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ROMÉO

ET

JULIETTE ,

TRAGÉDIE .

EN CINQ ACTES ,

ET EN VERS..

Par Monfieur DUCIS.

* YGS
NOUVELLE EDITION.

*** 052

APARIS ,

Chez RUAULT , Libraire ,

rue de la Harpe.

{e ==} nf0nt;soun

M. DCC. LXXVII.
D

您 B

ACTEURS.

FERDINAND , Duc de Véronne.

MONTAIGU , grand Seigneur , Chef de la faction


des Montaigus .
CAPULET , autre grand Seigneur , Chef de la
faction des Capulets .

ROMÉO , fils de Montaigu.

JULIETTE , fille de Capulet.

ALBÉRIC , ami de Roméo .


FLAVIE, Confidente de Juliette.

UN OFFICIER.

GARDES.

SOLDAT S.

COURTISANS de la fuite de Ferdinand.

PARTISAN S de la Maifon de Montaigu.

PARTISANS de la Maifon de Capulet.


VI
T

MON

La Scène et à Véronne. Le Théâtre représente le Pa


lais de Capulet durant les quatre premiers Actes ,
& durant le cinquieme , lafépulture commune aux
deur Maifons.

GESCHENK
FRESENIUS
SENATE SALE

uff equpitia auminni

ROMEO , 501

MONAL
E T

JULIETTE ,

TRAGÉDIE.

中:
明:: 台中佧密

ACTE PREMIER.

Samome. kanpotiffio & qui


www.pochamcord

SCENE PREMIERE.

JULIETTE , FLAVIE.

FLAVIE.

Q Uoi ! toujours votre cœur occupé de fes craintes


Du moindre événement recevra des atteintes !
Quelque bruit indifcret qu'on fe plaite à femer ,
Le croirez-vous d'abord , s'il peut vous allarmer ?
Et qu'importe , après tour , aux feux de Juliette ,
Qu'un Vieillard malheureux , forti de fa retraite ,
Des monts de l'Appennin chaffé par fon ennui ,
Exifte dans Véronne & s'y cache aujourd'hui ?
De votre Amant plutôt rappellez - vous la gloire.
Penfez à Dolvédo , fongez à fa victoire ;
Dans le dernier combat , fongez par quel fecours
De notre jeune Duc il a fauvé les jours ;
Oui , Ferdinand churmé , reconnoît & publie
Qu'il doit à fa valeur fon triomphe & fa vie.
Le fier Duc de Mantoue , enflé de fes fuccès ,
A 2
5 KOME'O ET JULIETTE
Enfin , couvert de honte , a vu fuir fes fujets
Bientôt nos ennemis , preffés par leurs allarmes ,
Vont demander la paix , vont dépofer les armes.
Leur vainqueur ici-même eft prêt à revenir :
Voilà fur quels fujets il faut m'entretenir.
JULIETTE .
Flavie , eh crois- tu donc qu'il me foit fi facile ,
D'adorer un Amant avec un cœur tranquille ?
Tu fais dans notre amour , quels obftacles nombreux
Ecartent loin de nous tout espoir d'être heureux .
Mon pere , en Dolvédo , n'honore , & n'enviſage..
Qu'un guerrier parvenu , fameux par fon courage.
Non qu'à tant de vertus il ne foit attaché ,
Mais c'eft du fang fur-tout ; du fang qu'il eſt touché.
Senfible aux grands exploits d'un Héros magnanime
Il le chérit fans doute , il le vante , il l'eftime ;
Mais comment un mortel , fans parens , fans appui ,
Prétendroit- il jamais à s'allier à lui.
FLAVIE.
Ce généreux Guerrier n'a donc point fu connoître
Ni quels font fes parens , ni quel fang l'a fait naître.
Faut- il qu'en le formant le fort injurieux ,
Dans un rang qu'on dédaigne ait caché fes ayeux ?
Ah ! fi du moins l'éclat d'une origine illuftre
A tant d'heureux exploits prêtoit un nouveau luftre !
Si le Ciel eût permis qu'un Héros fi vanté
Fût né dans la grandeur & la prospérité !
Il auroit dû fortir du fang le plus augufte .
JULIETTE.
Et fi le Ciel , Flavie , eût été moins injufte.
S'il eût...
FLAVIE.
Quoi !
JULIETTE.
Sur ton cœur je peux me confier ,
Et le mien devant toi va s'ouvrir tout entier.
FLAVIE.
Parlez.
JULIET. T E.
Ce Dolvédo qui m'aime , que j'adore ,
Que Ferdinand cherit , que tout Véronne honore ...
FLAVIE.
Hé bien!
JULIETTE.
C'est Roméo .
FLAVIE.
Qu'ai - je entendu ? c'eft lui!
Lui du plus noble fang l'efpérance & l'appui ;
Le fils de Montaigu , de ce vertueux pere ,
เค
TRAGEDIE. 5
A qui l'inimitié fut toujours étrangere ;
Citoyen généreux , qui dans fa faction ,
Loin d'attifer la haine & la divifion ,
Condamnoit fes fureurs , & jamais d'aucun crime
Ne fouilla ni fa main , ni fon cœur magnanime ;
Et qui dépuis vingt- ans trop vainement cherché ,
Dans quelque afyle obfcur pour jamais s'eft caché.
JULIETTE.
Hélas ! loin des mortels , de fes fils en filence ,
Dans fes champs vertueux , il cultivoit l'enfance ,
Lorfque pour l'enpriver , de coupables brigands
Entreprirent deux fois d'enlever les enfans.
Roger les fufcitoit , Roger qui de mon pere
N'auroit jamais , hélas mérité d'être frere.
Montaigu combattant contre ces inhumains ,
Arracha Roméo de leurs fanglantes mains .
Prodigue envers fon fils des foins de la nature ,
Il avoit vu déja fe fermer fa bleffure ,
Quand de ces vils brigands l'effort innattendu
Ravit enfin ce fils vainement défendu .
Ce pere alla cacher , après ce coup funefte
De fon fang pourfuivi le déplorable refte.
Il déferta nos bords , de fa perte indigné ;
Et de fes autres fils fuyant accompagné ,
Il emmena Renaud , Raimond , Dolcé , Sévere
Qui tous pleuroient la mort de Roméo leur frere.
Depuis dans nos Etats il n'eft point revenu.
Roméo cependant , fans afyle inconnu ,
Echappé , mais errant , jouet de la mifere ,
Fut reçu par pitié dans les bras de mon pere.
Capulet , tu le fais , porte un cœur généreux.
Il adopta fans peine un enfant malheureux ;
Moi- même , à fon afpe& t , je fentis dans mon ame
Un trouble avant coureur de ma naiffante flamme.
C'est moi qui fur fon fort prompte à l'interroger ,
De fon nom trop fameux compris tout le danger.
Il connut fon péril . J'exigeai , par prudence ,
Que fous un nom vulgaire il cachât fa naiffance.
Que te dirai-je enfin Par fon bonheur fauvé ,
Il fut dans ce Palais avec nous élevé.
Le vaillant Albéric , & Thébaldo mon frere
S'uniffoient avec lui d'un amitié fincere.
Ce n'étoit point affez. Le penchant le plus doux ,
Le befoin de nous voir l'enchaîna parmi nous.
Oui , je m'applaudiffois d'avoir en ma puiffance
Son ame , fes deftins , fes vœux fon espérance.
Je rendois grace au fort , je rendois grace aux lieux
Où mon Amant caché s'élevoit fous mes yeux.
Pourquoi , difois - je , hélas ! déplorant nos miferes
6 ROMEO ET JULIETT ;
Le Ciel qui joint nos cœurs divifa- t-il nos peres ?
Qui fait fi fa bonté , pour les fléchir un jour ,
N'a pas dans les projets fait entrer notre amour
S'il ne l'a pas permis , s'il ne l'a pas fait naître
Pour calmer des fureurs qui cefferont peut être :
Tant les mortels fouvent , dans leur marche incertains ,
Sont pouffés par eux-mêmes à remplir leurs deſtins ¿
FLAVIE.
Mais file fort fouvent par fes jeux nous étonne , )
Ce Vieillard récemment arrivé dans Veronne ,
Etoit ce Montaigu , ce pere infortuné ,
Qu'un fort inexplicable eût ici ramené ;
Si d'un fils qu'il croit mort voyant la cicatrice ,
II l'alloit reconnoître à ce fidel indice !
JULIETTE.
Flavie , ah ! que dis -tu ?
FLAVIE.
Madame , en ce moment ,
J'en conçois malgré moi Pheureux preffentiment.
Voyez dès-lors quels champs s'ouvre à votre espérance :
Roméo réprénant les droits de fa naiffance ,
Votre pere & le fien , ces rivaux généreux ,
Uniffant leur maifons par votre hymen heureux ;
Et pour jamais enfin votre augufte alliance
De leurs fanglants débats étouffant la fémence.
JULIETTE.
Ah ! que mon cœur charmé faifiroit ardemment
L'efpoir inattendu d'époufer mon Amant !
Mais quand je te croirois , quand ce Veillard auftere ,
Seroit de Roméo le déplorable pere
Qu'attendre d'un mortel qu'un horrible deffein
Semble avoir fait fortir des bois de l'Apennin ;
Qui peut- être irrité par quelqu'énorme crime ,
Defcend du haut des monts pour chercher fa victime ,
Et calme en apparence , en effet furieux ,
Amene à pas tardifs , la vengeance en ces lieux .
Je ne fais , mais je tremble à cet affreux préfage.
FLAVIE. 1
Et quel fujet , Madame , exciteroit fa rage ?
De qu'elle haine encor fera-t-il animé ,
En retrouvant un fils fi rendrement aimé ?
JULIETTE.
Mais de mon pere , hélas ! fi le barbare frere
Avoit fur ce vieilard épuifé fa colere :
Car enfin c'eft lui feul qui paya des brigands
Pour perdre Montaigu , pour ravir fes enfans.
S'il l'eût avec adreffe obfervé dans fa fuite !
S'il fe fût attaché pour jamais à fa fuite !
Si cachant fa vengeance , & lent dans fa fureur ,
TRAGEDIE.
D'un forfait fans exemple il eût conçu l'horreur !
J'ignore ces complots ; mais on fait que dans Pife
Du Prince à fes defirs l'ame étoit toute acquife.
Son art d'un tel crédit favoit fe prévaloir ;
Et pour commettre un crime il n'avoit qu'à vouloir.
Depuis plus de vingt ans il a quitté la vie.
Le fang nous uniffoit ; mais entre nous , Flavie ,
Je fentois , jeune encore , un invincible effroi ,
A fon perfide afpe&t , me faifir malgré moi.
Je ne fais quel inftinct , naturel à l'enfance ,
D'un monftre , en le voyant , m'annonçoit la préfence.
Mon cœur en fremiffant fe détournoir de lui ;
Et fon idée encore m'importune aujourd'hui.
Que je hais fa mémoire !
FLAVIE.
Oui, je le vois , Madame ,
Un vain preffentiment avoit féduit mon ame.
Si le Sort eût conduit Montaigu dans ces lieux,
Par un autre appareil il frapperoit nos yeux.
Il n'auroit pas pour fuite un mortel méprifable ,
De fes deftins obfcurs compagnon déplorable.
Il foutiendroit le rang dans lequel il eft né ;
Ses fils , fur-tout , fes fils l'auroient accompagné.
Je me trompois.
JULIETTE.
Crois-moi , ma plus douce efpérance
Eft de voir Roméo , de l'aimer en filence.
Si le Comte Pâris prétendit à ma foi ,
Son amour dédaigné n'attend plus rien de moi.
Jaloux de fa grandeur , mon trop fuperbe pere
A fondé fon efpoir fur l'hymen de mon frere .
Ah ! qu'il voie en fon fils renaître fa maiſon.
Que Theobaldo foutienne , & fon rang & fon nom.
}
Moi , je ne veux qu'aimer. O ma chere Flavie !
A quels feux enchanteurs mon ame eft affervie !
Que Roméo m'eft cher ! oui , nos cœurs étoient nés
Pour vivre & pour mourir l'un à l'autre enchaînés.
Pourquoi.... Mais libre au moins dans le fort qui m'op.
prime ,
Je puis le voir encore , & l'adorer fans crime.
Qu'il l'a bien mérité ! Que fes nobles exploits
Ont bien dans les combats juftifié mon choix !
Il y portoit par-tout fa flamme & mon image.
J'admirois en tremblant fa gloire & fon courage.
Eh ! que font près de lui tous les autres guerriers ?
On me doit fa valeur , on me doit fes lauriers.
Sans moi , fans mon amour , il eût moins fait peut-être.
Mais on vient , laiffe-moi ; fans doute il va paroître.
Je le vois. (Flaviefort. )
ROMEO ET JULIETTE ,

ant Topli mogu

SCENE I I.

ROMEO , JULIETTE .
$
Des Soldats portant des Drapeaux.
ROME O.

( aux Soldats . )

C Ompagnon de mes heureux , travaux


Entrez , dans ce palais dépofcz ces drapeaux .
Ferdinand m'a permis , pour prix de ma victoire ,
D'offrir à Capulet ces marques de ma gloire .
Il fuffit.
( Les Soldats pofent les drapeaux & fe retirent. )
(à Juliette. )
Je puis donc , content & glorieux ,
Madame , avec tranſport reparoître à vos yeux.
Mais quel autre courage enflammé par vos charmes ?
N'eût pas porté plus loin la fplendeur de nos armes ?
Vos fouhaits , mon bonheur , l'amour m'a foutenu .
Pouvois -je aimé de vous demeurer inconnu ?
Etonné de mon fort fans l'être de ma gloire ,
J'ai toujours fans orgueil compté fur la victoire .
Mais quand j'aurois rangé l'Univers fous ma loi ,
Que le prix de ma flamme eft encor loin de moi!
JULIETTE.
Nos feux font , il eft vrai , troublés par des allarmes ;
Mais enfin tel qu'il eft , notre état a fes charmes .
Compteriez -vous pour rien ces entretiens fi doux ,
Ce plaifir de nous voir , toujours nouveau pour nous ;
Ce concert de deux cœurs nés pour fouffrir ensemble ,
Que leur malheur unit , qu'un même lieu raffemble ,
Remplis d'un feu charmant par le fort combattu ,
Mais accordant du moins l'amour & la vertu ?
Fille de Capulet , qui l'eût dit que mon ame
Du fils de Montaigu partageroit la flamme ;
De fes plus jeunes ans que mon pere au befoin ,
Lui-même , à fon infu , devoit prendre le foin ?
Ne te crois pas pourtant né d'un fang que j'abhorre ;
Je naquis Montaigu , puifque mon cœur t'adore.
Voilà le fentiment qui doit feul t'occuper .
ROMEO .
Un effroi cependant vient toujours me frapper ;
Je t'aime , Juliette , & comment fans allarmes ,
Dans tes regards touchans , voir briller tant de charmes ?
Crois-tu
TRAGEDIE.
Crois-tu donc , pour fentir leur traits victorieux ,
Que Roméo lui feul ait un cœur & des yeux ?
Si Capulet , hélas ! ( je crains ma deftinée , )
Te propofoit bientôt un fatal hymenée ,
S'il alloir t'oppofer un barbare devoir :
Je connois de tes pleurs l'invincible pouvoir ,
C'est à toi , Juliette , à déployer leurs charmes ;
I t'aime , il eft ton pere , il te rendra les armes.
Daigneras-tu pour lors me prouver ton amour ?
Mais je le vois .
Frumu ptown **

SCENE III.

CAPULET , ROMEO , JULIETTE.


ROME O.

S Ouffrez que dans cet heureux jour ;


De ces drapeaux , Seigneur , vous préfentant l'hommage
Je m'honore à vos yeux du prix de mon courage.
Formé fur votre exemple , élevé par vos foins....
CAPULET.
De ta haute valeur je n'attendois pas moins.
J'ai vu ton bras vainqueur répandant l'épouvante ,
Porter par-tout la mort & remplir mon attente.
Je connois la vertu d'un cœur tel que le tien.
Sois témoin , tu le peux , de tout notre entretien.
( à Juliette. )
Ma fille , il en eft tems ; je viens pour vous apprendre
Que le Comte Pâris va devenir mon gendre.
Sans doute il en eft digne ; & le Ciel dès demain
Lui verra pour jamais engager votre main.
J'ai tout confidéré : l'intérêt , la naiffance ,
L'inestimable prix d'une illuftre alliance.
Vous favez vos devoirs , j'ai promis ; & je crois
Qu'il ne vous reste plus que d'accepter mon choix,
JULIETTE.
Seigneur, j'avois penfé qu'en lifant dans mon ame ,
Le Comte avoit éteint fon efpoir & fa flamme .
Comment croire en effet qu'un mortel généreux
Dût briguer un hymen contraire à tous mes vœux ?
Quel est donc cet amour , qui contre moi d'avance ,
S'eft armé du devoir de mon obéiffance ?
Ah ! Seigneur cet hymen , ou plutôt mon trépas ,
Je connois vos bontés , ne s'achevera pas .
Non , vous ne voudrez point immoler votre fille.
CAPULE T.
Je veux contre le fort affermir ma famille.
B
10 ROMEO ET JULIETTE ;
Vous favez les forfaits & les féditions
Qu'ont produits jufqu'ici nos triftes factions :
Si Roger par fa mort , fi par fa longue abfcence
Montaigu , parmi nous , appaifa la vengeance ;
Ses haines de parti , l'orgueil , la cruauté
Quoique avec moins d'excès , ont pourtant éclaté.
Le tems qui détruit tout , n'a pas détruit leur cauſe.
Dans fon gouffre affoupi , c'eft un feu qui repofe
Bientôt , fi je m'en crois , ce Volcan furieux
D'horreurs & d'attentats couvrira tous ces lieux.
D'un grand malheur prochain je ne fais quel augure
Dans mon cœur attristé fait gémir la nature.
Déja les Montaigu fe concertent entr'eux.
Obfcurs avant-coureurs de quelqu'orage affreux ,
D'incroyables récits , des bruits fourds fe répandent.
J'ignore encor , ma fille , où leurs deffeins prétendent.
L'hymen de leurs complots détachant votre époux ,
Nous acquiert fes amis , & va l'armer pour nous.
Dans mon parti nombreux cette utile alliance ,
Fixera la faveur , le crédit , la puiffance ;
Et nos Rivaux foumis , ma maifon déformais
Va rendre à tout l'Etat fa fplendeur & fa paix.
JULIETTE.
Comptant fur mon refpe & t , fur mon obéiffance
Vous n'avez pas , Seigneur , prévu ma réſiſtance.
Si j'ofois cependant pour la derniere fois
Elever jufqu'à vous une timide voix
Je vous dirois , Seigneur , qu'à l'Autel entraînée ,
Je vois avec horreur ce fatal hymenée ;
Que le trépas préfent feroit moins dur pour moi
Que l'afpe& t d'un époux qui vient forcer ma foi ,
A qui je promettois dans mon ame infidéle ,
Au lieu de mon amour , une haine éternelle.
Seigneur , voilà quels font mes fecrets fentimens
Pour unir deux époux , le Ciel veut leurs fermens.
Je frémirai pour vous d'un crime involontaire
Qu'en atteftant ce Ciel vous feul m'aurez fait faire.
Pourrez-vous , m'arrachant de ce fein paternel "
Me voir , d'un pas tremblant avancer à l'Autel ?
Le bonheur d'une femme eft- il fi peu de choſe
Que d'elle & de fon fort au hazard on difpofe ?
Je fais quels font vos droits je les connois trop bien ;
Mais notre cœur lui feul eft- il compté pour rien ?
Mon frere dès ce jour , par un hymen illuftre ,
De votre augufte nom doit foutenir le luftre.
Laiffez -moi , pour partage heureufe auprès de vous ,
Couler des jours obfcurs , fans chaînes & fans époux ,
Pour rompre un trifte hymen , objet de mes allarmes ,
Vous avez vu mes pleurs : je n'ai point d'autres armes.
TRAGEDIE. II
Ordonnez de ma vie , & daignez me montrer
Que c'est un pere , hélas ! que je viens d'implorer.
CAPULET.
Rien ne peut différer cet hymen néceffaire.
Obéiffez.
JULIETTE.
Seigneur....
CAPULET .
Quoi ma fille !...
JULIETTE.
Ah ! mon pere!
Ainfi fans être ému vous regardez mes pleurs.
CAPULET.
Crois-tu que je me plaife à caufer tes malheurs ?
Sous un ciel plus heureux , dans des tems moins con
traires ,
J'aurois déja fans doute exaucé tes prieres ;
Mais je vois en tremblant que nos deux factions
Vont ranimer leur rage & leurs divifions .
Il en eft tems encor que ton hymen prévienne
Les malheurs de l'Etat , le fauve & nous foutienne .
Faut-il te rappeller les forfaits odieux
Dont nos cruels débats ont défolé ces lieux ;
Ces maffacres publics , cette horrible licence ,
Qui par bonheur du moins précéda ta naiffance ;
De leur jufte pouvoir nos Ducs dépoffédés ;
Nos Palais pleins de morts , brûlans & ravagés ;
Le rapt , l'affaffinat devenu légitimes ;
Tous les moyens permis , dès qu'ils fervoient aux crimes ;
Nos partis renaiffans tour-à- tour terraffes ;
Pour les tristes vaincus les échaffauts dreffés ;
Leurs fils placés près d'eux pour voir mourir leur peres ;
Des enfans poignardés en embraffant leurs meres ;
Du fommet de nos tours les uns précipités ;
Les autres dans les flots par l'Adige emportés ;
Le poifon plus affreux dévaftant les familles ;
Des vieillards , pourfuivis & livrés par leurs filles ;
Nos remparts démolis , nos temples abîmés ;
Deux mille citoyens dans les feux confumés ;
Et tout ce que jamais la vengeance en furic
Aux mortels étonnés fit voir la barbaric .
Voilà tous les malheurs que tu dois prévenir.
Attendrai-je en repos que tout prêts à s'unir ,
Les Montaigu.....
ROMÉO.
Seigneur , qu'ils s'uniffent enfemble.
Quel que foit leur complot , il n'a rien dont je tremble .
( montrant les drapeaux. )
Vous voyez devant vous ces drapeaux glorieux
B 2
12 ROMEO ET JULIETTE.
Que de ce bras vainqueur j'emportai fous vos yeux.
Si pour fervir l'Etat j'ofai tout entreprendre ,
Quels ennemis craindrai-je , armé pour vous défendre ?
Avant qu'un d'eux immole ou Juliette ou vous ,
J'aurai péri cent fois accablé fous les coups.
CAPULET. -
De cette noble ardeur que j'aime à voir l'ivreffe !
J'y reconnois empreint le feu de ma jeuneffe.
Mais crois-moi , Dolvédo : pour voir, pour juger mieux .
La prudence & le tems m'ont trop ouvert les yeux.
L'Etat & Ferdinand te doivent leur victoire :
Etouffant nos débats , mets le comble à ta gloire.
Par tes fages confeils en fecondant mes vœux.
Réduit enfin ma fille à l'hymen que je veux.
Fais-lui de cet hymen fentir tout l'avantage.
Pour immoler fon cœur donne-lui ton courage.
Parle , entraîne fon choix. Moi , je cours m'informer
D'un fecret important qui nous doit allarmer. Il for

amandang summ wimm mom :&

SCENE I V.

ROMEO , JULIETTE.
ROMEO.

A Inf donc c'est trop peu de perdre ce que j'aime.


Il faut qu'à me trahir je vous porte moi-même ;
Qu'en faveur d'un rival je déploie à vos yeux
D'un hymen qui nous perd l'avantage odieux.
Ah ! plutôt ma fureur , fur ce rival barbare ,
Me vengera bientôt du coup qui nous fépare !
Avant que dans vos bras....
JULIETTE.
Seigneur par ce tranſport
Croyez-vous adoucir ou changer notre fort ?
Que nous fervira-t-il....
ROMEO.
Vous n'avez pas fu dire
Ce qu'en de tels momens l'extrême amour infpire .
Votre bouche & vos pleurs ont parlé foiblement.
Que n'aviez-vous alors le cœur de votre amant ?
A votre place , ô Ciel !
JULIETTE.
Et que falloit- il faire ?
Ai-je dû m'oppofer aux volontés d'un pere ?
Ses droits ....
ROMEO.
Ses droits , Madame ! & quoi donc nos parens
TRAGEDIE. 13 .
Sont-ils nos défenfeurs , ou font-ils nos tyrans ?
A quel titre ofent-ils , difpofant de nous- même ,
S'arroger fur nos cœurs l'autorité fuprême ?
Et qui de nos penchans doit juger mieux que nous ?
C'est l'orgueil offenfé qui produit leur courroux,
Ces cruels....
JULIET TE.
Ah ! Seigneur , l'excès de votre flamme
Sans doute en ce moment vient d'égarer votre ame
Vous fuivez la douleur d'un premier mouvement ,
Erreur trop pardonnable aux tranfports d'un Amant.
Penfez-vous qu'il foit libre aux enfans téméraires
De s'unir aux Autels , fans l'aveu de leurs peres !
Ah ! de nous rendre heureux ces bienfaiteurs jaloux ,
Mieux que nos paffions , favent juger pour nous.
Pour nous fur l'avenir le paffé les éclaire ;
On peut feindre l'amour , leur tendreffe eft fincere ;
Et ce pouvoir fi grand , reftreint par leur bonté ,
Songcons à tous leurs foins , ils l'ont bien acheté.
Mais , que dis - je ?... Seigneur , votre ame impétueufe
Trop prompte à s'enflammer , n'eft pas moins vertueufe.
Confidérez plutôt...
ROMÉO.
Ainfi vous excufez ,
La main par qui nos nœuds font à jamais brifés.
JULIETTE.
Je gémis comme vous , mais comment vous entendre
Accufer devant moi le pere le plus tendre ?
N'avez-vous pas fenti combien fa fermeté
Même en me condamnant coûtoit à fa bonté ?
Quel reproche après tout avons- nous à lui faire ?
De nos feux innocens connoît-il le myftere ?
Il me traîne à l'Autel , mais s'il m'y faut aller ,
Ce n'est qu'à l'Etat feul qu'il me peut îmmoler ,
Son ame...
ROMEO.
Il est trop vrai , j'avois tort de me plaindre.
Vous-même à cet effort , vous devez vous contraindre.
Quoi ! demain mon rival deviendra votre époux ?
Et moi , né Montaigu , moi qui vivois pour vous "
Qui tantôt même ici ; content , couvert de gloire ,
Dépofois à vos pieds mon cœur & ma victoire ;
Je verrois donc , ô Ciel , un rival odieux
Ravir tout mon bonheur , en jouir à mes yeux ;
Conquérir lâchement un objet plein de charmes
Acquis par mes exploits , mérité par mes larmes !
Oui , Madame , il eft vrai mon coeur défefpéré ,
Dans de pareils malheurs , n'eft pas fi modéré :
Je fens ce que je perds , je vois ce que l'on m'ôte !
.14 ROME'O ET JULIETTE ,
Vous exercez , fans doute une vertu plus haute .
Votre triomphe eft grand , j'en conviens ; mais je crois
Que vous pouviez fans honte en gémir avec moi.
JULIETTE.
Arrête , Roméo ? connois mieux Juliette ,
Tu crois que je jouis d'une paix ſi parfaite ?
Regarde...
ROMEO.
Eh ! quoi ! tes pleurs...
JULIETTE.
Je voulois les cacher;
Mon cœur le retenoit , tu les viens d'arracher.
Ah ! fans bleffer l'honneur , fi le fort qui m'outrage .
Meût réduite à montrer ma flamme & mon courage ,
Va , j'aurois fu pour toi les prouver à mon tour .
J'ai moins d'emportement , ingrat , j'ai plus d'amour.
De ce dernier moment goûtons au moins les charmes ,
Mêlons en nous quittant nos douleurs & nos larmes ,
Et fois fûr que ce cœur où toi feul as régné ,
Par aucune autre ardeur ne feras profané.
ROMEO.
Juliette...
JULIET TE.
O regrets !
ROMEO.
Tu vas mêtre étrangere .
JULIETTE .
Je m'immole à l'Etat , j'obéis à mon pere.
ROMEO.
Je vais donc renoncer au bonheur de te voir .
JULIETTE.
La mort viendra bientôt abréger mon devoir.
KKNKAS:1‡ NAKKA Je

SCENE V.

ROMEO , JULIETTE , ALBERIC.

ROMEO.

CEft- toi , cher Albéric .


ALBERIC.
Ami , je viens t'apprendre
Un fecret important qui doit tous nous furprendre.
Ce Vieillard fans afyle arrivé dans ces lieux ,
Qu'on cachoit avec foin , qui fuyoit tous les yeux ,
On fait fon nom , fon fort , ce n'eft plus un myftere ,
C'eft Montaigu .
TRAGEDIE.
15
JULIETTE.
Qu'entends -je ?
ALBERIC.
Oui : lui-même.
ROMEO.
Mon pere ?
Ah ! je cours à l'inftant embraffer fes genoux.
JULIETTE.
Modérez ce transport.
ALBERIC .
On dit que contre nous
Ses amis en fecret à la haine s'excitent ,
Que le Comte Pâris qu'ils preffent , qu'ils invitent ,
Craignant de leur déplaire , ou regagné par eux ,
Veut rompre fon hymen , ou différer fes nœuds.
ROMÉO.
O joie ! ô doux espoir ! nouvelle inattendue !
A ma flamme , à mes vœux , quoi vous feriez rendue!
Madame , fe peut- il...
JULIETTE.
Employons ces momens
A nous bien confulter fur ces événemens.
Votre pere aujourd'hui ne doit plus vous connoître :
A fes regards pourtant veuillez ne point paroître.
Il le faut , je le veux , je vous en fais la loi.
Si vous m'aimez encor , ne tentez rien fans moi.

Fin du premier Acte.

19 : -----:: $

ACTE I I.
46 Tomopiifcomic

SCENE PREMIERE.

ROMÉO , JULIETTE.

ROMÉO.

O vi Ui , Ferdinand , Madame , exauçant mes prieres ,


Veut réconcilier nos maifons & nos peres.
I prévient leur querelle , il veut voir à jamais
Régner dans fes Etats la concorde & la paix.
Il doit venir ici , Montaigu doit s'y rendre .
Et fi ce doux espoir ne vient point me furprendre,
Sa tentative adroite & fes efforts heureux.
Réuniront bientôt ces vieillards généreux.
D'un fi grand changement j'ai conçu l'espérance
16 ROMEO ET JULIETTE
Mais fi- tôt qu'à nos yeux leurs cœurs d'intelligence
Auront éteint leur haine abjuré leur courroux ,
Dans ce même moment je tombe à leurs genoux.
De ma naiffance alors j'éclaircis le myftere.
On faura qui je fuis , j'embrafferai mon pere.
De notre hymen facré les infaillibles noeuds
Confondront leurs maifons , leurs intérêts , leurs vœux.
Mais quelque fentiment de crainte & de trifteffe
Vient le mêler pourtant à ma vive allégreffe .
En fortant d'avec toi , fans l'avoir pu prévoir ,
De mon pere , un inftant , le hafard m'a fait voir.
Il ne m'a point connu. Le tems fur fon vifage
A tracé fes fillons , a gravé fon outrage.
Son état déplorable annonçoit fes malheurs ,
Et fes cheveux blanchis ont fait couler mes pleurs.
Quel effroyable fort a comblé ſes miferes ?
Je tremble à m'éclaircir du deftin de mes freres.
Mais en me retrouvant , fon cœur trop enchanté
Confentira fans peine à ma félicité.
A notre amour enfin , le Ciel n'eft plus contraire .
JULLETTE.
Pourrois-je , Roméo , te faire une priere ?
ROMÉO.
Une priere , ô Ciel ! Ah ! connois mieux tes droits.
Et donne à ton Amant tes fouveraines loix.
JULIETTE.
Tu vas voir Montaigu : ton ame en fa préfence
Des doux effets du fang fentira la puiffance.
Il ne faut qu'un moment dans un premier tranſport
Tu lui déclarerois ta naiffance & ton fort.
Et s'il nous confervoit une haine éternelle ,
Aux vœux de Ferdinand s'il fe montroit rebelle ,
Reconnu pour fon fils , ton devoir contre nous
Te forceroit alors d'embraffer fon courroux.
S'il fe rend , fois fon fils & reprends ta naiſſance ;
Mais s'il ne fe rend pas garde encor le filence,
Peux-tu me le promettre ?
ROMÉO.
Qui.
JULIETTE.
Si dans ce moment
Ton amour dans mes mains en prêtoit le ferment.
ROMÉO.
Je jure par mes feux , par toi , par Juliette ,
D'exécuter ton ordre & la loi qui m'eft faite.
Puiffe ce Cicl vengeur , fi j'enfreins cette loi ,
Porter à mon Rival ta tendroffe & ta foi !
JULIETTE.
Il fuffit mais on vient : c'est le Duc & mon pere.
SCENE
TRAGEDIE.

* aput.... ENETIC ummi kommu 智 線

SCENE II.

FERDINAND , CAPULET , ROMÉO , JULIETTE .


Gardes de Ferdinand , Courtifans qui font à fa fuite.

FERDINAND , à Capulet.

H £ bien ! de Montaigu vous voyez la mifere.


C'eſt à vous , Capulet , à favoir aujourd'hui
Refpe& ter fes malheurs & fléchir devant lui.
Dans quel état , ô Ciel ! il arrive à Véronne !
CAPULET.
J'ai pitié de fes maux , & fon malheur m'étonne.
Mais auffi j'ai mes droits , & loin de lui céder ...
FERDINAND.
Nous ignorons encor ce qu'il peut demander.
Comparez vos deftins : vous voyez une fille ,
Un fils , votre héritier , l'appui de fa famille ,
Tout prêts par leur hymen , préparé par vos yeux ,
A foutenir l'éclat de leur nom glorieux.
Que Montaigu du moins vous apprenne à connoître
Que le plus grand bonheur peut bien- tôt difparoître .
Mais je l'entends.

இஜ www.karppa, Lordeen pommes a

SCENE III.
FERDINAND , MONTAIGU , CAPULET ,
ROMEO , JULIETTE.
Gardes de Ferdinand , Courtifans qui font à fa fuite ;
Officiers qui conduifent & accompagnent Montaigu .
MONTAIGU.

CRuels ! où veut- t-on m'entraîner ?


Qui m'appelle en ces lieux ? Qui m'y fait amener ?
(à Ferdinand. )
Qui vois-je ?
FERDINAND.
Votre Duc. Craignez-vous fa préfence ?
Je n'ai point envers vous ufé de violence.
Je vous ai , comme ami , mandé dans ce Palais
Pour prévenir la guerre avec les Capulet.
MONTAIGU.
Les Capulet ! O Ciel !
ROMEO ET JULIETTE ;
18
FERDINAND .
Quel tranſport vous agite ?
Pourriez -vous feulement diftinguer dans ma fuite
Quel eft ce fang fatal contre vous animé ?
MONTAIGU , montrant Capulet.
C'est lui ; voilà l'objet que ma haine a nommé .
CAPULET .
A ta haine en effet tu m'as dû reconnoître ;
Mais la mienne à fon tour prend plaifir à paroître ,
Et s'il faut-.-
FERDINAND , à Capulet.
Capulet , à quoi fert ce courroux !
(à Montaigu . )
Montaigu , répondez . Hé ! comment viviez-vous ?
Au fein des bois caché , ce fort trifte & fauvage
D'un Héros tel que vous étoit - il le partage ?
Vous avez donc quitté mes Etats fans regrets ?
MONTAIGU .
Crois -tu qu'il foit fi dur d'habiter les forêts ,
FERDINAND .
Mais né dans la grandeur , dans l'éclat où nous fommes ,
Quel charme y trouviez - vous ?
MONTAIGU .
De n'y plus voir des hommes .
FE RD IN AND .
Leur afpe &t eft- il fait pour offenfer nos yeux ?
MONTAIGU .
Tu les aimeras moins en les connoiffant mieux .
FERDINAND .
Ces bois vous expofoient à leur féroce outrage.
MONTAIGU .
C'est à la Cour des Rois qu'il faut craindre leur rage.
FERDINAND .
Et vos enfans ....
MONTAIGU .
Arrête , & rompt cet entretien .
FERDINAND .
Ont-ils un für afyle !
MONTAIGU.
Il n'appréhendent rien .
FERDINAND .
Leur fort ...
MONTAIGU.
Je te l'ai dit , laiffe -là ce myftere.
FERDINAND.
Je refpe&e un fecret que vous voulez me taire ,
Mais puis-je fans douleur , fans être épouvanté ,
Voir Montaigu languir dans cette adverfité ?
Reprenez votre éclat , votre rang , votre gloire .
TRAGEDIE. 19
MONTAIGU .
Je n'en ai plus befoin.
FERDINAND.
O Ciel ! Que dois-je croire ?
D'où vient ce défefpoir dans votre efprit troublé ?
MONTAIGU.
Du malheur.
FERDINAND.
( àpari. )
De quels traits je le vois accablé !
(haut. )
Quel fort ! dans mon Palais , oubliant tout le reſte ,
Diffipez par degrés un chagrin fi funefte.
Pour vous les Capulet n'ont plus d'inimitié .
CAPULET.
Pourrois je à fes malheurs refufer la pitié ?
MONTAIG U.
La pitié ! toi ! Grand Dieu ! fi c'eft- là mon partage ,
Rends-moi plutôt cent fois leur haine & leur outrage ,
CAPULET.
Il pourroit t'exaucer.
MONTAIGU.
C'eft-là ce que je veux ,
En me laiffant en paix tu trahirois mes vœux .
Entre nos deux maifons la guerre eft éternelle.
CAPULET .
Nous verrons qui des deux aura le fort pour elle.
MONTAIG U.
Ce n'eft pas la victoire où tendent mes defirs ;
Mais à t'ouvrir le flanc je mettrois mes plaifirs.
CAPULET.
Vas , plus hardi que toi , plus cruel---
MONTAIGU.
Tu peux l'être ?
CAPULET.
Mon parti regne ici.
MONTAIGU.
Le mien t'attend peut-être
CAPULET.
Il fuffit.
MONTAIGU.
A ton choix.
FERDINAND.
Hé quoi ! c'est fous mes yeux
Qu'éclatent fans refpect vos tranfports odieux ?
C'est ici , devant moi , qu'une égale furie
Vous pouffe à déchirer le fein de la patrie.
Quel est donc l'ennemi qui nous vient attaquer?
Quels forts dois-je m'unir ? Quel pofte ai-je à marquer ?
C2
20 ROMEO ET JULIETTE ,
C'est vous qui dans Véronne armés par la vengeance ,
Rompez le frein facré de toute obéiffance ,
Et qui , pour votre orgueil , chacun dans vos projets ,
A la guerre civile entraînez mes fujets !
Que me font ces lauriers moiffonnés à la guerre ,
Si vous perdez l'Etat dont le ciel m'a fait pere ?
Ah ! n'êtes-vous point las avec un cœur fi grand ,
D'ouvrir tant de tombeaux ; de verfer tant de fang.
Capulet ... Montaigu ... Sachez mieux vous connoître.
Aycz quelque pitié du lieu qui vous vit naître.
Je ne vous parle ici que comme un citoyen.
Mon peuple est tout pour moi ; ma grandeur ne m'eſt rien.
ROMÉO , à Montaigu.
Ah ! Seigneur , calmez vous , & chaffez tout ombrage.
L'infortune a fans doute aigri votre courage.
Sans haine & fans péril goûtez un fort plus doux.
Votre efprit appaifé nous réunira tous .
Capulet vous eftime , & mon cœur vous révere .
J'aurai pour vous l'amour qu'un fils porte à fon pere.
JULIETTE.
Et moi je puis , Seigneur , jurer à vos genoux ,
Que la difcorde enfin va ceffer entre nous ;
Et que mon pere ici , s'il a pu vous déplaire ,
Plus qu'une jufte haine a fuivi fa colere.
FERDINAND.
Malgré vous , Montaigu , je vois couler vos pleurs ;
MONTAIGU.
Oui je pleure à la fois de rage & de douleur,
Voilà fa fille .
FERDINAND.
Hé bien ! ... Venez , daignez me fuivre .
ROMÉO.
Oublicz vos chagrins.
JULIETTE.
Et confentez à vivre.
MONTAIGU.
Je vivrois !
FERDINAND.
Quel motif vous en doit empêcher ?
ROMÉO.
Pourquoi le ' taire , hélas ?
JULIETTE.
Pourquoi nous le cacher ?
FERDINAND.
Apprenez-moi ...
- MONTAIGU , en mettant la main fur fon fein.
C'eft -là que ma douleur repole .
Jamais , jamais mortel n'en connoîtra la caufe,
TRAGEDIE. 21
FERDINAND .
Furieux !
MONTAIG U.
Je le fuis , ne crois pas m'appaifer.
Je hais tu dois tout craindre & je puis tout ofer.
Ta Cour , tes Capulet , ton afpe & t m'importune.
Mes tranſports , grace au Ciel , paffent mon infortune.
( en montrant Capulet. )
Oui puifque à mon fouhait , mon cœur peut le haïr ,
Ce cœur défefpéré fe plaît à le fentir.
( au Duc. )
Va , porte ailleurs tes vœux , ta faveur , ton eftime .
Mais crains dans ta grandeur qu'on ne t'entraîne au crime.
Dans ton rang , malgré foi , l'on eft fouvent trompé.
Par vos ordres furpris l'innocent eft frappé.
Je ne t'en dis pas plus. Je demeure à Véronne .
Jy traîne avec plaifir l'horreur qui m'environne ,
Et ma haine & ma rage & la mort & l'effroi.
Puifle auffi mon deftin s'appéfantir fur toi !
Pour tous les Capulet , Ciel ! invente un fupplice
Qui les comprenne tous , dont ma douleur jouifſe ;
Que ta fureur fur eux fervant mon défefpoir ,
Paroiffe avoir été par-delà ton pouvoir.
FERDINAND .
Holà , Gardes , à moi.
ROMÉO.
Seigneur , qu'allez-vous faire !
JULIETTE .
Voyez les cheveux blancs , refpe &tez fa mifere .
FERDINAND , aux Gardes.
Il fuffit j'ai parlé.
MONTAIG U.
Cruels n'avancez pas.
Ou dans l'inſtant plutôt donnez-moi le trépas.
FERDINAND .
( aux Gardes ) ( à Capulet & à Montaigu. )
Qu'on le garde avec foin . Vous avez cru peut- être
Que j'aurois quelque peine à vous parler en maître.
Je connois les complots que je dois prévenir ;
Er mon pouvoir encore fuffit pour vous punir.
Ici pour un moment , Gardes qu'on le retienne
Il pourra me fléchir , qu'à lui- même il revienne.
Mais ce moment paffé , respecté dans ma Cour ,
Quel que foit fon parti , qu'on l'entraîne à la Tour.
MONTAIGU .
A la Tour ! fous mes pas , terre , entrouve un abîme !
( au Duc )
J'irai ; mais tremble encor en frappant ta victime.
Capulet fort.
22 ROME'O ET JULIETTE :
FERDINAND..
Gardes vous lui rendez le refpe &t & l'homeur
Qu'on doit à la vicilleffe " & fur-tout au malheur.
ROMÉO.
Ah ! par grace , Seigneur , permettez que je refte
Auprès de ce Vieillard en cet inftant funcíte .
FERDINAND.
J'y confens , demeurez.

Tabancalarconicom
apperrook, y w megacommunic

SCENE IV.
MONTAIGU , ROME O.
ROMÉO.

Souffrez à vos genoux


Que j'ofe avec refpect vous attendrir pour vous ,
Que de vos longs chagrins plus touché que vous-même ,
Je m'empreffe à calmer leur violence extrême.
Mais au feul nom de Tour d'où vient qu'en ce moment
Je vous ai vu faifi d'un foudain tremblement ?
MONTAIGU.
Jeune homme , laiffe - moi.
ROMÉO .
Votre fort eft horrible.
Mais le Duc vous honore ; il n'eft pas inflexible .
D'un mot fi vous vouliez...
MONTAIGU, remarquant les Drapeaux.
A qui font ces Drapeaux ?
ROMÉO.
Seigneur , ils font le prix de mes heureux travaux.
Dans le dernier combat....
MONTAIGU.
J'eftime le courage.
Qui donc es-tu ?
ROMÉO.
Seigneur , ma gloire eft mon ouvrage.
Je ne fuis qu'un Soldat par degrés parvenu ,
Fugitif dès l'enfance , à fon pere inconnu ,
A qui votre mifere arrache ici des larmes .
MONTAIGU.
Ses traits & fes difcours ont pour moi quelques charmes ,
Tu plains donc mes ennuis ?
ROMÉO.
Au malheur deſtiné
Ah ! qui doit plus que moi plaindre un infortuné ?
MONTAIGU.
Il m'émut !
TRAGEDIE. 23
ROMÉO.
Oui , Seigneur , je porte un cœur fenfible.
A ce cœur confiant la feinte eft impoffible.
De tout mortel fouffrant l'afpe &t m'eſt douloureux.
La pitié...
MONTAIGU.
Je te plains , tu vivras malheureux.
ROMÉO .
Au comble du bonheur , Seigneur , j'aurois pu vivre.
MONTAIGU.
Conferve encor long- temps cette erreur qui t'enivre ,
Bientôt ces jours heureux s'écouleront pour toi.
ROMÉO.
Mon bonheur cependant eft placé près de moi.
MONTAIG U.
J'excufe en la plaignant ta facile imprudence.
Jeune- homme , je le vois la flattcufe efpérance
Devant toi du bonheur applanit les chemins .
Tu n'a pas encor lu dans le cœur des humains.
Tu ne fais pas encor ce qu'un pareil abîme
Peut cacher d'artifice & d'horreur & de crime ,
Jufqu'où les paffions & Porgueil irrité
Peuvent porter leur haine & leur férocité.
ROMÉO.
Non , Seigneur ; mais je fais ce que peut la nature ,
Ce qu'eft un tendre amour , une ardeur vive & pure.
Je fais fur-tout , je fais qu'en des momens fi doux "
Le plus cher des penchans m'entraîne ici vers vous ;
Qu'en un combat pour vous , prêt à tout entreprendre ,
Contre qui que ce fut , je courrois vous défendre.
Ah ! daignez vous prêter à mes embraffe mens ;
Ils font d'un cœur fans fard les vifs empreffemens.
Je vous jure un refpe & t , un dévouement fincere.
Je ferai votre fils , tenez- moi lieu de pere .
Comme mes propres maux , je reffens vos douleurs.
Laiffez entre vos bras , laiffez couler mes pleurs.
Mais pourquoi de votre ame écarter Pefpérance ?
Du deftin mieux que moi vous favez l'inconftance ;
Peut-être un grand bonheur va vous être rendu .
Adouciffez , calmez votre efprit éperdu :
Croyez que... mais je vois la cohorte odieufe
Qui prête à vous mener dans une tour affreuſe ....
MONTAIGU , aux Gardes en les fuivant.
Je fuis prêt.
ROMÉO.
Attendez...
MONTA IG U.
Ami , va , fonge à toi ,
24 ROMEO ET JULIETTE ;
Trouve enfin le bonheur , il n'eft plus fait pour moi.
( les Soldats emmenent Montaigu. )
Dom uponequodmín

SCENE V.

ROMÉO , JULIETTE.

ROMÉO , aur Gardes qui emmenent Montaigu .

HE! quoi vous m'arrêtez ! ô contrainte cruelle !


JULIETTE.
Ton cœur à tes fermens a- t-il été fidelle ?
Testu bien fouvenu...
ROMÉO.
Sermens trop odieux !
Vous le voyez , barbare , on l'entraîne à mes yeux.
JULIETTE.
Tu nous aurois perdus par un aveu fincere.
ROMÉO.
Dans les fers cependant j'entends gémir mon pere .
msggjingman

SCENE VI.

ROMÉO , JULIETTE , FLAVIE.


FLAVIE.

T Out un parti , Madame , en fa faveur ému ,


Bientôt de fa prifon va tirer Montaigu :
Et nous tremblons alors , avec quelque apparence ,
Que voyant Capulet , ces rivaux en préfence
Ne s'arrachent la vie , & qu'un combat affreux
N'immole l'un ou l'autre , ou peut-être tous deux.
On craint pour Capulet , pour vous , pour votre frere.
JULIETTE.
O Ciel ! fi mon amant alloit tuer mon pere !
Si d'un combat entr'eux... Ah ! Seigneur , j'en frémis ;
Mais vous épargnerez de fi chers ennemis .
Songez que Capulet , que Thébaldo ...

SCENE
TRAGEDIE.
25
T

SCENE V II.
ROMÉO , JULIETTE , ALBERIC ,
FLAVIE.

ALBERIC.

M Adame,
Votre pere irrité , que le dépit enflamme ,
Apprend qu'à haute voix d'infolens factieux ,
L'accufent de n'ofer ſe montrer à leurs yeux.
Il va dans ce moment , fuivi de votre frere ,
Sortir de ce palais , & braver leur colere.
JULIETTE.
Je cours les arrêter.
( Elle fort avec Flavie . )
இ: 42; gradum vigyniam

SCENE VIII.

ROMEO , ALBERIC.

ROMEO.

Toi , mon ami , fuis-moi


ALBÉRI C.
On en veut à tes jours , je combats avec toi.
Fin du fecond Ace.

*什 -ES コード コーヒーノーノー

ACTE I I I.

keramansara.o

SCENE PREMIERE.

ROMÉO , ALBERI C.

ALBERI C.

OU U vas-tu , fuis mes pas , crains d'entrer en ces lieux.


ROMEO.
Je veux voir Juliette , & mourir à fes yeux .
ALBERI C.
As-tu donc oublié que ta main meurtriere ,
D

.
ROMEO ET JULIETTE ;
26
Vient prefque en ce moment de la priver d'un frere
Que ton épée encore eft teinte de fon fang ?
ROMÉO.
Par pitié , cher ami , plonge - là dans mon flanc.
ALBERIC .
Quitte au plutôt ces murs ; ta douleur indifcrette ,
Du crime de ta main inftruiroit Juliette .
Qu'elle ignore du moins dans cet événement "
Que fon frere a péri des coups de fon Amant
Mais quel bonheur , ami , que la bonté céleste ,
M'ait feul rendu témoin d'un combat fi funefte ?
A ce trouble inoui , ne t'abandonne pas .
ROMÉO .
Penfes-tu que fa foeur furvive à fon trépas ?
ALBERIC .
Fuis de tes ennemis Pimplacable colere.
ROMÉO .
Tu fais que fans fa mort j'allois perdre mon pere ;
Que c'est à ce prix feul que j'ai pu le fauver.
Malheureux !
AI. BERIC.
Il n'eft plus ; fonge à te conferver.
Capulet ou fa fille à l'inftant va paroître ,
Du trouble de tes fens fonge à te rendre maître.
ROMEO.
Ah ! je la vois , fortons .
( Albéric fort. )
**
2004

SCENE I I.

ROMÉO , JULIET TE..

JULIETTE.

C Her Roméo , c'est moi .


С
Mon cœur plein de fa flamme a volé devant,toi ,
Le tien , je le vois trop, s'attendrit pour ton pere ;
Où la conduit l'excès d'une aveugle colere !
Enfin , malgré léclát du plus ardent courtoux ,
Le bruit d'aucun malheur n'eft venu jufqu'à nous ,
Dans tes maux cependant l'amour qui nous poffede
N'offre -t-il qu'à moi feule un charme à qui tout cede ?
Aurions -nous donc perdu ce droit des malheureux ,
De confondre leur peine , & de gémir entr'eux ,
Hélas pour deux amans que le deftin raffemble ,
C'est un plaifir bien doux que de forfirir ensemble.
Laille à ta Juliette appaifer tes douleurs.
TRAGEDIE. 27
ROMÉO.
Combien le Ciel fur nous répandra de malheurs !
JULIETTE.
D'où vient dans ton efprit ce funefte préfage ?
ROMÉO .
J'entrevois nos deftins , je crains plus d'un orage.
JULIETTE .
Nous les vaincrons.
ROMEO.
Peut-être.
JULIETTE.
Eh , qui doit t'alarmer ?
Tes vertus , tes explaits , t'ont par- tout, fait aimer ;
Ton fouverain t'admire , & les yeux de mon pere
Ne t'ont point jufqu'ici diftingué de mon frere :
De ce frere fur-tout : tu fais que l'amitié ,
De tes moindres chagrins prit toujours la moitié ;
Que pour fauver ta vie il donneroit la fienne.
ROMÉO.
Que n'ai-je au même prix perdu cent fois la mienne !
JULIETTE.
Par quel deftin deux cœurs l'un vers l'autre entraînés ,
A fe hair entr'eux , étoient-ils deſtinés ?
ROMÉO.
Puiffe , en ce jour fatal , l'aspect de nos miferes
Ne pas fléchir trop tard la fureur de nos peres
JULIETTE.
Dans quelque heureux inftant , impoffible à prévoir ,
La nature & nos pleurs fauront les émouvoir ;
Nous n'avons pas encore à gémir fur leurs crimes ,
Leur courroux dans nos bras n'a point pris de victime.
Soit erreur , foit raifon , mon cœur dans l'avenir
Se figure un moment qui pourra nous unir.
Je t'adore , & tu vis. Puiffant par fa famille ,
Mon pere y voit briller , & fon fils & fa fille ;
Son fils fur-tout , fon fils va bientôt à fes yeux ,
Allumer les flambeaux d'un Hymen glorieux.
Quel jour , pour tous les miens , d'allégreffe &c de gloire !
AUTOS SOUFUDDICAD

SCENE III.

ROMÉO , JULIETTE , FLAVIE.


FLAVIE.

AH! Madame ,
H! apprenez...
JULIETTE .
O Ciel que dois -je croire ,
D 2
18 ROMEO ET JULIETTE ;
Mon efprit alarmé d'un trop jufte foupçon...
FLAVIE.
Le cruel Montaigu n'est plus dans fa prifon.
Ses amis raffcmblés en ont forcé la porte ,
Mais à peine il en fort , que libre & fans eſcorte ;
Rencontrant Capulet feul l'épée à la main ,
Ils commencent entr'eux un combat inhumain
Déja le coup mortel menaçoit votre pere ,
A l'heureux Montaigu s'oppofe votre frere ;
Loriqu'entr'eux deux foudain un nouveau combattant
Accourt , l'atteint , le perce , & s'échappe à l'inſtant.
JULIETTE.
Ah! Ciel !... quoi l'affaffin...
FLAVIE.
Oui , Madame , on l'ignore,
JULIETTE.
Et mon pere...
FLAVIE.
Courbé fur un fils qu'il adore
Il lui jure en pleurant , furieux , éperdu ,
De venger par le fang , le fang qu'il a perdu ,
JULIETTE.
O mon cher Thébaldo ! qu'on me laiffe à moi-même.
( Flavie fort. )
: this prod T www.

SCENE IV .
ROMÉO , JULIETTE.

JULIETTE , à Roméo qui va pour fortir.

@ U me fuis , Roméo dans ma douleur extrême.


O Ciel ! mon frere eft mort ; ô regrets fuperflus !
Pleure avec moi du moins ton ami qui n'eft plus.
Voilà donc ce bonheur dont j'embraffois l'image !
Quel monftre a dans fon fang raffafié fa rage ?
Cher frere , en cet inftant qui m'auroit dit , hélas !
Que je devois fi- tôt déplorer ton trépas ;
Je vois , cher Roméo , quel chagrin te confume ,
De mes ennuis profonds tu reffens l'amertume :
Ah ! quel autre que toi dans mes juftes douleurs ,
Doit confoler ma peine & partager mes pleurs ?
Il femble en ce moment que le Ciel m'ait d'avance :
Pour foutenir ce coup • menagé ta préſence.
Mais tu frémis , ô Ciel ! & fembles te cacher.
ROMÉO.
Par pitié , de tes bras laiffe- moi m'arracher.
TRAGEDIE.
JULIETTE.
D'où vient cette douleur , immobile , muette ?
Si c'étoit....
ROMÉO.
Juftes Cieux !
JULIETTE.
Roméo !
ROMÉO.
Juliette !
JULIETTE.
Ah ! barbare , mon frere a peri par tes coups.
ROMÉO.
Frappe ; voilà mon cœur , affouvis ton courroux,
JULIETTE.
Ah ! Ciel !
ROMEO.
Veux-tu ma mort ?
JULIETTE.
Je veux... cruel !
ROMEO.
Prononce.
( En mettant la main fur fon épée. )
Tu n'as qu'à dire un mot , & voilà ma réponſe.
JULIET T E.
Qu'as-tu fait , malheureux ?
ROMÉO.
L'avois-je pu prévoir ?
Mon pere alloit périr , j'ai rempli mon devoir ;
De fon péril preffant , l'image inattendue ,
A troublé dans mon fein la nature éperdue.
J'ai couru , j'ai frappé. Céder à mon amour ,
C'étoit ôter la vie , à qui je dois le jour.
Je fuis envers tes feux , un ingrat , un perfide ,
Mais je n'ai pas été du moins un parricide ;
Chargé d'un tel forfait , à moi-même odieux ,
J'aurois cru t'offenfer de paroitre à tes yeux.
J'ai pris d'un Montaigu le féroce courage ,
Du fang des Capulet , prends à ton tour la rage.
Ton pere doit rentrer enflammé de courroux ;
Je vais m'offrir fans arme au-devant de fes coups.
Je mettrai dans fes mains , foumis & fans défenſe ,
Ce fer fouillé d'un fang qui demande vengeance ,
Et je mourrai content , fi le mien dans ces lieux "
Calme au moins tes regrets en coulant fous tes yeux.
JULIETT E.
Garde- toi d'écouter cette farouche envie.
Ah ! barbare ! & c'est moi qui tremble pour ta vie !
Quel attrait tout puifant me force en mon malheur
A chercher dans toi feul un charme à ma douleur ?
30 ROMEO ET JULIETTE ,
Pardonne , ô mon cher frere à ma douleur extrême !
Tu connus notre amour , tu l'approuva toi- même.
Que , dis-je ? Ah ! fans frémir , peux-tu me voir , hélas ?
A qui perça ton flanc , pardonner ton trépas ?
Roméo par ce Ciel , par ton bras que j'implore ,
Punis-moi du forfait de t'adorer encore.
Arrache-moi la vie , ou fauve à mon devoir ,
Le coupable plaifir que je prends à te voir.
Adieu , féparons-nous , n'attends pas que mon pere ,
Soit inftruit dans quel fang il doit venger mon frere.
Il en eft tems encore , échappe à fon courroux ,
Va , mets les flots , les mers , mets le monde entre nous ;
Sois fûr qu'en quelques lieux où le deftin te jette ,
Tu vivras à jamais au cœur de Juliette ;
Va ; mes feux te fuivront , j'en attefte l'amour ,
Par-tout où tu verras la lumiere du jour.
N'attends pas qu'à mes yeux elle te foit ravie ,
Je t'accorde ta grace , accorde - moi ta vie ,
Que ce foit-là le prix , ce n'eft pas trop pour moi ,
De ce frere immolé que j'ai perdu par toi.
ontami HONA ww

SCENE V.

CAPULET , ROMÉO , JULIETTE.


CAPULET.

VIens , fuis -moi ་, Dolvédo : viens feconder ma rage ,


Viens venger mon fils mort , viens laver mon outrage.
ROMÉO , à part.
Contre qui ? Ciel !
CAPULET.
Mes yeux n'ont point vu l'affaffin ,
Mais Montaigu....
ROMÉO. 1
Qui , lui !
CAPULET.
Cours lui percer le fein.
Mon ami , mon vengeur , c'eft dans toi que j'espere .
Vois ces cheveux blanchis , vois ces larmes d'un pere.
Tes exploits , ces drapeaux atteftent ton grand cœur.
Il eft dans ton deftin de revenir vainqueur.
Mon bras , ce bras tremblant que trop d'ardeur anime ,
En prodiguant fes coups manqueroit fa vi & time ;
Va trouver Montaigu , qu'il meure , & dans ces lieux
Apporte-moi fon cœur palpitant à mes yeux.
Ne preferis point de borne à ma reconnoiffance ;
Je t'adopte pour fils , adopte ma vengeance.
TRAGEDIE.
31
Va , pars , combats triomphe , & revolant vers moi ,
Si mon fils eft vengé , je le retrouve en toi.
ROMEO.
Qu'exigez-vous ?
CAPULET.
D'où vient ce trouble & ce filence ?
J'ai recours à ton bras , & ta valeur balance ?
ROMÉO.
Ah ! Ciel !
CAPULET.
C'en eft affez , viens ma fille avec moi.
Vainement au befoin , j'ai compté fur fa foi ,
Je rougis pour tous deux qu'un guerrier fans courage ,
M'ait fait à tes regards effuyer cet outrage ;
Mais du Comte Paris tu fais la paffion ,
Offre-toi pour conquête à fon ambition.
S'il faut périr pour toi , la mort lui fera chere.
Viens , fuis mes pas .
JULIETTE.
Seigneur....
CAPULET.
Tu gémis ?
JULIETTE.
O mon pere !
CAPULET.
Que vois-je ? quel foupçon m'éclaire en ce moment,
D'où naît cet embarras ; ce long étonnement ?
JULIETTE.
Ah ! Dieu !
CAPULET.
S'il étoit vrai qu'au fein de ma famille 3
( Regardant Roméo. )
Un féducteur au crime eût entraîné ma fille !
Si cet indigne amour s'étoit feul oppofé ,
A l'Hymen que tantôt mon choix a propofé....
JULIETTE.
Où fuis-je !
CAPULET.
Tu rougis , ferois- tu criminelle 3
JULIETTE.
Seigneur ...
CAPULET.
Si je croyois...
JULIETTE.
Souffrez qu'au moins.
CAPULET.
Rebelle .
( Mettant la main à ſon épée. )
32 ROMEO ET JULIETTE :
ROMÉO
Arrête , Capulet , écoute , & connois mieux
L'objet de ton courroux , vois dans un furieux
Que toi-même éleve au fein de ta famille
Un monftre qui fe hait qui brûle pour ta fille ,
Un ingrat qui t'outrage , un fils de Montaigu ,
Roméo.
JULIETTE.
Qu'as-tu dit ?
CAPULET.
Grand Dieu , qu'ai-je entendu 3
ROMEO.
Apprends tous mes forfaits : cette main fanguinaire
Je viens de la plonger dans le flanc de fon frere.
CAPULET.
De mon fils !
JULIETTE.
Malheureux !
CAPULET.
O vengeance ! ô fureur !
Barbare , défends-toi.
ROMÉO.
Frappe , voilà mon cœur.
JULIETTE.
Arrêtez.
'
CAPULE T.
Défens-toi.
ROMÉO. 15 .
Non , cede à ta colere.
Tu dois venger ton fils , j'ai dû fauver mon pere.
JULIETTE.
Arrêtez.
CAPULET.
Fille ingrate & tu retiens mon bras !
A ma jufte fureur tu n'échapperas pas .
Lâche , tu fens trop bien cet indigne avantage ,
Que ta main fans défenſe oppofe à mon courage.
Va , ceffe d'exciter mes tranſports furieux ;
Epargne à mes regards ton aſpect odieux.

SCENE V I.

CAPULET , ROMÉO , JULIETTE.


Un Officier du Duc.
L'OFFICIER.

DE vos malheurs inftruit , le Duc au moment même


Yeut
TRAGEDIE. 33
Veut adoucir , Seigneur , votre douleur extrême.
De confoler un pere il fe fait un devoir.
Il vient.
CAPULE T.
C'est donc à moi d'implorer fon pouvoir.
( à Roméo. )
Ne crois pas m'échapper : les combats , les fupplices ,
Tout eft égal pour moi , pourvu que tu périffes.
( àfa fille. )
Suivez mes pas.
( Ilfort. )
ROMÉO , à Juliette.
Ah ! parle & l'attendris pour moi.
JULIETTE.
Va , nous mourrons enſemble , ou je vivrai pour toi.

Fin du troisieme Ace.

1 排扣 您 So Inay 483

ACTE IV .

**************** ******: *

SCENE PREMIER E.

FERDINAND , CAPULET.
FERDINAND.

JE fuis loin , Capulet de condamner vos larmes ,


Oui , la raiſon d'abord nous prête envain fes armes ,
On eft homme , on gémit , mais enfin vos douleurs
Ne fe guériront point par de nouveaux malheurs.
Craignez qu'en expirant , votre fille rebelle
N'éteigne une maiſon qui peut revivre en elle.
Pardonnez , croyez- moi.
CAPULET.
Prince , que dites-vous ?
Mon fils....
FERDINAND.
Par nos regrets le ranimerons -nous ?
Roméo vous eft cher , fa vertu , fa vaillance ,
Votre bonté fur-tout vous parle en fa défenſe ,
Ajoutez , s'il le faut , que moi-même aujourd'hui
Cherchant à vous fléchir , j'ai fupplié pour lui.
J'honore dans vos pleurs l'amitié paternelle ,
Mais fi pour adoucir votre perte cruelle ,
Les plus nobles emplois , les rangs , les dignités ,
E
34 ROMEO ET JULIETTE ;
Si ma reconnoiffance
CAPULET.
Ah ! Seigneur , arrêtez.
FERDINAND .
Laiffez-moi , comme vous , fentir votre infortune ,
Notre fort eft d'être homme , il nous la rend commune ;
Ne croyez pas pourtant qu'à gémir deſtiné ,
Vous foyez feul à plaindre , & feul infortuné ,
Combien de fois mes yeux ont répandu des larmes !
Je n'entrevois pourtant que des fujets d'alarmes.
Par le Duc de Mantoue en fecret excités ,
Mes fujets contre moi font prefque révoltés.
Ce parti veut ma perte , il efpere en filence
Que vos maisons bientôt rallumant leur vengeance ,
Capulet , Montaigu , l'un par l'autre immolés ,
Portant l'effroi , la mort fur nos bords défolés ,
Il détruira fans peine en ce défordre extrême ,
Un Etat divifé , déchiré par lui- même .
Eteignez à jamais les flambeaux détestés
Qu'entre vos deux maifons la difcorde a jettés.
Montaigu n'a qu'un fils , il vous refte une fille ;
Si l'hymen uniffoit l'une & l'autre famille !
C'est la patrie en pleurs qui vous prie à genoux ,
Elle emprunte ma voix , la refuferez- vous ?
Ne croyez pas par-là -ternir votre mémoire ,
Cet effort de vertu comblera votre gloire ;
On dira quelque jour : Capulet outragé
» Voloit à fa vengeance , & ne , s'eft point vengé ;
» Il fut à fon devoir immoler fa furie ,
» Il exauça fon Prince , il fauva ſa patrie ;
» L'intérêt de l'Etat fut fa fuprême loi !
CAPULET.
Ainfi donc Montaigu va l'emporter fur moi.
FERDINAND.
Le triomphe eft pour vous : ah ! loin d'être inflexible ,
Lui-même à vos douleurs il s'eft montré fenfible.
En retrouvant un fils , les plus doux mouvemens
Ont remplacé fa haine , & fes reffentimens.
Inftruit par Roméo quelle étoit fa naiffance ,
J'ai mandé dès l'inftant fon pere en ma préfence ;
Ils fe font vus l'un l'autre , & des fignes certains
Ont du fils à mes yeux éclairci les deftins.
La Nature a parlé . Par le cri le plus tendre
Dans le fond de leurs cœurs le fang s'eft fait entendre.
J'en ai verfé des pleurs. Iis me preffoient tous deux
D'adoucir vos transports , de vous fléchir pour eux ,
D'obtenir un pardon qu'ils n'ofent plus prétendre ;
Tous les deux , par mon ordre . ils vont ici fe rendre :
Mais les voici.
TRAGEDIE.
35
CAPULET.
Grand Dieu !
FERDINAND.
Montrez-vous citoyen .
gimm woma ngonng ng

SCENE II.
FERDINAND , MONTAIGU , CAPULET , ROMEO'

FERDINAND .

P Aroiffez , Montaigu , venez , ne craignez rien ,


Capulet vous pardonne.
MONTAIGU.
O Ciel le puis - je croire ,
As-tu bien fur toi-même emporté la victoire ?
Ton cœur eft-il dompté ?
CAPULE T.
J'ai triomphé de moi.
Mais en te pardonnant , je n'ai rien fait pour toi.
FERDINAND.
Ah ! laiffez-nous penfer qu'en oubliant l'offenfe ,
Vous cédez fans effort à la feule clémence .
ROMEO.
( au Duc. ) ( à Montaigu. )
O mon Prince ! O mon pere ! En des momens fi doux
( tombant aux pieds de Capulet. )
Souffrez que comme un fils j'embraffe fes genoux.
CAPULET.
Que fais-tu Roméo ?
MONTAIGU.
Sois touché par fes larmes.
CAPULET.
Crois-tu donc que la haine ait pour moi tant de charmes ?
MONTAIGU.
Je le vois , la vengeance a pour toi peu d'appas.
Tu ne fais point haïr.
FERDINAND.
Vous ne vous trompez pas ,
J'ai furpris la pitié dans fon ame attendrie ;
Ah ! tous les deux enfin vivez pour la Patrie.
MONTAIGU .
Je joins mes vœux aux fiens.
FERDINAND.
Mes amis , faifons mieux :
Qu'un accord fi touchant éclate à tous les yeux.
Parmi tous ces tombeaux , au fein de ces tenebres
E 2
36 ROMEO ET JULIETTE ;
Ou dorment vos ayeux fous des marbres funebres ,
Devant mon Peuple & moi renouvellez tous deux
Le ferment d'une paix qui fut jadis entre eux.
Jurez fur leurs cercueils , & fous ces voûtes fombres
En atteftant leurs noms , & leur cendre , & leurs ombres ,
De tourner déformais contre nos ennemis.
Le fer que dans vos mains la difcorde avoit mis "
De former entre vous une auguste alliance
Où votre haine expire , où l'amitié commence ,
Et de rendre à l'Etat le fang & les guerriers ,
Dont l'ont privé cent fois les combats meurtriers :
Ainfi , femmes , enfans , chacun dans l'Italie
Confacrera le jour qui vous réconcilie :
Ainfi tous mes fujets , les larmes dans les yeux ,
Porteront à l'envi vos vertus jufqu'aux Cieux :
Dès-lors , plus de complots , de meurtre , de vengeance ;
Je tiendrai de vous feuls ma gloire & ma puiffance ,
Et vous donnant des loix , mes defirs les plus doux
Seront de mériter des fujets tels que vous .
Vous êtes attendris ; vos foupirs vous trahiffent.
MONTAIG U.
Confens.tu , Capuiet , que nos maiſons s'uniffent ?
FERDINAND .
Oui , fon cœur vous pardonne , & j'en répons pour lui.
CAPULE T.
Vois donc ce que pour toi j'aurai fait aujourd'hui.
L'Etat , mon Souverain , fur ma cruelle offenfe
Malgré le cri du fang emportoient la balance ,
Mais dût encor ce fang fe plaindre & s'indigner ,
C'eft à toi maintenant que je veux pardonner.
Je vis , mon fils n'eft plus , lorfque le tien refpire ,
Il demande vengeance , & ma vengeance expire :
C'eft dans ce même jour , dans ce même palais ,
Qu'avec les meurtriers j'aurai conclu la paix.
Ma haine , Montaigu , s'éteint avec la tienne ,
Dans la main de ton fils j'ofe mettre la mienne.
Est - ce affez te prouver par cet effort fur moi ,
Que tu peux fans péril te livrer à ma foi ?
Ennemi , fur tes jours j'étois prêt d'entreprendre ,
Ami , je donnerois les miens pour te défendre.
Tu vois , pour m'acquérir , qu'il t'en a peu coûté ;
J'oublie en le pleurant le bien qui m'eft ôté ,
Et je paye à ton fils dans ma douleur funefte
Le fang qu'il m'a ravi par le fang qui me refte.
ROMEO.
Ah ! mon pere ! ah ! Seigneur ! après tant de bienfaits !
Et comment envers vous nous acquitter jamais ?
TRAGEDIE. 37

SCENE III.

FERDINAND , MONTAIGU , CAPULET , ROMEO ,


un OFFICIER du Duc.

L'OFFICIER

P Rince , des ennemis , répandus par la ville ,


Eſpérant quelque trouble à leurs projets utile
N'attendent en fecret , tout prêts à fe montrer ,
Que l'inftant de paroître & de fe déclarer ,
Et l'on craint-.-
FERDINAND.
C'eft affez , je vais en diligence
Tout voir , tout prévenir , & tout mettre en défenſe ;
Je fors ; vous , Capulet , commandez mes foldats.
( Ferdinandfort & l'Officier. )
Bambum agg bum per sopphim :&

SCENE I V.
.
MONTAIGU , CAPULET , ROMEO.
CAPULET.

ET toi dans ce palais , quand je n'y ſerai pas ,


Agis , difpofe , ordonne , & regne en ma famille.
Sans crainte entre tes mains je laiffe ici ma fille:
Vas , je ne fais aimer ni vouloir à demi.
Prends hautement chez moi tous les droits d'un ami ;
Et fi ( ce que jamais mon cœur ne pourroit croire )
La moindre haine encor vivoit en ta mémoire ,
Souviens-toi feulement pour raffermir ta foi ,
A quel prix , Montaigu , j'ai dû compter fur toi.
( il fort. )

Kumbukugod

SCENE V.

MONTAIGU , ROMÉO.
ROMÉO.

AH ! que fur nous la foudre éclate & nous dévore ,


Avant que dans nos cœurs la haine exifte encore !
38 ROMEO ET JULIETTE ;
MONTAIGU.
Es-tu mon fils ?
ROMÉO.
Seigneur.... vous me faites trembler.
MONTAIG U.
Prévois-tu quels fecrets je vais te révéler !
ROMÉO.
Que dites-vous ?
MONTAIGU.
Ecoute , & raffemblant d'avance
Ce que l'homme eut jamais de force & de conftance ;
Que ton ame à ma voix fe prépare à frémir.
ROMEO.
Parlez...
MONTAIGU.
Sois immobile & fonge à t'affermir.
Tantôt fans foupçonner ces terribles myfteres ,
Tu voulois être inftruit du deftin de tes freres ;
Ils ne font plus.
ROMEO.
O Ciel !
MONTAIG U.
Loin de ces murs affreux
Je crus chez le Pifan devoir fuir avec eux.
Hélas ! difois - je enfin , voici donc un afyle
Pour moi , pour mes enfans , rempart für & tranquille :
D'où n'approcheront plus les pieges du trépas :
La vengeance attentive y marcha fur mes pas.
Un monftre ingénieux , un tigre impitoyable
D'un complot fuppofé me fit juger coupable ,
Et fans que du forfait on daignât s'informer
Dans une tour fatale on me vint enfermer.
ROMÉO.
Avec vos enfans ?
MONTAIGU.
Oui prête l'oreille au refte.
Déja depuis trois jours dans mon cachot funefte ;
Je fentois dans mon fein s'amaffer la terreur ,
Quand d'un fonge effrayant la prophétique horreur
Offrit à mes efprits la plus fatale image :
Je m'évéillai tremblant , plein d'un affreux préfage.
Je cherchois dans moi- même , immobile & glacé ,
Quel étoit ce malheur par mon fonge annoncé :
Mes fils dormoient ; j'y cours : leurs geftes , leur viſages
Sur mon fort , tout-à- coup , éclairant mes préſages ,
De la faim fur leur lit exprimoit les douleurs;
Ils s'écrioient , » mon pere , « & répandoient des pleurs.
Nous nous levons , on vient ; nous attendions d'avance
L'aliment qu'on accorde à la fimple existence.
TRAGEDIE. 39
Chacun fe tait , j'écoute , & j'entens de la Tour
La porte en mur épais fe changer fans retour.
Je fixai mes enfans fans parole & fans larmes ;
J'étois mort ... ils pleuroient ... je cachai mes allarmes ;
Mais lorsqu'enfin ( Soleil devois tu te montrer )
Dans eux tous à la fois je me yis expirer ,
Je dévorai ces mains. Renaud me dit » mon pere ,
>> Vis , tu nous vengeras. « Raymond , Dolcé , Sévere ,
M'offrirent à genoux leur fang pour me nourrir ,
Et chacun d'eux enfuite acheva de mourir.
ROMÉO.
Qu'ai-je entendu grand Dieu !
MONTAIGU .
Pufqu'il me faut poursuivre :
Je reftai feul vivant , mais indigné de vivre.
Ma vue en s'égarant s'éteignit à la fin ,
Et ne pouvant mourir de douleur ni de faim ,
Je cherchai mes enfans avec des cris funebres ,
Pleurant, rempant , heurlant , embraffant les ténèbres ,
Et les retrouvant tous dans ce cercueil affreux ,
Immobile , & muet, je m'étendis fur eux.
Mon cachot fut ouvert , mes amis en furie ,
Venant pour me fauver...
ROMÉO.
Ah ! de fa barbarie
Vous dûtes bien , je crois , punir un inhumain ?
MONTAIG U.
Il n'avoit point d'enfans. Tourmenté par la faim ,
Je courois , furieux , dans ma rage homicide ,
Sur fes flancs acharné , dévorer un perfide ...
Le barbare il venoit plein de gloire & de jours ,
Tranquille , & fans douleur , d'en terminer le cours.
ROMÉO.
Ainfi donc fans objet , où porter vos vengeances ? ....
MONTAIGU.
Cet objet eft , mon fils , plus près que tu ne penfes.
ROMÉO.
Ah ! je cours fur vos pas le voir & l'immoler.
MONTAIG U.
Peut-être avant le coup ton bras pourra trembler.
ROMÉO.
Qui , dois- je , enfin punir ?
MONTAIG U.
Un traître , un téméraire ,
De l'auteur de mes maux le déteftable frere ,
Capulet.
ROMÉO.
Lui !
sa ROMEO ET JULIETT
MONTAIGU.
Lui-même.
ROMÉO.
Ah ! pour un tel deffein ;
Ou changez de vi& time , ou changez d'affaffin ,
MONTAIGU.
Non , ce n'eft pas fon fang qu'il faut verfer encore ;
C'est le fang d'un objet qu'il chérit , qu'il adore ,
Qui tient à fon amour par un fi fort lien ,
Qu'en lui perçant le cœur , tu percera le fien ;
De l'objet en qui feul vit encor fa famille ,
De fon unique efpoir , de fon fang, de fa fille ,
De Juliette enfin.
R O M É O.
Seigneur , les plus beaux feux
Dès long-tems , pour jamais , nous ont unis tous deux.
MONTAIGŲ.
Et tu ne trembles pas qu'en ma fureur extrême
Mon bras , fur cet aveu , ne t'immole toi-même ?
RO M É .
Voyez à quel forfait vous voulez m'engager !
Une amante.... un vieillard....
MONTAIGU.
Je cherche à me venger
ROMÉO.
Et qu'ont-ils fait ?
MONTAIGU.
Grand Dieu ! ce qu'ils ont fait , perfide ?
Et c'eft-là ta réponſe au tranſport qui me guide !
Du bourreau de mes fils , j'y vois le fang affreux ,
Et c'eft ton lâche cœur qui s'attendrit pour eux !
Ce qu'ils ont fait demande aux tigres en furie ,
Lorfqu'un dard dans leurs flancs accroît leur barbarie ;
S'ils fauroient inventer ces monftrueux tourmens ,
De faire aux yeux d'un pere expirer fes enfans .
Ce qu'ils ont fait ! demande à tes malheureux freres ,
Quand la faim , par dégrés , éteignoit leurs paupieres ,
Dans ce cachot de mort , s'ils ont dû foupçonner ,
Qu'un jour aux Capulet je pourrois pardonner !
Ce qu'ils ont fait ! dit , traître , & quels étoient leurs
crimes.
Quand , fixant à mes pieds de fi cheres victimes.
Je les vis , tout en pleurs , pour moi feul s'attendrir ,
Et m'offrant , à genoux , leur fang pour me nourrir ?
Ce qu'ils ont fait ! barbare ! ah ! le Ciel en colere ;
M'a privé du feul bien qui flattoit ma mifere ,
C'eût été fur un monftre , au gré de mes defirs ,
D'affouvir ma vengeance , en comptant fes foupirs ,
D'obferver fes douleurs , de fuivre à cet indice
La
TRAGEDIE.
La lenteur du trépas , & l'horreur du fupplice ;
Le cruel chez les morts , tranquille & fans effroi ,
S'eft , au fein des tombeaux , retranché contre moi ,
Et quand je trouve un fils , fameux par fon courage ,
Qui m'eft exprès rendu pour fe joindre à ma rage ,
L'orfqu'aucun Capulet ne peut plus m'échapper ,
Quand je n'ai qu'à vouloir. Quand il n'a qu'à frapper ,
A fes indignes feux c'est lui qui s'abandonne !
Je ne fais quel amour , & l'enchaîne & l'étonne ;
C'est lui qui délibere ; & qui même aujourd'hui ;
Craindroit , en ce palais , de me fervir d'appui.
ROMEO.
Quel reproche odieux me faites vous entendre!
Plutôt mourir cent fois que ne pas vous défendre ;
Malheureux ! Eh , quoi donc avez-vous prétendu ,
Que pour de tels forfaits je vous ferois rendu ?
A peine , mon ami dans un cercueil repofe ,
A peine , pour feetler la paix qu'on lui propofe ,
Un vieillard généreux vous livre fans foupçon
Son propre fang , fon cœur , fon palais , ta maiſon ;
A peine entre vos bras il a remis fa fille ,
Que pour exterminer , lui , fon nom , fa famille ,
Sortant de l'embraffer , vous exigez foudain
Que je plonge , à fa fille , un poignard dans le fein !
Seigneur , je fuis foldat , pour venger votre outrage ,
J'emploierai , s'il le faut , la force , le courage ;
Ce bras ne fait ufer que de moyens permis ,
Et fe teindre avec gloire du fang des ennemis.
Au chemin de l'honneur montrez- moi la vengeance ?
Vous connoîtrez alors fi Roméo balance.
J'afpire à vous fervir , je le veux, je le dois ,
Mais il s'agit d'un crime , il n'eft pas fait pour moi ,
MONTAIGU.
Qu'entends-je ? & tel eft donc l'excès de mes miferes
Tel eft l'horrible fort des tes malheureux freres ,
Que tout trahit leur caufe , & qu'après leur trépas
Ils demandent vengeance & ne l'obtiennent pas.
Sais- tu ce qui foutient ma vie infortunée ?
Sais-tu jufqu'à ce jour comment je l'ai traînée ?
Sais- tu , quand je fortis de la funefte Tour ,
Sur quels fauvages bords , dans quel affreux féjour ,
Par mon trouble égaré, je courus , loin du monde ,
Enfevelir vingt ans ma douleur vagabonde ?
Au Mont de l'Appennin je fus vingt ans caché :
C'eft -là que , fugitif , dans des antres couché ,
Implacable ennemi de la nature entiere ,
Ne pouvant à mon gré voir s'embrafer la terre ,
Oubliant à jamais mon rang & ma maison ,
A force de douleur privé de la raiſon ,
F
42 ROMEO ET JULIETTE ;
Aidé par tout fecours des foins d'un miférable ;
Qui dans moi , par pitié , vit encor fon femblable ;
Nourri par fes bontés , quelquefois dans fes bras ,
Par des fons mal formés invoquant le trépas ;
Trouvant le Ciel , la nuit , la lumiere importune "
Caché fous ces lambeaux de la vile infortune ,
Dans Phorreur des forêts , fous des rochers affreux ,
J'appellois à grands cris mes enfans malheureux ,
Indigné d'y trouver ! dans fon fommeil paifible ,
A mes longs défefpoirs la Nature infenfible .
C'eft-là que tout-à- coup , plein de trouble & d'effroi ,
Mes quatre fils mourans s'offroient tous devant moi ....
Je crois les voir encor .... Oui voilà leurs viſages ,
Leurs traits , leur port...
ROMÉO.
Mon pere , écartez ces images.
MONTAIGU.
Grand Dieux ! pour un moment fufpendez mes douleurs :
Voyez ces cheveux blancs , daignez tarir mes pleurs.
ROMEO.
O Cicl !
MONTAIG U.
Il en eft temps , fouffrez que je fuccombe.
Pour revoir mes enfans , plongez-moi dans la tombe.
Je fens que je chancelle...
ROMÉO .
Ah ? du moins que mes bras...
MONTAIGU.
N'avancez pas cruel , ou vengez leur trépas.
ROMÉO.
Hé ! Seigneur ,
MONTAIGU.
Mes enfans !
ROMÉO.
Dans votre horreur funefte
Songez que..
MONTAIGU.
Mes enfans !
ROMEO.
Songez que je vous refte.
MONTAIGU .
Mes enfans.., Où font- ils ?
ROMÉO.
Ah ! revenez à vous ,
Mon pere ! ou , dans l'inftant je meurs à vos genoux.
MONTAIGU.
Qui , toi !
ROMÉO.
Vivez , hélas ! confervez-vous encore.

1
TRAGEDIE. 43
MONTAIG U.
Je fuis un malheureux qui le hait , qui s'abhorre ,
Trop indigne à jamais du jour qu'il doit flétrir.
ROMEO.
Que vous reprochez-vous ?
MONTAIGU.
Je n'ai pas pu mourir.
ROMÉO.
Ah ! Seigneur croyez -moi , dans vos douleurs ameres ,
Vos pleurs affez long-tems out coulé pour mes freres.
MONTAIGU.
La raison , Roméo , vient vîte à ton fecours .
Ce n'eft pas dans ton fang qu'ils ont puifé leurs jours :
Ton cœur donne à leur perte une pitié légere :
Tu ne fens pas pour eux des entrailles de pere.
Ces freres que tu plains , tu ne les venge pas ,
Leur mânes gémiflans n'afficgent point tes pas.
Malheureux Capulet , vous payerez tous ces crimes ;
Mais je prétends fur- tout voir fouffrir mes victimes :
Dans leur fein déchiré je lirai leurs douleurs :
Dans le fond de leurs yeux j'irai chercher leurs pleurs.
Qu'un Capulet me plaife avant qu'on m'attendriffe !
Oui , fur eux tous remplaçant ta juftice ,
Je te le jure , ô Ciel ! ces bras enfanglantés
Leur rendront , s'il fe peut les maux qu'ils m'ont prêtés.
ROMÉO .
Ah ! ne vous chargez point d'un fi noir parricide ?
MONTAIG U.
Laiffes-là tous ces noms de traître & d'homicide.
Mon fort m'a dès longs- tems difpenfé de ma foi .
Ces noms , jadis affreux , n'existent plus pour moi ,
Quoi ! tu n'es point faifi du transport qui m'agite ?
L'aspect d'un Capulet n'a donc rien qui t'irrite ?
Comme un autre homme enfin tu peux l'envifager.
ROMEO .
Puifqu'il eft homme , hélas ! peut- il m'être étranger ?
Mais enfin , il eft tems de rompre le filence ,
Vous favez quelle main éleva mon enfance ,
Faut- il que votre fils le plus vil des ingrats ,
Affaffine un mortel qui lui tendit les bras !
Faut-il que fous mes yeux mon bienfaiteur périffe !
Faut-il qu'à cet excès mon pere m'aviliffe !
Vous allez tout trahir , la justice , la foi ,
L'humanité , le Ciel...
MONTAIGU.
On l'a trahi pour moi.
ROMÉO.
Différez feulement à laver votre offenfe,
Votre honneur veut...
F 2
44 ROMEO ET JULIETTE ,
MONTAIGU.
Du fang.
ROMEO.
La pitié.
MONTAIGU.
La vengeance.
ROMÉO.
Ah ! Qu'allez-vous tenter...
MONTA IG U.
C'en eft trop & mes coups ....
ROMÉO.
Pour la derniere fois je tombe à vos genoux ;
Ecoutez feulement , Seigneur , qu'allez vous faire
Révoquez , s'il fe peut , un projet fanguinaire ;
Epargnez Capulet , voyez y fans courroux
Un vieillard à gémir condamné comme vous ,
Laiffez mourir en paix & le pere & la fille.
Juliette au cercueil éteindra fa famille.
Le jour n'en cft pas loin : pourtant ne croyez pas
Que jamais ma douleur ait recours au trépas ;
Je vivrai , mais pour vous , pour calmer vos miferes ,
Pour vous rendre , à moi feul , tout l'amour de mes freres.
Au mont de l'Apennin faut-il fuir avec vous ?
Partageant vos ennuis , mon fort fera plus doux.
A la peine, aux travaux je trouverai des charmes ;
J'y défendrai vos jours , où j'effiierai vos larmes ...
Votre courroux , Seigneur , me paroît fufpendu. :
Grand Dieux! vous m'exaucez , oui , mon pere eft rendu;
De la pitié qui parle , il entend le murmure ,
J'ai trouvé , j'ai vaincu , j'ai furpris la Nature.
MONTAIGU.
Qui , moi ! j'aurois ....
ROMÉO.
Seigneur , ne vous défendez pas.
Laiffez couler vos pleurs ; fouffrez que dans vos bras...
MONTAIGU.
Cruel !
ROMÉO.
Confultez feul votre cœur magnanime ,
Il eft fait pour Phonneur , pour détefter le crime.
L'honneur feul eft la loi qu'il vous faut écouter.
MONTAIGU.
Laiffes moi.
ROMEO.
Je vous fuis , je ne peux vous quitter.

Fin du quatrieme Ade.


TRAGEDIE. 45

:འ -- =—2:56

ACTE V.

Le Théâtre repréſente la fépulture des Capulet & des


Montaigu.
*: una pizando quina fonte gram gam

SCENE PREMIERE.
JULIETTE.

Dieu ! quel jour effrayant dans l'épaiffeur des ombres ,


Au fein de ces tombeaux répand fes clartés fombres !
Les mânes enchaînés fous ces marbres poudreux ,
Semblent tous m'inviter d'y defcendre avec eux.
Je vois avec plaifir , au fein de ces tenebres ,
Le jour pâle & mourant de ces lampes funebres .
Cet altre des tombeaux , plus affreux que la nuit
Vient mêler quelque joie à l'horreur qui me fuit.
Tout parle , tout m'entend dans ce vafte filence.
Mon frere ranimé s'éveille en ma préfence :
Du fond de fon cercueil il me dit : » hâte - toi ,
» Goûte enfin le repos qui t'attend près de moi .
C'est donc ici , Grand Dieu ! que ta vengeance expire !
Que le fort eft dompté , que la vertu refpire !
Ici nos fiers ayeux , par la haine animés ,
S'embraffent dans la poudre , unis & défarmés.
Je vais leur annoncer que leurs guerres funeftes ,
En moi , de ma famille , ont dévoré les reftes.
Je fors avec dédain d'un coupable féjour ,
Où le Ciel a profcrit l'innocence & l'amour.
Qu'aurois -je à regretter ? Qu'ai-je vu fur la terre ?
Des haines , des complots , la trahifon , la guerre.
Un plus doux fentiment m'eût fait chérir le jour.
Roméo m'adoroit .... Je le perds fans retour.
amphomak pranon maombi kenyan gona :

SCENE II. ,

ROMÉO , JULIETTE.
ROMÉO.

Courons rendre le calme à fon ame inquiete:


On m'a dit qu'en ces lieux....
46 ROMEO ET JULIETTE ,
JULIETTE.
Qu'ends-je ?
ROMEO.
Juliette ?
JULIETTE .
Eft-ce toi , Roméo ? Que ton afpect m'eft doux !
ROMÉO.
Mon pere eft défarmé , j'ai fléchi ſon courroux.
J'ai vu fon cœur ému : fes bras , par leur careffes ,
M'ont prodigué du fang les plus vives tendreffes .
Tu le verras bientôt , fur ces froids monumens ,
De la paix entre nous prononcer les fermens .
Sa foi ne nous doit plus laiffer aucun ombrage .
JULIETTE.
De fa fincerité , tiens , vois le témoignage .
( Elle lui donne un billet. )
ROMÉO.
Quelle horreur ce billet va-t - il me révéler ?
Au moment de l'ouvrir je fens ma main trembler.
Lifons.
( il lit. )
>> Voici le tems , compagnons intrépides ;
»
» D'exterminer les Capulet ,
» Et quand , dans les tombeaux , j'irai jurer la paix ,
» D'enfoncer vos poignards dans le flanc des perfides
» Montaigu ». Le barbare ! & je fuis né de lui !
Mult JULIETTE.
C'eft ainfi , tu le vois , qu'il pardonne aujourd'hui.
J'ai fait par des yeux fûrs , attachés à fa fuite ,
Ecouter les difcours , obferver fa conduite ;
On comptoit tous fes pas : de fideles amis ,
Surprenant ce billet , dans mes mains l'ont remis.
ROMEO.
Ah ! je cours prévenant un mortel fanguinaire ... ,
JULIETTE.
Souviens-toi , Roméo , qu'il eft toujours ton pere.
ROMEO.
Quand fa fureur fur toi , fur l'auteur de tes jours ...
JULIETTE.
J'ai prévu les moyens d'en arrêter le cours.
ROMEO.
Que dis-tu ? Quel deffein . . . .
JULIETTE.
Mon trépas néceffaire
Va fauver à la fois ma Patrie & mon pere .
Ma maiſon , tu le fais , ne vit plus que dans moi ,
La tienne. maintenant n'existe plus qu'en toi.
Entre ces deux maifons , foit ton fang , foit le nôtre.
Il faut que l'une enfin n'importune plus Pautre ,
TRAGEDIE. 47
Et pour n'avoir plus lieu de fe perfécuter ,
Qu'un des deux partis cede en ceffant d'exifter:
Voilà le feu moyen de terminer nos haines . . .
C'en est fait , Roméo ; la mort eft dans mes veines.
ROMEO.
Qu'as tu fait ? jufte Ciel !
JULIETTE.
Tout eft fini pour moi.
Mais mon pere vivra , je revivrai dans toi.
Montaigu voudra bien , délivré d'une fille ,
Permettre à Capulet de pleurer fa famille ;
Et comme dans la tombe il est tout prêt d'entrer ,
Lui laiffer noblement le loifir d'expirer.
Tu frémis , je le vois , de tant de barbarie :
Vis pour moi , pour nous deux , pour fauver ta Patrie.
J'entends , & tes foupirs & tes gémissemens ;
Affermis mon courage en ces derniers momens.
ROMEO.
Qu'ai-je entendu , barbare ? & tu veux que j'achete ,
Le bienfait de la vie en perdant Juliette ,
Qu'à cet horrible prix , à moi- même odieux
J'ofe encore fur ta tombe envifager les cieux!
As-tu bien pu penfer qu'ayant ceffé de vivre
Ton Amant au cercueil tarderoit à te fuivre
De quel droit m'ôtois-tu par cette trahison ,
La part que mon amour me donnoit au poifon.
Tu n'as donc pas fongé , qu'unis dès notre enfance ,
Nous n'avons tous les deux qu'une même exiſtence ?
Si tu m'avois aimé , tu n'aurois point , hélas !
Diftingué de ta mort l'inftant de mon trépas ;
O Cher , ô digne objet de ma tendreffe extrême ,
Ne nous féparons point , furmontons la mort même.
Expirons , mais enfemble. Avant de m'affoupir ,
Que je te voie encore à mon dernier foupir.
Le temps , la mort , le Ciel rien n'éteindra ma flamme.
Je vivrai dans ton cœur ; tu vivras dans mon ame..
JULIETTE.
O mon cher Roméo , quand je quitte le jour ,
Cache moi par pitié l'excès de ton amour
Conferve de nos feux un fouvenir fidelle.
Vis ; j'ofe l'exiger.
ROMEO.
Va , ce fer plus fidelle ,
Au défaut du poifon , fervira mon deffein.
Un défefpoir tranquille a paffé dans mon fein.
Montaigu va venir : fous ces voûtes terribles ,
Qu'il recule à l'afpe&t de nos corps infenfibles .
Que mon barbare pere , en entrant dans ces lieux ,
Nous voie , avec horreur , expirer fous fes yeux,
48 ROMEO ET JULIETTE ;
Je ne fais quel pouvoir fatal à l'innocence ,
Dreffa dans ces tombeaux l'autel de la vengeance
Il demande des morts , il veut du fang. Eh bien !
Il fera fatisfait ? j'y verferai le mien.
JULIETTE.
Arrête , Roméo : la fortune jaloufe
Ne doit point m'empêcher de mourir ton époufe.
Sur le bord du cercueil , puifqu'il dépend de nous ,
Laiffe moi te donner le nom facré d'époux ..
Hélas ! j'ai bien acquis dans ce moment fuprême ,
Le droit trifte & flatteur de me donner moi- même.
Pour amis , pour témoins , adoptons ces tombeaux ,
Ce marbre pour autel , ces clartés pour flambeaux.
ROMEO.
Que dis-tu 3
JULIETTE.
C'en eft t. Adieu. Je meurs contente.
a i
es f bras
J'expire entre ttes ta femme & ton amante.
Ah ! donne-moi ta main ! que j'emporte avec moi.
La douceur d'être unie un moment avec toi.
ROMEO.
Juliette elle expire ; ah Dieu ! pere barbare !
Ta haine fit nos maux , c'est toi qui nous fépare ;
Mais malgré toi , cruel , nous ferons réunis. Ilfe tue
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SCENE III.

FERDINAND , MONTAIGU , CAPULET ,


ROMEO , JULIETTE , Gardes & fuite de Ferdi
nand , Partifans de la Maifon des Montaigu , Par
tifans de la Maifon des Capulet , Guerriers &
Peuple. $

FERDINAND.

PEuple , voici l'inftant que je vous al promis.


.. ( à Montaigu & à Capulet ) .
Ici , fur ce tombeau , jurez en ma préfence
D'éteindre pour jamais la haine & la vengeance .
Commencez , Capulet.
CAPULET.
Cendres de nos ayeux ,
Recevez le ferment que je fais en ces lieux ,
Je jure aux Montaigu une amitié fincere ,
De porter à leur chef le tendre amour d'un frere ,
D'étouffer nos débats , de n'y jamais fonger ,
De défendre fes jours dans le moindre danger ;
Approche. Embraffons- nous. Ciel un poignard ! barbare !
MONTAIGU.
TRAGEDIE.
MONTAIGU. 49
Courage mes , amis ,
FERDINAND.
Soldats , qu'on les fépare ;
CAPULET
Mais que vois- je ? Ah , ma fille ! ô crime ! ô juftes Cieux !
Quel fpectacle.cruel vient s'offrir à mes yeux.
MONTAIGU.
Le Ciel eft jufte enfin.
CAPULET.
Bourreau de ma fammille ,
Peux-tu bien ....
MONTAIGU.
Laiffe-moi voir expirer ta fille ;
Mes enfans font vengés.
CAPULET.
Si ce font tes plaifirs ,
Tigre , entends mes fanglots , infulte à mes foupirs
MONTAIGU.
J'en jouis. Te voilà comme mon cœur defire ,
Sens bien que tu la perds , & que mon fils refpire,
CAPULET.
( il lui montre le corps de Roméo. )
་ Regarde , malheureux !
MONTAIGU.
Que vois-je ? Quelle horreur!
Mon fils , ô mon cher fils ! ô vengeance ! ô fureur!
Et voilà tout le fruit de ma rage inhumaine .
Ciel es- tu fatisfait , ai- je épuifé ta haine ?
Frappe , unis donc le pere à fes malheureux fils,
Il tombe fur le corps de fon fils.
FERDINAND .
Vous voyez quels effets votre haine a produits.
Vos injuftes fureurs , fource de tant de crimes,
Ont conduit à la mort d'innocentes victimes ;
Peuples , qu'un monument conferve à l'avenir
De vos juftes regrets l'éternel fouvenir.

FIN.
METAL
7842

Fami

On houve à Avignon , chez le


Freres Bonnet Imprimeurs
> 2

Libraires , vis-à-vis le Puits dea

Baufs , un assortiment de Piecea

Théâtre , imprimée dans le

même goût.

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