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A. or.

3887
po. ?

A.01.

3887

Sadi

<36626011830019

<36626011830019

Bayer. Staatsbibliothek
33
GVLISTAN

O V

L'EMPIRE

DES ROSES

Composé par SADI , Prince des Poëtes Turcs

Perfans.

Traduit en François par ANDRE' DV RYER,


fieur de Malezair , Gentil-homme ordinaire de la
Chambre du Roy , Cheualier de l'Ordre du S. Spul
chre de Ierufalem cy - deuant Conful pour fa Majefté ,
& fes nations en Alexandrie,au grand Caire, & Royau
me d'Egypte.

A PARIS

Chez ANTHOINE DE SOMMAVILLE , en la petite


Salle du Palais, à l'Eſcu de France.

M. DC XXXIV.
AVEC PRIVILEGE DV ROY

Duzais
1

PIBLIOTE

REGLA

TONACENSIO
A MONSIEVR MONSIEVR

HOTMAN,

SEIGNEVR DE MOR

FONTAINE , ABBE' de S. MARD,

Confeiller du Roy en fa Cour


de Parlement.

MONSIEVR ,

M Le long- temps

que iay feruy le

Roy & ma patrie dans les pays

eftrangers ma donné moyen d'ap


á ij
7
EPISTRE .
11

prendre leurs mœurs & couftu

mes , auec le langage des Turcs,

Perfans Arabes. Fueilletant

les Bibliotheques desplus curieux

d'entr'eux en Egypte , au grand

Caire & à Conftantinople , i'ay

rencontré que le liure intitulé

Guliftan , c'eft à dire l'Empire des

Refes eft fort prifé entr'eux pour

lafubtilité de fes refponfes , pour

lafolidité defon difcours , douceur

defapoësie , & grauité defesfen

tences. C'est ce qui m'a conuié de

puis mon retourd'employer quel

quesheures de mon loïfir à fa ver

fion, l'habillant à la Françoife , Et

quoy que je n'ayepas lapoliteffe du

tangage ny la mignardife des pa

roles exquifes pour reprefenterfa


EPISTRE

naïfueté, & qu'ilfoit affez diffici

le de donner à la profe lagrace 5


l'ornement de fes vers : ieftime

que ceux quiont quelque affection.

aux langues Orientales , & qui


frauent combien il eft difficile de

les deguifer ànoftre mode , n'enfe

ront pas moins d'eftat s'erreftant

pluftoft aufens de l'Autheur qu'à

la rudeffe de mon difcours. Cette


confideration m'a obligé de vous

l'offrir , m'affeurant que fi vous le

daignez voir d'un ceil fauorable

vous couurirez aisémetpar votre


authorité tous les deffauts de fon

traducteur , puifque vos voyages

ne vous ont pas feulement donné

la connoiffance de l'Italien 5 Ef

pagnol , mais auec le Latin , Grec

á lij
1

EPISTRE.

& Hebrew , voftre eftude vous a

acquis une parfaicte intelligence

du Siriaque & de l'Arabe , lader

niere defquellesn'eft pasfeulement

femee dans tous les liures des peu

ples Orientaux , mais des quatre

parts du monde, les trois s'enfer

uent en ufent comme de leur

langue ordinaire : Tellement que

les Chreftiens quiyfont engrand

nombre attendent auec impatience

cette fameufe Bible , à laquelle

travaille ceGenie des langues, le

feur Gabriel Sionite , lequel pu

blierapar tout voftre humanité &

rendra à la pofterité voſtre nom

immortelpourlafauorable retrai
te que vous luy auez
, donné dans

voftre maifon afin d'accomplir cét


EPISTRE.

incomparable ouurage quipaffera

en fon efpece tous ceux qui


fefont

iamais entrepris deuant && depuis

le Chriftianifme. Otroyez doncie

vous fupplie , Monfieur , voftre

protection à cét estranger & trou

uezbon que le Guliftanfefalfe voir

en Francefous voftre nom ; il ne


dira rien de fa Religion quipuiffe

offencer les plus fcrupuleux ny

qui
foit indigne de voftre azile.

Ie vous fupplie le recevoir auec

cette affection qui m'a rendufans

fin.
MONSIEVR ,

Voftre tres- humble & tres-obeiffant


feruiteur, DV RYER
DE MALEZAIR.

1
1
GV LIST AN

COMPOSE PAR SADI PRINCE


des Poëtes Perfans.

PREFACE.

OVANGE foit à

Dieu puiffant &


glorieux , l'obeif
fance à fes com

mandements nous

approche de fa di

uine Majefté , & eftre dans la re


connoiffance de fes bien- faits eft

vn accroiffement de grace. La

refpiration prolonge la vie , &


A
‫را‬
2 PREFACE.

l'homme eft refiouy par l'afpiratio


en l'vne & en l'autre : il s'y rencon 0

tre deux graces , & chaque grace

merite vn particulier remerci

ment. Quelle eft la langue qui

s'en pourra dignement acquiter?

Lignée de Dauid ne fois ingrate


puifque peu de mes creaturesfont
reconnoiffantes . Il eſt bien feant

à la creature de s'excufer fur fes

defauts, puifque perfonne ne peut


dignement exprimer les bien -faits
de Dieu la rofee de fa mifericor

de infinie eft tombée fur tout le

monde , & la table de fes graces

s'eftend par toute la terre. Il ne


confond fa creature pour vn pe

ché, & ne la priue de fon pain quo

tidien pour vne faute. O liberal

qui as foin de donner le pain quo

tidien aux heretiques & idolatres !


PREFACE. 3
5 abandonnerois tu tes amis , puif
1 que tu as foin de tes ennemis ? Les

vents de l'Aurore ont efté com

mendez d'eftédre fon lict efmaillé

de diuerfes couleurs , les nuées du

Printemps de nourrir les plantes


dans le fein de la terre , les arbres

de fereueftir de leurs feuilles ver


tes , & les branches defe couurir

de leurs chapeaux de fleurs à l'ar

riuée du Printemps , par gracefpe

ciale de Dieu. Le verjus s'adoucit,

& le noyaude la datte produitvn

grandpalmier, les nuages, levent,


la Lune, le Soleil, & le Ciel trauail

lent à te faire auoir du pain , ne le


mange pas ingrattement . Ces
chofes infenfibles obeiffent à ce

qui leur eſt commandé pour l'a

mour de toy , tuferas fans raifon,

fitu nereconnois tant de faueurs,

A ij
4 PREFACE.
Confidere la bonté de Dieu , les

hommes pechent , il détourne fa


face de leurs pechez , & ceux qui 10
in
approchent fa diuine Majefté,
confeffent qu'ils ne l'adorent pas 0
affez dignement , & qu'ils ne con

noiffent parfaictement fa diuini


té , que fi quelqu'vn demande

quel eft fon eftre , que peut ré

pondre vne perfonne muette &


1 ignorante. Vn homme facetieux

ayant vn iour en copagnie plongé


fon efprit en cette matiere , & de

meure long- teps fongeart & pefif,


eſtant reuenu à ſoy , interrogé par
raillerie d'vn fien amy , quel pre

fent il luy auoit apportédu iardin


où il auoit efté , i'auois refolu , ref

pondit-il , d'apporter le coin de


ma robbe plein de roſes pour mes
amis , mais l'odeur m'a tellement
PREFACE.
S
rauy , que le coin de ma robbe

m'eft efchappé des mains . La cho

fe aymée cauſe fouuent la mort à

celuy qui ayme, le papillon fe brû


le en l'amour de la chandelle , &

nous nous perdons en la recherche

de ce fecret , les plus curieux en


font les plus ignorants , & ceux

qui en ont apris quelque chofe,


leur fcience n'a pas eftéplus auant,

ils en ont parlépar parabole , par

exemple , par ouy dire , par lecture


& eftude , & l'heure de leur mort

eft arriuée auant qu'ils en ayent

peu acquerir vne fimple connoif

fance , ainfi nous demeurons tou


fiours pour ce regard en mefme

eftat d'ignorance ; La memoire

de Sadi eft heureufe , puis qu'il

nous en laiffe quelques enfeighe


mens, il eft eftimé en la bouche du

A iij.

?
6 PREFACE.

peuple , & la voix defes paroles eſt


eftendue par toute la terre , fes en
feignements ont efté trouué doux

comme miel , & fes paroles ont


efté receuës comme efcrites en vn

papier d'or , perfonne n'eſt arriuéà

la perfection de fa doctrine & elo

quence. Ce grand Prince , le plus

grand que le temps ayt fait paroi


tre ,le Lieutenant de Salomon , ce

grand Monarque victorieux, pro


tecteur de la religion & des gens

debien , feigneur des terres & des


mers Aboubakre , Bin Sad , Bin

Zenki, Ombre de Dieu en terre,l'a

regardé d'vn œil d'affection , a efti

méfa vertu , luy teſmoignant vne

entierement bonne volonté , fans


doutefon amitiéa conuié les gráds

& les petits à l'aymer puifque le

peuple embraffe la loy, & fuit le


PREFACE.

fentiment de fon Prince.

Depuis le temps que tu m'as re

gardé de bon œil, mes veftiges ont

efté plus lumineux que le Soleil

encore que ie fois accompagné de


tous les defauts du monde. Tous

les deffauts qui plaiſent au Roy

font tenus pour merite & perfe


Єtions.

Vn iour eftant au bain ie ren

contray vne terre odoriferante

qui y auoit eſté apporté pour vn


Seigneur de condition , ie deman

day fi c'eftoit de lambre ou du

mufc , on me refpondit que c'e


ftoit vne terre ordinaire & com

mune , mais qu'elle auoit eſté miſe

auprés de quelques fleurs qui luy

auoit communiqué cét odeur.

Ceux qui liront ce liure treuue

ront duprofit & aduantage en fes

A iu
8 PREFACE.

preceptes , & la vertu contenue en mc

iceluy leur fera communiquée . PPO!


U
Dieu Eternel enrichis les vrays 10

croyans & leur Prince Abobakre,

augmente fes graces & bien- faits

augmente fa grandeur , & le rends


victorieux auec fes Miniftres con

tres fes ennemis , conferue fes É

ftats , prolonge fes iours, & ceux de

fon fils , puifque par ta gracefpe


ciale le monde eft heureux à caufe

de cét enfant.

Sçay-tu pourquoy i'ay fejourné

fi long - temps en pays eſtranger,


je fuis forty de mon pays pour ne
voir la hote & infamie des Turcs,

qui par des diffentions ciuiles a


uoient rendu leurs Eftats confus

& embroüillez comme les che

ueux frifez d'vn More , ils eftoient


hommes & fe mangeoient com
PREFACE. 9

me des loups , à mon retour l'ay

treuué ces Leopars auoir changez

de nature, & ioüir d'vne paix &

tranquillité affurée par la bonne


Bin
iuftice du Roy Abobakre , B
Sad Bin Zenki. Le Royaume de
Perfene peut fouffrir aucun dom

mage tant qu'il fera fous fon om

bre,la Coureft vn lieu de conten

tement , & l'afyle des affligez .


Grand Dieu Createur de l'Vni

uers, donne à ce Prince des recom

penfes égalles àfes merites , & gar

de ce Royaume de diffention , tant


T
que la terre & les eaux fubfifte

ront.

Cequim'a conuié de compoſer

ce liure eft qu'vn iour repaffant

en moy-mefme les années paffées,

ieregrettay le temps que i'ay fi in


utilement employé, chaque mo
10 PREFACE.
1
ment noftre vie diminuë , & plus

on penfe au temps paffé , mieux


nous connoiſſons le peu qui nous

refte de vie. Celuy-là doit eftre

honteux qui laiffe le monde fans


auoir fait aucune bonne œuure,
y
& entend fonner à cheual auant

quefon équipagefoit preft. Quel

ques vns ontbalty des Palais qu'ils


ont laiffé au pouuoir d'autruy , &

d'autres en ont commencé qu'ils

ont laiffez imparfaits. Mais puif


que telles chofes ne font de durée

que nous fommes tous bons ou

mauuais , heureux ou malheureux.

Ceux-là font les plus aduifez & les

plus heureux qui s'addonnent à


bien faire, & laiffent fur leurtom

beau des armes pour deffendre

leur vie & leurmemoire , perfon

ne n'y en laiffera apres toy , il faut


PREFACE. II

que tu ypouruoye promptement,

cependant que tu es enfanté,puif

que l'aage eft comme la neige qui


fond au Soleil , fi tuvas au marché

fans argent-ie crains que tu n'en


reuienne les mains vuides , & fi tu

mange ton bled en herbe tu ne

moiffonneras que des feftus & de


l'iuroye. Apres ces confiderations
ie fis refolution de me retirer en

lieu folitaire pour me deliurer de

l'importunité des compagnies , &


m'abstenir des paroles vaines &

inutiles qui yfont ordinairement

en vfage. Les fourds & les muets

cachez en quelque coin font plus


heureux que ceux qui font és Cours

des Roys , & ne peuuent reprimer

leur langue. En ce temps vn de

mes anciens amis me vint voir, le

quel comme autrefois commença


12 PREFACE.

de m'entretenir depropos de rail

lerie , ie luy fis connoiftre par mon


filence la refolution que l'auois pri
fe de viure comme muet en folitu

de le reſte de mes iours , il pro

teſta qu'il ne m'abandonneroit ia P


mais fi ie ne viuois & difcourois

auec luyfeló noftre premiere cou

ſtume, que c'eftoit trop mal trait

ter vn ancien amy , & que quand

l'aurois iuré de luy deplaire, la fa


tisfaction d'vn tel ferment de

uoit eftrelegere, puifque c'eſt cho


fe irraifonnable & contraire au

fentiment des gens de bien de faſ


cher tous les amis par vn eternel

filence que la langue en la bouche


d'vn homme eft la clef d'vn thre

for , fila porte eft fermee on ne


fçait s'il eft de pierres precieufes ou
de cailloux . Que bien que ce foit
PREFACE. 13

quelquefois ciuilité de ſe taire en


la prefence des fages , c'eft fottife
நிகா,

de fe taire où il faut parler. Deux

chofes tefmoignent le trouble de

l'efprit d'vn homme , le filence

lors que le parler eft requis , & le

parler lors qu'il faut garder le fi


lence. Gaigné par les difcours &

par noftre anciene amitié, ie m'en

allay difcourant auec luy dans vn

iardin où le roffignol eftudioit fa


muſique , & où mille fortes d'oi

feaux chantoient à l'enuy l'vn de

l'autre , il eftoit efnaillé des plus

belles & plus rares fleurs du mon


de , & fes arbres couuerts de toutes

fortes de bons & beaux fruicts,


murmuroient doucement aufou

fle des zephirs qui le rafraichif

foient , la terrey reffembloit au


lict que lebrodeur Bocolmon pre
Si
14 PREFACE.

fenta à Salomon , rendant vn o

deur extremement fuaue , caufée

par l'abondance & diuerfité des

fleurs : bref c'eftoit vn lieu fi plein

de delices que rien n'y eftoit faf

cheux que la penfee d'enfortir ; ce


mien amy y ayant cueilly vn bou
ic
quet de fleurs , pour emporter ,
luyparlay de la forte , les roſes &
les fleurs font bientoft fanées , & le

plaifir que nous en receuons finift R


il
auffi toft qu'elles font fletries ,

faut s'attacher à ce qui eft folide &

permanant , ie veux compofer vn


liure intitulé Guliſtan , qui figni

fie le Royaume des rofes , il de


fiera les iniures du temps auec le

changement des faifons , & ne

changeroit pas fes fleurs aux plus


rares fruicts de l'Automne. Alors

le maiftre du iardin s'attachant au


PREFACE.
IS

pan de ma robbe me coniura de


#telle forte d'accomplirce que ieluy
5
faifois efperer que mon liure fuft

paracheué auant que les rofes fuf


Tent tout à faict fleitries.

Et d'autant que c'eſt chofe dif

ficile de parler fi bien que quel

ques vns n'y treuuent à redire , &

qu'vne bonne partie de ceux qui


= nous eſcoutét font aux aguets plu

toft pour cotroller nos parolles &

actios,que pour apprédre: le cóiu

re ceux qui liront ce liure de ne fe

pas arrefter à ce qui fera contraire


à leurhumeur. Les Ambaffadeurs

des Indes apres auoir traitté de

plufieurs grandes & importantes

affaires auec Burgemzer , dirent

qu'ils n'auoient remarqué aucun


deffaut en luy , finon qu'il parloit

trop lentement & eftoit trop tar


16 PREFACE.

dif en fes refponfes , ce qu'ayant


cfté entendu par luy , il repartit
qu'il eftoit plus feant depenter

ce qu'on vouloit dire, que de fere

pentir de ce qu'on auoit


* TRAILER dit
235 . Ce
luyquiparlebien encore qu'il foit
a
tardif à parler n'a pas fujet des'en

repentir, & les beftes font prefera

bles à celuy qui parle fans raifon,


principalement en la preſence des

Roys & fçauants perfonnages .

Neantmoins encore qu'on ne doi


ue vendre lambre faux au mar

ché des perles , que la chandelle

n'aye point de rayons auprés du

Soleil , & que les Clochers paroif

fent petits au pied des hautes mon

tagnes : ie ne m'eftimeray pas peu

difert & eloquent fi leprefent de


ce liure eft agreable à ce grand

Monarque Abobakre : car bien

que les
PREFACE.
17
queles ennemis s'efforcent dera
batre l'orgueil de ceux qui fe glo
rifient de leur fcience. l'efpere que

mon humilité feruira de bouclier

à mon ignorance , puiſque ce n'eſt


pas le faict d'vn cœur genereux

d'outrager ceux qui s'humilient.


Locman interrogé de qui il a

uoit appris la prudence , refpon

dit qu'il l'auoi t appriſe des aueu


Orif

gles qui ne fe laiffoien


W t iamais al
ler d'vn pied , fans eftre affurez

de l'autre , penfe donc comme tu


fortiras d'vn lieu auant que d'y

entrer , connois & efprouue tes


forces , puis efpouſe vne ieune
fille ou vne fe mme vefuc , le cocq

quoy que genereux , eft inutile

en la guerre des leopards , le cou

rageux leopard ne peut rien en la


guerre des faulcons & Autours,

B
18 PREFACE .

toute fois les deffauts de celuy du

quel la foibleffe eft appuyee des


Grands , font couuerts par leur

adueu & authorité : c'est ce qui

m'a meu de mettre ce liure en lu

miere , fous l'ombre & protection

de ce grand Prince Aboubakre,

pour laiffer quelque memoire d'a

uoir efté, & conuier ceux qui le li


ront d'auoir fouuenance de moy

en leur prieres. Et afin de le rendre

moins ennuyeux ie l'ay diuifé brief

uement en huict Chapitres . Cha


pitre premier des mœurs des Roys.
Chapitre 2. de l'humeur des Reli

gieux Dreuis. Chap. 3. du con


tentement . Chapitre 4. de l'vtili
té du filence. Chap. 5. de l'A
mour. Chap. 6. de l'infirmité de

la vicilleffe. Chap . 7. de la nour

riture & inſtruction. Chapitre


PSM
PREFACE. 19
huictiefme des Prouerbes.
En
l'année fix cens cinquante fix de

'Hegire de Mahomet

Bij
a
DES MOE VRS

DES ROY S.

CHAPITRE I.

AY ouydire qu'vn
'
Roy commanda
vn iour de faire

mourir vn fien fu

ject qui eftoit in

nocent , lequel fe voyant priué .

d'efpoir , de falut & de vie , fe


print à dire des iniures à fon Prin

ce. ( Vn defefpere dit tout ce qui


luy vient à la bouche , le defef

Bij
22 GVLISTAN.

poir augmente la hardieffe de par


ler , vn chat acculé fe rue contre

les chiens , & la neceffité nous fait

empoigner vne efpee tranchante. )


Le Roy demanda à vn de fes Mi

niftres ce qu'il auoit dit , Grand

Prince , refpondit-il , il dit que

Dieu pardonneà ceux qui domi


nent leur cholere , & qui ont pi

tié du peuple. Cette refponfe a


t
grea tellemen à ce Prince qu'il
fit grace à ce pauure miſera
ble. Alors vn autre Miniftre en

uieux & ennemy du premier, par

la en cette façon , il n'eft permis à


ceux de noftre nation de mentir

en prefence du Roy , cet homme

; aproferé des paroles & dit des in


utes à fa hauteffe qui meritent

chaltiment. A ce difcours le Roy

fronça le front , & parla de la


GVLISTAN. · 23

forte , Le menfonge de celuy-là

m'eft beaucoup plus agreable que

ta verité , fon menfonge eft fuiuy


du bien , & ta verité eft fuiuie du

mal , vn menfonge profitable &

pacifique eft meilleur qu'vne ve

rité nuifible & pernicieuſe. Mal


}
heur arriue à celuy auquel le Roy

a creances'il parle mal, il doit tou


fiours auoir le bien en la bouche.

Le Roy Feridon auoit fait efcrire



fur le portail de fon Palais,

perfonne , ômon frere , n'eft per


manant en ce monde , ne te fie

qu'en Dieu , ne mets ton appuy au


monde nyjau Roy , ils en ont elle

ué pluſieurs comme toy, qu'ils ont


fait eftrangler. Lors qu'vn franc &
genereux courage eft refolu de for

tir du monde , qu'elle difference


fait- il de mourir dans vn trhofne

Bi!!j
J །
24. GVLISTAN.

ou fur la pouffiere de la terre.

Vn Roy de Corafan , vid vne


nuict en fonge Sultan Mamoud
Sebectin , cent ans apres fa mort,

qui auoit les yeux tournez con


trefon Palais. Tous les Docteurs

de ce temps ne peurent expliquer

ce fonge hormis vn pauure Reli

gieux Dreuis , lequel dit que ce


Roy fon predeceffeur , regardoit

commefes Eftats changeoient de


Maiſtre > & tomboient fous le

pouuoir d'autruy , à cauſe de fon

iniuftice. Combien y a- t'il de per


fonnes de condition enfeuelis fous

terre , defquels on n'a aucune me


. moire , ny autre marque d'auoir

efté, que des os mangez de la pouf


fiere. Mais le fouuenir du iufte

Nacherouan n'eſt pas efteint , en

core qu'il y ait long-temps qu'il

1
GVLISTAN. 25

ne foit plus, il faut bien faire pen

dant qu'on eft en vie , & croire


que ce que nous viuons eft autant

de gagné , auant que ceſte voix

s'entende & qu'on die, Vn tel n'eſt

plus.
T'ay ouy dire qu'vn Roy de Perfe

auoit vn fils de petite taille & mef


prifé deplufieurs, à caufe de la dif

proportion de fon corps , neant


inmoins fes autres enfans eftoient

grands , bien -faits & de bonne

grace , le Roy le regardant vn iour

d'vn œil de mefpris & de compaf

ſion, il reconnut au vifagé de fon

pere & à fon maintien , lepeu d'e


ftat qu'il faifoit deluy , & luypar
la en cefte forte , Mon pere, vnpe

tit homme fage vaut mieux qu'vn

grád fol, les chofes les plus groffes

ne sot pas touhours celles qui font


.26 GV LISTAN.

de grandprix, on mage la chair du


mouton , & l'Elephant fert de cha

rongne Dieu a preferé le petit

mont Mont de Sion : aux grandes

montaignes , vn cheual maigre


vaut mieux qu'vn aſne gras. Le

Royfeprint àrire de ce difcours , &

les Seigneurs qui eftoient preſents

loüerentfon efprit & fon iugemét,

ce qui dépleut grandement à fes


freres. Vn homme en parlant fait
connoiftre fes deffauts & fon me

rite , & celuy qui fe tait cache l'vn

& l'autreYOUR: vn petit boccage n'eſt


pas toufiours vuide de gibier , le
leopart y peut eftre endormy. En

ce temps le Roy fut attaqué , & fu


rieufement affailly par les Princes

fes voifins , les deux armees cftant

en prefence , ce petit fils contre

fait fut le premier qui poufla fon C


GVLISTAN. 27
cheual contre les ennemis , difant,

le ne feray pas de ceux qui mon


ftreront le dos au iour dela batail

le , on meverra auiourd'huy cou

uert defang & de pouffiere: celuy

qui combat genereuſement ha


zardę fa perfonne , mais celuy qui
s'enfuit hazarde fes compagnons,

& lesioüe. Il donna fur l'efcadron

plus aduancé fi rudement que les


foldats efpouuantez au commen
C
cement du grand nombre de leurs

ennemis ,puis apres animez par fon


courage & par fa valeur allerent

tousferrez à la charge & méprifant

toutes fortes de dangers quife pre


fentoient deuát leurs yeux , mirent

tous leurs ennemis en déroutte. A

pres la bataille , il vint falüer fon

pere, & luy dit , Mon pere , mon


corps vous femble ridicule & con
1

28 GVLISTAN.

trefait , ne mefurez ma valeur à ma

taille, vn cheual maigre eft plus v

tile au iour de bataille qu'vn bœuf


gras. Son pere ayant reconnu fa

vaillance & addreffe l'embraffa a

uec affection , luy baifa les yeux, &

luy donna la Lieutenance genera

le en tous fes Eftats , ce qui excita


contre luy l'enuie & la haine defes

freres , lefquels confpirantfaperte

empoifonnerent fa viandepour le
faire mourir dequoy ayanteu aduis
parvnefiennefœur, il fe leua de ta

blefans manger, proferant ces pa


roles , Nous fommes cir la faifon

que les honneftes gens meurent, &


que ceux qui font fans honneur

prennent leur place , neantmoins

perfonne nefemet à coquert fous

les aifles des hiboux, quelà où il n'y


a point d'oifeaux de Paradis , le
1
GVLISTAN. 29

Roy ayant apris cette confpira


tion en fut fort indigné contre ſes

autres enfans, & pour les tenir tous


en bonne intelligence il partagea
fes Eftats entr'eux fi heureuſement 1

qu'ils furent tous contents, cuitant


par ce moyen toute forte de haine

& rancune entre fes heritiers . Dix


3
pauures Religieux Dreuis ,peuuent
coucherfous vn mefme toict, mais

deux Roys ne peuuent demeurer

dans vn feul Royaume , vn hom


me de bien donne volontiers la

moitié de fon pain aux pauures,

mais vn Roy fait toufiours deffein


fur les Eftats de fon voifin.

Vne troupe de voleurs Arabes


s'eftant vn iour retirez , & fortifiez
fur le haut d'vne montaigne , a

uoient deferté les chemins & paf

fages , & par leurs voleries & bri


9.
S TA
T LI
30 GV .

gandages , s'eltoient rendus re


doutables aux habitans du pays,les

gens du Roy commis à la garde

des chemins ayant cftépar eux bat

tus & mal traittez obligerent les

principaux Miniftres du Prince de


s'affembler pour aduifer entr'eux

des moyens de deliurer le peuple

de cette oppreffion , apprehendant

ne les pouuoir chaffer de leurs re

tranchements , s'ils s'y fortifioient


dauantage. Vn arbre nouuelle

ment planté s'arrache facilement ,

lors qu'il a pris racine, on ne le peut

eſbranler , on peut à la fource d'v


neriuiere arrefter l'eauauec vn peu

de terre , quand elle elt debordée

on a peine de la paffer auec vn Ele

phant. La refolution de l'affem

blee fut , qu'on commettroit vn

homme pour aller auec rufe & in


GVLISTAN. 31

duftrie reconnoiftre en quel eſtat

eſtoient ces voleurs, & efpier l'oc


cafió de les attacquer auec aduata

ge , à cet effect plufieursperfonnes


s'embufcherent dans le bois & aux

aduenues de la montagne , cepen

dant qu'vne partie de ces brigands


eftoient allezà la picorée , lefquels
s'eftans retirez de nuict auec leur
1
butin furent au premier fommeil

attaquez de tous coftez par ceux

qui eſtoient en embuſcade , qui les


ayans pris les lierent les mains der

riere le dos & les amenerent en la

prefence du Roy, qui commanda


de les faire tous mourir. Alors vn

des Vifirs yoyant entr'eux vn icu

ne enfant, beau & debonne grace,

baiſa le pied du throfne Royal,


& parla au Roy de cette forte.

Grand & genereux Prince , ce ieu


32 GV LISTAN.

ne enfát n'a encor goufté du fruict

de la vigne de vie , il ne fçait que

vaut lefruit de la ieuneffe , ie fup

plie tres-humblement ta hauteffe

de luy faire grace, ce fera vnepar

ticuliere obligation que ton efcla

ue receura de ta cleméce, celuy, ref


pondit le Roy , ne deuiendra ia

mais bon qui cft méchant de na

ture, il eft meilleur d'en coupperle

tronc & exti per les racines , tuer le

ferpent & laiffer viure les ferpen


teaux ce n'eft le faict d'vn homme

fage la frequentatió des mefcháts


nous rend mefchás cóme eux . Puif
rometha
fantPrince replica le Vizir ,Ce que
dit ta hauteffe eft tres - veritable ,
mais ce ieune enfant n'a pas efté

long-temps auec ces brigands , &


n'eft encore imbu de leurs vices &
"
mefchancetez , i'efpere qu'eftant
) nourry
GVLISTAN. 33

nourry parmy les gens de bien , il

fera homme debien , il eft à peine

forty de l'enfance & ne peut eftre

endurcy dás le mal auec cesvoleurs ,

nous naiffons tous gens de bien,


2. nos parents nous donnent telle in

Iftruction que bon leur femble,


nous fommes Turcs , Iuifs , Chre
ftiens & idolatres auant que nous

ayons I'vfage deraifon . Ieluypar

donne , refpondit le Roy , contre


mon deuoir & mon inclination , il
ne faut iamais eftimer les mefcháts

foibles,vn fleuue fe paffe facilemét


àfa fource, mais en eftant efloigné
il entraifne les mulets & les cha

meaux auec leurs charges. Neant

moins le Vizir ayant obtenu la


grace de ce ieune enfant le donna

à vn Precepteur pour l'inftruire,où

il ferendit aggreable à vn chacun


C
fi
GVLISTAN.
34

& profita tellement à l'eſtude des 01

bonnes lettres, que le Vizir ne fe


pût empefcher de loüer fon bon

naturel en prefence du Roy, lequel


foufriant , luy dift , le fils d'vn loup
fera toufiours loup , encore qu'il

foit nourry entre les homes ; quel


ques années apres , vne trouppe de

rebelles l'éleut pour chef, & liant


vne eftroitte amitié auec luy , con

fpira la mort du Vizir & de deux

enfans qu'il auoit & les affaffine

rent auec leur pere , faccagerent


fon Palais , emporterent toutes fes

richeffes & fe retirerent dans les

forts & retranchements des vo

leurs exercerent toute forte

d'hoftilité & de rebellion , dont le

Roy ayant eu aduis fe mordit

le doibt , difant qu'on ne pouuoit


faire vne bonne lame d'vn mau

4
GVLISTAN. 35

desuais fer, la nourriture ne rendra ia


fe
mais humain celuy qui eft brutal
on denature, les fleurs croiffent dans
uel les bonnes terres , & les chardons
Dup dans les mauuaifes , il ne faut em

ployer en vain fon trauail & fa pei


ne, faire bien aux mefchants , eft

autant dangereux quedefaire mal


ant aux bons.

on l'ay veu à la porte du Palais vn


Cur ieune Gentilhomme tout efploré,
ne
qui eft eftimé vn desplus fages &
ent vertueux de noftre fiecle , fes ver

sfer. tus nefe peuuent exprimer par au


cuns difcours , dés fon enfance on

voyoit fur fon front les marques


31
certaines d'vne future grandeur,

on voyoit briller fur fa tefte vne

grandeeftoile defageffe & depru


dence , fa beauté & fon fçauoir le
rendirent tres - aggreable & tres¬

Cij
36 GVLISTAN.

puiffant auprés du Roy: Les fages On

x difent qu'il faut acquerir l'honneur CLE


P11
VIL
& l'authorité par merite & no pas
par argent, l'efprit rend l'homme

vieil , & non pas les annees. Vn

iour fes voifins enuieux de faprof

perité l'accuferent d'vn tres-enor

me crime , & employerent toutes

leurs forces & induftrie pour lefai


reperir , mais que peuuent faire les
1
ennemis contre ceux qui ont des

amis puiffants & fauorables ? Le


Roy qui auoit de la bonne volon

tépour luy , luy demanda vn iour

d'où prouenoit la haine & rancu

ne de les voifins. Grand & puiffant


Monarque , refpondit-il , à l'om

brage de ta hauteffe i̇'ay rendu vn


chacun content , hormis les en

uieux,qui ne peuuent receuoir plai


fir que dans ma ruine , que peut

(
GVLISTAN. 37

on faire pour contenter les enuieux

qui font vn tourment eternel à


eux-mefmes les mefchants & mal

heureux ſouhaittent auec paffion


la perte de ceux que la fortune re

garde de bo œil, & ne peuuent fup

porter l'éclat de la profperité des


bons ; Si la chauue-foury ne peut

regarder le Soleil , ce n'eft pas la


faute de ce bel Aftre , il vaut mieux
1
que mille femblables yeux ne

voyent goutte , que fi le Soleil e


ftoit noir.

Vn tyran Roy de Perfe rauif


fant le bien de fes lujects & exerçát

fur eux toute forte d'iniuftice , con

traignit le peuple de quitter le


lieu de fa naiffance pour aller cher
cher vn abry en pays eftranger ; le
Royaume de Perfe deuint fterile

& defert, & le rçuenu du Prince fut

C iij
38 GVLISTAN.

grandement alteré par faute


31
de gens pour cultiuer la terre

en mefme temps il fut attaqué

de tous coftez par fes ennemis, qui

ľ luy firent vne tres -rude guerre. Les

fages difent que celuy qui crie au


fecours en fon affliction ,doit auoir

acquis du fupport en temps de


profperité. Vn valet mal traitté
s'enfuit, & les hommes lettrez font
rendus efclaues par la courtoific.

Vniour ce tyran faiſant lire en fa

prefence vn liure d'hiftoire conte

nant la perte des Eftats du Roy


Duhac , & l'euenement de Feri

don , à la Royauté , fon Vizir luy

parla en cette façon , Feridon n'a

uoit ny ville,ny threfor, ny foldats,


ny chafteau , comment a-t'il efta
A

"
blyfa Royauté, c'eft comme tu l'as

oüy , refpondit le Roy , vne partie


GVLISTAN. 39

du peuple fe ietta auprés deluy qui


l'aida a
à fe faire Roy. Puifque la

Royauté s'acquiert, dit le Vizir,par


l'affiftance du peuple , pourquoy

chaffe tutes fujets hors de tes Etats


par ta violence , il eft meilleur de

nourrir l'affection des peuples que

desgens deguerre pour regnerpar


force & violence , il faut qu'vn

Royfoit de bonnaire & qu'il gar

defes fujets d'oppreffion , mais tu


aucune de fes chofes , il n'y a

point Royauté dans l'iniuftice : vn

loup nepeut eftre Paſteur , le Roy

quifeme la graine d'iniuftice fappe


les fondements de fes Eftats, & ref

ſemble aux hiboux qui n'ayment

queles ruines. Ce difcours defplut


à ce tyran, lequel outré de colere fir

trancher la telteà fon Vizir, qua

ques iours apres les coufins ger


Ci
N
TA
L IS
40 GV .

mains de ce Roy fe foufleuerent


111
contre luy & demanderent la part

& portion que leur pere auoit dans

le Royaume, les peuples qui auoiét


fuï à cauſe de ſa tyrannieſe ioigni

rentà eux, & cóbatirent fi opigna

ftrement qu'ils le chafferent de fes


Eftats , & eftablirent fes coufins en

fa place. Vn Roy qui permet l'iniu


ftice fous- main , femble aimer fes

ennemis, fais la paix auec tes fujets,


& tu feras à couuert contre l'effort

de tes ennemis : àvn Royiufte tout

lepeuple eft foldat.

Vn Roy de Perfe eftoit dans vn


Nauire , auquel fe rencontra vn

ieune page, qui n'ayant iamais efté

fur mer, pleuroit inceffamment, &

tra mbloit
on nede peur de faire
le pouuoit naufra
affeurer par

g&;
aucun difcours, le bruit qu'il faifoit
GVLISTAN. 41

déplaifoit au Roy & à fes Courti

fans, fans qu'o ypût treuuer aucun

remede que par le moyen d'vn

Medecin qui eftoit dás le vaiffeau,


A
lequel dit qu'il feroit taire ce gar
çon fi on luy commandoit , de

• quoy cftant prié , il ordonna de

ietter ce pleureux dans la iner, &

apres l'auoir fait plonger trois ou

quatre fois dans l'eau il le fit pré


dre par les cheueux & apporter au

bort du Nauire, auquel il s'attacha


auec les mains, & eftant montéfur

le coridol fe mit en vn coing fans

dire mot. Le Roy demanda quel


le fcience il y auoit en cela , Sage

Monarque, refpondit le Medecin ,


cet enfant n'a iamais veu noyer

perfonne en la mer , & ne connoif

foit pas ce que vaut le falut du vaif


feau , de mefine que celuy ne fçais

12.
42 GVLISTAN.

pas ce que vaut la profperité qui are


n'a iamais eſté en aduerfité , celuy es
si

qui a leventre plein ne veut points


de pain d'orge , c'est ce que defire nn

ceux qui ont faim : ceux qui font

en Purgatoire croyent eſtre en En mes

fer , & ceux qui font en Enfer efti

ment le Purgatoire vn Paradis .


Vn Roy Arabe malade de vieil

leffe , & defefperé d'vne plus lon

guevie,vit à l'impourueu entrer vn

courrier dans fon Palais qui luy

apportoit nouuelle de la prife d'vn


Chafteau de la defroute de fes en

nemis & comme le peuple obeif


foit à fes commandemens , Cette

nouuelle , refpondit-il , ne s'ad


dreffe pas à moy , elle s'addreſſe
à mes ennemis , c'eft à dire , à mes

heritiers , i'auois efperance de pré


dre ce Chafteau , il m'eft arriué ce

quei'efperois , mais quel auantage


GVLISTAN.
43

en reçoy-ie , puiſque ie ne puis voir


les iours qui font paffez , mon heu
re s'approche , la volonté de mes
)
ennemis eft accomplie en moy, ils

en ont ce qu'ils defirent , à la fin

mes amis , vous pafſerez auſſi , ï’ay

paffé ma vie auec negligence , pre

nez mieux garde à vous que ie

n'ay prisgardeà moy.


l'eftois vniour affis fur le Tom
1 beau de S. Iean au Temple de Da

mas , lors qu'vn riche Prince Ara


be renommé & reconnu par fon

iniuftice , vint vifiter ce lieu , & par

fa priere demandaà ce Sainct aide


& fecours contre fes ennemis , a

lors vn pauure Religieux Dreuis

qui cftoit à la porte luy parla de la

forte. Ceux quifont les plus riches

font quelquefois les plus necefli

teux , aye pitié de ton peuple, & tu

1
44 GVLISTAN.

n'auras peur de tes ennemis , celui

qui eft impitoyable a peur s'il tom


be que perfonne ne luy tende la

main , les hommes font membres


les vns des autres , & créez tous de

mefine matiere , fi vn membre eft


7
affligé les Commenautres s'en refentent:

Celuy qui n'eft touché du mal d'au

truy ne merite d'eftre appelle hom


me.

Vn Roy tyran demanda à vn

Sage quel eftoit le temps le plus


propre pour employer à l'oraifon,

il est bon pour toy, refpondit- il,

que tu dorme iufques à midy , afin

que ton peuple foit en repos le ma


tin , il eft bon qu'vn tyran ne fe re

ueille iamais,il feroit meilleur qu'il


mouruft que de mal traitter fon

peuple.

l'ay oui dire qu'vn Roy dor


GVLISTAN. 45

moit tout le iour , & paffoit la

nuict en defbauche perpetuelle,


difant fouuentefois qu'il n'auoit

meilleur temps au monde que lors

qu'il eftoit yure, parce qu'il nefon

geoit alors ny en bie ny en mal, &


n'eftoit pas capable de refentir au
cuns mefcontentemens ny ennuy.

Vn gueux couché tout nud au mi

lieu du chemin , expofé à la rigueur

du froid , entendant ce difcours,

luy dit qu'il eftoit en cela égal à

luy , parce qu'il eftoit fans foucy,

ce qui plût tellement au Roy qu'il

luy ietta mille pieces d'argent , &

luy enuoya des habits pour ſe cou


urir contre l'iniure du temps , ce
miferable mangea cét argent en

peu de téps , & retourna à la Cour

autant gueux & neceffiteux qu'il


cftoit auparauant. L'argent ne
46 GVLISTAN.

peut demeurer enla main des quefi

ments , la pafcience en l'efprit des r


amoureux , ny l'eau dans vn cri

ble. Les Princes fe fafchent quand

on leur demande , celuy ne meri


teles bien-faits des Grands qui ne

les fçait conferuer au befoin. Le


Roy ayant appris le retour de ce

gueux , commanda de le chaſſer,

d'autant qu'enfipeu de temps il a

uoit mangé tant de bien , difant,


Que celuy eftoit fol qui allumoit

fa lampe en plein midy , parce


qu'il n'auroit plus d'huile pour la

nuret . Il eft vray grand & gene

reux Monarque ( repartit I'vn de

fes Miniſtres preſent ) mais il faut

donner auxpauures ce qui leur eft


neceffaire auec moderation , afin

qu'ils ne le dépenfent tout à coup,


& non pas les chaffer auec colere
GVLISTAN. 47

& indignation,vn Roy ne doit pas


contenter les hommes d'efperan

ce & courtoifie , pour les rendre a


pres malades par defefpoir , vn

Prince ne peut empefcher qu'on

neluydemande , il faut qu'il vfe de


liberalité s'il veut eftre aimé & fui

uy:car perfonne ne s'arreſte dans

les deſerts d'Arabie , où il n'ya que

de l'eau fale , les hommes les oi


feaux & toutes fortes d'animaux
s'arreftent à l'eau douce.

Vn Roy grandement rigou

reuxà fon peuple , & auaricieux à


fes foldats , eftant vn iour affailly

par fes ennemis , fes gens prirent


la fuitte fitoft que les deux armées

furent en prefence. Les foldats ef


pargnentleur fang lors qu'on leur

efpargnel'argent:) Interrogez de

puis de la caufe de leur fuitte , &


48 GVLISTAN.

blafmez d'auoir abandonné laf brc

chement leur Prince , ils ref an

pondirent que leurs cheuaux e ges


toient à l'efcurie fans foin & fans

auoine , & leur famille en neceffi

té. Vn Roy qui eft auaricieux en


no
uers les gens de guerre, n'eft feruy

auec affection , l'argent qu'on leur Q

donne eft le prix de leur vie , il C

n'eft pas raiſonnable qu'ils foient

en neceffité , les braues hommes

bien repeus vont genereuſement à

la charge, & ceux qui ont le ven


tre vuide combatent en fuyant.

Vn Vizirpriué de fa charge par


l'indignation de fon Prince , fe
retira dans vn Conuent de Reli

gieux pour paffer ſes iours auec

cux , quelque temps apres fa fideli


té eftant connue au Roy , il le fit
) appeller pour le rcſtablir en ſon

premier

1
GVLISTAN. 49

premier employ, ce qu'il refufa, di

fant qu'il auoit appris que les Sa

ges eftiment plus le repos que

Femploy des grandes charges.

Ceux qui font retirez en vn petit


recoin auec fanté font deliurez des

dents des chiens & du reproche

deshommes, ) le Roi lui repondit,

qu'en quelque façon que ce fuft,


il luy falloit treuuer vn homme

parfaictement fage pour gouuer


ner fes Eftats. Grád Roi , dit alors

le Vizir , Celui qui fera parfaicte


ment fage ne s'ingererà en telles
affaires.

Siacos, interrogé pourquoy il fe


rendoit fi complaifant à vn grand

Seigneur, il refpondit qu'il viuoit


de les bien-faits & que fous fa

protection il eftoit à couuert con


tre la malice & les efforts de fes en
D
50 GVLISTAN.

nemis . Puifque tu esfous fa prote

ction , repliquerent- ils, pourquoy

net'en approche tu pas deplus prés


pour paroiftre auec fplendeur dans
lemonde , & eftre au nombre de

fes fauoris. Iene fuis , dit- il , affuré

que fa bóne volonté foit de durée,

& crains le changement : Celuy

qui a bruflé cent ans durant des ho


locauftes deuant vn Idole fe bruf

le, s'il tombe vn moment dans le

feu , les fauoris des Rois font bien

fouuét le matin veftus de drap d'or


& d'argent , & le foiront la tefte
trenchée ; Il faut confiderer le na

turel des Princes , quelquefois on

les fafchent en les faluant , & quel

quefois ils font du bien à ceux qui


les iniurient. On dit qu'il eft hono
rable aux fauoris des Rois d'eftre

fplendides , mais c'eſt vne honte


GVLISTAN. 51

aux fages ; il faut chercher fon con

tentement en foy-mefine , & laif

fer la fplendeur aux fauoris.


ans Vn de mes compagnons me fai

foit vn iour fes plaintes de ce qu'il


eftoit pauure & neceffiteux , char

gé d'vne grande famille & nóbre

d'enfans , qu'il faifoit quelquefois


refolution d'aller en pays eftrange

afin que perfonne nefçeût en quel


lefaçon il viuroit , & n'euft cónoif
yer fance dubien & du mal qui lui ar

riueroit , il y anombre de perfon

nes de condition en neceffité qui


na eft inconneu , & plufieurs grands
perfonnages ont eu l'ame furles le

ures qui n'ont efté plaints de per

fonne. l'apprehende feulement , di»

foit-il , qu'on blafme marefolutio


à caufe dema famille qui eft necef

fiteufe , & crains qu'en feruant les

D ij
AN
GVLIST .
32
Grádsiene puiffe doner aux miens

le foulagement neceffaire; s'il y a

uoit vnerecompenfe certaine pour


ceux qui feruent bien les Princes,

persone ne pouroit aſſez loüer vne

tellegrace. Mo frere,luy refpondif


je,leferuice desRois a deux buts l'ef

perance duprofit , & la crainte de

la mort , Ce n'eſt l'aduis des Sages


detóber dans la crainte de la mort

pour conferuer l'efperance du pro

fit, perfonne ne demande à vn pau


ure Religieux Dreuis le tribut de só

champ ny celui defa vigne , Con


tentetoy d'eftre tourmenté ou cef

fe deferuir les Grands. Ce difcours ,

répondit -il , n'eft pas ce que ie te


demande , ny felon mon intentio ,

les Sages difent que celui qui tra


me vne trahifon tremble en ren

dant compte de fes actions , mais


GVLISTAN. 53
le bien - faire nous fait aimer de

Dieu , & n'ay veu perfonne qui fe


L
foit perdu dans le droit chemin.

Quatre fortes de perfonnes ont peur


de quatre autres, les voleurs du Pre

uoft , les larrons des gardes , les

méchants , des efpions , & les gar


t ces de la Police , mais ceux quiont

1 leur compte net , n'apprehendent


delerendre, on frappe fur la pierre

leslinges fales pour les lauer , mais


la confcience nette eft fans appre

fion : l'hiftoire du renard , luy dif-je

alors , reffemble à l'eftat auquel tu

tetreuue à prefent. On levit vniour


qu'il fuyoit tout effarouché , inter

rogédela caufe de fa peur ,il répó

dit qu'il auoit oui dire qu'on pre


noit tous les mulets & chameaux,

pour porter l'équippage du Roy

qui alloit à laguerre , ô fol & igno


Dij
GVLISTAN.
54

rant , lui dit-on , qu'as-tu affaire


auec les mulets & les chameaux
"
en quoy les reffembles tu , tay toy,
répondit-il , fi quelque enuieux
vient , & dit , voila vn chameau,

prenons-le , qui me viendra deli

urer , & qui aura foin de moy ? ie


feray chargé auant que mes raifons

foient entendues , les ennemis font

stoufiours en embûche , & fitu có


treuiens à la volonté du Roy , qui

aura la hardieffe de parler pour

toy. Ietreuue bon que tudemeure

en ta maiſon , & que tu quittes l'a

bitio,ily a degráds profits à la mer,

maiscelui qui aime fon falut fe doit

tenir auriuage. Ce difcours neluy

-plutpas , & dit auec colere, quel iu


gement & quel efprit eft- cela , les

Sages difent que l'amy aide ſon a

my iufques dans la priſon & dans


PREFACE. 55

les fers , & que tous les enneinis

paroiffent amis à la table , i̇'appel


Ie amy , dit-il , celui qui tend la

main à ſon amy en ſon oppreffion .

Ie connu à fon difcours quelque


4 alteration & mefcontentement de

ce que ie luy auois dit , pour le con

tenter l'allay en mefme temps treil

uer vn demes anciens amis qui c

ftoit du Confeil d'Eftat , lequel à

ma priere lui donna vn petit em

[ ploy , auquel il s'entretint quelque


temps, & fit paroiftre l'addreſſe de

fon cfprit , fes confeils furent ap


preuuez , & fa bonne fortune s'ac

crut de iour en iour , de telle façon

qu'il fut vn de ceux qui appro

choient de plus prés la perfonnedu


Roy,qui auoit toute creance en lui,

dont ie meréjouis grandement, &

dis en moy-mefme, qu'il nefe faut


D !!!

{
86 GVLISTAN.

affliger dans le malheur , que la


patience qui eft amere à des fruicts
doux & fauoureux, En ce temps ie ^^

fis refolution d'aller faire le peleri

nage de la Meque , où ie fejournay


deux ans,à mon retour il vint deux

iournées au deuant de moy , ' iele

vis melencholique & affligé, ve

ftu comme vn pauure Dreuis


lors ie luy demanday l'eftat de fa
fanté & defa fortune : elle eft telle,

répondit - il, que tu me l'auois pre


dit : Mes enuieux m'ont accufé de

trahifon , le Roy nes'cft voulu ef


claircir de la verité , mes anciens
amis font demeurez muets , & ont

oublié leur ancienne affectio.Cha

cun tafche de mettre le pied fur la

gorge à celui qui eft décheu de la

grace du Roy , & s'humilie deuat

ceux qui font en faueur , i'ay fouf


GULISTAN. 57

fert mille defplaiſirs , effuyémille

malheurs , le Roy a confifqué mon

patrimoine, & tous mes bies & n'ay

long-temps y a , fenty aucun con

tentement que celui de ton heu


reux retour. Son affliction me tou

cha au cœur & cru qu'il n'eftoit


befoin defcorcher fes playes pour

mettre du fel deffus , neantmoins

ie lui parlay comme s'enfuit , Tu

recens les effects du melpris de mes

confeils ,le feruice des Rois eft fem

blable au voyage d'outre-mer, on


en reuient riche ou l'on perift dans
les ondes,tu te verras bien toft les

t
fers aux pieds, fi tu mefpriſe de re
ceuoir confeil , quitte leferuice des

Grands & prend vn autre chemin


& nemets le doigt fur le fcorpion ,
fi tu n'as la force de fupporter fa

picqueure & fon venin .


GVLISTAN.

Vn Seigneur de condition affi I


gna vn iour vne penfion & entre
tenement annuel à quelques per

fonnes de merite , vn d'iceux qui

eftoit mon amy fe rédit Religieux

Dreuis , & quelques jours apres par

fa mauuaife conduiteforty du Co

uent & changea d'habits : cette le

geretéfut caufe quefon entretene


ment lui fut entieremet retrenché.

Noftre ancienne amitié m'obli

gea de m'employer pour fon refta

bliffement , eltant allépour cét ef


fect au logis de ce Seigneur , les

portiers me refuferent rudement


l'entrée de fon Palais , ce que iefup

portay facilement auec patience,


parce qu'il ne fe faut arrefter à la

porte des gráds, fion n'y eft apellé,


les chiens mordent fouuent les E

ftrangers. Quelques - vns des do


GVLISTAN. 59

meftiques de ce Seigneur , & qui

approchoient fa perfonne de plus ,


prés , me voyant ainſi traitté , ac

coururent à moy, & mereceurent


auec mil faueurs & courtoifie, leur

maiſtre me rendit auffi de grands

honneurs , & ayant pris occafion

de l'entretenir de la difgrace de mo

amy , ie lui parlay en cette façon ,

Quel manquement auez vous veu

en voftre pauuré feruiteur , auquel


vous auez cy-deuant tant faits de

bien ? Pourquoy eft-il décheu de

vos bonnes graces & priué de vos


bien-faits. Dieu tout mifericor

dieux voit lepeché de l'homme &


nele priue de fon pain quotidien,

il lui maintient le moyen de viure.

Ce difcours fut aggreableà ce Sei


gneur , il commanda en mefme

temps de reftablir mon amy en


60 GVLISTAN.

fonpremier eftat , & lui fit payer IVE


les fommes encourrues de fon en

tretenement. Alors le remerciant

defa courtoifie & bié-fait, & m'ex

cufant de l'ennuy que ie lui auois


donné , ieluy bailay les mains &

luy dis, On fait des pelerinages aux

lieux où font les pardons , il faut

que tu fuportequelquefois nos im


portunitez, perfonne ne rue des
pierres contre vn arbre fansfruict.

Vn Roy laiffa apres la mort de

grands threfors à vn fien fils qui les


diftribua tous aux peuples & aux

gés deguerre, difant fouuent qu'on

ne reçoit point de contentement


du bois d'aloës , s'il n'eft fur les

charbons d'autant qu'il lefaut per

dre en lebruflant , pour en auoir

l'odeur qui eft aggreable comme


celle de l'ambre , il faut pareille
GVLISTAN. 61

met que les Rois foiet iiberaux s'ils

veulét cftre aimez & feruis , ilfaut


f
femer pourrecullir, Vn defes Mini

ftres voyár fes profufions , lui parla

dela forte, tes predecefeurs ont grá


dement trauaillé pour amaffer tes

threfors , & les conferuoiét pour la


neceffité, ne les dépenfe pas legere

mét: Le téps viédra que tu en auras


befoin les énemis sot toufiours aux

aguets il n'eft pas neceffaire que ru


paroiffe impuiffant das l'occafió, fi

tu diftribue tout ton bié au peuple,


5
il toucheraà chacun la valeur d'vn

grain de millet , & fi tu prends


d'vn chacun la groffeur d'vn grain

d'orged'or , tu amafferas de gran

des richeffes qui te pourront eſtre


vtiles vn iour, le Roy a ces remon

ftrances , ( répondit auec colere )


Dieu m'a donné ce Royaume pour
62 GVLISTAN.

prendre & pour donner , & non


pour eftre gardien de trefors , le

Roy Caron auare & tenant a eſté


exterminé auec quarante grands

trefors, & N'acheroüan qui eftoit

liberal n'eft pas mort , fa memoi


1 revit encor parmi les hommes.

On dit que le iufte Nacheroüa


eftant allé àla chaffe , voulut faire

cuire au milieu des champs ce qu'il

auoit pris pour en manger , fes gés


fe trouuant fans fel , l'vn deux fut

enuoyéau prochain vilagepour en


apporter auquel Nacheroüan
fit commandement de payer

le fel qu'il apporteroit afin qu'on


ne vint à eſtablir vn droict ou cou

ftume en cevilage de payer le fel en

tels rencontres , & que les païfans


n'en fuffent incómodez , quel mal
GVLISTAN. 63

direntfes gens , peut-il arriuer de fi

peu de chofe ? Cy deuant , refpon

dit-il, ily auoit fort peu d'iniuftice


au monde , tous ceux qui font ve

nus yont ajouté quelque chofe, &


l'ont accru au terme qu'il eft àpre
fent, fi vn Royprend vne pomme

fans payer dás la C de fon peu

ple, fes Officiers arracheront les


racines du pommier , fi vn Roy

permet deprendre vn œufiniufte

mentfes foldats tueront mille pou


les : telle iniuſtice ne fubfiftelong

temps & caufe mille maledictions


àfon autheur.

T'ay ouy raconter qu'vn Mini


ftre ruinoit le peuplepour remplir

les coffres du Roy , fans confide


-
derer que les fages ont accouftu

mé de dire que celui qui déplaiſt à

Dieu pour affujettir le peuplefou


64 GVLISTAN.

fa main , il excite le peuple contre me

luypour venger fes deportements,


& le faire confommer dans lefeu

qu'il a luy-mefme allumé. On dit

que le Lio eft le Roy des animaux

& que l'afne eft le plus abject de


tous . Neantmoins l'afne qui porte

bien fon faiz eftplus à eftimer que

lelyon qui deuorent les hommes,


quelquefois les cheuaux ardans &

vigoureux meurent en voyage

cependant qu'vn afne apporte


doucement fa charge au logis.

Vn iour le Roy ayant efté aduerty

des iniuftes deportements de ce


Miniftre le condamna à de gráds
chaſtiments & lefit feueremet pu

nir, vn d'entre le peuple qui auoit


refenty les effects de fes tyrannies,

levoyant dans les tourments s'ar


reftant tout court s'écria, Cét hom
me
GVLISTAN.
65
tre me a englouty vn os qui s'eft at

ttaché à fes entrailles & luy déchire


feu le ventre .

dit On dit qu'vn meſchant hom

aux me Miniftre d'Eftat & Fauory du

de Roy ietta vn iour vne pierreà la te

Ofte d'vn Dreuis , lequel nefe pou

quant vanger releua la pierre , & la

garda quelque temps , iufques à ce

s& qu'vn four le Roy indigne contre

ge cefauory le fit ietter dans vnpuits,


Ite alors ce Dreuis , vint à la bouche de

is cepuits & lui ietta fur la tête la mef

mepierre , pourquoy , dit ce fauo

cri, afflige tu dauantage vn pauure

ds miferable , pourquoy me iettes tu


1 cette pierre lefuis vn tel refpondit
I il , cette pierre eft celle quetu m'as
jetté en tel lieu. Ou as- tu demeu

réfi long-temps , repliqua-t'il : Ie


fongeois , adioufta le Dreuis , à la
E
66 GVLISTAN.

charge que tu occupois à la fa

ueur que tu auois , maintenant que


ie tetreuue dans vn puits,ie mepre

uaud de l'occafion . Les fages difent

qu'il faut craindre vn homme mé


chant & fans merite , lors qu'il eft

conftitué en dignité. Celui qui em


poigne vne eſpée trenchante ſe

bleffe la main. Il faut auoir patié


ce , le temps punit les méchants

& fauorife les gens de bien.


Vn des foldats d'Omalis accu

fé d'auoir fuy de l'armée fut con


duit deuant le Roy par comman
dement du Vizir qui conclut à la

mort ,pour le faire feruir d'exem

ple aux autres ; cefoldat ſe croyant


prés de fa fin , fe proterna deuant le
Roy parlant de la forte. Grand

Prince, il t'eft licite de faire de moy

tout ce que tu auras agreable, quel

leraiso peuuet apporter tes fubjets


GULISTAN. 769

contre tes intentions , qui fe peut


iuftifier deuant fonPrince courrou

cé, ta hauteffe doit commander , &

ie dois obeir , mais ayant eſté long

temps efleué & nourry par tes bien


faits , ie nefouhaittepas que tu fois

accufé au iour du iugement de m'a

uoir fait petir iniuftement , fitu es


en refolution de me faire mourir,

commande que ce ſoit auec iufti

ce. Comment dit le Roy, teferay

ie mourir auec juftice: Laiffemoy

tuer ton Vizit , répondit-il , puis


tume feras mourir auec raifon . Le

Roy fouf- riant de ce difcours de

máda à fon Vizir ce qui lui enfem

bloit. Monarque genereux,répon

dit-il , le te coniure par les cendres

de ton pere de lui pardonner, afin

qu'il ne me lette en quelque mal


heur , fay failly en follicitant fa
Eij
68 GVLISTAN.

mort , les fages ont accuſtumé de

de dire, Lors que tu iettes vne pier

re contre ton ennemy , prend gar


deà toy car tu es le but de la fien

ne.

Vn Roy Arabe commanda vn


iour à fes Miniftres d'augmenter

de la moitié la penfion & entrete

nement d'vn fien feruitcur , qui fe


rendoit fubiect auprés de fa per

fonne , & obeiffoit promptement


à ce qui luy eftoit commandé. Vn

Religieux Dreuis fe rencontrant à


à ce commandement , fortit inco

tinent du Palais , & criantà haute

voix , parla de la forte. On prie

Dieu auec efperance , le defefperé


nefait la Courà perfonne, la gran
deur paroift en l'obeiffance , & le
mépris en la defobeiffance . Celui

qui fait ce qu'il doit reüffi enſes in


tentions.
GULISTAN. 69

Vn habitant du Royaume de
Zouzan grandement adroict à l'e

xercice de la lutte, prit en affection


vn ieune garçon , auquel il enfei

gna fon addreffe & induſtrie , ne

fe referuat qu'vn tour qu'il ne vou


lut enfeigner, ou qu'il fut negli
gent de monftrer : ce ieune hom

meferendit fi fort & adroict que

perfonnene l'égaloit en cét exerci

ce, & difoit publiquement quefon

maiftre fçauoit mieux que lui la


methode d'enfeigner , mais qu'en

force & enfouppleffeil nelui eltoit

pas inferieur. Ce qu'eftát arriué aux

oreilles du Roy , il en voulut voir


la preuue , & pour cét effect fit pre

parer vn lieu en la preſence de tous

fes Courtifans auquel ce ieune hō

mefe prefenta le premier,fembla

bleà vn elephát efchauffé , qui veut


E iij
N
I STA
70 GVL .

emporter les montagnes de fer &

les arracher de leur place ; fon mai


ftre connoiffant bie qu'il le furpaf

foit en force de corps le fouuint du


tour qu'il ne lui auoit pas enfeigné,

& duquel ce ieune home ne fçauoit

pas le contre-tour , eftans tous,


"
deux en prefence , il empoigne fon
efcolier auec les deux mains & l'é

leuant en haut le rué la tefte la pre "T

miere contre terre , incontinent le

peuple fe mift à crier d'vne voix


confufe , & le Roy fit appeller ce

vieillard , auquel il fit de grands


dons & honneurs , & des reproches
a ce ieune homine d'auoir ofé s'é
à

galer à celui qui l'auoit efleué, nour


2
ry & enfeigné. Alors ce ieune hō

me s'approchant du Roy lui parla


en cette forte. Inuincible Monar

que, l'auois appris toute lafcience


GVLISTAN. 71

de mon maiſtre , il ne manquoit


que ce tour qu'il m'auoit caché , &

duquel il s'eft auiourd'huy feruy

pour auoir aduantage fur moy. Ie

l'auois referué, répondit le maiftre,


pour vn tel iour qu'auiourd'huy,

parce que les Sages difent qu'il ne


faut iamais tant donner deforceà

nos amis qu'ils nous puiffent nuire


s'ils deuiennent nos ennemis. Celui

quienfeigne à tirer de la fléché doit

prendre garde d'eftre vn iour la

butte defon efcolier.

Vn Religieux Dreuis , zelé en fa

religion & retiré au coin d'vn ro

cher pour y paffer fes iours folitai

rement , voyant paffer le Roy auec


toute fa Cour , ne voulut fortir de

fa grotte pour lui faire la reuerece,

eftimant ſe meſpris du monde vn


fouuerain contentement. LeRoy
Eij
GVLISTAN
72 .
offenfé de cette irreuerence le vint

treuuer , difant que telles gens e


ftoient femblables aux beftes fau
con
uages , & interrogé du Vizir pour
quoy il ne rendoit fes deuoirs au

Roy & ne lui faifoit offre de fes fer

uices, Dy au Roy, répondit-il, qu'il


doit efperer d'eftre feruy de ceux

qui efperent quelque bien-faits de


lui,& fçache qu'il eftRoy pourgar

der le peuple d'oppreffio . Les Rois


gráds & puifsás sot gardiés despau
ures . Les brebisnesot pour garder

lepafteur , mais le pafteur eft pour

auoir foin des brebis , plufieurs font


mal- heureux le foir , qui ont efte
heureux le matin , la terre nous co

sometous ; on ne reconoift les cen

dres d'vn Roy auec celles d'vn pau

ure religieux Dreuis. Ce difcours

fut agreable au Roy qui conuia ce


GVLISTAN. 73

Dreuis de lui demander quelque

chofe , & le pria de l'aider de fes

confeils. Ietefupplic , répondit- il,


de ne troubler mon repos , & pen- ,

femaintenant que tu es enprofpe

rité , que tu as receu ta grandeur

d'autruy de main en main , qu'elle

paffera au pouuoir d'autruy de


mainen main.

Vn Vizir fe plaignant vn iour


à fon amy Zaluon Mefri , difoit

qu'il trauailloit iour & nuit aux af


faires d'Eftat , fans pouuoir pren

dre aucun repos , parce qu'il efpe

roit quelques bien-faits du Roy, &


apprehendoit fon indignation , fi

iecraignois autant Dieu refpondit

Zaluo Mefri , que tu crains le Roy,

ieferois vn grand homme debien .


Siles Miniftres auoient autant de

peur de Dieu que de leur Prince, ils


74 GVLISTAN.

feroient tous des Anges.

Le lufte Nacheroüan ayant vn

iour affemblé fes Miniftres pour

prendre leurs aduis fur les impor


tantes affaires de fes Eftats , le chef

du Confeil ne voulut opiner iuf

ques à ce qu'il cult appris l'opinion


& intétio du Roy , laquelle il fuiuit

depoint en point , & defapprouua


l'aduis & confeil de fes copagnons,

lefquels fe voyats irritez de só pro

cedé, il leurparla en ceſte forte,l'ay


fuiui l'aduis du Roy , par ce que

ie ne fçay l'iffuë de telles affaires,


vos confeils font dans l'apparence

delaraifon , mais l'euenement en

eft incertain , i'ay cru meilleur de

fuiure l'aduis du Roy , par ce quefi


l'affaire nereüffi , icfuis exempt de

fa cholere. Celuy qui contrarie les


Rois laue fes mains auecfonfang,
GVLIST AN. 75

s'ils difent qu'il eft nuit à Midi , il


faut dire voila la Lune , voila les
Eftoilles.

Vngrand Seigneur , mais mef

chant homme pouffé de cholere,


ditvniour milles injures atroces à

vn home de bie,lequel plein de pa

tience refpodit en celte forte,ie fuis

plus mefchant que tu ne pourrois


dire, ie fçay mes defauts mieux que

toy , celuy n'eſt pas homme qui

veut combattre en prefence des Sa


: ges contre vn Elephát courroucé,

au contraire celuy eft homme qui


en fa cholere parle auec poids &

mefure ; nepique perfonne fitune

veux rencontrer des efpines en ton


chemin.

Yn Courtizan qui auoit quel

que employ à la fuitte du Roy , dit x


vn iour à vn fien frere qui viuoit af
76 GVLISTAN.

fez pauurement de fon trauail &


induftrie auec la force de fes bras.
om
Pourquoy ne te iettes -tu au feruice

du Roy pour te deliurer de la peine


que tu as ? Pourquoy reſpondit-il,

ne trauaille-tu pour te deliurer de


la fubiection où tu es ? les Sages di

fent qu'il eft meilleur de manger

du pain d'orge en repos, que de de

meurer toufiours fur fes pieds, il eft


meilleur de petrir du pain d'orge

auec les mains, que de les tenir tout


le iour fur l'eftomac ou au chap

peau , nous employons affez bien

noftretemps fi nous nous gardons

du chaud & du froid. Ie fuis plus

content que ceux qui deuiennent


boffus à force de fe courber enpre

fence des grands .


Haron Racheit ayant conquis

1 tout le Royaume d'Egypte , dict


G VLISTAN. 77

qu'il ne vouloit laiffer cet Eftat à

vn fuperbe Pharaon , qui fe fit


nommer Dieu, mais au moindre &

au plus humble de fes feruiteurs, iu

geant digne de la Royauté vn fien


efclaue More nommé Kroufib , le

quel eftoit fi experimenté aux af


faires du monde, querencontrant

vn iour des pauuresLaboureurs qui

fe pleignoient, de ce que la pluye e


ſtant venue à contre-temps , le Nil

fe feroitdebordé, & auroit gafté &


ว ruiné les cottons qu'ils auoient fe

mez aupres leriuage dudit fleuue,il

leur dit qu'ils deuoient auoir femé

delalaine, & qu'ellene feferoit pas

gaftee. Vn Religieux Dreuis qui


eſtoit preſent entendat ce difcours

fe print à rire , proferant à haute

voix lesparolles qui s'enfuiuent . Si


les biens croiffoient auec la fcien
78 GVLISTAN.

ce , l'ignorant feroit bien neceffi

teux, mais lebien croift fi abodam

ment aux ignorants , que les fages


en font confus , la bonne fortune

ne fuit pas les merites , elle nous eſt


donnee du Ciel. On void nombre

d'ignorants eflenez en honneur &

dignité, & plufieurs fagés mefpri


fez , fouuentefois celuy qui eftudie
l'alchimie meurt neceffiteux , ce

pendant que les ignorants treu


uent des threfors dans les ruines des
008 26M
vieux baftiments .

Vn Roy eftant vniouryure vou


lut coucher auec vne fienne belle
чес
efclaue, laquelle ne voulut confen
tir à fes plaifirs ,à caufe de fon yuro

gnerie , dont ce Prince eftant irri


té, de cholere la donna à vn fien

More, le plus laid des hommes qui


ayent iamais efté, fa levre de deffus
GVLISTAN
79

eftoitfi groffe qu'elle luy couuroit


lenez, & celle de deffoubs tomboit

furfon menton come vn rideau, il

sebloit vn abregé de laideur, & vn

cloaque de puanteur , au premier


rencontre il deuint amoureux de

cefte fille & la depucela fi toft 1

qu'elle fut en fa puiſſance , peu de


detemps apres le Roy eſtant reue

nu à foy demanda cefte fille , &

ayant appris ce quis'eftoit paffé de

fon pucelage, en fut tellemet cour

roucé , qu'il cominanda de jetter

dedans vn puits le More & la fille,


114 alors vn de fes Miniftres homme
‫ار‬

de bien luy parla en ceſte façon,


Grand Prince , le More n'a point

de coulpe en cette occurrence, tous


tes feruiteurs font accouftumez de

receuoir tes bien-faits, & d'en vfer.

Pourquoy dit le Roy, n'a- il pas at


80' GVLISTAN.

tendu quelque iours auat que cou


cher aupres d'elle ? ie luy aurois fait
des dons & bien-faits de beaucoup

plus grand prix que cette efclaue

ne vaut ? vn homme refpondit ce

Miniftre, qui brufle de foif,s'il arri


ueàvne fontaine d'eau douce , ne

fonge à philofopher fur la nature

des Elephans. Vn qui meurt de


faim , s'il arriue à vne table bien

couuerte nefongeà prefcher le Ca


refine. A ta confideration , repliqua

leRoy, ie pardonne au More,mais


que faut-il faire de cette fille muti
ne , tuferas bien adioufta le Mini

ftre de la laiffer à ce More , elle eft

digne de luy , où en treuuerra-elle

vn autre, perfonne ne boit de l'eau

fucree refpandue fur vn fumier , fi


vnpunais & tigneux auoit mordu
dans vne
GVLISTAN. 81

dans vne pomme, qui la voudroit


acheuer de manger .

DE L'HV MEVR DES

Dreuis.
C

CHAPITRE II.

N grand Seigneur de Per


fe demanda vn iourà vn de
VN

uot, ce qui luy fembloit d'vn cer


tain Religieux Dreuis , par ceque

quelques perfonnes en parloient

auec def- auantage ? Iene luy vois,


refpódit -il, aucun defaut en l'exte

rieur , & ne fçay ce qu'il a en l'inte


terieur , tous ceux que tu verras ve

ftus en Religieux croy, les fages &

gens debien, encore que tu ne fça

che ce qu'ils font dans leurs ames,


F
82 GVLISTAN.

les voyeurs n'ont aucune affaire

dans les maifons des particuliers


111
qui ont foin des grands chemins &

ruëspubliques.
Vn Dreuis voyant vn iour vn
larron fortir du Conuent fafché &

inal content de ce qu'il n'auoit rien


treuué à defrober , prit vn tapis fur

lequel il dormoit & lejetta au che

min de celarron pour luy ofterfon


meſcotentemét . l'ay ouy dire, que

ceux qui font au chemin de Dieu

qui ne donnent aucune faſcherieà

leurs ennemis , lors que tu feras ar

riué à ce poinct , tu conoiftras qu'il


n'eft honnefte de faire mal à tes a

mis.

Quelques perfonnes de condi


tion s'vnirent vn jour pour voya

ger enſemble, & eftre compagnós


en bonne & mauuaife fortune ,
GVLISTAN. 83
leur merite fit naiftre le defir d'en

trer en leur compagnie , & encore

queienefuffeignorat que les riches

& les grands ne prennent plaiſir de


s'étretenir & pratiquer auec les pau

ures , ie ne laiffay de leur faire offre


gt
demoferuice, & les priay de mere
ceuoir auec eux. Alors vn d'entr'eux

me dift queie deuois prendre fuject


de mefcontentement s'ils ne me re

ceuoient en leur copagnie. Ces iours


paffez , difoit-il , vn larron fe ietta

entrenous fous figure d'vn home de

bié,lequel fe cóporta quelque temps


affez honorablemét . On peut lire ce

qui eft das


dás vne vie ouuerte , mais on

ne peut fçauoir ce qui eft dás la che


miſe d'vn homme , il eftoit veftu en

Dreuis , fon eloquence ,fonfçauoir

& fon habit de Religieux nous con


uierent à le careffer , la nuict eftant
Fi
84 GVLISTAN.

tous arriuez auprés d'vn Chateau 26


poury prendre noftre repos , il fe le
uaà noftreinfceu , & s'en alla au pro 2
chain hameau , où il derroba & vo

la tout ce qu'il pût rencontrer, cepé

dant que nous repofions innocem


iment. Le matin nous fufmes tous

accufez de ce larcin , & mis dans le

Chafteau , nous cufineprou de pei


ne à nous lauer de cette accufation

& nous deliurer de la prifon. Cela

fut caufe que nous nous feparames


tous , & que chacun prit le chemin

que bon luy fembloit . On dit que


celuy qui aime fon falut doit fuir la

foule & multitude du peuple : Les

bœufs qu'on veut engraiffer font fe


parez de paturage d'auec les autres

bœufs du village. Loué foit Dieu,


luy répondy-ie , que fi ie demeure

feul i'ay profité en ton difcours qui


GVLISTAN.
85

me feruira de leçon à l'aduenir , il eſt

vray qu'vn ignorant eſt ennuyeux à


la compagnie des doctes. Vne cha

rongne iettée dans vn eſtang plein


d'eau rofe & de nafre la falit & cor

rompt.
Vn Dreuis fut vn iour conuié par

le Roy de difner auec luy & auec

quelques vns de fes fauoris : Apres


difner eftant retourné en fon logis

il demanda à difner àfon fils, lequel

luy demáda pourquoy il n'auoit dif

néaufeftin du Roy & de fes fauoris.

Ien'ay rien mangé qui vaille , répo

dit-il , en la prefence de cesgens- là,


la priere mefine que i'ay faite en di
sás graces n'a aucun merite. O vous

qui à caufe de vos grandeurs eftes


portez fur la paulme de la main, def

quels les deffauts font eftimez &


embraffez,fi vous tombez en necef

F iij
86 GVLISTAN.

fitéque deuiendrez-vous , que treu


uerez -vous auec fauffe monnoye,
me
que deuiendrez vous auec voſtre
i
ignorance & fuperbeté. Il y a plu #M
Sik
fieurs Grands qui prefument beau

coup d'eux fi Dicu leur auoit ouuert

les yeux ils ne verroient rien de plus


abiect qu'eux ; le Paon fe glorifie de

fon beau plumage , s'il regarde fes

pieds il deuiendra honteux.


On dift vn iour à vn vieillard qui

auoit égaré fon fils , pourquoy il ne


l'alloit chercher au Royaume d'E

gypte ou dans le puits de Canaan,


pour mettre fin à fon afflictio . Nous

fommes , répondit -il , ſemblables à

l'éclair qui paroiſt & diſparoiſt en

mefime inftant , quelquefois pleins


d'honneur & de contentement , &

quelquefois accablez de malheurs .

Le monde eft fujectàvneperpetuel


F
GVLISTAN. $7

le alteration , fi les Religieux Dre


uis demeuroient toufiours en mef

me eſtat, ils auroient perdu les con •


tentements de l'vn & de l'autre

monde.

Vn Dreuis accufé d'auoir derro

bévn tapis à vn fien amy fut conda


néà auoir la main couppee , lemai

ftredu tapis touché de cópaffio,pria

le luge deluy faire grace & qu'illuy


feroit prefent du tapis , à quoy il ré

pondit , qu'à fa priere il nepouuoit


contreuenir aux loix & ordonnan

ces , & fe retournant du cofté du cri

minel , luy demanda quelle neceffi

té l'auoit obligé à derrober le bien

d'vn fien amy.Seigneur,répondit-il,


le prouerbe dit qu'il faut vuider la

maiſon de fon amy , & ne pas heur

ter à laporte de fon ennemy, ilfaut

prendre à fon amy , puifque on ne


Fij

( .L
88 GVLISTAN.

BAB 11855
aller chez fon ennemy.
peut
Vn Dreuis vit in iour enfonge

vn Roy qui eftoit en Paradis , & vn

Religieux qui eftoit en Enfer , dont


il fut tout eftonné , croyant quele

Religieux deuoit eftre en Paradis, &

le Roy en Enfer , & fit fon pouuoir


pour fçauoir le ſujet du mal -heur de

I'vn , & du bon-heur de l'autre. Ce

Roy, luy dit- on , eft allé en Paradis ,

parce qu'il auoit creance aux Reli

gieux , & ce Religieux eft allé en En

fer , parce qu'il auoit creance aux


Rois : Le Roy et heureux quifre

quente les Conuents des Religieux ,


& le Religieux deuient merchant

qui fréquente la Cour .


Vne Carauane fut volée au pays
de Ionan où les voleurs treuuerent

vn grand butin , les marchants pri


uez de l'aide de Dieu & des Prophe

.
GVLISTAN. 89

tes, vn d'étr'eux dit au Docteur Loc

man, Remóftre à ces larrós leurs pe

chez , peut-eftre que touchez deta


doctrine ils nous laifferont nos fa

cultez: C'eft peché de perdre tant de

bien . C'eft peché reſpondit- il , de

prefcher telles gens, le clou n'entre

dans le marbre : ceux qui refufent

l'aumofne aux pauures , les obligent

à laprendre par force.

L'ocman interrogé de qui il auoit

appris la ciuilité. Ie l'ay apprife, ref

pondit- il , des inciuils lors qu'ils ont

fait quelque chofe qui ne m'agreoit

pas, ie in'en fuis abftenu.Vnfage qui


veut enſeigner l'honnefteté, fert de
rifee aux ignorans .

Vn deuot lifoit toute la nuict des

liures de deuotion , & mangeoit

chaque nuict en veillant dix liures

depain,ce qu'eſtant arriuéà l'oreille


90 GVLISTAN.

d'vn Religieux Dreuis , il dit , qu'il


feroit mieux de dormir , & ne man

ger que la moitié d'vn pain , il faut

eftre fobre pour eftudier : celui qui


eft plein de viade eft vuide defciece.

Ïe fis vn iour mes plaintes à vn


vieillard de ce que certains perſon

nages auoiết meſdit de moy. Rends

les honteux , me dit-il , par tes bon

nes actiós à ce qu'ils ne puiffent mef


dire de toy , on neblafme iamais vn

violon qui fait de bons accords.

Vn Roy grádement malade, ſen


tát approcher la fin de fes iours n'a
yát point d'éfant pour lui fucceder,

fit fon teftament & ordonnance de

derniere volóté, par laquelle il don

na fes Eftats à celuy qui entreroit

au matin le premier dans la ville , le

quel ferencótra eftre vngueux cou

uert de haillons , qui n'auoit iamais

gaigné la valeur d'vn pain.Les prin


GVLISTAN. 91

cipaux Miniftres d'Eftat pour euiter


la ialoufie entr'eux obeirét au com

mendement du Roy, mirent la cou

róne royalle fur la tefte de ce gueux,


& luy confignant les clefs des Cha
fteaux & threfors de leur Prince , lui .

recomenderét les affaires du Royau

me. Ilregna quelque téps affez heu


reufement iufques à ce que quelques

vns des plus puiffants de fes fubjets,

mefprifantfes commandemens, s'v

nirent auec les Rois fes voifins pour 1

luifaire la guerre, en laquelle ilper

dit la bataille & vne partie de fes E

ſtats , dont il fut grandement affli

gé. En mefme temps vngueux qui


eftoit fon ancien camarade , arriua

en fa Cour , qui le voyant en cette

grandeur s'approcha de lui , parlant


en cetteforte, le me réjouis & rends

mille graces à Dieu, dela grace qu'il


41
TAN
92 GVLIS .
CO
t t'a fait de t'auoir efleué en vne fi

haute dignité, la peine eftfuiuie du


repos & l'affliction de la confola

tio , les fleurs font quelquefois fei

ches & quelquefois efpanoüies , les

arbres font quelquefois couuerts de

fruicts , & quelquefois dépoüillez,


on dit que la fontaine de Iouence

eft dans les tenebres . Mó cher amy,

refpondit-il , Tu as plus de fubject

de me cófoler que de te réjouir auec


moy de ma fortune : lors que nous

eftios enſemble , ie n'auois foin que

d'auoir du pain , auiourd'huy ie fuis


accablé des affaires de tout le mon

de. La pauureté nous fafche , & fi


nous fommes riches nous fommes

tourmentez pour conferuer noftre

bien, fi tu es bien aduifé cherche ton

contentement en toy-mefme , on

eft grand Seigneur lors qu'on eft


GVLISTAN. 23
n
content , la patience des pauures eft
preferée aux aumofnes des riches .

11 Vn Dreuis fe voyant tous les iours


vifitépar Aborirhe auec les offres de

fon feruice, luy parla en cettefaçon .


Ne me vifite pas fi fouuent , afin

quenoftre amitiés'augmente : per


fonne n'eft amy du Soleil , encore

qu'il foit beau , parce qu'on le voit

tous les iours , on en fait plus de cas


l'hyuer , lors qu'il eft caché & voilé:
·
cen'eftpas honte deparoiftre deuát
lemonde , mais fçache quele con
tentement eft dans la folitude , lors

que tu feras feul , perfonne ne t'of


fenfera.

Vn Dreuis fut vn iour conuié

d'aller voir vn defes amis qui auoit

eſté fait Miniſtre d'Eſtat pour le có

gratuler de fa nouuelle dignité , ce


quene voulát faire vn des feruiteurs
A GV LISTAN.
94

defon amy qui eftoit prefent lui de

manda quel mefcontentement il a CC

uoit receu de fon maiftre , ie n'en

n'ay receu aucun , refpondit- il, mais


iene me veux pas refioüir auec lui de

fa faueur , pour n'eftre pas obligé de

pleurer auec lui au iour defa difgra


ce.

Vn grand Seigneur preſſé d'vne

ventofité qui l'importunoit ayant

fait vn pet fans y penſer , pria la co


c'è
pagnie de l'excufer , parce que
Itoit sás deffein de l'offenfer, & qu'il

en auoit receu vn tres-grand foula


gement , le ventre eft la priſon des

vents ,perfonne ne les peut attacher,


illes faut laiffer fortir pour eftre de

liuré deleur importunité.Lors qu'vn


mefchant homme voudra fortir de

ta maiſon ne lui mets la main de

uant pour l'empefcher de fortir.


GVLISTAN. 95

Ayant vn iour receu quelque mé

contentement de quelques vns de


mes amis de la ville de Damas,ie me

retiray de déplaifir dans les deferts


de Ierufalem , ou ien'auois autre co

pagnie que celle des animaux , iuf

quesà ce qu'vn iour ie fus pris excla

ue par les Chreftiens qui me firent


trauailler auec les Iuifs aux foffez

des fortifications de Tripoly, vn des


principaux marchands d'Alep de

ma connoiffance , paffant par ladi


te ville s'enquift de moy de l'Eftat

de ma fanté & de la caufe demon

malheur , Iem'eftois , luy dif- je , re

tiré dans le defert , afin de n'eftrea

uec perfonne qu'auec Dieu. Penfe

à ce qui m'eſt arriué , puifque tu me


vois auiourd'huy en la compagnie
defes mauuaifes gens; Il eſt meilleur

d'auoir la chaifne au pied auec des


LI
96 GV .

gens de bien que d'eftre dans vn iar de

din auec des meſchants. Il eutpitié qu


ΤΟ
de moy à caufe de noſtre ancienne
connoiffance , & in'ayant rachepté

pour le prix de dix fequins , il me

mena en Alep , où il me donna vne


fienne fille en mariage moyennant

cent fequins de douaireauquel il me


fit obliger , fa fille eftoit laide , ba

billarde , querelleufe , & de fi faf

cheufehumeur que ie ne pouuois vi

ure auec elle qu'auec miſle deſplai


firs . Vne mefchante femme eft vn

Enfer en la maifon d'vn homme.

Vn iour la voulant admonefter de

fon deuoir, & quoy me dit-elle, n'es

tu pas cet efclaue que mon pere a de


liuré pour dix efcus , il eftvray , luy

dif-je, qu'il m'a rachepté dix èfcus, &


m'a mis entre tes mains pour cent

efcus. l'ay ouy dire qu'vn Veneur


deliura
GVLISTAN 97
deliura vn iour vn agneau de la

pigueulle du loup , & le foir lui mit le


m'a
couteau à la gorge , Ton pere
deliuré de la gueulle du loup ,
me mais ie voy bien qu'il m'y a remit

puifqu'il m'a mit entre tes mains .


1am Vn Religieux Dreuis ayant lóg
Im temps fait penitence dans vn bois ,
‫تس‬

où il n'auoit vefcu que de fueilles

d'arbres pour plus grande mortifi


SV cation , fut vifité par le Roy qui luy

al fit offre d'vn lieu pour demeurer en

n laville , oùil pourroit vacquer àfes


ne oraifons iournalieres auec plus de

commodité, & où le peuple fe pre

es uaudroit de fa benedictio & de fon

bon exemple . Apres quelque refus il

accepta la grace du Roy, quiluy do


na vn appartement dans le iar

din de fon Palais , le plus beau & le

plus recreatif qui fepouuoit defirer,


G
98 GVLISTAN.

il luy donna vne belle cfclaue fi par


m
faite & accomplie que chacun per
CO
doit patience en la voyant , & euft
tel
efmeu les plus froids perfonnages
du monde , auffi comme le feu fe

prend quelquefois au bois verd , ce

Religieux iettát les yeux deffus cette


fille , fes cheueux furent autant de

chaifnes pour attacher fon efprit, le


bon traittement luy fit reuenirfon
cmbompoinct , & les bien-faits da

Roy le rendirent grandement puif


fant. Ceux qui auec leur doctrine
font pauures & neceffiteux sot fem
n
blables à la mouche qui demeure at

tachée par les pieds dans le miel , &

1 ceux qui ont du bien font eftimez


puiffans & ioüiffent de mille contén

temens. Vniour le Roy fut defircux


de le vifiter en fon appartement , où

il ne trouua plus le vifage maigre du


GVLISTAN. 99

defert, il eftoit veftu de rouge cra


moifi & d'incarnat , appuyé fur vn
4
coiffin de velours , auec des ferui

teurs magnifiquement veltus


. Le
Roy lui ayant demandé l'eftat de fa
fanté & difcouru quelque temps en

femble l'affura defon amitié, & de

fon affection enuers deux fortes de

perfonnes , c'eftà fçauoir , enuers les


Doctes & les bons Religieux. Alors

vn fien Miniftre qui eftoit prefent

luy dit, Grand Prince,les loix de l'a

11 mitiérequierent que tu faffe du bien

I à tous deux , & qu'ils fe reffentét de


ton affection : En quelle façon diſt

le Roy ? Donne , refpondit-il , de

Pargent aux Docteurs , afin qu'ils


puiffent eftudier , & ne donnerien

aux Religieux afin qu'ils foient tou I


fiours bons Religieux .

Le Roy eſtant vn iour en affli


Gij
100 GVLISTAN.

ction fit vœu de diftribuer vne cer

tainefomme d'argent entre les Re 16


ligieux s'il fortoit de fes affaires auec

contentement, ce que luy ayant fuc


cedé heureufement voulant accom

plir fon vœcu,il donna à vn page vne

bource dans laquelle eſtoit la fom

me vouée pour la diftribuer entre

lefdits Religieux. Ce page chemina

& tournoya tout le jour par la ville,


& le foir reuint treuuer le Roy , aux

pieds duquel il ietta ladite bource &

l'argent , difant qu'il n'auoit point

treuué de Religieux . Quelle hiſtoire

eft-ce là , dit le Roy , il y en aplus de


quatre ceris en cette ville ? Grand

Roy , refpondit-il , Celuy qui fera

bon Religieux ne prendra point

d'argent, & celuy qui en prendra ne


ferapas Religieux .
Vn Docteur interrogé de ce que lui
. GVLISTAN ICI

fembloit du reuenu & des rentes des

temples & Conuents. Ceux refpon


dit- il, qui defirent le reuenu des Té

ples pour eftre en la cópagnie des Re

gieux , & deueloppez des affaires du

monde vaquent à la priere & orai


fon , font fort bien , mais ceux qui

defirent lereuenu des Templespour

en iouïr fimplemet offenfent Dieu,

Nous ne fommes pas dans les Con

nents pour manger , nous y man

geonspour viure en priant Dieu.


1
Vn Dreuis fe plaint vn iour à vn

fien compagnon , de ce qu'il eftoit

grandement importuné du monde

qui le venoit vifiter. N'efcoute les

pauures , luy dit fon compagnon,


& ne leur baille rien , ils neteverrot

plus & demande quelque chofe aux

riches, ils fuiront iufquesà la Chine,


pour ne terien donner.

Gilj
102 GVLISTAN.

Le fils d'vn Dreuis dit vn iour à

so pere qu'il nereceuoit aucune edi


fication des fermons des Predica

teurs , parce que leurs actions n'e


ftoient conformesà leur difcours, ils

‫ ܐ‬enfeignet lepeuple, difoit-il, à quit


ter le monde & fe precipitent pour

auoir de l'argent , perfonne ne croit


J
à celuy qui n'a que des paroles. Ce
luy eft bon Predicateur qui parle

bien & fait bien , le Predicateur qui

feplaift à dorloter fon corps eft fem


blable au Pilote qui s'eft égaré : Có

ment pourra-t'il feruir de guide &


móftrer le chemin aux autres ? Mon

fils, refpondit le pere, la Predication


eft femblable au marché, fi tu yvas

fans argent tu n'en rapporteras rien,


fi tu vasà la Predication fans foy, tu

n'y profiteras pas.

Vn Religieux Dreuis,paffant au-"


GVLISTAN. 103

prés d'vn yurongne qui eftoit cou


ché au milieu du chemin le regarda

de trauers par melpris & mocquerie.

Pourquoy , luy dit cét yurongne,me

regarde tu de trauers , fi ie n'ay fait


ce que doit faire vn honneſte hom

me,fais en mon endroit ce que doſt


faire vn bon Religieux .
Vn Dreuis rencontra vn iour vn

porte-faits ſi furieuſement en cole

reque l'efcume luy en fortoit par la

bouche , le Dreuis luy demandant

le fuject de fon defplaifir , il refpon


dit , qu'vn fien voifin l'auoit iniu

rié. Tu es vn pauure homme,luy dit


alors le Dreuis , tu porte vn faits

de dix quintaux , & tune peus fup

porter vneparole.

Vn docteur grandement riche


auoit vne fille filaide & fi difforme

que perfonne ne la voulant eſpou


Gj
104 GV LISTAN.

fer il la mariaà vn aueugle. En mef


me temps il arriua vn Medecin ocu

lifte en fa ville , qui demanda à ce

Docteur pourquoy il nefaifoit gue

rirfon gendre. l'aypeur, dit-il, qu'il


quitte ma fille , à femme laide mary

aucugle.
i.
Vn Docteur interrogé quel eftoit
le meilleur la vaillance ou la libera

lité. Celuy qui eft liberal n'a befoin

d'eftre vaillant , vn bien-faitluyfe

raplus aduantageux que la force de


fon bras , faits de ta bource comme

de ta vigne , elle rendra plus de rai

fins fitu en couppe quelques bran


~ !!
ches.
$

1
GVLISTAN. IOS

Cel Du Contentement.
C.

CHAP. II .

pauure Religieux Dreuis


VNpa publiquement
demandant
1 l'aumoſne dans la place du marché

d'Alep, alloitproferant ces parolles.

O vous qui eftes puiffans en trefors,


fi la raifon fe treuuoit en vous , la

couftume de mandier fe perdroit


dans le monde : car vous nous feriez

part de vos biens & nous de noftre

patience , quieft preferable à toutes


les richeffes de la terre . Le fage Loc

man prenoit patience en fapauure


té & fe contentoit en icelle . Celuy

qui n'eft capable de patience , n'eft

?
106 GVLISTAN.

capable de ſageſſe ny de contente


inent.

Vn homme de códition au Roy

aume d'Egypte cut deux enfans, l'vn


defquels s'addonna à l'etude des bó

nes lettres , & l'autre appliqua fon

efprit à acquerir des biens. Lepre

mier deuint grand perfonnage &


grádemet eftiméà caufe defa doctri

ne,& le fecond par fes richeffes fefit

le plus puiffant home d'Egypte , re


gardant vn iour fon frere auec mef

pris , il fe mocqua de luy , de ce qu'il

eftoit demeuré pauure auec fa do

ctrine, cependant que par fes thre


fors il eſtoit arrivéà la principauté.

Ieloue Dieu , lui dit fon frere, dela

grace qu'il m'a fait , i'ay acquis la


fcience , heritage & patrimoine des

Prophetes , & tu n'as acquis que des

richeffes, heritage des Pharaons &


GVLISTAN. 107
&
meſchants , fi iefuis la formis qu'on

foule aux pieds , ie ne fuis pas vn

loup rauiffant , duquel chacun ſou

haitte la perte : Quelle grace puif- ie


rendreà Dieu , m'ayant ofté le pou
01 uoir de m'ofter auffi la volonté de

faire mal à mon prochain . `

l'ayveu vn Dreuis pauure, necef

fiteux & mal veftu , quife confolant

foy- mefme , difoit qu'il eftoit plus


heureux de fupporter patiemment

fa pauureté,que de s'obliger aux hó

mesfous efperace de leurs bien-faits,


la pauureté elt plus facile à ſuppor
&
ter que l'infolence & mauuaife hu

meur de celuy auquel on eft obligé.


Vn honnefte home dit vn iour qu'il

y auoit vn riche perſonnage dans la

ville qui tiendroit à faueur de luy

faire du bien s'il luy faifoit offre de


fon feruice. Tay-toy , repondit- il ,
AN.
108 MGVLIST

ï'aime mieux viure en ma pauureté

que d'entrer au feruice des Grands,

c'eft vn tourment égal à celui d'En

fer , que d'eftre melprifé & gour


mandé en feruant .

Vn Roy de Perſe preſenta vn


iour à Mahometvn docte Medecin,

lequel ayant demeuré quelque téps


en Arabie fans employ & fanspra

ticque , fe plaignit de ce qu'il eftoit


venu pour traitter les malades , &

que perfonne n'auoit recherché fes

remedes pour faire de fon


preuue
fçauoir. C'eft la couftume de cette
nation , dit Mahomet , de manger

fans auoir faim , & fe leuer de table

auec appetit ; mais ce Medecin luy

baifa les mains & prit congé de luy,


difant , qu'à gens fobres il nefalloit

point de Medecin.

Vn Dreuis interrogé pourquoy


GVLISTAN. 109

fon voifin s'eft addóné au vice & vit

plus licéticufemét que de couftume:

11 C'eft qu'ilmange trop ,refpondit-il,


& vit trop delicatement , on doit
prendre garde de ne carreſſer ſon

corps outre meſure. Vn loup ayant

clté long-temps nourry foigneufe


ment par vn Veneur rompit fes
chaifnes & déuora fon maiſtre.

On dit yn iour àvn Dreuis pauure

&neceffiteux, qu'il y auoit vn hom

meen la ville grandemet riche, qui

‫ו‬ fans doute lui feroit du bien , s'il fe

faifoit connoiftreà luy , ce qu'ayant

ouy, il pria vn habitant dudit lieu de

le conduire au logis de ce riche, ou


eftant arriué, il le treuua affis dans

vne chaire , auec vne mine refron

gnée, comes'il eût eftébien en cole

re , incontinent qu'il l'euft vû il for


tit fans mot dire.Interrogé par celui
ΠΟ GVLISTAN.
۱۱۵
qui le conduifoit de ce qu'il auoit Lib

fait , & pourquoy il n'auoit dit mot.


Ie donne fes bien- faits , refpondit

il, à ſa mauuaiſemine, l'ayme mieux


me paffer de fa courtoific que de

fupporter vn vifage firefrongnéa


uec vn tel mefpris.

Katentai grandement eftimé à


cauſe de fa generofité , interrogé s'il
auoit iamais veu perfonne plus ge

nereufe que lui, refpondit qu'ouy, &


qu'vn iour faifant vn facrifice d'vn

grand nombre d'animaux , en vn

! feftin auquel il auoit inuité tout le

peuple , eſtant ce meſme iour forty


hors de fa maifon pour quelque af
faire, il rencontravn homme ayant

grandement foif , qui portoit au

marché vn fagot defpine furfes ef


paules pour le vendre , & en ache

pter dupain , auquel il dit , que Ka


GVLISTAN. III

tentai faict auiourd'huy vn feftin

à tout le peuple >› pourquoy n'y

es tu pas allé. Celui , refpondit ce

pauure homme , qui peut viure du


trauail de fes mains , ne fe doit obli 1

gerà Katentai pour vn repas.


Vn nommé lafer s'eftant égaré

dans le defert , laffé & trauaille de

faim , & de foif, il deuint fi foible

quene fe pouuant fouftenir , il ietta


fon argent par terre pour fe foula

I
ger de cefardeau , & ne pouuát plus
marcherpriué d'efperace de ſecours,
4 tomba mort fur le fable , quelques

vns paffant par là ramafferent lon

argent , enfeuelirét ce pauure corps,

& luy firent cét epitaphe. Silafer a


uoit tout l'or du monde , il n'auroit

l'accompliſſement de ſes defirs , le

pauure homme enfeuely en ce de

holi
112 GVLISTAN.

fert , a cuplus de befoin d'vne raue

cuitte que d'argent .

Vn Dreuis voyant vn iour vn hó

me de mauuaife mine , porter des

habits de grand prix montéſur vn


beau cheual, demanda àfon compa

gnon ce quelui fembloit deceper

fonnage : Il femble , refpondit-il , à


vne efcriture dorée fur vne muraille.

Il eft meilleur d'eftre bon & de bon

ne grace que d'auoir de beaux ha


bits.

Le fils d'vn luitteur , vaillant &

courageux , fafché que fes affaires ne

profperoient pas felo fon defir , s'af


fligea de telle façon , que peu s'en

fallut qu'il n'en mourut, en cette al

teration , il vint treuuerfon pere, &

luy parla de la forte : le fuis,dit- il,re

folu de quitter ce pays , peut- eltre

qu'en pays eftrangers i'arriueray pat


la force
GVLISTAN.
113
la force de mes bras & par ma va

leur au but de mes intentions ;la ver


tu & le merite font inutiles s'ils ne

paroiffent; lebois d'Aloës & les par


fums ne rendent point d'odeur s'ils
nefont dans le feu. Mon fils, refpon

dit le pere, ofte cette parabole de


a
ton efprit , attache toy à ton falut &

àton repos;la grandeur & les richef


fes viennent de la bonne fortune,

perfonnenela peut arrefter par for


ce , s'il y auoit en chaque cheueu de

& tateftedeux cens vertus attachées;ta

Svertufera inutile fi elle n'eft accom

pagnee du bon- heur. Quepeut fai


revn home de merite laborieux &

amalheureux,lebras de la bonne for

& tune eft meilleur que le bras de la


force & de la prudence. Mon pere,

repliquale fils , les voyages apportét

degrands aduantages, ils nous don


H
114 GVLISTAN.

nent du contentement & du profit,

ony voit des chofes eftranges , on y


entend des chofes merueilleufes , on A

voit la diuerfité des eftars , on ac

quiert des amis , on ferend capable

de charge & d'employ , on apprend


l'honnefteté & la ciuilité , on aug

mente fes biens & fon fçauoir , on

apprend l'experience de plufieurs


chofes confiderables . Ceux-là fem

blent eftre grofliers & cafaniers qui


demeurent toufiours dás leurs mai

fons, il fautvoir le monde auant que

d'en fortir . Mon fils,dit le pere, ily

a commetu dis de grands aduanta


ges aux voyages , mais ils ne font

propres quepour cinq fortes deper


fonnes. Premierement , pour les ri

ches qui ont nombre de feruiteurs,


tous les iours ils font dans les bonnes

villes, toutes les nuicts dans de bons

lits, & tout le iour dans les pourine


A
GVLISTAN.
115
noirs & dans les diuertiffements.

Les riches ne font iamais eftrangers

en quelque part qu'ils foient, ils peu


uent planter leurs pauillons & pren
dre leurs repos ; les pauures font e

ftrangers au lieu mefme de leur naif

fance , & n'y font connus deperfon

ne. Secondement les voyages font

bons pour les doctes & fçauants, qui


parleur doctrine font eftimez & ca

reffez en quelque part qu'ils aillent,

on les refpecte, on leur rend feruice


&honneur. La rencontre d'vn hó.

me docte eft femblableà vn ruiffeau

d'or, en quelque part qu'il ailleon


fçait fon prix. En troificfmelicu,les

voyages font bons pour ceux qui


fontbeaux, bien faits, bien nez , &

debonne grace , chacun defire s'ac

colter d'eux : vn peu de gentilleffe &

de beauté vaut quelquefois autant


Hij
116 GVLISTAN.

que les richeffes , vn beau vifage co

folevn cœur affligé, & eft la clefd'v

ne porte fermée , en quelque part

que foit vn homme bie nay chacun

lui rend refpect & honneur , & ſiſes


parents le chaffent & l'abandon

nent , il treuueramille perfonnes de


condition qui lereccuront. En qua

tricfme lieu , les voyages font bons


pour ceux qui chantent bien , & font

bons muficiens , qui par la douceur


de leurs voix arreftent le cours des

eaux , & le vol des oifeaux; auec cet

te vertu ils attirét les hommes à eux,

& acquierent les bonnes graces des

grands vne belle voix eft prefera


bleà vn beau vifage , vn beau viſage

contentele corps , & vne belle voix

contente l'ame. En cinquiefie lieu,

les voyages fontbons pour ceux qui

fcauét quelque meftier ,quiparleur


GVLISTAN. 117
C
induftrię , & auec la force de leurs

bras peuuent gaigner leur pain & fe


garder de neceffité. Si vn Roy ſe
treuuoit incognu fans argent en

païs eftranger il feroit en hazard de


fouffrir les incommoditez de la

faim.Mon fils, ie t'ay fait ce difcours


des chofes neceffaires à ceux qui veu

lent aller en païs eſtranger : ceux qui

n'ont pas des perfections que ievies

de dire voyagent inutilement, & ne

font eftimez de perfonnes. Com


ment accordera-on : refpódit le fils,

les paroles des Sages quidifent,qu'é


cor qu'on foit deltiné àaauoir du bié,

c'eſt à condition de l'acquerir , qu'é

core qu'on foit deftiné au malheur,

il eft raifonnable qu'on taſche de l'e

uiter, & qu'encore qu'vn hommene

puiffe mourir que l'heure du deſtin


nefoit venue , il ne fe jette pas pour

Hiij
118 GVLISTAN.

cela enla bouche duvipere : En l'e

ftat où ie fuis i'attaquerois vn Ele

phant courroucé , & mejetterois fur


les griffes d'vn Lyon furieux : ie fuis
refolu de voir les nations eſtrange

res : celuy qui eſt malheureux en fon


pais ne doit pas eſtre faſché d'en

fortir, tous lieux luy feruiront de pa

trie , les riches fe retirent auant la

nuict en leurs Palais pour repofer, &

le pauurefaict fon Palais ou la nuict

le prend ; qu'à-il befoin de maiſon ,

en quelque lieu qu'il aille il eft logé

chez Dieu : auec ce difcours il prit


congé de fon perc. Apres auoir che

miné quelque iours il arriua fur le


bord d'vn fleuue fi violent & fi
ſi rapi

de, queles pierres que l'eau entraif


noit heurtant les vnes contre les au

tres , faifoient vn bruit qui s'enten

doit de douze mil pas,les oyfeaux de

t
GVLISTAN. 119

riuiere ny ofoient demeurer , la vio


lence des ondes eut fait mouldrevn

moulin de pierre : il demeura long
1
tempsfur le riuage en peine de quel
le façon il pafferoit à l'autre bord,

iufques àcequ'il aperceut vn grand

batteau , dans lequel eftoient plu


fieurs perfonnes bien veftues & bien
couuertes , armez de fleches & car

quois dorez , qui ſembloient eftre

voyageurs. Ceieune homme n'ayat

point d'argent pour payer fon paf

fage, fe confiant feulement en fa va

leur , pria les mariniers de le paffer

par courtoifie, les affurant qu'ils les

feruiroit genereufement aux occa

fions quife prefenteroient. A ce dif


cours ces ruftres luy tournerent le

dos par moquerie : la valeur & lage


nerofité, dirent-ils ,font inutiles fans

argent ? Si tu as de l'argent, qu'as-tu

Hiiij

!
120 GVLISTAN.
1
affaire de valeur & de force , tu ne
1
pafferas pas la riuiere fans monoye,

vn grain d'or aplus deforce que cét


hommes . Ce ieune & genereux

‫ܕܘ܂‬
voyageur fe voyant mocqué & baf
fouépar tels marauts, cuft bien defi

réde fe venger, mais voyant que le


batteau eftoit defia demaré, il fe mit
à crier à haute voix ; Si mon capot

vous cft agreableie le vous prefente:

Les mariniers pouffez du defir du lu

cre retournerent pour prendre fon


capot &l'embarquer , auarice aucu

gle fouuentesfois les plus fages , &

les oifeaux pour vn peu de bien font

pris au trabuchet. Sitoſt que ce jeu


ne homme fut fur le bord du bat

reau , il prit vn des batteliers par la


main le tira rudement dehors , &

pour le venger de leur mocquerie, le


batuit fans mifericorde , fes compa
GULISTAN. r21

gnons fortirent pour le ſecourir ,

mais laforce & generofité de ce ieu


ne homme leur fit tourner le dos , &

ne treuuerent autre expedient que


mmoder auec luy
de s'acco , & luy

promettre lepaffage fans argent. Il


remét
faut ceder volontai à vné plus

grande force On peut auec douceur


& courtoifie mener vn Elephant at

taché à vn cheueu , celuy qui eft le

plus foible doit eftre doux : vne ef


1
pée ne peut coupper la foye quine

fait point de refiftance. En fin ces


mariniers s'excufent , feiettent à fes

pieds , le recourent dans leur batteau


nt
auec honneur & complime , & de

marent incontinent pour continuer

leur voyage. L'eau & les vents jet


tent le batteau contre vn viel pilier

qui eftoit refté des anciens edifices

conftruits par les lonanians , les ma


122 GVLISTAN.

... ..
riniers faifis depeur craignant que le
batteau ne s'entrouarift, crierét qu'il
19
eftoit neceffaire qu'vn des plus har

dis de la compagnie montaft prom

ptement fur le pillier pour attacher


les cordages du batteau , afin dere

parer le dommage qu'il auoit receu .


Ce ieune homme qui faifoit gloire

defa force & generofité,ne fit point


de reflexion fur le mauuais traitte

ment qu'il auoit fait à ces mariniers.

Celuy qui arendu déplaifir àvn au


tre, quoy qu'il luy rende milleferui

ces,ilne luifera iamais oublier le ref

fentiment du premier déplaifir : le

ferfort de laplaye, mais la douleur y


demeure: netefie pas à celuy que tu

as offenfé , ne jette pas des mottes


contre la fortereffe , car elle te jette

ra des cailloux, & garde toy d'vn en


nemy reconcilié. Ceieune homme
8

GVLISTAN.
123

plein de courage , fans autre con

fideration que celle de fa force,

prend lebout d'vn cable, & faute fur


le pilierpour attacher lebatteau : les

mariniers lafchent la corde & pouf

fent le batteau , lequel eft emporté

par la violence & rapiditédufleuue,

& laiffent cet eftranger fur le pilier


tout eftonné & confus , il y demeura

deux iours fans fecours, & letroifiel


Si
melefommeil ayant gagné fespau

pieres, il cheut dans le fleuue, duquel


il fefauua auec beaucoup de peine, &

arriua en yn riuage defert prefque

mort,fans poulx & fans mouuemét,


7 où il fut contraint de manger deș

1 feuilles d'arbres, & des racines d'her


5
bespourfubftanter fa vie. Apres a
uoir cheminé quelque temps pour

chercher vn lieu habité, laffé & pref


fé delafaim & de la foif,il arriua au
124 GVLI .
STAN

prés d'vnpuits où le peuple de cette


contrée eftoit affemblé , il vit que

tous ceux qui beшuoient de l'eau de

cepuits donnoiet vnepetite piece de


monnoye pour payement de l'eau

qu'ils auoiet beue, encor qu'il n'euft

point d'argent il ne laiffa pas de de


mander à boire en remonstrant fa

neceffité : On n'eut aucunepitié de

luy , & voulant fe preualoir de


fon courage , & vfer de violence,

vn grand nombre de payfans fe iet

terent fur luy , leruerent par terre,&


le battirent fans mifericorde , il fut

bleffé en telle façon qu'il tomba fur

les carreaux comme priué de fenti

ment. Plufieurs petites mouches en

grand nombre defefperent quel

quefois vn elephant , & le lyon auec


fa force & fa valeur eft fouuentė,

fois incomodé par les formis . Blef


GVLISTAN.
125
fé , malade , & mal traitté par ces

payfans , il fut contraint de fe met

tre à la fuitte d'vne Carauane qui

paffoit alors par cette contrée , s'e


ftant arreftez de nuict en vn lieu qui

eftoit vn receptacle de voleurs , &


de mauuaifes gens , tous ceux de la
Carauane furent faifis d'vne grande

apprehenfio de perir entre les mains


des larrons . Ce ieune voyageur fit

fonpoffible pour les affurer , difant,


queluifeul bateroit & defferoit cin

quate homme de telle canaille , fon


difcours animales ieunes gens de la

Carauane , lefquels luy rendirent de

grands honneurs , & le firent affeoir


au lieu le plus honorable de la ta

1 ble,il mangea auec eux reprit vn peu

Les premieres forces , & apres fouper


commença à dormir d'vn tres-pro
fond fommeil, Alors vn vieillard
126 GVLISTAN.

qui eftoit en cette carauane , dit à


fes compagnons qu'il n'auoit pas

moins de peur de cét eftranger que


des voleurs inefines , & adjouſta

qu'vn iour vn Arabe ayant acquis


vne affez bonne fomme d'argent
nedormoit iamais feul de peur d'e
1 ftre volé : vn de ſes amis eftoit per

petuellement auec luy lequel par

fucceffion de temps & auec addreffe

ayant découuert où eftoit l'argent

de cét Arabe , leprit & s'en alla fans


mot dire , le matin on vit cét Arabe

affligé iufques à l'extremité ; inter

roge de la caufe de fon affliction , &


files larrons auoient voléfon argét,

il refpondit que non : celui en quiie


me confiois l'a emporté. O qu'il eſt
difficile de coucher auec vn ferpent

fans eftre picqué , la picqueure &

morfure d'vn ennemycft beaucoup


GVLISTAN, 127

plus cuifante , lors qu'il picque &


mordfous couleur d'amitié & eft en

nemy couuert : fçachez que ce lieu

eft vn receptacle de voleurs, ie crains

fort que ce ieune homme quifait le


vaillant nefoit du nombre, & qu'il

ne prenne fon temps pour aduertir

fes compagnons ; ie fuis d'auis que

nous partions prefentement, & que


nous le laiffions dormir. Ce confeil

fut approuué de tous ceux de la có


pagnie, qui troufferent incontinent

bagage & s'en allerent , laiffant ce


icune voyageur accablé de fom

meil .Legrand trauail qu'il auoit en


duré les jours paffez , & les bonnes

viandes qu'il auoit mangé le con


{
uierent à dormir toute la nuit & le

Lendemain tout le iour , iufques à


Soleil couché ; eftant reueille il ne

vitplus fa carauane ny ne connoif


128 GVLISTAN.

foit aucun fentier ny chemin pour

la fuiure, il va & vient égaréfans fça

uoir où il eſt , enfin preſſé de la faim


& dela foif, fans efpoir de falut , il

cheut en terre proferant ces paroles.

O qui me fera fecourable ! à moy


pauure eftranger , perfonne n'eſt fa

uorableà l'eftranger, que l'eftranger

mefme où ceux qui ont efté eftran

gers. Par hazard'vn Seigneur de có

dition paffant en ces quartiers s'e


ftoit efcarté de fes gens pour future

fa chaffe, il ouyt la voix de cepauure

malheureux, il s'approcha & luy de

manda quel il eftoit , & comment il


eftoit tombé en cet endroit , ayant

apprisvne partie des aduentures de

cepauurehomme il eut pitié de luy,

&luy fit donner ce qui luy eftoit ne

ceffaire pour retourner en fon païs,


où eftant arriué, il raconta à fes pa
rens

ì
GVLISTAN. 129

rents les hazards de fon voyage , la

rencontre dubatteau,l'infidelité des

mariniers , l'infolence des païfans


aupres du puits , la tromperie de la
Carauane, & la rencontre de ce Sei+

gneur. Alors fon pere luy dit , mon

fils ne t'auois- ie pas dit auant ton de


part que ceux-là ont les mains foi

bles quiles ont vuides ? vn grain d'or


vaut mieux que cinquante quintaux

devertu. Mon pere, refpondit-il,il

ht faut trauailler pour acquerir du bie,

re il faut hazarder fa perfonne pour

le obtenir victoire: quinefemerien ne

recueille rien. Lapeine que i'ay en


durée me faict treuuer le repos doux

comme miel , celuy qui fe plonge


dans la mer ne rapporte pas tou

fiours des perles , encor qu'on ne

puiffe acquerir du bien qu'en tant

que le deftin le permet , il ne faut


I
130 GVLISTAN.

pour cela eftre parcffeux à le recher

cher : le Lyon mourroit de faim s'il


demeuroit toufiours dans fa cauer

ne. Les pieds & les mains de celuy


qui veut chaffer das fa maiſon , font n!

femblables aux aragnes ,il ne prédra

que des mouches.Mo fils repliqua le


pere, le Ciel t'a efté fauorable cette

fois, il aféparé tes rozes des eſpines .


Ce Seigneur que tu as rencontré t'a

efté fecourable, mais vn tel rencon

tre eft fort rare , il nefe faut pas affu


rer aux chofes qui arriuent raremét,

prens garde que le defir d'auoir trop


de bien ne te faffe choir encor vne

fois dans le malheur. Le Veneur ne

prend pas toutes les fois qu'il va au

bois , quelquefois il eft pris & deuo

répar les beftes fauuages .

VnRoy aimant grandement l'e


xercice de la fléche, donna vne ba →
GVLISTAN. 131

11 gue de grande valeur qu'il auoit au


51
a
doigt , à celuy qui feroit paffer fa flé
che dedans cette bague , tousles ar
chers s'efforcerent d'emporter le

prix , mais en vain , perfonne d'en

tr'eux ne pût donner dedans:vn ieu

ne enfant qui eftoit fur vne terraſſe

qui n'auoit iamais manié ny arcny

fléche que pour iouer auec fes com

pagnons , tira fi heureuſement qu'il


donna dedans la bague & emporta

le prix, auec de grands bien -faits du

Roy, & applaudiffeméts de ceux qui

feftoiét prefens : Incontinent apres il


jetta au feu fon arc & fes fléches : in

terrogé pourquoy il bruſloit fes fle

ches. Ieveux refpondit -il , demeu

rer auec cet honneur , & ne veuxplus


manier ny arc ny fléche . Quelque

fois les confeils des plus fages font


fuiuis de finiftres éuenements , &

I ij
GVLISTAN

.
132
S

quelquefois les enfans par hazard


donne dans le but.

De l'utilité du filence.

CHAPITRE IV.

´N homme interrogé pour

quoy il ne difoit mot en co


V.
pagnie . l'aime lefilence, refpondit

il , parce que la plus grande partie


des difcours du monde font bons &

mauuais , & que nos ennemis ne


prennent garde qu'au mal . Vn en
nemy cft preferable à vn amy mef

chant , l'inimitié nefe doit attacher

à vn honneſte homme , l'honneur

qui paroift en nos ennemis eſt vne

honte en nous , le fage fert d'efpine


aux yeux de fes aduerfaires , & la
GVLISTAN. 133

clairté du Soleil aueugle la chauue

foury.

Vn marchand ayant perdu mil


fequins , fit deffenfe à fon fils d'en

rien direà perfonne : Pourquoy, dit


fon fils,me deffendez vous d'en par

ler, quel fecret y a-t'il en cela ? Afin,

refpondit le pere , de ne fupporter

double déplaifir, l'vn la perte de mo


argent, & l'autre la refioüiffance de

mes ennemis .
12
Vn docteurfe trouuant en la co

pagnie de quelque heretiques difpu


tant auec cux demeura commefur

Cóμ
pris fans dire aucune raifon pour
uaincre fes aduerfaires , interrogé

par vn de fes amis pourquoy il ne


refpondoit rien : Ces gens , refpon

dit-il, niet les fondemens, la refpófe

qu'il faut faire à telle gens, c'eft qu'il

ne leur faut pointfaire de refponfe.


I iij
134 GVLISTAN.

Ialious interrogé pourquoy vn

fergent auoit iniurié & mal traitté

vn Docteur: C'eft, refpondit- il,par

ce qu'il eft vn ignorant , deux do

etes nefe fontpoint de mal. On dit

communemét qu'vn fage & vn fol


nepeuuent rompre vne paille , fi le

fol tire, lefage lafchera , & filefol

lafche , le fache tirera , mais deux

fols enſemble rompront bien toft '


vne chaifne de fer.

Vn Docteur interrogé pourquoy

il ne vouloit repeter vne chofe deux


fois , le mefme fucre & les mefmes

confitures, refpondit -il , ne fe man


gent pas deux fois .

Mamoud enquis par quelques

perfonnes de condition de ce que


le Roy luy auoit dit lors qu'il eftoit
enfermé auec luy dans fon cabi

net , refpondit qu'il luy auoit parlé


GVLISTAN. 139
d'vne affaire qu'ils ſçauoient bien.

Tu nous trompe , dirent- ils , il y a

quelque autre chofe. Pourquoy me


le demandez vous, repliqua- il, puif

que vous voyez que ie ne le veux pas

dire? Celuyioue à perdre la tefte, qui


declare le fecret du Roy.

Vn marchant vacillant vn iour

en l'achapt d'vne maiſon , vn Iuif


demeurant en la rue où elle eftoit

fcituée le vint treuuer, & l'affura que

c'eſtoit vn fort beau logis & à bon


marché : Il vaudra bien dauantage

apres ta mort, refpondit-il, les bons


& mauuais voifins font eftimer &

mefprifer les maifons.

Vn Poëte ayant vn iour rencon


tré des voleurs , fut defpoüillé tout

nud au temps de la plus grande ri

gucur de l'hyuer. Les chiens levoyat


I iiij
GVLISTAN.
736

paffer en cét eftat lui coururet apres ,

il voulut prendre des pierres pour fe


defendre, mais elles eftoient gelees
en terre. Ces voleurs voyant la pei ۱۰

nedece pauure Poëte , luy deman


derent s'il auoit befoin de leur fe
0
courspour fe defendre des chiens; Ie
n'ay beſoin de vous, refpondit -il ,ce

luy gagne affez qui fe deliure de vos


mains auec la vie.

Vn Aftrologue retournant en fa
maifon treuua vn homme couché a

uec fa femme, dont il fit vn tres-grád

bruit, vn Dreuis y accourut , auquel

cét Aſtrologue fit ces plaintes de ce


que fa femme faifoit à ſon inſceu.
Comment,luy dit le Dreuis , peux tu

fçauoir ce qui fe fait par deſſus les


Cicux , puifque tu ne fçay pas ce qui
fe fait en ta maifon.

Le Superieur d'vne Moſquée

"
GVLISTAN
137

preſchoit de fi mauuaife grace que


perfonne ne vouloit afſiſter à ſes Ser
Parrochiens ennuyez de
mons , ſes

fes facheux & ignorans difcours , luy

procureret vne autre meilleureMof

quee , pour fe deliurer de ſes impor

tunitez,laquelle il accepta auec mil


le remerciements . Quelque temps

apres il vint reuoir fes anciens Par

rochiens,aufquels il dift que les Par


rochiens de fa nouuelle Moſquee lui

auoient procurévn benefice quiva


loit cent efcus de rente plus que le
fien , s'il le vouloit accepter : garde

toy bien de leprendre, refpondirent


ces anciens Parrochiens , fi tu tiens
bon il t'en donneront vn de cinq cés
"
efcus de rente , pour ſe deliurer de
ton ignorance .

Vn Dreuis interrogé pourquoy

il ne difoit mot ; l'attends , refpon


138 GVLISTAN.
}
dit-il, que toutlemondefe taife, ce

luy qui parle & interrompt les au


tres confeffefon ignorance.

Vn ieune homme grandement

fçauant , interrogé pourquoy il ne


difoit mot en compagnie, l'ay peur,

refpondit-il qu'on m'interroge de

quelque chofe que ie ne fçache

pas.

DelAmour.

СНАР . V.

N homme interrogé pour

V quoy Sultan Mhamond

aimoit Aiazé homme laid , diffor

me & fans efprit , & n'aimoit pas fes


autres feruiteurs qui eftoient beaux,
bien-faits & de bonne grace . Cha
GVLISTAN. 139
G cun treuue beau ce qu'il aime , ref

pondit-il , On n'ofe blafmer ce qui


eft agreable au Roy , & chacun mé
۴۱۱
prife ce qui lui déplaiſt . Vn Philo

fophe eft vn ignorant, s'il eft en dif

grace auprés du Roy. Vn Angefera


laid , s'il n'eft aggreable au Roy.
Vn Dreuis interrogé pourquoy

vn homme de condition aimoit vn

fien feruiteur , & ne connoiffoit pas

qu'il eftoit meſchant, & le plus mef


difant homme du monde. Nous ne

cognoiffons pas refpódit-il , les má–

quemens de ceux que nous aimons ,


vn feul merite de ce que nous ai
mós cache mille defauts à nos yeux.

Vn amoureux interrogé pour

quoy allant la nuict par la ville il a


uoit efteint fon flambeau au renco

tre de fa maiſtreffe . Il ne faut point


TAN
140 GVLIS .

de flambeau , refpondit-il, où le So
leil luit.

Les amis d'vn habitant de Cora

San le venant vifiter pour le confo


ler de la mort de fa femme , qui e

ftoit fage & vertueufe Dame , vn

d'entr'eux s'enquerant de l'eftat de


fa fanté en telle affliction . Ie fuis,
refpondit- il, tout confolé de la mort

demafemme, puifque Dieu l'a ainfi

ordonné, mais ce qui m'afflige, c'eft


la veuë de ma belle mere, quirepete

lemariage de fa fille. La roze s'en eft

allee & l'efpine eft demeuree: ie fup


porterois plus patiemment la mort

de mille femmes, que la veuë de cet


te vicille.

Vn Roy Arabe ayant appris

qu'vn docte & eloquent perfonna


ge eftoit deuenu infenfé à caufe de
F'amour de Lily , commanda de le

faire venir en fa prefence , & luy de


GVLISTAN. 141

St manda pourquoy il viuoit comme


les animaux priuez de toute huma

nité: Mes amis m'ont affligé , reſ

pódit -il, en meparlat de l'amour de

Lily ; pleuft à Dieu que ceux qui me


blafment euffent veu la perfonne
que l'aime , ils connoiftroient leurs

ignorances . Cette reſponſe fit nai

ftre au Roy le defir de voir Lily, la


voyant noire , laide , & denuée de

toute forte de bonnes graces n'en fit .


aucune eftime. Grand Prince , dift

alors cét amoureux , fi tu veux recó

noiftre la beauté de Lily , il faut que

tu la regarde auec mes yeux, tu n'au

ras pitié de mon affliction puifque

tu n'as iamais efté affligé : Ceux qui


font fains ne refentent la douleur

des playes d'autruy ; reprendre &


blafier l'amour , c'eft frotter vne

playe & mettre du fel deffus .


(

142 GVLISTAN.

De l'infirmité de la vieilleffe.

1
CHAPITRE VI.

N vieillard grandemét ma
Vlade, interrogés'il auroit ag

greable qu'on fit appeller vn Mede


cin. Les medecins , refpondit- il,

n'ont point de remede contre la


vieilleffe.

Roftem interrogépourquoy fon


fils le traittoit mal en fa vicilleſſe : Il

ne fe fourientpas , refpondit-il, du
foin que i'ay eu de luy en fa ieuneffe.
Vn vieillard amoureux d'vne ieu

nefille employoit tous fes fensà luy

complaire pour luy faire paffer le


temps & la defennuyer. Vniour lui

remonftrant quelle eftoit heureuſe


GVLISTAN. 143

d'eſtre aimée d'vn vieillard fage &


·
prudent qui auoit l'experience de

plufieurs chofes , qui fçauoit que c'e

Itoit qued'aimer,fidelle, doux & pai

fible , quelle lui deuoit eftre pluftoft

fauorable , qu'à vn ieune eltourdy

fans experience , leger & changeant


enfon amitié, & irrefolu en fes deli

berations . I'aime mieux, refpondit

elle , auoir vne fléche dans le fein,

que defpoufer vn vieillard , l'aime


mieux aller en Enfer auec vn ieune,

qu'en Paradis auec toy.

Vnvieillardfe pleignant vn iour,


à vn fien voiſin du mauuais traitte

ment qu'il receuoit de fon fils qu'il

auoit elleuéfifoigneufement. Pour


quoy , lui dit fon voifin , defire tu

que ton fils tefoit obeiffant puifque


tuas fi mal traittéton pere.

Vn vieillard ayant vn fien fils


144 GV LISTAN.

grandement malade fut conuiepar


fes amis de prier les Religieux de la
ville de femettre en oraifon pourfa

fanté , ou bien de faire quelque au

mofne aux pauures mandiants &


perfonnes neceffiteufe de fa conoif

fance. Il choifira pluftoft , dit alors

vn Dreuis qui eftoit preſent,les prie


res des Religieux que les aumofnes,
les aumônes lui coufteroient de l'ar

gent, & il ne donnera rien aux Reli


Si l'afne d'vn vieillard tom
gieux.
boit dans vn bourbier, il diroit plu

ftoft cent oraiſons que de donner

vn fol pour l'en faire tirer.

De la

¿
1
GVLISTAN. 145

De la nourriture des enfans.


‫ט‬
CHAPITRE VII.

N Seigneur de condition a

Vuoit vn fils affez lourdaut ,

qu'il donna à vn Precepteur pour


l'inftruire : ce Precepteur l'ayant en

feigné long -temps fans fruict , le ra

menaà fon pere, difant qu'il deuien


droit pluftoft fol , que de rien faire

apprendre àfon fils : on ne peut ren


C
dre bon ce qui eft mauuais de natu
re : vn diamant faux ne feraiamais

bon . Sion meine vn afne en Ieru

falem & à la Meque , il retournera


toufiours afne fans gagner les par
dons .

Vn homme fage & vertueux


ayant vn fils affez libertin , & adon
K
146 GVLISTAN.

néau vice, vint à mourir de mort fu

bite , fans mettre ordre à fes affaires.


1
Le Roy fit faifir tout fon bien fans

< auoir égardàfon fils, lequel fuppliát


le Roy de luy reftituer la fucceflion
40
de ſon pere, allez, dit le Roy, appren

dre fa vertu & puis vous ferez fon


heritier.

Vn Docteur ayant foubs fa char

gelefils d'vn Prince pour l'inftruire,


letraittoit fi rudement qu'il fut con

trainct de fe plaindre à fon pere , du


mauuais traictement de fon Prece

pteur.Ce Prince irrité contre ce Do

teur lefit appeller , & luy demanda

pourquoy il traittoit fon fils plus ru


ww

demét que les autres difciples . Grád

Prince,refpondit-il,il faut auoirplus


de foin des Grands que des petits,

perfonnenefe foucie des actions des

pauures , & tout le monde prend


GVLISTAN. 147

garde aux actions des Grands . Sivn

alre pauureà dix mille imperfections , on

n'en connoift pas de cent vne , &fi

vn Prince dict quelque chofe mal à

propos, tout le monde lefçait. Vn

DIC arbre vert fe plie facilement , lors

qu'il eft fec il n'eft bon qu'à mettre

au feu: la rigueur d'vn Precepteur eft 1


quelquefois plus vtile aux enfans

que l'amitié des parens .

CC Vn Docteur commis par le Roy

au gouuernement de fon fils pour


l'inftruire commefes propres enfás,
re
employa en vain fonfoin pour ren

dre ce Prince capable des fciences &


arts liberaux,neantmoins fes enfans
s'eftoient rendus doctes & eloquéts

fes inftructions & documents;


par

ce qu'eftant venuà la notice du Roy

il fit appeller ce Docteur , auquel il


21
bla fit reproche de n'auoir cu foin de
Kij
TAN
148 GVLIS .

l'inftruction de fon fils. Grand Prin

ce , dift le Precepteur , ie l'ay enfei

gné comme mes propres enfans ,

mais il n'a rien compris , l'ar fort de


la terre , mais toute forte de terrene

produit pas l'or.

Difpute de Sadi d'vn Dreuis , de la

richeffe de lapauureté.

Ayveu vn hommeveftu en pau


t
TA
I Y Religieux Dreuis affis en vne
ure

compagnie , lequel apres plufieurs

difcours faifoit des plaintes de la


forte. Nous fommes en miferable

fiecle , les mains des pauures font

lices & fans pouuoir , & les pieds

des riches font ce que bon leurfem

blent les pauures font fans argent,


& les riches fans courtoisie. Ce dif

cours me defplût par ce que ï'ay cfté

?
GVLISTAN. 149
Pri
nourry & efleué par les bien -faits

des Grands, ie lui parlay en cettefa


çon . Mon ami , les riches font les

magafins des pauures : Le fouftien


es , le refuge des pele
des miferabl

rins , & lefupport des effrangers , ils

ont foin de faire apprefter à difner


aux autres , les vefues, les vieillards,
s
leursparen , & leur voifins fe refen

tent de leurs bienfaits , ils font quá


es.
tité de facrifices & d'aumofn
en
Quand arriuera-tuà tel merite , fi tu
il
ne peuz dire vne oraifon fans auoir

l'efprit diuerty par mille penfees , il


era
eft neceffaire que les Grands entre
té dans le mon
tiennent l'honnefte
t
de: L'efprit tranquille & obciffan
le
ne fe retreuue en la neceffité , quelle
n
refectio peut-on prendre en vne
table vuide ? Quelle courtoifie peut
fe
on efperer d'vne main neceffiteu ,
K iij
150. GVLISTAN.

celui qui a les pieds liez ne fe peut

pourmener,quelle aumône peut fai

recelui qui meurt defaim ? Ceux qui


nepeuuentfupporter l'efclat du So
leil doiuent cheminer la nuict ; La

formis trauaille l'efté pour ferepo

fer l'hyuer, Lepauure n'eft iamais en

repos , il fonge en priant Dieu ce

qu'il mangera à fon repas cependát


"
que les riches font attentifs à leur

prieres. Lors le Dreuis lui replicqua,

As- tuouyce que dit noftre Prophe

te , Ma gloire eft en la pauureté :

Tais-toy,replicquay-je,Le Prophe

te entendparler de ceux qui font vo


lontairementpauures pour l'amour

de Dieu, ceux-là nefont iamais pau

ures, ils font toufiours riches , & vi

ucnt fans neceffité : quelle prouifion

feras-tu pour l'aduenir fans argent,

lepeuple aimele bien : vn homme


GVLISTAN. ISI
neceffiteux eft facilement elbranlé
ci
at

en fareligion . Ceux qui n'ontpoint


d'habits ne fe peuuent veſtir , & qui

n'a point d'argent n'a point deve

ftement;quand arriueras- tu à la per


fection des Prophetes , il n'y a point

depauures en Paradis , chacun y eft

riche.Celui qui a reffenti l'extremité


dela faim & dela foif, deuient aua

ritieux pour fe garantir à l'aduenir

de cette mifere : la neceffitéluy faict

oublier ce qui eft licite , & luy faict

enfraindre ce qui eft defendu : leri

che ne prend que ce qui luy appar


tient , rien ne l'oblige de prendre ce

qui eft à fon prochain . Ce difcours le

mit en cholere , & animé contre

moy, il parla en cette façon . Tuas

amplemét loué les riches , il eft vray

qu'ils ont letheriaque contre la pau


ureté, & les clefs des Threfors , mais

Kij
T
152 GVLISTAN.

ils font fuperbes & glorieux , & aua

ritieux , ils corrompent les dignitez

par leurs richeſſes , parlent fouuent


fans iugement, regardent vn chacun

auec mefpris,ils fe moquent des Do

teurs quifontpauures, & prennent


&

la pauureté pour vne infamic , ils fe

preferentà toutle monde , & preté


dent le haut-bout en toute forte de

compagnie.Ceux qui font riches en


biens font fouuent pauures en fça

uoir : le riche fans merite qui veut

prendre de l'aduantage fur le docte


¡
eft femblableà vn afne parfuméd'a

bregris. Les riches , luy dy- ie , font


courtois & fecourables: Tute trom

pe , refpondit- il , ils font efclaues de

l'argent, quel profit rapportela nuée

fans pluye? A quoy nous feruiroit le


Soleil s'il ne luiloit iamais ? Ils ne fe

roient pas vn pas pour l'amour de


GVLISTAN. 153

Dieu , ils ne preſtent point d'argent


Z fans intereft , ils ne font courtoi

fie qu'à deffein de nous perdre , &


1
n'ont autre foin que d'accumuler
des biens : les threfors des auaritieux

nefont vtiles au peuple qu'apres leur


deceds, leurs heritiers depenfent bié

fouuent folement ce que leurs peres.

ont acquis iniuftemét . Si on va chez

eux pour les prier de quelque cour


toific, ils commandent à leurs por

tiers de dire qu'il n'y a perfonne au

logis, & à laverité ils ont raifon,lors

qu'iln'y a au logis que des ignorants


& des inciuils , on fait bien de dire

qu'il n'y aperfonne. Ils font con

traints , repliquay-ie , de faire de la


C façon pour fe deliurer de l'importu
nité des gucux, fi tout le fable de la

mer eftoit perles d'Orient , les yeux


des
gueux neferoient pas contents.
GVLISTAN.
IS4
Toutle mode ne peut contenter ce

luy qui eft auide de biens, lapauure


ténous conduit aux prifons, nous lie
les mains , & la neceffité fait fortir le

Lyon defa cauerne pour tober dans


les embufches des chaffeurs , elle en

tre iufques dans les deferts & dans

les lieux folitaires pour faire enfrain

dre les vœux aux Religieux , Le Cor

beau quia bien faim & rencótre vne

charongne , ne s'informe pas fic'eft


l'afne d'vn Prophete ou le Cha
meau de l'Antechrift , la neceffité
nous contraint à faire des chofes

honteufes. Apres plufieurs fembla


bles difcours , il s'abandonna à la

cholere , & me chanta milles iniures

à la façon des ignorants , il mefaifit

aucollet , ieluy empoignay la bar


be, & tombafmes l'vn fur l'autre en

nous colletant , cependant que le


GVLISTAN. ISS

peuple ferioit de nous , eftans fepa


rez nous allafmes enſemble faire

nos plaintes au luge du lieu , lequel


le fubiect de noftre que
ayant ouy
relle demeura tout confus , & apres

auoir demeuré péfif quelquetemps

il hauffa la tefte , parlant en cefte fa


çon. Toy qui as loüé fi hautement

les riches, & mef- eftimé les pauures,

fçache que l'efpine fe treuue aupres

de la roze : L'yurongnerie aux caba

rets , les couleuures & les ferpents


aupres des threfors , & les Baleines

qui engloutiffent les perfonnes aux

lieux où l'on pefche les perles , ne


prends pas garde aux mauuaifes

herbes qui font dans vn iardin ny


arbresfecs qui font dans vn verger,
fetreuue des bons & des mefcháts

parmy les riches , il y en a qui loüent


Dieu de de fes graces , & autres qui
156 GVLISTAN.

ne le loüent pas , entre les pauure

il y en a qui prennent patience en


Dieu , & d'autres qui ne la prennent

pas. Dieu aime les riches quiviuent

en pauures, & les pauurés qui viuent


en riches, & fe contentent de ce que
Dieu leur a donné. Et tournant les

yeux du cofté du pauure Religieux

Dreuis,il cótinua de cettefaçon; Tu


blafmes les riches , tules accufe de

débauche, d'infolence & d'yurogne


rie, fçache que telles gens ferencó

trent dans le monde , ainfi que tu


dis, qui n'ont autre foin que de leurs

plaifirs , & d'amaffer desbiens auec


vne auidité infatiable , ils y mettent

Leur appuy, & ne fe foucient pas du


malheur deleur prochain , mais ily

en a aufli d'autres qui viuent hono

rablement , qui font humbles &


courtois à vn chacun, & quifeplai
GULISTAN.
isy
fent à foulager les pauures, ceux-là
font heureux en ce mode & en l'au

tre. Le difcours du Iuge nous con

tenta tous deux , & par fon ordon

nance nous nous embraffames , auec

proteftation d'oublier noftre ai


greur paffee , & mifines fin à noftre
altercation , auec ces mots , Que

les Religieux ne fe fachent pas d'e

ftrepauures , s'ils meurenten lapau


ureté, ils ont acquis le but de feurs
intentions aufli bien que les ri
ches,
#
158 GVLISTAN.

Des Prouerbes.

CHAP. VIII.

Es biens font pour ayder à fub


LEftenter
S la vie, & la vie ne nous
eft pas donnee pour acquerir des

biens .

Celui eft heureux qui s'eft ferui de

fes biens pendant fa vie , & celui


malheureux qui a acquis quantité
de biens & eft mort fans s'en feruir.

Trauaille & ne t'obligeà perfon

ne , le profit t'en arriuera , fi tu fe


coüe vn arbre les fruicts meurs tom

beront , & tu en mangeras.

Ne crois obliger vn Roy en le fer

uant , il croid t'obliger de t'em


ployer àfon feruice.
ST
2.6
GVLISTAN. 159

Deux fortes de gens font priuez

de iugement , celui qui a du bien &

n'en ioüit pas pour l'efpargner , &

celui qui a de la fcience & ne fait


rien de bien.

Celui qui fe glorifie de faſcience,


eft femblable à celui qui a recueilly

vne grande moiffon & amit le feu

dedans.

Les Rois qui font bien confeillez

n'employent que des perfonnes fa

ges & doctes , & les perfonnes fages


W
& doctes nes'employent au feruice
1 des Rois.

Trois chofes ne peuuent fubfi


fter I'vne fans l'autre , la marchan

diſe fans argent , la difpute fans


Docteur , & le Roy fans chafti
ment.

Fauorifer les mefchans , eſt choſe

iniufte , & les mefchands eftiment3 .


ཏཱ
160 GVLISTAN.

iniuftice de fauorifer les bons.

Nete fie en l'amitié des Rois, n'af

fure l'armonie de ta mufique furla

voix des ieunes enfans , & neteglo


rifie dela vertu de ta femme, ce font

trois chofes femblables au fonge, &

fubjettes au changement.

Nedy tonfecret à ton amy , &

penfe qu'il peut eftre vn iour ton

ennemy.

Neprocure à ton ennemy tous les

defplaifirs qui font en ton pouuoir,

& penfe qu'il peut eſtre vn iour ton


amy.

Il eft meilleur de te taire que de

dire ton fecret à autruy, & leprier de

n'en dire mot, perfonne nefera plus


affectionné à te complaire que toy

meſme.

Nedits en particulier ce qu'on a


honte de dire en public.

Celuy qui
GVLISTAN. 171

Celui qui mefprife vn petit enne


n'af my eft femblableà celui qui mefpri
Furla V
fevn petit feu dans fon pailler qu'il
faut citeindre promptement , de

ont peur qu'il n'embraze tout le logis.


Parle auec deux ennemis en telle
,&

façon que tune fois honteux auprès


d'eux, s'ils viennent à eftre amis.

Cop Il n'eft bon d'hazarder fa perfon

ne en ce quifepeut faire par argent.


Nefois cholere outre mefure , ne

10 ſois doulx à contre-temps , ne foule

co perfonne de tes bien-faits, & ne pri


ue perſonne d'eſperance par ta ri

gueur.

de Il faut eftre doulx & rigoureux,

lus comme celuy qui tient la lancette

Coy pour tirer dufang, il faict la playe &


pour
Îa guerit .
2 Ne faits autruyfi puiffant qu'il te

puiſſe nuire.

i L
172 GVLISTAN.

Deuxperfonnes font ennemis de

la Royauté , & de la Religion ; vn

Royfans clemence & vn Religieux


fans fcience.

Nete glorifiede ton fçauoir, per

fonnene fe croit ignorát , & chacun


treuue fon enfant beau.

Celuy ne merite d'eftre fecouru

en fon aduerfité, qui n'a fait des amis

en fa profperité.
Sois muet auec les ignorants , que

fi l'ignorant cognoiffoit fon igno


"
rance, il neferoitplus ignorant.
On ne peut rien apprendre d'vn

ignorant, & l'ignorant peut appren


dredes beftesà fe taire.

Celuy qui a acquis de la ſcience,

& n'en profite au public , eft fembla

bleà celuy qui a labouré fon champ


& n'y a rien femé.

Ne découure les manquements de


GVLISTAN. 173

ton amy tu le rendrás honteux , &

perdras la confiance qu'il a en toyfi


tu declare fes defaux .

Net'affure en la recompenfe des

grands en les feruant , le Lyon

deuore quelquefois celuy qui le


nourrit.

Ne t'efmerueille pas fil'ignorant

femble quelquefois auoir de l'adua

tage fur le docte, auec lequel il con

uerfe. Vn roffignol mis dans vne


cage auec vn corbeau , luy cedera &

ne chantera pas.

Lefage parlepeu, & le fol eft fem

blable à vn tambour qui meine for

ce bruit , par ce qu'il eft vuide de


dans.

Vndocte entre les ignorants eft

comme vn beau tableau parmy les


aucugles.
Plus on s'humilie à vn ignorant,

Lij
174 GVLISTAN.

& plus il fe confirme en fön igno


rance..

Ne prefteton argent a
à gens fans

religio Celuy n'aura ſoin de payer ce

qu'il tedoit , qui nefe foucie deren

dre graces à Dieu defes bien - faits .

Vn voyageur fans fcience eftvn


oifeau fans aifles , & vn Predicateur

fans eloquence eft vn arbre fans


fruit..

Vnhomme interrogé pourquoy

il mettoit pluſtoſt les bagues & an

neaux de pierrerie en la main gau

che qu'à la droitte qui luy eft prefe

rable , ne ſçay tu pas , reſpondit- il,

que chacun n'a pas ce qu'il inerite .


Vn grand Seigneur interrogé

pourquoy il mettoit fes bagues &


anneauxà la main gauche , afini ref

pondit-il,quela main droite les def


fende.
GVLISTAN.
169
Chacan publiclesmanquements
d'vn auaritieux , & cache les defauro
S
de celuy qui eft liberal.
2.. 220

ev par l'aide de Dieu , Clement

Is
& mifericordieux finy le Liure

intitulé Guliſtan,fait par Sadi hom

me facetieux & graue en fon dif


cours , pour recréer le Lecteur en la

lecture de ce Liure , mellé de bons


confeils & aduertiffements , & au

quel il a eftéd'autantplus exact, que


cen'eſt le fait d'vn homme fage de

humer inutilement la fumée de la

chandelle par le trou de la lanterne.

Celuy qui appliquera fon efprit àle


lire, il y treuuerrala lumiere entiere
d'vne bonne conduite , dont il rece

uraprofit & contentement. Quefi


perfonne ne veut receuoir fes inftru

tions , il fecontente que le fçauoir

luy en demeure.
166 GULISTAN.

< Nous auons donné des aduertif


fementsfalutaires à nos compatrio

tes enquoy nous auons employé


quelque temps s'ils ne font defireux

de les apprendre le fçauoir en de

meurera à celuy qui les a enfeigné


.

NO 201 FIN.

ཀ་ྟ 3001

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Magda
L

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