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1. Bourlet mar
Who Legonaw .

‫ما‬

F
4B118/214
É
TRAIT

DU DROIT

DE DOMAINE

DE PROPRIÉTÉ

Par L'AUTEUR du Traité des Obligations.

TOME PREMIER.

SAIN
B.D.J

TE
*

A PARIS ,
ENE

Chez DEBURE pere , Quai des Auguftins ,


VI

à l'Image Saint Paul . Эл


A ORLEANS ,

Chez la Veuve ROUZEAU-MONTAUT , Imp. du Roi,


de l'Evêché , & de l'Univerfité.

M. DCC. LXXII.

Avec Approbation & Privilege du Roi,



**

**
***
***
*
****

TABLE

Des Chapitres , Sections , Articles


& Paragraphes.

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE ,
pag. 1

PREMIERE PARTIE.

CE que c'est que le Droit de Domaine de

Propriété, des manieres dont il s'acquiert ,


& dont il fe perd , 4

CHAPITRE PREMIER.

CE que c'eft que le Droit de Domaine de


Propriéte ; & en quoi il confifte , ibid.

CHAPITRE II.

Comment s'acquiert le Domaine de Pro-


21
priete'; & comment ilſe perd,
SECT. I. De l'occupation des chofes qui n'ap
TABLE
partiennent à perfonne , 13
ART. I. Quellesfont les chofes qui n'appar-
tiennent àperfonne , dont le Domaine de ·
Propriétépeut être acquis à titre d'occu-..
pation , > 23
ART. II. De la Chaſſe , 26
S. I. Quels étoient les principes du Droit
Romain fur la Chaffe , 27
S. II. De l'abrogation du Droit qui permet
toit la chaffe à tout le monde ; quellesfont
les perfonnes à qui , par notre Droit Fran-
cois , la chaffe eft permife ; & celles à qui
elle eft defendue , 31
S. III. A qui le droit de Chaffe appartient-
il. 38
S. IV, Comment ceux qui ont droit de chaffe ,
en doivent-ils ufer, 51
S. V. Du droit qu'ont ceux qui ont droit de
Chaffe , d'empêcher de chaffer 55
'ART.III. De la Pêche & de l'Oifelerie , 57
S.I. De la Pêche ibid.
60
S. II. De l'Oifelerie ,
ARV. IV. De l'Invention , des Tréfors , des
Epaves , & de la découverte des Pays
' inhabité's , 61
ibid.
S.I. De l'Invention ,
S. II. Des Tréfors , 66
69
S. III. Des Epaves ,
S. IV. Des effaims d'Abeilles , 79
S.V. Dudroit de Varech , & chofes gaives ,
81.
DES CHAPITRES.
S. VI. De l'occupation des terres inhabitées ,
83
'
ART. V. De l'occupation fimplement dite,
ibid.
SECT. II. De ce qui eſtprisfur l'ennemi , 87
ART. I. Des conquêtes & du butin , 88
S.I. Des conquêtes , ibid.
S. II. Du butin ibid.
ART. II. Des prifes qui fe fontfur mer , 90
S. I. Quifont ceux qui ont droit de faire la
courfe fur les vaiffeaux ennemis , 91
S. II. Quelsfont les vaiffeaux , & les effets
dont la prife eft légitime , 95
S. III. De ce qui doit être obfervé par les
Capitaines des vaisseaux armés en guerre ,
lorfqu'ils ont fait une prife ; & comment
fe diftribue le produit de la vente de la
prife, 118
S. IV. Des rançons , 127
ART. III. Des Prifonniers de guerre , 141
SECT. III. De l'Acceffion , 144
ART. I. De l'acceffion qui résulte de cequedes
chofes font produites de la nôtre , 145
' RT. II. De l'acceffion qui refulte de l'union
A
d'une chofe avec la nôtre , qui fe fait na-
turellement , & fans le fait de l'homme ,
151
ART. III. Du droit d'acceffion qui résulte de
'
ce que des chofes ont étéunies à la mienne ,
par lefait de l'homme , 160
S.I, Regles pour difcerner quelle eft dans un
TABLE

tout compofé deplufieurs chofes , celle qui


en eft la partie principale & celles qui
n'en font que les acceffoires , 161
S.II. De la nature du Domaine que le droit
d'acceffion me fait acquérir de la choſe qui
eft unie à la mienne ; & de l'action ad ex-
hibendum qu'a celui à qui elle apparte-
noit 169
S. III. Quelle eft l'efpece d'union qui donne
lieu au droit d'acceffion , 174
ART. IV. De la fpecification , & de la con-
fufion , 176
S. I. De la Specification , ibid.
S. II. De la Confufion , 187
SECT. IV. De la Tradition , 191
ART. I. Ce que c'est que la tradition ; &
quelles font les différentes efpeces de tra-
dition , 193
S. I. De la tradition réelle , ibid.
S. II. De la tradition fymbolique 196
S. III. De la tradition longæ manûs >, 198
S. IV. Si la marque qu'un acheteur met du
confentement du vendeur aux chofes qu'il
lui a vendues, tient lieu de tradition , 200
S. V. De la tradition qui eft cenfee intervenir
par la fiction brevis manûs , 201
S. VI. De la tradition feinte qui refulte de
certaines claufes appofées au Contrat de
vente ou de donation de la chofe , ou autres
Contrats femblables , 204
S. VII, Des traditions qui ont lieu à l'égard
DES CHAPITRES:
des chofes incorporelles , 208
ART. II. Des conditions requifespour que la
'
tradition transfere la propriété , 212
S.I. Premiere condition. Ilfaut que la tra-
dition fe faffe par le proprietaire de la cho-
fe , ou defon confentement , 213
S.II. Seconde condition : il faut que le pro-
priétaire qui fait la tradition , ou qui y
confent , foit capable d'aliéner , 219
S. III. Il faut que la tradition foit faite en
vertu d'un titre vrai , ou du moins puta-
tif, qui foit de nature à transférer la pro-
priété, 223
S. IV. Du confentement des parties néceffaire
pourque la tradition transfere la propriété,
225
S.V. D'une autre condition pour que la tra-
dition transfere la propriété qui eft parti-
culiere à celle quife fait en exécution d'un
contrat de vente , 234
ART. III. De l'effet de la tradition , 238
ART. IV. Si la feule convention peut faire
paffer le domaine de propriété d'une per-
Jonne à une autre fans la tradition , 240
SECT. V. Des manieres de tranſmettre le
domaine depropriétépar droit civil , 247
SECT. VI. Comment & par quelles perfonnes
acquérons-nous le domaine de propriété des
chofes , 252
S. I. De quelles perfonnes , ibid.

SII, Comment acquérons - nous le domaine


vj TABLE
de propriété, 259
SECT. VII. Comment fe perd le domaine de
propriété, 263
S.I. En quels casfommes-nous cenfes perdre
par notre volonté , le domaine de propriété
des chofes qui nous appartiennent , ibid.
S. II. En quels cas perdons-nous , fans notre
confentement , le domaine de propriété des
chofes qui nous appartiennent , 271

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

DE l'action de revendication , 277


ART. I. Quelles chofes peuvent être l'objet de
l'actionen revendication ; par qui & contre
qui peut-elle être donnée , 279
S. I. Quelles chofes peuvent être l'objet de l'ac-
tion en revendication , ibid..
3
S. II. Par qui peut être intentée l'action de
revendication 283
S. IV. Contre qui l'action de revendication
doit-elle être donnée , 292
ART. II. De ce que doit obferver le proprié
taire avant que de donner la demande en
revendication ; de ce qu'il doit pratiquer
en la donnant ; & quel eft l'effet de la de-
mande pendant le procès , 302
DES CHAPITRES. vij
ART. III. Quand le Demandeur en revendi- .
cation d'un héritage ou d'une rente efl-il
cenfe'avoirjuftifiédefon droit de propriété ,
à l'effet d'obtenir en fa demande , 313
ART. IV. De la délivrance qui doit êtrefaite
'
de la chofe revendiquée au demandeur
lorfqu'il a obtenu en fa demande , 318
S. I. Comment , où , & quandfefait la déli-
vrance de la chofe revendiquée au deman-
deur qui a obtenu en fa demande , ibid.
S. II. En quel état doit être rendue la chofe
revendiquée , 322
ART. V. De la reftitution desfruits dont le
défendeur doit faire raifon au demandeur
qui ajuftifié de fon droit de propriété de
la chofe revendiquée 325
S.I. A l'égard de quelles chofesy a-t-il lieu ,
à la reflitution des fruits dans l'action de
revendication , 326
S. II. Depuis quel temps le poffeffeur de mau-
vaife foi eft-il tenu de faire raifon des
fruits ; & de quels fruits , 328
S.III. De quand le poffeffeur de bonne foi
eft-il tenu des fruits ; & de quels fruits ,
330
S.IV. Quelsfont les principes du Droit Fran-
çois fur la reflitution des fruits dans les
demandes en revendication , 339
ART. VI. Des prestations perfonnelles du
'
demandeur , dans l'action de revendication,
342
viij TABLE
ART. VII. De l'exécution dujugement què
a condamné le poffeffeur à délaiffer la chofe
revendiquée ; & du cas auquel il s'eft mis
parfafaute , hors d'état de pou-
par dol ouparfafaute
voir le faire , 363
S. I. Du délaiffement que le poffeffeur doit
faire de la chofe , ibid .
S. II. De la liquidation des fruits que le
poffeffeur a été condamné de reftituer , 367
S. III. Du cas auquel le poffeffeur s'eft mis
hors d'état depouvoir rendre la chofe reven
diquée , 375

CHAPITRE II.

DE la petition d'hérédité , 375


SECT. I. Par quelles perfonnes , & contre
quelles perfonnes peut être intentée lapéti-
tion d'hérédité 377
'ART. I. Par quellesperfonnes peut être inten-
tée lapétition d'hérédité ibid.
ART. II. Contre qui peut être intentée la pé-
tition d'hérédité , 381
SECT. II. Que doit établir le demandeurfur
l'action en pétition d'hérédité ; & ce qui
peut lui être oppofe ;fi& comment pendant
ceprocès les créanciers de la fucceffion &
les legatairesfe peuvent fairepayer , 388
ART. I. De ce que doit établir le demandeur
fur la demande en pétition d'hérédité ; &
de ce quipeut lui être oppofe , ibid.
DES CHAPITRE S. ix
ART. II. De l'effet duprocès pendant furla
pétition d'hérédité , 395
S.I. De fon effet vis- à-vis les parties plai-
dantes ibid.

§. II. De l'effet du procès pendantfur la pé-


tition de l'hérédité vis - à - vis des tiers ,
tels quefont les créanciers de lafucceffion
& les légataires , 399
SECT. III. De la reftitution qui doit êtrefaite
au demandeur , qui a obtenufurfa deman-
de enpétition d'hérédité , 402
S. I. Quels font ceux qui font poffeffeurs de
bonnefoi ; quels font ceux qui font pof-
feffeurs de mauvaise foi , 403
S. II. Quelles font les chofes que le poffeffeur
doit reftituer au demandeur qui a obtenu en
fon action de pétition d'hérédité , 406
S. III. De la différence entre le poffeffeur de
bonne foi , & celui de mauvaiſe foi , par
rapport aux chofes qu'ils ont ceffé ou man-
qué de pofféder , 413
S.IV. Pour quelle part la reftitution doit
elle êtrefaite , lorfque le demandeur enpé-
tition d'hérédité n'eft héritier que pourpar-
tie , 423
SECT. IV. Des preftations perfonnelles dont
eft tenu le poffeffeurfur la demande en péti-
tion d'hérédité , 425
SECT. V. Des preftations perfonnelles aux-
quelles eft tenu le demandeur envers le pof
TABLE DES CHAPITRES.
feffeur qui doit lui lui rendre les biens de
la fucceffion 452
SECT. VI. Des actions qui font à l'inftar
de la pétition d'hérédité , 461

Fin de la Table des Chapitres.

APPROBATION.

' AI lu par ordre de Monfeigneur le


J'a Chancelier , un Manufcrit qui a pour
titre , Traité du Droit de Domaine de Pro-
priété ; & je n'y ai rien trouvé qui m'ait
paru devoir en empêcher l'impreffion. A
Paris , ce 24 Novembre 1771 .

Signé , COQUELEY DE CHAUSSEPIERRE


TRAITÉ

DU DROIT

DE DOMAINE

DE PROPRIÉTÉ .

CHAPITRE PRELIMINAIRE.

I. N confidere à l'égard des cho


fes qui font dans le commer-
ce deux efpeces de Droits ; le
Droit que nous avons dans
une chofe, qu'on appelle jus
in re > & le Droit que nous avons par
rapport à une chofe , qu'on appelle jus
ad rem .
Le jus in re eſt le droit que nous
avons dans une chofe par laquelle elle
nous appartient , au moins à certains
égards.
Tome I. A
Traite du Droit de Propriete,
Le jus ad rem eft le droit que nous
avons , non dans la chofe , mais feule-
ment par rapport à la chofe , contre la
perfonne qui a contracté envers nous
l'obligation de nous la donner.
C'eft celui qui naît des obligations , &
qui ne confifte que dans l'action perfon-
nelle que nous avons contre la perfonne
qui a contracté l'obligation , ou qui y a
fuccédé , aux fins qu'elle foit condamnée
à nous donner la chofe , fi elle eſt en fon
pouvoir ; ou en nos dommages & intérêts
réfultants de l'inexécution de l'obligation .
C'eft ce jus ad rem qui a fait la ma-
tiere de notre Traité des Obligations , &
de ceux qui ont fuivi fur les différentes
efpeces de contrats. Nous allons traiter du
jus in re.
2. Il y a plufieurs efpeces de jus in re ,
qu'on appelle auffi droits réels.
La principale eft le droit de domaine
de propriété.
Les autres efpeces de droits réels , qui
émanent de celui -ci , & qui en font comme
des démembrements , font les droits de
domaine de fupériorité , tefs que les fei-
gneuries féodale ou cenfuelle , le droit de
rente fonciere , les droits de fervitudes ,
tant ceux des fervitudes perfonnelles que
ceux des fervitudes prédiales , le droit
d'hypotheque.
Chapitre Préliminaire . 3
Nous avons déja traité du droit de
rente fonciere dans notre Traité du Bail
à rente ; nous traiterons par la fuite de
ces autres efpeces de droits réels dans
différents Traités ; nous ne traiterons dans
celui-ci que du droit de domaine , qu'on
appelle auffi droit de propriété. Nous le
diviferons en deux parties. Nous verrons
dans la premiere ce que c'eft que le droit
de domaine de propriété ; en quoi il
confifte ; quelles font les différentes ma-
nieres de l'acquérir & de le perdre. Dans
la feconde , nous traiterons des actions
qui naiffent du droit de propriété. Nous
ajouterons un Traité de la Poffeffion.

A ij
4 Fraité du Droit de Propriete
';

PREMIERE PARTIE.

Ce que c'est que le Droit de Domaine de


Propriété; des manieres dont il s'acquiert,
& dont il fe perd.

CHAPITRE PREMIER.

Ce que c'est que le Droit de Domaine de


Propriété; & en quoi il confifle.

3. TL n'y a aujourd'hui * à l'égard des


meubles qu'une feule efpece de do-
maine , qui eft le domaine de propriété. Il
en eft de même des héritages qui font en
franc-aleu.
A l'égard des héritages tenus en fief
ou en cenfive , on diftingue deux efpeces
de domaine ; le domaine direct , & le
domaine utile.
Le domaine direct qu'ont les Seigneurs
de fief ou de cenfive fur les héritages qui

* Par l'ancien Droit Romain , il y avoit tant à


l'égard des meubles que des immeubles , deux
efpeces de domaines ; le Dominium civile ou Qui-
ritarium , & le Dominium naturale ou bonitarium.
Juftinien en la Loi unique , Cod. de nud. fur. Quir.
ayant aboli cette différence , nous n'en dirons
tien, Voyez nos Pandectes , T. de acq.rer, dom. n. 1.
Part. I , Chap. 1.
font ténus d'eux en fief ou en cenfive, eft
le domaine ancien , originaire & primitif
de l'héritage dont on a détaché le do-
maine utile par l'aliénation qui en a été
faite , lequel en conféquence n'eft plus
qu'un domaine de fupériorité , & n'eft
autre choſe que le droit de fe faire re-
connoître comme Seigneur par les pro-
priétaires & poffeffeurs des héritages tenus
d'eux ; & d'exiger certains devoirs & re-
devances recognitifs de leur feigneurie,
Cette efpece de domaine n'eft point
le domaine de propriété qui doit faire la
matiere du préfent Traité ; on doit plutôt
l'appeller domaine de fupériorité ; nous
en traiterons par la fuite dans un Traité
des fiefs & des cenfives.
Le domaine utile d'un héritage ren-
ferme tout ce qu'il y a d'utile ; comme
d'en percevoir les fruits , d'en difpoſer à
fon gré , à la charge de reconnoître à
Seigneur celui qui en a le domaine direct.
C'eft, à l'égard des héritages , le domaine
utile , qui s'appelle domaine de propriété.
Celui qui a ce domaine utile , fe nomme
propriétaire ou Seigneur utile ; celui qui
a le domaine direct , s'appelle fimplement
Seigneur. Il eft bien le propriétaire de
fon droit de feigneurie ; mais ce n'eſt pas
lui , c'eft le Seigneur utile qui eft pro-
prement le propriétaire de l'héritage.
A iij
B Traité du Droit de Propriété,
4. Le domaine de propriété eft ainfi
appellé , parce que c'eſt le droit le-
par
quel une chofe m'eſt propre & m'appar-
tient privativement à tous autres.
Ce droit de propriété confidéré par
rapport à fes effets , doit fe définir le
droit de difpofer à fon gré d'une chofe ,
fans donner néanmoins atteinte au droit
d'autrui , ni aux Loix : Jus de re liberè
difponendi ou jus utendi & abutendi.
5. Ce droit a beaucoup d'étendue ; il
comprend , 1.° le droit d'avoir tous les
fruits qui naiffent de la chofe , foit que
ce foit le propriétaire qui les perçoive , foit
qu'ils foient perçus par d'autres fans droit.
2°. Le droit de fe fervir de la chofe,
non-feulementpour les ufages auxquels elle
eft naturellement deftinée mais pour
quelque ufage que ce foit qu'il en voudra
faire. Par exemple , quoique les chambres
d'une maifon ne foient deſtinées qu'à lo
ger des hommes , le propriétaire a droit
d'y loger des beftiaux , fi bon lui ſemble.
3.Ce droit de difpofer , renferme celui
qu'a le propriétaire de changer la forme
de fa chofe , putà , en faiſant d'une terre
labourable un pré ou un étang , aut vice
versâ.
Il a droit de convertir fa choſe , non-
feulement en une meilleure forme , mais
fi bon lui femble , en une pire , en faisant,
Part. 1, Chap. 1-
par exemple , d'une bonne terre laboura-
ble une terre non labourable , une terre
en friche , qui ne ferve qu'au pâturage
des beftiaux.
4°. Ce droit de difpofer , comprend auffi
le droit qu'a le propriétaire de perdre
entiérement fa chofe , fi bon lui femble ;
par exemple , le propriétaire d'un beau
tableau a droit de faire paffer deffus une
couleur pour l'effacer; le propriétaire d'un
livre a droit de le jetter au feu , fi bon
lui femble , ou de le déchirer.
5 °. Le droit d'empêcher tous autres
de s'en fervir , fauf ceux qui auroient ce
droit en vertu de quelque droit de ſervi-
tude , ou auxquels il en auroit par quel-
que convention concédé un certain uſage.
6°. Le droit de difpofer , comprend le
droit qu'a le propriétaire d'aliéner fa
chofe , & pareillement d'accorder à d'au-
tres dans fa chofe tels droits qu'il voudra ,
ου d'en permettre feulement tel uſage qu'il
jugera à propos .
6. Quoique le droit de propriété ren-
ferme tous ces droits , le propriétaire ne
peut pas néanmoins toujours les exercer;
il peut en être empêché , ou par un dé-
faut de fa perfonne , ou par quelqu'im-
perfection de fon droit de propriété.
7. Les défauts dans la perfonne du
propriétaire , font l'âge de minorité , la
A iv
3809 Traité du Droit de Propriété,
démence , l'interdiction , la fujétion d'une
femme mariée à la puiffance de fon mari .
On diftingue dans le droit de pro
priété , de même que dans tous les autres
droits , le fonds du droit & l'exercice du
droit.

Un mineur propriétaire a bien le fonds


de tous les droits que fon droit de pro-
priété renferme , mais il n'en a pas l'exer-
cice , jufqu'à ce qu'il foit devenu ufant de
fes droits par la majorité , ou d'une par
tie de fes droits par le mariage , ou par
des lettres de bénéfice d'âge.
En attendant , c'eft le tuteur de ce mi-
neur , qui a l'exercice des droits renfermés
dans le droit de propriété des chofes qui
appartiennent au mineur ; en conféquence,
c'eft lui qui a le droit de percevoir les
fruits des héritages de ce mineur , pour
les employer au profit de ce mineur ; c'eft
lui qui a le droit de vendre les meubles
du mineur , pour les employer au profit
du mineur, foit au paiement de fes dettes ,
foit en achat d'héritages ou rentes : c'eſt
lui qui a le droit de donner à bail ou à
loyer les héritages du mineur ; mais il
n'a pas le droit de les vendre , fi ce n'eft
pour de juftes cauſes , en vertu du décret
du Juge , & en obfervant les formalités
requifes pour l'aliénation des biens des
mineurs. La raifon eft que le tuteur n'a
Part I , Chap. 1. 9
set exercice des droits que renferme la
propriété des biens de fon mineur , que
pour l'avantage & l'intérêt de fon mi-
neur , & qu'il n'a pas l'exercice de ceux
qui y feroient contraires.
Tout ce que nous venons de dire du
propriétaire mineur , s'applique pareille-
ment au propriétaire en démence , ou in-
terdit pour prodigalité : il a bien dans fa
perfonne le fonds des droits que renferme
la propriété de fes biens , mais fa dé-
mence ou fon interdiction le prive de la
faculté de les exercer ; c'eſt au curateur
de l'interdit à qui il appartient de les
exercer pour l'avantage & l'intérêt de
l'interdit.
Lorſqu'une femme , en fe mariant , paſſe
fous la puiffance de fon mari , elle con-
ferve le droit de propriété de fes biens ;
elle a en conféquence le fonds des droits
que renferme ce droit de propriété ; mais
la puiffance en laquelle elle eft de fon
mari , la prive de la faculté de les exer-
cer à fon gré , ne pouvant aliéner ni dif-
pofer de rien de ce qui lui appartient
fans l'autorisation de fon mari , comme
nous l'avons vu en notre Traité de la
Puiffance du mari.
8. L'imperfection du droit de propriété
peut auffi priver le propriétaire d'une
partie des droits que nous avons dit être
Αν
10 Traité du Droit de Propriété,
renfermés dans le droit de propriété , lef-
quels n'y font renfermés que lorſque la
propriété eft une propriété pleine & par-
faite.
Une propriété eft pleine & parfaite ,
lorfqu'elle eft perpétuelle , & que la
chofe n'eſt pas chargée de droits réels
envers d'autres perfonnes que le pro-
priétaire.
Au contraire , elle eft imparfaite , lorſ-
qu'elle doit fe réfoudre au bout d'un cer-
tain temps , ou par l'événement d'une
certaine condition.
La propriété d'un héritage eft auffi
imparfaite , lorfque l'héritage eft chargé
de droits réels envers d'autres que le pro-
priétaire ; car ces droits réels font autant
de droits qui ont été détachés de la pró-
priété.
La propriété eft fur - tout très - impar-
faite , lorfqu'elle eft chargée d'un droit
d'ufufruit ; elle eft appellée en ce cas pro-
priété nue , nuda proprietas.
9. Celui qui n'a qu'un droit de pro-
priété réfoluble d'un héritage , eft privé
d'une partie des droits que la propriété
renferme lorſqu'elle eft parfaite. Quoique
la propriété, lorfqu'elle eft parfaite , ren-
ferme le droit d'en mefufer & de la per-
dre , il n'eft pas permis à celui qui n'a
qu'une propriété réſoluble d'un héritage ,
Part. I, Chap. 1. 11
de le dégrader au préjudice de celui à
qui il doit retourner par droit de réverſion ,
ou appartenir à titre de fubftitution ; il
ne lui eft pas permis d'en changer la
forme ; & lorfque le temps de la réver-
fion ou de la fubftitution eft arrivé , lui
ou fes héritiers font tenus des dommages
& intérêts réſultants de toutes les dégra-
dations qui s'y trouvent.
10. Celui qui n'a qu'une propriété ré-
foluble d'un héritage , ne peut aufli l'alié-
ner ni y concéder des droits à d'autres
que pour le temps que doit durer fon
droit de propriété ; auffi-tôt que le temps
auquel il doit fe réfoudre eft arrivé , la
propriétéqu'il a aliénée , en quelques mains
qu'elle ait paffé & qu'elle fe trouve , fe
réfout de même que fi elle étoit encore
par-devers lui ; pareillement tous les droits
qu'il y a concédés à d'autres , fe réſolvent.
C'eft le cas de la regle foluto jure dantis ,
folviturjus accipientis.
11. Obfervez que fi celui qui a acquis
de bonne foi un héritage , de celui qui
n'en avoit qu'une propriété réſoluble , l'a
poffédé pendant tout le temps requis pour la
preſcription avec la même bonne foi , igno-
rant toujours que celui de qui il a acquis
l'héritage , n'en eût qu'une propriété réſo-
luble , il acquiert , par droit de prefcription
ce qui manquoit à la propriété qui lui a
A vj
12 Traité du Droit de Propriété ,
été transférée , laquelle , de réfoluble
qu'elle étoit , devient une propriété perpé-
tuelle. La preſcription peut donner le droit
de propriété à celui qui a acquis de bonne
foi un héritage de celui qui n'en étoit pas
le propriétaire , & qui n'a pu par confé-
quent lui transférer aucun droit de pro-
priété ; la prefcription peut par la même rai-
fon donner ce qui manquoit à la perfec-
tion de la propriété de celui qui a acquis
de bonne foi un héritage , de celui qu'il
croyoit en avoir la propriété parfaite ,
qui n'ayant qu'une propriété réfolubie ,
ne lui avoit transféré qu'une propriété
réfoluble.
Pareillement , lorfque ceux qui ont ac-
quis quelque droit réel dans un héritage
de celui qui n'en avoit qu'une propriété
réſoluble , ont poffédé ce droit de bonne
foi pendant le temps requis pour la preſcrip-
tion , dans l'opinion que celui de qui ils
l'ont acquis , avoit la propriété perpétuelle
de l'héritage , ils acquierent par la prefcrip-
tion , ce qui manquoit à la perfection du
droit qu'ils ont acquis , lequel , de droit
réfoluble qu'il étoit , devient un droit
perpétuel. Voyez fur le droit d'ufucapion
& de prefcription , fur les cas auxquels ce
droit a lieu , ce que nous en difons infrà ,
en notre Traité de la Poffeffion , part. 2.
12, Celui qui n'a qu'une propriété im
Part. 1, Chap. 1: 13
parfaite d'un héritage , par rapport aux
droits réels que d'autres perfonnes y ont',
eft auffi privé de plufieurs droits qui font
renfermés dans le droit de propriété , lorſ-
qu'elle eft parfaite.
Par exemple , le propriétaire d'un hé-
ritage chargé d'ufufruit , n'a aucun droit
aux fruits qui naiffent de fon héritage
pendant tout le temps que doit durer
P'ufufruit ; ils appartiennent pendant tout
ce temps à l'ufufruitier. Il ne peut , fans
le confentement de l'ufufruitier , ni chan-
ger la forme de l'héritage , ni y rien dé-
truire , ni y rien conftruire , ni y impo-
fer aucune fervitude , ni généralement y
faire aucune chofe qui puiffe donner at-
teinte à l'ufufruit.
Pareillement , le propriétaire d'un héri
tage chargé de quelque droit réel que
ce foit , ne peut rien faire dans fon héri-
tage , qui puiſſe donner atteinte à ce droit ;
par exemple , fi l'héritage dont j'ai la
propriété , eft chargé envers le voifin , d'un
droit de paffage , il ne m'eft pas permis
de rien faire dans le lieu de mon héri-
tage par où ce voifin a ce droit de paf-
fage , qui puiffe nuire à ce droit de paf-
fage. Pareillement , fi l'héritage dont j'ai
la propriété , eft chargé d'un droit de rente
fonciere , je n'ai pas le droit d'en méfu-
fer & de le dégrader , que j'aurois fi j'avois
14 Traité du Droit de Propriété,
une propriété parfaite ; mais je fuis obligé
de le conferver en bon état , pour la fu-
reté de la rente qui y eft à prendre ; comme
hous l'avons vu en motre Traité du Bail
à rente .
13. Nous avons défini le droit de pro-
priété , le droit de difpofer à fon gré
d'une chofe ; & nous avons ajouté , ſans
donner néanmoins atteinte au droit d'autrui.
Cela doit s'entendre non-feulement du droit
actuel que d'autres y ont , mais encore du
droit de ceux auxquels la chofe doit paffer
unjour : cela doit s'entendre non-feulement
des droits réels que d'autres ont dans l'héri
tage , auxquels le propriétaire , qui n'a
qu'une propriété réſoluble ou imparfaite,
ne peutdonner atteinte , comme nous l'avons
vu jufqu'à préfent ; cela s'entend auffi du
droit des propriétaires & poffeffeurs des
héritages voifins , auquel le propriétaire
d'un héritage , quelque parfait que foit fon
droit de propriété , ne peut donner at-
teinte , ni par conféquent faire dans ſon
héritage ce que les obligations qui naiſſent
du voifinage , ne lui permettent pas de
faire dans fon héritage au préjudice de
fes voifins. Voyez ce que nous en avons
dit au fecond Appendice que nous avons
ajouté à la fin de notre Traité du Contrat
de Société.
14. Enfin , dans notre définition , après
Part. I , Chap. I. 15
ces termes : Sans donner atteinte aux droits
d'autrui , nous avons ajouté , ni aux Loix;
car quelqu'étendu que foit le droit qu'a
un propriétaire de faire de fa chofe ce
que bon lui femble , il ne peut pas néan-
moins en faire ce que les Loix ne lui
permettent pas d'en faire. Par exemple ,
quoique le propriétaire d'un champ puiffe
y planter tout ce que bon lui femble , il
ne lui eft pas néanmoins permis d'y faire
une plantation de tabac ; y ayant des
Loix qui défendent ces plantations dans
le Royaume , comme contraires aux inté-
rêts de la Ferme du tabac.
Pareillement , quoique le droit de pro-
priété d'une chofe , renferme le droit de
la vendre & de la tranfporter où bon lui
femble , il n'eſt pas néanmoins permis de
tranſporter fon bled hors du royaume ,
lorfqu'il y a une Loi qui en défend
l'exportation : il n'eft pas permis à un
Marchand de vendre une quantité con-
fidérable de bled dans fes greniers , fur-
tout dans un temps de difette , au préju-
dice des Loix de Police , qui ordonnent
de le mener & de le vendre au marché.
Pareillement , quoique la propriété d'une
choſe renferme le droit d'en méfufer &
de la perdre ; un Marchand , propriétaire
d'une quantité confidérable de bled , qui,
en différant trop long-temps de le vendre ,
16 Traité du Droit de Propriété ,
dans l'efpérance que le prix du bled en
chériroit , l'auroit laiffé perdre dans un
temps de difette , feroit coupable envers
le public d'une injuftice confidérable ; la
Loi naturelle ne permettant pas de laiſſer
perdre une marchandiſe d'une premiere
néceffité , au préjudice du beſoin que le
public en a.
15. Le domaine de propriété , de même
que tous les autres droits , tant in re qu'ad
rem , fuppofe néceffairement une perfonne
dans laquelle ce droit fubfifte , & à qui
il appartienne.
Il n'eft pas néceffaire que ce foit une
perfonne naturelle , telles que font les per-
fonnes des particuliers , à qui le droit ap-
partienne; ce droit , de même que toutes
les autres especes de droits , peut ap-
partenir à des corps & à des communau-
tés qui n'ont qu'une perfonne civile &
intellectuelle .

Lorsqu'un propriétaire étant mort , per-


fonne ne veut accepter fa fucceflion , cette
fucceffion jacente eft confidérée comme
étant une perſonne civile & comme la
continuation de celle du défunt ; & c'eft
dans cette perfonne fictive que fubfifte le
domaine de propriété de toutes les chofes
qui appartenoient au défunt , de même
que tous les autres droits actifs & paffifs
du défunt : Hereditas jacens perfona de-
functi locum obtinet.
Part. I , Chap. 1. 17
16. Le droit de propriété étant, comme
nous l'avons vu fuprà , n. 4 , le droit
par lequel une chofe nous appartient pri-
vativement à tous autres , il eft de l'ef-
fence de ce droit , que deux perfonnes ne
puiffent avoir chacune pour le total le
domaine de propriété d'une même chofe:
Celfus ait , duorum infolidum dominium eſſe
non poteft. L. 5 , § . 15 , ff. Commod.
C'eſt pourquoi , lorfque j'ai le droit de
propriété d'une chofe , un autre ne peut
per rerum naturam devenir propriétaire de
cette chofe , que je ne ceffe entiérement de
l'être ; & il ne peut en avoir la propriété
pour aucune part , qu'en ceffant par moi
d'avoir la propriété que j'avois pour la
part qu'il en auroit. La raifon eft que
propre & commun font les contradictoires.
Si on fuppofe qu'un autre que moi foit
propriétaire d'une chofe dont je fuis pro-
priétaire , dès- lors cette chofe eft com-
mune entre nous ; & fi elle eft commune ,
on ne peut plus dire qu'elle me foit pro-
pre pour le total , & que j'en aie la pro-
priété pour le total ; car propre & com-
mun font deux chofes contradictoires.
En cela le jus in re eft différent du jus
ad rem , plufieurs perfonnes pouvant être ,
chacune pour le total , créanciers d'une
même chofe , foit par une même obliga-
tion , lorfqu'elle a été contractée envers
18 Traité du Droit de Propriété,
plufieurs créanciers folidaires , comme
nous l'avons vu en notre Traité des Obli
gations , Part. 2 , chap. 3 , art. 7, foit par
différentes obligations , foit d'un même
débiteur, foit de différents débiteurs. La
raifon de différence eft , qu'il n'eft pas pof
fible que ce qui m'appartient , appartienne
en même temps à un autre ; mais rien
n'empêche que la même chofe qui m'eſt
dûe , ne foit auffi dûe à un autre.
17. Plufieurs ne peuvent , à la vérité ,
avoir la propriété de la même chofe pour
le total; mais ils peuvent avoir cette pro-
priété en commun , chacun pour une cer-
raine part. Cela n'eft pas contraire à ce
que nous avons dit , que la propriété eft
le droit par lequel une chofe nous appar
tient privativement à tous autres ; car ce
droit de propriété qu'ils ont en commun ,
eft le droit par lequel la chofe leur ap-
partient en commun privativement à tous
autres. Et entr'eux la part que chacun y a,
lui appartient à lui feul privativement
même àfesco-propriétaires ; car la pait que
l'un a dans la chofe commune , n'eft pas
la part de l'autre , & chacun n'a le droit
que de difpofer de fa part.
Ces parts , que chacun de ceux qui ont
Le droit de propriété d'une chofe en com-
mun , ont dans la chofe commune , ne font
pas des parts réelles qui ne peuvent être
Part. 1 , Chap. 1. 19
formées que par la divifion de la chofe
ce font des parts intellectuelles , qui nẹ
fubfiftent que par l'entendement , putà
chacun a une moitié par indivis, chacun a
un tiers par indivis. C'eft en ce fens qu'il
eft dit en la Loi 66 , §. 2 , ff. de Leg. 2°.
Plures in uno fundo dominium juris intel
lectu , non divifione corporis , obtinent.
De-là il fuit que deux ou plufieurs per-
fonnes peuvent avoir en commun même
des chofes qui ne font pas fufceptibles de
parties réelles , comme un âne , une va-
che , & c. car il fuffit qu'elles foient fuf
ceptibles de parties intellectuelles .
18. Le domaine de propriété , de mê,
me que tous les autres droits , & même
le jus ad rem , fuppofe une caufe qui le
produit dans la perfonne qui a ce droit.
Mais il y a cette différence entre le do
maine de propriété & le jus ad rem , que
le domaine de propriété d'une chofe que
j'ai acquife à un titre , ne peut m'appar
tenir à un autre titre , fi ce n'eft pour ce
qui manquoit à ce que j'en ai acquis d'a
bord : au lieu qu'on peut avoir le droit
ad rem à l'égard d'une même choſe à di-
vers titres ; une même chofe pouvant nous
être dûe par différents titres : Non ut ex
pluribus caufis idem nobis deberi poteft , ita
ex pluribus caufis idem poteft noftrum effe.
L. 159 , ff. de Reg. jur. Dominium non
20 Traite du Droit de Propriété,
poteft nifi ex una causa contingere. L. 33
S. 4. de acq. poſſeſ
.
La raifon de différence eft , qu'il eft
impoffible per rerum naturam, que j'acquiere
ce qui m'appartient déja : Quod meum eft ,
amplius meum fieri non poteft. C'eſt pour
quoi , lorfque j'ai une fois acquis la pro-
priété d'une chofe , en vertu d'un titre , ne
pouvant plus l'àcquérir à quelque titre
que ce foit , elle ne peut m'appartenir
qu'en vertu du feul titre par lequel je
l'ai acquife : au contraire , rien n'empêche
qu'une chofe qui m'eſt déja dûe par un
titre , me foit encore dûe par un autre
titre ; foit par le même débiteur , foit
par un autre débiteur. Par exemple , je
fuppofe que Pierre m'a vendu une cer-
taine choſe qu'il s'eft obligé de me livrer
au bout d'un certain temps ; il fait en-
fuite fon teftament , par lequel il me legue
encore la même chofe , & il meurt ; cette
même choſe m'eft dûe par les héritiers
de Pierre , à deux titres ; & en vertu du
contrat de vente que Pierre m'en a fait ,
& en vertu du legs qu'il m'en a fait. J'ai
contr'eux deux actions pour cette même
chofe , l'action ex empto , & l'action ex
teftamento ; & fi cette même choſe qui m'a
été vendue par Pierre , m'avoit aufli été
léguée par Paul , qui feroit mort , elle
me feroit due par les héritiers de Pierre , &
par les héritiers de Paul.
Part. I , Chap. 2. ZY

CHAPITRE II.

Comments'acquiert le Domaine de Propriétés


& comment il fe perd.

19. Es manieres d'acquérir le domaine


de propriété d'une choſe par le
Droit naturel & des Gens , fe réduiſent
à trois ; l'occupation , l'acceffion , & la
tradition : l'occupation fera la matiere
des deux premieres fections de ce Cha-
pitre ; nous traiterons dans la premiere ,
de l'occupation des chofes qui n'appar-
tiennent à perſonne ; dans la feconde , des
prifes faites fur l'ennemi ; l'acceffion fera
la matiere de la troifieme ; la tradition
fera la matiere de la quatrieme : nous
rapporterons dans une cinquieme ſection ,
les manieres d'acquérir le domaine de
propriété qui font du droit civil : nous
traiterons dans une fixieme , des perſonnes
par lesquelles nous pouvons acquérir le
domaine de propriété : nous verrons dans
une feptieme ſection , comment fe perd le
domaine de propriété.
22 Traité du Droit de Propriété,

SECTION PREMIERE.

De l'occupation des chofes qui n'appartiennent


à perfonne.

20. L'occupation eft le titre par lequel


on acquiert le domaine de propriété d'une
chofe qui n'appartient à perfonne , en
s'en emparant dans le deffein de l'acqué-
Fir: Quod enim nullius eft, dit Gaïus , id
ratione naturali occupanti conceditur. L. 3 ,
ff. de acq. rer. Dom.
Nous verrons dans un premier article ,
quelles font les chofes qui n'appartiennent
à perfonne , dont le domaine de propriété
peut être acquis par le premier occupant ;
nous parcourrons enfuite les différentes
efpeces d'occupations , qui font la Chaffe,
la Pêche , l'Oifellerie , l'Invention , & l'Oc-
cupation fimplement dite .
Comme la Chaffe mérite un article par-
ticulier , elle fera la matiere du fecond
article ; nous traiterons de la Pêche &
de l'Oifellerie dans un troifieme ; dans un
quatrieme , de l'Invention ; dans un cin-
quieme , de l'Occupation fimplement dite.&
Part.I, Chap. 2 , Sect. 1 , Art. 1. 23

ARTICLE PREMIER.

Quelles font les chofes qui n'appartiennent à


perfonne , dont le Domaine de Propriété
peut être acquis à titre d'occupation.

21. Dieu a le fouverain domaine de


l'Univers & de toutes les chofes qu'il ren-
ferme: Domini eft terra & plenitudo ejus,
orbis terrarum & univerfi qui habitant in eo.
C'eft pour le genre humain qu'il a créé
la terre & toutes les créatures qu'elle ren-
ferme , & il lui en a accordé un domaine
fubordonné au fien : Quid eft homo, s'écrie
le Pfalmifte , quia reputas eum .......conf
tituifti eum fuper omnia opera manuum tua-
rum , omnia fubjecifti fub pedibus ejus , &c.
Dieu fit cette donation au genre hu-
main , par ces paroles qu'il adreffa à nos
premiers parents après leur création : multi-
plicamini & replete terram , & fubjicite eam,
& dominamini pifcibus maris , &c. Genef.
I. 28.
Les premiers hommes eurent d'abord
en commun toutes les chofes que Dieu
avoit données au genre humain. Cette
communauté n'étoit pas une communauté
pofitive ', telle que celle qui eft entre plu-
fieurs perfonnes qui ont en commun le
domaine d'une chofe dans laquelle ils ont
24 Traite du Droit de Propriété ,
chacun leur part ; c'étoit une communauté,
que ceux qui ont traité de ces matieres ,
appellent communauté négative , laquelle
confiftoit en ce que ces chofes qui étoient
communes à tous , n'appartenoient pas
plus à aucun d'eux, qu'aux autres , &
qu'aucun ne pouvoit empêcher un autre
de prendre dans ces chofes communes ce
qu'il jugeoit à propos d'y prendre , pour
s'en fervir dans fes befoins : pendant qu'il
s'en fervoit , les autres devoient la lui
laiffer ; mais après qu'il avoit ceffé de
s'en fervir , fi la chofe n'étoit pas de
celles qui fe confument par l'ufage qu'on
en fait , cette chofe rentroit dans la com.
munauté. négative , & un autre pouvoit
s'en fervir de même.
Le genre humain s'étant multiplié , les
hommes partagerent entr'eux la terre &
la plupart des chofes qui étoient fur fa
furface ; ce qui échut à chacun d'eux , com-
mença à lui appartenir privativement à
tous autres : c'eft l'origine du droit de
propriété.
Tout n'entra pas dans ce partage ; plu-
fieurs choſes refterent , & plufieurs font
encore aujourd'hui demeurées dans cet
ancien état de communauté négative.
Ces chofes font celles que les Jurifcon-
fultes appellent res communes ; Marcien
en rapporte plufieurs efpeces , l'air , l'eau
qui
Part. 1, Chap. 2 , Sect. 1 , Art. 1. 25
qui coule dans les rivieres , la mer & les
rivages : Naturali jure omnium communia
funt illa ; aer, aqua profluens , & mare &
per hoc littora maris. L. 2 , §. 1. ff. de
divif. rer.
Entre les animaux , ceux qu'on appelle
animaux domeftiques , tels que font les
chevaux , les ânes , les moutons , les che-
vres , les bœufs , les chiens , les poules ,
les oies , &c. font entrés dans le partage
des biens qui s'eft fait entre les hommes ,
& font des chofes dont les particuliers
ont le domaine de propriété , de même
que de tous les autres biens , lequel ils
confervent , quand même ils en auroient
perdu la poffeffion.
A l'égard des animaux fauvages , fera
naturæ , ils font reftés dans l'ancien état
de communauté négative.
Toutes ces chofes qui font demeurées
dans l'ancien état de communauté néga-
tive , font appellées res communes , par
rapport au droit que chacun a de s'en
emparer ; elles font auffi appellées res
nullius , parce qu'aucun n'en a la pro-
priété tant qu'elles demeurent en cet état ,
& ne peut l'acquérir qu'en s'en empa-
rant.
22. Ce font ces chofes qui n'appar-
- tiennent à perſonne , en tant qu'elles font
reftées dans la communauté pégative , qui
Tome I. B
26 Traité du Droit de Propriété ,
font fufceptibles de l'acquifition qui fe fait
à titre d'occupation.
Il y a d'autres chofes qui n'appartien-
nent à perfonne , telles que font celles
qui font divini juris , comme une Eglife,
un cimetiere , &c. Res facræ religiofa &
fanite in nullius bonis funt. L. 6 , §. 2 ,
ff. de divif. rer. mais perfonne n'a pour
cela le droit de s'en emparer.
Les biens vacants d'une perfonne qui
n'a laiffé aucuns héritiers , n'appartiennent
auffi proprement à perfonne , mais les par-
ticuliers n'ont pas le droit de s'en empa-
rer ; c'eft le fifc qui a ce droit privati-
vement aux particuliers.

ARTICLE II.

De la Chaffe.

"
23. La chaffe eft une espece de titre
d'occupation , par lequel un chaffeur ac-
quiert le domaine de propriété du gibier
dont il s'empare.
Nous verrons dans un premier para-
graphe , quels font les principes du Droit
Romain fur la chaffe ; dans un fecond ,
nous verrons quels font ceux à qui ap-
partient le droit de chaffe fuivant notre
Jurifprudence Françoife ; dans un troi-
fieme , en quoi il confifte.
P. I , Ch. 2 , S.1 , Art. 2. §.1. 27

S. I.

Quels étoient les principes du Droit Romain


fur la Chaffe.

24. Chez les Romains , la chaffe étoit


permiſe à tout le monde ; la raiſon étoit
que les animaux fauvages , foit quadru-
pedes , foit volatiles , étant tant qu'ils font
in laxitate naturali , dans l'ancien état de
communauté négative , & n'appartenant
à perfonne , chacun a le droit de s'en em-
parer & d'en acquérir la propriété en s'en
emparant : Omnia animalia quæ terrâ mari
capiuntur , id eft fera beftia & volucres &
pifces capientium fiunt. L. 1 , §. 1 , ff. de
acquir. rer. dom.
Il n'importe à cet égard que quelqu'un
s'empare de ces animaux fauvages fur fon
héritage , ou fur l'héritage d'autrui : Nec
intereft utrum in fuo fundo quifque capiat
an in alieno. L. 3 , S. 1.
Le propriétaire de l'héritage peut bien
défendre à celui qui vient fur fon héritage
pour y chaffer , d'y entrer : Planè , ajoute
le Jurifconfulte , qui infundum alienum in-
greditur venandi aucupandive gratiâ , poteft
à Domino ,fi is præviderit , prohiberi ne in-
grederetur. D. §. 1. C'eft une fuite du droit
de propriété de l'héritage , fuprà , n. 5 .
Mais fi ce chaffeur , contre la défenſe
Bij
28 • Traité du Droit de Propriete
du propriétaire de l'héritage , eft entre
fur l'héritage , en aura-t-il moins acquis
le domaine du gibier dont il s'eft emparé
fur cet héritage ? Cujas , Obferv. IV , 2,
dit qu'il n'en acquiert pas en ce cas le
domaine . Vinnius rejette cette opinion ;
ſa raiſon eft que le propriétaire a bien
contre ce chaffeur l'action injuriarum ,
parce qu'étant propriétaire de l'héritage ,
il a eu le droit de lui défendre d'y paf-
fer ; mais n'étant pas propriétaire des ani-
maux fauvages dont le chaffeur s'eft em-
paré fur fon héritage , il n'a aucune rai-
fon pour empêcher que ce chaffeur n'en
ait acquis le domaine en s'en emparant.
25. Obfervez que pour qu'un chaſſeur
foit cenfé s'être emparé de l'animal , &
en avoir acquis le domaine , il n'eft pas
précisément néceffaire qu'il ait mis la main
deffus , il fuffit que , de quelque façon
que ce foit , l'animal ait été en fon pou-
voir , de maniere à ne pouvoir s'échapper ;
c'eft pourquoi , fi ayant tendu un piege
dans un lieu où j'avois droit de le tendre ,
un fanglier s'y eft pris de maniere à ne
pouvoir s'échapper , j'en ai dès-lors acquis
le domaine ; & fi quelqu'un l'avoit dé-
barraffé du piége , & l'avoit laiſſé aller ,
j'aurois contre lui la même action que
j'aurois contre un homme qui auroit jetté
ma taffe dans la riviere,
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , §. 1 29
En feroit-il de même fi j'avois tendu
le piege dans un lieu où je n'avois pas
droit de le tendre ? Proculus paroît déci-
der qu'il n'importe en quel lieu je l'aie
tendu : In laqueum quem venandi causâ po-
fueras aper incidit : cum eo hæreret , exemp
tum eum abftuli ; num tibi videor tuum
aprum abftuliffe ? & fi tuum putas fuiſſe , fi
folutum eum in fylvam dimififfem , eo cafu
tus effe defuiffet , an maneret ? Quam actionem
mecum haberes,fi defiiffet tuus eſſe, num infac-
tum dari oportet, quæro ? Refpondit : Laqueum
videamus , ne interfit in publico an in pri-
vato pofuerim , &fi in privato pofui , utrum
in meo , an in alieno pofuerim ? & fi in
alieno , utrum permiffu ejus cujus fundus
erat, an non permiffu ejus pofuerim ? præ-
tereà utrum in eo hæferit aper & expedirefe
non poffit ipfe , an diutius luctando expeditu-
rusfe fuerit ? Proculus ne s'arrête qu'à cette ,
derniere diftinction , & fans s'arrêter à tou-
tes les autres , il continue ainfi : Summam
tamen hancputo effe , utfi in meampoteftatem
pervenit,meusfactusfit ;fin autem aprum meum
factum infuam naturalem laxitatem dimififfes,
eo facto meus effe defuiffet ; & actionem mi-
hi in factum dari oportere , veluti refponfum.
eft , cùm quidam poculum alterius ex nave
ejeciffet. L. 55 , ff. de acq. rer. Dom.
Dans notre Jurifprudence , celui qui
auroit tendu un piége ou des'collets dans
B iij
30 Traité du Droit de Propriété ,
un lieu où il n'a pas droit d'en tendre ,
ne feroit pas écouté à prétendre que le
gibier qui s'y feroit pris , lui appartenoit ,
ni à intenter aucune action contre ceux
qui s'en feroient emparés : on ne peut
pas même dire que le gibier , en fe pre-
pant aux pieges ou aux collets qu'il a
tendus , fût tombé en fon pouvoir ; car il
n'étoit pas en fon pouvoir de l'y aller
prendre , le propriétaire du lieu , ou fes
gens , ayant le droit de l'empêcher de s'y
tranſporter.
26. Les Jurifconfultes Romains ont auffi
agité la queftion , s'il fuffifoit que j'euffe
bleffé l'animal , pour que je fuffe cenfé
en avoir des-lors acquis le domaine , que
je ne perdois que lorfque j'en avois aban-
donné la pourfuite ; de maniere que fi
pendant que j'étois à la pourfuite de cet
animal que j'ai bleffé , un autre s'en fût
emparé , il fût cenfé me l'avoir volé. C'étoit
l'avis du Jurifconfulte Trebatius. Gaïus
embraffe l'opinion contraire , par la rai-
fon qu'un animal que nous avons bleſſé
n'eft pas pour cela en notre pouvoir ,
pouvant arriver qu'il nous échappe , &
que nous ne puiffions l'atteindre. L. 5,
§. 1 , ff. D. tit.
Puffendorf, L. 4 , chap. 6 , n. 10 , fur
cette queftion , diftingue : il dit que fi la
bleffure étoit confidérable , & qu'il fût
P. 1, Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , § , 2. 3 †
raiſemblable que le chaffeur eût atteint
l'animal , il n'eft pas permis à un autre
de s'en emparer , pendant que le chaſ-
feur qui l'a bleffé , le pourfuit ; mais que
fi la bleffure eft légere , l'animal demeure
au premier occupant.
Barbeirac eft d'un fentiment tout op-
pofé ; il penfe qu'il fuffit que je fois à
la pourſuite d'un animal ; quand même
je ne l'aurois pas encore bleffé , pour que
je fois cenfé , tant que je fuis à fa pour-
fuite , être le premier occupant , à l'effet
qu'il ne foit pas permis à un autre de
s'en emparer pendant ce temps . Ce fen-
timent , plus civil , eft fuivi dans l'uſage ;
il eft conforme à un article des anciennes
Loix des Saliens ; c'eft l'article 5 , tit. 35,
où il eft dit : Si quis aprum laffum quem
alieni canes moverunt , occiderit & furaverit,
D. C. denarios culpabilis judicatur.

S. II.
1
De l'abrogation du Droit qui permettoit la
chaffe à tout le monde ; Quelles font les
• perfonnes à qui , par notre Droit Fran-
cois , la chaffe eft permife ; & celles à
qui elle eft défendue.

27. En France , de même que dans les


autres Etats de l'Europe , les Loix civiles
B iv
32 -Traité du Droit de Propriété ,
ont reftreint la liberté que le pur droit
naturel laiffoit à chaque particulier de
s'emparer des animaux qui étant in natu-
rali laxitate , font dans l'ancien état de
communauté négative , & n'appartiennent
en propre à perfonne. Les Souverains fe
font réfervés pour eux & pour ceux aux-
quels ils ont jugé à propos de le commu
niquer , le droit de chaffe de toute efpece
de gibier , & en ont interdit la chaffe à tous
les autres particuliers.
28. Quelques anciens Docteurs ont
douté fi les Souverains avoient eu le droit
de ſe réſerver la chaffe & de l'interdire
à leurs fujets . Ils oppofent que Dieu ayant
donné aux hommes l'empire fur les bêtes
comme nous l'avons vu fuprà , le Prince
n'étoit pas en droit de priver fes fujets
d'un droit que Dieu leur avoit donné
la Loi naturelle , dit - on , permettant la
chaffe à chaque particulier , la Loi civile
qui la défend , eft contraire à la Loi na-
turelle , & excede par conféquent le pou-
voir du Légiflateur , qui étant lui-même
foumis à la Loi naturelle , ne peut rien
ordonner de contraire à cette Loi.
Il eft facile de répondre à ces objec-
tions. De ce que Dieu a donné au genre
humain l'empire fur les bêtes , il ne s'en- ..
fuit pas qu'il doit être permis à cha-
que particulier du genre humain d'exer
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , §. 2. 33
cer cet empire. La Loi civile ne doit
pas , dit- on , être contraire à la Loi na-
turelle ; cela eft vrai , à l'égard de ce
que la Loi naturelle commande ou de ce
qu'elle défend ; mais la Loi civile peut
reftreindre la Loi naturelle , dans ce qu'elle
ne fait que permettre ; la plupart des Loix
civiles ne font que des reftrictions de ce
que la Loi naturelle permet. C'eſt pour-
quoi , quoiqu'aux termes du pur droit
naturel , la chaffe fut permife à chaque
particulier , le Prince a été en droit de
fe la réferver & à un certain genre de per-
fonnes , & de l'interdire aux autres. La
chaffe étant un exercice propre à détour-
ner les payfans & les artifans de leur
travail , & les marchands de leur com-
merce , il étoit utile, & pour leur propre
intérêt , & pour l'intérêt public , de la
leur défendre. La Loi qui défend la chaſſe
eft donc une Loi jufte à laquelle , dans le
for de la confcience comme dans le for
extérieur , il n'eſt pas permis à ceux à
qui elle eft interdite , de contrevenir.
29. Les plus anciennes Loix que nous
connoiffions qui aient défendu en France
la chaffe aux roturiers , eft une Ordon-
nance de Charles VI du mois de Jan-
vier 1366. On trouve dans le Code des
Chaffes un article de cette Ordonnance
qui porte : « Aucune perfonne non noble
Bv
34 Traité du Droit de Propriété ,
» de notre royaume , s'il n'eft à ce pri-
vilégié , ou s'il n'a aveu ou expreſſe
commiffion à ce , de par perfonne qui
la lui puiffe ou doive donner , ou s'il
n'eft perfonne d'Eglife , ou s'il n'eſt
Bourgeois vivant de fes poffeffions &
» rentes , &c. fe enhardie de chaffer , ne
tendre groffes bêtes ne oiſeaux , ne d'a-
» voir pour ce faire chiens , furets , cor-
des , &c. »
Il paroît par un fragment d'une an-
cienne Inftruction fur le fait des chaffes,
qu'on trouve dans ce même Livre , qu'a-
vant cette Ordonnance la chaffe étoit
permife à tous les particuliers de quelque
bas état qu'ils fuffent , fauf dans certains
lieux , & avec cette différence qu'ils ne
pouvoient fe fervir d'engins , ni chaffer
à la groffe bête , ce qui n'étoit permis
qu'aux Gentilshommes.
Voici ce que porte l'article premier :
Perfonnes non nobles peuvent chaffer
par-tout hors garennes à lievres & con-
nins , à levriers & chiens courants , ou
» à chiens , à oiſeaux , & à bâtons ; mais
» ils n'y peuvent tendre quelconques en-
20 gins ne groffes bêtes , s'ils n'ont titre . »
Et en l'article 3 , il eft dit : « Gentils-
hommes peuvent chaffer à connins &
» lievres à tous engins hors garennes ;
& fi garennes ont, ils en peuvent faire
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , § . 2. 35
cc Gen-
à leur volonté. » Et en l'article 4 : «
x tilshommes peuvent chaffer aux groffes
» bêtes en leurs garennes & en celles de
leurs voifins , avec congé , & non ail-
leurs. »
Obfervez que par l'Ordonnance de
Charles VI , que nous avons ci - deſſus
rapportée , qui défend abſolument la chaffe
aux non nobles , les Bourgeois vivants
de leurs poffeffions & rentes , c'est-à-dire
ceux qui n'exercent aucun art méchani-
que ni profeffion illibérale , en font ex-
preffément exceptés.
François I , par fon Ordonnance de
1615 , a renouvellé les défenſes de la
chaffe , & y a ajouté des peines très-
féveres. Le préambule porte : « Informés
que plufieurs n'ayants droit de chaffe ne
30 privilege de chaffer,prennentbêtes rouffes
& noires , comme lievres , faifans , per-
drix.....en quoi faifant perdent leur temps
» qu'ils devroient employer à leur labou
rage , arts méchaniques ou autres , fe-
lon l'état ou vacation dont ils font , lef-
quelles chofes reviennent au grand dé-
> triment de chofe publique. » Et en l'ar-
ticle 16 , il eft dit : « Défendons à tous
nos fujets non nobles , & non ayant
» droit de chaffe , qu'ils n'ayent chiens ,
collets, &c. Claude Rouffeau , & l'Au-
teur des nouvelles Notes , obfervent que
B vj
36 Traité du Droit de Propriété,
par ces termes , & n'ayant aucun droit de
chaffe , les Bourgeois vivants noblement ,
auxquels le droit de chaffe a été expref-
fément confervé par l'Ordonnance de
1366 , font exceptés de la défenfe faite
par cet article. Ces Auteurs font la même
obfervation fur l'article 8 de l'Ordonnance
d'Henri IV du mois de Juin 1601 , qui
porte : « Et quant aux marchands , arti-
fans ,laboureurs , payfans , & autres
tellesfortes de gens roturiers , leur
» avons fait défenſes de tirer de l'arque-
>> bufe ,& c. »
30. L'Ordonnance de 1669 , qui regle
aujourd'hui la Jurifprudence fur le fait
des chaffes , a abrogé la diftinction de
ces Auteurs , par rapport à la défenſe
de la chaffe faite aux roturiers ; elle la
permet par l'article 14 feulement aux Sei-
gneurs , c'eft-à-dire aux propriétaires de
fiefs , & aux nobles : «Permettons , y eft-il
·00 dit , à tous Seigneurs , Gentilshommes &
Nobles , de chaffer noblement à force de
chiens & oifeaux dans leurs forêts ,
buiffons , garennes & plaines , pourvu
30 qu'ils foient éloignés d'une lieue de
nos plaifirs , même aux chevreuils &
bêtes noires , dans la diftance de trois
lieues.
Et par l'article 28 , elle la défend in-
diftinctement à tous les roturiers & non
P. I. Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , §. 2. 37
nobles , de quelque état & qualité qu'ils
foient , ſauf à ceux qui font propriétaires
de fiefs , lefquels , en cette qualité , ont
droit de chaffe dans toute l'étendue de
leurs fiefs. Voici comme elle s'exprime
audit article : « Faifons défenſes aux mar-
20 chands , artifans , bourgeois & habi-

tants des villes , bourgs , paroiffes , vil-


20
lages & hameaux , payfans & roturiers ,
de quelque état & qualité qu'ils foient ,
L non poffédants fiefs , feigneuries & hau-
» tes-juftices , de chaffer en quelque lieu ,
» forte & maniere , & fur quelque gibier
» de poil & de plume que ce puiffe être ;
à peine de cent livres d'amende pour
傅 la premiere fois , du double pour la
feconde , & pour la troifieme d'être
attachés pendant trois heures au car-
» can du lieu de leur réfidence , à jour
» de marché , & bannis pendant trois
années du reffort de la Maîtriſe , fans
€ que, pour quelque caufe que ce foit , les
Juges puiffent modérer la peine ; à peine
d'interdiction. ».
31. Obfervez que la permiffion que
les Ordonnances donnent aux nobles de
chaffer , ne leur donne pas le droit de
chaffer fur les terres d'autrui , fans le
confentement du propriétaire à qui le
droit de chaffe appartient fur lefdites
terres ; mais avec fon confentement ils
38 Traite du Droit de Propriété,
y peuvent chaffer , fans pouvoir en être
empêchés par les Officiers des chaffes ,
parce qu'étant nobles , ils font d'une quali-
té à qui la chaffe eft perinife par les Ordon-
nances. Au contraire, les roturiers étant , par
leur qualité de roturiers , d'une condition à
qui la chaffe eft défendue , peuvent être
empêchés de chaffer , même fur les terres
du Seigneur de fief qui leur en auroit
accordé la permiffion , le Seigneur de fief
ne pouvant pas l'accorder à ceux à qui
par leur qualité la chaffe eft défendue.

S. III.

A qui le Droit de Chaffe appartient -il.


2

32. C'eſt au Roi à qui le droit de


chaffe appartient dans fon royaume ; fa
qualité de Souverain lui donne le droit
de s'emparer , privativement à tous autres ,
des chofes qui n'appartiennent à perfonne ,
tels que font les animaux fauvages. Les
Seigneurs , & tous ceux qui ont droit de
chaffe , ne le tiennent que de fa permiffion ,
& il peut mettre à cette permiffion telles
reftrictions & modifications que bon lui
femble. C'eft pourquoi , dans les diffé-
rentes Ordonnances fur le fait des chaffes ,
le Roi fe fert toujours du terme de per-
mettons. Dans celle d'Henri IV du mois
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , § . 3. 39
de Janvier 1600 , art. 4 , il eft dit : « Per-
» mettons à tous Seigneurs & Gentils-
» hommes de chaffer dans leurs forêts ,
buiffons , & fur leurs terres , &c. »
Et à l'article 5 : « Leurs permettons auffi
de pouvoir tirer de l'arquebufe en l'é-
tendue de leurs fiefs aux oifeaux de
riviere , &c. » Le même Roi , par fa
Déclaration du 14 Août 1603 , par la-
quelle il révoque la permiffion de chaffer
avec l'arquebufe , s'exprime ainfi : « En
faifant par nous un réglement général
fur le fait des chaffes pour gratifier notre
nobleſſe , nous aurions par les cinquieme
& fixieme articles , permis aux Seigneurs
» Gentilshommes & nobles de tirer de
3 l'arquebufe fur leurs terres à quelque
» forte de gibier non défendu .... mais
> tant s'en faut que cette notre gratification
ait apporté quelque remede aux défor-
dres , &c. »
Cette défenſe fut révoquée par une
autre Déclaration de l'année fuivante .
L'Ordonnance de 1669 , en l'art. 14 ci-
deffus cité , fe fert auffi du terme per-
mettons.
33. Le Roi n'a pas permis en tous
lieux le droit de chaffe. Il y a certains
lieux réſervés pour les plaifirs de Sa Ma-
jefté , qu'on appelle Capitaineries royales
dans l'étendue defquelles la chaffe eft in-
>

40 Traité du Droit de Propriété,


terdite à tout le monde. L'Ordonnance
de 1669 , article 20 , porte : « Défendons
» à toutes perſonnes , de quelque qualité
& condition quelles foient , de chaffer
à l'arquebufe , ou avec chiens , dans
» l'étendue, des Capitaineries de nos mai-
fons Royales de Saint- Germain , Fon-
tainebleau , Chambort , Vincennes , Li-
vri , Compiegne , Bois de Boulogne
Varenne du Louvre , même aux Sei-
» gneurs hauts - jufticiers , & à tous au-
» tres , quoique fondés en titre ou per-
» miffions générales ou particulieres , dé-
clarations , édits & arrêts , que nous
révoquons , fauf à nous d'accorder de
20 nouvelles permiffions. »
Cette défenfe a même lieu jufqu'à une
certaine diftance des limites defdites Ca-

pitaineries . C'eft pourquoi il eft dit , ar-


ticle 14 : Permettons à tous Seigneurs
» Gentilshommes & nobles , de chaffer
noblement à force de chiens & oiſeaux
» dans leurs forêts , buiffons , garennes &
‫ כל‬plaines , pourvu qu'ils foient éloignés
d'une lieue de nos plaifirs , même aux
chevreuils & bêtes noires , dans la dif-
tance de trois lieues. >>
Il eft auffi défendu à tous Seigneurs
Gentilshommes , hauts-jufticiers , & autres
perfonnes , de quelque qualité & condi-
tion qu'ils foient , de chaffer dans les
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , §. 3. 41
forêts , buiffons , garennes & plaines du
Roi , s'ils n'en ont titre ou permiffion..
Ordonnance de 1669 , art. 13. Ces let-
tres & permiffions doivent être enrégif-
trées au Siege de la Table de Marbre
fuivant l'Ordonnance de 1601 , art. 1 , &
de 1607 , art. 2.
Rouffeau , en fa Note fur l'article 1
de l'Ordonnance de François I de 1515,
qui contient la même diſpoſition , dit que
ces termes > en nos forêts , comprennent
même celles où le Roi a droit de grurie ,
ou tel autre droit , s'il n'y a titre con-
traire ; & il cite des Sentences de la Ta
ble de Marbre.
34. A l'égard des terres des particuliers ;
qui ne font pas dans les plaifirs du Roi ,
dans celles qui font tenues en fief , c'eft
le propriétaire qui les tient en fief , qui a
le droit de chaffe fur lefdites terres , &
non le Seigneur de qui il les tient en
fief; la tenue en fief étant une tenue no-
ble , le Seigneur de qui il tient ces terres
en fief, eft cenfé en avoir accordé non-
feulement les droits utiles , mais même
les droits d'honneur qui y font attachés ,
tel qu'eft le droit de chaffe.
Quoique le Seigneur de qui les terres
relevent en fief, n'ait pas le droit de chaffe
fur lefdites terres , la Jurifprudence néan-
moins lui a accordé le droit d'y venir
42 Traité du Droit de Propriete,
quelquefois chaffer , pourvu qu'il y viennè
en perfonne , & qu'il en ufe modérément ;
c'est-à-dire , qu'il y vienne rarement , &
feulement autant qu'il eft néceffaire pour
faire connoître le domaine de fupériorité
qu'il a fur le fief.
Il nous refte à obſerver pår rapport au
droit de chaffe qu'un propriétaire de fief
a fur fon fief , qu'il n'importe que le
propriétaire foit noble ou roturier. C'eft
ce que fuppofe en termes exprès l'Ordon
nance , en l'art. 28 ci - deffus rapporté ,
lorfqu'elle défend la chaffe à tous rotu→
riers non poffedants fiefs.
35. Paffons aux terres tenues en cen→
five ; le propriétaire qui les tient en cen-
five n'ayant que les droits utiles , ne peut
avoir fur lesdites terres le droit de chaffe ,
qui eft un droit d'honneur ; c'eft le Sei-
gneur de qui lefdites terres font tenues en
cenfive , qui a le droit de chaffe fur lef
dites terres ; n'ayant concédé à fon cenfi-
taire que les droits utiles , en les lui don-
nant à ce titre , il y a confervé le droit
de chaffe , qui eft un droit d'honneur
attaché au domaine direct qu'il a con-
fervé fur lefdites terres.
36. On a fait la queftion de fçavoir
fi un Gentilhomme propriétaire de terres
qu'il tient en cenfive , quoique le droit
de chaffe fur lefdites terres appartienne
P. I, Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , §. 3. 43
au Seigneur de qui il les tient en cenfive ,
ne doit pas au moins avoir en fa qua-
lité de Gentilhomme , le droit d'y chaffer
lui-même ? On dit en faveur du Gentil-
homme , que l'Ordonnance de 1669 ,
art. 14 , permet aux Gentilshommes de
chaffer dans leurs forêts , buiffons , ga-
rennes & plaines , fans diftinguer s'ils les
tiennent en fief ou en cenfive ; que s'ils
n'avoient la permiffion de chaffer que fur
des terres qu'ils tiennent en fief, & dont
ils peuvent fe dire Seigneurs , il auroit
fuffi dans cet article de dire les Sei-
gneurs ; il auroit été inutile d'ajouter
Gentilshommes & Nobles. Si le Gentil-
homme n'avoit droit de chaffer fur les
terres que lorfqu'il les tient en fief , il
n'y auroit aucune différence entre le
Gentilhomme & le roturier , puifque le
roturier a le droit , auffi-bien que le Gen-
tilhomme , de chaffer fur les terres qu'il
tient en fief; néanmoins l'Ordonnance de
1669 , & les Ordonnances précédentes ,
en ſuppoſent une très grande , puifqu'elles
permettent la chaffe aux Gentilshommes ,
& qu'elles la défendent aux roturiers.
Enfin on ajoute que le Seigneur , dans
le fief duquel le Gentilhomme a une terre
en cenfive , ne tenant fon droit de chaffe
que de la permiffion du Roi , ne doit pas
trouver mauvais que le Roi ait accordé
44 Traité du Droit de Propriété ,
à ce Gentilhomme cette récréation fur fa
terre , dont ce Seigneur même ne ſouffre
pas de préjudice. Nonobftant ces raifons ,
je me fouviens que dans un procès entrè
le Seigneur de Châteauneuf-fur- Loire , &
un Gentilhomme d'une très-ancienne ex-
traction , qui étoit propriétaire d'une terre
dans fa cenfive , il fut jugé que le Gen-
tilhomme n'avoit pas droit de chaffer fur
fa terre. La raiſon eft , que tenant ſa terre
en cenfive , il n'a que les droits utiles de
cette terre il n'a donc pas le droit d'y
chaffer , ce droit n'étant pas un droit utile,
mais un droit d'honneur que le Seigneur
qui a donné fa terre à cens , eft cenfé s'être
réſervé.
Quoique le Roi donne aux Gentils-
hommes la permiffion de chaffer , ils ne
peuvent en uſer que fur leurs fiefs , ou fur
les fiefs des Seigneurs qui veulent le leur
permettre : on ne peut pas dire pour cela
que la permiffion de chaffer que la Loi
donne à ce Gentilhomme , lui feroit inu-
tile ; car elle lui donne le pouvoir de
chaffer par- tout où le propriétaire du
fief, à qui le droit de chaffe appartient ,
veut bien le lui permettre ; au lieu qu'il
n'eft pas permis au roturier de chaffer
fur le fief d'autrui , même avec la per-
miffion du propriétaire du fief. Quoi qu'il
en foit ainfi à la rigueur , il faut avouer
P.1 , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , §. 3. 45
qu'il y a de la dureté & de l'inhumanité
à un Seigneur de priver un Gentilhomme
de cette récréation fur fa terre qu'il tient
de lui en cenfive , lorſqu'il n'en méſuſe
pas.
37. Il nous reſte à parler des terres
qui font en franc- aleu , c'eſt-à-dire , qui
ne relevent d'aucun Seigneur , fauf quant
à la Juſtice. Il y a deux efpeces de franc-
aleu , le noble & le roturier. Le franc-
aleu noble eſt , ſuivant la définition qu'en
donne la Coutume de Paris , art. 68 , celui
auquel il y a juftice , cenfive , ou fiefmou-
vant de lui ; c'est-à-dire , celui auquel eft.
attaché un droit de juftice , ou qui , fans
avoir droit de juftice , a des vaffaux , ou
au moins des cenfitaires mouvants de lui :
une telle terre eſt une terre noble , qui dans
les fucceffions fe partage noblement comme
celles tenues en fief, Le franc-aleu , qu'on
appelle roturier , parce qu'il fe partage
dans les fucceffions , comme les terres te-
nues en roture , eft celui auquel il n'y a
aucun droit de juftice , & qui n'a aucun
vaffal ni cenfitaire mouvant de lui.
A l'égard des francs - aleux nobles ,
même de ceux auxquels il n'y a pas de
droit de juftice attaché , mais qui ont
quelques vaffaux ou cenfitaires qui en font
mouvants , il n'eft pas douteux que ceux
qui en font propriétaires , foit qu'ils foient
46 Traité du Droit de Propriété,
nobles , foit qu'ils foient roturiers , ont le
droit de chaffe fur ces terres , & fur celles
qui en relevent en cenfive ; car ces terres ,
au moyen des vaffaux & des cenfitaires
qui en relevent , font des feigneuries. Or
Ordonnance de 1669 , art. 28 , fuppofe
que les roturiers ont le droit de chaffe
dans leurs feigneuries , par ces termes :
Faifons défenfes aux .... roturiers non
poffedants fiefs , feigneuries , &c.
A l'égard des francs - aleux roturiers ,
fi le propriétaire eft Gentilhomme , il n'eft
pas douteux qu'il y a le droit de chaffe.
Le propriétaire qui eft roturier peut-
il le prétendre ? On peut dire , pour l'af-
firmative , que fi les propriétaires de terres
tenues en fief ont le droit de chaffe fur
leurs terres , le propriétaire d'une terre
en franc - aleu doit l'avoir à plus forte
raifon , puiſqu'il a fur cette terre toute
la plénitude du domaine , & par confé-
quent un domaine plus parfait que n'eft
celui du propriétaire d'une terre qui la
tient en fief. On dit au contraire que
les animaux fauvages qui paffent fur une
terre , ou même qui s'y nourriffent , étant
des chofes qui n'appartiennent à perfonne ,
lefdits animaux , & le droit de les chaf-
fer , ne font point une dépendance de la
terre : ce n'eft donc point le domaine de
la terre , quelque parfait qu'il foit , qui
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , §. 3. 47
1 y donne le droit de chaffe : le Roi s'étant
réſervé le droit de chaffe pour lui &
pour ceux auxquels il veut bien en faire
part , perfonne n'a le droit de chaffe fur
fes propres terres , quelque parfait que foit
fon domaine , qu'autant que le Roi le lui
a accordé or le Roi n'a accordé le droit
de chaffe aux roturiers que fur leus fiefs ,
feigneuries , & haute-juſtices , ſuivant l'art.
28. Le franc - aleu roturier n'ayant au
cune de ces qualités , n'étant ni fief ni
feigneurie , le roturier qui en eft le pro-
priétaire n'y peut prétendre le droit de
chaffe. C'eſt l'avis de l'Auteur des Notes
fur l'art. 14 de l'Ordonnance.
38. Les Seigneurs hauts - jufticiers ont
auffi le droit de chaffe dans toute l'éten-
due du territoire de leur juftice ; ils ont
ce droit , non - feulement dans leur fief,
mais même dans les fiefs des autres fei-
gneurs qui font fitués dans l'étendue de
leur juftice. C'est ce qui eft porté par
l'art. 26 de l'Ordonnance de 1669 , qui
s'exprime ainfi : « Déclarons tous Sei-
» gneurs hauts-jufticiers , foit qu'ils aient
» cenfive ou non , en droit de pouvoir
» chaffer dans l'étendue de leur haute-
» juftice , quoique le fief de la paroiffe
» appartînt à un autre ; ( c'eſt - à - dire ,
quand même le fief ou les fiefs qui fe trou-
vent fitués dans l'étendue de la paroifle
48 Traité du Droit de Propriété ,
dans laquelle ils ont droit de juftice, ne leur
appartiendroient pas,mais appartiendroient
à d'autres , ) fans néanmoins qu'ils puiffent
» y envoyer chaffer aucuns de leurs do-
» meftiques , ni autres perfonnes de leur
» part , ni empêcher le propriétaire du
» fief de la paroiffe , de chaffer auffi dans
» l'étendue de fon fief. »
Le Seigneur haut - jufticier a ce droit
de chaffe fur les fiefs des autres Seigneurs
qui fe trouvent fitués dans l'étendue du
territoire de fa juſtice , quand même ces
fiefs des autres Seigneurs ne releveroient
point du fien.
Suivant cet article , deux différents
Seigneurs , ou même trois , peuvent avoir
droit de chaffer fur les mêmes terres ; fça-
voir , le Seigneur propriétaire du fief, le
Seigneur haut-jufticier dans le territoire
duquel elles font fituées , & le Seigneur
de qui le propriétaire du fief tient en
fief lefdites terres , ou le droit de cenfive
qu'il a fur lefdites terres , comme nous
l'avons vu fuprà , n. 34. Mais les droits.
de ces différents Seigneurs font différents ;
c'est le Seigneur propriétaire du fief, qui
eft le véritable propriétaire du droit de
chaffe fur lefdites terres ; le droit du Sei-
gneur de qui le propriétaire tient en fief,
n'eft qu'une faculté qui ne lui eft accor
dée que par bienféance , & qui non-feu-
lement
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , §. 3. 49
lement lui eft perfonnelle , mais dont il
ne doit uſer que rarement ; le droit du
haut-jufticier n'eft auffi qu'un droit qui
lui eft perfonnel , qui lui eft accordé par
honneur , en confidération de la puiſſance
publique dont il eft revêtu.
39. Le droit de chaffe qu'ont les Sei-
gneurs hauts-jufticiers fur le fief d'autrui ,
étant un droit qui leur eft perfonnel , ils
ne peuvent y chaffer qu'en perfonne , fans
qu'ils puiffent , eft-il dit , y envoyer chaf-
fer aucuns de leurs domeſtiques , ou au-
tres perſonnes de leur part.
Ils ne pourroient donc pas y faire
chaffer , même leurs enfants.
40. Lorſque la haute-juftice appartient
à plufieurs ; pour que les propriétaires
des fiefs qui font dans le territoire aux-
quels appartient le droit de chaſſe , ne
foient pas trop grévés , les propriétaires
de la haute-juftice ne peuvent pas y venir
tous chaffer ; il n'y a que celui qui a la
principale part dans le droit de juftice
qui y puiffe venir. C'est ce qui eft porté
par l'art. 27. « Si la haute-juftice (eft-il
» dit ) étoit démembrée & divifée entre
» plufieurs enfants ou particuliers , celui
» feul à qui appartiendra la principale
» portion , aura droit de chaffer dans
l'étendue de fa juftice , à l'exclufion
Tome I. C
50 Traité du Droit de Proprieté ,
des autres co-jufticiers qui n'auront part
» au fief. »
Le fens de ces termes , qui n'auront
part au fief, eft que ce n'eft qu'à l'égard
des fiefs d'autrui qui fe trouvent dans
l'étendue du territoire de la juſtice , que
le droit d'y chaffer eft reftreint à celui
qui a la principale part dans la juſtice.
1 Mais à l'égard du fief qui appartient en
commun à tous les propriétaires de la
juſtice , chacun d'eux a droit d'y chaffer ,
en fa qualité de propriétaire de ce fief.
L'article continue : « Et fi les portions
» étoient égales , celle qui procéderoit du
» partage de l'aîné , auroit cette préroga-
» tive à cet égard feulement , & fans
» tirer à conféquence pour leurs autres
» droits. »
Par exemple , en pays de Droit
écrit , dans le partage ab inteftat des biens
nobles d'une fucceffion , la part du fils
aîné eſt égale à celle de chacun de fes
freres & fœurs. Si un droit de juſtice
a été ainfi partagé entre des enfans par
portions égales , ce fera le fils aîné feul ,
ou celui qui lui aura fuccédé à la por-
tion qui lui eft échue dans la juftice par
ce partage , qui jouira feul du droit de
chaffer dans les fiefs appartenants à d'au-
tres Seigneurs, qui font dans le territoire
de la juftice.
P.1, Ch. 2 , Art. 2 , S. 1 , §. 4. 51

S. IV.

Comment ceux qui ont droit de chaffe ,


en doivent-ils ufer ?

41. Le droit de chaffe étant un droit


honorifique plutôt qu'un droit utile , ceux
qui ont ce droit ne doivent en uſer que
pour leur plaifir , & non pour en retirer
du profit.
C'est pourquoi ils n'en doivent uſer que
pour fe procurer à eux-mêmes le plaifir
de la chaffe , auffi-bien qu'à leurs enfants
& à leurs amis.
L'Edit d'Henri IV du mois de Juin
1601 , article 4 , permettoit à ceux qui
avoient le droit de chaffe , de faire chaſſer
à force de chiens & oifeaux par leurs re-
ceveurs , garenniers , & ferviteurs domefti-
ques , toute forte de gibier ; & par l'ar-
ticle 5 , il leur permet pareillement de
tirer de l'arquebufe par leurfdits rece-
veurs , garenniers & domeftiques , aux oi-
feaux & gibier de paſſage ; mais depuis ,
par la Déclaration du 3 Mars 1604, qui
permet aux Seigneurs & Gentilshommes
de tirer de l'arquebufe à toute forte de
gibier , il eft dit : « fans toutefois que leurs
D fermiers , ferviteurs & domeftiques , en
puiffent ufer en quelque forte & ma-
8

C ij
52 Traité du Droit de Propriété ,
> niere que ce foit . » Il permet feulement
à ceux qui font fexagenaires ou infirmes ,
de faire tirer au gibier non défendu , l'un
de leurs domeftiques defquels ils répon-
dront , & en leur préfence feulement.
On a étendu la difpofition de cet ar-
ticle aux veuves & aux gens d'Eglife.
Nous trouvons au Code des Chaffes un
jugement du 11 Juillet 1676 , qui ordonne
à l'égard d'une veuve Dame de fief,
qu'elle ne pourra faire chaffer fur fes terres
• lorfqu'elle fera fur les lieux , que par un
homme qu'ellefera tenue denommer au Greffe.
Quoique cette Loi n'ait point été ex-
preffément révoquée par aucune Loi ,
néanmoins elle eft tombée en défuétude ;
& on fouffre aujourd'hui que tous les
propriétaires de fiefs indiftinctement , faf-
fent chaffer leurs gardes ou autres do-
meftiques fur leur fief.
42. Le droit de chaffe étant un droit
d'honneur , qui n'a pas été accordé pour
en tirer du profit , c'eft une conféquence
qu'il n'eft pas permis aux Seigneurs de
fief d'affermer ce droit , ni par le bail
à ferme de la terre , ni féparément ; les
baux que le Seigneur feroit de ce droit
font abfolument nuls , & ne produifent
aucune obligation de part & d'autre : il
y en a plufieurs réglements dans le Code
des Chaffes.
P. 1 , Ch. 2 , S. 1 , Art. 1 , §. 4. 53
Cela ne doit pas être étendu aux ga
rennes peuplées de lapins : on peut tirer
du profit d'une garenne peuplée de lapins ,
& l'affermer de même qu'on afferme un
colombier peuplé de pigeons. C'eft ce
qu'obſerve l'Auteur du Code des Chaffes ,
fur l'art. 10 de l'Ordonnance de 1669.
43. Les propriétaires de fief doivent
auffi obferver plufieurs chofes à l'égard
du droit de chaffe qu'ils ont fur leur fief.
1º. Ils ne doivent chaffer que le gibier
non-défendu. L'art. premier de l'Ordon-
nance d'Henri IV du mois de Juin 1601
défend la chaffe du cerf, biche & faon,
à toutes perfonne , fauf à ceux qui en ont
une expreffe permiffion , ou qui foient
fondés en titres , octrois , conceffions due-
ment vérifiées.
L'Ordonnance de 1669 , art. 15 , dé-
fend auffi la chaffe du cerf & de la bi-
che.
44. 2°. Ils ne doivent chaffer que dans
les lieux non défendus . Nous avons déja
vu , fuprà , n. 33 , qu'il n'étoit pas per-
mis de chaffer quelque gibier que ce foit ,
ni de quelque maniere que ce foit , dans
les plaifirs du Roi , ni à une lieue de fes
plaifirs ; il n'eſt pas permis de chaffer aux
chevreuils & bêtes noires à trois lieues
près de fes plaifirs : Ordonnance de 1669 ,
C iij
54 Traite du Droit de Propriété ,
art. 14 , ni de tirer en volant à trois lieues
près de fes plaifirs.
45. 3°. Ils ne doivent pas chaffer dans
les temps défendus. L'Ordonnance de 1669 ,
art. 4, fait défenſes de chaffer de nuit dans
les bois avec armes à feu.
L'article 18 de la même Ordonnance ,
défend de chaffer à pied ou à cheval avec
des chiens ou oifeaux fur les terres enfe-
mencées , depuis que le bled eft en tuyau ,
& dans les vignes , depuis le premier Mai
jufqu'après la dépouille , à peine de pri-
vation du droit de chaffe , de cinq cents
livres d'amende , & des dommages & in→
térêts des particuliers.
46. 4°. Enfin ils ne doivent chaffer que
de la maniere dont les Ordonnances le
leur permettent ; fçavoir , à force de
chiens & oifeaux , art. 14 , ou à l'arque-
bufe , c'eft-à-dire , au fufil ; mais il ne leur
eft pas permis de chaffer avec des engins
défendus. L'Ordonnance du mois de Jan-
vier 1600 , art. 9 , & celle de 1601 , art. 9,
rapporte les engins défendus qu'il n'eft
pas permis de fabriquer ni d'expoſer en
vente , qui font les tiraffes , tonnelles
traîneaux , bricoles de corde , & fil d'ar-
chal , pieces & pans de rêts , & collets.
L'Ordonnance de 1669 , art. 16 , con-
formément aux anciennes Ordonnances
P.1 , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2 , §.5. 35
défend auffi la chaffe au chien-couchant;
mais il paroît que cette difpofition eſt
tombée en défuétude , & n'eft point ob
fervée.
S. V.

Du droit qu'ont ceux qui ont droit de Chaffe


d'empêcher de chaffer.

47. Le droit de chaffe qu'ont les Sei-


gneurs propriétaires de fief, confifte non-
feulement dans celui d'y chaffer eux-
mêmes fur leurs fiefs , & d'y faire chaffer
leurs enfants & leurs amis , mais encore
d'empêcher les autres d'y chaffer.
Ils peuvent avoir pour cela un ou
plufieurs Gardes de chaffe , qu'ils font
recevoir , ou dans leurs Juftices , s'ils font
hauts-jufticiers , ou au Siege de la Maî-
trife des Eaux & Forêts ; & fur les pro-
cès-verbaux de leurs Gardes , lefdits Sei-
gneurs propriétaires de fiefs , peuvent , ou
à leur requête , ou s'ils font hauts-jufti-
ciers , à la requête de leurs Procureurs-
fifcaux , affigner les particuliers qui au-
ront été trouvés chaffants fur leurs fiefs
fans en avoir leur permiffion , & les faire
condamner aux peines portées par les
réglements.
Les Seigneurs de fief & leurs Gardes
ne doivent avoir recours à aucunes voies
Ciij
56 Traité du Droit de Propriété ,
de fait pour empêcher la chaffe. Lorſque
les Gardes trouvent quelqu'un en contra-
.vention , ils ne doivent point le contrain-
dre à rendre fon fufil ; ils doivent fe con-
tenter de dreffer leur procès-verbal.
48. Le droit qu'a le propriétaire de
fief d'empêcher que d'autres ne chaffent
fur fon fief , reçoit trois exceptions : 1 ° . à
l'égard du Seigneur haut - jufticier , fuprà
.. 38 : 2°. à l'égard du Seigneur de qui il
releve en fief, ibidem : 3 ° . l'uſage a introduit
une troifieme exception , qui eft que fi
mon voiſin a levé fur fon fief un gibier ,
je ne peux , tant que fes chiens font à la
pourſuite , l'empêcher de le fuivre fur
mon fief.
49. Ceux à qui la chaffe eft interdite ,
peuvent être empêchés de chaffer , non-
feulement par le propriétaire du fief fur
. lequel ils font trouvés chaffants ; ils peu-
vent auffi l'être par l'Officier chargé du
miniftere public pour cette partie.
P. I, Ch. 2 , S. 1 , Art. 3 , S. 1. 57

ARTICLE I I I.

De la Pêche & de l'Oifelerie.

S. I.

De la Pêche.

50. Les poiffons qui font dans la mer,


dans les rivieres , les lacs , & c. étant in
laxitate naturali , font des chofes qui
n'appartiennent à perfonne ; la pêche qu'on
en fait , eft un genre d'occupation par
lequel les pêcheurs acquierent le domaine
des poiffons qu'ils pêchent , & dont ils
s'emparent par la pêche qu'ils en font.
+ 51. La mer étant du nombre des cho-
fes communes dont la propriété n'appar-
tient à perfonne , & dont l'ufage eft per-
mis à tout le monde , il a toujours été ,
& il eft encore permis à tout le monde
d'y pêcher.
52. Par le Droit Romain , quoique les
fleuves qui étoient dans l'étendue de l'Em-
pire Romain , fuffent mis au rang des cho-
fes publiques dont la propriété apparte-
noit au peuple Romain , l'ufage en étoit
laiffé à tout le monde , & il étoit per-
mis à un chacun d'y pêcher.
Il en eft autrement par notre Droit
Cv
58 Traité du Droit de Propriete ,
François. Le Roi , à qui appartient la
propriété de toutes les rivieres naviga-
bles de fon royaume , n'en a point per-
mis la pêche aux particuliers. Le droit
de pêche dans lesdites rivieres , eft un droit
domanial qui n'appartient qu'au Roi & à
ceux qui tiennent ce droit de pêche par
engagement du domaine , dans quelque
partie limitée defdites rivieres. Les Fer-
miers du domaine & les Engagiſtes affer-
ment ce droit de pêche à des pêcheurs ,
& il n'eft pas permis à d'autres qu'aux
Fermiers de la pêche, d'y pêcher.
53. A l'égard des rivieres non - navi-
gables , elles appartiennent aux différents
particuliers qui font fondés en titres ou
en poffeffion pour s'en dire propriétaires
dans l'étendue portée par leurs titres ou
leur poffeffion. Celles qui n'appartiennent
point à des particuliers propriétaires , ap-
partiennent aux Seigneurs hauts-jufticiers
dans le territoire duquel elles coulent.
Loifeau , Traité des Seigneuries , chap. 12
n. 120. Il n'eft pas permis de pêcher dans
lefdites rivieres , fans le confentement de
celui à qui elles appartiennent.
54. Les Ordonnances veulent que ceux
qui pêchent fans droit , foit dans les ri-
vieres du Roi , foit dans les rivieres ou
dans les étangs des particuliers , foient
punis comme larrons & voleurs : ce n'est
P. I , Ch. 2 , S. I , Art. 3 , §. 1. 59
pas que celui qui pêche fans droit , ait fait
proprement un vol des poiffons au pro-
priétaire de la riviere ou de l'étang où
il les a pêchés ; car l'effence du vol eft
d'être interverfio poffeffionis : Scævola ait :
poffeffionis furtum fieri , denique fi nullus
fit poffeffor, furtum negatfieri. L. 1 , § . 15,
ff. Si is qui teft. liber. &c. Or le proprié-
taire de la riviere ou de l'étang où on a
pêché les poiffons , poffédoit à la vérité une
riviere ou un étang peuplé de poiffons ,
mais il ne poffédoit pasproprement les poif-
fons qu'on y a pêchés ; ces poiffons , qui
étoient in laxitate naturali , n'étoient pof-
fédés par perfonne : on ne peut donc pas
dire proprement qu'on les lui ait volés.
Auffi l'Ordonnance ne dit pas que ceux
qui péchent fans droit & fans permiſſion
dans les rivieres & étangs d'autrui , foient
voleurs & larrons ; elle dit feulement
qu'ils feront punis comme voleurs & lar-
rons , c'eſt-à-dire , de la même peine que
les voleurs & larrons ; parce que la ma-
lice que renferme le délit de ceux qui
pêchent ainfi dans les rivieres & étangs
d'autrui , eft femblable à celle du vol ,
qui confifte à faire du tort à autrui dans,
fon bien pour en profiter , puifque celui
qui pêche fans droit dans la riviere ou
l'étang où j'ai droit de pêcher , me fait
tort dans ce droit de pêcher , qui eft
Cvj
60 Traité du Droit de Propriete ,
mon bien , en diminuant par la pêche
qu'il y a faite fans droit pour fon profit ,
l'émolument de celle que j'y dois faire.
55. A l'égard des poiffons qui font
dans un réſervoir , ces poiffons étant fub
manu, & en la poffeffion de celui qui les
y garde, qui peut les aller prendre toutes
fois & quantes que bon lui femble , il n'eft
pas douteux que celui qui les y pêcheroit
fans droit , feroit un véritable vol à celui
à qui ces poiffons appartiennent.

S. II
.

De l'Oifelerie.

56. L'oifelerie eft un autre genre d'oc


cupation , par lequel l'oifeleur acquiert le
domaine des oifeaux qu'il prend.
Il eft permis à toutes performes de
prendre à la pipée des oiſeaux de toutes
efpeces , hors le gibier ou les pigeons ;
mais les oifeleurs ne peuvent faire leur
pipée qu'en pleine campagne ; il ne leur
eft pas pour cela permis d'entrer dans les
enclos , fans la permiffion de ceux à qui
ils appartiennent.
Il eft auffi permis de prendre des oi-
feaux avec des pots-à-paffes.
57. Lorsqu'un oifeau apprivoifé, comme
un perroquet , une pie , un ferin , s'eft
envolé de la maifon de fon maître , le
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art.4 , §. 1 61
voifin qui l'a pris , eft obligé de le rendre
à celui à qui il appartient , lequel n'en
perd pas la propriété tant qu'il conferve
l'efpérance de le recouvrer. Les devoirs
du bon voifinage obligent même celui
qui l'a pris , de s'informer dans le quartier
qui eft celui qui l'a perdu , afin de le
lui rendre.

ARTICLE I V.

De l'Invention , des Tréfors , des Epaves,


& de la découverte des Pays inhabités.

SI.

De l'Invention.

58. L'invention eft un autre genre


Poccupation , par lequel celui qui trouve
une chofe qui n'appartient à perfonne , en
acquiert le domaine en s'en emparant.
On peut rapporter à ce genre d'occu-
pation les cailloux propres à être taillés ,
qu'on trouve fur les rivages de la mer &
des rivieres , auffi -bien que les différentes
efpeces de coquillages qu'on ramaffe fur
le bord de la mer ; ces chofes étant du
nombre de celles qui font reftées dans
, l'état de la communauté négative dont la
propriété, tant qu'elles demeurent en cet
62 Traité du Droit de Propriété,
état , n'appartient à perfonne , chacun a
droit d'en acquérir la propriété en les
ramaffant : Lapilli , gemmæ , cæteraque quæ
in littore invenimus , jure naturali noflra
fiunt. L. 3 , ff. de divif. rer.
59. On peut rapporter à ce genre d'oc-
cupation qu'on nomme invention , les boues
& ordures des rues , que nos Jardiniers
d'Orléans font ramaffer tous les jours par
leurs âniers , pour s'en fervir à fumer les
terres où ils font venir leurs légumes .
Ces boues & ordures font chofes qui n'ap-
partiennent à perfonne ; l'ânier , en les
ramaffant & en les chargeant dans les
corbeilles de fon âne , acquiert à fon maî-
tre , pour qui & au nom de qui il les
ramaffe , le domaine de ces boues & or-
dures , Jure inventionis & occupationis .
60. On peut pareillement rapporter à
ce genre d'occupation celle des chofes
dont celui à qui elles appartenoient a
abdiqué la propriété; ces chofes n'appar-
tenant plus à perfonne , celui qui s'en em-
pare , peut en acquérir le domaine par ce
genre d'occupation : Pro derelicto rem à
Domino habitam fi fciamus , poffumus ac-
quirere. L. 2 , ff. pro derel.
Par exemple , on ne peut douter que
les gouffes de pois , les trognons de fa-
lades , & autres chofes femblables qu'on
rouve dans une rue , font chofes pro de-
Part. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 4, §. 1 63
! relidis habitæ : un pauvre qui les ramaſſe ,
pour s'en nourrir , faute de pain , dans ces
temps de famine , en acquiert le domaine ,
Jure inventionis & occupationis.
Pareillement , il ne peut être douteux
que la charogne d'un cheval qu'on a jetté
à la voirie après l'avoir écorché , eft une
chofe pro derelicto habita , dont celui à qui
appartenoit le cheval a abdiqué la pro-
priété, & qui n'appartient à perfonne. Un
ouvrier qui travaille à des ouvrages qui
fe font avec des os de cheval , peut donc
très-licitement couper dans la carcaſſe de
cette charogne ce qu'il croit pouvoir lui
fervir , & il en acquiert le domaine , Jure
inventionis & occupationis.
61. Il ne faut pas confondre avec les
chofes qui font pro derelictis habita , celles
qui ne font qu'égarées , & qui ont vrai→
femblablement un maître, quoiqu'inconnu.
On appelle ces chofes , epaves ; nous en
traiterons en particulier infrà , au para-
graphe 3 .
62. On a fait auffi la queftion fi un
tréfor qu'on a découvert , appartient à ce
genre d'occupation ; nous en traiterons
en particulier au paragraphe fuivant.
63. Il nous refte à parler d'une quef-
tion qu'on a faite au fujet de l'invention ,
qui eft de fçavoir ; fi pour acquérir le
domaine des chofes que nous trouvons ,
64 Traité du Droit de Propriete ,
qui n'appartiennent à perfonne , il falloit
mettre la main deffus , ou s'il fuffifoit de
l'avoir regardée avec le deffein de la ra-
maffer & de fe l'approprier ; de maniere
que fi deux perfonnes avoient apperçu
en même temps une de ces chofes dans
ce deffein , elle dût leur appartenir en
commun ? On peut alléguer pour ce der-
nier fentiment ce qui eft dit en la Loi 1 ,
S. 21 , ff. de acquir. poffeff. Non eft neceffe
corpore & actu apprehendere poffeffionem , fed
etiam oculis & affectu. Cette prétention
d'avoir fa part dans une chofe qu'un au-
tre a trouvée , lorfqu'on prétend l'avoir
apperçue en même temps que lui , eſt
ancienne : Nous en trouvons un veftige
dans Plaute , in Rudente , A&
t. IV , ch . 3 .
Trachalion demandoit à Gripus à avoir
fa part d'un poiffon que Gripus avoit
pêché. A cela Gripus répond : Quemne
ego excepi è mari ? Trachalion replique :
Et ego infpectavi è littore.
Nous en trouvons un autre veftige dans
Phedre , Fab. v , 6.

Invenit calvus fortè in trivio pectinem ;


Acceffit alter aquè defectus pilis :
Eia , inquit , in commune , ( * ) quodcumque
eft lucri,

(* ) J'en retiens ma part.


P.1 , Ch. 2 , S. 1 , Art. 4. S. 1. 65
Nonobftant ces raifons , je penfe que
pour acquérir la propriété de ces chofes ,
il ne fuffit pas de les avoir apperçues ,
dans le deffein de fe les approprier ; il
faut les avoir ramaffées , ou par nous-
mêmes , ou par quelqu'un qui les auroit
ramaffées pour nous & en notre nom. La
poffeffion qui s'acquiert oculis & affectu ,
dans le cas de la tradition , eft plutôt
une poffeffion civile & feinte , qu'une
poffeffion réelle ; il faut pour l'occupation
& la poffeffion réelle , fe faifir de la chofe ;
la tenir , foit avec vos mains , foit avec
quelque chofe qui vous ferve pour cela
d'inftrument. C'eft pourquoi je penſe que
lorfque deux perfonnes ont l'une & l'autre
apperçu une de ces chofes qui n'appar-
tiennent à perfonne , avec le deffein de
l'acquérir , elle ne doit appartenir qu'à
celui qui a été le plus diligent à s'en fai-
fir & à s'en emparer. Ajoutez que fi on
attribuoit la chofe à celui qui l'auroit
apperçue le premier , cela donneroit lieu
à des difcuffions , lorſque plufieurs pré-
tendroient chacun l'avoir apperçue le pre-
mier , & avoir prévenu l'autre ; au lieu
qu'il n'y en a aucune en l'attribuant à
celui qui s'en eft faifi le premier.
66 Traité du Droit de Propriete's

S. II.

Des Tréfors.

64. On a élevé , à l'égard d'un tréfor


caché en terre , dans un champ ou dans
une maiſon , la queftion de fçavoir s'il
devoit appartenir , jure inventionis , à ce-
lui qui l'y avoit trouvé ; ou s'il devoit
appartenir au propriétaire du champ ou
de la maiſon où il avoit été trouvé jure
acceffionis , comme en étant une espece
de dépendance. Les Jurifconfultes Ro-
mains ont tranché cette queftion , en don-
nant la moitié du tréfor à celui qui l'avoit
trouvé , & l'autre moitié au propriétaire
du champ Inftit. tit. de rer. divif. §. 37.
Par notre Droit François , le tréfor
fe partage entre le Seigneur haut-jufticier
dans le territoire duquel le tréfor a été
trouvé ; le propriétaire du lieu où il a
été trouvé , & celui qui l'a trouvé , lefquels
en doivent avoir chacun un tiers.
65. Celui qui a trouvé le tréfor , n'a
droit d'y prétendre part que lorfqu'il l'a
trouvé par un cas fortuit ; comme lorf
qu'un foffoyeur en faifant une foffe dans
un champ , de l'ordre du propriétaire , y
trouve un tréſor ; ou lorſqu'un cureur de
puits ou de latrines , en curant un puits
P. I, Ch. 2 , S. 1 , Art. 4 §. 2. 67
ou des latrines , y trouve un tréfor. Mais
fi quelqu'un avoit fait fans le confentement
du propriétaire , des fouillements dans un
champ pour y chercher un tréfor , &
qu'il en eût effectivement trouvé un ; la
Loi unique , au Code de Thefauris , ordonne
qu'il n'y aura en ce cas aucune part , parce
qu'il ne doit pas retirer un profit d'un
délit qu'il a commis , en faiſant des fouil-
lements dans le champ d'autrui , fans le
confentement du propriétaire.
66. Obſervez que nous n'entendons par
tréfor qu'une choſe dont on n'a aucun
indice à qui anciennement elle ait ap-
partenu : Thefaurus ( dit Paul) eft vetus quæ-
dam depofitio pecuniæ cujus non extat me-
moria ut jam Dominum non habeat. L. 31,
S. 1 , ff. de acq. rer. Dom. Mais lorsqu'il
y a quelqu'indice ou préfomption qui
faffent connoître la perfonne qui a caché
l'argent ou quelqu'autre chofe que ce foit
dans le lieu où on l'a trouvé , la chofe
en ce cas ne doit pas paffer pour un tré-
for , & elle appartient à celui qui l'y a
cachée , ou à fes héritiers , auxquels celui
qui l'a trouvée , doit la rendre : Alioquin
(ajoute Paul )fi quid aliquis vel lucri caufâ,
vel metus , vel cuftodia , condideritfub terrâ,
non eft thefaurus cujus etiam furtum fit.
Scævola donne cet exemple : A tutore
pupilli domum mercatus ad ejus refectionem
68 Traité du Droit de propriété ,
fabrum induxit , is pecuniam invenit , quæà
ritur ad quem pertineat ? Refpondit : fi non
thefauri fuerint ; fed pecunia fortè perdita ,
vel per errorem ab eo ad quem pertinebat
non ablata , nihilominus ejus eam effe cujus
fuerat. L. 67 , ff. de rei vind.
Si non thefauri fuerint , c'eſt-à -dire , s'il
ne paroît pas que cet argent qu'on a
trouvé , foit un tréfor , comme cela pa-
roîtroit fi c'étoit d'anciennes efpeces qui
paroiffent n'avoir été mifes dans le lieu
où on les a trouvées , que dans un temps
très-éloigné , de maniere qu'il ne fût plus
poffible de connoître celui qui les y a
mifes. Si au contraire il paroît qu'il n'y
a pas bien long-temps que cet argent a
été mis au lieu où on l'a trouvé , putà ,
parce que ce font des efpeces de fabrique
moderne ; on préfume en ce cas que cet
argent y a été mis par le pere du mineur
qui habitoit cette maifon ; que cet argent
n'étoit qu'égaré ; que c'étoit par erreur
que le tuteur en vendant la maiſon , ne
l'avoit pas retiré du lieu où il étoit , faute
d'avoir fçu qu'il y fût , & que cet argent
ayant toujours continué d'appartenir au
pere du mineur , devoit être rendu au
tuteur de ce mineur fon héritier.
P. I, Ch. 2 , S. 1 , Art. 4, S. 1. 69

S. III

Des Epaves.

67. On appelle épaves les choſes éga-


rées dont on ne connoît pas le proprié→
taire , tels que font un cheval , une vache ,
ou quelqu'autre animal qu'on trouve errer
fans conducteur ; une bourſe d'argent ,
une taffe d'argent , une bague , un mou-
choir , une montre , une tabatiere´, ou
quelqu'autre chofe qu'on trouve dans un
chemin où quelqu'un les a laiffé tomber
fans s'en appercevoir.
Quoique celui à qui ces chofes appar-
tiennent , foit inconnu , il n'eft pas vrai-
ſemblable qu'il en ait voulu abdiquer la
propriété, mais plutôt qu'il les a égarées ,
& qu'il en conferve toujours la propriété.
Ces chofes n'étant donc pas des chofes
qui n'appartiennent à perfonne , elles ont
un maître , quoiqu'il foit inconnu ; elles
ne font donc pas fufceptibles du genre
d'acquifition qui fe fait à titre d'occupa-
tion ; celui qui les a trouvées , non-ſeu-
lement n'en acquiert pas le domaine , il
n'a pas même le droit de les retenir juſ
qu'à ce que le propriétaire paroiffe &
les réclame , & ce n'eft pas lui qui en
doit profiter , lorfqu'elles ne font récla- 1
1
70 Traité du Droit de Propriété ,
mées par perfonne. Le droit de s'appro-
prier , privativement à tous autres , les épa-
ves qui n'ont point été réclamées , eft
en France un droit attaché à la haute-
juſtice , qui a été attribué au Seigneur
haut-jufticier pour le récompenfer des frais
qu'il fait pour faire rendre la juftice.
Il y a quelques Coutumes qui accor-
dent ce droit d'épaves au moyen-jufticier;
comme Tours , Lodunois , Amiens ; celle
d'Orléans admet auffi le bas-Jufticier au
droit d'épaves jufqu'à concurrence de la
fomme jufqu'à laquelle il a droit de juf-
tice.
Celle d'Anjou l'accorde même au bas-
jufticier. Dans celle de Blois , le bas - Juſti-
cier a droit d'avoir dans le prix de l'é-
pave fept fols fix deniers ; le moyen foi-
xante fols , & le furplus appartient au
haut-Jufticier.
68. Celui qui a trouvé l'épave , eſt
obligé de la déférer à Juftice ; c'eſt-à-
dire , qu'il eft obligé d'en aller faire ſa dé-
claration au Greffe de la Juftice du lieu
où l'épave a été trouvée. Sur cette dé-
claration , fi l'épave eft un animal , le
Juge ordonne qu'il fera mis en fourriere
dans un cabaret défigné par fon ordon-
nance. Si c'eft une chofe inanimée , le
Juge , fuivant qu'il le juge à propos , or-
donne, ou qu'elle fera apportée au Greffe
P..1 , Ch. 2 , S. 1 , Art. 4 , S. 3. 72
pour y être dépofée , ou qu'elle reftera
en dépôt jufqu'à nouvel ordre , entre les
mains de celui qui l'a trouvée.
69. Le temps dans lequel celui qui a
trouvé l'épave , doit la déférer à Juſtice ,
eft différemment réglé par les Coutumes.
La plupart veulent qu'elle foit déférée à
Juftice dans les vingt-quatre heures : notre
Coutume d'Orléans , art. 166 , & quel-
ques autres Coutumes accordent trois jours;
d'autres en accordent huit.
Dans celles qui ne s'en font pas expli-
quées , je pense qu'on doit fuivre la dif-
pofition des Coutumes qui font les plus
indulgentes , & accorder huit jours.
70. Faute par celui qui a trouvé l'é-
pave , de l'avoir déférée dans le temps dans
lequel il devoit le faire , ou d'en avoir
averti d'une autre maniere équipollente
en la faifant crier , il doit être condamné
en une amende que notre Coutume d'Or-
léans , art. 166 , ainfi que plufieurs autres
Coutumes reglent à un écu fol , c'eſt-à-
dire à foixante fols. D'autres Coutumes
laiffent cette amende à l'arbitrage du
Juge,
71. Ce n'eft pas feulement pour l'inté
rêt du Seigneur de la Juſtice qui doit pro-
fiter de l'épave au cas qu'elle ne foit pas
réclamée , que celui qui a trouvé l'épave
la doit déférer à Juſtice ou la faire crier ,
72 Traité du Droit de Propriété ,
c'eft auffi pour celui du propriétaire de
l'épave , afin qu'il foit averti du lieu où
elle eft , & qu'il la puiffe venir réclamer.
C'eft pourquoi , après que notre Coutume
d'Orléans , art. 166 , a dit : Celui qui re-
cele aucune épave plus de trois jours fans
la déclarer à Juftice , ou la faire crier ,
eft amendable d'un écu fol envers la Juftice :
elle ajoute , eft tenu des dommages & in-
térêts DU SEIGNEUR D'ICELLE ; c'eſt-à-
dire , du propriétaire de l'épave.
Ces dommages & intérêts confiſtent
dans ce qu'il a fouffert , ou manqué de
gagner par la privation de l'ufage de fa
chofe , faute d'avoir été averti , & d'avoir
pu la réclamer plutôt.
72. Lorsque l'épave a été déférée à
Juftice , elle doit être gardée pendant un
certain temps , & il doit être fait plufieurs
proclamations avant que le Seigneur
puiffe la faire vendre à fon profit , afin
que le propriétaire puiffe être averti , &
avoir le temps de la venir réclamer .
Les Coutumes font différentes fur le
nombre & la forme de ces proclamations ,
& fur le temps qui doit être accordé au
propriétaire de l'épave , pour venir ré-
clamer l'épave , ou le prix pour lequel
elle aura été vendue.
Les uns veulent qu'il foit fait trois pro
clamations de quinzaine en quinzaine ;
d'autres
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 4 , § . 3. 73
d'autres demandent pareillement trois pro-
clamations de huitaine en huitaine ; les
unes les demandent par trois Dimanches ,
les autres par trois Dimanches ou Fêtes
folemnelles , les autres à trois jours de
marché ; Boulonnois , Nivernois ne de-
mandent qu'une feule publication , aux
Prônes de la paroiffe de la feigneurie ,
un jour de Dimanche , & une autre à jour
de marché ; Poitou ne demande que
l'une des deux.
Pareillement , à l'égard des lieux où
fe doivent faire lefdites proclamations
plufieurs Coutumes fe contentent de dire ,
aux lieux accoutume's ; d'autres difent , à l'if-
fue des Grand Meffes du lieu de lafeigneurie ;
celle du Maine ajoute , & ès deux autres
paroiffes voisines ; celle d'Auvergne dit ,
que les proclamations doivent fe faire
par quatre affifes ; celle de la Marche
par trois affifes ; celle de Bretagne re-
quiert les trois proclamations aux Grand'-
Meffes,&fe contente d'une autre au marché.
Les Coutumes font auffi différentes fur
le temps qu'elles accordent au proprié-
taire de l'épave , pour la réclamer ; les
plus indulgentes veulent que le Seigneur
accorde un an pour les vendre , à moins
que ce ne fuffent chofes périffables , &
dont la garde feroit trop couteuſe , tels
que font les animaux , auquel cas elles
Tome I. D
74 Traite du Droit de Propriété ,
peuvent bien être vendues après les pro-
clamations ; mais le prix en doit reſter
configné pendant l'année , & rendu au
propriétaire de l'épave , s'il fe fait con-
noître dans ledit temps.
La plupart des Coutumes n'obligent
le Seigneur à garder l'épave que pendant
le temps de ' quarante jours ; dans les
unes c'eſt un temps de quarante jours
pendant lequel fe font les proclamations ;
dans d'autres c'eft un temps de quarante
jours , qui ne commence à courir qu'a-
près les proclamations faites ; dans notre
Coutume d'Orléans , il court après le pre-
mier cri,
73. Dans cette variété de difpofitions
de Coutume fur cette matiere , dont celle
de Paris n'a point traité , nous nous
bornerons à rapporter celles de la Cou-
tume d'Orléans.
Elle requiert deux chofes avant que le
Seigneur de Juffice faffe vendre l'épave à
fon profit. 1 °. Des proclamations. 2°. Un
temps de quarante jours pendant lequel
le propriétaire puiffe la venir réclamer.
Voici comme elle s'exprime fur les
proclamations , art. 63. ဘ Epaves fe doi-
vent proclamer pendant trois divers
າງ Dimanches aux Prônes de la Grand'-
»
" Meffe paroiffiale , & au fiege du lieu
où elles auront été trouvées à jour de
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 4 , § . 3. 75
» plaids , à la diligence des Seigneurs de
‫ כב‬haute , moyenne & baffe Juftice , ou de
celui qui aura trouvé lefdites épaves. >
L'Edit de 1695 a difpenfé les Curés
de faire ces fortes de proclamations aux
Prônes ; au-lieu d'être faites aux Prônes ,
elles fe font à la porte de l'Eglife , à l'iffue
de la Meffe paroiffiale , par un Huiffier
qui en dreffe procès-verbal.
Il y a néanmoins encore aujourd'hui
des Curés qui veulent bien faire ces pro-
clamations aux Prônes ; on doit en ce
cas tirer d'eux un certificat qu'elles ont
été faites.
L'Eglife où ces proclamations doivent
être faites , eſt l'Eglife paroiffiale du lieu
où l'épave a été trouvée.
La proclamation contient , que tel jour ,
en tel lieu , telle chofe qu'on doit défigner ,
putà un cheval , fous tel poil , ayant telle
marque , d'une telle taille ; une tabatiere
de telle matiere , de telle figure , de tel
poids.
74. Outre les trois proclamations qu'on
doit faire aux Prônes ou à l'iffue de la
Meffe paroiffiale , la Coutume veut que
l'épave foit proclamée au Siege de la
Juftice du lieu où elle a été trouvée , à
jour de plaids.
C'eft-à-dire , à un jour d'audience or-
dinaire , pendant que l'audience tient.
Dij
76 Traité du Droit de Propriete ,
C'eft le Greffier qui fait cette procla-
mation , & qui en tient regiſtre.
La publication à l'audience ne fe fait
qu'une fois ; la Coutume a bien dit que
la publication aux Prônes fe feroit par
trois divers Dimanches ; mais elle n'a pas
dit de même , que la publication au Siege
fe feroit par trois divers jours de plaids ,
mais elle à dit feulement, à jour de plaids.
75. La feconde chofe que la Coutume
requiert , eft qu'on laiffe un temps de
quarante jourss , pour que le propriétaire
puiffe la venir réclamer.
Voici comme elle s'en explique : » E-
* paves fe doivent garder pendant qua-
rante jours , art. 163. Si celui à qui ap-
30 partient l'épave s'apparoit dans lefdits
quarante jours , à compter du jour du
80 premier cri fait folemnellement , elle lui
fera rendue en payant les nourritures
& frais faits en la garde & proclamation
d'icelle ; & où il ne fe trouveroit per-
fonne qui recherchât ladite épave pen-
dant ledit temps , & icelui paffé , ſera
adjugée auxdits Seigneurs Hauts-Jufti-
» ciers , &c. «
La Coutume par ces mots , du jour
du premier cri fait folemnellement , entend
la premiere proclamation qui a été faite ,
foit au Prône , ou à l'iffue de la Meffe
paroiffiale , foit au Siege de la Juftice
P. I , Ch. 2 , S. 1 , Art. 4 , S. 3. 77
fi on a commencé par les publications
au Prône , avant de faire la publication
au Siege de la Juftice , c'eft du jour de
la premiere publication aux Prônes , ou
à l'iffue de la Meffe , que court le temps
de quarante jours ; fi au contraire on a
commencé par la publication au Siege de
la Juftice , avant de faire les publications
au Prône , c'eſt du jour de cette publica-
tion aú Siege que doit courir ledit temps
de quarante jours.
Obfervez qu'on ne doit point compter
dans les quarante jours , lejour du premier
cri , depuis lequel ledit temps de quarante
jours doit courir fuivant la maxime : Dies
à quo non computatur in termino. C'eft
pourquoi , fi , par exemple , la premiere
publication a été faite le premier jour du
mois d'Avril , qui eft un mois qui n'a que
trente jours , le temps de quarante jours
n'expirera que le 11 de Mai , & l'adju-
dication ne pourra être valablement faite
plutôt que le 12 de Mai .
76. Quoique toutes les proclamations
aient été faités , & que le temps de qua-
rante jours foit expiré , tant que l'épave
n'eft pas encore adjugée , le propriétaire
eft reçu à la réclamer , & elle doit lui
être rendue , en faifant par lui apparoir
qu'elle lui appartient , & en rembourfant
les frais , art. 165.
D iij
78 Traite du Droit de Propriété ,
Mais après que l'épave a été adjugée ;
celui à qui elle appartenoit n'eft plus reçu
à la réclamer , ni à en demander le prix ;
l'adjudication qui en a été faite en Juftice
purge & éteint le droit de propriété qu'il
avoit de cette chofe , faute par lui de l'a-
voir réclamée avant l'adjudication .
77. L'adjudication fe fait par le Juge ,
publiquement , au lieu , au jour & à l'heure
auxquels on a coutume de faire les ad-
judications.
Les frais de garde , des proclamations ,
& de l'adjudication , fe prélevent fur le
prix ; dans ce qui refte du prix , notre
Coutume accorde le tiers à celui qui a
trouvé l'épave , & qui l'a déclarée à
Juftice ; le furplus appartient au Seigneur
Jufticier.
Cette difpofition de la Coutume d'Or-
léans , qui donne une part dans le prix à
celui qui a trouvé l'épave , lui eft parti
culiere ; je ne connois que la Coutume de
Bretagne qui ait une difpofition femblable.
78. Le haut -Jufticier , dans la Cou-
tume d'Orléans , n'eft pas le feul qui ait
droit d'épaves ; les moyens & bas – Juſti-
ciers participent à ce droit jufqu'à con-
currence de la fomme à laquelle ils ont
droit de Juftice. C'eft pourquoi en l'ar-
ticle 163 , elle dit que les proclamations
fe feront à la diligence des Seigneurs de
P. I, Ch. 2 , S. 1 , Art. 4 , §. 4. 79%
haute , moyenne & baffe Juftice ; & en
l'article 164 , elle dit que l'épave fera ad-
jugée auxdits Seigneurs Jufliciers , felon
les droits de leur Juftice.
Dans la Coutume d'Anjou , art. 40 ,
& du Maine , art. 1 , le droit d'épaves
mobiliaires appartient aux moyens Jufti-
ciers.
79. Suivant les ftatuts des Orfevres &
des Jouailliers , lorfqu'un inconnu leur ap-
porte quelque piece d'argenterie , ou quel-
que pierre précieufe , ils doivent la rete-
nir jufqu'à ce que l'inconnu fe faffe con-
noître par quelque perfonne digne de foi
de la ville ; lorſque l'inconnu ne revient
pas , ce qui arrive fort fouvent , lefdits
Örfevres ou Jouailliers déferent à Juftice
ces pieces d'argenterie ou pierres pré-
cieuſes , lefquelles font réputées épaves ,
& à l'égard defquelles on obferve tout
ce qui a été dit ci-deſſus , de même qu'à
l'égard des autres épaves.

S. IV.

Des effaims d'Abeilles.

80. Plufieurs Coutumes regardent com-


me des efpeces d'épaves les abeilles qu'on
trouve affifes dans quelque arbre , ou
dans quelque buiffon , & attribuent au
Seigneur de la Juftice du lieu le droit de
Div
80 Traité du Droit de Propriété ,
s'en emparer privativement à tous autres ,
à la charge feulement d'en laiffer la moi-
tié à celui qui les a trouvées , & les a
déférées à Juftice.
Il y a cette différence entre cette efpece
d'épaves , & les épaves ordinaires , que
celles-ci appartiennent à quelqu'un , quoi-
que celui à qui elles appartiennent , ſoit
inconnu , & il ne ceffe d'en être le pro-
priétaire , jufqu'à ce que faute par lui de
s'être fait connoître , elles aient été adju-
gées au Seigneur de Juftice , au-lieu que
ces abeilles qui font in naturali laxitate ,
n'appartiennent à perfonne.
Quand mêmes elles fe feroient envo-
lées d'une ruche , elles n'appartiendroient
plus au propriétaire de la ruche , qui ne
les ayant pas pourfuivies , ou ayant ceffé
de les pourfuivre , ne les a plus en fa
poffeffion. C'eft pourquoi , par le Droit
Romain , le premier occupant en acqué-
roit le Domaine : Examen quod ex alveo
noftro evolaverit , eo ufque noftrum effe in-
telligitur , donec in confpectu nofiro eft , nec
difficilis ejus perfecutio eft : alioquin occu-
pantis fit. L. 3 , § . 4 , ff. de acquir. rer.
Dom. Ces Coutumes ont attribué au Sei-
gneur de Juftice , privativement à tous
autres 2 ce droit , qu'aux termes du pur
droit naturel un chacun avoit de s'en
emparer.
P. I, Ch. 2 , S. 1 , Art. 4 , S. 5. 8r
81. Dans les Coutumes qui ne s'en
font pas expliquées , les Seigneurs Hauts-
Jufticiers ont-ils ce droit ?
J'aurois de la peine à leur acorder
ce droit ; .ces effaims étant chofes qui n'ap-
partiennent à perfonne , lefquels aux ter-
mes de pur droit naturel appartiennent
au premier occupant , les Seigneurs ne
peuvent s'attribuer le droit de s'en empa-
rer , privativement à toute autre perfonne ,
fans une Loi pofitive qui le leur attribue ,
en reftraignant en ce point le droit na-
turel ; les Coutumes qui accordent ce
droit aux Seigneurs , n'ayant force de
Loi que dans leur territoire , les Seigneurs
hors de ces Coutumes ‫ و‬ne font fondés
dans aucune Loi , pour fe l'attribuer.

S. V.

Du Droit de Varech , & chofes Gaives.

82. Le droit de varech , & chofes gaives ,


eft un droit que la Coutume de Nor-
mandie accorde aux Seigneurs.
Sous ce mot de varech , & chofes gaives ,
( dit-elle en l'article 583 , ) font compriſes
toutes chofes que l'eau jette à la terre par
tourmente ou fortune de mer , ou qui
arrive fi près de terre , qu'un homme de
cheval y puiffe toucher avec fa lance.
Ces chofes font de véritables épaves ;
D v
82 Traité du Droit de Propriete ,
elles appartiennent à un propriétaire qui
eft inconnu ; car lorſqu'elles font_tom-
bées dans la mer , celui qui en étoit le
propriétaire n'en a pas perdu le domaine
de propriété , il l'a toujours confervé , &
l'a tranfmis en mourant à fes héritiers ;
ce qui a lieu quand même le propriétaire
auroit jetté à la mer ces choles volontai-
rement pour alléger le vaiffeau ; car il
n'a pas entendu en les jettant en abdi-
quer la propriété : Resjacta Domini ma
net , necfit apprehendentis , quia pro derelicto
non habetur. L. 2 , S. 8 , ff. de leg. Rhod.
Le droit de varech que la Coutume
accorde fur les chofes trouvées fur la
partie du rivage de la mer où le Seigneur
a ce droit , confifte dans le droit de s'en
emparer privativement à toutes autres
perfonnes ; & au cas qu'elles ne foient
pas réclamées pendant le temps d'un an
& jour par les propriétaires , de fe les ap-
proprier. Lorfque les chofes font de na-
ture à ne pouvoir fe garder , le Seigneur
peut les faire vendre en Juftice , mais il
doit en garder un échantillon pour fervir
à la reconnoiffance en cas qu'elles foient
réclamées ; il doit pareillement laiffer le
prix en dépôt , pour être rendu au pro-
priétaire , s'il vient dans l'année ſe faire
connoître.
Part. I, Chap. 2, S. 1 , Art. 5. 83
S. VI.

De l'occupation des Terres inhabitées.

83. Des navigateurs qui dans un voyage


de long cours ont découvert une terre
qui n'eft habitée par perfonne , peuvent
en s'y établiſſant en acquérir le domaine
de propriété , jure occupationis , comme
d'une chofe qui n'appartient à perſonne.
Si c'étoit au nom de leur Prince que
ces navigateurs en priffent poffeffion , ce
feroit à leur Prince à qui ils aquéreroient
cette terre .
Mais lorsqu'une terre eft habitée , quel-
que fauvages que nous paroiffent les
hommes qui l'habitent ; ces hommes en
étant les véritables propriétaires , nous
ne pouvons fans injuftice nous y établir
malgré eux .
ARTICLE ง.

De l'Occupation fimplement dite.

84. Outre les différentes efpeces d'oc-


cupations qui ont été rapportées dans les
Articles précédents , il peut y en avoir
beaucoup d'autres , qui faute de nom par-
ticulier , s'appellent fimplement occupation.
On peut donner pour exemple le cas
auquel je vais puifer de l'eau dans une
riviere ; j'acquiers le domaine de l'eau
D vj
84 Traité du Droit de Propriété,
que j'y ai puifée , & dont j'ai rempli ma
cruche à titre d'occupation ; car cette eau
étant une chofe qui n'appartient à per-
fonne , à laquelle perfonne n'a aucun
droit exclufif, j'ai pu en m'en emparant
en acquérir le domaine , jure occupationis ;
c'eft pourquoi , dans le cas auquel en re-
venant de la riviere , j'aurois pour quel-
que befoin laiffé ma cruche dans le chemin ,
dans le deffein de la venir reprendre au
lieu où je l'avois laiffée ; fi pendant ce
temps un paffant ayant trouvé ma cruche ,
pour s'épargner le chemin d'aller jufqu'à
la riviere , avoir verfé dans fa cruche
l'eau qui étoit dans la mienne , il auroit
commis envers moi un véritable vol de
l'eau qui y étoit , cette eau étant une choſe
dont j'étois véritablement propriétaire , &
dont je confervois la poffeffion par la
volonté que j'avois de la venir reprendre
au lieu où je l'avois laiffée.
Obfervez qu'il ne faut pas confondre
le corps du fleuve , avec l'eau qui y coule ,
qu'on appelle aqua profluens.
Le corps du fleuve eft un grand corps,
qui eft le même qui a toujours fubfifté
par le paffé , & qui fubfiftera par la fuite ,
dont la propriété appartient au Souverain
dans les Etats duquel il eft : l'eau qui y
coule , qu'on appelle aqua profluens , eft
cette eau qui dans l'inftant préfent eft
Part. 1, Chap. 2 , S. 1 , Art. 5. 85

dans un tel lieu du fleuve , & qui dans
l'inftant fuivant n'y fera plus , & à laquelle
une autre eau fuccédera ; c'eſt cette eau
qui eft reftée dans la communauté néga-
tive du genre humain , qui appartient à
tous les hommes en commun , fans qu'au-
cun puiffe s'en dire le propriétaire , tant
qu'elle refte dans cet état 2
, & qu'un cha-
cun , par conféquent l'étranger comme
le citoyen peut puifer dans la riviere , &
en acquérit le domaine en s'en emparant.
C'eft pourquoi Ovide dans fes Méta-
morphofes fait parler ainfi Latone aux
payfans de Licie , qui vouloient l'empê-
cher de puifer de l'eau pour boire.

Quidprohibetis aquas , ufus communis aquarum eft


Nec folem proprium natura nec aëra fecit,
Nec tenues undas , ad publica munera veni.

85. Lé Jurifconfulte Pomponius nous


apporte un autre exemple d'occupation ;
lorfque quelqu'un bâtit un édifice dans
la mer , la mer étant une chofe qui n'ap-
partient à perfonne , il acquiert jure òccu-
pationis , le domaine de la partie de la
mer qu'il a occupée par les bâtiments
qu'il y a conftruits . Si pilas in mare
jactaverim &fuprà eas inædificaverim , con-
tinuò ædificium meumfit : item fi infulam
in mari ædificaverim continuò mea fit , quo-
86 Traité du Droit de Propriété,
niam id quod nullius fit , occupantis. fit.
30 ,, §. 4 , ff. de acq. rer. Dom.
L. 3º
Il en étoit de même par le Droit Ro-
main du bâtiment que quelqu'un conftrui-
foit fur le rivage de la mer ; ce rivage ,
fuivant les principes du Droit Romain
étant censé être , de même que la mer ,
demeuré dans l'état de communauté né-
gative , & n'appartenir à perfonne , un
chacun pouvoit acquérir ,jure occupationis ,
le domaine de la partie du rivage qu'il
occupoit , par le bâtiment qu'il y avoit
conftruit Quod in littore quis ædificave-
rit ejus erit ; nam littora publica non itafunt
ut ea quæ in patrimonio funt populi : fed
ut ea quæ primum à natura prodita funt &
in nullius adhuc Dominium pervenerunt ;
nec diffimulis conditio eorum eft atque pif
cuum & ferarum. L. 14 , ff. d. tit.
La liberté que chacun a de s'appro-
prier une partie de la mer ou du rivage
en l'occupant par les bâtiments qu'il y
conftruit , reçoit cette limitation , qu'on
en doit obtenir la permiffion du Magif-
trat , qui ne l'accorde qu'autant que cela
ne préjudicie ni au public pour l'ufage
de la navigation , ni a des particuliers
qui auroient bâti auparavant ; c'eſt ce
qu'enfeigne Pomponius : Quamvis quod in
littore publice vel in mari extruxerimus nof
trum fit , tamen decretum Prætoris adhiben-
Part. 1, Chap. 2 , S. 2. 87
dum eft ut id facere liceat. L. 50 , ff. d. tit.
Et Celfus dit : Id concedendum non effe
fi deterior littoris marifve ufus eo modo fu-
turus fit. L. 3 , §. 1 , ff. ne quid in loc
publ. &c.
Un particlier à qui cela caúferoit quel-
que préjudice , a auffi droit de s'y oppoſer :
Adverfus eum qui molem in mare projecit
interdictum competit ei cui forte hæc res no-
citura fit fi autem nemo damnum fentit ,
tuendus eft is qui in littore ædificat vel
molem in mare jacit. L. 2 , S. 8 , ff. d. tit.

SECTION II.

De ce qui eft pris fur l'Ennemi.

86. Outre le droit d'occupation , par


lequel nous acquérons le domaine des
chofes qui n'appartiennent à perfonne en
nous en emparant , dont nous avons traité
dans la Section précédente ; il y a une
autre efpece de droit d'occupation , qui
eft du droit des gens , par lequel un Sou-
verain & ceux auxquels il communique
fon droit , acquierent le domaine des
chofes qu'ils prennent fur leurs ennemis
dans une guerre jufte.
On doit rapporter à cette efpece d'oc
cupation les conquêtes & le butin , qui fe-
ront la matiere du premier Article , &
les prifes fur mer , qui feront la matiere
88 Traité du Droit de Propriété ,
du fecond ; nous ajouterons un troi-
fieme Article des prifonniers de guerre.
ARTICLE PREMIER .
Des Conquêtes & du Butin.

S. I.
Des Conquêtes.

87. Le droit de conquête , eft le droit


qu'a un Souverain qui a le droit de faire
la guerre , d'acquérir , lorfqu'il l'a fait juf
tement , le domaine des villes , châteaux
& terres de l'ennemi , en s'en emparant.
Quoique les conquêtesfummojure appar-
tiennent au conquérant ; néanmoins lorf
que l'ennemi fur qui elles ont été faites ſe
foumet & demande la paix , les regles de la
modération demandent que le conquérant
ne retienne fur les conquêtes , que ce qui
fuffit pour le dédommager des frais de la
guerre , & qu'il rende le furplus au vaincu
qui s'eft foumis.

S. II.
Du Butin.

88. On appelle butin , ou præda belli-


ca , toutes les chofes mobiliaires que les
vainqueurs enlevent aux vaincus.
Il
y a deux cfpeces de butin . La pre-
miere efpece eft celui qui fe fait dans une
bataille , dans un combat , ou dans quel-
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 1 , §. 2. 89
qu'autre expédition publique ; comme c'eſt
au nom du Roi que fe donne la bataille ,
ou que fe fait l'expédition , c'eft auffi le
Roi qui eft cenfé faire tout le butin qui
s'y fait , & qui en acquiert le domaine ,
par le miniſtere de fes troupes , qui ne font
que lui prêter leurs bras , & qui acquie-
rent pour le Roi & au nom du Roi tout
le butin qui eft fait.
C'eft pourquoi le Jurifconfulte Modef-
tinus décide qu'un foldat qui fouftrait
quelque chofe du butin , eft coupable du
crime de péculat , is qui prædam ab hoſti-
bus captam fubripuit, lege peculatûs tenetur.
L. 18 , ad L. Jul. de pecul.
Quoique le domaine de tout le butin
foit acquis au Roi , quelquefois le Géné-
ral , avec le confentement préfumé du Roi ,
en diftribue une partie aux troupes , pour
les encourager .
89. Une feconde efpece de butin eſt
celui que les troupes font dans le pillage
qu'on leur a permis de faire d'une ville ,
tel que fut celui de Berg-op-zoom ; dans
ce cas , le Général , au nom du Roi , &
comme étant cenfé avoir pouvoir de lui ,
cede à fes troupes le droit qu'il a jure
belli , de s'emparer & d'acquérir en s'en
emparant le domaine des chofes dont il
leur permet le pillage ; en conféquence ,
chaque foldat comme étant à cet égard
ceffionnaire des droits du Roi , acquiert ,
90 Traité du Droit de Propriété,
jure belli , le domaine des choſes dont il
s'eft emparé dans le pillage. Je laiffe aux
Théologiens à examiner fi cette maniere
d'acquérir , qui eft légale , fuivant le droit
rigoureux de la guerre , peut fe concilier
avec les loix de la charité.
90. Une troifieme efpece de butin , eſt
celui que fait un partiſan qui a commiſ-
fion du Roi dans les incurfions qu'il fait
dans le pays ennemi.
On appelle partifans , des particuliers
qui fe font autorifer du Roi , pour lever
à leurs dépens une troupe de gens de
guerre , qu'ils entretiennent & foudoyent
à leurs dépens , pour faire des incurfions
dans le pays ennemi ; le Roi , en leur
donnant commiffion pour faire ces incur-
fions , leur abandonne tout le butin qu'ils
y .feront , pour les dédommager de la
dépenfe qu'ils font.
ARTICLE II.

Des prifes qui fe font fur mer.


Nous verrons dans un premier para-
graphe , qui font ceux qui ont droit de
faire la courfe fur les vaiffeaux ennemis.
Dans un fecond , quels font les vaiffeaux
& les effets dont la prife eft légitime . Dans
un troifieme , de ce qui doit être obſervé
par les Capitaines des vaiffeaux armés
en guerre , lorfqu'ils ont fait une prife ;
& comment fe diftribue le produit de .
P. 1 , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 1. 91
la prife. Dans un quatrieme , nous trai-
terons des rançons.

S. I.

Qui font ceux qui ont droit de faire la


courfe fur les vaisseaux ennemis .

91. Les prifes qui fe font fur mer , fe


font ou par des Officiers de la Marine du
Roi , commandants quelque vaiffeau ou
frégate du Roi , ou par des particuliers
qui arment en guerre à leurs dépens des
vaiffeaux , pour courir fur les vaiffeaux
ennemis , & qui y font autorisés par le
Roi , par une commiffion qu'ils doivent
avoir de fon Amiral.
Ces particuliers font ceux qu'on ap-
pelle Corfaires .
Les prifes qui font faites par les Offi-
ciers de la Marine du Roi , appartiennent
au Roi ; néanmoins le Roi , par gratifi-
cation , accorde aux Officiers & à l'équi-
page du vaiffeau qui a fait la prife , une
portion du produit de la prife , comme
nous le verrons infrå.
A l'égard des prifes qui font faites par
nos corfaires , qui ont commiffion de
l'Amiral , quoique ce foit au nom du
Roi qu'ils faffent la prife , le Roi leur
abandonne le produit fous certaines con-
ditions, & à la charge d'obferver certaines
92 Traité du Droit de Propriété,
formalités , pour les dédommager , tand
des frais de l'armement , que des rifques
auxquels ils s'expoſent.
92. Comme il n'y a que le Souverain
qui ait le droit de faire la guerre , au-
cun particulier n'a droit d'armer un vaiſ-
feau en guerre , pour faire la courſe fur
les vaiffeaux ennemis , fans y être auto-
rifé par le Roi , fuivant la forme pref-
crite par l'Ordonnance .
Cette forme eft que le particulier qui
veut armer un vaiffeau en guerre , doit
obtenir de l'Amira!, qui repréfente à cet
égard le Roi , une commiffion qui le lui
permette. Ordonnance de la Marine
art. I.
·
Il doit faire enregistrer cette commif-
fion au Greffe de l'Amirauté du lieu où
fe fait fon armement , art. 2.
Il doit outre cela donner une caution
fuffifante qui s'oblige jufqu'à la fomme
de quinze mille livres à la réparation des
délits qui pourroient être commis envers
quelqu'uns pendant le temps de la courſe ,
foit par le prépofé au commandement
de fon vaiffeau , foit par les gens de l'é-
quipage.
Quoique l'Armateur ne foit tenu de
donner caution que jufqu'à la fomme de
quinze mille livres , il n'en faut pas con-
clure qu'il ne foit lui-même tenu de la
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 1. 93
réparation defdits délits que jufqu'à con-
currence de cette fomme ; il en eft tenu
pour le total , à quelque fomme qu'elle
puiffe monter ; il peut néanmoins s'en
décharger en abandonnant en entier fon
vaiffeau.
93. Il eft tellement vrai qu'il n'y a
que ceux qui ont commiffion de l'Ami-
ral , qui font en droit de faire à leur pro-
fit des prifes fur l'ennemi , que fi le Ca-
pitaine d'un vaiffeau marchand a été at-
taqué en mer par un vaiffeau ennemi ,
dont il s'eft rendu maître dans le combat .
la prife qu'il a faite du vaiffeau ennemi
ne lui appartient pas , mais appartient à
l'Amiral , qui eft à cet égard aux droits
du Roi ; l'Amiral a coutume d'en grati-
fier pour le tout ou pour partie celui qui
a fait la prife , fans tirer à conféquence.
94. Un Armateur , qui fans la permif-
fion du Roi , auroit obtenu une commif-
fion d'un Prince étranger pour faire la
courſe contre les vaiffeaux ennemis , n'a
pas plus de droit de la faire que s'il n'a-
voit aucune commiffion. C'eft ce qui eft
porté par l'article 3 de l'Ordonnance.
Faifons défenfes à tous nos fujets de
$59 prendre commiffions d'aucuns Rois ,
» Princes , ou Etats étrangers , pour ar-
mer des vaiffeaux en guerre , & cou-
→ rir la mer fur leur banniere , fi ce n'eſt
94 Traité du Droit de Propriété ,
par notre permiffion , à peine d'être
» traités comme pirates. «
La difpofition de cet article a lieu ,
quand même le François qui a obtenu
cette commiffion d'un Prince étranger , fe-
roit domicilié dans les Etats de ce Prince ;
car le domicile ne lui fait pas perdre la
qualité de fujet du Roi qu'il a acquife par
fa naiffance , & ne le difpenfe pas des Loix
du Royaume , qui ne permettent pas aux
fujets du Roi , de fervir en temps de
guerre aucune Puiffance étrangere , fans
une expreſſe permiffion du Roi. La dif-
pofition de cet article 3 eft prife dans
l'article 4 de la Déclaration du 1 Février
1653 , qui portoit : » Défendons à tous
nos fujets domiciliés ou non domiciliés
20
» dans notre Royaume , ou Pays de
> notre obéiffance. « Si ces termes n'ont
pas été répétés dans cet article , ce n'a
été que pour abréger , & parce qu'on a
cru qu'ils étoient fuffifamment fous-enten-
dus , comme l'a fort bien obſervé Vaſlin
fur cet article.
L'Ordonnance défendant par cet article
en termes généraux & indiftinctement
de prendre commiffion d'aucuns Rois
Princes , ou Etats étrangers ; la défenſe
renferme toutes les Puiffances étrangeres ,
non-feulement celles qui feroient ennemies
ou neutres mais mêmes celles qui fe-
P. I, Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , § . 2. 95
roient amies & alliées du Roi. C'eft l'avis
de Vaflin fur cet article,

S. II.

Quelsfont les vaisseaux , & les effets dont


la prife eft légitime,

95. Tous les vaiffeaux appartenantsà l'en-


nemi , foit qu'ils foient armés en guerre ,
foit qu'ils foient vaiffeaux marchands ,
peuvent être pris légitimement fuivant les
joix de la guerre , foit par les Officiers
de la Marine du Roi , foit par les Ar-
mateurs corfaires qui ont commiffion du
Roi , art. 4.
Il faut excepter le cas auquel le vaif-
feau ennemi auroit pour quelque caufe
obtenu un paffeport du Roi , dont le Ca-
pitaine feroit porteur ; en ce cas , le
vaiffeau ennemi ne doit pas être arrêté ,
pourvu que le temps du paffeport ne
foit pas encore expiré , & que le Capi-
taine fe foit conformé aux conditions du
paffeport,
Il en eft de même s'il a un fauf- con-
duit d'un Capitaine François qui l'a ren-
contré , pourvu que le temps du fauf-
conduit ne foit pas expiré , & qu'il foit
dans la route du lieu porté par le ſauf-
conduit où il doit fe rendre , comme nous
le verrons infrà , §. 6.
é t e Propriété
96 Trait du Droi d ,
96. Non-feulement le navire ennemi qui
a été pris eft de bonne prife , toutes les
marchandiſes & tous les effets qui fe font
trouvés fur ce navire , font pareillement
de bonne priſe.
Cela a lieu quelles que foient les per-
fonnes auxquelles appartiennent les mar-
chandiſes qui fe font trouvées fur le vaif-
feau ennemi qui a été pris ; c'eſt ce qui
eft expreffément décidé par l'article 7 ,
qui porte : Les marchandiſes de nos
30 fujets & alliés qui fe trouveront dans
» un navire ennemi , feront pareillement
de bonne prife. сс
Cela ne pouvoit guere fouffrir de
difficulté à l'égard des marchandiſes des
fujets du Roi ; en chargeant leurs mar-
chandifes fur des vaiffeaux ennemis , ils
contreviennent à la loi , qui leur interdit
tout commerce avec l'ennemi , & ils mé-
ritent pour cette contravention , de per-
dre leurs marchandiſes.
Il auroit pu paroître y avoir plus de
difficulté à l'égard des marchandiſes des
fujets des Puiffances alliées ; néanmoins ,
elles font auffi déclarées de bonne priſe
par cet article. La raifon eft , que ceux
qui chargent leurs marchandifes fur des
vaiffeaux ennemis ,favorifent le commerce
de l'ennemi , & qu'en les y chargeant
elles font cenfées s'être foumifes à fuivre
le
S. 2
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2.. 97
le fort du vaiffeau fur lequel ils les ont
chargées.
Un vaiffeau François qui a été pris
I par l'ennemi & a été plus de vingt-
quatre heures en fa poffellion , eft cenfé
appartenir avec toute fa cargaifon à l'en-
nemi qui en a acquis le domaine par le
droit des gens & les loix de la guerre.
C'eft pourquoi , lorfque ce vaiffeau eft
repris par un Armateur François , il eſt
de bonne prife , auffi-bien que tout ce qui
eft dedans ; & tout le produit de cette
priſe appartient à l'Armateur qui l'a re-
pris , fans que les anciens propriétaires
du vaiffeau & des marchandiſes dont il
eft chargé , puiffent rien prétendre , en
ayant perdu le domaine. C'eft la difpofi-
tion de l'article 8 , qui porte : Si au-
» cun navire de nos fujets eft repris fur
» nos ennemis , après qu'il aura demeuré
> entre leurs mains pendant vingt-quatre
» heures , la priſe en fera bonne. «
L'article ajoute : » Et fi elle eſt faite
» avant les vingt- quatre heures , il fera
‫ ע‬reftitué au propriétaire avec tout ce
»
» qui étoit dedans , à la réſerve du tiers ,
» qui fera donné au navire qui aura fait
» la recouffe. «
La raison de cette feconde partie de
l'article eft , que lorfque l'ennemi n'a pas
retenu en fa poffeffion , au moins pendant
Tome I. E
98 Traite du Droit de Propriété ,
vingt-quate heures , le vaiffeau François
qu'il avoit pris , on peut dire , fuivant la
maxime , non videtur factum quod non du-
rat factum , que l'ennemi eft cenfé ne s'être
point réellement & efficacement emparé
de ce vaiffeau ; qu'il n'en a pas par
conféquent acquis le domaine ; que le
propriétaire en eft toujours demeuré &
en eft encore le propriétaire , & qu'il a
droit de le revendiquer .
Obfervez que cet article dit indiftinc-
tement : Si aucun navire de nos fujets eft
repris , &c. Sans diftinguer par qui il eft
repris , fi c'eſt par un Armateur corfaire
ou par un vaiffeau de Roi , & que l'Or-
donnance de 1584 , art. 61 , d'où le pré-
1
fent article eft tiré , attribuoit aux vaif-
feaux de Roi , de même qu'aux Arma-
teurs corfaires , le profit de la recouffe
dans les deux cas de cet article , foit pour
le total , foit pour le tiers ; mais Vaflin
fur ledit article , attefte que le Roi eft
dans l'ufage de rendre aux anciens pro-
priétaires les navires de fes fujets qui
ont été repris fur l'ennemi par fes vaif-
feaux , avec tout ce qui s'y trouve 9
quelque temps qu'ils aient été en la pof-
feffion de l'ennemi , fans en rien retenir
pour la recouffe.
98. On a fait une queftion en inter-
prétation de cet article 8 , dans l'efpece
P. I, Ch. 2 , S. 2 , Art. 2. §. 2. 99
fuivante : Un Armateur François , pen-
dant la guerre que nous avions avec
l'Angleterré , s'étoit emparé d'un vaiffeau
Anglois qu'il avoit eu en fa poffeffion
pendant trois jours , au bout duquel
temps le vaiffeau de cet Armateur Fran-
çois , & celui dont il s'étoit emparé
avoient été pris par l'ennemi , & repris
feize heures après fur l'ennnemi par un
autre Armateur François ; il n'y avoit
pas de conteſtation pour le vaiffeau Fran-
çois appartenant au premier Armateur ;
le fecond Armateur qui l'avoit repris fur'
l'ennemi au bout de feize heures , con-
fentoit de le lui rendre , en retenant feu-
lement le tiers pour la recouffe , confor-
mément à notre article 8 ; la conteftation
n'étoit que pour le vaiffeau Anglois. Le
premier Armateur François prétendoit
qu'il lui devoit être reftitué , auffi-bien
que le fien fes moyens étoient qu'il
avoit acquis le domaine de propriété de
ce vaiffeau , l'ayant eu en fa poffeffion
pendant trois jours depuis la prife qu'il en
avoit faite ; domaine qu'il étoit cenfé avoir
toujours confervé , quoique l'ennemi qui
l'eût repris , ne l'ayant eu que feize
heures en fa poffeffion jufqu'à la recouffe ;
qu'il devoit donc lui être reftitué , auffi-
bien que le fien.
Le fecond Armateur foutenoit au com
E ij
100 Traité du Droit de Propriété,
traire , que le vaiffeau Anglois dont il
s'eft emparé , doit lui appartenir , & non
au premier Armateur. Il eſt vrai que ce
vaiffeau a appartenu au premier Arma-
teur pendant qu'il a été en fa poffeffion ;
mais il ne lui appartenoit plus lorfque le
fecond Armateur l'a repris fur l'ennemi ;
de ce que le premier Armateur eft cenfé
avoir toujours confervé le domaine de
fon propre vaiffeau , parce qu'il n'a pas
été vingt- quatre heures en la poffeffion
de l'ennemi , il ne s'enfuit pas qu'il en
doive être de même du vaiffeau Anglois
qu'il avoit pris ; car il eft de la nature
du domaine que nous avons des chofes
que nous avons prifes fur l'ennemi , que
nous ne le confervions que tant que ces
chofes font en notre poffeffion , & que
nous le perdions auffi-tôt que nous en
fommes dépouillés , & qu'elles font retour-
nées à l'ennemi ; de même que nous ne
confervons le domaine des animaux fau-
vages , que tant que nous les avons en
notre poffeffion , & que nous le perdons
auffi-tôt qu'ils ont ceffé d'être en notre
poffeffiop , & qu'ils font retournés dans
l'état de liberté naturelle.-
Sur ces conteftations eft intervenu un
'Arrêt du Confeil du 5 Novembre 1748 ,
rapporté en entier par Vaflin , qui a ad-
jugé le vaiffeau Anglois au fecond Arma-
P. I, Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2. tor
teur ; l'Arrét ordonne qu'il fera loi à
l'avenir , & qu'il fera pour cet effet en-
regiftré dans tous les Sieges d'Amirauté.
99. De ce que l'ancien propriétaire d'un
navire François pris par l'ennemi , en la
poffeffion duquel il a été plus de vingt-
quatre heures , n'en recouvre pas le do-
maine , lorſqu'il a été recous fur l'ennemi
par un Armateur François ; on n'en doit
pas conclure qu'il en doive être de même
lorfque le navire , par quelque cas for-
tuit , & fans avoir été recous , eft reve-
nu de lui-même dans un port de France ;
l'article 9 décide au contraire , qu'en ce
cas , l'ancien propriétaire en recouvre le
domaine , quelque long temps qu'il ait été
en la poffeffion de l'ennemi. Si le na-
vire , dit cet article , fans être re-
» cous , eſt abandonné par les ennemis ;
» ou fi par tempête , où autre cas for-
» tuit il revient en la poffeffion de nos
" fujets , avant qu'il ait été conduit dans
» aucun port ennemi , il fera rendu au
အ propriétaire qui le réclamera dans l'an
» & jour , quoiqu'il ait été plus de vingt-
quatre heures entre les mains des en-
> nemis. <<
La raifon de différence eft , que dans
le cas de l'article 8 , lorfqu'un Armateur
François prend fur l'ennemi un vaiffeau
François , qui étoit en la poffeffion de
E iij
102 Traité du Droit de Propriéte ,
l'ennemi depuis plus de vingt - quatre
heures , il prend fur l'ennemi une choſe
qui appartient encore à l'ennemi , de la-
quelle il s'empare , il en doit par confé-
quent acquérir le domaine ; les loix de la
guerre nous donnent le domaine de toutes
le chofes appartenantes à l'ennemi , dont
nous nous emparons. Au contraire
dans le cas de l'article 9 , lorfque le vaif-
feau François qui avoit été pris par les
ennemis , fans avoir été recous , s'eft échap-
pé par quelque cas fortuit , quelque
long- temps qu'il ait été en la poffeffion
de l'ennemi , l'ennemi en a perdu le do-
maine auffi-tôt qu'il en a perdu la poffef-
fion , fuivant le principe établi au nom .
bre précédent ; ce vaiffeau en confé-
quence n'appartient pas à l'ennemi , ni à
perfonne , lorfqu'il eft rentré dans nos
ports ; rien n'empêche que l'ancien pro-
priétaire n'en recouvre le domaine , quo-
dam jure poft liminii.
Ces termes de l'article 9 : fi le navire....
revient .... avant qu'il ait été conduit dans
aucun port ennemi , donnent lieu à la quef-
tion , fi on devroit décider la même choſe
dans le cas auquel le vaiffeau feroit
rentré dans nos ports , après avoir été
conduit dans un port ennemi , d'où il au-
roit trouvé le moyen de s'échapper ? Pour
la négative, on dira que l'Ordonnance
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , S. 2. 103
par cet article , ayant exprimé le cas au-
d'a-
quel le vaiffeau eft revenu avant que
voir été conduit dans un port ennemi ; il
s'enfuit que ce n'eft que dans ce cas qu'elle
a accordé la reftitution du vaiffeau à
l'ancien propriétaire , & non dans celui
auquel il ne feroit revenu qu'après avoir
été conduit dans un port ennemi. On peut
dire au contraire , qu'il n'y a aucune
différence entre les deux cas ; dans l'un
& dans l'autre cas l'ennemi a perdu le
domaine du vaiffeau , lorfqu'il en a per-
du la poffeffion ; dans l'un & l'autre cas,
le vaiffeau , lorfqu'il eft rentré dans nos
ports , n'appartenoit plus à l'ennemi , ni
à perfonne ; il y a donc même raifon de
part & d'autre pour l'adjuger à l'ancien
propriétaire , jure quodam poft liminii ; c'eſt
pourquoi je fuis porté à croire que ces
termes , avant qu'il foit entré dans aucun
port ennemi , ne doivent pas s'entendre
reftrictive , mais enuntiative , parce que
c'eſt le cas ordinaire auquel un vaiſſeau
échappe à l'ennemi qui l'a pris , ne pou-
vant plus gueres lui échapper lorſqu'il a
été conduit dans fes ports.
100. Il nous refte à obſerver à l'égard
de la difpofition de l'article 8 , qui a ad-
jugé à l'Armateur le vaiffeau François
qu'il a recous fur l'ennemi qui l'avoit eu
plus de vingt-quatre heures en fa poffef-
E iv
104 Traité du Droit de propriété ,
fion ‫ و‬ne doit pas être étendue au cas
auquel il l'auroit recous fur un pirate ;
en ce cas , quelque long-temps que le
vaiffeau recous ait été en la poffeffion
du pirate , il doit être rendu au proprié-
taire. C'eft la difpofition de l'article 10.
Les navires & effets de nos fujets &
alliés repris fur les pirates , & réclamés
dans l'an & jour de la déclaration qui
» en aura été faite en l'Amirauté , feront
» rendus aux propriétaires, en payant le
2 tiers de la valeur du vaiffeau & des
» marchandiſes , pour frais de recouffe. «
La raifon de différence eſt évidente :
Je navire qui a été pris par l'ennemi ,
avec tous les effets qui y étoient , a été
acquis à l'ennemi jure belli ; mais le pi-
rate, qui n'a aucun droit de faire la guerre,
n'a pu acquérir le domaine du navire
dont il s'eft emparé , ni des effets qui y
font , quelque long que foit le temps qu'il
les ait eu en fa poffeffion ; les proprié-
taires du navire & des effets qui y font ,
n'en ont jamais perdu le domaine ; ils
en font toujours demeurés les proprié-
taires , & ils peuvent en cette qualité ,
les revendiquer.
Quoique l'article porte : les navires &
effets DE NOS SUJETS ET ALLIES , il
n'eſt pas douteux néanmoins que fa dif-
pofition doit s'étendre pareillement aux
P. I, Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2. 105
navires & effets des fujets des Puiffances
neutres ; car ces étrangers jouiffent par-
mi nous de tous les droits que donne la
loi naturelle , & par conféquent du droit
de revendiquer les chofes qui leur ap-
partiennent , quelque part où ils les trou-
vent.
Si le navire & les effets pris par un
Armateur François fur un pirate appar-
tenoient à nos ennemis , il n'eft pas dou-
teux qu'ils n'auroient pas le droit de les
revendiquer , & qu'ils feroient de bonne
priſe. Car les loix de la guerre donnent
le droit aux Armateurs " autorisés par
une commiffion , de s'emparer de tout ce
qui appartient à nos ennemis.
101. Les Loix d'Hollande accordent
à leurs Armateurs le domaine de toutes
les chofes qu'ils prennent fur les pirates ,
fans que les anciens propriétaires foient
reçus à les réclamer.
Vaflin agite la queftion de fçavoir ,
fi un Armateur Hollandois , ayant con-
duit dans un port de Françe un navire
François , pris par des pirates , fur lef-
quels il l'a repris , la recréance en doit
être accordée au propriétaire , conformé-
ment à cet article ? Cet Auteur décide la
queſtion pour la négative , conformément
aux Loix d'Hollande , & il cite un Arrêt
du Parlement de Bordeaux du 8 Mars
E v
106 Traite du droit de Propriété ,
1635 pour fon opinion ; cette opinion
me paroît infoutenable ; les Loix d'Hol-
lande n'ayant point d'empire fur les per-
fonnes des François , ni fur les biens qu'ils
ont en France ; elles n'ont pu dépouiller
le François du domaine qu'il a de fon
navire , pour le faire paffer à l'Arma-

teur qui l'a repris fur les pirates.


102. Non-feulement les vaiffeaux qui
appartiennent à l'ennemi , mais ceux qui
font chargés de marchandiſes apparte-
nantes à l'ennemi , font pareillement de
bonne priſe. C'eft la difpofition de l'ar-
ticle 7 , qui dit : Tous navires qui fe
» trouveront chargés d'effets appartenants
» à nos ennemis ...... feront de bonne
30
priſe. a
L'article dit , tous navires , ce qui
comprend tous les navires , quels que
foient ceux à qui ils appartiennent , foit
qu'ils appartiennent à des François , foir
qu'ils appartiennent à des fujets des Puif-
fances neutres ou alliées .... La diſpoſi-
tion de cet article eft très-jufte à l'égard
des navires qui appartiennent à des Fran
çois ; ce François , en chargeant fur fon
vaiffeau des marchandiſes des ennemis ,
contrevient ouvertement à la Loi , par
laquelle le Roi interdit à fes fujets tout
commerce avec l'ennemi " & il mérite
pour cette contravention la peine portée

1
P. 1 , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2. 107
par cet article , qui déclare de bonne
prife le navire chargé d'effets apparte-
nants à l'ennemi.
Mais lorsque le navire appartient au
fujet d'une Puiffance neutre , il femble-
roit qu'il ne devroit y avoir que les mar-
chandiſes de l'ennemi qui s'y font trou-
vées qui devroient être de bonne priſe ;
il eft bien dur que le navire où elles fe
font trouvées foit auffi de bonne priſe.
Quelque dur que cela foit ; il n'eft pas
douteux que fous la généralité de ces
termes de l'article 7 , tous navires , les na-
vires des Puiffances neutres font compris ,
& que par cet article , ils font de bonne
prife lorfqu'ils fe trouvent chargés d'effets
appartenants aux ennemis ; le Réglement
du 23 Juillet 1704 , le dit même en ter-
mes formels. Il y eft dit , art. 5 : » S'il
fe trouve fur les vaiffeaux neutres des
"
» effets appartenants aux ennemis de Sa
" Majefté, les vaiffeaux & tout le char-

" gement feront de bonne prife. CE


On apporte pour raifon de ce droit ,
que fi les vaiffeaux neutres , lorqu'ils font
chargés des effets de l'ennemi , ne font pas
chofes proprement appartenantes à l'en-
neni , elles font du moins chofes au fer-
vice de l'ennemi , & que c'eft une espece
de contravention à la neutralité , que d'ê-
tre à leur ſervice .
E vj
108 Traité du Droit de Propriété ,
Il a été enfin , dans les dernieres guerres,
dérogé à ce droit rigoureux à l'égard
des fujets des Puiffances neutres , & il a
été ordonné par l'article 5 du Réglement
du 21 Octobre 1744 , que lorfqu'on trou
veroit dans les navires des fujets des Puif-
fances neutres , des effets appartenants à
l'ennemi , il n'y auroit que ces effets qui
feroient de bonne prife , & que le navire
neutre feroit relâché,
Mais lorsque c'eft fur un navire Fran-
çois qu'on trouve des effets des ennemis ,
la difpofition de l'article 7 a lieu dans
toute fa rigueur , & le navire & tout le
refte du chargement font de bonne priſe,
par les raifons ci- deffus rapportées.
103. Y auroit-il lieu à cette peine ,
fi le propriétaire du navire dans lequel
fe font trouvés des effets appartenants à
l'ennemi , auffi- bien que la perfonne par
lui prépofée pour recevoir les marchan-
difes , avoient ignoré que ces marchandiſes
appartenoient à l'ennemi , ceux qui les ont
apportées les ayant fait paffer pour chofes
appartenantes aux fujets de quelque Puif-
fance neutre ; ou lorfqu'ils ont même
ignoré que ces effets fuffent dans le na-
vire , y ayant été introduites par des per-
fonnes qui n'étoient pas prépofées pour
cela ? Je pense que dans l'un & l'autre
cas le propriétaire du navire ayant bien
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2. 109
juftifié fa bonne foi , & l'ignorance dans
laquelle il a été , ne doit pas être fujet à
la peine , & qu'il ne doit y avoir en ce
cas que les effets de l'ennemi qui doi-
vent être jugés de bonne prife.
II y en a une décifion pour le fecond
cas en la Loi 11 , § . 2 , ff. de publican.
il y eft dit : Dominus navis ,fi illicite ali-
quid in nave vel ipfe vel vectores impofue-
rint , navis quoquefifco vindicatur ; quodfi
abfente Domino , id à Magiftro vel guber-
natore autproreta ( * ) nautave aliquo idfac
tum fit , ipfi quidem capite puniuntur com-
miffis mercibus , navis autem Domino refti-
tuitur.
Il y a même raifon de le fouftraire à
la peine dans le premier cas , lorfqu'il a
recu les effets de l'ennemi , qu'on a fait
paffer pour appartenir à d'autres ; c'eft
l'avis de Grotius , que je crois fondé en
équité , & être mal-à-propos contredit
par Vaflin.
104. Il ne faut pas confondre avec les
marchandiſes de l'ennemi , celles qui ap-
partiennent à un particulier , fujet d'une
Puiffance neutre , qui les porte à l'enne-
mi , pour trafiquer avec lui ; il n'a jamais

[ * ] Proreta qui nautis circa proram miniſtrati- ,


bus imperat , quiproram regit ut gubernator puppim
& alveum.
110 Traité du Droit de Propriété,
été permis d'apporter aucun trouble aux
fujets des Puiffances neutres , par rapport
auxdites Marchandiſes. Il faut néanmoins

excepter certaines efpeces de choſes qu'on


appelle effets de contrebande , qu'il n'eſt
pas permis aux fujets des Puiffances neu-
tres de porter à l'ennemi , & qui font de
bonne prife , quel que foit le vaiffeau ſur
lequel elles font chargées .
Ce font celles mentionnées en l'art. 11 ,
où il eſt dit : » Les armes , poudres "
» boulets , & autres munitions de guerre ,
» même les chevaux & équipages qui fe-
» ront tranſportés pour le fervice de nos
» ennemis , feront confifqués , en quelque
» vaiffeau qu'ils fe foient trouvés , & à
quelque perfonne qu'ils appartiennent ,
»foit de nos fujets , ou alliés. «
<
A l'égard des munitions de bouche que
des fujets des Puiffances neutres envoient
à nos ennemis , elles ne font point cen-
fées de contrebande , ni par conféquent
fujettes à confifcation ; fauf dans un feul
cas , qui eft lorfqu'elles font envoyées à
une place affiégée ou bloquée.
Obfervez une différence que l'Ordon-
nance met entre les marchandiſes de
contrebande & les effets appartenants
aux ennemis ; par cet article , il n'y a
que les marchandiſe de contrebande qui
font fujettes à confifcation ; le navire où
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , § . 2. II !
elles fe font trouvées n'y eft point ſujet ,
au-lieu que le navire où fe font trouvés
les effets appartenants aux ennemis , eft
par l'article 7 déclaré de bonne priſe ,
avec fon chargement.
105. Les vaiffeaux des pirates font de
bonne prife auffi-bien que ceux des en-
nemis. On appelle pirates , tous gens cou-
rant la mer fans commiffion , ( congé ou
paffeport ) d'aucun Prince ou Etat Souve
rain.
106. Suivant l'article 5 de l'Ordon-
nance ; » Tout vaiffeau combattant fous
» autre pavillon que celui de l'Etat dont
il a commiffion , ou ayant commiffion
» de deux différents Princes ou Etats ,
fera auffi de bonne prife ; s'il eft ar-
» mé en guerre , le Capitaine & les Offi-
CC
ciers feront punis comme pirates .
Suivant le premier cas de cet article ,
lorfqu'un vaiffeau neutre dans un combat
qu'il a eu contre un Armateur Fran-
çois , foit en attaquant , foit en défendant ,
a combattu fous un autre pavillon que
celui de l'Etat dont il a commiffion , il
eft pour cela feul jugé de bonne prife ,
fans qu'il foit befoin d'examiner fi le
Capitaine de ce vaiffeau a eu quelque
raifon d'attaquer, ou fi l'Armateur Fran-
çois a eu de juftes raifons pour l'atta-
quer.
112 Traite du Droit de Propriété ,
La raison pour laquelle cette efpece
de faux eft punie par le droit des gens ,
eft pour empêcher les pirateries. Le Capi-
taine d'un vaiffeau , en combattant fous un
autre pavillon que celui de l'Etat dont il
eft fujet , pourroit par ce moyen fe pro-
curer l'impunité des infultes faites aux
vaiffeaux amis de l'Etat dont il eſt ſujet ;
les parties léfées ne pouvant au moyen de
ce faux pavillon connoître l'Etat dont
il eft fujet , & en obtenir réparation .
107. Le Roi , par une Ordonnance
du 17 Mars 1696 , rapportée par Vaflin ,
en fin de cet article , a défendu aux Ar-
mateurs François cette efpece de fraude ,
même envers fes ennemis ; il eft expoſé
dans cette Ordonnnce , que des Arma-
teurs François étoient dans l'ufage , à la
vue d'un vaiffeau ennemi qui venoit vers
leur chemin , pour l'empêcher de s'en dé-
tourner , & l'engager au combat , fe fai-
foient paffer pour vaiffeaux neutres , en
arborant le pavillon d'une Puiffance neu-
tre , jufqu'à ce qu'ils fuffent à portée de
le combattre & de le prendre ; Sa Ma-
jefté , pour faire ceffer cette fraude con-
traire à la foi publique & au droit des
gens , ordonne que les Armateurs Fran-
çois , auffi-bien que les Commandants de
fes vaiffeaux , foient tenus d'arborer le
pavillon François , avant que de tirer le
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2. 113
premier coup de canon , qu'on appelle-
coup de femonce ou d'affurance ; & qu'en
cas de contravention , l'Armateur foit pri-
vé du produit de la prife qui fera con-
fifquée au profit de Sa Majefté , ( ſauf
la part qui en revient à l'équipage , lequel
n'ayant point de part à la fraude , ne
doit point avoir de part à la peine ; Or-
donnance du 8 Juin 1704. )
L'Ordonnance de 1696 ajoute , que fi

le vaiffeau pris par un Armateur Fran-


çois qui a arboré un pavillon étranger ,
eft jugé neutre , l'Armateur fera condam
né en tous les dépens , dommages & in-
térêts du propriétaire.
108. Le fecond cas de l'article 5 , eft le
cas auquel un vaiffeau a des commiffions
de différents Princes ou Etats ; l'Ordon-
nance veut que lorfque ce vaiſſeau eſt
pris , fans examiner le fujet pour lequel
il a été pris , il foit jugé de bonne priſe ,
pour cela feul qu'il a des commiffions
de différents Princes ou Etats , & cela
pour obvier aux faudes auxquelles don-
nent lieu ces différentes commiffions.
109. L'article 6 de l'Ordormance , rap-
porte un autre cas auquel un vaiſſeau eft
jugé de bonne prife. Il y eft dit : » ſeront
encore de bonnes prifes les vaiſſeaux
avec les chargements , dans lesquels il
114 Traité du Droit de Propriete,
» ne fera trouvé chartes parties , connoif
» fements ou factures. «
Chartes parties fe prend ici pour l'acte
qui contient le marché fait entre le Pro-
priétaire du navire & le Marchand par
lequel le Propriétaire du navire loue fon
navire à ce Marchand , pour y charger
fes marchandifes , & s'oblige envers ledit
Marchand de les faire conduire.
Connoiffement , c'eft la reconnoiffance
que la Capitaine prépofé à la conduite
du navire , donne au Marchand de fes
marchandiſes , dont le vaiffeau eft chargé,
& qu'il s'oblige de conduire à leur def-
tination. Il eft d'ufage d'en faire trois
exemplaires , un pour le Marchand qui
a chargé les marchandifes , un pour ce
lui à qui elles font envoyées , & un qui
refte au Capitaine. Ces deux derniers fe
doivent trouver fur le navire.
Tout le monde fçait ce que c'eft que

factures.
Lorſqu'on ne trouve aucun de ces pa-
piers , par lefquels on pourroit connoître
à qui appartiennent les marchandiſes , dont
le navire eft chargé , la préfomption eft
qu'elles appartiennent aux ennemis , &
que ces papiers n'ont été fupprimés que
pour en dérober la connoiffance ; elles
font en conféquence de bonne prife , auffi-
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2. 115
bien que le navire fur lequel elles font
chargées .
Il n'y a que les papiers trouvés fur le
navire qui faffent foi que les marchan-
difes appartiennent à celui qui les réclame ;
le connoiffement que repréfenteroit le
Marchand qui prétend les avoir chargées
fur le navire , ne fait pas foi , & eft pré-
fumé fait après coup , lorfqu'il ne s'en eft
trouvé aucune copie fur le navire . Vaf-
lin fur cet article cite pour cette déciſion
un Arrêt du 21 Janvier 1693 .
f 110. Obfervez que s'il éroit juſtifié
que ces papierrs fe font ttouvés fur le
vaiffeau qui a été pris , & que la fouf
traction en a été faite par le Capitaine
qui l'a pris , ou par quelques gens de
fon équipage ; l'Ordonnance veut que
ceux qui ont commis ce crime , foient pu-
nis de punition corporelle.
III. L'article 12 de l'Ordonnance
rapporte un dernier cas , dans lequel un
vaiffeau eft de bonne prife. Il y eft dit :
> Tout vaiffeau qui refufera d'amener
» fes voiles après la femonce qui lui en
» aura été faite par nos vaiffeaux " ου
鼻 ceux de nos fujets , armés en guerre ,
>
o pourra y être contraint par artillerie ,
» ou autrement ; & en cas de réſiſtance ,
» ou de combat , il fera de bonne
P prife. «
116 Traité du Droit de Propriete ,
Les Commandants , foit des vaiffeaux
de Roi , foit des vaiffeaux corfaires Fran
çois qui ont commiffion , ayant le droit
par les loix de la guerre de courir ſur
les vaiffeaux ennemis " & ne pouvant
connoître fi un vaiffeau qu'il rencontre
eft ami ou ennemi , que par l'exhibition
des papiers de ce vaiffeau ; c'eft une con-
féquence qu'il a droit de requérir le Com-
mandant de ce vaiffeau qu'il rencontre ,
de faire connoître par l'exhibition de fes
papiers , s'il eft ami ou ennemi ; & pour
cet effet , d'amener les voiles , c'est-à-dire ,
de s'approcher , & de l'y contraindre , en
cas de refus .
L'Ordonnance , par l'article 12 que nous
venons de rapporter , veut en outre , que
le vaiffeau qui aura refufé d'amener , en
cas de réfiftance ou de combat , foit pour
cela feul jugé de bonne prife. L'article
dit : tout vaiffeau cela comprend les
vaiffeaux , tant des fujets de Puiſſances
alliées ou neutres, que des François.
Larticle dit qui refufera d'amener fes
voiles ; c'est-à-dire , qui refuſera de s'ap .
procher du vaiffeau qui lui a fait la fe-
monce , & de fouffrir la vifite.
Après la femonce femonce fe prend
ici pour réquifition ; cette femonce fe fait ,
ou à la voix , à l'aide d'un porte-voix ,
ou par un coup de canon tiré à poudre.
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2. 117
112. Par l'article fuivant , il eſt pour-
vu à la fureté du vaiffeau qui aura fatis-
fait à la femonce , en amenant ſes voiles
& exhibant fes papiers , par la défenfe
qui eft faite au Capitaine du vaiſſeau
armé en guerre qui a fait la femonce , dy
prendre , ou fouffrir qu'il y foit pris aucune
chofe , à peine de la vie.
Cette peine de la vie , qui eft très-
rigoureufe , ne doit avoir lieu , que lorf-
que ce qui a été pris fur le vaiffeau qui
a amené fes voiles , eft quelque choſe de
confidérable , & lorfque le Capitaine à con-
nivé au pillage qu'ont fait les gens de
fon équipage. La peine doit être dimi
nuée , lorfque ce qui a été pris n'eft pas
confidérable , ou lorfque le Capitaine n'a
pas connivé à ce qui a été pris par les
gens de l'équipage , mais a feulement
manqué à avoir tout le foin qu'il eût
dû avoir pour les contenir.
Pareillement , s'il avoit pris fur ce
vaiffeau des vivres dont il avoit befoin ,
& dont il auroit payé la valeur , quoi-
que cela ne lui fût pas permis , fans le
confentement libre du Capitaine , & du
plus grand nombre de l'équipage , & qu'il
foit en ce cas repréhenfible ; il ne doit
pas pour cela être puni fuivant la ri-
gueur de l'Ordonnance,
118 Traité du Droit de Propriété,

S. III.

De ce qui doit être obfervé par les Capi-


taines des vaiffeaux armés en guerre ,
lorquils ont fait une prife ; & comment
fe diftribue le produit de la vente de la
prife.

113. Suivant l'article 16 de l'Ordon-


nance : » Auffi-tôt que les Capitaines des
» vaiffeaux armés en guerre fe feront
>> rendus maîtres de quelques navires
ils fe faifiront des congés , paffeports ,
» lettres de mer , chartes parties , con-
» noiffances , & de tous autres papiers
» concernant la charge & deftination du
» vaiffeau , enſemble des clefs , des cof-
» fres , armoires & chambres , & feront
» fermer les écoutilles , & autres lieux
» où il y aura des marchandiſes. « <
114. Le Réglement du 25 Novembre
1696 , art. 16 , ajoute qu'un Officier du
vaiffeau qui a fait la prife avec l'Ecrivain ,
ſe tranſporteront fur le vaiffeau pris , pour
y faire inventaire de tous lefdits papiers ,
en préſence des Officiers du vaiffeau pris ,
qui feront interpellés de le figner ; après
quoi tous les papiers feront mis dans un
fac cacheté , pour • être remis au même
état aux Officiers de l'Amirauté.
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 3. 119
115. Suivant l'article 17 , le Capitaine
qui a fait la prife , doit l'amener ou l'en-
voyer dans le port où s'eft fait l'armement ,
à peine d'amende , de perdre fon droit ;
c'eſt-à-dire , la part qu'il doit avoir dans
le produit de la prife.
Cela eft ainfi ordonné pour l'intérêt
de l'Armateur qui y demeure ; comme
c'eft à fon profit que la prife doit être
vendue , & qu'il en doit recevoir le prix ,
fauf la part qu'il en doit faire au Capi-
taine & à l'équipage , fuivant le traité
qu'il a avec eux ; il a intérêt de pren-
dre par lui - même connoiffance de la
prife > & elle doit pour cet effet être
amenée au port du lieu où eft fa de-
meure.
116. Lorfque le Capitaine n'a pu
amener la prife dans le lieu où s'eft fait
l'armement , ayant été contraint , foit par
une tempête , foit par un vaiffeau en-
nemi plus fort que lui , qui lui donnoit
la chaffe , de relâcher avec fa priſe dans
un autre port ; le Capitaine doit , fuivant
le même article , en donner inceffammen tavis
aux intéreffés à l'armement , c'eft-à-dire
à l'Armateur , tant pour lui , que pour fes
affociés.
Sur cet avis , c'eſt à l'Armateur à voir
s'il juge à propos de donner ordre au
Capitaine de partir du lieu où il a re-
720 Traite du Droit de Propriété,
lâché , & d'amener la priſe au lieu où
s'eft fait l'armement , ou de charger quel-
qu'un de pourſuivre la vente de la prife
au lieu où elle a relâché , pour éviter le
danger du trajet.
117. L'Ordonnance , au même article ,
veut que le Capitaine amene les prifon-
niers qu'il a fait fur le vaiffeau pris ; il
ne lui eft pas permis de les relâcher , pour
épargner les frais de leur nourriture ; il
eft de l'intérêt de l'Etat de les avoir ,
pour les échanger contre ceux que l'en-
nemi a fait , ou pourroit faire fur nous.
118. Il y a plufieurs cas où le Capi-
taine eft obligé de relâcher le vaiffeau
qu'il a pris. Par exemple , fi le vaiffeau
qu'il a pris étoit fi délabré qu'il ne pût
faire le voyage , le Capitaine ne peut faire
autre chofe que d'y prendre les meilleurs
effets , & le laiffer aller enfuite.
Un autre cas , c'eft lorfque le Capi-
taine , à la vue d'un vaiffeau ennemi plus
fort que lui , qui lui donnoit la chaſſe , a
été obligé de relâcher ce vaiffeau , qui
auroit retardé fa fuite.
Il peut y avoir encore d'autres cas ,

comme lorfque le Capitaine fe trouve


trop éloigné des ports de France , & que
la prife n'eft pas d'affez grande confé-
quence pour qu'il interrompe fa courſe,
119, Dans
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 3. 121
119. Dans tous ces cas , fi le Capitaine
eſt diſpenſé d'amener le vaiffeau qu'il a
pris , il eft au moins tenu , fuivant l'art. 19,
de fe faifir de tous les papiers du´vaif-
feau qu'il a pris , & d'amener les deux
principaux Officiers de ce vaiffeau , à peine
de privation de fon droit dans ce qu'il
a pris fur ce vaiffeau , & même s'il y
échet , de punition corporelle.
La raison pour laquelle il eft ordonné
au Capitaine de fe faifir des papiers du
vaiffeau qu'il a pris , c'eft afin qu'on
puiffe connoître par ces papiers qu'il re-
préfentera , fi la priſe a été légitime ou
non ; la raifon pour laquelle il doit ame-
ner les deux principaux Officiers , c'eft
afin qu'ils puiffent être entendus s'ils
ont quelque chofe à oppofer contre la
légitimité de la priſe.
120. L'article 21 prefcrit ce que doit
faire le Capitaine qui a fait la priſe , lorſ-
qu'il eft arrivé. Il y eft dit : » Auffi - tôt
» que la prife aura été amenée en quel-
» ques rades ou ports de notre Royaume ,
» le Capitaine qui l'aura faite , s'il y eft
» en perfonne , finon celui qu'il en aura
» chargé , fera tenu de faire fon rap-
» port aux Officiers de l'Amirauté , de
» leur repréſenter , & mettre entre les
» mains les papiers & prifonniers , &
» leur déclarer le jour & l'heure que le
Tome I. F
122 Traité du Droit de Propriété ,
» vaiffeau aura été pris ; en quel lieu
» ou à quelle hauteur ; fi le Capitaine a
» fait refus d'amener fes voiles , ou de
» faire voir fa commiffion , ou fon congé ;
» s'il a attaqué ou s'il s'eft défendu ;
» quel pavillon il portoit , & les autres
» circonftances de la priſe. «<
L'article dit , le Capitaine , cela com-
prend non-feulement les Capitaines des
vaiffeaux corfaires , mais même ceux des
vaiſſeaux du Roi , qui font obligés à tout
ce qui eft prefcrit par cet article , lorf-
qu'ils ont fait quelque prife.
Qu'il en aura charge' ; quelquefois le
Capitaine qui a fait la prife , pour ne
pas interrompre fa courfe , détache un
Officier , & quelques gens de fon équi-
page , pour conduire la priſe dans les
ports de France.
Les papiers ; il doit répréfenter géné
ralement tous les papiers trouvés fur le
navire qui a été pris , non-feulement
ceux qui fervent à faire connoître à qui
appartiennent , tant le navire qui a été
pris , que les effets qui y étoient , & leur
deftination ; mais auffi ceux qui appar-
tiennent aux particuliers qui étoient fur
le navire , lefquels doivent leur être ren-
dus après le jugement de la prife ; le Juge
dreffe un état fommaire de tous les pa-
piers qui lui ont été repréſentés , & en
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 3. 123
ordonne le depôt au Greffe , après les
avoir paraphés & numérotés.
Les prifonniers ; ce n'eft plus aux Offi-
ciers de l'Amirauté , c'eſt au Comman-
dant de la place , ou au Commiffaire de
Marine , que font livrés les prifonniers.
Les autres circonfiances dela prife ; putà
s'il y a eu du pillage ; fi on a jetté des
papiers à la mer ; s'il a amené tous les
prifonniers , ou ce qu'il a fait des autres ;
lorfque le port où il eft arrivé n'eft pas
celui où a été fait l'armement , il doit dé-
clarer les raifons qui l'ont empêché d'y
retourner.
Après ce rapport fait , les Officiers de
l'Amirauté fe tranfportent fur le vaiffeau
qui a été pris ; dreffent en préfence tant
du Capitaine , ou des principaux de l'é-
quipage du vaiffeau qui a été pris , que
du Capitaine , ou autre Officier du vaif-
feau qui a fait la prife , un procès-verbal
de la quantité & qualité des marchan-
difes qui y font, & de l'état des chambres
& armoires , & y met le fcellé ; il reçoit
les dépofitions des principaux de l'équi-
page du vaiffeau qui a été pris , & de
ceux du vaiffeau qui ont fait la prife ;
le tout eft renvoyé au Confeil des prifes ,
pour juger de la légitimité de la prife.
Voyez articles 22 , 23 & 24,
121 , Ce qui aura été jugé n'avoir pas
Fij
124 Traite du Droit de Propriete,
été de bonne prife , doit être rendu fans
délai aux propriétaires qui le réclame
ront, ou aux porteurs de leurs procura-
tions.
122. A l'égard de ce qui aura été jugé
de bonne prife , il eft d'ufage conftant &
univerfel , fuivant que l'attefte Vaflin fur
l'article 31 , de faire une vente judiciaire ,
tant du navire , que des marchandiſes &
effets qui y étoient.
Sur le prix qui en proviendra , on pré-
leve premierement les frais du décharge-
ment , & de la garde du vaiffeau & des
marchandiſes , art: 31 .

Après ces frais prélévés , on prenoit


autrefois le dixieme qui appartenoit à
l'Amiral , & ce dixieme fe prenoit avant
les frais de Juftice ; mais ce droit de
l'Amiral ayant été fufpendu dans les der
nieres guerres , a été enfin aboli à perpé-
tuité par Edit du mois de Septembre
1758.
On préleve enfuite les frais de Juftice.
Après tous ces prélevements faits , ce
qui refte du produit de la vente , fe par
tage entre les intéreffés à l'armement , fui-
vant les conventions qu'ils ont eu enſem-
ble lors de l'armement , art. 32.
123. Lorfque les parties n'ont eu à cet
égard aucune convention ; les deux tiers
appartiendront à ceux qui auront fourni le
P.1, Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 3. 125
Haiffeau avec les munitions & vituailles ,
& l'autre tiers aux Officiers , matelots &
foldats , art. 33.
L'Ordonnance dit , que l'autre tiers ap-
partient aux Officiers , matelots & foldats ,
ce qui comprend généralement toutes les
perfonnes de l'équipage , depuis le Capi-
taine , jufqu'au plus petit mouffe ; chacun
ya plus ou moins de part, felon fon grade ;
le Capitaine a feul douze parts ; d'autres
ont huit , fix , quatre , deux , ou une part;
Les mouffes ont, les uns une demie- part , les
autres un quart de part. Voyez le Ré-
glement du 25 Novembre 1693 .
: 124. I y a certains effets fur le vaif-
feau pris qui n'entrent point dans le partage
qui eft à faire entre les Armateurs &
Béquipage , & qui font abandonnés hors
part & en nature à l'équipage.
Le Capitaine a la dépouille & le
coffre du Capitaine du vaiffeau pris ; le
Lieutenant celle du Lieutenant ; le Pilote.
celle du Pilote ; le Charpentier celle du
Chapentier , & fes outils , & ainfi des autres.
Voyez Vaflin fur l'article 20.
125. Il y a une queſtion par rapport
à l'article 33 que nous venons de rappor
ter , qui eft de fçavoir , fi fa difpofition
doit avoir lieu , non-feulement lorfque
Ja prife eft faite par un corfaire qui n'eft
armé qu'en guerre , mais pareillement lorf
Fij
126 Traité du Droit de Propriété,,
qu'elle eft faite par un vaiffeau armé en
marchandifes & guerre , ou fi dans ce
dernier cas l'équipage ne doit avoir qu'un
dixieme , fuivant un Arrêt du Parlement
de Bordeaux ; parce que dans ce dernier
cas , l'équipage eft gagé l'Armateur
par
au-lieu que l'Armateur d'un vaiffeau qui
n'eft armé qu'en guerre ne donne point
de gages aux gens de fon équipage , mais
leur fait feulement des avances , dont il
fe rembourſe fur les parts qui reviennent
à chacun d'eux dans le produit des priſes.
On tiroit encore argument de ce que
dans les cas des prifes qui fe font par
les vaiffeaux de Roi , le Roi n'accordoit
aux Officiers & à l'équipage que le di-
xieme du produit de la prife. Cet argu-
ment ne peut plus avoir lieu , le Roi
accordant préfentement le tiers.
126. Lorſque la prife a été faite par
des vaiffeaux de Roi , le Roi ancienne-
ment n'accordoit qu'un dixieme ; mais
par fa Déclaration du 15 Juin 1757 , il
accorde à l'équipage du vaiffeau qui a
fait la prife , le tiers de ce qui reſte de
net du produit de la prife , après le pré-
levement des frais de déchargement , de
garde & de Juftice ; dans lequel tiers le
Commandant a un quart ; les Officiers
de l'Etat-Major un quart , pour être par-
tagé entre eux , fuivant leurs différents.
P. 1 , Ch . 2 , S. 2 , Art. 2 , S. 4. 127
grades ; & les deux autres quarts doivent
être partagés entre le refte des perſonnes
qui compofent l'équipage , tant Officiers ,
foldats , que matelots , de la maniere
expliquée en ladite Déclaration du Roi ,
art. 9.

S. IV.

Des Rançons.

127. La convention de rançon eft une


convention qui intervient entre le Com-
mandant du vaiffeau qui a attaqué , &
celui du vaiffeau qui a été attaqué , par
laquelle le Commandant du vaiffeau at-
taquant , confent de laiffer aller le vaif-
feau attaqué , & lui donne un fauf- con-
duit , moyennant une fomme convenue
que le Commandant du vaiſſeau attaqué ,
tant en fon nom qu'au nom des proprié-
taires , tant de fon vaiffeau que des mar-
chandiſes qui y font chargées , promet de
payer , & pour fureté duquel paiement il
donne un ôtage.
Cette convention fe fait par un acte
fait double ; le Commandant du vaiffeau
attaqué en a un qui lui fert de fauf-
conduit , & le Commandant du vaiffeau
attaquant a l'autre qu'on appelle billet
de rançon .
Fiv
128 Traité du Droit de Propriété ,
Cette convention eft légitime ; le droit
de la guerre donnant au Souverain , lorf-
que la guerre eft jufte , le droit de s'em-
parer des biens & des vaiffeaux de fes
ennemis ; c'eft une conféquence qu'il a
auffi le droit de les rançonner.
De même que le Roi autorife les cor-
faires qui ont commiffion de fon Amiral ,
& les met en fes droits , pour courir fur
les vaiffeaux ennemis , & pour s'emparer
deſdits vaiffeaux , & de ce qui s'y trouve ;
il les autorife pareillement , & les met
en fes droits , pour les rançonner , à la
charge d'obferver ce qui leur eft à cet
égard prefcrit par les Ordonnances &
Réglements.
128. Etant beaucoup plus avantageux
pour l'Etat & pour l'Armateur de pren-
dre les vaiffeaux ennemis , plutôt que d'en
tirer feulement une rançon , les Capitaines
ne doivent admettre à rançon les vaif-
feaux ennemis qu'ils attaquent , que lorf-
qu'ils jugent ne pouvoir faire mieux ;
putà lorfqu'ils fe trouvent dans une pofi-
tion & dans des circonftances dans lef-
quelles ils ont un jufte fujet de craindre
qu'ils ne pourroient conferver la prife
qu'ils auroient faite , ou lorfque la prife
n'eſt pas affez de conféquence pour la
conduire dans les ports de France , dont
ils fe trouvent éloignés ; ce qui ne pourroit
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , § . 4. 129
fe faire qu'en interrompant la courſe , à
la continuation de laquelle ils trouvent
plus d'avantage dans ces cas , ou pour
quelqu'autre jufte caufe. Le Capitaine peut
après en avoir conféré avec les principaux
Officiers , & de l'aveu du plus grand
nombre de fon équipage , admettre à la
rançon le vaiffeau ennemi.
Dans la crainte que les Capitaines des
vaiffeaux corfaires ne fe portaffent trop
facilement par lâcheté , & pour éviter le
combat , à admettre à rançon ; il étoit
porté par l'article 14 de la Déclaration
du 15 Mai 1756 , qu'ils n'y feroient au-
torifés , qu'après avoir envoyé dans les
ports de France trois prifes effectives de-
puis leur derniere fortie ; mais Vaflin
nous attefte que cette difpofition n'a point
eu d'exécution , & n'a point été fuivie dans
J'ufage.
C'eft en conféquence de ce principe ,
que les Capitaines ne doivent admettre à
rançon les vaiffeaux ennemis , que lorsqu'ils
ne peuvent faire mieux ; qu'il leur eft
défendu d'admettre à rançon aucun vaif-
feau ennemi , auffi -tôt que ce vaiffeau
ennemi eſt entré dans les rades & ports
du Royaume.
129. Par l'Ordonnance du 1 Octobre
1692 , il eft défendu à nos corfaires
Forfqu'ils rançonnent des vaiffeaux pêcheurs
F V

130 Traité du Droit de Propriété ,
ennemis , de leur permettre de continuer
leur pêche ; ils peuvent feulement leur
accorder un fauf- conduit de huit jours
au plus , pour s'en retourner chez eux.
Par le Réglement du 27 Janvier 1716 ,
art. 4 , il peut être de quinzaine .
- L'Ordonnance de 1692 ne fixoit aucun
temps pour le fauf-conduit des autres vaif.
feaux rançonnés ; elle fe contentoit de dire
qu'il ne devoit être donné que pour le
temps abfolument néceffaire pour parvenir
aux lieux de leur destination.
Le Réglement de 1706 veut qu'il ne
puiffe être pour un plus long-temps que
de fix femaines.
130. Le même Réglement porte que ce
fauf- conduit ne pourra être accordé au
vaiffeau rançonné , que pour retourner
dans le port d'où il eft parti , fauf dans
le cas auquel le vaiffeau rançonné le trou-
veroit plus près du lieu de fa deſtination
que de celui de fon départ ; auquel cas ,
ledit Réglement , art. 5 , permet de le lui
donner , pour fe rendre au lieu de fa
deſtination ; il y a quelqu'autres cas men-
tionnés audit article , dans lefquels on peut
donner au vaiffeau rançonné un fauf- con-
duit pour continuer fon voyage.
131. Suivant le même Réglement , le
traité de rançon doit faire une mention
expreffe du port où le vaiffeau rançonné
P.I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , S. 4. 131
doit fe rendre , & du temps dans lequel
il doit y arriver.
132. Le Capitaine qui rançonnoit un
vaifleau ennemi , étoit tenu par l'art. 19
de l'Ordonnance , de fe faifir des papiers
du vaiffeau rançonné. Le Réglement de
1706 , art. 6 , a dérogé expreffément à
cette difpofition ; il ordonne feulement 5
que le Capitaine emmene pour ôtages un
ou deux des principaux Officiers du vaif-
ſeau rançonné ; dans l'uſage , on en em-
mene qu'un.
133. Enfin , le Capitaine qui a rançon-
né des vaiffeaux ennemis , doit auffi - tôt
qu'il eft de retour dans les ports de
France , en faire fon rapport aux Offi-
ciers de l'Amirauté , & repréfenter les
ôtages , lefquels font retenus prifonniers,
jufqu'au paiement des rançons.
Lorfque le Capitaine a pris quelques
effets ou marchandifes du vaiffeau ran-
çonné , qu'il s'est fait donner outre la
rançon qu'il a ftipulée , il en doit faire
mention dans fon rapport , à peine de
reftitution du quadruple de ce qu'il en
auroit fupprimé , & de déchéance de fa
part dans lefdits effets .... Voyez Vaflin
fur l'article 19.
134. Il nous refte à parler des obliga-
tions qui naiffent de la convention de
rançon,
F vj
132 Traité du Droit de Propriété,
Le Capitaine du vaiffeau attaquant ,
s'oblige en conféquence de la rançon
convenue , à laiffer le vaiffeau rançonné
aller ou retourner librement au lieu porté
par le traité de rançon , pourvu qu'il s'y
rende dans le temps porté par ledit traité ;
& il lui donne pour cet effet un fauf- con-
duit qui doit pendant ledit temps le met-
tre à l'abri d'infulte de la part des Com-
mandants de tous les vaiffeaux François
& même de ceux des Etats alliés qu'il
rencontreroit dans fa route pendant le-
dit temps , en leur repréfentant ledit fauf-
conduit.
C'eft ce qui résulte de ces termes qui
font dans les modeles de traités de ran-
çon , qu'on délivre dans les Amirautés
aux Capitaines priant tous amis & al-
lies de laiffer paſſer furement & librement
ledit vaiffeau le · · , pour aller au-
de .. · •
dit port de fans fouffrir qu'il lui
foit fait pendant ledit temps & fur ladite
route , aucun trouble ni empêchement.
Comment , dira-t-on , le Capitaine qui
a fait cette convention de rançon , peut-
il par le fauf- conduit qu'il donne au
maître du vaiffeau rançonné , obliger les
Commandants des autres vaiffeaux qui le
rencontreront , à le laiffer paffer libre-
ment ; car c'eft un principe qu'on ne
peut obliger par une convention des tiers
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 4. 133
qui n'y ont pas été parties ? La réponſe
eft , que ce n'eft pas cette convention
feule & perfe , qui oblige les Comman-
dants des autres vaiffeaux à déférer au
fauf-conduit qui a été donné par cette
convention au vaiffeau rançonné ; mais
c'eft l'autorité du Roi dont cette conven-
tion & le fauf- conduit donnés en exécu-
tion , font cenfés étre en quelque façon
revêtus. En effet , le Roi autorife les Ca-
pitaines des vaiffeaux corfaires qui ont
commiffion non-feulement à s'emparer
des vaiffeaux ennemis qu'ils rencontrent ,
mais pareillement à les rançonner , lorf-
qu'ils le jugent plus avantageux ; comme
c'eft de la part du Roi & au nom du
Roi qu'ils s'emparent des vaiffeaux enne-
mis , c'eft auffi de la part du Roi , & en
quelque façon au nom du Roi qu'ils les
rançonnent ; cette convention de rançon
& le fauf-conduit qu'ils donnent au maître
du vaiffeau rançonné , qui fait partie de
cette convention , doivent donc être cen-
fés être en quelque façon revêtus de
l'autorité du Roi , à laquelle doivent dé-
férer les Commandants de tous les vaif-
feaux François , tant de Roi que cor-
faires.
C'eſt pour cette raifon que le Régle-
ment du 27 Janvier 1706 , art. 7 , porte :
Fait Sa Majefté très-expreffes défenſes
334 Traite du Droit de Propriété ,
» à tous Capitaines & Armateurs , d'arrê-
» ter des vaiffeaux munis de billets de ran-
» çon .... à peine de tous dépens , dom-
» mages & intérêts. «
C'eft auffi une fuite des traités d'al-
liance que les Commandants des vaiſſeaux
des Etats alliés déferent à ces fauf-con-
duits.
135. Le fauf-conduit n'a d'effet que
lorfque le vaiffeau eft rencontré dans fa
route , & dans le temps prefcrit , c'eft
pourquoi l'article 8 porte : » Permet néan-
» moins Sa Majeſté aux Armateurs , d'ar-
» rêter une feconde fois le vaiffeau ran-
» çonné , s'ils le rencontrent hors de la
» route qu'on lui aura permis de faire
» ou au-delà du temps qui lui aura été
» prefcrit , & de l'amener dans les ports
» du Royaume , où il fera déclaré de
>> bonne prife. <<
Néanmoins , s'il étoit juftifié que c'eft
par une tempête que le vaiffeau ran-
çonné a été rejetté hors de la route , &
qu'il fût en voie de la reprendre , il pa-
roît équitable de déférer en ce cas au
fauf- conduit.
136. D'un autre côté le maître du
navire rançonné s'oblige par la conven-
tion de rançon , à payer la fomme con-

venue pour la rançon ; il s'y oblige non-


feulement en fon nom , il y oblige auffi
P. 1 , Ch. 2 , S. 2, Art. 2 , S. 4. 135
actione exercitoriâ tant le propriétaire du
navire rançonné , que les propriétaires des
marchandiſes qui y font , chacun pour
l'intérêt qu'ils y ont. C'eft ce qui résulte
de ces termes dans les modeles de traité
de rançon que l'Amirauté délivre : » Moi
( maître du navire , ) tant en mon nom ,
‫ ככ‬que celui defdits .... propriétaires dudit
» vaiffeau & des marchandifes , me fuis vo-
» lontairement foumis au paiement , &c. «
La raiſon eft , que le propriétaire du
navire , en le prépofant à la conduite de
fon navire , & les Marchands , en le prépo-
fant à la conduite de leurs marchandiſes ,
font cenfés chacun lui avoir donné pou-
voir de faire toutes les conventions qu'il
jugeroit néceffaires pour la confervation
des chofes à la conduite defquelles ils
l'ont prépofé, & avoir confenti & accédé
à toutes les obligations qu'il feroit obli-
gé de contracter pour cet effet.
137. Les débiteurs de la rançon , pour
s'acquitter de cette obligation , doivent
non-ſeulement payer la fomme convenue
pour la rançon , ils doivent encore rem-
bourfer tous les frais de nourriture qui
ont été fournis à l'ôtage qui a été donné
pour fureté du paiement de la rançon .
138. Si le vaiffeau rançonné périffoit
par la tempête avant fon arrivée , la ran-
çon ne cefferoit pas d'être due ; car le

1
136 Traité du Droit de Propriété ,
Capitaine qui l'a rançonné , a bien ga
ranti le maître du navire rançonné , de
tous troubles de la part des Commandants
des vaiffeaux François & alliés qu'il pour-
roit rencontrer , mais il ne l'a pas ga-
ranti de la tempête , ni des autres cas
fortuits.
Néanmoins , s'il y avoit une clauſe ex-
preffe par le traité de rançon , que la ran-
çon ne feroit pas due , fi le vaiſſeau pé-
riffoit en chemin par la tempête , avant
fon arrivée , il faudroit ſuivre la conven-
tion.
Lorfque cette claufe eft portée par le
traité , elle doit être reftrainte au cas au-
quel le vaiffeau rançonné auroit été ſub-
mergé par la tempête , & elle ne doit pas
être étendue au cas d'échouement ; fi l'é-
chouement du vaiffeau , dans le cas de
cette clauſe , le déchargeoit de la rançon ,
il arriveroit fouvent que des maîtres de
navire rançonnés , pour fe décharger de
la rançon , le feroient échouer exprès ,
en fauvant leurs meilleurs effets.
139. Lorfque le vaiffeau rançonné à
été pris par un autre corfaire François
hors de fa route , ou après l'expiration
du temps porté par le billet de rançon ,
& en conféquence déclaré de bonne priſe ;
les débiteurs de la rançon en font-ils en
ce cas déchargés ? Pour la négative , on
P. I , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , § . 4. 137
dira , fi les propriétaires du vaiffeau ran-
çonné & des marchandiſes , ne font pas
déchargés de la rançon , par la perte qu'ils
ont faite du vaiffeau & des marchandiſes ,
par la tempête , qui eft un cas fortuit ,
comme nous venons de le décider ci-
deffus ; ils doivent encore moins en être
déchargés , lorfque la perte du vaiffeau
& des marchandiſes eft arrivée par la faute
de leur prépofé , qui en contrevenant au
traité de rançon , s'eft mis volontairement
dans le cas d'être pris par un autre cor-
faire François ; nonobftant ces raifons
Vaflin fur l'article 19 de l'Ordonnance ,
attefte que l'ufage eft conftant que lorf-
qu'un vaiffeau , après avoir été rançonné ,
eft , faute de s'être conformé au traité
de rançon , pris par un ſecond Armateur ,
les débiteurs de la rançon font quittes
de la rançon , laquelle fe confond dans
le prix , & eft prélevée fur le produit de
la prife , au profit du premier Armateur
qui a rançonné le vaiffeau ; le furplus de
ce produit appartient au fecond Arma-
teur qui a fait la priſe.
La raifon de cette décifion eft , que
c'eſt au nom du Roi que le premier Ar-
mateur a rançonné le vaiffeau ; c'eft au
nom du Roi que le fecond Armateur l'a
pris ; c'eft du Roi que le premier Ar-
mateur eft cenfé tenir la rançon ; c'est du
138 Traité du Droit de Propriété ,
Roi que le fecond Armateur tient le
profit de la prife , le Roi ayant mis ces
Armateurs en fes droits ; or l'équité ne
permet pas que le Roi , qu'une même
perfonne ait tout-à-la- fois & le vaiffeau
& la rançon du vaiffeau ; on doit donc
déduire la rançon fur le prix du vaiffeau.
140. Lorfque le Capitaine d'un vaif-
feau François , après avoir rançonné un
vaiffeau ennemi , eft lui-même pris par
l'ennemi , avec le billet de rançon dont
il eft porteur ; ce billet de rançon devient ,
ainfi que le refte de la prife , la conquête
de l'ennemi ; & les perfonnes de la nation
ennemie qui étoient débitrices de la ran-
çon , fe trouvent par ce moyen libérées
de leurs obligations.
Cette dette qui a été une fois éteinte ,
ne peut · plus revivre , quand même le
vaiffeau qui a rançonné l'ennemi , & qui
a été depuis pris par l'ennemi , feroit de-
puis repris fur l'ennemi.
141. Outre les obligations refpectives
que la convention de rançon produit entre
les parties contractantes dont nous venons
de parler ; elle donne lieu indirectement
à quelqu'autres actions. Telle eſt cellee.que
.
• le maître du navire rançonné , qui s'eſt
obligé en fon propre nom au paiement de
la rançon , a contre les propriétaires , tant
du navire , que des marchandiſes dont il
P. I, Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 4. 139.
eft chargé , pour qu'ils foient tenus cha-
cun pour l'intérêt qu'ils ont de l'acquitter
de cette obligation.
Cette action ne naît pas de la conven-
tion de rançon , elle n'en eft que l'occa-
fion ; elle naît des contrats qui font in-
tervenus , tant entre le maître du navire
& le propriétaire du navire , lorfque ce-
lui - ci l'a prépofé à la conduite de fon
navire , qu'entre le maître & les proprié
taires des marchandiſes , lorfque ceux - ci
l'ont prépofé à la conduite de leurs mar-
chandiſes . Par ces contrats , les proprié-
taires , foit du navire , foit des marchan-
difes , fe font obligés envers lui de l'in-
demnifer des obligations qu'il feroit obli-
gé de contracter pour la confervation
foit du navire, ſoit des marchandiſes.
142. La perfonne qui , à la réquifition
du maître du navire rançonné , s'eft vo-
lontairement & gratuitement rendue ôtage
pour le paiement de la rançon , a pa-
reillement l'action mandati contraria contre
le maître du navire rançonné , pour qu'il
foit tenu de la dégager au plutôt , & de
la faire mettre en liberté , en acquittant
les fommes pour lefquelles elle s'eft ren-
due ôtage ; & en outre , pour qu'il foit
tenu de tout ce qu'il lui en a coûté &
coûtera pour être ôtage , quantumfibi ab
eft ex caufa mandati.
140 Traité du Droit de Propriété,
Cette action naît du contrat de man
dat , intervenu entre le maître du navire
& cette perfonne ; lequel réfulte de ce
qu'à la réquifition du maître du navire ,
cette perfonne a confenti de fe rendre ôtage.
143. L'ôtage a auffi aux mêmes fins
Faction exercitoria contre les proprié-
taires , foit du navire , foit des marchan-
difes , lefquels en prépofant le maître du
navire à la conduite du navire & des
marchandifes , font cenfés avoir confenti
& accédé à toutes les conventions & con-
trats qu'il feroit pour la confervation du
navire & des marchandifes , & par con-
féquent au contrat de mandat intervenu
entre le maître du navire & l'étage .
L'ôtage , pour l'action qu'il a contre
les propriétaires du navire rançonné &
des marchandifes , a un privilege fur le-
dit navire & lefdites marchandiſes.
144. Lorfqu'un ôtage François eft dé-
tenu chez l'ennemi pour la rançon d'un
vaiffeau François , rançonné par l'enne-
mi ; auffi-tôt que le vaiffeau rançonné
eft de retour dans quelqu'un de nos ports ,
les Officiers de l'Amirauté , pour l'intérêt
de l'ôtage , faififfent le vaiffeau & les
marchandifes , jufqu'à ce que les proprié-
taires aient ou délivré l'ôtage & l'aient
remboursé , ou qu'ils aient donné bonne
& fuffifante caution de le faire.
P.I , Ch. 2, S. 2., Art. 3- 141

ARTICLE I I I.

Des Prifonniers de guerre.

145. Par le Droit Romain & celui des


anciens Peuples , lorfque des Etats Sou-
verains qui ont droit de faire la guerre,
étoient en guerre , ceux qui étoient faits
prifonniers , étoient réduits en efclavage ,
& devenoient jure belli & jure gentium , les
efclaves de l'ennemi.
C'eſt à ce droit qu'on doit attribuer
l'origine de l'esclavage : Servi ex eo ap-
pellati funt quod Imperatores captivos ven-
dere folent , ac per hoc fervare nec occidere
folent , qui etiam mancipia dicta funt , eo quod
ab hoftibus manu capiebantur. Inftit. dejur.
perfon.
146. Suivant le Droit Romain , celui
qui avoit été pris par l'ennemi , & ré-
duit dans l'état d'efclavage , perdoit avec
la liberté , tous les droits de citoyen Ro-
main , qui ne peuvent appartenir qu'à des
perfonnes libres.
Mais s'il trouvoit le moyen de s'échap-
per des mains de l'ennemi , auffi -tôt qu'il
étoit de retour , & qu'il avoit mis les
pieds fur les terres de l'Empire Romain ,
il recouvroit les droits de Citoyen ; de
*
maniere qu'il étoit réputé ne les avoir
142 Traité du Droit de Propriété ,
jamais perdus , & n'avoir jamais été cap-
tif chez les ennemis ; c'eft ce qu'on appelle
jus poft liminii.
Lorfque celui qui avoit été pris n'étoit
pas revenu , & avoit été toute fa vie en
la puiffance de l'ennnemi , il étoit cenfé
mort dès le dernier inftant qui avoit pré-
cédé fa captivité , & être mort ayant en-
core les droits de Citoyen Romain. Voyez
fur toutes ces chofes le titre de captiv. &
poftlim. rev.
147. Ce droit des gens , qui réduifoit à
l'état d'esclavage ceux qui étoient pris
par l'ennemi , n'avoit lieu qu'à l'égard de
ceux qui étoient pris dans une guerre fo-
lemnellement déclarée par des ennemis
proprement dits , qui avoient le droit de
faire la guerre , qu'on appella Hoftes , &
anciennement Perduelles. A l'égard de
ceux qui étoient pris par des brigands ,
quoique ces brigands les affujettiffent dans
le fait à des minifteres d'efclaves , ils n'é-
toient pas dans le droit efclaves , & con-
ſervoient tous les droits de Citoyen. C'eſt
ce qu'enfeigne Ulpien : Hoftes funt quibùs
bellum publice populus Romanus decrevit ; vel
ipfi populo Romano , cæteri Latrunculi vel
Prædones appellantur ; & ideò qui à latro-
nibus captus eft , fervus latronum non fit ,
nec poftliminium ei neceffarium eſt ab
hoftibus autem captus , ut puta à Germanis
P.I, Ch. 2 , S. 2 , Art. 3 , S. 4. 143
& Parthis , & fervus hoftium eft, & poft-
liminio ftatum priftinum recuperat. L. 24.
de capt. & poftlim, rev.
148. Depuis très-long-temps dans tous
les Etats des Princes Chrétiens , les pri-
fonniers de guerre ne font pas faits ef-
claves ; ils confervent leur état de liberté ;
ils confervent dans leur pays d'où ils font
abſents , tous les droits de Citoyen ; le
droit de la guerre , tel qu'il a lieu au-
jourd'hui entre les Princes Chrétiens , nę
donne au vainqueur d'autre droit fur les
perfonnes des prifonniers de guerre , que
celui de les détenir , pour les empêcher
de nous faire la guerre ; fouvent même
le vainqueur n'ufe pas de tout fon droit
à l'égard des Officiers de quelque diſtinc-
tion , & il les renvoie fur leur parole
d'honneur , de ne point fervir pendant
tout le temps que la guerre durera.
149. Quoique ceux qui font pris par
les Maures foient pendant leur captivité
dans le fait vendus à des maîtres , & affu-
jettis à des minifteres d'efclaves , ils ne
font point cenfés dans le droit eſclaves
& ils confervent pendant leur captivité ,
tous leurs droits de Citoyens ; ils font
capables de fucceffions & de legs , qu'ils
peuvent recueillir par quelqu'un à qui
ils envoient procuration , du lieu de leur
captivité.
144 Traite du Droit de Propriété

SECTION III.

De l'Acceffion.

150. L'acceffion eſt une maniere d'ac-


quérir le domaine qui eft du droit natu-
rel , par laquelle le domaine de tout ce
qui eft un acceffoire & une dépendance
d'une chofe , eft acquis de plein droit à
celui à qui la chofe appartient , vi ac
poteftate reifuæ.
Une chofe eft l'acceffoire de la nôtre ,
ou parce qu'elle en a été produite , ou
parce qu'elle y a été unie , & cette union
fe forme , ou naturellement & fans le fait
de l'homme , ou par le fait de l'homme.
Nous traiterons dans un premier Ar-
ticle , de l'acceffion qui réfulte de ce que
des chofes ont été produites de la nôtre.
Dans un fecond , de celle qui réfulte de
ce que des chofes s'uniffent à la nôtre
naturellement , & fans le fait de l'homme.
Dans un troifieme , de celle qui réſulte
de ce que des chofes s'uniffent à la nôtre
par le fait de l'homme. Nous traiterons
dans un quatrieme article , de deux autres
efpeces d'acceffion , qui font la fpécifica-
tion & la confufion.

ARTICLE
Part. I, Chap. 2 , S. 3 , Art. 1. 145

ARTICLE PREMIER.

De l'acceffion qui refulte de ce que des chofes


font produites de la nôtre.

151. Tout ce que ma chofe produit


en eft regardé comme une espece d'ac-
crue & d'acceffoire ; & en conféquence
le domaine m'en eft acquis par droit
d'acceffion , vi ac poteftate rei meæ.
C'eſt par ce droit d'acceffion que le
domaine de tous les fruits qui naiffent
d'une chole , fuit le domaine de la choſe ,
& eft acquis de plein droit au Seigneur
propriétaire de la chofe , vi ac poteftate
reifuæ.
Tant que les fruits font encore pen-
dants fur ma terre qui les a produits ,
ils ne font qu'un feul & même tout , &
une feule & même chofe avec ma terre
qui les a produits : Fructus pendentes pars
fundi videntur. L. 44 , ff. de rei vind. Le
domaine que j'ai de ma terre , renferme
donc alors celui de ces fruits ; lorfque
ces fruits viennent à être féparés de ma
terre , ils deviennent des êtres diftingués
de ma terre , dont j'acquiers le domaine ,
en conféquence de celui que j'ai de ma
terre qui les a produits , & dont ils font
les productions & les acceffoires.
Tome I. G
146 Traité du Droit de Propriété ,
Le domaine que j'acquiers de ces fruits
eſt un domaine diftingué de celui que j'ai
de ma terre , quoique ce foit le domaine
que j'ai de ma terre qui ait produit celui
que j'ai de ces fruits : je l'acquiers dans
le même inftant que ces fruits font fé-
parés de la terre où ils étoient pendants ,
& qu'ils commencent à avoir un être dif
tingué de la terre dont ils faifoient partie,
J'acquiers de cette maniere tous les
fruits que ma terre a produits , foit natu
rels, foit induftriels ; j'acquiers ceux-ci ,
quand même ce feroit un autre que moi,
qui auroit enfemencé & cultivé ma terre.
qui les a produits ; car ce n'eft pas la
culture qu'on a faite de cette terre
c'eft le domaine qu'on a de cette terre
qui fait acquérir le domaine des fruits
qu'elle produit : Omnis fructus non jure
feminis fedjure foli percipitur. L. 25 , ff. de
ufur. Le propriétaire de la terre eft feu-
lement obligé en ce cas à rembourfer le
prix des femences & des façons à celui
qui les a faites.
152. Les petits qui naiffent des ani-
maux qui nous appartiennent , font des
fruits de ces animaux , dont par confé-
quent le propriétaire de l'animal qui les
a mis bas , acquiert le domaine par droit
d'acceffion , vi ac poteftate rei fuae.
Obfervez que quoique le mâle qui a
Part. I, Ch. 2 , S. 3 , Art. 1 . 147
empreigné la femelle qui a mis bas les
petits , ait eu part à la production de ces
petits ; néanmoins , la part qu'il y a eu
n'eft aucunement confidérée ; les petits
que la femelle a mis bas ne font cenfés
être des fruits que de la femelle , & en
conféquence , le domaine de ces petits eft
acquis entiérement au maître à qui la
femelle appartient , fans que celui à qui
appartient le mâle qui l'a empreignée ,puiffe
y prétendre aucune part. Pomponius fcri-
bit ; fi equam meam equus tuus prægnan-
tem fecerit, non effe tuum,fed meum quod
natum eft. L. 5 , S. I , ff. de rei vindic.
La raifon eft , que la part qu'a le mâle
qui a empreigné la femelle à la produc-.
tion des petits , eft très-peu de chofe , en
comparaison de celle qu'a la femelle qui
porte dans fon fein les petits , depuis l'inf-
tant de leur conception , lefquels font en
conféquence comme une portion des en-
trailles de la mere , portio vifceris ma-
tris. ::

Dans nos Colonies de l'Amérique , c'eft !


auffi au propriétaire de la Négreffe , à qui
appartiennent les enfants qui en naiffent ,
quand même le pere des enfants appar-
tiendroit à un autre maître , & même quand
il feroit de condition libre ; car c'eft un
principe que , hors le cas d'un mariage
légitime , dont les efclaves ne font pas
Gij
148 Traité du Droit de Propriété,
capables , les enfants fuivent la condition
de la mere. L. 24 , ff. de ftat. hom.
153. Le principe que nous avons établi
jufqu'à préfent , que le propriétaire d'une
chofe acquiertpar droit d'acceffion vi acpo-
teftate rei fuæ ; le domaine des fruits qui
en naiffent , paroît fouffrir quelques ex-
ceptions , qui néanmoins ne font pas de
véritables exceptions .
La premiere eft , lorfque le propriétaire
de la chofe n'en a que la nue propriété ,
& que l'ufufruit appartient à un autre ;
car en ce cas , ce n'eft pas au propriétaire ,
c'eft à l'ufufruitier que les fruits qui naif-
fent de la chofe font acquis.
Il eft vrai que fuivant la fubtilité du
Droit Romain , l'ufufruitier n'acquéroit
les fruits de l'héritage dont il avoit l'ufu-
fruit , que lorfque c'étoit * lui , ou quel-
qu'un pour lui & en fon nom , qui les per-
cevoit ; mais nous avons vu que par notre
Droit François , tous les fruits indiftinc-
tement qui naifoient pendant la durée
de l'ufufruit , appartenoient à l'ufufruitier.
Voyez notre Traité du Douaire.
Le droit qu'a le propriétaire , d'ac-
quérir tous les fruits qui naiffent de fa
chofe par droit d'acceflion , vi ac poteflate
reifuae , lequel eft renfermé dans le droit
de domaine & en fait partie , eft , lors de
la conftitution de l'ufufruit , détaché du
Part. I, Chap. 2 , S. 3 , Art. 1. 149
droit de domaine , & transféré à l'ufu-
fruitier , lequel acquiert les fruits en ver-
tu de cette partie du droit de domaine
de l'héritage qui lui a été transféré ; c'eſt
en ce fens qu'il eft dit que , ufusfructus
pars dominii eft.
C'eft pourquoi , même dans le cas de
cette exception apparente , les fruits font
acquis à l'ufufruitier par droit d'acceffion ,
vi ac poteftate rei " comme étant domini
loco , par rapport à l'acquifition de ces
fruits.
154. La feconde exception eft , dans le
cas auquel le propriétaire de la chofe a
contracté envers quelqu'un l'obligation de
lui laiffer percevoir les fruits de fon hě-
ritage pendant un certain temps ; comme ,
lorfqu'il l'a donné à ferme à quelqu'un ,
ou qu'il en a mis fon créancier en pof-
feffion pour en percevoir les fruits , en
déduction de fa créance , jufqu'à fin de
paiement ; dans ces cas , ce n'eft point à
celui qui a le domaine de la chofe que
les fruits font acquis , c'eft à fon fermier
ou à fon créancier ; mais comme ils ne
font acquis à ce fermier ou à ce créan-
cier , qu'autant que ce fermier ou ce
créancier eft aux droits du Seigneur de
la chofe qui l'y a fubrogé , notre prin-
cipe que le domaine des fruits fuit le
domaine de la chofe dont ils font les ac-
G iij
150 Traité du Droit de Propriété ,
ceffoires , ne reçoit encore aucune atteinte
dans ces cas-ci ; puifque c'eft du Seigneur
auquel ces fruits appartiennent par droit
d'acceffion , que ce fermier ou ce créan-
cier les tient , & qu'on peut fuppofer le
domaine de ces fruits être par droit
d'acceffion , acquis pendant un inftant de
raifon , au Seigneur de la chofe , & paſ-
fer incontinent de fa perfonne en celle
du fermier ou du créancier qu'il a mis
en fes droits.
155. Le troifieme cas d'exception eſt,
lorfque la chofe eft poffédée par quelqu'un
qui s'en porte pourpropriétaire fans l'être ;
les fruits qui naiffent de la chofe pendant
tout le temps qu'il la poffede , lui font
acquis plutôt qu'à celui qui eft le véritable
propriétaire. Cette exception n'eft encore
qu'une exception apparente , qui ne donne
aucune atteinte à notre principe , que le
domaine des fruits fuit celui de la chofe
dont ils font des acceffoires ; car fi le
poffeffeur , qui dans la vérité n'eſt pas
propriétaire , femble en ce cas acquérir
les fruits de la chofe , ce n'eft qu'en tant
qu'il eft réputé le propriétaire , tout pof-
feffeur étant réputé le propriétaire de la
chofe qu'il poffede , jufqu'à ce que le
véritable propriétaire ait paru & ait juf
tifié de fon droit ; mais le véritable pro-
priétaire ayant juftifié de fon droit , de
Part. I, Chap. 2 , S. 3 , Art. 2. 151
même qu'il en résulte que ce poffeffeur
n'étoit propriétaire qu'en apparence , il
en réfulte auffi que ce n'eft qu'en appa-
rence qu'il a paru en acquérir les fruits ,
lefquels dans la vérité appartenoient au
véritable propriétaire de la chofe , comme
en étant des acceffoires ; lefquels fruits il
doit en conféquence reftituer au proprié-
taire de la chofe , à moins que la bonne
foi de fa poffeffion ne le faffe décharger
de cette obligation , comme nous le ver-
rons infrà , Partie II.

ARTICLE I I.

De l'Acceffion qui résulte de l'union d'une


chofe avec la nôtre , qui fe fait naturel-
lement , &fans le fait de l'homme.

156. Lorfque quelque chofe s'unit avec


la chofe qui m'appartient , de maniere
qu'elles ne font enſemble qu'un feul &
même tout , dont ma chofe fait ce qu'il y
a de principal dans ce tout ; le domaine
que j'ai de ma chofe , me fait acquérir
par droit d'acceffion vi ac poteftate rei mea ,
celui de tout ce qui eft uni à cette chofe ,
& qui eft cenfé en faire partie.
Cette union fe fait naturellement fans
le fait de l'homme , ou par le fait de
Giv
152 Traité du Droit de Propriété ,
l'homme ; nous ne rapporterons dans cet
article que des exemples de celle qui fe
fait naturellement , & fans le fait de
l'homme.

PREMIER EXEMPLE.

De l'Alluvion

157. On appelle alluvion , l'accrue


qu'une riviere a faite à la longue à un
champ par les terres qu'elle y a char-
royées d'une façon imperceptible : Alla-
vio eft incrementum latens quod agro ita ad-
jicitur , ut non poffit intelligi quantum quo-
quo temporis momento adjiciatur : Inftit, tit,
de rer. div. §. 20.
Selon les principes du Droit naturel
& du Droit Romain , ces terres , à meſure
que la riviere les apporte & les unit à
mon champ , devenant des parties de mon
champ , avec lequel elles ne font qu'un
feul & même tout ; j'en acquiers le do-
maine par droit d'acceffion , vi ac poteftate
Tei meæ. C'eft ce qu'enfeigne Gaïus : Quod
per alluvionem agro noftro flumen adjecit,
jure gentium nobis acquiritur. L. 7 , S. 1 ,
de acq. rer. dom.
Les propriétaires des champs d'où la
riviere a détaché ces terres , pour les char
Part. I, Chap. 2 , S. 3 , Art. 2. 153
royer , & les unir à mon champ , ne peu-
vent pas les réclamer , parce que cela fe
fait d'une maniere imperceptible.
158. Il en feroit autrement, fi le fleuve
uno impetu avoit apporté le long de mon
champ tout-à-la-fois un morceau confi-
dérable du champ de mon voifin ; ce
morceau étant reconnoiffable , mon voi-
fin conferveroit le droit de propriété de
ce morceau de terre qu'il avoit avant
qu'il eût été détaché du refte de fon
champ : Si vis fluminis partem aliquam ex
tuo detraxit & meo prædio attulerit , palam
eft eam tuam permanere ; d. L. 7 , S. 2 .
A moins que par la longueur du temps
ce morceau détaché de votre champ ne
fe fût tellement uni au mien , qu'il ne
parût plus faire qu'un même champ :
Plane , ajoute Gaïus , fi longiore tempore
fundo meo hæferit , arborefque quas fecum
traxerit in fundum meum radices egerint ,
ex eo tempore videtur fundo meo acquifita ;
d. §. 2.
159. Par notre Droit François , les al-
luvions qui fe font fur les bords des
fleuves & des rivieres navigables , appar-
tiennent au Roi ; les propriétaires des hé-
ritages riverains n'y peuvent rien pré-
tendre , à moins qu'ils n'euffent des titres
de conceffion que le Roi leur auroit faite
G.Y
154 Traité du Droit de Propriété,
du droit d'alluvion le long de leurs hé-
ritages.
A l'égard des alluvions qui fe forme-
roient le long des bords d'une riviere non
navigable , dont la propriété appartient
aux propriétaires des héritages voiſins ,
on doit ſuivre la difpofition du Droit
Romain.
Les alluvions que la mer ajoute aux
héritages voifins de la mer , appartiennent
auffi par droit d'acceffion aux proprié-
taires deſdits héritages , qui peuvent faire
des digues pour fe les conferver.

SECOND EXEMPLE,

Des Illes qui fe forment dans les rivieres ;


& du lit que la riviere a abandonné

160. C'étoit par une efpece de droit


d'acceffion , que fuivant le Droit Romain ,
les propriétaires des héritages riverains
d'une riviere acquéroient chacun en droit
foi le domaine des ifles qui fe formoient
dans le fleuve , & même du lit entier du
fleuve , lorfque le fleuve l'avoit aban-
donné pour prendre un autre cours.
Les héritages de ces riverains ayant du
côté du fleuve une étendue illimitée , qui
n'avoit d'autres bornes que le fleuve , &
qui comprenoit même les rivages , & tout
Part. I, Chap. 2 , 5.3 , Art. 2. 155
ce qui n'étoit pas occupé par le fleuve ;
le lit qu'avoit occupé le fleuve , lorſque
le fleuve ceffoit de l'occuper , étoit cen-
fé faire partie de ces héritages , & en
être un accroiffement ; ainfi que les ifles
qui fe formoient dans le fleuve , ces ifles
n'étant autre choſe qu'une partie du lit du
fleuve , que le fleuve avoit ceffé d'occuper.
161. Par notre Droit François , les
Aleuves & les rivieres navigables appartien-
nent au Roi ; les ifles qui s'y forment ,
auffi-bien que le lit , lorfqu'ils l'ont aban-
donné pour prendre leurs cours ailleurs >
appartiennent au Roi ; les propriétaires
des héritages riverains n'y peuvent rien
prétendre , à moins qu'ils ne rapportaffent
des titres de conceffion du Roi.
162. Obſervez que les iflès , qui par
le Droit Romain appartenoient par droit
d'acceffion aux propriétaires des héritages
riverains du fleuve , & qui par notre
Droit François , appartiennent au Roi ,
font celles qui font formées dans le lit
qu'occupoit le fleuve ; mais fi un bras
du fleuve s'étant écarté du lit , avoit pris
fon cours tout autour du champ d'un par-
ticulier, & en avoit par ce moyen formé
une ifle , ce champ , depuis que le fleuve
l'a entouré , étant toujours le même champ ,
il continue d'appartenir à celui qui en eft
G vj
156 Traité du Droit de Propriété ,
le propriétaire. C'eft ce qu'enſeigne Pom
ponius : Tribus modis infula in flumine fit,
uno quum agrum qui alvei non fuit , amnis
circumfluit ; altero quum locum qui alvei
effet ficcum relinquit & circumfluere cæpit ;
tertio quum paulatim colluendo locum emi-
nentem fupra alveum fecit & eum alluendo
auxit : duobus pofterioribus modis privata
infula fit ejus cujus ager proprior fuerit ,
quum primum extitit ; ( & par notre Droit ,
elle appartient au Roi dans ces deux
cas-ci , ) ..... primo autem modo caufapro-
prietatis non mutatur. L. 30 , S. 2 , ff. de
acq. rer. dom. Ejus eft ager , cujus & fuit.
L. 7. S. 4 ,ff. d. tit.
163. Il y a une quatrieme efpece d'if-
les , qu'on appelle des ifles flottantes
lorfqu'elles fe forment fur l'eau fans être
adhérentes au lit du fleuve : Quæ virgul-
tis aut aliâ quâlibet materiâ ita fuftinetur
in flumine ut folum ejus non tangat , atque
ipfa movetur. L. 65 , §. 2 , ff. de acq. rer.
dom. Ces ifles étoient , par le Droit Ro-
main , publiques , comme l'étoient les
fleuves , d. L. §. 2 & 4 ; & par notre
Droit , elles appartiennent au Roi , de
même que le fleuve.
164. A l'égard des rivieres non navi-
gables , lorfque ce font les propriétaires
des héritages riverains qui font auffi cha-
Part. I , Ch. 2, S. 3 , Art. 2. 157
cun en droit foi propriétaires de la ri-
viere , ils doivent auffi l'être chacun en
droit foi & des ifles qui s'y forment , &
du lit de la riviere , lorſqu'elle l'a aban-
donné pour prendre fon cours ailleurs.

TROISIEME EXEMPLE.

165. Lorsque les pluies entraînent avec


elles les parties les plus grafies de la
terre des champs élevés , & les portent
dans les champs bas , où ces parties de
terres reftent & s'incorporent avec lefdits
champs , lefdites parties de terre qui s'in-
corporent ainfi avec le champ bas , avec
lequel elles ne font qu'un même tout , &
qu'une même chofe , devenant de cette ma-
niere des parties acceffoires de ce champ ;
le domaine de ces parties de terre eft ac-
quis par droit d'acceffion , vi ac poteflate
rei fuæ , au propriétaire du champ.

QUATRIEME EXEMPLE.
1

166. Lorfque des pigeons des colom-


biers voifins défertent de leurs colom-
biers , pour venir s'établir dans le mien ,
j'en acquiers le domaine par droit d'ac-
ceffion.
Pour bien comprendre ce droit d'ac-
ceffion , il faut obferver que les pigeons
158 Traité du Droit de Propriété,
de nos colombiers étant des animaux feræ
naturæ qui font dans un état de liberté ,
in laxitate naturali ; nous ne fommes pro-
prement ni propriétaires , ni poffeffeurs
des ces pigeons per fe ; nous ne le ſommes
qu'au temps qu'ils font cenfés faire partie
de notre colombier , dans lequel ils fe font
établis ; car lorfque ces animaux fe font
établis dans un colombier , ils font cen-
fés , tant qu'ils confervent l'habitude d'y
aller & venir , ne compofer avec le corps
du colombier qu'une feule & même choſe ;
fçavoir , un colombier peuplé de pigeons ,
& ne faire enſemble qu'un feul & même
tout , dont le corps du colombier eſt la
partie principale , & dont les pigeons qui
le peuplent , font les parties acceffoires.
C'eft pourquoi , lorfque des pigeons
viennent s'établir dans mon colombier ;
ces pigeons devenant par-là des parties
acceffoires de mon colombier , j'en ac-
quiers par droit d'acceffion le domaine ,
vi ac poteftate rei meae . Le propriétaire du
Colombier voifin qu'ils ont déferté , ne
peut les réclamer ; car il n'étoit ni pof-
feffeur , ni propriétaire de ces pigeons.
Il ne l'étoit qu'en tant que ces pigeons
étoient cenfés faire partie de fon colom-
bier , & ils n'étoient cenfés en faire par-
tie , qu'en tant qu'ils confervoient l'ha-
bitude d'y aller & venir ; ayant perdu
Part. I , Ch. 2 , S. 3 , Art. 2. 159
cette habitude , ils ont ceffé d'en faire
partie , & d'appartenir au propriétaire du
colombier qu'ils ont déferté.
167. Nous pouvons , à la vérite , ac-
quérir très légitimement les pigeons qui
défertent les colombiers voifins , pour ve
nir s'établir dans les nôtres , mais il n'eft
pas permis de fe fervir d'aucunes manœu-
vres pour les y attirer. C'eft pourquoi
fi le propriétaire , ou le fermier d'un co-
lombier , y avoit attaché quelque vieille
morue , ou quelqu'autre chofe , pour y
attirer les pigeons des colombiers voifins ,
les propriétaires des colombiers voifins
auroient contre lui l'action de dolo ou in
factum , pour leurs dommages & intérêts
réfultants de ce qu'il auroit , par cette
manoeuvre , dépeuplé leurs colombiers.
168. Ce que nous avons dit des pi-
geons qui défertent les colombiers voi-
fins , pour s'établir dans le mien , peut
pareillement s'appliquer aux lapins qui paf-
fent des garennes voifines dans la mienne,
& des poiffons qui paffent d'un étang
voifin dans le mien qui eft contigu ; j'ac-
quiers de la même maniere , par droit
d'acceffion , ces lapins & ces poiffons ,
non perfe , mais en tant qu'ils font cenfés
faire partie de ma garenne & de mon
étang.
160 Traité du Droit de Propriété,

ARTICLE III.

Du droit d'acceffion qui refulte de ce que


des chofes ont été unies à la mienne , par
le fait de l'homme.

169. Lorfque par mon fait , ou par


celui d'une autre perfonne , une ouplufieurs
chofes ont été unies à la mienne , de ma-
niere qu'elles n'en faffent qu'une feule &
même chofe , & un feul & même tout ,
dont ma chofe foit la partie principale ,
& dont les autres ne font que les parties
acceffoires ; j'acquiers par droit d'accef-
fion , vi ac poteftate rei meæ , le domaine
des chofes qui en font les acceffoires.
Lorfque deux ou plufieurs chofes ap-
partenantes à différentes perfonnes , ont
été unies , de maniere qu'elles ne font
enfemble qu'un feul tout , pour fçavoir
quelle eft celle dont le domaine doit at-
tirer à foi celui des autres , il faut don-
ner des regles pour difcerner quelle eft
celle qui eft la partie principale du tout
qu'elles compofent , & quelles font celles
qui n'en font que les parties acceffoires ;
c'eft ce que nous ferons voir dans un pre-
mier paragraphe ; nous verrons dans un
fecond paragraphe , quelle eft la nature
du domaine que j'acquiers d'une choſe
Part.1 , Chap. 2 , Sect. 3 , Art. 3 , §.1 . 16r
par fon union avec la mienne , & de l'ac
tion ad exhibendum qu'a celui à qui elle
appartenoit ; nous verrons dans un troi-
fieme paragraphe , quelle eft l'efpece d'u-
nion qui donne lieu au droit d'acceffion.

S. I.

Regles pour difcerner quelle eft dans un tout


compofe de plufieurs chofes , celle qui en
eft la partie principale , & celles qui n'en
: font que les acceſſoires.

PREMIERE REG LE.

170. Lorfque de deux chofes qui


compofent un tout , l'une ne peut fub-
fifter fans l'autre , & l'autre peut fub-
fifter féparément ; c'eft celle qui peut
fubfifter féparément , qui en eft regardée
comme la partie principale ; l'autre n'en
eſt que l'acceffoire . Neceffe eft ei rei cedi
quod fine illà eſſe non poteft . L. 23 , §. 3 ,
ff. de rei vind.
On peut donner pour un premier
exemple de cette regle , le cas auquel
quelqu'un auroit conftruit un bâtiment
fur mon terrain ; ce bâtiment & mon
terrain font un feul tout , dont mon ter-
rain eft la partie principale , & le bâti-
ment n'eft que l'acceffoire ; car mon
162 Traité du Droit de Propriete',
terrain peut fubfifter fans le bâtiment ;
& au contraire le bâtiment ne peut fub
fifter fans le terrain fur lequel il eft conf
truit. C'est pourquoi le domaine que j'ai
de mon terrain me fait acquérir par droit
d'acceffion vi ac poteftate rei meæ , celui
du bâtiment qui y a été conftruit. C'eſt
ce qu'enfeigne Gaius : Si quis in alieno
folo fua materiâ ædificaverit , illius fit
edificium cujus & folum eft. L. 7 , S. 12 ,
ff. de acq. rer. dom.
Il en eft de même dans le cas inverfe :
lorfque je conftruis fur mon terrain un
bâtiment avec des matériaux qui ne m'ap-
partiennent pas , le domaine de mon ter
Tain me fait acquérir par droit d'acceffion,
vi ac poteftate rei mea , celui de tous les
matériaux que j'y ai employés , comme
chofes qui en font acceffoires : Quùm
aliquis in fuo loco alienâ materiâ ædifica-
verit ; ipfe Dominus intelligitur ædificii ,
d. L. 7 , S. 10. Et c'eft une regle géné-
rale que le domaine du bâtiment fuit
toujours celui du terrain fur lequel il
eft conftruit : omne quod inædificaturfolo
cedit. d. L. 7 , §. 10.
S.
Sur la queftion , fi le propriétaire du
terrain qui acquiert par droit d'acceffion
le domaine du bâtiment qu'un autre y
a conftruit , doit rembourfer le coût à
celui qui l'a conftruit ; voyez ci-deffous
Part I, Chap. 2 , S. 3 , Art 3. 163
dans la feconde Partie de notre Traité ,
les diftinctions qu'on doit faire fur cette
question .
171. Un fecond exemple de la regle ,
eft la plantation . Lorfque quelqu'un a
planté des arbres ou de la vigne fur le
terrain d'autrui ; ces arbres ou cette
vigne , auffi - tôt qu'ils ont pris racine
font un feul & même tout avec le terrain
fur lequel on les a plantés , ce terrain
pouvant fubfifter fans ces arbres ou cette
vigne ; & ces arbres ou cette vigne ne
pouvant au contraire fubfifter fans le
terrain , c'eſt le terrain qui eft la partie
principale , dont le domaine attire par
droit d'acceffion à celui qui en eſt pro-
priétaire , celui des arbres & de la vigne
qui en font les parties acceffoires .
Il en eft de même dans le cas inverſe ;
lorfque je plante dans ma terre du plan
de vignes ou des arbres qui ne m'appar-
tiennent pas , auffi- tôt qu'ils ont pris
racine , le domaine que j'ai de ma terre
où ils ont été plantés , m'en fait acquérir
le domaine par le droit d'acceffion vi ac
poteftate rei meæ , comme chofes acceffoires
de ma terre : Si alienam plantam in meo
folo pofuero , mea erit ; ex diverfo , fi meam
plantam in alieno folo pofuero , illius erit ;
fi modo utroque cafu radices egerit , L. 8 ,
ff. de acq. rer. dom.
164 Traité du Droit de Proprieté ,
172. Un troifième exemple eft la fe-
mence ; foit que j'enfemence mon champ
d'une femence qui ne m'appartienne pas ,
foit que j'enfemence le champ d'autrui
de ma femence , la femence qui eft en
terre appartient au propriétaire de la
terre , à la charge d'en rembourfer le
prix : Qua ratione plantæ quæ terræ coa-
lefcunt folo cedunt , eadem ratione frumenta
quoque quæ fatafuntfolo cedere intelliguntur ,
L. 9, ff. d. tit.
173. La regle que nous venons d'ex-
pofer , doit fouffrir exception dans le
cas auquel la chofe qui peut fubfifter
féparément eſt prefque de nulle valeur ,
en comparaifon du prix de l'autre ; en
ce cas , la chofe qui eft de prix , quoi-
qu'elle ne puiffe fubfifter fans l'autre , &
que l'autre au contraire pourroit fubfifter
fans elle , ne laiffe pas d'être regardée
comme la partie principale du tout que
les chofes compofent , laquelle doit attirer
à foi le domaine de l'autre .
Juftinien avoit admis cette exception
dans le cas de la peinture , propter excel-
lentiam artis ; & il décide en conféquence
dans fes Inſtitutes , conformément à l'opi-
nion de Gaius , que lorfqu'un Peintre
avoit fait un bel ouvrage de peinture
fur une toile qui ne lui appartenoit pas ,
quoique fa peinture ne pût fubfifter fans
Part. I , Chap. 2 , S. 3 , Art. 3. 165
la toile , & que la toile pût au contraire
fubfifter fans la peinture ; néanmoins la
peinture devoit être regardée comme ce
qu'il y avoit de principal dans le tableau
plutôt que la toile , & qu'en conféquence
elle devoit faire acquérir au Peintre , par
droit d'acceffion , le domaine de la toile
comme d'une chofe acceffoire à fa pein-
ture , à la charge de payer le prix de
cette toile à celui à qui elle avoit appar-
tenu : Ridiculum eft enim , dit Juftinien ,
picturam Appellis vel Parrhafii in acceffio-
nem viliffima tabulæ cedere. Inftit. de rer,
div. §. 34.
Cette exception n'étoit admife dans
le Droit Romain que pour le feul cas
de la peinture , propter excellentiam artis ;
on y décidoit , que fi quelqu'un avoit
écrit fur du papier qui ne lui appartenoit
pas , un poëme ou une hiftoire , quel-
qu'excellent que fût l'ouvrage qui avoit
été écrit , & quelque magnifique que fût
l'écriture , le papier comme pouvant fub-
fifter fans ce qui eſt écrit deffus , devoit
être regardé comme ce qu'il y avoit de
principal dans le manufcrit , & comme
devant attirer au propriétaire du papier le
domaine de ce qui étoit écrit deffus , à la
charge de rembourfer à l'Ecrivain le prix
den l'écriture : Litteræ licet aureæfint per-
inde chartis membranifve cedunt ac folo
166 Traité du Droit de Propriété ,
cedere folent ea quæ ædificantur aut fe-
runtur ; ideoque fi in chartis membranifve
tuis carmen vel hifloriam , vel orationem
fcripfero ; hujus corporis non ego , fed tu
dominus effe intelligeris . L. 9 , §. I , ff.
de acq. rer. dom.
Le trop grand & trop fcrupuleux at-
tachement des Jurifconfultes Romains à
ce principe , neceffe eft ei rei cedi quodfine
illâ effe non poteft , L. 23 , §. 3 , ff. de rei
vindic. les a portés à cette déciſion ri-
dicule , que nous ne devons pas fuivre
dans notre Droit François ; nous devons
au contraire décider que le papier étant
une chofe de nulle confidération en com-
paraifon de ce qui eft écrit deffus ; c'eft
ce qui eft écrit fur le papier , qui doit être
regardé comme ce qu'il y a de principal
dans le corps du manufcrit , & qui doit
attirer par droit d'acceffion à celui qui
l'a écrit , le domaine du papier , à la
}
charge de payer le prix de ce papier à
celui à qui il appartenoit , conformément
à l'exception que nous avons apportée
au principe , laquelle doit avoir lieu
dans tous les autres cas femblables.

SE CON DE REG LE.

Lorfque de deux chofes appartenan


tes à différents maîtres , & dont l'union
Part. I , Chap. 2 , S. 3 , Art. 3. 167
forme un tout , chacune peut fubfifter
fans l'autre , celle-là eft la partie princi-
pale, pour l'ufage , l'ornement , ou le com-
plément de laquelle l'autre lui a été
unie,
174. On peut apporter une infinité
d'exemples de cette regle.
Premier exemple : on a monté une
pierre en or pour en faire un anneau ;
c'eft dans cet anneau la pierre qui
eft ce qu'il y a de principal , & dont le
domaine attire au propriétaire de la
pierre celui de l'or avec lequel elle eft
montée ; car ce n'eft pas pour l'or que
la pierre a été unie à l'or ; c'eſt au con-
traire pour la pierre que l'or lui a été
uni , pour la monter , pour l'enchaffer ,
pour en faire un anneau,
Second exemple : lorfqu'on a en-
cadré un tableau ; quelque magnifique
que foit le cadre , fût - il enrichi de
pierreries , & d'un prix plus grand que
le tableau , c'eſt le tableau qui eft ce
qu'il y a de principal , & dont le do-
maine fait acquérir au propriétaire du
tableau celui du cadre ; car il eſt évident
que le cadre eft fait pour le tableau , &
non le tableau pour le cadre,
Troifieme exemple : on a coufu fur
mon habit un galon d'or, ou on l'a double
d'une riche fourrure ; quand même le prix
168 Traité du Droit de Propriété ,
des galons ou de la fourrure feroit beau-
coup plus confidérable que celui de l'ha-
bit ; néanmoins l'habit eft ce qu'il y a
de principal , dont le domaine attire au
propriétaire de l'habit celui des galons
& de la fourrure qu'on y a unis ; car
ce n'eft pas l'habit qui a été uni aux
galons ou à la fourrure , pour les galons
ou pour la fourrure ; ce font au con-
traire les galons ou la fourrure qui ont
été unis à l'habit , pour fervir à l'habit ,
pour l'orner , pour le doubler.

TROISIEME REG LE.

Lorfque de deux choſes appartenantes


à différents Maîtres dont l'union forme
un tout , chacune d'elles peut fubfifter
fans l'autre, & l'une n'eft pas plus faite pour
l'autre que l'autre pour elle ; c'eft celle qui
furpaffe de beaucoup l'autre en volume ,
ou, s'il y a parité de volume , en valeur ,
qui doit paffer pour la chofe principale
dont le domaine attire celui de l'autre.
175. Nous trouvons cette regle en la
Loi 27 , S. 2 , ff. de acquir. rer. dom.
Quumpartes duorumDominorumferrumine (*)
cohæreant , hæ , cum quæreretur utri cedant ;

(*) Sans foudure.


Caffius
P. I , Ch. 2 , S. 3 , Art. 3 , §. 2. 169
Caffius ait , pro portione rei æftimandum ,
vel pro pretio cujufque partis.

QUATRIE ME REGLE.

Lorfque des matieres non ouvragées


appartenantes à différents maîtres , ont
été unies en une feule maffe , l'une n'at-
tire pas l'autre , & chacun des proprié-
taires des matieres qui forment cette
maffe , eft propriétaire de la maffe pour
la part qu'il y a.
176. Quiquid infecto argento alieni ar-
genti addideris , non effe tuum totum faten-
dum eft. d. L. 27 , pr.

S. II.

De la nature du Domaine que le droit d'ac


ceffion me fait acquérir de la chose qui eft
unie à la mienne ; & de l'Action ad ex-
hibendum qu'a celui à qui elle apparte-
nost

177. Lorfque la chofe qui , par fon


unjon avec la mienne fans foudure , en
eft devenue l'acceffoire , y eft tellement
unie qu'elle n'en eft pas féparable ; le
domaine que j'en acquiers par droit d'ac-
ceffion , vi ac poteftate rei meæ , eft un do-
maine véritable & perpétuel. Tel eft
Tome I. H
170 Traité du Droit de Propriété ,
celui que j'acquiers de la vigne ou des
arbres qui ont été plantés dans mon
champ , de la femence dont il a été en-
femencé , de ce qui y a été bâti , &c.
Mais lorsque la chofe qui , par fon
union avec la mienne , en eft devenue
une partie acceffoire , dont j'ai acquis
le domaine par droit d'acceffion , en eft
féparable , & qu'elle en doit être féparée
lorfque celui à qui elle appartenoit la
réclamera & en demandera la féparation ;
en ce cas , le domaine que j'ai acquis
de cette chofe eft un domaine momen-
tané qui ne doit durer que pendant que
cette chofe demeurera unie à la mienne
& qui ne confifte que dans une fubtilité
de droit ; ce n'eft que par une fubtilité
de droit que celui à qui cette chofe ap-
partenoit avant fon union avec la mienne,
eft cenfé n'en avoir plus le domaine ;
ce qui n'eft fondé que fur ce que cette
chofe , tant qu'elle eft unie à la mienne ,
avec laquelle elle ne fait qu'un feul tout ,
n'exiftant plus que comme partie de ce
tout , n'ayant plus une exiftence féparée
de ce tout , on ne peut en avoir un do-
maine féparé ; il n'y a que moi qui ai le
domaine de ce tout , dans lequel elle eft
renfermée , qui puiffe être cenfé en avoir
le domaine ; mais aufi - tôt que cette
chofe fera divifée & féparée de la mienne ,
P. I , Ch. 2 , S. 3 , Art. 3 , § 2. 171
le domaine que j'en avois acquis par
droit d'acceffion', s'éteint ; & celui à qui
elle appartenoit avant l'union , en recou-
vre de plein droit le domaine ; & même
fi pendant qu'elle eft unie à la mienne
il n'en a pas le domaine , quant à la fub-
tilité du droit ; de maniere qu'il ne puiffe
en conféquence débuter contre moi par
l'action de revendication , il le conferve
néanmoins en quelque façon effectu , par
l'action ad exhibendum qu'il a contre moi ,
pour que je fois tenu de fouffrir détacher
cette chofe de la mienne , & de la lui
rendre Gemma inclufa auro ( * ) alieno
vel figillum ( ** ) candelabro , vindicari non
poteft , fed ut excludatur ad exhibendum agi
poteft. L. 6 , ff. ad exhib.
178. La Loi des douze Tables avoit
apporté , dans un cas , une exception au
droit qu'a celui à qui appartenoit la choſe
unie à la mienne , d'en demander la ſé-
paration ; c'eſt dans le cas auquel j'aurois
employé dans mon bâtiment quelques
matériaux qui ne m'appartenoient pas :
la Loi ne permettoit pas qu'on m'obli-
geât à les en détacher : Tignum alienum

[*] Dans quelque ouvrage d'or , tel qu'une,


tabatiere , ou une boête à mouche.
[**] Une petite ſtatue.
H ij
172 Traité du Droit de Propriete ,
edibus jundum nefolvito ; elle vouloit que
je fuffe , au lieu de cela , obligé à reſti-
tuer le prix des matériaux au double à
celui à qui ils appartenoient ; mais fi
avant que je le lui euffe reftitué , mon
bâtiment venoit à être démoli , il recou-
vroit le domaine de ces matériaux qui
s'en trouvoient féparés . C'eft ce que
nous apprenons de Gaïus : Quum in fuo
loco alienâ materiâ ædificaverit ipfe dominus
intelligitur ædificii ( * ) , quia omne quod
inædificatur folo cedit , nec tamen ideo is
qui materiæ dominus fuit , defiit ejus do-
minus ( ** ) effe ; tantifper neque vindi-
care eam poteft , neque ad exhibendum de ea
agere , propter legem duodecim tabularum quâ
cavetur ne quis tignum ædibus fuis junctum
eximere cogatur , fed duplum pro eo præftet.
Appellatione autem tigni omnes materiæ fig-
nificantur ex quibus ædificia fuunt. Ergo
fi ex aliquâ causâ dirutum fit ædificium
poterit materiæ dominus , nunc eam vin-
dicare & ad exhibendum agere. L.7 , §. 10 ,
f. de acq. rer. dom.

[*] Et par conséquent de ces matériaux qui en


font partie .
[** Quoiqu'il en ait perdu le domaine , quant
à la fubtilité du droit , tant que ces matériaux
demeurent unis à mon bâtiment , il ne l'a pas
perdu entiérement , par l'efpérance qu'il a de
le recouvrer , s'ils viennent à être détachés.
P. I ; Ch. 2 , S. 3 , Art. 3 , §. 2. 173
Dans notre Droit François nous fui-
vons cette décifion de la Loi des douze
Tables , fauf la peine du double qui n'y
eft pas en ufage ; on fe contente dans
notre Droit de condamner celui qui a
employé dans fon bâtiment des matériaux
qui ne lui appartenoient pas , à rendre à
celui à qui ils appartenoient le prix qu'ils
valent fuivant l'eftimation qui en doit
être faite par Experts .
179. On doit auffi étendre ce qui a
été décidé pour le cas auquel j'ai em-
ployé à mon bâtiment des matériaux qui
ne m'appartiennent pas , à tous les autres
cas auxquels la chofe qui a été unie à la
mienne n'en pourroit être détachée fans
endommager beaucoup la mienne : lorf-
que celui à qui la chofe appartenoit ,
donne l'action contre moi , aux fins que
je fois tenu de la détacher , & de la lui
rendre ; le Juge , fur - tout lorfque les
chofes fe font paffées de bonne foi , doit
admettre fur cette demande les offres
que je fais de lui payer le prix , & me
renvoyer en conféquence de fa demande.
Par exemple dans le cas auquel j'au-
rois donné à un Tailleur de l'étoffe &
des galons pour me faire un habit ;
le Tailleur qui avoit dans fa boutique un
grand nombre d'habits galonnés à faire
pour différentes perfonnes , s'eft trompé
G iij
174 Traité du Droit de Propriete ,
de galons , & a coufu fur mon habit des
galons qui appartenoient à une autre
perfone , plus larges & plus beaux que
les miens ; fi celui à qui appartenoient
ces galons demande que je les lui rende ;
comme on ne peut les découdre fans
gâter mon habit , je dois être reçu à lui
en offrir le prix.
Lorfque la chofe qui ne m'appartenoit
pas , que j'ai unie à la mienne , eft de
nature fungible , qui fe remplace parfai-
tement par une autre de même espece ,
il ne peut y avoir de difficulté en ce cas ,
que je ne peux être obligé de rendre à
celui à qui elle appartenoit précisément
la chofe même in individuo que j'ai unie
à la mienne. Par exemple : fi j'ai monté
une pierre précieufe avec de l'or qui ne
m'appartenoit pas ; il fuffit que je rende
à celui à qui l'or appartenoit , pareille
quantité d'or au même titre.

S. III.

Quelle est l'efpece d'union qui donne lieu au


droit d'Acceffion.

180. Il y a lieu au droit d'acceffion ;


lorfque deux ou plufieurs chofes , appar-
tenantes à différents maîtres , forment par
leur union un corps compofé de parties
P. I, Ch. 2 , S. 3 , Art. 3 , §. 3. 175
cohérentes ; le domaine de celle qui eft
dans ce corps la partie principale , fait
acquérir par droit d'acceffion' à celui qui
en eft le propriétaire le domaine des
autres qui en font les parties acceffoires ,
comme dans les différents exemples qui
ont été rapportés dans les paragraphes
précédents ; il n'en eft pas de même
lorfque plufieurs chofes appartenantes à
différents maîtres , font unies en un corps
compofé de parties qui ne font point
cohérentes enſemble , tel qu'eft un trou
peau ; il n'y a point lieu en ce cas à
aucun droit d'acceffion , & chacun con-
ferve un domaine féparé des bêtes qu'il
a dans le troupeau. C'eft la diftination
que fait le Jurifconfulte Paul : In his cor-
poribus quæ ex diftantibus corporibus effent,
conftat fingulas partes retinere fuam propriam
Speciem , ut finguli homines ( * ) , fingulæ
oves , ideoque poffe me gregem vindicare ,
quamvis aries tuus fit immixtus , fed & te
arietem vindicare poffe ; quod non idem
coherentibus corporibus eveniret. Namfi
' ftatuæ
mee brachium alienæ ftatuæ addideris , non
poffe dici brachium tuum effe , quia_tota
ftatua uno fpiritu continetur. L. 23 , §. 5 ,
vo. at in his ff. de R. vindic.

[*] Ex quibus conftat mancipiorum meorum fa-


milia.
H iv
176 Traité du Droit de Propriétés

ARTICLE IV.

De la Spécification , & de la Confufion.

S. I.

De la Spécification.

181. On appelle fpécification , lorfque


quelqu'un a formé & donné l'être à une
nouvelle fubftance , avec une matiere
qui ne lui appartenoit pas.
Cela fe fait , ou de maniere que la
matiere qu'on y a employée ne puiffe
plus reprendre fa premiere forme , comme
lorfque quelqu'un a fabriqué une piece
de drap avec ma laine ; ou de maniere
qu'elle pût reprendre fa premiere forme:
comme lorfqu'un Orfevre ayant acheté
de bonne foi , d'un tiers , un lingot d'ar-
gent qui m'appartenoit , en a fait de la
vaiffelle ; mon lingot d'argent n'eft pas
tellement détruit qu'il ne puiffe reprendre
fa premiere forme de lingot , en mettant
dans le creufet la vaiffelle qui en a été
faite.
182. Les deux fectes des écoles des Ju-
rifconfultes Romains ont eu des opinions
tout-à- fait oppofées fur la queftion de
fçavoir , fi la nouvelle fubftance que
P. 1 , Ch. 2 , S. 3 , Art. 4. §. 1 . 177
quelqu'un a formée d'une matiere qui ne
fui appartenoit pas , devoit appartenir
à celui qui l'a formée , ou fi elle devoit
appartenir au propriétaire de la matiere .
Les Sabiniens foutenoient , que foit que
la matiere employée à faire la chofe pût re-
prendre fa premiere forme , foit qu'elle
ne pût plus la reprendre , la chofe
n'étoit pas tant une nouvelle fubftance
qu'une nouvelle modification de la ma-
tiere , qu'elle n'étoit qu'un acceffoire de
la matiere , qui devoit par conféquent
appartenir au propriétaire de la matiere.
Au contraire , les Proculeïens imbus
des principes de la Philofophie Stoïcienne ,
un defquels étoit que forma dat eſſe rei ,
c'eft-à-dire , que la forme fubftantielle
de chaque chofe en conftituoit l'effence ,
& que la matiere dont elle étoit faite n'en
étoit que l'acceffoire , foutenoient fuivant
ces principes , que celui qui avoit fait
une chofe avec une matiere qui ne lui
appartenoit pas , en étoit le propriétaire
comme lui ayant donné l'être , foit que
la matiere avec laquelle elle a été faite
pût reprendre fa premiere forme , foit
qu'elle ne pût pas la reprendre.
C'est ce que nous apprenons de Gaïus
qui nous rapporte les différentes opinions
des deux écoles : Quum quis ex aliena
materia fpeciem aliquam fuo nomine fecerit ,
Hv
178 Traité du Droit de Propriété,
Nerva & Proculus putant hunc Dominum
effe qui fecerit , quia quod factum eft antea
nulliusfuerit. Sabinus & Caffius magis na◄
turalem rationem efficere putant , ut qui ma-
teriæ Dominus fuerit , idem ejus quoque quod
ex ea materiâfactumfit Dominus effet , quia
fine materiâ nulla fpecies effe poffit : veluti
fi ex auro vel argento , vel ære vas aliquod
fecero , vel ex tabulis tuis navem aut ar-
marium aut fubfellia fecero , vel ex lanâ tuâ
veftimentum, vel ex vino & melle tuo mul-
fum , vel ex medicamentis tuis emplaftrume
aut collyrium , vel ex uvis aut oleis aut
fpicis tuis vinum vel oleum vel frumentum
L. 7 , S. 7 , ff. de acq. rer. dom.
183. Gaïus obferve fort bien que
l'exemple du bled qu'on a fait fortir des
épis eft mal- à-propos cité ; avant que
j'euffe fait du vin ou de l'huile des raifins
ou des olives d'un autre il n'y avoit
encore aucune chofe qui exiftât dans´
cette forme d'huile ou de vin : j'en fuis
donc l'auteur ; mais les grains de ffoment
que j'ai fait fortir des épis que j'ai battus ,
exiſtoient déja dans leur forme de grains
de froment avant le battage ; je n'ai point
fait ces grains de froment , je les ai feu-
lement fait fortir des épis où ils étoient
renfermés ; ils ne doivent donc pas même
dans le fyftême des Proculeïens m'appar-
tenir ; ils doivent continuer d'appartenir
P.Ì, Ch. 2 , S. 3 , Art. 4 , S. 1. 179
.
à celui à qui ils appartenoient lorfqu'ils
étoient enfermés dans leurs épis : Cum
grana que fpicis continentur perfectam ha-
beant fuam fpeciem , qui excuffufpicas non
novamfpeciemfacit , fed eam quæ eft detegit.
d. § . 7.
Gaius en auroit dû dire autant du vin
qui a été fait de mes raifins , ou de
l'huile qui a été faite de mes olives.
Celui qui a preffé mes raifins ou mes
olives , n'a fait autre chofe qu'exprimer
le vin ou l'huile qui y étoient contenus ,
& les débarraffer de leurs enveloppes.
184. Pour que celui à qui la matiere
appartenoit, en perdît le domaine , même
dans le fyftême des Proculeïens , il falloit
qu'elle eût perdu fa forme ſubſtantielle
& principale pour paffer dans une autre ;
mais lorfque ma chofe , en confervant
toujours fa forme principale & fubftan-
tielle , recevoit feulement de quelqu'un
l'addition de quelque forme accidentelle ;
comme fi un Teinturier donnoit à ma
laine une teinture de pourpre qu'elle
n'avoit pas , je conferve le domaine de
ma laine , parce que quoiqu'elle foit
teinte en pourpre , elle est toujours de
la laine , elle conferve toujours fa forme
de laine qui eft fa forme principale &
fubftantielle ; la couleur de pourpre qu'on
lui a donnée , n'eft qu'une couleur ad-
Hvj
180 Traité du Droit de Propriété,
ventice & accidentelle. C'eft ce qu'en-
feigne Labeon qui étoit le chef de l'école
des Proculeïens : Si meam lanam feceris
purpuram , nihilominus meam effe Labeo ait :
quia nihil intereft inter purpuram , & eam
lanam quæ in lutum aut cænum cecidiffet ,
atque itapriftinum colorem perdidiffet. L. 26,
$ .32
S. 3 , ff. de acq. rer. dom.
185. Obfervez qu'il n'y a lieu à la
queftion qui divifoit les deux écoles
que lorfque j'ai fait en mon nom & pour
moi une chofe avec une matiere qui ap-
partenoit à un autre fans fon confente-
ment ; car fi j'ai fait cette choſe au nom
& pour celui à qui la matiere apparte-
noit , il n'eft pas douteux dans l'un &
dans l'autre fyftême que c'eft à lui à qui
la chofe doit appartenir ; car en la faifant
pour lui & en fon nom , c'eft comme fi
c'étoit lui-même qui l'eût faite , je ne
fais que lui prêter mes bras & mon
miniftere.
Pareillement lorsque j'ai fait pour moi
& en mon nom une chofe avec une ma-
tiere qui ne m'appartenoit pas , mais avec
le confentement de celui à qui elle ap--
partenoit , qui a bien voulu me fournir
pour cela la matiere ; il n'eft pas dou-
reux en ce cas , dans l'un & dans l'autre
fyftême , que la chofe doit m'appartenir;
c'eft pourquoi Calliftrat , après avoir rap-
P. I, Ch. 2 , S. 3 , Art. 4, §. 1. 181
porté la doctrine des Sabiniens , lefquels,
dans le cas auquel quelqu'un a fait pour
lui & en fon nom une chofe avec une
matiere qui ne lui appartenoit pas , don-
nent le domaine de la chofe à celui à
qui appartient la matiere dont elle eſt
faite , préférablement à celui qui l'a faite
apporte auffi - tôt cette exception : Nifi
voluntate domini ( materiæ ) alterius nomine
id factum fit , propter confenfum enim domi-
ni , tota res ejus fit cujus nomine facta eft.
L. 25 , ff. de acq. rer. dom.
186. Quelques Jurifconfultes avoient
une troifieme opinion ; ils diftinguoient
le cas auquel en faifant une chofe avec
une matiere qui ne m'appartenoit pas ,
j'avois tellement détruit la premiere forme
de cette matiere qu'elle ne pouvoit plus
la reprendre , & celui auquel elle pouvoit
la reprendre .
Dans le premier cas , comme lorfque
j'ai employé, de bonne foi , votre vin &
votre miel , que je croyois m'appartenir ,
à faire de l'hypocras ; ou lorfque j'ai
fait , pareillement de bonne foi , un on-
guent avec des matieres qui vous appar-
tenoient. Cet hypocras , cet onguent
étant de nouvelles fubftances , & non d☛
fimples modifications des matieres que
j'y ai employées , lefquelles matieres font
entiérement détruites , & ne peuvent
182 Traite du Droit de Propriete ,
plus reprendre leur premiere forme
ces nouvelles fubftances ne peuvent ap-
partenir qu'à moi qui leur ai donné l'être :
vos matieres avec lefquelles je les ai
compofées , étant entiérement détruites
& n'exiftant plus , vous ne pouvez plus
en demander que le prix , ou qu'on vous
en rende autant , en pareille quantité &
qualité.
Dans le fecond cas , lorfqu'en faifant
une chofe avec une matiere qui ne m'ap-
partenoit pas , je n'en avois pas détruit
la premiere forme , de telle maniere
qu'elle ne pût la reprendre ; comme lorf-
que j'avois fait un pot d'argent d'un lingot
qui vous appartenoit ; ils décidoient en
ce cas , que votre lingot , quoique je lui
euffe donné la forme d'un pot d'argent ,
pouvant reprendre fa premiere forme de
lingot , en jettant le pot d'argent dans le
creufet , votre lingot , quoique devenu
pot d'argent , n'avoit pas ceffé d'exifter ,
& que vous en conferviez le domaine ;
lequel par droit d'acceffion vous faifoit
acquérir , fuivant le fyftême des Sabi-
niens , la forme de pot d'argent que je lui
avois donnée , qui ne devoit en ce cas être
regardée que comme une forme acciden-
telle & acceffoire de votre matiere.
C'eft ce que nous apprend Gaïus : Eft
mediafententia rete exiflimantium ,fifpecies
P. 1 , Ch . 2 , S. 3 , Art. 4 , §. 1. 183
ad materiam reverti poffit , verius effe quod &
Sabinus & Caffius fenferunt , fi non poffit
reverti , verius effe quod Nervæ & Proculo
placuit : ut ecce vas conflatum ad nudam
maffam auri vel argenti vel æris reverti poteft ;
vinum vel oleum ad uvas & olivas reverti
non poteft ac ne mulfum quidem ad mel
& vinum ; vel emplaftrum aut collyria ad
medicamenta reverti poffunt. L. 7 , S. 7 , ff.
de acq. rer. dom.
Obfervez que Gaïus a mal- à-propos
compris parmi les exemples du cas au-
quel quelqu'un a formé une nouvelle
fubftance avec des matieres qui ne lui
appartenoient pas , ceux du vin ou de
l'huile que quelqu'un a fait de mes raifins
& de mes olives ; car le vin & l'huile
qu'il en a exprimé exiftoient , & étoient
renfermés dans mes raifins & dans mes
olives ; ce n'eft donc point une nouvelle
fubftance à laquelle il ait donné l'être ;
il n'a fait que les exprimer de mes raifins
& de mes olives , en les débarraffant des
enveloppes qui les y tenoient renfermées :
ce n'eft donc point là proprement ſpé-
cification ; & il n'eft point douteux que
fi quelqu'un ayant trouvé ma vendange ,
foit de mes raifins , foit de mes olives ,
qu'il a prife par erreur pour la fienne , l'a
fait mettre fur le preffoir , & en a fait
du vin & de l'huile ; le vin ou l'huile
184 Traité du Droit de Proprieté
qui m'appartenoient pendant qu'ils étoient
renfermés dans mes raifins ou dans mes
olives, doivent continuer de m'appartenir
en payant la façon du preffurage .
187 Juftinien a embraffé la troifieme
de ces opinions dans fes Inftitutes , tit.
de rer. divif. S. 25.
Dans cette troifieme opinion que Juf-
tinien a embraffée , la même diftinction
qu'on fait dans le cas auquel quelqu'un
a fait une chofe entiérement avec une
matiere qui m'appartenoit , a pareillement
lieu dans le cas auquel il l'a faite en partie
avec fa matiere & en partie avec la
mienne ; fi pour faire cette chofe il a
détruit fa matiere & la mienne , de ma-
niere qu'elles ne puiffent plus reprendre
leur premiere forme , la chofe qu'il a
faite de ces matieres lui appartient en-
tiérement ; mais fi ma matiere & la
fienne qu'il a employée pour faire la chofe
qu'il a faite , ne font pas entiérement
détruites ; quand même elles feroient
tellement mêlées enfemble qu'on auroit
de la peine à les féparer , la chofe doit
appartenir en commun à lui & à moi ,
à proportion de la matiere que nous y
avons chacun : Pomponius fcribit , fi ex
melle meo & vino tuo factum fit mulfum
quofdam Sabinianos fcilicet ) exiftimaf
fe id communicari ; fed puto verius , ut &
P. 1, Ch. 2 , S. 3 , Art. 4 , S. 1. 185
ipfe fignificat , ejus potius effe qui fecit
quoniamfuam fpeciem priftinam non continet :
fedfi plumbum cum argento mixtum fuerit ,
proparte effe vindicandum , nec quaquam erit
dicendum quod in mulfo dictum eft , quia
utraque materia etfi confufa , manet tamen.
L. 5, S. I , ff. de Rei vindic.
188. Cette troifieme opinion queJuftinien
a embraffée , paroît effectivement la plus
équitable , & doit être fuivie , de maniere
néanmoins qu'on doive laiffer à l'arbi-
trage du Juge de s'en écarter fuivant les
différentes circonftances : par exemple ,
un Orfevre a acheté de bonne foi d'une
perfonne connue des lingots d'argent
qu'on m'avoit volés , & a fait avec mes
lingots un excellent ouvrage d'orfévrerie ;
quoique mes lingots avec lefquels l'ou-
vrage a eté fait ne foient pas tellement
détruits qu'ils ne puiffent reprendre leur
premiere forme , néanmoins je ne dois
pas être écouté à revendiquer l'ouvrage
fait avec mes lingots , en offrant feule-
ment de payer le prix de la façon d'une
vaiffelle ordinaire ; mais l'Orfevre doit
être reçu à retenir fon ouvrage , en me
rendant de l'argent en maffe , en pareil
poids & de pareille qualité ; les lingots
étant de la nature des chofes fungibles
qui fe remplacent par d'autres ; en me
rendant cela , c'eft me rendre mes lingots.
186 Traité du Droit de Propriété,
189. D'un autre côté , je fuppofe que j'as
vois des fimples très-rares , qui m'étoient
venus de l'Amérique, dont je comptois faire.
tin onguent excellent ; on me les a volés ,
& on les a portés à un Apothicaire qui les
a achetés de bonne foi , & en a fait un
onguent tel que celui que je me propofois
de faire ; quoique les fimples avec lef-
quels l'onguent a été fait ne puiffent plus
reprendre leur premiere forme ; néan-
moins dans ce cas particulier , comme
ce font les fimples qui font tout le prix
de l'onguent , que la façon eft très-peut
de chofe je crois qu'on doit , contre la
regle ordinaire , m'adjuger l'onguent qui
a été fait avec mes fimples , à la charge
de payer à l'Apothicaire , le prix de la
façon de l'onguent : l'Apothicaire à qui
on paie le prix de fa façon , ne ſouffre
aucun préjudice ; au contraire fi l'Apo-
thicaire étoit écouté à retenir l'onguent ,
en me payant le prix de mes fimples
j'en fouffrirois un très-grand ; car outre
qu'il ne feroit pas facile de fixer le prix
de mes fimples ; quelque fomme qu'on
me donnât , je ne pourrois pas en avoir
d'autres.
P.1, Ch. 2 , S.3 , Art. 4 , S. 2. 187

S. I I.

De la Confufion.

190. La confuſion eſt encore une ma


niere d'acquérir par droit d'acceffion vi
ac poteftate rei fuæ.
Lorſqu'une chofe eft formée par le
mêlange de plufieurs matieres , apparte-
nantes à différents propriétaires , ils ac-
quierent en commun la chofe formée par
ce mêlange , & ils y ont chacun une
part indivife , à proportion de ce qui
appartenoit à chacun d'eux dans les ma-
tieres dont la chofe a été formée.
Par exemple , fi un demi- muid de vin
blanc , de valeur de 50 livres , qui m'ap-
partenoit , a été mêlé avec un demi - muid
de vin rouge , qui vous appartenoit , de
valeur de cent livres ; le muid de vin
formé de ce mêlange nous appartiendra
en commun ; à vous pour les deux tiers ,
& à moi pour un tiers , votre matiere
qui y eft entrée étant du double de la
valeur de la mienne.
Cela n'a pas feulement lieu dans le
cas auquel ce mêlange fe fait par la vo-
lonté de ceux à qui les matieres appar-
tiennent , auquel cas il ne peut être dou-
teux , que la chofe que ce mêlange a
188 Traité du Droit de Propriété
produit, leur eft commune : Voluntasduo
rum dominorum mifcentium materias com-
mune totum corpus efficit. L. 7 , S. 8 , ff.
de adquir. rer. dom.
Cela a lieu pareillement lorfque ce
mêlange s'eft fait fortuitement & à l'inſçu
des propriétaires de ces matieres : Sed
etfi (pourfuit Gaïus ) fine voluntate domi-
norum cafu confufae fint duorum materiæ veľ
ejufdem generis , vel diverfæ , idem juris eft..
d. L. S. 9. Ceux à qui appartenoient ces
matieres acquierent en ce cas , en com-
mun , la chofe formée de ce mêlange ,.
chacun au prorata de fa matiere , & ils
font chacun cette acquifition par une
efpece de droit d'acceffion vi ac poteftate
reifuæ ; le domaine que chacun d'eux a
de la matiere qui a contribué à la for-
mation de cette chofe, fait à chacun d'eux,
vi ac poteftate fuæ materiæ , une part dans
cette choſe comme étant pour cette
partie une production de cette matiere.
191. Obfervez une grande différence
entre le cas auquel le mêlange des 'ma-
tieres s'eft fait fortuitement & à l'infçu
de ceux à qui elles appartiennent , &
celui auquel il s'eft fait de leur confen-
tement.
Dans ce cas-ci , ils acquierent en com-
mun la chofe formée de ce mêlange
foit que leurs matieres dont elle eſt for-
P. I, Ch. 2 , S. 3 , Art. 4 , S. 2. 189
mée ne puiffent fe féparer , foit qu'elles
puiffent fe féparer ; mais dans le premier
cas , lorfque le mêlange s'eft fait fortui-
tement & à l'infçu des propriétaires de
ces matieres , ils n'acquierent en commun
la chofe formée de ce mêlange que dans
le feul cas auquel les matieres dont elle
eft formée ne peuvent plus fe féparer ,
comme lorsqu'on a mêlé des vins en-
femble appartenants à différents Maîtres,
ou lorsqu'on a mêlé mon vin avec votre
miel ; mais lorfque les matieres dont la
chofe a été formée peuvent fe féparer ,
il ne fe fait point , par le mêlange qui en
a été fait , d'acquifition en commun de la
chofe qui a été formée de ce mêlange ;
chacun de ceux à qui les matieres appar-
tenoient , conferve en ce cas un domaine .
féparé de la matiere qu'il a dans cette
chofe ; les matieres dont cette chofe eft
formée étant cenfées en ce cas n'avoir
point été détruites par le mêlange qui
en a été fait , & continuer nonobftant
leur mêlange de fubfifter telles qu'elles
étoient auparavant ; c'eſt ce qu'enſeigne
Calliftrat Si ære meo & argento tuo con
flato aliquafpecies factafit, non erit ea noftra
communis ; quia cum diverfæ materie as
atque argentum fit , ab artificibus feparari
& in priftinam materiam reducifolet. L. 12 ,
S. 1, ff. de acq. rer. dom.
190 Traité du Droit de Propriétés
192. Je croirois qu'il feroit plus équita-
ble & plus raifonnable de dire , que lorsque
ma matiere qui , par fon mêlange avec
votre matiere , a formé la chofe , fur-
paffe de beaucoup la vôtre , & par la
quantité & par le prix ; cette chofe doit
m'appartenir , à la charge par moi de
vous rendre le prix de votre matiere ;
ou fi mieux vous l'aimiez , à la charge
de vous rendre autant de cette matiere
en poids & en qualité.
Je penfe même que dans le cas au-
quel la matiere de l'un des propriétaires
feroit à-peu- près égale en quantité & en
prix à celle de l'autre ; fi la féparation de
ces matieres , quoique poffible , ne pou-
voit néanmoins fe faire fans dommage ;
la demande que l'un d'eux feroit par mau-
vaiſe humeur pour la féparation des ma-
tieres , ne devroit pas être écoutée , &
qu'il en devroit être donné congé , fi
l'autre propriétaire lui offroit de liciter
la chofe comme chofe commune , fi mieux
il n'aimoit qu'on lui rendît la valeur de
fa matiere , ou en deniers ou en pareille
quantité ou de pareil poids.
Les Jurifconfultes Romains avoient
fur cette matiere pouffé la fubtilité juf
qu'à dire que lorfque deux monceaux
de bled appartenants à deux différents
propriétaires , avoient été mêlés en un
P. I, Ch. 2 , Sect. 4 , Art. 4 § 2. 191
feul monceau , de maniere à ne pouvoir
plus ſe démêler ; le monceau ne devenoit
pas commun par ce mêlange , à moins
qu'il ne fe fut fait du confentement des
propriétaires ; parce que les grains de
leurs bleds , quoique mêlés , continuant
d'exiſter dans la même ſubſtance , & tels
qu'ils étoient auparavant , chacun con-
tinuoit d'avoir dans le monceau un do-
maine féparé du bled qu'il y avoit. L. 5 , ff
.
de rei vind. C'eft une pure fubtilité ; chacun
ne pouvant démêler le bled qu'il a dans le
monceau d'avec celui qu'y a l'autre ; il eft
néceffaire de déclarer le monceau commun
entr'eux , dans lequel ils ont chacun une
part indivife , à proportion de la quan-
tité & qualité du bled qu'ils ont dans le
monceau par exemple , fi j'y ai trois
muids , & que vous en ayiez deux , dont
le prix égale celui de mes trois , le mon-
ceau fera commun entre nous pour cha
cun moitié.

SECTION IV.

De la Tradition.

193. Nous avons traité dans les pré-


cédentes fections de l'occupation & de
l'acceffion qui font les manieres d'acquérir
par le droit naturel le domaine des choſes
192 Traité du Droit de Propriété,
qui n'appartiennent à perfonne , & aux
quelles les Docteurs ont donné le nom
de modi acquirendi dominii originarii.
Nous traiterons dans celle- ci d'une , troi-
fieme maniere d'acquérir le domaine
qui eft la tradition , par laquelle on fait
paffer le domaine d'une chofe d'une
perfonne à une autre , & qui eft appellée
par les Docteurs , modus acquirendi dominii
derivativus.
Cette maniere d'acquérir le domaine
des chofes , eft priſe du Droit naturel , de
même que les précédentes. Hæ quoque
res que traditione noftræfiunt , jure gentium
nobis acquiruntur ; nihil enim eft tam con-
veniens naturali æquitati , quam voluntatem
domini volentis rem fuam in alium trans-
ferre ratam haberi. L. 9 , S. 3 , ff. de acq.
rer. dom.
Nous verrons dans un premier article
ce que c'eft que la tradition , & quelles
font les différentes efpeces de tradition ?
Dans un fecond , nous traiterons des
conditions requifes pour faire paffer le
domaine à celui auquel la tradition eſt
faite Dans un troifieme , de l'effet de
la tradition.

ARTICLE
P. I, Ch. 2 , S. 4 , Art. 1 , S. 1. 193

ARTICLE PREMIER.

Ce que c'est que la Tradition , & quelles


font les différentes efpeces de Tradition.

194. La tradition eſt la tranſlation que


fait une perfonne à une autre de la pof-
feffion d'une chofe : Traditio eftpoffeffionis
datio.

On en diftingue plufieurs efpeces , la


tradition réelle , la tradition fymbolique
la tradition longe manus , la tradition brevis
manus ; enfin , il y a des traditions feintes
qui résultent de certaines claufes appofées
aux actes de donations de vente , &
autres actes femblables.

S I

De la Tradition réelle.

195. La tradition réelle , eft celle qui fe


fait par une préhenfion corporelle de la
chofe faite par celui à qui on entend en
faire la tradition , ou par quelqu'un de
La part.
Lorſque la chofe eft un meuble cor-
porel , la tradition réelle s'en fait à une
perfonne, en la remettant entre fes mains ,
Tome I. I
194 Traité du Droit de Propriete ,
ou en celles d'un autre qui la reçoit pour
elle de fon ordre par exemple , fi j'ai
acheté un livre chez un Libraire , ce Li-
braire me fait la tradition réelle de ce livre
en me le remettant entre les mains qu
entre les mains de mon domestique par
qui je l'ai envoyé quérir,
196. Lorfque la chofe eft un fonds de
terre , la tradition réelle s'en fait , lorſque
de mon confentement la perfonne à qui
j'entends en faire la tradition réelle , fe
tranfporte fur ce fonds de terre , ou par
elle-même ou par quelqu'un qui s'y tranf-
porte pour elle & de fon ordre.
Lorfque c'eft une maifon , le vendeur
qui me l'a vendue m'en fait la tradition
réelle en délogeant les meubles qu'il y
a , & en y fouffrant porter les miens.
197. Lorfque c'est une chofe qui tenoit
à votre héritage , & en faifoit partie , que
vous m'avez vendue ou donnée ; comme
fi vous m'aviez vendu ou donné de la
pierre que vous m'avez permis d'y fouil-
ler , ou des arbres fur pied que vous
m'avez permis d'abattre ; la tradition
réelle s'en fait par la féparation que je
fais faire , avec votre permiffion , de cette
chofe , de la terre où elle tenoit , & j'en
acquiers par cette tradition le domaine
auffi -tôt que la chofe a été détachée &
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 1 , §. 1. 195
féparée de la terre : Qui faxum mihi exi-
mere de fuo permifit donationis ( * ) caufa , '
ftatim quum lapis exemptus eft , meus fit ,
neque prohibendo me evehere efficit ut meus eſſe
definat , quia quodammodo traditione meus
factus eft . quafi enim traditio videtur
facta quum eximitur Domini voluntate.
Quod in faxo eft , idem erit etiamfi in ar-
bore casa vel demptâ acciderit. L. 6 , ff. de
acq. rer. dom.
198. Il n'eft pas néceffaire pour la tra-
dition réelle , même d'un héritage , qu'il
en foit fait un acte par écrit , ni que
celui qui m'en fait la tradition , ait dit
qu'il m'en fait cette tradition ; il fuffit
qu'il m'ait fouffert me tranfporter fur
l'héritage par moi-même , ou par quel-
'autre en mon nom , pour me mettre
qu'au
en poffeffion Licet inftrumento non fit
comprehenfum quod tibi tradita fit poſſeſſio ;
ipfa tamen veritate id confecutus es , fi fciente
Venditore in poffeffione fuifti. L. 2 , Cod.
de acq. poffef.
Non idcircò minus emptio perfecta (**)
eft quod ... inftrumentum vacuæ poffeffionis
inductum eft ; nam fecundum confenfum au-

1 (*) Aut quovis alio titulo , nil refert.


Perfectam hic intelligit non quæ per confenfum
perfecta eft , fed quæ per traditionem confummata eft.
I ij
196 Traite du Droit de Propriété ,
thoris poffeffionem ingreffus recte poffidet,
L. 12 , Cod. de contrah. empt.

S. II.

De la Tradition fymbolique.

199. La tradition fymbolique eft celle par


laquelle on remet entre les mains de la
perfonne à qui on entend faire la tradi-
tion d'une chofe , non la chofe même ,
mais quelque chofe qui la repréfente , &
qui met en fon pouvoir la choſe dont
on entend lui faire la tradition.
Cette tradition eſt équivalente à la tra-
dition réelle qui feroit faite de la chofe
même par exemple , lorfque je vous ai
remis entre les mains les clefs d'un ma-
gafin où font des marchandifes que je
me fuis obligé de vous livrer , pour que
vous puiffiez les enlever quand bon vous
femblera je fuis cenfé par cette tradi-
tion des clefs , vous avoir fait la tradition
des marchandifes : Si quis merces in horreo
repofitas vendiderit , fimul atque claves horrei
tradiderit emptori , transfertproprietatem mer-
cium ad emptorem. L. 9 , §. 6 , ff. de acq.
rer. dom.
Papinien vouloit que pour que cette
tradition des clefs du magafin équipollât
à la tradition des marchandifes qui y
Part. 1, Ch. 2 , S. 4 , Art. 1 , §. 2 197
étoient , elle fe fit in re præfenti , à la
vue du magafin ; clavibus traditis , ita
mercium in horreis conditarum poffeffio tra-
dita videtur , fi claves apud horrea traditæ
fint ; quo facto confeftim emptor dominium
& poffeffionem adipifcitur , etfi non aperuerit
horrea. L. 74 , f. contrah. empt.
Dans notre Droit , je penfe qu'en quel-
que lieu que les clefs aient été remiſes ,
pourvu que celui à qui elles font remiſes
fache où eft le magafin , la tradition des
marchandifes qui y font , doit être cenſée
faite.
200. La tradition que le vendeur ou do-
nateur d'une maifon feroit des clefs de cette
maifon à l'acheteur ou donataire après
en avoir délogé fes meubles , me paroît
auffi devoir paffer pour une tradition
fymbolique de la maifon , qui doit équi-
poller à une tradition réelle.
201. La tradition des titres d'une chofe
eft auffi une tradition fymbolique qui équi-
polle à la tradition réelle de la chofe :
Emptionum mancipiorum inftrumentis donatis
& traditis , & ipforum mancipiorum dona-
tionem & traditionemfactam intelligis. L. 1 ,
Cod. de donat.

I iij
198 Traité du Droit de Propriete ,

S. III.

De la Tradition Longæ manûs.

202. La tradition qu'on appelle longæ ma-


nús , eft celle qui fe fait fans aucune pré-
henfion corporelle de la chofe dont on
entend faire la tradition , & qui confifte
dans la feule montrée qui eft faite de
Icette chofe à celui à qui on entend en
faire la tradition , avec la faculté qui lui
eft donnée de s'en mettre en poffeffion.
Cette tradition eft équivalente à la
tradition réelle par exemple , lorfqu'un
Marchand de bois qui m'a vendu une
groffe piece de bois qui eft dans fa cour ,
me donne , en me la montrant , la permif-
fion de la faire enlever quand il me plaira';
cette permiffion qu'il me donne en me
la montrant eft regardée comme une tra-
dition qu'il me fait de cette piece de bois ;
je fuis cenfé dès - lors commencer à la
pofféder oculis & affectu , même avant que
perfonne de ma part fe foit mis en de-
voir de l'enlever. C'est pourquoi Paul
1
dit : Non eft corpore & adu neceffe appre-
hendere poffeffionem , fed etiam oculis & af
fectu , & argumento effe eas res quæ propter
magnitudinem ponderis moveri non poffunt
ut columnas : nam pro traditis eas haberi fi
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 1 , §. 2. 199
in re præfenti confenferint. L,
L. 1 , §. 21 , ff.
de acq.poffeff.
203.Jabolenus va jufqu'à dire que cette
efpece de tradition eft cenfée intervenir ,
même à l'égard d'une fomme d'argent ou
de quelqu'autre chofe que ce foit , lorf-
que celui qui me la doit , me l'expoſe
& me la laiffe fur ma table , la tradition
fuivant ce Jurifconfulte eft censée dès-
lors m'en être faite , & je ཙྩ fuis dès-lors
cenfé la pofféder avant que d'y avoir
touché Pecuniam quam mihi debes aut
aliam rem , fi in confpectu meo ponere te
jubeam , efficitur ut & tu ftatim libereris &
mea fiat ; nam tum quod à nullo corporaliter
ejus rei poffeffio detineretur , acquifita mihi
&quodammodo longâ manu tradita (*) exi-
ftimanda eft. L. 79 , ff. de folut.
204. Cette tradition peut auffi fe pratiquer
à l'égard des héritages ; la montrée que
celui qui m'a vendu un héritage , me fait
de cet héritage du haut de ma tour , avec
la faculté qu'il me donne de m'en mettre
en poffeffion , équivaut à une tradition .
réelle de l'héritage : Si vicinum mihi fun-

[*] Longam manum Jabolenus appellat oculos &


affectum poffidendi qui in hac fpecie , in adipif
cenda rei poffeffione manus officium fupplent &
funt inflar longa manús per quam rem longius pc-
fitam prehendere videmur.
I iv
200 Traité du Droit de Propriété,
dum mercato , venditor in med turre demon
fret , vacuamquefe poffeffionem tradere dicat ,
non minus poffidere cœpi , quam fi pedemfi-
nibus intuliffem. L. 18 , S. 2 , ff. de acq.
poff.
Dans tous ces cas , les yeux de celui
à qui on fait la montrée de la choſe dont
on entend lui faire la tradition , font la
fonction de fes pieds & de fes mains , &
lui font acquérir la poffeffion de l'héri-
tage dont on lui a fait la montrée , de
même que s'il s'y fit tranfporté ; & celle
d'une chofe mobiliere , de même que
s'il l'eût reçue entre fes mains.

S. IV.

'Si la marque qu'un Acheteur met du con-


fentement du Vendeur aux chofes qu'il
lui a vendues , tient lieu de tradition.

205. Elle eft cenfée en tenir lieu à l'égard


des chofes de grand poids. Paul dit :
Videri trabes traditas quas emptor fignaffet.
L. 14 , S. 1 , ff. de peric. & comm.; mais
à l'égard des chofes facilement tranfpor-
tables , la marque que l'acheteur y met ,
eft cenfée n'y être mife qu'in argumentum
venditionis contracte , & pour empêcher
qu'on n'en fubftitue d'autres ; & elle n'eft
point cenfée renfermer une tradition,
P. I , Ch. 2 , S. 3 , Art. 1 , §. 5. 201
Si doliumfignatumfit ab emptore : Trebatius
ait traditum id videri : Labeo contrà , quod
& verum eft ; magis enim ne fummutem fig-
nare folere , quàm ut tradere tum videatur.
L. 1 , §. 2 , ff. d. tit. On doit néanmoins
fuivre , à cet égard , l'ufage des lieux ;
fi l'ufage du lieu où le marché a été paffé ,
étoit de regarder la marque faite du con-
fentement du vendeur comme équiva-
lente à tradition , il faudroit s'y con-
former.
S. V.

De la Tradition qui eft cenfee intervenir


par la fiction brevis manûs.

206. Cette fiction a lieu, lorfque je veux


transférer le domaine d'une chofe à quel-
qu'un qui fe trouve l'avoir par - devers
lui , putà à titre de prêt , de dépôt ou
de louage ; la fiction confifte à feindre
qu'il m'a rendu la chofe qu'il tenoit de
moi , putà à titre de louage , & que je
la lui ai livrée incontinent de nouveau
pour la pofféder dorénavant au titre de
la vente , ou de la donation que je lui
en ai faite , comme dans ce cas : Quædam
mulier fundum J ita non marito donavit per
epiflolam • • • proponebatur quod etiam in
10 agro qui donabaturfuiſſet , ( * ) quum epif-

[ *] Supple donatarius.
Iv
202 Traité du Droit de Propriété ,
tola mitteretur ; quæ res fufficiebat ad tradi-
tampoffeffionem. L. 77 , ff. de rei vindic.
Cette invention de la fiction , brevis
manûs , eft dans ce cas & dans les autres
cas femblables fort inutile ; il vaut mieux
dire plus fimplement qu'on peut transfé-
rer à quelqu'un le domaine d'une chofe
par le feul confentement des parties &
fans tradition , lorfque la chofe fe trouve
déja par-devers lui. C'eft ce que dit Gaïus :
Interdum etiam fine traditione nuda voluntas
domini fufficit ad rem transferendam , veluti
firem quam commodavi aut locavi tibi , aut
apud te depofui , vendidero tibi. L. 9 , S. 5 ,
ff. de acq . rer.. dom.
207. La fiction brevis manus eft mieux
employée dans le cas auquel pour vous
prêter une fomme d'argent , je vous la
fais compter par mon débiteur qui me
la doit ; c'eſt par le fecours de cette
fiction brevis manûs , qu'eft cenfé inter-
venir entre nous un contrat de prêt de
cette fomme ; car étant de l'effence de
ce contrat qui eft appellé mutuum , quafi
de meo tuum que le domaine de la fomme
que je vous prête paffe de moi à vous ;
il faut par cette fiction brevis manûs que
mon débiteur qui vous compte cette
fomme , m'en ait fait acquérir le domaine
par une premiere tradition feinte qu'il
m'en a faite pour me la payer , & qu'en
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 1 , §. 5. 203
ayant acquis ainfi le domaine , je vous
en faffe la tradition par fon miniftere.
Ulpien traite de cette fiction brevis
manus en la Loi 15 , ff. de reb. cred. , où il
dit : Singularia quædam recepta funt circà
pecuniam creditam , nam fi tibi debitorem
meumjuffero dare pecuniamobligaris (*) mihi ,
quamvis meos ( ** ) nummos non acceperis.
Quod igitur in duabus perfonis ( *** ) reci-
pitur , hoc & in eadem perfonâ recipiendum
eft , ut quum ex causâ mandati pecuniam
mihi debeas , & convenerit ut crediti nomine
eam retineas , videatur mihi data pecunia &
à me ad te profecta.

(*) Ex mutuo , mutuum videtur contractum.


**) Quamvis nummi quos accepifli , in rei ve
ritate , non fuerint mei nummi , fed nummi debito-
ris , qui eos meo juffu tibi numeravit ; nam per
fictionem brevis manús , intelliguntur fuiffe mei.
V. not. feqq.
(***) Id eft fictio quæ recipitur in duabus perfo
nis, fcilicet in perfonâ debitoris , qui nummos juffu
meo tibi numerando , fingitur eos priùs mihi fol-
ville & meos effeciffe ; & in meâ perfona , qui
fingor eos nummos mihi à debitore meo folutos &
meos effectos , tibi per minifterium hujus debitoris
numeraffe.

I vj
204 Traité du Droit de Propriété,

S. VI.

De la Tradition feinte , qui résulte de cer


taines claufes appofées au Contrat de vente
ou de donation de la chofe , ou autres
Contrats femblables .

208. Il y a plufieurs claufes , qu'on appoſe


aux contrats de vente ou de donation
d'une chofe , ou autres contrats fembla-
bles , qui font cenfées renfermer une tra-
dition feinte de cette chofe , telle eft la
claufe qu'on appelle de conftitut.
La claufe de conftitut renferme une
efpece de tradition feinte.
C'eft une claufe qu'on met dans un
contrat de donation ou de vente , ou
dans quelqu'autre efpece de contrat , par
laquelle le vendeur ou le donateur
continuant de retenir par- devers lui la
chofe vendue ou donnée , déclare qu'il
entend déformais ne la tenir que pour
& au nom de l'acheteur ou du donataire.
Par cette claufe , le vendeur ou dona-
teur eft cenfé faire la tradition de la
chofe à l'acheteur ou donataire , qui eſt
cenfé prendre poffeffion de la chofe
par la perfonne du vendeur ou donateur ,
par la déclaration que fait le vendeur
ou donateur qu'il poffede déformais au
nom de l'acheteur.
P. 1 , Ch. 2 , S. 4 , Art. 1 , §. 6. 209
209. On peut en dire autant de la claufe
de précaire , par laquelle le vendeur ou
le donateur déclare qu'il n'entend plus
tenir la chofe donnée ou vendue que
précairement de l'acheteur ou donataire.
210. La clauſe de rétention d'ufufruit
dans un contrat de donation ou de vente ,
ou dans quelqu'autre contrat , renferme
pareillement une tradition feinte de la
chofe donnée ou vendue ; car l'ufufruit
étant effentiellement le droit de jouir de
la chofe d'autrui , & perfonne ne pou
vant , per rerum naturam , être ufufruitier
de fa propre chofe , le donateur ou le
vendeur en déclarant qu'il retient l'ufu-
fruit de la chofe donnée ou vendue
déclare fuffifamment qu'il ne tient plus
la chofe en fon nom & comme une chofe
qui lui appartient , mais au nom du do-
nataire ou acheteur , & comme une chofe
appartenante audit donataire ou acheteur ,
lequel donataire ou acheteur eft cenfé
par-là en prendre poffeffion par le minif-
tere du donateur ou vendeur. C'eft ce
qui eft décidé par la Conftitution des
Empereurs Honorius & Théodofe le
jeune : Quifquis rem aliquam donando vel
in dotem dando vel vendendo ufumfructum
ejus retinuerit ... eam continuo tradidiffe
credatur ; nec quid amplius requiratur quo
magis videatur facta traditio ; fed omnimodo
206 Traité du Droit de propriété ,
idem fit in his caufis ufumfructum retinere
quod tradere. L. 28 , Cod. de donat.
211. Il en eft de même de la claufe
par laquelle dans un contrat de donation
ou de vente le donateur ou vendeur
prend à ferme ou loyer du donataire ou
acheteur la chofe donnée ou vendue :
Quædam mulier fundum ita non marito do-
navit, & eumdem fundum ab eo conduxit ,
poffe deffendi in rem (* ) ei ( donatario ) compe-
tere , quafi per ipfam acquifierit poffeffionem
veluti per colonam . L. 77 , ff. de rei vindic.
Il en doit être de même de la claufe
par laquelle le vendeur ou donateur
auroit déclaré tenir la chofe à titre de
prêt ou à titre de dépôt de l'acheteur
ou donataire.
212. Nos Coutumes ont fuivi les dif-
pofitions du Droit Romain fur ces clauſes ,
& elles les regardent pareillement comme
renfermant une tradition qui équipolle
à la tradition réelle. Celle de Meaux
ch. 3 , art. 13 , dit en termes formels :
Equipolle rétention d'ufufruit à vraie tradi-
tion réelle & actuelle . Celle de Sens , art. 230,
parle de claufe tranflative de poffeffion
comme conftitut , rétention d'ufufruit , précaire
ou autre. Voyez Paris , art. 275 , & la
Conférence de Guenois fur cet article.

(*) Actionem in rem quæfoli domino competit,


P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 1 , §.6. 207
213. La Coutume d'Orléans , art. 278 ,
veut même que la fimple claufe de dé-
faifine faifine , par laquelle le vendeur ou
donateur déclare qu'il fe défaifit de l'hé-
ritage , & qu'il en faifit l'acheteur ou
donataire lorſqu'elle eft dans un acte paffé
devant Notaires ,foit cenfée renfermer une
tradition feinte qui équipolle à la tradi-
tion réelle. Voici comme elle s'en expli-
que « Défaifines & faifines faites par-
» devant Notaires de Cour laie de la
» chofe aliénée valent & équipollent à
» tradition de fait & poffeffion prinfe de
» la chofe , fans qu'il foit requis autre
» appréhenfion.
Pour la tradition feinte qui réfulte de
cette claufe , il faut trois chofes , 1 ° . que
cette claufe foit interpofée par un acte reçu
devant Notaires ; car c'eſt de la folemnité
de l'acte , & du caractere de l'Officier
public qui l'a reçu , que la claufe a la
vertu de paffer pour une tradition qui
équipolle à la tradition de fait. Il faut
2°. que le vendeur ou donateur qui dé-
clare par l'acte fe défaifir de la chofe ,
& en faifir l'acheteur ou donataire , foit
lors de l'acte en poffeffion réelle de cette
chofe ; car la fiction imite la vérité ; de
même qu'il n'eft pas poffible que quel-
qu'un fe défaififfe réellement d'une pof-
feffion qu'il n'a pas , & en faififfe une
autre perfonne ; on ne peut par la même
208 Traité du Droit de Propriete' ;
raifon feindre qu'il s'en- foit défaifi , &
en ait faifi quelqu'un . Il faut , 3 ° . que
depuis l'acte le vendeur ou donateur ne
foit plus demeuré en poffeffion de l'hé-
ritage , & qu'il l'ait laiffé vacant , de
maniere que l'acheteur ou donataire eût
la faculté de s'en mettre en poffeffion quand
bon lui fembleroit.

S. VII.

Des Traditions qui ont lieu à l'égard des


chofes incorporelle's

214. Les chofes incorporelles n'étant


pas fufceptibles de poffeffion puifque
la poffeffion confifte dans une détention
corporelle qu'on a d'une chofe ; c'eſt une
conféquence qu'elles ne font pas non plus
fufceptibles de tradition la tradition
n'étant autre chofe qu'une tranflation de
poffeffion ; néanmoins comme à défaut
d'une poffeffion proprement dite , on
reconnoît une efpece de quafi-poffeffion
des chofes incorporelles , laquelle con-
fifte dans l'ufage qu'on en fait ; il doit
auffi y avoir une efpece de tradition des
chofes incorporelles .
Cette tradition à l'égard des droits
réels , tels que les droits de fervitude , ſe
fait ufu & patientia ; c'eft- à-dire , lorfque
celui qui au vu & au fçu duquel il en
P. I, Ch. 2 , S. 4 , Art. 1 , § . 7. 209
ufe , l'en fouffre ufer ; par exemple , fi
je me fuis obligé de vous conftituer un
droit de paffage fur mon héritage , je fuis
cenfé vous faire la tradition de ce droit
lorfque vous commencez à y paffer , &
que je le fouffre. Si je me fuis obligé de
vous donner un droit de vue fur ma
maifon , lorfque vous avez ouvert une
fenêtre dans le mur mitoyen & commun ,
& que je l'ai fouffert.
215. A l'égard des droits de créance ;
lorfque quelqu'un m'a fait une ceffion
ou transport d'une créance , la tradition
ne peut s'en faire que par la fignification
que je fais faire de mon acte de tranf-
port à celui qui en eft le débiteur.
C'est ce qui eft porté par l'article 108
de la Coutume de Paris , qui fait à cet
égard un Droit commun. Il y eft dit :
Un fimple tranſport ne faifit point ; il faut
fignifier le tranfport à la partie & en donner
copie.
Cette fignification fe fait par un Ser-
gent. L'acceptation que le débiteur fait
du tranfport a le même effet que la fi-
gnification du tranfport ; elle tient lieu
de la tradition de la créance cédée , &
en transfere la propriété au ceffionnaire
mais les actes fous fignature privée n'ayant
de date contre les tiers que du jour qu'ils
leur font repréſentés , comme nous l'avons
210 Traité du Droit de Propriete ,
vu en notre Traité des Obligations , n. 715
il faut vis-à-vis du tiers qu'à défaut de
fignification du tranſport , la date de l'ac
ceptation du tranſport qui en tient lieu,
foit conftatée par un acte devant No-
taires ou autrement.
Faute de fignification ou d'acceptation
du tranfport de la créance , la propriété
n'en eft point transférée au ceffionnaire ;
le cédant en demeure toujours le pro-
priétaire; le paiement que lui en feroit
le débiteur depuis la ceffion , feroit valable
& éteindroit la créance ; les créanciers
du cédant peuvent faifir & arrêter fa
créance fur le débiteur , & font préférés
pour s'en faire payer au ceffionnaire qui
n'auroit point encore , lors de leur faiſie ,
fignifié fon tranfport ; enfin le cédant
peut depuis la ceffion faite au premier
ceffionnaire qui n'a point fignifié fon
tranfport , faire tranfport & ceffion de
la créance à un fecond ceffionnaire , le-
quel , s'il eft plus diligent que le premier
ceffionnaire à fignifier au débiteur ce fe-
cond tranfport , acquerra la propriété
de la créance , fauf au premier ceffion-
naire fon recours contre le cédant.
216. Le principe que la fignification
du tranfport d'une créance eft néceffaire
pour tenir lieu de tradition de cette
créance , & en transférer la propriété au
P.1, Ch. 2 , S. 4 , Art. 1. §. 7. 211
ceffionnaire , fouffre exception à l'égard
des lettres de change & des billets à ordre ;
car auffi-tôt que le propriétaire de la
créance contenue dans une lettre de
change ou dans un billet à ordre , m'en
a fait tranfport en me paffant fon ordre
à mon profit au dos de la lettre de change
ou du billet , & qu'il m'a remis entre les
mains la lettre de change ou le billet à
ordre , je deviens propriétaire de la
créance qui y eft contenue , fans que
j'aie fait aucune fignification au débiteur ;
mon cédant ne peut plus dès- lors la céder
à un autre ; fes créanciers ne peuvent
plus dès-lors la faifir entre les mains du
débiteur , & le débiteur ne peut plus
dès- lors la lui payer valablement ; c'eft
pourquoi lorfque le débiteur d'une créance
portée par une lettre de change ou par
un billet à ordre veut en faire le paie-
ment , il doit pour payer fûrement fe
faire repréfenter & remettre la lettre ou
le billet , pour connoître fi celui à qui il
paie en eft encore le créancier.
217. Le principe fouffre une feconde
exception à l'égard des créances portées
par des billets ou papiers payables au
porteur ; la tradition eft cenfée s'en faire
par la tradition des billets & papiers
qui les renferment. "
212 Traité du Droit de Propriété,

ARTICLE II.

Des Conditions requifes pour que la Tra


dition transfere la Propriété.

218. Nous remarquons quatre condi-


tions dont le concours eft néceffaire pour
que la tradition qu'on fait à quelqu'un
d'une chofe , lui en transfere la propriété ,
ou à celui au nom duquel il la reçoit.
Il faut , 1 °. que celui qui fait à quel-
qu'un la tradition d'une chofe , en foit le
propriétaire , ou la faffe du confentement
du propriétaire. Il faut , 2°. que ce pro-
priétaire qui fait la tradition ou qui la
confent , foit capable d'aliéner. 3 °. Il
faut que la tradition foit faite en vertu
d'un titre vrai ou du moins putatif , de
nature à transférer la propriété. 4°. Il
faut enfin le confentement des parties :
nous traiterons de ces quatre conditions
dans autant de paragraphes. Nous rap-
porterons dans un cinquieme paragraphe
une condition qui eft particuliere à la
tradition qui fe fait en exécution d'un
contrat de vente.
P. I, Ch. 2 , S. 4, Art. 2 , §. 1. 213

SI.

Premiere Condition. Il faut que la Tradi-


tionfe faffe par le propriétaire de la chofe ,
ou defon confentement.

219. C'eft un principe pris dans la


nature des chofes , que perfonne ne peut
transférer à un autre plus de droit dans
une chofe qu'il n'y en a lui - même :
Nemo plus juris ad alium transferre poteft.
quam ipfe haberet. L. 54 , ff. de reg. jur.
De-là il fuit , que celui qui n'eſt pas
propriétaire d'une chofe , ne peut par la
tradition qu'il en fait à quelqu'un , lui en
transférer la propriété qu'il n'a pas. C'eſt
pourquoi Ulpien dit : Traditio nihil am-
plius transferre debet vel poteft ad eum qui
accipit , quàm eft apud eum qui tradit ; fi
igitur quis Dominium in fundo habuit , id
tradendo transfert ; fi non habuit , ad eum
de acq.
qui accipit nihil transfert. L. 20 , ff.
rer. dom. Ce qui doit s'entendre avec
cette limitation , à moins que le pro-
priétaire ne donne fon confentement à
la tradition ; car pour que la tradition
qui eft faire à quelqu'un d'une chofe ,
puiffe lui en transférer la propriété , il
n'importe que ce foit le propriétaire de
la chofe qui en faffe lui-même la tradi-
214 Traité du Droit de Propriete" ,
tion , ou que ce foit une autre perfonne
du confentement du propriétaire : Nihil
intereft utrum ipfe Dominus perfe tradat alicui
rem , an voluntate ejus aliquis. L. 9 , S. 4 ,
ff. d. tit.
220. Il n'eft pas même néceffaire pour
que la tradition transfere la propriété
d'une chofe, que le confentement qu'y ,
donne le propriétaire , foit un confente-
ment formel & fpécial ; un confentement,
général & implicite fuffit pour cela.
Par exemple , lorfque j'ai chargé quel-
qu'un de l'adminiftration de mes affaires ;
je fuis cenfé par cela feul avoir donné .
un confentement général à toutes les
ventes qu'il fera pour l'adminiſtration de
mes affaires , & à la tradition des chofes
vendues ; & ce confentement général &
implicite eft fuffifant pour que la tradition
qu'il fera de ces chofes en transfere la
propriété à ceux à qui il la fera : Si cui
libera negotiorum adminiftratio ab eo qui pe-
regre proficifcitur permiffa fuerit , & is ex
negotiis rem vendiderit & tradiderit , facit
eam accipientis . L. 9 , S. 4 , ff. de acq. rer.
dom,
211. Obfervez que c'eft au temps que
fe fait la tradition que le confentement
du propriétaire à la tradition doit inter-
venir , pour qu'elle puiffe transférer la
propriété de la chofe à celui à qui elle
P.1, Ch. 2 , S. 4, Art. 2 , §. 1. 215
eft faite. Si le propriétaire ayant volon-
tairement , & fans y être obligé , conſenti
à la tradition que je devois faire de fa
chofe , & eût avant que je l'aie faite ,
changé de volonté , ou eût perdu la vie
ou la raiſon ; fon confentement ne fub-
ſiſtant plus , la tradition que je ferois de-
puis ne pourroit transférer la propriété
à celui à qui je la ferois. C'eft ce que dé-
cide Africanus dans cette efpece : Si tibi
in hoc dederim nummos ut eos ficho credas
deinde mortuo me ignorans dederis , accipien-
tis non facies. L. 421 , ff. de reb. cred. Car ,
quoique j'euffe confenti à la tradition que
vous deviez faire à Stichus de cet argent
.
dont j'étois propriétaire , mon confente-
ment ne fubfiftoit plus lorfque vous avez
compté ces deniers à Stichus ; la tradition
que vous lui en avez faite n'a pu lui en
transférer la propriété , fans le confente-
ment de mon héritier , qui par ma mort ,
en étoit devenu le propriétaire.
Vice verfà , quoique vous m'ayez ven-
du une choſe à l'infçu du propriétaire , il
fuffit qu'au temps de la tradition que
vous m'en faites , le propriétaire de la
chofe ait confenti à cette tradition , pour
qu'elle m'ait transféré la propriété de la
chofe : Conftat , fi rem alienamfcienti mihi
vendas , tradas autem eo tempore quo dominus
ratum habet , traditionis tempus infpicien
216 Traité du Droit de Proprieté ,
dum , remque meam fieri. L. 44 , §. 1 , ff.
de ufucap.
212. La tradition d'une choſe eſt cen-
fée faite par le propriétaire , & transfére
la propriété de la chofe à celui à qui elle
eft faite , non-feulement lorſqu'elle eft faite
par le propriétaire lui-même , mais lorf-
qu'elle eft faite en fon nom , par quel-
qu'un qui a qualité pour cela ; par exem-
ple , lorſque le tuteur d'un mineur , ou le
curateur d'un interdit , vend en fa qua-
lité de tuteur ou de curateur , des chofes
mobilieres appartenantes au mineur, ou à
l'interdit , & en fait en cette qualité la
tradition aux acheteurs , c'eſt le mineur
ou l'interdit propriétaire des choſes ven-
dues qui eft cenfé en avoir fait la tra-
dition , par le miniftere de fon tuteur ou
curateur , laquelle en conféquence en a
transféré la propriété aux acheteurs. C'eſt
le cas de cette maxime : le fait du tu→
teur eft le fait du mineur.
Mais file tuteur ou curateur avoit vendu
en fon nom de tuteur ou de curateur
fans décret du Juge , un héritage du mi-
neur ou de l'interdit ; la tradition qu'il en
feroit audit nom , ne feroit pas cenfée faite
par le mineur ou l'interdit , & ne transfé-
reroit pas la propriété de l'héritage à l'ache-
teur , car le fait du tuteur n'eſt cenſé ce-
lui du mineur , que dans les chofes qui
n'excedent
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 2 , §. 1. 217
n'excedent pas le pouvoir du tuteur ; mais
l'aliénation des immeubles du mineur ou
de l'interdit , eft une chofe qui excede
le pouvoir d'un tuteur ou d'un curateur.
223. On a fait la queftion de fça-
voir , fi vous ayant donné une chofe pour
la donner en mon nom à quelqu'un , la
tradition que vous lui en avez faite non
en mon nom , mais au vôtre , lui en a
transféré la propriété ? Jabolenus décide
que fuivant la fubtilité du Droit , elle ne
l'a pas transférée ; la tradition n'ayant
pas été faite par le propriétaire de la
chofe , puifqu'elle n'a pas été faite en mon
nom , & que j'en étois le propriétaire 2
ni même du confentement du propriétaire ;
car j'ai bien voulu qu'on la donnât , &
qu'on en fît la tradition en mon nom ;
mais je n'ai pas confenti à la tradition
que vous faites en votre nom : néanmoins
ce Jurifconfulte ajoute , que fuivant l'équi-
té, je ne dois pas être reçu à revendiquer
la chofe fur celui à qui la tradition en a
été faite , ayant eu la volonté de la lui
J
donner : Si tibi dederim rem ut Titio no-
mine meo dares , & tuo nomine eam ei de-
deris , an factam ejus putas ? Refpondit ;
fi rem tibi dederim ut Titio meo nomine do-
nares, eamque tú tuo nomine ei dederis ;
quantum ad juris fubtilitatem , accipientis
facta non eft , & tu furti obligaris ; fed
Tome I. K
218 Traité du Droit de Propriete' ,
benignius eft , fi agam contra eum qui rem
accepit , exceptione doli mali me fummoveri.
L. 5 , ff. de donat.
224. Le principe que la tradition d'une
chofe ne peut en transférer la propriété
à celui à qui elle eft faite , fi elle n'eft
faite par le propriétaire , ou de fon con-
fentement , fouffre quelques exceptions.
La premiere eft , lorfque les effets
d'un débiteur font faifis & vendus par fes
créanciers , nonobftant l'oppofition qu'il a
faite à la faifie & à la vente dont il a été
débouté ; la tradition qui en eft faite par
l'Huiffier à ceux qui s'en font rendus adjudi-
cataires , quoique faite fans le confentement
du débiteur , qui étoit le propriétaire de
ces effets , leur en transfere la propriété.
Ce qui fait dire à Ulpien : Non eft novum
ut qui dominium non habeat , alii dominium
præbeat : nam & creditor pignus vendendo
caufam dominii præftat quod ipfe non habuit,
L. 46 , ff. de acq. rer. dom.
Dans le cas de la vente du gage con-
ventionnel , on peut dire que le débiteur ,
en donnant la chofe en gage , eft cenfé
avoir confenti à la vente qui en feroit
faite à défaut de paiement. Mais dans le
cas du gage judiciel , lorfque les effets
d'un débiteur font faifis & vendus , la pro-
priété en eſt transférée aux adjudicataires ,
Lans qu'il puiffe paroître aucun confente-
P. I, Ch. 2 , S. 4 , Art. 2 , §. 2. 218
nient du débiteur , qui en étoit le pro-
priétaire .
On peut ajouter pour feconde excep-
tion , le cas auquel ayant fait , nonobſtant
l'oppofition de mon co-propriétaire , or-
donner de la licitation d'une chofe com-
mune , où les encheres des étrangers ſe-
roient reçues ; la tradition de cette choſe
eft faite à un étranger , qui s'en eft ren-
du adjudicataire ; alors la tradition ` qui
lui en eft faite , lui en transfere la pro-
priété , même pour la part de mon co-
propriétaire , quoique la licitation & la tra-
dition aient été faites contre fon confen-
tement
L'autorité du Juge fupplée dans ces
cas au confentement du propriétaire.

S. II.

Seconde Condition : il faut que le Proprie


taire qui fait la tradition , ou qui y
confent, foit capable d'aliéner.

225. Pour que la tradition d'une choſe


en puiffe transférer le domaine de pro-
priété à celui à qui elle eft faite ; il ne
fuffit pas qu'elle ait été faite par le pro-
priétaire de la chofe , ou de fon conſen-
tement, il faut encore que ce propriétaire
Kij
220 Traite du Droit de Propriété,
qui a fait la tradition , ou qui l'a conſen
tie , ait été capable d'aliéner.
C'eft pourquoi , une femme qui eft fous
puiffance de mari , n'étant pas capable
de rien aliéner , fans y être autoriſée par
fon mari , ou par Juſtice , comme nous
l'avons vu en notre Traité de la Puiffance
du Mari fur la perfonne & les biens de
fa femme ; la tradition des chofes à elle
appartenantes qu'elle feroit ou conſenti-
roit , fans cette autorifation , n'en transfe→
reroit pas la propriété à ceux à qui elle
auroit été faite.
Par la même raiſon , la tradition qu'un
mineur fous puiffance de tuteur , ou un
interdit , pour caufe de prodigalité , fait
ou confent des chofes à lui appartenantes ,
n'en transfere point la propriété à ceux
à qui elle a été faite , ces perfonnes n'étant
pas capables de rien aliéner .
Les mineurs , quoiqu'émancipés , foir
par lettres du Prince , foit même par le
mariage , n'étant pas capables d'aliéner
leurs immeubles , la tradition qu'ils en fe-
roient , ou à laquelle ils confentiroient
n'en peut transférer la propriété.
Obfervez une différence entre l'inca-
pacité des mineurs , & des interdits pour
caufe de prodigalité, & celle des femmes
fous puiffance de mari ; celle-ci , établie
P. I , Ch. 2 , S.4 , Art. 2 , §. 2. 221
en faveur du mari , eft une incapacité
abfolue ; la tradition que cette femme fait
fans autoriſation , eſt abſolument nulle ,
& ne peut jamais être cenſée avoir trans-
féré la propriété ; quand même , depuis
qu'elle eft devenue libre par la mort de
fon mari , elle auroit ratifié la vente &
la tradition qu'elle a faite étant ſous fa
puiffance ; une telle ratification ne feroit
regardée que comme une nouvelle vente
& un nouveau confentement à la tranfla-
tion de propriété de ces chofes , qui n'a
d'effet que ut ex nunc , & du jour de l'acte
de ratification.
Au contraire , l'incapacité des mineurs
n'étant établie qu'en leur faveur , elle n'eſt
que relative ; ils ne font cenfés incapa-
bles d'aliéner les chofes qui leur appar-
tiennent , & les aliénations qu'ils en font
ne font cenſées nulles , qu'autant qu'elles
pourroient leur être défavantageuſes ;
c'eft pourquoi , fi étant devenus majeurs ,
ils les ont approuvées , foit par une rati-
fication expreffe , foit par une approbation
tacite , en laiſſant écouler le temps de dix
ans depuis leur majorité , fans fe pourvoir
contre , ils font cenfés avoir été capables
d'aliéner les chofes qu'ils ont aliénées ,
quoiqu'en minorité ; & la tradition qu'ils
en ont faite , eft cenſée en avoir tranf-
K iij
222 Traité du Droit de Propriété,
féré incontinent la propriété à ceux à qui
elle a été faite.
Il en eft de même des interdits pour
caufe de prodigalité ; j'ai dit pour caufe de
prodigalité, car il eft évident que tout ce
qui fe fait par ceux qui le font pour cauſe
de démence , eft abfolument nul.
226. On ne doit pas mettre au rang
de ceux qui font incapables d'aliéner , un
débiteur infolvable , lorfqu'il a aliéné , en
fraude de fes créanciers , les chofes qui
lui appartiennent ; la Loi donne bien aux
créanciers une action révocatoire de l'a-
liénation qu'il en a faite contre les ache-
teurs qui ont eu connoiffance de la fraude ,
& contre les donataires , quand même ils
n'en auroient pas eu de connoiffance ;
mais en attendant , la tradition qu'il leur
en fait , leur en transfere la propriété ;
c'eft ce qu'enſeigne Pomponius :fi fciens (* )
emam ab eo cui bonis interdictum fit .
dominus non ero ; diffimiliter atque fi à
debitore fciens creditoremfraudari , (**) eme-
ro. L. 26 , ff. de contrah. emptione.
227. Un propriétaire , grévé de fub-

Sciens vel ignorans nil refert.


**
) Nam hoc cafu dominium ad me per tra-
ditionem transfertur , fic tamen ut creditor mihi per
paulianam actionem illud aufferre poffit.
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 2 , S. 3. 223
ftitution , n'eft pas non plus incapable d'a-
liéner , même les héritages compris en la
fubftitution dont il eft grévé ; & la tradi-
tion qu'il en fait ou qu'il confent , en
transfere le domaine de propriété à ceux
à qui elle eft faite , à la charge de la fubfti-
tution , & feulement jufqu'au temps de fon
ouverture ; comme nous le verrons en
l'article fuivant.

S. III.

Il faut que la Tradition foit faite en vertu


d'un titre vrai , ou du moins putatif, qui
foit de nature à transférer la Propriété.

228. La tradition , quoique faite ou


confentie par le propriétaire de la chofe ,
qui eft capable d'aliéner , n'en transfere la
propriété , qu'autant qu'elle eft faite en
vertu de quelque titre vrai ou putatif :
Nunquam nuda traditio transfert dominium ,
fed ita fi venditio aut aliqua jufta caufa
præcefferit, propter quam traditio fequeretur.
L. 31 , ff. de acq. rer. dom.
229. On appelle juftes titres , ceux qui
font de nature à transférer le domaine
de propriété des choſes ; tels que ceux
de vente , d'échange , de donation , de
legs , &c.
Généralement , toute obligation que j'ai
K iv
224 Traité du Droit de Propriété,
contractée de donner à quelqu'un une
chofe en propriété , eft un jufte titre pour
que la tradition qui eft faite de cette
chofe , ou de quelqu'autre chofe en ſa
place , au créancier ou à quelqu'autre qui
la reçoit de fon ordre , en paiement de
cette obligation , lui en transfere la pro-
priété.
Mais il eft évident que la tradition que
j'ai faite à quelqu'un de ma chofe , pour
caufe de prêt , de louage , de nantiffement ,
de dépôt , ou pour la lui faire voir , ne
lui en transfere pas la propriété , ces ti-
tres n'étant pas de nature à transférer la
propriété.
230. Obſervez qu'un titre , quoiqu'il ne
foit que putatif , fuffit pour que la tradi-
tion que je vous fais de ma chofe , en
conféquence de ce titre , que je me fuis
fauffement perfuadé exifter , quoiqu'il n'e-
xifte pas , vous en transfere la propriété ;
j'ai feulement en ce cas , lorfque l'erreur
aura été reconnue , une action perfonnelle
contre vous , qu'on appelle condictio in-
debiti , ou condictio fine caufâ , pour que
vous foyez tenu de me le rendre.
Par exemple je vois un teftament ,
par lequel mon pere vous a légué une
certaine chofe ; j'ignore qu'il y a un co-
dicille , par lequel ce legs a été révoqué :
quoiqu'en ce cas il n'y ait point de legs
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 2 , S. 4. 225
fait à votre profit , puifqu'il a été révo-
qué ; néanmoins , la tradition que je vous
ai faite de cette chofe , en conféquence
de la fauffe opinion en laquelle j'étois ,
vous en a transféré la propriété , ſauf à
moi , lorfque l'erreur aura été reconnue ,
à la répéter par l'action condictio inde-
biti.
Voyez ce que nous avons dit de cette
action , condictio indebiti , dans un Appen-
dice à notre Traité du Prêt de Confomp-
tion,

S. IV.

Du Confentement des Parties néceſſaire pour


que la Tradition transfere la Propriété.

231. Le confentement des parties eft


néceffaire pour que la tradition d'une
choſe en transfere la propriété à celui à
qui elle eft faite ; c'eft-à-dire , qu'il faut
que le propriétaire de la chofe qui en
fait , ou par l'ordre duquel s'en fait la
tradition à quelqu'un , ait la volonté de
lui en transférer la propriété , & que ce-
lui qui la reçoit , ait la volonté de l'ac-
quérir In omnibus rebus quæ dominium
transferunt , concurrat oportet affectus ex
utraque parte contrahentium ; nam five e
K v
226 Traité du Droit de Propriété ,
venditio five donatio , five conductio ( * ) five
quælibet alia caufa contrahendi fuit , nifi ani-
mus utriufque confentit , perduci ad effe tum
non poteft. L. 55 , ff. de obligat. & act.
Ce confentement doit intervenir , & fur
la chofe qui fait l'objet de la tradition ,
& fur la perfonne à qui elle eft faite , &
fur la tranflation de propriété.
232. Premiérement , le confentement
doit intervenir fur la chofe qui fait l'ob-
jet de la tradition ; c'eſt- à-dire , qu'il faut
que la chofe dont je vous fais la tradi-
tion , foit celle dont je veux vous trans-
férer la propriété , & celle que vous vou-
lez acquérir.
Si par erreur j'ai pris l'une pour l'au-
tre , il n'y aura pas de tranflation de
propriété. Par exemple , fi ayant la vo-
lonté de vous donner un Miffel Romain
dont je ne me fervois pas , je vous ai
fait la tradition de mon Miffel de Paris
que j'ai pris par erreur pour le Miffel
Romain que je voulois vous donner , parce
que la relieure étoit femblable ; cette tra-
dition n'opere la tranflation de propriété ,
ni du Miffel Romain que je voulois vous

[*] Cela doit s'entendre d'un bail Emphitéo-


tique à perpétuité ou à longues années , qui
transfere au preneur un domaine utile.
P. I, Ch. 2 , S. 4 , Art. 2 , S. 4. 227
donner , parce que ce n'eft pas celui dont
je vous ai fait la tradition , ni de celui de
Paris , dont je vous ai fait la tradition ,
parce que ce n'eſt pas celui que j'ai voulu
vous donner .
Pareillement , fi je vais querir chez un
Libraire un Miffel de Paris , que j'avois
acheté chez lui la veille , & que ce Li-
braire , ne fefouvenant pas fi c'eft un Miffel
de Paris ou un Miffel Romain qu'il m'a
vendu , me donne un Miffel Romain que
je reçois , fans y faire attention , croyant
que c'eſt le Miffel de Paris ; cette tradi-
tion n'opere la tranflation de propriété ,
ni du Miffel de Paris que j'ai acheté
puifque la tradition ne m'en a pas été
faite , ni du Miffel Romain que j'ai reçu
par erreur , puifque ce n'eft pas celui
que j'ai voulu acquérir.
233. Il faut en fecond lieu , que le
confentement intervienne fur la perfonne
à qui on veut transférer la propriété de
la chofe dont on fait la tradition.
Par exemple , fi voulant donner une
chofe à Paul , je fais la tradition de cette
chofe à Pierre , que je prends pour Paul ,
lequel Pierre la reçoit , comptant la rece-
voir pour lui ; il eft évident que cette
tradition ne transfere la propriété de la
chofe , ni à Paul , à qui je la voulois don-
ner ( la tradition ne lui en ayant pas été
K vj
228 Traite du Droit de Propriété,
faite ) ni à Pierre , qui n'eft pas celui à
qui j'ai voulu la donner.
Pareillement , fi voulant me donner une
choſe , vous la donnez à mon homme
d'affaires , comptant la lui donner pour
moi , & qu'il l'ait reçue , croyant la re-
cevoir pour lui ; cette tradition ne trans-
férera la propriété de la choſe , ni à
mon homme d'affaires , à qui vous n'avez
pas voulu la donner , ni à moi mon
homme d'affaires ne l'ayant pas reçue pour
moi Si procuratori meo rem tradideris ut
meam faceres ; is hâc mente acceperit ut
fuam faceret , nihil agetur. L. 37 , §. 6 ,
ff. de acq. rer. dom.
234. La tradition qui eft faite d'une
chofe , ne peut à la vérité transférer la
propriété , lorfque celui qui la reçoit , eft
une autre perfonne que celle à qui j'ai
voulu la transférer ; mais il n'eft pas tou-
jours néceffaire que celui qui la reçoit
foit une certaine perfonne déterminée , à
qui j'ai voulu la donner , une volonté gé-
nérale fuffit ; comme lorfque dans un jour
de rejouiffance publique , le Magiftrat
jette par une fenêtre dans une place , de
la monnoie au peuple , il en transfere la
propriété à ceux qui la ramaffent ; quoi-
que ce Magiftrat n'ait eu aucune de ces
perſonnes en vue ; il fuffit , pour leur en
transférer la propriété , qu'il ait eu une
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 2 , S. 4. 229
volonté générale de la transférer à ceux
qui la ramafferoient : c'est ce qu'enſeigne
Gaïus : interdum , dit-il , & in incertam
perfonam collata domini voluntas transfert
rei proprietatem , ut ecce qui miffilia jactar
in vulgus ignorat enim quid eorum quif-
que excepturus fit , quia vult quod quifque
exceperit ejus effe , ftatim eum Dominum ef-
ficit. L. 9 , S. 7 , ff. de acq. rer. dom.
235. Il faut en troifieme lieu , que le
confentement intervienne fur la tranfla-
tion de propriété ; c'eſt-à- dire , qu'il faut
que celui qui fait la tradition , ou qui y
confent , ait la volonté de transférer à
celui qui la reçoit , le droit de propriété
qu'il a de cette chofe , & que celui qui
la reçoit , ait pareillement la volonté d'ac-
quérir ce droit de propriété.
C'eft pourquoi , fi je vous ai donné
un livre , dans l'intention de vous en trans-
férer la propriété , & que vous l'ayez reçu ,
comptant que je vous en faifois feulement
un prêt ; la tradition que je vous en ai
faite , ne vous en aura pas transféré la pro-
priété , faute de votre confentement à la
tranflation de propriété .
236. Lorsqu'un acheteur a acheté une
chofe qu'il croyoit fauffement ne pas ap-
partenir à fon vendeur ; la tradition que
lui en a faite fon vendeur , lui en a-t- elle
transféré la propriété ? La raiſon de dou:
230 Traité du Droit de Propriété,
ter eft , que cet acheteur , dans l'opinion
où il étoit que la chofe n'appartenoit
pas à fon vendeur , ne comptoit pas acqué-
rir par cette tradition la propriété de
cette chofe ; il faut néanmoins décider
que la propriété lui eſt transférée , parce
que , quoiqu'il ne crût pas l'acquérir ; néan-
moins , la recevant à titre d'achat , il
avoit la volonté de l'acquérir autant que
faire fe pourroit : Qui ignoravit dominum
effe rei venditorem ; plus ( * ) in re eft quàm
in exiftimatione mentis : & ideo etfi exif
timet fe non à domino emere , tamen fi à
domino ei tradatur , dominus efficitur.
L. 9 , S. 4 , ff. dejur. & fact. ignor.
237. Lorſqu'un tuteur ou un procu-
reur a fait en fa qualité de tuteur ou de
procureur , la tradition d'une choſe , dont
il ignoroit être le propriétaire , & qu'il
croyoit appartenir à fon mineur , ou à
celui dont il géroit les affaires ; la tra-
dition qu'il a faite de cette choſe n'en a
point transféré la propriété à celui à qui
elle a été faite , car il n'a pu avoir la vo-
lonté de transférer le droit de propriété
de cette chofe qu'il ignoroit avoir : Si

[*] Voyez ce que nous avons dit fur cette


regle de Droit , & fur celle qui lui eft oppoſée ,
en notre Ouvrage fur les Pandectes. tit. de Reg.
jur. n. 56 & 57.
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 2 , S , 4. 231
procurator meus , vel tutor pupilli remfuam
quafi meam vel pupilli alii tradiderit , non
receffit ab eo dominium , & nulla eft alienatio ,
quia nemo errans rem fuam amittit. L. 35 ,
ff. de acq. rer. dom.
Par la même raifon fi vous m'avez
vendu une chofe dont j'ignorois être le
propriétaire , & que vous en ayez fait
de mon ordre la tradition à un tiers ;
cette tradition ne lui transfere pas la
propriété , car j'ai bien eu la volonté
de lui faire paffer de votre confentement
un droit de propriété que je m'étois fauf-
fement perfuadé que vous aviez ; mais
je n'ai pu avoir la volonté de lui trans-
férer le véritable droit de propriété que
j'ai de cette chofe , puifque j'ignorois
l'avoir Si rem meam mihi ignoranti ven-
dideris & juffu meo alii tradideris , non
putat Pomponius , dominium meum tranfire ,
quoniam non hoc mihi propofitum fuit , fed
quafi tuum dominium ad eum tranfire. L. 15 ,
§. 2 , ff. de contrah. empt.
Par la même raifon , la tradition que
je vous ai faite d'une chofe dont j'ignorois
être le propriétaire , & que je me per-
fuadois fauffement vous appartenir , ne
vous en transfere pas la propriété ; car
je n'ai pu avoir la volonté de vous la
འ transférer, ignorant l'avoir : Cùm tibi num-
232 Traité du Droit de Propriété ,
mos meos quafi tuos do non facio tuos.
L. 3 , S. 8 , ff. de condict. cauf. dat.
238. Suffit-il que l'une des parties ait
eu la volonté de transférer à l'autre par
la tradition fon droit de propriété , &
que l'autre ait eu la volonté de l'acquérir ?
Faut-il encore que leur confentement in-
tervienne fur la caufe pour laquelle je
fais la tradition ? Julien décide que le
confentement fur la caufe n'eft pas né
ceffaire: Quum in corpus quidem quod tra-
ditur confentiamus , in caufis verò diffentia-
mus , non animadverto cur inefficax fit tra-
ditio nam etfi pecuniam numeratam
tibi tradam donandi gratiâ , tu eam quafi
creditam accipias , conftat proprietatem ad
te tranfire , nec impedimento effe quod circa
caufam dandi atque accipiendi diffentiamus.
L. 36 , ff. de acq. rer. dom.
Obfervez que Julien décide felon la
fubtilité du droit ; il eft vrai que dans
cette efpece , la propriété de cet argent
vous a été transférée , felon la fubtilité
du droit , parce que nous avons confenti ,
moi à vous la transférer , & vous à l'ac-
quérir ; mais elle vous a été transférée
fans caufe ; c'eft fans aucune cauſe que
vous êtes le propriétaire ; vous ne l'êtes
pas à titre de donation , puifque vous
n'avez pas accepté la donation que j'avois
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 2 , § . 4. 233
eu intention de vous en faire ; vous ne
l'êtes pas non plus à titre de prêt , puif-
que je n'ai pas eu la volonté de vous
faire un prêt : vous ayant donc transféré
la propriété de cet argent fans cauſe ,
je peux , fi je me répens de la donation
que j'avois eu intention de vous en faire ,
vous demander la reftitution de cet ar-
gent , par l'action qu'on appelle condicio
fine causa. C'eft ainfi que la décifion de
Julien fe concilie avec celle d'Ulpien que
nous allons rapporter : Si ego pecuniam
tibi quafi donaturus dedero , tu quafi mutuam
accipias , Julianus fcribit donationem non
effe ; fed anfit mutuum videndum ? Et puto
nec mutuum effe , magisque nummos acci-
pientis nonfieri , cùm aliâ ratione acceperis.
L. 18 ," ff. de reb. cred.
Ce que dit Ulpien : Nummos accipientis
non fieri , s'entend en ce fens , que quoi-
que quant à la fubtilité du droit , il ac-
quiert la propriété de ces deniers , comme
le décide Julien , il ne l'acquiert pas effi-
cacement par rapport à l'action condictio
fine causâ , que j'ai contre lui pour les
répéter ; de cette maniere , ces Jurifcon-
fultes ne font point en contradiction .
234 Traité du Droit de Propriete,

S. V.

D'une autre Condition pour que la Tradi


tion transfere lapropriété qui eft particu
liere à celle qui fe fait en exécution d'un
Contrat de vente.

239. C'est une condition particuliere


à la tradition qui fe fait en exécution
d'un contrat de vente , que la tradition
que le vendeur fait de la choſe vendue
à l'acheteur , n'en transfere la propriété
à l'acheteur qu'après qu'il en a payé le
prix , ou qu'il a fatisfait le vendeur pour
le paiement , à moins qu'il ne parût que
le vendeur ait bien voulu fuivre la foi
de l'acheteur : Quod vendidi non aliter fit
accipientis , quàm fi aut pretium nobis folu-
tum fit , aut fatis eo nomine factum , vel
etiam fidem habuerimus emptori fine ullâfa-
tisfactione. L. 19 , ff. de contrah. empt.
La raifon eft , que celui qui vend au
comptant , fans donner temps pour le
paiement , eft cenfé mettre tacitement à
la tradition qu'il fait , la condition qu'elle
ne transférera la propriété à l'acheteur
qu'après qu'il aura payé ou fatisfait pour
le prix.
240. Il n'importe de quelle maniere
l'acheteur ait fatisfait le vendeur pour
P. I , Ch . 2 , S. 4 , Art. 2 , § . 5. 235
le paiement , foit en lui donnant une
caution , foit en lui donnant un gage.
Auffi-tôt que le créancier a reçu la cau-
tion ou le gage , la propriété de la chofe
vendue dont la tradition a été faite à
l'acheteur , eft acquife à l'acheteur , de
même que s'il sål en avoit payé le prix : Ut
res fiat emptoris , nihil intereft utrum pretium
folutumfit , an eo nomine fidejuffor datusfit :
quod autem de fidejuffore diximus plenius
acceptum eft , qualibet ratione fi venditori de
pretio fatisfactum eft ; veluti ex ( * ) promif-
fore aut pignore dato proinde fit acfipretium
folutum effet. L. 53 , ff. de contrah. empt.
Obſervez une différence entre le paie-
ment & la fatisfaction : le vendeur ne
peut refufer le paiement du prix qui lui
eft offert par l'acheteur , lequel en le
confignant fur fon refus , en eft libéré ,
& acquiert la propriété de la chofe ven-
due , dont la tradition iui a été faite
de même que s'il l'avoit payée au vendeur;
au contraire le vendeur ne reçoit les
fûretés qui lui font offertes par l'acheteur
qu'autant qu'il le veut bien , on ne peut

[*] Expromiffor eft différent de fidejuffor ; ce-


lui ci ne fait qu'accéder à l'obligation de l'ache-
teur ; expromiffor eft celui qui s'en charge feul
envers le créancier qui s'en contente , & en dé-
charge l'acheteur.
236 Traité du Droit de Propriété ,
le forcer à recevoir les cautions & les
gages qui lui font offerts pour le paie-
ment du prix.
241. Cette condition de payer le prix
n'eft fous - entendue dans la tradition
que lorfque la vente a été faite au comp-
tant , c'est - à - dire , fans porter aucun
terme pour le paiement ; car lorfqu'elle
porte un terme , le vendeur en accor-
dant ce terme , eft cenfé avoir fuivi la foi
de l'acheteur pour le paiement du prix ,
ce qui fuffit pour la tranflation de pro-
priété , fi fidem habuerimus emptorifine ulla
fatisfactione. d. L. 19 .
Il en eft de même quoique le contrat de
vente ne porte aucun terme pour le paie-
ment du prix , lorfqu'il paroît d'ailleurs
par quelques circonftances que le ven-
deur a fuivi la foi de l'acheteur pour le
paiement , cela s'induit même de cela
feul qu'il a laiffé paffer un temps un peu
confidérable fans le demander.
242. La Coutume de Paris a fuivi ces
principes ; elle fuppoſe en l'article 176 ,
que celui qui a vendu une chofe fans jour
& fans terme , en conferve la propriété
jufqu'au paiement du prix , nonobftant la
tradition qu'il en a faite ; c'eft pourquoi
elle dit : « Qui vend aucune chofe mo-
» biliere fans jour & fans terme , efpé-
>> rant être payé promptement , il peut
P. 1 , Ch. 2 , S. 4 , Art. 2 , § . 5. 237
fa chofe pourfuivre en quelque lieu
» qu'elle foit tranfportée , pour être payé
» du prix qu'il l'a vendue. »
Il réfulte clairement de ces termes , il
peut fa chofe pourfuivre , que lorfque le
vendeur a vendu fans jour & fans terme ,
la chofe vendue , nonobftant la tradition
qu'il en a faite , en quelque lieu qu'elle
ait été tranſportée , en quelques mains
qu'elle ait paffé , demeure toujours fa
chofe jufqu'à ce qu'il ait été payé.
Au contraire , dans l'article 177 , elle
fuppofe que lorfque le vendeur a donné
terme , il eft dépouillé de la propriété
par la tradition , & a feulement un pri-
vilege fur la chofe pour être payé pré-
férablement aux autres créanciers de
l'acheteur , tant qu'elle eft entre les mains
de l'acheteur. « Et néanmoins , eſt-il dit ,
» encore qu'il ait donné terme , fi la
» chofe fe trouve faifie fur le débiteur
» par un autre créancier , il peut empê-
» cher la vente , & eft préféré fur la
» chofe aux autres créanciers. >>>
Remarquez que la Coutume dit , & eft
faifiefur le débiteur ; car fi la chofe avoit
paffé entre les mains d'un tiers , le ven-
deur qui a donné terme , n'en ayant plus
la propriété qu'il a transférée à l'ache-
teur , ne pourroit plus la fuivre contre
le tiers , le privilege qu'il a fur la chofe
238 Traitedu Droit de Propriété,
n'ayant lieu que tant qu'elle eft entre les
mains de fon débiteur.

ARTICLE I I I.

De l'effet de la Tradition.

243. La tradition , lorfqu'elle eft faite


ou confentie par le propriétaire de la
chofe , & que toutes les autres condi-
tions rapportées en l'article précédent
concourent , transfere à celui à qui elle
eft faite , le droit de propriété de la
chofe qu'avoit celui qui l'a faite ou con-
fentie : elle le tranfere tel qu'il l'avoit ;
c'est pourquoi fi le droit de propriété
qu'il avoit , étoit un droit de propriété
réfoluble au bout d'un certain temps ,
ou lors d'une certaine condition , la tra-
dition ne fait paffer à celui à qui elle
eft faite , qu'une propriété réſoluble au
bout dudit temps , ou lors de ladite con-
dition ; fi la propriété n'étoit pas une
propriété libre & parfaite , & que l'hé
ritage fût chargé ou d'ufufruit ou d'autres
fervitudes perfonnelles ou prédiales , de
redevances & autres charges foncieres ,
d'hypotheques , &c. , la tradition ne trans-
fere à celui à qui elle eft faite , la pro-
priété de l'héritage qu'avec toutes lef-
dites charges : Quoties dominium trans-
P. I, Ch. 2 , S. 4 , Art. 3 , §. 5. 239
fertur ad eum qui accipit , tale transfertur
qualefuit apud eum qui tradit. L. 20 , § . I ,
ff. de acq. rer. dom. Alienatio quum fit ;
cum fuâ causâ , dominium ad alium trans-
ferimus quæ effet futurafi apud nos manfiffet,
L. 67 , ff. de contrah. empt.
Cela a lieu , quand même le proprié
taire en faifant la tradition de la chofe ,
n'auroit pas déclaré les imperfections de
fon droit de propriété , ni les charges
dont l'héritage eft chargé , & quand même
il auroit fauffement affuré que l'héritage
n'en eft pas chargé ; car fa déclaration
ne peut préjudicier aux tiers qui ont des
droits réels dans l'héritage , ou à qui
l'héritage doit un jour retourner : Si quis
fundum dixerit liberum quum traderet eum
qui fervus fit , nihil juri fervitutis fundi
detrahit. d. L. 20 , §. I..
Ulpien ajoute : Verumtamen obligatfe
debetque præftare quod dixit ; c'eft- à- dire ,
qu'il contracte par cette déclaration une
obligation de garantie. Voyez ce que nous
en avons dit en notre Traité du Contrat
de Vente.
244. Lorfque la tradition n'a pas été
faite ou confentie par le propriétaire de
la chofe ; elle ne peut à la vérité avoir
l'effet de transférer d'abord à celui à qui
elle eft faite , la propriété de la chofe
mais lorsqu'elle a été faite en vertu d'un
240 Traitedu Droit de Propriété ,
jufte titre , & que celui à qui elle a été
faite , a été de bonne foi , c'eſt- à- dire , a
cru que celui qui faifoit la tradition , étoit
propriétaire , elle lui transfere au moins
caufam ufucapionis , c'est-à-dire , le droit
d'acquérir un jour la propriété de la choſe,
par la continuation de fa poffeffion pen-
dant le temps requis pour la preſcription.
La bonne foi fe préfume toujours dans
celui à qui la tradition eft faité , tant
que le contraire ne paroît pas. On a un
jufte fujet de croire un homme proprié-
taire d'une chofe dont on le voit en
poffeffion.

ARTICLE I V.

Si la feule Convention peut faire paffer le


Domaine de Propriété d'une perfonne à
une autre fans la Tradition.

245. C'eft un principe du Droit Romain


qui eft fuivi dans notre Droit François ,
que ce n'eft ordinairement que par une
tradition réelle ou feinte que le domaine
de propriété d'une chofe peut paffer d'une
perfonne à une autre , & qu'une fimple
convention que j'aurois avec vous , par
laquelle nous conviendrions que le do-
maine de propriété que j'ai d'une telle
choſe que je vous vends ou que je vous
donne
P.I, Ch. 2 , S. 4 , Art. 4 , §S.. 5. 241
donne , cefferoit dès - à - préfent de m'ap-
partenir , & vous appartiendroit doréna-
vant , ne feroit pas fuffifante pour vous
la transférer , avant que je me fois dé-
faifi envers vous de la chofe par une
tradition réelle ou feinte : Traditionibus .
dominia rerum non nudis (*) pactis trans-
feruntur. L. 20 , Cod. de pact.
On dit pour raifon de ce principe ,
qu'il eft de la nature du domaine de pro-
priété de s'acquérir par la poffeffion ;
c'eſt par- là qu'il a commencé : Dominium
àpoffeffionecapit.Lorfque les chofes étoient
encore dans l'état de communauté néga-
tive , qu'elles étoient communes à tous
les hommes , fans qu'aucun en fût encore
propriétaire , ce n'eft que par la poffef
fion , & en s'en mettant en poffeffion ,
qu'un chacun a commencé à en acquérir
un domaine de propriété jure occupationis ;
que de même que le domaine originaire
a été acquis par la poffeffion , le domaine
dérivé ne peut pareillement paffer d'une
perfonne à une autre , que par la poffef-
fion , en mettant la perfonne à qui on

(*) Ces termes ne font pas pris dans le fens ordi-


naire par lequel on oppofe nuda paɛta , aux
conventions quæ nomen vel formam contractus
à jure civili acceperunt ; ils font pris en général
pour toutes conventions qui n'ont pas encore
été exécutées par la tradition.
Tome I. L
242 Traité du Droit de Propriété,
veut faire paffer le domaine d'une chofe ,
en poffeffion de cette chofe , par une
tradition réelle ou feinte. On ajoute que
le domaine de propriété étant un droit
par lequel une chofe eft en notre pouvoir ,
par lequel nous pouvons en difpofer
comme bon nous femble , de toutes les
manieres que nous le jugerons à propos ;
il est néceffaire pour que nous acquérions
le domaine d'une chofe , que nous en
foyons mis en poffeffion , parce que ce
n'eft que par ce moyen que la choſe eſt
mife en notre pouvoir , & que manui
noftræ fubjicitur. Une fimple convention ,
par laquelle je conviens avec vous qu'une
telle chofe dont je conſerve la poffeffion,
ceffera dès-à- préfent de m'appartenir , &
que le domaine de propriété vous en
appartiendra dorénavant , ne peut donc
être fuffifante pour vous le transférer :
les conventions feules & par elles-mêmes
ne produifent que des obligations , c'eft
leur nature , c'eft pour cela qu'elles font
établies ; ces obligations ne donnent à
celui envers qui elles ont été contractées
qu'un droit contre la perfonne qui les a
contractées ; ce droit est bien un droit
par rapport à la chofe qu'on s'eft obligé
de nous donner ; mais ce ne peut être
un droit dans la chofe , ni encore moins
le domaine de la chofe.
P. I , Ch. 2 , S. 4 , Art. 3 ', S. 5. 243
Nonobftant ces raiſons , Grotius & plu-
fieurs autres qui ont écrit fur le Droit na-
turel prétendent que ce principe du Droit
Romain que le domaine des chofes ne
peut paffer d'une perfonne à une autre
que par la tradition , n'eft point pris dans
la nature ; que c'eft un principe deDroit
purement pofitif , qui n'a été attribué au
Droit des Gens qu'improprement , parce
qu'il a été reçu de plufieurs nations ; mais
que dans les purs termes du Droit naturel ,
rien n'empêche que la convention que j'ai
avec vous qu'une telle choſe ceffera doré-
navant de m'appartenir , & vous appar-
tiendra dorénavant , ne vous en transfere
auffi-tôt la propriété , même avant que
je vous en aie fait la tradition : le do-
maine d'une choſe , dit - on , étant eſſen-
tiellement le droit d'en difpofer comme
bon nous femblera ; c'eft une fuite de ce
droit que j'ai de difpofer de ma chofe ,
comme bon me femblera , que je puiffe
par ma feule volonté & fans aucun fait ,
transférer le domaine de cette chofe à
telle perfonne que bon me femblera qui
voudra bien l'acquérir.
De ce que le domaine originaire n'a
commencé que par la poffeffion , il ne
s'enfuit nullement que le domaine dérivé
ne puiffe de même paffer d'une perfonne
à une autre que par la poffeffion : Quant
Lij
244 Traité du Droit de propriété ,
à ce qu'on dit qu'une chofe ne peut être
en notre pouvoir qu'on ne nous en ait mis
en poffeffion ; il fuit feulement de-là , tout
au plus , que nous ne pouvons pas faire
ufage du droit de domaine qu'on nous a
transféré fur une chofe , qu'après qu'on
nous en a mis en poffeffion ; mais il ne
s'enfuit nullement que nous n'ayons pu
acquérir ce domaine avant que nous ayons
été mis en poffeffion de la chofe , quoique
nous ne puiffions encore en faire uſage ,
le droit de domaine & la faculté de faire
ufage de ce droit , n'étant pas des chofes
inféparables .
Cela revient à la diftinction que fait
Pufendorf dans fon Livre du Droit de la
Nature & des Gens , liv . 4 , ch. 9 , § . 8.
Il dit que le domaine de propriété d'une
chofe , lorsqu'il eft confidéré comme ren-
fermant un pouvoir phyfique & actuel
d'en faire ufage , ne peut à la vérité paffer
d'une perfonne à une autre , fans une tra-
dition qui mette en poffeffion de la chofe
la perſonne à qui on veut transférer ce
domaine ; mais lorfque le domaine de
propriété d'une chofe n'eft confidéré que
comme une qualité purement morale , en
vertu de laquelle une chofe appartient à
quelqu'un , rien n'empêche dans les purs
termes du Droit naturel que le domaine
de propriété confidéré de cette maniere ,
Part. I, Ch. 2 , S. 4 , Art. 3. 245
ne puiffe paffer d'une perfonne à une autre
par une fimple convention avant qu'elle
ait été fuivie de la tradition.
Quoi qu'il en foit de cette queftion
traitée felon le pur Droit naturel que nous
abandonnons à la diſpute de l'école , le
principe du Droit Romain que le domaine
de propriété d'une chofe ne peut paffer
d'une perfonne à une autre que par une
tradition réelle ou feinte de la chofe , étant
un principe reçu dans la Jurifprudence
fuivant que ceux qui font de l'opinion
contraire en conviennent , nous devons
nous y tenir.
246. Ce principe fouffre une exception
toute naturelle dans le cas auquel la chofe
dont on veut transférer le domaine de
propriété à quelqu'un ſe trouve être
déja par-devers lui ; il eſt évident , comme
nous l'avons déja obſervé fuprà , n. 206.
que la convention par laquelle le pro-
priétaire convient avec lui qu'il la retiendra
comme choſe à lui appartenante , fuffit
pour lui en transférer le domaine de pro-
priété. C'eft de ce cas dont le Jurifcon-
fulte Gaius dit : Interdum etiam fine tradi-
tione , nuda voluntas domini fufficit ad rem
transferendam , velutifi remquam commodavi
aut locavi tibi, aut apud te depofui , vendidero
S.5
sibi. L. 9 , S. 5 , ff. de acq. rer. dom.
Ce principe fouffre encore exception à
· Liij
246 Traité du Droit de Propriété ,
l'égard de certaines manieres d'acquérir
le domaine par le droit civil , que nous
rapporterons en la ſection fuivante.
247. De ce principe , que le domaine
d'une chofe ne peut ordinairement paffer
d'une perfonne à une autre que par la
tradition de la chofe ; il fuit que quelque
convention que j'aie avec une perſonne
qui s'eft obligée de me donner une cer-
taine chofe , tant qu'elle ne m'en a pas
fait la tradition réelle ou feinte , elle en
demeure toujours le propriétaire.
C'est pourquoi fes créanciers peuvent la
faifir valablement fur elle , fans que je
puiffe être reçu à demander la recréance
de cette chofe , n'en étant pas encore de
venu le propriétaire.
Il fuit encore de-là , que fi avant que
la tradition m'ait été faite , cette perfonne
contre la foi de la convention , vend ou
donne la chofe à un autre , & la lui livre ,
elle lui en transfere la propriété , comme
il est décidé par la Loi quoties 15 , Cod.
de rei vind. Voyez ce que nous avons dit
fur ce fujet en notre Traité du Contrat
de Vente.
Part. I, Chap. 2 , Sect. 5. 247

SECTION V.

Des manieres de tranfmettre le Domaine


de Propriété par le Droit civil.

248. Le domaine de propriété des


chofes fe tranfmet par le droit civil d'une
perfonne à une autre fans tradition ni priſe
de poffeffion en plufieurs cas , foit à titre
univerfel , foit à titre fingulier.
Il fe tranfmet à titre univerfel dans le
cas d'une fucceffion ; le défunt eft cenfé
dès l'inftant de fa mort , avoir tranfmis à
fon héritier le domaine de propriété qu'il
avoit de toutes les chofes qui compoſent
fa fucceffion , & même la poffeffion qu'il
en avoit , même avant que cet héritier ait
eu connoiffance de la mort du défunt ,
& eût fçu que la fucceffion lui étoit dé-
férée. C'eft le fens de cette regle de notre
Droit François : Le mort faifit le vif, fon
plus prochain héritier habile à lui fuccéder.
Lorfque le défunt , lors de fa mort ,
n'avoit pas la poffeffion de plufieurs chofes
qui lui appartenoient , il eft évident qu'il
ne peut faifir fon héritier d'une poffeffion
qu'il n'avoit pas ; mais il le faifit du droit
de propriété de ces chofes & de fes actions
pour les recouvrer fur ceux qui en font
indûment en poffeffion , car un héritier
Liv
248 Traité du Droit de Propriété,
eft fucceffor in univerfum jus quod defunctus
habuit.
Cette regle , que le mort faifit le vif,
n'empêche pas que l'héritier à qui une
fucceffion eft déférée , n'ait le choix de
l'accepter ou d'y renoncer fuivant cette
autre regle , n'eft héritier qui ne veut :
lorfqu'il prend le parti de l'accepter , font
acceptation a un effet rétroactif au temps
de la mort du défunt ; il eft censé être
faifi dès l'inftant de la mort du défunt de
tous les biens & droits de la fucceffion
auxquels il a fuccédé.
Lorfqu'un héritier à qui une fucceffion
a été déférée , y renonce , il eft cenfé
n'avoir jamais été faifi des biens & droits
de cette fucceffion , le défunt eft cenfé
en avoir , dès l'inſtant de ſa mort , ſaiſi ſes
cohéritiers auxquels fa part accroît , ou
les parents du degré fuivant qui fuccedent
à fon défaut ; & fi perfonne ne veut ac-
cepter la fucceffion ; le défunt eft cenfé
continuer d'avoir dans la perfonne fictive
de fa fucceffion jacente qui le repréſente ,
tous les biens & droits qu'il avoit lors
de fa mort , & dont fa fucceffion eft com-
pofée.
249. Le droit civil tranfmet auffi à
1
titre univerfel à un légataire univerfel ,
ou à un fubftitué fidéicommiffaire univer-
fel le domaine de propriété des chofes
·Part. I, Chap. 2 , Sect. 5 . 249
comprifes dans le legs , ou la fubftitu-
tion , du jour de l'ouverture du legs ou
de la fubftitution , même avant qu'il lui
en ait été fait aucune tradition , & même
avant que ce légataire ou fubftitué fidéi-
commiffaire ait eu connoiffance de la
fubftitution ou du legs fait à fon profit ;
mais la poffeffion des chofes compriſes au
legs ou en la fubftitution ne lui eſt pas
transférée ; & quoiqu'il foit censé être
devenu propriétaire de toutes les chofes
compriſes dans le legs ou la fubftitution ,
il ne lui eft pas permis de s'en mettre de
lui-même en poffeffion , il doit en de-
mander la délivrance à l'héritier.
Lorsqu'il renonce au legs , il eft cenfé
n'avoir jamais été faif de rien.
250. Le droit civil tranfmet auffi à titre
fingulier , en certains cas , le domaine de
propriété de certaines chofes avant qu'il
en intervienne aucune tradition . Comme
dans le cas d'un legs particulier ou d'un
fidéicommis particulier , le droit civil eft
cenfé tranſmettre au légataire ou fidéi-
commiffaire le domaine de propriété de
la choſe léguée ou compriſe au fideicommis
dès l'inftant de l'ouverture du legs ou du
fidéicommis , qui eft celui de la mort du
teftateur , lorsque le legs ou le fideicommis
a été fait fans condition , ou du jour de
L V
250 Traite du Droit de Propriété,
l'exiftence de la condition , lorfqu'il eft
conditionnel.
Le droit civil transfere le domaine de
la chofe au légataire ou fidéicommiſſaire ,
non-feulement avant qu'il ait été fait au-
cune délivrance , mais même avant qu'il
ait eu connoiffance du legs ou du fidéi-
commis fait en fa faveur ; car le domaine
de la chofe léguée eft cenſé tranfmis au
légataire , de la même maniere que celui
des autres biens de la fucceflion eft tranf
mis à l'héritier , fauf que le légataire en
doit demander la délivrance à l'héritier :
Legatum ita dominium rei legatarii facit ,
ut hereditas heredis res fingulas ; quod eo
pertinet utfipurè res relictafit , & legatarius
non repudiaverit defuncti voluntatem , reclâ
viâ dominium quod hereditatis fuit , ad
Legatarium tranfeat , nunquam factum here-
dis. L. 80 , ff. de leg. 2 .
251. Les adjudications qui fe font en
juftice font auffi une maniere d'acquérir
du Droit civil.
L'adjudication transfere de plein droit
à l'adjudicataire le domaine de propriété
de la chofe qui lui eft adjugée , qu'avoit
celui fur qui l'adjudication eft faite, pourvu
que cet adjudicataire paie le prix de l'ad-
judication.
252. Lorfque celui fur qui l'adjudica-
tion a été faite , n'étoit pas le propriétaire
Part. I, Chap. 2 , Sect. 5. 251
de la chofe ; fi cette chofe étoit un meuble
corporel qui ait été vendu & adjugé à
l'encan , l'adjudication ne laiffe pas d'en
transférer le domaine de propriété à l'ad-
judicataire , faute par le propriétaire de
s'être préfenté , & d'en avoir demandé la
recréance avant l'adjudication.
Lorfque c'eft un héritage ou autre im-
meuble qui a été faifi réellement & vendu
par décret folemnel fur un poffeffeur qui
n'en étoit pas le propriétaire , l'adjudica
tion par décret ne laiffe pas de trans-
férer le domaine de propriété à l'adjudi-
cataite , faute par le propriétaire de s'être
oppofé au décret avant qu'il ait été mis
à chef.
253. Enfin la preſcription eft une manie-
re d'acquérir par le Droit civil : nous en
traiterons plus amplement dans un Traité
particulier.

L vj
252 Traite du Droit de Propriété ,

SECTION V I.

Comment & par quelles perfonnes acquérons-


nous le Domaine de Propriété des chofes.

S. I.

Par quelles Perfonnes.

254. Suivant le Droit Romain nous


pouvons acquérir le domaine de propriété
d'une chofe , non - feulement par nous-
mêmes , mais par ceux que nous avons
en notre puiffance : Acquirimus nobis non
folum per nosmetipfos , fed etiam per eos
quosinpoteftate habemus. L. 10, ff. pr. de acq.
rer. dom.
Suivant les principes de ce droit , les
efclaves étoient regardés plutôt comme la
chofe de leurs maîtres , que comme des
perfonnes ; c'eſt pourquoi, ils ne pouvoient
rien avoir en propre qui leur appartînt ;
& tout ce qu'ils acquéroient , étoit dès
l'inftant & de plein droit acquis à leurs
maîtres , tanquam ex re fuâ profectum.
Suivant les principes de ce droit , la
puiffance que les pères avoient fur leurs
enfants n'étoit pas différente de celle que
les maîtres avoient fur leurs efclaves ;
quoique les enfants de famille fuffent ca-
Part. 1, Chap. 2 , S. 6 , §. 1. 253
pables de toutes fonctions civiles & pu-
bliques , & qu'ils puffent même , auffi bien
que les peres de famille être promus ,
aux plus grandes dignités ; néanmoins vis-
à-vis de leur pere , en la puiffance de qui
ils étoient , ils étoient regardés plutôt
comme une chofe à lui appartenante , que
comme une perfonne ; ils ne pouvoient ,
de même que les efclaves , avoir rien en
propre ; ce principe , qui in poteftate alte-
rius eft , nihil fuum habere poteft. d. L. 10 ,
§. 1 , étoit commun aux enfants de famille ,
& aux esclaves ; en conféquence , tout ce
qu'ils acquéroient , de quelque maniere &
pour quelque caufe qu'ils l'acquiffent
étoit dès l'inftant & de plein droit acquis
à leur pere ou aïeul paternel , en la puif-
fance duquel ils étoient , tanquam ex re
fuâ profectum.
On commença fous les Empereurs à
apporter des modifications au droit de
puiffance paternelle , par rapport à ce
qu'acquierent les enfants de famille. Les
1 premiers Empereurs , pour s'attacher les
gens de guerre , leur attribuerent pluſieurs
privileges , & entr'autres celui - ci , que
ce que les militaires qui feroient enfants
de famille acquereroient à l'occafion de
leur profeffion , leur feroit acquis auffi
pleinement que s'ils étoient peres de fa-
mille , fans que leur pere , fous la puif-
254 Traité du Droit de Propriété,
fance duquel ils étoient , y pût rien pré-
tendre , fi ce n'eſt dans le cas auquel l'en-
fant de famille feroit mort fans en avoir
difpofé. On appelloit ce bien , pecule caf
trenfe , peculium caftrenfe.
Juvenal parle de ce privilege en fa
Satyre 16.

Nam quæ funt parta labore


Militia , placuit non effe in corpore cenfus ,
Omne tenet cujus regimen Pater.

Ce privilege ne tarda pas à être étendu


aux Vétérans. Par la fuite les Empereurs
accorderent aux enfants de famille qui
étoient employés au fervice de la Répu-
blique , ou qui étoient Juges ou Avocats ,
ou qui profeffoient les Sciences libérales ,
le même privilege , par rapport aux biens
qu'ils acquéreroient dans ces profeffions ,
que celui que les militaires , enfants de
famille , avoient par rapport à ceux qu'ils
acquéroient " occafione militia ; & on
donna en conféquence aux biens que ces
enfants de famille avoient acquis ainfi , le
nom de peculium quafi caftrenfe , parce
qu'ils y avoient un droit femblable à celui
que les militaires enfants de famille
avoient à l'égard de leur peculium caftrenfe.
On accorda un pareil privilege pour
ce que les enfants de famille eccléfiafti-
Part. I , Chap. 2 , S. 6 , S. 1. 255
ques recevoient des revenus de l'Eglife ;
& c'étoit auffi une espece de peculium quafi
caftrenfe.
A l'égard de tout ce que les enfants de
famille acquéroient d'ailleurs que ex caufa
caftrenfi , il y avoit encore par le droit de
Juftinien une diftinction. Juftinien avoit
confervé l'ancien droit des peres dans ce
qui étoit acquis par leurs enfants , feule-
ment à l'égard de ce que les enfants ac-
quéroient ex re patris ; tels , par exemple ,
que les gains qu'auroit fait un enfant dans
un commerce , dont fon pere lui auroit
avancé les fonds ; c'eſt ce qu'on appelloit
peculium profectitium. Juftinien avoit con-
fervé aux peres , fuivant l'ancien droit
la pleine propriété & la pleine difpofition
de ce pécule , l'enfant ne le retenoit que
fous le bon plaifir de fon pere , qui pou-
voit le lui ôter quand bon lui ſembloit.
A l'égard des biens qu'un enfant de
famille acquéroit d'ailleurs que ex re pa-
tris , quoique ce ne fût point ex caufà
caftrenfi , aut quafi caftrenfi, tels que ceux
que l'enfant de famille avoit eu de la
fucceffion de fa mere , ou de fes autres
parents , ou des dons ou legs qui lui
avoient été faits par fes amis ; ces biens
formoient ce qu'on appelloit peculium
adventitium ; l'enfant , felon le Droit de
Juftinien , en aquéroit pour lui-même la
256 Traite du droit de Propriété ,
propriété ; il n'en acquéroit à fon pere que
l'ufufruit , pendant le temps qu'il devoit de-
meurer fous fa puiffance ; duquel ufufruit
néanmoins le pere avoit droit de rete-
nir la moitié , lorfqu'il le mettoit hors de
fa puiffance , par l'émancipation. Voyez
le titre des Inftitutions , per quas perf
cuiq. acquir. §. 1 & 2.
255. A l'égard de notre Droit Fran-
çois , n'y ayant point d'efclaves en France ,
les principes du Droit Romain fur le droit
que les maîtres avoient d'acquérir tout
ce qui étoit acquis par leurs efclaves , ne
peut recevoir d'application ; fi ce n'eft
dans nos Colonies , où nous avons des
efclaves.
Le droit qu'ont les peres , fuivant le
Droit Romain , d'acquérir ce qui eft ac-
quis par les enfants qui font en leur puif-
fances , n'eft pas reçu dans les Provinces
du Royaume qui ne font pas régies par
le Droit écrit , & qu'on appelle Pays cou-
tumier la puiffance paternelle n'a pas
cet effet dans ces Provinces ;; & tout ce
que les enfants acquierent , ils l'acquierent
pour eux , fans que leur pere ait droit
d'y rien prétendre.
Quoique dans ces Provinces , la puif
fance que les maris ont fur leurs femmes
foit très-grande , & qu'elles ne puiffent rien
faire ni rien acquérir fans être autoriſées
Part. I, Chap. 2 , S. 6 , § . 1 . 257
par leurs maris , ou à fon refus ou dé-
faut par le Juge ; néanmoins , cette puif-
fance en laquelle elles font , n'empêche
point que ce qu'elles acquierent étant
autorifées , elles l'acquierent pour elles-
mêmes.
A Paris , & dans tout le Pays Coutu-
mier , nous n'acquérons donc point per
eos quos in poteftate habemus , nous n'ac-
quérons que per nofmetipfos.
256. Mais il faut oblerver que nous
fommes cenfés acquérir per nofmetipfos ,
le domaine des chofes que nous acqué-
rons par le miniftere d'autres perfonnes
qui les acquierent pour nous & en notre
nom , ayant ou qualité ou pouvoir de
nous , pour cet effet.
douteux que
C'eft pourquoi , il n'eft pas
les mineurs & les interdits acquierent tout
ce que leurs tuteurs ou curateurs acquie-
rent pour eux en leur nom & qualité
de tuteur ou de curateur ; Tutorpupilli ,
pupillæ , fimiliter ut procurator , emendo no-
minepupilli, pupilla, proprietatem illis acqui-
rit etiam ignorantibus . L. 13 , § . 1 , ff. de
acq. rer. dom.
257. Pareillement , lorfque j'ai donné
pouvoir à quelqu'un d'acquérir pour moi
une chofe , auffi -tôt qu'il l'a acquife &
reçue au nom & comme fondé de ma
procuration , je fuis cenfé avoir dès-lors
258 Traité du Droit de Propriete,
acquis par fon miniftere le domaine de
cette chofe , quoique je n'euffe pas encore
alors connoiffance de l'acquifition qu'il
en avoit faite :. Si procurator rem mihi
emerit ex mandato meo , eique fit tradita
meo nomine , dominium mihi , id eft proprie
tas , acquiritur etiam ignoranti. d. L. 13. pr.
258. Quoiqu'une perfonne reçoive une
chofe pour nous & en notre nom , lorf-
qu'elle n'a pas ni qualité ni pouvoir de
nous , nous n'acquérons le domaine des
chofes qu'elle a reçue pour nous & en
notre nom , que du jour de notre ratifi-
cation de ce qu'elle a fait en notre nom .
C'est pourquoi , fi j'ai payé une fomme
de deniers que je devois à quelqu'un qui
fe portoit pour le chargé de procuration
de mon créancier , fans qu'il le fût ;quoi-
que ce foi-difant Procureur ait reçu cette
fomme pour mon créancier & au nom de
mon créancier ; néanmoins , mon créancier
n'acquiert le domaine de propriété de
ces deniers , que du jour qu'il a ratifié
le paiement qui en a été fait à fon foi-
difant Procureur ; & ce n'eft en confé-
quence que de ce jour que je fuis quitte
envers lui. C'eſt ce qu'enſeigne Paul : Si
ego hâc mentepecuniam procuratori ( * ) dem

[*] Id eft ei qui fe gerebat pro Procuratore cre


ditoris mei , quamvis mandatum non haberet.
Part. I , Chap. 2 , 5.6, §. 2. 259
ut ea ipfa creditoris fieret , proprietas qui-
demperprocuratorem (*) non acquiritur ; poteft
tamen creditor etiam invito me ratum ha-
bendo pecuniamfuamfacere , quia procurator
in accipiendo ( **) creditoris duntaxat nego
tium geffit , & ideo creditoris ratihabitione
liberor. L. 24 , ff. de neg. gest.

S. I I.

Comment acquerons-nous le Domaine de


Propriété.

259. Ordinairement , pour que nous


acquérions le domaine de propriété d'une
chofe , il faut que nous ayons la volonté
de l'acquérir.
Cette volonté à l'égard des mineurs
qui font fous puiffance de tuteur , & des
interdits qui font fous puiffance de cura-
teur , fe fupplée par celle de leur tuteur
& curateur ; ils font cenfés avoir voulu
tout ce que leurs tuteurs & curateurs ont ,
dans leurdite qualité , voulu pour eux.
Pareillement , à l'égard des acquifitions que
font les Corps & Communautés ; la volonté
d'acquérir le domaine de propriété des

(*) Qui mandatum non habet.


( ** ) Eam accipiendo nomine creditoris.
260 Traité du Droit de Propriété ,
chofes qu'ils acquierent , dont lefdits Corps
& Communautés font par eux -mêmes in-
capables , eft fuppléée par celle de leurs
Syndics & Adminiftrateurs , lorfqu'en leur
qualité de Syndics & Adminiftrateurs ils
acquierent pour & au nom deſdites Com-
munautés.
260. Notre principe , que pour acqué-
rir le domaine de propriété d'une choſe ,
il faut que nous ayons la volonté de l'ac-
quérir , fouffre plufieurs exceptions.
La premiere eft , à l'égard des acquifi-
tions que nous faifons à titre d'acceffion ;
les chofes qui nous font acquifes à ce ti-
tre , nous étant acquifes , vi ac poteflate
rei noftræ , par cela feul , ou qu'elles pro-
viennent d'une chofe qui nous appartient ,
ou pour cela feul , qu'elles font partie
d'une chofe qui nous appartient ; cette
acquiſition ſe fait de plein droit , même à
notre infçu , & par conféquent fans qu'il
foit befoin que nous ayons volonté d'ac-
quérir ces chofes , qui nous font acquifes
de cette maniere.
261. Une feconde exception eft , à l'é-
gard des chofes qui compofent une fuc-
ceffion qui nous eft déférée ; le domaine
de propriété de toutes ces chofes nous eft ,
par la regle , le mort faifi le vif, acquis
dès l'inftant de la mort du défunt , par
lequel fa fucceffion nous a été déférée ,
Part. 1, Chap. 2 , S. 6 , §. 2. 261
même avant que nous ayons connoiſſance
de la mort du défunt , & que fa fuccef-
fion nous ait été déférée , & par conféquent
avant que nous ayons pu avoir la volonté
de les acquérir .
Mais , comme fuivant une autre regle
de notre Droit François : n'eft héritier qui
ne veut , celui à qui la fucceffion eft dé-
férée , n'eft cenfé en avoir été faifi dès
l'inftant de la mort du défunt , que dans
le cas auquel par la fuite , lui ou ceux
qui feront à fes droits , accepteront cette
fucceffion ; mais fi celui ou ceux qui fe-
ront à fes droits y renoncent , il fera cenfé
n'avoir jamais été faifi des biens de cette
fucceffion , & n'avoir jamais rien acquis
des biens qui la compofent.
262. Notre principe , que pour acqué-
rir le domaine de propriété d'une chofe ,
il faut que nous ayons la volonté de l'ac-
quérir , fouffre une troifieme exception , à
l'égard des chofes qui nous font léguées
par teftament ; le domaine de propriété
de ces chofes eft cenfé nous avoir été
acquis de plein droit , ftatim atque dies
legati ceffit ; ceft- à dire , dès l'inſtant de
la mort du teftateur , lorfque le legs eſt
fait fans conditions ; ou dès l'inftant de
la condition , lorfqu'il eft conditionnel ,
quoique nous n'euffions pas encore con-
noiffance ni de la mort du teftateur , ni
262 Traité du Droit de Propriete ,
du legs qu'il nous a fait , & par confé-
quent avant que nous ayons pû avoir la
volonté d'acquérir les chofes léguées ,
pourvu néanmoins que nous ne répudions
pas le legs par la fuite ; car en ce cas ,
nous ferions cenfés n'avoir jamais acquis
les chofes qui nous ont été léguées ; c'eſt
ce qu'enſeigne le Jurifconfulte : Si purè
res relidafu , & legatarius legatum non re-
pudiaverit , rectâ viâ dominium quod here-
ditatis fuit , ad legatarium tranfit nunquam
factum heredis. L. 80 , ff. de Leg. 2. Il eſt
dit encore legatum ita dominium rei lega-
tarii facit , ut hereditas heredis res fingulas.
d. L. 80.
Obfervez que , quoique le légataire foit
cenfé avoir acquis dès l'inftant de la
mort du teftateur le domaine des chofes
qui lui ont été léguées , il ne lui eft pas
néanmoins permis de s'en mettre de lui-
même en poffeffion , il doit la recevoir
des mains de l'héritier : Aequiffimum vi-
fum eft unumquemque nonfibi ipfumjus di-
cere occupatis legatis , fed ab herede petere.
L. 1 , §. 2 , ff. quod legatorum , &c.
263. Pour que nous acquérions le do-
maine de propriété d'une chofe , foit par
droit d'occupation , foit par la tradition
qui nous en eft faite par celui à qui elle
appartient , outre qu'il faut que nous ayons
la volonté de l'acquérir , il faut qu'il in-
Part. I, Chap. 2 , S. 7 , §. 1. 263
tervienne de notre part quelque fait cor-
porel par lequel nous l'appréhendions , ou
nous la recevions de celui qui nous en fait
la tradition : il n'eft pas néanmoins néceſ-
faire que ce foit notre propre fait ; nous
pouvons acquérir le domaine de proprié
té d'une chofe par le fait d'un autre qui
l'appréhende , ou qui la reçoit pour nous
& en notre nom.

SECTION VII.

Commentfe perd le Domaine de Propriété.

264. Nous perdons le domaine de pro-


priété des chofes qui nous appartiennent ,
ou par notre volonté ou quelquefois
fans notre volonté , & malgré nous.

S. I.

En quels cas fommes - nous cenfes perdre


par notre volonte' le Domaine de Propriété
des chofes qui nous appartiennent.

265. Une perfonne perd par fa volonté


le domaine de propriété d'une choſe qui
lui appartient , lorſqu'étant ufante de fes
droits , & capable d'aliéner , elle fait la
tradition de cette chofe à quelqu'un à qui
elle veut transférer ce domaine.
Il eſt évident que les perfonhes qui ne
264 Traité du Droit de Propriété,
&
font pas capables d'aliéner, ne peuvent par
leur volonté aliéner le domaine des chofes
qui leur appartiennent.
Voyez ce que nous avons dit fuprà ,
fect. 4, n. 225 .
266. De même que la volonté des
perfonnes qui font fous puiffance de tu-
teur & de curateur " eft fuppléée par
celle de leurs tuteurs & curateurs pour
acquérir le domaine de propriété des chofes
que leurs tuteurs & curateurs en leurdite
qualité acquierent pour elles, & qu'elles font
cenfées avoir eu la volonté d'acquérir le
domaine de propriété des chofes qu'ils ont
acquifes pour elles ; pareillement la volonté
de ces perfonnes eft fuppléée par celle de
leurs , tuteurs & curateurs , à l'égard des
chofes qui leurs appartiennent , que leurs
tuteurs & curateurs alienent en ladite qua-
lité de tuteurs & de curateurs , fans ex-
céder les bornes de leur adminiftration ;
& elles font cenfées avoir par leur volonté
fuppléée par celle de leurs tuteurs & cu-
rateurs , perdu le domaine de propriété
qu'elles avoient des chofes que leurs tu
teurs & curateurs ont auffi aliénées.
Pareillement la volonté dont les Corps
& Communautés font incapables , eft fup-
pléée par celle de leurs Syndics & Admi-
niftrateurs , à l'égard des chofes apparte-
nantes
Part. I, Chap. 2 , 5.7 , S. 1. 265
nantes auxdits Corps & Communautés >
que lefdits Syndics & Adminiftrateurs
fans excéder les bornes de leur adminif
tration , alienent en leurdite qualité de
Syndics & Adminiſtrateurs ; & lefdits Corps
& Communautés font cenfés avoir perdu
par leur volonté fuppléée par celle defdits
Syndics & Adminiftrateurs , le domaine
de propriété des chofes que leurs Syndics
& Adminiftrateurs ont ainfi aliénées.
267. Une perfonne ufante de fes droits ,
& capable d'aliéner , peut perdre le do-
maine de propriété d'une chofe qui lui
appartient , non -feulement en le faifant
paffer par la tradition à une autre per-
fonne ; elle peut pareillement le perdre
par le fimple abandon qu'elle fait de la
choſe dont elle ne veut plus avoir le do-
maine : Si respro derelicto habita fit , flatim
noftra effe definit , & occupantis ( * )fit ; quia
iifdem modis res definunt effe noftræ quibus
adquiruntur. L. I I , ff. pro derel.
Proculus avoit penfé que cette perfonne ,
nonobftant cet abandon , confervoit tou-
jours le domaine de la chofe abandonnée ,
juſqu'à ce qu'un autre s'en fût mis en pof-

(*) Comme étant devenue res nullius par l'ab-


dication que nous avons faite de ce domaine.
Tome I. M
266. Traité du Droit de Propriété ,
feffion ; mais l'opinion contraire a prévalu :
Sed Proculus non definere eamrem domini effe ,
nifi ab aliopoffeffafuerit. Julianus definere qui-
dem omittentis effe , non fieri alterius , nifi ab
aliopoffeffafuerit: & rectè. L. 2 , §. 1 , ff. d. tit.
Obfervez que la choſe dont j'ai perdu
le domaine par l'abandon que j'en ai fait ,
devenant une chofe qui n'appartient à
perfonne , jufqu'à ce que quelqu'un , comme.
premier occupant , s'en foit mis en poffef-,
fion , je peux jufqu'à ce temps , fi je me
répens de l'abandon que j'en ai fait
reprendre cette chofe , & en la reprenant.
en acquérir de nouveau le domaine de
propriété.
268. On a fait la queftion de fçavoir ,
fi on peut abandonner le domaine d'une
chofe pour une partic indivife de cette
chofe ? Il n'eft pas douteux que celui qui
n'a le domaine de propriété d'une chofe
que pour une part indivife , peut l'aban-
donner pour la part qu'il en a ; mais celui
qui a le domaine de propriété pour le
total d'une chofe ne peut l'abandonner
pour une partie indivife , & le retenir
pour une autre partie ; car on n'abandonne
véritablement une chofe que lorfqu'on n'y
retient rien : An pars pro derelicto haberi -
poffit , quæri folet ? Et quidem fi in re com-
munifocius partemfuam reliquerit , ejus effe
Part. I, Chap. 2 , S.7 , §.1 . 267 .
definit , ut hoc fit in parte , quod in toto : at-
quin totius rei dominus , efficere non poteft,
ut partem retineat , partem pro derelicto ha-
beat. L. 3 , ff. pro derel.
269. Il n'en eft pas de même d'une
portion divifée d'une chofe ; il n'eft pas
douteux , par exemple , que je peux perdre
le domaine de propriété d'un morceau de
terre qui faifoit partie de mon héritage "
en abandonnant ce morceau de terre fans
abandonner le furplus de mon héritage ;
car ce morceau de terre eft quelque chofe
de réel , que j'abandonne pour le total
& dans lequel je ne retiens rien ; au lieu
que la portion indivife d'une chofe eft
quelque chofe qui ne fubfifte que dans
l'entendement , & qui ne peut faire la
matiere d'un abandon réel.
270. Obfervez que ceux qui , dans une
tempête , pour alléger le vaiſſeau , jettent
à la mer les marchandifes qu'ils ont dans
le vaiffeau , n'ont pas la volonté de perdre
le domaine de propriété des marchandifes
qu'ils jettent à la mer ; ils n'ont d'autre
deffein , en les y jettant , que d'alléger le
vaiffeau ; ils en retiennent le domaine de
propriété ; & fi par la fuite ces marchan-
difes étoient ou retirées de la mer , ou
jettées fur le rivage , ils auroient droit de
les revendiquer , comme chofes à eux
Mij
268 Traité du Droit de Propriété ,
appartenantes , en payant les frais ; &
ceux qui s'en empareroient, commettroient
un vol.
C'eſt ce qu'enſeigne Gaïus , en la Loi
9 , S. 8 , ff. de acq. rer. dom. où après
avoir parlé des chofes quæ pro derelictis
habentur , il dit : Alia caufa eft earum rerum
quæ in tempeflate maris , levande navis causâ
ejiciuntur , he enim dominorum permanent ,
quia non eo animo ejiciuntur quod quis eas
habere non vult , fed quod magis cum ipsâ
nave periculum maris effugiat , qua de caufa
fi quis eas fluctibus expulfas , vel etiam in
ipfo mari nanitus lucrandi causâ abſtulerit ,
furtum committit.
Il en eft de ce cas , dit Julien , comme
de celui auquel un homme fe trouvant
trop chargé , laifferoit dans le chemin
une partie de fa charge dans le deffein
de revenir la chercher. L. 8 , ff. de L.
Rhod.
271. Lorfqu'un débiteur , fur le refus
fait par fon créancier de recevoir une
fomme de deniers qu'il lui doit , la con-
figne ; quoique par la confignation qu'il
a faite , fi elle eft jugée valable , il foit
libéré de fa dette , & que les efpeces con-
fignées deviennent auffi-tôt après la con-
fignation aux rifques du créancier ; néan-
moins comme en les confignant , fa vo-
Part. 1, Chap. 2 , S.7 , §. 1. 269
lonté n'eft pas d'abdiquer le domaine de
propriété purement & fimplement ; mais
de le faire paffer au créancier , lorfque
le créancier jugera à propos de retirer de
la confignation lefdites efpeces ; il conferve
au moins quant à la fubtilité du droit ,
le domaine des efpeces confignées juſqu'à
ce que le créancier en ait acquis le do-
maine en retirant de la confignation les
efpeces. Voyez notre Traité des Obliga-
tions , n. 545.
272. Le propriétaire d'un héritage
chargé d'une rente fonciere qui le déguer-
pit pour ſe décharger de la rente , en perd
le domaine de propriété auffi-tôt que ce
déguerpiffement a été fait en regle , quoi-
que le Seigneur de rente fonciere n'ait
pas même encore accepté le déguerpiffe-
ment ; car le déguerpiffement eft une ab-
dication pure , fimple & abfolue que le
déguerpiffant fait de fon droit de propriété
notifiée au Seigneur de rente fonciere ;
& ce n'eft que parce que le déguerpiffant
ceffe du jour de fon déguerpiffement d'être
propriétaire de l'héritage , qu'il ceffe dès
ce jour d'être tenu de la rente ; mais comme
par ce déguerpiffement , l'aliénation que
le Seigneur de rente fonciere ou fes au-
teurs avoient faite de l'héritage par le bail
à rente eſt détruite , & que le Seigneur
M iij
270 Traité du Droit de Propriété,
de rente fonciere acquiert le droit d'y
rentrer , & d'en recouvrer le domaine
qu'il avoit aliéné ; quoique jufqu'à ce qu'il
y foit rentré , l'héritage foit une chofe
qui n'appartienne à perfonne ; perfonne
néanmoins n'a droit de s'en emparer à
fon préjudice .
273. Un débiteur qui fait à fes créan-
ciers une ceffion & abandon de fes biens
foit en juſtice , ſoit par une tranſaction ,
ne perd pas par cet abandon le domaine
de propriété des chofes qui lui appartien-
nent , compriſes dans cet abandon , jufqu'à
ce qu'en exécution de cet abandon elles
aient été vendues par les créanciers & li-
vrées aux acheteurs ; cet abandon n'eſt
censé être autre chofe qu'un pouvoir qu'il
donne à fes créanciers de jouir de fes
biens , & de les vendre pour fe payer de
leurs créances , tant fur les revenus que
fur le prix : Is qui bonis ceffit ante rerum
venditionem utique bonisfuis non caret. L. 3 ,
# de ceff. bon.
Part. I, Chap. 2 , S. 7 , S. 2. 271

S. I I.

En quels cas perdons - nous fans notre con-


fentement le Domaine de Propriété des
chofes qui nous appartiennent.

274. Un débiteur perd fans fon con-


fentement le domaine de propriété des
chofes qui lui appartiennent , par la vente
qui en eft faite par fes créanciers qui les
ont faifies.
Un débiteur perd pareillement fans fon
confentement le domaine de propriété
d'une chofe qui lui appartient , lorsqu'en
exécution d'un jugement qui l'a condamné
à la donner à une perfonne à qui il s'étoit
obligé de la donner , il en eft dépouillé
manu militari.
Nous perdons pareillement fans notre
confentement le domaine de propriété des
chofes dont on s'empare par autorité pu-
blique pour quelque caufe d'utilité publi-
que , comme lorfque le Roi s'empare de
mon champ pour en faire le grand-chemin.
275. Nous perdons auffi le domaine
des chofes qui nous appartiennent , lorf-
qu'elles nous font prifes en guerre par
F'ennemi ; car par le Droit des Gens &
les Loix de la guerre , le propriétaire de
ces chofes en eft tellement dépouillé , que
M it
272 Traité du Droit de Propriété,
quand même elles feroient reprifes fur
l'ennemi par un Corfaire François , l'an-
cien propriétaire n'en recouvreroit pas
le domaine , & il feroit acquis à celui
qui les a repriſes fur l'ennemi , comme
nous l'avons vu fuprà , n. 97 , pourvu
néanmoins que la chofe n'ait été repriſe
qu'après qu'elle aura été au moins vingt-
quatre heures en la poffeffion de l'ennemi ;
fi elle a été repriſe auparavant , le pro-
priétaire eft cenfé n'en avoir jamais perdu
la propriété.
Ce Droit des Gens qui transfere le
domaine de propriété des chofes prifes
en guerre à l'ennemi qui s'en eft emparé ,
n'a lieu que dans le cas d'une guerre fo-
lemnellement déclarée entre deux Souve-
rains qui ont droit de faire la guerre .
Il en eft autrement dans les guerres
civiles ; nous ne perdons point le domaine
de propriété des chofes qui nous appar
tiennent , lorſque ceux de la faction op-
pofée s'en font emparés par la force ; c'eſt
le fentiment de Grotius dejure belli &pacis ,
lib. 9 , tit. 6 , n. fin. A plus forte raiſon ,
nous ne perdons pas le domaine de celles
qui nous font enlevées par des Pirates &
des' Voleurs .
276. Enfin nous perdons fans notre con-
fentement , & même à notre infçu le do-
maine de propriété d'une chofe qui nous
Part. I, Chap. 2 , S. 7 , § . 2. 273
appartient , lorfque celui qui la poffede
vient à l'acquérir par droit de prefcription .
Auffi-tôt que ce poffeffeur a , par lui ou
par les auteurs , accompli le temps de la
poffeffion requis pour la prefcription, la Loi
qui a établi la preſcription , nous prive de
plein droit du domaine de propriété que
nous avions de cette chofe , & le trans-
fere à ce poffeffeur .
277. Au refte , nous ne perdons pas
le domaine de propriété d'une chofe , pour
cela feul , que nous en avons perdu la
poffeffion , & quoique nous ignorions ab-
folument ce qu'elle eft devenue.
Pareillement , fi un loup a emporté un
de mes porcs , je ne perds pas le domaine
de propriété de ce porc tant qu'il exiſte ,
& que le loup ne l'a pas encore dévoré ;
c'eft pourquoi fi quelqu'un ayant rencontré
le loup qui emportoit mon porc , eſt venu
à bout avec fes chiens de lui faire lâcher
fa proie , il eft obligé de me rendre mon
porc qu'il a fait lâcher au loup , fi je
juftifie que c'eft dans mon troupeau que
le loup l'a pris. Quum paftori meo lupi
porcos eriperent ; hos vicina ville colonus ,
cum robuftis canibus quos pecoris fui gratiâ
pafcebat confecutus , lupis eripuit aut canes
extorferunt ..
.. melius eft dicere , & quod
à lupo eripitur noftrum manere quandiu recipi
· poffit id quod ereptum eft ... licèt non
M v
274 Traité du Droit de Propriété ,
animofurandi fuerit colonus perfecutus
tamen quum repofcenti non reddit , fupprimere
& intercipere videtur. Quare furti teneri eum
arbitror. L. 44 , ff. de acq. rer. dom.
278. Ce principe que nous ne perdons
pas le domaine de propriété des chofes
qui nous appartiennent par cela feul que
nous en avons perdu la poffeffion , fouffre
exception à l'égard des chofes qui font
de nature à être dans l'état de commu-
nauté négative , tant qu'elles ne font oc-
cupées par perfonne , tels que font les
animaux fauvages : nous perdons le do-
maine de propriété de ces animaux , auffi-
tôt qu'ils ont ceffé d'être en notre pouvoir,
& qu'ils font retournés à l'état de liberté
naturelle : Quidquid eorum ceperimus , dit
Gaius , eo ufque noflrum effe intelligitur do-
nec cuftodiâ noftrâ coercetur , quum verò
evaferit cuftodiam noftram & in libertatem
naturalem fe receperit , noftrum effe definit &
rurfus occupantisfit. L. 3 , S. 2 , ff. de acq.
rer. dom.
Naturalem autem libertatem recipere in-
telligitur , quum vel oculos noftros effugerit
vel ita fit in confpectu noftro ut difficilis fit
ejus perfecutio. L. 5 , ff. d. tit.
279. A l'égard des animaux fauvages
que nous avons apprivoifés , qui font dans
Phabitude de s'écarter pendant quelque
temps , & de revenir à la maifon , ils font
Part. I, Chap. 2 , 5.7 , § . 2. 275
cenfés être en notre pouvoir tant qu'ils
confervent cette habitude ; mais fi s'étant
écartés , ils ne font pas revenus pendant
un temps affez confidérable pour qu'il y
ait lieu de croire qu'ils ont perdu l'habi-
tude de revenir , nous fommes cenfés ne
les avoir plus en notre pouvoir , & en
avoir par conféquent perdu le domaine :
In his animalibus quæ confuetudine abire &
redire folent , talis regula comprobata eft , ut
eo ufque noftra effe intelligantur , donec rever
tendi animum habeant ; quodfi defierint re-
vertendi animum habere , definant noftra effe
& fiant occupantium. Intelliguntur autem
defiiffe revertendi animum habere , tunc quum
revertendi confuetudinem deferuerint. L. 5 ,
S. 5 , ff. d. tit.
280. La mer & les rivages de la mer
étant des chofes qui font du nombre de
celles qu'on appelle res communes , qui
font reftées dans l'état de communauté
négative ; fi j'ai conftruit un édifice fur
la mer ou fur le rivage de la mer , j'ai
bien le domaine de propriété de la partie
de la mer qui eft occupée par mon édi-
fice , tant que je l'occupe ; mais fi mon
édifice vient à être détruit , n'occupant
plus cette partie de la mer ou du rivage
de la mer , je perds le domaine de pro-
priété que j'avois de cette partie de la mer
ou du rivage , laquelle retourne à fon
M vj
276 Traité du Droit de Propriété,
premier état de choſe commune , dont la
propriété n'appartient à perfonne. C'eſt
ce qu'enfeigne Neratius : Illud videndum
eft , fublato ædificio quod in littore pofitum
erat , cujus conditionis is locus fit ? hoc eft
utrum maneat ejus cujus fuit ædificium , an
rurfus in priftinum ftatum recidit , perindeque
publicusfit , ac fi nunquam in eo ædificatum
fuiffet ? quod propius eft ut exiftimari de-
beat , fi modo recipitpriftinam littorisfpeciem.
L. 14 , S. 1 , ff. d. tit.
Partie 11, Chapitre 1. 277

SECONDE PARTIE.

D u domaine de propriété que nous


avons des chofes particulieres , naît
une action qu'on appelle action de reven-
dication. Du domaine que nous avons
d'une hérédité que la Loi nous a déférée ,
naît une action contre ceux qui nous la
diſputent , qu'on appelle pétition d'hérédité.
Nous traiterons dans un premier chapitre ,
de l'action de revendication. Nous traite-
rons dans unfecond, de la pétition d'hérédité.

CHAPITRE PREMIER.

De l'Action de Revendication.

281.ACTION de revendication eft


une action qui naît du domaine
de propriété que chacun a des chofes par-
ticulieres , par laquelle le propriétaire qui
en a perdu la poffeffion , la réclame & la
revendique contre celui qui s'en trouve
en poffeffion , & le fait condamner à la
lui reftituer.
L'action de revendication eft une action
réelle , puifqu'elle naît d'un droit réel que
quelqu'un a dans une chofe , fçavoir du do-
278 Traité du Droit de Propriété ,
maine de propriété qu'il a de cette chofe.
Quoique cette action foit réelle , elle
a néanmoins quelquefois des conclufions
perfonnelles qui lui font acceffoires , qui
naiffent de quelques obligations que le
poffeffeur de la choſe revendiquée a con-
tractées par rapport à cette choſe envers
de demandeur en revendication .
Sur cette action de revendication nous
verrons dans un premier article , quelles
chofes peuvent être l'objet de cette action ;
par qui elle peut être donnée , & contre
qui nous verrons dans un fecond article
ce que doit obferver le propriétaire avant
que de donner la demande en revendica-
tion ; ce qu'il doit pratiquer en donnant
cette demande , & quel eft l'effet de la
demande en revendication pendant le
procès. Nous examinerons dans un troi-
fieme article , quand le demandeur en re-
vendication d'un héritage ou d'une rente,
doit être cenfé avoir juftifié de fon droit
de propriété : nous traiterons dans un qua-
trieme article , de la reftitution qui doit étre
faite de la chofe revendiquée , lorfque le
demandeur a obtenu en ſa demande : dans
un cinquieme article , de plufieurs prefta-
tions perfonnelles auxquelles le poffeffeur
fur qui la chofe eft revendiquée , eft quel-
quefois tenu envers le demandeur en re-
vendication. Dans un fixieme article , de
P. II, Ch. 1 , Art. 1 , §. 1 . 279
celles auxquelles le demandeur en reven-
dication eft quelquefois tenu envers le pof-
feffeur pour lui délaiffer la chofe revendi-
quée.
ARTICLE PREMIER.

Quelles chofes peuvent être l'objet de l'Adion


en Revendication ; par qui & contre qui
peut-elle être donnée ?

S. I.

Quelles chofes peuvent être l'objet de l'action


en revendication.

282. Toutes les différentes chofes par-


ticulieres dont nous avons le domaine de
propriété peuvent être l'objet de l'action
de revendication , les meubles auffi bien
que les immeubles : Hæc fpecialis in rem
actio locum habet in omnibus tam animalibus
quam his quæ animâ carent , & in his quæ
folo continentur. L. 1 , §. 1 , ff. de rei vindic.
On donne dans notre droit à l'action
de revendication des meubles corporels le
nom d'entiercement qui lui eft particulier :
nous en verrons la raiſon dans l'article
fuivant.
Cujas dans fon ouvrage ad Libros dig.
Juliani , lib. 78 , fur la Loi 56 , de rei vind.
qui en eft tirée , obferve que par le Droit
280 Traité du Droit de Propriété ,
Romain l'action de revendication n'avoit
lieu que pour les chofes corporelles. Dans
notre Droit François je ne vois rien qui
empêche que le propriétaire d'une chofe
incorporelle , putà d'un droit de cenfive ,
d'un droit de champart ou d'une rente >
lorfqu'il en a perdu la poffeffion , ne puiffe
donner l'action en revendication de cette
chofe contre un tiers qu'il en trouveroit
en poffeffion , de même qu'on la donne
pour les chofes corporelles.
283. Il n'y a que les chofes particulieres
qui peuvent être l'objet de cette action ;
une univerfalité de biens telle qu'eft une
fucceffion , lorfqu'elle nous eft conteſtée
par quelqu'un , ne donne pas lieu à l'action
de revendication , mais à une autre efpece
d'action qui eft la pétition d'hérédité, dont
nous traiterons au Chapitre ſuivant.
Il en eft de même de l'univerfalité de
biens d'une perfonne morte fans héritiers ,
qui appartient à un Seigneur à titre de
deshérence ; ou du pécule d'un Religieux
défunt qui appartient à fon Abbé ou au
Monaftere ; la conteftation fur le domaine
.
de ces univerfalités de biens donne lieu à
une action à l'inftar de la pétition d'hé-
rédité , & non à la revendication .
Il ne faut pas confondre avec l'univer
falité de biens , ce qui n'est qu'univerfalité
de chofes , tel qu'eft un troupeau de
P. II , Ch. 1 , Art. 1 , §. 1. 281
moutons , un harras de chevaux ; ces ef-
peces d'univerfalités ne font confidérées
que comme chofes particulieres , & peu-
vent être l'objet de l'action de revendica-
tion : Poffe etiam gregem vindicari Pompo-
nius libro lectionum 25°. idem de armentis
& de equitio. L. 1 , § . 3 , ff. de rei vind.
284. L'action de revendication étant
une action par laquelle le propriétaire
d'une chofe , la revendique fur celui qu'il
en trouve en poffeffion , il s'enfuit que
les chofes qui n'appartiennent à perfonne ,
telles que font celles qui font Divini aut
publici juris , ne peuvent être l'objet de
l'action de revendication.
Mais lorfque dans les dépendances d'une
terre , il y a une chapelle , quoique cette

chapelle foit res divini juris , & qu'en


conféquence cette chapelle , in fe , confi-
dérée féparément ne foit pas fufceptible
de l'action de revendication ; néanmoins
elle entre dans l'action de revendication
de la terre comme une dépendance de la
terre.
285. Suivant la fubtilité du Droit Ro-
main , lorfqu'une chofe dont j'avois le
domaine de propriété, fe trouvoit tellement
unie à une qui vous appartenoit, qu'elle pa-
roiffoit en être une partie acceffoire , je ne
pouvois pas la revendiquer pendant qu'elle
y demeuroit ainfi unie , parce qu'elle étoit

1
282 Traité du Droit de Propriété,
cenfée pendant ce temps n'avoir pas une
exiftence particuliere , & n'être qu'une
partie de la vôtre à laquelle elle étoit unie ;
il falloit donc que j'euffe recours à l'action
ad exhibendum contre vous par-devers qui
elle étoit , pour vous faire condamner à la
détacher & à me l'exhiber ; & ce n'étoit
qu'après qu'elle avoit été détachée , que
cette chofe ayant recouvré l'exiſtence par-
ticuliere qu'elle avoit auparavant l'union ,
& moi ayant en conféquence recouvré le
domaine de propriété que j'avois de cette
chofe , je pouvois la revendiquer : Quæ-
cumque aliis juncta five adjecta acceffionis
loco cedunt, ea, quandiu cohærent , dominus
vindicare non poteft , fed ad exhibendum agere
poteft , ut feparentur , & jure vindicentur.
L. 23 , §. 5 , ff. de rei vind.
Dans notre Droit on ne s'attache pas
à ces fubtilités , & je penſe que lorfque j'ai
perdu la poffeffion d'une chofe dont j'ai
le domaine de propriété , je fuis reçu à
la revendiquer fur celui par-devers qui
elle fe trouve , quoiqu'elle fe trouve at-
tachée à une chofe qui lui appartient
& qu'elle en foit comme une partie ac-
ceffoire ; & je fuis bien fondé à conclure
par cette action à ce qu'il foit tenu de la
détacher & de me la rendre. Voyezfuprà ,
n. 177 , & fuivants.
P. II, Ch. 1 , Art. 1 , §. 2. 283.

S. I I.

Par qui peut être intentée l'action de Re-


vendication.

286. Réguliérement , cette action n'ap-


partient qu'à celui qui a le domaine de pro-
priété de la chofe revendiquée , & ne peut
être intentée que par lui : In rem actio com-
petit ei qui autjure gentium aut jure civili do-
minium acquifit. L. 23 , ff. de rei vend.
De-là il fuit que l'acheteur d'une chofe
qui ne lui a pas encore été livrée , ne
peut être fondé dans la demande en re-
vendication de cette chofe , parce qu'il
n'en a pas encore le domaine de proprié
té , qu'il ne peut acquérir que par la tra-
dition qui lui feroit faite en exécution du
contrat Si ager ex emptionis caufà ad
aliquem pertineat , non rectè hâc actione ( in
rem ) agi poterit , antequam traditus fit ,
tuncque ( * ) poſſeſſio amifafit. L. 50 .
287. Par la même raifon , fi un homme
a acheté pour lui & en fon nom une chofe
avec une fomme de deniers que vous lui
aviez donné en dépôt , vous n'êtes pas
fondé dans la demande en revendication

[*] Id eft tunc poft traditumfibi agrum , dominium


que quæfitum , poffeffionem agri emptor amiferit.
284 Traité du Droit de Propriété ,
de cette chofe , quoiqu'acquiſe de vos de
niers ; car vous n'en avez pas le domaine
de propriété , n'ayant pas été acquife pour
vous , ni en votre nom : Si ex eâ pecuniâ
quam depofueris , is apud quem collocata eft,
fibi poffeffiones comparavit , ipfique tradite
funt , tibi vel tradi , vel quafdam ex his com-
penfationis caufà ab invito eo in te trans-
ferri injuriofum eft. L. 6 , Cod. de rei vind.
Il y a néanmoins quelques cas dans le
Droit , où contre la rigueur des principes ‫و‬
on accorde à celui des deniers duquel
une choſe a été achetée , la revendication
de cette chofe.
288. Il n'eft pas néceffaire pour pou
voir intenter cette action , que le domaine
que nous avons de la chofe revendiquée ,
foit un domaine parfait & irrévocable ;
quoique nous devions le perdre au bout
d'un certain temps , où par l'événement de
quelque condition , tant que nous avons
encore le domaine de la chofe , nous
fommes fondés à la revendiquer : Non ideo
minus rectè quid noflrum effe vindicabimus ,
quod abire à nobis fperatur fi conditio le-
gati vel libertatis extiterit. L. 66 , ff. de
rei vind.
Par exemple , le propriétaire d'un hé-
ritage chargé de fubftitution , tant que
la fubftitution n'eft pas encore ouverte ,
eft bien fondé à la revendiquer .
Part. 11, Chap. 1 , Art. 1 , S. 2. 285
299. Il n'eft pas non plus néceffaire que
le domaine de propriété que nous avons
de la chofe revendiquée , foit une proprié-
té pleine ; quoique je n'aie pas la nue
propriété d'une chofe , l'ufufruit apparte-
nant à un autre , j'ai droit de la revendi-
quer ; car , quoique je n'en aie pas l'ufu-
fruit , je n'en fuis pas moins propriétaire
pour le total ; l'ufufruit que je n'ai pas
étant une fervitude , une charge , plutôt
qu'une partie de la chofe : Rectè dicimus
eumfundum totum noftrum effe , etiam quum
ufusfructus alienus eft , quia ufusfructus non
dominii pars fed fervitutis fit : ut via &
iter ; nec falsò dici totum meum eſſe , cujus
non poteft ulla pars dici alterius effe. L. 25 ,
ff. de verb. fignif.
290. Il n'eft pas néceffaire non plus
dans notre Droit François , pour que
nous ayons la revendication d'une chofe ,
que nous en ayons le domaine direct ;
il fuffit que nous en ayons le domaine
utile : un emphitéote , un engagifte ont
cette action .
291. Celui qui n'a le domaine de pro-
priété d'une chofe que pour une partie ,
peut la revendiquer pour la part qu'il y
a , quand même la chofe ne feroit pas
fufceptible de parties réelles , mais feu-
lement de parties intellectuelles : Eorum
quoque , quæ fine interitu dividi non poffunt,
286 Traité du Droit de Propriété ,
partem petere poffe conftat. L. 85 , §. 3. de
Kei vindic.
292. Quoique réguliérement l'action
de revendication d'une chofe n'appar-
tienne qu'à celui qui en eft le proprié
taire , on l'accorde néanmoins quelque-
fois à celui qui n'en eft pas le proprié
taire , mais qui étoit en chemin de le
devenir lorsqu'il en a perdu la poffeffion.
Car fi celui qui poffédoit de bonne
foi , en vertu d'un jufte titre , une choſe
dont il n'étoit pas propriétaire , en a per-
du la poffeffion avant l'accompliffement
du temps requis pour la prefcription , il
eft reçu , quoiqu'il ne foit pas proprié-
taire de cette chofe , à la revendiquer par
l'action de revendication contre ceux qui
fe trouvent la pofféder fans titre.
Cette action eft celle qui eft appellée
en Droit actio publiciana : elle eft fondée
fur l'équité , qui veut que celui qui étoit
le jufte poffeffeur d'une chofe , & qui ,
quoiqu'il n'en fût pas encore le proprié
taire étoit en chemin de le devenir ‫و‬
foit préféré pour avoir cette choſe. , lorf-
qu'il en a perdu la poffeffion , à un ufur-
pateur qui s'en eft mis injuftement en pof
feffion.
293. Il n'eft pas précisément nécef-
faire que le titre en vertu duquel j'ai
poffédé la chofe , fût un titre valable ;
Part. II, Chap. 1 , Art. 1 , § . 3. 287
il fuffit que j'aie eu quelque fujet de le
croire valable , pour que je fois réputé
avoir été jufte poffeffeur de la chofe , &
que je fois reçu à cette action lorſque
j'en ai perdu la poffeffion ; par exemple
fi j'ai acheté d'un fou , dont j'ignorois le
dérangement d'efprit , une chofe qu'il
m'a livrée , quoique la vente qu'il m'en
a faite , en vertu de laquelle j'ai poffédé
cette chofe , fût nulle ; néanmoins , ne
m'étant pas apperçu de fon dérangement
d'efprit , j'ai eu fujet de la croire valable
ce qui fuffit pour que je fois réputé en
avoir été jufte poffeffeur , & pour que
je fois reçu à cette action contre un ufur-
pateur qui en auroit ufurpé fur moi la
poffeffion : Marcellus fcribit eum qui à
furiofo (* ) , ignorans eum furere , emit
poffe ufucapere , ergo & publicianam habebit.
L.7 , ff. de publ. act.
En général , l'opinion d'un jufte titre
quoiqu'erronée , lorfqu'elle a un jufte
fondement , équipolle au titre , & fuffit
pour cette action , de même qu'elle fuffit
pour la prefcription ; comme nous le
verrons en notre Traité de la Prefcrip
tion.

294. Ce n'eft ordinairement que contre

(*) Furiofus , dans le langage des Jurifcon-


fultes , fe prend pour fou.
288 Traité du Droit de Propriété ,
ceux qui poffedent fans titre , que l'an-
cien poffeffeur de bonne foi qui n'eft
pas encore propriétaire , eft reçu à re-
vendiquer la chofe dont il a perdu la pof-
feffion. Si depuis qu'il l'a perdue , la pof-
feffion de cette chofe avoit paffé à celui
qui en eft le véritable propriétaire , il eft
évident qu'il ne feroit pas recevable à la
revendiquer contre lui : en ce cas , excep-
tio jufti domini publicianæ objicienda eft.
L. 16 , ff. de publ. act. car , comme ob-
ferve fort bien Nératius , publiciana actio
non ideò comparata eft , ut res domino au-
feratur. L. 17 , ff. d. tit.
L'ancien poffeffeur de bonne foi n'eft
pas pareillement reçu à revendiquer la
chofe dont il a perdu la poffeffion , contre
un poffeffeur , qui , fans en être proprié-.
taire , la pofféderoit en vertu d'un juſte
titre 9 comme nous le verrons infrà ;
car les deux parties étant en ce cas d'é-
gale condition , le poffeffeur actuel doit
avoir la préférence : In pari causâ potior
caufa poffefforis.
295. Il y a néanmoins des cas où l'an-
cien poffeffeur de bonne foi eft reçu à
revendiquer la chofe dont il a perdu la
poffeffion , même contre le propriétaire
pardevant qui elle fe trouve : & à plus
forte raifon , contr'un autre poffeffeur de
bonne foi.
Le
S. 3.
Part. II, Ch. 1 , Art. 1 , §. 289
Le premier cas eft , lorfque le proprié
taire pardevers qui fe trouve la chofe
dont j'ai perdu la poffeffion , auroit con-
fenti à la vente qui m'en a été faite , ou
à quelqu'autre titre en vertu duquel je la
pofïédois ; comme dans l'efpece que rap-
porte Papinien.
Le propriétaire d'une chofe a défendu
à fon Procureur qui l'avoit vendue de
fon confentement , d'en faire la tradition
à l'acheteur ; la tradition qui en a été
faite à l'acheteur , ne lui en a pas tranf-
féré la propriété , ayant été faite contre
la volonté du propriétaire : néanmoins
comme l'équité ne permet pas qu'il con-
trevienne au confentement qu'il a donné
à la vente qui en a été faite ; non-feu-
lement il ne fera pas reçu à la reven-
diquer contre l'acheteur qui la pofféde-
roit , lequel oppoferoit contre fon action
exceptionem doli ; mais même dans le cas
auquel l'acheteur auroit perdu la poffef-
fion de cette chofe qui fe trouveroit par-
devers le propriétaire , l'acheteur fera
reçu à la revendiquer per actionem publi-
cianam contre le propriétaire : Papinianus
fcribit : Si quis prohibuit vel denuntiavit ,
ex caufa venditionis tradi rem quæ ipfius
voluntatefuerat diftracta , & is nihilominus
tradiderit , emptorem tuebitur Prætor,fivepof-
fideat,fivepetat rem. L. 24 , ff. de public. act.
Tome I. N
290 Traité du Droit de Propriété ,
Si contre l'action publicienne que Pa
cheteur intentera contre le propriétaire
ce propriétaire oppofe exceptionem domi-
nii , l'acheteur oppofera contre cette ex.
ception , le confentement qu'il a donné
à la vente : Sinon author meus voluntate tuâ
vendidit. d. L. 14.
296. Le fecond cas auquel l'ancien pof-
feffeur de bonne foi d'une choſe dont il
a perdu la poffeffion , eft reçu à la re-
vendiquer par l'action publicienne , mê-
me contre le propriétaire de cette chofe ,?
eft lorfque ce propriétaire eft ou celui
qui l'a lui avoit vendue & livrée , avant
qu'il en fût devenu propriétaire , ou quel
qu'un qui la tient de ce propriétaire , com-
me dans l'efpece que rapporte Ulpien :
Vous avez acheté de Titius une chofe
qui ne lui appartenoit pas , mais à Sem-
pronius ; après la tradition que Titius
vous en a faite , Titius en eft devenu pro-
priétaire , ayant été l'héritier de Sempro-
nius ; vous avez depuis perdu la poffef-
fion de cet héritage ; Titius qui vous l'a-
voit vendu s'en eft induement mis en
poffeffion , & l'a vendu à Moevius à qui
il a transféré fon droit de propriété par
la tradition de l'héritage qu'il lui a faite :
Ulpien decide que vous êtes fondé à in-
tenter l'action publicienne contre Mo-
vius , pour revendiquer l'héritage , fans
Part. II, Ch. 1 , Art. 1 , S. 3. 291
qu'il puiffe vous exciper valablement de
fon droit de propriété ; parce que Moe-
vius ayant acquis l'héritage de Titius
votre autheur qui vous l'avoit vendu &
livré , Titius n'avoit pu lui transférer
un droit de propriété que tel qu'il l'avoit
lui- même ; or le droit de propriété que,
Titius avoit , ne l'étoit vis- à-vis de vous
que quantum adfubtilitatem Juris :il n'étoit
pas vis-à-vis de vous un véritable droit
de propriété dont il eût pu exciper vala-
blement contre l'action publicienne que
vous aviez droit d'intenter contre lui ;
Moevius , qui n'a que le même droit qu'a-
voit Titius , ne peut pas en exciper da-
vantage : Si à Titiofundum emeris qui Sem-
pronii erat , ifque tibi traditus fuerit pretio
foluto ; deinde Titius Sempronio heres exti-
terit , & eumdem ( * )fundum Movio vendi-
derit & tradiderit : Julianus ait æquius effe
Prætorem te tueri ; quia etfi ipfe Titius fun-
dum à te peteret , exceptione in factum com-
paratâ , vel doli mali fummoveretur ; &fi
ipfe eum poffideret , & publicianâ peteres ,
adversus exceptionem , fi non fuus effet , re-
plicatione utereris ; ac per hoc intelligeretur
eumfundumrursum vendidiffequem in bonis non
haberet. L.4 , §.
S. 32 , ff. de dol. & met. except.

(*) Dont vous aviez perdu la poffeffion , &


dont Titius s'étoit depuis mis en poffeffion.
Nij
292 Traité du Droit de Propriété ,
297. L'équité peut encore, en d'autres
cas , faire admettre l'ancien poffeffeur de
bonne foi d'une choſe , qui en a perdu la
poffeffion , à la revendiquer par l'action
publicienne , même contre celui qui en
feroit depuis devenu propriétaire ; comme
dans l'efpece de la Loi 57 , ff. mand.

S. IV.

Contre qui l'Action de Revendication doit-


elle être donnée.

297. Le propriétaire qui a perdu la pof-


feffion d'une chofe , doit donner l'action
de revendication contre celui qu'il trouve
en poffeffion.
• Peut-elle être donnée , même contre ce-

lui qui en eft en poffeffion au nom d'un


autre , ou ne doit-elle être donnée que
contre celui qui la poffede en fon nom ? "
Ulpien fur cette queſtion décide contre le
fentiment des Proculéiens , que l'action
de revendication eft bien donnée contre
tous ceux qui fe trouvent en poffeffion d'une
chofe , de quelque maniere & à quelque
titre que ce foit qu'ils en foient en pof-
feffion , foit en leur nom , foit au nom
d'un autre Pegafus ait ab eo apud quem
depofita vel commodata , vel qui eam condu
Part. II , Ch. 1 , Art. 1 , §. 4. 293
bcerit. ... quia hi omnes nonpoffident (*) vin-
dicari non poffe : puto autem ab omnibus qui
tenent & habent reftituendi facultatem , peti
poffe.L. 9, ff. de rei vind.
Dans notre Droit , lorfque je trouve
un homme en poffeffion de mon héritage,
ne pouvant pas deviner s'il le poffede en
fon nom , ou comme fermier ; la de-
mande en revendication que j'ai donnée
contre lui eft bien donnée , mais lorsque
fur cette demande il a déclaré qu'il n'eft
en poffeffion de l'héritage que comme le
tenant à ferme d'un tel , je dois affigner
celui de qui il le tient à ferme , dont il
doit m'indiquer le nom & la demeure ;
car la queftion fur le domaine de pro-
priété de la chofe revendiquée , ne peut
être traitée ni jugée avec ce fermier , qui
ne prétend point avoir ce domaine ; elle
ne peut l'être qu'avec celui qui poffede
l'héritage par fon fermier , lequel , en fa
qualité de poffeffeur de l'héritage en eft
réputé le propriétaire , jufqu'à ce que le
demandeur en revendication ait juſtifié
de fon droit.
Après que celui de qui le fermier tient
l'héritage a été mis en caufe , & qu'il a
pris le fait & caufe de fon fermier ; le

[*] Suo nomine , fed funt in poffeffione nomine


ejus qui rem depofuit , aut commodavit aut locavit.
Niij
294 Traité du Droit de Propriété",
fermier qui avoit été affigné en premier
lieu , doit être mis hors de cauſe.
298. La même chofe doit s'obferver à
l'égard des chofes mobilieres ; lorsque je
trouve ma chofe entre les mains d'une
perfonne , quoique cette perfonne ne la
tienne qu'à titre de dépôt ou de prêt , je
peux l'entiercer fur cette perfonne ; mais
lorfqu'elle aura déclaré celui qui la lui a
confiée en dépôt , ou qui la lui a prêtée ,
dont elle doit m'indiquer le nom & la
demeure , je dois l'appeller en caufe , &
& c'eft avec lui que fe doit traiter & ju-
ger mon action.
299. Lorfque j'ai perdu la poffeffion d'un
héritage , dont nous fommes vous & moi
propriétaires en commun & par indivis cha-
cun pour moitié ; fi vous êtes en poffef-
fion de cet héritage en commun avec Ti-
tius qui n'y a aucun droit , c'eft contre Ti-
tius feul que je dois donner ma demande
en revendication , & non contre vous , qui
ne le poffédez que pour la part que vous
y avez ; mais fi vous avez fait avec Ti-
tius un partage de cet héritage , & qu'en
conféquence de ce partage vous poffédiez
feul une certaine portion divifée de cet
héritage , je peux donner contre vous
l'action de revendication pour la part in-
divife que j'y ai ; le partage que vous
avez fait avec Titius étant un acte qui
Part. II, Ch. 1 , Art. 1 , §. 4. 295
m'eft étranger , n'a pu me dépouiller
de la part indivife que j'ai dans tout l'hé-
ritage , & dans toutes les différentes par-
ties dont il eft compofé : Si ex æquis
partibus fundum mihi tecum communem , tu
& Lucius Titius poffidetis , non ab utrif
que quadrantes petere me debere , fed à Titio
qui non fit dominus totum femijem. Aliter
atque fi certis regionibus poffideatis eum fun-
dum ; nam tunc fine dubio & à te & à Titio
partes fundi petere me debere : Quoties enim
certa loca poffidebuntur , neceffario in his ali-
quam partem meam effe. L. 8 , ff. de rei
vindic.
300. La demande en revendication ne
devant ni ne pouvant réguliérement pro-
céder que contre celui qui eft trouvé en
poffeffion de la chofe revendiquée ; fi celui
contre qui la demande eft donnée , dénie
pofféder la chofe , cela donne lieu à un
appointement , par lequel , après que le dé-
fendeur a foutenu qu'il ne poffédoit point
l'héritage revendiqué , on permet au de-
mandeur de prouver que le défendeur le
poffede ; faute de le prouver , on donne
congé de la demande non purement &
fimplement , mais en conféquence de ce
qu'il ne poffede pas l'héritage ; lequel ju-
gement n'empêche pas qu'on ne puiffe de
nouveau donner la demande contre lui ex
novâ causâ , fi par la fuite il vient à le
pofféder, Niv
296 Traité du Droit de Propriété,
301. Lorfque le défendeur , quoiqu'i
ne poffédât pas l'héritage pour lequel il
étoit affigné en revendication , a néan-
moins conteſté & foutenu le procès
comme s'il en étoit le poffeffeur ; fi c'eſt
par erreur , croyant être affigné pour un
autre héritage que celui pour lequel il étoit
affigné, l'erreur étant depuis découverte ร
il ne doit être condamné qu'aux dépens ;
mais s'il étoit prouvé que ce fût par ma-
lice , pour empêcher le demandeur de con-
noître le véritable poffeffeur , & de don-
ner la demande contre lui , afin que par
ce moyen le poffeffeur pût accomplir le
temps de la preſcription ; le défendeur
devroit être en ce cas condamné aux dom-
mages & intérêts du demandeur , qui par
cette fraude auroit perdu la propriété de
fon héritage, faute d'avoir pu interrompre
le temps de la preſcription contre celui
qui le poffédoit.
302. Il y a cette différence entre l'ac-
tion de revendication , & les actions per-
fonnelles , que celles-ci fe donnent contre
les héritiers de celui qui en eft tenu , lef-
quels héritiers en font tenus pour la part
pour laquelle ils font héritiers ; au con-
traire , l'action de revendication ne peut
être donnée contre l'héritier du poffel-
feur qu'autant que cet héritier eft poſſeſ-
feur lui-même de la chofe revendiquée ,
Part. II, Chap. 1 , Art. 1. §. 4. 297
& il en eft tenu , non pour la part pour
laquelle il eft héritier du défunt poffeffeur ,
mais pour la part pour laquelle il eft pof-
feffeur de la chofe revendiquée : de ma-
niere que fi par le partage fait entre les

héritiers du défunt poffeffeur , la chofe


revendiquée étoit échue pour le total à
l'un d'entr'eux , l'action de revendication
procéderoit contre lui pour le total , &
ne procéderoit point du tout contre les
autres héritiers , qui n'en pofféderoient
rien.
La raifon de différence eft évidente :
les actions perfonnelles naiffent de quel-
qu'obligation contractée par celui qui en
eft tenu envers le demandeur ; les héri-
tiers de celui qui en eft tenu , fuccédants
à toutes fes obligations chacun pour la
part dont il eft fon héritier , c'eſt une con-
féquence qu'ils foient tenus pour cette
part des actions qui naiffent defdites obli-
gations ; au contraire , l'action de reven-
dication ne naiffant pas d'aucune obliga-
tion que le poffeffeur ait contractée en-
vers le propriétaire de la chofe qui fait
l'objet de la demande en revendication ,
mais feulement de la poffeffion qu'il a
de cette chofe ; fon héritier ne doit être
tenu de cette action , qu'autant qu'il eft
lui - même poffeffeur de la chofe reven-
diquée , & pour la part pour laquelle il
Ñ v
en eft poffeffeur.
298 Traité du Droit de Propriété ,
303. Obfervez que quoique celui des
héritiers à qui eft échue par le lot de
partage , la chofe qui fait l'objet de la
demande en revendication , foit feul tenu
de l'action de revendication vis-à-vis le
propriétaire de cette chofe ; néanmoins ,
comme fes cohéritiers ont contracté en-
vers lui par le partage l'obligation de
lui garantir cette chofe , lorfque le pro-
priétaire a donné contre lui l'action de re-
vendication , il a droit de fommer en ga-
.
rantie fes cohéritiers , pour qu'ils foient
tenus de défendre avec lui à l'action .
304. Notre principe , que les héritiers
du poffeffeur de la chofe qui fait l'objet
de la demande en revendication , ne font
tenus de l'action de revendication , qu'au-
tant qu'ils font eux-mêmes poffeffeurs de
la chofe , a lieu à l'égard des héritiers
d'un poffeffeur de bonne foi , lequel n'é-
toit tenu de cette action , qu'aux fins
de délaiffement de la chofe qui en fait
l'objet ; il en eft autrement des héritiers
d'un poffeffeur de mauvaiſe foi , contre
lequel le propriétaire avoit droit de de-
mander non-feulement le délaiffement de
la chofe , mais encore la reftitution des
fruits que ce poffeffeur de mauvaiſe foi
en a perçus , & les dommages & intérêts
réſultants des dégradations qu'il y a faites ;
les demandes acceffoires à l'action de re-
Part. II , Chap. 1 , Art. 1. S. 4. 299
vendication étant des demandes qui naif-
fent des obligations perfonnelles que ce pof-
feffeur a contractées , de rendre les fruits
qu'il a perçus d'une chofe qu'il fçavoit ne lui
pas appartenir , fes héritiers, qui par la qua-
lité qu'ils ont de fes héritiers , font tenus
de fes obligations , pour la part pour la-
quelle ils font héritiers , doivent être te-
nus pour la part pour laquelle ils font
fes héritiers , des demandes acceffoires
pour la reftitution des fruits , & pour les
dégradations , qui naiffent defdites obliga-
tions.
305. Par la même raiſon , lorfque jai
donné la demande en revendication d'une
chofe , même contre un poffeffeur qui étoit
poffeffeur de bonne foi ; fi ce poffeffeur
fur ma demande par laquelle je lui ai
donné copie de mes titres de propriété ,
a conteſté & eft mort pendant le procès ,
ceux de fes héritiers qui n'ont pas fuc-
cédé à la chofe , & qui ne la poffedent
pas , étant affignés en repriſe d'inſtance
' quoiqu'ils ne foient pas tenus de la de-
mande aux fins de délaiffement de la
chofe , font néanmoins tenus pour la part
pour laquelle ils font héritiers , des de-
mandes acceffoires qui procédoient contre
ce poffeffeur, pour la reftitution des fruits
par lui perçus depuis la demande , & pour
les dégradations par lui faites depuis la
N vj
300 Traite du Droit de Propriété ,
demande. C'eft ce qu'enſeigne Paul : Si
in rem actum fit , quamvis heres poffefforis
fi non poffideat abfolvatur , tamenfi quid ex
perfonâ defuncti commiffumfit , omnimodo
in damnationem veniet. L. 42 , ff. de rei
vindic.
La raifon eft , que ce poffeffeur de
..bonne foi , contre qui la demande en re-
vendication a été donnée , ayant par la
,
copie que le demandeur lui a donnée de
fes titres de propriété , acquis la connoif-
fance que la chofe appartenoit au deman-
deur , a commencé dès -lors à devenir pof-
feffeur de mauvaiſe foi , & a contracté
l'obligation de rendre les fruits qu'il per-
cevroit depuis la demande , & celle de
conferver la choſe en bon état , auxquelles
obligations tous fes héritiers fuccedent :
Poft litem conteftatam , dit Ulpien , omnes
incipiunt male fidei poffeffores effe, quin imo
poft controverfiam motam .... cæpit enim
fcire rem ad fe non pertinentem poffidere fe.
L. 25 , S. 7 , ff. de hered. petit.
306. L'action de revendication fe donne
non-feulement contre le poffeffeur de la
chofe qui en eft l'objet ; elle peut auffi
être intentée contre celui qui par malice
pour fe fouftraire à cette action , a ceffé
de la pofféder : Is qui ante litem contefta-
tam dolo defiit rem poffidere , tenetur in rem
actione. L. 27, §. 3 , ff. de rei vindic.
Part. II, Chap. , Art. 1. §. 4. 30г.
Suppofons par exemple , que vous avez
trouvé dans la rue une bague précieuſe ,
qui étoit tombée de mon doigt , fans que
je m'en apperçuffe ; ayant appris qu'elle
étoit chez vous par quelque perfonne
qui l'avoit vue & qui la connoiffoit , je
me propofois de donner requête pour
l'entiercer , & de donner contre vous la
demande en revendication ; vous , en ayant
eu le vent , pour vous fouftraire à cette
demande , vous l'avez vendue à un paſ-,
fant inconnu pour la moitié de ce qu'elle
vaut , je ne dois pas être par votre dol
privé de ma chofe , & mis hors d'état de
la revendiquer ; c'eſt pourquoi , je dois
en ce cas avoir contre vous l'action de
revendication , comme fi vous la poffé-
diez encore ; & faute par vous de pou-
voir me la rendre , vous faire condam-
ner à m'en payer le véritable prix ; ce
qui eft conforme à ces regles de Droit :
Qui dolo defierit poffidere , pro poffidente dam-
natur , quiapro poffeffione dolus eft. L. 131 ,
ff. de Reg. jur. Et parem effe conditionem
oportet ejus qui quid poffideat vel habeat,
atque ejus cujus dolo malo factum eft quo-
minus poffideret vel haberet. L. 150 , ff. d.
tit.
302 Traité du Droit de Propriété

ARTICLE II.

De ce que doit obferver le Propriétaire


avant que de donner la demande en re-
vendication ; de ce qu'il doit pratiquer en
1 la donnant , & quel eft l'effet de la demande
pendant le procès.

307. Le propriétaire d'une chofe ne


doit avoir recours à l'action de revendi-
cation , que lorfqu'il a perdu entiérement
la poffeffion de cette chofe s'il y eft
troublé par quelqu'un , il a un très-grand
intérêt d'intenter contre celui qui le trou-
ble , l'action en complainte poffeffoire ,
plutôt que l'action de revendication ; &
pareillement , s'il avoit été dépoffédé par
violence , il a un très-grand intérêt de fe
pourvoir par l'action poffeffoire qu'on
appelle l'action de reintégrande , plutôt que
par une demande en revendication. La
raifon eft , que lorfqu'on en vient au pé-
titoire , il y a beaucoup plus d'avantage
à être le poffeffeur de la chofe qui fait
l'objet du procès , qu'à être le demandeur ;
celui-ci étant chargé de prouver fon droit
1
de propriété dans cette chofe ; au - lieu
que le poffeffeur n'a rien à prouver de
fon côté , & eft toujours préfumé & ré-
puté propriétaire , jufqu'à ce que le de-
Part. II, Chap. 1 , Art. 2. 303
mandeur ait pleinement prouvé & établi
fon droit de propriété.
C'eft auffi le confeil que donne Gaïus
Is qui deflinavit rem petere , animadvertere
debet an aliquo interdicto poffit nancifci pof
Seffionem , quia longè commodius eft ipfum
poffidere , & adverfarium ad onera petitoris
compellere ,quam alio poffidentepetere. L. 24,
ff. de rei vind.
308. Par le Droit Romain , celui qui
fe propofoit d'intenter l'action de reven-
dication pour une chofe mobiliere , de-
voit intenter auparavant l'action ad ex-
hibendum , contre celui pardevers qui fe
trouvoit la chofe " aux fins qu'il fût
tenu de la repréſenter " à l'effet que la
chofe étant repréſentée , le demandeur
pût former fon action de revendication
de cette chofe , ce qu'il faifoit par cette
formule , en mettant la main fur la chofe
revendiquée , aio hanc rem meam effe.
Dans notre Droit François , l'action ad
exhibendum n'eſt pas en ufage ; notre Cou
tume d'Orléans dit , art. 444 , en cour
laye l'action à fin d'exhiber , ne l'exception
de deniers non comptés n'ont lieu.
309. Au lieu de cela , dans notre Droit ,
aumoins dans plufieurs Coutumes , pour
parvenir à la revendication des meubles ,
on procede par la voie de l'entiercement.
L'entiercement eft un acte judiciaire '
304 Traité du Droit de Propriété ,
par lequel celui qui fe prétend proprié-
taire d'une chofe mobiliere , la fait faifir
& arrêter par le miniftere d'un Huiffier
ou Sergent , lequel la féqueftre entre les
mains d'une tierce perfonne .
Cet exploit d'entiercement fe fait dans
la forme des autres exploits de faifie- arrêts.
310. Cette voie d'entiercement , pour
parvenir à la revendication des chofes mo-
bilieres , nous vient des anciennes Loix
des Ripuaires ; nous y lifons au titre 35 ,
De intertiare , S. 1 , Si quis remfuam cog-
noverit " mittat manum fuper eam , & fic
illi fuper quam intertiatur , tertiam manum
quærat.
Plufieurs Coutumes ont des difpofitions
fur l'entiercement.
Notre Coutume d'Orléans dit en l'ar-
ticle 454 La chofe mobiliere étant vue à
l'ail , peut être entiercée , fauf le droit d'au
trui.
311. Ces termes , étant vue à l'œil , font
connoître que la difpofition de cet article ,
qui permet au demandeur en revendica-
tion d'une choſe mobiliere , de l'entiercer
& fequeftrer pendant le procès , n'a lieu
qu'à l'égard des meubles corporels ; il en
eft autrement des chofes incorporelles qui
font réputées mobilieres , telles que font
les rentes conftituées dans les Coutumes
qui réputent les rentes , meubles : le de-
Part. II, Chap. 1 , Art. 2. 305
mandeur en revendication d'une rente ,
même dans ces Coutumes , ne peut en
faire fequeftrer la jouiffance pendant le
procès ; il ne peut qu'arrêter le principal ,
comme nous le dirons infrà.
312. Ces termes ,faufle droit d'autrui , s'en-
tendent principalement du droit de celui
fur qui elle a été entiercée , & entre les
mains de qui elle étoit , à qui dans le
cas auquel celui qui l'a fait entiercer ne
prouveroit pas qu'elle lui appartient , elle
doit être rendue , même avec dommages
& intérêts , fi aucuns il a fouffert.
313. Il eft dit à la fin de cet article , & en
cas d'oppofition, les biens arrêtés demeure-
ront en Juftice.
Sur l'oppofition formée à l'entiercement
par celui qui étoit en poffeffion de la
chofe , & fur qui l'entiercement a été fait ,
il doit en avoir main-levée par provifion,
& la chofe lui doit être rendue , en don .
nant par lui caution ; ou même , s'il eft
folvable , en faifant feulement fes foumif-
fions de repréſenter la chofe lorſque le
le Juge l'ordonnera.
La raiſon eft , que la poffeffion qu'il
avoit de la chofe , le fait préfumer pro-
priétaire au moins par provifion , tant que
celui qui l'a entiercée n'a pas encore prou→
vé fon droit de propriété.
La main-levée de l'entiercement qu'ob
306 Traité du Droit de Propriété,
tient celui fur qui il a été fait , n'étant
que provifionnelle , la chofe entiercée ne
lui étant rendue qu'à la charge de la re-
préfenter toutes fois & quantes que le Juge
l'ordonnera ; la chofe entiercée eft tou-
jours cenfée demeurer fous la main de
Juftice , jufqu'à la fin du procès , & il ne
peut en difpofer ; c'eft le fens des der-
niers termes de l'article 454 que nous
venons de rapporter.
314. Lorfque c'eft dans un chemin ou
dans un marché public , que je trouve la
chofe que je prétends m'appartenir , je
peux la faire entiercer par le miniſtere
d'un Huiffier , fans avoir pour cela aucune
permiffion du Juge ; mais lorsque j'ai avis
que quelqu'un a dans fa maifon une choſe
que je prétends m'appartenir , je ne peux
la faire entiercer dans ladite maifon , qu'en
vertu d'une permiffion du Juge que j'ob-
tiens au bas d'une Requête : notre Cou-
tume d'Orléans en a une difpofition en
l'article 455. Aucun ne peut entrer , ne
faire entrer Sergent , ne autres perſonnes
en la maifon d'autrui , pour entiercer
& enlever les biens étants en icelle mai-
fon , fans autorité de Juftice. «
La Coutume entend , par autorité de
Juftice , l'Ordonnance que le Juge met au
bas de la Requête qui lui eft préſentée ,
par laquelle il permet l'entiercement.
Part. II, Chap. 1 , Art. 2. 307
315. Celui qui a fait l'entiercement doit
affigner devant le Juge , ou par l'exploit
d'entiercement , ou par un autre exploit
fubféquent , celui fur qui il eft fait , pour
voir ordonner que la chofe entiercée fera
rendue à celui qui a fait l'entiercement
comme choſe à lui appartenante , aux
. offres qu'il fait de la faire reconnoître.
Si celui fur qui la chofe a été entiercée ,
ne la tenoit qu'au nom d'un autre , pută
à titre de dépôt , ou de prêt , ou de
louage , ou de nantiffement ; fur la dé-
claration qu'il doit faire de la perfonne
de qui il la tenoit , celui qui a fait l'en-
tiercement la doit mettre en cauſe ,fuprà ,
n. 298.
316. De quelque maniere que l'inftance
fur le domaine de la chofe entiercée , ait
été introduite , foit fur la demande de
celui qui a fait l'entiercement , aux fins
que la chofe lui foit rendue , comme à
lui appartenante , foit fur la demande de
celui fur qui l'entiercement a été fait ,
aux fins d'en avoir main-levée ;
; c'eſt ce-
lui qui a fait l'entiercement , qui eft chargé
d'établir & de prouver le domaine qu'il
prétend avoir de la chofe entiercée ; faute
de quoi , celui fur qui l'entiercement a
été fait , fans qu'il foit obligé de faire de
fon côté aucune preuve , doit avoir main
fevée de l'entiercement avec dépens , &
308 Traité du Droit de Propriété
même avec dommages & intérêts , fi au-
cuns il a foufferts.
317. Comme nous n'avons pas ordi-
nairement des titres par écrit du droit de
propriété que nous avons de nos meu→
bles ; à quelque fomme que puiffe mon-
ter la valeur de la chofe entiercée , celui
qui a fait l'entiercement eft reçu à prou
ver le domaine qu'il prétend avoir de la
chofe entiercée , par témoins auxquels
elle fera repréſentée , & qui la reconnoî→
tront pour lui appartenir ; en conféquence ,
fur fa demande , le Juge rend un appoin-
tement , par lequel il lui permet de faire
procéder à la reconnoiffance de la chofe
entiercée par témoins auxquels elle fera
repréſentée , & qui dépoferont de la con-
noiffance qu'ils ont qu'elle lui appartient,
fauf à l'autre partie à faire faire de fa
part , fi bon lui femble , reconnoiffance
contraire .
Cette reconnoiffance fe fait devant le
Juge , qui en dreffe procès -verbal.
Lorfque par le procès - verbal de recon-
noiffance , le domaine que celui qui a
fait l'entiercement , prétend avoir de la
chofe entiercée , paroît fuffifamment juſti-
fié , le Juge ordonne définitivement que
la chofe entiercée lui fera délivrée , comme
à lui appartenante .
318. C'eſt par une raiſon qui eft par
Part. II, Chap. 1 , Art. 2. 309
culiere aux chofes mobilieres , que le de-
mandeur en revendication peut les en-
tiercer , parce qu'autrement le poffeffeur
pourroit les faire difparoître , & les fouf-
traire à la revendication.
C'est pourquoi on fuit une autre pro-
cédure pour l'action de revendication
des héritages , tels que font les maiſons
& les fonds de terre ; elle s'intente par
un fimple exploit de demande , par lequel
le demandeur qui fe prétend propriétaire
d'un certain héritage , affigne celui qui en
eft le poffeffeur , aux fins qu'il foit con-
damné à le lui délaiffer , comme chofe à
lui appartenante.
Le demandeur doit par cet exploit , à
peine de nullité de l'exploit , défigner la
chofe qu'il revendique , de maniere que
l'adjourné ne puiffe ignorer pour quelle
chofe il eft affigné ; c'eft pour cet effet
que l'Ordonnance de 1667 , tit. 9 , art. 3 ,
veut que les demandeurs foient tenus
» de déclarer par leur premier exploit le
‫ כל‬bourg , village ou hameau , le terroir
» ou la contrée où l'héritage eft fitué ,
fa confiftance , fes nouveaux tenants &
aboutiffants du côté du Septentrion ,
အ Midi , Orient & Occident , fa nature au
> temps de l'exploit , fi c'eft terres labou
32 rables , prés , bois , vignes , ou d'autre
qualité , en forte que le défendeur ne
310 Traité du Droit de Propriété ,
» puiffe ignorer pour quel héritage il eft
» affigné.
Obſervez que , » s'il eft queſtion d'une
» terre ou métairie , il fuffit d'en défigner
» le nom & la fituation , « art. 4. Il n'eſt
pas néceffaire de détailler les pieces de
terres , & les différentes dépendances dont
elle eft compofée . »
» Si c'eft une maiſon , les tenants & abou-
tiffants feront défignés de la même maniere.
319. Auparavant l'Ordonnance de
1667 , le défenfeur pouvoit oppofer con-
tre la demande en revendication l'excep-
tion qu'on appelloit de vues & montrées ,
aux fins qu'il fût donné affignation à
certain lieu , jour & heure aux parties ,
pour partir enſemble dudit lieu , & fe
tranfporter fur le lieu contentieux , où le
demandeur devoit montrer & faire voir
à l'œil au défendeur les héritages qu'il
entendoit revendiquer. L'Ordonnance a
abrogé cette exception comme inutile , au
moyen de ce que l'héritage doit être dé-
figné par l'exploit , de maniere à ne s'y
pas méprendre.
320. Après que le défendeur , qui par
l'exploit de demande , a reconnu pofféder
l'héritage pour lequel il eft affigné , a dé-
fendu à la demande ; le procès s'inftruit
& fe décide par l'examen des titres ref
pectifs des parties,
Part. II, Chap. 1 , Art. 2. 311
Lorfque ceux produits par le deman-
deur ne font pas fuffifants pour juftifier
le domaine de propriété qu'il prétend
avoir de l'héritage revendiqué , le défen-
deur n'a pas befoin d'en produire au-
cuns.
321. Le défendeur ne doit pas être dé-
poffédé pendant le procès ; il doit conti-
nuer de jouir librement de l'héritage re-
vendiqué, jufqu'à ce qu'il intervienne une
Sentence définitive dont il n'y ait pas d'ap-
pel , quijuge que l'héritage appartient au
demandeur , & qui condamne le poffeffeur
à le lui délaiffer.
Si le poffeffeur étoit appellant de cette
Sentence , il continueroit de pofféder &
de jouir librement de l'héritage , juſqu'à
Arrêt définitif.
Le poffeffeur n'eft pas même tenu lors
de la demande , ni pendant le procès , de
donner caution , ni même de faire aucune
foumiffion pour le rapport des fruits qu'il
percevra pendant le procès , & qu'il fe-
roit condamné de reftituer en cas que le
demandeur obtînt en fa demande.
Le demandeur en revendication peut
feulement pendant le procès empêcher que
le poffeffeur ne faffe aucune dégradation
à l'héritage revendiqué : par exemple , fi
le poffeffeur pendant le procès fe mettoit
en devoir d'abattre des bois de haute fu-
312 Traite du Droit de Propriété ,
taie , ou de démolir quelque bâtiment , le
demandeur en revendication peut obtenir

fentence qui faffe défenſe au poffeffeur de


continuer , & lui permette d'arrêter &
fequeftrer ce qui auroit été déja abattu.
322. Lorfque quelqu'un veut intenter
l'action de revendication d'une certaine
rente qu'il prétend lui appartenir , & dont
un autre eft en poffeffion , & en reçoit des
débiteurs les arrérages ; cette action doit
s'intenter par un fimple exploit de de-
mande , par lequel le demandeur doit

défigner la rente qu'il revendique , parla


fomme dont eft cette rente par chacun
an , & par les noms & qualités des per-
fonnes qui en font les débiteurs.
Le poffeffeur de la rente contre qui la
demande en revendication eft donnée ,
doit continuer pendant le procès d'en jouir,
& d'en recevoir les arrérages ; le deman-
deur en revendication peut feulement
arrêter le principal fur le débiteur de la
rente , à l'effet que le débiteur n'en puiffe
faire le rachat au poffeffeur de la rente
qu'en y appellant le demandeur ? &
que les deniers du rachat demeurent ,
pendant le procès , arrêtés entre les mains
du Notaire qui recevra l'acte de rachat.
La rente qui faifoit l'objet de la demande
en revendication , étant par le rachat con-
vertie dans les deniers du rachat ; ces
deniers
Part. II , Ch. 1, Art. 4 , S. 1. 313
deniers qui font des meubles corporels ,
& qui font devenus l'objet de la demande
en revendication , font fujets à la fequef,
tration , comme le font tous les meubles
corporels lorfqu'ils font revendiqués.
Si le procès paroiffoit pouvoir durer
long-temps , le poffeffeur pourroit être
reçu à demander que les deniers du rachat
lui fuffent délivrés en donnant bonne &
fuffifante caution de rapporter la fomme ,
dans le cas auquel le demandeur obtien-
droit en fa demande en revendication.

ARTICLE III.

Quand le Demandeur en Revendication d'un


héritage ou d'une rente eft-il censé avoir
juflifie de fon Droit de Propriété , à l'ef-
fet d'obtenir en fa demande.

323. Le demandeur en revendication ,


pour qu'il puiffe obtenir en fa demande ,
eft obligé de la fonder par le rapport de
quelque titre de propriété de l'héritage
ou de la rente qu'il revendique.
On appelle titre de propriété tous les
titres qui font de nature à faire paſſer d'une
perfonne à une autre la propriété d'une
chofe , caufa idonea ad transferendum do-
minium.
Par exemple , un contrat de vente de
Tome I. Ο
314 Traité du Droit de Propriété,
l'héritage ou de la rente revendiquée faite
au demandeur ou à celui de qui il juftitie
être le fucceffeur , avant que le poffeffeur
contre qui la demande eft donnée , eût
commencé de pofféder cette chofe , eft un
titre qui peut fervir à fonder la demande
du demandeur.
Il en eft de même d'un contrat d'échange
ou de bail à rente , ou de donation ; il
en eft de même d'un acte par lequel la
chofe revendiquée auroit été donnée en
paiement au demandeur en revendication ,
ou à fon auteur ; & il en eft de même
d'un acte par lequel le demandeur ou fon
auteur auroient été faifis d'un legs qui
leur auroit été fait de cette chofe.
Un acte de partage , par lequel il paroît
que la chofe revendiquée eft échue au
demandeur de la fucceffion de quelqu'un
de fes parents , eft auffi un titre qui peut
fervir à fonder fa demande.
324. Lorfque le poffeffeur contre qui
la demande eft donnée , établit que fa
poffeffion eft antérieure au titre que je
produis pour fonder ma demande en re-
vendication , quoiqu'il ne rapporte d'ail-
leurs , de fon côté , aucuns titres ; ce titre
que je produis n'eft pas feul fuffifant pour
fonder ma demande , à moins que je ne
produife d'autres titres plus anciens , qui
juftifient que celui qui , par le contrat que
Part. II, Ch. 1 , Art. 4 , S. 1. 315
je produis , m'a vendu ou donné l'héritage
qui fait l'objet de la demande en reven-
dication , en étoit effectivement le pro-
priétaire ; car je ne peux pas me faire
un titre en me faifant paffer une vente
où une donation d'un héritage que vous
poffédez , par une perfonne qui ne le pof-
fede pas ; vous êtes par votre feule qualité
de poffeffeur , préfumé être le propriétaire
de l'héritage , plutôt que celui qui me l'a
vendu qui ne le poffédoit pas , & du droit
duquel on ne peut rien juſtifier.
Mais lorsque le titre que le demandeur
en revendication produit , eft antérieur à
la poffeffion de celui contre qui la de-
mande eft donnée , lequel , de fon côté ,
n'en produit aucun ; ce titre eft feul fuffi-
fant pour fonder ſa demande . Celui qui
par ce titre , a vendu ou donné au de-
mandeur où à l'auteur du demandeur
T'héritage revendiqué , eft fuffififamment
préſumé en avoir été le poffeffeur & le
propriétaire , & lui en avoir fait paffer
la poffeffion & la propriété.
325. Il y a plus : quand même il feroit
conftant que celui qui , par le titre que
je produis , m'a vendu ou donné l'héri-
tage que je revendique , n'en eût pas été
le propriétaire ; fi je l'ai acquis de bonne
foi , ayant eu fujet de croire que celui
qui me vendoit ou me donnoit cet héritage,
O ij
316 Traité du Droit de Propriété,
dont je le voyois en poffeffion , en étoit
le propriétaire ; ce titre fera feul fuffifant
pour fonder ma demande en revendication
contre le poffeffeur qui ne rapporte , de
fon côté , aucun titre. Il eft vrai que je
ne fuis pas véritablement propriétaire de
la chofe que je revendique , celui qui me
l'a vendue ou donnée n'ayant pas pu me
transférer un droit de propriété qu'il
n'avoit pas lui - même ; & qu'en confé-
quence , je ne peux avoir actionem in rem
directam , mais j'ai actionem in rem utilem
feu publicianam , que celui qui a perdu la
poffeffion d'une chofe qu'il poffédoit de
bonne foi , a contre celui qui fe trouve en
être en poffeffion fans titre , comme nous
l'avons vu fuprà , n. 292.
326. Lorfque le demandeur en reven-
dication , & le poffeffeur contre qui l'ac-
tion eft donnée , produifent chacun , de
part & d'autre , un titre d'acquifition ; ou
ils ont acquis , l'un & l'autre , de la même
perfonne ; ou ils ont acquis de différentes
perfonnes.
Au premier cas , lorfque le demandeur
& le défendeur produifent chacun , de
leur côté , un titre d'acquifition de l'hé-
ritage qu'ils ont faite l'un & l'autre , de
la même perfonne ; quand même il ne
feroit pas établi que cette perfonne de
qui ils prétendent avoir acquis l'un &
Part. II, Chap. i , Art. 4 , §. 2. 317
l'autre , l'héritage , en eût été le proprié-
taire , elle eft préfumée l'avoir été ; &
celui qui a été mis le premier par elle en
poffeffion de l'héritage qui fait l'objet de
l'action en revendication , doit être réputé
avoir acquis d'elle la propriété de l'héri-
tage , & obtenir fur l'action en revendi-
cation :. Si duobus quis feparatim vendiderit
bona fide ementibus , videamus quis magis
publicianâ uti poffit , utrum is cui priori res
tradita eft , an is qui tantum emit ? Et Ju-
lianus libro 7°. digeftorumfcripfit , utfi qui-
1
dem ab eodem non domino emerint , potior
fit cuipriori res tradita eft. L. 9, S. 4, ff. de
publ. in rem. aît.
327. Au fecond cas , lorfque , tant le
demandeur que le défendeur produisent
chacun , de leur côté , un titre d'acquifi-
tion qu'ils ont faite de perfonnes différen-
tes , fans que l'un puiffe établir plus que

l'autre que la perfonne de qui il a acquis


fût le propriétaire de l'héritage ; les Pro-
culéïens penfoient , même dans ce cas
qu'on devoit pareillement préférer celui
qui avoit le titre le plus ancien , & avoit
été mis le premier en poffeffion de l'hé
ritage , comme nous l'apprenons de Né-
ratius qui étoit de cette école Uterque
noftrum eamdem rem emit à non domino .
five ab eodem emimus , five ab alio atque alio ,
is ex nobis tuendus eft qui prior jus ejus
318 Traite du Droit de Propriété ,
apprehendit , hoc eft cui primum tradita eft.
L. 31 , S. fin. ff. de act. empt.
L'opinion contraire des Sabiniens qui
décident en ce cas pour celui qui fè trouve
en poffeffion de l'héritage , a prévalu. C'eſt
ce que nous apprenons de la Loi 9 , §. 4 ,
ff. de publ. in rem at . ci - deffus citée " où
Ulpien rapporte le fentiment de Julien :
Si ab eodem non domino emerint , potior
cui priori res tradita eft ; fi à diverfis non
dominis, melior caufapoffidentis ; & Ulpien
ajoute : Quæ fententia vera eft ; cette dé-
cifion eft fondée fur cette regle : In pari
caufà , caufa melior poffidentis.

ARTICLE IV.

De la délivrance qui doit être faite de la


chofe revendiquée au demandeur , lorsqu'il
a obtenu enfa demande.

S.MI.

Comment , où, & quandfe fait la délivrance


de la chofe revendiquée au demandeur qui
a obtenu enfa demande.

: 328. Lorfque la chofe qui fait l'objet


de la demande en revendication , eft un
meuble corporel , lequel a été entiercé
& fe trouve encore entre les mains du
Part. 11, Ch. 1 , Art. 5. 319
fequeftre au temps du jugement définitif,
le demandeur peut retirer la chofe des
mains du fequeftre , en exécution de la
fentence qui lui permet de la retirer ,
comme à lui appartenante .
Il doit, en la retirant, en donner par lui ,
ou par un fondé de procuration , une dé-
charge au fequeftre , & lui payer les frais
de garde , le fequeftre ayant le droit de
retenir la chofe veluti quodamjure pignoris ,
pour le remboursement defdits frais , fauf
au demandeur fon recours , s'il y échet ,
contre le défendeur , pour la répétition des
frais qu'il a été obligé de rembourfer au
fequeftre.
Le défendeur n'eft ſujet à cette répétition
que lorsqu'il eft ou poffeffeur de mauvaiſe
foi , ou lorfqu'il a été en demeure de con-
fentir à la reftitution de la chofe depuis
que le demandeur l'a fait reconnoître
pour lui appartenir.
Si le défendeur a interjetté appel du
jugement , & l'a dénoncé au fequeftre ;
celui - ci ne peut plus la remettre jufqu'à
ce que la fentence ait été confirmée ſur
l'appel ; car l'appel en fufpend l'exécution.
Lorfque le jugement a été rendu par
défaut, le demandeur pour pouvoir, en exé-
cution de ce jugement , retirer la chofe du
fequeftre, doit au préalable fignifier le ju-
gement au défendeur contre qui il l'a ob
320 Traité du Droit de Propriété ,
tenu , & dénoncer au fequeftre ce juge-
ment , & la fignification qu'il en a faite
au défendeur.
Si avant que le fequeftre , en exécution
de cette dénonciation , eût remis la choſe
au demandeur , le défendeur lui dénonçoit
une oppofition qu'il a formée à la fen-
tence " il ne pourroit plus faire la déli-
vrance , jufqu'à ce qu'il eût été ftatué fur
l'oppofition.
329. Lorfque la chofe revendiquée eft
entre les mains du défendeur , contre qui
la fentence a été rendue , il doit la rendre
au lieu où elle fe trouve , le demandeur
à qui elle doit être rendue doit l'y en-
voyer chercher , & c'eft à fes dépens qu'elle
doit être tranfportée en fa maiſon , ou
en tel autre lieu qu'il juge à propos de
la faire transporter.
Néanmoins fi depuis la demande le défen-
deur avoit tranſporté la choſe revendiquée
dans un autre lieu plus éloigné que celui où
elle étoit , il doit la rendre au lieu où il l'a
trouvée , & l'y faire revenir à fes dépens.
C'est ce qu'enfeigne le Jurifconfulte
Paul : Si res mobilis petita fit , ubi reftitui
debeat , fcilicet fi præfens non fit ? Et non
malum eft , fi bonæ fidei poffeffor fit is cum
quo agitur , aut ibi reftitui ubi resfit , aut
ubi agitur , fed fumptibus petitoris. L. 10 ,
ff. de rei vind.
Part. 1, Chap. 2 , Art. 5 , S. 1. 321
Si verò malæ fidei fit poffeffor qui in alio
loco eam rem nanttus fit , idem ftatui deber
(fcilicet ut eam reftituere non teneatur nifi
in eo loco ubi eft ) : fi verò ab eo loco ubi
lis conteftata eft , eamfubftractam aliò tran-
ftulerit , illic reftituere debet undefubftraxerit,
fumptibus fuis. L. 12 , ff. d. tit.
330. Lorfque c'eſt un héritage qui fait
l'objet de l'action en revendication , le
défendeur qui a été condamné à le dé-
laiffer au demandeur , fatisfait à la ſen-
tence en le laiffant vacant , de maniere
que le demandeur puiffe s'en mettre en
poffeffion quand il voudra ; & s'il y a une
maiſon , en lui remettant les clefs.
Le défendeur qui a été condamné à
délaiffer un héritage ou autre choſe fur
une demande en revendication , n'eſt tenu
de délaiffer que les chofes qui en font
partie ; à l'égard de celles qui , fans en
faire partie , fervent feulement à fon ex-
ploitation , il n'eft pas obligé de les dé-
laiffer , fi elles ne font nommément com-
priſes dans la demande en revendication ,
& dans la fentence intervenue fur cette
demande ; c'eft conformément à ce prin-
cipe qu'Ulpien dit : Armamenta navis fin-
gula erunt vindicanda , fcapha quoque fepa-
ratim vindicabitur. L. 3 , S. 1 , ff. de rei
vind.
Sur les chofes qui font cenfées faire ou
Ov
322 Traité du Droit de Propriete',
non , partie d'un, héritage , Voyez notre
Traité de la Communauté. 1
Lorfque le défendeur a 3 des meubles
dans la maifon revendiquée qu'il eft con-
damné de délaiffer , on doit lui accorder
un délai pour en faire le délogement : ce
délai eft laiffé à l'arbitrage du Juge.
331. Lorfque c'eft une rente due par
un tiers , qui fait l'objet de l'action en re-
vendication 2., la fentence qui condamné
le défendeur à la délaiffer au demandeur
fans reftitution des arrérages paffés , peut
s'exécuter fans qu'il intervienne aucun fait
de la part du défendeur contre qui elle a
été rendue , par la fignification de la fen-
tence que le demandeur fera au débiteur
de la rente , avec fommation de ne plus
payer dorénavant à d'autre qu'à lui.
Si néanmoins le défendeur contre qui
la fentence a été rendue, retenoit quelques
titres concernants la rente revendiquée ,
il feroit obligé de les remettre au deman
deur.
S. II .

·
En quel état doit être rendue la chofe re-
Salf 15
vendiquée.

332. On doit faire à cet égard une


diftinction entre le poffeffeur de bonne
foi , & le poffeffeur de mauvaiſe foi,
Part. II , Chap. 1 , Art. 5 , §.2. 323
Lorfque le poffeffeur contre qui la
demande a été donnée , étoit un poffeffeur
de mauvaiſe foi , il doit rendre la chofe
en auffi bon état qu'elle étoit lorfqu'il s'en
eft mis induement en poffeffion ; il eſt
tenu des dommages - intérêts réſultants
de toutes les détériorations qui y ont été
faites depuis ; la raifon eft , que tout
દવાઓમાંપ

poffeffeur de mauvaiſe foi d'une chofe ,


contracte par la connoiffance qu'il a que
la chofe ne lui appartient pas , l'obliga-
* tion de la rendre à la perfonne à qui elle
appartient , ou préfentement s'il la connoît,
ou auffi-tôt qu'il la découvrira , laquelle
obligation naît de ce grand précepte du
Décalogue , Bien d'autrui ne retiendras à
ton efcient toute obligation de donner
ou rendre une chofe , renferme l'obligation
acceffoire que le débiteur contracte de
conferver cette chofe en bon état , & de-
ne la point détériorer , pour pouvoir s'ac-
quitter de fon obligation.
L'héritier ou autre fucceffeur univerfel
du poffeffeur de mauvaiſe foi, quand même
il croiroit de bonne foi que la chofe lui
appartient , eft tenu des dommages & in-
térêts réſultants de toutes les dégradations
provenues du fait ou de la faute , foit du
défunt , foit de lui ; car comme héritier
ou fucceffeur univerfel du défunt , il a
fuccédé à l'obligation contractée par le
O iij
324 Traité du Droit de Propriése,
défunt de conferver la chofe en bon état ,
& de ne la point détériorer : fa poffeffion
n'étant autre chofe que la continuation de
celle du défunt ; en a tous les vices.
333. A l'égard du poffeffeur de bonne
foi , il n'eft pas tenu des dégradations
qu'il auroit pu faire dans la chofe qui
fait l'objet de la demande en revendica-
tion , pendant tout le temps que fa bonne
foi a duré , à moins que ce ne fuffent des
dégradations dont il eût profité , comme
s'il avoit abattu des bois de haute futaie
fur l'héritage qui fait l'objet de l'action
en revendication , dont il auroit reçu le
prix ; il n'eft pas douteux en ce cas , qu'il
doit rendre au demandeur en revendica-
tion le prix dont il a profité , l'équité ne
permettant pas que quelqu'un puiffe pro-
fiter du prix de la chofe d'autrui , aux
dépens du propriétaire.
A l'égard de toutes les dégradations
dont le poffeffeur de bonne foi contre qui
la demande en revendication a été donnée ,
n'a pas profité , & qui ont été faites
pendant que la bonne foi de ce poffeffeur
a duré , & avant la demande ; ce poffef-
feur n'en eft aucunement tenu ; mais il eſt
tenu de toutes celles ,qui , depuis la de-
mande , font provenues de fon fait ou de
fa faute ; car par la demande par la-
quelle le demandeur lui donne copie de
Part. II , Ch. 1 , Art. 5, 325
fes titres de propriété , il ceffe d'être pof-
feffeur de bonne foi , & il contracte l'obli-
gation de reftituer la chofe au cas qu'il
foit jugé qu'elle appartienne au deman-
deur ; & par conféquent , celle de la con-
ferver en bon état , & de ne la pas dété-
riorer , qui en eft acceffoire. C'eſt ſuivant
ces diftinctions qu'on doit entendre ce que
dit Ulpien: Si deterior resfacta fit , ratio-
nem judex habere debebit. L. 13 , ff. de rei
vind.
ARTICLE V.

De la reflitution des fruits' dont le Défen


deur doit faire raifon au Demandeur qui
a juftifié de fon Droit de Propriété de la
chofe revendiquée.

Nous verrons dans un premier para-


graphe à l'égard de quelles chofes il y a
lieu à la reftitution des fruits dans l'action
de revendication ; dans un fecond , nous
verrons depuis quel temps le poffeffeur
de mauvaiſe foi doit faire raifon au de-
mandeur , & de quels fruits ; nous verrons
dans un troifieme paragraphe depuis quel
temps le poffeffeur de bonne foi eft obligé
de rendre les fruits. Nous verrons dans
un quatrieme , quels font les principes du
Droit François fur la reftitution des fruits
326 Traité du Droit de Propriété,

S. I.

A l'égard de quelles chofes y a-t-il lieu à


la reflitution des fruits dans l'action de
revendication.

n
334. Il y a lieu à la reftitutio des
a t i o n
fruits dans l'action de revendic , foit
q u e e
c fo it n
u hé ri ta ge u
o u a n u t r e im-
b l e v e n d i q u é e
meu qui foit re , foit qu ce
t
foit un meuble ; non - feulemen lorſque
t ſ e if er e o d u it des
c'ef une cho frug qui pr
fr ui ts na tu re ls ,· co m m e ef un va e , un
t e c h
troupeau de moutons ; mais pareillement
lorfque c'eft une chofe qui ne peut pro-
duire que des fruits civils , tel qu'eft un
navire : Si navis à malæ fidei poffeffore
petatur , & fructus æftimandi funt , ut in ta-
bernâ & area quæ locari folent. L. 62 , ff.
de rei vind.
En général il fuffit que le demandeur
eût pu retirer de fa chofe quelque utilité
apprétiable à prix d'argent , dont le pof-
feffeur l'a privé en la retenant injuftement.
Si c'étoit la nue propriété d'une choſe
qui fût l'objet de la demande en reven-
dication , il n'y auroit aucune reſtitution
de fruits à faire , fi ce n'eft depuis qu'elle
feroit devenue propriété pleine par l'ex-
tinction de l'ufufruit qui feroit furvenue
Part II, Chap. 1 , Art 5 , §. 1. 327
depuis la demande : Videamus , nous dit
Gaïus , an in omnibus rebus petitis in fruc-
tus quoque condemnetur poffeffor ? Quid enim
fi argentum aut veftimentum aut aliamfimilem
rem ? Quid prætereafi ufumfructum aut nudam
proprietatem,cùm alienus ufusfructusfit ,petie-
rit; neque enim nuda proprietatis, quod adpro-
prietatis nomen attinet , fructus ullus intelligi
poteft ; neque ufusfructus rurfus fructus ( * )
eleganter computabitur : quid igitur fi nuda
proprietas petitafit ? Ex quo perdiderit fruc-
tuarius ufumfructum æftimabuntur in petitione
fructus. Item fi ufusfructus petitus fit (**) »
Proculus ait , infructus perceptos condemnari.
Prætereà Gallus Ælius putat , fi veftimenta
autfcyphus petita fint , in fructu hæc nume-
randa effe , quod locata ea re mercedis no-
mine capi potuerit. L. 19 , ff. de ufur..
Ce qui eft dit à la fin de ce texte , que
dans la demande en revendication d'un
gobelet ou d'un habit , le poffeffeur étoit
condamné à faire raifon des loyers qu'on
eût pu retiner de ces chofes , me paroît
devoir être reftreint au cas auquel le de-
mandeur en revendication feroit un homme
d'un état à donner à loyer ces chofes.

[* ] Proprie enim , non fructus ipfius juris


ufusfructus, fed rei cujus quis ufumfructum habet
fructus funt.
[ ** ] Actione in rem Confeſſoria.
328 Traité du Droit de Propriété ,
Papinien nous enfeigne pareillement
qu'il y a lieu à la reftitution des fruits
dans les demandes en revendication , lors
même que la choſe revendiquée eſt de
nature à ne produire aucuns fruits natu-
rels , & qu'il fuffit qu'elle en produiſe de
civils par l'uſage qu'on en fait : Quum in
rem agitur , dit - il , eorum quoque nomine
quæ ufui non fructui funt , reftitui fructus
certum eft. L. 64 , ff. de rei vind.

S. II.

Depuis quel temps le Poffeffeur de mauvaiſe.


foi eft-il tenu de faire raifon des fruits ;
& de quels fruits.

335. Le poffeffeur de mauvaife foi eft


tenu de faire raiſon de tous les fruits de
la chofe revendiquée qu'il a perçus , non-
feulement de ceux qu'il a perçus depuis
la demande ; mais de tous ceux qu'il a
perçus depuis fon indue poffeffion : Cer-
tum eft male fidei poffefforem omnes fructus
folere præftare cum ipsâ re. L. 22 , Cod.
de rei vind.
Il eft tenu de faire raifon , même de ceux
qui proviennent des femences qu'il a miſes
dans les terres revendiquées , & des la-
bours qu'il y a faits ; fauf que fur le prix
defdits fruits , on doit lui faire déduction
de fes femences & de fes labours.
Part . II , Chap. 1 , Art. 5 , §. 2. 329
La raifon eft , que tous les fruits que
la terre produit , font des acceffoires de la
terre , lefquels auffi-tôt qu'il font perçus ,
font acquis , jure acceffionis , au proprié-
taire defdites terres , comme nous l'avons
vu fupra , n. 151 , plutôt qu'à celui qui
les a enfemencées & labourées ; de-là cette
maxime : Omnis fructus non jure feminis ,
fed jure foli percipitur. L. 25 , ff. de ufur.
Le poffeffeur eft tenu de faire raiſon ,
non-feulement des fruits qui font nés de
la chofe même qu'on appelle fruits natu-
rels : il doit pareillement faire raifon des
fruits civils , comme nous l'avons vu au
L
paragraphe précédent.
336. Le poffeffeur de mauvaiſe foi eſt
tenu de faire raifon , non - feulement des
fruits qu'il a perçus , mais même de ceux
qu'il n'a pas perçus ; mais que le deman
deur eût perçu , s'il lui eût rendu la chofe :
Generaliter , dit Papinien , quum defructibus
æftimandis quæritur , conftat adverti de-
bere , non an malæ fidei poffeffor fruitus fit ,
fed an petitor frui potuerit , fi ei poffidere
licuiffet. L. 62 , §. 1 , ff. de rei vind.
La raifon eft , que le poffeffeur de
mauvaiſe foi contracte , par la connoif-
fance qu'il a que la chofe ne lui appar-
tient pas , l'obligation de la rendre au pro-
priétaire ; faute d'y fatisfaire , il eft tenu
des dommages & intérêts réſultants de
330 Traité du Droit de Propriété ,
fon obligation , dans lequels font compris
les fruits de la chofe que le propriétaire
a manqué de percevoir.
L'héritier ou autre fucceffeur univerſel
du poffeffeur de mauvaiſe foi , quand
même il auroit cru de bonne foi que la
chofe lui appartient , eft tenu de compter
de tous les fruits depuis l'indue poffeſſion
du défunt auquel il a fuccédé , comme en
feroit tenu le défunt s'il vivoit encore ;
car en fa qualité d'héritier il a fuccédé à
toutes les obligations , & fa poffeffion n'eft
qu'une continuation de celle du défunt
qui en a tous les vices , comme nous
l'avons déja obfervé en l'article précédent.

S. III.

De quand le Poffeffeur de bonne foi est- il


tenu des fruits , & de quels fruits.

337. Suivant les principes du Droit


Romain , le poffeffeur de bonne foi n'eſt
point fujet à la reſtitution des fruits qu'il
a perçus avant la litifconteftation ; fauf
de ceux qui fe trouveroient alors extants
en nature ; mais il eft tenu de tous les
fruits depuis la litiſconteftation , de même
que le poffeffeur de mauvaiſe foi : Certum
eft male fidei poffeffores omnes fructus præ-
flare; bonæfidei verò , extantes poft litis con-
Part. II, Chap. 1 , Art. 5 , S. 3. 331
teftationem univerfos. L. 22 , Cod. de rei
vind.
La raifon de différence entre le poffef-
feur de bonne foi & le poffeffeur de mau-
vaiſe foi par rapport aux fruits perçus
pendant tout le temps de leur poffeffion ,
qui a précédé la litifconteftation & qui
ont été confommés , & ne fe trouvent pas
par- devers le poffeffeur , extants & en na-
ture , eft évidente : le poffeffeur de mau-
vaife foi ayant connoiffance que la chofe
ne lui appartient pas , a pareillement
connoiffance que les fruits qu'il perçoit
de cette choſe ne lui appartiennent pas ;
& par cette connoiffance qu'il en a , il
contracte l'obligation de les rendre au
propriétaire de la chofe à qui ils appar-
tiennent , laquelle obligation naît de ce
grand principe de la Loi naturelle : Bien
d'autrui ne retiendras à ton efcient ; il ne
peut , en confommant ces fruits , fe dé-
charger de l'obligation qu'il a contractée
de les rendre , & d'en faire raifon au pro-
priétaire.
Au contraire, le poffeffeur de bonne foi
qui , ayant la chofe en vertu d'un jufte
titre , a un jufte fujet de croire qu'elle.
lui appartient , ne contracte point envers
le propriétaire l'obligation de la lui rendre
ni de lui en rendre les fruits .; cette obli-
gation n'étant contractée que par la con-
332 Traité du Droit de Propriete ,
noiffance qu'a le poffeffeur que la chofe
ne lui appartient pas : lors donc que le
propriétaire paroît , & lui fait connoître
par la litiſconteftation fon droit de pro-
priété ; ce n'eft que de ce jour là que ce
poffeffeur contracte l'obligation de rendre
les chofes qu'il poffede , appartenantes à
ce propriétaire ; il ne peut donc être obligé
à lui rendre que la chofe revendiquée ,
& les fruits qu'il en a perçus qui font en-
core par-devers lui extants en nature.
A l'égard des fruits perçus avant la
litifconteftation qu'il a confommés , ou
dont il a difpofé pendant que duroit la
bonne foi de fa poffeffion , les ayant con+
fommés de bonne foi & avant qu'il ait
pu contracter aucune obligation de les
rendre , il ne peut en être aucunement
tenu envers le demandeur. La qualité
de poffeffeur de bonne foi qu'avoit ce
poffeffeur le faifant réputer propriétaire
de la chofe , tant que le véritable pof-
feffeur ne fe faifoit pas connoître , lui
donnoit par rapport à la chofe qu'il pof-
fédoit de bonne foi , les mêmes droits qu'a
1
un propriétaire Bona fides tantumdem
poffidentipræflat quantum veritas . L. 136. ff.
de reg. jur. & par conféquent le droit de
percevoir à fon profit les fruits de la
chofe qu'il poffede de bonne foi , de les
confommer , & d'en difpofer de même
Part. II , Chap. 1 , Art. 5 , S. 3. 333
que s'il en étoit le véritable propriétaire ;
c'eft pourquoi Juftinien au titre des Inf-
titutes de rer. divif. §. 35 , dit : Si quis
à non Domino quem Dominum effe credide-
rit , bonâ fide fundum emerit , vel ex dona-
tione aliâve qualibet juftâ causâ bonâ fide
acceperit , naturali ratione placet fructus
quos percepit ejus effe pro cultura & cura
& ideo fi poftea Dominus fupervenerit &
fundum vindicet , defructibus ab eo confumptis
agere non poteft.
Obfervez que ce qui eft dit par Juftinien
que les fruits que le poffeffeur de bonne
foi perçoit lui font acquis pro cultura &
curâ , eft dit enuntiativè , parce qu'ordi-
nairement les fruits font la récompenſe
des foins que le propriétaire ou le pof-
feffeur de bonne foi apporte à la culture
de l'héritage ; mais cela ne doit pas s'en-
tendre restrictivè , à l'effet de reftreindre
le droit que la bonne foi donne au poſ-
feffeur de percevoir à fon profit les fruits
aux feuls fruits induftriels pour la pro-
duction defquels il eft befoin de culture ;
il est au contraire conftant que la bonne
foi donne ce droit pour tous les fruits ,
auffi bien pour les fruits naturels que la
terre produit fans aucune culture , comme
pour les induſtriels. C'eft ce que nous en-
feigne Paul : Bonæfidei emptor non dubiè per-
neme
cipiendofructus ex alienâ re ,fuos INTERIM,
334 Traité du Droit de Propriété ,
facit , non tantùm eos qui diligentiâ & operà
ejus pervenerunt , fed omnes ; quia quod ad
fructus attinet, loco Domini pene eft. L. 48 ,
ff. de acq. rer. dom.
338. Remarquez ces termes de la Loi ,
fructus INTERIM fuos facit : le droit que
la bonne foi donne au poffeffeur de per-
cevoir à fon profit les fruits de l'héri-
tage , n'eſt fondé que fur ce qu'elle le fait
réputer propriétaire de l'héritage ; de
même donc qu'elle ne le fait réputer tel
que jufqu'à ce que le véritable proprié-
taire paroiffe , elle ne peut pareillement
lui donner le droit d'en percevoir à fon
profit les fruits que jufqu'à ce que le pro-
priétaire paroiffe , & juftifie de fon droit ;
le domaine des fruits que la bonne foi
lui fait acquérir , ne peut donc être qu'un
domaine fujet à ſe réfoudre , & qui ſe ré-
fout effectivement lorfque le véritable
propriétaire de la chofe paroît & la re-
vendique.
C'eſt pour cette raifon que ( comme
nous l'avons déja dit ) le poffeffeur de
bonne foi , fuivant le Droit Romain , doit
rendre au demandeur en revendication ,
les fruits qu'il a perçus quoiqu'avant la
demande , lorfqu'ils fe trouvent par-devers
-lui extants en nature , le domaine de ces
fruits que la bonne foi du poffeffeur lui
avoit fait acquérir , fe réfolvant en ce cas
Part. II, Chap. 1 , Art. 5 , S. 3. 335
par la revendication du véritable pro-
priétaire.
339. Le domaine des fruits que la bonne
foi fait acquérir au propriétaire , ne ceffe
d'être fujet à fe réfoudre qu'en deux cas.
Le premier cas eft lorsqu'il les a confom-
mé ; car le domaine de ces fruits s'éteignant
en ce cas avec eux , ne peut plus être ſujet
à fe réfoudre , ce qui n'eft plus , ne pou-
vant plus fe réfoudre ; c'eft pour cela qu'il
a eté dit ci-deffus , que le poffeffeur de
bonne foi n'étoit pas tenu des fruits qu'il
a confōmmés avant le procès pendant que
fa bonne foi duroit : Bona fidei poffeffor
de fructibus confumptis non tenetur.
Le fecond cas auquel le domaine des
fruits que la bonne foi fait acquérir au
poffeffeur de bonne foi , ceffe d'être ré-
foluble ; c'eft lorfque la poffeffion qu'il
a eu de ces fruits depuis leur perception ,
pendant le temps requis pour l'ufucapion
des chofes mobilieres , lui a fait acquérir
avant le procès par droit d'ufucapion le
domaine parfait & irrévocable deſdits
fruits. Le poffeffeur de bonne foi en ce
cas quoiqu'il ait par-devers lui ces fruits
extants en nature " n'eſt pas tenu de les
rendre au propriétaire.
340. Ce que nous avons dit , que le
poffeffeur de bonne foi , n'eſt pas tenu
336 Traité du Droit de Propriété,
des fruits qu'il a perçus & confommés
avant le procès , n'a lieu que lorfqu'il les
a perçus & confommés pendant que fa
bonne foi duroit ; mais lorsqu'il a appris ,
quoique long-temps avant la demande en
revendication , que la chofe qu'il poffede
appartient à autrui , il ne peut plus dé-
formais percevoir à fon profit les fruits
de cette chofe , ni fe décharger de la
reftitution de ceux qu'il a par-devers lui,
en les confommant.
L'obligation qu'il contracte par cette
connoiffance , de rendre la chofe avec
les fruits qu'il a par-devers lui extants en
nature , y fait obftacle. En cela , le droit
que la bonne foi donne au poffeffeur de
percevoir à fon profit les fruits , eſt di fé-
rent du droit d'ufucapion , qui , fe'on les
principes du Droit Romain , n'étoit pas
arrêté par la mauvaiſe foi , furvenue avant
l'accompliffement du temps de l'ufucapion.
C'est ce que nous enfeigne Paul : Si eo
tempore quo res mihi traditur putem vendentis
effe , deinde cognovero alienam effe , quia
perfeverat per longum tempus capio,an fructus
meosfaciam ? Pomponius : verendum ne non
fit bona fidei poffeffor , quamvis capiat : hoc
enim adjus, id eft, capionem , illud ad factum
pertinere ut quis bonâ aut malâfide poffideat :
pec contrarium eft quod longum tempus currit:
Part. 1, Ch. 2, S.4, Art. 3. 337
nam è contrario is qui non poteft capere propter
rei ( * ) vitium , fructus fuos facit. L. 48 ,
S. 1 , ff. de acquir. rer. dom.
Ces derniers termes de la Loi nous
font remarquer une feconde différence
entre le droit que la bonne foi donne au
poffeffeur d'une chofe d'en percevoir à
fon profit les fruits , & le droit d'ufuca-
pion ; le poffeffeur de bonne foi n'a pas
le droit d'ufucapion , à l'égard de plufieurs
chofes dont la Loi défend l'ufucapion ;
mais fa bonne foi ne laiffe pas de lui donner
le droit de percevoir à fon profit les fruits
de ces chofés.
Ce que nous venons de dire d'après
Paul & Pomponius en la Loi 48 , § . I
ci-deffus rapportée , que le poffeffeur de
bonne foi d'une chofe , à qui furvenoit
la connoiffance que la chofe ne lui appar-
tenoit pas , ne pouvoit plus en percevoir,
à fon profit les fruits , paroît contraire
à ce que dit Julien en la Loi 25 , §. 2
f. de ufur. Bone fidei emptor fevit , & an-
tequam fructus perciperet , cognovir fundum
alienum effe , an perceptione fructus fuosfa-
ciat quæritur ? Refpondit , bona fidei emptor,
quod ad percipiendos fructus intelligi debet,
quamdiu evictus fundus non fuerit.

[ * ] Quamvis ipfe bonâ fide poffideat.


Tome I. P
338 Traité du droit de Propriete,
On peut concilier ces Loix en difant
que la Loi 25 , S. 2 , eft dans le cas
auquel le propriétaire auroit laiffé accom-
plir le temps de l'ufucapion , fans évincer
le poffeffeur ; en ce cas , ce propriétaire
ayant , fuivant les principes du Droit Ro-
main, perdu fon droit de propriété , n'étant
plus recevable dans l'action de revendi-
cation de la chofe , il ne peut plus en
demander les fruits ; au contraire , la Loi
48 , §. 1 , eft dans le cas auquel le pro-
priétaire a intenté l'action en revendica-
tion à temps , avant l'accompliffement du
temps de l'ufucapion ; en ce cas , le pof-
feffeur qui eft condamné fur cette action
à lui délaiffer la chofe , doit être condamné
à en rapporter les fruits perçus ou con-
fommés depuis qu'il a eu connoiffance que
la chofe ne lui appartenoit pas.
Il nous refte à obferver que lorsque
le poffeffeur de la chofe qui fait l'objet
de l'action en revendication , l'a acquife ,
en vertu d'un jufte titre qu'il produit , il
eft préfumé avoir cru de bonne foi que
fon auteur de qui il l'a acquis , étoit pro-
priétaire de la chofe , & avoit droit de
l'aliéner ; & cette bonne foi eft préſumée
avoir toujours duré jufqu'à la litiſcon-
teftation tant que le demandeur en reven-
dication ne juſtifie pas du contraire.
Part.1, Chap. 2 , S. 7, S. 2. 339

S. IV.

Quels font les principes du Droit François


fur la reftitution des fruits dans les de-
mandes en revendication.

341. Les principes de notre Droit Fran-


çois fur la reftitution des fruits dans les
demandes en revendication , font à l'égard
du poffeffeur de mauvaiſe foi , les mêmes
que ceux du Droit Romain , tels que nous
les avons expofés au § . 2.
A l'égard du poffeffeur de bonne foi ,
il n'eft tenu du rapport d'aucuns fruits
par lui perçus jufqu'au jour de la demande
en revendication donnée contre lui : je ne
vois pas même que dans notre Pratique
Françoife , différente en cela du Droit
Romain , le demandeur foit reçu à pré-
tendre les fruits qui fe feroient trouvés
extants en nature par-devers lui au temps-
de la demande , lorfqu'ils ont été perçus
avant la demande.
Mais par la demande qui eſt donnée
contre le poffeffeur de bonne foi par un
exploit , en tête duquel le demandeur lui
donne copie de fes titres de propriété ,
& qui a , en conféquence , à cet égard , dans
notre Droit , le même effet qu'avoit par le
Droit Romain la litifconteftation ; il ceffe,
Pij
340 Traite du Droit de Propriété ,
d'être réputé déformais poffeffeur de bonne
foi , étant cenfé inftruit du droit du de-
mandeur par la copie qu'il lui a donné de
fes titres en tête de fon exploit ; il eſt
outre cela , par cette demande , conſtitué
en demeure de rendre l'héritage revendi-
qué ; il ne peut donc plus dès-lors avoir
aucun droit d'en percevoir les fruits , &
il doit être condamné à rendre tous ceux
qu'il a perçus depuis la demande.
342. On demande fi la difpofition de
la Loi 48 , rapportée fuprà , n . 340 , qui
foumet l'acheteur de bonne foi à la reſti-
tution des fruits , du jour que la mauvaiſe
foi lui eft furvenue ; c'eſt-à- dire , du jour
qu'il a appris que l'héritage n'appartenoit
pas à fon vendeur , mais au demandeur,
doit être fuivie dans notre Droit ? L'Or-
donnance de 1539 , art. 94 , paroît l'avoir
adoptée : il y eft dit , « En toutes ma-
tieres réelles , pétitoires & perfonnelles ,
» intentées pour héritages & chofes im-
» meubles , s'il y a reftitution de fruits ;
» ils feront adjugés , non-feulement depuis
» conteftation en caufe ; mais auffi depuis
» le temps que le condamné a été en
demeure & mauvaiſe foi auparavant
» ladite conteftation. »
M. Bourdin , en fa paraphrafe fur cet
article , dit : « L'article de notre Ordon-
≫nance fondée fur l'équité du Droit Ca-
Part. I, Chap. 2 , S. 6 , §. 2. 24L
non , a ordonné l'adjudication des fruits ,
» devoir être faite depuis le temps qu'on
» a été poffeffeur de mauvaiſe foi ; ce
» que nous interprétons par cet exemple :
» quand quelqu'un ayant acquis une choſe
» de bonne foi , par après connoît par la
<< communication des titres de fon adver-
» faire , que la chofe ne lui appartient ,
» & par conféquent commence d'être pof-
» feffeur de mauvaiſe foi ; fi dès le temps
» qu'il s'eft reconnu tel , il ne fait refti.
» tution de la chofe , ains foutient le pro-
» cès , il eft certain par la regle & la ma-
» xime de l'Ordonnance , qu'il doit être
» contraint à reftituer tous les fruits de-
» puis le temps qu'il a été conſtitué en
» mauvaiſe foi. »
Cet Auteur ajoute : « Toutefois , j'en-
tends qu'en France cela n'eft obſervé ,
fi cette mauvaiſe foi n'eft clairement
» & oculairement prouvée & avérée.
Fontanon fur cet article , propoſe cette
efpeće : le propriétaire d'un héritage a
donné une premiere demande contre le
poffeffeur qui l'a acquis de bonne foi ,
Elaquelle après la litifconteftation eft tom-
bée en péremption : depuis , il en a donné
une feconde , fur laquelle il a juſtifié de
fon droit ; ce poffeffeur doit-il être con-
damné à la reſtitution des fruits , du jour
· de la litifconteftation , fur la premiere
P iij
342 Traité du Droit de Propriété ,
demande qui a été périmée ? Il dit pour
raiſon de douter que quoique la demande
ait été périmée , cette péremption n'a pas
purgé fa mauvaiſe foi ; c'eft - à - dire , n'a
pas détruit la connoiffance qu'il a eue du
droit du demandeur par les titres produits
dans l'inftance qui a été périmée : il ne
trouve pas cette raiſon fuffifante ; en effet,
on peut dire que l'abandon que le de-
mandeur a fait de fes pourfuites fur la
premiere demande , a pu jetter un doute
raifonnable fur les titres du demandeur ,
& lui faire croire que le demandeur ne
les croyoit pas fuffifants , & fe défioit de
fon droit ; la copie & la communication
qu'il en a eu dans la premiere inftance
ne lui ont donc pas donné une connoif-
fance affez certaine du droit du deman-
deur , pour le conftituer en mauvaiſe foi.

ARTICLE V I.

Des preflations perfonnelles du Demandeur ,


dans l'action de revendication.

343. Lorfque fur l'action de revendi-


cation le demandeur a juftifié de fon droit,
le poffeffeur eft condamné à lui délaiffer
la chofe revendiquée ; mais dans certains
cas , lorfque le poffeffeur a débourfé
quelque fommé, ou contracté quelque obli-
Part. II , Chap. 1 , Art. 6. 343
1. gation pour la libération , la confervation
ou l'amélioration de la chofe qu'il eft
condamné de délaiffer , le poffeffeur qui
excipe de ces impenfes , n'eft condamné
à la délaiffer qu'à la charge par le de-
mandeur de le rembourfer au préalable
de ce qu'il a débourfé , & de l'indemnifer.
Le premier cas eft , lorfque le poffeffeur
a payé à des créanciers des fommes pour
lefquelles la chofe leur étoit hypothéquée ;
le propriétaire ayant depuis donné la de-
mande en revendication , l'équité ne per
met pas qu'il puiffe fe faire délaiffer la
chofe , fans rembourfer au préalable le
poffeffeur des fommes qu'il a payées aux-
dits créanciers ; ces fommes ayant fervi à
libérer la chofe des hypotheques dont elle
étoit chargée , & étant des fommes que
ce propriétaire feroit obligé de payer , fi

le poffeffeur ne les eût pas payées.


Le propriétaire doit, non - feulement
rembourfer au poffeffeur ces fommes ; il
doit lui faire raifon des intérêts defdites
fommes depuis qu'il les a débourfées ; néan-
moins , feulement dans le cas auquel ces
intérêts excéderoient les fruits qu'il a per
çus depuis qu'il a débourfé ces fommes , car,
ces intérêts doivent fe compenfer avec les
fruits. 1
C'eft ce qu'enſeigne Papinien : Emptor
prædium quod à non dominis emit exceptione
P iv
344 Traité du Droit de Propriété,
doli pofitâ , non aliter domino reftituere co-
getur , quàm fipecuniam creditori ejusfolu-
tam qui pignori datum prædium habuit , ufu-
rarumque medii temporis fuperfluum recu-
peraverit ; fcilicet fi minus in fructibus ante
litem perceptisfuerit : nam eos ufuris ( * ) no-
vis duntaxat ( ** ) compenfari , fumptuum in
prædiumfactorum exemplo , æquum eft. L. 65 ,
ff. de rei vind.
Cette compenſation des intérêts de la
fomme que le poffeffeur a payée , qui cou-
rent à fon profit , & lui font dûs du jour

[* ] Papinien entend par ces termes ufuris


novis , les intérêts de la fomme que le poffef-
feur a payée pour le fort principal , qui ont
commencé à courir au profit de ce poffeffeur du
jour qu'il l'a payée , comme étant devenu aux
droits de ce créancier ; il les appelle ainfi pour
les diftinguer des anciens intérêts qui étoient
dûs au créancier. Voyez Cujas , ad hanc L. in
Lib. 2 , Refp. Papin.
[**] Duntaxat ; c'eft-à-dire , qu'il n'y a lieu
à la compenfation avec les fruits que pour ces
nouveaux intérêts de la fomme principale qui
étoit due au créancier , qui ont commencé à cou
rir au profit du poffeffeur , qui eft devenu aux
droits du créancier à qui il l'a payée ; à l'égard
de la fomme que le poffeffeur a payée au créan-
cier pour les anciens intérêts à lui dûs , cette
fomme ne produit point d'intérêts cum non den-
tur fura ufurarum , & elle doit être rendue au
poffeffeur qui l'a payée , fans qu'il y ait lieu à
la compenfation avec les fruits.
Part. II, Chap. 1 , Art. 6. 345
qu'il l'a payée , avec les fruits qu'il a per-
çus depuis ledit jour , a lieu , quand même
ce poffeffeur feroit un poffeffeur de bonne
foi. Quoique ce poffeffeur ne foit pas tenu
par voie d'action, de la reftitution des fruits
qu'il a perçus avant la demande , il en eſt
tenu par voie de compenfation.
344. Le fecond cas eft celui que Papi-
nien nous indique par ces derniers termes
de la Loi , fumptuum in prædium fatorum
exemplo forfque le poffeffeur a fait des
impenfes néceffaires pour la confervation
de la chofe que le propriétaire eût été
obligé de faire , fi le poffeffeur ne les
eût pas faites , autres néanmoins que celles
de fimple entretien ; le propriétaire ne
peut pareillement en ce cas obliger le
poffeffeur à lui délaiffer la chofe , s'il n'a
remboursé au préalable à ce poffeffeur
la fomme qu'il a débourfée pour cette
impenfe , & les intérêts de cette fomme
depuis qu'il l'a débourfée , en ce qu'ils
excéderoient les fruits que le poffeffeur
a perçus depuis ledit temps , avec lesquels
la compenfation doit s'en faire.
Nous avons excepté de notre principe
les impenfes de fimple entretien , car cette
efpece d'impenfe eft une charge des fruits
c'eft pourquoi , le poffeffeur de bonne
foi qui perçoit à fon profit les frui avant
P v
346 Traite du Droit de Propriété ,
la demande , fans être à cet égard fujet
à aucune reftitution envers le propriétaire ,
ne doit pareillement avoir contre le pro-
priétaire aucune répétition des impenfes
de fimple entretien qu'il a faites pendant
ce temps , ces impenfes étant une charge
de la jouiffance qu'il a eue.
A l'égard du poffeffeur de mauvaiſe
foi , il couche les impenfes d'entretien
qu'il a faites , dans le chapitre de dépenſe
du compte qu'il doit rendre desfruits qu'il a
perçus , n'en étant tenu que deductis impenfis.
345. Il n'y a aucune différence à faire
entre le poffeffeur de bonne foi & le pof-
feffeur de mauvaiſe foi , pour le rembour-
fement qui doit leur être fait de ce qu'ils
ont débourſé dans le premier & le fecond
cas que nous avons ci-deffus rapporté ;
mais il y a de la différence à faire entre
P'un & l'autre , à l'égard des impenfes
qu'ils ont faites qui n'étoient pas nécef-
faires , mais feulement utiles , & qui ont
feulement amélioré la chofe qui fait l'ob-
jet de l'action en revendication .
A l'égard du poffeffeur de bonne foi ,
le propriétaire fur l'action en revendica-
tion ne peut obliger ce poffeffeur à lui
délaiffer la chofe revendiquée , s'il ne le
rembourſe au préalable des impenfes qu'il
y a faites , quoique ces impenfes ne fuf-
Part. II, Chap. 1 , Art. 6. 347
fent pas néceffaires , & aient ſeulement
augmenté la choſe revendiquée , & l'aient
rendu d'un plus grand prix.
Juftinien donne un exemple de ce prin-
cipe dans l'efpece d'un poffeffeur qui a
conftruit un bâtiment fur un héritage qu'il
poffédoit de bonne foi , & il décide que
le propriétaire de l'héritage n'eft reçu à›
revendiquer l'héritage qu'en offrant de
rembourfer au préalable cette impenfe à.
ce poffeffeur : Si quis in alieno folo ex.
fuâ materiâ domum ædificaverit illud

conftat , fi inpoffeffione conftituto ædificatore.


foli dominus petat domum fuam effe , nec.
folvat pretium materiæ & mercedes fabrorum ,
poffe eumper exceptionem doli mali repelli ,
utique fi bona fidei poſſeſſor fuerit qui ædifi
cavit. Inftit. tit. de rer. div. §. 30.
346. Ce principe , que le poffeffeur de
bonne foi doit être rembourfé des im-
penfes utiles qu'il a faites fur la chofe qui
fait, l'objet de l'action en revendication
fouffre quelques .་ limitations qui doivent
être fous-entendues dans ce que nous ve
nons de rapporter du texte des Infti
tutes , comme l'a remarqué Vinnius dans
fon Commentaire fur ce texte. : olmoqni
La premiere eft , que ce poffeffeur ne
doit pas être remboursé précisément &
abfolument de tout ce qu'il a débourlé
pour lefdites impenfes , mais feulement
P vj
348 Traité du Droit de Propriété ,
jufqu'à concurrence de ce que la choſe fur
laquelle il les a faites , & qui fait l'ob-
jet de l'action en revendication , fe trouve
en être augmentée de valeur au temps
du délais qu'il en doit faire.
C'eft ce que nous apprenons de Paul
dans l'efpece d'un acheteur de bonne foi
qui avoit conftruit un bâtiment fur une
place qui étoit hypothéquée. Paul dit ,
Jus foli fuperficiemfecutam videri . . . .
. fed
bona fide poffeffores non aliter cogendos ædi-
ficium reftituere , quàmfumptus in extructione
erogatos , quatenus res pretiofior facta eſt ,
reciperent. L. 29, § . 2 , ff. d. pign.
C'eft ce qui réfulte du principe fur le
quel eft fondée l'obligation en laquelle eft
le propriétaire , de rembourfer ces im-
penfes au poffeffeur de bonne foi.
Cette obligation ne naît que de cette
regle d'équité , qui ne permet pas que
quelqu'un s'enrichiffe aux dépens d'autrui ;
fuivant cette regle , le propriétaire ne doit
pas profiter aux dépens de ce poffeffeur ,
de l'impenfe que ce poffeffeur a faite ,
mais il n'en profite qu'autant que fa chofe
fe trouve augmentée de valeur par cette
impenfe ; il ne doit donc être obligé à le
rembourfer que jufqu'à cette concurrence ,
quand même le poffeffeur auroit débourſé
davantage. in
Contrà vice verfà : Si la valeur dont
Part. II, Chap. 1 , Art. 6. 349
la chofe eft augmentée par cette impenfe eſt
d'une fomme plus grande que celle qu'elle
a coûté , le propriétaire n'eft obligé de
rembourfer que ce qu'elle a coûté ; car,
quoique le propriétaire profite de plus , ce
n'eft que jufqu'à concurrence de la fomme

que l'impenfe a coûté, qu'il profiteroit aux dé-


pens du poffeffeur, de l'impenfe qu'il a faite.
347. La feconde limitation au prin-
cipe , que le poffeffeur de bonne foi doit
être remboursé de fes impenfes utiles au
moins jufqu'à concurrence de ce que la
chofe fe trouve augmentée de valeur ,
eft que ce principe n'eſt pas fi général ,
que le Juge ne puiffe quelquefois s'en
écarter , fuivant les circonftances. C'eſt
ce que nous enfeigne Celfe : In fundo
alieno quem imprudens ædificafti aut confe-
ruifti , deinde evincitur , bonus judex variè
in perfonis caufifque conftituet : finge &
dominum (* ) eadem facturum fuiffe ; reddat
impenfam & fundum recipiat , ufque ( ** )
eo duntaxat quo pretiofior factus eft ; & ſt
plus pretio fundi acceffit , folum quod im-
penfum eft. Finge pauperem qui fi id reddere
cogatur , laribus , fepulchris avitis carendum

[* ] Id eft maxime hoc cafu debet reddere impen-


fam fed etfi facturus non fuiffet regulariter debet
reddere.
[**] Ceci fe rapporte à impenfam reddat.
350 Traité du Droit de Propriété,
habeat : fufficit tibi permitti tollere ex his
rebus quæ pofcis ; dum ita ne deterior fit
fundus quàmfi initio non fuerit ædificatum.
L. 38 , ff. de rei vind..
Dans cette derniere efpece , s'il y a une
raifon d'équité qui milite en faveur du
poffeffeur , qui confifte à dire , que le
propriétaire ne doit pas profiter à fes dé-
pens de l'augmentation de valeur que ces
impenfes ont apportée à l'héritage ; d'un
autre côté , il y a une autre raiſon d'é-
quité encore plus forte en faveur du pro-
priétaire , à laquelle celle - ci doit céder ,
qui eft que l'équité permet encore moins
que le propriétaire foit privé de fon hé-
ritage , pour lequel il a une jufte affec-
tion , faute de pouvoir rembourfer des
impenfes qu'il n'a pas le moyen de rem-
bourfer , dont il pouvoit fe paffer auffi-bien
que de l'augmentation de valeur qu'elles
ont apporté à fon héritage , qu'il ne veut
pas vendre , & qui lui fuffifoit dans fon
ancien état.
Lorfque les impenfes utiles faites par
le poffeffeur de bonne foi font tellement
confidérables , que le propriétaire n'a pas
la commodité d'en faire le remboursement
avant que de rentrer dans un héritage ,
& que ces impenfes ont produit dans le
revenu de l'héritage une augmentation
confidérable ; il me paroît qu'on peut
Part. II, Chap. 1 , Art. 6. 351
concilier les intérêts des parties en per-
mettant au propriétaire de rentrer dans
fon héritage , fans rembourfer au préalable
les impenfes du poffeffeur de bonne foi ,
( & en fe chargeant envers ce poffeffeur ,
d'une rente d'une fomme approchante de
ce dont le revenu de l'héritage a été aug-
menté par lefdites impenfes , laquelle fe-
roit rembourfable aux bons points du
propriétaire à laquelle l'héritage feroit
affecté par privilege ; par ce moyen , les
intérêts de chacune des parties font con-
fervés ; le propriétaire n'eft point privé de
fon héritage faute de pouvoir rembour-
.
fer les impenfes , & il ne profite pas aux
dépens du poffeffeur , de l'augmentation du
revenu qu'elles ont caufé à fon héritage .
348. Il y a des impenfes qui augmen-
tent la valeur de la chofe revendiquée ,
dans le cas auquel le propriétaire vou-
droit la vendre , mais qui n'en augmentent
pas le revenu , dans le cas auquel il comp-
teroit la garder ; le propriétaire , qui en
gardant cette chofe , ne profite point de
cette impenfe , n'eft point obligé de rem-
bourfer le poffeffeur de bonne foi qui l'a
faite , à moins que ce propriétaire ne fût
un homme qui fît commerce des chofes
de l'efpece dont eft la chofe revendiquée ,
auquel cas , profitant de ce dont l'impenfe
a augmenté le prix de cette chofe , il en
352 Traité du Droit de Propriete,
doit rembourfer le poffeffeur de bonne
foi qui les a faites. Les Loix apportent
cet exemple : Si puerum ( * ) meum quem
+ poffideres erudiffes , non idem obfervandum
Proculus , exiftimat quia neque carere fervo
meo debeam , nec poteft remedium idem ad-
hiberi quod in areâ diximus. ( ** ) L. 27 ,
S.fin. ff. de rei vind. ( Fortè quod pictorem
aut Librarium docueris , ) dicitur non aliter
officio judicis æftimationem haberi poffe.
L. 28 , nififi venalem eum habeas ( *** ) &
plus ex pretio ejus confecuturus fis propter
artificium. L 29 , ff. d. t.
On peut imaginer d'autres exemples.
Finge un homme a acheté de bonne foi
un jeune chien qu'on m'avoit volé , & a
donné une fomme d'argent pour lui ap-
prendre à arrêter le gibier ; ayant de-
puis reconnu mon chien , je l'ai revendi-
qué, je ne fuis pas obligé de lui rendre
la fomme qu'il a donnée pour inſtruire

* Servum.
8** ] Ut ei qui bona fide adificavit tenear red-
dere impenfam car je profite du bâtiment , au-
lieu que je ne profite pas de l'art qu'on a fait
apprendre à mon efclave , auquel je ne compte
pas l'employer.
[***] Mutat perfonas , en mettant à la feconde
perfonne le propriétaire qui a revendiqué fon
efclave , qui dans la Loi 27 étoit à la premiere
perfonne . Cela eft fréquent dans le Digeſte.
Part. II Chap. 1 , Art. 6. 353
mon chien , cette dépenſe m'étant inutile ,
n'étant pas chaffeur ; mais fi j'étois connu
pour faire.commerce de chiens , je ferois
obligé de lui rendre , profitant en ce cas
de cette dépenfe , qui me fera vendre
mon chien plus cher que s'il n'étoit pas
dreffé.
349. La troifieme limitation qui doit
être apportée au principe qui oblige le
propriétaire à rembourfer au poffeffeur
de bonne foi les impenfes utiles qu'il a
faites pour la chofe qui fait l'objet de
l'action en revendication , eft que le pro-
priétaire n'eft tenu de rembourfer au pof-
feffeur de bonne foi la fomme qui lui eft
due pour lefdites impenfes , que fous la
déduction de ce que ce poffeffeur s'en
trouve déja remboursé par les fruits qu'il
a perçus ... C'eft ce qu'enfeigne Papi-
nien : Sumptus in prædium quod alienum
effe apparuit à bonâ fide poffeffore faðli ...
fi fructuum ante litem contefiatam perceptorum
fummam excedant , admiffâ compenfatione
fuperfluumfumptum , meliore prædiofacto , do-
minus reftituere cogitur. L. 48 , ff. de rei
vindic.
Cela n'eft pas contraire à ce qui a été
dit ci- deffus , que le poffeffeur de bonne
foi perçoit à fon profit les fruits tant que
fa bonne foi dure , & que le propriétaire
n'a pas intenté contre lui l'action en re-
354 Traité du Droit de Propriété,
vendication ; car il ne les perçoit à fon
profit qu'en ce fens que le propriétaire 4
ne peut par voie d'action en exiger de
lui le rapport , mais il peut lui en op-
pofer la compenfation avec les mifes qu'il
a faites pour la chofe revendiquée .
350. A l'égard du poffeffeur de mau-
vaife foi , les Loix Romaines paroiffent
lui avoir refufé le rembourſement des im-
penfes par lui faites qui n'étoient pas né-
ceffaires , quoiqu'elles euffent fait devenir
plus précieuſe la chofe qui eft revendi-
quée , & lui avoir feulement permis , d'em-
porter de l'héritage revendiqué , les chofes
qu'il y a mifes , qui peuvent en être dé-
tachées , en rétabliffant les choſes en leur
premier état Malæ fidei poffeffores , dit
l'Empereur Gordien , ejus quod in alienam
rem impendunt , non eorum negotium gerentes
quorum res eft , nullam habent repetitionem ,
nifineceffariosfumptusfecerint ;fin autem uti-
les ; licentia eis permittitur , fine læfione
prioris flatus rei , eos auferre. L. 5 , Cod.
h. t.
Le même dit ailleurs : Vineas in alieno
agro inftitutasfolo cedere , &fi à malæ fidei
poffeffore id factumfit , fumptus eo nomine
erogatos per retentionem fervari non poſſe
incognitum non eft. L. 1 , tit. de rei vind.
in fragm. Cod. Gregor.
Enfin, Juftinien aux Inftitut. de rer. div.
Part. 11 , Chap. 1 , Art. 6. 355
30 , après avoir dit que celui qui a bâti
fur l'héritage d'autrui , doit être remboursé
de cette impenfe par le propriétaire ด
ajoute : Utique fi bonæ fidei poffeffor fit ;
nam ſcienti folum alienum eſſe , poteſt objici
culpa , quod ædificaverit temerè in eo folo
quod intelligebat alienum effe.
Malgré des textes auffi formels , Cujas ,
Obf. x , CAP. I. penfe que le poffeffeur
de mauvaiſe foi doit être remboursé auffi
bien que le poffeffeur de bonne foi , des
impenfes utiles , jufques à concurrence de
ce que la chofe fe trouve plus précieuſe ,
& que les textes de Droit qui paroiffent
contraires , doivent s'entendre en ce ſens
qu'à ne confulter que la rigueur du Droit ,
le poffeffeur de mauvaiſe foi n'eſt pas
fondé à prétendre ce rembourſement ,
mais que cela n'empêche pas que le Juge
ne le lui accorde , en préférant en cela à
la rigueur du Droit , l'équité qui ne per-
met pas que le propriétaire profite aux
dépens dece poffeffeur, fuivant cette regle :
Neminem æquum eft cum alterius detrimento
locupletari ; il fonde fon opinion fur la Loi
38 , ff. de petit. hæred. où il eft dit : In
cæteris neceffariis & utilibus impenfis poſſe
feparari , ut bonæ fidei quidem poffeffores "
has quoque imputent , prædo autem de fe
queri debeat qui fciens in rem alienam im-
pendit ; fed benignius eft , in hujus quoque
356 Traite du Droit de Propriété ,
perfonâ habere rationem impenfarum , non
enim debet petitor ex alienâ jacturâ lucrum
facere.
Quelque grande que foit l'autorité que
Cujas s'eft acquife dans les Ecoles , la plu-
part des Docteurs qui ont écrit depuis ,
n'ont pas fuivi fon opinion. On répond
de deux manieres à la Loi 38 , qui en
fait le fondement la réponſe la plus or-
dinaire eft que cette Loi eft dans l'efpece
de l'action de pétition d'hérédité , qu'on
ne peut en rien conclure pour ce qui doit
s'obferver dans l'action de revendication;
ces deux actions fe gouvernant par des
regles différentes , comme nous le verrons
au chapitre fuivant. Vinnius répond d'une
autre maniere à cette Loi , il prétend
que le poffeffeur de mauvaife foi ne peut
prétendre le rembourſement des impenfes
utiles , ni dans l'action de revendication ,
ni même dans l'action de pétition d'héré-
dité , & que ces termes de la Loi : Be-
nignius eft in hujus quoque perfonâ haberi
rationem impenfarum , ne doivent pas s'en-
tendre en ce fens , que le remboursement
lui en doit être accordé ; mais feulement
en ce fens , qu'on doit lui permettre d'en-
lever tout ce qu'il a mis dans l'héritage
qui en peut être enlevé en rétabliſſant les
chofes dans le premier état , ce qui ne
lui eft encore accordé que par une raifon
Part. II , Chap. 1 , Art. 6. 357
de faveur & d'humanité puiſque ces
chofes ayant été acquifes de plein droit
au propriétaire de l'héritage dont elles fe
trouvent faire partie , jure acceffionis & vi
ac poteflate rei fue ; le poffefleur qui les
y a attachées , à ne confulter que la ri-
gueur du Droit, ne devroit pas même avoir
la faculté de les en détacher.
A l'égard de la regle : Neminem æquum
eft cum alterius detrimento locupletari ; la
réponſe eft , qu'elle peut bien être op-
pofée par le poffeffeur de bonne foi , mais
qu'elle ne le peut être par le poffeffeur
de mauvaiſe foi ; le propriétaire pouvant
lui repliquer , que l'équité lui permettoit
encore moins de conftituer le propriétaire
contre fon gré dans une dépenfe qu'il ne
vouloit pas faire , en faifant fur fon hé-
ritage , qu'il poffédoit injuftement , des
impenfes qu'il fçavoit n'avoir pas droit d'y
faire ; que s'il fouffre de ce que fes im-
penfes ne lui font pas remboursées , il ne
peut s'en prendre qu'à lui-même , puifque
c'eft par fa faute qu'il les a faites ; or ,
on n'eft point reçu à fe plaindre de ce
qu'on fouffre par fa faute : Id quod quis
fuâ culpâ damnum fentit , non videtur fentire.
Cette réponſe eft juftement celle que Juf-
tinien au texte des Inftitutes ci-deffus rap-
porté , met dans la bouche du propriétaire,
pour le décharger du rembourlement des
358 Traité du Droit de Propriété ,
impenfes utiles envers le poffeffeur de mau-
vaife foi : Nam , dit Juftinien , fcienti foium
alienum effe poteft objici culpa , quod ædifica-
verit temerè in eo folo.
Si le propriétaire n'eft pas obligé de
rembourfer au poffeffeur de mauvaiſe foi
les impenfes utiles , jufques à concurrence
de la fomme dont l'héritage revendiqué
en eft augmenté de valeur ; au moins ce
propriétaire ne peut pas fe difpenfer d'en
fouffrir la compenſation jufques à due
concurrence avec la fomme qui lui eft
due par ce poffeffeur pour le rapport des
fruits. Car le propriétaire eft cenſé avoir
déja touché jufqu'à due concurrence le
prix defdits fruits par l'emploi qui en
a été fait à l'amélioration de fon héri-
tage , ce feroit s'en faire payer deux
fios que de n'en pas tenir compte au
poffeffeur ; ce que la bonne foi ne permet
pas.
Dans notre Pratique , on laiffe à la pru-
dence du Juge à décider fuivant les dif-
férentes circonftances , fi le propriétaire
doit rembourfer le poffeffeur de mauvaiſe
foi , des impenfes utiles jufques à con-
currence de ce que l'héritage revendiqué
en eft devenu plus précieux. Il y a une
mauvaiſe foi charactériſée & criminelle ,
telle que celle d'un ufurpateur qui a pro-
fité de la longue abfence d'un propriétaire ,
Part. II , Chap. I , Art. 6. 359
ou de la minorité d'un propriétaire qui
n'avoit point de défenfeur , pour ſe mettre
fans aucun titre en poffeffion d'un héri-
tage ; un tel poffeffeur de mauvaiſe foi
doit être traité avec toute la rigueur du
Droit ; il ne mérite aucune indulgence ,
& on ne doit point en conféquence lui
faire raiſon des améliorations qu'il a faites
à l'héritage pendant qu'il le poffédoit ;
au contraire , il y a des efpeces de mau-
vaiſe foi qui ne font pas criminelles , & qui
font excufables : par exemple , j'ai acheté
l'héritage d'un mineur , de fa mere & gar-
dienne , qui étoit alors très-riche , & qui.
s'eft obligée de le faire ratifier ; depuis il
eſt arrivé un dérangement dans la fortune
de ma vendreffe ; elle eft morte , le mi-
neur devenu majeur a renoncé à fa fuc-
ceffion , & a donné une demande en re-
vendication contre moi : je fuis poffeffeur
de mauvaiſe foi , j'avoisfcientiam rei aliena ,
puifqu'en achetant j'ai eu connoiffance
que l'héritage appartenoit au mineur
& que ma vendreffe n'avoit pas le pou-
voir de l'aliéner ; mais cette mauvaiſe foi
n'eft point criminelle j'avois un juste
fujet de me flatter que le mineur ratifie-
roit 2 ou deviendroit héritier de fa mere ;
c'est pourquoi je dois être traité avec in-
dulgence , & le Juge doit me faire faire
raiſon des améliorations que j'ai faites fur
360 Traité du Droit de Propriété,
l'héritage , juſqu'à concurrence de ce qu'il
eft plus précieux .
351. De la différence qu'il y a entre
le poffeffeur de bonne foi & celui de mau-
vaiſe foi , par rapport aux impenfes utiles,
naît une queftion qui eft de fçavoir , fi
pour que le poffeffeur puiffe prétendre ce
rembourſement , il fuffit qu'il fut poffeffeur
de bonne foi lorfqu'il a acquis l'héritage ,
ou s'il faut qu'il le fût encore lorsqu'il
a fait lefdites impenfes ? Ulpien , d'après
Julien , décide qu'il faut qu'il l'ait été lorf
qu'il les a faites : Julianus libro 8°. digef
torum fcribit : Si in alienâ areâ ædificaſſem
cujus bona fidei quidem emptor fui , verum
eo tempore ædificavi quojamfciebam alienam,
videamus an nihil mihi exceptio (* ) profit ?
nifi fortè (**) quis dicat prodeffe de damno
follicito ; puto autem huic exceptionem non
prodeffe , nec enim debuitjam alienam certus ,
ædificium ponere ; fed hoc ei concedendum eft,
ut fine difpendio domini area tollat ædifi-
cium quod pofuit. L. 37 , ff. de rei vind.
352. Obfervez à l'égard du droit qui
eft accordé au poffeffeur de mauvaiſe foi
d'emporter ce qu'il a mis dans l'héritage
revendiqué en le rétabliffant dans fon

Exceptio doli mali , nifi refundat impenfam.


ful JC'étoit la raifon de douter , à laquelle
le Jurifconfulte ne croit pas qu'on doive s'arrêter.
premier
Part. II, Chap. 1 , Art. 6. 361
premier état , qu'il ne peut en détacher
que les chofes dont il peut retirer quelque
profit en les emportant , & qu'il doit même
les laiffer , fi le propriétaire lui en offre le
prix qu'il en pourroit retirer : Conftituimus ,
dit Celfe , ut fi paratus eft dominus tantùm
dare , quantum habiturus eft poffeffor his rebus
ablatis , fiat ei poteftas. L. 38 , ff. de rei vind.
Suivant ces principes , il ne doit pas
lui être permis d'effacer les peintures dont
il a décoré les appartements de l'héritage
revendiqué , quoiqu'il offre de remettre
les chofes dans l'ancien état ; c'eft pour-
quoi le Jurifconfulte ajoute : Neque malitiis
indulgendum eft , fi tectorium puta quod in-
duxeris , picturafque corradere velis , nihil
laturus nifi ut officias. d. L. 38.
353. Il nous refte à obferver que le
poffeffeur qui eft condamné à délaiffer au
propriétaire la chofe revendiquée , quoi-
qu'il l'ait achetée de bonne foi , & qu'il
foit poffeffeur de bonne foi , n'eft pas fondé
à demander au propriétaire qu'il lui rende
le prix qu'il a payé : Incivilem rem defide-
ratis , dit l'Empereur Antonin , ut agnitas
resfurtivas non prius reddatis , quàmpretium
folutum fuerit à dominis. L. 2 , Cod. defurt.
Mais s'il étoit prouvé que le prix que
le poffeffeur a payé pour le prix de l'achat
qu'il a fait de la chofe qu'il a été con-
damné de délaiffer au propriétaire , a
Tome I. Q
362 Traité du Droit de Propriete,
tourné au profit de ce propriétaire ; quand
même ce poffeffeur feroit poffeffeur de
mauvaiſe foi , le propriétaire doit lui
rendre le prix qu'il a payé , & il fe doit
faire compenfation des intérêts de ce prix
avec les fruits que ce poffeffeur a perçus :
par exemple , fi j'ai acquis d'un tuteur un
héritage de fon mineur , qu'il m'a vendu
en fa qualité de tuteur , fans obferver
aucunes formalités ; fi fur l'action en re-
vendication que le mineur devenu majeur
a depuis donnée contre moi , j'ai été con-
damné à le lui délaiffer , quoique je fuffe
poffeffeur de mauvaiſe foi de cet héritage,
puifque je fçavois que celui qui me l'a
vendu , n'avoit pas droit de me le vendre ;
néanmoins fi je peux juftifier que le prix
a tourné au profit de ce mineur , putà ,
qu'il a fervi à payer fes dettes ; le Juge
en me condamnant à délaiffer l'héritage
au mineur , le condamnera à me rendre
le prix qui a tourné à ſon profit.
Obfervez que fi ce tuteur avoit employé
le prix que je lui ai payé , à rembourfer
des rentes dues par le mineur , je nę
pourrois pas obliger le mineur à autre
chofe qu'à me les continuer.
Part. II , Ch. 1 , Art. 7 , §. 1. 363

ARTICLE VII

De l'exécution du Jugement qui a condamné


le poffeffeur à délaiffer la chofe revendi-
quée ; & du cas auquel il s'eft mis par
dol ou par fa faute , hors d'état de pou-
voir le faire.

S. I.

Du délaiffement que le Poffeffeur doit faire


de la chofe.

354. Lorfque fur l'action en revendi-


cation , le défendeur eft condamné par un
jugement dont il n'y a pas d'appel , à
délaiffer au demandeur la chofe revendi-
quée ; fi cette chofe eft un meuble qui
foit en la poffeffion du défendeur qui avoit
obtenu main-levée par provifion de l'en-
tiercement qui en a été fait , le défendeur
doit la rendre fur la premiere fommation
qui lui en eft faite ; finon , fur fon refus ,
le Juge permet au demandeur de la faire
faifir par un Huiffier , & l'emporter du
lieu où elle eft.
355. Lorfque la chofe que le poffeffeur
a été condamné de délaiffer , eft un héri-
tage , l'Ordonnance de 1667 , titre de
L'exécution des Jugements 27 , articlepremier,
Q ij
364 Traité du Droit de Propriété
lui donne quinze jours pour le délaiſſer ;
à compter du jour de la fignification du
jugement qui lui a été faite à perfonne
ou domicile , avec fommation d'y fatis-
faire.
Ce délaiffement confifte en ce que le
poffeffeur doit dans ce terme qui lui eft
accordé , déloger tous les meubles qu'il a
dans l'héritage qu'il eft condamné de dé-
laiffer , le laiffer vacant , & en remettre
les clefs au propriétaire demandeur en
revendication , à qui il a été condamné
de le délaiffer.
Faute par le poffeffeur de délaiffer dans
ledit temps de quinzaine ; ladite Ordon-
nance , article premier , prononce contre
lui une amende de 200 livres , applicable
moitié au Roi , moitié à la Partie .
L'Ordonnance veut en outre , art. 3 ,
que le poffeffeur , qui , quinzaine après
la premiere fommation qui lui a été faite ,
n'a pas obéi au jugement , foit condamné
par corps à délaiffer , & aux dommages
& intérêts du propriétaire à qui il a été
condamné de délaiffer.
Obfervez que lorfque l'héritage eft
éloigné de plus de dix lieues du lieu du
domicile de la partie qui a été condamnée
de le délaiffer , on ajoute au délai de
quinzaine ci-deffus mentionné,un jour pour
chaque dix lieues de diſtance.
Part. II, Ch. 1 , Art. 7 , §. 1. 365
356. Lorfque la partie perfifte dans le
refus opiniâtre de délaiffer l'héritage , le
propriétaire peut s'en faire mettre en pof
feffion, manu militari ; il obtient pour cela
une fentence du Juge , qui lui permet de
ſe mettre en poffeffion de l'héritage , &
pour cet effet de faire faire ouverture des
portes par un Serrurier , & d'en faire dé-
loger les meubles qui s'y trouvent.
Le propriétaire qui a obtenu cette fen-
tence , la fait mettre à exécution par un
Huiffier , accompagné d'un Serrurier
de témoins , & d'un Voiturier pour dé-
loger les meubles & les tranſporter dans
le cabaret voifin . Cela eft conforme à
la Loi 68 , ff. de rei vind. où il eſt dit :
Qui reftituere juffus judici non paret ...
fi quidem habeat rem , manu militari officio
judicis ab eo poffeffio transfertur.
375. Lorſque le poffeffeur n'a pas été
purement & fimplement condamné à dé-
laiffer l'héritage , mais a été condamné à
le délaiffer , à la charge par le propriétaire
de lui rembourfer les impenfes & amélio-
rations qu'il y a faites ; le propriétaire
ne peut faire aucunes pourfuites contre
lui , pour le lui faire délaiffer juſques à
ce qu'il en ait été rembourfé ; le poffef-
feur ayant en ce cas le droit de le retenir.
veluti jure pignoris ; c'eſt ce qui eft porté
par l'article 9.
Q iij
366 Traité du Droit de Propriété ,
Mais comme ce poffeffeur pourroit fe
prolonger la poffeffion de l'héritage en
différant à faire liquider la fomme à la-
quelle montent lefdites impenfes & amélio-
rations , & qui doit lui être rembourfée ;
l'Ordonnance ordonne par ledit article 9 ,
que le poffeffeur foit tenu de liquider
lefdites impenfes & améliorations dans un
certain délai qui fera prefcrit par le Juge;
& que faute par lui de le faire dans ledit
délai , le propriétaire foit mis en poffeffion
de fon héritage , en donnant caution de
les payer après qu'elles auront été liqui-
dées.
L'Ordonnance de Moulins , art. 52 ,
vouloit que ce délai n'excédât pas le temps
d'un mois ; celle de 1667 , l'a laiffé à l'ar-
bitrage du Juge.
Pour parvenir à cette liquidation , le
poffeffeur doit par un acte de procédure
déclarer les différents articles d'impenfes
néceffaires ou utiles dont il demande le
remboursement ; produire les marchés faits
avec les Ouvriers , & les quittances des
fommes qu'il a payées , & nommer un
Expert pour en faire la vifite , & eftimer
de combien les impenfes utiles ont aug-
menté la valeur de théritage , & fommer
le propriétaire de le venir paffer ou con-
tredire , & en nommer un de fa part.
Part. II, Ch. 1 , Art. 7 , §. 2. 367
Le propriétaire répond à cet acte ,
nomme un Expert de fa part , finon le
Juge en nomme un pour lui ; les Experts
font leur rapport , & le Juge , tant fur ledit
rapport qu'il homologue , lorfqu'on n'a
rien oppofé contre , qui en pût empêcher
l'homologation , que fur tout ce qui a été
dit & produit par les parties,regle la fomme
à laquelle doivent monter lefdites impenfes
& améliorations , & qui doit être rembour-
fée au défendeur par le propriétaire.

S. I I.

De la liquidation des fruits que le Poffef


feur a été condamné de reftituer.

358. Lorſque le poffeffeur qui , fur l'ac-


tion en revendication , a été condamné par
un jugement dont il n'y a pas d'appel , à
délaiffer l'héritage revendiqué , a été auffi
condamné à reftituer les fruits qu'il en a
perçus ; l'Ordonnance de 1667 , au titre
38 , de la liquidation des fruits , article
premier , veut qu'il foit tenu de rendre
dans les mêmes efpeces ceux de la der
niere année qu'il a perçus lorfqu'il les a
encore par-devers lui , & ceux des années
précédentes , fuivant la liquidation qui en
doit être faite devant le Juge ou Com-
miffaire.
Q iv
68 Traité du Droit de Propriété ,
Pour parvenir à cette liquidation , le
poffeffeur , forfqu'il a fait valoir l'héritage
par fes mains , doit donner une déclara-
tion de la quantité des fruits qu'il a re-
cueillis chaque année depuis le temps qu'il
eft condamné de les rapporter ; & pour
en juſtifier , repréſenter fes papiers de
recette , art. 2.
Lorfque ces fruits font des grains , on
doit eftimer ceux qu'il a recueillis chaque
année , fur le pied qu'ils ont valu au mar-
ché le plus voifin de l'héritage pendant
les quatre faifons de ladite année , dont
on fait une année commune. Cette efti-
mation fe fait fur des extraits que le pof-
feffeur doit rapporter du regiftre de la
valeur des grains de la Juftice du lieu où
eft ledit marché , qui doivent être en bonne
forme , délivrés par le Greffier de ladite
Juftice , & fignés de lui. L'Ordonnance
audit titre , art. 8 , porte expreflément que
l'eftimation des grains ne pourra ſe faire
que par les extraits defdits regiftres.
A l'égard des fruits d'une autre espece
tels que du vin , du cidre , des foins , &c.
que le poffeffeur á recueillis chaque année ,
on en doit régler le prix ou par les pa-
piers de recette du poffeffeur , s'il y eft
fait mention des prix qu'il les a vendus
chaque année , ou par l'eftimation qui
en fera faite par perfonnes dont les parties
Part. II, Ch. 1 , Art. 7 , §. 2. 369
conviendront, qui foient d'état à avoir cette
connoiffance par exemple , fi c'eſt du
vin , cette eſtimation doit s'en faire par
d'anciens Marchands de vin qui peuvent
facilement connoître en feuilletant leurs
regiſtres , le prix qu'a valu le vin chaque
année.
Après toutes ces eftimations faites , le
poffeffeur , dans le compte qu'il doit rendre
des fruits qu'il a perçus , fe charge en
recette de la fomme à laquelle fe trouve
monter l'eftimation de tous les fruits qu'il
doit rapporter , fur laquelle fomme il
doit lui être fait déduction des frais qu'il
a faits pour faire venir & pour recueillir
les fruits ; enſemble des fommes qu'il a
payées , tant pour les frais d'entretien &
réparations viageres , que pour l'acquitte-
ment des charges foncieres tant annuelles
qu'extraordinaires , & pour les dixiemes ,
vingtiemes & autres femblables impofitions,
de toutes lesquelles fommes il doit rap-
porter les quittances.
359. Si le poffeffeur , pendant le temps
qu'il a poffédé l'héritage qu'il a été con-
damné de délaiffer avec rapport des fruits
l'avoit donné à loyer ou à ferme, il doit
rapporter les baux & loyers qu'il a faits ,
& compter des fermes & loyers fur le
pied defdits baux , fous la déduction des
charges foncieres , frais d'entretien & ins
Q w
370 Traite du Droit de Propriété ,
pofitions , comme il a été dit ci-deſſus.
Si les baux n'étoient pas à prix d'ar-
gent , mais pour une certaine quantité de
grains par chacun an , il faudroit faire
l'appréciation des grains de la ferme de
chaque année , fuivant les extraits du
regiſtre du lieu où la ferme étoit payable,
de la maniere dont nous l'avons dit ci-
deffus. Le propriétaire pourroit être écouté
à ne pas s'en tenir au prix des baux à
ferme , & à demander une eſtimation , s'il
alléguoit qu'il auroit fait valoir l'héritage
par fes mains , & qu'il en auroit retiré
beaucoup plus.
360. Si le compte des fruits préfenté
par le poffeffeur , n'eft point débattu , le
Juge arrête ce compte en faifant déduc-
tion de la fomme à laquelle montent les
fruits qui doivent être rapportés , de celle
à laquelle montent les articles employés
au chapitre des déductions qui doivent être
faites , & la fomme à laquelle le reliquat
aura été arrêté , doit être payée par de
poffeffeur dans le mois , pour tout délai.
Lorſque le propriétaire envers qui le
poffeffeur a été condamné au rapport des
fruits , débat le compte , en foutenant par
exemple que le poffeffeur a recueilli une
plus grande quantité de fruits que celle
qu'il a déclaré par le compte ; le Juge
permet aux parties refpectives de faire
Part. II, Ch. 1 , Art. 7 , S. 3. 37%
preuve , tant par témoins que par écrit
de la quantité defdits fruits , & des autres
faits par eux avancés , art. 3 .
Si le propriétaire qui a débattu le compte,
ne fait pas fa preuve , il doit être con-
damné aux dépens ; fi au contraire il l'a
fait , c'eft le poffeffeur qui doit y être
condamné , leſquels dépens en l'un & l'au-
tre cas doivent être taxés par le juge-
ment qui interviendra , art. 4 & 5.
361. Lorfque le poffeffeur qui a fait
valoir l'héritage par fes mains , déclare
qu'il ne peut rendre compte des fruits qu'il
eft condamné de rapporter , ne fe fou-
venant aucunement de la quantité qu'il
a recueillie par chacun an , dont il n'a tenu
aucun registre , non plus que des frais ;
ELL il ne peut en ce cas y avoir d'autre voie,
que celle d'ordonner que les jouiffances
que le poffeffeur eft condamné de rappor-
ter, feront eftimées par perfonnes , dont les
parties conviendront.

S. III

Du cas auquel le Poffeffeur s'eft mis hors


d'état de pouvoir rendre la chofe reven
diquée .

362. Lorfque la chofe mobiliere que


Le poffeffeur a été condamné de reftituer
Q vj
372 Traité du Droit de Propriété ,
au propriétaire , ne peut être faifie entre
fes mains , parce qu'elle ne s'y trouve
plus ; fi c'eft par le dol de ce poffeffeur
qu'elle ne s'y trouve plus ; foit qu'effecti-
vement elle ne s'y trouve plus ; foit qu'il
la récele ; en ce cas , fuivant les principes
du Droit Romain , le juge devoit s'en rap-
porter au ferment du demandeur fur la
fomme à laquelle il juge à propos d'efti-
mer fes dommages & intérêts réſultants
de ce que fa choſe ne fui eft pas rendue ,
dans laquelle eſtimation il pouvoit com-
prendre le prix de l'affection qu'il a pour
cette chofe; & le Juge doit condamner le
poffeffeur à payer au propriétaire la
fomme à laquelle ce propriétaire aura par
ferment de lui pris , eftimé lui-même ſes
dommages & intérêts : Qui reftituere juffus
.... fi non poteft reftituere ,
judici non paret . ...
fi quidem dolo fecit quominus poffit , is ,
quantum adverfarius in litem , fine ullâ taxa
tione , in infinitumjuraverit, damnandus eft..
L. 68, ff. de rei vind..
Lorfque c'étoit feulement par la faute
du poffeffeur que la chofe ne fe trouvoit
plus , fans qu'il fût néanmoins intervenu
aucun dol de fa part , en ce cas , on ne dé
féroit pas le ferment in litem au pro-
priétaire, & le poffeffeur étoit feulement
condamné envers lui en fes dommages &
intérêts , tels qu'ils feroient reglés par Ar
S. 3.
Part. II , Ch. 1 , Art. 7 , §. 373
bitres , & dans lefquels n'entre point le
prix d'affection : Si verò , ajoute la Loi ,
nec poteft reftituere , nec dolo fecit quominus
poffit , non pluris quàm quanti res eft , id eft -
quanti adverfarii interfuit , condemnandus eft,
d. L. 68.
363. Dans notre Jurifprudence Fran-
çoiſe , on ne défere pas le ferment in litem
au propriétaire ; & foit que ce foit feu-
lement par la faute , foit que ce foit par
le dol du poffeffeur que la chofe ne lui a
pas été rendue , le poffeffeur n'eft con-
" damné envers lui qu'en fes dommages &
intérêts , tels qu'ils feront réglés par per-
fonnes , dont les parties conviendront , &
l'intérêt d'affection n'y entre pas.
364. Lorfque le poffeffeur , qui par ſa
faute , s'eft mis hors d'état de reftituer la
chofe revendiquée , paie au propriétaire
la fomme à laquelle ont été reglés les
dommages & intérêts ; le propriétaire eft
cenfé lui abandonner pour cette fomme
tout le droit qu'il a dans cette choſe ; c'eſt
pourquoi cet ancien poffeffeur qui a payé,
peut comme étant aux droits du pro-
priétaire à qui il a payé cette fomme ,
exercer à fon profit & à fes riſques contre
les tiers qui fe trouveroient en poffeffion
de cette chofe , l'action de revendication
que le propriétaire eût pu exercer ; & f
le propriétaire qui a reçu la fomme , s'en
374 Traité du Droit de Propriété,
trouvoit depuis lui - même en poffeffion ,
l'ancien poffeffeur qui lui a payé cette
fomme feroit bien fondé à intenter contre
lui la demande , pour la lui délaiffer : Si
culpa non fraude quis poffeffionem amiferit,
quoniam pati debet æftimationem litis , au-
diendus erit à judice , fi defideret ut adver-
farius actione fuâ cedat ..... ipfo quoque
qui litis æftimationem perceperit poffidente ,
debet adjuvari. L. 63 , ff. de rei vind.
Le propriétaire ne feroit pas même
reçu en ce cas à offrir de rendre la fomme
qu'il a reçue, pour ſe diſpenſer de rendre
la chofe à celui de qui il a reçu la
fomme : Nec facilè audiendus erit , ajoute
tout de fuite Papinien , fi velit poftea pc-
cuniam , quam ex Sententiâjudicis , periculo
judicati recepit , reftituere. d. L. 63.
Le propriétaire à qui le défendeur ,
qui s'eft mis hors d'état de rendre la
chofe , a payé la fomme à laquelle ont
été reglés les dommages & intérêts , eft
bien obligé de lui abandonner tous les
droits qu'il a dans cette choſe , mais fans
aucune garantie : Petitor poffeffori de
evictione cavere non cogitur rei nomine cujus
eftimationem accepit , fibi enim poſſeſſor im-
putare debet qui non reftituit rem. L. 35,
S. 2 , ff. d. tit.

CAGO
Partie II, Chapitre 2. 375

CHAPITRE II.

De la Pétition d'hérédité.

365.7 ACTION de revendication dont


365.
nous avons traité au Chapitre
précédent , a lieu pour les chofes parti-
culieres le propriétaire qui en a perdu
la poffeffion , a cette action contre celui
qui s'en trouve en poffeffion ; la queſtion
qui eft agitée par les parties fur cette ac-
tion , eft de fçavoir , fi le demandeur a
juftifié fuffifamment fon droit de propriété
de la chofe revendiquée ; la pétition d'hé-
rédité a lieu pour les fucceffions ; l'héri-
tier à qui la fuccellion appartient , foit
pour le total , foit pour partie , a cette
action contre ceux qui la lui difputent ,
& qui refufent fur ce prétexte de lui ren-
dre les chofes qu'ils ont par devers eux
dépendantes de ladite fucceffion , ou qui
en font provenues , ou de lui payer ce
qu'ils doivent à ladite fucceffion. La quef-
tion qui y eft à juger , eft de fçavoir , fi
le demandeur a bien établi fa qualité d'hé-
ritier , & fi en conféquence la fucceffion
lui appartient.
Nous verrons dans une premiere Sec-
376 Traité du Droit de Propriété ,
tion , par quelles perfonnes & contre
quelles perfonnes peut être intentée la pé
tition d'hérédité ; dans une feconde , ce
que le demandeur doit établir fur cette
action , & ce qui peut lui être oppofé
par le défendeur ; comme auffi , fi &
comment , pendant que le procès dure fur
cette action entre deux parties qui fe dif-
putent la fucceffion , les créanciers de la
fucceffion & les légataires peuvent ſe faire
payer. Nous traiterons dans une troi-
fieme Section , de la reftitution qui doit
être faite des biens de la fucceffion par
le poffeffeur , à l'héritier qui a obtenu
en fa demande en pétition d'hérédité.
Nous traiterons dans une quatrieme , des
preſtations perſonnelles auxquelles eft tenu
en ce cas le poffeffeur envers cet héri-
tier ; dans la cinquieme , de celles aux-
quelles eft tenu de fon côté l'héritier en-
vers le poffeffeur. Enfin , nous traiterons
dans une fixieme Section , de certaines
actions qui font à l'inftar de la pétition
d'hérédité.
Part. II, Ch. 2 , S. 1 , Art. 1. 377
.

SECTION PREMIERE.

Par quelles perfonnes , & contre quelles


perfonnes peut être intentée la pétition d'he-
rédité.

ARTICLE PREMIER.

Par quelles perfonnes peut être intentée la


pétition d'hérédité.

366. De même que l'action de reven-


dication ne peut être valablement intentée
que par le propriétaire de la choſe re-
vendiquée ; pareillement , la pétition d'hé-
rédité ne peut être intentée que par celui
qui eft l'héritier du défunt , dont il re-
vendique la fucceffion , & par conféquent
propriétaire de cette fucceffion.
Dans les Provinces régies par le Droit
écrit , & dans quelques Coutumes qui re-
connoiffent des héritiers teftamentaires ,
telle que celle de Berry , l'héritier peut
intenter la pétition d'hérédité , ſoit qu'il
foit héritier teftamentaire , foit qu'il foit
héritier légitime. Dans les Coutumes de
Paris , d'Orléans , & dans prefque tout
le pays coutumier , il n'y a pas d'autre
héritier que l'héritier légitime.
367. Celui qui n'eft héritier que pour
378 Traité du Droit de Propriété ,
une partie , peut intenter la pétition d'hé-
rédité , auffi-bien que celui qui eſt héri-
tier pour le total , avec cette différence ,
que celui qui eft héritier pour le total ,
revendique la fucceffion entiere contre
ceux qui en poffedent quelques effets ,
quelque peu qu'ils en poffedent , & con-
clut en conféquence à ce que le Juge ,
en déclarant que la fucceffion lui appar-
tient pour le total , condamne le défen-
deur à lui délaiffer le total de ce qu'il a
pardevers lui des effets de cette fucceffion ;
au-lieu que celui qui n'eſt héritier qu'en
partie , revendique feulement la partie de
la fucceffion qui lui appartient , & con-
clut en conféquence à ce que le Juge , en
déclarant que la fucceffion lui appartient
pour cette partie , condamne le défen-
deur à lui délaiffer les effets de cette
fucceffion qu'il a pardevers lui , pour la
part feulement qu'il a dans cette fuccef-
fion.
368. Non-feulement l'héritier immédiat
d'un défunt , a droit de revendiquer par
cette action l'hérédité de ce défunt , mais
encore l'héritier de cet héritier a le même
droit ; car l'héritier immédiat ayant tranf
mis tous fes droits à fon héritier , lui a
tranfmis la propriété qu'il avoit de cette
hérédité ; c'eft ce qu'enfeigne Gaïus : Si
Titio qui Seio heres extitit nos heredes facti
Part. II , Ch. 2 , S. 1 , Art. 1. 379
= fumus ; ficuti Titii hereditatem noftram effe
intendere poffumus , ita & Seii. L. 3 , ff. de
hered. petit.
Ce que nous difons de l'héritier de
Phéritier , doit s'entendre quantumvis per
longifimam fucceffionem. Car c'eft une regle
de Droit que qui per fucceffionem quamvis
longiffimam heredes conftiterunt , non minus
heredes intelliguntur , quàm qui principaliter
heredes exiftunt. L. 194 , alias 154 , ff.
de reg. jur.
369. Un ceffionnaire de droits fuccef-
fifs peut auffi , non pas de fon chef , mais
du chef de l'héritier qui lui a cédé fes
droits fucceffifs , intenter la pétition d'hé-
rédité.
Lorfque le poffeffeur des effets de la
fucceffion affigné fur la demande de ce
ceffionnaire des droits fucceffifs , lui dif-
pute la propriété de la fucceffion , & la
qualité d'héritier qu'a fon cédant , il peut
fommer en garantie fon cédant qui eft
fon garant formel , pour qu'il foit tenu de
prendre fon fait & caufe , & de fuivre la
demande en pétition d'hérédité contre le
défendeur qui difpute fa qualité d'héri-
tier , & la propriété de la fucceffion.
Car , quoique celui qui a vendu fes droits
fucceffifs ne foit pas garant des effets par-
ticuliers de la fucceffion , il eft garant de
la fucceffion , lorfque c'eft la fucceffion
380 Traité du Droit de Propriete ,
elle-même & fa qualité d'héritier qui font
difputés à fon ceffionnaire , heredem fe effe
præftare debet. L. 18 , ff. de hered. vend.
Il en feroit autrement , fi quelqu'un
avoit vendu non fes droits fucceffifs , mais
fes prétentions à une telle fucceffion , fi
aucunes il ya ; en ce cas , le ceffion-

naire deſdites prétentions , foit qu'il ait


intenté lui- même la pétition d'hérédité ,
foit qu'elle ait été intentée contre lui , doit
faire valoir à fes rifques les prétentions
de fon cédant, lorfqu'elles lui font diſpu-
tées , fans qu'il puiffe fommer en garantie
fon cédant ? ni exercer aucun recours
contre lui , à moins qu'il n'y eût du dol.
de la part de fon cédant , comme s'il étoit
juftifié que lors de la ceffion le cédant
avoit une parfaite connoiffance que les
prétentions qu'il vendoit étoient mal-fon-
dées , auquel cas le ceffionnaire a l'action
de dol contre lui . C'eft pourquoi Gaïus ,
après avoir dit que celui qui n'a vendu
que fes prétentions , ne contracte aucune
obligation de garantie , ajoute : Hoc ita
intelligendum , nifi fciens ad fe non perti-
nere ita vendiderit , nam tunc ex dolo tene
bitur. L. 12 , ff. de hered. vend. Voyez
notre Traité du Contrat de Vente , n. 527
& 528.
Part. II , Ch. 2 , S. 1 ; Art. 2. 381

ARTICLE I I.

Contre qui peut être intentée la pétition


d'hérédité.

370. La pétition d'hérédité peut être


intentée , non-feulement contre ceux qui
ſe font mis en poffeffion des biens , ou de
la plus grande partie des biens de la fuc-
ceffion qui eft revendiquée par le de-
mandeur , mais même contre celui qui
ne pofféderoit qu'un effet de cette fuccef-
fion le moins confidérable , lorſque ce
poffeffeur , pour ne pas rendre cet effet ,
difpute au demandeur la propriété de la
fucceffion & fa qualité d'héritier en la-
quelle il en demande la reftitution : De-
finiendum eft eum teneri petitione hereditatis,
qui vel jus pro herede vel poffeffore poffidet
vel rem hereditariam licet minimam. L. 9 ,
L. 10 , ff. de hered. petit.
Si le poffeffeur ne difputoit pas au de-
mandeur fa qualité d'héritier , mais fou-
tenoit que les chofes dont le demandeur
lui demande la reftitution en qualité d'hé-
ritier d'un tel , n'appartenoient point au
défunt ; en ce cas , la conteftation n'étant
pas fur la propriété de la fucceffion , mais
fur la propriété des chofes particulieres ,
il n'y auroit pas lieu à la pétition d'hé¬
382 Traité du Droit de Propriete ,
rédité , mais à l'action de revendication.
371. A l'égard des poffeffeurs qui pré-
tendent que la fucceffion dont ils pof-
fédent les effets leur appartient , foit pour
le total , foit pour partie , la pétition d'hé-
rédité procede contre eux , foit qu'ils
n'aient aucun droit dans cette fucceffion ,
foit qu'ils y aient effectivement une part ,
lorfqu'ils difputent au demandeur la part
qu'il y a , & pour laquelle il a intenté
contre eux la pétition d'hérédité ; c'eft
pourquoi dans l'efpece d'une foeur qui
étant héritiere d'un défunt avec les quatre
freres chacun pour une cinquieme por-
tion , avoit intenté la pétition d'hérédité
pour fa cinquieme portion contre fes fre-
res qui s'étoient emparés des effets de cette
fucceffion qu'ils prétendoient leur appar-
tenir , à l'exclufion de leur fœur ; le Ju-
rifconfulte décide que la pétition d'héré-
dité procede contre eux , & que cha-
cun defdits freres doit fur cette action
être condamné à reftituer à fa four la
cinquieme portion de ce dont il s'eft em-
paré : Sorori , quam coheredem fratribus
quatuor in bonis matris effe placuit , quinta
portio , pro portionibus quæ ad eos pertinuit
cedet , ita utfinguli in quartâ quam antea
habere credebantur non amplius ei quintam
conferant. L. 6 , ff. fi pars hered. pet.
372. Dans nos uſages , un héritier pour
Part. II , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2. 383
partie , débute ordinairement par donner
fa demande à fin de partage contre les
autres héritiers qui fe font emparés des
effets de la fucceffion ; mais fi les héri-
tiers affignés fur cette demande , difputent
au demandeur la part . qu'il prétend dans
la fucceffion , dont il demande le partage ;
le demandeur , en foutenant contre les
défendeurs que la part qui lui eft difpu-
tée lui appartient , eft cenfé intenter contre
eux la pétition d'hérédité pour cette part ,
& elle doit être inftruite & jugée préa-
lablement à la demande à fin de par-
tage .
Un héritier pour partie , ne pouvant pas
fur la pétition d'hérédité faire condamner un
de ceux qui poffedent des effets de la fuc-
ceffion , à les délaiffer pour le total , quel-
que peu qu'il en poffede , mais feulement
pour la part pour laquelle le demandeur
eft héritier , & pour laquelle il a intenté
fa pétition , comme nous l'avons vu fuprà,
n. 367 , il s'enfuit , qu'il ne fuffit pas
T'héritier pour partie , d'intenter la pétition
d'hérédité contre quelqu'un des poffef-
feurs , il faut qu'il l'intente contre tous.
C'eft ce qu'obferve Ulpien : Si duo pof-
fideant hereditatem , & duo fint qui ad fe
partes pertinere dicant , non finguli à fingu-
#
lis petere contenti effe debent , putà primus
à primo , vel fecundus à fecundo , fed ambọ
384 Traité du Droit de Propriete ,
à primo , & ambo à fecundo , neque enim
alter primi, alterfecundi partem poffidet , fed
ambo utriufque. L. 1 , §. 2 , ff. fi parf .
her. pet.
373. La pétition d'hérédité peut être
intentée , non-feulement contre ceux qui
poffedent des effets dépendants de la fuc-
ceffion , mais généralement contre tous
ceux à qui il en eft parvenu quelque chofe ;
tel qu'eſt celui qui a reçu quelque fomme
des débiteurs de la fucceffion , ou du prix
de la vente des effets de la fucceffion ,
lorfque pour ſefe difpenfer d'en faire raifon
au demandeur il lui difpute la fuccef-
fion & fa qualité d'héritier : Sed & is qui
pretia rerum hereditariarum poffidet , item
is qui à debitore exegit , petitione heredi-
tatis tenetur. L. 16 , § . 1 , ff. de hered.
petit.
374. La pétition d'hérédité peut auffi
être intentée contre un débiteur de la fuc-
ceffion , lorfque pour ſe défendre de payer
ce qu'il doit à la fucceffion , il prétend
que c'eft à lui à qui la fucceffion appar-
tient , & la difpute au demandeur : Item
(peti poteft hereditas , dit Ulpien , ) à debi-
tore hereditario quafi à juris poffeffore ;
nam & à juris poffefforibus poffe heredita-
tem peti conftat. L. 13 , §. fin. ff. d. tit.
Le fens de ces termes , quafi à juris
poffeffore , eft que par le refus que fait ce
débiteur
Part. II, Ch. 2 , S. 1 , Art. 2. 385
débiteur de payer ce qu'il doit à la fuc-
ceffion , en prétendant que la fucceflion
lui appartenoit , il fe met en quelque fa-
çon en poffeffion d'un droit de la fuccef-
fion ; fçavoir , de la créance que le dé-
funt avoit contre lui , qu'il prétend être
paffée en fa perfonne en fa prétendue
qualité de fon héritier.
Mais lorsque le débiteur ne prétend
pas que la fucceflion envers laquelle il
eft débiteur , lui appartient ; mais fonde le
refus qu'il fait de payer au demandeur
ce qu'il doit à la fucceffion , uniquement
fur ce qu'il prétend que le demandeur ne
lui a pas fuffifamment juftifié que cette
fucceffion lui appartient ; ce qu'il doit
néanmoins lui juftifier , pour qu'il puiffe
le payer furement ; en ce cas , il n'y a
pas lieu à la pétition d'hérédité contre ce
débiteur , qui nullam facit hereditatis con-
troverfiam ; l'héritier n'a en ce cas d'autre
action contre ce débiteur , que celle qui
eft née de la créance du défunt , fur la-
quelle il doit juſtifier ſa qualité d'héritier
qui a fait paffer cette action en fa per-
fonne Si debitor hereditarius non ideo
nolit folvere quod fe dicat heredem , fed ideo
quòd neget aut dubitet an hereditas pertineat
ad eum qui petit hereditatem , non tenetur
hereditatis petitione. L. 42 , ff. d. tit.
375. Suivant les principes du Droit
Tome I. R
386 Traité du Droit de Propriété ,
Romain , le véritable héritier n'avoit l'ac-
tion directe en pétition d'hérédité contre
le poffeffeur d'effets de la fucceffion , que
lorfque ce poffeffeur prétendoit de fon chef
la propriété de la fucceffion ; lorfqu'il ne
la prétendoit que du chef d'un autre , de
qui il avoit acquis les droits fucceffifs ,
l'héritier avoit feulement contre lui l'ac-
tion utile , qui avoit tous les mêmes effets
que la directe : Si quis hereditatem emerit,
an utilis in eum petitio hereditatis deberet
dari ? Putat Gaius Caffius dandam utilem
actionem. L. 13 , S. 4 , ff. d. tit. Cette dif-
tinction des actions directes & utiles , qui
ne different que fubtilitate juris , eſt in-
connue dans notre Droit.
376. On peut aufli intenter la pétition
d'hérédité contre celui qui ne poffede plus
à la vérité aucune chofe de la fucceffion
dont il prétend la propriété , mais qui a
ceffé par dol de pofféder celles qui étoient
par devers lui : Si quis dolo fecerit quomi-
mus poffideat , hereditatis poffeffione tenebitur.
L. 13 , S. 14. C'eft ce qui avoit été or-
donné par la Conftitution d'Hadrien , rap-
portée en la Loi 20 , §. 6 , ff. d. tit. où il
eft dit : Eos qui bona invafiffent cùm fci-
rent adfe non pertinere , etiamfi ante litem
conteftatam fecerint quominus poffiderent , pe-
rinde condemnandos quafi poffiderent.
377. Enfin dans la pétition d'hérédité ,
P. II , Ch. 2 , S. 1 , Art. 2. 387
de même que dans l'action de revendica-
tion , lorſque le demandeur a affigné quel-
qu'un pour délaiffer quelque chofe , dont
il le croyoit poffeffeur , quoiqu'il ne la pof-
fédât pas ; fi la partie affignée , dans le
deffein de tromper le demandeur , & pour
donner à celui qui la poffédoit , le temps
de l'acquérir par droit d'ufucapion , a dé-
fendu à la demande , comme s'il poffédoit
cette chofe , en foutenant que la fucceffion
dont elle dépendoit , lui appartenoit , &
non au demandeur ; il doit être fur la de-
: mande , condamné , de même que s'il eût
effectivement poffédé la choſe : quife liti
obtulit quum rem non poffideret , condemnatur.
L. 45 , ff. de petit. hered.
Il en feroit autrement, fi le demandeur
avoit lui-même connoiffance que la par-
tie affignée ne poffédoit pas la choſe pour
laquelle il l'a affigné , car en ce cas elle
ne l'auroit pas trompé. C'eft pourquoi
le Jurifconfulte ajoute tout de fuite : Nifi
fi evidentiffimis probationibus poffit oftendere ,
actorem ab initio litis fcire eum non poffi-
dere , quippe ifto modo non eft deceptus , &
qui fe hereditatis petitioni obtulit , ex doli
claufula tenetur quanti ejus interfuit non de-
cipi, d. L.

Rij
388 Traité du Droit de propriété ,
}
SECTION II.

Que doit établir le Demandeur fur l'action


en pétition d'hérédité ; & ce qui peut lui
être oppofe ;fi & comment pendant ce pro-
cès les créanciers de la fucceffion & les
légataires fe peuvent faire payer.

ARTICLE PREMI E R.

De ce que doit établir le Demandeur fur la


demande en pétition d'hérédité ; & de ce
qui peut lui être oppofe

378. Quoique fur la demande, en péti-


tion d'hérédité , le poffeffeur ne foit con-
damné à délaiffer que ce qu'il poffede des
choſes dépendantes de la fucceffion du dé
funt 9, dont le demandeur eft héritier ; ce
ne font pas néanmoins proprement ces
chofes qui font revendiquées par cette ac-
tion , c'eſt la fucceffion même qui eft re-
vendiquée ; c'eft pourquoi le demandeur
qui a intenté la demande en pétition d'hé-
rédité , foit en qualité d'unique héritier
d'un tel , foit comme héritier pour une
certaine partie de ce tel , doit établir &
juſtifier contre le défendeur qui lui dif-
pute la fucceffion de ce tel , que cette
fucceffion lui appartient , ou pour le to
Part. II, Ch. 2 , S. 2 , Art. 1. 389
tal ou pour la partie pour laquelle il fe
prétend héritier ; à l'effet qu'après qu'il
Ï'aura établi , le défendeur foit condamné
à lui reftituer , non pas toute la fuccef-
fion , ni toute la partie de cette fucceffion
qui appartient au demandeur , mais feu-
lement tous les effets de cette fucceffion
qu'il poffede ; lefquels effets il doit reſti-
tuer , ou pour le total , lorfque le deman-
deur eft héritier unique , & lorfqu'il ne
l'eft que pour partie , pour la partie feu-
lement pour laquelle il eft héritier : Qui
ex affe vel ex parte heres eft , intendit quidem
hereditatem fuam effe totam vel pro parte ;
fed hoc folum ei officio judicis reftituitur
quod adverfarius poffidet , aut totumfi ex affe
fit heres , aut pro parte ex qua heres eft.
L. 10 , S. I , ff. d. tit.
La pétition d'hérédité doit donc fe me-
furer fur le droit que le demandeur pré-
tend dans cette fucceffion , & non fur ce
que le défendeur en poffede ; c'eft pour-
quoi , quelque peu qu'il en poffede , le
demandeur , par cette action , revendique
contre lui toute la fucceffion , s'il, eft hé-
ritier unique ; ou toute la partie pour la
quelle il eft héritier , lorſqu'il ne l'eft que
pour partie Qui hereditatem vel partem
hereditatis petit , is non ex eo metitur quod
poffeffor occupavit , fed ex fuo jure , & ideò
five ex affe heres fit , totam hereditatem vin-
R iij
390 Traité du Droit de Propriete ,
dicabit , licèt tu unam rem poffideas ; five
ex parte , licèt tu totam hereditatem poffi-
deas. L. 1 , S. I , ff.fi pars hered. pet.
379. Lorfque le demandeur en pétition
d'hérédité , à qui la fucceffion eft difputée
par les défendeurs, eft un héritier teftamen-
taire dans les provinces qui les admet-
tent , ce demandeur doit juftifier de fon
droit dans la fucceffion qu'il revendique ,
par le rapport du teftament par lequel
il eft inftitué héritier.
Lorfque les défendeurs en pétition d'hé-
rédité , font ceux qui , à défaut de tefta-
ment , viendroient à la fucceſſion , ab in-
teftat , du défunt , ils font reçus à débattre
le teftament qui fait le fondement de la
demande du demandeur.
Ils peuvent même avant que de le dé-
battre , lorfque le teftament eſt olographe,
demander qu'il foit vérifié par Experts
dont les parties conviendront , pour être
écrit & figné de la main du défunt.
Cette vérification fe fait toujours aux
dépens de la fucceffion ; les parties qui la
demandent n'étant pas obligées de connoître
l'écriture du défunt.
Lorſque la partie qui a demandé cette
vérification, avoit uneparfaite connoiffance
de l'écriture du défunt , elle eft obligée
dans le for de la confcience de rendre à
la fucceffion les frais de cette vérification
Part. II , Ch. 2 , S. 2 , Art 1 , 391
qu'elle a fait faire , par malice , fans que
befoin en fût.
380. Lorfque le teftament eft un tefta-
ment folemnel , il n'y a pas lieu à aucune
vérification ; la foi qui eft due à l'Officier
public qui l'a reçu , affure fuffisamment
la vérité de la fignature du teftateur &
des témoins ; à moins que les défendeurs
ne vouluffent paffer à l'inſcription en faux
contre le teftament ; auquel cas cette ac-
cufation devroit être inftruite & jugée
avant que de ftatuer fur la pétition d'hé-
rédité ; & fi celui qui a formé l'accufation ,
ne prouvoit pas le faux , il devroit être
condamné aux dépens , dommages & in-
térêts auxquels font condamnés ceux qui
ont intenté une accufation calomnieuſe.
381. On peut débattre le teftament
fur lequel le demandeur en pétition d'hé
rédité fonde fa demande , ou pour caufe
de nullité pour quelque défaut qui fe
trouveroit dans la forme , ou pour des
faits de fuggeftion ; à la preuve defquels
le Juge doit admettre le défendeur qui
les oppoſe , lorfqu'ils font bien articulés.
On peut auffi oppofer contre le tefta-
ment les vices tirés du motif qui a porté
le teſtateur à le faire ; comme lorſqu'on
peut établir qu'il a été fait par un motif
de captation , ou par le motif d'une haine
injufte que le teftateur avoit contre fes
Riv
392 Traité du Droit de Propriete ,
enfants ; on peut auffi oppoſer contre le
teftament que le teftateur étoit incapable de
tefter , ou que depuis fon teftament il a
changé de volonté ; enfin , on peut op-
pofer au demandeur qu'il eft incapable
de l'inftitution d'héritier qui a été faite
de fa perfonne , ou indigne. Le défendeur
doit juftifier ce qu'il oppofe contre le
teſtament.
382. Lorfque le demandeur en pétition
d'hérédité eft un héritier légitime , il doit ,
pour établir que la fucceffion qui lui eft
difputée par le défendeur , lui appartient ,
fignifier au défendeur fa généalogie , par
laquelle il établit fon degré de parenté
avec le défunt.
Il doit juftifier cette généalogie par des
titres généalogiques , tels que font des actes
de baptême , de célébration de mariage ,
des prémiffes de contrats de mariages ou
d'actes de partage.
Lorfque le demandeur prétend que
parmi les papiers de la fucceffion , dont
il prétend que le défendeur s'eft emparé,
il y a de ces titres généalogiques qui pour-
roient fervir à établir & juftifier ſa gé-
néalogie , il eft fondé à demander que
le défendeur les rapporte ; ou du moins
lorfqu'il n'y a pas de preuve qu'il les ait ,
qu'il foit tenu de fe purger par ferment qu'il
n'en a point.
Part. II , Chap. 2 , S. 2 , Art. 1. 393
383. Après que le demandeur a établi
fa généalogie , le poffeffeur doit la con-
tredire , s'il croit qu'elle n'eft pas bien
établie ; ou s'il la croit fuffisamment éta-
blie , il doit , de fon côté , établir la fienne ,
pour juftifier qu'il eft en degré plus proche
que le demandeur , & conféquemment que
fa demande ne procede pas , ou pour
juftifier qu'il eft en degré égal , & confé-
quemment que la demande ne procede
que pour partie .
Si le poffeffeur , contre qui le deman-
deur revendique l'hérédité ab intefiat du
défunt , s'en prétend héritier teftamentaire
dans les provinces qui admettent les hé-
ritiers teftamentaires , il doit produire le
teſtament par lequel il eft inftitué , le faire
reconnoître s'il eft olographe ; & le de-
mandeur doit le débattre par les manieres
ci-deffus mentionnées . 7

384. On a demandé fi le poffeffeur


qui fe prétend héritier teftamentaire , peut
contre le demandeur qui revendique l'hé-
rédité ab inteftat , oppofer comme fin de
non-recevoir , que le demandeur a ap-
prouvé ce teftament , en recevant un legs
particulier qui lui étoit fait par ce teſta-
ment ? Paul décide pour la négative : Le-
gitimam hereditatem vindicare non prohibetur,
is qui cum ignorabat vires teftamenti , judi-
R v
394 Traité du Droit de Propriété,
cium defuncti fecutus eft. L. 8 , ff. de hered.
pet.
Cela doit néanmoins dépendre des cir-
conftances : lorfqu'il paroît que c'eſt par
erreur qu'il a reçu le legs , & qu'il n'a
appris que depuis les défauts qu'il entend
oppofer contre le teftament ; on ne peut
lui oppoſer de fin de non-recevoir contre
fa demande qu'il intente de bonne foi ,
& il ne peut être cenfé avoir , en accep
tant le legs , renoncé à l'hérédité ab inteftat;
car on ne peut être cenfé renoncer à un
droit , tant qu'on ignore avoir ce droit ;
mais s'il paroît de fa part de la mauvaiſe
foi , la fin de non - recevoir fera oppofée ;
c'eſt pourquoi le même Paul dit ailleurs :
Imperator Antoninus refcripfit , ei qui le-
gatum exteflamento abftuliffet , causâ cognitâ
hereditatis petitionem negandam effe , fcilicet
fi manifefta calumnia fit. L. 43 , ff. d. tit.
385. On fait une autre queſtion , qui
eft de fçavoir , fi ce demandeur qui a été
reçu à intenter la pétition d'hérédité , doit
perdre fon legs , au cas qu'en définitif il
n'obtienne pas en fa demande ? Paul dé-
cide encore cette queftion pour la néga-
tive , lorſqu'il n'y a pas de mauvaiſe foi
de la part du demandeur : Poftquam le-
gatum à te accepi, hereditatem peto . Antoninus
quibufdam placuiffe ait non aliter mihi ad-
Part. II , Ch. 2 , S.2 , Art. 2 , §. 1. 395
versùs te dandam petitionem quam fi legatum
redderem : videamus ne non aliter petitor he-
reditatis legatum reftituere debeat , quàm ut
ei caveatur ,fi contra eum de hereditate judi-
catumfuerit , reddi ei legatum ? Cùmfit ini-
quum eo cafu poffefforem hereditatis legatum
quodfolverit retinere , & maxime fi non per
I calumniam fed per errorem , hereditatem pe-
tierit adverfarius ; idque & Lælius probat.
d. L. 43 .
386. Lorfque c'eſt un ceffionnaire de
droits fucceffifs qui intente la pétition
d'hérédité , il doit établir tout ce que fon
cédant, du chef duquel il l'intente , devroit
établir , & on peut lui oppofer tout ce
qui peut être oppofé à fon cédant

ARTICLE I I.

De l'effet du procès pendant fur la pétition


d'hérédité.

S. I.

De fon effet vis-à-vis les parties plaidantes.

387. Un effet du procès fur la pétition


d'hérédité , eft que tant qu'il eft pendant ,
il fufpend les droits que l'une & l'autre des
parties avoit contre le défunt , jufqu'au ju-
gement difinitif qui doit intervenir fur la
R vj
396 Traité du Droit de Propriéte ,
pétition d'hérédité. Car le fort de ces ac-
tions dépend du jugement qui doit inter-
venir ; fi par ce jugement l'hérédité eſt
déclarée appartenir à celui qui avoit ces
actions contre le défunt , il n'y a pas lieu
à ces actions qui par fa qualité d'héritier
font confuſes en fa perfonne ; il n'y a lieu
à ces actions que lorfque l'hérédité par
Je jugement eft déclarée appartenir à fon
adverfaire , contre lequel il peut après ce
jugement les exercer.
388. L'exercice de ces actions étant
empêché par le procès fur la pétition d'hé-
rédité , le temps de la preſcription contre
ces actions eft-il pareillement arrêté pen-
dant ce procès ? Je ne le crois pas ; il ne
doit pas être au pouvoir d'un créancier
de la fucceffion de proroger le temps de
fon action , en faiſant un mauvais procès ;
fi le procès fur la pétition d'hérédité, em-
pêche qu'il ne puiffe procéder fur ces ac-
tions , il peut au moins , pour empêcher
le temps de la preſcription , propofer ces
actions par un acte de procédure pendant
le procès fur la pétition d'hérédité , fauf
à y furfeoir & à n'y procéder , qu'après le
jugement définitif.
Vous oppoferez peut être qu'il ne peut
propofer ces actions , puifqu'en les pro-
-pofant il contrediroit la prétention qu'il a
que l'hérédité lui appartient : je réponds
P.II , Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , § . 1. 397
qu'il peut les propofer par des conclufions
fubordonnées , en déclarant que c'eft dans
le cas feulement auquel contre fon efpé-
rance , la fucceffion feroit par le jugement
qui doit intervenir fur la pétition d'héré-
dité , déclarée appartenir à fon adver-
faire.
389. Paffons au cas inverfe : lorſque
c'eft la fucceffion qui a quelque action
contre l'une des parties qui fe difputent
la fucceffion , le procès qui eft pendant
fur la pétition d'hérédité , paroît auffi de-
voir la fufpendre jufqu'après le jugement
qui doit intervenir fur la pétition d'héré-
dité , car c'eft de ce jugement que dépend
le fort de cette action ; fi par ce jugement
la fucceflion eft déclarée appartenir au dé-
biteur , l'action fe trouvera avoir été éteinte
& confufe ; fi au contraire la fucceffion eft
déclarée appartenir à l'autre partie , elle
l'exercera contre ce débiteur.
Si néanmoins le débiteur d'une fuccef-
fion formoit contre la perfonne qui eft en
poffeffion des biens de cette fucceffion , une
demande en pétition d'hérédité qui ne pa-
rût pas avoir de fondement , ce poffeffeur
devroit être reçu , même pendant le pro-
cès fur la pétition d'hérédité , à lui de-
mander & à exiger de lui ce qu'il doit à
la fucceffion , à la charge de le lui rendre ,
au cas qu'il obtînt en définitif fur la péti-
398 Traité du Droit de Propriété ,
tion d'hérédité ; ne devant pas être au
pouvoir d'un débiteur de la fucceffion d'é-
loigner le paiement de ce qu'il doit en in-
tentant fans fondement une demande en
pétition d'hérédité.
390. Il eſt évident que la pétition d'hé-
rédité arrête l'action de partage ; car pour
partager une fucceffion , il eft préalable
de décider entre quelles perfonnes fe doit
faire le partage , & quelle part doit y
avoir chacune d'elles.
391. Un autre effet du procès fur la pé-
tition d'hérédité , eft que dès que la de-
mande eft donnée , il n'eft pas permis au
poffeffeur des biens de la fucceffion d'en
rien vendre D. Pius refcripfit prohibendum
poffefforem hereditatis de qua controverfia eft
antequam lis inchoaretur , aliquid ex ea dif
trahere. L. 5 , ff. de hered. petit.
Cette regle fouffre néanmoins quelques
exceptions ; par exemple , on doit per-
mettre au poffeffeur de vendre les chofes
périffables : Res tempore perituras permit-
tere debet Prætor diftrahere. d. L. 5.
On doit auffi lui permettre de vendre
quelqu'héritage à défaut du mobilier , pour
payer les dettes de la fucceffion , & pour
prévenir une faifie réelle des biens de la
fucceffion que les créanciers pourroient
faire Si futurum eft ut nifi pecunia intra
diemfolvatur , pignus diftrahatur. d. L. 5.
P. II, Ch . 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2. 399
Lorfqu'il y a quelques dépenfes nécef-
faires à faire pour la confervation des
biens de la fucceffion , on doit permettre
de vendre jufqu'à concurrence de la
fomme néceffaire pour les faire : Nonfo
lùm ad æs alienum hereditarium exfolven-
dum neceffaria alienatio poffeffori eft ,fed etfi
impenfæ neceffaria in rem hereditariam facte
funt à poffeffore , velfi morâ peritura deterio
refve futuræ erant. L. 53 , ff. d. tit.
Dans tous ces cas , lorfque le Juge a
permis au poffeffeur de vendre pendant
le procès , des effets de la fucceffion , la
vente doit s'en faire , partie appellée.

S. I I.

De l'effet du Procès pendantfur la pétition de


l'hérédité vis-à-vis des tiers , tels quefont
les Créanciers de la fucceffion & les Lé-
gataires.

392. Le procès fur la pétition d'héré-


dité entre deux parties qui fe difputent la
fucceffion , ne doit point empêcher les
créanciers de cette fucceffion d'être payés;
ils ne doivent point fouffrir de ce procès.
Juftinien en la Loi fin. Cod. de pet. hered.
diftingue à cet égard entre les créanciers
de corps certains , & les créanciers d'une
fomme d'argent.
400 Traite du Droit de Propriete,
Les créanciers de corps certains qui ſe
trouvent en nature par devers celui qui
s'eft mis en poffeffion des biens de la fuc-
ceffion , tels que font ceux qui font créan-
ciers de la reftitution d'une certaine chofe
qu'ils ont prêtée ou donnée en dépôt au
défunt , peuvent agir contre ce poffeffeur
chez qui eft la chofe , qui ne peut refuſer
de la rendre à ce créancier , qui de fon
côté lui remettra la reconnoiffance du prêt
ou du dépôt que le défunt lui en avoit
donné.
Si ce créancier de corps certain avoit
donné la demande contre l'héritier deman-
deur en pétition d'hérédité chez qui la
chofe n'eft pas , cet héritier feroit bien
fondé à prétendre qu'il feroit tenu de fe
pourvoir contre le poffeffeur chez qui la
chofe eft , car un débiteur de corps certain
n'eft pas tenu de le rendre lorfque fans
fon fait ni fa faute un tiers lui en a en-
levé la poffeffion .
393. A l'égard des créanciers de fom-
mes d'argent , Juftinien décide qu'ils peu-
vent s'adreffer tant contre l'une que contre
l'autre des parties qui fe difputent la fuc-
ceffion , fans que ni l'une ni l'autre puiſſe
demander qu'il foit furfis à la demande
du créancier , jufqu'à la décifion du pro-
cès fur la pétition d'hérédité.
Quoique le demandeur en pétition d'hé-
P. II, Ch. 2 , S. 2 , Art. 2 , §. 2. 401
rédité ne foit pas encore en poffeffion des
biens de la fucceffion , il eft par la feule
qualité d'héritier qu'il prétend avoir , tenu
de payer les dettes de la fucceffion , fauf
que dans le cas auquel par l'événement
de l'action en pétition d'hérédité la fuc-
ceffion feroit déclarée appartenir à fa
partie adverſe , il auroit contr'elle la ré-
pétition de ce qu'il a été obligé de payer
à ce créancier de la fucceffion : telle eft
à cet égard la décifion de Juftinien . Je
penfe qu'on doit fubvenir davantage au
demandeur en pétition d'hérédité , & que
fur la demande donnée contre lui par le
créancier , il doit être reçu à la dénoncer
au poffeffeur qui lui difpute la fucceffion ,
& à conclure contre lui à ce qu'il foit
tenu y entendre , & à acquitter la créance
après que le créancier l'aura établie , fauf
à fe faire allouer en dépenfe le paiement
qu'il en aura fait , dans le compte qu'il
aura à rendre au demandeur , fi le de-
mandeur obtient fur fa demande en péti-
tion d'hérédité.
394. Al'égard des légataires , fi la de-
mande en pétition d'hérédité étoit entre
deux parties , dont l'une fe prétendroit
héritiere teftamentaire , & qu'en confé-
quence la queftion fur la validité du teſ-
tament fût l'objet du procès , les légataires
dont le droit dépend de la même quef-
402 Traite du Droit de propriété ,
tion , devroient attendre pour le paiement
de leur legs , la décifion du procès , ils
pourroient y intervenir & y foutenir avec
P'héritier teftamentaire la validité du tefta-
ment.
Si le procès fur la demande en péti-
tion d'hérédité , étoit entre des parties qui
ſe diſputent l'une & l'autre la fucceffion
ab inteftat, & qu'en conféquence il n'y fût
pas queftion du teftament , les légataires
pourroient donner leur demande en dé-
livrance & paiement de leur legs , contre
celle des parties qui s'eft miſe en poſſeſ-
fion des biens de la fucceffion , fans qu'elle
puiffe demander qu'il fût furcis juſqu'au
jugement fur la pétition d'hérédité.

SECTION III.

De la reftitution qui doit être faite au De-


mandeur qui a obtenu fur fa demande en
pétition d'hérédité.

Comme il y a plufieurs différences à


faire entre les poffeffeurs de bonne foi
& les poffeffeurs de mauvaiſe foi pour la
reftitution qui doit être faite au deman-
deur qui a obtenu en fa demande en pé-
tition d'hérédité , & pour les preſtations
perfonnelles , dont nous traiterons en la
fection fuivante ; nous verrons dans un
Part. II, Chap. 2 , S. 3 , S. 1. 403
premier paragraphe , quels font ceux qui
font poffeffeurs de bonne foi ; quels font
ceux qui font poffeffeurs de mauvaiſe foi :
nous verrons dans un fecond , quelles font
les chofes que le poffeffeur doit reftituer
au demandeur qui a obtenu fur fa de-
mande en pétition d'hérédité ; dans un
troifieme , quelles font les différences entre
le poffeffeur de bonne foi & celui de mau-
vaife foi , par rapport aux chofes qu'il a
ceffé de pofféder. Nous verrons dans un
quatrieme , pour quelle portion la reſti-
tution doit être faite au demandeur qui
n'eft héritier que pour partie.

S I.

Quels font ceux qui font Poffeffeurs de bonne


foi ; Quels font ceux qui font poffeffeurs
de mauvaife foi.

395. Dans cette matiere de pétition


d'hérédité 2 on appelle poffeffeurs de
bonne foi , ceux qui fe font mis en pof-
feffion des biens d'une fucceffion qu'ils
croient de bonne foi leur appartenir. C'eft
la notion qu'en donnent ces termes de la
Conftitution d'Hadrien qui fe heredes
exiftimant. L. 20 , §. 6 , ff. de petit. hered.
Par exemple , une perfonne inftituée
héritiere par le teftament d'un défunt
404 Traité du Droit de Propriété ,
dans les provinces où l'inftitution d'héri-
tier eft admife , s'eft mis en poffeffion en
vertu de ce teftament , des biens de ce dé-
funt , n'ayant pas de connoiffance que le
teftateur eût révoqué le teftament par un
autre qui a paru depuis ; c'eft un poffef-
feur de bonne foi.
Un
Un parent s'eft mis en poffeffion des
biens de la fucceffion de fon parent ,
croyant être en dégré de lui fuccéder .
quoiqu'il y eût une autre perfonne qu'il
ne connoiffoit pas , qui étoit dans un dégré
plus proche que lui ; c'eft un poffeffeur de
bonne foi..
Au contraire , on appelle un poffeffeur
de mauvaiſe foi , ou prædo , celui qui s'eſt
mis en poffeffion des biens d'une fucceffion
qu'il fçavoit ne lui pas appartenir. C'eſt
la notion qu'en donne la Conftitution d'Ha-
drien , par ces termes : Qui bona invafiffent
cùm fcirent ad fe non pertinere. d. L. 20 ,
S. 6.
Quid, s'il croyoit à la vérité que la fuc-
ceffion lui appartenoit , mais par erreur
de Droit ; il ne laiffe pas d'être poffef-
feur de bonne foi , fcire ad fe non perti-
nere dit Ulpien , en expliquant l'Edit
d'Hadrien , utrum is tantummodo videtur
qui factumfcit , an is qui in jure erravit ?.
Putavit enim rectè factum teflamentum quod
inutile erat . • non puto hunc effe prædo-
Part. II, Chap. 2 , S. 3 , S. 1. 405
nem qui dolo caret , quamvis in jure erret.
L. 25 , S. 6 , ff. d. tit.
396. Que doit-on décider à l'égard de
celui qui croyoit de bonne foi que la fuc-.
ceffion lui appartenoit lorfqu'il s'eft mis en
poffeffion des biens , mais à qui depuis
la connoiffance eft furvenue qu'elle ne lui
appartenoit pas ? Ulpien décide qu'en fui-
vant l'efprit plutôt que la lettre de la
Conftitution d'Hadrien , il eſt par cette
connoiffance qui lui eft furvenue , devenu
poffeffeur de mauvaiſe foi ; De eo loquitur
Senatus qui ab initio mente prædonis res
hereditarias apprehendit. Quod fi ab initio
quidem juftam caufam habuit adipifcende
poffeffionis , pofteà verò confcius adfe nihil
hereditatem pertinere , prædonis more verfari
cæpit , nihil Senatus loqui videtur : puto ta-
men & ad eum mentem Senatufconfulti per-
tinere , parvi enim refert ab initio quis do-
losè in hereditate fit verfatus , an pofteà hoc
facere capit. d. L. 25 , §. 5.
397. Nous avons déja obſervé au cha-
pitre précédent fuprà , n. 317 , qu'en ma-
tiere de pétition d'hérédité , de même qu'en
matiere de revendication , les différences
entre le poffeffeur de bonne foi & celui
de mauvaiſe foi , n'ont lieu que pour le
temps qui a précédé la demande ; le pof-
feffeur de bonne foi ceffe de l'être lors de
la demande , par la connoiffance que le
406 Traité du Droit de Propriété,
demandeur lui donne de fes titres de pro
priété.
Il en refte néanmoins encore une que
nous obſerverons infrà.

S. I I.

Quellesfont les chofes que le Poffeffeur doit


reftituer au Demandeur qui a obtenu en
fon action de pétition d'hérédité.

398. Lorfque le demandeur en pétition


d'hérédité a justifié que la fucceffion qu'il
revendique , lui appartient , & qu'il a en
conféquence obtenu Sentence de condam-
nation contre le poffeffeur qui s'eft emparé
des biens de la fucceffion , ce poffeffeur
doit reftituer toutes les chofes dépendantes
de la fucceffion qu'il a pardevers lui , les
droits de la fucceffion , auffi-bien que les
chofes corporelles : Placuit univerfas res
hereditarias in hocjudicium venire ,five jura
five corpora fint. L. 18 , §. 2 , ff. de petit.
hered.
En quel fens le défendeur à la pétition
de l'hérédité eſt-il cenfé pofféder un droit
de la fucceffion , & devoir le reftituer ?
Il faut fuppofer que la demande en pé-
tition d'hérédité a été donnée contre un
débiteur du défunt , qui , comme nous
l'avons obfervéfuprà , n. 374 , en difputant
Part. II , Ch. 2 , S. 3 , §. 2. 407
la fucceffion du défunt , s'eft mis en quel-
que façon en poffeffion de cette créance
que le défunt avoit contre lui , & qu'il a
laiffé dans la fucceffion , en prétendant
qu'étant héritier du défunt , cette créance
étoit paffée en fa perfonne ; la Sentence
intervenue fur la demande en pétition d'hé-
rédité , en jugeant contre lui qu'il n'eſt
pas héritier , juge que la créance que la
fucceffion a contre lui , ne lui appartient
pas , & que c'eft mal- à-propos qu'il s'en
eft arrogé la poffeffion ; il doit donc la
reftituer au demandeur à qui la fucceffion
appartient ; & la reftitution s'en fait en
payant la fomme , ou la chofe par lui due,
qui fait l'objet de cette créance.
399. Le poffeffeur doit rendre au de-
mandeur , non - feulement les chofes qui
appartiennent à la fucceffion , mais même
celles dont le défunt n'avoit que la nue
détention , telles que font celles qui avoient
été prêtées ou confiées , ou données en
nantiſſement au défunt ; lorfque le pof-
feffeur les a pardevers lui , le demandeur
étant en fa qualité d'héritier , obligé à les
rendre à ceux de qui le défunt les a re-
çues , il a intérêt , pour pouvoir s'acquit-
ter de fon obligation, que le poffeffeur par-
devers qui elles font , les lui rende : Non
tantum hereditaria corpora , fed & quæ non
funt hereditaria quorum periculum ad here-
408 Traité du Droit de Propriété ,
dem pertinet , ut res pignori datæ defunéto ,
vel commodatæ , depofitæve. L. 19.
400. On doit comprendre parmi les
chofes appartenantes à une fucceffion ,
non - feulement celles qui exiftoient au
temps de la mort du défunt , & qu'il a
laiffées dans fa fucceffion , mais pareillement
tout ce qui eft né & provenu defdites
chofes , tels que font les fruits qu'elles ont
produits ; car toutes les chofes provenues
de chofes appartenantes à une fucceffion ,
appartiennent elles-mêmes à cette fuccef-
fion , & font partie de ce qui la compoſe.
C'est ce qu'enſeigne Ulpien : Non folum
ea quæ mortis tempore fuerunt , fed etfi
quæ pofteà augmenta hereditati accefferunt ,
venire in hereditatis petitionem ; nam here-
ditas & augmentum recipit & diminutionem.
L. 20 , §. 3 , ff. de petit. hered. Il donne
enfuite ces exemples : Fructus omnes augent
hereditatem , five ante aditam , five poft adi-
tam hereditatem accefferint. d. § . 3 , augent
hereditatem gregum & pecudum partus. L.25;
S. fin. ff. d. tit. quòd fi oves natæ fint ,
deinde ex his alie , he quoque quafi aug-
mentum reftitui debent. L. 26, ff. d. tit.
Ces fruits devant être rendus au de-
mandeur , par la raifon qu'étant provenus
des chofes de la fucceffion , ils compofent
eux-mêmes la fucceffion , & en font par-
tie ; il s'enfuit qu'il importe peu que le
demandeur
Part. II, Chap. 2 , S. 3 , §. 2 . 409
demandeur à qui les biens de la fucceffion
appartiennent, eût dû ou non les percevoir :
Quum hereditas petita fit eos fructus quos
poffeffor percepit omnimodò reftituendos , etfi
petitor eos percepturus non fuerat. L. 56 ,
f. d. tit.
401. Le poffeffeur doit auffi rendre ,
comme chofes dépendantes de la fuccef-
fion , les actions qu'il a acquifes par rap-
port à quelqu'une des chofes de la fuccef-
fion ; par exemple , s'il a été dépouillé
par violence par un tiers , d'un héritage
de la fucceffion dont il étoit en poffeffion ,
ou s'il en a accordé à quelqu'un la poffef-
fion précaire , il doit comprendre dans la
reftitution qu'il doit faire au demandeur ,
les actions de réintégrande & de précaire
qu'il a pour fe faire rendre cet héritage ,
& y fubroger le demandeur à fa place :
Actiones , fi quas poffeſſor nanitus eft, evictâ
hereditate , reftituere debet , veluti interdictum
unde vi sautfi quidprecario conceffit. L.40 ,
S. 2 , ff. de pet. hered.
402. Le poffeffeur doit auffi rendre à
l'héritier qui a obtenu en fa demande en
pétition d'hérédité , non -feulement les hé-
ritages de la fucceffion , mais auffi toutes
les chofes qui fervent à leur exploitation ,
tels que font les beftiaux , les inftruments
aratoires , les cuves , les uftenfiles de pref-
foir, fur-tout lorfque ces chofes ont été
Tome I. S
410 Traitedu Droit de Propriété ,
acquifes des deniers de la fucceffion , mais
même dans le cas où le poffeffeur en au-
roit fait l'emplette de fes propres deniers;
fauf à lui en ce cas à fe faire faire raiſon
de ce qu'elles lui ont coûté , par l'héritier
à qui il reftitue les biens de la fucceffion.
C'eft ce qu'enſeigne Ulpien : Item veniunt
in hereditatem etiam ea quæ hereditatis caufà
comparata funt , ut putà mancipia pecora-
que , &fi qua alia quæ neceffariò hereditati
funt comparata , & fi quidem pecuniâ here-
ditaria funt comparata , fine dubio venient ;
fi verò non pecuniâ hereditariâ , videndum
erit ? Et puto etiam hæc venire fi magna
utilitas hereditatis verfetur , pretium fcilicet
reflituturo herede. L. 20 , ff. d. tit.
403. Quoique des chofes aient été ac-
quifes des deniers de la fucceffion , lorf-
que le poffeffeur ne les a pas acquifes
pour la fucceffion , mais pour lui , il n'eſt
pas , par cela feul que ces chofes ont été
acquifes des deniers de la fucceffion , obligé
de les reftituer à l'héritier à qui il eft
condamné de reftituer les biens de la fuc-
ceffion ; fauf à ce poffeffeur à faire raiſon,
de la maniere dont nous le verrons ci-
après , des deniers qu'il a eu de la fuc-
ceffion. C'eft encore ce qu'enfeigne Ul-
pien : Non omnia quæ ex hereditariâ pe-
cunia comparata funt , in hereditatis peti-
sionem veniunt. Denique fcribit Julianus , f
Part. II, Ch. 2 , S. 3 , §. 2. 411
poffeffor expecuniâ hereditariâ hominem eme-
rit , & ab eo petatur hereditas , ita venire in
hereditatis petitionem , fi hereditatis interfuit
eum emi ; at fifui caufâ emit, pretium venire.
d. L. 20 , S. 1.
Vous oppoſerez peut - être que nous
avons dit ci-deffus , que toutes les chofes
provenues des chofes appartenantes à la
fucceffion , appartenoient elles-mêmes à la
fucceffion ; je réponds que nous ne regar-
dons comme provenues des chofes appar
tenantes à la fucceffion , que celles qui en
font des productions naturelles , comme
font les fruits ; mais il n'en eft pas de
même de ce qui n'en eft provenu qu'ex-
trinfecus , telles que font les chofes à l'ac-
quifition defquelles les deniers de la fuc-
ceffion ont pu fervir. C'eft encore Ulpien
qui nous fournit cette diftinction : Ea que
poft aditam hereditatem accedunt , fi quidem
1
ex ipfà hereditate , puto hereditati accedere ;
fi extrinfecùs , non : quia perfonæ poffefforis
accedunt. d. L. 20 , S. 3.
404. Il nous refte à obferver que dans
la reftitution qui doit être faite au de-
mandeur en exécution de la Sentence ren-
due à fon profit fur la demande en pétition
d'hérédité , le poffeffeur contre qui elle
eft intervenue y doit comprendre tous les
effets de la fucceffion , non-feulement ceux
>
qu'il poffédoit déja lors de la demande
Sij
412 Traité du Droit de Propriété,
donnée contre lui , mais pareillement ceux
qu'il n'a commencé de pofféder que de-
puis le procès : Si quo tempore convenieba-
tur poffeffor hereditatis , pauciores res poffi-
debat , deinde aliarum quoque rerum pof
feffionem adfumpfit , eas quoque victus rèſti-
tuere debebit , five ante acceptum judicium
five pofteà acquifierit poffeffionem. L. 41 , ff.
d. tit.
405. Il y a plus : quand même le dé-
fendeur n'auroit rien poffédé dépendant
de la fucceffion lors de la demande don-
née contre lui , quoique la demande ne
parût pas alors procéder contre lui ; fi
depuis la demande il a commencé à poſ-
fédér quelque chofe dépendante de la fuc-
ceffion , il doit être condamné à la refti-
tuer : Si quis cùm peteretur ab eo hereditas ,
neque rei neque juris velut poffeffor erat ,
verum pofteà aliquid adeptus eft , an peti-
tione hereditatis videatur teneri ? Celfus
lib. 4, ff. rectè fcribit , hunc condemnandum.
licèt ab initio nihil poffedit : L. 18 , §. 1 ,
ff. d. tit.
Part. II, Chap. 2 , S. 3 , S. 3. 413

S. III.

De la différence entre le Poffeffeur de bonne


foi , & celui de mauvaiſe foi , par rapport
aux chofes qu'ils ont ceffé ou manqué de
pofféder.

406. Il n'y a aucune différence entre


le poffeffeur de bonne foi & le poffeffeur
de mauvaiſe foi , par rapport aux chofes
dépendantes de la fucceffion , qui fe trou-
vent être pardevers eux & en leur pof-
feffion lors de la reftitution qui eft à faire
au demandeur en pétition d'hérédité qui
a obtenu fur fa demande ; ils font tenus
l'un & l'autre de les reftituer.
Mais il y a une très-grande différence
entre eux par rapport à celles qu'ils ont
ceffé ou même manqué de pofféder. Le
poffeffeur de mauvaiſe foi eft tenu de la
reftitution de celles qu'il a , par fon fait
ou par fa faute , ceffé ou même manqué de
pofféder , comme s'il les poffédoit encore ;
au contraire , le poffeffeur de bonne foi
n'eft point tenu de la reftitution des chofes
qu'il a ceffé de pofféder pendant qu'il
croyoit de bonne foi que la fucceffion
dont elles dépendoient lui appartenoit , &
encore moins de celles qu'il a manqué de
pofféder ; feulement lorſqu'il a retiré quel-
S iij
414 Traité du Droit de Propriété,
que profit de celles qu'il a ceffé de pof-
féder , foit en les vendant , ou autrement ;
il eft fujet à une preftation perfonnelle de
la fomme dont il fe trouve profiter , comme
nous le verrons en la ſection ſuivante.
Cette différence entre le poffeffeur de
mauvaife foi & celui de bonne foi , fe
trouve portée par le Senatus-Confulte, ren-
du fur la Conftitution d'Hadrien , (*) où
il eft dit Eos qui bona invafiffent , cum
fcirent ad fe non pertinere , etiam fi ante li-
tem conteftatamfecerint quominus poffiderent,
perinde condemnandos , quafi poffiderent ;
eos autem quijuflas caufas habuiffent , quare
bona ad fe pertinere exiflimaffent , ufque eo
duntaxat quò locupletiores ex ea re faili ef
fent. L. 20 , S. 6 , ff. d. tit.
La raison de cette différence vient de
ce que la connoiffance qu'a un poffeffeur ,
que la fucceffion des biens de laquelle il
s'eft mis en poffeffion , ne lui appartient
pas , lui fait contracter envers le véritable
héritier l'obligation de les lui reftituer ;

(*) Les Empereurs Romains n'ofoient pas


encore s'attribuer la puiffance Royale & légif
lative ; lorfqu'ils vouloient faire paffer une Conf-
titution fur quelque matiere , il la faifoient pro-
pofer au Sénat per fuos Quaftores candidatos , &
le Sénat qui leur étoit affervi , ne manquoit pas
de rendre un Sénatus- Confulte en conformité.
Part. II, Ch. 2 , S. 3 , §. 3. 415
lors donc qu'au préjudice de cette obliga-
tion , il difpofe de quelqu'un defdits biens ,
ou ceffe par fon fait , de quelque maniere
que ce foit, de les pofféder , il commet
un dol envers cet héritier à qui il eſt
obligé de les rendre ; & ce dol doit le
faire confidérer & le faire condamner à
les reftituer , comme s'il les poffédoit en-
core : Qui dolo defiit poffidere , pro poffidente
damnatur , quiapropoffeffione dolus eft. L. 131 ,
ff. de reg. juris. Au contraire , le poffeffeur
qui croit de bonne foi que la fucceffion
# des biens dont il s'eft mis en poffeffion ,
lui appartient, peut très licitement difpo-
fer des chofes qui en font partie , & ceffer,
de telle maniere que bon lui femble , de
pofféder ces chofes qu'il croit de bonne
foi lui appartenir ; il ne commet en cela
aucun dol envers perfonne : il n'a pu
contracter à l'égard defdites chofes aucune
obligation envers le véritable héritier à
qui il ignoroit qu'elles appartenoient ;
il n'a commencé à s'obliger envers cet hé→
ritier que du jour que cet héritier s'eft
préfenté & lui a juftifié de fon droit , & il
ne peut paroître s'être obligé envers lui
qu'à lui rendre les chofes dépendantes de
la fucceffion qui fe trouvoient pour lors
pardevers lui , & le profit qu'il fe trouve
avoir de celles qu'il n'a plus , l'équité ne
S iv
416 Traité du Droit de Propriété,
permettant pas de profiter aux dépens
d'autrui.
407. Ulpien , en interprétant le Senatus-
Confulte ci-deffus mentionné , fur ces mots ,
fecerint quominus poffiderent dit : Accipies
five dolo defierit poffediffe , five dolo noluerit
poffeffionem admittere. d. L. 25 , §. 8.
Finge; par exemple , une perfonne à
qui le défunt avoit prêté une choſe , eſt
venu pour la rendre au poffeffeur de mau-
vaife foi , qui s'eft mis en poffeffion des
biens de la fucceffion de ce défunt ; ce
poffeffeur n'a pas voulu la recevoir , & lui
a dit qu'il lui en faifoit préfent : quoiqu'il
ne poffede point , & qu'il n'ait jamais
poffédé cette chofe , il eft tenu de la ref-
titution de cette chofe , comme s'il la pof-
fédoit ; la difpofition qu'il a fait de cette
chofe qu'il fçavoit ne lui pas appartenir,
eft un dol qui doit le faire regarder comme
s'il la poffédoit : Pro poffidente damnatur ,
quia pro poffeffione dolus eft. d. L. 131 , ff.
de. reg. jur.
408. Le principe , que le poffeffeur de
mauvaiſe foi qui a ceffé par fon fait &
par dol de pofféder , eft tenu de la refti-
tution de la chofe qu'il a ceffé de pofféder,
comme s'il la poffédoit encore , a lieu ,
foit que cette chofe ait ceffé d'exifter , foit
qu'elle exifte encore entre les mains d'une
Part. II , Ch. 2 , S.3 , §. 3. 417
autre perfonne envers qui ce poffeffeur en
a difpofé ; & l'héritier a le choix d'en
demander la reſtitution , ou à celui qui
a ceffé de la pofféder , ou au tiers qui la
poffede. C'eſt pourquoi Ulpien en inter-
prêtant ces termes de la Conftitution d'Ha-
drien , perinde condemnandos quafi poffide-
rent , dit : Si ab alio res poffideatur , five
in totum non extat , locum habebit hæc clau-
fula : unde fi fit alius poffeffor , ab utroque
hereditas peti poffet , & fi per multos ambu-
laverit poffeffio , omnes tenebuntur. d. L. 25,
S. 8.
409. Le principe que le poffeffeur de
mauvaiſe foi eft tenu de la reftitution des
chofes dépendantes de la fucceffion qu'il a
vendues , de même que s'il ne les avoit
pas vendues , & qu'il les poffédât encore ,
reçoit exception en deux cas .
Le premier cas eft , lorſque la vente
a été faite pour l'avantage de la fuccef-
ffion , auquel cas le poffeffeur n'eft obli-
gé qu'à rendre compte du prix de la vente.
C'eft ce qu'enfeigne Ulpien : Si fundum
hereditarium diftraxit ( poffeffor male fidei
fcilicet , ) fi quidem fine caufà , & ipfum
fundum & fructus in hereditatis petitionem
venire ; quodfi æris exolvendi gratiâ here-
ditarii id fecit , non amplius venire quam
pretium . d. L. 20 , § . 2 , ff. d. tit.
410. Le fecond cas eft , lorfque l'héri-
S v
418 Traite du Droit de Propriété,
tier trouve plus d'avantage à fe faire ren-
dre compte par le poffeffeur de mauvaiſe
foi , du prix de la vente qu'il a faite d'une
chofe de la fucceffion , qu'à le faire regar-
der comme s'il ne l'avoit pas vendue : Si
prædo dolo defiiffet ( * ) poffidere , res autem
eo modo interierit ( ** ) quo effet interitura ,
etfi eadem caufa poffeffionis manfiffet ; quan-
tum ad (***) verba Senatûs- Confulti , melior
eft caufa prædonis quàm bonæ fidei poffefforis ;
quiaprædo ( **** )fi dolo defierit poffidere, ita

( *) En vendant une chofe d'une fucceffion


qu'il fçavoit ne lui pas appartenir , & des biens
de laquelle il fçavoit par conféquent n'avoir pas
droit de difpofer.
(**) Depuis la vente qu'il en a faite.
***) Qui font rapportés fuprà , n. 406.
**** ) Le fens eft , à s'en tenir purement aux
termes du Sénatus- Confulte , qui ordonne quele
poffeffeur de mauvaiſe foi qui dolo defiit poffi-
dere , en vendant une chofe de la fucceffion , foit
-confidéré comme s'il ne l'avoit pas vendue
comme s'il eût continué de la pofféder , & qu'il
demeure en conféquence débiteur de la chofe in
Specie ; lequel Sénatus - Confuke ne s'eft pas d'ail-
leurs expliqué fur le cas auquel la chofe feroit
périe par un cas fortuit depuis la vente que le
poffeffeur de mauvaiſe foi en a faite ; il s'enfui-
vroit que dans cette efpece la condition du pof-
feffeur de mauvaiſe foi feroit meilleure que celle
du poffeffeur de bonne foi ; car le poffeffeur de
mauvaife foi demeurant débiteur in fpecie de la
chofe qu'il a vendue , feroit entiérement déchar
Part. 11 , Ch. 2 , S. 3 , S. 3. 419
condemnatur atquefi poffideret ; nec adjectum
effetfi res interierit : fed non eft dubium quin
non debeat melioris effe conditionis prædo
quàm bonæ fidei poffeffor ; itaque ( * ) etfi

gé de fon obligation par l'extinction de cette


chofe furvenue depuis par un cas fortuit , comme
le font tous les débiteurs d'une chofe in fpecie ,
par l'extinction de la chofe due , arrivée par cas
fortuit. Au contraire , le poffeffeur de bonne foi
n'étant débiteur que de la fomme qu'il a vendu
la chofe , ne feroit pas déchargé de fon obliga-
tion , par l'extinction qui furviendroit de la chofe
qu'il a vendue , qui ne faifoit plus l'objet de fon
obligation ; la condition du poffeffeur de mau-
vaiſe foi , ſe trouveroit donc en ce cas meilleure
que celle du poffeffeur de bonne foi ; ce qui fe-
roit abfurde ; il faut donc dire que la difpofi-
tion du Sénatus-Confulte qui ordonne que le
poffeffeur de mauvaife foi qui dolo defiit poffidere
res hereditatis , foit regardé comme les poffédant
encore , & comme étant demeuré débiteur de
ces chofes in fpecie , étant une difpofition établie
uniquement en faveur de l'héritier ; l'héritier
peut ne s'en pas fervir , fuivant le principe , licet
juri in fuum favorem introduéto renunciare , &
qu'il peut · au lieu de cela , demander compte
à ce poffeffeur , des fommes qu'il a reçues ou dû
recevoir pour le prix des chofes de la fuccef-
fion qu'il a vendues.
( * ) C'eft un autre cas auquel l'héritier trouve
plus d'avantage à fe faire rendre compte du prix
que la chofe a été vendue , qu'à fe la faire rendre
-en nature ; l'héritier doit dans ce cas , comme
-dans tous les autres , avoir le choix de la demande
qui lui eft la plus avantageufe.
S vj
420 Traité du Droit de Propriété ,
pluris vænierit res , electio debebit effe actoris
ut pretium confequatur ; alioquin lucretur
aliquid prædo. L. 36 , § . 3 , ff. de petit. her.
411. Le poffeffeur de mauvaiſe foi ,
ayant été condamné , aux termes du Séna-
tus-Confulte , à reftituer à l'héritier les
chofes de la fucceffion dont il a diſpoſé
par mauvaiſe foi , comme s'il les poffédoit
encore , & ne pouvant fatisfaire à cette
condamnation , n'ayant plus ces chofes en
fa poffeffion , & n'étant plus en fon pou-
voir de les recouvrer ; la condamnation fe
convertit en celle de dommages & inté-
rêts que fouffre l'héritier de la privation
de ces choſes.
Suivant le Droit , on s'en rapportoit en
ce cas fur la fomme à laquelle doivent
monter ces dommages & intérêts au fer-
ment in litem de l'héritier : Tam adverfus
eum qui dolo fecit quominus poffideat , quàm
adverfus poffidentem , ( * ) in litem juratur.
L. 25 , S. 10, ff. de hered. petit..
Dans notre Pratique Françoiſe , on ne
défere pas le ferment in litem ; mais les
dommages & intérêts doivent être réglés
par Experts dont les parties conviendront,
qui auront connoiffance des effets que le
poffeffeur a manqué de repréfenter.

[*] Qui quamvis rem poffideat , per contuma


ciam non vult cam reftituere & cam abfcondit.
Part. II, Chap. 2 , S. 3 , S. 3. 421
Quelquefois le Juge les arbitre lui-
même.
412. Enfin le poffeffeur de mauvaiſe
foi eft tenu de rendre à l'héritier le prix
des chofes de la fucceffion qui ont péri ,
quoique par cas fortuit , dans le cas au-
quel il eft vraiſemblable que s'il les eût
rendues à l'héritier , cet héritier les eût ven-
dues , & en eût par ce moyen évité la perte.
Le poffeffeur eft pareillement tenu de ren-
dre le prix des chofes de la fucceffion
qu'un tiers a acquis par droit d'ufucapion ,
que l'héritier eût pu interrompre fi ce
poffeffeur de mauvaiſe foi lui eût rendu
les titres & enfeignements de la fucceffion :
Reftituere pretia debebit poſſeſſor , etfi deper-
ditæfint res vel diminuta .... quia fipetitor
rem confecutus effet , diftraxiffet , & verum
reipretium non perderet. d. L. 20 , §. fin. ff.
de petit. hered.
Deperditum intelligitur ,, quod in rerum
natura effe defiit , diminutum verò quod ufu-
captum effet , &fic de hereditate exiit. L. 21,
ff. d. tit.
413. Lorfqu'un tuteur , par mauvaiſe
foi , s'eft mis en poffeffion , en fon nom de
tuteur pour fon mineur , des biens d'une
fucceffion qu'il fçavoit ne pas appartenir
à fon mineur ; le Jurifconfulte Arifton
penfoit que fur la demande en pétition
422 Traite du Droit de Propriété ,
d'hérédité donnée par le véritable héritier,
contre le mineur forti de tutelle , le mi-
neur devoit être condamné à la reftitution
des chofes de cette fucceffion , que fon tu-
teur , avoit laiffé perdre , ou qu'il avoit de
quelque maniere que ce foit , ceffé par fon
dol ou par fa faute de pofféder ; pourvu
néanmoins que fon tuteur fût folvable , &
que ce mineur pût , pour les condamna-
tions intervenues contre lui , auxquelles le
dol ou la faute du tuteur auroit donné
lieu , avoir un recours efficace contre ce
tuteur. Pomponius qui rapporte cette opi-
nion , décide avec plus de raifon , qu'il
doit fuffire que le mineur cede à l'héritier
demandeur en pétition d'hérédité , l'action
qu'il a contre fon tuteur pour fe faire ren-
dre compte defdites chofes ; l'équité ne
permettant pas qu'il effuie des condam-
nations pour le dol & la faute de fon tu-
teur , dont il eft innocent : Elgantius dici
poteft actiones duntaxat quas haberet cum
tutore pupillus , petitori hereditatis præftandas
effe.L. fin. ff. de adm. &per. tut.
Part. II , Chap. 2 , S. 3 ,, S. 4. 423

S. IV.

Pour quelle part la reflitution doit-elle être


faite , lorfque le demandeur enpétition d'hé
rédité n'eft héritier que pour partie.

414. Lorfque le demandeur en pétition


d'hérédité n'eft héritier que pour partie ,
putà pour un quart , & qu'il n'a en con-
féquence revendiqué par cette action que
la partie de cette fucceffion qui lui ap-
partient ; le poffeffeur contre qui la de-
mande a été donnée , ne doit , en exécu-
tion de la Sentence qui a fait droit fur la de-
mande , reftituer au demandeur que la por-
tion indiviſe dans les effets que ce poffeffeur
poffede , quelque peu qu'il en poffede ?
qui appartient à ce demandeur , putà le
quart par indivis , s'il eft héritier pour un
quart ; car le demandeur en pétition d'hé
rédité , tant qu'il n'y a pas encore eu de
partage de la fucceffion , n'a que la part
indivife pour laquelle il eft héritier dans
chacune de toutes les chofes dont la fuc-
ceffion eft compofée ; ce n'eft que par l'ac-
tionfamiliæ ercifcundæ qui doit fuivre celle
en pétition d'hérédité , que cet héritier en
partie , obtiendra une part certaine & dé
terminée dans les biens de la fucceffion =
Non poffumus confequi , dit Julien , per he-
424 Traité du Droit de Propriété ,
reditatis petitionem id quod judicio familia
ercifcundæ confequimur ut à communione dif-
cedamus ; cum ad officium judicis nihil am-
pliuspertineat , quàm utpartem hereditatispro
indivifo reftitui mihi jubeat. L. 7 , ff.fipars
hered. pet.
415. Ceci a lieu lorfque le poffeffeur
contre qui l'héritier pour partie a reven-
diqué la portion à lui appartenante dans
la fucceffion , & a obtenu en fa demande ,
eft lui-même héritier pour les autres por-
tions , ou du moins pour quelqu'une des
autres portions ; mais lorfque le poffeffeur
contre qui la demande eft donnée , eft un
ufurpateur qui s'eft mis fans droit en pof-
feffion des biens de la fucceffion qu'il a
prétendu mal-à-propos lui appartenir ,
quoique felon la rigueur & la fubtilité du
Droit le demandeur ne puiffe exiger que
la portion indivife pour laquelle il eft
héritier des effets de la fucceffion qui font
entre les mains de ce poffeffeur ; l'équité
veut qu'en attendant que ceux qui font
héritiers pour les autres portions , fe pré-
fentent , toutes les chofes de la fucceffion
qui font entre les mains de ce poffeffeur ,
foient remiſes en entier à cet héritier ,
quoiqu'il ne le foit que pour partie , plu-
tôt que d'être laiffées à cet ufurpateur ,
qui n'a aucun droit aux biens de la fuc-
ceffion, L'héritier pour partie à qui il les
Part. II, Chap. 2 , Sect. 4. 425
remettra , doit feulement , en ce cas , fe char-
ger envers lui de le défendre , pour rai-
fon defdites chofes , contre les demandes
en pétition d'hérédité que pourroient don-
ner contre lui les héritiers des autres por-
tions.

SECTION IV.

Des preftations perfonnelles dont eft tenu le


Poffeffeur fur la demande en pétition
d'hérédité.

416. Quoique la pétition d'hérédité ;


foit principalement une action réelle qui
naît du domaine que le demandeur a de
l'hérédité qu'il revendique par cette ac-
tion , foit pour le total lorfqu'il eft héri-
tier unique , foit pour partie , lorſqu'il ne
l'eft que pour partie , elle renferme néan-
moins des preftations perfonnelles , dont
eft tenu le poffeffeur contre qui cette action
eft donnée , & qui naiffent des obligations
que ce poffeffeur eft cenfé avoir contrac-
tées envers l'héritier demandeur en pétition
! d'hérédité. C'eft ce qui fait dire à Ulpien:
Petitio hereditatis etfi in rem actio fit , ha-
bet tamen præftationes quafdam perfonales.
L. 25 , S. 18 , ff. de petit. hered.
Ces preftations perfonnelles confiftent
426 Traite du Droit de Propriété,
dans le compte que le poffeffeur doit ren-
dre de ce qu'il a reçu des débiteurs de la fuc-
ceffion , du prix de la vente des effets de
la fucceffion , des fruits qu'il en a per-
cus , & lorfque le poffeffeur eft de mau-
vaiſe foi , même de ceux qu'il a pu per-
cevoir , & généralement de tous les pro-
fits qu'il a retirés des biens de la fuccef-
ceffion ; comme auffi lorfque le poffef-
feur eft un poffeffeur de mauvaiſe foi , il
doit rendre compte des dégradations &
détériorations qui ont été faites par fon fait
ou par fa faute dans les biens de la fuccef-
fion Petitio hereditatis habet præftationes
perfonales , ut putà eorum quæ à debitoribus
funt exacta , itempretiorum(*) d . L. 25 , S. 18 .
417. Il fuffit que le poffeffeur , foit
qu'il foit de mauvaiſe foi , ou qu'il foit de
bonne foi , ait retiré quelque profit des
biens de la fucceffion , pour qu'il foit tenu
d'en rendre compte , & de le rendre à
l'héritier , qui a obtenu en fa demande en
pétition d'hérédité , quand même ce pro-
fit viendroit de la vigilance & de l'induf-
trie de ce poffeffeur , & que l'héritier n'eût
pas fait ce profit , s'il eût été en poffeffion
des biens de la fucceffion.

[*] Quæ ex venditione`rerum hereditariarum


poffeffor redegit.
Part. II, Chap. 2 , S. 4. 427
Par exemple , lorfque le poffeffeur a
vendu des effets de la fucceffion , le prix
qu'il a reçu de cette vente , eft un profit
qu'il a eu des biens de la fucceffion , qu'il
doit rendre à l'héritier , quoique l'héritier
n'eût pas lui - même fait ce profit , puta
parce que ces chofes font péries par cas
fortuit peu après la vente qui en a été
faite , & que l'héritier ne fe fut pas éga-
lement dépêché de les vendre. C'eſt ce qui
eft expreffément porté par le Senatus-
Confulte fus- mentionné : Ait Senatus : pla-
cere à quibus petita hereditas fuiffet , fi ad-
verfus eos judicatum effet , pretia quæ ad
eos rerum ex hereditate venditarum pervenif
fent , etfi ante aditam hereditatem deperiffent ,
diminutave effent , reftituere debere. L. 20 ,
S. 17 , ff. d. tit.
418. De ce principe , naît la décifion de
la queftion fuivante : le poffeffeur contre
qui la demande en pétition d'hérédité a
été donnée , avoit , long-temps avant cette
demande , vendu un effet de la fucceffion
pour un prix très- avantageux ; depuis il
a trouvé l'occafion de racheter cet effet à
très- bon compte : on demande fi fur la
demande en pétition d'hérédité , ce poffef
feur , fur-tout s'il étoit poffeffeur de bonne
foi , doit avoir le choix de rendre l'effet
de la fucceffion qu'il a pardevers lui en
428 Traite du Droit de Propriété ,
nature , ou le prix qu'il a reçu pour İa
vente qu'il en a fait ?
Paul décide qu'il ne fuffit pas à ce pof-
feffeur de rendre la chofe ; qu'il doit ren-
dre avec la choſe le profit qu'il a retiré
de la vente qu'il en a faite ; par exemple ,
s'il l'a vendue cent livres , & qu'il l'ait ra-
chetée pour quatre - vingt , il doit rendre
avec la chofe , la fomme de vingt livres.
Il fe fonde fur ce que c'eft un profit qu'il
a eu des biens de la fucceffion ; or , fui-
vant la Conftitution d'Hadrien , le poffef-
feur , quoique de bonne foi , doit , fur la
demande , rendre tout le profit qu'il a re-
tiré des biens de la fucceffion : Si rem &
pretium habeat bona fidei poffeffor , putà quod
eamdem rem (hereditariam quam vendidit )
emerit , an audiendus fit , fi velit rem dare non
pretium ? ,... In oratione D. Hadriani ita
eft 30 Difpicite patres confcripti numquid
fit æquius poffefforem non facere lu-
> crum & pretium quod ex alienâ re per-
» ceperit , reddere , quia poteft exiftimari
in locum hereditariæ rei vendita pre-
tium ejus fucceffiffe , & quodammodo
ipfum hereditarium factum. « oportet
igitur poffefforem & rem reftituere petitori ,
& quod ex venditione ejus rei hereditaria
lucratus eft. L. 22 , ff. d. tit.
419. Il en eft de même de toutes les
Part. II, Chap. 2 , Sect. 4. 429
autres efpeces de profits que le poffeffeur
a retiré de la vente qu'il a faite des effets
de la fucceffion ; ce poffeffeur , quoique
poffeffeur de bonne foi , ne peut les rete-
nir , & doit les rendre à l'héritier , fur la
demande en pétition d'hérédité : Proinde
fi non pretium , fed etiam pœna tardius pre-
tio folutopervenit , poterit dici , quia locu-
pletior in totum ( * ) factus eft , debere venire ,
licèt de pretiofolummodo Senatus fit locutus.
L. 23 , S. 1 , ff. d. tit.
Sed etfi , lege Commifforiâ vendidit , idem
dicendum lucrum quod fenfit lege ( ** ) com-
mifforiâ præflaturum. L. 25.
420. Quand même le profit que le pof-
feffeur a fait des biens de la fucceffion , fe-
roit un profit déshonnête , & par confé-
quent tel que l'héritier ne l'eût pas fait ,
ce poffeffeur doit le rendre à l'héritier
fur la demande en pétition d'hérédité : Si
poffeffor ex hereditate inhoneftos habuerit quæf
tus , hos etiam reftituere cogetur , nec honef-

[*] C'eft-à- dire , parce qu'il a profité de tout


ce qu'il a reçu , tam pœna nomine quam pretii
nomine.
[ **] Finge , le poffeffeur avoit vendu une
chofe de la fucceffion avec la claufe , que faute
par l'acheteur de payer le prix dans un * certain
temps , la chofe lui feroit rendue , & qu'il retien-
droit la fomme payée par l'acheteur par forme
d'arrhes.
430 Traité du Droit de Propriété ,
ta ( * ) interpretatio non honefto quæſtu lu-
crum poffeffori faciet. L. 52 , ff. d. tit.
421. En un mot , c'eft une regle géné
rale qui ne fouffre point d'exception , que
le poffeffeur ne peut retenir aucun profit
qu'il ait retiré des biens de la fucceffion ,
quel qu'il foit Omne lucrum auferendum
effe tam bona fidei poffeffori quam prædoni
dicendum eft. L. 28 , ff. d. tit.
422. En cela conviennent le poffeffeur
de bonne foi & le poffeffeur de mauvaiſe
foi ; mais ils different en plufieurs points
fur les preſtations perfonnelles auxquelles
ils font fujets , fur la demande en pétition
d'hérédité.
Ces différences proviennent des diffé-
rentes cauſes d'où naiffent les obligations
que le poffeffeur de bonne foi & celui
de mauvaiſe foi contractent envers l'héri-
tier.
La connoiffance qu'a le poffeffeur de

[* ] Le fens eft , l'honnête interprétation , qui


dans d'autres cas fait regarderun gain déshonnête
comme n'étant pas un véritable gain , ne doit
pas avoir lieu dans ce cas-ci , de peur que fi on
difoit que l'héritier ne doit point exiger la refti-
tution de ce gain déshonnête , parce que ce n'eft
pas un véritable gain ; le poffeffeur qui l'a fait ,
n'en profitât , & ne fût par-là de meilleure con-
dition que celui qui auroit fait un bon & honnête
ufage des biens de la fucceffion.
Part. II, Chap. 2 , Sect. 4. 431
mauvaiſe foi , lorfqu'il fe met en poffeffion
des biens d'une fucceffion , qu'elle ne lui
appartient pas , lui fait dès-lors contrac-
ter l'obligation de les rendre ; & cette obli-
gation naît de ce précepte de la Loi na-
turelle , Bien d'autrui tu ne prendras , ni re-
tiendras à ton efcient. Au contraire , le
poffeffeur de bonne foi qui croit de bonne
foi que la fucceffion lui appartient , qui
ufe & difpofe des biens qui en dépendent ,
comme de chofes qu'il croit de bonne foi
lui appartenir , ne contracte point cette
obligation ; l'unique caufe de celle qu'il
contracte , eft la regle d'équité , qui ne per-
met pas que nous nous enrichiffions aux
dépens d'autrui , ni par conféquent que
nous retenions le profit que nous avons
retiré des chofes qui appartiennent à au-
trui , lorſque nous venons à apprendre
qu'elles appartiennent à autrui.
De là naiffent les différences entre le
poffeffeur de bonne foi & le poffeffeur de
mauvaiſe foi , à l'égard des preſtations
perfonnelles auxquelles ils font fujets fur
la demande en pétition d'hérédité.

Premiere Différence.

423. Le poffeffeur de mauvaife foi eft


obligé de tenir compte à l'héritier de tout
ce qui lui eft parvenu des biens de la fuc-
432 Traite du Droit de Propriété,
feffion , quand même il l'auroit depuis
diffipé , & ne s'en trouveroit pas plus riche ;
au contraire , le poffeffeur de bonne foi
n'eſt tenu de rendre ce qui lui eft parve-
nu des biens de la fucceffion , que jufqu'à
concurrence de ce qu'il fe trouve en pro-
fiter au temps de la demande en pétition
d'hérédité..
La raison de cette différence eft évi-
dente ; le poffeffeur de mauvaiſe foi ayant
connoiffance que tout ce qui lui parvient
des biens de la fucceffion ne lui appartient
pas , il fçait qu'il n'a pas le droit d'en
difpofer & de le diffiper , & il eft tenu de
le conferver à l'héritier à qui il appar-
tient , comme un negotiorum geftor eft tenu
de conferver & de rendre à celui à qui
appartiennent les biens dans la geſtion def-
quels il s'eft immifcé , tout ce qui lui eft
parvenu defdits biens.
Au contraire , le poffeffeur de bonne
foi , croyant que la fucceffion lui appar-
tenoit , a pu très-licitement difpofer comme
bon lui a femblé , de tout ce qui lui eſt
parvenu de cette fucceffion , & le diffiper
comme chofes dont il croyoit de bonne
foi être le maître ; c'eft pourquoi il ne
doit être tenu de rendre que de ce dont
il fe trouve en profiter lors de la demande
en pétition d'hérédité , par laquelle on lui
a fait connoître que ce qui lui eft parvenu
des
Part. II, Chap. 2. Sec. 4. 433
des biens de la fucceffion , appartient au
demandeur en pétition d'hérédité.
Le principe que nous venons de rap-
porter , que le poffeffeur de bonne foi ,
à la différence du poffeffeur de mauvaiſe
foi , n'eft tenu de ce qu'il a retiré des
biens de la fucceffion , que jufqu'à concur-
rence de ce qu'il fe trouve en profiter au
temps de la pétition d'hérédité , eft ex-
primé en termes formels dans le Sénatus-
Confulte que nous avons déja pluſieurs
fois cité , où il eft dit : Qui juftas caufas
habuiffent quare bona ad fe pertinere exifti-
maffent , ufque eo quò locupletiores ex eâ re
facti effent condemnandos. ) L. 20 , § . 6.
Il ne fuffit donc pas que le poffeffeur de
bonne foi ait retiré quelque profit des biens
de la fucceffion . S'il ne l'a pas confervé ; s'il
Pa diffipé avant la demande en pétition
d'hérédité ; fi lors de cette demande il ne
s'en trouve pas plus riche , il n'a rien à
rendre. C'eft pourquoi Ulpien en interpré-
! tant ces termes du Sénatus- Confulte , pla-
cere à quibus hereditas petita fuiffet ,fi ad-
versus eos judicatum effet , pretia quæ ad eos
rerum ex hereditate venditarum PERVENIS-
SENT .. reflituere debere , dit à l'é-
gard du poffeffeur de bonne foi : Finge
pretium acceptum , vel perdidiffe , vel confump-
fiffe , vel donaffe : & verbum quidem PER-
VENISSE ambiguum eft , folum ne hoc con-
Tome I. T
434 Traité du Droit de Propriété ,
tineret quodprimâ ratione fuerit , an verò & .
id quod durat ? Et puto .... ut ita demum
computetfifactusfit locupletior. L. 23 , ff. d. tit.
Ailleurs le même Ulpien dit : Confuluit
Senatus bona fidei poffefforibus ne in totum
damno afficiantur , fed in id duntaxat tenean,
tur in quo locupletiores facti funt ; quem-
cumque igitur fumptum fecerunt ex heredi-
tate , fi quid dilapidaverunt , perdiderunt , dum
refua fe abutiputant , non præftabunt. L. 25,
S. 11 , ff. d. tit.
Il auroit pu paroître à quelqu'un , que
le poffeffeur de bonne foi profite des biens
de la fucceffion dont il a fait donation
parce que par ces donations il s'eft fait des
amis de qui il a quelque droit d'attendre
d'être récompenſé des donations qu'il leur
a faites.
Néanmoins Ulpien décide , qu'il n'eſt
cenfé avoir profité qu'autant qu'il a reçu ef-
fectivement quelques récompenfes desdites
donations , & feulement jufqu'à concur-
rence de la valeur defdites récompenfes :
Nec fi donaverint , locupletiores faîti vide-
buntur, quamvis ad remunerandum fibi ali-
quem naturaliter obligaverunt.
Planè fi avrida id eft , remunerationes
acceperunt , dicendum eft autem locupletiores
fallos , quatenus acceperunt ; velut genus
quoddam hoc effet permutationis. d. L. 25 ,
S. II.
Part. II , Chap. 2 , Sect. 3. 435
423. Quoique le poffeffeur de bonne
foi ait confommé dans fon ménage les de-
niers qui lui étoient venus de la fuccef-
fion , il eft cenfé en profiter au temps de
la pétition d'hérédité , jufqu'à concurrence
de la fomme qu'il avoit coutume de pren-
dre dans fon patrimoine pour cet emploi ,
& qu'il a épargnée en fe fervant des de-
niers de la fucceffion.
Mais , fi fe comptant plus riche par la
fucceffion qu'il croyoit lui appartenir , il
a dépensé dans fon ménage , des deniers
de cette fucceffion plus qu'il n'avoit cou-
tume de dépenfer, il ne fera cenfé avoir
profité & être plus riche que jufqu'à con-
currence de la fomme qu'il avoit coutume
de dépenfer , & qu'il a épargnée. C'eſt ce
qu'enſeigne Ulpien : Quod quis ex heredi-
tate erogavit, utrum totum decidat , ( * ) an
verò pro rata patrimonii ejus ? ut putà pe-
num hereditariam ebibit , utrum totum here-
ditati expenfum feratur , an aliquid patrimo-
nio ejus ; ut in id factus locupletior ( ** ) vi-

[* ] Supple fumma ex hereditate reda&tæ quam


pollelor petitori reftituere debet.
[** ] Poffeffor bona fidei eatenus videtur locu-
pletior ex pecuniâ hereditariâ quam in proprios
ufus confumpfit , quatenus pepercit pecunia pro-
priæ quam in eos impendiffet , fi pecuniam here
ditariam non impendiffet.
Tij
436 Traité du Droit de Propriété,
deatur quodfolebat ipfe erogare ante delatam
1
hereditatem ; ut fi quid lautius , contempla-
tione hereditatis , in hoc non videatur factus
locupletior , inftatutis veròfuisfumptibus vi-
deatur locupletior • .verius eft , ut ex
fuo patrimonio decidant ea quae etfi heres
non fuiffet , erogaffet. L. 25 , S 16.
424. Du principe que le poffeffeur de
bonne foi n'eft tenu de la reftitution des
deniers de la fucceffion que jufqu'à concur-
rence de ce qu'il en profite ; il fuit que
s'il les a placé à intérêt , s'il a été payé
par ceux à qui il les a donné à intérêt , il
doit tenir compte des fommes qui lui ont
été payées , tant pour le principal que
pour les intérêts ; mais s'il n'en a pas été
payé , il lui fuffit de céder à l'héritier fes
actions contre les débiteurs , pour par
ledit héritier s'en faire payer comme il
pourra ; c'eft ce que Paul enfeigne dans
l'efpece propofée : Dicendum itaque eft ,
dit-il , in bona fidei poffeffore hæc tantummodo
eum præftare debere , id eft vel fortem & ufu-
ras ejus ,fi & eas percepit ; vel nomina cum
corum ceffione in id faciendâ quod ex his
adhuc deberetur , periculo fcilicet petitoris.
L. 30 , ff. d. tit.
425. Lorfque le poffeffeur de bonne
foi a employé les deniers de la fucceffion
à faire emplette d'une certaine choſe pour
fon compte & pour fon ufage ; ce n'eſt
Part. II , Chap. 2 , Sect. 4. 437
pas de cette chofe dont l'héritier doit de-
mander la reftitution , mais de la fomme
de deniers qu'il a employé à cette em-
plette , dont il eft cenfé profiter au moyen
de cette emplette ; fauf que s'il l'avoit
achetée plus qu'elle ne vaut , il ne feroit
cenfé profiter que de la fomme qu'elle
vaut : Si rem diftraxit , & ex pretio aliam
rem comparavit , veniet pretium in petitionem
hereditatis , non res quam in patrimonium
fuum convertit ;fedfi res minoris valet quàm
comparata eft , hactenus locupletior factus vi-
detur , quatenus res valet ; quemadmodum fi
confumpfiffet , in totum locupletior factus non
videbitur. L, 25 , S. 1.
I.
426. Lorfque le poffeffeur de bonne foi
qui a été condamné à rendre au deman-
deur en pétition d'hérédité la moitié qui
appartient à ce demandeur dans la fuccef-
fion , eft lui - même héritier pour l'autre
moitié ; s'il a confommé en pure perte la
moitié de cette fucceffion , c'eft une quef-
tion , s'il doit imputer en entier cette perte
fur fa portion , de maniere qu'il doive ren-
dre tout ce qui lui refte des biens de la
fucceffion, ou s'il doit l'imputer en entier
fur la portion qu'il doit rendre au deman-
deur , de maniere qu'il ne lui reste plus
rien à lui rendre ; ou plutôt , fi ce qu'il a
confommé des biens de la fucceffion , doit
s'imputer , tant fur la portion qu'il doit
Tiij
438 Traite du Droit de Propriete,
rendre , que fur la fienne , par proportion .
C'est l'avis d'Ulpien : Si quis putans fe ex
affe heredem ( cùm effet heres ex dimidiâ dun-
taxat , & petitor ex alterâ dimidiâ ) partem
dimidiam hereditatis fine dolo malo confump-
ferit..... puto refiduum integrum non effe
reflituendum , fed partem ejus dimidiam. d.
L. 25 , S. 15.
427. Il nous refte à examiner à quel
temps on doit avoir égard pour juger , fi
tout le profit que le poffeffeur de bonne foi
a retiré de la fucceffion, fubfifte encore par-
devers lui , à l'effet qu'il foit tenu de le
reftituer à l'héritier demandeur , s'il obtient
en fa demande en pétition d'hérédité. On
doit pour cela avoir égard à deux temps.
1º. On doit avoir égard au temps de
la litifconteftation ( dans notre Droit
François au temps de la demande. ) C'eſt
de ce temps que le poffeffeur de bonne
foi devient débiteur envers le demandeur
en pétition d'hérédité , de tout le profit
qu'il fe trouve alors avoir de la fuccef-
fion ; il eft obligé dès lors de le lui con-
ferver , fans qu'il puiffe , par fon fait ou
par fa faute , en rien diminuer.
On doit aufli avoir égard au temps du
jugement, en ce fens , que fi depuis la
litiſconteftation , il eft furvenu fans le fait
ni la faute de ce poffeffeur quelque perte
dans les biens de la fucceffion qui étoient
Part. II , Chap. 2 , Sect. 4. 439
pardevers lui , il ne foit tenu de rendre
que ce qui lui refte. C'eſt en ce fens qu'on
doit entendre ce que dit Ulpien : Quo tem-
pore locupletior effe debeat bona fidei poljefor
dubitatur , fed magis eft rei judicate tempus
Spectandum effe. L. 36 , §. 4 , ff. d. tit.
428. Quoique le poffeffeur de bonne
foi ceffe d'être réputé poffeffeur de bonne
foi , & devienne femblable au poffeffeur de
mauvaiſe foi , comme nous l'avons obfer-
vé fuprà ; néanmoins il differe encore en
un point , même depuis la litifconteftation
du poffeffeur de mauvaiſe foi..
Paul nous fait obferver cette différence :
Illud quoque quod in oratione D. Hadriani
eft , ut poft acceptum judicium id actori præf-
tetur quod habiturus effet , fi eo tempore quo
petit reftituta effet hereditas , interdum durum
eft : quid enim fi poft litem contefiatam man-
cipia aut jumenta , aut pecora deperierunt ?
Damnari debebit fecundùm verba Conftitu-
tionis , quia potuit petitor difiraxiffe ea ?
Et hocjuftum effe infpecialibus petitionibus
Proculo ( * ) placet ; Caffius contràfenfit : in

[* ] Proculus qui vivoit long - temps avant


Hadrien , en traitant de l'action de revendica-
tion , avoit pareillement penfé que la perte ar-
rivée depuis la litiîconteftation , quoique fans la
faute du poffeffeur par devers qui elle étoit , de-
voit tomber fur ce poffeffeur ; & il y a même
raifon dans le cas de la pétition.d'hérédité.
Tiv
440 Traite du Droit de Propriete,
prædonis perfonâ Proculus rectè exiftimat ;
in bona fidei poffefforibus Caffius ; nec enim
debet poffeffor aut mortalitatem præftare , aut
præter metum periculi hujus , temerè indefen-
fum jusfuum relinquere. L. 40 , ff. de petit.
hered.
429. Toutes les décifions des Loix Ro-
maines que nous avons rapportées , font
très conformes aux principes de l'équité
naturelle dans la théorie ; mais il est très-
difficile d'en faire l'application dans la
pratique , n'étant gueres poffible de con-
noître fi le poffeffeur de bonne foi qui a
reçu des fommes d'argent des débiteurs
de la fucceffion & du prix de la vente
des effets de cette fucceffion , & qui les a
employées , s'en trouve plus riche , ou non ,
au temps de la demande en pétition d'hé-
rédité il faudroit pour cela entrer dans
le fecret des affaires des particuliers , ce
qui ne doit pas être permis : il a fallu dans
notre Pratique Françoife s'attacher à une
regle fur cette matiere , qui eft que per-
fonne ne devant être préfumé diffiper ce
qui fait le fonds d'un bien qu'il croit lui
appartenir ; le poffeffeur de bonne foi des
biens d'une fucceffion , eft cenfé avoir
profité de tout ce qui lui eft parvenu des
biens de cette fucceffion , & qui en com-
pofe le fonds mobilier , & en profiter en-
core au temps de la pétition d'hérédité , à
Part. II , Chap. 2 , Sect. 4. 441
moins qu'il ne faffe apparoir du con-
traire .
C'eft pourquoi , lorfque le poffeffeur
de bonne foi a été condamné de rendre
les biens de la fucceffion au demandeur ,
il doit lui donner un compte de toutes les
fommes qu'il a reçues , foit des débiteurs
de la fucceffion , foit du prix de la vente
des effets de ladite fucceffion , & généra-
lement de tout ce qui lui eft parvenu de
ce qui compofe le fonds mobilier de la
fucceffion , fur le montant de toutes lef
quelles fommes on doit lui faire déduction
de toutes les dépenfes qu'il juſtifiera avoir
faites pour les biens de la fucceffion , fans
qu'elles puiffent être critiquées lorſqu'elles
1 ont été faites avant la demande , & pen-
dant que la bonne foi duroit ; ces dé-
penfes , eu égard à fa qualité de poffeffeur
de bonne foi , devant lui être allouées ,
quand même elles auroient été faites mal-
à-propos , car n'étant tenu en fa qualité
de poffeffeur de bonne foi , de la reftitu-
tion des biens de la fucceffion que jufqu'à
concurrence de ce qu'il eft préfumé en
profiter ; foit que ces dépenfes aient été
bien ou mal faites , il fuffit qu'il établiſſe
qu'il les a faites , pour qu'il établiſſe
qu'elles ont diminué le profit qu'il a re-
tiré de la fucceffion , & par conféquent
T v
442 Traite du Droit de Propriète ,
qu'elles ont diminué ce qu'il doit rendre à
l'héritier.
On doit pareillement allouer en déduc-
tion à ce poffeffeur de bonne foi , toutes
les pertes qu'il juftifiera avoir faites fur les
biens qui lui font provenus de la fuccef-
fion , fans qu'on doive examiner , lorf-
qu'elles font furvenues avant la demande ,
fi c'eſt par fon fait ou par fa faute qu'elles
font arrivées ; car de quelque maniere
qu'elles foient arrivées , il fuffit qu'elles
foient arrivées , pour qu'elles aient dimi-
nué le profit que ce poffeffeur a retiré des
biens de la fucceffion , & pour qu'elles
doivent par conféquent lui être allouées
en déduction fur ce qu'il doit rendre au
demandeur , n'étant tenu de lui rendre les
biens de la fucceffion que jufqu'à concur-
rence de ce qu'il en profite.
A l'égard des dépenfes qu'il auroit faites
depuis la demande pour les biens de la
fucceffion , n'étant plus, depuis la demande ,
réputé poffeffeur de bonne foi , elles ne
doivent lui être allouées , qu'autant qu'il
fe feroit fait autorifer par le Juge pour
les faire , ou du moins qu'il feroit évident
qu'il étoit indifpenfable de les faire.
Par la même raifon , les pertes furve-
nues dans les biens de la fucceffion de-
puis la demande , ne doivent lui être al-
Part. II , Chap. 2 , Sect. 4. 443
Jouées en déduction , qu'autant qu'elles fe-
roient arrivées fans fa faute.

Seconde Différence.

430. La feconde différence entre le


poffeffeur de bonne foi & le poffeffeur de
mauvaiſe foi , par rapport à la reftitution
des biens qu'ils doivent faire à l'héritier
qui a obtenu en fa demande en pétition
d'hérédité concerne les fruits defdits
biens.
Les fruits que le poffeffeur a perçus
des biens de la fucceffion , étant des chofes
qui font elles-mêmes partie de cette fuc-
ceffion , & qui en font des accroiffements ,
comme nous l'avons déja vuſuprà , n. 400,
le poffeffeur , quoique poffeffeur de bonne
foi , eft tenu , fuivant les principes du
Droit Romain , de compter à l'héritier à
qui il doit rendre les biens de la fuccef-
fion , de tous les fruits qu'il a perçus de-
puis qu'il s'eft mis en poffeffion defdits
biens ; mais il n'eft tenu de ceux qu'il a
perçus avant la litifconteftation , que juf-
qu'à concurrence de ce qu'il s'eft trouvé en
profiter & en être plus riche au temps de
la litiſconteftation. Au contraire , le˚ pof-
feffeur de mauvaiſe foi eft tenu de comp-
ter de tous les fruits qu'il a perçus , foit
qu'il en ait profité , foit qu'il n'en ait point
T vj
444 Traité du Droit de Propriété,
profité. C'eſt ce qu'enſeigne Paul : Prado
fructus fuos non facit , fed augent hereditatem,
ideoque eorum quoque fruduspræftabit ; in bo-
næ fidei poffeffore , hi tantum veniunt inreftitu-
tionem quafi augmenta hereditatis , perquos lo-
cupletiorfactus eft. L. 40 , §. 1 , ff. de her.
pet.
Le poffeffeur de bonne foi est-il pré-
fumé avoir profité & être enrichi des fruits
qu'il a perçus avant la demande , s'il ne
juftifie du contraire , de même qu'il eft
préſumé fuivant notre Pratique Françoiſe ,
avoir profité de ce qu'il a reçu des débi-
teurs de la fucceffion ou du prix de la
vente des meubles de la fucceffion , com-
me nous l'avons obſervé fuprà . n. 429 ; il
me femble qu'il feroit équitable d'ad-
mettre une différence entre le cas de l'ar-
ticle 429 , & ce cas-ci . Dans le cas de

l'article 429 , le poffeffeur de bonne foi


regardoit ce qu'il a reçu des débiteurs ,
ou du prix de la vente des meubles de la
fucceffion , comme un fonds mobilier d'une
fucceffion qu'il croyoit lui être échue ; un
pere de famille étant plutôt préſumé con-
ferver que diffiper les fonds qu'il croit
lui appartenir ; le poffeffeur de bonne
foi eft préfumé avoir confervé ce fonds
mobilier de la fucceffion , & en être en-
richi , tant qu'il n'apparoît pas du con-
traire : mais fi un pere de famille eft pré-
Part. 11, Chap. 2 , Sect. 4. 445
fumé conſerver fes fonds , il eft au con-
traire préfumé dépenſer ſes revenus : lè
poffeffeur de bonne foi regardant comme
fes revenus , les fruits qu'il perçoit des
biens d'une fucceffion qu'il croyoit lui ap-
partenir , il femble qu'on devroit préfumer
qu'il les a dépenfés , foit en vivant plus
largement , foit en les employant en au-
mônes , & qu'il n'en eft pas enrichi , tant
qu'on ne juftifie pas le contraire , & qu'il
devroit en conféquence être déchargé de
compter des fruits ; il faut néanmoins con-
venir que notre pratique Françoiſe eft con-
traire , & qu'on exige de celui qui s'eft
mis en poffeffion d'une fucceffion , de
compter des fruits à l'héritier qui l'a évincé.
431. Le poffeffeur de bonne foi n'étant
tenu des fruits qu'il a perçus que jufqu'à
concurrence de ce qu'il s'en eftitrouvé plus
riche ; à plus forte raiſon il ne doit pas être
tenu de ceux qu'il a manqué de percevoir ;
au contraire , le poffeffeur de mauvaiſe
foi doit rendre compte , non - feulement
des fruits qu'il a perçus , mais même de
ceux qu'il a manqué de percevoir , & fruc-
tus non (folùm ) quos perceperunt , fed quos
percipere debuerunt præftaturos. d. L. 25
S. 4.
432. Cette différence entre le poffeffeur
de bonne foi & le poffeffeur de mauvaiſe foi
446 Traité du Droit de Propriété,
ne fubfifte qu'à l'égard des fruits qui ont
été perçus , ou qui ont dû être perçus avant
la litifconteftation ; le poffeffeur de bonne
foi , ceffant d'être réputé tel lors de la li-
tifconteftation , il eft tenu , de même que
le po feffeur de mauvaiſe foi , de comp-
ter indiftinctement de tous les fruits qu'il
a perçus depuis la litifconteftation , même
de ceux qu'il a manqué par ſa faute de-
puis ce temps de percevoir. L. 1 , S. 1 ,
Cod. de petit. hered.

Troifieme Difference.

433. La troisieme différence entre le


poffeffeur de bonne foi & le poffeffeur
de mauvaiſe foi , par rapport à la reftitu-
tion qui doit être faite des biens de la
fucceffion au demandeur en pétition d'hé-
rédité , concerne les intérêts .
Le poffeffeur de mauvaiſe foi ne doit
pas à la vérité les intérêts des fommes
d'argent qui lui font provenues de la fuc-
ceffion dont il s'eft emparé , tant qu'il n'y
touche point : Papinianus , lib. 3 , quæftio-
num,fipoffeffor hereditatis , pecuniam inven-
tam in hereditate non attingat , negat eum
omnino in ufuras conveniendum. L. 20 ,
S. 15 , de petit. hered. Mais lorsqu'il a
employé ces fommes à fes propres af-
faires , il en doit les intérêts à l'inftar d'un
Part. II , Chap. 2 , Sect. 4. 447
negotiorum geftor qui s'eft ingéré dans la
geftion des biens qui ne lui appartenoient
pas , lequel eft tenu , en ce cas , des inté
rêts. Voyez L. 31 , §. 3 , ff. de neg. geft.
L. 10 , S. 3. V. quod fi non. mand. ff.
mand.
Au contraire , lorfque le poffeffeur de
bonne foi a employé à fes affaires les
fommes de deniers qui lui font prove-
nues de la fucceffion , il eft bién tenu
de rendre lefdites fommes , lorfqu'il fe
trouve en avoir profité & en être plus
riche au temps de la pétition d'hérédité
mais l'héritier ne peut en exiger de lui
aucuns intérêts . C'est ce qui eft porté en
termes formels par le Senatus-Confulte
rendu en conformité de la Conftitution
d'Hadrien Cum hi qui fe heredes exifti-
mant , hereditatem difitraxerint , placere re-
dacta ex pretio rerum venditarum pecuniæ
ufuras non effe exigendas . L. 20 , §. 6 , ff.
de petit. hered.
434. Cette différence entre le poffef-
feur de bonne foi & le poffeffeur de
mauvaiſe foi par rapport aux intérêts , ne
paroît pas être fuivie dans notre Prati-
que Françoife ; le poffeffeur rend compte
de toutes les fommes qu'il a reçues des
biens de la fucceffion ; & quoiqu'il foit
poffeffeur de mauvaife foi , il ne doit
les intérêts de la fomme dont il eft re-
448 Traité du Droit de Propriété,
liquataire par fon compte , que dujour qu'il
a été mis en demeure de la payer.

Quatrieme Différence.

435. La quatrieme différence entre le


poffeffeur de bonne foi & le poffeffeur
de mauvaiſe foi , concerne les dégrada-
tions faites aux biens de la fucceffion.
Le poffeffeur de mauvaiſe foi , par la
connoiffance qu'il a que les biens de la
fucceffion ne lui appartiennent pas , con-
tracte envers le véritable héritier , comme
nous l'avons déja dit , l'obligation de les
lui conferver en bon état , jufqu'à la ref-
titution qu'il eft obligé de lui en faire ,
cette obligation étant acceffoire de la
premiere ; faute d'avoir rempli cette obli-
gation , il eft tenu de tous les dommages
& intérêts réſultants des dégradations
arrivées par fon fait.
Au contraire , le poffeffeur de bonne
foi qui a un jufte fujet de croire que les
biens de la fucceffion lui appartiennent ,
ne contracte point ces obligations envers
le véritable héritier ; il peut licitement
négliger & laiffer détériorer des biens
dont il fe croit le maître. Il ne doit donc
pas être tenu des dégradations qu'il a
faites aux biens de la fucceffion , tant
que fa bonne foi a duré avant la litifcon
Part. II , Chap. 2 , Sect. 4. 449
teſtation fur la pétition d'hérédité , ( à
moins que ce ne fuffent des dégradations
dont il eût profité , comme s'il avoit
abattu une haute - futaie qu'il eût ven
due , & dont il eût reçu le prix. )
Mais depuis la litifconteftation le pof-
feffeur de bonne foi ceffant d'être réputé
tel , il est obligé depuis ce temps à con-
ferver en bon état les biens de la fuc-
ceffion , & il eft tenu , de même que le
poffeffeur de mauvaiſe foi , des dégrada-
tions qui depuis ce temps feroieut fur-
venues par fon fait ou par fa faute. Le
poffeffeur , dit Ulpien , ficut fumptum quem
fecit , deducit, ita fifacere debuit nec fecit,
culpæ hujus reddat rationem ; nifi bonæ fi-
dei poffeffor eft , tunc enim quia quafifuam
rem neglexit , nulli querela fubjectus eft ante
petitam hereditatem ; pofleà vero & ipfe
prædo eft. L. 31 , §. 3 , ff. d. tit.
436. Tout ce qui vient d'être dit de
cette différence entre le poffeffeur de
bonne foi & le poffeffeur de mauvaiſe
foi , a pareillement lieu dans notre Droit
François ; fauf que dans notre Droit , le
fimple exploit d'affignation par lequel
l'héritier demandeur en pétition d'héré-
dité donne copie de fes titres , a le même
effet à cet égard qu'avoit par le Droit
Romain la litifconteftation , & c'eft de
ce jour que le poffeffeur de bonne foi
450 Traité du Droit de Propriété ,
commence à être tenu de conferver les
biens de la fucceffion , & à être tenu
des dégradations qui y feroient faites par
fon fait ou par fa faute.
437. On a élevé la queftion de fça-
voir , fi de même que le poffeffeur de
mauvaiſe foi eft tenu des dégradations
arrivées par fon fait ou par fa faute dans
les biens de la fucceffion , il eft tenu des
prefcriptions des créances de la fuccef-
fion , & des infolvabilités furvenues dans
les débiteurs , depuis qu'il s'eft mis en
poffeffion des biens de cette fucceffion ,
faute par ce poffeffeur d'avoir fait des
pourfuites contre eux ? Ulpien décide la
queftion pour la négative , par la raiſon
qu'il n'étoit pas en fon pouvoir de pour-
fuivre ces débiteurs , lefquels , fur les
pourfuites qu'il auroit faites contre eux ,
auroient été en droit de lui oppofer qu'il
eût à juftifier de fa qualité d'héritier , ce
qu'il n'eût pu faire , puifqu'il ne l'étoit
pas : Illud prædoni imputari non poteft cur
vaffus eft debitores liberari , & pauperiores
fieri , & non eos convenit , cùm actionem non
habuerit. d. L. 31 , S. 4.
Cette décifion a lieu , dans le cas au-
quel le poffeffeur a connoiffance à la
vérité que les biens de la fucceffion dont
il s'eft mis en poffeffion ne lui appartien-
Part. II, Chap. 2 , Sect. 5. 451
nent pas , mais ne fçait pas à qui ils
appartiennent , & à qui il doit les ref-
tituer.
Au contraire , lorfque ce poffeffeur
de mauvaiſe foi connoiffoit le véritable
héritier à qui il devoit rendre les biens
de la fucceffion ; fi faute par ce poffef-
feur d'avoir rendu auffi- tôt qu'il l'a pu
les biens & les titres de la fucceffion ,
cet héritier qui n'avoit pas les titres ,
n'a pu pourſuivre les débiteurs de la fuc-
ceffion , le poffeffeur doit en ce cas être
tenu envers l'héritier, par forme de dom-
mages & intérêts, de l'indemnifer des pref-
criptions arrivées dans les créances &
droits de la fucceffion que cet héritier
auroit pu interrompre , & des infolva-
bilités des débiteurs qu'il eût pu préve-
nir , fi le poffeffeur lui eût rendu à temps
les titres qui lui étoient néceffaires pour
les pourfuivre.
452 Traité du Droit de Propriete,

SECTION V.

Dee Preftations perfonnelles auxquelles eft


tenu le Demandeur envers le Poffeffeur
qui doit lui rendre les biens de la fuc-
ceffion.

438. Le demandeur qui a obtenu en fa


demande en pétition d'hérédité , eft auffi ,
de fon côté , tenu envers le poffeffeur à
certaines preftations perfonnelles.
De même que la geftion des biens
de la fucceffion dans laquelle s'eft ingéré
celui qui s'en eft mis en poffeffion
oblige ce poffeffeur à rendre compte au
véritable héritier de ce qui lui eft par-
venu ou dû parvenir des biens de cette
fucceffion , comme nous l'avons vu en
la fection précédente ; elle oblige pareil-
lement l'héritier à faire raifon à ce pof-
feffeur , des dépenfes qu'il a faites pour
les biens de la fucceffion.
L'héritier peut être obligé à faire rai-
fon , de deux manieres , de ces dépenſes
au poffeffeur .
1. En les lui paffant en déduction
dans le compte que le poffeffeur doit
rendre des fommes qui lui font parvenues
de la fucceffion , & dont il eſt débiteur ,
envers l'héritier.
2º. Lorfque les mifes que le poffel-
Part. II, Chap. 2 , Sect. 5. 455
feur a faites , excedent les fommes dont
il est débiteur , l'héritier doit payer de
fes propres deniers cet excédent au
poffeffeur , lequel , jufqu'au paiement qui
lui en doit être fait , a droit de retenir ,
veluti quodam pignoris jure , les héritages
& autres effets de la fucceffion qu'il a
pardevers lui.. :
439. Lorfque le poffeffeur eft un pof-
feffeur de bonne foi ; pour que les dé-
penfes qu'il a faites , foient paffées en dé-
duction fur les fommes qui lui font par-
venues de la fucceffion dont il eft débi-
teur , il n'importe qu'elles aient été faites
utilement ou non , il fuffit qu'il les ait
faites ; c'eft une fuite néceffaire du prin-
cipe , qu'il n'eft tenu de ce qui lui eft
parvenu des biens de la fucceffion , que
jufqu'à concurrence de ce qu'il fe trouve
en profiter.
C'est pourquoi , s'il a payé une fomme
à quelqu'un qui fe prétendoit fauffement
créancier de la fucceffion , quoique ce
paiement n'ait pas tourné au profit de
la fucceffion , l'héritier doit lui paffer
en déduction la fomme qu'il a payée ,
fauf à la répéter contre le prétendu
créancier qui l'a induement reçue , per
condictionem indebiti , à laquelle l'héritier
doit être fubrogé au poffeffeur qui l'a .
payée , lui en ayant tenu compte.
454 Traité du Droit de Propriété ,
Lorfque les dépenfes que le poffeffeur
de bonne foi a faites , excedent la fomme
dont il est débiteur ; pour que l'héritier
foit tenu de lui payer de fes propres de-
niers cet excédent , il faut que ces dé-
penſes aient été utilement faites , ou du
moins que ce poffeffeur ait eu quelque
jufte raifon pour les faire.
A T'égard du poffeffeur de mauvaiſe
foi , il ne peut même fe faire allouer en
déduction les dépenfes qu'il a faites , que
lorfqu'elles ont été utilement faites , &
que la fucceffion en a profité.
440. Les dépenfes que fait ordinaire-
ment le poffeffeur pour la fucceffion
font les paiements qu'il fait aux créan-
ciers , des fommes qui leur étoient dues
par la fucceffion ; ces dépenfes tournent
au profit de la fucceffion , & par confé-
quent elles doivent être allouées au pof-
feffeur qui a fait ces paiements : Si quid
poffeffor folvit creditoribus , reputabit. L. 31 ,
ff. d. tit.
Si la quittance de la fomme qui a été
allouée au poffeffeur , étoit fufceptible
de quelque difficulté de la part du créan-
cier au nom de qui elle a été donnée ,
elle ne devroit être allouée à ce poffef-
feur , qu'à la charge par lui de s'obliger
envers l'héritier , à la garantir & à faire
valoir cette quittance , dans le cas au-
Part. II, Chap. 2 , Sect. 5. 455
quel le créancier la conteſteroit , & de-
manderoit la fomme : Julianus fcribit , ita
imputaturum poffefforem , ft caverit fe petito-
rem defenfum iri, d. L. 30.
441. De même qu'on doit allouer au
poffeffeur ce qu'il a payé aux créanciers
de la fucceffion , on doit pareillement lui
allouer , ce qui lui étoit dû , lorſqu'il
étoit lui-même créancier de la fucceffion,
Cela eft fans difficulté à l'égard du pof-
feffeur de bonne foi : Juftus poffeffor dubio
procul debebit deducere quod fibi debetur. d. .
L. 31 , §. 2.
On refufoit dans le Droit Romain cette
compenfation au poffeffeur de mauvaiſe
foi : Si aliquidprædoni debebatur, hoc dedu-
cere non debebit. d. L. 31 , § . 1. Dans notre
Droit , elle doit être admife , fi la dette
eft certaine & liquide .
442. On doit fur-tout allouer au pof-
feffeur de mauvaife foi , auffi-bien qu'au
poffeffeur de bonne foi les dépenfes
qu'il a faites pour la maladie du dé-
funt , & pour fes frais funéraires : In
reflituenda hereditate compenfatio ejus habe-
bitur quod tu in mortui infirmitatem , in
que fumptum funeris , bona fide ex proprio
tuo patrimonio erogaffe probaveris. L. 4 ,
Cod. de hered. petit.
Néanmoins , lorfque la dépense que
le poffeffeur a faite pour les frais fu-
456 Traité du Droit de Propriété,
néraires du défunt , eft exorbitante , elle
ne doit être allouée au poffeffeur de mau-
vaife foi , que juſqu'à concurrence de la
fomme à laquelle ces frais ont coutume
de monter , eu égard à la qualité & aux
facultés du défunt.
443. L'héritier doit auffi allouer au
poffeffeur les fommes qu'il a payées pour
acquitter les legs , lorfque ces legs étoient
dûs.
Si ces legs n'étoient pas dûs , le tefta-
ment qui les renferme ayant été depuis
déclaré nul ; le paiement qui en a été
fait n'ayant pas , en ce cas, tourné au pro-
fit de la fucceffion , le poffeffeur de mau-
vaiſe foi ne peut fe faire allouer par
l'héritier les fommes qu'il a payées pour
acquitter lefdits legs ; il n'a d'action que
contre les légataires qui les ont reçus
induement per condictionem indebiti .
Mais lorfque le poffeffeur qui les a
acquittés , eft un poffeffeur de bonne foi ,
on lui permet , en confidération de fa
bonne foi , de retenir les fommes qu'il a
payées , fur les biens de la fucceffion , à
la charge feulement par lui de céder à
l'héritier les actions qu'il a contre les
légataires , pour la répétition de ce qu'il
leur a payé , pour être lefdites actions
V
exercées aux rifques de l'héritier. C'eſt
ce qu'enſeigne Gaïus : Sipoffeffor hereditatis
ob
Part. II, Chap. 2 , Sect. •5. " 457
ob id quod ex teftamento heredem fe effe
putaret legatorum nomine de fuo folvit ; fi
quis ab inteftato eam hereditatem evincat (* )...,
fecundùm Senatus - Confulti Sententiam fub-:
veniendum ei eft , ut ipfe quidem ex reten- .
tione rerum hereditariarum fibi fatisfaciat,,
cedat autem actionibus petitori ut fuo peri-.
culo eas exerceat. Loi 17 , ff. de petit.
hered.
444. Dans le compte que rend le poffef
feur , même de mauvaiſe foi , des fruits
qu'il a perçus , on doit lui allouer les frais
qu'il a faits pour les faire venir & pour les
recueillir : Fructus intelliguntur deductis im-
penfis quæ quærendorum , cogendorum confer-
vandorumque eorum gratiâ fiunt. Quod non
folum in bona fidei poſſeſſoribus naturalis ra-
tio expoftulat , verùm etiam in prædonibus.
L. 36, S. 5 , ff. d. tit.
Le poffeffeur de bonne foi a cela de
plus , qu'il eft fondé à fe faire faire raifon
par l'héritier , des frais qu'il a fait pour
faire venir les fruits , quoiqu'il n'en ait
point été recueillis Si fumptum quidem
fecit , nihil autem fructuum perceperit , æ-
quiffimum erit rationem horum quoque in
bona fidei poffefforibus haberi. L. 37 , ff.
d. tit.

[ *] Quo cafu legata teftamento relicta corruunt.


Tome I. V
458 Traité du Droit de Propriété,
445. A l'égard des impenfes qui ont
été faites par le poffeffeur dans les biens
de la fucceffion dont il étoit en poffef-
fion , il n'y a pas de différence entre le
poffeffeur de bonne foi & celui de mau-
vaife foi pour celles qui étoient nécef-
faires ; on en doit faire raifon à l'un & à
l'autre : à l'égard de celles qui étoient
feulement utiles , il y a ces deux diffé-
rences , que le poffeffeur de bonne foi
eft fondé en droit pour en prétendre le
remboursement , & qu'il lui eft dû de la
fomme entiere à laquelle elles ont monté;
au lieu que ce remboursement n'eft ac-
cordé au poffeffeur de mauvaiſe foi
que par indulgence & contre la rigueur
du Droit , & qu'il ne lui eft dû que juf-
qu'à concurrence de ce que l'héritage
fur lequel elles ont été faites , en eft
actuellement plus précieux : In cæteris
neceffariis & utilibus impenfis poffe feparari
ut bona fidei quidem poffeffores has * quoque
imputent ; prædo autem de fe queri debeat
quod fciens in rem alienam impendit ; fed
benignius eft in hujus quoque perfonâ haberi
rationem (**) impenfarum , non enim debet
petitor ex alienâ jactura lucrum facere

(*) Scilicet utiles.


*
[**] Seccatie re d'action en revendica-
Secùs en matiere
tion , fuprà , n. 350.
P. II, Chap. 1 , Sect. 5: 459
planè poteft in eo differentia effe ut bone
fidei quidem poffeffor omnimodò impenfas
deducat , licet res non extet in quam fecit,
facut tutor vel curator confequuntur ; prædo
autem non aliter quàmfires melior fit. L. 38 ,
ff. d. tit.

Utiles autem neceffariæque funt , veluti


quæfiunt reficiendorum ædificiorum gratiâ, aut
in novelleta , &c. L. 39 ,
Que doit-on dire des impenfes pure-
ment voluptuaires ? Gaïus les alloue au
poffeffeur de bonne foi ; mais il n'ac-
corde à celui de mauvaiſe foi , que la
faculté d'emporter ce qui peut l'être.
Videamus tamen ne ad picturarum quoque
& marmorum , & ceterarum voluptuariarum
rerum impenfas æque proficiat exceptio ? Uti-
que fi modò bonæ fidei poffeffores fumus :
nam prædoni probè dicetur non debuiffe in
alienam rem fupervacuas impenfas facere ,
ut tamenpoteflas ei fuerit tollendorum eorum
quæ fine detrimento ipfius rei tolli poffunt.
d. L. 39 , S.
§. 1.
446. L'héritier à qui le poffeffeur ref-
titue les biens de la fucceffion , non- feu-
lement lui doit faire raifon de ce qu'il a
déboursé pour lefdits biens ; il doit auffi
l'indemnifer des engagements qu'il a con-
tractés pour raifon de quelque bien de la
fucceffion. Paul rapporte cet exemple :

V ij
460 Traité du Droit de Propriete',
Si poffeffor caverit , v. g, damni ( * ) in-
fecti , cavendum eft poffeffori . L. 40 , §.3 , d. to
On peut apporter d'autres exemples :
à l'ordre du prix d'un héritage hypothé
qué à une créance de la fucceffion du
défunt , le poffeffeur qui s'étoit mis en
poffeffion des biens de la fucceffion , a
touché le montant de cette créance , & il
s'eft obligé de rapporter la fomme qu'il a
touchée envers un créancier conditionel
antérieur , dans le cas auquel la condition
de fa créance s'accompliroit ; ce poffeffeur

[ * ] La caution damni infecti , eft celle que


le propriétaire d'une maifon voifine de la mienne ,
qui a quelque fujet de craindre qu'il ne tombe
quelque chofe de ma maifon , qui caufe du dom-
mage à la fienne , a droit d'exiger de moi pour
que je lui réponde de ce dommage au cas qu'il
arrive : fi le poffeffeur a contracté un pareil en-
gagement envers un voifin pour une maiſon de
la fucceffion , l'héritier à qui le poffeffeur rend
cette mailon , eft tenu de donner caution à ce
poffeffeur de l'en indemnifer.
Je penfe auffi qu'en ce cas , le poffeffeur qui
n'a contracté cet engagement envers le voifin
qu'en une qualité de poffeffeur de cette maifon
qu'il n'a plus , eft fondé à dénoncer à ce voifin
la Sentence rendue fur la pétition d'hérédité ,
par laquelle il en a été évincé , & à demander
qu'il foit en conféquence déchargé de fon enga-
gement , ſauf au voiſin fe pourvoir contre l'hé
ritier qui eft rentré en poffeffion de la maiſon.
Part. 11, Chap. 2 , Sect. 6. 461
ayant depuis été condamné fur la de-
mande en pétition d'hérédité à rendre
à l'héritier les biens de la fucceffion , il
n'eft tenu de lui rendre cette fomme

qu'il a touchée à l'ordre , & pour laquelle


il a donné caution de la rapporter , qu'à
la charge par l'héritier de lui donner lui-
même caution de l'indemnifer & de
rapporter la fomme à fa décharge en cas
d'accompliflement de la condition .

SECTION V I.

Des actions qui font à l'inflar de la peti-


tion d'hérédité,

447. Lorfque le Roi a fuccédé par


droit d'aubaine aux biens d'un défunt
étranger , lorfqu'il a fuccedé par droit
de bâtardife , ou de déshérence , aux
biens d'un défunt qui n'a point laiffé d'hé-
ritiers , ou par droit de confifcation aux
biens d'un condamné ; pareillement
lorfqu'un Seigneur haut-jufticier fuccede
aux biens d'un défunt par droit de déf-
hérence " ou par droit de bâtardife
dans les cas où il en a le droit , ou lorf-
qu'il fuccede à un condamné ; dans tous
ces cas , le Roi & le Seigneur haut-juf
ticier ne font point héritiers du défunt
ni du condamné aux biens duquel ils
V iij
462 Traite du Droit de Propriété,
fuccedent ; car un héritier eft celui qui
fuccede à la perfonne du défunt , qui eft
une continuation de la perfonne du dé-
funt , qui fuccede à tous fes droits actifs
& paffifs ; or , le Roi ni le Seigneur
haut-jufticier qui fuccedent , dans tous ces
cas , aux biens du défunt ou du condamné,
ne fuccedent pas pour cela à fa perfonne,
ils ne fuccedent pas pour cela à fon hé-
rédité , l'aubain qui ne laiffe aucuns en-
fants nés en France , & le condamné à
une peine capitale , ne laiffent pas même
aucune hérédité ; leur perfonne eft en-
tiérement éteinte par leur mort , ils ne
laiffent rien qui puiffe la repréfenter ;
le défunt aux biens duquel le Roi ou le
Seigneur haut jufticier fuccedent par
droit de déshérence , laiffe bien après
fa mort une hérédité qui repréfente fa
perfonne ; mais lorfque ne fe préfentant
aucuns parents pour recueillir cette hé-
rédité , le Roi ou le Seigneur haut-juſti-
cier fuccedent aux biens qui en dépen-
dent ; ce n'eft pas l'hérédité qu'ils recueil-
lent , ce n'eft pas à l'hérédité qu'ils fuc-
cedent , ils ne fuccedent qu'aux biens qui
en dépendent , comme à des biens va-
cants , & qui ne font réclamés par per-
fonne. Cela paroît en ce que le Roi ou
le Seigneur haut-jufticier qui fuccedent
à ces biens, ne font pas tenus directement
Part. II, Chap. 2 , Sect. 7. 463
des dettes du défunt , comme en auroit
été tenu celui qui auroit recueilli fon
hérédité , ils n'en font tenus qu'indirec
tement , parce que ces dettes font des
charges des biens auxquels ils fuccedent ,
fuivant cette maxime : Bona intelliguntur
cujufque quæ deducto are alieno fuperfunt.
L. 39 , S. 1 , ff. de verb. fign. Et ils peu-
vent s'en décharger en abandonnant les
biens , à la différence d'un héritier qui
ne peut fe décharger des dettes en aban-
donnant les biens , parce que ce n'eſt pas
feulement à caufe des biens qu'il en eft
tenu , mais comme fucceffeur in univer-
fum jus defuncti.
Il réfulte de tout ce que nous venons
de dire , que ni le Roi ni le Seigneur
haut-jufticier ne peuvent avoir la péti-
tion d'hérédité proprement dite pour
revendiquer la fucceffion des biens d'un
défunt ou d'un condamné , qu'ils préten-
dent leur appartenir à titre d'aubaine ,
bâtardife , déshérence , ou confiſcation ,
contre les poffeffeurs qui fe feroient em-
parés defdits biens ou de partie , & qui
en difputeroient la fucceffion au Roi ou
au Seigneur ; car la pétition d'hérédité ,
comme nous l'avons défini fuprà , n. 365,
eſt une action par laquelle un héritier
revendique une hérédité qui lui appar-
tient contre les poffeffeurs de quelques
V iv
464 Traite du Droit de Propriété,
biens ou droits de cette hérédité qui la
lui difputent ; le Roi , ni le Seigneur
haut-jufticier , n'étant point héritiers de
celui aux biens duquel ils fuccedent , &
cette fucceffion n'étant point une héré-
dité , il s'enfuit qu'ils ne peuvent avoir ,
pour raiſon de cette fucceffion , la péti-
tion d'hérédité contre ceux qui la leur
difputent.
Mais fi le Roi & le Seigneur haut-
jufticier ne peuvent avoir la pétition d'hé-
rédité , pour raifon de ces efpeces de
fucceffions de biens , on peut leur ac-
corder une action qui foit à l'inftar de
la pétition d'hérédité , par laquelle ils puif-
fent revendiquer le droit de fucceffion à
l'univerfalité des biens du défunt ou du
condamné , qui leur appartient à titre d'au
baine , bâtardife , déshérence , ou con-
fifcation , contre ceux qui fe font mis
en poffeffion defdits biens ou de partie ,
qui leur conteftent ce droit.
Cette action eft , de même que la pé-
tition d'hérédité , une action in rem qui
naît du droit de propriété de la fuccef-
fion à l'univerfalité des biens du défunt
ou du condamné , qui leur a été acquis
par l'ouverture du droit d'aubaine , bâtar-
dife , déshérence , ou confifcation , par
laquelle le Roi ou le Seigneur haut- jufti-
cier revendiquent non aucune chofe
Part. II , Chap. 2 , Sect. 6. 465
particuliere , mais le droit de fucceflion
à l'univerfalité des biens du défunt ou du
condamné à titre d'aubaine , bâtardife ,
déshérence , ou confifcation , contre le
poffeffeur qui le leur contefte.
Tout ce que nous avons dit de la
pétition d'hérédité dans les fections pré-
cédentes , peut s'appliquer à cette action
que le Roi & le Seignenr haut -jufticier
ont à l'inſtar de la pétition d'hérédité.
448. Pareillement , dans les Provinces
où il y a des mortaillables , lorfqu'un
Seigneur fuccede à fon ferf , il n'eft
point héritier de ce ferf ; il fuccede feu-
lement à l'univerfalité des biens de ce
ferf; ce n'eft donc point la pétition d'hé-
rédité , mais une action à l'inftar de la
pétition d'hérédité qu'il a contre ceux
qui fe feroient mis en poffeffion des biens
ou de partie des biens de ce ferf , &
qui lui difputeroient cette fucceffion .
449. L'univerfalité de biens mobiliers
qu'un Religieux pourvu d'un bénéfice
qui l'a fait fortir du cloître " avoit de
fon vivant , & qu'il a laiffé à ſa mort,
n'eft point une hérédité ; car une héré-
dité eft une fucceffion à tous les droits
actifs & paffifs du défunt , dans laquelle
la perfonne civile du défunt fe continue ,
& de laquelle fe revêtit l'héritier qui
recueille l'hérédité.
V v
466 Traité du Droit de Propriete, &c.
Il est évident que cela ne peut conve
nir à un Religieux , qui ayant , par fa pro-
feffion religieuſe , perdu l'état civil , ayant
dès ce moment ceffé d'avoir une per-
fonne civile , ne peut pas avoir une hé-
rédité qui foit la continuation d'une per-
fonne civile qu'il n'avoit plus. L'univer-
falité des biens mobiliers que ce Religieux
a laiffé à fa mort , à laquelle on donne
le nom de pécule , ne peut donc paffer
pour une hérédité ; & par conféquent
ceux que la Loi appelle à la fucceffion
de ce pécule , n'ont pas la pétition d'hé-
rédité , mais une autre action à l'inflar
contre ceux qui fe feroient mis en pof-
feffion des effets de ce pécule ou de par-
tie , & qui leur en difputeroient la iuc-
ceffion.

Fin du premier Volume.


467

HON

TABLE

DES MATIERES ,

PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE.


Α

ABANDON. Quand le domaine d'une


chofe eft il perdu par l'abandon qu'en fait le
propriétaire , pag. 265 , 266
Peut-on abandonner le domaine d'une chofe
par partie , 266 , 267
On n'eft pas cenfé abandonner le domaine des
marchandifes qu'on jette à la mer pour allé-
ger le vaiffeau , 267 , 268
Lorfqu'un débiteur abandonne fes biens à fes
créanciers , quand en perd-il le domaine , 270
ACCESSION. Maniere d'acquérir le do-
maine , 144
C'est par droit d'acceffion que les productions
d'une chofe font acquifes au propriétaire de
la chofe qui les a produites , vi ac poteftate rei
fue ; comme les fruits d'un héritage , les petits
qu'un animal a mis bas , les enfants dont une
efclave négreffe eft accouchée , 245 , 246 ,
247
Le cas d'un ufufruitier , d'un fermier , d'un pof-
feffeur de bonne foi , font -ils de véritables ex-
ceptions au principe , 148 jufqu'à 151.
V vj
468 TABLE
C'eft auffi par droit d'acceffion que nous acqué-
rons le domaine des chofes qui s'uniffent à
la nôtre , de maniere qu'elles en deviennent
des parties acceffoires : Exemples du cas au-
quel cette union fe forme fans le fait de
l'homme, 152 jusqu'à 159
Exemple auquel l'union fe forme par le fait de
l'homme ; & quatre regles pour juger laquelle
des chofes unies eft la chofe principale , &
laquelle eft l'acceffoire , 160 jusqu'à 169
Exception à la premiere regle pour la peinture
& l'écriture , 164 , 165 , 166
Il n'y a lieu au droit d'acceffion que lorsque la
chofe unie à la mienne , forme un tout com-
pofé de parties cohérentes , 174 , 175
Le domaine que nous acquérons par droit d'ac-
ceffion des chofes unies à la nôtre , par notre
fait , ou celui d'un autre , n'eft qu'un domaine
momentané , qui ne dure que jufqu'à leur fé-
paration , 169 , 170 , 171
En quels cas , celui à qui elles appartenoient
avant l'union , eft- il reçu , ou non , à en de-
mander la féparation , 171 jufqu'à 174
Voyez ALLUVION , ISLE , PIGEONS , EDI-
FICE.
ACTION de revendication ; Voyez REVEN-
DICATION.
ADJUDICATION , 250 , 251
ALLUVION. A qui appartiennent les allu-
vions , 152 , 153 , 154
AMENER , 115 , 116 , 117
ASSURANCE. Coup d'affurance. 119
B

BIENS. Le fucceffeur aux biens d'une per-


fonne , par droit d'aubeine , de bâtardiſe , de
déshérence 9 ou de confifcation , n'a pas la
pétition d'hérédité , mais a une action à l'inf
par 2
463 , 464
DES MATIERES. 469
BUTIN. Trois especes , 88, 89 , 90

CAPITAINE . Ne doit rien prendre ſur

un vaiffeau qui a amené 117


Devoir d'un Capitaine à l'égard du vaiffeau
qu'il a pris , 118 jusqu'à 123
CESSIONNAIRE DE DROITS SUCCESSIFS ,
differe du ceffionnaire des prétentions à une
fucceffion , 379 , 380
CHARTE - PARTIE , 114
CHASSE. Efpece d'occupation , 26
Principes du Droit Romain fur la chaffe , 27 ,
28
Le Chaffeur qui chaffe fur l'héritage d'autrui
contre la défenfe du propriétaire , acquiert - il
le domaine du gibier qu'il prend , 28
L'animal pris au piege eft-il acquis auffi - tôt à
celui qui l'a tendu , 28 , 29 , 30
Suffit-il d'avoir bleffé le gibier pour en acqué-
rir le domaine 30 , 31
Les Souverains fe font réſervés le droit de chaffe
pour eux & pour ceux auxquels ils ont jugé
à propos de le communiquer. Ont - iis eu ce
droit , 31, 32 , 33
Loix qui ont défendu la chaffe en France. A
quelles perfonnes , 33 jusqu'à 39
C'est au Roi à qui appartient éminemment le
droit de chaffe ; ceux qui en ont le droit , ne
le tiennent que de lui fous les limitations qu'il
a jugé à propos d'y appofer , 38,39,40
Dans les terres qui font hors les plaifirs du Roi >
le droit de chaffe appartient au propriétaire
du fief , 41 , 42
Un Gentilhomme a t-il droit de chaffer fur fes
terres qu'il tient en cenfive fans le confente-
ment du Seigneur , 42, jufqu'à 45
Un roturier peut-il chaffer fur les terres qu'il
470 TABLE
tient en franc-aleu , 45,46 47
Le Suzerain peut chaffer fur les terres de fes
vaſſaux modérément & en perfonne , 41 ,
42
Haut-Jufticier peur chaffer en perfonne fur les
fiefs d'autrui qui font dans l'étendue de fa
Juftice , 47 , 48 , 49
Quid, lorfque la haute-juftice appartient à plu-
fieurs , 49 , 50
Ceux qui ont le droit de chaffe n'en peuvent
ufer que pour leur plaifir , 51
Peuvent- ils faire chaffer leurs domeftiques , 51 ,
52
Peut- on affermer la chaffe , 52 , 53
Le droit de chaffe ne comprend pas toute forte
de gibier , 53
Ceux qui ont droit de chaffe ne peuvent chaf-
fer , ni dans les lieux , ni dans les temps dé-
fendus ,
53 , 54
Ne peuvent chaffer que de la maniere permiſe ,
54, 55
Comment ceux qui ont droit de chaffe , empê-
chent-ils les autres de chaffer , 55 , 56
CHOSES qui font reftées dans l'état de com-
munauté négative , & qui font acquifes au
premier occupant , 23 jufqu'à 26
CHOSES qui n'appartiennent à perfonne , dont
on n'a pas pour cela le droit de s'emparer
26
CLAUSE DE CONSTITUT , 204
CLAUSE DE DÉSAISINE - SAISINE , 207 , 208
COMMUNAUTÉ. État de communauté néga-
tive ,
23 , 24 , 25
COMTE. Compte que doit rendre le poffeffeur
à l'héritier qui a obtenu fur la pétition d'hé-
rédité , 425 , 426
Le poffeffeur , même de bonne foi , doit comp-
ter à l'héritier de tout le profit qui lui eft re-
venu des biens de la fucceffion , 426 , jufqu'à
429
DES MATIERES. 471
Même des profits déshonnêtes , 429 , 430
Raifon principale des différences fur ce compte
entre le poffeffeur de mauvaiſe foi & le pof-
feffeur de bonne foi , 430 , 435
Premiere différence. Le poffeffeur de mauvaiſe
foi eft tenu de compter de tout ce qui lui eft
parvenu des biers de la fucceffion , quoiqu'il
n'en ait pas profité. Le poffeffeur de bonne foi
n'en eft tenu qu'autant qu'il en a profité ,
431 jusqu'à 434
Il n'en a pas profité , s'il l'a donné 434
S'il l'a confommé dans fon ménage , il n'eſt cenfé
profiter que jufqu'à concurrence de ce qu'il a
épargné du fien , 435 , 436, 437
Le poffeffeur de bonne foi , qui eft lui - même
héritier pour une part , fait porter la perte de
ce qu'il a diffipé du bien de la fucceffion
tant fur fa part , que fur celle qu'il doit ren-
dre , 437 , 438
A quel temps a-t- on égard pour juger fi le pof-
feffeur de bonne foi a profité des biens de la
fucceffion , 238 , 239
A qui eft ce à juftifier que le poffeffeur de bonne
foi , n'a pas profité de ce qui lui eft parvenu
des biens de la fucceffion , 440 jufqu'à 443
Seconde différence par rapport aux fruits. Le
poffeffeur de mauvaife foi compte tant de
ceux qu'il a perçus , & de ceux qu'il a man-
qué de percevoir ; le poffeffeur de bonne
foi n'eft tenu que de ceux qu'il a perçus , juf-
qu'à concurrence de ce qu'il en a profité ,
443 , 444 , 445
Troifieme différence par rapport aux intérêts ,
445 , 446 , 447
Quatrieme différence par rapport aux dégrada-
tions , 447 , 448 , 449
Le poffeffeur de mauvaiſe foi eft-il tenu des pref-
criptions & des infolvabilités des débiteurs
de la fucceffion , 449 , 459
472 TABLE
Difference qui fubfifte , même après la litifcon-
teftation entre le poffeffeur de bonne foi &
le poffeffeur de mauvaife foi 439 , 440
CONFUSION. Maniere d'acquérir une chofe`
formée de plufieurs matieres appartenantes
à différentes perfonnes , 187 jufqu'à 191
CONNOISSEMENT , 114
CONQUÊTE . Droit de conquête , 88
CONSIGNATION. Quand le debiteur perd- il
le domaine des chofes ou fommes qu'il a
confignées , 268 , 269
CORSAIRE , 91
COURSES. Qui font ceux qui ont droit de faire
des Courfes fur les vaiffeaux ennemis 91
juſqu'à 95

DOMAINE
DIRECT , 4, 5
DOMAINE UTILE ,
5
DOMAINE DE PROPRIÉTÉ : Ce que c'eft , &
ce qu'il renferme , 6,7
Défauts dans la perfonne du propriétaire , le
privent , non du fonds , mais de l'exercice de
ce droit , P
7,8,9
Imperfection dans le droit de propriété. Diffé-
rentes efpeces d'imperfection , 9 jufqu'à 14
Le droit de difpofer que donne la propriété
parfaite , eft fans donner atteinte au droit d'au-
trui , ni aux Loix , 14 , 15 , 16
Le domaine de propriété fuppofe un proprié-
taire il n'eft pas néceffaire que ce foit une
perfonne naturelle , 16
Deux perfonnes ne peuvent être propriétaires
d'une même chofe , chacun pour le total :
Comment cela s'entend-il , 17, 18 19
On ne peut être propriétaire d'une même chofe
ex pluribus caufis , 19 , 20
Manieres d'acquérir le domaine par le droit na-
DES MATIERES. 473
furel. Voyez OCCUPATION , ACCESSION ,
TRADITION.
Le domaine par le droit civil s'acquiert à titre
univerfel par fucceffion , 247 , 248
Ou par legs univerfel , 248 , 249
S'acquiert à titre fingulier par legs ou fidéi-
commis , adjudication , prefcription , 249,
250 , 251
Par le Droit Romain nous acquerrions non-
feulement par nous - mêmes , mais encore par
ceux que nous avons en notre puiffance . Dans
nos Provinces qui ne font pas régies par le
Droit Ecrit , nous n'acquérons proprement
que par nous - mêmes , 252 jusqu'à 257
Nous acquérons par nous-mêmes , quoique par
le miniftere d'un autre qui acquiert en notre
nom , ayant pouvoir & qualité , 257,258
Ou par la ratification de ce qui a été fait en
notre nom , 258,259
Nous ne pouvons acquérir le domaine que par
notre volonté de l'acquérir , ou par la volonté
de ceux qui ont qualité , pour fuppléer la
nôtre , 259,260
Trois exceptions à ce principe , 260 , 261 , 262
La volonté d'acquérir doit être accompagnée
d'une préhenfion corporelle de la chofe ,
262 , 263
Nous perdons le domaine d'une chofe par notre
volonté par la tradition , 263 , 264 , 265
Par l'abandon que nous en faifons , 265 , 266
Voyez ABANDON , CONSIGNATION , DÉGUER-
PISSEMENT .
Comment le perdons- nous malgré nous. Quatre
manieres , 271 , 272 , 273
Nous ne perdons pas le domaine des chofes
dont nous perdons la poffeffion , 273 , 274
Exception à l'égard des animaux fauvages , &
des autres chofes qui font de nature à être dans
la communauté négative. , 274,275,276.
474 TABLE

EDIFICES . Appartiennent par droit d'ac


ceffion au propriétaire du terrain fur lequel
ils font bâtis , 168 , 169
ENTIERCEMENT. Maniere de revendiquer
les meubles corporels , 308 jusqu'à 309
ÉPAVES. Ce que c'eft. 69 , 70
A quel Seigneur appartient le droit de vendre
à fon profit les épaves non reconnues , 69 , 70
Celui qui trouve l'épave , la doit déférer à Juſ-
tice. Peine s'il ne le fait pas , 70 , 71 , 72
Procédure que doit tenir le Seigneur avant de
vendre l'épave , 72 jusqu'à 77
Jufqu'à quel temps l'épave peut- elle être récla-
mée , 72 , 78
Lorfqu'elle a été adjugée , à qui le prix en ap-
partient-il , 78
ESSAINS D'ABEILLES. Lorfque le proprié-
taire de la ruche ne les pourfuit point , quel-
ques Coutumes les adjugent aux Seigneurs
Jufticiers , 79 , 80
t
Hors ces Coutumes , à qui appartiennen - elles ,
81
F

FRANC - ALEU. Deux eſpeces ,


45
G

ARENNE. Peut s'affermer ,


GAREN 53
GÉNÉALOGIE . Comment s'établit-elle , ' 392 ,
393
I

IMPEN
MPENSES . Le poffeffeur évincé fur une
demande en révendication , doit être rem-
boursé des impenfes néceffaires , même des
DES MATIERES. 475
intérêts , jufqu'à concurrence de ce qu'ils ex-
céderont les fruits par lui perçus , 345
Quid , des impenfes d'entretien , 345 , 346
Le poffeffeur de bonne foi doit être remboursé
des impenfes utiles , 346 , 347
Pourvu que fa bonne foi durât encore lorſqu'il les
a faites , 360
N'en eft remboursé que jufqu'à concurrence de
ce que l'héritage eft plus précieux , 347,348 ,
349
Il ne l'eft que fous la déduction des fruits qual
a perçus , 353 354
Cas particuliers auxquels le poffeffeur de bonne
foi ne peut répéter les impenfes utiles , 349
julqu'à 353
Dans l'action de revendication , le Droit Ro-
main n'accordoit pas au poffeffeur de mau-
vaiſe foi le remboursement des impenfes utiles,
354 jufqu'à 358
Dans notre Droit , on diftingue à cet égard dif-
férentes efpeces de poffeffeurs de mauvaiſe
foi , 358,359
On permet au poffeffeur de mauvaife foi d'en-
lever ce qui peut l'être , 350 , 360 , 361
Le poffeffeur des biens d'une fucceffion doit être
remboursé par l'héritier , des impenfes nécef-
faires qu'il a faites aux biens de la fucceffion , 4
Différences entre le poffeffeur de mauvaiſe foi
& celui de bonne foi , par rapport aux im-
penfes utiles , 458,459
Quid , des voluptuaires , 459
INVENTION. Quelles chofes acquérons - nous
de cette maniere , 61 , 62 , 63
ISLES qui fe forment dans les rivieres , à qui
font-elles acquifes , 154 jusqu'à 157
JUS IN RE , 1,2
476 TABLE

·L

LIQUIDATIONS DE FRUITS. Comment


procede- t- on à la liquidation des fruits qu'un
poffeffeur a été condamné de rendre ? 367
jufqu'à 371
M

MINEUR eft-il tenu du dol que fon tu-


teur , en fa qualité de tuteur , a commis en-
vers des tiers , 421 , 422
MORT. De la regle , le mortfaifit le vif , 247,
248 , 260 , 261
0
OCCUPATION. Ce que c'eft , 22
Différentes efpeces. Voyez CHASSE , PÊCHE ,
OISELLERIE , INVENTION.
OCCUPATION de terres inhabitées , 83
Occupation fimplement dite. Plufieurs exemples
83 jufqu'à 87
OISEAUX apprivoifés doivent être rendus aux
propriétaires , 60 , 61
OISELLERIE. Efpece d'occupation > 60
OTAGES , 139 , 140
P

PAVI LL
AVILLON . N'eft pas permis d'arborer un
faux pavillon , III , 112 , 113
PECULE. Différentes efpeces , 253 , jufqu'à 256
Pécule d'un Religieux. Le fucceffeur à ce pécule
n'a pas la pétition d'hérédité ; mais a une ac-
tion à l'inflar , 466
PÊCHE dans la mer , permiſe à tous , 57
Dans les fleuves & rivieres navigables , appar-
tient au Roi 57 , 58
A qui appartient - elle dans les autres rivieres
58
DES MATIERES. 477
Délit de ceux qui pêchent fans droit dans les
rivieres ou étangs d'autrui 58,,5
58 599 , 60
PÉTITION D'HÉRÉDITÉ . Quelle action eft-
ce , 175
Par qui peut-elle être intentée , 377 jufqu'à 380
L'héritier intente cette action contre ceux qui
poffedent la moindre chofe , ou le moindre
droit dépendant de la fucceffion lorsqu'ils dif-
putent la fucceffion , 381 , 382 , 383
Même contre un débiteur de la fucceffion qui
refufe de payer , parce qu'il prétend que la
fucceffion lui appartient , 384,385 , 386
L'action a lieu contre celui qui a ceffé par dol de
pofféder, contre celui qui ne poffédant rien ,
à défendu à la demande donnée contre lui
pour amufer & tromper l'héritier, 386 , 387
Quelle eft la chofe que révendique le demandeur
dans la pétition d'hérédité , 388,389,390
Comment l'héritier fonde-t-il fa demande : Voyez
TESTAMENT , GÉNÉALOGIE.
Un effet de l'inftance fur la pétition d'hérédité ,
eft d'arrêter l'exercice des actions que l'une
ou l'autre des parties avoit contre le défunt ,
395 396
En arrête-t- elle la preſcription , 396 , 397
Arrête-t- elle de même l'exercice des actions que
le défunt avoit contre l'une ou l'autre des par-
ties ,
397 , 398
Un autre effet de l'inftance en pétition d'héré-
dité , eft que le poffeffeur ne peut pendant
qu'elle dure , aliéner aucune chofe des biens
de la fucceffion , fi ce n'eft en certains cas ,
398 , 399
L'inftance en pétition d'hérédité n'arrête pas les
actions des tiers créanciers de la fucceffion :
contre qui doivent - ils fe pourvoir , 399 ,
400 , 401
Arrête-t-elle celles des légataires , 401 , 402
En matiere de pétition d'hérédité , qu'entend- on
478 TABLE
par poffeff eur de bonne foi , & par poffeffeur
de mauvaife foi , & jufqu'à quand eſt cenfé
durer la bonne foi , 403 jufqu'à 406
Le poffeffeur qui a fuccombé , doit reftituer tout
ce qu'il poffede des chofes & droits de la fuc-
ceffion , 406, 407
Même les chofes dont le défunt n'avoit que la
nue détention , 407 , 408
Tout ce qui eft né & provenu des chofes de la
fucceffion , même depuis la mort du défunt ,
comme les fruits , eft cenfé en faire partie ,
408 , 409
Les actions acquifes par rapport aux choſes de
la fucceffion , 409
Tout ce qui fert à l'exploitation des héritages
de la fucceffion , quand même ce feroit le pof-
feffeur qui en auroit fait l'emplette de ſes de-
niers , fauf à lui faire raiſon , 409 , 410
Tant ce qu'il avoit lors de la demande , que ce
qui lui eft parvenu depuis , 411 , 412
Les chofes que le poffeffeur a acquifes pour lui ,
quoique des deniers de la fucceffion , ne font
pas biens de la fucceffion , -410 , 411
Différence entre le poffeffeur de bonne foi &
celui de mauvaiſe foi , par rapport aux chofes
de la fucceffion qu'ils ont omis ou ceffé de
pofféder , 413 jusqu'à 421
Poffeffeur de mauvaife foi demeure débiteur in
Specie des chofes de la fucceffion qu'il a ven-
dues , fauf en deux cas , 416 jufqu'à 420
Même des chofes péries ou perdues , dans le
cas auquel l'héritier en eut évité la perte , fi
elles lui euffent été rendues , 421
Comment s'eftiment les dommages & intérêts
dont eft tenu le poffeffeur de mauvaiſe foi qui
s'eft mis hors d'état de rendre , 420
Le poffeffeur doit-il reftituer le total de ce qu'il
poffede des biens de la fucceffion au deman-
deur qui n'eft héritier que de partie , 423 ,
424 , 425
DES MATIERES. 479
Sur le compte que doit rendre des biens de la
Succeffion , le poffeffeur qui a fuccombé fur
la pétition d'hérédité. Voyez COMPTE. .
L'héritier doit de fon côté , faire raiſon au pof-
feffeur de ce qu'il a payé aux créanciers de
la fucceffion , & pour les frais funéraires ,
452. ju/qu'à 455
De ce qui lui étoit dû par le défunt , 455
De ce qu'il a payé aux légataires , 455 456
Des impenfes qu'il a faites pour les héritages.
Voyez IMPENSES.
Pour les fruits ,
457
PIGEONS. Le propriétaire d'un colombier ac
quiert en quelque façon par droit d'acceffion
le domaine des pigeons qui s'y établiffent ,
57, 5858,59
, 59
Il n'eft pas permis de fe fervir de manoeuvres pour
les attirer 19
PIRATE. Quels vaiffeaux font traités comme
Pirates ,
111 jusqu'à 116
PLANTATION. Ce qui eft planté eft acquis
par droit d'acceffion au propriétaire de la terre ;
fous quelles conditions , 163 .
PRISE. Vaiffeaux ennemis , & les Marchandifes
qui s'y trouvent , quelles que foient les per-
fonnes à qui elles appartiennent , font de bonne
prife , 95, 96
Vaiffeau François qui a été pris par les ennemis ,
quand il y a été plus de vingt-quatre heures ,
eft de bonne prife lorfqu'il eft repris , 97
Secùs , lorfqu'il eft repris dans les vingt - quatre
heures , ou lorfqu'il eft revenu de lui même "
quoique long-temps après , 97 jufqu'à 103
"Ceux repris fur un pirate doivent toujours être
rendus , 103 , jufqu'à 106
Vaiffeaux François , ou neutres , chargés de mar-
chandifes , qui appartiennent à l'ennemi , font-
ils de bonne prife , 106 jufqu'à 109
Marchandifes qu'on porte à l'ennemi fur des
480 TABLE
vaiſſeaux neutres , ne font pas de bonne priſe
fi elles ne font de contrebande , 109 , 110
III
Vaiffeaux de pirates , & leur chargement , font
de bonne priſe , III
Vaiffeaux combattants fous pavillon étranger ,
III , 112
Vaiffeaux qui ont commiſſion de différents Etats ,
113
Vaiſſeaux où on ne trouve ni charte- partie , ni
connoiffement, 113 , 114
Vaiffeau qui refufe d'amener , 115 , 116 , 117.
Devoir du Capitaine à l'égard du vaiffeau qu'il
a pris , 118 jufqu'à 123
Ce qui doit être obfervé , lorfque la prife eft ar-
rivée dans nos ports , & comment fe diftribue
le prix de la vente qu'on en doit faire , 127
jufquà 129
PRISONNIERS DE GUERRE , 141 , 142 , 143
R

RANÇON . Ce que c'eft : en quel cas doit-


on admettre un vaiffeau à rançon ; & fous
quelles conditions , 127 jufqu'à 131:
Obligations refpectives qui naiffent de la conven-
tion de rançon , 132 jusqu'à 138
Action qu'a le Maître du navire rançonné contre
fes commettants 138 , 139
REVENDICATION . ACTION EN REVENDI
CATION. Quelle eft cette action " 277 , 278
Quelles chofes en peuvent être l'objet , 279
juſqu'à 282
Elle ne peut être ordinairement intentée que par
celui qui a le domaine de la chofe , 283 , 284
Quel domaine faut-il avoir , 284 , 285 , 286
Le poffeffeur de bonne foi d'une chofe , qui en
a perdu la poffeffion , eft reçu à cette action.
contre celui qui la poffede fans titre , 286 ,
7. 287 , 288
Cas
DES MATIERES: 48F
Cas auxquels il eft reçu , même contre le pro-
priétaire , 288 , jufqu'à 292
Cette action fe donne contre celui qui eft trouvé
en poffeffion ; & fi c'eft un fermier , il doit
indiquer fon bailleur contre lequel le deman-
deur doit fe pourvoir , 292 , 293 , 294
Lorfque mon co-propriétaire poffede la chofe en
commun avec un tiers qui n'y a aucun droit ,
contre qui doit fe donner l'action , 294 , 295
Lorfque la partie affignée dénie pofféder , que
doit ordonner le Juge , 295
Quid, fi la partie affignée défend à la demande
quoiqu'elle ne poffede pas , 296
Cette action fe donne-t-elle contre l'héritier du
poffeffeur , s'il n'eft pas lui - même poffeffeur ,
296 , jusqu'à 300
Elle fe donne contre celui qui par dol a ceffé de
pofféder , 300 , 301
Ce que doit obferver le propriétaire avant d'in-
tenter cette action , 302 , 303. Voyez ENTIER-
CEMENT.
Comment s'intente l'action en revendication des
héritages , 309 , 310. Voyez VUES & MON-
TRÉES.
Le poffeffeur ne doit être dépoffédé pendant le
procès ; mais il ne doit rien innover , 311 , 312
Lorfque c'est une rente qui eft revendiquée ,
qu'obferve-t-on , 312 , 313
Quels font les titres qui peuvent fonder la de
mande en revendication ; & quand le deman-
deur paroît-il l'avoir fondée , 314 ,jufqu'à
318
Commentfe fait la reftitution du meuble entiercé
au demandeur qui a obtenu en fa demande ,
318 , 319 , 320
Quid , lorfque le meuble eft entre les mains du
défendeur " 320 , 32E
Comment fe fait la reftitution d'un héritage ,
321 322
Come I X
482 TABLE
D'une rente , 322
En quel état doit être rendue la chofe revendi
quée. Diftinction à cet égard entre le poffef
feur de mauvaiſe foi & celui de bonne foi ,
322 jusqu'à 325
De quels fruits doit faire raifon le poffeffeur de
mauvaiſe foi, 326, 327 , 328
Depuis quel temps , 328,329 , 330
De quand le poffeffeur de bonne foi est-il tenu
des fruits ; & de quels fruits , fuivant le Droit
Romain 330 jusqu'à 335
Le poffeffeur de bonne foi n'eft réputé tel par
rapport aux fruits , que tant que fa bonne foi
dure " 336, 337, 338
Principes du Droit François fur la reftitution des
fruits , 339 jusqu'à 342
Le demandeur doit rembourfer le poffeffeur de
ce qu'il a été obligé de payer à des créanciers
hypothécaires , & des impenfes néceffaires qu'il
a faites fur l'héritage , 342 , 343 , 344
Même les intérêts , jufqu'à concurrence de ce
qu'ils excéderoient les fruits perçus par le
poffeffeur , 343 , 344. Voyez IMPENSES.
Le demandeur n'eft obligé de rembourfer , même
l'acheteur de bonne foi , du prix qu'il a payé ,
s'il n'a tourné à fon profit , 361 , 362
Dans quel délai , & par quelles voies le poffef-
feur eft-il contraint de délaiffer l'héritage qu'il
a été condamné de délaiffer , 363 ,jusqu'à 367
A quoi doit être condamné le poffeffeur qui s'eft
mis par fon dol ou par fa faute hors d'état de
reftituer la chofe , 371 jusqu'à 374

SEMENCES jettées en terre, acquifes par droit


d'acceffion au propriétaire de la terre , 164
SEMONCE , 116
SPECIFICATION , 176juſqu'à 186
DES MATIERES.
483
Τ

TESTAMENT. Lorfqu'il eft olographe , les


parents en dégré de fuccéder ab inteftat , en
peuvent demander la vérification , 390
Quels défauts peut- on oppofer contre un teſta-
ment , 391 , 392
Celui qui a reçu un legs porté par le teftament ,
eſt-il non recevable à attaquer le teſtament ,
393 , 394
Celui qui a impugné le teftament , & a fuccom-
bé , eft-il déchu de ce qui lui eft légué par
le teftament , 395 396
TRADITION ,
193
Tradition réelle ; comment fe fait - elle " 193
ju qu'à 196
Tradition fymbolique , 196 , 197
Tradition longæ manus , 198 , 199 , 200
La marque tient-elle lieu de tradition , 200 , 201
Tradition brevis manús , 201 , 202 , 203
Traditions feintes qui réfultent de différentes
claufes , 204 jufqu'à 208
Tradition de droits réels , 208 , 209
De créances , 209 , 210 , 211
Tradition , pour qu'elle transfere la proprieté ,
doit être faite par le propriétaire , ou de fon
confentement au moins implicite , 213 , 214
Ou de celui qui a la qualité pour confentir pour
lui , 216 , 217
Quan ce confe doit-il interv , 213
d nteme enir
nt 214 , 215
La tradition que fait en fon nom celui que j'avois
chargé de la faire au mien , eft-elle cenfée faite
de mon confentement , 217 , 218
Deux cas où la tradition transfere la propriété fans
le confentement du propriétaire , 218 , 219
Pour que la tradition transfere la propriété , il
faut que le propriétaire qui l'a faite ou confen-
tie , foit capable d'aliéner , 219 , 220
Différence à cet égard entre l'incapacité de la
484 TABLE DES MATIERES.
femme fous puiffance de mari , & celle des
mineurs , 220 , 221 , 222
Doit-on mettre au rang des incapables le débi-
teur qui alienne en fraude de fes créanciers &
le grévé de fubftitution , 222 , 223
La tradition pour transférer la propriété , doit
être faite en vertu d'un jufte titre réel ou pu-
tatif, 223 , 224 , 225
Le confentement des parties dans la tradition
doit intervenir fur là choſe qui en fait l'objet
226 , 227
Sur la perfonne à qui la tradition eft faite , 227
228 , 229
Sur la tranſlation de la propriété , 229juſqu'à 232
Doit-il auffi intervenir fur la cauſe , 232 233
Condition particuliere requife dans la tradition qui
fe fait en exécution d'un contrat de vente pour la
tranflation de la propriété , 234 juſqu'à 238
La tradition transfere le domaine de la chofe avec
toutes les charges , & tel que l'avoit celui qui
l'a faite ou confentie , 238,239
Quand transfere-t-elle caufam ufucapionis, 239,249
Les conventions , tant qu'elles ne font pas exécu-
tées par la tradition , ne peuvent , fuivant le
Droit civil , transférer le domaine , 240--24
En eft-il de même aux termes du pur Droit na-
turel , 240 jusqu'à 24
Exceptions au principe , 245 , 246
Corollaires du principe , 246
TRÉSORS. A qui appartiennent - ils lorsqu'ils
font découverts , 66 , 67
Qu'entend -on par tréſor , 67,68
V

VARECH & CHOSES GAIVES , 81 , 82


VUES & MONTRÉES. Exception que pou
voit autrefois oppofer la partie affignée en re-
vendication d'héritage , 310, 311

Fin de la Table des Matieres


ERRAT A.

PAGE 4 , ligne 5 des Notes , de nud. fur. lifez de nud.


jur.
Page 5 , lig. 7 , que le droit , ajoutez qu'ont les Sei
gneurs.
Page 12 , lig. pénult. de la Poffeffion , lifez des Pref
criptions.
Page 86 , lig. 18 & 19 , pifcuum , lifez pifcium.
Lig. pénult. publice , lifez publico.
Page 99 , lig. 26 , l'ennemi qui , effacez qui.
Page 113 , lig. 17 , dreffent , life le Juge dreffe.
Page 147 , lig. 22 , vifceris , lifez vifcerum.
Page 148 , lig. 6 , effacez le point-virgule qui eft après
rei fuæ.
Page 156 , lig. 6 , qu'au temps , lifez qu'autant.
Page 160 , lig. 10 , dont les autres ne font , life done
les autres ne foient.
Page 215 , lig. 13 , L. 421 , lifez L. 42.
Page 222 , lig. 6 , le font , lifez le font.
Page 224 , lig. 27 , de me le rendre , lifez de me la
rendre..
Page 264 , lig. 26 , auffi , lifez ainfi .
Pag. 279 , lig. 3 , pour lui délaiffer , lifez pour qu'il
doive lui délaiffer.
Page 284 , lig.. fin. la revendiquer , life le revendi-
quer.
Page 285 , lig. 4 , quoique je n'aie pas la nue , lifez
quoique je n'aie que la nue.
Page 288 , lig. 10 , domini , lifez dominii.
Page 335 , lig. 4 , au propriétaire , lifez au poffeffeur ..
Page 350 , lig. 28 , dans un héritage , life dans fon
héritage.

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