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contrôle de constitutionnalité

contrôle de conventionnalité (effet direct)

CE, 5 janvier 2005, Mlle Deprez et M. Baillard

Faits
Le 31 mars 2003, le premier ministre signa un décret en Conseil d'Etat relatif à la sécurité routière et modifiant
le code de procédure pénale et le code de la route (décret n° 2003-293). Ce décret fut publié au Journal officiel de
la République française le 1er avril 2003.
Procédure
Le 30 mai 2003, Mlle Deprez forma un recours pour excès de pouvoir à l'encontre des articles 1, 2, 3, 5 et 7 de
ce décret . M. Baillard fit de même le 2 juin 2003, quoique son recours ne visât que l'article 3 du décret n° 2003-
293.: Le Conseil d'Etat est saisi directement conformément à ce que prévoit l'article R. 311-1 du code de justice administrative
N.B.
: "Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort :
1° Des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ; (…)"
N.B. : Si M. Baillard n'est pas forclos, c'est parce que les délais de recours contentieux sont des délais francs (CE, 29 mai 1987,
Cne de Goult ). Ainsi, par application de l'article R. 421-1 du CJA ("Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être
saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la
publication de la décision attaquée..."), un recours pouvait être déposé devant la juridiction administrative à l'encontre du
décret n° 2003-293 sans être nécessairement déclaré irrecevable jusqu'au 2 avril 2003 (minuit).

Problème juridique
La légalité d'un acte administratif unilatéral peut être contestée en soulevant l'un des moyens de légalité
reconnus par la juridiction administrative. Or, parmi ceux-ci, l'erreur de droit semble le plus sérieux dans le cas du
décret n° 2003-293. Plus précisément, on peut envisager que ce décret ait méconnu, directement ou indirecte-
ment, non seulement des normes de valeur constitutionnelle (a), mais également des normes internationales (b).
(a) Le fait que ce soient les autorités détentrices du pouvoir réglementaire qui fixent la liste des infractions des
quatre premières classes pour lesquelles l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire
peut sembler méconnaître plusieurs normes de valeur constitutionnelle. La norme ayant prévu cette compétence
serait donc elle-même contraire à la Constitution. Or, il s'agit d'une norme de valeur législative (cf. l'article 529 du
code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de l'article 9 de la loi du 23 juin 1999) et plus précisément
encore d'une norme de valeur législative entrée en vigueur après les normes constitutionnelles concernées.
N.B. : Cette dernière précision permet d'écarter la possibilité d'une "abrogation implicite".
Dans une telle hypothèse, le contrôle de la conformité des normes contenues dans l'acte administratif aux
normes constitutionnelles devrait s'effectuer en trois temps : on contrôlerait d'abord la conformité de la norme
réglementaire à la norme législative, puis la constitutionnalité de la norme législative, avant d'inférer
l'inconstitutionnalité de la norme réglementaire (si cette dernière est conforme à la norme législative ; c'est le
mécanisme de l'exception d'illégalité) ou de vérifier directement la constitutionnalité de celle-ci (si elle n'est pas
conforme à la norme législative).
Reste à savoir si la juridiction administrative va accepter de contrôler la conformité d'une norme législative à
une norme constitutionnelle, ce qui semble en réalité très peu vraisembable si l'on considère l'obstination avec
laquelle elle s'est toujours refusée à opérer un tel contrôle.
(b) La difficulté n'est pas la même s'agissant des normes internationales que le décret attaqué est susceptible de
méconnaître. En effet, les juridictions ordinaires ont fini par accepter de contrôler tant la conventionnalité des
normes réglementaires que celle des normes législatives (donnant ainsi sa pleine effectivité à l'article 55 de la
Constitution du 4 octobre 1958) et l'on voit mal comment elles pourraient aujourd'hui revenir en arrière. Reste
que ce contrôle de conventionnalité connaît des limites tenant aux caractéristiques de la norme de référence ainsi
qu'à celles de l'instrument juridique qui la porte.
Ainsi, après avoir vérifié que l'instrument juridique international pertinent a bien été régulièrement signé,
ratifié (ou approuvé) et publié, le juge vérifiera que la norme qu'il porte est appliquée par la ou les autres parties
et enfin qu'elle est d' "effet direct". Or, cette dernière vérification (qui porte sur l' "opposabilité" de la norme
concernée) posait problème en l'espèce, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne créant bien
des droits et des obligations dans le chef d'individus, mais pas nécessairement de manière complète,
inconditionnelle et suffisamment précise (ainsi que l'exige la jurisprudence du Conseil d'Etat). Par ailleurs, on
pouvait se demander si la publication de la proclamation interinstitutionnelle contenant la Charte au JOCE série C
suffisait à rendre ce texte "opposable aux particuliers" au sens de l'article 3 du décret n° 53-192 du 14 mars 1953.
contrôle de constitutionnalité
contrôle de conventionnalité (effet direct)

CE, 5 janvier 2005, Mlle Deprez et M. Baillard

Solution
Le Conseil d'Etat rejeta finalement les requêtes de Mlle Deprez et de M. Baillard.

Portée
a) Si le fait que le Conseil d'Etat ait refusé, dans la présente espèce, de contrôler la conformité d'une norme
législative par rapport à une norme constitutionnelle antérieure n'ajoute rien à l'état du droit applicable,
l'explicitation des motifs de ce refus (remontant à l'arrêt Arrighi , rendu le 6 novembre 1936 par le Conseil d'Etat
réuni en Section) a retenu l'attention de la doctrine.
Après avoir rappelé qu'il était uniquement question ici de l'attitude du Conseil d'Etat lorsqu'il statue au
contentieux (i.e. lorsqu'il n'est pas dans l'exercice de ses attributions administratives [de conseil des autorités
exerçant le pouvoir réglementaire !]), l'arrêt laisse apparaître un considérant liminaire se trouvant à mi-chemin
entre l'effort pédagogique et l'effort de transparence, à l'instar de ceux que commet parfois le Conseil
constitutionnel... On nous assure alors que le contrôle de constitutionnalité de la loi a été confié par l'article 61 de
la Constitution du 4 octobre 1958 au Conseil constitutionnel, que ce contrôle "est susceptible de s'exercer après
le vote de la loi et avant sa promulgation" et surtout "qu'il ressort des débats tant du Comité consultatif
constitutionnel que du Conseil d'Etat lors de l'élaboration de la Constitution que les modalités ainsi adoptées
excluent un contrôle de constitutionnalité de la loi au stade de son application" (sous-entendu, par le Conseil
d'Etat et plus largement par toute juridiction ordinaire).
L'analyse exégétique permettrait donc de privilégier une lecture a contrario de ce fameux article 61 de la
Constitution : le contrôle de constitutionnalité des lois est possible avant leur promulgation et se trouve donc
exclu après celle-ci, la compétence pour exercer ce contrôle a été explicitement confiée au Conseil constitutionnel
et donc à aucune autre juridiction.
Après s'être demandé si par "débats […] lors de l'élaboration de la Constitution" la juridiction administrative
suprême a entendu désigner seulement les débats ayant précédé l'adoption, le 28 septembre 1958, de la
Constitution de la Ve République ou égalemenet ceux ayant précédé l'adoption des lois constitutionnelles ayant
depuis modifié ce texte, on pourra s'étonner de la conclusion à laquelle les juges du Palais-Royal semblent
aisément parvenir (cf. Paul Cassia, "Le renvoi préjudiciel en appréciation de constitutionnalité, une "question"
d'actualité", RFDA, 2008, p. 877 et s.).
On remarquera ensuite que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n'a pas mis fin, en dehors des droits
et libertés constitutionnels qui peuvent désormais être invoqués par les justiciables devant le juge ordinaire, à la
jurisprudence Arrighi . Certains auteurs s'en plaignent d'ailleurs, qui considèrent que "les questions de procédure
ou de compétence participent de la protection des droits des citoyens" (Bertrand de Lamy, "L'exception
d'inconstitutionnalité : une vieille idée neuve", in Drago (dir.), L'application de la Constitution par les cours
suprêmes , Dalloz, 2007, p. 139).
b) Le fait que le Conseil d'Etat ait accepté d'opérer un contrôle de conventionnalité de normes de valeur
législative et de normes de valeur réglementaire est également très banal. Mais là encore, les motifs méritent
l'attention : non seulement le Conseil d'Etat confirme que le contrôle de conventionnalité des normes juridiques
internes infraconstitutionnelles porte sur un conflit de normes juridiques (et donc pas sur une simple question de
succession de normes dans le temps), mais par l'emploi du terme "cependant" , le Conseil d'Etat reconnaît que ce
contrôle participe en réalité du contrôle de constitutionnalité (l'idée, c'est qu'une norme interne
infraconstitutionnelle qui serait incompatible avec une norme internationale serait du même coup contraire à
l'article 55 de la Constitution).
Quant à la question de savoir si les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
étaient ou non d'effet direct, elle fut résolue par le Conseil d'Etat en deux temps. En effet, pour écarter un tel
effet, la juridiction administrative suprême commence par relever que cette charte "est dépourvue en l'état
actuel du droit, de la force juridique qui s'attache à un traité une fois introduit dans l'ordre juridique interne" ,
avant d'ajouter qu'elle ne "figure [pas plus] au nombre des actes du droit communautaire dérivé susceptibles
d'être invoqués devant les juridictions nationales" . C'est donc le caractère conditionnel des dispositions de la
Charte qui a empêché les juges de leur reconnaître un effet direct. En d'autres termes, il est vraisemblable que
tant que le Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 ne sera pas entré en vigueur, la Charte ne relèvera pour
le Conseil d'Etat français que du droit déclaratoire (ce qui limite fortement ses effets juridiques dans l'ordre
juridique interne).
contrôle de constitutionnalité
contrôle de conventionnalité (effet direct)

CE, 5 janvier 2005, Mlle Deprez et M. Baillard

Textes appliqués :
Articles 55 et 61 de la Constitution
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne

Situation dans la jurisprudence :


CE Sect., 6 novembre 1936, Arrighi : sur le contrôle de la constitutionnalité des lois par les juridictions
administratives ( → théorie de la loi-écran).
CE Ass., 30 mai 1952, Dame Kirkwood : sur le contrôle de la conventionnalité des normes réglementaires.
CE, 20 octobre 1989, Nicolo : sur le contrôle de la conventionnalité des normes législatives "postérieures".
CE, 20 décembre 2000, Géniteau : "eu égard aux exigences inhérentes à la hiérarchie des normes telles qu'elles
découlent des dispositions de l'article 55 de la de la Constitution qui posent le principe de la supériorité des traités
sur la loi, le texte législatif invoqué par le requérant doit être écarté dans la mesure où il serait incompatible avec
un traité introduit dans l'ordre juridique interne ; que dans le cas du traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la
CEE et des traités ultérieurs [...], une telle incompatibilité peut se déduire non seulement du texte même des
traités introduits dans l'ordre interne, mais également d'actes de droit dérivé pris sur leur fondement et publiés
conformément au décret n° 53-192 du 14 mars 1953" .
CE, 7 juillet 2000, Fédération nationale des industries tutélaires : "l'entrée en vigueur d'un traité dans l'ordre
interne est subordonnée, conformément à l'article 55 de la Constitution, à sa publication" .
CE, 25 avr. 2003, S.N.P.H.A.R. : "Considérant, en premier lieu, que l'arrêté attaqué, qui détermine les modalités
du repos de sécurité prévu par l'article 30, du décret du 24 février 1984, ainsi que les obligations des praticiens
hospitaliers s'agissant des gardes, n'a pas pour objet de définir l'ensemble des obligations de service qui leur
incombent à titre individuel ; que, dès lors, sont inopérants les moyens tirés par les syndicats requérants, d'une
part, de ce que le décret du 24 février 1984, sur lequel il se fonde, méconnaîtrait les objectifs de la directive
93/104/CEE du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail,
notamment sa durée maximale, d'autre part, de ce que cet arrêté aurait dû définir la durée du temps de travail
des praticiens hospitaliers ; que doivent être en tout état de cause écartés, pour le même motif, les moyens tirés
de la méconnaissance de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la loi du 13 juin 1998,
relative à l'aménagement du temps de travail ;"
CJCE, 5 février 1963, Van Gend et Loos ; CJCE, 5 avril 1979, Ratti et CJCE, 19 janvier 1982, Ursula Becker : sur
l'effet direct des dispositions juridiques d'origine communautaire… du point de vue des juridictions
communautaires !
concl. R. Abraham sur CE Sect., 23 avril 1997, GISTI ; CE Ass., 8 mars 1985, Garcia-Henriquez et CE, 20 avril
1984, Ministre du Budget c/ Valton : sur l'appréciation par les juridictions administratives de l'effet direct des
normes internationales (au sens large).

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