Vous êtes sur la page 1sur 173

A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression
“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d’utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l’attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d’afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère.

À propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frano̧ais, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http://books.google.com
HD WIDENER

17494
2 .511 HW JN4K T
17494.2 .5 )

RD IA DIA
HA KARD
NA
ET
immmmmmm ECCLES,
NOUIN
EMIA
ISTO

VERI 9
S
RI

1
CH

O 9
V
O 0
JV

Ibarvard College Library


THE GIFT OF
FRIENDS OF THE LIBRARY
BEPPO
HISTOIRE VÉNITIENNE
( A VENETIAN STORY)
D
・ AY
S. CLOGENSON

ВЕРРО
POËME
De BYRON
TRADUIT EN VERS FRANÇAIS , AVEC TEXTE ANGLAIS EN REGARD

PARIS,
MICHEL LÉVY FRÈRES , LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE , 2 bis, ET BOULEVARD DES Italiens , 15,
A LA LIBRAIRIE -NOUVELLE.

1865
12.494 .2 .51
tryq4 . 3 . 61

6 . HARVARD COLEGE LIBRARY


THE GIFT OF
FRIENDS OF THE LIBRARY
M ar 4 ,19 30
A OCTAVE FEUILLET
DE L 'ACADÉMIE FRANÇAIS E

Mon Ami,

Vous avez bien voulu accepter la dédicace de


ce petit livre , - je vous en remercie .

Sur ces mêmes pages où se lit déjà le nom de


Byron , je suis fier , croyez-le , de pouvoir écrire
le vôtre, un des plus beaux de notre littérature
et le plus pur que je connaisse .
S. C .
A VANT - PROPOS

Le petit poëme que j'ai entrepris de traduire (et de traduire


en vers, - audace grande et tout-à -fait inusitée par le temps
qui court), est généralement peu connu en France ; c'est à peine
si parmi les admirateurs du génie de Byron , il est quelques
rares esprits qui veuillent bien le considérer comme une cuvre
dignede fixer l'attention. Pour la plupart, vu son peu d 'étendue,
c'est une boutade et rien de plus.
L 'illustre auteur de Childe-Harold ne pensait pas ainsi ; – il
était fier d'avoir écritBeppo , quoique dans le principe,peut-être,
il ait lui-même attaché peu d 'importance à cette composition. La
critique, dont tant qu'il vécut il redouta les jugements, lui re
prochait d 'être monotone; il voulutprouver que ses chants pou
vaient avoir d'autres notes que celles qu'ilavait jusqu'alors fait
entendre , non moins vibrantes et non moins pures, et qu 'il avait
non-seulement du génie,mais de l'espritau besoin . Beppo fut
pour Byron un essai dans un genre nouveau , pour lequel sa
muse désolée, et si souvent désolante, ne semblait pas faite.
AVANT- PROPOS.
C'est à cette heureuse tentative que nous devons Don Juan , ce
poëme prodigieux, inimitable, dont rien jusqu'alors n'avaitoffert
le modèle, sans égal dans les littératures anciennes etmodernes
etoù le génie merveilleux du poëte sème à pleines mains ses
inépuisables trésors .
En adressant son manuscrit à son éditeur, M . Murray :
« J'ai composé , dit- il (Venise, octobre 1817), un poëme humo
« rous, dans le genre de Whistlecraft ; – une anecdote véni
a tienne qui m 'a beaucoup amusé en est le sujet. Il a pour
« titre Beppo (c'est une abréviation de Giuseppe, qui équivaut
« à notre Joe, en italien ) . On y trouve de la politique et beau
« coup d 'audace . . . . . . Whistlecraft, dit-il, plus loin , est mon
a modèle immédiat, mais Berni est le père de ce genre de com
« position qui, selon moi, s'adapte merveilleusement à notre
« langue. Nous en ferons l'épreuve ; cela servira du moins à
« prouver que je puis traiter des sujets gais, et me justifiera
« sans doute de l' accusation demonotonie portée contre moi.
« En cas de succès, je vous en enverraid 'autres dans le même
« genre, car je connaisla vie des Italiens et la connaîtraimieux
a dans un an ou deux; quantaux vers et à la peinture despas
« sions, je me sens encore passablement de vigueur. »
Quelquesmois plus tard , en effet (septembre 1818 ), nous le
verrons, fidèle à sa promesse, envoyer à M . Murray le premier
chant de Don Juan : - « C'est un ouvrage dans le goût et le
« style de Beppo, lui écrit-il; - le succès de ce poëme m 'a en
AVANT-PROPOS.

& couragé à continuer . » - Beppo, en effet, que le poëte avait


tenu d'abord à faire paraître sans nom d'auteur, à cause des al
lusions politiques, avaitaussitôt après sa publication (mai 1818),
obtenu à Londres un succès de popularité . Cet essai, sipeu dans
le genre habituel de Byron , avait ainsi ouvert devant lui une
route nouvelle où son esprit et son génie étaientdestinés à obte
nir les triomphes les plus éclatants.

Mon intention n'est pas d'entreprendre le récit de la vie si ex


traordinaire , si aventureuse de lord Byron , du jour de sa nais
sance à l'instantde sa mort,ni de me permettre la moindre dis
sertation plus ou moins savante à propos de ses cuvres. J'en
aurais été tenté cependant; — mais les mémoires de Moore sont
là , qui rendent toute notice biographique à peu près inutile, et
quant à l'appréciation ,au point de vue littéraire, d'un aussi ad
mirable génie, j'avoue humblement que je ne me reconnais
qu’une aptitude, – l'admiration. Il serait à désirer pourtant
que, commehomme, aussi bien que comme poëte, Byron fût
connu autrement que Moore ne nous le fait connaître. Je lui
voudrais un juge moins candide et moins pusillanime que cet
ami sur lequel il a trop compté .

Mais, sans rien me permettre qui puisse avoir l'air d'une bio
graphie , et encore moins d 'un jugement littéraire , peut- être ne
paraîtra -t-il pas hors de propos ici que je rappelle à quelle
époque de la vie de l'illustre poëte , à la suite de quels événe
10 AVANT -PROPOS.

ments et au milieu de quelles circonstances Beppo a été com


posé. Il n 'est pas sans intérêt, je crois, en présence d'une pro
duction de cette nature, de rechercher quelles influences ont
amené l'auteur à prendre la plume, et dans quelle situation d 'es
prit il se trouvait quand il a écrit. J'ai besoin pour cela de faire
en peu de mots l'historique des euvres qui,avantle poëme qui
nous occupe, avaientdéjà fait à Byron la célébrité méritée dont
il jouissait. Ce ne sera qu'un résuméde quelques pages .
Je diviserai la vie littéraire de Byron en trois périodes bien
distinctes : – La première est celle où il débute , - c' est une
époque de formation , où il ne connaît pas encore sa valeur, où
il fait l'épreuve de ses forces. Son premier essai n 'est pas heu
reux, ou du moins il est mal accueilli ; mais le jeune écrivain
qui se sent, et qu'exaspèrentlesmalveillantes critiques, les gros
sières attaques dont il est l'objet, se roidit, se révolte, appelle à
son aide toute la sauvage et indomptable énergie dont son âme
est douée, et donne la mesure de ce qu'il peut être , de ce qu'il
sera un jour. Les Heures de loisir sont le premier mot de cette
période, Childe-Harold en est le dernier. - - Dans la seconde, qui
coinmence au retour du poëte en Angleterre, Byron,par sa seule
puissance, s'est imposé à l'admiration de son pays, il s'est fait sa
place au premier rang , et personnene songe plus à la lui contes
ter. Son talent est dans sa plénitude, mais la société au milieu de
laquelle il vit met des entraves à l'impétuosité fougueuse de son
AVANT-PROPOS .

génie, l'arrête dans l'essor que, plus libre, il serait tenté de


prendre; ilest sous le joug (salutaire, dit Moore , je ne sais trop
pourquoi) des convenances, et n'ose pas encore ce qu'il osera
plus tard . C 'est l'époque du Giaour, de la Fiancée d'Abydos,
et de tant d 'autres poëmes écrits pour plaire au public , en vue
du lecteur, et où il tient sous le charme l'Angleterre émue et
attentive. - Latroisième période commence au moment où Byron
quitte pour la seconde fois sa patrie, qu'il ne doit plus revoir ;
il a rompu violemment tous les liens qui l'enchaînaient, il est
sorti du sein de la société, il est seul dans le monde, libre . . . . .
la licence et l'amertume de son esprit, que rien ne contient plus ,
se feront jour. — C est alors qu'il s'élèvera à cette hauteur pro
digieuse où personne, peut- être, ne le suivra jamais ; — c'est
alors qu'il osera Cain et Don Juan .
Cette division ainsi sommairement établie comme point de dé
part, jetons un coup d'ail rapide sur les événements qui déter
minèrent, accompagnèrent, suivirent chacune des créations du
poëte .
A vingt ans, six mois après sa sortie de Cambridge, il avait
débuté par la publication d'un modeste volume qui se recom
mandait à la bienveillance du lecteur par ce titre : Heures de
LOISIR, – recueil de poëmes originaux et de traductions en
vers, par GeorgesGordon , lord Byron ,mineur (un volume in -8•
de 200 pages. Newark, 1807).
T OS
10
AVAN - PROP ,

CommeMusset, il eût pu dire ;

Ce livre est toute ma jeunesse ;


Je l'ai fait sans presque y songer ;
Il y paraît, je le confesse ,
Et j'aurais pu le corriger.

Comme ceux de l'auteur de Namouna, en effet, ses premiers


vers sont d'un enfant, — mais là s'arrête la comparaison ; l'ac
cueil fait chez nos voisins aux Heures de loisir, fut bien diffé
rent de celui qu'on fit chez nous aux Contes d'Espagne et d'I
talie .Modeste et orgueilleux à la fois, Byron alléguait sa jeu
nesse et sa naissance ; sa modestie lui valutde sévères leçons
et son orgueil des injures. On lui dit que są minorité n 'était pas
une excuse à de mauvais vers, on le railla impitoyablement
sur son titre de lord . Le public fut froid à la lecture d'essais
inspirés par ses souvenirs des montagnes d'Ecosse, par les
hauts faits de ses ancêtres, par les transports d'un premier
amour,
an et par ses lectures d'Ossian, et la critique sembla
prendre à tâche d'étouffer ce génie quidemandait à naître. —
« La poésie de ce jeune lord , lit-on dans la Revue d'Edim
« bourg (livraison de janvier 1808 ), appartient à cette classe
« d'ouvrages qui est à bon droit maudite des hommes et des
« dieux.Ses conceptions sont d'un froid mortel, ne descendent
« ni ne s'élèvent, comme une eau stagnante . Nous le sup
AVANT-PROPOS. 13

« plions de croire qu'une certaine chaleur et quelque peu


a d 'imagination sont nécessaires pour constituer un poëme. »
- Jamais peut-être article plus ironique , plus acerbe , plus
décourageant ne fut écrit contre un pauvre auteur. Comme
virulence, je ne connais de comparable que la réponse qui y
fut faite. Mais cette sévérité excessive et cette malveillance
déployées contre le jeune lord, qui n 'avait d'autre tort que
celui d'obéir à la vocation, et d'être un peu fier de sa naissance ,
furent un bonheur. Ce qui devait le perdre le sauva , car
sous les coups qui lui furent portés, Byron se révéla.
L 'effet que cette inexplicable critique produisit sur lui quand
il en eut connaissance ne se comprend que quand on a étudié
son caractère inquiet, impressionnable, et qu'on sait avec quelle
anxiété fébrile il attendit toujours le jugement des revues. Ce
fut un coup terrible pour son orgueil de patricien et son
humble amour-propre d 'auteur ; - douze ans plus tard il y pen
sait encore : - « C 'était de la rage, dit-il, le besoin de résister
et d'obtenir réparation. ) – Mais la douleur et la honte se
turent bientôt,ou du moinsil les fit taire pour ne plus songer
qu'à ce qui devait être sa vengeance. Le jour même il se mit à
l’quvre : les premiers vers qui coulèrent de sa plume irritée
furent un soulagement pour son cour; mais comprenant que
toutes ses chances de grandeur future dépendaient de l'effort
qu'ilallait faire, il alla s'enfermer à Newstead, et là , pendant
huit ou dix mois, presque seul, se livrant à une étude appro
14 AVANT -PROPOS.

fondie de Pope, il travailla sans relâche au poëme satirique


qu'il méditait.
Ce fut seulement un an après l'agression dont il avait été
l'objet qu'il se décida à rentrer dans l'arène. Les Bardes de
l'Angleterre et les Critiques de l'Écosse,cette satire sur laquelle
il avait compté pour conquérir la place qu'il ambitionnait comme
poète, parurent vers le milieu de mars 1809, quelques jours
après qu'il eut pris à la Chambres des Pairs cette autre place à
laquelle l'appelait sa naissance. Tout le monde sait l'effet, je
puis dire prodigieux , que produisit ce poëme, et son retentisse
ment sur le Parnasse britannique. En quelques jours la première
édition fut épuisée . Byron s'était vengé; il avait avec sa plume
eu raison de ses détracteurs .
Ayant ainsi prouvé qu'il était poëte, c'est -à -dire doué d 'une
certaine chaleur etde quelque peu d 'imagination , et de force
à répondre à toutes les attaques, il ne songe plus alors qu'à
quitter l'Angleterre. L 'atmosphère de son pays ne fournit pas
assez d'air à ses vastes poumons, son génie est à l'étroit dans
cemonde où jusqu'alors il a vécu , son pied boiteux est impa
tient de fouler le sol de la Grèce. Depuis longtemps il avait le
désir de voir l’Orient ; rien ne le retenait, ni devoirs ni affec
tions, ilhâte donc ses préparatifs de départ. Au dernier moment
il apprend que ses bien-aimés cousins de la Revue d ' Edimbourg
préparent contre lui une nouvelle diatribe. Peu lui importe
AVANT-PROPOS. 15

maintenant, il connaît ses forces et il rit de leur impuissante


colère : « Malheureusement, dit-il, j'aurai passé le Bosphore
« avant que la prochaine livraison ait passé la Tweed, -
« mais j'espère bien en Perse .. .. . en allumer ma pipe . » Et
il quitte Londres ; — quinze jours plus tard ilmettait à la voile
pour Lisbonne.
C 'est alors que commence pour lui cette vie de pèlerinages
qui a valu à l'Angleterre ses premiers chefs- d'oeuvre. Irrité de
l'injustice de son pays, il va chercher au loin , dans le midi de
l'Europe et jusqu'en Asie, des émotions nouvelles. Il traverse
le Portugal, le sud de l'Espagne, visite la Sardaigne, la Sicile,
Malte ; - le 27 septembre ildébarque en Turquie, à Prévésa,
parcourt l'Albanie, où , le 31 octobre , à Janina, il commence le
premier chant de Childe-Harold . Puis, après des excursions en
Illyrie, en Chaonie , il se dirige vers Patras à travers l'Acarna
nie et l'Etolie. Le 24 novembre il est à Missolonghi, où quinze
ans plus tard il devait venir mourir.
« Si quelque esprit,dit à ce propos l'auteur des Mémoires sur
« sa vie (1) , eût pu alors lui révéler ce qui devait arriver dans
« cet intervalle de quinze années; s'il lui avait montré d 'un côté
« les triomphes qui l'attendaient, le pouvoir que son génie si
« multiple obtiendrait sur les cours, pour les élever ou les

(1) Thomas Moore,que j'aurai fréquemment l'occasion de citer.


16 AVANT-PROPOS .

« abaisser, pour les éclairer ou leur cacher la lumière , et s'il


« eût placé d 'un autre côté les inconvénients attachés à ce
« funeste don , la fatigue et le dégoût que l'imagination donne à
« l'âme, les ravages de ce feu intérieur qui consumecelui qui le
« possède, tandis qu'il éblouit les autres, l' envie que tant de
a grandeur excite parmi les autres hommes, le désir de ven
« geance qui les anime contre celui qui les force à regarder si
a haut pour l'admirer, on peut se le demander, eût-il accepté la
« gloire à de telles conditions ? N 'aurait-il pas, au contraire,
« trouvé que c'était l'acheter à un trop haut prix, et que cet
« état de guerre continuel contre le monde entier pendant sa
« vie, ne seraitque faiblement récompensé par une immorta
« lité que ce mêmemonde serait obligé de lui accorder après
« sa mort? »
Après un court séjour en Morée, il traverse le golfe de Lé
pante , et à la fin de décembre arrive à Athènes, où il passe
ſ'hiver. Le 5 mars suivant, il s'embarque pour Smyrne, où, le
28 , il écrit la dernière stance du deuxième chant de Childe
Harold . Le 14 mai il est à Constantinople, qu'il quitle après
deux mois de séjour pour revenir à Athènes. Il ne s'y arrête
pas,mais il y fixe son quartier général, et là , dans l'intervalle
de fréquentes excursions en Attique et en Morée, il compose ses
Imitations d 'Horace et la Malédiction de Minerve. Le 28 fé
vrier 1811 il y est encore , et, dans une lettre à samère, annonce
l'intention d'aller explorer l'Egypte. Mais n'ayant pu parvenir à
17
AVANT-PROPOS.

vendre son domaine de Newstead, faute d 'argent, il renonce à


son projet, part pour Malte, où, le 11 juin , il s'embarque pour
l'Angleterre, qu'il revoit enfin après une absence de deux
ans.

Quand Byron avait songéà quitter son pays,entraîné par la pas


sion des voyages etde l'inconnu, avide d'émotions et surtout de
liberté, la tournure misanthropique que des affections trompées
et des espérances déçues avaient donnée à son esprit, lui ren
dait facile le genre de la satire.Mais cette amertume qui se pro
duisait dans ses pensées et coulait de sa plume, n 'était pas au
fond de son coeur. L 'entraînement auquel il avait obéi en com
posant les Bardes de l'Angleterre et les critiques de l'Écosse,
s'explique par ce sentiment d 'une puissance jusqu'alors ignorée
qui se manifestail à lui, bien mieux quepar le plaisir de porter
des coups çà et et là , auquel on lui a reproché d 'avoir cédé.Mal
gré le peu d'espérance qu'avait donné sa première jeunesse de
la haute destinée qui l'attendait, cela avait déjà été un caractère
fort remarqué de sa nature, que cet amour de la solitude qui le
dominait, signe précurseur des goûts d'étude et d 'observation
de soi-même, auquel il dut ses plus admirables créations. Dès
son enfance, à Harrow , il avaitmontré cette disposition qui ne
fit que grandir chaque jour à mesure qu'il avança dans la vie.
« Ses voyages à l'étranger, dit Moore, eurent l'heureux avan
« tage, en le détachant de la société, de le mettre plus à même,
« illustre solitaire , de communiquer avec son propre esprit, et
18 AVANT-PROPOS.
a son départ fut un premier pas vers la complète expansion de
« ses facultés. » Il trouva dansl'isolement,au milieu de la foule,
cette indépendance de pensées qui, seule, laisse à l'esprit con
templatif l'entière liberté de ses idées. Il trouva dans ce rapide
et continuel changement de lieux et de scènes, d 'hommes et d 'u
sages, d'aventures et d' émotions, une variété d' excitations qui,
toujours renouvelées, rendit plus vigoureuse l'imagination dont
il était doué. A parcourir le monde il apprit à agrandir le
cercle de ses sympathies; à mesure que ses yeux embrassaient
un plus vaste horizon , tous les sentiments de son cæur durent
se développer, et sous l'influence énergique et salutaire de sa
vie errante, cette tristesse innée, cette mélancolie qui est le fond
de son caractère, en se combinant avec les effusions de son
âme ardente et généreuse ,devintune des principales causes de
sa grandeur.
Il revenait de ce premier voyage , dont j'ai sommairement
indiqué l'itinéraire , avec deux chants de Childe-Harold et de
nouveaux essais satiriques sur lesquels il comptait pour conso
lider sa réputation , bien plus que sur le poëme qui le mit d'un
jour à l'autre au premier rang parmi les écrivains de son siècle.
Rien n 'explique cette prédilection de Byron pour une production
aussi peu digne de sa plume que sa paraphrase de l'Art poëtique
d'Horace, et cette extrême défiance qu'il avait d'un poëme tel
que Childe-Harold , rempli de tant de beautés originales. Son
talent, paraît-il, était formé, mais son jugement ne l'était pas
AVANT-PROPOS .

encore . Néanmoins les instances réitérées de ses amis, juges plus


clairvoyants, finirent par triompher de ses hésitations, et il con
sentit à donner à l'impression ses deux premiers chants .
Selon M . de Lamartine (1) (et c'estune opinion aussi généra
lement admise que souvent répétée), Childe- Harold est le prête
nom de lord Byron . Le poëte, dit-il , qui avait d 'abord nie ,
avec affectation , cette identité avec son héros, en convient à la
fin de la préface deson quatrième chant. Je ne sais s'il est de
quelque importance que cette question soit tranchée; quoi qu'ilen
soit, je crois pouvoir dire que Byron ne convient pas de cette
complète personnification . Je ne connais pas de préface au qua
trième chant de Childe-Harold (composé à Venise six ans plus
tard) ; – je ne connais qu'une lettre du poëte à M .Hobhouse, du
2 janvier 1818, par laquelle il dédie son poëme à son ami, et qui
fut imprimée avec le quatrième chant. Après avoir dit que le
pèlerin paraîtra moins souvent sur la scène dans ce chant que
dans les précédents, il convient bien qu 'une ligne impercep
tible, simême il y en a une, sépare le héros de l'auteur parlant
en son nom ;mais l'assertion de M . de Lamartine, si elle n 'est
pas fondée sur autre chose, ne pourrait tout au plus s'appliquer
qu'à ce dernier chant. — « J'étais fatigué, ajoute Byron , d 'éta
« blir une ligne de démarcation que chacun s'obstinait à ne pas

(1) Voir l'avertissement qui précède le Dernier Chant du Pèlerinuge


d'Harold .
20 AVANT-PROPOS .

« voir. C'est en vain que je soutenais et m 'imaginais avoir établi


« une distinction entre l'auteur et le pèlerin ; le désir même
« que j'avais de conserver cette distinction , et mon désap
« pointement de la trouver inutile , paralysaient tellement
« mes efforts dans la composition, que je l'ai abandonnée .
« Les opinions, du reste, qui se sont formées , et pour
« raient se former encore à ce sujet , sont aujourd 'hui choses
a indifférentes. C' est le poëme qu'il faut juger et non le
« poëte (1). »
Ne jugeons donc pas Byron , pas plus que tout autre écrivain ,
par ce qu'il a écrit et surtout par ce qu'il a fait dire aux héros de
ses poëmes.Il n'est pas plus Childe-Harold ,qu'il n'est le Giaour,
qu'il n'est Conrad, qu'il n'est le Comte dans Beppo, qu'il n'est
Don Juan . — « Il y a en lui, dit à ce sujet M . Benjamin Laroche,
a avec une grande justesse d'appréciation, deux caractères qu 'il

(1) Je dois ajouter cependant que Moore semble prêter quelque peu à
Byron l'intention de se peindre lui-même dans la personne de son pèlerin ,
et il s'appuie sur ce fait que la pensée premièredu poëte avait été de donner
à son héros l'ancien nom saxon de sa famille . Dans le manuscrit original,
å ce qu'il paraît, le nom de Childe- Harold définitivementadopté, remplace
celui de Childe-Burun raturé. Quant à moi, je me permets de tirer de cette
particularité une conclusion opposée : Si Byron a eu un moment l'intention
de se peindre , du moment qu'il a effacé le nom de Burun pour y substituer
elui de Harold , c'est qu'il a renoncé à se mettre en scène, et ilme semble
au contraire par là avoir protesté contre toute interprétation du genre de
celle que je discute.
AVANT-PROPOS 21

« ne faut pas confondre : il y a l'homme et l'écrivain . Juger de


« l'un par l'autre , c'est s'exposer à de singulières méprises.
« Dans ses actes , dans sa vie tumultueuse et fébrile, dans sa
« morthéroïque surtout, il est lui tout entier ;dans sesouvrages,
« du moins dans un certain nombre, il n'y a qu'une portion de
« lui, son imagination . Unewuvrelittéraire n 'est pas toujours et
« nécessairement une quvre de personnalité ; c'est le plus sou
a vent un écho de l'organisme, le rêve pittoresque d'une imagi
« nation prodigue et splendide. Les personnages que Byron a
« peints dans ses poëmes ne sont pas plus lui que les person
« nages de Molière ne sont Molière lui-même. »
En même temps que Childe- Harold , Byron se trouvait avoir
deux autres ouvrages sous presse : les Imitations d 'Horace et
la Malédiction de Minerve . Au mois de janvier 1812, les deux
chants du poëme étaient imprimés , mais quelques amis seule
ment furent favorisés de la lecture des épreuves. Ils parurent
eniin vers le 28 février ; c' était un jour ou deux après celui où le
jeune lord fit à la Chambre des pairs , non sans éclat, son pre
mier essai d ’éloquence parlementaire. — « Personne, dès lors,
« dit-il, ne songea plus à maprose. » — L 'impression , en effet,
que la lecture de ce poëmeproduisit sur les esprits futsaisissante ,
instantanée autant qu'elle devait être durable . La renommée de
l'auteur ne passa pas par les gradations ordinaires, elle s'éleva
etatteignit toute sa hauteur dans l'espace d'un jour. — « Je m 'é
« veillai un matin , dit-il, et metrouvai célèbre. » Il avait alors
22 AVANT-PROPOS.

vingt-quatre ans. Le génie du poëte fut assurément la cause pre


mière de ce succès, – mais à côté du succès sérieux, le livre eut
un succès de vogue, extraordinaire , inespéré, inouï, auquel il faut
encore chercher d 'autres causes.
Byron opérait une révolution dans la poésie. Les grands évé
nements du dernier siècle , les luttes mémorables dont l'Europe
avait été le théâtre , qui, en initiant les esprits aux idées de li
berté, en leur imprimant une impulsion nouvelle, en les excitant
aux entreprises audacieuses dans tous les genres , avaient déter
miné l'éclosion de son talent, avaient en même temps fait naître
dans les masses un besoin d 'émotions inconnues, incessantes,
et un mépris pour l'asservissement aux règles communes, –
même en littérature.Goethe et Schiller avaient déjà paru ;- il
entrait en scène sur leurs pas, jeune, plein d 'audace etde passion,
n 'obéissant qu 'à son sublimegénie, foulant aux pieds règles et
entraves, prêt à s'avancer comme un conquérant jusqu'aux der
nières limites du vaste empire de l'imagination ; – il devait
vaincre, c'est-à -dire imposer sa loi à la littérature de son pays.
Etpuis, tandis que parmiceux de sa race, tousles jeunes gensde
quelque valeur se présentaient, objets des espérances d'une
famille, entourés de leurs amis, prônés à l'avance, encouragés
pardes éloges anticipés, lui,héritier d'un vieux nom jadis illustre ,
s'était présenté seul sans être annoncé ni attendu, sans une voix
amie pourle soutenir, sans unemain tendue pour le guider. Lors
qu'il était venu, trois ans auparavant, pour la première fois
AVANT-PROPOS.

occuper son siége à la Chambre des Pairs, le jeune lord n 'avait


dû qu'au hasard seul de trouver dans M . Dallas, parent fort
éloigné et complétement inconnu, un introducteur pour l'accom
pagner jusqu 'à la barre de la Chambre. Lorsqu'il avait publié son
premier livre,on avait répondu au poëte par l'ironie et l'insulte ;
mais étaientvenues les représailles : sa disparition dela scène,
après ce premier triomphe, son exil volontaire de deux ans, c'en
était assez pour préparer le lecteur à l'entendre quand il revenait
à lui.
Etpuis enfin sajeunesse, la beauté de son visage, où sepeignait
unemélancolique tristesse , sa physionomie également faite pour
exprimer l'enthousiasme, le dédain, l'amour ou la haine, le
charme de sa voix , sa douceur et à l'occasion sa fierté, la singu
larité de tout ce qu 'on racontaitde ses habitudes etde son genre
de vie, les passions qu'il avait, disait-on, inspirées, tout cela était
bien de nature à exciter et à nourrir la curiosité .
Quant à lui, plein à la fois, comme je l'ai dit déjà , de modes
tie et d 'orgueil, il étaitconvaincu que le rang élevé qu 'il occupait
dans le monde par sa naissance était pour beaucoup dans son
succès : « J'en dois une grande partie, écrivait-il à M . Dallas, à
« mon titre de lord . » Et il n 'est pas impossible , en effet, quand
parut Childe-Harold , que dansla société où il vivait, l'admiration
pour le nouveau poëte n 'ait eu pour point de départ cette pensée,
flatteuse pour ses nobles lecteurs qu'il appartenait aux rangs de
l'aristocratie .
AVANT -PROPOS .

Nous avons vu que Byron avait sous presse , en mêmetemps


que Childe-Harold , ses Imitations d 'Horace et la Malédiction
de Minerve, satire contre lord Elgin ; mais cédantaux conseils de
ses amis, MM .Gifford et Dallas, il les sacrifia au moment où elles
allaient paraître (1). Une autre pièce satirique, fort inoffensive
celle-là, la Walse, fut écrite peu de tempsaprès pendantun séjour
qu'il fit en octobre à Cheltenham , mais elle ne parut qu'au prin
temps de 1813 , sans nom d'auteur, et fut, il faut le dire , si loin
de ce que le public attendait de sa plume, que l'on crut aisément
au désaveu qu'il en fit dans une lettre à M . Murray, du 24 avril.
Au mois de mai il prit sa revanche en offrant à l'impatience
de ses lecteurs un premier fragmentdu Giaour, qui fut accueilli
avec un véritable enthousiasme, bien que cette quvre n 'eût pas
encore toute la perfection qu 'il lui donna par la suite. La fable
de ce poëme est, comme chacun sait, une aventure fortémouvante
dans laquelle l'auteur joua à Athènesle principal rôle. Mais quant
à avoir été lui-même l'amantde la jeune esclave, comme nous le
raconte fort dramatiquement M . Paulin Paris (2), rien de moins
vraisemblable . La jeune fille dontil sauva la vie était simplement
la maîtresse d 'un des hommes de son escorte. Mais Byron eut
beau faire, invoquer même le témoignage public du marquis de

(1) La Malédiction deMinerve futpubliée pour la première fois en 1828.


(2) Dans la notice qui précède sa traduction des oeuvres de Byron.
AVANT-PROPOS . 25

Sligo qui s'était trouvé avec luià Athènes, le public tint à con
fondre dans une inême individualité l'auteur et son héros et prit
le Giaour pour la narration embellie par le génie du poëte d 'un
épisodede sa vie errante. Le Giaour est un remarquable exemple
de l'abondance de l'imagination de Byron une fois qu'il lui don
nait carrière. Ce poëme, qui n'avait que quatre cents vers lors de
la première édition , alla toujours s'augmentant pendant le cours
de l'impression et pendantl'intervalle d'une édition à l'autre ; il
est aujourd'huide quatorze cents .
La Fiancée d 'Abydos fut terminée le 13 novembre 1813 , et
parut le 2 décembre : « Je crois, raconte Byron dans ses Memo
« randa, que je me suis sauvé la vie en écrivant ce second conte
« turc, car je ne l'ai entrepris que pour détourner mes pensées
« De ce nom cher et sacré que je ne révèlerai jamais. »

Et ailleurs, dans une lettre à M . Gifford : « Voici, écrit-il, une


« histoire turque ; elle n 'a été écrite ni pour m 'amuser, ni par
« besoin de manger, ni pour faire plaisir à mes amis, maisdans
« une de ces situations d' esprit, si fréquentes dans la jeunesse,
« qui vous forcent à appliquer votre intelligence à quelque chose
a en dehors des réalités de cette vie. C 'est l'ouvrage d'une se
« maine et je l'ai composé stans pede in uno, le seul que j'aie
a de solide . » — Je ne me chargerai pas de révéler quel était
ce nom cher et sacré.... bien que je croie avoir deviné quelle
femme fut l'objet de cet amour malheureux qui, en désolant le
26 AVANT -PROPOS.

ceur de Byron, lui fit chercher dans l'inspiration un refuge contre


ses propres pensées et nous valut la Fiancée d 'Abydos. Je cons
tate seulement que ce poëme fut écrit dans un paroxismede
passion que la vie galante et aventureuse que le jeune lord me
nait à Londres à cette époque explique à merveille.
Le Corsaire, qui suivit de près la Fiancée , fut, comme elle,
écrit avec une rapidité prodigieuse , - con amore. Le poëte com
posait plusde deux cents vers par jour. Je ne cite cedétailque
parce qu'il prouve une fois de plus qu'écrire de passion est une
route plus sûre pour arriver à la perfection que toutes celles que
l'art a tracées. — « J'ai sous presse , écrivait lord Byron à son
« amiMoore, le 6 janvier 1814, une grande diable d 'histoire en
« vers alexandrins, intitulée le Corsaire. C 'est une île de pirates
« peuplée de gens sortis de mon cerveau. » — Mais il a beau
protester à l'avance contre les interprétations auxquelles il prévoit
que cette nouvelle création , comme les précédentes , pourra
donner lieu , ses lecteurs s'obstinent à le reconnaîtredans Conrad .
- « J'ai écrit à * **, dit-il quelque part dans les fragments qui
« ont été conservés de son Journal, le bruit qui s'est répandu de
« mon identité avec le Corsaire. Elle dit que cela n 'a rien d 'é.
« tonnant puisque Conrad me ressemble tant. Il est étrange
a qu'une personne quime connaît si intimement vienne medire
« cela à mon nez. Si elle partage cette opinion , qui diable ne
« l'adoptera pas! »
La publication de ce poëme,auquel avaient été jointesquelques
AVANT-PROPOS.

pièces de vers à allusions politiques, entre autres les stances sur


les larmes de la Princesse Charlotte, pleurant le discours que
le régent adressa à lord Landerla en 1812 , fut signalée par une
série d'attaques grossières contre l'auteur . Le Sun , le Herald ,
le Morning-Post et le Courrier le prirent à partie. Byron y était
représenté commeun conspirateur systématique, dont les écrits
étaient empoisonnés, comme une sorte de Richard III dif
forme de corps et d 'esprit. Des libelles ne se contentaient pas
d'attaquer ses principes, on alla jusqu 'à noircir sa vie, jusqu'à
l'accuser de honteux excès que les apparences semblaient
malheureusement justifier . Mais ces diatribes, Byron ne s'en
émeut pas encore, il les méprise de toute la hauteur de son génie,
illes écrase sousle poids de son dédain . « Vous avez probable
« ment lu , écrit-il, ces attaques contre contre moi;mapersonne
« matérielle elle-même (excellent sujet par parenthèse) est dé
« crite en vers qui offrent avec elle d'autant plus d 'analogie
« qu 'ils se tiennent assez mal sur leurs pieds. — Puis, dans
« une autre , je suis un athée, un rebelle, le diable enfin (boiteux
« je suppose) ; il paraît que c'est une femmequim 'a démonisé .»
J'ai dit que ces attaques multipliées dontil était l'objet firent
tout d'abord peu d'impression sur Byron ;mais il n'en fut plus ainsi
quand,après l'impression de son Ode sur la chute de Napoléon
etcelle de Lara (avril et juillet 1814 ), l'admiration du public, si
souvent sollicitée, parut tout-à-coup se ralentir. On se fatigue
d'admirer toujours ; les plus fervents admirateurs du poëte eux
28 AVANT-PROPOS.

mêmes n'étaient pas fâchés de se reposer un peu des éloges


qu'ils lui avaient si largement prodigués ; ses détracteurs pro
fitèrent de ces premiers symptômes de satiété pour hasarder des
critiques qui ne furent pas sans troubler cet esprit aussi fier de
la célébrité qu'il avait attachée à son nom que méfiant de ses
forces. Un courantrétrograde se manifesta , et Byron s'en aperçut.
Tant que cela n 'avait été qu'une sourde opposition contre le ton
de ses livres et les paradoxes dont il se plaisait à les remplir, le
dédaigneux écrivain avait tenu tête à l'orage et répondu par le
mépris ou l'ironie aux avertissements de l'opinion. Mais le jour où
il fut obligé de reconnaître que sa popularité était sur le point
d 'être compromise, un découragement si profond s'empara de
luià cette idée que le silence peut-être allait se faire autour de
son nom , qu'il conçut la pensée de punir l'Angleterre de son
abandon en lui reprenant les chefs-d'auvre dont il l'avaitdotée.
Cette désapprobation tacite qu 'il croyait entrevoir lui fit peur,
à lui qui devait user sa vie dans un duel sans relâche contre la
société. Ce fut à cette même époque qu'il reçut de Walter Scott
une lettre qui dut beaucoup influer sur l'étrange détermination
qu'il prit un matin, non - seulement de ne plus écrire, mais en
core de racheter la propriété de tous ses ouvrages et de ne plus
en laisser subsister une seule page : - « Si vous n 'écriviez pas
« si bien, lui disait le célèbre romancier — (à qui la même cri
« tique aurait pu être adressée) — je dirais que vous écrivez trop
« ou du moins que vous ne mettez pas assez d 'intervalle entre
AVANT-PROPOS. 29

« vos publications. » Mais, heureusement, cette détermination ,


résultat d'un moment de lassitude et de découragement, Byron
devait l'oublier dans la lutte qu'il allait avoir à soutenir .
Nous sommes arrivés à une époque de la vie de l'illustre
poëte dont je voudrais pouvoir m 'abstenir de parler. Il est im
prudent de raconter ce qu'on ne connaît qu'imparfaitement, plus
imprudent encore de hasarder un jugement,quel qu'il soil, sur
des choses qui, appartenant à l'intimité de la famille , sont par
ce fait en dehors de toute appréciation . Le mariage de lord
Byron avec miss Milbank et l'éclatante rupture qui suivit peu de
temps après sont de ces événements qui, tout historiques qu'ils
soient, imposent au biographe une réserve dont je tâcherai de ne
pas m 'écarter; je ne m 'en occuperai que pour expliquer le genre
d 'influence qu'ils exercèrent sur le caractère de l'homme au
point de vue de ses écrits .
Dans une de ces heures de trouble, comme il en est, paraît-il,
dans toutes les existences, même les plus glorieuses, Byron
avait dit : Une femme serait mon salut. Seul, sans famille , en
butte à d'incessantes attaques, fatigué de ces liaisons éphémères
qui occupaient sa vie sans la remplir, aux prises avec mille dif
ficultés, résultat de ses affaires embarrassées, il lui semblait
alors que des devoirs sérieux et des affections paisibles le sorti
raientde cesagitations, de ces luttes sans fin et de tous genres
dont il était las. Ses amis, convaincus que le temps était venu
qu'il cherchất dans le mariage un refuge contre tous les
30 · AVA -PRO ,
NT POS

orages de sa jeunesse, l'avaient depuis quelques mois déter


miné à tourner sérieusement ses pensées vers ce but. Mais
les hommes d 'un génie aussi extraordinaire, placés si en de
hors des sentiers battus de la vie, et tellement au-dessus,
par leur grandeur même, des influences de l'atmosphère com
mune, sont-ils des sujets bien propres à tenter la plus diffi
cile des expériences sociales , le mariage ? Voilà la question qu'ils
avaient oublié de se poser. Une fois déjà Byron avait cédé à
leurs sollicitations et demandé la main de miss Milbank, –
mais il avait été refusé. Il semblait en avoir pris son parti,
quand le découragement qui s'empara de son esprit, après la
publication de Lara, l'amena à tenter une nouvelle épreuve.
La calomnie qui, en Angleterre, s'est surtout attachée à ter
nir cette période de la vie du poëte, est allée jusqu'à dire
que cette seconde demande de la main de la jeune héritière (1)
n 'avait été faite que dans le but de se venger de l'affront de
son premier refus, et qu'il lui en avait fait l'aveu brutal le
jour même où il l'avait épousée. Il m 'est impossible, pour
mon compte, d 'accepter cette interprétation. Il me semble
évident, au contraire, que Byron éprouvait pour celle qui de
vint sa femme un sérieux attachement, je dirai même un vé

(1) Ou du moins de celle qui passaitdans le monde pour une riche héri
tière, - car il est constant qu 'à cette époque la fortune de miss Milbank
était peu de chose, comparée même aux débris de celle de Byron .
AVANT-PROPOS . 31

ritable amour. Il la connaissait depuis longtemps, et une cor


respondance assez suivie existait entre eux. En faut-il davan
tage pour expliquer comment, pressé par ses amis d 'en finir ,
en se mariant, avec sa vie de désordres, sa pensée, qui n'a
vait pas cessé de suivre miss Milbank, le porta à faire une
seconde demande, - qui cette fois, pour sonmalheur, fut agréée ?
- Veut- on une preuve des sentiments que je prête à lord Byron ?
- Qu'on lise les lettres qu 'il écrivait à ses amis après son ma
riage. Sa correspondance est celle d'un hommeheureux quise
félicite intérieurement du parti qu'il a pris. Le calme s'est fait
dans son esprit, sinon encore dans sa vie. Sa tristesse habituelle a
faitplaceà un enjouement inaccoutumé : Si l'on pouvait faire un
mariage à bail, il serait prêt à renouveler le sien pour quatre
vingt-dix -neuf ans. La manière affectueuse dont il parle de
Bella (1), l'admiration qu 'iléprouve pour elle , ne sauraient, à
mon avis, laisser aucun doute .
Cemariage qui devaitavoir des conséquences si funestes, qui,
par la suite, devait si peu donner à Byron les douceurs de la
vie de famille qu'il avait rêvées, mais au contraire faire éclater
sur sa tête tant de nouveaux et si terribles orages, fut célébré
le 2 janvier 1815 . Il était facile , dira-t-on , de prévoir que la
concorde et l'harmonie ne règneraient pas longtemps dans ce

(1) Isabelle était le prénom de lady Byron .


32 AVANT -PROPOS .

ménage d'un poëte et d'une femme savante . Toujours est-il que


pendant un an rien ne vint troubler l'accord , apparent du moins,
qui existait entre eux. Le 10 décembre, une fille était née , –
Ada, dont le nom sera immortel comme celui de son père; –
ce futpeu de temps après, toutà coup, sans motifs appréciables,
sans cause connue, qu'arriva cette éclatante rupture qui exerça
sur le génie de Byron délaissé d 'éternelles influences .
Jelaisse à l'auteurdes Mémoires sur la vie de Byron , à Moore ,
dont la partialité en faveur de lady Byron et de sa famille est
bien connue, la tâche délicate de raconter ce triste épisode :
« – Elle avait quitté Londres à la fin de janvier (1816 ) pour
« aller voir son père dans le Leicestershire, où lord Byron devait
« la suivre peu de temps après. Ils s'étaient séparés pleins de
« tendresse ; elle lui écrivit en route une lettre remplie d 'en
a jouement et d’affection , et aussitôt qu'elle fut arrivée à Kirkby
« Mallory, son père écrivit à lord Byron qu 'ellene retournerait plus
« vivre avec lui. Quand il reçut ce coup inattendu, ses embarras
« pécuniaires quis'étaientrapidementaugmentés pendant le cours
« de la dernière année, étaientparvenus à leur comble, et au mo
« ment où,pourme servir de ses énergiques expressions,il était:
Standing alone beside his desolate hearth
Where all his household gods lay shiver'd round him (1),
« il dut aussi recevoir la nouvelle foudroyante que la femme qui
(1) Don Juan , ch . I, st. XXXVI.
Mérites ou défauts, quelle que soit, en somme,
Tout bien considéré, l'opinion qu'on ait,
AVANT-PROPOS .

« venait de le quitter en parfaite harmonie se séparait de lui


« pour jamais . »
Comment supporta -t-il ce coup aussi douloureux qu'inal
tendu ? Quelles plaintes fit -il entendre ? Quels sentiments mani
festa -t-il ? — C'est à ses lettres , c'est au témoignage de ses
amis, le seul qu'on puisse invoquer pour et contre lni, que je le
demanderai. — « La faute ou le malheur, dit-il (1), ne vient
« pas du choix que j'ai fait, - à moins que mon tort n'ait été
« d'en faire un quelconque , - car je dois déclarer , au milieu
« de toute l'amertume dontme remplit cette funeste affaire, que
« je ne crois pas qu 'un êtremeilleur et plus doux , et doué de
« qualités plus aimables et plus brillantes que lady Byron ait
« existé avantelle .Je n'eus jamais aucun reproche à lui adresser
« tout le temps qu'elle vécut avecmoi ; s'il y eut des torts , ils
« ne peuvent être que de mon côté , et, sije ne puis les effacer,
« je dois savoir du moins en supporter les conséquences. » -
Voilà sa seule réponse aux calomniesquicirculentsur son compte,
- il assume tous les torts et se tait.

En fin de compte , il faut l'avouer, il avait


Largement eu sa part de chagrins, le pauvre homme!
- Cela ne fait nibien ni mal d'en convenir.
- Pensez , le malheureux, à ce qu 'il dut souffrir
Quand il vit , assis à son foyer solitaire
Ses dieux lares joncher le sol de leurs débris!.....
Il mourut..... Il n 'avait pas autre chose à faire;
C 'est le parti que tout homme sage aurait pris .
(Extrait d 'une traduction de Don Juan, que prépare l'auteur.)
(1) Lettre à Moore, du 8 mars 1816 .
AVANT-PROPOS .

Le récit que Moore fait des circonstances de la séparation ,


prouve assez qu'au moment où lady Byron quitta son mari, il
nepouvait exister en elle pas plus qu 'en lui aucun motif d 'inimitié
bien profonde. Ce ne fut que plus tard que la désunion com
mença véritablement à s'établir entre eux, quand celle qui avait
fait le premier pas crut,malgré des tentatives réitérées de rap
prochement, de sa dignité de persévérer dans la voie où elle était
entrée. Alors seulement cette inflexibilité provoqua dans l'âme
fière de Byron un profond ressentiment qu'on vit, par la suite , se
traduire par l'amertume et le dédain .
Aux demandes répétées qui lui étaient faites de spécifier les
torts qu'elle avait à reprocher à son mari, lady Byron opposa , i
tant qu'il vécut, un silence dont rien ne triomphạ. Moore dit ,
dans sa candeur, que ce fut par des motifs de générosité et de
délicatesse . ... . En vérité , j'ai peine à comprendre cette gé
nérosité et cette délicatesse qui eurent pour effetde laisser le
champ libre à toutes les interprétations. N 'alla -t-on pas jusqu 'à
dire que le remords de quelque crime secret troublait cette su
blime iutelligence ! Quant aux véritables causes qui avaient dé
terminé lady Byron à se séparer de lui, Byron , dit-on, les ignora
toujours ; mais connues ou inconnues, le résultat fut le même.
Une fois déjà , un sentiment d'indignation et de colère , provo
qué par l'injustice des hommes,avait, dans un moment de crise,
déterminé la subite éclosion de son génie ; cette fois encore ,
l'amertume dont son âme était remplie produisit sur son esprit
AVANT -PROPOS. 33

impressionnable un effet analogue. Son talent avait pris nais


sance dans la tristesse et les larmes, - la tristesse etles larmes
le portèrent à son apogée . Byron était né , comme l'a dit Goëthe,
pour être le poëte de la douleur.
Pendant toute l'année qui venait de s'écouler , il avait semblé
persister dans sa détermination dene plus écrire , ou du moins
on pouvait croire qu'influencé par le conseil de Walter Scott , il
comprenait qu 'il était prudent à luide solliciter moins souvent
l'attention de ses lecteurs . – Peu de temps après son mariage,
il avait, à la demandede son ami, M . Douglas-Kinnaird, composé
une serie de petits poëmes destinés à faire partie d'un recueil de
Mélodies hébraïques , qui parurent mises en musique par
MM . Braham et Nathan. Puis , de janvier à juillet, je ne sache
pas qu 'il ait repris la plume. A cette époque il avait commencé
le Siége de Corinthe , mais ce poëme ne semble pas avoir été
écrit avec cette rapidité mervilleuse qui caractérise les compo
sitions antérieures , car ce ne fut qu 'en janvier 1816 qu'il fut,
avec Parisina , livré à l'impression . Le manuscrit fut remis par
le poëte à son éditeur, copié de la main de sa femme, et, rap
prochement étrange, ce fut pendant qu'il était occupé à corriger
ses épreuves, que quelques jours plus tard il reçut la visite
inattendue desmédecins et avocats envoyés par lady Biron pour
constater sa folie.
A ces deux poëmes qui ne paraissent pas avoir eu un reten
tissement pareil à celui qu'avaient obtenu Childe-Harold , le
36 AVANT-PROPOS .

Giaour, la Fiancée d 'Abydos (sans doute parce que le public


était trop occupé des chagrins domestiques du poëte pour pou
voir prêter l'oreille à autre chose), succédèrent deux publica
tions d'un autre genre qui,celles-là , étaient de nature à satis
faire l'avide curiosité du lecteur: l’Esquisse et l'Adieu . Eles
parurentdans les journaux vers le milieu d 'avril et, reproduites
par divers éditeurs qui s' en emparèrent, sous le titre de :
Poëmes de lord Byron sur ses affaires domestiques, elles furent,
au milieu du tumulte et des clameurs qu'elles soulevèrent,diver
sement jugées (1).Jene parlerai pas de l'Esquisse, cri d'indigna
tion et de colère, peu digne peut-être du noble lord , mais que
l'état de son âme explique si elle ne le justifie pas. Quant à
l'Adieu , les uns y virent l'effusion d'un profond sentiment de
tendresse, un dernier appel qu'il était impossible qu'un cour de
femme n'entendit pas ; les autres , au contraire , le regardèrent
comme un fastueux étalage de fausse sensibilité, facile à l'art et
à l'imagination de son auteur. Jamais vers plus louchants ne
furent écrits en aucune langue. . .. . AussiMme de Staël, après
les avoir lus , s'écria-t-elle qu'elle se consolerait d'avoir été
malheureuse comme lady Byron , si elle avait inspiré de
semblables adieux.

(1) L 'Esquisse et l'Adieu n 'avaient pas été écrits pour être livrés à l'im
pression;s'ils furentpubliés, ce fut par suite du zèle inconsidéré d'un ami
à qui Byron les avait communiqués et contre sa volonté.
AVANT-PROPOS. 37

Mais lady Byron n 'était pas Mme de Staël , – elle fut sourde
à ce cri de désespoir qui, comme une ardente prière , s'élevait
vers elle, et qui nous émeut encore quand nous en enten
dons les plaintifs accents : - Quoique tu sois inexorable ,
jamais mon coeur ne se révoltera contre toi, avait dit le
poëte désolé ; mais bientôt, comprenant que c'en est fait de
toutes ses espérances , abandonné de sa femme, condamné par
le monde, il se résout à quitter l'Angleterre, cette patrie qui,
en échange de la gloire dont il l'avait dotée, ne lui avait donné
que des douleurs. Rien ne l'attache à ce pays où il a souffert,
qu'un seul être dont la confiante affection ne lui a jamais man
qué, sa soeur. A la veille de partir, il soulage son âme en écri
vantles admirables Stances à Augusta quisontles derniers vers
qu 'il ait composés dans son pays. Puis, le 25 avril, il s'embarque
à Ostende; - l'Angleterre ne devait plus le revoir.
L 'espèce d'excommunication que la société prononçait contre
Byron ne semblait lui laisser d'autre alternative que cet exil,
qui n'avait pas même pour sa fierté la consolation de paraître volon
taire. Mais qu 'avait-il donc fait pour quecette société le rejetâtde
son sein ? Pourquoi cet ostracisme? Pourquoicette rigueur ? Quel
était son crime? - Il avait profondémentblessé l'orgueilnational,
voilà tout. Ses railleries pour les lauriers dont se parait le duc de
Wellington, son dédain pour les alliés et son admiration pour les
adversaires de son pays, en réduisant à leur juste valeur les succès
de l'Angleterre, avaienttroublé la joie générale au lendemain du
AVANT-PROPOS.

triomphe. Sur d'autres sujets encore son septicismeironique avait


scandalisé la foule ; il avait dit à ses compatriotes de ces vérités
que l'on n 'aime pas trop à entendre , et le patriotisme et le cant
britanniques s'étaient soulevés contre lui. Tant qu'ilavait été de
bout et luttant, il en avait imposé ; — mais lemalheur était venu
l'abattre, c'était à qui le frapperait. Toute autreâmeque la sienne,
moins fortement trempée , eût succombé sous la disgrâce de
l'opinion ; mais chez lui, dont l'organisation avait en réserve une
force qui n'attendait que l'heure d'être employée , la violence
même du mal fut un bonheur etun premier soulagement. Trompe
dans ses plus intimes affections, poursuivi par les plus basses
calomnies,exaspéré par les plus odieuses provocations, il ne res
tait à son orgueil blessé d'autre ressource que de rassembler
toute son énergie, par ce même instinct de résistance, par ce
même besoin d 'obtenir réparation qui, à la veille de son pre
mier départ, sept ans auparavant, avaient fait naître les premières
facultésde sa jeune imagination, et quimaintenantallaientéveiller
des facultés nouvelles quisommeillaient encore en lui. Jusqu'alors
il n 'en avait soupçonné ni l'étendue ni la puissance ; mais quand
la volonté de triompher de l'injustice dans cette lutte dela société
tout entière contre lui, les lui eût révélées, il se jura qu'il ferait
taire ses calomniateurs en les étonnant par son audace , et que
son nom , sidécrié dans sa patrie, ill'imposerait à l'admiration du
monde entier .
Je ne suivrai pas le noble exilé dans ses pérégrinations à tra
AVANT-PROPOS. 339

vers la Flandre et sur les bords du Rhin ; j'ai hâte d'arriver à


l'époque plus féconde de son séjour en Suisse.
Après avoir rapidement visité Bruxelles, Waterloo , Coblentz,
Båle , Berne, Morat comme un homme qui, en fuyant espère
échapper aux cruels souvenirs qui le poursuivent, il arrive enfin
à Genève et s'y arrête. Mais le séjour de l'hôtel Sécheron où il
est d'abord descendu, et où il a rencontré le poëte Shelley, avec
lequel il s'est lié, ne satisfait pas au besoin qu'il éprouve de
repos, de solitude, de recueillement. Au bout d'une quinzaine, il
wa s'enfermer à Diodati, maison de campagne sur les bords du
lac, où il a résolu de passer l'été, et Shelley , à son exemple,s'ins
talle dans une villa voisine. Shelley, par les tendances bizarres et
mystiques auxquelles son système de philosophie l'avait conduit,
était une nature qui devait vivement et profondément intéresser
l'attention de Byron. L'intimité qui s'était tout d'abord établie
entre les deux poëtes, née d'abord du contraste mêmequi existait
entre leurs opinions, alla se reserrant chaque jour davantage à
mesure que dans la retraite ils apprirent à se connaître et furent
plus capables de s'apprécier. La vie qu 'ilsmenèrent alors pendant
plusieurs mois, se voyantchaque jour, parcourant ensemble le
pays décrit par Rousseau, son Héloïse à la main , échangeant
leurs pensées au pied des rochers de Meillerie, ou, sous les om
brages de Clarens, se communiquant leurs sensations à mesure
qu'elles naissaient, et les discutant chacun à son point de vue, ex
plique assez la facilité avec laquelle Byron, toujours accessible
40 AVANT-PROPOS.

aux impressions extérieures, adopta à cette époque les goûts et


les opinions de son nouvel ami. Chez Byron , l'idéal ne faisait
jamais oublier la réalité ; Shelley, au contraire, voyait et jugeait
toutes choses à travers le prismede son imagination. Letroisième
chant de Childe-Harold , terminé en juin à Diodati , porte déjà
comme l'empreinte de la présence de l'audacieux poëte philo
sophe ; au milieu des morceaux les plus énergiques et des plus
belles descriptions qui y abondent, on trouve çà et là des traces de
cette mysticité d 'expressions et de cette vague sublimité d 'idées
qui caractérisent les compositions de l'auteur de la Reine Mab.
A cette époque, le solitaire de Diodati n 'avait pas encore,
paraît-il, perdu tout espoir de ramener à lui lady Byron, mais une
visite qu'il fit à Coppet en juillet,eut pour résultat de luiarracher
sa dernière illusion. Il avait eu l'occasion de voir Mme de
Staël à Londres ; il futreçu par elle avec une cordialite qui le
toucha d 'autant plus que, sachant combien sa conduite étaitdéfa
vorablement jugée , il s'attendait peu à trouver en elle une grande
sympathie. Il lui laissa voir combien il était sensible à
son accueil , et quand Mme de Staël eut entendu en quels
termes il jugeait le parti que sa femme avait pris de se
séparer de lui, elle se flatta depouvoir aider à une réconciliation .
Elle eut assez d 'empire sur son hôte pour le déterminer à suivre
ses conseils, mais les négociations n ' eurent pas le succès qu 'elle i
espérait. Cette violence que Byron dut faire en cette occasion à
son orgueil pour en venir à une ouverture, eut pour effet de
AVANT-PROPOS. 11

changer en ressentiment les regrets qu'il éprouvait, et dès lors il


ne fut plus le maître d'imposer silence à l'irritation et à la colère
quetant de rigueur avait naturellement fait naître en lui.
On reconnaît les efforts que le poëte dut faire intérieurement
pour échapper à ses douloureuses pensées, dans l'activité surpre
pante que son génie déploya alors. Outre le troisième chant de
Childe-Harold , auquel il ajouta quelques stances relatives à sa
fille, ayant d'envoyer son manuscrit en Angleterre, il composa à
cette époque le Prisonnier de Chillon , les Ténèbres et le Rève ,
poëme que Moore caractérise si bien en le nommant la plus mé
lancolique histoire d'une vie errante (story of wandering life),
qui soit jamais sortie de la plume et du coeur d 'un homme. Les
stances à Augusta : Ma saur,ma tendre sæur, sontaussi de ce
temps où Byron a besoin de se rattacher aux seules affections qui
lui restent ; - il en est de même du fragment intitulé l’Incanta
tion , qu'il plaça plus tard dans Manfred . Il est inutile de dire à
qui s'adressent ces vers :
« Ton sommeil peut être profond, mais lon âme ne repo
« sera jamais ; il est desombres qui ne veulent pas disparaître ,
« des pensées que l'on ne peut éloigner. »
Outre le Vampire, roman commencé avec Mme Shelley, mais.
qu'il ne termina pas, il écrivit à Diodati un autre roman en prose,
le Mariage de Belphégor, qui était l'histoire de son propre ma
riage. Les traits sous lesquels l'épouse du démon y était repré
sentée sont ceux sous lesquels il peignit plus tard Dona Inèz
AVANT-PROPOS.

dans le premier chantde Don Juan .Mais pendant qu 'il écrivait,


ayant appris par des lettres d'Angleterre que lady Byron venait
detombermalade, son cøur,s'attendrissantà cette nouvelle, il jeta
sa plume et laissa de côté son ouvrage.
A partir du mois d'août, la solitude de l'illustre poëte fut sou
vent troublée par différentes visites qu'il reçut: ce fut d 'abord
Lewis, l'auteur du Moine,qui vint passer quelques jours avec lui
à Diodati; à Lewis succéda M . Richard Sharpe, puis après ses
deux amis, S. Davis et Hobhouse, vinrent tour à tour partager sa
retraite . L 'activité de son esprit ne suffisant pas à calmer les
souffrances de son coeur, il entreprit avec ce dernier une longue
excursion dans les Alpes bernoises, où il conçut l'idée de Man
fred . Au retour, l'hiver approchait ; le temps, du reste , que Byron
avait compté passer sur les bords du lacdeGenève était écoulé :
les deux amis résolurentalors de partir pour l'Italie. Au commen
cement d 'octobre donc, ils semirent en route par le Simplon et
le lac Majeur.
Le 15 octobre, Byron est à Milan , le 6 novembre il est à Vé
rone, et dix jours plus tard à Venise, où il compte rester jus
qu'au printemps.
Là, au lieu de chercher, comme à Diodati, le calme dans la
retraite et dans l'étude, au lieu de demander à la nature les
inspirations enthousiastes qui lui ont dicté les plus belles stro
phes du troisième chant de Childe-Harold , Byron cherche dans
l'étourdissement dumonde l'oubli du mal dont il souffre. Une
AVANT-PROPOS.

vie nouvelle commence pour lui, de plaisirs bruyants, d'amours


faciles, d 'excès de tous genres, bien différente de celle si aus
tère qu'il a menée depuis qu'il a quitté l'Angleterre. Son esprit
malade a besoin de tout cela pour moins souffrir, et, au milieu
de cette folle société vénitienne, il oublie un instantla réalité de
sa propre existence. Sa tristesse se dissipe, ou du moins fait
place par intervalles à une gaieté, factice peut-être, mais qui
l'enivre et le trompe lui-même. Ses lettres à ses amis, jusqu'a
lors empreintes de découragement, sont maintenant écrites sur
un ton qui peint merveilleusement le changement qui s'est
opéré en lui. Son ressentiment contre sa patrie ne se trahit plus
que par quelques coups de patte lancés en riant contre les
brouillards de Londres ou le puritanisme britannique ; il plaisante
joyeusement sur la vie qu'ilmène : « Tout d'abord , écrit-il, je
a suis tombé amoureux (fallen in love), ce qui, à l'exception de
a tomber dans le canal (ce qui n 'aurait pas été grave puisque
« je sais nager), était la meilleure ou la pire chose que je pusse
« faire. » — Et d'amours en amours, d 'aventures en aventures,
il surprend le secret de ces incurs italiennes dont bientôt il va
nous faire dans Beppo un si amusant et si délicieux tableau .
Sa seule occupation sérieuse est l'étude de l'arménien ; -
quant à la poésie, elle est complétement négligée : « La mienne,
« dit-il, n' est que le rêve des passions qui sommeillent; une
« fois réveillées je ne sais plus parler leur langage que dans des
AVANT-PROPOS.

« moments de somnambulisme, - et dans ce moment elles ne


a dorment pas. »
Cependant, après deux mois de séjour à Venise, il se décide
à reprendre la plume pour achever , ou plutôt pour écrire une
espèce de poëme ou de drame dialogué, en vers blancs,
qu'il avait ébauché pendant son séjour en Suisse. C'est de
Manfred qu'il est question , de Manfred qui, par les questions
philosophiques qu'il soulève, appartient davantage à cette
époque d'anxiétés et de douloureuses méditations qui caractéri
sent le séjour du poëte à Diodati et dans les Alpes bernoises,
qu'à celle où nous sommes arrivés , où Byron semble avoir pris à
tâche de tout oublier dans l'ivresse des plaisirs de la vie vénie
tienne. On sent, en lisant ce poëme (ou ce drame comme on
voudra l'appeler ), qu 'il a été conçu dans le voisinage et presque
sous les yeux de Shelley. Il n'est pas non plus impossible que
le Faust deGoëthe, dont Lewis fit à Diodati la lecture à son
hôte vers lemême temps , ait un peu contribué à la naissance
de Manfred , que Byron appellera plus tard le meilleur de ses
enfants båtards. Mais si, commeGoëthe, Byron a osé peindre
dans toute leur étendue etdans toutes leurs angoisses, ces ago
nies dont souffrent, par le retour continuel d 'un profond et dé
solant scepticisme, les grandes et méditatives intelligences,
entre le poëte anglais et le poëte allemand la différence est
néanmoins sensible. Goëthe a caché ses doutes sous le ter
rible déguisement de Faust, Byron ne fait que nous initier
AVANT- PROPOS .

aux. inquiétudes de son âme; - prenant le monde pour théâtre ,


il se découvre à tous les regards. Quelles que soient les in
définissables anxiétés que lui inspire le spectacle des mystères
de l'existence humaine, nos croyances n 'en sont pas ébran
lées ; son scepticisme a un caractère élevé et solennel qui le
rapproche de la foi; il a son contrepoids dans sa grandeur.
Conçu en Suisse en août ou septembre 1816 , écrit à Ve
nise en janvier et février 1817, Manfred ne fut achevé que
trois mois plus tard à Rome, d'où le manuscrit du troisième
acte fut adressé en Angleterre. Vers le 15 avril, Byron avait
quitté Venise , et, à son passage à Ferrare , écrit les Lamenta
tions du Tasse ; – puis, traversant Florence , il était venu
passer trois semaines dans la ville éternelle. Le 28 mai il est
de retour à Venise , et peu de jours après va s'installer à
quelque distance de la ville, à la Mira, sur les bords de la
Brenta . C 'est de cette résidence que, le 9 juillet, il annonce
à M . Murray qu'il vient d 'écrire cinquante-six stances de son
quatrième chant de Childe-Harold , et le 20, son poëme est
terminé.
Childe-Harold passe généralement pour avoir été l'ouvre de
prédilection de Byron ; cependant, peu de temps après avoir
terminé son quatrième chant, le plusmagnifique peut-être , voilà
ce qu'il écrivait :
« Quant à la poésie en général, plus j'y pense et plus je suis
« persuadé que Scott , Southey , Wordsworth , Moore , Campbell
AVANT-PROPOS.

« et moi sommes tous également dans une fausse route ; tous


« nous suivons un faux systèmede révolution poétique qui ne
« vaut rien , et dont Rogers et Crabbe sont seuls exempts. Je
« suismortifié de la distance immense qui existe , en fait de sens,
« de savoir, d'effet et même d'imagination entre le petit homme
a du temps de la reine Anne (1), et nous autres du Bas
« Empire. Croyez-le bien , tout était Horace alors, et tout est
« Claudien aujourd 'hui. Si je devais recommencer une carrière,
« je me façonnerais sur un autre moule . )
J'ai cité ce passage d'une lettre de Byron du 18 septembre
1817, parce que , à dater de cette époque, je crois remarquer
dans les productionsdu poëte une intention de réaction contre
ce système qu'il a jusqu'alors suivi et qu'il condamne. L'instant
n 'est pas éloigné où nous verrons apparaître Don Juan , cette
@ uvre extraordinaire à tous les points de vue, – où la froide
pénétration de l'âge mûr se trouve aussi bien que l'ardeur pas
sionnée de la jeunesse, où l'esprit et la sensibilité abondent
également , où les connaissances pratiques de l'homme qui a
vécu dans la société s'allient aux raisonnementsmétaphysiques
du philosophe et aux rêveries contemplatives du poëte. Admira
tion enthousiaste pour tout ce qui est beau , juste et grand, pro
fonde expérience de tout ce qu'il y a de plus fatal, rien ne man
quera à ce livre, dont la lecture nous fera tour à tour respirer

(1) Pope.
AVANT- PROPOS. 47

les émanations de la terre et les parfums du ciel. Depuis long


Temps sans doute , ce poëme existait comme un rêve dans l'ima
gination de Byron ;mais, avant de l'entreprendre,avantdel'écrire
et de se lancer dans un genre où sa plume allait avoir besoin
de tant de légèreté ,de tant d'audace,où elle allait être sollicitée
par tant d 'entraînements, il lui fallait exercer ses forces ; car il
pouvait douter que sa muse qui n 'avait jamais décrit que la
douleur, parvîntà se plier à tous ses caprices et à prendre cette
diversité d'allures à laquelle il fallait l'assujettir. Beppo fut
l'essai qu'il tenta dans ce genre si nouveau pour elle. Le poëte
se rendit-il compte, en l'écrivant, de ces intentions que je lui
prête et que je cherche à analyser ? — Non, sans doute ; - mais
Beppo n'en a pas moins, à mes yeux , l'honneur d'être le prélude
de Don Juan .
Si j'avais entrepris d 'écrire la vie de Byron , bien que le mo
ment approche où unemort héroïque viendra couronner cette
malheureuse et sublime existence, je serais encore loin d'avoir
accompli ma tâche. Il me resterait à parler de quelques poëmes
encore : Mazeppa, la Prophétie du Dante, la Vision du Ju
gement, l'Age de bronze , l'Ile ; des drames : Marino Fa
liero , le Ciel et la Terre, Sardanapale , les Deux Foscari ,
le Difforme transformé, Caïn , Werner, et des seize chants qui
composent ce Don Juan qui, tour à tour interrompu, repris ,
abandonné etrepris encore, est resté inachevé et nous apparaît,
tout incomplet qu'il est, prodigieux de beautés comme ces chefs
18 AVANT-PROPOS .

d 'œuvre mutilés de la statuaire antique. Mais mon intention n 'a


pas été de me faire l'historien d'une vie aussi connue que
celle de l'illustre poëte, et encore moins de signaler à l'admira
tion du lecteur les merveilles que j'ai pu découvrir dans ses.
cuvres. J'ai eu pour but uniquement et simplement de classer
un de ses poëmes , trop peu goûté à mon sens, en France du
moins (bien qu'il soit français par l'esprit et proche parent de
Mardoche et de Namouna), au rang qu'il me paraît mériter. Je
ne sais sima traduction de Beppo produira sur le lecteur qui,
sollicité par l'attrait et le prestige du nom de Byron , me fera
l'honneur de me lire, l'impression que l'original a produite sur
moi. Si le Beppo français ne plait pas, ce sera ma faute assu
rément. J'ai traduit avec une respectueuse fidélité, strophe par
strophe , sans rien omettre , sans presque rien ajouter, – mais
je neme flatte pas d 'avoir rendu l'originalité si étonnante , l'esprit
étincelant, l'humour inimitable du poëte.
S. C .
PORTRAIT
DE LORD BYRON
PORTRAIT DE LORD BYRON
Par Thomas MOORE (1)..

On a fait, soit avec la plume, soit avec le pinceau , tant de por


traits de lord Byron , que je me dispenserais de décrire sa per
sonne, si un biographe n'était tenu d'esquisser au moins les traits
de celui dont il écrit la vie.
· Le visage de Byron était un véritable type de beauté, car à la
régularité des traits s'alliait l'expression la plus variée et la plus
vive. En effet , la versatilité si remarquable de son esprit se pei
gnait dans le libre jeu de sa physionomie , qui s'illuminait ou
s'obscurcissait tour à tour sous l'influence passagère des pensées
du moment.
Les yeux d'un gris clair exprimaient tous les sentiments, –
depuis la plus franche gaieté, jusqu'à la plus profonde tristesse ,
– depuis la plus aimable bienveillance, jusqu'aux plus sombres
mouvements de dédain ou de colère..... Je ne puis en donner

(1 ) Quelque traits, qui, dans Beppo se rattachent à la personnalité de


Lord Byron, ont fait penser que cette esquisse ne serait pas ici sans intérêt.
Elle se compose de divers fragments épars çà et là dans lesmémoires de
Moore .
52
PORTRAIT DE LORD BYRON .

une idée exacte qu 'en me servant des termes de l'écrivain qui ex


dit de Chatterton que des flammes roulaient dans ses yeux.
Mais c'était surtoutdans la bouche et dans le menton que ré
sidait la grande beauté et l'expression si remarquable de la phy
sionomie de Byron. - « On a fait de lui (dit une dame) différents
« bustes ou portraits (1 ) plus ou moins ressemblants, mais l’in
« croyable beauté de ses lèvres a échappé à tous les peintres et
a à tous les sculpteurs. Dans leur infatigable jeu, elles trahis
« saient toutes ses émotions, - sa colère par leur pâleur, son dé
« dain par leur moue, sa bonté par leur sourire , son enjoue
« ment et son amour par leurs gracieuses fossettes ....... Il est
« vrai que cette extrême mobilité d'expression était parfois
« attristante, et j'ai vu lord Byron avoir l'air absolument laid ;
« je l'ai vu avoir l'air si froid et si dur, qu'on eût été tenté de le
a haïr ; puis l'instant d'après, radieux commele soleil, il y avait
« une si aimable douceur empreinte sur son visage, ses regards
« exprimaient tant d 'affection , ses lèvres avaient un épanouis .
« sement si supérieur au sourire , qu'on oubliait l'homme -
« Byron, - pour contempler plus à l'aise ce type de beauté qui
« enchantait les yeux. Tel, sans doute , devait apparaître le dieu
« de la poésie , le dieu du Vatican, lorsqu'il conversait avec les
« fils et les filles des hommes. »

(1) Entre autres un buste par Thorwaldsen et un autre par Bartolini,


et un portrait par Philippe , gravépar Agar.
* PORTRAIT DE LORD BYRON . 93

Sa tête était extraordinairement petite , - au point même d 'of


frir un défaut de proportion avec sa figure. Le front, — bien
qu'un peu trop étroit, - était haut, et le paraissait encore da
vantage par suite de son habitude de raser ses cheveux au-dessus
des tempes (pour les conserver, disait-il) ; sa chevelure , d'un noir
brillant, se bouclait par touffes sur sa tête ; son nez, quoique beau,
était un peu trop gros peut- être ; ses dents étaient blanches et
admirablement rangées , son teint était pâle ; - je ne saurais avec
des mots donner une idée plus exacte de sa physionomie .
Sa taille était, – il l'a dit lui-même, – de cinq pieds huit
pouces et demi, et c'est à la longueur de ses membres qu'il attri
buait son talent pour la natation. Sesmains étaient très-blanches ,
et -- suivant son opinion sur la conformation des mains, comme
signe d'une noble naissance , – aristocratiquement petites. Il
boitait du pied droit, mais cette infirmité , quoique contraire à la
grâce des mouvements, n 'en altérait que fort peu l'activité , et
grâce à cela , ainsi qu'à l'adresse avec laquelle ce pied se dissi
mulait par le moyen de longs pantalons, ce défaut n'était pas
chez lui une difformité ; le timide embarras que la conscience de
son imperfection luicausait à premièrevue,avaitmême un charme
singulier qui intéressait. .. . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il y aurait de la frivolité à s'appesantir sur la seule beauté
d'une figure qui portait d 'une manière si évidente l'empreinte
d 'un génie extraordinaire. Mais quelle sérénité sur ce front! quel
feu dans ce regard !..... Sa taille ne laissait rien à désirer, sur
54 PORTRAIT DE LORD BYRON .

tout à ceux qui regardent plutôt comme une grâce que comme
un défaut ce léger balancement du corps, dont on s'aperçevait
quand il entrait quelque part, mais sansmêmesonger à en de
mander la cause (1).. .. .. .. .. . ..
Sa figure, qui offrait le calme de l'Océan par une bellematinée
de printemps, devenait en un momentorageuse et terrible comme
lui, si un mouvementde colère à la suite d'un mot, d'une pensée
même,venaittroubler la sérénitéde son esprit.Ses yeux perdaient
toute leur douceur et étincelaientalors, à ce point qu'il était dif
ficile d’en supporter le regard. On avait peine à croire à un
changement si complet et si rapide.
Ce qui le ravissait un jour l'ennuyait le lendemain , et lors
qu'il paraissait fidèle à suivre une habitude, cela provenait seu
lement de l'indifférence qu'il avait pour toutes, de quelque genre
qu'elles fussent; - elles ne lui paraissaient pas dignes d 'occuper
ses pensées. Son cæur était d'une sensibilité extrême, et se lais
sait dominer avec une facilité extraordinaire par tout ce qui le
touchait; mais son imagination l'égarait et venait toutgâter. Il

(1) Moore raconte ailleurs à ce sujet que, après la mortde son ami, ayant
voulu spécifier de quel pied ilboitait, il fut au moment de se prononcer dans
une certaine incertitude, tantcette claudication était peu apparente. M . Hunt
ayant dit que ce vice de conformation existait au pied gauche, et cette asser
tion ayant été appuyée par le dire de quelques personnes qui avaient vécu
dans l'intimité du poëte , il futobligé d'aller consulter son cordonnier, qui,
en se rappelant que le pied boiteux était celui de tel côté en montantla
rue qui faisait face à sa maison , le confirma dans ses souvenirs.
PORTRAIT DE LORD BYRON . 55

croyait aux pressentiments (1 ), et se rappelaitavec complaisance


qu'il avait cela de commun avec Napoléon . Il est à croire que
dans son éducation le côté moral avait été aussi négligé que le
côté intellectuel avait été habilement cultivé , car ilne connaissait
aucune contrainte qui pût l'empêcher de s'abandonner à ses pen
chants. Qui voudra croire avec cela qu'il avait une timidité d'en
fant? — Et cependant elle était si évidente qu'on ne pouvait en
contester l'existence, quelque difficile qu'il pût être d 'attribuer
à Byron un sentiment demodestie . Convaincu que partout où il
se montrait tous les yeux étaient fixés sur lui et que toutes les
bouches, celles des femmes surtout, s'ouvraient pour dire : le
voilà, c'est lord Byron , il se trouvait en tous lieux dans la situa
tion d'un acteur qui a un rôle à soutenir , et obligé de se rendre
compte à lui-même(pour lesautres ilne s'en embarrassait guère )
de chacune de ses paroles et de ses actions. Cette pensée lui cau
sait un malaise qui était visible à tous les yeux.
Peu de nourriture lui suffisait, et il préférait le poisson à la
viande, par cette raison singulière que la viande, disait-il, rend
féroce. Il n 'aimait pas à voir les femmes manger , et on ne peut
expliquer cette bizarrerie que par la crainte qu'il avait de voir
déranger l'idée qu'il s'était créée de leur perfection et de leur
nature presque divine. S'étant toujours laissé gouverner par

(1) Voir Beppo, page 89, stance XXVIII.


56 PORTRAIT DE LORD BYRON . .

elles (1), on pouvait induire de là qu 'il se plaisait à se réfugier


dans la pensée de leur excellence , – sentiment qu'il trouvait le
moyen d'allier (Dieu sait comment!) au mépris, mêlé d'une cer
taine joie, avec lequel il les regardait l'instant d'après . Mais les
contradictions n'ont rien de surprenant dans une nature comme
celle de Byron, - et, du reste, qui ne sait que l'esclave est tou
jours prêt à se révolter contre son maître ?
Lord Byron n'aimait pas ses compatriotes, par ce motif qu 'il
savait que ses meurs en étaientméprisées. Les Anglais, rigides
observateurs des devoirs domestiques , ne pouvaient l'excuser
d'avoir négligé les siens et de fouler aux pieds tousles principes.
C'est pourquoi, s'il n'aimait pas à leur être présenté (2), eux
mêmes ne se souciaient guère non plus de se lier avec lui, sur
tout s'ils avaientleurs femmes avec eux. Cependant tous éprou
vaient le plus vif désir de le voir, et les femmes surtout, qui,
n'osantle regarder qu'à la dérobée, disaient intérieurement: Quel
dommage ! — Si pourtant quelqu'un de ses compatriotes d 'un
rang élevé, ou d'une haute réputation , venait à lui, il en était
profondément flatté. Des attentions de ce genre étaient pour la

(1 ) A l'appui de cette observation de Moore, on peut citer une remarque


du domestique de Byron, Flechter, fondée sur une observation de vingt
années : « Une chose bien étrange, disait-il, en parlant du sort de son maître
« en ménage, c'est que je n'ai pas encore rencontré une femme qui n'ait
« su mener milord , excepté la sienne . »
(2) Ce passage a trait à l'époque ou Byron vivait en Italie .
PORTRAIT DE LORD BYRON . 57

blessure toujours saignante de son coeur comme des gouttes


d'un baume bienfaisant qui le consolaient.
Quand on lui parlait de son mariage, sujet délicat, mais qui
ne lui était pas désagréable, s'il était traité d'une manière ami
cale, il paraissait ému et disait qu'il avait été lui-même l'auteur
de tous ses chagrins. Il s'exprimait sur lady Byron avec beau
coup de respect et d'affection, en parlait comme d 'une femme
supérieure, aussi distinguée par les qualités de son âme que
par celles de son esprit, et attribuait à lui seul toute la faute de
leur douloureuse séparation. Etait-ce la vanité ou un sentiment
de justice qui lui faisait tenir un pareil langage ? - Ne rappelle
t-il pas ce mot de César que : la femme de César ne doit pas
mêmeêtre soupçonnée ?
ВЕРРО
« Vous aimez Beppo, – vous avez raison . »
(BYRON , Lettre à Th. Moore. Venise , jer juin 1818.,
ВЕРРО
A VENETIAN STORY

I will God for makinove with the enefits oofu liyour


sp ,
Rosalind. Farewell , Monsieur Traveller : Look , you lisp ,
and wear strange suits ; disable allhe bbenefits
own country ; be out of love with your nativity , and
almost chide God for making you that countenance you
are; or 1 will scarce think you have swam in a gondola.

SHAKSPEARE , As You Like It , Act. IV , Sc. I.

' Tis known, at least it should be, that throughout


All countries of the Catholic persuasion ,
Someweeks before Shrove Tuesday comes about,
Thepeople take their fill of recreation ,
And buy repentance , ere they grow devout,
However high their rank,or low their station ,
With fiddling, feasting, dancing, drinking, masking,
And other things which may be had for asking .
BEPPO
HISTOIRE VÉNITIENNE.

Rosalinde : Adieu , Monsieur le voyageur ; si vous m 'en


croyez , parlez en grasseyant, portez des vêtements bizarres,
dénigrez tout ce que votre patrie a de bon , maudissez le sort
qui vous y a fait naitre, et reprochez au Créateur de vous avoir
donné la physionomie que vous avez ; sinon j'aurai peine à
croire que vous ayez jamais mis le pied dans une gondole.
SHAKSPEARE, Comme il vous plaîra, Act. IV , Sc. I.

Dans les heureux pays catholiques, l'usage


Est, comme vous savez, quand vient le mardi gras,
De se couvrir d 'un masque avec soin le visage,
Et clandestinement de prendre ses ébats .
Pendant une semaine ou deux, alors, on danse ,
On chante, on rit, on boit, on mange, on fait bombance ;
Dans tous les carrefours et dans tous les salons,
En haut, en bas, partout, la folie est la même.
- C 'est ainsi qu 'on prélude au saint temps du carême
Dans ces joyeux pays, au son des violons.
ROA
BEPPO .

2.

The moment night with dusky mantle covers


The skies (and the more duskily the better),
The time less liked by husbands than by lovers
Begins, and prudery flings aside her fetter;
And gaiety on restless tiptoe hovers,
Giggling with all the gallants who beset her ;
And there are songs, and quavers,roaring,humming,
Guitars, and every other sort of strumming .

And there are dresses splendid , but fantastical,


Masks of all times and nations, Turks and Jews,
And harlequins and clowns, with feats gymnastical,
Greeks, Romans, Yankee-doodles, and Hindoos;
All kinds of dress, except the ecclesiastical,
All people, as their fancies hit, may choose ;
But no one in these parts may quiz the clergy –
Therefore take heed , ye Freethinkers ! I charge ye.
BEPPO . 63

Lorsque tout disparaît dans la nuit ( et plus sombre


Elle est, meilleure elle est), commence l'heureux temps,
Qu'aimentmoins les maris peu clairvoyants dans l'ombre,
Que, dit -on , les voleurs, les chats et les amants.
La Pruderie alors vigoureusement jette
Son bonnet par -dessus les moulins, à la fête
Elle accourt, — la Folie agite ses grelots,
L 'air retentit de cris et de chansons bachiques,
Ce sont des rires fous, des transports frénétiques !
- A l'abstinence ainsi s'apprêtent les dévôts.

Et l'on voit circuler des costumes bizarres,


Costumes de tous temps et de tous les pays,
Arlequins et Pierrots,Grecs , Hongrois et Tartares,
Mahométans et Juifs se trouvent réunis.
Chacun choisit ici son costume à sa guise,
Un seul est prohibé, – celui des gens d 'église ;
Celui-là par exemple à tous est interdit !
- N 'allez pas sur le dos vous mettre une soutane,
On ne manquerait pas de vous chercher chicane ;
Messieurs les francs-penseurs, tenez -vous- le pour dit.
02
BEPPO .

You 'd better walk about begirt with briars,


Instead of coat and smallclothes, than put on .
A single stitch reflecting upon friars,
Although you swore it only was in fun ;
They 'd haul you o' er the coals , and stir the fires
Of Phlegethon with every mother 's son ,
Nor say one mass to cool the cauldron 's bubble
That boild your bones, unless you paid them double.

But, saving this, you may put on whate'er


You like, by way of doublet, cape, or cloak ,
Such as in Monmouth - street, or in Rag Fair,
Would rig you out in seriousness or joke ;
And even in Italy such places are,
With prettier names in softer accents spoke,
For, bating Covent Garden , I can hit on
No place that's callid " Piazza ” in Great Britain .
BEPPO .

TV

Mieux vaudrait mille fois à l' état de nature


Vous faire voir, - n ' était l' antique préjugé
Qui veut qu'on soit vêtu , — que couvert, je vous jure,
D 'une nippe quelconque empruntée au clergé,
Surplis, soutane ou froc, - car vous auriez beau dire,
Affirmer sous serment que ce n 'est que pour rire,
Vite on vous jetterait sur des charbons ardents (1 ),
Et vous n 'obtiendriez pas dans votre détresse,
Pour vous réconforter, la plus petite messe ,
A moins de payer double en beaux écus comptants .

Excepté donc celui des ecclésiastiques ,


Libre à vous de choisir l'habit que vous voulez ;
Pourpoint, cape ou manteau, tels que dans les boutiques
Sombres de Monmouth - street on en voit d ’ étalés .
La charmante Italie a des lieux tout semblables,
Mais qui portent des noms beaucoup plus agréables,
Plus doux à prononcer ; — les plus sombres quartiers
Etles plus dépourvus d 'air et de poésie
Ont des noms merveilleux, charmants de fantaisie !...
- C 'est sur une Piazza qu 'étalent les fripiers.
66 BEPPO .

6 .

This feast is named the Carnival, which , being


Interpreted, implies “ farewell to flesh : ”
So call’d ,because the name and thing agreeing,
Through Lentthey live on fish both saltand fresh .
But why they usher Lentwith so much glee in ,
Is more than I can tell, although I guess
'T is as we take a glass with friends at parting,
In the stage-coach or packet, just at starting.

And thus they bid farewell to carnal dishes,


And solid meats, and highly spiced ragouis,
To live for forty days on ill-dress'd fishes,
Because they have no sauces to their stews,
A thing which causesmany “ poohs ” and “ pishes, ”
And several oaths (which would not suit the Muse),
From travellers accustom ’d from a boy
To eat their salmon , at the least, with soy ;
BEPPO . 67

VI

Ce temps que l'on consacre aux bombances se nomme


Carnaval ; - traduisez : Les adieux à la chair .
En carême, en effet, l'austère cour de Rome
La défend aux dévots sous peine de l' enfer.
— Mais pourquoidonc fait-on précéder le carême
De ces galas sans fin ? - Pour moi, c 'est un problème
Dont la solution me rend fort indécis .. .. .
- A moins que ce ne soit quelquemotif semblable
A celui qui nous fait vider vingt fois à table
Nos verres pleins de vin quand partentnos amis.

VII

De viande on se gorge et de vins on s 'enivre ;


Ensuite, pour les gens vraiment religieux,
Pendant quarante jours la règle est de ne vivre
Que de poisson salé, de légumes et d'oeufs,
Fort mal accommodés . — Hélas, en ces contrées,
Nos sauces sont encore à ce point ignorées,
Qu'à l'huile simplement on mange le saumon ,
Ce qui faitmaugréer d'une façon fort rude
Les touristes anglais , dont la vieille habitude
Est de lemanger cuit au dolic du Japon (2).
BEPPO .

This feast is named the Carnival, which , being


Interpreted , implies “ farewell to flesh : ”
So call’d ,because the name and thing agreeing,
Through Lent they live on fish both salt and fresh .
But why they usher Lent with so much glee in ,
Is more than I can tell, although I guess
’ T is as we take a glass with friends at parting,
In the stage-coach or packet, just at starting.

And thus they bid farewell to carnaldishes,


And solid meats, and highly spiced ragouis,
To live for forty days an ill-dress'd fishes ,
Because they have no sauces to their stews,
A thing which causes many “ poohs” and “ pishes, ”
And several oaths (which would not suit theMuse),
From travellers accustom ’ d from a boy
To eat their salmon , at the least, with soy ;
BEPPO.

Ce temps que l'on consacre aux bombances se nomme


Carnaval ; – traduisez : Les adieux à la chair .
En carême, en effet, l'austère cour de Rome
La défend aux dévots sous peine de l'enfer .
- Mais pourquoi donc fait-on précéder le carême
De ces galas sans fin ? -- - Pour moi, c'est un problème
Dont la solution me rend fortindécis .....
- A moins que ce ne soit quelque motif semblable
A celui qui nous fait vider vingt fois à table
Nos verres pleinsde vin quand partentnos amis .

VII

De viande on se gorge et de vins on s'enivre;


Ensuite, pour les gens vraiment religieux,
Pendant quarante jours la règle est de ne vivre
Que de poisson salé, de légumes et d'aufs ,
Fort mal accommodés. — Hélas, en ces contrées,
Nos sauces sont encore à ce point ignorées,
Qu'à l'huile simplement on mange le saumon ,
Ce qui fait maugréer d 'une façon fort rude
Les touristes anglais , dont la vieille habitude
Est de lemanger cuitau dolic du Japon (2).
68 BEPPO .

And therefore humbly I would recommend


“ The curious in fish -sauce, ” before they cross
The sea , to bid their cook ,or wife, or friend,
Walk or ride to the Strand , and buy in gross
(Or if set out beforehand , these may send
By any means least liable to loss) ,
Ketchup, Soy, Chili- vinegar , and Harvey ,
Or, by the Lord ! a Lent will well nigh starve ye ;

That is to say , if your religion 's Roman ,


And you at Romewould do as Romans do ,
According to the proverb , — although noman ,
If foreing, is obliged to fast ; and you ,
If Protestant, or sickly , or a woman ,
Would rather dine in sin on a ragout —
Dine and be d - d ! I don't mean to be coarse,
But that's the penalty, to say no worse..
BEPPO.

VIII

Aussi tout voyageur devrait-il, par prudence,


Avant que de partir de Londres, envoyer
-
-

Au Strand quelqu'un ayant toute sa confiance,


-
--

(Sa femme par exemple , ou bien son cuisinier) ,


Faire provision de ces sauces savantes,
Agréables à l'ail, autant qu'appétissantes ,
Et qu'à table l'on aime à trouver sous sa main ,
Telles que le Soy, le Ketchup et l'essence
Sans pareille d 'Harvey. — Sans cette prévoyance ,
En huit jours de carême on peutmourir de faim .
OUT

IX

Quoi! de faim !.... Permettez , souffrez que je m 'explique :


- Oui, de faim vous risquez de mourir, c'est certain ,
Mais si, bien entendu , vous êtes catholique
Et strict observateur du rituel romain ,
Car aucun étranger jamais à l'abstinence
N 'est tenu ni forcé de faire pénitence.
- Il est bien clair que si vous êtes protestant
D'une secte quelconque, ou mal portant, ou femme,
Vous aurez, à dîner, moins souci de votre âme
Que de votre estomac, - et j'en ferais autant.
70 BEPPO .

10 .

Of all the places where the Carnival


Was most facetious in the days of yore ,
For dance, and song, and serenade, and ball,
Andmasque, andmime, and mistery, and more
Than I have time to tell now , or at all,
Venice the bell from every city bore, —
And at themoment when I fix my story ,
That sea -born city was in all her glory.

11.

They 've pretty faces yet, those same Venetians,


Black eyes, arch'd brows, and sweet expressions still;
Such as of old were copied from theGrecians,
In ancient arts by moderns mimick ’d ill ;
And like so many Venuses of Titian's
(The best's at Florence, — see it, if ye will,)
They look when leaning over the balcony,
Or stepp'd from out a picture by Giorgione,
BEPPO .

Il n 'était pas de ville en toute l'Italie ,


Où le carnaval fût (je parle du vieux temps)
Plus joyeux qu'à Venise ; une aimable folie
Présidait sous le masque aux divertissements :
Ce n 'étaient en tous lieux que danses, mascarades ,
Rendez-vous amoureux , festins et sérénades,
Et la fille des mers, l'opulente cité,
A l' époque où commence à peu près cette histoire,
Était dans tout l'éclat de sa plus grande gloire ,
Et les femmes avaientun renom de beauté .

XI

Bénévole lecteur, faut- il que je te dise


Les yeux noirs pleins d ' éclairs et les sourcils arqués ,
Qu 'ont encore aujourd'hui les femmes de Venise ?
Leurs traits si purs et si finement indiqués,
Leur font, unebeauté sévère et poétique ,
Dont le charme est celui du type grec antique.
- Le soir, quand elles sont debout sur leur balcon ,
On croit voir ces Vénus du Titien , dont Florence
Possède la plus belle, – ou bien encore on pense
A ce portrait de femme où le Giorgion ,
72 BEPP .
O

12 .

Whose tints are truth and beauty at their best ;


And when you to Manfrini's palace go,
That picture (howsoever finethe rest)
Is loveliest to my mind of all the show ;
It may perhaps be also to your zest,
And that 's the cause I rhymeupon it so ,
' T is but a portrait of his son , and wife,
And self ; but such a woman ! love in life !

13 .

Love in full life and lenght, not love ideal ,


No, nor ideal beauty , that fine name,
But something better still, so very real,
That the sweet modelmust have been the same;
A thing that you would purchase, beg ,or steal,
Wer 't not impossible, besides a shame;
The face recalls some face, as't were with pain ,
You once have seen , but ne'er will see again ;
BEPPO .

XII

S'inspirant à la fois de son divin modèle


Etde tout son génie , a si bien réuni
Le naturel et l'art pour la faire plus belle !
- Si le hasard vous mène au palais Manfrini,
Admirez-le. — Pourmoi, toule la galerie
Vaut à peine ce seul portrait, et je parie
Que quand vous l'aurez vu vous penserez ainsi.
- Ce portrait où l' artiste a mis toute son âme
Et son talent de peintre, est celui... .. de sa femme.
Sa femme ! — direz -vous. - Mais quelle femme aussi !.. .

XIII

Les traits les plus divins, la beauté la plus pure!...


- Non pas cet idéal tout de convention
Que nous connaissons tous, si loin de la nature,
Correct,mais froid , sans vie ; - - à voir l'expression
De ce regard de femme où l'amour étincelle ,
En soi-même on se dit que le peintre fidèle
N 'a fait que copier la nature , — et pas plus.
- Il semble qu 'on aitvu quelque part ce visage ,
Et devant cette douce et radieuse image
On sent se réveiller des souvenirs confus.
BEPPO .

14 .

One of those forms which flit by us, when we


Are young, and fix our eyes on every face ;
And , oh ! the loveliness at times we see
In momentary gliding, the soft grace,
The youth , the bloom , the beauty which agree ,
In many a nameless being we retrace ,
Whose course and homewe knew not, nor shall know ,
Like the lost Pleiad seen no more below .

15 .

I said thatlike a picture by Giorgione


Venetian women were, and so they are,
Particularly seen from a balcony,
(For beauty 's sometimes best set off afar)
And there, just like a heroine ofGoldoni,
They peep from out the blind, or o 'er the bar;
And, truth to say, they 're mostly very pretty,
And rather like to show it, more 's the pity !
BEPPO .

XIV

Ce regard où se lit une tendre promesse,


Quelque part autrefois nous l'avons rencontré,
Et ce sourire aussi, plus doux qu'une caresse ,
Il a brillé pour nous qui l'avions imploré.
- Mais ce tendre regard et ce si doux sourire,
Où les avons-nous vus ?.... nous ne saurions le dire ;
- C 'était quand nous étions jeunes, au temps heureux
Où l'on aime d'amour toute femme qui passe
Auprès denous, coquette , en étalant sa grâce ,
Et dont l' oeil un instant a rencontré nos yeux .

XV

Sans crainte qu 'un esprit frondeur me contredise ,


Je t' assure, lecteur, que, sans exception ,
Les femmes de tous rangs que l'on voit à Venise,
Sont de vivants portraits signés Giorgion.
Il faut les voir surtout quand elles apparaissent
A leur balcon le soir , etpuis qu 'elles se baissent
Pour jeter dans la rue un coup d'oeil aux passants.
- Toutes à leur fenêtre ont une jalousie ,
Mais pas pour se cacher , — jamais la fantaisie
Ne leur prend d 'échapper aux regards des galants .
BEPPO .

16 .

For glances beget ogles , ogles sighs,


Sighs wishes, wishes words, and words a letter,
Which flies on wings of light-heel'd Mercuries,
Who do such things because they know no better ;
And then, God knows whatmischief may arise ,
When love links two young people in one felter,
Vile assignations, and adulterous beds,
Elopements, broken vows, and hearts, and heads .

17 .

Shakspeare described the sex in Desdemona


As very fair, butyet suspect in fame,
And to this day from Venice to Verona
Such matters may be probably the same,
Except that since those times was never known a
Husband whom mere suspicion could inflame
To suffocate a wife no more than twenty ,
Because she had a “ cavalier servente . ”
BEPPO .

XVI

Aussi que de soupirs chaque soir, que d 'aillades ,


Que demuets aveux par signes échangés,
Que de bouquets offerts et que de sérénades,
Que de lettres enfin !. . .. - Les Mercures chargés
Du soin de les porter n'en savent pas le nombre !
- Viennent bientôt après les rendez-vous dans l'ombre ;
Gare alors les faux pas et les enlèvements,
Les serments oubliés et les lits adultères !
Gare les coups d'épée ..... il en pleut; il n 'est guères
D 'amours en ce pays sans de tels denoûments.

XVII

Notre divin Shakspeare a peint dans Desdemone


La femme comme étant sujette à caution ,
Et depuis lors , partout, de Venise à Vérone.
Cet étre si charmant est en suspicion .
Le sexe masculin reproche au sexe aimable
D 'aimer trop à mentir et d 'etre impénétrable,
- Ce qui fait enrager les maris ; — cependant
Il n 'en est aujourd'hui pas un d 'humeur jalouse ,
Au point, sous l'oreiller , d 'étouffer son épouse ,
Pour la punir d 'avoir un cavalier servant.
78 BEPPO .

18 .

Their jealousy (if they are ever jealous)


Is ofa fair complexion altogether ,
Not like that sooty devil of Othello's
Which smothers women in a bed of feather ,
But worthier of these much more jolly fellows,
When weary of the matrimonial tether
His head for such a wiſe no mortal bothers,
But takes at once another, or another's .

19.

Did'st ever see a Gondola ? For fear


You should not, I 'll describe it you exactly :
' T is a long cover'd boat that's common here,
Carved at the prow , built lightly, but compactly ,
Row ' d by two rowers , each call' d 6 . Gondolier. "

It glides along the water looking blackly ,


Just like a coffin claptin a canoe ,
Where none can make out what you say or do.
BEPPO . 79

XVIII

S 'ils sont un peu jaloux, vraiment leur jalousie


Est toujours convenable, — à peine il la font voir ;
Ils ont des procédés et de la courtoisie
Ignorés d 'Othello, ce vilain diable noir ,
Dont au moindre soupçon la colère s 'allume
Et ne sait qu 'étouffer les femmes sous la plume.
- Se pensent-ils trompés ?.. . modèles des maris ,
Ils s'en vont simplement, sans rien dire à personne,
Se consoler aiileurs , loin de leur Desdémone,
- Et tout cela se fait sans reproches ni cris .

XIX

O vous tous qui n 'avez jamais vu de gondole ,


Écoutez ce que c'est : - c'est un étroit bateau
Long, couvert, très-commun à Venise , et qui vole
Comme un oiseau de mer , doucement, rasant l'eau .
Une image quelconque est sculptée à la proue ;
Noir est l'extérieur, peu coquet je l'avoue,
- On dirait un cercueil posé sur un canot;
- C'est une invention selon moi sans pareille ,
On s'y dérobe aux yeux indiscrets à merveille,
Et de ce qu'on y dit l'on n 'entend pas un mot.
ΒΕΡΡΟ.

20 .

And up and down the long canals they go ,


And under the Rialto shoot along ,
By night and day, all paces , swift or slow ,
And round the theatres , a sable throng ,
They wait in their dusk livery of woe, -
But not to them do woful things belong,
For sometimes they contain a deal of fun ,
Like mourning coaches when the funeral 's done .

21 .

But to my story. - ' T was some years ago,


It may be thirty, forty, more or less,
The carnival was at its height, and so
Were all kinds of buffoonery and dress ;
A certain lady went to see the show ,
Her real name I know not, nor can guess,
And so we 'll call her Laura , if you please ,
Because it slips into my verse with ease.
BEPPO .

XX

On les voit nuit et jour à travers les lagunes


Aller et revenir , passer le Rialto ,
Circuler en tous sens , — doucement vont les unes,
D 'autres rapidement filent incognito ;
D ' autres encore au seuil des palais amarrées,
Stationnent sans bruit dans leurs sombres livrées,
Attendant le départ d'un couple heureux d'amants .
- La plus folle gaîté, sous leurs noires tentures
Éclate à l'aise , autant qu'au fond de ces voitures
Qui vont suivant le char dans les enterrements.

XXI

Enfin , sans plus tarder , j'arrive à mon histoire :


- Remontons à vingt ans, — c 'était en carnaval ;
Afin de dissiper son humeur un peu noire,
Une dame voulut un soir aller au bal.
- On n 'exigera pas que ma bouche indiscrète
Divulgue son vrai nom , — ce serait malhonnête ;
Je l'appellerai donc tout simplement Laura.
- Je désire beaucoup que ce nom -là te plaise,
Lecteur ; — je l'ai choisipourmemettre àmon aise ,
- Dans mes vers librement partout il entrera.
BEPPO .

22 .

She was not old , nor young, nor at the years


Which certain people call a “ certain age,”
Which yet the most uncertain age appears,
Because I never heard , nor could engage

A person yet by prayers, or bribes, or tears ,


To name, define by speech , or write on page,
The period meant precisely by that word , -
Which surely is exceedingly absurd .

23 .

Laura was blooming still, had made the best


of time, and time return ’d the compliment ,
And treated her genteelly, so that, drest,
She look'd extremely well where'er she went;
A pretty woman is a welcome guest,
And Laura's brow a frown had rarely bent;
Indeed she shone all smiles , and seem 'd to flatter
Mankind with her black eyes for loking at her.
BEPPO .

XXII

Elle n'était pas vieille encore, - son visage,


Charmant toujours, n 'avaitnon plus rien d 'enfantin ;
- Elle était à ce point qu'on nomme un certain âge,
Mais quime paraît être, àmoi, fort incertain ,
Attendu que je n 'ai jamais pu, quelqu'envie
Que j'en eusse, amener personne dans ma vie ,
Homme ou femme, à me dire en des termes précis
Ce qu'on entend par là ; — pleurs, promesses prières
Ont été sans succès : - ce sont là des mystères
Qui veulent, paraît-il, n 'être pas éclaircis.

XXIII

Laura , pendant le cours de sa chère existence ,


Avait toujours très -bien mis à profit le temps,
Et le temps, à son tour, selon toule apparence,
L 'avait traitée avec de grandsménagements ;
Elle avait conservé sa fraîcheur, et, coquetle ,
Paraissait très -jolie avec de la toilette .
- Laura bien rarementfronçaitses noirs sourcils ;
Au contraire, elle aimait volontiers à sourire,
Et ses yeux de velours aux hommes semblaient dire :
- Regardez-donc.. . — Aussi tous la regardaient-ils .
84 BEP .
PO

24 .
She was a married woman ; 't is convenient,
Because in christian countries 't is a rule
To view their little slips with eyes more lenient;
Whereas if single ladies play the fool,
( Unless within the period intervenient,
A well-timed wedding makes the scandal cool)
I don't know how they ever can get over it,
Except they manage never to discover it.

25 . .

Her husband sail'd upon the Adriatic ,


And made some voyages , too , in other seas,
And when he lay in quarantine for pratique
· (A forly days'precaution 'gainstdisease ),
His wife would mount, at times, her highest altic,
For thence she could discern the ship with ease :
lle was a merchant trading to Aleppo ,
His name Giuseppe, call’d more briefly, Beppo.
BEPPO .

XXIV

Depuis huit ou dix ans elle était mariée,


- Position charmante, - altendu que là -bas ,
Quand au sort d 'un époux une femme est liée,
Elle peut librement oser quelques faux pas.
La règle , en ces pays peuplés de bonnes âmes,
Est de ne pas trop voir les fautes de ces dames.... .
Etmême c'està qui les encouragera .
— Mais qu'une pauvre fille ait un jour l'imprudence
De quelque peu tacher sa robe d'innocence,
Sur tous les tons bien vite au scandale on criera.

XXV

Son marinaviguait au moins dix mois l'année,


- Ce quifait que la dame étaitseule souvent;
- Il était tantôt sur la Méditerranée ,
D 'autres fois il était sur les mers du Levant,
Car c' était un marchand qui faisait un commerce
Considérable avec les Indes et la Perse ,
Et principalement celui de l'indigo ;
On le soupçonnait bien aussi d ’être corsaire....
Mais sur ce point douteux le mieux est de se taire ;
- Il avait nom Joseph , - en abrégé Beppo .
86 BEPPO .

26.

He was a man as dusky as a Spaniard ,


Sunburnt with travel, yet a portly figure ;
Though , colour'd , as it were, within a tanyard ,
Hewas a person both of sense and vigour -
A betler seaman never yet did man yard :
And she, although her manners show 'd no rigour ,
Was deem 'd a woman of the strictest principle ,
So much as to be thought almost invincible .

27 .

But several years elapsed since they had met,


Some people thought the ship was lost, and some
That he had somehow blunder'd into debt,
And did not like the thoughts of steering home;
And there were several offer'd any bet,
Or that he would , or that he would not come,

For mostmen (till by losing render’d sager)


Will back their own opinions with a wager .
BEPPO . 87

XXVI

C 'était un grand bel homme à la mine énergique ,


Dont la peau basanée était couleur de tan ,
Hardi marin , doué d 'une force athlétique,
Et barbu commeun Turc, ou comme le dieu Pan :
Laura, dit-on , l'aimait, et quoique ses manières
Fussent loin d 'annoncer des principes sévères,
On la comptait parmi les femmes commeil faut.
— Avec son petit air souriant, agréable ,
C 'était une vertu qu'on disait imprenable ,
Quel que fût l'assiégeant qui lui donnât l'assaut.

XXVII

Mais depuis plus d 'un an qu'avec son équipage


Il avait pris la mer , nuln 'avait entendu
Reparler de Beppo. Les uns dans un naufrage
Disaient que le navire au loin s'était perdu,
D 'autres, qu'embarqué dans quelque mauvaise affaire
Notre homme s'imposait un exil nécessaire.
- Ici l'on pariail qu'il reviendrait, - ailleurs
Qu'il ne reviendrait pas. — Toules les conjectures
Étaient, comme toujours, matières à gageures,
Et la plus improbable avait ses parieurs.
88 BEPPO .

28 ..

’ T is said that their lastparting was pathetic ,


As partings often are, or ought to be ,
And their presentiment was quite prophetic
That they should never more each other see,
(A sort ofmorbid feeling, half poetic,
Which I have known occur in two or three ,)
When kneeling on the shore upon her sad knee ,
He left this Adriatic Ariadne .

29.

And Laura waited long, and wept a little ,


And thought of wearing weeds, as well shemight;
She almost lost all appetite for victual ,
And could not sleep with ease alone at night ;
She deem ' d the window -frames and shutters brittle ,
Against a daring housebreaker or sprite ,
And so she thought it prudent to connect her
With a vice-husband , chiefly to protect her,
BEPPO . 89

XXVIII

Lorsque, prêt à partir , Beppo, sur le rivage ,


Avait serré Laura sur son cæur, les beaux yeux
De la triste Ariane avaient sur son visage
Laissé couler des flots de larmes ; les adieux,
Sous l'empire de noirs sentiments prophétiques ,
Avaient de part et d'autre été très-pathétiques.
- Pour certains esprits forts , ces noirs pressentiments
Sans cause ni raison , ne sont que des chimères ;
Moi, pour mon compte, bien que je ne puisse guères
Les expliquer , j'y crois etmême les comprends.

XXIX

Après douze grands mois, n 'ayant aucune preuve


Que Beppo fût encor de cemonde, Laura
Sans tarder plus longtems jugea qu'elle était veuve ;
Alors elle se mit en grand deuil et pleura ,
Puis perdit l'appétit, le sommeil..... — Impossible
De dormir seule au lit d 'une façon paisible :
Elle rêvait voleurs, escalades... .. - Vraiment,
Une pareille vie était intolérable !
– Il lui parut dès lors prudent, indispensable,
De se donner bien vite un mari suppléant.
90 BEPPO .

30 .

She chose, (and what is there they will not choose ,


If only you will butoppose their choice ?)
Till Beppo should return from his long cruise ,
And bid once more her faithful heartrejoice.
A man somewomen like , and yet abuse - is
A coxcomb was he by the public voice :
A Count ofwealth , they said , as well as quality,
And in his pleasuresof great liberality .

31.

And then he was a Count , and then he knew


Music , and dancing, fiddling, French and Tuscan ;
The last not easy, be it known to you,
For few Italians speak the right Etruscan .
He was a critic upon operastoo,
And knew all niceties of the sock and buskin ;
And no Venetian audience could endure a
Song, scene, or air , when he cried “ seccatura ! ”
BEPPO . 21

XXX

Cemari suppléant, qu 'une extrêmeprudence


Lui conseillait de prendre , aurait pour mission
D ’écarter toutdanger par sa seule présence ,
Et d'adoucir l' ennui de sa situation .
- A peine en son esprit en eut- elle l'idée ,
Qu'à la mettre en pratique elle fut décidée.
Jetant alors les yeux autour d 'elle , son choix
S 'arrêta sur un comle , élégant petit maître,
Aussi riche que noble , et que l'on disait être ,
Près des femmes, discret, prévenant et courtois .

XXXI

Ce comte était vraiment un homme fort aimable ;


Il chantait à ravir , jouait du violon
Très- convenablement, — danseur incomparable,
On faisait cercle autour de lui dans un salon ;
Il parlait le français comme on le parle en France,
Et, chose en ce pays plus rare qu'on ne pense,
Le toscan le plus pur ; - le soir , à l'Opéra,
Commeun roi danssa stalle il trônait ; sa critique
Y décidait du goût des autres , la musique
Ne valait rien quand il criait : Şeccatura (3) !
92 BEPPO .

32.
His “ bravo ” was decisive , for that sound
Hush 'd “ Academie ” sigh'd in silent awe ;
The fiddlers trembled as he look ” d around ,
For fear of some false note's detected flaw .
The “ prima donna's " tuneful heart would bound ,
Dreading the deep damnation of his “ bah ! ”
Soprano, basso, even the contra-alto ,
Wish 'd him live fathom under the Riallo .

33.
He patronised the Improvisatori,
Nay, could himself extemporize some stanzas ,
Wrote rhymes , sang songs, could also tell a story ,
Sold pictures, and was skilful in the dance as
Italians can be, though in this their glory
Must surely yield the palm to that which France has;
In short, he was a perfect cavaliero ,
And to his very valet seem 'd a hero .
BEPPO . 9 .3

XXXII

Respectueusement le public en silence


Attendait qu'il se føl prononcé; - son bravo
Décisif, faisait seul par sa toute -puissance
Le succès d 'un chanteur ou bien d 'un maëstro .
Tous étaient devant lui tremblants : - la prime donne
Eperdue et sans voix tremblait plus que personne ;
Le soprano, la basse et puis le contralto ,
Saisis à son aspect d 'une peur effroyable ,
Auraient vu volontiers ce juge redoutable
A cinq toises et plus sous l'eau du Rialto .

XXXIII

Les chutes , les succès, étaient tous son ouvrage !....


Aussimusiciens, improvisatori,
Peintres, imploraients -ils sont noble patronage.
- Des Muses il était vraiment l' enfant chéri.
Connaisseur en tableaux , il chantait des romances,
Il avait le talent d 'improviser des stances ,
- Agréable causeur, il savait à propos
Raconter une histoire, — avec un art extrême
Dire des riens charmants aux dames, - enfin même
Pour son valet de chambre il était un héros.
94
BEPPO .

34 .

Then he was faithful too , as well as amorous ;


So thatno sort of female could complain ,
Although they 're now and then a little clamorous,
He never putthe pretty souls in pain ;
His heartwas one of those which most enamour us,
Wax to receive , and marble to retain .
He was a lover ofthe good old school,
Who still becomemore constant as they cool.

35 . :

No wonder such accomplishments should turn


A female head ,however sage and steady —
With scarce a hope that Beppo could return ,
In law he was almost as good as dead , he
Nor sent, nor wrote, nor show 'd the least conceri ,
And she had waited several years already ;
And really if a man won 't letusknow
That he's alive, he's dead , or should be so.
BEPPO .

XXXIV

En amour il passait pour fidèle, et les femmes


Avaient fait à l'envi sa réputation ;
Il ne mettait jamais, jamais leurs tendres âmes
Un instant dans la peine et dans l'affliction . '
- Quelque tendre regard, ou quelque doux sourire
S 'adressait- il à lui, - son cœur était de cire
Pour recevoir l'empreinte , et puis de diaman
Pour la garder; - enfin ,merveilleuse nature !
Il était de ces gens plus constants à mesure
Que le feu de l'amour va se refroidissant.

XXXV

De tant de qualités un pareil assemblage


Si brillant était fait, et l'on en conviendra ,
Pour tourner aisément la tête la plus sage;
- Ce comte fit tourner la tête de Laura.
- Mais aussi, son mari la laissait sans nouvelles !. .. .
C ' était chose fort simple et des plus naturelles
Qu'elle n 'espérât plus le revoir , — le crûtmort.
- Vraiment, quand un mari ne sait pas reparaître
A propos, il est mort sans doute.. . ou devrait l’ étre.
- A mon avis Beppo seul était dans son tort.
96 BEPPO .

36 .

Besides, within theAlps, to every woman ,


(Although, God knows, it is a grievous sin ,)*
' T is, Imay say, permitted to have two men ;
I can't tell who first brought the custom in ,
But “ Cavalier Serventes ” are quite common ,
And no one notices, nor cares a pin ;
And wemay call this (not to say the worst)
A second marriage which corrupts the first .

37.

The word was formerly a “ Cicisbeo,”


But that is now grown vulgar and indecent;
The Spaniards call the person a “ cortejo,”
For the samemode subsists in Spain , though recent;
In short it reaches from the Po to Teio,
And may perhaps atlast be o 'er the sea sent.
But Heaven preserve Old England from such courses !
Or what becomes of damage and divorces ?
BEPPO .

XXXVI

D 'ailleurs, toute femme a le droit d 'avoir deux hommes !...


- C 'est peut-être un péché très-gros ,.. mais c'est admis
Partout au delà des Alpes. — (Dieu ! que nous sommes
Donc en retard chez nous, où ce n 'est point permis !)
- Je ne sais pas trop bien comment en Italie
Cette coutume a pu se trouver établie ,
Mais c'est chose très - peu rare, qu 'un cavalier
Entre une femmeet son mari, dans le ménage,
Ait sa place, — et c'est comme un second mariage ,
Par une adroite main greffé sur le premier .

XXXVII
Adopté par l'usage et le dictionnaire
Lemot propre jadis était Cicisbéo,
Mais il est devenu trivial et vulgaire ;
Les Espagnols, je crois, disentun Cortéjo .
La chose, paraît-il, leur a semblé commode ,
Car ils ont introduit chez eux la même mode,
Quoique plus récemment, et je ne serais pas
Elonné de la voir un jour en Angleterre ;
- Mais, si chez nous un tel revirement s'opère,
Que deviendra la loi sur le divorce , hélas ! .
98 BEPPO .

38.
However, I still think , with all duedeference
To the fair single part of the Creation ,
That married ladies should preserve the preference
In tête-à -tête or general conversation -
And this I say without peculiar reference
To England, France, or any other nation —
Because they know the world , and are at ease ,
And being natural, naturally please .

39 .

' T istrue , your budding Miss is very charming ,


But shy and awkward at first coming out,
So much alarm 'd , that she is quite alarming,
All Giggle , Blush ; – half Pertness, and half Pout;
And glancing atMamma, for fear there 's harm in
What you, she, it, or they , may be about,
The Nursery still lisps out in all they utter -
Besides, they always smell of bread and butter.
BEPPO . 33

XXXVIII

Pour moi, je ne sais rien de plus désagréable


Qu'un plaisir , quel qu'il soit, que l'on partage à trois,
Etne puis m 'expliquer que, jeune, belle , aimable ,
Une femme d 'esprit n 'aime pas mieux cent fois,
L 'amour en tête à tête , — ou de monde entourée
Le bonheur énivrant de se voir admirée.
- Dans l'un et l'autre cas, très-généralement,
Pour peu qu'elle ait vingt ans, une femme est à l'aise ;
- Et que faut-il de plus alors pour qu 'elle plaise ?. ..
- Naturelle , elle plait... tout naturellement.

XXXIX

Pourtant, – sauf le respect qu'on doit aux demoiselles


- Et pour plus d 'un motif, dans la création ,
- - J'en dois fairel'aveu , je ne parle pas d 'elles ;
A ma règle elles font toutes exception. ,
- Miss Mary, votre fille , est à coup sûr charmante ,
Mais elle est si timide et toujours si tremblante ,
Regardant sa maman , comme pour demander
S 'ilne sera rien dit qu' elle ne puisse entendre ;
Elle a toujours si peur.. .. - que vous devez comprendre
Que tout ce que j'ai dit ne peut la regarder.
100 BEPPO .
100

40 .

But “ Cavalier Servente ” is the phrase

Used in politest circles to express


This supernumerary slave , who stays
· Close to the lady as a part ofdress ,
Her word the only law which he obeys.
His is no sinecure, as you may guess ;
Coach , servants, gondola, he goes to call ,
And carries fan , and tippet, gloves, and shawl.

41.

With allits sinful doings, Imust say,


That Italy 's a pleasant place to me,
Who love to see the Sun shine every day ,
And vines (not nail'd to walls) from tree to tree
Festoon 'd , much like the back scene of a play,
Ormelodrame,which people flock to see ,
When the first act is ended by a dance
In vineyards copied from the south of France .
BEPPO. 101

Dans lemonde poli, le seul nom que l'on donne


A l'esclave soumis et discret, à l'amant
Ou l'ami, qu'une femme attache à sa personne
Est aujourd 'hui celuide cavalier -servant.
Il s'en faut que l'emploisoit une sinécure :
C 'est lui qui toujours fait avancer la voiture,
Va chercher la gondole et porte le manchon ,
Les gants et l'éventail, et le schall et l'ombrelle ;
Il part quand on l'ordonne, et vient quand on l'appelle ,
Il commande aux laquais etprend soin du bichon .

XLI

Quoiqu 'il en soit, avec ses péchés, l'Italie ,


Est un pays divin , sans pareil, — un séjour
Délicieux pour moi, dont la mélancolie
A grand besoin d 'un peu de soleil chaque jour .
- J'aime ce climat tiède, aux senteurs énivrantes,
Ces nuits, comme des jours, claires, étincelantes ;
J'aime l'entrain joyeux du chant des gondoliers,
L 'aspect resplendissant de ces palais de marbre,
Et la vigne qui court en festons d 'arbre en arbre,
— Non pas, comme chez nous, clouée aux espaliers.
102 BEPPO .

42.

I like on Autumn evenings to ride out,


Without being forced to bid my groom be sure
My cloak is round his middle strapp'd about,
Because the skies are not themost secure ;
I know too that, if stopp'd upon my route ,
Where the green alleys windingly allure ,
Reeling with grapes red waggons choke the way, -
In England 't would be dung, dust, or a dray.

43 .

I also like to dine on becafičas,


To see the Sun set, sure he'll rise to-morrow ,
Not through a misty morning twinkling weak as
A drunken man 's dead eye in maudlin sorrow ,
But with all Heaven t' himself; that day will break as
Beauteous as cloudless, nor be forced to borrow
That sort of farthing candle-lightwhich glimmers
Where reeking London's smoky caldron simmers.
1 SUID vers .
BEPPO . 103

XLII

J 'aime la promenade à cheval en automne,


- Quand il n 'est pas besoin , dans la crainte de l'eau ,
Au moment du départ , que chaque fois j'ordonne
A mon groom oublieux de prendre mon manteau ;
— J'aime, en route , au détour de quelque verte alléc,
A voir des vendangeurs la troupe rassemblée ,
A rencontrer des chars pleins de raisin vermeil,
- Etje me dis tout bas alors qu'en Angleterre
Je ne rencontrerais qu'une charrette à bière ,
Que boue et que fumier, — jamais rien de pareil.

XLIII

Lorsque je vais dîner, j'aime à voir sur ma table


Des becfigues; — je trouve un coucher de soleil,
L ' été , par un beau soir , un spectacle admirable ,
Quand je puis espérer le voir , à mon réveil,
Avec le jour naissant reparaître et luire ,
- Non pas terne et blafard , grimaçant un sourire ,
Clignottant, à travers les brouillards du matin ,
Comme l'æil d 'un ivrogne ou comme la chandelle
Qui piteusement fume à Londres, et nous gèle
Avec sa flamme pâle à l'éclat incertain .
104 ВЕРРО.

44.

I love the language, that soft bastard Latin ,


Which melts like kisses from a female mouth ,
And sounds as if it should be writ on satin ,
With syllables which breathe of the sweet South ,
And gentle liquids gliding all so pat in ,
That not a single accent seems uncouth ,
Like our harsh northern whistling, grunting guttural,
Which we're obliged to hiss, and spit, and sputter all.

45 .
Ilike the women too (forgive my folly),
From the rich peasant-cheek ofruddy bronze,
And large black eyes that flash on you a volley
Of rays that say a thousand things at once ,
To the high dama's brow ,more melancholy ,
But clear , and with a wild and liquid glance,
Heart on her lips, and soulwithin her eyes,
Soft as her clime, and sunny as her skies.
BEPPO. 105

XLIV

J'aimebeaucoup aussi la langue italienne,


Ce doux latin bâtard , qui si légèrement
Coule mélodieux de la bouche, sans peine,
Ainsi que des baisers de femme à son amant ;
J'aime ce doux parler qui résonne, si tendre
Que l'oreille jamais n 'est lasse de l'entendre,
Dont les mots veloutés du caur semblent venir,
- Dont pas un n 'est semblable aux grognements barbares
Que nous articulons, rauques, affreux, bizarres,
Et qu 'il nous faut siffler , cracher ou bien vomir .

XLV

Enfin , je suis vraiment fou des Italiennes,


- Depuis la paysanne, au teint de bronze, aux yeux
Pleins d 'éclairs, aux beautés franchement plébéiennes,
Qui vous jette en passant un regard amoureux,
— Jusqu 'à la grande dame au visage plus pâle,
Plus blanc, aux grands yeux noirs encadrés dans l'opale,
A la bouche mignonne et d'un rouge vermeil ,
Qui, l'âme dans les yeux et le cour sur les lèvres,
Autour d 'elle , en passant, allume plus de fièvres
Que les plus chauds rayons du plusardent soleil.
106 BEPPO .

46 .

Eve of the land which still is Paradise !


Italian beauty ! didst thou not inspire
Raphael, who died in thy embrace, and vies
With all we know of Heaven , or can desire,

In whathe hath bequeath 'd us? — in what guise,


Though flashing from the fervour of the lyre,
Would words describe thy past and present glow ,
While yet Canova can create below ?

47 .

“ England ! with all thy faults I love thee still, ”


I said at Calais, and have not forgot it ;
I like to speak and lucubrate my fill;
I like the government (butthat is notit) ;
I like the freedom of the press and quill;
I like the Habeas Corpus (when we've got it);
I like a parliamentary debate,
Particularly when 't is not too late ;
BEPPO . 107

XLVI

Ève de ce pays, Paradis de la terre,


Beauté que l'on ne peut décrire, n 'as-tu pas !
Inspiré par le feu de tes beaux yeux naguère,
Raphaël ton amant, qui mourut dans tes bras !
Ce talent surhumain , ce céleste génie
Qui nous surprend, cet art merveille d 'harmonie ,
C 'est près de toi, dans ton amour qu'il le trouva !
Et je te vois encore vivante, ô Fornarine !
Belle de tout l' éclat de ta beauté divine,
Dans le marbre qui sort desmainsde Canova (4 ).

XLVII

Malgré tous tes défauts, ô ma vieille Angleterre ,


Je t'aime aussi ; – tout bas en moi je le disais ,
Lorsque je débarquai sur la terre étrangère,
Et je le dis ici, demême qu'à Calais :
- J'aimela liberté d'abord, je le confesse,
Et celle de la plume et celle de la Presse (5 ),
- Nos institutions aussi... .. pour la plupart;
- L 'Habeas corpusmême a le don de me plaire
En certains cas.... . — un beau débat parlementaire
Meréjouit toujours ..... quand il n 'est pas trop tard ;
108 BEPPO.

48.

I like the taxes ,when they 're not too many ;


I like a seacoal fire, when not too dear ;
I like a beef-steak, 100, as well as any ;
Have no objection to a pot of beer ;
I like the weather, when it is not rainy ,
That is, I like two months of every year .
And so God save the Regent, Church , and King!
Which means that I like all and every thing.

49.

Our standing army, and disbanded seamen ,


Poor's rate, Reform , my own, the nation's debt,
Our little riots just to show we are freemen ,
Our trifling bankruptcies in the Gazette ,
Our cloudy climate, and our chilly women ,
All these I can forgive, and those forget,
And greatly venerate our recent glories,
And wish theywere notowing to the Tories.
BEPPO . 109

XLVIII

J'aimeun bon feu de coke ou de charbon de terre ,


Surtout quand il n 'est pas d 'un prix trop élevé ;
- Un beef-steak cuit à pointme plaît, - un pot de bière
M 'est agréable aussi..... quand d'eau je suis privé.
- Enfin j'aime le Roi, le Régentetl'Église ,
Etle gouvernement, Saint-Paul et la Tamise ,
Le climat aussi..... quand il n 'est pas pluvieux,
- C 'est-à -dire environ deux ou trois mois l'année ;
- J'aurais une tendresse égale et raisonnée,
Même pour nos impôts .. .. . s'ils n 'étaient si nombreux.

XLIX

La Réforme toujours, et si haut annoncée,


- L 'impôt au Parlement pour les pauvres voté,
- Nos femmes dont le sang n 'est que de l'eau glacée
Et de qui la froideur passe pour chasteté,
- L 'armée, en temps de paix , sur pied et permanente ,
- La dette de l'État chaque jour grossissante ,
- Nos émeutes à coups de poing, — notre ciel gris,
Sontchoses qu ’aisémentj'oublie ou je pardonne;
- Et quant à nos récents triomphes . .. .. je m ' étonne,
En le regrettant fort , qu 'ils soient dus aux torys.
410 ΒΕΡΡΟ .

50 .

But to my tale of Laura, – for I find


Digression is a sin, that by degrees
Becomes exceeding tedious to my mind,
And, therefore,may the reader too displease -
The gentle reader, who may wax unkind,
And, caring little for the author's ease,
Insist on knowing what he means, a hard
And hapless situation for a bard .

51.

Oh ,that I had the art ofeasy writing


What should be easy reading ! could I scale
Parnassus, where the Muses sit inditing
Those pretty poemsnever known to fail,
How quickly would I print (the world delighting )
A Grecian , Syrian , or Assyrian tale ;
And sell you,mix'd with western sentimentalism ,
Some samples of the finest Orientalism .
BEPPO.

Mais il faut revenir à l'histoire promise,


Sans plus m 'abandonner à mes réflexions,
Carmon lecteur, sans doute , attend que je lui dise
Ce que devint Laura ; dansmes digressions
Il pourrait à la fin refuser de me suivre ,
Se facher tout de bon , et laisser là le livre.
Cela s 'est vu parfois ; — le bienveillant lecteur
Se préoccupe peu des aises du poëte ,
Il veut être amusé, — c'est un droit qu'il achète .
- Fasse comme il pourra le malheureux auteur !

Que n 'ai-je l'art d 'écrire aisément, avec grâce,


De ces vers que chacun lit et trouve charmants !
Que ne puis -je gravir les sommets du Parnasse !
Des Muses, que ne suis-je un des heureux amants ! .
Par elles inspiré , j'écrirais un poëme
D 'un goût fin , délicat, tel enfin qu'on les aime ;
On me lirait partout, — et j'improviserais
Quelques stances du plus pur orientalisme,
Melé légèrement au sentimentalisme
De l'Occident, - et quel succès alors j'aurais !
112 BEPPO ,

52 .

ButI am buta nameless sort of person ,


(A broken Dandy lately on my travels)
And take for rhyme, to hook my rambling verse on ,
The first that Walker 's Lexicon unravels,
And when I can 't find that, I put a worse on ,

Not caring as I ought for critics' cavils ;


I 've half a mind to tumble down to prose ,
But verse is more in fashion - so here goes.

. 53

The Count and Laura made their new arrangement,


Which lasted , as arrangements sometimes do,
For half a dozen years without estrangement ;
They had their little differences too ;
Those jealouswhiffs, which never any change meant :
In such affairs there probably are few
Who have not had this pouting sort of squabble ,
From sinners of high station to the rabble.
BEPPO . 118

LIO

Mais je ne suis, hélas ! qu’un pauvre homme ordinaire,


Sans talent, — un dandy sans aucune valeur ,
Qui n 'a jamais rien fait et qui ne sait rien faire
Que voyager toujours, — un triste écrivailleur
Quicourt après la rime et la prend misérable
Quand il n 'en trouve pas une qui soit passable .. ..
- Mais , sans memettre plus la cervelle à l'envers,
Pourquoi ne pas écrire en prose ?.... . C 'est commode,
La prose!..... — Mais les vers sont bien plus à la mode !
– Puisque j'ai commencé, ma foi! va pour les vers !

LIII

En peu de ternps le comte et Laura s 'entendirent :


— D 'un notaire on jugea le concours superflu ;
Ils n 'eurent qu'à se voir et quelques mots suffirent;
Jamais contrat ne fut plus promptement conclu .
- Ce fut pendant six ans une union charmante,
D 'une fidélité vraiment édifiante :
Ils avaientbien parfois leurs petits différends
Mais presque rien ..... de ces gentilles bouderies,
Qui se terminent par quelques câlineries ,
Comme c 'est, m 'a -t-on dit, l'habitude entre amants.
114 ΒΕΡΡΟ.

54

But, on the whole , they were a happy pair,


Ashappy as unlawful love could make them ;
The gentleman was fond , the lady fair,
Their chains so slight,'t was not worth while to break them :
The world beheld them with indulgent air ;
The pious only wish 'd “ the deviltake them !" .
He took them not; he very often waits ,
And leaves old sinners to be young ones'baits.

53 .

But they were young : Oh ! what without our youth


Would love be! What would youth be without love!
Youth lends it joy, and sweetness , vigour, truth ,
Heart, soul, and all that seems as from above ;
But, languishing with years, it growsuncouth --
One of few things experience don 't improve,
Which is, perhaps, the reason why old fellows
Are always so preposterously jealous,
BEPPO . 11 %

LIV

Ils vivaient fort heureux dans leur petit ménage ;


La dame était jolie, aimable , - le galant
Toujours tendre, à ses pieds bénissait son servage ;
Lemonde les voyait d 'un vil fort indulgent.
Seules, par-ci par-là , quelques âmes pieuses,
Que le bonheur d'autrui toujours rend envieuses,
Désiraient que le diable un jour les emportât !
- Lui, qui sait son métier, se garda de le faire . .. . .
En de semblables cas, aux jeunes il préfère
Laisser les vieux pécheurs en manière d'appât.

LV

Ils s'aimaient!... Ils étaient jeunes !... Double richesse,


Don du ciel ! — Que serait sans jeunesse l'amour ?
Sans l'amour, que serait l'inutile jeunesse ?
- Ainsi que le soleil, à l'aube d'un beau jour,
C 'est la jeunesse qui donne à l'amour sa flamme
Et de divins rayons illumine notre âme !
Mais plus tard tout s' éteint , la nuit se fait en nous,
Tout s'étiole alors !.. . Le temps, l'expérience,
Funestes à l'amour, chassent la confiance ;
Quand ils veulent aimer, les vieillards sont jaloux.
116 BEPPO .

56 .

It was the Carnival, as I have said


Some six and thirty stanzas back , and so
Laura the usual preparations made,
Which you do when yourmind 's made up to go
To-night to Mrs. Boehm 's masquerade,
Spectator, or partaker in the show ;
The enly difference known between the cases
Is – here, we have six weeks of " varnish 'd faces. ”

57 .

Laura, when drest, was (as I sang before)


A pretty woman as was ever seen ,
Fresh as the Angel o'er a new inn door,
Or frontispiece of a new Magazine,
With all the fashions which the last month wore ,
Colour'd, and silverpaper leaved between
That and the title-page, for fear the press
Should soil with parts of speech the parts of dress.
BEPPO . 117

LVI

C ' était, - comme j'ai dit déjà trente -six stances


Plus haut, – le carnaval ; flûtes et violons
Résonnaient en tous lieux, walses et contredanses
S 'agitaient, se mêlaient au bruit de leurs flons-flons;
Et Laura s'habillait, comme vous-mêmes faites
Aux jours où mistress Boehm vous convie à ses fêtes,
Que vous vous préparez, danseurs impatients ,
A partir pour le bal... — La seule différence
Est seulement qu'ici l'on se masque et l'on danse ,
Sans trève ni repos, pendant bien plus longtemps.

LVII

Laura , dès qu'elle avait fait un peu de toiletie


(Je l'ai déjà chanté dans quelque strophe), était
Une adorable femme, et des pieds à la tête ,
De grâce et de bon goût un modèle parfait.
Son visage, de lys et de rosesmélange,
En fraicheur égalaitpresque celuide l’Ange (6 )
Qu'aux enseignes d'auberge on voit si souvent peint,
Et ne le cédait pas à ces fraîches figures
De nos journaux de mode, où les enluminures :
Donnent à toute femme un si merveilleux teint.
118 BEPPO

58.

They went to the Rido:10 ; - ' l is a hall

Where people dance , and sup, and dance again ;


Its proper name, perhaps, were a mask 'd ball,
But that 's of no importance to my strain ;
'Tis (on a smaller scale) like our Vauxhall,
Excepting that it can'tbe spoilt by rain :
The company is “ mix’d ” (the phrase I quote is
As much as saying, they 're below your notice) ;

59.

For a “ mix 'd company ” implies that, save


Yourself and friends, and half a hundred more ,

Whom you may bow to without looking grave,


The rest are but a vulgar set, the bore
Of public places, where they basely brave
The fashionable stare of twenty score

Of well-bred persons, call’d the World; ” butI,


Although I know them , really don 't know why .
BEPPO . 119

LVIII

Ce fut au Ridotto , ce soir -là , qu'un caprice


De Laura conduisit l'heureux couple ; - le bal
Était un bal masqué : - C 'est un vaste édifice
Où l'on danse, où l'on soupe, et dontnotre Wauxhall
A chacun peut donner une parfaite idée.
-- Au Ridotto , pourtant, jamais la moindre ondée
Sur les danseurs surpris ne fait irruption ;
Mais la société qu'on y trouve estmêlée ,
-- Je veux dire par là , lecteur, que l'assemblée
Est au -dessous de ta considération ,

LIX .

Car par société mêlée , il faut entendre


Toujours , qu'excepté nous d 'abord et nos amis ,
Et quelques élégants auxquels nous pouvons rendre .
Leur salut sans rougir, parce qu 'ils sont bien mis,
A regarder de près , tout le reste n 'est guère
Qu 'une foule sans nom , qu’une troupe vulgaire,
Fléau des lieux publics, dont le moindre défaut
Estde braver avec une audace profonde
Les quelques gens bien nés qu'on appelle le monde,
- Je ne sais trop pourquoi, moi qui sais ce qu'il vaut.
120 BEPPO .

60 .

This is the case in England ; at least was

During the dynasty of Dandies , now


Perchance succeeded by some other class
Ofimitated imitators : — how
Irreparably soon decline, alas !
The demagogues of fashion : all below
Is frail; how easily the world is lost
By love, or war, and now and then by frost !

Crush'd was Napoleon by the northern Thor ,


Who knock 'd his army down with icy hammer ,
Stopp'd by the elements, like a whaler , or
A blundering novice in his new French grammar ;
Good cause had he to doubt the chance of war ,
And as for Fortune – but I dare not d --- n her ,
Because were I to ponder to infinity ,
The more I sbould believe in her divinity .
BEPPO . 121

LX

C 'est ainsi que cela s'entend en Angleterre,


Ou du moins, c'est ainsi qu'on l'entendait jadis,
A l'époque où régnait dans sa gloire éphémère
La dynastie éteinte aujourd'hui des dandys .
- Rois de la fashion , législateurs du code
Du bon goût, fiers tribuns arbitres de la mode,
Que votre règne est court! Vous brillez un instant,
Et plus rien . . . C 'est la loi d'ici -bas où tout passe ;
En un jour la guerre ou l'amour changent la face
Du monde, - et le froid même en fait parfois autant.

LXI

Napoléon a vu , dans une mer de glace


Ses aigles écrasés sous le marteau de Thor,
Et comme un baleinier que sa trop grande audace
Jette sur les écueils des sombres mers du Nord,
Sa gigantesque armée, abattue, épuisée ,
Périr en quelques jours , sous la neige écrasée (7 ).
- O Fortune ! il aurait bien fait, en vérité ,
De douter de toi ! . . . Mais , inconstante déesse ,
Je n 'ose te donner au diable . . . Je professe
Un trop complet respect pour ta divinité .
122 BEPPO .

62.

She rules the present, past, and all to be yet,


She gives us luck in lotteries, love, and marriage ;
I cannot say that she 's donemuch for me yet ;
Not that I mean her bounties to disparage,
We' ve not yet closed accounts , and we shall see yet
How much she'll make amends for past miscarriage ;
Meantime the goddess I 'll no more importune,

Unless to thank her when she’smademy fortune .

63.

To turn , - and to return ; — the devil take it !


This story slips for ever through my fingers,
Because, just as the stanza likes to make it,
It needs must be — and so it rather lingers ;
This form of verse began , I can 't well break it,
But must keep time and tune like public singers ;
But if I once get through my presentmeasure,
I 'll take another when I'm next at leisure.
BEPPO .

LXII

Le passé, le présent, l'avenir . . . tu disposes


De tout en ce bas monde à ton gré : — Chance au jeu ,
Bonheur en amour, paix en ménage, sont choses
Qui dépendent de toi. . . Tu n 'as fait que fort peu
Pour moi jusqu'à présent!.. . — Mais, si j'en fais ,ma chère ,
La remarque, ce n'est pas que je désespère
De tes bontés . . . du tout; -- tous deux nous n 'avons pas
Réglé , j'aime à le croire, encore notre compte ;
- En faisant quelque jour ma fortune, je compte
Que même largement tu m 'indemniseras.

LXIII

Mais , pour revenir à mon histoire . . . (le diable


S'en mêle assurément !) — cette histoire toujours
Me glisse entre les doigts . . . la rime inexorable ,
L 'odieuse mesure, en arrêtent le cours ,
A chaque pas malgré mes efforts , — qu'un caprice
De la stance m 'entraîne, il faut que j'obéisse .
Cette forme de vers adoptée , il n 'est plus
Possible d 'en changer, – il faut rester fidèle
A l'air comme un chanteur ; - mais, ô stance rebelle !
(Si je peux m 'en tirer) pour toujours je t’exclus.
194 BEPPO .

64 .

They went to the Ridollo ('t is a place


Towhich I mean to gomyself to-morrow ,
Just to divert my thoughts a little space ,
Because I 'm rather hippish , and may borrow
Some spirits, guessing at whatkind of face
May lurk beneath each mask ; and as my sorrow
Slackens its pace sometimes, I'll make, or find
Something shall leave it half an hour behind .)

Now Laura moves along the joyous crowd ,


Smiles in her eyes, and simpers on her lips :
To some she whispers, others speaks aloud ;
To some she curtsies, and to some she dips,
Complains of warmth , and this complaint avow 'd ,
Her lover brings the lemonade, – she sips;
She then surveys, condemns, but pities still
Her dearest friends for being drest so ill.
BEPPO . 123

LXIV

Ils se rendirent donc au Ridotto . . . (Moi-même


J'y veux aller ce soir avant de me coucher,
Pourme distraire un peu si c 'est possible ; - - j'aime
A deviner quels traits un masque peut cacher,
Si la femme dessous est ou laide ou jolie ;
- Et comme parfois ma sombremélancolie
Fait relâche, perdu dans la foule , je veux
Inventer, faire naître, ou trouver quelque chose,
Pour dissiper l'ennui de mon esprit morose,
Etmême m 'amuser pendant une heure ou deux.)

LXV

Laura s 'avance au sein de la foule joyeuse,


Cause avec l'un tout bas, parle aux autres tout haut, .
Fait une révérence à ceux- ci, dédaigneuse
Passe sans voir ceux-là , se plaint qu'il fait bien chaud ;
– Et le comte , qui craint qu'elle n' en soit malade,
Vite va lui chercher un peu de limonade .
– Tout en vidant son verre, elle a les yeux à tout,
Et s'afflige de voir sesmeilleures amies
Mises si peu selon leurs physionomies ;
- Vraiment, pour s'habiller elles ont peu de goût !
126 BEPPO.

66 .

One has false curls, another too much paint,


A third — where did she buy that frightfulturban ?
A fourth 's so pale she fears she's going to faint,
A fifth 's look 's vulgar , dowdyish , and suburban,
A sixth ’s white silk has got a yellow taint,
A seventh 's thin muslin surely will be her bane, .
And lo ! an eighth appears, -- " I 'll see no more! ”
For fear, like Banquo's kings, they reach a score .

67 .

Meantime, while she was thus at others gazing,


Otherswere levelling their looks at her ;
She heard the men's half-whisper 'd mode of praising,
And, till ’t was done, determined no to stir ;
The women only thought itquite amazing
That, at her time of life, so many were .
Admirers still, — butmen are so debased,
Those brazen creatures always suit their taste,
BEPPO , 127

LXVI

L 'une a mis trop de rouge ; - une autre est pâle et blême


A faire peur, tant elle est couverte de blanc ;
- La troisième a de faux cheveux; - la quatrième,
Où se peut- il qu' elle ait acheté ce turban ?
- La cinquième a l'air fort commun ; - la robe verte
De la sixième est bien indécemment ouverte ;
- La septième devrait moins montrer ses bras nus ;
- La huitième. . . Je n 'en veux pas voir davantage (8 ) !...
Car ainsi que les rois de Banquo , je le gage ,
On pourrait en compter une vingtaine et plus.

LXVII

Laura pareillement était fort regardée ;


Les hommes lui parlaient, autour d 'elle empressés ;
Elle écoutait tous leurs compliments, décidée
A ne pas s'en aller qu'elle n 'en eût assez .
Les femmes seulement s'étonnaient qu 'à son âge
Elle eût d 'admirateurs un si grand entourage :
- Mais tous les hommes sont vraiment dans leurs amours
Si déhontés , que ces coureuses d 'aventures
Ont de l'attrait pour eux, et que ces créatures
Leur font tourner la tête et leur plaisent toujours !
128 BEPPO .

68 .

For my part, now , I ne'er could understand


Why naughty women - but I won't discuss
A thing which is a scandal to the land,
I only don 't see why it should be thus;
And if I were but in a gown and band,
Just to entille me to make a fuss,
I'd preach on this till Wilberforce and Romilly
Should quote in their next speeches from my homily .

69.

While Laura thus was seen and seeing, smiling ,


Talking, she knew not why and cared notwhat,
So that her female friends, with envy broiling,
Beheld her airs and triumph , and all that;
And well-drest males still kept before her filing ,
And passing bow 'd and mingled with her chat ;
More than the rest one person scem 'd to stare
With pertinacity that 's rather rare.
ΒΕΡΡΟ. 129

LXVIII

Moi, pour ma part, je n'ai jamais bien pu comprendre


Que ces femmes au front d 'airain !. . . Mais je ne veux ,
Pour plus d 'une raison , nullement entreprendre
Ici, de discuter un fait si scandaleux !
- Seulement, en passant, je constate une chose,
Que j'ai remarquée et dont j'ignore la cause ;
Si je voulais prêcher, que ce fùt mon état ,
J'en pourrais dire autant (sans être de leur force )
Qu'en disent là -dessus Romilly , Wilberforce . . . '
— Il ne memanquerait qu 'une robe à rabat.

LXIX

Mais, tandis que Laura se fait voir , - examine,


- Sourit à tout hasard, — cause sans écouter ,
- Lance par -ci par-là quelqu'æillade assassine ,
Sans trop savoir à qui, ni sans s'inquiéter
De rien , - n 'ayant qu ’un but, celui, par ce manége,
Avec ses airs vainqueurs et le nombreux cortege
Qui la suit, de vexer ces dames un instant ,
- Et pendant qu 'à la voir ainsi chacune enrage,
Ce qui l' enchante fort, - un certain personnage
Muel, fixe sur elle un regard persistant.
130 BẾPPO .

70 .

He was a Turk , the colour of mahogany;


And Laura saw him , and at firstwas glad ,
Because the Turks so much admire philogyny,
Although their usage of their wives is sau;
' T is said they use no better than a dog any
Poor woman, whom they purchase like a pad :
They have a number , thought they ne'er exhibit'em ,
Four wives by law , and concubines “ ad libituin .”

71.

They lock them up , and weil, and guard them daily,


They scarcely can behold their male relations,
So that their moments do not pass so gaily
As is supposed the case with northern nations;
Confinement, too,mustmake them look quite palely ;
And as the Turks abhor long conversations.

Their days are either past in doing nothing,


Or bathing, nursing,making love, and clothing.
ВЕРРО, ·
131

LXX

C 'est un Turc : - bien vite à sa physionomie


Elle l'a reconnu ; — son orgueil est flatté
De tant d 'attention , car la polygamie
Fait aux Turcs parminous un renom mérité ...
La façon cependant dont ils traitent leurs femmes,
Qu'ils achètent, n 'a rien de flatteur pour ces danes.
Ils en ont tous plusieurs, — quatre est le maximum
Pourtant, — mais j'entends quatre de légitimes ;
Quant aux autres , - tous les auteurs sont unanimes
Sur ce point, -- vingt, cinquante , un cent.. .ad libitum .

LXXI

Ils les gardent à vue et de voiles les couvrent,


Car ils sont très -jaloux; du harem , vraie prison ,
Jamais à l'étranger les portes ne s 'entr 'ouvrent;
C ' est dur, mais ce n 'est pas peut- être sans raison .
Comme un Turc de causer a rarement l'envie ,
Elles passent ainsi fort tristement leur vie :
Faire l'amour, soigner leurs enfants , s'habiller ,
Se baigner , est, pendant d 'éternelles années,
L 'habituel emploi de leurs longues journées ;
- Elles ont largement le temps de s'ennuyer .
139 BEPPO ,

72.

They cannot read , and so don't lisp in criticism ;


Nor wrile, and so they don't affect themuse;
Were never caught in epigram or witticism ,
Have no romances , sermons, plays, reviews, -
In harams learning soon would make a pretty schism !
But luckily these beauties are no “ Blues,”
No bustling Botherbys have they to show 'em
“ That charming passage in the last new poem . ”

73 .

No solemn, antique gentleman of rhyme,


Who having angled all his life for fame,
And getting but a nibble at a time,
Still fussily keeps fishing on, the same
Small “ Triton of the minnows,” the sublime
Ofmediocrity , the furious tame,
The echo's echo, usher of the school
Of female wits, boy bards--in short, a fro !
BEPPO .

LXXII

Comme elles n 'ont jamais su lire, la lecture


N 'en a pas fait dès lors des femmes bel esprit;
Elles n 'ont point de goût pour la littérature ;
Aucune, soit en vers, soit en prose, n ’écrit.
Pour elles, les romans, les journaux, les revues,
Les drames, les sermons, sont choses inconnues,
Elles ne savent rien ; — l'instruction , morbleu !
Ferait dans un harem bientôt un joli schisme !
Aussi la frappe -t -on d 'un prudent ostracisme.
On ne sait pas là -bas ce que c'est qu 'un bas-bleu .

LXXIII

Là, point de ces rimeurs, tristes pêcheurs de gloire ,


Dont la ligne jamais n 'a pris que du fretin ,
Mais que berce toujours l'espérance illusoire
De quelque grand succès prédit par le destin ,
Qui toujours les fuit, — ce qui ne les empêche
Pas de continuer leur inutile pêche;
— Pauvres gens sans valeur, échos d 'autres échos
· Quirépètent des sons, lions à l'air superbe
Mais édentés, pédants , des poëtes en herbe,
Beaux esprits sans esprit, - pour tout dire, des sots ,
8 .
134 BEPPO .

74.

A stalking oracle of awful phrase,


The approving “ Good !” (by no means good in law )
Humming like flies around the newest blaze ,
The bluest of bluebottles you e 'er saw ,
Teasing with blame, excruciating with praise,
Gorging the little famehe gets all raw ,
Translating tongues he knows noteven by letter .
And sweating plays so middling, bad were better .

75 .

One hates an author, that 's all author, fellows


In foolscap uniforms turn'd up with ink ,
So very anxious, clever, fine, and jealous,
Onedon 't know what to say to them , or think ,
Unless to puff them with a pair of bellows;
Of coxcombry 's worst coxcombs e'en the pink
Are preferable to these shreds of paper ,
These unquench 'd snuffings of themidnight taper.
135
BEPPO .

LXXIV

Nourris de vanité, qui, sur un ton d 'oracle ,


Vontdébitant partout leurs fades lieux communs,
Se croyant quelque chose et rêvant le pinacle ,
Moucherons bourdonnants, insectes importuns
Armés d 'un aiguillon ... leur plume, - et d'insolence ,
Barbouilleurs de papier, bouffis de suffisance
Comme d 'air un ballon que l'on vient de gonfler,
Suant de mauvais vers , des pièces pitoyables ,
Qui ne valent pas, tant elles sont misérables,
La peine que l'on prend encore à les siffler.

LXXV

Nous en avons chez nous beaucoup de cette espèce,


Auteurs qui ne sont rien qu'auteurs, dont le métier ,
-- Le plus pauvre , à coup sûr, qu'au monde je connaisse ,
Est sans cause et sans but, de salir du papier .
Drapés dans leur misère et dans leur pédantisme,
Partout on les rencontre étalant leur cynisme,
Malpeignés,malvêtus, d 'encre toutbarbouillés ;
C 'est une race à part, à ce point détestable,
Que le plus fat des fatsme semble supportable ,
A côté d 'un de ces truands dépenaillés,
136 BEPPO .

76 .

Of these samewe see several, and of others,


Men of the world , who know the world like men ,
Scott, Rogers, Moore, and all the better brothers ,
Who think of something else besides the pen ;
But for the children of the “ mighty mother 's,”
The would-be wits and can't-be gentlemen ,
I leave them to their daily “ tea is ready,"
Smug coterie, and literary lady.

The poor dear Mussulwomen whom Imention


omen

Have none of these instructive pleasant people ,


And one would seem to them a new invention ,
Unknown as bells within a Turkish steeple ;
I think 't would almost be worth while to pension
(Though best-sown projects very often reap ill)
A missionary author, just to preach
Our Christian usage oftheparts of speech ,
BEPPO . 137

LXXVI

Nous en avons aussi qui sont hommes du monde


Et parfaits gentlemen avant que d' être auteurs,
Dont la verve n 'est pas pour cela moins féconde,
Moore, Scott, Rogers , - je cite lesmeilleurs ,
A la muse toujours délicate et sévère ;
Mais, ces fils impuissants de la puissante mère (9) ,
Ces cuistres, ces pédants ... — je les laisse à leurs thés
Littéraires, à leurs infimes coteries
De sots et de bas -bleus, à leurs clabauderies,
Etme ris de tous ces poëtes avortés.

LXXVII

Tous, ils sont inconnus des chères musulmanes !


- Leur sexe des haremsleur défend d 'approcher ;
Un poëte au sérail serait pour les sultanes
Aussinouveau que des cloches dans un clocher.
— Mais pour communiquer à ces charmantes femmes
Un peu de cette ardeur que vous avez , Mesdames,
A tout savoir , à tout apprendre, - il suffirait
De leur envoyer un auteur -missionnaire,
Lequel leur prêcherait prosodie et grammaire .....
- Et l'usage chrétion que chez nous on en fait !
. 8.
138 BEPPO .

78 .

No chemistry for them unfolds her gasses,


No metaphysics are let loose in lectures,
No circulating library amasses
Religious novels, moral tales , and strictures
Upon the living manners, as they pass us ;
No exhibition glares with annual pictures ;
They stare not on the stars from out their attics ,
Nor deal (thank God for that!) in mathematics .

79.

Why Ithank God for thatisno great matter,


I have my reasons, you no doubt suppose ,
And as, perhaps , they would nothighly flatter ,
I 'll keep them formy life (to come) in prose ;
I fear I have a little turn for satire,
And yet methinks the older that one grows
Inclines usmore to laugh than scold , though laughter
Leaves us so doubly serious shortly after.
BEPPO . 139

LXXVIII

Aucunene s'adonne à la métaphysique,


D 'histoire elles n 'ont pas la moindre notion ,
On ne les surprend pas à causer politique,
Non plus qu'à discuter sur la religion ;
Nulle enfin , lorsque vient la nuit, en sa mansarde
Nemonte , un télescope en main , et ne regarde
Les astres graviter dans le ciel obscurci ;
Pas une ne consacre aux sciences chimiques
Une heure de son temps ; -- quant auxmathématiques ,
Elles n 'en font jamais .. . non , jamais , Dieu mierci!

LXXIX

Pourquoi ce Dieu merci ! dira - t- on ; — que t'importe ,


Trop curieux lecteur ? — J'ai de bonnes raisons,
Sois - en persuadé, pour parler de la sorte .....
- De m 'expliquer , j'ai bien quelques démangeaisons.....
Mais ce serait mal pris , – il vaut mieux ne rien dire.
- On me reproche un goût trop grand pour la satire,
Je veux m 'en corriger vraiment ; je me fais vieux,
Pourquoi gronder toujours? ..... rire est plus de mon âge ;
- Il est vrai que le rire a le triste avantage
De nous laisser après doublement sérieux .
140
ΒΕΡΡΟ.

80 .

Oh ,Mirth and Innocence !Oh , Milk and Water !


Ye happy mixtures of more happy days !
In these sad centuries of sin and slaughter,
Abominable Man no more allays
His thirst with such pure beverage . No matter,
I love you both ,and both shallhavemy praise :
Oh , for old Saturn 's reign of sugar-candy ! -
Meantime I drink to your return in brandy.

81.

Our Laura's Turk still kept his eyes upon her,


Less in the Mussulman than Christian way ,

Which seems to say , “ Madam , I do you honour ,


“ And while I please to stare, you 'll please to stay : "
Could staring win a woman this had won her,
aWOT

But Laura could not thus be led astray ,


She had stood fire too long and well to boggle
Even at this stranger 's most outlandish ogle.
BEPPO. 141

LXXX

O meurs de l'âge d 'or, douce et sainte innocence,


Primitive gaîté d 'un siècle plus heureux,
Eau limpide, lait pur, que dans leur ignorance
Délicieusement savouraient nos aïeux !.....
Ce temps n 'est plus..... hélas ! un aussi clair breuvage
Ne suffit plus à l'homme en ces jours de carnage
Où nous vivons ( 10) ! — Heureux âge d 'or , c'est en vain
Que je te chanterais ! ... .. Du moins à la mémoire
De cet honnête et bon Saturne, je veux boire!.
- Que l'on me serve un verre ou deux de brandevin !

LXXXI

Mais cependant, le Turc de Laura n 'avait garde


De la quitter des yeux ; — son air et son maintien
N ’ étaient pas ceux d 'un bon mulsuman qui regarde
Tout simplement pour voir , - comme eût faitun chrétien ;
Il la dévisageait... .. son vil plein d 'assurance
Semblait dire : « Madame, ayez la complaisance
« De me laisser vous voir à l'aise, sans bouger. » .
- Certes, s'il suffisait d ' un regard plein de flamme.. ...
Mais fortheureusement Laura n 'était pas femme
A baisser pavillon devant un étranger.
142 ΒΕΡΡΟ

82 .

The morning now was on the point of breaking,


A turn of time at which I would advise
Ladies who have been dancing , or partaking
In any other kind of exercise ,
To make their preparations for forsaking
The ball-room ere the sun begins to rise ,
Because when once the lamps and candles fail,
His blushes make them look a little pale .

83 .

I 've seen some balls and revels in my time ,


And staid them over for some silly reason ,
And then I look’d (I hope it was no crime)
To see what lady best stood out the season ;
And though I 've seen somethousands in their prime,
Lovely and pleasing, and who still may please on ,
I never saw but one (the stars withdrawn ),
Whose bloom could after dancing dare the dawn,
BEPPO .

LXXXII
Le soleil se levait et le jour allait naître ... ..
- C 'est un moment auquel vous devriez, sans bruit ,
Mesdames , laisser là le bal et disparaître ,
Surtout quand vous avez dansé toute la nuit.
-- Il est fort imprudent, croyez-moi bien , d 'attendre
Que le soleil naissant s'en vienne vous surprendre ,
Car, dès le moment où , devant l'éclat du jour,
Les feux resplendissants des lustres s'obscurcissent,
Vos charmantes couleurs roses aussi pâlissent,
Et vos regards brillants s' éteignent à leur tour .

LXXXIII

J'ai vu beaucoup de bals dans ma vie , - un caprice


Souventmême m 'a fait rester jusqu'à la fin ;
Je regardais alors (est- ce un crime, lectrice ?),
Pour savoir quelle dame aux clartés du matin
Résisterait le mieux. — Hélas, les plus jolies,
Les plus belles étaient horriblement pâlies,
Le teintblême et bistré !. .... Pour parler sans détour,
Une seule pouvait, par sa fraîcheur pareille
A celle d 'un enfant endormi qui s' éveille ,
Lutter contre l' éclat resplendissant du jour,
BEPPO .

84.
The nameof this Aurora I 'll not mention ,
Although Imight for she was nought to me
or than iha patent work ofGod's invention ,
A chirminy woman, whom we like to see ;
But writing names would merit reprehension ,
Yet if you like to find out this fair she,
At the next London or Parisian ball
You still may mark her cheek , out-blooming all.

85 .

Laura, who knew it would not do at all


To meet the daylight after seven hours sitting
Among three thousand people at a ball,
To make her curtsy thought it rightand fitting ;
The Count was at her elbow with her shawl,
And they the room were on the point of quitting,
When lo ! those cursed gondoliers had got

Just in the very place where they should not.


BEPPO . 143

LXXXIV

Je ne vous dirai pasle nom de cette Aurore,


Je le pourrais pourtant, sans indiscrétion .... .
- Elle n ' était pour moi, comme elle n 'est encore
Rien , absolument rien ..... que cette invention
Admirable de Dieu qu'on appelle une femme!
- Écrire ainsi des noms est chose que je blâme :
— Mais, si vous désirez juger cette beauté
Par vous-même, à Paris comme à Londres vous êtes
Sûr de la rencontrer , c' est la reine des fêtes,
Où sa fraîcheur lui fait une célébrité.

LXXXV

Laura , qui savait bien qu'elle avait peu de chose


A gagner à rester voir lever le soleil,
Et qui ne voulait pas que son teint frais et rose
Se trouvât compromis, sans demander conseil
Jugea qu 'il était temps d'abandonner la danse,
Etde tirer sans plus tarder sa révérence.
— Déjà , portant son schall, le cointe la suivait
Ils allaient partir ..... mais, voyez quelle disgrâce !.. ...
Ces maudits gondoliers avaient quitté leur place,
Et, sur quatre, à son poste aucun ne se trouvait.
146 BEPPO .

86 .

In this they ’re like our coachmen , and the cause


Ismuch the same — the crowd,and pulling, hauling,
With blasphemies enough to break their jaws,
They make a never intermitting bawling .
At home, our Bow -street gemmem keep the laws,
And here a sentry stands within your calling ;
But, for all that, there is a deal of swearing,
And nauseous words past mentioning or bearing.

87 .

The Count and Laura found their boat at last,


And homeward floated o 'er the silent tide,
iscussing allthe dances gone and past ;
The dancers ana their dresses, too , beside ;
Some little scandals eke : but all aghast
(As to their palace stairs the rowers glide),
Sate Laura by the side of her adorer ,
When lo ! the Mussulman was there before her.
BEPPO . 147

LXXXVI

C 'est commenos cochers : — unemême cohue


Quand vous allez sortir du théâtre ou du bal,
A Londres, chaque soir , se presse dans la rue,
A Venise envahit les abords du canal.
Le flot tantôt vous pousse et tantôt vous arrête ,
L ' air retentit de cris à vous rompre la tête ,
C 'est un vacarme tel qu'on ne s'y connaît plus.
- Aussi vous comprenez que dans ce pêle-mêle
Sans nom , c'est vainement qu'on cherche et qu'on appelle
Les gondoliers absents, les cochers disparus.

LXXXVII

Le comte enfin finit par trouver sa gondole ;


– L 'instant d 'après, l'esquif silencieusement
Fendait l' eau , comme fend l'air un oiseau qui vole .
– Tout en voguant, Laura bas avec son amant
Causait, entremêlant sa petite éloquence,
Par - ci par -là d'un grain ou deux de médisance....
- Déjà l'on approchait..... Mais, quel étonnement
Fut le leur !. ... . A la porte , au moment de descendre ,
Un homme était debout qui semblait les attendre
Immobile , pensif : - c' était le musulman .
148 BEPPO ,

88 .

“ Sir,” said the Count,with brow exceeding grave,


“ Your unexpected presence here willmake
• It necessary formyself to craveave

" Its import? But perhaps 't is a mistake ;


“ I hope it is so ; and at once to wave
“ All compliment, I hope so for your sake ;
* You understand mymeaning , or you shall."
* Sir,” (quoth the Turk) “ 't isno mistake atall,

89,

" That lady is mywife ! ” Much wonder paints


The lady's changing cheer, as well it might;
Butwhere an Englishwoman sometimes faints ,
Italian females don 't do so outright;
They only call a little on their saints ,
And then come to themselves, almost or quite ;
Which saves much hartshorn , salts,and sprinkling faces ,
And cutting stays, as usual in such cases.
BEPPO , 149

LXXXVIII

- Monsieur, lui dit le comte aussitôt, ma surprise


« Est grande de vous voir à pareille heure ici :
<< Quel en est le motif? . . . Sans doute une méprise ,
« Quelqu'erreur. . . Répondez , si vous avez souci
« De votre vie . . . Allons, vite , il me tarde
« D 'en finir ; il le faut, ou mettez -vous en garde !
« Vous m ' entendez ?... - Monsieur, dit le Turc gravement,
« Ne vous échauffez pas à ce point. , . Cette dame
« Que vous avez au bras. . . — Eh bien ? — Mais c'est ma femme.
(( Vous voulez plaisanter sansdoute ? - Non , vraiment. »

LXXXIX

Une Anglaise à cesmots se fût évanouie


A coup sûr, fût tombée en syncope aussitôt;
— Mais Laura n 'en fit rien. — Les femmes d'Italie
Ont toutes trop d'esprit pour avoir ce défaut.
Il leur suffit tout bas d ’invoquer leurmadone
Pour reprendre leur sens, sans l'aide de personne;
Point d'attaques de nerfs , de sanglots , ni de cris,
Point de sels respirés, d'eau jetée au visage,
Point de corsets coupés . . . ainsi que c'est l'usage
En de semblables cas dans les autres pays.
150 BEPPO .

90 .

She said , - what could she say ? Why, nota word :


But the Count courteously invited in
The stranger,much appeased by what he heard :
“ Such things, perhaps,we 'd best discuss within ,”
Said he : “ don't let usmake ourselves absurd
“ In public,by a scene,nor raise a din ,
“ For then the chief and only satisfaction
“ Will bemuch quizzing on the whole transaction.”

91.

They enter'd , and for coffee call' d - it came,


A beverage for Turks and Christians both ,
Although the way the make it 's not they same.
Now Laura, much recover’d , or less loth
To speak , cries “ Beppo ! what's your pagan name ?
“ Bless me ! your beard isof amazing growth !
“ And how came you to keep away so long ?
“ Are you not sensible’t was verywrong?
BEPPO . 151

XC .

Laura rougit un peu , - la surprise l'empêche


Tout d 'abord de parler,mais c'est tout; — son amant,
Calmé par ce qu 'il vient d 'entendre, se dépêche
D 'ouvrir la porte du palais : « — Monsieur, vraiment
« Dit-il à l'étranger , le mieux en cette affaire
« Si délicate , à mon avis, est de nous taire,
« Ici du moins . . . Veuillez entrer . . . nous sommes gens,
« Quand nous aurons causé , je crois , à nous entendre;
« Ne faisons pas de bruit, de scène, ni d 'esclandre,
« Gardons-nous de donner à rire à nos dépens. »

XCI

Ils entrèrent tous trois ensemble et demandèrent


Le café, - ce breuvage également goûté
Des Turcs et des chrétiens, qui cependant différent
Sur la manière dont il doit être apprêté .
— Laura fut la première à rompre le silence :
« Commentavez-vous fait une si longue absence,
« Dit- elle , cher Beppo ? . . . - Votre nom de païen
« Quel est- il s'il vous plaît ? — Dieu quelle barbe affreuse
« Vous avez ! — Seule ainsi, j'étais très -malheureuse !...
« Vous m 'aviez oubliée . . . Ah ! ce n 'était pas bien !
152 BEPPO .

92 .

“ And are you really , truly , now a Turk ?


“ With any other women did you wive?
* Is 't true they use their fingers for a fork ?
“ Well, that's the prettiest shawl — as I'm alive !
“ You 'll give itme? They say you eatno pork .
“ And how somany years did you contrive
“ To — Bless me ! did I ever ? No, I never
“ Saw aman grown so yellow ! How 's your liver ?

93.

“ Beppo ! that beard of yours becomes you not;


“ It shall be shaved before you ’re a day older :
“ Why do you wear it? Oh! I had forgot —
“ Pray don 't you think the weather here is colder ?
“ How do I look ? You shan't stir from this spot
“ In that queer dress, for fear that some beholder
“ Should find you out, and make the story known.
“ How short your hair is ! Lord ! how grey it's grown !”
BEPPO . 153

XCII

( – Avez-vous par là-bas épousé d'autres femmes?


- Êtes-vous un vrai Turc ? ...mais là ... réellement?
— Aviez-vous un harem ? — Est-il vrai que ces dames
Se serventdeleurs doigts pour fouchette ? - Ah ! vraiment,
« Ce schall que vous portez est fort beau ! dema vie
« Je n ' en ai vu , je crois , dont j'eusse tant envie. . .
« Me le donnerez-vous? - Les Turcs ne mangent point
« De viande de porc, m 'a - t-on dit. — Quelle joie
« De vous revoir ! — Eh mais... vous avez mal au foie ;
« Vous êtes jaune, ami, mais jaune comme un coing.

XCIII

« Mais pourquoi portez-vous une barbe pareille ?


« Cela vous va fortmal et vous êtes fort laid .
« Vous la ferez couper, oui, je vous le conseille .
<< ~ Comment vous trouvez -vous ici du temps qu'il fait?
« Avez - vous froid ? — Beppo, suis-je toujours jolie ?
« On m 'a dit que j'étaismême fort embellie .
( - Comptez-vous par hasard sous cet accoutrement
« Sortir et vousmontrer ? Ce serait trop risible !
< - Que vos cheveux sont courts... .Jésus! Est-ce possible ?
« Ils sontdevenus gris.., mais tout gris, oui, vraiment! »
154 BEPPO .

94 .

What answer Beppo made to these demands


Is more than I know . He was castaway
About where Troy stood once , and nothing stands ;
Became a slave of course , and for his pay
Had bread and bastinadoes, till somebands
Of pirates landing in a neighbouring bay,
He join’d the rogues and prosper'd , and became
A renegado of indifferent fame.

95 .

Buthe grew rich , and with his riches grew so V SO

Keen the desire to see his home again ,


He thought himself in duty bound to do so ,
And not be always thieving on the main ;
Lonely he felt, at times, as Robin Crusoe,
And so he hired a vessel come from Spain ,
Bound for Corfu : she was a fine polacca ,
Mann 'd with twelve hands, and laden with tobacco .
BEPPO . 155

XCIV

Que répondit Beppo ? — Je ne puis vous le dire.


C 'est plus que je n 'en sais : - Par les vents emporté ,
Comme il s 'en revenait de Smyrne, son navire
Sur la côte où fut Troie avait été jeté ;
Fait esclave, il avait de son maître , en Troade,
Avec d 'affreux pain noir reçu la bastonnade
Pour tout salaire ; – enfin , plus tard , le malheureux,
Des pirates ayant abordé sur la plage,
Par la fuite s'était soustrait à l'esclavage,
En se faisant pirate et renégat comme eux.

XCV .

Pirate et renégat, il avait fait fortune.


- Puis avec la richesse il avait reconnu
Combien est pleins d 'écueils l' empire de Neptune,
Et du pays natal il s' était souvenu .
Perdu dans l'Océan , sans amis , sans asile ,
Plus seul que Robinson Crusoé dans son île ,
Il lui prit un dégoût profond de son métier.
Il ne rêvait plus qu'au retour . . . Sa bonne étoile
A propos fit passer un bateau faisant voile
D ’Espagne vers Corfou ; - c 'était un fin voilier ,
156 BEPPO .

96 .

Himself, and much (heaven knows how gotten !) cash ,


He then embark 'd with risk of life and limb ,
And got clear off, although the attemptwas rash ;
He said that Providence protected him –
For my part, I say nothing - lest we clash
In our opinions: — well, the ship was trim ,
Set sail, and kept her reckoning fairly on,
Except three days of calm when off Cape Bonn .

97 .

They reach 'd the island, he transferr'd his lading ,


And self and live stock , to another bottom ,
And pass'd for a true Turkey -merchant, trading
With goods ofvarious names, but I've forgot 'em .
However, he got offby this evading ,
Or else the people would perhaps bave shot him ;
And thus at Venice landed to reclaim
His wife , religion , house , and Christian name.
BEPPO . 157

XCVI

Une polaque avec douze hommes d ' équipage


Filant dix neuds à l'heure ; on futbientôt d 'accord
Sur les conditions et le prix du passage,
Et peu d 'instants après notre homme était à bord ,
Avec sa cargaison dans la cale entassée.
- Sauf trois jours de calme au cap Bon , la traversée
Se fit sans accidents . - En cette occasion
Difficile , Beppo dit que la Providence
Veilla sur lui, prit soin de sa chère existence ;
-- C 'est possible après tout, et je ne dis pas non ,

XCVIT

Quand on fut à Corfou , Beppo crut nécessaire


D 'agir avec prudence : - à tout événement
Il se fit passer pour un niarchand turc, du Caire
Se rendant à Venise avec son chargement.
Sans être reconnu, grâce à ce stratagème,
Il put se rembarquer librement le jour même ;
Personne par bonheur ne se douta de rien .
C 'est ainsi qu 'il revint au lieu de sa naissance
Réclamer et reprendre, après sept ans d'absence,
Sa femme, sa maison et son nom de chrétien .
158 BEPPO .

98 .

His wife received , the patriarch re-baptized him ,


(Ilemade the church a present, by the way);
He then threw off the garments which disguised him ,
And borrow 'd the Count's smallclothes for a day :
His friends the more for his long absence prized him ,
Finding he 'd werewithal to make them gay,
With dinners, where he oft became the laugh of them ,
For stories - but I don't believe thehalf of them .

99 .

Whate’er his youth had suffer’d , hisold age


With wealth and talking make him some amends ;
Though Laura sometimes put him in a rage,
I 've heard the Count and he were always friends,
My pen is at the bottom of a page,
Wich being finish ’d , here the story ends ;
' T is to be wish'd it had been sooner done,
But stories somehow lengthen when begun .
BEPPO. 159

XCVIII

Sa femme retrouvée, il quitta le jour même


Sa veste et son turban de Turc , et se rasa ;
Le patriarche, avec l'eau d 'un second baptême,
Pour le purifier largement l' arrosa ;
Puis il fut visiter ses amis . -- On raconte
Qu'en cette circonstance il mit l'habit du comte ,
· Que pour un jour ou deux celui- ci lui prêta .
- Ses amis , qui l'avaient oublié , se souvinrent
Qu 'il donnait autrefois à dîner et revinrent,
Sans qu'un seul fît défaut, quand il les invita .

XCIX

S 'il avait quelque peu souffert en sa jeunesse,


- (Bien que Laura le fît enrager quelquefois),
Il eut la plus heureuse et paisible vieillesse
Que l'on puisse espérer dans un ménage à trois.
Dans un parfait accord le comte et lui restèrent
Bons amis et d 'un jour jamais ne se quittèrent. . .
— Mais ma plume est au bas d 'une page, lecteur,
Et je n 'ai plus du tout d 'encre en mon écritoire ;
C 'est le cas ou jamais de finir cette histoire,
Qui commençait, je crois, à tirer en longueur,
figu
fair
NOTES

(1) St. IV . - To haul over the coals, – locution anglaise qui, dans le sens
figuré, signifie, selon M . Paulin Pâris : faire rendre compte à quelqu 'un , lui
faire payer ce qu'il a dit ou fait. Il y aurait là un jeu de mots que la traduc
tion littérale laisse passer inaperçu.
(2) St.VII. - Soy, sauce fort en usage en Angleterre et composée avec le doli
chos soya, plante herbacée du Japon.
(3) St. XXXI. - Seccatura est une expression que Byron cite et emploie
plusieurs fois dans ses Memoranda pendant le temps de son séjour à Venise,
et qu'il qualifie de diablement bonne : une fade improvisation qu'il vient d'en
tendre est una seccatura, sans doute du verbe seccare ; ce qui équivaudrait å
notre location : - c'est à sécher d'ennui.
(4) St. XLVI. – Dans certaines éditions anglaises la stance 46e est, à ce qu'il
paraît, suivie d'une note en vers, que le traducteur de BEPPO n 'a pu tra
duire, n 'ayant pu se procurer le texte anglais , mais dont voici l'interprétation ,
d 'après les traductions qu 'en donnent MM . Paulin Pâris et Benjamin Laroche :
En bavardant ainsi sur l'article des femmes
(Chose qu 'il se permet assez souvent), l'auteur
Désirerait que vous comprissiez bien , Mesdames
Et Messieurs, que ce n'est qu 'en simple spectateur
Qu'il parle, et pas du tout autrement. Du reste,
Ce qu'il dit, il le dit sur un ton trop modeste
Pour que personne s'en scandalise , - En ce temps
D 'ailleurs où nous vivons, se taire sur leur compte
Quand on écrit en vers, est impossible ... O honte !
Le livre aurait l'air d 'un vieux chapeau sans rubans.
Cette note est signée : Printer's devil. On appelle ainsi le diable de l'impri
merie, en Angleterre, celui qui est chargé de la correction des épreuves.
NOTES
(5) St.XLVII. – I like the freedom of the press and quill, j'aime la li
berté de la presse et de la plume. C 'est une allusion du poële à l'enrôlement
forcé des matelots anglais, mais son jeu de mots a besoin d'être indiqué
pour être compris dans notre langue, où le mot presse n'a qu'une signifi
cation .
(6) St. LVII. – Il existe, ou du moins il existait en Angleterre au temps de
Byron, beaucoup d 'auberges à cette enseigne : à l'Ange.
(7) St. LXI. — Il y a là dans le texte un calembour qu'il était presque im
possible de traduire , et qui, traduit, courrait grand risque de n 'être pas com
pris : Stopp'd by the elements. – « Lorsque Brummel fut obligé de se retirer
« en France, raconte à ce sujet Byron, il ne savait pas un mot de français et
« dutse mettre à étudier la grammaire. Quelqu 'un ayant demandé à notre ami
« Scrope Davies, si Brummel faisait des progrès dans la langue française , il
« répondit qu 'il avait été arrêté, comme Napoléon en Russie par les éléments.
« – J'ai mis ce calembour dans Beppo, et ce n 'est pas un vol, mais . un
« échange de politesse, car Scrope a fait son profit dans plusieurs dîners,
« comme il en est convenu lui-même, de bons mots dont je l'avais régalé le
« malin , » Memoranda .
· (8) St. LXVI. – Macbeth : Tu ressemble trop à l'ombre de Banquo, va-i-én,
la vue de ta couronne me brule les yeux ; - et toi dont le front est ceint
d'un cercle d'or, tu as le visage du premier ; – en voilà un troisièmequi res
semble aux deux autres; – sorcières infâmes, pourquoi évoquez-vous ces appa
ritions? – Un quatrième !.... sortez de vos orbites, ô mes yeux ! - Eh quoi !
vont-ils défiler ainsi jusqu'à la fin du monde ?.... Encore un !.... Puis un
autre !.... Un septième !... Je n 'en veux pas voir davantage (1 'll see no
more).... Et cependant un huitième parait portant un miroir qui m 'en montre
un plus grand nombre encore. - (Shakspeare , Macbeth. — Art. IV. Sc. II.)
(9) St. LXXVI. – Mighty Mother , comme Pore appelle la déesse des sots
dans la Dunciade.
(10) St. LXXX . – BEPPO a été écrit en 1817, et Byron fait allusion aux
massacres de Waterloo.

Paris, imprimerie Paul Dupont, rue de Grenelle -Saint-Honoré, 45.

Vous aimerez peut-être aussi