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‫‪EK GENT‬‬
‫بتجيبمبيت‬
‫‪1‬‬
EK GENT

TI
B. - 6 . 9565
1
las
:
B.6. 2565
L'A V ARE,
COMED I E.

Par

J. B. P. DE MOLIER E.

TO

Suivant la Copie Imprimée


A PA RI S.

CIɔ 15c x C111.


A C T E U R S.
HARPAGON , Pere de Cleante & d'Elife , & A.
moureux de Mariane.
CLEANTE , Fils d'Harpagon , AmantdeMariane.
>

ILISE , Fille d'Harpagon , Amante de Valere.


VALER E , Fils d'Anſelme , & Amant d'Eliſe,
>

MARIANE , Amante de Cleante , & aimée d'Har :


pagon .
ANSELME , Pere de Valere , & deMariane.
FROSINE , Femme d'intrigue.
MAISTRE SIMON , Courtier.
MAISTRE JACQUES , Cuiſinier & Cocher
d'Harpagon.
LA FLECHE , Valet de Cleante.
DAME CLAUDE , Servante d'Harpagon.
BRIND A VOINE ,
LA MER LUCHE , S } Laquais d'Harpagon.
LA COMMISSAIRE , & SON CLER C.

LA Scene eſt à Paris.


L'AVARE ,
сом 1
M E DI E.

ACTE PREMIER.
SCENE I.
VALERE >, ELIS E.
V ALER E.
E quoy , charmante Eliſe , vous deve .
)

nezmelancholique,aprés les obligeantés


H afleurances que vous avez eu la bonté de
me donner de voſtre foy ? Je vous voy
foûpirer , helas , au milieu de ma joie ! Eft - ce du
regret , dites -moy , de m'avoir fait heureux , &
vous repentez-vousde cet engagement où mes feux
ont pû vous contraindre ?
ELISE .
Non , Valere , je ne puis pas me repentir de tout
ce que je fais pourvous. Jem'y rens entraiſner par
une trop douce puiſſance , & je l'ay pas même le .
force de ſouhaiter que les choſes ne fuflent pas. Mais,
à vous dire vray , le ſucces me donne de l'inquieru.
A2 de
L' A VAR E ,
de ; & je crains fort de vous aimer un peu plus que
je ne devrois .
VALERE.
Hé que pouvez- vous craindre , Eliſe ,? daos les
bontez que vous avez pour moy ?
EL IS E.
Helas ! cent choſes à la fois : L'emportement d'un
Pere ; les reproches d'une famille ; les cenſures du
monde ; mais plus que tout , Valere , le changement
de voſtre cour , & cette froideur criminelle dont
ceus de voſtre ſexe payent le plus ſouvent les témoi
gnages trop ardens d'une innocente amour,
V A L E RE,
Ah ! ne me faites pas ce tort , de juger de moy par
les autres. Soupçonnez moy de tout, Eliſe , plütoft
que de manquer à ce que je vous doy. Je vous aime
trop pour cela ; & mon amour pour vous , durera
autant que ma vie,
ELISE .
Ah ! Valere , chacun tient les mêmes diſcours.
Tous les hommes ſont ſemblables par les paroles ;
& ce n'eſt que les actions , qui les découvrent diffe
rens.
V AL E R E.
Puis que les ſeules actions font connoiſtre ce que
nous ſommes ; attendez donc au moins à juger de
mon cæur par elles , & ne me cherchez point des
crimes dans les injuſtes craintes d'une fâcheuſe pre
voyance. Ne m’aflaſinez point , je vous prie , par
>

les ſenſibles coups d'un ſoupçon outrageux ; & don


nez moy le temps de vous convaincre , par mille &
mille préuves , del'honneſteté de mes feux.
ELIS F.
Helas ! qu'avec facilité on ſe laiſſe perſuader par
les perſonnes que l'on aime! Ouy , Valere , je tiens
volire cæur incapable de m’abuſer. Je croy que vous
m’aimncz d'un veritable amour , & que vous me ſe
ICZ
COM E DI E. S
rez fidelle ; je n'en veux point du toutdouter , &
je retranche mon chagrin aux apprehenſions du blá
me qu'on pourra me donner.
V A L E RE.
Mais pourquoy cette inquietude ?
ELISE.
Je n'aurois rien à craindre , ſi tout le monde vous
voyoit des yeux dont je vous voy ; & je trouve en
voſtre perſonne dequoy avoir raiſon aux choſes que
je fais pour vous. Mon coeur , pour la defenſe , a
tout voſtre merite, appuyé du ſecours d'une recon
poiſſance où le Ciel m'engage envers vous. Je me
repreſente à toute heure ce peril étonnant , qui com .
mença de nous offrir aux regards l'un del'autre ; cet
te generoſité ſurprenante, qui vous fit riſquer voſtre
vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes ;
ces ſoins pleins de tendreſſe , que vousme fiftes écla
ter aprés m’avoir tirée de l'eau ; & les hommages
allidus de cet ardent amour , que ny le temps , py
les difficultez , n'ont reburé , & qui vous faiſant ne
>

gliger & parens & patrie , arreſte vos pas en ces


lieux , y tient en ma faveur voftre fortunedéguiſée ,
& vous a réduit , pour mevoir , à vous reveſtir de
l'employ de domeſtique de mon Pere. Tout cela
fait chez moy, ſans doute un merveilleux effet ; &
c'en eſt aſſez à mes yeux , pour me juſtifier l'engage
ment où j'ay pû conſentir : mais ce n'eſt pasallez ,
peut-eſtre, pour le juſtifier aux autres ; & je ne ſuis
pas ſeûre qu'on entre dans mes ſentimens.
V A L E R E.
De tout ce que vous avez dit , ce n'eſt que par
mon feul amour que je pretens auprés de vousmeri
ter quelque choſe; & quant aux ſcrupules que vous
avez , voſtre Pere, luy même , ne prend que trop
de soin de vous juſtifier à tout le monde ; & l'excés
de ſon avarice , & la maniere auftere dont il vit a
vec ſes enfans , pourroient authoriſer des choſes plus
A 3 etran.
6 L' A V A RE ,
étranges. Pardonnez moy , charmante Eliſe , fij'en ·
parle ainſi devant vous. Vous ſçavez que lur ce cha
pitre on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin , li je
puis , comme je l'eſpere ,> retrouver mes parens ,
nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous le ren
dre favorabie. J'en attens des nouvelles avec impa
tience , & j'en iray chercher moy-même, ſi elles tar
dent à venir.
ELISE.
Ah ! Valere, ne bougez d'ici, je vous prie; &
ſongez ſeulement à vousbien mettre dans l'eſprit de
mon Pere,
V L E R E.
Vous voyez comme je m'y prens , & les adroites
complaiſances qu'ilm'a fallu mettre en uſage, pour
m'introduire à fon ſervice ; fous quel marque de
Tympathie, & de rapports de ſentimens, je me dégui
1e, pour luy plaire, & quel perſonnage je jouë tous les
jours avec luy ,afin d'acquerir ſa tendreſſe. J'y fais des
progrés admirables; & j'éprouve que pour gagner les
hommes , il n'eſt point de meilieure voie , que de ſe
parer à leurs yeux deleurs inclinations ; que de don
ner dans leursmaximes ,encenſerieurs defauts, & ap
plaudir à ce quils font. On n'a que faire d'avoir peur
de trop charger la complaiſance ; & la maniere dont
on les jouë a beau eſtre viſible , les plus fins toûjours
ſont de grandes dupes du cofté de la filaterie ;& il n'y
a rien de li impertinent, & de fi ridicule , qu'on ne
faſſe avaler , lors qu'on l'aſſaiſonne en loüange. La
Sincerité ſouffre un peu au meſtier que je fais : mais
quand on a beſoin des hommes , il fautbien s'ajuſter
à eux ; & puis qu'on ne ſçauroit les gagner que par
là , ce n'eſt pas la faute de ceux qui flatent >,mais de
>

ceux qui veulent eſtre flatez.


ELISE.
Mais que ne tâchez-vous auſli à gagner l'appuyde
mon Frere, en cas que la Servante s'aviſait dereveler
noftre ſecret ?
VA
CO - ME DI E.
V A L E R E.
On ne peut pasménagerl'un & l'autre ; & l'eſprit
du Pere, & celuy du fils , ſont des choſes ſi oppo•
ſées, qu'il eſt difficile d'accommoder ces deux con
fidences enſemble. Mais vous , de voſtre part,agiſſez
auprés de voſtre fiere, & ſervez vous de l'amitié qui
eſt entre vous deux , pour le jetter dans nos intereſts,
Il vient. Je me retire. Prenez ce temps pour luy par
ler ; & ne luy découvrez de noitre affaire , que ce
que vous jugerez à propos.
ELIS E.
Je ne ſçay li j'auray la force de luy faire cette con
fidence. .

SCENE I 1.

• CL.E ANTE , ELIS E.


CLEANT E.
Je ſuis bien-aiſe de vous trouver ſeule, ma Sæur ,
& je brûlois de vous parler , pour m'ouvrir à vous
d'un ſecret,
ELISE
Me voilà preſte à vous ouïr , mon frere. Qu'avez
vous à me dire ?
CLEANI E.
Bien des choſes , ma Sæur, enveloppées dans un
mot. J'aime.
ELISA ,
Vous aimez ?
CLEANI E.
Ouy , j'aime. Mais avant que d'aller plus loin , je
fçay, que je dépens d'un Pere , & que le nom de fils
me foảmet à ſes volontez ; que nous ne devons point
engager noftre foy , ſans le conſentement de ceux
dont nous tenons le jour ; que le Ciel les a faits les
Maiſtres de nos yąus , & qu'il nous eft enjointde
A4 n'en
L' A V A RE ,
n'en diſpoſer que par leur conduite, que n'eſtant
prevenus d'aucune folle ardeur , ils ſont en eſtat de
Te tromper bien moins quenous, & de voir beau
coup mieux ce qui nous eſt propre ; qu'il en faut
plåroft croire les lumieres de leur prudence, que
t'aveuglement de noſtre paſſion , & que l'emporte
ment de la jeuneſſe nous entraiſne le plus ſouvent
dans des précipices fâcheux . Je vousdis tout cela ,
ma Soeur, afin que vous ne vous donniez pas la peine
de me le dire : car enfin , mon aniour ne veut rien
écouter , & je vous prie de ne me point faire de ré
montrances.
ELISE .
Vous eſtes-vous engagé , mon Frere , avec celle
que vous aimez :
CLEANIE ,
Non ; maisi'y ſuis reſolu , & je vous conjure en
core une fois , de ne me point apporter de raiſons
pour m'en diſſuader.
EL IS E.
Suis-je , mon Frere , une ſi étrange perſonne ?
>

CI E A NIE
Non,ma soeur, mais vous n'aimez pas. Vous igno.
rez la douce violence qu'un tendre our fait ſur
nos cours ; & j’apprehende voſtre ſageſſe.
ELIS E.
Helas ! mon Frere , ne parlons point dema ſageſſe,
Il n'eſt perſonne qni n'en manque du moins une
fois en la vie ;; & fi je vous ouvre mon cour , peut
eſtre ſeray - je à vos yeux bien moins ſage que vous.
CLEANT E.
Ah ! plât au Ciel que voſtre ame comme la mien
ne...
ELIS E.
Finiffons auparavant voſtre affaire , & me dites qui
eſt celle que vous aimez .
CLEANTE.
Une jeune perſonne qui loge depuis peu en ces
quar
COM E D I E.
quartiers , & qui ſemble eftre faite pour donner de
l'amour à tous ceux qui la voyent . La nature , ma
Sæur , n'a rien forme de plus aimable ; & je me
ſentis tranſporté , dés le moment que je la vis. Elle
ſe nomme Mariane , & vit ſous la conduite d'une
bonne femme de Mere , qui eſt preſque toûjours
malade , & pour qui cette aimable fille a des ſenti
mens d'amitié qui ne ſont pas imaginables. Elle la
ſert , la plaint , & la conſole avec une tendreſſe qui
vous toucheroit l'ame. Elle ſe prend d'un air le
plus charmant du monde aux choſes qu'elle fait , &
I'on voit briller mille graces en toutes ſes actions ;
une douceur pleine d'attraits , une bonté toute en
>

gageante , unehonneſteté adorable , une.... Ah !


ma Sæur , je voudrois que vous l'euſſiez veuë.
ELIS E.
J'en voybeaucoup , mon Frere , dans les choſes
>

que vous me dices ; & pour comprendre ce qu'elle


eft , il me ſuffit que vous l'aimez .
CLEANIE,
J'ay découvert ſous main , qu'elles ne ſont pas
fort accommodées , & que lcur diſcrete conduite
a de la peine à étendre à tous leurs beſoins le bien
qu'elles peuvent avoir. Figurez- vous , ma Sæur ,
quelle joie ce peut eſtre , que de relever la foriu .
ne d'une perſonne que l'on aime; que de donner
adroitement quelques petits ſecours aux modeſtes
neceſſitez d'une vertueuſe famille ; & concevez
quel déplaiſir ce m'eft , de voir que , par l'avarice
d'un Pere, je fois dans l'impuiſſance de goufter
cette joie , & de faire éclater à cette belle aucun te
moignage de mon amour.
ELIS E.
Ouy, je conçois aſſez , mon Frere, quel doit eſtre
voſtre chagrin .
CLEANT E.
Ah ! ma Sæur , il eſt plus grand qu'on ne peut
croire. Cur enfin , peut- on.rien voir de plus cruel,
A 5 .qus
10 L ' A V A RE ,
que cette rigoureuſe épargne qu'on exerce ſur nous ?
que cette ſechereſſe étrange où l'on nous fait languir?
Ét que nous ſervira d'avoir du bien,s'ilnenous vient
quedans letempsque nous ne ſerons plus dansle bel
âge d'en jollir ? & li pour m'entretenir même, il faut
que maintenant jem'engage de tous coſtez ; ſi je ſuis
réduit avec vous à chercher tous les jours le ſecours
des marchands, pouravoir moyen de porter des ha
bits raiſonnables ? Enfin j'ay voulu vous parler, pour
m'aider à ſonder mon Pere ſur les ſentimens où je
fuis ; & fi jel'y trouve contraire , j'ay reſola d'aller
en d'autres lieux , avec cette aimable perſonne, joûïr
de la fortune que le Ciel voudra nousoffrir. Jefais
chercher par tout , pour ce deſſein , de l'argentà em
prunter ; & fi vos affaires , ma Sæur, ſono ſemblables
aux miennes, & qu'il failleque noſtre Pere s'oppoſe
à nos delirs , nous le quitterons là tous deux , &
nous affranchirons de cette tyrannie où nous tienr de
puis ſi long-temps ſon avarice inſupportable.
ELIS E ,
Il eſt bien vray que tousles jours il nous donne ,
de plus en plus , ſujet de regretter la mort de noſtre
Mere , & que ...!
CLEANTE .
J'entens ſa voix. Eloignons-nous un peu , pour
nous achever noſtre confidence ; & nous joindrons
aprés nos forces pour venir attaquer la dureté de ſon
humeur.

SCENE III.

HARP A GON , LA FLECH E.


>

HAR PAGON..
Hors d'ici tout à l'heure , & qu'on ne replique pas.
Allons , que l'on décale dechez moy , maitre Juré
Filou , vray gibier de potence.
LA
COM E DI E.
LA FLECH .
Je n'ay jamais rien yeu de ſi méchant que ce mau
dit Vicillard ; & je penſe, ſauf correction , qu'il a
le diable au corps .
HARP AG ON ,
Tu murmures entre tes dents ?
LA FLECHL.
Pourquoy me chaſſez -vous ?
H A R P A GO N.
C'eſt bien à toy , pendart, à me demander des rai.
ſons : Sors viſte , que je ne t'aſſomme.
LA FLECHE.
Qu'eſt -ce que je vous ay fait ?
HARPAGO N.
Tu m'as fait , que je veux que tu fortes.
LA FLEC * E.
Mon Maiſtre voſtre fils m'a donné ordre de l'at
tendre.
H A Ř P A G O N.
Va-t-en l'attendre dans la ruë, & ne ſois point dans
ma maiſon planté tout droit comme un piquet, à
obſerver ce qui ſe paſſe , & faire ton profit de tout.
Je ne veux point avoir ſans ceſſe devant moy un
cſpion de mes affaires ; un traiftre, dont les yeux
maudits afliégent toutes mes actions, devorent ce
que je poſlede , & furettent de tous coſtez pour voir
s'il n'y 2a rien à voler.
L A FLECHE.
Comment diantre , voulez- vous qu'on faſſe pour
vous voler ? Eftes- vous un homme volable , quand
> vous renfermez toutes choſes , & faites ſentinelle
jour & nuit .
HARPAGO N.
Je veux renfermer ce que bon me ſemble , & faire
ſentinelle comme il me plaiſt. Ne voilà pas de mes
mo chars , qui prennent garde à ce qu'on fait : Je
tremble qu'il n'ait ſoupçonné quelque choſe de mon
A 6 argent ,
L ' A V A RE ,
argent. Ne ſerois-tu point homme à aller faire
courir le bruit que j'ay ch ez moy de l'argent ca
ché ?
LA FLECH I.
Vous avez de l'argent caché ?
HARPAGO N. à pari.
Non , coquin , je ne dis pas cela. J'enrage. Je de
mande, fi malicieuſement tu n'irois point faire couris
le bruit que j'en ay.
LA FLECH E.
Hé que nous importe que vous en ayez , ou que
vous n'en ayez pas , ſi c'eſt pour nous la même
choſe ?
.HARP AGON.
Tu fais le raiſonneur , je te bailleray de ce raiſon .
nement- cy par les oreilles. Il leve la main pour luy don
per un soufflet. Sors d'ici encore une fois.
LA FLECHE.
Hébien , je ſors.
HARPAGON
Attens. Ne m'emportes-tu rien ?
LA FLE.CHE.
Que vous emporterois - je ?
HARPAGON ,
Vienaçà , que je voie. Montre- moy tes mains.
LA FLECH E.
Les voilà.
HARPAGON.
Les autres.
LA FLECH ..
Les autres ?
HARP A GO N.
Ouy.
LA FLECHL .
Les voilà.
HARPAGO X.
N'as-tu sien mis ici dedans ?
LA
COM LD I E , .13
LA FL E C # ..
Voyez vous -même.
HARPAGON .
Il taſte le bas deſes chauſſes.
Ces grands haut de chauſſes ſont propres à devenir
les receleurs des choſes qu'on dérobe ; & je voudrois
qu'on ch euſt fait pendre quelqu'un.
LA FLEC II E.
Ah ! qu'un homme comme cela meriteroit
bien ce qu'il craint ! & que j'aurois de joie à le vo
ler !
HARPAGO N.
Eah !
LA FLECH E.
Quoy ?
HARPAGON,
Qu'eſt ce que tu parles de voler :
LA FL E CH'E .
Je dis que vous foüilliez bien par tout , pour voir
ſi je vous ay volé.
HAR PAGO N.
C'eſt ce que je veux faire.
Il fouille dans les poches de la Fleche.
LA FLECHE .
La peſte ſoit de l'avarice , & des avaricieux,
HAR PAGON
Comment ? que dis-tu ?
LA FLECH E.
Ce que je dy ?
HAR PAG ON .
Ouy. Qu'eſt- ce que tu dis d'avarice ,> & d'ayari
cieux :
LA F L E C H E.
Je dis que la peſte ſoit de l'avarice , & des avari.
cieux .
HARPAGO N.
De qui veux -tu parler ? LA
AT
14 . L ' A V A RL ,
LA FLRCH 1.
Des avaricieus.
H A RP AGON,
Et qui ſont- ils ces avaricieux ?
0 L A FLECHE,
Des vilains , & des ladres.
HARPAGO N.
Mais qui eſt - ce que tu entens par là ?
L A FLECHE,
Dequoy vous mettez-vous en peine : .
H A RP AGON .
Je me mets en peine de ce qu'il faut ?
L A FLECHE.
Eſt -ce que vous croyez que je veux parler de
vous ?
HARPAGON .
Je croy ce que je croy ! mais je veux que tu medi
ſesà qui tu parles quand tu dis cela .
LA FLECH E.
Je parle .... Je parle à mon bonnet.
H A RP AGON,
Et mog , je pourroisbien parler à ca barette.
LA FLECHE .
M'empeſcherez - vous de maudire les avaricieux ?
HAR PAGO N.
Non ; mais je t'empeſcheray de jaſer , & d'eftre
inſolent. Tay - toy.
LA ELECH .
Je ne nomme perſonne.
H A RPAGON.
Je te rofleray , ſi tu parles.
L A FLECHE,
Qui ſe ſent morveux , qu'il ſemouche.
>

HARP AGON.
Tetaisas tu ?
LA FIE C H 1 .
Ouy , malgré moy. HAL
C O M E DI E. IS
H A R P A G O N.
Ha , ha,
LA FLECHE , luymontrant une des
poches de fon jut-av. corps .
Tenez , voilà encore une poche. Eftes- vous ſatis
.
fait ?
HAR PAGO N.
Allons, rens -le moy fans te foüiller.
LA FIE C H E.
Quoy ?
H A R P A GO N.
g
Ce que tu m'as pris.
LA FLECH ,
Je ne vous ay rienpris du tout.
H A R P A GON ,
Affeurément ?
LA FLECH E.
Aſſeurément.
HAR PAGON .
Adieu. Va - t-en à tous les diables.
LA FLECHE,
Me voilà fort bien congedie.
H A R P A GON.
Je te le mets ſur ta conſcience au moins. Voilà un
pendart de Valet qui m'incommode fort ; & je ne
me plais point à voir ce chien de boiteux -là.

SCENE I V.
ELISE , CLEANTE , HARPAGON,
.
HAR PA GO N.
Certes , ce n'eſt pas une petite peine que de garder
5

chez ſoy une grande ſommed'argent ; & bienheu


reux qui a tout ſon fait bien placé , & ne conſerve
ſeulement que cequ'il faut pour la dépenle. On n'eſt
pas peu embarraſſé à inventer dans toute une maiſon
unc
16 L ' A V A RE ,
une cache fidelle : car pour noy les coffres forts me
ſont ſuſpects , & je ne veux jamais m'y fier . Je les
tiens juſtement une franche amorce à voleurs , &
c'eſt toûjours la premiere choſe que l'on vaattaquer.
Cependant je ne ſçay ſi j'auray bien fait , d'avoir en
terré dans mon Jardin dix mille eſcus qu'on me ren
dit hier. Dix mille eſcus en or chez ſoy , eſt une
ſomme aſſez ...... Icy le Frere de la Sæur paroiſſent
s'entretenant bas. O Ciel ! je me ſeray trahy moy
même. La chaleur m'aura emporté ; & je croy que
j'ay parlé haut en raiſonnant tout ſeul. Qu'eſt- ce ?
CLEAN T.E.
Rien , mon Pere.
HARPAGON .
Y a- t- il long-temps que vous eſtes là ?
ELISE,
Nous ne venons que d'arriver.
H A R PAGO N.
Vous avez entendu....
CLEANTE.
Quoy : mon Pere.
HAR PAGON.
Là....
EL IS E
Quoy ? HARPAGO N.
Ce que je viens de dire,
CLEAN TE.
Non.
HAR PAGON
si fait , ſi fait.
E L I S LL .
Pardonnez-moy.
HARPAGON .
Je voy bien que vous en avez ouy quelquesmots.
C'eſt que je m'entretenois enmoy-même de la pei
De qu'il y a aujourd'huy à trouverde l'argent ; & je
diſois ,
со м Ер Е. 17
diſois, qu'il eſt bienheureux qui peut avoir dix mil
le eſcus chez ſoy.
CLEANTE .
Nous feignions à vous aborder , de peur de vous
interrompre.
HARPA GON.
Je ſuis bien - aiſe de vous dire cela , afin que vous
n'alliez pas prendre les choſes de travers , & vous
imaginer que je diſe que c'eſt moy qui ay dix mille
eſcus.
CL E A N I E.
Nous n'entrons point dans vos affaires.
HARPAGON .
Plût à Dieu que je les euſſe les dix mille eſcus.
CL E A N I E.
Je ne croy pås....
HARPAGON
Ce ſeroit une bonne affaire pour moy.
ELIS E.
Ce ſont des choſes ....
H A R PAGO N.
J'en aurois bon beſoin .
CLEAN I E.
Je penſe que...
HARPAGON .
Cela m'accommoderoit fort.
ELI SE .
Vous eftes....
H A RPAGON.
Et je ne meplaindroispas , comme je fais, que le
temps eſt miſerable.
CLEANTE .
Mon Dieu , mon Pere , vous n'avez pas lieu de
vous plaindre ; & l'on ſçait que vous avez aſſez de
bien.
HARPAGON .
Commeat ? j'ay allez de bien. Ceux qui le diſenten,
18 L? A V A RE ,
en ont menti. Iln'y a rien deplus faux ; & ce lont
des coquins qui font courir tous ces bruits-là.
ELISE,
Ne vous mettez point en colere.
H A RP AGON.
Cela eſt étrange ! que mes propres enfans me tra
hiſſent , & deviennent mes ennemis !
CLEAN I E.
Eft -ce eſtre voſtre ennemy , que de dire que vous
avez du bien
HAR PAGON,
Ouy , de pareils diſcours, & les dépenſes que vous
>

faites , ſeront cauſe qu'un de ces jours on mevien


dra chez moy couperla gorge, dans la penſée que je
ſuis tout couſu de piſtoles.
CLEANI E.
Quelle grande dépenſe eſt -ce que je fais ?
HARPAGON .
Quelle ? Eſt- il rien de plus ſcandaleux , que ce
ſomptueux équipage que vous promenez par la ville!
Je querellois hier voſtre Sæur , mais c'eſt encore
pis. Voilà qui crie vangcauce au Ciel ; & à vous
prendre depuis les pieds juſqu'à la tefte , il y auroit
là dequoy faire une bonneconftitution. Je vous l'ay
dit vingt fois , mon fils , toutes vosmanieres me
déplaiſent fort; vous donnez furieuſement dans le
Marquis ; & pouraller ainſi veftu , il faut bien que
vous me dérobiez.
CLEAN I L.
Hé comment vousdérober :
HAR PAGO N.
Que ſçais-je ?Où pouvez-vous donc prendrede
quoy entretenir l'eſtat que vous portez !
CLEANIE .
Moy ? mon Pere : c'eſt que je jouë ; & comme
je ſuis fort heureux , je mets ſur moy tout l'argent
que je gagne,
HAR
COM E DI E. 19
H A RP AGON .
C'eſt fort mal fait. Si vous eſtes heureux au jeu ,
vous en devriez profiter , & mettre à honneſte inte
reſt l'argent que vous gagnez , afin de le trouver un
jour. Je voudrois bien ſçavoir , ſans parler du reſte ,
quoy fervent tous ces rubans dont vous voilà lardé
depuis les pieds juſqu'à la teſte ; & fi une demy dou
zaine d'éguillettes ne ſuffit pas pour attacher un haut
de -chauſſes ? Il eſt bien neceflaire d'employer de
l'argent à des perruques , lors que l'on peutporter
des cheveux de ſon crû , qui ne coûtent rien ! Je vais
gager qu'en perruques & rubans , il y a du moins
vingt piſtoles; & vingt piſtoles rapportent par aonée
dix -huit livres fix folshuit deniers , à ne les placer
qu'au denier douze.
CLEANI E.
Vous avez raiſon .
HAR PAGO N.
Laiſſons cela , & parlons d'autre affaire. Euh ? Je
croy qu'ils ſe font ſigne l'un à l'autre de me voler ma
bourſe. Que veulent dire ces geſtes-là :
ELI e.
Nous marchandons , mon frere & moy , à qui par
fera le premier ; & nous avons tous deux quelque
choſe à vous dire.
H A RP AGON.
Et moy , j'ay quelque choſe auſſi à vous dire, à
tous deux .
CLRANT 5.
C'eſt de mariage , mon Pere , que nous defirons
>

vous parler.
HARP AGO N.
Et c'eſt de mariage aufi que je veux vous entrete
nir.
ELI SE,
Ah ! mon Pere.
HAR
20 L' A V A RE ,
H AR PAGO N.
Pourquoy ce cry ? Eſt - ce le mot , ma fille , ou
la choſe , qui vous fait peur ?
CL E ANTE.
Le mariage peut nous faire peur à tous deux , de
la façon que vous pouvez l'entendre ; & nous crai
gnons que nosſentimens ne ſoient pas d'accord avec
voſtre choix .
H A RP AGON.
Un peu de patience. Ne vous allarmez point. Je
{ çay ce qu'il faut à tous deux , & vous n'aurez ny
>

lun , ny l'autre , aucun lieu de vous plaindre de


tout ce que je prétens faire . Et pour commencer par
un bout; Avez- vous veu , dites moy , une jeune
perſonne appellée Mariane , qui ne loge pas loin
d'ici :
C L E A N I E.
Ouy >, mon Pere.
HARPAGON .
Et vous ?
E L I SE ,

J'en ay ouï parler.


H A RP AGON.
Coinment , mon fils, trouvez - vous cette
3 e?
CLE ANTE.
Une fort charmante perſonne.
HA RP AGON .
Sa phyſionomie ?
CL E A N T I.
Toute honneſte , & pleine d'eſprit.
H A R BA GON ,
Son air , & la maniere ?
CLEANI E.
Admirables , ſans doute.
HARPAGON .
Ne croyez- vous pas , qu’une fille comme cela ,
meriteroit aſſez que l'on longeaft à elle ?
CLE. A Na
C O M E DI E. 21
CLEANTE ,
Ouy , mon Pere .
HARP AGON .
Que ce ſeroit un parti ſouhaitable ?
CL E A N T E.
Tres- ſouhaitable.
HARPAGON .
Qu'elle a toute laCLEANT
mine de faireE.un bon ménage?
Sans doute.
HARP A GON.
Et qu’un mari auroit ſatisfaction avec elle?
CLEAN I E.
Afleurément.
HARP AGON.
Il y a une petite difficulté ; c'eſt que j'ay peur qu'il
n'y ait pas avec elle tout le bien qu'on pourroit pre
tendre.
CL E ANTE.
Ah ! mon Pere , le bien n'eſt pas conſiderable,
lors qu'il eſt queſtion d'épouſer une honnefte per
ſonne,
HAR P A GON.
Pardonnez-moy, pardonnez-moy . Mais ce qu'il y
a à dire , c'eſt que ſi l'on n'y trouve pas tout le bien
qu'on ſouhaite, on peut câcher de regagner cela ſur
autre choſe.
CLEANTE ,
Cela s'entend .
HARP AGON.
Enfin je ſuis bien aiſe de vous voir dans mes ſenti
mens : car ſon maintien honnefte , & ſa douceur
m'ont gagné l'ame; & je ſuis réſolu de l'épouſer ,
pourveu que j'y trouve quelque bien.
CLEAN I E.
Euh ?
H A RP AGON,
Comment ?
CLEAN
22 L' A V A RE ,
1
CLEANI E.
Vous.eftes réſolu . dites-vous....
YA
HARPAGO N.
D'épouſer Mariane.
CLEANIE,
Qui vous vous ?
HARPAGON.
Ouy , moy , moy , moy. Que veut dire cela ?
CLEANI E ,
Il m'a pris tout 2à coup un ébloûiſſement, & je me
retire d'ici.
H A R P A GO N.
Cela ne ſera rien. Allez vifte boire dans la cuiſine
un grand verred'eau claire.Voilà de mes Damoiſeaux
Alouets , qui n'ontnon plus de vigueur que des Pou
les. C'étlà , ma fille , ce que j'ay réſolu pour moy.
>

Quant à ton frere , je luy deftine unecertaine veuve


dont ce matin on m'eſt venu parler ; & pour toy , je
te donne au Seigneur Anſelme.
ELIS E.
Au Seigneur Anſelme ?
HARP AGON.
Ouy. Un homme meur , prudent & ſage , qui n'a
pas plus de cinquante ans , & dont on vante les
grands biens.
ELIS
Elle fait une reverence .
Je ne veux point me marier ,> mon Pere , s'il vous
plaiſt.
HARPAGO N.
Il contrefait ſa reverence.
Et moy , mia petite fille mamie , je veux que vous
vous mariñez , s'il vous plaiſt.
ELISE,
Je vousdemande pardon , mon Pere.
HARPAGON .
Je vous demande pardon , ma fille.
ELI
C O M E DI E. 23
ELIS E.
Je ſuis tres-humble ſervante au Seigneur Anſel.
me ; mais, avec voſtre permiſſion , je ne l'épouſeray
point.
H A R P A GO N.
Je ſuis voſtre tres humble valet; mais, avec voſtre
permiſſion , vous l'épouferez dés ce ſoir.
ELIS E.
Dés ce ſoir ?
H AR P A GON.
Dés ce ſoir.
ELISE.
Cela ne ſera pas , mon Pere.
HARP AGO X.
Cela ſera , ma fille.
E L I S E.
Non.
H A R PAGON ,
Si.
ELIS L.
Non , vous dy- je.
>

HARPAGON.
$i >, vous dy - je.
ELISE.
C'eſt une choſe où vous ne me reduirez point.
HAR PAGO N.
C'eſt une choſe où je te reduiray .
ELIS E.
Jemetuëray plâtoſt, que d'épouſer un tel mary .
HARPAGO N.
Tu ne te tuëras point , & tu l'épouſeras. Mais
voyez quelle audace ! A-t-on jamais veu une fille
parler de la ſorte à ſon Pere !
ELISE
Mais a -t-on jamais veu un Pere marier ſa fille de
la forte

H AX
24 L' A V A RL ,
HARP AG ON .
C'eſt un partį où il n'y a rien à redire; & je gage
que tout le monde approuve
ELISE
ra mon choix.
.
Et moy , je gage qu'il ne ſçauroit eſtre approuvé
d'aucuneperſonne raiſonnable .
HÅRP AGON.
Voilà Valere; veux-tu qu'entre nous deux nous
le faſſions juge de cette affaire ?
ELIS E.
J'y conſens.
HARPAGON.
Te rendras- tu à ſon jugement ?
E LI SE.
Ouy. J'en paſſeray par ce qu'il dira.
H ARP AGON ,
Voilà qui eſt fait.

SCENE V.
VALERE , HARPA GON , ELISE .
H A R P A GON .
Ici , Valere. Nous t'avons éleu pour nous dire qui
a raiſon de ma fille , ou de moy.
VAL Ε R Ε.
C'eſt vous , Monſieur, ſans contredit,
H AR PAGO N.
Scais-tu bien dequoy nous parlons ?
V A LERE.
Non . Mais vous ne ſçauriez avoir tort , & vous
eftes toute raiſon .
H A RP AGON.
Je veux ce ſoir luy donner pour époux un homme
auſſi riche que ſage , & la coquine me dit au nez
qu'elle ſe moque de le prendre. Que dis-tu de cela ?
VA
COM E DI E.
V A L E RE .
Ce que j'en dy ?
HAR PAGON,
Ouy .
V A L E RE,
Eh ,> eh.
H a RP AGON ,
Quoy !
V AL ER B.
Je dis que dans le fond je ſuis de voſtre fentia
ment; & vous ne pouvez pas que vous n'ayez rais,
ſon . Mais auſſi n'a - t- elle pas tort toutà fait , &....
HARPAGON.
Comment ? Le Seigneur Anſelme eſt un parti con
ſiderable ; c'eſt un Gentilhomme qui eſt noble ,
doux , poſé , fage, & fort accommodé, & auquel
il ne reſte aucun enfant de ſon premier mariage. Scau .
roit- elle mieux rencontres ?
V A LERE.
Cela eſt vray. Mais elle pourroit vous dire que
c'eſt un peu précipiter les choſes, & qu'il faudroit
au moins quelque temps pour voir ſi ſon inclination
pourra s'accommoder avec....
HARP AGON.
C'eſt uneoccafion qu'il faut prendre viſte aux che
veux. Je trouve ici un avantage, qu'ailleurs je ne
s'engage àla prendre ſans dot.
trouverois,pas ; & il ALER
V E.
Sans dot ?
HARPAGO N.
Ouy.
VALE R E.
Ah ! je ne dy plus rien, Voyez -vous , voilà une
raiſon cout à fait convaincante ; il ſe faut rendre à
cela ,
HARPAGON .
C'eſtpour moy une épargne conliderable.
26 L' A V A RE,
-V - ALER F.
Aſſurément, cela ne reçoit point de contradi&ion.
Il eſt vray que voſtre fille vous peut repreſenter que
le mariage eſt une plus grande affaire qu'on ne peut .
croire ; qu'il y va d’eſtre heureux , on malheureux ,
toute ſa vie ; & qu’un engagement qui doit durer
juſqu'à la mort , ne le doit jamais faire qu'avec de
grandes précautions.
HARP AGON.
Sans dor,
V ALE R E.
Vous avez raiſon. Voilà qui decide tout, cela s'en
tend. Il y a des gens qui pourroient vousdire qu'en
de telles occaſions l'inclination d'une fille etune
choſe ſans doute où l'on doit avoir de l'égard; &
que cette grande inégalité d'âge, d'humeur , & de
ſentimens , rend un mariage ſujet à des accidens
-2

tres- fâcheux.
HARP A GON.
Sans dor.
VALERE
Ah! il n'y a pas de replique à cela'On le ſçait bien.
Qui diantre peut aller là contre ? Ce n'eſt pas qu'il
n'y ait quantité de Peres qui aimeroient mieux més
nager la fatisfa&tion de leurs filles , que l'argent
qu'ils pourroient donner ; qui ne les voudroient
point ſacrifier à l'intereſ , & chercheroient plus que
toute autre choſe , à mettre dans un mariage cette
douce conformité qui ſans ceſſe y maintient l'hon.
neur , la tranquillité, & la joie ; & que....
H A R P A GON,
Sans dot.
VAL ÉR EL
Il eſt vray . Cela ferme la bouche à tout. Sans dot.
Le moyen de reſiſter à une raiſon comme celle- là :
H A R P A GO N.
Il regarde vers le Jardin .
Odais. Il me ſemble que j'entens un chien qui
aboye.
COM E DI E. , 27
aboye. N'eſt -ce point qu'on en voudroit à mon as
gent? Ne bougez , je reviens tout à l'heure.
ELISE ,
Vous moquez-vous , Valere , de luy parler comme
vous faites Š
VALERE ,
C'eſt pour ne point l’aigrir, & pour en venir mieux
à bout. Heurter de front ſes ſentimens , eft le moyen
de tout gaſter ; & il y a de certains eſpritsqu'il ne
faut prendre qu'en biaiſant; des temperamens enne
mis de toute reſiſtance; des naturels rétifs , que la
verité fait cabrer , qui toûjours ſe roidiſſent contre
le droit chemin de la raiſon, & qu'on ne mene qu'en
tournant où l'on veut les conduire. Faites ſemblant
de conſentir à ce qu'il veut , vous en viendrez mieux
à vos fins , & ....
ELIS E.
Mais cemariage , Valere ?
V A L E RE .
On cherchera des biais pour le rompre .
ELISE.
Mais quelle invention trouver , s'il ſe doit con
* clure ce ſoir ?
V A L E RE .
Il faut demander un delay , ' & feindre quelque
maladie,
ELISE.
Mais on découvrira la feinte , ſi l'on appelle des
Medicins,
V A L E RE
Vous moquez . vous ? y connoiſſent- ils quelque
choſe : Allez, allez , vous pourrez avec eux avoir
quel mal il vous plaira , ils vous trouveront des rai.
ſons pour vous dire d'où cela vient.
HA A P A G ON,
Ce n'eſt rien >, Dieu merci.
B 2 V A
28 L' A V A RE,
VAL ER E.
Enfin noftre dernier recours , c'eſt que la fuite
>

nous peut mettre à couvert de tout ; & fi voſtre a


mour , belle Eliſe , eſt capable d'une fermeté... Il
'apperçoit Harpagon . Ouy , il faut qu'une fille obeïffe
à ſon Pere . Il nefaut point qu'elle regarde comme
un mari eſt fait ; & lors que la grande raiſon de Sans
dot s'y rencontre , elle doit eſtre preſte à prendre
tout ce qu'on luy donne.
HAR PAGO N.
Bon. Voilà bien parler cela.
V A L E R E.
Monſieur , je vous demande pardon , fijem'em
porte un peu , & prens la hardieſſe de luy parler
comme je fais.
H AR PAGO N.
Comment ? j'en ſuis ravi , & je veux que tu
prennes ſur elle un pouvoir abſolu. Ouy , ta asbeau
fuir. Je luy donne l'authorité que le Ciel me don
ne ſur toy , & j'entens que tu faſſes tout ce qu'il te
dira. 1

VAL ER E.
Aprés cela , reſiſtez à mes remontrances. Mon
ſieur , je vais la ſuivre, pour luy continuer les leçons
que je luy faifois.
HARPAGO N.
Ouy , tu m'obligeras . Certes....
V AL ERE .
Il eſt bon de luy tenir un peu la bride haute,
HARP AG ON.
Cela eſt vray. Il faut....
V A L E RE
Ne vous mettez pas en peine , je croy que j'en
viendray à bour .
HARPAGON .
Fais ,> fais. Je m'en vais faire un petit pour en Vil
Ic , & reviens tout à l'heure.
VA
COM E DIE. 29
V A L E RE.
Quy , l'argent eſt plus precieux que toutes les
>

choſes du monde ; & vous devez rendre graces au


Ciel , de l'honneſte homme de Pere qu'il vous a
donné. Il ſçait ce que c'eſt que de vivre. Lors qu'on
s'offre de prendre une fille fans dot , on ne doic
point regarder plus avant. Tout eſt renfermé là dee
dans , & Sans dot tient lieu debeauté , de jeuneſſe',
de naiſſance , d'honneur , de ſageſſe , & deprobité.
HAR PÅGO N.
Ah le brave garçon ! Voilà parler commeun on
racle. Heureux , qui peut avoir un domeſtique de
la ſorte !

- Fin du premier Afte .

1
1

Jo B 3 ACTE

A
30 L ' A V A RE,

AC
A C T
Τ Ε II.
ΙΙ.
SCENE I.
CL E AN TE , LA FLECHE.
CLEANI E.

A rer ? Ne t'avois- je pas donné ordre... four


L A FLECHE,
Oui , Monſieur , & je m'eſtois rendu ici pour
vous attendre depied ferme ; mais Monſieur voftre
Pere ,> le plus mal.gracieux des hommes , m'a chaſſé
dehors malgré moy , & j'ay couru riſque d'eſtre
battu .
CLEA NI E.
Comment va noftre affaire ? Les choſes preſſent.
plus que jamais ; & depuis que je ne t'ay veu , j'ay
découvert que mon Pere eft mon rival .
LA FL E CHE,
a
Voftre Pere amoureux ?
CLEANIE ,
Oui ; & j'ay eu toutes les peines du monde à luy
;
cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis.
LA FLECHE .
Luy ſe meſler d'aimer ! Dequoy diable s'aviſe -t- il?
ſe moque-t- il du monde ; & l'amour a- t- il efté fait
pour des gens baſtis comme luy ?
CLEANT E.
Il aa falu , pour unes pechez , que cette paſſion luy
ſoic venuë en teſte.
LA FLECHE.
Mais par quelle raiſon luy faire un myſtere de vôa :
tic amour ?
CLEANIE .
Pour luy donner moins de foupçon , & mecon
ſer
COM EDI E. 31
ſerver au beſoin des ouvertures plus aiſées pour dé .
tourner ce mariage. Quelle réponſe t'a - t- on faite ?
LA FLECH 6.
Ma foy , Monſieur, ceux qui empruntent ſont bien
malheureux ; & il faut efluyer d'étranges choſes s,
lors qu'on en eft reduit à pafler , comme vous , pa
les mains des Fefle mathieux !
CLEANTE.
L'affaire ne ſe fera point ?
LA FLECHE .
Pardonnez moy. Noſtre Maiſtre Simon , le Cour
tier qu'on nous a donné, homme agiflant , & plein
de zele, dit qu'il a fait rage pour vous ; & il aflare ,
que voſtre ſeule phyſionomie luy a gagné le coeur.
CLEANIE .
J'aurai les quinze mille francs que je demande ?
LA FLECHE,
Oui ; mais à quelques petites conditions , qu'il
faudra que vous acceptiez , fi vous avez deſleiu que
les clioſesſe fallent.
CLEANIE .
T'a-t-il fait parler à celuy qui doit prefer l'ar
gent ?
LA FLECHE.
Ah ! vrayment cela ne va pas de la ſorte. Il apporo
te encore plus de ſoin à ſe cacher que vous & ce
ſont des myfteres bien plus grands que vous ne pen
ſez, On ne veut point du tout dire ſon nom , & l'on
doit aujourd'hūy l'aboucher avec vous dans une
maiſon empruntée ; pour eftre inſtruit , par voſtre
bouche , de voſtre bien , & de voſtre famille ; & je
ne doute point que le ſeul nom de voſtre Pere ne
rende les choſes faciles.
CLE A N I E.
Et principalement ma Mere eftant morte , dont
on ne peut m'ofter le bien.

в 4.
L’AVA RE,
LA FLECHE .
Voici quelques articles qu'il a di&tez lay -même à
noſtre entremetteur , pour vous eftre montrez , avant
que de rien faire.
Supoſé que le Preſteur voie toutes ſes fesretez , lo
que l'emprunteurfoit majeur, & d'unefamille on
le bien ſoit ample , solide , aſſuré , clair , dy net de .
zout embarras ; on fera une bonne do exa &te obliga
tion par devant un Notaire , le plus honneſte homme
qu'il ſe pourra , eo qui pour cet effet ſera choiſi par
k Prefteur , auquel il importe le plus que l'acte fois
devëment dreſſé.
CLEANIE
1) n'y a rien à dire à cela.
L A FLECHE.
Le Preſteur , pour ne charger la conſcience d'avo
cun fcrupule, pretend ne donner ſon argent qu'au
denier dix -huit.
CL E ANTE .
Au denier dix- huit ? Parbleu , voilà qui eft hon
neſte. Il n'y a pas lieu de ſe plaindre.
LA FLECH E.
Cela eſt vray.
Mais comme ledit Treſteur n'a pas chez luyla
Somme dont il eſt queſtion , á que pour faireplaiſir
à l'emprunteur , il e? contrainılüy mêmede l’emo
prunter d'un autre , ſur le pied de denier cinq ; il
conviendra que ledit premier emprunteur paye cet
intereſt , ſans prejudice dis refte, attendu quece
n'eſt que pour l'obliger , queledit Preſteur s'engage
à cei emprunt.
CL E ANTE .
Comment diable ! quel Juif! quel Arabe eſt- ce
là ? c'eſt plus qu'au denier quatre.
LA FLECHE.
Il eſt vray , c'eſt ce que j'ay dit. Vous avez à voir
là deflus.
CLEAN
COME DI E.
CLEANI E.
Que veux -tu que je voie ? J'ay beſoin d'argent ; se
il faut bien que je conſente à tout.
L A FLECHE.
C'eſt la réponſe que j'ay faite.
CLEAN I EL
Il y a encore quelque choſe ?
L A F L E C A E.
Ce n'eſt plus qu'un petit article.
Des quinzie mille francs qu’on demande ; le Prea
fteur ne pourra compter en argent que douze mille
livres , com pour les milleefcus reftans , il faudra
que l'emprunteur prenne les hardes , nipes , bu
bijoux , dont s'enſuit le memoire , do que ledit Pre
fleur a mis , de bonne foy , au plusmodiqueprix
qu'il luy a eſté poſſible.
CLEANTE
Que veut dire cela ?
LA FLECHE.
Ecoutez le memoire.
Premierement , un lit de quatre pieds, à bandes
de poincts de Hongrie , appliquées fort proprement
sur un drap de couleur d'olive ; avec fix chaiſes ,
do la courie- pointe de même ; le tout bien condi .
tionné, ca doublé d'un petit rafferas changeant rou
ge er bleibe
Plus , un pavillon à queuë, d'une bonneferge
d'Aumale rosefeche; avec le molet & les franges
de foye.
CLEANIE .
Que veut - il que je faffe decela ?
LA FLECHE ,
Attendez ,
Tlus , ure tenture de tapiſerie , des amours de
Gombaut , & de Macée.
Plus, une grande table de bois de nover ,
donzecolonnes , ou piliers tournez , quiſe tirs par
des
B :s
34 L' A V A RE ,
les deux bouts , á garnie par le deſsous deſes fix
efcabelles.
CLEANI E.
Qu'ay- je affaire , morbleu....
LA FLECHE.
Donnez -vous patience,
Plus, trois gros mouſquets tout garnis de nacre de
perles , avec les trois fourchettes aſortiſſantes.
Tlus, un fourneau debrique avec deux cornuës,
do truis recipiens , fort utiles à ceux quiſont cu
rieux de diſtiller.
CLEANTE,
1
J'enrage.
LA F. LEC R E. ,
Doucement.
Plus, un lut de Boulogne, garni de toutes ſes cor
des , ou peu s'en faut.
Plus , un trou Madame , un damier , avec
>

un de jeu l'oye renouvellé des Grecs , fort propres d


paſſer le temps lors quel'on n'a quefaire.
Plus ; une pean d'un lezard , de trois pieds do de
mi , remplic defoin ; curioſité agreable , pour pen .
dre an plancher d'une chambre.
Lerunt , c;defiesmentionné , valant loyalement
plus de quatre mille cing cens livres , & rabaiſſé à
la vale :er de mille eſius, par la diſcretion du Prê
tenr .
CL E ANI E.
Que la peſte l'étouffe avec ſa diſcretion , le trai
ftre, le bourreau qu'il eſt. A - t - on jamais parlé d'u
ne uſure ſemblable : & n'eſt - il pas content du furieux
intereſt qu'il exige , ſans vouloir encore m'obliger à
prendre ,; pour trois mille livres , les vieux rogatons
9

qu'il ramalle ? Je n'auray pas deux cens eſcus de tout


cela ; & cependant il faut bien me reſoudre à conſen
uir à ce qu'il veut ; car il eſt en eſtat de me faire tout
accepter , & il mnetient , le ſcelerat, le poignard ſur
>

lagorge .
LA
COM E DI E. 35
LA FLECHE.
Je vous voy , Monſieur , ne vous en déplaiſe ,
dans le grand chemin juſtement que tenoit Panurge
pour ſe ruiner , prenant argentd'avance , achetant
cher, vendant à bon marche , & mangeant ſon bled
>
en herbe.
CLEANI E.
Que veux - tu que j'y fafle: Voilà où les jeunes gens
ſont reduits par la maudire a varice des Feres ; & on
s'étonne aprés cela que les Fils ſouhaitent qu'ils
meurent,
LA FLECHE .
- Il faut avouer que le vore animeroit contre ſa vi
lainie , le plus poſé homme du monde. Je n'ay pas .
Dieu merci, les inclinations fort patibulaires; &
parmi mes confreres , que je voy ſe mener de beau
coup de petitscommerces, je ſçay tirer adroitement
mon épingle du jeu , & me démeſler prudemment
de toutes les galanteries qui ſentent tant ſoit peu l'é
chelle : mais, à vous dire vray , il me donneroit ,
par ſes procedez , des tentations de le voler ; & je
croirois, en le volant , faire une action meritoire.
CLEANI É.
Donne- moy un peu ce memoire , que je le voie
encore.

SCENE I I.

M , SIMON , HARPA GON ,


.
CLEANTE , LA FLECHE.
M. SIMON
Oui , Monſieur , c'eſt un jeune homme qui abe
ſoin d'argent. Ses affaires le preſſent d'en trou
ver , & il en paſſera par tout ce que vous en preſcri
rez.

B6 HAA
36 L A VAR E ,
H A RP AGON .
Mais croyez-vous , Maiſtre Simon , qu'iln'y ait
rien à pericliter : & ſçavez -vous le nom , ies biens,
& la famille de celuy pour qui vous parlez ?
SIMO
M. N.
Non , je ne puis pas bien vous en inſtruire à fond ,
& ce n'eſt que par avanture que l'on m'a adreſſé à
luy ; mais vous ſerez de toutes choſes éclairci par
Juy -même; & ſon hommem'a affuré , quevous re ..
rez content , quand vous le connoiſtrez . Tout ce que
je ſçaurois vous dire , c'eſt que ſa famille eſt forc
riche , qu'il n'a plus de Mere deja ; & qu'il s'obli
gera , ſi vous voulez , quo fon Pere mourra avant
qu'il ſoit huit'mois .
HARPAGO N.
C'eſt quelque choſe que cela . La charité , Maiſtre
Simon , nous oblige à faire plaiſir aux perſonnes ,
lors que nous le pouvons.
M. SI M O N.
Cela s'entend .
LA FLECHE.
Que veut dire ceci ? Noltre Maiſtre Simon qui
parle à voſtre Pere.
CLEANIE .
Luy auroit- on appris qui je ſuis; & ferois - tu pour
nous trahir
M. SIMON .
Ah , ah , vous eſtes bien preſſez ! Qui vous a dit
que c'eſtoit ceans? Ce n'eſt pas moy , Monſieur, au
noips , qui leur ay découvert voſtre nom , & poftre
logis : Mais , à mon avis , il n'y a pas grand mal à
cela. Ce ſont des perſonnes diſcretes ; & vous pou
vez ici vous expliquer enſemble,
HA R P A GON..
Comment
M. SIMON,
Monſieur eſt la perſonne qui veut vous emprunter
les quinze mille livres dontje vous ay parlé.
HA AZ
C.O M E DI E. 37
HAR PAGO N.
Comment ,> pendard , c'eſt toy qui t'abandonnesà
ces coupables extremitez ?
CLE A N I E.
Comment , mon fere , c'eſt vous qui vous pora
tez à ces honteuſes actions ?
H A R P A GON .
C'eſt toy qui te veux ruïner par des emprunts fi
condamnables ?
CLEANTE.
C'eſt vous qui cherchez à vous enrichir par des
uſures li criminelles :
H A R P'A GON.
Ofes-tu bien , aprés cela , paroiſtre devantmoy ?
>

CLEAN I E.
Ofez - vous bien , aprés cela , vous preſenter aux
yeux du monde
HARP AGON.
N'as - tu point de honte , dy-moy , d'en venir à ces
débauches- là ? de te precipiter dans des dépenſes ef
froyables ? & de faire une honteuſe diſſipation du
bien que tes parenst'ont amaſſé avec tant de ſueurs ?
CLEAN I E.
Ne rougiſſez. vous point , de deshonorer voſtre
>

condition , par les commerces,que vous faites ? de


ſacrifiergloire & reputation au degrinſatiable d'en
taffer eſcu fur eſcu & de rencherir , en fait d'inte.
reſts , ſur lesplus infames ſubtilitez qu'ayent jamais
inventées les plus celebres uſuriers ?
H A P & GO N.
Ofte-toy de mesyeux , coquin , ofte-toy de mes
yeus.
C I E ANI E.
Qui eſt plus criminel , à voſtre avis , ou celuy qui
achete un argent dont il a beſoin , ou bien celui qui
vole un argent dont il n'a que faire ?
B:7 ; HAR
38 L'A VA RE,
H A R PAGO N.
Retire toy , te dis- je , & ne m'échauffe pas les o
reilles. Je ne ſuis pas fâché de cette avanture ; & ce
m'eſt un avis de tenir l'ail ,7 plus que jamais , ſur
toutes ſes actions.

SCENE III.
FROSINE , H AR PAGO N.
FROSIN E.
Monſieur ...
H.A RP AGON.
Attendez un moment. Je vais revenir vous parler.
A part. Il eſt à propos que je falle un petit tour à
mon argent.

SCEN E IV.
:
LA FLECHE , FROSIN E.
LA FLECHE,
L'avanture eſt tout à fait drôle. Il faut bien qu'il ait
quelque part un ample magaſin de hardes ; car nous
n'avons rien reconnu au memoire que nous a vons .
FROSINE
Hé c'eſt toy , mon pauvrela Fleche ! d'ou vient
cette rencontre ?
LA FLECH B.
Ah , ah , c'eſt toy , Froſine, que viens- tu faire ici ?
FROSIN E.
Ce que je fais par tout ailleurs ; m'entremettre
d'affaires, merendre ſerviable aux gens , & profiter
du mieux qu'il m'eſt poſible des peti's talens que je
puis avoir. Tu ſçais que dans ce monde il faut vivre
d'adreſſe ; & qu'aux perſonnes comme moy le Ciel
n'a donné d'autres rentes , que l'intrigue , & que
l'induſtrie.
LA
COM E DI E. 39
L A FI E C H E.
As- tu quelque negoce avec le patron du logis ?
FROSINE .
Oui, je traitte pour luy quelque petite affaire ,
dont j'eſpere une recompenſe.
LA FLECH E.
De luy ! Ah , ma foy , tu ſeras bien fine, ſi tu en
tires quelque chofe ; & je te donne avis que l'argent
ceans eft fort cher.
FROSI'N E.
Il y a de certains ſervices qui touchent merveilleu
ſement,
LA FLECH E.
Je ſuis voſtre valet ; & tu ne connois pas encore
le Seigneur Harpagon. Le Seigneur Harpagon eſt de
tous les humains , l'humain le moins humain ; le
mortel de tous les mortels le plus dur , & le plus
ſerré. Il n'eſt point de ſervice qui pouſſe ſa recon
noiffance juſqu'à luy faire ouvrir les mains. De la
louange, de l'eſtime, de la bienveillance en paro
les & de l'amitié tant qu'il vous plaira ; mais de
l'argent, point d'affaires. Il n'eſt rien de plus ſec &
de plus aride, que ſes bonnes graces & ſes careſſes ;
& donner eſt un mot pour qui il a tant d'averſion ,
qu'il ne dit jaaiais je vous donne , mais je vous preſtele
bonjour.
FROSINE .
Mon Dieu , je ſçay l'art de traire leshomines. J'ay
le ſecret dem'ouvrir leur tendreſſe ,2 de chatouiller
leurs coeurs, de trouver les endroits par où ils ſont
ſenſibles.
LA FL E C H E.
Bagatelles . Je te défie d'attendrir , du coſté de
l'argent , l'homme dont il eſt queſtion . Il eſt Turc
là-deſſus, mais d'une Turcquerie à deſeſperer tout
le monde , & l'on pourroit crever , qu'il n'en bran
leroit pas. En un mot , il aime l'argent, plus que re
putation , qu'honneur , & que vertu ; & la venën
d'u
40 L'A VARE,
d'un demandeur luy donne des convulſions. C'eſt le
frapper par ſon endroitmortel, c'eſt luy percer le
ceur , c'eſt luy arracher les entrailles ; & li... Mais
il revient ; je me retire.
S CE N E. V.
HARPA GON , FROSIN E.
HARP AGON,
Tout
out va comme il faut. Hé bien , qu'eſt-ce , Fro
>
fine
FROSINE.
Ah , mon Dieu ! que vous vous portez bien ! &
>
que vous avez là un vray viſage de ſanté !
H A R P A GO N.
Quimoy ?
FROSINE,
Jamais je ne vous vis un teint ſi frais, & ſi gail
lard,
H A RP AGON,
Tout de bon ?
FROSIN E.
Comment vous n'avez de voſtre vie eſté ſi jeune
que vous eſtes ; & je vois des gens de vingt-cinq ans
qui ſont plus vieux que vous .
HARPAGON
Cependant , Froſine , j'en ay ſoixante bien com
prez.
FROSIN E.
Hé bien , qu'eſt ce que cela , ſoixante ans ? Voi
là bien dequoy ! C'eſt la fleur de l'âge cela ; & vous
entrez maintenant dans la belle ſaiſon de l'homme.
H A RP AGON.
Il eſt vray ; mais vingt années de moins pourtant
ne me feroient pointde mal , que je croy.
FROSIN E.
Vous moquez . vous ? Vous n'avez pas beſoin
de
COM E DI E.
de cela ; & vous eſtes d'une paſte à vivrejuſques à
cent ans.
H A R P A GO H.
Tu le crois ?
FROSINE .
Aſſurément. Vous en avez toutes les marques.
Tenez -vous un peu. O que voilà bien là entre vos
dçux yeux un ſigne de longue vie !
HAR PA GO N.
Tu te connois à cela .
FROSIN E.
Sans doute. Montrez moý voſtre main , Ah mon
Dieu ! quelle ligne de vie !
HARPAGON,
Comment ?
E ROSIN B.
Nevoyez-vous pas juſqu'où va cette ligne- là ?
H AR PAGON.
Hébien , qu'eſt - ce que cela veut dire ?
FROSIN E.
Par ma foy , je difois centans, mais vous paſſerez
>

les fix - vingts.


HARPAGON
Eft-il poſible ?
FROSINE.
Il faudra vous aſſommer , vous dy- je ; & vous
mettrez en terre , & vos enfans , & les enfansdeyos
enfans.
HARP A GO N.
Tant mieux. Comment va noftre affaire ? .
FROSINE.
Faut - il le demander i & me voit- on meſler de
rien , dont je ne vienne à bout ? J'ay , ſurtout pour
les mariages, un talent merveilleux . Il n'eſt point de
partis au monde , que je ne trouve en peu de temps
le moyen d'accoupler ; & je croy , lije me l'eftois
1
mis en teſte, que je marierois le grand Turc avec la
Rea
42 L’A V: A RE ,
RepubliquedeVeniſe. Il n'y avoit pas ſans doute de
fi grandes difficultez à cette affaire cy. Comme j'ay
commerce chez elles , je les ay à fond l'une & l'autre
entretenuës de vous , & j'ay dit à la Mere le deſſein
que vousaviez conçu pour Mariane,à la voir pafler
dans la ruë , & prendre l'air à ſa feneſtre.
HARPAGO N.
Qui a fait réponſe ....
FROSIN E :
Elle a receu la propoſition avec joie ; & quand je
luy ay témoigné que vous ſouhaitiez fort que ſa fille
aſiftaſt ce ſoir au contract de mariage qui ſe doit fai
re de la voſtre , elle y a conſenti ſans peine , & me
l'a confiée pour cela ,
HARP AG ON.
C'eſt que je ſuis obligé, Froſine , de donner à ſou .
per au Seigneur Anſelme; & je ſeray bien- aiſe qu'el
ic ſoit du régale.
FROSINE .
Vous avez raiſon. Elle doit aprés diſné rendre vi
ſite à voſtre fille , d'où elle fait ſon conte d'aller fai
re un tour à la Foire , pour venir enſuite au ſoupé.
HARPAGO N.
Hé bien ; elles iront enſemble dansmon caroſſe ,
que je leur preſteray.
FROSINE .
Voilà juſtement ſon affaire.
H A R P A GO N.
Mais , Froſine , as- tu entretenu la Mere touchant
>

le bien qu'elle peut donner à ſa fille ? Luy as -tu dit


qu'il falloit qu'elle s'aidaſtun peu , qu'elle fift quel
que effort, qu'elle ſe faignaſt pour une occaſion
comme celle-cy ! Car encore n'épouſe-t. on point
une fille , ſans qu'elle apporte quelque choſe.
FROSINE.
Comment : c'eſt une fille qui vous apportera dou.
ze mille livres de rente.
HAR
COM E DI E. 43
HARPAGO N.
Douze mille livres de rente !
FROSINE.
Oui. Premierement , elle eſt nourrie & élevée
dans une grande épargne de bouche. C'eſt une fille
accouſtumée à vivre de ſalade , de lait , de fromage ,
& de pommes , & à laquelle par conſequent il ne
>

faudra ny table bien ſervie , ny conſommez exquis ,


ny orges mondez perpetuels , ny les autres delica
teſles qu'il faudroit pour une autre femme ; & cela
ne va pas à ſi peu de choſe , qu'il nemonte bien ,
tous les ans , à trois mille francs pour le moins. Ou
tre cela , elle n'eſt curieuſe que d'unepropreté fort
fimple , & n'aime point les fuperbes habits , ny les
riches bijoux , ny les meubles Comptueux , où don
nent ſes pareilles avectant de chaleur , & cet article
là vaut plus de quatremille livres paran. De plus ,
elle aa une averſion horrible pour le jeu , ce qui n'eſt
pas commun aux femmes d'aujourd'huy ; & j'en
İçay une de nos quartiers , qui a perdu à trente &
quarante vingt mille francs cette année. Mais n'en
prenons rien que le quart. Cinq mille francs au jeu
par an , & quatre mille francs en habits & bijoux ,
cela fait neuf mille livres ; & mille eſcus que nous
mettons la nourriture , ne voilà - t - il pas par année
vos douze mille francs bien comptez ?
H A RPAGON.
Oui, cela n'eſt pas mal , mais ce compte-là n'eſt
rien de réel.
FROSIN L.
Pardonnez -moy. N'eſt -ce pas quelque choſe de
réel , que de vous apporter en mariage une grande
>

ſobrieté; l'heritage d'un grand amour de fimplicité


de parure , & l'acquiſition d'un grand fond dehaine
pour le jeu ?
H A RP AGON.
C'eſt une raillerie , que de vouloir me conſti
tuer
44 L' A V A RE ,
tuër ſon dot de toutes les dépenſes qu'elle ne fera
point. Je n'iray pas donner quittance de ce que je ne
reçois pas ; &il faut bien que je touche quelque
choſe.
FROSIN E.
Mon Dieu , vous toucherez aſſez ; & eilesm'ont
parlé d'un certain Païs , où ellesont du bien , dont
vous ſerez le maiſtre.
HAR PAGON .
Il faucira voir cela. Mais , Froſine , il y a encore
une choſe qui m'inquiete. Lafille eſt jeune , com
metu vois ; & les jeunes gens d'ordinaire n'aiment
que leurs ſemblables , & ne cherchent que leur com
pagnie. J'ay peur qu'un homme de mon âge ne ſoit
pas de ſon gouft ; & que cela ne vienne à produire
chez moy certains petits deſordres qui ne m'accom
moderoient pas.
FROSIN E.
Ah que vous la connoillez mal ! C'eſt encore une
particularité que j'avois à vous dire . Elle a une aver
lion épouvantable pour touslesjeunes gens , & n'a
de l'amour que pour les vieillards.
H A R P A GON.
Elle ?
FROSIN E.
Ouy , elle. Je voudrvis que vous l'euſſiez enten
du parler là-deſſus. Elle ne peut ſouffrir du tout la
veuë d'un jeune homme , mais elle n'eſt point plus
ravie , dit- elle, que lors qu'elle peut voir un beau
vieillard avec une barbe majeſtueuſe. Les plusvieux
ſont pour elle les plus charmans, & je vous avertis
de n'aller pas vous faire plus jeune que vous eites.
Elle veut tout au moins qu'on ſoit ſexagenaire ; &
il n'y a pas quatre mois encore , qu'eſtant prefte d'e
ſtre mariée , elle rompit tout net le mariage , ſur ce
>

que ſon amant fit voir qu'il n'avoit que cinquante


ſix ans , & qu'il ne prit pointde lunettes pour fi
gner le contract.
HAR
COM E DI E. 45
H A RP AGON .
Sur cela ſeulement :
FROSINE .
Ouy. Elle dit que ce n'eſt pas contentement pour
elle que cinquante- ſix ans ; & ſur tour , elle eſt pour
les nez qui portent des lunettes.
H A R P A GO N.
Certes, tu medis là une choſetoute nouvelle.
FROSIN E.
Cela va plus loin qu'on ne vous peut dire. On luy
voit dans ſa chambre quelques tableaux , & quel
ques eſtampes ; mais que penſez -vous que ce ſoit :
Des Adonis ? des Cephales ? des Paris : & des A
pollons ? Non. De beaux portraits de Saturne , du
Roy Priam , du vieux Neftor , & dubon Pere An
chiſe ſur les épaules de ton fils.
HARPAGON
Cela eft admirable ! Voilà ce que je n'aurois jamais
penſé , & je ſuis bien -aiſe d'apprendre qu'elle est de
cette humeur. En effet , ſi j'avois eſté femme, je
n'aurois point aimé les jeunes hommes.
FROSINE.
Je le croy bien. Voilà de belles drogues que des
jeunes gens pour les aimer ! Ce font de beaux mor
yeux , de beaux godelureaux , pour donner envie de
leur
peau ; & je voudrois bien ſçavoir quel ragouſt
il y a à eux ?
H A RP AGON,
Pour moy , je n'y en comprens point ; & je ne
ſçais pas comment il y aa des femmes qui les aiment
tant.
FROSIN E.
Il faut eſtre folle fieffée. Trouver la jeuneſſe aima
ble ! Eft - ce avoir le ſens commun ? font- ce des hom
mes que de jeunes blondins ? & peut- on s'attacher à
ces animaux-là :
H ÀA R PAGO N.
C'eſt ce que je dis tous les jours , avec leur ton de
poule
46 L'AVA R E,
poule laitée , & leurs trois petits brins de barbe re
ievez en barbe de chat , leurs perruques d'écoupes,
leurs haut- de- chauſſes tout tombans, & leurs efto
macs débraillez .
FROSIN E.
Eh ! cela eſt bien baſti auprés d'une perſonne com
mevous. Voilà un hommecela. Ily a là dequoy fa
tisfaire à la venë ; & c'eſt ainſi qu'il fauteftre fait ,
& veſtu , pour donner de l'amour.
H A R PAGO N.
Tu me trouves bien
FROSIN E.
Comment ? vous eſtes à ravir , & voſtre figure
>

eſt à peindre. Tournez vous un peu , s'il vous plaift.


Il ne ſe peut pas mieux. Que je vous voie marcher,
Voilà un corps taillé , libre , & dégagé comme il
faut , & qui nemarque aucune incommodité.
HARPAGON
Jen'en ay pas de grandes , Dieu merci. Il n'y a que
ma fluxion , qui me prend de temps en temps.
FROSIN E.
Cela n'eſt rien. Voftre fluxion ne vous fied point
mal , & vous avez grace à touſſer. ;
H A RP AGON,
Dy-moy un peu . Mariane ne m'a- t-elle point en
core veu n'a-t- elle point pris garde à moy en pal
fant ?
FÅ OSIN E.
Non. Mais nous nous ſommes fort entretenuës
de vous. Je luy ay fait un portrait de voſtre perſon .
ne ; & je n'ay pas manqué de luy vanter voſtre meri
te , & l'avantage que ce luy ſeroit ,> d'avoir un mari
comme vous.
HAR PAGO N.
Tu as bien fait ; & je t'en remercie.
FROSINE.
J'aurois , Monſieur, une petitepriere à vous fai
re. Ele prend un air fevere. J'ay up Procés que je ſuis
Sur
COM E DI E. 47
ſur le poinct de perdre , faute d'un peu d'argent ; &
vous pourriez facilement meprocurer le gain de ce
1
Procés , ſi vous aviez quelque bonté pour moy . Elle
reprend un air gay. Vous ne ſçauriez croirele plaiſir
qu'elle aura de vous voir . Ah ! que vous luy plai
rez! & que voſtre fraiſe à l'antique fera ſur ſon eſprit
un effet admirable! Mai's , ſur tout , elle ſera char
mée de voſtre haut de chauſſes , attaché au pourpoint
*)
avec des éguilletres. C'eſt pour la rendre folle de
vous ; & un amant'éguilleté ſera pour elle un ra
gouft merveilleux .
H A RP AGON .
Certes , tu meravis ,? deme dire cela .
FROSINE ,
Elle reprendſon viſageſevere,
En verité , Monſieur , ce Procés m'eſt d'une con
ſequence tout à fait grande. Je ſuis ruinée , ſi je le
pers ; & quelque petite aſſiſtance me rétabliroit-mes
affaires. Elle reprend un air gay. Je voudrois que vous
eufliez veu le raviſſement où elle eſtoit , à m'enten
dre parler de vous. La joie éclatoit dans ſes yeux ,
au recit de vos qualitez ; & je l'ay miſeenfin dans
une impatience extrême , de voir cemariage entie
rement conclu.
H A R PAGO N.
Tu m'as fait grand plaiſir , Froſine ; & je t'en ay ,
je te l'avouë , toutes les obligations du monde.
FROSIN E.
Elle reprend ſon ſerieux.
Je vous prie , Monſieur , de me donner le petit re
cours que je vous demande. Cela me remettra ſur
pied ; & je vous en ſeray eternellement obligée.
H A RP AGON.
Adieu. Je vais achever mes dépeſches.
FROSIN E.
Je vous affûre , Monſieur, que vous ne ſçauriez
jamais me foulager dans un plus grand beſoin .
HAR
L ' A V A RE ,
H ' A RP AGON .
Je mettray ordre que mon caroſie ſoit tout preſt,
pour vous mener à la foire,
FROSINE .
Je ne vous importaneroispas , li je ne m'y voyois
forcée par la neceſſité.
HARPAGO N.
Et j'auray ſoin qu'on ſoupe de bonne heure , pour
ne vous point fairemalades.
FROSINE,
Ne me refuſez pas la grace dont je vous ſollicite.
Vous ne ſçauriez croire , Monſieur , le plaiſir que...
H A RP AGON .
Je m'en vais. Voilà qu'on m'appelle. Juſqu'à tan
toit.
FROSIN E.
Que la fievre te ferre, chien devilain à tous les dia.
bles. Le ladre a eſté ferme à toutes mes attaques :
mais il ne me faut pas pourtant quitter la negocia
rion ; & j'ay l'autre coſté, en tout cas , d'où je ſuis
afiurée de tirer bonne recompenſe.
Fin du ſecond Ads

ACTE
COM E DI E. 49

A CT
C T E III.
.
• SCENE I.
HARPAGON , CLEANTE , ELISE , > >

VALER E > DAME CLAUDE ,


M.JACQUES , BRINDAVOI.
NE , LA MER LUCHE .
.
H A R P A G O N.
Llons. Vepez - ça tous i que je vous diſtribuc
A
employ . Approchez , Dame Claude. Commençons
>

. vous les
armesàlamain.Je vouscommetsauloin denetto
yer par tout ; ſur tout , prenez garde de ne point
frotter les meubles trop fort, de peur de les uſer.
2
Outre cela , je vous conſtituë , pendant le ſoupé ,
au gouvernement des bouteilles ; & s'il s'en écarte
quelqu'une , && qu'il ſe caſſe quelque choſe , je
m'en prendray à vous , & le rabatray for vos gages.
M. I A CRU E S.
Chaftiment politique .
HARP AGON.
Allez . Vous , Brindavoine , & vous , la Merluche ,
je vous établis dans la chargede rincer les verres , &
de donner à boire ; mais ſeulement lors que l'on au
ra ſoif, & non pas ſelon la coûtume de certains im
preținens de Laquais qui viennent provoquer les
gens , & les faireaviſer deboire, lors qu'on'n'y ſon.
gę pasivArtendez qu'on vous en demande plus d'une
fois, & vous reſſouvenez de porter coûjours beaucoup
d'eau . . 1

M. JACQU L- so i
Ouy ; le vin pur monte à la teſte.
- ; : ‫ ܃‬، ،،،، :: si 2.6
CA
2.4 IA A
so L'A VA RE ,
LA MER LUCH E.
Quitterons-nous nosfiquenilles, Monſieur ?
H A R PAGO N.
Ouy , quand vous verrez venir les perſonnes ; &
gardez -bien de gaſter vos habits.
BRINDA VOIN I.
Vous ſçavez bien , Monſieur, qu'un des devans
de mon pourpoinc eſt couvert d'une grande tache de
l'huile de lalainpé.
LA MERLU C # E.
Et moy , Monſieur, que j'ay mon haut de chauſ
ſes tout trouépar derriere', & qu'on me voit , reve
rence parler..
HAR PAGO N.
Paix. Rangez celaadroitement du coſte de la mu
raille , & preſentez toûjours le devant au monde.
Harpagon met ſon chapeau au devant defon pourpoint, pour
monirer a Brindavoine comment il doit faire pour cacher la
sache d'huile. Et vous , tenez toûjours voſtre chapeau
ainſi , lors quevous ſervirez. Pour vous, mafille ,
vous aurez l'oeil ſur ce que l'on deſſervira , & pren
drez garde qu'il ne s'en faffe aucun degaſt. Cela fied
bien aux filles. Mais cependant preparez - vous à bien
recevoir ma Maiſtreſſe qui vous doit venir viſiter , &
>

vous mener avec elle à la Foire. Entendez -vous ce


que je vous dis :
EL IS E.
Ouy , mon Pere.
HARPAGO N.
Et vous, mon fils le Damoiſeau , à qui j'ay la
bonté de pardonner l'hiſtoire de tantoſt , ne vous
allez pas aviſer non plus de luy faire mauvais viſage.
C B A N I F.
Moy, mon Pere , mauvais viſage ? & par quelle +
zaiſon ?
HARP AGO
ON
Mon Dicu , nous ſçavons le train des enfans dont
les
COM E DI E.
$1
les Peres ſe remarient, & de quel cil ils ont coû
tume de regarder ce qu'on appelle Belle - Mere:
Mais fi vous ſouhaitez que je perde le ſouvenir de
voſtre derniere fredeire, je vous recommande , ſur
tout , de regaler d'un bon vifagecette perſonne - là,
& de luy faire enfin tout le meilleur accouil qu'il
vous ſera poffible.
CL E A N I E.
A vous dire le vray , mon Pere , je ne puis pas
> >
vous promettre d'eſtre bien -aiſe qu'elle devienne ma
Belle-Mere. Je mentirois ,> ſi je vous le diſois : mais
pour ce qui eſt de la bien recevoir , & de luy faire
bon viſage, je vous promets de vous obeïr ponctuel
lement ſur ce chapitre.
HA A PAGON,
Prenez - y garde au moins.
CLEANI E.
Vous verrez que vous n'aurez pas ſujet de vousen
plaindre.
HA RP AGO N.
Vous ferez ſagement. Valere , aide-moy à ceci.
Ho ça , Maiftrc Jacques, approchez vous, je vous
ay gardé pour le dernier.
M. JACQU E.S.
Eft -ce à voſtre cocher , Monſieur , ou bien à voſtre
cuiſinier, que vous voulez parler ? car je ſuis l'us
& l'autre.
HA RP AGON ,
C'eſt à tous les deux.
M. J ACQU E S.
Mais à qui desdeux le premier ?
H A R P A GON .
Au cuiſinier.
M. JACQU E s.
Attendez donc , s'il vous plaiſt.
Il ofte fa caſaque de cocher , d paroiſt veftu en
cwifinier.
C 2 HA R
L' A V ÅRE ,
$2
HARP AG O'N .
Quelle diantre de ceremonie eſt- ce là ?
M. JACQU'E s.
Vous n'avez qu'à parler.
! H A B P A GO N.
Je me ſuis engagé , Maiſtre Jacques, à donner ce
soir à ſouper.
M. J ACQU E s.
Grande merveille !
HAR PAGON .
Dy - moy un peu , nous feras- tu bonne chere
M. J ACQU E s .
Ouy , ſi vous me donnez bien de l'argent.
HĽAR PAĜ O N.
Que diable toûjours de l'argent ! Il ſemble qu'ils
n'ayent autre choſe à dire, de l'argent, de l'argent , de
Pargent . Ah ! ils n'ont que cemot à la bouche , de
l'argent. Toûjours parler d'argent. Voilà leur épée de
chever, de l'argent .
VALER E.
Je n'ay jamais veu de réponſe plus impertinente
que celle-là. Voilà une belle merveille , que de fai
re bonne chere avec bien de l'argent. C'eſt une cho
fe la plus aiſée du monde , & il n'y a fi pauvre eſprit
qui n'en fift bien autant : mais pour agir en habile
homme , il faut parler de faire bonne chere avec peu
d'argent,
M. JACQU E S.
Bonne chere avec peu d'argent !
VALE R E.
Ouy. M. JACQU E S.
Par ma foy , Monſieur l'Intendant , vous nous obli .
gerez de nous faire voir ce ſecret , & de prendre mon
Office de cuiſinier : auſi bien vous mellez -vous.ceans
d'eftre le factotum .
HAR
COME DI E. 33
H A R P A G ON,
Taiſez -vous. Qu'eſt- ce qu'il nous faudra ?
M. J A ceu E S.
Voilà Monſieur voſtre Intendant , qui vous fera
bonne chere pourpeu d'argent.
H A R P A GON.
Haye. Je veux que tu me répondes .
M. J a ceu E s.
Combien ſerez - vous de gens à table ?
HARPAG ON.
Nous ſerons huic ou dix ; mais il ne faut prendre
que huit. Quand il y a à manger pour huit , il y en a
bien pour dix .
VALERE ,
Cela s'entend.
M. JACQUES.
Hébien , il faudra quatregrands potages , & cinq
aſliettes. Potages ... Entrées ....
H A RP AGO N.
Que diable , voilà p our traitter:coute une ville en
tiere.
M. JACQUES.
-1
Roft ...tor

H A RP AGON, en luy mettant la


main fir la bouche.
Ah traiſtre , tu manges tout mon bien.
M. J A ce u & s .
Entremets....
HARPAGO N.
Encor ?
V A L E RE.
Eſt -ce que vousavezenvie defaire crever tout Te'
monde : & Monſicur a- t- il invité des gens pour les
sobie afaffiner à force de mangeaille ? Allez -vous en lire
TON un peu les preceptes de la ſanté , & demander aux
Medecins s'il y a rien de plus prejudiciable à l'hom
me , que de manger avec excés.
C3 HAR
HI
54 L' A V'ARE, )
HA A PAGO N.
Il a raiſon .
V AL E R I.
Apprenez , Maiſtre Jaques , vous , & vos pareils ,
que c'eſt un coupe-gorge, qu'une table remplie de
trop de viandes ; que pour le bien montrer amide
ceux que l'on invite, il faut que la frugalité regne
dans les repas qu'on donne ; & que ſuivant le dire
d'un Ancien ; il faut manger pour vivre , e non pas vi
vre pour manger .
HARPAGO N.
Ah que cela eſt bien dit ! Approche, que je t'em .
braffe pour ce mot. Voilà-la plusbelle ſentence que
j'aye entendu de ma vie. Il faut vivre pour manger ,
non pas manger pour vi ... Non ,> ce n'eſt pas cela. Com
ment eſt. ce que tu dis ?
V À LE R E.
Qu'il fant manger pour vivre , & non pas vivre pour
manger .
HA RP AGON .
Ouy. Entens-tu ? Qui eſt le grand hommequi a
dit cela
VALERE
Je ne me ſouviens pas maintenant de ſon nom.
HARPAGO N.
Souviens- toy de m'écrire ces mots. Je les veux
faire graver en lettres d'or ſur la cheminée de ma
Salle .
V A LER E.
Je n'y manqueray pas.Et pour voſtre foupé, vous
n'avez
comme
qu'à me laiſſer faire. Je regleray tout cela
il faut.
HARP AG ON,
Fais donc.
M. JACQU E s.
Tant mieux , j'en auray moins de peine.
HARPAGO.N .
Il faudra de ces choſes , dont on ne mange gueres ,
& qui
COM E DI E. SS
& qui raſſa ſient d'abord ; quelque bon Haricot bien
gras , avec quelque pâté en pot bien garnidema
rons.
V ALEXE.
Repoſez-vous ſur moy.
H AB P AGON ,
3
Maintenant , Maiſtre Jacques , il faut nettoyer
mon caroffe.
M. JACQU E s.
Attendez . Ceci s'adreſle au cocher. Il remetfa ca
Saque. Vous dites....
HÄR PAG ON.

Qu'il faut nettoyer mon caroffe , & tenir mes che.


vaux tout prefts pour conduire à la Foire....
M. J ACQU E s.
Vos chevaux , Monfieur ? Ma foy, ils ne ſont
point du tout en eftat de marcher. Je ne vousdiray
point qu'ils ſont ſur la liriere , les pauvres betes n'en
ont point, & ce feroit fort mal parler : mais vous
leur faites obſerver des jeuſnes ſi auſteres , que cene
font plus rien que désidées ou des fantômes , des
façons de chevaux.
HÄR PÅ GÖ N.
Les voilà bien malades 5, ils ne font rien.
M. JACQU E s.
Et pour ne faire rien , Monſieur , eft-ce qu'il ne
faut rien manger ? Il leur vaudroit bien mieux , les
pauvres animaux , de travailler beaucoup , & de
manger de même. Cela me fend le coeur , de les >
3
voir ainſi extenuez : car enfin j'ay une tendreſſe pour
mes chevaux, qu'il me ſembleque c'eſtmoy-même,
quand je les voy patir ; jem'olte tous les jours pour
eux les choſes de la bouche ; & c'eſt eftre , Mon
fieur , d'un naturel crop dur, que de n'avoir nulle
pitié de ſon prochain.
H ARP A GON.
Le travail ne ſera pas grand , d'aller juſqu'à la
Foire.
i -9A C4 M , JA C
6 L’A V A RE,
M. J ACQU E s.
Non , Monſieur, je n'ay pas le courage de les me
ner, & je ferois conſcience de leur donner des coups
de fouet en l'eſtar où ils ſont. Comment voudriez.
vous qu'ils traiſnaſſent un caroſſe ,> qu'ils ne peuvent
pas Te traifner eux - mêmes ?
V A LER E.
Monſieur, j'obligeray le voiſin le Picard , à re char.
ger de les conduire : auſi bien nous fera-t- il ici be,
loin pour appreſter le ſoupé.
M. JACQUE s.
Soit. J'aimemieux encor qu'ils meurent ſous la
main d'un autre , que ſous la mienne.
VALERE,
Maiſtre Jacques fait bien le raiſonnable.
M , JACQu £ s.
Monſieur l'Intendant fait bien le neceſſaire.
H A R P A GON,
: Paix .
M , JACQU E s.
Monſieur , je ne ſçaurois ſouffrir les flateurs ; & je
voy quece qu'ilen fait, que les contrôles perpetuels
für le pain & levin , le bois , le ſel , & la chandelle ,
ne ſont rien que pour vous gratter , & vous faire fa
cour. J'enrage de cela , & je ſuis fâché tous les jours ,
d'entendre ce qu'on dic de vous : car enfin je me ſens
pour vous de la tendreſſe en dépit que j'en aye ; &
aprés mes chevaux , vous eſtes la perſonne que j'aime
le plus.
HAR P A GON .
Pourrois-je ſçavoir devous , Maiſtre Jacques , ce
que l'on dit de moy
M. JACQue s.
Ouy , Monſieur , ä j'eſtoisaſſuré que cela ne vous
fâchaft point.
H A R PAGO N.
Non , en aucune façon.
M. JAC
C O M E DI E.. 57
M. JACQUÉS.
Pardonnez-moy; je fçay fort bien que je vous met 7
trois en colere.
HA R P A GO N.
Point du tout ; au contraire , c'eſt me faire plaiſir,
2

& je ſuis bienaiſe d'apprendre comme on parie de


moy. 3

M. J'a'c QUE S.
Monſieur , puis que vous le voulez , je vous di
ray franchement qu'on ſe moque par toutde vous ;
qu'on nous jette de tous coſtez cent brocards à vôtre
fujet ; & que l'on n'eſt point plus ravi , que de vous
tenir au cut & aux chaufles, & de faire ſans ceſſe
des contes de voftre lezine. L'un dit que vous faites
imprimer des Almanacs particuliers , où vousfaites
double ; les quatretemps , & les vigiles ,> afin de
profiter des jeunes ' , où vous obligez voftremonde.
L'autré , que vous avez toûjours une querelle toute
preſte , à faire à vosvalets dans le temps des Eftren
pes, ou de leur ſortie d'avec vous , pour vous trou
ver une raiſon de ne leur donner rien. Celuy- là con
te qu'une fois vous fiftes aſigner le chat d'un de vos
voiſins , pour vous avoir mangé un reſte d’un gigot
de mouton. Celuy.cy , que l'on vous ſurprit une
nuit , en venant derober vous- même l'avoine de vos
chevaux ; & que voſtre Cocher, qui eſtoit celuy d'a
vant moy , vous donna dans l'obſcurité je ne ſçay
combien de coups de baſton , dont vous ne voulutte's
rien dire. Enfin voulez -vous que je vous diſe , on
ne ſçauroit aller nulle part où l'on ne vous enten
de accommoder de toutes pieces. Vous eſtes la fa
ble & la riſée de tout le monde , & jamais on ne
parle de vous , que ſousles noms d'avare , de ladre,
de vilain , & de feſſemathieu .
HAR PAĜON , en le batant,
Vous eſtes un ſos, un maraut, un coquin , & un
impudent
CS M.JA
58 L'A V ARE ,
M. JACQUES.
Hé bien , ne l'avois-je pas devinée vous ne m'a
vez pas voulu croire. Je vous l'avois bien dit que je
yous fâcherois de vous dire la verité.
HARPAGO N.
Apprenez à parler.
SCENE II.
M. JACQUES , V A L E R E.
V A LER E.
je puis voir , Maiſtre Jacques , on paye
cequefranchiſe.
A voſtre
mal
M. JACQU E s.
Morbleu , Monſieur le nouveau venu , quifaites
l'homme d'importance , ce n'eſt pas voſtre affaire.
Riez de vos coups debafton quand on vous en don
nera , & ne venez point rire des miens.
V AL ER E.
Ah , Monſieur Maitre Jacques , ne vous fâchez
>

pas , je vous prie.


M. JACQU E s.
Il file doux. Je veux faire le brave , & s'il eſt aſſez
ſot pour me craindre, le frotter quelque peu. Sça
vez - vous bien , Monſieur le rieur , que jene ris pas ,
moy; & queſi vous m'échaufez la teſte, je vous fe
tay rire d'une autre forte !
M. Jacques pourre Valere juſques au bout du Thica
ire , en le menaçant,
VALE R E.
Eh doucement.
M. JACQU E s.
Comment , doucement? Il neme plaiſt pas, moy.
V A L E RE,
De grace.
MJ ACQU E S.
Yous eſtes un impertinent,
V A
сом Е Ф Е.
VALERE.
Monſieur Maiſtre Jacques.
M. JACQUES .
il n'y a point de Monheur Maihtre Jacques pour
un double. Si je prens un baſton, je vous roſeray
d'importance VALER E.
Comment , un baſton
. : + Valere le fait reculey autani.qu'il l'a fait.
M. JACQU E s.
Eh je ne parle pas de cela.
V A L E R E.
Sçavez-vous bien, Monſieur le fat, que je ſuis
bomme à vous rofler vous-même?
M. JACQU E s.
Je n'en doute pas.
V A L E RE.
Que vous n'eftes , pour tout potage , qu'un faquin:
de cuiſinier
M. JACQUES,
Je le ſçay bien .
VALER
Er que vous ne me connoiſſez pas encore ?
M. JA COU E S.
Tardonnez-moy.
VALERE.
Vous me rofſerez , direz -vous ?
M. JACQU E S.
Je le difois en raillant. ·
VALER E.
Et moy ,je ne prenspoint de goaft à voſtre raille
>

rie. Il lxy donne des coups debaſton, Apprenez que vous


eftes un mauvais railleur.
M. JACQUE s.
Peſte ſoit la ſincerité , c'eſt un mauvais meſtier .
Deſormais j'y renonce , &je ne veux plus dire vray.
Paſie encore pour mon Vailtre, de
il a quelque droitme
C 6
60 L' A V A R E ,
me battre : mais pour ce Monſieur l'Intendant , je
m'en vangeray li je puis.
SCENE III.
FROSINE >, MARIANE , M.JACQUES.'
FROSIN, E. "
Sçavez-vous , Maiftre Jacques,fi voftre Maiſtre eſt
2

au logis ?
M. JACQU E s.
Ouy vrayment il y eſt, je ne le ſçay que trop.
FROSINE .
Dites-luy , je vous prie , que nous ſommes ici.
SC EN E IV
1 MARIANE , FROSIN E.
MARIANE,
Ah ! que jeſuis , Froſine, dansun étrange eftat ,
>

& s'il faut dire ce que je ſens , que j'apprehende


cette vezë !
FROSIN E.

Mais pourquoy , & quelle eſt voſtre inquietude?


M ARIANE.
Helas ! me le demandez-vous ? & ne vous figurez .
vous point les alarmes d'une perſonne toute preſte à
voir le ſupplice où l'on veut l'attacher ?
FRO SI NE.
Je voy bien que pour mourir agreablement , Har
pogon n'eſt pas le ſupplice que vous voudriez em --
braſſer ; & je connois à voſtre mine , que le jeune
Blondin dont vous m'avez parlé , vous revient un
peu dansl'eſprit.
M AR LA N E.
Ouy , c'eſt une choſe, Froſine, dont je ne veux pas
me
COM E D IA E. 61
me defendre ; & les viſites reſpectueuſes qu'il a ren
duës chez nous , ont fait, je vous l'avouë, quelque
>
effet dans mon ame.
FROSINEC 2 1
Mais avez - vous ſçu quel il eſt :
MAAAN EJI

eſt faitd'un air à le faire aimer; une Gl'on pouvoit


mettre les choſes à mon choix, je le prendrois platoſt
qu'un autre ; & qu'il ne contribuë pas peu à me faire
tro uver un tourment effroyable , dans l'époux qu'on
yeu me don .
t ner
FROSINE,
Mon Dieu , tous cesBlondins ſont agreables , &
debitent fort bien leur fait ; mais la plậpart ſont
gueux comme des rais ; & il vaut mieux pour vous,
de prendre un vieux mari , qui vous donne beaucoup
debien. Je vous avouë que les ſens ne trouvent pas
fi bien leur conte du coſté que je dis , & qu'il y a
quelques petits dégoufts à eſſuyer avec un tel époux;
mais cela n'eſt pas pour durer; & la mort, croyez
moy , vous mettrabientoſt en eſtat d'en prendre un
plus aimable, qui reparera toutes choſes.
M A RIA.NL
Mon Dier, Froſine, c'eſt unre étrange affaire , lors
que pour eftre heureuſe, il faut ſouhaiter ou attendre
le trépas de quelqu'un, & la mort ne ſuit pas cous les
projets que nousfaiſons.
FRO.SI N E.
Vous moquez- vous ? vous ne l'épouſez qu'aux
conditions de vous laiſfer veuve bientoft , & ce doit
eftre là un des articles du contra &. Il ſeroit bien im
pertinent de ne pas mourir dans trois mois ! Le voici
en propre perſonne.
MARIAN E.
Ah Froſine , quelle figure !
C7 SCE
62 LEAL V AIR OE,
ne: 091.6
S. £N E V. .

( 1011 km

HARPA GON , FROSINE , MARIAN E.


DELOV - 50V.Pia
HAR ép AGO N.
Groupe
avecdes lunettes.Je rçay quevosappasfrapentiaflez
les yeux ,ſont allez vititlesu *eux-mêrties - & qu'il
n'eſt pas beſoin de lunecres pour les appercevoir :
mais enfin c'eſt avec des lunettes qu'on obſerve les
Aftres , & je maintiens & garantisque vouseftesMi
Aftre , mais un Aftre ,le plusbel Aftrequi ſoit dans
lePais des Aftres. Frofine, ellene répondmot& ne
témoigne , ee'meſemble, aucune joie de me voir.
FRO'S INE:
2
C'eſt qu'elleeſt encore toute ſurpriſe ; & puis les
filles ont toûjours honte à témoigner d'abord ce
qu'elles ont dans l'ame.
HĄ R P A GO N.
Tu as raiſon.Voilà, belle mignonne , ma fille ;
‫۔‬
qui vient vous ſaluer,
*** !
95 SCENE V I.
ILISE > HARPAGON , MA
RIA NE > FROSINE.
MARIA NE.

Je
fite.
m'acquitte bien tard , Madáme, d'une telle vis
lo
EL LIS! E.
Vous avez fait , Madame , ce.que je devois faire ,
& c'eſtoit às
à moy de vous prevenir,
HARPAGON.
Vousvoyez qu'elle eſt grande; mais mauvaiſe her.
be croiſt toûjours.
MA
COM E D | E. 63
MAR I A N 5 , bas à Froſine.
o l'hommedéplaiſant !
H A RP AGON,
Que dit la belle ?
FROSINE,
Qu'elle vous trouve admirable.
HARP AGON.
C'eſt trop d'honneur que vous me faites , adorable
mignonne.
MARIANE , à part .
Quel animal !
H A R P A GO N.
Je vous ſuistrop obligé de ces ſentimens.
MARIA NE, à part.
‫܂‬ : '
Je n'y puis plustenir. 영 ?!
H A R BAG ON.
Voici mon fils aufli , qui vous vient faire la réve
rence .
MARIAN E , à part à Froſine.
Ah ! Froſine , quelle rencontre ! c'eſt juſtemens
>

celuy dont je t'ay parlé.


FROSINE , à Mariane.
L'avanture eſt merveilleuſe.
HARPA Ğ ON.
Je voy que vous vous étonnez de me voir de li
grands enfans ; mais je ſeray bientoft défait & die
l'un , & de l'autre.

S CE N E VII.
1

CLEANTE , HARPAGON , ELISE , >

MARIANE , FROSIN E.
CLEAN I E.
Madame , àvous direle vray , c'eſt ici une avantu
re où ſans doute je ne m'attendois pas ; & mon Pere .
ne m'a pas peu ſurpris , lors qu'il m'a dit tantoſt le
dcflein qu'il avoit formé. MA
64 L'A V A : RE,
MARIA 'N'E .
Je puis dire la même choſe. C'eſt une rencontre
impreveuë qui m'a ſurpriſe autant que vous ; & je
n'eſtois point préparée à une pareille avanture.
CLÉ A N I E.
Il eſt vray que mon Pere, Madame, ne peut pas
faire un plusbeau choix , & que ce m'eſt une ſenli
ble joye que l'honneur de vous voir : Mais avec tout
cela, je ne vous aſſureray point que je me réjouis du
deſſein où vous pourriez eſtre de devenir ma Belle
Mere. Le compliment, je vous l'avduë, eſt trop dif
ficile pourmoy ; & c'eſt un titre , s'il vous plaiſt ,
que je ne vous ſouhaite point. Ce diſcours paroiſtra
brutal aux yeux de quelques uns; mais je ſuis aſſuré
que vous ſerez perſonne à le prendre comme il fau
dra. Que c'eſt un mariage, Madame, où vous vous
imaginez bien que jedoisavoir de larepugnance;quç
vous n'ignorez pas, fçachant ce que je luis ,> comme il
choque mes intereſts; & que vous voulez bien enfin
que je vous diſe,avec la permiſſion de mon Pere, que
li les choſes dependoient de moy , cet hymen ne ſe
feroit point .
HA RP; A GAOIN .
i voilà un compliment bien impertinent. Quelle
belle confeflion à luy faire !
M A RIĀ NE.
Etmoy , pourvous répondre , j'ay à vous dire que
2

les choſes ſont fort égales ; & que ſi vous auriez de la


repugnance à me voir voſtre Belle-Mere , je n'en au
rois pasmoinsſans doute à vous voir mon beau Fils.
Ne croyez pas , je vous prie , que ce ſoit moy qui
cherche à vous donner cette inquieiude Je ſerois fort
fâchée de vous cauſer du déplaiſir; & ſi je ne m'y vois
forcée par une puiſſance abſoluë, jevous donne ma
parole, que jene conſentiray point au mariage qui
vous chagrine,
HAR
C O M E DI E. 65
HARPAGO N.
Elle a raiſon. A ſot compliment , il faut une ré:
ponſe de même. Je vous demande pardon , ma belle,
de l'impertinence de mon fils. C'eſt un jeune ſot, qui
ne ſçait pas encore la conſequence des paroles qu'il
dit.
S
MARI A NE .
Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point
du tout offenſée ; au contraire , il m'a fait plaiſir de
m'expliquer ainſi ſes veritables ſentimens. J'ainie de
lay un aveu de laforte ; & s'il avoit parlé d'autre fa
çon , je l'en eſtimeroisbien moins.
>

HARPAGON .
-
C'eſt beaucoup de bonté à vous , de vouloir ainſi
excufer ſesfautes. Le temps le rendra plus ſage , &
vous verrez qu'il changera de ſentimens.
CL E ANI E.
Non, mon Pere, je ne ſuis point capable d'en chan
ger ; & je prie inftamment Madame de le croire.
H A RP AGON.
Mais voyez quelle extravagance !il continuë encor
plus fort. "

CLEAN TE. 19 'T


Voulez- vous que je trahiſſe mon cæur ?
HAR P A.G, ON
Encor ? Avez - vous envie de changer de dif,
-

cours ?
CL E A N T E. .5.87
Hé bien , puisque vous voulez que je parle d'au .
tre façon ; ſouffrez , Madame , que je memette ici
à la place demon Peres & que je vous avouë , que
CA je n'ay rien veu dans le monde de ficharmant que
vous ; que je ne conçois rien d'égal au bonheur de
vous plaire ; & que le titre de voſtre époux eſt une
gloire, une felicité, que je preferètois aux deſtinées
des plus grands Princes de la terre. Quy , Madame ,
le bonheur de vous poffeder eſt à mes regards
a
66 L' A V A RE ,
la plus belle de toutes les fortunes ; c'eft oùj'attache
toute mon ambition. Il n'y a rien que je ne fois ca
pable de faire pour une conquefte fi precieuſe ; & les
obftacles les plus puiflans ..
HARP A Ġ ON ,
Doucement , mon fils , s'il vous plaift.
CLEANTE.
C'eſt un compliment que je fais pour vousà Ma
dame,
H A RP AGO N.
Mon Dieu , j'ay une langue pour m'expliquer
moy-même , & je n'ay pas beſoin d'un Interprete
comme vous. Allons, dongez des fieges.
F.RO $ 1 N E ,
: Non , il vaut mieux que de ce pas nous allionsà
la foire , afin d'en revenir plûtoft , & d'avoir tout le .
temps enſuite de vous entretenir.
HARPAGO N.
Qu'on mette donc les chevaux au caroſſe. Je vous
prie de m'excuſer, ma Belle , ſi je n'ay pas Tongé
I vous donner
l '. ' .
un ! peu. de collation19.1
avant que de par
tir .
CLEANIE.
J'y ay pourven , mon Pere , & j'ay fait apporter ici
quelques baffins d'oranges de la Chine', de citrons
doux, & de confituros , que j'ay envoyé querir de
votre part.
H A R P A GON , bas à Valere.
Valere.
VALE R B, à Harpagons! !
Il a perdu leſens.'
CLEAN TSE ." ļo!
Eſt- ce que vous trouvez , non Pere ; apie ce ne
foit pas affez ? Madame aura la bontéd'excuſer cela ,
s'il luy plaift.
MARIA.NE.
C'eð une choſe quin'eftoit pas neceſſaires
201 23 192 and addir . 91
CLEAN
COM E D I E. 67
CL E A N I E.
Avez - vous jamais veu , Madame, un diamant
plus vif que celuy que vous voyez que mon Pere a
au doigt :
MARIAN E ,
Il eſt vray qu'il brille beaucoup.
CLEANIE ,
Il lofte du doigt de fon Pere , eo
donna à Mariane.
Il faut que vous le voyiez de prés.
MA & I AN E.
Il eſt fort beau , ſans doute , & jette quantitéde
feux.
CLEANTE,
Ilſe met audevant de Mariane , qui
le vent rendre.
Non , Madame , il eſt en de trop belles mains.
C'eſt un preſent que mon Pere vous fait.
HARPAGO N.
Moy ?
CL'E ANI E.
N'eſt- il pas vray , mon Pere , que vous voulez que
Madamele garde pour l'amour devous?
H A RP AGON , à pari a fon Fils.
Comment :
CLEANTE.
Belle demande. Il me fait ſigne de vous le faire ac
cepter.
Jeneveux point... " " ANE:
CLEANTE .
Vous moquez vous ? Il n'a garde
dre. 3)
de le repren
1
H AR PA GON , à part.
J'enrage ?
MARIA' N E.
Ce ſeroit....
CLEAN
63 L' A VAR E ,
CLEANIE , en empejchant toujours
Mariane de rendre la bague.
Non , vous dis - je , c'eſt l'offenſer.
MARIANE.
De grace....
CLEAN T E.
Point du tout.
H A R P A GON , à pari.
Peſte ſoit....
CL E ANTE .
Le voilà qui ſe ſcandaliſe de voſtre refus.
HAR P À GON , bas à fon Fils,
Ah , traiſtre !
CLEANTE,
Vous voyez qu'il ſe deſeſpere.
HARPAGON , bas à fon Fils ,
en le menaçant.
Bourreau que tu es !.
CLEANTE .
Mon Pere , ce n'eſt pas ma faute. Je fais ce que
je puis pour l'obligerà la garder , mais elle eſt obiti.
née. 11! 63

H A RP AGON , bas à fon Fils ,


avec emportement.
Pendart !
10.CLEANTE,
Vous eſtes cauſe, Madame , que mon Pere me
querelle.
H A R P A GON , bas à fon Filse [
avec les mêmes grimages.
Le coquin ! si
CL E ANTE .
Vous le ferez tomber malade. De grace , Madame,
ne reſiſtez point davantage.
FROSIN E.
Mon Dieu, que defaçons! Gardez la bague , puis
que Monſieur le veut.
MA
со м E DIE. 69
MARIAN E.
Pour nevous point mettre en colere , je la garde
maintenant ; & je prendray un autre temps pour vous .
la rendre.
SCENE VIII.
HARPAGON , MARIANE, FRO
SINE , CLEANTE , BRINDA.
VOINE , ELISE.
BRINDA V O IN L.
Onſieur, il y a là un homme qui veut vous par
ler.
HAR PA G O N.
Dy-luy que je ſuis empeſché, & qu'il revienne u.
ne autre fois.
BRINDAVO IN A.
Il dit qu'il vous apporte de l'argent, }

HARPAGO N.
* Je vous demande pardon. Je reviens tour à l'heure.
SCENE IX .
HARPAGON , MARIANE , CLEAN.
TE , ELISE , FROSINE , LA
MERLUCHE .

LA- MARLO CTA.


Il vient en courant , & faittomber Harpagon .
M.Onſieur ....
HA A PAGON,
Ah , je ſuismort !
CLEAN T e .
Qu'eſt -ce , mon Pere ? vous eſtes-vous fait mal ?
H A R P A GON.
Le traiſtre aſſurément a receu de l'argent de mes
debiteuts , pour me faire rompre le coû.
VA
70
L' A V A RE ,
V A L E R E.
Cela ne ſera rien.
LA MERLUCH R.
Monſieur , je vous demande pardon , je croyois
bien faire d’acourir vifte .
H A R P A GO N.
Que viens-tu faire ici , Bourreau
LA M ER L U C H E.
Vous dire que vos deux chevaux ſont déferrez .
HAR PAGO N.
Qn'on les menepromptementchez le Mareſchal.
CLÉ À NI E.
En attendant qu'ils ſoient ferrez , je vais faire pour
vous , mon Pere, les honneurs de voſtre logis , &
> >
conduire Madame dans Jardin , où je feray porter
le
la collation.
HAR PAGON .
Valere, aye un peu l'oeil à toutcela ; & pren ſoin ,
je te prie , de m'en ſauver le plus que tu pourras ,
pour le renvoyer au Marchand.
VAL E R E.
C'eſt aſſez .
H A R P AGON ,
O Fils impertinent , as- tu envie de me ruïner !
Fin du troiſiéme Axe.

ACTE
COME DI E.
71

A C. T E IV .
SCENE I.
1
CL E ANTE , MARIAN E. >

ELISE , FROSIN E,>

CLEANI E.

n'y a plus autour de nous perſonne de ſuſpect ,


& nous pouvons parler librement.
1 ELIS E.
Ouy , Madame , mon Frere m'a fait confidence de
>

la paſſion qu'il a pour vous. Je ſçay les chagrins &


les déplaiſirs que ſont capables de cauſer de pareilles
0
traverſes ; & c'eft , je vous aſſure , avecune tendreſſe
extréme que je m'intereſſe à voſtre avanture.
M Á R I Å N É.
C'eſt une douce conſolation , que de voir dans fes
intereſts une perſonne comme vous; & je vous con
jure , Madame, de me garder toûjours certe gene
reuſe amitié , fi capable de m'adoucir les crưautez de
la fortune.
FROSINE.
Vous eftes , pár ma foy , domalheureuſes gens l'on
& l'autre , de ne m'avoir point , avant toutceci,
avertie de voſtre affaire! Je vous aurois ſans doute
détourné tette inquietude, & n'aurois point amené
les choſes où l'on voit qu'elles font.
C LE À Ñ T E.
Que veux - tu ? c'eſt ma mauvaiſe definée qui la
voulu ainſi. Mais, belle Mariane , quelles reſolus
tions ſont les voſtres ?
MARIAN E.
Helas , ſuis - je en pouvoir de faire des reſolu
>

tions ?
72 L ' A V A RE ,
tions! & dans la dependance où je me voy , puis -je
former que des ſouhaits ? 5
CLEANT E.
Point d'autre appuy pourmoy dans voſtre caur
que de ſimples ſouhaits point de pitié officieuſe?
point de ſecourable bonté1 ? point d'affection agiſſan
te :
M A RIAN E,
Que ſçaurois - je vous dire : Mettez -vous en ma
place , & voyez ce que je puis faire. Aviſez , ordon
nez vous-même; jem'en remets à vous ; & je vous
croy trop raiſonnable , pour vouloir exiger de moy ,
que ce qui peut m'eftre permis par l'honneur & la
bienſeance.
CLEAN I E.
Helas , où me reduiſez vous , que demerenvoyer
à ce que voudront me permettre les fâcheux fenti .
mens d'un rigoureux honneur , & d'une ſcrupuleule
>
bienſeance !
' M A RIAN E.
Mais que voulez -vous queje faſſe ? Quand je pour
rois paffer ſur quantité d'égards où nôtre Sexe eft ob
ligé , j'ay de la conſideration pourma Merç. Elle n'a
toûjoursélevée avec une tendreſſe extréme;& je ne
ſçaurois me reſoudre à luy donner du déplaiſir. Fai.
tes , agiſſez aupres d'elle. Employez tous vos ſoinsà
gagner ſon eſprit ; vous pouvez faire & dire tout ce
que vous voudrez, je vous en donnela licence; & s'il
ne tient qu'àmedeclarer en voſtre faveur, je veux
bien conſentir à luy faire un aveu moy -même , de
tout ce que je ſens pour vous. ‫* ح ( در‬
CL E A N I E.
Froſine , mapauvre Froſine , voudrois-tu nous fer
vir
FROSIN E.
Par ma foy , faut- il demander ? je le voudrois de
tout mon coeur. Vous ſçavez que de mon naturel,
je
COM E DI E.
je suis aſſez humaine. Le Ciel ne m'a point fait l'a•
me de bronze ; & je n'ay que trop de tendreficà
rendre de petits ſervices, quand je voy des gens qui
s'entraiment en tout bien , & en tout honneur. Que
pourrion -nous faire à ceci :
CL B ANTE.
Songe un peu , jete prie.
MARIAN R.
Ouvre nous des lumieres.
ELI S E.
한 Trouve quelque invention pour rompre ce que tu
- as fait.
FROS IN L.
Ceci eſt aſſez difficile. Pour voſtre Mere, elle n'eſt
pas tout à fait déraiſonnable, & peut-eftre pourroit
on la gagner , & la reſoudre à tranſporter au fils le
don qu'elle veut faire au Pere. Mais le mal que j'y
trouve , c'eft que voſtre Pere eft voſtre Pere.
CL L A N T 2.
Cela s'entend.
FROSIN E.
Je veux dire qu'il conſervera du dépit , al'on
montre qu'on le refuſe ; & qu'il ne ſerapoint d'hu
meur en ſuite à donner ſon conſentemcot à votre
mariage. Il faudroit pour bien faire,que le refus vinſt
de luy -même; & tacher par quelque moyen de le
dégoufter de voftre perſonne.
CL E A Ng L.
Tu as raiſon.
FROSIN E.
Ouy j'ay raiſon , je le ſçay bien. C'eſt là ce qu'il
faudroit ; mais le diantre eſt d'en pouvoir trouver
les moyens. Attendez, ſi nous avions quelque femme
un peu ſur l'âge , qui fût de mon talent, & jođâu
aſſez bien pour contrefaire une Dame de qualité ,
par le moyen d'un train fait à la hafte & d'un bi
Zarre nom de Marquiſe , ou deVicomteſſe , quenous
D ſupo .
74 L' A V A RE ,
ſuppoſerions de la Baſſe Bretagne ; j'aurois aſſez
d'addreſſe pour faire accroire à voſtre Pere que ce
ſeroit une perſonne riche , outre ſes maiſons, de
cent mille eſcus en argent comptant ; qu'elle ſeroit
éperduëment amoureuſe de luy , & ſouhaiteroit de
ſe voir ſa femme, juſqu'à luy donner tout ſon bien
par contract de mariage ; & je ne doute point qu'il
ne preſtât l'oreille à la propoſition ; car enfin , il
vous aime fort, je le ſçay : mais il aimeun peu plus
l'argent ; & quand ébloui de ce leurre , il auroit une
fois conſenti à ce quivoustouche, il importeroit
peu enſuite qu'il ſe deſabuſalt , en venant à vouloir
voir clair aux effets de noſtre Marquiſe.
CLEANIE,
Tout cela eſt fort bien penſé.
FROSIN E.
Laiſſez moy faire. je viens de me reſſouvenir d'u .
ne de mes Amies , qui ſera noſtre fait.
CLEAN I E.
Sois aſſurée, Froſine , de ma reconnoiffance , li
tu viens à bout de la choſe; mais , charmante Ma.
riane , commençons , je vous prie , pargagner voſtre
Mere : c'eft toûjours beaucorp faire, que de rom
pre ce mariage. Faites y de voftre part, je vous en
>

conjure , tous les efforts qu'il vous ſera poſſible,


Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne ſur
elle cette amitié qu'elle a pour vous. Deployez ſans
reſerve les graces éloquentes , les charmes tout puiſ
ſans que le Ciela placez dans vos yeux & dans voſtre
bouche ; & n'oubliez rien , s'il vous plaiſt , de ces
tendres paroles , de ces douces prieres, & de ces
careſſes touchantes à qui je ſuis perſuadé qu'on ne
ſçauroit rien refuſer.
MARIAN E.
J'y feray tout ce que je puis , & n'oublieray aucu .
ne chore,
SCE.
C O M E DI E. 75
SCENE II.
HARPAGON >, CLEANTE , MARIA
NE , ELISE , FROSINE.
HARPAGON .

Ouais ! mon fils baiſe la main de fa pretenduë Bela


le Mere , & ſa pretenduë Belle-Mere nes'en defend
pas fort. Y auroit- il quelquemyſtere là deſſous!
ELIS B.
Voilà mon Pere.
HAR PAGO N.
Le caroffe eſt tout preſt. Vous pouvez partir quand
il vous plaira.
CLEANI. E.
Puis que vous n'y allez pas , mon pere , jemica
vais les conduire.
H A RP AGON .
Non , demeurez. Elles iront bien toutes ſeules ;
& j'ay beſoin de vous.
S CE N E III .
H A'R PÅ GON , CL E ANTE ,
H A R P A GO'N .
Oça , intereſts de Belle-Mere à part, queteſemble
>

à toy de cette perſonne ?


CLEANI E.
Ce qui m'en ſemble ?
H A RP AGO N.
Ouy , de ſon air , de ſa taille >, de la beauté , de ſon
eſprit ? CLEA NIE ,
1 La , 12 .
H A.RP AGON .
Mais encore :
D2 CLEAN
76 L'A VAR E ;
CLEAN T E.
A vous en parler franchement, je ne l'ay pas trou. TE
vée ici ce que je l'avois cruë. Son air eſt defranche
Coquette ; ſa taille eſt aſſez gauche, ſa beauté tres
mediocre , & ſon eſprit des plus communs. Ne
croyez pas que ce ſoit, mon Pere, pour vous en de
gouſter; car belle Mere pour belle Mere , j'aime 14 .
tant celle-là qu'une autre .
HARP A GON .
Tu luy difois tantoſt pourtant....
CLÉ A N I E.
Je luy ay dit quelques douceurs en votre nom,
mais c'eſtoitpour vous plaire.
HAR PAGON .
Si bien donc que tu n'aurois pas d'inclination pour
cllc &
CLEANIA,
Moy ? point du tour.
HARP AGON.
J'en ſuis fâché ; carcela rompt ane penſée qui
m'cftoit venuë dans l'eſprit. J'ay fait , en la voyant
>

ici , reflexion ſur mon âge ; & j'ay ſongé qu'on


pourra trouver à redire , de me voirmarierà une a
jeune perſonne. Cette confideration m'en faiſoit
quitter le deſſein , & comme je l'ay fait demander ,
& queje ſuis pour elle engagé de parole , je te l’aus
roisdonnée, ſans l'averlion quetu témoignes.
CL E A N T E.
A moy ?
HARPAGON.
A toy.
CLEAN TE.
En mariage ?
HARP A GON.
En mariage.
CLEAN TA .
Ecoutez , il eſt vray qu'elle n'eſt pas fort à mon
gouft ;
COM E D I E. 77
gouft ; mais pour vous faire plaiſir mon Pere ,je mc
reſoudray à l'épouſer, li vous voulez.
HA A P A GO N.
Moy ! je ſuis plusraiſonnable que tu ns penſes. Je
ne veux point forcer ton inclination .
CLEANIB
Pardonnez -moy ; je me feray cet effort pour l'ac,
mour de vous.
HAR Ý AGO N.
Non , non , un
l'inclination
mariage ne ſçauroit eſtre heureux ,
n'eſt pas.

CLLAN T I.
C'eft ane choſe , mon Pere , qui peut- eſtre vien
dra enſuite ; & l'on dit que l'amour eſt ſouvent un
fruit du mariage .
HARPAGO N.
Non , du cofté de l'homme on ne doit point riſ.
quer l'affaire , & ce ſont desſuites facheures , où je
n'ay garde de me commettre. Si tu avois ſenti quel
que inclination pour elle ; à la bonne heure , je te
l'aurois fait épouſer , au lieu de moy ; mais cela
0
n'eſtant pas , je ſuivray mon premier deſſein , & je
>

l'épouſeray moy -même.


CL E A N T E.

1
Hébien , mon Pere , puis que les choſes ſont ainſi,
il faut vous découvrir mon cour , il faut vous reve
Jer noftre ſecret. La verité eſt que je l'aime , depuis
un jour que je la vis dans une promenade ; que mon
deſſein eſtoit tantoſt de vous la demander pour fem-
me ; & que rien ne m'a receou , que la declaration
de vos ſentimens, & la crainte de vous déplaire,
HARP A GON .
Luy avez- vous rendu viſite :
CL LA NI E.
Ouy , mon Pere.
HA RP AGON.
wa
Beaucoup de fois ?
LA D 3 CLIANA
78 ' L' A V A RE,
CLEANIE .
Affez ,> pour le temps qu'il y a .
HARPAGO N.
Vous a - t - on bien receu ?
CLEANIE.
Fort bien ; mais ſans ſçavoir qui j'eſtois , & c'eſt
ac qui a fait tantoſt la ſurpriſe de Mariane.
HARPAGO N.
Lug avez -vousdeclarévoſtre paflion , & le deſſein
où vous eftiez de l'épouſer ?
CLEA NI E.
Sans doute ; & même j'en avois fait à ſa Mere
quelquepeu d'ouverture.
HAR PA GON .
A-t-elle écouté , pour ſa fille , voſtre propoſition :
CLEAN I £.
Ouy , fort civilement.
HARP AGON ,
Etla fille correſpo nd -elle fortà voftreamour ?
CLEANTE .
Sij'en dois croire les apparences , je me perſuade ,
mon Pere, qu'elle a quelque bonté pour moy.
HAR P A GO N.
Je ſuis bien aiſe d'avoir appris un tel ſecret, & voi.
là juſtement ce que je demandois. Oh ſus , mon fils ,
ſçavez -vous ce qu'il y a ? c'eſt qu'il faut ſonger , s'il
Vous plaift , à vous de faire de voſtre amour ; à ceſſer
toutes vos pourſuites auprés d'une perſonne que je
pretens pour moy ; & à vousmarier dans peu avec
celle qu'on vous deftine.
CLEANIE.
Ouy, mon Pere, c'eſt ainſique vous me jouez ! Hé
bien , puis queles choſes en font venuëslà , je vous
declare, moy, que je ne quitteray point la paſſion
que j'ay pour Mariane ; qu'il n'y a point d'extremité
où je ne m'abandonne , pour vous diſputer ſa con
quefe ; & que ſi vous avez pour vous le conſente.
ment
C O M E DI E. 79.
ment d'une Mere , j'auray d'autres ſecours , peut
eftre , qui combattront pourmoy.
HARPAGO N.
Comment , pendart ,> tu as l'audace d'aller ſur mes
briſées ?
CLEANT E.
C'eſt vous qui allez ſur le miennes ; & je ſuis le
premier en date.
HAR PA GON.
Ne ſuis- je pas ton Pere ? & ne me dois-tu pas
reſpect : CLEANTE.
Cene ſont point ici des choſes où les enfans ſoient
obligez de deferer aux Peres ; & l'amour ne connoift
perſonne.
H A RP AGON.
Je te feray bien me connoiſtre , avec de bons coups
de baſton .
CLEANIE.
Toutes vos menaces ne feront rien ,
H A R P A GON,
Tu renonceras à Mariane.
CLEANT ..
Point du tout.
HARP AGON
Donnez -moy un baſton tout à l'heure,

SCENE I V.
M. JACQUES, HA RP AGON, >

CLEAN T E.
M. JACQU I S.
Eh , eh , Meſſicurs , qu'eſt- ceci ? àà quoy fongez
vous ?
CLI ANT L.
Je me moque de cela .
M. JACQU I S.
Ah , Monſicus , doucement.
D4 H 1 x
L'A V A RE,
HAR PA GON.
Me parler aveccette impudence ?
M. JACQUE S.
Ah >, Monſieur , degrace .
CLEANTE ,
Je n'en démordray point,
M. J ACQU & S.
Hé qaoy , à voftre Pere :
HARDAG O N.
Laiſſe-moy faire.
M. JACQU L .
Hé quoy , à voſtre fils ? encor paſſe pour noy .
HARPAGON.
Je te veux faire toy-même , Maiſtre Jacques, Juge
decette affaire , pour montrer comme j'ay raiſon.
JACQU E s.
J'y conſens. Eloignez -vous un peu.
HA A PAGON .
J'aime une fille , queje veux épouſer ; & le pen
dart a l'inſolence del'aimer avecmoy , & d'y pre
tendre malgre mes ordres.
M. JACQU E S.
Ah ! il a tort .
HARPAGO N.
N'eſt-ce pas une choſe épouvantable , qu'un fils
qui veut entrer en concurrence avec ſon Pere ? & ne
doit- il pas , par reſpect, s'abſtenir de toucher à mes
inclinations
M. JACQUES.
Vous avez raiſon. Laiſſez moy luy parler , & de
meuréz là. Il vient trouver Cleanse à l'autre bout du
Theatre .
CL E A N I E.
Hébien ouy , puis qu'il veut te choiſir pour Juge ,
je n'y recule point ; il ne m'importe qui ceſoit , &
je veux bien auſſi me rapporter à toy , Maiſtre Jaco
ques , de noſtre differend,
M. JAC
81
COM E DIE,
M. JACQU E s.
C'eſt beaucoup d'honneur que vous me faites.
CLEAN I E.
Je ſuis épris d'une jeune perſonne quirépond ?
mes voeux , & reçoit tendrement les offresdema
foy ; & mon Pere s'aviſe devenir troubler noftrca,
mour , par la demande qu'il en fait faire.
M. JACRU E &
Il a tort aſſurément.
CL E A N I E.
N'a -t-il point de honte , à ſon âge , de fonger à
ſe marier Luy fied -il bien d'eftre encore amou
reux ? & ne devroit -il pas laiſſer cette occupation
aux jeunes gensi
M. JACQU E *
Vous avez raiſon , il ſe moque. Laiſſez moy luy
dire deux mots. Il revientà Harpagon. Hé bien , vo>

tre fils n'eſt pas ſi étrange quevous le dites , & il ſe


met à la raiſon. Il dit qu'ilſçait lerefpe &t qu'il vous
doit , qu'il nes'eſt emporté que dansla premiere
>

chaleur , & qu'il ne fera point refus de ſe ſoumettre


à ce qu'il vous plaira , pourveu que vous voulicz
le traiter mieux que vous ne faites , & luy donner
quelque perſonne en mariage , dont il ait lieu d'eſtre
>
content.
HARPAGO N.
Ah , dy-luy Maiſtre Jacques , que moyenant
cela , il pourra eſperer toutes choſes demoy ; & que
hors Mariane , je luy laiſſe la liberté de choigr celle
qu'il voudra.
M. JACQU 8 S , Il va au Fils,
Laiſſez -moy faire . Hébien , voftre Pere n'eſt pas
fi deraiſonnable que vous le faites ; & il m'a témoi
gné que ce ſont vos emportemens quil'ontmis en
colere ; n'en cut ſeulement qu'à voftre ma
niere d'agir , & qu'il ſera fort diſpoſé à vous accor
der ce que vous ſouhaittez , pourveu que vous vou
DS liez
L ' A V A RE ,
liez vous y prendre par la douceur, & luy rendreles
deferences, les reſpects , & les ſollmilions qu'un
fils doit à ſon Pere.
CLĘ ANI ..
Ah, Mailtre Jacques , tu luy peux aſſurer, que
s'il m'accorde Mariane , il me verra toûjours le plus
joảmis de tous les hommes ; & que jamais je ne fc
ray aucune choſe que par ſes volontez .
M. JACQ Û É s.
Cela eſt fait. Il conſent à ce que vous dites.
H A BAGO N.
voilà qui vale mieuxdumonde.
M. JACQU E s.
Tout eſt conclu . II.eft content de vos promeſſes.
CLEANIE.
Le Ciel en ſoit loué.
M. J ACQUE s.
Meſſieurs , vous n'avez qu'à parler enſemble. Vous
voilà d'accord maiotenant ; & vous alliez vous quc
reller , faute de vous entendre .
CLEAN I E.
Mon pauvre Maiſtre Jacques , je te ſeray obligé
toute ma vie ,
M. JACQUE s.
Il n'y a pas dequoy, Monſieur .
HARPAGON .
Tu m'as fait plaiſir , Maiſtre Jacques , & cela me.
rite une recompenſe. Va , m'en ſouviendray , je
t'aſſure. Il tire fon mouchoir de ſa poche ; ce quifait croire
À M. Jasques qu'il va luydonner quelque choſe.
M. JACQU & S.
Je vous baiſe les mains.

SCE.
COM E DI E. 33

SCE N E. V.
CL E ANTE , HARPAGON .
CLEAN TL.
Je vous demande pardon, mon Pere , del'emposa
rement que j'ay faitparoiſtre.
HAR PAGON.
Cela n'eſt rien.
CLĘ ANT E.
Je vous aſſure que j'en ay tous les regrets dumon,
de.
HARPAGON.
Et moy , j'aỹ toutes les joies du monde de te vois
raiſonnable.
CLEA NI E.
Quche bonté à vous , d'oublier fi vifte ma faute !
HARPAGON .
On oublie aiſement les fautes des enfans , lors
qu'ils rentrent dans leur devoir.
CLEANI E.
Quoy , ne garder aucun reſſentiment de toutes mes
extravagances ?
HARPAGO N.
C'eſt une choſe où tu m'obliges , par la foůmiſion
& le reſpect où tu te ranges.
CLEAN I E.
Je vous promets , mon Pere , que juſques au tom.
beau , je conſerveray dans mon cæur le ſouvenir de
vos bontez.
HAR PAGO N.
4
Er moy , je te promets qu'il n'y aura aucune cho .
ſe , que tu n'obtiennes de moy.
CLÉ ANTE,
Ah ! mon Pére, je ne vous demande plus rien ; &
c'eſt m'avoir aſſez donné , que de medonnerMa
riane.
D6 HA A
$4 L ' A VAR E ,
H A RP AGON.
Comment ?
CLEANI E.
Je dis ; mon Pere , que je ſuis trop content de
vous ; & que je trouvetoutes choſes dans la bonté
que vousavez de m'accorder Mariane.
HA RP A GON .
Qui eſt -ce qui parle de t'accorder Marianc ?
CL E A N T E,
Vous mon Pere.
HAR PAGO N.
Moy ?
CLEAN I E.
Sans doute .
H A RP AGON .
Comment : c'eſt toy qui as promis d'y renoncer.
CLEAN I E.
Moy , y renoncer
HARP AGON .
Ooy.
CLEA X TE.
Point du tout.
HARPAGO N.
Tu ne t'es pas départi d'y pretendre ?
CLEAN I L.
Au contraire , j'y ſuis porté plus que jamais,
H A RP AG ON,
Quoy , peadart, derechef ?
CLEAN TL.
Rien qe me peut changer.
HAR PAGO N.
Laille.moy faire , traiftre.
CLEAN T E.
Faites tout ce qu'il vous plaira .
HARPAGON
Je te defens de mic jamais voir,
CLEAR
COM E DI E. 85
CL E A N I E.
A la bonne heure.
HA R P A G O N.
Je t'abandonne.
CLEAN T E.
Abandonnez.
HARP A GON,
Je te renonce pour mon fils.
CLEAN T L.
Soir.
HARP AG ON.
Je te desherite.
CLEAN IE.
Tout ce que vous voudrez .
HARPAGO N.
Et je te donne ma maledi & ion.
CLEAN T E
Je n'ay que faire de vos dons.

SCENE IV.
LA FLECHE , CL E AN T E.
LA FL B C # 1 , fortant du Jardin
avec une caffette.
AH , Monſieur , que je vous trouve à propos ! Sui:
vez -moy vifte.
CLIANTE;
Qu'y a - t- il ?
LA PLECH E.
Suivez -moy , vous dy- je , nous ſommes bien ,
CLL A N T E.
Comment ?
LA FLEC A E.
Voicy voftre affaire.
CLEAN I L.
Quoy ? LA
D7
36 L ' A V A RE ,
LA FLICH I,
J'ay guetté ceci toutlejour.
CLEAN T I.
Qu'eſt- ce que c'eſt ? .
LA FLECH B.
Le treſor de voſtre Pere , que j'ay attrapé.
CL E A N I E.
Comment as tu fait ?
LA FLECHE,
Vous ſçaurez tout. Sauvons-nous je l'entens
crier.

SCE NE VII .

H ARPA GO N.
.
Il crie au voleur dés le Jardin, & vientfans chapeau.
Au voleur , au voleur , à l'affallin , au meurtrier.
Juſtice. jufte Ciel. Je ſuis perdu , je ſuis aſſaſſiné ,
on m'a coupé la gorge , on m'a dérobé mon argent.
Qui peut- c'eſtre ! qu'eſt-il devenu : où eſt- il ;où ſe
cache- t- il ? que feray -je pour le trouver : où courir :
où ne pas courir? n'eſt - il point là ? n'eſt -il point
ici ? qui eſt - ce ? arreſte .Ren moy mon argent , co
quin .... Il se prend luy même le bras. Ah , c'eſt moy ,
Mon eſprit eſt troublé , & j'ignore où je ſuis , qui je
>

ſuis, & ce que je fais. Helas, mon pauvre argent ,


>

mon pauvre argent , mon cher ami, on m'a privé de


toy ; & puis que tu m'esenlevé , j'ay perdu mon fu
port , ma conſolation , ma joie ; tout eſt fini pour
moy, & je n'ay plusque faire au monde. Sans toy ,
il m'eſt impoſible de vivre. C'en eſt fait , je n'en
puis plus , je me meurs , je ſuis mort , je ſuis enterré.
>

N'y a- t- il perſonne qui veuille me reſſuſciter ., en


me rendant mon cher argent , ou en m'apprenanč
qui l'a pris ? Fubi que dites-vous ? ce n'est perſon
ne. Il faur , qui que ceſoisqui ait fait le coup , qu's
>

vec
COM E DI E.
vec beaucoup de foin on ait épié l'heure ; & l'on a
choiſi juſtement le temps que je parlois àmon trai
ſtre de fils. Sortons. Je veux aller querir la juſtice ,
& faire donner la queſtion à toute ma maiſon ; à
ſervantes,à valets,afils, à fille, &à moy auſi. Que
de gens aſſembleż ! Je ne jette mes regards ſur per
ſonne, qui nemedonne des ſoupçons , & tout me
ſemble mon voleur. Eh : dequoyeſt-cequ'on parle
la ? de celuy qui madérobé? Quel bruitfait -on là.
haut : eſt- cemon voleur quiy eft ? De grace , ſi l'on
içait des nouvelles de mon voleur, je ſuplie quel'on
m'en diſe. N'eſt -il point caché là parmivous ? Ils
me regardent tous , &ſe mettent à rirç. Vous verrez
qu'ils ontpart , ſans doute , au vol que l'on m'a fait.
Allons viſte , des Commiſſaires , des Archers , des
Prevoſts, des Juges , des Geſnes, des Potences , & des
Bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde ; &
li je ne retrouve mon argent , jemependray moy
même aprés.
Fin du quatrieme AEtc.

ACTL
L 'AV ARE ,

A C T E V.
SCENE I.
HARPAGON , LE COMMISSAIRE ,
SON CLER C.

LE COMMISSAIRE,
Dieu
merci : Ce n'eſt pas d'aujourd'huy que je me
meſe de découvrir des vols ; & je voudrois avoir au
tant de ſacs de mille francs que j'ay fait pendre de
perſonnes.
HA Å PAGO N.
Tous les Magiſtrats ſont intereſſez à prendre cette
affaire en main ; & fi l'on ne fait retrouver mons
gent , je demanderay jeſtice de la juſtice.
LE COMMISSAIRE,
Il faut faire toutes les pourſuites requiſes. Vous di
tes qu'il y avoit dans cette caſiette !
HA RP AGON,
Dix mille écus bien contez.
LE COMMISSAIRE.
Dix mille écus.
HA K P A GO N.
Dix mille écus.
LE COMMISS A IR E.
Le vol eſt conſiderable,
HA A P A GO N.
Il n'y a point de ſupplice aſſez grand pour l'e.
normité de ce crime >, & s'il demeure impuni, les
choſes les plus facrécs ne ſont plus en ſeurete
LE COMMISSAIRE.
En quelles eſpeces eſtoit cette ſomme ?
HAR
COM E D I E.
HA RP AGON.
En bons Louis d'or , & piftoles bien trébuchantes,
LE COMMISSA IR ,
Qui ſoupçonnez -vous de ce vol ?
H A R P A GO N.
Tout le monde ; &je veux que vous arreſticz pri
ſonniers la ville & les Fauxbourgs.
LE COMMISS A I R E.
Il faut ., ſi vous m'en croyez , n'effaroucher perſon
ne >, & taſcher doucement d'attraper quelques preu .
ves , afin de proceder aprés par la rigueur, au recou
vrement des deniers qui vous ont eſté pris.
SCENE II.
M. JACQUES , HARPAGON ,> LE
COMMISSAIRE , SON CLER.C.
M. JACQUIS, au bout du Theatre , en
fe resournant du coſtó dont ilfort.
E m'en vais revenir. Qu'on me l'égorge tonta
I'heure ; qu'on me luy faſſe griller les pieds , qu'on
me le mette dans l'eau bouillante , & qu'on mele
pende au plancher.
HA RP AGON .
Qui i çeluy qui m'a dérobé ?
M. J AC OU E s.
Je parle d'un cochon de lait que voſtre Intendant
me vient d'envoyer , & je veux vous l'accommoder
à ma fantaiſie,
H A RP AGO N.
Il n'eſt pas queſtion de cela; & voilà Monſieur ,
à qui il faut parler d'autre choſe.
LE COMMISSAIR E.
Ne vous épouvantez point. Je ſuis homme à ne
vous point ſcandaliſer ; & les choſes iront dans la
douceur.
M. JAC
୨୦ . L ' A V A RE,
M. JACQU & S.
Monſieur eſt de voſtre ſoupé ?
LE COMMISSAIR E.
Il fautici , mon cher amy >, ne rien cacher à voſtre
Maiſtre.
M. JACQU E S.
Ma foy , Monſieur , je montreray tout ce que je
ſçay faire ; & je vous traitteray du mieux qu'il me ſes
ra poſlible.
H A R PAG ON.
Ce n'eſt pas là l'affaire.
M. JacOU E S.
si je ne vous fais pas auſſi bonne chere que je vou
drois , c'eſt la faute de Monſieur voſtre Intendant ,
qui m'a rogné les aiſles avec les cizeaux de ſon oeco
noinie.
HARPAGO N.
Traiftre , il s'agit d'autre choſe quedeſouper ; &
je veux que tu me diſes des nouvelles de l'argent
qu'on m'a pris.
M. JACQU E S.
On vous a pris de l'argent ?
HARP AGON.
Ouy , coquin ; & jem'en vais te faire pendre , ſi
9

tu ne me le rends.
LE COMMISS AIR E.
Mon Dieu , ne le maltraittez point. Je vois à la mi
ne qu'il eſt honneſte homme; & que ſans ſe fai.
re mettre en priſon , il vous découvrira ce que vous
voulez ſçavoir. Ouy , mon amy, ſi vous nous con
feſſez la choſe , il ne vous ſera faitaucun mal >, &
vous ſerez recompenſé comme il faut par voſtre
Maître. On luy a pris aujourd'huy ſon argent , & il
n'eſt pas que vousne ſçachiez quelques nouvelles de
cetteaffaire.
M. JACQUES, à part.
Voici juſtement ce qu'il mefautpour mac vanger
de
C O M E DI E. 91 .
de noſtre Intendant : depuis qu'il eſt entré ceans, il
eſt le favori , on n'écoute que ſes conſeils ; & j'ay
auſſi ſur le cour les coups de baſton de tantoſt.
ay
HAR AGON.
Qu’as-tu à ruminer ?
LE COMMISS AIRE.
Laiſſez lefaire. Il ſe prepare à vous contenter ; &
je vous ay bien dit qu'il eſt honneſte homme.
M. JACQU E s.
Monſieur, ſi vous voulez que je vous diſe les cho.
fes , je croy que c'eſt Monſieur voſtre cher Inten
dant qui a fait le coup.
H A R É A GO N.
Valere
M. JACQUES
Ouy .
HARP AGON,
Luy , qui me paroiſt li fidelle ?
M.JACQUES.
Lay-même. Je croy que c'eſt lay qui vous idé.
robé.
HAR PAGO N.
Et ſur quoy le crois- tu ?
M. JACQU E S.
Sur quoy ?
H A R P A GO N.
Ouy.
M. JACQU E s.
Je le croy .... Sur ce que je lecroy.
LE COMMISS A IR E.
Mais il eſt neceſſaire de dire les indices que vous
evez ,
H A R P A GON.
L'as-tu veu roder autour du lieu , où j'avois mis
mon argent
M. JACQU E s.
Ouy , vrayment. Où eſtoit-ilvoſtre argent ?
HAX
92 L' A V A RE ,
HA A P AGON .
Dans le Jardin.
M. JACQU E S.
Juſtement. Je l'ay veu roder dans le Jardin. Et
dansquoy eſt - ce que cet argent eſtoit ?
HARPAGO N.
Dans une caſſette.
M. JACQU E S.
Voilà l'affaire. Jeluy ay veu une caſſette.
H A RP AGON .
Et cette caſſette comment eſt -elle faite ? Je verray
bien li c'eſt la mienne.
M. J ACRU I So,
Comment elle eſt faite ?
H A RP AGON.
Ouy
M. JACQU I $.
Elle eſt faite.... Elle eſt faite comme une caſſette.
LE COMMISSA I R E.
Cela s'entend. Mais dépeignez la un peu pour
voir.
M. JACQUES.
C'eſt une grande caſſerre.
H A RP A @ON .
Celle qu'on m'a volée eſt petite.
M. JACQU E s.
Eh , ouy , elle eſt petite , ſi on le veut prendre
par là ; mais je l'appelle grande pour ce qu'elle con
tient,
LE COMMISSAIR E.
Er de quelle couleur eſt elle ?
M. JACQ4 I S.
De quelle couleur
LE COMMISSAIRE .
Ouy.
M. JACQU E s.
Elle eſt de couleur... Là d'une certaine couleur...
Ne ſçauriez - vous m'aider à dire ?
HAR
C O M E DI E.
H A R BA & O X.
Euh
M. JACQU E So
N'eſt-elle pas rouge ?.
HA A P A GO N.
Non , griſe.
M. JACQU E s,
Eh , ouy , gris- rouge; c'eſt ce que jevoulois dire.
HARPAGON .
Il n'y a point de douce. C'eſt elle aſſurément. E.
crivez , Monſieur , écrivez fa depoſition. Ciel ! à
qui deſormais fe fier : il ne faut plus jurer de rien ;
& je crois après cela que je ſuis homme à me voler
moy -même,
M , JACQU & s.
Monſieur, le voici qui revient. Ne luy allez pas di.
re, au moins , que c'eſt moy qui vous ay découvert
cela ,

SCENE III.
VALERE , HARPAGON , LE COM,
MISS AIRE , SON CLERC ,
M. JACQU E S.
H A RP AGON .
Approche. Vien confeffer l'a& ion la plus noire ,
l'attentat le plus horrible , qui jamais ait efté com
mis.
VALERE,
Que voulez -vous ,
Monſieur ?
HARPAGO N.
Comment , traiſtre, tu nc rougis pas de ton crime?
V ALEXE
De quel crimevoulez- vousdonc parlera
H A R P AGON .
De quel crime je veux parler , infame, comme fi
tu ne ſçavois pas ce que je vçux dire. C'eſt en vain
quc
94 L' A VAR E ,
que tu pretendrois le déguiſer.' L'affaire eſt dé.
couverte , & l'onvient de m'apprendre tout. Com
ment abuſer ainſi de ma bonté, & s'introduire ex
prés chez moy pour me trahir ? pour me jouer un
tour de cette nature ?
VAL ER E.
Monſieur , puis qu'on vous aa découvert tout, je
>

ne veux point chercher de détours , & vous nier la


choſe.
M. JACQU E S.
Oh , oh, Aurois- je devineſans y penſer ?
V A L E R E.
C'eſtoit mon deſſein de vous en parler , & je vou
lois attendre pour cela des conjonctures favorables ,
mais puis qu'il eſt ainſi, je vous conjure de ne vous
point faſcher , & de vouloir entendre mes raiſons.
HARP A GO N.
Et quelles belles raiſons peux-tu me donner , vo
leur infame ?
V A LEX E
Ah ! Monſieur , je n'ay pas merité ces noms. Il
eft vray que j'ay commis uneoffenſe enversvous ;
mais apres tout ma faute eſt pardonnable.
HARPAGON.
Comment pardonnable ? Un guet-à-pend ? Un af.
faſſinat de la ſorte
V A L E RE.
De grace , ne vous mettez point en colere. Quand
vous m'aurez oüi , vous verrez que le mal n'eſt pas
ſi grand que vous le faites.
HAR PAGO N.
Le mal n'eſt pas li grand que je le fais ? Quoy mon
ſang , mes entrailles , pendart ?
V A L E R E.
Voſtre ſang , Monſieur , n'eſt pas tombé dans de
mauvaiſes mains. Je ſuis d'une condition à ne luy
point faire de tort, & il n'y a rien en tout ceci que
jc ne puiſſe bien reparer,
HAR

C O M E D I E, 95
H A RP AGON.
C'eſt bien mon intention , & que tu me reftituës
ce que tu m'as ravi.
VALIK E.
Voftre honneur >, Monſieur , ſera pleinement ſatis
fait.
H A RP AGON.
Il n'eſt pas queſtion d'honneur là dedans. Mais ,
dis moy , qui t'a porté à cette action ?
V A L E R E.
Helas ! mele demandez-vous ?
H A R P A G ON.
Ouy , vrayment , je te ledemande.
> >

VALERE
Un Dieu qui porte les excuſes de tout ce qu'il fait
ES faire : l'amour.
HAR P A G O N.
FO L'amour
V.A L E & E.
Ouy .
HARP AGON .
Bel amour , bel amour , ma foy ! l'amour demes
>
Louis d'or..
V AL E RE.
Non , Monſieur, cene ſont point vos richeſſes qui
m'ont tenté , ce n'eſt pas cela qui m'a ébloui , & je
proteſte de ne pretendre rien à tous vos biens , pour
veu que vous me laiſſiez celuy que j'ay.
HARP A GON.
Non feray , de par tous les diables , je nete le laiſ
>

ſeray pas. Mais voyez quelle inſolence , de vouloir


retenir le vol qu'ilm'a fait ?
VALER E.
Appellez -vous cela un vol ?
H AR PPAGO N.
Si je l'appelle un vol : Un treſor comme celuy
là,
96 L'A ' V A A R E ;
VALERE,
C'eft on treſor , il eſt vray , & le plus précieux
que vous ayez ſans doute; mais cene ſera pasle
perdre , que de me le laifſer. Je vous le demande
à genoux , ce treſor plein de charmes ; & pourbien
faire , il faut que vous me l'accordicz ,
HAR PAGO N.
Je n'en feray rien . Qu'eſt -ce à dire cela
V ALBRE.
Nous nous ſommes promis une foy mutuelle , &
avons faic ſerment de ne nous point abandonner .
HA RPAGO N.
Le ſerment eſt admirable , & la promeffe plui.
fante !
VALER 1 .
Ouy > nous nous ſommes engagez d'efre l'un :
l'autre à jamais.
HARPAGON.
Je vous en empeſcheray bien , je vous aſſure.
VALER B.
Rien que la mort nc nous peut ſeparer,
HARPAGO N.
C'eſt eftre bien endiablé aprés mon argent,
VALERS
Je vous ay déja dit , Monſieur, que ce n'eſtoit
poịnt l'intereft qui m'avoit pouſſé à faire ce quej'ay
fait. Mon coeur n'a point agi par les refforts que
vouspenſez , & un motif plus noblem'a inſpiré cet.
te reſolution .
>

HA RP AGON.
Vous verrez que c'eſt par charité Chreſtienne qu'il
veut avoir mon bien ; mais j'y donneray bon ordre ;
& la juſtice , pendart effronté , me va faire raiſon de
tout.
VALER E.
Vous en uſerez comme vous voudrez , & me voilà
preft à ſouffrir toutes les violences qu'il vous plaira ;
mais je vous pric de croire >, au moins, que s'il y a du
mal ,
COM E DIE. 97
mal , ce n'eſt que moy qu'il en faut accuſer, & que
yoſtre fille en tout ceci n'eſt aucunement coupable.
HARPAGON.
Je le croy bien , Vrayment; il ſeroit fort étrange
que ma fille quſt trempédans ce crime. Mais je veux
L’avoir mon affaire , & quetume confeſſes en quel
endroit tu mcl'as enlevée.
V. A LÉRE.
Moy ? Je ne l'ay point enlevée , & elle eſt encore
chez vous .
1
H A R P A GO N.
Omachere chaſſette! Elle n'eſt pointſortiede ma
maiſon,
VALE R E.
Non , Monſieur.
HARP AGON.
Hé , dis-moy donc un peu ; Tu n'y as point tou.
>

ché ?
V AL L R E.
Moy , y toucher ! Ah ! vousluyfaites tort , auffi
bien qu'à moy; & c'eſt d'une ardeur toute pure &
reſpectueuſe , quej'ay brûlé pour elle.
HAR PAGON .
Brûlé pour ma caſſette!
VALERE
J'aimerois mieux mourir que de luy avoir fait pa.
roiſtre aucune penſéc offençante. Elle eſt trop ſage &
trop honneſte pour cela.
HAR PAGO N.
Ma caſſette trop honneſte !
V A L E R E.
Tous mes deſirs ſe ſont bornez à jollir de fa veuë ;
& rien de criminel n'a profané la paſſion que ſes
beaux yeux m'ont inſpiré.
HARP AG ON.
Les beaux yeux de ma caſſette ! Il parie d'elle ,
comme un amant d'une Maiſtreſſe.
E VA
I' A V A RE ,
VALE R E.
Dame Claude , Monſieur , ſçait la verité de cette
avanture , & elle vous peutrendre témoignage...
H A R 'PA'GO N.
Quoy , ma ſervante eſt complice de l'affaire ? [
V A L'ERE.
Ouy , Monſieur, elle a eſté témoin de noſtre enga .
gement ; & c'eſt aprés avoir connu l'honnęſtere de
ma fâme , qu'elle m'a aidé à perſuader voſtre fille de
me donner ſa foy, & recevoir la mienne.
H À A P A G O N.
Eh ! Eſt - ce que la peur de la juſtice le fait extrava
guer ? Que nous broüilles- tu ici dema fille
V ALER
Je dis , Monſieur, que j'ay eu toutes les peines du
monde à faire conſentir la pudeur à ce que vouloit
mon amour.
HARP AGON,
La pudeurde qui ?
V A L E RE
De voſtre fille ; & c'eſt ſeulement depuis hier
qu'elle a půſe réſoudre à nous figner mutueliement
une promeſſe de mariage
H A RP AGON .
Ma fille t'a Gigné une promeſſe de mariage ?
VALERE.
Ony , Monſieur ; comme de mapart je luy en ay
figné une.
HARPAGO N.
O Ciel ! autre diſgrace !
M. JACQU E s.
Ecrivez , Monſieur , écrivez .
HARP AGON.
Rengregement de mal ! Surcroiſt de deſefpoir !
Allons, Mongeur , faites le deu de voſtre charge ,
& dreſlez -luy moy ſon procés , comme larron , &
comme ſuborneur,
V 4
COM E D I E, 99
V A L E R B.
Ce ſont des noms quine me ſont point deus ; &
quand on ſçaura qui je ſuis....
SCENE I V.
ELISE , MARIANE , FROSINE , H AR
>

PAGON , VALERE , M. JACQUES ,


LE COMMISSAIRE ,
1 SON CLER C.

H A R P A GON,
AH ! fille ſcelerate ! fille indigne d'un Pere com
me moy ! C'eſt ainſi que tu pratiques les leçons
que je t'ay données ! Tu te laifles prendre d'amour
pour un voleur infame, & cu luy engages ta foy ſans
mon conſentement ? Mais vous ſerez trompez l'un
& l'autre. Quatre-bonnes murailles me répondront
de ta conduite; & une bonne potence , pendart ef
fronté , mefera raiſon de son audace.
VALE ,
Ce ne ſera point voſtre paſion qui jugera l'affaire ,
& l'on m'écoutera , au moins , avant que de me
condamner.
HARP AGON .
Je me ſuis abuſé de dire une potence ; & tu ſeras
roué tout vif.
EL IS E , à genoux devantfon Tere.
Ah ! mon Pere , prenez des ſentimens un peu plus
humains , je vous prie , & n'allez point poufferles
choſes dans les dernieres violences du pouvoir pa
ternel: Ne vous laiſſez point entraiſuer aux premiers
mouvemens de votre paſſion , & donnez-vous le
- temps de conſiderer ce que vous voulezfaire. Prc
nez la peine de mieux voir celuy dont vous vous of
fencez : Il eſt tout autre que vos yeux ne le jugent,
& vous trouverez moins étrange que je me suis don .
E 2 néc
100 L ' A V A RE,
née à luy , lors que vous ſçaurez queſans luy vous
ne m'auriez plus il y a long-temps. Qui'mon Pere ,
c'eſt celuy qui me fauva dece grand peril quevous
ſçavez que je courus dans l'eau , & à qui vous devez
Ja vie de cette même fille , dont....
HARPAGON.
Toute cela n'eſt rien ; & il valoit bien mieux pour
moy , qu'il te laiſſât noyer , que de faire ce qu'il a
fait.
E L I S R.
Mon Pere , je vous conjure, par l'amourpaternel ,
de me....
>

HAR PAGON
Non , non , je ne veux rien entendre ; & il faut
.

que la juſtice faſſe fon devoir.


M. , ACQUES.
Tu me payeras mes coups de bafton,
FROSINE .
Voici un étrange embarras.
SCENE V.
ANSEL ME > HARPAGON , ELISE ,
MARIANE , FROSINE , VALERE ..
M. JACQUES , LE :COMMIS
SAIRE , SON CLER C.
ANSELM 2

Qu'eſt-ce,
émeu ?
Seigneur Harpagoni , je vous vois tout
H A R P A GON.
Ah ! Seigneur Anſelme, vous me voyez le plus in
fortuné de tous les hommes ; & voici bien du troua
ble & du delordre au contract que vous venez faire !
On m'aſſaſline dans le bien , on m'affalſine dans
l'honneur ; & voilà un traitre , un ſcelerat , qui a
violé tous les droicts les plus faints ; qui s'éit coulé
chez
C O M E DI E. TOT
chez moy ſous le titre de domeſtique , pourmedé
rober mon argent , & pour me ſuborner ma fille.
V AL ER E.
Qui ſongeà voſtre argent , dont vous me faites un
galimathias
HARPAGO N.
Oui, ils ſe ſont donnez l'un & l'autre une proneſ
ſe de mariage. Cet affront vous regarde , Seigneur
Anſelme; & c'eſt vous qui devez vous rendrepartic
contre luy, & faire à vos dépens toutes les pourſuites
de la juſtice, pour vous vanger de ſon inſolence.
ANSELM E.
Ce n'eſt pas mon deſſein de me faire épouſer par
force , & de rien prétendre à un coeur quiſe ſeroit
donné ; mais pour vos interêts , je ſuis preſt à les
embraſſer ainſi que les miens propres.
HAR PAGO N.
Voilà Monſieur , qui eſt un honneſte Commiſſai
re , qui n'oubliera rien à ce qu'il m'a dit, de la fon
& ion de ſon office. Chargez. le commeil faat, Mon
ficur , & rendez les choſes bien criminelles.
VA LE R E.
Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la
paſſion que j'ay pour votre fille , & le ſupplice où
vous croyez que je puiſſe eftre condamné pour no
tre engagement , lors qu'on fçaura ce que je ſuis....
H A RPAGON.
Je me moque de tous ces contes ; & le mondeau .
jourd'huy n'eſt plein que de ces larrons de nobleffe,
que de ces impoſteurs , qui tirentavantage de leur
obſcurité , & s'habillent infolemment du premier
nom illuſtre qu'ils s'aviſent de prendre.
V ALERE,
M
Sçachez que j'ay le coeur trop bon , pour me
parer de quelque choſe qui ne ſoit point àmoy , &
que tout Naples peut rendre témoignage de ma nair.
fance,
E3 A N
102 L ' A V A RE ,
ANSELME,
Tout beau . Prenez garde à ce que vous allez di
re. Vous riſquez ici plus que vous ne penſez ; &
vous parlez devant un homme à qui tout Naples
eft connu , & qui peut aiſément voir clair dansPhie
Itoire que vous ferez .
VALERE , en mettant fierement ſon chapeau.
Je ne ſuis point homme à rien craindre ; & fi Na
ples vous eſt connu , vous ſçavez qui eſtoit D. Tho.
mas d'Alburci .
ANSELM E.
& peu de gens l'ont connu
* Sans doute je le ſçay ;
mieux que moy.
HA RP AGON ,
Je ne me ſoucie , ny de D. Thomas , by de Dom
Martin.
ANS ELME.

Degrace , laiſſez -le parler , nous verrons ce qu'il


en veut dire.
VALERE,
Je veux dire que c'eſt luy qui m'a donné le jour.
ANS EL ME.
Luy ?
VALI & E.
Oui.
ANSELM E.
Allez, Vous vous mocquez. Cherchez quelque
autre hiſtoire, qui vous puiſſe mieux reüllir ; & ne
prétendez pas vous fauver ſous cette impofture.
VALE R E.
Songez à mieux parler. Ce n'eſt point une im
pofture ; & je n'avance rien ici qu il ne me ſoit aiſé
de juſtifier.
ANSELM B.
Quoy vous ofez - vous dire fils de D. Thomas d'Al .
burcis
COM'E DI E. 10

VACE R E.
Ouy , je l'oſe ; & je ſuis:preft de ſolltenir cette ve.
rité contre qui que ce ſoit.
ANS ELM E.
L'audace eſt merveilleuſe. Apprenez , pourvous
confondre , qu'il y a ſeize ans pour le moins , que
l'homme dont vous nous parlez , perit ſur mer avec
>

ſes enfans & ſa femme, en voulant dérober leur vie


aux cruelles perſecutions qui ont accompagné les
deſordres de Naples, & qui en firent exiler pluſieurs
nobles familles.
V AL ER E.
Oui: Mais apprenez , pour vous confondre ,vous,
que ſon fils âgé deſeptans , avec un domeſtique ,
fur ſauvé de ce naufrage par un Vaiſſeau Efpagnol,
& que ce fils ſauvé eſtceluy qui vous parle. Appre
nez que le Capitaine de ce Vaiſſeau , touché de ma
fortune , prit amitié pour moy ; qu'il me fit élever
comme ſon propre fils , & que les armes furent mon
employ dès que je m'en trouvay capable Que j'ay
fçeu depuis peu , que mon Pere n'eſtoit pointmort >
come je l'avois toûjours crû ; que paſſant ici pour
l'aller chercher , une avanture par le Ciel concertée ,
me fit voir la charmante Elife ; que cette veuë me
rendit eſclave de ſes beautez ; & que la violence de
mon amour , & les ſeveritez de ſon Pere , me firent
prendre la reſolution de m'introduire dans ſon lo.
gis , & d'envoyer un autre à la queſte demes pa
rens,
ANSELM E.
Mais quels témoignages encore , autres que vos
paroles , nous peuvent aſſurer que ce ne ſoit point
une fable que vous ayez baftie ſur une verité ?
VALERE .
Le Capitaine Eſpagnol; un cachet de rubis qui
eftoit à mon Pere ; un bracelet d'agathe que ma Me.
se m'avoit mis au bras ; le vieux Pedro , ce domic .
fique , qui ſe fauva avecmoy du naufrage.
E 4 MA
104 L ' A V A RE,
MART A N E.
Helas ! à vos paroles, je puis ici répondre , moy ,
que vous n'impoſez point ; & tout ce que vous di.
tes, me fait copeoitre clairement que vous eftes
mon Frere.
VALERE ,
Vous , ma soeur !
M Á R I A N e.
Ouy , mon coeur s'eſt émeu , dés le moment que
vous avez ouvert la bouche; & noftre Mere que vous
allez ravir , m'a mille fois entretenuë des diſgraces
de noſtre famille. Le Ciel ne nous fit point auffi pe
rir dans ce triſte naufrage ; mais il ne nous ſauva la
vie que par la perte de noſtreliberté ; & ce furent
des Corſaires qui nous recueillirent, ma Mere , &
moy , ſur un debris de noſtre vaiſſeau. A présdix
ans d'eſclavage , une heureuſe fortune nous rendit
noſtre liberté , & nous retournames dans Naples ,
où nous trouvâmes tout noftre bien vendu, fansy
pouvoir trouver des nouvelles de noftre Pere. Nous
paſlåmos à Gennes , où ma Mere alla ramaſſer quel .
ques malheureux reftes d'une ſucceſſion qu'on avoit
déchirée ; & de là , fuyant la barbare injuſtice de ſes
parens, elle vint en ces lieux , où elle n'a preſque
veſcu que d'une vic languiffante.
ANSEL M E.
O Ciel! quels ſont les traits de ta puiſſance ! &
que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toy de
faire des miracles. Embraflez-moy ,3 mes enfans ,
& meſlez tous deux vos tranſports à ceux de voſtre
Pere.
VA L E Å E.
Vous eſtes noftre Pere ?
MARIA N E.
C'eſt vousque ma Mere a tant pleuré ?
ANSE I M E.
Oui, ma Fille , oui mon Fils , je ſuis D. Thomas
d'Al .
COM E DI E.. . IOS
d’Alburci, que le Ciel garantit des ondes avec tout
l'argent qu'il portoit, & qui vousayanttous crů
morts durant plus de ſeize ans, ſe preparoit aprés de
longs voyages, à chercher dans l'hymen d'une dous
ce & ſage perſonne, la conſolation dequelque nou
velle famille. Le peu de ſeureté que j'ay veu pour
ma vie , à retourner à Naples, m'a fait y renoncer
pour toûjours ; & ayant fçeu trouver moyend'yfai
re vendre ce que j'y avois ; je me fuis habitué ici , où
ſous le nom d'Anſelme j'ay voulu in'éloigner les
chagrins de cet autre nom qui m'a cauſé tantde tra
verſes.
HAR PAGO N.
C'eſt là voſtre Fils ?
ANSELM E.
Oui.
H AR PAGO N.
Je vous prens à partie , pour mepayer dix mille
écus qu'il m'a volez.
ANS ELME
Luy , vous avoir volé ?
HARPAGO N.
Luy -même.
V A L R E.
Qui vous dit cela :
H'A PAGO N.
Maiſtre Jacques.
VALER E.
C'eſt toy qui le dis ?
)
M. JACQUES,
Vous voyez que je ne dis rien,
H A RP AGON
Oui. Voilà Monſieur le Commiſſaire qui a receu
ſa depoſition. VALERE .
: Pouvez -vous me croire capable d'uneaction lila
che ?
на B •
106 L ' A V A RE , ' ,
H A & PAGON.
Capable , ou non capable >, je veux r'avoir mon ar
gent.

SCENE, VI. VL
CLEANTE , VALERE , MARIANE , E
LISE , FROSINE , HARPAGON , .

ANSELME , M. JACQUES , LA
FLECHE , LE COMMISS Al
RE , SON CLER C.
CLI A NIE.
Ne vous touimentez point , mon Pere , & n'accu
ſez personne. J'ay découvert des nouvelles de vô.
tre affaire , & je viens ici pour vous dire , que li
vous voulez vous reſoudre à me lailler épouſer Ma
riane , voftre argent vous ſera rendu.
HARPAGON.
Où eſt- il
CLEAN I E.
Ne vous en nietiez point en peine , 11 eſt en lieu
dont je répons, & tout ne dépend que de moy. C'eſt
à vous de medire à quoy vous vous determinez; &
vous pouvez choiſir , ou de me donner Mariane ,
ou de perdrevoſtre caſerte.
HA A PAGON ,
N'en a- t on rien ofté ?
CLEAN I E.
Rien du tout Voyez ſi c'eſt voftre deſſein de fou
faire à ce mariage , & de joindre voſtre conſente 1
ment à celuy de la Mere , quiluy laiſſe la liberté de
faire un choix entre nous deux . 1
MARIAN E.
Mais vousne ſçavez pas , que ce n'eſt pasaſſez que I
ce conſentement; & que le Ciel , avec un Frere que
vous voyez >, vient de me rendre un Pere dont vous
avez à m'obtenir,
AN
COME DI E. 107
ANS EL M E.
Le Ciel , mes enfans, ne me redonne point àà vous,
pour eftre contraire à vos voux, Seigneur Harpa
gon , vous jugez bien que le choix d'une jeune per
>

lonne tombera ſurle filsplutôt que ſur le Pere. "Al


lons, ne vous faites point dire ce qu'il n'eſt pas ne
ceſſaire d'entendre , & conſentez ainſi quc moy à ce
double hymenée.
HARP AGON.
Il faut, pour me donner conſeil , que jevoic ma
caſſette.
CLEANI ..
Vous la verrez faine & entiere..
HARPAGON.
Je n'ay point d'argent à donner en mariage à mes
enfans,
ANS Í L M E.
Hé bien , j'en ay pour eux , que cela ne vous in
quiere point .
HARPAGO N.
Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces
deux mariages ?
ANSELM E.
Oui , jem'y oblige. Eftes- vous ſatisfait ?
HARPAGO N.
Oui, pourveu que pour les Noces vous me fal
fiez faire un habit.
ANSELM B.
D'accord. Allons jouir de l'allegreffe qae cet heu
reux jour nous preſente.
LE COMMISSAIRE
Hola , Meſieurs , hola . Tout doacement, s'il
vous plaiſt. Qui mepayera mes écritures.
H A R P AGON .
Nous n'avons que faire de vos écritures.
LE COMMISSAUR E.
3
Oui, mais je ne precens pas , moy , les avoir fai
Les pour rien.
над
108 L'A VARE , COMEDIE .
HAR, P A GON.
Pour voſtre pavement , voilà un homme que je
-vous donne à penure.
M. JACQUES.
Helas ! comment faut-ildonc faire? On medon
ne des coups de bafton pour dire vray.; & on me
veutpendre pourmentir.
A N S ELME..
Seigneur Harpagon , il faut, luy pardonner cette
impoſture.
H A Ř P À GON.
Vous payerez donc le Commiſſaire ?
ANSELM E.
Soit. Allons vifte faire part de noftre joie à voſtre
Mere,
H A R P A Ġ ON,
Et moy , voir machere caffette.
F 1 N
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1
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