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LES

DISC
OVRS
REGIA
DE NIC MACCHI
A
MONACENSIS.
VEL SECRETAIRE CI
TOYEN DE FLORENCE ,
Sur la premiere decade de Tite Liue , dez
l'edification de la ville.

Traduitz d'Italienen François, de nouueau reueuz&


augmentezpar laques Gohory Parifien.

B
BANNE E
N
CORIOCES

E
D
BD
NE

RAL
M
PSAL 6 4
IN
NE

APARIS,
Pour Robe rt le Mangnier , ruë neufue noftre
Dame,à l'image S.Iehan Baptifte , & en fa
boutique au Palais en la gallerie par
où on va en la Chancellerie.

1571 .
AVIC PRIVILEGE DV ROY.
Sú Ioh. Georgy à Werdenstein , 1574.
4

3
Extrait du Priuilege du Roy.

Ar grace du eft permis à


PRobertle Mangnier libraire en I'vniuerfité
de Paris, d'imprimer ou faire imprimer, vendre
& diftribuer tant de fois que bon luy femblera
vn liure intitulé Les difcours de Nicolas Machianel
Secretaire citoyen de Florence , fur la premiere
Decade de Tite Line, traduitz
, d'Italien en François,
&nouuellement reucus, corrige & augmentez par
Iaques Gohory Parifien , & cepour le terme de fix
ans à commencer du iour que ledit liure fera a
cheué d'imprimer.Et fait ledit Seigneur deffen
ce à tous Libraires & Imprimeurs & autres de
quelque qualité qu'ils foient , de non imprimer
ledit liure fans le confentement dudit le Man
gnier,fur les peines contenues aux lettres fur ce
données à Paris le trentiefme iour de May , mil
cinq cens foixante & vnze.
Et de noftre regne l'vnzieſme.
"

Par le confeil

Signé DE COVRLAY.

Et feéllé fur fimple queuë de cire iaune.

Bayerische
Staatsbibliothek
0000000

AV MAGNIFIQVE SEI
G.NEVR IAN FRANCIS QVE
DELLI AFFAYTADI, CONTE
de Ghiſtelle, Marquis de Sorrefine ,
Prince de Hilft & du S. Empire ,
Seigneur de Lanikenfacher , Olfauo,
Montibano , & du pays de Grade
riick.

Onfeigneur , ayant eu le
bon heur de votre voifi

naige, felo leprouerbe an


cien , du bon voifin bon
matint receuplusgrād
M
encore, d'auoir abaiffe vo
fire grandeur à venir communiquer auec le
Philofophe à l'exemple dugrand Pompee gui
Vifitant Poßidonius le grec , y foubmit les
maffes defa dignité Proconfulaire ) i'ay con
neu tant deprudence ,
de doctrine en Voz
difcours,que i'enfuis demeuré aultant affe
Etionné enuers voftre magnificence , quefont
ǎ ý
EPISTRE.

lesgrandsSeigneurs de ce Royaulme pour vo


fire merueilleufericheffe: quifont diuers dons
graces de nature , d'industrie, defortune,
lefquel nefe rencontrent gueres enfemble en
vn mefmefujet. Cela m'a depuis meu à de
dier prefenter à V. M. ce mien ouurage,
ayat lepremierdepuis voſtre conoiſſance à ref
fortir en lumiere nouuelle , qui eft des difcours
de N. Macchiauel Secretaire & Citoyen
Florentin leplusgentil efprit qui ſoit apparu
au monde depuis les derniers fiecles . Vray
eftqu'il a efcript en langue Tufcane vulgaire
(qui vous eft naturelle) dont n'auriez befoin
de ma traduction en la Françoize : fi eft-ce

que vous aymant icelle langue comme außi


la nation (où vous transportez & habituez
Volotiers) L'entre en quelque efperace que ne
la dedaignerez totalement : car ie l'auoislog
temps a ebauchee en ieuneffe pour vn coup
d'effay que maintenant ie remanie , ie reli
me & polys enplus meur aage , luy donnant
fes dernieresfaçons . Iem'affeure außi que
voftrebon iugement ne fe delecte feulement
( comme noftre commun Françoys felon Ce
far ) à cuillir les tendres fleurs des nouueau
tez ains queplusfaddreſſera aufruit fer
EPISTRE.
me folide, accomply enfa meureté. Com
bien que jepourrois à bon droit maintenir a
uec les Iurifconfultes Sabinus & Vlpian,
que ce liure doine eftre reputépour nouueau,
dont toutelaprincipale tyffure a efte changee
à vn coup, &racouftree reformee,à l'exe
ple du nauire , lequel eftant deffait vne
foys enpieces , & apres refaict des pieces
mefmes , fans addition d'vn feul aiz, est.
estiméautre nauire & nouueau : &ainfi du
bastiment qui auroit estémys par terre, &.
depuis r'ediffié de lapierre & du boys mes
me. Nonobftant que Alexander ab Ale
xandro enfon troifiefme liure des iours ge
niaulx veuille fubtilier trop phyficalement.
fur le changement de l'etoffe , à diuerfifier le
nom des chofes en identite ou difference : veu
gue cela depend plus proprement de la for
me qui donne effencespecifique . Celuy qui le
coferera auec lesprecedens , ypredra gar
de deprés le iugera tel que ié diz , lestyley e
ftat muéfelon leprefent langaige que lesfages.
dient eftretoufiours àfuiure, & au contraire
les meurs anciens, Erafme l'honeur de l'Alc
maigne, & affez d'autres denoftre teps ont
dedié àplufieursPrinces les œuures des ancies
à iÿj·
EPISTRE.
nofiennes:mais reueuës leulemet & corrigees
lesfaultes de l'impreßßio . Außßiy estat adion
fteesprefaces nouuelles , annotations margi
nales la table des chofes plus fingulières
memorables. Pareillementfur le liure du
Prince retombant n'agueres entre mes mains
nonobftant deux traductions d'icelluy ia pu
blieespar deux perfonnes diuerfes : dont l'vn
a eftémonfamilier domeftique,qui n'auoit
jamaismis vnpied à cent lieues de l'Italie, de
l'autre ie n'enfuis pas plus certain , lequel on
m'a rapportéauoir voulu n'agueres vfurper le
labeur de ma traduction ancienne des dif
cours don't eft question,foubs ombre que íe n'y
auoys inferémon nom , comme en un aprentif
Sage qu'il fe vouloit bien attribuer pour chef
d'euure , s'il eft ainfi il eftplagiaire , & d'a

uantagepar ce moyen me contraint d'often


ter mon nom que ie voulois fupprimer . Or
ailtenu vne voye contraire à la mienne de
juger toufioursfonftyle meillenr , d'autat que
ilfeflongneroitplus defon auteur, lequel auoit
premier anticipé les motz propres & natu
relz C les termes d'eftat . Ainfi receura ce
luretroys verfions d'autant de mains , com
me celluy qui eft digne(come Pline dit des of
EPISTRE.
ficesde Ciceron) non feulement d'eftre leu :
I ains d'eftrefcen tout par cueur . Le confefferay
que i'ay tant reprins de gouft & plaifir en
Machiauelle repaffant & reuoyant , quefuis
entré en volonté de remanier pareillement
fon liure de l'art de la guerre : & fi la Royne
Mere du Roy me commandoit fur vostre pa
rolle ou de quelque autre feigneur , de mettre
la main à l'hiftoire defa Florence defcripte
parceft auteur mefme (defcripte dy-iejen tel
le fingularite & perfection , que feu Mil
les Perrot , Maiflre des Comptes , mon pro

cheparent (perfonnage enfon temps des plus


Sçavans de ce Royaume en diuerfes langues
&Sciences l'ayant cottéplus diligemment de
fa main que fon Tite Liue & Corne
lius Tacitus , me dit qu'il eftimoit plus
de proffit en fa lecture estant accommodée
à l'humeur de noftre temps qu'en celle de fes
grandz hiftoriens antiques tant eflongnée de
noz meuresfaçons prefent Vfage.
Or ce liure telqu'il eft , toutefoisfi labo
rieuſement refaict & reftitué en nouuelle
forme qu'onpeult dire , Quantum mutatus
ab illo.

a uy
EPISTRE.

Monfeigneurie le vous prefentepour eftre


recen & traitté de vostre main felon qu'il
Vousfemblera meriter: en opinion neatmoins
de mapart, qu'il trouuera en V.M.la debon
naireté, courtoiſie ,ſain iugement que voftre
conuerfation auecques la bonne renommée me.
peult promettre. De Paris le xxi.iour
d'Auril . 1571 .

Voftreferuiable Voyfin
Idq.Gohory.

ENVIE D'ENVIE EN VIE.


NICOLAS MACCHIA

VEL A ZANOBE BON

delmont & Cofme Rucelay.

E vous enuoye vnpreſent (mes amis)


f'il n'eftfelon ce que le dois , il eftfelon
ce que jepuis : car y ay mis tout ce
que ie feay des affaires du monde que
ay appris tant a les manier qu'à en
lire. De vousplaindre , & medemander plus que ma
puiffance ,feroitfolie à vous:bien vouspourriezplain
dre & mefcontenter de lapauureté de mon efprit qui
nefepeut celer en mes deuis, & de lafaute de mon iu
gement en mes difcours. S'il eft ainsi, ie nefçay lequel
de nous deura de retour à l'autre , ou vous pour qui
l'ay tant entreprins , ou moy quime vous ayfatisfait.
Aufort vous plaira le recevoir en amis , ayant plus
d'efgard au bon vouloir du donneur , qu'à la valeur
& qualité du don. D'une chofe me tiens ie certain
(qui merefiouyt & confole ) que fi ray failly en ce
cas en quelques point , au moins n'ay-ie pas failly à
bien adreffer mon auure: car i'ay choyfi en premier lieu
ceux à qui s'eftois plus tenu defaireferuice , & fifuis
encefaifantforty du chemin commun que tiennent tous
ces faifeurs de liures , qui les dedient toufiours à quel
quegrand Prince : lequel par flaterie auare , ilele
uent iufques au ciel ,fut il le Prince des mefchans, digne
d'eftreplongé aufond d'enfer. Quant à moy, pour n'en
courir ce vice,i'ay laiffé ceux qui eftoyent Princes , pour
EPISTRE.

prendre ceux qui meritent de l'eftre. Ie n'ay regardé'à


qui mepourroit charger de biens d'honneurs , mais
qui ne lepeut le voudroit bienfaire. Car en droit iu
gement on doit eftimer celuy qui eft liberal, nonpas qui
lepeut eftre, & celuy quifçaitgouuerner, non quigou
uernefimplement. Außsi voyons nous que Hieron de
Saragoufe aplus efté prisé & louéenfon eftatpriué,
que Perfes de Macedoine en fon degré Royal, d'autant
qu'il ne fen faloit que la Royaute queHieron ne fuft
Roy, Perfes n'auoit en luy rien de Royal que le Roy
aume. Or iouyffe donc (mes amis)du bien ou mal dont
auez estécauſe: vous affeurant que fi tant eftes abuſez
que ce commencement de difcours vous plaife , vous au
rezen briefle refte.

>
PREFACE DV TRADVCTEVR
AVX LECTE VRS.

Vis que ce marchand Florentin,

dont le parlois maintenát,a quitté


de bon gré fon propre païs , pour
eftre receu au voftre (lecteurs Frá
çois)vousne luy deuez eftre fi mal
gracieux que de luy refufer l'enterinement de
Les lettres de naturalité. Il feft donné à vous, &
efpere d'y trouuer toute humanité & courtoi
fie, ce ne fera pas voftre honneur de le mal trai
ter.Auffi ie vous affeure que quand vous l'aurez
vn peu accointé , vous ne voudriez pour chofe
du monde ne l'auoir cogneu : car il eft homme
rond & entier,qui fait auffi bon marché à l'vn
qu'à l'autre, il ne vend rien qu'en gros , la mar
chandiſe n'eft fardee ny parec ( ieJa vous pre
fente auffi toute telle ) il l'expofe en plain iour à
qui en veut,& n'a qu'vn mot. Il a parlé & traité
en fa vie de maintes chofes, comme de l'hiſtoire
de Florece du Prince, de l'art de la guerre:mais
à ce coup ilvous racomptera tout ce qu'il a ia
mais dit de bon. Faites luy doncques ceft hon.
neur de l'ouyr,vous tenant certain qu'il ne vous
ennuyra auec luy que d'auoir trop toft fait. Ce
qu'il a pour le prefent le plus en la bouche c'eft
Rome, fa Maiefté, fon Empire, fa police excel
lente en temps de paix,fa vertu & proücffe no
pareille enguerre. Sçauez vous quel moyen de
proceder iltient? Il vous apporte premieremet
PREFACE.
en peu de paroles la fingularité de l'hiftoire Ro
maine felon que Tite Liue l'a defcrite , puis fur
icelle il debat les profondes matieres viuement
d'vne part & d'autre,pour en fin fe refoudre en
quelque haut paradoxe politique , & en ce fai
fant vous defcouure entierement les fecretz de
ce grand gouuernement,lequel a conquis & af
fubietti le monde. Mais quand le propos fy
donne , il parle des Egyptiens , des Grecz , des
Turcz, des Françoys, Allemans, Efpagnolz , An
gloys, & fouuent des feigneuries d'Italie , decla
re les perfections & imperfections de tous cest
Royaumes & Republiques de renom: tellemét
que fes deuis font vn vray miroir de l'hiftoire'
vniuerfelle, qui peut grandemec feruir à l'inftru
tion de toutes manieres de gens. Or,lecteurs,
vous luy faites bonne chere ce coup, il vous re
uiendra veoir deux autres. Mais ie ne vous veux t

çe pendant laiffer vn fcrupule que i'aye failli à


bien imiter Macchiauel mon auteur , en ce que
i'ay addreffé mon labeur de fa traduction à vn
grand Seigneur , contre la refolution en appa
rence de fon Epiftre liminaire.Car elle eft route
autre à la verité , d'autant qu'il blaſme bien les
Princes & Seigneurs , Princes de tiltre , vilains 1
de meurs & vie:mais la diuinité de la nature, &
l'excellence des vertus du mien font fi notoires,
que qui ne les veoid, ne fe peut plaindre, que de
la debilité de fa veuë , ou de l'extremité de leur
clarté & lumiere q fes yeux tendres ou efblouïs
ne peuuent porter.Qui voudroit dire que Mac
PRETACE
chiauelfoit d'auisqu'on ne doiue offrir aux Sei
gneurs terriens les cuures d'efprit,il feroit torr à
celuy qui bien entend par fon bon iugement,
que nous leur deuós les premices de noz fruitz,
que iadis on prefentoit à Dieu : duquel ilz font
lieutenans en ce mode, puis que les Muſes tien
nent vie d'eux , comme les plantes terreftres de
la chaleur & rofee celefte. Et quand il tiendroit
cefte opinion , il luy conuiendroit fouffrir pa
tiemment le droict de contradiction dont ila
vfe enuers les autres , & confiderer que vertu
pour fon auantage doit pourchaffer la faueur &
alliance de fortune, de peur qu'elle ne demeure
comme vn fantofme fans chair & os, come vne
lampe couuerte d'eftoffe non tranfparente , ou
comme l'efcarboucle cachee en vn ord fumier.
Car ce beau mariage des deux dames de noſtre
vie enchaffe la pierre precicufe en l'or , met le
pharos en haute guette pour efclairer à ceux qui
voguent par la mer du monde:voire tant en de
pend le cours de la vie humaine , que quafi il
luy met l'ame au corps.Or fi noz aduerfaires fe
veulent fonder en raifon , ie les fay iuges filz fe
contenteroiét plus d'vn recueil de falut & bon
œil , ou d'vn traitement de fait auec offre des
biens & de la perfonne : fi ainfi le iugent ,leur
fentence puiffe eftre contre eux executee. Au
fort la Mufe que i'ay efpoufee ne tient pas ce
party , ains celuy de Platon , d'Ariftote , d'Ar
chimedes fes anciens maris : defquefz l'vn ne
feftrangea quelque temps de la Cour & com
PREFACE.
pagnie de Denys le Tyran l'autre, du grad Ale
xandre, le tiers du bon Roy Hieron . Dont pou
uons bien dire auiourd'huy , voyant leurs fpiri
tuclz monumés : O creatures heureufes d'auoir
trouué tel fupport de voftre doctrine : fans le
quelvoftre haute renommee euft cfté enfeuelie
& enterree quand & le corps. Ainfi en eft prins
à tous ceux qui ont preferé la vertu infortunee
à la vertueule fortune , & qui ont penſé voler
fans æfles , & faire merueilles par leur volonté
nuc,deftituce de toute puiffance. Mais fils don
nent loz de force , liberalité & attrempance , à
qui n'a point paffé les bornes d'vn fimple vou
loir de combattre, de donner, d'abstenir de vo
lupté,ic fçaurois volontiers fi en tous leurs vfa
ges neceflaires iz prendroient ainfi en patien
ce la pure volonté pour l'effect . Or foit donc
ques Macchiauel Italien prefenté à ie ne fcay
qui fans nom ,fans dignité & puillance ,le Fran
çois en ce cas le paffera ayat efté receu de main
magnifique & honorable, qui pourra par fa fa *A
ueur accroiftre l'efprit & induftrie de Fouurier,
& feruir de protection & fauucgarde à fon ou T
urage. Lequel ie m'affeure, Lecteurs, que vous
aymerez & tiendrez cher, non tant pour le lan
gage qui y eft fimple & commun , que pour les
profondz fecretz de fa doctrine.
LE SEIGNEVR DES
ESSARS N. DE HERBERAY,
à Iaq.Gohory traducteur
des difcours de Nic.
Machiaucl.

Puis que tu as le bruit entre les fages


D'auoir efcrit en Francois proprement,

Autant ou plus qu'autre aitfait de noz

aages.

letefuppli' pour ton auancement,


Cher Gohory, le contentement

Les clairs eſpritz,paracheue ceſt œuure,

Par qui du tout Tite Liue on defcœuure ,

Etfi le ciel tepermet de tant viure,

Paffeplus oulire, efcryfoir & matin,


Etfay en toy Tite Liue reuiure,
Autant Fracois comme il eft bon Latin .

Acuerdo Oliuido.
SONETO DI M. GIO
uanni Meſmio al Lettore.

Chi vuolfaper quantuque inguerra, ò in pace


Sifcoftail noftro dal Romanoftato,
Legga questa opra leggiadra & verace
DiMacchiauel, che fua lingua ha cagiato.
Etfauellar Francefe nonglipiace
Tra Francefi , percio che, one funato
Non tato com' inFracia,aggrada&piace :
Mafrafuoi Propheta niun ' èftimato.
Stimate quel,che col dir fchieto franco
Infegna l'arte,onde mai quefto antico
Regno non caggia in man delfuo nemico.
Maringratiate anchor quel nostro amico ,
che n'ha d'vnThofcofatto un veroFraco :
Cofa ben rara, poco veduta anco.

Per me fteffo fon faffo.

DIS
DISCOVRS DE NICO
LAS MACCHIAVEL SECRE
taire & citoyen Florentin fur la premiere >>
Decade de Tite Liue , des l'edifica
tion de la Ville.

PREFACE DE L'AVTEVR.

Ouuentesfois i'ay confide


ré en moy mefines l'hon
neur eftrange que l'on por
te à l'antiquité, voire iuf
ques à rachaitter à gros de
niets vn fragment d'vne
vieille ftatue, que l'o garde
apres en lieu apparet de la maifon comme pre
cieuſe relique, l'on monftre aux gens par gráde
excellence, & ceux du meftier fe tiennent bien
fiers d'en auoir la veuë pour y prendre patron.
D'autre part ie me fuis grandement efbahy de
nous voir quafi adorer les haux faitz & vertueux
(que l'hiftoire racompre )de tant d'Empereurs ,
Roys, Seigneurs, Capitaines, Soldatz , Gouuer
neurs de pais: neantmoins ne voir perfonne qui
prenne peine de les enfuyure , ains que chacun
les fuie de forte qu'il n'eft demeuré au monde
A
DISC. DE NIC. MACCHIA .
aucun figne,ne feulement vmbre de l'ancienne
vertu . Toutesfois ie m'efbahy enſemble & me
defplaift que fil eft queftion de iuger procez, de
guerir maladies:on n'a recours à autres qu'aux
anciés,qui no en ont laiffé par efcrit les vrayes
decifions & remedes . Aufli le droict ciuil , &
la medecine n'eft autre chofe qu'vn recueil des
opinions & aduis des plus' expers Iurifconful
tes & Medecins qui iadis ont efté . Sur lesquelz
auiourdhuy ceux qui fen meflent, reiglet entie
rement leurs iugemens & ordonnances . Mais
quant à cftablir & regir.vn Empire,ou Royau
me,entretenir les eftats d'iceluy , donner ordre
à la guerre,eftendre & eflargir ces limites : l'on
n'en void point qui fe conforme aux exemples
des.vielz ancestres . Et croy que cela ne procede
tant de la debilité à laquelle la nourriture pre
fente ha reduit le monde ou du mal que l'oyfi
ueté ambiticufe,ha caufé en plufieurs prouinces
1
& cirez Chreftiennes que par ignorance d'hi
ftoire & faulte de n'en ' lire les liures , ou de ne
les entendre au fond, & bien fauourer & gou
fter. Car la plufpart de ceux qui les manient ne
cueillent que la fleur tendre du plaifir des acci
dents diners qui fy vovét:laiffent le fruit prin
cipal de leurs moyens & prudente códuicte en
leurs affaires,que fur tout il faudroit connoiſtre
& en vfer au befoing.Il y en a qui f'exculent fur
la difficulté, ou impoffibilité qui feroit à appli 1
quer les œuures de ce temps là au noftre. Com
inefi le ciel, le Soleil , les elemens , les hommes
SVR LA T. DECA. DE TIT. LI. 2
fuffent tous chagez depuis tant en cours , mou
uement, ordré,qu'en puiffance & influéce.Ceft
erreur m'a femblé de grande importance , &
m'a meu de difcourir fur les Decades de Tite
Liue (qui ont efté fauuees du deluge desGotz &
Barbares) Et deduire fur les propos qui y font,
les faicts vieilz & nouueaux d'eux,& des autres
Peuples eftranges :lefquelz par conformité , ou
cótrarieté pourroient efclarcir la matiere. Mon
entrepriſe tend, en fomme,à faire ouuerture du
moyen qu'il conuient tenir pour tirer profict
de l'hiftoire. A laquelle i'efpere fournir moyen
nant l'ayde de ceux qui m'y ontfaict entrer : A
tout le moins que fi ie ne la metz à chef, celluy
qui fy mettra apres moy ,n'y trouuera pas grád
befongne à faire.
A ij

:
QVEL A ESTE LE COM
1
MENCEMENT DES VIL
LES, ET DE ROME ENTRE
A V TRE S.
:
Chapitre Premier.

Ovs ceux qui auront entendu


le commencement de la ville de
Rome , comme & par quelles
gens elle a efté fondée & or
donnée : ne trouueront eftrange
la puiffance , magnificence & hauteffe de fon
Empire qui n'eut iamais fon parcil : ne qu'elle
ayt cótinué fa vertu par fi long temps . Or pour
deuifer à plein de fa naiffance : Ie dy que toutes
villes ont efté bafties parties par gens du païs
Premier mefme, ou par eftrangers . Le premier cas auint
cas de ba- par ce que les habitans qui viuoient efpaduz ça
fr viles & là en petites loges & cabanes,vindrent à co
par ceux noitre qu'ilz n'eftoient pas feurement ainsi, &
dupays. qu'ilz ne fe pourroient en telz lieux & tel nom
bre garder de ceux qui lesvoudroient offencer.
Puis confidereret que d'affembler toux ceux de
la contrée au befoin, il feroit bien long , & fou
SVR LA L. DECA. DE TIT. LI. 3
uent apres la mort le medecin : voire quand on
le pourroit faire . Toutesfoys fi la neceffité fur
uenoit à vn coup en plus d'vn lieu , en deffen
dant les vns,les autres demeureroient degarniz
de cofort & ayde, & f'en yroient proye de leurs
ennemys . Pour donc efcheuer telz dangers
ordinaires , fauiferent de leur propre mouue
ment ou par confeil du plus fage & auctorisé
d'entre eux , de fe retirer enſemble en quelque
lieu defenfable & bon pour viure . Athenes & Athenes.
Venife ont efté de ce nombre : La premiere fut venife .
edifiée fouz l'autorité de Thefeus (ainfi que dit Thefem.
eft)par les gens du païs : L'autrefut erigée par
peuples ramaffez de plufieurs petites Ifles eften
dues en la pointe de la mer Adriatique . Ce que
ilz feirent fans conduite d'aucun Prince parti
culier , pour euiter les incurfions & pilleries
des Barbares , qui commençoient à defcendre
en Italie lors du declin & decadence de l'Em
pire Romain . Ceux cy eurent la fortune à fou
hait , au moyen de leur affiette de ville , qui
leur fut caufe de longué paix &repos ,tant pour
la mer où elle eft(qui eftfans yflue ) qué pour le
lieu qui n'eftoit acceffible à leurs ennemys , eſtás
defpourueuz de nauz & galeres armees pour
les affieger : tellement que le moindre com
mencement qu'ilz euffent feu auoir euftfuffy second cas
lors à les faire monter à la grandeur où à pre- de bastır
fent ilz font .Le fecond cas , quand les cftran- villes en
gers viennent à baftir villes es terres d'autruy, pays eft, a
quient en deux manieres . Car aucunesfois vn ge.
A iij
DISC . DE NIC. MACCHIA .
Peuple franc & libre fort de fon païs pour cer
cher ailleurs fon auenture:aucunesfoys vn grád
feigneur ou feigneurie pour decharger la terre
du peuple qui l'y void multiplier par outrance,
ou pour plus fcure deffence & à moindre
fraiz d'vn lieu nouuellement conquis , ilz y en
Colonies. uoyent des Colonics . Le peuple Romain en e
ftoit ouurier , & en affeoit de tous les coftez &
coings limitrophes de fon Empire. D'auantage,
fans ces deux lâ,fe font trouuez des Princes qui
en ont edifié par gloire feulement , comme A
Alexan- lexandre fon Alexandrie . Mais peu y en a cu
drie. de telles ( dont l'origine fuft ferue & fubiecte)
qu'on ayt veu veniriamais à grande perfection,
& iufques à eftre capitales d'vn Royaume.
Florence. De ce nombre a efté Florence , foit que les fol
datz de Sylla en ayent efté fondateurs , ou bien
les habitans des montaignes de Ficfole: lefquelz
à l'occafion de la longue paix qui regnoit au
monde fouz Octauian , defcendirent hardimet
en la plame qui eft deffus Arne , & y fcirent
leur ville. En effect elle fut baftie dedans l'Em
pire de Rome, & à cefte caufe ne fe peut agran
dir à fa naiffance: finon tant qu'il pleuft à l'Em
pereur luy permettre de fa grace.Les frácz fon
dateurs font ceux que pefte, guerre ou famine a
chaffez de leur contrée , & a contraints de que
rir terre nouuelle : en laquelle ils entrent par
force d'armes , & le mettent en poffeffion des
villes qu'ilz y trouuent ( comme feit Moyfe) fi
non ils en edifient comme Encas . En ce cas fe
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 4
peut connoiftre la vertu du fondateur , enfem
ble la fortune de la ville ainfi fondee , qui de
uient plus ou moins merueilleufe , felon la ver
tu qu'elle rencontre en celluy qui eft fon au
teur . Laquelle gift en deux poincts principaux:
ceft à fauoir au choix & elite du lieu , & aux
loix qu'on y ordonne.Or eft il certain que l'hó
me fait tout par election ou par neceffité & có
trainte: & que vertu eft toufiours plus grande
ou franche volonté a moins de credit . Dont
fembleroit que mieux valuft affcoir vne ville
en mauuais païs qu'en bon & fertil , à fin que
les gens fadonnaffent au trauail , à cultiuer &
labourer les terres , & au moyen de leur pau
ureté vefquiffent plus vnis enfemble , & fans
tant de noyfes & debatz qui viennent chacun
iour de l'abondance des biens : come il en eft
priz à Rhagufe & à plufieurs autres villes con- Rhagufe.
ftruittes en maigre affiere . A dire vray telle c
lection de place feroit la meilleure & plus pro
fitable , fi chafcun eftoit content de ce qu'il a
fans fe ruer fur l'autruy : mais puis qu'autremét
il en va , & qu'il le fault tenir fur fes gardes , de
paour d'eftre outragé par fes voilins , il conuict
choifir terre graffe & fertile , à fin de deuenir
riche & puiffant pour fe deffendre de ceux qui
nous chuahyront & nous voudront empecher
de croiftre.Quant au mal qui peut prouenir de
trop grad ayfe dot les biens font caufe, il y fault
mettre remede en contraignant les citoyens
par bonne police,à ce à quoy l'affiette de la vil
A iiij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
le ne les contraint . Dequoy ceux nous don
nent bon exemple , qui ont demeuré en païs
doux , plaifant & difpofé à oyfiueté & delices
(en danger que les habitans en fuffent corrom
puz ) ce qui fuft auenu certainement fans le
bon ordre qu'y meirétles gouuerneurs, en im
pofant neceffité de trauail & exercice à ceux
qui deuoient aller à la guerre . Si bien que par
tel moyen rendirent leurs fubietz plus hardiz
& promptz aux armes, que n'eftoient ceux des
Egyptiens. païs naturellement fecz & fauuages . Ce poinct
pratiquerent les Egyptiens en leur Royaume,
qui eftoit eftimé le plus fructueux du mode: dót
ilz pafferent en los de vaillance & cheualerie
toutes autres natios . Et fi le long cours des ans
permettoit que leur bruyt duraft encores : fans
doubte il effaceroit les haultes & excellentes
victoires d'Alexandre : lequel ne les gaigne que
par heur de fon aage & par plus fraifche me
moire de fes faictz . Autat cftoit du païs duSou
Mamme dan, & de l'ordre que tenoient les Mameluchz
luchz . au faict de paix & de guerre au parauant que le
Saly. grand Saly les cuft fubiuguez . Qui l'auroit a
donc confideré , auroit conneu les exercices
ordinaires des genfd'armes, & les loix eſtablies
pour obuier au dommage que leur euft peu fai
re l'extreme bonté & fertilité du païs . Ie dy
donques qu'on doibt iuger l'affiete de ville
meilleure en terre de rapport : moyennant que
l'abondance des biens qui en viendra Loit cha
ftice & reftrainte par frein de police, Vn iour
SVR IA 1. DECA . DE TIT. LI. S
vint au Roy Alexandre vn maiftre d'uures Dinecrates
nommé Dinocrates , auerty que le Roy vou- architecte
loit conftruire vne ville magnifique de ton d'Alexan
nom. Si luy moftra comme il la pouuoit affeoir drie,
fur le mont Atho , lequel eftoit tresfort de na
ture,& euft peu eftre reduit en figure humai
ne , chofe merueilleufe & digne de la grandeur
d'Alexandre. Lequel apres l'auoir ouy , luy de
manda dequoy y pourroient viure les habitás?
A quoy Dinocrates feit refpóce qu'il n'y auoit
pas penfé . Le Roy fe print à rire, & laiffant la
braue motaigne, edifia fa ville en bon païs pres
du Nil , & choyfit fagement vn lieu doué de Alexan
toutes conditions qui y pourroient atraire les drie.
gens . Qui voudra donques examiner la fon
dation de Rome , fil tient Eneas pourfon au
teur,elle fera de la derniere efpece,fil prédRo
mulus , de la premiere . Mais en quelque forte Rome libre
qu'on la prenne , elle est née en liberté, fans te- enfa nais
nir ne dependre d'autre quelconque . D'auan-fance.
tage il verra de combien de neceffitez la bride
rent & lierent par leurs loix Romulus , Numa
& autres Princes : tellement que la bonté du
païs,la commodité de lamer,fes infinies victoi
res & conqueftes , tant fen fault qu'elles l'ayét
corrompue & abaftardie, que pluftoft l'ont er
tretenue en la vertu & grandeur: à laquelle nul
Royaume n'a fceu approcher de bien loing.Or
pour ce que tous fes hautz faitz (que Tite Liue
a defcritz) ont efté conduitz par confeil public
ou priué, dedans la ville ou dehors , ie traitte
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Le premier ray en ce premier liure de mes difcours les cas
liure des plus notables & dignes de memoire , qui font
eas anenu 7 aucnus en la ville par confeil public , auec tour
par confeil ce qui en depend."
public.
Combieny a de manieres de Republiques,
de laquelle eftoit Rome.

Chapitre 11.

Diuerfes E laifferay à partles villes qui ont


fortes de eu leur commencement fubiet à
Rep. la difpofition d'autruy , & parle
ray foulement de celles qui font
nées en pure franchife , & fe font
regies à leur fantafie en forme de Seigneurie,
ou de principauté . Elles ont cu diuers com
mencemens , & auffi diuerfes loix & ordres:
l'vne a receu à vn coup fes loix de la main d'yn
feul perfonnage , comme les Lacedemoniens
Lygurge de Lygurge : les autres les ont eues à plufieurs
legiflateur fois, & de diuerfes gens felon les fortunes , com
de Sparte. me Rome . I'eftime la premiere forte heureufe,
qui a
à peu rencontrer vne perfonne qui y miftfi
bon ordre & police , qu'elle peuft viure en af
feurance ,fans auoir iamais befoin de reforma
sparte. tion aucune , ainſi que Sparte a vefcu plus de
huit cent ans , fans rompre ny enfraindre fes
loix , & fans qu'il en foit enfuiuy aucun trou
ble ny efmeute perilleufe. Au contraire celle
me femble malheureufe qui ne feft liurce és
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI.
mains de quelque fage gouuerneur , & a esté
contrainte de foy reigler elle mefme : encores
eft plus infortunce celle qui n'a prins de foy ne
d'autruy reigle ny police. Ie croy que vous ne
doubtez pas que celle ne foit la plus chetiue,
laquelle f'eft du tout clongnee du droit che
min qui la pouuoit mener à bonne fin : car il
eft prefque impoffible de la radreffer par quel
que maniere ou auenture que ce foit . Mais
les autres , qui ont eu bon commencement,
combien qu'il ne fuft accomply , pource qu'à
la longue il peut amender , ileft conduit fou
uent à perfection . Vray cft qu'il y a danger
de diuifion & difcorde , d'autant que la pluf
part des hommes ne faccordent à receuoir
vne loy qui introduife nouuel eftat & façonde
viure , fi neceffité vrgente ne les induit à ce
faire. Laquelle ne procede que de quelque pe
sil eminent , qui peut aucunesfois venir fimal
à poinct, que la poure Republique en eft def
faite & ruinee , au lieu d'eftre remiſe en ordre
parfait . Ce que Florence nous prouue affez, Florence.
laquelle fut reformee l'annee feconde par l'ac
cident Dazze , & la douzieme fut corrompue
& defordonnee par celuy de Prato. Qui vou
dra donques difcourir les premiers ordres de
Rome , & confiderer par quelle fortune elle
vint à telle perfection , penfe qu'il y a ( felon Trois ma
les Philofophes ) trois manieres de vrais eftatz nieres de
Politiques : c'eft à fcauoir le Royal , le popu- vray eftas
laire , & celuy des plus gens de bien . Des politique.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
quelz ceux qui ont à ordonner vne cité, doiuét
Trois efpe- choifir le plus propre & conucnable pour elle.
ces de mau- Autant y a de faux gouuernemens qui reffem
uais estat blent aux trois bons, & en approchét de ſi pres
politique. que facilement l'on chet de l'vn en l'autre.
Royauté deuient Tyrannie , l'eftat des princi
paux tombe en monopole des gens ambitieux
& conuoiteux : le populaire tourne en licence
effrenée & abandonnée. Carles trois premiers
combien que d'eux ilz foient bons , fi font ilz
ayfez à fe gafter & conuertir en la nature de
leurs proches voifins : tellement que qui fonde
`vne cité fur l'vn des trois,ne la fonde pour gue
res detemps : tant eft naturel en ce cas la fim
bolifement & changement de la vertu en fon
vice contraire.Ses varietez & mutations de po
lices font nees au monde par vne auenture?
L'origine Les gens viuoient au commencement en guife
de monar- de beftes efpars en petit nombre : puis par fuc
chie on
ceffion de temps fe font multiplicz & reuniz
Royauté de enfemble,pour mieux fe deffendre contre leurs
deux føre ennemys : & fauiferent de faire leur chef le
$85.
plus fort & vaillant d'entre eux ,luy portans
tout honneur & obeïffance. Peu apres vint à
l'homme la cognoiffance d'honnefteté & de vi
ce, en voyant que chafcunhayfoit & difoit in
iure aux ingratz , & auoit pitié de celluy qui
pour plaifir receuoit deplaifir . Parquoy de
paour qu'il n'en prinſt ainfi à tous, ſe meirent à
faire edictz comminatoires de certaine peine,
Iustice. contre ceux qui feroient ainfi, Lors vint Iuftice
SVR LA 1. DECA. DE TIT. 21. 7
à naiftre au monde , qui fit elire pour Princes
lesplus droictz & iuftes , non pas les plus puif
fans & mébruz come deuant . De là tourna l'e
lection en fucceffion, & vint on à continuer la
dignité fouueraine de pere en filz : dont com
mencerent les Roys à ne rien valoir , penfans Tyrannie.
cftre leur propre de paffer les autres en fum
ptuofité,pompe,luxure & delices, & non de re
nir de la bonté , foing, trauail & vertu de leurs
predeceffeurs . Ces qualitez deprauees les mei
rent incontinent en la male grace de leurs fu
เ jetz : dont ilz conceurent crainte , & pour
preuenir , commencerent à faire à vn chacun
tort, outrage: finalement paffe le tout en pure
Tyrannie . Or fe trouuoient par les Royaumes
gens de noble cucur , riches d'auoir & d'amys
qui ne pouuoient fouffrir patiemment telles
cruautez & iniures : ceux la mettoient le cueur
aux autres , leur faiſans prendre les armes con
tre le Roy : lequel chaffé ou occiz, ilz auoient
du peuple l'autorité Royale , en guerdon de
fa deliurance . Ilz l'acceptoient plufieurs en- Ariftocra
femble , en haine d'vn feul Roy , faifoient loix tie.
nouuelles, par icelles fé gouuernoient fans pré
dre autre foing que du bien public,faifoient iu
ftice à vn chacun par grandediligence & droi
ature . Mais leurs enfans qui n'auoient iamais
efprouué la rouë de fortune, & n'auoient con
nu les piteufes yffues des folles entreprinses ,
non cótens de viure en egalité ciuile , rauiffoiét
les biens des particuliers , forçoient les femmes
DISC. DE NIC. MACCHIA.
& filles qui ne vouloient condefcendre à leurs
volontez, & en fomme changeoient l'aristocra
oligarchie. tie en oligarchie , c'est à dire faifoient du gou
uernement des meilleurs citoiens fondé par
leurs peres, vne briganderie de peu de gens qui
ne fuiuoient pour toute loy que leur fimple ap
petit . A telles gens telle fin eftoit machinee
qu'au Tyrant : car le premier qui fe prefentoit
pour chef& conducteur de coniuration, eſtoit
fauorifé & accompagné de tout le peuple, eſtát
irrité outre mefure par l'auarice, ambition & v
furpation iniufte de ces beaux feigneurs . Ce
voiant ne failloit quelqu'vn à f'eleuer qui les
mettoit à mort auec l'aide de la commune : &
d'autant que memoire eftoit encores fraiche de
l'execrable tyrannie des Roys , & de l'inique
gouuernement des principaux,ilz ordonnoient
Dimecra- vnt eftat nouueau appellé Dimocracie. Lequel
fie. attribuoit la fouueraineté au peuple vniuerfel,
& non à vn feul , ou à aucuns des plus grands.
Ceft eftat populaire dura quelque espace de
Nouneauté temps (pour la nouueauté qui eft toufiours ai
aimable. mee ) & tant que vefquirent ceux qui l'auoient
eftably. Car fitoft que la commune fe dereigla
& commença à abufer de fa puiffance , fourdi
rent à l'inftant mieurdres, pilleries, feditions, ou
trages, tout alla deffus deffouz : en forte que par
neceffité, ou par auis de quelque preud'homme
fage,ou pour les dangers euidens de ce gouuer
nement li tempeftatif, on reuint à la Royauté,
& depuis de degré en degré, on récheut en tou
15.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 8
res les maladies defia dites. Tel eft le cercle le
quel ont tourné, tournent & tourneront tant
qu'il y a de Seigneuries au monde. Vray eft que
il n'auient pas fouuent qu'elles reuiennent à
leur point: à caufe qu'il ne leur eft poffible de
tant viure,qu'elles puiffent paffer par toutes ces
efpeces , & demeurer fur leurs pieds. Leur or
dinaire eft de deuenir fubiettes à leurs voisins,
qui fe gouuernent mieux . Mais fans celà vne
Republique feule pourroit faulter d'eftat en e
ftat fans ceffe , & faire vn tour & circuit infini.
Parquoy me femble que toutes telles manieres
de police ne font fermes ne ftables. Les trois
bonnes à cause de la courte vie des hommes:
les trois autres pour leurs propres imperfectios.
Connoiffans donc les excellens legiſlateurs ces
defectuofitez de chafcun des eftats métionnez,
ont formé le corps de leur cité des trois mem
bres.C'eft à fauoir de Monarchie, Ariftocracie, Eftat poli
Dimocracie ; à fin que l'vne feruift de frein à rique par
l'autre, & la fift tenir dans les bornes, & la gar- fait des
daft de fortir li toft des gonds, & de tomber en trois.
ruine. Lycurge eft l'vn des plus renommez fon
dateurs qui furent onques : lequel rengea lapo
lice de Sparte , limitant par fes loix la puiffan
ce du Roy , la iurifdiction des efcheuins de la
ville , & celle du commun peuple ; dont dura
fa Republique plus de huit cent ans en force, solon le
eftime & valeur. Solon ne fit pas fi bien , le- giflateur
quel fe mefla de reigler Athenes, & n'en donna d'Athe
le gouuernal qu'à la commune feule : aufli mal nes.
DISC. DE N.FC. MACCHIA.
luy en print . Car auant la mort il veid la ville
pififiratefoumile à la tyrannie de Pififtrate . Et combien
Tyran. que quarante ans apres , les heritiers du Tyrant
furent chaffez , & Athenes remife en fa liberté,
par l'eftat Populaire qu'elle reprift , que Solon
y auoit eftably : toutesfoys elle ne f'y peut
maintenir que cent ans ou enuiron , quelques
conſtitutions & ordonnances qu'elle feuft fai
re pour abaiffer l'orgueil des grandz feigneurs,
& reftraindre la trop grand licence du Peuple:
ce que Solon deuoit auoir fait des le commen
cement . Mais noobftant tous ces beaux reme
des,Athenes fut de petite durée au pris de Spar
te,à faute d'auoir meflé les deux autres eftatz a
uec le fien . Laiffons les là , & venons à Ro
Romeen me :elle n'eut pas à fa naiffance vn fi bon pere
quoy dife- &nourricier que Lygurge, qui luy donnaft tou
Euenfe, tes les façons d'entrée , par lesquelles elle peuft
viure longuement en liberté affurée . Nean
moins tant y cut de troubles , d'emeutes &
ecladres à caufe des differenz de la menuë gent
& du Senat , que par ce moyen le bon ordre y
fut mis , & fi elle ne rencontra le premier heur,
au moins eut elle le fecond . Car fil y auoit fau
te en fes ordres ainfi qu'ilz furent conftituez au
commencement, fi n'eftoient ilz détournez de
la droitte voye qui tire à perfection . Qu'ainfi
foit, les autres Roys fucceffeurs faifoient main
tes bonnes loix & fauorables à la liberté pabli
que . Mais d'autant que leur intention fut de
fonder vn Royaume non pas vne Republique,
venant
SVR LA Ï, DECA. de tit. lu 9
venant en liberté elle trouua auoir faute de
e
beaucoup de chofes neceffaires à telle vie , à
D
quoy les Rois n'auoient pas pourueu. Vray eft
que les derniers furent iettez hors de leur fiege,
& le nom du tout aboli , pour les villenies & a
buz qu'ils commettoient. Toutesfois ceux qui
les chafferent , fubftituerét auffi toft en leur licu
deux Confuls , en forte qu'ils ne meirent hors Confulz
que le nom Royal, & en retindrent tousiours de Rome.

la puiffance. Or eftant Rome ainfi regie par les


Confuls , & par le Senat, elle n'auoit encores senat de
que deux des eftats declarez cy deffus : C'est à Rome.
! fauoir la Principauté & le gouuernement de la
plus faine & meilleure partie : reftoit de faire
place au peuple , & luy donner part au gafteau.
Ce que depuis auint par l'outrecuidance de la
nobleffe qui vouloit tout dominer & renger à
fon plaifir.Dont feleua la commune à l'encon- Commune
tre,& fibienfe mutina,qu'il falut (fi on ne vou- de Rome.
loit tout perdre) luy ottroyer fon reng comme
aux autres.Parquoy furent creez les offices nou
ucaux,de Tribuns du peuple, qui eftoient pour
garder les droits . Alors commença Rome à iet
ter & affeoir les fondemens de la grandeur &
maiefté nompareille, par cefte compofition des
trois eftats , qui y auoient chacun leur pouuoir
& autorité. Vrayement bien y ouura fortune, Fortune de
qui tant de fois lapreferua de deftructio & rui- Rome.
ne és perilleufes mutatios de fes diuers regimes.
Car quoy qu'elle paffaft de l'un à l'autre , non
fans grands inconueniens & dangers , & qu'el
B
DISC. DE NIC, MACCHIA.
le ne vinit au fecond e , que fe trouuant mal
du premier : toutesfois elle mua fa police , en
forte qu'elle n'effaça entierement la vieille , en
prenant la nouuelle.. Iamais n'ofta à la Royau
té toute la puillance , pour l'attribuer au Senat,
ne pareillement à luy, pour la bailler au peuple:
feulement rongnoit le trop de chacune , & ad
metroit les trois en compagnie & focieté de
l'Empire: & par cefte triplicité deuint fi grande
que l'on feait. Or nous conuient maintenar de
duire comme elle y paruint , & comme le dif
cord du peuple & du Senat en fut cauſe,

Par quelle auenture furent creez à Rome les Tri


buns du peuple qui rendirent la Republique
beaucoup plus parfaite.

Chapitre 111.

Eux qui ont efcrit du faict de po


lice font d'aduis, & auffi toute l'hi
ftoire le tefimoigne , que celuy qui
entreprend dreffer vnc Republi
que,& y mettre loix,ily doir pro
ceder auec opinion feneftre de l'vniuerfel des
hommes , & que fils ne fe monftrent toufiours
telz qu'ils font , ce n'eft que par faute d'occa
fion & opportunité de ce faire. Et quand vn
vice on mauuaife fantafie dort vn temps , fans
qu'on la connoiffe , & ce pendant nous abuſe
fouz couleur de bien : cela nous aduient par
SVR LA I. DECK. DE TIT. LI. 10
mal faute d'experience, & parce que nous ne prefu
, en mons le mal où il eft , qu'à bonnes enfeignes.
, en Mais apres qu'il a ainfi croupy à conuert , le
au temps vient qui defcouure le pot aux rofes , le
nat, quel à cefte caufe eft appellé pere de verité. A
ple: cc propos vous cuffiez dit en contemplant à
ad Rome la contenance des Senateurs & du peu
E de ple apres la fuitte des Tarquins : vous cuffiez Tarquins,
nde creu fermement qu'il n'eftoit point de meil
de leurs amis au monde : & qu'en la nobleffe n'y
dif auoit fiel ne fierté quelconque , ains toure hu
milité & douceur , voire enuers les plus petits.
Tant fagement ils celoient leurs faux courage,
voyans qu'il n'eftoit heure de l'executer, tandis
que les Tarquins viuoient,de paour que le peu
plemal traité n'euft fon recours à eux . A cefte
caufe filerent doux tant que dura lalignee roy
alle, mais auffi toft qu'ils la veirent eftainte,
leur crainte à l'inftant expira , & fe meirent à
vomir contre la commune , l'ord venin qu'ils
ཉ་

་.

auoient fi longuement gardé fus leur cucur,lay


qui faifans tous les maux dont ils fe pouuoient ad
li uifer. Qui eft tefimoignage de ce que l'ay dit
0. plus haut, que les hommes ne font iamais bien,
es que par neceffité. Et quand il eft en leur ele
[s ation de faire ou non,c'cft tout defordre & con Pauureté
3 fufion. De là eft venu ce qu'on dit commu- rend inge
n nément , que la pauureté & la faim rendent les nieux.
S gens ingenieux & actifs , & les bonnes loix font Bones loix
les gens debien. Autremét fi les chofes alloient font les ges
I droict d'elles mefines, l'on n'auroit que faire de de bien.
Bij
DISC. DE NPC. MACCHIA
loy :mais elle eft fort neceffaire , fi toft que les
bonnes meurs commencét à venir en décours .
Parquoy quand il n'y eut plus de Tarquins qui
tinffent la nobleffe fouz bride , de paour que le
peuple ne fe rebellaft & cuft fon refuge à cux:il
falut tout foudain inuenter à Rome quelque
loy qui feruift aux Senateurs & nobles de tel
frain qu'auoient ferui les Tarquins . Ainfi apres
beaucoup de troubles , debats & efmeutes qui
fourdirent entre le peuple , & la nobleffe , on
Tribuns da vint à la fin à creer les Tribuns ,en leur donnant

peuple, tant d'autorité & preeminence, qu'ils pouuoiét


fouftenir le commun & le garder d'eftre foullé
& mangé des grands Seigneurs .

Que la contrarietédu Senat du peuple de Rome


eſté cauſe deſaliberté&grandeur.

Chapitre 1111.
Seditions
1
cauſe de E voudrois bien icy en paſſant tou
bien à Ro cher vn mot ou deux des emeutes
me. qui aduindrent à Rome depuis la
Banne con mort des Tarquins, iufques à la crea
dure, & tion des Tribuns : pour en dire ce qu'il m'en
vaillance femble , contre l'auis de plufieurs qui dient de
des Ro Rome que c'eftoit vne ville noifiue , riotcu
mains. fe , toufiours en troubles & contentions. Tant
Fortune que fans fa bonne conduite , & vaillance en
des R guerre , & fans fortune qui fuppleoit les fautes
mains. & defectuofitez , elle eftoit pour eftre ( à leur
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. II
dire) la plus pauure & chetiue ville qui fut on
ques. le ne veux pas niet que ces deux chofes
n'aient efté cauſe de fon grand Empire. Mais
telles gens ne confiderent pas , que le faict des
armes ne fe peut conduire fans bon ordre &
police : & la police communément eft celle
qui amene la bonne fortune.Or venons vn peu
a particularizer : Ie dy que ceux qui blafment
fifort les feditions de Rome,reprennent à mon
auis ce qui a efté cauſe de ſa liberté , & regar
dent plus au bruit , tempefte & crieries qui le
font en rel cas , qu'au fingulier proufit qui en
vient. Auffi ne confiderent ils qu'és Republi
ques y a deux humeurs contraires. Celuy des
Seigneurs , & celuy du commun : & que tou
tes les loix qui fordonnent en faueur de liber
té, prennent naiffance de leur diffenfion & de
bat: ainfi qu'on void clairement qu'il en eft a
uenu à Rome. Car depuis les Tarquins iufques
aux Gracches ( qui font plus de trois cent ans)
en tous les tumultes de Rome n'y en eut gue
res de bannis , beaucoup moins d'executez à
mort. Parquoy n'y a taifon d'eftimer fes emeu
tes fi horribles & dangereuſes., & d'en appel
ler Rome ville de diuifion , veu que par long
temps elle n'a pas exillé plus de neuf ou dix de
fes citoiens , en a fait mourir bien peu , & peu
en a condamné en amende. D'auantage n'y a
aucune apparence de iuger vne telle Republi
que defordonnee : laquelle nous a produit tant
d'exemples loüables de toute forte de vertu ,
Bij
DISC. DE NIC. MACCHIA .
Car les bons exemples procedent de bonne rei
gle & nourriture , la bonne reigle des bonnes
loix , & la mere de telles loix n'eft autre que ce
fte diffenfion & contrarieré que tant de gens
blafment à lavolee. Confiderez moy de pres
ces emeutes , vous verrez qu'elles n'ont en elles
force ne violence preiudiciable au bien com
mun. Au contraire, que c'eft ce qui contraint
de faire nouuelles loix & ordonnáces au prou
fit & auantage de la liberté publique : voire
mais (repliquent aucuns) telle mode eftoit trop
enragee & extraordinaire de veoir le peuple
crier ainfi apres la iuftice , & elle apres luy , de
veoir les gens de toute qualité courir les rues
commefols & incenfez , fermer les boutiques:
brief, que tout alloit deffus deſſoubs , tant que
aucunesfois la commune en laiffoit la ville , &
tenoit les champs nomplus ne moins qu'vn
vray oft d'ennemis. Ie dy que chacune ville
doit bailler au peuple quelques moyens pour
decharger fa colere , & contenter vn peu fon
ambition:mefmement celles entre autres qui fe
veulent aider & feruir de leur peuple és affai
res d'importance. En quoy celuy de Rome v
foit de cefte façon de faire , que quand il auoit
defir de quelque loy,il fe mutinoit ( comme dit
eft) ou refufoit d'eftre enrollé & prendre les ar
mes : tellement qu'il faloit à toute force pour
l'appaifer , qu'on luy octroiaft partie de ce qu'il
demandoit. Ce qui ne redondoit volontiers au
dommage de la liberté, pourtant que ces fanta
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 12
fies ne luy prennent que d'eftre foullé & greué,
ou de crainte & foulpeçon qu'il ne le foit . Et
fi d'aduenture fon opinion cftoit mauuaife , les
concions & harangues publicques y mettoient
remede : car à l'heure toufiours quelque hom
me de bien fe leuoit qui leur remonftroit leut
folie. Et cobien que le peuple (ce dit Cicero )
foit rude & ignorant, fi៤ cft il capable de veri
té, & facile à tourner & eftre retiré de fon er
reur, quand quelque perfonnage d'autorité &
d'honneur luy preiche ce qui en eft.Il faut donc
mieux regarder à reprendre la policede Rome,
& penfer que tant d'effects finguliers & admi
rables , qui iadis en fortirent , ne peurent_nai
ftre que de trefbonnes caufes. Parquoy fi ces
emeutes furent occafion de la creation des Tri
buns , on les doit prifer & louer grandement:
veu que par ce moyen le peuple eut part au gou
vernement, & de là en auant la liberté Romai
ne fut miſe en meilleure garde , en la main de
ces officiers nouueaux.

Entre les mains dequi liberté eft plus feurement ou du


peuple ou desgrands seigneurs : lequel eft plus.
enclin à emeute celuy qui veut acquester,
on qui ne veut quegarder lefien.

chapitre Ꮴ .

Bij
DISC . DE NIC . MACCHIA .
E plus grand poinct à conſide
rer en l'ordonnance d'vne Re-.
publique , c'eft de mettre fa li
berté en feure garde. Car felon
que fera la garde ,l'eftat de fa fran
chife durera . Or pource que chacune ville a
des grands Seigneurs , & du menu peuple : il
n'eft pas fans difficulté auquel des deux il vau
droit mieux la bailler , & fen fier. Iadis les La
cedemoniens , & auiourd'huy les Venitiens
l'ont miſe en la main de leur nobleffe. Au con
traire les Romains en firent leur peuple gar
dien . Parquoy feroit bon d'examiner lequel
d'entre eux fe monftra plus fage au choix. Or
fil cft queſtion de fe fonder en raiſon nous
trouuerons affez que dire des deux coftez . Mais
qui iugera le fait par l'iffue , fans doute il tien
dra le parti des gentils hommes : à cause que
sparte. Sparte & Venife ont beaucoup plus duré en
Venife. leur liberté que Rome. Pour doncques en dif
purer ie dy ( prenant premierement la caufe
des Romains) qu'il femble bien le meilleur de
bailler vne chofe en garde à celuy qui moins.
en voudroit abufer, comme il eft en ce cas de la
de n'eftre
baffe gent , laquelle ne fe foucie que
point maiftrifee & gourmandee , & de fe main- .
tenir en liberté : où la nobleffe tafche toufiours
à dominer & vfurper feigneurie, qui luy eft auf
fi plus aifee à conquerit qu'à l'autre. Parquoy
l'on diroit que fi le commun en eftoit gardien,
& quafi depofitaire , il la defendroit & veilleroit

>

I
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 13
plus foigneufement.Et fi ne la laifferoit volon
tiershapper aux autres, en defpit de ce qu'il n'y
auroitpeu aduenir. D'autrepart on pourroit di
re pour Sparte & Venife , qu'en la mettant es
mainsdes gentils homes l'on feroit deux gráds
biens :I'vn que l'on affouuiroit leur ambition
en leur baillant le principal pouuoir & aucto
rité en la Republicque, l'autre qu'en ce faifant
l'on ne doneroit cefte qualité demaiſtriſe à des
teftes mutines de Populaire , lequel eft fans ar
reft ,fans confeil & prudence, & quand il tient
le bafton en main , l'on ne voit autre chose que
noyfes , feditions & combatz . Auffi lors n'eft
merueille fi la gentilleffe depaffionne, felle fe
defefpere de veoir les vilains les maiftres, & ne
faut point (apres en auoir vn temps enduré) de
faire de terribles efclandres . Dont à bon droit
eft reproché à Rome qu'au moyen de l'auctori
té qu'elle permit aux Tribuns, le Peuple obtint
vn Conful de fon corps,puis non content de ce confulpo
demanda que les deux enfuffent , & ( pour vn pulaire.
pied donné en prenát trois)voulut auoir la cé
fure , la grand preftrife & les autres degrez du
gouuernement . Cela n'eftoit rien, il commen
ça depuis tout d'vne fureur à adorer ceux qu'il
voyoitpropices pour affaillir & batre la noblef
fe:& de là vint la puiffance de Marius,dont en- Marius.
fuyuit la ruyne de Rome .Quand tour eſt dict,
il n'eftpas fans doubre(à regarder de pres à l'vn
& l'autre) lequel des deux feroit plus propre &
plus feur pour garder ceſte liberté d'autant que
11 DISC. DE NIC MACHIA,
il n'eft ayfé à iuger , qui eft plus dangereux en
vne Republique de celuy qui tafche à auoir ce
qu'il n'a pas ou celuy qui ne quiert qu'à fauuer
ce qu'il a . Briefqui aura bien tout examiné , ie
Conclufion croy qu'il conclura en cefte forte . Ou vous me
de l'affen- parlez d'vne ville qui tend à coqueſte d'Empi
rancede lire, ou d'vne qui ne penfe qu'à entretenir fon e
berté. ftat tel qu'il eft : quant à la premiere, il fault que
elle prenne patron fus Rome , la feconde doibt
tenir le chemin de Sparte & Venife ,tant pour
les raifons ia deduictes que celles qui fe deduy
font au premier chapitre . Mais pour reuenir à
mon propos, qui vaut pis en vne ville celuy qui
vetit aquerir ou qui craint feulement de perdre
ce qu'il a aquis?le dis pour toute refponce, que
Menenius quand Mare . Menenius fut fait dictateur , &
Dictateur. Marc . Follius fon conneſtable ou chef de gen.
darmerie ,pour cognoiftre des coniurations qui
auoient efté braffees à Capue contre Rome: par
mefme moyen leur fut donné pouuoir & char
ge d'enquerir de ceux qui tafchoient, par voyes
indeues de venir au Confulat & autres offices
& honneurs: dont indignee la nobleffe ( quafi
que cefte commiffion cuft efté decernee en hai
ne d'elle ) Se print à murmurer & faire courir
le bruit que ce n'eftoient pas les Senateurs qui
tendoient là où l'on difoit par corruptions, fa
ueurs & moyens extr'ordinaires:ains feulement
gens de vile códition , aufquelz eftoit force d'y
aller par telz chemins obliques & deraifonna
bles,puis que le noble fang & la vertu leur def
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 14
failloit : & vinton en ces murmures à nommer
Menenius mefme , & la chofe proceda fiauant
qu'il fut contraint tout dictateur qu'il eftoit de
fe demettre de fa dignité & fe foumettre au iu
gement du Peuple . Par lequel ( apres auoir oy
les plaintes & deffences)fut enuoyé abfouz de
l'accufation contre luy formee. Alors fut difpu
té amplement lequel eftoit plus conuoiteux, ce
luy qui ne vouloit que garder le fien ou qui en
defiroit acquerir d'autre car l'vn & l'autre nous
peur induire à grands differents & debatz .
Toutesfois me femble que pluftoft il en vien
droit par ceux qui ont l'accópliffement de leurs
defirs que par ceux qui font encores apres pour
l'auoir : d'autant que crainte de perdre ce que
on a,cauſe en nous les mefmes volontez & paf
fions qui tranfportent ceux qui font fur les a
quetz,& ne nous eft pas aduis que puiffiós bien
garder ce que nous auons, fi nous n'en amaſſons
toufiours de nouueau. Et d'auatage , qui a le dié
tout acquitz , eft plus fort & mieux fondé pour
liurer vn affault à la liberté,& le liurera plus roi
de que les pauures & foibles aquerans.Oultre y
a la gloire & outrageufe morgue que tiennent
les riches, qui faict creuer de defpit le commun,
& luy caufe enuie de pourchaffer biens & hon
neurs tant pour en defpouiller par vengeance
ceux qui en ioiffent, que pourfen veftir & iair
en telle felicité qu'il voit les autres.
DISC. DE NIC. MACCHIA .
Afauoirfil eftoitpossible d'establir à Rome un
eftat qui empefchaft les inimiciez du
Peuple du Senat.

Chapitre VI.

Ovs auons difcouru cy deffus


dequoy feruoient à Rome les dif
ferends du Peuple & du Senat,

Naufquels elle fut fuiete iufques au


temps des Gracches qu'elle en
perdit fa liberté.
Mais en ce paffage quelqu'vn pourroit defi
rer de veoir vne telle ville, auffi grande & puif
fante fans qu'il y cuft tát de troubles & bandes
cotraires . Parquoy feroit digne de fçauoir fil
eftoit poffible de faire en forte qu'il n'y en cuſt
point à Rome en trouuant vn eftat qui y meiſt
remede . Pour demeler ce poinct, nous fault
prendre exemple aux Republiques lefquelles
ont duré longuement en liberté fans eftre ainſi
troublees & brouillees .Il faut cótempler com
me elles fe gouuernoient pour n'y encheoir , &
Aßiette fi Rome cuft peu tenir ce moyen . Sparte iadis
de Venife. enfut exéptée, & Venife l'eft encores à prefent:
Sparte eftoit foubs vn Roy , & fi auoit tel quel
Senat. Venife n'a point diuifé fes gouuerneurs
de noms,tout ceux qui ont eu charge & admini
ſtration de fes affaires f'appellent gentilzhom
mes . Ce qui luy eft aduenu plus par cas fortuit
que par la prudéce & difcretion de qui l'a fon
SVR LA I. DECA. DE TIT. LT. IS
dee. Car la verité eft,que quad ce gros amas de
habitás des Ifles Adriatiques fe fult retiré à fau
beté fur fesrochers où l'on lavoid maintenant,
à l'occafion de la nouuelle defcente des Gothz , Gotz
Vvandales & autres nations barbares qui met
toient tout le païs à feu & à fang : quand ilz fe
veirent defia affemblez en figrand nombre que
illeur faloit des loix pour viure enſemble, ils en
feirent . Or auenant qu'ils fe trouuoient fou
uenttous en vn lieu pour deliberer & conful
ter de leurs affaires : quand ils fapperceurent
en nombre pour tenir vn bon confeil & bien
manier leur eftat,prindret complot de clorre le
paffage aux autres qui y viendroient, & qu'ils les
receuroient affez pour demourer,mais qu'ils ne
femefleroient point du regime de la feigneu
rie.Et pour mettre cefte diftinction d'honneur
chtreles premiers eftans du vray corps de la vil
le & ceux qui depuis eftoient furuenus , ils les
nommerent gentils hommes & les derniers ci
toyens fimplement . Partant il leur fut bien ay
fé de le maintenir en leur eftat fans trouble &
empefchemét quelcoque, puis que de ceux qui
eftoiét des fa naiffance nulne fut excluz du ma
1 niment des affaires , & les autres qui vindrent
apres , n'auoient cauſe de ſe plaindre qu'ils n'y
eſtoient receuz come les premiers,d'autant que
à l'heure de leur venue ils auoient trouué l'e
ftat de Venife ia cloz & arrefté . Ainfide raiſon
ils n'en auoient point veu qu'on ne leur y fai
foit aucun tort : d'occafion on ne leur en don
DISC. DE NIC. MACCHIA
noit au moyen que la feigneurie leur tenoit la
bride roide, & ne les employoit en choſe où ils
peuffent acquerir auctorité & puiffance . D'a
uantage les derniers venuz n'eftoient pas beau
coup,n'en fi grand nombre que l'eftat fuft mal
party, & qu'il y euft difproportion des gouuer
neurs aux gouuernez : ains cftoient autant ou
plus de gentis hommes que d'eftrangers,fi bien
qu'ils n'euffent fceu rien entreprendre contre
les premiers: dont par neceflité fentretindrent
auec eux en bonne paix & amour.Pareillement
Sparte regie(comme i'ay dict) par yn Roy & vn
perit Senat , eftoit bien difpofé à viure fans ces
diffentiós Romaines, au moyen qu'elle n'eftoir
gueres peuplee, & tenoit l'étree defendue à tous

Lygurge. gens efträgers , fuyuant les loix de Lygurge que
elle auoit en trefgrade recomendation . Et fi les
offices & honneurs fe depattoient plus aux vos
qu'aux autres , toutesfois le reuenu des biens c
ftoit determiné entr'eux, qu'il n'eftoit loyfible à
perfonne de paffer , de quelque eftat & qualité
qu'il fuft.En cefte pauureté commune le Popu
Jaire ne fe chagrignoir fort des honneurs , pour
tant qu'il y en auoit peu & que l'on les auoit
toufiours retirez loing de fes mains , & les no
bles les exerceoient en fi bonne iuftice qu'ils
ne luy donnoiet caufe de fen plaindre , ny en
ute de les en priver . A celà les Roys mettoient
cin , lefquels n'auoient meilleur moyen d'af
feurer leur coronne de la nobleffe ( laquelle a
pres cux auoit toute puiflance) finon en foufte
S LÁ - L DECA. DE TIT. LI. 16
Dant le menu Peuple, & luy eftant rampar con
tre les concuffions & oppreffions des grands.
Voyla ce qui obuioit aux guerres qui euffent
peu naiftre de iour en iour entre les deux par
ties du Peuple. Car en ce faifant les occafions
leur eftoient tollues, c'eſt à fçauoir la crain&c&
haine des feigneurs & l'enuie des honneurs &
preeminences . Mais ce qui les entretenoit en
cefte vnion & amytié , c'eftoit qu'ils n'eftoiét
gueres de gens en la ville,partant ne leur en fa
loit gueres pour les gouuerner : Ils n'ouuroient
leurs portes aux eftrangers,ce qui les gardoit de
gafter & empirer & de fe multiplier & deuenir
fi grands que fi peu de gouuerneurs ny peuf.
fent fournir .Par ce difcours l'on void clairemét
qu'il euft efté force à Rome de faire de deux
chofes l'yne pour le tenir coye &pailible,cóme
celles dont nous venons de parler : ou de n'a
guerrir fon peuple nomplus que Venife , ou de
fermer l'huys aux eftrangers comme Sparte. Or
faifoit Rome tout au contraire , & l'vn de ces
poincts la rendoit plus peuples,l'autre plusfor
te & redoubree , les deux enfemble la tenoient
en ces querelles & feditions continues . Mais
oftez en les caufes, pour la rédre doulce & trai
table , vous luy oftez le moyen de paruenir à
&
fa grandeur & hauteffe . Briefainfiva de toutes
chofes humaines (qui bien y regarde ) Tant el;
les font pleines d'imperfection:oftez vn incon
uenient ( comme en ce cas ) il en reuiendra vi
autre: Si vous tenez voftre peupleen afflucuce
DISC. DE NIC. MACCHOA.
& I'vfitez en guerre , il deuiendra riche & puif
fant.Mais il ne fe lairra manier comme l'on vou
dra. Si vous l'engardez de croiftre & luy defen
dez les armes, il fera ayfé à gouuerner, auffi fera
fi peude chofe que le premier qui le viendra af.
faillir , l'abbatra,ou fil aquiert d'auenture quel
que terre , la force ne fuffira pour la garder &
deffendre . Parquoy pour refolution , en toutes
nos deliberations & entrepriſes , faut auifer de
quel cofté y a moin's de danger.
*
Et Pigliar quelper migliorepartito
Perche tuttonetto
Tuttofenza fosperto
Nonfitronna mai.

Et telparty tenirpourplusperfect
Cardetoutnet
-·Sans aucunfi,
N'yaicy

sparte. Romedoncquescuftbien peu comme Spar


tefaire vn prince à vie, & vn petit Senat,mais à
fonderfonhaut Empire ne luy duifoit vn fi pe
tit peuple . Parquoy ne luy cuft de rien feruỳ
l'ordre de Sparte pour auoir paix & vnion . Si
donc quelqu'vn vouloit dreffer vne ville nou
uelle , il fauldroit en premier lieu qu'il aduiſaſt
fil en voudroit faire vneRome triumphante en
feigneurie & puiffance , ou fil aymeroit mieux
que fanstrop enrichir & fenfler, elle fe tint de
dans
SVR LA I, DECA. DE TIT. LI. 17
dans les bornes . Pour le premier cas il conuient
la reigler du tout à la forme de Rome, & y per
mettreles caufes d'efmeuttes , & la contrarieté
des eftats au moins mal que l'on pourra : autre
ment ne fçauroit vne Republique croiſtre , &
feftendre felle n'a grand Peuple & bien aguer
ry: & felle croiffoit , celà ne luy dureroit gue
res . Pour le fecond, faudroit prendre exemple
fur Venife & Sparte , & auoir cefte confidera- Fenife.
tion de luy prohiber fort & ferme les grands
acquets . Car l'augmentation & grandeur eft
poyfon tout certain à telles villes foybles & de
farmees, comme l'experience l'a móftré es deux
queie viens de nommer . Sparre ayant quafi re
duite à fa fuiection toute la Grece , en la pre
miere fortune qui luy furuint donna bien à có
noiftre que fon fondement ne valoit gueres
veu que la feule rebellion de Thebe ( dont Pe- Pelopida
lopidas eftoit chef) feit rebeller autres villes,lef- chef de
quelles ioinctes enfemble la meiret du tout en Thebes.
raine. Ainfi mefme en print à Venife , apres a
uoir conquis la plufgrand part de l'Italie plus
par fineffe & argent que par armes. Le premier
coup qu'elle vint à efprouuer fes forces perdit
tout en vne iournee .Ie croirois bien qu'à faire
vne Republique pour durer long temps , le
mieux feroit de l'ordonner dedans à la mode de
Sparte, & de l'affeoir come Venife , en lieu fort
& imprenable de la nature . Auffi faudroit il la
garder de croiftre fi grande qu'elle feift paour à
les voyfins . Car ce font les deux caufes ordinai
C
DISC. DE NIC. MACCHIA.
res qui meuuent à faire guerre à vne ville , ou
pour la rendre voftre ou pour la preuenir de
doubte que vous auez qu'elle ne vous vienne
battre à quoy par ces deux moyens on trouue
remede.Si elle eft bien affife & deffenfable l'on
n'entreprendra pas volontiers de l'affieger, & fi
on la void contente de ce qu'elle a fans ſe ruer
fur les marches d'autruy & fans grandement
élargir fes fins, on ne luy menera ia guerre pour
crainte qu'on ait d'elle. Parquoy feroit bon que
par ces loix mefmes , tel accroiffement luy fut
expreffémét interdict. Ie croy que qui pourroit
ainfi tenir la balance , la ville feroit au droict
chemin de mener en repos vraye vie politique.
Mais puis qu'ainfi eft que les chofes du monde
ne font iamais en vn eftat & arreft, ains mōtent
toufiours ou deuallent, & que beaucoup de cas
que par raifon l'on ne feroit , neceflité les faict
faire, tellement que qui auroit fondé vne Repu
blique pour le tenir toufiours en fon eftre fans
fe deborner, fi par cas force luy eftoit de croi
ftre & ropre fon ordonance,incótinent verriez
fes fondemens aller par terre . D'autre cofté fi
aucune auoit le ciel tant fauorable qu'on la laif
faft en paix fans tien luy demander , elle vien
droit à eftre oyfiue & lafche & fe feroit la guer
re elle mefme par faute d'autre : & feroit affez
de l'vn de fes inconueniens à deftruyre & per
dre entierement vne Republique . Parquoy vcu
que cefte chofe à mon aduis ne fe peut bonne
ment balancer & tenir moyen , le meilleur eft
SVR LA I, DECA. DE TIT. LI.. 18
en fondant vne ville , de la difpofer & tirer au
de plushonnorable, qui eft de l'ordonner en forte
nne que quand befoing luy feroit de famplifier &
uuc agrandir, elle fuft fuffifante pour bien garder ce
l'on qu'elle auroit conquis . Or pour retourner à mo
h propos, ic péfe qu'il fault fuyure l'ordre de Ro
응용
등용
부님
동물

uer me pluftoft que des autres,puis qu'il n'eft pofli






ent 1 ble à l'homme de demeurer droict au milicu


our fans aller n'auant n'arriere : Et quant aux con

que " trarierez du Peuple & du Senat il nous les faut


fut fouffrir comme vn mal neceffaire , fans lequel
oit on ne pourroit paruenir à degré d'Empire. Au.
oict quel toutesfois on remediera le mieux que l'on
que. pourra, en eſtabliffant Tribuns & autres gardes
nde deliberté auec auctorité d'accufer vn chafcun,
cent ou autres telz remedes conuenables.
cas
Faict
pu Commeles accufationsfont neceffaires en une
ans
Republique pour entretenirfa liberté.
oi
icz Chapitre VII.

it A plus propre & pertinente au


1 torité qu'on peuft bailler à ceux
-- qui ont la liberté en garde , c'eft
z de leur donner permiffion d'ac
cuferpar deuant le Peuple , gens
น de cofeil , ou aurres perfonnes de iudicature, les
citoyés de la ville qui cómettrot aucun cas pre
A iudiciable à la police. Cefte loy fait deux grands
Cij
DISC DE NIC. MACCHIA.
biens à vne Republique, l'vn que l'on n'ofe rien
faire ny attenter de paour d'eftre accufé , & fi
quelqu'vn eft furpris en defarroy, par là il eft in
continent chaftié. Le fecód, que c'eft vn moyen
trouué pour vuider les mefchates humeurs qui
famaffent es membres de la cité,fans lequel elle
prendroiét leurs cours ailleurs par voye extra
ordinaire &perilleufe,affez pour mettre fouué
tesfois vne bonne ville en ruine : & n'y a rien
meilleur à fouftenir vne Republique que ba
ftir vn tel conduit pour donner cours & yffuë à
ces venins mortelz , lefquels toufiours naiffent
par l'imperfection des hommes . Ce qui eft ayſe
à comprendre de diuers exemples,mefmement
Coriolan. de Coriolan que Tite Liue racompte:la noblef
fe (dit il) eftoit mal animee contre le menu Peu
ple, & enuieufe de la grande auctorité qu'il a
uoit par la creation des Tribuns, lefquelz le de
fendoient vifuement & remparoient encontre
tous . Or vne annee fut que par fortune y eut à
Rome merueilleufe cherté de viures tant que
pour recouurer du grain le Senat enuoya gens
en Sicile . Coriolan adonc qui eftoit ennemy
formel de la commune, confeilla aux Senateurs
de prendre le téps qui foffroit fi à propos pour
bien chaftier le Peuple & luy abatre l'orgueil
où il commençoit à monter à leur dam . Que
pour bien faire , il ne luy falloit point depar
tir de fromét ains le laiffer mourir de faim. Ce
fte nouuelle vint iufques aux oreilles du Peuple
qui en conceut telle rancune contre Coriolan

1
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 19
que peu f'en fault qu'il ne l'affomma à la fortie
du Senat: Et l'euft faict certainement fans les
Tribuns qui fe meirent entre deux , & appai
ferent la noiſe , en decernant fur l'heure contre
luy adiournement perfonnel au premier iour
pour venir dire fes defenfes . En quoy fe peut
noter combie valut lors à Rome d'auoir moyen
ainfi ordonné pour degorger la colere du Peu
ple , lequel eft caufe d'empefcher les defordres
que violéce ameine & toute voye extraordinai
re. Car qu'vn homme(quel qu'il foit ) vienne à
eftre executé droict & par ordre, voire à tort,il
n'en enfuyt iamais trouble n'inconuenient e
ftrange . La raifon eft qu'il n'y a point en celà
de force de dedans ou dehors , lefquelles font
maladies peftilentieufes de la vie ciuile & fran
che : l'on n'y vfe que de force & ordre public
reiglé & compaffé en maniere, que iamais il ne
fe defborde que la Republique en puiſſe dan
ger encourir . Or quant aux exemples anciens
celuy de Coriolan nous doibt fuffire pour tous,
Sur lequel penfons vn peu la grand playe que
Rome euft receue fi ce perfonnage euft efté fi
vilainemét meurdry & mis en pieces par la fu
reur du peuple. Car par fa mort fe fuflent com
batuz les particuliers contre particuliers,les pa
rents de l'occis contre ceux de l'homicide,de ce
fuffent tombez en perpetuelle deffiance les vns
des autres , & pour faffeurer fe fuflent garniz
de partifans & amys:De là cuft efté toute la vil
le partie & bandee , finablement deftruicte &
Ciij
DISC . DE NIC . MACCHIA.
defolee. Mais en canduifant l'affaire par auto
rité publique , on obuia à tous les maux qui
fuffent enfuyuiz fi la commune incenſee ſe fuft
faict droit par fes mains , Venos à noftre teps,
F.Valor qu'en aduint il à Florence lors que Françoys
'go
goun Valor y gouuernoit , il faifoit tout en Prince, &
neur de tant en feit qu'il acquift la malle grace des grás
Florence. & des petits , & donna occafion de penfer de
luy qu'il vouloit en effect eftre feigneur de la
ville; de rompre fes deffeings &aller au deuant)
de fa malheureufe entreprinfe , la loy du pays
n'en dōnoit nul moyen . Ce qu'il conneut bien
& qu'o ne le pourroit empefcher que par voyes.
extraordinaires . Si fe pouruçut d'amys de bon
ne heure tant qu'il n'auoit caufe de plus crain
dre fes aduerfaires . Quant à eux ils n'en feirent
pas moins ,voyans que par juftice il ne luy pou
uoient refifter, coururent aux armes les vns &
les autres , & où la mort d'vn ou deux cuft mis
fin à la noife fi la loy y euft doné ordre, la guer
re ciuile qui en fourdity feit vne trefcruelle &
horrible boucherie.Vn pareil cas aduint à Flo
Pierre Se- tence mcíme par le Seigneur Pierre Soderin,le
derin. quel feftoit cleué fi hault fur les autres & tant ,
entreprenoit qu'on n'en pouuoit plus endurer, 1
1
Mais quel remedeton n'auoit point la loy ne de
couftume pour dreffer vne bonne accufation
contre homme d'auctorité & de credit : Il y a
uoit en la ville en tout dix iuges de compte fait,
ce n'eft pas affez pour tenir rigueur de droict &
roide & ferme iuftice contre tous. Il faut qu'en

¦
1
SVR LA I. DECA , DE TIT. LI. 20
bonne ville les iuges foient en nombre , car t'ils
font peu,ils feront comme peu petite befongne
& feront plus ayfez à gaigner & corrompre
que fils eftoient beaucoup.Or fi à Florence ce
fte loy d'accufation cuft regné , ceux de la villo
voyans fon mauuais gouuernement l'euffent in
continent accufé & rengé à la raiſon , fans faire
venir les Espagnolz qui gafferent tout . Ainfi
euffent dechargé leur cueur contre luy , & au
cas qu'il n'euft mefpris n'y offencé , nul n'cuſt
efté fi hardy de l'accufer de paour d'eftre ac
cufé & reprins luy mefmes . Parquoy nous
pouuons conclure que quand vne cité diui
fee , eft contraincte de recourir aux eftrangers
& à leurs armes pour le fecours & fouftien d'v
ne des parties, ce n'eft que faulte de bonne or
donnáce qui leur ayderoit à vuyder leurs mau
uaifes humeurs faucunes en auoient , fans qui
leur falut chercher remede ailleurs . C'eſt, fom
nie toute,faulte d'accufation,faulte de nombre,
competant de iuges , faulte de iuftice bien re
commandce . Parquoy cecy eftoit à Rome pra
tiqué & gardé au poffible, &fut caufe que quel
que defordre & debat qu'il y cuft entre le peu
ple & le Senat , ou quelque citoyen mutin , 1a
mais on ne fe mefla d'appeller gens de dehors
au fecours, pour ce qu'o auoit les remedes tous
quiz en la ville . Tite Liue qui nous l'a apriz par
l'hiftoire de Coriolan le remet en memoire en
la fortune de Chiufe ( qui lors eftoit la princi- Chinfe.
palle ville d'Hetruric. ) En laquelle Lucumon
Cij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
perfonnage puiffant d'auoir & d'amys força la
foeur d'Aruns, & fut contraint Aruns comme le
plus foyble & depourueu en ce de tout reme
de de iuftice,de reclamer les Gaulois à fon ay
de , lefquelz tenoient alors le païs que l'on ap
pelle à prefent Lombardie : & tant feit qu'il les
pratiqua & induict fous efperance de gros bu
tin à venir à Chiufe à main armee , pour le ven
ger du tort &outrage qu'on luy auoit faict.Qui
en fut caufe finon le mauuais ordre de celle ci
té , où l'on n'auoit aucun moyen de garder fon
bon droict fil eftoit foullé, ou il falloit amener
la force des Barbares & eftrangers .

Que les calomnies font autant de mal en vne


ville que les accufationsy font debien.
Chapitre VIII.

Ais quant au lieu d'accufations iu


ftes on vient à vfer de faulfes ca
lomnies, c'eſt chofe fort dangereu
fe fi par bonne & feuere iuftice il
M
n'y eft remedié à temps.
Tite Liue en eft bon tefmoing lequel nous
mect deuant les yeux la noble vertu de Furius
F. Camille Camillus , & la haulte prouëffe &vray zelle qu'il
monftra à l'encontre des Gaulois , lefquelz il
chaffa de Rome & defconfit.
Par laquelle obligation il rendit toute la ville
tant fienne , que grands & petits luy portoient
obciffance & nul de quelque qualité qu'il fuſt.
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 21
n'eftimoit fe faire deshonneur en luy faifant
honneurs, voire les plus hauts montez, d'autant
que plus ils f'humilioient enuers luy , penfoient
mieux en tenir leur grauité , vn feul fe trouua
entre tant de gens nommé Manlius Capitolin,
qui la chofe ne plaifoit trop, & creuoit d'en
uie de fe veoir mis derriere, & Camille quafi a
doré : combien qu'il n'euft fait chofe (fe luy
fembloit ) qui deuft par lumiere & fplendeur
extreme obfcurcir la renommee de fes faits .S'il
a (difoit il)fauué Rome, que deuenoit elle fi ie
n'euffe deffendu le Capitole? Auffi bien me doit
Rome fa vie qu'à luy : neantmoins elle ne me
rend pas (l'ingrate) femblable recompenfe, fil
eft preux, fil eft vaillant cheualier , on cognoit
affez quel ie fuis , & ne luy cede en rien de for
ce & hardieffe. Par ces raifons forcenoit Man
lius, & en fin fe defpita fibien que pour execu
ter fon maling courage , il fe meit à feduire le
peuple , & femer groffes parolles de Camille:
car de le mettre en la malegrace des Peres con
ſcriptz & du Senat , il voyoit qu'il n'y auoit or
dre. Or entre autres propos , difoit à l'vn & à
l'autre, que le grand threfor qu'on auoit leué &
amaffé pour payer aux Gaulois la rançon de Rançon de
Rome,que certainement il ne leur auoit efté li- Rome aux
uré : mais qu'aucuns de la ville en auoient tres- Gaulois,
bien remply leurs bouges: qui le faloit r'auoir &
ferrer és coffres publicques pour fen feruir au
befoing & foulager le pauure peuple d'autant,
voire pour en fecourir ceux que les debtes a
DISC. DE NIC. MACCHIA.
uoientreduitz en extreme mifere.Telz fermons
furent bien recueillis par ce peuple diuers &
volontaire , lequel commença à le fuiure , hon
norer, accompagner, à tempefter par fon con
feil, & efmouuoir grand noife. Le Senat voyant
Manlius que le cas cftoit d'importance, & que Manlius,
Capitolin. qui le laifferoit faire , pourroit à la longue eftre
caufe de grand defordre. Soubdain il crea vn
dictateur pour cognoiftre du cas, & pour rem
barrer vifuement ce dangereux mutin : le dicta
teur l'adiourne incontinent , & fe trouue en la
place où le monde eftoit aſſemblé pour veoir
lyffue du iugement , & marchoit accompagné
de toute la nobleffe. Bien toft apres y arriua
Manlius enuironné de fa feditieufe trouppe, &
pour eftre plus feurement fe fourre tout au mi
lieu d'icelle, comme il veoit le dictateur eftre de
toute parts muny & remparé de fes Senateurs.
Le dictateur fe print à luy demáder que c'eftoit
qu'il vouloit dire du threfor, & qui il entendoit
charger,que fil le declairoit, il feroit aufli grád
plaifir au Senat qu'au peuple , & qu'il n'auoit
moindre enuie de lefcauoir. Alors ne fceut Má.
lius que dire , rien ne refpondit cathegorique
ment mais en efchappant luy dit qu'il n'eſtoit
befoing de leur defcouurir tout ce qu'on fca
uoit. De cefte refponfe fi fiere & arrogante, le
Dictateur irrité,commanda quefur l'heure fuft
mené en prifon,ainfi qu'on feift. De ce cas peut
on comprendre combien nuifent en toutes re
publiques les calomnics abominables, & com
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 22
me on ne doit rien efpargner qui puiffe feruir
à les abolir & confondre. Le meilleur que i'y
trouue, c'eft de donner lieu aux accufations, qui
feront autant de bien, que les calomnies de mal.
La difference d'entre les deux gift en plufieurs Difference
chofes . A calomnier il ne faut point de tel- entre l'ac
moings, ny d'autre preuue quelconque, chacun cufatio,
peut eftre calomnié d'vn chacun : l'accufation la calonie.
requiert informations , argumens & coniectu
res dufaict vrayes , à tout le moins vray-fem
blables. L'on accufe les gens par deuant le peu
ple, ou quelque iuge, court, ou confeil. L'on ca
lomnie par cy, par là , és rues, és maiſons, & les
villes qui moins pratiquét la voye d'accufation,
& qui font moins difpofees à la receuoir,y font
les plus fubiettes. Parquoy mefemble que celuy
qui fonde vne ville y deuroit ordonner qu'il
fuft loifible à tous d'accufer qui bon leur fem
bleroit , fans aucune contrainte ne danger : &
celà faict , faudroit en fecond lieu punir tres a
prement les faux calomniateurs , lefquels n'au
ront raifon de fe plaindre , veu qu'il leur eftoit
permis d'accufer fils vouloient à pur & à plain
ceux qu'ils ont comme traiftres ainfi defcriez
en derriere. Sans ces deux poincts vne cité ne
peut auoir paix ne repos , car les calomnies ne
corrigent pas les malfaicteurs, pluſtoſt les inci
tent à pis faire:auffi ne craignét ils tant ce qu'on
dit d'eux , qu'ils hayent ceux qui en ont parlé:
en effect fouuent ils le veulent venger, & à ce
fte fin affemblent leur pouuoir, & fe fortifient,
DISC. DE NIC. MACCHIA.
dont enfuiuent maintes efmeures & feditions
perilleuses.Or eftoit ce cas treſbien ordonné &
gardé à Rome, tres mal en noftre ville de Flo
rence.Auffi en a elle beaucoup fouffert: & com
me l'on peut veoir par fon hiftoire,tous les gens
de forte qu'elle a employez és affaires , en ont
efté vexez & perfecutez grandement : de l'vn
on difoit qu'il auoit fait la main, & conuerti à
fon proufit les deniers communs: de l'autre, que
auarice auoit furmonté fa loyauté , tant qu'à
beaux deniers contens il auoit vendu les fiens:
laiffé perdre la iournee : failli à prendre cha
fteau ou ville d'affaut : d'vn autre , que par fa
gloire & ambition eftoit aduenu tel & tel in
conuenient. De là fourdoient haines & inimi
tiez de toutes parts : des inimitiez, diuifions: des
diuifions,bandes & partialitez, & en fin deftru
&tion & ruine. Ce qui ne fut iamais aduenu fil
y cuft cu moyen d'accufer les delinquans , &
chaftier les calomniateurs . Car fils euffent efté
condamnez ou abfouz ils n'euffent fceu faire
tort ne dommage notable à la cité , & fi n'euf
fent tant couru les accufations que les calom
nies , d'autant qu'il n'eft pas fiaife de faire l'vn
que l'autre. Vray eft que ce moyen malheureux
en a fait plufieurs paruenir à grands biens, pour
auoir tenu bon contre quelque perfonnage de
haut pouuoir , qu'ils voyoient n'eftre pas bien
voulu de tout le monde. Ils falloient renger du
cofté du peuple , & l'entretenoient en la mau
uaife opinion qu'ils auoient de luy. Et à l'occas
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 23
fion de ce acqueroiét force amitiez & cognoif
fances du commun. Les hiftoires font pleines
de ce que ie dy. Mais fera affez pour ce coup
d'en amener vn exemple. M.Iean Guicciardin Guicciar
fut vn temps Lieutenant general de Florence din.
au fiege de Luques , là où par fortune, ou par
faute de bonne conduite il ne feit rien : quoy
que foit , il en fut fort murmuré contre luy , &
difoit on en commun bruit , qu'il auoit touché
deniers pour fi bien exploiter. Ces ennemis
poufferent à la rouë , & menerent tellement
l'affaire, qu'il en vint iufques au deſeſpoir. Rien
ne luy feruit l'offre qu'il feift de fe mettre entre
les mains du capitaine pour eftre ouy en fes iu
ftifications, car en la ville n'y auoit ordre de le
pouuoir faire , & fes amis lefquelz eftoient en
grand nombre,& des plus puiffans de Florence
en prindrent la querelle , mais ils n'en fccurent
venir à bout: tant y a toufiours de gens de per
uerfe nature, qui ne demandét que tout brouil
ler,mefler & confondre.Beaucoup de telles ca
lomnies dréffees puis à l'vn, puis à l'autre mirët
finablement toute la pauure Republique en pi
teufe defolation. Manlius eftoit dóc calomnia
teur,& non accufateur: en fon endroit monftre
rent bien les Romains en quelle forte telles gés
fe doiuent traiter , c'eſt à fcauoir, qu'il les faut
punir grieuement, fi le cas y efchet : & les con
traindre detourner leur calomnie en droite ac
cufation , & fi par l'yffue du iugement elle fe
trouuoit vraye,les remunerer largement.
DISC . DE NIC. MACCHIA.
Comme il conuient qu'vn hommefoit ſeul à ordon
ner vne cité nouuelle ou à la reformer tout
de neufautrement qu'elle n'eftoit.

chapitre IX.

L femblera parauenture à quel


qu'vn que ie fois entré trop a
uant en l'hiftoire Romaine , fans
faire mention aucune de fes fon
dateurs , ne de l'ordre qu'elle te
noit tant au faict de religion que de
Maintenant ie ne tiendray plus les efprit guerre.
s fuf
pends, & penferay de fatisfaire au defir de ceux
qui en veulent entendre. Le premier poinct qui
foffre à defchiffrer , c'eft le mauuais exemple
Romulus qu'on dira que Romulus donna à fon peuple
tua Remus dés le commencement de fon regne quand il
fon frere. tua Remus fon frere, & encores depuis fut con
T.Tatius fentant de la mort de Titus Tatius Sabinus , a
Sabin. uec lequel il auoit party le Royaume : & fem
bleroit qu'il euft tres mal procedé d'apprendre
à fes fubiets d'entree à vouloit maiftrifer , &
n'endurer (comme ils doiuent) de ceux qui par
raifon ne leur voudroient accorder & fouffrir
toutes leurs complexions & volontez. Quant
à moy ie ferois bien d'opinion que telz actes .
n'eftoient bons , à les prendre fimplement, mais
qu'il faut regarder à quelle fin il le faifoit. Car
c'eft vne maxime generale & certaine, qu'il n'eft
pas poffible de bien commencer vne Republi
SVR LA F. DECA . DE TIT. LT. 24
que, ne d'y mettre entierement nouuelle poli
ce,fily a plus d'vn entrepreneur qui fen meſ
le. Il faut qu'il n'y ait qu'vne perfonne , & vn
feul efprit àtout faire, reigler & difpofer. A ce
fte caufe le fondateur qui aura le cueur bon, qui
ne tendra à fes fins , mais au proufit & vtilité
de fa Republique : qui ne fongera à efleuerfoy
& fa maiſon, mais fon Royaume feulement , il
tafchera (fil eft fage ) de gaigner l'autorité to
tale , & ne fera digne de reprehenfion aucune,
fil fait quelque exploit extr'ordinaire pour y
paruenir. C'est bien raifon que fi pour ce re- selon les
gard il eftoit accufable , que par l'effect qui en Geilz
fortiroit il fuft excufable, i'entens fi l'effect en la raison
eftoit bon , & tel que celuy de Romulus : cat humaine.
la violence , qui tout gafte & deftruit, eft gran
dement à reprendre , non pas celle qui tend à
mieux renger les chofes & remettre fus. Auffi
doit il prendre garde que cefte puiffance con
quife par la vertu,ne deuienne heritage d'vn au
tre, lequel abuferoit le plus fouuent de ce dont
il auroit honneftement vfé . Telle est l'imperfe
ction naturelle des hommes. Au furplus vn feul
homme fuffiroit bien à faire telle chofe , que
toutesfois il ne pourroit tout feul longuement
porter fur les efpaules , & ce qui luy peferoit
trop, ne monteroit gueres à beaucoup de gens,
fi la charge leur eftoit diuifee . Plufieurs ne con
uiendroient iamais quant à baftir ordonnance
de ville, pour la diuerfité d'opinions qui fe trou
ueroit entre eux fur ce qui feroit à faire ou non.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Mais quand par le moyen d'vn feul ils auront
eu la cognoiffance de ce qu'il leur eft duifant,
on n'a garde apres de leur arracher des poings,
la diuerfité mefme fera caufe qu'ils ne faccor
deront facilement à lafcher ce qu'ils aurot pris.
Quit eft de Romulus,à fcauoir fil eft du nom
bre de ceux qui meritent excufe en ce cas , & fi
ce fut par zele qu'il euft au bien public , & non
par ambition qu'il commit ces meurdres &
violences affez le monftra il apres le coup
quand il eftablit vn Senat par lequel il fe con
feilloit en tous les affaires , & auquel il laiffa la
deliberation de la guerre & de la paix, ſe refer
uant feulement l'autorité d'aflembler le Senat
quand bon luy fembleroit, & l'ordonnance &
difpofition du camp & de la bataille . Nous
ne pouuons auoir meilleur tefmoignage de fon
affection Royale & non tyrannique , que par
le bon ordre qu'il meit en la cité , que depuis
on ne changea en rien quand elle fut deliuree
de la feruitude des Tarquins , & qu'elle ſe vou
lut mettre en plaine franchiſe ; au moins n'y
euft il autre changement , finon qu'au lieu d'vn
Roy perpetuel , furent fubroguez deux Con
fuls annuelz. Ie pourrois à ce propos alleguer
Moyfe. infinis exemples que chacun fcait de Moyfe,
Ligurge. Ligurge , Solon & autres fondateurs de Roy
Solon. aumes & Republiques , lefquelz le faifirent
d'auctorité abfolue & entiere pour mieux for
mer & eftablir leur nouuelle police : i'en ra
compteray feulement vn d'Agis Roy de Sparte,
Icquel
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI.
25
lequel n'eft pas commun , & eft fort beau pour
ceux qui voudroient reigler & façonner vne ci
té à leur guife. Ce Roy que ie vous dy, cognoif
fant la vertu ancienne des Lacedemoniens eftre
faillie , & confequemment leur force & Empi
re grandement diminué , penfa que le remede
eftoit de les reformer & reduire à leurs pre
miers ordres de Ligurge, defquelz ilz feftoient
trop foruoyez,efgarez, & mis hors du droit che
min. Les Ephores non contens de ce , le maf- Ephores.
facrerent fur l'appareil de cefte entreprinse , di
fant qu'il ne tendoit à autre but qu'à tyrannie.
Depuis Cleomenes luy fucceda à la couronne, Cleomenes.
lequel n'eut moindre enuie à la befongne que
luy : Il trouua les papiers & memoires d'Agis,
par lefquelz il entendit fon proiect & fa fanta
he , & cogneut qu'il auoit failli d'entreprendre
vn tel cas auant que feftre mis en poffeffion pai
fible de toute la puiffance de Sparte , & qu'il
ne fcauoit pas de quelle importance eftoit la
tefiftence de peu de gens au pourchas du bien
de tous. Si proceda autrement que fon prede.
ceffeur, tua les Ephores , & tous ceux qui luy
pouuoient contredire , reftaura & remit fus à
fon aife les vielles loix de Ligurge : dequoy il
euft acquis grand renommee , voire autant ou
plus que Ligurge mefme,& euft reffufcité Spar
te lors demy morte,fans la malheureuſe defcen
te des Macedoniens , defquelz il ne luy fur pof
fible fouftenir la fureur : fa force feule eftoit
trop foible, & fine peut auoir fecours des au
D
DISC. DE NIC. MACCHIA.
tres villes de Grece Si fut vaincu (dont fut grád
dommage ) & ainfi ces beaux deffeings furent
rompus. Il faut doncques fe refouldre , qu'il
conuient qu'vn homme foit feul pour bien or
donner vne Republicque, & que Romulus me
rite plus de louange que de deshonneur , &
blafme de la mort de Remus & de Tatius.

Autant quefont loüables lesfondateurs des R.pn


blicques & Royaumes, autant eftre àblaf
merceux de la tyrannie,

Chapitre X.

N l'hiftoire Grecque, Latine,Bar


bare quelle qu'elle foit,les Roys,
Princes , Cheualiers . Seigneurs,
Dames,y trouuét leur image ver
tueule ou vicieufe pourtraite au
vif, fans qu'il y en ait vn feul traict perdu. Ce
feroit bien fait à eux filz prenoient autant de
peine à f'y regarder fouuent ( pour cognoistre,
tant les dons & graces, que les taches & feingz
de leur arme immortelle ) comme ilz font à ſe
mirer & pater curieufement leurs beautez cor
porelles qui li toft paffent. En ce beau miroir
pirituel plus cler & pur que criftal, ilz verroiét
à l'œil tout ce qui doit eftre iugé bel ou laid,ilz
y verroient les premiers en perfection ceux qui
ont mis la religion au monde , & les plus beaux
apres , ceux qui ont crcé & fondé les Republi I
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 26
ques & Royaumes les preux & vaillans capitai
nes marcher les troisièmes , lefquelz ont mis à
fin les hautes conqueftes , ou en leur nom , ou
facquittant de leur charge : de pres fuiure ceux
qui ont employé leurs vies en la connoillance
des lettres& profonde contemplation de na
ture & de fes fecretz : Finablemét faire la queuë
( qui eft la plus efpeffe ) ceux qui ont gaigné
quelque loz en leur meftier ou vacation. Puis
comme en toutes les bendes y adiuers licux &
degrez d'honneur , felon que chacun a plus ou
moinsrmerit
miroi é parla vertu . En l'autre conté du
ilz liroient en parei l ordre les detefta
blesennemis de lafoy, les cruelz tyrans & pil

lards de villes & païs , les mortelz perfecuteurs


de tous les artz & fciences qui font de quelque
proufit à la vie humaine Quiconque fe mettra
regarder ce miroir artificiel , tant à l'endroit
qu'à l'enuers, il ne fcauroit eftre fi fol ne fi oul
defef
tré &nder
dema peré en fon vice , que quand on luy
alaque lle des deux fortes de vie ilay
meroitmieux, qu'il ne
refponde celle qui eft là
dedanslouce, prife & honn
e oree , & qu'il ne
trouuemauuaife l'aurre qui y eft cond
amnce &
abomince
. Toutesfois il connoiftra quand il
fautentrerau ieu qu'on fabufe à la couleur &

monftre du mal , qui pafle fouuentesfois pour


bien,etant
tomb que de bon gré ou par fimpleffe on
en lacomp agnie de ceux qu'en faifant
jugement on reiettoit
& blafmoit : voire que
ainfi ont fait iadis ceux qui au lieu de fonder

Dij
DISC. DE NIC. MACCHIA .
quelque grand & magnifique Royaume, ſe ſont
adonnez à tyrannie , perdans honneur & gloi
re perpetuelle , perdans repos affeuré , perdans,
vn contentement d'efprit ineftimable,pour gai
gner honte, reproche, infamie , peril & mefaife
fans fin.le croy que les Princes & les priuez qui
liroient diligemment les anciennes hiftoires, &
en feroient eftat,en y voyant le loyer de la bon
ne vie , auroient plus cher filz eftoient priuez
de viure en leurs païs comme Scipions, que có
Bons prin- mé Celars: & filz eftoient Princes,mieux aime
ces . roient reffembler Agefilaus, Timoleon, Dion:

Tyrans. que Nabis, Phalaris, & Dionyfius. Là ilz pour


roient entendre comme le monde d'vn accord
adoroit les gés de vertu non plus ne moins que
dieux , & d'vne voix chantoient leurs loüan
ges: que des autres il alloit tout au rebours: voi
re que Timoleon , & tous les bons n'eftoient
moins crainetz & obeys , que Dionyfius & fes
femblables, & fi viuoient en plus grande confo
1
lation & feureté de leurs perfonnes.Iefcay bien
que beaucoup eny a que la haute renommee de
Cefar abufe,pource que les hiftoriens l'ont tant
orné,doré & magnifié. C'eft fon heureuſe for
tune qui les a ainfi trompez & aueuglez , puis
le long Empire , lequel a flori foubz fon nom,
les a tenus en crainte, & gardé de dire ce qu'ilz
en penfoient. Mais pour cognoiftre ce qu'ilz
en euffent dit , fils l'euffent peu faire bonne 1
ment , il ne faut que veoir ce que franchement
ont tous efcrit de Catilina. Encores Cefar vaut
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 27
beaucoup pis que luy , veu qu'il a fait & accom
ply ce que l'autre a feulement voulu faire. Fi
nablement pour deſcouurir ce qui en eft, il faut
aduifer quel bien difent de Brutus les efcriuans
de ce temps là , affez declarent (ce mefemble)
en loüant & mettant fi haut fon ennemy , que
fans la puiffance de Cefar qu'ilz redoutoient,
ilz l'euffent accouftré de toutes façons . Voilà
donc les confiderations qui concernent les per
fonnes priuees.Or quant à ceux que fortune ou
vertu ont affis au fiege Royal, ilz auront à pren
dre garde en l'hiſtoire de Rome depuis qu'elle
cheut en Empire , quel honneur , quelle felici
té les bons Empereurs curent plus que les au
tres, lefquelz foubmeirent leur fceptre & maie
fté au commandement de la loy , comme Ti- Bons Em
tus,Nerua,Traianus,Adrianus, Antonius,Mar- pereurs.
cus : ilz n'auoient que faire de garde ordinaire
de leurs corps (qu'on appelloit Pretoriane ) ne
de tant de legions toufiours campees & appa
reillees pour leurs deffenſes : affez eftoient def
fendus par leur prud'hommie & bonté , & par
la vraye amour que leur portoit le peuple & le
Senat : comme au contraire Caligula, Nero,Vi
telius , & tous les autres Empereurs de leur li
gue, ne fceurent iamais auecques leurs armees
orientales & occidentales fe fauuer des enne
mis,que leurs meurs execrables leur fufciterent.
Le difcours de cefte feule hiftoire ( qui bien la
goufteroit ) fuffiroit à vn Prince pour tout en
feignement de vraye gloire, de miferable infa
Diij
DISC . DE NIC. MACCHIA.
mic , d'affeurance certaine , de vie craintiue &
foufpeçonneufe. Car il verroit que de vingt &
fix Empereurs qui regnerent depuis Cefar iuf
ques à Maximinus , les feize furent occis , dix y
en euft feulement qui moururent de leur pro
pre mort. Et fi d'auenture fen trouua quelque
bon du nombre des occis , comme Galba &

Pertinax : filz ne furent tuez pour leurs fautes,
croyez que le mauuais train que leurs prede
ceffeurs auoient apprins aux foldats pretorians
fut ce qui les tua : & fil y en euft quelque mef
chant entre ceux qui moururent de mort natu
relle, comme Seuerus, dites que vertu & fortu
ne , lefquelles enfemble ne fe voyent gueres és
hommes , fe rencontrerent en eux & les fauue
ront. D'auantage il apprendroit pat la lecture
de fes mefines annales , fur quelz piliers il faut
affeoir vn Royaume pour le rendre durable &
eternel , & comine fil le fait hereditaire , il le
pert & deffaict : auffi que de ceux qui y font ve
nus parfucceffion, nul ne fe gouuerna bien que
Titus : que tous les fucceffeurs adoptifz regne
rent en tres bonne iuftice , comme les cinq qui
furent depuis Nerua iufques à Marcus . Def
quelz il conferera le regne , auec celuy des au
tres qui furent deuant & apres , & viendra là
deffus à confulter en luymefmes , auquel temps
des deux il cuft mieux aymé eftre né , ou auoir
regné .Car d'vn cofté il verra le Prince entre les }
T
fiens viure affeuré entre affeurez , le mode plein
de paix , equité & droiture , le Senat en fon au

I
SVR IA I. DECA. DE TIT. 11. 28
&orité,les officiers en leurs honneurs, les riches
citoyens à melmes leurs richeffes , la nobleffe
& vertu haut exaucee, aiſe par tout,bien & re
pos, toute rancune, licence, corruption, anibi
tion chaffee & eftainte , liberté à chacun de te
nir telle opinion qu'il vouloit. Brief, il verra
l'aage doré reuenu , le monde triompher plein
de toute bonté & reuerence ,le Monarque de
gloire, fes peuples d'amour & obeillance . Et fil
Farrefte à regarder vn peu le temps des pervers
Empereurs ,il ne lira qu'inhumanitez de guer.
res , feditions & troubles en paix , iniuftices &
cruautez en tous les deux, tant de Princes mis à
Pefpee, tát de difcordes ciuiles & domeftiques,
tant de foraines , l'Italie exillee & defolee par
fortunes fur fortunes , fes villes rafees & facca
gees.Lors il verra (fil a le cucur) Rome , Rome
Bruflee & arfe, le noble Capitole demoli par les
fiens mefmes , les Eglifes abbatues , les cerimo
nies abolies , les villes remplies d'adulteres , la
mer de banniffemens , les durs rochers rouges
de fang humain : brief, il verra Rome non plus
Rome, ains vne efpouuentable boucherie de
pauures citoyens innocens , aufquelz nobleffe,
richeffes , honneurs , & fur tout vertu & bonté
eftoit comptee pour cas pendable. Il contem
plera les gros falaires des accufateurs , les ferfz
traiftres à leurs maiftres , les libertz à leurs pa
trons,ceux qui n'auoient point d'ennemis eftre
perfecutez par leurs propres amis. Par tel dif
cours il entendra combien Rome, l'Italie, & le
Dij
DISC. DE NIC, MACCHIA.
monde vniuerfel eft tenu à ce gentil Cefar de
quil'on parle tant : & lors,fil eft homme,fuir à
l'exemple de luy & de fes femblables , & fen
3 flambera d'vn ardent defir d'enfuiure la trace
des bons, & au cas qu'vne ville luy efcheut à re
former & remettre en ordre, il en prendra l'oc
cafion comme enuoiee du ciel pour fon immor
telle loüange , & ne l'acheuera pas de paindro
comme Cefar , mais la releuera & r'habillera
comme Romulus , confiderant en fomme qu'il
a à prendre par neceffité de deux voyes I'vne:
ou celle qui tient les Princes heureux en leur
vie, & apres la mort les rend renommez & ca
nonizez en eternelle memoire , ou celle qui ne
leur liure que peine, angoiffe, mifere, & la hay
ne du monde tant qu'il eft grand & durable.
Quant eft des capitaines, fimples foudars, gens
de lettre , menuz artifans , filz hantoient auffi 1
& vifitoient fongneufement l'hiftoire , chacun I
d'eux y trouueroit affez à qui parler , & fur qui
fe reigler & conformer à bien faire.

De la religion & cerimonie des Romains,

chapitre XI.
I
1
Ombien que Rome cuft eu Romu •
b
lus pour fondateur , à qui elle doit P
comme à pere la vie & fa premie
re nourriture , le ciel iugea que co
n'eftoit pa
pas allez pour elle qu'il deftinoit au
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 29
titre imperial du monde , & qu'il falloit que
comme fortant du lait & de la mammelle, elle
fuft baillee à feurer à vn autre . Parquoy meist
en fantafie au Senat d'elire Numa Pompilius
pour fon fucceffeur , lequel acheueroit ce que
l'autre auoit commencé. Numa qui veid qu'il
auoit affaire àvn peuple rude & rebarbatif, que
il conuenoit adoucir & reduire à ciuilité & hu
manité,& amolir fa tefte dure & martiale: à ce
ſte fin ſe iecta fur la religion , fans laquelle il
luy fembla impoffible de maintenir police en- Entendez
tre les hommes : & y befongna fibien que longgrande en
temps depuis on ne veid republique où l'a- obferuatio
mour &crainte des Dieux fuft fi grande. Ce qui exterieure,
valut beaucoup à Rome pour luy rendre fon
Peuple obeyflant en toutes fes hautes, entre
prinfes . Regardez moy les geftes d'elle , puis
en particulier les faicts de fes citoyens, vous co
gnoiftrez qu'ilz faifoient plus grand confcien
ce la moitié de faucer leur ferment que de con
treuenir à la loy , d'autant qu'ils jugeoient l'of
fenfe de Dieu plus griefue que celle des hom
mes , croyans que fa puiflance paffoit toutes les
puiffances humaines . Confiderez vn peu com
me Scipion & Torquatus fen aiderent apres la
iournee de Cannes , où Annibal defconfit les
Romains : plufieurs des plus gros de Rome e
ftans eftonnez de cefte deffaicte , feftoient af
femblez en certain logis pour deliberer de la
fuitte , & eftoit leur intention d'abandonner
l'Italie , & tranſpotter eux & leurs bagues en
DISC. DE NIC, MACCHIA.
Sicile , dequoy aduerty Scipio , alla ſoubdain
où ils eftoient , entre l'efpee au poing, & leur
faict iurer , voufiffent ou non que pour chofe
qui fuft ils ne laifferoient la ville . Lucius Man
lius le pere de Titus, qui fut depuis par la proëf
fe furnommé Torquatus , auoit eſté adiourné
en cas de crime par Marcus Pomponius tribun
du peuple mais auant que l'affignation ef
cheuft' & le iour du iugement, Titus vint trou
uer Marcus le Tribun , & le poingnart fur la
gorge le coniura par tous fes Dieux qu'il luy
cuft à promettre qu'il fe departiroit de l'accu
fation de fonpere : ce qu'il fift . Ainfi voyons
nous que ceux qui pour l'amour du païs , pour
les defences de iuftice ne vouloient demourer
à Rome, la reuerence de leur ferment (combien
qu'il fuft forcé & contraint ) les y fift tenir.Et le
Tribun pour cefte mefme caufe rompit fon
cueur , ofta la haine qu'il portoit au pere , par
donna au filz l'iniure qu'il luy auoit faire en le
1 menalfant de mort , & ( qui plus eft ) oublia fon
honneur . Le tout pour tenir la foy à Dieu pro
mife ,felon que la religion de Numa leur com
mandoit . Certainement qui bien confiderera
l'hiftoire Romaine , il connoiftra combien fer
uoitcette religion à donner cucur & efperan
ce aux gend'armes , à les renger en bataille, à les
tenir coys au camp , à appailer & accorder le
Peuple, à fouftenir les gens de bien & battre
les mefchans : tellement que fi i'auois à eftre iu
ge lequel de Romulus ou Numa auroit faict
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 30
plus de bien à Rome,Numa l'emporteroir. Car
où la religion eft bien plantee,l'on met ayſe.
ment les armes : mais où elles font feules re
ceuës,religion ne peut bonnement trouuer ac
cés .Or Romulus pour ordonner fa police mi.
litaire & ciuile n'eut que faire de controuuer
vn faux Dieu qui luy donnaft auctorité , ce qui
fut neceffaire à Numa , d'autant qu'il entrepre
noit euure plus difficile que l'autre . Ainfi alla
il faindre qu'il hantoit fecretement auec vne
Nymphe , laquelle luy confeilloit entierement
ce qu'il auoit à faire & à commander àfon peu
ple . Autrement il n'euft iamais feeu de fon au
&
torité feule faire receuoir telle fainteté nou
uelle & inconneuë : & generalement tous ceux
qui ont amené en vn païs fecte & loy extraor
dinaire , ils ont toufiours vfé de cefte couuertu
re diuine , pour rendre leur cas plus venerable
& authentique . Car beaucoup de bonnes cho.
fes qu'vn homme fage connoift eftre relles, tou
tesfois ne les fçauroit il fouuent donner à en.
tědre aux autres par raifons euidentes:parquoy
au lieu de fy empefcher , ils ont leur recours
à Dieu, comme fift Solon, comme Lygurge, co
me plufieurs autres qui tédoient à inefmes fins.
Orle peuple Romain adoroit ce Numa , &
pour la finguliere bonté & prudence luy obeïf
foit en tout ce qu'il vouloit. Il eft bien vray que
il rencontra le temps propre à fes deffeings,
auquel infinies fectes & religions auoient cours
par le monde , & fi trouua gens telz qu'il luy
DISC. DE NIC. MACCHIA.
falloit , gros , lourdz & fimples , efquelz eftoit

ayfe d'imprimer & engrauer toutes façons &


nouuelles guifes . Auiourd'huy qui voudroit
faire de mefme ,faudroit qu'il fift comme l'ima
gier lequel befongne mieux d'vn marbre rude
& non poly que d'vn qui eft defia mal taillé &
efbauché par yn autre . Il faudroit qu'il fadref
faft à gens fauuages , demourás es boys , defertz
ou montaignes, qui ne fçauent ne mal ne bien .
Car auecles fines gens de ville il perdroit fon
fens . Brief c'est mon opinion , que la religion.
Numa. inftituce par Numa fut l'vne des principales
caufes dés la grand felicité de Rome : Car d'el
le vint le bon ordre , le bon ordre fiſt la bonne
fortune , de la bonne fortune procederent les
keureuſes yffues de leurs magnanimes entre
com
prinfes . l'ofe dire que tout ainfi que le
pte que l'on fait de l'honneur diuin , & l'entre
tien de la foy , maintient les republiques en ar
roy , auffi le melpris d'icelle eft caufe de leur
derniere ruine . Car depuis que la crainte de
Dieu faut, il couient par neceffité que le royau
me decheye f'il n'eft fouftenu de la crainte d'vn
roy,voire encores qu'elle y foit, c'est moins que
rien: la vie d'vn Prince eft courte , la vertu perift
quand & quand luy , & la vertu periffant en
traine auec elle la Repub.qui en depédoit : Mais
fi on m'allegue, que la preud'hommie continue
de pere en filz , l'on fçait bien ce qu'on en void
ordinairement, & ce qu'en dit Dante.
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 31
Radé voltédefcendéper li rami Dante.
L'humanaprobitate & questo vuole
Quel che ladaperche da luifichiami.

La bonté& vertu humaine


Par branchage en nous ne deſcend:
Cil qui la donne ne confent
Qu'on la payfe qu'en lafontaine.

Ce n'est doncq' pas le plus fort pour le bien


d'vn Royaume qu'il y ayt vn bon gouuerneur,
mais faut qu'il le laiffe fi bien fondé & ordon
né que fon fondement &bon ordre l'entretien
ne à perpetuité . Vn poinct y a , que le perſon
nage ne fe doibt defcourager fil void que les
gens qu'il a à manier foient fpirituelz & enten
duz,quafi qu'il ne les peuft induyre à nouuelle
police ou creance . Le peuple de Florence n'eft
pas lourdault, auquel toutesfois frere Hierome Hiero.S4
Sauonaruola feit bien à croire qu'il parloit à nonarola.
Dieu: ie ne veux pas icy iuger fil eftoitvray ou
non , auffi ne voudroy ie parler d'vn tel hom
me qu'en tout honneur : bien diray je que dix
mille perfonnes le croyent , fans qu'ils euffent
veu en luy tat de merueilles qu'ils en deuffent
prefumer iufques là : fa vie feule , fa doctrine,la
chaize de verité où il eftoit les mettoit en cefte
opinion . A cefte caufe nul ne doibt defefperer
de pouuoir faire tout ce qui a efté poffible à au
tre: Car comme ie difois à l'entrée du liure:les
hommes naiffent , viuent & meurent tous de
DISC. DE NIC. MACCHIA.
vne forte.

Que c'est quenetenir compte de la religion ne


l'entretenirenfonpoint . Et comme
l'Italie en eftperdue.
1
Chapitre XII.
I
Viconque veult maintenir vn
Royaume en fon entier , il doit
fur toute chofe penfer de là reli
gion qu'elle ne fe paffe , & que
peu àpeu ne vienne en noncha
loir . Car le plus grand figne qu'on puiffe auoir
de la perdition d'vn païs , c'eft quand on void
que Dieu fy oublie & fon feruice.
Pour le connoiftre il ne fault que regarder
le point auquelgift le principal fondement de
la religion, chacune a le fien , celle des Payens
tenoit iadis fa vie des refpons de fes oracles &
du college des Arioles & Arufpices, toutes
leurs autres ceremonies , facrifices & idolatries
en dependoient . Car ils faifoient leur compte,
que le Dieu qu'il leur pouoit predire leur bon
ne ou male auentute ,la pouuoit auffi faire ve
nir telle qu'il vouloit . Er de là à beaux temples,
à force victimes, & femblables manieres de vi
eilles fuperfticions pour faire honeur à ce Dieu
Courtines & gaigner fa grace . Car le bruit des courtines
De Delos. & treteaux de Delos , & de l'oracle de Iupiter,
Ammon, & de telz autres,attraioiét tout le mo

1
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 32
de,& tenoient en merueilleufe deuotion. Si toft
qu'il vint à faillir & que la tromperie & fauce
téfut defcouuerte , & qu'on conneut qu'ils ref
pondoient à l'appetit des grans feigneurs & de
quiconquefourniffoit à l'apoinctement, lors on
les laiffa là & vint on à ne croire ne Dieu ne dia
ble , en tel eftat que les gens ne faifoient plus
confcience de rien , eftoient prefts à tout rom
pre,brifer,gafter, commeferfz dechenez . Qu'il
vifite donc le Roy qui aura defir de fauuer fon
Royaume, qu'il vifite (dis ie) les fondemens de
fa religion & prenne bien garde qu'il n'envien
De faulte ,lors fans peine il tiendra fes fubiects
en deuotion & laineteté. Or par cefte bride les
rengera à la raifon & fera d'eux ce qu'il voudra:
voire fil faruient quelque chofe faulce ou non
(c'esttout vn mais qu'elle tourne en la faueur
&aduatage d'icelle qu'il y confente, qu'il y bail
le la main . Il le fera fil eftfage & fil entend rai
fon .C'eft d'où font venus tant de miracles au
mondeție parle des religions peruerfes ) les prin
ces prudens les fouftenoient & confermoient
par quelque moyen qu'ils fuffent faicts & for
gez ,apres eux nul ne faifoit difficulté de le croi
re:à Rome il y en auoit à reuendre , le meilleur
fut,dot il me fouuient,quand les Romains fouz
la conduite de Camille prindrent la maiftreffe
ville des Veiens : les plus deuotz des foldatz
encores tous bouillans de fureur , entrerent en
la grande Eglife , & comme fils euffent laiffé
à la porte leur ire , quoys & raffis faluerent
DISC, DE NIC. MACCHIA .
humblement Iuno la Deeffe, f'approcherét d'el
le,& luy demanderent en leur langage.

Dea vis venireRomam ? "


3
Deeffe vous plaift il venir à Rome? I

Lors fembla à aucuns de la bende qu'elle


feift figne de confentement de la tefte , les au
tres rapporterent qu'elle auoit refpondu expref
fement.Ceux la ( comme dit Tite Liue) eftoient
des plus bigotz , ils le monftrent affez en ve
nant tous chautz de l'affault & de la prinfe, ne
antmoins fe portans en ce temple fi fagement
& reueremment . Ils ymaginerent pour la grád
fantafie qu'il y auoient , que Iuno leur euft fit
telle refponce . Camille & les premiers de la
ville fi toft qu'ils le fceurent feirent ſemblant
d'y adioufter foy & de le trouuer le meilleur du
mode.Pleuft ores à Dieu que les Princes Chré
ftiens en feiffent ainfi : Pentendz qu'ils gar
daffent auffi bien leur religion telle qu'elle leur
fut premierement baillee , leurs Royaumes &
Republiques fen porteroient vn peu miculx
qu'ils ne font . Vrayement c'eft vn mauuais fi
gne pour eux , de voir que les contrees les plus
prochaines de l'Eglife Romaine font celles qui
ont le moins de religion : tellement que qui re
uifitera fon commencement , & confiderera
comme le prefent vlage y retire , fans point de
faulte il iugera incontinent que nous ne fom
mes pas loin de noftre fin ou de quelque grand
pu
SVR ZA I. DECA . De tit . 11 , 23
punition diuine . Volontiers ie dechiffrois icy
vnpropos que i'ay oy tenir àplufieurs de l'Ita
lie, qui dient qu'elle ne tientla vie d'autre que
du fain& fiege apoftolic & de fa fequelle. Quát
à moy il m'en femble autrement , cu efgard à
ceux qui en telles dignitez fe font oubliez , &
n'ont gardé comme ils deuoient les ftatutz, ca
nons & faincts decrets de la primitiue Eglife .
Le mal qu'ils ont faict à l'Italie , c'eft qu'ils ont
efté caufe qu'elle est toufiours depuis demou
ree en diuifion . Ce n'eft pas le moyen de faire
valoir vn païs de le depecer ainfi & mettre en
quartiers: fil n'eft à vn feul feigneur comme
France ou Efpagne, iamais ne proufite . Or l'a Domaine
efleuel'Eglife Romaine pour fon fiege , & y a du Pape.
acquis par fucceffion de temps des terres & du
temporel beaucoup , mais non pas tant qu'elle
en air peu eftre dame du tout. Auffi n'a elle pas
efté fi petite & fi foible qu'elle n'ayt bien eu le
moyen d'appeller quelque puiffant Prince à
fon fecours quand on l'a voulu chaffer & def
pouiller de fon domaine . Le bon Charlemaigne charlemai
en fauroit bien que dire , lequel la deliura des gne.
Lombars qui commençoient à feigneurier tout
le païs . Auffi feroit le vaillant Roy de France, Du Roy
lequel dernierement pour l'amour d'elle com- Loys xij.
batit les Veniciens qui luy faifoient paour &
tiroient leurs cornes trop dehors la coquille à
fon gré: & apres qu'elle eut faict des Françoys
les iccta hors de là par les efpaulles, moyennant
l'ayde des Suiffes . Ainfi c'cft par elle que la po
E
DISC. DE NIC . MACCHIA.
ure Italie eft en ce piteux arroy decouppee &
demembree miferablement , à caufe qu'elle
1
tient bien ce qu'elle a , & n'eft pas affez for
te pour conquerir le demeurant , la pauure ter
re eft maintenant proye des Roys eftranges &
de tous ceux qui y viennent à main armee.Tant
Il ne parle de bien nous a fait l'Eglife Romaine . Qui ne
que du le croyra & en voudra veoir l'experience , faffe
train tem- qu'elle aille vn peu en Suiffe tranfporter fon
porel. fiege tout tel qu'il eft . Il fapperceura en brief
que le train de cefte court fera plus de defordre
en ce païs fy tenant de fes vieilles loix & vfan
ces,qu'autre chofe qui leur peuft auenir.

Comme les Romainsfayderent de la religion à


ordonner leur ville , à pourfugure leurs
entreprinses appaifer leursfe
ditions & tumultes.

chapitre XIII.

E croy qu'il ne fera point hors


de
propos de monftrer en deux
ou trois exemples comme les
Romains firent leur proufict de
la religion ,'tant au faict de paix
que de guerre.
Tite Liue en eft farcy de tefmoignages eui
dés,mais pour cefte heure ie me pafferay à ceux
cy. Le Peuple de Rome auoit tant faict par ces
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 34
mutineries qu'on luy auoit accordé des Tribús
de puillance confulaire,voire fil vouloit, qu'ils
fullent tous fors qu'vn pris & cfleuz de fon
corps. Dedans l'an de l'octroy , voicy venir de
bonnefortune vne peftilence & famine terri
ble, & foifon de monftres , & prodiges efpou
uentables.Que feit le Senat? quand il falut pro
ceder à la creation des Tribuns nouueaux , il ſe

print à plaindre, & remonftrer au commun que


les maux dont ils eftoient perfecutez & affli
gez,defcendirent de l'ire de Dieu , lequel n'e
ftoit content de ce qu'ils auoient mis fi bas la
maiefté & hauteffe de leur Empire : & qu'il
n'y auoit ordre de l'appaifer,finon en remettant
l'élection des Tribuns es mains de qui il apar
tenoit. Le Peuple eut adonc telle frayeur & re
mord de confcience, qu'il ne receut pour ce
coup nul Tribun que noble . Penfez vous que
fans ce faict de religion la ville des Veiens cuſt
iamais efté prinfe, deuant laquelle les Romains
tremperét l'espace de dix ans entiers fans gran
de aparence qu'ils en deuffent venir au deffus.
Mais fur la dixiefme annee le lac d'Albain ( có
me Dieu voulut ) fe vint enfler à merueilles ,
tant qu'il noya vn grand païs . Lors les Capitai
nes fages & confiderez , fur tous , Camille le Camille.
Dictateur fapperceuant que leurs gens eftoient
fachez & ennuyez de la longueur du ficge , &
qu'ils concluoient entre eux du retour , con
trouuerent fubtilement qu'Apollo & autres Apollo.
deuins auoient formellement prophetizé , que
E ij
F DISC. DE NIC. MACCHIA..
la gloire de Veje fineroit quand le lac d'Albin.
deborderoit . Cefte ruze fondee en deuotion
mit le cueur au ventre aux foldarz ia las & re
creuz , tellement qu'ils tindrent bon & en fin
prindrent la ville . Voyla comme la religion
feruit aux Romains à maintenir leur armee au
long trauail de la guerre , & à faire part de la
Tribunauté à fes gentilz hommes . Ie vous en a
meneray encores vn autre de Terentillus Tri
bun du Peuple,lequel vouloit forger vne loy à
fon plaifir , dont il fera parlé cy apres en fon
licu . Le Senat delibera d'y mettre empefche
ment , & pour tous moyens n'vfa que de reli
gion faicte à propos . Il dit qu'il eftoit befoing
de fueilleter les liures de la Sibile pour fçauoir
qu'ils en chanteroient , ceux qui en eurent la
commiffion feirent leur rapport que celle
an
nce droictement la liberté Romaine eftoit en
dager pour les feditions ciuiles qui fourdroiét.
Quelque peine que meiffent lors les Tribuns à
defcouurir cefte tromperie , a ne ſceurent ils
tant faire, que le Peuple n'en fuft ataint de mer
ueilleufe crainte, n'en refroidift fa fureur & laif
faft là les Tribuns & leurs entreprinses . De
puis ils practiquerent de rechef la religion en
App. Her autreforte, quad Appius Herdonius accompa
donius. gné de quatre mille, tant ferfz que bannis , gai
gna de belle nuict le Capitole , mettant la vil
le en peril extreme au cas que fes ennemys mor
telz , les Eques & Volfces en euffent efté ad
uertis & y fullent acouruz en puiffance . Pour
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 35
tant ne defiftoient les Tribuns de leur pourfuy
te,difans que ce beau camp volát d'Herdonius,
n'eftoit qu'vne leuee de boucliers & vne fain
&te cauteleufe de gens atiltrez pour faire bon
ne mine . Sur ce murmure fortit du Senat Pu- P.Rubecs".
blius Rubecius homme de grauité & d'auto
rité, lequel moytié par amour , moytié par me
naces leur rémonftra le danger où ils eftoient
conftituez , & comme le temps ne portoit de
mettre telles chofes en auant , fomme il ioua fi
bienfon perfonnage , qu'il feift faire au peu
ple fermet de foy, loyauté & obeïffance au Co.
ful,lequel foubdain en tefmoignage de ce cou
rut aux armes , & foubz la conduite du Con
ful marcha contre Herdonius & fes gens qu'il
chaffa du Capitole . Publius Valerius eftoit lors
Conful, qui demeura à l'affault,dont en fon lieu
fut creé fur le champ Titus Quintius. Quintius T.Quinti .
pour ne donner loyfir à la commune de penfer
encores à la loyTerentille,feift incontinet crier Loy Teren
que chafcun fuſt preſt pour le mettre aux chaps tille.
contre les Volfces fuyuantla promeffe qu'ils a
uoient faicte de n'abandonner le Conful , lors
quelques excufes que les Tribuns allegaffent
pour le Peuple, c'eſt à ſçauoir qu'il auoit iuré à
l'autre Conful deceddé, & qu'il n'eftoit aucune
ment obligè à luy : toutesfois en fin la religiọn
le gaigna,dont Tite Liue vient à dire,

Nondum hac qua nunc tenet feculum negligen


tia Deum venerat , nec interpretando fibi quifque
E sij
DISC. DE NIC . MACCHIA.
infiurandum & leges aptasfaciebat.

Le melpris des Dieux n'eftoit pas encore au


monde tel qu'il eft à prefent , & ne tiroit on
pas les loix & fermens par expofition à fon
auantage.
Ce que voyans les Tribuns & craignans de
perdre leur dignité f'ils continuoient trop cefte
querelle, faccorderent d'obeyr à la volonté du
Conful par tel conuenant , qu'il ne tireroit le
peuple dehors d'vn an , & qu'auffi dans ce ter
me de leur cofté ils ne parleroient de leur loy
Terentille.
Voylà donc comme la religion fcift les Se
nateurs eftre maiftres , qu'ils n'euffent iamais
efté autrement.

Comme les Romains expofoient les Aufpices &


leur proufit,les enfrignoient au befoing
par difcretion, punifoient qui in
diferettement le faifoit.

Chapitre X1111.

Ous auez ey deffus entendu


Augures . que
les Augures eftoient les princi
paux pillers de la foy desPayens ,
maintenant vous veux je aduer
tir plus fort , & dire vn mot qui
femblera incroyable, que fi Rome l'eft bie
por
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 36
tee,ç'a efté en partie par eux : Autli qu'elle en
eftoit autant fongneufe que de police qu'elle
cuft. Falloit il proceder à la creatió des Côfulz?
encommecer quelque entreprinfe,mener guer
re,donner la bataille ou faire autre œuure im
portante ? ce n'eftoit iamais fans cela .Eftoit il
queftion d'aucun voyage maritime ou terreftre,
en telle ou telle part ils affeuroient par là
leurs genfd'armes deuant que les y mener , que
les Dieux leur en prometoient la victoire cer
taine.Or quand ils eftoient au camp, ils vfoient
d'vne propre & fpecialle mode d'Aufpices que
ils apelloient poullalliers,aufquelz il falloit par
ler pour fçauoir fil feroit bon ou non d'entrer
au hazard de la bataille . Leur maniere eftoit
d'aller veoir les poulletz , & leur iecter à man
ger , fils picquotoient c'eftoit figne qu'on ne
debuoit craindre le choc , & que la iournee fe
roit à eux : S'ils n'en vouloient point, c'eſtoit à
¦
dire , n'y allez pas . Toutesfoys quand le capi
taine tout calculé & confideré voyoit la fortu
ne luy rire, & qu'en forte du monde la victoire
ne luy pouuoit efchaper des mains : nonobftant
les deffences & contredicts des poullalliers ,
ils prenoient le temps . Celuy eftoit affez de fe
iuftifier qu'il ne l'auoit faict en defpit des Dieux
ny en mefpris de la religion . Ainfi que fiſt Pa- Papirius.
pirius Conful en la bataille qu'il eut contre les
Samnites, qui oncques puis ne fefceurent rele
uer : luy voyant fon cas certain , & que rien ne
luy pouuoit ofter l'heur & l'hōneur de la iour
E iiij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
nee ,auant que marcher & defployer au vent
les bannieres , voulut bien fen confeiller aux
poulletz . Les poulletz lors ne daignerent bec
cher , toutesfois le maiftre poullallier comme
bien aduife, & ne voulant empefcher l'occafion
de bien faire,ne reffroidir le chef & les foldatz
fi deliberez de frapper , feift fon rapport que fi.
Mais vn de fes gens qui auoit veu le contraire
alla dire aux vns & aux autres qu'il eftoit faux,
& que de toute la mangealle qu'on leur auoit
prefentee , ils n'en auoyent becché n'y auallé
myette . Defia yffoit l'armee en la campagne &
ordonnoit le Conful fes batailles , le bruict en
courut iufques aux oreilles de Spurius Papirius
nepueu du Cóful, lequel l'en aduertit auffi toft,
le priant de fe garder de mefprendre. Car cotre
la volonté des Dieux leur fait ne pourroit pro
fperer .Mon nepueu (luy dift le Conful quand
il l'eut entendu ) penfez de vous , & aduifez à
faire debuoir : Quant à moy & à mon oft les
Aufpices fontbons & fauorables , fi le poullal
lier nous a menty, le peché en tournera fur luy.
Età fin qu'on trouuaft fa parolle veritable , il
feift appeller fur l'heure fon Lieutenant luy en
chargeant de mettre fes gentilz poullalliers à la
poincte , ce qu'il feift, & le maiftre d'eux au co
mencement de la meflee receut vn coup de
dard d'vn Romain mefme, dont il cheut foub
dain mort eftendu en la place . Quand le Con
ful le fceut , voylà, dift il,voylà noftre menteur
le premier payé de fa deferte . Mes anys main
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 37
tenant tout va bien , les dieux ontfur luyfeul
defchargé leur ire & indignation. Ainfi befon
gna Papirius difcrettement, faifant, nonobſtant
la religion, ce qu'il veoyt par raiſon eftre à faire,
enfemble donnant ordre qu'il ne femblaſt que
elle y fuft violee , ne les dieux offenfez . Si Ap
pius le Bel en la premiere guerre Punicque , la
quelle fut en Sicile , cuft efté auffi fage que luy,
on ne l'euft pas à fon retour fimal traité , repris
& condamné à fon grand deshonneur & mef
chef: mais ayant vne enuie defefperee de com
battre à fon defauátage , comme l'yffue le mon
ftra : & luy eſtant rapporté que les poulletz ne
tenoient compte de la viande : eft il vray,dit-il,
voyons doncques filz voudroient point boire:
fi les feit ietter en la mer. Dequoy quand il re
uint à Rome , il fut aigrement accufe , où Pa
pirius fut honnoré & bien recueilli : non tant
pource qu'il auoit perdu la iournee que l'autre
gaigna , que pour feftre mocqué euidemment
des Aufpices, & les auoir enfraints fans refpect.
Or deuez vous fcauoir que les Romains co
gnoiffoient affez qu'en valoit la marchandiſe:
mais ilz en vfoient feulement à ce que leurs
gend'armes quand il faudroit mettre la main à
l'œuure ne doubtaffent de rien , mais tinffent la
choſe toute affeuree comme fi Dieu les leur euf
fent dit de leurs bouches. Auffi voyoit on que
auec cefte opinion & confiance ilz faifoient
merueilles,& rien ne leur eftoit impoffible.
DISC. DI NIC. MACCHIA.
Commeles Samnites pour leur dernier refuge
eurent recours à la religion.

Chapitre XV.

Es Samnites bataillerent plu


fieurs fois contre les Romains,
& en fortirent toufiours à leur
honte , confufion & dommage.
Meſmement en la iournee d'HC
trurie , où ilz furent menez à telle outrance,
que leurs capitaines y demeurerent : leur ar
mee fut entierement defconfite : leurs amys
qui leur auoient amené fecours , c'eſt à fca
uoir les Tufcans , Gaulois , & Vmbres furent
mis en route .

Neefuis iam nec alienis viribusftarepoterant,ta


men bello non abstinebant : adeo ne infeliciter qui
dem defenfa libertatis tædebat , & vinci quàm non
tentare victoriam malebant.

Ils ne fe pouuoient plus fouftenir ny d'eux


mefmes,ny auec le ſupport d'autruy,toutesfois
faifoient toufiours guerre , tant auoient cefte li
berté recommandee , qu'ils ne fe laffoient de la
deffendre , combien qu'en vain & fans acqueft,
& neſeſoucioient d'eftre fouuét vaincuz pour
fe mettre au hazard de vaincre vne fois.
Or apres tant de pertes & infortunes les vnes
fur les autres , ilz fe delibererent de faire enco
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 38
res vn effay final. Adonc penferent ceux qui
eftoient conducteurs de l'affaire , que filz le
vouloiét emporter à ce coup, il falloit par quel
que façon que ce fuft , mettre és cueurs des fol
datz vne obftination forcence de pluftoft mou
rir, que de guerpir la place. A quoy ilz ne trou
uerent meilleur moyen qu'vne religion & ce
rimonic antique dont les aduifa vn vieil Patius
leur prebftre. La premiere eftoit qu'apres auoir
fait le facrifice folennel à leur mode , les capi
taines venoient aulieu qui eftoit entre les au
telz ardens , & les corps morts des beſtes im
molces , là proteftoient & iuroient que pour
preffe ou effort quelconque, ne pour les vies ilz
ne tourneroient le dos , & n'abandonneroient
l'eftour.Apres eftoient appellez par leurs noms
tous les foldatz vn à vn comme à la monftre:
lefquelz venoient audit lieu où eftoient les cen
teniers à l'entour , chacun l'efpee au poing : là
leur falloit faire le ferment, preallable qu'ilz ne
fe mocqueroient de chofe qu'ilz veiffent , out
fentiffent . Apres venoient à l'autre ferment
plein de blafphemes , maledictions & adiura
tions trop horribles & hydeufes à proferer : par
lefquelles ils appelloient les dieux à tefmoings
comme ilz eftoient preftz & deliberez de fui
ure leur capitaine telle part où il les condui
roit, de ne fuyr ne reculer au choc , ains de tuer
le premier qu'ilz en verroient faire ſemblant :
filz y failloient , prioient les dieux d'en faire
tomber la peinefür eux, fur leur maison, & tou
DISC . DE NIC. MACCHIA.
te leur race. Ceux qui feirent difficulté de iu
rer furent à l'inftant detranchez en mille pie
ces en la place : defquelz l'hideux fpectacle feift
hafter & accourcir la deliberation de ceux qui
venoient apres. Or fe trouuerent de la coniu
ration enuiron foixante mille hommes de nom
bre faict , dont aux trente mille fur commandé
de porter liuree blanche , & garnir les heaumes
de creftes & pennaches , pour rendre l'appareil
plus reuerend & eftrange : & en tel equipage
fallerent camper pres d'Aquilonie , où contre
eux fut enuoyé de Rome Papirius, celuy de qui
parlions n'agueres : lequel en confortant &
enhortant fes gens , leur dict de fes glorieuſes
parures. 228
fin
Non enim crištas vulnera facere , & picta atque
auratafcutatranfire Romanum pilum.
1
Compagnons la couleur & la braue ne doit
amortir voz belliqueux courages. Les creftes
ne frappent ne naurent, & le dard Romain per
ce bien les targes paintes & dorees . Et pour leur
ofter la paour qu'ilz auoient que ceſte religion
ne doublaſt le courage à leurs ennemis , & les
feift ruer en la meflee comme beftes enragees ,
leur dit: Mes amis ce que vous pensez qui leur
augmente la hardieffe & l'effort , eft ce qui le
leur amoindrit le plus . Car foyez certains que
ilz feront tous eftonnez & efperduz d'auoir
en mefine heure par leur folie trois craintes de
SVR LA I. DECA. DE TIT. LL 39
U uantles yeux , de vous , des dieux , & de leurs
e compagnons.En effect les Samnites furent def
ift faictz comme de couftume, la vertu & proüeffe
des Romains leurs ennemis , & la frayeur que
ilz conceuoient le voyans en barbe leurs mai
ftres ordinaires , fut plus forte que la religion
feule. Neantmoins affez monftrerent ilz lors
quelle estime ilz en faifoient y ayans eu leur
recours dernier à l'heure qu'ilz fe veoient au
bout de toute efperance .

Qu'un pays accoustumé de viure ſoubz vn


Roy ,fil vient en liberté, àpeine
Sy peut tenir.

Chapitre XVI.

I nous voulons prendre les hi


ftoires anciennes en payement,
ce poinct y eft fuffifamment ve
rifié en maintz endroitz , c'eſt à
(cauoir, qu'il eft mala fé à vn peu
ple né & nourri en feruitude & fubiection de
Prince,de viure en franchife,felle luy vient par
quelque aduenture , comme elle feift à Rome
apres la ruine des Tarquins. Celà ne fe fait pas
fans raifon': car vn tel peuple eft comme vne
befte farouche & fauuage qui a toufiours efté
tenue en prifon & garde : fi par cas elle rompt
fonlien, & efchappe & gaigne les champs , el
le fe trouue trop eftonnee , nefcait quelle part
DISC . DE NIC. MACCHIA.
tirer, ny où le cacher , ou chercher paſture : à
caufe qu'elle eft ainfi neufue & mal duite en
cefte façon de vie : le premier qui fe ruera def
fus, n'arreftera point à la prendre. Auffi ce peu
ple qui toufiours a vefcu foubz la main d'au
truy , qui ne fcait que c'eft de mal ou bien pu
blic, qui ne connoift non plus les Princes qu'il
eft conneu d'eux, eft tant aifé que rien plus à re
mener foubz le foug, & communémét il y ren
choit , voire foubz plus dur & plus fafcheux la
moitié que n'eftoit le premier duquel il feft
deffait. Celà luy peut aduenir encores que la
matiere nefoit du tout infecte & gaftee. Mais
fil n'y auoit en luy goutte de fanté , & que la
maladie cuft rongé & miné tout fon corps,il ne
pourroit durer en tel eftat vn feul moment:ain
fi parle ie à prefent de ceux efquelz le mal &
la corruption n'eft entree gueres auant , & en
fomme , où il y a plus de bon que de mauuais.
Ce n'eft pas tout : en ceft eftat nouueau le Peu
ple acquiert des ennemis partifans, & d'amis ia
mais. Ceux qui eftoient bien venuz entour le
Prince , qui le gouuernoient , qui auoient de
luy ce qu'ilz vouloient , viennent par raiſon à
fe formalizer contre le peuple , comme eftant
caufe qu'ilz ont perdu leur vache à laict , & que
leur fontaine eft tarie , dont ilz puifoient fans
fin biens, honneurs & richeffes . En telle con
dition ilz ne peuuent fe tenir contens , & ne
font que penfer aux moyens de paruenir à ty
rannie; par laquelle ilz puiffent recouurer leur
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 40
auctorité & felicité premiere. Quant eft d'a
mis partifans , il eft certain qu'il n'en fcauroit
faire pour deux caufes : L'vne , qu'en vie de li
berté les honneurs & recompenfes font expo
fees en place marchande , quafi au plus offrant
& dernier encheriffeur par vertu & merites:
quiconque en eft degarny peut bien fen depor- ·
ter , car iamais il n'y eft receu. Par ce moyen
ceux qui y paruiennent en attribuent le bien à
euxmefmes & à leurs qualitez honneftes , fans
en fçauoir gré à perfonne. L'autre caufe eft,que
on ne fent pas le fruit de liberté tandis qu'on
l'a,qui confifte à iouyr & vfer à fa volonté de ce
que Dieu a donné, à ne craindre qu'on face tort
ne deshonneur à fa femme ou à fes enfans , ne
qu'on tourmente ou outrage le citoyen fans rai
fon. Qui eft celuy qui fe dira tenu à homme de
ce qu'il ne luy aura fait nul mal ? voylà donc
ques les deux maux qu'encourent ordinaire
ment ceux qui fe font dechainez , & ont tiré le
col hors du chcueftre qu'ilz auoient accouftu
mé de porter. Le meilleur remede , le plus fain
& foudain qui foit,c'eft de depefcher les enfans
de Brutus lefquelz ( comme l'hiftoire nous
compte) ne coniurerent iamais contre la ville,
finon à caufe qu'ilz ne pouuoient accomplir
leurs volontez foubz les Cófulz, comme foubz
les Roys : tant que la liberté que le peuple y
auoit gaignee , leur fembloit vne vraye ferui
tude. Te croy qu'à tous bons iugemens cecy eft
fans difficulté , qu'vn gouuernement quel qu'il
DISC. DE NIC, MACCHIA.
foit ou d'vn , ou de plufieurs , ne peut eftre de
longue duree , fi on n'enleue ceux qui luy font
formellement contraires , par la perte enorme

qu'ilz ont fouffert au change. Vray eft que ie iu


gerois le Prince trop malheureux qui ne pour
roit affeurer la couronne par luy vfurpee con
tre le vouloir du peuple, finon en vfant de con
tinuelles rudeffes , inhumanitez & cruautez ex
tremes. Scache que tant plus qu'il en fera, d'au
tant il empirera fon marché , pource qu'il au
gmentera le nombre de fes ennemis , & ache
uera d'irriter ceux qui defia l'eſtoient. En ef
fect le mieux fera qu'il taſche à fon pouuoir de
gaigner le cueur du peuple. Voire mais com
me le pourra il faire ? Parlons d'vn Prince qui
auroit occupé par tyrannie fon païs , il me fem
ble qu'il doit fonger en luy que c'eft que le peu
ple ayme, & quand il aurabien fongé, il trou
uera qu'il ne veut que deux chofes,l'vne fe ven
ger de ceux qui luy ont tollu & raui fa liber
té , ou qui en ont efté caufe , l'autre de la re
couurer. Quant au premier , le Prince luy peut
du tout fatisfaire , & au fecond en partie. Du
poinct de vengeance nous auons exemple for
Clearchus mel de Clearchus tyrant d'Eraclee , lequel pour
tyrant. fon iniquité fut chaffé du païs , & peu apres
rappellé par les plus gros d'iceluy , en hayne
de la commune qui les rengeoit à la raiſon : fi
feirent tant qu'ilz le remeirent en fon fiege
bon gré mal gré , & tollurent au païs la liberté
qui n'y faifoit que de venir. Qui fut bien em

peſché
SVR LA I. DECA. DE TIT. II.
41
peché ce fut Clearchus , lequel auoit à regir &
manier deux parties nomplus compatibles en
femble que le feu & l'eau. Les grands Seigneurs
faifoient des compagnons auec luy comme le
fentans leur oblige , pour le Royaume qu'il a
uoir recouuré par leur moyen , le pauure peu
ple enrageoit de fe veoirhors de lavie heureuſe
qu'il auoit commencé à goufter , & defia remis
en la prifon qu'il cognoiffoit trop. Se voyant
donc en telle perplexité aduifa come il fè pour
roit demefler à vn coup de l'vn & l'autre .Ce fut
qu'à la premiere occafion qui foffrit , il feift
mettre en pieces tous les Seigneurs comme en
treprenans fur fon auctorité Royalle , dont le
peuple receut vn merueilleux contentement,
d'eftre fi bien vengé de ceux qui luy auoient
pourchaffé fon dommage. Or quant au fecond
point auquel le Prince ne fcauroit entieremét
remedier,fil ne veut tout quitter & fe demet
tre de fa dignité , il faut qu'il vienne à confide
rer , qui fait que les gens defirent fi affectueuſe
ment cefte liberté. Lors connoiftra qu'il n'y en
gueres qui la fouhaittent par conuoitife de
gouvernement, & que tout le demeurant né
fen foucie , que pour viure à fon aife & n'auoir
perfonne à craindre. Car en tous Royaumes &
Republiques il n'y a d'honneurs & d'offices,
qué pour quarante ou cinquante hommes, del
quelz il eft facile à vn Roy de fe garder en les
faifant mourir fi befoing eft , oules obligeant
& rendant fiens par biensfaictz & gracieufes
F
DISC. DE NIC. MACCHIA.
tez fpeciales qu'il departira à chacun felon fon
eftoffe. Pour contenter les autres, il ne luy faut
que faire bonnes loix & ordonnances , rendre
droict & iuftice autant au grand qu'au petit,
affeurer & guarentir vn chacun de toute iniu
re , tort & violence. Quand le peuple verra ce
train , & que le Prince tiendra fa promeffe fans
iamais venir au contraire du contenu en la loy:
Lors il ne tardera point à faffeurer & demeu
Du Royau- rer content. Ainfi va du Royaume de France,
me de Fra auquel l'on ne vit en repos & feureté, finon au
fe. moyen des loix qui y font , lefquelles les Roys
font tenus de garder & gardent fainctement,
Celuy qui premier fonda celle monarchie , don
na au Roy la connoiffance totale du faict de la
guerre & des deniers , qu'il en difpofaſt à fon
vouloir , mais que du furplus il laiffaſt faire à la
iuftice. C'est doncques la refolution en ceft en
droit, qu'il faut fonder fon eftat fur toutes cho
fes, & du commencement f'il eft poffible,finon
à la premiere opportunité qui ſe preſentera , có
me faifoient les Romains , qui la refufe apres
mufe , & à tard fen repent. Or à eux ne fut
impoffible de le faire , quand ils meirent hors
les Tarquins , & occirent les enfans de Brutus,
ils n'eurent qu'à vfer des moyens & remedes
que nous auons deffus declarez . Car leur matie
re n'eftoit pas encores toute corrompue : mais
c'euft bien efté autre befongne , fi lors Rome
n'eut cu partie faine de fon corps.
SYR LA I. DECA. DE TIT. LI. 42
Qu'unpays corrompu & deprané ,f'ilfort de
Subiection nepeut durer en ceft eftat.

chapitre XVII.

'Eft mon opinion qu'il eftoit ne


ceffaire que plus n'y cuftde Roys
à Rome , quand les Tarquins fu
rent depolez & chaffez , & que
fans celà Rome fen alloit deftrui
&c. Car la mefchanceté eftoit fi defmefurce és
derniers Roys , que fil en fuft venu encores
deux ou trois de mefmes , le poifon fe fut el
pandu du cueur par tous les membres fi large
ment, qu'il ny cuft eu aucune efperance de gue
rifon. Mais pour le chef non plus ne moins,
puis que le tronc du corps reftoit fain & entier,
encores y auoit il ordre d'y remedier & de fau
uer la vic. En quoy eft à prefuppofer comme
chofe tres veritable , que fi vn païs accouftumé
de viure foubz vn Prince vient vne fois à fe
couër fon lien , combien qu'il tue fon Roy , &
qu'autant enface de tout le fang Royal, ce non
obftant iamais ne demourera ne tant ne quant
en ceft eftat , fil ne fe leue vn Roy mefme qui
defface l'autre. Il faut que le defordre qui lors
furuiendra foit fouftenu par la vertu d'vn nou
ueau Seigneur , lequel mette ce peuple neuf
au chemin de liberté qu'il ne feait pas . Mais
encores que Dieu luy feift cefte grace de ren
contrer lors vne bonne guide , il ne continuera
Fij .
DISC. DE NIC. MACCHIA
ce train,finon tant que la guide durera.Comme
il en print à la ville de Siracufe , laquelle tandis
Dion. qu'elle cuft Dion & Timoleon , liberté ne luy
Timoleon. fut faite, fi toft qu'elle les euft perdus rentra en
plus cruelle tyrannie que deuat. Rome fur tou
tes en fait pleine foy. Apres la ruine des fiers
Tarquins elle fe ineit fans peine en eftat de fran
chife, & fy maintint longuement : mais pour la
mort de Cefar , de Caius , de Caligula , de Ne
ron :brief, toute la race des Cefars eftainte , ia
mais ne luy fut poffible d'en renouueller la
moindre vmbre & apparence du monde. D'où
pouuoit venir ce cas fi diuers en meſme cité?
Du temps des Roys , Rome eftoit defia quel
que peu entichee , & commençoit à le gafter:
du temps des Empereurs elle eftoit oultree , au
premier il ne falloit pour clorre entierement la
porte aux tyrans , que faire iurer le peuple que
Brutus. iamais ne les fouffriroit. Depuis Brutus auec
toutela grauiré & auctorité, & auec fes legions
orientales , & la memoire de fon anceſtre de ce
nom , ne fceut induire ne difpofer Rome à
prendre & garder la liberté qui f'offroit à elle,
& quafi luy tendoit le bras au col. Ce qui ne
prouint d'ailleurs , que de la corruption que les
partialitez de Marius y auoient defia femees.
Defquelles Cefar fe faiſant chef, aueugla & a
bufa facilement ceux de fon party qui ne fenti
rent la corde qu'ils fe mettoient au col . De no
ftre temps auffi pouuons nous bien dire qu'il
n'y a cas n'accident tant grand fuft il, qui peuft
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 43
remettre Millan & Naples en liberté ,à caule
que touty eft corrompu & gafté. Bien yparut
quand Philippes Viſcontin y voulut mettre la
main , car il n'y perdit que fon temps & fes pei
nes . Parquoy trop fauorifa fortune les Ro.
mains , en ce que leurs Roys furent fi toft de
prauez , & donnerent occafion d'eftre chaffez
auant que la pefte qu'ils couuoient fut efpriſe
par tout le corps de la cité. Car au moyen qu'il
eftoit fain & net, les efclandres & feditions qui
fyfaifoient (vray eft qu'à bonne intention ) ne
luy portoient aucun dommage , ains luy reue
noient toufiours à fingulier proufit . L'on ne
void point volontiers qu'ils nuyfent grande
met où la matiere eft entiere & en bon poinct:
fil eft autre,toutes les loix du monde nela fcau
roient garantir:fi, la iuftice d'aduenture n'eftoit
adminiftree par homme qui fen fift croire, &
qui par force rendift fes fubiectz gens de bien,
& nettoyaft ou purifiaft cefte matiere . Mais
c'eft vn cas qui ne peut gueres aduenir , & ie ne
fcay fi iamais il fut veu. Parquoy quand la ci
té ainfi malade en releue , ce n'eft pas en vertu
de la difpofition vniuerfelle qui fouftienne en
cores fa police : mais par le moyen de quelque
grand perfonnage , lequel entre au nauire ain
fimal equippé , pourry & endommagé , vcoit
quel vent fouffle au fortunal , quelle route il
doibt tenir, manie le tymon , fait tout office de
bon & induſtrieux pillote , tant que pour peu.
de temps il preferue le vaiffeau par fon fens &
Fiij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
art,de l'orage & tempefte prefente : mais fi toft
• que ce patron n'y eft plus, la nefrenchoit en tel
Thebe. peril que deuant. Thebe en fçauroit bien que
dire , laquelle a tenu fes rengz tant qu'elle a cu
le gentil Epaminondas , quand il luy eft failly,
elle fen eft allee à ncant : la raifon eft que la vie
d'vn homme, tant longue foit elle , ne sçauroit
fuffire à changer les meurs anciennes d'vne ci
té mal conditionnee & morigince , & fi elle ne
fe ftille & corrige foubz vn long regne ou deux
il n'y a point d'efpoir. Ce feroit miracle que le
tiers continuaft en bonté , & qu'il ne la renuer
faft cul fus tefte , ou il faudroit que par longue
effufion de fang elle y pourucuft , pour en re
conurer de vertueux & iuftes. Au moyen que
cefte corruption, qui efloigne tant la cité de fon
bien, ne procede que de l inegalité qui y eft. Et
pour tout cgaller vniment, eft befoing d'vfcr de
terribles façons extraordinaires , que peu de ges
fçaucnt & moins veulent executer, comme ail
leurs nous deduirons plus amplement.

Comme l'on peut mettre en liberté vne cité


corrompue, &felle y eft , l'ymain
tenir & garder.

Chapitre XVIII
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 44
L me femble qu'il ne fera pas du
tour hors de propos de difcourir
en ceft endroit fil eft poffible de
maintenir vne cité ia corrompue,
en eftat de liberté qu'elle a , ou fi
elle ne l'a , de l'y mettre. A ma fantafie l'vn &
l'autre eft trop difficile , & fi eft quafi impoffi
ble d'en donner reigle certaine ,à caufe qu'il
faudroit deſchiffrer par le menu tous les degrez
de corruption. Neantmoins pource qu'il fait
bon diuifer de toutes chofes par raifon, cefte cy
ne demeurera pas derriere. Or ie pofe le cas que
la cité dequoy nous parlons ,foit corrompue
tant que cité peut eftre , le cas eftant tel , vous
ne fçauriez plus en forte quelconque augmen
ter la difficulté de la matiere. Car depuis que le
mal eft epidimique & court & fefpád par tout,
il n'y a iuftice ny police qui y fceut remedier:
veu que les bonnes meurs des gens ne font
moins requifes pour obferuer les loix , que les
loix pour entretenir les bonnes meurs : Voire
les loix & le bon ordre qui a efté mis en la cité
dés fa naiffance , ne vaut plus rien depuis que
les hommes ont laiffé la vertu , & menent vie
defordonnee . On a beau felon les accidens fai
re loix nouuelles , l'ordre & la police demeu
re toufiours , laquelle en deffait autant qu'el
les en font . Et pour plus clairement deduire ce
qui en eft , il faut entendre qu'à Rome y auoit
l'ordre de l'eftat & gouuernement de la ville,
& fily auoit des loix pour chaftier en iugement
F iiij
DIS C. DE NIC. MACCHIA,
les fautes & infolences des citoiens. L'autori
té du peuple , du Senat , des Tribuns, la puif
fance des Confulz , la façon de pourfuiure of
fices , & d'eflire officiers , la maniere de confti
tuer vne loy , le tout concernoit l'ordre de Ro
me, & ne fe changeoit pour fortune qui vint.
Les loix qui puniffoient les malfaicteurs & cor
rigeoient les abuz , paffoient legerement, com
me la loy d'adultere , celle d'ambition , la fum
ptuaire, & plufieurs autres fans nombre, f'en e
ftoit fait fitoft que le vice qu'elles chaftioient
auoit pris racine : l'ordre de l'eftat qui ne val
loit plus rien à telles gens , ne fe muoit & ne
bougeoit pour vent qu'il peut venter. le ne dy
pas que fil cuft efté changé ou reffraichy quant
& les loix , que cela n'euft grandement ferui à
l'amendement du peuple:mais vn feul des deux
n'a nulle force ny efficace. Or pourrez vous co
gnoiftre que la vicille police ne leur duit plus
ne fert, combien qu'elle foit bonne de foy , à
deux chofes principalement : en la creation des
dignitez & offices , & en la façon des loix. Le
peuple Romain ne donnoit iamais le Confu
lat , ne les autres premiers eftatz de la cité , fi
non à ceux qui les demandoient. Au commen
cement celà eftoit trefbon , au moyen que nul
ne fy ingeroit qui ne f'en penfaft digne & ca
pable , & craignoit chacun la honte d'eftre re
pouffé & tondu en fa brigue. Pour doncques
y paruenir chacun fefforçoit & trauailloit de
le meriter & de bien faire. Alafin quand ver
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 45
tu n'eut plus de regne celà fut trefmauuais ,
pourtant que les plus gens de bien ne ſe mef
loient de pourfuiure de paour des concurrans,
ce n'eftoit que pour les plusforts & les plus ri
ches . Le mal ne creut tout à vn coup, mais par
moyens comme tous autres inconueniens. Car
apres que les Romains eurent fubiugué l'Afri
que & l'Afie, & conquis prefque la Grece en
tiere ,il leur fembla que leur cas eftoit ſeur &
qu'ils n'auoient plus que craindre . Parquoy ne
fe foucierent gueres de pourucoir les preud'ho
mes des fouuerains offices , comme ils faifoient
auparauant quand ils auoient affaire d'eux.
Čeluy les emportoit qui eftoit meilleur cour
tifan , ou qui auoit le plus de credit . Apres vint
on à les bailler aux plus puiffans , fi bien qu'à
raifon de tel ordre les gens de bien en demeu
rerent forcluz . Quant au fecond chef il eftoit
loyfible àvn Tribun & à tout autre de la ville
S
de mettre en quant quelque loy qu'il penfaft
eftre neceffaire ou proufitable , & eftoit permis
à chacun d'en dire fon aduis pour ou contre.
Celà eftoit louable tandis que vertu fut en
pris,& n'en pouuoit venir que bien , d'ouurir
ainfi l'huis à qui viendroit propofer chofe con
cernant l'vtilité publicque, & de prefter l'oreil
le à ceux qui voudroient approuuer ou reprou
uer la loy , à fin que le peuple fuft plus ample
ment informé des matieres,& euft le iugement
mieux inftruit pour ordonner ce qui feroit de
faire.Lors q la corruption poffeda Rome, cefte
DISC. DE NIC. MACCHIA.
faculté ne fut commune qu'aux grans feigneurs,
& (qui pis eft) ne l'employoient qu'à leur prou
fit. Les petits compagnons ou moindres qu'eux
ne leur ofoient contredire , ainfi demeuroit le
pauure Peuple deceu & abufé , ou forcé & con
traint de confentir à fa propre mort & deftru
&tion. En effect fi Rome auoit enuye de fentre
tenir en liberté , il falloit qu'elle renouuellaſt
auffi bien fa police que fa iuftice . Car il eſt trop
certain qu'il fault autre regime & maniere de
viure à vn corps malade & indifpos qu'àvn bó
& fain , & qu'eftoffe diuerfe ne reçoit pareille
façon . Or quant à reformer la police , il y con
uient befongner à vn coup , fi toft qu'on vient
à en apperceuoir la faultè , ou peu àpeu deuát
qu'elle foit venuë en connoiffance de tous . Ie
dy que l'vn & l'autre eft prefque hors de la puif
fance des hommes pour le premier il fault
qu'il fe face par quelque fage perfonne qui
voye le peril long temps auant qu'il foit arri
ué . C'eft vne drogue precieufe que l'on ne re
couure pas comme l'on veult . Si ce perfonna
ge l'entend , ce n'eft pas tout , encores fault il
qu'il le mette en la tefte du peuple : lequel ne
fe laiffera ainfimener & perfuader : Il ne lafche
pas volontiers vne forme de viure qu'il a acou
ftumee, mefmement quand il ne touche à doigt
& à l'œil le danger de la vieille & le profit de
la nouuelle , & qu'il n'en voit rien que par ce
qu'on luy en dit & declare par raifons & ar
gumens. Quant eft de changer la police àvn
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 46
coup fitoft qu'on la void empirer , ie dy que le
vice en eft aylé à connoiftre & mal ayſé à´amé
der. Au moyen que ce feroit folie d'vfer de ter
mes ordinaires qui n'y vallent plus rien , dont
fault recourir aux extraordinaires , c'eſt à fça
uoir aux armes & violences , & par icelles fe
faire Prince de la cité , pour apres en difpofer à
fa guife . Qui par telles voyes y paruiendra, ce
ne fera pas vn homme de bien. Car iamais il ne
voudroit ( deuft il gaigner vn Royaume ) pro
ceder par moyens indeuz & deshonneftes , en
cores qu'ils tendiffent à bonne fin. Puis ce n'eft
pas l'office d'vn autre de reduyre vne ville ga
fee à vraye police . Au contraire cuidez vous
qu'il cheuft au cueur d'vn homme peruers ( qui
par chemins efgarez & iniuftes feroit venu à
1
principauté ) de bien vfer de la puiffance qu'il
auroit mal acquife . Voyla pourquoy ie trouue
fi dificile ou impoffible de loger liberté en lieu
depraué, ou de l'y maintenir quand elle y eft.
Toutesfois fil y auoit moyen de le faire,ce le
roit en tirant l'eftat plus vers le Royal que vers
le Populaire , à ce que ceux qu'on n'auroit peu
corriger par loy ,fuffent redreſſez par main for
te,comme d'vn Roy . D'y vouloir proceder au
trement, l'entreprinfe feroit vaine & temeraire,
ou trop cruëlle & exorbitante . Vous mepour
riez dire q Cleomenes,de qui a efté parlé , maf- cleomenes.
facra tous les Ephores pour eftre feul , & que
Romulus pour mefme cauſe en fit autát de fon
frere,puis de Titus Tatius Sabinus,ncantmoins
DISC. DE NIC, MACCHIA.FO
ils regnerent tous deux en bons Roys . Il y a
grand' difference entre eux & les autres , pource
que ceux cy eurent à befongner en matiere qui
n'eftoit pourrie ny entachee , comme celle de
quoy nous parlons,dont n'eft merueille fils eu
rent volonté de bien faire , & fils peurent cou→
lourer & remplir leurs deffeings .

Qu'apres un excellent Princef'en peut fup


porter un tel qual , non pas deux
P'un aprez l'autre.

Chapitre XIX.

Vi cófiderera la vertu , & les no


bles meurs de Romulus , de Nu
ma & Tullus, qui furent les trois
premiers Roys de Rome , bien
dira que fortune luy blandiffoit
& vouloit eſtre pour elle,luy donant le premier
vaillant & de grand cueur , le deuxiefme fainct,
deuot & paiſible, le troiſieſme ſemblable au pre
mier en force & hardieffe , & plus aymant guer
re que paix: autrement fiapres l'ordonnance de
la police , quelqu'vn n'euft releué les armes , la
ville fen alloit lafche & effeminee pour eftre
proye de fes voyfins . Pourtant pouuos nous di
re qu'vn fucceffeur qui n'a tant de vertu en luy
que celluy qui luy a laiffè la coronne, peult bien
entretenir le Royaume & cueillir le fruict des
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 47
labeurs de fon predeceffeur . Mais fil eftoit de
trop longue vie , ou qu'apres luy iln'en vint vn
qui reprint la vertu du premier ,le Roy ne le
roit en danger de fe perdre.Auffi au contraire le
cas aduenant qu'il y euft plufieurs Roys de va
leur queuë à queuë, l'o en verroit yffir trop grás
merueilles . Dauid fans doubte ne fut moins
preux & hardy que fage & entendu , lequel par
La prouëffe deffit tous les Roys à l'étour, & laif
fa Salomon fon filz paifible d'vn opulent &
magnifique Empire , qui par fa prudence feule
le maintint & gouuerna en grand heur fans
coup ruer . Mais ne le peut laiffer tel à Roboan
fon fils , lequel n'ayant la fortune de fon pere
ne la vertu de fon ayeul , à grand' peine peut
fauuer la fixiefme partie de fon Royaulme ,
Bayfit Soudan de Turquie , combien qu'il fuft Bayfit Son
plus enclin à la paix qu'aux armes , fi peult il dan.
ioyr des victorieux trauaux de Mahommet fon
pere , qui luy auoit batu & foubsmis les voifins
comme Dauid , & luy meift és mains vn heri
tage riche & affeuré qu'il ne falloit qu'entrete
nir fagement . A Bayfit fucceda Saly quià pre
fent regne, lequel tient des condicions de l'ay
cal & non du pere , voyre eft pour le paffer de
beaucoup : Autrement c'eftoit fait que de fon
Royaume. De là ie concluz qu'vn Prince com
mun ou foible ſe peult bien porter apres vn ex
cellent , mais deux outrois telz l'vn apres l'au- DuRoyau
tre fans difficulté mettroient tout bas , fi ce n'e- me de Fra
ftoit comme en France où l'ordre & la police ce.
DISC . DE NIC. MACCHIA.
ancienne fouftient le fais de la monarchie. (Icy
P'appelle foybles ceux qui ont le cucur laſche &
recreu , & ne ſe meflent point de la guerre. ) Or
fut doncques telle la vertu de Romulus qu'elle
donna tout loyfit à Numa Pompilius de regir
Rome longuement par prudence politique.
Auquel fucceda Tullus qui par fa fierté reffufci
ta Romulus , puis Aucus qui tenoit autant du
mol que du dur, & vouloit au commencement
fe tenir quoy & gouuerner en repos fon Roy
aume,mais quand il veid que fes voisins faifoiét
peu d'eftime de luy, & le iugeoient couart &ef
feminé,il mit la main aux coufteaux conoiffant
que lors il valoit mieux pour la faiſon reffem
bler à Romulus qu'à Numa . Sur luy doiuent
les Princes prendre exemple , & apprendre que
il eft bon d'eftre comme Numa felon le temps
& la fortune.Mais celuy qui fera tel queRomu
lus,garny de force & prudence tiendra bon en
tout temps,f'il ne vient vne trop eftrage & ter
rible puiffance qui l'emporte. Čertainement fi
Rome n'cuft rencontré pour troifiefme Roy,
vn qui l'euft remife en honneur par armes , à
grád peine euft elle iamais pris pied, ne peu fai
re la moytié de ce qu'elle a faict.

Commedeuxfucceßions continues de Princes


vertueux font de grandz choſes., 1

chapitre XX.
SVR LA I. DEĈA. DE TIT. LI. 48
Andis que Rome vefquit foubz
Roys,elle fut toufiours en danger
de perir par l'iniuſtice ou laſcheté
de quelqu'vn : depuis qu'elle les
cut chaffez,la paour & le perilen
fut dehors,au moyen que l'Empire totaltomba
es mains des Confulz , lefquelz ne l'auoient ne
par heritage,ne par dol , ne par force ou ambi.
tion:mais quiconque en eftoit pourucu, l'eftoit
de franche elite. Les voix & fuffrages y estoient
libres & volontaires , ce qui a efté caufe de tant
d'excellens perfonnages qui y font paruenuz.
De la vertu defquelz & felicité, Rome a ioy fi
longuement, qu'elle eftmontee iufques au der
nier degré de fon Empire , en autant d'annees
qu'elle auoit efté foubz les Roys. Par là voyons
nous que peuuent faire deux Princes de valeur,
manians fucceffiuement vnfceptre , veu que la
fuytte de Philippes de Macedonne, & d'Alexá
dre le grand a cfté affez pour conquerir le mó
de .Mais Rome & toute feigneurie reiglee &
ordonnee comme elle,a le moyen(par election
de fes gouuerneurs qui luy appartient ) d'en ac
coupler vn millier de telz qui l'a conduiront.au
bout de perfection mortelle.

Quel blafme meritent ceuxqui netiennent leurs


fuie&Zaguerriz.

chapitre XXI.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Es Monarques d'auiourd'huy de
uroient auoir grád honte, pareil
lemét les feigneuries qui ne duy
fent leurs fubiects aux armes
pour fen feruir au befoing , en af
faillant ou en deffendant: Et ne fault qu'ils f'ex
cufent que le païs n'y eft pas né, & que leurs gés
n'yferoient iamais propres.
L'exemple de Tullus les en peut rendre
fçauans , lequel venant à la coronne , ne trou
ua cheualier ne foldat qui euft onques porté
armes à caufe de la longue paix qui auoit res
gné à Rome l'espace de quarante ans, toutesfois
voyoit qu'il luy falloit mener la guerre . Par
quoy ces raisons ne luy fceurent mettte en tefte
qu'il deuft appeller à fon ayde les Samnites &
Tufchans , lefquelz auoient lors bruit d'eftre
bons combatans . Son aduis fut de fe feruir des
fiens , comme il feit, & fi bien les ſtilla & apriſt
en peu de temps , qu'ils furmonterent en force
& addreffe tous les Peuples circonuoifins , &
ne fe trouuerent depuis gens tant vaillans fuf
fent ils qui en plain camp les ofaffent attendre.
Ilne fault doncques fe fonder fur la nature du
ciel ou de la terre , ne leur en imputer la faulte
fi vos gens ne font aguerriz : elle ne vient de
autre que de celluy qui les a en gouuernement.
A ce propos chafcun fçait la defcente que fei
rent les Anglois en France de fraiche memoi
re . Le Roy d'Angleterre n'y mena autre gent
que de fon païs (fi n'auoient ils de trente ans
eu
SVR LA Í. DECA. DE TIT. LI. 49
eu guerre ) ce nonobftant fans capitaine qui fe
1. fuft iamais trouué en bataille, fans foldat qui
cuft onques gaignè foulde , il entra en ce roy
aume garny de bons chefz & de vieux routiers.
Celà procedoit de la prudence de ce Roy, & de
la bonne police de fon Royaume, auquel pour·
pais qu'il y cult on ne laiffoit l'exercice des ar
mes. Semblablement Pelopidas & Epaminon.
das apres qu'ils curent mis Thebe hors de la
feruitude & fubiection des Lacedemoniens, ils
drefferent de telle forte ce Peuple afferuy , (qui
ſembloit du tout inatile ) qu'ils allerent auecq '.
5 telz nouueaux gendarmes trouuer les Lacede
moniés en pleine campagne , & pourleur coup
d'efflay & apprentiffage , deffirent vaillamment
leurs ennemys , iadis leurs maiftres . Surquoy
dient les hiftoriens ,qu'en tous lieux où naiſſent
gens, naiffent foldatz :mais qu'il y ait qui les dui
fe cóme Tullus fift les Romains, duquel efcript
Virgile.
Virgile.

Refidéſque mouebit.
Tullus in arma viros.
Tullus n'aura peuple negent qui vaille,
Et la feramarcherfiere en bataille.

Que c'eftqu'on peut apprendre de l'histoire des


trois Horaces Romains , destrois
Curiaces Albanois.

Chapitre XXII.
G
DISC. DE NIC, MACCHIA.
Vilus Roy des Romains, & Me
tius Roy d'Albe conuindrent en
femble, pour cuiter l'horrible ef
fufion de fang qui cuft peu ca
fuyuir fils fe fuffent donnez ba
taille, que celluy des deux demoureroit maiftre,
lequel auroit l'honneur du combat particulier
qu'entreprendroient trois cheualiers d'vne part
& autant d'autre.
La fortune fut pour Rome , car tous les
Curiaces y furent mis à mort , & vn des Hora-.
ces en efchappa vif. Par ce moyen eftoit le Roy
Metius & les Albanois rendus fubiects & tri
butaires aux Romains fuyuant leur traicté. Ce
Buy Horace retournát à Rome fier & glorieux.
de fon aduenture , rencontra en fon chemin fa
fceur,femme de l'vn des Curiaces , qui luy vint
au deuant , fondant en larmes & iectant piteux
cris de la mort de fon mary . Le vainqueur ne
peut fouffrir telz pleurs & regretz , & cour
roucé de la veoir en plaignát le vaincu fe plain
dre du vainqueur & de la victoire , fift vn coup
de fa main, encores agitee de fureur bellique, &
l'enuoya tenir compagnie à fon mary & à fes
deux beaux freres . Dequoy foubdain il fut ac
cufe, en grand danger de paffer le pas, fi la prie
re de fon pere n'euft plus vallu que les merites.
Enquoy ie trouue trois chofes dignes de noter.
L'vne qu'il n'eft iamais bon de mettre tout fon
bien au hazard fans mettre toutes les forces,
l'autre qu'il n'y a iamais compenfation de for
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. so
faicts & biens faicts en ville bien reglee, le der
nier poiact , que c'ett fotye & imprudence de
faire traicter qu'il n'eft pas croyable qu'on vou
fift tenir & acomplir, comme en cas.Qui feroit
celluy qui fi peu eftimeroit la vie & le bien de
tout vn païs , qui le liuraft de bon cucur es
mains de fon ennemy foubs vmbre de trois
hommes , lefquelz par fortune ou faute de ver
tu en auroient faict mauuaife garde? Metius en
monftra ce qui en eft,quand fur l'heure de la vi
atoire il confella la debre , & feit au Roy Tul
lus foy & hommage de toute Albanic.
Mais à la premiere occafion qui foffit pour
faire efpreuue de fa loyauté, lors que les Veiens
felleuerent contre les Romains. Il feift femblát
de venir à leur fecours & cuyda bien iouer vn
faux bond à celuy qui ne fen doubtoit pas, & y
eftoit alié trop à la bonne foy . Or auons nous
affez parlé de ce point , reste à depefcher les
deux autres.

Comme on ne doit à uncoup mettre tout lefien à


l'aduenture, qu'on nedeploye aux champs
l'arriereban defa puiſſance.

Chapitre XXIII.

Gy
DISC , DE NIC. MACCHIA.
Amais ne fut attribué à fageffe de
hazarder tout ce qu'on a au mon
de , fans expofer au mefme hazard
toute fa force. Cefte faute fe com
met en plufieurs manieres . Aucu
nesfois en faifant comme Tullus & Metius qui
meirent en la main de trois de leurs gens feule
ment toute la fortune & vertu de quarante ou
cinquante mille combatans,la quantiefme par
tie eftoit ce de leur puiffance que trois hōmes?
penferent ils & I'vn & l'autre qu'ils faifoient
de mettre leur querelle en trois bras , en trois
coups , & leur Royaume qui tant auoit coufté
à leurs maiftres à dreffer & affeurer en liberté,
à peupler & pourueoir de bons citoyens pour
fa defenfe quand befoing en viendroit , vraye
ment ils n'euffent fceu de leur vie pis faire . Pa
reillement faillent en ceft endroit ceux qui ad
uertis de la venue de leurs ennemys , vont gai

gner quelque difficile paffage pour les y atten


dre . Si en telz lieux ils peuuent tenir leur ar
mee entiere , ie ne dys rien : finon , c'eft vn tref
mauuais confeil . Qui me faict ainfi iuger, c'eſt
ce que i'en ay veu pratiquer à quelque Peuple
que ie nommerois bien , lequel eſtant affailly
en fes païs par vn fort ennemy , neantmoins ne
fe voulut oncques fier ny à rochiers ny à mon
taignes dont y auoit foyfon , le mieux iugea
defcendre en plaine terre , voire alla telle foys
au deuant de luy le receuoir , autresfois fe cam
pa de là les monts en plaine deſcouuerte, luy
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. ST
laiffant l'entree à fon commandement. Qui le
meut à voſtre aduis, fe ne fut cefte confidera
tion ?
Que l'on ne peut mener grand gent en ces
deftroids ou pour les viures dont telz lieux
ne fourniffent gueres , ou pour la place cftroi
&e,qui ne peut loger groffe compagnie, & felle
t
y eft petite , ce n'eft pas pour fouftenir l'effort
de l'enemy,lequel peut venir fi gros qu'il veult,
puis que fon intention n'eft de f'arreſter, ains
de paffer feulement. Quant à celuy qui l'attend
au paffage , il ne luy eft poffible d'y eftre qu'en
petit nombre, tant pour les caufes fufdictes que
pour ce qu'il luy fault feiourner là longuemét,
eftant incertain de l'heure que l'autre arriuera.
Venez vous à perdre le paffage que vous fai
fiez voftre compte de garder & en quoy vous &
voz gens auiez mis voftre efperance , vous te
nans comme feurs de l'y arrefter fur le cul: Lors
entre le Peuple en fi merueilleux effroy & con
fufion qu'il n'a cueur ny hardieffe de defendre
le demeurant : Par ainfi venez à tout perdre à
faute de n'auoir mis au fort voftre puiffance en
tiere . Chafcun fçait à quelle peine Annibal
trauerça les Alpes , tant celles qui font bornes
de la France & Lombardie , que les autres qui
font la feparation d'icelle Lombardie & de la
Tofcane . Neantmoins Rome eftima cftre fon
aduantage de le receuoir , premierement fur le
Thefin , puis en la plaine d'Arezze, & eut plus
cher ſe mettre en lieu où Annibal peuft vain
Gij
DISC. DZ NIC. MACCHIA.
cre & elle auffi , que de faller iucher aux nuës
fur les neiges & à vn coup batailler contre na
ture & fon ennemy . Qu'on life par difcretion
les hiftoires tant qu'il y en a , l'on ne trouuera
qu'aucun capitaine de renom ſe foit meflé de
deffendre deftroicts pour les inconueniens ia
deduicts . D'auantage que là ne peut on tenir
force ioincte & vnie , mais conuient la diuifer
& demembrer en plufieurs pieces pour occu
per tous les chemins qui y pcuuent eftre . Lors
viédra l'ennemy qui fçaura par les païfans quel
que fentier inconnecu , ou bien fe ruera à l'en
droit le plus mal gardé, quoy que ce foit dreffe .
ra toute fa force là où vous n'aurez que partie
Du Ry de la voftre . Ainfi en aduint l'an mil. v.c.xv.au
Francoys voyage que feit le Roy de France Françoys,
premier. pour le recouurement du duché de Millan . Le

plus grand fondement de ceux qui eftoient cō.


traires à fon entreprinfe , c'eftoit de luy mettre
les Suiffes fur les mons qui luy deffendroient
le paffage , mais peu leur valut leur aftuce , au
moyen que le Roy fut guidé par les vilains du
païs,& conduit par vn chemin egaré dont nul
ne fe doubtoit : en forte qu'il porta luy mefme
en Italie les premieres nouuelles de fa venuë ,
& furent tous cfbahys qu'ils l'apperceurent de
dans lors qu'ils l'en cuydoient bien loing.
Qu'en aduint ille pais eftonné & confuz de
fon entree qu'il n'efperoit en façon quelcon T
1
que, incontinent fe rendit à luy . Les beaux gar
deurs de neige: cependant auoient là bel atten

1
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 52
S dre,& quandils fceurent ce qui en eftoit, & có
me ils auoient au dos celluy qu'ils efperoient
enbarbe,tous efperduz fe retirerent à Millan la
queue entre les iambes.

Es Republiques bien reiglees y a guerdons


peines ordonnees felon les merites,
n'y efchet aucune compenfation.

XXIIII
Chapitre

Orace auoit beaucoup merité de


bien & d'honneur d'auoir vaincu
par la prouëffe les Curiaces .
Depuis il commiſt vn laſche
FI
tour en tuatla propre fœur, pour
lequel peu fen falut qu'il ne fut condamné à
mort,nonobſtant la freſche memoire de fes no
tables feruices .
Beaucoup de gens prenans les chofes à l'ef
corce le trouueront mauuais, & iugerốt que ce
là prouint de l'ingratitude du Peuple. Mais qui
bien y penfera & confiderera quelle iuftice
doibt eftre gardee en vne ville , dira qu'à tort il
fut abfouz pour ce qu'en crimes & meffaicts
les merites & biens fais ne doibuent feruit
d'excufe . Quiconque par fa bonté a defferuy
falaire , il en doibt eftre payé fans delay , auffi
quand il aura commis cas digne de punition
bien qu'il ayt autresfois faict , il n'en doit
pour
laiff à eftre puny. Si ce point eft gardé com
er
Gi
DISC, DE NIC, MACCHIA,
me il faut en vne cité croyez qu'elle fen trou
uera bien , & autrement ne fera de longue du
rec . Et la raison en eft euidente, car telles gens
pour la reputation du monde qu'ils acquierent
par leurs haults faicts montent communément
en grand orgueil . Mais fils voyent encores
qu'en faueur de leurs œuures on leur face gra
29 20
ce des excez & folies qu'ils commettront,la te Z 24
a
d
merité & outrecuydance leur viendra à croi z
Capac Yawok t
ftre telle qu'il n'y aura outrage ne malheur que e e he
ils n'entreprennent . Vray eft qu'il ne faut auſſi rég d'homm
é e
faillir à recompenfer les bons feruices nomplus
Th forme
qu'à punir les delicts , comme nous voyons que e lic
Rome a efté toufiours fongneufe de pourueoir yes tax tear apart
à l'vn & à l'autre . Ie dis d'auantage qu'vne vil
Te quelque pauureté qu'elle ait , fi fault il qu'el Cam 117
.
le donne à fes loyaux feruiteurs de fi peu qu'el
le a , & tant petit que foit le don , puis qu'il Fro
mmea envie de
vient en recompenfe de vertu , il tiendra touf poli
de ceenfor vi
jours place d'vn riche & magnificque prefent, all tie
Chafcun fçait l'hiftoire d'Horacius Cocles & de e nce & for
com
c
feembt, lay v ien
Horatius Mutius Sceuola , comme le premier par fa che
lanc & mor
e c& e
leborgne, ualerie merucilleufe fouftint feul l'effort des duma E fail do
nı, nce ant e
ennemys fur le pont leuis , tandis qu'on le tran c car
choit derriere, l'autre meit la main au feu apres Comm yabor riaenni hangiee,refnudit
ent
ned ot me
com hom
qu'il eut failly à tuer le Roy Porfena . Que don le ex mundes mesPar
san terie d cho
na Rome ie vous prie à ces deux vaillans cham ce ure es les,c
Rom l'oc
pions pour tout falaire : Elle feift faire à ſes def Le a in cafi d
o
pens à chafcun vne belle ftatue de terre. Man art s fon sàl liben e
entà der eur rte,
Ius Capitolinus pour auoir fauué le Capitole far deho fire de
er rs, nt ux
de la main des Gaulois , qui cftaient deſia de dr Roy,& neleurbaile
dima q do erge
ire ue uze( ans
SVR LA I. DECA . DE TJT. LI.
$3
dans, eut de fes compagnons (qui auoient fouf
fert le fiege auec luy) vne mefure de farine en
prefent. C'eftoit lors grand chofe veu le temps,
& le print Manlius fi fort à fagloire, que depuis
il le meit à faire fedition à Rome foubz la fa
ueur du commun peuple: au moyen dequoy
fans auoir efgard à fes feruices paffez, il fut mi
ferablement ietté du haut en bas du Capitolle :
duquel la garde l'auoit fait au parauant mon
ter en fi haut degré d'honneur.

Que celuy qui veut reformer l'eftat ancien d'vn


pays endoibt retenir l'apparence.

Chapitre XXV.

Viconque a enuie de mettre nou


uelle police en vne ville, fil veut
qu'elle tienne & y foit bien re
ceuë , il luy conuient garder la
femblance & l'vmbre de celle
qui y eftoit deuant. En ce faifant il ne femble
ra point qu'il y ait rien changé , fuft l'eftat que
yous y mettrez tout autre entierement que l'an
cien : car le commun des hommes farreſte plus
à l'apparence exterieure des chofes , qu'à la pu
re verité.Les Romains à l'occafion de ce quand
commencerent à fonder leur liberté, apres que
les Roys furent dehors , feirent deux Confulz
au lieu d'vn Roy, & ne leur baillerent pour
garde ordinaire que douze fergeans (qu'ilz ap
1
DISC . DE NIC. MACCHIA.
pelloient licteurs ) pource que le Roy n'en a
uoit pas d'auantage. Il fe faifoit à Rome vn an
niuerfaire, auquel le Roy fans autre faifoit l'of
fice,dont aduiferent de crear en fa place vne di→
gnité de prebftrife qu'ilz nommerent le Roy
Sacrificule,lequel eftoit infericur du grád Preb
ftre. Ce qu'ilz feirent à fin de contenter le peu
ple, & faire fi bien qu'il n'euft regret aux Roys
en aucune maniere. Qui voudra doncques re
former l'estat d'vn païs , & y en faire vn tout
neuf,il luy eſt beſoing de tromper le monde ,en
retenant quelque apparence de la police accou
ftumec, qui luy face croire que tout eft encores
comme il eftoit.Et fil luy faut changer le nom
bre,la puiſſance, le temps que dureront les offi
ces, qu'aumoins il retienne le nom ancien qu'ils
auoient. Cefte innouation dont nous parlons
eft neceffaire à qui autoit occupé tyrannie en
quelque païs,& la voudroit bien affeurer.

En nouueau Prince doibt faire toutes chofes


nonnelles en pays de canqueste.

Chapitre XXVI.

Eluy qui deuient feigneur d'vne vil


le ou d'vn païs , meſmement où il
n'a gueres bon fondement , & ne la
veut tenir, ne comme Royaume, ne
comme Republicque reiglee. Il ne fçauroit a
uoir meilleur moyen pour y durer longuement
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 54
qu'en faisant tout nouueau ainſi qu'il eft nou
ucan , y eft bliffant gouuernement & gouuer.
neurs nouueaux , auecques noms & auctorité
non accoustumee , faifant les pauures riches &
les riches pauures, comme feift Dauid à l'entree
de fon regne.

Efurientes impleuitbonis, & diuites dimifit inanes.


Les fouffreteux il remplit de biens , & vuida
les afres des riches.

Oultre il faut qu'il edifie villes neufues, qu'il


abbatte & demoliffe les vieilles , qu'il enuoye
les habitans d'vn lieu en autre , en fomme qu'il
ne laiffe rien à quoy il ne mette la main , à fin
que tous ceux qui tiendront degrez , eſtatz , of.
fices , ou autres biens , recognoiffent tenir tout
de luy à l'exemple de Philippes de Macedone
pere du grand Alexandre , lequel au commen.
cement n'eftoit rien , & en deuint Monarque
de toute la Grece. Duquel il a efté dit qu'il fai
foit remuer les gens de ville en ville, comme les
bergiers promenent leurs cabanes. Vray eft que
relle maniere de viure n'eft ny honnefte , ny
chreftienne , & mieux vaudroit à vn homme
viure à fon priué , que d'eftre Roy , & vfer de
telle inhumanité & cruauté. Mais qui le ſeroit
d'auenture , & ne le foucieroit autrement de
prendre le bon chemin , il faudroit fil vouloit
tenir qu'il paffaft par là , & vfaft de telz maux
& enormitcz. En quoy l'homme faut volon
DISC . DE NIC . MACCHIA.
tiers penfant filler entre deux , & n'eftre en ex
tremité bon ne mauuais, car il luy faut eftre en
ce cas tout vn ou tout autre.

Qu'il n'y a gueres degens qui fcachent estre


tout bons ou tout mauuais.

Chapitre XXVII.

E Pape Iule fecond fut à Bou


longne l'an mil cinq ces & cinq ,
pour en chaffer les Bétiuoles qui
en auoient iouy paisiblemét eux
& leurs predecefleurs l'espace de
bien cet ans . De là il voulut aller à Perufe pour
en mettre pareillement hors Ian Pagol Baillon
qui la poffedoit à tort & fans tiltre. Car l'inten
tion du fainct Pere eftoit de reünir & remet
tre en fa main toutes les terres de l'Eglife qui e
ſtoient lors detenues & poffedees par diuers
Seigneurs. Quand il fut là arriué l'on fatten
doit qu'il deuft tout renger par force en fon o
beïffance. Mais on fut tout efbahy qu'il y en
tra fans baſton ne verge , combien qu'il fceuft
que Ian Pagol y eftoit auecques gens affez pour
fa deffence. Sa fureur qu'il auoit naturelle l'y
porta ainfi , & le liura ( accompagné de fa fim
ple garde ) entre les mains de fon ennemy : tou
tesfois il l'emmena auec luy à fon partir, & laif
fa en la ville vn gouuerneur pour l'Eglife . Ceft
acte, par gens fages qui eftoient auecques le Pa
SVR LA 1. DEČA. de tit. li. SS
pe,luy fut attribué à grand temerité, & à grand
villenie à l'autre : & ne fçauoient bonnement
penfer à quoy il tint qu'il ne faccagea à l'heu
re fon ennemy mortel qu'il auoit à comman
dement, enſemble les Cardinaux qui y eftoient
auec leur train & bagage d'ineftimable valeur.
L'on ne pouuoit croire que fa bonté l'en cuſt
retardé , ou quelque remord de conſcience, Ce
n'eftoit pas chofe trop à prefumer de celuy qui
abufoit de fa fœur , & n'eftoit paruenu là , que
par meurdre de fes coufins & nepueux. Dont
fut conclud que les hommes ne fçauent eftre
bons ou mefchans à oultrance, & parce moyen
laiffent perdre de grandes occaſions & fortu
nes, ou telle extremité feroit requife. Voylà ce
qui empefcha Ian Pagol d'accomplir le cas qui
foffroit à lay,dont il euft à iamais efté memoi
re : toutesfois il ne craignoit de commettre in
cefte & parricide au veu & fceu de tout le mon
de. Il cuft efté le premier qui euft fait entendre Entendez
aux prelatz, quelle eftime on doibt faire de ceux àcause des
qui ne viuentfelon leur eftat , ainfiqu'il appar- meurs ter
tient. Et n'eftoit rien lemal qui luy en pouuoit ribles du
venir,au pris du proufit & de la gloire. PapeInles.

Pourquoy les Atheniensfurentplus ingrat


àleurs citoyens que les Romains.

Chapitre XXXIII.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Vi lira les hiftoires des feigneu
ries & Republicques , qui iadis
ont efté , il les trouuera toutes
entierement tachées d'ingratitu→
de:mais Rome moins qu'Athe
nes , voire parauenture que nulle autre. Celà
ne procedoit à le faire court) que de foufpeçon
qu'auoit Athenes fur fes gens par raifon plus
que Rome. Car à parler d'elle depuis la fin des
Roys iufques au temps de Sylla & Marius , fa
liberté ne fut affubiectie par nyl des fiens. Par
quoy elle n'auoit occafion d'entrer en fanta
fie d'eux , ne confequemment de les perfecu
ter & outrager fans caufe. D'Athenes il alloit
bien autrement : Car en la fleur de fon regne
Pifftratus. Piliftratus y occupa tyrannie , & ce foubz elpe
ce & couleur de bien : quand elle felveir depuis
hors de feruitude , deuint fi vmbragenfe qu'el
-le n'euft pas laiffe paffer ne pardonné aux fiens
ovne feule offenfe , voire ny vnc apparence de
faute. Voilà pourquoy y furent bannis & mou
At -rurent tant de grands & excellens perfonna
oftracisme ges. Voilà dont vint l'oftracifife & autres ri
gueurs & violences qu'elle exerça contre les
plus gens de bien. A ce propos dient bien vray
lesPoliticiens , qu'vn peuple qui vicar à recou
urer liberté eft plus dangereux de la dent , que
ceux qui l'ont toufiours gardee fans perdre.
Conclufion , Rome n'en eft point plus à louer,
ny Athenes à blafmer , tout depend de fortu
ne & des accidens diuers,lefquelz font pluftoft
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 56
aduenuz à l'vne qu'à l'autre. Et croyez certai
nement que Rome n'en cuft pas moins fait fi
elle cuft efté mife par les citoyens en auffi pi
teux eftat qu'Athenes. Bien l'a monftré en Col- Collatin .
latinus & Publius Valerius apres la ruine des
Roys , dont le premier qui auoit tant aydé en
tre autres à fa deliurance , elle le bannit ,feu
lement pource qu'il portoit le nom des Tar
quins , & le fecond à caufe qu'il auoit baſti vn
beau logis au mont Celius.

Lequel eft le plus ingrat, un Roy, ou


un peuple.

Chapitre XXIX.

R puis que nous fommes entrez


fi auant en propos d'ingratitude,
ie vous en veux dechiffrer vn au
tre poinct , à fin de n'y reuenir
plus . C'eſt à fçauoir , qui y eft
plus fubiect ou vn peuple ou vn Prince . Et
pour mieux difputer la matiere , eft à prefup
pofer que ce vice leur vient de foufpeçon ou
d'auarice. Comme l'vn des deux enuoye vn ca
pitaine dehors en quelque voyage d'importan
ce, où il gaigne la victoire,& acquiert honneur
merueilleux , fi à fon retour il n'eft recueilly,
honnoré & guerdonné par fon maistre felon
fes merites , ains qu'au lieu de digne recom
penfe il reçoiue de luy ( par fa chicheté ) ennuy
DISC. DE NIC. MACCHIA.
& fafcherie , tant fen fault que telle villenie.
trouue excufe aucune , qu'elle eft cauſe à qui
fait le tour , de honte & infamie perpetuelle.
Toutesfois il fen veoit affez qui tombent en
cefte faute , dequoy la raifon eft telle que dir
Cornelius Tacitus:

Cornelius
Procliuius eft iniuria , quam beneficio vicem exol
Tacitus.
uere,quiagratiaoneri, vltio in quaftu habetur.
Nous fommes trop plus promptz à rendre
la pareille en iniure qu'en plaifir , d'autant que
nous tenons comme à charge la recognoiſſan
ce des biensfaictz , & la vengeance à gain &
auantage .

Or fi cefte ingratitude du Roy ou du peuple


procedoit de quelque doubte qu'il cuft fur le
perfonnage , elle feroit aucunement excufable.
Il en aduient chacun iour affez de telles , com
me quand le capitaine par fa prouèffe a con
quis vn Royaume ou Empire à fon maistre , il
en acquiert bruit & loz infini , il abolit le nom
de fes ennemis, il enrichit fes gend'armes,dont
il entre en reputation incroyable enuers ceux
qu'il a vaincuz , & ceux par qui , & pour qui.
Parquoy n'eft poffible que le Seigneur qui l'a
mis en befongne n'en fente quelque efcarmou
che en fon efprit , tant eft noftre nature ambi
ticufe & foufpeçonneufe, & fcait mal porter fa
fortune moderément. Si doncques fon maiſtre
en a mal en la tefte , il eft aifé à aduenir qu'au
capi
SVR IA 1. DECA. DE TIT. LI.
tale capitaine gay & content de fa perfonne il ef
qui chappe quelque mot ou façon de faire trop haut
Me taine , qui fe puiffe prendre & interpreter en
උස mauuaife partie , & qui face croire au Prince
pour certain ce qu'il en penfoit. Que fera il lors
(fil eft fage ) finon de fe garder & affeurer de
luy ou en le depefchant en forme commune,
In ou luy oftant la reputation qu'il auroit gaignee
par ſa vertu , ſemant & donnant à entendre par
dre fubtilz moyens que l'honneur de la victoire ap
partient à fortune ou aux autres chefz qui e
que
11 ftoient auec luy , ou que ç'a efté par la couar
dife & lafcheté des ennemis. Apres que Veſpa
1&
fian eftant en Iudee fut declaré Empereur par
fon oft, Antonius Primus qui lors tenoit au
trearmee en Illitie print fon party , & fen alla
ple
le droit en Italie rencontrer Vitellius qui regnoit
à Rome , lequel il defconfit deux fois en iufte
le.
m bataille,& entra à Rome au nom de Vefpafian:
n de forte que quand Mutianus y arriua, que Ve
il fpafian enuoioit , il trouua defia tout vaincu &
reduit à la fubiection de fon maiftre. Depuis
m
1! il demit le pauuré Antonius de fa charge & peu
X à peu le retiraà Rome , & le rendit auffi petit
7 que le plus fimple de la ville. Ce voyant Anto
1 nius alla vers Veſpaſian ( lequel eftoit encores
en Afie ) penfant trouuer meilleur recueil en
luy qu'en fon lieutenant. Mais en peu de temps
ilfy veit fans auctorité ne preeminence quel
conque, & de deſeſpoir en mourut. Les hiftoi
res font toutes pleines de telles recompenfes
H
DISC. DE NIC. MACCHIA.
faites aux loyaux feruiteurs , & de noftre temps
Gonfaluo Ferranté en a bien eu fa part , lequel
eftant lieutenant general pour le Roy d'Arra
gon au Royaume de Naples contre les Fran
çois,feit tant par fa finguliere vertu qu'il le con
quift & meift entierement en l'obeïſſance de
fon feigneur , lequel y vint quelque temps a
pres, & luy tollit premierement la charge &
conduite de fes gens, puis les fortereffes du païs
qu'il tenoit. Ce faict , l'emmena en Espagne,
où il finit fes iours fans honneur , & autrement
qu'il ne meritoit. Si n'y a il remede, ces foulpe
çons que ie dy font fi naturelz aux Princes , que
ils ne fe fcauroient iamais exempter qu'ils ne
portent enuic ou maltalent à qui aura fait de
grandes conqueftes foubz leur enfeigne. S'il eft
ainfi des Roys , il ne fe faut efbahir qu'il en ad
uienne autant à vn peuple. Car vn païs de li
' berté a deux fins principales , c'eſt à fcauoir de
acquefter, & de fe maintenir en fon cftat : des
fautes qu'il commet quant au premier poinct,
nous en parlerons en temps & lieu : les autres
font comme de punir ceux qu'on deuroit guer
donner ,tenir pour fufpectz ceux en qui on ſe
deuroit plus fier. Et combien que telles chofes
foient caufes de grandz maux en vne Republi
que corrompue , & qu'aucunesfois en enfui
ue tyrannie , comme à Rome de Cefar qui ſe
paya par les mains , & print par force ce qu'il a
uoit merité , & que l'ingratitude du peuple luy 1
detenuit : Neantmoins yn tel cas feroit grand
4
SVR LA I. DECA . DE FIT. LÌ:
bien à vne ville qui feroit encores faine & ens
tiere,la feroit viure longuement en liberté,tien
droit en crainte les ambitieux & hautains. A
mon aduis Rome a efté la moins ingrate de tou
tes les Republicques qui ont eu Empire pour
les raifons que l'ay dites ,& ne le trouve vray
exemple de fon ingratitude qu'en Scipion. Car
de Coriolanus & Camillus ils furent bannis
pour l'iniure qu'ils auoient fait au peuple, dont
I'vn n'eut iamais fon pardon , pource qu'il de
meura obftiné en fon inimitié, l'autre ne fut pas
feulement rappellé, ains toufiours depuis aymé
& adoré quafi comme Roy. Mais le foufpeçon
qu'ils eurent de Scipion eftoit d'autre manie
re , & oncques aŭ parauant n'en auoient eu de
tel fur perfonne . Auffi eftoir il accomply &
doüé d'autres vertuz que les autres. Sa ieuneffe,
fa prudence , fes conditions excellentes le ren
doient par trop admirable , le puiffant ennemy
qu'il furmonta , la longue & perilleufe guerre
qu'en peu de temps il acheua, ces chofes le mei
rent en plus haute eftime que capitaine qui euft
jamais efté: tant que les Senateurs,les Preteurs,
tous les officiers de la ville le craignoient & re
ueroient. Celà ne plaifoit trop aux mieux ad
uifez , pource qu'on ne l'auoit accouftumé de
veoir à Rome. Parquoy Cato qui eftoit repu
té fainct homme en print la querelle, difant que
la ville où les prefidens & iuges redoubtoient,
l'autorité d'vn citoyen ne fe pouuoit dire fran
the & libre. Si lots le peuple fuiuit l'opinion
Hij
DISC. DZ NIC . MACCHIA.
de Cato en ce qui concernoit le faict de ſa li
berté , l'ingratitude dont il vía enuers Scipion
merite quelque excufe.En fomme c'eft mon iu
gement , que ce qui rend les gens ingratz , c'eſt
le foufpeçon & l'auarice :de la derniere,le peu
ple n'eft pas volontiers entaché: de l'autre beau
coup moins que les Princes , pour les raifons.
que ie diray maintenant.

Que doit faire un Roy ou unefeigneurie pourfoy


: garder du vice d'ingratitude , les capi
taines& citoyens pour n'en rece
uoir encombrier.

Chapitre XXX.

N Prince pour ſe mettre hors de


danger d'eftre trop foufpeçon
neux & ingrat,faut qu'il fe trou
ue en perfonne à la guerre,com
me faifoient au commencement
les Empereurs de Rome , & comme fait au
jourd'huy le grand Seigneur , & l'ont fait &
font encores tous ceux qui font vertueux. Car
alors luy appartiendra l'honneur & le proufit
entier des victoires : mais quand ils n'ont efté
prefens aux conqueftes,le loz en eft à leurs licu
tenans, & à eux ne femble qu'ils puiffent iouyr
de ce qui à efté gaigné fur les ennemis , fils
n'effacent l'honneur de l'autre , lequel ils n'ont
fceu acquerir eux mefmes. Ainfi viennent à luy
SVR LA I. DECA. DE TIT. ir. 59
eftre ingratz & iniques , en quoy ils ont fou
uent la moitié plus de perte que de gain. Mais
fi par pareffe ou faute de prudence ils gardent
la maiſon fans rien faire, & enuoient leurs lieu
tenans aux affaires , ie ne leur fcaurois remon
ftrer autre chofe, que ce qu'ils fcauent bien.
Quant eft d'vn capitaine , au cas qu'il ne puif
fe efchapper le croc de ce malheur , il faudra
qu'il face de deux chofes l'vne : ou qu'inconti
nent la guerre finie il laiffe l'armee de fon bon
gré fans attendre mandement , & la remette és
mains de fon maiſtre : au demeurant ſe garde
de faire chofe qui fente trop fon cueur, fa fier
té & infolence, à fin d'eftre hors de ce foufpe
çon , & ne donner occafion que de fe faire ay
mer & recompenfer de fes feruices. S'il ne luy
femble bon ainfi , fe declare franchement &
prenne le party contraire , lors qu'il employe
tous les moyens , par lefquelz il pourra de l'ac
queft de fonfeigneur faire fon propre , gaigne
les cueurs des gendarmes & de ceux du païs,fa
ce amitiez & confederations nouuelles auec les
peuples circonuoifins , fe faififfe des chasteaux
& places fortes , tire de fon cofté par moyens
les plus apparens de fon oft, & de ceux qu'il ne
pourraauoir le donne garde qu'ils ne luy puif
fent nuire. Ce faifant il auancera à fon maiftre
la peine & vengeance du mauuais tour qu'il luy
voudroit faire fil le tenoit. Ie ne fcache autre
voye que celle là qui luy fuft bonne: mais ( com
me i'ay defia dit )les hommes ne fcauent pas
H iij
DISC. DE NIC. MACCHIA,
eftre tous bons où il faut,ou du tout mefchans,
dont il aduient prefque toufiours qu'apres la
victoire ils ne fe veulent incontinent deffaire
de leur charge & deffaifir de l'armee , ils ne fe
peuuent porter fagement & modeftement , &
fine fcauent vfer des termes de rigueur & vio
lence parfaite. Tandis qu'ils font en cefte dou
te & lente deliberation voicy venir le feigneur
qui les defpouille & defgarnit de toute puif

fance , & finablement les opprime. Quant eft
C
d'vne feigneurie qui fe voudroit preferuer &
exempter de ce vice deteftable , on ne luy peut
bailler tel remede qu'au Prince . Car elle ne
fcauroit affifter elle mefme és guerres , il faut
par neceffité qu'elle fen fic à quelqu'vn des
fiens. Le vray moyen fera pour la rendre moins
ingrate que les autres , qu'elle fe reigle & con
forme à l'imitation de Rome . Rome auoit cou
ftume de fe feruir en fes guerres tant de no
bles que d'autres , au moyen dequoy fy trou
uaient de gentila cheualiers & capitaines de
toute maniere de gens. Ce qui luy tolliffait l'oce
cafion de conceuoir mauuaife fantafie fur au
cun d'eux , veu qu'il y en auoit tant de grands ,
que l'vn empefchoit l'autre d'entreprendre.
Oultre y auoit loix expreffes contre l'ambi
tion , par lefquelles ils eftoient de fi pres te
nuz, qu'ils n'ofoient monftrer le moindre fem
blant de rien attenter, en forte que quand ils ve
poient à cftre créez Dictateurs , celuy qui pluf
1oft fen depofoir , eftoit le plus prife & cfti
1
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 60
mé. Ainfi en oftant à Rome les caufes de fou
fpeçon on la gardoit d'eftre ingrate. Celle donc
quesqui veut euiter ce malheureux vice, fe doit
gouuerner à la mode de Rome, & celuy qui de
fireen cuader l'attainte , faut qu'il face comme
les citoyens Romains.

Que Rome nepuniffoit fes capitaines de peine ex


traordinaire , quelque faute quils euffent
faite àleur efcient ou par ignoran
1
ce, quelque dommageque
elle en euft recen.

Chapitre XXXI..

Es Romains n'ont pas feulement


efté ( comme nous auons prou
ué) moins ingratz que les autres :
mais auffi ont efté plus doux &
humains enuers leurs capitaines,
& ont vlé de plus grande difcretion à les pu
nir. S'ils auoient failly par malice , ilz les cha
ftioient bien doucement : fil n'y auoit que de
l'imprudence , ils les honnoroient & guerdon
noient fouuent , au lieu de les mal traiter. C'e
ftoitvne confideration plus profonde & plus
merueilleufe que l'on ne penfe. Rome regar
doit que la charge de conduire vn oft eftoir de
telle difficulté & importance , qu'il falloit que
celuy qui la prenoit cuft fon efprit deliure de
toute autre penfee, trouble & empefchement
Hij
1
DISC DE NIC. MACCHIA.
quelconque , que qui le fantaiſiroit d'ailleurs,
il ne feroit iamais chofe qui valuft . Comme
quand vn capitaine eftoit enuoyé en Grece con
Philippes tre Philippes de Macedoine , ou en Italie con
de Mace- tre Annibal , ou contre les peuples des fron
daine. tieres qu'elle vainquit les premiers , celuy qui y
Annibal. alloit auoit le foing entier de tout ce qui eftoir
à faire : l'on fcait affez quel faiz, quel foucy &
trauail il ya. Si doncques lors ils cuffent eu de
furcreft vne crainte d'eftre crucifiez & tour
mentez à leur retour , fi tout ne feftoit bien
porté , & qu'ils euffent eu deuant les yeux l'e
xemple de ceux qui en tel cas auroient efté ain
fi traitez , iamais n'euffent eu le cueur de pen
fer à quelque hardie entreprinfe. Ce fage peu
ple iugeoit que l'angoiffe qu'ils fouffroient d'a
uoir perdu,leur eftoit affez griefue & dure pc
nitence ,fans adiouſter mal fur mal, & donner
Sergius affliction aux affligez. Que feit il´à Sergius &
Verginius, Verginius à la guerre de Veiens ? chacun d'eux.
auoit fon armec à part en diuers lieux , Ser
gius eftoit en lieu pour attendre & recueillir
les Tulcans, Verginius eftoit campé d'autre co
sté pour en fouftenir d'autres : Aduint que les
Falifques accompagnez de plufieurs nations,
vindrent ruer fur Sergius , lequel fapperceut
affez qu'il ne feroit le plus fort , toutesfois ay
ma il mieux eftre mis en route , que requerir
fecours à fon compagnon . De luy auffi il ne
le daigna faire , combien qu'il en fceuft le be
foing voulant en eftre prié , & ainfi fur l'oft
SUR LA I. DECA . DE TIT. LI. GI
Teurs, des Romains defconfit par la feule gloire & có
MADC
tentiondes capitaines . Vrayement de ce cas on
econ feroitmauuais iugement de la police de Rome
COD ficeftefaulte fuftdemeuree impunye. Pourtant
from ils n'en furent condamnez qu'en amende pecu
quir niaire ,ou en autre lieu leurs teftes en fuffent
ftot volees,car le cas le valoit trop comme l'enten
cy& doit bien le Senat & le peuple de Rome , mais
ade pourles raifons deffufdictes il vouloit garder
Our l'ancienne couftume . Auffi feit il pareille grace
Dica à Varro,combien quefon crime ne fuft pareil, Varro.
& que par fa folie & temerité les Romains per
10 dirent la journee à Cannes contre Annibal , par
en laquelle c'eftoit faict de Rome, fi celuy qui lors
‫כ‬
fceutvaincre euft fceu vfer de fa victoire . Mais
ja quand Varro reuint,le Senat luy alla au deuant,
Je & nelepouuat à droic remercier de l'yffuë de
net la bataille ,le remercia de ce queparfon retour
& il declaroit qu'il ne defefperoit pas encores de
UX la fortune de Rome . Quand Papirius Curfor Papirius
er voulut faire mourir Fabius , pource qu'il auoit Curfor.
lis combatu contre les Samnites , nonobftant fes
0
deffenfes :la plus grand raifon qu'allegua le pe
es re de Fabius côtre le Dictateur,cefut qu'il vou
S, loit (difoit il ) apprendre à Rome à vfer d'vne
‫ا‬ cruauté enuers,les vainqueurs dont elle n'auoir
iamais vfé contre les vaincuz .

Vn Roy & vneſeigneurie ne doit attendre à la


neceßité à ferdegracieuſeté auxfiens,
Chapitre XXXII.
DISC. DE NIC. MACCHIA .
L ne feroit pas bon de farrefter
à l'exemple des Romains en vn
cas que ie vous voys dire , iaçoit
qu'à eux il n'en aduint que bien.
Le Roy Porfena vint affieger
la ville pour remettre les Tarquins en leur
fiege Royal,dequoy le Senat eftonné , & doub
tant de la volonté du Peuple qu'il n'aymaſt
mieux d'aduenture receuoir les Roys , qu'en
durer les peines & calamitez de la guerre. Pour
le gaigner le dechargea de la gabelle du fel &
d'autres tributz & peages,difant que les poures
gens faifoient beaucoup pour la ville, de bien
nourrir & entretenir leurs enfans.
Le Peuple tout fatisfaict de ce foulagement
fupporta de bon cueur le fiege & la famine . Si
ne fault il pas ainfi faire: car fi lors en prit bien à
Rome ,il n'aduiendra pas de cent fois vne, à
caufe que les gens communément ne vous en
fçauront nul gré,ains en remercieront leurs en
nemys , penfans que le befoing preſent auroit
efté caufe de cefte liberalité , & que la neceffité
paffee , leur don & priuilege expireroit . Mais
l'occafio qui feit que les Romains ne f'en trou
uerent point mal , ce fut au moyen que l'eftat
eftoit nouueau & non encores acheue de dref
fer,& que defia y auoit beaucoup des loix ten
dans à la faueur du commun , comme fur tou
tes celle qui attribuoit au Peuple la fouuera ne F
connoiffance des caufes par appel . Ce qui fai
foit prefumer que ce plaifir de l'impofition
SVR LA DECA . DE TIT. LI . 62
abolye procedoit du bon vouloir du Senat en
uers le Peuple,& non du danger imminent.
Auffi feruit grandement la memoire freſche
des ords & fales meftiers & feruices efquelz les
Roys les auoient vilainement employez . Et
d'autant que telles chofes ne font gueres con
currentes en ce cas,peu fouuent on en voit pro
perer l'yffuë . Parquoy le meilleur fera à vn
Prince ou feigneurie d'aduifer d'heure quelle
fortune leur pourroit aduenir , & felle adue
noit,de qui ils auroient plus affaire & comme
ils fe deuroient porter enuers eux . Lors auant
le coup fedifpofer de les traicter ainsi qu'il fau
droit faire au temps de l'aduerfité . Celluy qui
en vfera autrement, foit Roy,foit Republique
( principallement le Roy ) & qui attendra au
befoing à fe monftrer amy à fes fubic&s f'ilfy
fie il fabufe : car tant fen fauldra que ce moy
en luy donne ſupport que pluftoft auancera fa
Tuyne,

Quand un mal naist & croist en une Repu


blique il vault mieux temporiferque
le hurter depleine violence.

Chapitre XXXIII,

A feigneurie de Rome eftoit creuë


en force, gloire & grandeur que fes
vayfins n'auoient point encores pen.
fe,‫ & ג‬n'entendoient quelle couuer
DISC. DE NIC. MACCHIA .
ture & vmbrage leur pouuoit faire ce manteau 10
qui feflargiffoit ainfi . A la fin commencerent
ày mordre & reconnoiftre leur faute , mais fur
le tard . Or pour y donner remede feirent en
femble alliance iufques à quarante peuples tous
iurants la deſtruction de Rome , laquelle de fa
part pour fe deffendre & refifter à leur entrepri
fe fe meit à chercher quelque moyen extraordi
naire comme elle auoit accouftumé de faire en
l'extremité . Le moyen fut de creer vn Dicta
teur,c'eſt à dire vn perſonnage qui auroit toute
puiffance , non plus ne moins qu'vn Roy qui
pourroit de luy mefme entreprendre ce qui luy
fembleroit bofans autre cofeil, & que de fes iu
12
gemés n'y auroit point d'appel. Ce remede nou
neau fut fià propos qu'elle en fortit de dager&
depuisluy feruit toufiours de dernier refuge en
fes plus grades aduerfitez, lefquelles luy furuin
drent à foifon fur l'accroiffemét de fonEmpire.
Sur ce cas que venez d'oyr mo diſcours eft que
quand il fefleue vn peril & inconuenient en
vne Republique ou contre elle lequel a raci
ne dehors où dedans , lors qu'il fera deuenu fi
grand qu'il y aura à craindre , le plus feur me
femble d'obeyr vn peu au coup en attendant
l'heure , pluftoft que de vouloir tout rompre à
tort & à trauers . Ceux qui le cuydent faire , le
: plus fouuent au lieu de l'affommer ou eftouffer
ils le renforcent & auancent . Or de telz dan
gers il en aduient beaucoup plus par occafion
intrinfeque que par extrinfeque, comme quand
SVR LA I. DECA. DE TIT. in 63
on laiſſe en vne ville vn perfonnage croiſtre en
trop grande auctorité, & d'auoir & d'amys , ou
: quand par nonchalloir & indifcretio peu à peu
la loyfe perd & abroge,qui eftoit le nerf & fon
3 dement de la vie ciuile , le mal peu à peu empi
refifort par noftre fouffrance & negligence, &
tellement fenracine, qu'il y a adonc plus de dá
ger d'y toucher que de le laiffer en paix . Mais
vne imperfection naturelle nous empeſche de
leveoir & connoiftre qui eft que nous fauori
fons volontiers vne chofe nouuelle qui com
mence, & principallement quand c'eft quelque
œuure d'vne ieune perfonne qui a apparéce de
bien . Car fi l'on voit vne ieuneffe fefleuer,
douce de vertu, non commune , elle ſe faict re
garder de tout le monde, chacun la prise en fon
cueur , chacun l'adore , nul ne fe peut garder de
l'aymer. Et fil y a en luy vn feul grain de gloire,
& d'ambition , il eſt ſoubdain enflé &augmen
té par les faueurs que fa nature luy cauſe, & que
le Peuple luy porte rauy & aueuglé de fon a
mour outre meſure. Quand il eft defia monté ſi
hault que chacun le voit , on penfe d'y reme :
dier,mais il n'eft plus temps,la maladie à la lon
gue eft deuenue incurable , de forte que fils taf
chent àl'arracher, ils l'engregent & gaftent tour.
AFlorence, n'a pas long temps, y en a euvn bel
exemple en Cofme de Medicis , duquel la no- Dela mai
ble maiſon des Medicis a pris fouche de fa hau-fon de Me
teffe .Sa prudence qui eftoit incroyable pour dicis.
l'aage , le meit en telle admiration du Peuple
DISC. DE NIC. MACCHIA.
ignorant qu'il vint à faire branfler foubs luy la
feigneurie , tant qu'il n'y auoit homme qui luy
ofaft rien dire , & qui l'euft laiffee en ceſt eſtat
ilfen alloit feigneur & duc de Florence . Lors
y eftoit entre autres & plus expert que nul au
tre es affaires d'eftat , Nicolo de Vzzano lequel
faduifant de la faure qu'il auoit faicte à ne con
noiftre de bonne heure où pouuoit tendre la
faueur de Cofme , delibera d'obuier à la fecon
de , c'eft à fçauoir qu'on ne taſchaft à l'eftain
dre & opprimer par force , de paour de mettre
tout deffus deffoubs comme il auint depuis a
presfa mort pour n'auoir creu fon confeil. Car
ceux de Florence fe banderent contre luy , &
par armes luy feirent vuyder la ville : de quoy
indignez ceux de fon party,ne tarderent gueres
à le rappeller& mettre dedans , & faire Prince
de la feigneurie: à quoy il ne fuft paruenu fi ay
feement fans ce qu'ils fefleuerent ainfi contre
luy . A Rome n'en aduint pas moins par Iules
Cefar, lequel par vertu admirable emporta fi
bien la faueur de Pompee & de tout le monde,
qu'à la fin il en eut à fouffrir . Ce que Cicero
luy reproche difant que trop tard il auoit com→
mencé à connoistre que Cefar valoir , & quand
ily voulut donner ordre , c'eftoit ja hors de fai
fon . Dont mal luy en print, & ne feift que ha
fterfa malefortune . Ie dis doncques qu'il vaut
mieux fans comparaifon (le cas aduenant)tem
porifer que taſcher à repoulfer le danger im
minent à toute force . Car ence faiſant, le mal
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 64
fen va fouuentesfoys comme il eftoit venu , &
feftainct de foy mefme ou pour le moins le dó
mage qui en viendra en eft recullé d'autant.
C'eft en ce cas ce qu'il fault confiderer à qui
vouldra mettre remede à telz inconueniens,
autrement fabuſera & leuera fon ennemy plus
hault en penfant l'abbatre, & f'approchera de
fon malheur au lieu de fen eflongner : il luy
faudra ouurir les yeux & regarder de pres quád
il fera le plus fort , lors n'eftre endormy ne pa
reffeux à prendre le temps & fans fe faindre
donner dedans . Mais fil fe veoit le plus foy
ble , cale le voyle & ne fonne encores mor , ou
il luy en prendra comme aux voyfins de Ro
me ,lefquelz ne deuoient taſcher qu'à la paix,
depuis qu'ils veirent leurs ennemys fi puiffans
ils voulurent faire autrement , cuydans eftof.
fer la plante de fient & abaiſſer la palme à force
de charge, & pour ce qu'en ce cas le Peuple
Romain eut recours à ordres nouueaux , qui
*furent caufe de fa victoire lors & plufieurs foys
depuis , i'en toucheray vn poinct qui n'eft fans
difficulté.

Que l'estat de dictature ne fut que tres proufitable à


Rome,& que les autoritez quifont donnees
defranche elite nenuifentpoint , mais celles
qu'unhomepredvfurpe de luy mefme.

Chapitre XXXIIII.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
cu des gens qui ont voulut
L y a eu
dire que le Dictateur ne fut ia
mais creé à Rome, que pour fa
緊 deſtinec & defolation , & qu'il
foit ainfi , que le premier Tyrant
qui y vint depuis, n'y entra que fouz ce tiltre, &
que Cefar n'euft fceu à autre couleur honnefte
faire ce qu'il feift.
Ceux qui tiennent ce propos, n'entendent
gueres bien les matieres , & ne font dignes d'en
cftre creuz. Car ce ne fut pas le nom de Dicta
teur ny le degré qui rendit Rome ferue , ce fut
l'auctorité qu'il eftoit ayſé d'acquerir à vn per
fonnage de cueur en ce merueilleux Empire. Et
Cefar Di fil n'y euftpoint eu à Rome de Dictateur, Cefar
dateur. fe fuft pourueu d'vne autre dignité pour parue
nir à fes fins . Car depuis qu'il y a de la puiſſance
l'on a des noms tant qu'on veult, mais les noms
ne la font pas venir. La dictature tant qu'elle fut
donnee par voix & fuffrages publicques feit de
grands biens à Rome , ceux en ont abuſé qui
yfont paruenuz par voyes extraordinaires, des
autres on n'en trouuera pas vn qui iamais ayt
faict tort à la Republique tant qu'elle a duré .
La raifony eft bonne , car il faut beaucoup de
grandz poincts & qualitez à vn homme, auant
qu'il puiffe vfurper auctorité plus que commu
ne . Il luy conuient eftre riche à oultrance , a
uoir la grace de gaigner les gens , auoir ſuytte
d'adherens & complices , ce qu'on ne faict pas
comme l'on veult en ville de pollice : Et quand
ainfi
SVR LA 1. DEGA . DE TIT . LI. 83
ainfi feroit , le commun qui les craindroit ne
auroit garde de leur donnet få voix pour eftre
dictateurs. D'auantage le Dictateur n'eftoit per
peruel , ains feulement tant que duroit l'affaire
pour lequel il eftoit creé, & fi eftoit la puiffance
limitee de forte qu'il auoit regard que fur le
peril prefent duquel il pouuoit difpofer ſeul
à fon plaifir,& punir le cas qui en dependoient
fans qu'on en peuft appeller : Au demeurant il
n'auoit que veoir fur l'eftat , & n'euft fceu dimi
nuer l'auctorité du Senat & du Peuple , ne def
faire l'ordre & les couftumes anciennes de la
ville ou en mettre de nouuelles. Ce frein & ce
fte restraincte , la briefueté du temps qu'il auoit
àl'eftre , la bonne difpofition de Rome le gar
doient de fortir des gonds & de faire aucun
dómage . Auffi voyez vous qu'il n'en ont point
faict . Selon qu'il m'en ſemble c'eſt l'ordre de
Rome qui fait le plus à confiderer, & qui a ay
dé autant que nul autre à la tendre chef& prin
ceffe du monde . Car fans celà elle n'euft iamais
obuié aux dangers extraordinaires qui luyfur
uenoient de jour en iour , efquelz les moyens
accouftumez & ordinaires ne font de mife có
me trop longs & tardifs , & qu'vn feul ne peut
depefcher,mais l'vn attend apres l'autre , ce pen
dant le temps fen va:briefc'eft vn remede tref
petilleux quand la chofe eft preffee . Parquoy ie
juge que toute Republique doibt auoir vn tel
eftat,qui luy ferue feulement en cas de neceifi
té vrgente, comme la feigneurie de Venife ( la
1
DISC. DE NIC. MACCHIA.
quelle eft pour le iourd'huy la mieux reiglee
de toutes ) elle a efleu deux ou trois de ces gen
tils hommes , lefquelz peuuent au befoing fai
re tout ce que bon leur femble fans y appeller
les autres Senateurs . Sans celà elle fe perdroit
en gardant fon ordre accouftumé , ou pour fe
fauuer feroit contrainte de le violer & enfrain .
dre . Qui eft vn trefmauuais poinct en vne ville
quand il faut proceder en quelque affaire par
moyens exorbitans & extraordinaires . Car en
cores qu'ils feruiffent pour ce coup , fi feroitce
vn dangereux exemple de rompre l'ordre poli
tique pour bien,de paour qu'apres on nele vint
à rompre pour mal foubs couleur honnefte . A
tort fe dira la Republique parfaicte, laquelle ne
aura par fes loix pourueu à tous les inconue
niens qui iamais luy fçauroient aduenit , & or
donné en quelle maniere elle fy deburoit gou
uerner : il ne luy faudra qu'vn feul peril vrgent ,
pour l'acabler par faute de Dictateur ou d'autre
dignité femblable . Mais la façon de le creer e
ftoit fagement pourpenfee : l'onaduifa que c'e
ftoit quelque honte aux confulz de fe veoir re
duicts au reng des autres , eux qui cftoient les
chefz fouuerains de la ville, & qu'il en pourroit
vn iour naiftre du fcandale , Pour y obuier, Ro
me meit en la main des Confulz l'electió du Di
&ateur , à fin que quand il en feroit meſtier
ils le feiffent volontiers & n'en euffent pas fi
grand ducil . La chofe cft naturelle qu'vne blef
leure qu'o fe faict foymefme, n'eft point fi gric
SVR LA 1. DECA . DE TIT, LI. 66
ue à porter que celle qu'on reçoit d'autruy .
Vray eftque Rome fur la fin pour mieux có
tenter les Confulz leur bailla telle puiffance en
cas deneceffité qu'au parauant auoit le Dicta
teur, & leur prononceoit ces mots.

Videant Coss,nequid Refp.detrimenti capiat.

LesConfulz preignent garde qu'il n'aduien


ne dommage à la Republique.

D'où vint que le decemuirat feit tant de dom


mage àRome, veu qu'ilfe creoitpar voix
&fuffragesfrancz & publiques.

Chapitre XXXV.

L femble contraire à ce que ie


viens de difcourir que l'election
des dix hommes creez par le Peu
ple Romain pour faire loix fe foit
tournee en tyrannie, fe ainfi eft,
comme l'ay dit que la preeminence qui fe vole
Pay dit
& prend par force eft dangereu fe , & non celle
quife donne par voix.
En ce cas doibt venir en confideration la
maniere de la donner & le temps qu'elle dure.
Sivne
puiffance abfoluë feſtend iufques à vn

an ou plas, croyez qu'elle eft à craindre, & felon


lesperfonnes qui y feront mises en viédra bien

ou mal . Or de la Dictature beaucoup fen faloit


I ij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
qu'elle fuft telle que la dixhommerie . Car apres
que le Dictateur eftoit efleu , les Confulz , les
Tribuns , le Senat ne laiffoit pas de demeurer
en fon auctoritè , & luy feruoient tous comme
de contrerolleurs à le faire charier droict. Vray
eft qu'il pouuoit en priuer quelqu'vn de fon of
fice , d'abollir & annuller l'ordre entier & in
troduyre loix nouuelles il ne luy eftoient per
mis .Mais quand les dix hommes furent creez,
il n'y auoir plus à Rome ne Conful ne Tribun
ny autre office ou dignité quelconque : brief
ils auoient toute telle puiffance que le Peuple
Romain . Au moyen dequoy eftans feulz gou
werneurs fans correcteurs , fans qu'il y euft ap
pel d'eux au Peuple , ce n'eft de merueille fila
feconde annee ils fe meirent à faire des maiſtres

Appins. foubs l'enfeigne de l'ambicieux Appius . Par


quoy eft à noter quand on dit que les hautz e
ftats ne portent point de nuyfance fils font do
nez par election liberalle, que celà feftend fon
y procede en temps conuenable auecques les
circonftances qu'il appartient , autrement fi on
y va fans refpect & confideration comme il fut
faict à la creation de ces dix hommes, il en ad
uiendra tout autant qu'à Rome . Ce qui eft fa
cile à iuger, confideré quelles caufes garderent
les Dictateurs de mefprendre & aux autres en
donnerent occafion , cófideré auffi quel moyen
ont tenu les Republiques bien ordonnees à
creer vne auctorité abfolue pour long téps, c'eft
à fçauoir les Lacedemonies à leurs Roys, & les
SVR. LA I. DECA. DE TIT. II. 67
Venitiens à leurs Ducz , ils n'ont eu garde de
leur laiffer la bride far le dos cóme lesRomains
aux dix hommes . Rien ne fert que la matiere
5 foitfaine & entiere , car vn Roy ou telle autre
puiſſance l'aura bien toft corrompue fil l'entre
prend par les faueurs, amys, adherens, richeſſes
qu'il a ou aura incontinent amaffees.

Ceux qui ont esté engrande dignité ne doiuent


auoirhonted'une moindre.

Chapitre XXXVI.

Arcus Fabius,& G.Manilius eftás M. Fabim .


Confulz gaignerent vne trium- G. Manılı
phante iournee contre les Veiens
& les Hetruriens , en laquelle y
M
demeura Quintus Fabius , frere
du Conful, lequel auffi l'auoir efté l'annee de
uant.le trouue en celà vn bon ordre de Rome,
& fort duyfant à la faire grande , & que les au
tres villes qui meufnient fes façons , le mettent
bien hors des dangers d'eftre telles . N'eftoit ce
pas choſe eſtrange à Rome où la gloire regnoit
rant , de veoir celuy qui maintenant comman
doirà tous fhumilier de bon cueur & obeyr, &
fil eftoit guerre, y aller & feruir comme vn au
tre?luy qui venoit d'en eftre chef&premier co
ducteur. 3 %
Auiourd'huyl'on n'a garde de faire ainfi,voy
re à Veniſe ſe trouue cefte faute , qu'vn homme
I iij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
qui aura efté vne foys en hault degré d'honeur
pour rien du monde ne daigneroit defcendre
plus bas , & la feigneurie mefme fy accorde . Ie
ne dis pas que la perfonne ne peuft auoir quel
que raifon de le refufer , mais c'eft vn mauuais
poinct pour le proufict commun.Car plus grād
fiance y autoit en vn homme qui viendroit de
vn grand eftat à vn moindre, que fil fautoit de
bas en hault : & fi feroit la chole beaucoup plus
feure,quand le principal gouuerneur auroit en
tour luy nombre de gends reuerends , & ver
tueux qui pourroient par leur confeil & prudé
ce,fupplier à la nouueauté de l'homme . Îc croy
que fi Rome cuft tenu en ceft endroit l'opi
nion qu'ontient par tout,qu'il y cuft cu bien à
dire de fa grandeur , au moyen des lourdes fau
tes que ces nouueaux gouverneurs euffent fai
ctes,voyre parauenture entrepriſes fur la liberté
publicque qu'ils euffent peu executer à leur plai
fir ,fans la belle compagnie de ceux qui auoient
eſté aux cftatz deuant eux,lefquelz eftoient lors
foubs eux & les guidoient & inftruifoient en ce
qu'ils auoient à faire.

Desfeandales quefeit à Rome la loy Terronaire ditte


Agrarie,& que c'est lepropredetoutes loix
derriere.
qui regardent trop7

chapitre XXX VI I.
SVR LA I DECA . DE TIT. LI . 68
'Eft la fentence des anciés
Philofophes que l'homme
foublie en la profperité, &
en l'aduerfité perd le cu
cur, & que des deux paffiós
de douleur & ioye fortent
femblables effects. Oftez à
l'home la neceflité de cóbatre , il combatra par
ambitio,qui eft vne qualité fi tenant en l'efprit
humain , qu'elle ne l'habádonne pour eftat qui
luy puiffe venir . Car noftre naturel eft de vou
loir tout, & de n'en pouuoir la moytić , & au
moyé que le defir paffe trop la puiffance, iamais
on n'eft cótent de bié qu'on puiffe auoir. De là
vient la rouë de fortune, par ce que les vns ten
dent à toufiours amaffer,les autres veulét garder
ce qu'ils ont.Parquoy vienent aux coufteaux, &
ne fe departgueres le ieu que l'vn ne gaigne ou
l'autre pert,& fouuentesfois vne ville eft baftie
des ruynes de l'autre . Ce qui me faict dire cecy
& le prendre fi loing , c'eft que ie confidere que
il ne luffit pas àla commune de Rome d'auoir
obtenu les Tribuns pour fa protection & fau
ucgarde à l'encontre des nobles(ce que neceffi
té luy feift faire ) incontinent qu'elle eut ce que
elle demandoit,voulut par ambition paffer ou
tre,& meiſt en auant qu'il falloit partir efgalle
ment entre eux les bies & les honcurs tant qu'il
y en auoit,come les deux fouueraines chofes du
mode.De là tégedra la peftiléticufe maladie de
la loy terrouaire ditte Agraire,laqlle finablemét
I iiij
>
DISC. DE NIC . MACCHIA.
a deftruit la Republique de Rome . Il fault
dire que Rome defailloit en ce cas qu'elle ne fe
tenoit toufiours riche & opulente en public , &
fes citoyens pauures ou ayfez feulement : Ou
elle n'y pourueut fi bien du commencement
qu'il n'y falut retourner tant de foys : Ou elle
attendit à y pourucoir à l'heure qu'il eftoit dan
gereux de regarder fi fort derriere : Oufi tout à
temps elle en ordonna , la loy fut abolic à la ló
gue par cótraire vfance . Quoy qu'il en foit ia
mais on n'en vint à parler à Rome qu'inconti
nent tout n'allaft pefle mefle . Or contenoit ce +
fte loy en effect deux chefz principaulx .
L'vn,que nul ne peuft tenir que tant d'arpens
de terre , l'autre que les terres ., qui feroient pri
fes fur les ennemys fuffent diuifees par portions
egalles à tout le peuple. En ce faifant les nobles
fouffroient double perte, car ils leur falloit qui
ter leurs biens ( dont ils auoient plus que les au+
tres ) pour venir à cgallité, & leur eftoir ofté le
moyen de deuenir iamais riches puis que la do
1 pouille eftoit ainfi partie : A celte cauſe y refi
toient de tout leur pouuoir,penfans auffi faire
le bien public. D'autre part le commun tenoie
bon contre eux , voylà come la ville eftoit trou
blee, qu'à chacun coup il fembloit que fen fuft
faict , & l'euft cfté certainement fans la pruden
ce du Senat qui le battoit froid, en diftrayoit le
Peuple , l'enuoyant dehors en quelque guerre
apoftee, on mettoit en barbe au Tribú qui pro
pofoit la loy , vn autre Tribun contraire , quel
fi
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 69
quefois accordoit partie de la loy , ou donnoit
la place conquife à ceux qui y voudroient aller
demourer , comme il feit de la contrec d'An
tium, pour laquelle la noife eftoit renouuellee.
Sur quoy dit Tite Liue vn mot qui eft à poiler,
qu'il ne fe trouua lors homme qui voulut bail
ler fon nom, qu'à touteforce ,pour eftre enre
giftré au papier de la colonie , de tant aymoit
mieux ce peuple defirer & demander vn bien
eftant à Rome,que d'en iouyr & le poffeder fur
les lieux. Vn temps fut que l'humeur de cefte
mefchante loy fe debattoit & agitoit bien fort,
il fappaifa lors que Rome commença à mener
guerre és fins dernieres d'Italie & par delà. Ce =
qui aduint à caufe de la longue diſtance qui fai
foir le païs conquiz eftre moins de requeſte, &
que l'on ne fen foucioit pas tant, que fil euft
efté plus pres : auffi que les Confulz bien adui
fez ne fe meirent plus à en confifquer tant que
ils fouloient , & quand ils lefaifoient y enuoy
oient des colonies remplir & tenir les lieux.
Dont commença à dormir la loy iufques à ce
qu'elle fut refucillee par les Gracches , voire en Gracches.
telle forte que la liberté de Rome y eſt demeu
ree. Ce que les autres auoient fait au parauant
àvray dire, n'eftoit que ieu au pris : ils furent fi
roides & chaudz en la pourfuitte , & allume
rent le feu fi terrible entre le peuple & le Senat,
qu'il en falut mettre la main aux armes , & ef
pandre le fang des citoyens nomplus ne moins
que d'ennemis mortelz. Il n'y auoir plus lors
DISC. DE NIC. MACCHIA.
de refource à la police publ icque pour vne part
ny autre , chacune penfa de fe pourucoir d'vn
chef qui maintiendroit fa querelle. Le peuple
Marim. fe donna à Marius , lequel en figne de ce il feit
quatre fois Conful , & fi pres I'vne de l'autre,
que comme par vne continuation de feigneu
rie il deuint affez grand pour ſe faire Conful de
luy mefme trois autres fois encores. La nobleffe
qui n'y voyoit aucun remede legitime fe meit
de fon cofté à en faire tout autat à Sylla ,le print
pourfon capitaine , & par fa conduite apres lon
gue & cruelle guerre demeura maiftreffe. Cela
Cefar. fe paffa iufques au temps de Cefar , lequel fut
Pomper. fait chef du party de Marius, & Pompee de ce.
syllä. luy de Sylla : fi vindrent à ioindre , & le com
mun que Cefar fouftenoit fut vainqueur, & luy
premier tyrant de Rome: depuis lequel la liber
té Romaine ne vefquit ne refpira iamais vne
heure. Voilà le commencement & la fin de la
löy Agrarie, qui femblent grandement contrai
res à ce que i'ay tenu cy deuant , que les inimi
tiez d'entre le peuple & le Senat auoient eſté
caufe du bié de Rome pour les loix qui en naif
foient toufiours à la fin , au grand aчantage de
la liberté publicque. Sur quoy ie vous dy que
l'ambition des grands feigneurs d'vne ville eft
fi merueilleufe , que qui ne la rengera & dom
ptera par diuers moyens , elle mettra en peu de
temps vn eftat en ruine . De forte qu'on ne
doibt blafmer le debat de la loy Agrarie , pour
lequel Rome ne laiffa à viure encores trois cens
SVR LA T. DECA. DE TIT. LI, 70
ans enfon entier, & parauenture f'il n'euft efté,
& fipar là le peuple n'euft refrené les appetitz
defordonnez de la nobleffe , leur Republicque
n'euft tant duré & profperé. Le dernier poinct
notable en ceft endroict , c'est le iugement du
peuple Romain touchant les biens & les hon
neurs Car quand il fut question de la commu
nication des magiftratz de la ville,les nobles ne
fe féirent pas tant tirer l'oreille,qu'il faluft pour
celà venir à fcandales, & manieres trop extraor
dinaires iufques à feu & à fang.Mais quand on
voulut toucher aux biens , la guerre fut ouuerte
entre les grands & le menu,comme fi c'cuft efté
pour la vie. Les Gracches en furent motifz,def
quelz fi l'intention fut bonne, au fort le moyen
de proceder ne valut rien . Car ce fut pauuremét
confideré à eux, de vouloir ofter & arracher va
mal tant enraciné en la cité par vne loy refor
matiue du paffé , laquelle defpouilloir les gens
de ce qu'ils auoient acquis à bon tiltre & pof
fedé par temps immemorial. Celà ne feruit (co
me i'ay difcouru ailleurs ) que pour auancer le
defordre qui en deuoir naiftre , lequel fans celà
cuft efté plus tardif, ou paraduenture la cauſe
fen fuft eftainte d'elle meline.

Vnepetitefeigneurie ne peut eftre bien refolue,


encasde deliberation ne prend iamais le
bonparty,fi neceßité ne luy renge.

Chapitre XXXVIII.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Vand les Volfces & les Eques fu
rent aduertis de la pefte qui cou-.
roit à Rome , ils penferent que
l'heure eftoit venue qu'ils la met
troient foubz le pied. Si leuerent
en diligence vne tres groffe & tres puiffante ar
mee,& entrerent és païs des Latins & des Her
niques , bruflans & fouldroyans tout par où ils
paffoient. Incontinent en furent mandees les.
nouuelles à Rome par les Latins, requerans fe
cours & ayde pour repoulfer les ennemis hors
de leurs terres. Pour refponce ils eurent qu'ils
fe meiffent en armes & en deffence eux mef
mes , qu'il n'eftoit lors poffible de les fecourir,
veu la maladie oultrageufe dont le peuple eftoit
tourmenté & affligé. En celà fe monftra bien
le grand cueur & la prudence du Senat Ro
main , lequel pour fortune qui luy aduint ne
relafcha oncques vn feul poinct de fa grauité
& maiefté accouftumee : ains voulut en tout
temps difpofer comme maiftre des affaires de
fes fubiectz , & quand la neceffité le requift ne
feit difficulté de deliberer vne chofe au con
traire de fes meurs & de fon ordonnance pre
miere. Ie le dy pourtant qu'autresfois le Senat
leur auoit fait inhibitions & deffences de ne fe
armer, quelque befoing qui leur en vint, & eut
femblé à vn autre confeil qu'il eut derogé à fa
dignité , fil eut permis ce qu'il auoit prohibé
& denié. Mais ceftuy eftoit plein de merueil
leufe prudence , qui fcauoit prendre les cho
SVR LA 1. DECA . De tit . li . 71
fe's par le bon bout, & choifir toufiours de deux
maux le moindre , comme en ceft endroit , il
trouuoit mauuais de ne fecourir les ficus qui en
auoient meſtier , femblablement qu'eux mef
mes fans leur princeffe fe meiffent en deffence.
Neantmoins cognoiffant qu'en tout euenemét
il falloit qu'ils le feiffent,ayans l'ennemy à leurs
portes qui ne les affeuroit que de mort , en gar
dant toufiours fon auctorité , & faifant de ne
ceffité vertu , leur manda qu'ils fe monftraffent
vertueux , & feiffent entr'eux le mieux qu'ils
pourroient.Il femble de prime face que ce con
feil foit commun , & qu'il n'y ait Republicque
au monde qui n'en feiſt bien autant .Mais ie dy
que les petites feigneuries ne le fcauroient pas
faire. Quand le Duc Valentin cut prins Faenfe, Le Duc va
puis rendue Boulongne fienne, il demanda pal- lentin.
fage aux Florentins pour aller à Rome.Le con
feil de Florence fut affemblé, où il ne f'en trou
ua pas vn qui fut d'aduis qu'on le luy octroyaſt.
Ce ne fut pas befongné à la Romaine, veu que
lors le Duc auoit groffe puiffance , & Floren
ce nulle. C'euſt efté beaucoup plus leur hon
neur de luy auoir accordé ce qu'ils ne pouuoiét
refufer, en tournant la contrainte en liberalité.
Mais il n'y a remede , c'eft le propre des foi
bles Republicques d'eftre mal refoluës , & ne
faire iamais bien fi ce n'eft par force. De pru
dence là , il n'eft point de mention : Florence
mefme l'a verifié en deux autres cas. L'an mil Du Roy
cinq cens apres que le Roy Louys douzieme Louys xij.
DISC . DE NIC. MACCHIA.
eut reprins Millan , il luy vint enuie de rendre
Pife aux Florentins , car ils luy en prefentoient
cinquante mille ducatz. Il y enuoya fon armee
foubz la conduite de monfieur de Beaumont,
auquel combien qu'il fuft François les Floren
tins fe fioient affez. Or il mena ſon oft entre
Cafcine & Pife, & fe campa en lieu propice à
battre la ville: apres qu'il y eut efté deux ou trois
iours ordonnant de l'affaut , vindrent vers luy
les ambaffadeurs de Pife , offrant la ville aux
François , fils promettoient fur la foy du Roy
de ne la líurer aux Florentins de quatre mois.
Les Florentins n'y voulurent entendre , & en
fin tant y gaignerent , qu'ils eurent l'aller pour
le venir. La caufe de leurs reffus n'eftoit au
tre, que la deffiance qu'ils auoient du Roy , cux
qui feftoient mis en fa main. Ils ne voyoient
pas qu'il leur eftoit beaucoup meilleur que le
Roy leur peut rendre Pife eftant dedans , &
au cas qu'il ne le feit , qu'ils cogneuffent quel
eftoit fon vouloir , que de leur promettre fans
l'auoir , & eftre contrain&z neantmoins d'en
acheter cherement la promeffe nue. Deux ans
apres Atezze fereuolta , & fur enuoyé de par
le Roy le feigneur Iubalt au fecours des Floren
tins, lequel meit le fiege deuant la ville, & bien
toft luy fut faire pareille offre que celle de Pi
fe , mais ceux de Florence en feirent pareil ref
fus. Ce voyant le feigneur Iubalt , & fapperce
uant de leur lourderie manifefte , pratiqua l'ac
cord auec les Aretins , fans plus y appeller les
SVR LA I. DECA. DE TIT. Lir. 72
commiffaires. Si fut arrefté entre luy & eux, &
en vertu d'iceluy entra fans delay auecq' quel
ques gens en la ville , remonftrant aux Floren
tins qu'ils n'eftoient que beftes , & n'enten
doient rien des affaires du monde .Que fi donc
ques ils vouloient auoir Arezze , qu'ils le feil
fent fçauoir au Roy , que lors il pourroit mieux
fatisfaire à leur demande la tenant & poffedát,
que fil en eftoit dehors. Dieu fcait fi lubalt fur
maudit & defchiqueté menu à Florence, & fils
finerent de dire mal de luy , tant qu'ils eurent
cogneu que fi Beaumont euft reflemblé à lu
balt,ils euffent Pife auffi bien qu'Arezze. Voilà
doncques comme il va des petites Republic
ques , faute de force les tient en fufpend & les
garde de pouuoir deliberer à plain , d'autant
que le plus fouuent elles ont à faire à plus forts
qu'elles, où le meilleur ne leur eft pas toufiours
le plus feur.

Que l'on void fouuentpareil accidens.


endiuers peuples .

Chapitre XXXIX.

Eluy qui fe met à contempler les


chofes prefentes & paffees , co
gnoit que de tout temps les gens
ont eu les mefmes defirs, affectios
& humeurs qu'ils ont encores ,de
forte qu'il feroit aisé par la cognoiffance de l'hi
DISC. DE NIC. MACCHIA.
ftoire preuoir les chofes aduenir , & y appli
quer telz remedes que les anciens , ou fi l'on
n'y entrouuoit d'expres , en inuenter de nou
ueaux à la femblance des cas. Voilà d'où vient
que toufiours aduiennent les malheurs , qui au
tresfois font aduenuz , parce que ceux qui ont
le maniement des affaires ne tiennent compte
de l'hiftoire , & fils en lifent n'entendent pas
le fens moral & myftique. Ie ne puis efpargner
Florence. Florence quand elle vient à propos. L'an no
nantequatre de fon origine elle auoit perdu
grande partie de fa feigneurie , comme Pife &
autres terres , pour lesquelles recouurer il luy
conuint mener guerre à ceux qui feſtoient mis
dedans. Les detenteurs eftoient fortz & deli
berez de ne laſcher la prinfe , dont il luy cou
ſta bon , fans rien y acquefter. De cefte grof
fe defpence on vint aux impofitions, de l'impo
fition le peuple qui fe fentit greué , commença
à fe plaindre & murmurer. Ör y auoit lors dix
citoyens des plus apparens , qu'ils nommoient
les dix de guerre , pource que la feigneurie fen
repofoit en eux de l'adminiſtration totale : le
peuple fe meit à tempefter & crier que c'e
toit par eux que la guerre eftoit venue , & que
on y confommoir & defpendoit fi gros deniers
qu'il les faloit depofer pour bien remedier à
tout le temps expiré , on n'en cree point de
nouucaux,& demeure le gouuernement enfon
premier eftat. Si toft que ces bons perfonnages
furent oftez, qui entendoient le faict de la guer
re,
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 73
re,tout commença à aller de mal en pis, & tant
fen falut qu'on recouuraft Pife , & le demeu
rant qu'on querelloit , que l'on perdit encores
Arezze & maintes autres places. Dequoy fap
perceuant le peuple , & comme il eftoit bien
tompé de ce qu'il penfoit que fon mal proce
daft du medecin , & non de la fieure , refeit les
dix commiffaires qu'il auoit caffez. Ceſte hu
meur eut auffi fon cours à Rome par vne fan
tafie qui print à la commune , que les Confulz
eftoient caufe de la peine & du trauail qu'elle
portoit inceffamment en tant de guerres fus
guerres , & que pour y donner ordre & auoir
repos , il les falloit deffaite du tout qu'il n'y en
eut plus, ou limiter leur auctorité, en force que
ils n'euffent aucun pouuoir fur luy ny enla vil
leny dehors. Ils iugeoient que tout venoit de
la nobleffe qui prenoit plaifir à leur miſere &
pauureté , & qu'elle les tiroit ainfi fouuent aux
champs pour les faire tuer là comme beftes,
d'autant qu'à Rome on ne leur pouuoit pas
faire ce qu'on vouloit à caufe des Tribuns qui
y eftoient pour les deffendre. Mais ils fabu
foient grandement , car il n'y auoit autre caufe
que l'ambition & l'enuie de leurs voisins qui
ne tafchoient qu'à les renuerfer & deffaire . Le
premier qui en ofa porter parolle für Terentil
lus Tribun : It meit en auant que le plus expe
dient eftoit de creer cinq perfonnes qui auroiét
efgard fur les Confulz . A quoy la nobleffe fop
pofa & feit(comme il eft croyable) tout fon ef
K
DISC. DE NIC. MACCHIA.
fort pour l'empefcher. Car c'eftoit la debouter
de fon reng, & de toute l'autorité qu'elle a
uoit en la Republicque , c'eftoit (à dire vray)
abbaiffer &c abaftardir la maicfté de l'Empire.
Nonobftát telle tut l'obftination des Tribuns,
que ce venerable nom de Conful en fut tollu,
& depuis le contenta le peuple aueuglé de fai
re des Tribuns de puiffance confulaire , mon
frant que fa colere eftoit plus fur le nom que
fur autre chofe. A la fin fut contrainte Rome
de reuenir à fes Confulz, comme Florence à ſes
dix de guerre, * 19 Moonk T
sion bio gangob v
Dela creation du decemuirat dixhommerie à Rome,
& des painitz qui font à confiderer, m
tre autres comme l'on peut ruiner &fan
35 tiltuer unpayspar mefme moyen, T
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Euant que venir à difcourir les
cas notables qui font furuenuz à
Rome par le Decemuirat, ie croy
qu'il ne fera pas mauvais de tou
1:02 cher fommairement l'hiftoire rel
le qu'elle eft , en laquelle y a maintes chofes di
gnes de grande confideration , tant pour gar
der vne ville en fon entier , que pour l'aflub
iectir & deftruire. On y peut veoir à l'œil plu
hieurs fautes commifes parle Senat & le peu
ple au preiudice de leur liberté, & autant ou
SWR LA 1. DECAL DE TÍT. LI 74
plus par Appius . au defauantage de la tyrannie
qu'il le penfoitfonder à Rome ferme & dura
ble. Les Romains doncques apres longs des
batz qu'ils curent d'vne part & d'autre fut la
conftitution des loix neceffaires pour le bien
commun , ils enuoyerent d'vn accord à Athe
nes Spurius Pofthumius auecq' deux autres per 5p. Pofthu
fonnages de mife pour rapportercopie des loix mins.
que Solon y auoit faites , fur lefquelles ils pren
droient exemple. Sont ils réuenuz? l'on fe met
foubdain àedire gens de confeil & doctrine
pour lesexaminer , efplucher & juger lefquet
les on deuroit prendre ou laiffer. A cefte fin fu
rentcreez dis de la ville,& entré autres vn Apa
pius Claudius homme vif, fin , qui n'eftoit ia
maisen repos de fon efprit. Et pour leur ofter
tout empefchement , qu'on leur pouuoit faire
en cette entreprinfe , l'on caffe tous les juges
& officiers de Rome , voire iufques dux Con
Julz & Tribuns : l'appellation qu'on fouloit in
teriecter de tous les fieges & juftires , & reier
uer par deuant le peuple, abolie: bref, il ne
fen falloit rien que le nom qu'ils ne fuffent
Princes & Seigneurs fouuerains de la ville . Ins
continent Appius emporta toute l'autorité des
dit : fes compagnons luy faifoient honneur
comme à fuperieur , pour les faueurs du peu
ple qu'il attira fi . toft qu'il voulut tourner la
tobbe , & faire du populaire qu'il n'eftoit ries
moins au parauant , La premiere annee ne fur
que bonne : celuy d'eux qui prefidoit & mar
Kij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
choit le premier à fon tour n'auoit que dix li
&teurs ou fergeans qui alloient deuant ; fil fur
uenoit quelque iuftice à faire d'vn citoyen Ro
main, ils inftruifoient le proces,puis le renuoy
oient à iuger au peuple , combien qu'ils euf
fent iurifdiction fouueraine & abfoluë : ils em
plirent dix tableaux de loix , & auant que les
arrefter , les attacherent en lieu où chacun les
peutveoir à fon aife , & en dire ce que bon luy
fembleroit, pour n'y proceder , que preallable
ment eu fur ce l'aduis du peuple. Quand Ap
pius fentit la fin de fon office approcher , il alla
mettre en auant que pour rendre la choſe par
faite & qu'il n'y eut que redire , il falloit enco
res vne couple de tableaux. A cefte caufe le me
nu peuple faccorda que le Decemuirat fut pro
rogé pour vn an, & ne fen feit beaucoup im
portuner, tant pour l'efperance qu'on luy don
noit de la conſommation de leur police , que
pour reculer d'autant les Confulz qu'ils ne fuf
fent remis fusy penfant auffi que par le moyen
de ces dix hommes qui fe monftroient tant de
bonnaires au commencement , & fe rendoient
fi fubiectz à luy , ib
itgouuernoit fans Tribuns.
Quand il fut queftion d'en ordonner de nou
ucaux,tous les nobles & les plus grandz fe mei
rent apres à employer leur credit pour en eftre,
fur tous Appius ne dormit pas,ains fe meir à ca
reffer le commun , à folliciter, briguer , & tant
en feit que les competiteurs commencerent en
mal eſtimer.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 75
Credebant enim haud gratuitam in tanta fuper
bia comitatem fore.
Ils eftimoient bien que telle courtoifie &
gracieufeté en fi grande outrecuidance feroit
chervendue.

Toutesfois n'ofoient de plein vol fattacher


àluy & foppofer à fa pourfuitte , mais adui
ferent enſemble d'y befongner par fubtil mo
yen,luy deferans l'honneur de nommer au peu
pleceux qui le deuroient eftre , combien qu'il
fut le plus ieune, penfans qu'il ne feroit pas fi
glorieux & fi effronté de fe nommer luy mef
mes :ce qu'auffi on n'auoit iamais veu faire à
Rome.

Ille verò impedimentumpro occafione corripuit.


S Mais il tourna l'empefchemét à fon auátage.

Et falla nommer haut & clair tout le pre


mier quelque mine qu'il en veit faire aux au
2 tres , puis en propofa neufqu'il auoit choifis à
fa pofte.A cefte feconde annee commença Ro
me à cognoiftre fa faure.

Nam illico Appius finem fecit ferenda aliena


= perfona.

:
Car Appius ne meit gueres à fe demafquer
3
& à jouer fon propre perfonnage , en defcou
urant quelle trahyfon il leur auoit couuee ſouz
Kiij
DISC, DI NIC. MACCHIA.
cefte faufe hypocrific. Ses compagnons il feit
incontinent à la main , & pour faire paour d'en..
Tree au Senat & au peuple, il multiplia le nom
bre des licteurs qui n'auoient accouftumé d'e
ftre que douze en tout, & en feit prendre à cha-.
1
cun autant , fi furent cent & vingt à diuifer à
eux dix. La frayeur au commencement fut.com
mune , mais apres ils vindrent à entretenir le
Senat & feruer fur le pauure peuple . Si quel
qu'vn appelloit de l'vn d'eux à l'autre , il n'a
inendoir iamais fon marché , pluſtoſt l'empi
roit, & trouuoit plus de rigueur au ſecond iu
ge qu'au premier. Et lors la commune de tour
ner les yeux en pitié vers la nobleſſe,pour veoir
fi quelqu'vn oferoit rien entreprendre pour la
mifere & defolation publicque.
Inge and the
Et inde libertatis captare auram vndeferuitutem
timendo in cumftatum Rempub adduxerant,
:
** Et la bailloient au doux vent de liberté , & la
cherchoient d'où ils craignoient au parauant

que feruitude leur vint , & foubz cefte crainte


auoient mife la Republicque en l'eftat qu'elle
eftoit.
La nobleffe fefiouyffoit de leur infortune.

vt ipfî tædio præfentium confules defiderarens ,

A fin que les maux qu'ils fouffroient leur


feiffent regretter les Confulz.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 76
Voicyvenir la fin de l'annee. Les tableaux e
ftoientdepefchez , reftoit à les publier : pour.ce
fairelesdix remonftroient qu'ils ne fe deuoient
departir de leur eftat , & quoy qu'on en gron
guaft , tindrent fort & gaignerent la ieune gen
tilleffe qui les fuiuit , accompagna & feruit de
gadede corps. A laquelle ils donnoient pour
fes gages la confifcation de ceux qui eftoient
condamnez pour crime.

Quibus donis iuuentus corrumpebatur & malebat.


licentiamfuamquam omnium libertatem.
Pour ces dons & leur proufit particulier.ils
eftoient contens que la liberté commune de
meuraft derriere, & qu'ils feiffent toufiours leur
plaifir.
Oraduient fur ces entrefaites que les Sabins
&Volfces fefleucrent en armes contre les Ro
mains.En quoy commencerent les dix homes à
cognoiftre la debilité & pauureté de leur eftat,
car ilsne pouuoient lors rien ordonner du faict
de la guerre fans le confeil da Senat , & de l'af
fembler eftoit chofe grandement preiudiciable
à leur auctorité : toutesfois contrainte le leur
feit faire. Au Senat plufieurs tindrent propos
de leur orgueil & fierté intolerable , fur tous
Valerius & Horatius deflors feftoit fait d'eux valerius.
fi les Senateurs cuffent voulu , mais en defpit Horatius.
du peuple ils aymerent mieux les fouffrir de .
paour que fils eftoiet depofez l'on ne refcit les.
Tribuns , & lès Confulz demeuraſſent encores
Kij
DISC . DE NIC. MACCHIA,
en oubly. Or eft prins le confeil de la guerre,
partie des dix fortent aux chaps auecques deux
armees, Appius ne bouge de la ville pour don
ner ordre aux affaires, & cependant deuient a
moureux d'vne fille nommee Virginia, laquelle
comme il vouloit emmener par force fouz fau
ce couleur de feruitude qu'il pretendoit fur el
le , le pere d'elle y accourut , & voyant qu'il ne
la pouuoit autrement deliurer des mains d'Ap
pius & de fa violence impudicque, deuant tout
le monde il luy donna d'vn coufteau dans la
poictrine & la rua. Dieu feait lors quelle eſmeu
tey eut à Rome & au camp,fi toft que les nou
uelles y furent fceuës. Les foldatz reuiennent
& fe r'allient auec la commune qui fortoit de
la ville , & fen vont camper fur le mont facré,
d'où ils ne voulurent oncques partir , que pre
mierement les dix ne fuffent abolis, & les Con
fulz & Tribuns remis , & Rome toute reduite
à la forme ancienne. En ce lieu eſt à noter que
cefte playe de tyrannie aduint à Rome , en tel
le manière qu'aux autres Republicques , pour
la trop grande ardeur de la commune en cas de
fa liberté , & le defir exceffif que la nobleſſe a
uoit de feigneurier. Quand les deux pars d'vn
peuple ne faccordent pas au faict des loix con
cernans fon eftat , fi par fortune l'vne des par
ties fe donne à quelque homme d'apparence &
de cueur, voylà vne tyrannie dreffee. Affez fac
corderent ils à creer les dix hommes , & à leur
donner cefte autorité fouueraine,l'vn pour em
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 77
pefcher les Confulz, l'autre pour effacer les Tri
buns .Mais quand ils furent faicts, le Peuple a
bufe dufaux femblant d'Appius , creut qu'il e- Appins.
ftoit tout hien & contraire à la nobleffe,dont fe
= meift à luy porter faueur . Tel eft le chemin
pour paruenir à tyrannie quád vn Peuple tom
be en ceft erreur de poulfer & efleuer vn per
fonnage qui eft de mauuaiſe forte , à fin qu'il
luy foit bafton à batre & renger fes ennemys .
Car de luy il tendra par ce fupport à fouller &
opprimer les nobles , puis fe tournera contre la
commune, laquelle lors aura beau connoiſtre
fa folye & fon malheur quand plus n'aura à qui
recourir . Ainfi en ont vfé tous ceux qui ont e
ké tyrans & ont duré . Mais Appius à faict au
trement, dont luy en a coufté la vie, auffi n'euft
il fceu iamais plus mal iouer fon perfonnage
que de faller rendre ennemy de ceux qui l'a
noientmis où il eftoit , & qu'il l'y pouuoient
maintenir & garder, & deuenir amy de ceux qui
auoienttoufiours efté formelz cótre luy, & qui
n'euffent fceu fouftenir & conforter fa tyran
nie.Par ce moyenil perdit fes bons amys & fe
mit à pourchaffer l'amytié de ceux qu'il ne luy
eftoitpas poffible d'auoir . C'eftoitdes nobles,
dontlesvns tendoient à femblable fin que luy,
aucunsd'eux n'y auoient le cueur , partant ne
failloient à luy eftre aduerfaires . De les gaigner
tous & tirer defon party,c'eftoit chofe trop im
poffible , veu l'ambition & auarice oultrageufe
de telles gens , laquelle il n'cuft fceu contenter
DISC . DE NIC. MACCHIA .
& affouuit de tant de biens & honneur qu'il
pouuoit diftribuer. Ainfi faillit Appius grande
ment,laiffant le Peuple pour fe tirer vers les no
bles par les raifons que l'ay deduites , & auffi
pour ce qu'il fault neceffairement à fe valoir, de
forte que qui force foit plus fort que qui eſt for
cé . Voylà ce qui a maintenu longuement en e
ftat les tyrans amys du comun & ennemys des
grands, à caufe que leur puiffance eftoit fondee
fur plus fermes & plus gros pilliers. Celuy qui a
tel fupport , peut fouftenir & conferuerfa for
ce dedans comme on a veu de Nabis tyran de
Sparte, lequel tint bon contre Rome & la Gre
ce qui le vindrent affaillit iufques à fes portes:
S'il n'euft cu le Peuple de fon cofté & n'euft te
nu les nobles foubs le pied, iamais il ne l'euft
Iceu faire . Vray eft qu'au cas qu'on ne peut en
façon quelconque gaigner le populaire , enco
res yauroit moyen de fe fauuer en fe garniffant
detrois fecours pour vn , c'eft à fçauoiren ayat
garde ordinaire & fuffifante d'eftrangers, en te
nant la contree prefte pour vous au befoing , &
en practiquant l'alliance des natios prochaines.
Lors le Peuple ne vous fçauroit meffaire : Mais
Appius ne fift rien de tout cecy . Quand à gai
gner & armer pour luy la cótrée il ne pouuoit,
tout ce qui feltendoit à l'entour eftoit de Ro
me:Au furpl ,il n'eut en luy la fageffe d'y pour
ucoir,dont mal luy en print & ne fift qu'entrer
en regne &fortir. Quant aux faultes que Appius
commift à mal occuper tyrannie, vous auez ce
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 78
qu'il m'en femble, refte de dire vn mot de celles
que fift le Peuple & Senat en ce cas pour fauuer
fa liberté . Il eft vray que ie vous ay dict deffus
en parlant de la dictature que les eftats & offi
ces qui fe donnent par election publique ne
font volontiers dangereux comme ceux que l'o
vfurpe d'auctorité priuee,fi fault il entédre que
on les doit eflire en forte qu'ils ayent quelque
regard à biefaire,par ce leur mettre gens à l'en
tour qui les aduertiffent de leur debuoir . Mais
les Romains y befongnerent bien qui abolirent
toutes iurifdictions & dignitez en creant les dix
hommes pour les laiffer courir à bride auallee,
fiffent ce qu'ils voudroient,il n'y auroit perfon
ne qui leur peuft contredire . A ce induit le Se
nat l'extreme enuye qu'il auoit de veoir les Tri
buns deffaicts , au Peuple pareil defir d'en veoir
autant des Confuls. Ainfifurét les vns & les au
tres aucuglez, comme difoit le Roy Ferrand des
petits oyfeaux de proye qui famufent tant & fe
tranfportent à la chaffe de ceux que nature leur
a ordonnez pour paſture, qu'ils ne regardét pas
àvnautre plus fort qui les vient engloutir.

Qu'il n'estpas bon à un homme defaulter d'hu.


mailisé en arrogance d'humanité en cruau¬
sé, que par le moyen.

Chapitre XLI.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Ntre les autres faultes faictes par
Appius àla conduite du train de
faTyrannie,fe peult nombrer l'in
difcretion de changer en vn in
ftant vne qualité en autre.
L'aftuce dont il vfa à deceuoir le com
mun , faifant femblant d'en eftre amateur &
protecteur à la mort & à la vie , elle ne fut
que bonne: Le moyen qu'il trouua pour in
duire Rome à remettre les dix hommes luy
partit de bon efperit . Semblablement la har
dieffe de fe nommer luy mefmes entre les dix
contre l'opinion de toute la nobleffe, & la pru
dence d'y mettre neufcompagnons à fa pofte.
Mais il ne fe fçauroit excufer qu'il n'ait grande
ment failly , de changer fi toft de poil & d'amy
du Peuple fe declarer ennemy,le doux & hum
ble qu'il fut vn temps , fe monftrer ſoubdai
nement fier , de communicatif & acceffible,
difficile & fafcheux : voire de tourner fi lege
rement fa robbe & paffer du noir au blanc. Ce
qu'il ne pouuoit faire que l'on ne conneuſt au
doigt & à l'œil fon hypocrifie & malice pour
penfee de loing . Car qui veult deuenir mau
uais pour caufe , & à toufiours porté vifage de
homme de bien , il le doibt faire par moyens
& chercher au parauat les occafions en fe pour
ueoiant ce pendant de tant d'amys nouueaux,
que quand le changementde fa premiere natu
re eftrangera de luy fes vieilles connoiffances,
il puiffe par les derniers acquiz tenir bon con
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 79
tre tous venans , autrement il fen yra com
me Appius.

Comme les hommesfe changent ayſement.

Chapitre x ill.

Ncores eft à noter en cefte matie


re comme il eft ayfé qu'vne per
fonne muë de complexió & tour
ne debien en mal quelque bonne
nourriture qu'elle ayt euë . La ieu
neffe qu'auoit Appius entour luy nous en don
ne bon telmoignage , laquelle eftoit amaffee de
tous enfans de bonne maifon bien inftruicts &
appris felon leur eftat:Toutesfois la feule efcar
mouche de conuoitiſe du proufict qu'ils auoiet
auec Appius , les feift incontinent fattrapes &
vaffaulx de fa Tyrannie. Sur tous ceux de la di
zaine , Quintus Fabius eft à efmerueiller qui e
ftoit au parauant tant homme de bien que rien
plus.Mais Appius le feduict par fon engin d'vn
appaft d'honneur & d'ambition, fibien que de
puis il n'y eut que pour luy à mal faire, & ne va
lut en fin le bon difciple gueres moins que fon
maiftre. A ce propos les legiflateurs doibucht
bien regarder à renger & tenir de court l'appe
tit de l'homme,& luy tollir entierement l'efpe
rance d'impunité de fes forfaicts.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Que ceux qui combatent pour leur honneur
propre,font bons loyauxfoldatz

Chapitre XLIII

N peult d'auantage recueillir de


cefte hiftoire quelle difference y
a entre vne armee bien deliberee
d'aller, & qui vapour fon hōneur
mefme, & vne qui y va à regret &
cotrecueur pour l'ambition d'autruy . Car tant
que l'oft Romain a efté conduit par les dix
hommes, il a toufiours perdu où il fouloit tout
gaigner, & vaincre foubs les Cofuls . De là peur
on faire iugement que valent les foldats eftran
giers mercenaires , lefquelz neA tiennent pour
Yous que Dieu mercy & l'argent que vous leur
baillez . Ce qui n'eft pas affez pour vous afſeu
rer d'eux, & pour leur donner courage à vouloir
mourir pour vous. Depuis que cela leurfault, &
qui n'ont point ceste amour & affection enuers
celluy qui les met en befongne , ils n'auront ia
mais en eux force & prouelle pour refiſter à
gens de cueur aufquelz ils pourroient auoir à
faire. C'eft docques la refolution , que quiveule
bien deffendre & garder fon Royaume, il doibr
fonder fa puiffance fur les bras de fes propres
fubiects , comme l'ont touliours pratiqué par cy
deuant ceux qui ont faict merueilles d'armes , &
acheué les haultes entreprinfes . A ce le voyons
nous que les Romains eitans foubs les dix hom
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 80
W mes auoient leur mefme vertu au corps , la dif
pofitiondu cueur n'y eftoit pas , partant ils ne
faifoientles conqueftes accouftumees . Si toft
que ceftempefchement fut ofté , & que les dix
ne furent plus , Rome reprit fes efperits , &
monftra à les ennemys que c'eftoit elle lors qui
marchoit en liberté, & les mena à oultrace com
me deuanta

Quec'est peudechose d'une compagniefans


chef, qu'ilnefaultpas menaçer
puis farmer.

Chapitre 1 .
· XLIIII.

A commune efmeuë de la fortu


ne de Virginia,fortit de Rome &
fe retira au mont facré, inconti
nent le Senat depeſcha ſes Am
baffadeurs, pour fçauoir d'elle en
or vertu dequoy elle feftoit ainfi departie de l'o
beillance de fes capitaines en abandonnant la
ville.
2. Lareuerence du Senat furtelle auec ce qu'ils
n'auoietpoint de chef, qu'il n'y cut celuy qui -
Saft prédrela parolle pour faire refpoce .Ce n'e
ftoit pas ( dit Tite Liue ) qu'ils n'eufsét trop que
leur refpondre, mais ils auoier faute d'home qui
le feft.Adac Virginius conoiffant à quoy il te
noit qu'ils eftoiet ainfi muetz,& come vne mul
titude fans tefte n'eftoit rien , trouua moyen de
DISC. DE NIC. MACCHIA.
faire eflire vingt Tribuns de guerre qui porte
roient les parolles quand befoingferoit, & trai
teroient l'accord d'eux & du Senat . Lors fut
&
requis de leur part qu'il pleuft aux Senateurs y
enuoyer deux fealement de leur corps, Valerius
& Horacius , & its leur declareroient leurs rai
fons . Les deux Senateurs nommez refuferent
tout à plat d'y aller fi premieremét les dix hom
mes ne fe demettoient de leur eftat . Et quand
ils furent arriuez à la montaigne où le Peuple
eftoit , on leur demanda d'entree fils faccor
doient que l'on creaft desTribuns du Peuple &
qu'on peuft appeller comme deuant de toutes
les iuftices de Rome , & fils liuroient entre
leurs mains les dix homes pour les brufler tous
vifz . Valerius & Horatius approuuerent leurs
premieres requeftes, mais la derniere non , ains
leur dirent. thom A
1 Chadow's an j. alta 103r
Crudelitatem damnatis in crudelitatem inciditis.

3 Vous blafmez la cruauté, & en cruauté vous


tumbez.
Lors leur confeillerent de ne tenir ce propos
& ne penfer qu'à recouurer leur auctorité &
puiffance , quand ils l'auroient , ils mettroient
apres bien ordre à leurs fouhaits . En quoy fe
connoift la folie de ceux qui demandent vne
chofe & en la demandant declarent qu'ils en
veulent abuſer . Ce n'eft pas le moyen: Premie
rement fault taſcher de l'auoir fil eft poffible,

puis
1
SVR LA I. DECA. DE TIT, LE 81
puison fera cequ'on en voudra. Penfez qu'il fe
roitbo vcoir vn home qui viendroit demander
2 vn autre fon efpee pour l'en tuer luy mefmet

Que c'est chofe de mauuais exemple d'enfraindre


S one layqu'on vient defaire,mefmemet quand
celuyla rompe qui l'afaicte: Et qu'ily a gros
dangerà continuerpar peinesfurpeines
la perfecution de quelque
eftat d'une ville.

Chapitre XLV.

I toft que l'accord fut faict , &


que Rome fut remife.en fa forme
ancienne, Virginius adiourna Ap
pius à coparoir en perfonne par
deuant les iuges deputez ,pour ve
nir deffendre à l'accufation qu'il entendoit for
mercontre luy, pour le rapt de fa fille . Appius
compare au iour , accompagné d'vne grand
trouppe degentilshommes , Virginius requiert
veu le cas qu'il foit conftitué prifonnier , fors
fefcrieAppius qu'il en appelleau Peuple . L'au
tre replicque qu'il n'eftoit receuable comme ap
pellant,& que tel droict luy deuoit du tout e
ftre denié comme à celuy qui l'auoit tollu &
aboly,& qu'il n'eftoit raisonnable qu'il euft ſon
refuge au Peuple luy qui l'auoit n'agueres vexé,
pillé,& tyrannifé.
que de nou
Acerefpond Appius,que puis que
DISC. DE NIC. MACCHIA .
DE
ueau l'appellation a efté reftituee , meſmemet
à la pourfuitte de partie aduerfe ( comme il
fe vante ) partant qu'il n'eft loyfible de l'en
fraindre , & par railon moins à luy qu'à vn au
tre. Appius nonobftant fes deffences fut lors
apprehendé & mené en prifon , où il fe tua luy
mefme auant le iour de fon iugement . Icy je
confidere qu'ores qu'Appius cult efté digne de
la plus cruelle & eftrange mort qu'on sçauroit
aduifer , pour les pilleries , forces & iniuſtices
qu'il auoit commiles durant fon gouuernemét:
Toutesfois ce futmal procedé à eux de rompre
la loy qu'ils venoient d'eftablir , & de fouffrir
que celuymefme la violaft , qui l'auoit ordon
Florence. nee. L'an xciiii . Florence fut remife en fon
Hier.Saua premier eftat par le moyen de frere Hierofme
naruela. Sauanaruola , duquel les liures portent ſuffifant
tefmoignage de fa doctrine , prudence & ver
tu . Or entre autres loix il en eſtablit à quelque
peine vne femblable à celle dont nous parlons.
Ind
C'eft à fçavoir qu'é matiere d'eftat on peut ap
peller des huict hommes de la feigneurie , au
Peuple.Iladuint que peu apres la confirmation
de la loy furent condamnez par les iuges fuf
dicts cinq particuliers de la ville qui voulurent
vier de ce benefice d'appel , ce qui ne leur fut
permis. Dequoy frere Hierofme depuis ne feift
nol femblant , dont le Peuple commença à fe
plaindre de luy , le charger & ne l'eftimer tant
qu'il fouloit.Auffi y auoit raifon. Car fi telle ap
pellation n'eftoit neceffaire,il n'en deuoit pour
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI . 82
fuyure l'ordonnance à ft grande inftance , fi elle
l'eftoit,debuoit il pas mettre peine à la faire ob
feruer &garder ? Mais en tant de fermons que
il feilta Florence depuis la loy violee, iamais il
n'en fonna motpource ( come on l'interpreta)
qu'il ne pouuoit excufer le faict en chaize de ve
rité, & de le reprédre & blafiner ce n'eftoit fon
plus court , car la faction en euft eu à fouffrit. Il
y a vn autre cas qui trouble fort vne police
3
quand de jour en jour par nouuelles executions
de gens l'on tient les citoyens en continuelle
frayeur, comme l'on teift à Rome apres que

tous lesdix furent accufez & condamnez &


plufieurs autres de la ville qui fe , trouuerent
coupablesde leurs faicts . La Nobleffe futlors
elpouuentee de terri
ble forte , cuydant par là
qu'on ne deuft iamais finer d'executer tant qu'il
y auroitgentilhomme en vie , dont fuft aduenu
1 grand inconuenient à Rome fi Marcus Duel- Duelling
liusTribunn'y euft mis ordre & r'affeuré la no- Tribun.
blelleparvn edict qu'il feit ,portantinhibiti
ons
& deffences à chacun en general de n'accufe
d'vnannul citoyéRo r
main . En quoy l'on peut

seoirquel danger y a à vn Prince ou vne fei


gn
creu
airi de tenir fes fubiects en perpetuelle
ntee,partour mens &peines extraordin
aires
d'vn,puis d'autre .Certaineme on ne sçauroit
nt
pire chofe faire : car quand les hommes font en
doubre qu'il leur mefchee ils tafchent par tous

moyens de fe fauuer , tant qu'aucunefoi iouent


au defefperé , & entrepren s
m
nent chofes erueil
Lij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
leufes,ne fe foucians qu'il en aduienne mais que
ils efchappent. Parquoy le meilleur eft de n'vler
point ( qui f'en pourra paffer) de fi grand cruau
té: Oui c'eft neceffité, il faut le faire à vn coup
fans tant trayner, & foubdain r'affeurer le mon
de, & luy donner à entendre que tout eft faict,
& qu'il ne craigne plus.

Que lesgens communeementfaultent d'une conuoi


tife a l'autre , & penfent à affaillirleur enne
my avant quefeftrefortifie

Chapitre XLVI.

Pres
que le Peuple Romain eut
recouuert liberté & fut remis en
fon premier lieu , voyre miculx
qu'il n'auoit iamais efté pour les
bonnes loix qui nafquirent à l'oc
cafion de ces troubles, chalcun euft dir que Ro
me n'auoir plus qu'à fe repoſer & ioyr en paix
de la maiefté de fon Empire . Mais il en aduint
bien au contraire : car elle fut plus que deuant
tourmentée & brouillee de nouuelles difcordes
& efmeuttes.
La raifon qu'en dit Tite Liue en ce paffage ie
la nicttray icy mot à mot , pour ce qu'elle le
vault .Ce fut (dit il) à canfe que quand le Peuple
fhumilioit , la nobleffe fefleuoit , & felle baif
foit la tefte, il dreffoit fes cornes . Quand donc
ques les nobles apperceurent que le commun
SYR LA I. DECA. DE TIT, LI. 83
Le tenoit quoy fans mor dire, ils fe meirent à l'a
gacer & inquieter.Les Tribuns lors ne ferpoiét
de rien : Car fils fen penfoient mefler, on leur
enfaifoit autant . Le Senat ne trouuoit pas bon
cedefordre,mais il aymoit mieux (fil falloit paf
fer par là) que les fiens le feiffent que les autres.
Par ainfi defir immoderé de garder la liberté e
koit caufe que celluy qui deuenoit le plus fort
faifoit la guerre à l'autre.C'est l'ordonnance des
hommes, veulent ils fe deffendre & munir que
onne leur face mal? Ils comencentles premiers
àmal faire,bleffer,iniurier,outrager, ou en rece
uant le coup ils le deftournent d'où il vient, có
mefil eftoit toufiours neceffaire de liurer ou
fouffrir guerre. Par là void on comme lesRepu
blicques entre autres manieres fe pequent re
fouldre,& cóme les gens paffent fans fin d'vne
ambitioàl'autre . Dont fe conoift la verité d'vn
mot que Salufte met en la bouche à Gefar.
terior ཀ , ; ,!
1
Quod omnia mala.exempla bonis initiis ortafunt.

Que tous defordres & abuz ne viennent que


de bons principes.

Orla premiere chofe que pourchaffoient ceux


qui vouloient dominer c'eftoit de le fortifier &
garnir , en forte qu'ils n'euffent perfonne à
craindre tant officier que priué . Pour y parue
nir,gaignoient force amys par honeftes moyés,
leur preftans argent à la neceflité , & les foufte
Liij
DIS , DE NIC. MACCHIA.
nans contre les grands. Soubs cefte couleur n'y
auoit celuy qui ne fuft abufé, nul ne fingeroit
d'y vouloir donner empeſchemét, & ainfi croif
foit le perfonnage en relle puiffance que chacu
comméçoit à le craindre deuant qu'on fen fuft
apperceu Lors de l'affaillir & à hurrer il n'eſtoie
plus temps, cen'euft efté (comme r'ay deffus dif
couru qu'auancer leperitqui en pouuoit adue
nir.Que ferez vous donc vous le laitfez con
tinuer en fa profperité il vous mettra le pied fur
la gorge, fi mort ouquelque bonne aduenture
nevous en deliure . Si vous pensez le deffaire à
vn coup ,vous augmenterez fa force, & hafterez
voftre malheur, Cat quad ilfe verra fi hault mõ
té que chalcun tremblera foubs fa main , amys,
ennemys,officiers & priucz:lors commencera à
regner & tout difpofer à fa guife. Le remede eft
que la Republique veille diligemment les gens,
& garde neles laiffer,foubs elpece de bie ,pren
dre mauuais ply , feulement leur permettre de
monter en auctorité qui puiffe feruir & ne puif
fe nuyre.
rendLiv
Que fi lesgensfabufent en general , en
particulier, ils nefaillene
pas ainfi mai

Chapitres xtrix T 7:22

tibi.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 84
Ous auons cy deffus racompté
comme le Peuple de Rome auoit
priz le nom de Conful en hayne
& levouloit dutout abolyr , ou fi
il demeuroit , que fa puiflance fut
rongnee à fon appetit. La nobleffe pour obuier
à ces deux inconueniés extremes tint le milieu,
declarant qu'elle faccordoit à ce que l'on feiſt
quatre Tribuns de puiffance Confulaire qui
pourroient eftre eflcuz indifferément du corps
du Peuple ou du Senat.De ce fut le Peuple tref
.
E content, &luy fembla que par tel moyen le Co
3 fulat eftoit eftainct , & qu'en la dignité fubrogce
il auoit la part comme les autres. En ce cas ad
vint vae chofe fort cftrange: Car quand on vint
à la creation des quatre nouveaux Tribuns,deſ
quelz par l'accord chacun pouuoit estre,le Peu
ple neantmoins n'y en meift lors pas vn que
Noble,dont vient Tite Liue à dire.

Quorum comitiorum euentus docuit , alios animas


incontentione libertatis &honori ,alias fecundum de
pofitacertamina incorrupto indicio effe.

L'yffuë de cefte election monftra que l'on


procede d'autre courage en brigue & conten
tion d'honneur & de liberté , que l'on ne faict
hors de fureur en droict iugement.
En péfant là deffus quelle en eftoit la cauſe,
ilm'a femblé que nous fommes aylez à trom
Li
DISC. DE NIC. MACCHIA.
per fur le general , mais qu'en particulier nous
voyons beaucoup plus clair . La commune de
Rome auoit fantafie qu'elle meritoit mieux le
Confulat que les Nobles, veu les trauaux de la
guerre qu'elle portoit fans ceffe, l'accroiffement
de l'Empire qu'elle pourchaffoit à la peine de
fes bras , & auffi qu'elle faifoit la plus grand
part de la ville . Par ceft argument vniuerfel
priz en mue fe trouuoit auoir raiſon , & qui fat
loit que celà fe feift : Quand il luy conuint def
cendre à particularité, fonder & iuger la qualité
& portee des liens qui pourfuyuoient ce fouue
rain cftat, elle vint à conoiftre que d'eux ce n'el
ftoit rien, & qu'il ne fen trouuoit aucun capas
ble de ce qu'elle fe iugeoit meriter toute enfem
ble: Et de honte qu'elle eut de leur pauureté &
incapacité donna fa voix à ceux qui en eftoient
dignes . Dequoy Tite Liue feſtonne & fefcrie
en telles paroles.

Hancmodeftiam aquitatémque & altitudinem


animi vbi nuncin vno inueneris, quæ túcpopulivni
uerfifunt.
-12it1
Où trouuerez vous auiourd'huy ( dit il ) en
vn feul homme l'honefteté, la droicture, le hault
courage qui lors apparut en tout le Peuple?
Ace propos aduint vne terrible hiftoire à
Capuc,la maiftreffe ville de Campagne, laquelle
fut en grandbranle de fe diuifer apres que An
nibal eut deffaict les Romains à Cannes en fi
I
SVR LA J. DECA . DE TIT. LI. 85
piteufe forte. Lors eftoit prefque toute l'Italie
gaftee & exillee : Dedans Capue le peuple &
le Senat eftoient entrez en merueilleux dif
cord, Pacuuius Calanus homme fage & enten
du lequel en auoit le gouuernement confide
rant le gros danger où fe mettoit la ville , fi ce
malcontinuoit,deliberaen ſoy mefme de tran
cher le noud, & les rendre meilleurs amis qué
deuant. A cefte fin affembla vn iour le Senat,
auquel il expofa en peu de parolles la cruelle
haine que le peuple leur portoit , & comme ils
eftoient en voye d'eftre maffacrez , & Capuë li
urce és mains d'Annibal , eftant Rome en fi
pauure eftat : Conclud , que fils luy vouloient
laiffer mener l'affaire , il auroit bien toft traité
3 la paix. Que fon moyen eftoit de les enfermer
dedans le palais , & les fauuer foubz couleur de
les offrir à la mort. Les Senateurs fy accordent,
Pacuuius fort ,les ferre à la clef, & va droit de
ce pas affembler le peuple , auquel il declare
" que l'heure eftoit venue de chaſtier & abbatre
l'orgueil infupportable de la nobleffe , & de le
venger de tant de tortz,oppreffions & iniures
qu'elle luy auroit faitle paflé , Qu'à cefte caus
fe venoit de les enclorre & emprifonner foubz
fa garde pour les traiter à ce coup felon leurdef
ferte. Puis vint à dire qu'il fcauoit bien que le
peuple n'auoit intention de viure fans gouuer
neurs.Parquoy auant que proceder à l'occifion
des vieux Senateurs , qu'il en creaft de nou
ucaux. Que pour ce faire,il auoit tous les noms
DISC . DE NIC . MACCHIA.
des vieux en vne bourfe , les tiroit I'vn apres
l'autre , & à mesure qu'on leur pourucoiroir de
fucceffeurs , les feroit fortir du palais pour eftre
liurez à la mort. Le peuple y confent, Pacuuius
en tire vn qu'il nomme. Lors à ce nom fe leue
vn grand bruit en la place : c'eſt ( dient ils) vn
homme cruel , c'eft vn.orguilleux , fier comme
vn Lyon. Pacuuius demande qu'ils en pour
ueoient d'vn autre : Lors fappaifa le bruit , &
peu apres en fut nommévn du commun , que
on recueillit Dieu ſcait comment , l'vn en fiffle,
l'autre en rit, chacun en dit mille maux : Et ain→
fi iugerent de tous ceux qui furent mis en a
uant pour auoir ce degré. Pacuuius à l'occas
fion de ce leur prift à dire : puis qu'ainfi eft que
il ne ferait bon que la ville demeuraft fans Še
nat, & que vous n'accordez de nouueaux Sena
teurs pour fubftituer au lieu des autres, le mieux
fera à mon aduis que vous vous reconciliez en
femble. Car tenez pour certain que la grand
paour qu'ils ont eu maintenant , leur vaudra
vn bon chaſtiment , & mettra en eux l'humani+
té & la douceur que vous cftes empeſchez de
chercher ailleurs. Lors cogneut le peuple en
particulier la faute qu'il auoit fait fugeant en
general, & declaira qu'il eftoit content d'accor
der. En mefme forte fe trompe volontiers la
commune રેà iuger les chofes en l'air & en Idee,
& quand elle vient à l'effay réck & actuel apper.
çoit incontinent la tromperie. L'an mil quatre
1

éens nonantequatre, que les principaux de Flo


SVR LA F. DECA. DE TIT. LI. 86
-rence furent chaſſez , demeura la ville fans pa
tron & fans gouuernail, & en tel equipage que
vne nef flottant par les vndes puis çà puis là , à
la mifericorde des vents & de la marine. Ce ne
eftoit qu'vne liberté defordonnee , tout y alloit
pefle mefle fans aucune reigle ne raifon. Plu
: feurs du peuple iugerent lors que fi celà duroit
gueres,la feigneurie alloit en ruyne : de la caufe
3 du defordreils n'en cognoiffoient rien,difoient
en leur lourdois que tout fe menoit par aucuns
3 des feigneurs qui pretendoiene tyrannie. Cell
couroit par les marchez & places publicques,
& beaucoupy auoit de citoyens qui faifoient
bon vœu de defcouurir la trahyfon , fils ve-i
: noient jamais à eſtre des gouuerneurs . Depuis
aduint que telles gens furent appellez au teng:
lors veirent ils de plus pres les chofes & le train
C du gouuernement : fi cogneurent que le mal
dont ils feftoient plaintz eux mefmes au para
uant, & auoient chargé les perfonnes,ne proce
doit que de la condition & diſpoſition du téps.
Adonc ils fe tournerent & muerent de coura
T ge & d'opinion, le maniement des affaires leur
ouurit l'entendemét, & leur leua la nuée de de
sant les yeux. Ceux qui les auoient ouy parler
avant qu'ils fuffent en l'eftát , & voyoient leut
parolle changee , n'eftimoient pas que ceſte di.
verfité leur vint de cognoiflance plus parfaite
mais d'auoir fenti le vent du chapperon, & efté
conuerti par les autres. A cefte caufe eftoit vn
commun dire par la ville : Ces gens cy. ont vn
DISC DE NIC. MACCHPA ,
efprit en la place , & vn autre au palais. Voilà
donc le moyen de tirer vn peuple hors d'igno.
rance en efprouuant fa fauſe raiſon à la touche,
c'eft à fcauoir appliquant fa conception gene
rale à l'experience particuliere, comme feit Pa→
Guuius à Capuë & le Senat à Rome. Encores o
ferois ie dire qu'vn perfonnage de fens ne de
uroit craindre ne fuyr le iugement populaire en
cas de diftribution de dignitez & offices , mais
qu'il le fcache renger à particularité. Car alors
il ne fabule point , & fil luy aduient quelque
fois, beaucoup pluftoft y faudroier peu de gens
à qui on fen feroit fié. Maintenant vous veux
ie declarer la fineffe dont voit le Senat pour ef
clairer à la commune , qu'elle ne fe trompaſt és
tenebres , & ne print le noir pour le blanc.
ht " 208040 . 29 21.
Pour faire qu'un office nefait conferé à meschans
-57gens, onde trop vile condition,il enfaut attil
56 trer de miferables & deteftables qui le
293 demandent, ou de tres parfaitz
-LV
dorot tres nobles t
: ‫בייל‬ maal, chai
Chapitre XLVII
34
Vand le Senat auoit paour que
de la menuë gent on ne feit Tri
buns de puiffance Confulaire , il
pratiquoit toufiours de deux mo
yens l'vn: Ou il mettoit enieu les
plus grandz & notables perfonnages de Rome
1

.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 87
qui pourfuiuoient,Ou fubornoit quelque hom
me mecanique , ou defcrié par les mauuaifes
meurs, qui fe mefloit auec les autres, & deman
doit l'office. Ce dernier poinct faifoit que le
peuple auoit honte de leurbailler , le premier

NC
luy donnoit vn remord de confcience d'efcon
duire gens qui tant le meritoient. C'eſt touf
= iours pour venir à mon propos , que la com
mune fe deçoit affez és generalitez , & quand
5 on vient à particularizer à trefbonne veuë.

$ siles villes nées en liberté ont tant depeine à trou


werloix qui les y maintiennent, celles qui ont
eu leur naiffanceferue & fubiecte en
doiuent bien auoir.

chapitre XLIX.

E gouuernement de Rome , les


affaires qu'elle a eu dehors & de
dans enfeignent affez quelle dif
ficulté , il y a à mettre ordre en
vne feigneurie , par lequel elle fe
puiffe à iamais entretenir en bon eftat. Elle eut
premierement Romulus , puis Numa , Tollus
Hoftilius , Seruius , lefquelz employerent leur
fens & entendement à la reigler & policier de
bonnes loix. Depuis elle crea dix citoyens pour
cefte feule caufe: Nonobftant de iour en iour
luy fourdoient neceffitez nouuelles qui reque-
roient remedes nouueaux. Vn remede fingu
DISC. DE NIC. MACCHIA.
lier entre autres, qui grandement purgea & re
tarda la corruption de Rome , ce fut la Cenfu
re, laquelle corrigeoit les excez , fuperfluitez,
pompes,abuz , & mauuais mefnages de la ville.
Vray eft qu'au commencement que ceft office
fut creé,y cut vne grande faute de le mettre à
Mamercw.cinq ans. Mais Mamercus Dictateur y mon
ftra vn tour de fa prudence en le reduifant à dix
& huict mois. Dequoy indignez contre luy les
Cenfeurs qui lors eftoient, feirent tant qu'ils le
ietterent hors du Senat, au grand regret des Se
nateurs & du peuple. Sur ce paffage il faut que
l'hiftoire de Tite Liue foit deffectueufe, ou que
la iuftice de Rome l'ait efté , en laquelle Ma
mercus ne peut trouuer fecours ne deffenſe con
tre fes ennemis. Car on ne fcauroit dire que
vne Republique foit bien ordonnee , où celuy
qui aura efté tant fongneux du proufit com
mun , qu'il aura inuenté vne loy nouuelle con
cernant le fupport de la liberté , pourra eftre
mal traité ,fans que fon innocence trouue au
cun refuge. Mais pour reuenir à mon propos,
ce. n'eft pas de merueille fi les villes conceuës
& quafi enfantees en feruitude , ont tant d'af
faire à fe reigler & difpofer en vie de repos &
tranquillité ciuile (comme on a veu de Floren
ce.)veu que Rome & les autres de franche con
dition y ont tant pené & trauaillé. Florence a
efté du commencement fubiette à l'Empire , &
a vefcu long temps foubz le gouuernemét d'au
truy fans penfer de foy. Depuis l'occafion fof
SVR IA I. DECA. DE TIT. LI. 88
frit de refpirer & quafi prendre alaine , elle fe
meit à eftablir fa police,meflant quelques bon
nes ordonnances nouuelles auec les vieilles de
nulle valeur. En telle façon feft demence l'e
fpace de deux cés ans de fraifche memoire ,fans
apparence qu'on la deuft à droict nommer Re
publicque.Lemaiftre (dont nous parlons) que
elle acu ,eftnaturel à toutes les villes qui font
nées en pareil eftat.Rien ne luy aferui de don
ner à aucuns des plus apparens par election pu
re & nette , auctorité de la reformer en ce que
befoing feroit.Ceux qu'elle y a mis n'ont eu au
tre foing que de faire leur proufit particulier,
fans aucunement le foucier de Pvtilité public
¡ que. En effect ils y ont faitplus de mal que de
bien, & pour le ſpecifier par exemple ie dy, que
entre autres chofes dignes de finguliere cofide
ration, vn legiflateur doit bien aduifer és mains
de qui il met le fang & la vie de fes citoyens.
Cela ne fut pas oublié à Rome.Si quelqu'vn y
eftoit condamné qui fe fentit greué, il pouuoit
appeller ordinairement au peuple , & fi d'ad
uenture le cas eftoit de telle importace qu'il re
quift prompte expedition, & que la demeure y
fut dangereufe : en cefte neceffité & non autre
métfe creoit vn Dictateur qui decidoit de telle
appellation. Mais Florence en ce cas faifoit ve
nir vn perfonnage eftranger à la requefte de fon
Prince, & ainfi les feigneuries nées comme elle.
Quad il n'y eut plus de Prince elle y appella vn
homme de dehors,qu'elle nommoit Capitaine,
4
DISC. DE NIC. MACCHIA.
lequel eftoit aifé à corrompre par argent , fa.
ueurs & moyens femblables. A la fin y furent
créez huict citoyens en lieu de capitaine qui e
ftoit r'entrer de ficure en chaud mal. Car com
me l'ay dit en autre lieu, peu de gens font com
me peu , & & ne fuffile pour faire iuftice
ne fuffle d'vn
grand feigneur. Venile l'a bien entendu , & fen
eft fongneufement gardee : en laquelle y a dix
citoyens qui peuuent punir les gens fans appel,
& pour les gens d'eftoffe ont estably les qua
Confeilde ran aines. Depuis ont voulu que le confeil de
2. Prozay (qui eft leur grand cofeil ) en peut pren
de cognoiffance, deforte que fil fe trouue des
accufateurs, il n'y aura point faute de iuges . Ce
doibt doncques eftre chofe trop impoffible aux
villes qui ont eu leur naiffance ferue & mal or
donnée de fe remettre & redrelfer quand elles
font troublees & fouruoyees . Puis que nous
. voyons Rome fi empefchee à viure, laquelle eft
touresfois venue au monde franche & libre, &
a efté allaictee , fcüree & nourrie par tant de fa
ges & notables perfonnes.

Qu'on ne doibt laiffer en la puissance d'vn office,ous


d'un Confeil de retenir arrester le cours
des actes publicques.

Chapitre L.

Titus
SVR LA I. DECA . DE TIT. 11. 89
Itus Quintius , Cincinnatus , & Cincinna
G.Iulius Mento furent enfemble rus.
Confulz de Rome , & touliours Mento.
contraires , tant que par leur ini
mitié priuce demeuroient les af
faires de la Republicque. Le Senat pour y re
medier les enhorta de créer vn Dictateur : mais
ceux qui difcordoient en tout , faccorderent
trefbien en ce cas , & dirent qu'ils n'en feroient
rien. Adoncfe retira le Senatvers les Tribuns, Tribuns.
auec l'aide defquelz il contraignit les Confulz
de cefaire.Par là connoift on dequoy feruoient
les Tribuns , lefquelz refrenoient l'ambition de
la nobleffe contre le peuple , voire appaifoient
les differens qui fe mouuoint entre les nobles
mefmes. Vn autre poinct à noter en ceft en
droit, c'eft qu'on ne doit pas mettre en la main
de peu de gens la difpofition des actes ordinai
rement neceffaires à vne ville. Comme fi vous
voulez donner à vne court ou Confeil l'autori
tédediftribuer les offices & honneurs , ou à tel
& teleftat l'adminiſtration de certain affaire : il
leur faut impofer neceffité d'y pourueoir , ou
ordonner autres , aufquelz en deffault d'eux le
droict en fera deuolu. Autrement il en vien
droit fouuent de tres gros inconueniens : com
me fià Rome il n'y euft eu des Tribuns pour
rompre l'obftination des Confulz . Vn temps.
fut que le grand Confeil diftribuoit les eftatz
& dignitez à Venife :aucunefois par defdaing
ou par faux rapport ils laiffoient à pourucoir
M
3 DISC. DEN.IC. MACCHIA.
defucceffeurs aux officiers de la ville & à ceut
"S de dehors, qui eſtoit vn dangereux cas, veu que
COV en mefme inftant les terres de la feigneurie , &
qui plus eft leur ville demeuroit defpourueue
de iuges & gouuerneurs accouftumez , en for
te que l'il furuenoir quelque befoing on n'en
pouuoit auoir la depefche , finon en corrom
pant ou abufant cefte compagnie entiere. Cer
tes Venife fen fut mal trouuce à la longue , fi
A
quelques citoyens des mieux aduiſez n'y eul.
fent mis ordre en faifant vne loy que nul office
fans mort ne fut cenfé vaquant , fi le fucceffeur
n'eftoit creé . Ainfi tur oftee à ce Confeil la
puillance d'empelcher comme il voudroit , &
d'arrefter les actes publicques .
f..
1. Xva 6
Comme un Prince & one seigneurie doitfaire
de neceßité vertu.

Chapitre LI.

E tour d'vn homme fage, c'eft de


fe faire fcauoir gré de tout ce que
il fair , encores qu'il l'ait fair par
contrainte. Le Senat de Rome
pratiqua bien ce poinct, quand il
ordonna que les citoyens accouftumez de vi
ure à la guerre à leurs propres couftz & def
pens auroient deflors foulde publicque. Le Se
nat apperceur bien , qu'en cefte fotte Rome ne
pourroit fouftenir les fraiz d'vne longue guer
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 90
re,ne fournir à affieger villes , ne mener armee
en lieux loingrains : Toutesfois trouuant qu'il
faloit neceffairement faire l'vn & l'autre , or
donna (comme dit eft ) qu'on payeroit les ga
gesdes genfd'armes fur les deniers communs,
tournant par tel moyen leur. neceffité en libe
ralité :laquelle le peuple eut fi aggreable & efti
matant,quevous euffiez dit proprement que
7718
toute la ville en dançoir de ioye. Car il n'eut
oncques pensé que ce bien luy deuft aduenir,
& n'eutiamais eu la hardieffe de le demander.
LesTribuns enuieux de l'honneur qu'y auoient
les Senateurs ,feirent leur effort de remonstrer
qu'on ne deuoit accepter ce prefent , lequel
fouz efpece de foulagement portoit en foy vne
griefue & incroyable foulle ,auffi qu'il eftoit
trop certain que pour fatisfaire à lafoulde pro
mile ,il faudroit en brief impofer gros tribut
fureux : Toutesfois il ne leur fut en façon quel
Conque poffible d'en degoufter le peuple. De
puis le Senat accreut d'auantage le gré de ce
etch
- bienfaict , quand il fut queftion d'exiger l'ar
gentdu tribut : car ils l'impoferent par grande

OFF equité , le fort portant le foible , & chargeant


plus lesplus riches,lefquelz ils feirent toufiours
adi commencer la paye.
C
Mij
04
S
Des
FOC
40 DIS.C. DE NIC MACCHIA.
DECA t
15 fardoi
Le meilleur moyen & leplusfeur pour reprimer lin-
folence d'un grand feigneur, c'eft de luy tren-,
aen rep
cher le chemin par où il pretendpare. elmoitde d
uenir à fes fins. aregaymer
&zele
Chapitre XLI.. berecomm

de luyal
Ous auez veu par le difcours pres minuant
cedent le grand credit & faueur.
quieftoi
du peuple , que la nobleffe acquit
les delit
par la grace qu'elle luy feit de la spublica
foulde publicque , & encores par
la mode de l'exaction tant iufte & equitable.. danger
attreen
Vrayement fi le Senat eut continué fes coups,
& entretenu toufiours par moyens l'amitié du cer.L'
commun , il n'y eut pas eu à Rome tant de fe tofaut
ditions & efmeuttes , & les Tribuns ( qui le quepare
plus fouuent en eftoient cauſe ) euffent perdu Compule
rencie
lout regne & auctorité. Auffi eft ce le plus ex r
Pieroeft
pedient pour empefcher vn perfonnage han
rain de deuenir feigneur de luy rongner les ail 12 vne
les quand elles croiffent encores , ou diuertie pand
con CC
fon cours par trenchees deuant qu'il foit trop
violent & impetueux. Si l'on eut ainfi befon วิทย์เพาะ
ame
gne contre Cofme de Medicis, c'eut efté beau ,
coup mieux fait que de le chaffer de Florences :
Ceux qui auoient entreprins d'en venir à bout lanc
devoient mettre toute leur entente à capter la
beneuolence du peuple , c'euft efté luy faucher 皮に
l'herbe fouz le pied , quand par tel moyen on
luy cut arraché des poingz fans bruit & noife ,
SVR YA Y DECA. DE TIT. LI. 91
fes armes dont il faydoit le plus . Piero Sode Pierre So
rini eftoit paruenu en reputation & grandeut derin .
par le ftillequ'il auoit de defrobber le cucur des
gens,&de le faire aymer, fouz couleur de fin
guliere affection & zele qu'il monftroit auoit
au bien & liberté commune. N'eftoit ce pas
bien lemeilleur de luy aller au deuant par der
tiere,en luy diminuant peu à peu cefte faueur
A
vniuerfelle ? ce qui eftoit aifé à faire foppofant
fubtillement à fes deliberations & entreprifes

en tousaffaires publicques:il cut efté plus hon


nefte & moins dangereux , que d'y proceder par
violence,& mettre en branle la feigneurie en le
voulant opprimer. L'on me pourroit dire icy,
que fil yeut cu faute en ces contraires en ce
quedit eft , que pareillement y en cut en luy,
de n'auoir rompu le chemin à fes ennemis, par
lequel ils le venoient battre.Mais il me femble
qu'en cela Piero eft grandemét excufable pour
1116
deuxraifons : l'vne , qu'il ne le pouuoit bonne
ment faire quand il eut voulu , car il luy falloit
ITS
gagner de fon cofté les Medicis que l'on luy
mettoit toufiours en front, & par lefquelz à la
fin il fut ruyné ,leur faueur ne fe pouuoit prati
queràvn coup,ne fi fecrettement, qu'il ne vint
En connoiffance . S'il eut efté fceu qu'il fut leur
amy,le foufpeçon qu'on auoit de luy eftoit au
gmenté , & le mettoit d'autant plus auant en la
mallegrace du peuple. Par ce moyen euffent cu
fes ennemis barres fur luy , & plus grande ma
rictede l'opprimer. L'autre raifon qui l'empef
Miij.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
choit, c'eftoit qu'au cas qu'il l'eut peu faire , fi
ne l'eut il fecu honneftement. Car force eut
cité en prenant le party des Medicis de deftrui
re la liberté de Florence , laquelle luy eftoit
baillee en garde. Pour conclufion en toutes de
liberations nous auons à poifer & balancer iu
ftement de quel coſté y a plus de proufit , &
moins de peril , & ne fe hazarder ( comme Ci
cero ) à vne entreprinfe laquelle foit la moitié
plus ruyneufe que proufitable, telle que luy fut
de vouloir tollir la puiffance à Marcus Anto
nius qu'il luy augmenta. D'auantage le moyen
dont vfa lors Cicero , ce fut de le faire decla
rer, & iuger ennemy du peuple & du Senat de
Rome, & pource que la principale force de fon
oft gifoit és vicux foldatz de Cefar , qu'il auoit
Ciceron. ' alliez apres fa mort , Cicero perfuada au Se
otim . nat qu'il donnaft à Octauius autorité extraor
dinaire , & l'enuoyaft auec les Confulz contre
Antonius,difant qu'au feul nom d'O&auius ne
neu de Cefar, & qui defia fe nommoit Cefar, les
vieux routiers planteroient là foudain leur Ca
pitaine , & le rengeroient fouz fon enſeigne:
lors feroit leur ennemy beaucoup plus ailé à
deffaire, Mais la chofe fucceda bien autrement
car Antonius tourna Octauius de fon cofté, có
me celuy qui tenoit le party de fon oncle. Puis
fe banderent enfemble contre Cicero & le Se
nat , que finablement ils cafferent & abolirent,
au moins meirent fi bas qu'il n'en peur onc
ques puis releuer. Auſſi eſtoit il ailè à prefiu
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI, 92
mer qu'il en aduiendroit ainfi , & ne deuoit
Tullius & imprudemment remettre fus ce nom
de Cefar plein de gloire , renommee & triom
phes ,par lequel tant de monde auoit efté mis
fouz le ioug , & Rome mefme I'vnique chef du
monde. Il deuoit faire fon compte , qu'és he
ritiers d'vn Tyrant , & en ceux de fon allian
ce, ne reluyfoit aucune vraye efperance de li
berté , ains toute affeurance de feruitude & ty
zannie.

:
Bouuentesfois lepeupledemandefapertepenfant que
fost fon bien, & le paift de haute effer.an
ce & de braues promesses.

Chapitre LIII...

Pres la prinfe de Veie le bruit de


la richeffe qui y eftoit , des belles
maiſons , du bon païs à l'entour,
meit en fantafie au peuple de Ro
me, qu'il feroir expedient que la
moitié du commun y allaft demeurer:que ceur
qui n'eftoient des plus abondans en biens y
auroient grand proufit , & fi n'en feroit Ro
megueres diminuee , veu qu'il y auoit tant peu
de distance de l'vne à l'autre : qu'on prendroit
Veie pour membre dependant de Rome, pluf
toft que pour vne ville à part. Le Senat & les
plus aduifez prindrent fi peu de gouft à tel
le entreprinfe , qu'ils delibererent auant mou
M iiij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
rir que confentir qu'il fe feit. Le peuple y a
noir grand vouloir , & quand l'on vint à de
battre la matiere pour fcauoir ce qu'il en fe
foit , fourdit vne tres groffe noife qui fe fut
tournee en fedition cruelle & fanglante , fans
quelques graues & honorables vieillardz , que
le Senat meit au deuant du coup en lieu de tar
ge & efcu, & par eux fut cefte fureur refroi
die,tant qu'ellene paffa oultre. En quoy ie trou
ue deux chofes dignes de confideration . La pre
miere , qu'vn peuple cft aifé à abufer de fauſe
apparence de bien, fouz laquelle il cherche fon
mal :& fi quelqu'vn en qui il ait fiance ne luy
remonftre & donne à entendre ce qui en eft,
fouuentesfois il enchet en gros dangers , ou
en totalle ruyne , fi par fortune il a efté au

parauant trompé des gens , ou des chofes mel


mes , & partant ne fe fie plus en perfonne. Sur
ce propos dit Dante au difcours qu'il fait de
monarchie .

Dante. 21
il populo moltevolte grida:
Vina la morte, muoia la vita.
10

Souuentesfois le peuple crie:


Viue ma mort , meure ma vie.
$.0.

De là vint la perte enorme , que feirent les


Venitiens quand ils furent affaillis de tant de
Princes enfemble , & n'en fceurent gaigner vn
feul & tirer de leur cofté, en luy rendant partie
CHIA SVR LA I. DECA . DE TIT. II. 93

e peuple des chofes , pour lesquelles la guerre eftoit


on vinti meue . Parquoy entendue la diftinction de ce
e qu'il quieftayfé & mal ayfé à perfuader au Peuple,
ife qui onpeutfaire fon compte tel , que file cas que
anglanten meten auant femble de prime face de grand
ieillarda, courage & de merueilleufe vtilité , combien
en lieu de ( qu'à laverité ) foubs l'herbe gife le ferpent, &
fureur refle dommage y foit certain ,& (à bien prendre)
quoyjem entreprinle foit vaine ou baſſe : toutesfois en
ration.Lapt ce caslePeuple fera incontinent mué & preſt
uferdefà toutcroire. Mais fil y a apparence de
perte
cherchef on lafcheté , & deffoubs gife le contraire , vous
fiancenel ne l'y fereziamais confentir . Qu'il foit ainfi,
Cequien nous en auons infinis exemples Romains , c

dangers,a frangers,vieils, nouueaux . C'eft de quoy Fa


laeftabiusMaximus fut tát mal eftimé à Rome , & ne
scholesme fceut
oncques donner à entendre au Peuple,
e
perfonn . S que le meilleur fuft contre Annibal de tour
qu'ilfaitde
noyer ,fe camper puis çà puis là à fon auantage,
& amollir fafureur à la longue, que de ioindre
& entrer en bataille : iamais ne fut poffible à
cebon capitaine de le leur mettre en tefte, pour
Icequ'il fembloit de prime veuë que ce fuft pu
re couardife& timidité qui le feift tant recul
ler & fuyr , dont peu fen falluft que tout ne
fuft perdu,à l'occafio de la puiffance qui en fut
donnce à fon connettable & chef de fa gend'ar
efeirentla merieenhayne de cefte longueur . Mais Fabius

de tant encores ytrouua remede . Cefte experience ne


er fceut faire cePeuple fage , ny depu empe
gagn is fcher
ndantpart qu'iln'enuoyaft Varro Conful contre Annib ,
al
DISC. DE NIC. MACCHIA.
pourtant qu'ilfe vantoir & femoit par toute la
ville , que qui le voudroit laiffer faire , Annibal
ne dureroit rien . Le Peuple prefta l'oreille à fi
haulte & glorieufe promeffe, dont auint la def
confite de Cannes & prefque la fin finalle de
Rome . Le Senat vne autresfoys monſtra bien
ce qu'il luy en fembloit , quand Marcus Cen
tenius Penula ( lequel n'eftoit rien , finon qu'il
auoit eu quelque petite charge ) ſe vine offrir &
promettre quefon luy permettoit de leuer par
PItalie tous ceux qui de leur bon gré le voul
droïent fuyure , il nefaudroit point de leur li
urer en peu de temps Annibal mort ou vif, le
quel auoit defia paflé pres de neuf ans en l'Ita
lic, & couuert la terre des corps de fes propres
feigneurs . Lors combien que le Senat con
neuft à l'œil la folle temerité de l'homme , tou
tesfoys craignant fil en eftoit refufé qu'il en fiſt
fes plaintes au Peuple(qui trop volōtiers efcou
toit telles vantances ) luy accorda fa brauc re
quefte,ayant plus chere la mort du capitaine, &
de ceux qui marcheroient foubs fa banniere ( à
quoy ils ne faillirent point ) qu'il en auine noi
fe & diffention entre eux & le Peuple . Lors
que Scipion Conful demanda au Senat la Pro
uince d'Afrique,promettant de n'en reuenir ia
mais qu'il n'euft rafé Carthage , & veit que Fa
bius Maximus luy contredifoit : que feiſt il fi
non menaçer qu'il en feroit le rapport au Peu
plea fçachant que telles chofes luy eftoient tres
agreables , Les Grecz n'ont pas mieux faict que
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 94
les autres , Nicias homme de fens & prudence
nompareille ne peuft onques perfuader à Athe
nesquele voyage de Sicile eftoit temeraire , nó
obitant fes remonstrances ils l'entreprinrent &
Ike à leurconfufion . Le ne laifferay pas icy noftre
ville derriere, laquelle y fur prife par Meffer
Hercole Bentiuogly fon gouuerneur au faict
de laguerre : iceluy apres que (accompagné de
Antonio Giacomini il eut deffaict Bartolo
TDE meo d'Aluiano à faint Vincent , falla camper
deuant Pife mal gré les plus fages de Florence,
qui n'eftoient de ceft aduis . Qui en fut cauſe?
ce fur la volonté vniucrfelle qui fe baigne en
telles gloires & braueries mal digerees . Voy
Jang là doncques vn des moyens ayfez à ruyner v
ne Republique où le Peuple eft maiftre : car
en tel cas il n'en fera iamais autrement . Mais

150 fi mal il en prend à ce Peuple , fur lequel le


fort doibt tomber , les particuliers qui auoient
cre prins la charge fur leur doz n'en font pas mi
if culxguerdonnez . Communément la feigneu
rie qui feveoid fruftree de la victoire que defia
elle tenoit en fa main fuyuant ces belles pro
LOE melles ,elle met en baffe foffe ce hault entre.
Po preneur ,ou le bannit , ou l'occit, & fans pren
dre en payement aucune excufe ne de fortune,
Be d'autre empefchement quelcoque , met tout
fut fa defloyauté, trahyfon, ou imprudence . De
Teg quoy portent telmoignage plufieurs capitaines
d'Athenes & de Carthage , à qui il en eft ainsi
aduenu, & ne leur fert rien la memoire de leurs
DISC . DESNIC MACCHIA.
œuures & bons feruices paffez, le dernier peché
efface tout.Comme il en print à Antonio Gia
comini pour auoir failly à prendre Piſe . Car de
là il encourut fi fort la malle grace du Peuple
Florentin , qu'il n'en fuft iamais refchappé vif,
fans la mifericorde & humanité de ceux qui lors
gouuernoient .

Quelle vertu a ungrandperfonnagepourappai


fer unefeditionpopulaire.

Chapitre LIIII.

E fecond poinct notable de l'hi


ftoire prefente porte , qu'il n'y a
remede plus certain à demefler
vn trouble populaire & renger la
commune ignorante à la raiſon,
qu'vn perfonnage grand, plein d'auctorité & re
uerence , lequel viendra fendre la preffe & fé
mettre au milieu d'eux , & comme dit Vir
gile.

Virgle. Tum pietate grauem meritis fi forte virum


quem.
filent arredíſque auribus astant.
Confpexere,

Sur la fureurfilfuruient de bon heur


Quelque hommegrand en vertu honneur:
La maiestédefa feuleprefence
Les rend tousquoys & ſeføiet audience. 1
SVR LA T. DECA . DE TIT. £ 1.95
Parquoy celuy qui eft en ville ou en oft el
Gmeu,quand il fyvouldra trouuer pour mettre
Cr ordre,faudra qu'il y vienne de la meilleure gra
Per cequ'ilpourra, veftu & paré de tous ornemens
P defon cftat,& qu'il n'oublie rien de tout ce qui
lepourroit rendre plus venerable. N'a pas long Factions
temps Florence eftoit diuifce en deux factions , & partia
Fratefché & Arrabiaté (elles fappelloient ainfi ) Litez de
Leur debatproceda fi auant qu'ils en vindrent Florence.
iufques au combat : Fratefchi furent vaincuz ,
defquelz eftoit vn nommé Pago lantonio Sode
rini homme lors de fort bonne reputation : ceux
du party contraire fur le feu de la victoire al
ferentdroit à fon logis pour le voller & facca
ger .Al'heure y eftoit de fortune Meffer Fran
cefco fon frere Buefque de Volarerre ,& aui
d'huy Cardinal , lequel quand il entendit le
bruyt & l'occafion qui les menoit , meift les
plus belles & honnorables robbes qu'il cuft,
& fon
roquet epifcopal deffus , ainfi atourné
fortie en la rue ou la bande des ennemys eftoit
en armes .Mais tant valut fon eloquence & la
maieftéde fa perfonne , qu'il appaifa leur grand
fureur, ft fent retournerent quoys & pailibles
fanscoupruer, dont en courut par
tout la nou
l'ouyrent
uelle qui feift A grandement efbahyr ceux qui
. En celà voyons nous de quelle im

portance eft en ce cas vn tel perfonnage qui"


fouuent fera plus de fon regard , de fa parolle &
reprefentation
, que ne feroit la puiffance d'vn

of .Pour doncques reuenir à mon propos , on


DISCO DE NIC. MACCHIA.
connoift en ce paffage comme le Peuple Ro
main abuſe de fauce opinion d'acqueft vouloit
à toute force aller à Veie demeurer . Ce qu'il
euft faict ( pour le moins en pulluloient defia
degros fcandales ) fans la vertu qu'eut à les ap
2 pailer la prefence feule & remonstrance de cer
tains perſonnages d'honneur.

Comme les affaires fe portent volontiers bien en


une villeoù la commune n'est corrompuë, &
qu'il n'eftpoßible d'eriger Royaume en lieu
où l'égalitéregne,fans laquelle aucon
traire on ne fauroit fonder une
Republique.

Chapitre LK

Ombien que nous ayons difcou


tu par cy deuat ce qu'on doit at
tendre d'vne ville deprauce : celi
n'empefchera point de mettre en
confideration le tour du Senat de
Rome touchant le veu que Camille auoit faict
de donner à Apollo la difme de la defpouille de
Veic. 216
J Or en eftoit defia le Peuple faifi: Neantmoins
le Senat feift crier que cha
chacun euftt à
cun cuf à rapporter
dedans certain iour en heu qui fut ordonné, la
dixiefme part de ce qu'il auroit pillé fur les en
nemys.ll eft vray qu'on ne fy arreſta pas, & fut
de veu accomply fans celà: Mais encores voyez
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 96
vous l'opinion que le Senat auoit de la foy &
preud'hommie du Peuple , & comme il le fioit
tant en fabonté qu'il ne faifoit doute que chacu
ne fe meir en fon deuoir d'obeyr à l'edict . D'au
te part fe connoift par là que le Peugle n'cuſt
volontéde frauder le mandement publicque, &
deprefenter moins que fa portion: Mais decla
ta franchement qu'on luy faifoit tort & qu'il ne
21 en feroit rien. Ceft vn grand tefmoignage de là
religion & vertu qui y regnoit lors , voire vne
7 merueilleuleexperience de l'efpoir qu'on pou
uoit affeoir fur luy . Certes ie croy que où telle
legalité default , il n'y a que prendre : comme
ces nations qui font auiourd'huy , principalle
menten Italie, roferois dire en Espagne & en
France auffi.Car elles ont part à la maladie:& fi
le defordre & la confufion n'y apparoift telle,
cela ne vient de leur bonté , mais de ce qu'il y a
Ir Roysqui les tiennent ioincts & vnis , non tant
par leur vertu que par l'ordre des deux Royau
rea Lonange
mes,qui eftencor bon. C'eft en Allemagne
durerellepreud'hommie que des lignes
, qui eft caufe que tant " 1
td

fansqueper
Jed fonne de dehors ou dedans foit fi d'Alem
a
hardy day rien prete
ndre . le vous en allegue - 8ne,
ay un exemp fembl
Ya le able à celuy desRomain ,.
dont nous parlon . L'vfa s
s nce du pais eft telle,
que quand il eft befoi de recou d
COM pour les affa ng urer eniers
ires , ceux à qui la charge apartien
impofe fur chacu chef d'hof t
nt n tel vn ou deux
Diat pour cent qu'i auro val
l it ant : au iour & licu af
DISC. DE NIC. MACCHIA.+
figné , chacun compare & porte fon argent .La
ils iurent preallablement qu'en leur confcien
ce ils fourniffent la fomme commandee felon
leur faculté . Puis la iectent en vne layette qui
elt là fans qu'autre fçache combien ils y opt
mis . Toutesfois eft il à croire qu'ils y vont de
bonne foy & fans aucun dol , autrement nefe
recueilleront la foimme accouftumee, & feroit la
fraude defcouuerte . S'ils le fauoient ils vfe
roient à prefent d'autre moyen . Vrayement
c'eft chole digne de grande admiration en no
ftre temps que vertu eft firare & clair femee.
La caufe pourquoy cefte nation eft demeuree
fi entiere & conftante en fa foy & loy, vient de
ce qu'ils n'ont eu iamais grande trafique auec
leurs voyfins, n'ont efté fort curieux d'aller en
païs d'autruy ,ne de receuoir estrangers en leurs
terres : Toufiours fe font conténtez des biens ,
de la nourriture & ſubſtance , du veftement que
la contree leur apportoit . Voylà comme ils
ont cuité la frequentation des autres qui cft
caufe de toute corruption , & n'ont point apriz
3eNations les couftumes des Efpaignolz , Françoys & Ita
Lespas liens , les trois nations du monde les plus vi
cienfes , cieufes . D'auantage ils ont gardé egualité en
tre eux , & n'ont fouffert qu'il y cuft des gen
tils hommes au païs , & fi peu qu'il y en a, ils
les hayffent tellement que quand ils tombent
d'auenture en . leurs mains , ils les mettent à
mort fans en prendre nul à mercy , difans que
font cuix qui gaftent tout & tiennent l'efcole

de
5 VR LA˜I. DEČA: DETIT 97
de mefchanceté . Gentils hommes i'appelle,
gens qui viuent de leur reuenu , fans fadonner
à peine ne meftier lucratif pour gaigner fa vie.
Ce font gens fort dangereux en vne ville &
contree , & fur tous les haultz iufticiers , lef
quelztiennent chasteaux & fortereffes , & ont
nombredevaffaux & fubiects qui leur doiuent
foy & hommage . De ces deux manieres de
gens le Royaume de Naples eft plein jila terre
de Rome, la Romagne & Lombardie, partant
nya iamais peu entrer eftat politique, à caufe
de ces gentils hommes , ennemys formelz du
train ciuil des Repúbliques : tant que qui vous
droitles remettre en forme, perdroitfes peines
d'y penforfaire vne Rome ou vine Venife tout
eequity pourroir fonder feroit vn Royaume.
Car puisque la matiere eft fi cortopue , que les
loix ne feruent plus de rien , ilfault mettre co

baton en main forte , en main Royalle , qui par


puiffance extre me & abfolue dreffe, meine , fa
cecharierdroit les rebelles en defpit qu'ils en
ayent. La Tufcane de cecy nous donne bon La Tufca
exemple,laquelle n'est qu'vne poignee de ter ne.
& fi contient en foy trois Republiques; celle
re, Florence
de ,de Siene & de Luques,defquelles
touteslesautres villes qui font dans ce circuit
font ferues, & veoit on à leur contenance &

maniere qu'elles n'ayment pas mieux , & y de


meurent de bon cueur , & felles enfortent c'eſt
par force . Cela ne prourient que de ce qu'il n'y
a point de feigneurs chaftellains , ne d'autres
N
DISC. DE NIC, MACCHIA.
gentils hommes , tout y eft pareil . Parquoy
feroit ayfé à vn homme de cóleil qui auroit có
neu l'ordre de la police ancienne , d'y forget
vne Republique . Mais le païs a efté iufques icy
tant malheureux , qu'il n'a rencontré perſonne
quien ayt cu la puiflance & la fcience. Celuy
donc qui entreprendra de reduyre vne contree
en formepolitique,laquelle eft peuplec de gen
tilleffe,il trauaillera en vain fil ne l'en met hors
& en depefche le païs . Au contraire fi fon in
tention eft de frauder vn Royaume en lieu où
chacun eft d'vne eftoffe non plus grand I'vn
que l'autre, il fauldra qu'il choyfille les plus
haultains & de meilleur cucur , les ennobliffe,
donne terres , villes & chasteaux , & les eflcut
en auctorité par deffus les autres. Par eux il fera
craint ,feruy & obey , par luy ils feront en cre
dit & honneur. Par ce moyen fera contrainct le
remenant du Peuple porter le ioug par force,
qu'il ne porteroit iamais autrement . Lors eftant
tellement meſuree & compaffee la puiffance de
celuy qui force à celle de qui eft forcé , chacun
demeure en fon eftat , & tout va comme il doit
aller: Mais de faire Republique en païs difpo
fé à Royaume , & vn Royaume là où les meurs
& conditions tendent à Republique. Ce fervit
la befongne d'vn perfonnage garny d'auctori
té merueilleufe , & d'vn cerucau des plus
grands du monde . Plufieurs fen font voulu
mefler , bien peu en font venus à leur honneur:
la grandeur & difficulté de la matiere les efton
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 98
ne fi fort d'entree, qu'ils ne sçauét où ils en fone
Con & en demeurent là . L'on mepourroit dire que
ford l'ordre de la feigneurie de Venile monftre cui
QUS demment l'oppofite de mon opinion , veu que
rom en icellenut n'eft appellé aux citats ny employé
Cair aux affaires , fil n'eit gentilhomme . Mais telle
Cont gentilleffe n'eft que
que de nom, car de terres &pof
dege effions ilsn'en ont gueres,tout leurauoircon
met ba fifte enmeubles & marchandiſe,fans qu'ils ayét
il on chateau ne iurifdictio aucune:briefce n'eſt au
lier& tre chofe qu'vn tiltre de preeminence donné à
and int Venife à la difference des gens populaires & de
lespin baffecondition , comme chacune Republique a
obl lesfiennes:& n'ont ces gentils hommes aucune
qualité
a leurs,dontde celles qui les font ainfi nommer ail
xill nevient par eulx trouble ne defor.
dre, telq uef eroient les autres fils y eftoiét .Par
enC
rain d
quoy quicóque aura à reformer vn païs d'egua
rford hé, fil eft fage il le dreffera en Republique , &
setia où il verracefte diftinction de grands & petits ,
ilfonderavn Royau ,autr e
aced me ement il ntrepre
h a c u dra folic,
c
ilda
dilj Quandquelquegrandfortune doïbt auenir à vn
smet
pays,ily a toufioursgens fignes qui
Teler auant en auertiffent.
don
es piss Chapitre LVI..
T VOUS
u
Onne
o s Nij
scl
DISC. DE NIC . MACCHIA.
E ne fçay pas d'où viết celà,mais
Pon le void affez par les hiſtoi
rés nouuelles & anciennes que
iamais n'aduient deftruction, de
folation , ou autre grieue perte
en vne ville ou contree qu'il n'y ait des deuins
& aftrologues , qui le predifent , & des faintes.
perfonnes qui en ayent reuelation long temps
au parauant , & que le ciel n'en mande les pre
mieres nouuelles par diuers prodiges & prefa
ges.Et pour ne fortir de la maifon en laquelle
nous eftions maintenant, chacun fçait il pas que
Charles
deuant la venue du Roy Charles huictiefme en
vi.Roy de Italie , frere Hicrofme Sauanaruola l'auoit pre
France.
dicte & femee par tout ? Fut il pas bruict parla
Sauanar- Folcane que l'on auoit veu en l'air fur la ville
uola.
d'Arezze des gens qui combatoient, & que l'on
oyoit clerement la noife & le cliquettiz des ar 1.
mes?
Il eft commun à Florence , comme denant la
mort de Laurent de Medicis le vieil: Il cheut vn
dard du ciel qui dona fur le fefte de la maiftref
fe Eglife de telle roydeur qu'il enuoya tout par
terre.Aufli deuant que le feigneur Pierre Sode
rin lequel auoit efté faict gonfalonnier & port'
enfeigne à vie de la feigneurie,fuft priué de fon
eftat, & mis hors de Florence , la foudre tomba
fur le palays, & yfeit gros dommage . Ie laiffe
mille autres exemples que te pourrois amener
à ce propos ie ne diray plus que celuy de Tite
Liuc . Auant ( dit il ) que les Gaulois vinſent à
SVR LA I. DECA . DE TIT. -LI . 99
Rome,MarcusCeditius homme de bas eftat ra
Brits porta au Senat , qu'il auoit ouy de pleine nuict
es
1 vne voix plusforte que l'humaine , luy cryant
on, qu'il allaftdenoncer aux Senateurs que les Gau
e pes foisvenoiet à Rome. Ceux qui ont plus parfai
dest de connoiffance que ie n'ay des chofes naturel
fairs les &fupernaturelles entendent comme celà fe
Remd peutfaire.le fçay bien qu'aucuns philofophes
tiennent que noftre air eft remply d'efperitz &
intelligences qui par leur vif & aygu naturel
1.T tranfpercent les fecretz de la difpofition faralle.
pas qu' & voyét les chofes à venir, defquelles ils aduer
imea tiffent en cefte maniere les homes , de pitié que
oit ilsont d'eux, à fin qu'ils fe tienner fur leurs gar
tpara des.Or quoy qu'il en foit,la verité en eft experi
Livi's
mentee auxdefpens de maints bons païs, qu'on
quele a veu perir & mettre à feu & àfang, apres relles
desma
menaçes cœleftes & propheties humaines.

nanc
Qu'un Peuple affemble eftfort , àpart eft
TOLICVI moins querien,
ailtre
Outpa Chapitre : LVII. 97
Sod
por Eux qui auoient perdu le
de for leur à la paffee des Fráçoys
tom prindrent complot de qui
r
clai Eter Rome , & tranfporter .
me n t
à Veie fi peu qu'ils auoient
de Ti de refte & faller tenir là.
t
alen De Veie (fil vous en fou
N iij
DISC. DE NIC, MACCHIA.
nient ) autresfoys auons nous fait mention. Or
accomplirent ils leur volonté , & y furent non
obftant l'edict publique emané du Senat,au có
traire portant inhibitions & deffences à tous ci
toyens Romains de ne conftituer domicille en
icelle ville foubs groffes peines inferees pour
les contreuenans qui ne retourneroiér à Rome
dedans certain iour qui leur fut prefix . De ceft
edict quand les nouuelles en vindrent à Veie,
l'on ne f'en faifoit que rire, mais quand le terme
du retour commença à approcher,il n'y cut ce
luy qui ne troufaft les hardes de bonne heure &
ne tint fa male prefte pour eftre des premiers
au logis . Sur quoy dit Tite Liue vn mot fort à
poiler.

Exferocibus vniuerfisfinguli metufuo obedientes


fuere

Il n'y en cur pas un d'eux tous qui faifoient


tant les hardis enfemble qui ne craignift la peau
à part,& ne feift diligence d'obeïr.
Nature Icy eft pain&to au vif,la nature d'vne comu
d'unecom- ne ramaflee , il n'eft que trop vaillant la moytié
mune. à parler contre fon Prince, mais quand il voit le
coup pres de la tefte , nul ne fe fie à fon compa
gnon,ains pour iouer au plus feur , chafcun ac
complit le commandement, Ainfi ne fe doit on
grandement foucier de ce que le Peuple caufe
iargonne de fon ayfe ou mal ayfe , moyennát
qu'on ayt affez de puiffance pour le tenir en fon
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 100
eftarfil eftmal,pour le garder de luy qu'il ne
puiffenuyre.Celà fe iuge clairement par les in
difpofiriós qu'il peut auoir, fors deux feulemét,
cetà fçauoir quand il a perdu fa liberté ou fon
Prince qui eft encores en vie , auquel il porte
finguliere affection.En ces deux cas fa fureur eft

Rea beaucoup à craindre , & fault de merueilleux re


Hors celà fon ire n'eft
Det medespour l'eftaindre ,
que ventquipaffe & f'cuapore legerement felle
ne trouue chef qui la conduyfe : & peut on dire
A vrayement qu'iln'y a rien fi terrible & furieux
au monde ne fi lafche,foible & facile à defcon
ord
C fire qu'vn Peuple terrible , ie dis à la chaude &
premiere colere,laiffez la luy rompre , fattrem,
per & refroidir, ce n'eft plus rien: car chacú lors
areueillé les efprits & péfé à foy comme il faut
retourner en famaifon , ou on luy fera rendre
compte de fon fact . Adonc plus n'eft question
quedefuir pour fauuer la vie , ou d'accorder a
be vecceluy qu'il auroit offencé . Parquoy fil veut
proceder fagement en befongne,befoing luy eft
spea
de conftituer incontinent vn chef, qui le r'allie
&ordone comme la commune de Rome crea
JOFF Vingt Tribuns d'armes , quand elle abandonna
la villeapresla mort de Virginia , autrement il
Luyen prendra tout en la maniere que Tite Li
omp
In 2 Wetacompte en ce paffage.
0:10h
Caug Niiij
Cana
ANG
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Qu'on Peuple estplusfage & conftant
qu'un Prince.
46.
Chapitre 1916 LVIII
.

Ous les hiftoriens font d'accord


& noftre Tite Liue mefme , qu'il
n'y a rien fi leger & inconfideré
qu'vne multitude . Vous verrez
fouuent qu'elle condamnera vn
homme à mort , & le regrettera & pleurera as
Manlius pres , comme le Peuple de Romé Manlius Ca
Capitolin. pitolinus , lequel il feilt precipiter du haut du
Capitole , & depuis en porta grand ducit, de
quoy il eſt dir icy.
*** 3:

Populum breui pofteaquam abco periculum nut


Tum erat defiderium eius tenuit.
A TODYOP OLL
3.
Le Peuple cut incontinent vn merueilleux
regret à la mort, & le comença à plaindre quád
il n'y eut plus que craindre. 101 X09 0
En vn autre endroit où font defcriptes les
fortunes qui auindrent à Saragoufe depuis le
trefpas de Hieronime nepucu de Hieron , dict
Tite Line.
440993
;་ !
Hæcnatura multitudinis eft,aut humiliterferuit,
autfuperbe dominatur.

C'est la complexió d'vn Peuple , ou il eſt ſcrf


SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. IOI
mafques au bout , ou il regne & commande de
terrible forte .

lene fcay fi i'oferois entreprendre de foufte


nir &deffendre ce que tout le monde a blafmé,
& decharger fur mes efpaules vn faiz qu'il me
artconuiendra laiffer en chemin à ma honte , ou a
cheuer de
ne,a porter à la fueur de mon corps.Tou
opbe tesfoisie penſe qu'on ne trouuera point mau
fead que ietienne vne opinion , qui à mon iu
Bergementme femble bonne.Car ie ne feray tort à
ILS
CONCen perfonne,fii'en dy fimplement maraifon, fans
liasC fer d'autorité ne de force.Doncques pour les
haut#3 deffenfes de la multitude , ie refpondray que le
eit, vice ,dont cy deffus on la trouue chargee , eft
commun àvn chacun , & principalement aux
Princes.Cat quiconque viura fans reigle ne loy,
A en feratout autant que le peuple diffolu & des
chefné ,vous le voyez à ce qu'il y a eu des Prin
ces fans nombre , & fentrouue fi peu de bons
& de fages , l'entendz icy (pour le vous dire)
requat de ceux qui ont peu rompre leur frein & le lien
auquel ils eftoient attachez , non pas de ceux
presle d'Egypte lefquelz au bon tempsde lapremie
k
pui re antiquité , n'euffent pour rien faucé vn feul
n, de point deleur loy. Le ne parle auffi des Roys de
Sparte qui eftoient iadis , ne des Roys de Fran- Louage du
qui font encores. Ce Royaume là eft trop Royaume
erfernal bien reiglé & gouuerné, voire mieux àmonad de France.
uis,qu'autre que l'on fcache auiourd'huy.Ce ne
feroit pas raifon de les duire icy contre la mut--.
efttitude,puisqu'ils font nez en tclz licux que leur
DISC. DE NIC . MACCHIA.
naturel ne fe peut cognoistre à defcouuert pour
les meurs & complexions que la couronne leur
infpire & fait prendre ,laquelle eft fi bien for
mee & pollicice. Ou pour faire la comparaiſon
jufte il faudroit femblablement mettre en auant
vn peuple façonné & ordonné de meline , lors
on verroit qu'il n'en deuroit gueres au Prince
en cas de bonté & vertu. Confiderez moyle
peuple de Rome, a il teruv fi vilainement tan
dis que la Republicque a duré en fon entier? A
il exercé fi eftranges cruautez & inhumanitez
quand il a efté maiftre ? Non non , toufiours il
a gardé fon ordre & fes eftatz , & a tenu fes
rengz tres honneftement. Quand il a fallu fel
leuer contre quelque entrepreneur, il l'a fait de
haut cueur, comme en Manlius , és dix hommes
& plufieurs qui afpiroient à pareille fin. Quand
il a efté queftion d'obeïr aux Dictateurs & aux
Confulz pour le bien public , il en a fait fon
plein deuoir , fil a regretté Manlius qui auoit
paffe pat les mains , quel miracle ? la fouuenan
ce de les verruz en eftoient caufe, lefquelles on
loue & adore en fon ennemy mefme , ce n'e
ftoit pas inconftance & legereté, Car fi fur ce
regret il fuft reffufcité , le peuple ne l'eut pas
pourtant traité plus doucement:mais ce cas ad
uient affez aux Princes, qu'ils jugent à mortdes
gens dont ils fe repentent griefuement , com
clytm tue me Alexádre de Clytus & d'autres fes mignos:
par Ale-& Herodes de Marianne. Or ce qu'en dit Tice
andre. Liue fur ce paſſage ne l'entend que la multitu
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 102
pede effrence & abandonnee comme celle de Sy
elracufe.Rome n'eft pas de ce compte , elle feit
caf des tours de perfonne folle & forcence , les
deux Roys que ray nommez ne furent pas
mieux aduifez. Ainfi faillent ils affez l'vn &
ne autre,& n'y a raifon de plus charger le peuple
Prqu'eux.De ceque ie dy fe voyent infinis exem
mork ples desEmpereurs Romains & des Roys &
cac Tyrans, lefquelz one monftré plus d'inconftan
nierce & diuerfité en leurs vies , que peuple ne feit
‫ב הנות‬ jamais.C'eftdoncques ma refolution cotre l'o
opinion commune , que la multitude n'eft fub
tom A
iecte à legereté,ingratitude, imprudence, ou au
Fallur
tre erreur quelco nque nompl qu'vn Prince
a far feul.De les reprédre & ,accuſer us
tous deux, bien.
homas
D'abfouldre & excepter les Princes, c'eft abuz.
QCar vn peuplereiglé comme il doibt eftre, fe

r& ra auffibon , auffi raffis & prudent que Prince


Eaicfa
qui foit.Et fi le Prince fe defreigle vne fois , il
quiavai ferala moitié pis que la multitude,nó pas pour
Duun la diuerfité des deux natures , car c'eft tout vn,
elleson
oufily a d'auantage c'eft pour le peuple. Cela
cent vient de que
vientde ceque l'vn garde mieux fes loix
flar Pautre, comme le telmoi gne Rome la grande,
Peutplaquelle a perfeueré quatre cés ans en l'inimitié
ecisa
du nom Royal & amitié de la vraye vie politi
п
то que , & a verifié noftre dire par infinis exem
, com ples.Voire, mais l'on me viendr obiect
a er l'in- Ingratitu
s
migno gratitude dont elle vfa enuers fon Scipio
n. A de de Rome
dieT
cel'employe pour refponce ce que i'en ay ani- enuers sci
multice
plement difcouru cy deffus: Comme les Prin- pin.
se! DISC DE NIC. MACCHIA .
ces y ont efté beaucoup plus fubiectz qu'elle
mais de prudence & conftance i'en voudrois
pareillement donner l'honneur au peuple. Auf
fi n'eft ce pas fans cauſe que fa voix eft compa
ree à celle de Dieu , car vous voyez communć
ment qu'il gift de merueilleufes prognoſtica
tions en l'opinion vniuerfelle , & femble par là
qu'il ait en luy quelque vertu fecrette qui luy
face fentir de loing fon bien & mal aduenir.
Quant eft de fain iugement , fil-fe trouue par
fortune deux prefcheurs de fcauoir efgal , ten
dans toutesfois à fins contraires ,vous ne ver
rez gueres que l'affection de la commune n'en
cline au meilleur, & n'entende qu'elle eft la ve
rité. Ouy mais l'apparence fauce des hautes en
treprinses l'abufe, comme nous auons ia deduit.
Certes le Prince eft agité & troublé de maintes
paffions plus que luy , & procede bien d'autre
forte en faict d'election d'offices & eftatz , &
n'eft aifé de luy faire paſſer vn homme honny
pour bon & honnefte. Ce qu'on fait prefque
comme l'on veut au Prince. Er fil prend vne
fois en horreur quelque chofe , ce n'eft pas pour
peu de temps : l'autre ayme & bait en vne heu
re, pluftoft cecy pluftoft celà. Le peuple Ro
main feul fuffira pour tefmoignage de ces deux
poinctz , lequel en tant de centaines d'annees
n'a pas fait plus de trois ou quatre elections de
Confulz ou Tribuns , dont il fe deuft repentir,
sms & depuis qu'il cut prins en hayne le nom Roy
Jeal, iamais citoyen ne l'a attenté, qu'il n'ait fran
A. SVR LA I DECA . DE TIT. LI . 103,
z qu'echy lefaut,quelque vertu & mérites qu'il peuft
voud pretendre. D'auantage, n'eftimez vous rien que
pieles villes où le peuple a efté maiftre , ayent en
tce peude temps eftendu leur Empire du long &
DE
du lez,beaucoup plus que celles qui ont efte
cnote gouuernees par Roys , comme a fait Rome de
Slep puis qu'elle cut mis horsles Tribuns , & Athe
que nes apresqu'elle fut deliuree de Pififtrate?D'où
advient cela , finon que ce gouuernement vaille
Oluepa mieux que l'autre ? Il ne faut en ceft endroict
gal,to faire bouclier des maux qu'en dir noftre hifto
JSACTE rienicy & ailleurs: Car pour bien iuger,il con
uncia uientmettre en balance toutes les imperfectioś
eftlar dupeuple & du Prince , & toutes leurs bonnes
autose proprietez:fi vous le faites, lots vous verrez qui
iadedire l'emportera. Il eft vray que le Prince eftablic
mieuxles loix, inftitue mieux la police & l'or
aint
2m
n da . donnance d'vne ville. Mais le peuple les garde
moindre loüange. Or
tarz,& mieux,qui n'eft cas de
ehom pour mettre fin à cefte matiere , ie dy que ces
a
prel deux eftatz requierent eftre reiglez de loix , &
rend va fans icelles ne feroit que defordre & confufion
paspor de l'vn & l'autre. Mais fi vous me les prenez
nebes tousdeux ainfi defreiglez & dechefnez, lepeu
pleRo ple feramoins de mal , & fes playes feront de
esde plus facile cure:fr vous les appariez regiz par iu

l'ann ftice & droitture,la vertu du peuple iettera plus


ions clairs rayons de loz & de vraye gloire. En fes
penti il reçoit de bon cueur les remonftrances
fauteshomme
d'vn de bien qui viendra vers luy de
Ro
itfran bon zele:le Prince non , l'indifpofition de l'vn
2
DISC. DE NIC. MACCHIA.
fe guarit par parolles , à l'autre il faut le fer &
le cauterre. Or feauez vous qu'és difficiles &
gricfues maladies les fortes medecines font re
quifes. Quand vn peuple eft diffolu & defor
donné , l'on ne craint gueres fes folies ne le mal
prefent , feulement on fe foucie du danger qui
pourroit eftre , qu'à l'occafion de ce nafquitvn
Tyran. Quand le Prince eft en tel eftat , la cho
ſe va bien au cótraire : car du prefent on a paout
auec efperance à l'aduenir , que fa malheureuſe
vie pourra faire ouuerture de liberté. Vous pou
ucz donc cognoistre la difference des maux qui
viennent d'eux felon qu'il y a à dire de ce qui
eft, à ce qui peut eftre. Outre, la multitude vie.
de cruauté enuers ceux qui font tort & dom
mage au bié public , le Prince n'en vfe que pour
le fien propre & priué : qui eft donc caule que
on le louë plus que l'autre ? C'est qu'on peut
mefdire du peuple à tort & à trauers , car ( fut
il feigneur) nul n'en fera querelle. Mais l'on ne
1 e iouë pas à parler des Princes , qu'on ne fca
che bien comment. Ce propos cy en amene vn
autre que je vous vois deduire tout d'vn train.

Quelle ligue on alliance eft plusfeure d'une com,


munauté ou d'vn Prince,

Chapitre LIX.
A, SVR IA 1. DECA . DE TIT. LI, 104
lefel
Ource qu'il aduient fouuent que
Ficile
vn Prince prend l'alliance d'vn
Coard
Prince , & vne Republicque de
de
l'autre, & qu'aucunesfois les deux
helen
f'entremeflent , & vn Roy & vne
ger communauté paffent accord & ligue enfem
LIQUEF
ble. le veux icy mettre en confideration à la
Laci quelleyaplus de fiance,& me femble tout cal
apaai culé & rabbatu , qu'en aucun cas l'vn vaut l'au
corca
tredes
ee ,maistelfe trouue
deux,ie croy où y a grande differen
bien
ar par que les traictez où la
forceaefté
JUY
res mieux gardez
pour confentement, ne feront, gue
par les communautez que
de cequ
par lesPrinces, & qu'ils ne faudront à faulcer
Trude
& dan leurfoy ,fi neceffité leur eft de l'enfraindre ou
quepa perdre, regard comme il en printà
Demetriu s (qu'on appelezloit l'expugnate de Demetri
auke ur
onpa villes ) il auoit fait de fingulier plaifirs aux
At heniens,mai vn i s
car E s our il fut defconfi ppar fes
t
lon ennemis , fi penfa de fe retire à Athen , &
r es
ne qu'il y feroit le bien venu,en memoi d e s bons
re
aca :tt Fours qu'il leur auoit faitz. Le pauure Roy fut
train. bien trompé car ils luy fermeren les portes
t
au nez ,l'aduertiffa qu'il cherchaf fa franchi
nt t
fe ailleurs . Dequoy le cucur luy cuyda creuer,
& certaineme plus griefue luy fut telle in.
nt
gratitude , que n'auoit efté fa honte preced
en
te & la perte de fes gens . Quand Pompec
a- Pompee.
pres la deffaicte (qui fut en Theffali ) f'enfuyt
e
en Egypte vers Ptolomc , quel recueil luy feit
e
Roy qu'il auoit au parauan remis en fon
t
O DISC. DE NIC . MACCHIAT ALDEC
Royaume ? en recompenfe il le tua mefcham
ment.En ces deux exemples y auoit pareille rai peu
fon , qui induifoit Athenes & l'Egyptien à ce Swamy
faire. Toutesfois la feigneurie y ouura plus dou
cetqu
cement & humainement que le Prince. Mais
quelque part que la paour tombe il en aduien
50 72m
dra de mefme , & filfe trouue que l'vn ou l'au ler
P
tre encoure danger de ruyne , pour vous tenip
dep
loyauté , cela leur peut venir de pareille cauſed no
Caril eft aifé qu'vn Roy ait prins l'amitié d'vn. ammu
plus grand que luy , duquel ita efperance que sil
fil n'en peut alors eftre deffenda , encores auec Ther
le temps pourra il par luy eftre remis en fon fic
acc
ge. D'auantage il penfe,que l'ayantfuiuy com Care
da
me partilan , il ne fera nomplus que luy affeu atequ
ré de fon ennemy. Ainfi en ont fait les Roys
y de Naples , lefquels le prindrent , & entre les
Sagunte. Republiques Sagunte : laquelle pour l'amour. mho
de Rome fouftint l'effort de Carthage iufques Conne
Florence. fa deftruction,comme Florence pour les Fran
peur
çois l'an mil cinq cens & douze, le croy à bien
regarder qu'on trouaera en telle neceffité vi
200
peu plus de fermeté & conftance és Republi apre
ques Car fuppofé que tout fuft egal entre els iscut
les & les Princes , fi ont elles le mouuement COCCI
plus long en leurs affaires, qui les rend plus tar²
dues à le refoudre , & confequemment à vio
ler leur foy. Voilà quant à la contrainte , maiš
fi pour gain & proufit il eft queftion de tom
pre alliance , les Seigneuries n'y faudront pas
communément que les Roys & monarques
Prenez
SVR LA I. DECA. DE TIT, LI. 105
Prenezgarde à l'hiftoire , vous verrez fouuent
qu'vnPrince pour peu de chofe cómettra def
loyauté,qu'vne communauté ne voudroit faire
pour quelque acqueft que ce fut.Lifez les geftes
de Themistocles , il declara vn iour aux Athe- Themifto
niensqu'il fcauoit vn moyen pour leur liurer en cles.
leursmains vne belle proye, mais que de la def
couurir il n'ofoit,de paour que l'entreprinse ne
en fut deftournee ou empefchee . Lors fur or
31
donné qu'il la communiqueroit à Ariftides feu
6631400
lement,& qu'apres il executaft ce qu'ils auroiet
aduife enfemble.Themiftocles luy expofa , com
VIA"
metoute la puiffance de Grece eftoit en certain
lieu fouz la fiance du peuple d'Athenes , & qu'il
n'eftoit rien fi aifé que de les deffaire . Ce faict,
qu'Athenes demeuroit fans doubte princeffe de
tout le païs.Ariftides feit fon rapport que le def
feing de Themistocles eftoit trefproufitable,
maistres deshonnefte : au moyen dequoy il fut
rompu par le peuple.Ie refpóds pour Philippes Philippes
Macedonien qu'il n'en eut pas fait ainsi, ne plu- Macedo
fieurs autres
grands feigneurs, lefquelz ont plus nien.
gaigné à rompre leur foy à propos , qu'à autre
TCO
moyenqu'ils cuffent. En ce difcours ie n'entéds
parlerdes conditions & exceptions inferees en
leurconuenans,efquelles
loifible il feroit
à vn chacun de faillir ordinairemét
de promeffe .Ie ne
ཀ།ལྒ
722 difpute que des moyens extraordinaires , & dy
que les Republiques
Princes y 'faillent moins que les
, & que d'autant y a plus d'arreft & af
feurance enleur confederation .

O
DISC. DE NIC. MACCHIA.
, de Romefe
Comme le Confulat & les autrès eftatz
donnoient,fans auoir egard à l'aage.

Chapitre LX.

N voir par le cours de l'hiſtoire,


que depuis que Rome eut fait au
peuple ouuerture de la fouuerai
ne dignité,elle la confera fans re
fpect de lang,ne d'aage. De l'aa
ge , elle ne fy eftoit iamais trop arreftee , mais
lors fans prendre pied à l'vn ne l'autre, elle cher
choit les gés de vertu fuffent ils ieunes ou vieils,
Valerius nobles ou vilains. Valerius Corninus en porte
Corninus. bon telmoignage, lequel fut creé Conful , qu'il
n'auoit encores que vingt trois ans, & difoit luy
mefme à fes foldatz que le Confulat,

Eratpremium virtutis,nonfanguinis.
Eftoit loyer de vertu, & non de race.

Si ce fut fagement fait à eux , ou non , il y a


matiete dedifpute. Mais de l'auoir mis en com.
mun à toute códition de gens, Romey fut con
trainte (comme l'ay dit ) par neceffité qu'vne
Republicque tendant à telle fin qu'elle ne fcau
roit euiter. Car il n'eft poffible de faire porter
peine patiemment à l'homme fans quelque fa
laire & guerdon, & de l'en fruftrer de toute ef
peráce, iamais ne fe feroit fans meflec, Parquoy
fut à la bonne heure aduifé & confenty que le
A. SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 106
depeuple auroit part au gouuernement. L'eſpoir
ge. feul l'en nourrit vn temps, puis à la fin falur ve
nirà l'effect. Mais vne ville, qui n'employe fon
peuple en grandz chofes , en peut faire aifément
ce qu'elle veut , fi elle f'en ferr comme Rome
hi du fien,ceft folie de penfer faire autrement que
euttelle.Quanteft de l'aage , ie n'y trouue point de
formal. Carilfaut prefumer qu'vn peuple ne vien
rafans drapas ainfi à donner à vne ieune perfonne c
e. Dela ftat requerant prudence & vieillefle , qu'il n'y
ait auant cogneu quelque merueilleufe qualité
elled
quipalleborne.Or quand telle ieuneffe l'eftde
SOUVE
claree par fes hautz faitz , feroit ce pas grand
sendommage quela ville qui auroit porté ce beau
nful, fruit ne fenpeuft ayder tandis qu'il feroit en
dio force &vigueur , & qu'il luy fceuft attendre

que cefte ardeur; ce vif courage fut eftaint &


amorty par vicilleffe ? Rome ne fut pas de ceft
aduis, en laquelle Corninus , Scipion, Pompee, scipion .
ce & maintz autres de telle eftoffe enla premiere Pompee.
fureur de leurs ans acheuerent de grandes en
on, reprinfes , & en meriterent magnifiques & ex
sence cellenstriomphes.
yfurco
τέ qui Fin du premierliure des difcours de
enela
Macchiauel.
irepor
ue
uelq O ij
toute
Parqu
tyque
www.DE

LE SECOND LIVRE
DES DISCOVRS DE NICO
LAS MACCHIA VEL CITOYEN 04A

Secretaire de Florence , fur lapre


miere Decade de Tite Line,dés re

l'edification de Rome.

PREFACE DE L'AVTE VR .

Propofitio. A couftume vniuerfelle


Louage du des humains eſt encline à
teps paffe. la loüange perpetuelle du
Blafme du temps paffe, & blafme du
temps pre prefent: ne l'vn ne l'autre
fent. fondé en perpetuelle ve
rité . Toutesfois ils font
tous fi partiffans de l'antiquité , que non feule
ment affection les tranfporte à haut louër , &
honorer les fiecles reuoluz , deſquelz ils n'ont
cognoiffance que par les liures , qui en confer
uent la memoire : mais ( qui plus eft) tousiours
louënt le temps de leur ieune aage, dont ils ont
encores fouuenance en leurs vieilz ans. L'abus
de cefte faufe opinion, m'a femblé de proceder
de plufieurs cauſes . La premiere , de ce qu'il ne
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 107
eftpoffiblefcauoir la verité parfaite de l'ancien
ne hiftoire , laquelle fupprime volontiers les a
des,quipourroient donner quelque tache d'in
famie à fon fiecle : & au contraire enrichit fort
liberalement le loz & gloire de fes vertueux
faictz.Car la plupart des Chroniqueurs & Hi
ftoriens ployent tellement & obeïffent à la for
Irune prefentedes vainqueurs,que non feulemét
YES ils eflargiffent leurs confciences en la louange
exceffiue de leurs vertuz & prouëffes, & à l'ac
croiffement de leurs contrees,mais efleue hault
leurs ennemis , mefmes en tel degré de magna
himité & puiffance , que la pofterité de l'vn ou
de l'autre pais trouue pareille occafion de f'ef
bahir de la bonté & valeur defmefutee de leurs
maieurs,& ne peut qu'elle ne les tienne en trop
grande admiration & reuerence. D'auantage,
wak crainte, & enuie, font deux paffios & caufes or
dinaires de hayne, leſquelles ne faddreffent ia
The
maisauxchofes qui plus ne peuuet nuyre,com
melespaffees , & qui n'ont plus en elles aucun
bien qu'on leur fccuft ennuyer. Tout au con
traiteya de lavie prefente, dont nous (comme
fpectateurs oculaires ) auons cognoiffance , veu
Isn't que rien ne nous peut eftre caché de ce que
voyons & manions au doigt & à l'œil. Or n'eft
Dullig pas poible qu'il n'y ait toufiours quelque mal
meflé parmy le bien : ce qui nous fait par igno
rance donner
fouuentmeritéloz à l'antiquité , ou elle auroit
mefpris & honte. En quoy ie ne
ented aucunemet
parler des artz & fciences de

O iij
DISC. DE NIC. MACCHIA .
noz ancestres , tellement illuftrees & efclarcies,
• qu'il n'eft demeuré en la puiffance du temps de
pouuoir rien adioufter, ou diminuer à leur fou
ucraine clarté & lumiere. Seulement touche
mon deuis ce qui concerne les meurs & la vie
commune des hommes, laquelle n'eft de beau
coup reduite à fi certaine & parfaicte cognoif
fance. Qui doucques m'en demanderoit mon
aduis, ie dirois que telle couftume d'vniuerfelle
louange & blafime n'eft en foy toufiours faulle
ne veritable : car poffible n'eft que telz loüeurs
ne rencontrét quelquefois ,à caufe du perpetuel
mouuemét, auquel confifte le cours des œuures
& affaires humaines , qui fans ceffe mantent ou
defcendent, comme l'on void qu'vne prouince
ou cité inftituce & eftablie par quelque excel
lent perfonnage , profpere vn temps par la vertu
de fon gouuernement , & va de bien en mieux ,
tirant de droict fil vers le milieu , ou le fefte de
fon vray coars politique. Ceux qui naiffent a
lors qu'elle eft en tel eftat , fi plus ils priſent &
eftiment le pallé que le prefent , certainement
ils fabulent , & ne trouuerez autre caufe qui
lear depraue le iugement , que celle que iĉ vous
vien de deduire. Mais bien pourroict dire vray
ceux qui leur viennent à fucceder , lors que l'e
ftat decline du haut en bas , ou du milie en ex
Coclufian . tremité . Somme , apres y auoir bien penſé , i̇'en
fuis là que i'eftime le mõde auoir efté tousiours
remply de pareille quantité de vices & vertus .
Vray eft qu'elles ont toufiours paffè & paffent
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. • 108
d'vn païs en autre , comme l'on peut veoir clai
rement par l'hiftoire de tous les Royaumes, ef
quelz la bonté a cu fon regne , & levice en fon
tour. Pourtant ne fe changeoit pas le monde,
ains demouroit tout vn,finon que vertu,du pre
mier fiege qu'elle tenoit en Affirie fe tran por
taen Medie : de là, paffa en Perfe : finablement
tant fe pourmena , qu'elle vint feiourner à Ro
me. Et hi depuis la ruyne de l'Empire Romain,
il nef'en trouue point qui ait duré longuement ,.
ny où le monde ait tenu la vertu aſſemblee &
vnie , en recompenfe il l'a efpandue en diuers
heux : comme iadis au Royaume de France , &

en l'Empire des Turcz & du Soudan. Auiour
#
d'huy en Germanie, & long temps a en Sarrazi. SarraZins,
nefme,dont les Roys acheuerent tant de hautes
conqueftes , affuiettirent tant de regions à leur
obeïffance, & en fin miret en deftruction l'Em
pire oriental de Rome.Voilà les païs où vertu a
efté femee depuis l'euerfio des Romains Enco
res tient elle bon en aucuns lieux , les autres a du
four quittez & delaiſſez. Maintenant ceux que
fortune fait naiftre en region , où vertu regne &
comande,f'ils entrent en regret du téps paffé &
plainte du prefent, leur imprudéce eft trop cui
dente:mais celuy qui naift auiourd'huy en Italie
fans eftre vltramontain , ou en Grece , fans eftre
Turc,biépeut à bon droit crier cotre fon ficcle
& regretter le paffé , Car fil trouue en l'vn affez
de faictz & geftes dignes d'admiration, en l'au
tre il ne voit rien qui ne fente fa pauureté , mi
O j
DISC . DE NIC . MACCHIA.
fere , & infamic extreme , nulle religion , nulle
loy,ou difcipline ciuile, ne militaire, Tout y eft.
plein d'impurité,laſcheté,brutalité : & fur tous
en ceux qui fefeient és chaires & thrones d'au
thorité & d'honneur. Lefquelz n'ont autre rai→
fon de commander , & fe faire adorer de tous,
finon comme plus enormes & deteftables que
tous. Mais pour reuenir à mon propos , ie dy
qu'encores le iugement humain fe trouue faux
.& corrompu, quant à l'antiquité des ficcles ,dor
il ne peut auoir que telle quelle connoiffance :
Toutesfois ne fe fcauroit couurir de pareille
excufe en l'opinion ordinaire , que tiennent les
Des vieil- vieillardz en l'honneur de leur ieune aage , & .
lesgensqui melpris du temps de leur vieilleffe . Au moyen
loüet le teps qu'ils ont veu & conneu tant l'vn que l'autre:
de leur ieu- auffi ne leur en prendroit ainfi,fiés deux diuer
neffe. fes faifons le fens , l'entendement & les appe
titz leur demouroient femblables . Mais ils fe
changent, & le temps ne change point. Ce qui
lear y fait trouuer cefte difference , c'eft à fca
uoir la diuerfité & alteration de nature, qui leur
furuient au decours de leur vie. Car alors d'au
tant que la force & vigueur decline la pruden
ce & connoiffance leur croift . Voilà pour
quoy en leur vieilleffe ils condamnent & blaf
ment ce qu'ils approuuoient en ieuneſſe : don
nans de ce la faute au temps , qui ne vient de
autres , que d'eux mefmes. Et pource que les
defirs des hommes font infatiables , tant que
de leur nature ils veulent & defirent tout , &
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 109
pufortune ils n'en peuuent que gueres auoir,
de là fourd vn certain mal contentement de .
tout ce qu'on a , qui fe fourre entre les cauſes
de louer fans propos le paffé & l'aduenir , &
ret blafmer, & mefprifer le prefent. De ma part ie
ne fçay defquelz ie feray portant tel teſmoi
gnage d'honneur en mes difcours des anciens
Romains,& vfant de fi aygre reprehenfion có
eta tre mes gens . Et vrayement fi la vertu qui re
gnoit lors, & les vices qui ores nous dominent,
4
n'eftoient auffi clairs & apparens que le iour,
1803
je regarderois vn peu mieux à ce que i'aurois à
Dris dire & en parlerois plus fobrement , de paour
e.k de ne choir en la foffe,que ie me mefle de mon
OND frer aux autres, mais la matiere eft fi claire, que
UNC iene doubteray de dire & declarer hardiment
ceque ie fçay du cours des deux aages , à fin
que ceux qui viendront à lire mes efcripts ( ſe
aucuns y en a ) voyans deuant leurs yeux l'y
mage des deux fiecles exprimee & reprefentee
au naturel felon mon peu de pouuoir, prennent
peine d'euiter les maux & dangers du temps où
nous fommes & fe difpofent à enfuyure & pra
tiquer ( quand l'occaſion foffrira ) les verruz &
perfections de cefte facree &venerable antiqui
té . Car vn homme de bien fon office l'oblige
àmonftrer & enfeigner aux autres le bien qu'il
fçait , lequel par mefchefde temps & de fortu
ne , il n'a peu mettre en effet , à fin qu'en le
femant par tout il puiffe tomber en lieu plus fa
uorifé du ciel , où il prendra racine qui fructi
DISC. DE NIC. MACCHIA.
fiera en fa faifon .
Sommaire. Parquoy , apres auoir traitté au premier li
du premier ure de mes difcours l'ordre du confcil de Ro
Lure. me,fur l'eftat des affaires politiques de dedans :
en ce fecond fera parlé de ce qu'elle fit dehors,
pour l'augmentation & accroiilement de fon
Empire.
A. 110

micr
de Ro
dedans
deb LAQVELLE FVT PLVS
t dei CAVSE DE L'EMPIRE DES
Romains,bu Vertu, ou Fortune.

Chapitre Premier.

Lufieurs ont efté d'opinió,


& Plutarque entre autres Plutarque.
( auteur de grade autorité)
que le Peuple Romain , en
la conqueste de fon Empi
re , a efté plus fauorifé de
Fortune que de Vertu .
Et entre autres raifons qu'il allegue , dit, que
par la confeffion de ce Peuple mefme ; il eft
euident, que de Fortune il a reconnu toutes ſes
victoires , ayant plus edifié de temples en l'hб
neur d'elle , que au nom des autres Dieux.
Etfemble que Tite Liue fe renge à cette o
pinion. Car vous verrez en luy qu'il ne tera gue
res tenir propos de la Vertu à vn Romain, qu'il
ne mette incontinent Fortune en jeu . Ce que
toutesfois ie n'ay intention de confeffer en au
cune forte , & fi ne croy pas que tel propos fe
peuft fouftenir . Car fil n'y eut iamais Republi
que qui foit paffee fi auant que Rome , celà eft
aducnu ,par ce qu'il ne fen trouuera point qui
DISC. DE NIC . MACCHIA.
ayt efté eſtablie ny ordonnee pour paruenir à
telles conqueftes , comme elle . Car la vertu de
fes armes luy a donné moyen d'acquerir ceft
Empire & fes bonnes ordonnances & la ma
niere propre de proceder mife fus par fon pre
mier legiflateur luy maintint & conferua fes
acqueftz, comme cy apres en plufieurs difcours
fera deduit amplement . Telles gens dient que
ce fut Fortune , non pas Vertu au Peuple Ro
main , de n'auoir iamais eu rencontre de deux
fortes guerres enfemble , comme l'on void que
ils n'eurent à faire contre les Latins ,finon apres
auoir combatu les Samnites , voire qu'en leur
defence ils menoient ceſte guerre . Auffi ne fe
addrefferent aux Tofcans , qu'ayans defia fub
jugué les Latins , & quafi du tout affoibly les
Samnites par tant de routes furroutes : & que fi
deux de ces puiffances entieres au temps de leur
verdeur & vigueur , euffent enfemble affronté
& affailly les Romains , fans doute fe peult af
fez coniecturer , que leur ruyne en fuft enfuy
uie : Mais en quelque forte que ce fult , iamais
ne leur auint qu'ils euffent deux puiffantes &
fortes guerres en mefme temps . Ains fembloit
toufiours qu'à la naiffance de l'vne l'autre fal
laft eftaindre , ou que fur la fin de la premiere la
feconde vint à naiftre . Ce que l'on peult iuger
clairement, par les guerres qu'ils ont faictes: car
laiffant celles qu'ils feirent auant que Rome
euft efté prife par les Françoys , l'on void que
pendant qu'ils combatirent contre les Eques &
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. III
les Volfces , iamais tandis que ces deux peuples
furent en puiffance, ne fefleua contre eux autre
nation quelconque : Ceux cy domtez , nafquit
laguerre contre les Samnites . Et combien que
auantque cefte guerre cuft pris fin , les Peuples
Latins fe reuolterent de l'obeïffance Romaine,
neantmoins alors que cefte rebellion auint , les
Sanites eftoiet defia en ligue auec les Romains,
&leur ayderent à domter l'infolence Latine , la
quelledomtee,fe releua la guerre de Sánie, puis
fes forces abatues par plufieurs defaites , fur de
1
faites alors naquit la guerre des Tofquans . Et Les Romaïs
icelleappaifee , les Samnites fe refueillerent de en guerres
nouueau,à l'occafion de Pirrus , qui eftoit paffé continues.
en Italie,lequel repouffé & rembarré en Grece,
dontileftoit forty, ouurirent la premiere guer
re contre Carthage, & à peine eftoit elle finie,
que tous les Gaulois , tant deça que delà les
Alpes , coniurerent contre les Romains , tel
lement
qu'au lieu qui eft entre les Popolains & Popolani. ¦
Pife(là où eft auiourd'huy la tour faint Vincét )
B ils furent defconfits , auecques merueitleuſe
boucherie.Enuiron vingt ans apres , ils demeu
rerent fans guerre qui fuft d'importance : car
durant ce temps ils ne combatirent que contre
la
gent de Ligurie , & contre le refte des Gau
lois qui eftoient en Lombardie . Et ainfi furent
en paix,tant que la feconde guerre de Carthage
fourdit , qui tint l'efpace de feize ans l'Italie oc
cupee:mais eftant mife à fin à leur grand' gloire
& honneur , leur furuint la guerre Macedo
DISC. DE NIC. MACCHIA .
nique , & depuis fucceda celle d'Antiochus &
d'Afie , apres laquelle victoire ne ſe trouua ne
Peuple ne Republique en tout le monde , qui
peuffent , ou ofaffent feuls,voire tous enſemble
L'attacher & parangonner à la puiffance Ro
maine , mais auant cefte derniere victoire , qui
confiderera leur ordre & forme de proceder au
faict de leurs guerres , verra vne vertu & pru
dence trefgrande meflce parmy la fortune .
Tellement que qui examinera la caufe de tel
le fortune, la trouuera facilement , veu que c'eſt
chofe certaine, que depuis qu'vn Prince, ou vne
Republique a gaigné telle reputation que cha
cun Seigneur & Peuple voyfin les redoute &
aigne feul à les affaillir, toufiours auiendra que
nul d'eux ne t'y ofera adreffer , finon par necef
fité extreme . En forte qu'il fera quafi comme
en fa difcretion & fon choys à qui il vouldra
mouuoir guerre, & qui il luy plaira tenir en paix
par fon induftrie. Lefquels partie pour le respect
de telle puiffance fouueraine , partie abuſez par
les moyens dont elle viera à les endormir , ſe
tiennent volontiers coys & en repos . Er les au
tres Princes ou Peuples puiffans , qui en font
loing , & n'ont aucune trafique auec eux , en
prennent tel foucy que de chofe loingtaine &
qui ne les touche en rien . En ceft erreur demeu
rent tant que ce feu gaigne païs iufques à eux,
lequel les furprenant ils n'ont remede de l'e
ftaindre , finon par leurs propres forces , qui a
lors nefontfuffifantes eftant l'autre monté en
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 112
tellepuiffance . Le laiffe à vous dire comme les
Samnites famuloient à regarder les victoires
du Peuple Romain contre les Volfces , & les
Eques.Et de paour d'eftre trop long, me conto
teraydes Carthaginoys.lefquelz eftoiét de grá
de
puiffance & pareille reputation , lors que
les Romains combatoient auec les Samnites &
les Toſcans , comme ceux qui tenoient defia
toute l'Afrique , poffedoient la Sardaigne & la
Sicile , & eftoient Seigneurs de partie de l'Ef
paigne .Ainfi qu'il en eftoit auenu aux Cartha
ginoys,ainfi en print aux Françoys , & pareille
ment à Philippes de Macedone & à Antio
chus,par ce que chacun d'eux cuidoit ( pendant
que le Peuple Romain eftoit occupé & empef
ché auecques les autres ) que quelqu'vn le de
feift & qu'affez à temps il viendroit à foy de
fendre de luy par paix ou guerre . En forte que
ie croy que la fortune qu'eurent les Romains
en ceft endroir , tous autres Princes l'auroient
femblable , qui y procederoient comme eux &
quiferoient garnis de pareille vertu . A ce pro
10 pos conuiendroit declarer le moyen que tenoit
២៥ le Peuple Romain , entrant es païs d'autruy, fi
en noftre traité Du Prince nous ne l'auions Liure du

$ deduir affez au long. Ie n'en toucheray que ce prince de


poinct enbrief, c'eft que toufiours ils ont pra- Macchia
tiqué en toutes Prouinces nouuelles quelque uel.
amy , qui leur y feruoit comme d'efchelle , ou

3. porte, à en faillir , ou y entrer , & auffi qui leur


fuft moyen pour la tenir, comme l'on void que
DISC. DE NIC. MACCHIA.
les
par les Capuans, ils entrerent en Samnie: par l
Camertins, en Toſcane : par les Mamertins, en
Sicile: par les Saguntins , en Eſpagne: par Mafi
niffa , en Afrique: par les Etoles, en Grece : par
Eumenes & autres Princes en Afie: par ceux de
Marſeille & d'Autun , en Gaule . Et ainfi telz
appuys ne leur faillirent iamais pour conduire
leurs entreprinfes , tant à conquerir païs , qu'à
maintenir le conquis , ce que les Peuples qui
obferueront ce , connoiftront auoir moindre
befoing de fortune , que ceux qui n'en tien
drot conte . Et à fin que l'on puiffe mieux com
prendre , combien a eu plus de pouuoir Vertu,
que Fortune , à leur acquerir tel Empire , nous
difcourrons au chapitre fuyuant de quelle qua
lité furent les Peuples , contre lefquelz ils eu
rent à combatre , & comme ils eftoiét obftinez
en la deffence de leur liberté.

Contre quelz Peuples les Romains ont eu à com


batre,& auecquelle obftination ils defen
doient leur liberté.

Chapitre II.

L n'y eut iamais rien , qui tant


donnaft de peine aux Romains
en la conquefte du païs circon
uoyfin & de quelque contrec plus
que l'amour & affe
lointaine ,, que
tion qu'en ce temps là , maints Peuples auoiét
&
àla
3VR LA I. DECA . DE TIT. LI. 113
à la liberté : laquelle ils defendoient fi obfti
nément,qu'ils ne pouuoient eftre fubiuguez,
finon
par vne vertu extreme & exceffiue .
Auli connoift on par maints exemples en
quelzperils ils fe mettoient pour la maintenir
ou recouurer,& quelle vengence ils exerçoient
contreceux qui leur auoient occupee . Enco
res voidon par la lecture des histoires quelz
dommages les Peuples & citez ont receu par
feruitude . Et pour vne feule prouince , qu'en
noftre tempson pourroit dire auoir fes citez li
bres: au temps que ie vous raconte,y auoit des
Peuples plufieurs libres par toutes les prouin
ces. Ainfi fe connoift comme au temps dequoy
nous parlons à prefent en Italie , depuis les Al
pes(qui diuifent ores la Tofcane de la Lombar
die)iufques à la pointe d'Italie,y auoit plufieurs

Peuples libres , comme les Tofcans , Romains,


Samnites ,& maints autres, qui tenoient le refte
de la prouince .
Et nefetrouue par efcript , qu'il y ait eu aucu
Roy,hors mis ceux qui regnoien à Rome , &
t
PorfenaRoyde Tosc
ane, duquel come la ligue
fut eftainte l'hiftoire ne fait point mention .
Maisonfçait bié comm au temps que les Ro
e
mainsmirent lefiege deua
nt la ville de Veie , la
• Tofcane eftoit fi libr & au
e oit tel cueur à la li

berté,portát telle hayne au nom de Prince, que


ayantlesVeiés creé vn Roy à Vele, quifouftint
le fais de leur deffence & demandant fecours
aux Tofcans contre les Romains : Apres lan

P
DISC. DE NIC. MACCHIA.
DECA. C
gue deliberation , ils conclurent de ne prendre andremalo
les armes pour les Veiens, tandis qu'ils viuroiét baleplus
foubs1 vn Roy: iugeans n'eftre raisonnable fe
eccelles:
courir & deffendre le païs ce ceux qui f'eftoient
EulentC
eux mefmes fubmis à la fubiection d'autruy. Or
vouloit
eft il ayfé d'entendre d'où peult naiſtre es hom
mes vne telle affection à l'eftat de franchiſe,veu par
ta fei
que l'on void par experience , que les habitans
roittou
& citoyens ne faugmentent grandement en
dommaines , terres & richeffes , finon tandis aucur
qu'il viuent en liberté . Et à la verité c'eft mer droith
ueilles de confiderer à quelle grandeur par bore &
Athenes . uint Athenes , en cent ans apres qu'elle fut de occafio
liuree de la tyrannie du Pififtrate. Mais celle de nepe
Rome qu'elle acquift depuis qu'elle fut hors es citez
de la fubiection des Roys , excede routes les
Tac anut
merueilles du monde: de laquelle l'occafion eft it, e

facile à prendre . Ceft , que non les biens des enicP


particuliers : mais du public & commun faict aQue C
les grandes citez , lequel fans doute n'eft gardé antre
que és Republiques, là où tout ce qui leur vient non
à propos, eft mis à execution quoy qu'il tourne e de
Costre
au preiudice de telle, ou telle perfonne priuce . rm
Car tant y en a à qui ce bien fert & profite , que
ils le peuuent faire tirer auant contre la difpo 11
fition de fipeu d'autres qui y fentent domma
afra
ge . Au contraire aduient au lieu où vn Prince n
commande , que le plus fouuent ce qui luy eft
bon & vtile , revient au defauantage de la cité,
& ce qui fert à elle , nuyft à luy : de forte qu'in
1300
continent qu'vne tyrannic vient furprendre vn 52
SVR ZA 1. DECA. DE TIT. LI . 114
eftat libre , le moindre mal qui en reforte à tel
les citez eft, de n'aller plus en auant & ne croi.
ftre en pouuoirnericheffes:ains le plus fouuent
voire toufiours leur auient de reculler en arrie
re. Et fi la fortune vouloit qu'il fý eleuaft vn
Tyran vertueux, lequel par magnanimité & for
: ce d'armes accreuft fa feigneurie : l'vtilité quf
en prouiendroitferoit toute fienne, fans que la.
Republique ycuft aucune part . Car luy qui
tyrannife, nevouldroit honnorer aucun de fes
citoyens quelque bóté & vertu qui fuft en eux,
nevoulant aubir occafion de les craindre & te
nir fubiccts . Auffi ne peult foubmettre & ren
dre tributaires les citez qu'il conquiert à celle
dont il eft Tyran , d'autant que la puiffance que
il luy augmenteroit, ne feroit à ſon auátage, ains
pluftoft en doit tenir l'eftat en diuifion & par
tialité : & fault que chacune terre & prouince
ne reconnoiffe autre feigneur que luy , fi bien
queluy feal , & non le païs reçoyue & iouïlle
认 du fruit entier de tous les conqueftz . Et qui
vouldroit confermer cefte opinion par autres
raifonsinfinies , life Xenoph
on en fon traicté Xenophon.
de Tyrannie . Il ne fe fault doncques plus ef

1 bahir pourquoy les Peuples anciens pourfuy


uoient les Tyrans auec telle hayne, & tant ay
moyent l'eftat de franchife & prifoient & efti
moient ce beau noni de liberté. Comme il auint
alors queHieronne fils de Hiero en fecond de
gré fut occis à Saragoufe, que venát les nouuel
lesde fa mort au camp , qui n'eftoit fort diftant
Pij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
de la ville , vray eft que de prime vol il ſe meiſt
en trouble & tumulte , prenans les armes con
tre ceux qui l'auoient mis à mort : Mais quand
il fentit qu'à Siracuſe ſe cryoit Liberté , foudain
attrait de la doulceur de ce nom,r'appaifa toute
fa fureur & l'ire , dont il eftoit fi enflambé con
tre les Tyrannicides , & fe meirent à confide
rer comme le pourroit establir & ordonner vn
eftat de liberté . Auffi ne fe doit on efmerueil
ler files Peuples vfent de vengeance extraordi
naire contre ceux qui leur veullent occuper, de
quoy fe trouuent affez d'exemples, dont ie vous
Vengeance en raconteray vn , qui auint en Corfou ville de
de la liber- Grece , au temps de la guerre Peloponneffia
té faite à que , là où eftant la contree diuifee en deux fa
Corfou. ctions, l'vne tenant le party des Atheniens: l'au
tre, des Spartains, ou Lacedemoniens , auint que
de plufieurs citez qui eftoient en cefte partiali
té, vne partie fuyuoit l'amytié de Sparte,l'autre
d'Athenes . Et cftant efcheu que la nobleſſe y
fuft la plus forte , & tollift la liberté au Peuple,
le Populaire par le moyen des Atheniens re
print force , mift la main fur tous les nobles , &
les logea & enferra en vne fale prifon , où ils
pouuoient bien tous enfemble , dont apres ils
les tiroient fept à fept, dix à dix à la foys ,foubz
tiltre de les enuoyer en exil en diuers lieux , &
de tous ils en faifoient trefcruelle iuftice . De
quoy f'eftant aperceu le refte des emprifonaez,
propoferent en tant que poffible leur feroit, de
cuiter mort fi honteufe . Si farmerent de ce que
SVR LA I. DECÂ . DE TIT. II. 115
ils peurent, & combatans contre ceux qui y
vouloient entrer , leur deffendoient l'entrée de
la prifon , deforte que le Peuple accourant au
bruyt, defcouurit toute la couuerture de ce lieu,
= & des ruynes les affommerent & enfeuelirent.
Maints autres telz cas horribles & notables en
auindrent en icelle prouince, qui monftrent af
fez eftre vray,que l'on venge de plus grand cou
rage & ardeur la liberté quia efté tolluë , que la
volóré qu'on auroit conneuë de la vouloir tol
lir .Or eftant entré en penfee qui pourroit cftre
la caufe qui a diminué en nous la force & prou
effe , c'eſt à fçauoir la difference qui eft entre
noftre nourriture & l'antique fondee fur la di
uerfité de l'antique religion, & de la noftre la
quelle nous ayant fait ouuerture de la verité &
droicte voye , nous rend l'honneur du monde
enbeaucoup moindre eftime , lequel eftant te
nu par les Gentilz pour le fouuerain bien, leur
donnoit tropplus de fierté & hardieffe en tous
leurs faicts & entrepriſes . Ce qui fe peult iuger
par plufieurs de leurs conftitutions , commen
çant de la magnificence de leurs facrifices à hu
milité & fimplicité des noftres, efquelz y a bien
quelque pompe plus delicate que magnifique:
mais fans aucune action fiere, fuperbe , ne gail
larde . A ceux des anciens n'y auoit faulte de
pompe , ne magnificence de cerimonies: mais
y auoit d'auantage vn acte de facrifice plein de
fang & de ferocité , auquel ils faifoient quafi
vneboucherie de beftes,dont le fpectacle terti
Piij
DISC, DE NIC. MACCHIA.
ble incitoit les fpectateurs à fa conformité.Oul
tre , leur religion ne promettoit beatitude que
à ceux qui eftoient pleins de gloire mondaine
comme aux chefz d'armes & Princes de Repu
bliques . La noftre a plus glorifié les humbles
& contemplatifz , que les actifz , conftituant le
hault point de felicité en humilité, abiection, &
mefpris des chofes humaines . L'autre au con
traire mettoit le fouuerain bien en haulteffe de
courage , en force & puiffance de corps & tel
les autres qualitez , tendans à rendre l'homme
preux & hardy : & au cas que noftre religion
requiere & te commande la force , elle veult &
entend que tu fois plus prompt à fouffrir qu'à
faire aucun acte de force . Ainfi me femble que
telle loy & façon de viure a conduit le monde
à la debilité & foybleffe que nous voyons , le
donnant pour proye aux plus mefchans & vi
cieux qui feurement le peuuent manier , voy
ant que l'vniuerfel des hommes pour tenir le
chemin de Paradis fedifpofe plus à porter les
coups,qu'à prendre vengence : & combien que
il femble que le monde foit effeminé & le ciel
quafi defarmé, ce procede plus fans doute de la
pufillanimité & lafcheté des hommes , qui ont
interpreté noftre religion plus felon le repos
oyfif, que felon la vertu , Car fi nous venons à
regarder comme elle nous permet l'exaltation
& deffence de noz païs,nous connoiftrons auffi
quelz elle veult ettre noz aymez & honnorez,
& que nous difpofons à eftre telz que les puif
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 116
fions bien deffendre . Ce font doncques telles
manieres de nourritures & telles faulles inter
pretations , qui empefchent que l'on ne voye
plus au monde les Republiques qui iadis c
toient.Etpar confequence ne fetrouue plus es
Peuples telle affection à la liberté qu'adong',
combien que croyroistu pluftoft en eftre cau
fe , l'Empire Romain, lequel par fes armes & fa
grandeur a eftaint toutes les Republiques &
tous leseftars ciuilz & politiques . Et ia fçache
que ceft Empire ayt depuis efté refolu & deffait
fieftce que les citez ne fefont encores peu re
nir enfemble, & remettre en ordre de vie ciui
le ,finon en bien peu de lieux de fon obeïflan
ce. Quoy qu'il en foit , les Romains en toutes
" lespluspetites parties du monde ont trouué des
ligues& quafi iurations de Republiques bien
armees & obftinees à la deffence de leur liber
té .Ce quimonftre que le Peuple Romain,fans
vne rare & extreme vertu ,ne les auroit iamais
peu furmonter. Et pour en donner exemple de
quelque membre, ie me contenteray de l'exem
ple des Samnites, qui femblent chofe trop mer
ueilleufe . Et Tite Liue confeffe qu'ils furent fi
puillans , qu'ils peuren iufqué au temps de
t s
Papirius Curfor Conful fils du premier Papire,
refifter aux Romains , qui fut l'efpace de xlvj
ans tant de deffaites , ruynes de villes &
apresions
deftruct
fouffertes en leurs païs . Mefmes

voyansmaintenant cefte contree iadis peuplee


detantde citez eftre quafi deferte & inhabi

Piiij
DISC . DE NIC. MACCHIA.
tee: & alors y auoit tel ordre & tel fond de puif
fance qu'elle eftoit inuincible à toute autre
vertu que la Romaine . Or eft facile à confeil
ler d'où leur procedoit ce bon ordre, & qui eſt
cauſe de noftre prefent defordre : car tout co
dependoit alors de l'eftat de liberté, & auiour
d'huy de noftre feruice . Au moyen que toutes
les terres & contrees viuants en liberté ( com
meie difoys ) faugmentent & enrichiffent de
jour en jour: car en tel lieu le Peuple y afflue &
abonde y voyant les mariages plus libres , &
plus fouhaitables aux hommes , veu que cha
cun procree & engendre volontiers les enfans
qu'il efpere pouuoir bien nourrir & entreteni
fans qu'il craigne que leur patrimoine lear foit
tollu . Auecq' ce qu'il connoift non feulement
qu'ils naiffent libres & non efclaues : mais que .
ils peuuent par moyen de leur vertu deuenir
Princes . Là void on les richeffes multiplier en
plus grand nombre , tant celles qui procedent
du labeur de la terre, que celles que l'on amaffe
pour inuentoire & artifice : pour ce que nous
mettons volontiers peine d'acquerir des biens,
defquelz nous efperons feure & paisible iouïf
fance . Dequoy auient que les hommes veillent
à l'enuy au proufict priué & public , & l'vn
& l'autre monte en merueilleufe augmentation.
Le contraire de toutes ces commoditez fuyt les
païs qui viuent en feruitude , & plus elle leur
dure,plus font priuez de leur profperité & feli
cité accoustumee . Et de toutes les fortes de fer
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 117
uitude , qui font dures à porter , celle eft la plus
intolerable , qui nous tient fubmis à vne Repu
blique,d'autant qu'elle eft plus longue & moin
dre, eft l'espoir de l'yffue, & que la fin d'vne Re
publique n'eft autre que d'eneruet toufiours &
iffoiblir tous autres corps , pour accroiftre &
Enforcer le fien. Ce que ne fait pas vn Prince
qui te reduit à fa fubiection , fil n'eft quelque
eigneur Barbare, pilleur & deftructeur de païs
diffipateur de toutesles ciuilitez des hom
nes,comme font les Princes orientaux : Mais
i c'eftquelqu'vn qui garde les droitz d'huma
ité ordinaires , le plus fouuent ayme efgalle
nent les citez de fon obeïffance , & leur laiffe
Tousles artz & ordres anciens , tellement que
Gi
es, ne peuuent du tout croistre comme li
brelles
au moins ne vont elles en ruyne comme
ferues. Ce qu'il faut entendre de la feruirude
qui les tient fubiettes à quelque eſtranger : car
de cellesde l'vn de leurs propres citoyens a esté
parlé cy deuant. Qui donc prendra garde à tout
Ce quiaeftéde
leragueres deduit on ce propos, ne fefmerueil
la puiflance qu'auoient les Sam
nites eftans en liberté,& auffi p
de la feruitu
de ,dequoy
droitz Tire Liue fait foy en plufieurs en
, mefmement à laguerre d'Annibal , où
monftre
il qu'eftans les Samnites pillez & op

preffez par vnc legion qui eftoit à Nole , en


uoyerent leurs. Embaffadeurs vers Annibal le
prier de leur donner fecours , defquelz le pro
posfut,qu'ils auoient l'efpace de centans com
DISC. DE NIC. MACCHIA .
batu contre les Romains à la force de leurs pro 2
pres foldatz , & à la conduite de leurs propres
1
Capitaines , ayans plufieurs fois fouftenu l'ef
fort de deux armees Confulaires , & deux Con
fulz mais que lors ils eftoient decheuz fi bas,
qu'à peine fe pouuoient deffendre d'vne petite
legion Romaine qui eftoit à Nole.

Que Romefeft agrandie des ruynes deſes voyfins,


par le recueil des eftranges, aufquelz elle
faifoitpart defesbiens & honneurs.

Chapitre 1116

Refcit interea Roma Alba ruinis,


e. Ainfi croift toufiours Rome
& faugmente des ruynes de la
ville d'Albe.
Deux qui veulent en vne cité
proieter vn deffein de grand Empire , doiuent
appliquer tout leur efprit à la bien peupler &
templir d'habitans , fans quoy feroit impoffi
ble de fonder & eftablir vne cité Imperialle.
Le premier Ce poinct fe pratique en deux manieres , dont
moyen. I'vne gift en amour , l'autre en force. Le gou
uerneur & legiflateur le fera par amour en te
nat la porte ouuerte, & la demeure ſeure à tous
eftrangers qui y voudroient eflire & conftituer
leur domicille . Celà conuiera les gens à y ve
nir: Puis il vfera de violence à mefme fin, en de
ftruifant & ruinant les prochaines citez , & re
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 118
cueillant les citoyens d'icelles en lafienne. Par
ces deux moyens pratiquez à Rome du temps Lefecond
du fixiefme Roy, fi trouuoient defia de compte moyen.
faict quatre vingts mil hommes portans armes,
12 au moyen que les Romains tenoient enfuyuans
l'exemple du bon iardinier, lequel voulant ren
dre le tige de fon arbre plus gros & en voir plus
toft le fruict, effarte tous les regetons qui croif
L · fent à l'entour , à fin que toute la vertu qui fe
periroit cftant reduite & recueillie en vn feul
pied , produife auec le temps , & efpande plus
fortes branches & mieux chargees de fruict.
Or que ce moyen foit vtile , voire neceſſaire à
fonder vn tel Empire que Rome , l'exemple de
Sparte & d'Athenes le monftre affez clairemét,
leſquelles pour loix ne police qu'elles euſſent
autant parfaites qu'eut iamais Republicque, ne
pouuoient toutesfois à beaucoup pres parue
nir à la hauteffe de Rome. Et fi Rome fembloit

n! mutine & tumultueufe & trop plus mal reiglee


& ordonnee que les autres , ce ne procedoit
d'autre caufe que ie vous dy : Car ayant Rome
augmenté le corps de fa cité par ces deux voyes
fe veit en eftat de pouuoir mettre aux champs
deux cens quatre vingts mil combatans : mais de
Sparte & d'Athenes ne fortirent oncques plus
de vingt mil à vne fois . Et ne nous faut penfer
que cefte grandeur luy vint de bonté & fertilité
de fon affiete: mais au moyen qu'elle tint beau
coup meilleur que les deux autres : Car Licurge
qui fut fondateur de la Republicque de Sparte,
DISC . DE NIC. MACCHIA . T
confiderant n'eftre rien plus dangereux pour
l'abolition de fes loix , que la meflee & confu
fion de nouueaux habitans , employa tout fon
fens & eftude à clorre l'entree de fa cité aux e
ftrangers. A cefte fin deffendoit aux fiens leur
conionction & focieté par mariage. Plus , leur
refufa la bourgeoifie & toute communication
des affaires politiques. Et pour mieux les en re
la monnbye .
culler & forclorre , ordonna toute fa
de cuyr:ce qui empefcha le traité & trafique de
marchandifes eftranges, en telle forte, que cefte
cité n'eut iamais moyen de foy grandemét peu
pler , ne croiftre comme Rome. Partant ſi noż
ceuures doiuent imiter nature, penfons comme
il feroit poffible , ou feulement naturel , qu'vn
eftre & fouche menuë peut aucunement fou
ftenir & porter vne lourde & pefante branche.
Ainfi eft il qu'vne petite ville ne peut conque
rir Royaumes ne Republicques plus grofles &
fortes qu'elle n'eft. Et fi par fortune auient que
elle en occupe quelqu'vne,il luy en prend com
me à ce pauure arbre , qui a les branches plus
fournies que l'eftre , foubz le faix defquelles il
ploye & trauaille, en attendat l'heure que quel
que vent le mette par terre , comme fut Spar
te , quand apres auoir reduit toute la Grece en
fon obeïffance, à la premiere rebellion de The
bes , fut defpouillee de tous fes rameaux, telle
ment que le fimple troc demeura tout feul nud
& efbranché. Ce que Rome ne craignit iamais,
1
fentant fon eftre fondé de groffeur fuffifante à
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 119
porter tous les rameaux du monde. Et fi n'eut
oncques autre occafion de fa grandeur & puif
fance admirable,que le moyen de proceder que
ie vous ay defcrit , & les autres que ie deduiray
cy apres.

Comme les Republicques ont vféde trois moyen's


pourfaugmenter & agrandir.

Chapitre 1111.

Viconques a efté diligent obfer


uateur des antiques hiſtoires trou
ue que les Republicques ont te
nu trois manieres , pour parue
nir à grandeur. Dont l'vne fut
pratiquee par les anciens Tofcans , faifans vne.
ligue de plufieurs citez enfemble:entre lefquel
les l'vne n'auançoit l'autre , ne d'authorité, ne
degré, & eftoient en focieté commune de leurs
acqueftz , en telle forte que font auiourd'huy
les Suyffes, & iadis ont fait en Grece les Achees
& Etoliens. Et pource que les Romains em
ployerent fouuent leurs armes contre les To
fcans, pour mieux declarer la qualité de ce pre
mier moyen , ie m'eftendray fus eux pour en
donner plus entiere & particuliere cognoiffan
ce. Auant l'Empire Romain furent les Tofcans
en Italie , peuples tres puiffans par mer & par
terre. Et combien que de leurs faitz & geftes
ne nous foit demeuré aucune fpeciale hiftoire,
DISC. DE NIC. MACCHIA.
encores en refte quelque memoire & figne ap
parent de leur grandeur , & fcait on affez com
me ils enuoyeret vne colonie fur la mer, de def
fus laquelle ils nommerent Adria, qui futfi infi
gno & illuftre, qu'elle impofa fon nom à la mer,
que les Latins appellent Adriaticum, Oultre,
eft affez manifefte , comme leurs armes furent
obeïes depuis le Tybre iufques au pied des Al
pes , qui eft ores la ceinture du gros de l'Italic,
combien que deux cens ans auant que les Ro
mains fuffent en eftat de grands forces , iceux
Tofcans perdirent la poffeffion & dommaine
Lobardie. de toute la contree , qu'on dit à prefent Lom
bardie, laquelle fut occupee par les Gaulois, qui
meuz , ou de neceffité , ou attraitz par la dou
ceur des fruictz , meſmement du vin , vindrent
en Italie fouz la códuite de Bellouefo leur Duc,
d'où ils chafferent les habitans naturelz , & y
prindrent fiege pour eux,y edifiant maintes vil
les & chasteaux ,, & nommerent la prouince
Gaule , du nom qu'alors ils portoient. Et la tin
drent iufques à ce que par les Romains ils fu
rent vaincuz & deiettez . Or viuoient adonc les
Toſcans en ceste focieté & equalité , procedans
à l'augmentation de leur feigneurie en la manic
re deffus declaree , eftans douze citez de com
pagnie entre lesquelles eftoient Chiuſi , veio,
Fiefole, Arezzo, Volterra, & autres, qui gouuer
noient leur Empire par voye de ligue. Mais el
les ne peurent hors de l'Italie affeoir & eften.
dre leurs acqueftz , voire vne part d'icelle de
SVR LA I. DECA. DE TIT . LI. 120
meura entiere , fans qu'ils y ayent mis vn feul
pied : & ce pour les caufes deduites cy apres.
Autre maniere y a de compagnie en gouuerne.
ment,fans vous tollir & quitter le degré de có
mander, ne le fiege de l'Empire , ne le tiltre des
entreprinses , laquelle fut iadis obferuee par les
Romains. La tierce confifte en pure & fimple
fubiection & obeïffance, fans tenir aucune cou
leur ne droict de focieté, laquelle fut pratiquee
par les Spartains & Atheniens. Mais des trois,
la derniere eft la pire , & ne porte iamais quant
& elle que le malheur & ruyne de ceux qui ſe
rengent & foubmettent à telle feruitude , com
me celles Republiques en portent tefinoigna
1. ge, lefquelles n'ont efté deftruictes pour autre
occafion , que du grand dommaine & feigneu
ric par elles conquife ,, que
que toutesfois elles ne
pouuoient tenir & garder. A cefte cauſe m'a
toufiours femblé hault & difficile entreprinse
demanier par violence le gouuernement d'vne
cité : mefmement de celles, qui auroient accou
ftumé de viure en liberté.Et eft abuz de les cui
der regir, finon à main forte & armee. pour la
quelle auoir,te conuient par neceffité pourchaf
fer cópagnons, qui t'aydent à remplir ta cité,&
engroffir le peuple. Et à faute d'auoir fait l'vn
&l'autre , tel moyen de proceder ne reuient à
aucun proufit aux deux citez precedentes : Mais
Rome, qui nous a efté exemple du tiers moyen
par l'vn , & l'autre eft paruenu à cefte exceffiue
puiffance. Et comme elle feule a vfé de cefte
DISC. DE NIC. MACCHIA. iL
forme de vie , auffi eft elle feule montee en ce Fil
degré de hauteffe : Car ayant attrait plufieurs
peuples de l'Italie à la focieté, & receu en com
munauté de viure auec elle , & en plufieurs cho
fes vfer de loix . egalles , neantmoins foy refer
uant toufiours le comandement & fiege d'Em
pire, & les compagnons & alliez venoient fans
fenapperceuoir à fe fubiuguer eux mefmes,voi
re à la fucur propre de leurs corps. Car alors
qu'ils commencerent à fortir hors d'Italie l'en
feigne defployee , & reduire les Royaumes en
prouinces , foubmertaps les gens à leur obeïl
fance, qui par accouftumance de la fubiection
6 des Roys ne fentirent les faiz & miferes de leur
feruitude nouvelle , ayans reccu gouuerneurs
Romains , & eftans vaincuz par armes, portans
le nom & tiltre de Rome :partant ne recognof
” foient en tout droict de fuperiorité autre que
: Rome. Par telle menee fes pauures compagnos
qui cftoient en Italie fe trouuerent en vn mo
ment circuys de toutes parts, & enclos des fub
jectz Romains , & oppreffez par vne groffe cité
telle que Rome. Mais alors qu'ils ('auiferent du
tour qu'on leur auoit ioüé , & de l'abuz fouz le
quel ils auoient veſcu , plus n'y auoit ordre de
donner remede: telle auctorité auoit defia Ro
me acquife auecques les nations eftranges , &
telle racine de force eftoit prinfe en fon fein,
$ eftant la cité fi groffe & fi armée. Parquoy ve
nans les compagnons à coniurer enſemble à
Fencontre d'elle ,pour venger vne telle iniure
3.. & ou
SVR LA Í. DECA . DE . TIT. LI. 127
& outrage , en peu de temps efprouuerent le
malheur de la guerre , & d'autant empirerent
leur condition de compagnons deuenuz fub
iedz. Cefte pratique , commevous ay dit , n'a
eftéexercee & mife en effect , que par les Ro
mains. Et n'eft poffible à Republicque vou→
lant du long & du lez eftendre fes limites , te
nit autre moyen meilleur , & l'experience ne
nous en a monftré plus certain & verirable. Le
moyen des ligues que obferuoient les Toſcans,
Achees, & Etholes, & que tiennent auiourd'huy
les Suyffes eft le meilleur , apres celuy des Ro
mains:pource que fi tu ne t'en peux eflargir &
augmenter beaucoup , des autres biens enfuy
uent: I'vn , que tu n'attraitz gueres de guerres
l'autre , que ce que eu prens tu le tiens & le gar
des bien . La cauſe de ne fe pouuoir amplifier
vient de ce , que celle Republicque eft feparce
& defiointe , & confifte en plufieurs fieges . Ce
qui les empefche de facilemét confeiller & de
liberer,au leur ofte le defir de dominer.Parce
qu'eftans plufieurs communitez à prendre part
à telle domination, elles ne font tel compte d'v
ne conquefte , que feroit la Republicque , qui
feule efperoit jouyr du tout. Oultre, telles gens
fegouuernent par confeil , dont il eft force que
ils foient plus tardifz en leurs deliberations ,que
ceux qui habitent enſemble dedans vn mefme
cercle . Encores void on par experience, que ces
fte maniere de proceder a certain terme prefix,
lequel ne fe trouue point par exemple auoir esté
e
DISC. DE NIC. MACCHIA.
oultrepaffé. C'eft de partenir à douze ou qua
torze communitez , & apres ne foy foucier de
paffer plus auant. Car eftans venuz à tel degré,
qu'il leur femble auoir moyen de foy deffendre
de chacun, ils ne poutchaffent plus haut poinct
de feigneurie , tant pource que neceffité ne les
aftraint à chercher plus de puiffance , que d'au.
tant qu'ils ne cognoiffent ne trouuent aucune
vtilité en telz acqueftz pour les raifons ia de
duites. Autrement ils auroient affaire de deux
chofes : l'vne, ou à pourchaffer focietez & con
federations , dont la multitude feroit quelque
confufion , où ils auroient à les renger à la fub
iection:Mais voyans en ce poinct trop de diffi
culté, & peu d'auantage , ils n'en font autre efti
me. Quand doncques ils de recognoiffent en
tel nombre , qui leur femble pouuoir viure en
feureté , lors ils fe rengent à de deux choſes I'v
ne , ou receuoir gens en recommandation &
protection , & par ce moyen tirer argét de tou
tes partz,lequel eft aifé à partir entre eux . L'au
tre à prendre armes mercenaires , & combattre
à la folde de tel ou tel Prince , qui les foldoye
en fes entreprinses , comme l'on void que les
Suyffes font auiourd'huy , & comme fe lit que
faifoient les deffus nommez. Dequoy Tite Li
ue eft tefimoing , là où il dit , que Philippe Roy
de Macedone venant à parlementer auec Titus
Quintius Flaminius, & tenans propos d'accord
en la prefence d'vn Preteur des Etholes , & en
trant ce Preteur en paroles auec Philippe ,il luy
SYR LA I. DECA . DE TIT. LI, 122
reprocha fon auarice & infidelité , difant , que
les Etholes n'auoient honte de fuiure les armes

de l'vn , puis enuoyer leurs gens au feruice de


fon ennemy , tellement que fouuent en deux
oltzcontraires fe voyoient les enfeignes d'E
tholic. L'on cognoift doncques comme ceſte
maniere de proceder par ligues a toufiours efté
femblable faifant pareilz effaitz . Encores void
on que la mode de faire des fubiectz a touf
jours efté debile & a peu porté de profit, voire
fitoftque l'on venoit à paffer borne , a efté cau
federuyne.Et fi ce moyende faire des fubiectz

eft inutile aux Republicques bien ordonnees,


il fera trop plus dommageable aux defordon
nees,comme font en noftre temps celles d'Ita
b le vray moyen celuy que les Ro
Pa maiC'estdonc
lie.
nsont
ttenu,lequel eft d'autant plus admira
ble
Rome ,qu'il ne fen trouue aucun exemple auant
,& depuis Rome nul ne l'a enfuiuy. Ec
quand'auxligues il ne fe trouue que les Suyffes
&laligue de Sueue qui les imite . Et comme
fe diraà lafin de cele matiere , toutes ordon
Com nances obferuees par
tesà leurs affaires, tantles Romains, fi pertinen
dehors ,qu e dedans , non
feulement
nefepratiq
uent de noftre aage, mais
font
nesiu
le ntnus'aeunoa
gepl ucune cftime : parce que aucuns
ir efté vrayes : les autres , impof
fibles: les autres imper
lement qu vi tinente & inutiles .Tel
s
, e uans en cefte ignoran , nous
fommesdemeurez ce
proye & butin de qui a vou
lu auoir cefteprouin . Et quan l'im
ce d itation

Q ij
DISC. DE NIC. MACGHIA.
des Romains fembleroit difficile , au moins ne
Puiffance deuroit elle fembler à celle des anciens Tofcás,
antique des mefmement aux prefens Tofcans : car fils ne
Tofcans. peurent pour les caufes declarees eriger vn tel
Empire que Rome , fi eft ce qu'ils ont peu ac
querir vne puiffance en Italie, que ce moyen de
proceder leur y donna , laquelle leur fut long
temps affeurce, auec vn grand honneur d'armes
& gouuernemét, & pareille reputation de leurs
meurs & religion. Ce qui leur fut premieremét
diminué par les François , apres eftaint du tout
par les Romains , voire tellement eftaint , que
de cefte puiffance , qui eftoit grande y a deux
mille ans , à peine endure maintenant la feule
memoire. Ce qui m'a fait penfer d'où procede
l'oubliance des chofes, dequoy fera diſcouru au
chapitre enfuyuant.

Que le changement desfeites langues & l'ac


cident des deluges & peftes, ont effaint la
memoire des chofes paffees.

Chapitre Y.

Vx philofophes , qui ont voulu le


monde eftre eternel , me femble
que l'on pourroit refpondre,que
fi vn fi long cours d'antiquité e
ftoit vray , feroit raisonnable que
la memoire duraft de plus de cinq mille ans : &
ne voyant les moyens,ou caufes, qui peuffent a
CHIA SVR LA I. DECA . DE TIT . LI . 123
amoinbolir la fouuenance des chofes paffees,defquel
ns Tollespartie procede des hommes , partie duciel,
car les caufes humaines font les mutations des fe
igerades & des langues. Pource que quand vne nou
ont prunellereligion fefleue , fon premier foing eſt de
move eftaindre la vieille pour foy donner reputation.
ut ft Et fil efchet que les fondateurs nouueaux foiet
eur da de diuerfelangue , facilement ils l'aneantiſſent .
on del Ce qui fe cognoift par les moyens que la reli
remieren gionChreftienne a tenuz & pratiquez contre la
int du fetegentile : car elle a aboly tous fes ordres &
taint , cerimonies, & effacé du tout la memoire de cel
Heya
de yad leantique Theologie.Vray eft qu'il ne luy a fuc
antla cedé d'amortir la totale cognoiffance des faictz

u pr & geftes des perfonnes excellentes , qui iadis


dilcom ont efté,à caufe qu'elle a toufiours continué &
entretenu le langage Latin, & ce par force, eftat
contrainte d'y efcrire fa loy nouuelle : car on
eyeye void aux autres perfecutions dont elle a vfé, que
istla fiellecuteu autre langue commode, il ne refte
roitaniourd'huy aucun vfage de toute l'antiqui
té : tellement que qui lira les moyens tenuz par
faint Gregoire & autres chefz de noftre reli
gion,verra de quelle obftination ils ont perfc
ntvou cuté toutes les memoires antiques , mettans à
ne femb fin lesœuures des Poëtes & Hiftoriens, ruynás
andre, lesimages , & gaftans entierement tout ce qui
ntique pourroit rendre aucun figne ou trace des ficcles
nable pallez. En fortequefils euflent peu former vne
illeans: nouuellelangue , on euft veu en peu de temps
en
cull toute l'antiquité deffaite. Par ce eft à croire que
Q iij
DISC . DE NIC. MACCHIA.
tel tour a ioüé la loy Gentile à la fecte qui re
gnoit deuant , que luy a rendu depuis la Chre
ftienne. Et pource que les fectes varient & chan
gent deux ou trois fois en cinq ou fix mil ans , la
memoire perit de tout ce qui auroit cfté fait au
parauant. Et fi d'auanture en tefte aucunes re
liques , elles font tenues à contes & actes fabu
Jeux , aufquelz foy n'eftadiouftce nomplus que
à l'histoire de Diodore Sicilien , laquelle com
Diodere. bien que rende compte de quarante ou cin
quante mil ans , emporte le tiltre de fables &
menfonges, que de ma part ie ne luy denie.
Quant aux caufes procedans du ciel, ce font cel
les qui deftruifent l'humaine efpece , & redui,
fent à peu les habitans d'vne partie du monde.
Ce que auient ou par pefte , ou famine , ou par
inondation d'eau laquelle est de trop plus grád
1 danger que les autres,tant parce qu'elle eft vni
uerfelle , & que ceux que furtune exempte du
peril commun, font volontiers gens de monta
gnes,rudes, & fauuages, lefquelz ne peuuet laif
fer à leur pofterité la cognoiffance de l'antiqui
té , & filfen fauuoit aucun quien peut parler,
ou cfcrire, communément pour fe doner nom,
&reputationla cele & peruertit à fa mode, tel
lement qu'il n'en demeure à fes fucceffeurs, que
astant & telle que luy a pleu leur laiffer . Or que
pefte, deluge, & famine auiennent au monde, ie
ne croy pas qu'on le doiue reuoquer en doute,
veu que les hiftoires en font pleines , & que par
effect apparoit de cefte oubliance des chofes
HIA. SVR LA T. DECA . DE TIT. LI. 124
fectequi antiques , ainfi qu'il femble affez raisonnable.
isa C Qu'ainfi foit : comme nous voyons que Natu
ient& re és corps fimples , où f'eft fait quelque amas
mila de matiere fuperflue , felmeut fouuent d'elle
efte femefmes, & fait vne purgation au grand bien &
aucunes falut du corps,
ainfi auient en ce corps mixte &
actest vniuerfel del'efpece humaine , que quand tou
omplases les prouinces font fi remplies d'habitans ,
quelle qu'elles ne les peuuent porter & fuftenter , &

nté ou qu'iln'y amoyen d'en defcharger vne en occu


defables
pantvne autre (tant font toutes les lettres plei
me luydnes )&quand la malignité & aftuce humaine
ent degré
et montee nui
ut au dernier rs , &t que plus haut
alo par
ce ,& elle ne pe , ceo e
d e ui d g eneceffitéisque le
ie du mon mon fe v & pur par vn des tro ma
mine,cu nieres;à fin que les hommes eftans reduitz à
ropplus moindre nombre & chaftiez , & battuz,puiffent
u'ellech viure plus commodément , famendent & de

exempte viennentmeilleurs. Ia doncques eftoit la puif


as demon LanceTofcane(comme deffus eft dit) pleine de
=pcsic:la religion & vertu, ayant les couftumes & fa lan
de l'antic
guepropte : ce qui futtout eftaint par la puif
peutpa fance Romaine, en telle forte qu'il ne reste plus
doner quela feule memoire de fon nom.
famode
colleurs Comme les Romainsprocedoient aufai&
t
after.Org 7 de la guerre.
mond
re endo
chapitre VI.
s,&quet
descha
Qiiij
DISC. DE NIC, MACCHIA. FRLA
Yant difcouru cóme les Romains
procedoient au fait de l'augmen
tation de l'Empire,nous difcour- S
Ma
rons maintenant le moyen qu'ils htrmtal
tenoient à faire guerre,pour don
ner à cognoistre par quelle prudence ils fe font
en toutes leurs actions deftournez de la mo
de vniuerfelle des autres , pour abbreger de TOL
chemin de paruenir à la fouueraine grandeur.
Or l'intention de qui faict guerre, par election, renc
ou par ambition , eft d'acquerir & maintenir
l'acquis , & proceder en telle forte qu'il enri
chiffe, non pas apauuriffe fon païs. Il est donc
ques neceffaire , tant pour la conquefte , que
pour l'entretenement de ce qui eft conquis, a
uifer de ne foy fourrer en defpence , ains fai
re tout à l'utilité publicque. Qui veut prati
quer ces deux poinctz , il luy conuient tenir le
ftile & la mode Romaine,laquelle fut premie
rement de faire ( comme dient les François)
les guerres courtes & groffes , aufli fortant en
compagnie à groffe armee , routes les guerres
qu'ils ont en contre les Larins , Samnites , &
Tolcans , ils en ont fair briefue depefche , voi
re que qui notera toutes celles qu'ils firent au
commencement de Rome iufques au fiege de
Veic, les trouuera auoir efté acheuees l'vne en
fix , l'autre en dix , l'autre en vingt iours : car
telle eftoit leur vfance , queincontinent que la
guerre eftoit ouverte , ils fortoient aux champs
Tenfeigne defployee au deuant de leur enne
IA SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 125
s Rommy, & aufli toft luy donnoient la bataille , la
Tauquelle gaignee, les vaincuz ( de paour que leur
us dico contree fuft pillee & gaftee ) condefcendoient
oyen aux conditions , entre lefquelles les Romains
pour vaincueurs n'oublioient pas la condamnation
ils fou confifcation de leurs terres à conuertir en
de la leur vtilité priuee, ou à diftribuer à vne colonie,
brege qu'ils mettoient fur la frontiere : Tellement
grande qu'elle leurferuoit de garde & de garniſon des
arelection limites , venoit au profit de ceux à qui les ter
maites eftoient donnees, & auffi la Republique de
quil tenir relle garnifon , fans autre couft & defpen
Ileftdere
c. Et mefemble qu'ils n'euffent fceu vfer de
quefte,que meilleur moyen , ne plus feur, plus fort, & pro.
conqu firable : car tandis que les ennemys ne fe met
ce, ainst toientau
fortoientxles champ cefte garniſon fuffifoit , fils
s ,nes
enfeig
veurpr au vent pour opprimer
nt ten la colonie , les Romains les venoient rencon
ie
Furprem
teren pareil equipage , leur liuroient iournee,
s Franco's
&fils la gaignoient, leur impofant conditions
Tortant plusgrieues , fen retournoient chez eux . Ainfi
venoient à augme nter de main en main leur
esquetta
force,&acquerir reputation fur les estrangers.
maires,&
Ilstindrentroufiours cefte mode iufques au fie
elche,
Is firent ge de Veie , auquel ils changerent leur mar

au ficge nieredeproceder à la guerre , ordonant la paye


ces I'vea des foldatz
pour
neentret
iours:
ment,Ce qu'ils nt &la
faifoieenir neguerre longue
leur eftoit ne
ceffaireau tempsqu'ils y mettoi
mentque ent fi bricue fin.
ux champe Maiscombienque lesRomains depuis donnaf
fentfoulde, & que par ce moyen ils ſouſtinf
leur enne
DISC. DE " NIC. MACCHIA.
fent la longueur de la guerre , laquelle eſtant en
licux & regions plus loingraines les tenoit par
neceffité , d'autat plus aux champs, fi eft ce que
ils ne laifferent pour celà leur premier ordre de
les acheuer foudain ,felon le lieu & le temps.
Auffi ne delaifferent iamais les colonies: car ou
tre leur couftume naturelle, l'ambition de leurs
Confulz leur fit garder & continuer ce premier
ordre de courte guerre , pour ce que ne durant
le confulat qu'vn an , duquel les fix moys fe de
uoient paffer aux tentes,ils poutchaffoient fort
la fin de la guerre, pour le defir du triumphe...
Quant aux colonies, la gradé vtilité qui leur
en venoit , les maintint & continua . Vray eft
qu'ils varierent vn peu touchant le butin & la
proye, en laquelle ils fe refferrerent de la gran
de largeffe dont ils auoient vfé au parauant,foie
qu'elle ne leur femblaft pas fi neceffaire , qu'au
temps que leurs foldats n'auoiet folde, ne paye,
foit que deuenant les butains & defpouilles be
aucoup plus groffes, ils en vouloient fi bien en
greffer leur trefor publique , qu'ils ne fuffent
contrains leuer tribut fur la cité pour le fond
de leurs entrepriſes . Ce qui remplit en peu de
temps le trefor de leur ville, qu'ils nommoyent
Erarium . Ainfi ces deux ordres tant en la di
ftribution du butin , qu'à l'eftabliffement des
colonies , firent Rome enrichir par guerre , par
laquelle les Princes & Republiques peu pra
dentes apauuriffent,voire reduirent la chofe en
telz termes , qu'il ne fembloit au Conful pou
S VR LA I. DECA. DE TIT. LI. 126
uoirtriumpher,f'il ne portoit en L'ærarium vne
quantité inestimable d'or, d'argent, & de toutes
autres defpouilles . Ainfi les Romains par les
moyés deffudits,& pár la bricueté de leurs guer
res,voulans bien par longueur laffer & ennuier
lear ennemy puys par routes, courſes, & acords
leur auantage , alleret toufiours de plus en plus,

augmentans leur richeffes & puiffance.

Que lleportion de terre les Romains departoient


partefteà chacuneperfonne de
A leur colonic.

chapitre VII.

E croy qu'il ne foit pas ayfé de


trouuer à la verité combien les
Romains diftribuoient de terre à
chacun homme de colonie : car
(à mon iugement) ils leur enfai
foiét meilleure ou moindre part , felon les lieux
où ils les enuoioyent..
Et entous cas y a occafion de iuger qu'en
quelque terre que ce fuft ils tenoient toufiours
la main ferree , & n'en donnoient à chacun que
bien peu. Pour la premiere raifon qui les mou
uoit , ce leur eftoit moyen de pouuoir tranſpor
ter plus de gens & mettre meilleure garde en
telz païs de conquefte. Auffi n'eft il à prefumer,
3 quegens qui fentretenoient en telle pauureté
en leur ville, pretaffent la main à ceux de leur
DISC. DE NIC. MACCHIA .
corps,qu'ils enuoyoient dehors pour monter à
fi grand' richeffe. Ainfi dit Tite Liue,que la co
L'autheur lonie de Veie n'eut que trois iugeres fept onces
ne la rem- de terre,qui feroient ànoftre conte.
le croy qu'ils pouuoient encores confiderer
ply.
que tout ne gift pas à en auoir beaucoup: mais à
le bien cultiuer, & labourer.le ne fais doute,que
telle colonie enfemble n'euft quelques champs
publiques, où chacú du Peuple auoit droit d'en
uoyer paiſtrefon beftail,& auffi des forcftz có
munes pour les vlages du boys neceffaires , &
autres commoditez requifes à la fuffifance de la
vie humaine.
snigada
La caufe qui meut lespeuples àfortir de leur liew
naturel & occuper & inonder aútrepaïs.

C Vill.
chapitre

Vis que difcouru a efté de la difci


Deux efpe
pline militaire : obferuce par les
cesdeguer Romains , & comme les Tofcans
re.
furent affaillis par les Françoys , il
ne me femble hors de propos de→
uiferdes deux efpeces de la guerre, dontl'vne fe
faict par l'ambition des Princes & Republiques
qui tafchent à dilater & augmenter leur Empi
fe , comme furent les guerres que fit Alexandre
le grand, & le peuple Romain , & comme fait
chacune puiffance l'vne contre l'autre : lefquel
les guerres , combien que pereillcufes , toutes
SVR LA.I. DECA. DE TIT. 11. 127
fois ne chaffent du tout les habitans hors de
leur prouince , fe contentant le vaincueur de fa
feule victoire , & de l'obeïffance des peuples,
enforte que le plus fouuent il les laiffe viure en
leurs propres maifons , vfans & iouïffans de
leursbiens.

L'autre espece de guerre eft quand vn peu- Laguerre


ple entier met toutes les familles & mefnages de dégorge
horsde quelque lieu, contraint par guerre , ou ment de
famine,& va chercher terre nouuelle,non pour peuple.
feulement y commander (comme ceux de def
fus)ains pour la poffeder toute particulieremét
& en deloger ou mettre à l'efpee, tous les anciés
habitans , qui eft vne hoftilité trop plus cruelle
&efpouuétable, que l'autre.De telle guerre par
le Salufte en la fin de lugurta , où il dit, que Iu
gurta vaincu , fe fentit l'eſmotion des Françoys
venans en Italie.Et que contre toutes autres na
tions le peuple Romain combatit pour le feul
honneur & commandement , mais contre les
Gaulois y alloit du falut & de la vie : car à vn Trois guer
Prince ou Republique entrant à main armee res desGan
5 en vne prouince , fuffit eftaindre ceux qui gou lois contre
uernent:mais à fes peuples conuient depefcher le Romais,
le païs de tous ceux qu'ils y trouuent , ayans à
viute de ce dont les autres viuoient . De cefte
maniere les Romains fouftindrent troys trefdá
gereufes batailles . La premiere , quand Rome
fut prife par les Françoys , qui auoient(comme
deffus a efté dit ) ofté la Lombardie aux Tolcás.
Dequoy TiteLiue allegue deux occafios : l'vne
DISC. DE NIC. MACOHIA.
qu'ils furent alechez & conuiez de la douceur
des fruits & des bons vins d'Italie , dont ils a
uoient faute en France: La feconde, que le mon
dey cftant fifort multiplié, que le païs ne pou
uoit plus nourrir , les Princes & les Seigneurs
iugerent eftre neceffaire qu'vne partie vuydaſt
& fe pourucut d'vne nouuelle contrec.Et apres
cefte deliberation efleuerent pour chefs d'iceux
qui deuoient fortir , deux Roys Françoys , Bel
loueffus , qui vint en Italie , & Sicoucfus , qui
paffa en Efpaigne.Du premier l'inondation oc
cupa la Lombardie & leua la premiere guerre
que Rome fouftint iamais de France. La fecon
de fut apres la guerrePunique, en laquelle mou
rurent deux cens mille Françoys entre Pife &
Plombin . La tierce fut quand les Tudeſques &
Cimbres vindrent en Italie, où apres auoir def
confit plufieurs armees des Romains , en fin fu
rent defaits par Marius . Or les Romains gai
gnerent ces troys guerres trefperilleuses. Et n'e
ftoit requife moindre vettu & puiffance à les
vaincre Car vous voyez comme depuys celle
vertu defaillit, & leurs armes perdirent leur va.
leur , & lors cefte Empire fut deftruit par peu.
ples femblables . C'eſt à fçauoir, Gorz, Vvanda
les & autres, qui occuperent tout l'Empire Oc
cidental . Telz peuples fortent(comme dit eft)
de leur contree forcez de leur neceffité, & la ne
ceffité vient de famine, ou de guerre, & oppref
fion, qui leur eft faite telle, que contraints font
de laiffer la place , & fils font en grand nom
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 128
bre , entrent de violence en quelque prouince,
mettant à mort tous les habitans , vfurpent la
poffeffionde leurs biens , & font vn nouueau
Royaume , & luy changent le nom . Comme ia
dis fit Moyle , & depuys firent les Barbares oc
cupateurs de l'Empire Romain . Et de là , non change
d'ailleurs , font nez & impofez les nouueaux ment de
noms , que l'on void auiourd'huy en Italie , & noms des
és autres contrees , au plaifir & volonté de telz pais.
nouueaux vfurpateurs.Ainfi a efté nomee Lom
bardie celle qu'auparauant eftoit la Gaule Ci
falpine , & la Tranfalpine tient ores le nom de
France,par les peuples Fráçoys, qui l'ont occu
pec , & l'Ilirie eftappellee Efclauonic : la Pan
nonie, Hongrie. la Bretaigne, Angleterre.Moy
fe auffi noma Iudee la part de la Sirie qu'il oc
cupa, & ainfi maint autre contree a changé de
nom, & feroit long & ennuyeux à raconter.
Et pource que l'ay dit cy deffus, que les peuples
font aucunesfoys chaffez par guerre hors de
leurs païs , & contraints pourchaffer quelque
lieu de conquefte , ie vous en veux deduire vn
Maurufies.
exemple des Maurufiens peuple ancié de Siric,
lefquelz , fentans la venue des Hebrieux , & ne
feftimans de force pour leur refifter , penſerent
que mieuxferoit le fauuer & euiter la fureur de
Fennemy en habandonnant le païs , que pour
la deffence d'icelluy fe perdre , & deffaire eux
mefmes. Adoncques partans de ce lieu,tirerent
en Affrique, où ils prindrent terre de demourá
ce , mettans dchors tous les habitans d'icellc.
DISC. DE NIC . MACCHIA.
LA
Ainfi ceux qui auoient failly à defendre leur co
tree furét affez forts pour en occuper vne nou
8
Procopius . uelle, A ce propos Procopius, qui defcrit les ar
Belifarius, mes de Belifarius contre les Vandalles occupa
teurs de l'Afrique,dit auoir leu des lettres efcri
tes en certaines colones , au lieu où ces Mauru
fiens habitoient, defquelles la teneur eftoit:

Nos Meurufi,quifugimus àfacie Iefu latronis fi


ly Naue.

Maurufies. Nous fommes les Maurufiens fuyant deuant


la face de Icfus le brigand filz de Naue.
En quoy fe compréd la caufe de leur fuyte hors
de Sirie . Certes telles ges font merueilleufemét
à craindre, eftans chaffez par fureur & neceffité
extreme qui les meine . En forte que f'ils n'ont
trefdure & afpre rencontre de quelque nation
belliqueule , leur effort & violéce n'eft pas fou
ftenable . Mais quand ils fortent de leur fiege
naturel en petit nombre , par raifon ils ne font
fi dangereux que les autres : car leur force n'eft
pas telle. Dont leur conuient vfer d'art & aftu
ce pour occuper quelque licu , & la poffeflion
prife fe maintenir par voye d'amys & confede
rez . Comme firent Eneas, Dido , ceux de Mar
feille , & autres femblables , qui par le conſen
tement & fupport de leurs voyfins tindrent les
places où ils auoient vne foys mis le pied . De
ce païs de Sirie fortent les peuples en grande
multitude , comme de lieu froid, pauure, & fte

ril
SVR LA I. DECA . DE TIT. LÍ. 129
il , abondant de gens & defpourueu de viures
pour les nourrir, dont plufieurs incommoditez
les dechaffent, & nul bien les y retient . Et fi de
puis cinq cens ans en ça n'eſt auenu aucun de
luge, ou inondatió de telles gés, celà fe fait pour
plufieurs raifons.L'vne eft la grande euacuation
qui en fut faite fur le declin de l'Empire Ro
main :car adonc en y ffit plus de trente peuples:
l'autre,que l'Alemaigne & l'Angleterre, dont fe
debordoit auffi telle vermine , ont à prefent a
médé & melioré leur païs, en forte qu'ils y peu
uentviure riches & aifes , fans que befoingleur
foit de plus habandonner la terre . D'auantage
eftans ceux cy tres belliqueux, nous feruent co
me bouleuert contre les Sithes, qui les confinét
& leur oftent le cucur & la prefumption d'en
treprendre de paffer par eux , & de les pouuoir
vaincre voire fouuent fefleuent de tres gros
mouuemens des Tartares, qui font fouſtenus &
repouffez en Hongrie,& en Poulaine . Auffi fe
vantent ils &glorifiét,que fans eux & leur puif
fance , l'Italie , & l'Eglife auroit plufieurs foys
fenty la charge & inuafion des Tartares.

Quelles caufesfontcommunémentfourdreguerre .
entre les Potentarz, & grans Seigneurs.

chapitre 1 X.

R
DISC. DE NIC. MACCHIA.
E motifde la guerre meue
entre les Romains & les
Samnites, qui fi longtéps 11.06
auoient efté enligue , fut
l'occafio comune qui met
1 tous Princes puiffans en
cótentio . Laquelle cauſe,
ou aduient de cas fortuit, ou du mouvement de
celuy qui ne demade que guerre. Celle qui four
dit entre les Romains & les Samnites fut par
fortune , d'autant que l'intention des Samnites
n'eftoit d'adreffer leurs armes contre le peuple
Romain,quand ils allerent cóbatre les Sidicins,
& apres les Campanois , lefquclz fe voyans op
primez & pienans leur refuge à Rome , hors de
l'opinió tant des Romains,que des Sanites ,fu
rent contraints les Romains defendre comme
leur propre ceux qui fe dónoiet à eux, & ouurir
la
guerre, que(leur hōneur fauf) ils ne pouuoiét
fuir,ny cuiter.Il eft bien vray qu'il leur fembloit
raisonnable ne ſouftenir les Campanois , combić
que fuffent leurs amys, contre les Samnites, qui
leur touchoict en pareille amitié . Auffi tenoiet
ils à trop grande honte ne defendre ceux qui fe
rendoient leurs fubietz ou recomandoient leur
party à leur bonne grace , iugeans , au cas qu'ils
euffent refufé telle defence , d'auoir trenché le
chemin à tous ceux qui euffent eu volōté de foy
renger fous leur puiffance . Puys ayant Rome
pour fon but l'Empire,la gloire, & no le repos,
ne pouuoit bonnement refufer cefte entreprise.
SVR LA. DECA. DE TIT. LI. 130
Cefte caufe mefme donna commencement à la
premiere guerre qu'ils eurent contre les Carta
ginoys , à raifon de la defenfe qu'ils entreprin
drent des Meffinefiens en Sicile , laquelle en
cores auint par fortune : mais non la feconde
guerre . Car Hannibal Capitaine Cartaginois
affaillit les Saguntins amys des Romains en Ef
paigne , non tant pour les offendre, que pour e
mouuoir & irriter les armes Romaines & auoir
occafion de les combatre & paffer en Italic. Ce
moyen de faire ouverture de nouuelle guerre, a
toufiours efté pratiqué par les grans Seigneurs,
qui auoient quelque refpect de la foy & d'autre
chofe .Car fi ie veux mouuoir guerre à vn Prin
ce, entre lequel & moy foient quelques capi
tulations & articles , qui ayent efté long temps
Stables & entiers entre nous, i'auray titre & cou
leur plus iufte de m'adreffer à fon amy , qu'à luy
mefme , fçachant que de l'affault que le liure
rayà fon confederé il fe fentira, & i'auray la fin
de mon defir , qui eft de luy mener guerre. Ou,
fil nemonftre de le fentir , il defcouvrira fa de
bilité & impuiffance, ou fon infidelité de ne de
fendre celuy qui luy doit eftre pour recomman
. dé.Et l'vn & l'autre de ces deux poincts eft pour
luy tollir reputation & rendre mes deffeins plus
faciles . Il est donques à noter par la dedition
des Campanois, ce qui a efté deffus difcouru du
moyen de mouuoir guerre , & d'auantage quel
remede peult auoir vne cité , qui par elle ne fe
pcult defendre, & voudroit fe mettre en defen
Rij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
fe en quelque maniere que ce fuft . Qui eft foy
doner librement à telle quelle eftime , qui puif
fe repouffer ou fouftenir l'effort de fon enne
my:comme firent les Capuains aux Romains, &
les Florentins au Roy Robert de Naples,lequel
ne les voulant defendre en qualité d'amys , les
defendit comme fubietz contre Caftrucio, de
Luques, qui les opprimoit.

Que lesdeniers ne font le nerfde laguerre, com


me eftime l'opinion commune.
Chapitre X.

Ource qu'il eft ayfé de co


mécer la guerre à fa pofte,
& non pas de l'acheuer, le
Prince doit, auat que faire
entreprife,mefurer les for
ces & fe gouuerner felon
la fuffifance de fon pou
uoir : auffi doit vfer de telle prudence , qu'il ne
fabuſe en l'eftimation de fa puiffance . Ce qui
luy auiendra toutesfois qu'il les mefurera à fes
finances , à l'affiete du lieu , à l'affeurance de la
bonne voulonté de les fubietz , ayant d'autre

part faute & debilité en fes propres armes. Car


combien que telles chofes accroiffent de beau
coup la force , fi cft ce qu'elles ne la donnent
pas , & d'elles mefmes feruent de peu , ou rien,
fans la feureté des armes : car la quantité des
deniers, fans elles, ne peult fuffire . Autant vault
CHIA SVR LA I DECA . DE TIT . LI.. 131
• Quief lepais muny de la nature , & la foy & obeïffan
me,qu ce des hommes n'eft durable , d'autant qu'ils ne
de for peuuent garder loyauté à leur Seigneur qui ne
Rom lespeule defendre . Toute montaigne , tout lac,
Naples & marefcagefacile
, toute place inacceffible deuient
é d'amplaine & de acces , depuys qu'il y a fauté

Caftrui de gens de defenfe . Alors les grás fommes d'ar


gent
feffeurstant fen fault qu'elles gardent leurs pof
,
o m que pluftoft le liurent pour proye à fes
c
giverre. ennemys.Et n'y a opinion au monde plus faul
$78. fe quela commune , qui tient les deniers pour
le nerfde la guerre , laquelle ſentence a efte par 2.4 3..
Quinte Curfe en la guerre qui fut entre Antipa
Macedonien
tet & le Roy de Sparte .Là où Antipater
efta raconte quece Roy , parfaulte d'argent, fut Macedonie
il ,
rreàla
contraintdonerla bataille qu'il perdir: laquelle
el'ache fileuftd
ifferce iufques à peu de iours , l
ue
xuấtqt b ellesvenoient , les nou
elurerles en Grece de la mort d'Alexan
dr
r e,
Querne qui luy euffent la victoire entre les
mains fanscoup ruer : mis
Mais fe trouuant en ce
de fonp
fte neceffitéd'argent, craignat que par ce moye
ence, qut
fonarmee l'habandonnaft , force luy fut ten
ance.Ce
ter lafortune de la bataille . Dont Quinte Cur
elurerait
fe vientàinferer, que les deniers font le nerfde
Furance&
la
ayantd'sa uyu
guce laquelle
ie es ens
s r m e a l l guerre,
e & f p a r rinc eft
fentence m o ins les
tous p r udiours
e a P

Tentdeb & auifez


piquenionbefoin nt
nfe feroit, leſquel ez ofur
z fondez r J
la do celte o fence peauoir que e oit aff p u
d' s c effors maffez
leur de gr a n
tr a ,n e
cu,our confiderán f e en
tite fa n t s
quteoi
e e
r ell ru icsh e f i t
efto te moy
quan fuffi devic G t, Dari oit
nt à ce con aur
Auta
Rij
D.IS C. DE NIC. MACCHIAV
Lesplus ri- vaincu Alexandre , les Grecz auroient furmon
ches vain- té les Romains , & de noftre reps le Duc Char

611 les auroit fubiugué les Suyffes , & n'agueres le


Pape & les Florentins enſemble n'euffent trou
né difficulté à vaincre Fracefco Maria neucu du
Pape lule ii en la guerre d'Vibin . Mais tous
los fufnommez furent defconfits par ceux qui
eftimoient le nerfde la guerre eftre es brasdes
bons Soldatz , & n'on en l'abondance d'or ou
d'argent . Entre les autres chofes que Crefus
Apoph Roy de Lidie monftra à Solon Athenien, fut
thegme de en treforinnumerable : Et fur ce luy demandant
Salon. qu'il luy fembloit de fon pouuoir , refpondit,
qu'il ne l'en tenoit de rien plus poiffant : veu
que la guerre fe fait au fet,non pas à l'or, & qu'il
pourroit furuenir quelqu'vn micux ferré que
luy , qui le dedoreroit . Pareillement quanda
pres la mort du grand Alexandre palla en Gre
ce vne vndee & multitude de Françoys, & de
là en Afie , ils enuoyerent leurs Embaffadeurs
deuers le Royde Macedone traiter de certain
accord : auxquelz le Roy, par oftentation de fa
puiffance , & penfant les eftonner , defploya &
mit en euidence fes grans trefors , defquelz il
alluma vne telle canuoitife en cesi Françoys ,
que par le defir qui leur prit de telle richeffe
Richefe is rompirét la paix defia demy accordce, & l'a
caufede la mas qu'il auoit fait de tant d'or & d'argent pour
deftruction fa defence , fut caufe de fa propre defpouille .
da Ray de Aufl n'y a pas lang temps que les Venitiens
aturedene, ayaus encor' entier leur trefor inestimable , per
CCHIA. SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 132
oient fume dirent tout leur eftat , fans trouuer aucun fe
es on is
le DucC cours en leurs cofres . C'est doncqu m au
naguer que l'or n'eft p m e
( com z
n'eulent nerfde laguerre : mais ce font les bons foldat ,
n i f t o u r s
fariane defquelz l'or ne four pas toufi : mais ils
in .Mais trouuent bien l'or, tant bien caché & gardé foit
ins n'euft pas fuffit tout e refor
Es parcour il . Aux Roma l t
nt re par
Are es bru dumo n d e ,fil euffe voulu faire la guere
s
e n t n y a bl s n
ndanced'arg & no par fer,veu leurs incro es
fes ultez hemen
fes que Cratepri , & leurs diffic & empeſc
es
Athenien omeltiqu : mais ayans mis au fer leur fiance
e s rent té
luy dema nd e en ti er : i mai ne fe trouue
a en neceffi
a r g e n t y e n i t é
oir,red . Au mo qu'il leur efto port iuf
es
spaitaqu en leuoriecnt
amp r ux i s oient
t p a ce qu le craign
r e d o u e
& . Et fi ce Roy de Spart fut con
as àl'o,r
nicux fer tbaatanil tplear ind ence à t e
igluy au
ui inetnptaerrtla fortun de la
mentquand fouuent,ce q u nt t
a u e n
par autres moyen . Cdo
s ' mmee
a r g
l'eofn
epallae vo id au ff
o i
Franc & ique defaillans les viures à vne armee,
ad & eftantcontrainte ou de mourir de faim, ou de
Emball combatre
, elleprend voulontiers le partyplus
aiter deca hono
i o n rable ,
Aenta c
er ,defpon poir que fortune qui eft la la puiffe
bataille , en laquelle
fauorifer en quel ya

Fors, deige que maniere . Encores eft fouuent auenu , qu'vn


Capitaine
ces França ennemy auerty
e n t eftoit cont durain
feco , ou qui
t urs veno
de foy it àre
mett fon
au
de ta l l
hazard del aiournee , ou atte qu'il fuft ren
r d e s ndre
acco , forcé,auoirlors à combatre , bon gré mal gré, {
d'argent auecques
mil defauantal ages . Auffia efté veu ce
predefpost u drub nd
a i n t A f qua illy n a
eles V e a u à il fut affa e l
Marche
i m a b le
Sh par Claud Nero ioint auce l'autr
e n e
Riiij
DISC DE NIC. MACCHIA,
Conful Romain , qu'vn chef de guerre eft fou
uentreduit en neceffité de fuir , ou de comba
tre , & que toufious il eflit la bataille , confide
rant qu'en tel party ( combien que fort dange
reux & douteux ) il peult gaigner la victoire, &
que l'autre ne porte rien en fomme , que fa per
te & confufion. Il y a doncques plufieurs necef
fitez,qui peuuent renger vn Capitaine au party
de venir aux mains contre fon intention , entre
lefquelles peult quelquesfoys eftre contee la
faute des finances , qui toutesfoys ne doit pour
cefte raifon les mettre en eftime du principal
fondement & appuy de guerre , non plus que
maintes autres chofes , qui induyfent les hom
mes à femblable neceffité . Bien eft vray que les
deniers font neceffaires en fecond lieu : mais
c'eft vne neceffité,que les bons foldats peuuent
d'eux mefmes rompre & furmonter : Car au
tant eft impoffible que l'argent faille à fi gens
de bien, comme que l'argent foit moyen feur &
certain de luy mefme à recouurer les bons fol
datz . Ce que l'hiftoire en plus de mil lieux
nous monftre cftre veritable , nonobftant que
Confeil de Pericles confeillaft aux Atheniens de mouuoir
Pericles.
guerre contre tout le Peloponeffe , leur remon
trans qu'ils la pouuoient conduyre à fin par in
duftrie & non par force d'argent . Et combien
qu'en cefte guerre les Atheniens rencontraſſent
quelque profperité & faueurs de fortune : tou
tesfois à la fin la perte tourna fur eux valat plus
le confcil & les bons foldatz de Sparte, que
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 133
toute l'induftrie & l'argent d'Athenes . Mais
Tire Liue eft plus vray tefmoing de cefte opi
nion , que nul autre , au difcours qu'il fait : Si
Alexandre le grand fut venu en Italie , à ſca
voir f'il eut vaincu la puiffance Romaine. Au
quel lieu il deduit eftre trois chofes neceffaires
au faict de la guerre:le nombre fuffifant de gens
de bien,les Capitaines bons & aduiſez , & la for
tune fauorable. Là où examinant lequel des Ro
mains ou d'Alexandre , fur le mieux garny de
cestrois -poincts , fait apres fa conclufion , fans.
mention aucune de finances. Ce fut aux Ca
puains alors qu'ils furet requis par les Sidicins,
de prendre les armes pour eux à l'encontre des
Samnites, de mesurer leur puiffance à la fomme
de leurs deniers , & non à la force des foldatz:
Car depuis qu'ils eurent arrefté de leur donner
fecours apres deux deffaites , furent contraints.
de foy rendre tributaires des Romains , fils fe
vouloientfauuer,

Quecen'eft prudenceprendre alliance d'un Prince,


qui plus ait d'eftime, que depuiſſance.

Chapitre XI.

Oulant Tite Liue declarer la fau


te que firent les Sidicins de fe fier
au fecours des Campanois , & au
contraire celle des Campanois,
qui prefumoient de les pouuois
DISC. DE NIC. MACCHIA.
deffendre,il ne nous le pourroit donner en plus
viues parolles :

Campanimagis nomen in auxilium Sidicinorum,


quam vices ad prefidium attulerunt.
Les Campanois (dit il) apporterent plus de
nom que d'effect & d'armes au fecours des Si
dicins.
En quoy on peut noter, que les ligues faites
auecques Princes , lefquelz ne vous peuuent fe
courir au befoing, pour la diſtance des lieux, ou
n'ont puiffance de le faire , à caufe de leur mau
uais ordre,ou autre deftourbier, telles ligues ont
plus de monftre que d'effect au proufit de ceux
qui fy fient. Comme de noftre temps Floren-.
ce l'a prins à fon mefchef l'an mil trois cens foi
xante dixneuf, qu'elle fut affaillie par le Pape ,
& le Roy de Naples: car alors l'alliance du Roy
de France luy feruit plus de nom que de fecours
& aide , tel que feroit encores auiourd'huy la
confederation de l'Empereur Maximilian,à qui
voudroit fouz ombre d'icelle faire quelque en
trepriſe. Car il n'en prendroit point autrement
qu'il fit aux Sidicins d'auoir ouuert la guerre à
Rome fur l'appuy des Campanois . Capuë eſt di
gne de pareille reprehenfion , d'auoir conceu
opinion de fa force plus grande que la verité,
laquelle imprudence conduit fouuent les hom
mes à entreprendre la deffenfe d'autruy , qui fe
roient trop empefchez à fe garder & foutenir
Tarentins. oux mefmes ; ainfi que faifoient les Tarentins,
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 134
lefquelz (comme Tite Liue raconte) eftás cam
pez l'vn deuant l'autre, les oftz des Romains &
des Samnites enuoyerent Embaſſadeurs au con
feil de Rome , luy declarans le defir qu'ils a
uoient de la paix & accord des deux peuples,
& de fe ruer fur celuy qui n'y voudroit enten
dre. Duquel propos le confeil fit tel conte, que
en la prefence des Embaffadeurs fit fonner la ba
taille. Et de faict marcha à l'inftant contre fon
ennemy , rendant aux Tarentins par œuure , &
non par parolle ,telle refponfe que meritoit leur
demande. Voilà l'yffue des partis temeraires,
qui fe prennet pour la deffenfe d'autruy . Main
tenant nous faut parler de ceux que chacun dait
tenir pourfoymefme.

Lequel eft meilleurquand onſe doute d'eftre affailly,


oumenerlaguerre, ou l'attendre,

XII.
Chapitre

' Ay quelquefois ouy difputer en


tre gens expertz & entenduz au
faict de la guerre , fil y a deux
Princes de forces prefque egales,
& que le plus gaillard & hardy
ait publié la guerre contre l'autre , lequel vaut
mieux ou deffié , ou d'attendre fon ennemy de
pied coy en fon Royaume , ou de l'aller trouuer
& affaillir en fes païs . Sur quoy i'ouy alleguer
maintes raisons de deux coftez . Ceux qui tien
DISC. DE NIC. MACCHIA.
nent pour meilleur le party d'aller premier af
faillir,fe fondet fur le confeil que Crefus dóna à
Cirus,alors qu'il arriua fur les marches des Maf
fagettes en ordre & contenace d'ennemy mor
tel,& que leur Royne Thamyris luy máda, qu'il
efleuft lequel il voudroit des deux , ou d'entrer
en fon Royaume, où elle l'attendoit, ou qu'elle
mefme marchaft au deuat de luy. Et eftant l'af
Confeit de faire mis en deliberation , Crefus fut d'aduis, co
Crefus. tre l'opinió des autres, qu'on la deuft aller trou
uerfur les terres, à cauſe que qui la deferoit hors
& loing de fes païs, il n'emporteroit par ce mo
yen le Royaume pour le temps qu'elle pourroit
auoir à foy refaire : mais fil la vainquoit fur les
lieux en pourfuiuant viuement l'execution de fa
victoire , fans luy donner loyfir de remettre aux
champs nouuelle armee , il luy pourroit tollir
Confeil de fon eftat. A cefte fin alleguent auffi le confeil
Annibal que Annibal donna à Antiochus , fur le deffein
que ce Royfaifoit de mouuoir guerre aux Ro
mains,duquel eftoit la fomme,que les Romains
ne pouuoient eſtre vaincuz qu'en Italie, d'autāt
que dedans leur païs l'eftrangier pouuoit tirer à
fon feruice leurs armes , propres richeffes & a
mys : Mais quiconques les voudroit rencontrer
hors l'Italie,la leur laillant fauue, & libre, il leur
laiffoit vnfond & vne reffource , qui leur four
niroit toufiours tel renfort & refraichiffement,
que befoing feroit , & conclud qu'il eftoit plus
aifé d'emporter Rome aux Romains , que leur
Empire:plus aife conquerir l'Italie, que leur au
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 135
tres Prouinces.Ils nous mettent encores deuant
les yeux Agatocles , lequel ne pouuant foufte
nir la guerre chez luy , fortit & alla affaillir les
Cartaginois qui la luy menoient :tellement que
il les rangea en termes de demander la paix. Ils
alleguent Scipion,qui pour leuer la guerre hors
d'Italie entra en Africque. Ceux qui maintien
nentl'opinion diuerfe dient, que qui veut pour
chaffer la fin de fon ennemy le doit le plus que
peut eflongner de fa maifon : A quoy fe fer
uent de l'exemple des Atheniens , lefquelz au
temps qu'ils firent la guerre fur leur terroir , de
mourerent toufiours les maiftres , & quand ils
5 fortirent dehors , & pafferent leur oft en Sicile,
ils perdirent leur liberté. Ils fe veulent encores
ayder des fables poëtiques , lefquelles portent, Fable de
que Antcüs Roy de Lybie affailly per Hercu- Anteüs.
les l'Egyptien , fut inuincible tandis qu'il fe tint
dedans les fins & limites de fon Royaume : mais
fi toft que par l'aftuce d'Hercules il fut attiré
dehors n'y perdit moins que l'eftat & la vie.
Ce qui a donné lieu à la fable d'Anteus , que
touchant à terre il reprenoit force de fa mere
(qui f'entend la terre mefme ) dequoy Hercu
les fapperceuant , l'efleua en l'air haut de terre.
Oultre,ils fe fondent fur les iugemens de noftre
aage, Chacun fçait que le Roy Ferrand de Na
ples fut en fon temps en reputation de treffage
Prince , & venant le bruit enuiron deux ans a
uant fa mort, que le Roy de France Charles hui
Stiefme deliberoit le venir affaillir , apres auoir
DISC. DE NIC. MACCHIA.
mis ordre à toute munition & appareil necef
faire, fut furpris de maladie , & à l'article de la
1
mort , entre autres aduertiffemens qu'il laiffa à
Alphonfe fon filz , luy dit , qu'il attendift fon
ennemy dedas fon Royaume, & que pour cho .
fe du monde il ne tiraft fes forces hors de fes li
mites :mais que tout entier il y receut qui venir
voudroit. Ce que le filz ne retint , ains enuoya
vne armee en la Romagne , qu'il y perdit fans
combattre,& fon eftat enfemble. Or les raifons
qui fe peuuent deduire , outre les exemples en
tenduz cy deuant , font telles , que celuy qui af
faut vient auecques plus grand courage que l'at
tendant , ce qui double l'affeurance à fes gens;
d'auantage il priue fon ennemy de beaucoup
de commoditez , qu'il auroit de foy feruir du
fien , luy oftant le feruice de fes fubiectz qui ia
font faccagez. Puis le Seigneur ayant telz ho
ftes chez luy , eft contraint d'vfer de plus grand
refpect à tailler & impofer fes hommes & de
trop ne les trauailler : tellement que la fontaine
tarit (comme difoit Annibal ) qui eftoit moyen
de fouftenir le faix de la guerre. Oultre les fol
darz fe trouuans en païs eftrange font reduitz
en plus grande neceflité de combattre, laquel
le fait vertu ( comme i'ay dit plufieurs fois ) . De
l'autre part le peut refpondre, que celuy qui at
tend fon ennemy a pour luy beaucoup d'auan
tages,en ce qu'il peut fans peine ne danger fou
uent couper les viures aux autres , & les fafcher
& incommoder en maintes chofes, dequoy vne
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI.. 136
Bet armee a befoing. Puis il peut mieux empefcher
edi & deftourner leurs deffeins par la cognoiflan
ce du païs qu'il a par deffus cux. Il peut mar
cher contre eux en plus grande puiffance , luy
rd: eftant aifé tenir fur le lieu toute la force vnic,
fas laquelle il ne pourroit tirer toute hors de fes
res terres. Il peut (fi d'auanture il eft rompu ) fe rc
7001 faire facilement , d'autant qu'il le fauuera touf
L iours grande partie de fes gens pour le refuge
Hon qu'ils ont fi prochain , auffi que le fupplément
Sep & renfort ne luy viendra de loing. En forte que
ce faifant il met au hazard toute la force , &
jar non toute la fortune , & fortant dehors il ha
56 zarde toute la fortune , & non toute fa force.

Up Voire aucuns y a , qui pour affoiblir leur en


da nemy le laiſſent par quelques iournees entrer
en leurs païs , & prendre quelques places , à fin
que mettant garnifon en toutes il diminue &
Ed debilite fon oft, d'autant donc il ſera plus faci
le à combattre ,
d
04 Mais pour vous en declarer mon auis , il me Refolution
femble qu'il faut en ce propos vfer de cefte di- du difcours
ftinction : c'eſt à fcauoir, que, ou i'ay mon païs
armé , comme les Romains auoient, & comme
ont auiourd'huy les Suyffes : ou ie le tien def
armé, comme faifoient iadis les Cartaginois , &
font encores les Roys de France & les Italiens.
Or en ce cas l'ennemy fe doit tenir le plus ef
longné qu'il eft poffible, puis que ta vertu con
fifte en l'argent , & non és hommes : Car à l'in
ftant que la voye de ton fecours te fera empef
? DISC . DE NIC . MACCHIA.
chee , tu demeures fans pouuoir ne reſiſtance :
& n'y a rien qui tant te puiffe clorre ce pas, que
cefte guerre quali domestique. Les Cartaginois
font pour exemple, lefquelz tandis qu'ils onteu
la cleflibre de leur maifon, ont peu de leurs ren
tes faire tefte aux Romains , & eftans affailliz
chez eux n'ont fceu refifter à l'effort d'Agato
cles. Les Florentins n'auoient aucun remede
1 Caftruccio.contre Caftruccio feigneur de Luques , qui les
eftoit venu battre à leurs portes : tellement que
poar trouuer quelque deffence,furent cótraints
de føy rendre entre les mains du Roy Robert
de Naples : Mais , apres la mort de Caftruccio,
les mefmes Florentins eurent bien en eux le
cueur & hardieffe d'aller affaillir le Duc de Mi
lan iufques en la maifon , le mettant en peril de
perdre fon eftat. Telle vertu ils ont monftré és
guerres loingraines, & telle lafcheté és prochai
nes & domestiques. Mais quand les Royaumes
font armez come eftoit Rome , & comme font
les Suyffes, ils font plus difficiles à vaincre,d'au
tant que plus on f'approche d'eux : pource que
telz corps peuuent venir & affembler plus de
force à refifter à vn effort furuenant , qu'ils ne
feroient en affaillant autruy. Ie ne m'arrefte pas
en ceft endroit à l'autorité d'Annibal , pource
que la paffion & fon proufit particulier luy in
fpiroit tel propos à dire à Antiochus : Car files
Romains euffent eu en France en tel efpace de
teps trois telles deffaites, qu'ils receurent d'An
-nibal en Italie, certainement c'eftoit fait d'eux:
Au moyen
A SVR LA I. DECA . DE TÍT. LI.. 137
Aumoyen qu'ils n'euffent peu fe feruir des re
pliques de leurs armees, comme ils fen ayderent
en leur contree. Ils n'euffent eu celle commo
ODIC
diré de fe refaire apres la route , ne telle force à
refifter à leur ennemy qu'ils eurent là. Iamais
neletrouua que pour entrer en vn païs ils ayent
misaux champs plus de cinquante mille com
bartans : mais pour la deffenfe du leur ils mi
7011 rent en armes contre les François depuis la pre
miereguerre Punique dixhuit centaines de mil
lies , & depuis ne les peurent rompre en Lom
obbardie comme ils les ont rompuz en Tofcane:
ca parce que contre tel nombre d'ennemis ils ne
peurent conduire fi grande force fi loing , ne
Mcombattre auecques tant de commoditez & a
antages. Les Cimbres defirent vne armee Ro
tre c
maine en Alemaigne , fans qu'elle cut moyen
cr de foy releuer & remettre fus. Mais quand ils
Ume artiuerent en Italie, là où les Romains peurent
for 'allier enfemble toute leur puiffance, ils en eu
d'arent bien la raifon. Il n'eft que trop facile de
O
vaincre les Suyffes hors de leurs païs , d'autant
squ'ils ne peuuent mettre aux champs plus de
frente ou quarante mil hommes : mais dedans,
où ilsen peuuent affembler cent mil, il eſt trel-
difficile,le conclud doncques derechef, que le
Prince , quia fon peuple armé & ftilé à la guer
fire,attende toufiours en fon Royaume vne guer
& dangereufe , fans marcher au deuant:
ere forteceluy
A & que qui a fes fubiectz defarmez & mal

aguerris, l'eflongne le plus loing de fa terre que


Je S
DISC. DE NIC. MACCHIA.
il pourra: Ainfi l'vn & l'autre ( chacun en fon
degré ) fera en meilleure deffenfe.

Queplus on monte de baffe en hautefortune par


fraude,queparforce.

Chapitre XIII.

E tien comme pour oracle, que gue


res n'aduient, ou iamais,que les hom
mes de bas lieu paruiennent à haut
degré, fans force , ou cautelle : fil ne
leur cfcheoit par donation ou fucceffion d'au
tre , qui fut conftitué en tel eftat. Et croy qu'il
ne fut oncques veu , que la force feule fut mo
yen fuffifant , comme la fraude à fouuent eſté,
Ainfi qu'il appert par la vie de Philippe de Ma
cedone , par celle de Agatocles de Sicile , & de
maints autres , léfquelz de pauure lieu , ou infi
me & honteux , font venuz à occuper Royau
mes & Empires. Xenophon en fon hiftoire de
Cyrus. Cyrus nous apprent cefte neceffité de tromper:
confideré que le premier voyage qu'il luy fit en
treprendre contre le Roy d'Armenie eft plein
de fraude , & que le moyen qu'il luy donna à
conquerir fon Royaume gift en dol & non en
force. Dont il ne tire autre conclufion ,finon
qu'il n'eft neceffaire à Prince tendant à gran
des conqueftes de bien apprendre ce meftier,
Outre, luy fait iouer plufieurs tours de maiſtri
fe à Cirizar Roy des Medes fon oncle mater
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 138
nel,monftrant que fans ce moyen ne fut iamais
Cyrus paruenu à telle grandeur. Brief, ie croy
qu'il ne fe trouuera aucun efleué de bas lieu en
degré Royal par la feule force , mais affez par
fraude & menees fecrettes . Comme Ian Galea
ce tollit l'eftat de Lombardie à meffire Bernard
fon oncle. Et ce que font contraints de faire les
Princes fur le commencement de leur augmen
tation,& feront auffi contraintes les Republic
ques , iufques à ce qu'elles foient demourees.fi
puillantes, que la force feule leur fuffife. Rome,
Alc quien toutes chofes tenoit par fort ou election
tous les moyens neceffaires pour paruenir à tel
legrandeur,à ceftuy encores ne faillit. De quel
mole rufe pouuoit elle vfer plus grande , que celle
qu'auons cy deffus difcouru de focieté prati-.
queeauecques les Latins & autres peuples pro
chains , les reduifans à vraye feruitude fouz le Exeple des
nom & couleur de compagnie egalle ? Par ce Latins.
OFE moyen premierement fe feroient aydez à dom
rcpterde leurs armes, & affubiettir les peuples cir
conuoifins , & à fonder la reputation de fon e
ftat,defquelz domptez , accreut tellemét fa puif
fance,qui eftoit fi forte, qu'elle ne peut eftre ab
batue. Les pauures Latins ne fapperceurent de
leur feruage iufques à ce qu'ilz veirent les Sam
nires deux fois deffaitz & cótrains à accord,la
quelle victoire autant qu'elle augmenta l'eftime
& gloire des Romains entre les Princes loing
tains , leur faifant fentir le nom de Rome , fans
cacorcs fentir leurs armes, autant engendra elle
S ij
DISC . DE NIC. MACCHIA.
de foupçon & d'enuie en ceux qui voyoient &
fentoient leurs armes , entre lefquelz furent les
Latins.Voire telle fut celle crainte & enuie,que
non feulement les Latins , mais auffi les Colo
nies qu'ils auoient en Italie, enfemble les Cam
panois, n'agueres fouftenuz & deffenduz, con
ceurent tous contre le nom Romain. Vray eſt
qu'ils n'efmeurent guerre directe contre les Ro
mains,mais en la maniere deffus deduire la plus
frequente & vfitec. Ils fingererent à prendre
la deffenfe des Sidicins contre les Samnites, qui
leur meurent guerre , au congé des Romains.
Or qu'il foit ainfi , que cefte tromperie deſcou
uerte mift les Latins aux chaps, Tite Liue le de
clare par la bouche d'Annius Seticius Preuoft
des Latins,lequel tint en confeil ces parolles:

Namfi etiamnuncfub vmbrafœderis aquiferni


tutem pati poffumus &c.
Car fi nous auons encores le cueur de trainer
ce lien de feruitude , fouz ombre de focieté &
confederation egale &c.

Doncques voyons nous que les Romains fe


font aydez & auancez par menees & embuf
ches occultes , lefquelles ont toufiours efté ne
ceffaires à qui defiroit de bas faillir en haut de
gré : Et d'autant moins font vituperables , que
plus font clofes & couuertes , comme eftoient
celles des Romains.

1
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 139

Souuentesfois les hommes fabuſent, cuydans par


humilité vaincreoutrecuydance.

Chapitre XIIII.

N void fouuent qu'humilité por


'
te plus de dommage, que de pro
fit : mefmement quand vous en
vferez enuers les orguilleux &
infolens, qui ont conceu quelqué
hayne contre vous par enuie, ou autrement . De
quoyfaitfoy noftre Hiftorien au propos de ce
fteegue
g rre entre les Romains & les Latins . Car
feftans les Samnites plaintz aux Romains des
Latins , qui les venoient affaillir, les Romains
(de paour de les irriter ) ne leur voulurent pro
hiber, ny empefcher leur entreprinfe :Mais tant
fen falut que ce tour ne les irritaft , qu'il leur
donna cu eur de fattacher à eux mefmes , & de
pluftoft ofer defcouurir leur inimitié latente ,
{ comme declarent les parolles d'iceluy Preuoft
Annius en ce mefme confeil.

Tentaftis patientiam negando militem. Quis dubi


tat exarfiffe eos? Pertulerunt tamen hunc dolorem.
Exercitus nos parare aduerfus Samnites fœderatos
fuos audierunt , nec moueruntfe ab vrbe. Vnde hac
illis tanta modeftia , nifi cognitio virium & nostra
rum &fuarum?
Vous auez vne fois tenté leur patience en
leur refufant gens & fecours , doutez vous que
Sij
DISC. DE NIC. MACCHIAT
ce ne leur ait efté vn merueilleux ennuy & cre
uecueur ? Si l'ont ils auallé doux comme miel.
Depuis ont entendu l'appareil que nous faisons
à l'encontre des Samnites leurs alliez & con
federez, & n'en ont mis le pied hors de la ville.
D'où penfez vous que leur procede telle mo
deftic , finon de la cognoiffance qu'ils ont de
leur puiffance & de la noftre?
Par celà cognoit on combien la patience des
Romains accreut l'arrogance des Latins. Pour
ce cft il qu'vn Prince doit toufiours tenir fon
reng, & ne doit iamais rien tafcher de fon con
fentement ,fil veut fon honneur garder , finon
fon pou
ce qu'il pourroit maintenir, & en quoy
uoit ne feroit reuoqué en doute. Et quafi touf
iours mieux luy vaur , eftans les chofes en tel
eftat qu'il ne peut laiffer en la maniere que dit
cft, fc la laiffer tollir par force,que la quitter pat
crainte. Car fi la paour luy fait faire , ce n'eft
pour deftourner guerre, laquelle fouuent il fat
trait & efmçut de celuy à qui il aura aucune
chofe abandonné par pufillanimité euidente,
Car au lieu qu'il le penfe auoir contenté & de
ftourné de luy,pour liurer ennuy, il l'a plus ani
mé contre luy par ce faict , ayant amoindry la
reputation de fa force & vertu : tellement qu'il
voudra entreprendre fur luy autre chofe nou
uelle. Alors trouuera d'autre part fes amis re
froidis en fa faueur & deffenfe, par opinion de
fon impuiffance ou lafcheté. Au contraire, fi au
premier aduertiffement de l'entreprise de ton
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI.. 140
ennemy tu luy vas au deuant à main armee, en
core que tu viennes le plus fobre , fi eft ce qu'il
t'en eftime , & auffi les Princes d'al'entour.Et à
tel vient enuie de te donner fecours , te voyant.
ca armes , lequel n'en feroit compte fi tu ne te
mettois en deffenfe. Ce qui fentend lors que tu
as ennemy : mais fi tu n'en as point, i'cftimerois
toufioursfage party de rédre ce qu'on tiendroit
de l'autruy pour le regaigner, encores que guer
re fut ouuerte, & pour le diftraire, & quafi def
membrer du corps de voz ennemis.

Comme les eftatz, debilesfont toufiours incertains &


ambiguz à fe refoudre, que iamais les delibe
rations lentes & tardiues nefont bonnes.

Chapitre XV.

N cefte matiere mefme, & fur les


commencemens de la guerre en
tre les Romains & les Latins , on
peut noter comme il eft bon en
toute confultation defcendre au
particulier & indiuidu,dequoy on a à deliberer,
fans demourer toufiours en ambigu & fur l'in
certitude de la chofe. Ce qui fe void manifefte
en la deliberation que firent les Latins quad ilz
fe voulurent retirer & eftranger des Romains.
Car ayans les Romains auant fenty cefte mau
uaife humeur entree és peuples Latins , pour
facertener de tout , & regarder filz ne pour
Si
DISC. DE NIC. MACCHIA.

roient regaigner fans mettre la main aux armes,


leur firent entendre qu'ils enuoyaffent huit ci
toyens à Rome , pour confulter auecques eux
de quelque affaire. Les Latins , cecy entendu,
fe fentans coulpables de maintes chofes qu'ilz
auoient faites contre le vouloir des Romains,
faffemblerent , pour ordonner qui iroit à Ro
me , & leur donner commiffion de ce qu'ilz
auroient à dire. Et comme ilz eftoient au con
feil fur cefte difpute , Annius leur Preteur vfa
de telles parolles:

Propos de Adfummam rerum noftrarum pertinere arbi


Annius tror , vt cogitetis magis quid agendum nobis , quàm
Preteur des quid loquendum fit. Facile erit explicatis confiliis ac
Latins. commodarerebus verba.
Il me femble que trop plus nous importe de
auifer que nous auons à faire qu'à dire. Il fera
facile apres que la refolution fera prinfe , d'ac
commoder au fait les parolles.

Ce propos eft trefveritable, & que tout Prin


ce & Republique deuroit bien goufter. Car fur
l'ambiguité & incertitude de ce qu'autruy veut
faire, il eft difficile d'y accommoder le langage:
mais quand la volonté fera vne fois arreftee &
bien deliberé ce qu'on veut executer, il eſt aiſé
de trouuer que parler. I'ay noté ce paffage plus
volontiers , d'autant que i'ay fouuentesfois co
gneu , que telle ambiguité a porté hōte & dom
mage aux actions publicques de noftre Repu
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 141
blicque . Et toufiours auiendra ceſte ambiguité
en party douteux, & où y aura occafion de deli
berer, quand le confeil fera tenu par gens foy
bles & debiles . Encores ne font moins dange
reufes les deliberations lentes & tardiues que
les ambigues, mefmement celles qui fe tiennent
en faueur de quelque amy : car cefte longueur
& tardité ne donne fecours à perfonne , & fi
nuyft à vous mefmes. Telles deliberations pro
cedent , ou de lafcheté de cueur & de force, ou
de l'eſprit malin de ceux qui ont à deliberer.
Lefquelz incitez de leur propre paffion pour
vouloir ruyner l'eftat,ou accomplir autre defir,
1 ne laiffent pourfuyure la deliberation , ains y
mettent empefchement & trauerfes . Car les
bons citoyens ( encores qu'ils viffent vne flote
populaire ſe renger à la part plus perilleuſe ) ia
mais n'empefchent qu'on ne delibere , meſme
ment quand ce font chofes qui ne peuuét por
ter temps ne attéte . Apres la mort de Hyeromi
nus Tiran de Siracufe, eftant la guerre grande
entre les Cartaginois & les Romains , les Sira.
culains entrerent en difpute , laquelle ils de
uoiét fuyure de l'amitié de Rome, ou de Carta
ge.En quoy eftoit fi grande l'ardeur des parties,
que l'affaire demouroit en ambigu , fans qu'ils
choyfiffent aucun party , fi Apolonides I'vn des Remonſtra
premiers de la cité ne fe fuft leué , remonstrant ce d'Apo
par vne oraifon prudente , que ceux n'eftoient lonides.
àblafmer qui tenoient l'opinion d'adherer aux
Romains,ne ceux qui vouloient fuyure le party
DISC. DE NIC . MACCHIA.
de Cartage : mais que la longueur & ambiguité
de prendre l'vn ou l'autre party , eftoit mer
ueilleufement à detefter , comme voyant qu'en

elle gifoit la ruyne de la Republique : mais


que leparty pris , quel qu'il fuft , y auoit quel
que efperance de bien . Tite Liue ne fçauroit
mieux monftrer le tord & dommage qui fe fait,
quiconque fe tient ainfi fufpens que le retou
chant encores en ce cas des Latins , lefquelz e
ftans requis de fecours par les autres contre les
Romains , furent filongs en leur deliberation ,
qu'à l'heure qu'ils fortoiet hors des portes pour
marcher l'enfeigne defployee , la nouuelle leur
vint que leurs copagnons eftoient defaits.Dont
Milonius leur Preteur fe prit à leur dire:Ce peu
de chemin nous fera cher vendu par le peuple
Romain . Car fils cuffent refolu en temps de
donnerfecours, ou non, aux Latins , ne le don
nant , ils n'irritoient les Romains contre eux :
S'ils les vouloient ſecourir , en le faifant dili
gemment , ils pouuoient auecques l'ayde de
leur puiffance, emporter la victoire: Mais diffe
rens en telle langueur ils perdoient en toute
forteainfi qu'il leur auint . Et fi les Forentins
euffent bien noté ce point , ils n'euffenr tant
fouffert de dommages& d'ennuiz par les Fran
çoys qu'ils firent, quand le Roy de France Loys
Ludouic douziefme paffa en Italie contre Ludouic Duc
Duc demi- de Milan . Carle Roy traitát du paffage requiſt
lan. les Florentins d'accord & intelligence , & leurs
Embaffadeurs qu'ils auoient pres de fa maiefté
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 142
conuindret auecques luy qu'ils demoureroient
neutres, & que le Roy venant en Italie auroit à
les maintenir en leur eftat & prendre en prote
ction . Pour quoy ratifier dóna terme d'vn moys
à la cité.Cefte ratification fut differee par l'im
prudence de ceux qui fauorifoient le party de
France: tellement qu'eftant depuys le Roy fur le
point de victoire,& l'offrans les Florentins, elle
ne fut acceptee par celuy qui les iugea fe renger
rels . àfon amitiépar force, non de leur bon gré . Ce
qui coufta vne grande fomme de deniers à la ci
1
pour té,& mit leur eftat en dager, comme il luy auint
encores depuys par femblable cauſe . Et fut ce
Dont party plus dommageable , d'autant qu'on ne fit
pen rien pour le Duc Ludouic , lequel demourant
vaincucur cuſt moſtré plus de fignes d'inimitié
aux Florentins, que le Roy ne fit . Et combien
qu'il ayt efté deffus difcouru en autre chapitre
CLT du mal que cefte debilité porte à vne Republi
dil que,ie n'ay pour ce voulu laiffer à retoucher le
de propos , m'en eftant donnee occafion nouuelle
paraccident nouueau, me ſemblant matiere fort
OUT notable:mefmemét pour vne Republique fem
Ital blable àla noftre ,
Large
-[7
Combien lesfoldatz en noftre tempsfeflongnent
de l'ancienne ordonnance deguerre.
05%%
DA
Chapitre XVI.
pas
Repr
Let
DISC. DE NIC. MACCHIA.
A plus importante iournee que
eut iamais le peuple Romain en
aucune guerre , auecques quel
que nation que ce fuft , me fem
ble auoir efté celle qui paffa entre
luy & les peuples Latins fous le Confulat de
Torquatus & Decius : Car tout ainfi que les La desC
tins la perdans entroient en feruitude , les Ro atlant
mains n'euffent efté là de meilleure condition,
fils ne l'euffent gaignee .
Tite Liue eft de cefte opinion,lequel fait en bata
toutes parts les deux armees pareilles en nom ane
bre , vertu , obftination , & ordonnance : & fi coure
met difference en la feule vertu des chefz, qu'il Cu
tient auoir efté plus grande du cofté des Ro
mains . Oultre fe voyant en la conduite de celle
iournee deux accidens non encores veuz , & qui
ancqu
depuis ont eu rares exemples des deux Con comma
fulz , defquelz pour entretenir les cueurs des miespr
foldatz en deuoir & obeïffance militaires , & comm
pour leur accroiftre volonté de combatre , l'vn
foffrit à la mort, l'autre occit fon propre fils.La
21
fimilitude & egalité que Tite Liue dit eftre en
ces deux oftz , procedoit du long temps qu'ils That
auoient fuyuy les armes , enſemble vfoient de MOM
mefme ordre, langue , & armes . Et quant à or "h
donner leurs batailles tenoient vne mefme ma
niere , & auoient tant leurs ordres que les chefs
& Capitaines les noms femblables . Il falloit
doncques, eftans les forces & la vertu pareilles,
que quelque chofe extraordinaire accreuft le Ye
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 143
CC courage & obftination des vns plus que des au
10 tres , en laquelle obftination commune a efté
autresfois la victoire conftituce . Car tant qu'el
le dure es cueurs des combatans, iamais l'armee
enne torne doz, comme la maintint aux Romains
plus qu'aux Latins en partie le fort , en partie
a vertu des Confulz , qui fit à l'vn meurdrir
Rofonfils & l'autre tuer foymefmes .Et Tite Liue
en móftrant ceſte egalité de forces declare l'or
dre entier, que les Romains gardoient en leurs
eamees & batailles , lefquelles il deduit fi am
omplement , que befoin n'eft y repaffer . Seule
& ment difcoureray ce qui me femblera plus no
table , & qui par faute d'auoir efté gardé &
Roobferué par les Capitaines de noftre temps , a e
elleftecaufe de maints inconueniens & defordres.
le dy doncques qu'en ce paffage de Tite Liue
fe void comme l'oft Romain eftoit diuifé en
trois parties principales, lefquelles fe peuuet en
5, & Tofcan nommer Schiere , dont la premiere e
Te ftoient Haftatiles, piquiers : la feconde Principes,
s.1 les principaux & Seigneurs la tierce , Triary ,
les tierciers , ou arrieregarde. Et chacune eftoit
accompagnee de certain nombre de cheuaux.
Ainfi ordonnans leurs batailles mettoient ces
Haftatià l'auagarde : puys droit à leurs efpaules
mettoient les Principes: & au troifiefme lieu
derriere ordonnoient leurs Triary & certaines
troupes de gens de cheuaux à dextre & feneftre
des trois harilles : lefquelles de la forme du lieu
qu'ils tenoient ils appelloiet alles ; comme fem
DISC. DE NIC . MACCHIA.
blans eftre les alles de tel corps . Ils ordonoient
la premiere des Hastati ferree en front, en forte
qu'elle peuft rompre & foutenir fon ennemy.
La feconde bataille, pour ce qu'elle n'auoit à
cobatre la premiere : mais à fecourir la deuxief
me , f'elle eftoit rompue , ou repouffee , ils ne
la tenoient fi eftroite , ains maintenoient leurs
rengs plus clairs , en maniere qu'elle peuft rece
uoir en elle l'auangarde , fans foy mettre en de
fordre quand par fortune , contrainte luy feroit
de fe retirer . La tierce des Triary auoit encores
fes rengs plus efclarcis que la feconde , pour e
ftre capable des deux autres quad befoin feroit:
c'est à fçauoir des Hastati & Principes . Leurs
batailles docques ainfi rengees , ils entroient en
la meflee: Et fi les haftez eftoient forcez & vain
cuz fe retiroient es interualles & efpaces des
Princes . Puys tous enſemble vnis de deux ba
tailles failans vn corps, recommençoient la mef
lee . Et fi encores les deux iointes eftoient mifes
en route, fe r'allioient es rangs vuydes & larges,
qui leur eftoiét laiffez en l'arriere garde des Tri
aires : & lors ces trois parties affemblees en vn
renouuelloient la bataille . Et à ce coup , ne fe
pouuans plus refaire , perdoient ou gaignoient
la iournee . Et pour ce que quand l'arriere gar
de entroit au conflit , l'armee eftoit en danger,
de là vint le prouerbe.

Re: redacta eft ad Friarios.


SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 144
Qui vault autant à dire en Françoys: l'affaire
eft reduit à l'arriere garde & à l'extremité. Or les
Capitaines de ce temps, ayans delaiffé tout l'or
dre de l'ancienne difcipline , n'ont fait aucun
conte de ce cas cy , combien qu'il foit de tref
grande importance: car qui ordonne fon oft en
forte que trois fois fe puiffe reparer en vne iour
nee ,fault qu'il trouue trois foys fortune enne
mye pour perdre , n'ayant à rencontrer qu'vne
puiffance,qui doit eftre fuffifante pour les vain
cre trois fois . Mais qui ne farrefte qu'à la pre
miere rencontre ( comme font auiourd'huy les
armees Chreftiénes)fexpofe legierement à per
te. Car vn feul defordre vne moyenne vertu
luypeult tollir la victoire . Et ce qui empefche
nos armees de fe refaire trois foys , eft d'auoir
perdu la maniere de recueillir vne bataille en
l'autre , ce qui procede de ce que à prefent en
l'ordonnance d'vn oft l'on commet toufiours
I'vne de ces deux difcordes . C'eft à fçauoir, ou
que l'on met les batailles l'vne au doz de l'autre,
lestenant larges à trauers &peu efpeffes à droit,
ce qui les rend plus debiles ayans fi peu de la
poitrine à l'efchine . Et fi d'auenture aucuns
mieux auifez reduyſent leur oft à la façon Ro
maine , pour le tenir plus fort. Neantmoins fil
efcheoit que l'auangarde foit rompue , lors par
faute d'auoir lieu à foy retirer & fommer en la
bataille , auient que tous enſemble fembrouil
lent & fe mettent elles mefmes en defordre : A
caufeque fi celle qui eft deuant vient à eſtre for
DISC. DE NIC. MACCHIA.
cée elle heurte & rompt la feconde , laquelle
auffi ne peult faire tefte pour l'empefchement
que la premiere luy donne . Ainfi auient que
l'auangarde rompant la bataille , & la bataille
l'arriere garde, ne fault que le moindre accident
du monde pour mettre vne armee en route. Les
deux oftz des Françoys & des Eſpagnolz en la
Tournee de journee de Rauenne, où mourut le Seigneur de
Rauenne. Foix Lieutenat du Roy de France, qui fut pour
noftre temps bataille bien combatue , eftoient
ordonnez en l'vne des deux manieres deffus di
tes . Car l'vne & l'autre armee marchoit auec
ques toute fa gent ordónee aux efpaules, & trop
plus à trauers qu'à droit , en forte qu'ils ne fe
venoient à rencontrer que d'vn front. Ce qu'ils
pratiquent toufiours là où ils trouuent la large
campagne,comme ils auoiet à Rauenne : à cau
fe qu'ils connoiffent le defordre qu'ils font en
leur retraite , quand ils font mis àfile en tel or
dre ils fuyentà leur pouuoir , faifants le front
large ( comme dit eft) Mais file païs les ferre &
contraint , fe rengent en autre ordre ou (à vray
dire ) defordre , fans en pourpenfer le remede,
duquel pareillement ils vfent courans les ter
res de l'ennemy ou en fourage , ou autre fait de
Defaite des guerre. A fanto Regolo , & autres lieux où les
Floretins. Florentins ont efté deffaits par ceux de Pife, au
teps de la guerre efmeue entre eux par la rebel
lion de Pife,apres que le Roy Charles paffa en
Italie, autre en fut caufe d'icelle route , que la
caualerie,laquelle mife à la pointe eftant forcee
&
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 145
& rompue des ennemys fe vint mefler parmy
lesgésde pied Florentins, qu'elle rompit & mit
en teldefordre, que tous fe prindrent à tourner
ledos.Et depuis la fortune Meffer Criaco de Borgo,
Capitaine ancien des bandes de pied Florenti
nes,àplufieurs dift & afferma,moy prefent,que
parautre n'auoit efté lors defconffit , que leur
Ordre des
propre caualerie , les Suyffes qui font maiftres
desguerres modernes quandauecques lesFran- Suiffes.
Çoysilsveulent entrer en coflit,fur tout ils pré
hentgarde à coftoyer, non feconder, les gens de
cheual:à fin que les regardans de flanc, fils font
de malheur repouffez, ils ne les viennent à heur
ter& mettre en defordre . Et combien que ceft
Ordrefemble ayfé à comprendre & facille à pra
tiquer,& toutesfoys ne feft encores trouué Ca
pitaine de noftre temps qui enfuyue & imite la
difcipline ancienne & reforme l'abus de la nou 43
uelle.Bié eftvray qu'on partit l'armee en trois:
auangarde,bataille, & arriere garde: Mais ce
en nefert
là qu'à les loger & camper,& no à com
barre.En
quoy n'auient gueres ( comme deffus
aydit )qu'à tous ces trois corps ne coute touf
jours vne mefme fortune .Mais pour ce que plu
fieurs,en excufe de leur ignoráce , lleguent l'ar
tillerie
&autrpour e bonnempefcheme
edifcipl nt de pratiquer cefte
ine militaire ,ie veux bien
au fubfeque chapitre difputer cefte matiere ,
n
pour entendrte fi telle excufe eft raisonna .
ble

DISC. DE NIC. MACCHIA.
Combienfe doit en noftre temps estimer l'artillerie,
àfçauoirfil'opinion que nous en anons
eft vraye en vniuerfel.

Chapitre XVII.

Enant à confiderer , apres autres


difcours , combien les Romains
en diuers temps ont fait de con
flits champeftres , que l'on nom
me au iourd'huy iournee à la
mode Françoyle, & les Italiens appellent faits
d'armes , il m'eft fouuenu de l'opinion vniuer
De l'artil- felle de plufieurs, qui dient, que fi l'artillerie cuft
Lerie. cfté de leur temps, les Romains n'euffent eu tel
pouuoir & moyen de conquerir païs & foy ren
dre les peuples tributaires.
Brief, n'euffent iamais mis à fin telles & fi
hautes conqueftes . Outte dient, que par ces in
ftrumens de feu les hommes ne peuuent vfer ne
monftrer leur vertu , comme ils pouuoient an
ciennement . Ajouftent ce tiers point , que l'on
ne vient pas fi ayfément à la bataille qu'on fai
foit lors , & que l'on ne peult plus tenir & gar
der les rengs & ordres de ce temps là : tellement
qu'auecques le temps la guerre fe pourra redui
re à l'artillerie . Et ne iugeans hors de propos
difputer la verité de telles opinions , & com
bien l'artillerie auroit acreu ou diminué la force
des armees, & à fçauoir felles donnent ou oftét
aux bons Capitaines l'occafion de bien faire , ie
2.2
SYR LA.I. DECA . DE TÍT. LI . 148
Commenceray à dire quant à leur premiere opi
nion:Si l'oft antique Romain euft fait moins de
conqueftes , fi l'artillerie euft efté lors en regne.
Sur
quoy ie dy que toute guerre fe fait pour
deffendre , ou offendre , dont fault examiner a
uant toute euure à laquelle de ces deux efpeces
de
guerre elle porte plus de commodité , ou
CALES dommage . Et combien qu'il y ayt matiere à de
decea duire desdeux coftez : toutesfoys ie croy qu'el
no les fontfans comparaifon plus de tord au def
ti fendeur qu'à l'affaillant . Ma raifon eft, pour ce Dilemme.
பார்கள் que quiconque fe defend eft enclos dedas quel
mett queplace , ou en fon camp en la campagne. S'il
reut eft en vnc
‫םג יגי‬ place , ou la place eft petite comme
M fontla plupart des fortereffes, ou elle eft gran
A
OFIC de.Aupremier le defendeur eft du tout perdu,
moyen de l'impetuofité du Canon , qui eft
$ &! tellequ'elle ne trouue mur , de quelque efpef
feurqu'il foit ,qu'elle n'abate en
COST
de iours .
letst Etficeuxde dedans n'ont affez d'eſpace pour 4 Lej.point.
foy retirer à lafaueur de nouueaux follez & rem
DIS

pats
, ils
fenir l'effort
font perduz,
de leur& ne leur, eft
ennemy quipoffible fou
vcult entrer.
fin
34 tillerie
par la brefche du mur.Et rien neleur vault l'ar-
,eftantvne maxime , que là où les hom→
mes
peuuent entrer en foulle & furie , le canon
nele peult foutenir. Par ce moyen la fureur
Vltramontaine
n'eft foutenable en defence de

places, & les affaux des Italiens que trop , d'au


nfequ'ils
efant ne vont en bataille ferrez & joints
mble, m ais efpan v
duz & oletans ça & là.
Tij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Ce qu'ils ont nommé proprement efcarmou
ches . Or ceux qui vont en tel defordre & froi
deur en lieu garny d'artillerie, ils courent à leur
mort manifefte : car le canon eft trefbon contre
telles gens: mais ceux qui vont à la brefche pref
fez & ferrez l'vn pouffant l'autre , f'ils nefont
fouftenuz, ou de foffez , ou rempars, ils entrent
par tout mal gré l'artillerie . Et fil y en demeure
quelqu'vn, ce n'eft en tel nobre qu'il puiffe em
pefcher la victoire . Ce qui a efté efprouué eftre
vray en tant d'affaux de villes faits par les Vltra
montains en Italie , mefmement en celuy de
Prife de Breffe lors qu'elle fe rebella cotre les Françoys,
Breffepar fors le chaftcau qui tenoit encores pour eux.Les
Monfieur Venitiés pour fouftenir l'effort qui pouuoit ve
de Foix. nir de la fortereffe en la ville ,auoiet muny d'ar
tillerie tout le chemin defcendant de l'vn en
l'autre , & auoient affis leur canon en front , en
flanc, & en tout endroit commode & oportun:
de quoy monfieur de Foix ne fit conte , lequel
mettant pied à terre auecques fa bade paffa par
le mylieu & emporta la ville : & ne fut conneu
auoir efté receu par le canon aucun dommage
notable . Tellement que l'on void que qui tient
vne place de peu de circuyt & void fon mur par
terre,fans auoir lieu pour foy retirer au dedans
de nouueaux foffez & rampars, eftant contraint
de mettre fon affeurance en l'artillerie , plus ne
Ley.point doit douter de fa perte . Or fi tu tiés fort en pla
du Dilem- ce de grande eftandue, qui te done commodité
ine. de te retirer & remparer , neantmoins le canon
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 147
eft toufiours plus vtile à ceux de dehors que de
dans:caren premier lieu, à ce que tu puiffes nui
reparton artillerie à ceux qui font dehors,force
fera de toy leuer & elle plus hault que le plan de
taplace,pource que la tenant fur le plan , il ne
fault à ton ennemy qu'vne petite leuce de terre
pourle remparer & mettre en telle feureté, que
tunele pourras endommager,dont cftant con
traint de te hauffer & mettre fur les allees des
murs ou te leuer de terre en quelque maniere,
trenuclopes en deux difficultez . La premiere,
qtun'y peux mener artillerie de telle groffeur
CONS puifsace
& que peult tirer celuy de dehors ,d'au
tant que figrandes pieces ne fe peuuent tourner
& manier en fi petite efpace.L'autre eft, qu'ores
que bien l'y peuffes mettre , fi ne peux tu faire
rempars fi feurs & fermes , pour la fauuer come
peuuent tes ennemys qui font fur terre, meſme
ayans tellecommodité & efpace que bon leur
femble .Enforte qu'il eft impoffible à quideféd

vneplace detenir fon artillerie en lieu hault , fi


ceuxde dehors en font bien muniz . Et au cas
qu'il luy foit neceffité de la tenir en bas , elle luy
demeure inutile (come i'ay dit . ) Et par ce moye
la deffenfe de la cité fe vient reduire aux mains
ainfiqueiadis, & à la menue harquebuferie , de

laquelle filfe tire quelque peu d'vtilité , le con


trepois d'incommodité qui en fort l'emporte .
Car le refpect
parterre
rezde d'icelle les murs font defimolis
& quafi enfeuelis en tes foflez:Tel

lement que quand apres le combat on vient aux


Tiij
DISC. DE NIC, MACCHIA .
mains, ceux de dedas, foit à caufe de leurs murs
abatuz , ou de leurs foffez comblez & remplis,
tombent en plus de defauátages qu'ils n'auoiér
à lors . Ainfi comme i'ay dit deffus telz engins
feruent plus à ceux qui affiegét les places qu'aux
afficgez.Quat au tiers point de fe retirer & for
tifier en fon camp , pour n'eftre cótraint de co
batre,finon à ton auátage: ie dy qu'en ceſte part
tu n'as plus de remede ordinairement à t'exem
pter de la bataille que les anciens auoient, voy
re quelquefois l'artillerie te vient à defauanta
ge: Car au cas que l'ennemy furuienne ayantfur
toy quelque auantage de licu ou affiete de païs,
comme ilpeult affez auenir , & qu'il le trouue
en lieu eminent deffus toy, ou qu'il arriue auant
que tu ayes fair tes leuces de terre , ne faudra
point à te defloger & ieter hors de ton fort , te
contraignant de venir au combat . Ce qui auint
Journee de aux Efpagnolz à la iournce de Rauenne , lef
Rauenne. quelz feltans munis de la riuiere de Ronco & de
vne Argine, qu'ils n'auoient efleuee affez hault
pour les François qui les decouuroient , furent
contrains fortir de leur camp & venir à la meſ
lcc.Mais pofé (comme le plus fouuét doit eftre)
que le lieu où to camp eft affis,foir plus eminet
que celuy de ton ennemy, & que les Argini ful
fent bons & feurs, tellement qu'au moyen de la
fituation & de tes autres munitions ton enne
my ne t'ofaft affaillir , à lors faudra reuenir à la
vieille guerre & aux mefmes moyens que iadis
l'on pratiquoit , quand vn oft eftoit en lieu que
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 148
Tonne le pouuoit endommager. C'eft à fçauoir
courir le païs,piller, fourager,affieger les places
de ton aliace,couper les viures,en forte que for
ce te fera à la fin de decamper & defcendre au
conflit,auquel l'artillerie ne fert gueres, comme
je monftreray tantoft.Confideré docques quel- Refolution
les guerres ont fait les Romains , qui ont efté du difcours
prefque toutes non en leur corps defendant :
mais à l'offenfe d'autruy , l'on verra ( qu'eftant
Vray ce que t'ay maintenant difcouru ) qu'ils
euffent eu plus d'auantage, & cuffent pluftoft a
cheué leurs conqueftes, fil y euft eu artillerie en
leur temps.Quant au fecond point que les hom
mesnepeuuent mettre leur prouëffe,à l'occafio
de l'artillerie , en telle lumiere & euidence que
jadis ilspouuoient , ie dy qu'il eft bien vray que
au lieuoù il fefault tenir efpandu , que le dan
ger eft plus grád qu'il n'eftoit , comme à eſchel
*rvne place,ou donner tels affaults où les hom
mesnetiennent leufs rengs forts & ferrez, ains
fe doyuent prefenter chacun à par foy : Auffi eft
tray que les Capitaines & chefz de bandes font
plus expofez & fubmis au peril de la mort,pou
tás eftre attains du canon en quelque lieu qu'ils
fient & neleur fert de demeurer es dernieres
bandes & eftre enuironnez de la fleur & eflite
de leurarmee.Si eft ce qu'on ne void gueres par
I'vn & l'autre de ces deux dangers auenir dom
mages extraordinaires , veu que les places bien
munyes ne fefchellent point ne fy donc vo
lontiersaffau lt : mais pour les&
emporter f'y met

Tiiij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
le fiege comme anciennement. Et à celles qui fe
prennent d'affault,les perils ne font gueres plus
grans qu'ils eftoient : & ceux qui gardoient les
places auoiet affez dequoy bie traiter ceux qui
les venoient voir de fi pres, & fil n'eftoiét gar
nis de traits tant furieux , fi eftoient ils de fem
blables efait pour la mort & tuerie.Quát à l'oc
cifio des Capitaines,l'on trouuera qu'il en a esté
moins d'occis en xxiiij.ans que les guerres ont
duré en Italic, qu'é dix ans du temps paffe . Car
Capitaines hors mis le Comte Ludouic de la Mirádole, le
aceis par quel fut tué à Ferrare n'agueres que les Veni
artillerie. tiens y amenerent leur puiffance, & hors mis le
Duc de Nemours, qui fut occis à Cirignole , il
n'eft auenu fortune de canon à aucun chef de
guerre : car monfieur de Foix prit mort à Raue
ne par fer & non par feu . Tellement que files
homes ne font plus moftre particuliere de leur
vertu,il ne tiet à l'artillerie:mais au mauuais or
dre & debilité des armees,defquelles le tout de
faillant de bonté & valeur n'en peult rien faire
aparoiftre en partie.Quant au tiers point où il
dient que l'on ne peult plus venir aux mains, &
que la guerre fe reduira toute à l'artillerie.Ie d
que cefte opinion du tout eft faulfe, & que poir
telle fera tenue par ceux qui voudront condu.re
le tait des armes à la mode antique. Car qui vou
dra dreffer vne bõne armee,il fault qu'il la ftile
par exercices vrays ou faints, & l'acouftume à a
procher fon ennemy & à manier l'efpee, à le fa
fir au corps, & fe doit plus fonder für les fante
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 149
ries,que fur la caualerie,pour les raifons que de
clareray cy apres. Ce que faifant & fuiuant les
moyens ia deduitz , l'artillerie deuient du tout
inutile, de laquelle les gens de pied peuuet plus
aifément euiter la fureur , qu'ilz ne pouuoient
adis les Elephans,les chariotzfalquez, & autres Elephans.
telles rencōtres,que les fanteries Romaines ont Chariotz
fouftenu:& pluftoft cuffent trouué remede con falquez.
trela canonnerie,veu que le temps eft plus brief
qu'elle peut nuire, que des chariotz & Elephas.
Cat au milieu de la bataille ilz venoient rom
pre tout & mettre en defordre.Et cecy ne peut
empefcher,que deuant la meflee dequoy les fan
teries fe fauuent bien en marchant , couuertes
de la nature du lieu, où febaiffant en terre quád
vient le coup.Ce qu'encores on a trouué n'eftre
pasneceffaire , & mefmement pour foy deffen
dre de la groffe artillerie , laquelle ne fe peut
bracquer en forte , que fouuent elle ne te perde
de coup,eftant la mire haute: & fi elle baiffe, elle
nedonne iufques à toy. Et apres que l'on entre
en la meflee , il est plus clair que le iour , que la
groffe & la menuë ne te peuuent plus faire of
fenfe.Car fi celuy qui a l'artillerie eft au deuant,
il deuient ton prifonnier : f'il eft derriere, il en
dommage premier les efpaplles des fiens, que le
front de fon ennemy: & encores ne te peut ferir
enforte,que ne les puiffes aller trouuer, & qu'il
n'en enfuyue tel effect que ie difois. Brief, cecy
requiert longue difpute , veu l'exemple que les suiffes à
Suyffes en donnerent à Nouarre l'an mil cinq Noarre,
DISC . DE NIC. MACCHIA.
cens treize , où fans caualerie aucune ilz furent
. rompre l'oft des François dedans fon fort , qui
en eftoit bien muny , fans qu'elle leur donnaſt
empeſchement ne deftourbier quelconque. ¡La
raifon eft (outre ce que i'ay defia dit ) parce que
l'artillerie ( qui voudra qu'elle ferue ) doit eftre
gardee de muraille,foffez, ou leuces de terre : &
quand vne de ces gardes luy defaut , elle vient
incontinent és mains des ennemis, ou demeure
inutile, comme quad elle n'a autre deffenfe que
des hommes. Ce qui luy auient en bataille qui
fe donne en plaine campagne. Es flans elle ne
peut feruir , finon ainfi que les anciens vfoient
de leurs inftrumés à trait, qu'ilz mettoient hors
de l'armee, & toutes & quatesfois qu'ils fe trou
uoient enfoncez & repouffez par la caualerie
ennemie , ou autre effort , leur refuge eftoit au
dedans de leurs legions. Quiconque en fait au
tre conte ne l'entend pas , & fe fie en vne choſe
qui le peut facilement deceuoir. Et fi le Turc
par le moyen de l'artillerie a eu victoire contre
Sophi & le Soudan, celà n'auient par autre ver
tu, que par l'efpouuantement inacoutumé, que
le bruit de l'artillerie mit parmy leurs cheuaux.
Dont ie conclud pour la fin de ce difcours, que
l'artillerie eft vtile, quand elle eft meflee en vne
armee auecques l'antique vertu , fans quoy elle
eft du tout inutile contre vn oft puiffant & ver
tueux,
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 150
Commepar l'autorité des Romains, par les exem
ples de l'antique vfance deguerre,l'on doit plus
eftimer lesfanteries & gens depied,
que la caualerie.

chapitre XVIII.

'On peut par plufieurs rai


PX fons & exemples möftrer
clairement cóbien les Ro
mains en tous exploitz de
guerre eftimoiet plus leur
fanterie, que leur gendar
merie, & come fur icelle
ilz fondoiét tous les deffeins de leur puiffance .
Ce qu'ilz ont declaré euideminét ( entre autres
lieux ) en la bataille qu'ilz donnerent aux Latins
pres du lac Regille, où fefbranlant defia l'armee
Romaine à la fuite, firét (pour remede certain)
US à tous leurs gens de cheual mettre pied à terre,
& par telle voye renouuellerent la melee dont
ilz emporterent la victoire . En quoy l'on void
manifeftement que plus grande fiance auoient
en eux,eftans à pied,que mõtez.Et de ce moyen
vferent en maintes autres iournees y trouuans
toufiours vray ſecours & confort en leurs dan
gers. A quoy l'on ne doit expofer l'opinion dé
Annibal,lequel voyant à la iournee de Cannes ,
que les Confulz auoient fait defcendre leurs
Cheualiers dit en fe mocquant de tel party:
Quàm malem vinctos mihi traderent equites.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
I'aymerois trop mieux qu'ilz me les liuraf
fent tous liez & garrottez .
Mais combien que cefte opinion foit fortie
de la bouche de fi excellent perfonnage, neant
moins,fil eftoit queftion d'aller à l'encontre de
l'autorité , pluftoft deuroit on adiouſter foy à
vne Republique Romaine , & à tant de gentilz
Capitaines qui regnerent en icelle , qu'à vn feul
Annibal, encores que fans autorité fen trouuét
raifons trop cuidentes . Car l'homme de pied
peut marcher en maints lieux où le cheual ne
pourroit, & luy peult on monftrer à garder or
dre , & à le reprendre quand il l'auroit perdu.
Ce qui eft difficile à faire à cheuaux, principale
mét à les r'allier depuis qu'ilz font vne fois mis
en defordre. Outre , fe trouuent des cheuaux ,
comme des hommes,qui ont faute de cueur, &
d'autres qui n'en ont que trop. Puis auient fou
uent qu'vn bon cheual ne porte rien qui vaille:
& au contraire, qu'vn brauc & vaillant cheuau
che vne roffe. Dont enfuit toufiours quelque
inconuenient & defordre, en quelque forte que
telle inegalité fe rencõtre . Les quadrons de fan
teries bien ordonnez peuuent facilement rom
pre les chcuaux, & à grande difficulté fe laiffent
rompre à eux : laquelle opinion eft confermee
(outre plufieurs exemples anciés & nouueaux )
par l'autorité de ceux qui donnent reigle des
chofes politiques , lefquelz nous racontent que
les premieres guerres le faifoiet à cheual, & que
l'ordre des gens de pied ne fut fitoft inuenté &
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI.. ISI
pratiqué : mais incontinent qu'il fut ordonné,
que l'on cogneut combien il eftoit de plus gran
de vtilité que l'autre. Pourtant n'eft à dire que
la caualerie ne foit neceffaire en l'oft, tant pour
deſcouurir,auátcourir, & aller en fourrage, que
pour executer la victoire en pourfuiuat les vain
cuz,& auoir dequoy faire contrecarre aux che
uaux des ennemis . Mais le nerf & fondement
d'vne armee, & ce qui plus fait à eftimer ce font
les fanteries. Et entre les fautes des Princes &
feigneurs Italiens , qui ont reduit l'Italie en la
fubiection & feruitude des eftrangers , la plus
t grande eft de n'auoir tenu conte de ceft ordre,
& de feftre trop fié & arreſté à la caualerie, le
quel defordre eft venu de la malignité des chefs
‫آئ‬ & de l'ignorance de ceux qui tenoient & ma
nioient l'eftat, Pource qu'eftant la conduite des
armees Italiénes, depuis vingtcinq ans, en main
de gens fans eftat , comme Capitaines auantu

JU riers , penferent foudain comme ilz pourroient


maintenir leur reputation eux eftans armez , &
leurs Princes defarmez.Et pource qu'vne groffe
armee de gés de pied ne leur pouuoit eftre con
tinuellement à leur folde, n'ayans auffi telz fub
ietz de qui ilz fe peuuent feruir , & qu'vn petit
nombre ne le pourroit tenir en puiffance & au
torité,fe ruerent doncques fur les cheuaux. Car
deux ou trois cens cheuaux qui eftoient paiez à
vn conducteur , le maintenoient en reputation ,
ioint que le payement n'eftoit fi haut que les
gens tenans eftat n'y peuffent bien fournir, A
DISC. DE NIC. MACCHIA.
cefte fin leuerent hors toute l'affection & efti
me qu'on auoit des fanteries, & la tournerét ſur
les cheuaux.Et tant creut fe defordre,qu'en tou
te armée, tant groffe fut elle, toufiours la moin
dre part eftoit de gens de pied. Laquelle vfance
auecques autres defordres qui fe meflerent en
femble a rendu les armes Italiennes fi debiles,
que cefte prouince ne femble plus faite q pour
eftre tous les jours foullee aux piedz par tous les
Vltramontains. Ceft erreur de plus eftimer les
cheuaux que les fanteries, fe monftre plus aper
tement par vne autre exéple Romaine.Les Ro
Camp de mains cftoient campez deuant Sora , & fortant
Sor.i. hors de la ville quelque troupe de cheuaux pour
furprendre ceux du camp, le maistre de la caua
lerie Romaine alla au deuant, & la fortune vou
lut que les deux chefz des deux armees furent
naurez à mort à la premiere rencontre : le reſte
demeuré fans conduitte , neanmoins continuas
le conflict. Quoy voyans les Romains, pour en
auoir plus facilement le bout , mirent le pied à
terre, contraignans leurs ennemis d'en faire au
tant,filz fe vouloiét deffendre.Et par ce moyen
les Romains emporterent la victoire. Il ne fe
pourroit trouuer plus fort exemple pour con
fermer la vertu des fanteries par deffus la caua
lerie: Car fi és autres faitz de guerre les Confulz
faifoient defcédre leurs gens de cheual , c'eftoit
pour ſecourir les gens de pied eftans en danger,
& ayans meftier d'ayde : Mais en ce lieu ilz de
fcendirent,non pour le fecours de leur fanterie,
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 152
ne pour combatte celle de leur ennemy : mais
au conflit de cheuaux contre cheuaux iugerent,
que ne les pouuát furmonter à cheual, ilz en au
roient mieux la raiſon ſoy mettát à pied.Ie veux
donques conclure, qu'vne fanterie bien ordon
nce ne peut fans grande difficulté eftre vaincue,
que par autre fanterie. Craffus M.Antonius a
Becques petit nombre de cheuaux & bonne ar
mee de gés de pied coururet par plufieurs iours
laterre des Parthes, qui leur faifoient tefte auec
quevne caualerie innumerable, Craffus y fut oc- Mort de
cis auecques partie de fon armee, M,Antonius le Craſſus.
fauua vertueufement. Encores fe peut veoir en
cesaduerfitez Romaines combien valoit mieux
I'vn que l'autre : Car combien qu'ilz fufſent en
va païs de large eftendue, où les mõtaignes font
: rares,les riuieres encores plus , la marine loing
taine,briefeflongnez de toute comodité: nean
moins M.Antoine au iugemét des Parthes mef
mes ,fe tira brauement hors de danger, & toute
la caualerie Parthique n'eut onques la hardieffe
devenir tenter les rengz de fon armee.Si Craffus
ydemoura , quiconque lira bien fes actes, verra
qu'il fut plus deceu que forcé, & en tous les def
ordres iamais n'oferent les Parthes le heurter:
ains l'allans toufiours enferrant , luy empefchás
les viures,luy faifans des promeffes qu'ils ne luy
tenoient point,le conduirent en fin en cefte ex
treme mifere. le penferois auoir plus de peine
à perfuader combien la fanterie eft de plus grá
de vertu que les cheuaux , fil n'y auoit affez
DISC. DE NIC . MACCHIA.
d'exemples de noftre temps, qui en rendet clair
Tournee de & plein tefmoignage. On a veu neufmil Suyf
Nouare. fes à Nouare , cy deffus alleguee,aller affronter
dix mille cheuaux , & autat de gens de pied, que
ilz vainquirét:parce que les cheuaux ne les pou
uoient offendre : & la fanterie la plufpart eftoit
de Gafcons mal ordonnee, dequoy ilz faifoient
peu de cas. Depuis vingt fix mil Suyffes furent
trouuer le Roy de France François pres de Mi
lan,qui menoit vingt mil cheuaux, quarante mil
hommes de pied , & cent chariotz d'artillerie.
victoire du Et filz ne gaignerent lors la journee, comme ilz
Roy Fran- auoient fait à Nouare, fi eft ce qu'ilz combatti
çois contre rent deux iours vertueufement . Et apres qu'ilz
les Suyffes, furent rompuz, encores la moitié d'eux fe fauua.
Marcus Attilius Regulus non feulement prefuma
auecques fa fanterie fouftenir les cheuaux : mais
auffi les Elephans.Et fi fon deffein ne luy fucce
da , toutesfois la vertu de la fanterie ne laiffa de
eftre telle qu'il auoit mis en elle la confiance en
tiere de fa victoire. Partant ie dy derechef , que
qui voudra deffaire vn oft de gens de pied bien
ordonez, luy eft neceffaire de leur en mettre en
barbe d'autres rengez en meilleur ordre, autre
ment feroit courir en perre manifefte. Au temps
de Philippe Viſcontin Duc de Milan defcendi
rent en Lombardie enuiron feize mil Suyffes, le
Duc enuoya Carmignole fon Capitaine au de
uant d'eux auecques mil cheuaux & peu de gés
de pied,lequel mal informé de leur ordre de có
battre les alla rencontrer auecques fa Caualerie,
pre
SVR LA 1. DECA. DE TÍT. LI. 153
prefumant incontinet les rompre:mais les trou
uant immobiles , apres y auoir perdu plufieurs
de lesgens,il fe retira. Et comme vaillant hom
me,& qui bien fcauoit fur les accidés nouueaux Tour dus
prendre nouueaux partiz & remedes , renforcé Capitaine
de gens,les alla trouuer , & à la rencontre com- Carmigno
manda à toute fa gedarmerie mettre pied à ter- le.
:de laquelle faifant tefte à fes fanteries , alla
Inveftir les Suyffes , fans qu'ilz f'en peuffent gua
fentit.Car aux gendarmes de Carmignole ,eftás
apied & bien armez, facile leur fut d'ouurir &
fendre les rengz des Suytfes,fans y receuoir do
mage,& affez les pouuoient endomager quand
z furent dedans. Aufi de toute celle troupe
‫ביוני‬
n'endemoura partie viue, que celle
de Carmignole que l'huma
mnité preferua. Ie croy que plu

feurs cognoiffent la differece de la vertu qui eft


fuct entre ces deux ordres:mais tel eft le malheur &
infeliciré de noftre aage , que ne les exéples an
ceen ciens,nerecens ,ne la confeffion de l'erreur fuf

F, qa firàfairequeles Princes de noftre temps fe r'a


uilent& entendent, que pour vouloir donner
bie
P66re64 loz&bruitaux armes d'vne Prouince, ou d'vn

ww eftat, il eft neceffaire reffufciter télz ordres,fen


feruirvolontiers, leur donner reputation & vie,
COC
afin qu'ilz leur rendent vie & reputation . Et
comme ilz deuroient vfer de ce point , autant
deuroient
ilzdes autres difcouruz cy deflus . Et

par cefte faute auient que les acqueftz portent


avn eftat plus de dommage , que d'augmentá
tiondegrandeur,commedeffou s fera dit.

V
DISC. DE NIC . MACCHIA.
Que les acqueftz en Republique mal ordonnee, &
qui neprocedefelon la vertu Romaine ,luy
tournent à ruyne plustoft qu'à ac
croiffement & auantage.

chapitre XIX.

Es opinions contraires à la
verité, fondees fur les mau
uais exéples introduitz par
ce fiecle corrópu, font que
les homes ne pensent à laiſ
fer leur maniere & train ac
couftumé. Qui eft ce qui
cuft peu perfuader à vn Italien , tréte ans y a,que
dix mil hommes de pied euffent peu affaillit dix
mil cheuaux en pleine campagne?voire accom
pagnez d'autant de gens de pied , & non feule
ment auoir combattu ,mais vaincu : comme il fe
void par l'exemple de Nouare , par nous main
tesfois allegué ? Et combien que les hiftoires en
foient pleines ilz n'y euffent iamais preſté foy,
& fi foy euffent prefté , encores cuffent ilz dit
que l'on farme trop mieux en ce temps cy , &
qu'vn efcadron d'homes armez eftoit pour hur
ter vn rocher , non pas vne fanterie feulement.
Voila les faufes excufes , par lefquelles ilz fe cor
rompent & deprauent le iugemét. Et n'auroiét
pas confideré que Lucullus auecques petit nom
bre de gens de pied rompit cent cinquante mil
cheuaux de Tigranes , & qu'en cefte armee de
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI 154
cheuaux y auoit vne forte de caualerie toute
femblable à noftre gédarmerie. Et ainfi cefte o
pinion abufiue a efté defcouuerte par l'exemple
dessgens delà les monts. Et comme l'on void en

ce cas eftre vray ce que l'hiftoire raconte quarà


la fanterie,ainfi deuroient ilz croire tous les au
tresordres antiques eftre vtiles & veritables.Et
quand cepoinct auroit emporté foy, les Repu→
bliques & les Princes feroient moins de fautes,
feroiérplus fortz à foppofer à vn effort qui leur
furuiédroit, ne mettroient aucune efperance en
la fuite.Et ceux qui auroiet entre mains vn gou
ternement ciuil,le fcauroiét vn peu mieux dref
fer,ou
par voye d'amplifier & augméter, ou par
voyedemaintenir : & croiroiét que peupler &
accroiftre fa cité d'habitás,faire compagnons &
no fubiets,enuoier colonies pour garder les païs
decoquefte,faire distribution du butin, dópter
pat courfes fon ennemy, plus vfer de iournees q
IN
t de fieges,tenir riche le publique, & le priué pau
res
reureentretenir les armees auecques tout foing &
diligece:telles font les voyes à vne Republique
pour paruenir à grádcur & coquefte d'Empire.
Er quad cefte maniere de faugmentet & ampli
ferne plairoit, peferoit q les acqueftz par toute
Autrevoye font la ruyne d'vne Republique , &
mettroit frein à toute ambitio, reiglás bié & eſta
bliffans fa cité au dedans par loix & couftumes
probibitiues des acqueftz , & penfans feulemét à
foydefendre & tenir fes defenfes bie ordónces ,
comefontlesRepubl
iqs d'Alemaigne : Icfquck
Vij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
les par telz moyés viuent & ont vefcu libres va
temps.Neantmoins, comme autresfois ay dit en
difcourant la differéce qui eftoit entre l'ordon
nance pour acquerir, & l'ordonnance pourfoy
maintenir , il eft impoffible qu'il fuccede à vne
Republique de demourer en repos & ioüyr de
fa liberté auecques petitz limites : Car fi elle ne
molefte les autres elle fera moleftee. Et eſtár en
cefte peine luy viendra enuie & neceffité d'ac
quefter, & fila faute d'ennemis dehors il en
trouuera chez luy, come femble neceffaire qu'il
auienne entre tous grans citoyens. Et fi les Re
publiques d'Alemagne peuuent viure en cefte
forte, & y ont peu durer vn temps, celà procede
de certaines conditions qui font en ce païs , &
non en autre, fans lefquelles elles ne pourroient
tenir cefte maniere de vie. Cefte partie d'Ale
maigne ( dequoy ievous parle ) eftoit fubiecte
comme la France & l'Espagne àl'Empire Ro
main:mais venat depuis l'Empire à declin, & le
tiltre d'Empire reduit en celle prouince , telles
citez prindrent commencemet plus puiffantes,
felon la lafcheté de cueur & neceffité des Em.
pereurs,à foy mettre en liberté , fe racheptas de
l'Empire, en luy referuat quelque petit cens an
nuel . Tellement que peu à peu toutes ces citez ,
qui fans moyen eftoient à l'Empereur, fans eftre
fubiettes à aucun Prince , fe font racheptees en
femblable maniere . Auint au mefine temps que
DuedAu ces citez fe racheptoient, que certaines commu
firiche.nautez foubmifes au Duc d'Auftriche fe rebel
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. ISS
lerent corre luy,entrelefquelles furét Fribourg,
les Suyffes,& autres femblables : lefquelles pro
fperans dés le commencement prindrent peu à
peu tel accroiffement, que non feulement ilz ne
font retournez fouz le ioug d'Auftriche , ains
tiennent tous leurs voisins en crainte , & font
ceux quel'on nome Suyffes. Cefte prouince eft suyffes.
docquesdiuifee en Suyffes, Republiques ( qu'ilz
appellét terres fráches) Princes, & l'Empereur .
Erla caufepourquoy en telle diuerfité de viure
nenaiftpoint de guere , ou fil en naift, ne dure
guere,celà eft figne de l'Empereur,lequel enco
resqu'il n'ait grades forces , neatmoins il a telle
reputatió entre eux, qu'il leur eft vnique appoin
teur,& interpofant fon autorité cóme moyen
neur , eftaint foudain tout fcandale : & les plus
grandes & plus longues guerres qui ayent efté,
fontcelles des Suyffes& du Duc d'Auftriche.Et
Racóbienque puis plufieurs ans ença l'Empereur
& le Duc d'Auftriche ne foit qu'vn , toutesfois
dailiamais
speu fubiuguer l'audace des Suyffes,
fans qu'il fe foit iamais trouué aucun moyé d'ac
cord,finonpar force,voire le refte de l'Alemai
gneneluyaguereporté d'aide: tát parce que les
comunitez ne
peuuent offenfer ceux qui veulet
viureen liberté come eux, que parceque de telz
Princesaucuns ne le peuuent par pauureté , les

Cescómunautez
autresne par enuie fur leur puiffance.
le veulétdonéques
peuuent viure con
tentesdeleurpetit domaine,n'ayas caufe (pour
le regard de l'autorité imperiale ) de le defirer

V iij
J

DISC. DE NIC. MACCHIA.


plus grand. Elles peuuet viure vnies dedas l'en
clos de leurs murs ayans l'ennemy prochain, &
occuper
qui prendroit l'occasion de les occupe r ,felles
,
tomboiét en difcord . Et fi cefte prouince eftoit
autrement conditionnee , il leur conuiendroit
chercher moyen de f'accroiftre & rompre leur
repos .Et pource que telles conditions ne fe ren
contrent en autre lieu , ce moyen de viure nefy
peut pratiquer, & eft force de faggradir ou par
le moyen des ligues, ou par celuy des Romains.
Et quiconque autrement fe gouuerne,il ne cher
che pas fa vie, mais la mort & ruyne.Car en mil
le fortes & par plufieurs cauſes les acqueſtz ſont
dommageables , d'autant qu'il eft bien poffible
d'acquerir terres,fans acquerir force, & qui fair
auffi l'vn fans l'autre,il faut qu'il aille en ruyne.
Celuy qui par guerre fapauurit ne peut acque
rir force & combien qu'il foit victorieux : parce
qu'il y met plus qu'il ne tire de fes acqueftz, có
me les Venitiens & les Florentins ont fait , lef
quelsfe font trouuez beaucoup plus debiles lors
que l'vn tenoit la Lombardie , & l'autre la To
fcane,que quand l'vn fe contentoit de la mer, &
l'autre de fix mille d'eftendue : & tout cft auenu
i de cefte volonté d'acquefter,fans auoir entendu
lemoyen qu'il faloit tenir. Ce qui merite d'au
tant plus de blafme , qu'ilz ont moins d'excuſe,
ayans veu la maniere obferuce par les Romains,
defquelz ilz pouuoient fuiure l'exemple : laquel
le les Romains de leur prudéce mefme, fans au
tre imitation , ont bien fceu trouuer . Outre ce,
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 156
les acqueftz font quelquefois non petite playe
àtoute Republique bien ordonnee , quand on
acquiert vne cité ou prouince pleine de delices:
hoù telles meurs fe peuuent apprendre par la
Conuerfation que l'on a auec eux .Comme auint
Rome premierement en la conqueſte de Ca
pue, & depuis à Annibal : & fi Capue eut eſté
pluslointaine de la cité, que l'erreur des foldatz
n'euteu le remede prochain , ou que Rome eut
efté corrompue en aucune partie , fans difficul
té celle conquefte eftoit la ruyne de la republi
que Romaine. Dequoy Tite Liue fait foy en ces
parolles:

lamtunc minimèfalubris militari difciplina Ca


(inftrumentum omnium voluptatum ) delinitos
militum animos auertit à memoria patria.

Lors Capue peu falubre à la difcipline mili


taire(inftrument de toute volupté ) par fa deli
17 cateffe deftourna les cueurs des foldatz de la
fouuenance du païs.
A la verité telles citez ou prouinces fe ven
gent du vainqueur fans coup ferir :parce que les
rempliffans de leurs mefchantes meurs , les pre
parent & difpofent à eftre vaincuz par quicon
que les affaudra. Ce que poffible n'eftoit de
mieux confiderer que Iuuenal a fait en fes Sa
tyres , difant , que par la conqueste des païs c
franges , les eftranges meurs eftoient entrez és
efpritz Romains ; & en change de vie modefte
V iiij
DISC. DE NIC, MACCHIA,
& reiglee, & d'autres trefexcellentes vertuz.

Gula&luxuria incubuit, viétúmque vlcifcitur orbě.

Gloutonnie & luxure au lieu de vertu viennét,


Pour le monde vaincu contre eux vengeance
prennent.
Si doncques les acqueftz peurent tant porter
de prejudice aux Romains au temps qu'ilz ma
nioient leurs affaires auecques telle prudence
& vertu , que feront ilz à ceux qui procedent
par moyens fi eflongnez ? & qui outre les autres
fautes qu'ilz commettent (dequoy a efté deffus
amplement difcouru ) fe feruent de foldatz mer
cenaires,ou auxiliaires, dont leur auiennent fou
uent les inconueniens,defquelz le chapitre ſuy
uant fera mention .

En queldangerfe met le Prince, & la Republi


que,quifefert de folde auxiliaire,
ous mercenaire.

Chapitre XX.

I ie n'auois amplement traitté en


autre mienne œuure quel peril &
dommage procede des foldatz e
ftrangers & mercenaires, & quelle
vtilité gift és armes des propres
fabietz & vaffaux , f'en tiendrois ores plus long
difcours que ie n'en feray: & ne m'a femblé rai
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 157
fonnable de paffer ce point en filence , faifant
icy Tire Liue ample mention des foldatz auxi
liaires.Or font auxiliaires ceux qu'vn Prince ou
Republique enuoye tous payez auecques leurs
Capitaines à ton fecours.
Etpour toucher l'hiftoire:LesRomains apres
aoir deffaitdeux oftz des Samnites pour leurs.
amees enuoyees au fecours des Capuains, & par
leur victoire ayans deliuré Capue de celle guer
te ,lors voulans retourner à Rome, laifferent là
deux legions pour la defenfe du païs , de peur
queftans defpourueuz de garnifon ils fuflent
derechefproye à leurs ennemys :Mais ces le
gionsdemourans en paix & oyfiueté, commen
0 cerentà y prendre gouft & plaifir en telle forte,
J quemettans en oubly le païs & la reuerence du
Senat ,pourpenferent de prendre les armes, &
vlurper la feigneurie du païs , que par leur ver
tu ils auoient fauué , & leur fembloit que les
habitans fuffent indignes de tenir les biens que
ils nepouuoient garder & defendre . Mais ce
fteentreprife defcouuerte aux Romains fut par
eur opprimee (comme fera monftré amplemét
aulieu où nous traiterons des coniurations ) ic
dy doncques qu'entre toutes les manieres des
foldatz , les auxiliaires font les plus dangereux,
d'autant que le Prince ou la Republique qui les
employe enfon affaire n'a fureux autorité quel
conque : mais celuy qui les enuoye. Car ce font
gens ( comme i'ay dit ) qu'vn Prince leue pour
le fecourir, & enuoye foudoyez fous leurs pro
DISC.
isc. DE NIC. MACCHIA.
pres Capitaines & enfeignes , telz que furent
ceux que Rome enuoya à Capue lefquelz apres
la victoire fe ruét auffi toft fur ceux qui les ont
amenez que fur leurs aduerfaires , foit que ce bo
tour fe conduyfe par la trahifon & peruerfe vo
lonté de leur maistre , ou par leur propre con
uoytife & ambition . Et combien que ce nefuft
l'intention des Romains de ropre l'accord & les 10%
conuenances qu'ils auoient auecques les Ca
puains :neatmoins telle fut l'occaſion & oppor
tunité qui fe prefenta à leurs foldatz , qu'ils ofe
rent machiner & entreprendre d'occuper la ter
re & l'eftat des Capuains.Ie pourrois confirmer
ce poinct par plufieurs exemples & tefmoigna
ges:mais ores me contenteray de ceftuy Se de la
fortune des Regins , aux quelz vne legion que
les Romains leur auoient baillee pour garnifon
tollit & la vie & la terre.Il feroit donques expe
dient à tout Prince & feigneurie de prendre
tout autre party premier que d'auoir recours à
telles gens pour la conduite & defence de fon
cftat. Čar affeuré foit que toute paction & traité
qu'il paffera auecques fon ennemy (encores que
il foit à fon defauatage)luy fera plus leger à por
ter,que telle maniere de dangereux fecours . Et
qui bien lira & confiderera les choſes paffees, &
difcourra les prefentes , on verra pour vn qui
fen foit bien trouué,infinis autres deceuz & a
bufez .'Car vne Republique ou Prince ambi
cieux ne fçauroit fouhaiter plus grade occafion
d'occuper vne Cité , Seigneurie , ou Prouince,
1.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 158
que quand on le requiert d'enuoyer fon armee
pour la defenfe d'icelle. Pourtat celuy que l'am
bition aucugle & tranfporte tant qu'il appelle
tellesgens à fon ayde, non feulement pour foy
defendre:mais pour autruy affaillir , vrayement
iltend à conquerir ce qu'il ne peult garder ne
tenir,&qui luy peult eftre facilement tollu par
ceux mefmes qui le luy aqueftoient.Voylà ! l'am
bition des humains eft figrande , que pour ac
complir vne fois leur volonté prefente,ils met
tent arriere le regard de tout peril & inconue
nientqui leur en peult auenir . En quoy ne ſe
foucioient d'enfuiure & imiter l'exemple des
anciens , non plus que es autres cas par nous ia
1 difcourus,lefquelz fi bien ils entendoient, con
noiftroient que tant plus vous vfez de liberalité
apparente enuers voz voyfins, & vous monftrez
plus eflongnez de les vouloir occuper & affu
jetir,plus vous leur ouurez le chemin pour foy
venirietter entre voz bras, comme cy deffoubs
feradeclaré par exemple des Capuains.

Le premier Preteur que les Romains enuoye~ ·


rent hors la ville fut à Capue cccc. ans apres
qu'ils commencerent à
faire guerre.
བ*་

Chapitre XXI.
DISC . DE NIC. MACCHIA .
Ombien les Romains en leur ma
niere de proceder en cas de coque
L ftes ayent efté differets de ceux qui
en ce temps eftendent & amplifient
leur iurifdiction , cy deffus a efté difcouru , &
comme ils laiffoient les terres ( qu'ils ne defai
foient)viuires en leurs loix, voire non feulement
les peuples de facieté : mais qui feftoient ren
duz à leur fubicction, en icelles ils ne laiffoient もの
aucun figne d'Empire pour le peuple Romain:
ains l'obligeoient à certaines conditions , lef 1
quelles obferuans eftoient maintenus en leur e
ftat & dignité. Et fe void qu'ils ont gardé cefte
maniere de faire iufques au temps qu'ils forti
rent d'Italie & commencerent à reduyre les
Royaumes & feigneuries en Prouinces . De
quoy nous eft pour exemple euident,que le pre
mier Preteur qu'ils enuoyerent en lieu du mo
de fut à Capue. Ce qu'ils ne firent par leur am
bition:mais à la requeſte des Capuains meſmes,
lefquelz pour les feditions qui femouvoient en
tre eux,iugerent leur eftre neceffaire d'auoir en
leur cité vn Citoyen Romain , qui les conduift
& reftablift en ordre. A leur imitation les Anta.
les incitez & contrains de pareille neceffité, de
manderent auffi vn Prefect ou Preuoft , dont
Tite Liue dit fur ceft accident & nouuelle mo
de de commander.

Quòd iam non folum arma , fed iura Romana


pollebant.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 159
Que defia non feulement les armes : mais auffi
les droitsRomains regnoient.
Au fortvoyez vous combien ce moyen ayda
&fauorifa l'augmentation de Rome. Car les ci
tez,mefmes celles qui ont accouftumé de viure
enliberté,ou d'eftre gouuernees par leurs pro
uinciaux ,fe tiennent plus contentes foubs vne
feigneurie qu'ils ne voyent point ( encores
qu'elleporte en foy quelque grief ) que foubs
cellequi leur femble ( l'ayant toufiours deuant
les yeux leur reprocher fans ceffe leur feruitu
de. Encores enfuyt vn autre bien pour le prin
,ceft que n'eftant la luftice & les Magiſtratz
entre les mains de fes fubiets & officiers , pour
rendre droit ciuilement ou criminellement en
rellescitez : par ce moyen ne fe donne aucune
fentence ou iugement à la charge ou infamie
du Prince . Dont eft deftournee l'occafion de
plufieurs haynes & calomnies à l'encontre du
Prince.Et qu'il foit vray outre les exemples an
tiques ,qu'il feroit aylé d'aleguer , ie vous en
dirayvn auenu de recente memoire en Italie.

Chacun
fieurs fçait
foys comme ayant efté Gennes plu- Gennesgou
occupee par les Françoys , toufiours uernee par

le Roy(fors qu'à preſent)y a mis & cóftitué vn le Roy de


gouverneurFrançoys, qui la tenoit en fon nom . France.
Auiourd'huy ,non tant par l'election & confeil
du Roy, que par neceffité , il luy en laiffe le

gouuernement entre fes mains . Auffi fans dou


te , qui voudroit confiderer, lequel de ces deux
moyens porte plus d'affeurace au Roy de fa ter
DISC. DE NIC. MACCHIA.
refubiete & conqueftee , & qui plus donne de
contentement au populaire,i'aprouuerois touf
jours le dernier . D'auantage les hommes font
de cefte nature, que tant moins vous faites fem
blant de les vouloir prendre & affugetir , tant
plus feietant en voftre giron:& plus vous mon
trez humain & familier auecques eux , moins
ils vous redoutent en cas de leur liberté . Cefte
familiarité & liberalité induit lesCapuains à re Wi
querir vn Preteur de Rome. Et fils euffent fen
ty le moindre vent que l'intention desRomains
fuft telle de leur en vouloir bailler vn , foudain
fuffent tombez en ialoufie de leur franchife,
& fen fuffent eflongnez de tout leur pouuoir.
Mais quel befoin eft il de chercher exemples
à Rome & Capue , dont Florence & l'Etrurie
ou Tofcane , eft fi remplie ? Chacun fçait com
bien y a que la cité de Piftoye fe fubmit de fon
bon gré foubs lafeigneurie de Florence, aufli eft
notoire l'inimitié qui a efté entre les Florétins,
& ceux de Pife,de Lucques & Sienne . Et cefte
diuerfité de volontez enuers noftre ville , n'eft
> procedee que ceux de Piftoye tipfent moindre
+ conte de leur liberté que les autres , ou qu'ils
feftimaffent estre moins qu'eux : mais à cauſe
que lesFlorentins fe font toufiours portez com
me frere cnuers eux, & ont monftré vilage d'en
nemys aux autres . C'est ce qui a induit les Pi
ftoyens à fon renger volontairement foubs l'o
beiffance de Florence , & quia meu les autres
d'employer tout leur effort pour n'y enchoir.
A SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 160
Etàmon auis)files Florentins par voye de loix
ou de fecours en leurs affaires cuffent apriuoi
fezleurs voyfins , pluftoft qu'alienez & renduz
fauuages , maintenant feroient ſeigneurs & do
minateurs de toute l'Etrurie . Pourtant ne vou
‫ال ا‬ droisje empefcher l'vfage de force & des ar
76 mes:maisferois d'auis qu'elles fuffent referuees
en fubfide , quand les aultres moyens defau
droient.

Combienfontfaulfesplufieursfois les opinions des


hommesfur le ingement des chofesgrandes.

JUOK Chapitre XXII.

‫דו‬ Omme fouuent fontfaulfes les o


Com pinions des hommes , ceux l'ont
veu & le voyent, qui ſe trouuent
tefmoings de leurs deliberations,
lefquelles par plufieurs fois, felles
ne font faites par perfonnes excellentes , elles
font contraires à toute verité.
Et
pour ce que ces excellens perfonnages
es Republiques corrompues ( mefmement en
temps de paix ) tombent en inimitiez par en
uie & par autres caufes d'ambition , volontiers
l'on fuit droit le point de bien , qui tel eft iugé
par le commun abus , ou pargens qui preferent
les faueurs au bien vniuerfel , & tel eft mis en
auant,leque l abus fe defcouure apres au temps
del'acerfité, & par neceffité le refuge eft à ceux
DISC. DE NIC. MACCHIA.
qui estoient delaiffez au temps de la paix, com
me fera à plain difcouru en fon lieu en ceſte par
tie . Encores naiffent certains accidens où faci
lement les hommes fabulent, qui n'ont grande
-experience des chofes, ayant l'accident qui for
uiet en foy plufieurs actes vrayfemblables,pour
faire adioufterfoy à ce que les hommes le per
fuadent en tel cas.Ce propos vient à caufe de ce
Numicius, que Numicius Preteur perfuada aux Latios apres
qu'ils curent efté deffaits par les Romains : &
pareillement pour ce que plufieurs croyoient
Le Roy Fra pas long temps , quand Françoys premier
de ce nom Roy de France,vint coquerir la du
jois j.
ché de Milan defendue par les Suyffes . Partant
ie dy , que mort le Roy Loys xii. & fuccedant à
la coronne de France Françoys d'Angouleme ,
& defirant y reünir Milan : qui peu d'ans an pa
rauant audit efte occopé par les Suyffes, moyé
nant le confort & hyde du Pape lule ii. il defi
roit auoit en Italie quelque ayde qui luy apla
nift & auançaftfon entreprife : Tellement que
outre les Venitiens que le Roy Loys auoit re
gaignez , il tentoit les Florentins . Et le Pape
Pape Leon Leon x.luy femblant vn grad fupport pour luy,
.
dixiefme. filles pouuoit tirer de fon party veu que la for
ce du Roy d'Elpaigne eftoit en Lombardie , &
scelle de l'Empereur à Vetonne . Le Pape ne ce
da à la volonté du Roy,ains fut perfuadé ( com
-mel'on dit ) par fon confeil de foy tenir neutre,
remonftrant qu'en tel party confiftoit la victoi.
recertaine d'autant qu'il n'eftoit bon pour I'E
glife
SVR LA I DECA . DE TIT. LI. 181
glife que le Roy ne les Suyffes fuffent grands
en Italie : mais qui la voudroit reduire en fon
ancienne liberté la faloit deliurer de la feruitu
de de l'vn & de l'autre: Et pource que les vain
de tous deux , ou à part, ou enfemble , il eftoit
impoffible , le meilleur eftoit que l'vn furmon
tak lautre , & qu'apres l'Eglife auecques les a
mysvintheurter celuy qui feroit demouré vain
cueur , & n'eftoit poffible trouuer meilleure
Occafion que la prefente , eftans l'vn & l'autre
en la Campagne , & ayant le Pape fes forces en
Ordre fepouuoir trouuer & reprefenter es fron
tieresde Lombardie pres de l'vne & l'autre ar
mce,foubs couleur de vouloir garder le fien, &
qu'il fe tiendroit là iufques à ce que la bataille
feroitdonnee , laquelle,par raifon, veu la force
des deux armees , deuroit eftre cruelle & fan
glantepour les deux parts, laiffant le vaincucur
tant afoibly, qu'il feroit ayfé au Pape l'affaillir
lerompre par ce moyen viendroit à demou
rerà fa
gloire Seigneur de Lombardie & arbi
tre de toute Italie .Or combien eftoit faulle tel
leopinion lyffue le declare affez : Car
longue bataille , ayans efté les Suyffes deffaits
apres,

tant fen fault que la gent du Pape & celle d'El


pagne prefumaft d'affaillir les vaincueurs , que
foudain ils f
appare à la fuyte , laquel
encores nele eufitgu lleren le
ur erets valu , fans l'huma
nité du Roy, ou fa froid
eur,qui ne cherche fe
codevictoireluyfuf
fifant faire accord auecques
l'Eglife . Ceftcopi
nion a quelque raifons , qui
s
X
DISC. DE NIC. MACCHIA.
de loing femblent vrayes , & fi font du rout
eflongnees de verité . Car peu fouuent auient
que le vaincucur perde beaucoup de fes gens,
par ce que des vaincucurs il en meurt au con
flit & non à la fuyte . Et fur l'ardeur de comba
tre lors que les hommes fe font tefte les vns aux
autres , il n'en tombe guere mefmement ,à cauſe
que le plus fouuent la bataille dure peu: & quád
plus elle dureroit & qu'il demouraft fur le chap
grand nombre des vaincueurs , fi eftce que
grande eft la reputation que la victoire empor
te quant & elle , & la frayeur pour les autres,
que ce point deuance trop le dommage qu'il
pourroit auoir fouffert par la mort des ficns:tel
lement que fi vne armee auecques cefte opi
nion qu'il fuft tant afoibly le venoit à affronter,
ils fe trouueroient abufez : fi d'auenture cefte
armee n'eftoit telle , qu'en tout temps & auant
& apres lavictoire elle le peuft combatre.En ce
cas felon la fortune & fa vertu ils pourroient
vaincre & perdre : mais celuy qni premier au
roit combatu & vaincu, auroit auátage fur l'au
tre. Ce qui fe connoift certainement par l'expe
rience des Latins & par l'abus du Preteur N
micius , & le dommage qu'en r'aporterent ceux
qui le creurent , lequel apres que les Romains
eurent deffait les Latins , crioyt par tout le païs
de Latium, que à lors eftoit temps d'affaillir les
Romains debilitez par la bataille qu'ils auoient
eu contre eux, & qu'il ne leur eftoit rié demeu
ré que le nom de la victoire : mais auoient ſouf.
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 162
fert toutes autres pertes & dommages comme
fi vaincuz euffent efté , & que la moindre force
quide nouueau les viédroit affaillir, cftoit pour
les depefcher . Sur fon confeil ces peuples , qui opinion
le creurent remirent fus nouuelle armee , quifanife du
fut auffi toft rompue , fouftenant telle fortune Preteur
que fouftiendront toufiours ceux qui tiendront Numicis.
opinions femblables.

Comme les Romains au jugement qu'ils faisaient


deleursfubietz, par aucun accident qui lesy
contraignoit toufiours fuyoient
la moyenne voye..

chapitre XXIII.

Am Latio isftatus erat rerum , vt ne


quepacem,neque bellum patipoſſent.

Tel eftoit defia l'eftat de l'Italie,


qu'ellenepouuoit fouffrir paix, ne guerre.

De tous les eftatz malheureux & infortunez


celuy eft le plus qui eft reduit en telz termes
qu'il ne peult receuoir la paix ne fouftenir la
guerte:comme ceux qui trop feroient offencez
& incommodez par les conditions de paix, & à
qui d'autre part (voulans faire guerre ) conuien
droit foy icter en proye à ceux qui leur donne
roient fecours, ou demeurer pour butin de leurs
ennemys , efquelz inconueniens on tombe par
X ij
DISC. DE NIC. MACCHIA
faulte de bon confeil & de party pris ( comme
deffus ay declaré ) fans auoir bien meſuré fes
forces . Car la Republique ou le Prince qui les
auroit bien mefurez , à peine pourroit eftre re
duite en tel eftat que furent reduits les Latins,
lefquelz firent accord auecques les Romains
qu'and ils n'auoient raifon d'accorder , & rom
pirent la guerre lors que moins le deuoient fai
re :dont y ouurerent en forte , que tant l'amitié
que l'inimitié des Romains leur portoit pareil
dommage . Or cftoient ils vaincuz & du tout
defconfits par Mallius Torquatus premier , & a
pres par Camille , lequel les ayant contrains à
foy rendre & remettre es bras de Rome , eſta
blit garnisons par toutes les places , & pris ofta:
ges,raconta au Senat comme tout le nom Latin
eftoit entre fes mains . Et pour ce que ce iuge
ment eft notable, & merite d'eftre obferué par
les Princes en femblables occurrences , ie vous
reciteray les paroles de Tite Liue mifes en la
bouche de Camille , lefquelles font foy, tant dé
la maniere que tenoient les Romains à f'ampli
fier & accroiftre , que des iugemens d'eftar , ef
quelz ils cuitoient toufiours la moyenne voye,
fuyuans l'vne ou l'autre extremité ; car la raifon
d'vn gouuernement n'eft autre que de tenir voz
fubietz en telle forte, qu'ils ne vous puiffent ne
doyuent faire offenfe . Ce qui fe fait ou en fal
feurant d'eux, & leur oftant moyé de vous pou
uoit nuyre , oules fi bien traiter , qu'il ne leur
foit raifonnable de defirer mutation de fortu
1
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 163
ne . Cequi fe comprend premier par la propo
fition de Camille , & puis par le iugement que
le Senatdonna fur icelle. Les paroles furent rel
les.

Dy immortales ita vos potentes huius confily fe


cerunt, vt fit Latium, an nonfit , in vestra manu po
fuerunt.Itaque pacem vobis (quò ad Latinos atti
net )parere inperpetuum, velfauiendo, vel ignofcendo
prestis .Pultis crudelius confulere in dedititios vi
fofque ? Licet delere omne Latium. Vultis exemplo
marumaugere rem Romanam ? Victos in ciuitatem
atcipiendo materiam crefcendi perfummam gloriam
Suppeditat . Certéid firmißimum imperium est quo
bedientes
sgaudent . Illorum igitur animos ( dum ex
pellationeftupent )feupoena , feu beneficio præoccupa
ri oportet.

Les dieux immortelz vous ont doné tel pou


uoiren ce confeil , qu'il eft en voftre main que
Latium foit ou non . Car vous pouuez quant aux
Latins,vous affeurezvne paix perpet
uelle auec

queseux par cruauté , ou mifericorde . Voulez


yous cruellement confulter contre gens vain
cuz & captifz ? Il eft en vous d'effacer & abolir
tout Latium
maieurs . Voulez vous à l'exemple de noz
augmen ter le bien Romain ? En rece

uant les vaincuz en voſtre cité , ce vous cft ma


tierede croiftre auecques voftre finguliere gloi
re. Certes le plus ferme Empire ,c'eft celuy du
quelles fubierz fefiouiffent & font contents.

X iij
DISC. DE NIC. MACCHIA. LA !
Le mieux fera doncques(tandis qu'ils font eftó
nez de cefte attente ) aller faifir & preoccuper
leurs cucurs par punition ou clemence.
Sur ce propos enfuyuit la deliberation du Se
9471^^^
nat conforme aux paroles du Conful , tellement 44
BA1
qu'en toutes les places ne demeura pierre fur
pierre:Tous ceux qui estoient de quelque appa
rence ou ils les traiterent humainement , ou les
feparerent & efpandirent en diuers lieux . Ceux
à qui ils voulurent bien faire , ils leur donne. El,pou
rent exemptios ,priuileges, en la cité, les mettát
en eftat de feureté . De l'autre gent vile & des
peu, ils vuyderent le païs , y enuoyerent Colo YOF
nies les retirerent à Rome . Brief tellement les here
diffiperent, que ne par armes , ne par confeil ils
neleur pouuoient plus porter aucune nuyfan
ce . Et en ceux qui eftoient de quelque refpect,
iamais(comme vous ay dit) n'vferent de la voye
neutre. Tel iugement les Princes doyuent imi.
ter , & le deuoient fuyure les Florentins , l'an
mil v. c. ii. quand Arezze fe reuolta & toutle
val de Chiane , Et fils l'euffent fait en affeurant
lepreftat, & augmentant de beaucoup leur cité
euffent acquis celle campagne, qui leur cuſt ché
vn bon grenier de prouifion ; mais ils tindrent
en ce cas la moyenne voye , qui cft trefincom
mode à faire iugemens des hommes & confine
rent partie des Aretins , partic ils condanerent ,
à tous tollirent les honneurs & degrez antiques
qu'ils tenoient en leur cité , & l'aifferent la cité
enfon entier . Et fi aucun des citoyens en leurs
SVR LA 1. DECA . DE TIT. II. 164
A
fontt deliberatios confeilloit qu'Arezze fuft ruynce
reocc & demolye , ceux qui eftoient tenuz au reng
desplus fages difoient, que ce feroit peu d'hon
fon day neur à leur Republique de la deffaire , & qu'i
,tellems fembleroit que ce fuft par deffiance de force af
raifons du nombre
pin fez pour la tenir .Qui font
e r a de cellesqui femble nt vrayes , & ne le font pas.
Elqu
O
C, A Car parmefme confid eratio n il faudroit efpar
eur.Cnetvnmeurdrier de fon pere,vn mefchant &
fcandaleux ,
urdoen pour la honte que feroit au Prince
Itsmet de monftrer luy deffaillir le pouuoir pour tenir
vick tellesgens foubs bride . Ceux qui font de ccfte
rentCo Opinion ne voyent pas qu'aucunesfois les hom
meatl mes particulierement ou vne cité tout enfem
l
confei ble commettra telle faulte au preiudice d'vne
ne Day fat, que le Prince foit pour fa feureté, foit pour
donner exemple aux autres , ne pourroitfaire
querele
reparer par autre remede
dela que par deftruction
a t dudelinquant. Et quant àl'honneur , il confi
c
pu a
rentins fteà fçauoir & pouuoir chantier & corriger, non
a & tou pas à maintenirauecques mil perilz & dangers.
Car leSeigneur eft reputé ignorant , ou lafche
enalles
puplewa & pufillanime , qui ne chaftie les delinquans en
telle forte qu'ils ne puiffent iamais remettre

ist fur va tel fait . Le jugement que les Romains


a en firent,combien il emporte de neceffite, allez
trel
s&coat ef confermé par la fentence qu'ils donnerent
n desPriuernates , en laquelle y a deux points à
Onda
noter en Tite Liue. L'vn ( que i'ay defia decla
TCZ2004
STCHE ré ) comme il conuient traiter plus qu'humai
nement,ou eftaindre du tout les fubietz : l'autre
X iiij
DISC. DE NIC, MACCHIA .
combien la magnanimité de cueur & de la gra
ce de bien dire donne d'ayde à la verité quand
elles font adreffecs à gens de fens & prudence.
Or eftoit le Senat de Rome affemblé pour faire
jugement des Priuernates,lefquelz feftoient re
bellez, & depuys remis par armes foubs l'obeïf
fance Romaine . Ce peuple auoit enuoyé plu
fieurs de fes citoyens pour obtenir pardon du
Senat , lefquelz eftans là au confeil, vn Sena
teur demanda à l'vn d'eux:
Quam pœnam meritos Primernates cenferet.
Quelle punition luy fembloit que les Priuerna
tés euffent merité. Au quel il refpondit:
Eam , quam merentur , qui fe libertate dignes
cenferent.
Telle que meritent ceux qui fe reputent dignes
de liberté .
Lors repliqua le Conful.
Quid?fipænam remittimus vobis, qualem nos pa
cem vobifcum habiturosfperemus?
Quoy?fi nous vous vfons de grace,en vous re
mettant la punition, quelle paix pourrons nous
bien efperer auecques yous?
Le Priuernates luy refpondit:
Sibonam dederitis , & fidelem, & perpetuam :fi
malam,haud diuturnam.
Sibonne nous la donnez,affeuree & perpetuel
le:fimauuaife, bien peu durable.
Sur qui la plus faine part du Senat ( bien que
plufieurs en fuffent efmeuz & irritez commen
ça à dire:
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 165
Se audiuiffe vocem & liberi , & viri : nec credi
poffe vllumpopulum, aut hominem denique in ea con
ditione , cuius eum pœniteat , diutius quàm neceſſe fit
manfurum. Ibipacem effefidam vbi voluntary pec
tatifint : neque eo loco vbi feruitutem effe velint,fi
dem fperandam effe .
Que lors ilz auoient ouy la voix d'vn libre,
franc & vrayhomme. Et qu'il n'eftoit croyable
qu'vn peuple , voire vn feul homme fe voufift
maintenir en códition qui ne luy femblaſt bon
ne ou raifonnable , par plus long temps que la
neceffité l'y contraindroit : & que la paix eftoit
ferme & cerraine là où les pacifiez fe rengeoiết
de franche volōté, & qu'au lieu où ils voudroiet
mettre fubiection feruile ,ilz ne deuoient efpe
rer aucune foy ne loyauté.
Et fur ce propos ordonnerent , que les Pri
uernates deflors feroient citoyens Romains,
ouiffans de tous priuileges de leur cité & bour
geoific,difans :

Eos demum,qui nihilpræter quàm de libertate co


gitant,dignos effe qui Romani fiant.
Que telles gens eftoient dignes d'eftre Ro
mains,qui n'auoient le cueur qu'à la liberté.
Tant aggrea à gens magnanimes cefte hau
taine & magnanime refponfe: Auffi toute autre
qu'ilz cuffent fceu faire cuft efté fotte,vile, & de
peu de valeur .Et ceux qui ont autre opinió des
hommes , mefmemét de ceux qui ont accouftu
médeviure en eftat ou de liberté ( ou qui leur

femble eftre tel) fabufant grandement . Et fouz


DISC. DE NIC. MACCHIA.
cefte faufe opinion fouuent prennent des partis
qui ne font bons pour eux,& moins à la fatisfa
ation d'autruy : dont auiennent apres de rebel
lions & ruynes des plus grandz eftatz & Sei
gncuries. Mais pour retourner à mon difcours,
ie conclud par le iugement fait fur les Latins &
Les Priuernates , que quand on vient à iuger &
ordonner d'vne cité puiffante accoustumec à
liberté , il faut y verfer de rigueur à l'eftaindre,
ou de tout le meilleur traitement dont on fe
pourra auifer , tenant pour certain que tout au
tre auis eft vain & inutile. Car la voye moyenne
ne porte quant & elle, que dommage & incon
uenient, comme elle fit aux Samnites quand ilz
eurent enclos les Romains és fourches Claudi
nes, où ne tindrent copte de l'auis du bon vieil
lard qui leur cofeilloit,ou de laiffer aller les Ro
mains auecques toute courtoilie & honnefteté,
ou lesfaire tous paffer au fil de l'efpec. Mais ilz
aymerent mieux nager entre deux caux , en les
defarmant & failant paffer fouz le ioug: Puis les
laiffant aller plains de honte, creuecueur, & def
dain ; dont à tard le repentirent & cogneurent
que le confeil du vieillard eftoit vray & vtile,
& leur opinion dangercufe, comme fera à plain
difcouru en fon lieu.

"
Quegeneralement lesfortereffespartentplus
de dommage que deprafis.

Chapitre XXIIII.
SVR LA I. DECA. DE TIT. II. 166
L femblera (peut eftre) aux fages cer
ueaux de noftre temps , que foit efté
mal confideré aux Romains fe vou
lans affeurer des peuples Latins & de
la ville de Priuernate, qu'ilz ne penferent d'y e
difier quelque fortereffe , pour leur feruir de
frain à les tenir en foy & obeillance. Mefme
ment eftant vn commun dire à Florence ordi
Daire en la bouche de noz difcretz , que Pife &
les autres femblables villes fe doiacnt tenir par
chafteaux. Et vrayement fi les Romains cuffent
efté relz qu'eux,ilz euffent péfé à en baftir:mais
eftans d'autre vertu qu'eux , d'autre iugement,
d'autre puiffance , ilz n'en voulurent oncques
faire. Et tant que Rome fut libre & qu'elle fuy
uit fes ordonnances & vertueufes conftitutiós,
mal
iamais elle n'en edifia pour tenir villes ou con
trees : Bien entretint quelques fortifications
defia faites. Parquoy voyant la maniere de pro
ceder des Romains en ceft endroit , & celles
des Princes de noftre aage , me feruble cftre à
mettre en confideration fil eft bon cdifier for
tereffe , & felles feruent ou nuyfent à qui
les edific. En quoy faut auifer , qu'elles fe font
pour foy deffendre , ou des ennemis , ou des
propres fubietz. Au premier cas elles font ne
cellaires,aufecond dangereufes. Or pour com
mencer à rendre raifon pourquoy elles por
tent dommage au fecond poinct , ie dy , que le .
Prince ou la Republique,qui a doute de fes vaf
faux & de leur rebellion, premierement couient
DISC . DE NIC . MACCHIA.
que telle paour naiffe de hayne & malueuilláce
qu'ilz portent à leur ſeigneur. La hayne vient de
fon mauuais gouuernemét , le mauuais gouuer
nement vient d'opinion de les pouuoir tenir
par force, ou de faute de prudence en celuy qui
gouuerne. Et vne des chofes qui induit perfua
fion de pouuoir forcer les fubietz, eft de les voir
bridez parfortereffes :car le mauuais traitement VOS
qui eft caufe de hayne , ne procede le plus fou Em
uent, que de ce qu'vn Prince ou Republique fe Mast
fent auoir fortereffes , lefquelles ( eftant ce pro out
pos vray) de beaucoup portent plus de nuyfan ONYC
ce que de profit: Parce qu'en premier lieu (com ART
me a efté dit) elles te rendent plus audacieux &
plus violent enuers tes fubierz , & apres elles te
forment vne certaine opinion d'affeurance : car par
toutes les forces , toutes les violences dont on
lep
voudroit vfer pour tenir vn peuple fouz bride CTO
ne font rien, deux exceptees:C'eft que tu ayes le Ters
moyen de mettre toufiours vne bonne armee
aux champs , comme auoient les Romains , ou Caul
que tu les diffipes, eftaignes, fepares, defempa Mora
res en telle forte qu'ilz ne puiffent conuenir &
coniurer contre toy : car de les reduire en pau
com
Areté & fouffrette:
Tic
Spoliatis armafuperfunt. MA
Aux defpouillez reftent encor' les armes.
Auffi de les defarmer,
Furer arma ministrat. 1041
Lafureurfournit affez d'armes.
De trencher les chefz principaux en traitant les
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 167
autres outrageufemét, les teftes renaiffent com
me celle d'Hydra. Si tu fais fortereffes elles te
1968
peuuent eftre vtiles durant la paix à te donner
plus de courage de leur mal faire. Auffi en téps
de guerre elles te nuyfent grandement, n'eftans
affiegees moins par tes fubietz , que par tes en
nemis , & n'eftant poffible qu'elles facent refi
fance auxvns & aux autres.Et fi iamais elles fu
rent incommodes , elles le font en ce temps cy
pour le regard de l'artillerie,la fureur de laquel
lerompt toutes les deffenfes qu'on pourroit a
oir en lieux eftroitz , où l'on ne fe peut retirer
00 & remparer comme nous auons difcouru cy

deffus. Or ie veux difputer cefte matiere plus


te vulgairement. Ou toy Prince, ou Republique,
cat pretends par le moyen de ces fortereffes tenir
00 en frein le peuple de ta cité , ou bien vne ville
que tu aurois occupee par armes. Ie me veux
tourner vers le Prince, & dy, que tel fort pour
130 $ brider fes citoyens eft du tout dommageable
par les caufes defia deduites , veu qu'il te rend
plus prompt & moins refpectif à les vexer &
opprimer. Et cefte oppreffion les anime & dif
pole à confpirer ta ruyne : en forte que le cha
fteau quien eft caufe ne te peut apres guarentir.
Tant que le bon & fage Prince , pour ne cher
cher occafion d'empirer , & ne la donner à fes
enfans,n'erigera fortereffe nouuelle, à fin qu'ilz
fondent plus leur pouuoir fur la bonne volon
té de leurs hommes que fur la force.Et fi le Co
te Francifque Sforce qui deuint Duc de Milan,
DISC, DE NIC. MACCHIA. tr
fut en reputation de grande prudence, & fil fit
le chasteau de Milan , i'ofe dire qu'il ne fit en ce
cas acte de ſageſſe , comme l'effect l'a monftré,
yeu que cefte fortereffe a porté plus de dom
mage que de feureté à fes hoirs & fucceffeurs.
Car cux jugeans, moyennant icelle,viure affeu
rez,& renger & manier leurs fubietz à leur vou
loir , n'efpargnerent aucune espece de violen
ce : Tellement que gaignant leur hayne oultre
meture perdirent ceft. cftat & Duché au pre
mier affaut de leurs ennemis , auquel la forte
reffe ne leur feruit d'aucun proufit ne deffenſe,
& fi leur auoit affez fait d'ennuy durant la paix.
Car filz ne l'euffent point euë , ou fi par faute
de bon fens & difcretion euffent manié leurs
fubietz trop aigrement, ilz euffent pluftoft def
couuert le peril & fe fuffent retirez , & apres
cuffent peu plus verrucufement & virilement
fouftenir l'effort des François , auecques leurs
fubierz bien veillans fans fortereffe , qu'avec
ques la fortereffe , & leur malueillance : laquel
le ne fert en rien , d'autant qu'elle fe perd par
fraude de ceux qui la gardét,ou par la force des
affaillans, ou par famine. Et fi tu veux qu'elle te
ferue & proufite à recouurer l'eftat que tu as
perdu , duquel le chafteau feul eft demouré , il
re conuient dreffer vne armee pour affaillir ce
luy qui t'en a chaffé : & fi tu as le pouuoir de
mettre vn bon oft aux champs , c'eft vn moyen
de recouurer ta perte , voire fans fortereffe , &
d'autantplus facilemét que tes hommes te peu
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 168
uenteftre plus amis, qu'ilz n'eftoient cftans mal
traitez à l'occafion de l'orgueil procedant de
la fortereffe . Dont a efté veu par experience,
quecelle de Milan , tant aux Sforefques , que Du cha
aux François au temps de leur aduerfité n'a defreau de 1
tienferui : ains a beaucoup nuit aux vns, & aux Milan.
autresàcaufe qu'ilz ne penfoient (tandis qu'ilz
Pauoient ) à plus honnefte moyen de mainte
nir leDuché. Guidcbauld Duc d'Vrbin filz de Le duc Gui
Federic ,qui en fon temps fut eftimé fi grand debauld.
DON
Capitaine , eftant mis hors de fon cftat par Ce
far Borgia Filz du Pape Alexandre fixiefme, de
Paisyeftant reftitué & remis par quelque ac
cident, fit abbatre & demolir toutes les forte
S reffes de la contree , les iugeant fort dangereu
fes:carfefentát bien voulu de fes fubietz ,il n'en
PAR vouloit
point pour leur regard : & quant à ce
Juy de fes ennemis , il cognoiffoit qu'il ne les
pourroit tenir contre eux fans vne armee. Le
Pape lule ayant chaffé de Bologne les Bentiuo- Le Pape
les, fit conftruire vn chafteau en la ville , & de- Inle.
puis faifoit affaffiner fon peuple par vn gouuer
neur qu'ilyauoit mis : Tellement qu'il fe rebel
la,dont à l'inftant perdit la fortereffe , & luy por
ta dommage qu'il ne luy eut fait , fil Peut regy
autremeént. Nicolas de Caftel pere des Vitelles Nicolas de
retourn en fon païs dont il eftoit banny , fou- Caftello.

dain fit deffaire deux fortereffes qu'auoit con


ftruites Pape Sixte quarriefme , iugeantque la
bonnevolonté du peuple , & non les fortz &
chafteauxle
pourroient maintenir en fon eftat.

‫"ן‬
DISC. DE NIC . MACCHIA.
Mais de tous les autres exemples le plus recent
& plus notable en toutes fortes , & plus conue
nable à monftrer l'inutilité de telz edifices , &
I'vtilité de les ruyner & abbatre , c'est celuy de
Gennes aucnu puis peu de temps. Chacun fcait
comme l'an mil cinq cens & fept Gennes fe re
bella contre Loys douziefme Roy de France,
lequel vint en perfonne auecques toute la puif
fance pour la recouurer. Et l'ayant reconquiſe y
Chasteau fit vn chefteau plus fort que tous ceux dont on
de Gennes, eut lors cognoiffance : car ſoit pour l'affiette,
foit pour autre circonftance , il eftoit inexpu
gnable , affis fur vne pointe de montagne , qui
feftend en la mer, nommee par les Geneuois,
Codefa . Et de ce fort il battoit tout le port &
grande partie de la ville. Or auint en l'an mil
cinq cens & douze, qu'eftans les François chaf
fez de l'Italie, Gennes alors,nonobftant la forte
reffe,fe reuolta, & l'vfurpa Octauian Fregofe,le
quel en feize mois employa tout fon induſtrie à
la gaigner, & au bout du terme l'emporta pat
famine. Combien qu'il fut affez confeillé de
la garder pour fon refuge en fortune contraire.
Mais cognoiffant, comme homme prudent, que
l'eftat du Prince depend plus de la loyauté a
miable des fubietz , que d'aucune force, la fit ra
fer.Qui luy a cfté moyen de conquerir cefte fei
gncurie , laquelle il tient encores à prefent , l'a
yant fondee non fur les fortereffes : mais fur la
vertu & prudence de l'eftat de Gennes, que mil
hommes de pied tournoient à tous vens,depuis
a efté
SYR LA 1. DEÇA. DE TIT. LI. 169
a efté affaillie par dix mille , fans qu'ilz l'ayent
peu offendre. Parquoy l'on void que la forte.
relleruynee n'a porté aucune nuyfance à Octa
uian , & l'autre edifice n'a ferui de grande def
fenle au Roy de France. Somme , quand vous
pouuez venir en Italic auecques armee , vous
pouuez recouurer Gennes fans y auoir tour, ne
chafteau: Mais fi vous n'aucz pouuoir d'y venir
en main forte, vous ne la fcauriez tenir aucċ
ques toutes voz fortereffes . Ce fut au Roy gran
de defpenfe pour la baftir , & pareille honte de
la perdre. A Octauian fut honorable de la re
Couurer,& vtile de la ruyner. Mais venons aux
Republiques qui crigent chateaux, non pas fut
leurs
terres, mais en païs de conqueſte, Et pour
mieux defcouurir cefte erreur , fi ceft exemple
deFrance & de Gennes ne fuffit , I &
Pife fatisfera, là où les Florentins firent vne for
tereffepour tenir la cité fouz bride , & ne cor
gneurent pasqu'
vne ville , qui toufiours auoit
efte ennemie du nom Florentin , ayantveſcuen

eftat de franchife & liberté , qui luy eftoit pour


refug e en
ceffaire reb
obflaeru erell
la ion
modepou tenir l'al
r laain , efto ne
it ant,
Rom e foci

ou la sdesfaifant du tout : car la verité des forre


reffe apparutbien à la venue du Roy Charles,
auquel elles furent rendues , ou par le peude

plusde
foy ceu
gra qui les gardoient , ou par crainte de
ndxmal : là où fil n'y en eut point eu,
les Florentins n'euffent fondé leur affeurance
fur elles depouuoir tenir Pife , & le Roy n'cut 、

Y
HIA
B DISC . DE NIC . MACC .:
peu par telle voye les priuer de cefte ville : auffi
les moyens par lefquelz elle feftoir maintenue
jufques à l'heure, par auanture cuffent esté fuf
fifans pour la conferuer. le conclud doncques ,
que pourtenir fon pais propre la fortereffe eft
dangereufe : pour terres de conquefte , elles ne
valent gueres mieux. En quoy ie ne m'appuye
que fur l'autorité des Romains , lefquelz tant
fen faloit qu'ilz eminuraffent les villes qu'ilz
vouloient tenir par violence , que pluftoft met
toient les murs rez pied rez terre. Et qui me
voudroit alleguer au contraire de cefte opinion
Tarante au temps paffe , & de prefent Brefce,
lefquelz lieux furent moyennans les fortereffes
reconquis fur la rebellion des fubietz , ie refponś
Recouure qu'au recouurement de Tarante au bout de l'an
mentde Ta fut enuoyé Fabius Maximus auecques vne ar
rente. mee,laquelle feule eftoit affez fans autre forte
reffe: Et fily vfa de ce moyen quand il ne l'eut
point eu il eut pratiqué autre voye, qui cut peu
conduirefon deffein à femblable effect . Tout
confideré,ic ne fcay de quelle vtilité eft vne for
tereffe qui ne te peut rendre ta terre , ou place,
fans vn oft Confulaire , & fans vn Fabius pour
Capitaine . Et que les Romains l'euffent peu re
prendre fans celà, on le void à l'exemple de Ca
puc,là où n'y auoit aucune forterelle, & par ver
tu de leur armee la reconquirent . Mais venons
Reprinfe à Brefce. Ie dy que peu fouuent auient ce qui
de Brefce ferencontra en cefte rebellion , c'eft que le chi
fteau , cftant la ville rebellee , ait vne groffe &
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 170
prochaine armee, comme eftoit celle des Fran
çois:car eftant lors monfieur de Foix lieutenant
pourle Roy રે à Bologne auecques vn armee , fi
toft qu'il fut aduerty de la perte de Brefce,fans.
delay tira celle part en telle diligence que de
dans trois iours arriuant fur le lieu , par le mo
yen de la fortereffe , il recouura la place. Ainfi
le chateau de Brefce , pour ayder à ce recou
d'vne cut befoing d'vn monfieur de Foix &
urement,
armee Françoiſe , qui le vint fecourir au
troifiefme jour : tellement que ceft exemple ne
milite contre les autres contraires : car de no
ftretempsaffez de fortereffes ont efté priſes &
steptiles auecques pareille fortune l'a eflé
r la
po campagne , non feulement en Lombardic:
el maisen la Romagne au Royaume de Naples, &
ne. par toutes les praties d'Italie : Mais quant à edi
fortereffes
For fier pour foy deffendre des ennemis
qu'elles ne font neceffaires aux
1745 de dehors , ie dy
peuplesny
ceux aux Roys qui ont bonne armee, & à
qui n'ont ce pouuoir elles font inutiles:
T d'autant
quele bon oft te peut deffendre fans
forteref
fe,
ce que ne peut la fortereffe fans l'oft.
Ce quife void par l'experi d ce q o
ence e ux ui nt
eftétenus excellens , tant en fa ict de gouuerne.

Sp,qu'en autres chofes , come les Romains &


ment
les artains :
toursne chaste r fi
caau x ,le Romains ne baftiffoie
less Sp artains pe fen abftent
noientfeulement : ma ilz ne pe de
is rmettoie
nt
tenir leurs villes muree , youl fo
s ans ef tr e uf te -,
nuz& gardez par la vertu partic d e l ' h ō
uliere

Y ij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
me,fans autre espece de deffence. Dont eſtant
vn iour demandé à vn Spartain par vn Athe
nien,fi les murs d'Athenes luy fembloiét beaux:
refpondit filz eftoient habitez de dames. Le
Prince doncques qui peut mettre aux champs
vneforte & puiffante armee , quand il auroit
fur la cofte de la marine en fa frontiere quelque
fort pour fouftenir & arrefter vn iour fon en
nemy , ce pendant qu'il affemble fa force , il ſe
roit aucunesfois vtile, non pas neceffaires:Mais
quand le Prince n'a cefte puiſſance,les forteref
fes, foit dedans fes païs , ou fur les limites , elles
luy font dommageables, ou inutiles. Domma
geables, parce qu'il les perd incontinent, & les
ayant perdues elles melmes luy font la guerre,
ou fi elles font fi fortes que l'ennemy ne les
puiffe gaigner , il paffe outre les laiffant derrie
re, & ainfi feruent moins que rien: Car vne bon.
ne armee(à qui vne pareille ne va au deuant fai
re tefte) elle entre en païs fans efgard de ville ne
chafteau qui luy demeure derriere,comme l'on
void és anciennes hiftoires:auffi come fit Fran
cifque Marie , lequel n'a pas long temps pour
aller affaillir Vrbin , laiffa derriere dix citez en
nemies fans aucun refpect . Le Prince doncques
qui peut dreffer vne bonne armee peut faire
fans edifier aucune fortereffe. Celuy qui ne la
peur auoir n'en doit pas conftruire , bien doit il
fortifier la ville de fon feiour , & la tenir munie
& fes citoiens difpos à pouuoir fouftenir l'ef
fort de fon ennemy, tant qu'il puiffe par accord
1
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI.
171
ou parfecours eftrange la deliurer. Tous autres
defleins font de defpenfe en temps de paix , &
inutiles à la guerre. Ainfi , qui confiderera tout
cequi a efté dit cognoiftra les Romains com
meen toutes autres chofes , auffi au cas des La
tins& des Priuernates, auoir efté de prudent iu
gement,feftans affeurez d'eux par autres mo
fo14r0m
Jens fages & vertueux que par fortereffes.

Que eftparty fe contrariant, aſſfaillir vne citédi


wifeepourl'occuper moyennantfa diuifion.
3,Lug
Im
Chapitre XXV.
&les
err!e
A difcordè eftoit telle en
el
la Republique de Rome
Jerr entre la nobleffe & le có
ba
mun,que les Vegés iointz
271 27
auecques les Hetrufques
penferét au moyen de cel
le diuifion eftaindre du
tout le nom Romain . Dont ayas affemblé gran
de puiffance & couru la campagne de Rome,le
Senat
enuoya à l'encontre Cn . Manilius & M.
Fabricius,lefquelz ayans affis camp contre camp
furent tellement outragez par les Vegens d'in

jures& reproches honteufes,que par leur teme


rité & infolence les Romains au parauant diui
fez fe reünirent: Et apres venans aux mains em
porterent la victoire. En quoy l'on void com
bienles hommes fabufent à prédre partis com
Y iij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
me deffus auons diſcouru, & quefouuentesfois

ilz font eftat de gaigner vne chofe qu'ilz per


dent.Les Vegens penfoiet & croioyent,les Ro
mains bandez & diuifez ,les pouuoir vaincre &
deffaire , & ceft affaut fur caufe de reduire les
vns en vnion , & de ruyner les autres. Pource
que la plus commune occafion de la diuifion
des Republiques , eft l'oifiueté de la paix , la
quelle fe reconcilie par paour & guerre fes con
traires. Et files Vegens euffent efté plus fages, #pr
tant plus ilz cuffent veu Rome en trouble & fe
dition , plus en euffent eflongné leurs armes & Uus
F
tenté à les opprimer par mence , pratiques , & uden
art de paix. Le moyen eft de gaigner le maitre
& la fiance des deux parties de la cité diuifee, &
auant qu'ilz viennent aux armes finfinuer, com ne
me arbitres, de leur different, quand ilz y vien ICE
dront porterla plus foible partie , tant pour les ‫ܐܝܚ‬
tenir longuemét & faire confommer en guerre,
que de paour que leurs forces encores grandes
& entieres ne les miffent tous en doute & fou
0:
fpeçon,que voftre intention fut de les ruyner &
deuenir leur Prince. Et ne fe verra guere que tel
deffein bien conduit ne fortiffe l'effect propofé
& defiré. La cité de Piftoye (comme en autre
propos ay difcouru ) ne fut iamais par autre att
Tany

reduite au gouuernement de Florence , que par


cefte pratique de fauorifer l'vne puis l'autre fa
&tion, fans charge d'aucune des deux , la rengea
& conduit en telz termes , que laffce & trauail
les de telle vie tumultucufe , fe vint d'elle mef
IA. SVR LA 1. DECA . DE TIT . LI .. 172
me letter entre les bras de Florence. En pareil
ou'll cas en la cité de Siene les faueurs des Florentins
cartes n'ontiamais eu pouuoir de muer leur eftat, fino
quand elles ont efté difpenfees & departis de
m
red chiche main. Car où elles ont faites, ont la cité
res. Punt vaie à la deffenfe de l'eftat qui gouuernoit .A in
Ladi fifit Philippe Vifcontin Duc de Milan , lequel
apolit par plufieurs fois guerroya les Florétins,ne fon
rreles dantfesefperances que fur leur diuifion , dont
plusla mal luy en print, en telle forte que foy repentát
ouble& de la temeraire entreprife , difoit que les folics
UTSarves des Florentins luy auoient coufté deux millions
d'or.Ainfi demeurerent (comme deffus eft dit).
mailt les Vegens & Tofcans deceuz de cefte opinion,
draifee, & finablement furent furmontez par les Ro
m
inuer.co mainsen yne bataille. Et faffeure d'auoir pa
dole reillefin quiconque vfera de femblable moyen,
Cour &fondera fa victoire fur telle efperance .
e
rengu
presgrat Commeles iniures & reproches n'engendrent que
Oute& haynefansprofit à ceux qui en vent.
les rav a
werequ Chapitre XXVI.
Fectpro
meen Tem l'vne des grandes fageffes que

para P'homme puiffe auoir eft de fe gar


Ice,qu der d'vfer de menaces & paroles in
is l' a u iurieufes, D'autant que l'vn ne l'autre
ne diminue ou abbat la force de ton ennemy:
15, larg
& es ains lepremier le fait plus tenir fur fes gardes,
del & le fecond luy accroit la rancune & le mal
Y iiij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
talent qu'il auroit conceu contre toy, enfemble
luy agoyfent l'efprit à te braffer quelque tour
de meilleur fens. Celà fe void en l'exemple des
Vegens , defquelz a efté diſcouru au precedent
chapitre.Iceux non contens d'exploiter & exer
cer roure rigueur d'hoftilité cótre les Romains,
leur firent la guerre non moins de la langue que
de la main,qui eft vne folie. Dont tout bon Ca
pitaine doit garder & faire abftenir ſes foldatz:
Car à le bien cofiderer ce ne font qu'efguillons
à enflammer le cueur de ton ennemy d'vn ar
dant defir de vengeance , & ne luy tolliffent ne
deftournent la puiffance de t'offenfer : tellemét
que ce font pluftoft armes contre toy que pour
toy. Dequoy iadis aduint vne merueilleufe for
Gtb.ades tune en Afie , où eftant Gabades Capitaine des
Perfan. Perfes campé deuant la ville d'Amida, & ayant
vn iour'deliberé & enuie de l'abandonner du
fiege , de le leuer & f'en aller , fi toft que ceux
de la ville f'en apperceurent , accoururent tous
fur les murs , & là fe meirent à defgorger vne
infinité d'iniures , leur reprochans leur laſche
té & couardie. Dont animé Gabades outre me
fure , changea confeil , & continua le fiege en
telle ardeur & colere , qu'il print la ville en peu
de iours, & la faccagea. Autant y gaignerent les
Vegens dont ie vous auoie commencé à par
ler , lefquelz venoient iufques aux tranchees du
camp outrager & irriter les Romains de hon
reufes parolles , & tant en firent , que plus ilz
les animerent & enflammerent de leur propos
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 173
qu'ils n'auoient fait de leurs armes . Tellement
que ceux qui tiroient auparauant le cul arriere
affez mal deliberez de combatre , contraigni
rent lors les Confulz de les mener en bataille
contre ceux, qui porterent la peine, comme les
Amidains , de leur fol & iniurieux langage. Par
quoy me fembleroit-bon , que tát vn Capitaine
d'vne armee,qu'vn gouuerneur de ville mift or+
dre à refraindre telle inconfideration de lan
gue, tant en la cité, que au champ, & tant entre
eux que contre leurs ennemys , contre lefquelz
filsen vfent, enfuyuront les inconueniens def
fufdits . Encores beaucoup pisauient d'en vier
entre eux,fil n'y est mis tel ordre, qu'y ont touf
jourspratiqué les plus auifez . Les legions Ro
maines , qui eftoient demeurees à Capue, firent
quelque coniuration contre ceux de la ville,
telle que ie vous raconteray en fon lieu , dont

fortit vne fedition qui fut appaifee par Valere valereCor,


Coruin .Mais entre autres loix qui furent infe win.
rees en ceft apointement,furent ordonnees pei
nes trefgtieues à ceux qui dorefnauant repro
cheroient celte fedition à aucun des foldatz.
Tybere Gracche efleu Capitaine de quelque ar Tybere
Gracche.
mee de ferfz , que les Romains enrolerent par
faute d'autres , entre fes premieres ordonnan
ces ordonna, que nut cuft à impropererferuitu
de à aucundefon oft , fur peine de la tefte, tant
les Romains trouuerent mauuais & dangereux
(comme deffus a efté dit) de fe moquer des gés
&reprocher quelque honte . Pource qu'il n'y a
DISC. DE 7 NIC. MACCHIA. ?
rien qui tant irrite & enflamme le cucur d'vne
perfonne, ne qui caufe plus profonde rancune,
foit l'iniure vraye ou faulfe.

Namfacetia afpera quando nimium ex vero tra


xereaeremfuimemoriam relinquunt.
Car brocardz poignans & aigres,qui touchet
trop pres du vif & au vray , laillent leur efguil
lon fiché en la memoire de celuy qui fe fent at
taint . C'eft ce que dit le prouerbe : Bourdes
vrayes ne plurent onques .

Vn Princeprudent & vne Republiqueſedoiuent


contenterde la victoire depaour quepaf
fant outre,ils neperdent ce qu'ils a
uoient gaigné,

Chapitre XXVII.

E quifouuent nous fait vfer de pa


roles peu honneftes contre noftre
ennemy, c'est l'infolence que la vi
toire nous donne , ou faulfe efpe
&
rance d'icelle , qui trouble la raifon en l'hom
me, non feulement au parler : mais auffi au
fait mefme: Car depuis que ceft erreur d'opi
nion nous entre au cerueau , elle nous fait incó
tinét paffer bornes, & plufieurs fois perdre l'oc
cafion d'vn bien certain,par efpoir de plus grád
bien encores incertain , qui eft vn point qui me
femble digne de confideration , veu que par tel
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 174
abus l'efprit oublie raifon , & tire fouuent noftre
eftat en danger , ou ruyne . Pour ce ay defir de
difcourir fur ce propos par exemples tant d'an
cienne que recente memoire : car les raifons ne
1 lepourroient mettre en euidence fi claire & di
fincte.Hannibal, apres la defaite des Romains
à Cannes,enuoya gens àCartage porter les nou
uelles de fa victoire , enfemble luy demander
renfort:fur quoy le Senat fut en longue delibe
tation qu'il en eftoit de faire . Hannon y eftoit,
prudent vieillard, citoyen de Cartage, qui fut Le confeil
d'auis,qu'on vfaft fagement de la victoire en fai .de Hanno.
fant paix auecques lesRomains,laquelle ils im
petreroient d'eux auecques honneftes condi
tions comme vaincueurs, & ne deuoient atten,
dre à la faire apres leur perte & defaite . Car il
deuoit fuffire aux Cartaginois d'auoir monftré
aux Romains cóme ils eftoient gens pour leur
tenir contrecare : Et ayans gaigné fur eux la vi
toire,ne la deuoient expofer en danger de la
perdre,foubs efperace d'autre plus grande : mais
fon cófeil ne futfuiuy , que le Senat reconneut
depuys pour le meilleur , quad l'occafion en fut
perdue. Alexandre le grand auoit defia conquis Alexadre
tout l'orient , quand la Republique de Tyrus, Tyrus.
noble alors & puiffante( d'autant que fa ville e
ftoit fituce en l'eau comme Venife) eftonnce de
la grandeur d'Alexandre enuoya fes Embafla
deurs luy offrir telle obeïffance & fubiection
qu'il voudroit, mais que luy ne fes gens n'entre
roient lors en leur ville. Luy adonques indigné
DISC. "DE NIC. MACCHIA .
Deftructios qu'vne Cité voufift clorre les portes à qui tour
de Tyrus, le monde les auoit ouuertes , les r'enuoya fans
accepter teurs offres, & fy alla camper. La ville
(comme vous ay dit ) eftoitaffife en l'eau bien
pourucuë de viure & de toute autre mynition
de defenſe : Tellement qu'Alexandre au bout
des quatre moys fauifa , qu'vne ſeule ville to
liffoit à fa gloire le temps que tant d'autres co
queftes ne luy auoient ofté . Dont delibera ten
rer la voye d'accord en leur otroyant ce que de
uantils auoient requis eux mefmes . Mais alors
les Tyriens deuenus plus braues, non feulement
refuferent l'acord, ains mirent à mort ceux qui
l'eftoient venu pratiquer . Dequoy Alexandre
efmeu d'indignation,fit donner vn aſſault de tel
ardeur & violence, qu'il emporta la ville, la fac
cagea , mit partie des habitans à l'efpee, le refte
fait ferf & efclaue.L'an mil v.c. xii. vint vne ar
mee d'Espagnols en la terre des Florétins pour
remettre les Medicis à Florece, & impoſer tail
le fur la Cité : & eftoient appellez & conduits
par des citoyens mefmes , qui leur donoient ef
perance , que fitoft qu'ils auroient mis le pied
en leur terre , ils prendroient les armes en leur
faueur.Mais quand ils furent en la plaine, & vi
rent que nul ne fe defcouurit de leur party , &
que les viures leur failloient , porterent paroles
d'accord , que le peuple de Florence enorguil
ly , ne voulurent receuoir ny entendre . Dont
auint la perte de Prato , & la ruyne de leur e
ftat ,Ainfi ne peult vn Prince qui fe void affail
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 175
ly par plus puiffant que luy ,faire plus grande
faute que
refufer quelque accord qui luy foit
prefenté : car il ne fera iamais fi bas & fi defaua
tageux,qu'il ne porte en foy quelque bien pour
celuy qui l'accepte , & y fera partie de fa victoi
re. Partant deuoit fuffire au peuple de Tyre,
qu'Alexandre fe voufift paffer aux conditions
qu'il auoit vne foys rejetee , & eftoit affez de
victoire à eux d'auoir fait les armes en main , vn
tel perfonnage condefcendra à leur vouloir.
Auffi fe deuoit contenter le peuple Florentin
& prendretrop à gloire , que l'armee des Efpa
#1 gnolz confentoit à vne partie de fon vouloir,
& n'acompliffoit le leur entierement,puys qu'il
voyoit leur intention eftre de troubler & muer
l'eftat de Florence, le deftourner & tirer de la
deuotion de France , & en tirer ce qu'ils pour
roient de deniers . Quand de trois chofes ils en
euffent obtenu deux les dernieres, & que la pre
miere feule fuft demeuree entiere au peuple,
c'est à fçauoir la coferuatio de ſon eftat , chacun
de la cité auoit encores auecques la vie quel
que honneur & fatisfaction ſauue , fans qu'il
euft à fe foucier beaucoup des deux autres po
incts . Et ores qu'il euft eu affeurance quafi cer
taine de plus grande victoire , fine la deuoit il
expofer à la difcretion de fortune , luy allant à
ce coup de farefte, que iamais le prudét ne cou
chera , finon àla neceffité extreme . Hannibal
party d'Italie , où il auoit efté xvi. ans en hon
neur, reclamé par les fiens à donner fecours àfa
DISC. DE NIC. MACCHIA.
patrie,trouuaAfdrubal & Siphax en vau de rou
te, le Royaume de Numidie perdu , Cartage re
tiree & reftrainte dedans la cinture de les murs,
à laquelle ne reftoit plus autre refuge qu'à luy &
fon armee.Et connoiffant que c'eftoit la dernie FA
re pofte, ou refte de fa patrie , ne la voulut met
tre au hazard premier qu'auoir tenté tout autre
remede,fans auoir honte de demander la paix,
iugeant que f'il luy reftoit aucune efperance elle
gifoit en elle & non en la guerre. Mais luy cftant
depuis refufee, ne voulut fuir le combat ( com
bien que fans grand efpoir ) iugeant toutesfois
qu'il luy eftoit poffible de vaincre,au moins que
fil perdoit la bataille,ce ne feroit fans laiffer tef
moignage de fa proueffe & vertu. Or fi Hanni
bal qui tant eftoit preux & vaillant, & auoit en
cores fon armee entiere,chercha premier la paix
que la bataille, voyant qu'en la perdant il met
toit fa patrie en feruitude , que deura doncques
faire vn autre de moindre vertu & experience
que luy?Mais les hommes tombent en ceft er
rcur ,qui ne fçauent mettre à leurs efperances, &
fy fondans,fans femefurer autrement, vont en
ruyne. 1736
718 ‫کہ‬
Quel dangerpeuls encourir vzc Republique , ou
un Prince,parfaulte de venger & punir
vne iniurefaiteà une communauté,
ouperfonnepriuee.

Chapitre XXVIII.
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 176
E que l'ire & le defpit induyfent
les hommes à faire , eft facile à co
noiftre parce qui auint aux Ro
mains quand ils enuoyerent les
trois Fabies Embaffadeurs vers les
Françoys,qui eftoient entrez en la Toscane, &
auoient mis le fiege deuant la ville de Chiufc.
Car ayant le peuple affiegé enuoya à Rome re
querir fecours , les Romains manderent aux
Françoys , qu'ils cullent ou nom du peuple de
Rome à fabftenir & retirer de la Tofcane: mais
ceux à qui la commitlion fut donnee , ſe trou
uans fur les lieux, gens trop plus adroitz à bien
21
faire,qu'à bien dire , voyant les deux oftz ren
Bl gezenbataille , fe meirent es premiers rengs à
combatre contre les Françoys, qui les recónoif
fans,tournerent contre les Romains tout le
mal talent qu'ils auoient contre les Toſcans :le
quelfut beaucoup augmenté & irrité apres que
ils curent
enuoyé leurs Embaffadeurs à Rome,
en former la complainte , requerans que ceux
qui auoient commis la faute, leur fuffent liurez
& rendus en fatisfaction de l'outrage:Mais tant dist
fenfalut qu'ils leur faffent accordez , où cha
fticzen autre maniere,que auenans les comices

ils furent Tribuns , auecques puiffance


Confula irecreez
. Cequ'ayans entendu les Gaulois,&

queceux auoient efté honorez qui deuoient e


punis , interpreterent le tout auoir efté fait
freleurmefpris
en & derifion.
Dont enflambez & irritezplus que deuant
DISCIDE NIC MACCHIA.
marcherent droit vers Rome , laquelle ils prin
Iniuftice drent excepté le Capitole , Et n'auint aux Ro
des Romais mains cefte ruine , que feulement de n'auoir ob
contre les ferué & gardé iuftice en ce qu'ils auoient diffe
Gaulois . ré honneur, en lieu de punition ,à leurs Embaf
fadeurs violateurs du droit des gens. Pource eft
digne de confideration l'egard que doit auoir
tout Prince & Republique à ne faire tel tort
ou iniure, nonfeulement à vn peuple , au com
munité: mais auffi à vn feul particulier . Carfil
auient qu'vn homme foit grandement offen
fé ou outragé par vne Republique , ou perfon,
ne priuee , dont il ne fe voye vengé & fatisfait,
fil vit en vne Republique , lne ceffera de pour
challer fa vengeance voire pluftoft auecques la
ruine d'icelle : Et fil eft foubs vn Prince & qu'il
ayt quelque point d'honneur en la refte , iamais
n'aura repos iufques à ce qu'il fe foit vengé de
fon ennemy.le deuft il faire auecquesfon grand
dommage. Dequoy ne fe pourroit trouver plus
Da Roy bel exéplene plus vray que de Philippe de Ma
Philippede cedone , père du grand Alexandre . il auoit en
Macedone. fa court vn Gentilhomme icune d'excellente
beauté, nommé Paufanias , de qui eftoit amour
Attalus. reux Artahis, I'vn des premiers & plus proches
feruiteurs du Roy : lequel apres l'auoir plufi
eurs fois pourfuiuy & requis d'amour, le trou
uant forteflongné de fa volonté en tel affaire,
delibera de pratiquer par force & aftuce , ce
à quoy tous autres moyens luy auoient failly.
A cefte fin fit vn feftin folemnet , auquel il eut
Paufanias
SVR LA 1. DECA . DE TIT. LI. 177
Paufanias & maints autres nobles Barons : Et Panfania
lors qu'illes aperceut acouſtrez de vin & vian
des, fit mettre la main fur le mignon, &le mener
en lieu fecret, où ne luy fuffit pas d'eftaindre fes
chaleurs & affouuir fon orde concupifcence ,
fans'en donner pareil plaifir à plufieurs qu'il y
appella pour luy faire hote.De ceft outrage Pau
fanias ne fut pareffeux de foy plaindre fouuent
Roy Philippe, lequel l'entretint vn temps en
efperance de luy en faire raiſon.Et apres,en lieu
dele venger , donna à celuy Attalus le gouuer
nement d'vne prouince de Grecc . Ce que voyat
Paufanias & fon ennemy efleué en honneur &
faucur
, pour la punition qu'il auoit defferuie,
commença à tourner contre le Roy , qui luy a
uoit denié iuftice, toute l'indignation qu'il auoit
conceue contre celuy de qui procedoit l'iniure.
Tellement que le iour folemnel des nopces de
la filleduRoy auecques Alexãdre d'Epire, ainſi
quePhilippe alloit au temple pour les celebrer,
apuyé de deux Alexandres, de fon filz d'vn co
fé, & de fon gendre de l'autre , le vint rencon
trer & le tua de fa main . Ceft exemple eft fort
femblable à celuy des Romains, & digne d'eftre
noté par ceux qui gouuernent:lefquelz ne doy
uentfipeu eftimer vn homme qu'ils ne confide
rent qu'en rechargeant iniure fur iniure . Celuy
qui fe fent outrage ne pourpenfe que de fen
venger , quelque dommage & perilqui luy en
peuft auenir.
Z
DISC . DE NIC . MACCHIA .
Fortune aueugle les efpritz des hommes quand el
le ne veult qu'ilsf'opposent àfes deffeins.

XXIX.
Chapitre

Vi bien confiderera le cours des


humains affaires, verra fouuentes
fois naiftre mains accidens , aux
quelz le ciel ne vouloir pas qu'on
pourueuft . Et puys que ce cas eft
auenu à Rome,là où la vertu, la religion , & or
dre eftoit fi grand , ce n'eft merueille que trop
plus fouuét auient à vne Cité ou Prouince del
pourueue de telz remedes . Et pource que ce
licu eft notable à demonftrer quelle puiffance a
le ciel fur les chofes humaines , Tire Liue l'a de
duit en paroles amples & d'efficace, difant: que
le ciel voulant à quelque fin que les Romains
conneuffent leur puiffance,induit premieremét
à erreur les Fabiens qui furent enuoyez Embal
fadeurs vers les Françoys , tant que par leur ex
ploit ils fuffent efmeuz à guerre contre Rome.
Depuys ordonna qu'il ne fuft fait à Rome cho
fe digne de peuples Romains pour celle guerre
reprimer,faifant que Camille fuft enuoyé en e
xil à Arde, lequelpouuoit eftre feul & vnique
remède à fi grief mal . Encores depuys venans
les Françoys à Rome, ceux qui pour reſiſter aus
entrepriſes des Volfces & autres voyfins enne
mys de Rome,auoient maintesfois creé vn Di
ctateur à la venue des Françoys , ils ne le firent:
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI
198
voire furet affez froids à leuer leurs foldatz,fans
y vferd'aucune diligence extraordinaire , & fi
longs & tardifz aux armes prendre , qu'à peine
fetrouuerent à temps pour rencontrer lesFran
Coys fur la riuiere d'Albe , loingtaine de Rome
de dixmille . Les Tribuns ou Marefchaux du

Campfecamperent fans aucune diligéce accou


frumee,fans electió du lieu,fans foffé , fans rem
part:Brief fans aucu refpect de diuin ou humain
remede . Et en l'ordonnance de la bataille tin
drent leurs rengs fi clairs & debiles , que nul
des foldarz ou Capitaines fit acte aucun, digne
de la difcipline Romaine : Car le conflit paffa
fans effufion de fang, fuyans tous auant qu'eftre
afailliz . Dont la meilleure part alla à Vege ,
autre fe retira à Rome . Ceux cy, fans mettre
le pied en leurs maifons , tirerent droit au Ca
pitole . Ileft vray que là ils tindrent quelque
meilleur ordre & non tumultuaire , ne charge
antlelieu de peuple inutile , y portant toutle
forment qu'ils
peurent recouurerpour foufte
nirlefiege. La plus partde la commune inuti
ledes vicillesgens & femmes & enfans fenfuic

aux lieux circonuoyfins, le refte demeura à Ro-,


mepour proye des Françoys . Tellement que
qui auroit leu leurs geftes par tant d'annces pre
cedente fubfequentes , ne pourroit croyre
s &manier
en aucune e que c'euft efté vn mefme

peuple . Dont conclud Tite Liue , apres auoir


deduit le defordre fufdit :

Zij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Adeooccacatanimosfortuna , cùm vim fuam in
gruentem refringinon vult.

Tant aueugle fortune les efprits quand elle


ne veult fon effort eftre deftourné & empeché.
Et ne peult eftre fentéce plus vraye,dont en
fuit que les hommes viuans ordinairement es
grandes profperitez , & auerfitez meritér moins
de blafme ou de louage,à caufe que le plus fou
uent vous lesvoyez reduits en eftat de ruyne, ou
de grandeur, par certaine commodité, procedát
du ciel, & leur donnant ou oſtant occafion de
bien faire . Fortune fçait eflire vn perfonnage,
quand elle tend à hault affaire , qui foit de tel ef
rit & vertu, qu'il entende les occafions qu'elle
prit
luy prefente, & quand elle a proietté quelque e
uerfion, ou ruyne , y fçait mettre &eftablir hom
me qui bien puiffe pouffer à la roue.Et fi d'aua
ture y auoit qui peuft ropre fes deffins , ne fault
point a en depefcher le païs , ou a le priuer de
toute puiffance qu'il auoit à luy refifter ou faire
aucun bien . Ce qui fe void clairement en ceft
endroit,auquel fortune,pour conduire Rome à
celle grandeur, où depuys elle paruint, iugea ne
ceffaire de l'abatre, comme fera difcouru à plein
à l'entree de noftre tiers liure : toutesfois ne la
voulut du tout ruyner . A cefte fin voyez com
me elle pratiqua l'exil & banniſſement de Ca
mille,& nonla mort moyena la priſe de Rome,
no du Capitole, deftourna les Romains de tou
te defence de la ville qu'ils pouuoient pourpen
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 179
fer, en leur laiffant quelque fens & entendemer
pour la defence duCapitole . Ce fut elle qui mo
tra le chemin de Vege aux foldatz rompus au
presd'Albe,pour faire tel marché de Rome à
fes ennemys . Et come elle empefcha toutes les
voyes de falut refiftans à fon deffain de ruyne,
auffi apres n'oublia rien de tout ce qui pouuoit
feruir au recouurement d'icelle . Par ce conduit
elle à Vege vne armee de Romains entiere &
Camille à Arde,pour faire tefte foubs vn Capi
taine no maculé nehonny de telle perte , & pur
& entier en fa reputation , par le recouurement
du païs.Affez fe pouuoient alleguer d'exemples
nouueaux confirmatifz de cefte opinion , fi ce
eftuy feul n'eftoit plus que fuffifant.Ie ditay bien.
ee
d'auárage & affermeray, que felon qu'il le void
par toutes les hiftoires,il eft bien en nous de fe
conder fortune , non pas de luy refifter , & de
tiffir l'ordre de fes deffeins, non pas de les rom
prepourtat ne doit nul lafcher la bride à fa for
tune,ne fçachant le plus fouuent la part où elle
tend ,& connoiffant que de couftume elle va à
trauers champs par deftours & voyes efgarees &
inconneues .Pour ce deuons toufiours efperer,
efperát
& en
nous ayder,no pas les yeux clos &
la tefte baiffee nous fourrer es perils & dagers ,

Les Republiques les Princes de vraye puiffan


ce bienfondee ne comparent les amytiez,
par argent mais par vertu repu
tation de leurforces.
Z iij
DISC. DE NIC. MACCHIA.

chapitre XXX.

Es Romains eftoient affiegez au


Capitole , & combien qu'ils at
tendiffent le fecours de Vege &
de Camille , eftans chaffez & con
traints par famine,vindrét à com
pofition auecques les Françoys de foy racheter
A
de certaine quantité d'or . Er fur telle conue
nance, ainfi que l'or defia fe pefoit, Camille fur
uintauecques fon armee: ce que fit ( dit l'hifto
rien) fortune.

Vt Romani auro redemptinon viuerent.

A fin que les Romains ne vefquiffent par ran


çon. i
Lequel point n'eft feulement notable en ce
fte part; mais auffi au progres des actions de ce
fte Republique , efquelz fe void que iamais ils
n'aquirent terre à beaux deniers, iamais ne firét
paix par argent , mais toufiours par vertu des ar
mes .Ce que je ne croy eftre onques auenu à
aucune autre Republique . Et entre les autres
fignes à quoy l'on connoift la puiffance d'vn e
ftat,c'eft de voir comme il vit auecques les voy
fins . Et quand il fe gouuerne en forte que les
voyfins , pour auoir fon amitié , foyent fes pen
fionnaires , alors eft figne certain que tel eftat
elt puillant:mais quad fes voyfins ( encores que
inferieurs à luy)tirent argent de luy, c'eft grand
SYR LA I. DECA. DE TIT. LI. 180
figne de fa debilité . Qu'on life toute l'hiftoire
Romaine, l'on verra comme ceux de Marfeille,
ceux d'Autun, les Rhodians, Hieron le Siracu
fian, Eumenes, & Mafiniffa , les Roys, lefquelz
eftoient tous confins à l'Empire Romain , pour
gagner fon amytié , mettoyent tous les mains à
laboarfe, & couroient aux fraiz & tributz à fon
befoingne cherchans de luy autre recompen
fe que deftre defenduz . Au contraire l'on verra
esfoybles eftatz commençant par le noftre de
Florence , au tempspaffe fur le point de fa plus
grande reputation , il n'y auoir à petit Seigneur
cala Romagne , qui n'cuft d'elle quelque pro
uifion, & d'auantage en donnoit aux Perufins,
aux Caftellans,& à tous fes autres voyfins . Et fi
cefte ciré cuft efté armee & gaillarde,tout fuft al
leau cótraire : Cat cux tous,pour eftre en fa pro
tection , lay cuffent donné argent , & cherché,
non de luy vendre leur amitié : mais n'acheter
lalienne .En cefte honte & vilité les Florétins
n'ont vefcu tous feulz : mais les Venitiens auffi
memes le Roy de France , lequel eftant domi- Aneliſſe
nateur d'vn tel Royaume , vit tributaire des ment pour
Suyffes & du Roy d'Angleterre . Ce qui proce -les Roys de
de d'auoir defarmé fes peuples, & d'auoir mieux France .
aymé ce Roy, & les autres que viens nomer, de
jouir d'vne vtilitéprefente de pouuoir faccager
lespeuples, & fuyr vn danger plus ymaginatif
que veritable : ne penfans à faire chofes qui les
allcureroient & reduiroient leurs cftatz en per
petuelle felicité: lequel defordre, fil porte pour
Z iiij
DISC. DE NIC. MACCHIA .

#
2
quelque temps quelque repos ,eft caufe par fuc
ceffion de temps de neceffité de pertes & ruy
nes fans remedes . Il feroit trop long à raconter
quantesfois les Florentins , les Venitiens , & ce
Royaume,fe font rachetez fur la guerre, & quá
tesfois fe font fubmis à vne honte, au danger de teat
laquelle les Romains iamais ne furent qu'vne Sele
feule fois .. Long feroit à deduire,combien de Ce
terres les Florentins & Venitiens ont achetees
à beaux deniers contens : dequoy eft depuysa
paru le defordre , & comme les chofes qui fac Hap
quierent par or,ne fe peuuent par fer defendre .
Les Romains garderent ce point d'honneur &
cefte maniere de viure tant qu'ils vefquirent li
bres: mais depuis qu'ils entrerent foubs les Em TETE
percurs commencerent à empirer & à aymer &
preferer l'ombre au Soleil . Commencerent à ang
foy racheter ores des Parthes , ores des Ger
mains, ores des autres peuples circonuoyfins : ce
qui fut commencement de la ruyne de ce grand
Empire . Auffi procedoient telz inconueniens
d'auoir defarmé les peuples , dequoy en refulte
vn autre plus grad , c'eft que tant plus que l'enr
nemy t'aproche , plus il te trouuc foyble & de
bile . Car celuy qui vit en la maniere deffufdite
traite mal les fubietz qu'il a dedans fon empire,
fentant auoir gens bien appareillez à tenir fon
ennemy loing de luy . De cecy vient que pour
ainfil'eflongner il fait penfion à ces Seigneurs
& peuples prochains de fes frontieres . Dont
auient que telz eftats ainfi ordonnez font quel
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 181
que peu de refiftance fur leurs confins & limi
tes:mais depuis que l'ennemy les a paffez, ilz ne
trouuent plus de remede , & ne fauifent que ce
moyen de proceder eft contre tout bon ordre:
carle cueur & les parties vitales d'vn corps fe
doiuent tenir armees & non pas les extremitez,
fans lesquelles il peut viure, & l'autre blecé il fe
meurt. Et ces eftatz que ie dy tiennent leurs
cucurs nudz & defarmez , & leurs mains &
piedz armez . Le dommage que ce defordre a
fait à Floréce a efté veu & fe void chacun iour,
que fi toft qu'vne armee paffe fes fins, & luy en
te pres du cucur, c'eftfaict d'elle. Pareille expe
rience n'a pas long temps efté veuë des Veni
mtiens ,voire telle,que fi leur ville n'eut efté ban
dee & enuclopee d'eau, on en eut veu la fin.Ce
te preuue n'a efté veuë en France fi fouuent , e
ftantceRoyaume fi grand,qu'il n'a gueres d'en
nemisfuperieurs. Toutesfois l'an mil cinq cens Du Royau
& treize que les Anglois y vindrent, tout le païs me de Fra
rembla; & le Roy mefme & tout autre iugeoit ce.
qu'vne feule route luy pouuoit tollir fon eftat.
Aux Romains aduenoit tout autrement , que
tant plus l'ennemy approchoit pres de Rome,
tant voidtrouuoit
Etfeplus la cité puiffante à luy refifter.
à l'arriuee d'Annibal en Italie , qu'a

pres trois journees perdues , & apres tant de


mortz Capitaines & de foldatz , non feule
deeurent
ment ilz pouuoir de fouftenir leur en

nemy,mais de le vaincre . Letout vient d'auoir


lecucur bien armé,& tenirpeu de conte des ex
DISC. DE NIC. MACCHIA.
tremirez . Car le fondement de fon eftat eftoit le
peuple de Rome, le nom Latin, & les autres na
tions compagnes & affocices en Italie , & auffi
leurs Colonies, dont ilz tiroient tant de foldatz,
qu'ilzleur fuffirent à combattre & tenir tout le
monde. Et qu'il foit vray, fe cognoit par la de
mande que fit Annon Cartaginois aux Embaf
fadeurs d'Annibal, apres la deffaite de Cannes:
lefquelz ayans haut loüé & magnifié les faitz
d'Annibal, Annon les interrogea,fil eftoit venu
quelqu'vn du peuple Romain parlementer de
paix, & fi aucun du nom Latin, ou aucune terre
des Colonies feftoit rebellee contre les Ro
mains. Ce que nians les Emballadeurs tant en
I'vn qu'en l'autre , Annon repliqua que cefte
guerre cftoit aufli entiere que deuant. Partant
voyez & par ce difcours & par ce que plufieurs
fois nous auons dit ailleurs , quelle diuerfité y a
de la maniere de proceder entre les Republi
ques prefentes & les antiques. Encores le void
chacun iour par ce poinct pertes miraculeuses,
& miraculeufes.conqueftes : parce que où les
hommes ont moins de vertu , fortune monftre
plus de puiffance, & d'autat qu'elle eft variable,
fouuent vatient les Republiques & les eftatz, &
toufiours varieront , iufques à ce qu'il fe leue
quelqu'vn tant amy de l'antiquité qui bride &
renge cefte dame en forte , qu'elle n'ait plus oc
cafion de montrer les tours de fon pouuoir à
chacun tour du Soleil.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 182

Combien de dangery a d'adiouster foy & fian


ce aux bannis .
1

9
Chapitre XxxI. :

L ne me femble hors de propos de


deduire entre ces difcours, quel pe
ril y a à foy fier en ceux , qui font
chaffez hors leur païs naturel, eftant
ainfi
que chacun defire à pratiquer auecques
ceux qui tiennent les cftatz,veuë l'occafion que
Tire Liue nous en donne par ceft exemple me
morable couché en fon hiftoire , combien que
allezhors de propos.Quand Alexadre le grand
pallaen Afic à main armee , Alexandre d'Epire
4ti
fon ayeul defcendit en Italie auecques fa puif
fance,appellé parles ban
nis de Luques , qui luy
donnoieref
peranc d'occu p l m
e per ar eur oyen
toute la prouinc : Mais eftant fouz leur foy en
e
é en Italie,fur meurd
ry par eux mefmes ,pour
a pnnris
ba effelequurirleefutr fut fait, feiplarPl'eaurs citoocycens.
om,de
itution z uoint is
En
adioquf yrfe
uote do co
à it nfiderer
quelle foy on peut
gens qui font priuez & bannis de
leurpaïs. Car quant eft de leur foy,il eft à efti.
mer,que par quelques moyens qu'ilz pourront
r'entrer en leur païs , fans voftre ayde , ilz vous
laifferont
pour faccofter d'autres , nonobftant
promeffe qu'ilz vous
ayent faite.Et quant à leur
vainepromeffe & efperáce, tel eft le defir qu'ilz

ont de retourner en leurs maiſons , qu'ilz croyét


DISC . DE NIC. MACCHIA.
naturellemét maintes chofes faufes, & pluſieurs
en adiouftent par art : en telle forte qu'entre ce
qu'ilz croyét, & qu'ilz fe dient croire, vous rem
pliffent d'efperance telle,que fur ce fondement
vous mettez en fraiz inutiles , ou faites quelque
entrepriſe à voftre ruync. Or nous fuffira ceft
Themifto- Alexandre pour exemple, & Themistocles l'A
cles. thenien,lequel par vne rebelliofe retira en Afic **2
vers Darius , & tant luy promit, que fouz fa pa
rolle il entreprit d'occuper la Grece. En quoy
ne luy pouuant Themistocles garder & accom
plir fa foy, ou de honte,ou par crainte de puni
tion, fempoifonna luy mefmes. Et fi telle faute
fut commife par fi excellent perfonnage, eſt à e
ftimer que beaucoup plus y faudront ceux qui
par moindre vertu fe laifferont mener à leur vo
lonté & paffion. Il faut doncques qu'vn Prin
ce face de gayeté de cueur toutes telles entre
prifes , & fondees fur le rapport d'vn homme
confiné , pource que le plus fouuent il en tom
be en deshonneur & grief dommage & inter
eft. A caufe que fouuentesfois aduient que les
terres fe prennent d'emblee & par intelligence,
il ne fera impertinent de le difcourir au chapi
tre fuyuant,y adiouſtant en quelles manieres les
Romains les acqueroient.

Is combien de moyens vfoient les Romains pour


gaigner& emporter lesplaces.

Chapitre XXXII.
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 183
Stans les Romains du tout fur
les armes , ilz les ont toufiours
manices auecques tout l'auanta
ge tant des fraiz que du refte, qui'
f'eft peu trouuer. A cefte caufe
nefe font amufez à affieger villes , iugeans cefte
maniere de conquefte eftre de fi grande def
pence,que le couft pafferoit trop le proufit qui
fenpourroit efperer. Dont ilz penferent que
mieuxleur valoit acquerir terres par tout autre
moyenque par fiege. Auffi voyez vous par fi
long cours de temps & par tant de guerres bien
peu d'exemples de places par eux affiegees:mais
elesmoyens dont ilz vfoient à gaigner terre , ou
Parprife & expugnation , ou par crainte de foy
eur rendre. Le premier, fr pratiquee , ou de pleine
Polence, ou parforce & fraude meflee. La vio
Cours
lenceouuerte eftoit ou par affaut , fans batterie
JOTE demurs >
ce qu'ilz appelloient , Aggredi vrbems
Corona.C'eft à dire , affaillir la ville en couronne
on ceinture :car ilz enuironnoient & ceignoiét
COC la villeauecques tout leur oft , & luy liuroient
l'allaut de toutes parts: & fouuent leur adue

noit d'emporter vne cité du premier affaut , có.


www me fit Scipion de Cartage neufue en Eſpagne .
Et quand ce moyen ne fuffifoit , ſe mettoient à
rompre muraille à force de beliers , ou autres
enginsde
foient machines belliques. Aucunesfois v
& mines
, par lefquelles ilz entroient de
dansles villes, comme ilz firent à Vegé autres

fois, pour fe leuer auffi haut que ceux qui def


DISC , DE NIC . MACCHIA.
fendoient le mur , dreffoient des tours de bois,
ou faifoient des leuees de terre appuyees aux
murs par dehors,pour venir iufques à la hauteur
d'iceux. Contre telz aflauts , ceux qui deffen
doient les villes eftoient en plus grand danger
au premier cas, eftans ceints à l'entour, d'autant
que befoing leur eftoit d'auoir trop de gens à la
deffenfe : lefquelz n'eftoient en fi grand nom
bre qu'ilz peuffent fuppleer à tout, & feruir à
renfort, ou à changer & raffraichir : Et fil n'y a
uoit faute au nombre , elle eftoit au cueur , qui
ne fe trouuoient pareil en tous : Et fi en vn feul
endroit branloit la deffenſe, & fenclinoit la for
tune du conflit , tout eftoit perdu . Ainſi aduînt
(comme l'ay dit ) que cefte maniere eut fouuent
tresheureufe yflue.Mais au cas que ce moyen ne
leur fuccedaft au premier coup , ilz ne le ten
toient pas volontiers deux fois, pour l'inconue
nient qu'ilz y trouuoient , que leurs gens par fi
long travail de l'affaut ne reftaft fi laffé & re
creu, qu'ilz ne peuffent fouftenir vne faillie fou
daine faite par ceux de dedans , & à la longue
fe miffent en defordre & hors d'alcine. Quant
à la rompture des murs,les villes (comme à pre
fent)fe deffendoient de rempars & pour les mi
nes vfoient de contremines ,par lesquelles ilz al
loient par deuant leur ennemy auecques armes
ou auec engins. Entre lefquelz vfoient fouuent
de tonneaux pleins de plume , où ilz mettoient
le feu , puis les iettoient enla mine , & par leur
fumee & puanteur empefchoiet l'entree aux al
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 184
fallans:& quand on les vouloit battre auecques
ceshautes tours , ilz fefforçoient à les ruyner
par feu . Contre les leuees de terre ilz rom
poient le mur au bas où la terre eftoit appuyce,
entirant par dedans autant qu'on en changeoit
padehors : fi bien qu'en fubftraiant autant que
On enpouuoit mettre , la peine demeuroit vai
nt,&la leuce ne montoit point. Ces manieres
dexpugnations ne fe peuuent tenter longue
ment ,& faut alors ou leuer le camp , ou cher
cher par autres moyens la victoire , comme fit
Scipion en Afrique,lequel ayant fally à prendre
Vtiqued'affaut , voyant qu'il ne luy fuccedoir,
leualefi ege,& tenta de rompre les oftz des Car

taginois : ou conuient en tel cas foy tourner au


GP ege,comme les Romains firent à Vege , Ca
pue,Cartage, Ierufalem, & autres terres , qu'ilz
Occuperet par long fiege.Quant à acquerir pla
ce par violence furtiue, il en aduient comme il
ta Palepolis, que les Romains gaignerent par
traité & intelligence de ceux de dedans.Par ce
fte manie
tentere d'expugnation maintes places pcu
efté es par les Romains & autres : & ont
fontvenues àfouhait.La raifon eft que le moi
n
dreempefchement du monde peut romprele
deffein,& telz empe
fchemens furuiennent ai
fement. Car oula
coniuration fe defcouure a
uant qu'elle forte effect , & ne fe defcouure que
trop facilement, tant parl'infidelité de ceux à

qui elle eft communiquee , que par la difficulté


qui eft à la pratiquer : d'autant qu'il faut con
DISC. DE NIC. MACCHIA. 71
uenir & foy trouuer auecques ennemis & gens,
à qui n'eft loiſible de parler fans quelque cou
leur : mais quand la coniuration ne fe defcou
uriroit au manier mille difficultez fourdent a
deF
pres à la mettre en acte : Car fi tu viens auant le
temps defigné, ou fi tu viens depuis , tout eft ga
fté : fil fe leue quelque bruit, ou rumeur fecret, ni
comme des Oyes au capitole:f'il le rompt quel
que ordre accouftumé, la moindre erreur &
depl
faute qui fe rencontre , ruyne l'entrepriſe. Puis olef
eftant la plupart des hommes que l'on meine OsCe
en tel affaire ignorans de l'affiete du païs & des dernie
lieux où ilz vont,ilz fe confondent, fengluent,
de
& fenueloppent pour tout petit & fortuit ac
&t
cident : & toute imagination faufe eft pour les fou
mettre en fuitte.lamais ne fe trouua de plus heu re
reux en telles expeditions nocturnes & fraudu ico
Aratus leufes que Aratus sicioneus, lequel autant qu'il dez,
Sicionens. y eftoit bon & vaillant , autant eftoir couard &
3aut
pufillanime de iour , & en tous faitz d'armes
ouuertz & euidens. Ce que l'on doit iuger a d
efp
uoir efté en luy plus par quelque vertu occul #3300
te, que par aucune felicité, qui naturellement y VDC
deuft eftte.Doncques de telz moyens affez fen
pratiquent , peu fe conduisent à l'efpreuue , &
moins encores fuccedent. Quant eft de gai 25.203.
gner places par dedition, ou elles fe rendent vo
lontairement , ou forcees. La volonté naiſt ou
2
de quelque neceffité extrinfeque , qui les con
traint à chercher refuge , comme fit Capue aux
Romains , ou par defir d'eftre bien gouuernez,
eftans
SVR LA P. DECA. DE TIT. LI. 185
eltans attraitz & inuitez du bon gouuernemét,
dant ilz voyent ce Prince vfer enuers ceux qui
de leur gré fe font iettez en fon giron : comme
frentceux de Rhodes, de Marfeille, & autres ci
tez femblables,qui fe donnerent au peuple Ro
main,Quant à la dedition forcee, où telle force
procede d'vn-long fiege ( comme deffus a eſté
dit)ou elle vient de continuelle oppreffion de
courfes,de pilleries , & autres mauuais traite
mens:pour leſquelz fayr vne ville fe vient ren
dre. De tous ces moyens , les Romains vferent
plus du dernier que des autres , & entendirent
Pl'efpace de plus de quatre cens cinquante
1 ans à laffer & trauailler leurs voifins de routes,
Ist
courfes,& foutrages, & à prendre ( moyennant
sher
leaccordz ) reputation fur eux, comme autres
fois auos difcouru, & fur ce moyen fe font touf
CA jours fondez, encores qu'ilz les ayent tous ten
temais és autres ilz trouuerent toufiours quel
www que danger ,
ou dommage . Car au fiege y a lon
gueur & defpenfe : en allaut y adoute & peril:
0124 esconiurations , incertitude. Auffi ilz véirent
que par vne route d'armee ennemie , ilz gai
gnoientvn Royaume en vn iour, & à emporter
UK Vhe cité obftinee par ficge ilz confommoient
plufieurs ans.

Comme les Romains donnoient les commißions


libres aux chefz de leurs armées .

chapitre XXXIII. 14.


AA
‫ד‬
D.IS C. DE NIC. MACCHIA.
' Eftime que voulant tirer proufit
de l'hiftoire de Tite Line,tous les
moyens de proceder que renoit
le Senat & peuple Romain foient
digues d'eftre reuoquez en confi.
deration. Et entre autres eft à prendre garde
auecques quelle autorité ilz depefchoient leurs
Confulz, Dictateurs , & autres Capitaines , def
quelz on void le pouuoir auoir efté trefgrand,
& tel, que le Senat ne f'en referuoit que l'au
torité de mouuoir nouuelle guerre, & de con
firmér les paix & traitez d'accord : remettant le
furplus à l'arbitre & puillance du Conful , le
quel pouuoit donner vne bataille , fi bon luy
fembloit , ou bien ne la donner pas , & affeoir
fon camp en cefte terre,ou autre. Ce qui fe ve
rifie parplusieurs exemples, mefmement par ce
qui aduint en vne expedition faite contre les
Tofcans en laquelle" Fabis Conful les ayant
vaincuz près des Sutres, & faifant deffein apres
de paffer la foreft Cimine pour entrer en To
fcane , tant fen falut qu'il enuoyaft vers le Se
nat demander fon aduis , qu'il ne luy en man
da feulement les nouuelles : Combien que telle
entreprinse de guerre fe feit en nouucau pais,
en grand danger & iffue incertaine . Ce que tef
moigne d'auantage la deliberation que le Senat
Pitoire de auoit fait au contraire , lequel ayant entendu la
Fabius con victoire de Fabius , & craignant qu'il ne tentaft
tre les To- de trauerfer par celle foreft en Tofcane, dontil
jeans. cftimoit l'entreprife fort perillcufe, à cefte cau
¡
SVR LA 1. DECA . DE TIT. LI. 186
HIreAr leenuoya ers uy eux Senateurs our 'auer
Cti p v l d ,p l
er n e anger
tir de ne fexpof e c dé : maiirse il auoite
i nue,epoue f é utre g n o l
L
r
e q r d e f i a p a f o ,& g a i l v t
a i c . Tel
ment qu'au lieu de venir comme deftou rne urs .
omainlo
& empe fche urs de guerre , ilz fen retournerent
uezCoc
ender Embaffadeurs de fa gloire & conquefte.Or qui
rcho bien confiderera ce poinct,y cognoistra vn tour

ais de grande prudence , autrement file Senat eut


apir ,d
voulu qu'vn Conful eut procedé en la guerre
ite treg
cuoitque quafi de main en main , felon qu'il luy mode
Tre,&decroit fa commiffion de iour en jour , cela le ren
tan doit plus tardif,negligent, & moins auife :parce
remet qu'il ne fepromettoit le fruit entier de la gloi
d: Caat ,
le , bonla retains luyfembloit c le Senat y auroit part,
t
es duquel coi
s
pa , &aif f e c par
.
t
l'aui
O u r
' e n il fysefto a t dui
itncon
o b ltig& gouuerō
Ce qu le né qu ce ca le Se f' àd
t eil n n ffaire u'il 'eut ceu amais
emenpar het conf e .vCara , q nt n
a f i
e bst
ndr 'en ecfte com
i t e b ien ente n ono que
e n
altt uclo a i e n d b r
a les Pag n z
y netuet vn fi gr a no m de g
n rime t rre i gens
t deffei a expe au faic de la gue , f eft ce que
itezfur les lieux,
n'eftans & ne voyans à l'œil s parri
cular ies ui ont ceffaire uoir
ft verse
aentret infin q f ne t , afla
o u r i r i n m e n
eluycap affeo vraey & certa iuge , foy vou
H e m e ttr i l l er tain
es
Jans entr e
de conf leurs Capi ,
bien quue ent ommis e rop randes autes 'eft
o u u ea Ce cuff c it d t ger
h f e .C
ne.Ce ilzqui l'a indu à leur lafc la brid , & leur
t e r t n e u r ien
u e e s quit tou le loz & hon qui en prou
q l l oit 'amour ftre rein
t oit que il iuge
at enten dr ,dfu i fante es uures neftecs
l f & ersei
ucuſ
l
g fe u f d q ho & vert .
'ilner ct u us vne
e f t n o i n u e o u s y esb a t
e C v p q v a ure pl d'
fear , d nt ue s publiq e
t e fois, voya q le Re d e noftr reps
3ca
A A ij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
(comme celles de Veniſe & de Florence ) en
vfent tout autrement : en forte que fi leurs Ca
pitaines, Pouruoyeurs , ou Commiffaires ont à
affeoir vne artillerie , ilz en veulent eftre aduer
'tis & en ordonner : mais ceft ordre merite
pareille louange que font les ordres,
lefquelz tous enſemble les ont
conduites en l'eftat que
5 "T l'on les voit main
T
14 tenant.nom .

Fin du second liure des Difcours


8 de Macchiauel.

Fuss
-:

1 {

.2 202.1
187

Co
S HA
C
0625

5, LE TROISIEME LIVRE

DES DISCOVRS DE NI
COLAS MACCHIAVEL CI
toyen & Secretaire de Florence,
fur la premiere decade
de Tite Liue.

Pourmaintenir une secte ou vne Republique en lon


gue vielafautſouuent retirer versfes
·commencemens.

Chapitre 1.
1.

'Eft vn poinct veritable,


qu'il y a vn terme de vic
prefix & limité à toutes
chofes du monde:mais en
tre les autres celles parfont
tout le cours,qui generale
ment leur eft ordonné du
ciel, lefquelles ne font exces de leurs corps :ains
le tiennent en fibonne reigle & regime qu'il ne
faltere point, où fil faltere , c'eft à fon auantă
ge,non à fon dommage . Or ie parle des corps
mixtes & compofez , comme font les Republi
A A iij
DISC. DE NIC. MACCHIA .
ques & les Sectes, & dy que les alterations por
tent fanté à celles qui les reduifent vers leurs
Renouuel principes. Partant les mieux ordonnees , & de
lement de plus longue duree font celles, qui ( moyennant
Republi- leurs ordres) fe peuuét fouuent renouueller: ou
ques. qui par accident fans leurs ordres viennent à ce
renouuellement. Auffi eftplus clair que le iour
que telz corps ne durent,filz ne font renouuel
lez:& la maniere de les renouueller eft (commc
i'ay dit ) les ramener vers leur Prince . Car il faut
bien que les fondemens de toutes Sectes , Re
publiques, & Royaumes , ayent quelque bonté
en eux, par le moyen de laquelle ilz reprennent
leur premiere reputation & accroiffement. Et
d'autant que parfucceffion de temps cefte bon
té fe corrompt , fil n'entreuient quelque chofe
qui la reduife à fon but,par neceffité elle deffait
ce corps. A cefte caufe dient les auteurs de Me
decine (parlans des corps des hommes)

Quod quotidie aggregatur aliquid, quod quande


• que indiget curatione.

2. Que chacun iour il famaffe quelque chofe en


nous, qui aura apres befoin de purgation.
" Cefte reduction vers le premie cftre
r (i'entés
parler des Republiques) fe fait, ou par accident
exterieur, ou par prudence interieure.Quant au
premier, l'on void comme il eftoit neceffaire
que Romefut prinfe par les François , à fin que
elle vint quafi de nouueau à renaiftre , & en re
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 188
naiffant, reprint nouuelle vie & vertu, auecques
obferuance de la religion & iuftice , lefquelics
commençoient en elle à prendre tache. Ce qui
fe comprend trefbien par l'hiftoire de Tite Li
ue , où il declare , qu'à tirer l'armee aux champs
contre les François , & à chercher les Tribuns
depuiffance confulaire, ilz ne garderent aucun
poinct de cerimonie religieufe. De mefme main
non feulement ilz ne punirent les trois Fabiés,
qui contre le droict des gens auoient combattu
aux François : mais les creerent Tribuns . Auffi
fedoit facilement prefuppofer , que l'on tenoit
moins de conte des autres bones conſtitutions
eftablies & ordonnees par Romulus, & par ces
autres Princes prudens , que raiſon ne vouloit,
& que neceffaire eftoit à l'entretien de l'eftat de
leur liberté. Ce fouët doncques leur vint de de
hors bien à propos, pour faire reprédre tous les
ordres de la cité, & pour donner à entendre à ce
peuple ,non feulement estre neceffaire mainte
nirla religion & la iuftice, mais d'auantage cfti
les bons citoyens, & faire plus de conte de
mervertu
leur ..
, que des profitz qui leur fembloient
demeurer
, ou diminuer par les œuures. Ce que
Ponvoid auoirfuccedé bien à point:car incon
tinent apres la ville reprinfe, ilz renouuellerent
tous les ordres de leur religion ancienne , pu
nitent ces Fabiens qui auoient combattu con
tre le droit des gens : puis tant priferent la ver
tu de Camille,que le Senat & les autres ordres,
touteenuic mile en arriere , remettoient en luy
AA iiij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
tout le poix de ceſte Republique.Il eft docques
neceffaire ( comme a efté dit ) que les hommes
qui viuét enſemble en quelque eftat, fe cognoif
fent fouuent, ou par telz accidens exterieurs ,ou
par interieurs. Et quant à ceux cy conuient que
cela naiffe ou d'vne loy , laquelle fouuent ren
uoye le conte des hommes quifont en ce corps,
ou d'vn homme de bien qui naiffe entr'eux : le
quel par fon exéple & par fes œuures vertueu
fes,face mefme effect que l'ordonnáce. Ce bien
doncques aduient aux Republiques , ou parla
vertu d'vn perfonnage, ou par la vertu d'vn bon
Renouvel ordre. Or quant au dernier , les ordres qui reti
lement par roient la Republique Romaine vers fon princi
vertu des pe furent les Tribuns de la commune, les Cen
ordres, feurs , & toutes les autres loix qui refiſtoient à
l'ambition & infolence des hommes : lefquelz
ordres ont befoing d'eftre quafi viuificz par
vertu d'vn citoyen , qui de grád courage & har
dieffe viennent à les executer contre la puiffan
ce de ceux qui les rompent & enfraignent. Def
Executions quelles executions, auant la prinfe de Rome par
des citoyes. les Gaulois , furent notables la mort des enfans
de Brutus, celle des dix Citoyens , celle de Me
Lius Frumentarius. Apres la prinfe de Rome futla
mort de Manlius Capitolinus , la mort du filz de
Manlius Forquatus , l'execution de Papirius Cur
for , contre Fabius maiftre ou chefde fa cauale
rie, l'accufation des Scipions : lefquelles chofes
comme exceffiues & notables ( toutes les fois
qu'il en fourdoit quelqu'vne ) faifoient retirer
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 189
les hommes vers le but. Et quand elles comme
cerent à eftre plus rares , commencerent auffi
àdonner aux hommes plus d'efpace à fe corro
pre,& elles fe faifoient auecques d'autant plus
grádperil & plus de tumulte:Car il ne faudroit
qu'ilpaffaft pluft de dix ans de l'vne à l'autre de
telles executions . Car fi plus y a,les homes com
mencer à chager de meurs,& rompre les loix : &
fil ne feleue quelque chofe par laquelle la pu
nition leur foit reduite en memoire, & la paour
remife deuant les yeux , il fe trouue inconti
aent fi grande troupe & concurrence de delin
quans,qu'on ne les peult plus punir fans pe
~Pro til .A ce propos ceux qui ont gouuerné l'eftat
de Florence , depuis l'an mil quatre cens trente
quatre ,iufques à mil quatre cens nonante qua
te ,difoient qu'il eftoit neceffaire de cinq en
cinq ans reprendre l'eftat: autrement eftoit dif
ficile de le maintenir. Et appelloient repren
Teftat, mettre les hommes en telle craintedre &
T
t.De frayeur, qu'il les auoit mis à lors qu'ils le prin
drent & vfurperent,ayat adoncq' batu ceux qui
(felon cefte forme de viure ) auoient mal fait.
Maisà mesure que la memoire de cefte baterie
&cruel traitement feftaint,les hommes repren
nent hardieffe de tenter chofes nouuelles &
demefdire: Partant eft neceffaire d'y pourueoir
en le retirantvers fon principe. Cefte retraite
auffi de Republiques vers leur commencement
& principe,naift de la fimple vertu d'vn perfon
nage,fans dependre d'aucune loy , qui t'incite à
DISC. DE NIC. MACCHIA.
quelque execution : Neantmoins font elles de
fi grande reputation & de tel exemple , que les
gens de bien defirent les enfuyure , & les mef
chans ont honte de menervie contraire . Ceux
qui à Rome firent particulierement ces bons 753013
Renouuel cfaitz , furent Horatius Cocles , Scenola Fabritius,
E
lement par les deux Decius , Regulus Attilius , & quelques SHAU
vertis des autres,lefquelz par leurs exemples rares & ver
hommes. tueux faifoient à Rome quafi le mefme fait que 129
faifoient les loix & ordonnances . Or files exe
ta
cutions deffufdictes , & à ces exemples particu
efor
liers fuffent auenuz en ceſte cité de dix en dix
lal
ans , il fenfuyuoit de neceffité que iamais n'eut Epis
efté corrompue . Mais ainfi que l'vn & l'autre
te
de ces deux points commencerétà deuenir plus ent
rares , les corruptions auffi feprindrent à mul
&m
tiplier : & depuis Marcus Regulus , ne fe void Sant
plus de telz exemples. Et combien que les deux
i
Catons fefleuerent à Rome . la distance fut fi dug re
le
grande de luy iufqu'à eux , & entre eux de l'vn ranc
e
l'autre , qu'ils fe trouuerent fifeulz , que par
o
& r
leurs bons exemples ne peutent faire aucun
esPa
Renouuel fruit:Mefmement le dernier Caton,lequel trou
mein
lement des uant la Cité la plufpart corrompue,ne peut par
seites. fon exemple reduite fes Citoyens à meilleure ugg
ever
vie. Or cecy fuffit quant aux Republiques :mais
quant aux Sectes, encores fe void telles renoua Ca
tions eftre neceffaires par l'exemple de noftre
r1e00
religion : laquelle fi par fainct François , & par
fainet Dominique , n'euft efté retiree vers fon
principe , elle feroit du tout eftainte . Car ces
4. SVR LA I. DECA . DE TIT . LI. 190
elles
qmitadeuxperfonnages par leur pauureté , & par l'i
tion
= de lavie de CHRIST, la remirent es
lesme cucurs des hommes où elle eftoit effacee , & fu
re . Cerent les ordres nouueaux de tel pouuoir , qu'ils Correction
Cesbo lont caufed
la deshonnefteté des & de la maus
Fanta, deschefz del'Eglife ne la ruinét, en viuát enco-uaife vie

Gachus
res pauurem
cofeffion ent, & ayant tant de credit en leurs des Pre
sauec
Ste les peuples, & en leurs fermons /
latz. H

& predications qu'ils leur font entendre , que
c'eft mal fait de dire mal du mal, & que c'eſt bié
PARDIC faitdeviure foubs leur obeïffance , & fils pe
endix chent ,en laiffer les chaftimens à Dieu . Etainfi
seils font le pis qu'ils peuuent : d'autant qu'ils ne

craignent cefte punition , laquelle ils ne voyent


en plas &necroyent . Cefte renouation doncques a
mul maintenu & maintiết noftre religió. Les royau
e le vod
mesauffi ont pareil befoing de fe renouueler,
eles deur
& de reduire leurs loix vers leur principe. Et Louage du
ncefur
void l'on legrand bien que cecy fait au Royau Royaume
eux de i've
e de France, qui eft le Royaume,viuant foubs de France.
lz, que les loix & ordonnances plus que nul autre, def
aire aucu quelles les Parlemens font gardiens & entrete
ncy
Jaqueli
neurs , mefinement celuy de Paris , lefquelles
ка
перси font renouuelees par luy toutes les foys qu'il
meille s
fait vnc execution contre vn Prince du Royau
ques me,& qui condamne le Roy en fes arreftz . Et
les reno jufqu'à prefent il feft maintenu pour auoir e
e de fté executeur obftiné contre cefte nobleffe.
Maisla premiere foys qu'i laif
l feroit quelque
COIS,&
Teevers impunite , & qu'elles fe viendroi à multipli ,
ct er
te. Cr il auiendroit fans doute , ou qu'il les faudroit
DISC. DE NIC. MACCHIA .
corriger auecques vn grand defordre, ou que c
Royaume viendroit à fe refoudre. C'eft doques
Coclufion. la conclufion , qu'il n'eft rien plus neceffaire en
vne communauté de vie , ou Secte , ou Royau
me,ou Republique, que de luy rendre la reputa
tion qu'elle auoit au commencement de fa fon
dation, & feſtudier à ce qu'il y ayt bonnes or
donnances, ou gens de bien qui facent pareil ef
fait,fans que force exterieure ayt à le faire . Car
(combien que quelques foys ce foit vn tres bon
remede comme elle fut à Rome ) elle eft fi dan
gereufe, qu'elle ne fe doit defirer en forte quel
conque . Or pour monftrer à tous, combien les
actions des perfonnes particulieres firentRome
grande , & furent caufe en cefte cité de maints
bons effaitz, i'en feray le difcours , & clorray en
eux ce tiers liure & derniere partie de la premie
re decade . Et combien que les faitz des Roys
foient grás & dignes de memoire,puys que l'hi
>
ftoire les a declarez amplement , ie les laifferay
& n'en parleray autrement,fors que de ce qu'ils
auroient fait cócernát leur priué profit, & com
menceray par Brutus pere de la liberté Romai
ne.

Que c'esttour defapiencefimuler & con


trefaire un temps lefol.

chapitre 11.
CCHIA SVR LA I. DECA . DE TIT . LI. 191
dre, ouqu Amais homme n'aquift telle re
Cef putation de fageffe & prudence,
accel par la grandeur de fes actes , qu'a
C, ouRov merité Iunius Brutus par fa fi- Iunius Bru
drela mulation de folic. tus contre
entdeli Et combien que Tite Liue n'en exprime au- faifant le
boneraifon quil'ayt induit à ce faire , finon pourfol.
centpa auerfa vie & patrimoine : fi eft ce que con
le fair.Ce a fideree maniere
fa de proceder , il eft croya
vnares ble qu'il prit ce faux vifage , à fin que l'on ne
elleet priftgarde à la vie,pour auoirplus grande com
forregad modité d'opprimer
toutesfoys & deliurer
les Roys , luy pa
fadō
combine the, que l'occafion en feroit

Ramenee.Et qu'ainfi fuft fe peult iuger par l'interpre


e demains tation qu'ilfit de l'oracle d'Apollo,quand il fit Oracle
femblantdefoy laiffer cheoir pour baifer la ter-'d'Apollo.
&clorray
re, jugeant par là les dieux eftre fauorables à fes'
de laprem enfees.Et epuis d s e
it des P d quan fur le corp de Lucr
Duysquet & autres parens d'el
entre premiermary,
le pere,le
furle
leslater le,il qui tira le coufteau de la
edeceg Playe, & fit iureraux afliftans,que deformais ne
fouffriroiétaucu
t o regnerà Rome.Parfon exem
rofi,&c
ertéRo contens
d'vnaprendre
ple doyuent tous ceux
Prince, comme qui font
ils doiuent mal
mefu

er & pefer leurs forces. Et fils fe trouuent affez


puiffans
&CHF pour foy defcouurit fes ennemys , &
luyfaire
guerre ouuerte , ils feront bien de te
honnorable
nir cefte voye come la moins perilleuse & plus
. Mais fils ne font de cefte.qualité,
dovuentchercher
par tous moyens à gaigner
cepoint defe rédre agreables,& à cefte finten
DISC. DE NIC. MACCHIA.. ULE
ter toutes les voyes qu'ils iugeront neceffaires,
fuyuans & fe conformans à tous les plaifirs , & de
fadonnans à tout ce qu'ils connoiftront leur ter
plaire le plus. Cefte priuauté domeftique te faith
premier viure enfeureté , & fans aucun peril te
fait iouyr de la bonne fortune du Prince auec
luy mefine , & fi te donne toute commodité de chatde lib
fatisfaire à ton vouloir.Vray eft qu'aucuns diét, 1 ther L
qu'auecques les Princes ils ne voudroient eftre
pres qu'ils fe116
trouuaffent couuertz de leur rui Chap
ne,ne filoing que quand ils viendroient à ruï
› ils ne fuffent affez àtemps pour faillir & fe Oir
ietter deffus fa ruyne : laquelle voye moyenne.
feu
elle fe pou
fi elle
me fembleroit bien la plus vraye, fi ſe ma
1738-0 yoit tenir mais par ce que ie l'eftime impoffible
conuient foy reduire à l'vn des moyens deffuf rar
dits, c'eft de feflogner, ou approcher d'eux . schol
Quiconque fait autrement,fil eft de quelque
qualité appatente, il fera en continuel dager. Et ainsal
ne fuffit de dire , je ne me foucie de rien , ie ne
quion
defire
"1 honneur ne profit , ie vueil viure à moy,
& en repos , fans noyfe ne debat : Parce que red
font excufes affez ouyes , & peu acceptees , Et
lairde
n'eft pas en la puiffance des perfonnes d'appa equel
q
rence de fe retirer ainfi à part foy , quand bien mys
le voudroient & fans aucune ambition : d'autat N A TLIT
E
qu'on ne les en croit pas. Et fi d'eux ils cherchét adent&
cefte vie,les autres ne les ylaiffent en patience. asde
Ceft doncques le mieux faire le fol come Bru
inge
tus, qui eft chofe ayfee, en louat,parlant,voyant,
& faifint maintes chofes cotte ton cucur , pour
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 191
complaire au Prince. Or puis qu'auons deuiſt
de la prudence de ce perfonnage,pour le recou
urementde la liberté de Rome,maintenat par
letons de fa feuerité à la maintenir.

Commeil eft neceffaire,à qui veult maintenir un


eftat deliberté acquis de nouueau,
suerlefilz de Brutus.

Chapitre III
.

Oins ne fut neceffaire qu'vtile la


feuerité dont vía Brutus , pour
maintenir à Rome la liberté, qu'il
luy auoit conquife, laquelle eft de
rare exemple entre toutes les me
moiresdes chofes de veoir le pere feoir au fiege
deiuftice,qui non feulemét codamne fes enfans
mort ,ains affifte luy mefme à leur execution.
Or ceuxqui ont leu les chofes antiques , con
poillent que
toufiours apres vne mutation &
changement d'eftat , foit de Republique en ty
tannic,foit de tyrannie en Republique , eft ne
cellaire quelque execution memorable contre
les ennemys des conditions prefentes ,Et qui
conque viurpe vne tyrannie & ne rue Brutus, &
qui conduit & met en liberté vn eftat, fans tuer
lesenfans de Brutus,il n'y dure ne profpere pas
longuement
.
Or parceque ce point a ef1.2.
té cy deffus difcoury

bien au long , ie me remetz à ce qui à lors en a


DISC. DE NIC. MACCHIA.
efté dit. Sculement alegueray vn exemple aue
nu de noftre temps de Pierre Soderain , lequel
penfoit par fa bonté & patience,furmonter celt
apetit , qui eftoit es enfans de Brutus de retour J
ner foubs autre gouuernemét, & fabula. Et có #Mix
bien que par fa prudence il coneuft ceste necef
fité , & que lafortune & condition de ceux qui
luy en vouloient , luy donnaft occafion de les
eftaindre, fi eft ce que fon cueur ne fadonna ia
mais à le faire Car outre ce qu'il cuy doit par pa
5
tience & boté purger leurs mauuaifes humeurs
& par dons & biens faits confumer & effacet
quelque fienne inimitié , il eftimoit que pout
hurter & opprimer brauement fes oppofitions
& batrefes aduerfaires , faloit prendre quelque
autorité extraordinaire, & rompre auec les loix
Pegalité civile . Lequel point ( encores que de
puis il n'en ayt vie en tyran ) cufttant cftonné
tout le peuple , que l'on n'euft iamais depuis fa
mort efté fi empefché à refaire vn Capitaine de
guer à vie . Lequel ordre il iugeoir eftre bon
d'augmenter & entretenir, & eftoit fa cófidera
tion bone & fage: Mais l'on ne doit iamais laif
fer courir vn mal , pour efperance d'vn bien,
quand ce bien peult facilement eftre opprimé
par le mal . Or il deuoit penfer , que fes œuures
& fon intétion eftans pour cftre iugees par leur
fin & yffue quand Fortune & la vie l'euffent ac
cópagné qu'ils pouuoiét certifier que ce qu'il
auoit fait , eftoit pour le falut defa patrie , non
pour fon ambition , & fi pouuoit y donner tel
ordre
CHIA SVR LA 1. DECA . DE TÍT. LI. 193
exemplordre quefon fucceffeur ne peuft faire mal ce
derain, qu'ilauoit fait pour bien. Mais la premiere opi
fumo nion le deceut , en ce qu'il n'entendoit que la
rus demefchanceté ne fe domprepar le temps,ne fap.
abul Epaileparaucuns dons : Tellement que par faute
aft cedereffembler Brutus , il perdit auecques la pa
ondectiefon eftat & fa reputation. Or comme il eft
ccafion difficile fauu er vn eftat de liberté,moins n'y ade
P a
nefato d o m difficulté à fauuer vn eftat Royal , comme nous
ydomonftrerons au chapitre enfuyuant...
waiteshumans
umer&effica
VnPrince nepeult viure affeuré deſaſeigneuries
morquepour tandis que viuent ceux qui en ont
potions efté defpouillez
483quelque
aveclesloit
chapitre 1111
cn oresque de
Ittantconne
A mort de Tarquinius Prifcus pour
maisdepos chaffee par les filz d'Ancus , & la
ne
Capitai mort de Seruius Tallus par Tar- Seruins
coireftreba
quin le fier , monftrent comme il Tallus.
Dit la colada eft difficile & dágereux defpouil
it iamais leevn perfonnage d'vn Royaume, & laifler en
'vnbi
ddores recceluy
en vie qui peult tendre par ces mea
rites àle ouurer.
eltre opp
que les dC fabu Auff
la dei voi on comme Tarquinius Prifcus
fefdtim
s er iufte poflefleur de la cou
g e e
ru pa ronac,d'autant qu'elle luy eftoit donnee par le
ie l'eule
peuple,& confirmee par le Senat : ne croyant
rquece quel'indignation peu
ft eftre de fi grand pou
patrie uoiresfilz d'Ancus , qu'ils n'euffent à foy tenir
tydon
BB
DISC. DE NIC. MACCHIA.
contens de ce dont toute Rome le contentoit,
Auffi fabula Seruius Tullus , penfant pouuoir re
gaigner le cueur des filz de Tarquinius, par quel
que nouueau bon traitement de forte que quád
au premier ce peult bien cftreauertiffemét pour
rous Princes,de ne fonder aucune affeurance en
leur cftat,tandis que viuront ceux qui en ont e
fté priucz.Et quand au fecond point peult eftre
auerty routgrand Seigneur , que iamais vieilles
iniures ne feffacent parnouueaux bies faitz, &
d'autant moins que la grádeur de l'outrage paf
feroit la mesure du plaifir . Sans doute c'eftoit
fimpleffeà Seruius Tullus d'effimer que les fils de
Tarquinius prinfent en patience d'eftre gendres
de celuy fur qui ils fe iugeoient deuoir eftre
Roys. Auffice defir & apetit de regner eft fi
grand, qu'il entre es cueurs non feulement de
ceux qui touchent à la coróne,mais de ceux qui
n'y peuuentaucun droitpretendre : comme en
la femme du jeune Tarquinius, fille de seruins, la
... quelle címeuë de cefte rage , contre toute affe
ction & pieré filiale, incita fon mary contre fon
pere à luy tollit la vie, & le Royaume: de tant el
le cftimoit plus eftre Royne que fille de Roy.
Si doncques Tarquinius Prifcus & Seruius Tullne
ont perdu leur Royaume par faute de feſtre af
feurez de ceux fur qui ils l'auoient vfurpé , Tar
quin le fier le perdit pour n'auoir obferué les or
dres des Roys anciens, comme fera monſtré au
chapitre enfuyuant.
JVR LA DECA. DE TIT. LI. 194

Quifait perdre un Royaume au Roy


àqui il esthereditaire.

chapitre n
253
Yant Tarquin le fier mis à mort Tarquin le
Seruins Tallus , duquel il n'eftoitfier.
demeuré aucun heritier , le Roy
aume tomboit en fa main feure
ment,fans qu'il cuſtà craindre au
cunedes chofes qui auoient efté contraires à fes
predeceffeurs.
Et combien que le moyen d'occuper la
CS
coronne fuft extraordinaire & odieux , fi eft ce
que quand il euft obferué les ordres antiques
des autres Roy il euft efté comporté , & ne fe
fuft efmeu contre luy le Senat ne la commu
de pour luy tollir l'eftat . Ce ne fut doncques
pourla force que sextus fon fils fic à Lucrece, Lucretefor
qu'il fut chaffe : mais par ce qu'il auoit rompu cee.
les loix du Royaume & gouuerné rytannique
ment ayant ofté au Senat toute auctorité,qu'il
auoit à foy reduite iufques à reuoquèt des affai
senfon palays,aur mal contentement de tous,
lefquelz auoient accouftumé d'eftre traitez es
lieux publiques;airecques la fatisfaction du Se
nat Romain Tellement qu'en peo de temps, il
defpouilla Rome detoute la liberté qu'elle a
noit maintenue foubs les autres Roys .Voyre ne
Lay fuffit l'inimitié des peres ,fil n'irritoit enco
fes contre luy le commun peuple, le trauailfane
BB ij
DISC. DE NIC. MACCHIAT
en chofes viles & mecaniques , & toutes autres
que celles en quoy fes predeceffeurs l'auoient
employé: En forte qu'ayant réply Rome d'exé
ples cruelz & fuperbes , defia auoir difpofe les
cueurs de tous les Romains à rebellion,fi toft
l'occafion fen offriroit . Et fi l'accident de
que
Lucrece ne fut auenu le premier, autre cuft pro
duit pareil effait.Car fi Tarquin cuft vefcu.com
me les autres Roys j & que sextus fon filz cuft
commis cefte faute, Brutus & Collatinus cuffent
eu recours à Tarquin pour en auoir vengeance
contre Sextus ,non au peuple Romain.Scachent
doncques lesPrinces,qu'ils commençent à per
dre leur eftat à l'heure qu'ils viennent à rompre
les loix & les manieres,& couftumes anciennes,
foubs lefquelles les hommes ont log temps vef-.
cu.Et fi apres quils font priucz de leur eftat , ils
deuenoient fiprudens , qu'ils conneuffentla fa
cilité qu'il y a å tenir vne feigneurie par bon &
fage confeil , leur perte leur feroit plus gricue à
porter, &eux mefmes fe condamneroient à plus
grande punition qu'ils ne feroient condamnez
par autres. Car il eft plus ayfé fe faire aymer des
bons,que des mefchans, & obeïr aux loix , que
leur commander' . Et pour entendre le moyen
qu'à cefte fin leur fault tenir: ils n'ont autre pei
ne à porter,qu'à prendre pour miroër la vie des
bons Princes , comme de Thimeleon Corin
thien, D'Aratus Sicionien, & d'autres, en la vie
defquelz ils ont trouué tant de repos, & telle fa
tisfaction de celuy qui gouuerne,& de ceux qui
SVR LA T. DECA. DE TIT. LI. 195
fontgouuernez , que l'enuie leur deuroit venir
de lesimiter:eftant fi facile de le faire pour les
raifons deuant dites . Car quand les homme's
font bien gouuernez, ils ne cherchent ne demá
dent autre liberté, non plus que les peuples re
giz parles deux fufnommez , qu'ils contraigni
rent à demeurer Princes , tant qu'ils vefquirent
contrele defir qu'ils auoient (dont ils les tente
rent fouuent) de fe remettre en leur eftat priué.
Orpource qu'en ce chapitre & es deux prece
dens aefté deuifé des humeurs concitez contre
lesPrinces, & des coniurations faites par les fils
deBrutus contre la patrie: auffi de celles qui fu
rent faites contre Tarquinius Prifcus , & contre
nes, Seruius Tullus: il ne me femble hors de propos
sref:
den traiter amplemét au chapitre fuyuat, com
i
me de matiere digne d'eftre notee , tant par les
lati
Princesque perfonnes priuces ,
Con&
TITLE

Desconiurations.

Chapitre 71.
1,3
mo
L ne m'a femblé raifonnable de
laiffer derriere le propos des coniu
Cofile rations,eftant chofe perilleufe, tant
aux Princes,que aux perfonnes pri
uces :Car
Princes l'on void par elles trop plus de
auoir
rele perdu la vie &l'eftat, que parguer
2117
reouuerte .Par ce qu'il n'eft poffible à peu de
BB iij
DISC. DE NIC. MACCHIA,
gens de mener guerre contre vn Prince : mais
chacun a pouuoir de coniurer contre luy.D'au
tre part les perfonnes priuces ne font entre
prife qui foit plus dangereufe , ne plus temerai
re: eftant difficile en toutes les parties,dont il a
uient que plufieurs l'attentent , & peu en vien
nent à bonneyfluc. Afin donques que les Prin
cès aprennent à foy garder de telz dangers , &
queles gens priucz fy fourront auecques plus
grande difcretion , voire à ce qu'ils fe tiennent
contens de viure foubs le gouuernemet , auquel
Fortune lcs a foufmis,i'ay deliberé en traiter au
long,fans laiffer aucun cas notable qui ferue à
l'inftruction de l'vn ou l'autre . Et certes la fen
tence de Cornelius Tacitus eft finguliere , qui
Cornelius
dit , que les hommes ont à honorer les choles
Tacitus.
paffees , & à obeyr aux prefentes, & qu'ils doy
uent defirer les bons Princes , & quelz qu'ils
foient les tolerer & comporter . Auffi ,à la ve
rité,qui fait autrement, le plus fouuent ruïne foy
& fa patrie.
Nous deuons doncques(pour entrer en ma
tiere ) premier confiderer contre qui fefont les
coniurations , & trouuerons que c'eft contre la
patrie, au catre le Prince.Or de toutes les deux
difcourons maintenant;car de celles qui fe me
nent pour lirer vne place aux ennemy's qui
lafliegent , ou de telles autres , deffus en a efté
parlé fuffifamment.En premier lieu nous traite
rons de celles qui fe font contre le Prince, & a
want toute œuure examinerons les caufes d'i
II SVR.LA 1. DECA . DE TIT. LI, 196
celles,quifont maintes : mais vne y a plus im
portante que toutes les autres , qui eft eftre haï
Ifbow detousen commun. Car le Prince qui a elmeu Coniuratio
contre luy cefte hayne vniuerfelle , il fault cfti- contre le
mer par raifon qu'il a offencé quelques per- Prince.

$
fonnes particulieres plus que les autres , qui en

G
defirent vengeance de laquelle le defir leur eft

augmenté par cefte mauuaife difpofition vni


verfelle,qu'ils voyoient efmeuë contre luy.Le
Princedoques doit fuyr cefte hayne publique.
Maisquelmoyé il a à tenir pour l'euiter, l'ayant
raité ailleurs, ie n'en toucheray rien icy, Car le
gardant de ce mal cy , les fimples offenfes parti
culieres luy feront moins la guerre:l'vne , par ce
qu'ilne fe rencontre gueres de gens qui tant
Poyfent les iniures qu'ils ont receues , qu'ils
vueillent entrer en fi grand peril pour fen ven
ger: l'autre,par ce que quad ils feroient d'aflez
grand cucur & pouuoir pour le faire, ils en font
detournez par l'affection vniuerfelle qu'ils

voyentdu Peuple enuers le Prince. Or les iniu


en l'honneur
faut qu'elles touchent les biens , le fang,ou
prar . De celles du fang, les menaces font

plusdangereufes que l'executio, voire font tref


dangereufes & l'execution eft fans peril , d'au
tant que celuy qui eft mort ne peult penfer de
lavengeance
, ceux qui demeurent vifz , le plus
fouuentenlaiffant le pourchas au mort : Mais

celuy
de qui aefté menacé qui fe void contraint
neceffité , ou defaire , ou de fouffrir, deuient
bommedagereux pour le Prince, comme nous

BB iiij
DISC. DE NIC, MACCHIA, LAL
dirons en fon lieu fpecialement. Apres ceſte ne
ceffité,les biens & l'honneur font les deux cho Cerer
fes qui plus offenfent les hommes , & defquel RegesC
les le Prince fe doit garder . Car il nefçauroit
rann
defpouiller homme fi au nud qu'il ne luy re lan
g
fte vn cousteau pour fe venger , ne tant le def enz
qu
2 i
honorer , qu'il n'ayt encores vn courage obfti on, sfon
né a en pourchaffer la raifon . Or entre les hon inletemp
neurs que l'on ofte, celuy des Dames eft le plus enco
important,& apres le contemnemet & melpris Bouilz
Paufanias. de la perfonne. Ce qui arma Paufanias contre le
,ne
Roy Philippe de Macedone , & a faict prendre asbien
les armes à maints autres contre plufieurs Prin c lon
Giulia Be- ces : Etde noftre temps Giulia Belants ne fut in
lanti. des
cité contre Pandalfo Tytan de Siene , que par
aaut
Pandalf . ce qu'il luy ofta fa fille , qu'il luy auoit donnee dan
a g
à femme,come nous dirons en fon propre lieu. Hoon
La plus grande caufe qui fit coniurer les Pazzi,
про
contre les Medici , fut l'heredité de Giouanni Bou aint
romei, qui leur fut tollu par leur ordonnance. elqu
Vne autre caule y a, & trefgrande, qui induit les 31
1GT
gens à coniurer contre leur Prince , c'eſt à ſça C
ar
uoir le defir de deliurer la patrie , qui par luy a
efté occupee & afferuie :laquelle incita Brutu
Brutus & Cassius contre Cefar , & a meu plufieurs autres
Caius contre les Phalares , Dionifies , & femblables v PROCT
furpateurs de leur propre patrie. Et n'y a moyen
pour les Tyrans à eux preferuer de ce danger,
fors qu'en depofant leur tyranie; Et comme peu
fe trouuent qui le vueillent faire , auffi peu y en
a qui ne finent mal . Dont eft forty ces versde
SVR LA I. DECA, DE TIT. LI. 197
Iuuenal,

Ad generum Cererisfine cade vulnerepauci Iuuenal.


Defcendunt Reges & ficca morte Tyranni.
Gueres Tyran n'eft là bas defcendu,
Dequi le fang n'ait efté refpandu.
Les perilz qui font (comme deffus ay dit) és
coniurations,fontfort grands,à caufe qu'ils du
tenttout le temps, & de les manier & de les exe
Cuter,voire encores apres l'execution. Ceux qui
coniurent,ou ilzfont plufieurs, ou il n'y a qu'vn
feul. Pour vn,ne femble que coniuration fe puif
edire:mais bien vne ferme volonté en vn hom
me detuer fon Prince . Ceftuy feul eft exempt
dupremier des trois perilz , que le coniurateur
↓ encourt , d'autant qu'auant l'execution il n'eſt
thaucun danger : n'ayant communiqué fon fe
cretà perfonne, & hors de crainte que fon def
liberation porté
fein ait eftéainfi à l'oreille
faite Prince. Cefte
du en de
,peut eftre chacun hom

me dequelque forte qu'il foit, petit, ou grand,


noble, ou roturier, familier, ou non familier au
Prince. Car à chacun eſt loiſible parler à luy,

Paufanias
& qui peut parler, peut defcharger cueur, Couration
fonPhilip-
(de qui i'ay defia parlé) occit

pes de Macedone allant au temple, enuironné d'vn feul


de mil hommes en armes , & au milieu de fon contre
filz & defongendre , vray eft qu'il eftoit noble Prince. le
& bien
devile condition
cogncu du Roy. Vn pauure
, donna vn coup deEſpagnol
coufteau Ferrad Ro
farlecolde Ferrand Roy d'Espagne, qui ne fut d'Espagne.
playe mortelle: mais on
on void par là , qu'il eut le
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Baifit pre- cueur & cómodité de le faire.Vn nommé Der
deceffeur uis Preftre Turcq tira vn coup de cymeterrei
du grand Bayfit pere du grand Seigneur , à prefent re
Turcq. gnant, il ne porta : mais il eut doncques la hat
dieffe & opportunité de le faire. De telz cou
rages ie croy qu'il fen trouueroit affez, d'autant
que la volonté eft exemple de punition & peril:
mais peu y a qui le facent: & de ceux qui l'ofent
faire,ou nul , ou bien peu refchappent de mort
prefente & fur le faict. Or ne fe trouue perſon
ne qui fe vucille liurer à mort certaine Mais laif
fons là ces volontez & coniurations vniques,&
Couration paffons à celles qui fé font pat plufieurs. Ie dy
deplufieurs qu'il fe comprend par les hiftoires que toutes
contre le coniurations ont efté faites par grands perfon
Prince. nages , ou qui estoient fort familiers du Prince.
Car autres (filz ne font eccruelez ) ne coniure
ront:veu que telles gens debiles & efloignez de
la maiefté du Seigneur, n'ont aucune cómodité
de celles qui font requifes à l'execution de telle
entreprinfe.Premierement les perfonnes de nul
pouuoir ne rencontrent gens qui leur tiennent
foy :d'autant que nul ne confentira à leur vou
loit fous aucune des efperances , qui font four
ter les gens en danger : En forte que quand ilz
fefont defcouuertz à deux ou trois perfonnes,
il fe trouue quelque accufateur & font ruynez.
Mais quand encores ilz feroient fi heureux de
n'eftre de nul accufez,en l'execution font cnue
loppez de tat de difficultez (à cauſe qu'ilz n'ont
l'entree au lieu où eft le Prince) qu'il eft impof
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 198
fible qu'ilz ne faillent perdre au faict de l'exe
tution. Car fi les grans perfonnages, & ceux qui
yont acces à leur gré , font oppreffez des diffi
cultez qui fe diront cy deffouz , eft conuenable
qu'à telles gens elles croiffent fans fin. Partant
les hommes ( d'autant que où il va de la vie &
de l'honcur ilz ne perdent du tout le fens)quád
i fevoyent foibles , ilz fen gardent, & quand
izontvn Prince contre cucur, ilz fe donnent à
le maadire & blafmer , & attendent qu'autres
de plusgrande qualité les en vengent. Et fil fe
trouuoir quelqu'vn de cefte baffe eftoffe , qui
cut attété telle chofe en luy,faudroit louer l'in
tention , & non la prudence. Si eft ce que l'on
void que tous coniurateurs eftoient perfonnes
deftat,ou familiers du Prince. Entre leſquelz y
enacuqui ont efté incitez à coniurer auffi bien
purtrop de biensfaitz qu'ilz auoient receuz, co
me autres par trop de tors & outrages . Comme
fut Peremius contre Commedus , Plantianus con
tre Seuerus. Seianus contre Tiberius. Ceux cy a
uoient efté efléuez en fi grandes richeffes par
les Empereurs , & en fi haut degré d'honneur,
qu'il leur fembloit n'auoir plus faute , que de
l'Empire à perfection de puiffance. A quoy ne
voulans faillir , fe mirent à coniurer contre le
Prince , & leurs coniurations eurent toutes tel
le fin que:
meritoit leur ingratitude . Vray eft
que de memoire recente celle de Iacopo dA
Plano ,contre M. Piero Gambacorti Prince de Pi
fe cutbonne yffuc, & il tollit l'eftat à celuy, par
DISC . DE NIC. MACCHIA. 7LALDECA
qui il auoit efté nourry, efleué, & conftitué acces
reputation.Celle de Copola en noftre tempscon quel
tre le Roy Ferrand d'Arragon fut de ce nomente
bre , lequel eftoit paruenu à fi granderichelle.Et
qu'illuy fembloit ne luy faloir plus rien que dangeren
couronne , pour le pourchas de laquelle il per
dit la vie. A la verité fi aucune coniuration des acced

plufieurs perfonnes contre les Princes deuroite de les


fortir effect , feroit cefte cy fur toutes , comme mmencer
eftant faite par telz que l'on pourroi dire au fontle
t
tres Roys, & qui ont tant de commodi pour deftrefo
tez
l'accom . M c a d d
plir ais eſte mbition e ominet cre,àce
qui les aucugle , les aucugle auffi au manimen
t e.Ce
de cefte entrepr : E f' f c co
inſe t ilz cauoient onduire niect
leur mefchan par difcreti & prudence que l'affai
ceté on
impoffi f q n vi à chef. Le prud
ble eroit u'ilz 'en nffent en
Prince doncqu qui fe veut garder de coniu carrun
es
ration doit plus craindr ceux à qui il a fait de 2 qu
e 5, i
trop grands biens , que ceux qu'il a trop mal trai alam
tez . Car ceux cy ont faure des commod d P
itez ot rinc
les autres abonde , & leur volonté eft fembla etvn,o
nt
ble:car le defir de regner eft auffi grand ou plus rap
lu
que celuy de vengea . Parquo ne doiuent Svengi
nce y
donner tant d'aucto à leurs amis , qu'il n'y
rité
ait quelqu diftanc & interual d'icelle à leur leurf
e e le
dignité fouuera , & qu'il n'y ait encores en dent
ine t
tre deux quelque chofe defirabl pour eux : au $agovs
e
tremen fera cas eftrang & rare , fil ne leur en &
t e
prend comme aux Princes deffufdi . Or re
tz
tourno à noftre propos. dy que la coniura
ns Ie
tion ayant à eftre menee par grands perfonn
a
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 199
ges,& qui ayent aifé acces au Prince,maintenat
Conuient difcourir quelz ont efté les fucces de
eur entreprinfes, & entendre la caufe de leur fe
licité& infelicité. Et (comme ay dit cy deffus)
ify trouue danger en trois temps. Au com
mencement, fur le faict , & apres. Qui eft caufe
que peu d'elles fuccedét : d'autant qu'il eft pref
que impoffible de les paffer tous heureufement.
Or pourcommencer à difcourir les perilz pre
miers,lefquelz font les plus importás,ie dy qu'il
befoing d'eftre fort prudent, & d'vfer d'vne
gandemaniere, à ce que la menee en la maniát
efe defcouure. Ce qui peut aduenir par rap Coniuratio
port,ouparconiecture:le rapport vient d'auoir fe defcou
communiqué l'affaire à gens de peu de foy , ou ure pár
de peu de prudence. L'infidelité fe rencontre rapport.
facilement:car tu n'y peux appeller que ceux en

ar tefies , qui pour l'amour de toy fe vueil


quitu
le
texpoferPrince.De
contens à la mort : ou bien qui feroient mal
du gens de fiance fen pour
roittrouuer vn,ou deux: mais depuis quetu vies
areftendre
à plus, il n'eft pas poffible . D'auan

age faut bien que l'amitié qu'ilz te portent foir


grande,voulant que le peril & la paour de pu
nition ne leur foit plus grande . Outre les hom
mes fabulent le plus fouuent aux amis qu'ilz
cuydent auoir, & ne t'en peux affeurer fans ex
perience , & les efprouuer en cecy eft trefdan
gereux , voire quand tu les aurois effayez en
quelque autre cas qui n'eftoit fans peril , & co
gneuz pour loyaux : encores ne peux tu par cel
* DISC. DE NIC. MACCHIA.
pt
celle foy mefurer cefte cy , d'autant qu'elle e Co
cede trop toute autre equalité de danger. Ce
luy qui voudra iuger la foy par le mal conten
tement qu'on a du Prince , peut ailément efti
deceu:parce que fitoft qu'il a declaré fon cou
rage à ce mal content,il luy a donné matiere de
Le contenter, & eft force que la hayne foit granu
de,ou que ton auctorité foit trefgrande,pour les
maintenir en loyauté. Dont eſt auenu que plu
heurs coniurations ont efté reuelees & oppri lay,
mees fur les commencemens. Et quand vne eft.
tenue long temps fecrette entre plufieurs, onle CIOU
i repute miracle,comme furent celle de Pifo con 22
Couration tre Neron : & de noftre temps celle des Palzi AVE
fe defcous " Contre Lorenzo Giuliano de Medici de laquel
ureparcon le eftoient plus de cinquante , qui ne la defcou
jecture. urirent qu'à l'execution . Quant à eſtre decelé
par indifcretion, procede des coniurateurs, qui
parlent indiferettement , en forte qu'vn ferui
teur, ou quelque autre l'entéde ; comme il auint
aux enfans de Brutus , lefquelz en maniant l'af
faire auecques les Embaladeurs de Tarquinine.
furent entenduz par vn ferf qui les accufa. Au
cunesfois celà vient de legiereté, quand on com
munique fon fecret à quelque dame, ou enfant,
que l'on ayme, ou à autres telles gens : comme
fit Dinus l'vn des compagnons coniuras auecq'
Philotas contre Alexandre le grand, lequel de
clara fon fait à Nicomacus ( enfant qu'il aymoit)
l'enfant le dit à Ciballinus fon frere , & luyau
Roy. Quant aux defcouuertes par coniecture,
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 200 1
cellede Pifo contre Nero en eft bon exemple:
en laquelle sceninus I'vn des coniurans le iour
deuantqu'ilz euffent à occir Nero fit fon teſta
ment, ordonna que Milichins fon libert feroit
aguiler fon poignart qui eftoit vieil & enrouil
emittous fes ferfz en liberté, & leur donna ar
gn ,fit accouftrer des bandes pour les playes.
Par lefquelles coniectures Milichius acertené du
l'accufa à Nero.sceuinus fut prins & Natalis
auecquesluy,qui eftoit de l'entreprinfe,lefquels
nauoitveu
defecret parler longuement enfemble &
leiourprecedent, & nefaccordans du
denis
qu'ilz auoient eu , furent contraintz de
SAK confeffer la verité:tellement que la coniuration
lacos fut defcouuerte à la ruyne de tous les coniura
teurs.De ces caufes d'eftre ainfi defcouuert n'eſt
Pollible fe gardér,que par malice , indiſcretion,
ulegereté , celà n'auienne toutesfois & quan
tes queleur nombre paffe trois ou quatre. Et
depuisqu'il
fect en eft pris plus d'vn de l'entrepri
impoffible
qu'elle ne foit cogneuë : d'au

quedeux
tantde perfonnes
tous leurs ne fcautoient conue
nir propos.Quád il n'en ya qu'vn

prisqui
auoirbon foit homme de cueur , il pourra bien
bec, & tenir les autres fecretz. Auffi
OU conuientque
drecouragque les copagnons ne foient de moin
e que luy ,fans faire fembl de rien ,
152 d e c adnt
fans fe lare pa fui . Aut
r r te rem
e p ui que
ecue fau à cel étu au asu
ur t uy qui eft pris , o x tres
qui ne le font,tout eft defc . Or eft l'e
ou xe
ple de Tite Liue fort rare deuelr a tcoiur faitm
atio e
n
DISC. DE NIC. MACCHIA. LAL.DEC
contre Hieronymus Roy de Siracufe, de laquelle
I'vn des confors Theodorus eftans prins, cela tous entendit
les coniurateurs par vne grande vertu, & accusa
fa les amis du Roy. D'autre cofté tous les con montrant
iurans curent telle confiance en fa vertu , que nicdece
nul ne deflogea de Siracufe , ne monftra conte
quleeforceiou
nance d'aucune crainte. Voilà les perilz ,

faut tous paffer en conduifant telles entreprin eceffeex


fes auát que venir à l'execution . Or pour les cui Aitous
Remedeco- ter y a les remedes : Le premier & le plus vray perfonn
tre les pe- voire ( à mieux dire .) I'vnique , eft ne donner deffein
rilz decla- temps à tes confors de te pouuoir accufer , & emplesle
rez. leur communiquer à l'heure quetu le veux fai Nabis
re & non auant. Ceux qui ainfi lefont,font hors Al
exan
des dangers qui gilent au maniment,& fouuen
tesfois hors de tous les autres:Voire toutes cel ReUX,&T
cours
les qui ont efté mences de cefte forte , ont eu nes,co
toufiours bonne & tresheureufe fin, & tour ho c
hole
me prudét le peut ainfi conduire, dequoy ie me
pafferay à deux exemples. Nelematus ne pouuat
endurer la tyrannie d'Ariftotimus regnant en
elam
Epire, affembla en fon logis plufieurs de fes pa
rens & amis , & les enhorta à la deliurance devo
la patrie : Aucuns d'eux demanderent temps
Kemede de pour en deliberer, & auifer. Incontinent Nele
ESC
Nelema- matus fit fermer les portes, & leur dit à tous:Ou
tw . yous iurerez de venir maintenant faire execu
tion ,ou ie vous liureray tous prifonniers à Ari
ftotimus. Ces parolles les forcerent à iurer , &
fans delay y allerent , & lacheuerent heureuſe
ment leur entreprinſe. Vn Magicien ayantpar
fraude
SVR LA I. DECA, DE TIT. LI. 201
flaude occupé le Royaume des Perfes, laquelle
Orthanus entendit par les principaux du païs, Remede de
enconfera auec fix grans Seigneurs du Royau- Orthanus.
meleur remonftrant qu'il faloit deliurer le païs
de la tyrannie de ce Magicien. L'vn d'eux de
mandant fur ce iour d'aduis , Darius, qui eftoit
'vn des fix,fe leue, & dit:Ou nous irons à cefte
heure faire cefte execution , ou ie vous iray tous
accufer.Ainfi tous d'vn accord fe leuerét & fans
donner à perfonne loifir de fe repentir execu
terent leur deffein. Encores eft femblable à ces
deux exemples le moyen que tindrent les Etho- Etholes co
les à tuer Nabis Tyran de Sparte , lefquelz en- tre Nabu.
Boyerent Alexamenes vn de leurs citoyens auec
ccc.cheuaux, & mil hommes de pied,fous cou
leur defecours , & ne declarerent le fecret qu'à
Alexamenes , commandans aux autres luy obeïr
en toutes chofes,fur peine d'exil . Auecques tel
lepuiflance il fen va à Sparte ,fans iamais com
muniquer fa commiffion , finon quand il fut
temps de la mettre en effect, & l'affaire luy fuc
ceda à fon vouloir . Ceux cy doncques ont par
telz moyens euité les perilz qui gilent au ma
niment dela coniuration , & quiconque les en
fuyura les cuitera toufiours . Or pour montrer
que chacun le peut faire comme eux, ie vous en
dóneray vn
vn exemple de Pifo, duquel a efté par
lecy deffus.Pifo eftoit grand perfonnage, & de Occafions
haute reputation , fort familier de Nero , & en qu'auoir Pi
qui il fe fioic grandement . Nero alloit fouuent ſopour tuer
Mangerauecques luy en fes iardins , à cefte oc- Nero.
CC
DISC. DE NIC. MACCHIA .'
cafion Pifo pouuoit pratiquer des amis gens de
a cucur, hardis , & difpofez à telle execution,qui
eftoit chofe aifee à faire à yn grand perfonna
ges & à l'heure que Nero eftoit en fon iardin à
leur communiquer l'affaire , & par bonnes pa lin
roles les enhorter & animer à le faire , ilz ne
cuffent eu temps, ný occafion de refufer, & cut
efté impoffible qu'ilz n'en fuffent venuz à fin. And
Et qui voudra ainfi examiner toutes les autres,
per fen trouuera que l'on n'eut peu conduire
en celte façon . Mais les hommes peu enten-.
duz és actions du monde,fouuent commettent
de trefgrandes fautes , & plus grandes és affai
res qui plus ont de l'extraordinaire, comme ce
+
ftuy cy. Il ne doit doncques iamais le commu
niquer finon à la neceffité, & fur le faict. Et fil
en veut faire communication , la face à vn feul,
lequel ilait de longue main experimenté , ou
qui fait incité de pareille caufe que luy. Il eft
beaucoup plus facile en trouuer vn tel que vous
defery, que plufieurs , & d'autant y a moins de
peril : puis, quand encores il te faudroit de foy,
y a remede à fe deffendre , lequel eftperdufily
a nombre de coniutez. A ce propos ay autres
fois ouydire à vn homme fort fage , qu'auec vn
feul tout fe peut dire : parce que (fi tu ne laiffes
tirer lettres efcrites de main ) autant vaut le fi
de l'vn , que le non de l'autre . Et de l'efcrite
chacun fe doit garder comme d'vn rocher ; veu
qu'il n'y a rien qui mieux conuainque que le
refmoignage de la main. Plautianus machinant
SVR LAT. DECA. DE TIT. LI. 202
mort de l'Empereur Seuerus, & d'Antoninus
fonfilz , en donna la charge à Saturninus Tri
bun :lequel ayant volonté de l'accufer, non pas
de luy obeïr, & dourant que quand il viendroit
àl'accufation quel'on creuft pluftoft à Plautia- Plautianus
Dus qu'à luy , luy demanda vné cedulle de fa pris par fa
mainfaifant foy de fa commiffion. Ce que Plau- lettre. ,
tianus aueuglé d'ambition luy bailla:dont atint ..1
quece Tribun l'accufa & conuainquit . Et fans
la cedulle & certaines autres contrefings, Plau
Hanus l'eut emporté auecques l'audace dequoy
Anyoit le fait . Il fe trouue doncq' quelque res
mede contre l'accufation d'vn, mais qu'il n'y ait
cotte toy preuue d'efcriture, & de fing: dequoy
vnfeul coniurant fe doit garder. De la coniura
tion Pifoniane eftoit vne femme nommee Epi
Caris , que Nero vn temps auoit aymee, laquelle
geit eftre bony affocier vn Capitaine de quel
quesgaleres que Nero tenoit pour fa garde,elle
uy communiqua l'affaire, fans declarer des con
jurez.Ce Capitaine luy fauçanela foy,l'accufe à
Nero:mais telle fat audace & conftance d'Epi Conftance
caris à le nyer,que Nero demeurant cofuz ne lad' Epicaris
codamna.Il y a donques deux dangers à comu -femme.
niquer à vn feul :Tvn, qu'il ne baccufe auecques.
preuue : Pautre, que luy conuaigeur & contraint
par la punitional ne t'accufe , ayant elté pris par:
quelque indice forty de luy. Mais en tous ces'
kvn perilz fe trouue quelque remède , en nyant
deux
par allegation de hayne que l'accufateur te
porte, & Pautre en remonftrant laforce qui luy
CC ij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
fait dire relles menfonges. C'est doncques tout
de prudence de ne faire part de tel fecret à per
fonne, & en vier felon exéples qui ont efté mis
cy deffus : ou fi tu y veux auoir compagnie ne la
prédre que d'vn.Et fil y aencore en cecy quel
que danger,c'eft beaucoup moins qu'en la com
munication faite auecques plufieurs.
Coiuration Le plus prochain & femblable à ceſte ma
par necef niere eft quand neceffité te contraint faire au
fité. Prince que voys qu'il te voudroit faire : laquel
leeft fi grande , qu'elle ne te donne le loifir fi
• non de penfer à ta feureté. Cefte neceffité con
duit volontiers l'affaire à fin defiree , & pour le
prouuer deux exemples fuffiront. L'Empereur
Cotre l'Em Commodus auoit deux Capitaines des foldatz
pereur Com pretorians, Letus & Electus , lefquelz il tenoit en
modus. tre fes principaux & plus priuez amis. Aufſia
uoit Martia pour la plus affectee de fes concu→
bines.Mais parce qu'ilz le reprenoient fouuent
des actes qu'il faifoit cotre la dignité de fa per
fonne & de l'Empire, delibera leur mort, & ef
criuit en vne lifte, Martia, Letus, Electus , & quel
ques autres noms de gens, que la nuit prochai
ne il vouloit faire mourir.Ör il meit ce roole au
lifte fouz le cheuet de fon lict, & allé au bain,vn
enfant fon fauory folaftrant par la chambre &
farfon lict, trouna la lifte: & fortant de la charm
bre ce papier en la main , rencontra Martia qui
le luy ofta, & le leut.Et voyant le contenu man
da incontinent Letus & Electus : par lefquelz le
peril cogneu où ilz eftoient, la deliberation fut
IM SVR LA T. DECA . DE TIT. LI. 203
prinfede le preuenir,& fans' laiffer de temps en
tredeux la nuict fuiuant ilz tuerent Commodus.
L'Empereur Caracalla faifoit la guerre en Me- Cotre l'Em
Se Sopotamie , & auoit pour fon lieutenant Macri- pereur An
Copy
homme plus ciuil que belliqueux. Et com- ronius Ca
meil auient que Princes autres que bonis font racalla.
toufours en crainte que l'on neleur face ce que
iz penfent auoir merité , Antoninus efcriuit à
Maternianses fon amy (eftant à Rome) qu'il f'en
quitdes Aftrologues, fi aucun y auojt qui ten
dif à l'Empire , & qu'il l'en auertift . Maternis
luy refcriuit que c'eftoit Macrinus qui y afpi
toir,& la lettre toba le premier entre fes mains.
tur
Erla neceffité par luy cogneuë de tuer l'Empe
teurauant qu'il luy vint nouuelle lettre de Ro
ten
me,oudemourir luy mefme, commit l'affaire à
Martial Centurion fon feal amy , & de qui peu
de jours
parauant Antoninus auoit tué le frere,
lequel executa cefte commiffion heureufement.
ipt
On void donques que cefte neceffité vrgente
,& qui donne loifir de differer autat que le moyen
e
&coff deffusefcrit,qu tin Nel
e t èmatu d'Epire .Et d'a
s
antage ce que i'ay dit prefq au comm
rook ue ence
m ent de ce difcou , comm les menac n
baref fent rs e es ui
h r a t plus auxvPrinc , & font cauſe de coni
mbc ions plus ehem es u
entes , que ne font les torts
Hab & offenfes :
parta f d b g .
nt en oiuent ien arder
Car il faurt ou careff les gens , ou fen affeur , Peril fur
e
& ne les duire iama e r i en term e r
s es de leur faire l'execution
penferque
la liurer. force leur foit de receuoir mort , ou des coniu
rations.
CC iij
DISC. DE NIC. MAGCHIA. LA1.DE
Quant aux perilz qu'on encourt fur l'execu
tion , ilz naiffent ou par changer l'ordre qu'on vetann

+ auoit auilé , ou par faute de cueur en celuy qui M


execute, ou par erreur qu'il commet par fon in
difcretion ou à faute d'impofer .la derniere
main à l'œuure , laiffant en vie partie de ceux ce
' an auoit propofé de tuer. Sur ce propos ic
qu'an
dy , qu'il n'y a rien qui tant caufe de trouble & " Cequi
empefchement à toutes actions humaines , que
de changer en vn inftant l'ordre donné en vn
affaire . Et fi ce changement fait defordre ende
quelque cas , c'eft principalement en la guerre,
& en telle chofe que celle de qui nous parlons: th
car en ceft endroit il n'y arien plus neceffaire, oppr
que le cueur des hommes ferme à executer la tauta
partic dont ilz ont charge. Or quand ilz ont ar pai
refté & fiché leur fantalic par plufieurs iours à ael
vne maniere & vn ordre , & l'on leur vient va
FaP
rier,il eft impoffible qu'ilz nefe troublent tous,
& que l'entreprife ne rompe , de forte qu'il fe.
roit meilleur executer felon l'ordre deliberé 300
(combien qu'il y apparoiffe quelque inconue,
nient ) que le changeant entrer en mile & mile,
Cecy auient quand on n'a pas letemps de dif
pofer de nouuel ordre : car fi le loifir y eft, cha.
peut gouuerner à famode. La coniura
tion des Pazi contre Lorenzo Giuliano des
Medici , Pordre propofé eftoit qu'ilz donneroiét
à differ au Cardinal de faint George, & le tue
roient. En quoy eftoit ordonné qui luy don
neroit le coup, qui prendroit le palais, qui cour
SVR LA I. DECA . DE TIT . LI. 7204
roit par la ville , & appelleroit le peuple à liber
té. Auint qu'eftant en l'Eglife catedrale de Flo
rence,les Pazi Medici, & le Cardinal,en vn of
fice folennel , fut entendu , que Giulio ne dif
noit point ce matin là. Ce qui fit affembler les
coniurez, & ce qu'ilz auoient deliberé de fai
re au logis des Medici , auiferent de le faire en
Eglife. Ce qui troubla tout l'ordre : Car Gio
nanbatifta da monte Secco ne voulut commettre
homicide en l'Eglife : tellement qu'il leur fa
lut changer des gens en toutes leurs actions, lef
quelz n'ayans le temps de fe recueillir & faf
feurer en leur charge , firent de telles fautes, que,
ilz furent opprimez en l'execution mefme. Le
courage faut à ceux qui executent , ou par reue- .
rence, ou par lafcheté & couardie de l'execu
tant. La maiefté & reuerence que potte la pre
fence d'vn Prince eft fi grande, qu'il eft aiſé que
elle adouciffe ou eftonne vn executeur. Vn ferf
futenuoyé à Marius eftant prifonnier des Min- Marius de
turnefespour le tuer : lequel efpouuenté de la grande re
reprefentation du perfonnage & de la memoi- prefenta
re de fon nom , perdit tellement le cucur , que tion.
il n'eut force en luy pour le tuer. Or fi telle ver
tufuten vn homme lié , prifonnier , plongé en
mauuaife fortune , de combien doit on cfti
mer quelle eft plus grande en vn Prince libre
auecques la maiefté des ornemens , auecques
fa pompe & fuitte , laquelle te peut eftonner,
ou bien appaifer par vnbon vifage , ou quelque
gracieux accucil ? Ily en eut qui coniurerent
CC iiij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
contre Sitalxes Roy de Trace , ilz auiferent da
iour de l'execution , conuindrent au lieu depu
té où le Prince eftoit, nul ne ſe remua pour luy
toucher. Ainfi partirent fans auoit rien tenté,
& fans fcauoir qui les auoit deftournéz, & cha
cun en chargeoir fon compagnon . Ilz r'encheu
rent encores plufieurs fois en ceft erreur , telle
ment que leur coniuration fut defcouuerte , &
ilz porterent la peine du
mal qu'ilz pouuoient
& n'auoient fait.Deux freres d'Alfonfe Duc de
Ferrare confpirerent contre luy , & vferent de
Giannes preftre & chantré du Duc pour moy
enneur:lequel,à leur requeſte, mena fouuent le
Duc là où ilz eftoient,fibien qu'il le liuroit en
tre leurs mains : mais nul d'eux n'eut iamais la
hardieffe , tellement qu'ilz furent deſcouuertz,
& receurent punition de leur meſchanceré &
imprudence.Čefte faute ne peut proceder d'au
tre raifon , que ou de la préfence qui les efton
noit , ou de quelque humanité du Prince qui
les humilioit. En telles execution naiffent er
reurs & inconueniens par faute de prudence,
ou de cucur,. Car ces deux chofes eftonnent
l'homme , lequel tranfporté de cefte confufion
de cerueau, dit & fait ce qu'il ne deuroit. Qu'il
ne foit vray,Tite Live ne Peuft fceu mieux mō
ftrer , quand il parle d'Alexamenes Etole , qui
vouloit tuer Nabis de Sparte ( duquel auons
deffus fait mention ) & que l'heure venue de l'e
xecution , apres qu'il eut declaré à fes gens ce
qu'ilz auoient à faire.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 205
Colligit & ipfe animum cofufum tata cogitatione rei.
Luy mefme auffi vine à recueillir fes elperis
tousconfus de la penfee d'vne fi grande chofe.
Car il eft impoffible qu'vn home ne fefton
ne, tant foit il affeuré & accouftumé au fang hu
main efpandre,& à manier les armes . Partant
fault en tel cas eflire gens experimétez ,&aguer¬
riz, & ne fen fier à autre de quelque vaillance
qu'on l'eftime. Car du courage es grades choſes
onnefen peult rien promettre de certain , fans
enauoir fait l'experience.Cefte confufion don
ques te peult faire tomber l'efpee du poing, ou
faire dire quelques paroles reuenás à mefme ef
fair, Lucilla feur de Commodus auoit dóné ordre
que Quintianus lo tueroit , il attendit Commedus
l'entree de l'amphiteatre, & f'approchat de luy
le pongnard nudau poing, luy cria : Voicy que
le Senat t'enuoye.Lefquelles parolles firet qu'il
fut pris auat qu'il cuft baiffé le bras pour le frap
per.M.Antonio de Volterra deputé(comme defia
aefté dit ) à tuer Lorenzo di Medici en fappro
chant de luy , dit: Ah trahiftre! lequel mot fau
ua la vie de Lorenzo, & ruïna la coniuration. Or
ya difficulté de mettre à fin telles entreprinses
quand elles font dreffees cotre vn chef, pour les
raifons deffus deduitres. Mais elle y eft trop plus
grande,quad on coniure cótre deux chefs.Voy.
re eft relle qu'il eft quafi impoffible qu'elle fuc
cede. Car on ne sçauroit faire vn acte femblable
en diuers lieux en mefme temps , & le faire en
diuersteps nul ne peult , qui ne veult que l'vne
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Coniuratio gate l'autre. En forte que fi la coniuration con
cotre deux trevn Prince eft eftimée douteufe,perillcufe, &
chefz. confideree, celle qui fè meine corre deux eft du
tout vaine, & legiere. Et n'eftoit la reuerence de
Herodian . l'Hiftorie,ie ne croirois iamais ce qu'Herodian:
dit de Plautianus fuft poflible , qu'il cuft donné
charge à Saturninus Centurion tout feul d'occir :
Seuerus Antoninus, habitans en diuers lieux..
Car c'eft choſe tat efloignee de taifon , qu'autre
chofe que cefte autorité 'ne me le feroit croire.
Quelques ieunes hommes Atheniens coniure
rent côtre Diocles &Hippias Tyras d'Athenes,
tueret Diocles,& Hippias demeura qui, le ven
gea. Chiones & Leonides Heraclufes, & difci
ples de Platon confpirerent contre Clearcus &
Satirus deux Tyrans , occirent Clearcus , Satirus
demeurat en vie en print vengeance . Aux Pazzi
( de qui nous auons tantparlé ) ne fucceda que
de tuer Giuliano . Tellement que chacun fe doit
abftenir de telles entreprinses contre plufieurs
chefz , veu que l'on ne fait bien ny à foy ny à
la patrie ny à perfonne : Voire ceux qui vifz en
efchapent deuiénent plus cruelz & moins tole
rables , comme bien fçait Florence, Athenes, &
Heracles, que ie vien d'alleguer . Il eft vray que
celle que fit Pelopidas , pour deliurer Thebes
fa patrie , eut toutes ces difficultez , & fi vint à
heureuſe fin . N Car il coniura non feulement la
mort de deux Tyrans: mais de dix, Il n'auoit pas
grande confiance, l'accez vers les Tyrans luy e
oit bien denié comme à vn rebelle, neatmoins
SVR LA I DECA . DE TIT. LI. 206
vint à Thebes, met les Tyrans à mort, & deliure
la ville . Toutesfoys il fit tout auecques -l'ayde.
de Carion leur confeiller , par lequel il eut l'en
tree facile à fon execution . Si eft ce qu'on ne
doit fuiure fon exemple , par ce que comme ce
fut vne entréprinfe fi difficile & merueilleuse à
pouuoirfucceder, elle eft tenue pour telle par
les Hiftoriens , lefquelz en font cas comme de
chofe rare & quafi nompareille . Telle executio
peut eftre rompue par imagination faulfe , ou
par vn accident furuenant fur le fait à l'impour
ueu.La matinee que Brutus & les autres coniu
rez vouloient tuer Cefar , auint qu'il parla lon
guement auec Cn. Popilius Lenas , qui eftoit de Popiline
la trouppe . Ce long parlement mit fes confors Lens,
en doute qu'il reuelaft le fait à Cefar , & furent
en opinion de le vouloir maffacrer fur le chap,
fans attédre qu'il fuft au Senat, Ce qu'ils euffent
fait,fi le propos ne fuft finy,& fils n'euffent veu
que Cefar n'en faifoit aucun mouuement extra
ordinaire,dequoy ils fe r'affeurerent. Ces faulfes
imaginationsfont bien confiderables & dignes
quoy on ayt refpect auec prudence, & d'autat
plus qu'il eft fi facile de l'auoir . Car celuy qui a
fa confcience chargee , croyt à tous propos que
on parle de luy , Tu peux entr'ouyr quelque
parole dite à autre intention , qui te troublera
le lens,& te fera penfer qu'elle touche ton affai
re:dont tu le defcouuriras en t'enfuyar, ou con
fondras ton acte en le haftant , & precipitant
hors le temps : Ce qu'il auient pluftoft tant plus
DISC. DE NIC. MACCHIA,
3
eft grand le nombre des complices . Quant aux
accidens (par ce qu'ils viennent non efperez) A
n'y a moyen de les declarer , que par exemples,
fur lefquelz on fe pourra reigler,& apprendre à
fe tenir fur les gardes . Giulio Belanti de Sienne
(duquel auons defia tenu propos) indigné con
Pandelfe. tre Pandolfo , qui luy auoit baillé fa fille , puys
ofté ,confpira fa mort, & efleut cefte occafion .
Pandolfo alloit preſque tous les iours viſiter vn
de fes parens malade, & pour y aller paffoit de "
uant le logis de Giulio , lequel ce voyant donna
ordres d'affembler fes compagnons en fon logis
pour mettre à mort Pandolfe en paffant,les fait
tenir au dedans de l'huis en armes , & en affied

Accidens vn en vne feneftre pour leur faire figne quand


il le verroit approcher .Or auint qu'en ceft en
Surunans droitPandolfe rencotre vn de fes amys qui l'ar
en l'execu
refte , & aucuns de ceux qui l'accompagnoient
Sion.
vindrent à paffer deuant, & fentirét le bruit des
armes,dót fut l'embufche deſcouuerte, en forte
que Pandolfe fe fauua , & Giulio & fes confors
fenfuyrent de Sienne . L'accident de ceſte ren
contre empefcha l'acte , & ruïna l'entrepriſe de
Giulio .A ces accidens ( à cauſe qu'ils font rares)
ne fe peult ordonner remede : Bien cft neceffai
re examiner tous ceux qui peuuent nailtre,& as
uifer les remedes.
Perilz 4- Reſte à difcourir les perilz furuenans apres
pres lexe- l'execution, & n'y en a qu'vn . C'eft quand quel
cution. qu'vn demeure qui vége la mort du Prince oc
cis. Comme font fes freres, ou fes enfans,ou au
SVR LA T. DECA. DE TIT. LI. 207
tresparens , à qui appartiene la principauté,lef
quelz le peuuent furuiure,ou par ta negligence,
ou par les caufes deffus deduites , comme il en
prità Giouandrea da Lampognagno : lequel ayant Giouadrea
tué le Duc de Milan auecques l'ayde de fes a- de l'Am
mys demeura vn fils du Duc , & deux freres, pignagno .
qui eurenttemps à fen venger . A la verité les'
coniurateurs en ce cas font excufables, veu qu'il
ya aucun remede : mais quand il en furuient
quelqu'vn par leur negligence ou imprudence,à
orsne merite excufe . A Forlinie quelques gens
d'uneconfpiration mirent à mort le Comte Gi
name leur feigneur , prindrent fa femme & fes
enfans encores petitz,& en iugeans ne pouuoir
viure en feureté , fils ne fe faifoient maiſtres de
fortereffe, laquelle le Chaftelain ne leur vou
loit rendre,ma Dame Caterine la comteffe pro
mit aux coniurateurs fils l'y vouloient laiffer
eatrer,qu'elle les mettroit dedas , & que ce pé
dant retinfent fes enfans pour oftages. Ils la laif
ferententrer fous fa foy, & quad elle fut dedans
leur commença à reprocher la mort de fon ma
ty,les menaffant de toutes les vengeances dont
ellepourroit auifer. Et pour leur faire entendre
qu'elle ne fe foucioyt de fes enfans , leur mōſtra
fesparties hōteufes, difant qu'elle auoit encores
dequoy en refaire d'autres . Ainfi les pauures
defpourueuz de confeil trop tard fapperceuans
deleur faute, par exil perpetuel fouffritét la pei
ne de leur folle indifcretio.Mais de tous les pes
tils qui furuiennet à l'execution ,n'y en a de plus
DISC DE NIC. MACCHIA.
certain, né plus à redouter , que quad le peuple
ayme le Prince que tu as occis , d'autant qu'il
ne l'y trouue aucun remede ne moyen de fen
Cefar. allurer . Cefar eft pour exéple , lequel eſtát bien
voulu du peuple,fut vengé par luy. Car il chaffa
de Romeles coniurateurs,& fut caufe qu'en di
uers temps , & diuers lieux ils furent tous mis à
mort.Les coiurations qui fe font cótre la patric
font moins dangereufes pour ceux qui les font,
que celles que l'on machine contre les Princes:
yeu qu'au maniement y a moins de danger , en
l'execution auffi peu, & apres nul du tout.En la
menee y en a peu , par ce qu'vn citoyen peule
tendre à aquerir puiffance fans declarer fon in
tentio à perfonne. Et au cas que fes deffeins luy
foient rompuz, peult fuyure en bone heure fon
entreprife , fils le font par quelque loy, artedra
Coniuratio le temps, & y correra par autre voye. Cecy f'en
contre Rep. tend en vne Republique , où y a defia quelque
corruption: car en vne qui ne feroit corrompue
( n'y ayant lieu aucun commencement de mau
uais ordre) telles penfees ne péuaet tomber en
la fantasie d'vn citoyen. Il leur eft doncques fort
ayfé par plufieurs voyes & moyens afpirer à la
Principauté , fans encourir dager d'eftre oppri
mez,tant par ce que les Republi, font plus lon
gues & tardiues que le Prince, que par ce qu'el
les craignent moins & d'autant font moins fur
leur garde . Auffi elles portent plus de refpect
aux grás perfonnages de la cité , qui les red plus
bardiz & audacieux côtre elle, Chacun a leu la
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 208
coiuration de Catilina defcritte par Sallufte, & Catilina
fçair come depuis qu'elle fut decouuerte,nó feu
lemét il ne bougea de Rome, ains alla au Senat,
dir iniures au Conful & aux Senaters : tant de
cas faifoit cefte Cité de fes Citoyens . Et apres
qu'il fut party de Rome , & tint les champs en
armes,Lentulus n'euft efté pris,ne les autres,fans
les lettres qu'on trouua de leur main, qui les act
tuloient manifeftement : Hanno,qui auoit tref- Hanne
grande autorité à Cartage, tédant à la tyrannic,
fafoit fon deffein d'empoifonner tout le Senat
eshopces de fa fille, & apres fe faire Prince La
chofe entendue,le Senat n'y donná autre ordre,
forsqued'vne
feftins loy qui limitoitrefpect
&nopces à defpenfe des
,tant curét de à fa quali

te.Bié eftvray qu'à executer vne coiuratio con


ela patrie y a plus de difficulté & de peril:d'au
tát fuffifent
les qu'il n'eftcontre
gueres poffible
tant que,&
de gens tes forcesn'eft
chacun feu

pas chefd'vne armec : comme Cefar , ou Agato+


cles,ou Cleomenes , & telz autres, qui ont par
leur
patricpropre puiffance tout d'vn trait occupé la
, auxquelz le chemin en eft
facile:maisceuxqui n'ont tel amas de trop
gésfeut &
à eux,
cóuient
qu'ils menent ceft affaire par art & frau:
de,ouauecques fecours eftranger . Quant à la
fraude,Pififtratus Athenien ayat vaincu les Me Pififtratus
garenfes
, & par cefte victoire aquis grande re
putation dupeuple, fortit matin dehors naüré,
& difoitque la nobleffe par enuie l'auoit outra

ge,& requift luy eftre permis mener ges armez


DISC. DE NIC. MACCHIA .
pour la garde,&par cefte autorité mota en telle
grandeur , que legicrement il deuing Tyran d'A
Petrucci. thenes.Petrucci retourna à Sienne auecques au
tres bannin , auquel la garde de la place fut bail
lee en gouuernement comme charges mecani
ques les autres refufoient . Si eft ce que ceſte gar
de armee luy donna tant d'autorité auecques le
temps , qu'il fut Prince de la cité. Maints autres
ont yté d'autres induftries & moyens, qui àla
longue & fans peril y font paruenuz . Ceux qui
parleur propre force ou auecques fecours de de
hors ont confpiré à occuper la patrie ,ont eu di
uers fuccez felon la fortune . Catilina ( de qui
nous parlions maintenất )y a eſté ruïné . Hanno
auffi quand il vid que le venin ne luy auoit fer
uy , mit en armes ie ne fçay quant mille de fes
paruifans ,qui tous furent tuez auecques luy
Quelques citoyens des principaux de Thebes
par l'ayde de l'armee de Sparte ,vfurperent la ry
rannie de leur Cité . Tellement qu'à examiner
toutes les coiurations faites cotre la patric , nul
le fe trouuera , ou bie peu, qui ayt efte opprimee
fur la menee ains font toutes venues à fin , ou
ont efté ruynecs en l'execution . Apres qu'elles
font executees , elles ne portent autre peril,que
celuy qui fuyt la nature de principauté . Car de
puis qu'vn home eft deuenu Tyran,il a les dan
gers naturelz & ordinaires , que la tyrannie luy
amene , contre lefquelz il n'a. autres remedes,
que ceux qui deffus ont efté difcouruz . Voylà
tout ce qui feft offert à cfcrire des coniuratios .
Etfi
SVR LA I. DEĆA . DE TIT . LI. 209
Etfii'ay deuifé de celles qui fe conduisent par
armes,nó de celles qui fe font par poyfon , c'eſt Coniuratio
pource que l'ordre eft femblable en toutes.Vrayparpoyfons
eft que celles de venin font plus perilleufes,
d'autant qu'elles font plus incertaines , & que
chacú n'en a pas la commodité, & eft force d'en
conferer auecques celuy qui l'a : ce quite met
en grand danger . Outre par plufieurs caufes le
venin eft empefché d'eftre mortel comme il a
parut en Cammodus , qui le rejeta par la bouche, comeduti
tellement que les coniurateurs furent contrains
de l'eftrangler . Partant les Princes n'ont enne
my plus grand que coniuration, à caufe que de
puys qu'il en a efté dreffé quelqu'vne cótre eux
ou elle leur ofté la vie , ou les diffame . Car fi el
le fuccede ils en meurent:fi elle eft defcouuerte
& qu'il puniffe les coniurateurs , on croit touf
jours q ce foit vne inuétion de luy pour affouuir
fon auarice, ou cruauté fur le fang & les bies des
occiz. Si ne veux je laiffer à auertir le Prince, ou
la Republique , contre qui on coniare, de bien
confiderer quand vne coniuration leut eft def
couuerte, auant que mettre la main à la punitio
de chercher, & bien entendre la qualité d'icelle,
& mefuter bien les conditions de ceux qui con
fpiroient auecques les fiennes : Et fils la trou
uent groffe & puiffante,n'en defcouurir la con
noiffance iufques à cequ'ils ayent dreffé leur
apareil pouryrefifter,autrement ils pourroient
decouurir leur tuine mefme . Ainfi la dojuent
diffimuler partoure induftrie . Car telles gens fe
DD
DISC. DE NIC. MACCHIA.
voyans decouuertz , preffez de neceffité , y be
fongnent fans efgatd en defefperez . Les Ro
mains font pour exemples , lefquelz ayans laiſſe
Capue. deux legions pour la garnifon de Capue contre
les Samnites(comme auons dit en autre lieu)les
Capitaines cófpirerent enfemble de faccager la
ville . Ce qu'entendu par les Romains, commi
Rutilius. rent Rutilius nouueau Conful pour y mettre
ordre, lequel pour endormir ces coiurateurs, fit
publier comme le Senat auoit confirmé les gar
nifons aux legions de Capue. Ce qu'ils creurent,
& leur femblant auoir allez de temps à execu
ter leur deffein , ne fe foucierent de hafter l'af
faire. Et ainfi fe tindrent coys tant qu'ils com
mencerent àvoir que le Conful les feparoit les
vns d'auecques les autres : dequoy ils prindrent
foupçon , qui les fit defcouurir & mettre leur
vouloir à execution . Et ne fe pourroit trouuer
meilleur exemple pour l'vne & l'autre partie:
car on void en ce cas comme les hommes font
tardifz , où ils penfent auoir du temps affez : au
contraire comme ils font diligens ou neceffité
les preffe . Et ne fçauroit le Prince ou Repu
blique ( qui veult pour fon auantage differer à
defcouurir vne coniuration ) vfer le meilleur
moyen, que d'offrir aux coiurateurs fubtilemét
quelque occafio prefente, qui les retarde & leur
Le Ducde donne efperance de bon loyer,à fin que ce pen
Athenes, dant ils donnent ordre à les chaftier . Ceux qui
Guglielmo ont fait autrement ont auancé leur ruine, com
Jehangi , me le Duc d'Athenes , & Guglielmo de Pazzi.
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 216
Le Duc deuenu Tyran de Florence , ayant en
tendu que l'on coniuroit contre luy ( fans au
trement examiner l'affaire ) fit prendre vn des
coniurateurs, ce qui mit incontinent aux autres
les armes au dos, dont il fut priué de l'eftat. Gug
lielmo eftant commiffaire ou lieutenat de la Ci
téau val de Chianauel l'an . m. d. i. & eftant a
terry qu'à Arezzo y auoit vne coniuration en
fueur des vitelli pour tollir cefte place aux Flo
tentins , foudainil y alla , & fans confiderer les
forces des coniuras ne les fiennes, & fans fe for
tifier d'autre puiffance , par le confeil de l'Eueſ
que fon filz fit aprehender vn des coniurez , &
apres cefte prifeles autres prindrés les armes, &
fe firent feigneurs de la ville , Guglielmo deuint
de commiffaire prifonniet.Mais quand les con
jurations font debiles, elles fe doiuent opprimer
fans refpect . D'auantage fe fault garder d'en
fuyure en aucune forte deux manieres prati
quees ,
I'vne contraire à l'autre : C'eft à fçauoir
du Duc d'Athenes , lequel pour montrer qu'il
fe penfoitbien voulu des citoyens de Florence,
fit mourir vn homme qui luy reuela vne coniu
ration . L'autre de Dion Syracufan , lequel pour Dion Sira
tenter la voloté de quelqu'vn qu'il tenoit pour cufan .
fufpect ,permit à Callipus ( en qui il fe fioyt/qu'il
fift femblant de coniurer cotre luy . Or fes deux
perfonnages finirent mal , parce que l'vn ofta
le courage aux accufateurs , & le donna à qui
voudroit coniurer , l'autre fit l'ouuerture de fa
mort: voyre fut chef de la coniuratio cótre loy
DD ij
DISC. DE NIC, MACCHIA.
mefmes, comme l'experience monftra. Car Cal
lipus ( ayat le moyen de pratiquer contre Dion
fans refpect ) tant pratiqua , qu'il luy oſta l'eſtat
& la vie.

D'où vient qu'entre les mutations de libertéenfer


uitude, deferuitude enliberté, aucunesfe
fontfans effufion defang, les autres
yfont toutes baignees. -

Chapitre VII

Velqu'vn,peult eftre,fera en don


re d'où precede que de plufieurs
mutations qui fe font de lavie li
bre en la tyrannique , & au con
traire,es vnes le fang eft efpandu,
es autres non . Car (comme l'on comprend par
les hiftoires ) aucunesfois en tel changement a
efté faite cruelle boucherie , aucunesfois n'y a
cfté offenfé ny outragé perfonne .
Come en la mutatio que fit Rome des Roys
aux Confulz , en laquelle ne furent chaffez que
les Tarquins, fans qu'aucun autre y fuft offense.
Ce qui depéd de ce point,que l'eftat qui eft cha
gé ,l'eft par violence, ou non . Et fi laviolence y
a lieu,elle ne peult eftre fans q plufieurs y foient
outragez . Et puys à la ruïne eft neceffaire que
les offenfez fe vueillent venger:& de ce defir de
vengeance fourd l'effufion de fang & la tuerie.
Mais quand ceft cftat eft mis fus par commun
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 211
confentement d'vn peuple qui l'a fait grand , il
n'a pascaufe apres quand il vient en ruïne d'en
mal traiter autre q le chef. Et de cefte forte fut
l'eftat de Rome &le banniffemét desTarquins,
&à Florence l'eftat des Medici , & en leur ruïne
l'an mil cccc.xciiii . ne furent offenfez autres
qu'eux . Ainfi ne font telles mutations fort dan
gereufes mais bien celles qui font faites par
gens qui ont à foy venger , lefquelles ( pour le
moins) eftonnent fort , & efbranlent ceux qui
les eflifent . De quoy ie ne tiendray plus long
propos,eftans les hiftoires toutes pleines de tels
exemples.

Qui veult alterer vne Republique , doit con


fidererfonfubiet.

Chapitre. VIII.
"!

L a efté deffus difcouru comme


vn mauuais Citoyen ne peult mal
faire en vne Republiquè qui n'eſt
point corrompue. Laquelle con
clufion fe fortifie ( outre les rai
fons qui à lors furent deduites )par l'exemple de
Spurius Caßius, & de Manlius Capitolinus.Ccspu
Fins homme ambitieux voulantgaigner autorité
extraordinaire à Rome ,& pratiquer la commu
ne en fafaueur par plaifirs & biensfaits, comme
de luy vendre les terres que les Romains auoiet
DD iij
DISC. DE NIC, MACCHIA.
tollu aux Herniques , cefte fienne ambition
fut defcouuerte par les peres, & tiree à tel foup
çon , que luy parlant au peuple & offrant luy
donner les deniers qui eftoient fortiz des grains
que le publiq' auoit fait venir de Sicile , les re
fufa du tout, luy eftát auis que spurius leur vou
fift nobrer le pris de leur liberté : mais fi le peu
ple cuft efté corrompu , il n'euft refufé ceft ar
gent, ains lay cuft ouuert la voye à la tyrannic
qu'il luy ferma , Manlius Capitolinus donne de
cecy encores plus grand exemple,par lequel on
void quelle vertu de cueur & de corps, & quan
tes bonnes œuures faites en faueur de la patrie
effacent apres vn ord apetit de regner , lequel
fourdit enluy ( come l'on void ) par enuie qu'il
auoit des honneurs faitz à Camille, & tomba en
tel aucuglement d'efprit : que , fans penfer à la
forme de viure de laCité,fans examiner fon fub
iet , qui n'eftoit encores capable de mauuaife
façon , fe mit à faire tumultes à Rome contre le
Senat & contre les loix . En quoy l'on connoiſt
la perfection de cefte cité & la bonté de fa ma
tiere ; veu qu'en la ruïne de Manlius nul de tou
te nobleffe ( combié qu'ils fuffent tres apres de
fenfeurs les vus des autres ) luy prefta faucur,nul
de fes parens ne fit aucune entreprife pour luy :
& au lieu qu'ils auoient acoutumé de compa
roir auecques les autres accuſez , mal en ordre ,
yeftu de noir,tous triftes,pour capter mifericor
de,l'on n'en vid pas vn à lors auec Manlius . Les
Tribuns de la communc, qui fouloiet toujours
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 212

fauorifer ce qui leur fembloit tourner à l'auan


tage du peuple, & d'autant plus eftoit contre les
nobles , tant plus le pouffoient en auant .En ce
casle ioignoient auecques eux pour opprimer
vncpefte commune . Le peuple de Rome trel
conuoiteux de fon propre profit, & amateur de
ce qui venoit contre la nobleffe , encores qu'il
fita Manlius plufieurs faueurs, neatmoins quád
lesTribuns l'aiournerent , & remirent la caufe
au jugement du peuple, le peuple deuenu iuge.
de defendeur qu'il eftoit , fans autre refpect le
condamna à mort . Ie ne croy pas qu'il y ayt en
cefte hiftoire exemple plus conuenable que ce
buycyà monftrer la bonté de tous les ordres
decefteRepublique:confideré que nul de la Ci
té felmeut à la defenfe d'un Citoyen pleïn de
toute vertu , & qui en public & en priué auoit
fait tant d'œuures louables .Car en eux cut plus
de pouuoir l'amour de la patrie , que nul autre
regard, & trop plus confidererent le dager pre
fent qui de luy dependoit , que fes merites paf
fez,tellement
que par la mort ils fen deliurerét,
duquel Tite Liue dit:

Hunc exitum habuit vir,nifi in libera ciuitate ns


tus effet,memorabilis.

Tellefin eut ce perfonnage, f'il n'euft efté né


en ville de liberté,digne de memoire .

En quoy font deux chofes à confiderer : I'vne


quefa gloire fe doit chercher en vne cité cor
DD iij
DISC. DE NIC. MACCHIA .
rompue par autres moyens , qu'en vne qui vit
cacores foubs polices : l'autre (qui reuient qua
fien la première ) que les hommes en leur ma
niere de proceder, & encores plus es actios grá
des doiuent confiderer le temps,& fy accomo
der, & ceux qui par mauuaife election , ou pat
inclination naturelle ne faccordent auecques
le temps , le plus fouuent viuent malheureux,
& leurs faitz ne viennent à bonne fin . Aucon
traire ceux qui fy accordet ont fortune fauora
ble , & fans doute . Par les parolles de l'Hiſto
rien deffus alleguees fe peult conclure , que fi
Manlius euft efté né du temps de Marins , ou de
silla , que la matiere eftoit defia corrompue , &
auquel il eut peu imprimer la forme de fon
ambition , il cuft cu mefme fuytè & fucces que
Marins & Silla , & que les autres qui aptes eux
taſcherent & tendirent à la tyrannie . Pareille
ment fi ces deux perfonnages euffent eſté du
temps de Manlias ils euffent cfté opprimez des
leurs premieres entrepriſes : car vn home peule
bien commencer à corrompre le peuple d'vne
Cité par ces moyens faux & illicites : mais il eft
impoffible que la vie d'vn feul fuffife à la corto
pre , en forte que luy mefme en puiffe cueillir
le fruit . Et quand poffible feroit que par lon
gueur de teps ille fift, il feroit impoffible quand
à la maniere de proceder des hommes , qui font
impatiens , & ne peuuent longuement differer
leurs paffions. Apres ils fabulent en leurs cha
fes propres , mefmement en celles qu'ils defi
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 213
rent plus : tellement que par faute de patience,
ou par tel abuz , ilz entreroient en quelque en
trepriſe contre le temps,& finiroient mal. Pour
ceeftbefoin à qui veut vfurper autorité en vne
Republique , & y mettre quelque forme mau
uaife ,trouuer la matiere defia defordonnee par
letemps,qui peu à peu & de generation en ge
neration ait efté conduite en ce defordre , la
quellefy conduit par neceffité quand elle n'eft
(comme deffus a efté difcouru ) refraichie fou
uent de bons exemples , ou par loix nouuelles
retireevers fes principes. C'eut efté doncques
vn perfonnage rare & memorable que Manlius,
fileutefté né en vne cité corrompue . Pourtant
doiuent les citoyens , qui font és Republiques
quelque entreprife en faueur de la liberté, ou de
tyrannic, confiderer le fubiect qu'ilz ont , &
par iceluy iuger la difficulté de leurs entrepri
fes : Carautant eft difficile & perilleux de vou
ferufaire
loir itudevn peuple libre qui vueille viure en
, que d'en vouloir faire vn ferf qui
vueille viure en liberté. Or parce que deffus a
efté dit,que nous deuons en noz faitz confide
rer la qualité du temps , nous en traiterons au
long au chapitre enfuyuant .

Comme il conuient varier auecques le temps,


qui veut entretenir tonfiours fa
bonne fortune.

Chapitre IX .
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Ouuentesfois ay confideré que la
caufe de la bonne & mauuaife for W
tune des hommes gift en ce que
les moyens de proceder fe ren
contrent auecques le temps . Car

on void que partie des hommes y procedent 24


d'impetuofité, les autres y vont auec refpect &
confideration. Et parce qu'en l'vn & l'autre de
ces moyens l'on paffe borne par faute de fca
uoir tenir le vray chemin , de là viennent noz
erreurs mais celuy tombe en moins d'incon
ueniens , & a plus la fortune fauorable , duquel
(comme i'ay dit) la maniere de faire fe rencon
tre & trouue conforme au temps , & toufiours
Froideur re force. Chacun
fe procede felon que nature te
de Fabius fcait comme Fabius Maximus conduifoit fon ar
› Maximus, mee auecques refpect & difcretion ,tout au con
traire de l'audace & chaleur Romaine , & fon
1 auanture voulut que ce moyen rencontraſt a
uccques le temps. Car eftant venu en Italie An
nibal ieune en profperité recente , qui defia a
uoit deux fois rompu le peuple Romain ,eſtant
lors cefte Republique du tout denuee de bons
foldatz & fort eftonnee , mieux ne luy pouuoit
auenir que d'auoir vn Capitaine , qui par fa tar
dité & froideur tint fon ennemy aux aboys.
Auffi ne pouuoit Fabius trouuer temps plus
conuenable à fa maniere de faire , ce qui fut
caufe de fa grande gloire.Or que Fabius en vfaft
ainfipar nature , non par election, on le void à
ce , que quand Scipion voulut paffer en Afri
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 214
que pour mettre fin à cefte guerre, il le contre
dit , comme celuy qui ne pouuoit fortir de fon
naturel tellement que filz fe fuffent arreſtez à
fon opinion Annibal eut plus long temps efté
en Italie : & ne confiderant pas qu'auecques le
changement du temps faloit changer l'vlage de
laguerre. Et fi Fabius cut efté Roy de Rome,
il
eftoit pour tout perdre , à caufe qu'il n'eut
fceu varier fa façon de proceder quant & la va
tiation du temps . Mais eftant né en Republi
queoù y auoit plufieurs citoyens & diuerfes hu
meurs , comme elle eut Fabius au temps qui luy
fut conuenable pour fouftenir la guerre , auffi
ellecut depuis Scipion en temps propre pour
emporter la victoire.Dequoy auier qu'vne Re
publique eft de plus longue vie , & entretient
plus longuement fa bonne fortune , que ne fait
vn Royaume , d'autant qu'elle fe peut mieux
commoder à la diuerfité des temps, auecques la
diuerfité de fes citoyens , que ne peut faire vn
Prince :parce qu'vne perfonne accoustumee à
ne maniere de proceder ne change iamais (co
me acfté dit ) & conuient par neceffité qu'il
tombe en ruyne auecques le temps non confor
me à la maniere. Pierre Soderin , duquel a cfté Pierre So
faitmention cy deflus, procedoit en toutes cho- derin hu
fes auecques humanité & patience, auffi il pro- main.
fpera & fa patrie tandis qu'il cut le temps à fon
vage:mais quad il en vint vn autre, auquel l'hu
milité n'auoit plus de licu , il ne fceut rompre fa
couftume , & allerent luy & fa patric en ruyne,
DISC . DE NIC . MACCHIA.
STALA1.E
Fureur du Le Pape Iule fecond proceda tout le temps de
Pape Iule. fa Papauté par furie & ardeur : & parce que la Ch
faifon eftoit de mefmes , toutes les entreprites
luy fuccederent. Et au cas qu'autre fut furuenu,
qui eut requis confeil diuers, c'eftoit fait de luy:
car iamais il n'eut changé fa maniere & ordre
de fe gouuerner. Or y à deux caufes qui nous
gardent de pouuoir muer noftre vfage : I'vne,
que ne pouuons refifter à noftre inclination na
turelle : l'autre , qu'vn homme ayantper
profper é ela
fuader
ponfor
par vn moyen , n'eft poffible de luy
qu'il peut bienfaire en procedant autrement.
Dont auient que la rouë de fortune nous tour- njouri
ebarro

ne , parce qu'elle tourne auecle temps , & nous


ne changeons pas noz façons de faire.Outre,de Rou p
la lu
là naift la ruyne d'vne cité, d'autant que l'ordre ma
00al
des Republiques ne varient auecques le temps &t
(comme cy deffus auons amplement difcouru) dec
car elles font tardiues & pefantes à faire varier, o

& faut qu'il vienne vn temps qui l'efmeuue tou- de


tc,à quoy ne fuffiroit le changement des façons
d'vne feule perfonne . Or pource qu'auons icy
CUR
fait mention de Fabius , qui tint Annibal aux
enti
abois , ie veux diſcourir au prochain chapitre,fil
' eft poffible, d'empefcher la bataille à voftre en
arde
nemy qui la vous veut donner, quoy qu'il en
auienne.

Que le Capitaine ne peut euiter la bataille,quand


fon ennemy bongré mal gré la
luy veutliurer.

1
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 215

Chapitre X.

News Sulpitius Dictator ad


uerfus Gallos bellum trahebat,
nolens se fortuna committere
aduerfus hoftem,quem tempus
deteriorem in dies & locus a
lienus faceret.
Cneus Sulpitius Dicta- Cn.sulpi
teur temporifoit contre les Gaulois, ne ſe vou- tius.
lant expofer à la fortune contre vn ennemy,que
de jour en iour l'incommodité du temps & du
lieu combattoient pour luy.
Quand vne faute eft telle que tous les hu
mains ou la plufpart y font trompez,ie ne trou
ue pas mauuais de la toucher fouuent pour la
reprouuer & blafmer. Partant encores que i'ay
cy deffus declaré plufieurs fois combien noz a
dions és chofes grandes font difformes & dif
ferentes de celles du temps paffé , il me femble
fuperflu d'en faire à prefent cefte recharge. Car
fi en aucune partie nous fommes diftraitz des
ordres antiques, ce doit eftre principalement és
actions militaires , efquelles il n'eft maintenant
rien gardé de tout ce que les anciens ont le plus A
eftimé. Ceft inconuenient eft né de ce que les
Republiques & les Princes , ont donné cefte
charge à autres, & pour fexempter des dangers
fe font tenuz loing des armes : Et fil auient que
quelque Roy vne fois y aille en perfonne , l'on
ne doit croire qu'il y donne meilleur ordre , &
DISC. DE NIC . MACCHIA .
meritant plus de loüange. Parce que quand ilz
mettent armee aux champs , où ilz fe trouuent,
ilz ne le font que pour pompe , non pour autre
caufe loüable. Toutesfois ilz commettent trop
moins de fautes reuoyans eux mefmes leurs at
mees,& y tenans prefens le tiltre d'Empire, que
nefont les Republiques , mefmement Italien
nes : lefquelles fe confians en autruy, n'enten
dent rien de tout ce qui concerne le faict de la
guerre.Et d'autre part voulas en deliberer pour
le monftrer eftre leur Prince, en telles delibera
tions font mil erreurs.Or combien que de quel
qu'vn i'ay diſcouru en autre lieu , fi eft ce que
i'en veux mettre en auant vn de grande impor
tance. Quand ces Princes oyfifz ou Republi
ques effeminees enuoyent vn Capitaine dehors,
la plus fage commiffion qu'il leur femble luy
donner, eft de luy deffendre la bataille en quel
que maniere que ce foit, penfans en ce cas imi
ter la prudence de Fabius Maximus ,lequel en dif
ferantle combat fauua l'eftat des Romains : &
n'entendent pas que le plus fouuent ceſte com
miflion eft nulle, ou dommageable . Car il faut
prendre cefte refolution , qu'il n'y a Capitaine
tenant la campagne , qui fe peuft exempter de
la bataille toutesfois & quantes fon ennemy
voudra venir, quoy qu'il en auienne . Tellement
que cefte commiffion eft , vault autant que qui
leur commanderoit faire la iournce à la pofte
de fon ennemy , non à la fienne. Car à vouloir
tenir la campagne , fans accepter la bataille,
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 216
n'y a autre remede , que de camper cinquante Remede
mille loing de l'ennemy,& auoir bonnes efpies pour euiter
pour eftre auerty de defloger quand il voudra la bataille.
marcher contre toy. L'autre party feroit de fe
enclorre en vne ville : mais l'vn & l'autre por
tent trop de dommage. Au premier on aban
donne fon païs au pillage de l'ennemy , & tout
Prince de valeur auroit trop plus cher tenter
la fortune d'vne iournce , que tant prolonger
guerre auecques fi grande perte de fes fub
ierz. Au fecond party le danger eft euident,
parce que te rengeant en vne ville auecques
ton armee tu viens à eftre affiegé , & en peu de
temps es affligé de famine , qui te contraint de
te rendre, tellement qu'il eſt trefdangereux d'e
uiter la bataille par ces deux voyes. Le moyen
que tint Fabius Maximus d'eftre toufiours en Fabius Mà
lieux auantageux eft bon quand tu as armee fiximus tem
vertueule , que l'ennemy n'ait la hardieffe de te porifeur.
venir affaillir fur tes auantages . Et ne fe peut
dire que Fabius fuift la iournee : mais qu'il la
vouloit & cherchoit à fon auantage. Car fi An
nibal le fuft allé trouuer, il l'euft attendu & re
ceu:mais Annibal ne l'ofa prendre à fon poinct,
en forte qu'auant l'vn cuita la bataille que l'au
tre: Mais au cas que l'vn d'eux l'euft voulu li
urer en toutes fortes,l'autre n'auoit que l'vn des
trois remedes : c'eſtaffauoir les deux deffufditz,
ou la fuite. Que ce que ie dy foit vray , appert
par mille exemples : mefmement en la guer
re que les Romains eurent contre Philippe de
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Philippe de Macedoine pere de Perfes, lequel le voyant af,
Macedoine, failly par eux,delibera ne ioindre point, & pour
fen garder voulut premierement faire comme
Fabius Maximus auoit fait en Italie. Si fe campe
fur la fommité d'vne montagne, où il fe fortifia,
iugeant que les Romains n'entreprendroient
de l'y aller combattre. Ce que toutesfois ilz fi
rent, & l'en chafferent tellement , qu'ilfut con
traint de fuyr auecques la plus grande partie de
fes gens. Et ce qui le fauua & preferua d'eftre
du tout confommé , fut l'iniquité & difficulté
du païs , qui empeſcha aux Romains la pour
fuite. Or ne voulant Philippe venir aux mains,
eftant (come i'ay dit) campé pres des Romains,
fut contraint de fuyr:puis ayant cogneu par ce
fte experience , que l'auantage des montaignes
ne fuffifoit à qui voudroit euiter le conflit , ne
voulant toutesfois fenfermer en aucune place,
delibera choifir l'autre party , qui eft de foy te
nir fort loingtain du camp des ennemis : Tant
que filz eftoient en vne contree , il fen alloit
en l'autre , & toufiours d'où ilz partoient il en
troit.Mais voyant en fin qu'au long aller fes con
ditions empiroient toufiours , & que fes fub
ietz cftoient maintenant foulez & mangez par
fes ennemis, maintenant par luy, fe refolut d'en
effayer le hazard , ce qu'il fit. Or eft doncques
vtile feflongner du combat , quand ton armee
a en elle les conditions de celle de Fabius , ou
de celle qu'auoit Cn. Sulpitius. C'eft à fcauoir,
quand elle eft telle quc l'ennemy ne l'oferoit
iamais
SVR LA I. DECA. DE TÍT. LI. " 217
iamais affaillir dedans fon fort, & qu'il eft en tes
pais fans y auoir encores prins grand pied:dont
il pourroit tomber en neceffité de viures. En ce
cas letemporifer cft trefbon , par les raiſons de
Tite Liue.

Nolens fe fortune committere.


Ne fevoulant hazarder & expoſer à la for
tune.

Mais en tout autre cas la iournee, ne fe peut


euiter ,fans ton deshonneur & danger : Car de
fuyr (comme faifoit le Roy Philippe) eft pareil
lehonte,que fil eftoit deffait : voire plus gran
de,d'autant qu'il a fait moindre preuue de fa
vertu. Et fil luy efcheut de fe guatentir par ce
moyen , il n'en prendra pas ainfi à vn autre qui
n'aura telle commodité de païs.Nul ne dira que
Annibal n'ait efté maiſtre & ouutier de guerre, Annibal
lequel eftant en Afrique contre Scipion, fil eut
lenty auantage en cefte maniere de prolonger
& temporifer, en euft vfe, & parauanture eftant
bon Capitaine auecques bonne armee , il l'euſt
peu faire comme Fabius en Italie:mais puis qu'il
nele fit, eft à croire, que quelque raifon ou im
portance l'en deftourna. Car le Prince qui tient
affemblee , fil void que pat faute d'argent ou
damisil ne la puiffe tenit longuement, il eft du
tout defconfit,f'il ne tente la fortune auant que
foncamp fe rompe : car plus il attend plus eft
certain de perdre , & au tenter il pourroit vain
cre.Vn autre poinct y a , qui eft encores à efti
met,c'eftque l'on doit toufiours (voire auffi cft
EE
DISC. DE NIC. MACCHIA.
perdant ) tendre à gloire acquerir , laquelle eft
plus grande en celuy qui a cfté vaincu par force,
qu'à qui a perdu par autre inconuenient . Par
quoy faloit qu'Annibal fut contraint de quel
ques néceffitez femblables . Et d'autre cofté
quand Annibal eut differé la bataille, & que Sci
pion n'euft eu le cucur de l'aller trouuer en fort,
il ne fe metroit pourtant en neceffité, au moyen
de Siphax , qui defia il auoitvaincu , & de tant
de places conquifes en Afrique , qui luy don
noient autat de commodité & feureté qu'il cut
peu auoir en Italic. Ce que n'auoit pas Annibal
quand il eftoit contre Fabius : ne les Françoys
pareillemét, qui auoient à faire à sulpitius . D'au
tát moins peutfuyr la iournee celuy qui à main
forte entre és païs d'autruy : parce qu'il luy eft
force,fifon ennemy luy vient au deuant de fat
tacher à luy : & fil mer le fiege deuant quelque
place ,encores fe rend plus fubiet à la bataille,
Le DHC comme de noftre temps auint au Duc Charles.
Charles de de Bourgongne,lequel eftant campédeuat Mo
Bourgogne. ratte ( place qui eft aux Suyffes ) fut par eux af
failly & deffait. Et comme il en print aux Fran
coys,qui affiegerent Noare, & y furét ainſi trai
tez par les Suyffes.

Qui aaffaire àplufieurs, combien qu'il nefoit le plus


fort toutesfois fil peutfouftenirlespremiers
efforts,peut emporterla victoire.

Chapitre XI.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LE 218
E pouuoir des Tribuns de la com
A mune fut grand en la cité de Ro
me,& fifut neceffaire come nous
auons fouuetesfois difcouru :par,
ce qu'autrement eut efté impof
fible de tenir fouz bride l'ambition de la no
bleffe,laquelle cut corrompu celle Republique
long temps deuant qu'elle ait efté .Neantmoins
partant qu'en toutes chofes ( comme autresfois
ຄ efté dit) eft caché quelque mal propre & per
calier,qui caufe maints accidens nouveaux,auf
fi eft if neceffaire d'y aprouuoir par nouuelles
Ordonnances. Eftant doncques l'autorité des
Tribuns deuenue trop infolente, & fort à crain
dre à la nobleffe , & à Rometoute ,en fut aue
u quelque inconuenient dangereux pour la li
berté Romaine,fi le moyen neuft efte monftré

par Appins Claudine , par lequel ilz fe deuoient


deffendre, & refifter à l'ambition des Tribuns,
Quifut tel qu'ils trouuerer touhours quelqu'vn CYN
d'entreeux,ou craintif,ou corruptible, ou-zela O
•2 bef
teur du bien comun,lequel ils dreſſoient à f'op
pofer à la volonté de ceux qui tendoier à quel
que deliberation cótraire à l'opinion du Senat,
Lequel remedefutvn grand frein & tempera
ment contre celle grande autorité & long téps
feruit bien à Rome . Ce qui m'a fait confiderer,
que toutesfois & quantes plufieurs Seigneurs
fontvniz & alliez contre vn , combien que leur
forceaffemblee paffe tropla fienne, neatmoins

ya plus d'efperance en luy feul qu'en tous les


EE ij
DISC.DE NIC. MACCHIA .
autres , voireplus puiflans. Car( miles arriere
toutes les chofes , efquelles vn feul vaut mieux
que plufieurs qui font infinies) toufiours auien
ftrie,
dra qu'il pourra en vfant d'vn peu d'indu
les fepare r & defioi ndre , & ainfi affoibl ir ce
corps fort & puiffant. Le ne m'arrefteray icy à
deduire les exemples antiques, dont on fourni
toit grand nombre : les recens fuffiront auenuz
Venitiens de noftre temps. L'an mil quatre cens quatre
Seul cotre vingts & cinq toute l'Italie coniura contre les
plufieurs. Venitiens lefquelz voyans qu'ilz eftoient du
tout perdus , & que plus ne pouuoient tenir la
campagne, corrompirent le Seigneur Ludouic,
qui gouuerhoir à Milan, & parcelte corruption
firent vn accord auec luy , par lequel il recou
urerent non feulement les places par eux per
dues mais vfurperent partie de l'eftat de Ferra
te. Ainfi ceux qui perdirent en guerre gaigne
Françoys rent le plus en la paix.N'a pas long temps, tout
feulz cotre le monde confpira contrela France, neanmoins
plufieurs. auant la fin de la guerre, Efpaigne fe departit de
la confederation & vintà appointement,fi bien
que tous les autres confederez furent auffi con
traints y condefcendre. Tellemét que fans dou
tel'on doit toufiours faire iugement quand on
void vne guerre de plufieurs contre vn , que le
feul auraFauantage , fil a feulement en luy tant
de vertu de pouuoir fouftenir les premiers ef
forts, & temporifant attendre le temps : autre.
ment il encourroit mille dangers , comme il en
print aux Venitiens au huictiefme . Mais filz
SVR LA I DECA . DE TIT. LI. 219
cuffent peu temporifer contre les François , &
cule temps de gaigner quelqu'vn de cefte allia
ce,ilz euffent euité celle ruyne :mais n'ayans ar
mesaffez vertueufes pour temporifer auec leurs
ennemis,qui leur donnerent loifir de pratiquer
aucun des confederez , ce fut ce qui les ruyna.
Caronvoyiot bie que le Pape,fitoft qu'il eut le
fen, fe declara leur amy,auffi fit l'Efpagne : &
I'vn & l'autre Prince leur eut volontiers fauué
& gardé l'eftat de Lombardie à leur pouuoir,
de paour de laiffer trop croiftre les François en
Italic.Ilz pouuoiét doncques bien alors les Ve
nitiens quitter vne part pour fauuer le refte. Ce
que filz euffent fait en temps qu'il n'eut point
femblé fait par neceffité, & auant le mouuemét
de la guerre, c'euft efté party treffage. Mais fur
le fait de la guerre il leur tournoit à deshon
neur,&peut eftre à peu de profit: Mais auant le
couppeu des citoyens de Venife oyoient le pe
rileminent,beaucoup moins entendoient le re
mede , & nul n'en eut fceu donner le confeil.
Pour doncques retourner au commencement
de cedifcours,ie conclud que le Senat Romain
trouua remede
bition au falut de la patrie contre l'am
des Tribuns , parle
moyen du nombre:
ainfi l'aura tout Prince affailly de plufieurs , fil
en luy la prudence d'vfer de moyens conue
pables pour les feparer & diuifer.
EE iij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Mep
Comme le Capitaine prudent doit impoſer aum
fienstoute neceßité de combattre
Ma l'ofter à fes ennemys.

Chapitre X11.5

Vtresfois auons difcouru com


bien neceffité eft vtile és actions.
humaines , & à quelle gloire elle
les a conduites , & comme par au
cuns Philofophes a efté eſcrit, que
les mains & la langue des hommes ( les deux
plus excellens inftrumens à l'ennoblir ) n'euf
fent iamais fait œuures fiparfaites , ne rendues
en telle hauteffe qu'elles font , fi neceffité ne
La vertu les eut pouffees. Lavertu de laquelle eftant co
dencceßité. gneue par les Capitaines antiques , & de com
bien deuenoient par elle les foldatz plus obſti
nez au combat , mettoient toute peine de les
renger à cefte contrainte. Auffi d'autre part em
ployoiét leur induftrie à en deliurer leurs enne
mis , leur ouurans fouuentesfois le paſſage que
ils leur pouuoient clorre , & fermans à leurs
gens la voye qui leur eftoit ouuerte . Qui donc
ques defire qu'vne ville fe deffende iufques à
l'extremité , ou qu'vne armee combatte en pa
reille obftination , fur tout doit tafcher à faire
entrer en leur cerueau cefte neceffité. Parquoy
Je Capitaine prudent , qui va donner l'affaut à
vne ville , doit mefurer la facilité , ou difficul
té de la prendre , par la cognoiffance & conf
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI, 220
deration de la neceffité , qui contraint les habi
tans de foy deffendre. Et fil en treuue beau
coup en eux , la peut juger de difficile , autre
ment de facile prife. D'où procede que les pla
ces,apres la rebellion, font plus fortes à repren
dre , qu'elles n'auoient efté en leur premiere
Conquefte : parce qu'au commencement , n'a
food yant caufe de craindre mal traitement , où il n'y
auoit offenfe , fe rendent facilement : mais de
puis qu'ilz fe font reuoltez , cognoiffans. auoir
offenfe, dont ilz craignent la punition , deuien
wit nettrop plus difficiles à emporter.Encores pro
cede cefte obftination dela hayne naturelle, qui
et entre Princes voyfins & Republiques , qui
naift entre eux d'ambition de vouloir dominer
& de ialoufie de leur eftat.Mefmemét fi ce font
Republiques, comme il auient en Tofcane : la
quelle contention a rendu & rendra toufiours
difficile l'expugnation de l'vn à l'autre. Partant
TCD qui bien confiderera les voyfins de la cité de
Florence & ceux de Venife , ne fefmerueillera
tant quefont beaucoup de gens pourquoy Flo
tence aplus defpédu en la guerre,& moins con
quis que Venife, parce que la caufe eft que les
Venitiens n'ont eu les places limitrophes fi ob
ftinces en leurs deffenfes que Florece a eu, d'au
tant que toutes les citez prochaines de Venife
eftoiét accouftumees à viure fous les Princes, &
non en liberté,& ceux qui font nourriz en ceffe
feruitude fouuent eftiment peu de changer de
maiftre, voire le defirent fouuent. En forte que
EE iij.
DISC. DE NIC. MACCHIA ,
combien que Venife ait eu à faire à voifins plus
puiffans que n'a eu Florence , toutesfois ne les
AB

rencontrant fi obftinez , a eu plus grand moyen


de les vaincre , que celle qui eftoit ceinte & en
uitonnee de toutes citez libres. Doncques doit
le Capitaine ( pour retourner au premier dif
cours) quand il affiege vne place, vfer de toute
diligence à tollir aux deffendeurs cefte necel
fité, & confequemment telle obftination , leur
8 promettant grace & pardon , fil void qu'ilz
ayent paour de punition : S'ilz craignoient per
dre leur liberté, leur monftrer fa volonté n'e
ftre contraire au bien commun:mais feulement
à l'ambition d'aucuns de la cité : ce qui a fou
uent fort auancé les entreprifes & prifes de pla
ces. Et combien que telles couleurs foient faci
lement cogneuës, mefmement par gens prudés,
fi eft ce que fouuent les peuples en font deceuz
& abuſez:lefquelz , du defir qu'ilz ont de la paix
prefente, cloyent les yeux à tous autres lacqz,
qui font larges promeffes , leur font tenduz. Et
par ce moyen infinies citez font tombees en fer
uitude, comme Florence depuis peu de temps
en ça. Et come il auint à Craff & à fon armee,
lequel combien qu'il cogneut les fauces pro
meffes des Parthes, lefquelles ne tendoient qu'à
ofter à fes foldatz la neceffité de foy deffendre:
nçátmoins ne luy fut poffible les tenir en obfti
nation , tant furent aucuglez de l'offre de paix,
que les ennemis leur firent , comme l'on void
particulierement en fa vie. Pourtant ie dy que
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI . 221
les Samnites , ayans contre les conuenances de
l'accord par l'ambition d'aucuns couru & pillé
les terres des confederez des Romains , & de
puys ayans enuoyé leurs Embaffadeurs à Rome
requerir la paix, offrans rédre & reftituer lepil
lage, & liurer les auteurs de ce tumulte en leurs
prifons,furent renuoyez efcóduitz par les Ro
mains & retournerent à Samniefans efperance
d'accord. Alors Claudius Pontius chef de l'armee
des Samnites remóftra comme les Romains ne
demandoient que la guerre à eux par quelque
moyen que ce fuft . Et combien que quad à eux
ils defiraffent la paix,neceffité leur faifoit pren
" dre les armes, difant;

Inftum eft bellam, quibus neceffarium , & pia ar


me,quibusnifiin armisfpes eft.
La guerre eft iufte à qui elle eftneceffaire , &
font les armes equitables à qui n'a autre elpoir
qu'es armes.

Et fur cefte neceffité fonda auecques les gés


l'efperance de la victoire . Or pour ne rebatre
plus ceſte matiere,vous allegueray les exemples
Romains , qui m'en femblent plus dignes de
memoire.Caius Manilius eftoit campé contre les
Vegens , defquelz partie entrerent dedans fon
camp , Manilius auec vne de fes bandes acourut
au fecours , & pour empefcher les Vegens de
foyfauuer,mit gens en toutes les forties du cap .
Quoy voyans les Vegens comencerent à cpm
DISC. DE NIC. MACCHIA .
Mort de batre de telle rage, qu'ils tuerent Manilius, & au
Manilim , tant en euffent fait du refte des Romains , fi par
la prudence d'vn Tribun le chemin neleur euft
efté ouuert pour foy retirer . En quoy l'on void
que tandis que neceffité contraignit les Vegens,
ils combatirent furicufement : la voye ouuerte
penferent de la fuyte,non du conflit . Les Vol
Ices entrez auecques les Eques dedans les fron
rieres des Romains, les Confulz furent enuoyez
à l'encontre , où auint que l'armee des Volfces
au trauail & mouuement de la bataille fe trouua
enclofe entre l'armée Romaine , & leur camp
gaigné auffi par les Romains: ce que voyat leur
Capitaine, & qu'il leur falloit mourir là, ou foy
faire paffage à l'efpee dift à fes gens:

Ite mecum, non murus , nec vallum , armati arma


tisobftant virtutepares (que vltimum ac maximum
telum est)neceßitatefuperiores eftis,

Suyuez moy, il n'y a mur ne rempart , les ar


mes tiennentfart contre les armes : vous les pa
ragonnez en verta , & ( qui eft l'extreme & le
plus grand dard ) vous auez fur eux l'auantage
de la neceffité...
Ainfi eft cefte neceffité appellee par Tite Li
ue , l'extreme & le plus grand dard. Camille le
plus fage de tous les Capitaines Romains, eſtát
defia dedans la ville de Veges auecques fon ar
mee , pour auancer le pillage d'icelle , & tollir
aux ennemys la derniere neceffité de foy de
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 222
fendre, commanda en forte que lesVegens l'en
tendirent , que nul ne touchaft à qui feroit fans.
armes.Tellemét que chacun mit ius les fiennes,
& fut la ville prife quafi fans effufion de fang:
Lequel moyen fut depuis obferué & enfuyuy
par plufieurs Capitaines.

Auquely aplus defiance, en un bon chefayang


manuaife armee, ou en une bon
ne armee ayant un mau- :
uais chef. "6"

Chapitre. XIII.

Stant Coriolanus banny de Rome,


fe retira vers les Volfces, là où le
uavne armee pour foy venger de
fes Citoyens , marcha juſques à
Rome , dont le deftourna plus la
pitié & affection maternelle , que la force Ro
maine.

Auquel lieu dit Tite Liue , qu'en ce cas apa


Tut que la Republique de Rome faugméta plus
par vertu de fesCapitaines, que de fes foldats,
conflaid eré
que les Volfces, qui parauant auoient
efté vaincuz , deuindrent depuis vaincueurs
quand ils curent Coriolanus pour leur chef. Or
combien que Tite Liue tienne cefte opinion , fi
eft ce qu'on void en maints lieux de fon hiftoi
mcruc
queilleu fes des Soldatz,fans Capitaine,a fait
la vertu
armes: voire qu'ils ont mieux
D.IS C. DE NIC. MACCHIA.
tenu leurs rengs & monftré plus de pronëſſea
2 pres la mort de leurs
Confulz, que deuat.Com
me il auint en l'armee que les Romains auoient
en Espagne foubs les Scipions,laquelle, ſes deux
chefz perduz, eut en elle la vertu non feulement.
de foy fauuer, mais de vaincre fon ennemy , &
garder & maintenir celle prouince pour la Re
publique Romaine . Tellement que qui voudra
bien difcourir, trouuera affez d'exéples de jour
nees vaincues par la vertu des Soldatz , & affez
d'autres où la vaillance des Capitaines a eſté de
pareil effect : en forte que l'on peult bien iuger
que l'vn a l'affaire de l'autre. Enquoy vientpre
mier en cófideration lequel eſt plus à redouter,
ou vne bonne armee mal conduite , ou vn bon
Capitaine mal accompagné . Et enfuyuant l'opi
Cefar. nion de Cefar,peu font à eftimerl'vn & l'autre.
Comme il déclara marchant en Eſpagne contre
Afranius & Petreius,diſant;

Quiaibat ad exercitumfine duce.


Qu'il alloit contre vnearmee fans chef.

Au contraire quand il alla en Teffalie contre


Pompee dit:

Vado adducemfine exercitu.


le m'en voys contre vn cheffans armee.

L'on peult icy confiderer vn autre point,lequel


e plus facile à vn bon Capitaine dreffer vne
SVR LA I DECA. DE TIT. LI. 223
bonne armee , ou à vne bonne armee faire vn
bon Capitaine . Sur quoy ie dy , que cefte que
ftion femble decife : par ce que plus ayfément
plufieurs: vous trouueront & inftruiront vn
feul pour le rendre tel , qu'vn feul ne feroit plu
feurs. Lucullus quand il fut enuoyé contre Mi- Lucullus.
tridates , il n'eftoit aucunement aguerry , mais
cellebōne armee,où tant y auoit de bons chefz
debandes , le rendirent en peu de temps bon
Capitaine . Les Romains enrolerent leurs ferfz
par faute d'autres , & les baillerent à exercer à
Sempronius Graccus, qui enfit vne bonne armee. Semproni
Pelopidas & Epaminondas ( comme auons dit Graccus ,
hautre lieu apres qu'ils eurent deliuré The
bes leur Cité , de la feruitude de Sparte , en peu
de temps fibien les drefferent , que non feule
mentils fouftindrent les Spartains , mais furent
vaincueurs' : tellement que la chofe eft pareille,
d'autat que l'vn bon peult trouuer l'autre. Tou
tesfoys vnebonne armee ,fans bon Capitaine,
volontiers deuiét rebelle & malayfee à manier,
comme il auint de celle de Macedone apres la
mortd'Alexandre , & comme furent les vieilles
bandes es guerres ciuiles . Qui me fait croire
qu'on doyue plus auoir de confiance envn Ca
pitaine,qui
fer& armerayt
fesle temps & commodité de dref
gens , qu'en vne armee infolen

te auecques vn cheftumultuaire pris & fait par


ellemefme
louanges .Ce qui eft caufe de donner double
aux Capitaines , qui n'ont pas eu feus
lement àvaincre leur ennemy , ains, le premier
DISC. DE NIC MACCHIA.
que fen ayder & venir aux mains, ont eu la pei
ne de le faire & inftruire : Car en ce apparoift
double vertu , voire fi rare , que fi telle charge
furuenoit à pluſieurs perfones,beaucoup moins
feroient eftimez qu'ils ne font.

De quel effetfont les inuentions nouuelles,quiap


paroiffentfurlefort de labataille, les'
voix nouuellesquify entendent.

Chapitre XIIII.

4 E quelle importance eftvn , acci


dent nouueau auenát en la batail
le par chofe nouuelle, qui fe voye,
ou entende,fe moftre en plufieurs
endroitz,mefmement par l'exen
ple occurrét en la iournee qui fut entre les Ro
mains & les Volfces, en laquelle voyant Quintus
que I'vne de fes cornes alloit à vau de route,
commença àleur efcrier à voix forte, qu'ils cin
fent bon & ne perdiffent terre : par ce que leur
autre corne eftoitvictoricafe . Par celte parol
le il remit tellement le cucur à fes gens , & ef
pouuenta fes ennemys , qu'il empotta la vi
ctoire .
Or fitelles voix font de fi grand effait en vne
armee bien ordonnee , en vne qui le feroit mal
& tumultuaire il eft trefgrand,comme en celles
qui font du tout efmues & agirees de fembla
ble vent.Dequoy vous veux doner vn exemple
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI.: 224
notable auenu en noftre temps: La cité de Peru- Incomenies
fe eftoit n'a pas long temps diuifee en deux d'une voix
parties , l'vne des Oddes , l'autre des Baillons, à Peruſe.
dontceux cy regnoyent , les premiers eftoient
en exil :lefquelz ayans par le moyen de leurs a
mys affemblé quelque armee , & conduite en
vnede leurs places prochaine à la Cité,par la fa
ucurde leur partie,de nuict entreret dedans , &
fans eftre defcouuertz venoient à prendre la
grand' place . Or pour ce que cefte ville a des
chaifnes
par tous fes carrefours , ils la tiennent
barree
.Les Oddefques auoient vn qui marchoit
deuant eux auecquesvne maffe de fer pour les

rompre ,à fin de donner paffage aux cheuaux,


& cftans arreftez à rompre celle qui fermoit la

--
grande place, alors que le bruit eftoit leué à lar
me,celuyquirompoitfut fi ferré de la foulle du

peuple
bras y acourant , qu'il ne pouuoit haucer le
pour donner coup ne foy manier . A ceſte
caule luy fut crié : Retire , arriere , arriere . La
quellevoix
arriere paffant de degré en degré arriere,
,commença à faire fuyr les derniers , &
demainen main les autres,auecques telle furie,

qu'ils
ta rompirent
vainfele d'eux
deffein des mefmes
Oddes . Ainfi
par vn demeu
fi debile ac
cident .Enquoy eft à confiderer, que l'ordon
nance d'vn oft n'eft pas feulement neceffaire
pour cobatre en bon ordre, mais auffi de p
quelemoindreaccident furuenant ne le paour mette
en defordre . Qui eft la caufe
multitude rquoy vnc
populaire cft inutile pou
à laguerre, par
DISC. DE NIC. MACCHIA.
ce que tout bruit , toute voix, tout mouuement
l'eftonne, l'altere , & met en fuyte.Pource doit
lebon Capitaine ordonner, entre autres chofes,
qui feront ceux qui deüront receuoir la parolle
& la paffer aux autres , & acoustumer fes gens à
ne croyre qu'à leurs chefz , lefquelz ne portent
parolle que celle qui leur eft commife . A fau
te de ce faire, maintesfoys font auenuz maints
grans defordres.
Quant eft de voir chofes nouuelles,tout Ca
pitaine fe doit eftudier a enfaire quelqu'vne a
paroiftre fur le point & chaleur de meflce , la
quelleferue à croiftre le courage desſiens & a
mortir celuy de fes ennemys . Car entre autres
accidens ceftuy eft de grade efficace pour la vi
Incoueniet
ctoire . Dequoy fe peult alleguer en tefmoigna
par veie
ge C. Sulpitius Dictateur Romain , lequel ves
de chofe nant à la bataille2 contre les Françoys , arma
nouvelle.
tous les pionniers & autre vile gent du camp,
qu'il fir monterfur muletz &. autres fommiers.
auecques telles armes qu'il les fit fembler gens
de cheual : les mit derriere vne montaigne a
uecques commandemet de ne faillir à vn fignal
que leur feroit donné fur le fort de l'eftour , de
fe defcouurir &monftrer aux ennemys. Ce qu'e
ftant executé comme il eftoit ordonné , efpou
uenta tellement les Françoys , qu'ils perdirent
la bataille.Pourtant doit le bon Capitaine faire
deux chofes :l'vne d'auifer à troubler & efton
ner fon ennemy par telles inuentions nouucl
les:l'autre, d'eftre pourueu de remede à les def
couurir
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 225
couurir quand fon ennemy en vferoit , & à les
luy rendre vaines , comme le Roy d'Inde fit à
Semiramis
Semiramis , laquelle voyant ce Roy venir con
tre elle auecques grand nombre d'Elephans ,
pour l'efpouuenter & luy monftrer qu'elle en
eftoitgarnie, en forme de cuyr de Bufles & de
Vaches,qu'elle mit fur des Chameaux &fit mar
cher deuant : Ce que le Roy connoiffant , tour
na fon intétion à fon dommage . Eftant Mamer- Mamercus,
Dictateur contre les Fidenates , pout efton
uerlesRomains , auiferent faire fortir de la vil
le furl'ardeur du conflit vn nombre de Soldatz
portant du feu au bout de leurs lances, afin que
les Romains occupez de ceſte nouueauté rom
piffent leurs rengs . Sur quoy eft à noter , que
quand telles inuentions ont plus du vray que
du feint, àlors fe peuuent prefenter aux hom

mes: Parce que foubs grande couleur de braue


tie la debilité n'eft tant ayfee à defcouurir.Mais
quand elles
faudroit vfertiennent plus de feint , ou il n'en
,ou envfant les tenir fi loing, qu'el
lesnepuiffentfoudain eftre defcouuertes, com
mefitC.Sulpitius de fes muletiers : Car quand
la debilitéy eft àl'approcher,incontinentappa
toift &teporte plus de domage que defaueur,
commefirent les Elephans à Semiramis , & aux
Fidenates leurs feux.Lefquelz
, combien qu'au
Commencement
ils troublaffent vn peu les Ro
mains,fi toftque le Dictateur furuint qui leur
efcria,f'ils n'auoient non plus de honte de fuy
la fumeeque mouches à miel , qu'ils retourna

FF
DISC. DE NIC. MACCHIA
fent vifage,leur difant :

Suisflammis delete Fidenas,quas veftris beneficie


placare nonpotuistis.
Allez,deffaite Fidenes de fon feu mefme, que
par voz biensfaitz n'auez fçeu appaifer.

Par ce moyen tourna l'inuention des Fidena


tes contre eux & perdirent la bataille.

Qu'il n'enfaultqu'un à commander à une ar


mee, commeplufieursy muy
fent.

chapitre XV.

Es Fidenates feftans rebellez &


ayans mis à mort la colonie que
les Romains auoyent enuoyé à
Fidenes , les Romains , pour re
medierà ce mouuement, creerét
quatre Tribuns de puiffance cófulaire,defquelz
I'vn demeurépour la garde de Rome , enuoye
rent les troys côtre les Fidenates & les Vegens:
Lefquelz , par faute de fatcorder& fentédre en
femble, en r'aporterent deshonneur fans dom
mage:Car du deshonneur ils furent cauſe : de fe
faunerde perte , fut caufe la vertu des Soldarz.
Parquoy les Romains , voyans ce defordre , eu
rent recours à la creation d'vn Dictateur , afin
qu'vn feul remift en ordre ce que troys auoyent
SVR LA T. DECA. DE TIT. LI . 226
defordonné . En quoy fe connoi
ft le mal qui
vient de commettre plufieurs à commander à
vne armee,ou à vne ville, qui fe doyuent defen
dre . Ce que Tite Liue n'euft fceu dire plus clai
tement que par les parolles qui fenfuyuent:

Tres Tribuni poteftate Confulari documentofuere


quam plurimum imperium bello inutile effet: tendendo
adfus quifque confilia,quum alý aliud videretur , 4
peruerunt ad occafionem locum hofti.

Trois Tribuns de puiffance Confulaire nous


aprindrent combien le commandement de plu
fieurs eft dommageable en la guerre : tendant
chacun à fes confeils & deffeins , comme l'vn e
ftoitd'vn auis,l'autre d'autre, par occafion firët -
Quuerture du lieu à leur ennemy.

Or combien que ceft exemple fuffife à prou


uerledefordre que font plufieurs commande
861
mensen la guerre , ic vous en veux encores a
porter vn autre & nouueau & ancien,pour plus
grande declaration . L'an mil D. Apres que le
Roy de France Loys xii . eut repris Milan , en Loys xij.
uoyafes gens à Pile pour la rendre aux Floren- Roy deFra
rins , où furent enuoyez commiffaires Giovan- ce.
bastifta Ridolfi& Luca d'Antonio de gliAlbizZi.
Er
pource que Giouanbattifta eftoit perfon
ne d'aage , & de reputation , Luca luy laiffoit
tour gouuerner . Et il ne defcouuroit fon am
bition en luy contredifant , il la monftroit en
FF ij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
fe taifant, & en mefprifant & blafmant tout ce
qu'il faifoit : de forte qu'il n'aydoit les actions
du camp,ne par ceuures, ne par confeil, comme
fi c'euft efté vn homme de nul effait . Mais on
vid depuis tout le contraire , quand certain ac
cident qui furuint r'apella Giouanbattista à Flo
rence . Lors Luca demeuré feul, monſtra bien le
cueur,l'induſtrie, & le confeil qui eftoit en luy.
Lefquelles bonnes parties , tant qu'il cut com
pagnon , valoient autant que perdues . Ie vous
veux alleguer en confirmation de cecy les paro
les de Tite Liue,lequel racontant comme Quin.
tius Agrippa,fon collegue,furét enuoyez par
les Romains contre les Eques , dit , qu'Agrippa
voulut que Quinti us euft toute l'admi niſtra tion
de la guerre,difant:

Saluberrimum in adminiftratione magnarum re


rum eft,fummam imperij apud vnum effe.
Il eft trefvtile au maniment des grans affai
res que le pouuoir & autorité fouucraine n'apar
tienne qu'à vn.

Ce qui eft cótraire à ce qu'y font auiourdhuy


nos Republiques & nos Princes , qui enuoyent
plus d'vn commiffaire & plus d'vn Chef, afin
que les chofes foyent mieux conduites : Mais il
en vient vne confufion ineftimable . Et qui re
chercheroit la caufe de la ruïne des armees Ita
liennes & Françoyfes auenues de noftre temps,
trouucroit que cefte cy eft la principale . Dont
SVR LA I. DECA . DE TIT, LI. 227
l'on peult vrayement conclure, que mieux vau
droit enuoyer vn homme feul en vne expeditio
& entrepriſe , qui ne feroit que de commune
prudéce, que deux trevaillans enfemble auec
quespareilpouuoir & autorité.

Que l'on va chercher la vraye vertu au temps des


affaires , & en laprofperité font en credis
les plusriches & mieux aparentez
non pas lesgens vertueux.

chapitre XVI.

Latoufiours efté ainfi & toufiours


fera , que des grans perſonnages &
rares en vne Republique en temps
de paix on ne tient compte: pour ce
que par enuie que la reputation de leur vertu a
caufe,il fe trouue en cefte faifon trop de Citoyés
quiles veulent deuancer non pas feulemét leur
eftre egaux. Dequoy y a vn beau paffage en Thu Thucidide.
cidide Hiftorien Grec,lequel declare comme e
ftant la Republique d'Athenes demeuree victo
rieufe en la guerre Peloponneffiaque , & ayant
domté l'orgueil de Sparte , & prefque fubmis
toute la Grece à fon obeïffance , monta en telle
reputation , qu'elle entreprit d'occuper la Sici
le . Cefte entrepriſe vint en difpute à Athenes:
Alcibiades, & quelque autre Citoyen , conſeil
loient qu'elle fe fift, regardans leur honneur , &
non le bien public , faifans leur conte d'eftre
FF iij
NIC..
DISC . DE NIC MACCHIA.
chefz de ce voyage.
Mais Niffias , qui eftoit le premier entre les
plus cftimez d'Athenes ,eftoit d'opinion cótrai
re.Et la plus grande raifon qu'il allegaft au peu
ple en fa harangue,afin qu'on aiouſtaft foy à a fes
parolles,fut telle, qu'au confeil qu'il donoit que
cefte guerre ne fe fift , ce qu'il faifoit eftoit con
tre fon profit: par ce qu'eftant Athenes en paix
il fçauoir bien qu'il y auoit vn grand nombre
de Citoyens qui vouloient marcher deuant luy:
mais la guerre fe faifant eftoit certain , que nul
n'entreprendroit fur luy , voire ne felgaleroit
à luy .Partant on void comme es Republiques
regne ce defordre de faire peu d'eftime des vail
lans hommes en temps paisible . Ce qui les rend
mal contenspour deux caufes : l'vne , de le voir
perdre leur degré l'autre, d'auoir pour compa
gnons , ou maiftres , gens indignes & de moin
dre fuffifance qu'eux . Lequel defordre a esté
caufe de mainte ruïne:d'autant que les Ciroyés
qui fe voyent mefprifer fans leur merite, & con
noiffent que le bon temps en eft caufe, mettent
peine de le troubler , en mouuant nouuelles
guerres au preiudice de la Republique . Sur
quoy penfant quelz pourroient eftre les reme
des il fen trouue deux: l'vn de tenir les Citoyens
pauures , à ce que par leurs richeffes,fans vertu,
ils ne puiffent corrompre ny eux ny les autres,
L'autre , de les ordonner en forte pour la guer
re , que toufiours fe puiffe faire guerre , & que
toufiours on ayt à faire des bons Citoyens, com
SVR LA I. DECA. DI TIT. LI. 228
mefitRome en fon premier temps . Car celte
Ciré tenant toufiours dehors quelque armee,
toufiours y auoit lieu pour la vertu , & ne fe pou
uoit tollir le degré à qui le meritoit , ne le don
ner àautre qui ne l'euſt merité . Car fi elle fai
foir quelque fois par erreur , ou par efpreuue,
foudain enfuyuoit vn fi grand defordre & ' peril
qu'elle retournoit incontinent au vay chemin.
Mais les autres Republiques qui ne font pas or
donnees comme elle, & qui font la guerre feule
ment quand neceffité les contraint , elles ne fe
peuuent exempter de tel inconuenient : voire
encourront toufiours, & toufiours y aura defor
dre,quand le Citoyen mefprifé & vertueux fera
vindicatif, & aura en la Cité quelque reputatio,
& fuite & adherence . La Cité de Rome fen
defen dit pour vn temps. Or luy fembloit(apres
qu'elle eut vaincu Cartage & Antiocus comme
ailleurs à efté dit ) ne craignant plus de guerres ,
pouuoir commettre la charge de fes armees à
qui elle vouloir, n'ayant tant d'egard à la vertu,
qu'aux autres qualitez qui luy donnoient cre
dit enuers le peuple: comme l'on void que Pan
lus Emilius perdit plufieurs foys fa brigue au
Confulat , & ne fut fait Conful premier que la
guerre Macedonique fourdift , laquelle eftant
jugee dangereufe du confentement de toute la
Cité à luy fut commife. Eftans en noftre ville de
Florence depuis l'an mil quatre cens nonante
quatre furuenues maintes guerres , efquelles
les Citoyens Florentins auoyent tous fait mau
FF iiij
DISC. DE NIC , MACCHIA?
uaife preuue, de fortune fe rencontra la Cité en
vn,qui monftra en quelle forte on deuoit com
manderà vne armee,qui fut Antonio Giacomini.
Et tandis qu'il y eut guerres perilleuses à mener
ceffa toute l'ambition des autres Citoyens, & en
election de Commiffaire & chef de l'armee n'a
uoit nul competiteur : Mais lors qu'il furuint
vne guerre , où n'y auoit aucune doute ne dan
ger:mais beaucoup d'honneur , il cut tant de
competiteurs , qu'entre les trois Commiffaires
qui furent efleuz pour camper deuantPife, ilfut
liffe derriere . Et combien que l'on ne vid cui
demment que mal en enfuyuit au publique de
n'y auoir enuoyé Antonio, fi en peult on faire fa
cile coniecture . Car n'ayans les Pifans plus de
quoy fe defendre,ne dequoy viure, fi Antonio y
euft cfté,il les eut contrains long temps deuant
à fe rendre à la difcretion des Florentins : mais
etans affiegez par Capitaines , qui ne fçauoient
contraindre ne forcer , furent tant entretenuz ,
que la Cité deFloréce les acheta, où elle les pou
uoit auoir de force . Bien falut que tel defdain
touchaft fort au cueur d'Antonio , & befoing
ftoit qu'il fuft bon & bien patient de ne defirer
vengeance,ou par la ruïne de la Cité ( fi elle e
ftoit enfon pouuoir ) ou par l'ourrage de quel
que Citoyen particulier . Dequoy fe doit garder
vne Republique comme au chapitre fuyuant fes
ra difcouru.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 229

Que l'on ne doit offenfer un homme, & puis l'en


uoyer en administration & gouuerne
ment d'importance.

Chapitre XVII.

Ne Republique doit confiderer


de donner charge de quelque ad
miniftration importante à hom
me ,à qui ait efté fait quelque in
iure notable. Claudius Nero (le
quel fe partit de l'armee qu'il auoit front à frot
d'Annibal , & auecques vne partie f'en alla à la
Marque trouuer l'autre Conful , pour combat
tre Afdrubal auant qu'il fefut ioint auec Anni
bal ) il l'eftoit trouué au parauant en Espagne
contre Afdrubal , & l'auoit enfermé en vn lieu
auecques fon armee , que force eftoit à Afdru
bal ou de combattre à fon defauantage , ou de
mourir de faim . Mais Afdrubal l'entretint Gi
fubtilement par certaines pratiques d'accord,
qu'il fortit de deffous fes mains , & luy ofta ce
fte occafion de l'opprimer. Ce qu'entendu à
Rome le chargea grandement enuers le Senat
& le peuple , & par la cité fut parlé de luy fort
àfon defauantage & deshonneur, Mais eftant
depuis fait Conful & enuoyé contre Annibal,
print le party deffus efcrit , qui eft trefdágereux:
tellement que Rome demeura en grande doute
& crainte, iufques à ce qu'elle entendit la route
d'Afdrubal . Et eftant demandé à Claudius, qui
DISC. DE NIC. MACCHIA.
luy auoit fait choifir vn fi perilleux party , au
quel, fans aucune neceffité extreme, il auoit qua.
fioué la liberté de Rome , refpondit qu'il Ta
uoit fait , parce qu'il fcauoit que f'il luy fucce
doit , il recouuroit l'honneur qu'il auoit perdu
en Efpagne:& fi fon party auoit fin contraire, il
fcauoit qu'il fe vengeoit de la cité & des citoyés
qui l'auoient offenfe par telle ingratitude & in
difcretion. Or puis que les paffions de telles of
fenfes touchent fi fort vn citoyen Romain , &
au temps que Rome eftoit entiere & non cor
rompue,l'on doit penfer quel pouuoir elles au
rontà l'endroit d'vn citoyen d'vne ciré , qui ne
feroit ordonee comme alors ell- eftoir . Et pour
ce qu'à femblables defordres qui naiffent és Re
publiques.ne fe peut donner remede certain,
enfuit qu'il eft impoffible ordonner vne Repu
blique perpetuelle , à caufe que par mille voyes
dequoy l'on ne fe douteroit auient fa ruync.

Iln'y arienplus digne d'vn Capitaine , que de


preffentir les entrepriſes defon enne
my auantle coup.

Chapitre XVIII.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 230
Paminondas de Thebes difoit
rien n'eftre plus vtile & plus ne
ccffaire à vn Capitaine , que co
E gnoiftre les deliberations & par
tiz de fon ennemy. Et d'autant
que telle cognoiffance eft difficile , plus merite
de loüange, qui fait fi bien qu'il les coniecture.
Or n'eft pas de telle difficulté entendre ſes def
feins,qu'il eft quelquefois d'entendre les actiós.
Auffi moins eft quelquefois fentir les fiennes &
celles qui fe font par luy en lieu loingtain , que
les prefentes & les prochaines. Car fouuent eft
auenu,qu'ayant la bataille duré iufqu'à la nuict,
levaincueur penfoit auoir perdu , & le perdant
auoir vaincu. Ce qui a fait deliberer des chofes
contraires au bien du deliberant, comme auint
à Brutus Caßius , lefquelz par cefte faute fu
rent deffaitz, au moyen que Brutus ayat vaincu
defon costé , Caßius creut qu'il auoit perdu, &
quetoute l'armée fut en route, dequoy tombat Mort de
en defefpoir , foccit luy mefme. De noftre téps Caßim .
en la iournee de François Roy de France corre
lesSuiffes à fainte Cecile, qui eft en la Lombar
die ,la nuict furuenát le nombre des Suiffes, qui
eftoit demeuré entier,penfa auoir la victoire,ne
fcachant rien de ceux qui auoient efté rompuz
& occis. Lequel erreur empefcha qu'eux mes
mes fe fauuaffent , pour l'attente qu'ilz auoient
de combattre derechef le matin auecques leur
figrand auantage: Et firent encores errer,& par
tel erreur prefque ruyner l'armee du Pape , &
DISC . DE NIC . MACCHIA.
d'Efpaigne, laquelle fur cefte faufe nouuelle de
‫וויג‬
la victoire paffa le Pau, & felle eut marché plus ***
1 Af** t
auant , f'en alloit prifonnier des François victo
rieux.Semblable erreur efcheut au camp des Ro
Sepronius mains, & en celuy des Eques, là où eſtant sem.
contre les pronius Conful à l'encontre des ennemys , ve
Eques. nant aux mains dura la bataille iufques au foir
en diuerfes fortunes pour l'vn & pour l'autre:
& la nuict venue , eftans les deux armees demy
ropues , nul ne retourna des deux parts en leurs
logemens , ains chacun fe retira és monts pro
chains , où ilz eftimoient eftre en plus grande
fenreté, & l'armee Romaine ſe diuifa en deux
parties , dont l'vne fuiuit le Conful , l'autre vn
Tempanius Centurion , par la vertu duquel les
Romains ce iour n'auoiét efté du tout deffaitz.
Au matin le Conful Romain (fans entendre au
tre chofe de fes ennemis ) tira vers Rome, & au
tant en fit l'armee des Eques , eftimant chacun
que fon ennemy eut vaincu. Partant les vns &
les autres fe retirerent , fans fe foucier de laiffer
leur camp à piller. Auint que Tempanius , qui e
ftoit auecques le refte de l'armee Romaine , fe
voulant auffi retirer , fut auerty par aucuns des
Eques naurez , que leurs Capitaines eftoiér par
tis & auoient abandonné leur camp : Parquoy
fur cefte nouuelle entra au camp des Romains,
qu'il fauua , & apres faccagea celuy des Eques,
retournant par apres victorieux à Rome. La
quelle victoire (comme l'on void) conſiſte ſeu
lement à qui le premier d'eux aura entendu le
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 237
defordre de fon ennemy. En quoy fe doit con
fiderer comme fouuent peut auenir que deux
armees eftans à front l'vne de l'autre ,foient en
mefme defordre , & fouffrent pareilles neceffi
tez, & que celuy demeure vaincueur , qui pre
mier aura fceu les neceffitez de l'autre. Ie vous
veux donner de cecy vn exemple domestique
& recent. L'an mil quatre cens nonantehuict,
quand les Florentins auoient vne groffe armee
deuant Pife , & la ferroient de bien pres : de la
quelle les Venitiens ayans prins la protection,
& nevoyans autre moyen de la fauuer, delibe
rent diuertir celle guerre en affaillant d'autre
cofté, & affemblerent vne puiffante armee , en
trerent par le val de Lamona , & occuperent le
bourg de Marradi, & affiegerent la Roccha di Ca
filione , qui eft fur la montaigne. Ce que fenty
par les Florentins delibererent fecourir Marra
di , fans diminuer les forces qu'ilz auoient de
uant Pife. Ainfi leuent gens de pied nouueaux,
& caualerie nouuelle , qu'ilz enuoyent en ceſte
part , defquelz furent chefz Iacobo quarto d'Ap
piano, feigneur de Piombino , & le Comte Rimic
cio da Martiano.Eftant doncques cefte gent con
duite fur la montaigne, qui eft au deffus de Mar
radi, les ennemis leuerent le fiege de deuant Ca
filione , & fe retroauerent tous au bourg. Or a
yans efté ces deux armees quelques iours à frót
I'vne de l'autre , chacune auoit grande faute de
viures, & de toute autre munition neceffaire, &
n'auoit l'vne la hardieffe d'affaillir ny affronter
DISC. DE NIC. MACCHIA.
l'autre , n'eftans les defordres cogneuz ne deça
ne delà , fe delibererent toutes deux vn mefme
foir de leuer leur camp le matin enfuyuant , &
faire retraite le Venitien vers Berzighella &
Faenza:le Florentin vers Cazaglia & il Mugello.
Venu doncques le matin, que chacun auoit co
mencé à trouffer bagage , de fortune fortit vne
dame du bourg de Marradi, qui vint vers le cap
des Florentins,affeuree,à caufe de fa vicilleffe &
fa pauureté, defirant fort voir aucuns de fes pa
rens qui eftoiét en ce cap , par laquelle les chefz
de l'armee Florentine auertis que le camp des
Venitiens deflogeoit,prindrent cucur par cefte
nouuelle , & leur confeil changé marcherent
contre leurs ennemis , comme filz les euffent
deflogez, & efcriuirent à Florence, qu'ilz les a
uoient chaffez & la guerre gaignee, laquelle vi
&toire ne leur vint que d'auoir premier entendu
que leurs ennemis fen alloient : En forte que fi
cefte cognoiffance fut deuant venue aux autres,
ilz en euffent autant fait contre nous.

Afeauoir ſi à regir & gouuerner vne multi


tude eft plus neceffaire le doux que le
rigoureux traitement.

chapitre XIX.
SVR LA T. DECA. DE TIT. LI. 232
A Republique Romaine
D eftoit troublee par les ini
mitiez dela nobleffe & de
la commune:neantmoins,
leur furuenant guerre , y
enuoyerent Quintius , &
Appins Claudius.Appins,à
caufe de la cruauté & rudeffe,fut mal obey des
fiens ,tellement que demy rompu f'enfuit hors
defa prouince. Quintime qui eftoit de benigne
& humaine nature cut fes foldatz obcïffans , &
remporta la victoire. Parquoy femble qu'à gou
uerner vne multitude foit meilleur eftre hu
main,que fuperbe,& piteux,que cruel. Toutes
fois Cornelius Tacitus ( auquel plufieurs autres Cornelin
confentent) conclud le contraire en vne fienne Tacitus.
fentence , difant:
>
In multitudine regenda , pluspœna , quàm obſe
quium, valet.
Au gouuernement d'vne multitude mieux
Vaut la rudeffe,que la douceur.
Or à confiderer comme fe peut fauuer l'vne
& l'autre de ces deux opinions , ie dy que où tu
as à manier gens & regir , qui te font ordinaire
ment compagnós, ou gens, qui oufiours tefont
fubietz . Enuers ceux qui fontcompagnos il n'y
aordre d'vfer de la feuerité dequoy parle Cor
nelius. Et d'autant que le commun peuple auoit
à Rome pouuoir egal à celuy de la nobleffe,
quiconque deuenoit Prince pour vn temps ne
DISC. DE NIC. MACCHIA.
le pouuoit manier par cruauté & rudeffe . Auffi
fe void en plufieurs , que les Capitaines Ro
mains , qui le faifoient aymer des foldatz , ont
fait meilleur faict , que ceux qui le faifoiet crain
dre extraordinairement, f'ilz n'eftoient accom
pagnez d'vne vertu excefliuc , comine Manlius
Torquatus. Mais qui commanderoit à fes fubierz
(defquelz parle Cornelius ) de peur qu'ilz deuien
nent infolens, & que par ta facilité rrop grande
ilz ne t'encheucftrent ,il doit pluftoft le tourner
à la rigueur qu'à la douceur:mais encores cefte
rigueur doit eftre moderee, en forte que la hay
ne f'cuite:car de le faire hayr iamais ne prit bien
à Prince. Le moyen de fen exempter eft de ne
toucher aux biens de fes fubierz. Car du fang
(fil n'y a deffous quelque pillerie cachee) n'y a
Prince qui enfoit friand , f'il n'eft contraint , &
cefte neceffité ne vient gueres. Mais fi la pille
rie y eft meflee elle vient toufiours , & iamais
n'y a faute de caufes ny de defir de l'efpandre:
comme a efté amplement difcouru en vn autre
Traité du traité,qui eft de cefte matiere.Ainfi merite plus
d'honneur Quentius qu'Appius , & la fentence
Prince de de Cornelius doit eftre obfernce en les termes,
Macchia
uel. non pas au cas d'Appius . Or pource que nous
auons parlé du doux & rigoureux traitement, il
ne me femble fuperflu de monftrer comme vn
exemple d'humanité cut plus de pouuoit fur les
Falifques, que les armes.
Va
SVR LA I. DECA . DE TIT . LI. 233
Inexemple d'humanité eut plus depouuoir enuers
les Falifques,quente laforce Romaine.

Chapitre xx.

Amille eftant campé deuat la vil- Hiftoire


le des Falifques,vn maiftre d'efco- du maistre
le des plus nobles enfans de la ci- d'efcole des
té,luy penfant gratifier & au peu- Falifques.
ple Romain fous ombre d'exerci
ce,lesmena hors de la ville,puis les conduit où
eftoitCamille, & luy dit en les prefentant , que à
caufed'eux la place fe rendroit entre fes mains.
Lequel prefent tant fen falut qu'il fut accepté
par Camille , qu'il fit defpouiller ce maiftre &
luy lier les mains derriere, & bailler des verges
à chacun des enfans, qui le remenerent en la vil
lefoëttans . Ce que cogneu par les citoyens, tant
leur pleuft l'humanité & integrité de Camille,
que fans fe mettre plus en deffenfe, delibererét
de fe rendre. En quoy eft à confiderer par ce
vrayexemple , combien quelquefois a plus de
vertu & d'efficace és cueurs humains vn acte
gracieux & plein de charité , qu'vn acte rude &
violent. Et comme maintesfois les païs , con
trees & places, que les armes, engins belliques ,
& toute autreforce humaine n'a peu ouurir,vn
tour d'humanité ,de pieté, de chafteté, ou de li
beralité , a ouuertes : dequoy y a par les hiftoi
res ,fans
Vous voyezceftuy cy , plufieurs autres exemples .
que les armes Romaines ne pou

GG
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Pyrrhus. uoient chaffer Pyrrhus hors d'Italie , & la libe
ralité de Fabricius l'en mit hors , quand il luy
defcouurit l'ouverture, que l'vn de les domefti
ques auoit fait aux Romains de l'empoifonner .
Vous voyez comme la prife de Cartage neuue
ne donna à Scipion tant de reputation , que fit
fon acte de chafteté, d'auoir rédu vne belle ieu
ne dame à fon mary , fans luy toucher , lequel
bruit luy gaigna l'affection de toute l'Eſpagne.
Vous voyez d'auantage combien cefte bonne
partie eft defiree par les peuples és grans per
fonnages, & combien elle eft loüee par les Hi
ftoriens, & par ceux qui efcriuet la vie des Prin
ces, & par ceux qui ordonnent comme ilz doi
uent viure. Entre lefquelz Xenophon fe trauail
le fort à declarer, quel honneur,quantes victoi
res ,quelle renommee acquit à Cyrus fon huma
nité & gracieufeté, & de ne donner aucune co
gnoiffance en luy de fiereté,ne cruauté, ne de lu
xure,ou autre vice qui fouille & tache la vie de
l'homme . Toutesfois, voyant Annibal par mo
yens contraires auoir gaigné tel loz & bruit, &
fi grandes victoires,mon vouloir cft de difcou
rir au chapitre enfuyuant d'où cela procede.

Commefe peutfaire qu'Annibal par ce moyen


deproceder tout contraire fit en Italie
lesmefmes effectz queScipion
en Espagne.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 234

chapitre XXI.

'Eftime qu'il y en a qui fe pourront


efbahir de voir quelque Capitaine
(nonobftant qu'il ait mené vie au
contraire ) auoir neatmoins fait au
tant que ceux qui ont vefcu en la maniere def
fus efcrite:tellement qu'il femble que l'occaſion
desvictoires ne defped des caufes fufdites : voi
refemble que telz moyens ne te donnent plus
de force ne de fortune , puis que tu peux par les
contraires acquerir gloire & loüiange. Orpour
ne laiffer les perfonnages , dequoy nous par
lions ,& pour mieux efclarcir ce que ie voulois
ie dy que comme l'on void Scipion en
trdire,
er en
Efpagne , & par fon humanité & pitié
gaigner les cueurs de celle prouince :voite eftre
admité & adoré par les peuples , l'on void au
contraire Annibal entrant en Italie, & par mo- Annibal.
yens tous contraires . C'eft à fcauoir par violen
ce,cruauté, pillage, & toute maniere d'infideli
té & defloyauté ne faire moins là , que Scipion
en Efpagne : car vers Annibal toutes les villes
d'Italie fe reuolterent , & tous les peuples fuy
airent fon
party. Or penfant d'où cecy peut
procede
miere,que fy
r il trouue plufieurs raifons. La pre
les hommes font fi friandz de nou
ueauté ,
defirent , aurant
ceux , que fouuentesfois les
qui font bien , que ceux qui font imal . Par
ce que (comme autresfois a efté dit, & eft vray)
nousoublions en la profperité & affligeons cn
GG ij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
l'auerfité. Ce defir doncques fait ouurir les por
tes à quicoque fe porte chef en vn païs de quel don
que innouation : & fil eft eftranger,ilz courent
apres luy fil eft du païs , font à l'entour de luy,
luy donnans tout le fecours & faueur qui leur
eft poffible : tellement qu'en quelque maniere
qu'il procede il luy fuccede bien en ces lieux
là. Outre,les humains font meuz & incitez prin
cipalemet de deux chofes, d'amour, ou de crain
te ,fibien qu'autant leur peut commander ce
luy qui fe fait aymer , comme celuy qui ſe fait
craindre : voire le plus fouuent eft plus fuyui &
obey qui fe fait redouter, que qui fe fait aymer.
A cefte caufe peu importe au Capitaine laquel
le il tienne de ces deux voyes : mais qu'il foit
homme vertueux, & que cefte vertu le mette en
reputation entre les hommes. Car quand elle
Scipion. eft grande, comme elle eftoit en Scipion & An
nibal, elle efface , ou cache toutes les fautes qui
fe commettent à foy faire trop aymer , ou trop
craindre.Or de l'vn ou de l'autre peuuent four
dre grans inconueniens, & affez à faire ruyner
vn Prince:car celuy qui defire trop fe rendre ag
greable & amiable , fi peu qu'il fe deftourne du
bon chemin vient à mefpris & contemnemét.
L'autre,qui trop affecte d'eftre redouté, tát foit
peu qu'il excede mefure,tombe en hayne . Et de
tenir la voye du milieu droite & precife, ıl n'eft
poffible , d'autant que noftre nature le confent:
Mais eft neceffaire mitiguer & adoucir ce qui
excede par vne vertu excelliue & excellente,
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 235
comme faifoit Annibal, & Scipio. Neantmoins
void on que l'vn & l'autre furent offensez par
leur maniere mefme de viure, par laquelle ilz fu
rent prifez & exaltez. L'exaltation de tous les
deux a efté dite. L'offenfe fut, quant à Scipion ,
que fes foldatz auecques partie de fes amis fe re
bellerent contre luy en Efpagne. Ce qui ne pro
ceda d'autre chofe , que de ce qu'ilz ne le crai
gnoient point. Car les hommes font de fi peu
d'arreft & tát preftz à fe mouuoir qu'à la moin
dre ouuerture qui fe fait à leur ambition fou
dainoublient toute l'amitié qu'ilz auroiét por
té au Prince pour fon humanité, comme firent
les foldatz & amis que ie difoie. De forte que
Scipion,pour remedier à ceft inconuenient,fut
contraint vfer d'vne partie de la cruauté , que
toufiours il auoit fuy. Quant à Annibal il n'y a
aucun exemple particulier,auquel fa cruauté &
foninfidelite luy ait porté dommage : Mais bie
l'on
peut prefuppofer que Naples & plufieurs
autres villes , qui demeurerent en la foy & o
beillance du peuple Romain , tindrent ferme,
depeur qu'ilz auoiet de luy. Auffi void on bien
quefon inhumanité & impieté le mit plus auất
en la hayne du peuple Romain , qu'autre enne
myqu'il eut iamais. En forte que où ilz decla
ferent à Pyrrhus,(pendant qu'il eftoit en armes
en Italie ) celuy qui le vouloit empoifonner : à
Annibal ( combien que defarmé & egaré ) par
donnerent fi peu, qu'ilz le firent mourir. Voilà
les incommoditez qui vindrent à Annibal du
GG iij
DISC. DE NIC. MACCHIA .
bruit qu'il auoit d'eftre cruel, & fans foy ne loy.
Auffi en recompenfe luy fut caufe d'vn grand
bien & admirable à tous les Hiftoriens : C'eft
qu'en fon arriuce ( combien que compofee de
diuerfes nations de gens) iamais ne fe leua dif
fenfion ny entre eux , ny contre luy. Ce qui ne
pouuoit procéder d'autre caufe, que de la crain
te terrible qui procedoit de fa perfonne,laquel
le oftoit fi grande melee auecques la reputa
tion que fa vertu luy donnoit , qu'elle tenoit fes
foldatz coys & vnis . Ie conclud doncques, qu'il
n'importe beaucoup en quelle maniere le Ca
pitaine procede , moyennant qu'en luyfoit vne
vertu grande , qui donne grace & luftre à l'vne
& l'autre façon de viure: car (comme a efté dit)
y a faute & peril en l'vne & en l'autre , fi elle
n'eft corrigee par vne vertu extraordinaire. Et
fi Annibal & Scipion ,l'vn par ceuures loüiables,
Pautre par deteftables, firent pareil effect, il ne
me femble eftre à laiffer derriere encores vn au
tre difcours de deux citoyens Romains,qui par
diuers moyens (mais tous deux honneftes ) ac
quirent femblable gloire,

Comme la rudeffe de Manlius Torquatus, &l'hu-.


manité de Falerius Coruinus leur ont ac
quis pareillegloire.

Chapitre XXII
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 236
Rome furent deux Capitaines ex
cellens en mefme temps , Man
lius Torquatus , & Valerius Corui
nus , lefquelz vefquirent en fem
blable reputation de vertu ,fem
blables de triumphe & de gloire: & l'vn & l'au
tre (quant à ce qui concernoit l'ennemy ) par
pareille proüeffe le conquirent ; Mais quant à
ce qui touchoit les armees & l'entretien des
foldatz , ilz y procederent diuerfement . Car
Manlius leur commandoit auecques toute for
tede feuerité , fans leur donner repos ne rela
fche de peine & trauail : Valerius d'autre part
les entretenoit par toute douceur & humani
té , & priuauté familiere. Auffi l'on void pour
gaigner l'obeïffance des foldatz , l'vn occit,
l'autre n'y offenfa iamais homme. Neantmoins
en telle diuerfité de mœurs tous deux firent
pareil fruit tant contre les ennemis , qu'en
faueur de la Republique , & le fien . Telle
ment que iamais foldat ne refufa la bataille , ne
ferebella contre eux , ne contreuint en aucu
ne chofe à leur vouloir, combien que les com
mandemens de Manlius fuffent fi afpres & fi
durs que tous autres commandemens qui ex
cedoient mefure , eftoient nommez Manlia
imperia. En quoy eft premier à confiderer
d'où vint , que Manliusfut contraint de proce
der fi rigoureuſement : l'autre comme Valerius
peut proceder fi humainement ,puis qui eft cau
que ces deux moyens diuers produifent mel
GG j
DISC. DE NIC. MACCHIA .
me effect , le dernier lequel des deux eft meil
leur & plus vtile à imiter. Si quelqu'vn confi
dere bien la nature de Manlius , de l'heure que
Tite Liue commence à en faire mention, le ver
ra homme fort & vaillant , piteux vers fon pe.
re , & vers la patrie , & trefreuerend à fes ma
ieurs.Ces parties cognoiffent en luy par la mort
du François , par la deffenſe de fon pere contre
le Tribun , & comme auant qu'entrer au com
bat contre les François alla au Conful auecques
telles parolles :

Iniuffu tuo aduerfus hostem nunquam pugnabo,


nonfi certam vittoriam videam.
Sans ton commandement iamais ne combat
tray contre l'ennemy,voire quand ie verrois ma
victoire toute certaine.

Venant doncques vn tel homme en degré de


commander, il defire trouuer tous les hommes
femblables à luy , & fon hardy courage luy fait
commander chofes où la force & hardieffe eft
requife: & luy mefmes,apres qu'elles font com
mandees, veut que l'on les garde ou accomplif
fe. Et eft vne reigle vraye , que quand tu com
mandes chofes dures & afpres couient par dur
té & afpreté les faire obferuer,autremét te trou
uerois abufé. En quoy eft à noter, que à quicon
que veur cftre obey eft neceffaire de feauoir
commander , & ceux le fcauent, qui font com
paraifon de leurs qualitez à celles de ceux qui
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 237
ont à obeïr . Et quand ils y voyent proportion,
qu'alors ils commandent : finon' , qu'ils fen ab
ftiennent . Pourtant difoit vn prudent perfon
nage , que pour tenir vne Republique par vio
lence,conuenoit qu'il y euft proportion de qui
forçoit à celuy qui eftoit forcé . Et toutesfois &
quantes cefte proportion y eftoit , fe pouuoit
croyre,que la violence fuft durable:mais quand
celuy à qui fe faifoit la violence, eftoit plus fort
J"Qoh que celuy qui en vfoit , il eftoit à craindre que
chacun iour cefte violéce fuft rompue. Or pour
retourner ànoftre difcours ie dy, qu'à commá
derles chofes fortes conuient eftrefort , & que
celuy qui eft de cefte force, & qui les comman
de, ne peult apres par douceur les faire accom
plir:Mais celuy qui n'eſt de ceſte force de cœur
fe doit garder de tous commandemens extraor
dinaires , & peult es ordinaires vfer de fon hu
manité.Car les punitions ordinaires ne font im
putees aux Princes: mais aux loix & ordonnan
ces.L'on doit doncques croyre, que Manlius fur
contraint de proceder firigoureufement par fes
commandemens extraordinaires , auxquelz fa
nature l'enclinoit , lefquelz font vtilles en vne
Republique : par ce qu'ils reduifent fes ordres
vers leur principe , & en fa vertu antique . Et fi
vne Republique eftoit tant heureuſe , qu'elle
cuft fouuent(come nous difions deffus) qui par
exemple renouuellaft les loix, & qui non feule
ment la retint qu'elle ne tombaft en ruïne , ains
la retiraft en arriere , elle ferait perpetuelle . Si
DISC. DE NIC, MACCHIA.
fut Manlius vn de ceux qui par-la rudeffe de fes
commandemens retint la difcipline militaire à
Rome,incité premier de fa nature,puis du defir
qu'il auoit que fon apetit naturel luy auoit fait
ordonner fuft obferué & gardé . De l'autre co
fté Valerius procedoit humainemét, comme ce
luy à qui fuffifoit , que les chofes accouſtumees
es armees Romaines fuffent faictes & gardees.
Laquelle couftume, d'autant qu'elle eftoit bon
ne,eftoit affez pour luy aquerir honneur, & n'e
ftoit point penible à accoplir, & ne mettoit V4
lerius en neceffité de punir les tranfgreffeurs , ou
par ce qu'il n'y en auoit point: ou,fily en auoit
ils imputoient(comme a efté dit ) leur punition
aux ordonnances , non à la cruauté du Prince.
En forte que Valerius pouuoit de foy faire fortir
toute humanité , & par elle gaigner la grace des
Soldatz & leur contentement. Ce qui fut caufe
que l'vn & l'autre ayant mefme obeïffance , ils
peurent par leurs œuures diuerfes venir à mef
me effait. Ceux qui les voudroient enfuyure,
pourroient bien tõber es vices de mefpris & de
hayne , que i'ay declarez deffus en Scipion , &
Hannibal , lefquelz feuitent par vne vertu ex
cellente qui foit en toy,& non autrement . Refte
maintenant à confiderer lequel de fes moyens
de proceder eft plus louable, ce que i'eftime e
ftre difputable:par ce que les Hiftoriens louent
I'vn & l'autre maniere . Vray eft que ceux qui
efcriuent comme le Prince fe doibt gouuerner,
tirent plus vers Valerius, que vers Manlius, & que
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 238
Xenophon donant plufieurs exemples de l'hu- xenophon
manité de Cirus,fort fe conforme à ce que Tite
Liue dit de Valerius , lequel eftant faict Conful
contre les Samnites , le iour venu qu'il deuoit
combatre,parla à fes Soldatz auecques cefte hu
manité,de laquelle il fe gouuernoit . Et apres la
harengue dit Tite Liue ces paroles :

Non aliàs militifamiliarior duxfuit inter infimos


militumomnia haud grauatè munia obeundo , in ludo
præterea militari,cùm velocitatu, viriúmque interfe
aquales certaminaineunt , comiterfacilis vincere, ac
vincivultu eodem , nec quenquam afpernariparem,
quife offerret ,
factis benignus, pro re dictis , haud mi
nus libertatis aliena quàmfua dignitatis memor,
quo nihilpopularius est,quibus artibuspetierat ma¬
giftratus fdemgerebat.
Oncques ne fut Capitaine plus familier à fes
Soldatz , entre les moindres faifant volontaire
ment toutes charges & offices: Aux ieux & exer
cices militaires ,où la ieuneffe debat de la viteffe
& de la force eftoit doux & gracieux vaincueur,
& vaincu monftroit femblable vifage : ne def
prifant fon pareil qui f'offrift, de fait cftoit libe
ral,de parolle felon les chofes, n'ayat moins de
uant les yeux la liberté des autres que fa dignité.
Et( qui eft le point fur tous le plus populaire )
par les moyens qu'il auoit pourchaffé les magi
ftratz,par les mefmes il les exerçoir.

Auffi parle Tite Liue honorablement de


DISC. DE NIC . MACCHIA . 9
Manlius, monftrant que fa feuerité en l'occafion
de fon fils rédit l'armee tant obeïffante au Con
ful , qu'elle fut caufe de la victoire que le peu
ple Romain cut fur les Latins . Et paffe fi auant
en fa louange , qu'apres cefte victoire ayant def
crit tout l'ordre de la bataille , & declaré tous
les perilz que les Romains encoururent , & les
difficultez qu'ils eurent à vaincre , il fait cefte
conclufion, que la vertu feule de Manlius donna
cefte victoire aux Romains . Et faifant cóparai
fon des forces de l'vne & de l'autre armee, affir
me,que celle eftoit pour vaincre,qui auoit Man
lius pour Conful. Tellement que tout confide
ré ce que les Hiftoriens en dient feroit difficile
d'en iuger . Neantmoins , pour ne laiſſer ceſte
partie indecife , ie dy , qu'à vn Cisoyen qui vit
foubs les loix d'vne Republique , ie croy que le
moyen de proceder de Manlius foit plus loua
ble & moins dangereux: d'autant qu'il tourne
tout à la faueur du bien publique , fans aucune
ment regarder à l'ambition priuee . Car par tel
moyé l'on ne peult gaigner partiſans en fémon
ftrant toufiours fi rude & afpre à vn chacun , &
n'aymant rien que le bien commun.Ce que fai
fant l'on acquiert d'amys particuliers , que nous
appellos(comme ie difoye)partifans . Tellemét
qu'il ne peult eftre en vne Republique manie
re de proceder plus vtile , ne plus confiderable,
par laquelle l'vtilité publique eft tant augmen:
tee , fans qu'elle laiffe l'occafion d'aucuns foup
" çons de puiffance priuce: mais en la maniere de
SVR LA 1. DECA. DE TIT. LI. 239

proceder de Valerius y a le contraire:par ce que


(cóbien que quant au publique fortent pareilz
effaitz ) fi eftce qu'il en fourd plufieurs doutes,
à caufe de l'amitié & bonne grace particuliere
qu'il aquiert des Soldatz , affez pour faire(fi fa
charge & empire luy duroit longuement) mau
uais effaitz contre la liberté . Et fils ne nafqui
rent en Publicola la cauſe fut que les cueurs des

J Romains n'eftoient encores corrompus , auffi


qu'il ne fut long temps au gouuernement. Mais
fi nous auons à cófiderer vn Prince(comme fait
Xenophon ) nous nous rengerons du tout vers
Valerius , & laifferons Manlius , d'autant que le
Prince doit chercher en fes Soldatz & fubietz
l'obeïffance & amour. Ce qui luy donne obeïf
fance eft, d'eftre obferuateur des ordonnances,
eſtre tenu vertueux : & en l'amour , la gracieu
feté luy donne, l'humanité , la pieté, & les autres
bonnes parties qui estoient en Valerius , & que
Xenophon efcrit auoir efté en Cyrus.Car qu'vn
Prince foit bien voulu particulierement, & que
fon armee luy foit partizanne, celà fe conforme
auecques toutes les autres parties & conditions
defon eftat : Mais en vn Citoyen auoir l'armee
partizanne , celà defia n'eft conforme auecques
fes autres parties qui ont à le faire viure foubs
les loix & obeïr aux Magiſtratz . On lit entre les
memoires anciennes de la Republique de Ve
nife:comme cftans les galleres retournces à Ve
nife , fe leua quelque different entre ceux des
galeres & le peuple, pour lequel on vint aux ar
DISC. DE NIC. MACCHIA .
mes,& ne fe pouuoit le tumulte appaifer, ne pat
force de valetz,ne par reuerence des Citoyens
ne crainte des Magiſtratz.Soudain que fe mon
ftra à ces mariniers vn Gétilhomme,qui l'annee
precedente auoit efté leur Capitaine , pour l'a
mour de luy,fe departirent & laifferent le com
bat: laquelle obeïffance engedra tel foupçon au
Senat,que peu de teps apres les Venitiés, ou par
prifon,ou par mort,fen affeurerent.Pourtant ie
conclu la maniere de proceder de valerius eftre
vtile en vn Prince & dommageable en vn Ci
toyen,non feulement à la patrie: mais à luy meſ
me. A elle, d'autant que telz moyens preparent
le chemin à tyrannie:à luy par ce que rendant
par cefte maniere fufpect à la Cité , elle eft con
trainte fen affeurer à fon dommage . Ainfi au
contraire ie tiens la maniere de Manlius eftre
mauuaife en vn Prince , & bonne & vtile en vn
Citoyen,mefmemét à la patrie: Voyre peu fou
uent elle offenſe:fi defia la hayne qui te caufe ta
feuerité n'eft acreuë par le foupçon , dont la gra
de reputation de tous autres vertuz te chargent
comme deffous fera difcouru de Camille.

Quelles caufes chafferent Camille


de Rome,

Chapitre. XXIII,
1
SVR LA 1 . DECA. DE TIT. LI. 240
I.
2930 Ous auons cóclud cy deffus, qu'en
procedat comme valerius , on fait
dommage à la patrie & à foy mef
me,& procedant comme Manlius,
ou fait bien à la patrie, & aucunes
foison fe fait tord : Ce qui fe prouue bien par
l'exemple de Camille , lequel en fa maniere de
proceder tiroit plus fur Manlius que fur Valerius
dont dit Tite Liuc de luy:

Eius virtutem milites oderant & mirabantur.


LesSoldatz haïffoient fa vertu, enſemble &
T'admiroient
.

Ce qui le faifoit tenir en adminiftratio, eftoir


lefoing , la prudence , la magnanimité , le bon
ordre qu'il gardoit en la conduire d'vne armee.
Ce qui le mettoit en hayne , eftoit d'eftre plus
feuere &rigoureux à les chaftier & punir , que
liberal à les recompenfer . De cefte hayneTite

Liue donne telles caufes . La premiere que les


deniers qui fe retirent des biens des Vegens qui

furent venduz , il appliqua au trefor publique,


en lieude les departir auecques le butin : L'au
tre qu'en fon triomphe il fit tirer fon char trio
phal par quatre cheuaux blancs. Dequoy ils di
Tent que par outrecuidance il fe vouloit para
gonner au Soleil.La tierce,qu'il fit veu de don
ner àApollo la x.part du butin des Vegens , la
quelle (pour fatisfaire àfon veu ) falloit retirer
des mains des Soldatz , qui defia en eftoient fai
DISC. DE NIC. MACCHI A.
fiz . En quoy font faciles à noter les chofes qui
mettent le Prince en la hayne de fon peuple,
defquelles la principale eft le priuer de quelque
vtilité,qui eft chofe de grande importance . Čar
quand à l'homme l'on ofte quelque bien il ne
l'oublie iamais & la moindre neceffité qui luy
auient luy remet en memoire . Et d'autant que
les neceffitez furuiennent de iour en iour , il en
fouuient tous les iours . L'autre chofe eft fe mo
ftrer fier & fuperbe: & n'y a rien au monde plus
defplaifant aux peuples, mefmement qui font li
bres.Et combien que de ceft orgueil &arrogan
ce il ne leur vienne aucun dommage , fi ont ils
fort à contre cucur ceux qui en vfent . Ce que le
Prince doit cuiter come vn rocher: car de gai
gner hayne & malegrace,fans aucun profit , eft
party du tout temeraire & inconfideré.

Laprolongation des commißions & charges


des armes, a eftécaufe de laferus
tude de Rome.

Chapitre • XXIIII.

I bien l'on confidere la maniere


de proceder de la Republique Ro
maine,l'o verra deux chofes auoir
efté caufe de fa ruïne . Dont l'vne
fut les contentions pour la loy
Terrouaire dicte Agrarie : l'autre le prolonge
ment des charges des armees( qu'ils appelloient
Empires)
SVR LA T. DECA. DE TIT. LI. 241
Empires) lefquelles bien conneues dés le com
mencement,& les remedes doux appliquez,l'e
ftat de leur liberté euft efté plus long & paraue
tureplus coy & tráquile. Or combien que tou
chant la prolongation de charge ouEmpire,l'on
7
nevoye point qu'il y ayt eu aucun tumulte à
Rome,neantmoins fe void en effait combien a
porté de dommage & nuifance à la Cité, l'auto
tité queles Citoyens ont prins par le moyen de
telles deliberations . Et fi les autres Citoyens,
aufquelz le Magiftrat eftoit prorogé, cuffent e
fté auffibos & fages que L. Quintius,l'on n'au- L.Quinti³.
roitpas encouru ceft inconueniét: la bonté du
quelet d'exemple notable. Entre le Senat, & le
commun peuple eftoit faicte quelque conuena
ce d'accord,la
leur commune prolonge auxTribuns
Magiftrat,les eftimat p pour refifter

àl'ambitio des nobles. Le Senat à l'enuy de luy,


&
pour ne fe monftrer de moindre pouuoir,
voulut prolonger le Confulat à L. Quintius : le
quel ne cöfentit à cefte deliberation , difant que
lesmauuaifes exem
ples fe doyuent eftaindre,no
pas accroiftre par autr enco pire , & voul
e re uft
que l'on fift nouueaux Cófulz.Haa fi cefte bon
té&
Romaprinud euſt eſté en tous les Citoyens
s,pen
ascen'euff la à intro c
coutu de pr ent iffé duire eſte
me olong les Magift , & de ce
er ra
fteprolongati l'on ne fuft venutàz cell des
on e
charge desguerre gene
s s rales , & empires : la
quellep fu
ar cceffi de temps ruïne cefte Re
publi on
que.L prem t
e ier à qui le emps de fa charge
HH
DISC: DE NIC. MACCHIA.
Phils. & pouuoir futprolongé ,fut P.Philo ,lequel eftát
campé deuant la ville de Palepolus , & expirat fon
Confular,le Senat,à qui il fembla qu'il tenoit ce
fte victoire en fa main , ne luy enuoya point de
fucceffeur, ains le fit Proconful, & fut le premier
Proconful.Lequel cas(combien que mis fus par
le Senat pour l'vtilité publique ) fut ce qui ren
dit Rome ferue . Car d'autant que les Romains
porterent leurs armes plus loing , d'autant telle
prológation leur fembla plus neceffaire, & d'au
tant plus en vferent . Dequoy fortirent deux in
conueniens : I'vn , que par ce moyen moindre
nombre de gens fexerçoit aux charges & eſtatz
de la guerre, & en confequence la reputation fe
venoit à reftaindre à peu de perfonnes. L'autre
que le Citoyen commandant long temps à vne
armee , fe la gaignoit & rendoitaffectee & par
tiale : au moyen qu'elle oublioit le Senat auec
ques le temps , & reconnoiffoit ce chef. Ainfi
trouuerent silla & Marim des Soldatz qui les
voufiffent fuyure contre le bien publique . Ainſi
Cefar. Cefar cut moyé d'occuper la patrie.Et fi les Ro
mains n'euffent iamais prolongé les Magiftratz,
& les charges generales de la guerre , ils ne fuf
fentfi toft paruenuz en fi grande puiflance.D'a
uantage fileurs aqueftz cuffent efté plus tardifz ,
plus tard encores ils fuffent tombez en ferui
tude.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 242
Dela pauuretéde Cincinatus, & de plufieurs
Citoyens Romains.

Chapitre XXV.

Ous auons deduit en vn autre

lieu , que le plus vtile ordre qui


foit en vn eftat de liberté, eft, que
les Citoyens fe tiennent pauures .
Et combien qu'à Rome n'appa
roiffe quel ordre fut caufe de ceft effait : mef
neantmoinse fe
mementqu la loy
voidAgrari
par experi tant , debatu
e y futences e,
que iuf

quesà
te cccc.anfgrand
y regnatre
, s,depuys que Rome fut conftrui
e pauure té . Et n'eft o
ble croya
ordre
que effait
ceftde
,que proced aft d'autre
ce que l'on void la plus
pauure tégrand
n'y

empefcher le chemin de tous les degrez &hon


neurs, & qu'on alloit chercher la vertu en quel
quelogis qu'elle hebergeaft , lequel moyen de
viure rendoit les richeffes moins defirables .

Ce qui fe void manifeftement , par ce qu'eftant


MinutiusConfu lauecques fon armee afliege par
les Eques, Rome entra en grand effroy , pour

pertes de
recour cefte armee : tellement qu'elle cut
à la creation du Dictateur leur dernier
remedeen l'extremité
de leurs affaires . Et cree
rentL.Quintus Cincinatus ,lequel eftoit en fa pe- Cincinatu
tite maifon des champs , qui labouroit de fap
main :Ce que Tite Liue recommande en motz`
pauure.
dorcz,difant:

HH ij
DISC. DE NIC. MACCHIA .
Operepretium eft audire qui omnia pra diuitii hu
mana fpernunt,neque honori magno locum,neque vir
tutiputant effe,nifi effuſe affluant opes:

Il fait fort bon ouyr ceux qui ne font cas de


chofe du monde au pris des richeffes , & n'efti
met rien negrand honneur ne vertu , finon où
* les biens regorgent en abondance.

Cincinatus labouroit les petites terres, qui ne


paffoiét la mefure de quatre arpens, ou enuiron,
quand les mandez de la part du Senat vindrent
de Rome luy fignifier l'election de fa Dictatu
re,& declarer en quel peril ſe trouuoit la Repu
blique Romaine .Il prend fa robe longue (qu'ils
appelloient Taga ) vient à Rome , affemble vne
armee,fen va pour deliurer Minutius, & l'ayant
tiré hors de danger, rompu & defpouillé fes en
nemis, ne voulut que l'armee qui eftoit affiegee
euft part au butin,difant : Ie ne veux quetu ayes
part à la proye & defpouille de ceux , defquelz
tu as cuydé eftre. Puis priua Minutius du Confu
lat ,& le fit lieutenant,en luy difant: Tu demeu
reras en ce degré, iufqu'à ce qu'ayes apris à fça
uoir eftre Conful . Il auoit fait fon maiftre de
L. Tarqui- Cauallerie L.Tarquinus, lequel par pauureté co
nuspanure batoit à pied. En quoy eft à noter(comme a efté
dit)l'honneur que l'on portoit àRome à la pau
ureté, & comme quatre arpens de terre fournif
foient à la norriture & entretenemét d'vn hom
me de bien & vaillant, comme eftoit Cincinatus.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 243
Laquelle pauureté l'on void encores auoir duré
3 au temps de MarcusRegulus, veu que faisant guer- M.Regulm
re en Afrique demanda congé au Senat de re- pauure.
tourner garder la maifon champeftre que fes la
boureurs luy gaftoient . En quoy fe trouuent
deux chofes fort notables . Pour vne , la pauure
té,& comme au dedans ils fe tenoient contens,
& comme il fuffifoit à telz Citoyens tirer hon
neurde la guerre, en laiffant tout le profit au pu
blique.Car filors ils cuffent penfé enrichir à la
guerre,l'on ne fe fuft gueres fouffié q les terres
cufsetefté gaftees.L'autre point à cófiderer eft,
le haultcueur de telz Citoyens , duquel la gran
deur(pendant qu'ils auoient charge & comma
dement fur vnc armee )furpaffoit le cueur de
tous Princes, ne faifant cas de Roys , ne de Re
publiques,fans feftonner ny efpouuenter d'au
cune chofe.Apres retournez à leur priué,fe ren
fongneux
goientau mefnage deuenas humbles, refferrez ,
de leur petit bien , obeïffans aux Ma
giftratz portans
, reuerece à leurs fuperieurs: tel
lement qu'il femble impoffible
qu'vn mefme
Cucurpuiffeporter,& compatir telles diuerfitez
mutations Cefte
& . pauureté dura encores iuf
qu'autemps de Paulus Æmilius (quifut quafi le
derniertemps Paulus
de la felicité de cefte Republi- Æmiliu
que auquel vn Citoyen , qui enrichit Rome par pauure.
fontriomphe,demeura neantmoins
pauure . Et
en telle eftime eftoit encores lapauureté.Paulus

vn fiengedre vnc coupe d'arget ,pour


donna à d'honneur
prefent de feftre bien porté en la

HH iij
DISC. DE NIC. MACCHIA .
guetre,lequel fur le premier argent qui iamais 77
cuft entré en fa maiſon . L'on pourroit icy de
duyre vn long propos , combien pauureté pro
duit de meilleurs fruits, que richeffe , & com
me elle a mis en honneur,Citez, Prouinces, Se
ctes, que l'autre a ruïné : mais ceſte matiere a
efté affez traitee par autres gens.

Comme à l'occafion desfemmes un eſtat


eft ruiné.
¡
chapitre XXVI.

N la ville d'Ardeafefleua vne fe


dition entre les patrices & la com
mune , à l'occaſion d'vn mariage
d'vne heritiere , laquelle deman
doient pareillement vn noble , &
yn de balle códition . Et pour ce qu'elle eftoit
fans pere,fes tuteurs la vouloient doner au Ple
beïen,ſa mere,au noble . Dequoy fe leua vn tel
tumulte, que l'on en vint aux armes, & la nobleſ
fe farma en faueur du noble , & la menue gent
en faueur du Plebeien . Tellement que la com
Sedition à
mune cftant vaincue,yffit hors d'Ardea , & en
Ardes
uoya requerir fecours aux Volfces , les nobles
pour une
enuoyerent à Rome. Les Volfces vindrent pre
femme. mier,qui fe camperent à l'entour de la ville :les
Romains furuindrent , & tindrent les Volfces
encloz entre eux & la ville : tellement qu'ils les
contraignirent par famine à foy rendre à difcre
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 244
tion.Apres entrerent les Romains dedans Ar
dea,firent executer tous les chefz de la fedition
the & mirent ordre en la Cité . En quoy font plu
fieurs chofes à noter:la premiere, comme les Da
mes ont efté caule de maintes ruïnes, & ont por
té grans dommages aux gouuerncurs des Citez,
& y ont donné occafion de plufieurs diuifions.
Et (comme a efté veu en cefte hiftoire noftre)
l'exces fait à Lucrece fift l'eftat aux Tarquins: & Lucrece.
l'autre,fait à Virginia , priua les dix hommes de Virginia.
leur autorité . Auffi Ariftote met entre les pre Aristote.
mieres caufes de la ruïne des Tyrans,auoir iniu
rié & outragé quelqu'vn à caufe des Dames, ou
en les violant, ou corrompat les mariages, com
me nous auons deduit amplement au chapitre
des coniurations . Ie dy doncques, que les Prin
ces de puiffance abfoluë, & les gouuerneurs de
Republiques, ne doiuent tenir peu de conte de
ce poinct.Mais confiderer les defordres, qui par
tel accident peuuent auenir , & y remedier au
temps, afin que le remede ne tourne au domma
ge & deshonneur de leur eftat & Republique,
comme il auint aux Ardeates, lefquelz par faute
d'auoir laiſſé croiſtre cefte noyfe entre leurs Ci
toyens vindrent iufqu'à foy diuifer & bander;
puis le voulans reünir ,furent contrains mander
fecours eftranges , qui eft grand commencemet
deferuitude prochaine . Mais paffons à l'autre
point notable du moyen de reünir vne Cité, du >
quel nous parlerons au chapitre enfuyuant.
HH iij
DISC. DE NTC . MACCHIA.
Comme une Citédiuifeefedoit vnir , & comme
l'opinion eft faulfe, quepour tenir une
Cité ilfaille tenir enpartialité
& diuifion.

Chapitre XXVII

Ar l'exemple des Confulz Ro


mains, qui reconcilierent les Ar
deates enfemble , faprend la ma
niere que fe doit compoſer vne
P
Cité diuifee , laquelle n'eſt autre,
& autrem ent ne fe doit medeciner , qu'en tuant
les chefz des tumultes . Car il eftneceffaire de
prendre vn de ces troys partiz , ou de tuer, có
me firent ceux cy , ou les bannir de la ville , ou
leur faire faire paix enfemble , foubs obligation
de plus ne foffencer . De ces troys moyens le
dernier eft le plus dommageable,moins certain
& plus inutile . Car il eft impoffible , là où tant
de fang a efté efpandu, & tant d'outrages ,torts,
& iniures ayent paffé , qu'vne paix dure,faite
par force , & fe voyans tous les iours en barbe,
eft difficile qu'ils fabftiennent d'iniurier l'vn
l'autre,la conuerfation leur pouuant donner de
jour en iour nouuelles occafions de querelles .
Sur quoy on ne fçauroit amener meilleur exem
ple,que de la Cité de Piftoye.
Cefte Cité eftoit diuifee ( comme elle eft en
Ligue de cores) y a quinze ans en Panciatichi Cancellieri:
Pistoye, Mais alors elle eftoit en armes , & auiourd'huy
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 245
les a pofees.Et apres maintes difputes entre eux
vindrent au fang, à la ruyne des logis, au pillage
des biens , & à toute autre rigueur d'ennemis
mortelz. Les Florentins qui auoient à les ap
pointer & accorder , y vferent toufiours de ce
tiers moyen , duquel fourdoient toufiours plus
grans tumultes & fcandales , de forte qu'à la fin
en eftant las , prindrent le fecond moyen de ti
rer hors les chefz des ligues,defquelz ilz mirent
lesvns en prifon , les autres confinerent en di
uers lieux. Tellement que ceft accord tint , &
tient encores auiourd'huy : mais fans doute le
premier eut efté plus feur, Vray eft que telles
executions ont ie ne fcay quoy de grand & de
magnanime , qui garde qu'vne Republique de
bile en puiffe vfer:voire en eft fi eflongnée, qu'à
peine peut elle defcendre au fecond remede.En
cefont de mes erreurs, que ie difois au commen
cement quefont les Princes de noftre temps,
qui ont à iuger les chofes grandes. Car ilz de
uroient regarder come fy font gouuernez ceux
quiiadis ont eu à affeoir iugement fur fembla
ble cas. Mais la debilité des gens de noftre aage
cauſee de leur nourriture debile , & du peu de
cognoiffance qu'ilz ont des chofes,fait que l'on
tient les iugemens antiques ; les vns pour inhu
mains,les autres pour impoffibles. Et ont cer
taines opinions modernes en leurs teftes trop
eflongnées de la verité. Comme eft celle que di
foient les fages de noftre cité , y a quelque téps,
qu'il faloit tenir Piftoye fous bride, par fes par
DISC. DE NIC. MACCHIA.
tialitez, & Pife par fortereffes: ne fauifans com.
bien ces deux chofes font inutiles. Ie laifferay
maintenant les fortereffes , parce que deffus en
ay diuifé bien au long, & difcourray le profit
que l'on tire de tenir en diuifion les places que
l'on a en gouuernemét. Pour le premier eft im
poffible que tu ayes & entretiennes toutes les
deux parties en amitié, fois Princes, fois Repu
blique qui les gouuernes . Car de nature eft do
né aux humains de prendre partie en toute cho
fe diuifee , & que l'vne luy plaife plus que l'au
tre:tellement qu'ayant vne des ligues, de la pla
ce mal contente , à la premiere guerre qui vien
dra tu la perdras:d'autat qu'il n'eft poffible gar
der vne ville qui ait ennemis dehors & dedans.
Si c'eft vne Republique qui la gouuerne,il n'y a
point plus beau moyen pour gafter & deprauer
fes propres citoyens, & pour mettre la cité en di
uifion, que d'en auoir vne autre diuifee en gou
uernement. Car chacune partie met peine d'ac
querir des faueurs, chacune gaigne amis par cor
ruptions diuerfes, dequoy naiffent deux trefgrás
inconueniens . L'vn, que tu ne les fais iamais tes
amis, à caufe que ne les peux bien gouuerner en
changeant fouuent le gouuernement , mainte
nant auecques l'vn , puis auecques l'autre hu
meur.L'autre eft, que cefte faueur vers l'vne des
Blondus, parties par neceffité diuife ta Republique . Blon
dus , parlant des Florentins & des Piſtoloys , en
fait foy, difant:Lors que Florence tafchoit à re
ünir Piftoye, elle mefme fe diuifa.Partát le peut
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 246
facilement confiderer le mal qui naift de telle
diuifion . L'an mil cinq cens & vn, quád Arrez
zefut perdu , & tout le val de Teuere , & le val
de Chiane occupé par les Vitelles, & par le Duc
Valentin, vn monfieur de Lant fut enuoyé par Monfieur
le Roy de France, pour faire rendre aux Floren- de Lant.
tins toutes fes places perdues. Et trouuant Lant
entous les chasteaux des gens qui luy d'foient
qu'ilz eftoient de la partie de Marzocco, blafma
fort cefte diuifion , difant , que fi en France vn
desfubietz du Roy fe difoit eftre de la partic
duRoy,il feroit puny : parce que telle parolle
ne fignifioit autre chofe, non qu'en ce Royau
mey cuft des gens ennemis du Roy , & le Roy
veut que tous les peuples luy foient amis,vniz,
& fans ligues. Mais tous ces moyens, & ces opi
nionscontraires à la verité naiffent de la debi
lité de ceux qui font feigneurs,lefquelz fe voyás
ne pouuoir tenir eftatz , ou villes par force &
vertu,fe rengent à telles induftries. Lefquelles
en temps paifible feruent aucunesfois de quel
quechofe,mais l'aduerfité venue, & les grans af
faires , monftrent & defcouurent l'erreur & a
bus qui eft en elles.
‫ני‬

Que l'on doitprendregarde aux œuures des citoyens,


parcequefouuentfous one action honnefte gift
un commencement de Tyrannie.

Chapitre XXVIII.
DISC . DE NIC . MACCHIA .
A Cité de Rome eftát ve w
xee de famine, tant que les
prouifions publicques ne W
fuffifoient à l'appailer.spu
rius Melius citoyen tres ri
che ( par le temps ) fe mit
à faire prouifion de for
meat en les greniers , dont il fuftentoit la com
mune, qui luy en fçauoit gré. Par ce moyen eut
telle affluence de peuple en fa faueur, que le Se
nat preuoyant l'inconuenient, qui de ceſte libe
ralité pouuoit fortir,pour l'eftaindre, auát qu'il
prit plus grande force, crea vn Dictateur, qui le
fit mourir. En quoy eft à noter comme fouuen
tesfois les œuures qui portent apparence d'hon
nefteté, que par raifon on ne pourroit repren
dre ,tournent en cruauté , & font dangereuſes
en vne Republique, fi à temps elles ne font cor
rigecs. Or pour plus particulierement diſcourir
ce poinct , ie dy qu'vne Republique ne peut e
ftre,ne fi bien gouuernee en aucune forte,fi elle
n'a citoyens de reputation. D'autre part cefte
reputation eft caufe de la tyrannie des Repu
bliques , & pour reigler cefte chofe y conuient
mettre tel ordre, que les citoyens foient estimez
de reputation qui profite , non pas nuife à la ci
té, & à fa liberté. Pource fe doiuent examiner
les moyens , par lefquelz elles facquierent , qui
font deux en effect , publiques , & priuez . Les
publiques font, quád celuy qui donne bon con
feil, & l'execute encores mieux pour le bien có
SVR LA J. DECA. DE TIT. LI. 247
mun,vient en reputation . A tel honneur fe doit
ouurir la voye aux citoyens , & propoſer ſalai
res & loyers,tant au bon confeil, qu'à l'œuure,
& honnorer & fatisfaire ceux qui en font au
teurs : Vous affeurans que les reputations gai
gnees par telz moyens eftans coys & fimples,
ne porteront nul dommage. Mais quand elles
font acquifes par voyes priuées (qui eft l'autre
maniere alleguee) font du tout perilleuſes. Les
voyes priuees font, faire plaifir à tel & à tel, en
leurpreftant argent,mariant leurs filles, les def
fendant contre les Magiftratz, & vfant de fem
blables faueurs particulieres accouftumees en
tre gens partifans , lefquelles donnent cucur à
ceux qui font ainfi fauorifez de pouuoir cor
rompre le publique, & forcer les loix. Docques
vne Republique bien ordonnee doit ( comme
a efté dit ) ouurir la voye à ceux qui pourchal
fent leurs faueurs , par voyes publiques , & les
clorre à ceux qui y tendent par les priuees.Co
mefevoid que Rome fit, laquelle pour recom
penfe de ceux qui bien faifoient pour le publi
que,ordonna les triomphes & autres honneurs,
qu'elle donnoit à fes citoyens , & en punition
de ceux qui fous diuerfes couleurs tendoiét par
voyespriuces à foy faire grans, eftablit les accu
fations.Et au cas qu'elles ne fuffiffent lors que le
peuple eftoit aueuglé d'vne efpece de bien faux,
ordona le Dictateur, lequel auecques bras royal
fit r'entrer dedans les bornes celuy qui en feroit
forty,
comme elle fit punit Spurim Melius. Et
DISC. DE NYC. MACCHIA .
vne de telles.fautes fe laiffant impunie eft fuf
fifante à ruyner vne Republique : d'autant que 3.
"
difficilement auecques tel exemple , fe reduit a
pres à la vraye vic.

Que lespeche despeuples procedens


des Princes.

Chapitre XXIX.

Es Princes ne fe doiuent plaindre


d'aucune faute que commettent
les peuples qu'ilz ont en gouuer
nement, pource qu'il conuiét que
elle naiflè ou de fa negligence , ou
de ce qu'il ait efté entaché de ſemblable, & qui
difcourra les peuples , qui de noftre temps ont
efté mal renommez pour larcins & telz autres
vices,il verra qu'ilz feront du tout procedez de
leurs gouuerneurs , qui eftoiét de femblable na
ture. La Romagne auát qu'en icelle euffent efté
PapeAle- eftains par le Pape Alexandre fixieſme , les Sei
xandre vj. gneurs qui y commandoient, eftoit vn exemple
de trefmal'heureuſe vie , où l'on voyoit pour la
moindre cauſe du monde, meurdres , occifions,
& rapines. Ce qui auenoit par l'enormité de relz
Princes,non de meſcháte nature qui fut és ſub
ietz , comme ilz difoient. Au moyen qu'eftans
pauures, & voulans tenir eftat de riches, eftoiét
contrains de foy adonner aux pilleries, & en v
fer par
diuers moyés. Et entre autres voyes def
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 248
honneftes qu'ilz tenoient , ilz faifoient des loix
contenans prohibition de quelque faict , & c
ftoient apres les premiers qui donnoient occa
fion de contreuenir à icelles, & iamais ne les pu
niffoient,finon quand ilz les voyoient auoir fou
uent encouru ceſte inobferuation.Et alors pro
cedoient à la punition , non par zele de la loy:
maispar auarice de recueillir le fruit de la pei
ne.Dont fortoient maints inconueniens, & fur
tous que leurs peuples en apauuriffoient fans fe
corriger.Et ceux qui en eftoient tombez en pau
ureté tafchoient de fe faire mieux valoir , que
ceux qui estoient de moindre pouuoir.Dequoy
nailfoiét tous les maux qui deffus ont efté ditz,
defquelz le Prince eftoit caufe. Et qu'il foit vray
Tire Liue le monftre quand il raconte , que les
Embaffadeurs de Rome portans à Apollo vn
prefent du butin fait fur les Vegens , furent pris
par les corfaires de Lipare en Sicile, ou par eux
ilz furent menez.Et ayat Thimafithens leur Prin- Thimaf
ce fceu quel don c'eftoit,où ilz alloient , & qui them.
l'enuoyoit, combien qu'il fut de Lipare, fe por
ta comme homme Romain , & remonftra au
peuple l'impieté que feroit de deftourner ce pre
fent:tellement qu'auecques le confentement de
tous laiffa aller les Embaffadeurs auecques tout
ce qui eftoit à eux , dequoy les parolles de l'Hi
ftorien font telles,

Thimafitheus multitudinem religione impleuit, Tite Line,


quefemperregenti eft fimilis.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Timafitheus mit le peuple en remord der
ligion , qui tient toufiours loy de commander.
Laurent de Et Laurent de Medici dit en confirmation de
Medici. ceſte ſentence,

Et quel,chefa il signorfanno poi molti,


che nel signorfon tuttigl occhi velti.

Le fubiect fuit de fon Seigneur l'exemple,


Parce qu'en luy toufiours fon œil contemple.

A vncitoyenqui veutfaire en une Republiquequel


que bonne œuure de fon autorité, luy conuient
eftaindre l'enuie.Et contrela venue de l'en
nemy quel ordre doit eftre mis à la
deffenfe d'une ville.

Chapitre XXX.

Stant aduerty le Senat Romain,


quela Tofcane fe mettoit en ar
mes, & leuvit gens pourtirer vers
Rome, auffi que les Latins, & les
Herniques, qui par le paflé auoiét
efté amis du peuple Romain,f'éftoiét alors ren
gez du cofté des Volfces ennemis perpetuelz
de Rome,ingea cefte guerre trefperilleufe. Et fe
trouuat lors Camille Tribun en puiffance Con
fulaire , penfa qu'il fe pourroit faire fans creer
Dictateur,files autres Tribuns fes compagnons
luy
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 249
luy vouloient ceder la totalité de la puiſſance,
ce qu'ilz firenttrefvolontiers .

Necquicquam ( ce dit Tite Liue ) de maieftate


fua detractum credebant , quod maieftati eius concef
fillent.
N'eftimans rien diminué de leur maiefté, de
ce qu'ilz auroient cedé à la fienne.

Parquoy Camille , receuë cefte obeïffance,


commanda leuer trois armees : de la premiere
vouluteftre chef, pour marcher contre les To
fcans :de la feconde donna la charge à Quintus
Servilius , lequel il fit tenir pres de Rome pour
refifter contre les Latins, & aux Herniques filz
fe mouuoient : auecques la troifiefme laiffa Lu
tins Quintins pour la garde de la ville & de la
Court, aux cas occurrens. D'auantage , ordonna
I'vn de fes compagnons, Horatius, pour donner
ordre aux armes, viures, & autres chofes necef
fairesentemps
de guerre . Outre, laiffa Cornelius
auffiTribunpourchefdu Senat & confeil pu
blique, pour confulter des actions
quide iour
en iour furuiennent à faire & executer . En cefte
forte furent les Tribuns en ce temps preftz &
difpofez tant à commander , qu'à obcir pour le
falut de la patrie . En ce paffage eft à noter que
peut faire vn homme de bien & prudent , & de
quelle vtilité il eft caufe à fa patrie , quand par
fa bonté & vertu il a eftaint l'enuie, laquelle eft
fouuent caufe que leshommes
nepuiffentbien

11
DISC . DE NIC. MACCHIA .
faire , ne leur permettant l'autorité qui eft nc
Deux ma-ceffaire és cas d'importáce . Cefte enuie feftaint
nieres d'e- par deux manieres , ou par quelque gros acci
ftaindre dent & difficile, auquel chacun ,voyant fon pc
ril,mife arriere toute ambition , court volontai
enuie.
rement fous l'obeïffance de celuy , qu'il eftime
auoir en luy vertu de le deliurer , comme il auint
de Camille: lequel ayant defia donné tant de fi
gnes de fon excellence , ayant efté trois fois Di
ctateur,adminiftrant toufiours ceft eftat à l'vti
lité publique,non à la fienne, plus on n'auoit fa
grandeur fufpecte : auffi ne tenoient à honte de
fe voir fous la main de fi grand & tant eſtimé
perfonnage . Pource a dit Tite Liue fi fagement,
Nec quicquam,& c.
En autre forte feftaint l'enuie,quand par vio
lence ou par ordre naturel ceux viennét à mou
rir , qui vous eftoient concurrens en quelque
degré de reputation & grandeur. Lefquelz fe
voyans par vous deuancez , eft impoffible que
iamais fe tiennent coys & en patience , mefme
ment quand ce font gens accouftumez à viure
en vne cité corrompue , là où la nourriture ne
ait femé en eux aucune bonté, ny accident, tant
grand foit il, qui les peuft reduire : ains,pour fa
tisfaire à leur volonté peruerfe, feroiét contens
de voir la ruyne de leur patrie. Pour vaincre ce
fte enule n'y a autre remede, que la mort des en
uieux. Et quand la fortune eft tant fauorable à
l'hommevertueux , qu'ilz viennent à mourir,il
monte en gloire fans fcandale, lors que fans of
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 250
fenfe & empeſchement il peut mettre la vertu
en cuidence. Mais quand ceſte bonne auentu
rene les fuit , luy conuient pourpenfer par tous
moyens de f'en depefcher , & de vaincre cefte
difficulté auant que d'entreprendre autre cho
fe.Et qui lira la Bible auecques fens & confide
ration, verra que Moyfefut contraint, pour efta
blit & confirmer fes loix & ordonnances , tuer
hommes infinis, qui par enuie feule foppofoiet
à fes deffeins . Cefte neceffité bien cognoiffoit
frere Hierofme Savonarola , auffi faifoit Pierre Sauona
Soderin porte cornette de Florence. L'vn ne la rola..
3
peut vaincre n'ayant autorité pour le pouuoir
÷
faire,c'eſt à fcauoir le religieux, & par faute d'e
ftrebien entendu par ceux qui le fuyuoient, qui
euffent bien eu l'autorité.Neantmoins à luy ne
tint, & fes fermons font pleins d'accufations &
inuectiues contre les fages du monde. Ainfi nó.
moit fes enuieux qui refiftoient à fes ordon
nances. L'autre cuidoit auecques le temps par
bonté & par fa fortune , en gaignant quelqu'vn
par liberalité, eftaindre cefte enuie,fe voyant en
fleur d'aage , & auecques tant de faueurs nou
uelles, que fa maniere de proceder luy attiroit,
qu'il efperoit auoir la raifon de ceux qui par en
uic luy contredifoient , & ce fans fcandale, vio
lence ,ne tumulte. Mais il ne fcauoit pas que le
tepsne lepeut bien attendre,la bonté ne fuffit,
fortunevarie
la ,& mefcháceté ne trouue,biéfait

qui l'appaife. Tellemét que l'vn & l'autre furent


ruynez , & la caufe de leur tuyne fut de n'auoir

II ij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
fceu,ou peu vaincre.cefte enuic .
L'ordreque L'autre poinct notable de ceſte hiſtoire ek
mit Camil l'ordre que mit Camille dedans & dehors,pour
le pour la le falut de Rome. Et vrayement non fans cauſe
deffenfe de les bons Hiftoriens (comme eft le noftre) met
Rome. tent par efcrit particulierement & diftinétemét
certains cas,à ce que la pofterité appreuue com
me elle fe doit deffendre en femblables accidés.
Auffi eft à noter de ce pas , qu'il n'eft point de
plus inutile deffenfe, que celle qui fe fait tumul
tuairement & fans ordre.Ce qui fe monftre par
la tierce armee, que Camille fit enroller pour la
garde de Rome , que plufieurs auroient iugé &
iugeroient fuperflue , eftant ce peuple ordinai.
rement armé & belliqueux , comme fil ne l'eut
fallu autrement enroler:mais que ce fut affez de
les mettre en armes quand le befoin viendroit.
Mais Camille & quiconque fera fage comme
luy,le iugera autrement:parce qu'on ne doit ia
mais permettre à vne multitude de prendre les
armes , finon droit & par ordre. Par ceft exem
ple ceux qui ont la garde d'vne cité doiuet fuyr
comme vn rocher les armes tumultuaires : mais
doiuent auoir auant enrollé & choifi ceux que
ilz veulent eftre armez , ceux qui leur deuront
obeïr, où ilz fe trouueront & affembleront , &
commander aux autres de foy tenir en la garde
de leurs maiſons Ceux qui tiendront ceft ordre
en vne ville affiegee fe pourront ailément def
fendre . Qui autrement fera n'enfuyura pas Ca
mille, & mal fe deffendra.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI . 251
Les Republiques fortes , & lesperfonnages
excellens, entoutefortune tiennent un
cueurpareil, leur digni
té mesme.

Chapitre XXXI.

Ntre les autres chofes magnifi


ques que noftre Hiftorien fait di
re & faire à Camille pour repre
fenter l'image d'vn homme ex
cellent , luy met en bouche tel
les parolles :

Nec mihi dictatura animos fecit , nec exilium


Ademit .
La dictature ne m'a enflé le cucur , ne l'exil
abbaiffe .

En quoy fe void comme les grans perfonna


gesfont toufiours & en toute fortune euxmef
mes. Etfi elle varie ores en les eflcuant au plus
haut degré , ores en les iettant au bas , quant à
eux ilz ne changent : mais gardent leur ferme
té & conftance, entretenans toufiours leur fa
çon de viure , que chacun cognoit facilement,
que la fortune n'a aucun pouuoir fur telle ver
tu. Autrement fe portét les plus foibles eſpritz ,
lefquelz fenyurent en leur profperité , attri
buans tout le bien qu'ilz ont aux vertuz , dont
iamais n'curent cognoiffance,dont enfuit qu'ilz
II iij
21
DISC. DE NIC. MACCHIA.
deuiennent intolerables & acquierent la male
grace de tous ceux qui font à l'entour d'eux.
Dequoy vient apres la foudaine mutation de
fortune,laquelle auffi toft qu'ilz voyent telle en
face,à l'inftant tombent en l'autre deffaut , aui
liffans & pérdans le courage. Dequoy auiét que
les Princes qui font telz,foy trouuans en aduer
fité,péfent plus à fuyr, qu'à eux deffendre, com
me ceux qui ayans mal vfé de leur bonne fortu
ne ne font difpofez ne preparez à aucune def
fenfe. Cefte vertu , & ce vice , que ie dy eſtre en
vnhomme feul fe trouue auffi en vne Republi
que:comme les Romains & les Venitiens don
nent exemple, dont les premiers ne furent onc
ques abbatuz pat aduerfité qui leur peut aue
nir, ne par profperité plus infolens , comme af
fez le monitterent apres leur route de Cannes,
& apres leur victoire contre Antiocus . Car pour
cefte deffaire fi griefue, comme celle qu'ilz pou
uoient compter pour troificſme , ilz n'abbaiſſe
rent leur haut courage, enuoyerent leurs armees
dehors , ne voulurent racheter leurs prifonniers
contre leur loy & couftume , ne depefcherent
Emballade vers Annibal, ny à Cartage pour re
querir la paix.Mais mettans arriere toutes telles
lafchetez, penferent toufiours à la guerre, armas
les vieilles gens & leurs ferfz à faute d'autres.
Dequoy auerty Anno Cartaginois (comme def
fus a efté dit ) declara au Senat le peu d'eftime
qu'ilz deuoient faire de la route de Canes.Ainfi
cognoit on que le temps contraire n'amoindrit
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 252
oncques leur magnanimité , auffi peu les efleua
leur felicité en outrecuy dance. Antiocus en fait
foy, lequel enuoyant fes Embaffadeurs deuers
Scipion porter parolle d'accord, auat la bataille
qu'il perdit. Scipion luy impofa certaines con- Antiocus
ditions de paix:c'eft à fcauoir qu'il fe retiraft de- vaincupar
dans la Syrie, laiffant le reste à l'arbitre des Ro- les Ro
* mains, ce que refufa Antiocus. Depuis la iournce mains.
perdue renuoya derecheffes Embaffadeurs vers
Scipion , auecques commiffion d'accepter tou
tes les conditions du vaincueur. Aufquelz il ne
propofa autres conuenances , que celles qu'il a
uoit offertes auant la victoire,leur difant:

Quòd Romani fi vincuntur,non minuuntur animis,


necfi vincunt,infolefcere folent.
Que les Romains , pour perte, ne perdent le
courage , ne pour victoire font tranſportez de
fierté & outrecuidance.

Le contraire a efté cogneu és Venitiens , lef- Infolence


quelz en leur bonne fortune ( penfans l'auoir des veni
gaigné par vertu qui n'eftoit en eux) monterét tiens.
en telle infolence , qu'ilz nommoient le Roy
de France filz du faint Marc , ne faifoient efti
me de l'Eglife , ne de Capitaine aucun de l'Ita
lie, & conceuoiét en leur cueur vne monarchie
pareille à la Romaine. Depuis que fortune les
eut abandonnez , & qu'ilz furent demy rom
puz à vaila par le Roy de France , non feule
ment perdirent leur eftat par rebellion , ains en
II iiij
DISC. DE NIC, MACCHIA , SVAL
IAEA
liurerent bonne part és mains du Pape & du ཁ་ས་༥ ཁཝན
Roy d'Espagne par pufillanimité:voire tant for orre
tirent hors des gondz , qu'ilz enuoyerent vers
l'Empereur foffrir tributaires , efcriuirent let
tres au peuple pleines de lafcheté & d'humili
té,pour le mouuoir à compaffion . A laquelle in
felicité tomberent en quatre iours, & apres vne
demie deffaite : parce que leur oft ayant com
battu, & enfoy retirant venant à combattre,il y
fut rompu enuiron de fa moytié : tellement que
I'vn des pouruoyeurs qui fe fauua, arriua à Ve
ronne auecques plus de xxv. mil hommes , tant
de pied que de cheual . En forte, que fily eut eu
à Venife & en fon ordre quelque qualité de ver
tu,facilement elle eut peu fe refaire, & derechef
monftrer cătrecarre à fortune, & venir à temps
de vaincre,ou de perdre plus glorieufement, ou
de faire accord plus honnorable : mais faute de
cueur,procedant de la faute de leurs ordres im
pertinens au faict de la guerre,leur fit à vn coup
perdre l'eftat & le courage. Ce qui auiendra
toufiours à quiconque fe gouuernera comme
eux. Car cefte infolence en la faueur defortune
& perte de cueur en fa cótrarieté naiffent de no
ftre nourriture & maniere de proceder, laquel
le eftant vaine & debile nous rend femblables
à elle: eftant meilleure, elle nous rend autres. Et
nous faifant plus cognoiffans & praticz du mō
de, moins nous induit à efiouir du bié & moins
à contrifter du mal . Or ce qui fe dit d'vn feul fe
dit de plufieurs , qui viuent en vne mefme Re
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 253
publique,lefquelz formeten eux telle profectio
que porte l'vlage & police d'icelle . Et encores
que l'ay dit en autre lieu, que le bon ordre de la
guerre eft le fondement de tous eftatz ou Sei
gneuries, & qu'au lieu où il defaut , ne peuuent
les loix eftre bonnes,ny autre chofe quelcoque ,
il ne me femble fuperflu de le retoucher : d'autát
qu'à tous propos en la lecture de cefte histoire
fe void apparoir cefte neceffité. Et comme la di
fcipline des armes ne peult eftre bonne fans l'e
xercice, & comme elle ne fe peult exercer,finon
entes fubietz:au moyen que l'on n'eft pas touf
ioursen guerre,& eft impoffible d'y eftre, pour
tantfy fault exercer au temps de la paix , & de le
faire à autres qu'à tes fubietz la defpence ne le
fouffriroit.

Or eftoit allé Camille ( comme nous diſions


cy deffus) contre les Tofcans, & fes gens, voyás
la grandeur de l'armee de leurs ennemys , fe
ftoyent fort efpouuétez , penfans eftre trop peu
pourfouftenir vn tel effort. Et venat cefte mau
uaife difpofition du camp iufques aux oreilles
de Camille,ilfort, & fe pourmeine puis ça puis
là,en deuifant aux vns & aux autres:fi bien qu'il
leur tira cefte opinion de la tefte: Et fans doner
autre ordre en fon camp ,leur diſt:

Quod quifque didicit aut confueuit ,


faciet.
Chacun fera ce qu'il a aprins, ou accouftumé.

Qui bien confiderera ce point & les parolles


DISC. DE NIC. MACCHIA .
dont il vfa pour les animer à marcher contre
leurs ennemys, péfe, que telles chofes ne fe pou
uoient faire ne dire en vne armee, que parauant
n'euft efté ordonnee & exercee en paix , & en
guerre.Car vn Capitaine ne peult auoir confiá
ce en gens mal apris , ne croyre qu'ils puiffent
faire beau fait. Et quand vn nouueau Hannibal
leur commanderoit, encores feroit il ruïné def
fous:car poffible n'eft que durant la iournce le
Capitaine foit par tout . Si donq' il n'a premier
ordonné de pouuoir auoir gens en toutes les
parties de fon armee,qui ayent fon efprit, & fil
ne les fçait bien renger en bataille, & ordonner
out fon fait,il eft force qu'il fe ruïne . Si donc
ques vne Cité eft armee, & ordonnee come Ro
me,& que chacun iour conuienne à fes Citoyés
en particulier,& publique, faire preuue de leur
vertu & de la puiflance de Fortune, toufiours a
uiendra qu'en toute condition de temps ils fe
ront d'vn cueur & maintiendront leur dignité,
Mais ceux qui feront defarmez, &ne fapuyront
que fur l'effort de Fortune , non fur leur propre
vertu,ils varieront,& tourneront quant & elle,
donnans tel exemple d'eux que les Venitiens
ontfaict.

Quelz moyens aucuns ont tenupourtrou


bler une paix.

Chapitre. XXXII.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 254
Es Circees , & les Velitres, deux Circees.
colonies.eftans rebellees contre Velitres.
le peuple Romain, foubs efpera
ce d'eftre defendues par les La
tins , depuis eftans les Latins
vaincuz, & cefte efperance faillie, plufieurs des
Citoyens confeilloient que l'on deuft enuoyer
Embaffadeur à Rome pour fe recommander
au Sehat. Lequel party fut troublé par ceux qui
auoient efté auteurs de la rebellion , crai
gnans que toute la punition retombaft fur leurs
teftes.

Et pour mettre foubs le pied tout propos de


paix,inciterent la commune à foy armer, & cou
rir les limites Romains . Auffi,à la verité, quand
Vous voudrez qu'vn peuple ou vn Prince retire
du tout fa fantafie de quelque accord , il n'y a
moyen plus vray ne plus feur, q de luy faire vfer
de
quelque tour outrageux contre celuy auec
quesquitu ne veux q l'accord fe face . Car touf
jours l'on eflögnera la peur de punitio, qu'il luy
femblera auoir merité par faute cómife . Apres
la premiere guerre que les Cartaginoys curent Cartagi
contre les Romains , les Soldatz, qui par les Car- nois.
taginoys y auoyent efté employez en Sicile , &
Sardaigne , la paix faire , f'en allerent en Afri
que , là où n'eftans payez & fatisfaitz de leur
folde , tournerent les armes contre les Cartagi
noys & foubs la conduite de deux Capitaines
qu'ils firent entre eux . Matho e Spendio, empor Matho
terent plufieurs places , & plufieurs en faccage- spendio.
DISC . DE NIC. MACCHIA . STA
rent.Les Cartaginoys , pour tenter premier tou aly
don
te autre voye que de bataille , enuoyerent vers ebon
eux Embaffadeur Afdrubal leur Citoyen , pen Car
fans qu'il auroit quelque autorité fur ceux de tre
qui il auoit au parauant efté Capitaine . Quand conui
il fut arriué, spendio Matho voulás obliger tous
les Soldatz à n'efperer iamais de paix auecques zoor,
les Cartaginois, & partant les contraindreà fai adec
re guerre,leur perfuaderet eftre le meilleur met
Afdrubal tre à mort Afdrubal , & tous les Citoyens de
Cartage , que lors ils tenoient prifonniers . Ce
qu'ils ne firent feulement : ains par mille cruau
tez les tormenterent, puis ajoufterét à ce lafche
tourvn edict, que tous les Cartaginois quià l'a
uenir tomberoient entre leurs mains , feroient
traitez en cefte forte . Laquelle deliberation &
execution rendit cefte armee cruelle & obftinee
contre les Cartaginois .

Comme il eft neceſſaire, à qui veult gaigner laba


taille,mettefon armee en aſſeurance &
confiance,tant entre eux,qu'enuers
· leur Capitaine.

Chapitre XXXIII.

Vi veult qu'vne armee emporte


la victoire, fault luy donner vne
perfuafion & parfaite confiance,
qu'il ne foit poffible que la iour
nee leur eſchape . Les moyens de
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 255
la luy donner telle,font, de les tenir bie armez,
& en bonne ordonnance , ſe connoiſſans I'vn
l'autre: Car ceft ordre & affeuráce ne peult eftre
qu'entre les Soldarz nez & accouftumez enfem
ble: conuient que le Capitaine foit eftimé de
qualité pour auoir foy en fa prudence : & trop
fy front, quand ils le verrot toufiours en point,
plein de cueur, & de foucy,bien tenant fon reng
& la majefté de fon degré, laquelle il maintien
dra affez,fil punift les delinquans , fil ne trauail
le fes gens en vain, leur tiene fes promeffes , leur
moftre facile la voye de la victoire, & fi les cho
fes quileur y pourroient monftrer quelque pe
rililleur celle & cache, ou les diminue & decla
re eftre beaucoup moindres.Ces points bié gar
dez donnent gråd raiſon à vn oft de confier, &
en confiant de vaincre . Les Romains en ce cas
pour donner cefte affeurance à leurs gens , y al
loient par voye de religion . A cefte caufe creoy
ent leurs Confulz, faifoient les monftres , mar
choient en païs, entroient en bataille , le tout a
uecques Augures,& Aufpices: fans quoy vn bó Aufpices.
&fage Capitaine n'euft atenté aucun affaire, iu
geant fe mettre en trop grand dager de perdre,
fileurs Soldatz n'entendoient que les Dieux fuſ
fent de leur cofté.Et au cas que le Coful, ou au
tre chef, euft combatu contre les Aufpices , ils
l'euf
Pulchfent puny , comme ils punirent Claudius
er . Et combien que ce point foit manife.

fte en toute l'hiſtoire Romaine , il eft le mieux


prouué par les paroles , dot vſe Tite Liue par la
DISC. DE NIC. MACCHIA.
bouche d'Apins Claudius . Lequel fe plaignant
au peuple de l'infolence des Tribuns de la có
mune, & monftrant que pat eux les Aufpices &
autres chofes concernans la religion fe corrom
poient,dit:

Eludant nuc licet religionem . Quid enim eft,fi pul


linonpafcentur?fi ex cauea tardius exierint ?fi occi
nuerit anis ? Parua funt hæc ,fedparua ifta non con
temnendo,maiores noftri maximam hanc Rempu.fece
runt.
Propos de Or fe moquent tant qu'ils voudront de la re
Appins ligion . Que fera ce fi les poulletz nepaiffent?
Claudius, fils fortent trop tard de leur cage ? fi quelque
oyſeau nous chante mal ? Ce font vrayement
petites chofes : mais noz anceſtres en ne conté
nant telles petites chofes , ont fait cefte Repu
blique figrande qu'elle eſt.

Pourtant qu'en telles chofes legeres gift la


force de tenir les Soldatz vniz & affeurez , qui
eft la premiere & principale caufe de route vi
&
toire . Bien eft vray qu'il fault que vertu les ac
compagne , fans laquelle elles feruiroient bien
peu. Les Prenestins eftans aux champs en armes
contre les Romains , fallerent loger pres du
feuue d'Allia, où autresfoys les Romains furēt
defaitz par les Françoys . Ce qu'ils firent pour
donner confiance à leurs Soldatz, & efpouuen
ter les Romains par la fortune de ce lieu . Et cō
bien que ce party pris par eux foit louable par
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 256
lesraifons deffus difcourües : neantmoins l'yf
fue du fait defcouure que vraye vertu ne redou
te telz accidens legers . Comme l'hiftorien dit
trefbien par la bouche du Dictateur parlant au
maiftre de fa Caualerie:

Vides tu fortuna illos fretos adAlliam confedif


ferat tu fretas armis animifque inuade mediam a
слеть.

Vois tu comme ils fe font campez au bord


d'Allie,par cōfiance en la fortune du lieu : mais
Vousfur l'appuy de voftre hault cueur & armes,
allez moy charger leur bataille.
Car vne vraye vertu ,vn bon ordre,vne affeu
rance prife de tat de victoires ne fe peult eftain
dre par chofes de peu d'effait, chofe vaine ne les
eftonne,le defordre mefme ne les offenſe,come
il fe voit certainement , qu'eftans deux Manlius
Confulz cótre les Volfces , qui, enuoyé vn iour
partiede leur camp au fourrage, & pillage,auinc
qu'en mefme temps tant ceux qui y eftoyent al
lez,que ceux qui eftoient demeurez foy trouue
rent affiegez.Et de ce peril ne les deliura la pru
dence des Cofulz:mais la propre vertu des Sol
datz auquel endroit dit Tite Liue:

Militum etiamfine rectoreftabilis virtus tutata eft.

Laferme vertu des Soldatz les fauua fans co


ducteur.
DISC. DE NIC . MACCHIA .
Je ne veux oublier les termes dontvfa Fabim
quand il entra nouuellement en Toscane : iu
geant cefte affeurance eftre plus neceffaire à vne
armee venant en païs nouueaux cótre nouueaux
1 ennemys . Dont parlant à eux auant la bataille,
apres plufieurs propos qui les pouuoiet mettre
en eſpoir de victoire, leur dift , qu'il leur pour
roit bien dire encores certaines bonnes choſes,
par lesquelles ils connoiftroient la victoire en
leur main,fil n'y auoit danger à les manifefter.
Lequel moyen fi fagemét pratiqué merite auffi
d'eftreimité.

Quelle renommee, voix,ou opinion induit lepeuple


àfauorifer un Citoyen: Et lequelparplus gran
deprudence diftribuer les Magiftratz & "
offices,lepeuple, ou le Prince.

chapitre XXXIIII.

Vtresfoys auons nous parlé com


Pieté de
me Titus Manlius ( qui depuis fut
Manlius
furnomé Torquatus ) fauua L.Man
Torquatus .
lius fon pere, d'vne accuſation fai
te corre luy pat Marcus Pomponius
Tribun de la commune. Et combien que la ma
niere de cefte deliurance fuft aucunement vio
lente & extraordinaire, neantmoins cefte pieté
& affection filiale fut fi agreable à vn chacun,
que tant fen falut qu'il en fuft repris , qu'à l'e
lection
SVR LA I. DECA. DE TÍT. LI. 257
lection des Tribuns des legions Titus Manlius
futcreé le fecond . Par ce fuccés i'cftime digne
de confideration le moyen que tient le peuple
au iugement qu'il fait des hommes es diſtribu
tions de fes offices , pour connoiftre fil eft vray
cequ'auons conclu cy deffus , que le peuple eft
meilleur diftributeur que le Prince . Orie dy,
quele peuple en fa diftribution fuit du tout le
bruit commun qui court d'vn perfonnage quad
il nele connoift autre par fes œuures ordinai
res,ou par prefumption, ou opinion qu'il ayt de
luy. Lefquelles deux font caufes , ou par leurs Caufes de
peres,
s , qui ont efté fi grans perfonnages , tenuz reputation.
pour fi vaillans en la Cité , qu'ils font croyre La ÿ.
leursenfans leur eftre femblables, iufques à tant
que parleur vie il aparoiffe du cótraire . Ou elle
eft caufee par la forme de viure que tient celuy
de qui l'on parle . Les meilleurs moyens dont
l'on puiffe vfer ,font eftre accompagné de gens
graues , bien conditionnez , & qui ont gaigné
reputatio de fageffe. Car on ne peult tirer meil
leur indice d'vn homme , que par la compagnie
qu'il frequente , & merite bien bonne renomee
celuy qui la fuit honnefte : d'autant qu'il eftim
poffible que l'on ne tienne quelque conformi
té de ceux que l'on hante. Ou bien cefte opinió La iij.
facquiert par quelque action extraordinaire, &
notable (voyre
qu'elle foit priuee ) laquelle te
fuccede à ton honneur.Mais
de toutes ces troys

chofes qui donnent au commencement bon


ne reputation à vn homme,la derniere la donne
KK
1
DISC. DE NIC. MACCHIA
Trop plus grande que les autres . Car celle qui
defcend des parens & ancestres eft faulle &
abufiue , par ce que les hommes le laiffent per
dre, & en peu de temps elle fe confume, quand
elle n'eft accopagnee de la vertu propre de ce
luy , de qui l'on veult faire iugement . La fecon
de , qui te fait connoiftre par le moyen de tes
pratiques & conuerfations , eft meilleure que
la premiere : mais eft beaucoup moindre que la
tierce:par ce que iufqu'à ce que l'on voye quel
que figne fortant de toy , ta reputation demeu
re fondee ,fut l'opinion laquelle eft facile à de
faire & effacer.Mais cefte tierce eftant comman
cée , & fondée fur tes cuures , fait fortir de toy
& efpandre tel renoi , qu'il te fauldroit apres
commettre beaucoup de cas contraires auant
que tu la peuffes perdre & aneantir.Ceux donc
ques qui viuent en vne Republique doiuent te
nir ce moyen , & feftudier à fefleuer par quel
que acte extraordinaire . Ce que plufieurs en
leur ieuneffe ont fait à Rome,ou par promulga
tió & publicatió d'vne loy, qui reuint à l'vtilité
commune,ou par accufation d'vn des plus grás
& plus puiffants de toute la Cité , qu'ils char
geoient d'auoir tranfgreffe les loix : ou par tel
les autres chofes notables & nouuelles , dequoy
il eftoit parlé & fait mention . Voyre non feu
lement telles chofes font neceffaires à commen
cer la reputation des perfonnes , ains à la main
tenir & accroiftre . Et à le vouloir ainfi faire il
les fault renouueler comme fit Titus Manlius
IVR LA I DECA. DE TIT. LI. : 258
par tout le temps de fa vie . Lequel apres auoir Trois actes
defendu fon pere fi vertueufement & extraor. extraordi
dinairement , & acquis par tel acte commence - naires de
ment de reputation , quelques ans apres il con- Titus Man
batit le Fráçoys,auquel il ofta le colier d'or, dót lineTorqua
il emporta le nom de Torquatus . Ce ne luy tw.

fuffit: mais depuis eftant en maturité d'aage tuá


fon propre filz,qui auoit combatu fans fon cont

gé,combien qu'il cuft vaincu fon ennemy.


Lefquelz trois actes luy gaignerét plus dere
nom & le rendent plus eftimable, que le triom
phe, ny autre victoire quelconque , dont il fut
atant orné , qu'autre Capitaine Romain. La rai.
fon eft,par ce qu'en telles victoiresManlius trou
ua affez de femblables:mais en ces actions parti
culieres,il n'en a gueres eu ou nul du tout.
Tous les triomphes de Scipion ne luy aquiret Deux actes
jamais tant de gloire & honneur , que fit la de de Scipion
fenfe de fon pere fur le Tefin en fa premiere notables.
jeuneffe , & depuis apres la route de Cannes fi
vertueufement l'efpee nue contraint vn nom
bre de ieunes Romains à iurer , qu'ils n'haban
donneroient l'Italie , comme ils auoient defia
deliberé & propofé enfemble. Et ces deux actes
furent commencemét de fon hault bruit, & luy
firent efchelle aux triomphes d'efpagne, & d'A
frique . Ce qu'il acreuft encores depuis quand.
il renuoya en Espagne la fille au perc,& la fem
the au mary. Or ce moyen de proceder n'eft pas
feulement neceffaire aux Citoyens , qui tendent
gigner los & reputation pour paruenir aux
KK ij
T
BADISC. DE NIC. MACCHIA.
honneurs de leur Republique : mais auffi fert
grandement aux Princes pour maintenir leur
reputation enuers leurs fubietz: Car il n'y arien
qui tant les face cftimer,que de monftrer de foy
quelques rares exemples en faitz , ou en ditz ra
res ,& conformes au bien commun , leſquelz
donnaflent teſmoignage de la magnanimité, li
beralité , ou iuftice du Seigneur : mefmement
eftant le mot tel , qu'il fut tiré en prouerbe en
tre fes fubietz . Mais pour retourner au premier
propos de ce difcours , ie dy que le peuple,
quand il commence à donner vn degré à quel
qu'vn de fes Citoyens , foy fondant fur les trois
caufes deffufdites,il n'eft mal fondé: Mais quád
apres plufieurs exemples du bon gouuernement
d'vn perfonnage donnent plus certaine cónoif
fance de luy , il fe fonde encores mieux : car en
tel cas il n'eft pas bien poffible qu'il fabule. Or
parle je feulement des degrez qui fe donnét du
commencement aux hommes , auant qu'on ayt
d'eux ferme experiéce, ou qu'ils ayent paffé d'v
ne action à autre contraire.En quoy, & quant à
la fauſe opinion , & quand à la corruption , ils
commettront moins de faute que les Princes.
Et pource qu'il peult auenir que les peuples fa
buferoient de la renommee,de l'opinion, & des
deuures d'vn homme,les eftimat plus que la ve
rité:ce qui n'auiendroit à vn Prince, à caufeque
il luy feroit declaré & remonftré par fon cófcil,
à fin que les peuples n'euffent faute de tel cófeil,
les bons ordonneurs & eftabliffeurs de Repu
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 259
bliques ont ordonné que quand on viendroit à
creer les plus hautz & fouuerains degrez de la
1
Cité,ou feroit dangereux de conftituer gens no
capables & fuffifans , & voyans la volonté po
pulaire tournee vers quelque infuffifant , eftoit
loyfible à chacun Citoyen voire tenu à gloire,
de publier en pleine concion les defectuofitez
d'icelles,afin que lepeuple en ayant conoiffan
cepeuftaffeoir meilleur iugement. Et que telle
vfance fuft à Rome, affez le tefmoigne l'oraiſon
de Fabius Maximus qu'il fit au peuple en la fe
condeguerre Punique, quand en la creation des
Confulz les faueurs tournoient vers Titus o&a
cilius,lequel Fabius connoiffant infuffifant pour
gouuerner le Confulat en telle faifon,parla con
treluy, & defcouurit fon infuffifance, tellement
qu'il luy tollit ce degré , & deftourna la faueur
populaire vers autre qui mieux la meritoit . Les
peuples doncques en l'election des Magiftratz
jugent felon les fignes qui fe peuuent tirer plus
veritables des hommes, & quand ils peuuent e
ftreconfeillez comme les Princes, ils errent be
aucoup moins . Et le Citoyen , qui veult com
mécerà auoir la faueur dupeuple, la doit pour
chaffer
Ma pour quelquefait notable comme Titus
nlius.
1

KK iij
J. DISC. DE NIC. MACCHIA.
Combien eft dangereux fe porter chef de confeil
de quelque entreprinfe , & commed'autant
plusqu'ily a d'extraordinaire ,plus
grandy eft leperil

Chapirre XXXV.
3:31
Ombien y a de danger à foy faire
chef d'vne , chofe nouuelle qui
concerne plufieurs , & quelle diffi
culté y a à la manier & à là con,
duire, & conduite l'entretenir, fe
roit trop longue & haute matiere à difcourir.
Pourtant la referuant à lieu plus conuenable,
feulement parleray du peril où le mettent les
Citoyens , ou ceux du conseil d'vn Prince , fe
faifans chefz d'une deliberation graue &impor
tante, enforte qu'on en remette fur luy tourle
fucces . Par ce que les hommes iugent les affai
res par la fin, laquelle eftant contraire , tout huy
eft imputé. Vray eft quefuccedant bonne,l'au
teut y a quelque honneur : mais trop fen fault
que la recompenfe, vienne au contrepoix du
dommage . Sultant Saly regnant à preſent , dit
le grand Turc, eftent preft & appareillé ( felon
que nous raportent aucuns qui viennent de ces
païs ) de faire l'entrepriſe de Sirie, & d'Egypte ,
fut confeillé par vn de fés Bachaz , lequel tenoit
les confins de Perfe , d'aller contre Sophi . Suy
pant lequel il y alla en groffe puiffance , & arri
uant au païs , qui eft de grande eftendue , où
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 260
font force defertz & peu de riuieres , fe trou
uant es difficultez qui iadis ont ruïné mainte ar
mee Romaine , en fut tellement opprimé, que,
combien qu'il cuft le meilleur des armes , il y
perdit grand' partie de fes gens par pefte & fa
mine: dont il conceut tel courroux contre l'au
teur de ce confeil, qu'il luy coufta la vie.
On lit de plufieurs Citoyens , qui, comme
autheurs d'entreprise de manuaife y fue , ont e
té enuoyé en exil . A Rome aucuns Citoyens.
Romains furent d'auis, que l'on creaft vn Con
fulextrait de la commune , & auint que le pre
mier qui fortit dehors en armes fut deffait. Dót
cuft mal pris à telz Confeillers , fi la partie, en
l'honneur de laquelle la deliberation auoit efte
faite , n'euft eu lors grand pouuoir. C'est donc
ques chofe certaine que ceux qui donnent con
feil à vneRepublique , ou à va Prince , font en
cefte perplexité , que fils ne leur confeillent
chofes qui femblent eftre à l'vtilité de la Cité,
ou du Prince , fans refpca , ils ne font leur de
uoir: S'ils les leur confeillent,ils entrent en pe
ril de leur vie ; & eftat : par ce que tous les hu
mains font queugles en ce qu'ils jugent tout
confeil bon ou mauuais , par fon yffue . Or pour
confiderer en quelle maniere on pourroit cuiter
cefte infamie ,ou ce dager : ie n'y voy autre voye
que de prendre les chofes moderément , fans
porter le faiz de l'entrepriſe & dire fon opinió,
fans foy paffionner , & auecques pareille mode
ticla fouftenir & defendre. En forte q fi la cité
KK ij
DISC. DE NIC . MACCHIA.
ou le Prince la fuit, qu'il la fuiue de fon gré,
fans qu'il femble y eftre tiré par ton importuni
té . Car il ne feroit raisonnable qu'vn Prince,
ou vn peuple , te voufiffent mal pour ton con
feil,qui auroit efté pris du cofentement de plu
fieurs.Mais le danger eft en celuy, quia eftéfort
debatu , duquel apres la fin mal fortunee rend
les contredifans concurrens à ta ruïne . Et fi en
ce cas ſe perd la gloire que celuy aquiert qui
tient feul vne opinion cotre tous, laquelle vient
à bonne fin, auffi en recompenfe y a deux biens:
Le premier d'eftre hors de danger : le ſecond,
que fitu conſeilles vne chofe modeftement, &
que par contredit ton confeil ne foit fuiay , &
qu'il en auienne quelque dommage,il t'en vient
grand honneur . Et combien que la gloire , qui
fort des maux de la Cité, ou de ton Prince,ne te
donne de foy grand' iouïffance , fi en doit on
tenir quelque conte . Ie croy que l'on ne fçau
roit donner à homme autre confeil en ce cas:
Entant que qui feroit d'auis qu'ils fe teuffent,
fans dire leur opinion , feroit contre l'utilité de
la Republique , ou de leurs Princes , & fi ne ſe
mettoient hors de peril : par ce qu'en peu de
temps ils deuiendroient fufpectz , voire leur en
pourroit auenir come aux amys de Perles Roy
de Macedone.Lequel ayant efté defait par Pan
lus Emilius , & eftat en fuite accompagné d'au
cus de fes amys,auint à l'vn d'eux en remébrant
les chofes paffees de remettre à Perfes deuant
les yeux plufieurs fautes par luy commiſes , qui
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 261
auoient efté cauſe de fa ruyne. Auquel dit Per- Exeple de
fes fe retournant vers lay:Ha traiftre ! me l'as tu n'auoir do
gardé à dire maintenant qu'il n'y a plus de re- né confeil.
mede ? Et fur ce le tua de fa propre main. Ainfi en temps.
porta il la peine de feftre tenu coy , lors qu'il
deuoit parler,& d'auoir parlé quand il ſe deuoit
taire,& n'euita pas le danger pour n'auoir don
né confeil : Parce croy ie que ce diſcours eft
bien à garder & obferuer,

La caufepourquoy les François ont efté & ſont en


cores eftimez en une bataille du commen
cement plus qu'hommes, &apres
moins quefemmes..

: Chapitre xxxvi.

A fierté de ce François, le
quel aupres de la riuiere
d'Anien appelloit au com
bat les plus braues des Ro
mains , apres le cobat paf
fé entre luy & Titus Man- Nature du
lius , meremet en memoi- Fraçois an
re ce que Tite Liue a dit plufieurs fois : que les combat.
Gaulois à l'entree du combat font trop plus que
hommes , & fur la fin deuiennent moins que
femmes. Et penfant d'où ce peut proceder, plu
fieurs croyent que leur nature foit telle , ce que
i'eftime eftrevray. Mais celà n'emporte que ces
fte nature qui les tient fi fiers au commence→
DISC. DE NIC. MACCHIA.
ment,ne fe puiffe par art dreffer & façonner,en
forte qu'elle les maintienne en leur fierté iuf
Trois ma- ques à la fin, Et pour le pronuer ie dy , qu'il y
nieres on a trois manieres d'armees : L'vne , où y a fureur
qualitez & ordre (car de l'ordre fort la fureur & vertu)
darmees. comme eftoit celle des Romains , en laquelle
Lapremie- on void en toutes les hiftoires qu'il y auoit vn
re. bon ordre , qui de longue main y auoit.mis &
introduit vne difcipline militaire : Car en vn
oft bien ordonné nul ne doit rien faire que par "
reigle. Auffi fe trouuera qu'au camp des Ro
mains ( defquelz comme vaincueurs du mon
de tous autres doiuent prendre exemple) on ne
mangeoit, on ne dormoit, on ne marchandoit:
brief, nulle action militaire ne domestique ne
fy faifoit , fans ordonnance du Conful : car les
armees qui en yffent autrement ne font vrayes
arinees , & fil cri fort quelque acte de preuue,
c'eft par fureur & impetuofité qu'elles le font,
non par vettu : Mais où la vertu eft ordonnee,
elle exerce fa fureur par moyens & auecques le
temps. Et ne peut fourdre difficulté aucune qui
Fabatte & luy face perdre le cueur , à caufe du
Th bon ordre qui leur rafraifchift & renforce le
Jasescourage nourry d'efperance de vaincre laquelle
ne faut jamais tant que les ordres font entiers.
La feconde Au contraire auient és armees où la fureur do
maniere. mine & non l'ordre, comme eftoient celles des
François,lefquelz toufiours defailloiét au com
bat: Au moyen que ne leur fuccedant la victoi
reen leur premier effort, & la fureur, en laquel
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 262
le gifoit leur efpoir , n'eftant fouftenue de verru
ordonnee, auenoit que n'ayans hors d'icelle au
cune autre confidence , fi toft qu'ilz eftoient
refroidiz, c'eftoit fait d'eux. Au contraire les Ro
mains redoutans moins les perilz , à caufe de
leur bon ordre , fans auoir deffiance de la vi
ctoire , de mefme cueur & mefme vertu com
battoient fermes & obftinez , autant en la fin
qu'au commencement : voire tant plus eſtoient
ilzagitez des armes ,plus ilz f'enflammbient.La
tierce qualité des armees eft celle , où n'y a fu- La iÿ.ma
reurnaturelle,ny ordre accidental, comme cel- niere.
les de noz Italiens , lefquelz font du tout inuti
les, & ne vaincront iamais,fi elles ne fembatent
fur vne autre , que quelque accident mette en
faire.Dequoy , fans en amener autres exemples,
l'on void affez chacun iour quelle preuue ilz
font de vertu. Orà fin que par le temoignage
de Tite Liue chacun entende quelle eft la bon
nedifcipline de guerre , & quelle eft la mauuai
fegie veux alleguer le propos de Papirius Curfor Papirim
alors qu'il vouloir punir Fabius maistre de la Curfors
Caualerie, quand il dit: Honu lai
1 Jel tiol :
Nemo hominum, nemo deorum verecundiam ha
bear, non edifta Imperatorum, non aufpicia obferuen
tur,fine commeatu vagimilites in pacato , er in how
ftico errent , immemores facramenti licentiafola ubi
velint exauctorentur , infrequentia deferantur fi –
gna, neque conueniatur ad edictum , nec difcernatur
inter diu, nocte, aquo , in que loco , iniuſſu imperato
DISC. DE NIC, MACCHIA.
rispugnent, nonfigna , non ordinesferuent , latrocini
modo caca , &fortuita , pro folenni & facrata mi
litia fit.

Les points Que nul ne porte plus refpect ny aux hom


de la difci- mes,ny aux dieux, que plus les editz du chef &
pline de coronal , & les aufpices ne foient obferuez , les
guerre. foldatz allent errans & vagabonds, tant en païs
paifible, qu'ennemy , fe caffent quand ilz vou
dront à leur plaifir,mettans leur ferment en ou
bly, que les enfeignés demeurét fenles fans eftie
fuiuies, plus on ne faffemble à l'edict & man
dement , fans qu'on ait efgard fi de iour ou de
nuict, en lieu auantageux ou defauantageux, ou
combattre fans commandement du Capitaine,
que l'on ne garde plus les régz ne les enfeignes,
foit la guerre,au lieu d'eftrefolennelle, & facre,
defordonnee , inconfideree , & conduite à l'a
uenture én guiſe de briganderie..
L'on peut donques facilement voir en ce paf
•A.
fage,fidvfance de guerre de noftre teps eft fans
loy neraifon conduite à la fortune, ou fi elle eft
facre & folennelle : & combien il fen faut que
elle ne foit femblable à celle qui fe peut dire
vraye guerre Et combien auffi elle eft eflon
gace de la furieufe & ordonnee, comme la Ro
maine , ou de la furieuſe ſeulement , comme la
Françoife.
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 263
Afcauoirfi les efcarmouches & legers conflitz
font neceffaires, quel moyeny afans iceux
de cognoistre un ennemy nouueau.

chapitre XXXVII.

Lfemble qu'és actions des hommes


(comme autresfois auons diſcouru )
outre les autresdifficultez qui fe treu
uent à acheuer vn affaire , que touf
joursy a quelque mal prochain à tout bien,lc
quel naift fi facilement quant & le bien, qu'il
femble impoffible de fexempter de l'vn en pre
nant l'autre.Ce qui fe void en toutes les chofes
que les hommes manient : tellement que tout
bienfacquiert à grand peine, fifortune tant ne
nous fauorife , que par la force elle furmonte ce
naturel & ordinaire inconuenient. Ce poinct
m'a remis en memoire le combat entre Manlius
Torquatus & le Françoys,là où dit Tite Liue:

Tanti ea dimicatio ad vniuerfi belli euentum mo- Tite Liue.


mentifuit: vt Gallorum exercitus, relictus trepidè ca
ftris,in Tiburtem agrum mox in Campania tranfierit.
Ce combat fut de telle importance à l'yffue
de toute celle guerre , que les Françoys effroye
ment laiffans leur camp pafferent auterroir de
Tiuoly,& toft apres en Campanie .

Pource que d'vne part ie confidere que tout

bon Capitaine doit cuiter à faire chofe de peu


DISC. DE NIC. MACCHI A.
de profit, qui puiffe caufer mauuais effect en foa
armee.Car commencer vn conflit, auquel on ne
defploye toutes fes forces , mais toute la fortu.
ne foit mife au hazard , eft acte de temerité cer
taine (comme ay declaré cy deffus ) où ie blaf
moye la garde des paffages. D'autre part ie re
garde que les fages Capitaines quand ilz vien
nent à l'encontre d'vn ennemy nouueau ,qui eft
de reputation,leur eft come neceffaire, premier
que venir à la bataille , faire efpreuuer telz en
nemis à leurs gens, par legers conflitz , afin que
commençans à les cognoiftre & manier,ilz per
dent la crainte & terreur, que le bruit & renom
mee leur auoit donné. Or eft ce poinct de tref
grande importance à vn Capitaine : parce qu'il
porte enluy quafi vne neceffité , qui te contrai
gne le faire, t'eftant auis d'aller en perte euiden+
te,fitu n'as auant par petites efpreuues ofté hors
de l'efprit de tes foldatz l'efpouuentemét qu'ilz
ont de leurs ennemis , au moyen de leur repu
Confeil de tation. Valerius Coruinus fut enuoyé par les Ro
Valerius mains contre les Samnites nouueaux ennemis ,
Corninus. qui n'auoient encores effayé les armes les vns
des autres , là où dit Tite Liue , que Valerius fit
faire aux Romains quelques legers conflitz.

Ne eos nòuumbellum,ne nouus hoftis terreret.


Afin que cefte nouueauté de guerre & d'en
nemy ne les efpouuentaft.

Neantmoins y a danger que tes gens , ayans


SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 264
du pire en telles rencontres , n'entrent en plus
grande frayeur , & que tes deffeins ne fortiffent
cótraire effect de leur faire perdre cueur,en lieu
de les affeurer. Ainfi eft ce poinct du nombre
de ceux, efquelz le mal eft fi proche du bien, &
font tellement liez & iointz enfemble , qu'il eft
aifé d'y prendre l'vn pour l'autre. Sur quoy ic
veux dire , que le Capitaine doit en toute dili
gence auifer, qu'il n'auienne rien, qui par aucun
accident puiffe abattre le cucur de fon armee.
Ce qui le leur rompt, eft commencer à perdre.
Parquoyfe doit garder de fes petites entrepri
fes,& ne les permettre,finon auecques fon tref
grand auantage, & certaine efperance de victoi
fe. Auffi ne doit entreprendre de garder vn pas,
où ilne pourroit tenir toute fa puiffance. Il ne
doit garder places que celles dont la perte por- Paradoxe
teroit la ruyne. Celles qu'il gardera luy faut or- de Mac
donner en forte, tant par la garnifon mifededás, chianel.
que par fon armee:que quand on viendroit à la
bataille,& vouloir prendre,il y puiffe employer
toute fa force, les autres doit laiffer fans deffen
fe. Car quand on vient à perdre vne choſe que
l'on auoit abandonné ,eſtant encores ton armee
entiere,la reputation de la guerre ne fe perd
point,ne l'efperance de vaincre. Mais quand tu
2 pers vne chofe que tu auois entrepris deffendre,
& que chacun le penfe,alors y a perte & doma
ge,& as quaficomme les François,par vne cho
fe de peu de cas perdu toute la guerre. Philippe Philippe de
de Macedone pere de Perfes,perfonnage belli- Macedone.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
queux & de grand prix en fon temps,fe voyant
affailly par les Romains , abandonna partie de
fes païs , qu'il cognoifloit ne pouuoir tenir , &
les gafta luy mefmes : iugeant comme prudent
eftre plus dangereux perdre la reputation pour
vneplace emportee fur luy,qu'il faifoit eſtat de
deffendre , que la perdre en la laiffant en proye
à fon ennemy , comme chofe dequoy il ne tinc
conte. Les Romains alors qu'apres la route de
Cannes leurs affaires alloient fi mal , refuferent
fecours à plufieurs de leurs fubietz & alliez,leur
mandant qu'ilz fe defendiffent au mieux qu'ilz
pourroient. Qui me femble trop meilleur con
feil , que d'entreprendre leur deffenſe & y de
meurer:d'autant qu'en ce party l'on perd force
& amis, en l'autre on ne perd que les amis. Or
pour retourner à ces petites rencótre, ie dy,que
fi vn Capitaine eft contraint pour la nouueauté
de fon ennemy faire quelque entreprinſe de le
gier conflit, il la doit faire tant à fon auantage,
qu'il n'y ait aucun peril , de la perdre , ou bien
vfer du confeil de Marius , encores meilleur, le
Confeil de
Marius. quel marchant à l'encontre des Cimbres , peu
ples trefbelliqueux , qui venoient piller l'Italie ,
& ia faifoient tout trembler par leur hardieffe
& nobre infiny, & par la victoire qu'ilz auoient
defia emporté fur les Romains . Marim iuges
neceffaire auant la bataille trouuer inuention ,
par laquelle il oftaft à fes gens la peur qu'ilz a
uoient de leur ennemy. Et comme trefprudent
Capitaine plus d'vne fois affit fon camp en lieu,
par
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 285
par où les Cimbres auoient à paffer,afin que fes
foldatz dedans leur fort accouftumaffent leurs
yeux à la veuë de ceft ennemy , & n'y voyans
qu'vne multitude fans ordre empefchee de ba
gage innumerable, la plufpart defarmez, les au
tres portans armes de peu de valeur,alors fe r'af
feuraffent & prinffent enuie de combattre, Ce
party fi fagement auifé par Marius , doit eftre
auffi diligemment imité par les autres, de peur
d'encourir les dangers que i'ay declarez , & fai
re comme les Françoys deffufditz. Or pource
qu'en ce difcours Valerius Coruinus a efté alle
gué , au chapitre fuiuant ie monftreray par fes
parolles quel doit eſtre vn Capitaine.

Quel doit eftre vn Capitaine , auquel vne


armee fe deuft fier.

Chapitre XXXV111
viii..

2
27. Alerius Coruinus eftoit ( comme Valerius
deffus auons dit ) campé contre Corninus
les Samnites ennemis nouueaux
du peuple Romain : là où pour
affeurer fes foldatz & leur don
ner à cognoiftre leurs ennemis , leur fit faire
quelques legieres efcarmouches. Ce ne luy fuf
fit , ains voulut bien auant la bataillé parler à
2 eux ,leur monftrant par grande efficace com
me ilz deuoient faire peu de conte de telles
gens, alleguant la vertu des fiens, fans y oublier
LL
DISC. DE NIC. MACCHIA.

la fienne propre. En quoy fe peut noter ( par


les parolles que Tite Liue luy fait tenir ) quel
les qualitez font requifes en vn Capitaine , en
qui vne armee peut auoir fiance. Lefquelles pa
tolles font telles :

Tum etiam intueri , cuius ductu aufpicióque in


eunda pugna fit , vtrum qui audiendus duntaxat
magnificus adhortatorfit , verbis tantumferox , ope
rum militarium expers , an qui & ipfe tela traita
re , procedere ante figna , verfari media in mole Pu
gnefciat : Facta mea,non dičta, vos milites,fequi vo
lo : nec difciplinam modo ,fedexemplum etiam àme
petere , qui hac dextra mihi tres Confulatus ,fum ·
mámque laudempeperi.

Qu'vn Ca Bien eft à confiderer fous la conduite de qui


pitainedoit l'on deuft entrer en bataille , ou fous tel, qui feu
eftre vail- lement le feroit ouyr comme magnifique ha
lant de fa rangueur ,haut à la langue, nouueau & ignorant
perfonne. en toute œuure militaire, ou fous celuy qui fcau
roit luy mefme manier les armes, marcher le pre
mier deuant les enfeignes , faire deuoir au fort
de l'eftour, le ne veux,foldatz, que fuyuiez mes
paroles , fuyuez mes faitz : Je vous prefente l'e
xemple quant & l'enſeignement & difcipline,
come celuy qui de ce bras ay acquis trois Con
fulatz auecques fouueraine loüange.
Lequel propos bien confideré enfeigne à
chacun comme il doit proceder pour tenir lieu
& degré de Capitaine.Et ce qui fera fait autre
SVR LA T. DECA. DE TIT. LI 266
ment fe verra auecques le temps luy tollir ce
degré ( auquel par fortune ou par ambition il
feroit paruenu) non pas luy donner reputation:
Car les tiltres de dignité n'honorent pas les ho
mes:mais les hommes les tiltres. Encores eft co
fiderer au commencement de ce difcours , que
les grans Capitaines ont vfé des termes extraor
dinaires, pour donner cucur & affeurance à vne
armee des vieilles bandes , quand ilz deuoient
affronterennemis non accoustumez : combien
y auroit plus de raifon à vfer de telle induſtrie,
quand on a à commander à vne armee neufue,
qui iamais ne vid ennemy en face. Car fi l'en
nemy non vfité efpouuente & donne terreur
aux vieilz foldatz , pluftoft le donnera quelque
ennemy que ce foit à gens neufz & non aguer
ris. Neantmoins ont efté veuës fouuentesfois.
toutes ces difficulteż vaincues par la fouueraine
prudence des bons Capitaines: come par Grac- Gracchus
chus Romain, & Epaminondas le Thebain : def Epami
quelz auons autresfois dit , qu'ilz ont auecques nondas.
armces neufues desfait vieilles armées experi
mentees & aguerries . Les moyens qu'ilz ré
noient , eftoient les exercer quelques moys en
batailles faintes , les ftiler & accoustumer, à o
beir & tenir ordre, & apres en grande cófiance
les faifoient marcher & entrer en vray combat.
Iamais doncques homme de guerre ne fe doit
deffier de pouuoit faire & dreffer vne bonne ar
mee quad il n'a faute de gens. Car le Prince qui
aabondance d'hommes & faute de foldasz , ne
LLij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
fe doit plaindre de la lafcheté des fiens, mais de
fa negligence & peu de prudence.

Qu'un Capitaine doit eftre expert en la co


gnoiffance desfituations.

Chapitre XXXIX.
4102
Ntre autres chofes neceffaires à
vn chef d'armee , i'eftime la co
gnoiffance de l'affiette des païs :
fans laquelle & generale & par
ticuliere, il ne fcauroit bien con
duire vne entrepriſe. Et fi toutes ſciences re
quierent pratique à qui les veut acquerir par
faites,cefte cy la defire trefgrande. Et n'y a exer
cice qui donne cefte pratique ou cognoiffance
particuliere plus grade, que fait la chaffe. Pour
ce dient les anciens auteurs ,que les Heroës,qui
en leur temps gouuernoient le monde, auoient ,
A pris nourriture és foreftz & chaffes. Car, outre
cepoinct, la chaffe enfeigne maintes chofes tres
neceffaires en l'vfage de la guerre. Et Xeno
Cyrus. phon monftre en la vie de Cyrus, que fur le par
tement du voyage qu'il entreprenois contre le
Roy d'Armenie, comme il deuifoit,difoit à fes
gens , que cefte expedition n'eftoit qu'vne des
similitude chaffes qu'ilz auoient tant frequenté auecques
de la chaf- luy:& raméteuoit à ceux qu'il enuoyoit en em
Je dela bufches fur les montagnes, que leur office eftoit
guerre. femblable à ceux qui alloient tendre les retz fuc
SVR LA T. DECA. DE TIT. LI. 267
les petites collines , & à ceux qui couroient le
païs , qu'ilz eftoient comme ceux qui alloient
faire feuer la befte de fa bauge , pour la faire
donner dedans les retz.Ce que ie dy pour mon
ftrer que la chaffe ( felon l'opinion de Xeno
phon) eft vne image de guerre : partant exerci
ce honorable & neceffaire aux grans Seigneurs .
Auffi ne fe peut apprendre cognoiffance des
païs en maniere plus commode que par la chaf
le : d'autant que la chaffe fait entendre à celuy
qui en vfe, comme qui particulierement le païs
où ilz exercent. Et depuis qu'vn homme f'eft
fait vne entree familiere facilement apres peut
comprendre tout nouueau païs. Au moyen que
tous païs & toute portion & membre d'iceux,
..
ont quelque conformité enfemble , de forte
que par vn bien cogneu on paffe facilement en
la cognoiffance d'vn autre. Mais qui n'en au
roit nul pratiqué , à grande difficulté, voire ia
mais , finon par longue efpace de temps , n'en
pourroit aucun cognoiftre, & qui a cefte prati
que d'œil en tant comme gift cefte plaine,com
mefefleue ce mont iufques où defcend & fi
nift cefte vallee , & toutes autres chofes fem
blables , dequoy ila parauant fait habit de fer
me ſcience. Et qu'il foit vray,Tite Liue le mon
ftre par l'exemple de Publius Decius , lequel e- Publius
ftant Tribun des foldatz en l'armee que Corne- Decius.
lins Conful conduifoit contre les Samnites , &
eftant ce Conful reduit en vne vallee , où l'oft
des Romains pouuoit eftre enclos par les Sam-
LL j
DISC. DE NIC. MACCHIA,
nites,le voyant en tel peril, dit au Conful:

Vides tu,Aule Corneli, cacumen illud fupra ho


ftem ? arx illa eft fpeifalutifque nostra ,fi cam ( quo
niam caci reliquere Samnites) impigre capimus.

Voyez vous bien, Aulus Cornelius, celle colli


ne au deffus de noftre ennemy ? C'eft la forte
reffe de noftre efpoir & falut , fi nous fommes
diligens à la prendre,puis que les aucugles Sam
nites l'ont abandonnee. Et deuant ce propos
tenu par Decius, Tite Liue dit;

Publius Decine Tribunus militum vnum editum


in faltucollem imminentem hostium castris adītu arı
1
duum impedito agminis, expeditis haud difficilem.

Publius Decius Marefchal du camp fauifa d'v


ne colline pendant fur le camp des ennemis, de
difficile acces à ceux qui eftoient chargez d'ar
mes : mais affez acceffibles à ceux qui eftoient
armez à la legiere.
Auquel lieu eftant enuoyé par le Conful a
uecques trois mille hommes, y tenant l'armee
Romaine fauue , & faifant deffein d'en partir la
nuict enfuiuant, & fe fauuer encores & les fiens,
luy fait tenir telles parolles ;

Ite mecum, ut dum lucis aliquid fupereft , quibus


locis hoftes prafidiaponant, quapateat hinc exitus,ex
ploremus. Hac omniafagulo militari amictus, ne Dim
SVR, LA I. DECA. DE TIT. LI. 268
cem circuire hostes notarent,perlustrauit.

Suyuez moy , afin qu'allions defcouurir tan


dis qu'il nous refte encores quelque lueur de
iour,quelz lieux gardét les ennemis par où nous
autons yffue . Ce qu'il alla voir & tournoyer ve
ftu à la foldade , de peur que les ennemis ne le
choififfent pour vn Capitaine , qui vint circuir
& recognoiftre les lieux. 1
Qui doncques confiderera tout ce propos de
Tite Liue verra combien eft vtile , voire necef
faire à vn Capitaine ſcauoir l'eftre & nature des
païs : lefquelz fi Decius eut ignorez,il n'eut peu
juger l'vtilité que feroit aux Romains de foy fai
fir de la montagne , & moins cut fccu cognoi
ftre de loing fi elle eftoit de facile acces , ou non,
Et depuis qu'il l'eut gaigné , en voulant partir
pour f'en retourner vers le Conful, lors qu'il e
ftoit enuiróné de fes ennemis , iamais n'eut fceu
de loing defcouurir le chemin qu'il deuoit te
nir, ne les lieux gardez par fes ennemis : Telle
ment que de neceffité conuenoit que Decius eut
telle cognoiffance parfaite,laquelle fut caufe de
fauuer l'oft des Romains, en foy faififfant de la
motaigne: & depuis luy donna moyen de trou
uer ( eftant affiegé ) le paffage pour foy fauuer,
& ceux qui l'auoient fuiuy.

-LL iiij
DISC. DE NIC. MACCHIA .
Commelafraude aufait de laguerre
tourne àgloire.

Chapitre XL.
2.1.
Ombien que fraude en toute action
foit deteftable , toutesfois au mani,
ment des armes eft loüable & glo
rieuſe. Et ne merite moindre loiian
ge celuy qui furmonte fon ennemy par quel
que rufe , que qui l'auroit vaincu par force . Ce
qui fevoid par le jugement qu'en font ceux qui
defcriuent les vies des grans perfonnages , lef
quelz louent Annibal,& les autres qui ont efté
maistres de telles aftuces de guerre , dequoy ic
ne deduiray nul exemple , parce que les hiſtoi
res en font pleines.Seulement diray que ie n'en
tens les fraudes tourner à gloire , lefquelles te
font rompre la loy & les conuenances paffees:
Car combien que telles fraudes te feruent au
cunesfois à la conquefte d'vn eftat, ou Royau
nie (comme deflus a efté difcouru ) iamais ne
te porteront honneur : mais mon propos eft de
celles dont on vfe contre l'ennemy , qui ne fe
fie en toy lefquelles confiftent proprement au 1
maniment de la guerre.Comme fut celle d'An
nibal pres du lac de Perufe , quand il faignit la
fuite pour enclorre le Conful , & l'armee Ro
maine, & quand pour fortir hors des mains de
Fraude de Fabius Maximus , il mit le feu és armes defes
Annibal, beufz. Aufquelles fraudes fut ſemblable celle
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI , • 269
dont vfa Pontius Capitaine des Samnites , pour
tenir en ferre l'oft des Romains dedás les four
chesCaudines : Lequel ayat retiré fon armée au
Couuert des montaignes, enuoya vn nombre de
fesgens en la pleine en habits de pafteurs, auec
ques quelques troupeaux,lefquelz eftas pris par
les Romains , & interrogez où eftoit l'oft des
Samnites , faccorderent tous en leur refponfe
ainfi quePontins leur auoit fait le bec . Et dirent
qu'il eftoit au fiege de Nocere: Ce que creurent
les Confulz , & fallerent enclorre dedans les
fourches , où ils n'entrerent fi toft qu'ils furent
affiegez par les Samnites . Et euft efté cefte vi
atoire honorable à Pontius ,fil euſt fuyuy le con
feil de fon pere,lequel eftoit d'auis que l'on laif
faft les Romains en pleine liberté , ou qu'on les
fift tous-paffer au fil de l'efpee,fans aucunement
tenir la voye moyenne.

Que neque amicosparat,neque inimicos tollit.


Laquelle n'aquiert amys , ne ruine les enne
mys.

Et toufiours a efté dommageable es affaires des


eftatz , comme cy deffus a efté difcouru en au
trelieu.

Que lapatriefe doit defendre ou à deshonneur on


agloire : entoutes manieres est
bien defendue.
DISC. DE NIC. MACCHIA.
Chapitre XLI.

O EE Conful & Parmee Ro


maine eftoient ( comme
deffus a efté dit ) affiegez
par les Samnites ,lefquelz
ayans propofé aux Ro
mains conditions treshō
teufes, comme de les vou
loir faire paffer foubs le ioug, & apres les laiffer
aller le bafton blanc à la main,dequoy eftans les
Confulz eftōnez, & toute l'armee en defefpoir,
Opinion de L.Lentulus Lieutenant dit, qu'illuy fembloit que
Lenlulus, toutparty eftoit receuable , pour fauuer la pa
trie,& que confiftant la vie de Rome es vies de
ceſte armee eftoit d'auis qu'on les tiraft hors de
dager en quelque forte que ce fuft, & que la pa
tric eſt toufiours bie defendue en quelque ma
niere qu'elle fe defende,foit à honneur,ou à hō
te. Au moyen que l'armee fauue , Rome auroit
temps d'effacer & abolir vn iour cefte iniure: &
n'eftant fauuce , combien qu'elle paffaſt mort
glorieufe , Rome eftoit perdue auec fa liberté.
Auffi fut fon confeil fuiuy. Lequel me ſemble à
noter & obferuer à tout bo Citoyen qui fe trou
ue es deliberations de fa patrie.Car quad le co
feilſe tient du tout du falut d'icelle , il n'y efchet
plus aucune confideration de iuftice, ny iniufti
ce,de pitié, ne cruauté,de fait louable , ne kon
teux:ains, tout autre refpect mis arriere , fault
fuyure le party qui luy fauue la vie & maintient
211 SVR LA I DECA . DE TIT . LI . 270
La liberté.Qui cft chofe imitee en ditz & en faits opinio des
par les Françoys, depuis qu'il eft queftion de la Françoys .
majefté de leur Roy, & de la puiffance du Roy
aume. Et n'oyent propos plus impatiemment,
que de qui leur remonftroit que tel party ne
tourne à l'honneur du Roy .Et dient que leur
Roy n'eft fubiet à honte, ne deshoneur,en quel
que deliberation qu'il face, foit en profpere, ou
contraire fortune, & perde, ou gaigne, toufiours
dient que c'eft tour de Roy.

Queles promeffes faitespar force ne


font à obferuer.

Chapitre XLII.

Es Confulz retournez à Rome


auec leuroft defarmé & auec ce
fte honte receuë , le premier qui
dit au Senat que la paix faire à
Caude ne fe deuoit obferuer fut
le Colul s.Pofthumius, difant, que le peuple Ro- Confeil de
main n'eftoit obligé : mais bien luy & les autres pofthumi .
qui auoient fait la promeffe de la paix . Partant
le peuple,foy voulant deliurer de toute obliga
tion , auoit à le liurer prifonnier es mains des
Samnites & les autres auffi qui auoient promis:
voire auec telle obftination il tint cefte opinió,
que le Senat à la fin en fut cotent . Si les enuoya
prifonniers luy & les autres à Samnium auecq'
proteftation de ne tenir la paix,
DISC. DE NIC. MACCHIA,
Et tant fut en ce cas fortune fauorable à Poſf
humius , que les Samnites ne le retindrent , & à
fon retour à Rome aquift plus d'honneur & de
reputation entre les Romains par fa perte que
Pontius n'auoir enuers les Samnites par fa victoi
re . En quoy font deux chofes à noter : L'vne,
qu'en route action fe peult aquerir gloire . Car
quand à la victoire l'honneur y eft ordinaire :
quant à la perte, il fen peult tirer louange , en
donnant à connoiftre qu'il n'y a point de ta fau
te,ou faifantfoudain quelque acte vertueux qui
la puiffe couurir & effacer . L'autre eft, que pro
meffes forcees fe peuuent rompre, mefmement
celles qui regardent & cócernent le bien publi
que,fi toft que la force eft paffee , peuuent eftre
violees fans crime de celuy qui le fera . Dequoy
fe lifent en toutes hiftoires plufieurs exemples,
& chacun iour fe void en noftre temps , & non
feulement elles ne fe gardent entre les Princes,
apres que la force en efthors:mais toutes autres
promeffes font mifes en mefme reng, depuis
que les occafions defaillent qui en eftoient cau
fe . Or fi ce tour eft louable, ou non, & files pro
meffes fe doyuent obferuer en telle façon par
les Princes,ie l'ay fi amplement difputé en mon
traité du Prince , qu'il n'eft befoing de plus le
deduire à prefent.

Que les hommes qui naiſſent en une contreegar


dent prefque en tout temps une
mefme nature.

7
1
SVR LA I. DECA . DE TIT. LE 271
CCBIK XLIII.
Chapitre
JUrLaIZyA
MK
Es hommes prudens ont acouſtu
བ་ བམ ?『
mé de dire (& non à tord) que qui
veult voir ce qui a à eftre,doit co
fiderer ce qui a efté . Pource que
toutes les chofes du mõde en tout
temps ont leur rencontre auecques les fiecles
paffez . Ce qui procede de ce qu'eftant œuures
des hommes , qui ont & toufiours auront mef
mes patrons ,fault de neceffité qu'ils fortiffent
mefmes effaitz . Vray eft que leurs actions font
ores en cefte prouince plus vertueufes qu'en vn
autre, & puis en l'autre font plus excellentes que
en cefte cy,felon la façon de la nourriture,en la
quelle tel ou tel peuple prend la forme de vis
ure . Encores ouure bien la connoiffance des
chofes à auenir par les paffees,de voir vne natio
par long cours de temps tenir pareilles meurs,
comme d'eftre ordinairement adonnee à l'aua
rice , ou d'eftre fine & malicieuſe , ou d'auoir
quelque autre femblable vice , ou vertu . Et qui
lira les chofes paffees de noftre Cité de Floren
ce, & confiderera auffi celles qui font auenues
de plus recente memoire , trouuera les peuples
Tudefques, & les Françoys, eftre pleins d'auari
ce,d'orgueil,de fierté & de defloyauté, qui font
leurs quatre vices , qui en diuers teps ont beau
coup offenfe noftre Cité . Et quant à la faute de
foy , chacun fçait quantesfoys ont efté deniers
nombrez au Roy Charles huictiefme pour la
DISC. DE NIC. MACCHIA,
promeffe qu'il faifoit de rédre les fortereffes de
Pife.Lefquelles il ne rendit iamais . En quoy
monftra affez peu de foy & beaucoup d'auari
cc.Mais laiffons ces chofes fi fraifches . Chacun
peult auoir entendu ce qui auint en la guerre
que fit le peuple Florentin contre les Vilcotins
Ducz de Milan , qu'eftant Florence priuee des
autres expédiés , penfa de conduire l'Empereur
en Italie , lequel auec fa reputation & les forces
Promeffeviendroit affaillir la Lombardie . L'Empereur y
nontenue promit venir à grande puiffance & mener cefte
par l'Em- guerre contre les Vifcontins , & defendre les
pereuraux Florentins contre eux,moyennant la fomme de
Florentins, c.mil ducatz , qu'ils luy donneroient auant que
fortir de fes païs, & c.mil autres quand il feroit
en Italic . Auxquelles pactions les Florentins
confentirent,& luy ayans payé la premierefom
me, & puis la feconde fi toft qu'il fut arriué à
Verone,fen retourna arriere fans aucune chofe
faire : allegant qu'ils auoient failly de quelques
conuentions paffees entre eux . En forte que fi
Florence n'euft efté ou cótrainte par neceffité ,
ou vaincue de paffions, & qu'elle cuft leu & có¬ 1
neu les meurs & couftumes anciennes des bar
bares,elle n'euft efté ce coup là ne plufieurs au
tresfoys ainfi trompee . Veu que toufiours elles
ont efté femblables vfans en tous lieux , & en
uers toutes gens de mefme terme , comme l'on
void qu'ils firent iadis aux Tofcans . Lefquelz
eftans opprimez pár les Romains , qui tant de
foys les auoyent mis en fuyte & rompuz , &
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 272
LNIE voyans que de leur force ils n'eftoiét plus pour
refifter à leur effort, conuindrent auec les Gau
lois,qui deça les Alpes habitoient en Italic , de Promeffe
leurdonner vne fomme d'argent , moyennantfauce par
qu'ils fobligeaffent de ioindre leurs forces a les anciens
uec eux pour marcher enſemble contre les Ro- Gaulois
mains.Dont enfuyuit que les Françoys,l'argent Cifalpins.
receu, ne voulurent prendre les armes pour eux,
difans l'auoir eu , non pour faire guerre contre
leurs ennemys : mais feulement pour fabftenir
& n'entrer en leur païs de Tofcane . Ainfi ce
peuplepar l'auarice & infidelité des Gaulois,
demeura en vn coup priué de fes deniers , & du
fecoursque d'eux il efperoit. Tellemét que l'on
void par l'exemple tant des Tofcás anciens que
des Florentins, les Gaulois auoir tousiours vfé
de mefmes termes.Dequoy l'on peult affez cō
iecturer quelle fiance les Princes doiuent auoir
en telles gens .

Souuentesfoys on emporte, d'audace & deforst


ce,queparmoyens ordinaires iamais
on n'obtiendroit.

Chapitre XLIIII.
DISC. DE NIC. MACCHÍA.
Stans les Samnites affailliz par l
puiffance de Rome , & ne pouuans
auec leur armee tenir campagne &
faire tefte aux Romains , delibere
rent (laiffans garniſon es villes de
Samnium)paffer auec toutes leurs forces en Tof
cane , laquelle auoit treues auecques les Ro-`
mains , pour voir par tel paffage fils pourroient
par la prefence de leur armee induire les Tof
cans à reprédre leurs armes . Combien que defia
ils l'euffent refufé à leurs Embaffadeurs . Et au
parlement que les Samnites tindrent auecques
lés Tofcans , en leur remonftrant mefmement
quelle caufe les auoit incitez à prendre leurs ar
mes,vferent d'vn propos notable,difans:
**
Rebellaffe,quodpaxferuientibus grauior , quàmli
beris bellum effet.

Qu'ils feftoient rebellez, d'autant que la paix


leur eftoit plus grieue à porter en feruitude,que
la guerré en liberté.

Et ainfi moytié par perfuafions,moytié par la


prefence de leur oft , les induirent à renouueler
la guerre . En quoy eft à noter , que quand vn
Prince defire obtenir quelque chofe d'vn au
tre , il ne doit (fi l'occafion le fouffre ) luy döner
temps d'en deliberer & faire de forte qu'ils
voyent neceffité de prompte deliberation , la
quelle auient quand celuy qui eft requis con
noilt,

1
SVR LA I. DECA . DE TIT. LI. 273
noit,que du refus, ou delay, en peult fortir co
tre luy foudaine & perilleufe indignation , de
telz termes auons bien veu vfer de noftre temps
au Pape Iule contre les Françoys, & à monfieur Pape tule.
de Foix lieutenant pour le Roy de France, con- Foix lieute
tre le Marquis de Mantouë . Car le Pape , vou- nantpour
lant chaffer de Boulongne les Bentiuoles, & iu- le Royde
geant en ce cas auoir befoing de la force Fran- France.
çoyfe, & que les Venitiens demeuraffent neu
tres,& ayant pourchaffé l'vn & l'autre , fans en
pouuoir tirer refponfe, que douteufe & diuerfe,
delibera (en ne leur donnant loyfir d'y penfer)
contraindre l'vn & l'autre à condefcendre à fa
volonté.Puis partant de Rome aucq' telle puif
fancequ'il peut affembler marcha vers Boulon
gne,& manda auxVenitiés, qu'ils fe tinfent neu
tres, & au Roy de France, qu'il luy enuoyaſt ſe
Cours:Tellement que demeurans les deux com
me eſtrains & enferrez de peu d'efpace de téps,
voyans fils differoient ou refufoient , quelle ire
lePape conceueroit contre eux ,
cederent du
tout àfon vouloir.Auffi monfieur de Foix eſtát
en armes à Boulongne , où il entendit la rebel
lion de Brefce, voulant aller au recouuremét d'i
celle,y auoit deux chemins : L'vn par les terres
duRoy,qui eftoit lóg & ennuyeux: l'autre plus
courtpar le païs de Mantouë : mais pour paffer

par les terres de ce Marquis , luy conucnoit en- Marquis


trer par
dont certaineseft
lacontree eſclufes
pleine,entre lacz & mareſtz, de Matonë.
& fi eftoient bié fer
mees&gardees . Parquoy le Seigneur de Foix

MM
DISC. DE NIC. MACCHIA .
deliberé de tenir cefte voye, come la plus cour
te,pour vaincre toute difficulté & ne donner
temps au Marquis de deliberer,tout d'vne traite
fit marcher les gés par là ,luy fignifiant qu'il en
uoyaft les clefz de ce paffage. Ce que fit le Mar
quis furpris de cefte celerité: mais il ne l'cuft ia
mais fait fi le Seigneur de Foix fy fuft gouuer
né plus lentement & tiedemét, veu la ligue qu'il
auoit auec le Pape, & auec les Venitiés . Mefme
ment que l'vn de fes filz eftoit lors auecques le
Pape,qui eftoient honneftes excufes pour refu
fer telle demande . Mais cftát comme afficgé de
fi foudain party(pour les caufes deffus deduites)
il luy accorda le paffage . Ainfi firent les Tofcas
aux Samnites , ayans par la prefence de la force
de samnium repris les armes,qu'ils auoiét au par
auant refufees.

Lequel est meilleurparty en vne bataille fouftenir


l'effort des ennemys, apres donner dedans,
ou lesenfoncer deprimefurie.

Chapitre XLV.

Ecins& Fabius Confulz Romains


eftoient auecques deux armees à
l'encontre des armees des Samni
tes & des Tofcans & venans aux
D
mains enſemble, eft à noter en tel
acte,lequel eft meilleur des deux moyens diuers
de proceder tenuz par les deux Confulz : car
"
HIA SVR LA I DECA. DE TIT. LI. 274
Decius à toute puiffance & effort alla affaillir fon
ennemy, Fabius le fouftint feulement,iugeant le
lent affault eftre plus vtile , en referuant fon ef
fort à la fin, quád l'ennemy auroit perdu la pre
miere ardeur de combatre, & (comme l'on dit)
auroit ieté fon feu. En quoy fe void par l'iffue
du fait,que le de Tein fucceda trop mieux à F4
bins qu'à Decius , lequel fe trouua tellement au
premier affault,que voyant fa compagnie pluf
toft enuclopee qu'autrement , pour aquerir par
fa mort la gloire , qu'il n'auoit peu gaigner par
victoire,à l'imitation de fon pere fe facrifia luy
mefmes pour les religios Romaines. Ce qu'ayat
entendu Fabius, ne voulant en fon viuant aque- Fabim.
rir moins d'honneur que fon compagnon auoit
en mourant, pouffa en auant toutes les forces
qu'il fauoit referuees à telle neceffité, dont il re
porta tresheureuſe victoire . De quoy fe peult
voir, que le moyen de proceder de Fabius eft
Wy plus feur & plus à imiter.

D'où vient qu'en vne Cité une maison & famille


gardepour un temps &f'entretient en
me/mes meurs conditions.

Chapitre XLVI.

MM ij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
L femble que non ſeulement vne
Cite tienne certaines manieres &
couftumes diuerfes des autres, &
procrec les gens plus durs ou plus
efeminez:mais en vne mefme vil
le cefte difference fe void entre les maiſons &
familles . Ce qui fe trouue eftre vray en toutes
Citez, & en celle de Rome fen lifent maintes
exéples en laquelle l'on a veu les Manlies de dur
Publicoles . cerueau & obſtiné , les Publicoles humains , be
nings, & amys du peuple, les Appies ambitieux
& ennemys de la commune . Et ainfi plufieurs
autres maiſons auoir eu chacune de fes qualitez
feparees des autres . Ce qui ne peult naiſtre du
fang feulement, veu qu'il eft force qu'ils varient
quant & la varieté des mariages: mais eft necef
faire que procede de la norriture diuerfe qu'vne
maifon tient autre qu'vn autre . Car beaucoup
importe qu'vn ieune enfant de fon tendre aage
commence à fentir dire bien ou mal d'vne cho
fe: d'autant qu'il conuient que par neceffité il
en face impreffion , & apres par icelle regle fa
forme de proceder tout le temps de fa vie.Sans
celà cuft efté impoffible que tous lesAppies cul
fent eu mefme volonté, & euffent efté agitez de
femblables paffions , comme a noté Tite Liue
en plufieurs de leur race , & pour le dernier en
celuy qui fut creé Cenfeur . Et ayant fon com
pagnon à la fin des xviii.moys depofé fon Ma
giftrat ( comme la loy ordonnoit)Appius ne fen
voulut demettre : difant qu'il le pouuoit tenir
SVR LA I. DECA . DE TIT . LI. 275
cinq ans,felon la premiere loy ordonnee par les
Cenfeurs.Et combien que fur ce point fe fiffent
plufieurs concions & affemblees du peuple , &
qu'il en fourdift maints tumultes,fi eft ce que ia
mais n'y eut remede à luy faire depofer, fuyuant
la volonté du peuple , & de la plus grande part
du Senat.Et qui lira l'oraifon qu'il fit contre P.
SemproniusTribun de la commune il notera tou
tes les infolences Appianes, &toutes les bontez
& humanitez, dont infiniz Citoyens ont vfé
pour rendre l'obeïffance deuë aux loix , & aux
Aufpices de leur patric.

Qu'un bon Citoyen doitpour l'amour du


€ paysoublierfes iniures & querel
les princes.

Chapitre XLVII.

Anlius Conful eftoit campé con


tre les Samnites , lequel ayant efté
naüré en vne rencontre , & par çe
moyen eftant fon armee en dan→
ger , le Senat iugea neceffaire luy
enuoyer Papirius CurforDictateur pour fuppleer Papirius
le default du Conful . Et eftant de neceffité que Curfor.
le Dictateur fuft nomé par Fabius, lequel eftoit
campé en Toscane, & doutant qu'il refufaft de
le faire, à cauſe de l'inimitié qui eftoit entre eux,
le Senat enuoya vers luy deux Embaffadeurs le
prier que,mettant arriere leur hayne priuee,il le
MM iij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
voufift nommer pour le bien publique . Ce que
fit Fabius, meu de la charité du païs : monftrant
toutesfoys tant par filéce,que par autres fignes,
combien telle nomination luy pefoit & eftoit
grieue . Sur lequel doyuent prendre exemple
tous ceux qui defirent eftre tenuz pour bons
Citoyens .

Quand on voidfon ennemy commettre quelquefaute


grande , l'on doit redouter quelquefrau
de cachee deſſoubs.

Chapitre XLVIII,

Stant Fuluius demeuré lieutenant


en l'armee,que lesRomains auoiet
Fuluius, en Tofcane, en l'abfence du Con
ful , qui eftoit allé à Rome, pour
quelques ceremonies, les Tolcans
pour effayer fille pourroient attraire dehors,
mirent vne embuscade pres du camp des Ro
mains , & enuoyerent quelques Soldatz en a
couftremens de bergers , touchans deuant eux
grand nombre de beftes , & les firent marcher
iufques à la veqë des ennemys . Tellement que
ainfi defguifez aprocherent iufques aux barrie
res du camp. Dequoy le lieutenant efmerueillé,
ne luy femblant telleprefomption raifonnable,
tint vn moyen qui decouurit la fraude , & ainſi
Je deffein des Tofcans demeura çompu . Er en
Ce pas fepeut noter commodément, qu'vn chef
SVR LA I. DECA. DE TIT. LI. 276
HIL
d'armee ne doit prefter foy à vn erreur euident,
m.Co
qu'ilvoid faire à fon ennemy :pour ce qu'il y
aura toufiours quelque tromperie occulte : n'e
ftans les hommes par raifon fi lourdement im
prudens & mal auifez . Mais fouuent le defir de
AV
vaincre aueugle les efperitz des hommes , en
forte qu'ils ne voyent rien que ce qui femble fai
re pour eux . Les Gaulois ayant defait les Ro
mains pres de la riuiere d'Allia , & allans à Ro
me,où ils trouuerent les portes ouuertes &fans
garde,furent tout le iour & la nuit enfuyuant
fans y entrer, craignans quelques laz tenduz.Et
ne pouuoient croire telle lafcheté & li peu de
confeil es cucurs des Romains , qu'ils euffent
abandonné leur ville.
L'an mil v.c.viii.que les Florentins caperent
deuant la ville de Piſe , Alfonfe de Mutol , qui Alfonfe
en eftoit Citoyen , tomba prifonnier es mains de Mutol.
des Florentins : & leur promift ,en luy donnant
Jiberté , qu'il leur liureroit vne des portes de
Pife. Il fut deliuré , & depuis, pour pratiquer l'a
faire,fouuent venoit parler auecques ceux qui
eſtoient mandez par les Commiffaires , & n'y
venoit celément : mais à defcouuert, accompa
gné d'autres gens de Piſe, leſquelz laiffoit à part
pour parler aux Florentins . Tellement que l'on
pouuoit coniecturer fon cucur eftre double:
veu qu'il n'eftoit raisonnable , fi telle pratique
cuft efté fidele , qu'elle cuft esté ainfi traitee à la
defcouuerte.Mais le defir de gaigner Pife aucu
fon
gla les Florentins enforte, que coduitz par
MM iiij
DISC. DE NIC. MACCHIA.
ordre & confeil à la porte à Luque,ils laifferent
maintes de leurs teftes, & d'autres gens , à leur
honte & deshonneur , par la raifon double que
leur ioüa ceft Alfonfe.

Vne Republique pour la maintenir enliberté, a be


foing de jour en iour de nouuelordre pour
uoyance, par telz merites Q. Fabius
emporta le titrede Maximus,c'eft
à dire trefgrand.

Chapitre XLIX.

Left neceffaire (comme autres foys


a efté dit ) que chacun iour naiſſent
accidens en vne grande Cité , qui
ayent befoin d'vn Medecin : &felon
que plus ils importent , conuient trouuer Me
decin plus fage . Et fi en aucune Cité naſqui
rent iamais telz accidens , ça efté à Rome,
qu'ils font auenuz eftrangers & non efperez.
Comme fut celuy quand il fembla que tou
Coniuratio tes les Dames Romaines euffent coiuré de tuer
des Dames leur mariz : tant f'en trouua qui les auoient em
à tuer
poyfonnez , & tant qu'i leur auoient preparé le
leurs ma- venin pour les depefcher. Auffi comme la con
rus.
iuration des Baccanales qui fut decouuerte au
Baccanales
temps de la guerre Macedonique . En laquelle
eftoient defia meflez & enuclopez plufieurs
miliers d'hommes & de femmes , & fi ne l'euft
efté la ville fuft tombee en grand danger : ou
SVR LA I. DECA . DE TIT . LI . 277
HIA
les Romains n'euffent efté couftumiers à cha
ftier les multitudes des hommes delinquans.Et
quand la grandeur de cefte Republique , & le
pouuoir de fes executios ne fe cognoiftroit par
autres fignes infinis , encores fe pourroit iuger
par la qualité des peines & fupplices qu'elle im
pofoit aux malfaicteurs. Car elle n'a fait diffi
culté de faire paffer aucunesfois par glaiue de iu
ftice vne legion entiere , aucunesfois toute vne
cité, & de confiner huict ou dix mil hommes a
uecques conditions extraordinaires trop diffi
ciles à porter , ne fut qu'à vn homme feul , non
pas à tant de gens.Comme il auint aux foldatz,
qui à figrand malheur auoiet combattu à Can
nes , lefquelz elle confina en Sicile , leur impo
fant & enioignant de ne loger en villes , & de
viure eftroittement.Mais entre toutes les autres
executiós fort terribles eftoit la decimation des
armees, quand au fort de tout vn oft on en met
toit à mort de douze l'vn: & ne fe pouuoit pour
le chaftiment d'vne multitude trouuer maniere
de punition plus efpouuentable.Car quand vne
compagnie auoit faute commife, dont le chef &
auteur n'eftoit certain,les punir touseftoit trop,
en chaſtier vne partie & laiffer l'autre impunie,
feroit fait tort à ceux que l'on puniffoit, & don
ner courage aux impunis de renchoir vne autre
fois en pareille faute. Mais l'execution de la di
xieſme part, quand tous enſemble la meritoient
ne donoit occaſion aux punis de ſe plaindre que
du fort. Celuy qui en eft efchappé demeure en
DISC. DE N. MAC. SVR La 1. &c.
crainte , que le fort vne autrefois ne tombefut
luy,fil venoir à faillir.Les empoisonneurs dóc
ques & les Baccanales furent punis felon leurs
merites. Et combien que telles maladies caufent
en vne Republique dangereux effectz,fi ne font
elles pas mortelles : car on a prefque toufiours
temps pour les corriger.Mais en celles qui tou
chent & concernent l'eftat,l'on n'a pas telle có
modité ne loifir : tellement que fi quelque pru
dent cerueau n'y met la main , elles ruynent la
cité. Or par le moyen de la liberalité , dont les
Romains vfoient à donner le droit de leur cité
& bourgeoisie aux eftrangers , eftoit aſſemblé à
Rome vn grand peuple de nations nouuelles &
diuerfes:lefquelles auoient part aux voix & fuf
frages , quand le gouuernement commençoit à
changer & fortoit hors des mains, entre lefquel.
les il auoit accouftumé d'eftre. Dequoy fauifant
Fabius le Q.Fabius, qui eftoit Cenfeur , mit & reduit tout
trfgrand. ce nouueau peuple ( d'où venoit le defordre)
fous quatre Tribuns:afin qu'eftans reduitz en ſi
petitz eſpaces , ne peuffent corrompre toute la
ville de Rome. Ceft inconuenient fut trefbien
iugé & cogneu par Fabius, & remede conuena
ble par luy appliqué fans alteration . Lequel fut
tant agreable à la cité , qu'il en merita le nom &
tiltre de trefgrád,qui eft en leur lágue,Maximus.

Fin desDifcoursde Nic.Macchianel.


178
ADVERTISSEMENT DE
IAQVES GOHORY PARISIEN
traducteurfur les difcours precedens.

AVX LECTEVRS.

'Incertitude des chofes humaines


eft telle ( Meffieurs ) comme Sa- Salomon,
lomon l'a deduitte, & les Acade
miques l'ont prouuee , & le poix
de noz raifons balance en con
trarieté tellement entre deux fers , que i'ay efté
long temps en doute, fi le prouerbe Grec eftoit
veritable, Viurefans eftre connn : auquel Hota- Horace.
ce faccorde,
Bien a vefeu,qui le monde a deceu,
Tant quefa vie & fa mort on n'a fceu.
Comme le graue Brutus efcriuat à Ciceron dit, Brutus,
que pire eft la condition de la vertu euidente,
que de l'inconnue. Les autres font d'opinion
de laiffer pour le mieux quelque tefmoignage
d'auoir efté du nombre des viuans , pour recom
penfer la brieucté de cefte vie par vne longue
memoire de nous apres la mort , qui nous rend
icy quafi immortelz. A cefte caufe nageant en
tre deux caux , i'ay efcrit ie ne fcay quoy pour
fuiure la fecode raiſon, & n'y ay point mis mon
nom en la premiere edition,pour n'aller contre
la premiere . En quoy tenant l'auis de Quinti- quintilia.
lian , ay commencé par traduction , ne iugeant
encores alors mon efprit capable d'inuention,
digne de lumiere publique. Et n'ay voulu com
Oxide. me Phaeton en Ouide,faire mon apprentiffage
fur le haut char du Soleil, de paour qu'il ne m'en
print ainfi qu'à luy : ains ay fait mon coup d'ef
fay en l'œuure de ceft auteur Macchiauel , du
quel l'autorité n'eftoit encores fi fainte & au
gufte que les fautes,que i'y pourrois commettre
me fuffent imputees à facrilege ou crime de lefe
maiefté.Combien que i'ofe dire qu'il ait efté le
plus cler & fubtil efprit polinic de ce fiecle , &
qui ne doit eftre moins prifé de nous que Sal
lufte,Corneille Tacite & fon Tite Liue mefme:
defquelz fans luy nous cueillions peu de fruict,
& ne fcauions à quel vfage nous feruoient leurs
hiftoires. Denys le Tyra deuint il meilleur poë
Echylus. te pour auoir recouuré les tablettes d'Echylus,
où il efcriuoit fes vers? Neanthus filz de Pitta
chus acquit il quelque excellence du ieu de la
Orpheus. harpe par celle d'Orpheus , qu'il acheta fi cher
des preftres du temple d'Apollon ? Auffi peu
nous feruiroient tous ces bons hiftoriens , fans
l'aide de noftre Macchiauel , ne toute la bonté
des chofes bonnes , qui n'en comprendroit l'v
Lage.
Or font les iugemens des hommes fi diuers,
qu'en ce faict mefme de traduction on ne fcait
bonnement comme on fe doit gouuerner. I'a
uois vfé au premier liure en quelques endroitz
Horace. de la liberté que loue Horace , & que les plus
Ciceron. curieux ont obferué en Ciceron & autres au

teurs anciens. l'auois efté vn peu plus ferf& ſu.


179
perftitieux en ce fecond & tiers,pour monftrer
la cognoiffance que l'auois des deux manieres,
& ainfi fatisfaire à la varieté des opinions.Mais
ie croy que l'vne & l'autre ne font hors des dan
gers de reprehenfion. Et qui eft ce dorefnauant
qui en efchappera, puis que auiourd'huy les ef
pritz font fi abandonnez & deprauez , que de
vouloir condamner par leurs efcritz Ariftote Ariftote.
d'ignorance , & Ciceron de Barbarie : gens di
gnes d'en rapporter tel falaire que Seftius , le
quel Seneque dit auoir efté fouetté, pour tel seneque.
propos tenu d'iceluy Ciceron en la table de fon
filz. Quant aux enuieux , ilz ne me font gueres
de paour en cecy , d'autant que ma confcience
me iuge, que ie n'ay vertu en moy qui les meri
"
te,ne digne d'eftre enuice qui les irrite : au con
traire ie les defirerois volontiers, à l'exemple de
Themistocles, dont ie porte la deuife: E N VIE Themifto
D'ENVIE EN VIE. Or affez apprestera de cles.
matiere de calomnie à qui en voudra , l'incerti
tude de noftre langue Françoife, qui n'eft enco
res bien reiglee ne reduitte en art : en laquelle
aucuns veulent ramener en ieu les vieilz motz ,
contre l'auis de Cefar:les autres la veulent enri- Cefar
chir par les larrecins des autres vulgaires, com
me Italien & Eſpagnol :voire l'ortographe mef
me en eft auiourd'huy tant deguifee & bigar
ree , que les lettres elementaires n'y ont moin
dre occafion d'entrer en procez, que Lucian les Lucian,
dit auoir fait en la langue Grecque. Au fort, ie
Platon. confidere fur la fentence de Platon , qu'il ne
nous faut enuieillir fur cefte vaine & legere cu
riofité de la parolle : mais inftruire noz ames de
bons difcours tirez du fond des fciences prou
fitables à la vie. Al'exemple de Macchiauel qui
a icyvfé de fort fimple langage enrichy de rare
"
& profonde fubftance. Lequel ie crains à cefte
caufe d'eftre mal receu de noftre nation ,qui me
femble ne faire encore que fentir les fleurs des
fciences mifes en chappeaux & bouquetz , non
pas vfer de leurs bonnes plantes en nourriture
ou medecine. Qui font maintenant les Hercu
les Galliques qui tirent apres eux tout ce peuple
enchaifné par les oreilles de chaifnes qui tien
nent au bout de leurs langues, finon les rimeurs
ou rommanceurs d'amours ou armes fabuleu
fes ? Non que ie les vueille totalement blaſmer,
veu le paffètemps qu'ilz donnent aux gentilz
homines & damoifelles , auec inſtruction de
bien parler:mais qu'il y a tel choix entre les vns
& les autres, comme de la iambe naturelle à ccl
le de bois d'vn riche boyreux , reueftue de bel
les bottines à boucles d'or , ou de la lyre d'E
uangelus garnie de cheuilles d'or, & femee d'an
neaux precieux à celle d'Orpheus fonnant cho
fes merueilleufes,

Or tout calculé & rabatu, la plume eſt miſe


au vent , ces deux liures fuiuront leur compa
gnon premier : aufquelz fil femble que la der
niere main defaille , & aux deux pareillement
179
de mon Tite Liue vous confidererez que la fer
uitude ambulatoire de la Cour ne m'a donné
loifir de les tranfcrire huict fois de ma main ,
Maxipe
comme Thucydide fit de fon hiftoire. Finale
ment i'ay refolu que ce mien labeur tel quel ne.
me pouuant porter tant de deshōneur par l'im
perfection de fon ftyle , que de proufit aux le
ateurs par la fingularité de fes bons auis , ie de
uois preferer le bien commun à mon domma
ge particulier.

FIN.

.....
"

4
4x4
TABLE DES CHOSES SIN
GVLIERES CONTENVES ES
trois Liures des Difcours de
Nic.Macchiauel.

A Alexadre Pape vj. 247


Antiocus. 272
Thenes. feuil
let 3.113 B

A Afdrubal.
254 Bonne conduitte & vail
Artillerie. 145 lance des Romains . 10
Alexandre .3. à Tyrus. Bons princes 26
174 Bons Empereurs. 27
Alexandrie. S Brutus 42. contrefait
Accidens en l'execution le fol 191.196
d'une coniuration 206 Bayfit Soudan . 47-197
Ariftocratie. Beliffar ius. 128
7
Agis. 24 Breffe prinfe par le fei
Affeurance deliberté 13 gneur de Foix. 146.169
dus.
Apollo 34 Blon 245
es
Aufpic . 255
Augures. 35 с
Annibal. 60.134.217.
269 Coniuration cotrele Prin
66.77 ce. 196
Appius.
Antipater Macedonien. Colonies. 3
131 Commune de Rome. 9
Chafteau de Milan. 168
Apophthegme. 131
Annins Preteur. 140 Chasteau de Gennes. 168
Aratus Sicionem . 184 Confulz deRome. 9
Charles
Charles Duc de Bourgon ce. 98
gre. 217 Confeil d'Hannon. 174
Conful populaire. 13 Confeil de Pericles. 132
Coniuration des femmes. 1
Confeil de Crefus. 134
276 Confeil d'Annibal. 134
Coriolan. 18 Caftruccio. 136
Craffuis . 152
Caßius. 230 D
chinfe. 20
Cleomenes. 25 46 Dante. 31
Carmignole Capitaine 153 Democrates architecte. S
Courtines de Delos. 31 Difference entre l'accufa
Charlemagne. 33 tion & calomme . 22
Comide Empereur. 202. Diuerfes cite de Republi
209 # ques.
S
Clearchus Tyran. 40 Dimocratie. 7
Caracalla. 205 Dommaine du Pape. 33
Collatin. 156 Dion. 42.210
Catilina. Duellius Tribun 82
208
Cornelius Tacitus . Demetrius. -104
56.
195.232 Diodore Sicilien. 123
Cefar dictateur. 27.69 . Deux efpeces de guerre.
222.241.
126
Confeil de Prelay. 88 Difcipline militaire. 262
Cyrus. .
137
Cincinnatus. 89. pan E
ure.
242
Chariot falque - Egyptiens. 4
lephans . Exem ple des Latin s . 158
Ciceron. 149
91 Eftat politic parfait des
Charles vii.Roy de Fran. trois. 8
NN
25 Gracches. 69.173.24
Ephores.
Executions des citoyens. Guerre de degorgement de
188 peuple. 127
Etholes contre Nabis, 201 Guerre de trois fortes des
Epicaris femme conftan- Gaulois contre les Ro
te. 202 mains. 127
Eques. 230 Gennes au Roy de Fran
Emilius pacyure. 243 ce. 159
Guidebauld Duc &Vr
F bin. 168

H
Françoisfeul contreplu
fieurs. 219. amateurs
de leurs Roys. 270 Hier.Sauanarole. `31.81.
Fable d'Antheus. 135 98.250
Florence. 3.72.81 Herdonius. 34
Factions. 95.104 Horace le begue. $2.76
Fortune de Rome. 9.10 Herodian. 205
, 144
Florentinsdeffait7 Hiftoire du maistre d'ef
F.Valor. 19 fcoledes Falifques. 233
F.Camille. 20.34.270
I
François premier Roy de
France. St
Fabius. 67.160.277 Iuftice. 6
Froideur. ciardin.
213.216 1.Guic 23
1.Pagol Baillon. 54
G Ingratitude de Rome. 102
Iournee de Rauenne, 144
Got 15 Iournee de Nouare. 152
Gaulois. 98. 99 Inconuenietpar une voix,
20.37.
Gabades Perfan. 172 224
t
uenie ar ne ene
685 Incon p o v . M
124
L Mammeluch 4
e
#l Marius. 13.69 . de gran
// Laurens de Medicis. 248 de reprefentation. 204
Lygurge legislateur. 5.15. Menenius. 13
24 Manlius. 21.100 . Tor
Loix bonnes font les gens quatus. 256.
de bien. TO Moyfe. 24
Ludouic Duc de Milan. Maifon de Medicis. 65
141 Manilius. 67. mort. 221
Loys xij. Roy de France. Mamercus. 87
33.71.228 Mutation des noms des
Zoy Terentille. 128
35 pays.
LoyTerrouaire. 67 Maurufiens. 128
Lucreceforcee. 194.244 Mauuaife vie des Pre
Louange des Catonsd'A latz. 190
lemagne. 96 M.Regulus padure. 243
L. Tarquinius pauure. Maniere d'eftaindre l'en
242 nie. 249
Louange du Royaume de
France. .101.190 N
Lucullus. 223
Louange du temps paſſé. Nouueautéaymable. 7
106 Numa . 30
blafme du temps pre Nations les plus vicien
fent. 106 Jes. 96
Liure du Prince de Mac- Nature d'une Commune.
chiauel. 112 99
Lombardie. 119 Numicius. 160
3
e ye
Ligu de Pifto , 244 Nicolas de Caftel. 168
NN y
Nature du François au Procopius. 128
combat. 261 P.Soderin. 19.91. 191.
214
Papyrius. 36.61
Pape lule. 55.168.214
Oracle d'Apollo . 191 Philippe de Macedoine.
Origine de Monarchie. 60.105.176.216
oligarchie. 7 Posthumius. 74
obferuation exterieure de Plutarque. 110
religion. 29 Pape Leon dixiefme. 160
oftracisme. SS
octauius. 91 e
Ordredes Suiffes. 145. à
Nouare. 149. contre le qualité de fondateurfe
Duc d'Auftriche. 155 lon raiſon humaine. 24
Quintius. 35.241
P

Pompee. 69.104.106
Premier cas de baftir vil Rome. 2. libre enſa naif
lespar ceux du pays. 2 Jance. 5. en quoy defe
Plautianus prins parfa Etuenfe. 8
lettre. 202 Rançon aux Gaulois. 21.
Premier liure eft des cas enguerre continue. 110,
auenus par confeil pu iniufte contre les Gau
blic. S lois. 176
Pififtrate Tyran.8.55.298 Raghuſe. 4
Paouureté rel ingenieux. Remede à euiter bataille.
10 216
Pyrrhus. 233 Romulus tua Remusfen
Pelopidas. 17 frere. 23
Rubecius. 35 Sommaire du premier li
Remede contre les coniu ure.
19.08 199
rations. 200
Royaume de France. 41. T
47
auertiſſement. 180.181 Tufcane. 97.122
Riches vaincus. 131 Trou manieres de vray e
Richeffe caufe de destru ftatpolitic. 6
tion.
& 131 Trois efpeces de mauuais
6
Remonstrance d'Apolon eftat politic.
des. Thucidide.
141 227
Renouvellement de Rep. Tyrannie. 7
187 Tyrans. 26
Tarquins. 24. le fier.194
Tut.Tatius. 23
sylla. 69 Tribuns dupeuple. 10.89
Second cas de baftir villes Traintemporel de l'Egli
enpays eftrange. 3 fe. 33
SeruiusTullus. 193 Timoleon. 42
Saly. 4 Themistocles. 105.182
212 Selon legislateur. 8.24. Tarentins. 133. recou
131 urement. 160
Senat de Rome. 9
Semiramis. 225 V
Seditios caufes de bien. 10
Sedition pour une femme. Venise. 3.12 . fituation.
243 . 14.17. feule contreplu
sparte. 12.16 fieurs. 219. infolence.
Sagunte. 104 252
Scipion. 106.134.258 Virgile. 49.94
108 Varro. 61
Sarrafins.
NN ij
Valentin Duc. ༡་ fes. 151
Valerius. 76.105.193 Victoire de Fabius contre
Vieillesgens louans le teps les Tofcans.
de leur ieuneffe. 108 Vertu de neceßité. 219
Vengeancede la libertéfai
tea Corfou. 114 X
Fictoire du Roy François
premier contre les Suif
. Xenophon. 114.238.266

1
TABLE DES CHAPITRES
du premier Liure.

Fueillet 1
Reface.
Quel a efté le commencement des vil
les, & deRome entre autres. cha
pitre j. fueillet 2
Combien y ade manieres de Republi
bliques, & de laquelle eftoit Rome. cha.y. S
Par quelle aduenturefurent creeà Rome les Tribuns
dupeuplequi rendirent la Republique beaucoupplus
parfaite. chap.iy. 91
Que la contrarieté du Senat & du peuple de Rème a
efté caufe defa liberté & grandeur, chap.uy. *10
Entreles mains de qui liberté eftplusfeurement, ou du
peuple ou desgrandz Seigneurs : & lequel eftplus
enclin à efmeutte,celuy qui veut acquefter, ou qui ne
veutquegarder lefien. chap. 12.

Afcauoirfil eftoit poßible d'establir à Rome un e


ftat qui empefchaft les inimitiezdupeuple du
Senat. chapitre vi. 14
Comme les accufationsfont neceffaires en une Repu
bliquepour entretenirfa liberté. chap.vý. 18
Que les calomniesfont autant de mal en une ville que
20
Les accufations debien. chap.vij.
Comme il convient qu'un homme foit feul à ordon
ner vne citénouuelle , ou à la reformer tout de neuf
autrement qu'elle n'eftoit. chap.ix. 23
Autant quefont loüables lesfondateurs d'vne Repu
blique , ou d'vn Royaume , autant eftre à blafmer
ceux de la Tyrannic. chap.x. 25
NN
De la religion & cerimonie des Romains. chapi
tre xj. 28
Que c'estquene tenir compte de la religion , & ne l'en
tretenir enfonpoint. Et comme l'Italie en eftperdue.
chapitre xy. 31
Comme lesRomains fayderent de la religion à ordon
nerleur ville à pourfuyure leurs entreprifes, & ap
paiferleursfeditions & tumultes. chap.xiy. 33
Comme les Romains expofoient les aufpices à leurprou
fit , les enfraignoient au befoing par difcretion, &
punifoient qui indiferettement le faifoit. chapi
tre xuy . 35
Comme les Samnites pour leur dernier refuge eurent
recours à la religion. chap.xv. 37
Qu'unpays accoustumé de viurefaub vn Roy,fil viet
en liberté, àpeinef'y peut iltenir. chap xvi. 38
Qu'un pays corrompu & depraué , filfort defubie
tion,ne peut durer en ceft eftat. chap.xvij . 42
Commel'onpeut mettre en liberté vne cité corrompue,
felle y eft , l'y maintenir & garder. chapi
tre xvij. 44
Qu'apres un excellent Princef'enpeutfupporter un tel
quel,mais non pas deux l'un apres l'autre. cha
pure xix. 46
Comme deux fucceßions continuees de Princes ver
tueuxfont degrandes chofes. chap.xx. 48
Quel blafmemeritent ceuxqui ne tiennent leursfub
rect aguerris. chap.xxi. 48
Que c'est qu'on peut apprendre de l'hiftoire des trois
Horaces Romains & des trou Curiaces Albanoi.
chapitre xxy, 49
"
Comme on ne doit à vn coup mettre tout lefien à l'ad
uenture,qu'on nedeploye aux champs l'arriereban de
fapuissance. chap.xxij. sa
Es Republiques bien reigleesy aguerdons peines or¬
donneesfelon les merites n'y efchet aucune com
penfation. chap xxiiy 52
Que celuy qui veult reformer l'eftat ancien d'unpays
en doit retenirl'apparence. chap.xxv. 53
Vn nouueau Prince doit faire toutes chofes nouuelles en
pays deconquefte. chap.xxvi. 54
Qu'iln'y a gueres degens quifçachent estre tous bons
ou tousmauuais. chap.xxvy. 54
Pourquoy les Atheniensfurent plus ingratz à leurs
citoyens que lesRomains. cha.xxvij . SS
Lequel eft le plus ingrat, vn Roy ou un Peuple.
chap.xxix. 56
Que doit faire un Roy ou une feigneurie pour fegar
der du vice d'ingratitude, les capitaines & ci
toyenspour n'en receuoir encombrier.cha.xxx. 58
QueRomenepunifoitfes capitaines de peine extraor
dinaire,quelquefaute qu'ils euffentfaite à leur ef
cientou par ignorance,& quelque dommage qu'elle
cha.xxxi. 60
en euft receú.
VnRoy & uneſeigneurie ne doit attendre à la neceßi
61
té à fer degracieufeté auxfiens. cha. xxxy.
Quand un mal naift & croist en une Republique , il
vault mieux temporifer que lehurter de pleine vio
lence. cha.xxxiy . 62
Que l'eftat de dictature ne fut que tres proufitable à
Rome queles auctorite qui font donnees defran
che eflite ne nuyfent,mais celles qu'un hommeprend
64
vfurpe deluy mefme. chap. xxxiiy.
D'où vint queledecemuiratfeift tant de dommage à
Rome veu qu'ilfe creoitpar voix & fuffragesfranch
66
publiques. chap. XXXV.
Ceux qui ont estéengrand digniténe doiuet auoir hon
te d'unemoindre. chap. xxxvi. 67
Desfcandales quefeit à Rome la loy Agrarie, & que
c'eft lepropre de toutes loix qui regardēt trop derriere.
68
chap.xxxvy.
nepetitefeigneurienepeult eftre bien refolue , & en
cas dedeliberation neprend iamais le bon partyfine
ceßité ne luy renge. chap. xxxviy 70
Que l'on voidfouuentpareilz accidens en diuersPeu
78" 72
ples. chap.xxxix.
De la creation du decemuirat à Rome , & des pointz
quiyfont à confiderer , & entre autres comme l'on
peultruiner & fauuerunpayspar meſme moyen.
chap. xl. 73
Qu'il n'eftpasbon à un homme de faulter d'humilité
en arrogance & d'humanité en cruauté fans moyen.
chap.xli. 78
Comme les hommesfe changent ayfément.cha.xlij. 79
Que ceux qui combatent pour leur honneur propre font
bons loyaux soldatz. chap. xli . 79
Que c'est peu de choſe d'une compagnie fans chef,
qu'il ne fault pas menacer , puis farmer.
chap. xluy. 80
Que c'eft chofe de mauuais exemple d'enfraindre une
loy qu'on vientdefaire, mefmement quand celuy la
rompt gnilafaille : Etqu'il y a gros danger à conti
nuerparpeinesfurpeines la perfecution de quelque
eftatd'une ville. chap.xlv. 81
Que lesgens communémentſaultent d'une conuoitiſe à
Pautre, & penfent à affaillir leur ennemy auant que
feftrefortifiex. chap.xlvj. 82
Quefilesgensfabufent engeneral,enparticulier, ils ne
faillenspas ainfi. chap.xlvi. 84
Pourfaire qu'vn office nefoit conferé à mefchansgens,
ou de trop vile condition il enfault a tiltrer de mife
rables & deteftables qui le demandent, ou de trefpar
faitz & trefnobles. chap.xlviy. 86
Si les villes nees en libertéont tant de peine à trouuer
boix qui les y maintiennent , celles qui ont en leur
naiſſanceferue & fubiecte,en doyuent bien auoir.
chap.xlix. 87
Qu'on ne doit laifferenla puiffance d'un office , ou d'vn
1

Confeilde retenir & arrefter le cous des actes publi


89
FEA

ques. chap. l.
Comme un Prince& une Seigneurie doitfaire de ne
ceßité vertu. chap.li. 89
Le meilleur moyen & leplusfeurpour reprimer l'info
lenced'un grandfeigneur,c'eft deluy trencher le che
minparoù ilpretendparuenir àfesfins chap. lij. 90
Souuentesfoys le Peuple demandefaperte ,penfant que
foitfon bien, fepaift de haulte efperance & de
brauespromeffes, chap.liy. 92
Quelle vertu a ungrand perfonnage pour appaifer vne
feditionpopulaire. chap.Luy. 94
Comme les affaires fe portent volontiers bien en une
ville où la commune n'est corrompuë , & qu'il n'eft
1 poßible d'eriger Royaume en lieu où egalité regne,
fans laquelle au contraire on ne sçauroit fonder vno
Republique. chap lv. 91
Quand quelquegrandfortune doit auenir à vnpays,il
ya toufioursgens & fignes qui en aduertiſſent de
uant. chap lvi. 98
Qu'un Peuple affemblé eftfort , à part eft moins que
rien . chap.lvy. 99
Peuple eft plusfage & constantqu'vn Prince.
chap. lvuj. 100
Quelle ligue ou alliance eft plusfeure d'une commu
nauteou d'un Prince. chap. lix. 104
Comme le Confulat lesautres estarz de Rome fe
donnoient,fans auoir efgard à l'aage, cha. lx. 105

TABLE DV SECOND
Liure.

Fueillet 106
Rface.
Laquellefut plus cauſe de l'Empire des Romains,
ou Vertu ou Fortune. chap.i. 110
Contrequel peuples les Romains ont eu à combatre,
auecquelleobftination ils defendoret leur liberté.
chap.y. 112
Que Romefeft agrandie des ruynes de fes voyfins ,
par le recueil des eftranges, aufquel ellefaifoit part
defesbiens honneurs . chap.iy. 117
Comme les Republiques ont vfé de trois moyens ,pour
.
L'augmenter & agrandir. chap. ii . 119
Que le changementdesfectes & langues, l'accident
desdeluges & peftes ont effaint la memoire des cho
fespaffees. chap.v. 122
Commeles Romainsprocedoient aufait de laguerre.
chap.vi. 124
7
30513 Quelleportion de terre les Romains donnoientpour teſte
à chacuneperfonne de leur colonie. cha. vy. 126
Lacaufe qui meut les peuples àfortir de leur lieu na

te turel occuper &innoder autre pays.cha.viij.126


Quelles caufesfont communément fourdre guerre entre
5 les Potentat grans Seigneurs . chaax . 129
77
Que lesdeniers nefont le nerfde laguerre comme efti
mel'opinion commune. chap.x. 130
Que ce n'eft prudenceprendre aliance d'vn Prince , qui
plus ayt d'estime que de puiſſance. chap.xi. 133
Lequel eft meilleur,quand onfe doute d'eftre affuilly, on
menerguerre,ou l'atendre. chap.xy. 134
Queplus on monte de baffe en hautefortune parfraude,
queparforce. chap xiÿ. 137
Souuentesfoys les hommesfabufent, cuydanspar humi
lité vaincreoutrecuydance. chap.xiiy. 139
Comme les eftat debiles font toufiours incertains
ambiguz à fe refoudre, que iamais les deliberatios
lentes & tardiues nefont bonnes.chap.xv. 140
Combien lesSoldatz, en noftre tempsfeflongnet de l'an
a cienneordonnance deguerre. chap.xvi. 142
Combienfe doit en noftre temps eftimer l'artillerie,
àfçauoirfi l'opinion que nous en auõs eft vraye en ´v
niuerfel. chap xvij. 145
Comme par l'autoritédes Romains, & par les exemples
de l'antique vfance de guerre , l'on doit plus eftimer
lesfanteries & gens depied,quela caualerie.
chap.xvij. 150
Que les aqueft enRepublique mal ordonnee , & qui
neprocede felon la vertu Romaine , luy tournent à
ruynepluftoft qu'à accroiſſement & auantage.
chap. xix. 153
En quel dangerfe met le Prince & la Republique qui
fe fert de folde auxiliaire , on mercenaire.
chap. xx. 156
LepremierPreteur que les Romains enuoyerent hors la
ville ,fut à Capue, quatre cens ans apres qu'ils
commencerent à fairelaguerre. chap. xxi. 158
Combienfoutfaulfesplufieursfoys les opiniõs des hom
mes fur le jugement des chofesgrandes.
chap. xxij. 160
Comme les Romains au iugement qu'ils faifoient de
leursfubiet , par aucunaccident qui les y contrai»
gnoit , toufiours fuyoient la moyenne voye.
chap.xxij. 162
Quegeneralement les fortereſſes portent plus de dom
mage que deprofit. chap. xxi . 165
Que c'eft party fe contrariant affaillir vne Cité- di
uifee pourloccuper ,moyennant fa diwifion .
chap.xxv. 171
Comme lesiniures reproches n'engedrent que hayne
fansprofit àceux qui en vent. chap.xxvi 172
Vn Prince prudent & vne Republique fe doguent
contenter de la victoire , de paour que paſſans outre
ils ne perdent ce qu'ils auoient gaigné.
chap. xxvij. 173
Quel danger peult encourir vne Republique ou va
Prince,parfaute de venger punir une iniurefaite
à une comunauté,ouperfonneprince.ch . xxvij. 175

.
E

Fortune aueugle les efprit des hommes quand el


lene veult qu'ils f'opposent à fes deffeins.
chap.xxix. 177
Les Republiques & les Princes de vraye puiffance &
bienfondée, ne comparent les amytiez par argent ›
mais par vertu reputation de leursforces.
chap. xxx. 179
Combien de danger y a d'aioufter foy fiance aux
banniz. 182
chap.xxxi.
De combiende moyens vfoient les Romains pour gai
gner& emporter lesplaces. chap. xxxij. 183
Comme les Romains donnoient les commißions libres
auxchef deleurs armees. chap. xxxij. 185

TABLE DV TROISIESME
Liure.

Pour maintenir une secte on Republique en lon


gue vie,lafaultfouuent retirer versfes commã
cemens. 187
chap.i.
Que c'efttour defapience defimuler & contrefaire un
chap.ÿ. 190
tempslefol.
Comme il eft neceffaire,à qui veult maintenir un eſtat
de liberté aquis de nouueau,tuer lefilx de Brutus.
192
shap.ij.
VnPrince nepeult viure affeuré defa feigneurie tan
dis que viuent ceux qui en ont efté dépouillez
chap.iy. 193
Quifait perdre un Royaume au Roy à qui il eſt here
ditaire. 194
chap.v.
39
Desconiurations. chap.vi. 195
D'où vient qu'entre les mutations de liberté en ferui
tude, deferuitude en liberté , aucunes ſefontfans
effufion defang,les autresyfont toutes baignees.
chap.vy. 210
Qui veult alterer vne Republique, doit confiderer fon
+ 211
Jubiet. chap. vij.
Comme ilconuient varier auecques le temps , qui veule
entretenir tousiours fa bonne fortune .
chap.ix. 273
Que le Capitaine nepeult euiter la bataille quand fon
ennemy bon gré mal gré la luy veut lurer.
chap.x. 275
Qui a affaire àplusieurs, combien qu'il ne foit plus forts
toutesfoysfilpeultfouftenir les premiers efforts peult
emporterla victoire. chap. xi. 217
Comme le Capitaine prudent doit impoſer aux fiens
toute neceßitéde combatre, & l'ofter àfes ennemys.
chap.xy. 219
Auquely aplus defiance, en un bon chefayant mau
uaife armee owen vne bonne armee ayant un m14
waischef. chap.xiij. 222
De quel effaitfont les inuentions nouuelles qui aparoif
fentfur lefort de la bataille, les voix nouuelles qui
fy entendent. chạp xuy 223
Qu'il n'enfautqu'un à commander à une armee , &
commeplufieursy nupfent. chap. xv. 225
Que l'on va chercher la vraye vertu au temps des af
faires, enprosperitéfent en credit des plus riches
mieux aparentez,non pas lesgens vertueux.
chap.

!
¿ chapitre xvi. 227
Que l'on nedoit offenfer un homme , & puis l'enuoyer
"
en administration & gouvernement d'importance.
chapitre xvy. 229
In'y a rien plus digne d'vn Capitaine , que de fentir
les entreprises defon ennemy auant lecoup. chapi
tre xviy. 230
Aſeauoirfi àregir & gouuerner une multitude est
plus neceffaire le doux que le rigoureux traitement.
chapitre xix. 232
Vn exemple d'humanité ent plus de pouuoir enuers
les Falifques , que toute laforce Romaine. chapi
tre xx .
233
Commefe peut faire qu'Annibal par ce moyen de

procedertout cotrairefit en Italie les mefmes effectz
que Scipion en Efpagne. chap.xxj. 234
Comme la rudeffe de Manlius Torquatus , & l'huma
nité de Valerius Coruinus , leur ont acquis pareille
・gloire. chap.xxy. 236
Quelles caufes chafferent Camille de Rome. chapi
tre xxi . 240
La prolongation des commißions & charges des ar
mesa efté caufe de la feruitude de Rome. cha
pitre xxiiy . 240
De la pauureté de Cincinatus, & de plufieurs citoyens
1
Romains. chap.xxv. 242
Comme à l'occafion desfemmes un eftat eft ruyné.
7 chapitr
e xxvi. 243
Comme une citédiuifee fe doit vnir , & comme l'opi
nion eftfaufe, quepour tenir une cité il lafaille te
00
A

niren partialité& diuifion. chap.xxvij. 244


Que l'on doit prendre garde aux œuures des citoyens:
parcequeſouuent ou vne action honneftegift vn com
mencement de tyrannie. chap.xxviy. 246
Quelespechezdes peuplesprocedent des Princes. cha
pitre xxix. 247
A vn citoyen , qui veut faire en vne Republique
quelque bonne cuure defon autorité, luy conuiens
eftaindre l'enuie: contre la venue de l'ennemy
quel ordre doit eftre mis à la deffenfe d'une ville.
chap.xxx. 248
Les Republiquesfortes & lesperfonnages excellens en
toutefortune tiennent un cueur pareil , & leur di
gnité mesme. chap.xxxi. 257
Quel moyens aucuns ont tenupour troubler unepaix.
chapitre xxxy 254
Comme il eft neceffaire , à qui veut gaigner la batail
le, mettrefon armee en affeurance & confiance,tant
entre eux qu'enuers leur Capitaine. chap.xxxij.
254
Quelle renommee, voix,ou opinion induit lepeuple àfa
uorifer un citoyen: Et lequel par plus grande fru
dence diftribue les Magiftrate offices , le peuple
on le Prince. chapure xxxuy. 256
Combien eft dangereux fe porter chefde confeil de
quelque entreprife , comme d'autant plus qu'ily
a d'extraordinaire, plus grand y eft le peril. cha
putre xxxv. 259
La cauſe pourquoy les Françoys ont efté & font en
cores eftumeen une bataille au commencementplus
qu'hommes , apres moins quefemmes. cha
pure xxxvi. 261
Afauoirfi les efearmouches & legers conflitz font
0 neceffaires,& quel moyeny afans iceux , de connoi
J. "
fire un ennemynouueau. chap. xxxvij. 263
Queldoit eftre un Capitaine,auquel vne armeefedeuft
fier. chap.xxxvij. 255
Qu'un Capitaine doit eftre expert en la connoiffance des
fituations. chap. xxxix. 266
Commelafraude aufait de laguerre tourne àgloire.
chap.xl. 268
Quela patriefe doitdefendre, ou à deshoneur, ou àgloi
re, &en toutes manieres eft bien defendue.
chap. xli. 269
Que lespromeffesfaitesparforce,nefont à obferuer.
chap.xly. 270
Que les hommes qui naiſſent en une contree gardent
prefque en tout temps vne meſme nature.
chap.xliy . 271
Souuentesfays on emporte d'audace & deforce , ce que
parmoyens ordinaires iamais on n'obtiendroit.
chap.xliiy. 272
Lequel eft meilleurparty en une bataille ſouftenir l'ef
fort des ennemys, apres donner dedans, ou les en
foncer deprimefurie. chap.xlv. 273
D'où vient qu'en vne Cité, vne maiſon & famillegar
depour un temps , & fentretient en mefmes meurs
conditions. chap. xlvi. 274
Qu'un bon Citoyen doit , pour l'amour du pays , oublier
Jes iniures & querelles priuees. cha.xlvi. 275
004
Quand on voidfon ennemy commettre faute grande,
Pon doit redouter quelque faute cachee deffoubs. 6
chap.xlviÿ. 275
Vne Republique , pourla maintenir en liberté, a befoing
de jour en tour de nouuel ordre & pouruoyance , &
par telz merites Q. Fabius emporta titre de tref
grand. chap.xlix. 276

FIN DE LA TABLE
DES CHAPITRES.

33 andfas

£ 5
T
1

"

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