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APPLICATION DE LA LOI DANS LE TEMPS

La résolution des conflits de lois dans le temps est soumise à des exigences
contradictoires (A. Marais, « Le temps, la loi et la jurisprudence : le bon, la brute et le
truand », in Au-delà des codes, Mélanges en l’honneur de M.-S. Payet, Dalloz, 2011, p.
384 ; adde, du même auteur, Introduction au droit, Vuibert, 5 éd., n° 202s., spéc. n° 207).
Le progrès du droit conduit à favoriser l’application de la loi nouvelle, censée être
meilleure que la loi ancienne : si une réforme est intervenue, c’est qu’elle était
opportune. 

Ce principe temporel est également justifié par le principe d’égalité des citoyens devant la
loi, qui commande une unité d’application de la législation. En même temps, la sécurité
juridique s’oppose à l’application dans le passé de la loi nouvelle : on ne peut remettre en
cause, rétroactivement, ce qui a été acquis sous l’empire de la loi ancienne, fût-ce au nom du
progrès du droit. Pour concilier ces différents objectifs, l’article 2 du Code civil interdit
depuis 1804 à la loi de rétroagir sur le passé et circonscrit son application à l’avenir. 

C’est ainsi que la jurisprudence applique, conformément à ce texte, ces deux principes


complémentaires que sont la non-rétroactivité de la loi nouvelle et son application
immédiate. Logiquement, la jurisprudence les met en œuvre de manière dualiste, distinguant
le passé et le futur : elle empêche l’application la loi nouvelle à des situations antérieures à
son entrée en vigueur, la réservant, « pour l’avenir » (C. civ., art. 2), à celles qui lui sont
postérieures.

Le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle


Justification : ce principe est fondé sur un concept plus large : la sécurité juridique, dont
découle l’interdiction de remettre des situations juridiques valablement constituées sous
l’empire de la loi ancienne.
Signification : En l’absence d’effet rétroactif, les conditions de validité passées et les effets
passés d’une situation juridique, légale ou contractuelle, sont soustraits à l’application de la
loi nouvelle.

■ La loi nouvelle n’a pas d’emprise sur les conditions de validité d’une situation
juridique légale ou contractuelle passée.

Cette règle connaît deux déclinaisons : 

·       D’une part, une situation que la loi proscrivait dans le passé ne pourra pas être
régularisée grâce à la loi nouvelle ; par exemple, un couple homosexuel qui s’est marié
en 2010 verra son mariage invalidé et la loi de 2013 ayant légalisé le mariage entre
personnes de même sexe n’aura pas pour effet de le valider ex post, en vertu du
principe de non-rétroactivité. 

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·       D’autre part, une situation qui s’était constituée conformément à la loi ancienne ne
pourra pas être invalidée par la loi nouvelle ; par exemple, si une loi était prise en
2022 pour supprimer celle de 2013 et restaurer l’interdiction du mariage homosexuel,
cette loi nouvelle n’aurait pas pour effet d’invalider les mariages homosexuels
célébrés entre 2013 et 2022, en vertu du principe de non-rétroactivité.

■ La loi nouvelle n’a pas d’emprise sur les effets passés d’une situation juridique légale
ou contractuelle.

Par exemple, un contrat de prêt stipulant un taux d’intérêt de 5% a été conclu en 2015 pour 5
ans. La perception des intérêts est un effet du contrat. Partant, si une loi nouvelle promulguée
en 2021 abaisse le seuil des taux d’intérêts des prêts à 3%, l’emprunteur ne pourra pas se
prévaloir de cette nouvelle loi pour obtenir la restitution des intérêts supérieurs à 3% versés
avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi, en vertu du principe de sa non-rétroactivité.

Exceptions : il existe trois (3) types de lois rétroactives :


·       les lois de validation, visant à régulariser, de manière rétroactive, des actes annulés
ou susceptibles de l’être par le juge ;
·       les lois interprétatives, visant à clarifier l’interprétation d’un texte antérieur ;
s’incorporant à la loi qu’elle interprète, la loi interprétative rétroagit, en principe, à la
date d’entrée en vigueur de la loi interprétée ;
·       les lois déclarées rétroactives par le législateur.

Le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle

Justification : complétant le précédent, ce principe se justifie par le double objectif d’assurer


le progrès du droit et l’unité de la législation.
Signification : la loi nouvelle saisit les situations à venir auxquelles elle s’applique dès la date
de son entrée en vigueur.

La loi nouvelle s’applique aux conditions de validité d’une situation juridique, légale ou
contractuelle, à venir.

Par exemple, une loi de 2013 a rendu valable le mariage entre personnes de même sexe. Les
couples homosexuels qui n’avaient pu se marier avant 2013 pourront valablement se marier
postérieurement à l’entrée en vigueur de cette date, en vertu de l’application immédiate de la
loi nouvelle.

La loi nouvelle s’applique aux effets à venir, non encore réalisés, des situations légales
antérieurement constituées.

Par exemple, si une loi supprime en 2022 l’obligation de fidélité entre époux, à partir de cette
date, les époux ne se devront plus, juridiquement, fidélité, en vertu de l’application immédiate
de la loi nouvelle.

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Exception : la survie de la loi ancienne aux effets futurs d’un contrat. Les effets futurs des
contrats conclus antérieurement à une loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser
postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions sous l’empire desquelles ils
ont été passés. 

Par exemple, un contrat de prêt est conclu en 2010 pour une durée de 10 ans. Il stipulait un
taux d’intérêt de 5%. En 2015, entre en vigueur une loi nouvelle qui proscrit de fixer un taux
supérieur à 3% : cette loi ne s’applique pas aux intérêts à percevoir entre 2015 et 2020 (effets
futurs du contrat), qui resteront fixés au taux de 5% sans être ramenés au nouveau taux de 3%.

NB : La loi nouvelle ne s’appliquera pas davantage aux effets passés du contrat en vertu du
principe de non-rétroactivité : les intérêts perçus à 5% entre 2010 et 2015 resteront acquis au
prêteur.

Dernière application jurisprudentielle


Au cœur d’une décision récente de la Cour de cassation étaient discutés ces deux principes
temporels d’application de la loi (Civ. 3e, 3 juin 2021, n° 20-12.353). 

En l’espèce, le 26 décembre 2013, une société avait acquis un immeuble au sein duquel un
couple de locataires résidait en vertu d’un bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989.
Le 6 juin 2014, la bailleresse avait conclu une convention avec l’État, en application de
l’article L. 351-2 du Code de la construction et de l’habitation, pour conférer à l’immeuble le
statut d’HLM. Les locataires ayant refusé de s’acquitter d’un supplément de loyer de
solidarité notifié courant 2015, la bailleresse les avait assignés en paiement, après qu’une loi
du 23 novembre 2018 soit venu modifier le régime applicable pour instaurer, au profit des
locataires titulaires d’un bail en cours de validité lors de la signature d’une convention avec
l’État par un organisme d’habitations à loyer modéré, une option leur permettant soit de
conserver leur ancien bail soit de conclure un nouveau bail conforme aux stipulations de la
convention.
Sa demande ayant été accueillie en appel, le couple de locataires forma un pourvoi en
cassation fondé à la fois sur le principe d’application immédiate de la loi nouvelle et sur
l’exception au principe de sa non-rétroactivité tirée du caractère interprétatif de la loi nouvelle
dont il demandait l’application : 
·       par un premier moyen, fondé sur la règle selon laquelle la loi nouvelle régit
immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant
son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, les demandeurs au pourvoi
contestaient le refus des juges du fond d’appliquer au litige la nouvelle loi de 2018,
qui exclut que les locataires titulaires d’un bail soumis à la loi du 6 juillet 1989,
repris par un organisme d’habitation à loyer modéré et n’ayant pas conclu un
nouveau bail, puissent se voir réclamer un supplément de loyer de solidarité ; ils
reprochaient en conséquence à la cour d’appel d’avoir refusé d’appliquer au litige la
loi nouvelle avant son entrée en vigueur, pour décider que la société bailleresse
pouvait leur réclamer un supplément de loyer de solidarité jusqu’au 25 novembre

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2018 (date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle), tout en relevant que la conclusion
d’un nouveau bail ne leur avait pas été proposée ;
·       par un second moyen, ils excipaient du caractère interprétatif du nouveau texte, en
ce qu’il restaure l’option du titulaire d’un bail d’habitation repris par un organisme
d’habitation à loyer modéré, entre le maintien de la soumission de son bail au régime
de la loi du 6 juillet 1989, exclusif du paiement d’un supplément de loyer de
solidarité, et la soumission du bail au régime du bail conventionné, impliquant un tel
paiement, option que la jurisprudence de la Cour de cassation avait paralysée.

De manière quelque peu maladroite, la Cour leur répond que la loi nouvelle, ne disposant que
pour l’avenir, ne peut modifier les effets légaux d’une situation juridique définitivement
réalisée lors de son entrée en vigueur. Pour la troisième chambre civile, l’impossibilité
d’appliquer la loi nouvelle au litige se justifie par le principe de son application immédiate,
alors qu’en réalité, cette impossibilité trouve sa cause dans le principe de non-rétroactivité de
la loi nouvelle. Il est à noter que ce n’est pas la première fois qu’une haute juridiction procède
par confusion entre ces deux principes distincts, quoique complémentaires (v. CE, ass., 24
mars 2006, KPMG, n° 288460). Quoi qu’il en soit, la loi nouvelle ne pouvait en l’espèce
s’appliquer aux effets passés et définitivement réalisés d’une situation juridique, en
l’occurrence contractuelle.
La Cour complète sa réponse en ajoutant qu’il résulte des termes de la loi du 23 novembre
2018 et des travaux parlementaires que cette disposition est dépourvue de caractère
interprétatif qui aurait pu justifier, par exception, son application rétroactive.

Elle approuve en conséquence la cour d’appel d’avoir exactement retenu que les dispositions
antérieures à la loi nouvelle s’appliquaient au logement occupé par les locataires dès la
signature de la convention du 6 juin 2014, de sorte que la bailleresse n’était pas tenue, comme
seule la loi nouvelle le prescrit, de leur proposer un nouveau bail. Et de juger que cette
juridiction a déduit à bon droit de ces motifs, dont il résultait que les effets légaux de cette
convention étaient définitivement acquis lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle du 23
novembre 2018, que la société bailleresse avait pu, conformément à la loi ancienne,
valablement notifier dès 2015 un supplément de loyer de solidarité à ses locataires, dont le
pourvoi est alors rejeté.

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