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Droit constitutionnel 2
a. La conception de Locke
Dans son Essai sur le gouvernement civil publié en 1916, John Locke développe l’idée de séparation des
pouvoirs en justification de la seconde révolution anglaise. Selon lui, il convient de distinguer trois pouvoirs
dans l’Etat :
- Le pouvoir législatif qui est le pouvoir suprême. Il est soumis à des limites dérivant des lois naturelles.
- Le pouvoir exécutif qui est subordonné car il exécute la volonté exprimée par le législateur. Mais cela
va plus loin que la simple exécution. Il évoque l’idée de « prérogative ».
- Enfin le pouvoir confédératif qui est relatif au droit de paix et de guerre, au droit de négociation. C’est
ce qui a trait aux relations internationales.
Ainsi, Locke suggère une idée de séparation des pouvoirs. Le législatif doit être séparé de l’exécutif pour éviter
les abus. Le législatif ne doit pas siéger en permanence pour n’être pas tenté de s’immiscer dans la marche de
l’exécutif. Ce qu’il faut quand même remarquer dans la pensée de Locke, c’est essentiellement la suprématie du
b. La conception de Montesquieu
Dans une des parties les plus célèbres de l’Esprit des lois publié en 1748, Montesquieu est amené à développer
l’idée de séparation des pouvoirs car il poursuit un but : exposer la situation légale garantissant un ordre
constitutionnel libre. Il constate que les régimes habituels se corrompent très vite. La monarchie se corrompt par
le despotisme, l’aristocratie par l’oligarchie et la démocratie par la démagogie. Aucun de ces régimes en effet
n’est libre par lui-même. Il faut donc trouver un équilibre. A cet effet, il écrit : « Lorsque dans la même personne,
ou dans le même corps, la puissance législative est réunie à la puissance exécutive, il n’y a point de liberté…
Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles ou du peuple exerçaient
les trois pouvoirs. Il faut que par la force des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
Il cherche ainsi à conjuguer les trois formes de gouvernement et à instaurer des contre-pouvoirs et sa théorie
repose fondamentalement sur une division des fonctions qui dans un Etat sont selon lui au nombre de trois :
-Faire la loi
-Appliquer la loi
-Trancher les conflits.
À partir de cette distinction des fonctions, Montesquieu attribue chaque fonction à un organe différent, à un «
pouvoir ». Il passe ainsi d’une distinction des fonctions à une distinction des pouvoirs.
La puissance législative doit émaner du peuple, mais ne doit pas être exercée directement par le peuple.
Montesquieu est favorable à un système bicaméral que la chambre des nobles et celle élue par le peuple puissent
se freiner l’une l’autre.
La puissance exécutrice doit être dans les mains d’un monarque. Il distingue la puissance exécutrice des choses
qui dépendent du droit des gens (droit international) ce qui rappellera le pouvoir confédératif de Locke, et celle
des choses qui dépendent du droit civil.
Enfin la puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent mais exercée par des personnalités
tirées du corps du peuple. La conséquence sera la nécessité d’une indépendance de la justice. En outre cela
entraînera la séparation des fonctions d’instruction, de poursuite, de jugement.
Montesquieu considère que puisque tout homme qui a du pouvoir est tenté d’en abuser. Il faut donc éviter cette
pente naturelle. Pour éviter qu’un homme n’ait trop de pouvoir, il faut diviser le pouvoir. Il faut faire en sorte
que chacun reste dans le cadre de sa fonction, que « le pouvoir arrête le pouvoir ».
Cette division des fonctions doit assurer un ordre constitutionnel libre. Ainsi pour la fonction législative,
l’autorité compétente pour faire la loi n’étant pas autorisée à l’appliquer, elle la fera nécessairement générale et
impersonnelle. Pour la fonction exécutive, l’autorité qui l’applique n’ayant pas qualité pour la faire, elle ne sera
pas tentée de fixer la règle au moment de son exécution ce qui serait le propre de l'arbitraire. Enfin pour l'autorité
juridictionnelle, l’autorité chargée de juger sera impartiale puisqu’elle statuera en vertu d’une loi qu’elle n’aura
pas faite et qu’elle ne pourra modifier.
Cependant, il convient de souligner que la théorie doit être minimisée sur un point, à savoir la place du pouvoir
judiciaire. Sans doute Montesquieu distingue-t-il trois pouvoirs, mais deux seulement sont essentiels selon lui.
« Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle. Il n’en reste que deux »
d’une part et législatif d’autre part). Mais la réalité est aujourd’hui tout autre, parce que le pouvoir juridictionnel
prend une place de plus en plus importante et s’affirme à la fois comme un troisième pouvoir et comme le
gardien de la séparation des pouvoirs.
Cette consécration du pouvoir juridictionnel comme pouvoir à part entière, égal aux autres, sera aussi
reproduite dans la pratique de la séparation des pouvoirs en Europe même si les théories de Locke et
Montesquieu y sont nées. En effet, dans la période contemporaine, les constitutions européennes consacrent
formellement l’existence d’un pouvoir judiciaire autonome. La Loi fondamentale allemande, en son article 20,
fait de l’organisation tripartite des pouvoirs, une composante majeure de l’ordre constitutionnel libéral et
démocratique. La Constitution espagnole ne qualifie de pouvoir que les trois branches à savoir l’exécutif, le
législatif et le judiciaire. La Constitution française quant à elle, parle « d’autorité judiciaire » et non de « pouvoir
judiciaire », mais la réalité laisse supposer qu’il s’agit d’un réel pouvoir. Ainsi, en Europe, avec la généralisation
du mécanisme de justice constitutionnelle, on assiste à l’affirmation d’un véritable pouvoir juridictionnel dans
un système marqué longtemps par une logique bipartite de la séparation des pouvoirs.
En Afrique, la consécration constitutionnelle d’un pouvoir juridictionnel, égal aux autres, ne fait pas de
doute. Selon l’article 88 de la constitution sénégalaise, « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir
législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par le Conseil constitutionnel, la Cour Suprême, la Cour des
comptes et les Cours et tribunaux ». L’expression pouvoir judiciaire, après les titres consacrés au pouvoir
exécutif et au pouvoir législatif, montre à suffisance la logique tripartite de la séparation des pouvoirs selon le
constituant sénégalais. L’article 125 de la Constitution béninoise reprend la même formulation que l’article 88
de la Constitution sénégalaise à la différence que la Constitution béninoise traite séparément de la Cour
constitutionnelle et du pouvoir judiciaire. Est-ce à dire que la Cour constitutionnelle ne fait pas partie du pouvoir
judiciaire et s’érige ainsi comme un quatrième pouvoir ? Nous ne le pensons pas car même si la Cour
constitutionnelle n’est pas citée à l’article 125 sur le pouvoir judiciaire, l’article 114 de la Constitution la définit
comme « la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle ». Ainsi, elle est une juridiction au même
titre que les autres et forment avec elles le pouvoir judiciaire. Sur la même lancée, l’article 165 de la Constitution
sud-africaine retient la logique tripartite de la séparation des pouvoirs avec un réel pouvoir judiciaire en ces
termes : « The judicial authority of the Republic is vested in the courts. (2) The courts are independent and
subject only to the Constitution and the law, which they must apply impartially and without fear, favour or
prejudice. (3) No person or organ of state may interfere with the functioning of the courts”.
Au-delà de la consécration formelle d’un troisième pouvoir judiciaire sur le même pied d’égalité que les
autres, on note que ce dernier pouvoir s’érige comme régulateur ou garant de la séparation des pouvoirs à travers
son activité jurisprudentielle
Cette logique a très tôt été perçue aux Etats Unis avec la position constante de la Cour Suprême sur la question
du respect de la séparation des pouvoirs. En effet, la Cour suprême a été fréquemment amené à jouer un rôle
régulateur en sanctionnant les empiètements d’un pouvoir sur l’autre. Dans l’arrêt Immigration and
Naturalization Service v. Chadha de 1983, la Cour déclare ainsi inconstitutionnelle la procédure de veto législatif
par laquelle le Congrès s’octroyait un pouvoir d’annulation des décisions prises par l’Exécutif, dans le cadre de
l’application des lois. De même, la Cour rappelle, dans une décision autorisant des poursuites civiles contre le
Président Clinton, que le principe de la séparation des pouvoirs ne permet pas au chef de l’Exécutif, tant dans
l’exercice de ses fonctions qu’à l’occasion d’actes strictement privés, de se situer au-dessus des lois (Affaire
Clinton v. Jones, 1997). La Cour n’hésite pas par ailleurs à sanctionner un éventuel empiètement du Congres
sur la sphère d’interprétation constitutionnelle du pouvoir judiciaire. Dans son arrêt City of Boerne v. Flores en
1997, elle invalide ainsi la loi sur la restauration de la liberté religieuse adoptée par le Congrès pour renforcer
la protection d’un droit fondamental qu’il jugeait insuffisamment garanti par les tribunaux.
Le principe de séparation des pouvoirs est un critère déterminant pour qualifier un régime politique.
C’est en fonction du degré de séparation des pouvoirs ou de son absence pure et simple que la classification des
régimes politiques est faite. Ainsi, lorsque la séparation des pouvoirs est souple, on parle de régime
parlementaire. Lorsqu’elle est rigide, on parle de régime présidentiel. Lorsque cependant elle est absente, on
parle de régime de concentration ou de confusion des pouvoirs qui peut se décliner sous deux formes : régime
présidentialiste et régime d’assemblée.
Le régime parlementaire est le mode de gouvernement le plus répandu dans le monde. Né en Angleterre, il
a pu s’étendre rapidement au reste de l’Europe ou il a pu s’adapter au contexte de chaque pays. Il fut facilement
mis en œuvre dans les dominions britanniques et réussir aussi dans les pays asiatiques comme l’Inde ou africains
comme l’Ile Maurice.
Selon Georges Burdeau, « le régime parlementaire est celui dans lequel la direction des affaires publiques
appartient au Parlement et au Chef de l’Etat par l’intermédiaire d’un cabinet responsable devant le Parlement ».
Afin de mieux comprendre ce régime spécifique, il conviendra d’analyser les différentes formes ou variantes de
régime parlementaire, d’en dresser les éléments caractéristiques avant d’aborder les expériences africaines.
Le régime parlementaire se caractérise principalement par deux éléments : c’est un système de collaboration
des pouvoirs et un système de moyens d’action réciproques.
L’idée de collaboration des pouvoirs justifie la qualification de régime de séparation souple des pouvoirs.
En effet, le régime parlementaire se définit par une sorte d’interdépendance entre les pouvoirs, notamment
exécutif et législatif. Cette interdépendance signifie tout simplement que l’exécutif a besoin du législatif pour
mener à bien sa fonction exécutive et le législatif a besoin de l’exécutif pour mener à bien sa fonction législative.
Il en est ainsi dans la procédure législative qui en principe relève de la fonction législative, c’est-à-dire celle de
faire les lois. L’exécutif y intervient activement en amont, en cours et en aval. En amont, l’Exécutif peut être à
l’initiative d’un projet de loi qu’il dépose au Parlement. Certes, il n’a pas le monopole de l’initiative législative,
mais la pratique montre que la plupart des lois proviennent de l’initiative de l’Exécutif. En cours de procédure
législative, l’Exécutif peut intervenir à travers son droit d’amendement, la maitrise de l’ordre du jour et la
possibilité d’imposer un vote bloqué. Ce dernier renvoie à la possibilité offerte par le gouvernement d’imposer
au Parlement de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte de loi en discussion, en ne retenant que
les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement. Cette procédure est prévue à l’article 82 de la
Constitution sénégalaise avant la révision du 4 mai 2019 supprimant le poste de premier ministre. Il convient
toutefois de noter que même après la suppression du poste de Premier ministre, cette disposition existe encore
dans le droit positif sénégalais, sauf que désormais elle est activée sur demande du Président de la République.
En aval, toute loi votée par le Parlement doit faire l’objet d’une promulgation par le Chef de l’Etat, sous peine
de ne pas entrer en vigueur. Inversement, le Parlement peut intervenir dans la fonction exécutive, en ce que,
c’est lui qui autorise l’utilisation des crédits nécessaires à l’exécution des politiques publiques et en ce qu’il
contrôle l’action du gouvernement à travers des questions orales et écrites ou par le biais des Commissions
parlementaires.
Cette collaboration caractéristique du régime parlementaire est complétée par l’existence de moyens d’action
réciproques traduisant ce que Montesquieu appelait « la faculté d’empêcher »
Le Parlement dispose de moyens d’action contre l’Exécutif. En effet, sur le plan institutionnel, le système
parlementaire suppose la consécration de la dualité de l’exécutif, c’est-à-dire la division de ce pouvoir entre un
Chef de l’Etat et un Chef de gouvernement (communément appelé Premier ministre). Cette figure d’un exécutif
à deux têtes est ce qu’on appelle le bicéphalisme. Le Chef de l’Etat est politiquement irresponsable devant le
Parlement, grâce au contreseing ministériel. Donc ce dernier ne peut pas juridiquement le contraindre. En aucun
cas, il ne peut donc y avoir de responsabilité politique du chef de l’État, celle-ci ne pouvant jouer qu’à travers
le gouvernement puisque celui-ci contresigne les actes du chef de l’État. Mais le gouvernement avec à sa tête le
Premier ministre est responsable devant le Parlement. Cette responsabilité politique du gouvernement devant le
Parlement est la marque du régime parlementaire. C’est d’ailleurs à juste titre que la Cour constitutionnelle du
Benin souligne que « le critère juridique essentiel du régime parlementaire est la responsabilité politique du
gouvernement devant le Parlement »1. La mise en œuvre de cette responsabilité politique passe principalement
par deux outils prévus par les constitutions instituant un régime parlementaire : d’une part, la question de
confiance et d’autre part, la motion de censure.
La question de confiance est une procédure par laquelle la responsabilité politique du gouvernement est
engagée sur initiative du Premier ministre. Elle était prévue par l’ancien article 86 de la Constitution du Sénégal,
abrogé lors de la dernière révision constitutionnelle du 4 mai 2019 supprimant le poste de premier ministre.
Selon cette disposition, « le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, décider de poser
la question de confiance sur un programme ou une déclaration de politique générale. Le vote sur la question de
confiance ne peut intervenir que deux jours francs après qu’elle a été posée ». Cette disposition qui n’est que la
reprise de l’article 49 alinéa 1 de la Constitution française permet au Premier ministre de mettre en jeu lui-même
la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. De façon simpliste, il présente devant l’hémicycle un
programme ou une déclaration de politique générale, et demande aux parlementaires de lui accorder par un vote
la confiance nécessaire dont il a besoin pour dérouler le programme ou la déclaration de politique générale. A
l’issu d’un vote à la majorité absolue, deux situations se posent : soit le vote est favorable, ce qui signifie que le
gouvernement bénéficie de la confiance du Parlement et peut donc confortablement dérouler sa politique ; soit
le vote est négatif, ce qui signifie que le gouvernement ne dispose pas de la confiance du Parlement et doit ainsi
démissionner collectivement. Il convient toutefois de préciser que le recours à la question de confiance n’est pas
une obligation pour le premier ministre, à chaque fois qu’il se présente devant le Parlement. L’usage du verbe
pouvoir et non devoir dans l’article 86 (abrogé) le justifie. Dans la Constitution française, les choses ne sont pas
aussi claires que ça au regard de la formulation de l’article 49 alinéa 1. Il est tout simplement dit que « le Premier
ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale, la responsabilité du
gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». L’absence du
verbe pouvoir a poussé certains commentateurs à y voir une obligation à chaque fois que le premier ministre
présente une déclaration de politique générale ou un programme. Mais la pratique montre qu’in n’en est rien et
que c’est au premier ministre de juger de l’opportunité de recourir ou non à ce procédé, tout en sachant qu’il
peut en sortir renforcé ou affaibli.
La motion de censure quant à elle, est une procédure d’engagement de la responsabilité du gouvernement
devant le Parlement, mais cette fois ci sur initiative du Parlement. On la retrouve à l’article 86 alinéa 3 de la
Constitution du Sénégal avant la révision du 4 mai 2019 et à l’article 49 alinéa 2 de la Constitution française.
Selon ces derniers, « l’Assemblée nationale peut provoquer la démission du gouvernement par le vote d’une
motion de censure ». La finalité de la motion de censure reste donc la même que la question de confiance : c’est
la mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement. C’est donc l’initiateur de la
procédure que les différencie. Par exemple, en 1962, lorsque la crise entre le Président Léopold Sédar Senghor
et Mamadou Dia a éclaté, l’Assemblée nationale a voté une motion de censure contre le gouvernement Dia,
conduisant à son renversement. Récemment, une motion de censure a été déposée par des députés de l’opposition
1
DC 06-074 DU 8 JUILLET 2006.
Dr. Abdou Khadre DIOP 8
Introduction au droit public
Droit constitutionnel 2
et jugée recevable par le bureau de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2012 contre le gouvernement Abdoul
Mbaye. Mais le vote n’a pas abouti au renversement du gouvernement, vu que la majorité absolue n’est pas
atteinte.
La question de confiance et la motion de censure sont ainsi deux armes juridiques permettant sans un régime
parlementaire de mettre en jeu la responsabilité politique du gouvernement. En fait, la logique du régime
parlementaire voudrait que le gouvernement soit en permanence investi de la légitimité et de la confiance des
députés, représentant le peuple. L’absence de confiance rend illégitime le gouvernement et doit conduire à sa
démission.
En contrepartie des moyens d’action du Parlement sur l’exécutif, ce dernier dispose d’une arme juridique
puissante contre le Parlement : le droit de dissolution. La dissolution renvoie à la possibilité pour le Chef de
l’Etat de mettre fin au mandat de l’assemblée nationale, entrainant de nouvelles élections. L’article 87 de la
Constitution sénégalaise, dans sa version avant la suppression du poste de Premier ministre, prévoyait : « le
Président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Premier ministre et celui du Président de
l’Assemblée nationale, prononcer par décret, la dissolution de l’Assemblée nationale ». La seule véritable limite
posée à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire du Président de la République, est ratione tempori. En effet, la
dissolution ne peut intervenir durant les deux premières années de législature. Il s’y ajoute que de nouvelles
élections doivent être organisées soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus après la date de
publication du décret de dissolution. Toutefois, avec la révision de 2019, le droit de dissolution est supprimé.
Dans les pays qui se réclament du régime parlementaire, ce droit de dissolution reste un élément fondamental
de stabilisation. En effet, dans la pratique, la dissolution reste une menace sérieuse qui plane sur la tête des
parlementaires lorsqu’ils s’aventurent à renverser le gouvernement via la motion de censure ou la question de
confiance. C’était en tout cas, la vision qu’en avait le Général de Gaulle lorsqu’il l’instituait avec la Constitution
de la Ve République. Aujourd’hui, toutefois, certains pays, notamment européens, encadrent l’exercice de ce
pouvoir. Par exemple, l’article 68 de LA Loi Fondamentale allemande permet le recours au droit de dissolution
que lorsque le gouvernement est renversé et que les membres du Bundestag n’arrivent pas à élire un autre
Chancelier. L’article 41 de la Constitution grecque pose plus de conditions. Il faut que deux gouvernements
aient été désapprouvés et que sa composition n’assure pas la stabilité.
Le régime parlementaire n’est pas en soi un régime uniforme. En effet, plusieurs formes principales
d’organisation du régime parlementaire sont à distinguer. Il convient de s’attacher notamment à la distinction
entre régime parlementaire moniste et régime parlementaire dualiste, avant d’envisager la forme moderne de
régime parlementaire rationnalisé.
L’histoire constitutionnelle révèle d’abord l’opposition entre régime parlementaire moniste et dualiste. Dans
le premier cas, le Chef de l’Etat ne détient pas de pouvoir autonome lui permettant de jouer un rôle politique.
Le gouvernement n’est donc responsable que devant le Parlement, expression prééminente du pouvoir,
conformément à la théorie classique du parlementarisme. Donc un régime parlementaire moniste est un régime
dans lequel le gouvernement n’est responsable que devant le Parlement. Il n’a pas à rendre compte au Chef de
l’Etat. Le régime parlementaire dualiste quant à lui est un régime dans lequel le gouvernement est responsable
à la fois devant le Parlement et devant le Chef de l’Etat. La responsabilité politique du gouvernement devant le
Parlement peut être mise en jeu par la voie de la motion de censure ou de la question de confiance comme nous
venons de le voir. Mais la responsabilité politique devant le Chef de l’Etat se caractérise par le pouvoir qu’à ce
dernier de nommer le Premier ministre et de le démettre de ses fonctions, de façon discrétionnaire. Ce système
dualiste est ce qu’on retrouve en France, en Belgique et au Sénégal jusqu’à récemment avant la révision
constitutionnelle de mars 2019.
La notion de régime parlementaire rationnalisé est venue pour faire écho à une distinction entre un régime
parlementaire classique et un régime parlementaire moderne dit rationnalisé. Le régime parlementaire
rationnalisé est donc celui qui vient corriger les instabilités connues sous les expériences de régimes
parlementaires français, allemands et italiens. Le régime parlementaire rationnalisé se traduit donc par un
encadrement des mécanismes d’engagement de la responsabilité du gouvernement afin d’éviter les abus, source
d’instabilité. Concrètement, par exemple, la motion de censure qui pouvait être votée à la majorité simple dans
un régime parlementaire classique, ne peut pas l’être dans un régime parlementaire rationnalisé qui exige la
majorité absolue. Egalement, dans les régimes parlementaires rationnalisés, il y a des limites temporelles ou
périodes dans lesquelles le Parlement ne peut renverser le gouvernement et le Chef de l’Etat ne peut dissoudre
le Parlement.
La rationalisation consiste donc en quelque sorte à limiter le jeu naturel des principaux éléments du
parlementarisme pour éviter les dérives du système et l’instabilité gouvernementale. Elle implique donc une
règlementation souvent complexe et sophistiquée des rapports entre gouvernement et Parlement. Par exemple,
la Constitution allemande instaure un mécanisme de rationalisation de l’usage de la motion de censure. En effet,
en son article 67, elle institue ce qu’on appelle communément une motion de censure constructive c’est-à-dire
que la Chambre qui vote une motion de censure doit immédiatement élire le successeur du chancelier déchu. En
d’autres termes, la motion de censure n’est pas une arme pour paralyser le système mais si le Parlement enlève
quelqu’un, il faudra qu’il propose à la majorité de ses membres que quelqu’un d’autre à la place.
En Afrique, au lendemain des indépendances, les premières constitutions ont naturellement opté pour un
régime parlementaire. Cela se justifie aisément par le fait que l’essentiel des pays colonisateurs ont eu pour
forme de gouvernement le régime parlementaire (France, Grande Bretagne, Espagne, Portugal). Ce fut le cas au
Sénégal avec une première expérience de courte durée de régime parlementaire de 1960 à 1962. En effet, la
Constitution du 26 aout 1960 met en place un exécutif bicéphale avec un Président de la République, chef de
l’Etat (Léopold Sédar Senghor) et un Président du Conseil, chef du gouvernement (Mamadou Dia), responsable
devant l’Assemblée nationale. Le Président du Conseil, étant l’autorité responsable devant le Parlement,
disposait de réel pouvoir. Ainsi, selon l’article 26 de la Constitution de 1960, le Président du Conseil détermine
et conduit la politique de la nation, dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la défense nationale,
dispose du pouvoir règlementaire, de l’administration et de la force armée. Selon l’article 26, il dispose du
pouvoir de contreseing des actes du Président de la République à l’exception de ceux qu’il accomplit en qualité
de gardien de la Constitution et dans l’exercice de ses pouvoirs d’arbitrage. Mais, une crise de leadership entre
les deux autorités de l’Exécutif conduira à la fin de cette brève expérience du parlementarisme. La rivalité entre
les deux hommes va conduire à des clans autour des deux leaders, tant au niveau du parti dominant qu’au niveau
de l’Assemblée nationale. Cela débouchera sur le vote d’une motion de censure par l’Assemblée nationale par
une majorité de députés soutenant le Président Senghor. Le Président du Conseil sera ainsi destitué et cette crise
entrainera un changement de régime dès 1963.
De même, après les Conférences nationales des années 90, marquant une ère de révolution démocratique
dans plusieurs pays africains, les constitutions de plusieurs Etats africains ont consacré les techniques du
parlementarisme dans leurs constitutions à savoir : exécutif bicéphale, motion de censure et question de
confiance, droit de dissolution, etc. Mais, à l’épreuve de la pratique, la mise en œuvre des mécanismes du
parlementarisme a produit des crises politiques. Il en est ainsi au Niger qui a connu une instabilité
gouvernementale et une cohabitation conflictuelle entre le Président Mahamane Ousmane et le Premier ministre
Hama Amadou, numéro 2 du parti majoritaire à l’Assemblée nationale. La cohabitation. C’est-à-dire le fait que
dans un régime parlementaire, le Chef de l’Etat et le Chef du gouvernement ne soit pas du même bord politique,
a installé le Niger dans une profonde crise institutionnelle et une instabilité gouvernementale. En effet, après le
renversement du gouvernement Souley Abdoulaye, 12 jours après sa formation le 28 septembre 1994, le
Président de la République refusa de nommer le Premier ministre proposé par la majorité parlementaire et
dissout le Parlement. Une nouvelle majorité parlementaire verra le jour après et imposant le Président de la
République à nommer comme Premier ministre Hama Amadou après la censure de Cissé Amadou qui n’avait
même pas fini par former son gouvernement. Au Madagascar, la Constitution du 18 septembre 1992 révisée le
17 septembre 1995, présentée comme représentant « le parlementarisme le plus respectueux des pouvoirs du
Parlement » va déboucher sur des conflits de compétences au sein de l’Exécutif entre le Président Albert Zafy
et le Premier ministre Francisque ravony entre 1994 et 1995. En 199, les conflits entre l’Assemblée nationale et
l’Exécutif ont conduit à l’adoption d’une motion de censure contre le gouvernement Rakotovahiny, suivie de la
destitution du Président Zafy. En effet, en raison du multipartisme intégral ayant abouti à l’émiettement de
l’Assemblée nationale, le Président Zafy ne jouissait d’aucune majorité parlementaire de soutien, ce qui l’a
fortement affaibli. Face à un Parlement fort qui finit par voter une résolution d’empêchement, la Haute cour
constitutionnelle déclara dans sa décision du 4 septembre 1996, l’empêchement définitif. Au Togo également,
une cohabitation difficile entre le Président Eyadema et le Premier ministre Kodjo conduira à une crise du
parlementarisme qui débouchera sur la démission du gouvernement Kodjo.
Toutes ces expériences montrent les difficultés pratiques de l’exercice du régime parlementaire dans les
Etats africains, ce que le Professeur Ismaila Madior Fall qualifie de « déconvenues de l’application du régime
parlementaire »2.
2
Ismaila Madior Fall, “La construction des régimes politiques en Afrique : insuccès et succès », Afrilex, Bordeaux.
Dr. Abdou Khadre DIOP 12
Introduction au droit public
Droit constitutionnel 2
A côté du régime parlementaire, qu’on qualifie de modèle européen, il y a le régime présidentiel qui nous
vient des Etats unis.
Selon Georges Burdeau, « le régime présidentiel est celui qui en assurant au maximum l’indépendance
des pouvoirs, réalise leur séparation la plus complète ». Il est né aux Etats unis vers la fin du 18e siècle et repose
sur l’idée d’une séparation stricte ou rigide des pouvoirs. Il s’agira d’analyser les éléments du régime présidentiel
avant d’aborder les expériences africaines en la matière.
La qualification de régime présidentiel est trompeuse. Ce n’est pas un régime dans lequel le Président
domine. Loin de là, c’est un régime de séparation stricte des pouvoirs mais qui connait des éléments de
collaboration ou d’équilibre des pouvoirs qui ne sont pas de même nature que le régime parlementaire. Ainsi le
principe reste l’absence de moyens d’action réciproques entre les pouvoirs (a) et l’exception l’existence de
mécanismes de collaboration ou de check and balance (b).
Le régime présidentiel implique une séparation dite « stricte ». Cela suppose d’abord une spécialisation
claire des compétences de chaque pouvoir. Chaque organe n’a qu’une seule fonction : le parlement élabore et
vote la loi. Il ne l’exécute pas. Il joue ce rôle pleinement. Il n’a pas de possibilité de déléguer le pouvoir législatif.
L’exécutif exécute la loi. Il ne participe pas à son élaboration. Il n’a même pas l’initiative législative (cependant
aux États-Unis, il l’obtient en 1921 en matière budgétaire). Le pouvoir juridictionnel juge, en interprétant le cas
échéant la Constitution. A la différence du régime parlementaire, le régime présidentiel ne prévoit pas
d’imbrication des compétences.
L’absence de collaboration se prolonge par une absence de moyens d’actions réciproques susceptibles
de remettre en cause l’existence de tel ou tel organe législatif ou exécutif. Il n’y a donc pas de place pour des
mécanismes de dissolution d’une chambre ou de mise en jeu de la responsabilité d’un organe exécutif. D’ailleurs
dans un régime présidentiel, le bicéphalisme n’y a pas sa place. L’exécutif est donc monocéphale puisqu’il n’est
pas nécessaire d’en détacher un organe responsable devant le Parlement. Aux Etats Unis, La Constitution confie
ainsi au Président la totalité du pouvoir exécutif. Mais dans le régime présidentiel, la séparation des pouvoirs
Dr. Abdou Khadre DIOP 13
Introduction au droit public
Droit constitutionnel 2
n’est jamais complément stricte. Même si aux Etats Unis, le Président ne peut dissoudre le Congrès et le Congrès
ne peut renverser l’Exécutif, des mécanismes de frein et contrepoids existent entre les deux pouvoirs, ce qu’on
appelle un système de check and balance.
L’esprit du régime présidentiel et celui du régime parlementaire se rejoignent dans le fait qu’il fait des
moyens d’action réciproques pour garantir l’équilibre. Une séparation des pouvoirs ne saurait donc jamais être
trop stricte. Il y a toujours des mécanismes de souplesse, même si ceux développés dans le régime présidentiel
sont différents de ceux étudiés dans le régime parlementaire. S’appuyant sur l’exemple typique du régime
présidentiel qui est celui des Etats-Unis, il convient de voir ainsi que le Président de la République dispose de
moyens d’action sur le Congrès.
Le pouvoir de blocage, quant à lui, se réfère au droit de veto législatif. Dans le régime présidentiel
américain, certes le Président n’a pas formellement un droit d’initiative législative (mais substantiellement il a
un droit d’influence législative), il dispose toutefois d’un droit de veto législatif qui lui permet de s’opposer à
l’entrée en vigueur d’une loi pourtant votée par le Congrès. Ce droit de veto législatif est prévu à l’article I,
Section VII de la Constitution américaine et constitue une pièce maitresse du système de freins et contrepoids
américain et renvoie à la « faculté d’empêcher » chère à Montesquieu. Alexander Hamilton et James Madison
soulignent même qu’une telle prérogative, frein salutaire aux débordements du législatif, constitue une garantie
indispensable de la séparation des pouvoirs. Le droit de veto est prévu à l’article 1 Section 7, clause 2 de la
Constitution américaine selon lequel « tout bill voté par les deux chambres doit être soumis pour signature au
Président »3. Ainsi, trois hypothèses se posent. La première hypothèse est que le Président signe le texte, qui
deviendra ainsi une loi. La deuxième est qu’il refuse expressément de signer le texte, ce qui revient à lui opposer
un veto (ce qu’on appelle veto simple). La troisième est ne pas agir du tout, ne rien dire notamment lorsque le
Congrès est sur le point de s’ajourner), ce qu’on appelle veto de poche ou Pocket veto). La première hypothèse
ne pose pas de problème particulier. La deuxième hypothèse montre que le droit de veto n’est pas absolu. Il est
seulement suspensif. En effet, l’article I de la Constitution prévoit un délai de 10 jours impartis au Président
pour renvoyer au Congrès les textes auxquels il entend opposer un veto. Cependant le Congrès peut renverser
ce veto si une majorité des deux tiers de chaque Chambre (Chambre des représentants et Senat) est réunie. Donc
le Congrès peut renverser le veto et faire entrer en vigueur la loi. C’est pourquoi on parle de veto suspensif et
non absolu. En plus d’être suspensif, le veto ne peut être que total et non sélectif ou partiel. Un veto sélectif est
un veto qui ne porte que sur quelques aspects du texte et non pas sur tout le texte. La Cour Suprême dans sa
décision Clinton v. New York du 25 juin 1998 a considéré que le droit de veto partiel ou sélectif est contraire à
la clause de l’article I section 7 de la Constitution qui ne permet au Président de renvoyer au Congres qu’un veto
sur le texte entier. La troisième hypothèse est une stratégie permettant au Président de ne pas entrer en conflit
avec le Congrès et de faire reprendre à zéro la procédure législative. En effet, le Président dispose d’un délai de
10 jours pour se prononcer : si la session du Capitole se termine dans cet intervalle et que le Président ne dit
rien, on estime qu’il n’a pas le temps de murir sa décision de sorte que le texte ne peut être considéré comme
valablement soumis pour signature. Littéralement on considère que le Président a gardé le veto dans sa poche et
ainsi le Congrès doit reprendre toute la procédure. L’usage du veto de poche se révèle particulièrement attractif
pour le Président puisqu’il n’a pas à motiver son refus qui n’est pas explicite mais implicite, et il évite un conflit
ouvert avec le Congrès tout en bloquant l’entrée en vigueur du texte de loi.
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Bill signifie loi.
Dr. Abdou Khadre DIOP 15