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par l'Echevinage
A LILLE
Chez Emile RAOUST
1934
HENRI SELLIER
Docteur en Droit
A LILLE
Chez Emile RAOUST
i 934
INTRODUCTION
EXPOSÉ DU SUJET
Les Précédents
(1) Cod. Just. 6. 23. Const. 10. Théod. 1. 2. 'Const. 12. Brinz. Lehrbuch den
Pandekten 1112, 62, n. 33.
(2) Constitution d'Arcadius et Honorius. 396, C. Th. 12, 1, C. 51. Brev. XII,
1. 8; Les gesta municipalia doivent être faits: « Trium curialum proesentia
excepto magistratu et exceptore publico, semperque hic numerus in eadem
actorum testificatione servetur)j.
(3) Félix MARTEL. Etude sur l'enregistrement des actes de droit privé dans les
Gesta Municipalia. Thèse Paris 1877.
droit de faire insinuer les donations. Seul le magister census en
avait la charge. Mais le système ne subsista pas, ce magistrat ne
pouvant suffire à la tâche et dès le vie siècle, chaque cité recouvra
son droit, non plus au profit de la curie toute entière, mais du
seul delensor, modification dont nous verrons bientôt la cause
et la valeur.
Après la chute de l'Empire romain, ce mode d'authentification
ne fut pas abandonné. L'édit de Théodoric (art. 52, 53) exige
pour l'insinuation des donations d'immeubles la présence de
trois curiales et d'un magistrat, ou, à la place du magistrat, du
défenseur de la cité, assisté également de trois curiales, ou des
duumvirs. Martel (1) cite une donation passée en Sicile en 489
et dont l'exemple n'est pas isolé. L'acte est lu, puis, après
reconnaissance de l'authenticité, enregistré à la curie. On
procède ensuite à la tradition, et à l'expédition de l'instrumentum.
Au vie siècle, l'enregistrement à la curie, dépouillé de toutes
préoccupations fiscales, avait dailleurs pris une importance
plus considérable qu'à aucun autre moment du développement
du droit romain (2). A Ravenne, on conserve aux archives
municipales, la copie authentique datant de cette époque, du
procès-verbal d'ouverture et de publication de divers testaments
par les magistrats municipaux de Ravenne. Des actes portent
la souscription de l'exceptor, et ont été passés en particulier
devant le delensor civitatis (3).
En ce qui concerne notre pays, nous avons également la
preuve que les lois barbares adoptèrent le système romain.
:
Prum, fait aussi mention de l'insinuation. Cet acte commence
par ces mots « Adstante vir laudabile n'ifredo, delensore, vel
cuncta curia Andecavensis civitate... » Mais en fin de l'acte, la
marque du « d'e/cnsor » est indiquée comme suit : « Signium
Wifredo, vicedomo ».
Enfin dans une requête de l'évêque Hubert (928) extraite du
(1) SABOULARD. Etude sur la forme des actes de droit privé en droit romain et
dan-s le très ancien droit français. Thèse Paris 1889, p. 151.
(2) Op. cit., p. 110.
(3) PERTZ. Leges, T. I., p. 297.
cartulaire de Notre-Dame de Nîmes, on cite les dejensor, curiales
et honorati. Mais dans d'autres pièces, le mème dejensor est
dénommé, tantôt missus comitis, tantôt vasso.
Que conclure de tous ces textes en ce qui nous concerne ?
Comme le signale Martel (1) il se peut très bien que les actes
représentés soient simplement la copie, faite par tradition, de
vieilles formules. Il est possible également que le magisiratus
visé par le Capitulaire de Louis le Pieux (s'il ne s'agit pas du
rappel d'une interdiction antérieure, copiée mot à mot) ne soit
pas un magistrat municipal. De même, un individu n'ayant
rien de commun avec la magistrature municipale, et particu-
lièrement un vidame, officier ecclésiastique, peut fort bien se
parer du titre de defensor. Nous ne cherchons nullement à
soutenir la thèse de la vitalité de l'institution romaine, encore
moins celle de la continuité du régime municipal romain d'ailleurs
abandonné aujourd'hui (2) ; ce dont nous prenons acte, c'est
de la survivance de l'idée soulignée par ce fait que ceux qui
authentifient les actes prennent le titre de celui qui, en droit
romain en avait le pouvoir.
On ne peut contester d'ailleurs que l'enregistrement municipal
des actes, tomba en défaveur et fut abandonné, sous diverses
influences. D'abord, sous celle déjà signalée du droit germanique
ensuite en raison des frais qu'il entraînait, alors que la formalité
n'était plus obligatoire, la valeur authentique étant moins
recherchée et subissant une sorte de défaillance momentanée.
Mais l'influence prépondérante fut celle du clergé, en quelque
(1) Il faut retenir ce titre, car, de même que nous avons vu plus haut un
vidame se parer du titre de défenseui, de même nous rencontrerons plus tard
des notaires MUNICIPAUX du nom d'amans ; double exemple de la survivance d'un
droit signalée par le maintien du titre.
(2) VIOLLET. Histoire des Institutions politiques et administratives de la
France, Paris 1903, tome III, p. 93.
ralité suffisant pour permettre d'en tirer une règle fixe. C'est
ainsi qu'en Flandre, où les échevins ont des pouvoirs analogues
à ceux des autres régions, l'épiscopat ne fut pas à la base de la
libération des communes, mais malgré tout n'a-t-on point le
droit de voir là, le lien entre les institutions romaines et médié-
vales, par l'intermédiaire de l'évêque « defensor civitatis » ?
(1) Il existe un acte dejuridiction volontaire passé vers l'an 850 devant
l'assemblée des notables de la ville d'Amiens. C'est une donation faite par un
certain Angilguin à l'église cathédrale de Saint-Firmin. L'acte se termine par
ces mots « Actum Ambianis civitate in mallo publico ». (Aug. THIERRY. Documents
-
(1) YVER. Les contrats danz le Très Ancien Droit Normand. XIP-XIIIE siècles,
thèse Caen 1926, p. 232.
(2) CLUNY. 725 ou 948, cité par Saboulard, op. cit. p. 213.
CHAPITRE II
Sources légales
CHARTES ET COUTUMES
(1) SCHUPFER. Ildiritto privato dei popoli germanici. Rome 1909, III, p. 82,
(2) ESPINAS. La vie urbaine de Douai au Moyen-Age. 4 vol., Paris 1913,
T. Ier, p. 522.
(3) BARABÉ. Recherches historiques sur le tabellionage royal. Rouen 1863, p. 9.
il n'en reste pas moins, que l'autorité qui y est attachée, confirme
et garantit cette situation. Le caractère confirmatif de ces chartes
nous permet donc de dire, qu'elles donnent plutôt que la date de
première fondation des communes, celle des conflits de ces
communes avec les autorités (1). Il est à peine besoin de rappeler
que fréquemment les villes avaient la précaution de faire
confirmer par son successeur, la charte qu'un roi leur avait
octroyée. Dans ces chartes qui ont par conséquent un caractère
doublement confirmatif, on se gardait bien d'omettre notre
institution, ce qui indique à quel point les communiers jaloux de
leurs privilèges tenaient particulièrement à celui-là (2). Les
chartes ont encore un autre résultat : elles généralisent le
procédé. Les communes s'organisent souvent à leur gré, sur le
modèle d'une cité voisine, dans le cadre plus ou moins large
de la charte qui leur est octroyée, et qui, elle même, s'inspire
d'une autre charte.
En général, ces statuts communaux sont très brefs sur le sujet
qui nous intéresse. Certains même n'y font aucune allusion. Il en
est ainsi des chartes délivrées par Philippe-Auguste et Philippe
le Bel à la ville de Montdidier. De même la charte de commune
octroyée à Saint-Quentin par le roi Philippe-Auguste ne parle
pas de la psssibilité de passer des conventions devant le maire et
les échevins (3) alors que ce mode y fut usité. Ces documents
insistaient plutôt sur la juridiction criminelle et les peines
(1) Pour la lutte entre l'échevinage et ses concurrents. Cf. infra, chap. XXI,
page 170.
(2) Pour les sceaux, Cf. infra, chap. X, p. 86.
(3) BONVALOT. Op. cit., p. 290, cite de nombreuses communes de Lorraine,
Barrois et Luxembourg.
(4) Vingt-cinq pièces seulement de 1334 à 1599 en forme de lettres scellées.
(5) SABOULARD. Op. cit., p. 228.
que nous avons posé, de la possibilité d'authentifier dès lorsqu'il
existait un échevinage, ne nous paraît pas être en défaut. Ce sont
de toutes petites communes que cite Bonvalot (Beaument).
Dans le Ponthieu, de petites agglomérations ont reçu la charte
d'Abbeville. Saint-Valery-sur-Somme avait un scel aux causes.
Nous voyons en 1215 (1216) un acte reçu par le maire, les éche-
vins et les jurés de Noyelles-sur-Mer (1). Les archives de la
commune de Lallaing (Nord) depuis peu transférées à Lille,
contiennent de nombreux actes d'échevins. Enfin les coutumiers
nous donnent des traces de l'institution dans de nombreux
villages (2). Encore qu'il ne soit fréquemment question que de la
formalité de dessaisine-saisine, on peut supposer sans témérité
que l'échevinage ne s'est pas toujours borné à cette fonction
en matière gracieuse. La seule distinction que l'on pourrait
établir, et pas d'une manière formelle, c'est que les villages
bénéficièrent généralement de libertés municipales moins grandes
que les puissantes cités. Leurs échevins étaient fréquemment
nommés par le seigneur (3).
Le Magistrat
(1) Mais s'il est évident que plusieurs collèges d'échevins subsitèrent concur-
remment dans la même ville, il ne faut cependant pas généraliser cette consta-
tation et vouloir établir entre eux des cloisons trop étanches. C'est ainsi qu'à
Ga.., les échevins de la Keure et ceux des Parchons faisaient partie du même
corps municipal. Cf. MONIER. Lex institutions judiciaires des villes de Flandre.
Thèse Lille 1924, pp. 155, 156.
Et les « eschevins de la fleste ,) sont aussi pris parmi ceux de la ville oit
se
tient la foire. Cf. Simone POIGNANT. La foire de Lille. Lille 1932, 140. sic. MONIER.
p.
Op. cit., p. 196.
(2) Du latin amanuensis : scribe, secrétaire,
ou de l'allemand amt, bureau,
charge, office, et man, homme.
(3) Cf. infra. Chap. IX, § II, p. 8J.
(4) DES MAREZ. La lettre de foire, p. 74.
bus »
(1). Parfois ces magistrats, dont le rôle sera plus important
pour l'accomplissement des formalités dites devoirs de loy,
partagent avec les échevins le droit de recevoir les conventions
des particuliers. C'est ainsi que d'après les statuts de la ville
impériale de Colmar de l'an 1294 (art. 44) lorsqu'un père voulait
disposer de sa succession en faveur de ses enfants ou de ses
héritiers, c'était devant le prévôt (Vogt) ou devant le magistrat
qu'il devait le faire. De même les anciens statuts de la ville
impériale de Haguenau disposaient que les ventes seraient
passées devant un échevin,ou devant le Staetsmeister, assisté d'un
greffier (2). Les coutumes sont presque unanimes sur ce point.
Il est vrai que c'est fréquemment en raison de l'obligation de
procéder à la formalité de la dessaisine-saisine pour laquelle le
représentant du seigneur est seul compétent. Mais nous possédons
aussi au sujet de la réception des actes, des textes qui ne laissent
aucun doute en ce qui concerne du moins les mutations immo-
bilières : « Et se passent les contractz et vendicions des héritages
scituez en la ville et terroir de Brestel tenus d'icelle seigneurie,
pardevant ledit bailly ou son lieutenant en la présence de deux
desdits eschevins touteffois que requis en sont » (3). « Que toutes
ventes et achatz de maisons, héritaiges et rentes cotières scituées
et assizes dedens la ville et eschevinaige d'Ardre, se recognoissent
et passent par les contractans pardevant lesdis bailly h-esche-
vins » (4). Par ailleurs, « dans plusieurs communes, l'un des
magistrats délégués à la réception des contrats y est désigné
comme représentant le seigneur dont l'assentiment était néces-
saire aux mutations de propriété. Dans un grand nombre, l'un
(1) Supra, p. 36. Il faut reconnaître d'ailleurs que cet exemple est un peu
spécial : l'Alsace étant pays de droit écrit, la juridiction gracieuse fut fréquem-
y
ment déléguée par le magistrat, comme dans le Midi.
(2) F. BOURQUELOT. Notice sur le manuscrit intitulé Cartulaire de la Ville de
Provins, xine, xive siècles, dans Bibliothèque de l'École des Chartes XVIIe
année, p. 236.
(3) BOURDOT DE RICHEBOURG. T. II, p. 345. Coutume de Luxembourg, titre V,
(4) Sur les notaires municipaux. Cf. infra, chap. XI,
p. 82.
Mais si les pouvoirs dont nous avons vu revêtus certains
clercs sont exceptionnels, on ne peut cependant concevoir
d'échevinage sans clercs, tout au moins, lorsque les contrats se
passèrent par écrit. On sait qu'il n'en fut pas ainsi à l'origine
de l'institution. Ensuite, pendant une certaine période, les parties
semblent avoir rédigé elles-mêmes leurs actes. Il en fut ainsi à
Ypres jusqu'en 1293 (1). Mais comme la connaissance de l'écri-
ture était peu répandue, elles durent plus souvent avoir recours
à des écrivains publics. A"Gand, il y en avait un certain nombre
dont les baraques étaient alignées en face de la maison échevi.-
nale (2). Ce procédé fut cependant peu courant et de courte
durée. Partout, nous voyons établis un ou plusieurs clercs de la
ville, véritables greffiers de mairie. Leur nombre était variable
suivant l'importance de la charge. Ils pouvaient avoir eux-
mêmes des commis sous leurs ordres. Ils étaient parfois spécialisés.
C'est ainsi qu'à Lille où il y avait trois clercs, le premier qui avait
seul le profit des inventaires et des ventes était probablement
aussi le seul à dresser les actes privés (3).
Ces modestes clercs, ont peut-être eu sur la conservation des
traditions, une influence que l'on ne soupçonne pas. Ils étaient
l'élément stable, dans le conseil de ville, fréquemment renouvelé.
Assistant aux plaids et aux conseils secrets de la ville, leur
expérience devait leur conférer une certaine autorité. Ils avaient
souvent voix consultative dans les assemblées (4).
Enfin, notons cette particularité curieuse que les clercs
accompagnaient parfois dans leurs pérégrinations, les marchands
(1) Des MAREZ. Le droit privé à Ypres au XIIIe siècle. Braine-l'Alleud. 1927.
(2) DES MAREZ. La lettre de foire, p. 13.
(3) Le LIVRE ROISIN. Coutumier Lillois. Edition Brun-Lavainne. Appointement
louchant les clercs (début du xve siècle), p. 52.
(4) Sur le clerc municipal. Cf.. MONIER. Op. cit., p. 178.
f
de leur ville. On en a des exemples pour les cités commerçantes
de Lille et Douai. Ils allaient ainsi aux foires de Champagne
et rédigeaient séance tenante les conventions que les échevins
auraient à authentifier au retour (1). Lorsque le droit devint
plus complexe, il nécessita de la part des magistrats urbains,
de sérieuses connaissances juridiques. L'exercice de leur pro-
fession ne les avait pas préparés à ce rôle de juge ; leur temps
d'échevinage, toujours très court, n'avait pu leur faire acquérir
l'expérience nécessaire. On sentit dans chaque cité le besoin de
recourir à des jurisconsultes. Ces spécialistes, dont certains
d'ailleurs laissèrent un nom dans ia science du droit formaient
le « conseil de ville )).-A leur entrée en charge ils faisaient serment
de conseiller loyalement les échevins et de défendre les droits
de la ville. Ils avaient rang de simples auxiliaires. Leur rôle ne
demeura cependant pas purement consultatif et devint vite
très important. C'était eux qui en réalité décidaient des affaires
de la cité. On ne les voit toutefois jamais figurer dans les actes
privés.
A côté d'eux, nous ne citerons que pour ordre une quantité de
fonctionnaires de la ville qui n'ont que des rapports lointains
avec l'objet de notre étude. A Provins, sans parler du logier, on
trouve le clerc du maïeur et aussi le clerc de la loge, ou clerc de
la ville, d'attributions principalement financières (2). Le rôle
des receveurs municipaux modernes, était cependant plus fré-
quemment rempli par un fonctionnaire nommé argentier ou
trésorier (3). Enfin, les agents d'exécution, analogues à nos
huissiers modernes, portaient le nom de « sergeants à masse ».
(1) Lex GODEFRIDI (1227) (Cambrai). MEIJERS et DE BLÉCOURT, op. cit., p. 16.
(2) FERRIÈRE. Le parfait notaire. L.
I, chap. 17, I., p. 78.
(3) Supra, chap. III, p. 24 et chap. IV, pp. 33 et -34.
(4) Supra, p. 34.
(5) VERRIEST. Op. cit., p. 3.
1
(1) Cf. A. DE LA GRANGE. Les voirs-jurés, dans Bulletin de la Sté -Irist. et Litt.
de Tournai, t. XXV, p. 62.
-
dettes, mais encore en deshéritements, donations, constitutions
d'hypothèque et partages, il était assisté d'un laïc servant de
témoin. Le greffe des voirs-jurés disparut en 1367.
Toujours à Tournai, aurait existé un système particulier d'au-
thentification et même un échevin spécialement affecté à cette
fonction, « On combina d'une manière curieuse l'ancien chiro-
graphe avec l'acte notarié ; l'acte reçu par le « tabellion garde-
nottes héréditaire de la ville et cité » créé après la conquête de
la ville par Louis XIV en 1667, fut présenté par les parties aux
Maïeur et échevins, vidimé par eux en deux exemplaires disposes
en forme de charte-partie, qui reçurent pour devise commune
le nom de l'échevin à ce délégué, désigné sous le nom « d'échevin
souscrit » (1). Verriest s'élève contre cette assertion (2). Les
actes des notaires de Tournai n'ont rien de particulier en la
forme. L'échevin souscrit n'a jamais existé. L'erreur commise
par Giry est cependant explicable en raison de l'enchevêtrement,
qui était d'ailleurs loin d'être spécial à Tournai, de la compé-
tence en matière gracieuse, des notaires procédant suivant leur
mode habituel, et des échevins, fidèles, eux aussi, à leurs formes
traditionnelles (3).
Enfin, on trouve à Valenciennes une autre catégorie d'éche-
vins spécialement chargés de la juridiction gracieuse, mais avec
une compétence légèrement plus restreinte que celle des échevins
proprement dits : ce sont les jurés de catel. « Les échevins durant
leur temps d'eschevinage peuvent recevoir tous contrats et
conventions mobiliaires, et aussi après leurdit eschevinage
expiré, demeurent le parfait de leur vie jurez de cattel, et en
Siège de la juridiction
(1) Bâtiment situé dans une rue portant encore aujourd'hui le nom de
« Malmaison ».
fasse allusion à la Halle, et qu'en 1212 nous puissions avoir
pour
un autre, la certitude qu 'il y a été réellement passé, nous voyons
encore en 1224 (1225) un acte reçu à un carrefour, et un autre
dans une église (1). Dans le dernier cas, il y a d'ailleurs lieu d'ajou-
ter qu'il s'agissait d'un acte à caractère religieux. Il n'y là
a
rien de surprenant. Les échevins pouvaient user de leur pouvoir
en n'importe quelle circonstance, comme peuvent encore de nos
jours faire les notaires. Il leur était loisible, dès lors qu'ils
se
trouvaient en nombre requis, de adresser au hasard de leurs
ren-
contres dans les rues de la cité, les contrats pour lesquels
on
faisait appel à eux. Il est donc compréhensible
que des actes
aient été à l 'origine, authentifiés par les échevins dans les endroits
les plus divers. Plus tard, lorsque l'on répartit la tâche entre les
échevins, il. arriva que l'on divisât la ville
en quartiers plus spé-
cialement affectés à certains d'entre eux. Ils devaient rendre
se
en un carrefour ou lieu central quelconque de ce quartier, pour
y être plus à la portée de ceux qui désiraient avoir recours à eux.
Il était alors tout naturel qu'ils choisissent
pour ce faire les di-
verses églises paroissiales. C'est ainsi qu'à Saint-Quentin les
«
échevins étaient distribués par détroit (quartier) dans la ville,
« »
afin d 'y pouvoir plus facilement recevoir les chirographes, et
y faire les autres actes de leur charge ; d'où vient qu'en plusieurs
chirographes, on voit tantôt les échevins du détroit de l'àtre (2)
de Notre-Dame, tantôt du détroit de l'âtre de Sainte-Pécinne, j
et ainsi des autres Y) (3). En matière de juridiction gracieuse,
on
peut donc dire que les échevins affectionnèrent particulièrement
les églises, ou leur proximité immédiate
— sans doute en raison
du caractère sacré dont elles étaient revêtues
et qui contribuait
I
(1) ESPINAS. OP. CIT., P. 536.
(2) ATRIUM : cour, pourtour de l'église. 1
I
-
(3) Quentin DE LA FONS. HISTOIRE de SAINT-QUENTIN. J
T. II.
à imprimer à l'acte un sens religieux et particulièrement solennel,
dès que le nombre important de contrats qu'ils eurent à authen-
—
tifier les obligea à se fixer habituellement en certains lieux.
A Ypres, des actes sont reçus « el mostier Saint-Martin » (1).
« Le 9
juillet 1270, Bauduin Meus part en pèlerinage. Il recon-
nâit « el Moustier Saint-Martin d'Ypre, pardevant lautel, la u
il prist eskerpe et bourdon, que il devoit à Lambert le- Ract
bourgois d'Ypre » une certaine créance. De même à Pont-
Audemer depuis le XIIIe siècle, on trouve des actes passés en
pleine paroisse « coram parrochia » (2). En agissant ainsi, il est
probable que les échevins ne faisaient qu'imiter l'exemple de
l'évêque et des autres ecclésiastiques qui recevaient des contrats ;
ils prenaient la place de l'official qui avait dû avant eux, instru-
menter aux abords ou même dans les édifices consacrés au culte.
Cet usage se maintint longtemps pour les actes affectant un sens
religieux, tels que les donations pieuses, ou simplement ceux
concernant des ecclésiastiques qui pour une raison quelconque
utilisaient la juridiction échevinale. C'est ainsi que le 27 décembre
1450, «à heure de vespres cantées » deux religieux, exécuteurs
testamentaires d'une défunte, procèdent en l'Eglise_ Saint-
Jacques d'Amiens, à l'adjudication à la chandelle d'un immeuble
légué par cette défunte à l'abbaye de Saint-Jean (3). Cette pra-
tique fut tellement généralisée et entraîna de tels abus, qu'une
ordonnance du Parlement de Paris du 22 janvier 1550, d'ailleurs
point toujours observée, interdit de traiter à l'avenir des affaires
dans les églises (4). On recevait aussi des actes dans les cimetières
pour lesquels nos aïeux ne professaient pas le respect que nous
portons aujourd.'hui. C'était au contraire des lieux au centre
(1) DE CALONNE. La vie municipale ait XVE siècle dans le Nord de la France.
Paris 1880, p. 40.
(2) PRUD'HOMME. Op. cit., p. 2.
(3) ESPINAS. Op. cit., p. 556.
CHAPITRE VI.
Le Record
(1) UB exemple curieux de record, qui indique nettement son mode d'emploi
et sa valeur, nous est fourni par un acte de 1315, au Cartulaire de l'abbaye de
Saint-Ouen. Un notaire royal, recorde par serment devant le bailli, le fait d'une
vente passée devant lui, et que le vendeur refusait de reconnaître. BARABÉ,
op. cit., p. 106.
-
(2) C'était probablement celles qui étaient conservées à l'échevinage dans des
sars au nom de chacun des magistrats.
mtile de conserver trace des engagements des parties, on ordOli-
nait alors la rédaction d'un écrit. C'est le cas qui est expose dans
là coutume de Valenciennes (1) ; « s'il advenait que de telles
conventions et traictez passez pardevant lesditsIDayeur et esche-
vins, ne fussent faites lettres ne eliirographes, et que l'une des
parties se vouloist aider de tel contract ou convént, icelle partie
devra faire claing.., ». Et après avoir indiqué que les échevins
qui avaient été témoins de la convention devaient être en quelque
sorte remis en charge, àinSique nous l'avons déjà exposé (2),
la coutume ajoute : « et après ledit rétablissement, recorderoient,
et dudit record seroient faites lèttres, et d'icelles deux doubles
dont l'un seroit mis au ferme et l'autre délivré à la partie qui
s'en voudroit aider, lesquelles lettres de record seront de tel
effet et valeur comme auroient esté et seraient les lettres qui
premières en auroient egté faites, sauf que le record se devra
faire en dedans six ans après la datte du contract ou convention l'.
On voit d'après cette citation qu'à l'époque, l'absence de rédac-
tion d'un écrit apparaissait1 plutôt comme exceptionnelle. L'ar-
ticle CLX de la même coutume édicte en effet d'une façon expli-
cite, la rédaction d'un écrit : « que .tous contracts et obligations
passez pardevant les lois eschevinales dudit chef-lieu est requis
que lettres en soient faites, et un double d'icelies mis au ferme
en dedàns quarante jours ensuivaiis ». C'est qu'en effet, si la
procédure orale était utilisable quand la libre disposition de la
propriété immobilière était assez rare, et les conventions peu fré-
quentes, elle offrait un certain nombre d'inconvénients. Quand
il s'agissait de recorder un accord ancien, les témoins pouvaient
être défaillants, soit que leur mémoire en ait perdu le souvenir,
soit qu'ils aient eux-mêmes disparu. Aussi prit-on bientôt 1 :t
.. (1)(2) Supra, chap. IV,
BOURDOT DE RICHEBOURG. II;, p. 242.. Coutume de 1540. CLXII.
p. 45. .-
bitude, ne serait-ce qu'accessoirement, de rédiger un écrit, sur
le record fait à leurs collègues par les magistrats témoins de la
convention, non plus seulement au cas de contestation, mais
immédiatement, dès l'accord des parties.
C'est pourquoi tous les coutumiers recommandent la rédaction
d'un. insimmentum, et même y obligent. Citons d'abord l'ordon-
nance rendue sur le sujet des mainfermes par l'échevinage de
Cambrai le 5 juin 1382 (1), article 6: «Des chirographes qui
présentement sont en warde d'esquievins (2) demouront ainssi
et à l'usage de devant jusques à tant qu'elles seront recordees
à la requeste de ceulx qui en aront à faire. Et quant elles seront
recordees, elles seront mises en ferme, comme dit est des aultres,
à la perpetuelle seurté de ceulx à qui il appartenra ». Dans la
même ordonnance, on restreint le délai pendant lequel on peut
dresser acte confirmatif de la convention : il est d'un mois à
compter de l'accord des parties. En 1569, un praticien annotateur
de cette ordonnance nous apprend que ce délai avait été porté
à 40 jours. A défaut de rédaction de cet écrit, les contractants
n'étaient pas privés de tout secours de la part de l'échevinage ;
mais il fallait dans ce cas procéder -au record, et subir -tous les
inconvénients et probablement aussi les frais d'une comparution
en justice (art. 4). Si au contraire on avait gardé trace de la
convention, il convient que les lettres « vaillent à tous jours
comme recordees, soient li esqui,evin vivant ou non » (art. 5).
La coutume de Valenciennes (3) prescrit également « que tous
contractz passez pardevant eschevins ou deux jurez de cattel
'5
CHAPITRE VII
Le chirographe ou charte-partie
Lettres scellées
(1) BEAUMANOIR. Edition Beugnot, II, p. 45, § 18. Édition Salmon, II, p. 52
% 1092.
somme toujours le système courant d'authentification des actes
privés des nobles.
Il n'était d'ailleurs pas nécessaire d'être noble pour disposer
d'un sceau. C'était une faculté laissée à tous. Mais il est évident
que la force du contrat dépendait de la valeur du signe qui y
était apposé. En général, lés roturiers empruntaient plutôt
celui d'un seigneur : « Homes de poeste poeut fere reconnais-
sances de lor convenences par devant lor segneurs dessoz qui il
sunt couquant et levant ou par devant le sovrain » (1). C'était
un grand progrès sur l'ancienne carta, dont rien ne prouvait
qu'elle émanait bien de son auteur prétendu. Cette manière de
conférer l'authenticité au moyen d'un sceau devint au Moyen-
Age d'un usage très répandu. Les sceaux des autorités, roi,
seigneurs, évêques, ayant plus de force que ceux des simples
particuliers, il convenait donc d'obtenir la ratification de l'acte
au moyen de l'apposition de leur marque. Pour cela, -ou bien on
requérait un jugement avec. acquiescement des -parties, au bas
duquel l'autorité appliquait son, sceau, ou bien, des contrats
reconnus devant la juridiction royale, on obtenait un record,
après quoi se dressait une lettre scellée. « La coutume de passer
des contrats devant les juridictions royales, et notamment en
assises, l'exemple aussi des lettres d'ofïicialité, fréquentes à
partir du milieu du XIIIe siècle ont pu donner naissance aux
environs de 1275, à la pratique des « lettres de roy » (èonlprenant
les « lettres de baillie » et les « lettres.de vicomté»). Les lettres de
baillie faisaient suite naturellement au record d'assise. En 1276,
la question se posa devant l'Échiquier de savoir si le vicomte,
dont les plets au temps de la Sumum (de legibus Normannie). ne
comportait pas de record, aurait lui aussi un sceau à son usage
propre et à l'usage de ses administrés. Il fut décidé que les
<
Mons, sera fait un registre en cette ville, où iceux ravesiissements
seront registres » (1). Au lieu de conserver tous les actes pêle-
mêle dans chaque ferme, on les réunira donc par nature. Bien
des villes cependant n'auront qu'un seul registre pour les diffé-
rents contrats.
Le nouveau procédé — et cela confirmerait notre assertion
sur son origine germanique— fut d'abord usité en Flandre.
Dès 1399, à Gand, on adopte la forme du registre. A Bruges on
l'utilise pour la première fois en 1500. De même à Ypres dont on
possède 103 registres, allant de 1498, au 3 août 1796 (2). L'enre-
gistrement parait d'ailleurs avoir été au xvie siècle d'un usage
très répandu pour la réception des contrats. Il était adopté par
les communes établies suivant la charte de Beaumont (3).
A Amiens, au dire d'Augustin Thierry (4) aurait été alors en
vigueur un procédé, « revenant aux traditions de la curie romaine ».
Après lui, de nombreux auteurs (5) ont reproduit cette opinion,
en sorte que le mode d'authentification usité par l'échevinage
d'Amiens, a pu passer pour avoir été tout à fait spécial et direc-
tement inspiré par l'institution romaine. Il semble difficile en
raison du peu que l'on sait sur l'authentification par la curie
de soutenir cette affirmation, basée uniquement sur l'emploi
des registres. La délibération de l'échevinage du 13 décembre
1441, qui établit le nouveau système paraît bien faire œuvre
(1) «
Messeigneurs à grant et meure délibération et d'une volonté et consen-
tement ont ordonné que dorénavant, bail à cens, vendicions, etc., dont par cy-
devant étaient faites lettres que on nommait chirographes et dont par long et
ancien temps on avait usé en ladite ville seront enregistrés en un registre en
parchemin, tout au net, qui sera signé du clerc de la ville, et d'an en an, ledit
registre sera renouvelé en chacune mairie » (probablement celle de la cité et
celles de la banlieue) « et seront lesdites lettres scellées du scel aux causes de ladite
ville et signées dudit clerc pour les parties qui avoir les vorront, mais néanmoins
toutes les chyrographes qui par cy-devant ont esté faictes demourront avec
leur valeur et vertu ». Aug. THIERRY. Loc. cit.
(2) « Primes, ung registre commenchant par ces mots : Registre aux vendi-
cions, transports de maisons, jardins, terres, cens, rentes et héritages vendus,
transportés, baillés à cens en la mairie et eschevinage de la ville et cité d'Amiens,
ledit registre commenchant le XXIV décembre MCCCCXLI auquel jour fut
ordonné en l'eschevinage de lade ville que doresnavant, au lieu des lettres que l'on
nommoit chirographes, seroient faites lettres soulz le scel aux causes d'icelle ville
et registrées tout au long aud. registre». Inventaire S. III, 1551.
(3) MAUGIS. Essai sur le régime financier de la Ville d'Amiens du xive à 'la
fin du XVIE siècle, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie,
llle série, T. III, 1898.
(4) NOYELLE. Op. cit., p. 35.
puyer cette opinion, mais ce n'était cependant pas une innova-
tion en 1441. Une première série de registres avait commencé le
9 février 1402-03 (1). Là seulement résiderait une particulatité
dans l'authentification des actes à Amiens. Car nous persistons
à penser qu'en principe, l'usage de la lettre scellée fut une forme
intermédiaire entre les deux autres prodécés. En témoignage
de cette affirmation, on peut citer l'exemple de la ville de Tournai,
qui en sens contraire, fut toujours fidèle 'à la forme chirogra-
phaire et n'utilisa jamais non plus les registres.
(1) Inventaire S. III, 1551. A cette date la série compte déjà 282 registres,
plus 17 manquants.
(2) Consulter sur ce sujet : AUBENAS. Etude sur le notariat provençal an-
Moyen-Age. Aix-en-Provence 1931.
seconds dépendaient toujours pour cela de la juridiction près de
laquelle ils étaient établis. Leur compétence parait aussi avoir
été plus grande. Les notaires municipaux du Midi joignaient
fréquemment à leurs titres, ceux de notaires comtaux ou impé-
riaux, sans doute afin d'accroître leur importance et de consolider
leur pouvoir.
Ces quelques indications nous écarteraient de notre sujet, si
nous ne possédions dans nos régions un exemple de notaires
municipaux : les Amans du pays Messin. A Metz, en 1197, l'évêque
Bertram, par la même charte qui supprima le duel judiciaire,
décida que les contrats seraient désormais mis par écrit. Ils
seraient conservés, dans chacuns des 19 églises paroissiales, en
des cabinets voûtés, munis de porte et volet de fer, dénommés
« arches M.
Deux prud'hommes élus, auxquels on donna le nom
de wardours des arches en auraient les clefs, et garderaient les
contrats. Telle paraît être l'origine des notaires municipaux
de Metz. Il est possible cependant que dans cette cité comme à
Cologne dès la seconde moitié du xie sicèle, on ait essayé de garder
trace des mutations immobilières et confié aux échevins la garde
des parchemins en faisant foi (1). Les wardours des arches,
qui prirent ensuite le nom d'amans étaient donc des-officiers
communaux chargés à l'origine de conserver et probablement
très tôt de dresser les écrits privés des citoyens. Primitivement
élus, ils lurent ensuite nommés et investis directement par l'éche-
vinage.
Leur compétence s'étendait sur la ville de Metz et les villages
de la banlieue. La coutume (2) nous apprend que l'évêché avait
cependant conservé ses tabellions qui devaient exercer sur le
domaine soumis à l'autorité religieuse. Le magistrat urbain de
(1) PROST. L'ordonnance des Maiours. Etude sur les institutions judiciaires Il
Metz du XIIIe au XVIIe siècles, dans Nouvelle Revue historique 1878, p. 189.
Voir aussi du même auteur : Etude sur le régime ancien de la propriété, là vésture
et la prise de ban à Metz. N. R. H. 1880, p. 1.
que dans quelques villages où les échevins avaient conservé la
haute juridiction. Ils disparurent en 1728 (1).
(1) CHABERT. Création des notaires royaux dans la ville de Metz. Suppression
des Amans ou notaires du Pays Messin (1552-1728), dans Mémoires de l'Académie
de Metz, XLe année,'i858-1859, p. 243.
(2) Supra, chap. IV, p. 49.
(3) Cf. infra, chap. XV, p. 122.
CHAPITRE X.
(1) DES MAREZ. Les seings manuels des scribes Yprois au XIIIe siècle, dans
Bulletin de la Commission royale d'histoire de Belgique, 1899, p. 631.
(2) C'est un A ou un I.
sait sur l'acte urbain. Mais cette formalité, rendue superflue par
la valeur du témoignage échevinal, est très exceptionnelle.
De même, les échevins, qui n'ont pas l'habitude de signer,
n'apposent généralement aucune marque. A Douai, cependant
on rencontre des actes, scellés de deux sceaux d'échevins té-
moins. On n'en trouve d'ailleurs pas davantage, même au cas où
le nombre d'échevins témoins semble avoir été supérieur à deux.
CHAPITRE XI
(1) «On dit aussi banlieue des bornes et de l'étendue d'une juridiction, de son
enclave ou détroit, qu'on appelle en quelques lieux quintaine ou septaine, dans
laquelle le juge ordinaire de la ville peut faire bannie et proclamation ».
(2) BOURQUELOT, Op. cit., p. 199, pour Provins.
aux différents points de passage et notamment aux quatre points
cardinaux (1). Ce n'était d'ailleurs pas une opération que l'on
avait pratiquée une fois pour toutes. On précisait la limite
chaque fois que cela était nécessaire (2). On pouvait ensuite
compter sur les sentiments ombrageux qui animaient nos
échevins chaque fois qu'ils craignaient un empiètement sur
leurs privilèges, pour faire respecter les droits de la cité confiés à
leur garde. Cependant, on ne sait pour quelle raison, il arrivait
que dans la même ville, la banlieue variât beaucoup. C'est ainsi
que Poitiers, au XIe siècle avait une banlieue qui s'étendait à
plus de seize kilomètres aux environs, alors que plus tard les
limites de celle-ci coïncident presque avec les murs de la ville.
Mais si la juridiction échevinale s'étendait ainsi hors de la cité,
à l'intérieur de la ville au contraire, elle subissait des restrictions
de deux sortes, les unes permanentes, les autres temporaires.
Là où, comme fréquemment en Belgique, coexistaient plusieurs
échevinages, chacun voyait sa compétence bornée par celle de ses
voisins. En France, c'étaient généralement des juridictions non
échevinales, qui limitaient l'étendue territoriale de l'action des
magistrats urbains ; cela revenait d'ailleurs exactement au
même. Nous sommes beaucoup mieux renseignés sur ces excep-
tions restrictives que sur celles extensives. Les chartes nous
donnent en effet plus de détails à ce sujet. C'est que, tandis que
le souverain octroyant le statut urbain, jugeait utile à bon droit,
de préciser ce qu'il entendait soustraire au pouvoir de la nouvelle
institution, lui fixant ainsi des limites juridiques, l'échevinage,
par contre, là où il ne rencontrait pas de barrières, s'étendait
autant qu'il lui était possible, et se constituait ainsi un ressort à
base beaucoup moins légale. C'étaient les fiefs des seigneurs,
(1) LEMAIRE. Op. cit., p. 330. Procuration du 14 février 1549 pour acquérir
un immeuble appartenant au roi.
(2) Jules LAMEERE. Aspects de la preuve testimoniale en Flandre aux XIIIE et
xive siècles, dans Bulletin de la Classe des lettres de l'Académie Royale de
Belgique, 1907, p. 706.
d'un officier du roi (1). Mais on conçoit que ce moyen leur déplût
qui rappelait, leur dépendance vis-à-vis de l'autorité centrale,
et que l'on souhaitât le voir employé aussi rarement que possible.
Parfois cependant, probablement en raison de la grande autorité
dont jouissait le juge royal, on ne pouvait s'en dispenser. C'est
ainsi qu'à Amiens, dès le rétablissement du bailliage, les actes
concernant la commune, mème les acquisitions, sont passés sous
le sceau de cette juridiction. Mais on peut considérer cet exemple
comme exceptionnel.
En octroyant le droit de recevoir les contrats, les chartes
visent toujours directement ceux conclus entre jurés. C'est en
effet particulièrement à l'usage des membres de la commune
que fut créée la juridiction volontaire de l'échevinage. Ils en
sont les clients naturels. Ils y trouvent d'ailleurs, une simplicité
de forme, des garanties de justice et d'impartialité qui la leur
font apprécier. Le magistrat connaît les contractants et s'inté-
resse à eux. Il peut ainsi exercer à leur égard ce rôle de conseiller
si important lors de la passaticn d'un contrat. Le sentiment
d'indéptndance que doivent ressentir les bourgeois, aussi bien
à contracter devant leurs pairs qu'à être jugés par eux, n'est
pas non plus un facteur à négliger pour comprendre la faveur
avec laquelle est accueillie dès ses débuts, cette forme de l'acti-
vité échevinale. A l'origine les bourgeois contractent donc
volontiers devant la juridiction urbaine et point n'est besoin
de les y contraindre. Il n'y a donc pas de règle impérative et
le bourgeois peut aussi bien tester devant la juridiction religieuse
que devant l'échevinage.
Les premiers des communiers sont sans conteste les échevins.
Riches et d'un rang social plus élevé que le commun, ils ont
(1) 26 juin 1291. Accord passé devant le bailli d'Amiens entre le chapitre
et la commune. Aug. THIERRY. I, p. 277.
fréquemment besoin de passer des conventions. Leur concours
à l'exercice de la juridiction va-t-il les priver de ses bienfaits ?
On ne saurait l'admettre. Il est bien vrai que l'on ne peut être
à la fois juge et partie ; en matière contentieuse, l'échevinage
applique ce principe. Mais il ne peut être question d'obliger un
échevin, même délégué pour tenir les plaids, et recevoir les
conventions à contracter devant une autre juridiction que celle
dont il dépend et à l'exercice de laquelle il participe. Nous
n'avons qu'un seul texte qui envisage ce cas. Il paraît même
autoriser l'échevin à siéger alors avec ses collègues. C'est la
charte donnée au village de Ricquebourg par son seigneur,
l'abbé de Saint-Waast (1) qui dispose en son article troisième,
après avoir indiqué le nombre de magistrats requis pour la
passation de divers actes que « sy eschevin meismes vend ou
achatte en eschevinage, bien y pœult estre avœucq les autres ».
Il est une catégorie d'individus appartenant à la même
classe que les communiers, pour lesquels la question de compé-
tence peut se poser : Ce sont les étrangers. Par ces mots, il ne
faut pas entendre des hommes d'une nationalité différente,
cette question de nationalité n'ayant pas alors l'importance
actuelle ; ce sont principalement des personnes non revêtues des
droits de bourgeoisie, originaires d'une autre cité. Il semble bien
en effet que le droit de contracter devant les magistrats munici-
paux constituant un privilège, les étrangers devraient en être
privés. C'était peut-être ainsi que les choses se passaient à
l'origine de l'institution. Mais nous avons vu (2) que la règle
« Locus regit actum » est à la base de la compétence échevinale.
Bientôt d'ailleurs, la juridiction urbaine sera ouverte à quiconque
souhaitera y recourir, bourgeois de la ville, manants des environs,
(1) Supra, chap. IV, p. 46. Voir sur ce point DES MAREZ. Lettre de foire, p. 97.
(2) HANSISCHES URKUNDEN BUCH. I, no 8, p. 6. Privilège de H. V. du 2 juin
1122.
(3) HANSISCHES URK. BUCH. I, nO3 46 et 97.
(4) DIEGERICK. Inventaire des Archives de la Ville d'Ypres. I. annexe I,
p. 303.
(5) DES MAREZ. Lettre de foire, pp. 22, 23.
La Noblesse et le Clergé, forment deux ordres à part. Chacun
possédait ses institutions propres, permettant à ses membres de
contracter sans avoir recours à qui que ce soit ; les nobles au
moyen de lettres scellées de leurs sceaux, les clercs, par acte
passé devant la juridiction ecclésiastique. C'est leur privilège
comme est aux bourgeois le droit de faire authentifier leurs
conventions par les magistrats municipaux. Il faut cependant
noter ce fait que parfois, chevaliers et clercs font partie de la
commune ; c'était le cas à Aire (1).
En dehors de ce cas, nobles et clercs sont parfois contraints
de recourir à l'échevinage. L'acquéreur de biens urbains y est
obligé. En 1195, Pierre d'Amiens, cède à Hugues de Picquigny,
une maison à Amiens. « Et hoc recognitum fuit solempniter
coram B. majore Ambianensi et scabinis ». (Cet acte porte les
signatures de six échevins auxquelles s'ajoute le sceau du
vendeur) (2). La commune courait là en effet un grand risque
qui eût pû entraîner son démembrement (3). Aussi, à la suite de
ces acquisitions, généralement le lendemain, nobles et clercs
s'engagent, souvent sous serment, à tenir l'immeuble aux us et
coutumes de la ville ; ils protestent de leur intention « de ne le
mettre hors de leur main, ni de le bailler à personne séculière qui
le puist posséder ainsi » (4). Ils reconnaissent que l'immeuble
objet de l'acte est assis en la justice et seigneurie du roi et de la
ville (5). Parfois ces promesses semblent insuffisantes et sont
confirmées aussitôt, soit devant les auditeurs royaux, soit devant
F official (6). L'acte sus-indiqué (6) du 24 mars 1280, contient une
Il ne faut pas trop compter sur les chartes pour nous renseigner
avec précision sur l'objet de l'activité des échevins au point de
vue de la réception des contrats. Nous savons en effet qu'elles
sont très succinctes à ce sujet. C'est qu'elles procèdent plutôt
à la limitation de la compétence en énonçant les matières
réservées. Toutefois, en vertu du principe que tout ce qui n'est
pas défendu est permis, nous pouvons en déduire que l'éche-
vinage est généralement apte à recevoir toute espèce de conven-
tion.
La connaissance des actes concernant les terres nobles est
interdite aux échevins. « Li maire et li esquevin ont le connis-
sanche et le jugement de tous debas d'yretages et de possession
de le chité et ville, excepté che qui est tenu de fief de quoy li
jugemenz et la connissanche n'en appartient point à aus » (1).
Cette restriction s'explique en raison de l'étroit rapport existant
au Moyen-Age entre les personnes et les biens, et nous ne
pouvons à ce sujet que nous répéter (2). L'échevinage, institution
créée pour les bourgeois et régie par eux n'a en effet rien à voir
en matière de fief, pour laquelle des règles et des procédés de
transfert spéciaux sont en vigueur. Cela n'empêchera pas les
nobles, d'utiliser dans de nombreux cas la juridiction bour-
geoise (3).
(1) Les anciens usages d'Amiens vers 1280, art. 19. BOUTHORS. I, p. 79.
(2) Cf. supra, chap. XII, p. 102.
(3) Cf. supra, chap. XII.
Exceptionnellement, certaines chartes n'accordent aux éche-
vins que la connaissance des matières mobilières. C'est le cas
à Gézaincourt, en vertu du privilège octroyé par le seigneur
en avril 1240 (1). Mais les restrictions de ce genre sont rares. A
Amiens, à l'origine, existait une autre matière réservée : c'était
le vicomte ou le prévôt qui avait la connaissance des marchés
à terme. L'échevinage n'en connaîtra que lorsqu'il aura pris à
ferme la prévôté (mai 1292).
Les échevins peuvent donc dresser tous contrats ; leurs actes
sont même plus variés que ceux des notaires actuels ; ils reçoivent
en effet une quantité d'accords, commerciaux notamment,
pour lesquels on n'utilise plus, de nos jours, le ministère des
officiers publics.
Une seule matière leur fût âprement disputée, comme d'ailleurs
à tous autres laïcs : celle des testaments. C'est à compter du
XIIIe siècle que la juridiction ecclésiastique revendique la
compétence en cette matière. Les Conciles de Narbonna en 1227
et d'Arles en 1234, enjoignirent, à pein3 d'excommunication de
l'officier contrevenant, d'appeler un prêtre pour tester. Le
Concile de Bourges de 1276, maintient cette obligation de la
présence du curé (2). De même qu'il combattit la revendication
par la même juridiction de tout accord ou débat ayant trait
au mariage, le pouvoir royal lutta contre cette prétention, aux
conséquences envahissantes. Il faudra cependant attendre les
premières années du xve siècle pour voir autoriser les magistrats
laïcs à intervenir en cette matière. En ce qui concerne l'éche-
vinage d'Amiens, la question semble n'avoir jamais été tranchée,
en droit, sinon en fait, car de- nombreux testaments y furent
(1) Letitre entier de cet acte est ravestissement ou entravestissement par lettres,
par opposition au ravestissement de sang, coutume produisant les mêmes effets,
sans nécessité d'aucune forme, au cas d'existence d'enfants du mariage.
(2) A Amiens, ces ventes étaient annoncées au cri de : « De par lesdis maïeur
et eschevins, au commandement des gens du roi nostre sire J'. Cela donne lieu
à bien des difficultés avec le bailli, qui refusait à tout autre le droit de se dire
représentant du roi
comportant une obligation de donner ou de faire étaient suivis
d'un autre, constatant l'exécution, dénommé quittance ou
renoncement (1).
La compétence des inventaires paraît très recherché. Nous
voyons l'échevinage la disputer, à Amiens au prévôt, aux
notaires royaux à Metz et à Colmar. Les liquidations et partages
sont aussi du ressort du magistrat urbain. Mais ce sont des actes
compliqués et savants, dont, sauf à Colmar, les notaires royaux,
aussitôt établis auront vite faite d'exercer le monopole de fait.
Pourtant à Lille, est seul valable, le partage dressé par échevins
ou confirmé par eux, au cas où il y a été procédé par des amis
ou des experts commis par échevinage (2).
Dans les actes d'obligation, emportant le principe d'une
somme à payer, connus sous le nom de lettres obligatoires, il est
fréquemment fait mention d'un gage ou d'une caution. On y
trouve aussi, couramment, une clause à ordre. Des Marez, qui
a particulièrement étudié les contrats de ce genre existant (avant
la guerre) aux archives d'Ypres et qui sont d'un usage plutôt
commercial, leur donne le nom de « lettres de foire » (3). Toutefois,
au dire de certains auteurs, ces titres échevinaux, au surplus très
curieux, ne seraient pas de véritables lettres de foire (4). Les actes
de la nature de ceux trouvés à Ypres — et bien des archives
urbaines en possèdent d'analogues — n'ont que les garanties
que leur assure le droit local. Les titres à ordre commerciaux,
connus sous le nom de lettres de foire, qui étaient plus souvent
d'ailleurs dressés sous sceau privé, obéissaient à des règles
Formalités
(1) Litre Roisin. Édit. Brun-Lavainne. Réglement sur les purges d'hypothèques
de mars 1291, p. 62.
(2) Souvent aussi heure de vespres cantées ».
«
Devoirs de Loy
(1) Cf. MERLIN. Répert. de jurisprudence. Paris 1827. T. IV. Yo Devoirs de loy.
(2) Nous croyons intéressant de donner un exemple à
ce sujet. C'est un acte
d 'ensaisinement, pris parmi beaucoup d'autres dans les archives de Tournai.
Actes privés. Fonds de Saint-Brixe. Il est rédigé en forme de chirographe et
porte pour devise, quatre M.
« Sachent tous ceux qui ces présentes lettres verront ou oïront, que pardevant
autres, et ce, fréquemment à peine de nullité, qu'il s'agisse
d'actes entre vifs ou de testaments. Cette manière de procéder
est très ancienne. Ainsi à Saint-Omer, on trouve 15 registres de
testaments de 1486 à 1750 et un registre aux contrats de mariages
de 1695 à 1709. L'insertion de ces actes dans les archives éche-
vinales leur conférait la garantie d'une sorte d'insinuation.
A cette époque, il semble possible de reconnaître là l'influence
par le forme et manière qu'il est contenu en une feuille de pappier qu'il a baillé
et délivré ausdis eschevins et qui a esté leu en leur présence, duquel mot après
aultre la. teneur s'ensieult :
« In Nomme Domini Amen. Le XVIIe jour du
moix de septembre anno IIIIXX
et treize, je Flourens Platte, prebstre, moy estans en mon bon sens, mémoire et
- vray entendement, considérant qu'il n'est chose plus certaine que de la mort, ne
mains certaine que de l'heure d'icelle, veullant pourveir au salut de mon ame, en
rappelant tous aultres testamens fais par moy paravent cesti, fay mon testament,
devise et ordonnance de darraine volonté en la manière qui s'ensieult, etc....
Ainsi signé : S. Flourens Platte. »
« Auquel testament et tout ce qui dit est,
faire, passer et recongnoistre, furent
présens comme eschevins de ladite ville, Anthoine de Haucourt et Nicaise Laurry.
-.ce fut fait et passé le XXIIIIe jour de septembre l'an mil lille IIII" et treize ».
(Communiqué par M. le Président WAGON).
(1) Arch. <FAmiens. Registre des saisines des offices (de 1617 à 1791).
(2) On trouve même à Cambrai, lors de la nomination d'un nouveau titulaire
à un office de notaire royal, le 1er octobre 1708, une sorte d'acte d'ensaisinement
scellé par les échevins et magistrats de la Ville, Cité et Duché de Cambrai.
(CAMIER. Op. cit., p. 315).
CHAPITRE XVI
Taxe
dant pas croire que les étrangers étaient toujours traités avec
une particulière rigueur. Des conventions intervenaient souvent
à ce sujet, de ville à ville. On sait (1) que ies marchands de
La Rochelle, Niort et Saint-Jean, n'avaient rien à payer à
Gravelines pour l'authentification de leurs conventions.
Parfois c'est au seigneur que reviennent les droits de vente,
en vertu d'une convention de la charte. La coutume d'Épinoy
lui Téserve pour son droit seigneurial, le vingtième denier des
prix de vente des héritages d'échevinage « desquels droits, dit
la coutume, sont francqs et quietes les bigames et non clercs » (2).
De même à Hées (3).
Le droit est donc en principe progressif. C'était déjà le
cas des lettres de vicomté sous lesquelles on
t
contractait à
Rouen dès 1276 (4). Il en coûtait alors deux deniers pour cent
sous et moins, six deniers de cent sous à douze livres, et une
obole en plus par. livre (5). Les droits échevinaux, bien que
généralement inférieurs à ceux que nous acquittons actuellement,
n'en paraissaient pas moins très lourds aux assujettis. Aussi
parfois essayent-ils adroitement, d'accord avec leurs adminis-
trateurs, d'en éviter le paiement. « Se aucune terre vend, disait
la loi de 1245 au Pays de l'Alleeu, Saint-Waast doit avoir le
(1) DEPOTTEH. Op. cit., p. 219. De là, ajoute l'auteur cité, mécontentement-
«
des Teligieux (de l'abbaye de St-Waast) contre les échevins qui se prêtaient à
cette manœuvre et réclamations devant le Conseil d'Artois. Les juges reconnurent
qu'il s'agissait « d'une notoire, ancienne, et immémoriale observance, pratiquée
en tout temps au pays de Lalloeue » et déclarèrent « les Abbé et couvent de Saint-
Waast non recevables ny fondez dans leur plainte ». Cette sorte de contrats, qu'on
appelait contrats de mort-gage, parce que s'il y a reprise par le bailleur, le
CI
Saint-Waast, 1636-1696).
(2) BOUTHORS. II, p. 268. Coutume d'Arras, art. 10.
(3) BOUTHORS. Coutume d'Epinoy. Loc. cit.
(4) BOUTHORS. Coutume <F Ardres, art. 37.
(5) BOURDOT. I, p. 404. Coutume de Buissy et Baralle.
mayeur, de chaque metz ou pièche de terre, une paire de blancqs
gands, vallables quatre deniers royaux » (1).
Mais le plus souvent ces honoraires sont élevés et fixes,
rarement dégressifs ou progressifs. C'était d'ailleurs la règle
applicable aussi aux notaires royaux. Philippe le Bel en 1302,
fixe les redevances qui leur sont dues à deux sols pour-une vente
ou un accensement, douze deniers pour une procuration, et
dix-huit deniers pour une lettre d'apprenti (2). Une ordonnance
du Parlement de Normandie en 1519, élève ce tarif à trois sols
pour un contrat de moins de dix livres, et vingt sols tournois
pour chaque péau (double rôle) en ce qui concerne les contrats
plus importants (3). Les notaires municipaux de Metz, étaient
aussi taxés par vacation.
L'ordonnance de Cambrai de 1382, contient un véritable tarif
des honoraires des échevins. Il était de deux deniers par livre
pour les ventes et fixe pour tous autres contrats. Pour les plus
courants, ils ne peuvent d'ailleurs demander que « ung lot de vin
pour chacun eskievin qui sera à le dicte convenence » (4). A
Chimay, le taux des frais semblant infime, on profite d'une
nouvelle rédaction de la coutume pour l'augmenter (5), sauf
taxe possible au grand bailliage au cas de difficultés.
Il était assez fréquent d'ailleurs que l'échevinage soit autorisé
à excéder le tarif. La coutume de Lessines de 1662, qui est très
complète sur ce sujet, fixant le salaire dû au grefier pour une
grande quantité d'actes et de formalités, indique que le tarif
serait «à l'advenant » pour les criées de maisons -ou héritages,
-i
(3) Rares sont les coutumes qui prévoient ainsi un salaire pour le serviteur du
greffier. A Lessines, il avait encore droit pour les records d'héritage à 6 sols, sur
un total de 35 sols, dont le surplus revenait au mayeur pour 5 sols, aux échevins \
(5) Le Livre Roisin. Edit. Brun-Làvaine, p. 52. Appointement touchant les '
clercs (début du XVE siècle),
du mayeur 20 £ (1). Le premier clerc de Lille avait un traitement
encore plus important. Ses divers profits lui rapportaient une
somme fixe de 109 £, chiffre élevé pour l'époque. A Amiens,
vers la même époque, les clercs de la ville gagnaient 80 £. p.
par an et reçevaient en plus quelques gratifications en argent
ou en nature, notamment le logement en l'hôtel de la ville (2).
(1) Les lois de Hainaut prévoyent cependant cette éventualité. Cf. supra,
page 73.
(2) DAMHOUDÈRE. Practique judiciaire ès causes civiles. 1572, p. 215.
(3) BASNAGK. Traite' des hypothèques, pp. 113 et 114.
qu'à l'avantage de conférer le sceau. Il accordait en effet ces
deux facultés aux actes notariés. Mais les actes urbains, quelle
qu'en soit la forme avaient aussi ces possibilités.
En vérité, le sceau apportait quelques perfectionnements.
D'abord, il permettait au créancier de saisir les meubles de son
débiteur sans opposition, et de les conserver en gage. On appelait
cela garnir sa main (1). C'était la conséquence d'une plus grande
force probante attestée par la marque de la ville. Ensuite,
peut-être conférait-il à l'acte par une concession du souverain,
la force exécutoire en dehors des limites de la juridiction muni-
cipale (2). Encore l'importance de cet avantage, variait-elle
avec l'éttndue du territoire soumis au seigneur concédant.
Nous avons vu que pour que l'acte échevinal soit exécutoire,
il suffisait, mais il fallait que l'on ait reconnu qu'il émanait
bien de la jurisprudence urbaine. Cela était facile avec le chiro-
graphe. En ce qui concerne la lettre scellée, l'empreinte de la
ville était, elle aussi, aisément identifiable. Cela nécessitait-il
une formalité spéciale ? On ne peut le certifier. Nous possédons
cependant un document qui, bien que relatif à la vérification,
non des sceaux de la ville, mais de ceux des échevins, le laisserait
supposer (3). Mais en principe, dans l'un comme l'autre cas,
y '•
la règle posée par Laurière ne fut pas appliquée en ce qui con-
cerne les actes urbains. Notons En passant que l'hypothèque
générale ainsi constituée, était de valeur moindre que celle
<[ue nous connaissons aujourd'hui. Elle ne comportait pas de
droit de suite, ni même parfois de droit de préférence (1).
16 180, 1) non les fiefs enclavés dans la ville, mais seulement les meubles
;
mouvables qui se trouvent dans ces fiefs (II, 180, 7 et 8). Il importe peu que les
meubles soient dans le domicile ; il suffit qu'on les trouve sur la juridiction des
échevins, sans égard si l'obligé en est justiciable (II, 180, 4, 5, 6). Ajoutons que
cette hypothèque pouvait grever les biens à venir (II, 177, 2, 3) et avait un
effet rétroactif du jour de la convention. (Loc. cit.)
(1) ESMEIN. Op. cit., p. 182.
(2) MEIJERS et DE BLÉCOURT. Op. cit., p. 159, § 63.
jours, comme recordees, soient li esquievin vivant ou non » (1).
A Colmar, en cas de décès de l'un des deux échevins qui avaient
été témoins de la convention, si le survivant était appelé en
témoignage, il se rendait sur la tombe du défunt, où il faisait
sa déposition sur la foi du serment. Dans cette forme, elle avait
la même authenticité que si les deux échevins avaient rendu
témoignage simultanément (2). -j
C'est parce que les procès entre bourgeois sont tranchés par
l'échevinage que l'on recourt si volontiers aux actes d'échevins.
Il n'est pas indifférent de savoir, au moment -t>ù l'on traite,
que l'officier public qui prête son concours à la réception du
contrat peut le cas échéant se muer en juge, qu'il est même
seul à pouvoir le faire, et sans appel. Mais c'est aussi parce que
l'acte urbain présente des avantages certains. Il emporte
généralement les mêmes effets que tout autre acte privé, et que
nous ne pouvons évidemment songer à étudier en détail. Mais
bien souvent aussi, il offre des particularités précieuses. Ce sont
ces diverses caractéristiques que nous nous proposons d'examiner,
en passant en revue quelques-uns des principaux contrats. i
En ce qui concerne la vente, nous avons dit (1) que les muta-
tions d'immeubles urbains devaient obligatoirement s'opérer
devant l'échevinage. Cette règle pouvait souffrir des exceptions,
et des ventes d'immeubles urbains eurent parfois lieu en forme
non échevinale. La comparaison entre ces deux modes de con-
tracter nous permet d'apprécier la préférence accordée alors aux
actes reçus par les échevins. C'est ainsi que nous connaissons
à Douai un jugement échevinal du 20 octobre 1312, qui attribue
une maison de la banlieue, donc assise dans le ressort de la ville,
à un individu propriétaire par échevinage, contre un autre qui
l'avait acquise dans des conditions purement privées (2). Cette
Extinction de l'obligation
L'échevinage, en ville du moins, est une juridiction généra-
lement composée d'hommes d'affaires, de citadins, bourgeois
et commerçants. Plutôt que de s'embarasser des principes
régissant le droit du temps, il lui est possible, en raison du
pouvoir de réglementation qui lui appartient, en même temps
que sa qualité de juge, de procéder en équité lorsque l'occasion
s'en présente. Il est ainsi à même de faire réaliser au droit de
sérieux progrès dans la voie du bon sens. On peut considérer
que ses décisions très modernes, par rapport à l'état du droit
de l'époque, constituent d'importants avantages pour ses
justiciables.
Cela se constate principalement sur la matière de l'extinction
des obligations. Un droit primitif est forcément formaliste et
rigoureux ; il n'admet que l'exécution littérale des conventions
dès l'instant qu'elles sont reconnues valables, sans autoriser
qui que ce soit, juge ou partie à les modifier dans leur teneur ou
leurs effets : l'engagement pris doit être exécuté par celui qui
s'y est obligé, au profit de son co-contractant, et dans les termes
mêmes de l'accord, sans qu'on tolère la moindre exception.
Le droit échevinal, dès l'origine, admet au contraire, tout
comme notre article 1234 du Code Civil, l'extinction des obli-
gations, non seulement par paiement, mais aussi par compensa-
tion ou confusion. Nous connaissons déjà des cas de rescision
des contrats (1) et l'espèce de prescription à laquelle ils étaient
Contestations et procès
Nous avons passé en revue au cours de cette étude les cas de
nullité des actes d'échevinage. Ils pouvaient avoir deux causes :
un vice de forme de l'acte lui-même, ou l'incompétence du
magistrat.
Les vices de forme étaient rares. On peut citer le cas où l'acte
n'aurait pas été revêtu de la signature des échevins lorsque
cette signature était nécessaire, ou celui où un exemplaire du
chirographe n'aurait pas été déposé en ferme. Mais même
alors, la nullité ne pouvait ètre absolue. Dans bien des cas
le témoignage échevinal pouvait remédier à cette situation.
Il y avait au Pays de l'Alleu, nullité de l'acte à défaut
de signature par les parties (1). Elle était sanctionnée
par «une amende de 100 livres par contravention, et de plus
tous dépens, dommages et intérêts à la charge des délin-
quants » (2). Nous savons qu'à Valenciennes, on suppléait à
l'absence de rédaction d'un écrit. C'était une conséquence
logique du principe sur lequel était basée la force de l'acte
urbain.
La nullité de l'acte provenant de l'incompétence de l'échevi-
nage pouvait être encourue ratione loci, au cas d'exercice sur un
territoire autre que le sien, ou ratione materiae, si un acte était
dressé sur des sujets réservés par d'autres juridictions ; dans ce
cas elle était absolue. Ratione personae il semble au contraire
(1) Voir cette bulle et la formule du serment qui devaient prêter ces officiers
dans PRUD'IIOMME. Op. cit. Annexes, p. 12.
officiers ecclésiastiques dans leurs attributions originaires. Bien
que la ville de Strasbourg eut joui comme ville libre et impériale
de privilèges particuliers, les contrats s'y passaient au Moyen-
Age devant le juge du palais épiscopal (1). Ce n'est qu'en 1587,
que des notaires jurés purent y être nommés par le magistrat
urbain. Fréquemment les deux institutions existèrent côte à
côte dans un accord relatif, et il est parfois difficile de déterminer
le rôle de chacune et leur compétence. La coutume de Luxem-
bourg, après avoir indiqué que la vente se passe devant « deux
de la justice», ajoute «sans préjudice s'il y a lieu des droits
des tabellions » (2). A Douai, nous rencontrons l'intervention de
notaires apostoliques dans les actes mêmes de l'échevinage, où
généralement ils ne jouent d'ailleurs qu'un rôle simplement
testimonial. On possède un chirographe échevinal du 18 décem-
bre 1313, de la sentence rendue par trois arbitres, choisis en
vertu d'un compromis fait pardevant Henri Laustin, « tabellion
publike, de l'auctorité impérial » (3). En 1323, un acte urbain,
est validé par un officier ecclésiastique. En fin de la lettre éche-
vinale se trouve la mention : « En tiesmognagne desquelle
choses, nous prevos et esquievin de le cité de Cambray descure
dit, avons fait escrire ces presentes lettres par Mahiu dit Ma-
senghe, clerch, tabellion publike, chi dessous escript et signé...
Et jou Mahieus de Masenghe, clercs de le dyocese de Cambray,
par le auctorité no Saint Pere le pape de Romme et de l'Empereur,
tabellion publikes..., ai ces présentes lettres, dou comman-
dement dou prevost et esquievin escripte de me main » (4).
(1) Ils commençaient par cette formule : « Coram nobis constituto judice
curia epicopalis », d'où leur est venue la dénomination allemande de Coram nobis
brief. (LOBSTEIN. Op. cit., p. 5).
(2) BOURDOT. II, p. 345. Coutume de Luxembourg, titre V.
(3) ESPINAS. Op. cit. IV, p. 91. P. J. 960.
(4) ESPINAS. Op. cit. IV. P. J. 1010, 30 juillet 1323.
On peut expliquer cette co-existence des deux institutions
pour la raison que l'échevinage avait moins à craindre les
notaires apostoliques, que leurs confrères royaux plus puissants.
Les actes des premiers ne furent en effet jamais exécutoires
par eux-mêmes (1).
A Amiens «les juridictions ecclésiastiques de l'évêque et
du chapitre avaient été rattachées de bonne heure à la prévôté de
Beauvaisis, vraisemblablement après la prise à bail perpétuel
par la ville, de la prévôté du roi. On trouve en 1458, plusieurs
lettres « par lesquelles, appert plusieurs baillifs et prévosts de
Beauvoisis avoir demandé congié ausdis maire et eschevins de
tenir leurs plais et prisons en ladite ville » (2). Il faut avouer que
l'enchevêtrement dans lequel ces différents organismes exer-
çaient leur ministère ne pouvaient occasionner moins de heurts
qu'il ne le fit. Nous connaissons, du 29 janvier 1391, le renvoi
pardevant le bailli d'Amiens, d'une plainte des maire et echevins
contre le prévôt de Beauvaisis et son clerc, fermier des écritures,
à raison de certains exploits faits par ceux-ci, dans les limites de
la juridiction et prévôté d'Amiens (3).
On s'accomoda donc longtemps et tant bien que mal de cette
situation. Il y fallait pourtant une solution. On chercha dabord
à ôter aux notaires apostoliques et impériaux la connaissance
de certains actes. Une sentence du prévôt de Paris du 19 juin
1421, leur défend de dresser des inventaires et de procéder à
des prisées. Cette mesure était insuffisante. Une ordonnance de
novembre 1543, déplore leur « grant et effréné nombre » (4).
Louis XIV procéda d'une manière plus insidieuse et plus efficace
1
CHAPITRE XXIII
(1) Raynouard. Histoire du droit municipal en France. Paris 1829. Livre 1er,
T. IV. VIOLLET. Histoire des Institutions politiques et administratives de la France.
T. IV. BRUN-LAVAINNE. Op. cit. TAILLIAR. De l'affranchissem-,-nt des communes
dans le Nord de la France. Cambrai 1837.
(2) GLASSON. Op. cit. GIRY. SLOmer. >
(3) Supra, p. 9.
à notre institution un élément psychologique. Entres le deux
organismes nous distinguerons simplement la même relation
médié-
que l'on peut établir par exemple entre les corporations
vales et les syndicats professionnels modernes. Les seconds ne
sont certainement pas issus des premiers. Ils ne correspondent
pas exactement au même but ; un esprit différent les anime.
Comme entre la curie et l'échevinage un long espace de temps
les sépare. Cela n'empêche cependant pas de les comparer les
uns aux autres et de trouver entre eux des points de contact.
Et puisque, même sur le point particulier qui nous occupe,
nous ne pouvons trouver dans les institutions romaines l'origine
de notre système, il nous faut nous tourner vers cette autre
source : le droit germanique. Nous avons vu qu'on y procédait
à la réception des contrats devant le comte, dans le mallum (1).
Deux éléments concourrent ainsi, à la solennité de l'opération :
l'autorité du seigneur et le témoignage des assistants. Il fallait
à l'origine la présence de toute la population ou du moins d une
grande foule de peuple. On se contente ensuite de celle des
membres du tribunal proprement dits : rachimbourgs, puis
scabins. Il semble bien que nous soyons dès lors en présence
de l'organisme dont va découler notre institution. Longtemps
encore on voit contracter dans l'assemblée du peuple (2). Nous
connaissons aussi la fortune de la recognitio in jure (3). Il est
évident que l'échevinage réunit ces deux éléments. Il constitue
un tribunal et se compose d'individus de la même classe sociale
que ses justiciables. De même que les échevins sont élus, le
peuple prend bientôt part à la nomination des scabins, d'abord
choisis par le comte. Comme les scabins, versés dans la pratique
judiciaire, les échevins sont des viri honesti, des primores urbi.
PAGES
INTRODUCTION. — Exposé du sujet .
1
CHAPITRE V.
— Siège de la juridiction 51
I. — Passation des contrats.
1. La Halle.
2. Églises et carrefours.
3. Domicile des contractants.
II. — Conservation des archives ; greffe des « werps ».
CHAPITRE VI.
— Le Record. 58
1. Définition.
2. Le record, unique mode de preuve des conventions :
le « claing ».
3. Le record conjugé avec l'écrit.
PAGES
I. — Dessaisine-saisine.
Rôle des échevins (principal ou secondaire).
II. — Divers contrats.
1. Testaments.
2. Offices.
PAGES
CHAPITRE XVI. - Taxe.
Variation du coût des actes.
126
CHAPITRE XVIII.
— Effets spéciaux à certains actes... 150
I. — Vente.
1. Prépondérance de l'acte échevinal.
2. Retrait lignager.
3. Interdiction d'aliéner.
4. Résolution et rescision des contrats.
5. Éviction.
Il. — Louage.
1. Droits de preneur.
2. Privilèges du bailleur.
PAGES
I. — Différents cas.
II. — Exécution des engagements.
1. Remise du titre.
Cas de perte.
2. Quittance.
I. — Vices de forme.
II. — Incompétence.
III. — Contestations : 1. Sur l'existence de l'acte.
2. Sur le témoignage échevinal.
IV — Faux.
CHAPITRE XXI. — Les concurrents de l'échevinage.... 170
1. Recognitio in jure.
2. Notaires seigneuriaux.
3. Officialités et notaires apostoliques.
4. Notaires impériaux.
5. Notaires royaux.
6. Autres officiers royaux.
I. — Ordonnance de Moulins.
II. — Opposition des villes.
III. — Désuétude de fait de l'institution.
IV. - Ordonnances postérieures.
PAGES
V. — Résistances et survivance de l'institution.
1. Hainaut.
2. Artois.
3. Lorraine
.
4. Alsace.
5. Pays de l'Alleu.
CHAPITRE XXIII.
— Fondement du droit des échevins... 191
I. — Origine pratique de l'institution.
1. Romaine.
2. Germanique.
Lire : «
chapitre XVII »