
toufiours l'heure que vous, plus cu
rieufe qu'amiable , vinffiez à vous
enquerir de l'occafion de mille paf
fions que vous pouaiez comprêdre.
en moy,àvcüe d'œil:& que me con
traignificz , auec commandemens
expres , à vous la declairer : ce que
vous fiftes , & m'en aquittay auffi
J cou
204 LETTRES

courageufement : tant pour vous en


voir fifort defireufe, que pour l'efpe
rance qui me demeuroit encor de
voir le Ciel,quelquefois mefauori
fer heureuſement à la conqueste du
prixde ma longue & loyalle ferui
tude. Mais vous plus cruelle qu'vn
Tygre Hircanien ne me refulaftes
feulement la recompenfe pretédue,
ains me priuaſtes encore outrageu
fement de ce peu qui mefouloit fou
ftenir en vie : voire, fans que ie vous "
en euffe iamais donné aucune occa
fion.

VERS PLAINTIFS
AMOVREV X.

Si mevenez contraindre
A dire ma douleur ,
Aquoy ftbon,cruelle,puis s'enplain
dres
Las,
AMOVREVSES.
205
Las,quetoufiours m'ĕtenois quaſiſeur
Dont par longtemps en moy celé ie
tins
Tout ce de mal qu'en vous aymant
fouftins.
Et, metrompant momefme,
Serrant lesyeux àce que voyois,mef
me
Expreffement, vefquyfous quelque
" efpoir,
Qu'vn iourvenant d cognoiftre ma
peine
Vous vous rendiẞiez mienne.
Mais maintenat que contre tout deuoir
Cachez vosyeuxtant quene lespuy
voir,
M'oftant toute efperance,
En trop chaudmalmefailles encon
rir.
Las,en faueur demaperfeuerance,
Apprenez moy,pourle moins à mou
rir.
L'Amy
206 LETTRES

L'Amy fe repute fort heureux d'a


uoir vne belle maiſtreſſe.

LETTRE LX.

Leccüe voftre lettre, par laquel


lei'ay veu comme vous vous lame
tez & plaignez, nommat voftre de
ftin miferable & malheureux.Et à ce
que i en puis comprédre , vous eftes
induicte à ce faire , par la crainte
que vous auez de n'eftre aymee de
moy. A quoy voulant bien refpon
dre,ie dy, ma tref-douce Dame &
maiftreffe,que file plus de voftre fe
licité confifte , comme vous dictes
en la feule experience que vous vou
driez auoir,pour vo ' affeurer de mo
amitié,en voltre endroit ,tenez vo⁹
toute affeuree, q d'orefenauant vous
pouuez vanter , & nommer pour la
plus
AMOVREVSES. 207

plus heureuſe femme qui viue:d'au


tant que ie vous done ma Foy , qu'il
ne s'en trouue au mode,quifoit plus
cordiallement aymee, de quique ce
foit,q vouseftes mainten at de moy :
qui me vouë & donne entierement,
tel que ie fu:s, à vous pour perpetuel
feruiteur : efperant , ine donnant le
Ciel occafion par laquelle ie vous
puiffe moſtrer aucũfigne pour vous
manifefter la grandeur de mon affe
st
ction enuers vous , de vous faire a
pertement cognoiftre que ie vous
deuance d'autat en amitié (bien que
la voftrefoit extreme)que vous fur
paffeztoutle refte des autres Dames
en grace , beauté , & vertu . Ceffez
1 donc de plus derefter le Ciel , & le
[ nommer cruel, puis qu'il m'a defti
1 népour tout tel que vous me defi
W rez: mais trouuez le moyen d'en fai
re vne certaine preuue,à fin qu'envn
6 mefme
208 LETTRES

mefme temps vous vous puiffiez ré


dre affeuree , & moy iuftifié. Ie de
meure en attendant que vous m'aui
fiez & m'ouuriez le moyen par le
quel ie me dois gouuerner pour vo
pouuoir parler:vous affeurant de me
ranger totalement à tout ce qu'il
vousplaira me commander.

Yn amantfaillſes excuſes versſa Da


mepourne l'auciraduertie de
fon voyage.
LETTRE LXT.

Adame,il y a deux raiſons,leſ


quelles empefchet que ie n'v
fe d'aucune excufe pour avoir tant
attendu àvous aduertir de ma faine
arriueeà Plaisace. L'vne, pour vous
fçauoir parcela fi fort en colere co
tre moy,que vous ne voudriez main
tenant ouyr ny accepter ce que ie
vous voudroisdirepour mes deffen
fes:
AMOVRE VSES. 209
fes: L'autre,à caufe que ie vous con
gnois tant pleine de douceur & cour
toyfie , que vous viendrez à me par
donner incontinent que ie confeffe
ray vous auoir offenfee. Iene diray
donques ( madame ) la cherté qu'on
àicy de gens qui s'acheminent à la
volte de Venifeen eftre caufe , ou bie
la douleur que i'endure pourme voir
# tant eflongné de voftreprefence, qui
me metaucunefois hors de moy , ou
le defir que l'ay de me transporter
en là : pouffé duquel ie delibere à
tous coups de monter à chcual , n'
eftoit que l'en fuis deftourné puis
aprespar aduerfe fortune , ou bien
21
pour ne pouuoir fouffrir ny endurer
qu'vn autre vienneà contempler par
mon moyen cefte angelique figure,
en laquelle les dicux enuoyerent les
graces du Ciel à l'ennuy. Maisie di
ray bien ,que l'ay grandement pe
O ché,
213 LETTRES

ché , & faict vne faute digne d'vne


peine extreme : & neantmoins tant
me fembledoux l'endurer par vous,
que ie ne me puis ranger à vous en
demander pardon: combien que ma
repentance fuiue de fi pres le peché,
que ien'en voudrois encore demeu
rer impuny , n'eftoit que ie ne me
vueil mettre à la pourfuitte de chofe
qui contrarie à voftre vouloir , qui
eft toufiours prompt à pardonner. le
demeure icyà Plaifance en fi gran.
de langueur , pour me voir fi fort ef
longne de vous , qu'à peine puy-ic
croire que ie fois en vie. Et n'y fuis
certainement , car s'il eftoit autre
ment , il me fembleroit impofsible
que la paffion langoureuſe , ne me
caufaft vne foudaine mort. le parti
ray, quoy qu'il en foit,de cefte vil
le au iour de fainct lean : & me ren
dray dans Venife en vn clain d'œil,
file
At 173 EVSES. 211
file cheual fe trouue auant leger, que
ke defir fera prompt .

Vn Amantfe deffic desfignes & re


gards defa Dame.
LETTRE LXII.
Ousne vous deuez efmerueil
ic ne moftray aucun figne
V lerfrie
de l'alegreffe accoustumee , vous a
yant veuë lundy contre mon opi
nion , & peut eftre contre voftre
vouloir : & pour n'auoir veu mes
efprits reprendre telle vigueur qu'ils
auoyent de couftume auparavant, en
contemplantla nayue beauté qui fo
void reluire en voftre angelique fa
ce.Cela aduient ( Madame )que mon
ame(tant de fois deceue foubs l'om
bre de voftre foy promiſe ) ne veut
plus croire dorenauant au doux ris,
aux piteux regards , humaines paro
les, nyà chofe qui ait aucune appa
0 2 ren
212 LETTRES

rence deluy apporter quelque ioye,


à caufe(commel'ay dict )qu'elle s'eſt
trouuce par vous auec mille promef
fes & iuremens tat de fois abufee de
l'efperance,caufee par l'atraction de
vos fains regards : Et pour autant
que le plaifir eftpeu ou rien , à com
paraifon de la trefgrieue & poignan
te douleurdont elle faict miferable
ment efpreuue , voyant que venez à
luy máquercomme vous auez touf
1ours faict , elle a bien grande occa
fionde ne receuoir aucun confort &
de chercher, par ce moyen qu'vne
mort la conduife à la fin de tant & fi
grandes miferes : combien que ie me
fais accroire qu'elle nefoit pas
forteflongnee,fiie nefuis
deceu par les fignes
1 euidens de fa
venuë.

L'Amy
AMOVREVSES. 213
L'Amyfe dit outragé de s'Amye,
A neantmoinsfe confirme
enfon amour.
LETTRE LXIII.

Ous deuriez bien deformais a


V uoir eu cognoiffance que le
feu , lequel par vous m'a embrazé
le cœur , eft inextinguible : & quand
bien ma feruitude n'auroit efté fuf
fifante pour vous en acertener › la
moindre partie des outrages , def
quels auec mon fi grand torment,
vous auez iournellementvfé en mon
endroit,deuoitplus quefuffice à vous
en donner l'experience : car encore
qu'ils ayent efté innombrablement
15
infupportables , fi eftce qu'ils n'ont
iamais eu le pouuoir que l'ardent,
qui par vous me confomme ,foit de
calee de la miondre partie que ce
foit: & ne fera iamais en mov veuë
03 moin
2:4 LETTRES

moindre , finon alors que toute cho


fefera conuertie en cendre. Vous ne
fçauriez dire d'gnorer que ie fois ain
fi captiué dans les liés d'amourà vo
ftre occafion,ny qu'il ne foit impof
fible que ie m'en puiffe iamais deli
urer. Ne dites donc plus comme
vous auez dit à M. A. que vous ne
voulez me donner fecours , pour au
treraifon,finon de peur que ie vien
nc à m'estranger de voſtre amour en
receuantplaifir devous , encēdu que
c'eft vne trop maigre excufe , & qui
n'eft aucunement receuable. Carfi
ie me fuis toufiours monftré plus
voftre affectionné , quand moins
vous m'en auez donné d'occafion,
il est bien vrayfemblable que ie le
feraybeaucoup d'auantage : mefen
tant à cela obligé : auec ceque l'in
gratitude ne peut iamais tomber fi
non dans vn cœur vilainement in
humaiu
AMOVREVSES. IIS
humain. Mais à quoy font bonnes,
ny en quoy me peuuent feruir tant
de viues remonftrances & apparen
tes raifons ,pour vous induire à croi
reque mon amour eft immortelle
ment inuiolable , puis que ic voy à
l'œil le peu d'eftime que vous en fai
&tes? Cars'il n'eftoit ainſi, vo'crain
driez , au contraire de ce que vous
auez dit , que l'office de pitié vinſt
à amortir le feu , mais trop bien de
medonner la mort , vous monftrant
cruelle en mon endroit.

A LA TRES- BEELLE ..
Madame Lucrece .
* *

L'Amant endonnant louages àfa Da


me, l'appellant cracus, e
quierejafauceur ou
La mort.
04 I. E
216 LETTRES
LETTRE LXIII.
Adame, amour fçait quelle
griefue douleur ie fupporte, à
toutes heures que voftré cruauté me
contrainctàme plaindre de vous : de
vous que l'ayme dauantage & plus
cherementque ma propre vie. He
las : quantesfois di-ie à part moy: ô
tref- malheureux Amant , puis quetu
es reduit à telle extremité , qu'il te
faut malgré toy nommer cruelle &
fanspitié celle, que tu voudrois voir
Roynede l'vniuers , & à laquelle tu
portes amitié tant fainctement affe
ctionnee. Puisie me mets à derefter
la nature , qui fe monftra tant cu
rieufe à defploier fon tout,pour vous
rendre le feul exemple & vray pa
rangon de toute beauté , fans fe fou
uenir d'accompaigner ce parfaict,
dont elle vous aorna,d'vne feule par
ticelle' de piticfeulementqui ne vous
feroit
AMOVRE VSES. 217
feroit moins feante , & honnora
ble , qu'à moy neceffaire & profita
ble. l'ay cogncu par voftre lettre
comment vous vous plaignez de
moy de ce que ie me lamete de vous.
Maisie ne fçaurois faire autremeni:
& m'en croiriez bien quand vous
auriez vnefois experimétee la moin
dre partie de l'amere douleur qui
m'accompaigne iours & nuicts,pour
vous cognoiftre tant refroidie en a
mitié & fi peu affectionnee enuers
moy, voftre tresfidele amy & ferui
teur:eftant affez affeuré que vous le
ingeriezpuis apres en moy fi vehe
ment , qu'il vous feroit difficile de
l'eftimerpar deffus la plus cruelle ef
pece de martyre qu'vn patient fçau
roit endurer. Parquoy ( douce mai
ftreffe ) tenez moy pour excufé , ou
deliberez dorenauant de faire fentir
l'heur de voſtre fecours à mon ame
01 tant
218 LETTRES

tant durement affligee. Vous affeu


rant quevous me donerez toufiours
occafion ( combien que auec mon
trefgrand regret ) de me plaindre de
vous , tandis que ie vous fentiray , à
mon dam fi mal pitoyable. Ce que
vous deuez fupporter en paix , d'au
tant que vous etes lafeule caufe de
ce mal icy & de tout autre qu'en
pourraprouenir.

SONNET.

Siie n'euzonc de vous,mafouueraine,


Sinon torment & peine,
Pourquoyprenez à regret que ie die
Que m'estes ennemie?
Las ,permettezfans plus eftre hautai
ne,
Que d'Amourle doux feu
A rechauffer voftrefroid cœur foit
veu.
Et
AMOVRE VSES. 219
Et donnezfin àmon cruel martyre.
Lors vous m'entendrezdire,
Amant ne veiftfus terre
Qui plus que moy trouue fa Dame
amie.
Mais en me faifint guerre,
Ne vousfafchez s'il aduiet que iedie
Que m'estes ennemic.

L'Amyconfeffen'auoir laſuffiſan
ce de refifter àfespaßions
fanslefecours de
s'Amye.

1 LETTRE LXV.

Vand ie fentirois fi grande


а vertu en moy,qu'elle fuft fuffi
fante pour me deffendre & deltour
ner de toutes amoureufes paffions
fans Payde de voftre fecours , certai
nement fi douce me femble la lan
gueur caufee en moy à voftre oc
cafion
220 LETTRES
cafion , queie ne le vous demande
rois iamais. Mais pour autant que
ie cognois ma valeur eftre foible,
& trop cuifante la flamme qui par
vous m'ard le cœur , ie fuis contraint
de vous aduertir comme ie fuis pour
bien toft manquer de vie , fi vous
me faillez de fecours & faueur. Ce
que ie ne pourrois croire aucune
ment. Et à fin que vous ,fage , ve
niez a prendre quelque cognoif
fance de mon befoing , ie refpondray
à tout ce que vous me fçauriez obie
ter au contraire :vous aduifant par
&
cela qu'vne grande leuee de paro
les ne me foulage non feulement,
maisme caufe dans le cœurvne dou
leur infinie. Et eftant affez affeuré
que vous m'lleguerez du premier
coup telles graces & dós,come font
ceux que ie vous demande pour mon
falut, deuoir eftre octroyez à ceux
M
AMOVREVSES. 221

la feulement qui s'en font rendus di


gnes parleur longue feruitude : Ma
dame , affeurez vous que ie nefcau
rois pretedre plus de meritefur tous
vos dons & graces que ie fais, quand
bien ie me ferois employé en voftre
feruice pal l'efpace de cent ans : tant
eft grandela foy , l'amour & reue
rence que ie vous porte & vous ay
portee en mon cœur , depuis le iour
& heure qu'amour me naura par
plus de mille playes. Madame ma
maiftreffe , fouuenez vous que plus
vaut vne petite gemme , qu'vne tref
grande piece de voirre.S'il vous fem
bloit,puis apres, que i'euffe trop re
ceu de vous pour vous auoir touf
iours trouuce tres-courtoiſe enuers
moy de voſtre douce veuë , & d'a
uoirdaigné receuoir meslettres, iele
vous cófefferay bien,voire & par ce
la ie mefens grandement voftre re
deuable,
222 LETTRES

deuable , qui vous deuroit inciter à


me donner ayde contre fi fiere dou
leur,tant pourvofereaduatage , com
me pour office de pitié : à l'exem
płe de ce non moins fage que be
ning marchand , lequel voyant fon
amy en danger d'encourir quelque
grande perte & ruine , ne laiffe de
fe fecourir parle preft d'vne gran
de fomme de deniers , encores que
l'autre luy foit redeuable d'vne au
tre grande quantité , à fin qu'en fe
remettant fus , luy puiffe fatisfaire
de l'vne & l'autre fomme. Ainfi en
dcuez vous vfer en mon endroictma
douce maiftreffe , me retirant d'en
tre les mains de la mort , quia defia
haucé le bras pour me frapper : à fin
qu'en vous feruant tout le refte de
ma vie , ie puiffe en quelque partie
finon payer,à tout le moins couurir,
Pobligation qui merend votre rede
uable.
AMOVREVSE'S. 223
uable.Et ne vous laiffez deceuoir par
quelque vaine penfee, qui vous vou
luft affeurer,à l'exemple de plufieurs,
que iepuiffe longuemét durer en ceft
eftat:carvous vous en trouueriez in
continent abuſee : pourautant que le
feu,qui fort de vos beaux yeux, peut
tant ,qu'il auroit force de conuertir
envn moment en cendre la plus ver
de & efpaiffe foreft,qui foit au mon
de. Ce que vous peuftes clairement
aperceuoir,dés le premier iour , que
ie vinsà ietter ma veuëfur vous , par
la fumee de mesardens foufpirs , qui
1
vous donnerentcognoiffance de l'ar
deur qui me brufloit au dedans , plus
que fouffre ou amorce , ce qui eftoit
vray: & toutesfois i'auois efté aupa
rauant par plufieurs eftimé matiere
indifpofee àreceuoir ſemblable cha
leur.Ayez y doc efgard,&me croyez,
que lene fçaurois deformais plus de
meurer
224 LETTRES

meurer envie,fans voſtre ayde & fe


cours. Et pourautant qu'il me fou
uient d'vn argument , que vous me
propoſez , par vne voſtre lettre , il
m'eſt maintenant prins enuie de le
rabattre , là où,foubs ombre d'auoir
ma feruitude aggreable , vous dittes
que l'on ne doit iamais enrichir le
feruiteur qu'on a aggreable.Si ie vou
lois refpondre à cela par le menu , il
faudroit que ie fille vne diſtinction:
car en amour les fins de feruitude fot
diuerfes , comme auffi la penfee de
qui fert , eft variable & differente.
Mais pour ne vous ennuyer , ie ne
mevueil tant entendre , ny entrer fi
auanten matiere : toutesfois ie diray
bien cecy , qu'on ne deuroit iamais
refuferaucun don ny grace , à celuy
quifertpar amour,comme ie fais,de
peur qu'il ne vinft à manquer de fon
office, apres n'auoir plus dequoy ef
perer.
AMOVRE VSES. 225
perer. Car celuy q fert amiablemét,
eftime feulement les dons , en tant
qu'il le font certain de l'affection de
fon Seigneur , en fon endroit. Il ne
vous reſte donc aucune excufe,pour
Ľ me nier la commodite de vous pou
uoir parler:bienque ie m'affeure tát
de voftre Getileffe,qu'elle ne mere
fuferaiamaiscefte grace, qui vous eft
de fi petite deftourbe, & à moy de fi
grand profit.

A L'VNIQVE PARAN
gon de beauté & de vertu,
MadameH. G..

Vn Amantreuelle fa nouuelle
flamme à l'Aymee .
LETTRE LXVI.
E mefuis toufiours efforcé à vous
celer de tout mon pouuoir la trop
grande flamme , qui m'a defia quafi
P reduir
"
226 LETTRES

reduit en cendre : à quoy me pouf


foit & contraignoit voftre hautelle,
& mapetiteffe. Mais maintenat que
ie fuis venu iufques à là, qu'il ne fe
trouve plus partie en moy , qui foit
apte,ie ne diray pas à fouffrirle mar
tyre , que vous m'auez faict fouffrir

& endurer iufques icy, mais quafià


receuoir le confort, qui me pourroit
venirde vous:comme homme con
traint , ie me fuis mis àvous refcrire
ce peude paroles,pour vous aduer
tir come ie vous fuis feruiteur, ne de
firat autre chofe, que de le vous pou
uoirvniourplus clairement donner
à cognoiftre , auec vne trefgaillarde
preuue: combien que toutes les fois
qu'il vous plaira de regarder mes
yeux,iefuis certain que(moyennant
la vertu des voftres ) vous pourrez
tirervne ferme affeuráce dema pei
ne,& de mafoy.le ne vous diray au
tre
AMOVRE VSE S. 227

tre chofe , finon que les chofes fales


& pourries, font bien encor illumi
nees par les rayons du Soleil : vous
aduifant (fi mavie vous eft aggrea
ble) de ne plus tarder à me donner
ayde & fecours,par vne voftie cour
toife refponfe, qui ne pourroit tom
*
ber en meilleure main qu'à la pre
fente femme.levous baife les mains
auec toute telle reuerece que iedoy.
-w. od sp
Vne icune Dame (ayắt efté deceue d'vn
amy )fe met en courroux parpa
roles iniurienfes
fon
91 LETTRE LXVII.
2397 um exiónɔ got

Epenfe point pourtant perfi


Nde & inhumain,que tefois tát
hors de moy(combien quelacruau
té,donttu m'as vfé , m'endonie af
fez fuffifante occafion )de te refcrirę
P z nain
228 LETTRES

maintenant, fous efperace que te ra


menteuant mes peinestrefaigres, &
ton peché trefgrief, ie te puiffe ia
mais efmouuoir à pitiépar l'vne ny
par l'autre de ces deux raifons. Car
ie fuis bien affeuree qu'ilferoit plus
facile qu'vn malade receuft guari
fon par le plus mortifere & cruel ve
nin,qu'o fache trouuer , que tu defi
ftaffes de plusboirele sag, l'hōneur,
& la vie de celles, vrayement beau
coup odieufes au ciel, & à la nature,
qui adiouſteront foy à tes fraudulen
tes deceptions. Que la crainte de
l'occulte Iuftice te puiffe induire à
cela , ie ne l'efperois iamais : carie
doy bien croire, que tu penfes nefe
trouuer aucun quipuiffe doner efgal
chaftiment à la grandeur de tes mef
chantes œuures , puis que tu as tant
mis àre voir demebrer & १.defchirer
par les chiens, en vengeace du cruel
delict
AMOVREVSES. 229
" delict que tu as commis à l'encontre
制 de moy. Tu m'as d'entre les bras de
ma douce mere , tu m'as des benefi
ces de mon cher Pere, tu m'as de la
compaignie de mes amiables parens
& compagnes , auec mille aguets &
trahifons enleuee : Tu m'auras les
biens,l'honneur , & finablement la
vie ofteę. Ah cruel , combien te fuf
fes tu móftré pitoyable , la nuict que
tu m'efloignas furtiuement de ma
maiſon.Situ m'euffes donné la mort
auec vn poignal , ou auec les plus
fiers moyens que tu euffes peu yma
giner.Vyinhumain: mais non pas fi
ioyeufement que tu faispar ma dou
leur : laquelle plus eft vehemente,
& moins en ay ie de fentiment ,
penfantà la vengeance qui pleuura
du Ciel fur tes efpaules. Ainfi te
puiffe il donner la force pour la fup
porter , afin que la mort n'ait non
P 3 plus
230 LETTRES

plus ' de pouuoir de t'en defliurer ,


qu'elle a eu de pitié à terminer mes
malheurs.
t
A TRESBELLE ET
treshonnefte Dame,Madame
Caffandre Stampe.

Il louela beauté de fa Dame , outre


le : dégré humain.
LETTRE LXVIII.
ontol
Adame Caffandre,fi la beau
Mté lavaleur, & l'honneſteté,
les graces,lefquelles vous accompai
gnent , donnoyent auffi bien har
dieffe & pouuoir de chanter les di
uines vertus,qui vous illuftrent, co
me elles font occafion de vous faire

demeurerperpetuels feruiteurs, tous


ceuxqui vous contemplent , certai
nement des ceſte heure vous enten
driez
AMO VREVSES. 231
driez en plus de mille lieux voftre
beau nom refonner , lequel fonne fi
doucement dans mó cœur , que tou
te autre harmonie,pour douce qu'el
le foit,difcorde à mes aureilles. Ainfi
pleuftikau Ciel que ie vous le peul
fe faire voirpar le moyéde quelque
vertueux effect. Mais pour excuſe,ie
prendrayceshautes vertus aufquel
les vous etes tant parfaictement ac
complie : lefquelles , (comme l'ay
dit) nedonnentfeulement hardieffe
ou valeur à qui les admire & adore,
deles publier,maisfontque ceux qui
en ont cognoiffance s'eſtimet quafi
indignes de les cófiderer. Vous vous
monftrez bien telle , ma trefgentile
Dame Caffandre, que vous pouuez
eftre affeuree , que mesparoles font
certaines. Fuffe-ieainfi affeuree d'e
ftre quelquefois en voftre fouuenir:
car ie m'eſtimerois heureux,& tota
P 4 lement
232 LETTRES
lementfatisfait de la reueréce & af.
fection que ie vous porte. Mais fim
ple que ie fuis , quelle recompenfe
puy-ie meriter pour vous aymer ?
Certainemet aucune:puis que nous
fommes treftoustenus à aymer & re
uerer les chofesdiuines.Or que vous
foyez diuine, & non humaine,voftre
celefte beauté ( au parangon de la
quelle toute autre demeure effacee)
en peut porter affez fuffifant telmoi
gnage. Que diray-ie puis de celte fi
grande honnefteté , qui fe void en
vo' caufer de fi merueilleux effects,
que vousnevousmõſtrez à vn chaſ
cun moins accorte & plaifante, que
chafte & entiere?Lairray-ie en arrie
recefte fuprefme apprehenſion , qui
fait fi forteftonner les humains, dó
nant autantfuffifante refolution de
ce qui luy eft propofé , comme elle
fe monftre admirable en propofant
ce
AMOVREVSES. 233
ce quife peut à peine refoudre:Mais
voyez comme peu à peu ie viens à
entrer dás le trefprofond abifme de
vos excellentes graces lequel, m'ef
pouuentant,a eſté cauſe,& ſera que
་་
T'aye teu, & tairay ce que ie rememo
0 re de vousfouuentesfois, en l'admi
Fo
rant à par moy.Cognoiffes dóc l'en
tier effect de mon cœur, & yous te
nez toute affeuree , que ie vous fuis
trefamiable efclaue.

A TRES-NOBLE DA
me, Madame Ianne Va
gu'augelle.

L'Amyconfermeſon amour uers


Amye, & len affeure.

LETTRE LXIX.

Ertainement fi i'auois le Ciel


CEtant à ma faueur,qu'il vous fift
PS faire
1734
234 LETTRES

faire telle preuue de mon amitié, que


faict la douleur,de ma vie, ie me ties
affeuréquevous me trouueriez tant
prompt & fi fidelle, que quad il vous
feroit rapporté, que i'euffe faict cho
fe,laquelle vo" peuft caufer quelque
blafme ou minage, vous n'adion
fteriez fov à qui vous feroit vn tel
rapport,bien que, comeie croy, vo
ftre imagination a efté telle, que i'ay
monftré voltre lettre à aucun , non
tantpour vous faire feruir cela d'ex
cufe,ayat tardé , plus que beaucoup,
àme rendre refponfe , que pour di
minuermonallegreffe: laquelle n'a
yant efgard à autre chofe,vous pefez
par aduenture eftre fuffifante pour
me tuer. Si par cefte occafion vous
auez efté incitec à merefcrire, il n'e
ftoit neceffaire,ny licite. Neceffaire,
non : car encore que la certitude
d'emporterla grace d'vne telle,deuſt
P caufer,
AMOVREVSES. 1235

caufer,non feulement àmoy , mais à


la plus fuffifanteperfonne du mode,
vne ioyeinfinic: il ne s'enfuit partat,
nepouuant contempler cefte extre
me beauté, & ces diuines graces, lef
quelles auec figrande merueille font
de tous adorees, que ie fois attaint
de la plus grand douleur & fafcherie
T qu'on pourroitdire. Il n'eftoit licite:
I car ce n'eftpasraifon que doniez la
mort à quivous ayme vous affeu
rant,que vous repliquez trop fou
uenttelles parolles, finillant bie toft
lecours de ma vie,ie vousdonnerois
peut eftre(fivous m'aymez tantfoit
peu)vneamere affeurance, que vo
ftre ennuy meferoit occafion d'vne
infupportable douleur. Viuez donc
Madamé , comme toute affeuree de
ma Foy: & fi ma langueur vous faf
che aucunement , faictes tant que ie
Youspuiffeparler: afin que les affe
Єtueux
236 LETTRES

&
tueux accens , les triſtes paroles,&
les ardésfoufpirs vous puiffet mieux
que ce peude papier ne peut acerte
ner,cóme ie fuis le plus amiable &
fidelle feruiteur,qui fut iamais au fer
uice de Dame.

197 SONNET.

S'il fut onc vray,ie vueil que ces beaux


yeux
(Seul doux cõfort à mõafpre martire)
A tort ou droit viennent à côtredire
Obftinement àce qui meplait mieux.
Et fois en baine à Nature & aux
Dieux, &.

Et qu'à la mort bietoft mo efprittire:


Puis qu'on ne puiffe encor , fupplice
efire
Plus que le mien en enfer odieux.
Mais s'ainfin'eft, qu'à moy feul feule
ment.
Vous vous ragiez, baniffant le tormet
Et
AMOVREVSES. 237
Et trifte dueil, à iamais , qui me trouble
Si bien qu'en tout ce que le Soleil uoit,
Et que la mer enceint, veže ne foit
D'Amans loyaux la plus heureufe
couple.

Yn Amatdefefperé fe fouhaittemort,
fa Dame contente.

LETTRE LXX.

Adame, ce peu de versfuffira


7 M pour refponſe à voftre lettre :
parquoyie nevous diray autre cho
fe,finon que ie m'appareille à rece
4 uoirla mort, puis que i'y fuis con
******

trainct par voſtre cruauté.


20mela 7
VERSLAMENTABLES.
of aging fr
T
Las, queleffayplusgrädpourriezauoir
De mon cruel martyre ,
Qu'à
238 LETTRE'S

9.5 Qu'à voir comme l'expire ?


Iemeur's parvous,ce que vouspouuer
voirts }
Et toutesfois trop rigoureux deuoir
de mon mal vous fait rires :
Maispour m'efter expres
L'beur derepos,feignez plaifir nepren
dre " 3000 JAYATED TO
En ce qu'aymez : car vous sçauez
BATTE1
qu'apress 1
Mourrois content,pour cotente vous
arendreg 90 mogɔɔ,5ml. A XA

vn Amoureux se plainit & Amour


de fa Damefans prié.
burge 1131
LETTRE LXXI " .
St-il, poffible , que vous foyez
tant defireufe des larmes d'au
E
truy, & quen enfoyez chcocesaffou
uie,parvne mer qui en eft pleine de
mes yeux quevous auez clic? Orres
iniufte Amour,que ne preftes tu ton
fecours
.
AMOVREVSE S. 239

fecours à ceux qui te font fidelles à


leur extreme befoin › pourquoy n'e
chaufes ou ne naures tu celtecy, qui
m'ofte la vie à fi grad tort , deprifant
tes flambeaux & fagetres ? Mais qui
me faict inuoquer la valeur pour
mon falut , fiie comprensà mille fi
gnes que tu ne peux rien cotręcelte.
tiennebelle & mienne ennemie :Si
tonfeu trefardant auoit aucun pou
uoir fur elle, mon cœur qui loge
dans fon eftomac en elt fi fort em
brafé,qu'il ne deuroit feulement de
formais auoir vaincu . & fondu la
glace qui enuironne fon cœur, mais
deuroit defia auoir tout reduit en cé ||

dre. Las , que feray-ie , puis que


l'efperance eft vaine que tu me doi
uesfecourir, ilme vaut mieux mou
rir : car peut eltre cela l'incitera à
prendre compaffion de mes tormés.
Mais dequoy me feruira il qu'elle
s'adou
240 LET T.RES

s'adouciffé & deuiene piteufe apres ouyr


ma mort, & s'adoulourant de mon filiqu
mal:Enfuffe-ie autant affeuré, com pourra
aignem
me ie fuis certain qu'vn feul de fes
foufpirs(qui à mon occafion luy for penta
Tanleza
tift de l'eftomac) pourroit faire que
le Ciel me retournaft envie.Folque parm
ie fuis, comme eft-ce que ie refue ?
Helas que la trop aigre douleur me
tranfporte ainfi hors de moy-mef
me. Ah , Dame fans pitié , quels &
quants font les fignes euidens que p
vous auez de mon martyre : & tou
tesfois vous ferrez: obftinément les
yeux,& faictes l'oreille fourde à mes
plainctes. Ainfi fuffe-ie né fourd & Eluis
aueugle pour n'ouyr vne voix fi mé- elle
Ten ur
teufe, ny voir vne tant dommagea nedum
ble beauté:mais helas,que ie n'ay eu
feulement ceſte aduenture , ains le ten
Ciel ,pour mon plus grand malheur, é
me done mille yeux pour vous voir fug
&
AMOVREVSES . 441
& ouyrauec aurat d'oreilles O cruel
bafilique , ô faufe Serene : quand
pourray-ie voir que retournant be
nignement voſtre regard comme en
repentance de voftre cruauté , vous
veniezà me rendre le guerdon meri
téparmaferuitude?

A TRES-BELLE DA
me,Madame Iſabelle.

Ilfeplainct auoir efté abſent de la


veuëdefa Dame.
LETTRE LXXII.

E fuis bien affeuré , Madame Ha


IEbelle ,, que vous croyrez fans que
P'en iure, que la plus auare perfon
nedu mode , à qui on auroit furtiue
mét enleué le threfor , ne fentiroit la
moytié de la peine & tourment que
i'ay fupporté iufques à cefte heure,
e pour
242 LETTRES

pour ne fçauoir en quelle part vous


faifiez feiour , douce & perpetuelle
Dame de toutes mes penfees. De
quoy vous pourra faire foyà voſtre
retour mon affligee image , laquel
le eft demeuree fans aucun figne de
vie, ample tefmoignage de combien
luy eft à cœur la perte qu'elle fit,
qui fut autant grande fur le poinct
quevous la laiffaftes , que tout le gain
qu'elle fçauroit faire tout le long
d'vneanne. Quantesfois fuy- ic paf
fé deuat voſtre maifon,laquelle pri
uee de voſtre prefence, me fembloit
dire:Noftre defaftre faict à tous deux
fentir envn mefme temps la peine
d'vn diuers mal- heur : toy , demeu
rant fanscœur, & moy , fans aucun
luftre nyfplendeur. Puis venant à iet
ter la veuë fur ces feneftres tant ay
mees(par le moyen desquelles il m'a
efté plufieurs fois permis contempler
la
AMOVREVSES. 243
la beatitude qui reluit dus vos beaux
yeux ) ie difois ô defpouillees & de
foleesfeneftres, où eft celle qui vous
fouloit aorner d'autre chofe que de
richestapiz vous donnant efprit &
fentiment pour pouuoir iouyr d'vn
fi precieuxioytu ? Fermez vous def
ormais miferables:Car commevous
eftiez auec elle n'agueres hautes &
claires d'vn plaifant & trefdoux Pa
radis :ainfi vous en voyant mainte
nant priuee , vous me femblez droi
&
tementles portes d'vn horrible &
trefobfcur enfer , d'autant que vous
auez perdue celle qui vous faifoit en
uier d'vn chacun, & qui vous fouloit
deffendre des outrages de Phoebus,
1 les rayons duquel prenoyent la fuit
te àlagrandfplendeur d'elle non au
trement que font ceux des plus me
nues eftoilles à l'apparition de luy.
Maintenatil yous frappe & offenfe,
Q? puis
244 LETTRES

puis que vous n'auez plus qui vous


en deffende, ny qui le puiffe repouf
fer.Moy femblablement,me fens of
fenfé & batu : par la douleur que me
cauſe l'eflongnement de mon con
fort& ayde. Ainfi en telles refueries
i'allois confommant la pluſpart du
temps enfemble auec la vie:laquel
le pendoit deformaisà fi petit & de
lié filet, que n'euft efté le fecours
que m'a apporté votre trefdouce let
tre,il ne pouuoit pas beaucoup paf
fer de iours , que l'ame fe fuft veuë
eternellement bannir de cefte def
pouille mortellement affligee. Vous
pourrez cognoiftre le bon vouloir
que ie porte à celuy qui vous tient fi
longtempseflögnee de maprefence,
par ceSonnet que ie vous enuoye,le
quelie compofay efpris de iufte def
dain l'attés voftre venue auec telaf
fectioné defir que vo? pouyez péfer.
SON
AMOVREVSES. 245

SONNET.

Tropplus amer (
fauxpaſteur) quel al
‫ا‬ luyne
Puiffentfemertes abeilles leurfruit,
N'herbage aucunfoit dans tes prez
produit,
Tantfois trouué des dons du Ciel in
digne.
Loups affamez defureur qui s'obfline
Acarnager puiffent prendrededuit
Tes troupeaux : fi quefaſché,furla
nui&t
N'enpuiffe voir apparence nyfigne.
Crueldeftin,malheureufe Planette,
Ayent lefrein de ta vie en la main,
Dotplein d'ennuy à iamais fois rēdu.
Ce dit Damonfouzpn Orme eftendu.
Et dit encor, Pourquoy , Tyrfe inhu
main,
M'enleues-tu ma chere Brebiette?
V'n
246 LETTRES
Yn amant vaincu d'amour deman
defubite refponſe.
LETTRE LXXIII.

Andis que l'aypeu refifter auec


T mapropre forcetbien qu'auec
ma trefgrande douleur ) à l'amou
reufe flamme qui parvous ( madou
ce Dame ) me bruflant , tourmente
moname ficruellement , ie n'ay ia
mais pris la hardieſſe , abbatu de
crainte par la grandeur de votre
magnificence , de penſer ſeulement
રે Vous defcouurir la grande amour
& affection que ie vous porte,à l'oc
cafion de voſtre infinie beauté , &
par les diuines graces & vertus , qui
Vousilluftrent.Mais maintenant que
celte vigoureufe force , laquelle me
fouloit rendre fort , eft foiblement
decheute , l'ay efté contrainct, vous
defcouurant mon amour , de tenter
се
AMOVREVSES. 247
a cepremier&dernier remede,Si c'eſt
le premier , vous le fçauez : & eft
encore en vous de le faire le dernier
vous affeurant qu'en voftre feule re
fponfe gift ma vie & ma mort. le
vous prie donc,ma trefnoble & gen
tile Dame , que ces imiennes affe
ctueufes paroles , foyent humaine
ment receues & ayent lieu dans vo
ftregentile penfee : & fi vous ne me
fentez digne de pouuoir acquerir vo
ftre grace par beauté ou vertu qui
foit en moy , affeurez vous & penfez
hardiment que ie la puis bien meri
ter par amour & ferme foy. Parquoy
voftre magnificence fe delibere de
medoner bon efpoir, & m'accepter
pour tresfidelle feraiteur,comme ie
fuis : autrement qu'elle face compte
de fe monftrer cruelle homicide de
qui reuerement l'adore. Touresfois
ic tiens tant de voftre benigne natu
Q 4 [C,
ES
248 LETTR .

re,que vous ne voudriez guerdoner


ma longue & taiſible feruitude par
vne fi aigre recompēle.Dequoy eftát
bien affeuré , l'attens ioyeuſement
voftre courtoyſe reſponſe.

A M. ALBERT
de Cauaneis,

Louanges d'Amour.
LETTRE LXXIIII.

Res-honnoré meffer Albert,les


TR occafions font infinies qui m'in
citent à vous refcrire la prefente, con
tre la faufe opinion qu'auez,de croi
re que la plufgrande folie qu'on fçau
roit faire , eft, que de fuyure Amour.
Certainement fi vous teniez ſecrette
en vous ceſte creance , il feroit bien
raifonnable qu'on nevous y contra
riaſt iamais;à fin que demeurant en
fi
AMOVREVSES. 249
fi lourde erreur , vous vinffiez vn
jour prouoquer Amour à s'en refen
tir & en fairefur vous vne trefafpre
vengeance :laquelle ne pourroit eftre
fi petite , qu'elle ne ſemblaſt à vous,
& au plus robufte homme du mon
de, infupportable , bien que quand
encore ainfi feroit que ce puiffant
Dieu fe paffaftdevo en donerchal
-timent , il vouslairroit affez grande
penitence de voftre peché, vous per
mettant de viure au monde fans fai
re aucune experience de la douceur
de fon feu ,la inoindre flammeche
duquel feroit fuffifante à vous faire
confeffer que la beatitude s'eprou
ue ça bas.Mais pour autant que , co
-meray demonftré cy deffus, vous ne
vous glorifiez feulement de vous
t voir hors les loix d'vn tant iufte ,a
miable & gracieux Seigneur , mais
allez encore en tous lieux iournel
le
es
250 LETTRES

lement en guiſe deféducteur , le pu


bliant tyran , iniufte & cruel , ie ne
fçaurois faire , pour deux raiſons,
que ie ne vous en reprenne : vous
faifant cognoiftre appertement que
nous nefaurions paruenir au but de
chofe gentile ný vertueufe, fans que
ce puiffant Dieu ne nous tenderla
"
main. La premiere raiſon qui me
pouffe à ce faire eft le propre hon
neur : car il eft certain , toutes les
fois que vous ferez tenu pour fage,
fuyuant vne telle opinion ; que lon
in'cftimera fol pourme ranger àfon
feruice. L'autre ne me meut feule
ment, mais me contrainct , en tant
quelepropre naturel d'Amour eft de
toufiours ayder autruy:dõe par ce mo
ye beaucoupfe fentirot de mo ayde,
lefquels , vous cognoiffans en toute
autre chofe , homme de trefparfaict
jugement,vous enfuyuroyent en ce
2.0 cy,
AMOVREVSES. 251
cy,fuyans les amoureux liens :ce qui
ne feroitfinon s'eflongner de vertu
& gentileffe. Car Amour eft le vray
maiftrede toute honnorablefapience : &
qu'ainfi foit , prenez garde à ceux,
dans le cœur defquels il luy plaift
prendre place , vous les trouuerez
gentils,gracieux, bien nourris , cou
rageux , accorts: honneftes , & fina
blement iufques au bout , aornez de
toute efpece de vertu.Quieuft faict,
autre qu'amour, qu'vn homme ru
ftique & en tout eflongné de toute
humanité commeeftoit Cymon (du
quel faict mention le Bocace) fe fuft
rendu en peu de temps le plus valeu
reux& rulé cheualier qui fe trouuaft,
peuft eftre,defon teps ? Mais à quoy
m'amufe- ie , voulant commencer à
ramener en ieu les exemples defava
leur , s'ils font infinis : & fi chaſque
vray Amant en faict foy à tout le
monde
252 LETTRES

monde ,fuyuant & aymant la vertu,


la beauté l'honnefteté, & la gentillef
fe ?Et pour vous en mieux acerte
ner,demandez àvn Amat pour quel
le occafion il ayme fa Dame : certai
nementilvous dira incontinetpour
ce que ie la trouue belle,gétille, & ver
tueuse , & ne dira iamais , à cauſeque
efpere defaire ou d'obtenir. Et fi d'a
ucture il s'oublioit tant q de faire tel
le refpófe,dites luy affeuremét, qu'il
n'eft touché d'Amour en forteque
cefoit, mais trop bien oppreffé d'v
ne rage lubrique & brutale: Car , à
dire vray , les animaux irraiſonna
bles ne s'entrayment quelquefois
pourautre chofe,fi non que par l'af
preté de fi vile furie : ce qui fe co
gnoift àl'œil: d'autant quetel appe
tit voluptueux ceffé,il ne refte entre
eux aucunefcintille de paix. Celuy
donc qui regardant à telle fin fe vou
'dra
AMOVREVSES. 253
dra vanter Amant , il mentira tout
outre:mais fe pourra mieux dire fu
sieux & indigne du guerdon de tout
gentil feruiteur d'Amour : lequel fe
logefeulemeten nous par le moyen
de la vertu , & de quelques diuines
qualitez prodiguees parle Ciel en la
chofeaymee.Et qu'ainfi foit , regar
dez qu'vn Seigneur mettra fon a
mour quelquefois en vne , qui ne fe
pourroit efgaller à luy de richeſſe,
d'honneur , ny de parenté , finon de
bienloing: toutesfois il ne lairra en
la voyant de luy porter tel honneur,
& luy faire la plus grande reuerence
qu'illuy fera poffible : voire en fa
prefence ne monftrera moindre fi
gne de crainte , que s'ileftoit deuant
les plusfeueres iuges du monde qui
le deuffent condamner . Dites moy,
vous femble il chofe naturelle ou li
cite, qu'vn grand vienne à honnorer
& reue
254 LETTRES

& reuerervn autre,beaucoup moin


dre que foy certes ie ne le penfe
point. Que pourroit on donc dire,
finon que cefoit vne occulte diuini
té infufe en celle qui tire celuy à luy
faire honneur & reuerence , toute
telle qu'ilappartient à vne choſe ce
lefte : De la incontinent prouientla
crainte de luy defplaire en faict on
enparole : par cela nous voyons
bien à toutes heures quele vray A
mant donne plus grand figne àl'Ay
mee , de mortque de vie demeurant
fans aucun mouuement , non autre
ment que fi c'eftoit quelque froide
ftatue de pierre.Otreſſainct A mour:
qui voudra dire que tu ne fois Sei
gneur digne qu'vn chacũ s'employe
de toutes fes forces à tonfcruice:puis
que tu nous dones facile entree pour
vnir àla cognoiffance d'aymer &
reuerer les chofes diuines , lefquelles
fans
AMOVREVSES.
235
fans ton moyen demeureroyent in
dignemet enfeuelies , foubsl'ombre
obfcure de perpetuelle ignorance,
Amour doques eft occafion detous bons
effects:il maintient la paix : car Amour
nefignfie autrechofe que vray coferua
teurdepaix:ilfe delectefurtout de l'bo
nefteté: comme il fe voit par expe
rience, quand il eft par deux Amans
fainctement obferué : il eflit fa de
meure en eux, comme propre feiour
de fa diuinité : mais s'il aduient que
leur defaftre permette quil en foit
dechaffé , incontinent les abandon,
ne,comme dedaigné de figrand ou
trage. Cecy levoid à l'œil, que l'Ay,
mee ne s'eftpas pluftoft forfaicte &
portee deshonneftement enuersl'A+
E mát,qu'il perd toute l'affection qu'il
luyportoit , & n'en faict plus d'efti
me: & celà aduient pourautant que
Amour s'eflogne d'eux.Oferiez vo
donc
256 LETTRES

donc maintenant dire, qu'onne doit


viure en la pourfuitte d'Amour , veu
qu'ilfe delecte fi fort de l'honnefte
té ? Or pour vous donner à cognoif
tre que c'eft vn grad & puiffant Dieu,
comme vous me vouliez l'autre iour
faire prouuer: dictes moy,s'il n'eſ
toittel,pourroit il faire miracles tant
eftrages & admirables , comme ceux
qu'il faiten terre ? retirant en cela au
fouuerain Facteur , lequel ordonne
& difpenfe les dons de la beatitude,
en forte , que l'vn s'en fentant plus
que l'autre participer , n'en reçoit,
pourtant , aucune enuie. Qu'amour
caufe en terre le mefme effect , cela
eft affez euidet & manifeftepar tous
lés mortels , qui iouyffent chafcun à
part de fon fubiect , fans s'en entre
porter enuie:& toutesfois on fçait
affez de combien l'vn deuance Pau
tre en vertueuses qualitez : neant
cb. moins,
AMOVREVSES. 257
moins , ilne fe trouuera iamais per
fonne qui vucille faire efchange du
fien à vn autre. Quant à la preuue
que le plus grand don qu'on sçauroit
receuoir au monde, & le plus noble,
eft celuy d'Amour, ie n'e diray autre
chofe,fino cety. Il eft rát noble,que
netrouuás entre nous ſuffiſante re
compenfe quád nousen faifons pre
fentà autruy,nous tafchos & moye
nons d'eftre recompélez d'vn effect
reciproque : comme de chofe de la
plus grade nobleffe & valeur , qui fe
puiffe trouuer: ce qui fe void mani
feltemét,quand l'Amant ne cherche
fino d'eftre aymé.Trefgentil Meffer
Albert,ie n'ay autre chole à vous di
repourceſte heure, touchat l'Amour
auquel vousfaignez,peut eftre,por
ter rancune,pourpuis apres plus glo
rieufement iouyrdes louanges, qu'à
#bon droitluy ferot attribuees de ce
R luy
258 LETTRES

luylequel voudra toufiours prendre


fa caule enmain. Età Dieu.

$ A MESSER IOAN .
ALEXANDRIN.

Difcoursgentil,comme l'homme deuitt


enamouré eftant forcé des graces
diuerfes beautezdes Dames.
$ 4
LETTRE LXXV.

ReshonnoréMeſſer Iean Ale.


vous m'a
uez fait vne tresbelle , mais tresdif
ficile demande, fur laquelle ie diray
mon aduis,non tant pour en affeoir
vniugement arrefté, ny pour m'en
acquerirhonneur , que par maniere
de difcours, & pour vous fatisfaire.
Voftredemande a efté,comment &
par quelle occafion l'homme s'en
amoure
mou
AMOVKEV'S É S. 259
amoure.Les occafions font diuerfes
tour ainfi que les efpeces en font auf
fi diuerfes,& fes natures des amours:
& par confequent font femblable
ment diuerfes les douleurs & alle
*' *')
greffes , qui fe preuvent en aymant.
S Les Phificiens veulent dire que la

correfpondate qualité du fang & de


la complexion engedrevne mutuel
le amour : puis les Aftrologues di
fentquand deux fe rencorrent auoir
vamefme afcendant , ou qu'ils le co
E
formenten quelque autre conftella
tion, qu'ils font trefcapables , voire
contraints à s'entr'aymer : & par le
contraire auffi à s'entrehayr.Etame
neren faueur de ces deux leurs opi
ions d'aucuns , quiayment fansa
uoir eu iamais laveue du fubicct , &
d'autres qui hayffent,fans qu'ifs ayet .
onc efté offenfez parlehay. Toutes
lefquelles raifons l'approuvé pour
4 WA R verita
262 LETTRES
veritables, & en fuis affez acerrené
parmoy-mefme,fans m'en enquerit
d'autres , plus outre. Mais pour au
tát que l'amour naift encor en nous
par les beautez de l'efprit , & du
corps,ie viendray à defcourir fus ces
deuxbeautez :tafchant de vous prou
uermodire par quelques raifons, au
mieuxque ie pourray: pour à quoy
donner comencement ,ie dy en pre
mier lieu , qu'vne féme ne fera ditte
eftre belle,tant pour auoir des dics
les fept parties tresbelles , que pour
eftre icellesparties bien conuenátes
enfemble,& auec harmonie:laquel
le harmonie ou concordance nous
cognoiffons, & en iugeons par vne
certainevertu en nous occultement
enclofe, & nopar autreraiſon. Par
quoy nous jugeros fouuentefois àla
volee vne femme eftre tresbelle, que
finous voulons cófiderer de point
à autre,
AMOVREVSES. 261

à autre , & ietter l'œil particuliere


métfurtoutes les parties quifont re
quifes à former vne femmeparfai
tement belle, nous ferons cótraints
Ade dire qu'elle n'en tient rien , car
nous trouueronsle principal defail
hr en beaucoup d'icelles: mais les re
gardans puis toutes enfemble , elles
rendentfi grande plaifance & gail
lardife,qu'il eft impoffible deplus, &
voila ce quenous appellons Grace.
Donc on nefçauroit dire toutes les
parties falloir eftre neceſſairement
belles:mais il faut confeffer qu'vne
proportion efgale y eft requiſe ; ad
DA compaignee d'vne concordance de
mébrés, & qu'ainfi foir vous le cos
gnoiftrezpar cecy , q les yeuxnoirs
font d'vn chafcútenus pour les plus
beaux , & neantmoins les pers font
mieux feans en aucuns vifages & en
d'autreslesblancs font trouvez de
R 3 meilleu
262 LETTRES

meilleuregrace : & portent tel & fi


ample telmoignage de leur beauté,
que tous les hommesfont cótraints
de dire , que tout le beau & plaifant
cófifte feulemét en la couleur de ces
yeux. Ce qui eft veritable : car tout
ainui qu'vn Bon Muficien entrepo
fant les accors parfaits auec les im
parfaicts, & auec les diffonaces rend
la melodieplus douce & aggreable
qu'il ne feroit , les affeans tous par
faits.Semblablemet quelquefois les
yeux,vne bouche, & vn nez qui fera
jugé à part auoir en foy quelque lai
deur viendra accompaigné , & furle
vifage où ilfera affis , rendre vne fi
grade grace, & chofe fi douce à voir,
que tous les regardás enferót eſton
nez.Et qui doute que cinquare paro
les couchces, les vnesdebiles,les au
eresgaillardes,humbles & fuperbes,
auec vne belle correfpondance , ne
1 M foyent
AMOVREVS.ES. 263

foyenttrouuees de meilleur gouft &


plus volontiers efcoutees d'vn chaf
cun,que cinquante autres toutesde
biles,toutes gaillardes , toutes hum
( bles, ou bien toutes fuperbes?Doć la
cópofition & meflange eft celle qui
7. forme la beauté : & fe doit appeller
(comei'ay dit) Grace : laquelle n'eft
MAT autre Meffer lean,que celle qui eſtát
cogneüe par vne occulte vertu qui
eſt en nous, nous diſpoſe à receuoir
au dedans l'amoureuſe attainte : la
quelle fe reçoit par les yeux. Et font
2 aucuns Philofophes d'opinion , que
pendant que nous fommes ia difpo
fez,finous venosà ietter noftre veüe
fur les yeux de la Dame defiree,tout
auffi toft quelques efprits ( lefquels
font engendrez de 1 la plus fubtile,
efleüe , & parfaicte partie dufang )
departet du cœur d'icelle, pour mo
ter aux yeux, & de là s'eflanceten va
R 4 peurs
264 LETTRES

peurs inuifibles dans les yeux de


l'home, lequel trouuans diſpos à les
receuoir , font leur entree pariceux,
dreffans incontinent leur chemin
droit au cœur , où ( tout ainfi qu'ex
halás furlalune d'vn mirouer nous
yvoyons demeurer aucunes petites
taches d'eau)feprennet, puis fe con
uertiffent en fang: & ainfi peuà peu
toufiours en gaignant , & prenant
plus grande vigueur vont tafchans
celuy dans le cœur, duquelils ont ef
letic leur demeure ,fi bien , qu'ils le
contraignent, & në fçait coment ny
do qui il vient à raymer celle de la
quelle il aura ofte ieru, & qui luy dar
da la fleche,à fçauoir les ciprits. Ce
qui aduiét,à caufe que le fang eftran
ger s'eftant mellé parmy le hé, n'eſt
plus àloy, ny àautruy. Etpartant le
miferableAmant,attiréparles nou
ucaux efprits,lefquels defirent touf
F iours
AMOVREVSES. 265
-MA joursde s'approcher & reioindre a
། uec leur principale ou naturelle de
W meure, eft contraint àfe douloir &
lamenter,voyatfa liberté perdue, &
fefentantcommander , fans fçauoir
par qui, & pour autat auffi qu'il s'ef
meut vntrouble,& vne bataille de
fang à autredans ſon eſtomac, d'au
tātque l'vn deſire vne chofe,& l'au
tre en demade vne autre.O Amans,
voilale traict, voila le feu , voila la
chaine , voila levenin d'amour. En
effect,quantà moy , iefuis d'opinió
ferme & arreftee , qu'vn tel Amant,
aymacpar telle occafio,n'ait iamais
vnefeule heure de tráquillité & re
pos. Quantàl'amour qui s'engraue
dansnos cœurs, par le moyen de la
vertu,Meffer lean,il n'eft pas de be
foin que ie difcoure par trop,pouren
deduire l'occafion, à caufe que nous
fçauonsaffez que le do, lequelnous
R5 eſt
256 LETTRES

eft apporté par fon moyé, eft qu'elle


nous rend aymables enuers vn chaf
cunqui nouscognoift , & encore le
plus fouuent de ceux qui n'euret ia
maisla veûe de noftre prefence.Cer
tainement celuy me femble arriuer
au comble de l'heur auquel preten
dét tous vrais Amás,quiſe met à ay
mer vne Dame par les beautez de
Fefprit:& oferay biedire, auec veri
té, qu'il faic efpreuue du Paradis en
terre.A celuy nepeur eftre cachee la
defiree beautépar étremiſe de murs,
ny portes:d'autat que telle beautéfe
voit, & en iouyt on en contempla
tion.O felicité ineftimable, que fais
heureuſement en tour teps, & à tou
tes heures iouyr de la chofe defirec.
N'ayie doc pas occafió de dire qu'vn
tel Amant eſprouue fon paradis en
terre?Ouy vrayemét, puis qu'il n'y a
chofe aucune qui luy puiffe empef
cher
AMOVREVSES. 267
cher la iquyffance de ce qu'il ayme.
Celuy-là eft le vray & bien fortuné
3
Amant, quine lamente,qui ne fouf
pire,& quine s'atrifte iamais:ains fe
maintenant ioyeufement en conte
platio,penorre les cieux,& s'accoſte
tout en vie de fon Facteur: car à dire
vray,eftat la vertu cogneue pour vn
rayon de la disine beaure , celuy qui
l'ayme & en iouyt, ne peut fino touf
iours medite
* r icelle beauté diuine :
de laquelle meditation prouiennent
Y puis tous bons effects, Icy feray fin ,
pour n'étrer en plus grade mer : vo
priat(Meffer Iean) de me pardonner
fi ie ne vous ay(peut eftre)ainfibien
fatisfait , qvous efperiez: & prenez
pour fatisfactio le defir que l'ay , &
auray,tat que ie viue, de faire chofe
que ie penferay vous eftre aggrea
ble :ce que vous cognoiftrez par ef
fect cftre veritable,quad ilvous plai
Sa ra
168 LETTRES
ra vfer de commandement en mon
endroit.

LETTRES PARTICV

LIERES ESCRITES
par aucunes Dames.

Vne Dame confeffe eftre contrainte


d'eferire par laforce d'Amour.

LETTRE LXXVI.

On tref- reueré Seigneur , en


Mo
tantque l'office que ie fais de
vous refcrirefans que m'y ayez pre
mierement incitee par priere ou au
trement,eft moins conuenableà vne

femme,tant plus merite-ie,que vous


ayez pitié de moy : car cognoiffant
telle chofe n'eftre à moy licite ny
hōnefte,il s'é doit enfuiure qu'extre
me
AMOVREVSES
. 269
me force d'Amour me contraigne à
ce faire.Ce qui eft vray(mó doux Sei
gneur ) car des le premier iour que
Feu la veue de votre beauté ,puis a
yant entendu partie de vos vertus , ic
m'enflamayfi forten voftre amour,
qu'il s'enfalut bien peu que je n'en
donnaife figne manifeſte à l'heure
mefme: tellementque toufiours de
puis la flamme de ce feu amoureux,
n'a ceffé degaigner fur moy peu à
peu: encore quei'aye differé iufques
icy d'enaduertir V.S. L'occafió d'vn
filong& ennuyeux filence a efté la
El crainteque l'auois : doutat que vous
00 vinffiez à defdaigner l'offre volotai
re de mo amoureufe feruitude: m'a
yant par ce figne,plaſtoſt en eftime
defemme de petite vergoigne , que
de trop grande amour. Ce q vous ne
‫ا‬ deuricz iamais penfer , ny ne penfe
rez,confiderant diligemment la qua
lité
270 30 TETTRES
lité de mon eſtát,enfemble la naïve
beauté & rarevertu,qui vous accom
paigne: car prenatgarde à moy vous
me trouuerez reduite à telle extremi
té & peril ,pour vous aymer, que vo
iugerez facilementla trop grade for
ced'amitié,m'auoir efguilloné à ce
fte amoureufe entreprinfe. Sembla
blement voz qualitez qui auroyent
puiffance de vous redre amiable à la
hayne mefme,vous le doiuent faire
croirefermement. Mon feigneur, ie
vous prie d'auoir eſgalement autát
derefpec à l'honneur , que de com
paffion à ma vie: & ayant à gré que
ie vous parle qui eft la chofe que ie
defire plus quenulle autre) fiez vous
on cefte prefente femme , &faites
tout ce qu'elle vous dira : & ne fau
drons à nous trouuer demain enfem
ble,fi le ciel nous veut de tant fauo
rifer. Lamen ASADINAMO , ti►
L'Aman
113
AMOVREVSES. 271
L'Amante fe dit vaincue d'amour
par l'extremebeauté de fon Amy...

LETTRE LXXVII.

Ertainemet mo doux Seigneur


10 C & amy, celuy ou celle qui vic
enamouree,fait ellay de chofes tout
autremétqu'il n'euft penfé, fe retrou
uant en autreeftat. Quieuſt iamais
creu , autresfois, qu'vn feul temps
m'cuft apporté vnefeule occaſioďv
ne infinité deioyes , & tormens in
fupportables?persone, & neatmoins
je ne cófidere voz diuines qualitez,
& ne vouscoteple fois, que ie ne me
fente en vn mefme temps efprife d'v
ne douceur incomparable, accópai
gnee d'vne grande douleur à nulle
autrefeconde. le goufte douceur &
plaifirfansfin, quad ie viensà regar
der cefte vnique beauté , que ie voy
en
272 LETTRES

envousglorieuſement reſplédiſſan
te,auec la grace parfaictemet naïe
quevous defcouurez à chafque vo
ftre mouuement , auec grande admi
ration,de qui à la veüe de voftre pre
fence,& mefmement voyanttant de
graces & de vertus qui ne fe veirent
iamais , auec fi grande & admirable
excellence, toutes recueillies en vò
mefme fubiect, comme elles fe trou
uétmaintenat envous. Ah mō tref
cher Seigneur, que iefens en vn mef
me moment le violent affaut d'vne
trop cruelle douleur, par cefte mel
mebeauté, grace, & vertu,car vo⁹co
gnoiffant tat gracieux, beau, & ver
tueux,ie craís,ains croycertainemét
qu'autres, & no en vain ayent rédu
mille lacs, & fefoyent pourueuz de
mille aguets pour s'érichir d'vne fi
riche & precieuſe proye.O douleurg
paffe les extremes, ôpeine qui ne fe
peut
AMOVREV SES.
2731
peut confiderer. Alors ie meremets
apenferfiievous fy iamais chofequi
ayt cfté occafion de conceuoir quel
que defdain à l'encontre de moyen:
quoy finablement ie viens à repren
dre quelque féinnle d'efperance, &
인 confort: mefentat affeuree que vous !
ne vous fçauriez fouuenir de chofe
2 de moy, qui ne vous doyue toufiours
plus enflammer à me porter amitié.
Mais tel apaft de fi doux confort ne
manque incontinent , & tout suffi
toft que ie reuiens à confiderer vo
ftre noble hauteffe à l'efgard de ma
vilepetiteffe : qui me fait douter de
n'eftre fi bien graude das voftre me
moire qu'vn autrenem en puifle bie
facilemét efficer. Ce doute n'auroir
garde de meforprendre ny tormen
ter, l'amour & la foy pourroyét ere
mifes en euidence : eftant bien af
feuree quand ainfi feroit , que vous
S Jes
274 LETTRES ANO
les verriez telles en moy , fi viues In Amm
& ardentes , que me iugeriez en ce Courto
fte qualité plus digne de voftre ami LETT
tié , quetout le refte des femmes du
monde:Mais puis qu'il nefe peutfai- Asmo
re au moins que tant de preuues & Lee fe
mond
fignes que vous auez eu de ma foy ef detaer
erabl
mepuiffent valoir en quelque chofe, Re
atre ,qu
& nem'abandonnez (mon doux Sei
gneur ) fi vous voulez que ie viue
colle,&
vous affeurant que ma vie nefe trou
gentileffe&
uera pluslongue d'vn ſeul moment,
chee
que feral'heur de voſtre grace. Eſti
mbelefo
mez donc que ie ne vous refcri en
cefte matiere , fans bien grande oċ pasleM
epierre,
cafion : laquelle ie vous penfe
By deduireà bouche de point Ah,
Busdou
à autre , auant qu'il x
Delarou
foit peu de:
quedec
temps.
TOSoffe
combie
n
Vn
AMOVREVSES.
475
Vne Amante paßionnee requiert la
courtoifie defon bien aymé.
LETTRE LXXVIII.

As mon doux Seigneur , doy- ie


L eftre feule entre toutes celles
du mondetant malfortunee & redui ,
te miferablement foubs vn fi grand
defaftre , que de trouuer la lumiere
obfcure , la manne amere , la pitié,
cruelle , & la plus profonde mer de
gentileffe & courtoyfie aride & de
feichee Doy ie eftre celle fur qui
tombe lefort de ropre auec l'eau de
n
pleurs leMarbre,le Diamant, ou au
tre pierre,s'il s'en trouue de plus du
re? Ah , combien me fembleroit -il
plusdoux, & plaifant & facile détour
ner la rouë du malheureux Sifiphe,
que de continuer tant vainement à
vous offrirmes affectionees prieres,
combien mefembleroyens plus dou
S 2 ces
276 LETTRÉS
ces les pointures de l'affamé & infa
tiablecorbeau qui tormente le mife
rableTitie, que celles,lesquelles me
tranfpercet penfant en voſtre cruau
té.Las mon doux Seigneur ( & doux
fuis bien contraincteà dire:bien que
vous vous monſtriez trop amer en
mon endroit ) fera il donc dit quela
benignité qui vous contraintà ayder
& tendre encoredu voftre à vos en
nemis , ne puiffe obtenir de voftre
gentil cœur pour moy , qui vous fuis
tantfidelle & amiable feruate, de ne
me donner la mort , & que me ren
diez le mien que vous me detenez
contre tout deuoir & raifon? le dy le
mien , & parle de vous, qui fçauez
bien comme vous vous donnaſtes à
moy en pur don , lors que vous me
contraignites , curieufemét par vous
folicitee auec plaintes & prieres,à re
mettre & hazarder ma vie & mon
honneur
AMOVREVSES. 277
honneur entre vos mains : combien
que ie ne me fenty onques forcee par
Ji aucune pitié: Car dés le iourque mo
heur me permit de coutempler ces
yeux qui me font maintenant tant
chiches & auares de leurs plaifans re
gards, & alors fi courtoys & liberaux
ie me rendi toufiours trefprompte
pour m'accommoder à tous vos bos
plaifirs , dequoy vous fuftes acerte
ne,mevoyantà peine tant feiourner
àvous en donner experience,que ce
fut affez pour vous faire cognoif
tre qu'il y cuft en moy quelque fcin
tille d'honnefteté . Ah , las : qu'entre
tant de tormés ie ne me fçaurois en
core váter tát heureufe que de iouyr
du plaifir feulement,lequel n'a couf
tume d'eftre nie à tousles autres mi
ferables : quieft de me pouuoir au
cunementalleger , en me lamentant
quelque fois auec le Ciel : tant eft
S3 gran
278 " LETTRES

gtande l'extremité à laquelle amour


m'a reduite: & m'eft ofté cela par la
trop grande amitié que ie vous por
te,laquelle m'apporte crainte, & me
fait accroire fi le trifte fon de mes du
res plainctes paruenoit iufques aux
oreilles des Dieux , qu'ils vous en de
uroyent faire fentir tel chaſtiment
"
que vous‫ ܐ‬meritez. Et moy qui par
ma mort meſmes vous voudrois e
xempter de toute moindre douleur,
m'efforce de leur celer la mifere de
mon torment : & ainfi peniblement
vois fupportant ce qu'à peine pour
ray plus endurer d'icy àpeude
iours, fi vous differez d'a
uatage lefecours, que
die merite bien
Pez , ne m'eftre
-847-5 { refu
11 fé.
",
Vine
AMOVREVSES. 279

VneAmanteefcrit àfonbien aymé,


qu'ellene vit que des penfees
qu'elle à en luy.
LETTRE LXXIX.

Onfeigneur,, eftant deformais


Maffez affeureede vous auoiren
toute forte amplement acertené de
l'amitié que ie vous porte, & comme
elle eft infinie : ie ne diray mainté
nant auec quel grand & affectionné
defir l'attens l'heure de voſtre re
tour:commebien certaine que vous
P ayez penſé a part vous,fi vo auez,
tat foit peu , mefuree mon affection,
qui merite bien d'eftre de pres con
fideree. La prefente fera donc pour
vous faluer , auec ferme efperance
que tel falut ne vous apportera petite
allegreffe. Iene vous toucheray au
cunementde mon " eſtat , quant à la
paix de l'efprit , d'autant que ie ne
S 4 m'en
M
280 LETTRES

m'enfçaurois refoudre à prefent car


il me feble d'vn coſté,mener vne vie C
paifible & en repos , me paiffant en la
douceur que me prefente le fouue
nir de voz vertus & de mon heur
grand, mefentantvouseftre aggrea
ble:mais del'autre,je vy deconfolee
& replie de travail, nem'eftant main
tenantpofsible devoir ces honeftes
& fainetes couftumes , de femblales
aufquelles lemonde ne fe trouua ia
mais tant illuftré.Si que,mo cher Sei
gneur , quantà moy , ie nefçay que
conclure nyarrefter trop bien fçay
icque je vy totalement aueuglee &
prince de lumiere , en tant que mes
yeux n'ont cognoillance d'autre So
leil,& nepeuuet receuoir clarté d'au
tre- part que de celle laquelle pro
uient desy oftres.Toutesfois ce point
icy me confofe & fired'vn merueil
leux allege ment , que voys cognoif
fant
AMOVRE VSES. 281
M fant pourfage,tel que vouseftes , ne
EX permettez que ie viue longuement
en fi penible cftat.
Vneamate s'affeure de lafoydefon
amy,duquel ellefouhaite
la prefence.
LETTRE LXXX.

I ie n'eftoisfuffifamment acerte
neeque vous auez ample cognoif
fance de l'amitié que ie vous porte,ie
7 vous affeure que la contemplatio de
vos diuines vertus & vniques beau
tez me feroit gouter beaucoup plus
grande douleur,que plaifir , car l'au
rois affez manifefte occafió de dou
ter & craindre que ne mefussiez vo
lé & enleué de toutes celles qui au
royentvoftre cognoiffance , cftát af
feuree qu'il n'y a celle qui ne vous
defire pour vosvertus infinies & ex
cellentes particuliaritez , quivous ac
S 5 com
282 LETTRES
compagnent . Mais me retournant à Hou
la reuerence & incomparable amour fee:
mien en voftre endroit,puis me co de vo
gnoiffant eftre autant feule en cecypelo
que vous vnique aux graces & beau ter
ez du corps & de l'efprit , ie prens Sign
confort , & efpereque neme lairrez peu
jamais pour vne autre : tant pource entou
Iv
quevous ne pourrez vſer d'ingrati CAcec
tude vous cognoiffant pour fe feul fates
Lind
& heureux feiour de vertu , comme à
caufe que vous ne recótriez iamais sequi
fi grande foy ny ardeur en autrefem Voltre
me. Au moyen dequoy malgré tou
te crainte & foupçon ,ayat roufiours xome
les yeux fichez & arreftez fur ma de Vme
uotion & à vosvertus , en vous con
templant,qui eftes monfeul bien , ie
gouftetoute telle douceur qui m'eft
conuenable : laquelle feroit encore
plus grande & foudaine , fi quelque
peu d'enuien'euft furpris mes yeux,
ialoux
AMOVREVSES. 283

faloux de l'heur continuel de la pen


5 fee : d'autát quelle vous voit & iouyt
de vous à toute heure , & eux trop
peu fouuent,felon la grádeurde leur
defir.le vousprie donc mon treſcher
Seigneur , que vous ne laiffiez pour
hpeu de chofe à me rendre du tout
en tout parfaicte & accomplie tant
en cecy,que iefais à vous aymer : &
faictes que mesyeux,qui n'ont autre
obiect que vostreprefence, ny lumie
C re que ce qu'ils en empruntent des
voftres, vous puiffent voir au moins
deuxfois le iour:ce quefaifant, ils me
promettent receuoir contentement.
10 VneDameaymantfon honneur don
•1
ne refponferigoureuse à vn
gentil-homme.
LETTRE LXXXI.

Effer Ludouic, fiicportois au


M tant peu d'amitié à mon mary
que
284 LETTRES -3

que penfez , & que vous tenez petit


conte de voftre vie , certainementil
me feroit fort facile de faire chofe
dont vous vous en allifsiez plainc
mentfatisfait de la iuftice & cóuena
ble recompenfe de voſtre vile & fot
te prefumption. Je vous aduerty,
donc,deme laiffer en paix & ne vous
möftrer fi peu amiable de vous mef
me,ny de moy , qui ne vous penfe
auoir iamais fait plaifir, ny defplai
fir,que me vueillez mettre au danger
de perdre mon mary par quelque
temps , & vous au hazard de la vie à
iamais. Qui vous pouffe ny incite à
efpererde contaminer mon honne
fteté :feroit ce point quelque figne
ou parole qu'ayez cuë de moy? Quát
à cela ie defpite vous & toutautre de
s'en pouuoir raifonnablement van
ter. Mais penfiez vous point d'ac
querir mon amitié auec le fage aduis
duquel
AMOVREVSES. 285
duquel auez vfé pour mefaire tenir
la lettre que m'auez reſcripte ? Vous
Vous eftes tellement porté en cela
qu'encore que ie fuffe de la forte que
vous defirez , vous me feriez moins
aggreable à l'aduenir que ne m'auez
efté par le paffé : bien quevous ny
autre nemefut iamais en confidera
tion. Vous fembleil quece foit acte
de fage ny d'auifé , enuoyer lettres à
誰 vne gentil-femme fans voye ny ma
niere,par vne infame & vile femme
lette? Qui l'épefchera qu'elle ne die,
ainfi qu'ellele trouuera bon , le fus,
& portay à la telle,lettre & meffage,
fans fuiure , elle me deſchaffa auec
menaces & outrages ? qui croira que
vous n'ayez quelque occafion de le
faire ? Ceffez deformais , homme de
= peu de valeur,à me molefterpar ca
reffes , ny auec lettres:vous affeurant
de vous lefaire biétoft fentir,fi vous
faictes
286 LETT
" RES
faictes autrement,& de vous donner
à cognoistre combien il eſt dagereux
de tenter nyfoliciter celles, qui n'ont
autre enuie que de viure honneſte
ment.
Vne Amantefe plaint de l'ingratitu
de & defloyauté de fon amy.
LETTRE LXXXII.
3
'Amitiéque lete porte , trefin
grat Amant , eft telle & fivehe
mente , qu'elle m'acquiert vn trop
plus grand torment, ne pouuant de
fifter de continuer la pourfuitte d'i
.
?

celle ,puis ie te cognois defplaifant


dete voir eftreayme de moy, que ne
ferois celuy queie perdrois,venant à
delaiffer cefte vaine affection . Las
cruel,confidere par ceft effect feule
mentfiie merite d'eftre ainfi de toy
vilainement abandonnee. Siie me
plains de toy,fois affeuré que ie por
te la
AMOVREVSES 287

te la peine q tu deurois endurer , pa ;


Poccafion que tu me donnes , don 2
ie lamente. 0% Nepenfes tu pas que cc
amefoitvnetrefgriefue & cruelle dou
leur de me fentir forcee à nommer
cruel , ingrat & defloyal , toy , qui
7 m'es plus cher que ma propre vie?
Ah, cobien de fois me fuis-ie à part,
moy atriftec,difant:fera il donc vray
que puiffes vfer de figrande cruauté
VE enuers toy-mefme , quede nommer
cruel le Seigneur de ta perfonne, en
core quetu en ayes treffuffifante oc
cafion & ainfi par vn long temps
me femblantd'offenfer trop griefuc
ment , iepaffay ma douleur foubs vn
filence ennuyeux : mais maintenant
ie n'enpuis plus , force eft que ie mé
plaigne de celuy qui me bat : mais,
helas , fimple que ie fuis,à quoy font
bons tant de douleurs,foufpirs & lar
mesque ie refpans fie fuis trop af
feuree
238 LETTRES

feuree quetu esplus apte pour faire


refiftace à icelles, & à mes affectucu
fes prieres,que n'eft ferme contre les
moindres ondes de la Mer , le mieux
fondé efcueil , qui fe puiffe trouuer
dans icelle? Ah , ayes au moins tant
depitié & compaffion de permettre
que ie languiffe & meure en t'aymát
auecton vouloir: & quand tu ne vou
dras accorder à cela , pour quelque
fais
compaffion que tu ayes de moy ,
le au moins pour ton esgard:car ic
t'affeure q tu ne fçaurois iamais em
pefcher ,que ie ne t'ayme plus quela
vie,& fi ce n'eft de ton cofentement,
il me femble impoffible que nevien
nes à enfentir vne trefextreme dou
leur.No autre,finon que ie prie
Amour qu'il te vueille inf
pirer à me donner ce
quetu ne me
peux re
tenir.
AMOVREVSES. 289
Icelle Amante continue contre la
cruauté de fon Amy.
LETTRE LXXXIII.

‫وا‬
R penfe & confidere mainte
UPS O nant ennemy de toute pitié,fi
ie t'aymede cœur, quand te cognoif
fant defireux,& affamé de ma mort,
iene fçaurois prendre tant de com
paffion de moy-meſme , qu'elle me
puiffe induire à tafcher de te deftour
ner parpleurs ou prieres d'vn fi fier
1. & inique vouloir.le ne te refcry doc
la prefente, pour te ramenteuoir ma
foy & cóftance, encore moins pour
te ramenerau deuant l'incoparable.
amitié,queie t'ay toufiours portee,
pour efperance quei'aye que tu fa
tisfaces à momerite, nypour redui
re en memoire les ennuis & marty-.
.res quei'endure iournellementàton
occafion,àfin de t'induireà en pren
T dre
290 LETTRES

dre compaffion:mais ouy bien pour m


teprierque tu ne fois tant ardant à Fon
voir l'iffue de monefprit, que tu en
I'L
reçoiues apresdouleur & torment,fi
ie ne te le puy donner auffi toft que
tu voudrois bien : combien qu'il ne
paffera pas longteps, que tu demeu
reras fatisfait & content de ce quetuE
defires. Etfi ie puis impetrer quel E
que grace de toy, pour te doner vne gre
tat plaifante & aggreable nouuelle, et
ie te prieque tu m'ottroyes cefte cy, e
qui eft de letterincótinent dãs le feu fe
la prefente,auec toutes lesautres let itte
tres que tu as receüies de moy. Ceq tels,
tu ne merefuferas: & doisfaire , ce que
dontie te tequier,ſi tu as l'honneur, &
tant foitpeu,en recomandation.Car pr
tu fçais bie que tu n'as aucune lettre en
des miennes,laquelle ne fuft fuffifan par
te de donner à cognoiftre à vn chaf res
cun , autant la gradeur de ta cruauté cu
11 comme
AMOVREVS.ES. 291
comme l'ardeur de mon amitié en
ton en droit.

L'Amante prie fon tropcruelamy


qu'elle le puiffe voir avant
La mort.
LETTRE LXXXIIII.

E te prie & adiure, Amant remply


1de trop grande cruauté, par l'alle
greffe que t'apportera la lecture de
cefte lettre,laquelle fera la derniere
que ie pourray iamais referire , de
f'efforcer àmefaire tat de grace,que
ie te puiffevoir auec les yeux corpo
rels , au moins vne feule foisauant
que la mortmeles airfroidemet clos
& ferrez. Vien, & n'ayez peurqueie
reprenne tantde vigueur par ta pre
fence , qu'elle foit fuffifante à t'ofter
partie du contentement que tu defi
res auoir en ma mort,pl? que tu n'as
eu en ma vie.car affeure toy que je
k T ‫ܐ‬ fuis
292 LET TRES
fuis deformais incapable à receuoir
aucun confort. Maisfi tu as enuiede
fcauoir l'occafion qui me rend tant
defireufe de re voir, auant que l'ame
viene àdelaiffer cefte mortelle def
pouille,ie te lediray:c'eft tout expref
fement, afin que ie te face iouyffant
du plaifir que tu pretes receuoir, me
voyant rendre l'ame, parmy vne fi
grande infinité de tormens . Ne me
refufe donc , ô cruel,tavenue : & fi
quelque ardeurde pitiéte reſchauf
foit le cœur , maintenant qu'il n'eſt
plus temps , vfes-en en cecy. Viens
plus que iamais armé de cruauté,
pour me voirrédre les derniersfouf
pirs mais garde toy bien de celer en
apparece la joye que tu en receuras:
t'affeurat que tu vieras enuers moy,
parce moyen,du plus grand acte de
pitié que tu fçauroisfaire pour autat
que iefentiray d'autatmoindre dou
J leur
AMOVREVSES. 293

leur à cefte mortelle departie, quand


plus ie t'en cognoiftray content &
defireax.

Vne Dame trop preffee d'Amourrenő


ce à l'amitiéde fon amy trop cruel,
12 duquel elle fe plaint piteuſement.
"
LETTRE LXXXV.
*: 16
Inablement, quad tu t'es trouué
Fennuyépar leremors du mal que
tu me pefois endurer pour ne sçauoir
aucunes nouuelles de toy , tu m'as
refcrit & refcrit , q ie voudrois eftte
nce aueugle, pour n'auoir peu faire
lecture de tes lettres,fourde pour ne
Pouyr,& fans aucune vertu pour ne
l'imaginer. Ah pariure & defloyal
homme, tu as donc proposé de ne
plus faire retour , où tu feis ferment
tant defois auantton depart que tu
ylaiffois le cœur as tu bien peume
T3 le
294 LETTRES
lerefcrire Nas-tu donc ouyma voix
s'efcrierfur toy,vengeace de figran
de & enorme trahifon , lors que tu
determinois de m'abreuuer de fi du
re nouvelle faurois tu penfé que les
Dieux n'oyent la voix des affligez ?
1 ou bien fitu as creu qu'ils n'ayent
entre eux aucune fcintille de Iuftice.
Mais pourquoyn'as tu prins pitié de
mevoir,comme forcenee, arracher
ces cheueux , lefquels tu foulois au
trefois dire t'auoir enuiróné le cœur
de mille indiffolubles lacs ? coment
n'ont peut rabbatre ton obftinee
cruautéces deux yeux,miferablemét
conuertis endeux fontaines ,qui fou
loyent eftre la lumieredes deux tiens
& loin defquels tu difois , ne pou
uoir auoir la veüe d'aucune chofe ?
eft-ilpoffible que ta durté ne fe foit
amollie , voyant fondre & dechoir
celte beauté, quite futpar vn temps
.1 ‫יןי‬ tant
AMOVREVSES. 295
tant aggreable ? Otres -malheureux
don de nature : ne me fuffe- ie ia
mais trouuee enrichie de toy , puis
que ie deuois demeurer tant appau
urie d'honneur, & finablement pri
uee de vie à ton occaſion.Las ,fuſt-il
ainfi,que toutes les femmes du mon
de peuffent auoir cognoiffance ( ô
cruel)de ton impieté , & de ma foy
enfemble , auec la griefue , voire &
IS incomprehenfible douleur , que tu
mefais endurer:afin que cela feruilt
d'exemple pour appredre,non d'ac
croiftre& entretenir leur beauté,có
me ellesfont,mais trop bié à la déf
prifer & effacer totalement : pour
oftertout moyen à ceux qui l'efpient
& aufquels elle plaift ,de s'en empa
rer & faire poffeffeur , pour puis a
pres ennuyez d'icelle à la longue ,
cruellement mal mener & traicter
bc.
celles trop amyables , peu fages , &
T 4 moins
296 LETTRES

moins honeftes, qui s'oublieront de


tant,que de leur en faire don.Confi
derecruel , que i'ay plus de peine en
amour,que tu n'as de cruauté , quád
ie ne voulu iamais comporter que
par le pris d'vne feule larme tuvinf
fes à payer ma grace:laquelle ie fça
vois certainement que tu euffes pour
lors achetee d'vn lac de fang. Pour
ras-tu par-auenture dire que ie te
donnay mon amour pour eſperance
de quelque grád gain ou proufit que
i'en attendiffe:ll ne me pourroit ia
mais tõber en fantafie , que tu creuf
fes cela : d'autant que tu fçais bien
comeie poffede des richelles , quafi
plus qu'il ne m'en faut. Etcombien
queie m'en fuffe encore trouuee ne
ceffiteufe, ou que l'euſſe bruflé d'vne
conuoitife ,pour en auoir d'auanta
ge, & accroiftre les miennes , tu ne
mepouuois en cela aucunement fa
tisfaire
AMOVREVSE'S . 297

tisfaire.Diras-tu,peut eſtre,hantant
& frequentant en ma maiſon, auoir
veu quelque chofe, dont la crainte q
tu as de mon honneur & de ma vie,
I. enla publiát,te face ainfi efloigner?
Ainfi ne me nuifilles-tu maintenant,
comme tu n'en auois alors aucun L
pouuoit,ny enl'vne ny l'autre cho
fe.Mais dequoy me fert à te voulair
demóftrer moamitiéauoirtoufiours
efté inuiolablemet parfaicte, & mef
mesauoirprins fon commencemet
en perfection?mille de tes lettres n'é
portent elles pas aſſez ſuffilant teſ
moignage,par lefquelles mefmes tu
te vantes &reputes pour le plus heu
reux & biéaymé Amát qui fe puiffe
trouuer au monde? Ah ingrat, quelle
occafion te meut donc , de m'aban
donner ainſi laſchement? quelle ex
cufe pourrastu trouuer, qui foit val
lable & fuffifantepourt'é retourner
I s en
298 LETTRES

en topaïs,fans y rapporter auec toy for


vnblafme eternel ? fera-ce la pieté tra

:ន
គឺ គគ≡-
៥.
នឌគ. ឹឺ ឺ-


enuers ta mere , laquelle demeure Vien
roit,autrement,vieille,vefue, & feu
le ?cela ne t'excufera pas : d'autant
que lelong temps que tu t'es trouué
pe
abfent & hors de fa compaignie , te Her
peurbiefaire accroire, qu'elle fe foit ted
accouftumee àviure fans toy.D'au ver
tre part,il n'eſt pas croyable que ce far
fte pieté t'induife maintenat à t'y a
cheminer,fila nouuelle de fa mort,q
ple
les Medecins luy predirent , il y aia
vn an paffé,ne t'y femod.Ah, las:que AC
cela,fans plus , me deuoit donner à J.
Ce
cognoiftre,& fairecraindre ta cruau 1
2
té Retourne donc defloyal : qu'en
corequetuveifles apertement qu'el 2
le deuft finir fes iours , par le regret
qu'elle conceuroit de ton depart, fi
eft-ce , que tu ne dois prolonger
lesiours d'vne annee ( car en toute
forte
AMOVRE V SE S. (299
fortefon indifpofitio ne luypermet
tra à viure guere d'auantage : à vne
vieille qui a vefcu au monde , ce qui
lay falloit:& plus, pour abbreger la
viede quarante à vne ieunette, qui à
peine le trouue encor les yeux ou
uers.Si tu disquel'amour de ta patrie
re detient, tu iras faucementcorrela
verité , où tu me lá celois en m'abu
fant,quandtu me iurois qu'au mon
de n'y auoit pays ny cité , qui te def
TA pleuft d'auãtage que la tienne. Quát
aux honneursque tu as receus icy , ie
ne pense pas qu'on t'en puiffe faire
de plus grands là, en ton pays,qu'icy
14
à Venife,là où les vertus font mieux
3 honnorees & retribuces qu'en nulle
autre partie du mode. Tu ne diras ia
pour la beauté du pays, & ne t'ay en
cor en eftime d'homme de fi peu de
fens,que ie le peuffe pefer.Situ vou
lois dire que la commodité te detiét,
quelle
300 LETTRE'S

quellecommodité te peut manquer


là oùiefuis?ny en quelle partla pour
rois-tu trouuer plus grande ? Qui te
retarde donc ? l'amour des parens,
ou des amys ce n'eftpas cela , veu
que tu ne l'as fait pour ta mere mef
me. Si c'eft l'amour d'vne nouuelle
amic , ie croy trefcertainement que
c'eft l'occafiofeule qui empefche to
retour de pardeça , que tu m'auois
promis & iuré ne pouuoir eftre log.
Or puisqu'ainfi eft, ie fuisfort ioyeu
fe fi ie dois demeurer priuee de toy,
que cefoit pluftoft pour cefte occa
fionque pour nulle autre.T'affeurát
fiiepuy parerparquelquetemps à la
cruelle douleurqueie fupporte, de te
voir reduict en pires termes , que
l'extremité n'eft grande, en laquelle
ie me trouue maintenant miſerable
ment reduite. Shake
702 Al'ex
AMOVREVSES. 301
A L'EXCELLENT
MESSER • LVD O
uic Domenichi.
14
R Difcours de la crainte & de la ia
Loufie en amour.
att LETTRE LXXXVI.

Agnifique Meffer Ludouic


M tát plus la matiere fur laquel
le vous me prouoquiez par voftre
lettre àdifcourir vous fembloit hau
te & difficile , & moins deuiez vous
eftimer que ie peuffe en cela fatisfai
re par mon iugement àvoftre defir.
Mais cognoiffant que vous y pren
drez plaifir , ie le feray & en diuife
t ray,me remettant toufiours à voftre
opinió,& à la difcretio du iugement
de toutes perfonnes expertes & en
tédues.Vo? me demãdiez file ialoux
fe peut nõmer Amant:par quelle oc
cafion
302 LETTRES

cafionla ialoufie prend place dansle QUI


cœurde l'home: & quelle difference de

E
il ya entrela crainte & ialoufie.Pour
relponcede la premiere demade , ie end
vous dy,que le ialoux n'ayme nofeu
lement,ains hair mortellement, có

8.2
me nous le cognoifrons par fes ef

S
B
fects:& partat,il ne merite d'eftre il
luftré de ce no d'Amát.Mais voyons
premierementcome elle vientà nai

2.2
ftre & s'enraciner. le fuis de ferme pe

.
opinion , que la ialouſie vienne à ſe
loger dans le cœur de l'Amant , lors
qu'il fe fent indigne de participer en Or
la grace de l'aymee: & croy que ce no
luy fe perfuade & s'affeure de n'eftre ac
aucunement aymé , car s'il'n' eftoir e
ainfi , il me fembleroit impoffible le
qu'vn vinft às'affliger fi afprement,
comme fait le miferable qui fe dó
ne en proye de cefte deuorante affa
mee.Etne no laillons abufer à ceux
qui
AMOVREMSES . 303
qui diet laialoufie eftre vne crainte
de perdre la chofe aymee : car leur
IV raifon me séble peu vallable en c'eſt
endroit:veu que,fi ainfi eftoit(& icy
refoudray voſtre derniere demade )
le jaloux procederoit bien d'autre
forte & maniere qu'il ne faict, à l'a
moureuſe entrepriſe : car combien
50 que la crainte foit vn effect quinous
06 trouble , nous t'amenant deuant la
penfce les chofes qui nous peuuent
porter nuiſance,fi ne la faut-il pour
16: tát eſtimer eſtre la caufe qui face vi
ure la perfonne en defefpoir , cóme
60 nous le voyons de la ialoufie.Ce qui
Lto aduient , pour autant que la crainte
eft caufee en nous , autat par les chc
fes quipeuuent eltre,comme non e
ftreau moyen dequoy lecraintif ne
demeure iamais denué d'efperance,
dontil ne ceffe iamais de s'employer
& vfer de tous les remedes qui luy
font
304 LETTRES

font poffibles pour deftourner q ce


qu'il craint ne luy aduiéne.Et àla ve her
rité,celuy qui eft affailly d'vne cóti-: de
nuelle crainte, & mefmemét en l'a
mour,fe maintiendra toufiours ver
tueufemét:d'autant que la crainte eft
la vertu mefme , eftant pofee entre
deux extremes. Car tout ainfi q la li end
beralité eft vertu , pour eftre pofee aror
entrelaprodigalité & l'auarice,qui
font deux extremes,femblablemét il
faut q no prenios ceſte cy pour ver
tu,eftát auffi l'étremife de la furie & aran
couardife, quifont pareillemét deux
extremes , car le furieux ne craindra 201
defe iecter au milieu de fes ennemis,
pouuant encore fe retirer auec fon
honneur:ce que toutes perfonnes de
bó efprit & iugemét eftimerōt touf 20TT
ioursfurie:& nonhardieffe :d'autant
que lá hardieffe eft de fe defendre
courageufement quãdles dangers fe
preſen
AMOVREVSES. 305
prefentent, & non pas de les cher
cher quad on les peut euiter. Couar
dife eft cellequi rendl'homme ſi de
bile,qu'il ne fçait ny ne peut vfer de
defence à l'encontre d'vn autre , qui
en force luyfera de beaucoup infe
crieur:comme ilfevoid bien fouuent
» en champ clos , qu'aucuns ſe preſen
terontau campfi laſchemet, & auec
fi peu de cœur, que du premier ren
contre les armes leur tomberont des
poings : & fera leur couardife tant
41
grande , qu'ils fe rendront prifon
niers d'euxmefmes,fansattendre ny
auoir la patience que Pennemy leur
enparle aucunement.Cefont vraye
metceux là qu'on peut & qu'on doir
E nommer couards , tout ainfi que les
autres meritent qu'on les appelle fu
: tieux:lefquels, comme i'ay dit cy def
fus,fans raifon,fansconfideration ny
2 ordre aucun iront aborder leurs en
V nemis:
LETTRES
306 AM
nemis :dequoy fe fçaura bien garder
le craintf , qui comme couard ne fe tous
lairra maftiner d'vnchacun ,ny com- men
me furieux, ne tiendra core des dan- fla
gers : mais bien ainfi que vertueux, frer
cherchera toufiours fon aduantage: q
nous
& entoutes les chofes qu'ilfaura fon BOUS
ennemy eftre fort,il tafchera fembla
gnoif
blement de fon colté ou d'eftre tel, ment
ou de le furmonter , ou de luy ofter Crain
les moyens pour rabattre la force de mais
fon ennemy , à fin qu'il ne la puiffe meo
employer à l'encontre de foy.O tref foit
fainete crainte , comme te cogneut
alo
bien cefage Romain sleque dit que me
les Romains perdroyent toute vertu me
lors que Cartage viedroit à estre de del
Aruitte:nevoulant entendre par cela eft
autre chofe,finon que ne te retenaus ne
plus en leur compaignie,ils s'adon r
neroyent à ovfueté : & ne s'illuftre de
royent plus de ces glorieux faits,qui gir
auec
AMOV REVSES.
307
auec l'enuie de routes nations & de
3 tousfiecles , les feront viure eternel
lement. le croy que tout cecy foit
fuffifant pour cefte heure àvous mó
ftrer que la crainte eft occafion que
nous faifons toufiours bien : dont
nous pouuons bien clairement co
gnoiftre par le mauuais gouuerne
ment du jaloux que la ialoufie n'eft
crainte de perdre la chofe aymee,
!
maisvne rage,qui prouient d'vne fer
meopinióde l'auoir perdue. Et qu'il
Ľ foit vray que l'homme eftat deuenu
ialoux,ne fe maintient plus ny com
: me Amant, ny comme craintif, mais
C meine toute telle vie que s'il eftoit
= defefperé. Comme Amant , il ne luy
# eft pas poffible : car il n'y a celuy qui
ne hayffe naturellement ceux de qui
il reçoit defplaifir.Et quel plusgrand
defplaifir au monde pourroiton ima
giner que celuy lequel reçoit l'Amát
V 2 fe
37355
BEE
LETTRES

22.
308

BE
fevoyantabandonné & deprifé par

A
3
l'Aymee, oubien qu'il fe l'imagine?

.
Qui péfera q ceftuy l'ayme iamais?
quicroira que cefte pefte enrageen'
ait lepouuoird'expulfer. l'amour &
introduire la haine , toutainfique le men

venim a la force de tuer la perfonne cogn


envn momét? peine incófiderable
queie penfe alors le malheureux A
tect
mátendurer,duquel amour fe depart
dir
moyennátvne telle occafion.Je croy
certainemetque celuy fentiroit beau
coupmoindre douleur ,fil'ameder ar
aym
toit de foncorps,ce qui aduient,pour
autant qu'il fent combattre dansfon
eftomac affligé & tourmeté millepé
for
fees eſtranges , le moindre defplaifir
que luyfçauroyentcaufer, lequel eft,
dr
come iepenfe, defe donner la mort,
apresque l'Amour l'a delaiffé:lequel
fe part abfolumet, fi l' Amat demeu for

re par quelque téps à fe perfuader &


croire
AMOVREVSES. 309
croire quel'Aymee l'ayt quitté & de
laiffé : Alors domine & feigneurie la
50 hayne,laquelle nous apporte telle af
fliction que cellelaquelle ie penſe a
uoir eſté, au moins par quelque mo*
ment , efprouuee. Orà fin que nous
cognoiffiós que ce miferable faloux
ne nourrit autre chofe que haine dás
fon cœur , comprenons le par les ef
fects. Vous le voirrez toufiours plein
d'ire , iamais ne fe trouue ioyeux , il
appelle inceffammet celle , quenous
penfons quelquefois faufemét qu'il
ayme,cruelle: ingrate, defloyalle : &
pourle moindre foupço qui luy vien
ne en preiudice d'elle , il y adioute
foy entieremét,fans pl' tafcher auec
modeftie , ou auec fidelité de fe ren
dre aggreable à icelle , ny de s'entre
tenir en fa grace:ains paffant mille
fois leiour depiteufement deuant fa
maifon,n'a plus efgard aucun au dá
V 3 ger
310 LETTRES

ger en quoyilfe met de la perdre, imais:


faifant en forte qu'vn autrey prédra garde
garde,qui l'en pourra defaifir.Il ne fe atAm
monftre aufsi Amant auec lafidelité:: airie
& qu'ainfi foit,vous ne trouuerezia- font
louxau monde,qui reçoiue defplaifirvie
quand bien il fera aduerty qu'on fa recau
che ou, & quel eft fon obiect , ny qui ne
vousle celle femblablement , quand roitde
vous luy demanderez.Outre ce le ia vna
eviec
loux ne s'efiouyra pour fe voir ca
reffer ny vfer courtoisiepar la Dame | ureall
enfonendroit, ains fe perfuadant de |cous d
ne luy cftreplus aggreable, d'autant Denta
plus extreme defplaifir vient à rece mel
uoir,quand il s'imagine la trahifon indi
plus grande. Pourrons nous don antiqu
ques dire qu'vn tel doiue eftre appel Seign
lé Amant , ou qu'il craigne de per quelle
dre lachofe aymee, eítant de telle na dera&
ture & fe maintenant en fi eſtrange toutes
forte? certainementie ne le croiray
iamais
AMO VREVSES. 3tt
iamais : cars'il eftoit vray Amant, il
Efe garderoitbien dedonner occaâon
à l'Avmee de conuertir en hayne fon
amitié & fe paillant d'efperace: com
mefont les autres Amans, meneroit
# vne vie ioyeufement vertueufe. On
ne fçauroit femblablemet dire qu'il
craigne car s'ileftoit ainsi, il tafche
roit de le rendre fi noble fubicct,
Equ'vn autre ne le peuft aucunement
C deuacer en vertu , pour puis apres vi
: ureaffeuré en la felicité. Que dirons
nous donc , finon qu'il croit ferme
ment que la Dame l'ait abádonné &
le mefprife , comme choſe totalemet
indigne, puisqu'il fe maintient tout
ainfi que defefpeté & ennemy?Voila
Seigneur Ludouic , mon opínon': laé
quelle,come le vous ay defia dit , ce
dera& fe rangera foubs la preuue de
toutes autres meilleures raifons.

V 4 A
312 LETTRES

A TRES- DOCTE PER


fonnage Meffer Bernar
din Daniel.:

Raifons demonftratiues que le vieil


lardnepeut aymer , ny
estre aymé.
LETTRE LXXXVII.

fivo eftiez plusvieil ou moins


fage que vous n'eftes , certainement
ie penferois que l'efgard de voftre
propre intereft , ou la curiofité vous
meut à me demander les raifons,lef
quelles vous font direà toutes heures
que les vieillards ne peuuent aymer.
Maispourautant que jevous cognoy
icuned'ans & trefuieil defçauoir (ce
qui maffeure pue vous nem'interro
guez, pouffé par aucunes de ces rai
fons)iepeferay que le faciez tout ex
pres
AMOVRE VSES. 3'3
pres pour auec mon cousteau prédre
vengeance de quelque outrage que
vous auez receu d'eux. Or quelle
qu'enfoit l'occafio ie ne resteray d'é
dire ce qu'il m'en ſemble touchant
telle matiere:mais prenez garde à ce
que ie diray, qui ne fera toufiours
quadie parleray des vieillards com
bien qu'en general , finon auec reue
rence d'vne inanité, ar on fçait bie
qu'il y a par tout(& mefmes en cefte
heureufe cité de Venife , auiourd'huy
feul rapart d'Italie & vray feiour de
foy,de luftice,& humanité)vne mul
titude innombrable , qui auec leur
prudence, & chacun à part foy pour
toyent facilemét gouuerner l'Empi
1re detout le monde.le n'enten main
tenant parler de leurs feblables: mais
pour reprédre le propos encommen
cé,ie vous dy qu'il y a plufieurs rai
efons, par lesquelles ie me fay à croire
6 V S que
LETTRES
314
queles vieillardsfoyer incapables& are
maldifpofez à l'amour. ar,comme uyg
vousfçauez trop mieux que moy , la mour
10
conferuation , & entretien d'amour c'eftar
n'eft autre, qu'vne efperace d'acque- le
rirla chofe deliree : & certainement ten
quandbien elle defaudroit, a beauté Gedigr
pourroit bien introduire le defir en quent c
Pefpritde quila contempleroit, mais paramc
qu'il s'y puiffe profondemer grauererem
ny imprimer par vn long temps , it pluspr
n'aduiendroit iamais. Qui eft celuy, q
qui, confiderant les commoditez & peric
les honneursdont vn Roy a la touy Certain
fance , ne defire tout aufsi toft defelay
voir au mefme degré ? mais à caufe neme
quela difficulté eft trop grade à l'obiqu
tenir:le vouloir ne fort effect, fi qu'il or fa
faut que le detit meure auat qu'ilfoit vielle
à peine né:tout ainfi s'efteint incon eftarbi
tinent le lumignon d'vne lampe qui aparei
n'a au dedas aucune humeur.Et vous pren
affeu
AMOVREVSES. 35
affeurez,meffer Bernardin,qu'il n'y a
celuy qui mefeuftfaire accroire que
amour peut regnerfans efperance.ce
qu'eftantvray,comme eft il pofsible
que le vieillard puiffe aymer , s'il ne.
fent enfoyaucune partie pour le rent
dredigne d'eftre ayme,& par confc.
quent de pouuoir acquerir la chofe
paramourdefiree? Començons pre
mierement par la chofe qui luy eft
plus propre. Diros nous quelafagef
fe qu'il a en foy luy donne aucune
aefperace defe rendre aymable? Non
certainement ? car il cognoift à l'œil
(& l'aydemádé à plufieurs tous d'vn :
mefme accord, touchant cefte opi
nió) quela plus grade folie qu'il fau
roir faire eftde s'en amourer fur fa
4.
vieilleffe.Voyez doc,que le vieillard
eftát bien affeuré de möftrer vn tref
aparent figne de folie ne peut en ce
la prendra aucune efperance . Penfez
VOUS
316 LETTRES

vous pas qu'ils ne fçachet deformais


combien ce nom de vieilleffe foit o
dieux à toutes & valeureufes ieunes
dames ? au fon duquel elles ne fe fi
gnet de moindre viteffe, que fontles
vieillesbigotes oyans nommer l'en
nemyhideux.Mais que di- ie? n'eft- ce
pas le ppre naturel des vieillards de
craindre continuelemét tát par l'ex
perience grande qu'ils ont des fauce
tez du mode, que par leur incapable
foibleffe ? Comme voulez vous donc
qu'ils mettent leur amour fur aucu
ne , s'ils font contrains de toufiours
refuer & penfer,de peur qu'ils neſe
trouuent trompez par les occafions
que ie vous ay cy deffus alleguees? il
me vient bien maintenant à propos
de refpódre à noftre Domenichi , le
quel eftant l'autre iour à deuifer fur
cefte matiere, difoit, que le vieillard
pourroitaymer ,fe mettant ( comme
fait
AMOVREVSES . 317

fait la plus grande part d'iceux)à ay


mer quelque bas fubiect,foubs efpe
rance que telle perfonne n'ayant co
gnoiffance de fon indignité, le deuft
aymer.Cefte raifon ,ſelon mõ aduis,
eft plus fubtile que fage: car il eft pré
mieremēt requis & neceffaire ql'a
100
mour naiffe en no par electio ou par
deftin Pardeftin,comme fi lavie de
deux eftoit gouuernee par vne mef
me planette,& qui fuffent nez foub's
les mefmes fignes:óu afcendans:lors
Vousvous pourriez bien affeurerque
ces deux s'aymeroyent d'vne amour
reciproque & parfaicte : & pourroit
រ on dire ceste amitié deftinec , & cel
e le d'autres femblablement , qui ont
vne certaîne proximité ou fimilitude
de cóplexions,commé difent les Phi
cifiens: & par mille autres raifons
que ie vous pourrois amener,en alle
DE guant l'opinon de plufieurs. Quane
àcefte
318 LETTRES

àcefte efpeced'amitiénous ne pour


rons pas dire que levieillard , lequel
s'eflit vne amoureufe,en foit attaint,
d'autat qu'il ne peutſçauoir fielle eft
₹ de fa mefme complexion , ou gouuer
nee par mefmes planettes , ou bien
encore née foubs les mefmes fignes.
S'ilen eftoit aduerti & acertené ,il
s'y pourroit frotter, mais il n'eft pas
croyable. Or fi nous voulons dire
maintenant qu'il ayme par election,
puis qu'il laveut choifir telle,je vous
dy qu'amour regarde & fe rage toul
iours deuers leplusbeau & le meil
leur : puis qu'il eft ainfi , quel figne
d'amour pourra donc doner ou mó
ftrer celuy quide premier faut acs
court à la laideur & au pire il fe fe
ra pluftoft sognoiftre pour ireux, &
odicux à foy mefme ,quafi comme
fevoulat punir,que pour amoureux:
au moyen dequoy ilfe rend totale
ment
AMOVREVSES. ‫وان‬
metindigne d'eftre ayme d'vne cho
fe noble,Et qu'ilfoitvray: vous ver
rez tousiours le plus communement
les vieillards careffer perfonnes de
벨 baffe qualité , tant en biens de for
tune,qu'en dons de l'efprit : ce qu'ils
ne font pour autre raison , qu'vfant
enuers fi bas & vils fubiects de quel
que effect d'affection defordonnee,
qu'il leur foit facile de paffer l'enuie
qu'ils conçoyuent de tous leurs ef
frenez appetits. Encore ne peuuent
ils mettre leur amour en telles ma
nieres de perfonnes : car comme i'ay
femblablement dit cy deffus, les co
gnoifsatpauures & baffes d'efprit , il
leur eft force de les defprifer & hayr
comme viles& abiectes,pluftoft que
deles aymer & tenir cheres. S'il les
cognoiffent pauures debiés, tátplus
grande occafion ont ils de les auoir
enhaine,par deux raifos:L'yne pour
autant
2016
ES
320 LETTR '

autant que ne voyans choſe en eux


qui les faffe trouuer de quelque me
rite,penfent toufionrs ( comme il eft
vray) quefi telles gens qui tiennent
compte d'eux parfemblat, n'auoyét
àfaire de leurs deniers , qu'ils ne les
aymeroyent point non feulement,
maisles fuiroyet come la pefte.L'au¹
tre,quel defdain & courroux penfez
vousqu'ils conçoyuent à l'encontre
de ceux qui leur retiennét leur auoir?
car on faitaffez come l'auarice croift
auec les ans. Mais ie conclu , que les
vieillards ne peuuentaymer, d'autat
qu'ils ne fe peuuent perfuader d'eftre
aymez , & quand bien ils le penfe
royent , fine pourroyent-ils encore
aymer, en tant qu'ils reputeroyent
cellequi les aymerot, indigned'eftre
aymeepourtel effect . Seigneur Ber
nardin , vous auec icy partie de mes
raifons queie vous ay redigees par
100106 ;
efcrit,
AMOVREVSES. 321

efcrit, pluftoft pour en retirer vne


bonne leçon de V. S.au contraire,
que fous efpece d'en rapporter au
4•in. cune louange.
*
A TRES VERTVEVX
& gentil Meffer Hora
ce Brunet.

Que les pucelles font moins fubiettes


à l'Amourqueles autres.
LETTRE LXXXVIII.

Agnifique Meffer Horace, afin


Mque ne trouuiez eftrange fi ie
vous dy l'autre iour ne me fembler
poffibleque celuy lequel s'en amou
re d'vnepucelle puiffe iamais trou
uer lepoinct de veniràconclufion q
foitbone ,fans auoir quelque entree
à la maifon , ou que quelque dome
ftiqued'icelle neprenne l'affaire en
main,, ie vous en amenerayaucunes
X raifons
322 LET TREŠ
raifons. Or vous fçauez affez qu'il
n'eftpermis aux filles,par honnefte
té, de tenir propos à autres qu'aux
perfonnes de la maiſon : & ne fuffi,
roitencor d'en employer vne qui y
fufttresfamiliere:eſtátcertain qu'el
lenefe pourroit tant bien conduire,
qu'elle nedonnaft en peu de iours
grand foupçon de foy. D'auantage
la pucelle a befoing d'vn efguillon
continuel carbien qu'elle foit par la
chaleur dufang naturellemét difpo
fee & encline àl'amour, neantmoins
il faut croireque le defir ne foit tant
ardant enfes femblables, qu'à celles,
quifontmariees, ou vefueslesquelles
parexperiece fçauét quel & combie
eft grad le plaifir qu'on accoustume
de goufter heureufement en amour
Il me femble que cefte raifon fera
toufiourstrouuee bonne: car il n'eft
pas vray- séblable qu'vn , lequel foit
Phi ne
AMOVREVSES. 323
néâueugle , & auquel ne fut iamais
permis de cognoiftre la perfectio de
la lumiere,la doiue tant defirer, que
celuy qui par quelque autre malen
contre s'en trouuera priué.Puis doc
qu'elles ontmoindre affection de fe
ioindre à l'homme , il s'enfuit bien,
E! que ladifficulté de les reduire & dif
pofer à y cofentir , en ferabeaucoup
plus grande : & tant plus il eft diffi
cile , tantmoins y deuons nous pre
tendre, ny arrefter noftre efperance,
furquelque moyedehors la maifon.
Outre ce V. S.fcait queceluy quipro
* cede en fes actions hors du temps
cóuenableà icelles, ne perdra feule
ment fes peines à taſcher de reduire
vne perfonneà luy faireplaifir,mais
bienfouuernela pourra encore dif
poferà lereceuoir . Commapourra
procedervnefemme par temps en
femblable entreprife qu'elle ne de
MA X 2 meu
324 LETTRES
meure continuellement àla maiſon:
où il faudra encore qu'elle prenne
efgardà ne fe möftrer presomptueu
fe , & de ne donner occafion qu'on
foupçonne quelque chofe de fov, ce
qui luy fera perdre mille parfaites
occafios. Il faut encore qu'elle s'ac
quiere cautement le moyen en la
maifon , en tant que la ieuneffe elt
inexperte & fort prompte à perdre
la memoire de l'Amant: au moyen
dequoy il eftbefoin qu'iceluy Amát
tiennecontinuellemet quelqueper
fonne qui foitfoigneufement acor
te à luy ramentevoir fon amour &
affection, le feray icy fin , Seigneur
Horace, remettant à vne autrefois
ce que l'ay proposé d'en de
uifer plus auant auec
vous , à quiiem'offre
& recom
mande.
A Mada
AMOVREVSES. 325
#! A MADAME IANNE
Vagu'augello.
Stances à elle enuoyeespour le merite
de fes louanges.
LETTRE LX XXIX.
A treshonnoree maiftreffe , ie
Mvo' enuoye les Staces,lefquel
les ie vousdy dernierement par mes
* lettres que l'auois cópofees .Cefont
les premiers fruits de la femence
qu'ontrefpandues en moy vos incó
parablement rares graces & diuines
vertus, & ne les deſdaignez,car vous
✅ viendriez à deſdaigner ce qui eft pro
premetvoftreten quoy ie me fuis ef
forcé de publier au monde partie de
De voſtre valeur , pluftoft pour empel
cher que ie ne fois reprins fi te vous
honore,que pour efperace que i'aye
de pouuoir arriver au but de vos me
rites,à la perfection defquels ie fuis
13 X 3 par
326 LETTRES

par trop affeuré de ne pouuoir ia


mais attaindre, finon auec la foy &
amour: & ce pendant ie baife hum
blement les mains de V. S.

STANCES.

Gentille De bonnefte ,fage, & belle,



Quinous ornez autant de vos bon
neurs
Qu'à l'aduenir de la faifon nouvelle
Lesprezberbussot embellis defleurs:
• Je voudrois bien , & amourm'y ap
pelle,
Chanter le los,la beauté,lesvaleurs
De vous quifeule eftes,&fans exem
ple
De la vertule feiour & le temple.
Mais tel fuiet red maplume douteuse,
Si haut ü eft,par vne froide peur:
Donques efprit plein de grace amon
reuſe
Duquel
AMOVREVSES.
327
Duquel peutprendre antruy fens &
valeur,
·Guidez mon ame, en ceft auurepeu
Vreuſe
Fauorifant humainement le cœur
15 De ce double ceil diuinement gemeau,
D'où le foleil reprend tout fon plus
beau,
Oeilbien-beureux , ie te vonë & or
donne
L'arbitre entier de mon entier vou
loir,
Et plus bel ailton effort m'epriſonne,
Moindre eft le mal qui me deuroit
radouloir:
Car les fors lacs & les chaines que
S donne
w Cedoux regard , parmy le blanc &
noir
Me tiret l'ame, où ellefent & trouue
Le bien qu'au cieltoute amebeureufe
efprouue.
X 4 Otrais
RES
328 LETT

O traisd'amour qui de là mile à mile


Eftespouffez d'ineuitable effort,
Dardans fans fin eftincelle habile
A m'emflammer par tout lors qu'elle
1 fort:
Heureux fur quicefteflamme diftille,
Et quinefait contre icelle renfort:
Puis que deuant qué mort le rende
3 7
blefine
sçait come on meurt de plaifir trop
extreme.
O Dame,heureux miracle de nature
Qui nous apprens & monftres,bien
faifant,
Le droit chemin & lafenteplusfeure
D'aller au Liela'œil allègre & plaiſant:
Onous heureux, qui auons l'aueture
D'aller letempspuſſammentmaiſtri
fant
Sous le marteau,fous l'encre, & fous
couleurs
Par telle beauté , telle grace & va
3 leurs.
AMOVREVSE S. 329
leurs.
7 Mais qui prendra le burinny la plume
Ny lepinceau,pour bien repreſenter
Lagrand valeur & gentile couftume
Que l'ample Ciel vous voulutprefen
ters
T Si le defir quidans beaucoup s'allume
5 Se pe voulant à telœuure attenter,
Comele iourque meperdymoymeſme
Quand vins à voir voftre beauté fu
preme?
Donques icyferay fin, ame belle,
Puis qu'on ne peut parfuffifant de
uoir
Parler de vous : en vous priant par
-celle
Face & beauxyeux, ou toufiours fe
peut voir
Amour armé de traict & eftincelle
Sans vainemet iamais fon coupaffoir,
D'auoir àgré mỡ humble obe :
ffance,
Et regarderde ma foy la constance.
X's A TRES
LETTRES
330
A TRES- VERTVEVSE
$15 Dame, Madame Fran
çoife Baffa.

L'Amyprefentefon affection à
Ladicte Dame.

LETTRE x C.

Atref- honnoree Dame Fran


çoife,i'ayplus grand defir d'a 1
uoir en moy c'eft efprit & cesvertus
defquelles vous me vantez iouyffant
pour vous pouuoir monftrer com
bienie vous ayme parfaictemét,que
pouren mieux valoiren autre effect.
Et à dire vray, il ne faudroit pasque
ie fuffe de moindre valeur pour vous
le pouuoir exprimer:pour autat que
comme vos vertus fontinfinies,ainfi
eft infinie l'ardeur de mon affectió,
que ie fouhaitte merueilleufement
venir en voftre cognoiffance , &
qu'elle
AMOVREVSES. 397

qu'elle puiffe auoir l'heur , que l'ayez


pour aggreable. Combien qu'outre
celaie ne cefferay iamais de prendre
occafion , par laquelle vous en puif
1 fiez tirer quelque figne manifeſte :
encore que ie fois affez affeuré com
mevousvoyez clairement auec les
yeux dela penfee das tous les cœurs
de ceux aufquels elle daigne vifer: ce
1 qui m'eft d'autant plus aggreable ,en
tát que ie vous cognois,mieux qu'au
tre diuine : & pour telle vous reuere
& honnore.

L'Amy s'excufe vers l'Amie, de ne


Luy auoir fait fçauoir fon
departement.
LETTRE XCI.

A trefchere maiſtreſſe , tenez


Mvous toute affeuree que ie ne
laiſſe d'ouyr voſtre voix,encore q ie
lois
LETTRES &
332
fois eflongné de Venife,laquelle me fautre
menaçant le plaint & lamente,pour de me
autant que ie ne luy ay faict fçauoir joursv
l'heure de ma departie:qui nefe peut auecm
toutesfois nommer departie,fi l'hó Fous tr
me nedemeure au lieu duquel l'ame guree,c
fetrouue abfente.OrMadame,qual menta
vous ne vous plaind iez ie me lame reur,fi
terois de vous : car il me fembleroit ainfi,m
receuoir petit guerdon de l'amitié q rez cốt
ie vous porte, quad iepenferois que fant,bi
ne trouuiffiez eſtrage de ne me voir occafic
iournelleméten voltre presece,vous
ramenteuoir mon affection. Mais a VE
uec tout cela ie ne me fçaurois gar f
derde me troubler,auec ma trelgră
de douleur :fcachát cóbien peut dás
vn cœur bien enflamé, l'ardeur d'vn
defdain: lequel combien qu'il fe fuft Pon
mis en vous ce que n'aduiene ) ilan L'air
roit mis enmoyla mort par vn mef Mal
memoyen. len'vferay maintenant Sams
d'au
AMOVREVSES. 335
d'autre excufe : car ievous promets
de me trouuer dans quatre ou cinq
joursvers vous , où i'efpere là faire
auec maprefence & figure, laquelle
vous trouverez tantmorne & defi
2 guree,que vous ne me iugerez feule
W mentauoir fait penitéce de mon er
I reur,fivous voulez queie la nomme
ainfi,mais parpitié vous courrouce
rez côtre vous mefme,vous cognoif
fant,biéquefansvoftre defaut , eftre:
occafionde mafi grande douleur.

VERS AMOVREVX
finispar mefmes dictions ,
& acheuez par ma
niere d'Ode ..

Pouffe de fiers & tempeftueux vens,


L'aidepriué en trop fuible vaiſſeau ,
Mal-affeuré loin de gens deport,
Sans defcouurir de matrefchere eftoile
La
LETTRES
334
ONEE
La defiree & requiſe lumière,
¿ le fuis conduit fur dagereux efcueils. L'en
Cla
Te quiers fecours,belas: car les efcueils
Res
•Ne font piteux, & fi l'orgueil des " ve
vens
Cari
Plus fe renforce autour de mon raif
po
feau:
Le Cielm'a bien monftréforce lumie Onques
re : por
Las &
Pour meguiderparaduenture, àport: Etter
6 Mais mon heur gift ſous vne ſeule
Que i
eftvile.
Foile
Et peumefert lafaueur d'autreeftoile,
Deffou
De Ciel, Soleil& Lune: car d'efcueils
efcuer
Ne me fçauroit jamais rendre à bon
le pen
port, Maisme
Ny m'affeurer de la fureur des vens, Lairra
Que ne le fois par ma chere lumiere,
pert
Quilepeutfaire en plus foible vaif POKTY
feau.
Parcefte mer errer :ô fiere eftoile cheil

Quiprins fur moy auant qu'cuffe Etfif


onc
AMOVREVSE'S. 335
onc lumiere
L'entierpouuoir (parmy tous ces ef
cueils
Res moy enproye aux ondes & aux
vens :
Car ie ne vueil de toy nulplus doux
port. Q
Onques Nocherplus ioyeux ne print
port
Las & rompu dans fipetit vaiffeau,
Et tempefte de l'orage & des vens
Que l'entrerois,( ôma trefdouce e
foile)
Deffous ces eaux, quand parmy los
efcueils
le penferois voirta belle lumiere.
Mais moychetificarla belle lumiere
Lairra mes yeux regardans s'aucum
port
Pourront trouuer entre cesdurs ef
cueils
Et fifera fracaffé le vaiffeau
Auant
ES
LETTR
336
Auant que voir toy , ô ma douce e
ftoile, OT
Qui feule peux calmer l'eau & les L
↓ vens. Q
Lesvens font creux,ierrefans la lu Ca
V miere
De mon eftoile,& nefachant leport,
Mon vaiſſeau va parmy les durs ef
cueils.
O quel malheur que mon deftin m'a
meine
Quand à moncouft ilconuient que ie
fente
Le malqu'on apour voir fa dame ab

·
fente.
Amour neme faill tort,
Bien qu'au chemin me tire
Tout comblé de martyre ,
Car la coulpe en eft mienne
Si t'en fouffre lapeine.
Omodoux cœur,o ma vie , & confort,
Puiffe le Cielpiteux ne m'estrepas.
si
AMOVREYSES. 337

Siplus de toyiem'eflongne onfeulpas.


Oma trop dure peine,
J
Las,cefeulpoint faitque dure ktue m'ees,
po
Quandmourir ne mefais.
Car quand ie pleuré en vain
Le beaufemblant bumain
Duquel me fait efloigner mon durfort,
GLA XO
esbo Venma fafcheufe vie
En me donnant lamort 019 70%
defin Ceft pitié infinie, ‹ 13:51 55
Cruelledonc tu m'es,og plow but bon
8 pardon
Quandmourir nemefais
613271

A TRES-VALEVREVX
Seigneur Gottard d'Occagne.!
GOBB89 190 12 Joranget

Des trois especes d'Amour,quo q


20 db 0/2971 29 2907 D.923
"
POLOBOT TREć.big
quoquerors xoob evalda Tom, hös
сто cofEigneur Gottard, fi vosdouxco
'estrep mandemens merendoyentaurát
SBUL Y fçauant
TRE
338 LET

fcauat pourvousfatisfaire, qu'ils me


font ardat à vous obeir, certainemet
ie ne fache autre quel qu'il foit,pour
mieux vous refoudre le tresbeau dou
te que vous me propofez touchant
les trois amours,defquels ie parleray
puis qu'il vousplaiſt ainfi)bié qu'af
fez mal volontiers,pour ne me fentir
trop expert en telle matiere.Et quant
au premier , ie dy que c'eft treffage
met faict de fe garder qu'on nevien
nefans y penfer à tresbucher dedás,
par la fafcherie grade qu'il faut auoir
anat qd'en pouuoir tirer quelque re
folutio:de laquelle faſcherie je me tai
raymaîtenát,pour en auoir affez am
plemétparlé par yne autremiene let
tre,q vous pourrez voir das ce liure,
addreffee: à M. Horace Brunet Lefe
cód,meſemble vn doux amour pour
12:

autatqu'enaymant vnêtelle,on n'eft


feulemét exept de la facherie qu'o ef
Casust prouue
AMOVREV SES. 339%
A
" prouue au premier coutumieremét,
mais fouuét elle en deliure eeluy qui
O
ayme,apenfercome il eftpoffiblede
paruenir aubur de la fin deftree.Co
bien eny a il eu qui en tels casont en
vn moment trouué des remedes: que
lésplus auifez & fubtils hommes du
C monde n'euffent peut imaginer en

mille ans O felicité grande d'vn A


S mant,à quiileft permis par lemoyen
du fublime efprit, de fa Dame, de
voir quafi en defpit de Fortunefon
defir fortit heureux effect: qui pour
roit confiderer la douceur & cóten
tometquefentalors cebien fortuné
0 amat,quis affeure enyn mefme teps
d de l'amour de fa Dame , & d'aymer

I choſe deſi grande valeur , puis qu'ilg


ne vient à auoir moindre cognoif
fance de refprit,que de l'affection de I
celle qu'il aymerDauantage fe trou
uant l'homme rechauffé de ceſte fe
421967 Y 2 conde
349 LETTRE SA

conde ardeur, il doit toufiours auoir


plus grande efperance de paruenirà
ce qu'il preted,qu'en nul des autres,
tant parlesfubtile's couuerturesauec
lafquelles telles Dames viennét à pal
lier leurpitié,que pour la commodi
tégrande qu'elles ont d'en yfer. Il
n'eftia befoin demóftrerà leurs fem
blables quelle & combien eft grade
la douceur qu'ona couftume de gou
fterenbienlaymir, d'autant qu'elles
en fontaffez acértenees ou pour le
moins elles en ont de grandes arres,
qui les render toufiours promptes &
difpofces à receuon la flamme amou
reale.Fellemer qao,Monfeigneur,ie
nemefalche enrien, ains me refrouy *
grandement,lorsquelie voy v mien
amyfedonneren proyeàl'amour, ન
l'occafion d'vn fibnoble fabiect, du-. }
quelve ne parleray plus are :eftant >
trop bicnaffeuré que vous auez plus
36403 Y
parfai
AMOVREVSES. 341

parfaite cognoiffance que moyde la


น douceur & plaifir qu'on en retire.
Touchantle tiers , ielay en telle re
uerence, & le tien pour vn fi doux &
faint Amour,que ie n'ay quafi la har
dieffe d'en parler, craignat d'obfcur
cir & doner mauuais luftre aux loua
ges qui luy font deuës: comme ie fuis
certain de faire les voulant deduire
par le menu. Celuy eft celle ardeur
qui toufiours s'augméte dás le cœur
de ceux qu'Amour daigne enflam
mer d'iceluy,comme ileſt affez ma→
nifeſte par infinis exemples de valeu
reux perſonnages, leſquels onttouf
iours extremement aiméiufques à la
mort?fansiamaiscroire qu'ilfe peut
trouuer ça bas plus heureufe vie.
C'eft ceft Amour qui feul donne la
iouyffance de foy,fans crainte nyia
doufie.Odoux regards,ôgracieux riss
paroles humaines & douces , plus
Y 3 que
342 LETTRES

que n'eft l'abrofie des Dieux:puisco


fiderant la qualité de laperfonne qui
les profere,ne donnent aucune crain
te qu'ellesfoyent palices ny pronon
cees artificiellomét.Dot par ce moye
onvient à la iouyſſance parfaicte de
ces heureuſesfaueurs,quinefont nul
lementpermifes,à ancuufoubsautre
conditio.Peut cftre que celuy quiai
me tellesperfonnes pourroit douter
den eftre toufiours tenu cher: oubie
fipar casfortuit il entroit en foupço
que quelque autre le fecondaſt & le
fift foncépagnon (ce qui ne peut ad
uenir)ne s'en apperceuoit il inconti
nent,fans auoir premierementporté
Penfer parmille ansdansfonfein có
meil en prend à ceux qui ne fçauent
faire chofe affeuree , ny digne d'ele
ctio,Que diray ie puis de la fainte có
modité,qu'on a pour deuifer à toutes
heures aueccelles qu'o adoreèce qui
eft
AMOVRE VSES. 343

eft trop , pourrendre parfaictement


heureux vn home,lequel feroitdigné
d'vne peine infinie fe trouuant telle
comodité,qu'il ne rōpiſt vn diamát,
ou enflammaft la glace en defcou
urant les affections tout à loifir. Les
raifons font infinies,pal leſquelles ie
pourrois clairemét doner à cognoif
tre la felicité de ceft amour furmöter
toutes les autres:mais cefuffira pour
maintenant: eftant bien affeuré que
ce peuvous pourra fairevoir comme
ie vous fuis entieremét affectionné.
Ce pendant ie vous prie deme tenir
en voftre grace & merecommader;

Vn uouuel amyfoubs couleur de confo


ler vnedame la requiert de le rete
nir pour fon efclaue.
LETTRE XCIII.

Ncore que l'office m'effor


E ceray maintenar de faire, meloit
Y 4 plus
RES
344 LETT

plusmalfeat qu'à nul autre, ie ne lair


raypartant M.G.de chercher tous les
moyens qui me ferot poffibles pour
vous confoler en la douleur quirai
fonnablement vous doit eftre plus
griefue qu'autre qui vous fceuft adue
nir , par la mort de celuy qui auant
toute autre chofe vous deuoit eftre
aggreable.Mais come pourra iamais
donner confort à aucun celuy qui eft
plógéau plusprofond abyfme de tou
tes les miferes;coment pourrail for
mer parole ny accet qui ait autre fon
que deplainte , ny autre fignifiance
que de douleur infupportable ? com
ment pourray- ie croire que fa mort
vous foitgriefue,quad ie ne puis ima
giner chofe qui me tournait à plus
grand profit,ny qui mefuft caufe de
meilleur allegement que le mourir?
Doy- ie penfer que receuiez defplai
fit de ce qu'il eft arriué à la fin du lóg
& peril
AMO VREVSES. 345
&perilleux trauail de ceftemiſerable
vie,qui n'eftpleinefinon d'ennuis, de
malices,de perfecutions, & de trom
peries.Mais toutes ces chofes mifes à
part,me monftreray ie tant prefum
" ptueux que de vouloir remöftrer par
confeil à la fageffe mefmetou feray
ie fi fimple de croire que vous dai
gniez pl' efcouter mesparoles : le dy
cecy come affeuré,que vous me vou
driez voir reduit au plus pauure &
miferable que l'onsçauroit péfer : ce
que ie fouhaiterois au pofsible adue
nir, cognoiffant voſtre vouloir eftre
tel:tant pour vous voir fatisfaicte &
contente,que pour me trouuer auſsi
moins tormenté: vous affeurant que
ie ne me fauroisimaginer infelicité fi
grandequi me peuft aduenir , qu'elle
ne me femblaſt felicité, à cóparaiſòn
de celle en laquelle je me trouue mi
ferablement plongé : puis mon cruel
Y S defa
246 LETTRES
defaftre m'ofte l'heur de vostre graċe
fans que ce foit par ma faute.Et qu'il
foitvray,ie vous le donneray facile
ment à cognoiftre : pour autant que
toutes les chofes que ie vous refcri
uois par mes dernieres(qu'ainfi euffe
ie trouué le dernier iour de ma vie)
n'eftoyent que paroles,lefquellesde
uoyét eftre pluftoft vn trefaffeuré at
gument de trefgrande affection que
de haine, àvne Dame accorte en ami
tié:tant pource que les fignes qui me
faifoient de voftrefoy eftoyent tref
fuffifans & en grád nombre, comme
pour autant que ce pendant ( comme
ie vous auois defia refcrit) s'en alloit
par tout vantant.Defia fçauoy- ie af
fez comme la commodité qu'il en a
uoit eftoit trefgrande & oportune.
D'autre coftéie vous cognois de tel
le beauté & fi grand grace, que ie me
deuois bien affeurer , que ce galland
icy,
AMOVREVSES. 147
? icy , encore qu'il euft efté plus froid
que marbre , fe fuft incontinentem
brafé.Quedeuoy- ie cõiecturer, eſtát
au nombre des Amans,le naturel def
quels n'eftfeulemét d'adioufter foy
afemblables coiectures , mais de voir
l'obſcurité dans la lumiere?ll eftvray
queievous euife biépeu refcrire plus
modeftement mes raifons : mais qui
pourroit faire trouuer l'amertume,
douce?Que puiffent encourir en tel
le douleur ceux qui m'en voudront
reprendre,à fin qu'ils facent l'eſſay,
s'il eft poffible de tirer à la mort fans
fe plaindre.ie ne vo'vueil tenirpour
femmede fibas efprit, que vinffiez à
refufer vn femblable pour efclaue,
non pour amant:& eft vray:mais qui
m'affeuroitque mo deſtin lequel ne
mefutiamais fauorable ne vous co
traignift d'aller contre voftrefoy &
gradcur?pourquoy ne deuoy- ie crain
dre celà , l'ayant toufiours cogneu
348 LETTRES

contrarieràl heureuſe yffue de mon


bienfinoalors qu'il mepermit d'ac
querir voftregrace?en quoy il ne re
cula nullement , pour puis apres me
vfer (comme ilfait maintenant ) de
plus grande cruauté. Maispourquoy
n'euftes vousefgard à vneinfinité d'
experiences que vous auiez euës de
mon amour?eftimant que cefte lettre
auoit efté lagonreufemét efcrite par
myfoufpirs & larmes infinies? com
met ne confideriez vous qu'on a rai
fon d'eftre ialoux d'vne chofe chere
mentrare qu'on tieten fa poffefsion?
Lavehemence de mes douleurs n'ef
toit ellefuffifante pour vous efmou
noir à compafsion ? Ah, las,que ie ne
couchois parole fur l'humide papier
qui ne m'ourift le cœur. Car d'vn
cofté, l'incóparable amour que vous
m auez moltré , nonfans vn trefgrad
dágerde tous d'eux,me reprenoit: &
de
AMOVRE VSES 349*
de l'autre , ceſte affection infinie qur
merendtantvoſtre, luy ſemblat d'ef
tre mal recópenfee, mecontraignoir
à me plaindre & lamenter : mais de
qui ? & par quelle occafion ? O Ciel
cruel,tu me fis bien partir de Venife,
defefperé,foubs efperace que la mer
deuſt eſtre trefchere & heureufe fe
pulture de mes membres laffez & mi
ferablement en chaleur conſumez:
maistunë të mōſtras puísapres tant
pitoyable, combié que tu m'en don
nas plus d'vn figne, non feulemétfur
la mer , mais parmy les afpres & fte
riles moragnes, ou ie ne vy aucun vi
lain pour pauureté que ie cogneuffe
en luy,à quiione portaffe enale. Las
Madame, puis quetes Cieux ne m'ot
octroyé vnemorttardefiree,ne perq
mettez que le viue auec vne vie qui
÷
m'eft tant odieufe retournez moyen
voltre premiere-grace, & vous côten
22314
tez,
350 LETTRES
feltes
tez,pour penitence de mō erreur , dé
aucun
la douleur qui m'a langoureuſement
eternel
accompaigné iufques à cefte heure,
tévous
vous affeurant l'auoirſupportée tant;
vehemente , qu'elle feront fuffifante toy.com
Contrer
pour efmouuoir les pierres à pitié,
L'atens refponſe de V.S.auec la fin de legard
toutes mes miferes & calamitez . b &remo
tormét
Vn Amant feplainet àfa Dame qu'el
erler
... be eft caufe defa mort
mets
LETTRE XCIIII igt
YOUSVO
Ous voulez donc deuancer par
cruelle
ma mort le diamất en dureté, la
preuoy
glace en froideur,& le Tigre en cru
auté Mais dictes moy, qu'aurezvous nopar
Comer
aduacé d'auǎtagequandie feray pris
ué de vie par voftreoccafió, péſeriez quels i
fonnie
vous point d'en fentir vn extreme &
effect
perpetuel plaifir par la feurté á vous
leur ef
promer vainemet la duretéde vostre
Courage:S'il eft ainfi,vous vous mef biela
laiffe
contentez :vous affeurant que vous
‫ܬ‬ n'eftes
AMOVRE VSES. 351
n'eftes pour n'en tirer non feulemét
aucun plaifir,mais trop bievn regret.
eternel.Car cõbien que voftre cruau
té vous ferue de rampart contre ma
foy,cotre monamour, & finablemet.
contrema mort,fi nevous pourra el
le garder ny amoindrir les pointures
& remors de laconſcience , qui vous
formétás fans ceffe,vousferot prou
Her l'enfer toute envie. levous pro
mers qu'il me fafche plus de ce que,
vous vous monſtrez tant iniquement
cruelle , par le grandtorment que je
preuoyvous deuoir paffionner, que
no par celuy que ie fupporte.Ah,las,
coment pourrontvoir ces yeux(auf
quelsie merendy franchement pri
fonnierfans iamais monftrer vn feul
effect de refiftance )la mort d'vn, qui
leur eft tát amiable feruiteur ? pourra
bié la courtoyfie & benignitémefme
laiffer perir vne perfōne parfaute de
luy
352 LETTRESA

Juy prefterfecourspour peu de cho


fe:Las prenez garde à moy, & n'endu
rez q cefte langue, qui n'eft au mode
finon pourvous louer & hōnorer,ait
occafio d'vne perpetuelle plainte, &
de felaméter cótinuellemét de celle
qui auec touteraiſon la deuroit adou
cir.Endurez que ma fidelité mette de
formaisfin à voftre dureté obftinee;
& quemon ardeur viene à confumer
& ancátirla trop froide glace de vo
ftrecruauté, quifi eftroictemet vous
enuironne le cœurà fin queie chante
envn meſmetemps , & vn par mefme
moyen la beauté & courtoyfie
A de celle , entre les mains não
4 sann
de laquelle gift ma
luit trovovie ou ma 11 m
ing avic nota mort. abbu s
og timale daban Jurnal

2 blows ogbuFIN
7
1
XXX 10195

Nr. 1011 . Ausgang: 20.9.1951


I. Schäden : a, e, *ORMATY
II. Behandlung :
III. Besonderheiter

Vous aimerez peut-être aussi