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Histoire

 du  droit  –  Révisions  


 

Le droit mésopotamien
Le droit participe de son milieu d’origine. De très nombreux facteurs contribuent à le
façonner. Certaines civilisations ont organisé leur ordre social sans distinguer le droit
d’autres modèles de conduites, notamment de la religion ou de la morale.
Droit de la Mésopotamie = exemple de droit non-autonome, profondément marqué
par la religion. Cela se voit sur son plus célèbre monument législatif : le Code
d’Hammourabi. Hammourabi était le roi de Babylone autour de -1750. Le code
d’Hammourabi présente le droit comme un droit révélé : c’est un dieu qui passe pour
avoir dicté le droit au roi Hammourabi. Et parce qu’il a été donné par un dieu, le droit
n’est pas destiné à changer. D’ailleurs, le code maudit à l’avance celui qui oserait
changer la loi. De fait, le droit a peu changé : le code d’Hammourabi a été promulgué au
XVIIIe av. J-C et 1000 ans plus tard, il s’appliquait encore !
Un autre signe de l’imprégnation religieuse de ce droit, c’est l’ordalie.
Ordalie (appellée aussi « jugement divin ») = mode de preuve qui fait appel aux
dieux. Quand il n’y a pas d’autre preuve, le plaideur est soumis à une épreuve matérielle
destinée à révéler la vérité.
En Mésopotamie, l’ordalie prend une forme fluviale. Le plaideur doit entrer dans le fleuve
et parcourir une certaine distance. S’il surnage, son innocence est prouvée ; s’il coule,
c’est qu’il est coupable.
= droit non-autonome par rapport à la religion. Il n’est d’ailleurs pas plus autonome
par rapport à la morale. Les manquements à la morale sexuelle et familiale occupent une
large place dans les normes juridiques en Mésopotamie.

L’isolement du droit à Rome


C’est Rome qui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, a marqué les
frontières du droit, et l’a isolé.
 
1 Le droit isolé de la religion
Cette séparation a été l’oeuvre des pontifes, prêtres ont eu autorité à la fois sur la
religion et sur le droit. Partage des tâches :
• religion : paix entre les dieux et les hommes ;
• droit : paix entre les hommes.
→ 2 vocations complémentaires mais distinctes.
 
La laïcisation du droit a été précoce à Rome. Le premier grand texte juridique de
l'histoire romaine, la loi des XII Tables de -450, ne comprend déjà plus que quelques
résidus sacrés.
Un siècle plus tard, le monde du divin et le monde de l'humain sont rigoureusement
étanches.
 
C’est là un grand apport de Rome au monde occidental : comme le droit est séparé de la
sphère religieuse, le droit peut être critiqué, modifié sans que cette critique ou ce
changement soient ressentis comme un sacrilège.
 

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2 Le droit isolé de la morale
• Le droit est inscrit dans les sources du droit. Il est fixe, objectif.
• La morale est mouvante, subjective.
Pour les Romains, la sanction des actes contraires à la morale ne passe pas par le droit.
Elle est confiée à des magistrats spéciaux, élus tous les 5 ans : les censeurs. Les
censeurs ont la possibilité d'infliger des blâmes pour sanctionner certains actes qui sont
permis du point de vue du droit, mais répréhensibles du point de vue de la morale.
Ex : un père de famille peut se voir sanctionner par les censeurs s’il éduque mal ses
enfants, alors que du point de vue du droit, la puissance paternelle est absolue,
tellement absolue que le père a droit de vie et de mort sur ses enfants.
 
3 Le droit isolé du fait
La procédure civile romaine a longtemps divisé l'instance en 2 parties:
• une 1re phase se déroule devant le magistrat chargé de la justice, c'est alors
que sont réglées les questions de droit ;
• une 2e phase se déroule ensuite devant un juge, qui est un simple particulier, qui
va s'occuper des faits : c'est à lui d'examiner les preuves avant de rendre la
sentence.
On distingue donc bien le droit du fait.
 
Cette distinction se matérialise aussi dans l'emploi de la fiction = artifice qui consiste à
faire comme si un fait existait (ou pas), pour parvenir à un résultat que l’on juge
souhaitable.
Ex : un enfant à naître est considéré comme déjà né à chaque fois qu'il y va de son
intérêt. Ex : on peut déplacer fictivement la date de la mort d'un homme dans certains
cas.
Le droit n'est pas asservi aux évidences de la nature.
 
4 Le droit isolé de la philosophie
Pour construire une science, la philosophie grecque proposait un modèle. Mais le droit
romain est resté pragmatique. Pour les juristes, il n'était pas question d'enfermer le droit
dans un système. Le droit a conservé son autonomie.
 
5 Leur travail d'isolement, les Romains l'ont poursuivi à l'intérieur du droit lui-même :
parmi les règles de droit, toutes n'ont pas le même but. Les juristes romains ont été
amenés à distinguer le droit public du droit privé.

La divulgation du droit à Rome


Pendant longtemps, la connaissance du droit a été tenue secrète. Sa divulgation a
donné lieu à un véritable combat politique sous la République.
Lorsque la République s'installe en -509, ce n'est pas une démocratie : c'est un régime
aristocratique. Le pouvoir est aux mains d'un groupe : le patriciat. Seuls les patriciens
peuvent accéder aux magistratures et au sacerdoce. Face à eux, les plébéiens sont
tenus à l'écart. Entre ces 2 ordres, la tension politique va devenir très vive et l’un des
points de friction concerne précisément le d.
 
Seuls les pontifes, tous patriciens, connaissaient le droit. Et les magistrats chargés
de rendre la justice étaient tous patriciens. On les soupçonnait de profiter du caractère
secret du droit dans leur intérêt.
La plèbe réclamait donc la divulgation du droit. Elle a obtenu satisfaction complète
en 3 étapes :

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1 La publication des règles de droit
Au milieu du Ve siècle av. J-C, le patriciat est obligé de céder à la pression de la plèbe.
Un collège de 10 magistrats extraordinaires, les « décemvirs », est chargé de codifier le
droit. Cette tâche débouche sur la loi des XII Tables en -450. Les Romains
considéraient cette loi comme la base de leur droit. Le magistrat est désormais lié par la
loi.
Que trouve-t-on dans cette loi ?
• les principaux actes juridiques ;
• les “droits absolus” : la liberté, la propriété, la puissance paternelle ;
• les crimes de droit commun punis de mort ;
• les procédures en justice.
Tout le monde peut prendre connaissance du contenu de la loi puisqu’elle a été gravée
sur 12 tables de bronze. Ces tables ont été affichées au forum, là où se rend la justice.
 
2 La publication des formules judiciaires
En -450, la loi des XII Tables n'avait publié que les règles de droit. Or pour mettre en
oeuvre ces règles dans les procès, il fallait employer des formules précises. L'ancien
droit romain était très formaliste. En justice, la moindre erreur dans la formule faisait
perdre un procès.
Or ces formules rituelles n'avaient pas été divulguées. Seuls les pontifes les
connaissaient.
En -304, les formules ont été publiées par Cneus Flavius, scribe du pontife Appius
Claudius Caecus. Flavius a très probablement agi à l’instigation de son patron.
 
3 La divulgation du mode d’emploi
En -254, les plébéiens peuvent enfin accéder au pontificat. Le 1er grand pontife
plébéien s'appelle Tiberius Coruncanius. Grande nouveauté : des auditeurs assistent
à ses consultations juridiques et il leur explique les raisons qui motivent ses avis.
Jusqu'alors, l'initiation au droit se faisait en secret. Voilà que l'on peut apprendre
comment se servir des règles du droit et de la justice. Le droit est alors complètement
divulgué.

La “jurisprudence” à Rome
Ce que l'on appelle « jurisprudence » à Rome ne désigne pas les décisions des
tribunaux, mais la science du droit. Elle résulte de l'activité des juristes, qui connaît 2
formes :
• l'équivalent de notre doctrine. Les juristes écrivent des commentaires.
• et l'activité de consultation. Les juristes délivrent des consultations qui portent le
nom de responsa (“réponses”).
Dans l'un et l'autre cas, ils contribuent à la création du droit par l'interprétation.
+ dvpt sur les juristes ?

Les sources du droit à Rome


L'autonomie du droit est marquée par l'existence de sources propres pour le droit. Ces
sources n'ont aucun lien avec le sacré. Le droit résulte toujours d'une activité humaine.
Au cours de sa longue histoire, le droit romain a connu plusieurs sources du droit :
 
1 La loi

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Son nom technique est lex publica. La loi est proposée par un magistrat, et votée par
les citoyens réunis dans des assemblées : les « comices ». De la loi, il faut rapprocher
le plébiscite qui est voté par l'assemblée propre à la plèbe, le Concile de la plèbe. Le
plébiscite à la même valeur que la loi (valeur acquise en -286).
La loi joue à Rome un grand rôle en droit public, mais elle n'occupe qu'une place très
modeste en droit privé.
La lex publica a été utilisée pendant 7 siècles. On dénombre, durant ces 7 siècles,
environ 800 lois, dont à peine une trentaine concerne le droit privé. Les sources les plus
fécondes du droit privé sont ailleurs.
 
2 La jurisprudence
Ce que l'on appelle « jurisprudence » à Rome ne désigne pas les décisions des
tribunaux, mais la science du droit. Elle résulte de l'activité des juristes. Et cette
activité connaît 2 formes : l'équivalent de notre doctrine et l'activité de consultation. Les
juristes écrivent des commentaires, et délivrent des consultations qui portent le nom de
responsa (“réponses”). Dans l'un et l'autre cas, ils contribuent à la création du droit par
l'interprétation.
 
3 L’édit du préteur
L’édit du préteur est la source principale du droit privé romain entre le IIe siècle av. J-
C et le IIe siècle ap. J-C.
Le préteur = magistrat judiciaire élu pour 1 an, qui intervient dans la 1re phase du
procès. Lors de son entrée en fonction, il publie un édit = son programme d'activités
pour l'année, qui énumère les cas dans lesquels il délivrera des actions.
Cet édit, valable 1 an, porte le nom d'édit perpétuel. S’il se présente une situation non
prévue, le magistrat peut prendre un édit spécial.
Chaque année, l'ouvrage est refondu. Mais le préteur suivant reprend l'essentiel de son
prédécesseur. L'édit est amélioré, enrichi.
→ C'est donc une source du droit souple, capable de répondre aux nécessités
pratiques.
 
4 Les sénatus-consultes
Portent le nom de sénatus-consultes les textes votés par le Sénat.
Sénat = grand conseil où siègent ceux qui ont géré une magistrature. Techniquement, le
Sénat ne rend que des avis sous la République, exprimés sous une forme courtoise. En
pratique, il est très difficile pour un magistrat de ne pas suivre les avis du Sénat.
Sous le Principat, les sénatus-consultes deviennent une source directe de droit
lorsque les assemblées du peuple vont tomber en léthargie. Le sénatus-consulte prendra
alors le relais de la législation comiciale avec la bénédiction de l'empereur.
L'empereur, en effet, dissimule souvent ses propres décisions derrière l'autorité du
Sénat, qu'il convoque, qu'il préside et dont il surveille de près la composition.
 
5 Les constitutions impériales
Constitution à Rome = non pas la loi fondamentale de l'État, mais un texte normatif qui
émane de l'empereur. C'est une source du droit qui n’apparaît donc qu’avec le
Principat. Elle se substituera progressivement à toutes les autres sources.
Il existe 4 types de constitutions impériales :
• les édits : textes de portée générale ;
• les décrets : jugements rendus par l'empereur ;
• les rescrits : réponses écrites adressées par l'empereur à une requête qui porte
sur un point de droit ;

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• les mandats : instructions de caractère administratif, adressées aux magistrats
ou aux fonctionnaires impériaux.

6 La coutume
Coutume = source du droit fondée sur la répétition d'une même pratique.
À Rome, son rôle est reconnu en droit public. Mais en droit privé, la coutume est
absente des catalogues de sources de droit proposés par les juristes classiques. Le
système juridique romain n'a pas besoin de la coutume. Il dispose, en effet, de 2 sources
qui lui permettent d'absorber quasi-instantanément les nouveautés de la pratique :
• l'interprétation jurisprudentielle ;
• l’édit du préteur.
La coutume pénétrera pourtant dans l'ordre juridique romain par les provinces
conquises.

L’édit du préteur
L’édit du préteur est la source principale du droit privé romain entre le IIe siècle av. J-
C et le IIe siècle ap. J-C.
Le préteur = magistrat judiciaire élu pour 1 an, qui intervient dans la 1re phase du
procès. Lors de son entrée en fonction, il publie un édit = son programme d'activités
pour l'année, qui énumère les cas dans lesquels il délivrera des actions.
Comme notre droit moderne, le droit romain distingue le droit et l'action.
• Dans le droit moderne, le droit précède l'action, l'action n'est là que pour le
faire respecter.
• Dans le droit prétorien, l'action précède le droit : le préteur peut délivrer des
actions dans un domaine où la loi ne s'est pas prononcée et c'est ce qu’il fait
quand il estime qu'une situation doit être protégée. Le droit ne naît qu'à partir du
moment où l'action est offerte par le préteur.
L’édit du préteur est un catalogue de toutes les actions qu’il annonce à l'avance.
Cet édit, valable 1 an, porte le nom d'édit perpétuel. S’il se présente une situation non
prévue, le magistrat peut prendre un édit spécial.
Chaque année, l'ouvrage est refondu. Mais le préteur suivant reprend l'essentiel de son
prédécesseur. L'édit est amélioré, enrichi.
→ C'est donc une source du droit souple, capable de répondre aux nécessités
pratiques.

L’invention du juriste à Rome


C'est Rome qui a inventé le juriste. En latin, le juriste est nommé jurisprudens : celui
qui est compétent en droit. Ou prudens. Il est encore nommé jurisconsultus :
jurisconsulte, un mot qui met l'accent sur son activité de consultation.
 
1 Un personnage autonome
Son activité est purement privée, sans attache avec les pouvoirs de l'État.
Rome connaît connaît les professions juridiques (avocats, notaires, juges), mais elles ne
supposent pas la maîtrise de la science juridique.
Son activité se limite aux questions de droit et recouvre 3 fonctions :
• donner des consultations juridiques,
• rédiger des actes juridiques,
• prêter dans les procès une assistance juridique aux parties, aux avocats ou
au juge.

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Cette activité est d'autant plus impartiale que le juriste l'exerce gratuitement. On
comprend alors que les juristes appartiennent à des familles aristocratiques.
Les juristes jouissent à Rome d'un grand prestige et d'une grande autorité.
 
2 L’artisan du droit romain classique
Le droit privé romain repose principalement sur la jurisprudence, l’édit du préteur puis les
constitutions impériales. Le juriste est le véritable artisan de ces 3 sources.
• Pour la jurisprudence, fruit de son activité, à la fois doctrinale et consultante.
• Pour l’édit du préteur : le préteur est un homme politique qui ne possède pas
forcément les connaissances juridiques nécessaires. les juristes collaborent.
• les constitutions impériales : formellement, une constitution émane de
l'empereur. En pratique, elle est élaborée par les juristes.

→ L'essentiel du droit romain a été l'oeuvre d'experts. Ces experts ont travaillé à le
construire durant des siècles, et c'est à eux qu'il doit ses incomparables qualités
techniques.

Les grands outils de la science juridique


1 Un langage
Notre droit use d'un langage technique, facteur de précision et de sécurité pour
l'application du droit.
C'est à Rome que nous devons le principe d'un langage technique spécifique au droit :
• Un vocabulaire juridique.
o forger un terme spécifique pour une notion juridique ;
o la voie la plus fréquente : prendre un mot du vocabulaire courant et à lui
attribuer un sens juridique. Ex : fructus (“fruit”) : tout revenu pécuniaire
qu'on tire d'un bien.
• Un style.Le style juridique est concis, sobre ennemi de la verbosité.
Ex : style des responsa : en quelques lignes, ils présentaient le cas et donnaient
la solution.
 
2 Une méthode de raisonnement
Le droit romain a été un droit casuistique, un droit des cas, né de la pratique
contentieuse. Les Romains résolvaient des cas, puis dégageaient des règles générales.
 
Comment résoudre un problème juridique ?
• Poser le problème en termes juridiques est la première tâche. Travail
d'analyse essentiel.
• Il arrive que la solution ne soit pas expressément donnée par les textes dont
dispose le juriste. Il faut alors recourir à l'interprétation pour trouver la
solution. Les juristes romains utilisent des types d'arguments puisés dans la
philosophie grecque:
• L'argument d’analogie.
• L'argument a contrario. Ex : on a demandé à un juriste romain si une
femme pouvait témoigner en justice. Aucun texte ne le prévoyait. Mais
une disposition d'une loi Julia consacrée à l'adultère précise que la femme
condamnée pour cause d'adultère ne peut témoigner en justice. Le juriste
en a conclu a contrario qu’en dehors de ce cas, la femme pouvait
témoigner en justice.
• L'argument a fortiori.

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Ajoutons que pour interpréter les textes, les juristes romains nous ont appris à
distinguer entre l'esprit et la lettre.
Ex : celui qui prétendait respecter la trêve de 40 jours qu'il avait conclue avec l'ennemi,
tout en ravageant le territoire ennemi pendant la nuit.

Droit romain et langage


Notre droit use d'un langage technique, facteur de précision et de sécurité pour
l'application du droit.
C'est à Rome que nous devons le principe d'un langage technique spécifique au droit.
Un langage, cela signifie deux choses :
• Un vocabulaire juridique. Les juristes romains ont construit leur vocabulaire, par
deux voies :
o forger un terme spécifique pour baptiser une institution ou une notion
juridique ;
o la voie la plus fréquente : prendre un mot du vocabulaire courant et à lui
attribuer un sens juridique. Ex : fructus (“fruit”). Les juristes romains lui ont
donné une signification abstraite : tout revenu pécuniaire qu'on tire d'un
bien.
Durant des siècles, gros travail de construction et d'affinage du vocabulaire
technique. De ce travail, nous sommes les héritiers : nous avons repris de Rome
le principe du vocabulaire technique et le vocabulaire romain lui-même.
• Un style. Il ne suffit pas de connaître des mots techniques, il faut aussi savoir les
assembler. Le style juridique est concis, sobre ennemi de la verbosité.
C'est ce style qu’employaient les juristes romains par exemple pour rédiger un
responsum, la réponse à une demande de consultation juridique : en quelques
lignes, ils présentaient le cas et donnaient la solution.

La construction de l’argumentation juridique dans la Rome antique


Comment résoudre un problème juridique ?
• Poser le problème en termes juridiques est la première tâche. Dans le récit
d’une situation, isoler les seuls éléments importants au point de vue juridique :
transformer une situation de fait en cas juridique. Travail d'analyse essentiel.
• Il arrive que la solution ne soit pas expressément donnée par les textes dont
dispose le juriste. Il faut alors recourir à l'interprétation pour trouver la
solution. Les juristes romains utilisent des types d'arguments puisés dans la
philosophie grecque. Arguments rationnels que nous employons toujours pour
appuyer notre raisonnement juridique :
• L'argument d’analogie : permet d'étendre une solution à un cas voisin
plus ou moins semblable.
• L'argument a contrario : quand un texte dit quelque chose, il est censé
nier le contraire. Ex : on a demandé à un juriste romain si une femme
pouvait témoigner en justice. Aucun texte ne le prévoyait. Mais une
disposition d'une loi Julia consacrée à l'adultère précise que la femme
condamnée pour cause d'adultère ne peut témoigner en justice. Le juriste
en a conclu a contrario qu’en dehors de ce cas, la femme pouvait
témoigner en justice.
• L'argument a fortiori : c'est l'argument à plus forte raison, celui qui sert à
étendre une solution valable dans un cas à un autre cas où la justification
se retrouve encore avec davantage de force. Ainsi, le juriste Ulpien a-t-il

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pu écrire : « Celui à qui il est permis de faire le plus, peut à plus forte
raison faire le moins. »

Ajoutons que pour interpréter les textes, les juristes romains nous ont appris à
distinguer entre l'esprit et la lettre. À une application brutale du sens littéral
d'un texte, il faut parfois préférer une interprétation conforme à son esprit.
Ex : celui qui prétendait respecter la trêve de 40 jours qu'il avait conclue avec
l'ennemi, tout en ravageant le territoire ennemi pendant la nuit.

L’enseignement du droit à Rome


1 De la formation confidentielle à l’enseignement public
Les Romains ont été le premier peuple à organiser un enseignement du droit.
Le 1er professeur de droit de l'histoire a été ce Tiberius Coruncanius (1er grand pontife
plébéien) qui a admis des auditeurs à ses consultations et leur expliquait les motivations
des solutions qu’il rendait.
Pendant des siècles, l'enseignement du droit à fait l'objet de ces cours privés. Sous
l'Empire, les consultations sont rendues en public, mais l'enseignement reste privé.
Il faut attendre le Bas-Empire pour que l'État organise un enseignement officiel du
droit.
 
2 Les manuels d’enseignement
L'enseignement du droit à Rome a produit le manuel d'enseignement.
La littérature juridique romaine avait un point faible : sa présentation. Les ouvrages
n’avaient pas d’ordre systématique. C’est dans les manuels d'enseignement que l'on
rencontre pour la première fois un souci de présentation systématique.
= Institutes.
 
Les premières Institutes que nous connaissons ont été rédigées vers 160 par le juriste
Gaius. Oeuvre de systématisation par souci pédagogique : l'ouvrage présente la
discipline sous une forme didactique. Gaius commence par annoncer le plan qu’il va
suivre : Tout le droit dont nous usons, dit-il, concerne soit les personnes, soit les
choses, soit les actions.
• En quelques mots, sont ainsi distingués le droit civil et la procédure civile.
• Puis est posée au sein du droit civil la summa divisio entre les personnes et les
biens.
De la distinction entre personnes et biens, Gaius fait la base d'une classification, qu’il
poursuit ensuite à l'intérieur de chaque thème. Cette méthode d'exposition du droit va
devenir la nôtre. Le plan de Gaius sera d'ailleurs repris jusque dans notre Code civil.

La mutation du système juridique romain


Au cours de sa longue histoire, le système juridique romain a évolué. On peut opposer 2
systèmes juridiques successifs :
• Le 1er ressemble au système anglais actuel. Le droit naît de la pratique
contentieuse. Cf. l’édit du préteur, ou les responsa des prudens.
• Le 2d consiste en un ensemble de normes édictées par le pouvoir central. À
terme, l'ensemble de ces normes fera l'objet d'une codification. C'est ce modèle-
là que l'Europe continentale va adopter après l'avoir retrouvé au Moyen Âge. Ce
modèle, c'est celui du Bas-Empire romain.

A la fin de l'époque classique, s’annonce la mutation du système juridique romain :

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Le pouvoir législatif est ouvertement reconnu à l'empereur au IIIe siècle. “Ce qui a

plu au prince a force de loi”, dira le grand juriste Ulpien. La volonté impériale est
alors identifiée à la loi.
• La législation impériale est diffusée par les juristes dans leurs oeuvres
doctrinales. Mais les constitutions sont présentées comme des normes
abstraites, de portée générale.
→ Petit à petit, le droit passe d'un ensemble de solutions de cas d'espèce à un
ensemble de règles émanant du pouvoir central.
 
Cette évolution s'achève au Bas-Empire. L'empereur exerce alors pleinement le pouvoir
législatif. Désormais, ces constitutions portent le nom de lois.
→ La législation impériale est devenue l'unique source créatrice du droit et elle a
abandonné la voie casuistique. La mutation du système juridique romain est
achevée.

La promotion des constitutions impériales sous l’Empire


À partir du premier empereur Auguste, l'autorité impériale va s'emparer peu à peu des
forces créatrices du droit et au Bas-Empire, la législation impériale devient la source
quasi exclusive du droit.
 
1 La loi
Dès Auguste, l'empereur prétend faire lui-même le droit. Mais par prudence politique, il
va s'abriter derrière l'assemblée du peuple ; les premiers empereurs proposent des lois à
l'assemblée du peuple qui les vote comme sous la République.
 
2 Les sénatus-consultes
À la fin du Ier siècle, on votera la dernière loi. L'empereur a trouvé un meilleur moyen
pour camoufler ses décisions : le sénatus-consulte prend la place de la loi disparue.
En réalité, le Sénat n'est que le prête-nom de l'empereur.
Puis le sénatus-consulte a fini par disparaître lorsque le pouvoir législatif a été
ouvertement reconnu à l'empereur.
 
Il restait 2 sources rivales des prétentions impériales : l’édit du préteur et la
jurisprudence.
 
3 L’édit du préteur
L'empereur ne maîtrisait pas la confection de l’édit. Il s'est alors ingénié à tenir le préteur
à l'écart.
Au début du IIe siècle de notre ère, son texte n'évolue plus. Il a cessé d'en être une
source créatrice.
 
4 La jurisprudence
Les juristes : voilà des concurrents redoutables. Auguste va diviser pour régner, en
créant le jus respondendi, un brevet officiel de juristes consultants. Seuls les
juristes titulaires de ce brevet peuvent donner des consultations.C'est une faveur que
l'empereur n'accorde au Ier siècle qu'avec parcimonie.
Au IIe siècle, l'empereur n'a plus rien à craindre des prudens : la jurisprudence est
engagée dans la voie de la collaboration avec le pouvoir. Elle n’est plus indépendante.
 
5 Les constitutions impériales

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À la fin de l'époque classique, tous les grands noms du droit sont au service de
l'empereur et élaborent le droit dans les constitutions impériales (mandats, édits,
décrets, rescrits).
L’empereur prend essentiellement des décrets et des rescrits (nature contentieuse).
Mais les constitutions sont détachées de leur origine casuistique : elles sont
présentées comme des normes abstraites, de portée générale.
→ Petit à petit, le droit passe d'un ensemble de solutions de cas d'espèce à un
ensemble de règles émanant du pouvoir central.
 
Cette évolution s'achève au Bas-Empire.
→ La législation impériale est devenue l'unique source créatrice du droit.

Les instruments préparatoires de la codification à Rome


Un des traits de l'évolution du droit au Bas-Empire, c'est sa tendance à la codification.
Les instruments qui ont permis cette codification sont le codex et la scolarisation de
l'enseignement du droit.
 
1 L’invention du « codex »
Le codex a donné le mot français “code”. L'avènement du codex est né d'une nécessité
pratique : il fallait consulter facilement les constitutions impériales.
Au début du IIIe siècle, la masse des constitutions impériales devient volumineuse et
difficile à consulter : les textes sont écrits sur des papyrus et rassemblés en rouleaux. On
les colle les uns aux autres par leurs extrémités et puis on les enroule. Pour les
consulter, il faut dérouler les rouleaux jusqu'à trouver le texte que l'on cherche.
Technique plus pratique pour réunir les textes : les différentes feuilles sont attachées par
un côté = le codex (livre que nous connaissons).
Le mot codex, à l'origine, a simplement un sens matériel, mais on finira par baptiser du
nom de “code” le recueil officiel du droit promulgué par l'autorité centrale.
 
2 L’organisation d’un enseignement officiel de droit
C'est une innovation du Bas-Empire. À côté de l'enseignement privé, l'État organise un
enseignement officiel du droit. Il ouvre des écoles de droit et il en organise le
programme.
Au Bas-Empire, les grands juristes ont disparu. Les seuls juristes qui sortent alors de
l'anonymat, ce sont justement les professeurs des écoles de droit. Ils n'ont pas
l'envergure de leurs prédécesseurs, mais ils rassemblent les textes, les mettent à jour, et
c'est un travail qui prépare efficacement l'oeuvre de codification.

Les compilations de Justinien


En 527, Justinien devient empereur d'Orient. L’empire romain d'Occident a disparu.
Justinien a l'intention de rétablir la grandeur de Rome : reconquête militaire + rénovation
de l'empire et de son droit. Il fait appel à un professeur : Tribonien.
Quatre recueils : le Code, le Digeste, les Institutes, les Novelles.
 
1 Le Code de Justinien
C'est un recueil de constitutions impériales. L'empereur voulait que l'ensemble soit le
plus concis et le plus clair possible.
Le Code se compose de 12 Livres (en hommage à la loi des XII Tables), divisés en
Titres dans lesquels les constitutions sont classées par ordre chronologique.
 

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2 Le Digeste
Le Digeste, publié en 533, est un recueil du jus, c'est-à-dire de la jurisprudence
classique. La masse dépouillée était immense : de 3 millions de lignes on a extrait 150
000 lignes provenant de 38 jurisconsultes différents. Le Digeste est un “best of”.
Il se présente comme une mosaïque de petits fragments qui ont reçu une égale autorité.
L'empereur s'approprie ainsi la jurisprudence classique.
 
3 Les Institutes
Les Institutes sont promulgués en 533. C'est un nouveau manuel d'enseignement qui
a force de loi. Il accompagne d'ailleurs une réforme des études de droit : l'enseignement
est interdit en dehors des écoles officielles, et les professeurs sont sommés de s’en tenir
au droit fixé dans les textes officiels.
 
4 Les Novelles
Après la publication de son Code, Justinien a régné encore 31 ans et son activité
législative est restée très féconde. Les nouvelles constitutions qu'il a promulguées
sont appelées “Novelles”.
 
Après avoir reconquis l'Italie, Justinien y envoie une copie de ces compilations. Peu
après sa mort, l'Italie retourne aux barbares et les compilations vont entrer en
“hibernation”. Il faudra des siècles avant qu’on les redécouvre, et que l'Occident soit
capable de se servir de ce précieux héritage.

La personnalité des lois


La personnalité du droit = lorsque deux ou plusieurs droits coexistent sur le même
territoire. Chaque droit est applicable à un groupe déterminé de personnes.
Différent de la territorialité du droit.
 
Dans le royaume mérovingien puis carolingien, le régime juridique est celui de la
personnalité du droit.
A. Les lois personnelles
Lex = loi personnelle de chaque peuple. Ces lois personnelles ont été rédigées à
l'initiative des rois barbares qui avaient appris de Rome les vertus d'un droit écrit.
 
1. La loi romaine
Loi romaine des Wisigoths, promulguée en 506 = le Bréviaire d'Alaric.
Droit romain, mais compilation assez hétéroclite.
Dans le royaume franc, le Bréviaire d'Alaric sera le droit romain utilisé pour tous les
sujets romains du droit franc. Seul recueil de droit romain utilisé jusqu'au XIe siècle.
 
2. Les lois barbares
Les barbares ont repris de Rome le principe d'un droit écrit. Pour certains, une
première ébauche de rédaction a été réalisée du temps de l'Empire romain.
502 : loi des Burgondes, plus connue sous le nom de loi Gombette.
À la fin de son règne, Clovis fera compléter la loi des Francs Saliens, ou Loi salique.
 
Ces différentes lois barbares contiennent les coutumes propres en matière de mariage,
de succession, mais c’est surtout le droit pénal qui prime. Les lois barbares veulent
éliminer l'usage germanique de se faire justice à soi-même. Elles prévoient que la
vengeance sera rachetée par une composition pécuniaire accordée en justice.

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B. L’application du principe de la personnalité des lois
Chacun est jugé selon sa loi personnelle, celle de l'ethnie à laquelle il appartient. Dans
chaque procès, il faut donc déterminer la loi applicable. C'est pourquoi le procès
commence par une question rituelle posée aux plaideurs : « Sous quelle loi vis-tu ?
» demande le juge. Les intéressés répondent alors : « Mon père et mes ancêtres
vivaient sous telle loi ».
C'est compliqué s’ils obéissent à des lois différentes. Ex : en matière pénale, on finira
par retenir la loi de la victime.
Dans les domaines où les lois barbares sont muettes, on applique la loi romaine.

La disparition du juriste laïque en Occident (IVe-XIe siècles)


Au IVe siècle, l'empire romain se partage. En Occident, la culture juridique s'effondre
complètement.
Pour apprendre le droit, on ne dispose guère que des écoles du Trivium où on
enseigne la grammaire, la dialectique, la rhétorique. Au passage, on y donne des cours
de droit sommaires. Résultat : vulgarisation du droit.
Apparaît, en effet, un droit que l'on a qualifié de “vulgaire”, un droit romain parallèle au
droit officiel. Praticiens qui ne maîtrisent pas la technique savante du droit romain
classique. Alors, ces praticiens vont simplifier les textes et les concepts.
→ A force de simplifier, on a fini par dénaturer et dégrader les grands outils
romains.
 
Après la chute de l'Empire romain (476), la situation ne s'améliore pas en Occident. Le
juriste laïc disparaît complètement. La culture se réfugie chez les clercs. Certains
clercs vont s'intéresser au droit, mais sans s'y consacrer. Car sur quels instruments
juridiques pourraient-ils s'appuyer ?
• Les compilations de Justinien sont inconnues en Occident.
• Ce qui subsiste du droit romain est contenu dans le Bréviaire d'Alaric, un droit
qui a déjà fait l'objet d'une simplification pour être mis à la portée d’utilisateurs
plus ou moins ignorants, qui vont ensuite l’accommoder à leur façon.
La vulgarisation du droit s'amplifie. On conserve les termes romains mais ils
perdent souvent leur sens technique. Quant aux catégories romaines, elles se
dégradent, voire disparaissent.

L’ordalie
L’ordalie est un mode de preuve irrationnel. Elle repose sur l'idée qu’à travers une
épreuve, Dieu révèle celui qui a tort et celui qui a raison.
Dans le droit mésopotamien par exemple, droit non autonome de la religion, l’ordalie
prend une forme fluviale. Le plaideur doit entrer dans le fleuve et parcourir une certaine
distance. S’il surnage, son innocence est prouvée ; s’il coule, c’est qu’il est coupable.
 
A l’époque carolingienne, le recours à l’ordalie se généralise et l'autonomie du droit
par rapport à la religion subit un très net recul.
On distingue l’ordalie unilatérale (subie par une seule partie, l'accusé en principe) de
l’ordalie bilatérale (subie par les deux parties).
 
L’ordalie unilatérale connaît plusieurs formes :
• L’ordalie du pain et du fromage. Le patient doit ingurgiter une grande quantité de
ces aliments sans être incommodé.

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L'ordalie de l'eau froide : on lie les membres du plaideur avant de l'immerger dans

de l'eau préalablement bénie. Si l’eau le rejette, c'est qu'il est coupable : “le
méchant flotte” dit-on. S’il coule, il est innocent, et on le repêche avant qu'il ne se
noie.
• L’ordalie du chaudron : on doit plonger la main dans un chaudron rempli d’eau
bouillante pour y prendre un l'objet.
• L’ordalie du fer rouge : on applique un fer incandescent sur une main. Dans ces
deux derniers cas, la main brûlée est enveloppée dans un sac et examinée au
bout de quelques jours. L'aspect de la plaie décide alors du résultat de l'épreuve.
Toutes ces épreuves sont plus ou moins difficiles à réussir. En pratique, les juges
choisissent l'épreuve en fonction de leur intime conviction.
 
L'ordalie bilatérale, elle, est subie par les deux parties. La plus connue, c'est le duel
judiciaire. Les deux parties s'affrontent en combat singulier.
 
L'ordalie est moins irrationnelle qu'il n'y paraît. La foi est très forte. Celui qui a tort va se
trouver psychologiquement en état d'infériorité : bien souvent, il n’ose même pas subir
l'épreuve, il préfère avouer.

La loi salique
La loi salique est la loi des Francs Saliens, la famille de Clovis. C’est une loi barbare,
originellement régie par des usages oraux, dont la rédaction a été commencée sous
l’Empire romain, et a été achevée à la fin du règne de Clovis.
 
1/ La loi salique contient les coutumes propres aux Francs en matière de mariage, de
succession, et de droit pénal. La rédaction de la loi a eu pour objectif d’éliminer ou de
limiter l'usage germanique de se faire justice à soi-même. C'est pourquoi elle prévoit que
la vengeance sera rachetée par une composition pécuniaire accordée en justice.
Pour chaque infraction un prix est fixé.
Exemple de la loi salique : en matière d'homicide, le prix du Franc ordinaire est fixé à
200 sous d’or, celui d’un Romain est fixé à 100 sous d'or simplement, mais un Franc de
qualité vaut jusqu'à 600 sous. La femme, en général, vaut moins cher, sauf si elle est
enceinte.
De même, les coups et blessures, les vols font l'objet de tarifications.
Ce système de règlement des conflits met un frein au système archaïque de la
vengeance privée.
 
La loi salique était une loi personnelle, mais en tant que loi de la population dominante, a
fini par s’imposer dans tout le territoire entre le Rhin et la Loire.
 
2/ Une autre caractéristique de la loi salique concerne la conception patrimoniale du
pouvoir et la succession du roi : à la mort du roi, le royaume est partagé comme dans
une succession ordinaire. Les enfants se partagent le royaume, à l'exclusion des filles.
Ainsi, en 511, à la mort de Clovis, ses 4 fils se sont partagés le royaume.
Plusieurs siècles après Clovis, dans le courant du XIVe siècle, alors qu’on cherchait un
argument juridique pour écarter les femmes de la succession au trône, on est allé
exhumer la loi des Francs Saliens, dont un article dispose que la terre des ancêtres ne
peut être transmise à une femme et qu'elle doit échoir à un héritier de sexe masculin. On
ne s'est pas embarrassé de savoir si cette disposition était d'application absolue. Cet
argument va connaître fortune, à ce point que l'exclusion des femmes de la couronne de
France sera baptisée de “loi salique”.

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Le droit à l’époque carolingienne
En 751, l'avènement de Pépin le Bref marque le début de la dynastie carolingienne.
Son fils, Charlemagne règnera de 758 à 814. C'est Charlemagne qui ressuscitera
l'Empire d'Occident en l’an 800, lorsqu’une série de circonstances vont permettre au
passé romain de reprendre vie (expansion franque, difficultés de l'empire d'Orient,
personnalité du pape Léon III, menacé, auquel Charlemagne va offrir sa protection).
 
L'empire carolingien est un empire très disparate. Les princes carolingiens vont
entreprendre de lui redonner une unité, qui repose sur 2 éléments : une culture
commune et une loi commune.
Une loi commune
L'entourage intellectuel du monarque carolingien est constitué de clercs. l'Eglise
encourage la fusion des races, et l'unification du droit. Un seul peuple, un seul droit.
Le monarque carolingien n'a pas abrogé les lois personnelles mais il a développé une
législation qui s’est superposée aux droits particuliers et qui les a complétés ou
modifiés = les capitulaires.
Capitulaires = ordonnances prises par le roi. Elles contiennent du droit public et
s’appliquent à tous.
 
Les capitulaires ont contribué à l'unification juridique :
• en modifiant ou en complétant les lois barbares pour en niveler les différences ;
• en prescrivant des règles applicables à l'ensemble des sujets de l'empire.
→ Il s'agit donc là d'un droit territorial comparable à celui de l'empire romain sur lequel
il prend modèle.
 
L'empire carolingien n'a pas longtemps conservé son unité : il se disloque après la
mort du fils de Charlemagne. Mais l'unité impériale va laisser des traces durables pour
le droit des pays qui en sont issus.
→ sont esquissés les premiers contours de la famille romano-germanique.
 
On perçoit d'ailleurs mieux sa spécificité lorsqu'on la compare avec les droits qui
entourent l'empire carolingien :
• Sud : monde musulman, où le droit n'a pas d'autonomie par rapport à la religion.
• Ouest : droit anglo-saxon. Les barbares installés en Angleterre n'ont, pour la
plupart, jamais été romanisés. Pas de latin comme langue officielle. L'Angleterre,
déjà, commençait à suivre sa propre voie.
• Nord et Est : systèmes juridiques très rudimentaires.
o Nord : peuples scandinaves païens qui ignorent le droit écrit. La
rédaction de leurs coutumes n'aura pas lieu avant le XIIe siècle.
o Est : peuples slaves. Ils ont échappé à l'influence carolingienne mais
subiront l’influence de l'empire romano-byzantin et de son droit, avant de
subir l'influence de la domination mongole qui commence au XIIIe siècle.

L’impossibilité d’une jurisprudence au Haut Moyen Age


À partir de l'époque franque, l'organisation de la justice rend impossible
l'existence d'une jurisprudence.
Dans les monarchies barbares :
• les juges professionnels cèdent la place à des juges occasionnels, ;

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• les tribunaux hiérarchisés cèdent la place à un réseau de juridictions locales.
→ Pas de professionnalisation, pas de centralisation. Ce n'est pas du système
judiciaire que l'on peut attendre une harmonisation du droit par le biais de ses décisions.
 
Même au plan local, la justice peut difficilement dégager et imposer une solution
de droit en tranchant les litiges. Cette justice, en effet, doit tenir compte des habitudes
germaniques, qui prédisposaient à se faire justice à soi-même.
C'est donc déjà une performance d'attirer les justiciables devant les juges. Dans une
société où l'individu compte moins que le groupe auquel il appartient, un conflit met en
jeu deux groupes familiaux. Les juges doivent éteindre le cercle de la vengeance.
 
Parmi les moyens mis en oeuvre pour aboutir à cette solution, nous retiendrons les
modes de preuve. On a coutume d'opposer les procédés rationnels de preuve aux
procédés irrationnels.
• Les procédés rationnels sont ceux que nous connaissons : l'écrit, le
témoignage.
• Les procédés irrationnels sont le serment purgatoire, l’ordalie.
Au Moyen Âge, la distinction est artificielle. les deux modalités essentielles des
preuves en justice restent le serment et l’ordalie.
 
Le serment purgatoire, c'est celui que prête un accusé pour se purger, càd pour se
disculper de l'accusation. Mais il doit fournir un certain nombre de co-jureurs. Leur
présence atteste du soutien familial, social dont jouit l'accusé.
→ Le procès, dès lors, met en scène un rapport de forces. La partie la moins forte,
celle qui sait qu’elle perdra si on en vient aux armes, a tendance à accepter un
compromis.
 
À l'époque mérovingienne, le serment constitue la reine des preuves. Mais le serment va
ensuite perdre du terrain. On va recourir à l’ordalie. l’ordalie repose sur l'idée qu’à
travers une épreuve, Dieu révèle celui qui a tort et celui qui a raison. Puisque c’est
Dieu lui-même qui décide de l'issue du procès, la décision s'impose à tous.
 
Quand on considère cette manière de rendre la justice, on comprend bien qu'elle ne
peut pas engendrer une jurisprudence. L'issue du procès dépend soit d'un rapport de
forces, soit de l'intervention divine. Elle ne dépend pas d'un raisonnement sur lequel on
pourra à l'avenir s'appuyer pour appliquer la même solution à un litige identique.
→ Le droit est indissolublement lié au fait : tout est tranché d'un seul coup.
Ajoutons encore à cela que la procédure est orale ; on ne rédige pas de procès verbaux ;
on ne conserve pas de registre. L'existence même d'une jurisprudence est impossible.

L’effacement de la legislation au Haut Moyen Age


A partir du IXe siècle phénomène consécutif à la dislocation de l'autorité publique. Le
roi voit le pouvoir lui échapper au profit des grands du royaume.
Le dernier capitulaire date de 884. La législation royale disparaît à cette date pour
plus de deux siècles.
 
Puis ce sont les lois personnelles qui tombent dans l'oubli. La fusion progressive
des races a entraîné la disparition du système de la personnalité des lois.
Déjà, la lois personnelle de la population dominante avait fini par s'imposer à tous :
• Nord : loi salique (pays situé entre le Rhin et la Loire).
• Midi : droit romain.

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Au Xe siècle, plusieurs facteurs concourent à l'oubli de ces deux grandes lois ainsi
que des capitulaires.
• Les manuscrits ne sont plus transcrits, ils deviennent de plus en plus rares.
• D'ailleurs, les juges sont analphabètes, ce qui rend le droit écrit bien inutile.
→ Des lois personnelles et des capitulaires, il ne reste plus que quelques vestiges,
quelques tarifs de composition, quelques formules tronquées, quelques expressions mal
comprises, avec des variantes locales.
Epaves d'un droit tombé dans l’oubli, car l'évolution de la société l'a rendu inapplicable
aux besoins nouveaux.
 
La société a beaucoup changé aux Xe et XIe siècle : société féodale, marquée par de
nouveaux rapports de dépendance. Les puissants sont liés entre eux par des rapports
féodaux vassaliques : on devient vassal d'un seigneur qui, en contrepartie, vous
concède un fief. Les humbles (paysans) tombent sous la dépendance des puissants,
auxquels appartient désormais le pouvoir.
→ Pour régir cette nouvelle société, il faut un droit nouveau. Le droit va se créer au
coup par coup, de façon rudimentaire et en reproduisant les mêmes solutions dans des
situations identiques.

Le morcellement de la vie juridique aux X-XIe siècles


L'autorité publique se disloque. Le cadre politique rétrécit : il s'agit des seigneuries
banales (dimension : en moyenne, un canton actuel). Et ces seigneuries vivent isolées
les unes des autres. L’insécurité a provoqué le déclin des relations qui étaient déjà
difficiles.
 
→ C'est dans ces cadres étriqués que le droit va se former. Il en résulte un
extraordinaire émiettement géographique du droit. Chaque seigneurie à ses
propres usages nés d'une pratique répétée.
 
Le seigneur exerce tous les droits régaliens.
• Pouvoir militaire (corvée pour la construction ou la réparation du château). Au
temps des seigneuries, la guerre était du domaine des rapports entre particuliers.
• Justice, exercée sans contrôle. Mais rendre la justice, c'est surtout pour le
seigneur l'occasion de percevoir de l'argent : amendes, confiscations de biens,
peines corporelles à racheter… + Droit d'aubaine = droit du seigneur sur les
étrangers. Aubain = étranger. Le seigneur recueille la succession d'un étranger
mort dans sa seigneurie.
• Pouvoir financier. Impôt direct de la taille (nom qui vient de l’encoche faite). Cet
impôt est censé représenter le prix de la protection accordée par le seigneur.
• À cet impôt direct s’ajoutaient une foule d'impôts indirects : taxes, banalités
(installations dont le seigneur a le monopole), droits sur les serfs.

→ Tous ces droits seigneuriaux ont été transformés en coutumes par leur répétition dans
le temps.
 
Mais sur un même territoire, le droit n'est pas le même pour tous. La personnalité
des lois fondée sur des critères ethniques a disparu, mais elle va resurgir sous une
forme nouvelle, reposant sur des critères sociaux.
Nouvelle idéologie des trois ordres. À ces trois fonctions sociales, correspondent trois
genres de vie qui justifient que le droit ne soit pas le même pour tous.

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Pour les puissants, il faut des privilèges (“lois privées”) :
• Clercs : privilège du for - qui les rend justiciables des seuls tribunaux
ecclésiastiques. Ils ont leur droit - le droit canonique - et ils sont exemptés des
charges militaires et fiscales.
• Nobles : privilèges de porter des armes puisque leur fonction est de combattre,
de vivre du labeur du peuple et donc de le taxer puisqu'ils le protègent, et enfin un
privilège de juridiction : ils sont jugés par leurs pairs au sein d'une cour féodale.

Cette nouvelle version de la personnalité du droit a engendré à son tour des usages
distincts pour chaque catégorie sociale.
Ex : pour les puissants, la cohésion du groupe suppose un chef. La famille noble va
adopter une discipline successorale propre à préserver le patrimoine.
 
Ainsi se sont formées les coutumes, mais qui restent des embryons de coutumes.
Dans un système coutumier, le juge joue un rôle essentiel. Alors, l'absence de
jurisprudence aux Xe et XIe siècles représente un lourd handicap pour le droit coutumier
en gestation, qui reste frustre.

Le déclin du droit au Moyen Age

L’emprise de la religion sur le droit au Haut Moyen Âge


L'autonomie du droit par rapport à la religion subit un très net recul :
• La mentalité barbare n'isole pas le droit de la religion.
• Le monopole des clercs sur la réflexion juridique. Pour eux, le seul vrai droit est
celui de Dieu. Et les lois humaines doivent essayer de s'y conformer.
• Le droit est impuissant à se suffire à lui-même. Il lui faut le soutien du
sacré. Ex : Les actes juridiques se terminent par des anathèmes qui vouent a
l'enfer ceux qui les violeraient.

La justice fait appel au sacré dans les modes de preuve. Le recours à l’ordalie se
généralise à l'époque carolingienne. À travers une épreuve physique, s'exprime le
jugement de Dieu. Ordalie unilatérale (subie par 1 partie) ou bilatérale (subie par les 2
parties).
 
L’ordalie unilatérale connaît plusieurs formes.
• L’ordalie du pain et du fromage.
• L'ordalie de l'eau froide.
• L’ordalie du chaudron.
• L’ordalie du fer rouge. Dans ces deux derniers cas, la main brûlée est enveloppée
dans un sac et examinée au bout de quelques jours. L'aspect de la plaie décide
alors du résultat de l'épreuve.
En pratique, les juges choisissent l'une ou l'autre épreuve en fonction de leur intime
conviction.
 
L'ordalie bilatérale est subie par les deux parties. La plus connue, c'est le duel
judiciaire. Les deux parties s'affrontent en combat singulier.
 
L'ordalie est beaucoup moins irrationnelle qu'il n'y paraît. La foi est très forte. Celui qui a
tort va se trouver psychologiquement en état d'infériorité : bien souvent, il n’ose même
pas subir l'épreuve, il préfère avouer.
 

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Une dernière marque de l'influence de la religion s'observe à propos du pouvoir
royal. C'est dans la Bible, que l'on a trouvé le fondement le plus ferme du pouvoir royal :
il s'agit du sacre.
Dans le royaume franc, le sacre est utilisé pour la première fois en 751, par Pépin
le Bref. Pour éliminer la royauté mérovingienne, qui était légitime, Pépin doit se réclamer
d'une légitimité supérieure. Avec le sacre, il invoque l'origine divine de son pouvoir.
Après Pépin tous les rois carolingiens, puis capétiens, seront sacrés.
Le sacre fait du roi un personnage hors du commun, car il est choisi par Dieu. C'est
pourquoi le roi de France ne sera jamais considéré comme un prince comme les autres.
La cérémonie du sacre n'a pas seulement une portée religieuse,, elle a également une
portée juridique essentielle. C'est avec le sacre qu'un homme devient roi.

La confusion entre droit public et droit privé au Moyen Age


Voilà encore un trait qui marque profondément l'ordre juridique à partir des monarchies
barbares. La tradition germanique ignore la distinction entre droit public et droit privé.
 
1. La conception patrimoniale du pouvoir à l’époque franque
À l'époque franque, la notion même d'Etat a disparu. Le pouvoir royal est conçu
comme un pouvoir à la fois personnel et patrimonial.
• Un pouvoir personnel. Le roi règne davantage sur des hommes que sur un
territoire. Le pouvoir du roi repose largement sur les liens de fidélité personnelle.
• Un pouvoir patrimonial. Le royaume et le territoire conquis sont considérés
comme le patrimoine de la famille de Clovis.

→ Cette conception patrimoniale du pouvoir entraîne des conséquences importantes


:
• Le roi peut disposer du royaume de son vivant, il peut vendre ou donner des
terres, pour récompenser ses guerriers.
• A la mort du roi : le royaume est partagé comme dans une succession
ordinaire suivant la loi salique. Les enfants se partagent le royaume, à l'exclusion
des filles. En 511, à la mort de Clovis, ses 4 fils se sont partagés le royaume.

Les choses auraient dû changer avec les Carolingiens. Les clercs qui entourent
les monarques font renaître la notion d'Etat et ils analysent le pouvoir comme une
fonction et non pas comme la propriété de celui qui l'exerce. Pourtant, cette idéologie
se heurte à la persistance des mentalités barbares.
• Le royaume continue à être à la disposition du roi. Le roi continue à en
disposer au profit de ses proches. Et on peut même dire qu'il en dispose de plus
en plus.
• Beaucoup plus grave encore, le partage du royaume. Il y a une véritable
incohérence entre l'idéologie qui inspire l'entourage du roi et la politique que
mènent les rois dans la réalité. C'est par hasard que l'unité de l'empire a été
conservée.
Cette pratique du partage du royaume disparaît en 888, car à partir de cette date, le
roi sera élu par les grands. Plus question alors de partager le royaume entre plusieurs.
On élit un seul roi.
 
2. L’emprise croissante du privé sur le public
Dans le même temps, les fonctions publiques sont devenues patrimoniales.
Généralement, tout ce qui est public a fait l'objet d'une appropriation privée.

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• Les fonctions publiques. En quelques décennies, les titulaires des fonctions
publiques vont parvenir à rendre leur fonction héréditaire.
• Les terres publiques feront l'objet d'une appropriation privée par leurs
bénéficiaires, alors qu’au départ elles avaient été concédées provisoirement.

La confusion entre public et privé atteint son comble avec la seigneurie banale : le
seigneur exerce tous les droits régaliens, mais à son profit.
• La fiscalité tombe dans son escarcelle, il en dispose comme il entend.
• Le droit de guerre lui sert à vider ses querelles ou à piller la seigneurie voisine.
• Quant à la justice, c'est un droit très lucratif : elle lui permet de prononcer des
amendes, des confiscations dont il empoche le produit. Elle lui permet aussi de
dépouiller les petits propriétaires restés indépendants.

À la fin du Xe siècle, la langue du droit consacre la confusion entre public et privé en


confondant sous le même vocable de consuetudines, tous les droits qui
appartiennent au seigneur. Le même terme s'applique à ses prérogatives régaliennes
et à ses droits de nature privée.

L’originalité du système juridique anglais médiéval


L'Angleterre a fait bande à part parce qu'elle était en avance.
En France, une des seules principautés territoriales qui ne s'était pas disloquée était la
Normandie. Le duc de Normandie avait maintenu son pouvoir et fait la conquête de
l'Angleterre : c'est la conquête de Guillaume le Conquérant en 1066. Une fois roi,
Guillaume le Conquérant assure très vite son autorité sur tout le territoire anglais.
 
Guillaume le Conquérant et ses successeurs vont moderniser le système
judiciaire. Ils vont mettre en place un tribunal royal central et imaginer un système
pour attirer les justiciables devant cette juridiction royale, au détriment des justices
seigneuriales et locales. Ce système est celui des « writ », (les “brefs”) : tout
justiciable peut adresser une requête au roi.
• Cette requête est examinée par le chancelier. Si le chancelier estime qu'elle est
fondée, il délivre une action judiciaire.
• Cette action prend la forme d'un ordre du roi - le bref - qui donne compétence au
tribunal royal.
Au début, on procède à un examen approfondi dans chaque cas pour savoir s’il faut
délivrer un bref. Et puis, les brefs vont être accordés de plus en plus largement dans des
cas toujours plus nombreux.
Évidemment les seigneurs féodaux anglais ont protesté et au XIIIe siècle, ils ont obtenu
du roi que la liste des brefs soit close. Effectivement, cette liste ne variera plus, on ne
créera plus de nouveaux types de brefs. Mais la jurisprudence des cours royales ne
renonce pas à attirer de plus en plus de justiciables. Et pour les attirer, elle fait rentrer
toutes sortes de cas nouveaux dans le cadre des brefs existants.
→ C'est ainsi que s'est formée le Common Law. C'est un droit d'origine judiciaire,
c'est un droit casuistique qui s'enracine au cas par cas dans les brefs et dans la
jurisprudence postérieure.

La redécouverte du droit romain au Moyen Age


D'après une légende, on aurait redécouvert un manuscrit du Digeste par hasard dans
une maison en feu. En réalité, le hasard n'y est pour rien : la résurgence du droit romain

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accompagne un grand conflit politique qui secoue la fin du XIe siècle, qui oppose la
papauté au Saint Empire.
Voilà deux puissances rivales qui revendiquent toutes les deux la primauté universelle.
Toutes deux vont chercher dans le droit romain de quoi appuyer leur cause, non
seulement dans la lutte qui les oppose l'une à l'autre, mais aussi pour renforcer leur
autorité au plan de leur organisation interne.
• Le pape veut centraliser son autorité sur toutes les structures ecclésiastiques ;
• l'empereur germanique veut reprendre en main le royaume d'Italie où les cités-
Etats se dressent contre lui.

L'Italie se trouve au coeur de ce mouvement. A Bologne, un grammairien, Irnérius, a


commencé à enseigner le droit romain à la fin du XIe siècle.
→ Voilà le droit romain a nouveau étudié pour lui-même, avec un enseignement
spécialisé.
Cet enseignement profite aux clercs car il va leur permettre de mieux comprendre leur
propre droit, le droit canonique.
Ce premier enseignant Irnerius a fait des émules. On arrive de toute l’Europe. Une fois
instruits, les élèves rentrent chez eux et donnent, à leur tour, des leçons de droit romain.
 
La science du droit est bel et bien réveillée. Son premier travail consiste à
comprendre les mots. Il faut réapprendre un vocabulaire dont on avait oublié le sens,
réapprendre le langage technique du droit.
Le maître commence par lire lentement le texte à étudier. (Les manuscrits coûtaient très
cher : prix d'une petite maison). Les élèves copient le passage. Puis explication détaillée.
Cette explication, on la consignait directement sur les manuscrits des textes romains : ce
sont les gloses. Quand les gloses étaient courtes, on les écrivait entre les lignes des
textes romains ; quand elles étaient plus longues, on les écrivait dans la marge. Ces
premiers enseignants = glossateurs.
 
Avec le temps, les gloses se sont accumulées et il a fallu y mettre un peu d'ordre. C'est
ce qu'a fait Accurse, un grand maître de Bologne : il a sélectionné l'essentiel des gloses
et les a publiées vers 1230 dans un ouvrage appelé La Grande glose.

Les chartes de franchise au Moyen Âge


Entre le développement de l'économie et le régime seigneurial, il y avait
incompatibilité. La seigneurie vivait en vase clos : le seigneur taxait les hommes du
commun ; il entravait leur circulation. Au moment où les échanges renaissent, on ne peut
plus se satisfaire de cette situation. Les villes sortent de leur léthargie, leurs habitants -
“les bourgeois” - cherchent à conquérir une autonomie plus ou moins grande par rapport
au seigneur local.
 
Dès la fin du XIe siècle, commence un formidable mouvement d'émancipation
urbaine. Les voies de cette émancipation n'ont pas été les mêmes partout, mais partout
l'émancipation urbaine s'est traduite par la rédaction de chartes dans lesquelles
on a consigné par écrit les privilèges reçus par la ville. Ces privilèges varient
beaucoup d'une ville à l'autre.
• Au minimum, les Bourgeois ont reçu la liberté personnelle ainsi que des
privilèges judiciaires, fiscaux ou encore militaires.
• Dans d'autres cas, les villes ont obtenu de véritables libertés politiques et sont
devenues complètement indépendantes du seigneur : non seulement leurs

L1  -­‐  Introduction  historique  au  droit  –  JR  2016  


privilèges sont consignés dans des chartes, mais ces villes autonomes se
gouvernent elles-mêmes.

Cette émancipation urbaine a rejailli sur les campagnes parce que “l’air de la ville
rend libre”, selon l'adage du Moyen Âge. Il suffisait d'habiter dans une ville pendant
un an et un jour pour perdre le statut de serf et devenir un homme libre. Alors, les serfs
fuient les seigneuries pour s'installer en ville.
En outre, le défrichement s'intensifie, on a besoin de bras. Pour attirer ces bras, certains
seigneurs offrent un statut avantageux aux serfs.
→ Les seigneurs sont alors bien obligés de leur accorder des concessions s’ils veulent
les garder. C'est pourquoi ils vont abandonner les prérogatives les plus pesantes.
Déclaration du seigneur consignée dans une charte d'affranchissement collectif.
Ces chartes écrites interdisent à l'avenir l'arbitraire du seigneur.

L’autonomie du droit canonique médiéval


À la fin du XIe siècle, le droit canonique est encore un droit empirique.
• Il a fallu commencer par isoler les sources propres au droit canonique. Le droit
canonique devient désormais autonome par rapport à la théologie.
• Ce droit est également un droit autonome par rapport au droit laïc. Et même
par rapport à la morale.

1/ Des sources propres : le Corpus Juris canonici


 
• Le décret de Gratien : XIIe siècle : un moine de Bologne, Gratien, va
constituer le premier recueil vraiment raisonné de droit canonique. Il compile les
règles des Saintes Ecritures chez les pères de l'Eglise et les règles des
Conciles et du Pape.
Recueil de Gratien : Concorde des Canons discordants mais qu'on baptisera
vite de son nom, le Décret de Gratien.
 
• Les collections de décrétales : Les papes sont de grands juristes. Et ils
vont compléter le Décret de Gratien.
Un siècle plus tard, les décrétales sont tellement nombreuses qu'il faut les trier :
“Livre des Décrétales qui se promènent en dehors du décret”.
 
L'ensemble est achevé à la fin du XVe siècle, on lui a donné le nom de Corpus
Juris canonici (“corps de droit canonique”).
 
2/ Un objet propre
 
• L’autonomie vis-à-vis du droit laïc :
C'est un droit religieux, qui s'occupe du salut des âmes. Les sphères de
compétence des droits laïc et canonique se recouvrent parfois, mais elles ne se
confondent pas.
Ex : le droit pénal. Le droit laïque privilégie la répression, le droit canonique
vise l'amendement du coupable parce qu'il s'agit de sauver son âme.
L'Eglise ne compte pas la peine de mort parmi ses peines. Pour les cas les plus
graves, elle a inventé la peine d'emprisonnement : “le mur”.
• L’autonomie vis-à-vis de la morale : L'Eglise distingue 2 fors:
• le for interne ou for intérieur. C’est le tribunal de la conscience ;
• le for externe ou for extérieur. C’est le tribunal canonique.

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→ Le droit canonique a donc été distingué de la théologie et de la morale, et il
s’est constitué en science autonome par rapport au droit laïque.

Le Corpus Juris Canonici


1. Le Décret de Gratien
XIIe siècle : un moine de Bologne, Gratien, va constituer le premier recueil vraiment
raisonné de droit canonique. Cela faisait 1000 ans que l'Eglise accumulait des règles.
• Règles des Saintes Ecritures chez les pères de l'Eglise.
• Règles des Conciles et du Pape.
• Décisions des conciles = « canons ».
• Quant au Pape, il prend des décrétales = lettres où il établit une règle de
droit en répondant à une question qu'on lui a posée.

Recueil de Gratien : Concorde des Canons discordants mais qu'on baptisera vite de
son nom, le Décret de Gratien.
 
2. Les collections de décrétales
Le droit canonique est un droit vivant. Les conciles, les papes continuent à légiférer
et ils légifèrent même de mieux en mieux car les législateurs de l'Eglise sont formés à la
technique juridique (l’Eglise a ouvert un enseignement de droit : Facultés de décret).
Les papes sont de grands juristes. Et ils vont compléter le Décret de Gratien. On
consulte le pape sur un point nouveau ou sur un point douteux, et le pape répond par
voie de décrétale. Comme l'empereur romain le faisait par rescrit, le pape légifère
par décrétale.
 
Le Décret de Gratien (1140) a été suivi par une explosion de décrétales. Un siècle plus
tard, les décrétales sont tellement nombreuses qu'il faut les trier : ce recueil prendra le
nom de “Livre des Décrétales qui se promènent en dehors du décret”.
 
L'ensemble est achevé à la fin du XVe siècle, on lui a donné le nom de Corpus
Juris canonici (“corps de droit canonique”). Ce Corpus est resté en vigueur jusqu'en
1917, date à laquelle il a été remplacé par un autre code.

L’enseignement du droit au Moyen Age


Droit romain et droit canonique forment 2 droits savants. Ce sont les seuls droits à faire
l'objet d'un enseignement. C'est un droit de professeurs :
• cette science juridique se développe dans les universités
• conséquence : les professeurs ont modelé la science juridique par une approche
théorique, conceptuelle du droit.

I. Le laboratoire universitaire
Les premiers foyers d'enseignement se répandent en Europe. Une communauté savante
se fixe en un lieu : c'est ainsi que se forment des universités. Deux grands centres ont
servi de modèle : Bologne pour le droit ; Paris pour la théologie.
 
À partir du XIIIe siècle, les institutions universitaires se propagent dans toute l'Europe.
• C'est un monde universitaire cosmopolite. langue : latin.

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• Les institutions universitaires sont très autonomes par rapport aux différents
Etats, d'autant plus qu'à l'origine, ce sont des institutions ecclésiastiques.
• vie intellectuelle très intense.

Voilà la doctrine juridique médiévale. Comme la doctrine juridique romaine, elle créé du
droit par interprétation. Mais elle n'est pas constituée de praticiens comme à Rome : elle
est constituée de professeurs, qui vont donc développer une approche abstraite,
théorique du droit.

II. Une approche théorique du droit


La tendance à la systématisation s'accentue très fortement parce que les droits savants
sont construits par des professeurs.
→ La formation des juristes sera donc plus théorique que pratique : ils sont formés
dans les universités ; ils ne sont pas formés sur le tas comme cela sera le cas en
Angleterre.
 
Droit systématique, avec des classifications, des notions générales, des théories.
A. Les classifications
Le droit va faire l'objet de classifications basées sur des distinctions.
La France a adopté l'usage du plan rigoureux en deux parties.
Le droit est scindé en deux catégories suprêmes : droit public et droit privé.
B. Le perfectionnement des notions
On a perfectionné bon nombre de notions juridiques.
Ex : la notion de personnalité morale est dégagée par la doctrine savante du
Moyen Âge.
C. La théorie des sources du droit
À ces professeurs, on doit aussi une théorie des sources du droit, qu’ils ont été amenés
à élaborer pour des raisons pratiques.
• S'agissant du droit romain, les professeurs de droit romain se sont demandés
quelle place accorder aux différentes formes de droit par rapport aux lois
romaines.
• Pour le droit canonique, il s'agissait de mettre en place une véritable hiérarchie
des normes pour des raisons pratiques également : pour savoir tout simplement
quelle source du droit l'emporterait sur les autres devant un tribunal
ecclésiastique.

Droits savants et théorie des sources du droit


À ces professeurs, on doit une théorie des sources du droit, qu’ils ont été amenés
à élaborer pour des raisons pratiques.
• S'agissant du droit romain, les professeurs de droit romain se sont demandés
quelle place accorder aux différentes formes de droit par rapport aux lois
romaines.
• Pour le droit canonique, il s'agissait de mettre en place une hiérarchie des
normes : pour savoir quelle source du droit l'emporterait sur les autres devant un
tribunal ecclésiastique.

1. L’exaltation de la loi

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Dans les compilations de Justinien, on a retrouvé la primauté de la loi, oeuvre de
l'empereur. Cela compte beaucoup à l'époque où la loi a quasiment disparu.
Les professeurs de droit romain s'appelleront d'ailleurs professeurs des lois.
 
2. La coutume
Cette théorie des sources du droit s'est naturellement intéressée à la coutume, qui était
à l'époque la source la plus répandue, la plus fréquente du droit. Aussi on a été amené à
réfléchir sur son mode de formation.
• À quelles conditions peut-on parler de coutume ? Il faut un consentement
populaire.
• Combien de temps faut-il pour qu'un usage se transforme en coutume ? Il s'agit
de savoir si une coutume peut aller à l'encontre de la loi. On va distinguer de 10 à
40 ans selon que la coutume est conforme à la loi, inconnue de la loi, ou contraire
à la loi.
• Enfin, on précise qu'une coutume doit être raisonnable et on rejoint là le
consentement populaire.

3. La place du juge
La doctrine des romanistes fait une très large place au juge, parce que c'est le juge qui
est présumé exprimer la volonté populaire, ce consentement populaire nécessaire à
l'existence d'une coutume.
Avec la doctrine savante, le juge acquiert quasiment le monopole de la
reconnaissance de la coutume.
 

Droits savants et cosmopolitisme


Droits universels = le droit romain d'une part, le droit canonique de l'autre.
Ce sont les deux seuls droits savants. Les deux droits vont s'appuyer l’un sur l'autre
pour progresser.
Un des éléments décisifs de leurs progrès réciproques est l'adoption par l'Eglise de la
procédure romano-canonique. Cette procédure est une procédure savante et il faut
des juristes savants, formés au droit romain pour la faire fonctionner. Voilà que les
romanistes vont pénétrer dans les juridictions ecclésiastiques. C'est une véritable
expérience pratique. Cette procédure sera ensuite transplantée dans les tribunaux laïcs.
 
Après cet échange de bons procédés, avec cette inspiration commune, l'Europe connaît
un droit cosmopolite. Un droit divisé en deux rameaux qui se complètent :
• l’un s'occupe du spirituel : le droit canonique ;
• l'autre du temporel : le jus commune, le droit commun.

I. Le droit canonique
Le droit canonique est un droit d'application directe. Il s'applique dans tous les
tribunaux ecclésiastiques. C'est un droit transnational, unique, commun à tous les pays
d'Europe, y compris l'Angleterre.
Ce droit va très profondément marquer l'Occident, parce qu’il a régi, et au départ,
exclusivement, certains domaines du droit privé, notamment le mariage.

II. Le jus commune

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L'autre droit, c'est le jus commune, le droit commun. Droit toujours universel mais qui
intéresse surtout l'Europe continentale. l'Angleterre avait créé son propre droit commun
le Common Law. C'est un droit qui s'appuie sur le droit romain. Mais les romanistes
vont l'enrichir avec des éléments qu'ils empruntent à leur temps.
Ce droit commun qui se crée dans les universités a vocation à s'appliquer à chaque fois
qu'il n'y a pas d'autre droit : c’est le droit supplétoire de toute l'Europe continentale.
 
Le jus commune constitue un considérable facteur d'unification du droit. De nos jours,
on reparle beaucoup de ce jus commune à cause de la construction européenne.

Le Jus commune
Le Jus commune est un droit universel qui intéresse surtout l'Europe continentale.
On a vu que l'Angleterre avait créé son propre droit commun le Common Law.
C'est un droit qui s'appuie d'abord sur le droit romain. Mais les romanistes vont
l'enrichir avec des éléments qu'ils empruntent à leur temps. Ils vont puiser dans le
droit canonique, dans le droit féodal, dans le droit coutumier. En retour, ils vont faire
profiter ces droits de la méthodologie et de la technique du droit romain.
 
Ce droit commun qui se crée ainsi dans les universités a vocation à s'appliquer à chaque
fois qu'il n'y a pas d'autre droit : c’est le droit supplétoire de toute l'Europe continentale.
Les lois nationales et les coutumes locales laissent une très large place à cette
application subsidiaire dans la mesure où elles sont encore très incomplètes, encore très
imparfaites.
 
Le jus commune constitue un considérable facteur d'unification du droit. De nos jours, on
reparle beaucoup de ce jus commune à cause de la construction européenne.

Droits savants et promotion du droit public


Le droit public ait fait l'objet d'une attention toute particulière de la doctrine
savante médiévale. Cela correspond à des besoins cruciaux pour l'époque : grand
conflit politique qui oppose la papauté au Saint Empire.

I. Au service de causes différentes


1. La cause de la centralisation.
Que trouve-t-on dans les compilations ? les institutions du Bas-Empire qui faisaient de
l'empereur un maître absolu. C'est le modèle rêvé.
Les romanistes vont assimiler l'empereur au Princeps romain pour lui conférer les
mêmes droits. L'empereur est appelé “loi vivante”.
 
Les canonistes se sont emparés à leur tour de ce modèle. Le Pape sera déclaré
Princeps, loi vivante. Mais l'Eglise a été plus loin car elle a imité toute la structure de
l'empire romain. Administration très centralisée.
Cette expérience pontificale sera essentielle. L'Eglise est très en avance pour son
temps.
 
Le roi de France va s'inspirer à la fois du modèle romain et du modèle pontifical qui a
modernisé ce modèle romain.
 

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2. La cause des villes.
Au XIIe siècle, les villes renaissent et veulent affirmer leur autonomie vis-à-vis des
seigneurs : là encore le droit romain sera exploité.
 
→ Le droit public, qui a connu une longue éclipse durant le Haut Moyen Âge,
renaît. Pour soutenir ce droit public renaissant, comment les juristes vont-ils s'y
prendre ?

II. La construction du droit public


Les juristes se sont d'abord emparés du droit public romain lui-même et ils l'ont
transposé aux besoins de leur temps.
 
Mais la doctrine a été beaucoup plus loin. Elle a mis à contribution le droit privé
romain. Par interprétation, la doctrine a étendu un texte de droit privé au droit public.
L'exemple le plus significatif : maxime du Code de Justinien : « Ce qui concerne tous
doit être approuvé par tous. » Cette règle va être détachée de son contexte original, et
on va l’appliquer pour appuyer des revendications démocratiques.
→ C’est en se fondant sur ce texte que les conciles vont s'opposer à l'autorité
souveraine du pape ; c'est sur le même texte que s'appuiera le Parlement anglais contre
le roi.

La rationalisation des modes de preuves


C'est à partir du XIIIe siècle que vont être à nouveau réunies les conditions d'une
jurisprudence. Le roi, en effet, reconquiert peu à peu son autorité et le fait d'abord par le
biais de la justice. Mais pour parvenir à ses fins, le roi a évidemment dû moderniser sa
justice.
 
Quand un plaideur invoque en justice une coutume :
• soit le juge connaît la coutume invoquée.
• soit le juge ne connait pas la coutume et c'est alors au plaideur de prouver son
existence.
Pour la prouver, on a d'abord eu recours aux règles habituelles des preuves en justice, y
compris le serment ou le duel judiciaire. Mais on s’est ensuite rallié au système
rationnel de la preuve par témoins.
• Dans le Midi, l'enquête sur la coutume est pratiquée de façon individuelle : le juge
entend isolément chacun des témoins.
• Dans le Nord, on pratiquera une enquête collective : il s'agit de l'enquête par
turbe (turba = “foule”). La turbe doit comprendre 10 personnes, choisies parmi les
praticiens du droit local. Il faut qu'il y ait unanimité pour établir la réalité de la
coutume, sinon la preuve n'est pas rapportée. Si tous les turbiés sont d'accord, la
preuve est faite. Le juge applique la coutume et cette coutume prend rang parmi
les coutumes notoires.

Cette rationalisation des modes de preuves contribue au développeemnt des


conditions d'une jurisprudence qui sont à nouveau réunies.

L’affirmation du droit coutumier


Au XIIIe siècle, il se produit une transformation très importante : la coutume cesse de

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relever de l'autorité législative, elle va désormais être dégagée par la
jurisprudence.

I. Le rôle de la jurisprudence
Dans un droit caractérisé par la pluralité des sources comme c'est le cas au Moyen Âge,
le juge occupe nécessairement une place essentielle, puisque c'est lui qui dit quel
est le droit applicable à l'espèce qu'il doit juger.
La jurisprudence va dès lors jouer un rôle majeur dans l’affirmation du droit coutumier.
La coutume va disparaître des ordonnances royales. La coutume devient l'affaire du
juge.
 
Le développement des juridictions d'appel va peser lourd sur le droit coutumier : une
juridiction d'appel tend à unifier le droit dans son ressort.
Véritable tri parmi la multitude des usages locaux.

II. L’action du roi


• Indirecte : par le biais de ses agents, les juges royaux, qui laminent les usages
indésirables.
• Directe : le roi est réputé gardien des coutumes. En tant que gardien, il doit
protéger les coutumes mais aussi les censurer s’il s'agit de mauvaises coutumes
(double mission). Il abolit beaucoup de droits seigneuriaux vexatoires ou trop
cruels.

III. L’apparition d’une démarcation entre le Nord et le Midi


Une démarcation juridique est apparue entre le Nord et le Midi, qui persistera
jusqu'à la fin de l'Ancien Régime.
Les coutumes étaient forcément incomplètes. Quel droit supplétoire appliquer en
l'absence de coutume ?
• Dans le Nord, on utilise le droit commun savant mais on a moins souvent
l’occasion de l'utiliser s’il y a peu de lacunes.
• Très différent dans le Midi. Très vite, le droit romain a été utilisé comme droit
supplétoire ; les coutumes médiévales comportaient beaucoup de lacunes.

A l'époque qui nous concerne, cette évolution commence ; elle ne s'achèvera


véritablement qu'avec la rédaction officielle des coutumes à partir du XVIe siècle.

Le roi et la coutume (XIIe-XIVe siècles)


Le roi agit sur les coutumes, tout comme le juge à cette période.
A. L’action indirecte
Le roi agit d'abord de façon indirecte par le biais de ses agents, les juges royaux.
La jurisprudence, qui lamine petit à petit les usages, est le fait des juges royaux. Et ces
juges ne se contentent pas de laminer les usages indésirables, ils rédigent des recueils
où ils conservent les précédents judiciaires.
B. L’action directe

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Le roi est réputé gardien des coutumes. En tant que gardien il doit protéger les
coutumes mais il a aussi le devoir de les censurer s’il apparaît qu'il s'agit de mauvaises
coutumes.
Le roi est donc investi d'une double mission :
• Pour remplir sa mission de protection, il accorde des confirmations de coutume
et les sujets sont nombreux à lui demander confirmation de leur coutume dans
tout le royaume.
• Quant à sa mission de censure, le roi s'en sert pour abolir tout ce qui lui paraît
condamnable dans les coutumes. C'est ainsi que le roi abolit beaucoup de droits
seigneuriaux qu'il estimait vexatoires ou trop cruels. Mais la censure royale fait
également des victimes dans d'autres domaines, parce que le roi use de sa
censure pour expurger les coutumes des dispositions qui contreviennent à la
législation royale. C'est ainsi que le droit public, la procédure, le droit pénal vont
pratiquement disparaître des coutumes.

La renaissance de la législation royale au MA


Longue éclipse de la législation royale. Depuis 884, le roi n'a plus légiféré (dernier
capitulaire). À partir du XIIe siècle, la législation royale renaît.

I. Les fondements du pouvoir législatif


Le roi a été amené à légiférer à nouveau pour instaurer la paix. Le droit de guerre
avait été usurpé par les seigneurs.
La première à lutter contre ce fléau a été l'Eglise. Les efforts de l'Eglise seront relayés
dès la fin du XIe siècle par les communautés urbaines.
Et ce mouvement va être repris par les princes laïcs.
1155 : le roi Louis VII ordonne une paix de dix ans pour l’ensemble de son
royaume.
Le droit de guerre est redevenu une prérogative royale.
 
Les fondements de ce pouvoir législatif renaissant sont doubles :
• Le roi a mission de réaliser le bien commun de ses sujets.
• le pouvoir législatif royal va s'appuyer sur les droits savants. Le roi de France est
assimilé par les romanistes à l'empereur romain : il doit disposer du pouvoir
législatif.

II. Le contenu de la législation


Le roi intervient essentiellement en matière de droit public.
• Droit public : Outre la paix, relèvent encore de la législation royale la justice et
son fonctionnement.
• Réformation : Réorganiser l'administration du royaume.
La première grande ordonnance de réformation est celle qu'a promulguée
Saint Louis en 1254 au retour de la Croisade (échec interprété comme sanction
divine).
→ Cette législation de Saint-Louis inaugure une longue liste d'ordonnances de
réformation qui vont se succéder jusqu'au XVIIe siècle

III. Les conditions d’exercice du pouvoir législatif

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L'exercice du pouvoir législatif par le roi est soumis à des contraintes lourdes.
Dans les premiers temps, le roi ne peut pas légiférer pour tout le royaume sans le
consentement de ses vassaux.
Puis grâce au modèle romain, on finit par se passer du consentement des vassaux
: l'empereur romain se passait de consentement pour légiférer; le roi s'en passera
également dès lors qu'il sera assimilé à l'empereur romain.

Le contenu de la législation royale (XIIe-XIVe siècles)


Le roi intervient très peu en droit privé mais essentiellement en droit public.
A. Droit public
Le roi a été amené à légiférer à nouveau pour instaurer la paix.
1155 : le roi Louis VII ordonne une paix de dix ans pour l’ensemble de son
royaume.
Les guerres privées ont fini par disparaître complètement au XVe siècle. Le droit de
guerre est redevenu une prérogative royale.
 
Outre la paix, relèvent encore de la législation royale la justice et son
fonctionnement + organisation des structures du royaume : l'administration, les
services publics, la fiscalité, la police des moeurs, le contrôle de l'économie, le droit
pénal.
 
Saint Louis, par exemple, a beaucoup légiféré en matière pénale, de prostitution, de
faux monnayage, de blasphème.
B. Réformation
À côté de ces mesures ponctuelles, on trouve des textes plus longs qui
s'attachent à organiser ou à réorganiser tout ou partie de l'administration du
royaume.
Dans ce second cas, l'idée centrale est celle de réformation. Il faut entendre, au sens
étymologique du terme, « reformation », remise dans la forme ancienne, remise dans
l'ordre ancien.
Que réforme-t-on ? La justice ou l'administration du royaume. Il s’agit, dans ces
grands textes, de lutter contre les injustices et les abus qui se sont introduits au cours du
temps.
 
La première grande ordonnance de réformation est celle qu'a promulguée Saint
Louis en 1254 au retour de la Croisade. (échec interprété comme sanction divine). Il
faut lutter contre les abus des agents royaux, contre les injustices. En un mot, il faut
réformer énergiquement le royaume. Saint Louis y voyait le préalable indispensable à
une nouvelle croisade.
Ce texte de 1254 impose aux agents royaux un véritable code de déontologie.
→ Cette législation de Saint-Louis inaugure une longue liste d'ordonnances de
réformation qui vont se succéder jusqu'au XVIIe siècle.
 
Le roi met évidemment toujours en avant sa volonté de restaurer un ordre ancien, mais
cela ne l'empêche pas d'introduire des innovations dans ces très longs textes.

Les conditions d’exercice du pouvoir législatif (XII-XIVe siècles)

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L'exercice du pouvoir législatif par le roi est soumis à des contraintes très
lourdes. Dans les premiers temps, le roi ne peut pas légiférer pour tout le royaume sans
le consentement de ses vassaux.
En effet, entre la décision royale et les sujets, les vassaux forment écran. Si le roi veut
que sa loi soit applicable à l'ensemble du royaume, il doit en négocier l'application
avec la hiérarchie féodale. Le roi est donc obligé de réunir une cour plénière. Ces
vassaux participent à la discussion du texte, et s’ils l’approuvent, ils signent le texte.
C'est une façon de s'engager à l'appliquer. C'est de cette façon que Louis VII a dû
procéder pour l'ordonnance de 1155.
 
Sous Saint-Louis, on admet déjà que le consentement d'une majorité de barons suffit
pour que l'ordonnance soit applicable partout dans le royaume.
Puis grâce au modèle romain, on finit par se passer du consentement des vassaux
: l'empereur romain se passait de consentement pour légiférer; le roi s'en passera
également dès lors qu'il sera assimilé à l'empereur romain.
Le roi se passera de consentement, cela ne veut pas dire qu'il se passera d’avis. Il est
tenu de prendre conseil. Ce principe du conseil se maintiendra jusqu'à la fin de l'Ancien
Régime (notamment avec les Etats-généraux).

Humanisme et droit romain


Rejet du droit romain comme droit commun
A. Une nouvelle méthode d'enseignement du droit romain.
Dès la fin du XVe siècle les méthodes d'étude et d'enseignement du droit romain
font l'objet de vives critiques de la part de l'école humaniste.
Pour les juristes, l'école humaniste est vraiment fondée par André Alciat, un juriste
italien. Propose d'étudier le droit romain pour lui-même dans un but purement
scientifique, abstraction faite de toute application au droit moderne.
Les humanistes ont une approche originale fondée sur la philologie et sur
l'histoire.
B. L'élaboration et l'évolution des règles
On cherche le sens originaire et la portée véritable des règles juridiques romaines.
Grâce à ces principes, les savants humanistes ont réussi à dénoncer beaucoup
d'interprétations erronées, anachroniques faites par leurs prédécesseurs. Ils considèrent
les juristes du Moyen Âge comme des sots, des ignorants. Le plus brillant représentant
de cette école, a été Jacques Cujas.
 
Incontestablement, grâce aux humanistes, la science du droit romain ancien
progresse, mais le droit romain va payer chèrement le retour à cette pureté
originelle. Le droit romain va, en effet, être présenté comme le droit des Romains
et des Italiens.
• Droit des Romains : droit d’une époque déterminée, créé par une société
déterminée. Il n’y a, dit-on, aucune raison de se soumettre à ce droit d'une autre
époque ou de lui accorder une autorité supérieure par rapport au droit français.
• Droits des Italiens : le droit romain l'est également à cause de la doctrine
principalement italienne qui l'a glosé et enrichi.

En revanche, on peut choisir dans le droit romain ce qui va convenir à la France.


Deux séries d'emprunts.

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• On emprunte des solutions au droit romain en les adaptant. C'est ce que fait
la jurisprudence pour combler les lacunes du droit coutumier. Dans le Midi, la
jurisprudence lamine le droit coutumier au profit du droit romain.
• Elaboration d'une architecture systématique du droit. C'est avec les
humanistes que l'on commence vraiment à systématiser le droit. En France,
au XVIIe siècle, Jean Domat est le plus brillant représentant de cette tendance. Il
expose tout le droit romain dans un ordre rationnel, et sa méthode sera reprise
par les juristes de droit coutumier.

Le recul du droit canonique aux derniers siècles de l’Ancien Régime


Au XVe siècle, le roi va entreprendre de subordonner les juridictions
ecclésiastiques à sa justice, par la voie de l'« appel comme d'abus » = voie de
recours qui consiste à déférer au roi ou au Parlement un acte abusif émanant d'une
autorité ecclésiastique, pour que le roi ou le Parlement casse cet acte.
C'est au XVe siècle également que se développe le gallicanisme. Le roi veut que
l'Eglise de France soit soumise à l'autorité royale. Au XVIe siècle, la doctrine gallicane
engendre un nouveau principe : comme le droit canonique est élaboré en dehors des
frontières nationales, il est perçu comme un droit étranger.
 
1. Le droit canonique naturalisé : Pour avoir force obligatoire en France, il doit dès
lors être accepté par le roi.
Pour le droit canonique ancien, on considère que son application pendant des siècles
vaut acceptation tacite. Mais pour le nouveau droit canonique, il faut un acte exprès du
roi autorisant son application en France et le roi n'accorde pas forcément cette
autorisation.
Ex : au moment du concile de Trente, le droit canonique du mariage a été remanié
pour lutter contre les mariages clandestins. Les représentants français avaient
demandé d'ajouter le consentement des parents pour les mineurs. Mais le concile ne les
avait pas suivis. Le roi a refusé la réception des décrets du concile de Trente en France.
 
2. Le droit canonique dépossédé : Mais le roi ne s'est pas contenté de contrôler le
droit canonique: il a été jusqu'à le déposséder.
La législation royale, en effet, intervient désormais de plus en plus dans les domaines
qui auparavant étaient régis par le seul droit canonique.
C'est aussi le cas dans le domaine des relations privées. L'exemple le plus
frappant concerne la formation du mariage. Faute d'avoir reçu les dispositions du
concile de Trente, le roi a lui-même légiféré pour lutter contre les mariages clandestins :
c'est l'objet, notamment, d'une ordonnance prise à Blois en 1579. La législation royale
exige le consentement des parents pour les enfants mineurs. Peu à peu, le mariage va
passer du contrôle de l'Eglise au contrôle de l'État.

La rédaction officielle des coutumes


Le droit coutumier va connaître un essor décisif avec la rédaction officielle des
coutumes.
C'est le roi Charles VII qui va donner l’ordre de rédiger les coutumes (ordonnance
de Montils-lès-Tours en 1454). La rédaction officielle devait permettre un meilleur
fonctionnement de la justice. Il fallait des textes sûrs.
 
La rédaction des coutumes associe l'autorité royale et les populations
intéressées.

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Le travail de rédaction est le fruit d'une collaboration entre des éléments locaux
(praticiens du lieu et des représentants des trois ordres) et des agents royaux.
 
Procédure de rédaction : Le bailli prépare un avant-projet avec l’aide des praticiens
locaux et qu'il soumet pour premier examen aux commissaires royaux et qui est soumis
ensuite à une assemblée des trois ordres. Chaque article du texte est discuté :
• Les articles qui ne soulèvent pas de contestation sont dits accordés.
• Si un désaccord apparaît, l'article est dit discordé : son sort est réservé dans
l'attente d'une solution judiciaire. Dans l'immédiat, la procédure n'est pas bloquée.

C'est ainsi que dans la première moitié du XVIe siècle, sont officiellement publiées
la plupart des grandes coutumes du Nord, du Centre, de l'Ile de France, mais aussi
une bonne partie des coutumes de l’Ouest et quelques coutumes du Sud-Ouest.
 
Ces premières rédactions restent imparfaites, et comportent trop de lacunes.
 
La jurisprudence de son côté continue à trancher des points obscurs ou négligés, ou
encore elle innove. C'est ainsi qu'un écart se creuse entre le texte et la façon dont on
l'applique. C'est pourquoi la nécessité apparaît de refondre les coutumes, de les
réformer.

La réformation des coutumes


La procédure de réformation des coutumes est animée par un très grand juriste :
Christofle de Thou qui devient président au Parlement de Paris en 1554.
La réformation commence dès 1555, animée d'un esprit différent de celui de la première
rédaction. On veut vraiment moderniser les coutumes.
La réformation suit la même procédure que la rédaction initiale, mais ce sont
désormais les commissaires royaux qui proposent un texte modifié par leurs
soins. Un même commissaire peut être chargé de faire réformer plusieurs coutumes
avec mission de les rapprocher. Ce sera le cas de Christofle de Thou dans l'immense
ressort du Parlement de Paris.
 
Le droit coutumier en sort profondément modifié :
• Le pluralisme coutumier a d’abord été sensiblement réduit. À la fin de
l'Ancien Régime on dénombrera 65 coutumes générales. Beaucoup de petites
coutumes ont disparu.
• Ensuite, le contenu des coutumes s'est transformé. Les coutumes ont été
expurgées de toutes dispositions pénales et de procédure. Les coutumes
réformées traitent donc essentiellement de droit civil.

→ Dans le domaine qui leur reste, les coutumes ont été modernisées.

Le contenu de la législation royale (XVe-XVIIIe)


À partir du XVIe siècle, légiférer devient le moyen d'action privilégié de la monarchie.
• De la fin du Moyen Âge au début du XVIIe siècle, le roi intervient par voie de
réformation.
• À partir de Louis XIV, la monarchie va se préoccuper d'unifier le droit et de
codifier certaines branches.

Les ordonnances de réformation dominent donc la première période.

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• En 1454, l'ordonnance de Montils-Les-Tours prise par Charles VII ordonne la
rédaction officielle des coutumes : c'est une nouveauté considérable.
• En 1539, l'ordonnance de Villers-Cotterêts prise par François Ier impose que
les actes juridiques soient rédigés en langage maternel français, et non plus en
latin.
• En 1579, l'ordonnance de Blois, prise par Henri III, contre les mariages
clandestins.

Les ordonnances de codification sont, à partir du règne de Louis XIV, une manière
nouvelle pour le roi d'intervenir dans le droit. Elles traitent d’un domaine précis
qu'elles réglementent systématiquement. Sous le règne de Louis XIV :
• La procédure civile donne lieu à la grande ordonnance de 1667.
• La procédure pénale donne lieu à l'ordonnance de 1670.
• L'ordonnance du commerce de 1673.
• L'ordonnance de la marine en 1681
Toutes ces ordonnances doivent beaucoup à Colbert.
• En 1685, Code noir qui réglemente le droit colonial et l'esclavage.

Avec Louis XV et à l'initiative de son chancelier d’Aguesseau, ce sont cette fois


certaines parties du droit privé qui se sont unifiées par voie d'ordonnance :
• les donations en 1731,
• les testaments en 1735,
• les substitutions en 1747.

Au terme de cette entreprise, la France dispose de plusieurs codes. En revanche, elle


n'a pas de code pénal. En matière de droit civil, la codification reste limitée.

L’harmonisation linguistique : le droit en français


S’il y a un trait qui caractérise l'ancienne France, c'est la diversité, et notamment des
langues. Or le roi parle français. C'est au XVe siècle que la monarchie française entame
une politique linguistique qui va faire du français la langue de l'administration et du droit.
A. Au détriment du latin
Cette politique s'est d'abord tournée contre le latin, pour se démarquer du
gouvernement de l'Eglise et parce que le roi voulait rendre le langage juridique
compréhensible.
 
A partir du XVe siècle, une série d'ordonnances commence à grignoter les positions du
latin.
En 1539, l’ordonnance générale de Villers-Cotterêts, prise par François Ier,
dispose que les actes juridiques doivent désormais être rédigés en “langage
maternel français”. Le latin est exclu, mais ce que le roi entend par le “langage
maternel français” n'est pas forcément la seule langue française. L'expression recouvre
aussi les autres langues vulgaires parlées dans le royaume.
B. Au détriment des langues régionales
Sous Louis XIV la politique linguistique passe à la vitesse supérieure car le roi
annexe des provinces dont la langue est également celle du pays limitrophe voisin (ex :
l'Alsace parle allemand). La question des langues se pose en termes politiques. Il s'agit
de protéger les frontières nationales.
 

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Alors le roi va mener une politique linguistique par voie d'ordonnance. Dans
chaque nouvelle province, le français est imposé en deux étapes :
• degrés supérieurs de l'administration et de la justice.
• justices subalternes et praticiens (ex : notaires).

→ Le français devient ainsi la langue officielle de l'administration et du droit. Mais


la monarchie n’a pas pour autant prétendu extirper les langues vulgaires de la vie
quotidienne. Les sujets du royaume continuent à user de leur parlers locaux, et
lorsqu'ils sont appelés en justice on leur fournit un interprète s’ils ne savent pas le
français.

Doctrine et harmonisation du droit coutumier


Le droit civil échappe encore à l'unification. Dans ce domaine, la doctrine va jouer un
rôle fondamental car c'est elle qui prépare l'unification du droit qui aura lieu après la
Révolution.
A. La formation d’un droit commun coutumier
Grâce à l'imprimerie, les coutumes rédigées et leurs commentaires vont être diffusés.
Les juristes établissent des répertoires, les “conférences de coutumes” pour les
comparer.
→ les juristes vont pouvoir dégager un certain nombre de règles générales.
Comme on refuse de faire du droit romain le droit commun supplétoire du royaume de
France, il faut forger un droit commun propre à jouer ce rôle.
 
Le poids du politique s'est aussi fait sentir. La coutume de Paris est celle du roi.
La réformation de la coutume de Paris a été le chef-d’oeuvre de Christofle de Thou.
Cette coutume a été mieux rédigée que les autres, pour réaliser déjà un compromis
unificateur.
La doctrine et la jurisprudence vont se charger de promouvoir la coutume de
Paris. Rôle essentiel du Parlement de Paris : il applique la coutume de Paris comme
droit supplétoire.
B. Le rôle des professeurs de droit français
Les plus intéressants sont ceux qui se sont préoccupés d'unifier le droit entre le
Nord et le Midi.
Pothier professeur à Orléans, a laissé une synthèse du droit civil. Il a choisi les
meilleures solutions dans les coutumes, dans le droit romain, dans le droit canonique.
Les travaux de Pothier auront une influence considérable sur les rédacteurs du
Code civil.
 
→ L'unification du droit progresse dans la doctrine mais n’est pas encore réalisée.
Le pluralisme juridique se maintient jusqu'à la fin de l'Ancien Régime et la démarcation
entre pays de coutume et pays de droit écrit persiste. À la veille de la Révolution,
l’unification du droit est encore bien loin d'être réalisée.

L’enseignement du droit à l’époque moderne (XVI-XVIIIe)


Depuis le XVIe siècle, l'État s'intéresse de près au monde universitaire et le monde
universitaire va lentement échapper à la tutelle pontificale pour tomber sous la
tutelle de l'État.
 

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C'est sous Louis XIV que se manifeste énergiquement la volonté royale de
réformer les études de droit : édit pris à Saint-Germain en 1679. Le roi réorganise
les facultés de droit pour en améliorer la qualité et il réglemente les programmes.
Cette réglementation des programmes va être l'occasion pour Louis XIV d'imposer un
enseignement de droit français. C'est une petite révolution, car jusqu'alors, seul le
droit romain et le droit canonique faisaient l'objet d'un enseignement universitaire et cet
enseignement se donnait en latin. Désormais, il y aura dans chaque faculté de droit un
professeur de droit français chargé d'enseigner en français le droit français, c'est-
à-dire le droit contenu dans les ordonnances et les coutumes. Ce sont des praticiens qui
vont devenir professeurs de droit français. Leur rôle sera essentiel dans l'unification du
droit.

Les lois fondamentales du royaume sous l’AR


La monarchie française de droit divin concentre les pouvoirs sur la personne du roi : lui
seul détient la souverianeté. Mais il est néanmoins des règles constitutionnelles que le
roi ne peut enfreindre, les Lois fondamentales du royaume (appelées ainsi depuis
1575). Ces règles s'imposent au roi car elles transcendent sa personne. Elles
concernent :
• la loi de succession à la Couronne et son corollaire, l’indisponibilité de la
Couronne
• l’inaliénabilité du domaine de la Couronne.

A l'occasion du traité de Troyes (signé par Charles VI), on avait posé le principe
qu'un roi ne pouvait exhéréder l'héritier nécessaire et se choisir un successeur.
À partir du XVIe siècle, on a dû dégager d'autres implications de la règle d'indisponibilité
de la Couronne.
 
1re implication : le roi ne peut pas renoncer au trône. Il ne peut pas abdiquer.
La question s'est posée sous François Ier au début du XVIe siècle ; il est fait prisonnier
par l'empereur. Il envoie secrètement à Paris des lettres patentes d'abdication pour faire
couronner roi de France le jeune dauphin. Le Parlement de Paris refusera d'enregistrer
ces lettres patentes : une abdication était contraire au principe d'indisponibilité de la
Couronne.
 
2e implication : pas plus que le roi ne peut lui-même renoncer à la Couronne, il ne
peut y faire renoncer l'un de ses descendants légitimes.
Le problème s'est posé à propos de ce que l'on appelle la succession d'Espagne sous
Louis XIV. Louis XIV est obligé de faire signer de telles renonciations à son petit-fils : ces
renonciations seront incluses dans le traité de paix signé à Utrecht en 1713.
Au regard des Lois fondamentales pourtant, ces renonciations étaient radicalement
nulles.
 
3e implication dégagée sous le règne de Louis XIV : le roi ne peut habiliter
personne à succéder à la couronne.
Une affaire retentissante a secoué la fin du règne de Louis XIV. Durant les années 1711-
1712, Louis XIV voit disparaître successivement trois dauphins. Auatre autres princes de
sang étaient morts. Louis XIV est inquiet. Il promulgue à Marly en juillet 1714 un édit
qui habilite à la Couronne deux des enfants qu'il avait eus de Mme de Montespan.
Le Parlement de Paris enregistre sans résistance cet édit de Marly. Mais dès que Louis
XIV meurt en 1715, commence une véritable guerre de la constitution. En juillet 1717, un
arrêt en forme d’édit annule l’édit de Marly, inconstitutionnel car il violait le principe

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d'indisponibilité de la Couronne. La légitimation était valable au regard du droit privé,
mais elle n'avait aucune conséquence en droit public.

Succession au trône et masculinité


La guerre de 100 ans, mais aussi les circonstances du règne de Charles VI, vont obliger
la doctrine française à démontrer l'illégitimité des prétentions anglaises, et par
conséquent à justifier l'exclusion des femmes :
• les considérations politiques ont été déterminantes. En 1316, le royaume est
perturbé, notamment par une terrible réaction féodale qui suit la mort de Philippe
le Bel. Philippe Le Bel, surnommé “le roi de fer”, était capable de tenir les grands
en respect. On ne peut pas en dire autant de son fils Louis X.
• Les considérations religieuses ont été essentielles. C'est parce que la femme
n'est pas admise au sacerdoce qu'elle semble inapte à régner sur le trône de
France. L'hérédité masculine était déjà installée, aucune fille n’avait jamais
occupé le trône.

Quels ont été les arguments juridiques ?


• Il était difficile d'écarter les filles en utilisant la coutume féodale de succession aux
fiefs. Cette coutume variait selon les lieux. En outre, le royaume n'est pas un fief
et la succession n'est pas une succession de droit privé.
• On a alors pensé à autre chose : on est allé exhumer la loi des Francs Saliens,
la loi salique, dont un article dispose que la terre des ancêtres ne peut être
transmise à une femme et qu'elle doit échoir à un héritier de sexe masculin. On
ne s'est pas embarrassé de savoir si cette disposition était d'application absolue.
Voilà un texte juridique. Cet argument va connaître une immense fortune. À ce
point que l'exclusion des femmes de la couronne de France sera baptisée de “loi
salique”.

→ Cet ensemble de coutumes successorales est fixé au milieu du XIVe siècle. La


Couronne, personne ne le conteste, se transmet dans la famille capétienne par
ordre de primogéniture et à l'exclusion des femmes et de leurs descendants.

La théorie statutaire de la Couronne


Il faut revenir un peu en arrière, sous le règne de Charles VI qui commence en 1380. Les
circonstances de ce règne vont amener les juristes à préciser le caractère de la loi de
transmission du pouvoir royal.
On a voulu écarter l'idée de dévolution héréditaire pour bien montrer que les règles
successorales du droit privé ne s'appliquaient pas à la Couronne. Et c'est ainsi que l'on a
dégagé la théorie statutaire de la Couronne. Cette théorie est due notamment à Jean
de Terre Vermeille et Jean Jouvenel des Ursins.
Ces juristes observent qu'il s'est forgé au cours des siècles, un véritable statut
coutumier de la succession au trône. C'est la coutume qui, à chaque succession,
désigne le nouveau roi. Et cette coutume est une coutume de droit public. Un roi n'est
pas héritier au sens du droit privé, c'est un héritier nécessaire, un successeur. Il monte
sur le trône non pas en vertu de la volonté de son prédécesseur à qui il ne doit rien; il
monte sur le trône en vertu de la loi de succession. La coutume désigne à l'avance
impérativement le successeur au trône et la coutume l'impose à tous, à commencer par
le roi régnant.
On va donner plus tard un nom à l'ensemble des successeurs potentiels à la Couronne :
on les appelle les princes du sang.

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L’indisponibilité de la Couronne
Le principe d'indisponibilité de la couronne veut que le roi régnant ne puisse pas
changer l'ordre normal de succession et disposer ainsi de la Couronne.  
Ce principe a été dégagé par la doctrine du XVe siècle dans des circonstances
dramatiques dues au règne de Charles VI.  
Honteux traité de Troyes, que l'on va faire signer à Charles VI, plus fou que jamais.
Charles VI donne en mariage sa fille Catherine à Henri V et adopte son gendre comme
fils et successeur. Le dauphin Charles est exhérédé par son père, c'est Henri V qui doit
assurer la régence jusqu'à la mort du roi fou.
 
Voilà les circonstances dramatiques qui ont obligé les juristes favorables au droit du
dauphin à dégager la théorie statutaire de la Couronne et ses conséquences. Jean de
Terre Vermeille + Jean Jouvenel des Ursins.  
La Couronne n'est pas un bien patrimonial. En droit privé, on peut exhéréder un héritier
légitime sous certaines conditions. Mais il n'en va pas de même en droit public.  
Le statut de la Couronne dépasse les volontés individuelles. La Couronne est
indisponible, le traité de Troyes est nul.  
→ En droit public, c'est la Coutume seule qui désigne le successeur et ce
successeur nécessaire c'était Charles VII.  

L’inaliénabilité du domaine de la Couronne


Les partages successoraux du royaume ont cessé dès que l'hérédité royale a cédé la
place à l'élection. Mais le roi continue à se conduire en propriétaire du domaine royal. Il
dispose de son domaine au profit de ses fidèles.  
Au XIVe siècle, on prend conscience des inconvénients de ces dilapidations : Toute
aliénation diminue les ressources du roi.  
→ Le domaine perd sa nature patrimoniale pour acquérir une nature publique. Le
domaine n’appartient pas au roi. Le roi n'est que l'administrateur du domaine.
 
1566 : édit de Moulins par Charles IX qui fait vraiment de l’inaliénabilité du
domaine une loi fondamentale intangible.  

I. Le principe d’inaliénabilité du domaine de la Couronne


Le domaine de la Couronne se compose d'un domaine corporel (terres) et d'un
domaine incorporel (revenus et prérogatives).
 
Ce domaine corporel et incorporel est inaliénable. Le roi doit le conserver intacte
pour son successeur.  
Ce domaine est également imprescriptible, les particuliers ne peuvent pas acquérir
par prescription une portion du domaine.
 
Cependant l'on distingue le domaine fixe et le domaine casuel :  
• domaine fixe = définitivement uni à la Couronne : domaine inaliénable.
• domaine casuel = acquisitions faites par le roi depuis moins de 10 ans : de ces
acquisitions, le roi peut disposer.
Tous les biens que le roi possède au jour de son avènement sont incorporés de plein
droit au domaine de la Couronne.

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II. Les exceptions
L'édit de Moulins prévoit deux exceptions au principe d’inaliénabilité :  
• Les apanages. dotations destinées aus fils puînés d’un roi.
• Les engagements. admis à l'occasion de certaines éventualités graves comme
une guerre. Ce n'est pas une vente : le roi affecte seulement la jouissance du
bien à un engagiste. L’engagiste perçoit les revenus du domaine engagé à titre
d'intérêts de la somme qu'il a versée au roi et le roi dispose d'une faculté
perpétuelle de rachat.

Les lois fondamentales au service de l’Etat


Les Lois fondamentales existent dans le seul intérêt de l'État qui transcende celui du
monarque. C'est pourquoi le monarque ne peut les enfreindre. Elles garantissent
l’intégrité et la continuité de l’Etat.  
A. L’intégrité de l’Etat
Primogéniture : un seul successeur.  
Inaliénabilité du domaine de la Couronne : préservation du patrimoine de l'État.
(patrimoine foncier + tous les droits). Ces droits sont nécessaires au maintien et à la
prospérité de l'État, le roi ne peut pas les aliéner.
 
Le principe d’inaliénabilité du domaine de la Couronne a été étendu au plan externe :
c'est lui qui protège le territoire français. François Ier, prisonnier de Charles Quint et
empêché d'abdiquer, avait dû signer un traité quicédait la Bourgogne à Charles Quint.
Un arrêt du Parlement de Paris a cassé ce traité comme contraire aux Lois
fondamentales.  
B. La continuité de l’Etat
La continuité de l'État est symbolisée par la continuité de la fonction royale. Ce principe
de continuité a été dégagé en plusieurs étapes. Pendant longtemps, c'est le sacre qui
faisait le roi. Le problème se pose quand le sacre anticipé disparaît (avec Philippe
Auguste). Entre la mort du roi et le sacre de son successeur, il y a un vide juridique. Or il
faut combler ce vide car Jamais la Couronne ne doit rester vacante.
 
On a d'abord fait appel à la théorie des deux corps du roi. On s’est appuyé sur la
doctrine canonique (la théorie des deux corps du Christ. Le Christ a un corps vrai, et un
corps mystique, la société chrétienne avec le pape à sa tête.) La pensée politique va
transposer cette théorie à l'organisation du royaume.  
Ce ne devait plus être le sacre qui instituait le roi mais seulement et directement la
mort de son prédécesseur. On a utilisé la coutume de droit privé qui proclamait « le
mort saisit le vif ». Cela signifie que l'héritier est à l'instant de la mort immédiatement
saisi de la succession.  
Ce que l'on a voulu éviter, c’est que le successeur au trône ne se voit marchander son
accession.  
Puis on a abaissé la majorité royale à 13 ans.  
En 1403 et 1407, deux ordonnances de Charles VI vont consacrer le caractère
instantané de la succession. Le successeur d'un roi défunt est roi dès l'instant de la
mort de son prédécesseur, quel que soit son âge et sans attendre son sacre. Il n’y a
aucune interruption de la fonction royale.
 

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→ On va en tirer l'adage « Le roi ne meurt pas en France ». La royauté a toujours
un titulaire en exercice, le roi de France est réputé toujours vivant.
 
Cette idée est une idée de juriste. Il est difficile pour elle de pénétrer les mentalités
populaires. Jeanne d’Arc s'adressera encore à Charles VII, qui est aux yeux des juristes
pourtant roi depuis 1422 (date de la mort de son père), en l'appelant “gentil dauphin” tant  
qu’il ne sera pas sacré.  
L'enterrement du roi défunt devient le moment où le nouveau roi lui succède vraiment.
Quand le corps du roi est déposé dans la tombe de Saint-Denis, le héros d'armes crie «
Le roi est mort, vive le roi ! » : la Couronne n’est jamais vacante, l'État continue.  

Existe-t-il une constitution dans l’ancien droit français ?


Les Lois fondamentales sous l'Ancien Régime étaient bien des normes
constitutionnelles, mais leur domaine se limitait à la dévolution de la Couronne et
à l’inaliénabilité du domaine de la Couronne. Ces règles étaient établies dans le seul
intérêt de l'État et elles ne concernaient pas l'exercice du pouvoir. L'exercice du pouvoir
n'était pas abandonné à l'arbitraire : il faisait l'objet de traditions que le roi respectait,
mais théoriquement, le roi absolu n'était pas juridiquement tenu par ces traditions.
 
Les Lois fondamentales, enfin, n'avaient jamais fait l'objet d'une liste officielle, encore
moins d'une codification. Les opposants à l'absolutisme exploitaient cette absence de
codification pour ériger en Lois fondamentales, c'est-à-dire en règles contraignantes
pour la monarchie, les règles qu'ils avaient intérêt à promouvoir à cette dignité.
 
Au XVIIIe siècle, le droit constitutionnel fait l'objet d’un extraordinaire engouement. Le
régime politique de l’ancienne France est soumis à de très vigoureuses critiques.  
• Au fond, on remet en cause l'absolutisme ;
• au plan formel, on fait le procès du régime coutumier.
Plusieurs courants vont se conjuguer pour former un très puissant mouvement
constitutionnaliste.
• D'abord, un courant illustré par des privilégiés qui réclament le retour à ce qu'ils
présentent comme l'antique constitution de la France, revue et corrigée par leurs
soins. L'établissement d'une constitution, qu'ils réclament, c'est pour eux une
restauration, principalement une restauration des droits de la noblesse.
• Un second courant se réclame lui de la raison et il passe toutes les institutions au
crible de la raison. La réflexion sur l'idée même de constitution est nourrie par
l'école du droit naturel. Pour cette école, la constitution n'est plus une
restauration, c'est l'acte initial de la souveraineté et la source de tous les pouvoirs
constitués.
• Enfin, une influence extérieure se fait sentir sous la forme de l'exemple américain.
C'est un modèle fascinant que la constitution fédérale de Philadelphie, la
première des constitutions modernes en 1787.

→ Tous ces courants entraînent l'ensemble de l'opinion éclairée française vers


l'établissement d'une constitution écrite et, par opposition aux Lois fondamentales
qui protégeaient seulement l'intérêt de l'État, on veut désormais faire de la
constitution un instrument de liberté.  

Ecole du droit naturel et méthode d’exposition du droit

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La raison doit devenir la charpente de l'édifice juridique. Et cette exigence se
traduit par une nouvelle méthode d'exposition du droit. C'est au XVIIIe siècle que
cette idée va aboutir en droit positif.  
Ecole du droit naturel. Les auteurs de cette école cherchent par une étude rationnelle
et critique de la nature humaine des principes fondamentaux à partir desquels ils
pourront déduire toutes les autres règles de façon géométrique. Cette doctrine reçoit en
France l'appellation « d'Ecole du droit naturel », mais elle se nomme significativement en
Allemagne « Ecole du droit de la raison » et c'est une appellation beaucoup plus juste.  
Son premier grand représentant est Grotius au XVIIe siècle.  
En France, le plus important est Jean Domat, romaniste qui a entièrement refondu la
matière du Corpus Juris Civilis pour en donner une présentation rationnelle et
systématique. Tout le droit romain est restructuré d'après des critères rationnels.
 
Cette doctrine reçoit un accueil extrêmement favorable au XVIIIe siècle. Elle devient
l'expression même de la science du droit.
 
Cette exigence est à mettre en rapport au XVIIIe siècle avec les progrès accomplis
à la même époque par les sciences exactes : le développement de la géométrie, des
mathématiques, de la physique... Le droit, pense-t-on, doit être réorganisé sur le modèle
de ces sciences. Le droit doit être reconstruit et exposé en suivant un ordre logique. Le
droit est conçu comme une série de normes hiérarchisées qui s'ordonnent selon
la rigueur des théorèmes mathématiques. Le droit doit être simple et clair.  

Le droit dans la pensée des lumières


Le renouvellement du droit ne peut pas être compris en dehors du cadre de la pensée
des Lumières. Les Lumières sont un mouvement européen qui se signale par son
attitude critique à l'égard de toutes les institutions. Une attitude qui est fondée sur la
raison.
 
En France, cette critique porte principalement sur :  
• l'inégalité en droit, consacré par le régime des ordres.
• l'inhumanité du droit pénal et de la procédure pénale.
• la prédominance de l'Eglise et l'intolérance religieuse. On conteste l'autorité
absolue du dogme catholique devant la raison.
• l'absolutisme de droit divin. On y voit maintenant du despotisme contre lequel
on revendique la liberté et l'égalité.
Plus généralement, tout va être réexaminé au crible de la raison. Cela aboutit à
remettre en cause tout l'ordre établi, toutes les valeurs traditionnelles.
 
L'ordre juridique n'échappe pas à la critique. Volonté de laïciser le droit, aussi bien le
droit public que le droit privé : on va évincer le droit canonique et on introduira le mariage
civil et le divorce.  
Remise en cause des sources coutumières. L'ancienneté d'une règle n'est plus
considérée comme une garantie de sa supériorité. Un siècle moderne exige un nouvel
ordre juridique.
 
Ces idées sont d'abord l'apanage d'une élite peu nombreuse. Mais elles se répandent
grâce au relâchement de la censure après la mort de Louis XIV et au perfectionnement
des instruments de diffusion de la pensée : livres, journaux.  
Ces idées se répandent largement dans la bourgeoisie, notamment, riche, cultivée. Mais
la bourgeoisie reste confondue avec les masses laborieuses dans le Tiers-Etat et elle

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étouffe. La résistance des privilégiés accule le roi à convoquer les Etats généraux. De
leur réunion sortira une révolution.  

La Révolution et la Constitution
a. La constitution écrite  
Pendant la campagne électorale qui précède l’élection des députés aux Etats généraux,
des cahiers de doléances sont rédigés. Ils réclament souvent une constitution.  
Inconvénients du régime coutumier :  
• incertitude : les règles sont immergées dans les faits, on hésite sur leur étendue,
sur leur portée.
• instabilité. Les règles sont mouvantes, elles échappent à toute fixation.
→ On réclame une constitution écrite pour disposer de règles claires, fixes,
précises.
 
Mouvement constitutionnaliste fort. Dans la lettre qui porte règlement électoral des
Etats généraux (24 janvier 1789), Louis XVI pose la question de la constitution : « Les
Etats donneront les moyens et avis pour arriver à un ordre constant et invariable dans
toutes les parties du gouvernement ».
 
Les Etats généraux iront bien au-delà, puisqu'ils vont se transformer en assemblée
constituante, qui donnera à la France sa première constitution écrite.  
Cette constitution écrite du 3 septembre 1791 inaugure une longue liste de
constitutions. Nous n'avons pas connu moins de 15 constitutions avant celle de 1958.
Toutes ont été des constitutions écrites, y compris celle de la Restauration en 1814. Le
principe de la constitution écrite est resté un acquis définitif de la Révolution.
 
b. La constitution, instrument de liberté  
Conformément à la doctrine du droit naturel, la constitution est le moyen de
procurer aux droits individuels, la sûreté qui leur est due. Dans la DDHC, l'existence
même d’une constitution est subordonnée à son contenu. Article 16 : « Toute société
dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n'a point de constitution. »  

La Révolution et la loi ordinaire


La Révolution a bien l'intention de faire de la loi l'instrument d'une profonde
transformation de la société. Dans les constitutions révolutionnaires, le problème central
soit celui de l'organisation du pouvoir législatif. Il faut l'organiser de telle manière que la
loi soit bonne.
 
a. Des précautions pour que la loi soit bonne  
A l'époque révolutionnaire, les trois fonctions législative, exécutive et judiciaire ne sont
pas présumées égales. La fonction législative occupe incontestablement la
première place. → Tout découle de la loi, et c'est pourquoi les trois constitutions
révolutionnaires réservent la première place à la fonction législative.
 
Mais cette fonction est tellement importante que l'autorité qui l’exerce ne doit pas
pouvoir en abuser. Les 3 constitutions ont adopté 3 techniques différentes qui reposent
sur la volonté de ne pas abandonner la confection de la loi à un organe unique.  
• Constitution de 1791 : le roi est associé à l'exercice de la fonction législative via
un veto.

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• 1793 : le corps législatif vote des lois dites “proposées” ; le texte est alors envoyé
dans les départements et il devient loi si dans un délai de 40 jours un certain
pourcentage de citoyens n'a pas réclamé.
• 1795 : l'élaboration de la loi est partagée entre deux assemblées.

b. L’instrument de transformation de la société  


La législation révolutionnaire a également été un instrument de transformation de la
société civile. Il s'agit de faire entrer dans le droit positif les nouvelles exigences des
droits de l'homme.  
• Liberté de conscience : une nouvelle conception du mariage. En 1791, la
Constitution proclame que la loi ne considère le mariage que comme un contrat
civil. Du même coup, rien ne s'oppose plus à la possibilité du divorce. Mariage et
divorce feront l'objet d'une loi du 20 septembre 1792.
• Egalité : modification droit successoral. On abolit le droit d’aînesse et la
masculinité.
• Sûreté et légalité des délits et des peines : élaboration d'un code pénal.
• Propriété inviolable et sacrée : liberté de disposer de ses biens. Loi des 28
septembre et 6 octobre 1791.

Le culte de la loi sous la Révolution


Le rationalisme des Lumières a contribué à élever la loi et à dévaloriser les autres
sources du droit. Au XVIIIe siècle, on voue un véritable culte à la loi. Elle apparaît
comme le pur produit de la raison. La loi est parée de toutes les vertus : elle est
réputée bonne et infaillible car elle exprime la volonté générale, une volonté générale qui
ne peut pas se tromper.
 
La prééminence de la loi se fonde également sur l'égalité technique qu'elle tire de
l'écriture. L'écriture est un facteur de clarté, de précision, c'est un facteur de sécurité
juridique. Toutes ces qualités font de la loi l’unique autorité apte à créer le droit : tout le
droit, pas seulement le droit public mais aussi le droit privé. De fait, les assemblées
révolutionnaires ont abondamment légiféré pour créer un droit nouveau qui devait
régénérer toute la société et ses institutions.  
• La loi intervient d'abord pour organiser le pouvoir : c'est la loi constitutive, la
constitution.
• Mais la loi intervient également pour assurer le fonctionnement ultérieur de la
société, sa vie paisible : il s'agit alors des lois ordinaires, auxquelles il incombe de
régler régulièrement et minutieusement la mécanique sociale.

La DDHC
L'Assemblée constituante souhaite affirmer très vite les principes sur lesquels la
monarchie ne pourra plus revenir. C'est ainsi qu'elle est amenée à rédiger la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Cette Déclaration est destinée à
être placée en tête de la constitution.  
La Déclaration des droits de l'homme présente donc un caractère circonstanciel :
c'est une véritable machine de guerre contre l'absolutisme et la société d'Ancien
Régime.  
La référence est faite au droit naturel : c'est de la nature que les hommes tiennent leurs
droits. C'est pourquoi le texte se borne à les déclarer.
 

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Au terme de l'article 2, sont déclarés “droits naturels et imprescriptibles” : la
liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l'oppression.  
“Droits naturels” = ces droits sont fondés sur le droit naturel.  
“Droits imprescriptibles” = ils ne peuvent être perdus par prescription.  
ces droits sont “inaliénables” = l'homme lui-même ne peut pas y renoncer.
 
1. La liberté  
L'article 4 en donne une définition très large : la liberté consiste à pouvoir faire tout ce
qui ne nuit pas à autrui. Plusieurs articles consacrent différentes manifestations de la
liberté :  
• La liberté d'opinion est consacrée aux articles 10 et 11.
• Liberté d'expression ensuite. Liberté de la presse également.
→ Ce texte ne consacre pas les libertés collectives, ce qui triomphe dans la Déclaration
des droits, ce sont les libertés individuelles.
 
2. La propriété  
« inviolable et sacrée ». Au XVIIIe siècle, la propriété est considérée comme le garant
de la liberté. L'expropriation est possible moyennant toutefois de véritables garanties
(art. 17).
 
3. La sûreté  
Influence des philosophes anglais du XVIIe siècle et du criminaliste italien Beccaria.  
Sont consacrés deux grands principes qui sont à la base du droit pénal moderne :  
• le principe de la légalité des délits et des peines,
• et le principe de la non rétroactivité de la loi pénale.
• présomption d’innocence.
Concrètement il s'agit d'abolir la justice arbitraire.
 
4. La résistance à l'oppression  
Si la loi positive viole les droits naturels, ce droit ressurgit. En pratique, ce droit a servi à
légitimer l'épisode du 14 juillet.
 
5. L’égalité  
L'égalité ne figure pas au rang des droits naturels et imprescriptibles.  
Ce qui est consacré par la Déclaration des droits, c'est l'égalité juridique.  
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » dit l'article 1.  
Égalité en droit signifie égalité devant la loi et notamment devant la loi pénale. L'Ancien
Régime connaissait des discriminations en fonction des ordres, des privilèges.  
Égalité d'accès aux emplois.  
Égalité devant l'impôt : revendication la plus répandue des cahiers de doléances,
puisque la fiscalité de l'Ancien Régime était viciée par des exemptions sociales.  

Le Code pénal de 1791

La codification sous la Révolution

La codification napoléonienne

Le Code civil

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Après 10 ans de Révolution, les Français aspirent à la pacification, à la stabilisation
sociale. Bonaparte fait une priorité de la codification du droit civil.  
Le 21 mars 1804 : « Code civil des Français ».  
A. L'élaboration du Code civil
4 rédacteurs officiels qui représentent équitablement les deux grandes traditions de
l'ancien droit : le droit écrit et le droit coutumier.  
• Jean-Étienne-Marie Portalis, originaire de Provence.
• Jacques de Maleville, périgourdin.
• François Denis Tronchet, parisien.
• Félix-Julien-Jean Bigot de Préameneu, breton, avocat au Parlement de Paris.

La rédaction du Code civil se présente comme un double compromis :  


• concilie droit écrit et coutume.
• concilie l'héritage juridique de l’AR avec les innovations apportées par la RF.

Pour le fond, la source la plus importante du Code civil, c'est le droit coutumier, et
surtout la coutume de Paris qui inspirera les rédacteurs du Code civil. Ils ont beaucoup
puisé dans l'oeuvre de Pothier au point que Pothier a pu être qualifié de “Père du Code
civil”.  
Il y a aussi des reprises du droit canonique (droit matrimonial).  
La part de l'héritage juridique de l'Ancien Régime est donc considérable.
 
Mais le Code civil puise également dans le droit intermédiaire, intervenu depuis la
Révolution. Un héritage cette fois sous bénéfice d'inventaire, car il refuse les excès
égalitaires de l'an II. En revanche, le Code civil reprend les principes consacrés au début
de la Révolution : la propriété inviolable et sacrée, l'égalité dans les successions
légitimes, la conception civile du mariage, l'état civil, le divorce.  
B. L’équilibre du Code civil
Le Code civil forme un ensemble à la fois composite et équilibré, et un ensemble qui ne
se veut pas figé. Le Code civil a, en effet, été conçu pour durer.
 
Le Code civil rompt avec la tradition révolutionnaire en réhabilitant les sources du
droit autres que la loi. C'est surtout le rôle de la jurisprudence qui est réhabilité.  
• Si l'article 5 du Code civil défend au juge de prononcer par voie de disposition
générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises,
• l'article 4 précise que « le juge qui refusera de juger sous prétexte du silence, de
l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi pourra être poursuivi comme coupable de
déni de justice. » → Nécessairement, le juge sera amené à interpréter la loi.

→ L'unification du droit civil était réalisée.  

L’originalité du droit administratif


 
 

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