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SOC
IET
E

MILTO
N
L'AFRIQUE ,

OU

HISTOIRE , MOEURS , USAGES

ET COUTUMES

DES AFRICAINS.

SOCIETE

DE GÉOGRAPHIE

DE LYON
DE L'IMPRIMERIE DE PILLET AÎNÉ.
T 3G
A
O
N
Sally-Abson.

L
BIB
806402

L'AFRIQUE ,

OU

HISTOIRE , MOEURS , USAGES

ET COUTUMES

DES AFRICAINS.`

Dahomey (Guinée).

PAR JOHN M'LEOD , D. M.

TRADUIT DE L'ANGLAIS

PAR ÉDOUARD GAUTTIER ,


Secrétaire-adjoint à l'Ecole royale et spéciale des LL. 00.
établie près la Bibliothèque du Roi , l'un des collaborateurs de
la Biographie universelle , de la Revue encyclopédique; Membre
de plusieurs Sociétés savantes, etc. , ete
ATE
SOCI
PHIE
COGRA

PARIS, N
YO
NEPVEU, LIBRAIRE , PASSAGE DES PANORAMAS 26.
1821 .
mu m

AVANT-PROPOS

DU TRADUCTEUR.

MALGRÉ les efforts et les pénibles


travaux de tant d'hommes intrépides ,
l'Afrique est encore bien peu connue
des Européens. Un ciel d'airain , un
océan de sable , sont des obstacles
immenses , et cependant ( des exem-
ples récens viennent de le prouver en-
core ) partout l'homme est plus à re-
douter que le climat . Le voyageur
que le Semoum a respecté échappe
bien rarement à la stupide férocité
du nègre , ou au fanatisme intraitable
du musulman .
*

SOCIETE

DELOGRAPRIE
ཝོ
LYON
vj AVANT-PROPOS

Combien n'est- il donc pas à dé-


sirer de voir se former une société
dont le but noble et généreux seroit ,
non pas de porter dans l'Afrique les
bienfaits supérieurs d'une haute civi-
lisation que tout repousse dans ces
contrées sauvages , mais au moins
d'adoucir la rudesse des mœurs , de
ramener les habitans à des sentimens
d'humanité , et d'assurer leur bon-
heur en augmentant celui dont l'Eu-
rope doit jouir. Des ressources im-
menses sont à notre disposition ; de
pieux et infatigables missionnaires ne
demandent que des conseils et une
sage direction pour aller prêcher, au
péril de leur vie , la divine et bienfai-
sante morale de l'Evangile ; des sa-
DU TRADUCTEUR . vij
vans distingués ont formé des diction-
naires des principales langues afri-
caines , et n'attendent qu'une occasion
favorable pour les mettre au jour ( 1) .
Une foule d'hommes actifs et ins-
truits , accoutumés à braver tous les
périls , et auxquels l'oisiveté de la
paix semble pesante , appellent à
grands cris une généreuse impulsion :
voilà ce que nous offre la France ;
que trouvons - nous maintenant en
Afrique ?

(1) Qu'il me soit permis de citer parti-


culièrement un dictionnaire très-complet
de la langue berbere , rédigé en Afrique
par M. Venture , que le savant et infati-
gable M. Langlès se propose de publier. ·
**
viij AVANT-PROPOS

Un célèbre voyageur , que tant de


talens et de services rendent cher à
son pays , M. Jaubert , me disoit
dernièrement : « Partout où le sol est
stérile , l'homme est cruel. » Cette
remarque , vraie pour l'Asie , peut
s'appliquer avec bien plus de justesse
encore à l'Afrique , où l'aridité du
sol annonce et justifie presque l'ari-
dité du cœur des habitans. Le pre-
mier et le plus puissant moyen de ci-
vilisation devra donc être la culture
des terres et que de facilités nous
trouvons encore ! A quelques jour-
nées de navigation de nos côtes , d'im-
menses contrées , couvertes d'une
couche végétale vierge , et que peu-
vent féconder des travaux bien di-
DU TRADUCTEUR . ix

rigés et les rayons d'un soleil ar-


dent , nous promettent une ample ré-
colte de toutes ces productions deye-
nues nécessaires , que nous allons
chercher à grands frais sur de loin-
tains rivages ( 1 ) ; une population
d'hommes d'une race secondaire ,
faite pour servir, et accoutumée au
despotisme de maîtres bizarres et
cruels , qui se trouvera trop heu-
reuse de changer de domination :
voilà ce qui n'échappe point à l'ac-
tivité d'une nation que l'on trouve
partout où il y a quelque profit à
faire ; il faut que ses espérances

(1 ) Voyez pages 17 et suiv. de ce Voyage.


X AVANT-PROPOS

soient bien grandes , puisque déjà


tant de dépenses ont été ordonnées ,
et certainement elle ne les aura pas
ordonnées en vain.
C'est par ces sacrifices et par cette
activité que cette nation a su se créer
dans l'Indoustan un empire dont la
population s'élève maintenant au
triple de celle de la métropole , et
qui chaque jour s'accroît encore .
Espérons donc que dans un siècle
où tout ce qui est utile et bon trouve
un appui , dans un moment où les
loisirs d'une paix profonde permettent
à l'activité des esprits de se tourner ·
vers un but plus juste , plus grand ,
plus utile que la guerre , nous n'au-
rons pas vainement sous les yeux
DU TRADUCTEUR . xj
l'exemple d'un peuple voisin , et nous
chercherons à ajouter aux illustra-
tions de notre belle France , non cette
vaine gloire qui ne peut exister sans
les larmes des mères , le sang des fils,
et le malheur des hommes , mais ces
innocentes conquêtes , ces doux et
paisibles triomphes qui concourent
à la fois à la prospérité d'une nation
et au bonheur de l'humanité.
Pour moi , je me suis efforcé de
rassembler tout ce qui peut servir à
faire connoître le pays , les mœurs

et les usages des Africains ( 1 ) . Le.

( 1) Sous presse pour paroître incessam-


ment , Voyage de Lyon et de Ritchie , dans
l'intérieur de l'Afrique septentrionale. Deux
volumes , avec un grand nombre de gra-
vures très-soignées.
‫زند‬ AVANT-PROPOS , etc.
voyage que j'offre en ce moment au
public donne des notions très-suc-
cinctes , mais assez exactes sur le Da-
homey . On avoit anciennement des
idées si fausses sur ce royaume , que,
dans un ouvrage recommandable sous
beaucoup de rapports ( 1 ) , on ne crai-
gnoit pas d'assurer que la chair hu-
maine étoit exposée dans les marchés
publics . L'ouvrage de M. Leod ne
fera pas concevoir sans doute une
haute estime pour la douceur et l'hu-
manité des Dahomiens , mais il les
lavera du moins d'une aussi atroce
accusation .

(1) Voyez l'Encyclopédie , au mot Dako-


may.
AVERTISSEMENT

DE L'AUTEUR.

J'AVOIS lule manuscrit de cette

relation à quelques amis dont


l'opinion étoit pour moi d'un
grand poids ; ils me conseil-
lèrent de la publier, en me fai-
sant observer que tout ce qui
regardoit l'Afrique , et pouvoit ,
en offrant de nouvelles notions
sur ce pays , tendre à l'amélio-
ration de son système social ,
n'étoit jamais dénué d'inté-
xiv AVERTISSEMENT.

rêt. Ils m'engagèrent en même


temps à conserver à ma narra-
tion la forme que je lui avois
donnée , parce qu'un exposé
court et simple des faits , sur-
tout lorsqu'il s'agit de peindre
les mœurs des sauvages , en
fait concevoir souvent une plus

juste idée que ne pourroient


le faire de longs et pesans vo-
lumes.
HISTOIRE ,

MOEURS , USAGES

ET COUTUMES

DES AFRICAINS .

Dahomey has

CHAPITRE PREMIER.

Départ de l'auteur , arrivée en Afrique.

La paix d'Amiens fit opérer dans là


marine anglaise , au commencement
de 1803 , des réformes qui tombe
rent particulièrement sur les officiers
de santé.
V.
2 L'AFRIQUE.
Les jeunes médecins , qui aussitôt
après la fin de leurs études étoient
entrés au service , n'avoient point eu
le temps de former ces liaisons si
nécessaires dans la pratique ; et , ar-
rivés à un age auquel il est impos-
sible de se créer des succès , ils se
voyoient dans la nécessité de cher-
cher d'autres ressources. Le gouver-
nement désiroit aussi les forcer à
continuer cette vie errante qui cha-
que jour leur donnoit une nouvelle
expérience , et permettoit de compter
sur eux dans le cas où on auroit eu
besoin de les rappeler : c'est dans ce
but qu'on eut le soin de leur retran
cher toute espèce de demi solde , afin
de les exciter encore davantage à
tenter les chances de la fortune.
Comme j'étois au nombre de ces
GUINÉE.. 3
serviteurs si généreusement récom--
pensés , je me trouvai très-heureux
d'accepter la place de chirurgien à
bord d'un bâtiment qui devoit aller à
la traite sur la côte d'Afrique.
Cependant ayant l'honneur d'être
attaché au service de sa majesté bri-
tannique , je devois obtenir un congé,
et payer même un droit d'expédition.
Je ne pus m'empêcher de faire ob-
server au secrétaire de l'amirauté ,
gentleman à la face ronde et rebondie ,
combien il étoit dur pour un officier
de payer le gouvernement , lorsque
lui-même ne recevoit aucune solde :
il me répondit en souriant que cela
lui paroissoit , comme à moi , très-
injuste , mais que telles étoient les
formes du bureau . Il ne manqua pas
d'ajouter qu'il étoit très-honorable
I.
4 L'AFRIQUE .
d'avoir , même sans appointemens ,
son nom inscrit sur une liste qui
pouvoit mener très-loin , et que d'ail-
leurs il seroit bien malheureux de
s'exposer , par l'omission d'une légère
formalité, à la perte des grands avan-
tages que l'on courroit les chances
d'obtenir. Quoique cette flatteuse
perspective ne me séduisît que foi-
blement , je donnai mon argent ; et ,
dans l'espoir d'un meilleur avenir, je
m'embarquai gaîment sur le Trusty
alors à l'ancre dans la Tamise.
Nous appareillâmes au mois de
janvier; un bon vent nous mit bien-
tôt hors de la Manche , et nous nous
dirigeâmes sur les côtes d'Afrique ,
en laissant de côté les Canaries .
A quelque distance des îles du Cap
Vert , un phénomène singulier s'of-
GUINÉE. 5
frit à nos yeux : pendant à peu près
un quart-d'heure nous naviguâmes
sur une mer d'un rouge foncé ; mais
quand nous eûmes quitté ces para-
ges l'eau reprit sa couleur bleuâtre
ordinaire , et nos sondes ne trou-
vèrent plus de fond.
Pendant que nous traversions ces
flots colorés , nous fimes puiser de
l'eau à plusieurs reprises , mais son
analyse ne différoit en rien de celle
des autres parties de l'Océan.
Nous relâchâmes à Barraway , au
Cap des Palmes , à Saint - André ,
au Cap Laho , pour acheter les pro-
visions de riz et de céréales néces →
saires à la nourriture des esclaves
pendant la traversée d'Afrique aux
Indes-Occidentales.
Toute cette partie est connue sous
6 L'AFRIQUE.
le nom de Côte -aux-Grains. Nous y
remarquâmes plusieurs peuplades et
des langages divers ; mais la briè-
veté de notre séjour ne nous per-
mettoit pas d'observer leurs mœurs
et leurs usages . Je pus voir cepen-
dant que , dans toute cette contrée ,
on ne trouvoit que des nations foibles
et dispersées , tributaires d'un Etat
intérieur plus puissant , comme le
royaume d'Achantie . Je fus étonné
en même temps de l'adresse que ces
sauvages déploient en nageant et en
plongeant . Ces hommes sont réelle-
ment amphibies ; il est difficile de se
figurer avec quelle agilité ils suivoient
dans l'eau et ils saisissoient les plus
petites pièces de monnoie qu'on leur
jetoit du bord.
Nous restâmes un jour ou deux au
GUINÉE. 7
cap Corse Castle , capitale de nos
établissemens en Afrique , et nous
entrâmes dans le golfe de Benin avec
des canots et des canotiers du pays.
Il règue constamment sur ces rivages
un vent d'ouest sud - ouest qui rend
la mer tellement houleuse , qu'il est
impossible à un bâtiment européen
de la tenir. Il faut, aussitôt que l'on
va quitter la Côte-d'Or , se pourvoir
de péniches , montées en général par
trente-deux hommes et un patron.
Ces embarcations ne sont pas seule-
ment nécessaires à cause de la vio-
lence des flots qu'elles surmontent
avec beaucoup d'adresse ; elles le sont
bien plus encore , parce que plusieurs
nations dans le voisinage sont imbues
d'un préjugé qui les empêche de
mouiller leurs pieds dans l'eau sa-
8 L'AFRIQUE .
lée , de sorte qu'il seroit impossible
de communiquer avec elles sans les
pilotes dont nous venons de parler.
C'est une chose effrayante que de
voir la manière dont ces nègres s'y
prennent pour éviter les coups de
mer. Ils saisissent le moment où
une énorme vague vient à passer, et,
tâchant à force de rames de suivre
son mouvement , ils chantent , ou
plutôt ils hurlent , pour s'exciter mu--
tuellement afin de n'être pas atteints
par la vague suivante qui menace de
les engloutir. De cette manière leur
barque est jetée assez loin sur le ri→
vage , et aussitôt ils sautent à terre,
et cherchent à éviter le choc des flots
qui viennent se briser sur la côte.
Si l'embarcation chavire , ce qui
arrive assez souvent , leur premier
GUINÉE.
soin est de sauver les blancs qui s'y
trouvent ; car si par leur négligence,
ou leur défaut d'attention , ils en lais-
soient noyer un seul , comme leur
adresse à la mer est connue , ils en
répondroient sur leur tête.
Nous arrivâmes à Whidah au
commencement de mars ; notre di-
gne capitaine , M. Davidson , con-
noissant déjà ce pays que l'on re-
garde comme la Circassie de l'Afri-
que , résolut d'y établir une facto-
rerie pour acheter des esclaves , et
d'avancer lui-même jusqu'à Lagos
( environ cent vingt milles plus avant
dans le golfe ) . C'étoit là qu'il vou-
loit compléter sa cargaison . Il me
proposa de me mettre à la tête de
l'établissement qu'il vouloit créer , et
d'abandonner mes fonctions de mé-
10 L'AFRIQUE.
decin. J'acceptai cette offre avec em-
pressement. Le gouverneur du fort
William , M. Abson , voulut bien me
promettre de m'aider de ses conseils
et de son expérience . Il me présenta
aux autorités du pays comme capi-
taine du Shrimp , petit cutter qui ser-
voit d'allège à notre grand navire , et
qui, pour sauver les apparences , croi-
soit au large , ou se tenoit à l'ancre
à une grande distance du rivage.
Voici quel étoit le but de ces pré-
cautions.
Les droits que le roi du pays fait
payer aux navires qui trafiquent dans
cette contrée , sont proportionnés au
nombre des mâts de chacun d'eux.
Ainsi il exige une somme égale à la
valeur de vingt et un esclaves pour un
navire à trois mâts , de quatorze es-
GUINÉE. II
claves pour un brick , et de sept es-
claves pour un cutter où sloop. Au
moyen de la ruse imaginée par le
capitaine , on fraudoit les deux tiers
des droits qu'il auroit fallu payer , si
'le navire à trois mâts fât entré lui-
même dans le port pour faire la
traite ; et comme il alloit encore
trafiquer dans un autre pays où l'on
exigeoit de nouvelles taxes pour la
cargaison tout entière , il lui parois-
soit très-licite d'éviter une partie de
l'impôt, puisqu'il ne chargeoit dans
ce port qu'une partie de son navire.
La maison dont j'étois le chef étoit
composée de six hommes de hammock
ou porteurs de palanquin , de deux
facteurs , d'un interprète , d'un cuisi-
nier, d'une blanchisseuse , et de quel-
ques autres gens de service. Mes ma-
12 L'AFRIQUE.
gasins et mes appartemens étoient
établis dans l'intérieur du fort , où je
vivois à la table du gouverneur Abson
qui avoit bien voulu m'accorder cette
faveur.
A mon débarquement , je fus ,
comme le sont tous les Européens 9
frappéd'admiration àl'aspect du pays .
Ces arbresgigantesques des tropiques ,
si différens de ceux qu'on a l'habitude
de voir en Europe , ces fruits déli-
cieux , si rares dans nos contrées , et
qui croissent abondamment de tous
côtés sans soins et sans culture ,
cette population noire et presque
nue , la forme et l'extérieur de ses
habitations , tout enfin excite l'éton-
nement d'un nouveau débarqué.
GUINÉE. 13

CHAPITRE II.

Etendue , limites et productions du


royaume du Dahomey.

WHIDAH étoit autrefois un royaume


indépendant.En 1727, Guadia Trudo ,
roi du Dahomey , en fit la conquête . Sa
capitale , à laquelle on donne le nom
de Grigwee (Grigoui ) , située à quel-
ques milles du rivage , contient en-
viron vingt mille habitans. Durant
le dernier siècle , les Européens ont
bâti trois forts dans cette partie de
l'Afrique ; l'un appartient aux Fran-
V. 2
14 L'AFRIQUE.
7
çais , l'autre aux Anglais , et le troi-
sième aux Portugais . On y fait le
commerce des esclaves , de l'ivoire
et de l'huile de palmier. Ces forts
ne sont que de grands édifices car-
rés , entourés d'un fossé sans eau
sur lequel on a placé un pont vo-
lant. Les angles ou les bastions sont
défendus par quelques canons ; mais
ces pièces sont en si mauvais état ,
que s'il devenoit nécessaire d'en faire
usage , ceux contre lesquels elles se-
roient dirigées seroient beaucoup
moins exposés que ceux qui seroient
chargés de les manoeuvrer. Cepen-
dant il y en a deux ou trois qui
sont entretenues pour les salves de
salut.
Les murailles sont construites avec
de la boue ou de la terre que l'on re-
GUINÉE. 15
tire des fossés. On la mêle avec de
l'eau jusqu'à ce qu'elle devienne as-
sez liquide pour que l'on puisse s'en
servir facilement ; mais bientôt l'ar-
deur du soleil la rend aussi dure que
de la brique. C'est de cette manière
que les naturels bâtissent aussi leurs
maisons , qu'ils appellent swish (soui-
che ) ; ils se servent de bambous et
de chaume pour les plafonner et les
couvrir.
Le royaume du Dahomey , en y
comprenant les districts qui en sont
tributaires , s'étend jusqu'à cent cin-
quante milles dans l'intérieur. On ne
connoît pas bien sa longueur. Ses ri-
vages se trouvent vers 6 degrés 11 mi-
nutes de latitude . Cette hauteur n'est
qu'approximative , car on n'a jamais
relevé bien soigneusement la côte.
2.
16 L'AFRIQUE .
Abomey , la capitale , se trouve à
quatre-vingts milles environ au nord-
ouest , vers 3 degrés de longitude.
Les royaumes voisins sont , au
nord et à l'ouest , Achantie et Ma-
hey, au nord-est Eyo , au sud- ouest
Papo , au sud-est Benin ; mais entre
ces deux derniers royaumes se trou-
vent plusieurs petits Etats , tels que
Jacquin et Badagry.
Le terrain s'élève insensiblement
de la côte à l'intérieur , et à plus de
cent milles ( c'est jusque-là que les
Européens ont pénétré) on ne trouve
pas plus de monticules que l'on n'en
rencontre à Hyde-Parck.
Le sol , à quelque profondeur
qu'on le creuse , n'offre qu'un tuf
coloré en rouge , et jamais le moin-
dre rocher : ce qu'il y a de plus sin-
GUINÉE . 17
gulier , c'est que , dans tout le pays ,
on ne voit pas un seul caillou de la
grosseur d'une noix.
Il n'est pas étonnant qu'un sol de
cette nature , échauffé par les rayons
du tropique , produise une végéta-
tion d'une richesse prodigieuse . Les.
troncs de quelques arbres atteignent
une telle grosseur , que les naturels en
construisent , pour naviguer sur leurs
lacs , de grands canots qui contien-
nent aisément soixante et même cent
hommes (1). On conçoit que ces ar-
bres , parvenus à une immense hau-

(1) Des personnes dignes de foi assurent


que , dans les rivières qui se trouvent plus
à l'est , on voit des canots encore plus grands
que ceux-ci, et armés d'un canon sur la
proue. (Note de l'auteur.)
2..
18 L'AFRIQUE .
teur , et couverts de leurs feuilles ,
doivent présenter l'aspect le plus im-
posant. La canne à sucre parvient
aussi à un volume extraordinaire .
Quoique les terres ne soient guère
cultivées que dans les environs des
villes , cependant l'abondance ex-
trême des récoltes suffit aux besoins
de la population. Parmi les herbes
sauvages qui croissent dans les champs
à l'entour de Whidah , la sensitive
est la plante la plus incommode.
Un de nos derniers gouverneurs ,
auquel on ne sauroit contester une
profonde connoissance de l'Afri-
que ( 1 ) , a pensé que le thé pourroit
croître sans culture dans ce pays. On

(1) M. James.
GUINÉE. 19
a toujours vivement désiré s'affran-
chir des Chinois pour cette branche
importante de commerce ; car ces
barbares hypocrites ne manquent ja-
mais , quand ils en trouvent l'occa-
sion , d'humilier et de vexer , de
toutes les manières possibles , ceux
qui sont forcés d'entretenir avec eux
des relations indispensables .
On avoit proposé de cultiver l'ar-
bre à thé dans le Brésil , où il réussit
très-bien , et dans notre colonie du
Cap-de-Bonne-Espérance . Ce qui
empêche l'exécution de ces projets ,
ce n'est pas la difficulté de la culture ,
mais la cherté de la main d'œuvre ,
que l'on obtient à la Chine à bien
meilleur marché que partout ailleurs .
Si cette plante étoit indigène en
Dahomey , l'embarras ne subsisteroit
20 L'AFRIQUE.
plus. Les terres seroient assez vastes
pour fournir à toutes les demandes de
l'Angleterre ; les dépenses de culture
seroient presque nulles . On recevroit
en échange les produits de nos ma-
nufactures , tandis qu'il faut porter
notre argent à la Chine. Le roi et le
peuple du Dahomey seroient très-aises
de renouer des relations avec nous ;
enfin un commerce de cette nature
contribueroit plus que toute autre
chose à la civilisation de l'Afrique ,
dont on commence presque à déses-
pérer. Lorsque j'étois dans ce pays ,
je songeai à cet arbrisseau ; mais
comme alors , je l'avoue à ma honte ,
je m'occupois plutôt d'amusemens
et de plaisirs que d'histoire naturelle
et de botanique , je ne fis aucune ex-
périence à ce sujet.
GUINÉE. 21
Le Dahomey produit en abondance
toutes les sortes de fruits qui crois-
sent sous la zone torride , et , en ou-
tre , quelques autres qui sont parti-
culières au pays . Je citerai surtout
un petit fruit semblable à une fève
de café qui , par lui-même , n'a pas
un goût exquis , mais qui laisse
une saveur telle , que le vinaigre
le plus acide semble devenir d'ex-
cellent vin , et que le citron le
plus aigre se convertit en une douce
orange. La drogue la plus nauséa-
bonde prend un goût supportable
dans la bouche de celui qui a mâché
ce singulier végétal , et cet effet sub-
siste long-temps. On l'appelle géné-
ralement la fève miraculeuse ; mais
M. Dalzell lui a donné le nom de ce-
rasus oxyglycus.
22 L'AFRIQUE .
Une fois qu'on a mangé cette fève ,
il faut renoncer , pour toute la jour-
née , à la véritable saveur des mets ;
tous prennent , pour le palais , un
goût sucré , et l'on joue les tours les
plus plaisans à ceux qui ne con-
noissent pas encore ses effets singu-
liers.
M. Dalzel , qui a été gouverneur
à Whidah , et qui maintenant est
gouverneur en chef au service de la
compagnie , essaya de transporter
aux Indes-Occidentales l'arbuste qui
produit ce fruit ; il ne put y parvenir ;
il avait aussi cherché à confire les pe-
tites fèves , mais quelque préparation
qu'il employât , elles perdoient tou-
jours leurs étonnantes propriétés.
Pendant la saison des pluies , le
tonnerre et les éclairs sont souvent
GUINÉE. 23
terribles les eaux tombent des nua-
ges par torrens , et transforment en
lacs les terrains peu élevés. Cepen-
dant les ouragans ne sont pas aussi
longs que ceux des Indes-Occiden-
tales ou des mers de l'Orient. Des
trombes de vent , qui ne durent
guère qu'un quart-d'heure ou vingt
minutes , soufflent avec une violence
continuelle , et parcourent , pendant
ce temps , toutes les parties du com-
pas.
On remarque aussi un vent parti-
culier qui vient de l'intérieur des
terres , et que l'on a nommé harmat-
tan ; ce vent , sur la formation du-
quel on a imaginé diverses théories ,
dépouille de leurs feuilles les arbres
et les végétaux. Lorsqu'il souffle , les
naturels en profitent pour incendier
24 L'AFRIQUE .
les hautes herbes au travers desquelles
ils veulent se frayer un passage ; les
couvertures des livres sont repliées
en arrière comme si on les avoit ex-
posées à un feu violent ; et si on n'a-
voit pas la précaution de mouiller
l'extérieur des tonneaux , leurs par-

ties se disjoindroient , et laisseroient


échapper la liqueur qu'ils contien-
nent. L'atmosphère est tellement pe-
sante et épaisse , que l'on regarde fa-
cilement le soleil à l'œil nu : cet as-
tre est alors d'une couleur rougeâtre.
On remarque aussi que ce vent ar-
rête les progrès des épidémies ou des
maladies contagieuses ; c'est ce que
l'on a souvent observé pour la pe-
tite vérole.
Ontrouve au Dahomey des bestiaux,
des moutons , des boucs et des poulets
GUINÉE. 25
de toute espèce , et en plus grande
quantité que dans la plupart des
autres parties de l'Afrique. Le lait
sert à la nourriture de l'homme ; ce
qui n'a pas lieu généralement sur la
côte sud-ouest de ce continent.
On ytrouve aussi beaucoup de liè-
vres , de pigeons sauvages , de per-
drix , de cailles , ' de daims ; et ceux
qui sont trop indolens ou trop oc-
cupés pour aller à la chasse eux-
mêmes , peuvent se procurer du gi-
bier autant qu'ils en veulent , en don-
nant quelques grains de poudre à un
des naturels , qui leur rapporte en
échange une partie de ce qu'il a tué.
Les bêtes féroces sont dangereuses
et en grand nombre. Elles commet-
tent de fréquens ravages dans les trou-
peaux et le bétail , malgré les soins
V. 3
26 L'AFRIQUE .
que prennent les habitans de les ren-
fermer de nuit en lieu de sûreté.
Les tigres et les léopards ne se
contentent pas d'enlever ce qu'ils
peuvent , ils tuent tout ce qu'ils ren-
contrent. Durant mon séjour au
fort William , on a trouvé quelque-
fois tous les animaux des basses-
cours , même les poulets d'Inde , en-
tièrement déchirés. Il ne manquoit
qu'une seule pièce que la bête féroce
avoit emportée en franchissant un
mur d'une hauteur , considérable.
Souvent les mugissemens et la
confusion du gros bétail nous an-
nonçoient , pendant la nuit , qu'un
tigre s'étoit introduit dans l'enceinte.
On pouvoit voir, au clair de la lune ,
les boeufs formant entre eux un cer-
ele au milieu duquel étoient placés
GUINÉE. 27
les petits veaux , et s'efforçant de re-
pousser avec leurs cornes le dange-
reux ennemi qui les attaquoit.
On avoit imaginé , pendant que
j'habitois le fort William , une ruse
assez adroite pour se défaire de ces
visites importunes à un mousquet
chargé de quelques balles , et bien
couvert, posé de manière à ce que
son embouchure se trouvât à la hau-
teur du tigre , on avoit attaché un
quartier de mouton , de sorte que l'a-
nimal en le saisissant faisoit partir
la détente , et étoit tué sur le coup.
M. Robertson parle , dans son ou-
vrage sur l'Afrique , d'un moyen très-
ancien , mais très-naturel , dont les
nègres font usage pour attraper les
jeunes tigrés. « Lorsque ces hommes ,
» dans leurs excursions , dit-il , trou-
3.
28 L'AFRIQUE .
» yent la retraite d'un léopard , ils
>> enlèvent les deux petits ; si la mère
» les poursuit , ils s'en débarrassent
» en lui en jetant un des deux. Aus-
» sitôt elle va le reporter à sa ta-
>> nière , et quelquefois elle revient
» pour chercher l'autre , mais sou-
» vent elle se contente de celui qu'elle
» a sauvé. Joe Hornet , un de ceux
» avec qui je faisois le commerce ,
m'apporta un jour un tigre qu'il
>> avoit pris par ce moyen , et il me
» faisoit observer , avec beaucoup
» de justesse , qu'il falloit que ce fût
» pour un bon ami que l'on s'exposât
» à enlever ainsi les petits d'un pa-
» reil animal. »
Les chevaux du Dahomey ne sont
pas grands , mais ils sont parfaite-
ment bien faits. Lorsqu'un des chefs ,
GUINÉE. 29
dans les jours de cérémonie , monte
à cheval , des deux côtés des valets
étendent les bras pour recevoir l'il-
lustre personnage , dans le cas où
monseigneur viendroit à tomber. Les
chiens du pays ne peuvent servir à
aucun usage .
Les éléphans sont assez communs ,
mais ils ne sont pas dressés pour
porter des fardeaux ou pour marcher
à la guerre , comme ils le sont dans
l'Inde. On ne les recherche que pour

l'ivoire , et pour leur chair que l'on


mange quelquefois .
Un animal de la famille des hyè-
nes , que les naturels appellent toui-
toui, fait souvent aussi de grands ra-
vages ; il marche en troupe et fouille
la terre pour découvrir les cadavres
3..
30 L'AFRIQUE.
*
nouvellement ensevelis , qui ne sont
point renfermés dans un cercueil .
Ces ressusciteurs , c'est le nom qué
leur donnent les nègres , poussent
la nuit des hurlemens affreux ; puis ,
quelquefois changeant de ton , ils
font entendre des gémissemens sem-
blables à ceux d'une femme qui se
trouveroit en danger.
Les serpens du genre boa parvien-
nent à une taille monstrueuse : j'en
ai vu de trente à trente-six pieds de
long , et d'une grosseur proportion-
née. Ils attaquent fréquemment les
bêtes sauvages , les animaux domes-
tiques , et les hommes eux-mêmes.
Ils tuent leur victime en l'entourant
de leurs replis et en la serrant jus-
qu'à ce qu'elle expire , puis ils l'ava-
GUINÉE. 31
lent tout entière ; c'est l'élasticité de
leurs muscles qui leur permet de
faire cet effort , que l'on croiroit dif-
ficilement en voyant le volume des
animaux attaqués par eux , si ce fait

n'étoit prouvé au delà de toute évi-


dence. L'état de torpeur dans lequel
on les trouve après ce repas indigeste
permet alors aux naturels de les tuer
facilement.
Rien n'est aussi affreux , dans la
nature , que ce monstre lorsqu'il se
meut. Il agit sur les hommes par la
terreur accablante dont il les frappe ,
et il paraît que les animaux les plus
féroces reçoivent la même impres-
sion , car tous sont également sûrs
de périr si cet animal parvient à les
approcher.
32 L'AFRIQUE.
Les serpens venimeux ne sont pas
en grand nombre ; les plus dange-
reux n'ont pas plus d'un pied et demi
de long , et ne sont pas plus gros que
le doigt .
GUINÉE. 33.

CHAPITRE III.

Religion.

La religion du pays est le paga-


nisme : on croit à l'existence de deux
Êtres suprêmes , égaux en pouvoir ;
dont l'un est le principe du bien , et
l'autre le principe du mal. On prie
continuellement le démon de ne pas
permettre aux magiciens d'exercer
leur maligne influence.
A Whidah, ils adorent leur dieu
sous la forme d'un serpent qu'ils
appellent dabaa , qui n'est pas assez
34 L'AFRIQUE.
grand pour être redouté de l'homme ,
et qui n'est jamais méchant. On tient
ces reptiles en réserve , et on leur pro-
digue les plus pieux égards ; on les
nourrit avec des rats , des souris et des
oiseaux. Le peuple vient les adorer, et
les malades implorent leur secours .
Le tigre est aussi l'objet du culte
des nègres qui habitent le Daho-
mey propre , mais ils pensent qu'il
vaut mieux rendre leurs devoirs à sa
peau qu'à l'animal en vie ; et les
dieux des Dahomiens sont empaillés

pour plus de sûreté ( 1).

(1 ) On trouve encore quelques peuplades


idolâtres de la Tartarie russe qui adorent
des peaux d'ours. Voyez Dictionnaire de
l'empire de Russie , par N. S. Vsevolojsky.
Moscou , 1813. (Note du trad.):
GUINÉE. :35
En voyant les nations sauvages
adorer de cette manière les animaux
les plus dangereux et les plus terri-
bles " on ne peut s'empêcher de
croire que leur but est de se rendre
propices les démons qu'elles se repré-
sentent sous la figure de ces bêtes
malfaisantes .
Les habitans de Whidah s'ima-
ginent quelquefois que la divinité les
inspire , ou plutôt , comme ils le di-
sent , qu'ils sont saisis par le fétiche ;
et , quand cela leur arrive , il faut les
mettre sous la garde de leurs prêtres ,
jusqu'à ce que leur inspiration cesse ,
et qu'ils redeviennent eux-mêmes. {

ob Granead
36 L'AFRIQUE.

mmmmm
De
d'Es
dinair
59 CHAPITRE IV. sid
de ses
Bishop of oh tas dind of sup spinas
est Gouvernement . Lasaiqozg jetten
t
50 heb whip at anda inginse paire de
asioneist Incr et ses bra
sala debit Wob auctided jail coudes
il a
Quan
WHIDAH est gouverné par un vice- quel d
roi que l'on nomme Yavougah ( ou que
péen Co
capitaine des blancs ) , parce qu'il est s , ou
poin
chargé de la police des étrangers et t à trait‹
soit avec
des navires. Esb obre el anoe 91119m
gard
Pendant mon séjour dans le pays , ses es bi
teurs de paras
l'officier qui remplissoit cette fonc- > S
jours un nomb
tion étoit un homme d'une majes-
étoit alors que
tueuse stature , et qui savoit allier à
quels leur rang
beaucoup de dignité les manières les
paroît
plus affectueuses. Il avoit la tête cou- re devant l
GUINÉE. 37
verte d'un chapeau orné avec soin , à
peu près semblable à celui d'un grand
d'Espagne ; une pièce de soie , or-
dinairement rouge , étoit jetée autour
de ses épaules , comme les Ecossais
jettent leur manteau . Il portoit une
paire de caleçons , mais ses jambes
et ses bras étoient nus ; au dessus des
coudes il avoit une paire de bracelets.
Quand le roi le chargeoit de faire
quelque communication aux Euro-
péens , ou quand il avoit quelque
point à traiter avec nous , il se vêtis-
soit avec bien plus de cérémonie
ses gardes , ses musiciens , ses por-
teurs de parasols , lui formoient tou-
jours un nombreux cortége. L'usage
étoit alors que tous les blancs aux-
quels leur rang donnoit le droit de
paroître devant le gouverneur , l'at-
4
38 L'AFR .
IQUE
tendissent dans la grande salle du
fort ; mais le Yavougah étoit le seul
des noirs qui eût le privilége de s'as-´
seoir. On lui offroit un coussin soi-
gneusement travaillé. Les autres per-
sonnes de sa suite s'accroupissoient
sur le plancher.
Toutes les fois que le vice - roi
parloit à quelqu'un des noirs , celui
auquel il s'adressoit se mettoit à ge-
noux. On uscit du même cérémonial
quand on vouloit lui parler.
Le courtisan le plus poli de l'Eu-
rope n'auroit pas montré plus de
grâce , d'aisance et de facilité , que
n'en apportoit le vice-roi de Whi-
dah pendant la durée de ses confé-
rences. Il connoissoit bien l'anglais ,
le français et le portugais. Il avoit
appris ces langues dans le voisinage
GUINÉE. 39
des forts où il résidoit depuis son
enfance , et où on l'avoit d'abord em-
ployé comme interprète.
Quoiqu'il comprît très - bien ce
que notre gouverneur , M. Abson ,
lui disoit en anglais , cependant il
étoit d'étiquette de faire répéter la
phrase par un drogman ; et c'étoit
une chose amusante de voir les ef-
forts de celui-ci lorsqu'il rendoit dif-
ficilement une pensée que le vice-roi
avoit déjà parfaitement comprise , et
que charitablement il l'aidoit même
à développer. Après la fin de la cé-
rémonie , il mettoit de côté toute
gêne , et conversoit familièrement
avec nous sur différens sujets. La
société se réunissoit ensuite à un re-
pas que l'on avoit soin de servir
dans ces occasions solennelles.
4.
40 L'AFRIQUE .
Le gouvernement du Dahomey est
entièrement despotique ; jamais mo-
narchie ne fut moins tempérée sur
la surface de la terre : il n'y a d'autre
Joi que la volonté du roi , qui peut
faire couper autant de têtes que bon
lui semble , et disposer d'une manière
absolue des biens de ses sujets , sans
être obligé de rendre compte dë ses
actions à aucun tribunal. Il a trois
ou quatre mille femmes , parmi les-
quelles il choisit le corps de ses gar-
des , et les officiers qui les comman-
dent. Comme on doit le supposer ,

il en est peu parmi elles qui attirent


son attention.
34 Durant la vie du roi , on n'an-

nonce jamais l'héritier présomptif;


mais , aussitôt que sa mort est con--
nue , les grands officiers s'empres-
GUINÉE. 41
sent de proclamer le nouveau sou-
verain . Tout n'est alors que con-
fusion et anarchie dans le palais ; et
les femmes , pour honorer la mé-
moire de leur royal époux , non-seu-
lement déchirent les habits et les ef-
fets qui leur appartiennent , mais en-
core se tuent entre elles pour aller
le rejoindre au tombeau. Quand il
n'y a aucune raison particulière pour
l'en éloigner , le choix tombe ordi-
nairement sur le fils aîné de la prin-
cipale favorite ; cependant on a vu
une exception à cette règle. Lors de
l'abdication de Whenoohew ( Whi-
nouhiou) , le dernier roi du Dahomey,
son fils aîné fut écarté du trône ,
parce qu'un accident avoit fait pas-
ser un de ses orteils au dessus de
l'autre ; le second fils , qui est un
4..
42 L'AFRIQUE .
très-bel homme , fut choisi à sa place,
et c'est lui qui règne encore aujour-
d'hui.
La famille royale n'a ni rangs ni
priviléges c'est au roi seul qu'ap-
partiennent en entier tous les res-
pects du peuple. Si pourtant le prince
daigne favoriser particulièrement un
de ses parens , on a pour lui un peu
plus de déférence ; mais tous n'en
sont pas moins les esclaves du mo-
narque.
On conçoit qu'une personne dont
le père a eu tant de femmes doit avoir
un grand nombre de frères et de
sœurs , et que si l'on donnoit à cha-
cun le titre de prince du sang , cela
pourroit mener très-loin,
Le palais d'Abomey est circulaire,
et , d'après le rapport de MM. Dal-
GUINÉE. 43
zell Norris et Abson , qui ont eu
fréquemment occasion de le visi-
ter , il est composé de cours nom-
breuses liées entre elles , et dont l'en-
semble est à peu près de la largeur
du parc Saint-James.
Le premier ministre a le titre de
Tamegan. C'est le seul homme auquel
le roi ne peut pas faire couper la
tête, lorsque tel est son bon plaisir.
Un ancien usage veut que celui qui
parvient à ce rang , soit assuré de con-
server cette partie essentielle de son
individu ; c'est peut-être afin qu'il
puisse dire toute la vérité , sans qu'il
ait à craindre pour lui des conse-
quences fâcheuses.
Le second ministre ou Mahou est
le maître des cérémonies : ses fonc-
tions consistent à recevoir et à pré-
44 L'AFRIQUE.
'senter au roi tous les étrangers blancs
ou de couleur ; il doit aussi prendre
soin d'eux pendant leur séjour. La
cour pourvoit à leur nourriture et à
celle de leur suite.
Le troisièmegrand officier de la cou-
ronne est le Yavougah de Whidah ; le
quatrième est le Jahou ou grand con-
'nétable, qui est en même temps l'exé-
cuteur en chef , et qui à la surinten-
dance des nombreux supplices qui
ont lieu. L'Agaaou est le comman-
dant suprême de l'armée ; il a sous
ses ordres divers officiers généraux.
On voit à la suite de la cour un
grand nombre de messagers du roi ,
auxquels on a donné le nom de demi-
tête , parce qu'ils ont soin de raser
tout un côté de leur chevelure , tan-
dis qu'ils laissent croître l'autre dans
GUINÉE. 45
toute sa longueur. Ces hommes sont
très - braves dans les combats ; et ,
pour signe distinctif de leur charge ,
ils portent autour du cou des colliers
composés avec les dents des ennemis
qu'ils ont tués.
Lorsque ces courriers , dont l'as-
pect est si extraordinaire , sont en-
voyés pour remplir une mission , on
ne leur permet pas de marcher len-
tement , il faut qu'ils courent de
toutes leurs forces. De distance en
distance , ils sont remplacés par
d'autres qui courent de la même ma-
nière , et se transmettent les ordres
du roi avec beaucoup de diligence
et d'exactitude (1).

(1) C'est de cette manière que sont éta-


blies les postes de l'Hindoustan. (Notedu tr.)
46 L'AFRIQUE .
Quand ils sont chargés d'un mes-
sage pour un Européen des forts de
Grigwee , ils vont d'abord trouver le
Yavougah , ou celui qui commande en
son absence , qui les conduit à l'ins-
tant , fût-il minuit , chez l'individu
auquel la dépêche est adressée. Quel
que soit le but du message , ils arri-
vent avec fracas , et en faisant un
tapage quelquefois inquiétant , sur-
tout quand l'ennemi est dans le voi-
sinage ; car il est impossible de dis-
tinguer , dans tout ce tumulte , si on
a affaire à des amis ou à des agres-
seurs.
Un accident faillit être la suite de
cette imprudente manière de se pré-
senter. Une nuit , que l'on craignoit
une attaque de l'ennemi qui s'étoit
avancé avec un corps de troupes con-
GUINÉE. 47
sidérable ( 1 ) dans le voisinage , le
Yavougah arriva sous les murs du fort
avec une suite nombreuse. On alloit
faire feu , quand heureusement on
distingua la voix tonnante du vice- roi
qui demandoit à entrer. Pour plus
de sûreté on avoit enlevé les ponts ,
et les nègres couroient autour des
fossés pour trouver les issues. Tout
ce bruit étoit occasioné par l'ar-
rivée d'un de ces demi- têtes qui ap-
portoit un message du roi pour de-
mander un mousqueton de cuivre
et une pièce d'écarlate. Sa majesté
avoit appris que je possédois ces

(1 ) On avoit mis en réquisition , pour


repousser les assaillans , M. Gordon et tous
les autres blancs d'une factorerie anglaise
voisine. (Note de l'auteur.)
48 L'AFRIQUE.
objets , et désiroit que je les lui ré-
servasse en particulier.
Un ou deux jours après cette aven-
ture nous vîmes l'armée dahomienne.
Elle étoit composée de cinq ou six
mille hommes qui vinrent bivoua-
quer dans les environs , de Grigwee.
Ils avoient un aspect sauvage , et
leurs armes étoient toutes différentes
entre elles. Les uns portoient des
mousquets , les autres des massues ?
d'autres des épées , etc. Tous parois-
soient bien disposés à poursuivre
l'ennemi qui s'étoit retiré vers nos
frontières. Nous apprîmes dans la
suite que les Dahomiens avoient tiré
une ample vengeance des insultes
que l'on avoit faites aux habitans
de Whidah. Les officiers généraux
étoient distingués par des parasols ;
GUINÉE. 49

aussi quand les noirs ont perdu


quelques-uns de leurs chefs , ils di-
sent : il nous manque tant de pa-
rasols. En remettant le message
que l'on appelle la parole du roi ,
le courrier et ceux qui l'entourent
tombent à terre , et couvrent leur
tête de poussière ou de boue , s'ils
peuvent en trouver ; de sorte que
souvent ils offrent le plus repous-
sant aspect , avec leurs corps noirs
et leurs têtes laineuses ainsi barbouil-
lées d'une argile rougeâtre.
Lorsque les ministres du roi com-
muniquent avec lui , ils se traînent
jusqu'auprès du trône , et quand ils
y sont arrivés , ils se jettent à plat
ventre , embrassent la terre , cou-
vrent leur tête de poussière , et
dans cette humble posture ils font
T. 5
50 L'AF .
RIQU
E
leur demande , et attendent les or-
dres du roi ( 1) . Dans les grandes cé-
rémonies sa majesté est assise sur
un trône richement orné. Elle est
entourée de ses femmes ; quelques-
unes d'entre elles chassent les in-
sectes avec des éventails , d'autres
tiennent un mouchoir pour essuyer
sa bouche , une troisième enfin tient
une coupe d'or dans laquelle le roi
crache quand il fume.

( 1 ) Cette manière de présenter une re-


quête a dû être anciennement celle des
Turks et des Tatârs ; car , dans les for-
mules de leur chancellerie , on trouve sou-
vent cette phrase adressée à un grand :
<< Seigneur , après m'être frotté la figure
» avec l'élixir délicieux de la poussière de
» vos pieds , etc. » (Note du trad. )
Lever du roi de
109 de Dahomey.
SOCIETE
*GRAPHIE
GUINÉE. 51
Tous les districts et toutes les villes
ont des magistrals particuliers , cabo-
cirs (1 ) , qui administrent chacun
leur département et rendent la jus-
tice , excepté dans les cas extraordi-
naires qui sont portés devant le roi
d'Abomey , lequel juge toujours en
dernier ressort. Malgré son despo-
tisme , les autres officiers ou magis-
trats n'en doivent pas moins être sur

(1) M. Bowdich , dans son voyage inti-


tulé Mission à Achantie , assure que ce mot
cabocirvient du portugais.
Il nous paroît être plutôt une dérivation
du mot arabe kibach , pluriel de ,
kabch, qui signifie prince , magistrat , chef
defamille. M. Labarthe , dans son Voyage
à la côte de Guinée , écrit le même mot
cabecher. ( Note du trad. )
5.
52 L'AFRIQUE.
leurs gardes , et remplir leurs fonc-
tions avec intégrité; car si une plainte
juste étoit portée contre eux , la tête
de l'inculpé se trouveroit dans une
position très-précaire. Pendant mon
séjour auDahomey , un magistrat, chef
de district , qui avoit été convaincu
de malversation , fut condamné à res-
ter un certain nombre de lunes sans
couper sa barbe ni ses ongles , et sans
se laver , puis à demeurer exposé à
la porte du palais plusieurs jours de
suite dans cet état de malpropreté.
GUINÉE. 53

CHAPITRE V.

Législation , supplices et mariages.

ON punit très - sévèrement le faux


témoignage ; celui qui est convaincu
d'avoir été suborneur est condamné
à mort. Le corps d'un suicide est
privé de sépulture et jeté aux bêtes
féroces. Je vis un exemple du châ-
timent de ce crime...
Les mariages se font comme chez
la plupart des nations sauvages. Le
mari achète sa femme pour une cer-
5..
54 L'AFRIQUE .
taine somme , qui toujours est pro-
portionnée au nombre d'esclaves ou
aux choses équivalentes à cette valeur
qu'apporte la future. La polygamie
est permise . Elle n'a d'autres bornes
que les facultés des individus. Après
la courte durée de la lune de miel ,
on envoie les femmes aux champs
pour planter et travailler à la terre.
Leur sort alors n'est pas beaucoup
plus heureux que celui des domesti-
ques ordinaires.
L'adultère est puni de l'esclavage,
ou d'une amende équivalente au prix
d'un esclave , pour l'homme et pour
la femme ; mais souvent un mari
trouve plus commode de garder son
épouse que de la punir en la ven-
dant , parce qu'avec elle il attire les
amateurs , et se fait payer de bons
GUINÉE. 55
dommages et intérêts ( 1). Les femmes
ont le sort le plus malheureux. Elles
ne peuvent approcher de leurs maris
qu'avec les témoignages de la plus
humble soumission . Lorsqu'elles leur
présentent la calebasse qui contient
la nourriture qu'elles viennent de
préparer , elles se mettent à genoux
en les regardant de l'air le plus hum--
ble ; il semble qu'elles se trouvent
trop au dessous des hommes pour
oser les voir en face. Aussi cette ha-
bitude constante de s'agenouiller sur
la terre leur rend - elle les genoux
aussi durs que les talons.

(1) Des voyageurs dignes de foi assurent


que cette spéculation dahōmienne a trouvé
souvent des imitateurs dans un certain pays
de l'Europe. ( Note du trad. ) ..
56 L'AFRIQUE.
Une femme criailleuse et mégère
fait souvent les délices d'un Anglais.
Elle éloigne l'ennui et vivifie sa mai-
son. Ce phénomène est inconnu au
Dahomey. Ce noble esprit d'indé-
pendance, qui anime nos dames sur la
terre de la liberté , est , hélas ! entière-
ment inconnu dans ce pays barbare.
« L'arrivée d'un nouveau-né chez
» la plupart des nations , dit M. Nor-
» ris , est considérée comme un bien-
» fait de la Providence , puisqu'il
>> doit être le soutien de la vieillesse
» de ses parens; mais au Dahomey les
>> enfans sont enlevés à leur mère
» peu de temps après leur naissance ,
>> et transportés dans des villages
» éloignés. Ils y restent assez long-
» temps pour que l'on ne puisse plus
» les reconnoître. Le but de cette
GUINÉE. 57
» mesure est de rompre tous les liens
» de famille , et de dissoudre par là
>> des associations qui pourroient de-
»
>> venir dangereuses pour le pouvoir
» royal. Il en résulte que chaque in-
>> dividu , n'ayant personne qui s'in-
» téresse à lui ou à qui il puisse s'in-
» téresser , n'a d'autre parti à pren-
» dre que celui d'une entière sou-
» mission au pouvoir qui seul peut
» garantir sa sûreté. L'amour mater-
» nel et la piété filiale sont donc pres-
» que entièrement inconnus. Loin de
» chérir leur postérité , les parens
» s'efforcent , au contraire , d'étouf-
» fer des sentimens de tendresse qu'il
» leur faut surmonter aussitôt que
» leurs enfans sont devenus assez
>> forts pour supporter la fatigue d'un
>>> long voyage . » >
58 L'AFRIQUE.
Je dois rendre hommage à l'in-
telligence et aux soins que M. Nor-
ris a montrés dans l'observation des
mœurs du pays de Dahomey. Néan-
moins il a commis une erreur en at-
tribuant à tout le royaume un usage
dont je n'ai jamais vu un seul exem-
ple dans la partie que j'habitois . Au
reste , on s'imagine aisément que la
jalousie ou quelques autres raisons
ont pu faire prendre les mesures
dont il parle.
GUINÉE. 59

миши

CHAPITRE VI.

Fêtes et cérémonies.

A UNE certaine époque de l'année ,


souvent • dans les mois d'avril ou
de mai , on célèbre une fête à la-
quelle on pourroit bien donner le
nom de carnaval. Les principaux
magistrats des divers districts , les
gouverneurs des établissemens fran-
çais , anglais et portugais , se rendent
dans la capitale. Les capitaines des
navires et les facteurs qui habitent
60 L'AFRIQUE.
Whidah , saisissent ordinairement
cette occasion de faire leur cour au
roi. Le peuple arrive en foule de
toutes parts , et des tentes sont par-
tout dressées , ce qui donne à la ville
de Grigwee l'aspect d'une grande
foire.
C'est en ce moment que se per-
çoivent les impôts. Chacun apporte
ou envoie son tribut au trésor royal.
Les gouverneurs des forts et tous les
blancs qui les accompagnent offrent
ordinairement quelques présens ,
mais ce n'est pas à titre de taxe ou de
rétribution ; car le roi leur fait un ca-
deau équivalent à celui qu'il a reçu ,
et en outre il pourvoit à leurs dépen-
ses pendant leur séjour à la cour. Les
blancs sont accueillis avec de grandes
marques de respect ; des salves d'ar-
GUINÉE. 61
tillerie annoncent leur arrivée. Les
canons dont les Dahomiens se ser-
vent dans cette occasion , furent ap-
portés à Abomey par un de leurs
rois , Guadjo Trudo , qui les avoit
enlevés à un établissement hollan-
dais dont il avoit fait la conquête .
On observe chez ces peuples un
mélange singulier de politesse et de
férocité. Terribles et impitoyables à
l'égard de leurs ennemis , ils ont
pour les étrangers des égards et des
soins que rien ne sauroit égaler. Si
un blanc est malade dans la capitale,
le roi envoie chaque jour le mayhou,
ou bien quelque grand officier de la
couronne , s'informer de sa santé ,
et lui offrir tout ce qui pourroit
contribuer à son rétablissement .
Les noirs ne peuvent approcher
V. 6
62 L'AFRIQUE .
de leur souverain sans être soumis
aux postures les plus humiliantes ;
mais ce prince n'exige des blancs
que les marques ordinaires de res-
pect usitées dans leur pays. Il les ad-
met à s'asseoir auprès de lui , et il a
pour eux les plus grandes attentions .
Il a soin de leur procurer des cui-
siniers européens . Quoique jamais
on ne se serve dans Abomey de cou-
teaux , de fourchettes et de nappes ,
on en fournit cependant aux blancs ,
qui sont en un mot traités avec une
hospitalité tout orientale. Fêtes , mu-
sique , danses , chasse , jeux , le roi
n'épargne rien pour les divertir ; et ,
pour mieux y réussir encore , il fait
défiler ses femmes devant eux.
Mais à ces fêtes et à ces réjouis-
sances viennent se mêler des actes
.
Procession publique.
du Roi.
desfemmes
GUINÉE. 63
de barbarie que l'homme civilisé ne
contemple qu'avec horreur , et qui
font vivement désirer de voir l'hu-
manité tout entière arrachée à cette
sauvage ignorance , cause première
de ces usages monstrueux. Pour ar-
roser la tombe de ses ancêtres , et
pour leur envoyer en même tems
dans l'autre monde les divers servi-
teurs dont ils pourroient avoir be-
soin , le roi sacrifie tous les ans , avec
beaucoup de solennité , un certain
nombre de victimes humaines , et
c'est au milieu des fêtes dont nous
venons de parler que se pratique
cette affreuse cérémonie.
On élève en dehors des murs du
palais des échafaudages autour des-
quels on a soin de ménager un grand
espace vide. C'est sur cette estrade
6.
64 L'AFRIQUE.
que le roi , les blancs et toute sa
cour , prennent leurs places. On
amène la victime les mains liées ; un
prêtre des fétiches l'accompagne en
prononçant quelques paroles mys-
térieuses , et le bourreau , qui se tient
derrière elle avec un large cime-
terre , lui tranche la tête d'un seul
coup. A chaque exécution , la mul-
titude exprime par ses applaudisse-
mens et ses cris la part qu'elle prend
à la magnificence et à la grandeur de
son roi.
Durant cette expédition , les bar-
des du pays chantent les vertus et
les louanges du monarque , ce qu'ils
appellent les noms forts. Cet agréable
spectacle est encore animé par une
multitude barbare qui danse autour
des échafaudages ; et si par hasard le
ute sa
3. On
es;un
zneen
mys-
etient
cime-
a seul
mul-
disse-
prend
eur de

bar-
is et

qu ils
able
une
tour
dle
Sacrifice des
Victimes
SOCIETE

DE GEOGRAPHIE
DE
GUINÉE. 65

pied vient à manquer à l'un de ces


pauvres baladins , on l'arrache du
cercle et on lui coupe la tête , sans
que pour cela la danse soit inter-
* rompue.
Ordinairement c'est parmi les pri-
sonniers de guerre que le roi choisit,
plusieurs mois à l'avance , les victi-
mes qui doivent faire les frais de
cette fête affreuse ; mais s'il n'en
trouve pas un nombre suffisant il ne
se fait point du tout scrupule de les
choisir parmi ses propres sujets. Il
y a des années où on ne célèbre que
lafête simple , et d'autres où l'on cé-
lèbre une fête extraordinaire. Dans
ce dernier cas , on décapite plusieurs
centaines d'hommes , à ce que disent
les naturels ; mais on peut les sup-
poser enclins à exalter ta magnifi-
6..
66 L'AFRIQUE .
cence de leur roi ; et comme nous
nous dispensâmes d'assister à la cé-
rémonie , je ne peux assurer ce fait.
M. James , qui prit la peine pendant
trois années de compter les victi– ¸
mes , n'en vit jamais égorger plus de
soixante - cinq à la fois. On aban-
donne aux oiseaux de proie et aux
bêtes féroces les corps de ces mal-
heureux , ou bien on les pend par
le talon aux arbres du voisinage ; et
cet usage est excessivement dange-
reux sous un soleil aussi ardent. Les
têtes sont rassemblées avec soin pour
servir d'ornement aux murs augustes
}
des palais de sa majesté , qui ont
environ deux milles de circuit , ce
qui nécessite de grands frais d'en-
tretien en ce genre .
En 1785 , Adahounza , un de leurs
GUINÉE. 67
rois , dans une heureuse expédition
qu'il entreprit contre Badagry , fit
un grand nombre de prisonniers
qu'il destinoit à l'ornement de son
palais. L'architecte nègre , chargé de
la disposition des têtes , se trompa
dans le calcul de ses matériaux , et
déjà une partie de ses dessins étoit
exécutée , quand il s'aperçut qu'il
n'avoit pas un nombre de têtes suf-
fisant pour aller jusqu'au bout. Il
alloit tout recommencer , et mettre
une plus grande distance entre les
crânes qu'il avoit déjà placés ; mais
le roi n'y voulut jamais consentir ,
et lui fit observer avec beaucoup de
justesse qu'il trouveroit bientôt as-
sez de matériaux pour compléter ces
ornemens , et conserver l'uniformité
du plan. Sa majesté dahomienne
68 L'AFRIQUE.
ordonna aussitôt que l'on apportât
cent vingt-sept têtes des prisonniers
badagriens , pour que les dessins fus-
sent achevés (1).
M. Abson à qui nous empruntons
cette anecdote , et M. Norris que
nous avons déjà cité , racontent que
le corridor conduisant à la chambre
à coucher de Bossa Ahadi étoit pavé
de crânes humains. Ce prince avoit
eu même le soin de choisir pour
cette destination les têtes des chefs

(1 ) M. Wadsorum , dans son Voyage au


Dahomey, assure que , pour donner à son
ministre l'ordre de déclarer la guerre , le
roi se sert de cette formule : Ma maison a
besoindechaume, faisant allusion aux crânes
des ennemis qui couvrent son palais.
(Note du trad.)
GUINÉE. ნი
les plus distingués qu'il avoit fait pri-
sonniers en beaucoup d'occasions. II
disoit qu'il éprouvoit du plaisir à fou-
ler chaque jour aux pieds les crânes.
des ennemis qu'il avoit vaincus. L'en-
tablement du petit mur qui entou-
roit cet appartement isolé , étoit
aussi formé de leurs mâchoires .
Quelles que soient les foiblesses
d'Ahadi et de ses descendans , tou-
jours est-il que l'on peut hardiment
assurer qu'ils n'ont pas peur des es-
prits , ni des revenans.
Le chef de nos établissemens dans
cette partie de l'Afrique , M. Abson,
gouverneur du fort William , qui
pendant trente-sept ans s'est vu con-
traint par son devoir d'assister à ces
fêtes annuelles , a eu la bonté de me
communiquer beaucoup de détails.
70 L'AFRIQUE .
sur les actes de barbarie dont il a
été le témoin.
Ce n'est pas seulement dans la
cérémonie dont nous venons de
parler que l'on immole des victimes
humaines ; car, toutes les fois que le
roi désire envoyer à ses ancêtres la
nouvelle d'un événement remarqua-
ble , il leur dépêche un courrier de
cette manière , c'est-à-dire en fai-
sant couper la tête à la personne qui
se trouve près de lui ; et on a vu
souvent le roi actuel , lorsque quel-
que chose de nouveau lui venoit à
l'esprit , faire suivre immédiatement
son premier envoyé d'un autre cour-
rier qu'il expédioit de la même ma-
nière , et qu'il chargeoit de la se-
conde partie du message qu'il avoit
oubliée de confier au premier,
GUINÉE. 7፤

On regarde comme un très-grand
honneur que S. M. , en personne ,
1
veuille bien vous couper la tête. Le
roi régnant a beaucoup de préten-
tions dans cet exercice. Un jour un
pauvre diable , qui n'étoit pas charmé
de la grâce que son prince daignoit
lui faire en le chargeant d'une am-
bassade pour ses augustes aïeux , vou-
lut réclamer, et fit observer qu'il ne
savoit pas le chemin. « Je te le vais
apprendre , s'écria le tyran indigné
de cette résistance ; et , en même
temps , il lui trancha la tête d'un seul
coup .
Le sacrifice annuel des victimes
est considéré comme un devoir tel-
lement sacré que rien ne pourroit
décider le roi à s'en dispenser ; quand
même on lui présenteroit les plus
+2 L'AF .
RIQU
E
grands bénéfic es sur les esclaves quí
y sont destinés , il ne voudroit pas
en épargner un seul. Il est égale-
ment inexorable pour les chefs enne-
mis , qui sont tous décapités quand
ils ont le malheur de tomber dans
ses mains.
J'eus un jour occasion de recon-
noître cet esprit de vengeance impla-
cable qui l'anime . Dans une excursion
qu'ils firent sur les pays de Mahie ou
d'Achantie , les nègres surprirent une
ville , et tuèrent ou firent prisonniers
un grand nombre d'habitans ; on eut
un soin particulier d'envoyer à Abo-
mey la tête du prince de ce district ,
et d'exterminer tous les membres de
sa famille. On vouloit venger par
là les insultes qu'il avoit faites au
royaume de Dahomey. On procéda ,
GUINÉE. 73
en conséquence , à un massacre gé-
néral des habitans de sa maison .
Cependant un jeune homme de
seize ans " fils de ce malheureux
roi , parvint à cacher sa qualité , et
fut amené à la capitale du Dahomey
avec les autres prisonniers . On choi-
sit parmi eux ceux qui étoient desti-
nés aux sacrifices , les autres furent
vendus à Grigwe . J'achetai le jeune
prince , qui vécut parmi nous dans
le fort.
Peu de temps après on apprit à
Abomey qu'il subsistoit encore un
rejeton de la famille que l'on croyoit
avoir entièrement éteinte. Comme
on pouvoit avoir à craindre qu'il
n'eût été embarqué sur les vais-
seaux français , anglais ou portugais ,
qui faisoient alors la traite dans le.
7
QUE
74 L'AFRI .
pays , on eut recours , pour le retrou-
ver, à une ruse qui donne une bien
juste idée de cette dissimulation ar-
tificieuse si souvent observée chez les
sauvages.
Le roi expédia quelques-uns de ses
demi-têtes ( que l'on pourroit appeler
ses envoyés mortels , par opposition
aux messagers immortels qu'il adresse
à ses aïeux ) . Ils vinrent un soir au
fort William , avec un homme fé-
roce qui remplaçoit le Yavougah ,
et demandèrent l'entrée au nom du
roi , en se prosternant suivant leur
habitude , et en couvrant leur tête
de poussière. Aussitôt ils se dirigè–
rent vers le logement des esclaves ,
et de nouveau baisèrent la terre
avant que de proférer la parole du
roi, ou , en d'autres termes , de rem-
GUINÉE. 75
plir leur message. Alors un d'eux ,
dans une longue harangue , exposa
que son maître , déplorant l'inimitié
qui avoit existé entre lui et la famille
qu'il avoit fait dépouiller et mettre à
mort , et voulant réparer , autant
qu'il étoit en lui , l'injustice à la-
quelle de perfides conseils l'avoient
entraîné , désiroit retrouver un mem-
bre de cette famille encore vivant ,
pour le rétablir dans les possessions
et sur le trône de ses pères. Com-
plètement dupe de cette ruse in-
fâme , mon jeune esclave s'écria 2
plein de joie : « C'est moi qui suis
le prince. C'est vous que nous
cherchons aussi , » répliqua le chef
ravi de la réussite de son message ;
et aussitôt on s'empara du pauvre
jeune homme , et on lui garotta les
7.
76 L'AFRIQUE .
mains. Lorsque je m'aperçus de ce
qui s'étoit passé , ce que je n'avois
pu bien concevoir d'abord , je pro-
testai avec force contre l'enlève-
ment d'un nègre que j'avois acheté
légitimement , et je me plaignis de
l'insulte que l'on faisoit au fort de
la compagnie ; je m'empressai même
de leur offrir de payer au roi le prix
de l'esclave , en argent ou en mar-
chandises , en m'engageant formelle-
ment à le faire embarquer et à l'ex-
pédier de manière que l'on n'en-
tendroit pas plus parler de lui que
si on l'eût fait tuer.
Le chef me répondit qu'il étoit
inutile de lui faire quelques proposi-
tions , parce qu'il n'oseroit jamais
les répéter au roi ; et , après avoir
long-temps résisté , je me vis forcé
GUINÉE. 77
de laisser emmener ce malheureux
jeune homme livré au plus violent
désespoir , et d'autant plus cruelle-
ment affecté , qu'une apparence de
bonheur avoit fait place à l'état le
plus affreux pour lui.
Il fut entraîné aussitôt , et son
sang assouvit la vengeance de ces
barbares impitoyables .

7..
E
RIQU
78 L'AF .

CHAPITRE VIL

Déclaration de guerre entre la France et


l'Angleterre. Ruse de l'auteur pour
: s'emparer d'un navire français.

UN jour du mois de mai , je ne peux


me rappeler précisément la date ,
le capitaine m'écrivit pour m'infor-
mer que notre navire le Trusty venoit
de partir pour l'Amérique , et avoit
pris à son bord le chirurgien de l'A-
mélie pour me remplacer . Je me trou-
vai donc rayé du rôle d'équipage ; le
capitaine lui-même changeoit de fonc-
tions , et remplissoit alors le poste
GUINÉE. 79
de subrécargue ou de représentant
de sa maison de commerce.
Peu de temps après cette époque
j'aperçus un navire anglais se diri-
་་་
geant sur Whidah , et bientôt je vis
que le pavillon français hissé au mât
d'un navire de cette nation avait fait
place au nôtre.
Il paroît que la guerre venoit d'é-
clater, et l'on avoit eu soin d'armer
pendant la paix , à Liverpool , un
fort corsaire avec un nombreux équi-
page qui , dès le commencement
des hostilités , se dirigea sur la côte
d'Afrique et s'empara facilement de
tous les navires qui y trafiquoient.
Le bâtiment qui se trouvoit à Whi-
dah fut au nombre des capturés ( 1 ),

(1) Tout le monde connoît la conduite


80 L'AFRIQUE .
Il y avoit à Lagos un autre navire
français , bâti en frégate , armé de
trente canons , et pourvu d'un nom-
breux équipage. Souvent , dans notre
correspondance , notre capitaine s'é-
toit plaint du tort qu'il faisoit au
commerce anglais , parce que , sa pa-
cotille étant mieux assortie , il obte-
noit plus facilement des esclaves.
Je m'empressai de lui annoncer
la déclaration de guerre , et il se dé-
cida aussitôt à capturer son concur-
rent , pensant avec raison qu'il fe-

loyale des Anglais à l'occasion de la rup-


ture de la paix d'Amiens. Il est doulou-
reux pour nous de trouver dans les écrits
d'un de leurs compatriotes des faits qui ne
répondent pas à la politique noble et géné–
reuse dont ils ont usé à cette époque.
(Note du trad. )
GUINÉE. 81
roit d'une pierre deux coups , s'il
s'emparoit d'une bonne prise en se
débarrassant d'une rivalité nuisible.
Il y avoit alors à Lagos deux pe-
-
tits navires anglais très fortement
armés. Mon capitaine , comme le
plus âgé , en prit le commandement .
Il fit rassembler avec promptitude',
dans une seule embarcation , toutes
les caronades des autres , et , réu-
nissant aussi les équipages , il leva
l'ancre. Comme le navire français
étoit au vent , il courut plusieurs
bordées avant d'avoir pu l'atteindre .
Quand il fut le long de son bord , il
lui hêla que la guerre étoit déclarée
et que , s'il n'amenoit son pavillon ,
il alloit être coulé bas. En même
temps on lâcha au dessus de leur
tête dix - huit boulets pour leur
$2 L'AFRIQUE.
prouver que l'on étoit bien préparé.
Les Français , étonnés , voyant que
l'on avoit fait branle-bas de combat ,
et surpris de cette attaque imprévue ,
furent obligés de se rendre ; et la Ju-
lie , prise d'environ 700,000 fr. , fut
amarinée par nos compatriotes qui
l'expédièrent aux Indes - Occiden-
tales , où elle devoit être vendue.
La surprise dont on usa empê-
cha sans doute qu'il n'y eût beau-
coup de sang répandu ; car , d'a-
près la force du navire français et
l'intrépidité de son capitaine et de
ses officiers , il n'y a nul doute qu'il
y auroit eu beaucoup de monde tué
des deux côtés.
GUINÉE. 98

CHAPITRE VIII.

Mort du gouverneur Abson. Déplorable


sort de sa fille.

DANS ce moment " le gouverneur


Abson étoit dans la capitale , où se
trouvoient en même temps les gou-
verneurs français et portugais . Les
fêtes auxquelles il étoit obligé d'as-
sister étoient extrêmement pénibles
pour un homme de son caractère .
Le temps qu'il avoit passé dans l'exer-
cice de ses fonctions n'avoit point
affoibli l'horreur qu'il éprouvoit pour
84 L'AFRIQUE .
ces scènes affreuses dont il étoit forcé
d'être le témoin.
En revenant d'Abomey , il fut at-
taqué d'une maladie sérieuse , qui ,
s'aggravant de jour en jour , l'em-
porta au commencement de juillet.
Il avoit plus d'une fois manifesté
le désir d'être enterré à une place
qu'il avoit désignée sous un oranger
auprès du magasin du fort. Nous
nous conformâmes à ses dernières
volontés.
Le respectable et bon M. James
étoit le seul officier de la compagnie
qui restât dans le pays . Alors affoibli
par la maladie , il étoit obligé de gar-
der la chambre. Nous rendîmes néan-
moins , du mieux que nous pûmes ,
les honneurs militaires à notre gou-
yerneur. Les commandans des forts
GUINÉE. 85
européens et les capitaines des na-
vires portugais assistèrent à la céré-
monie funèbre. La population tout
entière s'y rendit aussi ; et l'affliction
qui régnoit sur la plupart des visages
disoit assez quels regrets la perte de
M. Abson faisoit éprouver.
C'étoit un homme de moeurs dou-
ces et agréables , plein de bonté et
de prévenances ; et , quoiqu'il eût
mené la vie d'un ermite dans cette
partie déserte de l'Afrique , cependant
la lecture avoit suppléé en lui l'usage
· de la société , et lui avoit fait ac-
quérir une parfaite connoissance des
hommes et des affaires de l'Angle-
terre. S'il eût vécu plus long-temps
il nous eût donné , sur la contrée qu'il
avoit habitée , des notions qui n'au-
V. 8
86 L'AFRIQUE .
raient pu manquer d'être du plus haut
intérêt.
M. Abson avoit eu d'une femme
du pays trois garçons et une fille.
L'aîné , qui se nommoit Georges ,
avoit reçu son éducation en Europe.
Au moment de la mort de son père,
il étoit dans une contrée voisine
où il faisoit le commerce. Les deux
autres jeunes enfans et leur sœur
Sally n'avoient jamais quitté le fort.
Cette jeune fille , âgée de vingt ans ,
joignoit à des formes d'une élégance
remarquable une physionomie pleine
d'expression , de finesse et de viva-
cité ; son habillement , d'un genre
tout particulier , consistoit en une
pièce de coton tombant de sa poi-
trine jusqu'au dessous des genoux ;
GUINÉE . 87

un schall , jeté sur une de ses épaules ,


laissoit un de ses seins entièrement
nu , et venoit s'attacher sous son bras.
Sans emprunter jamais aucun orne-
ment étranger , elle avoit , dans sa
nature simple et sauvage , une véri-
table beauté. Ne connoissant l'An-
gleterre que par ce que son père
lui en avoit appris , mais fière du
sang européen qui couloit dans ses
veines , elle conservoit dans sa dé-
marche un air tout à la fois impo-
sant et gracieux .
C'étoit surtout dans la compagnie
de son frère que l'on admiroit l'ai-
sance et la facilité de ses manières.
Ce jeune homme avoit rapporté de
l'Europe cette fatuité gauche , ces
formes gênées auxquelles on a donné
le nom de dandysme. Sa sœur 2 au
8.
88 L'AFRIQUE .
contraire , franche et libre dans tout
ce qu'elle faisoit , n'ayant jamais
connu aucune femme qui lui fût su-
périeure , n'avoit personne à imiter,
et étoit exempte de toute contrainte,
sans abandonner la réserve naturelle
à son sexe.
Le roi du Dahomey l'avoit de-
mandée pour épouse ; mais ni son
père ni elle-même n'avoient jamais
voulu écouter aucunes propositions
à cet égard.
Elle étoit à la tête d'une petite
ferme entourée d'un bosquet d'o-
rangers , et là elle dirigeoit les tra-
vaux d'un certain nombre d'escla-
ves ; mais elle accourut au fort aus-
sitôt qu'elle eut appris la maladie
de son père , ne voulut laisser à per-
sonne le soin de le garder , et lui
GUINÉE. 89
prodigua constamment les attentions
les plus délicates. A sa mort , rien
ne peut rendre le chagrin qu'elle
éprouva. Cette malheureuse fille sui-
vit le convoi jusqu'au lieu de l'inhu-
mation ; et lorsque la cérémonie fut
achevée , elle se roula sur le gazon ,
en proie au plus violent désespoir.
Elle se trouvoit dans une position
très-critique sa mère étoit morte ,
et quand même elle eût été vivante,
les liens de parenté dans ce pays ne
passent jamais le premier degré. Elle
avoit concentré toutes ses affections
sur son père qui étoit aimé et estimé
de tout le monde ; mais en le per-
dant elle voyoit tout espoir de bon-
heur s'évanouir , et restoit étrangère
sur sa terre natale. Il ne doit pas
paroître étonnant que dans cet état
8..
go L'AFRIQUE .
d'abandon elle me réclamât pour son
protecteur ; et moi - même , j'avoue
que jamais je n'avois trouvé per-
sonne plus digne d'un véritable et du-
rable attachement. D'ailleurs M. Ab-
son avoit eu pour moi les bontés
d'un père lorsque j'avois été atta-
qué de la maladie qui frappe tous
les Européens à leur débarquement .
Oserai-je ajouter que je dois presque
la vie à son aimable fille qui , du-
rant mon indisposition , m'avoit pro-
digué les soins les plus touchans ?
Sally Abson m'avoit promis de
s'embarquer sur le navire qui vien-
droit me prendre pour me con-
duire aux établissemens occidentaux
où elle pouvoit vivre honorablement
avec le produit de la vente de ses
propriétés et environnée de l'estime
GUINÉE. 91
de ceux qui avoient servi sous son
père.
Pendant la maladie du gouverneur,
elle vint , comme à l'ordinaire , à la
table commune , mais elle étoit dis-
traite et ne mangeoit rien ; les der-
niers jours elle erroit entre sa ferme
et notre établissement , comme si
elle eût eu quelque chose à craindre .
Enfin elle disparut ; et lorsque je
demandai de ses nouvelles aux es-
claves qui nous servoient , ils se re-
gardèrent mutuellement pleins de
confusion , et baissèrent les yeux vers
la terre. Voyant que toutes les ques-
tions que je leur adressois étoient
inutiles , je la fis chercher dans toutes
les directions , mais ce fut en vain.
Je trouvai sa ferme et la plantation
d'orangers entièrement abandonnées ;
92 L'AFRIQUE.
et je supposai alors , ce que mainte-
nant je ne puis croire , qu'elle avoit
commis un suicide.
Enfin , un nommé Ramond , vieux
serviteur du gouverneur Abson , qui
depuis quelque temps me suivoit par-
tout , en me voyant dans un lieu où
personne ne pouvoit nous entendre ,
m'apprit en pleurant le sort de cette
malheureuse jeune fille. Il me dit
qu'une nuit un grand nombre de
messagers du roi étoient venus l'en-
lever. A cette affreuse nouvelle , je
maudis mille fois le tyran odieux
et les vils esclaves de ses volontés.
Le pauvre vieux Ramond me con-
juroit d'être plus circonspect. « Ici
» les murs ont des oreilles , me di-
» soit-il , et la seule chose qui puisse
empêcher que vos paroles ne soient
GUINÉE. 93
» rapportées au roi , c'est qu'elles
» sont trop insultantes pour qu'on
» ose les répétér devant lui ; mais il
» suffiroit que quelqu'un assurât m'a-
» voir entendu dire des choses qu'il
» craint de répéter, pour que je fusse
» enveloppé avec toute ma famille
» dans les plus grands malheurs. »
J'étois sûr que les avis de ce brave
homme étoient dictés par la pru-
dence ; mais je ne pouvois contenir
l'indignation que me faisoit éprouver
une tyrannie aussi atroce.
Pour comble de bonheur , j'ap-
pris que l'on avoit dessein de m'em-
poisonner. On m'avertit de me tenir
en garde contre le Cudjo , notre cui-
sinier , de sorte que pendant long-
temps je fus réduit à ne me nourrir
94 L'AFRIQUE .
que d'œufs , où j'étois bien sûr que
l'on n'avoit pas pu faire entrer de
poison. Mais enfin pourtant , lassé de
cet ennuyeux régime , je pensai qu'il
valoit mieux être empoisonné une
fois que de vivre continuellement
dans la crainte de l'être . Je repris
mon train de vie accoutumé , et je
m'abandonnai à la Providence , quoi-
que les actes de barbarie dont j'avois
été témoin ne me rassurassent pas
trop sur la moralité de ceux qui
m'entouroient . Je dois dire néan-
moins que dans la suite je me suis
convaincu de la franchise et de la
loyauté des Dahomiens en général ,
et particulièrement de celle de mon
cuisinier. Quels que soient les actes
de violence qu'ils se permettent , ils
GUINÉE . 95
sont incapables de recourir à un
crime aussi affreux et aussi lâche que
l'empoisonnement.
UE
F RIQ
96 L'A .

CHAPITRE IX.

Commerce , langage , industrie.

JE restai encore quelques mois après


cet événement au fort William , où
mes occupations me retenoient. Les
nègres qui s'occupent de la traite se
font rarement payer par les blancs
quand ils livrent des esclaves. Ils pré-
fèrent des engagemens écrits énumé-
rant les articles qui leur seront don-
nés en échange , et ils reçoivent le
tout à la fois au moment où ils règlent
leurs comptes .
Leur mémoire dans cette occasion
GUINÉE. 97
est prodigieuse ; car malgré la grande
quantité d'obligations de cette na-
ture et la diversité des marchandises
dont il s'agit , ils se rappellent plu-
sieurs mois après tout ce qui y a été
écrit , et pourtant ils ne peuvent pas
le lire.
La monnoie courante au Dahomey
consiste en coquilles qu'ils appel-
lent cauries. On les recueille sur les
rivages des îles Moluques. Seize mille
de ces coquilles forment une once
de commerce qui équivaut à envi-
ron 40 schellings sterling.
Voici la manière de compter ces
coquilles :

40 cauries valent un string.


5 strings. • • un gallina.
5 gallinas .... un aky.
V. 9
E
FR IQU
98 L'A .
4 aky • • un cabess .
4 cabess. · • une once.

Depuis le Volta jusqu'au Benin


on se sert partout de cette mon-
naie ; et M. Robertson assure que le
mode de compter est le même sur
toute la côte.Voici , selon cet auteur,
les noms de nombre du Dahomey.

I de.
2 ― aweh.
3 etto .
456

ini.
5 atto.! "
aeiza.
--- teway.
78

tato .
9 tene .
10 -OVO.
GUINÉE. 99
15 oato.
20 ---..quo.
25 - quo atto .
30 --- bah.
35 - bah atto.
40 cadie.
45 ― cadie atto .
50 cadie ovo.
55 cadie ovo atto .
60 cadie quo.
65 cadie quo atto.
70 cadie bah.
75 cadie bah atto .
--- caway.
85 caway atto.
H

90
T

caway ovo.
O
I

95 caway ovo atto.


L

100 - caway
B

que
I

1,000 - affato
B

etc.

9.
C
100 L'AFRIQUE.
Quoique l'on connoisse parfaite-
ment dans le pays la valeur de l'or
et de l'argent , néanmoins ces mé-
taux ne servent point comme mon-
noie courante. On n'en fait usage
que pour les ornemens.
Les marchés où se vendent les
choses nécessaires à la vie sont aussi
bien tenus qu'ils le sont en Europe.
Les Dahomiens font aussi des étoffes
de coton de la meilleure qualité.
Leurs teintures sont excellentes . La
couleur bleue surtout est d'une so-
lidité remarquable. Elle ne subit pas
la moindre altération par le lavage ,
et ne change jamais , tant que les
morceaux de la pièce de coton tien-
nent ensemble . Ils fabriquent pour
les usages communs des étoffes bi-
GUINÉE. 101
garrées qui se font avec des herbes
du pays. Ils savent forger le fer
pour les instrumens de ménage ; et
dans tous leurs essais sur les arts
mécaniques , ils réussissent très-bien.
Pendant la paix ils exportent chez
leurs voisins un grand nombre de
leurs produits , et tout montre chez
eux à un haut degré un esprit com-
merçant qui n'a besoin que d'une
sage direction.
M. Abson a souvent rencontré à
la cour du Dahomey des Arabes qui
arrivoient sur le continent par le
golfe de Benin. Ces hommes appor-
toient bien quelques objets de trafic ,
mais les profits qu'ils pouvoient en
retirer étoient évidemment insuffi-
sans pour les indemniser des dan-
gers et des frais de leur voyage.
9.
102 L'AFRIQUE.
Comme ils savoient se rendre uti-
les en s'occupant de divers mé-
tiers , les habitans les accueilloient
très-bien ; il est probable que leur
but réel étoit de convertir les nè-
gres à l'islamisme ; et voici ce qui
confirme cette supposition. On ne
les connoît parmi les nègres que
sous le nom de Molla ( 1 ) , et c'est
le nom que les Musulmans donnent
à leurs prêtres . En second lieu ils
distribuent des espèces d'amulettes ,
formées avec des sentences du Co-
ran , aux naturels qui les attachent
avec beaucoup de respect devant la
porte de leurs maisons afin d'éloi-

(1 ) C'est à tort que l'on écrit Mollah


avec un à final ; on doit écrire Molla.
(Note du trad.) ,
GUINÉE. 103

gner l'esprit malin . M. Dalzell , que


nous avons déjà eu occasion de ci-
ter , dit que le roi du Dahomey tue
un éléphant pour fêter les Arabes à
l'expiration de leur ramazan.
La langue du pays n'a point cette
prononciation nasale et gutturale que
l'on trouve chez les peuples qui ha-
bitent à l'ouest d'Accra. Presque
tous les mots sont terminés par des
voyelles , ce qui la rend plus douce
et plus agréable.
Les noms d'hommes et de lieux
ont souvent une signification com-
posée ; ainsi le nom de la capitale
Abomey signifie laissez - moi seul ,
Whimbo ( le nom d'un homme) si-
gnifie Dieu est au dessus , et l'un des
titres pris par le roi (Scdozaw) veut
104 L'AFRIQUE.

dire partout où je me frotte , je laisse


1 mon odeur.
Pour fabriquer leurs tambours ils
creusent une pièce de bois à l'extré-
mité de laquelle ils attachent une
peau de mouton. Cet instrument est
si lourd qu'il faut deux hommes pour
en tirer parti : un d'eux le porte sur
ses épaules , tandis que l'autre frappe
avec les baguettes. Les chants du pays
ont un rhythme assez musical. Leurs
instrumens , tout grossiers qu'ils sont,
produisent encore une certaine har-
monie. Ils ont surtout une espèce
de guitare à cinq cordes d'une cons-
truction particulière , qui rend les
sons les plus mélodieux. Ils se ser-
vent aussi de petits flageolets dont ils
jouent avec beaucoup d'art.. Nous
J

GUINÉE. 135
donnons ici un de leurs airs qui peut-
être n'est pas de leur invention , mais
dont la simplicité monotone semble
pourtant indiquer assez une origine
africaine.

Lorsque les nègres se rassemblent


pour danser, c'est au clair de la lune
que se passe la fête. On les voit ,
sous un arbre touffu , prendre les
postures les plus extravagantes ; et ,
lorsque quelques-uns d'entre eux se
distinguent par leurs attitudes gro-
106 L'AFRIQUE .
tesques , les spectateurs , qui sont
rangés en cercle , applaudissent et
chantent en choeur. Jamais les céré
monies diaboliques , rêvées par le
pauvre Tam O'Shanter , n'offrirent
une scène plus infernale que les bals
du Dahomey.
Lorsqu'un inférieur veut saluer
son supérieur , il se met à genoux ,
frappe trois fois des mains , et fait
craquer ses doigts devant lui , abso-
lument comme on le feroit si l'on
vouloit insulter quelqu'un en Eu-
rope. C'est un spectacle curieux pour
un voyageur que de remarquer les
différentes manières dont les peuples
de la terre s'y prennent pour expri-
mer leur respect . En Europe on fait
un signe de main , on se découvre la
tête , on gratte la terre avec le pied ,
GUINÉE. 107
on embrasse , on baise les mains , etc.
Les Orientaux ôtent leur chaus-
sure croisent leurs bras sur la
poitrine. Les Chinois frappent la
terre avec leur tête pour rendre
hommage au souverain , serrent les
poings et montrent les dents pour
saluer leurs égaux. Mais une des
coutumes les plus ridicules , surtout
chez les habitans d'un climat froid ,
s'observe parmi quelques insulaires
de l'Océan- Pacifique : lorsque deux
amis se rencontrent ils joignent
"
leurs nez et les frottent l'un contre
l'autre.
108 L'AFRIQUE.

CHAPITRE X.

Police. Aventures de deux frères du roi.

La police est exercée avec beaucoup


de sévérité dans le royaume. Aucun
étranger , soit blanc , soit nègre ,
ne peut faire un pas sans être en
surveillance ; cet espionnage n'est
pas apparent. On peut traverser le
pays dans toutes les directions sans
avoir besoin d'aucune permission ;
mais si vous voulez vous embar-
quer , ne fût-ce que pour aller ré-
gler une affaire dans votre navire ,
GUINÉE. 109
il faut obtenir une passe du vice-
roi. Cette formalité a probable-
ment pour but de lui faire con-
noître la raison pour laquelle on
s'embarque , parce que sa police ne
va pas en mer. Au reste , il est im-
possible de tromper sa vigilance en
s'enfuyant secrètement.
Voici un trait qui fera connoître
toute l'adresse de leur surveillance :
Une douzaine de blancs envoyèrent
demander par l'interprète une per-
mission pour s'embarquer sur la baie ,
où ils vouloient aller régler une af-,
faire à leur bord. Elle leur• fut ac-
cordée sans difficulté ; mais 9 en
même temps , le vice-roi envoya un
courrier pour donner au chef d'un
village par lequel ils devoient passer
le signalement verbal de ceux qui
V. 10
110 L'AFRIQUE .
avoient obtenu un passeport. Lors-
que les blancs y arrivèrent , ils n'é-
toient pas plus nombreux , mais un
d'eux avoit pris la place d'un autre.
Le cabocir s'en aperçut aussitôt , et
reconnut qu'il n'étoit pas de ceux
auxquels la permission avoit été ac-
cordée.
J'ai vu plusieurs personnes essayer
de se soustraire à cette loi , et cher-
cher à passer dans la foule à Kake-
raken-Kroum ( ce mot est composé
du nom du chef Kakeraken et du mot
kroum , village ) ; mais on leur faisoit
observer très-poliment qu'il y avoit
probablement quelque malentendu
sur leur permis de passe , et qu'il
étoit indispensable de retourner à
Grigwe.
Le roi avoit envoyé deux de ses
GUINÉE. ! 111

jeunes frères sur un navire commer-


çant de Whidah , pour qu'ils appris-
sent du bon sens dans le pays des
blancs : c'est là leur manière de dé-
signer ce voyage, Malheureusement
le capitaine auquel ils avoient été
confiés mourut dans la traversée ; et ,
soit qu'il n'eût laissé aucun ren-
seignement sur leur compte , soit
par la sottise et la négligence de
celui qui prit le commandement ,
ces deux jeunes princes furent ven-
dus comme esclaves à Demerara.
Aussitôt que cette méprise fut re-
connue , M. Robertson , de Liver-
pool , s'empressa de les faire rache→
ter ; mais il en coûta cher aux pro-
priétaires du navire sur lequel on
les avoit embarqués. Ajoutez à cela
qu'on avoit envoyé à leur place , en
10.
112 L'AFRIQUE.
Angleterre , deux autres petits né-
grillons. Enfin on ramena les deux
frères du roi sur la côte d'Afrique ;
ils furent confiés aux soins de mon
capitaine Davidson , qui me les en-
voya de Lagos par notre cutter , en
me priant d'avoir pour eux tous les
égards possibles et de les faire re-
conduire à Abomey .
Je vins les recevoir à leur débar-
quement , et je les accompagnai à
Grigwee. Ils étoient vêtus comme le
sont les Anglais à l'âge de quinze ou
seize ans ; mais , malgré leur costume
européen , ils n'eurent pas plus tôt
touché la terre , qu'ils reprirent les
habitudes du pays. A l'aspect d'un
vieux cabocir qui venoit inspecter
les passagers , ils tombèrent à ge-
noux , firent craquer leurs doigts et
GUINÉE . 113

battirent des mains , suivant leur an-


cienne habitude , que deux années
d'éloignement n'avoient pu leur faire
oublier. Kakeraken n'eut point pour
eux plus d'égards que pour les autres
nègres , seulement il les prit par la
main pour les relever de la position
où ils se trouvoient.
Lorsque je fus arrivé au fort Wil-
liam , j'envoyai au roi un messager
pour le prévenir de l'heureux re-
tour de ses frères ; je ne pus réussir
à faire dîner ces jeunes gens avec
nous. Comme le vice-roi a seul , d'a-
près les lois , le droit de s'asseoir à
côté d'un blanc , ils persistèrent dans
leur refus ( 1 ). Le lendemain matin

(1) Il est à remarquer que ce privilége


IO..
114 L'AFRIQUE .
je trouvai LL. AA. RR. entièrement
nues et débarrassées de l'accoutre-
ment anglais . Quelquefois le roi con-
fère à un de ses sujets le titre de
blanc , et l'autorise à porter des vê-
temens , des souliers , un parasol an-
glais , en un mot , à jouer en tout
le rôle d'un Européen ; mais , soit
qu'il ne le jugeât pas convenable "
ou bien plutôt qu'il n'y pensât pas ,
le roi n'avoit point blanchi ses frères,
malgré leur voyage d'Angleterre ;
c'est pour cela qu'on les força de
reprendre leurs premiers vêtemens.
Quelques jours après , des demi-têtes

même ne s'étend pas jusqu'à la cour , où


tout le monde est accroupi par terre , tan-
dis que le roi seul et les blancs s'asseoient
sur des chaises. (Note de l'aut. )
GUINÉE. 115
arrivèrent au fort avec un ordre du
roi pour ramener les jeunes princes
à Abomey. Il paroît qu'ils ne s'é-
toient pas aperçus de la méprise
qui avoit eu lieu à leur égard ,
car ils ne se plaignirent point que
l'on eût usé de mauvais traitemens
envers eux. Au reste , il est probable
qu'ils n'avoient pu acquérir à De-
merara beaucoup de bon sens ; ils en
avoient encore moins acquis en An-
gleterre , où ils n'avoient fait qu'un
séjour de peu de durée. C'étoit donc
à bord qu'ils s'étoient formés ; et
l'on sait que les matelots s'entendent
à faire l'éducation des novices !
116 L'AFRIQUE.

CHAPITRE XI.

Procès fait à l'auteur . Son départ.

QUELQUE temps après cet événe-


ment , je reçus de mon capitaine
l'ordre de dissoudre mon établisse-
ment et de venir le rejoindre à La-
gos , d'où la princesse Amélie devoit
partir pour les Indes- Occidentales.
En conséquence , j'envoyai deman-
der au roi mon permis de sortie. On
me donna d'abord quelques réponses
évasives , mais enfin on m'annonça
positivement que , pour des raisons
GUINÉE. 117
qu'il n'étoit pas convenable de dé-
tailler , je demeurerois esclave de
S. M. jusqu'à nouvel ordre .
Je dois faire observer que l'escla-
vage dans lequel je me trouvois ne
m'assujettissoit à aucun travail , et
ne m'ôtoit rien de la considéra-
tion dont je jouissois parmi eux ;
dans une langue qui n'est pas très-
riche en elle-même , et qui d'ailleurs
n'est pas interprétée par des gens
très-habiles , il faut toujours donner
aux mots la meilleure acception pos-
sible.
Néanmoins je n'étois pas infini-
ment flatté de me trouver dans les
mains de ces barbares , en attendant
qu'il leur plût de satisfaire leurs ca-
prices ; mais comme le meilleur
moyen d'être heureux est de ne ja-
118 L'AFRIQUE .
mais prévoir le malheur , et de le
braver quand il est venu , je résolus
de prendre mon parti , et je me mis
à chercher tous les moyens qui pou-
voient servir à mon évasion . J'en-
voyai d'abord le cutter à Lagos pour
informer mon capitaine de la situa-
tion délicate dans laquelle je me
trouvois , et pour lui demander son
avis dans cette conjoncture embar-
rassante ; il me répondit qu'il falloit
faire tous mes efforts pour me ré-
concilier avec ces gens-là. Du reste ,
il pensoit que ma détention ne venoit
que d'un caprice du roi , et il m'as-
suroit qu'il ne négligeroit rien pour
obtenir ma délivrance , et que je
n'avois point à craindre d'être aban-
donné sans protection sur cette côte
inhospitalière , parce que des ins→
GUINÉE. 119
tructions qu'il venoit de recevoir le
forçoient d'y demeurer encore long-
temps.
Enfin , après de longues sollicita+
tions , j'appris , par un noir de mes
amis , que l'on alloit juger mon af-
faire , et qu'il falloit me rendre avec
mon interprète dans la maison d'un
nommé Yohatou , où alloit commen-
cer mon palaver : ce mot palaver vient
du portugais palabras , paroles ; mais
il est pris , sur la côte d'Afrique ,
dans une acception beaucoup plus
étendue ; il signifie à la fois procès ,
querelle , discussion , et enfin ins-
truction criminelle.
En arrivant au lieu indiqué , je
trouvai un conseil de douze vieil-
lards : ils étoient assis dans une cour
à côté de la maison ; tous étoient
120 L'AFRIQUE .
des habitans dé la ville , que l'on
avoit nommés commissaires dans
cette occasion. J'appris ensuite que
le plus jeune d'entre eux étoit âgé
de quatre-vingts ans ; la laine crépue
de leur tête et la blancheur de leur
barbe épaisse , contrastant avec la
couleur noire de leur peau , leur
donnoient un aspect très-imposant.
Je commençai par me plaindre
avec beaucoup de force de ce que
l'on m'avoit refusé la permission de
partir, et je peignis , avec toute l'é-
loquence dont j'étois capable , le tort
que des procédés aussi vexatoires et
aussi tyranniques devoient faire au
pays. Je représentai que les blancs
cesseroient de venir faire le com-
merce avec le Dahomey , dans la
crainte d'être exposés à de sembla-
GUINEE. 121
bles avanies. Je finis en demandant
que l'on me fit connoître les causes
de ma détention .
Mes juges , après m'avoir prêté la
plus sérieuse attention , me répon-
dirent que j'étois détenu par trois
motifs :
1º. Parce que j'avois fraudé le
trésor du roi , en commerçant avec
un bateau à trois mâts , tandis que je
ne payois les droits que pour un
cutter ( 1 ) ;
2º. Parce qu'un navire anglais
avoit attaqué un navire français qui
faisoit tranquillement le commerce

(1 ) Je sus depuis qu'un nommé R…....n ,


pour se venger de ce que mon capitaine lui
avoit refusé une demande déraisonnable ,
nous avoit dénoncés au roi. ( Note de l'aut.)
V. II
122 L'AFRIQUE.
à Whidah 9 et de cette manière
avoit encore privé le roi des droits
qu'il devoit percevoir sur le com-
merce de ce navire : on me repro-
choit d'avoir rassemblé à cette occa-
sion tous les gens de ma factorerie ,
et de leur avoir donné un banquet
en réjouissance d'un événement qui
devoit être nécessairement très-pré–
judiciable aux intérêts de S. M. Da-
homienne , d'avoir fêté , dans l'en-
ceinte du fort , tous les blancs qui
pensoient comme moi , et enfin , d'a-
voir distribué de la liqueur et de
petites pièces de monnoie à mes do-
mestiques ;
3º. Parce que j'avois beaucoup de
marchandises en magasin , dont la
réexportation pourroit faire beau-
coup de tort aux Etats dahomiens ,
GUINÉE. 123
en faisant supposer qu'elles n'avoient
pu trouver un débouché avantageux.
A la première accusation je ré-
pondis que je n'avois fait embarquer
qu'un nombre d'esclaves à peine suf-
fisant pour la charge d'un cutter :
dès lors on ne pouvoit me reprocher
d'avoir fraudé les droits du roi , puis-
que j'avois payé proportionnellement
à la quantité d'hommes que j'avois
prise. Je convins que le cutter avoit
communiqué avec notre navire à
trois mâts , mais je soutins en même
temps que cela se faisoit ordinaire-
ment entre les navires qui appar-
tiennent au même propriétaire.
Je répondis au second chef d'ac-
cusation que , malgré la part que
nous avions prise à la capture du
navire français dans la baie de La-
II.
124 L'AFRIQUE .
gos , nous n'avions rien à démêler
avec Whidah , parce que le bâti-
ment capturé étoit alors hors des
limites de l'empire du Dahomey , et
se trouvoit dans l'empire britan-
nique , c'est -à-dire en mer (1) . Pour
me justifier de la joie que j'avois
témoignée en apprenant cette nou-
velle , je leur demandai si le peuple
du Dahomey ne célébroit pas des
réjouissances et n'offroit pas à ses
dieux des sacrifices quand il avoit
vaincu ses ennemis ; et je conclus
de là que j'avois eu le droit de témoi-
gner ma satisfaction d'un semblable
événement .
Quant au troisième point , sans

(1) !!! ( Note du trad.)


GUINÉE. 125
chercher à leur faire sentir combien
il étoit injuste et déraisonnable d'em-
pêcher la réexportation des marchan-
dises une fois qu'elles avoient été
mises à terre , je levai toute diffi-
culté en vendant ce qui me restoit à
M. James , qui me livra des esclaves
en échange . La discussion dont nous
venons de donner une idée dura
deux ou trois heures ; car ils met-
toient beaucoup de calme et de
solennité dans leurs délibérations .
Avant que l'assemblée ne se séparât ,
je la priai de vouloir bien faire un
rapport favorable afin que je pusse
obtenir la permission de m'embar-
quer ; mais ils ne me donnèrent au-
cune réponse satisfaisante , ce qui
m'étonna d'autant plus , que j'avois
vu leurs visages prendre l'expression
II..
126 L'AFRIQUE .
d'un vif intérêt , lorsque je dévelop-
pai mes moyens de défense.
Mais mon procès étoit un cas
royal (sorte d'affaires que les gens au
fait du pays cherchent à éviter avec
beaucoup de soin ) , et ils ne pou-
voient point librement émettre leur
opinion. Je reconnus bientôt que
toute mon éloquence avoit été en
pure perte , que tous mes argumens
avoient été inutiles , en un mot que
ma situation resteroit la même. Je
ne savois de quel côté me retourner ,
et j'avois envie de m'en reposer sur
la Providence du soin de me tirer
d'affaire ; mais en réfléchissant qu'il
est inconvenant de charger le destin
du soin d'une chose que l'on peut faire
soi-même , je me mis à bâtir de nou-
veaux plans d'évasion. Ce fut alors
GUINÉE. 127
qu'un de ces événemens heureux qui
déconcertent les esprits les plus clair-
voyans , et qu'aucune sagesse hu-
maine ne sauroit prévoir , vint tout
à coup me tirer d'embarras.
Sur l'avis qui fut donné par
M. James de la mort de M. Abson ,
M. Hamilton d'Accra fut envoyé du
quartier-général de la compagnie ,
avec des pouvoirs pour inspecter
notre établissement de Whidah , et
même pour s'en constituer le gou-
verneur dans le cas où il le jugeroit
convenable au bien du service.
Cette circonstance fut très-heu-
reuse pour moi. M. Hamilton ne
devoit se rendre à la capitale du
Dahomey que pour y faire une vi-
site de cérémonie ; mais il profita
de cette occasion pour présenter à
128 L'AFRIQUE.
mon égard les plus sérieuses remon-
trances , et pour faire envisager au roi
quelles suites désastreuses pour son
royaume résulteroient d'une sem-
blable conduite. C'est donc à son
heureuse arrivée et à l'intérêt qu'il
prit à mon sort que je dois ma li-
berté. A la vérité , le roi , par un
entêtement ridicule , ne voulut point
m'accorder une permission de dé-
part ; mais je reçus en même temps
l'assurance que l'on ne mettroit au-
cun empêchement à mon évasion ;
et , trop heureux d'en être quitte à
ce prix , je ne fis pas d'objection sur
la forme .
Il paroît que j'avois dans le
royaume la réputation d'un sédi-
tieux , et je la méritois sous quelques
rapports. D'abord j'avois été bien
GUINÉE. 129
servi par la personne qui m'avoit
dénoncé relativement aux droits de
douane , et c'étoit la base principale
de leur opinion sur mon compte.
Puis les allées et venues de mon
cutter au moment de la prise du
navire français , et quelques autres
événemens qui se passèrent à Lagos ,
auxquels j'avois pris beaucoup d'in-
térêt , toutes ces circonstances se
réunirent pour me donner à leurs
yeux le caractère de ce qu'on appelle
en France un agitateur , et en An-
gleterre a public disturber (un pertur-
bateur ) . J'avois d'ailleurs tenu quel-
ques propos dans plusieurs occasions
où je m'étois trouvé , et la prudence
auroit dû m'empêcher de le faire.
Aussi mon interprète me dit-il un
jour On vous trouve bon pour la
130 L'AFRIQUE.
guerre , mais pour le commerce non
pas bon.
Je reçus à cette époque de nou-
velles données sur le sort de Sally
Abson. Nous avions fait une requête
dans le style le plus humble que
nous voulions envoyer à Abomey
pour obtenir quelques renseigne-
mens sur cette intéressante jeune
fille , dont la disparition soudaine
étoit pour nous un mystère ; mais
nous ne pûmes trouver personne
qui voulût bien se charger de notre
dépêche. Nous avions rendu compte
de cette affaire à M. Hamilton , et
il plaida la cause de notre protégée
avec beaucoup de chaleur.
On acquit la certitude que cette
malheureuse avoit été enlevée et en-
traînée devant le roi. Les courti-
GUINÉE. 131

sans furent frappés d'étonnement


et d'horreur quand ils la virent
non seulement refuser de s'agenouil-
ler et de lui accorder aucune marque
de respect , mais encore lui re-
procher avec beaucoup de force sa
tyrannie et son injustice envers une
personne qui n'étoit pas sa sujette.
Dans les premiers transports de sa
rage , le despote l'étendit par terre ;
mais ensuite , soit par la réflexion
qu'il avoit déjà été trop loin dans ce
qu'il avoit fait , soit qu'il fût étonné
du courage de cette héroïne , il n'osa

pas continuer , et il ordonna qu'on


l'éloignât de sa vue. Jamais il ne
voulut permettre qu'elle retournât à
Whidah ; seulement , pendant son
séjour à Abomey, M. James , frère
132 L'AFRIQUE.
de celui que nous avons déjà cité ,
l'avoit aperçue de loin dans le sé-
rail , mais il n'avoit pu lui parler. Il
avoit appris pourtant que depuis son
enlèvement elle s'étoit abandonnée
au plus violent désespoir, et qu'elle
étoit descendue dans le tombeau , le
cœur brisé de douleur.
Jamais rien , dans ma vie , ne m'a
fait autant de peine que la violence
exercée envers cette pauvre Sally. Sa
générosité , que je ne pourrois ou-
blier sans être ingrat , son héroïsme
à la face du tyran qu'elle a su braver,
excitent en moi des regrets qu'un
grand nombre d'années n'ont pas en-
core effacés. Il paroît que les récla-
mations du roi étoient fondées sur
ce que la mère de la jeune fille étoit
GUINÉE . 133
une de ses sujettes ; mais , comme
elle étoit née sous le pavillon anglais ,
il n'y a nul doute qu'elle devoit res-
ter libre.
La compagnie africaine a depuis
quelque temps abandonné notre éta-
blissement de Whidah , dont on
avoit arrêté le dernier gouverneur
pendant trois ans. Le roi a fait , à la
vérité , beaucoup d'avances pour que
l'on rétablisse les communications ,
mais elles ne l'ont pas encore été.
Le Dahomey étoit , il y a cinquante
ans , le royaume le plus florissant de
l'Afrique , et le plus riche par son
commerce avec les Européens. Il est
bien déchu maintenant de cet état de
prospérité : non seulement son tra-
fic est devenu presque nul , mais en-
V. 12
134 L'AFRIQUE.
core il a éprouvé beaucoup de pertes
avec les Eyos et les Achantes.
La traite des nègres n'auroit ja-
mais dû exister ; il n'y a donc nul
doute que l'on n'ait bien fait de l'a-
bolir ; mais ce n'est qu'en l'anéan-
tissant complètement que l'on pourra
rendre plus heureux le sort des Afri-
cains. Quand ils se verront entière-
ment privés des ressources que la
traite leur procuroit et des objets
qui sont devenus pour eux d'une in-
dispensable nécessité , ils seront for-
cés , pour se les procurer, de recou-
rir à des moyens plus louables et
moins cruels.
11 y a tout lieu de croire que les
guerres cesseront entre eux du mo-
ment que le commerce des esclaves
GUINÉE. 135
aura été entièrement prohibé ; ou ,
si elles ne cessoient pas , elles se-
roient bien moins fréquentes .
Dans une explication que Ada-
hounza et M. Abson eurent ensem-
ble , ce prince déclara à notre gou-
verneur que jamais ni lui ni ses an-
cêtres n'avoient fait la guerre dans le
seul but d'avoir des esclaves pour
les échanger avec les blancs contre
des marchandises . Malgré le respect
que je professe pour cet auguste per-
sonnage et ses aïeux , je me permets
de douter de la vérité de cette asser-
tion ; car nous avons eu souvent oc-
casion de les voir se déclarer la guerre
dans le désir de se procurer des mar-
chandises européennes. Mais il n'y
a nul doute que si on enlève la cause
de discorde , ils chercheront à se
12.
136 L'AFRIQUE.
procurer ce qu'ils envient , par un
commerce légitime ; et alors la race
nègre se civilisera facilement.
Mais , comme ce ne peut être
l'ouvrage d'un jour , il seroit digne
de la politique philantropique de
la Grande-Bretagne d'empêcher le
sacrifice des victimes humaines :
c'est une des causes qui s'opposent
le plus au progrès de la civilisa-
tion.
Les Dahomiens et leurs voisins
sont , comme tous les sauvages , sous
l'empire de la superstition , mais ils
ne sont pas aussi fanatiques que beau-
coup d'autres peuples.
Ils montrent dans les affaires un
fonds de bon sens et de raison que
l'on chercheroit vainement chez les
autres tribus de l'Asie et de l'Amé-
GUINÉE. 137
rique ( 1 ) , et ils professent une ad-
miration extrême pour l'intelligence
et l'esprit des Européens.
Je voudrois donc que l'Angleterre
employât son interposition , mais
d'une manière amicale , auprès du
roi du Dahomey, pour lui demander
l'abolition des sacrifices humains . Le
crédit dont nous jouissons dans cette
contrée donneroit un grand poids à
cette démarche ; toutefois il seroit à
désirer que les autres puissances
agissent de concert avec nous dans

(1) Cette assertion de l'auteur nous pa-


roît inexacte. Il est reconnu que l'intelli-
gence de la race nègre est au dessous de
celle des races moghole et américaine.
(Note du trad.)
12..
138 L'AFRIQUE.
le même but. Il seroit peut - être
utile aussi d'emmener deux jeunes
princes , auxquels on inculqueroit
des sentimens qui faciliteroient à la
fois , et l'accomplissement du vœu
que nous émettons , et la civilisation
du pays (1).
Les gens à difficultés (2) ne man-
queront pas de dire que les sacrifices
humains sont pour les nègres un de-
voir religieux , et ils mettront en

(1 ) L'Angleterre vient d'exécuter ce plan


à l'égard des princes nègres de Madagascar.
Elle avoit déjà été prévenue par la France
dans cette noble idée. (Note du trad. )
(2) Cette sorte d'hommes est ce qu'il y
a de plus nuisible pour le service soit à
terre , soit sur mer. ( Note de l'aut. )
GUINÉE. 139
avant le refus que fait le roi de ven-
dre un seul esclave ,'quand même on
lui en offriroit les prix les plus éle-
vés , et l'empressement avec lequel
nos deux jeunes pupilles reprirent
leurs habits ( voyez page 114 ) lors-
qu'ils eurent touché le sol du Da-
homey.
On peut répondre à la première
de ces objections , que jamais per-
sonne n'a cherché à leur faire sentir
toute l'horreur de leurs abominables
coutumes ; et j'ai l'intime conviction
que , d'après leur manière de voir ,
l'intervention dont j'ai parlé pro-
duiroit sur eux beaucoup plus d'effet
que quelques propositions pécuniai-
res. Quant aux deux jeunes princes >
il est évident qu'ils n'avoient pu ac-
140 L'AFRIQUE.
quérir aucune connoissance de l'An-
gleterre , et l'on ne sauroit tirer
une induction raisonnable de cet
exemple.
Nous avons maintenant un agent
accrédité auprès du roi d'Achantie
qui pourroit , avec beaucoup de cir-
conspection , sonder leurs disposi-
tions sur cet objet. Le navire de la
marine royale , qui vient inspecter
nos établissemens sur la côte , ne
pourroit-il pas aussi mettre à l'ancre
pendant une semaine à Whidah ?
Quelques officiers , sur la discrétion
desquels on compteroit , se ren-
droient à Abomey avec une tenue
convenable , et , s'ils échouoient dans
leurs négociations , du moins ils se-
roient reçus avec beaucoup de res-
GUINÉE. 141
pect et d'égards . Si ces deux tenta-
tives réussissoient , l'exemple de deux
royaumes tels qu'Achantie et Daho-
mey , auroit certainement une puis-
sante influence sur les Etats voisins .
Il est d'usage sur la Côte-d'Or,
lors de l'inhumation d'un grand per-
sonnage , d'enterrer vives avec le ca-
davre un certain nombre de jeunes
femmes . Un jour M. Dawson , gou-
verneur d'Animabou , vit de son fort
les préparatifs de cette cérémonie. Il
sortit à la tête de quelques - uns de
ses hommes , et arracha les jeunes
victimes à cette mort affreuse. Il fit
même si bien , que par ses représen-
tations il empêcha dans la suite le
retour de ces actes, de barbarie.
Malgré la sévérité des mesures qu'il
142 L'AFRIQUE .
a prises , notre gouvernement n'a pu
éteindre entièrement dans l'Hindous-
tan une coutume aussi barbare. Néan-
moins , dans ce pays même où la su-
perstition exerce une bien autre in-
fluence que dans l'Afrique , on est
parvenu dans quelques districts à em-
pêcher les veuves de se brûler sur le
corps de leurs maris (1).
L'expérience que je propose en
faveur de l'Afrique et au nom de
l'humanité , peut être tentée si faci-
lement et à si peu de frais , qu'il se-

(1 ) Il est extrêmement rare que la puis-


sance anglaise réussisse à empêcher ce pieux
suicide. Voyez les notes de M. Langlès dans
le Voyagepittoresque de Hodges , tome Ier,
page 193. ( Note du trad. ).
GUINÉE. 143
roit malheureux qu'elle restât sans
exécution ; mais je dois reprendre le
fil de ma narration .
Mon capitaine m'avoit engagé à
me rendre dans un royaume voisin
où je pourrois attendre en sûreté une
occasion favorable pour partir.
Je profitai des facilités que les lacs
et les rivières offrent au voyageur
pour me rendre au petit Popo ; et,
après avoir conclu un arrangement
avec le patron d'un canot , je m'em-
barquai gaîment , et je dis adieu de
tout mon cœur à cette terre du des-
potisme ; mais je n'étois pas encore
tout-à-fait libre. Mes conducteurs ,
après avoir ramé toute la nuit , chan-
gèrent tout à coup de direction , et ,
malgré tout ce que je pus leur dire ,
144 L'AFRIQUE.
me conduisirent à la capitale où ré-
side le cabocir , ou plutôt le roi du
pays appelé le Grand Popo.
Il paroît que tous les marins qui
naviguent dans cette contrée sont
obligés de conduire ceux qu'ils por-
tent devant ce personnage qui pré-
lève sur les voyageurs un impôt pour
droit de passage. Sa majesté étoit
ivre au moment où j'eus l'honneur
de lui être présenté , et elle éprou-
voit le plus grand embarras dans le
choix du tribut qu'elle vouloit pré-
lever. Le mien n'étoit pas moins
grand; mais une circonstance heu-
reuse vint me tirer d'affaire . Une
femme qui paroissoit avoir sur le
monarque une puissante influence ,
quitta tout à coup l'assemblée au
GUINÉE. 143
moment où je débarquai , et peu de
temps après elle revint tenant un
mouchoir de soie blanc. Je reconnus
alors une négresse de qualité à laquelle
j'avois fait présent de cet objet lors-
qu'elle étoit venue visiter le fort Wil-
liam . Le roi se décida à prendre deux
pièces de drap et un baril d'eau-de-
vie , et je poursuivis mon voyage.
Pendant le peu d'heures que je passai
au milieu des nègres , ils cherchèrent
à me distraire par des danses , des
chants et de la musique ; j'aperçus en
même tems quelques hommes atta-
chés et couchés sous des arbres ; mais
je ne sais s'ils étoient prisonniers de
guerre ou malfaiteurs. Nous naviguâ-
mes encore pendant deux jours à
l'ouest , et nous vîmes sur le rivage
un grand nombre d'éléphans.
Va 13
146 L'AFRIQUE .
Enfin j'arrivai dans la maison d'un
jambo (1 ) hollandais nommé Neiser.
Ma figure et mes mains étoient com-
plètement écorchées par l'ardeur du
soleil.
Le petit Popo est sous la protec-
tion du roi d'Achantie. Les lois sont
extrêmement favorables aux étran-
gers ; aussi , quoique la mer soit dan-
-gereuse , le commerce y est-il con-
sidérable.
Les habitans ressemblent beaucoup
à ceux de Whidah par leur langage et
leur vêtement. Ils sont pleins d'amé-
nité et de bienveillance , et ils ai-

(1) C'est le nom que l'on donne aux mé-


tis , descendans primitivement d'un blanc
et d'une négresse. (Note de l'aut.)
GUINÉE. 147
ment beaucoup les jeux et les fêtes
publiques.
Je restai trois semaines parmi eux.
Au bout de ce temps je m'embarquai
sur la Princesse Amélie , et après une
heureuse traversée j'arrivai aux îles
Barbades.

FIN.
ERRATUM.

Page 68 , note , au lieu de Wadsorum,


lisez Norris.
80

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