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INTRODUCTION GENERALE

SECTION I : DEFINITION ET OBJET DU DROIT CONSTITUTIONNEL

Le droit constitutionnel est l’une des branches


fondamentales du droit public1. Il peut être appréhendé à la fois
comme une science (§1) et comme un ensemble de normes (§2).

§ 1 : La science du droit constitutionnel

Le droit constitutionnel peut se définir comme la science


qui étudie l'ensemble des normes constitutionnelles. En tant que
telle, la science du droit constitutionnel est sous-tendue par
plusieurs approches marquées d’une part par les grands courants
qui traversent la science du droit en général, et d’autre part par
des approches institutionnelles, les unes empruntant à la
science politique, les autres au positivisme juridique.

A. Les grands courants de pensée de la science juridique

Les fondements et les finalités du droit font l’objet de


controverses doctrinales. Sur cette question, l’histoire des idées
est partagée entre deux courants aux multiples variantes, l’un
représenté par l’école du droit naturel, et l’autre représenté par
l’école du droit positif2. De la même façon, en droit

1
Le droit public peut être défini comme « l’ensemble des règles juridiques selon lesquelles l’Etat agit et entretient
des rapports avec les individus et les autres Etats ». Il s’oppose au droit privé, qui peut être défini comme
« l’ensemble des règles juridiques selon lesquelles les particuliers, individuellement ou en groupes, entretiennent des
rapports ». Trois critères essentiels permettent d’opérer la distinction entre le droit public et le droit privé : les
critères formel, organique et matériel. Le critère formel renvoie au procédé d’édiction des actes juridiques, et permet
de distinguer l’acte unilatéral émis par une personne publique de l’acte conventionnel qui résulte d’un accord de
volontés dans un cadre contractuel par exemple. Le critère organique, qui repose sur la qualité des personnes en
cause, permet de déterminer la nature des rapports juridiques (rapports de droit public ou rapports de droit privé).
Quant au critère matériel, qui renvoie au contenu de l’acte, il permet de distinguer l’intérêt général de l’intérêt
particulier. Voir Charles Debbasch et autres, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Economica, 1983,
p.8.
2
François Terré, Introduction générale au droit, 4e édition, Paris, Dalloz, 1998, p.157.

1
constitutionnel, certains auteurs se réclament de l’école du
droit naturel, cependant que d’autres se réclament du
positivisme juridique.

1. La conception jusnaturaliste du droit constitutionnel

Certains constitutionnalistes se réclament du courant jusnaturaliste.


Pour ces auteurs en effet, il existe un droit constitutionnel naturel, qui ne
serait pas l'émanation de la volonté générale des hommes, mais qui serait
immanent à la nature, issu d'une volonté divine, transcendantale ou
encore, issu de la raison. Le droit naturel préexisterait au droit positif et
se situerait au-dessus de lui. Selon ses partisans, le droit naturel serait
celui qui devrait déterminer quelle autorité est légitime pour poser le
droit positif et à quelles conditions ce droit est valide et obligatoire. Dans
son contenu, le droit naturel se confond avec l'idée de justice. Dans cette
optique, les hommes devraient produire un droit constitutionnel réalisant
la justice. Aussi, certains partisans du droit naturel estiment qu'un droit
qui contrevient à l'idée de justice n'est pas légitime, et il serait juste de lui
désobéir. L'approche jusnaturaliste de la science du droit constitutionnel
ne se limite donc pas à la description de ce droit tel qu'il se présente,
mais appréhende celui-ci tel qu'il devrait être. Dans le domaine politique,
une telle approche implique le questionnement suivant: quel est le
pouvoir légitime? Quelles sont les limites du pouvoir ? Quels sont les
droits naturels que ce pouvoir est tenu de respecter ? Etc. Sur le plan
proprement constitutionnel, l'approche jusnaturaliste se manifeste d'une
part par son adhésion à une définition matérielle de la Constitution, qui
met en exergue l'existence d'un droit constitutionnel par nature qui aurait
pour objet l'Etat, et d'autre part par l'idée qu'il existerait des formes
juridiques pures dont les institutions concrètes devraient se rapprocher.
Mais c'est surtout dans le domaine des droits de l’Homme que se
manifeste le plus l'approche jusnaturaliste, laquelle postule l'existence de
droits inhérents à la nature de l'Homme, et qui s'imposeraient aux

2
gouvernants, même s'ils ne sont pas inscrits dans un texte
constitutionnel1.

2. La conception positiviste du droit constitutionnel

Le positivisme juridique est une doctrine qui ne reconnaît


de valeur qu'aux règles du droit positif, c'est-à-dire à l'ensemble
des règles en vigueur posées par les autorités constitutionnelles
habilitées à le faire. Contrairement au jusnaturalisme, il
s'oppose à toute idée de droit naturel et rejette toute
métaphysique. Cette doctrine se caractérise par sa volonté de
construire une science du droit sur le modèle des sciences de la
nature, lesquelles consistent en une description du monde à
l'aide de propositions vérifiables2. Pour le positivisme, les thèses
du droit naturel qui se fondent sur l'idée de justice ne sont que
des jugements de valeur. Une véritable science du droit
s'efforcera au contraire d'être "pure", débarrassée de tout
jugement de valeur et aura à cœur de se borner à la description
de son objet.

Les critiques du courant positiviste font observer que cette


doctrine, en excluant toute idée de jugement de valeur,
pourrait très bien s'accommoder avec les systèmes juridiques des
régimes qui violent les droits humains. Ce à quoi les tenants de
la doctrine positiviste objectent en affirmant qu'une description
froide et objective d'un système juridique ne signifie pas qu'on
prend parti ou qu'il faut obéir ou désobéir à ce droit. De plus,
ajoutent-ils, le positivisme juridique n'interdit que les jugements
de valeur prononcés au nom de la science. En d'autres termes,
un jugement de valeur peut être émis d'un point de vue autre
que celui de la science, par exemple du point de vue moral,
éthique ou religieux. Mais il convient de séparer ces deux plans.

1
Georges Burdeau et autres, Droit constitutionnel, 25e édition, Paris, LGDJ, 1997, p. 35-36.
2
Ibid., p.36.

3
Pour le positivisme juridique, l'objet de la science du droit
est le droit positif qu'il faut décrire. Pour cette doctrine, une
véritable science du droit se compose de propositions qui
décrivent des normes. Ces propositions sont vraies lorsqu'elles
décrivent des normes qui existent, et fausses dans le cas
contraire. La science du droit constitutionnel ne se réduit pas
cependant à une « description plate » consistant à reproduire la
norme en l'énonçant différemment. Il faut, en effet, savoir que
les normes constitutionnelles ne sont pas toujours accessibles au
sens, et qu'il faut souvent, à l'aide de propositions de droit,
comprendre, expliciter, dégager leurs significations. En d’autres
termes, la science du droit constitutionnel, comme toute
science du droit, a pour objet spécifique la Constitution et pour
fonction l'énonciation de propositions de droit, qui doivent
décrire les normes constitutionnelles, les expliciter, les situer
d’un point de vue formel et matériel, dans le cadre du système
juridique auquel elles appartiennent.

B. Les approches institutionnelles

Les institutions sont, selon Emile Durkheim, « des


phénomènes sociaux, impersonnels et collectifs, présentant
permanence, continuité, stabilité »1. Le doyen Maurice Hauriou
en distingue deux variantes : les « institutions règles » et les
« institutions corps ». Autour de la notion d’institution se sont
développées diverses approches dites institutionnelles inspirées
de la science politique ou du positivisme juridique.

Compte tenu du fait que les programmes d’enseignement en


droit au Burkina Faso sont inspirés des programmes français, il
serait intéressant de retracer l’évolution de l’enseignement du
droit constitutionnel en France. Cet enseignement a connu trois
stades : il a d’abord été essentiellement institutionnel, ensuite

1
Cité par Jean-Louis Quermonne, L’appareil administratif de l’Etat, Paris, Le Seuil, 1991, p.20.

4
dilué dans la science politique avant de subir enfin une profonde
mutation.

1. Les approches politiques du droit constitutionnel

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, le droit constitutionnel


enseigné en France consistait en l’étude des institutions et des
pratiques parlementaires et gouvernementales. Après la guerre
émerge une science politique autonome du droit
1
constitutionnel . Ce qui a entraîné une rivalité entre les
politistes et les juristes publicistes, ainsi qu’un déclin de la
science du droit constitutionnel, considérée comme inapte à
décrire la réalité du pouvoir. Ainsi, Georges Burdeau pouvait
affirmer que "les régimes politiques ne peuvent plus être
identifiés par l'analyse de la constitution en vigueur dans le pays
où ils fonctionnent (...). Le vrai, - poursuit-il -, c'est que les
constitutions n'encadrent pas les manifestations de la vie
politique. Celle-ci se déroule en marge de leurs dispositions"2.
Dans le contexte des nouvelles institutions de la IVe république
française de 1958 marquées notamment par la
présidentialisation du pouvoir, le style autoritaire du Général de
Gaulle et l’abaissement du parlement et du judiciaire, la
Constitution semblait avoir perdu de son éclat. Ce qui a conduit
Georges Burdeau à « [constater] seulement que, ni dans les faits
ni dans les esprits, les constitutions n’occupent plus cette place
prépondérante qui était naguère la leur et qui correspondait à
1
A l’origine, la science politique française était un appendice du droit constitutionnel, et ce jusqu’au début du XXè
siècle. Ainsi, pour Léon Duguit fondateur de l'École de Bordeaux, "les phénomènes politiques sont ceux qui se
rapportent à l'origine et au fonctionnement de l'État: ce sont essentiellement des phénomènes juridiques... Cette
prétendue science politique n'est autre chose que le droit constitutionnel, c'est-à-dire une branche de la science
générale du droit" (Cité par P. Favre, Histoire de la science politique, in Madeleine Grawitz et Jean Leca, dir., Traité
de science politique, T.1, Paris, PUF, 1984, p.33). Pour sa part, Georges Burdeau dans son traité de science politique
publié en 1974 considérait la science politique comme un simple prolongement du droit constitutionnel. Pour lui,
"celle-ci est seulement une méthode pour une fructueuse étude du droit constitutionnel, un angle de vision élargi où
s'inscrivent les problèmes traditionnels du droit public" (Traité de science politique, T.1, Paris, LGDJ, 1949, p.7 et
s.). Mais la science politique, progressivement, réussit à s’émanciper et à affirmer son identité. En se distanciant du
droit, elle s’est rapprochée des sciences sociales au XIXè siècle.
2
Cité par François Bastien, Parler en politiste des institutions : Duverger revisité, in Pierre Favre et Jean-Baptiste
Legavre, dir., Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1998., p.151 et s.

5
leur signification juridique… [devenant ainsi des] figures de
survivance dans un milieu auquel elles sont impuissantes à
imposer leur loi »1. Un tel constat d’impuissance vaut pour
beaucoup d’Etats africains, en particulier pour le Burkina Faso,
même si on peut douter que les constitutions aient par le passé
réussi à s’ancrer dans les mœurs politiques, à en juger par la
fréquence des régimes non constitutionnels qui se sont succédés
dans ce pays.

Pour autant, les constitutions ne sont pas des instruments


juridiques superfétatoires. D’un point de vue politique, elles
servent d'abord et avant tout à réguler le jeu politique des
acteurs par des dispositions contraignantes et à consacrer les
valeurs jugées fondamentales par une société. Dans le même
sens, Maurice Duverger note que les institutions politiques et
constitutionnelles ne sont pas politiquement neutres. En effet,
elles « font l'objet d'une compétition permanente entre groupes
sociaux, d'une lutte constante dont elles sont à la fois les
moyens et les enjeux. Elles sont, le plus souvent, au moins en
partie, un moyen de dissimuler la domination de certains
groupes sur d'autres et de la faire accepter par les membres de
ces derniers"2. Marcel Merle ne dit pas autre chose lorsqu'il
affirme que les Constitutions "sont essentiellement des armes de
combat destinées à assurer à un moment précis et dans un but
donné le contrôle du pouvoir à telle ou telle équipe de
dirigeants représentant une fraction du pays". D'où selon lui, la
nécessité "pour pénétrer le secret d'une constitution (...), de
rechercher, au-delà des règles et des institutions, le jeu des
forces sociales qui ont provoqué la rupture d'équilibre et qui
servent de support au nouveau régime »3. La pertinence de cette
approche politique du droit constitutionnel réside dans le fait
1
Georges Burdeau cité par Didier Maus, Où en est le droit constitutionnel ? Mélanges en l’honneur de Frank
Moderne, Mouvement du droit public. Du droit administratif au droit constitutionnel. Du droit français aux autres
droits, Dalloz, 2004., p.702.
2
Maurice Duverger, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, PUF, 1959, 4è éd, volume 1, p.VII-VIII
3
Marcel Merle, La Vè République et sa Constitution. Note bibliographique, RFSP, 1960, 10 (1), p. 189-190

6
qu’elle permet « d'atteindre la réalité là où le droit
constitutionnel [classique], n'offre à l'examen que des principes
livresques ou des règles dépourvues de toute signification
concrète »1. Dans cette perspective, il convient, dans l’analyse,
de prendre en compte les différents aspects sociologiques,
philosophiques, psychologiques, historiques des institutions
constitutionnelles, qui se situent au-delà du droit mais ne
peuvent être ignorés sous peine de passer à côté du réel. Le
recours aux méthodes de la science politique vise à décrypter les
« constructions sociales » de la réalité juridique et politique
ainsi que les mystifications, à dévoiler les luttes concurrentielles
pour la conquête et la conservation du pouvoir. Il s’agit,
« derrière l’apparente objectivité des institutions, [de
reconstituer] les processus et les conflits sociaux qui ont permis
la construction de l’institution, sa définition, ses usages, sa mise
en scène »2. Cette démarche vise ainsi « à mettre au jour les
réalités sociales cachées derrière la fausse objectivité du jeu
institutionnel, …mieux saisir les ‘usages et genèses d’une
institution’ »3. C’est dans ce contexte d’ailleurs que les
programmes des études de droit ont été modifiés en France pour
instituer des cours de “droit constitutionnel et institutions
politiques”. L'adjonction de cette dimension institutionnelle
n’avait pas pour but de remplacer le cours de droit
constitutionnel par un cours de science politique, mais de le
compléter, de l’approfondir en empruntant à la science
politique un certain nombre de méthodes d’analyse telles que
l’analyse stratégique et l’analyse systémique4. Cependant, ce
compromis n’était guère satisfaisant et n’a guère enrayé le
déclin du droit constitutionnel jusqu’au début des années 80.
1
Ibid.
2
Christian Bidégaray, Parler en politiste des institutions : enseigner le droit politique de la gouverne, in Pierre Favre
et Jean-Baptiste Legavre, dir., Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1998, p.139.
3
Ibid.
4
La première consiste à éclairer les actions des pouvoirs publics en les concevant comme des conduites organisées
en vue de fins précises, et en fonction de conduites réelles ou probables des autres pouvoirs publics. Quant à
l’analyse systémique, elle envisage le pouvoir comme un ensemble d’éléments en interactions tels que la
modification d’un élément entraîne la modification de l’ensemble du système.

7
En effet, pendant les dix ou quinze premières années de la
e
V République française instituée par la Constitution d’octobre
1958, le droit constitutionnel français a été qualifié de « droit
sans juge et droit non juridique »1. La jurisprudence et le
système normatif étaient en particulier négligés par les auteurs
en raison non seulement de la « sacralisation » de la loi mais
aussi du refus des contre-poids à la souveraineté nationale dont
le parlement était dépositaire. La « sacralisation » de la loi
votée par le parlement avait plusieurs conséquences : la loi avait
vocation à couvrir tout le champ normatif, son domaine ne
pouvait être limité ni par la Constitution ni par le règlement, et
constituait la norme la plus élevée de l’ordre juridique dès lors
qu’elle était votée dans les conditions fixées par la Constitution.
S’agissant du refus des contre-poids à la souveraineté, le Conseil
d’Etat pouvait affirmer en 1936 que « dans l’état actuel du droit
public français, le moyen tiré de ce qu’une loi serait contraire
aux lois constitutionnelles n’est pas de nature à être discuté
devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux »2, alors qu’aux
Etats-Unis, l’arrêt Marbury vs. Madison de 1803 avait déjà posé
les bases d’un contrôle de constitutionnalité des lois.

En Afrique subsaharienne, le droit constitutionnel est resté,


dans une large mesure un « droit sans juge et non juridique »
selon l’expression précitée de Didier Mauss en raison, entre
autres, du manque d’indépendance des juges constitutionnels,
de la méconnaissance et des manipulations des règles
constitutionnelles et de la faible « juridicisation » de la vie
politique. Certes, une timide évolution est amorcée dans
certains pays africains comme le Bénin où le constitutionnalisme
connaît des progrès remarquables. Mais dans d’autres pays

1
Voir Didier Maus, Où en est le droit constitutionnel ? Mélanges en l’honneur de Frank Moderne, Mouvement du
droit public. Du droit administratif au droit constitutionnel. Du droit français aux autres droits, Dalloz, 2004, p.691-
741.
2
Voir l’arrêt Arrighi du 6 novembre 1936.

8
comme le Burkina Faso le contentieux constitutionnel demeure
extrêmement faible et le juge constitutionnel demeure prudent
lorsqu’il tente de sortir du carcan dans lequel l’a enfermé le
constituant.

2. Les approches inspirées du positivisme juridique

La faible emprise des règles constitutionnelles sur la vie


politique a conduit de nombreux auteurs à occulter les aspects
juridiques des phénomènes politiques et à négliger les systèmes
normatifs et de protection des droits fondamentaux. Les excès
des approches politologiques ont conduit à une prise de
conscience quant à la nécessité de repenser le droit
constitutionnel et de réhabiliter l’approche juridique. Ce,
d’autant plus que la matière a été renouvelée par différents
facteurs, au nombre desquels la désacralisation de la loi suite à
l’expérience douloureuse des régimes nazi et fascistes qui ont
fait de la loi un instrument d’oppression, l’expansion des
Constitutions et du constitutionnalisme suite à la décolonisation
du Tiers Monde, la diffusion internationale de l’idéologie des
droits de l’homme et l’émergence de la justice
constitutionnelle, et aujourd’hui, l’effondrement du bloc
soviétique, qui a consacré le triomphe du modèle occidental
d’organisation constitutionnel. Les mutations du droit
constitutionnel qui s’en sont suivies, notamment en Europe, se
manifestent notamment par la consécration de la notion d’Etat
de droit et la transformation de la notion de démocratie. L’Etat
de droit est devenu en effet une exigence avec la prise de
conscience que le législateur n’est pas infaillible et qu’il faut
mettre en place des mécanismes de protection des droits et
libertés à l’encontre des parlements, aux côtés de ceux déjà
existants à l’encontre des autorités exécutives. Quant à la
notion de démocratie, elle implique désormais de ne plus
accorder de blanc-seing aux gouvernants élus. Non seulement

9
ceux-ci doivent être élus de manière démocratique, mais aussi
rendre compte dans la période comprise entre deux élections.

Le renouveau du droit constitutionnel résulte surtout de


l’essor de la justice constitutionnelle. En France, un tel essor a
été rendu possible avec l’émancipation progressive du Conseil
constitutionnel, surtout après le départ du pouvoir du Général
de Gaulle. Les bases constitutionnelles des diverses branches du
droit ont ainsi été progressivement consacrées par l’abondante
jurisprudence du Conseil constitutionnel français, au point où
Louis Favoreu définit le droit constitutionnel comme le "droit de
la Constitution sanctionné par un juge"1 et comme « la matrice
de toutes les branches du droit »”2. La science du droit
constitutionnel se voit dans ce cadre assigné un nouveau rôle : la
description et le commentaire de la jurisprudence
constitutionnelle. Elle repose sur trois branches essentielles : les
institutions, les normes et les libertés3.

Comme on peut le constater, le droit constitutionnel repose


sur une hétérogénéité des approches qui sont, soit
institutionnelles, soit centrées sur les droits fondamentaux, la
jurisprudence ou la théorie de l’Etat. Si les approches politiques
ont perdu de leur influence, elles n’ont pas pour autant disparu
ou perdu de leur pertinence, pour appréhender par exemple les
constitutionnalismes africains.

C. Les apports réciproques de la science politique et du droit


constitutionnel

Comme le soutient Pierre Avril à la suite du doyen Georges


Vedel4, autant il serait absurde d’essayer de comprendre la
1
Voir Louis Favoreu, Le droit constitutionnel, droit de la constitution et constitution du droit, in Revue Française de
Droit Constitutionnel, 1990, n°1, p.71 et s.
2
Olivier Schrameck, Droit administratif et droit constitutionnel, in AJDA, 20, juin 1995, p.34.
3
Ibid.
4
Pierre Avril, Les conventions de la Constitution, Paris, PUF, Coll. Léviathan, 1997, p.13.

10
pratique d’un sport en se contentant de lire le règlement de la
fédération qui le régit, autant il serait difficile d’apprécier
convenablement le déroulement d’un match sans la
connaissance de ces règles. De même, sans une lecture des
règles constitutionnelles on ne peut non plus comprendre
certains comportements des acteurs du jeu politique. Tout
comme l'enseignement du droit administratif est inconcevable
sans la jurisprudence administrative, il est nécessaire d'intégrer
dans l'étude du droit constitutionnel la jurisprudence
constitutionnelle, à travers le commentaire des arrêts ou
décisions de la justice constitutionnelle. Celle-ci peut être
étudiée selon une approche comparative. Il serait par exemple
intéressant de confronter la justice et la jurisprudence
constitutionnelles du Bénin ou d’autres pays africains (Afrique du
Sud par exemple) avec celles du Burkina Faso. L’intégration dans
l’étude des dispositions à caractère constitutionnel et décisions
juridictionnelles des instances communautaires qui commencent
à se multiplier (Cour de justice de l’UEMOA, de la CEDEAO, Cour
africaine des droits de l’homme et des peuples) peut également
s’avérer heuristique.
Mais il serait absurde de vouloir comprendre la vie politique
d’un pays au travers seulement de sa Constitution et de sa
sanction par les juges constitutionnels, surtout si une telle
sanction paraît hypothétique sinon inexistante. Comme l’affirme
Pierre Avril, « le droit constitutionnel souffre d’hémiplégie s’il
s’isole de la science politique. Et réciproquement »1. Pour le
politiste, le droit constitutionnel est avant tout le produit d’une
société et d’une histoire données. Il porte non seulement sur des
règles mais aussi sur leur esprit et les usages qu’en font les
acteurs, pour paraphraser le Général de Gaulle qui, dans sa
conférence de presse du 31 janvier 1964, affirmait qu’une
constitution était à la fois "un esprit, des institutions, et une
pratique". Comme l’affirme Mirkine-Guetzevitch, « ceux qui ne

1
Ibid.

11
voient dans le constitutionnel que le juridique, mettent en
doute l’existence même de la science politique. Or, si la
méconnaissance de règles juridiques est certes dangereuse, non
moins dangereux sont les abus, les excès, la rigidité de ce qu’on
peut appeler le ‘monisme juridique’»1. Le droit constitutionnel
ne saurait donc se réduire à la jurisprudence constitutionnelle
qui, au demeurant, n’échappe pas à des calculs stratégiques de
la part des acteurs. Le constitutionnaliste ne peut par
conséquent se borner à exposer les règles constitutionnelles. Il
doit aussi s’intéresser à la pratique, la façon dont celles-ci sont
mises en œuvre2.

A la différence d’autres branches du droit, le droit


constitutionnel est encore largement un droit sans contrôle,
dans la mesure où les sanctions prévues ne sont pas toujours
appliquées ou toujours efficaces. Les acteurs politiques peuvent
en effet les mettre en échec en mobilisant l’opinion, en se
prévalant de leur légitimité politique, ou en décidant de ne pas
saisir le juge constitutionnel qui est, en général, un juge
d’attribution3. Même là où les juges constitutionnels sont dotés
des garanties statutaires d’indépendance, leur compétence est

1
Louis Favoreu et autres, p.20.
2
Ainsi, pour Christian Bidégaray, le droit constitutionnel doit s'appréhender comme « le droit politique de la
gouverne », c’est-à-dire un droit qui régit les rapports entre gouvernants et gouvernés (Christian Bidégaray, Parler en
politiste des institutions : enseigner le droit politique de la gouverne, in Pierre Favre et Jean-Baptiste Legavre, dir.,
Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1998, p.127 et ss). Ainsi défini, le droit constitutionnel implique
l'étude des pouvoirs constitutionnels (exécutif, législatif, juridictionnel, haute administration) à travers lesquels on
peut réfléchir aux effets de domination qui sont à la base de tout pouvoir, l'étude du mode de gouvernement de la
société à travers la question des difficultés et de l'efficacité du pilotage qui sont des questions au cœur de la
problématique de la gouvernance. Les régimes constitutionnels modernes, ainsi que le suggère Jean-Louis
Quermonne dans son manuel intitulé "Le gouvernement de la France sous la Vè République", peuvent s’appréhender
à travers la thématique du constitutionnalisme et de l’Etat de droit, de la séparation des pouvoirs et de l’émergence
de contre-pouvoirs, du principe majoritaire et des modes de gouvernement, des modes de scrutin et de la démocratie
élective, de la société civile, des partis politiques, des systèmes de partis, des tempéraments politiques droite/gauche,
de l’Etat et de l’administration publique.
3
Ainsi, au Burkina Faso le contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires n’est pas obligatoire mais seulement
facultatif, et le juge constitutionnel ne peut être saisi que par le Président du Faso, le premier ministre et le président
de l’Assemblée nationale, tous trois issus du même parti politique, et un cinquième des députés. Or, aucun parti
politique de l’opposition ne dispose de suffisamment de députés pour saisir le juge constitutionnel. Compte tenu des
divisions internes de l’opposition, une saisine conjointe demeure hypothétique. Le résultat est que la quasi-totalité
des lois ordinaires votées au Burkina Faso échappe en pratique au contrôle du juge constitutionnel.

12
souvent trop encadrée pour leur permettre de connaître de
toutes les atteintes à la Constitution. Qui plus est, le contexte
autoritaire dans lequel ils sont appelés à statuer les empêche
souvent de développer une jurisprudence audacieuse qui
pourrait leur coûter soit leur poste, soit leur vie. Ainsi, le droit
constitutionnel apparaît comme « un droit de la lettre », dans la
mesure où le juge ne contrôle pas l’esprit dans lequel la
constitution a été établie. Aussi les acteurs du jeu politique se
servent-ils des mécanismes et procédures constitutionnels
comme autant d’instruments dans leur lutte pour la conquête ou
la conservation du pouvoir. Ce qui fait dire que le droit
constitutionnel est un droit politique, qui « met à la disposition
des acteurs du jeu politique un arsenal de règles et de
procédures dans lequel chacun puise les instruments – on
pourrait dire les armes - aptes à renforcer sa position, à
‘marquer des points’, si possible, à faire triompher ses idées et
sa politique »1. Cependant, le droit constitutionnel ne saurait se
réduire à un ensemble de règles sans âme, sans signification
autre qu’instrumentale, surtout dans un régime politique qui se
veut démocratique. Dans un tel contexte en effet, les
gouvernants ne sauraient se prévaloir de leur légitimité politique
et de la confiance d’une majorité qualifiée de députés pour
instaurer une dictature au moyen de la loi : « si les règles sont
bien des instruments, ceux-ci ne peuvent être dissociés de leurs
fins. Le détournement des procédures n’est peut-être pas
contrôlé en droit constitutionnel ; il existe cependant. Les
progrès de l’Etat de droit doivent faire du respect de l’esprit et
des finalités du texte constitutionnel une exigence morale dont
le suffrage universel sera la sanction »2. Encore que le suffrage
universel peut lui-même faire l’objet de manipulations surtout
lorsque la majorité des électeurs est analphabète. C’est au nom
de cette conception purement instrumentale de la constitution
que de nombreux gouvernants africains manipulent les
1
Philippe Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, 12e édition, Paris, LGDJ, 2000, p.11
2
Ibid., p.13.

13
procédures constitutionnelles et règles électorales pour se
maintenir au pouvoir. Seule une approche débarrassée du carcan
du positivisme strict permettra aux juges constitutionnels de
poser des garde-fous à des régimes constitutionnels autoritaires.

En définitive, la science du droit constitutionnel et la


science politique demeurent complémentaires. Les institutions
politiques comportent une dimension juridique qu’on ne saurait
nier et le droit constitutionnel ne saurait être envisagé sans une
prise en compte de sa dimension institutionnelle et politique1.
Plaidant pour cette interdisciplinarité, Jacques Chevallier
suggère de renouer avec la tradition de Duguit et d’Hauriou au
début du XXe siècle. Ces grands maîtres du droit public français
ont construit une science du droit en intégrant certains acquis
de la sociologie naissante. Un tel effort doit aujourd’hui être
consenti entre la science du droit constitutionnel et la science
politique. C’est même un impératif didactique car la séparation
entre les deux disciplines déboucherait sur « la coexistence d’un
enseignement de pure technique juridique, ‘sans âme et sans
racines’ faisant l’impasse sur les enjeux politiques sous-jacents
aux règles constitutionnelles, et d’un enseignement centré sur le
jeu des forces politiques sans référence aux règles qui
l’encadrent ; une telle césure… est radicalement contraire à la
réalité politique, où règles et pratiques sont indissociables et en
rapport d’adhérence mutuelle »2

§ 2 : Le droit constitutionnel : un ensemble de normes


constitutionnelles

1
La juridicité des institutions politiques s’explique par le fait que le droit est inhérent à l’institution. Les institutions,
comme l’a montré le doyen Hauriou, naissent, vivent et meurent juridiquement. Il en va de même des institutions
politiques, même si leur degré de juridicité est variable. Le droit lui-même peut être considéré comme une
« institution inerte ». En tant que « force instituée », il doit être mis en relation avec les « forces instituantes ». Dans
cette optique, les règles constitutionnelles doivent être appréhendées comme le produit d’un rapport de force appelé à
évoluer au gré des équilibres politiques. Jacques Chevallier, Droit constitutionnel et institutions politiques : les
mésaventures d’un couple fusionnel, in Mélanges Pierre Avril, La République, Montchrestien, 2001, p.195.
2
Ibid., p.199.

14
Le droit constitutionnel n’est pas seulement une science
juridique traversée par plusieurs courants de pensée. C’est aussi
un ensemble de normes constitutionnelles. Les normes étudiées
en droit constitutionnel sont ainsi qualifiées parce que
consacrées par la constitution, une notion susceptible d’être
définie au sens matériel ou au sens formel.

A. L’approche matérielle du droit constitutionnel

La Constitution au sens matériel « a un sens de contenu ou


de fond et désigne un ensemble de normes qui régissent
l’organisation et le fonctionnement des institutions politiques, la
distribution du pouvoir dans l’Etat et qui dans beaucoup de cas
garantissent aussi les droits et libertés fondamentales de la
personne »1. Au sens matériel, le droit constitutionnel peut donc
être défini par son objet, à savoir l'Etat. L'Etat moderne est en
effet apparu avec l'émergence au XVIIIe siècle du mouvement
constitutionaliste. Ce mouvement avait pour ambition de
défendre la liberté et de limiter les nuisances du pouvoir
politique au moyen de principes et de règles d'organisation et de
fonctionnement du pouvoir codifiés dans un texte dénommé
"Constitution". Il est donc logique que la Constitution et la
science juridique qui porte sur elle aient pour objet l'Etat et les
limites de son pouvoir. Dans ce sens, la Constitution pourrait
être définie, au sens matériel, comme l'ensemble des règles
relatives à l'organisation et au fonctionnement du pouvoir d'Etat.
Mais le droit constitutionnel a connu depuis le XVIIIe siècle
une évolution considérable. Il n'a plus seulement pour objet de
régir l'organisation et le fonctionnement de l'Etat et pour finalité
la limitation du pouvoir d'Etat. Il concerne aussi des domaines de

1
François Chevrette et Herbert Marx, Droit constitutionnel, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal,
1982, p.16 et s.

15
plus en plus divers et variés qui ne sont pas nécessairement liés
à l’exercice du pouvoir d’Etat1.

B. L’approche formelle du droit constitutionnel

Au sens formel, la Constitution est la loi fondamentale,


c’est-à-dire une norme dont la valeur juridique est supérieure à
celle de toute autre norme juridique. Il existe en effet dans
toute société démocratique moderne un ordre ou un système
juridique composé d’un ensemble de normes en interaction, qui
forment entre elles une hiérarchie. Au sommet de cette
hiérarchie des normes se trouve une norme fondamentale, la
Constitution ou Loi fondamentale. Il existe ainsi certaines règles
de droit ayant une autorité supérieure à celle des autres normes
juridiques, y compris les lois ordinaires. Ces règles
constitutionnelles en raison de leur autorité supralégislative
forment ce qu’on appelle la « constitution formelle ». Elles
comprennent également la jurisprudence constitutionnelle,
c’est-à-dire les décisions par lesquelles les juges constitutionnels
appliquent et interprètent la Constitution formelle. Dans cette
optique, on peut définir le droit constitutionnel, d’un point de
vue formel, comme « l'ensemble des normes qui ont une valeur
supérieure à celle des autres normes, qui peuvent servir de
fondement de validité à d'autres normes et qui, elles-mêmes, ne
sont fondées sur aucune norme juridique »2.

En rapprochant les définitions matérielle et formelle du droit


constitutionnel, on pourra constater qu’elles ne coïncident pas
toujours. Ainsi, la Grande Bretagne, qui ne possède presque pas
de Constitution formelle, est essentiellement régie par une
Constitution matérielle, qui a la même valeur juridique qu’une
loi ordinaire. Dans ce pays, ce qui tient lieu de « Constitution »
1
Ainsi, le constituant pourrait constitutionnaliser toute disposition relative à n’importe quel objet en vue de lui
garantir une protection plus efficace que celle que pourrait lui offrir la loi.
2
Georges Burdeau et autres, p.33.

16
est donc révisé selon les procédés d’adoption d’une loi
ordinaire. A l’inverse, une norme peut être constitutionnelle
formellement sans l'être matériellement. Il n’existe pas
d’exemple précis en droit constitutionnel burkinabè. Mais il faut
rappeler qu’en France, la Caisse autonome d’amortissement a
été constitutionalisée en 1926 afin de rassurer les épargnants et
qu’en Suisse, la Constitution interdisait l'abattage des animaux
selon le rite juif1. Dans les deux cas, des matières qui n’ont
aucun lien direct avec l’exercice du pouvoir politique ou le
fonctionnement de l’Etat se retrouvaient dans le texte
constitutionnel, devenant ainsi des matières constitutionnelles
d’un point de vue formel. C’est dans ce sens que Montané de la
Roque pouvait affirmer : « il n’existe pas en soi un objet
constitutionnel. N’importe quoi peut faire partie de la
Constitution si le pouvoir constituant le veut »2. A l’inverse,
certaines matières constitutionnelles par nature (si l’on
considère leur objet) peuvent ne pas se retrouver dans la
Constitution formelle si telle est la volonté du constituant. Ainsi,
dans les traditions juridiques française et africaine de succession
française, les systèmes électoraux, une bonne partie du régime
juridique des partis politiques et du financement de la vie
politique ne sont pas régis par la Constitution formelle mais par
des lois ordinaires. De telles matières peuvent être pourtant
considérées comme constitutionnelles du point de vue matériel.

La définition formelle de la Constitution est l’approche qui


est la plus répandue dans les Etats modernes, dans la mesure où
elle permet une meilleure protection des matières
constitutionnalisées telles que les droits fondamentaux. Celles-ci
se trouvent ainsi garanties à travers des normes formellement
constitutionnelles contre des atteintes ou des modifications
intempestives susceptibles de les remettre en cause. Cette
1
Avant l’abrogation de cette disposition, il était en effet interdit de procéder à l’abattage du bétail non préalablement
étourdi.
2
Cité par Dominique Turpin, p.111.

17
tendance a entraîné une extension du champ matériel du droit
constitutionnel. Celui-ci comprend désormais de nombreuses
matières régies et protégées au moins en partie par des normes
formellement constitutionnelles et dont la suprématie est
garantie par le contrôle de constitutionnalité opéré par des
juges constitutionnels.

SECTION II : LES SOURCES DU DROIT CONSTITUTIONNEL

La question des sources est fondamentale en droit


constitutionnel. Car, comme le rappellent Henri Brun et Guy
Tremblay, « la connaissance des sources du droit et de leur
autorité est la clef de la solution de la plupart des problèmes
juridiques »1. Le droit constitutionnel s’exprime à travers
différentes sources, à savoir la Constitution, les lois (au sens
matériel), la jurisprudence, les coutumes, les conventions de la
Constitution et la doctrine. Il s’agira ici de décrire et d’analyser
brièvement les sources historiques et formelles du droit
constitutionnel burkinabè.

§ 1 : Les sources historiques du droit constitutionnel burkinabè

Le constitutionnalisme burkinabè est le résultat d’une triple


histoire qui a cumulé ses apports :
l’histoire précoloniale qui a légué au Burkina Faso
contemporain des institutions politiques traditionnelles
souvent méconnues ou ignorées, mais qui continuent
d’imprégner les modes de gouvernance contemporains ;
l’histoire coloniale écrite par la France ;
l’histoire post-coloniale en cours d’écriture depuis
l’indépendance du pays en 1960.

1
Henri Brun et Guy Tremblay, Droit constitutionnel, Québec, Editions Yvon Blais, 2002, p.9.

18
Toutes ces périodes historiques n’ont pas la même
influence sur le droit constitutionnel formel du Burkina Faso. Il
n’en demeure pas moins qu’elles restent présentes dans
l’exercice même de l’autorité publique, en dépit du discours du
droit positif.

L’un des acquis de l’anthropologie politique c’est que


toutes les sociétés produisent du politique même si elles ne
disposent pas toutes d’institutions étatiques. Ainsi, avant leur
mise en dépendance fin XIXè début XXè siècles, les sociétés
voltaïques disposaient de leurs propres institutions politiques
qui, selon Claudette Savonnet-Guyot, recouvraient trois formes
distinctes: les institutions politiques lignagères, villageoises et
étatiques. A l'Ouest et au Sud-Ouest du pays, on trouve en effet
une mosaïque de sociétés non étatiques dans lesquelles le
politique est organisé à l'intérieur des lignages ou des villages;
cependant qu'à l'Est, au Centre et au Nord, on trouve des
sociétés étatiques, dont notamment le bloc moaga. A l’instar
des autres communautés humaines, les sociétés locales
produisaient elles aussi du droit (« ubi societas, ibi jus »), qui
prenait généralement la forme de coutumes, auxquelles on peut
ajouter dans certaines sociétés le droit coranique.

A la fin du XIX è siècle, la France, puissance coloniale, se


lance à la conquête territoriale de l'espace voltaïque. Sur le plan
politico-administratif, elle met en place une administration
coloniale centralisée, qui va instrumentaliser les chefferies
locales, et créer de toutes pièces des chefferies dans les
sociétés où ces structures n'existaient pas, pour en faire des
auxiliaires de l'administration. Le 1er mars 1919, un décret est
adopté portant création de la colonie de Haute Volta. Celle-ci
connaîtra quelques avatars liés à la crise économique des années
30 et à son incapacité à générer suffisamment de ressources
pour son propre financement. Cette situation va conduire au

19
démantèlement de la colonie par le décret du 5 septembre 1932.
Le pays sera écartelé entre les colonies voisines (Soudan
français, Niger, Côte d'Ivoire) et sera transformé en réservoir de
main-d’œuvre. L'essentiel des infrastructures est démantelé, et
une grande partie du personnel administratif est affectée dans
les colonies voisines. Une telle situation va plonger le territoire
dans une profonde léthargie et s'avèrera un lourd handicap pour
le développement économique et social du territoire lorsque
celui-ci accèdera à l'indépendance.

Sur le plan juridique la colonisation a entraîné au Burkina


Faso comme ailleurs en Afrique francophone l’émergence d’un
dualisme juridique, c’est-à-dire la juxtaposition de deux ordres
juridiques distincts, l’un calqué sur le droit métropolitain,
l’autre s’articulant autour des coutumes ancestrales et/du droit
coranique. Conscient de l’impossibilité d’assimiler
complètement les populations locales, la France va se résoudre
en effet à reconnaître à celles-ci la possibilité de continuer à se
référer au « droit traditionnel » pour certaines matières, tout en
garantissant la suprématie du « droit moderne ». La
reconnaissance du fait juridique coutumier ne concernait en
effet que la seule sphère domestique, notamment les rapports
familiaux dans leurs aspects personnel et patrimonial, et les
rapports fonciers. Quant aux questions de gouvernance,
d’organisation politique, administrative et judiciaire, fiscales et
pénales, elles relevaient de la compétence exclusive du droit
étatique. Il faut ajouter à cela que le dualisme faisait coexister
pour les matières réservées, les droits traditionnels et le droit
colonial, qui ne se confondait pas nécessairement au droit
métropolitain. La limitation de la compétence normative des
droits traditionnels s’est en outre accompagnée d’une
étatisation de la justice traditionnelle. Les modes traditionnels
de rendre la justice ont ainsi été remplacés par des juridictions
chargées de rendre la justice en matière coutumière, et

20
présidées par un fonctionnaire entouré d’assesseurs coutumiers
choisis parmi les notables coutumiers. Ces tribunaux étaient
soumis au contrôle du gouverneur et du procureur général. Ces
tribunaux étaient organisés en premier, deuxième degré et en
tribunaux d’appel, rappelant ainsi la structure hiérarchique de
l’appareil judiciaire de l’Etat. L’ordre juridique colonial reposait
donc sur un droit en partie dérogatoire, sur l’inégalité et
l’arbitraire. Jusqu’en 1946, affirme Etienne Le Roy, le droit
applicable dans les territoires coloniaux français ne reposait pas
sur la loi votée par le parlement français, mais sur un décret
présidentiel pris sur proposition du ministre en charge des
colonies1. De plus, les populations locales étaient soumises au
code de l’indigénat, qui conférait aux autorités administratives
le pouvoir de « frapper les sujets de sanction pénale sans avoir à
en justifier devant une autorité judiciaire »2.

A la fin de la seconde guerre mondiale, le mouvement


nationaliste prend de l'essor. Pour faire barrage au
Rassemblement Démocratique Africain (parti anti-colonialiste
implanté dans les territoires français) alors affilié au parti
communiste français et solidement implanté en Côte d’Ivoire, et
pour accéder aux demandes pressantes des élites voltaïques
naissantes et des chefferies moaga, la France décide de
reconstituer le territoire voltaïque en 1947 dans ses limites
antérieures. La Haute Volta évolue par la suite, avec les autres
colonies françaises de l'Afrique occidentale dans le cadre de
l'Union Française de 1946 et de la loi cadre de 1956, et enfin de
la Communauté française en 1958. Le 28 septembre 1958, la
Constitution de la Ve république française est approuvée en
Haute Volta par 99% des suffrages exprimés. Le 17 octobre de la
même année, le Moro-Naba Kougri tente, sans succès, de faire
instituer une monarchie constitutionnelle. Le 11 décembre 1958,
1
Les usages politiques du droit, in Christian Coulon et Denis-Constant Martin, Les Afriques politiques, Paris, La
Découverte, 1991, p.112.
2
Ibid.

21
la République est proclamée, la Haute-Volta devenant Etat
membre de la communauté. Quelques mois plus tard, des
accords de transfert des compétences communes de la
communauté sont signés entre la France et le pays, le 11 juillet
1960, avant la proclamation de l’indépendance de la république
de Haute Volta le 5 août de la même année par Maurice
Yaméogo, qui venait de succéder au « père de l’indépendance »,
Ouezzin Coulibaly, décédé deux ans plus tôt.

Avec l’indépendance, le Burkina Faso, à l’instar des autres


nouveaux Etats va assurer la continuité du système juridique
hérité de la colonisation, tout en adoptant de nouvelles
politiques juridiques pour répondre à de nouveaux problèmes
juridiques ou modifier certaines lois coloniales. Au plan des
institutions, les réformes législatives post-coloniales vont en
priorité s’attaquer « au droit de la gouvernance », dans la
mesure où l’indépendance politique commandait l’organisation
d’un pouvoir d’Etat. D’où l’adoption de nouvelles Constitutions,
les réformes de l’organisation administrative et de la Fonction
publique, l’adoption de codes de la nationalité, etc. Confrontées
aux réalités du sous-développement économique et social, les
élites dirigeantes vont ainsi transformer le droit en instrument
de réalisation des progrès économiques et sociaux. L’objectif
poursuivi est de créer un environnement juridico-institutionnel
favorable aux investissements privés ou à l’intervention
étatique, aux « changements des mentalités » et à la
renonciation à certaines valeurs, ou pratiques jugées
rétrogrades. Face à la diversité des coutumes, les élites
dirigeantes vont s’efforcer d’unifier le système juridique post-
colonial en vue d’accoucher d’une Nation, notamment avec la
prise du pouvoir par une élite dirigeante révolutionnaire en
1983.

22
Sur le plan constitutionnel, l'histoire politique post-
coloniale du Burkina Faso a été marquée jusqu’à la fin des
années 80 par une grande instabilité caractérisée par la
succession de régimes constitutionnels et de régimes non
constitutionnels. Le pays a ainsi connu seize ans de régimes
d'exception (1966-1970; 1974-1978; 1980-1982; 1982-1983; 1983-
1987; 1987-1990). En règle générale, les coups d’Etat militaires
sont suivis d’une proclamation qui tient lieu de « loi
fondamentale » du nouveau régime de fait. Lorsque celui-ci
succède à un régime constitutionnel, la Constitution en vigueur
est suspendue, le parlement et les partis politiques dissous par
le nouveau régime, qui s’approprie dès lors le pouvoir exécutif
et le pouvoir législatif qu’il exerce par ordonnance. Le nouveau
régime, pour faciliter sa légitimation internationale, prend soin
également de proclamer sa volonté de respecter les
engagements internationaux de l’Etat. En dehors des régimes
révolutionnaires qui entendaient instaurer un nouvel ordre
politique, idéologique et social nouveau, tous les régimes
d’exception qui se sont succédés au Burkina Faso ont promis de
revenir à une « vie constitutionnelle normale » selon
l’expression consacrée, après une période de transition. C’est
dire si l’idée de Constitution semble profondément ancrée dans
les mœurs politiques du Burkina Faso, même si l’instabilité
politique du pays reflète les à-coups du processus démocratique,
ainsi que la difficulté d’y consolider les institutions
constitutionnelles.

L’histoire n’a pas seulement façonné le constitutionnalisme


burkinabè. Elle a aussi modelé les sources formelles du droit
constitutionnel burkinabè, qui s’inspirent de la tradition
juridique française.

§ 2 : Les sources formelles du droit constitutionnel burkinabè

23
D’un point de vue formel, la notion de Constitution se
réfère à la place qu’elle occupe dans la hiérarchie des normes.
« Dans ce sens, une norme est dite constitutionnelle parce
qu’elle est au sommet de la hiérarchie juridique, que même la
loi du Parlement ne peut, sous peine d’invalidité, la changer et
qu’elle n’est modifiable que suivant une procédure le plus
souvent exigeante qui est la procédure d’amendement
constitutionnel »1. Mais le droit constitutionnel n’est pas
seulement alimenté par des « lois constitutionnelles » au sens
formel du terme. Il s’intéresse aussi aux règles constitutionnelles
d’un point de vue matériel, c’est-à-dire aux règles qui touchent
à l’organisation et au fonctionnement des institutions politiques,
à la distribution du pouvoir dans l’Etat et à la garantie des droits
fondamentaux.
Du point de vue de leur importance, on distingue les
sources principales des sources secondaires.

A. Les sources principales

Les principales sources formelles du droit constitutionnel


burkinabè sont diverses. Certaines ont un caractère national,
d’autres ont un caractère international. D’un point de vue
hiérarchique, la principale source formelle demeure la
Constitution de juin 1991 ainsi que les décisions du Conseil
constitutionnel chargé d’interpréter la loi fondamentale. Ensuite
viennent les traités et accords internationaux qui, sous certaines
conditions, ont une autorité supérieure aux lois. Au bas de la
pyramide se trouvent des sources d’importance secondaire telles
que les conventions constitutionnelles, la coutume et la
doctrine.

1. La Constitution

1
François Chevrette et Herbert Marx, op. cit. p.16 et s.

24
Dès son accession à l’indépendance, la Haute Volta se dote
d’une Constitution. Le 6 novembre 1960 en effet, un projet de
Constitution est adopté par l’Assemblée nationale avant d’être
approuvé le 27 novembre 1960 par référendum, puis promulgué
le 30 novembre de la même année. Mais le régime
constitutionnel de la Ie République s’effondre le 3 janvier 1966,
suite à un soulèvement populaire, en réaction aux dérives du
pouvoir. Après quatre ans de régime d’exception, les militaires
au pouvoir respectent leurs promesses de revenir à une vie
constitutionnelle normale. Ils font adopter par référendum le 14
juin 1970 un projet de constitution. La nouvelle loi
fondamentale, de facture libérale, rompt avec le caractère
présidentialiste de la Ie République et consacre un régime
parlementaire "rationalisé", avec un exécutif bicéphale. Mais le
régime parlementaire de la IIe République se brise en février
1974 sur l’autel des divisions de la classe politique et de
l’impatience des militaires, qui prennent goût au pouvoir. Après
plus de trois ans de régime d’exception, ceux-ci renouent avec
le processus démocratique en faisant adopter une nouvelle
constitution le 13 décembre 1977, qui institue la IIIe République.
Tirant les leçons de l’échec de la IIe République, celle-ci
consacre l’existence d’un exécutif bicéphale caractérisé par la
prééminence du Président de la République. Mais face aux
difficultés politiques, économiques et sociales du gouvernement,
les militaires vont, une fois encore, interrompre le processus
démocratique le 25 novembre 1980. Se succèdent alors une
cascade de régimes militaires qui, pendant plus d’une décennie,
vont maintenir le pays sous la férule des régimes d’exception et
plus particulièrement sous le régime révolutionnaire. A la
différence des autres régimes d’exception qui l’ont précédé, le
Conseil National de la Révolution n’envisageait guère de
« retourner à une vie constitutionnelle normale » selon
l’expression consacrée. Le régime qui se voulait éternel est
tragiquement renversé par le Front populaire le 15 octobre 1987.

25
Le nouveau régime, après avoir amorcé une timide ouverture
politique, finit par céder aux demandes internes et externes de
démocratisation.

Le Burkina Faso va ainsi renouer avec le constitutionnalisme


en 1991 avec la formulation d’une nouvelle Constitution. Celle-ci
s’inspire de plusieurs modèles de référence, parmi lesquelles la
constitution française de la Ve République de 1958 et la
constitution voltaïque de 1977. A titre illustratif on peut citer la
présidentialisation du pouvoir exécutif au détriment des autres
pôles de pouvoirs que sont le parlement et le pouvoir judiciaire,
inspirée de la Constitution française de la Ve République. On
peut même se demander si l’élève n’a pas dépassé le maître, en
instituant ce que de nombreux africanistes ont appelé le
« présidentialisme négro-africain ». S’agissant de la constitution
voltaïque de décembre 1977, elle a aussi inspiré le constituant
burkinabè. En témoigne, entre autres, la reprise de la limitation
du nombre de mandats présidentiels consacrée par le
constituant de 1977. C’est dire si cette clause limitative fait
partie intégrante de la tradition constitutionnelle burkinabè.

La connaissance de l’histoire constitutionnelle du Burkina


Faso n’a pas qu’un intérêt purement historique. Elle peut aussi
inspirer le génie créateur des juges constitutionnels burkinabè à
l’instar de leurs homologues français qui n’ont pas hésité à faire
entrer des textes constitutionnels anciens dans le bloc de
constitutionnalité. De plus, rien n’interdit aux juges
constitutionnels burkinabè de s’inspirer de la jurisprudence de
leurs homologues africains francophones (par exemple le Bénin)
voire anglophones (le Ghana ou même l’Afrique du Sud par
exemple) dont les réalités politiques, économiques et sociales et
culturelles sont plus proches de celles du Burkina que de celles
de la France. Mais pour des raisons d’ordre historique, et sans
doute pour d’autres raisons tenant par exemple au manque de

26
formation en droit comparé, les juristes africains francophones
et probablement leurs homologues anglophones, continuent à
perpétuer la dépendance juridique entre les droits
constitutionnels africains et celui de l’ancienne puissance
coloniale. D’où ce manque d’originalité de la plupart des textes
constitutionnels africains et plus particulièrement du Burkina.
Qui plus est, de nombreux constituants des Etats africains
francophones n’ont retenu des « réalités africaines » que celles
qui confortaient la soif de pouvoir des nouveaux princes de
l’Etat moderne, oubliant que l’exercice du pouvoir dans les
sociétés étatiques africaines était enserré dans des mécanismes
d’imputabilité politique à travers lesquels les gouvernants
étaient tenus de rendre compte de leur gestion du pouvoir.

La nouvelle Constitution burkinabè, adoptée le 2 juin 1991


et promulguée le 11 juin de la même année, comprend un
préambule qui fait partie intégrante de la Constitution. Ce
préambule fait référence à la Déclaration universelle des Droits
de l’Homme de 1948 et aux instruments internationaux traitant
des problèmes économiques, politiques, sociaux et culturels1,
ainsi qu’à la Charte africaine des droits de l’Homme et des
peuples de 1981. Ces divers instruments juridiques
internationaux peuvent constituer une source d’inspiration pour
les juges constitutionnels. La Constitution institue par ailleurs,
en son Titre XIV, un contrôle de constitutionnalité des lois en
vue de garantir la suprématie de la constitution sur les lois. Le
Titre suivant consacre la procédure de révision de la
Constitution et les limites au pouvoir de révision. Bien
évidemment, les modifications constitutionnelles font partie
intégrante de la Constitution. Il en va de même des décisions du
Conseil constitutionnel, lequel dispose – au Burkina Faso - du
monopole de l’interprétation de la Constitution.
1
On peut supposer que le Préambule fait ici allusion en particulier aux pactes internationaux de 1966 relatifs aux
droits civils et politiques d’une part et aux droits économiques, sociaux et culturels d’autre part, qui n’avaient pas
encore été ratifiés au moment de l’adoption de la Constitution de 1991.

27
2. Les décisions du Conseil constitutionnel

Lorsque le Conseil constitutionnel est appelé à interpréter


et appliquer la Constitution, ses décisions revêtent la même
autorité que la Constitution elle-même, et doivent être
considérées comme partie intégrante de la Constitution. Ces
décisions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée. Celle-ci
constitue une présomption absolue « à l’égard de ce qui a fait
l’objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même
cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes
qualités, et que la chose demandée est la même »1. En d’autres
termes, les parties au conflit demeurent liées par la décision du
juge.

Mais l’article 159 de la Constitution burkinabè précise


qu’une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être
promulguée ni mise en application et que les décisions du
Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles. Si dans le modèle américain
de justice constitutionnelle, qui est un système de contrôle
décentralisé, il est possible de formuler un recours en appel ou
en cassation auprès de la Cour suprême, il n’en va pas de même
dans le modèle français qui sous-tend le Conseil constitutionnel
du Burkina Faso. Alors qu’une décision judiciaire est en principe
inopposable aux tiers, la déclaration d’inconstitutionnalité d’une
loi vaut, elle, erga omnes, c’est-à-dire à l’égard de tous. Mais il
n’est pas exclu que le juge constitutionnel revienne sur une
décision antérieure. On parlera alors de revirement
jurisprudentiel. Une telle situation peut intervenir lorsque les
lois que les juges appliquent ainsi que le contexte des lois
viennent à changer. A défaut de convaincre les juges

1
Article 2848 du code civil québécois.

28
constitutionnels de revenir sur leurs décisions à la faveur d’une
nouvelle saisine, la modification de leur interprétation nécessite
l’intervention du parlement, qui pourra alors prendre leur
contre-pied en révisant la Constitution.

3. Les traités et accords internationaux

Selon le préambule de la Constitution burkinabè, le peuple


burkinabè souscrit, entre autres, aux instruments internationaux
traitant des problèmes économiques, politiques, sociaux et
culturels. Les deux pactes internationaux de 1966 relatifs aux
droits civils et politiques, aux droits économiques, sociaux et
culturels sont certainement les instruments juridiques
internationaux qui viennent immédiatement à l’esprit. Mais le
Burkina Faso a aussi souscrit à de nombreux autres instruments
qui ont un impact sur l’ordre constitutionnel. Il se pose dès lors
le problème de la détermination de leur place dans les sources
du droit constitutionnel. Selon l’article 151 de la Constitution
burkinabè, « les traités et accords régulièrement ratifiés ou
approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à
celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son
application par l’autre partie ». En cas de contrariété avec la
constitution constatée par le Conseil constitutionnel,
l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement
international ne peut intervenir qu’après la révision de la
Constitution (article 150).

Certains de ces instruments internationaux intéressent le


droit constitutionnel en ce sens qu’ils ne sont pas sans
conséquences sur le fonctionnement des institutions politiques.
Ainsi, au niveau régional, on peut citer la charte africaine des
droits de l’homme et des peuples de 1981 ratifiée par le Burkina
Faso, ou la décision AHG Dec.142(XXV) sur le cadre pour une
réaction de l’OUA face aux changements anticonstitutionnels de

29
gouvernement adoptée par l’OUA à Alger en juillet 1999. Cette
décision n’a pas juridiquement une force contraignante mais
produit des conséquences politiques importantes. Certains chefs
d’Etat parvenus au pouvoir de manière irrégulière se sont ainsi
retrouvés isolés diplomatiquement et ont dû céder aux pressions
tendant à les obliger à renouer avec l’ordre constitutionnel
« normal »1. Au plan sous-régional, on peut citer, les directives
de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA)
relatives aux finances publiques2, qui ont nécessité l’adoption
d’une loi organique relative aux lois de finances par l’Assemblée
nationale du Burkina Faso, la Loi organique n°006/ 2003 du 24
janvier 2003. Mais c’est surtout la Communauté économique des
Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui s’est le plus illustré
dans l’adoption de dispositions de nature à influer sur l’ordre
constitutionnel des Etats membres. La CEDEAO a ainsi adopté le
protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de
règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité
signé à Lomé le 10 décembre 1999, et surtout le protocole sur la
démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole
relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement
des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité signé à
Dakar le 21 décembre 2001.

Ce Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance est


l’un des textes les plus ambitieux adoptés par la CEDEAO visant
la consolidation de la paix, de la démocratie et de la stabilité
1
Ainsi, après la disparition le 5 février 2005 de son père le Général Gnassingbé Eyadema au pouvoir
depuis plus de trente ans, les militaires togolais choisissent l’un de ses fils, Faure Gnassingbé pour lui
succéder, après avoir manipulé la Constitution. Les pressions de la communauté internationale ont
abouti au retrait provisoire de ce dernier et à l’organisation d’une élection présidentielle anticipée
qu’il remporte cependant frauduleusement le 24 avril 2005. Les contestations de l’opposition sont
violemment réprimées. Le pays s’enfonce alors dans la crise de laquelle il tente de sortir avec l’appui
de la communauté internationale. Un dialogue au sein de la classe politique togolaise est amorcé avec
la médiation du président Compaoré du Burkina Faso. Il a abouti cette année à des accords politiques,
qui prévoient, entre autres, la formation d’un gouvernement d’"unité nationale" et l’organisation
d’élections anticipées.
2
Ces directives portent sur les Lois de finances, la Comptabilité publique, la Nomenclature budgétaire de l’Etat, le
Plan comptable de l’Etat, le Tableau des opérations financières de l’Etat (TOFE), le code de transparence dans la
gestion des finances publiques.

30
dans la région. Il comprend cinquante articles organisés en trois
chapitres relatifs aux principes et modalités de mise en oeuvre,
aux sanctions, aux dispositions générales et finales. Les principes
sont déclinés à travers huit sections thématiques suivantes :

1. Principes de convergence constitutionnelle.


2. Élections.
3. Observation des élections et assistance de la CEDEAO.
4. Rôle des armées et des forces de sécurité dans la
démocratie.
5. Lutte contre la pauvreté et promotion du dialogue social.
6. Éducation, culture et religion.
7. Etat de droit, droits de la personne et bonne gouvernance.
8. Femmes, enfants et jeunesse.
La première section, certainement la plus importante, énonce la
base de sa légitimité et de sa légalité. Elle porte en effet sur la
convergence des constitutions des divers Etats membres de la
CEDEAO. Les «principes constitutionnels communs » promus sont
les suivants :

La séparation des pouvoirs.


La valorisation, le renforcement des parlements et la
garantie de l’immunité parlementaire
L’indépendance de la justice, la liberté des barreaux.
Les élections libres, honnêtes et transparentes comme seul
mode d’accession au pouvoir.
L’interdiction de tout changement anti-constitutionnel et
de tout mode non démocratique d’accession ou de maintien
au pouvoir.
La participation populaire aux prises de décision, le strict
respect des principes démocratiques et la décentralisation
du pouvoir à tous les niveaux de gouvernement.
Le caractère apolitique de l’armée et sa soumission à
l’autorité politique régulièrement établie et l’interdiction

31
pour tout militaire en activité de prétendre à un mandat
politique électif.
La laïcité de l’etat et sa neutralité totale dans le domaine
de la religion, le droit pour chaque citoyen de pratiquer
librement et dans le cadre des lois en vigueur la religion de
son choix en n’importe quel endroit du territoire national
mais aussi le droit pour l’etat de réglementer, dans le
respect des droits de la personne, les diverses religions et
d’intervenir en cas de troubles à l’ordre public.
Le caractère national de l’etat et de ses institutions et, en
conséquence, l’interdiction de décisions et d’actions
fondées ou ayant pour but une discrimination ethnique,
religieuse, raciale ou régionale.
La garantie des droits contenus dans la charte africaine des
droits de l’homme et des peuples et les instruments
internationaux.
La libre création des partis politiques et le libre exercice de
leurs activités dans le cadre des lois en vigueur ;
l’interdiction pour les partis de se constituer et d’exercer
des activités sur le fondement de considérations raciales,
ethniques, religieuses ou régionales ; leur libre
participation sans entrave ou discrimination à tout
processus électoral ; la garantie de la liberté d’opposition ;
la possibilité pour chaque etat de mettre en place un
système de financement des partis politiques, sur des
critères déterminés par la loi.
La liberté d’association, de réunion et de manifestation
pacifique.
La liberté de presse.
Le droit pour tout ancien chef d’etat de bénéficier d’un
statut spécial incluant la liberté de circulation, d’une
pension et d’avantages matériels convenant à son statut
d’ancien chef d’etat.

32
En matière électorale, le Protocole interdit dans son article
2 alinéa 1 de réformer la loi électorale de manière substantielle
sans le consentement d’une large majorité des acteurs
politiques, dans les six mois précédant les élections, et dispose
dans l’alinéa 2 du même article que les élections à tous les
niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la
constitution ou les lois électorales. Ces dispositions sont
justifiées par la volonté des auteurs du protocole de prévenir les
manipulations des règles électorales et des calendriers
électoraux auxquelles s’adonnent certains gouvernants de la
sous-région sous des prétextes divers1. Par ailleurs, le Protocole
consacre le rôle et la contribution de la CEDEAO à l’organisation
et au déroulement d’élections libres, honnêtes et transparentes,
et ceux de la société civile, invitée à s’investir dans la formation
et la sensibilisation des citoyens pour la tenue d’élections
paisibles, exemptes de violence ou de crise. Comme on peut le
constater la CEDEAO entend jouer un rôle majeur dans la
promotion et la consolidation de la démocratie en Afrique de
l’Ouest. Il reste à relever le défi, celui de la ratification du
protocole par un neuvième Etat pour son entrée en vigueur,
conformément à son article 49. A ce jour en effet, seuls huit
Etats ont ratifié le texte, parmi lesquels le Burkina Faso2. Mais le
fait que le protocole ne soit pas encore en vigueur légalement
n’a pas fait obstacle à l’application de plusieurs de ses
dispositions, notamment en ce qui concerne l’observation des
élections. S’agissant du Burkina Faso, le Conseil constitutionnel,
dans l’avis juridique No.2004-17/CC du 9 juillet 2004, a estimé
que les principes et règles posés par le protocole sont bien
conformes à ceux de la Constitution du 2 juin 1991, notamment

1
On se souvient par exemple qu’au Burkina Faso les élections municipales qui devaient se tenir en septembre 2005
ont été repoussées trois fois pour se tenir finalement le 23 avril 2006, le gouvernement invoquant le manque de
moyens budgétaires.
2
Il s’agit du Ghana (10/10/2002), du Mali (30/04/2003), de la Guinée (2004), de la Sierra Leone
(10/08/2004), du Burkina Faso (9/09/2004), du Sénégal (10/09/ 2004), du Bénin (4/02/2005), du Niger
(03/2005).

33
dans son préambule et dans son titre 1 et qu’ils constituent des
explicitations sur bien des aspects.

4. Les lois

Les lois formelles, c’est-à-dire celles adoptées par le


parlement, constituent, après la Constitution, la principale
source de droit constitutionnel. La Constitution elle-même peut
être révisée par une « loi constitutionnelle » formelle adoptée
par le Parlement. Mais les lois peuvent aussi être définies au
sens matériel. Dans ce cas, elles comprennent, outre les lois
formelles adoptées par le parlement, les règlements de portée
générale. C’est le cas des nombreux décrets adoptés par le
Président du Faso et le Premier ministre, dont certains peuvent
contenir des dispositions constitutionnelles d’un point de vue
matériel. Par exemple, c’est par décret du Président du Faso
que le corps électoral est convoqué.

Les lois formelles peuvent être organiques lorsque la


Constitution prévoit l’adoption de telles lois pour préciser
l’organisation ou le fonctionnement des pouvoirs publics. Ainsi,
la composition, l'organisation, les attributions, le
fonctionnement de chacune des juridictions supérieures (Conseil
d’Etat, Cour de cassation, Cour de comptes) ainsi que la
procédure applicable devant elles sont régis par une loi
organique (article 127 de la Constitution). Il en va de même pour
le Conseil constitutionnel (article 160), le Conseil supérieur de la
magistrature (article 133), pour le Conseil Economique et social
(article 141), etc. Le parlement peut également adopter des lois
formelles pour préciser les conditions d’exercice des droits et
devoirs fondamentaux consacrés par la Constitution. Il
appartient au Conseil constitutionnel de veiller à ce que ces lois
ne vident pas les dispositions constitutionnelles de leur

34
substance en restreignant de manière abusive les droits et
libertés reconnus aux citoyens.

Des lois ordinaires peuvent également poser d’autres règles


matériellement constitutionnelles. Il en va ainsi du régime
juridique des partis politiques, qui s’affrontent régulièrement
pour conquérir et/ou exercer le pouvoir politique. La
Constitution, en son article 13, dispose que « les partis et
formations politiques se créent librement. Ils concourent à
l’animation de la vie politique, à l’information et à l’éducation
du peuple ainsi qu’à l’expression du suffrage. Ils mènent
librement leurs activités dans le respect des lois. Tous les partis
ou formations politiques sont égaux en droits et en devoirs.
Toutefois, ne sont pas autorisés les partis ou formations
politiques tribalistes, régionales, confessionnels ou racistes ».
Mais c’est la charte des partis politiques adoptée par la loi n°32-
2001 du 29 novembre 2001 qui régit la création, la
reconnaissance, le fonctionnement des partis politiques et fixe
leurs droits et devoirs.

Le code électoral fixe également des règles matériellement


constitutionnelles dans la mesure où il s’agit des règles du jeu
démocratique qui donne accès au pouvoir et à son exercice.
Celui en vigueur au Burkina Faso a été adopté en 2001, mais a
fait l’objet de nombreuses modifications. En réalité, les sources
du droit électoral au Burkina Faso sont diverses : Constitution,
code ou loi électorale, textes réglementaires et parfois, codes
de bonne conduite1. Ici, comme en France, la loi fondamentale
se contente de proclamer le principe du suffrage universel,

1
Par exemple, au Burkina Faso, à la faveur des législatives de mai 2002, un code de bonne conduite des partis
politiques et des médias a été élaboré par le Conseil supérieur de l’information (CSI) puis signé par les partis
politiques participant à la compétition électorale, mais aussi par les médias assurant la couverture médiatique de la
campagne électorale. Bien que ce code ne dispose pas en soi de valeur juridique contraignante à l’instar du code
électoral, il n’en a pas moins influencé le comportement des acteurs durant la campagne électorale.

35
libre, égal et secret, laissant à la loi électorale et aux textes
réglementaires le soin de préciser tous les détails1.

B. Les sources déclassées

Ces sources sont mentionnées ici à titre de droit comparé.


En effet, dans certains Etats, les conventions constitutionnelles,
les coutumes et même la doctrine sont considérées comme des
sources formelles de droit, ce qui n’est pas le cas au Burkina
Faso.

1. Les conventions constitutionnelles

On appelle convention constitutionnelle, « une règle


élaborée empiriquement, par entente entre gouvernants ou
politiciens, règle qui n’est pas sanctionnée par les tribunaux
mais appliquée et respectée par les parties en raison d’un
sentiment de nécessité politique »2. Il s’agit donc de « principes
et règles de gouvernement responsables »3, élaborées
généralement au moyen de la coutume et du précédent, dont
l’objet principal est « d’assurer que le cadre juridique de la
Constitution fonctionnera selon les principes ou valeurs

1
En règle générale, la loi électorale détermine :
le type d’administration électorale à créer (désignation, composition, attributions, fonctionnement, dépendance,
autonomie ou indépendance, permanence ou caractère temporaire, procédures opérationnelles, etc.)
le système électoral applicable (découpage électoral, magnitude des circonscriptions, c’est-à-dire le nombre de sièges
à pourvoir par circonscription, le mode de scrutin applicable selon la nature des élections, etc.) ;
les conditions d’exercice du droit de vote ;
le corps électoral, les procédures d’établissement, de révision, d’inscription et de contrôle des listes électorales ;
les règles de la campagne électorale ;
les opérations et procédures de vote ;
les procédures de dépouillement, de recensement et de proclamation des résultats ;
la nature des consultations électorales qu’elle régit (élections présidentielles, législatives, locales, référendums), ainsi
que les conditions d’éligibilité et les procédures de déclaration de candidature selon la nature des élections ;
le contentieux électoral ;
les dispositions pénales.
2
Henri brun et Guy Tremblay, op. Cit., p.44.
3
François Chevrette et Herbert Marx, Droit constitutionnel, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal,
1982, p.21.

36
constitutionnelles dominantes de l’époque »1. Fondées sur « des
précédents établis par les institutions mêmes du
2
gouvernement » , elles ne peuvent être appliquées par les
tribunaux dans la mesure où elles entrent généralement en
conflit avec les règles juridiques qu’ils sont tenus d’appliquer.
En clair, la convention constitutionnelle se caractérise par les
traits suivants3 :
sa position particulière, entre un usage ou une coutume et
une loi constitutionnelle, et plus précisément plus près de
la seconde que de la première
son caractère obligatoire pour ceux à qui elles s’adressent
la nature plus politique que juridique de la sanction de sa
violation
son intégration à la Constitution et au régime
constitutionnel.
Selon Henri Brun et Guy Tremblay, les conventions
constitutionnelles ont globalement pour fonction « d’assurer une
adaptation constante du droit aux faits, de la constitution
‘légale’ à la réalité empirique. Elles permettent l’évolution des
choses, tout en éliminant les difficultés que pose la modification
constitutionnelle formelle »4. Elles fixent ou modifient des
équilibres institutionnels en place tout en laissant la
Constitution intacte, le plus souvent avec l’accord tacite ou
explicite du juge constitutionnel. Relèvent ainsi des conventions
de la Constitution l’institution dans certains pays comme le
Bénin du poste de Premier ministre en 19965. Dans certains pays
comme le Canada, la reconnaissance d’un statut de l’opposition
1
Ibid., p.22.
2
Ibid., p.22.
3
Ibid., p.24.
4
Op. cit., p.49.
5
Ainsi, la Cour constitutionnelle du Bénin, dans sa décision n°96-440 du 4 octobre 1996, a estimé que la nomination
d’un Premier ministre, bien que non prévue par la Constitution béninoise, n’était pas anticonstitutionnelle dans la
mesure où la Constitution « n’impose au président de la République, chef du gouvernement, ni la structure ni la
dénomination et les attributions de ses membres », ajoutant que « les attributions confiées au premier ministre, à
savoir la coordination de l’action gouvernementale et les relations avec les institutions, ne font de lui que le premier
des ministres ; que la création, dans ces conditions, d’un poste de Premier ministre ne porte pas atteinte au régime
présidentiel choisi par le peuple béninois ».

37
relève de conventions constitutionnelles visant à perpétuer le
caractère démocratique du régime. Il s’agit ainsi de reconnaître
la légitimité de l’opposition, en lui reconnaissant le droit de
prendre le pouvoir si elle remporte les élections, alors que dans
certains pays africains, le pouvoir en place a tendance à tirer
profit de sa position pour affaiblir ou démanteler l’opposition.
Au Burkina, les exemples de conventions constitutionnelles sont
rares. On peut néanmoins citer la pratique consistant pour le
gouvernement et le parlement à fixer l’agenda parlementaire de
façon concertée alors que l’article 118 de la Constitution dispose
que c’est le gouvernement qui fixe l’ordre du jour de
l’Assemblée.

2. Les coutumes

On appelle coutume « une règle de droit, née de la


répétition continue d’un acte public et paisible ou de
l’abstention de poser un acte, durant un certain temps, sans
qu’il y ait protestation à l’endroit de cet acte ou de cette
abstention »1. Selon Henri Brun et Guy Tremblay, une bonne
coutume comprend un certain nombre de qualités essentielles :
elle doit être raisonnable2, créer une obligation, laquelle doit
être claire3, certaine4 et cohérente5. En tant que règle de droit,
la coutume implique l’existence de sanctions.

Au Burkina Faso, la coutume n’est plus considérée comme


une source formelle de l’Etat moderne. Les règles coutumières
ne peuvent donc prévaloir sur les lois (on parle de coutume
contra-legem) a fortiori sur la Constitution. En effet, au Burkina
Faso, comme dans la plupart des Etats africains francophones,
les gouvernants ont opté pour le monisme juridique pratiqué par
1
Henri Brun et Guy Tremblay, op. cit., p.39
2
Son caractère raisonnable doit venir de ce qu’elle ne contrevient pas aux principes généraux du droit positif.
3
C’est-à-dire susceptible d’être démontrée ou prouvée.
4
C’est-à-dire ne pas changer au gré des circonstances.
5
C’est-à-dire ne pas contenir d’éléments contradictoires.

38
la France. Paradoxalement, la puissance coloniale semble plus
respectueuse des coutumes africaines que les élites dirigeantes
africaines dans la mesure où elle avait consacré dans ses
territoires coloniaux le pluralisme juridique en admettant les
coutumes comme source de droit. Dans la France
métropolitaine, le système juridique reposait cependant sur le
monisme juridique. Cette conception juridique a servi de
fondement au dogme de l’unité de « la République une et
indivisible » appliquant un seul et même droit à l’ensemble de
ses citoyens. Ce dogme du droit constitutionnel français a été
largement repris dans l’espace africain francophone. C’est dans
cette perspective que le législateur, sous la période
révolutionnaire, a mis fin au pluralisme normatif en matière
familiale, afin de lui substituer « une législation civile unique
applicable à tous les Burkinabè ». De même, avec la réforme
agro-foncière de 1984-1985, les rapports fonciers ne sont plus
régis par les coutumes, mais exclusivement par le nouveau droit
agraire et foncier. Enfin, le pluralisme judiciaire a été
abandonné, avec la suppression des tribunaux coutumiers de 1er
et de 2e degré.

La disparition du dualisme normatif et judiciaire s’est


traduite par la disqualification des coutumes, qui ne sont plus
une source du droit positif. Cela n’a pas pour autant empêché
les populations à continuer de se référer aux coutumes, surtout
en l’absence de pénétration du droit étatique dans les espaces
sociaux. Il en a résulté une désarticulation du champ juridique,
la persistance d’un « dualisme juridique informel » s’articulant
autour d’un droit étatique officiel qui a du mal à s’imposer à la
grande majorité de la population, et des coutumes « hors la
loi », contra legem, qui continuent de réguler de larges espaces
sociaux plus ou moins autonomes. Les coutumes et le droit
étatique font souvent l’objet de pratiques d’hybridation, de
métissage qui témoignent de la capacité d’invention des acteurs

39
locaux. Cette situation est le reflet d’une donnée sociologique
incontournable, à savoir que les sociétés africaines sont des
sociétés en transition, caractérisées par « le passage inachevé
du précolonial au post-colonial ». Le triomphe du monisme
juridique n’est donc que de façade, les lois adoptées sous ce
sceau étant bien souvent sans rapport avec le monde réel,
entraînant parfois la dislocation du tissu social, l’exclusion de
fait et de droit de la majorité des populations du système
juridique étatique, et voire le discrédit général de ce système1.

L’abandon du dualisme juridique ne signifie donc pas que


les systèmes juridiques post-coloniaux ne connaissent plus
l’influence des systèmes juridiques coutumiers. Dans certains
pays, le législateur tente, mais timidement, d’intégrer aussi bien
des valeurs portées par le droit coutumier que par le droit dit
moderne. Le législateur burkinabè sous la période
révolutionnaire par exemple, n’invitait-il pas expressément les
juridictions à « éliminer … les coutumes rétrogrades »2, ce qui
signifie a contrario, que celles ne présentant pas ce caractère
peuvent et doivent être appliquées ? Du reste, si dans de
nombreux pays le droit étatique ne reconnaît qu’accessoirement
la coutume, il lui fait cependant une large place dans ses
stratégies de mise en œuvre.

3. La doctrine

On peut définir la doctrine comme l’ensemble des écrits


des auteurs. Au Burkina Faso la doctrine constitutionnaliste
demeure encore embryonnaire. Elle est essentiellement
constituée de thèses de doctorat et d’articles publiés le plus
souvent dans la revue burkinabè de droit par des enseignants-
chercheurs de l’UFR/SJP ou par des praticiens du droit.

1
Jeswald Salacuse cité par Jennifer A. Widner, Construire l’Etat de droit, Paris, Nouveaux Horizons, 2003, p.82.
2
Article 8 du décret du 4 août 1985 portant organisation et fonctionnement des tribunaux populaires.

40
A vrai dire, la doctrine ne constitue pas à proprement
parler une source formelle, mais seulement une source
d’inspiration pour les juges. En effet, la doctrine peut aider à
développer le droit, suggérer des pistes de solution aux juges
appelés à résoudre des problèmes devant lesquels les lois
demeurent silencieuses ou lacunaires. Il est rare que les juges
citent des auteurs, en particulier leurs contemporains, mais dans
certaines démocraties du Nord, on observe de plus en plus de
juges qui n’hésitent à citer des auteurs à l’appui de leurs
positions1. Toutefois, l’autorité de la doctrine demeure
essentiellement persuasive et subsidiaire2.

1
François Chevrette et Herbert Marx, op. cit., p.29.
2
Henri Brun et Guy Tremblay, op. cit., p.39.

41
TITRE 1: LES FONDEMENTS DU DROIT
CONSTITUTIONNEL : L’ETAT ET LE SYSTEME NORMATIF

Le droit constitutionnel étant avant tout le droit de l’Etat,


c’est-à-dire un droit qui régit l’organisation et le
fonctionnement du pouvoir d’Etat, il convient d’examiner
d’abord les fondements institutionnels de l’Etat. Il conviendra
ensuite d’examiner le cadre juridique du pouvoir d’Etat et de
préciser les limites à son exercice. Cela nous conduira à
présenter successivement l’Etat et la souveraineté (chapitre 1),
le constitutionnalisme (chapitre 2) et les droits et libertés des
citoyens (chapitre 3).

42
CHAPITRE 1 : L’ETAT

Le premier article du Titre 2 de la Constitution burkinabé


qui porte sur l’Etat et la souveraineté définit le Burkina Faso
comme un Etat démocratique, unitaire et laïc, et précise que le
Faso est la forme républicaine de l’Etat (article 31). Mais qu’est-
ce que l’Etat ?

L’Etat constitue une réalité historique, politique et


juridique incontournable de la vie nationale et internationale.
Dans les sociétés modernes, il constitue le support institutionnel
du pouvoir politique. C’est pourquoi toute analyse de l’Etat est
inséparable de la notion de pouvoir. Dans son acception juridico-
institutionnelle, la notion de pouvoir politique se réfère aux
gouvernants ou à l'idée abstraite de l'État. Ainsi, lorsqu'on parle
des pouvoirs publics, au sens constitutionnel, on fait référence
aux organes de l'État, aux autorités publiques, politiques ou
administratives. Toute théorie de l’Etat impliquant une
explication de sa genèse, il s’agira de décrire et d’analyser le
phénomène de l’émergence de l’Etat et ses principaux
caractères juridiques.

SECTION I : L’EMERGENCE DE L’ETAT MODERNE

Deux grandes approches permettent d’appréhender


l’émergence de l’Etat, l’approche politique et l’approche
juridique.

§1 : L’approche politique de l’état

43
Il est possible, à partir de l’approche politique, de proposer
une explication de la genèse de l’Etat moderne, aussi bien dans
l’espace occidental que dans l’espace africain.

A. La genèse de l’état moderne

Il existe de nombreuses approches politiques de la genèse


de l’Etat, parmi lesquelles celles proposées par la philosophie
politique et la sociologie historique.

1. L’approche philosophique : l’origine contractuelle de l’Etat

L’origine de l’Etat a été au centre de la réflexion


philosophique aux XVIIe et XVIIIe siècles. De nombreux
philosophes du politique ont en effet suggéré une théorie de
l’origine conventionnelle de l’Etat1. Cette théorie s’est
construite autour de l’idée du contrat social développée par des
philosophes tels que Thomas Hobbes, John Locke, Jean-Jacques
Rousseau. Ces philosophes soutiennent que les individus, pour
des raisons et sous des formes différentes, ont conclu entre eux
un pacte social ayant pour objet de fonder un Etat2. Rousseau
par exemple pose le postulat d’un « état de nature » dans lequel
les hommes seraient libres et égaux. Mais les regroupements des
communautés patriarcales, l’apparition de la division du travail
et de la propriété privée ont entraîné une perversion des
hommes. L’Etat apparaît alors comme une réponse à l’insécurité
résultant de cette situation : « au lieu de tourner nos forces
contre nous-mêmes rassemblons-les en un pouvoir suprême qui
nous gouverne selon de sages lois, qui protège et défende tous
les membres de l’association »3. Ce contrat social donne
naissance à la société politique, au sein de laquelle les individus
mettent en commun leur personne, leurs droits, libertés
1
Georges Burdeau, Traité de science politique, Tome 2, l’Etat, Paris, LGDJ, 1980, pp.50 et ss.
2
Philippe Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, 12e édition, Paris, LGDJ, 2000, p.32.
3
François Châtelet et als., Histoire des idées politiques, Paris, PUF, 3e édition, 1993, p.52.

44
individuelles, puissance et biens pour retrouver leur liberté et
égalité naturelles.

Mais la thèse de l’origine contractuelle de l’Etat est


contestée par de nombreux auteurs, qui soulignent qu’elle n’est
pas historiquement vérifiée. Si dans le processus de formation de
l’Etat on note souvent l’existence d’éléments consensuels, force
est de constater que ceux-ci ne sont pas coulés en forme
contractuelle. De plus, il n’y a guère de preuve dans l’histoire
d’un état de nature qui constituerait l’âge d’or d’une liberté
originelle et totale du genre humain et à laquelle il aurait
renoncé pour créer par convention une formation étatique.

2. L’approche socio-historique

Les sociétés politiques africaines ont souvent été


appréhendées sous l’angle de la célèbre dichotomie établie
par les deux anthropologues britanniques, Fortes et Evans
Pritchard, entre les sociétés étatiques et les sociétés dites
acéphales ou dépourvues d’autorités centrales. En réalité si
l’on en croit l’historienne française Catherine Coquery-
Vidrovitch, les structures du pouvoir en Afrique reposent sur
trois types de relation1 :

Les relations fondées sur les liens familiaux, en


l’occurrence les relations lignagères2. Ici, les relations
politiques s’expriment en termes de parenté et les
stratégies politiques sous la forme de manipulations de la
parenté à des fins de légitimation du pouvoir.

1
Histoire politique : permanence et rupture, 2 e éd.., Paris, L'Harmattan 1992.
2
Le lignage désigne le groupe descendant du même ancêtre connu c’est-à-dire mythique. Il comprend les enfants, les
alliés, les petits neveux et dépendants voire les esclaves dits domestiques intégrés à la famille au moins à partir de la
deuxième génération. Quant à l’ethnie, elle constitue l’ensemble des lignages dont l’identité culturelle est affirmée
par la reconnaissance d’un ancêtre mythique commun et se traduit par une forte communauté linguistique. L’ethnie
est une construction historique c’est-à-dire très largement évolutive.

45
Les relations politiques à proprement parler, lesquelles
impliquent la reconnaissance d’une autorité étatique
territoriale hiérarchisée.
Les relations de dépendance personnelle qui recouvrent ou
contrarient les deux précédentes par un réseau
d’obligations, soit horizontales, de lignage à lignage, ou de
village à village, soit verticales depuis le village jusqu’à
l’autorité supérieure, en passant ou non par des étapes
intermédiaires.

L’Etat traditionnel implique des relations spécifiques de type


territorial1 et peut exister concurremment à l’organisation
lignagère. Il apparaît lorsqu’un groupe social déterminé, une
classe sociale, concentre en ses mains le pouvoir et le prestige
qui lui permettent de contrôler la production sociale avec
l’appui mais aussi aux dépens des autres groupes. Cette classe
s’approprie les fonctions guerrières, religieuses et
commerçantes, tout en veillant à conserver le pouvoir et à
maintenir sous sa domination les autres groupes (paysans,
esclaves, artisans, commerçants…). L’Etat traditionnel apparaît
alors comme l’instrument nécessaire de la coercition assurant à
la fois le maintien de l’inégalité sociale et la mise en
dépendance des autres groupes sociaux.

A cet Etat traditionnel s’oppose l’Etat moderne qui, selon


l’approche socio-historique, serait une invention politique
relativement récente, liée à l'histoire européenne, et non une
donnée universelle. C'est en effet à la sortie du Moyen Age, à
partir du XIIIe siècle qu’émerge l’Etat moderne dans des sociétés
caractérisées par un féodalisme extrême, en particulier en
France et en Angleterre. Cette dynamique est rendue possible
par un processus de centralisation du pouvoir politico-
1
Certains auteurs ont proposé de distinguer schématiquement chefferie et Etat. La chefferie ne connaîtrait que peu
ou pas d’exploitation directe, alors que l’Etat traditionnel serait un pouvoir politique plus structuré, qui imposerait un
tribut aux territoires dominés.

46
administratif et de spécialisation des tâches politiques. Talcott
Parsons soutient à ce propos que « l'apparition de l'Etat se
confond avec le processus de différenciation du système
politique par rapport aux autres systèmes sociaux et avec
l'ensemble des conséquences qui en dérivent, notamment
l'autonomisation, l'institutionnalisation et l'universalisation des
processus politiques ».1 Sur cette base se sont opérées la
constitution d'une identité politique des individus distincte de
leur identité religieuse (laïcisation) et l'affirmation du pouvoir
royal sur les ruines de la féodalité2. L'allégeance dynastique
cèdera plus tard sa place à celle de la Nation avec les
révolutions du XVIIIe siècle. On va également observer une
diversification des institutions politiques et administratives et
une plus grande « juridicisation » des rapports entre gouvernants
et gouvernés avec le développement de l’Etat de droit, de
l’administration légal-rationnelle. Avec la différenciation sociale
née de l'expansion économique observée à partir du XVIe siècle,
les classes bourgeoises dirigeantes sont contraintes à un partage
du pouvoir par les autres forces sociales. D’où la création
d'assemblées représentatives puis l’élargissement progressif du
droit de suffrage.

Dans la conception marxiste, la structure de l’économie


permet de comprendre l’origine de l’Etat. En effet, à chaque
système de production correspond un type d’Etat, lequel
apparaît comme le résultat d’une lutte des classes. Ainsi, l’Etat
« bourgeois », qui correspond au mode de production capitaliste,
serait le résultat de l’antagonisme des classes « prolétaire » et

1
Bertrand Badie et Pierre Birnbaum, Sociologie de l’Etat, Paris, Grasset, 1979, p.54.
2
La féodalité est un système social, culturel, économique, politique qu’a connu l’Europe de l’Ouest du XIe à la fin
du XVe siècle. Ce système qui a cédé sa place à la monarchie territoriale constitue pour les marxistes le mode de
production qui a précédé le capitalisme. La féodalité repose sur « le primat des relations réelles d’homme à homme
au regard d’une chaîne de dépendances réciproques hiérarchisées. Les seigneurs reçoivent leur fief territorial d’un
suzerain – roi ou prince d’un rang supérieur – en contrepartie d’un engagement mutuel de secours, cependant que les
paysans sont censés souscrire avec eux un contrat tacite qui leur assure leur protection en échange de fournitures
matérielles et de prestations de service (y compris le service militaire…) ». Guy Hermet, Bertrand Badie et autres,
Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin, 2 e édition, 1996, p.11 et 112.

47
« bourgeoise » et constituerait un moyen de domination de la
première par la seconde. L’instauration du socialisme était
censée préparer l’avènement d’une société sans classes qui se
traduira par un dépérissement de l’appareil d’Etat. A la
domination de l’homme par l’homme se substituera
l’administration des choses1.

En contrastant l'Etat moderne avec les formes


traditionnelles d'organisation politique, il est possible de faire
ressortir sa spécificité. Ce qui les différencie, en effet, c’est à la
fois l’organisation bureaucratique et le monopole de la violence
physique légitime, qui constituent les deux critères sociologiques
essentiels de l’Etat moderne. L'Etat moderne se distingue donc
par la centralisation de la coercition légitime et
l'institutionnalisation du pouvoir, anti-thèse du patrimonialisme2
qui caractérise la plupart des dominations politiques
traditionnelles. C’est dans cette optique que Max Weber définit
l’Etat comme « une entreprise politique de caractère
institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative
revendique avec succès, dans l’application des règlements, le
monopole de la contrainte physique légitime »3.

B. La genèse de l’état africain

Né dans l'espace socio-politique européen, l'État moderne


sera exporté ailleurs, en particulier en Afrique à la faveur de la
colonisation. Mais cet État d'origine étrangère sera réapproprié
par les élites et les populations africaines. Il va cependant y
revêtir une trajectoire spécifique.

1
Mais on sait que cette prédiction ne s’est pas vérifiée, à la lumière de l’expérience des anciens pays socialistes du
bloc soviétique qui a implosé à la fin des années quatre-vingts. Mais de nombreux politiciens et forces politiques
continuent à rester fidèles à l’idéologie marxiste-léniniste.
2
Le patrimonialisme peut être défini comme un système dans lequel le détenteur du pouvoir gère l’espace public
comme un espace domestique. Il se caractérise donc essentiellement par la confusion des domaines public et privé.
3
Max Weber, Economie et société, T.1., Paris, Plon, 1971, p. 97.

48
1. L’imposition de l’Etat moderne en Afrique

Jusqu’en 1880, l’Etat – traditionnel - ne constituait pas


encore la forme d’organisation politique la plus répandue sur le
continent africain1. Les royaumes, empires, cités-Etats
coexistaient en effet avec de nombreuses autres formations
politiques, fondées sur les lignages, les villages, les clans, etc.2.
Entre 1880 et la première décennie du XXe siècle se produit la
rencontre brutale de l’Afrique et de l’impérialisme colonial3. Les
pays voltaïques eux sont conquis entre 1895 et 18984. Après la
conquête et la pacification des territoires africains, les
puissances coloniales vont prendre les dispositions nécessaires
pour organiser les territoires et les maintenir sous leur
domination. Progressivement se met en place un système
d’administration moderne, en particulier dans la période de
l’entre-deux-guerres. Ce système était cependant tronqué. Il se
limitait essentiellement à une implantation urbaine concentrée
dans la capitale et reliée au reste du territoire par quelques
postes administratifs dénués des ressources nécessaires à leur
fonctionnement. Le but d’un tel système n’était pas tant
d’administrer un espace que de le contrôler en vue d’en extraire
les ressources économiques susceptibles d’assurer
5
l’autofinancement de la colonie . La pénétration géographique
et sociale demeurait superficielle jusqu’au début des années
trente, et les découpages des circonscriptions administratives ne

1
Mais l’Etat précolonial africain comportait des limites, du point de vue de sa centralisation et de ses capacités
d’extraction d’un surplus, par rapport à l’Etat moderne qui a émergé en Europe.
2
Elikia M’Bokolo, dir., Afrique noire, Histoire et Civilisations, Tome 2, XIXe – XX e siècles, Paris, Hatier-AUPELF,
1992, p.13.
3
C’est à tort semble-t-il qu’on attribue à la conférence de Berlin qui s’est tenue du 15 novembre 1884 au 26 février
1885 le fait d’avoir procédé au partage de l’Afrique, qui a eu lieu dans les années 1890 et au début du XXe siècle. La
conférence en réalité avait été convoquée pour régler trois questions : celle de la liberté de commerce dans le bassin
du Congo, celle de la liberté de navigation sur les fleuves à vocation internationale tels que le Congo et le Niger,
celle des formalités à accomplir pour que les occupations ultérieures sur les côtes africaines soient considérées
comme effectives. Voir Elikia M’Bokolo, T2., op. cit., p.278
4
Gabriel Massa et Y. Georges Madiéga, dir., La Haute-Volta coloniale : témoignages, recherches, regards, Paris,
Karthala, 1995, p.13.
5
Dominique Darbon, L’administration, in Christian Coulon et Denis-Constant Martin, dir., Les Afriques politiques,
Paris, La Découverte, 1990, p.174.

49
s’effectuaient pas toujours dans le respect des communautés
sociales.

C’est donc une relation particulière qui va s’instaurer entre


cet Etat exogène et les populations locales. Celles-ci seront
contraintes de vivre dans des frontières artificielles, qui
séparent un même groupe ethnique ou réunissent des groupes
« ennemis » ou qui n’ont jamais entretenu entre eux un
quelconque commerce juridique, économique, social ou
politique. L’Etat colonial constitue ainsi la première expérience
de l’Etat moderne bureaucratique en Afrique. Toutefois, il faut
préciser que les puissances coloniales n’ont jamais envisagé
l’extension aux sociétés africaines du modèle d’organisation
politique libéral dont les bienfaits étaient quasi exclusivement
réservés aux citoyens de la métropole. Aussi ont-elles exporté en
Afrique, à travers différentes politiques coloniales, un modèle
bureaucratique tronqué dont le fonctionnement reposait
essentiellement sur la coercition et sur une idéologie faussement
moderniste.
Les principes de fonctionnement de cette administration
diffèrent profondément de ceux de la métropole. La confusion
du politique et de l’administratif est totale, plus systématique
chez les Français que chez les Anglais. Les administrateurs
coloniaux bénéficiaient d’une véritable concentration de
pouvoirs politiques, administratifs, judiciaires et législatifs, qui
faisait d'eux de véritables « rois de la brousse ». Ils assuraient
directement et personnellement toutes les tâches relevant de la
souveraineté politique (fiscalité, justice, police, recrutement
militaire) et contrôlaient également tous les services publics
spécialisés (infrastructure, éducation, santé, économie, etc.). La
différenciation ne se fera qu’à partir des années cinquante,
période à partir de laquelle le système légal mis en place
fonctionnera sur la base de textes réglementaires. Aucune loi,
aucun décret des autorités métropolitaines ne pouvait être

50
appliqué avant d’avoir été promulgué par les gouverneurs
généraux. Aucun délai ne leur étant imposé pour le faire, ces
derniers pouvaient, en fait, mettre en échec un texte
réglementaire en repoussant sa promulgation1 aux calendes
grecques.

On oppose souvent l’administration directe française, à


l’administration indirecte britannique (Indirect Rule). Dans la
pratique, confrontées à la pénurie de ressources humaines et
matérielles, les deux puissances, au cas par cas, selon le degré
de structuration hiérarchique des sociétés, en fonction de leur
désir de coopérer, ont dû recourir à l’une ou l’autre technique.
La France a appliqué dans un premier temps une politique
d’administration directe fondée sur l’assimilation, qui supposait
l’envoi massif de personnel européen. Faute de personnel2, elle
a mis en œuvre une politique d’administration indirecte fondée
sur l’association après la première guerre mondiale, en
recourant d’une part à des intermédiaires directs, interprètes,
commis, gardes, et d’autre part à des intermédiaires indirects,
la chefferie administrative. Mais cette dernière n’avait plus rien
à voir avec l’institution indigène authentique. En effet,
l’administration coloniale va déstructurer celle-ci en
instrumentalisant les autorités traditionnelles, en supprimant les
chefferies qui remettaient en cause son autorité, en en créant
de nouvelles, artificielles, en installant des chefs fantoches, etc.
Dans tous les cas, les chefs seront réduits à la condition
d’auxiliaires qui se verront confier plusieurs tâches ingrates
(collecte d’impôt, réquisition de main-d’oeuvre, etc.). Sur le
plan organisationnel, la France mettra en place un système
pyramidal centralisé avec au sommet le ministre des colonies,
ensuite, les gouverneurs généraux des deux grandes fédérations
qui regroupaient les territoires coloniaux, l’Afrique Occidentale
1
O. Colombani, Mémoires coloniales. La fin de l’Empire français d’Afrique vu par les administrateurs coloniaux,
Paris, La découverte, 1991, p.12 et s.
2
On dénombrait moins de 400 administrateurs pour toute l’Afrique occidentale française jusqu’en 1937.

51
Française (AOF) avec pour capitale Dakar, et l’Afrique
Équatoriale française (AEF) avec pour capitale Brazzaville. A la
base de la pyramide se trouvaient les gouverneurs des territoires
coloniaux, lesquels étaient quadrillés par des cercles dirigés par
des commandants qui étaient soit des officiers (territoires
militaires), soit des administrateurs civils (la pacification
achevée). Les cercles, circonscriptions administratives de base,
étaient quant à eux subdivisés en divisions ou postes. S’agissant
de la Grande Bretagne, elle a davantage recouru à une politique
d’administration indirecte conforme à sa tradition d’autonomie.
Cette politique reposait sur un postulat non assimilationniste qui
refuse d’imposer aux indigènes un modèle étranger, et se
propose de respecter leurs valeurs et coutumes.

A partir de la fin de la seconde guerre mondiale, on assiste


à un essor des mouvements nationalistes en Afrique. Soumises à
des pressions externes et internes, les puissances coloniales, la
France et la Grande-Bretagne en particulier, sont obligées de
concéder l’indépendance à leurs territoires coloniaux. Dans la
plupart des cas, la décolonisation s’est faite de façon pacifique
et dans la coopération. De nombreux administrateurs coloniaux
ont été recasés dans l’administration post-coloniale, notamment
dans les anciennes colonies françaises, sous la casquette de
« coopérants ». Quant à l’organisation administrative héritée de
la colonisation, elle a été dans l’ensemble maintenue ou copiée
sur les modèles des anciennes puissances coloniales, moyennant
quelques réformes administratives et l’africanisation progressive
du personnel administratif1. Comme on peut le constater, les
conditions d’apparition de l’Etat en Afrique sont bien différentes
de celles qui ont présidé à la genèse de l’Etat en Europe. En ce
sens, note Georges Burdeau, « l’Etat y est un produit
d’importation et il lui faudra, pour s’enraciner, passer par
toutes les étapes qui, dans les vieux pays, ont préparé son

1
Voir B. William Cohen, Empereurs sans sceptre, Paris, Berger-Levrault, 1973.

52
avènement. Il lui faudra lutter contre les chefferies
traditionnelles aussi susceptibles quant à leurs prérogatives que
l’étaient les féodaux d’antan : il devra affronter la concurrence
des pouvoirs religieux en évitant que la laïcisation de l’Etat
affaiblisse sa cohésion spirituelle ; il aura, le plus souvent, à
créer une nation… ; et il lui faudra surtout habituer les
gouvernés à l’abstraction du pouvoir »1.

2. La réappropriation de l’Etat

Dès l’époque coloniale, et en dépit de sa superficialité,


l’appareil administratif, mais aussi la culture étatique vont
pénétrer les sociétés locales, les influencer et seront, en retour,
influencés par elles. L’impact administratif est plus visible dans
les espaces urbains qui sont remodelés en même temps que
l’organisation sociale. Dans les espaces ruraux, l’administration
va également exercer son influence à travers différents
instruments (territorialisation, travaux forcés, impôts,
monétarisation, scolarisation, etc.). Mais inversement, les
populations locales vont développer des stratégies pour
contourner et détourner les procédures administratives, et peser
donc sur le fonctionnement de l’administration coloniale.
Comme le constatait déjà un administrateur colonial, « les
principes africains ne sont plus intrinsèquement indigènes ni les
méthodes européennes purement métropolitaines, (…) les uns et
les autres sont étroitement mêlés et profondément modifiés. Il
existe un fait nouveau : un monde africain qui a réagi à l’Europe
et qui crée son régime propre, en administration comme en
toute chose... [et] oblige à sentir ce qui est à son goût et à
chercher les lois qui ne blesseront pas ses intérêts... »2).

Ce processus d’interaction réciproque entre l’Etat importé


et la société locale va se poursuivre après les indépendances.
1
George Burdeau, Tome 2., op. cit., p.18.
2
Robert Delavignette, Service africain, Paris, Gallimard, p.90.

53
Ainsi, l’Etat hérité de la colonisation sera progressivement
réapproprié par les acteurs locaux. Comme le disent Bertrand
Badie et Guy Hermet, « toute "entrée" de structures politiques
exogènes se traduit par une adaptation - consciente ou non - de
ses traits aux données culturelles de la société importatrice »1.
Cette réappropriation du modèle d'Etat occidental s’opère sur le
triple plan de l'africanisation du personnel, de la réadaptation
(aménagements structurels) et de la réinterprétation
(transformations de significations). L'Etat importé a été donc
investi par les élites et acteurs sociaux africains selon leurs
propres intérêts, et réinterprété par ces derniers en fonction de
leurs représentations culturelles propres. « Tout ‘importé’ qu’il
fût, il a fait l’objet de processus complexes d’appropriation’ qui
lui ont rapidement conféré des fondements sociaux et culturels
propres »2. C’est pourquoi certains auteurs comme Jean-François
Bayart, estiment que loin d'être inadapté, cet Etat est enraciné
dans les sociétés du cru3, obligé de composer et de négocier des
compromis permanents avec les structures et forces sociales
pour assurer sa légitimité4.

1
Bertrand Badie et Guy Hermet, Politique comparée, Paris, PUF, 1990, p.240.
2
Jean-François Bayart, Le gouvernement du monde : une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004,
53.
3
Jean-François Bayart, L'État, in C.Coulon et D-C. Martin, dir., Les Afriques politiques, Paris, La Découverte, 1991,
p.218. Mais cette position n’est pas partagée par tous les auteurs. Ainsi, selon Bertrand Badie et Pierre Birnbaum, les
sociétés du tiers-monde, « étrangères à la culture européenne, et donc aux formules qui ont été à l'origine de l'État,
insérées dans un système économique principalement contrôlé du dehors, ayant presque toujours connu une
domination militaire et souvent coloniale […] ont abordé la construction étatique essentiellement par mimétisme, par
reprise plus ou moins forcée de modèles exogènes, issus des sociétés industrielles de l'Est et de l'Ouest,
artificiellement plaqués sur des structures économiques, sociales et politiques qui réclamaient probablement un autre
type d'organisation », Sociologie de l’Etat, Paris, Grasset, 1979, p.160.
4
Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer au poids politique dont disposent les autorités traditionnelles et
religieuses au Burkina Faso. Les régimes politiques qui ont tenté d’ignorer ce poids n’ont guère duré. Comme le dit
Jean-François Bayart, « l’Etat instauré par le colonisateur a d’emblée fait l’objet d’un double mouvement
d’appropriation de la part de ceux qu’il s’était soumis. D’une part, il a été investi par les acteurs sociaux
autochtones au mieux de ce qu’ils pensaient être leurs intérêts. De l’autre, il a été interprété par ceux-ci en fonction
de leurs représentations culturelles propres. De ce double point de vue, l’Etat contemporain en Afrique noire est
doté d’une historicité propre. Bien des traits de la vie politique au sud du Sahara attestent non son inadaptation,
comme on le dit trop facilement, mais au contraire son enracinement dans les sociétés du cru ». Jean-François
Bayart, L’Etat, in C. Coulon et D.C. Martin (dir.), Les Afriques politiques, Paris, La Découverte, 1991, p 213 et s.

54
§ 2 : L’approche juridique et institutionnelle de l’état

L’approche socio-historique de l’Etat ne prend pas en


compte les aspects juridiques du phénomène étatique et ne rend
pas compte de la formation de tous les Etats1. C’est pourquoi
certains juristes se sont efforcés de proposer une explication
juridico-institutionnelle de l’origine de l’Etat.

A. La thèse de l’origine institutionnelle de l’état

La thèse de l’origine institutionnelle trouve son point de


départ avec le constat fait par le doyen Hauriou que « l’Etat
présente les caractères d’un organisme social structuré qui
relève d’un processus de biologie institutionnelle »2. La création
de l’Etat serait la manifestation de la volonté d’un groupe de
personnes, qui conçoit l’idée de l’Etat et se donne les moyens
politiques et juridiques de la concrétiser en gagnant à sa cause
le groupe intéressé. L’Etat serait le produit d’une différenciation
des gouvernants des gouvernés, les premiers étant investis de la
puissance publique, c’est-à-dire du pouvoir de contrainte. Mais
un tel pouvoir ne manque pas d’être contesté par les hommes.
Progressivement, il est apparu plus satisfaisant d’avoir à obéir à
une entité abstraite plutôt que d’avoir à obéir à une personne.
D’où l’institution de l’Etat. Ainsi, l’Etat procèderait
historiquement du phénomène de l’institutionnalisation, c’est-à-
dire de la dissociation du pouvoir de la personne même qui
l’exerce. Le pouvoir individualisé cède donc la place à l’Etat.
Son émergence est consubstantielle de celle d’un ordre juridique
institué par une « loi fondamentale » en lieu et place du
désordre de fait antérieur3. L’Etat apparaît donc comme une
institution juridique, le support abstrait du pouvoir politique
dans toute société politique organisée. C’est « un ordre
1
C’est le cas des nouveaux Etats africains post-coloniaux
2
Jean Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, 15e édition, Paris, Montchrestien, 1997, p.59.
3
Pierre Pactet, op. cit., p.41.

55
juridique relativement centralisé, immédiatement en relation
avec l’ordre international »1. Il présente un certain nombre
d’attributs juridiques. Mais sa reconnaissance préalable implique
la réunion de plusieurs éléments constitutifs.

B. Les éléments constitutifs de l’état

Le droit international tel que construit par les Etats occidentaux


définit l’Etat moderne à partir de trois critères constitutifs : le pouvoir
politique, la population, le territoire.

1. Le pouvoir politique

Le pouvoir politique peut être défini comme « le pouvoir de


prévision, d’impulsion, de décision et de coordination qui
appartient à l’appareil dirigeant du pays, en principe celui de
l’Etat, c’est-à-dire aux gouvernants au sens large, et qui leur
permet de déterminer et de conduire l’ensemble de la politique
nationale, avec tout ce qu’elle implique dans l’ordre interne
comme dans l’ordre international »2. Le pouvoir d’Etat se
caractérise par un certain nombre de traits. C’est un pouvoir :

De centralisation de la gestion de son territoire.


D’arbitrage et de négociation avec les forces économiques
et sociales.
Extrapatrimonial, c’est-à-dire qui ne se confond pas avec le
patrimoine privé des gouvernants.
Civil et temporel, c’est-à-dire qu’il n’est ni militaire, ni
religieux ou antireligieux, mais laïc3.

Le pouvoir d’Etat se distingue aussi par son caractère


contraignant, initial et global1. Il est contraignant en ce que la
1
Henri Brun et Guy Tremblay, op. Cit., p.63.
2
Pierre Pactet, op. cit., p.16.
3
Jean Gicquel, op. cit., p.5 et s.

56
légitimité de celui qui l’exerce2, ainsi que l’usage ou la menace
d’usage de la force par ce dernier commande l’obéissance. Il est
initial en ce que tout part des autorités publiques qui disposent
d’un pouvoir de décision, d’initiative et d’innovation supérieur à
celui dont pourraient disposer d’autres forces politiques. Il est
enfin global en ce qu’il s’applique à l’ensemble de la
communauté, à l’ensemble du territoire national. Dans l’Etat
moderne, le gouvernement dispose d’un pouvoir général de
réglementation et de contrainte sur les populations. Ainsi, l’Etat
peut définir des règles générales et impersonnelles s’imposant
aux individus et aux groupes à travers les lois votées par
l’Assemblée nationale ou les textes réglementaires adoptés par
l’autorité gouvernementale ou administrative. Pour en assurer le
respect, l’Etat a le pouvoir de recourir à la coercition grâce au
monopole de la contrainte physique légitime3 qui lui est
reconnu. En conséquence, aucun individu ou groupe ne peut
avoir une volonté qui s’oppose à celle de l’Etat, entretenir des
milices ou détenir des moyens de contraintes réservés à l’Etat.

L’analyse du pouvoir politique dans les sociétés


traditionnelles montre que ce pouvoir obéit à la fois à des
déterminismes internes provenant de la nécessité d’assurer la
cohésion interne au regard de la dynamique propre de la société
et à une nécessité extérieure, à savoir assurer la sécurité
externe. Il contient deux attributs principaux : sa sacralité et
son ambiguïté. Si dans les sociétés traditionnelles, le sacré et le
politique sont souvent imbriqués, dans les sociétés modernes
laïcisées « le pouvoir politique n’y est jamais entièrement vidé
de son contenu religieux qui reste présent, réduit et discret »4.

1
Ibid., p.17.
2
Cette légitimité suppose que le détenteur du pouvoir a été désigné conformément aux procédures en vigueur et qu’il
est accepté par ceux qui lui doivent obéissance.
3
Pour être légitime, l’exercice du pouvoir de coercition doit être non seulement conforme aux textes qui le régissent,
mais aussi accepté par les gouvernés. Ce qui n’est pas toujours le cas, notamment dans les pays où l’Etat de droit
n’est pas encore assuré.
4
Georges Balandier, Anthropologie politique, 5 e édition, Quadrige, Paris, PUF, 2004, p.118 et s.

57
Comme l’affirme Karl Marx, « le pouvoir étatique et la religion
sont dans leur essence de nature semblable, même lorsque
l’Etat est séparé de l’Eglise et la combat. Cette parenté tient au
fait que l’Etat se situe (ou paraît se situer) au-delà de la vie
réelle, dans une sphère dont l’éloignement évoque celui de Dieu
ou des dieux »1. Dans les Etats africains post-coloniaux où la
sécularisation du pouvoir demeure un processus inachevé, le
sacré demeure une dimension essentielle du champ politique2.
Son usage peut s’inscrire dans une stratégie de conquête et de
légitimation du pouvoir politique, ou au contraire, dans une
stratégie de limitation ou de contestation de ce pouvoir. Le
pouvoir est aussi ambiguïté, en ce sens qu’il apparaît à la fois
comme nécessaire et contraignant, mais aussi limité en ce qu’il
repose sur le consentement, la légitimité et une certaine
réciprocité. S’il ne veut pas être contesté, il doit entretenir sa
légitimité en assurant à ses sujets, sécurité et prospérité.3.

2. La population : la nation, le peuple et la citoyenneté

L’Etat est avant tout une communauté humaine, un groupe


social. La population, c’est l’ensemble des individus composant
une société humaine. Elle apparaît comme une donnée
démographique, statistique. Cette notion ne doit pas être
confondue avec des notions voisines comme celles de peuple, de
nation ou de citoyenneté. Le peuple est une notion comportant
une charge idéologique. Ainsi, au Burkina Faso, sous la période
révolutionnaire, le peuple était défini comme l’ensemble de la
population à l’exception des adversaires ou opposants au

1
Cité par Georges Balandier, Ibid, p.118 et s.
2
Voir Christian Coulon et Denis-Constant Martin, dir. Les Afriques politiques, Paris, La Découverte, 1990, p.103.
3
Georges Balandier, op. cit., p.47. C’est dans ce sens que R. Firth affirme que le pouvoir, qui est à la fois accepté et
contesté, ne peut gouverner exclusivement par la force. En effet, tout pouvoir « recherche et reçoit une part variable
d’adhésion des gouvernés : soit par apathie routinière, soit par incapacité à concevoir une alternative, soit par
acceptation de quelques valeurs communes estimées inconditionnelles. Mais de toute façon, les gouvernés imposent
des limites au pouvoir..., en recourant aux “institutions formelles” (conseils ou groupes d’anciens désignés par les
clans) et aux “mécanismes informels” (rumeurs ou évènements manifestant l’opinion publique ». Voir G. Balandier,
Ibid, p.49.

58
régime, stigmatisés comme étant des « ennemis du peuple »,
des « réactionnaires », des « contre-révolutionnaires » ou des
« apatrides ».

Quant à la notion de nation, sa définition est également


controversée. Dans la conception française de la nation
développée par Ernest Renan en 1882, la nation ne dépend ni
d’une race ni d’une langue, ni d’intérêts économiques partagés
ni encore de la géographie. Elle serait « une âme, un principe
spirituel…Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le
présent par un fait tangible : le consentement, le désir
clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence
d’une nation est un plébiscite de tous les jours »1. A cette
conception qualifiée de subjective, d’universaliste, de
rationaliste ou de dimension individualiste s’oppose une
conception dite objective, organique et culturelle, de dimension
holistique développée par le philosophe allemand Johann
Gottfried von Herder. Pour ce dernier, les nations sont des
communautés humaines séparées par des forêts et des
montagnes, et qui se distinguent surtout par les langues, les
goûts et les caractères2. Dans une approche synthétique et
globale, le sociologue français Marcel Mauss définira la nation
comme « une société matériellement et moralement intégrée, à
pouvoir central stable, permanent, à frontières déterminées, à
relative unité morale, mentale ou culturelle des habitants qui
adhèrent consciemment à l’Etat et à ses lois »3. Dans bien des
cas, l’Etat et la nation ne coïncident pas. Si les Etats-Unis, la
France ou la Grande-Bretagne par exemple constituent des
types-idéaux d’Etat-nation, il n’en va pas de même pour la quasi
totalité des Etats africains et pour le Burkina Faso en particulier
où coexistent des mosaïques de groupes ethniques, aux

1
Voir Guy Hermet et als., Dictionnaire de la science politique et des institutions, Paris, Armand Colin, 1996, p.179
2
Ibid.
3
Ibid.

59
solidarités culturelles et linguistiques potentiellement tournées
vers l’extérieur de frontières étatiques arbitraires.
En vue de promouvoir l’intégration nationale, le Burkina Faso, à
l’instar des autres Etats africains francophones s’est rallié à la
conception moniste du droit. Ce choix a non seulement ruiné la
coutume comme mode d’organisation de la société mais aussi
favorisé une conception instrumentale du droit, considéré
désormais comme un moyen de promouvoir l’intégration
nationale. En réalité, la question du pluralisme juridique
apparaît comme l’une des clés de l’analyse de la construction et
de la consolidation démocratique en Afrique. Elle renvoie certes
à la question du droit applicable, mais aussi et surtout à la
question du sujet politique de la démocratie. Si la source de tout
pouvoir émane du juste consentement du peuple, on peut se
demander de quel peuple il s’agit : s’agit-il d’un peuple unique
et homogène parlant d’une seule voix ou au contraire d’un sujet
pluriel, composé de plusieurs entités dont les voix et les intérêts
sont multiples voire contradictoires ? Au nom de la « République
une et indivisible », le monisme a triomphé dans la plupart des
pays francophones. Mais ce dogme de l’unité est aujourd’hui
remis en cause sous les pressions des revendications des
populations en faveur davantage de liberté. En France, le
modèle moniste de la démocratie est ébranlé, avec la
mondialisation, la construction européenne et la
décentralisation, qui aboutissent à une fragmentation de la
souveraineté et à la reconnaissance d’une vision pluraliste du
peuple (kanak, européen, corse). La reconnaissance du principe
de la parité confirme cette métamorphose1. C’est dans ce
contexte que la question des quotas a fait irruption dans le
débat politico-juridique en Afrique. Au nom d’une certaine
conception de l’égalité sous-tendue par le dogme de l’unité, au
nom de l’indivisibilité du corps électoral par exemple, certains
1
Voir Luc Heuschling, La structure de la légitimité démocratique en droit français : entre monisme et pluralisme,
entre symbolique du sujet et ingénierie des pouvoirs, in Revue universelle des droits de l’Homme, Vol. 16 No.9-12
du 30 décembre 2004, p.342 et ss.

60
parlementaires soutenus par certains juristes s’opposent à la
mise en œuvre de mesures de discrimination positive qui
seraient anticonstitutionnelles, arguant que la ratification de la
convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination
à l’égard des femmes qui admet la possibilité de recourir à titre
transitoire à des mesures de quotas, ne constitue pas un
fondement juridique suffisant. Au contraire, au Niger, les juges
constitutionnels ont joué un rôle essentiel, constructif, non
seulement pour l’acceptation des lois instituant des quotas
(problème de la constitutionnalité) mais aussi pour le respect
des quotas (validation des listes de candidatures présentées par
les partis). Les juristes africains se trouvent donc confrontés à
un choix qui n’est guère difficile à opérer, faire du droit un
moyen d’accompagner les demandes de démocratisation ou
s’enferrer dans un conservatisme au nom d’une vision
manifestement décalée avec les réalités contemporaines.

L’ordre juridique moniste de l’Etat ne s’applique pas


seulement à l’intérieur de ses frontières étatiques. Il s’applique
aussi et surtout à une catégorie de personnes, certaines résidant
sur le territoire national, d’autres à l’extérieur : les citoyens. La
citoyenneté peut être définie au sens formel comme le lien
juridique qui rattache l’individu à l’Etat et lui confère des droits
et des obligations envers cet Etat1. La citoyenneté est une
conséquence de la nationalité, qui constitue, en droit
international, le principal critère de rattachement des individus
à l’ordre juridique international. Comme l’affirme Henri Brun et
Guy Tremblay, « le droit international reconnaît à chaque Etat la
liberté de conférer sa nationalité à qui il le veut et de la retirer
quand il le veut, sous réserve des droits des autres Etats ». Il en
résulte parfois des situations d’apatridie2 ou de double voire
multiple nationalités, du fait des conflits de lois, des
1
Henri Brun et Guy Tremblay, op. Cit., p.144.
2
Un « apatride » n’est pas un « traître à sa patrie ». En droit, un apatride est un individu qui n’a plus de nationalité
du fait des incohérences ou des conflits des lois. Le droit international s’efforce de régler ces conflits.

61
incohérences entre les différents ordres juridiques ; d’autant
que les Etats peuvent utiliser différents critères pour l’octroi de
leur nationalité, le droit du sol (jus soli)1 ou le droit du sang (jus
sanguinis)2 ou combiner les deux à la fois.

Au Burkina Faso, le code des personnes et de la famille en


vigueur depuis le 4 août 1990 consacre quatre modes
d’acquisition de la nationalité : l’acquisition par le mariage, en
raison de la naissance et de la résidence au Burkina, par la
déclaration de nationalité et par la décision de l’autorité
publique. L’acquisition par le mariage est régie par les articles,
151, 152, 153 et 154 du code des personnes et de la famille. La
règle est que l’étranger ou l’apatride qui épouse un Burkinabè
acquiert la nationalité burkinabè au moment de la célébration
de son mariage. Mais l’étranger a la faculté de déclarer
antérieurement à la célébration du mariage qu’il décline la
qualité de burkinabè dans le cas où sa loi nationale lui permet
de conserver sa nationalité. Il est à noter qu’au cours du délai
de six mois qui suit la célébration du mariage, le gouvernement
peut s’opposer par décret à l’acquisition de la nationalité
burkinabè. L’acquisition en raison de la naissance et de la
résidence au Burkina Faso constitue une seconde modalité.
Ainsi, les enfants nés de parents qui ne sont pas des agents
diplomatiques ou des consuls au Burkina, ont la faculté
d’acquérir la nationalité burkinabè. Le principe est que tout
individu né au Burkina de parents étrangers acquiert la
nationalité burkinabè à sa majorité, s’il a sa résidence
habituelle au Burkina à cette date depuis au moins cinq ans.
Toutefois, il a la faculté de renoncer à la nationalité burkinabè
et le gouvernement du Burkina Faso conserve un droit
d’opposition à l’acquisition de la nationalité. L’acquisition par

1
Le critère du droit du sol implique d’accorder la nationalité à tout enfant né sur le territoire de l’Etat même
fortuitement.
2
Avec le critère du droit du sang, la nationalité de l’enfant découle de celle des parents, quel que soit son lieu de
naissance.

62
déclaration de nationalité est une troisième modalité. Ainsi,
l’enfant mineur né au Burkina Faso de parents étrangers peut
réclamer la nationalité burkinabè par déclaration s’il a, au
moment de sa déclaration, sa résidence au Burkina depuis au
moins cinq ans. L’acquisition par décision de l’autorité publique
constitue une dernière modalité. L’acquisition résulte
essentiellement de la naturalisation et de la réintégration et le
requérrant doit remplir aussi bien des conditions de forme que
de fond, définies par les articles 163 à 170 du code des
personnes et de la famille.

L’acquisition de la nationalité burkinabè a pour effet


l’assimilation de l’acquéreur au Burkinabè d’origine. Toutefois,
ce dernier est soumis à deux incapacités (articles 180 et 181).
L’incapacité d’être investi pendant un délai de trois ans à partir
du décret de naturalisation, de la fonction élective pour
l’exercice de laquelle la qualité de Burkinabè est nécessaire.
Ensuite, il s’agit de l’incapacité d’être électeur, pendant trois
ans à partir du décret de naturalisation, lorsque la qualité de
Burkinabè pour permettre l’inscription sur les listes électorales
est nécessaire. Toutefois, le naturalisé qui a rendu des services
exceptionnels au Burkina Faso ou dont la naturalisation présente
pour le Burkina Faso un intérêt exceptionnel, peut être relevé
par décret, en tout ou en partie, des incapacités prévues.

L’acquisition de la nationalité n’est pas irréversible. Elle


peut en effet faire l’objet d’un retrait pour des raisons diverses.
Ainsi, selon l’article 189 du code des personnes et de la famille,
un individu peut se voir déchu de la nationalité burkinabè :

S’il est condamné pour un acte qualifié crime ou délit


contre la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat.
S’il est condamné pour un acte qualifié crime ou délit
contre les institutions du Burkina Faso.

63
S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes
incompatibles avec la qualité de Burkinabè et
préjudiciables aux intérêts du Burkina Faso.
S’il a été condamné au Burkina ou à l’étranger à une peine
d’au moins cinq années d’emprisonnement pour un acte
qualifié crime par la loi burkinabè.
S’il a fait l’objet d’une condamnation égale ou supérieure à
trois mois d’emprisonnement soit pour infraction à la
réglementation des prix, soit pour fraude fiscale.

3. Le territoire

Le territoire peut être défini comme « l’espace à l’intérieur


duquel toutes les personnes s’y trouvant sont assujetties à un
ordre juridique autonome »1 ou encore « l’espace en fonction
duquel l’Etat exerce l’ensemble de ses compétences
matérielles »2. Le territoire est donc la base matérielle de
l’Etat. Il n’existe pas d’Etat sans territoire et il n’existe plus de
territoire sans Etat3. Le pouvoir politique moderne s’exerce sur
un territoire bien déterminé qu’il transforme en le dotant
d’équipements ou d’infrastructures de base. Le territoire porte
donc les empreintes du pouvoir.

L’Etat moderne, à la différence des systèmes politiques


traditionnels, est fortement territorialisé avec l’invention de la
notion de « frontière-ligne »4. Le territoire peut être discontinu
ou enclavé. Il inclut des éléments terrestres (sol, sous-sol),
aquatiques (eaux intérieures, mer), aériens, ainsi que les
démembrements de l’Etat situés à l’extérieur (les ambassades
ou bases militaires).

1
Henri Brun et Guy Tremblay, op. cit., p.127.
2
Ibid., p.128.
3
Voir par exemple le statut de l’Antarctique, continent du cercle polaire austral couvert de glace et inhabité en
dehors des stations scientifiques.
4
Par opposition à la notion de « frontière-zone », plus imprécise, qui s’applique au territoire des sociétés étatiques
traditionnelles.

64
Le territoire joue plusieurs fonctions : la première fonction
est d’assurer l’indépendance et la sécurité des populations qui
vivent dans les limites territoriales tracées par les frontières. La
deuxième fonction est de délimiter les compétences territoriales
de chaque Etat. La troisième est de déterminer les habitants qui
seront soumis à l’autorité du pouvoir étatique. Le territoire sert
donc à circonscrire la compétence personnelle de l’Etat.

Le territoire est lié à une histoire, à une culture et à un


contexte international. Il est dès lors fragile et contestable.
C’est que le territoire apparaît comme un construit social, c’est-
à-dire qu’il est le résultat « d’une tentative faite par un individu
ou un groupe d’affecter, d’influencer ou de régir des personnes,
des phénomènes ou des relations en délimitant et en contrôlant
une aire géographique »1. En Afrique par exemple, les territoires
des Etats actuels ont été dessinés à la faveur de la colonisation
du continent, qui a été partagé par les puissances européennes
entre 1890 et le début du XXè siècle en fonction de leurs
négociations et rapports de force militaire sur le terrain. Ce sont
ces frontières arbitraires qui ont été léguées aux Etats africains
au lendemain des indépendances. Pour assurer la stabilité de
leurs frontières et éviter les conflits, les nouveaux Etats
africains ont préféré consacrer le principe de l’intangibilité des
frontières héritées de la colonisation (c’est le principe de l’uti
posseditis). Outre les problèmes nés du caractère arbitraire des
frontières de l’Etat africain se posent ceux liés au cadre
territorial approprié pour garantir le développement et à la
nature du pouvoir politique nécessaire pour une gestion efficace
de ces espaces territoriaux2.

C. Les caractères juridiques de l’état


1
R. D. Sack cité par G. Hermet als., op. cit., p.271.
2
John O. Igue, Le territoire et l’Etat en Afrique. Les dimensions spatiales du développement, Paris, Karthala, 1995,
p.21.

65
D’un point de vue juridique, l’Etat présente deux
caractères essentiels : la personnalité morale et la souveraineté.

1. La personnalité morale de l’Etat : l’institutionnalisation du


pouvoir

En tant que personne morale, l’Etat se présente comme une


entité distincte de la personne de ceux qui parlent et agissent
en son nom. La notion de personne morale implique donc qu’il
soit conféré une existence et une capacité juridiques à des
groupements d’individus poursuivant des intérêts légitimes. Le
fait que la personnalité de l’Etat ne se confonde pas avec celle
de ses dirigeants entraîne un certain nombre de conséquences1 :

Les responsables de l’Etat sont simplement investis de leurs


fonctions ; ils n’en sont donc pas les propriétaires. Par
conséquent, elles peuvent leur être retirées au profit
d’autres individus.
Les décisions prises par les autorités étatiques sont
réputées prises par l’Etat personne morale et non par les
individus.
Le patrimoine des gouvernants ne doit pas être confondu
avec celui de l’Etat2.
l’Etat ayant une existence juridique comparable à celle
d’une personne physique dotée de la capacité juridique, il
peut posséder des biens, signer des conventions, engager sa
responsabilité.
La continuité de l’institution au-delà des changements qui
peuvent affecter le personnel dirigeant.

Ainsi, dans les sociétés modernes, le pouvoir politique ne se


confond plus avec la personne qui le détient, il s’est
1
Philippe Ardant, op. cit., p.24 et s.
2
On parle de patrimonialisme lorsque les deux sont confondus.

66
institutionnalisé. L’institutionnalisation du pouvoir, c’est donc le
processus par lequel le pouvoir tend à se dissocier de la
personne qui le détient pour se reporter sur une institution qui
lui sert de support, à savoir l’Etat1.

2. La souveraineté de l’Etat

Pour certains auteurs la souveraineté est un critère de


l’Etat. Cette position est contestée par d’autres auteurs qui
notent qu’il existe des Etats non souverains. Il n’en demeure pas
moins que la caractéristique juridique essentielle de l’Etat
demeure la souveraineté. Cette notion comporte deux aspects
complémentaires, à la fois interne et externe.

a) La souveraineté interne : un pouvoir non subordonné

L’Etat est une notion fondamentale qui se confond avec


celle du droit. Dans ce sens, il apparaît comme un ordre
juridique, c’est-à-dire comme « un réseau normatif, une
hiérarchie de normes qui font autorité »2, et plus exactement
comme un ordre juridique souverain.

La notion de souveraineté revêt plusieurs significations. La


souveraineté est d’abord une revendication, une demande
d’émancipation, une volonté d’indépendance, de dépassement
d’une domination que l’on subit : c’est le « droit à la
souveraineté ». Elle est ensuite une construction
institutionnelle, un « pouvoir ultime », c’est-à-dire un « pouvoir
qui ne saurait être contraint, ni par plus grand, ni par plus petit,
ni par égale de soi »3, un pouvoir qui ne saurait être précédé par

1
L’institution, ce n’est pas seulement l’Etat. Il peut s’agir de personnes morales de droit public telles les collectivités
territoriales décentralisées, d’établissements publics, ou de personnes morales de droit privé, telles les sociétés, les
associations, etc.
2
Henri Brun et Guy Tremblay, op. Cit., p.63.
3
Bertrand Badie et als., Table ronde : la fin des souverainetés ?, in Revue politique et parlementaire n°1012, Mai-
Juin 2001,

67
aucun autre pouvoir : c’est le « droit de la souveraineté ». Pour
les juristes, la souveraineté interne reste avant tout une
compétence conférée par l’ordre juridique étatique. Selon J.
Laferrière, elle peut se définir comme « un pouvoir de droit
originaire et suprême »1. Cela signifie d’abord que l’Etat n’est
pas un phénomène seulement de force, mais aussi mû par une
idée de droit ; qu’ensuite, il ne tient son autorité que de lui-
même, et enfin qu’aucune autre autorité ne lui est supérieure.
Son pouvoir est donc non subordonné et indépendant. En
conséquence, l’Etat dispose d’un pouvoir d’auto-organisation et
a le pouvoir de poser librement des règles. C’est la seule
personne morale de droit public à disposer d’une « compétence
initiale » ou comme l’affirme le juriste allemand Jellinek, de
« la compétence de sa compétence »2, c’est-à-dire qu’il est le
seul à déterminer l’étendue et les limites de sa propre
compétence. La souveraineté interne de l’Etat est donc la
manifestation de la volonté de l’Etat, qui assume le monopole
d’un certain nombre d’attributs tels les pouvoirs de législation
et de réglementation, de justice, de police, de battre monnaie,
de lever et d’entretenir une armée, d’assurer une fonction
publique, de conférer la nationalité, etc.3
La théorie de la souveraineté comme pouvoir non subordonné a
reçu un certain nombre de critiques. Si l’Etat est souverain,
comment peut-il être soumis au droit ? Pour les uns, l’Etat est
soumis au droit en vertu d’une auto-limitation à laquelle il
consent lui-même. Pour les autres, les jusnaturalistes, l’Etat
serait limité par un droit naturel extérieur à l’Etat, préexistant,
constaté. Quoi qu’il en soit, une conception absolutiste de la
souveraineté serait dangereuse pour les libertés. Au nom de la
souveraineté, les violations des droits de l’homme les plus
graves ont été perpétrées. Dans un Etat de droit, l’Etat doit

1
Charles Debbasch et als., Droit constitutionnel et institutions politiques, 2è édition, Paris Economica, 1986, p.25.
2
Cité par Jean-Louis Quermonne, Les régimes politiques occidentaux, Paris, le Seuil, 2000, p.275.
3
Jean Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, 15e édition, Paris, Montchrestien, 1997, p.54.

68
accepter de se soumettre lui- même au droit ; autrement, ce
serait la porte ouverte à l’arbitraire et à l’autoritarisme.

b) La souveraineté extérieure : un pouvoir indépendant

La souveraineté a aussi un aspect externe tourné vers la


société internationale. C’est la souveraineté extérieure, principe
de base du droit international qui postule l’égalité des Etats en
droit. Cette souveraineté extérieure est absolue, perpétuelle et
indivisible1, et apparaît comme une compétence de l’ordre
juridique en tant que tel. Elle signifie que l’Etat, en tant que
système juridique global, est indépendant vis-à-vis des autres
Etats indépendants. Comme l’affirme Procule, « un peuple
souverain est un peuple qui n’est soumis à aucun autre
peuple »2. L’Etat est cependant soumis aux normes du droit
international public à l’édiction et à l’exécution desquelles il
participe en raison de la compétence générale internationale qui
lui est reconnue en la matière3. De plus, sa souveraineté s’arrête
là où commence celle des autres. La Constitution peut même
prévoir une limitation de la souveraineté par des traités ou
accords4. C’est dire que la souveraineté n’est pas si absolue. Elle
l’est encore moins dans les faits, en ce qui concerne les Etats
africains, qui sont sous la dépendance des puissances
occidentales, notamment des anciennes puissances coloniales,
du Fonds Monétaire International ou de la Banque Mondiale.
C’est pourquoi certains en déduisent que la souveraineté des
Etats africains est purement formelle. Quoiqu’il en soit, en droit
international, la souveraineté est consubstantielle à toute entité
qui réunit les conditions pour être reconnue comme un Etat.

1
Jean Gicquel, Ibid., p.53.
2
Cité par Pierre Dabezies, in Bertrand Badie et als., Table ronde : la fin des souverainetés ?, in Revue politique et
parlementaire n°1012, Mai-Juin 2001, p.14.
3
Louis Favoreu et als., Droit constitutionnel, 7e édition, Paris, Dalloz, 2004, p.35 et ss.
4
Le Burkina Faso peut conclure avec tout Etat africain des accords d’association ou de communauté impliquant un
abandon total ou partiel de souveraineté (article 146).

69
En droit constitutionnel, la souveraineté est avant tout une
compétence dans l’Etat ; ce qui renvoie à la question de la
distribution du pouvoir de production des normes et à la
question de l’opérationnalisation de la démocratie.

c) La fragilisation des souverainetés par la mondialisation

Le débat sur la souveraineté de l’Etat prend un relief


particulier aujourd’hui avec la mondialisation. L’idée-force qui
sous-tend la mondialisation c’est l’économie de marché
capitaliste, sous-tendue par les règles de l’ouverture, de la
dérégulation, de la privatisation de l’économie et par une
culture dominante homogénéisante qui se caractérise
aujourd’hui par une « américanisation »1. Ce phénomène, en
réalité, n’est pas nouveau. Du milieu du XIXe siècle jusqu’à la fin
des années 1920 les échanges commerciaux, les mouvements de
capitaux et de main-d’œuvre étaient en plein essor. La première
guerre mondiale, la révolution russe et la grande dépression vont
mettre un terme à ce processus d’intégration. Avec la fin de la
guerre froide et l’effondrement du bloc communiste à partir de
1989, on va assister à la résurgence de la mondialisation, qui
s’impose aujourd’hui comme le système international dominant,
le nouvel ordre international. On assiste alors à une perméabilité
croissante des frontières, à un affaiblissement du rôle de l’Etat-
nation. La politique n’est plus une affaire locale, mais mondiale,
car tous les pays sont intégrés ou façonnés par la mondialisation.
Les individus, les entreprises et les Etats-nations peuvent
désormais se projeter plus loin, plus vite et plus profondément à
un moindre coût. Mais cette mondialisation néo-libérale suscite
de violentes réactions de la part de ceux qui sont brutalisés,
exclus ou animés par un sentiment de dépossession.

1
Voir Thomas Friedman, La Puce et l’olivier. Comprendre la mondialisation, Paris, Nouveaux Horizons, 2001.

70
Selon Charles Zorgbibe, « les grandes tendances qui
caractérisent le système international de l’après-guerre froide
semblent rendre obsolète le principe de l’Etat souverain »1. En
effet, l’Etat n’est plus le seul acteur de la scène internationale.
Presque partout dans le monde on observe une fragilisation des
Etats, confrontés à la montée en puissance d’autres acteurs : les
entreprises multinationales, les institutions internationales
(Banque Mondiale, Fonds Monétaire International, Organisation
Mondiale du Commerce, etc.) et supranationales (organismes
d’intégration régionale à caractère économique et politique),
mais aussi une société civile internationale (les organisations non
gouvernementales notamment) de plus en plus exigeante. A cela
s’ajoute la création des juridictions pénales internationales
(tribunaux pour l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, la Sierra Leone,
cour pénale internationale) et la reconnaissance par certains
pays comme la Belgique d’une compétence universelle aux
tribunaux nationaux2 qui entament le pouvoir régalien des Etats
de rendre justice. La souveraineté est donc affectée par deux
mouvements opposés, le partage3 et le contrôle des
souverainetés. La question de l’effectivité de la souveraineté de
l’Etat ne se pose pas seulement pour les pays pauvres. Même
pour les Etats les plus puissants, la souveraineté apparaît de plus
en plus comme un domaine partagé et non absolu, au point où
de nombreux auteurs s’interrogent sur la fin des souverainetés.

En réalité, il ne faut pas exagérer le déclin de la


souveraineté des Etats car ceux-ci sont loin d’être désarmés face
aux différentes forces transnationales qui remettent en cause
leur souveraineté. D’abord la question de la légitimité et de la

1
Bertrand Badie et als., Table ronde : la fin des souverainetés ?, in Revue politique et parlementaire n°1012, Mai-
Juin 2001, p.3.
2
Cette compétence universelle permet ainsi aux juridictions d’un Etat de poursuivre des étrangers appréhendés sur le
territoire de cet Etat, et soupçonné d’avoir commis à l’étranger l’un des crimes les plus graves (génocide, crime
contre l’humanité, tortures, etc.).
3
C’est le cas notamment avec l’Union européenne au profit de laquelle la quasi-totalité des Etats membres a renoncé
à son droit régalien de battre monnaie ou cédé une partie de son pouvoir normatif.

71
représentativité de la société civile internationale reste posée.
Ensuite, les firmes internationales malgré leur puissance sont
obligées de négocier avec les Etats où elles entendent
s’implanter. Enfin, les critères constitutifs de l’Etat ne sont pas
remis en question, même si la notion de frontière nationale joue
un rôle moindre, même si les gouvernements et les populations
semblent subir les conséquences de décisions prises ailleurs.
L’Etat reste encore le garant de l’ordre social, l’arbitre vers
lequel se tournent les citoyens. La notion de souveraineté
continue donc de faire sens.

Compte tenu des opportunités de la mondialisation, les


Etats africains devraient réfléchir à la manière dont ils
pourraient tirer parti de ce système, dont les effets pervers
doivent cependant être atténués au profit du plus grand nombre
possible de gens1. Dans cette optique, il conviendra, au plan
interne, de renforcer la gouvernance démocratique et doter les
pays d’un système juridique et étatique de qualité, et au plan
externe, de parvenir à une régulation des marchés au niveau
mondial pour en gommer les excès.

SECTION II : LA SOUVERAINETE DANS L’ETAT : LES FONDEMENTS DU


POUVOIR DANS L’ETAT

La compétence matérielle de l’Etat à l’intérieur de ses


frontières étant illimitée du fait de sa souveraineté interne2, on
peut s’interroger sur la source de ce pouvoir. L’une des
questions que soulève la notion de souveraineté est en effet
celle de son fondement, de sa dévolution et des modalités de
son exercice. La montée en puissance du principe démocratique
a ainsi conduit la théorie politique à s’interroger d’une part sur
1
Thomas Friedman, op. cit., p.12.
2
Ce qui signifie que l’Etat peut édicter et appliquer des normes portant sur n’importe quelle matière.

72
la question du titulaire de la souveraineté et d’autre part sur la
question de son exercice.

§ 1 : Le titulaire de la souveraineté

La question de savoir qui, au sein de l’Etat, est le titulaire


de la souveraineté a varié au cours des siècles. A l’origine, la
souveraineté était une notion personnelle. Le pouvoir de
commander résultait de l’autorité individuelle, de la force
physique, ou découlait de l’autorité divine, selon les théories
théocratiques. Selon la théorie du droit divin surnaturel, le
détenteur de la souveraineté, généralement un individu, était
désigné par Dieu. Quant à la théorie du droit divin providentiel,
elle se borne à reconnaître l’origine divine du pouvoir, sans
affirmer que le titulaire de la souveraineté est désigné par la
puissance divine.

Avec l’institutionnalisation et la laïcisation du pouvoir, la


souveraineté personnelle a cédé la place à la souveraineté
collective dont le support institutionnel devient l’Etat. Selon les
cas, cette évolution s’est faite progressivement ou plus
brutalement comme ce fut le cas aux Etats-Unis et en France.
Ainsi, avec la Déclaration d’indépendance des Etats Unis
d’Amérique de 1776 et la Révolution française de 1789, le
consentement et la volonté des gouvernés deviennent la seule
source de l’autorité légitime1. Aux théories théocratiques
succèdent alors les théories démocratiques de la souveraineté,
qui attribuent la souveraineté, soit à la nation, soit au peuple.

A. La théorie de la souveraineté nationale

1
Dans la Déclaration américaine sont proclamés des principes fondamentaux : « tous les hommes sont créés égaux ;
ils sont doués par le créateur de certains droits inaliénables… Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour
garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés ».

73
La théorie de la souveraineté nationale est d’origine
française. Elle a été formulée sous la Révolution française, qui a
transféré la souveraineté des mains du roi à celles de la nation.
Cette théorie repose sur le principe selon lequel la souveraineté
appartient à la nation personnifiée par l’Etat. Elle a été
consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 en son article 3 : « le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps,
nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane
expressément ». La nation est une entité abstraite distincte de
ceux qui la composent et dotée de volonté propre. Cette fiction
juridique permettra de justifier la mise à l’écart de la
« populace imbécile, privée de lumière et du bon sens » selon
l’expression d’Holbach1 dans l’expression de la volonté de la
Nation.

La théorie de la souveraineté nationale entraîne un certain


nombre de conséquences :

D’abord la souveraineté est une et inaliénable2 ; elle n’est


pas atomisée.
Ensuite, elle s’exerce par l’intermédiaire de représentants ;
la nation étant une abstraction, sa volonté doit être
exprimée par des représentants, mais ceux-ci ne sont pas
propriétaires de la souveraineté.
Enfin, puisque la nation n’est pas la somme des individus, il
n’est pas nécessaire de faire appel à toute la population
pour exprimer la volonté nationale. Ainsi, le suffrage n’est
pas un droit, mais une fonction conférée par la nation et
dont l’exercice est obligatoire (théorie de l’électorat-
fonction) ; le suffrage n’est donc pas universel, mais
restreint. Ce n’est donc pas un hasard si cette théorie
s’accommode du suffrage censitaire. Par ailleurs, les élus
1
Cité par Charles Debbasch et als., p.43
2
C’est-à-dire insusceptible de faire l’objet d’une transmission ou de constitution d’un droit réel.

74
ne représentent pas l’électorat, mais la Nation. Ils n’ont
donc pas de comptes à rendre aux électeurs, mais à la
Nation. D’où l’interdiction du mandat impératif.

B. La théorie de la souveraineté populaire

La théorie de la souveraineté populaire trouve sa source


principale chez Jean-Jacques Rousseau. Selon cette théorie, la
souveraineté appartient au peuple, c’est-à-dire à l’ensemble des
citoyens. Elle est fractionnée entre eux, chaque citoyen
détenant une parcelle de souveraineté. Cela exclut tout régime
représentatif et implique la démocratie directe puisque tous les
citoyens sont co-souverains.

Les conséquences de cette théorie sont les suivantes :

La souveraineté populaire est également inaliénable et


imprescriptible1. Mais à la différence de la souveraineté
nationale, elle ne postule pas nécessairement des
institutions représentatives. Elle implique au contraire la
démocratie directe, le peuple s’exprimant directement
sans passer par des délégués.
Chaque citoyen exerce non pas une fonction mais un droit
propre en tant que détenteur d’une parcelle de
souveraineté. Le suffrage est donc un droit dont l’exercice
est facultatif et non une fonction ; ce qui implique le
suffrage universel, le vote facultatif.
Si pour des raisons pratiques, on est obligé de recourir à
des délégués, leur mandat doit être impératif, car ils sont
mandataires et représentants de leurs électeurs. Des
procédures de révocation doivent donc être prévues et
utilisées le cas échéant.

1
C’est-à-dire qu’elle est définitive, permanente et que le temps écoulé ne saurait éteindre la souveraineté.

75
C. L’imbrication des deux théories démocratiques de la
souveraineté

Dans la pratique, les Etats modernes recourent à une


conception mixte de la souveraineté. Même si la notion de
souveraineté nationale paraît prédominante, la quasi totalité
des démocraties contemporaines étant des démocraties
représentatives, force est de constater que les constituants
prennent soin d’atténuer le régime représentatif en recourant à
des procédés relevant de la souveraineté populaire. La formule
tirée de la Constitution française de 1946 reprise par celle de
1958 et par la plupart des Constitutions des Etats d’Afrique
francophone selon laquelle « la souveraineté nationale
appartient au peuple » résume bien cette conception mixte de la
souveraineté1.
Ainsi, le constituant burkinabè, qui s’est rallié à la
conception mixte de la souveraineté, a consacré dans la
Constitution de juin 1991, d’une part la nullité de tout mandat
impératif (article 85) qui prend sa source dans la théorie de la
souveraineté nationale, et d’autre part la consécration de
plusieurs procédés qui relèvent de la théorie de la souveraineté
populaire. A titre d’exemple, on peut citer le droit pour tout
citoyen d’initier une action ou d’adhérer à une action collective
sous forme de pétition contre des actes lésant le patrimoine
public, lésant les intérêts de communautés sociales ou portant
atteinte à l’environnement ou au patrimoine culturel ou
historique (article 30), la possibilité pour le Président du Faso,
après avis du Premier ministre et du Président de l'Assemblée
nationale de soumettre au référendum tout projet de loi portant
sur toute question d'intérêt national (article 49) ou encore le
droit d’initiative populaire en matière législative (reconnu à au
moins quinze mille citoyens selon l’article 98) et en matière de

1
Ainsi, selon l’article 32 de la Constitution burkinabè, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce
dans les conditions prévues par la présente Constitution et par la loi ».

76
révision constitutionnelle (reconnu à au moins trente mille
citoyens selon l’article 161).

§ 2 : L’expression de la souveraineté collective : les modes


d’exercice de la souveraineté

Comment peut-on exercer la souveraineté dans un système


démocratique ? On distingue à ce propos l’exercice direct et
l’exercice indirect, auquel on peut ajouter les procédés mixtes.
En dehors de quelques cantons et Etats fédérés de la Suisse et
des Etats-Unis où subsistent des formes de démocratie directe,
la démocratie pluraliste occidentale a partout revêtu le visage
de la démocratie représentative.

A. La démocratie directe

La démocratie directe a pour fondement la théorie de la


souveraineté populaire. On peut la définir comme le système
dans lequel le peuple se gouverne directement lui-même par la
participation de tous. En réalité, la démocratie directe
s’apparente à un mythe, car impossible à réaliser en pratique.
Même dans la démocratie athénienne, elle était réservée à une
minorité, à ceux qui avaient la qualité de citoyens. Dans la
pratique, la démocratie directe ne peut s’appliquer qu’à de
petites unités politiques (communes ou Etats exigus). Ainsi, dans
les cantons suisses, les citoyens sont convoqués pour un
référendum ou pour une assemblée populaire annuelle pour élire
leurs représentants et prendre les décisions les plus importantes.
Entre deux sessions, les organes élus gèrent les affaires
publiques et préparent les décisions qui seront prises par les
citoyens.

77
Dans un système de démocratie directe, le délégué n’est pas
censé représenter la collectivité étatique tout entière mais
seulement ceux qui l’ont désigné. Il dispose alors d’un mandat
impératif. Ce qui signifie qu’il doit rendre compte et peut
recevoir des directives. S’il perd la confiance de ses mandants, il
peut faire l’objet d’un rappel, c’est-à-dire voir son mandat
écourté.

Compte tenu de l’impossibilité matérielle de mettre en


place un régime direct pour gouverner les pays, certains auteurs
comme Maurice Duverger estiment qu’on peut parler de
démocratie directe dès lors que les gouvernés peuvent peser
réellement sur le choix et l’orientation du gouvernement1.

B. La démocratie représentative

Dans la démocratie représentative, l’exercice du pouvoir est


confié à des représentants élus qui l’exercent au nom de la
nation. Selon Bernard Manin, le gouvernement représentatif qui
en dérive est sous-tendu par quatre principes fondamentaux2 :
Les gouvernants sont désignés par élection à intervalles
réguliers.
Ils conservent une certaine indépendance dans leurs
décisions vis-à-vis des volontés des électeurs.
Les gouvernés peuvent exprimer leurs opinions et leurs
volontés politiques sans que celles-ci soient soumises au
contrôle des gouvernants.
Les décisions publiques sont soumises à l’épreuve de la
discussion.

Le mandat représentatif présente deux importants


caractères :

1
Jean-Louis Quermonne, op. cit., p.102.
2
Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, Champs, 1996, p.17.

78
Il exclut tout mandat impératif ; le représentant est libre
de ses décisions, les électeurs ne lui dictent pas de
programme, et il n’a aucun compte à leur rendre1 ;
Le mandat exercé par le représentant n’est pas individuel
mais collectif. Il est donné par la nation et non par une
fraction du peuple. Le député représente la nation tout
entière et non les électeurs de sa circonscription,
conformément à la théorie de la représentation.
La démocratie représentative peut s’accommoder du
suffrage universel et même direct2. Mais un régime représentatif
peut ne pas être démocratique. C’est le cas des régimes
censitaires.

Il existe deux modalités essentielles de démocratie


représentative :

Dans une première variante qualifiée de pure ou ultra-


représentative, les électeurs n’élisent au suffrage universel
direct ou indirect que les parlementaires. Ceux-ci, à leur
tour, élisent directement ou indirectement l’organe

1
L’interdiction du mandat impératif par l’article 85 de la Constitution burkinabè est l’un des arguments les plus
avancés pour justifier la liberté « d’aller et de venir » de certains députés burkinabè qui, à force de migrer de parti
politique en parti politique, de groupe parlementaire en groupe parlementaire, au gré de leurs intérêts personnels, ont
fini par donner naissance à un phénomène politique qui a pris de l’ampleur au cours de ces dernières années, le
« nomadisme politique ». La plupart des élus incriminés évoquent la corruption et la dictature de la direction du parti
politique, la « trahison » de la ligne politique et idéologique pour justifier leur défection. Malheureusement dans bien
de cas, « le nomadisme » s’explique par des querelles de leadership, la corruption des élus, ou leur volonté d’obtenir
des rétributions politiques à la hauteur de leurs ambitions. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que la plupart
des élus « nomades » se rapprochent du parti au pouvoir ou de la « mouvance présidentielle ». Compte tenu de ces
pratiques néfastes qui affaiblissent les partis politiques, généralement ceux de l’opposition, jettent le discrédit sur la
classe politique et favorisent l’abstentionnisme électoral, les électeurs ayant le sentiment d’avoir été trahis par des
députés et des conseillers municipaux élus sur la base de listes présentées par des partis politiques, on comprend que
dans certains pays le constituant ait posé des garde-fous à la liberté des élus. Ceux tentés de quitter leur parti
politique d’origine pour un autre seront déchus de leur mandat. C’est le cas au Niger où l’article 69 de la Constitution
du 18 juillet 1999 dispose que « …Pendant la législature, les députés ne peuvent pas démissionner des groupes
parlementaires dans lesquels ils sont inscrits soit à titre individuel, soit au titre de leurs partis politiques. Tout député
qui démissionne ou qui est exclu de son parti politique au cours de la législature, est remplacé à l’Assemblée
nationale par son suppléant ». A noter qu’au Burkina Faso, les tentatives des partis d’opposition visant à adopter de
telles dispositions se sont heurtées au refus du parti au pouvoir lors des concertations engagées au sein de la classe
politique en 2001 en vue de l’adoption de réformes politiques et institutionnelles dans le cadre du règlement de la
crise socio-politique consécutive à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo.
2
Pierre Pactet, Institutions politiques et droit constitutionnel, 22e édition, Paris, Armand Colin, 2003, p.89.

79
exécutif qu’ils contrôlent. Il en résulte une prééminence de
l’organe parlementaire qui, seul, peut se prévaloir de la
qualité de représentant du peuple.
Dans une deuxième variante, les électeurs désignent non
seulement les parlementaires mais aussi le chef de l’Etat ;
ce qui permet de contrebalancer la prééminence du
parlement.
Comme le soutient Bernard Manin, « le gouvernement
représentatif a été institué avec la claire conscience que les
représentants élus seraient et devaient être des citoyens
distingués, socialement distincts de ceux qui les élisaient »1. Une
telle conception aristocratique ou bourgeoise du pouvoir
comporte le risque d’éloigner à la longue les gouvernants des
gouvernés avec l’émergence d’une classe politique distincte du
peuple. Ce système représentatif nourrit une méfiance à l’égard
du peuple et permet de le tenir à l’écart des décisions en raison
de son incompétence supposée. Comme le reconnaît clairement
Montesquieu, “ le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il
doit confier quelque partie de son autorité ”. Mais pour ce qui
est de la gestion du pouvoir, il vaudrait mieux s’en remettre aux
représentants2. Une telle situation peut conduire à des dérives,
soit à la souveraineté parlementaire, lorsque les gouvernés sont
dépossédés de la souveraineté au profit des parlementaires qui
s’affranchissent de la volonté et du contrôle des électeurs ; soit
au « régime des partis » lorsque les parlementaires sont
dépossédés au profit des états-majors des partis politiques qui
exercent sur eux une forte emprise.
1
Bernard Manin, Les principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996, p.123.
2
Comme le rappelle Bernard Manin, la démocratie représentative n’était pas à l’origine, considérée par ses
thuriféraires comme une forme de gouvernement rendue nécessaire par l’impossibilité matérielle d’opérationnaliser
la démocratie directe dans de grands Etats. Ils y voyaient un système très différent, éminemment supérieur, et donc
préférable. Comme l’écrivait l’Américain James Madison, l’effet de la représentation est « d’épurer et d’élargir
l’esprit public en le faisant passer par l’intermédiaire d’un corps choisi de citoyens dont la sagesse est le mieux à
même de discerner le véritable intérêt du pays et dont le patriotisme et l’amour de la justice seront les moins
susceptibles de sacrifier cet intérêt à des considérations éphémères et partiales… Dans un tel système, il se peut fort
bien se produire que la volonté publique formulée par les représentants du peuple s’accorde mieux avec le bien
public que si elle était formulée par le peuple lui-même, rassemblé à cet effet » (cité par Bernard Manin, op. cit.,
p.13.

80
C. La démocratie semi directe

La démocratie semi-directe consiste à introduire des


éléments de démocratie directe dans le régime représentatif. Il
s’agit d’un régime mixte dont la dominante est encore
représentative, qui accorde au peuple un pouvoir législatif plus
ou moins important, tout en lui reconnaissant le droit de
contrôler les représentants qu’il a élus.
Trois principaux mécanismes permettent d’associer le
peuple à l’œuvre législative :
Le veto populaire qui confère au peuple le droit et le
moyen de s’opposer à la promulgation d’une loi votée par
le Parlement1 ;
L’initiative populaire à travers laquelle le peuple demande
au parlement l’adoption d’un texte législatif ou
constitutionnel, grâce à une pétition signée par un certain
nombre de citoyens2.
Le référendum, qui consiste à soumettre une mesure ou un
texte au vote du peuple3.
Les deux derniers mécanismes sont consacrés par la Constitution de juin
1991, respectivement par les articles 49 (référendum), 98 (initiative
législative populaire) et 161 (initiative populaire en matière de révision
de la Constitution).

On distingue plusieurs types de référendum. D’abord, selon le moment,


on distingue :

1
Avant sa promulgation, une loi peut être soumise au référendum, à la demande d’un certain nombre de citoyens
dont le chiffre est déterminé par la Constitution. Si la majorité des inscrits se prononce en faveur du veto, la loi fait
alors l’objet d’un retrait rétroactif.
2
On distingue en réalité deux variantes : l’initiative non formulée qui se présente sous la forme d’un simple vœu
soumis au parlement, et l’initiative formulée qui se présente sous la forme d’une proposition de loi entièrement
rédigée, qui sera soumise soit au parlement, soit directement au référendum.
3
Voir Charles Debbasch et als., op.cit., pp.50 et s.

81
Le référendum dit antérieur ou de consultation par lequel le parlement,
avant le vote d’une loi, sollicite l’opinion du peuple sans que cette
opinion ne le lie.
Le référendum postérieur, plus fréquent. On en distingue deux modalités:
le référendum de ratification, qui permet au peuple d’adopter
définitivement un texte de loi voté par le parlement, et le référendum
abrogatif, qui permet au peuple d’abroger partiellement ou totalement,
pour l’avenir, une loi votée par le parlement.

Ensuite, selon la matière à laquelle il s’applique, on distingue le


référendum constituant prévu par l’article 164 de la Constitution
burkinabè de juin 1991 dans le cadre de la révision constitutionnelle et le
référendum législatif, qui peut être organisé sur la base de l’article 49 de
la Constitution burkinabè, qui dispose que « le Président du Faso peut,
après avis du Premier ministre et du Président de l'Assemblée nationale,
soumettre au référendum tout projet de loi portant sur toute question
d'intérêt national ».

Enfin, selon son caractère, on distingue le référendum facultatif, qui


intervient soit sur demande du parlement, du gouvernement ou d’une
partie des électeurs, du référendum obligatoire, qui s’applique de plein
droit en vertu de la Constitution. Il faut par ailleurs distinguer le
référendum du plébiscite. Dans les deux cas, il s’agit d’une consultation
électorale du peuple. Mais ce qui fait la particularité du plébiscite, c’est
qu’il invite les électeurs à se prononcer moins sur un texte que sur un
homme politique, qui tente de manipuler les électeurs pour les emmener
à lui exprimer leur confiance de manière détournée. Certains facteurs
permettent de savoir s’il s’agit d’un plébiscite : la façon de poser la
question, le déroulement de la campagne, en particulier la liberté et
l’égalité d’expression des opinions, les pressions ou le chantage éventuel
sur les électeurs, etc.

82
SECTION III : LA DISTRIBUTION HORIZONTALE DU POUVOIR AU SEIN DE
L’ETAT

La division horizontale du pouvoir renvoie au principe de la


séparation des pouvoirs et à sa mise en œuvre. L’émergence de
ce principe est liée au mouvement constitutionnaliste et à la
remise en cause en Occident de l’absolutisme royal au XVIIIe
siècle. Aujourd’hui, l’Etat moderne, quelle que soit sa forme
juridique, est fondé sur le principe de la séparation des
pouvoirs. Ce principe constitue l’une des pierres angulaires des
Etats de droit démocratiques. Ainsi, la Déclaration française des
droits de l’homme de 1789 dispose en son article 16 que “ toute
société dans laquelle… la séparation des pouvoirs [n’est] pas
déterminée, n’a point de Constitution ”. Il conviendra
d’analyser d’abord le principe avant sa mise en œuvre pratique.

§ 1 : Le principe de la séparation des pouvoirs

A. Les origines du principe

Le principe de la séparation des pouvoirs trouve son origine


dans la philosophie des lumières. Il s’est d’abord développé en
Angleterre, avant de s’étendre aux Etats-Unis et en France. En
Angleterre, le pouvoir royal en butte aux contestations de la
noblesse et du clergé sera contraint, à la suite de révolutions
successives1, à s’engager au respect de plusieurs textes
fondamentaux garantissant les droits et devoirs réciproques du
roi et de ses vassaux. Par la suite, le pouvoir royal sera obligé de
partager son pouvoir législatif et financier avec des assemblées

1
Citons en particulier la révolution de 1215 qui débouche sur la « Magna Carta », la révolution de 1688 qui
débouche sur le « Bill of Rights ».

83
représentant la petite noblesse et les communes, qui se
transforment progressivement en parlement à partir du XIVe
siècle. Peu à peu émerge et s’affermit un régime représentatif
dans lequel les pouvoirs royaux sont limités par la garantie de la
séparation des pouvoirs, la reconnaissance des libertés
individuelles et des prérogatives du parlement. La séparation
des pouvoirs va par la suite faire l’objet d’une théorisation en
Angleterre puis en France. Plusieurs auteurs affirment que les
pouvoirs devraient être séparés pour assurer la liberté des
citoyens. Dans son essai sur le gouvernement civil publié en
1690, le philosophe anglais John Locke, tout en justifiant la
révolution anglaise de 1688, va développer l’idée d’un contrat
social et d’un droit à l’insurrection, et surtout, jeter les bases
théoriques de la séparation des pouvoirs. C’est ainsi que Locke
va préconiser la distribution du pouvoir politique entre un
pouvoir législatif, un pouvoir exécutif et un pouvoir
confédératif1.

Mais c'est avec le français Charles de Secondat, baron de la


Brède et de Montesquieu que le principe trouvera son
soubassement théorique le plus solide. C’est à lui que l’on doit
d’avoir élaboré « une théorie constitutionnelle universellement
valable pour garantir la liberté politique »2. Dans « l'Esprit des
Lois » publié en 1748, l'auteur soutient que « tout serait perdu si
le même homme ou le même corps des principaux ou des nobles
ou du peuple exerçait les trois pouvoirs, celui de faire les lois,
celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les
crimes ou les différends des particuliers ». L’apport de
Montesquieu est double : dans la distinction des trois pouvoirs, il
substitue au pouvoir confédératif le pouvoir judiciaire, et insiste
sur la fonction essentielle de la séparation des pouvoirs, à savoir
la garantie des libertés. Quant aux Américains, ils vont, après la
1
Le pouvoir confédératif signifiait le pouvoir diplomatique régissant les rapports avec les puissances extérieures.
2
Elisabeth Zoller citée par Xavier Boissy, La séparation des pouvoirs : œuvre jurisprudentielle. Sur la construction
de l’Etat de droit post-communiste, Bruxelles, Bruylant, 2003, p.24.

84
Déclaration d’indépendance de 1776, s’attacher à rédiger en
1787 une Constitution qui consacre la séparation mais aussi la
collaboration des pouvoirs dans le cadre d’un système de
contrôle et de pression réciproque (« checks and balances »).

B. La justification de la séparation des pouvoirs

Comme le rappelle Georges Burdeau, « la séparation des


pouvoirs est avant tout un principe de technique
constitutionnelle destiné à éviter le despotisme et à garantir la
liberté »1. Deux arguments permettent de justifier la séparation
des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire : un argument
théorique et un argument pratique. Selon l’argument théorique,
la souveraineté appartient à la nation qui ne peut l’exercer elle-
même, sauf s’il s’agit d’une démocratie directe. En
conséquence, la nation, pour décider et agir, doit désigner des
représentants. Si l’organe comprenant les représentants dispose
de la totalité du pouvoir, il risque de confisquer la souveraineté,
de s’identifier au souverain. La séparation permet donc de
répartir l’exercice de la souveraineté entre plusieurs organes
dont aucun ne peut avoir la prétention de représenter la nation
tout entière.
L’argument pratique avancé par Montesquieu semble plus
convaincant. Le philosophe français y voit un moyen de favoriser
l’émergence du bon gouvernement. Dans son ouvrage “ L’esprit
des lois ”, il constate que « c’est une expérience éternelle que
tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il va jusqu’à
ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ? La vertu même a
besoin de limites ». Il faut donc limiter le pouvoir si on veut
protéger la liberté des citoyens contre la tyrannie, il faut que le
“pouvoir arrête le pouvoir ”. Pour Montesquieu, il faut, pour
former un gouvernement modéré, « combiner les puissances, les
régler, les tempérer, les faire agir, donner pour ainsi dire un lest

1
Georges Burdeau et als., Droit constitutionnel, 25e édition, Paris, LGDJ, 1997, p.103.

85
à l’une pour la mettre en état de résister à une autre ». Séparés,
les pouvoirs vont se limiter les uns les autres par ce que les
Américains appellent un système de “ freins et de contrepoids ”.
Une Constitution organisée autour de la séparation des pouvoirs
oblige donc ces pouvoirs à se limiter mécaniquement, « par la
force des choses », et non par le seul respect du texte
constitutionnel.

C. L’exercice de la souveraineté : les fonctions de l’état

L’Etat met en œuvre sa souveraineté à travers l’exercice de


fonctions normatives, l’édiction de normes contraignantes. Mais
il lui arrive parfois de se dépouiller de sa puissance publique
pour agir comme les individus, en contractant ou en gérant des
biens et services publics. En dehors de cette hypothèse, les
activités normatives de l’Etat impliquent l’exercice de trois
fonctions : législative, judiciaire et exécutive. Cette distinction
fonctionnelle se trouve au cœur du principe de la séparation des
pouvoirs et correspond aux pouvoirs législatif, exécutif et
juridictionnel, exercés par des organes distincts : assemblées
parlementaires, gouvernement, président ou premier ministre,
juridictions. La fonction législative désigne les activités par
lesquelles les parlements délibèrent et adoptent des lois. En
théorie, le pouvoir législatif est donc celui qui légifère, qui pose
les règles de portée générale, c’est-à-dire les lois (au sens
matériel). Ce pouvoir est confié au parlement, en particulier à la
chambre dont les représentants sont élus par la population.
C’est cette légitimité populaire qui confère au parlement une
certaine prééminence théorique. En dehors de la Constitution ou
Loi fondamentale située au sommet de la pyramide des normes,
la loi demeure la norme supérieure à laquelle les autres normes
juridiques doivent se conformer, le parlement étant le seul
organe à pouvoir la modifier ou l’abroger. C’est le principe de la
hiérarchie des normes, qui est un principe fondamental de l’Etat

86
de droit. Le parlement peut se voir aussi confier tout ou partie
du pouvoir constituant institué, c’est-à-dire du pouvoir de
modifier la loi fondamentale par une loi constitutionnelle selon
des modalités variables prévues par le pouvoir constituant
originaire, c’est-à-dire par l’organe chargé d’établir une
nouvelle Constitution1. Le parlement a aussi le pouvoir de voter
le budget de la nation, d’établir des impôts, et de contrôler
l’action du gouvernement, notamment par des mécanismes de
contrôle informatif et de sanction. D’un point de vue
pédagogique, l’analyse de la mise en œuvre de cette fonction
relève principalement du droit constitutionnel, cependant que le
droit administratif s’intéresse principalement à la mise en
œuvre de la fonction exécutive qui, parfois, implique l’adoption
de règlements, c’est-à-dire de normes générales ne relevant pas
de la fonction législative.
La fonction exécutive est confiée au gouvernement qui, à
l’origine, était chargé de l’exécution des lois, à travers
l’élaboration de mesures d’application des lois (décrets, arrêtés,
circulaires). Mais les gouvernements se sont progressivement
départis de ce rôle subordonné d’exécution des lois pour devenir
le pouvoir dominant. Partout dans le monde on constate en effet
une nette primauté du pouvoir exécutif, devenu de moins en
moins l’exécutant des volontés du parlement, du fait de
l’accroissement de son rôle politique propre mais aussi de
l’appareil administratif placé sous son autorité, et qui
comprend, outre les services publics, les forces armées et de
police. Aujourd’hui, la fonction exécutive désigne l’ensemble
des activités des administrations et services publics. Elle
comprend le gouvernement, les autorités locales, les
établissements publics et les entités parapubliques à travers
lesquelles sont exécutées des missions de service public, et

1
La loi fondamentale peut ainsi être modifiée comme pour une loi ordinaire lorsqu’il s’agit d’une Constitution
souple ou être modifiée selon des procédures particulières, lourdes ou complexes lorsqu’il s’agit d’une Constitution
rigide.

87
inclut l’exercice des pouvoirs réglementaires qui s’apparentent à
un pouvoir quasi législatif.

La fonction judiciaire ou juridictionnelle est celle par


laquelle les juridictions (cours et tribunaux) rendent leurs
jugements. Elle consiste en effet à assurer l’application
régulière des lois au moyen de jugements visant des personnes
en particulier et à dire le droit dans les litiges soumis aux juges.
Dans les systèmes francophones, cette fonction juridictionnelle
est divisée entre deux ordres de juridictions : la juridiction
judiciaire et la juridiction administrative. Dans le système
américain de séparation des pouvoirs le pouvoir judiciaire dévolu
à la Cour suprême et aux cours inférieures revêt une importance
particulière. Les pères fondateurs vont lui attribuer une fonction
de gardien de la Constitution et des droits fondamentaux ainsi
qu’une fonction de régulateur des conflits institutionnels. En
revanche, dans la plupart des pays européens, la séparation des
pouvoirs est souvent conçue comme « un face à face entre
législatif et exécutif »1. D’où la place résiduelle accordée au
pouvoir juridictionnel, parfois tenu en sujétion sinon en
méfiance. Mais avec l’émergence d’une justice constitutionnelle
et les revendications en faveur de l’indépendance de la justice,
le pouvoir juridictionnel s’est affermi dans les pays européens et
tend à s’imposer aux deux autres pouvoirs. Cette évolution est
confortée par la confrontation qui existe dans les régimes
démocratiques européens entre d’une part un gouvernement
soutenu par une majorité parlementaire et d’autre part une
opposition prête à assurer la relève en cas d’alternance.

Selon la règle de l’indépendance des pouvoirs édictée par la


doctrine classique de la séparation des pouvoirs, ceux-ci, pour
rester spécialisés, devraient être indépendants les uns des
autres. Aucun pouvoir ne doit être en mesure d’exercer des

1
Louis Favoreu et als., p.336.

88
pressions sur l’autre. Les implications pratiques d’une telle
indépendance mutuelle sont nombreuses : absence de pouvoir de
nomination ou de révocation des autorités composant un pouvoir
constitutionnel par les autorités composant un autre pouvoir,
interdiction de la responsabilité ministérielle, de la dissolution,
des contacts physiques, nécessité pour chaque pouvoir de
garantir son indépendance financière et d’assurer lui-même sa
propre sécurité.

§ 2 : Les limites du principe de la séparation des pouvoirs

Il existe deux modalités de mise en œuvre de la séparation


des pouvoirs : la séparation souple pratiquée par les régimes
parlementaires qui reposent davantage sur la collaboration des
pouvoirs, et la séparation rigide pratiquée par les régimes
présidentiels dans lesquels les pouvoirs sont juridiquement égaux
et indépendants les uns des autres mais où la collaboration des
pouvoirs est tout aussi indispensable. En effet, la séparation des
pouvoirs ne signifie pas isolement des pouvoirs ; autrement, cela
risquerait d’aboutir à une paralysie de l’Etat. Les pouvoirs
doivent donc collaborer. En pratique, ils ne peuvent agir sans
l’assentiment des autres, d’autant que leurs attributions sont
incomplètes. Si chacun dans son domaine peut décider, il peut
aussi s’opposer aux décisions de l’autre : c’est ce qu’on appelle
la faculté d’empêcher.

La collaboration des pouvoirs suppose une certaine égalité


entre eux, mais celle-ci n’est pas totale. Pour Montesquieu, le
pouvoir législatif, élu directement en général par le peuple, est
supérieur aux deux autres. Mais pour éviter que cette
suprématie ne conduise à des dérives, il est nécessaire de
donner au gouvernement et aux juges des moyens de défense de
leur indépendance. Dans les faits, aucun régime politique ne
met en pratique de façon dogmatique la séparation des pouvoirs.

89
Mieux, ceux-ci ne restent pas cantonnés dans le domaine qui
leur est assigné. Ce qui conduira des auteurs à dénoncer le
mythe de la séparation des pouvoirs1. En effet, comme l’écrit
Charles Eisenmann, « … le régime constitutionnel décrit dans
l’esprit des lois n’est point un régime de séparation des
autorités étatiques… Des trois autorités, deux – le parlement et
le gouvernement – ne sont ni maîtresses d’une fonction, ni
spécialisées dans une seule fonction ; la troisième – les tribunaux
-, si elle n’intervient dans l’exercice que d’une seule fonction,
ne l’exerce pas sans partage »2. Ainsi, dans de nombreux pays,
le gouvernement empiète sur les attributions du parlement,
grâce à son pouvoir réglementaire, qui lui permet de poser aussi
des règles générales et impersonnelles. De plus, le parlement
peut déléguer au gouvernement, pour un certain temps, le
pouvoir de prendre des ordonnances dans des matières relevant
de sa compétence. Le Parlement n’a donc pas le monopole
législatif. Il doit aussi compter avec le gouvernement qui est
aussi législateur, puisqu’il peut prendre des décisions de portée
générale dans le cadre de son pouvoir réglementaire (décrets,
arrêtés). Par ailleurs, le peuple peut lui-même se voir attribué
un pouvoir d’initiative législative ou adopter des lois par la voie
du référendum. Dans les régimes politiques contemporains, les
parlements eux-mêmes ont subi des transformations ; ils
décident moins qu’ils ne contrôlent, du moins dans les
démocraties occidentales. Compte tenu de la complexité des
problèmes et de leur technicité, ils s’en remettent bien souvent
aux gouvernements qui disposent des compétences nécessaires
dans l’administration. Aussi, les parlements se sont davantage
orientés vers le contrôle de l’action du gouvernement.

En dehors de certains pays comme les Etats-Unis, et dans


une moindre mesure dans les autres pays anglo-saxons, la
Justice n’est pas considérée comme un vrai pouvoir, mais une
1
Voir P. Gaudemet, La séparation des pouvoirs : mythe et réalité, Dalloz, Chr., XXIII, 1961, pp.121-124.
2
Cité par Xavier Boissy, op. cit., p.29.

90
simple autorité, un appendice de l’appareil d’Etat, alors que
l’indépendance, la crédibilité du juge constituent la clé de voûte
de l’Etat de droit. Déjà, Alexis de Tocqueville avait noté que
« les Américains ont confié à leurs tribunaux un immense pouvoir
politique »1, se félicitant de ce qu’il n’en soit pas ainsi en
France. Dans de nombreux pays en effet, y compris dans les
démocraties occidentales, l’indépendance de la justice est
parfois remise en cause par les gouvernements2. Le parlement
peut par ailleurs empiéter sur la justice par le vote des lois
d’amnistie qui effacent les jugements et les peines prononcés
par la justice. En France, le statut relativement inférieur de
« l’autorité judiciaire » tient d’abord à la réaction des
constituants contre la manière dont les juges français ont exercé
leurs compétences. Accusés d’avoir commis des abus de pouvoirs
et des empiétements dans le domaine du pouvoir exécutif, les
juges se verront interdire par les lois des 16-24 Août 1790 de
connaître des actes de l’exécutif. Par extension, ils ne sauraient
connaître des actes du pouvoir législatif ou refuser de les
appliquer au motif qu’ils seraient contraires à la Constitution.
Rien de tel aux Etats-Unis où la Cour suprême, dans l’affaire
Marbury vs. Madison a posé les bases d’un contrôle de
constitutionnalité des lois. Ensuite, la seconde raison, d’ordre
théorique, tient à la conception spécifique du pouvoir judiciaire
développée par Montesquieu, qui affirmait que « des trois
puissances dont [il a parlé], celle de juger est en quelque sorte
nulle… Les jugements doivent l’être [fixes] à tel point, qu’ils ne
soient jamais qu’un texte précis de la loi. S’ils étaient une
1
Cité par Christian Bidégaray, Parler en politiste des institutions : enseigner le droit politique de la gouverne, in
Pierre Favre et Jean-Baptiste Legavre, dir., Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1998, p.131.
2
On peut définir l’indépendance de la justice comme « l’absence de toute soumission des juges dans l’exercice de
leur fonction juridictionnelle à des pouvoirs extérieurs ». C’est l’une des composantes essentielles de l’Etat de droit.
Le but de l’indépendance est de « garantir aux citoyens que [les magistrats] ne se prononceront qu’en leur âme et
conscience sans subir d’interventions pesant sur leurs jugements ». Les pressions n’émanent pas seulement des
pouvoirs politiques, mais aussi des groupes de pression divers (idéologique, politique, financier, etc. « La meilleure
justice est celle qui s’affirme dans la force du raisonnement, la hauteur de vue, l’absence de parti pris. Une justice
indépendante est avant tout une justice compétente au service de la loi et des citoyens ». Voir Charles Debbasch,
l’indépendance de la justice, in Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Au carrefour des droits, Paris, Dalloz,
2002, p.27 et ss.

91
opinion particulière du juge, on vivrait dans la société sans
savoir précisément les engagements que l’on y contracte »1. Par
conséquent, la jurisprudence ne saurait être une source de
droit. Ce qui, aujourd’hui n’est guère soutenable, dans la
mesure où il est admis que le juge a un rôle créateur de norme.

Enfin, il est reproché à la séparation des pouvoirs de ne pas être


un critère pertinent de classification des régimes politiques, du
fait de la mauvaise interprétation qui en a été faite. Pendant
longtemps, le droit constitutionnel a classé les régimes
politiques selon les modalités de la séparation des pouvoirs
législatif et exécutif : régimes de séparation souple, de
séparation rigide et de confusion des pouvoirs.

Or, Montesquieu n’a jamais préconisé un système de


séparation stricte. De plus, l’équilibre entre deux organes
spécialisés est impossible à réaliser. Pour le doyen Georges
Vedel, le principe vise à « déterminer une fragmentation des
compétences liées à l’exercice de la souveraineté et non à
donner une vue rationnelle de ces compétences »2. Il ne doit
donc pas être interprété comme un principe de logique mais
comme un but pratique. Il n’en demeure pas moins que « quelles
que soient (…) les critiques émises sur cette théorie dans les
démocraties occidentales, la séparation des pouvoirs garde,
malgré tout, une pertinence juridique et une signification
politique, surtout dans les jeunes Etats démocratiques »3.

§ 3 : Le rôle des contre-pouvoirs

Plus généralement, on constate de nos jours que le fait


majoritaire tend à ruiner la théorie de la séparation des

1
Denis Lévy, Les sources du droit constitutionnel, in mélanges en l’honneur de Benoît Jeanneau, Les mutations
contemporaines du droit public, Paris, Dalloz, 2002, p.210 et s.
2
Xavier Boissy, op. cit., p.31.
3
Ibid., p.35

92
pouvoirs, lorsque le gouvernement (qui dispose de
l’administration, de la police et de l’armée) est l’émanation
d’un parti majoritaire et surtout dominant. Dans cette optique,
le pouvoir reste concentré entre les mains de ce parti et de ses
dirigeants. Dans ces conditions, la notion de contre-pouvoir
revêt toute son importance. On peut la définir comme
l’ensemble de « tous les centres organisés de décisions, de
contrôle, d’intérêts ou d’influence qui, par leur seule existence
ou par leur action, quel que soit l’objectif poursuivi, ont pour
effet de limiter la puissance de l’appareil dirigeant de l’Etat »1.
Nécessaires dans tout régime politique pluraliste pour prévenir
ou dénoncer les abus et dérives des pouvoirs publics, ils doivent
cependant inscrire leurs actions dans le cadre de l’Etat de droit
pour ne pas eux-mêmes générer d’autres abus. On distingue
plusieurs types de contre-pouvoirs2 :
Les contre-pouvoirs institutionnels que sont les mécanismes
verticaux de distribution des pouvoirs (collectivités
territoriales instituées dans le cadre de la décentralisation,
distribution des pouvoirs entre l’Etat fédéral et les Etats
fédérés), qui complètent les mécanismes horizontaux
(distinction des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire)
institués dans le cadre de la mise en œuvre du principe de
la séparation des pouvoirs.
Les contre-pouvoirs politiques que sont notamment les
partis politiques, la presse écrite et les médias audiovisuels
lorsqu’ils sont pluralistes et indépendants vis-à-vis du
pouvoir en place.
Les contre-pouvoirs sociaux que sont les forces
économiques et sociales et groupes de pression divers
(associations et ONG, syndicats, autorités traditionnelles et
religieuses, etc.).

1
Pierre Pactet, op. cit., p.18.
2
Voir le chapitre sur les forces politiques.

93
Tous ces mécanismes permettent d’assurer une séparation
plus efficace des pouvoirs et d’atteindre les objectifs poursuivis
par la théorie de la séparation des pouvoirs : tels la
décentralisation, les médias pluralistes, indépendants et
crédibles, etc.

SECTION IV : LA DISTRIBUTION VERTICALE DU POUVOIR AU SEIN DE


L’ETAT

La question de la distribution du pouvoir renvoie à celle de


l’organisation et des formes de l’Etat. On en distingue deux
modalités ou formes juridiques essentielles : l’Etat unitaire et
l’Etat composé, qui comprend à son tour deux modalités, la
confédération et la fédération.

§ 1 : L’Etat unitaire

A. La notion d’état unitaire

L’Etat unitaire est la forme la plus répandue d’Etat. L’Etat


unitaire, affirme Georges Burdeau, est celui « qui ne possède
qu’un seul centre d’impulsion politique et gouvernementale. Le
pouvoir politique dans la totalité de ses attributs et de ses
fonctions, y relève d’un titulaire unique qui est la personne
juridique Etat. Tous les individus placés sous la souveraineté de
celui-ci obéissent à une seule et même autorité, vivent sous le
même régime constitutionnel et sont régis par les mêmes
lois »1. Ici, l’espace territorial est considéré comme un tout
indifférencié, uniforme, sur lequel se déploie l’autorité
1
Cité par J. Ziller, Administrations comparées. Les systèmes politico-administratifs de l’Europe des Douze, Paris,
Montchrestien, 1993, p.83.

94
étatique, grâce à des relais périphériques intégrés dans la
structure bureaucratique ou seulement associés à la gestion
locale. Dans l’Etat unitaire, les citoyens sont soumis au même et
unique pouvoir. Un parlement unique légifère pour l’ensemble
des citoyens, qui sont soumis à l’autorité d’un seul
gouvernement et d’un droit unitaire.

Dans sa facture idéal-typique, l’Etat unitaire est un Etat-


nation qui est parvenu, grâce au déploiement d’une puissante
machine administrative, à détruire définitivement toutes les
allégeances locales et à imposer sa loi1. La France a constitué
pendant longtemps, l’archétype de l’Etat unitaire. Ce modèle a
été repris par les Etats africains francophones. Ainsi, la
Constitution burkinabè en son article 31 dispose que « le Burkina
Faso est un Etat démocratique, unitaire et laïc. Le Faso est la
forme républicaine de l’Etat ». Mais ces caractères de l’Etat ne
sont pas conformes à la réalité de l’Etat burkinabè. En effet, la
démocratie reste en chantier et le principe de laïcité ne fait pas
obstacle à l’imprégnation du politique par le religieux et
l’intégration des autorités religieuses dans l’organisation de
l’Etat. Ainsi, les autorités religieuses sont représentées au
Conseil économique et social (CES), organe consultatif consacré
par le Titre X de la Constitution, ou à la Commission électorale
nationale indépendante (CENI) instituée par le Code électoral de
2001.

B. Les techniques d’aménagement de l’état unitaire

L’aménagement juridique de l’espace territorial peut


s’opérer soit par la décentralisation soit par la déconcentration,
deux modalités qui n’ont de sens que par rapport à un centre qui
ne saurait être remis en cause.

1
B. Badie et P. Birnbaum, Sociologie de l’Etat, Paris, Grasset, 1979, pp.172 et ss.

95
1. La déconcentration

La déconcentration est un simple assouplissement de la


centralisation. Elle consiste à faire exercer des attributions de
l’Etat par des autorités nommées par lui et réparties dans des
circonscriptions administratives (régions, provinces et
départements) à travers le territoire. Les fonctionnaires ou
agents nommés dans ces circonscriptions exécutent les ordres du
pouvoir central et prennent des décisions sous son contrôle : ils
sont insérés dans une hiérarchie. Dans un Etat déconcentré, les
normes locales sont prises, par délégation, par des agents
nommés par des autorités centrales. Ces agents font partie
d’une hiérarchie et sont soumis au contrôle de leurs supérieurs,
de sorte qu’ils ne participent en rien à la création des normes.

Mais la déconcentration ne saurait se réduire à cet


aménagement des compétences. Elle implique également une
certaine maîtrise du processus décisionnel par les agents locaux,
la mise en place de dispositifs de nature à empêcher que la
gestion des dossiers ne remonte systématiquement vers les
services centraux. La déconcentration implique enfin un
redéploiement des agents et des moyens administratifs en faveur
des services et localités les moins pourvus afin de remédier au
phénomène de la concentration qui caractérise trop souvent les
administrations africaines.

2. La décentralisation

La décentralisation a pour objet d’associer les administrés


de façon plus étroite à la gestion des affaires publiques. La
technique consiste à confier des attributions propres à des
autorités élues à l’échelon local par les citoyens (on parle de
décentralisation territoriale) ou à des organismes autonomes
chargés de gérer des activités d’intérêt public (on parle de

96
décentralisation fonctionnelle ou par service). Les attributions
conférées aux autorités décentralisées sont fixées par la loi1 et
non par la Constitution, qui reconnaît seulement le principe de
la libre administration des collectivités locales. En conséquence,
le législateur peut par le vote d’une loi modifier les attributions
des autorités locales. Par ailleurs, l’exercice des attributions des
collectivités locales est soumis à un contrôle de tutelle,
beaucoup moins contraignant que le contrôle hiérarchique qui
s’exerce dans le cadre de la déconcentration.
Selon les pays et les époques, la décentralisation est plus
ou moins poussée. Dans certains pays, le processus de
décentralisation est si approfondi qu’il a donné naissance à des
régions autonomes dont le statut politique et administratif se
rapproche de celui des Etats fédérés.

§ 2 : Les Etats composés

On distingue deux formes d’Etats composés : la


confédération et la fédération.

A. La confédération

C’est une forme qui n’existe pratiquement plus. A ce jour,


le seul exemple africain est celui de la Sénégambie qui a été
dissoute après avoir fonctionné pendant quelques années. La
confédération est une association d’Etats qui, par traité,
décident d’exercer par le biais d’organes communs, un certain
nombre de compétences, et de tenter d’unifier leur politique
dans divers domaines.

1
Au Burkina Faso, les textes d’orientation de la décentralisation s’articulaient autour de quatre textes législatifs :
- la loi n°040/98 du 3 août 1998 portant orientation de la décentralisation au Burkina Faso ;
- la loi n°41/98/AN du 6 août 1998 portant organisation du territoire
- la loi n°42/98/AN du 6 août 1998 portant organisation et fonctionnement des collectivités locales
- la loi n°43/98 du 6 août 1998 portant programmation de la mise en œuvre de la décentralisation.
Ces quatre lois ont par la suite fait l’objet de plusieurs relectures, puis d’une refonte totale avec l’adoption de la loi
n°55-2004 AN du 21 décembre 2004 portant code général des collectivités territoriales.

97
En général, les représentants de l’Etat se réunissent dans une
conférence qui élabore à l’unanimité en principe, des décisions
qui sont supposées prises par les Etats. Mais celles-ci ne peuvent
être appliquées sur le territoire d’un Etat qu’avec l’accord dudit
Etat. Chaque Etat conserve donc la plénitude de sa personnalité
et de sa souveraineté. Dans la pratique, soit la confédération se
dissout, soit elle évolue vers une fédération.

B. L’Etat fédéral

1. La notion de fédéralisme

L’Etat fédéral est une association d’Etats indépendants qui


renoncent à leur souveraineté internationale pour créer une
sorte de super-Etat doté de compétences déterminées par une
Constitution, tout en laissant subsister les Etats membres
fédérés amputés de ces compétences. Pour la plupart des
théoriciens du fédéralisme, l’Etat fédéré constitue « une
collectivité territoriale autonome dont les droits sont
particulièrement protégés par, d’une part, l’existence d’une
Constitution propre (la Constitution de l’Etat fédéré) et, d’autre
part, l’exercice d’une ‘fonction constituante subordonnée’, la
participation au pouvoir constituant fédéral »1L’Etat fédéral
peut être comparé à un Etat unitaire qui pousse à un haut degré
le processus de décentralisation. Cependant, l’Etat fédéral se
distingue de l’Etat unitaire par la coexistence de deux ordres
juridiques, celui de la fédération et celui des Etats membres. A
la différence des collectivités décentralisées, les Etats fédérés
bénéficient d’une autonomie et d’attributions beaucoup plus
importantes qui ne peuvent être modifiées sans leur accord. De
plus, ils participent à la gestion du pouvoir central.

2. Les causes et modalités de création d’un Etat fédéral


1
Eric Maulin, La théorie de l’Etat de Carré de Malberg, Paris, PUF, Léviathan, 2003, p.38.

98
Le fédéralisme est souvent adopté pour deux raisons
essentielles :
- Satisfaire les demandes d’autonomie interne, permettre
aux minorités de s’auto-administrer, sauvegarder les
identités, tout en maintenant un loyalisme vis-à-vis du
pouvoir central.
- Constituer un marché économique plus vaste ou une entité
politique et militaire plus puissante.

On distingue généralement deux modes de constitution d’un


état fédéral :
- Le fédéralisme par association ou par agrégation, qui tend
à réunir des entités ou des états, non pas pour les fondre
dans le moule de l'uniformité, mais pour instituer un
équilibre entre l'unité et la diversité. C’est l’hypothèse
classique, et l’exemple type est celui des États-Unis
d’Amérique.
- Le fédéralisme par dissociation ou par désagrégation, qui
consiste pour un état unitaire à se transformer en état
fédéral; ici, l’état unitaire se désagrège sous la pression de
minorités ou sous la pression d’une menace externe; le
recours au fédéralisme est censé figer cette désagrégation
grâce à l'octroi de compétences étatiques à différentes
entités reconnues autonomes; c'est le cas de la Belgique
devenue fédérale le 6 février 1993 pour satisfaire les
revendications autonomistes de ses différentes
communautés linguistiques tout en conservant l’unité du
pays.

L’acte fondateur d’un Etat fédéral est une Constitution, à


la différence de la confédération qui est créée par traité. Dans
la Constitution, les Etats qui s’associent pour créer la fédération
(Etats fédérés) aménagent et distribuent le pouvoir et les

99
compétences entre eux et l’union, c’est-à-dire l’Etat central.
Sont inscrites dans la Constitution les garanties juridiques
concernant l’autonomie des Etats fédérés ainsi que les règles
garantissant que leur statut ne sera pas modifié unilatéralement
sans leur participation. En particulier, l’égalité entre les Etats
fédérés est garantie par la Constitution.

3. Les principes d’organisation de l’Etat fédéral

La Constitution organise l’Etat fédéral autour de deux


principes essentiels : l’autonomie, qui garantit la libre
organisation des Etats fédérés, et la participation, qui assure
l’association des Etats fédérés à la décision fédérale. On appelle
parfois « lois de Scelle » ces deux principes, en hommage à
Georges Scelle qui en a systématisé la formulation dans son
manuel de droit international public1. Ainsi, au niveau des Etats
fédérés, chacun élabore sa propre Constitution et organise ses
pouvoirs librement, dans le respect de la Constitution fédérale.
La loi d'autonomie implique donc l'existence au profit de
chaque Etat fédéré d'un domaine réservé d'intervention. Sur ce
plan, il existe deux possibilités de répartition des compétences
entre l’Union et les Etats fédérés :
- Soit la Constitution énumère les compétences attribuées
à l’Etat fédéral (en général, la défense, les relations
internationales, la monnaie), toutes les autres matières
étant laissées aux Etats fédérés (cas des Etats-Unis
d’Amérique).
- Soit au contraire la Constitution donne la liste des
attributions conférées aux Etats fédérés, l’Etat fédéral
intervenant seul dans les autres domaines (cas de l’Inde
ou du Canada).
Mais en dehors des domaines réservés, la Constitution peut
prévoir des compétences concurrentes en permettant aux Etats

1
Ibid., p.38.

100
fédérés et à l’Etat fédéral d’intervenir dans le même domaine.
En cas de conflit le principe selon lequel le droit fédéral
s’impose au droit des Etats s’applique.

Au niveau de l’Etat fédéral, c’est la Constitution fédérale


instituant l’union qui aménage les pouvoirs centraux. Elle
consacre le principe de la participation en instituant un
parlement bicaméral (composé de deux chambres) : d’une part
la Chambre des représentants qui représente la population dans
son ensemble, chaque Etat fédéré élisant un nombre de
représentants proportionnel à sa population, et d’autre part le
Sénat, composé d’un nombre égal de représentant de chaque
Etat fédéré.
L’Etat fédéral se caractérise également par la superposition
de deux ordres juridiques, celui de la fédération et celui des
Etats fédérés. Ainsi, les citoyens doivent obéir non seulement
aux lois de leur Etat (fédéré) d’origine, mais aussi aux lois
fédérales. Dans un tel système, il n’est pas exclu qu’il y ait des
contradictions entre les deux ordres juridiques. C’est pourquoi
dans les Etats fédéraux, il existe une Cour suprême chargée,
entre autres, de résoudre “ les conflits de lois dans l’espace ”.
C’est la loi d'arbitrage.

101
CHAPITRE 2 : LE CONSTITUTIONNALISME

La notion de constitutionnalisme s’identifie avec la


limitation du pouvoir au moyen de la constitution et a pour
corollaire l’Etat de droit. Le mouvement constitutionaliste
apparu en Europe à partir du XVIIe-XVIIIe siècle s’était en effet
fixé pour ambition de défendre la liberté et de limiter les
nuisances du pouvoir politique en encadrant son exercice au
moyen du droit, plus particulièrement au moyen d’une
Constitution. Les révolutions anglaise, américaine et française
ont en particulier permis de consacrer des droits fondamentaux,
des règles d'organisation et de fonctionnement du pouvoir
politique. C’est dire que le constitutionnalisme et l’Etat de droit
ont précédé la démocratie, mais ne peuvent s’épanouir que dans
le cadre des régimes démocratiques.

Aujourd’hui, tous les Etats modernes qui se réclament de


l’idéologie démocratique disposent d’une Constitution. Celle-ci
présente à la fois une triple valeur symbolique, philosophique et
juridique. La Constitution revêt d’abord une signification
symbolique dans la mesure où elle constitue un symbole, le plus
souvent l’acte fondateur d’un Etat, ou d’un nouveau régime
politique qui veut marquer la rupture avec l’ordre précédent et
la projection vers l’avenir. Elle revêt ensuite une signification
philosophique en ce sens que se doter d’une Constitution, c’est
admettre, que le pouvoir n’est pas illimité, mais soumis à
certaines exigences. Enfin, la constitution revêt une signification
juridique en ce sens qu’elle apparaît comme un ensemble de
normes juridiques cohérentes organisant le pouvoir, prescrivant
certaines formes ou procédures juridiques et garantissant les
droits fondamentaux des citoyens. C’est cette signification qui
retiendra ici notre attention.

102
SECTION I : LA CONSTITUTION

Après avoir appréhendé la notion de constitution, il


conviendra d’analyser les procédés d’établissement et de
révision de la constitution.

§1 : La notion de Constitution

La notion de constitution peut être définie de différentes


manières et renvoie à un domaine de plus en plus étendu.

A. La définition de la constitution : les diverses formes de


constitution

On distingue trois formes de Constitution :


Les Constitutions matérielles ou formelles.
Les Constitutions écrites ou coutumières.
Les Constitutions souples ou rigides.

1. Les Constitutions matérielles ou formelles

La Constitution peut être définie de deux manières : au


sens matériel et au sens formel. La définition matérielle porte
sur le contenu, les « matières » constitutionnelles par leur
objet. Dans cette optique, la Constitution se définit comme
l'ensemble des dispositions relatives à la dévolution, à l’exercice
du pouvoir politique, à l'organisation et au fonctionnement des
institutions et aux libertés des citoyens. C’est dans ce sens que
Benjamin Constant soutient que « tout ce qui tient à la liberté
est constitutionnel et, par conséquent aussi, rien n’est
constitutionnel de ce qui n’y tient pas »1. Cette approche est en

1
Cité par Dominique Turpin, op. cit., p.111.

103
réalité imprécise et extensive, dans la mesure où elle range dans
la Constitution des aspects aussi variés que l’organisation de
l’Etat ou des pouvoirs publics, leurs attributions et rapports, les
droits de l’Homme et les libertés. On peut même y inclure
certains aspects qui, bien que touchant à la dévolution et à
l’exercice du pouvoir politique, sont formellement séparés de la
Constitution : le droit parlementaire, le droit électoral, le
régime juridique des partis politiques, etc.1.

A cette approche matérielle de la Constitution s’oppose


l’approche formelle qui, elle, met en relief les spécificités des
normes constitutionnelles, à savoir leur production selon des
procédures spécifiques et renforcées. Ainsi, au sens formel ou
organique, la Constitution peut être définie comme l’ensemble
« des règles qui, soit ont reçu forme distincte (c’est le cas, par
hypothèse, de la Constitution écrite), soit ont été édictées ou ne
peuvent être révisées que par un organe spécifique (par
exemple, qui ont été édictées par une assemblée constituante),
soit ont été édictées ou ne peuvent être révisées que selon une
procédure spécifique (par exemple, qui ne peuvent être révisées
qu’à la majorité des deux tiers des membres d’une ou de deux
assemblées parlementaires ou après un référendum de
ratification) »2. Autrement dit, la Constitution formelle
comprend « l’ensemble des règles, quel que soit leur objet, qui
sont énoncées dans la forme constitutionnelle : elles sont en
général contenues dans un document spécial, mais surtout, elles
ont une valeur supérieure à celle de toutes les autres normes
positives et ne peuvent être modifiées que conformément à une
procédure spéciale, plus difficile à mettre en œuvre que celle
qui permet de modifier une autre norme, par exemple une loi
ordinaire »3. Pour les tenants de l’approche formelle, il n’existe
pas d’objet constitutionnel en soi puisque tout est susceptible
1
Pierre Pactet, op. cit., p.67.
2
Pierre Pactet, op. cit., p.67.
3
Georges Burdeau et als, p.50.

104
de faire partie de la Constitution si telle est la volonté du
pouvoir constituant1.

Les définitions matérielles et formelles de la Constitution


peuvent coïncider, les matières constitutionnelles étant coulées
dans les formes constitutionnelles, c’est-à-dire dans le texte de
la Constitution. Mais tel n’est pas toujours le cas. Ainsi, la
Grande-Bretagne dispose d’une Constitution matérielle mais
presque pas de Constitution formelle, non parce qu’elle ne
dispose pas de Constitution écrite2 ; mais plutôt parce que le
pays ne connaît pas de procédure spécifique de production de
normes constitutionnelles distincte de celle qui régit la
production législative. Le décalage entre définitions matérielle
et formelle de la Constitution peut tenir aussi au fait que
certaines matières, constitutionnelles par nature, peuvent,
comme nous l’avons vu, ne pas figurer dans le texte
constitutionnel3. En revanche, on peut y trouver des « cavaliers
constitutionnels » qui n’ont rien à voir avec le pouvoir politique
ou les institutions politiques mais qui n’en demeurent pas moins
des dispositions constitutionnelles du point de vue formel.

2. Les Constitutions écrites ou coutumières

La Constitution formelle peut être écrite ou non écrite (ou


coutumière), selon qu’elle donne lieu ou non à l’établissement
d’un document écrit. Les premières Constitutions écrites
modernes sont apparues en Amérique4 puis en Europe1. Leur
1
P. Montané de La Roque cité par Dominique Turpin. Ainsi, en Suisse, la constitution interdisait l’abattage du bétail
non préalablement étourdi. Aux Etats-Unis, le 18ème amendement de la Constitution adopté en 1920 interdisait la
vente, la fabrication, la consommation et le transport de boissons alcoolisées. Cette prohibition ne sera levée que
treize ans plus tard avec l’adoption du 21e amendement de la Constitution en 1933.
2
Dans la mesure où on y trouve des textes fondamentaux. Par exemple : la Grande Charte de 1215 consentie par
Jean sans Terre à ses barons, le Bill of Rights de 1689 accordé au parlement par Guillaume d’Orange, les Parliaments
Acts de 1911 et 1949 relatifs aux pouvoirs des deux chambres du parlement.
3
C’est le cas des modes de scrutin, du régime juridique des partis politiques ou du financement de la vie politique,
qui ont un lien assez étroit avec la question de la dévolution et de l’exercice du pouvoir politique mais qui, dans la
tradition francophone sont régis par des textes législatifs et non constitutionnels.
4
Virginie en 1776, constitution fédérale des Etats-Unis en 1787.

105
principal avantage est de développer avec précision les règles
constitutionnelles. Quant à la Constitution coutumière, elle
comprend « l’ensemble des règles coutumières relatives, pour
un pays donné, à la dévolution et à l’exercice du pouvoir. Ces
règles coutumières reposent sur la répétition, sans discontinuité
véritable et pendant une certaine durée, de précédents
recueillant un très large consensus, pour ne pas dire
l’assentiment général »2. Les Constitutions coutumières ont
pratiquement disparu, les Etats modernes reposant dans leur
grande majorité sur des constitutions écrites. Il reste cependant
à savoir quel rôle la coutume pourrait jouer dans un Etat
disposant d’une Constitution écrite. Peut-on concevoir en marge
de celle-ci le développement de pratiques, d’usages ou de non-
usages constitutives de coutumes constitutionnelles ? La
question est controversée au niveau de la doctrine3. Dans
l’ensemble, celle-ci admet qu’aucune coutume ne saurait
modifier ou abroger une disposition constitutionnelle écrite qui
ne souffre d’aucune ambiguïté. Si elle existe, la coutume ne
peut qu’être supplétive ou interprétative4.

1
En France et en Pologne en 1791.
2
Pierre Pactet, op. cit., p.67.
3
Contre l’idée d’une coutume constitutionnelle, Esmein affirme que la Constitution « ne peut jamais être abrogée
que par une nouvelle loi constitutionnelle, rendue dans la forme voulue », cependant que Carré de Malberg affirme
« qu’il y a incompatibilité entre ces deux termes : Constitution et coutume… toutes les fois que les auteurs sont
réduits à invoquer la coutume, cela revient à dire que cet état de choses manque de base en droit ». Cités par
Dominique Turpin, Paris, PUF, 2003, p.107.
4
Au Burkina Faso, la coutume est une source de rang inférieur par rapport à la loi. La coutume peut être définie
comme une règle de droit issue d'un usage général et prolongé et de la croyance en l'existence d'une sanction à
l'observation de cet usage. L’existence d’une coutume suppose donc la réunion de deux éléments : d’une part des
précédents, des pratiques ou des usages répétitifs et d’autre part le sentiment d’obligation (c’est ce que les juristes
appellent « l’opinio juris »). Au Burkina, dans de nombreuses matières, les coutumes ont été abrogées (par exemple
en matière de relations familiales, en matière foncière), le législateur ayant fait l'option du "modernisme". Malgré
leur abrogation officielle, les coutumes ne cessent pas pour autant d'exister. Mais elles ne sauraient produire des
effets dans l'ordre juridique burkinabè. Il en va ainsi des coutumes dites contra legem, qui mettent en échec la loi en
y substituant une norme qui y est opposée. Dans l’hypothèse d'un conflit entre la loi et la coutume c'est la loi qui doit
prévaloir, même si elle aura du mal à s’affirmer sur le plan de son effectivité. Il existe toutefois des rapports plus
harmonieux entre coutumes et lois. Ainsi, les coutumes dites praeter legem, sont des coutumes qui comblent les
lacunes de la loi, lorsque celle-ci ne règle pas tous les problèmes. Quant aux coutumes secundum legem, elles
désignent les coutumes auxquelles la loi renvoie, le législateur s'en remettant aux usages consacrés par la coutume.

106
Les coutumes constitutionnelles ne doivent pas être
confondues avec les « conventions de la Constitution » même si
elles s’en approchent. Ces dernières sont en effet des « règles
non écrites et accords sur la marge discrétionnaire d’exercice
de leurs prérogatives par les acteurs constitutionnels, non
incompatibles avec le texte écrit mais sans valeur normative »1.
A titre illustratif pour le cas de la France, on pourra mentionner
certaines pratiques constitutionnelles, considérations d’ordre
politique ou personnel prises en compte par la doctrine pour
expliquer le fonctionnement concret du pouvoir sous la Ve
République. Ainsi, la prééminence du Président de la République
et subséquemment la dépendance du premier ministre ne valent
qu’en période de concordance des majorités présidentielle et
parlementaire. En période de « cohabitation », le gouvernement
et sa majorité parlementaire maîtrisent l’agenda et la
procédure parlementaire et, de ce fait, déterminent et
conduisent pour l’essentiel la politique de la nation. Dans ce
contexte, le Président de la République devient le chef de
l’opposition mais n’en conserve pas moins des pouvoirs propres
dans les domaines régaliens, le fonctionnement des pouvoirs
publics et la possibilité de s’exprimer2.

3. Les Constitutions souples ou rigides

La Constitution n’étant pas un texte immuable, elle peut


faire l’objet de révision par l’adoption de lois constitutionnelles
conformément aux procédures établies par la Constitution elle-
même.
On appelle Constitution souple une Constitution qui, quelle
qu’en soit la forme, peut être révisée aisément, c’est-à-dire
selon les formes et procédures de la loi ordinaire. Cela signifie
1
Dominique Turpin, op. cit., p.104. Exemples de conventions de la constitution : la rédaction par le Premier ministre
du Discours du Trône prononcé par la Reine, la nomination du leader du parti vainqueur des élections législatives au
poste de Premier ministre, etc.
2
Voir Didier Maus, Où en est le droit constitutionnel ? Mélanges en l’honneur de Frank Moderne, Mouvement du
droit public. Du droit administratif au droit constitutionnel. Du droit français aux autres droits, Dalloz, 2004, p.712.

107
que la suprématie de la Constitution sur la loi reste théorique,
sans conséquence juridique pratique. Au contraire, une
Constitution rigide est celle dont la procédure de révision est
plus difficile à mettre en œuvre parce que obéissant à des
formes et procédures particulières différentes de celles requises
par une loi ordinaire1
En réalité, les Constitutions en vigueur sont plus ou moins
souples ou plus ou moins rigide. Tout est relatif, dans la mesure
elles peuvent être classées sur une échelle de rigidité ou de
souplesse. De plus, une Constitution a priori souple peut s’avérer
en pratique plus difficile à réviser qu’une Constitution
formellement rigide2. Et vice-versa. Ce sont donc les pratiques
de révision constitutionnelle qui peuvent déterminer la nature
exacte de la Constitution.

B. Le contenu des constitutions

Les Constitutions sont généralement précédées d’un


Préambule ou d’une Déclaration de droits. Parfois on y trouve
les deux. Ces textes formulent la philosophie politique du
régime, les valeurs dont il se réclame, et énoncent les droits et
libertés des citoyens que le pouvoir s’engage à respecter.
Les principes d’organisation économique et sociale peuvent
aussi prendre place dans la Déclaration ou le Préambule. C’est
ce que certains auteurs appellent la “ Constitution sociale ”,
laquelle fixe les bases de la vie en commun et les objectifs que
la Nation se fixe pour l’avenir. Ces dispositions qui ressemblent à
des déclarations d’intention, à des orientations fixées à

1
L’exigence d’une majorité « qualifiée », par exemple, ¾ de l’Assemblée pour le cas du Burkina Faso, d’une
ratification par les parlements des Etats fédérés pour le cas des Etats fédéraux, ou dans certains cas l’exigence d’un
référendum, la convocation d’une assemblée spéciale, etc. sont autant d’indices d’une Constitution rigide.
2
Ainsi, une Constitution a priori souple peut en pratique devenir rigide lorsqu’il est difficile de parvenir à un
consensus sur le principe ou le contenu de la révision faute de majorité stable ou d’accords entre partis politiques
représentés à l’Assemblée. Inversement, en Afrique, une Constitution a priori rigide peut devenir en pratique souple
s’il existe par exemple un parti majoritaire ou un parti unique de fait qui contrôle une majorité écrasante au
parlement à la dévotion du Président. Ce dernier pourra changer la Constitution selon son bon plaisir.

108
l’intention des pouvoirs publics sont aussi appelées
« Constitution programme ».

Les règles d’organisation et les procédures de


fonctionnement des institutions constituent le noyau dur de la
Constitution. Elles sont relatives notamment à la désignation des
gouvernants, aux pouvoirs dont ils disposent, à leurs relations,
etc. La caractéristique majeure des règles posées dans cette
partie de la Constitution c’est qu’elles sont obligatoires. C’est
pourquoi elles sont appelées « Constitution-loi ». Certaines de
ces règles sont en réalité impératives, cependant que d’autres
laissent une marge de liberté dans la mise en œuvre, et que
d’autres encore sont alternatives, ou confèrent une simple
faculté.

Enfin, les constitutions peuvent contenir des dispositions


diverses ou transitoires.
Quel que soit son mode d’établissement, une bonne
Constitution doit aménager un système décisionnel permettant
de percevoir et d’appréhender les problèmes de la société et de
l’Etat, de prendre efficacement les décisions conformes à
l’intérêt général, et de les mettre en œuvre, dans le respect des
droits et libertés des citoyens, en particulier des minorités. Elle
doit être assez souple pour permettre une révision pour
l’adapter en cas de besoin. Elle doit permettre enfin de
contraindre les élus à respecter les règles, de les changer s’ils
n’ont plus la confiance du peuple, et de les sanctionner en cas
d’abus de pouvoir.

§ 2 : L’élaboration de la Constitution

L’élaboration d’une Constitution pose le problème de la


nature du pouvoir constituant originaire (PCO) et celui des
modes d’établissement de cette constitution.

109
A. La théorie du pouvoir constituant originaire

Compte tenu de son importance particulière, la


Constitution est élaborée par un organe spécial investi d’une
autorité politique particulière : le pouvoir constituant, qui est
l’un des attributs de la souveraineté. Ce pouvoir est qualifié
d’originaire lorsqu’il intervient dans un contexte où il n’existe
pas encore de Constitution, soit parce qu’il s’agit d’un nouvel
Etat créé à la suite d’une décolonisation1, soit parce que la
Constitution en vigueur a été suspendue ou abrogée à la suite
d’une guerre, d’une révolution ou d’un coup d’Etat2. Ainsi, au
Burkina Faso, après une décennie de régimes d’exception, le
président Blaise Compaoré alors président du Front populaire au
pouvoir depuis le coup d’Etat du 15 octobre 1987 a mis en place
une commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution,
qui sera adoptée par référendum le 2 juin 1991. Mais
l’élaboration d’une nouvelle Constitution peut se justifier aussi
par la volonté de rupture totale avec un passé marqué par un
régime constitutionnel jugé illégitime3.

Quelle que soit l’origine ou la cause du « vide


constitutionnel » qui fonde l’établissement d’une nouvelle
Constitution, certains auteurs estiment que la théorie du
« pouvoir constituant originaire » relève davantage de la théorie
politique que du droit, dans la mesure où « toute compétence
constitutionnelle est nécessairement dérivée »4.

1
Ce fut le cas avec l’accession à l’indépendance des pays africains au début des années soixante.
2
Ce fut le cas en Haute-Volta avec les coups d’Etat qui mirent fin aux régimes de la Ie République en 1966, de la IIe
république en 1970, de la IIIe République en 1980. Il est même possible que l’élaboration d’une nouvelle constitution
intervienne à la suite de plusieurs coups d’Etat consécutifs à celui qui a mis fin au régime constitutionnel. Ce fut le
cas au Burkina Faso où trois coups d’Etat, en 1982, 1983 et 1987, ont suivi celui de 1980 qui a mis fin au régime de
la 3 e République.
3
On pense par exemple à la Constitution sud-africaine adoptée en 1994 après la fin du régime d’apartheid.
4
Louis Favoreu et als ;, p.99

110
En théorie, le pouvoir constituant originaire est souverain,
ce qui signifie que son exercice est inconditionné. L’organe
chargé d’établir la Constitution a donc des pouvoirs quasi
illimités pour l’établissement du nouvel ordre juridique et
politique, tant au niveau de la procédure interne qu’au niveau
du contenu de la Constitution. En pratique, c’est le pouvoir en
place qui établit l’organe chargé de rédiger la nouvelle
Constitution. Il peut donc lui fixer des limites, des directives ou
des orientations, et adopter des procédés plus ou moins
démocratiques ou autoritaires pour l’établissement de la
Constitution.

B. La mise en œuvre du pouvoir constituant originaire

La mise en œuvre du pouvoir constituant originaire peut


s’effectuer selon des procédés démocratiques ou non
démocratiques. Dans les sociétés non démocratiques, le pouvoir
en place, le plus souvent issu de la force, s’efforce de
déterminer la composition de l’organe chargé de l’élaboration
de la Constitution de façon à exercer une certaine emprise sur
cet organe, dans la perspective d’imposer sa vision de l’ordre
constitutionnel à venir. Dans cette optique, la Constitution est
élaborée selon le bon plaisir du prince ou du pouvoir en place,
généralement sans l’intervention du peuple ou des forces
politiques les plus représentatives. L’une des illustrations de ces
modes autoritaires d’établissement des Constitutions est sans
conteste l’octroi, procédé unilatéral qui exclut toute forme
d’intervention du peuple ou de ses représentants.

Le pouvoir constituant originaire peut cependant être plus


ou moins partagé entre d’une part le prince ou le pouvoir en
place et d’autre part le peuple ou ses représentants. Dans ce
cas, la Constitution peut être le fruit d’une négociation avec un
pouvoir en place. Certains procédés autoritaires peuvent revêtir

111
des apparences démocratiques. C’est le cas lorsqu’il est fait
appel au peuple pour ratifier par référendum ou « plébisciter »
une Constitution « octroyée » ou élaborée en dehors de lui ou de
ses représentants, par exemple à travers une commission
constitutionnelle comme celle mise en place au Burkina Faso par
le Front populaire en 1990. Le référendum constituant peut donc
être utilisé avec des procédés moins démocratiques. Le manque
de transparence entourant l’élaboration de la Constitution,
l’absence de participation et de contrôle populaires sur le
processus d’établissement de la Constitution sont révélateurs de
la nature autoritaire du pouvoir en place qui dépossède le
pouvoir constituant originaire ou exerce une forte emprise sur
lui.

Mais tous les régimes de fait ne sont pas indifférents ou


hostiles à l’idéologie démocratique et à ses exigences. Il existe
en effet des modes d’établissement démocratiques. Ce sont
ceux qui confient l’exercice du pouvoir constituant originaire au
peuple à travers ses représentants siégeant dans une assemblée
constituante appelée encore convention. Ces représentants
peuvent être issus des « forces vives de la nation » comme ce fut
le cas au Bénin par exemple en 19901 ou, mieux encore, être
directement élus par le peuple, comme ce fut le cas pour la
Constitution fédérale des Etats-Unis en 1787 ou, plus proche de
nous, pour la Constitution de l’Afrique du Sud en 1994, ce qui
est plus démocratique. L’assemblée constituante peut avoir pour
mandat exclusif l’élaboration d’une Constitution. Le
gouvernement en place2 peut cependant lui confier d’autres
missions, comme par exemple jouer en même temps le rôle
d’une assemblée parlementaire (voter la loi, contrôler l’action
du gouvernement, etc.). Ainsi, le peuple souverain, en désignant
1
D’autres pays africains francophones vont emboîter le pas au Bénin au début des années 90 avec l’élaboration des
projets de constitution par des « conférences nationales souveraines » composées des différentes forces politiques du
pays et non pas seulement de représentants des régimes autoritaires dont la légitimité était remise en cause.
2
Qui peut être un gouvernement de transition et/ou d’unité nationale, composé des représentants des principales
sensibilités politiques du pays.

112
les membres de l’assemblée constituante, peut orienter le
contenu de la Constitution, plutôt que d’être mis devant le fait
accompli. Le procédé est encore plus démocratique lorsque le
peuple intervient non seulement en amont mais aussi en aval du
processus d’établissement de la Constitution, c’est-à-dire
lorsque les procédés de l’assemblée constituante et du
référendum constituant sont combinés. C’est le cas lorsque le
projet de Constitution élaboré par l’assemblée constituante élue
est soumis à la sanction du peuple par référendum. C’est ce
procédé qui a été utilisé pour l’élaboration et l’adoption des
Constitutions française de 1946 et sud-africaine de 1994.

§ 3 : La révision de la Constitution : le pouvoir constituant


institué ou dérivé

A. Les techniques de révision

Le pouvoir constituant institué ou dérivé peut être défini


comme le pouvoir de révision de la Constitution au sens formel.
A la différence du pouvoir constituant originaire, le pouvoir
constituant institué suppose donc l’existence d’une Constitution
en vigueur. Celle-ci fixe les procédures et règles de sa propre
révision1. La révision de la Constitution pose la question de sa
rigidité ou de sa souplesse2.

Les techniques de révision constitutionnelle s’apparentent à


une procédure législative dont les conditions de validité ont été
compliquées ou renforcées. Ces techniques qui tendent à
« rigidifier » les Constitutions visent principalement à favoriser
la réunion d’un large consensus politique autour de la révision du
texte constitutionnel.

1
Par exemple au Burkina Faso le Titre XV de la Constitution de 1991.
2
On rappelle qu’une Constitution est qualifiée de rigide ou souple, selon que les procédures et règles de sa révision
sont difficiles ou plus aisées à mettre en œuvre.

113
Il existe plusieurs techniques de révision. Ainsi, en vue de
favoriser une révision mûrement réfléchie et empêcher qu’une
majorité conjoncturelle ne modifie la Constitution formelle,
celle-ci peut conditionner sa révision au respect d’un certain
délai1 : c’est la technique de la prolongation2. La Constitution
peut également imposer le respect d’un certain nombre de
procédures ou d’étapes au cours desquels des organes
spécifiques seraient appelés à intervenir. C’est le cas dans
certains pays comme la France avec la convocation des
assemblées parlementaires réunies en congrès ou la possibilité
de consulter directement le peuple par référendum. Enfin, une
autre technique de révision consistera à imposer la réunion
d’une majorité renforcée ou qualifiée pour la révision. La
combinaison de plusieurs de ces techniques de révision peut
conduire à l’établissement d’une Constitution assez rigide.
Au Burkina Faso, l’initiative de la révision de la Constitution
appartient concurremment au Président du Faso, aux membres
de l’Assemblée nationale à la majorité, au peuple lorsqu’une
fraction d’au moins trente mille (30 000) personnes ayant le
droit de vote, introduit devant l’Assemblée nationale une
pétition constituant une proposition rédigée et signée (article
161). Le projet de révision est, dans tous les cas, soumis au
préalable à l'appréciation de l'Assemblée nationale (article 163).
Le projet de texte est ensuite soumis au référendum. Il est
réputé avoir été adopté dès lors qu’il obtient la majorité des
suffrages exprimés. Le Président du Faso procède alors à sa
promulgation dans les conditions fixées par l’article 48 de la
Constitution. Toutefois, le projet de révision est adopté sans
recours au référendum s’il est approuvé à la majorité des trois
quarts (3/4) des membres de l’Assemblée nationale (article
164).

B. Les limites au pouvoir de révision


1
On peut imaginer également une constitution formelle qui impose sa révision au terme d’un délai qu’elle aura fixé.
2
L. Favoreu, als., p.105.

114
Si le pouvoir constituant originaire est souverain, peut-on
en dire autant du pouvoir constituant institué ? Selon l’article 28
de la Déclaration des droits de 1793, « un peuple a toujours le
droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une
génération ne peut assujettir à ses lois les générations
futures ». Or, la plupart des Constitutions en vigueur prévoient,
pour leur révision, des conditions de recevabilité qui lient le
pouvoir constituant dérivé. Certains auteurs en déduisent que ce
dernier ne peut échapper au contrôle du juge constitutionnel.
D’autres auteurs vont jusqu’à affirmer que du fait des exigences
du constitutionnalisme et de l’Etat de droit, un projet ou une
proposition de révision de la Constitution qui satisfait aux
conditions de recevabilité ne saurait être exempt de tout
contrôle par le juge constitutionnel, aussi bien du point de vue
des conditions de validité que du point de vue de son contenu
même. D’ailleurs, au Burkina Faso, le constituant a
expressément chargé le Conseil constitutionnel de veiller au
respect de la procédure de révision de la Constitution (article
154). Ce qui implique la possibilité d’une censure si la révision
n’est pas conforme à la Constitution. Compte tenu de la
différenciation hiérarchique qui existe entre les dispositions ou
principes constitutionnels, lesquels n’ont pas la même
importance - même si leur violation doit en principe faire l’objet
de sanction par le juge constitutionnel -, la doctrine considère
que les lois de révision constitutionnelle qui méconnaîtraient
certains principes fondamentaux résumant l’ordre
constitutionnel sont susceptibles d’annulation par le juge
constitutionnel. Il s’agit, en particulier, des principes
démocratiques, républicains, de la forme de l’Etat (unitaire,
fédéral), de l’Etat de droit, du libéralisme, de la séparation des
pouvoirs. Mieux, la Constitution elle-même peut contenir des
dispositions plus ou moins nombreuses interdisant de manière

115
absolue ou conditionnant certaines révisions1. Ainsi, la
Constitution burkinabè de juin 1991 établit une interdiction
absolue de révision de certaines matières. C’est dans ce sens
que l’article 165 dispose qu’aucun projet ou proposition de
révision de la Constitution n'est recevable lorsqu'il remet en
cause la nature et la forme républicaine de l'Etat, le système
multipartite, l'intégrité du territoire national. A ces interdictions
absolues s’ajoute une interdiction conditionnelle, celle
d’engager ou de poursuivre une révision de la Constitution dans
certaines circonstances, en l’espèce lorsqu’il est porté atteinte
à l’intégrité du territoire national (article 165 de la
Constitution). Au Niger, les matières insusceptibles de révision
constitutionnelle sont beaucoup plus étendues qu’au Burkina
Faso. A celles énumérées par le constituant burkinabè
s’ajoutent, aux termes de l’article 136 de la Constitution
nigérienne du 18 juillet 1999 :
Le principe de la séparation de l’Etat et de la religion.
Le mandat présidentiel (quinquennat renouvelable une
seule fois) ainsi que les conditions d’éligibilité du président
de la République et d’organisation de l’élection
présidentielle.
L’amnistie accordée aux auteurs des coups d’Etat militaires
des 27 janvier 1996 et 9 avril 1999.

En France, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa


décision du 2 septembre 1992, les limites assignées au pouvoir
constituant dérivé. Celles-ci tiennent aux limitations touchant
aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution
ne peut être engagée ou poursuivie et à l’interdiction de réviser
la forme républicaine du gouvernement. Sous réserve de ces
limites, le pouvoir constituant demeure souverain. Saisi de la
1
Certains auteurs estiment que les interdictions de réviser la Constitution ne seraient que des barrières virtuelles,
susceptibles d’être levées dans une première étape avec la suppression de ces interdictions puis dans une seconde
étape avec la révision proprement dite. Une telle argumentation n’est guère recevable car la révision aboutirait à une
violation de la Constitution. Du reste, si la suppression des interdictions de réviser était licite, le constituant aurait
certainement interdit de réviser les dispositions interdisant la révision.

116
question de la constitutionnalité de la loi de révision
constitutionnelle du 17 mars 2003, le Conseil constitutionnel a
ainsi décliné sa compétence pour contrôler une loi
constitutionnelle, aux motifs que :

Le Conseil constitutionnel ne dispose que d’une


compétence d’attribution qui ne vise que les lois
organiques et les lois ordinaires, à l’exclusion donc des
« lois constitutionnelles ».
Le pouvoir constituant est souverain et qu’il ne peut lui
être opposé de règles de droit qui auraient une valeur
supérieure à la Constitution ; qu’ainsi, il lui est loisible,
dans la forme qu’il estime appropriée, d’abroger, de
modifier ou de compléter des dispositions de valeur
constitutionnelle, d’y déroger expressément ou
implicitement.
Juger la constitutionnalité de la révision de la Constitution,
même sur la procédure, c’est s’exposer à l’accusation de
« gouvernement des juges », c’est refuser à la
représentation nationale la possibilité d’avoir le dernier
mot en révisant la Constitution pour la rendre compatible
avec une disposition jugée inconstitutionnelle1.

Au total, en refusant de censurer l’expression de la


souveraineté nationale à l’occasion des révisions
constitutionnelles, que celles-ci prennent la voie parlementaire
ou populaire à travers la voie référendaire, le juge
constitutionnel consacre la souveraineté absolue du constituant.
C’est à bon droit, estime Christian Bigot, que le Conseil
constitutionnel refuse donc de s’arroger le pouvoir constituant
en se déclarant incompétent pour contrôler une loi
constitutionnelle2. Au contraire, au Bénin, la Cour
1
Voir Christian Bigaut, La Constitution demeure la norme suprême : le pouvoir constituant est souverain, in Revue
administrative n°336, p.606 et ss.
2
Ibid., p.608.

117
constitutionnelle, arguant du fait qu’une proposition de révision
constitutionnelle risquait de rompre le consensus national
instauré par la Conférence nationale souveraine de 1990 s’est
opposée à ladite révision1.

SECTION II : LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

Le contrôle de constitutionnalité peut être confié soit à un


organe politique, soit à un organe juridictionnel. Lorsque le
contrôle de constitutionnalité est opéré par un organe politique,
qui peut être législatif ou exécutif ou un organe spécial, celui-ci
peut fonder ses décisions sur des préférences politiques. Mais les
mécanismes politiques de garantie de la suprématie de la
Constitution se sont avérés, dans l’ensemble, inefficaces par
rapport aux organes juridictionnels, en raison de leur manque
d’indépendance et de leurs motivations politiques. L’expérience
montre en effet que le contrôle de constitutionnalité des lois ne
peut être efficace que s’il est confié à des organes
juridictionnels indépendants.

§ 1 : Les modèles de justice constitutionnelle

1
Les députés béninois avaient adopté le 23 juin 2006 par 71 voix contre 12 une proposition de révision
constitutionnelle visant à proroger leur mandat d’une année supplémentaire. Saisie par plusieurs personnes opposées
à cette révision qui, si elle avait abouti, aurait été la première de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990
restée intangible depuis seize ans, la Cour a répondu dans les termes suivants : « Considérant que ce mandat de
quatre ans [des députés], qui est une situation constitutionnellement établie, est le résultat du consensus national
dégagé par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990 et consacré par la Constitution en son
Préambule qui affirme l’opposition fondamentale du peuple béninois à … la confiscation du pouvoir ; que même si
la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un Etat de
droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandant que
toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990,
notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle ; qu’en conséquence, les articles 1 et 2 de la Loi
constitutionnelle nº2006-13 adoptée par l’Assemblée Nationale le 23 juin 2006, sans respecter le principe à valeur
constitutionnelle ainsi rappelé, sont contraires à la Constitution ; et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres
moyens ; ».

118
A la différence de l’organe politique, l’organe
juridictionnel, lui, fonde ses décisions exclusivement sur des
motifs de droit. Suivant les pays, le contrôle juridictionnel est
exercé soit par les tribunaux ordinaires, soit par un organe
spécialement institué à cet effet. Dans le premier cas il s’agit du
modèle américain de justice constitutionnelle. Dans le second
cas il s’agit du modèle européen. Fruit d’une construction
théorique, ce dernier, appelé aussi « modèle kelsénien »1,
repose sur l’institution d’un organe centralisé, mi-juridictionnel,
mi-politique, situé hors de la hiérarchie judiciaire, spécialisé
dans le contentieux constitutionnel sans en avoir le monopole2.
A l’opposé, le modèle américain de contrôle de
constitutionnalité des lois est à l’origine une construction
jurisprudentielle et repose sur un contrôle décentralisé, de la
Cour suprême aux juridictions ordinaires.

A. Le modèle américain : le contrôle par les tribunaux ordinaires

Le modèle américain de contrôle de constitutionnalité des


lois « se caractérise par l’exercice d’un contrôle ‘diffus’,
‘concret’, effectué généralement a posteriori par voie
d’exception, la décision rendue bénéficiant seulement, en
principe, d’une autorité relative de chose jugée »3. Dans ce
modèle, le contrôle de constitutionnalité est confié à des
tribunaux ordinaires. Ce type de contrôle est qualifié de
“décentralisé” parce qu’il n’est pas exercé par un organe
unique. Cependant, la juridiction située au sommet des
tribunaux, à savoir la Cour suprême, statue en dernier ressort.
C’est donc elle qui fixe les grandes orientations de la
jurisprudence constitutionnelle.

1
Ce modèle est appelé ainsi parce qu’il a été théorisé à l’origine par le juriste autrichien Hans Kelsen.
2
En effet, le Conseil constitutionnel en France n’a pas le monopole des questions constitutionnelles. Les autres juges
peuvent également être des juges constitutionnels, c’est-à-dire qu’ils peuvent être conduits à apporter une réponse
juridique à des questions constitutionnelles qui se posent devant eux. Ainsi, le juge administratif et le juge judiciaire
peuvent en certaines occasions également interpréter la Constitution et sanctionner sa violation.
3
Louis Favoreu et als., op. cit., p.205.

119
Cette Cour est composée de neuf membres nommés à vie.
Ceux-ci peuvent cependant prendre leur retraite à partir de
soixante-cinq (65) ans et ne peuvent être destitués qu’au terme
de la procédure d’impeachment en cas de trahison, corruption
ou autres grands crimes ou délits. Les membres de la Cour
suprême sont nommés par le Président mais leur nomination doit
être confirmée par le Sénat, qui passe au peigne fin leurs vies
privée, publique et prises de positions. N’accèdent donc au
poste de juge à la Cour suprême que des personnalités
éminentes.
La Cour suprême statue a posteriori sur renvoi des
juridictions ordinaires ou sur saisine directe à propos de litiges
concrets qui mettent en question la constitutionnalité des lois.
Compte tenu de l’ampleur des requêtes, les dossiers sont filtrés
par un comité restreint qui ne retient que ceux dignes d’intérêt.
L’exception d’inconstitutionnalité constitue le principal procédé
permettent de déclencher le contrôle de constitutionnalité.
Cette procédure entraîne un contrôle incident à la faveur d’un
litige concret devant une juridiction ordinaire lorsqu’une partie
soulève l’inconstitutionnalité d’une loi qu’on veut lui appliquer
ou qu’il aurait enfreint. Mais il existe d’autres procédés, moins
fréquents :

L’injonction, qui permet à une personne de demander à un


juge de délivrer une injonction aux fonctionnaires soit de
ne pas appliquer une loi qu’elle estime inconstitutionnelle,
soit d’accomplir certains actes en conséquence de
l’inconstitutionnalité de cette loi.
Le jugement déclaratoire, qui permet de demander au juge
constitutionnel de statuer sur les droits des parties et de se
prononcer, le cas échéant, sur la validité d’une loi qui
soulève des difficultés d’application.

120
Il existe de nombreux cas d’ouverture du contrôle de
constitutionnalité, parmi lesquels les cas de violation :
De la clause « due process of law », qui interdit de priver
quiconque « de sa vie, de sa liberté ou de sa propriété sans
une procédure légale régulière » ou « convenable ».
De la « rule of reasonableness » ou de la règle « balance of
convenience », qui impose aux pouvoirs publics d’assurer un
équilibre raisonnable entre les charges imposées aux
particuliers au nom de l’intérêt général et les avantages
qu’ils peuvent tirer de la vie en société.
De la « clause d’égalité », qui impose aux pouvoirs publics
d’assurer à tous une égale protection des lois.

Ce modèle américain de contrôle de constitutionnalité des


lois s’est diffusé dans de nombreux Etats, parmi lesquels le
Canada, le Japon.

B. Le modèle européen : le contrôle par un organe spécial

L’institution d’un organe spécial se justifierait par le fait


que le contrôle de constitutionnalité des lois génère des
conséquences politiques dans la mesure où il porte souvent sur
l’activité des plus hautes autorités de l’Etat. Dans cette optique,
il paraît logique que le contrôle soit exercé par des personnalités
choisies en conséquence pour siéger dans un organe spécial.
Dans le modèle européen de contrôle de constitutionnalité des
lois, cet organe spécial revêt la forme d’une « Cour
constitutionnelle » dont la fonction est celle d’un juge
constitutionnel. Mais selon les pays, le caractère politique de cet
organe sera plus ou moins marqué. Ainsi, le Conseil
constitutionnel français paraît plus marqué politiquement que la
Cour constitutionnelle allemande ou espagnole. En réalité, trois
critères essentiels permettent de distinguer ces différents
organes chargés de contrôler la constitutionnalité des lois : le

121
mode de désignation des membres, les conditions de leur
désignation et leur statut.
S’agissant du premier critère, on constate que dans certains
pays comme la France, les membres sont choisis par des
autorités politiques. Dans d’autres pays comme l’Espagne ou
l’Italie, une partie des membres est désignée par des instances
juridictionnelles. En ce qui concerne les conditions requises pour
la désignation des membres, les autorités politiques en France
semblent disposer d’une très grande liberté de choix, cependant
qu’en Allemagne, en Espagne et en Italie, ne peuvent être
désignées que des personnes ayant une qualification juridique
(magistrats, avocats, et professeurs de droit). Enfin, l’existence
d’une véritable juridiction constitutionnelle implique que son
indépendance soit véritablement assurée aussi bien à l’égard des
pouvoirs publics qu’à l’égard des autres forces susceptibles de
faire pression sur elle. C’est pourquoi le statut de l’institution et
de ses membres est, selon les pays, plus ou moins proche de
celui des juridictions et des magistrats ordinaires. Le but visé est
d’assurer d’une part l’autonomie réglementaire, administrative
et financière de l’institution, et d’autre part la protection des
juges et leur indépendance à l’égard du politique. Dans cette
optique, les membres sont nommés pour un mandat plus ou
moins long (neuf ans en France, Italie, Espagne; douze ans en
Allemagne). Ils ne peuvent, sauf pour des motifs exceptionnels,
être démis de leurs fonctions. Souvent il est prévu qu’ils ne
peuvent être nommés une seconde fois. Naturellement, de
nombreuses incompatibilités sont prévues pour l’exercice de
leurs fonctions. Quant au président de l’institution, il est
désigné soit par ses pairs comme en Italie, soit par le parlement
comme en Allemagne, soit par le Chef de l’Etat comme en
France et aux Etats-Unis.
Au Burkina Faso un Conseil constitutionnel a été mis en
place le 9 décembre 2002, sur le modèle français, suite à la
révision constitutionnelle de 2000 qui a permis, en outre,

122
l’éclatement de la Cour suprême en trois juridictions supérieures
(Conseil d’Etat, Cour de cassation, Cour des comptes). Le
Conseil constitutionnel burkinabè diffère cependant de son
homologue français sur divers points, s’agissant notamment de
sa composition. Il est en effet composé d’un président sans
durée déterminée de mandat, de trois magistrats nommés par le
Président du Faso sur proposition du ministre chargé de la
Justice, de trois personnalités nommées par le Président du Faso
et de trois autres personnalités nommées par le Président de
l’Assemblée nationale. Les membres ont en principe un mandat
unique de neuf (9) ans sauf pour les premières nominations où le
renouvellement par tiers est prévu tous les trois ans.

§ 2 : La mise en œuvre de la justice constitutionnelle

Selon les Etats, la justice constitutionnelle peut recevoir de


nombreuses compétences. Outre la constitutionnalité des lois,
qui constitue le principal contentieux constitutionnel, la justice
constitutionnelle dans certains pays est aussi juge de la
régularité des consultations électorales. Elle peut, dans ce
cadre, être impliquée dans la préparation de ces consultations
électorales : réception, examen des dossiers de candidature et
publication de la liste définitive des candidats. Elle peut
également intervenir pour la surveillance du déroulement des
opérations électorales ainsi que pour la proclamation des
résultats. Enfin, elle peut être amenée à se prononcer sur
l’interdiction de certains partis politiques1, etc. On se limitera
ici au contrôle de constitutionnalité des lois au sens général.

A. Les actes soumis au contrôle

1
Voir par exemple l’article 13 de la Constitution burkinabè de juin 1991 qui consacre la liberté de création des partis
politiques mais interdit les partis confessionnels, racistes, régionalistes ou tribalistes.

123
Selon les systèmes juridiques, le champ du contrôle est plus
ou moins étendu. Il peut englober tout ou partie des actes
suivants:
Les différentes catégories de lois au sens formel du terme,
à l’exception des lois référendaires1.
Les règlements et les actes individuels pris par le
gouvernement ou l'administration2.
Les décisions juridictionnelles lorsqu'elles sont contraires
aux principes constitutionnels soit quant au fond soit quant
à la procédure.
Les actes des personnes privées (contrats, testaments, etc.)
Lorsqu'ils contiennent des dispositions contraires aux
principes constitutionnels.

B. Les formes d'inconstitutionnalité

Selon les pays, le contentieux constitutionnel peut reposer


sur des composantes variées. Dans certains pays, il peut se
focaliser autour de la problématique de la violation des droits
fondamentaux. Dans d’autres pays, il peut englober les conflits
de compétence entre organes. L'inconstitutionnalité des actes
peut ainsi tenir à différentes causes:
L'incompétence de leur auteur (autorités fédérales et
fédérées, autorités centrales et décentralisées,
gouvernement et parlement empiétant sur leurs domaines
respectifs de compétences).
Le vice de procédure lorsqu'un acte, bien qu'émanant d'un
organe compétent, n'a pas été adopté conformément aux
conditions prescrites.

1
Le Conseil constitutionnel en France s'étant refusé, à l'occasion du référendum de 1962 qui a institué l'élection du
Président de la république au suffrage universel direct, à contrôler la constitutionnalité des lois référendaires au
motif qu'elles sont l'expression directe de la souveraineté du peuple.
2
En France, les juges administratifs peuvent contrôler la constitutionnalité des actes administratifs, sauf dans
l'hypothèse de la loi-écran, c'est-à-dire dans l'hypothèse où l'acte administratif est pris en application d'une loi, car les
juges administratifs ne peuvent censurer une loi.

124
La violation des normes de référence (bloc de
constitutionnalité), qui constitue la forme la plus répandue
d'inconstitutionnalité.

C. Les modalités du contrôle

Les modalités du contrôle dépendent à la fois du moment


auquel intervient le contrôle, des personnes qui peuvent en
prendre l’initiative et des procédures qui permettent de le
mettre en œuvre.

1. Le moment du contrôle

On peut avoir un contrôle a priori qui est un contrôle


préventif, qui intervient avant la promulgation de la loi. C’est le
cas au Burkina Faso où dans un avis juridique en date du 9
février 2005, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’en vertu de
l’article 155 alinéa 2 de la Constitution, il ne saurait être saisi
valablement et utilement que pour autant que la promulgation
ne soit pas déjà intervenue1. En effet, une fois la loi
promulguée, elle devient inattaquable et la saisine du Conseil
devient sans objet. Seul le législateur peut revenir sur cette loi
en la modifiant ou en l’abrogeant.
Compte tenu des lacunes d’un tel système, la plupart des
grandes démocraties, à l’exception de la France, ont prévu un
contrôle a posteriori qui est susceptible d’intervenir après la
promulgation de la loi, soit par la voie d’action soit par la voie
d’exception. La voie d’action est le procédé le plus direct, c’est-
à-dire que si un requérant estime qu’une loi est
inconstitutionnelle, il peut prendre l’initiative de la déférer au
juge aux fins d’annulation. Par la voie d’exception, le requérant
soulève l’inconstitutionnalité d’une loi qu’on veut lui appliquer
1
Avis juridique nº2005-008/CC du 9 février 2005 sur la saisine du Conseil constitutionnel aux fins de contrôle de la
conformité à la Constitution du 2 juin 1991 du protocole sur les amendements à l’Acte constitutif de l’Union
africaine adopté à Maputo le 11 juillet 2003.

125
devant n’importe quel juge en lui demandant de ne pas faire
état de la loi incriminée pour la solution du litige. Mais la voie
d’exception n’aboutit pas à l’annulation de la loi
inconstitutionnelle. Bien que la Constitution burkinabè ne
prévoie pas une telle procédure, l’article 25 de la loi organique
nº11-2000/AN du 27 avril 2000 relative au Conseil constitutionnel
a institué le contrôle de constitutionnalité des lois par la voie
d’exception. Mais à ce jour, cette procédure n’a jamais été
utilisée.

2. L’initiative du contrôle : les modalités de saisine

Dans les Etats qui ont institué le contrôle a priori,


l’initiative n’appartient jamais aux citoyens, mais seulement à
des autorités politiques dont le nombre est plus ou moins
restreint. Au Burkina Faso par exemple, le Conseil
constitutionnel est saisi par le Président du Faso, le Premier
ministre, le Président de l'Assemblée nationale ou un cinquième
(1/5 ) au moins des membres de l'Assemblée nationale (article
157), soit vingt-trois (23) députés sur cent onze (111).
Quant au contrôle a posteriori, il est aménagé de diverses
façons: dans les pays où le contrôle relève de la compétence des
juridictions ordinaires, l’initiative se confond avec le droit
d’ester en justice: tout citoyen intéressé peut contester devant
un tribunal la constitutionnalité d’une norme dont il lui a été ou
il pourrait lui être fait application (exception
d’inconstitutionnalité). C’est aussi le cas au Burkina Faso.
Mais dans les pays où le contrôle est confié à un organe
spécial distinct des juridictions ordinaires, les possibilités de
saisine doivent être expressément prévues. Ainsi, au Burkina
Faso, on distingue trois possibilités qui ne sont pas exclusives
l’une de l’autre:
3. saisine par des autorités politiques (voir article 157 de la
Constitution) ;

126
4. renvoi à titre préjudiciel par une juridiction (dans l’hypothèse
de la voie d’exception, compte tenu du monopole de
l’interprétation constitutionnelle que l’article 152 de la
Constitution confère au Conseil constitutionnel) ;
5. saisine directe par un particulier (en matière électorale le
Conseil peut être saisi par tout candidat intéressé selon
l’article 154).
En règle générale, les juridictions constitutionnelles sont des
juges d’attribution et ne peuvent se saisir elles-mêmes; elles ne
peuvent donc être mises en mouvement que de l’extérieur.

3. La procédure

On distingue le contrôle incident et le contrôle à titre


principal. Dans le contrôle incident, la question de la
constitutionnalité est posée par rapport à un procès en cours, et
non in abstracto. Il s’agit généralement de savoir si une norme
dont dépend la solution d’un procès peut être appliquée ou doit
être écartée parce que contraire à la Constitution. Une telle
procédure est possible au Burkina Faso avec l’institution du
contrôle par voie d’exception.
Au contraire, le contrôle à titre principal tend,
indépendamment de tout litige pendant devant un tribunal, à
empêcher la promulgation (contrôle a priori) ou à faire
prononcer l’annulation (contrôle a posteriori) d’une règle
inconstitutionnelle. Dans certains pays comme l’Allemagne, les
deux types de procédures coexistent. Au Burkina Faso, les deux
procédures coexistent (contrôle a priori et contrôle a posteriori
par voie d’exception). En France, les deux procédures ne
coexistent que pour les actes administratifs dont
l’inconstitutionnalité peut être mise en cause par voie d’action
ou par voie d’exception. En revanche, les lois ne peuvent être
contrôlées qu’avant leur promulgation et à titre principal.

127
D. Les effets du contrôle

Les effets juridiques des décisions diffèrent en principe,


selon qu’il s’agit d’un contrôle exercé à titre principal ou à titre
incident. A titre principal, la déclaration d’inconstitutionnalité a
un effet général et absolu : ou bien la norme ne peut entrer en
vigueur (contrôle a priori) ou bien elle est annulée (contrôle a
posteriori). Son application devient juridiquement impossible
(article 159 alinéa 1 de la Constitution burkinabè).
A titre incident, la déclaration d’inconstitutionnalité a un
effet plus limité : elle ne concerne que le procès à l’occasion
duquel la question a été soulevée ; en théorie du moins, la
norme pourra donc continuer à s’appliquer dans d’autres cas :
c’est là une conséquence de la relativité de la chose jugée.
En pratique cependant, la distinction n’est pas aussi
tranchée. Si une norme a été déclarée inconstitutionnelle,
même à titre incident, les pouvoirs publics cessent d’en imposer
l’application. Du reste, dans certains pays comme l’Italie ou
l’Allemagne, la Constitution dispose que, par dérogation au
principe de la relativité de la chose jugée, toute déclaration
d’inconstitutionnalité produit effet erga omnes, même si elle est
prononcée à titre incident. Au Burkina Faso, les décisions du
Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à
toutes les autorités administratives et juridictionnelles, et sont
insusceptibles de recours (article 159 alinéa 2).

128
TITRE 2 : LA MISE EN ŒUVRE DU POUVOIR POLITIQUE

Après avoir défini les fondements institutionnels du droit


constitutionnel à travers l’Etat et son système normatif, il
convient maintenant d’aborder la mise en œuvre du pouvoir
politique.
Celui-ci se déploie en effet à travers différents régimes
politiques (chapitre 1) qui, de manière diverse, organisent la
compétition électorale (chapitre 2) pour l’accès et la gestion de
ce pouvoir, qui met aux prises des forces politiques (chapitre 3)
dont certaines cherchent à le conquérir et d’autres à
simplement l’influencer.

129
CHAPITRE I : LES REGIMES POLITIQUES

Un régime politique est un « ensemble d’éléments d’ordre


idéologique, institutionnel et sociologique qui concourent à
former le gouvernement d’un pays donné pendant une période
déterminée »1. Il repose sur quatre composantes essentielles : la
structure des institutions, le système de partis, la forme et le
rôle de l’Etat et le principe de légitimité, à savoir « la
conformité du gouvernement d’un pays aux valeurs auxquelles se
réfère le régime dont il assure le fonctionnement »2. La notion
de régime politique se distingue donc de la notion de système
politique qui est le régime politique considéré dans son
environnement politique (types de partis politiques, existence
ou absence de majorité de gouvernement, comportement
électoral...). Le régime politique se distingue également de la
notion de forme de gouvernement qui peut être fonction du
nombre de ceux qui détiennent le pouvoir. On appelle ainsi
monarchie, le gouvernement d’un seul, oligarchie le
gouvernement de quelques-uns et démocratie le gouvernement
de tous. De même, la forme de gouvernement peut être fonction
de la nature du pouvoir. C’est ainsi que l’on oppose d’une part,
autocratie et démocratie et d’autre part, totalitarisme et
libéralisme. La notion de régime politique se distingue enfin de
la forme d’Etat (Etat unitaire ou Etat composé du type Etat
fédéral ou du type Confédération d’Etats).
Il existe plusieurs formes de régimes politiques, qu’il s’agisse
de régimes autoritaires ou au contraire de régimes
démocratiques. S’agissant des régimes démocratiques, les
critères de classification sont tout aussi variés. Certains de ces
régimes à la différence d’autres, reposent sur des procédures de
démocratie directe de nature à tempérer leur caractère
représentatif. On distingue aussi les régimes monarchiques des
1
Jean-Louis Quermonne, Les régimes politiques occidentaux, Paris, le Seuil, 2000, p.10.
2
Ibid., p.11.

130
régimes républicains ; les régimes reposant sur une structure
unitaire de l’Etat de ceux reposant sur une structure fédérale.
Mais le critère essentiel de classification des régimes
démocratiques selon la théorie constitutionnelle classique
semble reposer sur l’aménagement du principe de majorité ou
sur le mode d’agencement des pouvoirs et des organes. Dans
cette perspective, on distingue trois types de systèmes
constitutionnels ou encore de régimes : les régimes
parlementaires, les régimes présidentiels et le régime
directorial.
Sur la base du principe de la séparation des pouvoirs, la
doctrine classique distingue aussi les régimes de séparation
souple des régimes de séparation rigide. Il s’agit respectivement
des régimes parlementaires et des régimes présidentiels, qui
constituent la principale alternative en matière de modèle de
régimes constitutionnels. On décrira ici les régimes de
séparation des pouvoirs et les régimes de confusion des pouvoirs
avant d’analyser la crise des régimes autoritaires africains.

SECTION I : LES REGIMES DE SEPARATION DES POUVOIRS

La mise en oeuvre du principe de la séparation des pouvoirs


a donné naissance à des types de régimes politiques. La manière
selon laquelle la séparation des pouvoirs est entendue est
devenue un critère de détermination de la nature du régime
politique. Les deux types de régimes politiques qui en relèvent
sont d’une part le régime présidentiel dit de séparation rigide ou
tranchée des pouvoirs (§ 1) et d’autre part le régime
parlementaire, connu sous le nom de régime de séparation
souple des pouvoirs (§ 2).

§.1 : La séparation rigide des pouvoirs : le régime présidentiel

131
Le régime présidentiel est caractérisé, en principe, par la
plénitude de chaque organe dans l’exercice de sa fonction.
L’exemple du régime politique des Etats-Unis d’Amérique en est
l’illustration parfaite.

A. Le président

Le Président incarne entièrement le pouvoir exécutif. Il est


élu au suffrage universel indirect et ne doit pas son pouvoir au
Parlement. Il n’est pas concurrencé par un Premier ministre
avec qui il doit partager le pouvoir exécutif. Il est assisté de
secrétaires qui ne peuvent être considérés comme des ministres
car il n’y a pas de collégialité ni de solidarité dans la décision.
La volonté présidentielle est prépondérante, voire exclusive. Le
président n’a pas l’initiative des lois (du moins directement)
c’est-à-dire qu’il ne peut s’ingérer dans la fonction législative.

B. Le parlement

Le Parlement appelé Congrès est composé de la Chambre


des Représentants et du Sénat. La Chambre représente les
citoyens de l’Union tandis que le Sénat représente les Etats
fédérés. Le Congrès a le pouvoir de voter les lois, de consentir
les crédits nécessaires à l’action de l’exécutif, de contrôler
l’action de l’exécutif. Il peut être modéré dans l’exercice de ses
pouvoirs par l’existence de ces deux chambres.

C. Les rapports entre le président et le congrès

Dans leur fonctionnement, les deux organes n’ont pas de


moyens de pression l’un sur l’autre. Le président n’a pas le
pouvoir de dissoudre le parlement et ce dernier n’a pas le
pouvoir de révoquer l’exécutif dans le cadre d’une mise en
cause de sa responsabilité politique (qui diffère de la

132
responsabilité pénale au moyen de la procédure
d’impeachment).
Mais des mécanismes ont été institués pour obliger les deux
organes à collaborer :
le droit de veto conféré au président qui peut s’exercer de
deux manières :
soit par le veto explicite qui consiste pour le président,
en cours de session, à opposer son veto à un texte et à le
renvoyer dans les dix jours au Congrès avec un message
expliquant les motifs de son opposition ; dans ce cas, le
Congrès peut surmonter le veto présidentiel à la majorité
des deux tiers (2/3) des membres du Congrès, ce qui est
souvent difficile à obtenir ;
soit indirectement par le «veto de poche» (pocket veto).
En effet, si le projet de texte a été voté dans les dix
derniers jours de la session, en cas de veto, le président
n’est pas obligé de le retourner au Congrès. Il peut
« conserver dans sa poche » les lois qui ne rencontrent
pas son assentiment et la procédure devra être
entièrement reprise à la prochaine session.
la procédure de nomination à certaines fonctions dans les
administrations, faisant appel à l’approbation par le Sénat
(juges à la Cour suprême, ambassadeurs ou ratification des
traités) ;
l’initiative législative indirecte dont dispose le président,
qui peut l’exercer soit directement (par les messages qu’il
est tenu de faire parvenir périodiquement au Congrès) soit
indirectement en passant par des élus proches de lui pour
déposer des propositions de loi ou en joignant un texte de
projet de proposition de loi à son discours à la Nation,
suggérant ainsi que ce texte soit repris sous forme de
proposition de loi par ses partisans ;
la compétence partagée dans la déclaration et la conduite
de la guerre.

133
Contrairement à l’idée d’une séparation tranchée, le
fonctionnement régulier du régime présidentiel exige une
collaboration entre l’exécutif et le législatif. Cette collaboration
est facilitée aux Etats-Unis par l’absence d’opposition
idéologique entre les deux partis politiques qui alternent au
pouvoir et par un système partisan peu rigide.

§ 2 : La séparation souple des pouvoirs : le régime parlementaire

Le régime parlementaire est celui dans lequel le


gouvernement doit disposer à tout moment de la confiance de la
majorité parlementaire. Ce type de régime est né et s’est
développé empiriquement en Angleterre au XVIIIe siècle avant
d’être consacré dans des textes constitutionnels. Le régime
parlementaire est né à un moment où le pouvoir monarchique
était encore fort, mais déclinant, devant composer avec les
assemblées représentatives en plein essor. C’est
indubitablement la forme de régime constitutionnel la plus
répandue dans le monde. Mais compte tenu du fait que le
parlementarisme a précédé la démocratie, il en résulte une
diversité de régimes parlementaires, selon que leur
fonctionnement repose ou non sur le principe démocratique dans
son acceptation moderne.

A. La souplesse du régime parlementaire

Dans le régime parlementaire, l’équilibre est recherché


dans un dosage subtil des moyens de pressions réciproques et
des mécanismes incitant à la collaboration et la division des
autorités exerçant la même fonction.

1. L’exécutif

134
L’exécutif est bicéphale (président ou monarque et premier
ministre). Les rapports entre le chef de l’Etat et le premier
ministre peuvent être aménagés en faveur de l’un ou de l’autre,
par l’existence ou l’absence de responsabilité du premier
ministre devant le chef de l’Etat (parlementarisme dualiste ou
moniste). Le président ou le monarque joue un rôle honorifique
ou symbolique ce qui justifie son irresponsabilité politique. Il est
élu au suffrage indirect (par les parlementaires). C’est le
gouvernement, dirigé par le premier ministre qui exerce la
réalité, la plénitude du pouvoir exécutif. Il est investi par le
parlement.

2. Le Parlement

Le parlement peut comprendre une ou deux chambre(s).


L’existence d’un parlement bicaméral peut être source de
modération dans l’exercice du pouvoir législatif, de même
qu’elle peut améliorer la qualité du travail législatif.

3. Rapports entre les organes

La responsabilité politique du gouvernement peut être


engagée devant le parlement, par une motion de censure
(lorsque le parlement prend l’initiative) ou à l’occasion d’une
question de confiance (lorsque le gouvernement prend
l’initiative). Inversement, le parlement peut être dissout par
l’exécutif.

B. Les critères essentiels du régime parlementaire

La théorie du parlementarisme classique fait reposer le


régime parlementaire sur différents critères d’inégale
importance, qui visent à réaliser l’équilibre dans les rapports du
gouvernement et du parlement. C’est le cas du droit de

135
dissolution du parlement conféré à l’exécutif (au chef de l’Etat
ou au premier ministre). Mais ce critère, s’il paraît répandu,
n’existe pas dans certains régimes indiscutablement
parlementaires. C’est pourquoi il ne saurait être retenu comme
un critère essentiel du parlementarisme.
Il en va de même du principe de l’irresponsabilité et de
l’inviolabilité du chef de l’Etat. A l’origine, le parlementarisme
en Grande Bretagne était dualiste. Le gouvernement devait en
conséquence bénéficier à la fois de la confiance du chef de
l’Etat (le roi) et de celle du parlement. Mais progressivement, la
réalité du pouvoir exécutif va passer dans les mains du
gouvernement au détriment du roi. Celui-ci règne mais ne
gouverne pas ; si bien que rares sont les décisions imputables à
la reine d’Angleterre et non pas au premier ministre qui, en
réalité, lui inspire ses moindres paroles et gestes, y compris son
discours du trône. En contrepartie, le roi (la reine), en sa qualité
de chef de l’Etat bénéficie de l’inviolabilité, et ne peut être
considéré comme politiquement responsable.
De tous les critères proposés par la doctrine, le plus
important est celui de la responsabilité politique du
gouvernement devant le parlement. La doctrine considère en
effet dans son ensemble que le seul critère authentique du
parlementarisme est la responsabilité gouvernementale devant
une assemblée élue, critère qui suffit à définir le régime
parlementaire en tant que catégorie.
Le principe de la responsabilité, tout comme le principe de
l’irresponsabilité et de l’inviolabilité du chef de l’Etat, est le
résultat d’une évolution historique fondée à l’origine sur la
responsabilité pénale des ministres. Le roi étant inviolable, la
Chambre des communes (élue au suffrage universel) pouvait, en
contrepartie, accuser ses ministres devant la chambre des Lords
et les faire condamner. Pour échapper à ces lourdes sanctions,
les ministres ont pris l’habitude de démissionner avant d’être

136
accusés. D’où la transformation coutumière de la responsabilité
pénale en responsabilité politique.
Le mécanisme de la responsabilité est cependant réversible
et tend à instaurer un équilibre entre le gouvernement et le
parlement. S’il place le gouvernement sous la dépendance
étroite du parlement qui peut le contrôler, le censurer, le
gouvernement à l’inverse peut permettre à son chef, le premier
ministre, d’engager sa responsabilité, exerçant ainsi une sorte
de chantage vis-à-vis des députés. Si ces derniers ne votent pas
la confiance, alors le gouvernement peut dissoudre l’assemblée,
ce qui peut emmener certains députés à réfléchir deux fois
avant de tenir tête au gouvernement.
Le critère de la responsabilité politique présente un
caractère ambivalent, à la fois juridique et politique ; juridique
en ce sens que sa mise en jeu est régie par des textes ou
coutumes constitutionnelles, et produit des conséquences
d’ordre juridique ; politique, en ce sens que la responsabilité
politique peut être mise en cause au niveau des partis
politiques. En réalité, la responsabilité politique du
gouvernement devant l’assemblée est le plus souvent virtuelle,
parce qu’elle fait rarement l’objet d’une mise en jeu vouée à
l’aboutissement. En effet, en régime de cabinet à gouvernement
homogène ou stable, la responsabilité ne sera effectivement
mise en jeu que si la majorité disparaît en raison de
circonstances conjoncturelles ; et en régime de coalition, un
gouvernement démissionne le plus souvent lorsque la majorité
sur laquelle il repose se disloque, sans attendre la mise en jeu
de sa responsabilité devant le parlement. Ainsi dans les faits,
c’est en dehors des procédures formelles, notamment au niveau
des instances des partis membres de la coalition
gouvernementale, que la responsabilité politique se trouve mise
en jeu.

C. La diversité des régimes parlementaires

137
On distingue différents types de régimes parlementaires:
les régimes dualistes, monistes auxquels on peut ajouter les
régimes de dualisme rénové.

1. Le dualisme

Le régime parlementaire authentique, selon la doctrine


dualiste, repose sur le double postulat de l’égalité et de la
collaboration des pouvoirs (du roi et du parlement) grâce au jeu
équilibré de la responsabilité du gouvernement et du droit de
dissolution du parlement. Le roi et le parlement étaient en effet
de forces sensiblement égales ; la responsabilité et la dissolution
apparaissaient alors comme des armes équivalentes permettant
le maintien de cette égalité. Ce parlementarisme dualiste qui
implique que le gouvernement bénéficie de la double confiance
du chef de l’Etat et du parlement va progressivement s’effacer
au profit du régime parlementaire moniste.

2. Le monisme

C’est le régime dans lequel le régime tend à se réduire à un


équilibre entre la majorité parlementaire et le gouvernement
qui en procède. C’est un système dans lequel le gouvernement
ne doit plus bénéficier que de la confiance du parlement, le
Chef de l’Etat ne revendiquant plus le pouvoir d’orientation
politique et ne conservant qu’un pouvoir neutre d’arbitrage1.
L’Angleterre va passer ainsi du dualisme au monisme à partir de
1834, la France à partir de 1877, et d’autres pays, avec
l’adoption du suffrage universel et la transformation du rôle et
de la nature des partis politiques. Mais le parlementarisme
moniste français va se distinguer par sa spécificité marquée par
la primauté et l’intangibilité des assemblées ou par la

1
Philippe Lauvaux, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF, 1990, p.148 et 149.

138
subordination de l’exécutif. Il va en résulter un gouvernement
« par délégation parlementaire » selon l’expression de Georges
Burdeau, se caractérisant par une grande instabilité, au
contraire du gouvernement de cabinet tel qu’il se pratique dans
le parlementarisme de type britannique. Ce parlementarisme à
la française va donner ainsi naissance à ce que certains auteurs
appellent le « régime d’assemblée », présenté comme une
variation du régime parlementaire.

3. Le dualisme rénové

Certains pays européens vont, dans l’entre-deux guerres


mondiales, tenter l’expérience d’un parlementarisme dualiste
rénové en conférant une légitimité nouvelle au Chef de l’Etat
par son élection au suffrage universel, ce qui va renforcer sa
position vis-à-vis du parlement. C’est le cas en Allemagne avec
la Constitution de Weimar. Mais à la différence du régime
parlementaire moniste équilibré de type britannique, le
parlementarisme dualiste rénové va connaître dans l’ensemble
un échec. Ainsi, à la fin de la seconde guerre mondiale, le
monisme va s’imposer définitivement dans la quasi-totalité des
pays qui adoptent le parlementarisme. La seule exception
notable reste celle de la France qui, en 1958 avec la
Constitution de la Ve République, va s’inspirer du dualisme
rénové expérimenté avant guerre, pour instituer un
« présidentialisme majoritaire « (sauf en période dite de
cohabitation).
Ainsi, les régimes parlementaires contemporains peuvent
être classés en deux catégories juridiques : les régimes
parlementaires monistes d’une part et les régimes
parlementaires dualistes rénovés d’autre part. Les premiers
comprennent les régimes qui, conformément au type
britannique, ont conservé une façade dualiste (roi, chef d’Etat
républicain et gouvernement) et ceux qui sont purement

139
monistes à l’instar de l’Australie. Quant aux seconds, ils
comprennent les régimes qualifiés par Jean-Claude Colliard de
régimes parlementaires « à correctif présidentiel », ou par
Maurice Duverger de « régimes semi-présidentiels ». Il s’agit de
régimes mixtes combinant des éléments du régime
parlementaire et ceux du régime présidentiel. Au premier, ils
empruntent la constitution d’un gouvernement collégial et
solidaire, responsable devant le parlement ; au second
l’institution d’un président élu au suffrage universel direct et
disposant de pouvoirs considérables. Le régime semi-présidentiel
n’est en réalité qu’une variante du régime parlementaire à
l’instar du parlementarisme dualiste. Dans l’hypothèse ordinaire
où le président de la République dispose d’une majorité
parlementaire qui le soutient « on ne saurait accepter qu’une
dyarchie existe au sommet » selon le Général de Gaulle. Pour
autant, cela ne signifie pas que le premier ministre, chef du
gouvernement ne dispose pas d’une marge d’autonomie vis-à-vis
du président de la République. Cette marge de manœuvre est
évidemment plus large dans l’hypothèse dite de cohabitation
entre un président de la République et un premier ministre issus
de majorités distinctes. Dans ce cas, le dualisme de l’exécutif
devient effectif.
Qu’ils soient monistes (cas de l’Allemagne) ou dualistes
rénovés (cas de la France), les régimes parlementaires peuvent
comporter des mécanismes dits de parlementarisme rationalisé.
A la différence du parlementarisme inorganisé, le
parlementarisme rationalisé repose sur des mécanismes qui
aménagent de manière minutieuse et détaillée les rapports
entre le gouvernement et le parlement ; d’où une grande
complexité.
SECTION II : LES REGIMES DE CONFUSION DES POUVOIRS

La notion de régimes de confusion des pouvoirs est duale. Il


existe en effet une définition positive et une définition négative
140
de la notion. D’un point de vue positif, la confusion des pouvoirs
correspond à la domination d’un des trois pouvoirs sur les deux
autres (en général, c’est l’exécutif mais la domination d’un des
autres pouvoirs peut être possible). D’un point de vue négatif, la
confusion des pouvoirs se caractérise par l’absence d’équilibre
et de séparation fonctionnelle des pouvoirs. S’il n’y a pas
toujours séparation fonctionnelle (un pouvoir dominant assure
plusieurs fonctions), il y a en revanche à chaque fois séparation
organique.

§.1 : Les régimes de déséquilibre des pouvoirs

A. Le déséquilibre au profit de l’exécutif : le présidentialisme,


une déformation du régime présidentiel

La notion de régime présidentialiste est insusceptible de


définition juridique. C’est une notion issue de la science
politique destinée à appréhender des régimes souvent présentés
comme une déformation du régime présidentiel. Par
présidentialisme on désigne en effet « les régimes qui se sont
inspirés du système des Etats-Unis d’Amérique mais n’ont pas
respecté ce qui en fait le mérite essentiel, le partage équilibré
des pouvoirs et ont laissé le chef de l’Etat accaparer toute
l’influence politique »1. Le régime présidentiel ne doit donc pas
être confondu avec les régimes qui n’ont retenu de ce modèle
que son qualificatif.
Ce qui caractérise le régime présidentialiste, c’est
l’hégémonie de l’exécutif à qui il est conféré des pouvoirs qui ne
sont pas reconnus au président dans un régime présidentiel
authentique. Il s’agit par exemple du droit de dissolution du
parlement, du droit de passer outre l’opposition du parlement
en matière budgétaire, de l’établissement d’un domaine
réglementaire réservé limitant les compétences législatives du

1
Benoît Jeanneau, Droit Constitutionnel et Institutions politiques, Paris, Dalloz, 1991, p120.

141
parlement. De surcroît, ce type de régime n’existe que dans des
pays en transition démocratique ou autoritaires, notamment en
Amérique latine et en Afrique.
L’autoritarisme est donc le trait dominant du
présidentialisme. En effet, le présidentialisme n’est pas
nécessairement lié à la primauté individuelle du chef de l’Etat,
il peut aussi être adopté pour répondre à une conjoncture
particulière ou sous l’influence d’une personnalité dominante
d’un parti unique.

B. Le déséquilibre au profit du législatif : le parlementarisme


absolue ou régime d’assemblée

Dans sa conception étroite, le régime d’assemblée fait


disparaître la séparation des pouvoirs pour instituer une
confusion des pouvoirs au profit du législatif. Une séparation des
fonctions subsiste cependant entre celui-ci et l’exécutif. Dans la
pratique, un tel régime ne peut fonctionner durablement avec
un minimum d’efficacité. Dans sa conception large, le régime
d’assemblée est le produit de l’évolution d’un régime dans
lequel le parlement a progressivement conquis en pratique la
primauté et exerce une domination forte sur l’exécutif.
La théorie du régime d’assemblée telle que définie par
CARRE DE MALBERG appréhende ainsi ce régime comme le
résultat d’une déformation du régime parlementaire au profit de
l’assemblée. Dans ce type de régime, le gouvernement,
étroitement contrôlé par les représentants des groupes
politiques de la majorité, est réduit au rôle subordonné d’organe
exécutif de l’assemblée. Mais en droit, le gouvernement
demeure responsable politiquement devant l’assemblée, avec
pour conséquence que la durée de son mandat n’est pas pré-
déterminé mais tributaire du bon vouloir du parlement. En
outre, dans le régime d’assemblée, le gouvernement conserve la

142
liberté de démissionner et donc de faire pression sur l’assemblée
en posant la question de la confiance.

§ 2 : Les régimes de monopolisation des pouvoirs

A. Les régimes autoritaires ou monocraties

La notion de régime autoritaire est une notion large qui


englobe différentes catégories de régimes politiques qui se
situent entre d’une part les régimes de démocratie pluraliste et
d’autre part les régimes qualifiés de totalitaristes (voir infra).
Les régimes autoritaires reposent sur l’unité du pouvoir et la
confusion des pouvoirs au plan fonctionnel et organique. Ce qui
caractérise le régime autoritaire, c’est « le refus de tolérer
l’expression publique de désaccords politiques importants.
L’opposition légale est donc soit interdite soit encadrée et
surveillée »1.
On distingue différentes catégories de régimes autoritaires,
en fonction de la nature des forces sociales qui soutiennent le
gouvernement et selon l’organisation du pouvoir. Certains
régimes autoritaires s’accommodent du pluralisme qu’ils
s’efforcent cependant de restreindre. Tout en restant
dictatoriaux, ils n’hésitent pas à se parer des habits de la
démocratie formelle. L’expression politique y est tolérée, de
même que la compétition pour le pouvoir, à condition de ne pas
remettre en cause la domination politique établie. En Afrique,
les régimes autoritaires ont souvent été qualifiés de « néo-
patrimoniaux ». Il s’agit de régimes dans lesquels le chef
organise son pouvoir politique comme l’exercice de sa gestion
domestique. L’absence de distinction entre domaine public et
domaine privé, la personnalisation du pouvoir, l’échec de son
institutionnalisation, le règne de l’arbitraire et la tendance à
l’autoritarisme sont les principales caractéristiques de ce type
1
Guy Hermet et Bertrand Badie et autres, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris,
Armand Colin, 2e édition, 1996, p.239.

143
de régime1. Dans ce contexte, le mode d’accès au pouvoir est
souvent le coup d’Etat, qui n’est pas à confondre avec la
révolution qui, elle, provoque le changement de toute la
structure étatique. Au Burkina Faso, l’histoire politique post-
coloniale est jalonnée de coups d’Etat qui ont, à chaque fois,
installé au pouvoir des régimes autoritaires.

B. Les régimes totalitaires

Le totalitarisme correspond davantage au concept de


système politique qu’à celui de régime politique. Ce concept
forgé par Hannah Arendt2 vise en effet à appréhender les
systèmes qui ambitionnent « d’embrasser et contrôler tous les
aspects et tous les moments de l’existence sociale du milieu qui
leur [sont] soumis, sans plus opérer de distinction entre la vie
privée et la vie publique ». Ces systèmes visent donc à dissoudre
la société dans un Etat tout-puissant, à même de remodeler la
personne humaine dans le cadre d’un projet de société donné.
Le totalitarisme se définit donc par trois grands caractères:
utilisation d’une propagande exacerbée ;
domination totale de l’Etat sur les individus (exemple:
Chine et autres pays communistes) ;
établissement d’une société sans classe.

1
Voir Jean-François Médard, L’Etat néo-patrimonial en Afrique noire, in Jean-François Médard et als., Etats
d’Afrique : formations, mécanismes et crise, Paris, Karthala, 1991, p.323 et ss.
2
Hannah Arendt, Le système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1972.

144
CHAPITRE II : LA DEMOCRATIE ELECTORALE

Quelles que soient les théories de la souveraineté,


l’élection des représentants demeure un passage obligé pour son
exercice. L’élection, c’est le choix effectué par les citoyens
entre différents candidats par la voie du suffrage en vue de la
conduite des affaires publiques. C’est la voie par laquelle en
démocratie se conquiert le pouvoir. C’est même la clé de voûte
du système démocratique, le fondement de la démocratie
représentative, postulant que le pouvoir politique n’est légitime
que s’il est exercé par le peuple par l’intermédiaire de ses
représentants dûment désignés. C’est pourquoi la
reconnaissance du droit de suffrage aux citoyens ainsi que sa
mise en œuvre effective dans des conditions qui respectent la
volonté de ces citoyens sont consubstantielles à la démocratie
pluraliste. A cet égard, le choix d’un système électoral est
essentiel en ce sens que c’est ce système qui fixe les règles du
jeu électoral, détermine le vainqueur de la compétition
électorale, transpose les suffrages exprimés à l’occasion d’une
élection générale en sièges attribués aux partis politiques.

SECTION I : LE DROIT DE SUFFRAGE ET LES SYSTEMES ELECTORAUX

Que recouvre la notion de droit de suffrage et de système


électoral ? Quelles en sont les modalités et les implications ?
Quelles ont été et quelles sont les options opérées par le Burkina
Faso en la matière? Pour répondre à ce questionnement, et
compte tenu de la technicité du thème qui commande la
connaissance et le maniement de concepts bien particuliers, le
souci premier sera de préciser le concept de droit de suffrage
(§1). Il sera ensuite possible d’aller à la découverte des systèmes
électoraux ou modes de scrutin en général et d’en mesurer les

145
implications (§2). Enfin l'intérêt se focalisera sur le cas
particulier du Burkina Faso en explorant le passé et en tentant
de saisir le présent en la matière (§3).

§ 1 : Le droit de suffrage ou droit de vote

Le suffrage a été magnifié par Victor Hugo, qui n’hésite pas


à parler d’un droit « sans lequel le citoyen n’est pas, [d’un] droit
qui fait plus que le suivre, qui s’incorpore à lui, qui naît avec lui
pour ne mourir qu’avec lui, (…) qui est en quelque sorte la chair
et l’âme du citoyen et de l’homme même »1. Ce droit a une
fonction pacificatrice en ce qu’il déplace la frontière de la
violence sociale : « le coté profond, efficace et politique du
suffrage universel, fut d’aller chercher dans les régions
douloureuses de la société, l’être courbé sous le poids des
négations sociales, l’être froissé qui jusqu’alors, n’avait eu
d’autres espoirs que la révolte et de lui apporter l’espérance
sous une autre forme et de lui dire : Vote ! Ne te bats plus ! […].
Le suffrage universel, en donnant à ceux qui souffrent un
bulletin leur ôte le fusil. En leur donnant la puissance, il leur
donne le calme »2. Le vote se révèle ainsi un mode de
pacification de l’action politique. En cela il permet un tant soit
peu la suspension, mieux l’évitement par les acteurs politiques
du recours à la violence brute. C’est certainement ce qui
explique que le droit de suffrage figure en bonne place parmi les
droits inhérents à la personne humaine. En effet, selon l’article
21 al.1 et 2 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme
de 1948, «toute personne a le droit de prendre part à la
direction des affaires publiques de son pays, soit directement,
soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; la
volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs
publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections
honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage
1
Cité par J. Shklar, La citoyenneté américaine : la quête de l’intégration, Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 9.
2
Cité par E. Le Masson et J.P Oppenheim, Institutions politique, Droit constitutionnel, Paris, Foucher, 2005, p.41.

146
universel, égal, et au vote secret ou suivant une procédure
assurant la liberté de vote »1 Ces dispositions de la Déclaration
universelle des droits de l’Homme de 1948, -Déclaration
constitutionnalisée par le préambule de la Constitution
burkinabè du 02 juin 1991-, constitue le fondement du droit de
suffrage qui se présente au Burkina Faso comme un droit à
valeur constitutionnelle.
Le droit de suffrage ou droit de vote revêt une double
signification. Il désigne non seulement le droit de vote, mais
aussi l’acte même de vote, c’est-à-dire «l’acte par lequel les
gouvernés procèdent à la désignation et à la légitimation de
leurs gouvernants et manifestent à leur demande leur
approbation ou désapprobation à l’égard des projets qu’ils leur
soumettent (référendum) »2. Pour Marie-Anne Cohendet, le droit
de vote se définit comme le « pouvoir reconnu aux citoyens de
participer, par leur suffrage, c’est-à-dire par l’expression de
leur voix, à la formation le plus souvent d’une décision politique
relative, soit à un représentant, par son élection ou sa
révocation, soit à un texte ou au principe d’adoption d’un texte,
par référendum ; ou, dans certains cas, à la formation d’un avis,
en cas de simple consultation »3. Outre ces fonctions explicites,
le suffrage remplit diverses fonctions implicites : légitimer les
gouvernants, réactiver le sentiment d’appartenance à la
communauté nationale, dresser le rapport de force entre les
divers partis et formations politiques en compétition, etc.4. En
effet, avec la reconnaissance d’un tel droit, le consentement et
la volonté du peuple deviennent la seule source de l’autorité
1
Ces principes sont repris par l’article 25 du pacte international de 1966 relatif aux droits civils et
politiques. Quant à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, elle consacre, elle aussi,
le droit de participation à la direction des affaires publiques, mais ne reconnaît pas expressément
l’importance des élections périodiques, libres et authentiques comme moyen d’assurer le respect des
droits politiques.
2
Olivier Duhamel et Yves Meny, dir., Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 1075.
3
M.-A Cohendet, Droit constitutionnel, Paris, Monchrestien, 2e édition, 2002, p.137.
4
Voir Guy HERMET et als. Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris Armand Colin, 2
e édition, 1996, p. 280 et suivantes. Pour J.-L Quermonne, l’élection remplit trois fonctions essentielles à savoir :
« désigner les gouvernants », « dresser l’état des tendances politiques » et « conférer ou retirer aux pouvoirs publics
leur légitimité ». Cf. J.-L Quermonne, Les régimes politiques occidentaux, Paris, Seuil, 1986, pp.164-165.,

147
légitime. Dès lors, l’élection s’impose comme le seul mode
acceptable de sélection des dirigeants, mais aussi et surtout
comme le seul moyen d’asseoir l’autorité de ces dirigeants sur la
volonté et le consentement des gouvernés.
Le droit de suffrage se présente donc comme un des
fondements juridiques essentiels de la démocratie. Il s’analyse
comme une prérogative reconnue au citoyen pour, d’une part,
par le biais de l’élection, de participer directement ou
indirectement au choix des gouvernants, et d’autre part, par
l’entremise du référendum, de se prononcer sur les grandes
questions touchant à la vie nationale. Il constitue un des
instruments essentiels de la démocratie parce qu’il doit, pour
être efficient, respecter et renforcer la liberté et l’égalité pour
garantir l’autonomie des citoyens. Cette efficience se mesure
surtout à l’aune de ses modalités d’expression, c’est-à-dire à
travers la détermination du corps électoral (A) et les
caractéristiques du vote (B).

A. La composition du corps électoral

Qui peut voter ? La réponse à cette interrogation met en


relief deux facteurs déterminants pour la composition du corps
électoral, à savoir la forme du suffrage (1), les conditions du
droit de vote (2).

1. La forme du suffrage

Le suffrage peut prendre diverses formes : universel ou


restreint, direct ou indirect. Le choix d’une de ces formes a une
incidence sur la configuration du corps électoral en ce qu’il
détermine les modalités de participation au suffrage tant du
point de vue du nombre – suffrage universel ou restreint (a) que
de la manière – suffrage direct ou indirect (b).

148
a) Suffrage universel ou restreint

Le suffrage est dit universel quand le droit de vote


appartient à tous les citoyens sans mesures discriminatoires
fondées sur la situation sociale, le savoir, l’ethnie ou le sexe.
Cela signifie que “ si l'exercice du droit de vote peut être
réglementé, cette réglementation ne peut, en aucun cas, se
fonder sur la condition sociale, la fortune, la religion, la race,
[le sexe] ou l'hérédité ”1. C'est l'application des principes
d'égalité et de non discrimination contenus dans la plupart des
Constitution2 : égalité devant le droit de vote mais surtout
égalité d’accès au suffrage. Bien que devenu le droit commun,
car apparaissant de nos jours absolument évident, naturel et
indiscutable, le suffrage universel est d'invention récente. Il
suffit de se référer au droit de vote des femmes pour
comprendre que l'universalité du suffrage est une conquête qui
n'a pas un siècle d'existence et qui n'est pas totale3. En effet, le
suffrage féminin n'a été adopté que tardivement4. Sa première
matérialisation remonte à 1869 dans l'Etat du Wyoming aux
Etats-Unis. Cette avancée exemplaire fera tache d'huile. Ainsi
elle sera adoptée en Angleterre en 19185 ; en Allemagne en 1919
avec l’adoption de la Constitution de la République de Weimar ;
aux USA en 1920 pour tous les Etats ; en France en 1945 ; en
Suisse en 1971 seulement.

1
G. Burdeau et al., Droit Constitutionnel, Paris, LGDJ, 1997, p.158.
2
Au Burkina Faso cela figure non seulement dans le préambule, mais à l'article 1er de la Constitution du 11 juin
1991.
3
Certains pays musulmans comme l'Arabie Saoudite, le Koweït ne reconnaissent pas toujours le droit de vote aux
femmes
4
Au XIXe siècle Mme de Stael tenait des propos qui aujourd’hui ferait scandale en affirmant : “ On a raison
d’exclure les femmes des affaires publiques et civiles ; rien n’est plus opposé à leur vocation naturelle que tout ce qui
leur donnerait des rapports de rivalité avec les hommes ; et la gloire elle-même ne saurait être pour une femme qu’un
deuil éclatant ” Cf Ph. Ardent, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 1993, p.294. La religion
n’était pas étrangère à cette prise de position puisqu’on trouvait une justification à la marginalisation de la femme
dans les saintes écritures. Ainsi dans la 1 ère épître de St Paul à Timothée : “ je ne permets pas à la femme d’enseigner
ou de prendre autorité sur l’homme ; elle doit garder le silence" Cf I Timothée, chapitre 2, verset 12.
5
A la seule différence qu'elles ne l'obtenaient qu'à l'âge de 30 ans, contre 21 ans pour les hommes. L'alignement sur
les hommes n'a été réalisé qu'en 1928.

149
Le suffrage restreint est celui qui est officiellement réservé
à un nombre limité de personnes en fonction de critères
subjectifs. Il en a été ainsi dans l’histoire de la presque totalité
des Etats qui ont progressivement établi la démocratie chez eux.
Il existe deux formes de suffrage restreint : le suffrage
censitaire et le suffrage capacitaire.
Le suffrage est dit censitaire quand on recourt à des
critères de fortune, de richesse, de revenu, de position ou de
statut social pour déterminer la composition du corps électoral.
La jouissance du droit de vote est conditionnée à l'acquittement
d'un impôt dénommé “ cens ”. Ne sont donc électeurs, dans ce
cas de figure, que les citoyens payant un minimum d'impôt fixé
par la loi électorale. La participation à la gestion des affaires de
la cité est ainsi conditionnée par la capacité contributive du
citoyen1.
Le suffrage est dit capacitaire quand la détermination du
corps électoral est assise sur critères fondés sur les capacités
intellectuelles ou le niveau de connaissances des électeurs. Il est
sous-tendu par l’idée que le droit de vote doit être reconnu non
seulement à des citoyens jouissant de la capacité électorale,
mais surtout à des citoyens libres et éclairés, justifiant d’un
certain niveau d’instruction et à même de choisir les
gouvernants avec discernement2.

1
L’application du cens électoral n’a été abandonnée qu’au 20ième siècle. En France cela date du décret du 5 mars
1948 alors qu’aux USA cela est encore plus récent puisque ce n’est que le 24 ième amendement de la Constitution du 5
février 1964 qui a supprimé les « poll-taxes » en vigueur dans certains Etats du Sud.
2
Aux Etats-Unis, par exemple, des « literacy test » (test d’instruction) étaient organisés pour juger de l’aptitude de
certaines personnes jouir du droit de suffrage. C’est encore le 24ie amendement qui les a supprimé. Dans les pays
sous-développés où le taux d’analphabétisme est très élevé, certains préconisent le recours au suffrage capacitaire
afin de donner un sens aux élections surtout si le mode de scrutin privilégie les programmes politiques des partis
(scrutin plurinominal ou de liste) que la personne du candidat (scrutin uninominal).Comme le note M. J. CADART
« le suffrage universel suppose malgré tout une éducation assez lente lorsque l'instruction primaire n'est pas
réellement générale et lorsque l'évolution économique est encore arriérée et l'organisation sociale très inégalitaire,
féodale ou même tribale. [Dans une telle situation] le suffrage universel risque de conduire à la confiscation de la
souveraineté du peuple par les oligarchies restreintes ou par certains chefs locaux ou nationaux. […] Le suffrage
capacitaire, judicieusement conçu, est alors plus libéral et permet de limiter ces graves inconvénients, à moins que
l'on utilise le suffrage universel indirect ». Cf. J. Cadart, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris,
Economica, 3ième édition, tome 1, 1990, p.234. Une telle idée est défendue au Burkina Faso par le professeur Laurent
Bado, entre autres.

150
b) Suffrage direct ou indirect

Est direct, le suffrage où les électeurs peuvent désigner


eux-mêmes et sans intermédiaire leur représentant. On dit dans
ce cas que le suffrage est immédiat ou immédiatisé. Par contre,
le suffrage est indirect quand il est organisé en deux étapes ou
plus où ce sont des élus, des représentants qui élisent d’autres
représentants ; les élus sont ainsi des élus d’élus. Il apparaît
donc que le suffrage indirect ne permet pas aux électeurs de
premier degré de choisir eux-mêmes leurs élus : ceux-ci
désignent seulement des électeurs appelés de second degré qui
à leur tour choisissent les élus. Autrement dit, les électeurs du
premier degré donnent mandat à un certain nombre d'entre eux
d’élire leurs représentants. Le candidat est donc élu par un
collège électoral, lui-même désigné directement par les citoyens
(exemple : élection des conseillers régionaux au Burkina Faso
par les conseillers municipaux1 ; l’élection des sénateurs français
par les élus locaux - maires, conseillers généraux). On dit dans
un tel cas de figure que le suffrage est médiat ou médiatisé.

2. Les conditions du droit de vote

Depuis l’accession du Burkina Faso à la souveraineté


internationale, le suffrage a toujours été universel. Ce caractère
universel est d’ailleurs affirmé par la Constitution2 et le code
électoral en vigueur3.
Mais bien que le caractère universel du suffrage soit
affirmé, celui-ci n'est pas moins assorti de certaines conditions
objectives. C’est dire que le suffrage universel total est une
abstraction puisque la jouissance du droit de suffrage est

1
Article 204 de la loi n° 014-2001/AN du 03 juillet 2001 (J.O Spécial n°2 du 16 août 2001) portant Code électoral,
modifiée par les lois n°02-2002/AN du 23 janvier 2002 (J.O du 7 février 2002), n°013-2004/AN du 27 avril 2004
(J.O n°22 du 27 mai 2004) et 024-2005/AN du 25 mai 2005 (J.O n°27 du 7 juillet 2005).
2
Articles 37 pour les élections présidentielles et 80 pour ce qui concerne les élections législatives.
3
Articles 156, 204 et 238 du Code électoral.

151
toujours conditionnée à la fois dans sa jouissance (a) que dans
son exercice (b).

a) Les conditions de jouissance du droit de suffrage

Trois conditions sont généralement exigées pour l'exercice


du droit de suffrage :
Il faut d’abord posséder la nationalité du pays, à moins que
la loi électorale n’élargisse cette prérogative aux
étrangers1.
Ensuite, avoir atteint l'âge de la majorité politique, lequel
coïncide habituellement, mais pas toujours, avec la
majorité civile2.
Enfin, être un citoyen qui jouit de ses droits civils et
politiques, c'est-à-dire un citoyen qui ne soit pas frappé
d'incapacité électorale du fait d'une condamnation qui le
prive de son droit de vote, temporairement ou
définitivement (incapacité morale ou indignité) ou à cause
d'une déficience mentale c’est-à-dire qui empêche
l’intéressé de jouir de toutes ses facultés mentales
(incapacité intellectuelle)3.
Il résulte de ce qui précède que l’égalité d’accès au
suffrage connaît des restrictions généralement fondées sur
l’aptitude civique (la nationalité), l’aptitude intellectuelle
(majorité politique et santé mentale) et l’aptitude morale
(existence d’une condamnation pénale) ; ces restrictions
fondées sur la nationalité, l’âge, l’incapacité ou l’indignité,
1
Cela est le cas au Burkina Faso depuis la 4e République. Si les deux premiers codes électoraux, à savoir la Zatu An
VIII 0020/FP/PRES du 20 février 1991 et l’Ordonnance n°92-018/PRES du 25mars, 1992), accordaient le droit de
vote aux étrangers tant aux élections nationales que locales, depuis le Code électoral de 1997, ( loi n° 003/97/ADP
du 14 février 1997) ces derniers ont vu leur droit de suffrage limité aux seules élections locales dans les conditions
fixées par le Code électoral. Dans l’Union Européenne, depuis le traité de Maastricht (1992), les étrangers
ressortissants d'un Etat membre de l'Union peuvent se présenter et voter aux élections municipales.
2
Au Burkina Faso l'âge électoral a suivi la tendance générale à la baisse. Identique à l'âge de la majorité civile c’est-
à-dire 21 ans sous la 1 ère et la 2 ème République, celui-ci a été ramené à 20 ans sous la 3ième République et depuis la
4 ième République à 18 ans.
3
C'est ce qui explique que les majeurs sous tutelle, les aliénés et internés ne peuvent être inscrit sur les listes
électorales.

152
somme toute, ne remettent pas en cause le caractère universel
du suffrage.

b) Les conditions d’exercice du droit de suffrage

Selon l’article 42 du Code électoral, « le corps électoral se


compose de tous les Burkinabè des deux sexes, âgés de dix-huit
ans accomplis, jouissant de leurs droits civiques et politiques,
inscrits sur les listes électorales et n’étant dans aucun cas
d’incapacité prévu par la loi »1. Même si l’on a la qualité
d’électeur, il faut satisfaire à deux conditions essentielles pour
exercer le droit de suffrage, à savoir l’inscription sur la liste
électorale et l’absence d’exclusion du suffrage. Pour être inscrit
sur la liste électorale, l’électeur doit non seulement avoir la
jouissance du droit de vote2 mais aussi justifier de son
attachement au ressort territorial d’inscription, lequel se vérifie
par le fait qu’il y dispose de son domicile réel, y réside ou y
figure au rôle de l’impôt. A ce titre, le code électoral exige la
satisfaction de l'une des conditions suivantes :
Etre domicilié dans le village ou le secteur ou y résider
depuis six (6) mois.
Etre inscrit au rôle des contributions directes (ex : impôts
locaux) depuis trois (3) ans ou y avoir des intérêts
économiques et sociaux certains pour ceux qui ne sont pas
résidents.

1
Selon l’article 43 du Code électoral, ce corps électoral est élargi :
pour les élections nationales : aux étrangers naturalisé et ceux ayant acquis la nationalité burkinabè par
mariage ;
pour les élections locales : aux étrangers titulaires d’une pièce d’identité en cours de validité, ayant une
résidence effective de dix ans au moins au Burkina Faso, pouvant justifier d’un emploi et à jour de leurs
obligations fiscales
2
Selon l’article 44 du Code électoral, « ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales :
les individus condamnés pour crime ;
ceux qui sont en état de contumace ;
les incapables majeurs ;
ceux qui ont été déchus de leurs droits civiques et politiques.

153
Etre assujetti à une résidence obligatoire en raison de ses
fonctions ou profession1.
L’inscription sur la liste électorale est volontaire et
individuelle, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’inscription
automatique ou d’office. En revanche, nul ne peut être inscrit
sur plusieurs listes électorales, ni être inscrit plusieurs fois sur la
même liste2. Par ailleurs les individus condamnés pour crime,
ceux qui sont en état de contumace, les incapables majeurs et
les personnes déchues de leurs droits civiques et politiques ne
doivent pas être inscrits sur les listes électorales3. Même inscrit
sur une liste électorale, un individu peut être exclu du suffrage
s’il est frappé d’une incapacité électorale4, et en l’espèce,
d’une incapacité d’exercice. Cela vise à exclure du corps
politique les personnes qui se sont montrées indignes de la
qualité de citoyen, notamment les délinquants et les criminels
faisant l’objet d’une peine de prison5.
Encore faudrait-il que les documents d’identification qui
permettent d’inscrire les électeurs soient des documents fiables.
On peut en douter, au regard de la diversité des documents
d’identification autorisés par le code électoral6, diversité de
nature à ouvrir la porte à des abus, certains de ces documents
ne permettant pas d’identifier exactement les individus.
Les listes électorales sont établies par les soins de la
Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) par
village, secteur, arrondissement, commune rurale, commune
urbaine, ainsi que par province7. Le fichier électoral national est
constitué de l’ensemble des listes électorales provinciales qui
1
Article 48 du Code électoral
2
Article 46 du Code électoral.
3
Article 44 du Code électoral
4
Les incapacités électorales peuvent se traduire soit par la privation de la jouissance du droit de vote, soit par une
simple privation de l’exercice du droit de vote.
5
L’incapacité électorale correspond, le plus souvent, à une peine complémentaire décidée par le juge et qui prive un
citoyen condamné pénalement par ailleurs, de ses droit civiques (jusqu’à cinq ans en cas de délit, dix ans lorsqu’il
s’agit d’un crime).
6
Passeport, carte d’identité burkinabè, livret de famille, carte consulaire, carte militaire, acte de naissance ou
jugement supplétif, livret de pension.
7
Article 47 du Code électoral

154
récapitulent les listes électorales communales de chaque
province1. La liste électorale est permanente et elle sert pour
toutes les consultations électorales. Elle peut faire l’objet de
révision exceptionnelle avant chaque élection générale décidée
par décret pris en Conseil des ministres2.

A. L’expression du corps électoral

Dans un régime démocratique, pour exprimer son choix


politique, le citoyen dispose avant tout de son bulletin de vote.
Si l’on veut que le choix exprimé par le corps électoral soit
véritablement démocratique, il faut que le vote réponde à
certaines caractéristiques. En l’espèce, deux caractéristiques
essentielles sont à retenir qui reposent sur les principes
d’égalité (a) et de liberté (b).

a) L’égalité du vote

L’égalité du vote comporte deux aspects : l’égalité dans


l’accès au suffrage et l’égalité dans le poids du vote. L’égalité
dans l’accès au suffrage prescrit l’élimination de toute
discrimination conduisant à la négation du suffrage universel, de
tout dispositif tendant à privilégier le vote de telle ou telle
catégorie de la société. Si certaines limitations comme celles
liées aux aptitudes civiques, intellectuelles et morales de
l’électeur peuvent aisément se justifier, il en va différemment
des limitations fondées sur le sexe3, la race4 ou la fonction1.
1
Ibid.
2
Article 50 du Code électoral.
3
Exclusion des femmes jusqu’au XX e siècle
4
Si le système de l’apartheid est le plus illustratif, il importe de rappeler qu’un tel procédé, fondé sur
la ségrégation raciale a eu cours en dans l’Allemagne nazie. Sous la IIIe République française, l'exclusion
politique des "indigènes" de l’empire colonial, était la règle. Ces derniers n'ont pu accéder à la
citoyenneté théoriquement pleine et entière que le 7 mai 1946, suite au vote d'une proposition de loi
du député sénégalais Lamine Gueye. Toutefois, ce n'est que dix ans plus tard, le 23 juin 1956, que la
loi-cadre du ministre Gaston Deferre concrétisa cette citoyenneté égale entre "indigènes" et
"Européens" en supprimant le système du "double collège" et en élargissant le corps électoral à tous les
habitants de nationalité française, sans limitation capacitaire. Pour plus de détails, voir P.-Y Lambert,

155
L’égalité dans le poids du vote commande l’application du
principe « une personne-une voix » et partant, l’exclusion de
certains types de suffrage tels que :
Le vote plural aussi appelé vote double ou multiple, qui
consiste à donner une ou des voix supplémentaires à
certaines catégories de citoyens en raison de leur situation
sociale, intellectuelle, financière, etc.2.
Le suffrage familial qui est une variante du vote plural et
qui consistait, dans certains pays3, à donner au père de
famille autant de voix qu’il avait d’enfants mineurs.
Le vote par collèges consistant en l’institution de plusieurs
collèges élisant le même nombre de députés alors que les
populations sont d’importance différente4.
C’est dire que l’égalité dans le poids du vote postule,
contrairement aux pratiques anciennes5, l’absence de toute
discrimination fondée sur l’argent, la catégorie sociale, le
niveau d’instruction, l’origine raciale ou la situation
matrimoniale.
Si les discriminations ci-dessus évoquées conduisent à la
négation d’un choix réel et du principe d’égalité, l’appréciation
est plus délicate en ce qui concerne le système de quotas qui
consiste à réserver un certain nombre de sièges à une catégorie
déterminée. Bien que considéré par le Conseil constitutionnel
français comme une atteinte au principe d’égalité entre hommes

« L'exercice de la citoyenneté dans un contexte colonial: le cas des deux Congo jusqu'en 1957 », in
Cahiers Marxistes (Bruxelles), janvier-février 1998, n°208, p. 51-62
1
Privation du droit de vote aux militaires sous la IIIème République française
2
Le conseil constitutionnel français a confirmé la prohibition du vote plural dans sa décision du 17 janvier 1979
relative à l’élection des membres des conseils de prud’hommes.
3
Espagne, Belgique, Pays du Maghreb.
4
Modalité en vigueur en Prusse jusqu’à la première guerre mondiale avec trois collèges d’un poids égal en sièges
dont le collège aristocratique élu par 3% de la population et le collège populaire désigné par 85% de la population.
5
Entre autres exemples on peut citer : relatif au pouvoir financier (dans la France de la Restauration, les électeurs
fortunés votaient deux fois) ; relatif à la catégorie sociale (dans l’Union Soviétique des années 1920, le vote d’un
ouvrier valait cinq votes paysans) ; relatif aux capacités intellectuelle (la majoration du vote des diplômés dans
l’Angleterre du XIXème siècle) ; relatif à la situation matrimoniale (en Belgique au début du XXème siècle, le chef de
famille disposait d’un nombre de voix correspondant à l’importance de sa famille).

156
et femmes1, la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 révisant les
articles 3 et 4 de la Constitution française ne l’a pas moins
institué à travers la notion de l’égal accès des femmes et des
hommes aux mandats électoraux et fonctions électives2. Le
système de quotas en faveur des femmes est aussi en vigueur au
Niger, sans que la Constitution nigérienne ait été révisée, depuis
l’adoption de la loi n°2000-008 du 7 juin 2000 instituant le
système de quota dans les fonctions électives, au gouvernement
et dans l’administration de l’Etat. Au terme de cette loi, chaque
liste de candidature aux différents postes électifs doit
comporter au moins 25% de femmes et 10% des postes acquis
doivent revenir aux femmes. En plus de cela, 25% des postes au
niveau du gouvernement, de l’administration territoriale, de
l’administration centrale et des autres instances supérieures non
électives doivent être acquis aux femmes3. Un tel système fondé

1
CC (fr), Décision n° 82-146 DC du 18novembre 1982, quotas par sexe et n° 98-407 DC du 14 janvier 1999,
Elections régionales. Suite à l’adoption de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, le Conseil constitutionnel
français dans sa Décision n° 2000-429 DC du 30 mai 2000 a affirmé dans les 7 ème et 8 ème considérant ce qui suit : CC
(fr), Décision n° 82-146 DC du 18novembre 1982, quotas par sexe et n° 98-407 DC du 14 janvier 1999, Elections
régionales. Suite à l’adoption de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, le conseil Constitutionnel français dans sa
Décision n° 2000-429 DC du 30 mai 2000 a affirmé dans les 7ème et 8ème considérant ce qui suit : « 7. Considérant, en
second lieu, qu'il ressort des dispositions du cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution, éclairées par les
travaux préparatoires de la loi constitutionnelle susvisée du 8 juillet 1999, que le constituant a entendu permettre au
législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et fonctions électives ; qu'à cette fin, il est désormais loisible au législateur d'adopter des dispositions
revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant ; qu'il lui appartient toutefois d'assurer la
conciliation entre les nouvelles dispositions constitutionnelles et les autres règles et principes de valeur
constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n'a pas entendu déroger ; 8. Considérant que les dispositions
critiquées de la loi déférée fixant des règles obligatoires relatives à la présence de candidats de chaque sexe dans la
composition des listes de candidats aux élections se déroulant au scrutin proportionnel entrent dans le champ des
mesures que le législateur peut désormais adopter en application des dispositions nouvelles de l'article 3 de la
Constitution ; qu'elles ne méconnaissent aucune des règles ni aucun des principes de valeur constitutionnelle
auxquels la loi constitutionnelle susvisée n'a pas entendu déroger ».
2
La loi constitutionnelle n°99-569 du 8 juillet 1999 dispose à son article 1er : »la loi favorise l’égal accès des femmes
et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (JORF n° 157 du 9 juillet 1999, p.10175). Dans ce
cadre, la loi n° 2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et fonctions élective (J.ORF n°131 du 7 Juin 2000 page 8560) impose la stricte parité dans toutes les
élections à la proportionnelle avec alternance homme-femme pour les élections à un tour (sénatoriales et
européennes) et une parité à groupe de six pour les élections à deux tour (municipales et régionales). Pour les
élections législatives, la loi sanctionne financièrement les formations politiques qui ne présentent pas un nombre égal
d’hommes et de femmes.
3
Le décret d’application n°2001-056/PRN/MDSP/PE du 28 février 2001 dispose à son article 2 : « pour les élections
législatives et locales, tout parti, groupement de partis politiques ou regroupement de candidats indépendants doit
inclure obligatoirement des candidats de l’un et de l’autre sexe de manière à obtenir lors de la proclamation des
résultats définitifs une proportion supérieure ou égale à 10% des candidats élus de l’un et de l’autre sexe ».

157
sur le principe de la dualité des normes1 plus connu sous
l’appellation de discrimination positive vise à élever la
dimension démocratique de la démocratie représentative.

b) La liberté du vote

L’élection est un choix2. Ce faisant, la liberté du vote


présuppose la garantie du pluralisme, c’est-à-dire l’existence
d’un choix réel entre plusieurs candidats exprimant des idées
différentes. La liberté du vote naît donc dans la liberté de choix.
Le pluralisme qui permet l’expression de cette liberté de choix
est principalement politique mais n’est pas exempt de variables
sociologiques, notamment avec la question de l’accès des
femmes aux fonctions électives. Le vote est considéré comme
libre s’il revêt trois caractéristiques essentielles : s’il est
individualiste ou personnel, facultatif et secret.
Le suffrage ou vote est, en premier lieu, individualiste ou
personnel, s’il est organisé pour offrir un mode d’expression à
chaque individu pris isolément. Ce mode d’expression s’oppose
au suffrage communautaire qui, lui, est conçu pour offrir un
mode de représentation collective aux communautés composant
le pays3. Pour le Pr. Cadart, « […] seul le suffrage individuel
assure l'égalité véritable entre les citoyens »4.
Le suffrage ou vote est, en second lieu, facultatif si les
électeurs ont la liberté de participer aux opérations électorales.
Le vote est considéré facultatif, car il est perçu comme un droit
appartenant à chaque électeur; or, personne ne peut être obligé
d'user de son droit. Le vote facultatif repose ainsi sur une
conception tout à fait individualiste du rôle de l'électeur. Il se
fonde, de par son inspiration, sur le principe de la souveraineté
populaire. A l’opposé de cette caractéristique, on trouve
1
Ou principe de l’inégalité compensatrice
2
Le terme élection vient du latin « eligere » qui signifie choisir.
3
Il peut se traduire, comme ce fut le cas au Burkina Faso avec la Chambre des Représentants, par une représentation
des groupements professionnels, économiques, sociaux, culturels, etc.
4
J. Cadart, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Economica, 3 ième édition, tome 1, 1990, p.238.

158
certains Etats démocratiques dans lesquels le vote est
obligatoire1. Dans ce cas de figure où le vote, n'est pas un droit,
l’électeur a l’obligation de voter car il remplit une fonction
sociale, celle d'agir au nom de la communauté nationale tout
entière en exerçant ce rôle collectif essentiel. Le vote
obligatoire se fonde sur le principe de la souveraineté nationale.
Il est souvent utilisé pour éviter les abstentions.
Le suffrage ou vote doit être, en troisième et dernier lieu,
secret. Il en est ainsi quand il est organisé de manière à
permettre à l’individu de se déterminer en son âme et
conscience ; l’objectif est de préserver la liberté des électeurs,
d’où l’aménagement d’un isoloir. C’est tout le contraire du vote
public qui lui est organisé de manière à ce que les électeurs se
déterminent au vu et au su de tous (main levée, alignement,
etc.)2. Ce mode de vote comporte bien d’inconvénients dont,
entre autres, la corruption et l’intimidation3.
En définitive, on peut dire qu'aujourd'hui au Burkina Faso,
le suffrage est universel, direct ou indirect, égal, personnel,
secret et facultatif.

§ 2 : Les systèmes électoraux ou régimes électoraux

Un système électoral est l’ensemble des éléments relatifs à


l’organisation des élections. Il désigne un ensemble de
caractéristiques regroupant, outre les modes de scrutin au sens
strict (B), d’autres éléments relatifs à l’encadrement de la
compétition politique (A).

B. Le cadre de la compétition électorale

1
C’est le cas en Belgique, au Luxembourg, en Australie, aux Pays Bas, en Nouvelle Zélande, au Brésil et en
Argentine.
2
C’est un mode de vote qu’affectionnent les régimes révolutionnaires et qui a été pratiqué au Burkina Faso sous le
Conseil National de la Révolution (C.N.R) au pouvoir du 4 août 1983 au 15 octobre 1987.
3
“ Le vote public détruit finalement la liberté de l’électeur et, par conséquent, nie la démocratie au profit des
oligarchies ». Cf. J. Cadart, op.cit., p 244

159
Deux séries de questions méritent d’être examinées dans la
présente rubrique. Elles sont relatives au cadre spatial de la
compétition politique – le découpage électoral – d’une part (1),
et à l’encadrement juridique de la compétition politique – les
règles de la compétition politique – d’autre part (2).

1. Le découpage électoral

La question du découpage électoral revêt une importance


particulière en raison des risques de manipulation qui peuvent
tordre les résultats électoraux et partant attenté à l’exigence de
sincérité du scrutin et donc à l’honnêteté du vote. En effet,
toute élection suppose la détermination d’une circonscription.
Comment procède-t-on pour les délimiter (a) et quels sont les
procédés pour mettre l’opération de découpage à l’abri des
manipulations (b) ?

a) Les modalités du découpage électoral

Toute élection suppose la détermination d’une


circonscription électorale. Celle-ci peut être plus ou moins
étendue et correspondre à une circonscription administrative
existante ou être artificiellement créée pour les besoins de
l’élection. Selon le type d’élection, le corps électoral peut être
amené à se prononcer de manière globale comme pour les
élections présidentielles ou les référendums – dans ce cas de
figure l’ensemble du territoire national constitue une
circonscription unique – ou de manière localisée comme pour les
élections législatives, régionales ou municipales qui exigent une
division du territoire national en circonscription. C’est dans ce
deuxième cas de figure que le découpage électoral, surtout dans
le cas d’un scrutin uninominal majoritaire où l’on a à faire à des
circonscriptions exiguës, s’avère une opération essentielle pour
l’organisation d’un scrutin sincère.

160
L’exigence de sincérité du scrutin commande que
l’honnêteté préside au découpage des circonscriptions. En la
matière, le critère démographique devrait prévaloir dans
l’attribution des sièges car la taille ou la magnitude d´une
circonscription électorale se réfère non pas à ses dimensions
physiques, mais plutôt au nombre de sièges qui lui sont attribués
A cet effet, la réalisation d’un découpage électoral loyal
commande le respect d’un certain nombre de principe à savoir :
La représentativité : les limites des circonscriptions
électorales doivent être définies de sorte à coïncider,
autant que possible, avec les communautés d'intérêt1 afin
que les électeurs aient l’opportunité d’élire les candidats
qu’ils pensent à même d’assurer une représentation
efficace2.
L’égalité de force électorale ou principe de l’équilibre
démographique : les limites des circonscriptions électorales
doivent être définies de sorte que les circonscriptions
soient égales en population. En effet, la création de
circonscriptions démographiquement inégales constitue une
violation du principe de l’égalité dans le poids du vote.
Ainsi, si le découpage conduit à ce qu’une circonscription
qui compte cent électeurs et une autre qui peuplée de
mille électeurs soient amenées désigner chacun un
représentant, la conséquence d’un tel déséquilibre sera de
donner aux électeurs de la première circonscription un
poids politique dix fois supérieur à ceux de la seconde.
L’égalité du vote des électeurs est une condition
importante de la représentation effective. Chaque
circonscription doit comporter un nombre à peu près égal
d’électeurs. Toutefois, cette égalité est relative puisque
des écarts par rapport à la moyenne du nombre d’électeurs

1
Exemples, divisions administratives, voisinages ethniques, des communautés naturelles délimitées par des
frontières physiques (telles que les îles).
2
En ce qu’il est susceptible de rendre service à la circonscription et de travailler à protéger ses intérêts.

161
par circonscription sont permis1. Au canada la loi électorale
fixe le seuil à 25% alors qu’en France, ce seuil est de 20%.
La précision : le tracé des limites des circonscriptions
électorales doit être le plus précis possible afin d’éviter
toute confusion lors des opérations électorales notamment
dans l’établissement des listes électorales et le
rattachement des bureaux de vote. Pour cela il doit
respecter scrupuleusement la continuité territoriale.
La périodicité : la délimitation des circonscriptions
électorales doit être périodiquement réexaminée en vue de
tenir compte des évolutions démographiques et des
mouvements de populations à l’intérieur de l’Etat2. Cette
préoccupation concerne plus les circonscriptions électorales
à scrutin uninominal qui doivent être périodiquement
redéfinies pour assurer des populations relativement
égales. Par contre les circonscriptions électorales de grande
taille n’ont pas besoin d’être redéfinies ; les sièges sont
simplement re-attribués d’une circonscription à l’autre
pour satisfaire aux critères d’égalité de la population.
L’esprit de participation et de service : la délimitation des
circonscriptions doit impliquer outre les services
1
Le principe de l’équilibre démographique dans le découpage des circonscriptions a été à plusieurs reprise réaffirmer
par le Conseil constitutionnel français dans plusieurs décisions. Dans les décisions n° 85-196 DC du 8 août 1985, et
n° 85-197 DC du 23 août 1985 relative à « L’évolution de la Nouvelle Calédonie, le juge constitutionnel français
observait qu’un organe délibérant d’une Assemblée se devait d’être élu « sur des bases essentiellement
démographiques ». Une année après, dans les décisions n° 86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986, Découpage électoral I
et n° 86-28 DC du 18 novembre 1986, Découpage électoral II, relatives aux découpage des circonscriptions
législatives, tout en affirmant que le principe de l’équilibre démographique devait présider au découpage des
circonscriptions, il le précisait en admettant « dans une mesure limitée » des écarts de population pour tenir compte
d’impératifs d’intérêt général mais en posant dans le même temps des limites dans lesquelles tout écart dans le
découpage supérieur à 20% dans un même département serait contraire à la Constitution. On retrouve la même
référence au principe de l’équilibre démographique par le Conseil d’Etat français pour ce qui concerne la
délimitation des cantons. Cf. CE (fr) 13 mars 1998, commune d’Armoy, Le Déaut, Amalric, Commune de Saint-
Louis et CE (fr) 6 janvier 1999, Lavaurs.
2
En Inde les limites sont censées être examinées après le recensement décennal pour refléter les
changements dans la population. En Allemagne, au début de chaque mandat parlementaire (tous les 4
ans), le président de l’Allemagne en conformité avec l’article 3 de la loi électorale allemande, nomme
une Commission des Régions Electorales (Wahlkreiskommission) indépendante. La tâche de cette
commission est de faire des rapports sur les changements dans la population et les développements
dans les régions électorales, et faire des recommandations sur comment redistribuer pour ajuster ces
changements.

162
administratifs et statistiques de l’etat et la commission
électorale, un large segment de la société politique, de la
société civile et des médias.
La réciprocité : la procédure de délimitation des
circonscriptions électorales doit être mise à l’abri des
majorités de circonstance. En cela, elle doit être non
partisane et obtenir l’adhésion du plus grand nombre. Elle
doit dans sa conception répondre aux vertus
d’indépendance et d’impartialité.
Si les principes de représentativité, d’équilibre
démographique et de réciprocité apparaissent comme les
cardinaux et les mieux acceptés, les autres ne sont pas moins
importants car ils contribuent à limiter l’expression des
intentions frauduleuses. C’est donc dire que loin d’être
secondaire, ils revêtent une importance capitale en raison des
risques de manipulations à même de fausser la sincérité du
scrutin. En la matière, plusieurs possibilités de manipulation
existent. La première et la plus grossière consiste, dès le départ,
à découper des circonscriptions inégales par le nombre
d’électeurs aboutissant au fait que certaines circonscriptions ont
trois à quatre fois plus d’électeurs que d’autres pour le même
nombre de sièges. La seconde consiste à délimiter les
circonscriptions sans tenir compte de la géographie mais en
favorisant des regroupements en raison du vote prévisible des
électeurs, cela afin de fabriquer une majorité1. La troisième
consiste à ne pas tenir compte des mouvements démographique
– exode rural notamment – en ne procédant pas périodiquement
au redécoupage des circonscriptions électorales ou à la
modification de la répartition des sièges en fonction du
recensement de la population ; ce qui aboutit à des
circonscriptions inégales du point de vue du rapport nombre

1
C’est à une telle manipulation qu’il faut rattacher le découpage électoral opéré sous la Ière République. Là où le
R.D.A était faible, la circonscription était rattachée à une autre où ce parti était fort. Ainsi Banfora, Diébougou,
Gaoua, Léo, Pô, Manga, Garango, Zabré formait une seule et même circonscription

163
d’élus-nombre d’électeurs1. La manipulation des élections par le
biais du découpage électoral est appelée « charcutage
électoral » ou « gerrymandering » du nom d’un ancien
gouverneur du Massachusetts (USA), Elbridge Gerry (1744-1814)
qui, en 1812, avait découpé les circonscriptions de son Etat afin
d’assurer une large victoire de ses partisans pourtant
numériquement moins nombreux que ses adversaires. C’est pour
éviter la survenue de telles atteintes à la sincérité du scrutin
qu’il est souvent mis en place un mécanisme de contrôle du
découpage électoral.

b) Le contrôle du découpage électoral

Le découpage électoral est souvent l’œuvre de la majorité


politique. Cet état de fait est souvent source suspicion. Ce
faisant l’objectivation du processus conduit, dans les vieilles
démocraties, à mettre en place des mécanismes de contrôle soit
en amont du découpage, soit en aval en plaçant le découpage
électoral soit sous le contrôle d’une autorité indépendante, soit
sous celui du juge. Dans le premier cas de figure, le découpage
s’opère sur la base de propositions faites par un organisme
indépendant du pouvoir. C’est le cas en Inde où le parlement,
par une loi met sur pied une Commission de délimitation
indépendante, composée d’un commissaire en chef et de deux
juges ou ex-juges de la Cour suprême ou de la Haute cour. C’est
aussi le cas en Allemagne où au début de chaque mandat
parlementaire (tous les quatre ans), le président, conformément
à l’article 3 de la loi électorale allemande, nomme une
Commission des régions électorales (Wahlkreiskommission)
indépendante2. Le même système est en vigueur au Royaume-

1
Cela conduit à avantager les circonscriptions vieillissantes par rapport aux circonscriptions en plein essor
démographique. Le refus de procéder au redécoupage tient au fait que la majorité au pouvoir sait par avance, compte
tenu des caractéristiques socio-économique de la population, qu’une redéfinition des limites de la circonscription ou
une re-attribution des sièges risquerait d’être favorable à l’opposition.
2
La Commission des Régions Electorales ou EDC est sélectionnée au début de chaque mandat
parlementaire. Le président du Bureau Fédéral des Statistiques est habituellement choisi pour présider

164
Uni où toutes les circonscriptions sont re-découpées tous les dix
ans sur la base de conclusions de commissaires indépendants.
Cette procédure institue une compétence liée à l’endroit du
parlement, dans la mesure où celui-ci est amené à décider dans
le cadre des options qui lui sont présentées. Telle n’est pas la
situation dans le deuxième cas de figure où la majorité
parlementaire conserve toutes ses prérogatives de décision avec
néanmoins la mise en place d’un contrôle de nature
juridictionnel confié, selon le type d’élection, soit au juge
constitutionnel, soit au juge administratif. C’est la situation qui
prévaut en France où le Conseil constitutionnel assure le
contrôle de la régularité du découpage électoral pour ce qui
concerne les élections législatives dans le cadre de ses
prérogatives en matière de contrôle de la constitutionnalité des
lois1. De même le Conseil d’Etat est investi du même pouvoir de
contrôle du découpage des cantons dans le cadre du contentieux
visant l’annulation des opérations électorales cantonales2.
Le Burkina Faso est à classer dans la seconde catégorie qui
situe le contrôle du découpage en aval. Bien qu’il n’y ait pas
encore eu de contentieux sur cette question – le découpage
suivant dans la plupart des cas les délimitations administratives –

la commission. En plus, un juge de la Cour Administrative Fédérale et cinq autres membres,


généralement de hauts fonctionnaires de l’état, sont sélectionnés pour faire partir de la commission. La
EDC doit suivre cinq règles pour la redistribution électorale. Ce sont :
. Les limites des Etats doivent être observées ;
. La population d'une région ne devrait pas varier de plus ou moins 25 pour-cent de la population
moyenne des régions électorales – si l’augmentation de la population excède plus ou moins 33 pour-
cent, la délimitation est obligatoire ;
. Le nombre de régions électorales attribuées à chaque état devrait être proportionnel à la taille
relative de sa population ;
. Une région électorale devrait être une zone cohérente ;
. Les limites des communautés, des contés et cités indépendantes devraient être observées.
La commission a quinze mois pour terminer son rapport et le présenter au Ministre de l’Intérieur. Le rapport
comprend la population courante des régions électorales et des recommandations pour la re-attribution des sièges et
pour la modification des limites des régions. La EDC propose plusieurs plans alternatifs pour la délimitation de sorte
que le Parlement ait plus d’une option disponible pour décider, s’il le faut, de redéfinir les circonscriptions.
1
Cf. les jurisprudences du CC (fr), DC 85-196 du 8 août 1985, DC 85-197 du 23 août 1985 relative à « L’évolution
de la Nouvelle Calédonie » ainsi que DC 86-208 des 1er et 2 juillet 1986, Découpage électoral I et DC 86-28 du 18
novembre 1986, Découpage électoral II, relatives aux découpage des circonscriptions législatives.
2
Cf. CE (fr) 13 mars 1998, Commune d’Armoy, Le Déaut, Amalric, Commune de Saint-Louis et CE (fr) 6 janvier
1999, Lavaurs.

165
il est tout de même possible d’affirmer l’existence d’un contrôle
a posteriori par l’entremise du contrôle de constitutionnalité des
lois ou du contrôle de légalité des règlements, le cas échéant.
Il ressort de ce qui précède que l’objectivité du découpage
électoral est essentielle pour la sincérité du scrutin. Celle-ci
dépend aussi de l’encadrement juridique de la compétition
électorale dans la mesure où cela peut comporter des effets sur
le résultat des élections.

2. Les règles de la compétition électorale

Les règles de la compétition électorale sont non seulement


les dispositions préalables au scrutin mais aussi celles relatives
au déroulement du scrutin. Elles s’articulent autour de deux
pôles majeurs à savoir : la campagne électorale (a) et le
contrôle du processus électoral (b).

a) La campagne électorale

Le souci d’assurer l’égalité au regard de l’influence du


poids du vote par l’institution d’un contrôle du découpage
électoral serait vain si les règles qui encadrent la compétition
politique ne garantissaient pas le pluralisme par l’existence d’un
choix réel. « Il ne suffit pas que le vote soit libre et égal pour
que la participation du citoyen soit garantie, il faut également
qu’il puisse s’exprimer de façon honnête »1. L’honnêteté du vote
implique non seulement un strict encadrement financier des
dépenses électorales, mais aussi une rigoureuse surveillance de
la propagande électorale.
L’encadrement financier des dépenses de campagne et
partant de leur financement est sous-tendu par les principes
d'égalité de chance (équité dans les dépenses électorales) et de
transparence financière. L’objectif étant l'organisation d'une

1
Ph Parini, Régimes politiques contemporains, Paris, Masson, 1997, p.56.

166
compétition loyale entre candidats ou formations politiques
bénéficiant relativement des mêmes potentialités de victoire en
résorbant les inégalités matérielles de départ. En effet, les
principales causes de ces inégalités, contre lesquels il faut se
prémunir ou lutter sont l'argent et les faveurs du pouvoir,
l’intrusion des pouvoirs d’argent dans le jeu politique avec tous
les risques de corruption politique et de ploutocratie. C’est ce
qui explique que dans bon nombre de démocraties, pour
prévenir les inégalités trop criardes et lutter contre le
financement occulte des formations politiques, l’Etat soit
intervenu pour « moraliser la vie politique » en mettant en place
une réglementation stricte du financement de la vie politique en
général – en assurant un financement public aux partis politiques
– et des dépenses de campagne en particulier. Cela se traduit,
entre autres, par le plafonnement des dépenses de campagne, la
limitation voire l’interdiction des dons privés et le contrôle ex
post des comptes des partis politiques et des dépenses
électorales.
La législation française en la matière est symptomatique de
cette nouvelle tendance à la moralisation de la vie politique.
Depuis 1988, tout un arsenal juridique a été mis en place pour
prévenir la corruption et le trafic d’influence1. Dans ce cadre,
outre l’établissement d’un plafond maximal de dépenses avec
inéligibilité du candidat en cas de dépassement2, la législation
en vigueur encadre sévèrement le financement privé. Ainsi les
dons provenant des personnes morales sont strictement interdits
lors des campagnes électorales et même hors de ces périodes
depuis 1995. Quant aux dons provenant des personnes physiques,
ils sont limités à 4.600 euros durant les campagnes et à 7.500
euros hors campagne. En outre, la loi fait obligation aux

1
On peut citer entre autres les lois du 11 janvier 1988, du 15 janvier 1990, du 29 janvier 1993, loi organique du 19
janvier 1995. Sur la question on lira utilement l’ouvrage de L. Vilar et als Le financement des campagnes électorales,
Paris LGDJ, 1998, 191p. Dans le même ordre d’idées, la loi béninoise interdisant la distribution de gadgets lors des
campagnes électorales s’inscrit dans cette mouvance.
2
Le seuil varie selon l’élection considérée et le nombre d’habitants concerné. Cf. article L.52-11 du Code électoral
français.

167
candidats de ne recueillir leurs dons que par l’intermédiaire
d’un mandataire financier1.
Au Burkina Faso le dispositif actuellement en vigueur ne
respecte pas les principes d’égalité de chance et de
transparence financière. Certes l’encadrement du financement
des activités politiques et campagnes est légalement consacré2,
mais contrairement à l’intitulé de la loi, il ne concerne que le
financement public3. En effet, il n’y est aucunement fait cas ni
du financement privé, ni du plafonnement des dépenses de
campagne. Le souci d’équité dans les conditions de compétition
a totalement été perdu de vue au profit de la seule
préoccupation de l’équitable répartition des fonds publics.
L’égalité de chance n’est pas préservée – et les élections
présidentielles de 2005 l’ont amplement démontré – quand la
même somme, servie à deux candidats, constitue pour l’un le
principal de ses ressources de campagne et pour l’autre
l’accessoire. Il y a là une grave lacune à combler si l’on ne veut
éviter que les inégalités non tempérées ne viennent
compromettre la sincérité des scrutins.
La réglementation de la propagande électorale est
essentielle. En effet, les moyens d’information représentent
l’une des clés de la participation politique des citoyens au
pouvoir politique. La réglementation qui leur est applicable
permet ou pas le pluralisme et conditionne en dernière instance
la liberté de choix4. Or on s’accorde à dire qu’il y a démocratie
là où il y a débat, c’est-à-dire là où existe un contexte

1
Des dispositions similaires sont prévues dans les lois allemandes du 24 juillet 1967 et 22 juillet 1969 et dans la
Federal election compaign act des USA du 7 avril 1972.
2
Cf. Loi n°012-200 du 02 mai 2000 portant financement des activités des partis politiques et des campagnes
électorales, modifié par la loi n°12-2001 du 28 juin 2001. Cette loi est d’ailleurs très mal rédigée car entretenant une
ambiguïté quant à son champ d’application. Ainsi au chapitre I intitulé « Financement des coûts des campagnes
électorale » répond un chapitre II intitulé « Financement public des activités des partis hors campagne électorale ».
Ce qui laisse supposer que le premier chapitre englobe à la fois le financement public et le financement privé. Or la
lecture des dispositions contenues dans le chapitre I laisse entrevoir que le champ d’application de la loi est limitée
au financement public.
3
Toutes choses que confirme l’article 26 de la loi n°032-2001/AN du 29 novembre 2001 portant charte des partis et
formations politiques au Burkina.
4
Ph. Parini, op.cit., p.57.

168
permettant en toute liberté de contester, de critiquer et de
rejeter une opinion quelconque. Par conséquent, escamoter la
discussion et le débat contradictoire ou leur substituer la force
aveugle ou le monopole, est antidémocratique. Cette
philosophie qui doit présider à la réglementation de la
propagande électorale vise à protéger le pluralisme en assurant
l’égalité d’accès aux moyens d’information et en veillant à
éviter une manipulation frauduleuse de l’électorat.
Le code électoral burkinabè consacre plusieurs dispositions
à l’utilisation des moyens de propagande électorale. Ainsi, selon
l’article 69 du code électoral, l’affichage électoral doit
normalement n’avoir lieu qu’aux emplacements « spéciaux
réservé aux professions de foi, circulaire et affiches
électorales ». L’alinéa 2 du même article précise que « dans
chacun de ces emplacements spéciaux, une surface égale est
attribuée à chaque candidat ou chaque liste de candidats ». Ce
souci de préserver l’égalité entre les candidats transparaît dans
les dispositions relatives aux élections présidentielles et
législatives pour lesquelles l’article139 al.2 auquel renvoie
l’article 187 du code électoral dispose : « les panneaux
d’affichage sont attribué dans l’ordre de la liste des candidats
arrêté par le Conseil constitutionnel».
Concernant l’égal accès aux moyens d’information, le code
électoral le consacre dans plusieurs de ses dispositions. Il en est
ainsi à l’article 142 qui dispose que « les candidat à la
Présidence du Faso […] reçoivent un traitement égal dans
l’utilisation des moyens de propagande. » et à l’article 188 al.2
où il est affirmé que « le temps mis à la disposition des partis ou
formations politiques est équitablement réparti ». La gestion de
l’accès aux moyens d’information est confiée au Conseil
Supérieur de la Communication1 qui doit veiller à ce que le
principe d’égalité entre candidats, partis ou formations
politiques soit respecté dans les programmes d’information des
1
Antérieurement dénommé Conseil Supérieur de l’Information jusqu’à 2005 où il a été renommé Conseil Supérieur
de la Communication avec l’adoption de la loi n° 028-2005/AN du 14 juin 2005

169
organes de presse d’Etat en ce qui concerne la reproduction et
les commentaires des déclarations, écrits, activités des
candidats et la présentation de leur personne1. Tout cela sous
la supervision du Conseil constitutionnel qui peut intervenir « le
cas échéant, auprès des autorités compétentes pour que soient
prise toutes mesures susceptibles d’assurer cette égalité »2.
Si le souci d’honnêteté de l’information transparaît
clairement dans le code électoral, celui-ci reste évasif sur le
traitement à réserver aux médias privé3 et est totalement muet
pour ce qui concerne les sondages d’opinion. Des zones d’ombre
dus à la jeunesse du processus démocratique au Burkina Faso et
qui ne manqueront pas d’être très vite clarifiées compte tenu du
développement de la presse privée et de l’apparition
d’opérations de sondage d’opinion. Une réglementation qui
viendra renforcer la crédibilité du processus électoral visée à
travers l’institution d’un contrôle.

b) Le contrôle du processus électoral

Le contrôle du processus électoral vise à garantir la libre


expression du droit de vote par l’élimination de la fraude
électorale. La fraude électorale désigne toutes les irrégularités
qui peuvent entacher la régularité et la sincérité du scrutin. Les
techniques de fraude électorale sont diverses et variées et
peuvent survenir aux différentes étapes du processus électoral.
Une typologie fondée sur le critère du moment d’intervention
permet de distingue trois catégories. Il y a tout d’abord les
fraudes préliminaires au scrutin qui consiste à manipuler les
listes électorales4. Ce système de fraude est très courant dans
les pays d’Afrique subsaharienne à cause tenu de la non fiabilité
de l’état civil et du système d’identification aboutissant à

1
Cf. Articles 144 et 189 du Code électoral.
2
Article 138 du Code électoral.
3
Cf. article 140 du Code électoral.
4
Inscriptions multiples, procurations abusives, inscription des morts, etc.

170
l’utilisation d’une multiplicité de documents pour l’inscription
sur les listes électorales. La seconde catégorie de fraudes
s’opère pendant le scrutin et se réalise par l’entremise du
bourrage des urnes. La troisième catégorie de fraudes intervient
pendant ou à l’issue du dépouillement et consiste entre autres,
à substituer ou subtiliser des bulletins de vote, à modifier les
procès verbaux, au vol ou à la disparition des bulletins ou des
procès verbaux.
En vue d’empêcher et de sanctionner de telles pratiques, le
code électoral met en place un système de contrôle faisant
intervenir plusieurs acteurs. La volonté d’empêchement
s’exprime à plusieurs niveaux. Elle se manifeste, en premier
lieu, par la reconnaissance d’un droit de réclamation1 et de
recours2 à tout électeur en vue d’obtenir l’inscription ou la
radiation d’un électeur omis ou indûment inscrit. En second lieu,
elle est visible à travers le droit de contrôle accordé aux
candidats3 ainsi qu’aux partis et formations politiques par
l’article 77 al.1 en ces termes : « chaque parti ou formation
politique présentant des candidats a le droit de contrôler
l’ensemble des opérations électorales depuis l’ouverture des
bureaux de vote jusqu’à la proclamation des résultats dans ces
bureaux »4. En troisième lieu, cette volonté d’empêcher la
fraude est matérialisée par l’article 147 al.5 qui autorise la
présence d’observateurs indépendants. Enfin et en quatrième
lieu la présence de délégués du Conseil constitutionnel sur le
terrain5 munis du pouvoir de procéder « à tous contrôles et
vérifications utiles »6 témoigne du souci sinon d’éliminer, du
moins de limiter l’impact de la fraude ou des irrégularités sur les
résultats du scrutin.
1
Article 55 du Code électoral.
2
Article 56 du Code électoral.
3
Article 78 du Code électoral.
4
L’article 77 est complété par l’article 96 al.2 qui fait obligation au président du bureau de vote de « délivrer copie
signée des résultats affichés aux délégués des candidats des partis et formations politiques prenant part au scrutin ».
5
Article 146 al.1 er du Code électoral : « Pour veiller à la régularité des opérations électorales, le Président du conseil
constitutionnel nomme par ordonnance des délégués choisis parmi les membres de cette institution ».
6
Article 147 al.2 du Code électoral

171
Parce qu’elles faussent l’expression du choix des citoyens,
la fraude et les irrégularités lorsqu’elles surviennent doivent
être sanctionnées. En la matière, ce sont les juridictions
administratives (tribunaux administratifs et Conseil d’Etat) pour
les élections locales1 et le Conseil constitutionnel pour les
élections nationales (présidentielles et législatives)2 qui sont
investis de cette mission. Une fois saisis, ils peuvent sanctionner
les fraudes mais ce n'est pas systématique. En effet, le Code
électoral, en plusieurs de ses dispositions3, n’impose
l’annulation des élections comme sanction que si le juge
constate « des irrégularités graves, de nature à entacher la
sincérité du scrutin et à affecter le résultat d’ensemble de celui-
ci ». C’est donc dire que des atteintes aux règles définies par le
code électoral peuvent restées impunies si elles n'ont pas eu
pour conséquence de modifier les résultats. De telles
dispositions ne participent pas à la moralisation des
comportements politiques à l'occasion des campagnes
électorales et accréditent l’idée selon laquelle, la fraude fait
partie intégrante du jeu politique ; le tout étant de savoir s’en
servir intelligemment. Comme le note fort opportunément Ph.
Parini : « toutes ces conditions relatives au bon exercice du droit
de vote ne sont pas théoriques ; bien au contraire, elles
conditionnent la réalité de la souveraineté politique. En portant
atteinte à ces mécanismes, aussi simples que sains, un régime
évolue inéluctablement vers l’abus de pouvoir, puis la dictature.
L’intransigeance quant à leur strict respect est en revanche le
signe d’un régime politique majeur et libéral »4.
Les développements sur le cadre de la compétition
électorale n’épuisent pas l’étude des principes de
fonctionnement du système électorale. Reste à examiner les

1
Cf. Chapitre VII du Titre V du Code électoral (articles 259 à 264).
2
Cf. Chapitre V du Titre II du Code électoral (articles 149 à 153) et Cf. Chapitre VII du Titre III du Code électoral
(articles 193 à 202).
3
Articles 153, 198 et 263 du Code électoral.
4
Ph Parini, op.cit ;, p.60.

172
règles selon lesquelles les candidats seront départagés à l’issue
de la compétition. C’est là s’intéresser aux modes de scrutin.

B. Les modes de scrutin

Tout comme le suffrage, les modes de scrutin ou formules


électorales, sont des moyens d'expression de la souveraineté des
gouvernés. Ils désignent « les règles techniques destinées à
départager les candidats à une élection »1. Il en existe une très
grande variété2 mais on peut les ramener, pour l’essentiel, à
trois grandes catégories : le scrutin majoritaire et le scrutin
proportionnel ou représentation proportionnelle (R.P.) et les
scrutins mixtes. La première catégorie vise à l'efficacité
gouvernementale, la seconde promeut l'équité dans la
représentation ; quant à la troisième, elle tente de remédier aux
inconvénients des deux premières. « A cet égard, le choix d'un
système électoral est capital en démocratie, car c'est lui qui
détermine les règles du jeu entre les partis, qui garantit
l'alternance au pouvoir, qui favorise la participation de toutes
les sensibilités politiques à la compétition élective, etc. »3. Les
choix opérés en la matière ne sont donc pas innocents et
dépourvus d’arrières pensées politiques. En cela le choix du
mode de scrutin, au-delà de ses aspects techniques, est d’abord
politique car il s’inscrit dans l’alternative suivante :
Veut-on une représentation la plus juste possible des
différentes sensibilités politiques existant chez les
électeurs et partant un certain idéal de représentation ?

1
J. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Economica, 10ième édition, 1989, p.169.
2
A côté des modes de scrutin dits classiques, il existe des systèmes électoraux mixtes qui combinent, à des degrés
divers, les modes classiques que sont le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle. En la matière on
dénombre trois variantes :
- les systèmes mixtes à dominante majoritaire ;
- les systèmes mixtes à dominante proportionnelle ;
- les systèmes mixtes équilibrés.
3
S. Agbantou, "Système électoral et démocratie", in La réforme du système électoral au Burkina Faso, op.cit., p.58.

173
Ou privilégie-t-on, par souci de pragmatisme, l’émerger une
volonté politique majoritaire à même de gouverner de
façon homogène ?1
Il en résulte que le choix du mode de scrutin revêt un
caractère nettement politique. Tout dépend de l'idée que l'on
s'en fait et très souvent des résultats que l'on en escompte ;
chaque parti est ainsi tenté de privilégier le mode de scrutin qui
correspond le mieux à ses conceptions mais aussi et surtout à ses
intérêt tactiques. Toutes choses qui expliquent les fréquents
changements de mode de scrutin. Ce caractère contingent
justifiant la non “ constitutionnalisation ”, du mode de scrutin
et le fait que son adoption soit souvent confiée au législateur.
Comme le souligne fort à propos J.L. Quermonne : « on conçoit,
dès lors, que le pouvoir politique ne puisse se désintéresser de la
recherche d’un mode de scrutin qui lui assure, sinon la
pérennité, du moins la longévité, et que l’opposition se
préoccupe de l’enjeu que représente pour elle toute réforme
électorale »2.

Quelles sont les différentes modalités des modes de


scrutin ? et quelles en sont les incidences ? Telles sont les
questions qui méritent d'être examinées maintenant. Mais avant
un certain nombre de concepts clés méritent d’être définis afin
de permettre une bonne compréhension des développements qui
vont suivre. Ces concepts relevant intimement des modes de
scrutin touchent à la fois à l'organisation de la compétition et au
décompte des voix.

1. Clarification conceptuelle

* Les concepts liés à l’organisation de la compétition


Quatre concepts méritent ici d’être définis. Ce sont :

1
E. Le Masson et J.P Oppenheim, op.cit. p.42
2
J.L. Quermonne, op.cit., p.178.

174
L’élection : c’est en démocratie le procédé de droit
commun pour la désignation ou la révocation des
gouvernants.

L’électorat : c’est la faculté pour le citoyen-électeur de


participer, par l'émission de son suffrage personnel, aux
opérations par lesquelles le corps électoral procède à la
nomination des autorités à élire. C’est donc le droit
reconnu à une personne de participer à la désignation des
représentants chargés de la direction des affaires publiques
et donc d’être électeur. C’est aussi et par extension
l’ensemble des personnes titulaires de ce droit, c’est-à-dire
l’ensemble des électeurs.

L’éligibilité : c’est la capacité à pouvoir prétendre à une


fonction élective.

La circonscription électorale : c’est le cadre spatial dans


lequel les candidats seuls ou par liste se mesurent.

* Les concepts liés au décompte des voix


Plus nombreux, leur connaissance est essentielle à la
lecture des résultats des compétitions électorales. Il s’agit,
entre autres, des concepts suivants :

Les électeurs inscrits ou les inscrits : ce sont les personnes


inscrites sur les listes électorales. Ce sont donc les
électeurs potentiels. Seuls les électeurs inscrits peuvent
voter.

Les votants : ce sont les personnes inscrites sur les listes


électorales et qui ont effectivement voté.

175
L'abstention : elle consiste à ne pas participer à une
élection ou à des opérations de référendum. Elle traduit
soit un désintérêt total pour la vie publique, soit un choix
politique actif consistant à ne pas se prononcer afin de
montrer son désaccord. Quand elle est la résultante d’un
mouvement organisé, on parle de boycott des élections.
L’importance de l’abstention lors de consultations
électorales pose la question de la légitimité du pouvoir
politique élu avec une faible participation

Les abstentions ou abstentionnistes : ce sont les personnes


inscrites sur les listes électorales mais qui n’ont pas pris
part au vote. Leur nombre s'obtient en soustrayant du
nombre des inscrits celui des votants.

Le taux d’abstention : il est égal au rapport nombre


d’abstention sur nombre d’inscrit multiplié par 100.

Taux d’abstention = Nombre d’abstention x 100


Nombre d’inscrits

Le taux de participation : il est égal au rapport votants sur


les inscrits multiplié par 100.
Taux de participation = Nombre de votants x 100
Nombre d’inscrits

Le vote blanc: c’est le vote qui ne peut être pris en compte


en faveur de l'un ou l'autre des candidats en présence en
cas de scrutin uninominal, de l’une ou de l’autre des listes
en compétition quand il s’agit d’un scrutin plurinominal. Il
consiste pour l’électeur à déposer dans l’urne un bulletin
dépourvu de tout choix c’est-à-dire sans nom de candidat
ou liste pour les élections et sans indication dans le cas du
référendum. Si un tel type de vote n’est pas comptabilisé

176
lors du dépouillement, il n’indique pas moins la volonté de
l’électeur de se démarquer du choix proposé par l’élection
ou le référendum.

Le vote nul : c’est celui qui consiste pour l’électeur à


annoter le bulletin de vote ou à le déchirer de telle sorte
qu’il ne puisse pas être prix en compte lors des opérations
de dépouillement. L’interprétation du vote nul est difficile.
Parfois, cela est le fait de l’ignorance des règles de votes
notamment du fait de l’analphabétisme. Mais il arrive
également que l’électeur ait volontairement déposé un
bulletin nul pour manifester son opposition aux différents
candidats ou à l’alternative qui lui est proposée lors d’un
référendum surtout si le vote blanc n’est pas autorisé. Au
Burkina Faso et selon les dispositions de l’article 95 du code
électoral, les bulletins blancs, les bulletins surchargés ou
non réglementaires ressortissent au vote nul1.

Les suffrages exprimés : c’est l’ensemble des suffrages


recueillis par les différents candidats ou les différentes
listes en compétition. C’est aussi la différence entre le
nombre de votants et le nombre de bulletins blancs ou nuls
c’est-à-dire les suffrages non exprimés. Seuls les suffrages
exprimés sont pris en compte pour effectuer la répartition
des sièges (par exemple pour calculer la majorité absolue
dans le scrutin majoritaire à 2 tours ou pour calculer le
quotient électoral dans la représentation proportionnelle).

1
En effet l’article 95 du Code électoral dispose : « Ne sont pas pris en compte dans les résultats des dépouillements
et sont considérés comme nuls :
les bulletins comportant plusieurs choix ;
les bulletins non paraphés conformément à l’article 76 ci-dessus ;
les bulletins sur lesquels les votants se sont fait connaître ;
les bulletins non réglementaires trouvés dans l’urne ;
les bulletins portant des signes intérieurs ou extérieurs de reconnaissance ;
les bulletins ne comportant aucun choix ; […] »

177
Les suffrages non exprimés : c’est l’ensemble des bulletins
blancs ou nuls. Il s’obtient en faisant la soustraction entre
le nombre de votants et celui des suffrages exprimés.

Le quotient électoral : c’est le chiffre répartiteur dont


l'application aux suffrages exprimés permet d'attribuer les
sièges dans le cadre du scrutin à la représentation
proportionnelle. Il existe trois variantes du quotient
électoral : le quotient par circonscription, le quotient fixe,
le quotient national. Le quotient électoral quand il n’est
pas fixe peut se calculer selon deux méthodes : la méthode
HARE (suffrages exprimés/nombre de sièges à pourvoir) ou
la méthode DROOP (suffrages exprimés/nombre de sièges à
pourvoir + 1).

Le quotient par circonscription : c'est le résultat de la


division du nombre des suffrages exprimés dans une
circonscription électorale par le nombre de sièges à
pourvoir.

Le quotient fixe ou nombre uniforme : c'est le nombre ou


chiffre répartiteur, fixé à l'avance pour l'ensemble du
territoire, que chaque liste doit réunir pour avoir droit à un
siège ou à un élu.

Le quotient national : c'est le résultat de la division du


nombre des suffrages exprimés dans toutes les
circonscriptions électorales par l'ensemble des sièges à
pourvoir.

Tels sont les éléments de précision qui étaient nécessaires


pour sonder et comprendre les modes de scrutin qu'il convient
maintenant d'aborder.

178
2. Les modalités des modes de scrutin.

L'étude de cette question exige d'avoir présent à l'esprit


que l'élection est une compétition. Il faut donc, pour en rendre
compte, pouvoir répondre aux deux questions suivantes :
Pour combien de candidats vote-t-on par circonscription ?
Comment les départage-t-on ?
Il s'agit, en dernière instance, d'explorer les deux thèmes que
sont le nombre de sièges à pourvoir par circonscription (a) et le
mode de calcul pour l'attribution des sièges (b)

a) Le nombre de siège à pourvoir par circonscription

Va-t-on voter pour une seule personne ou plusieurs


personnes à la fois ? Selon que l'on se trouve dans l'un ou l'autre
des deux cas de figure, on parle de scrutin uninominal (a.1) ou
de scrutin plurinominal ou de liste (a.2).

a.1) Le scrutin uninominal

Il y a scrutin uninominal, quand dans chaque circonscription


électorale il n’y a qu’un élu à désigner ou un seul siège à
pourvoir. Ce qui veut dire que chaque bulletin de vote ne peut
porter qu'un nom. Par conséquent le découpage électoral
conduit à des circonscriptions de taille réduite d'où l'utilisation
de l'expression "scrutin d'arrondissement". Eu égard à cet état de
fait, le découpage doit être opéré de manière à avoir des
circonscriptions d’égale importance afin d’éviter le « charcutage
électoral » c'est-à-dire un découpage qui « conduit à des
manipulations électorales malhonnêtes assurant le succès de

179
certains partis par d’habiles transferts de territoires entre
circonscriptions voisines »1.

Le scrutin uninominal rapproche l'élu de ses électeurs, mais


il peut conduire à dépendance excessive vis-à-vis de ces derniers
ce qui risque d’éclipser l'intérêt général et la perspective
nationale dans l'action politique.

a.2) Le scrutin plurinominal ou de liste

Il y a scrutin plurinominal ou scrutin de liste quand, dans la


circonscription électorale, chaque électeur vote pour une série
de candidats inscrits sur un même bulletin ou liste. La
circonscription électorale, dans ce cadre, est en principe plus
étendue. Ce type de scrutin a trois variantes selon la liberté
accordée aux électeurs. On distingue ainsi :

Le scrutin de liste bloquée où le citoyen est tenu de voter


pour la liste entière sans possibilité de la modifier.

Le système du panachage dans lequel l’électeur à toute


latitude pour confectionner sa propre liste à partir des
différentes listes en compétition.

Le système du vote préférentiel qui accorde une liberté


plus limité à l’électeur puisque ce dernier n’a que la
faculté d’intervertir l’ordre de présentation à l’intérieur
d’une même liste.

1
J. CADART, op.cit., p.249. cette pratique est aussi connue sous les dénominations de « gerrymander » ou
« gerrymandering » du nom d’un gouverneur du Massachusetts, Gerry, qui se rendit célèbre dans cet « art » de la
manipulation des circonscriptions électorales.

180
Selon que la volonté sera de faire prédominer la liberté de
choix de l'électeur ou la cohésion des partis politiques, on
recourra à l’un ou l’autre des systèmes.
Le scrutin plurinominal ou de liste (majoritaire ou à la
représentation proportionnelle), s'il n'a pas les défauts du scrutin
uninominal, n'éloigne pas moins, et parfois de façon excessive,
les élus des électeurs, puisqu'il conduit ces derniers à choisir
moins des hommes que des partis et des programmes politiques.
Il peut attenter voire annihiler la liberté des représentants qui
sont, la plupart du temps et parfois de manière abusive, soumis
au parti1.

b) Le mode de calcul pour l'attribution des sièges

Comment départage-t-on les candidats? La réponse à cette


question renvoie à la distinction entre scrutin majoritaire (b.1)
et le scrutin proportionnel ou à la représentation proportionnelle
(b.2). A côté de cette traditionnelle distinction qui porte sur le
nombre de voix qui est nécessaire pour obtenir un siège ou pour
être élu, il est de plus en plus imaginé des systèmes mixtes ou
modes de scrutins mixtes (b.3).

b.1) Le scrutin majoritaire.

Le scrutin majoritaire est le plus simple et le plus ancien de


tous les systèmes électoraux. Sont élus les candidats qui ont
obtenu le plus de suffrages. Dans ce cas, la totalité des sièges à
pourvoir est attribuée au candidat ou à la liste qui obtient le
plus grand nombre de voix. Ce type de scrutin peut se dérouler
en un tour ou en deux tours. On parle alors de scrutin
majoritaire à un tour (b.1.a) ou de scrutin majoritaire à deux
tours (b.1.b).
1
Cela tient souvent au souci de l'élu de s'assurer une bonne place sur la liste afin d'assurer sa réélection puisque les
investitures et la hiérarchie sur la liste relèvent des instances du parti.

181
b.1.a) Le scrutin majoritaire à un tour

Avec le scrutin majoritaire à un tour, encore appelé


système à la majorité relative, l'élu est désigné à la majorité
relative sur tout autre candidat, même si cette majorité est
inférieure à la majorité absolue des suffrages exprimés1. Il est
assis sur une approche dans laquelle « tout va au vainqueur »
Dans ce système, utilisé traditionnellement dans les démocraties
anglo-américaines, « le ou les sièges à pourvoir sont
immédiatement attribués au ou aux candidats qui recueillent le
plus grand nombre de voix, fût-ce d'une unité. On dit alors que
l'élection a eu lieu « à la pluralité des voix »2. Le scrutin
majoritaire à un tour incite l’électeur à « voter utile » c’est-à-
dire « à donner son suffrage au candidat qui, sans répondre
exactement à ses vœux, en cependant le plus proche »3. D’une
certaine manière, ce mode de scrutin impose aux électeurs de
voter de manière à ce que leurs voix aient une influence sur les
résultats du scrutin.

b.1.b) Le scrutin majoritaire à deux tours

Le scrutin majoritaire à deux tours exige quant à lui la


majorité absolue au premier tour. Les candidats non élus au
premier tour et qui totalisent un certain pourcentage de
suffrages exprimés pour rester au second tour sont dits « en
ballottage ». Au second tour la majorité relative suffit, c'est-à-
dire que celui qui a le plus grand nombre de voix est élu, quel
qu'en soit le chiffre. Dans ce système, le premier tour est utilisé
pour réduire le nombre de candidats et le deuxième tour pour
véritablement élire. Si le scrutin majoritaire peut, être
1
Il faut rappeler le sens des notions suivantes :
- majorité relative ou simple : plus de voix qu’en ont obtenues les autres concurrents;
- majorité absolue : plus de la moitié des voix.
2
J. GICQUEL, op. cit., p. 178
3
G. BURDEAU et al., op.cit., p. 160.

182
uninominal ou de liste, la représentation proportionnelle, elle,
ne peut être que plurinominale.

b.2) La Représentation Proportionnelle (RP).

C’est le mode de scrutin qui permet la représentation la


plus fidèle des sensibilités de l’électorat. En effet, la RP a pour
but d'assurer à chaque liste et à chaque parti un nombre de
sièges proportionnel au pourcentage de ses suffrages. Mais pour
se faire, elle suppose un scrutin de liste et par conséquent des
circonscriptions électorales suffisamment larges pour justifier la
présence de plusieurs candidats sur une liste aux fins de pourvoir
à plusieurs siège. Elle présente deux variantes : la RP approchée
(b.2.a) et la RP intégrale (b.2.b).

b.2.a) La Représentation proportionnelle approchée

Cette technique, qui est de beaucoup la plus répandue,


répartit les sièges dans le cadre de chaque circonscription
d'abord entre les listes puis entre les candidats de celles-ci selon
leur position sur la liste. La répartition des sièges peut se faire
selon deux modalités : le système du quotient électoral et celui
du diviseur ou méthode d’Hondt.

* Le système du quotient électoral


En rappel, il y a lieu de réaffirmer que le quotient électoral
(QE) s’obtient en divisant le nombre de suffrages exprimés par le
nombre de sièges à pourvoir.
Q.E = Nombre de suffrages exprimés
Nombre de sièges à pourvoir
L'opération d’attribution des sièges entre les listes
comporte deux opérations. Dans un premier tems il s’agit
d’opérer la répartition des sièges par application du
quotient puis, dans un second temps, de procéder, le cas
183
échéant, à la répartition des sièges non attribués au quotient ou
attribution des restes1.

Exemple pratique : Soit une circonscription dans laquelle 5


sièges sont à pourvoir. Quatre (4) listes sont en compétition.
Inscrits 81 250
Votants 76 375
Ont obtenu :
Liste A = 35 000 voix
Liste B = 21000 voix
Liste C = 12000 voix
Liste D = 7000 voix

* La répartition des sièges par application du quotient


électoral
Les opérations suivantes doivent être faites pour la répartition
des sièges au quotient.
Principe
* Détermination du nombre de suffrages exprimés.
Deux (2) voies peuvent être empruntées :
soit en faisant la somme des suffrages obtenus par chaque
liste :
35000+21000+12000+7000 = 75000
soit en soustrayant du nombre de votants celui des
suffrages non exprimés2
76375 – 1375 = 75000

* Détermination du quotient électoral (selon la méthode


Hare)

1
Il importe de rappeler que le quotient électoral est le chiffre répartiteur dont l'application aux
suffrages exprimés permet d'attribuer les sièges. Il peut se déterminer de différentes façons selon qu’il
s’agit du quotient par circonscription, du quotient fixe ou nombre uniforme, du quotient national. Selon
que l’on applique le quotient par circonscription, le nombre uniforme, ou le quotient national, chaque
liste aura autant d’élus qu’elle contiendra de fois le quotient électoral.
2
On obtient les suffrages non exprimés en soustrayant du nombre des votants celui des suffrages exprimés. Ici nous
avons 76375 – 75000 = 1375.

184
Comme l’attribution des sièges se fait ici par circonscription, il
s’agit d’un quotient par circonscription. Il s’obtient par
application de la formule ci-dessous :
Q.E = Nombre de suffrages exprimés
Nombre de sièges à pourvoir
Soit : 75000 = 15000
5
* Attribution des sièges du quotient
Principe = Suffrage obtenu par la liste
Q.E
Application du principe

Liste A 35000 = 2 sièges, (30000 voix utilisées,


il reste
15000 5000 voix inutilisées) ;
Liste B 21000 = 1 siège, (15000 voix utilisés, il
reste
15000 6000 voix inutilisées) ;
Liste C 12000 = 0 siège, (0 voix utilisée, il reste
15000 12000 voix inutilisées) ;
Liste D 7000 = 0 siège, (0 voix utilisée, il reste
15000 7000 voix inutilisées).

L’attribution des sièges par application du quotient électoral


donne les résultats suivants :
Liste A = 2 sièges ;
Liste B = 1 siège ;
Liste C = 0 siège ;
Liste D = 0 siège.

C’est dire que la répartition partielle aboutit au résultat


suivant :
3 sièges pourvus ;
2 sièges restent à pourvoir.

185
* Répartition des sièges des sièges non attribués au quotient
ou attribution des restes.
Cette répartition peut se faire selon deux méthodes : celle
des plus forts restes d'une part et celle de la plus forte moyenne
d'autre part.

* La Méthode du ou des plus fort(s) reste(s)


Les restes obtenus par chaque liste après application du quotient
électoral sont classés par ordre décroissant. Les sièges sont
pourvus en partant de la liste qui a le plus fort reste jusqu'à
concurrence du nombre de sièges restant à pourvoir. Ainsi on
aura :

12000 Liste C
Liste D
Liste B
Liste A

Par application de cette méthode, le quatrième siège


revient à la liste C et le cinquième et dernier siège à la liste D.
Au récapitulatif final on aura les résultats suivants :

Liste A 2 sièges
Liste B 1 siège
Liste C 1 siège
Liste D 1 siège

* La Méthode de la plus forte moyenne


Les sièges non répartis au quotient sont attribués aux listes
atteignant les plus fortes moyennes d'électeurs représentés par
chacun de leurs élus. Pour y parvenir, on attribue fictivement à
chacune des listes le premier siège restant, puis on calcule la
moyenne de chaque liste en divisant le nombre de ses suffrages

186
par le nombre de ses sièges attribués au quotient (siège réel –
sR) augmenté d'une unité, c'est-à-dire de ce siège fictif (Siège
fictif – sF) . Le siège est attribué à la liste obtenant la plus forte
moyenne. On procède ensuite de la même manière pour chacun
des autres sièges non attribués au quotient. L'exemple
numérique précédent conduit ainsi aux résultats suivants :
1ère opération
Liste A 2 sR + 1 sF = 3 s moyenne = 35000 = 11666
3
Liste B 1 sR + 1 sF = 2 s moyenne = 21000 = 10500
2
Liste C 0 sR + 1 sF = 1 s moyenne = 12000 = 12000
1
Liste D 0 sR + 1 sF = 1 s moyenne = 7000 = 7000
1
Après cette première opération, le quatrième siège revient à la
liste C qui a la plus forte moyenne.

2ème opération

Liste A 2 sR + 1 sF = 3 s moyenne = 35000 = 11666


3
Liste B 1 sR + 1 sF = 2 s moyenne = 21000 = 10500
2
Liste C 1 sR + 1 sF = 2 s moyenne = 12000 = 6000
2
Liste D 0 sR + 1 sF = 1 s moyenne = 7000 = 7000
1
A l’issue de la deuxième opération, le cinquième et dernier siège
revient à la liste A qui a la plus forte moyenne.

Résultat définitif selon la plus forte moyenne est le suivant :


Liste A 3 sièges
Liste B 1 siège

187
Liste C 1 siège
Liste D 0 siège

*Le système du diviseur ou Méthode d’Hondt


Le recours au système ou méthode d'Hondt, permet de
connaître sur-le-champ le résultat d'une élection à la R. P. à la
plus forte moyenne. Ce système consiste :
dans un 1er temps : à diviser le nombre de voix recueillies
par chacune des listes par 1, 2, 3…jusqu’à concurrence du
nombre de listes en compétition;
dans un 2ème temps : à classer les quotients ainsi obtenus
dans un ordre décroissant jusqu'à concurrence du nombre
de sièges à pourvoir ;
dans un troisième temps : à considérer le dernier quotient
(le cinquième, dans le présent cas où il y a cinq sièges à
pourvoir) comme le dénominateur commun ou chiffre
répartiteur.
dans un quatrième temps : à appliquer le chiffre
répartiteur ou quotient au suffrage obtenu par chaque liste.
Autant de fois il sera contenu dans suffrage obtenu par
chaque liste, autant de fois la liste aura d'élus;
Dans ce système, les restes ne comptent pas. Toute liste
ayant obtenu un nombre de suffrages inférieur au dénominateur
commun ou chiffre répartiteur est exclue de la distribution des
sièges.

Exemple pratique

1ère opération : établissement du tableau


Listes Liste A Liste B Liste C Liste D
1 35000 21000 12000 7000
2 17500 10500 6000 3500
3 11666 7000 4000 2333
4 8750 5250 3000 1750

188
2ème opération : détermination du dénominateur commun
Le dénominateur commun s’obtient en classant les
quotients obtenus par ordre décroissant jusqu’à concurrence du
cinquième siège à pourvoir :

35000 ; 21000 ; 17500 ; 12000 ; 11666

11666 est le dénominateur commun

3ème opération : attribution des sièges à l’aide du


dénominateur commun
Liste A = 35000 = 3 sièges
11666
Liste B = 21000 = 1 siège
11666
Liste C = -12000 = 1 siège
11666
Liste D = 7000 = 0 siège
11666

Récapitulatif
Liste A 3 sièges
Liste B 1 siège
Liste C 1 siège
Liste D 0 siège

Avec la méthode d’Hondt, on obtient les mêmes résultats


qu’avec le système de la plus forte moyenne.
Il ressort de ce qui précède que dans l’application des
différentes méthodes, la représentation proportionnelle aux
plus forts restes favorise les petits partis alors que celle à la
plus forte moyenne ou selon la méthode d’Hondt favorise les
grandes formations politiques.

189
b.2.b) La Représentation proportionnelle intégrale

Le recours à la proportionnelle intégrale conduit à une


répartition différenciée des sièges à pourvoir selon deux
niveaux : le niveau local ou de la circonscription et le niveau
national.

* Au niveau local
Le pays divisé en circonscriptions élit d'abord une partie de
ses représentants, la plus grande, au quotient par
circonscription. Il en résulte que les sièges sont attribués dans
les circonscriptions aux candidats de chaque liste, selon le
système de la Représentation Proportionnelle Approchée.

* Au niveau national
Dans un premier temps, on arrête par avance le quotient
électoral. C’est donc un quotient fixe ou nombre uniforme.
Celui-ci est normalement fixé d'avance d'après le nombre
vraisemblable des suffrages exprimés dans l'ensemble du pays
(évalué d'après les résultats des derniers scrutins) et le nombre
des sièges à pourvoir.
Dans un second temps on procède à la répartition des
sièges. Pour ce faire, les restes inutilisés dans les
circonscriptions sont additionnés pour chaque parti au niveau
national : on attribue alors à chacun autant de sièges que ses
restes contiennent ce quotient fixe ou nombre uniforme. Les
sièges sont attribués par les partis aux candidats de leurs listes
nationales. Dans certains cas ils le sont aux candidats battus des
circonscriptions dans l'ordre de leurs échecs, c'est-à-dire de leurs
pourcentages.

b.3) Les scrutins mixtes

190
Les scrutins mixtes peuvent s’analyser comme des
tentatives de compromis entre le scrutin majoritaire et le
scrutin proportionnel en tirant parti des avantages de ces deux
modes de scrutins tout en écartant les inconvénients de chacun
d’eux (voir. infra). L’objectif visé, en combinant des éléments
de scrutin majoritaire et de proportionnelle est d’assurer la
représentation des minorités tout en permettant à une majorité
nette de se dégager pour gouverner. Ces modes de scrutins
s’articulent dont autour de deux idées principales atténuer
l’effet de fragmentation de la représentation proportionnelle et
remédier aux injustices flagrantes du scrutin majoritaire.
Diverses formules existent qui ne peuvent toutes être exposé
ici1. On s’intéressera donc aux plus caractéristiques.
Une première formule, en vigueur en Italie, consiste à
pourvoir les ¾ des sièges de chaque chambre au scrutin
majoritaire et ¼ à la proportionnelle. Le système combine ainsi
l’élection de la grande partie des membres du parlement dans
des circonscriptions au scrutin majoritaire uninominal à un tour
et le reste des membres à la proportionnelle au plus fort reste
dans le cadre de 26 grandes circonscriptions régionales. Le
système adopté en 1993 vise à pallier l’absence de majorité dont
a longtemps souffert l’Italie.
Une seconde formule, en application en Allemagne et
appelée « représentation proportionnelle personnalisée »2,
aboutit à faire élire une moitié des membres du Bundestag au
scrutin uninominal majoritaire à un tour dans le cadre des 328
petites circonscriptions (ce sont les « mandats ou sièges
directs ») tandis que l’autre moitié est élue à la proportionnelle
(avec un seuil minimal de 5%) dans le cadre des Landers sur des
listes présentées par les partis politiques (ce sont les « mandats
ou sièges de liste »). Il en résulte donc que chaque électeur
dispose de 2 bulletins de vote. Avec le premier il vote dans l’une
1
On consultera utilement le document « Le monde des systèmes électoraux » in La conception des systèmes
électoraux : un manuel de International IDEA, disponible sur le site http// : www.idea.int/publications/esd/fr.cfm
2
Sur le système électoral allemand, voir : J.C Béguin, « système électoral allemand », Pouvoirs n°22, 1982 et

191
des 328 circonscriptions pour un candidat au scrutin majoritaire
et avec l’autre il vote dans un Land pour un parti politique à la
proportionnelle régionale puisque les bulletins sont centralisés
dans le cadre des Landers. La répartition de ces « mandats ou
sièges de liste » entre les partis politiques tient compte des
« mandats ou sièges directs » qu’ils ont obtenu. Ainsi « à l’issue
de l’opération de répartition, le total des mandats directs et des
mandats de liste de chacun des partis est égal à celui qui
résulterait de l’application de la représentation proportionnelle
à la plus forte moyenne calculée sur la base des seconds
bulletins. Si dans un Land un parti obtient plus de mandats
directs qu’il ne devrait avoir de sièges selon la proportionnelle,
il les conserve, mais le nombre total de députés du Land est
augmenté de manière à rétablir l’équilibre fondé sur la
proportionnelle »1. L’avantage de ce mode de scrutin à
dominante proportionnelle avec une dose de majoritaire est
qu’il « permet de concilier les avantages du scrutin majoritaire
(personnalisation de l’élection et rationalisation de la vie
politique) et ceux de la proportionnelle (le nombre d’élus
correspond à peu près à l’audience électorale et les formations
de taille moyenne peuvent être représentées) »2
Une troisième variante est constituée par le système
électoral irlandais dénommé système de Hare3 ou « Vote Unique
Transférable (VUT) » dans lequel chaque circonscription a
plusieurs députés à élire (au moins trois sièges à pourvoir) mais
il n’y a pas de scrutin de liste puisque les candidats se
présentent individuellement. L’électeur ne dispose que s’une
voix et il ne peut donner cette voix qu’à un seul candidat mais il
classe les candidats par préférence c’est-à-dire qu’il indique sur
son bulletin un second, un troisième ou un quatrième candidats –
selon le nombre de sièges à pourvoir dans la circonscription – à
qui son vote sera transféré si le candidat qu’il a placé en
1
B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel et science politique, 16ème édition, Paris, Armand Colin, 1999, p.208.
2
Ph. PARINI, op.cit., p.69.
3
Du nom de son concepteur l’Anglais Hare en 1857.

192
première position, en seconde ou en troisième position obtient
le quotient électoral qui lui permet d’être élu, ou au contraire
n’a pas obtenu assez de voix pour l’être. Pour attribuer les
sièges, on détermine d’abord le quotient électoral de la
circonscription puis par application de ce dernier aux premières
préférences, on déclare élu les candidats qui atteignent le
quotient. Les voix supplémentaires de ces élus de premier rang
sont alors réparties entre les candidats ayant été classés en
seconde position et ainsi de suite jusqu’à l’attribution de tous
les sièges. L’avantage majeur de ce système est de limiter
l’influence des partis politique et de laisser sa liberté de choix à
l’électeur. Mais il présente l’inconvénient d’aboutir à des
opérations de dépouillement long et fastidieux et le risque de
nourrir le clientélisme1.
Une dernière formule consiste à établir un seuil minimum
de voix au dessous duquel aucune représentation n’est accordée
(d’habitude entre 2 et 5%) tout en donnant une prime aux partis
totalisant un nombre important de voix2. Cette formule a cours
actuellement en France pour les élections municipales dans les
communes de plus de 3.500 habitants. Au premier tour si une
liste obtient la majorité absolue des suffrages exprimés, elle
gagne la moitié des sièges à pourvoir et l’autre moitié des sièges
est répartie à la représentation proportionnelle entre tous les
listes, y compris la liste majoritaire, ayant obtenus plus de 5%
des suffrages exprimés. Si aucune liste n’a obtenu la majorité
absolue, un second tour est organisé3.
Il s’agit maintenant, après avoir envisagé les techniques de
comptabilisation des votes – les modes de scrutin –, de se
pencher sur les conséquences qui découlent de leurs application.

1
Un candidat populaire pouvant faire élire sur son nom plusieurs de ses amis.
2
Cette formule de la » prime » aux partis totalisant un nombre important de voix a eu cours sous le IV ème République
française avec le système des « apparentements » qui donnait ainsi, dans le même département, la totalité des sièges
aux listes qui avaient préalablement signé un accord d’apparentement et qui obtenaient la majorité absolue des
suffrages.
3
Cf. Article L.262 du Code électoral français.

193
2. Les incidences des modes de scrutin

« Tout mode de scrutin au-delà de la transmutation des


voix en sièges, constitue un élément fondamental du processus
global de fabrication d’un pouvoir majoritaire. Il a
nécessairement des conséquences sur le nombre des acteurs
politiques, sur leur autonomie et leur latitude d’action, les lieux
et les moments de leurs alliances et de leurs affrontements, sur
la naissance, la durée et la mort des gouvernements qui en sont
issus, sur le resserrement ou le desserrement des contraintes
institutionnelles, sur le principe légitimant de l’ensemble du
système politique et sur la perception générale de celui-ci »1. Ce
sont les effets politiques des modes de scrutin qu’il convient ici
d’examiner. On envisagera, en termes généraux, les incidences
des modes de scrutin sur la représentation parlementaire (a), sur
le système de partis (b) et sur les résultats des élection ou
l’opinion (c).

a) Les incidences sur la représentation parlementaire.

Quelles incidences la représentation proportionnelle (a.1),


le scrutin majoritaire (a.2.) ont-ils sur la représentation
parlementaire ?

a.1) La Représentation Proportionnelle.

Son avantage le plus significatif est de valoriser les


principes d’équité et de justice. Ce faisant, elle permet
d’assurer la représentation de toutes les sensibilités sous réserve
du quotient électoral. Elle donne à chaque formation politique,
un nombre d'élus correspondant à son importance dans le corps
électoral. C'est le procédé le plus équitable, sinon le plus juste.
1
J-L PARODI, « La proportionnalisation du système institutionnel ou les effets pervers d’un système sans
contrainte », Pouvoirs, n°32, 1985, p.43.

194
En ce sens, elle peut être comparée à une photographie de la
circonscription. Dans une telle formule, l'opposition acquiert
droit de cité.
Mais, par la chance de représentation qu’elle offre aux
petits partis, elle tend à en multiplier le nombre, de telle sorte
qu'à partir de la proportionnelle, il est plus difficile de
constituer des majorités cohérentes et stables. Elle favorise
ainsi la formation d’une Assemblée composite et dépourvue de
majorité et, par conséquent, accroît les risques d’instabilité
gouvernementale. En outre, elle ne permet pas de dégager une
véritable volonté nationale1. Elle conduit souvent à la
« partitocratie » c’est-à-dire le règne des appareils partisans (les
états majors des partis politiques) qui devenus omnipotents font
et défont les majorités et les alliances, décident des coalitions
et combinaisons et en dernière analyse se substituent au peuple
pour dégager une volonté nationale. Dans le cas d’un
émiettement de la représentation, elle peut même conduire à
une « dictature de la minorité » du fait des coalitions pour
asseoir majorité forcément faible et instable. « En privilégiant la
justice, elle nuit à l’efficacité »2

a.2) Le scrutin majoritaire

« L'efficacité, dont il se pare ne saurait dissimuler l'artifice


et l'injustice, qui l'accompagnent »3. Cette injustice est plus ou
moins accentuée selon qu’il s’agit du scrutin majoritaire à un
tour ou à deux tours.

* Le scrutin à un tour.

1
Il importe de préciser qu’il s’agit de tendances, de risques. Les inconvénients ainsi énumérés peuvent être
neutralisés par le système partisan et notamment les rapports de force au sein de ce système. Le Burkina de la 4ième
République en est l’exemple illustratif car la RP n’a pas empêché l’émergence d’une volonté nationale incarnée par
un parti dominant (le CDP).
2
Ph PARINI, op.cit., p.67.
3
J. GICQUEL, op.cit., p.185.

195
C’est un scrutin brutal, voire extravagant car il amplifie
dans de très fortes proportions le succès du parti vainqueur et la
défaite des vaincus. Tant et si bien que le vainqueur empoche
tout. Selon une mathématique surprenante, 50,01 % des voix =
100% des sièges tandis que et 49,99 % = 0 siège. Ainsi une petite
différence de voix peut se traduire par une forte différence de
sièges au Parlement. C’est ce qu’on appelle « l’effet de swing »
Parce qu’il amplifie plus que tout autre la déformation de
l’image de l’opinion que peut donner l’élection, le scrutin
majoritaire à un tour est, volontiers, comparé à une sorte de
caricature.
Son avantage, par contre, c’est qu’il permet des majorités
soudés, homogènes, cohérentes loyales et stables tout au long
de la législature qu’on appelle « majorité de législature ». Ainsi
est éliminé tout système d’alliance ou de coalition. Par ailleurs
il facilite l’alternance puisqu’il condamne l’électeur à voter
immédiatement utile1.

* Le scrutin à deux tours.


Selon la formule de Bracke2, le scrutin majoritaire à deux
tours est assis sur le principe suivant : « au premier tour, on
choisit, au second on élimine » ; autrement dit-on se défoule au
premier tour et on vote utile au second tour. Ce mode de scrutin
avantage généralement, au premier tour, les partis du centre.
Cependant, il contraint surtout les formations à s'entendre en
vue du second tour. Ainsi, il conduit à des alliances par le jeu
des désistements en faveur du candidat le mieux placé à l'issue
du premier tour. Bien qu’il soit moins brutal que le scrutin
majoritaire à un tour, ce mode de scrutin n’entraîne pas moins

1
Comme le souligne J. CADART : “ Ce régime électoral compense dans le temps ses injustices incontestées par
l’alternance au pouvoir deux grands partis. Il instaure un bipartisme très favorable à la stabilité gouvernementale et à
la démocratie : les majorités homogènes se succèdent en raréfiant les crises politiques et permettant aux électeurs de
choisir eux-même le parti victorieux, le gouvernement et son chef c’est-à-dire l’équipe dirigeante et le leader de ce
parti ainsi que le programme du parti ”, Cf. J. CADART, op.cit., p.255.
2
Du nom d’un député socialiste français du début du siècle XXème siècle.

196
une sous-représentation des extrêmes et une sur-représentation
des modérés.
Il résulte de ce qui précède que le scrutin majoritaire a
pour principal avantage de favoriser de larges mouvements
d’opinion, une volonté nationale et l’émergence d’une majorité
cohérente : de législature (scrutin à un tour) ; de gouvernement
(scrutin à deux tours). Son inconvénient majeur est d’amplifier
les écarts et par conséquent d’aggraver le risque d’écrasement
des minorités.

b) Les incidences sur le système de partis

Quel est l’impact du choix de la représentation


proportionnelle (b.1) et du scrutin majoritaire (b.2) sur le
système de partis ?

b.1) La Représentation Proportionnelle

Ce scrutin renforce, tout d'abord, le poids des partis,


surtout des appareils partisans, en privilégiant la discipline de
ses membres. En effet, pour ces derniers, l'important est de se
faire inscrire en bonne place sur la liste, c'est-à-dire en rang
utile. De ce point de vue, il est indéniable que la RP structure
les partis politiques, en renforçant leur cohérence interne.
Elle contribue, ensuite, au multipartisme affirmé, en raison
de sa logique. Chaque parti mène le combat sous sa propre
bannière, sans aucun souci d'alliance. La RP favorise donc un
système multipartiste formé de partis à structure forte et
indépendants les uns des autres. Ce multipartisme, parfois
débridé, s’apparente plus à un « pluripartisme » c’est-à-dire une
situation qui voit l’existence de nombreux partis sans envergure
et sans réelle capacité de conquérir le pouvoir et partant de
197
gouverner. En cela elle est un mode de scrutin qui entraîne une
fragmentation des forces politiques.

b.2) Le scrutin majoritaire.

* Le scrutin à un tour.
Il tend à instaurer un système bipartite constitué de partis
à structure forte. Il constitue le moule de la vie britannique.
L'effet spectaculaire inhérent à ce procédé débouche sur le
bipartisme ou le « two party system »1 et ce à cause du vote
utile qui psychologiquement en découle. Il y a une sorte
d’imbrication ou d'osmose entre ce mode de scrutin et le
bipartisme.

* Le scrutin à deux tours


Il tend à engendrer un système multipartiste formé de
partis à structure faible et dépendants les uns des autres. Il
incline au multipartisme tempéré par le jeu conjugué de la
liberté laissée aux électeurs et aux partis au premier tour et des
alliances à nouer pour le second tour. Il conduit souvent à la
bipolarisation de la vie politique2.

c) Les incidences sur l’opinion

De quelle manière la représentation proportionnelle (c.1)


et le scrutin majoritaire (c.2) rendent-ils compte de l’opinion ?

c.1) La représentation proportionnelle

La RP est, elle, une photographie fidèle de l’opinion car


fondée sur les principes d’équité et d’égalité. La philosophie qui
1
C'est le cas en Grande Bretagne et aux Etats Unis.
2
C’est le cas en France sous la 5ième République avec le clivage droite – gauche.

198
la sous-tend est ainsi résumée par Stuart Mill : « Dans une
démocratie qui applique réellement le principe d’égalité,
chaque tendance doit être représentée d’une manière
proportionnelle. Une majorité d’électeur doit toujours avoir une
majorité de représentants, mais la minorité d’électeurs doit
avoir une minorité de représentants […]. Si cette condition n’est
pas remplie, il n’y a pas un gouvernement égal, mais un
gouvernement de privilège et d’inégalité »1. Avec la
représentation proportionnelle, l’exagération des majorités et la
sous-représentation des minorités sont supprimés ce d’autant
plus que l’électeur, libéré du vote utile peut exprimer ses vœux
en choisissant la tendance qui lui plaît le plus. La justice
mathématique des résultats traduit le rapport de forces sur
l’échiquier politique.

c.2) Le scrutin majoritaire

* Le scrutin à un tour
Il est une photographie déformée et contrastée de l’opinion
dans la mesure où il est un « scrutin couperet » : tout à la
majorité, rien à la minorité. Il ne reflète donc pas la réalité du
rapport des forces politiques.

* Le scrutin à deux tours


Il est, quant à lui, une photographie travaillée. Une
photographie travaillée car il permet aux différentes forces
politiques d’évaluer leurs forces au premier tour et de nouer des
alliances au second tour. « Par le jeu des coalitions et des
désistements, le corps électoral égaré risque de désigner une
représentation qui exprime moins la volonté nationale que celle
des partis »2.

1
G. BURDEAU et al., op.cit., pp.163-164.
2
G. BURDEAU et al., op.cit., p.161.

199
En conclusion sur les modes de scrutin, ces mots du Pr.
Vedel sonnent très justes : « La représentation proportionnelle
engendre un vocabulaire riche mais irréel ; le scrutin majoritaire
à deux tours un vocabulaire abondant mais négatif ; le scrutin
majoritaire à un tour un vocabulaire limité mais efficace ». Mais
les effets ainsi esquissés ne sont pas des axiomes
mathématiques. Ils indiquent de grandes tendances qui peuvent
être relativisées voir annihilées par certains facteurs. Ainsi
l’effet des modes de scrutin est fonction non seulement du
contexte politique, du régime politique, de la taille des
circonscriptions mais aussi des mentalités. L’exemple burkinabè
est là pour démontrer que la représentation proportionnelle au
plus fort reste peut aboutir à l’émergence d’un parti dominant1.
Une évocation qui indique la nécessité de s’intéresser aux
systèmes électoraux au Burkina Faso.

§ 3 : Les systèmes électoraux au Burkina Faso2

Malgré une vie politique mouvementée faite d‘une


succession de régimes d’Etat de police3 et d’Etat de droit, le
Burkina Faso a montré tout au long de ces péripéties une
constance dans le choix du mode de scrutin applicable dans les
élections qui se sont déroulées. Une rétrospective sur la
question permet de découvrir que si le scrutin uninominal
majoritaire à deux tours a toujours été retenu pour les élections
présidentielles, la Représentation proportionnelle, à une rare
exception4, a toujours eu les faveurs du législateur pour les
compétitions législatives et locales.
L’intérêt, ici, se portera sur les élections législatives non
seulement du fait du consensus existant pour le mode de scrutin
aux présidentielles, mais aussi par ce que l’application de la
1
Sous la seconde législature, le parti majoritaire détenait 101 des 111 sièges que comptait l’Assemblée nationale.
2
Sur la question, on lira avec intérêt l’article de A. LOADA intitulé « Le mode de scrutin » publié dans l’ouvrage La
réforme du système électoral au Burkina Faso, op. cit., pp. 75-82.
3
Communément appelé “ Etat d’exception ”
4
Sous la 1 ière République.

200
représentation proportionnelle a connu différentes variantes.
Ainsi pour saisir les différentes nuances on examinera tour à tour
les modes de scrutin appliqués sous les républiques antérieures à
la IVe République que sous cette dernière.

A. SOUS LES REPUBLIQUES ANTERIEURES A LA IVE


REPUBLIQUE.

Le mode de scrutin appliqué a constamment varié tout au


long de l’histoire constitutionnelle du Burkina Faso.

1. Sous la Ie République

Le mode de scrutin retenu pour les élections législatives


était le scrutin majoritaire de liste à un tour. En effet, l’article
1er de la loi n°14-65/AN du 28 juillet 1965 relative aux élections
des députés à l’Assemblée Nationale disposait : « les députés à
l’Assemblée nationale sont élus au scrutin de liste majoritaire à
un tour sans panachage ni vote préférentiel »1. Il s’agissait donc
de l’application du scrutin majoritaire à un tour avec liste
bloquée. Le département avait été retenu comme
circonscription électorale conformément aux dispositions de la
loi n° 3-63/AN du 29 janvier 1963 portant division du territoire
en quatre départements2.

1
Cette disposition venait remplacer celle contenue à l’article 15 de l’Ordonnance n°1/PRES du 15 mars 1959 selon
laquelle : « l’élection a lieu au scrutin de liste majoritaire à un tour sans vote préférentiel ni panachage et sans liste
incomplète. Toutefois, dans les circonscriptions de plus de 30.000 habitants, le scrutin sera proportionnel ”. Cette
disposition a ainsi permis le « charcutage électoral ». Là où le RDA était faible, la circonscription était rattachée à
une autre où ce parti était fort. Ainsi, entre autre exemple, Banfora, Diébougou, Gaoua, Léo, Pô, Manga, Garango,
Zabré, formaient une seule et même circonscription. Cela a permis au RDA de rafler 64 des 75 sièges à pourvoir
laissant au PRA 7 sièges et 4 au MDV.
2
Les quatre circonscriptions étaient les suivantes :
- circonscription du Centre, chef lieu Ouagadougou ;
- circonscription de l’Est, chef lieu Fada N’Gourma ;
- circonscription de la Volta Noire, chef Kougougou ;
- circonscription des Hauts Bassins, chef Bobo-Dioulasso.

201
L’application de ce mode de scrutin a conduit aux résultats
escomptés par ses initiateurs à savoir une sur-représentation de
la majorité et un écrasement de la minorité. Il n’est donc pas
étonnant que le RDA ait recueilli 99,77% des suffrages exprimés.
L’extravagance de ce score a par la suite été démontrée avec les
événements de janvier 1966.

2. Sous la IIe République

Selon l’article 1er de l’Ordonnance n° 70-37/PRES/IS/DI du


31 août 1970 définissant les règles particulières pour l’élection
des Députés à l’Assemblée Nationale, « les députés à
l’Assemblée nationale sont élus au suffrage universel direct, à la
représentation proportionnelle selon le système du quotient
électoral avec la modalité des plus grands restes »1.
Contrairement à la situation qui prévalait sous la Ie
République, les candidatures individuelles ne sont plus
autorisées puisque selon l’article 28 : « la déclaration doit
mentionner : i) les noms, prénoms, profession, domicile, date et
lieu de naissance des candidats ; ii) le parti ou groupement
politique dont le candidat se réclame ».
Concernant la nature bloquée ou non des listes électorales
il est possible, bien que l’Ordonnance soit muette sur la
question, de déduire de l’article 31 de ladite ordonnance qu’il
s’agit de liste bloquée puisque ce dernier disposait : « aucun
retrait de candidature ne sera admis après la délivrance du
récépissé définitif prévu à l’article 27 ci-dessus ».
Sous la IIe République, et conformément à l’article 1er du
décret n°70-196/PRES/IS/DI du 1er septembre 19702 la
circonscription électorale était constituée par le ressort des
Organismes Régionaux de Développement (O.R.D.) au nombre de
1
L’article 28, 2°,§.4 permettait les candidatures individuelles. Il disposait : “ Les personnes non
inscrites à un parti politique ou groupement politique peuvent faire acte de candidature à condition
qu’elles présentent une liste ”.
2
Décret “ relatif à la division du territoire en onze circonscriptions électorales et à la répartition des sièges à
l’Assemblée Nationale ”

202
onze (11). La répartition des 57 sièges à pourvoir à l’issue de
l’élection avait été la suivante ;

1. UDV-RDA : 37 sièges ;
2. PRA : 12 sièges ;
3. MLN : 6 sièges ;
4. UNI : 2 sièges1.
On constate que malgré le recours à la proportionnelle aux
plus forts restes, le RDA avait conservé et de loin la majorité
absolue des suffrages et donc des sièges.

3. Sous la IIIe République

Référence faite à l’article 1er de l’Ordonnance 78-


6/PRES/IS/DI du 24 janvier 1978, relative à l’élection des
députés à l’Assemblée nationale, « Les Députés à l’Assemblée
Nationale sont élus au suffrage universel direct, à la
représentation proportionnelle selon le système du quotient
électoral avec la modalité de la plus forte moyenne ». L’alinéa 2
du même article précise que « la circonscription électorale est
constitué par le ressort du département ». Les cinquante sept
(57) sièges à pourvoir étaient donc répartis entre les dix (10)
départements que comptait le pays.
Sous la IIIe République, les candidatures individuelles ne
sont pas permises2 et les listes sont bloquées3. Les résultats aux
élections étaient les suivants :

1. U.D.V- R.D.A : 28 sièges ;


2. UND...D : 13 sièges ;
3. U.P.V : 9 sièges ;

1
Cela sur un échiquier politique qui comptait 9 partis. En plus les quatre sus-cités, il faut ajouter l’Union pour la
Nouvelle République Voltaïque (UNRV), le Indépendants (dissidents du RDA de Kaya, Koupéla et Ouahigouya), le
Parti du Regroupement National (PRN), le Groupe d’Action Populaire (GAP) et le Parti Travailliste Voltaïque
(PTV).
2
Article 28 de l’Ordonnance.
3
Cf. article 31 de l’Ordonnance. Le raisonnement fait pour la 2ième République est aussi applicable en l’espèce.

203
4. P.R.A : 6 sièges
5. U.N.I : 1 siège
6. M.I.P.R.A : 0 siège
7. G.A.P : 0 siège
On constate à lecture de ces résultats, un déclin du RDA qui
s’explique en partie par l’avènement de l’U.N.D.D de Maurice
YAMEOGO qui chassait sur les mêmes terres électorales que le
R.D.A.
Tels sont les antécédents au Burkina Faso en matière de
mode de scrutin. Qu’en est-il sous la IVième République.

B. Sous la IVe République

C’est la République qui a connu la plus grande production


législative en matière électorale. En effet, sur une période de
onze (11) ans (1991-2002) le pays aura changé sept (7) fois de
Code électoral1. Cette succession rapide de textes législatifs sur
l’organisation des compétitions électorales est la traduction
d’un manque de consensus sur les règles du jeu électoral. Ces
changements ont plus affecté la gestion des élections que le
mode de scrutin qui a connu une modification notable depuis
l’adoption par l’Assemblée Nationale de la loi n°004/2000/AN du
18 avril 2000 portant code électoral2. Deux modalités de la
représentation proportionnelle ont été préconisées dans les
différentes lois portant code électoral : celle à la plus forte
moyenne et celle au plus fort reste.

1. Le mode de scrutin dans les anciens codes électoraux

a) Dans les codes de 1991 à 1998

1
Le premier Code électoral était constitué par la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 1991. Il sera remplacé
par l’Ordonnance n° 92-018/PRES du 25 mars 1992, elle-même abrogée par la Loi n° 003/97/ADP du 12 février
1997 à laquelle se substituera la Loi n°021/98/AN du 7 mai 1998 qui à son tour sera modifiée par la Loi n°
033/99/AN du 23 décembre 1999 puis interviendra la Loi n°004/2000/AN du 18 avril 2000 qui sera abrogée par la
Loi n° 014/2001/AN du 03 juillet 2001et enfin la Loi n° 002/2002/AN du 23 janvier 2002.
2
Loi n°004/2000/AN du 18 avril 2000 portant Code électoral, JOBF 25 mai 2000, p 3835 .

204
Il s’agit de la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 1991,
de l’Ordonnance n° 92-018/PRES du 25 mars 1992, de la Loi n°
003/97/ADP du 12 février 1997 et de la Loi n°021/98/AN du 7
mai 1998.
L’ensemble de ces textes à caractère législatif portant code
électoraux ont retenu comme mode de scrutin la Représentation
Proportionnelle à la plus forte moyenne. En la matière, la
formulation de l’article 109 de la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du
20 février 1991 a été reprise par les Codes successifs avec
simplement des aménagements de forme pour tenir compte du
changement de dénomination de l’organe législatif1. Cet article
disposait : « les députés à l’Assemblée des députés du peuple
sont élus au scrutin de liste provinciale au suffrage universel
direct, égal et secret, à la représentation proportionnelle avec
la répartition complémentaire suivant la règle de la plus forte
moyenne... ».
Hormis l’ordonnance n°92-018/PRES du 25 mars 1992, les
autres codes, bien qu’ayant retenu la proportionnelle à la plus
forte moyenne, ont, par la répartition du nombre de sièges à
pourvoir dans certaines circonscriptions (à savoir un (1) siège),
dénaturé le système puisque de fait cela conduisait à
transformer en un scrutin uninominal un scrutin normalement
plurinominal et la représentation proportionnelle prévue en un
scrutin majoritaire à un tour2. L’exemple illustratif ci-après
permet de saisir l’ampleur de cette modification.

Exemple : Soit la circonscription de l’Oudalan où quatre (4)


listes sont en compétition pour un (1) siège est à pourvoir.
1
Cf. article 109 de l’Ordonnance n° 92-018/PRES du 25 mars 1992 ; article 112 de la Loi n° 003/97/ADP du 12
février 1997 ; article 139 de la Loi n°021/98/AN du 7 mai 1998.
2
Si le phénomène ne concernait que deux (2) provinces (le Kénédougou et l’Oudalan) sous l’empire de la Zatu An
VIII 0020/FP/PRES du 20 février 199, ce chiffre était porté à onze (11) depuis le Code de 1997 (Bougouriba,
Komondjari, Kourwéogo, Léraba, Lorum, Nahouri, Noumbiel, Oudalan, Yagha, Ziro, Zandoma). Si la multiplication
des provinces portées de trente (30) à quarante cinq (45) explique cela, il n’en demeure pas moins que la situation
conduit plus à un scrutin mixte à dominante proportionnelle qu’à un véritable représentation proportionnelle à la plus
forte moyenne.

205
Suffrages exprimés = 20.000

Ont obtenu : liste A = 6000 voix ; liste B = 2000 voix ; liste C =


9000 voix ; liste D = 3000 voix.

Le quotient électoral calculé selon la méthode Hare est égal à


20.000 puisqu’il s’obtient en divisant les suffrages exprimés par
le nombre de sièges à pourvoir :

20.000 = 20.000.
1
Comme on peut le remarquer, le quotient électoral est égal
au nombre de suffrages exprimés. Il en résulte qu’aucune des
listes ne peut avoir de siège par application du quotient. Il faut
donc passer à la répartition selon la plus forte moyenne. Celle-ci
se présente de la manière suivante :

Liste A 0 sR + 1 sF = 1 s moyenne = 6000 = 6000


1

Liste B 0sR + 1 sF = 1 s moyenne = 2000 = 2000


1

Liste C 0 sR + 1 sF = 1 s moyenne = 9000 = 9000


1

Liste D 0 sR + 1 sF = 1 s moyenne = 3000 = 3000


1
Il apparaît clairement que la plus forte moyenne (9000)
appartient à la liste qui a le plus grand nombre de voix c’est à
dire à la liste C qui obtient le siège. C’est dire qu’en dernière
analyse, c’est à la majorité relative que le siège est attribué ; ce
qui nous projette dans le scrutin majoritaire à un tour.

206
Avec l’application de la méthode d’Hondt, cela est encore plus
patent.

Listes Liste A Liste B Liste C Liste D


1 6000 2000 9000 3000

Classement des moyennes : 9000, 6000, 3000, 2000.

Comme il n’y a qu’un siège à pourvoir, le chiffre répartiteur


est 9000. Il apparaît que la liste C est la seule qui, par
application du chiffre répartiteur, obtient le siège.
En définitive on peut conclure qu’il s’agissait en réalité,
dans les cas de la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 1991,
et des lois n° 003/97/ADP du 12 février 1997 et n°021/98/AN du
7 mai 1998, d’un mode de scrutin mixte à dominante
proportionnelle.

Dans tous ces codes qui se sont succédé, la circonscription


électorale a toujours été le ressort de la province, les listes
bloquées et complètes1 et les candidatures individuelles
expressément proscrites. Sur ce dernier point, les termes
suivants de l’article 110 de la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20
février 1991 se retrouvent peu ou prou2 dans tous les autres
Codes : « Seuls les organisations ou partis politiques légalement
constitués depuis cent vingt (120) jours au moins à la date de la
déclaration des candidats et conformes à l’article 13 de la
constitution peuvent présenter des candidats ». Le seul
changement notable à signaler concerne le nombre de sièges à
pourvoir qui a lui été régulièrement revu à la hausse : soixante

1
Articles 133 et 137 de la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 1991 ; articles 131 et 135 de l’Ordonnance n°
92-018/PRES du 25 mars 1992 ; articles 162 et166 de Loi n° 003/97/ADP du 12 février 1997 ; articles 162 et 166 de
la Loi n°021/98/AN du 7 mai 1998.
2
Les changements concernent le délai de constitution qui a été ramené de 120 jours à 60 jours depuis l’Ordonnance
de 1992.

207
dix sept (77) en 19911, cent sept (107) en 19922, cent onze (111)
en 1997 et 19983.

b) Dans les codes électoraux de 2000 à 2002

De 2000 à 2002, le Code électoral a connu trois versions


matérialisées par les lois n°004/2000/AN du 18 avril 2000, n°
014/2001/AN du 03 juillet 2001 et n° 002/2002/AN du 23 janvier
2002. Cette dernière loi modifie, la loi n° 014/2001/AN du 03
juillet 2001 qui elle-même avait modifié la loi n°004/2000/AN
du 18 avril 2000 qui, la première, avait rompu avec les codes
précédant en introduisant un double changement qui se situe
tant au niveau du mode de scrutin que du découpage électoral.
Concernant le découpage électoral l’article 137 du code
électoral résultant des modifications de 2002 dispose : « […]. Les
députés sont élus à raison de vingt et un (21) sur une liste
nationale et de quatre vingt dix (90) sur le scrutin de liste
régionale… ». Quant à l’article 138 il précise que : « La
circonscription électorale est constituée par le ressort du
territoire national, pour les députés de la liste nationale et par
le ressort de la région pour les députés élus sur listes
régionales ». Selon la répartition des sièges figurant en annexe
du Code, il est prévu treize (13) régions avec un nombre de siège
à pourvoir allant de trois (3) à dix (10) sièges. Il y a donc deux
catégories de circonscription électorale : le territoire national et
la région.
Pour ce qui est du mode de scrutin, il ressort de la lecture
de l’article 139 du Code Electoral de 2002 que « les députés à
l’Assemblée Nnationale sont élus au scrutin de liste nationale et
régionale, au suffrage universel direct, égal et secret, à la
représentation proportionnelle avec la répartition
complémentaire suivant la règle du plus fort reste … ». A
1
Article 109 al.5 de la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 1991
2
Article 109 al. 4 de l’Ordonnance n° 92-018/PRES du 25 mars 1992
3
Article 110 de la Loi n° 003/97/ADP du 12 février 1997 et 137 de la Loi n°021/98/AN du 7 mai 1998

208
première vue et en prenant en compte le mode de découpage
électoral, on est tenté de dire qu’il s’agit là de l’application de
la proportionnelle intégrale. Mais l’absence d’un quotient fixe
ou nombre unique pour la répartition des sièges au niveau
national et surtout la prise en compte pour l’attribution des
sièges au plan national de l’ensemble des suffrages obtenus dans
les circonscriptions régionales et non des seuls restes non utilisés
incline à affirmer que nous sommes dans un cas de figure
relevant de la représentation proportionnelle approchée et non
de la proportionnelle intégrale.
Le but recherché à travers ces changements (adoption d’un
nouveau mode de scrutin et établissement d’un nouveau
découpage électoral) qui était, selon ses initiateurs, « d'offrir à
toutes les formations politiques le maximum d’opportunités
d’être représentées dans les organes délibérants » semble avoir
été atteint suite aux élections législatives du 5 mai 2002 en
considération du nombre de formations politiques représentées à
l’Assemblée nationale et du rapport de force entre la majorité
et l’opposition. Si ce mode de scrutin est en adéquation avec la
philosophie qui veut que le député soit le représentant de la
nation il encourt la critique d’éloigner le député de sa base
sociale et de gommer la relation « affective » entre ce dernier
et son électorat eu égard à l’élargissement de la circonscription
électorale. C’est peut-être une bonne chose pour asseoir une
juste compréhension du rôle et de la fonction de député et
éviter les dérives actuelles tendant à travestir la réalité en
faisant du député un assistant social.

2. Les modes de scrutin dans le code électoral en vigueur

Le Code actuellement en vigueur est la résultante de


quatre textes. Le texte de base est la loi n° 014/2001/AN du 03
juillet 2001qui, depuis lors, a subi trois modifications par les lois
n° 002/2002/AN du 23 janvier 2002, n° 013-2004/AN du 27 avril

209
2004 et n°024-2005/AN du 25 mai 2005. Il pose les règles
relatives aux élections présidentielle, législative, régionale et
municipale ainsi que celles concernant l’administration des
élections.
Outre les modifications touchant à la réorganisation de la
CENI, les changements s’affichent au quadruple plan du
découpage électoral, de la ventilation des sièges, du mode de
scrutin aux élections municipales et des modalités du suffrage
aux élections régionales.
Relativement au découpage électoral si deux catégories de
circonscription électorale sont retenues, la région est
abandonnée au profit de la province. En effet l’article 154 du
code électoral résultant des modifications de 2004 dispose : « Le
nombre de sièges à l’Assemblée nationale est fixé à cent onze.
Les députés sont élus à raison de quinze sur liste nationale et
quatre vingt seize sur liste provinciale… » Quant à l’article 155 il
précise que : « La circonscription électorale est constituée par le
ressort du territoire national, pour les députés de la liste
nationale et par le ressort de la province pour les députés élus
sur listes provinciales ». Selon la répartition des sièges figurant
en annexe du Code, il est prévu quarante cinq (45) provinces
avec un nombre de siège à pourvoir allant d’un (01)1, deux (02)2
à neuf (09)3 avec certaine provinces avec trois (03)4, quatre (04)5
et six (06) 6 sièges.
Concernant la ventilation des sièges, force est de constater
que le nombre de siège de la circonscription nationale a été
ramené de 21 à 15 sièges. Cela tient à l’augmentation du
nombre des circonscriptions du fait du retour à la province
comme ressort principal pour l’élection des députés. Mais
l’augmentation du nombre de circonscription sans augmentation

1
15 provinces
2
22 provinces
3
Une province, la province du Kadiogo contenant la capitale Ouagadougou
4
Deux provinces, les provinces d la Gnagna et du Passoré
5
Trois provinces, les provinces du Bulkiemdé, du Sanmatenga et du Yatenga
6
Une province, la province du Houet comprenant la deuxième ville, Bobo Dioulasso

210
du nombre des députés va de nouveau travestir le système dans
les circonscription où il n’y a qu’un siège à pourvoir en
transformant en en un scrutin uninominal un scrutin
normalement plurinominal et la représentation proportionnelle
au plus fort reste prévue en un scrutin majoritaire à un tour1.
Pour ce qui est du mode de scrutin, le changement ne
concerne que les élections municipales où le scrutin
proportionnel n’est plus au plus fort reste mais à la plus forte
moyenne ; ceci dans un souci d’assurer la cohésion des équipes
municipales.
Il ressort de ce qui précède qu’au Burkina Faso, le suffrage
universel est soit direct2 soit indirect3. Il est direct pour les
élections présidentielles, législatives et municipales, et indirect
pour les élections régionales, ce, depuis la révision de 2005 du
code électoral. En outre, le suffrage est individualiste4, secret5
et facultatif6 . Les multiples révisions du code électoral
autorisent à dire que le Burkina Faso est toujours à la recherche
de règles électorales à même d’asseoir durablement la
démocratie en construction. En tout état de cause, il faut
comprendre qu’aucun système électoral n’est parfait. Tout
système électoral doit trouver un juste équilibre entre divers
objectifs et diverses valeurs. Choisir un système électoral, c’est
choisir entre des valeurs concurrentielles : équité,
représentativité, égalité, responsabilité, efficacité, stabilité. A
1
Si par le passé le phénomène ne concernait que deux (2) provinces (le Kénédougou et l’Oudalan) sous l’empire de
la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 199, puis onze (11) sous le Code de 1997 est passé à dix (Bougouriba,
Komondjari, Kourwéogo, Léraba, Lorum, Nahouri, Noumbiel, Oudalan, Yagha, Ziro, Zandoma) ; ce chiffre est
aujourd’hui porté à quinze (15) par le Code de 2004 (Bougiriba, Komondjari, Kompienga, Kourwéoga, Léraba,
Loroum, Nahouri, Nayala, Noumbiel, Oudalan, Sissili, Tuy, Yagha, Ziro, Zandoma).
2
Le suffrage est dit direct quand les électeurs désignent eux-mêmes leurs représentants ; on dit qu’il est immédiat ou
immédiatisé.
3
Le suffrage est dit indirect quand les électeurs du premier degré donnent mandat à un certain nombre
d'entre eux d’élire leurs représentants ; on dit dans un tel cas de figure que le suffrage est médiat ou
médiatisé.
4
Le suffrage est dit individualiste quand il est organisé pour offrir un mode d’expression à chaque individu pris
isolément.
5
le vote est dit secret quand il est organisé de manière à permettre à l’individu de se déterminer en son âme et
conscience
6
Le vote est facultatif quand les électeurs ont la liberté de participer aux opérations électorales. Le vote est considéré
facultatif, car c'est un droit appartenant à chaque électeur; or, personne ne peut être obligé d'user de son droit.

211
ce titre certains paramètres ou critères peuvent être utilisés
pour évaluer la qualité d’un système électoral. Il s’agit de :
L’équité entre les partis politiques (les sièges obtenus
devraient être proportionnels aux voix obtenues).
La capacité du système électoral à représenter la société
dan toute sa complexité et sa diversité (minorités,
questions de genre).
La légitimité (les citoyens et citoyennes doivent percevoir
leur système électoral comme légitime.
L’intégration politique (le système électoral doit favoriser
une vie politique consensuelle et le respect de la diversité
des opinions).
La participation effective des électrices et électeurs (le
système électoral doit être facilement compréhensible pour
permettre à l’électorat de se déterminer en toute
connaissance de cause).
L’efficacité tant au niveau gouvernemental (stabilité de la
majorité), du parlement (présence d’une opposition
crédible et d’une véritable capacité de contrôle de l’action
gouvernementale) que des partis politiques (existence d’un
système de partis véritablement multipartite).
Mais au-delà des vertus du suffrage, la qualité de la
participation citoyenne est fonction de quatre facteurs
importants à savoir :
Le degré de citoyenneté.
La qualité de la société politique.
La qualité et la force de la société civile.
La qualité de l’organisation et de l’administration des
élections.

212
CHAPITRE III : LES FORCES POLITIQUES

La scène politique est traversée par différentes forces


politiques, par des doctrines, des idées, des groupes ou des
partis divers exerçant une influence plus ou moins forte dans la
vie politique. Les partis politiques en particulier en constituent
les principaux acteurs et tirent l’essentiel de leurs ressources de
la société civile. A côté de ces forces politiques dont la vocation
première est d’assurer des fonctions de gouvernement au nom
d’un projet global coexistent d’autres forces politiques qui
tentent d’exercer une influence constante ou ponctuelle sur les
gouvernants : ce sont les groupes de pression.
En réalité, l’état des forces politiques ne se réduit pas à
cette dichotomie. Il existe en effet bien souvent un continuum
entre les partis politiques et les groupes de pression. Ainsi, des
organisations officiellement reconnues comme des partis
politiques se comportent comme des groupes de pression, et
d’autres se présentant officiellement comme des groupes de
pression se comportent en réalité comme des partis politiques.
En outre, il existe des forces sociales qui, dans certaines
circonstances peuvent exercer une influence plus ou moins
décisive sur la prise ou la mise en oeuvre des décisions politiques
et assumer certaines fonctions des partis politiques. Les partis
politiques eux-mêmes peuvent, dans certaines circonstances
cesser d’apparaître comme de véritables forces politiques.
Quelle que soit leur structure, les partis tout comme les autres
forces politiques tirent leurs racines de la société civile.

SECTION I : LA SOCIETE CIVILE

La société civile est un vieux concept qui, après une longue


parenthèse, a ressurgi dans les théories scientifiques et dans le

213
débat politique, à la faveur des récents processus de
démocratisation dans le monde.

§ 1 : La notion de société civile

D'un point de vue généalogique, les chercheurs s'accordent


à dire que c'est à partir du XIXè siècle qu'émerge la notion de
société civile dans son acception moderne, d'abord avec Hegel
qui la définit comme "l'ensemble des institutions qui répondent
aux besoins de la vie économique et sociale et qui arbitrent
entre les intérêts privés"1. Karl Marx, tout en reprenant à son
compte la dichotomie hégélienne Etat/société civile appréhende
cependant le concept comme le reflet des rapports de
production, c'est-à-dire comme "l'ensemble des rapports
matériels des individus à un stade déterminé de l'évolution des
forces productives"2. Par la suite, Antonio Gramsci complète
l'analyse marxienne en y ajoutant une dimension idéologique.
Dans cette optique, il définit la société civile comme "l'ensemble
des organismes privés ou parapublics qui remplissent la fonction
d'hégémonie pour le compte du groupe dominant présent dans la
société"3. Mais c'est à Alexis de Tocqueville qu'on doit d'avoir mis
en relief l'importance du tissu associatif dans la définition de la
notion de société civile. C’est dans cette perspective que la
société civile est définie comme l’ensemble des associations
humaines indépendantes et réseaux de travail qui recouvrent ce
champ, constitués pour des raisons d’intérêt familial, religieux,
idéologique, politique ou autre, et qui jouent un rôle d’interface
entre l’Etat et le reste de la société ainsi qu’un rôle de contre-
pouvoir face aux tentations hégémoniques des pouvoirs
étatiques.
Quelle que soit leur conception, la plupart des auteurs
appréhendent cependant la société civile dans sa relation à
1
Jean-Louis Quermonne, Les régimes politiques occidentaux, Paris, le Seuil, 2000, p.200
2
Ibid.
3
Ibid.

214
l'Etat pour souligner leurs rapports conflictuels. Ainsi, la société
civile "renverrait à une sorte d'intermédiaire, d’interface entre
l'Etat et les groupes fondamentaux, un entre-deux plus ou moins
en voie d'affirmation qui serait susceptible de contrer les
velléités hégémoniques des pouvoirs centraux"1. Jean-François
Bayart la définit comme la société par rapport à l’Etat, en tant
qu’elle est immédiatement aux prises avec l’Etat, ou encore le
processus de dé-totalisation du champ étatique par rapport au
processus contradictoire de totalisation mis en œuvre par le
pouvoir politique2. La société civile s’oppose à la société
politique, c’est-à-dire à l’ensemble des institutions publiques
(Etat et collectivités publiques). Elle n’est pas non plus à
confondre avec la société globale qui constitue l’ensemble social
plus vaste réalisant le niveau d’intégration le plus élevé3.
En Afrique, la société civile n’épouse pas les mêmes
contours que la société civile en Occident. Elle demeure
embryonnaire ou faible, en raison de la faiblesse des classes
moyennes consubstantielle à la faiblesse des processus de
différenciation des sphères politiques et économiques. Elle est
donc largement en construction et ne peut être bien comprise
qu'en termes historiques, c’est-à-dire en tant que résultat d’une
évolution historique. L’Etat post-colonial, nous dit Jean-François
Bayart, a été imposé par la colonisation et délibérément
construit contre la société civile4. Ainsi, « la recherche
hégémonique, sous-jacente à l’idéologie de la construction et
de l’unité nationales, implique un essai de tutelle globale et de
mise en forme de la société par l’Etat et par les groupes sociaux
qui postulent au statut de classe dominante »5. Sans
consolidation de la société civile, il ne saurait y avoir de
1
Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz, L’Afrique est partie : du désordre comme instrument politique, Paris,
Economica, 1999, p.31.
2
Jean-François Bayart, La revanche des sociétés africaines, in Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Comi
Toulabor, Le politique par le bas en Afrique noire : contribution à une problématique de la démocratie, Paris,
Karthala, p.70 et 71.
3
Jean-Louis Quermonne, Ibid. p.203.
4
Jean-François Bayart, La revanche des sociétés africaines, in Politique africaine n°11, septembre 1983, p.95-127.
5
Ibid.

215
consolidation démocratique. Mais la question de la nature de
cette société civile reste posée : doit-on limiter la société civile
aux seuls groupes qui ont une perspective démocratique ? Faut-il
y inclure les organisations ou entités traditionnelles et/ou
religieuses ? Ces querelles de définition ne doivent pas occulter
l’engagement citoyen et le rôle essentiel que différentes
organisations formelles ou informelles et leurs militants jouent
dans la promotion du développement local, des droits de
l’Homme ou de la démocratie, parfois au péril de leur vie.

§ 2 : Les composantes de la société civile

Toute société humaine renferme des forces sociales qui


sont des forces politiques latentes, qui peuvent se muer en
forces politiques explicites. On distingue parmi elles des forces
politiques structurelles et celles conjoncturelles.

A. LES FORCES POLITIQUES STRUCTURELLES

Il existe de nombreuses forces politiques structurelles, parmi


lesquelles on distingue les classes sociales, les ethnies.

1. La notion de classe sociale

La notion de classe politique a été forgée par Karl Marx qui a


avancé plusieurs critères de définition. Ecartant le critère de la nature des
revenus (profit, salaire, rente foncière), Marx insiste sur la place occupée
dans le processus de production économique parce qu’elle engendre des
conditions d’existence spécifiques. Pour lui, les classes sociales
constituent de vastes groupes d’hommes occupant une position
spécifique dans le processus de production. Dans cette perspective, il
distingue en particulier les classes ouvrières, les classes bourgeoises, les
classes paysannes, etc.
Mais les critères élaborés par Marx s’appliquent difficilement à des
groupements sociaux comme les agents de l’administration publique qui,
216
en Afrique occupent une position privilégiée. Aussi d’autres auteurs
s’efforcent d’adjoindre aux critères économiques des critères d’ordre
culturel ou idéologique tels la conscience de classe, la capacité à élaborer
ses propres aspirations politiques, le capital culturel (diplômes, réseau de
relations sociales, etc.). Un groupe social, approximativement homogène,
ne constituera une classe que si ses membres au destin commun se
pensent comme une unité sur le plan national et s’opposent aux autres
groupes pour défendre leur intérêt propre. Une classe n’a d’intérêt propre
qu’à la condition d’être et de se vouloir en lutte avec d’autres classes.

2. La notion d’ethnie

L’ethnie, c’est l’ensemble des lignages dont l’identité


culturelle est affirmée par la reconnaissance d’un ancêtre
mythique commun, ce qui se traduit par une forte communauté
linguistique. Quant au lignage, il désigne le groupe descendant
du même ancêtre connu, c’est-à-dire non mythique : enfants,
alliés, petits neveux et dépendants, voire les esclaves dits
domestiques, intégrés à la famille, au moins à partir de la
seconde génération (maisonnée). Ce qui importe dans le lignage,
c’est en effet de demeurer, de produire, de consommer et de
survivre ensemble. L’ethnie en revanche est une construction
historique, c’est-à-dire très largement évolutive. Elle se
caractérise par la référence aux critères culturels (langue,
histoire, croyances, habitudes de vie, sentiment de commune
appartenance surtout).
L’ethnie recèle cependant une part de construit. D’où sa
fragilité, son caractère parfois arbitraire et mythique. C’est le
cas de l’ethnie Bété dont la création s’explique en partie par
l’action ethnographique du colonisateur français (identification à
partir de critères, regroupement, classement, etc.). L’ethnie
fait souvent l’objet de manipulations et est devenue une
composante essentielle de la mobilisation politique et même de
la construction des systèmes politiques en Afrique et dans

217
certaines régions du monde, la forme la plus extrême de
l’ethnicité politique étant le génocide ou l’épuration ethnique.

B. LES FORCES POLITIQUES CONJONCTURELLES : LES


GROUPES DE PRESSION

On distingue plusieurs catégories de forces politiques


conjoncturelles : les groupes de pression, les clientèles
politiques, les hommes d’Etat, notables, ou leaders
charismatiques, etc. Les groupes de pression constituent
incontestablement les forces conjoncturelles les plus
marquantes de la scène politique. Certains groupes de pression
se transforment en partis politiques ; d’autres, du fait de leur
audience et de leur poids s’érigent en contre-pouvoir en
formulant dans un champ déterminé des alternatives aux
politiques gouvernementales.

1. La notion de groupe de pression

La notion de groupe de pression est issue de la science


politique américaine. Elle vise à appréhender diverses
organisations formelles ou informelles qui tentent d’influer sur
le processus de prise de décision ou d’agir sur les pouvoirs
publics. Il s’agit donc de forces sociales susceptibles de se muer
en forces politiques selon les circonstances. On peut donc définir
le groupe de pression comme « une organisation constituée pour
la défense d’intérêts et exerçant une pression sur les pouvoirs
publics afin d’obtenir d’eux des décisions conformes à ces
intérêts »1.
Pour qu’on puisse parler de groupe de pression, il faut donc
la réunion de trois conditions : d’abord l’existence d’un groupe
organisé, ensuite la défense d’intérêts ou l’existence d’un

1
Roger-Gérard Schwartzenberg, Sociologie Politique, 5e édition, Paris, Montchrestien, 1998, p.540.

218
intérêt à agir, intérêt qui peut être matériel ou purement moral
ou idéel., et enfin l’exercice de pressions.

2. Les types de groupes de pression

Les groupes de pression constituent une vaste catégorie


dont les composantes peuvent être sériées selon leurs buts, leur
genre et leur structure :
Selon leurs buts, on distingue les groupes d’intérêts et les
groupes d’idées. Dans le premier cas, il s’agit
d’organisations socioprofessionnelles telles les organisations
paysannes, patronales, ou de salariés ; et dans le second
cas les organisations militant spécifiquement pour la
promotion d’idées ou d’intérêts moraux ou non matériels.
Selon leur genre, on distingue les groupes privés, les plus
nombreux, des groupes publics, qui peuvent être civils
(organisations regroupant des services publics ou des corps
de fonctionnaires ou des élus : exemple : l’association des
municipalités du burkina faso) ou militaires (l’armée ou un
groupe de militaires peuvent constituer un groupe de
pression dont l’action peut déboucher sur le coup d’etat).
Selon leur structure, on peut distinguer selon la typologie
de duverger, les groupes de cadres ou de notables des
groupes de masse ; les premiers se caractérisent par le
nombre restreint de leurs adhérents et surtout par leur
organisation typiquement décentralisée et faiblement
articulée ; cependant que les seconds se caractérisent par
leur vocation à réunir le plus grand nombre possible
d’adhérents et par une organisation forte et hiérarchisée
(exemple : syndicats d’ouvriers).

3. Les fonctions

219
Les groupes de pression jouent de multiples fonctions1 :
Avant tout une fonction d’articulation des intérêts ; à
l’instar des partis politiques, ils contribuent au processus
par lequel les individus et les groupes formulent leurs
demandes auprès des décideurs politiques.
Une précieuse fonction de légitimation des mesures ou
politiques gouvernementales auprès de leurs adhérents.
Une fonction essentielle de socialisation de ces adhérents
en canalisant et en rationalisant les demandes en vue d’en
éliminer les excès ou la portée subversive.
Une fonction de communication politique par laquelle ils
apportent aux pouvoirs publics les ressources
informationnelles nécessaires à la prise de décisions
appropriées.
Une fonction d’intégration de certains groupes d’individus
ou sociaux, à l’instar de certaines formations de tendance
radicale qui jouent une fonction latente d’adaptation ou
d’ajustement au système, qui n’est ni comprise ni voulue.
Une fonction de substitution aux partis politiques
défaillants ou incapables d’exercer la fonction agrégative.

4. L’action des groupes de pression

Le fait que des groupes organisés tentent d’exercer des


pressions sur le pouvoir politique est un phénomène normal en
démocratie. Toutefois, ces pressions doivent se dérouler dans
la légalité et la transparence, de façon à permettre à l’opinion
d’apprécier les conditions dans lesquelles les décisions ont été
prises. C’est pourquoi aux Etats-Unis la loi reconnaît le
lobbying et tente de le réglementer de façon à établir la
transparence en ce domaine (obligation de déclaration,
indication du personnel et des moyens financiers mis en
œuvre).

1
Ibid., p.568 et ss.

220
Il faut distinguer l’action des groupes de pression selon
qu’elle s’exerce sur le pouvoir politique, les partis politiques
ou l’opinion publique1.
Pour agir sur le pouvoir politique, les groupes de pression
peuvent recourir à des actions ouvertes ou occultes. L’action
ouverte repose sur l’information, ou la consultation ou même la
menace. L’action occulte peut être tout aussi comminatoire,
mais aussi et surtout procéder de relations privées, personnelles
ou reposer sur la corruption.
L’action des groupes de pression sur les partis politiques
diffère selon que les premiers sont ou non placés sous la
dépendance des seconds; lorsque les groupes de pression sont
sous la dépendance d’un parti, ils sont instrumentalisés par ce
parti, mais peuvent en retour se servir du parti pour diffuser ou
imposer leurs idées, défendre leurs intérêts ; lorsque c’est le
parti qui est sous la dépendance officielle ou occulte du groupe
de pression, il peut devenir l’instrument du groupe (cas du
Labour créé par des syndicats en Grande Bretagne). Parfois, des
rapports de collaboration sur un pied d’égalité peuvent
s’instaurer entre partis et groupes de pression.
Pour agir sur l’opinion publique, les groupes de pression
peuvent recourir à des moyens de contraintes (grève,
manifestations publiques ou troubles à l’ordre public) ou de
persuasion par la propagande ou l’information.

SECTION II : LES PARTIS POLITIQUES

Les partis politiques constituent de nos jours les principales


forces politiques. Ils jouent un rôle incontournable dans le
fonctionnement des régimes démocratiques et les tentatives

1
Ibid., p.572 et ss.

221
menées à ce jour pour se passer d’eux se sont soldées par des
échecs.

§ 1 : La notion de parti politique


Joseph Lapalombara et Myron Weiner sont parmi les auteurs
qui ont le plus marqué la sociologie des partis politiques1. Ces
auteurs américains définissent la notion de parti politique à
partir de quatre critères précis :
Une organisation durable, c’est-à-dire dont l’espérance de
vie politique est supérieure à celle des dirigeants en place.
Une organisation locale bien établie et apparemment
durable, entretenant des rapports réguliers et variés à
l’échelon nationale.
La volonté délibérée des dirigeants nationaux et locaux de
l’organisation de conquérir et d’exercer le pouvoir, seul ou
avec d’autres, et non pas seulement d’influencer le
pouvoir.
Le souci de rechercher un soutien populaire à travers les
élections ou de tout autre manière.

Le premier critère, celui de la continuité de l’organisation,


disqualifie les simples associations, cliques, factions ou
clientèles créées par des individus et qui disparaissent avec
eux ; un véritable parti doit donc survivre à son géniteur, et
s’institutionnaliser ;
Le second critère, une organisation complète du centre à la
périphérie, permet de distinguer les partis politiques des
organisations politiques ne disposant que d’une assise régionale,
voire tribale ;
Le troisième critère permet de distinguer les partis des
groupes de pression dont l’objectif n’est pas de conquérir le
pouvoir, mais seulement de l’influencer ; au contraire, les partis
politiques cherchent à conquérir des postes électifs ou

1
Daniel-Louis Seiler, Les partis politiques, 2e édition, Paris, Armand Colin, 2000, p.23.

222
gouvernementaux (par la voie des urnes en démocratie), bref à
exercer le pouvoir ;
De la même façon, le quatrième critère permet de
distinguer également les partis des groupes de pression ou des
simples clubs, ou même des groupuscules extrémistes qui ne
participent pas délibérément aux élections ou à la vie
parlementaire.
Ainsi, on peut donc définir les partis politiques comme
« des organisations durables, disposant d’une assise à la fois
nationale et locale, dont le but est de conquérir et d’exercer le
pouvoir politique en recherchant le soutien populaire » ou
encore des «organisations visant à mobiliser des individus dans
une action collective menée contre d’autres, pareillement
mobilisés, afin d’accéder, seuls ou en coalition, à l’exercice des
fonctions de gouvernement. Cette action collective et cette
prétention à conduire la marche des affaires publiques sont
justifiées par une conception particulière de l’intérêt général »1.

§ 2 : L’origine des partis politiques


Les partis politiques sont, selon l’expression de Max Weber,
« les enfants de la démocratie et du suffrage universel »; Et
comme le dit si bien Daniel Louis-Seiler, « tout démocrate
devrait vouer une grande reconnaissance aux partis politiques.
En effet et jusqu’à ce jour, aucune démocratie n’a jamais pu
fonctionner sans partis et les quelques tentatives pour le faire
virèrent toutes au cauchemar. De même lorsque, par le passé,
des démocraties moururent sous les coups de militaires
expéditifs ou de révolutionnaires épris d’absolu, l’une des
premières décisions de ces derniers fut d’abolir le pluralisme des
partis. En revanche, dès qu’un pouvoir totalitaire autoritaire ou
absolutiste vacille sur ses assises, on assiste toujours à une

1
Daniel-Louis Seiler, Les partis politiques, op. cit., p.24.

223
efflorescence de partis politiques dont certains n’osent pas
encore dire leur nom… »1.
Les partis politiques sont apparus avec l’avènement du
suffrage universel entre le milieu du XIXè siècle et le début du
XXè siècle. Les premiers partis politiques ont été créés à partir
des groupes parlementaires ou des comités électoraux chargés
de conquérir l’électorat. Au début du XXè siècle se créent les
premiers partis politiques socialistes ou travaillistes. Dans
l’entre-deux guerres apparaissent des partis démocrates-
chrétiens.
S’agissant de l’origine des partis politiques, Maurice
Duverger a proposé de distinguer les partis de création
électorale des partis de création extérieure2. Pour lui, les
premiers partis politiques ont été créés à partir des groupes
parlementaires ou des comités électoraux chargés de conquérir
l’électorat. Avec l’accroissement du rôle des assemblées et
l’extension du droit de suffrage, les élus de même tendance ont
éprouvé le besoin de se concerter, d’où l’apparition des groupes
parlementaires, et de canaliser les suffrages des électeurs d’où
l’apparition des comités électoraux. C’est la jonction de ces
deux éléments qui a permis l’émergence des premières
formations politiques.
Les autres partis politiques ont été créés en dehors du
mécanisme électoral et parlementaire, en général par des
organisations préexistantes agissant en dehors du parlement et
des élections. Ainsi, plusieurs partis politiques ont été créés par
des syndicats de travailleurs, des groupements industriels et
financiers, ou professionnels divers, des groupements religieux,
etc.
En Afrique, la quasi totalité des partis politiques sont de
création extérieure aux mécanismes parlementaires et
électoraux. Les premières formations politiques sont apparues
1
Daniel-Louis Seiler, Les partis politiques en Occident : sociologie historique du phénomène partisan, Paris,
Ellipses, 2003, p. 15 et s.
2
Voir Maurice Duverger, Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1976.

224
notamment au lendemain de la seconde guerre mondiale, à la
faveur de la reconnaissance progressive du droit de suffrage aux
Africains. Ces formations politiques ont largement contribué aux
mouvements nationalistes et de décolonisation du continent.
L'exemple le plus frappant est sans conteste celui du
Rassemblement Démocratique Africain (RDA) créé à l'issue d'un
congrès historique qui s'est tenu à Bamako du 18 au 21 octobre
1946. Implanté dans tous les territoires de l'Afrique Occidentale
Française, le RDA se présentait à l'époque comme le premier
parti politique proprement africain. Mais à l'époque déjà, les
divergences politiques et idéologiques, les querelles de
leadership ainsi que les manœuvres du pouvoir (colonial)
tendant à diviser le mouvement nationaliste africain ont
provoqué l'apparition de plusieurs formations politiques sur les
scènes politiques locales émergeantes ; tant et si bien que c'est
dans un contexte de multipartisme intégral que la plupart des
territoires coloniaux ont accédé à l'indépendance au début des
années soixante.
Mais les nouvelles élites dirigeantes, sous prétexte d'assurer
l'intégration nationale et le développement économique vont
bannir, dans la plupart des nouveaux États, le pluralisme
politique et syndical ainsi que toute fonction d'opposition et
conférer un monopole de fait ou de droit à des "partis
monopolistes" ou “ partis uniques ”, que certains auteurs
européens refusent de considérer comme de véritables partis
dès lors qu'il n'existe plus de pluralisme politique.
Avec l’avènement des processus démocratiques au début
des années quatre vingt-dix en Afrique noire, des partis et
protopartis vont essaimer dans la plupart des États subsahariens.
Mais la question demeure de savoir s’il existe de véritables
partis politiques en Afrique. Combien parmi ces organisations
remplissent les critères classiques d’un parti politique énoncés
par la doctrine? En effet, bien souvent les partis politiques
apparaissent plutôt comme des instruments de personnalisation

225
du pouvoir, lorsqu’ils ne sont pas des partis de personnes. A
l’intérieur des grands partis existent plusieurs factions qui sont
des groupes plus ou moins informels qui se constituent autour
d’un leader, et qui luttent pour prendre le contrôle de la
direction du parti en vue de s’approprier le pouvoir d’Etat. Dans
certains cas, les partis politiques sont constitués sur des bases
ethniques, mettant en péril la fragile unité nationale.
Une démocratie forte et durable suppose le bon
fonctionnement de ses partis politiques. Les partis sont en effet
des acteurs essentiels parce qu’ils rassemblent des intérêts
divers, recrutent et présentent des candidats, et développent
des propositions de politiques concurrentes procurant au peuple
la possibilité de choisir. Dans une démocratie, rien ne peut se
substituer à une compétition ouverte entre partis politiques dans
le cadre d’élections.
Pourtant, en Afrique comme ailleurs dans le monde, les
partis politiques sont en proie à des crises, crises de popularité,
crises de confiance, déclin du nombre d’adhérents et, souvent,
incapacité à attirer ou mobiliser de nouvelles énergies,
intellectuelles ou organisationnelles. La faiblesse des partis
politiques met en danger les systèmes politiques démocratiques,
en particulier les démocraties émergeantes. Les partis politiques
doivent jouer un rôle particulièrement actif et ont une
responsabilité importante dans le processus de démocratisation.
Ils doivent lutter pour s’organiser et se financer dans le respect
des réglementations. Les partis sont supposés diriger,
représenter et éduquer leurs partisans, qui attendent des
dividendes rapides de la démocratie ainsi que des
comportements irréprochables de la part de leurs dirigeants. Les
partis, pour être efficaces et fiables, doivent relever de
nombreux défis, qui prennent leurs sources dans le contexte
politique et l’environnement légal dans lesquels ils évoluent,
ainsi que dans leurs systèmes de fonctionnement, de direction et
d’opération internes.

226
§ 3 : La typologie des partis politiques
Maurice Duverger a établi une classification binaire fondée
sur les partis de cadres d’une part et les partis de masse d’autre
part. Les partis de cadres qui sont des partis de notables
résultent de l’évolution qui a fédéré les comités électoraux à la
base et les groupes parlementaires au sommet au milieu du XIXe
siècle. Au contraire, les partis de masse qui sont des partis de la
seconde génération, sont des enfants du suffrage universel.
En se fondant sur l’analyse de la structure interne des
partis politiques, on peut distinguer trois cercles concentriques :
celui des militants qui « vivent pour le parti » et même
« vivent du parti » ;
celui des adhérents, qui paient leur cotisation et prennent
la carte du parti ;
celui des sympathisants et des électeurs qui assistent de
façon épisodique aux réunions ou votent en faveur du parti.
Plus la proportion d’adhérents par rapport aux électeurs est
grande, plus la proportion des militants par rapport aux
adhérents est forte, plus on se trouve en face d’un parti de
masse. Au contraire, plus la proportion des adhérents est faible
par rapport au nombre d’électeurs, plus on est en présence d’un
parti de cadre ou de notable.
Duverger va corriger ultérieurement sa typologie en
admettant l’existence d’un troisième type de parti à structure
particulière : le parti indirect dont l’archétype est le parti
travailliste britannique. En effet, le travailleur anglais en
adhérant à un syndicat, adhère du coup au parti travailliste, sauf
s’il manifeste une volonté contraire. Il existe certes des
adhérents directs mais leur proportion est faible par rapport aux
adhésions indirectes. Duverger complète sa théorie binaire en
distinguant également les partis à structure forte des partis à
structure souple, selon que la discipline interne au parti ou au
groupe parlementaire est forte ou non. Ainsi, les partis

227
travailliste et conservateur en Grande Bretagne sont des partis à
structure forte bien que le premier soit un parti de masse et le
second un parti de notables.
Mais certains auteurs ont critiqué la typologie
duvergérienne, qui ne rend pas compte par exemple du cas des
partis américains. C’est pourquoi certains auteurs ont proposé
un type de parti, à savoir le « parti attrape-tout » (« catch-all-
party »), qui est un parti inter-classes qui cherche à travers un
programme faiblement marqué idéologiquement à mobiliser le
maximum d’électeurs d’origine diverse.

§ 4 : Rôles et fonctions des partis


Au Burkina Faso, selon l’article 13 de la Constitution, les
partis et formations politiques devraient jouer une triple
fonction :
Concourir à l’animation de la vie politique.
Concourir à l’information et à l’éducation du peuple.
Concourir à l’expression du suffrage.
Ainsi, de façon plus générale, les partis politiques se
présentent comme des machines électorales, des arènes de
débats politiques et des agents de socialisation. Ils remplissent
également des fonctions latentes qui doivent être explicitées par
l’analyse.

A. LA FONCTION D’EXPRESSION DU SUFFRAGE


Dans les démocraties contemporaines, les partis politiques
demeurent avant tout des machines électorales. Les échéances
électorales constituent un moment fort dans la vie d’un parti
politique. De ce point de vue, une première fonction des partis
politiques consiste à sélectionner les candidats aux élections
locales et nationales selon des procédures variables : choix par
les militants de base, élections primaires, cooptation ou
désignation par l’état-major du parti, etc. Bien souvent, le rôle
de l’état-major est déterminant dans la sélection ou la

228
confirmation de l’investiture des candidats. La sélection des
candidats constitue un enjeu d’autant plus important que cette
sélection équivaut pratiquement à leur élection selon leur
position sur la liste de candidatures et les chances de succès du
parti.
Une deuxième fonction des partis politiques est de
mobiliser des soutiens dans la perspective de la bataille
électorale : ressources financières, sens organisationnel, savoir-
faire particulier, marketing politique, etc. Sur ce point, les
partis sont dotés souvent d’atouts plus ou moins inégaux. En
Afrique, ce sont les partis au pouvoir qui disposent le plus
d’avantages par rapport aux partis d’opposition. Mais cela ne
suffit pas toujours pour gagner une élection.
Enfin, une troisième fonction consiste à choisir les
dirigeants nationaux en vue de la constitution d’un
gouvernement homogène ou de coalition. Dans cette
perspective, une lutte restreinte, parfois sourde, peut surgir
entre les caciques du parti, factions internes ou de plusieurs
partis en vue de la désignation de titulaires aux positions
stratégiques.

B. LA FONCTION D’ANIMATION DE LA VIE POLITIQUE

Les partis politiques concourent à la formation de la volonté


générale. Ils y parviennent en influençant ou en orientant
l’opinion publique grâce aux débats internes ou externes qu’ils
provoquent, à l’intérieur du parti, dans l’enceinte parlementaire
ou sur la scène médiatique. Ces débats sont censés apporter des
réponses aux questionnements ou interrogations diverses qui
traversent l’opinion. Le contenu des discours politiques n’est pas
dicté par le hasard mais par le projet de société, les contraintes
politiques et idéologiques des hommes et partis politiques.
Le débat politique constitue un aspect essentiel de la
démocratie pluraliste. Feutré, secret, circonscrit dans les

229
systèmes autoritaires, le débat dans les systèmes démocratiques
est public, nourri en permanence par des confrontations, joutes
oratoires ou polémiques. Ces prises de position ou de parole
contradictoires permettent d’orienter ou d’améliorer l’action
des gouvernants, d’éclairer l’opinion et de structurer le champ
politique en situant les différents acteurs politiques les uns par
rapport aux autres. Mais aussi et surtout, il permet de
disqualifier ou de faire l’économie de la violence politique ou
des affrontements physiques qui sont remplacés par des
affrontements discursifs ou joutes oratoires.
Dans le même sens, les partis politiques jouent une fonction
programmatique consistant à élaborer et « vendre » un
catalogue de principes, d’intentions et de propositions concrètes
en réponses à des attentes sociales et reposant sur leur projet
de société. Il est rare qu’une fois parvenu au gouvernement le
parti réussisse à mettre en œuvre tout son programme électoral
compte tenu des conditions d’exercice du pouvoir. L’élaboration
d’un programme comporte des effets symboliques majeurs : elle
permet d’attester de la crédibilité ou du sérieux du parti qui
estime avoir vocation à gouverner ; ensuite elle permet, d’un
point de vue pédagogique, de « socialiser » les militants ou le
grand public c’est-à-dire de les emmener à intérioriser, assimiler
les normes, valeurs et dispositions essentielles du projet de
société auxquelles le parti est attaché. Enfin, elle permet, d’un
point de vue stratégique, d’attirer différentes clientèles
électorales.

C. LA FONCTION DE SOCIALISATION
La socialisation désigne le processus d’insertion des
individus au sein d’une société donnée, donc l’intériorisation des
normes et valeurs propres à cette société. Dans sa dimension
politique, elle rend compte de la façon dont les individus
apprennent leurs rôles politiques. Par la diffusion de produits
discursifs variés reposant sur des valeurs et principes

230
fondamentaux, servant de référence commune, les partis
politiques contribuent à la socialisation de leurs membres,
sympathisants et électeurs. Ils suscitent l’émergence de
solidarités transversales par delà les différents clivages sociaux,
contribuant ainsi à l’intégration sociale ou nationale.
Par leur participation au jeu démocratique, par
l’acceptation des lois de la démocratie et de l’Etat de droit, les
partis politiques contribuent au renforcement de la citoyenneté,
à l’intériorisation des principes et valeurs démocratiques et à la
consolidation de la légitimité du système démocratique.
La fonction de socialisation des partis politiques peut
paraître paradoxale, du moins en Occident, quand on sait qu’ils
se situent les uns par rapport aux autres en faisant référence à
des doctrines, idéologies ou courants de pensées souvent
contradictoires, révélateurs de clivages sociaux profonds.
Les partis occidentaux sont en effet nés à la suite d’une
série de fractures sociales qui ont traversé l’histoire européenne
depuis le XIXe siècle :
Autour de la question de l’Etat (partis
centralisateurs/autonomistes).
Autour de la question des rapports religion/politique (partis
laïcs/confessionnels).
Autour de la révolution industrielle (partis
industrialistes/agrarians, indépendants ou paysans).
De la propriété des moyens de production industriels (partis
conservateurs/socialistes ou partis bourgeois/ouvriers).
Pour qu’on puisse parler de parti politique en Occident, il faut
qu’il y ait donc au moins deux formations opposées qui forment
un système de partis et transposent sur la scène politique les
grands conflits de la société civile. Mais par nécessité électorale,
les partis politiques occidentaux s’efforcent d’occulter les
clivages sociaux qu’ils représentent, de ratisser large, en vue
d’accéder au pouvoir, quitte à mettre en œuvre des politiques

231
favorables aux groupes sociaux censés constituer leur base
sociale.

D. LES FONCTIONS LATENTES DES PARTIS POLITIQUES


Selon le sociologue américain Merton, l’analyse
fonctionnaliste des partis politiques doit distinguer les fonctions
manifestes des fonctions latentes. Les fonctions manifestes sont
les conséquences objectives qui contribuent à l’ajustement ou à
l’adaptation du système ; elles sont comprises et voulues par les
participants du système. Au contraire, les fonctions latentes sont
celles qui ne sont ni comprises ni voulues. Appliquant cette
approche fonctionnaliste aux partis américains, l’auteur met en
relief trois fonctions latentes essentielles que jouent ces partis :
L’humanisation et la personnalisation des procédés
d’assistance aux gens dans le besoin par le biais des agents
électoraux des partis qui leur apportent souvent des
soutiens matériels et moraux divers.
L’octroi ou la distribution de privilèges, d’avantages, de
postes et prébendes divers pour toutes sortes de gens.
Une fonction de mobilité sociale pour toutes sortes de gens
de condition modeste ou de basse extraction.
Ce sont ces fonctions latentes essentielles qui renforcent
l’ancrage social des partis et qui les rendent irremplaçables. Par
conséquent, est vouée à l’échec toute tentative visant à
éliminer une structure sociale existante lorsqu’il n’est pas
proposé au préalable des structures de remplacement
adéquates, c’est-à-dire capables de remplir les fonctions
précédemment assurées par l’organisation qu’on veut supprimer.
Appliquant la distinction fonctions manifestes fonctions
latentes au cas français, George Lavau explique comment
certains partis, théoriquement hostiles au système politique et à
ses valeurs, peuvent à la fois constituer une gêne réelle mais
non insurmontable pour ce système politique. Ces partis
contribuent en effet de façon indirecte au maintien de certains

232
éléments de ce système. C’est ainsi que l’auteur montre
comment le Parti communiste français (PCF) exerce ce qu’il
appelle « une fonction tribunitienne ». Ce parti, à l’instar des
tribuns de la plèbe à Rome, intègrerait de façon latente,
inattendue au système capitaliste et de « démocratie
bourgeoise » qu’il combat, les couches et classes défavorisées
qu’il représente et défend. Ce faisant, le PCF renforce
indirectement le système en lui permettant de fonctionner avec
les groupes défavorisés et mal intégrés et en canalisant leur
potentiel subversif au profit de revendications plus limitées,
compatibles avec la survie du système. Ce faisant, il contribue à
légitimer ce système.

SECTION III : LES SYSTEMES DE PARTIS


Le concept de système de parti est décisif pour la
compréhension des régimes politiques. On appelle système de
partis la configuration formée dans le cadre d’un régime
politique, d’un ensemble d’éléments interdépendants, résultant
du nombre et de la dimension des partis politiques existants.
Deux critères essentiels sont utilisés pour classer les systèmes de
partis : le nombre de partis politiques et leurs dimensions.

§ 1 : Les classifications fondées sur le nombre de partis


Les systèmes de partis peuvent être qualifiés de
compétitifs ou de non compétitifs, selon qu’ils admettent ou pas
un degré variable de concurrence entre les formations
politiques. En se fondant sur le nombre des partis, il convient de
distinguer le monopartisme des différentes variantes du
multipartisme.

A. LES SYSTEMES NON COMPETITIFS


La plupart des Etats africains ont accédé à l’indépendance
dans un contexte de pluralisme politique. Mais ce pluralisme
233
hérité de la décolonisation sera un feu de paille. Certes, certains
pays comme le Bénin d’avant 1975, la Haute Volta (Burkina Faso)
des années soixante-dix, et le Sénégal des années soixante-dix
et quatre-vingts ont connu des élections présidentielles et
législatives plus ou moins pluralistes et sincères. En Haute Volta
en particulier, le président sortant, le général Lamizana sera mis
en ballottage lors de l’élection présidentielle de 1978 avant
d’être élu au second tour; ce qui constituait une grande
première dans une Afrique alors dominée par le monopartisme et
des élections non concurrentielles. En effet, dans la plupart des
pays francophones, les nouvelles élites dirigeantes, excipant des
impératifs de la construction de l’Etat-nation et du
développement économique et social, vont progressivement
supprimer le pluralisme politique, et imposer aux citoyens des
élections « sans choix » dans le cadre de partis uniques de fait
ou de droit. Plusieurs auteurs considèrent que le « parti unique »
n’est pas un véritable parti, mais plutôt une institution en raison
du fait qu’il exclut l’existence d’autres formations politiques et
s’incarne dans l’Etat. Il ne faut pas cependant confondre les
partis marxistes-léninistes, qui sont l’avant-garde de la classe
ouvrière, avec les partis uniques africains qui sont plutôt des
instruments au service d’un pouvoir personnel. Dans ce
contexte, les citoyens pouvaient voter, non pas pour choisir
entre plusieurs offres politiques, mais pour ratifier celle que lui
imposait le parti unique au pouvoir. Ce fut le cas au Dahomey
avec la proclamation de la République populaire du Bénin le 30
novembre 19751. Ce fut également le cas en Haute Volta avec
l’instauration officielle du parti unique en novembre 1962
jusqu’à la chute de la Ie République en 19662. Au Mali, un parti

1
Celle-ci prit fin en décembre 1989, suite à la conférence nationale souveraine de février - mars 1990 et à l’adoption
de la Constitution du 2 décembre 1990.
2
Par la suite, les régimes constitutionnels, qui alterneront avec les régimes issus de coups d’Etat militaires, vont
consacrer le multipartisme intégral ou le tripartisme. La Constitution de la 2 e République (1970-1974) et celle de la
4 e République en cours depuis 1991 ont consacré le multipartisme intégral alors que la Constitution de la 3e
République (1977-1980), elle, consacrait le tripartisme en ne reconnaissant que les trois premiers partis arrivés en
tête à l’issue des élections législatives de 1978, les autres partis étant dissous de droit.

234
unique de fait a émergé dès 1959 avec le ralliement de
l’opposition au parti au pouvoir, avant d’être officiellement
consacré sous la 2e République fin mars 19791. Au Sénégal, un
monopartisme de fait est instauré le 13 juin 1966 avec la fusion
du seul parti d’opposition légale (Parti du regroupement
africain) avec le parti au pouvoir (l’Union progressiste
sénégalaise). Il y sera mis fin le 26 mars 1974 avec la
reconnaissance du Parti démocratique sénégalais (PDS), la
consécration du tripartisme le 1er avril 1976, puis du
multipartisme intégral le 24 avril 1981. A l’exception du
Sénégal2, et, dans une moindre mesure le Gabon3, les autres
pays francophones ont par ailleurs connu des coups d’Etat
militaires qui ont souvent conduit à la suspension de la
Constitution et de l’exercice du suffrage. En Côte d’Ivoire, de
1960 à 1979, les élections législatives se déroulaient sur la base
d’une circonscription électorale unique, le territoire national.
Les candidats étaient soigneusement sélectionnés sur une liste
unique par le bureau politique du parti unique, le Parti
démocratique de Côte d’Ivoire/Rassemblement démocratique
africain (PDCI-RDA), sous la supervision du président de la
République. Cette liste pouvait, par la suite, faire l’objet de
ratification par le corps électoral convoqué à cet effet4. A partir
des années 80, le régime ivoirien va mettre en place un système
semi-compétitif. Cette fois-ci, le territoire national est divisé en
plusieurs circonscriptions électorales, mais c’est toujours le
ministère de l’Intérieur qui est chargé d’organiser les élections.
Plusieurs candidats pouvaient s’affronter pour les postes
électifs. Et bien qu’organisées dans le cadre du parti unique, les
élections représentaient un enjeu considérable pour les acteurs
politiques. Elles permettaient de récompenser les collaborateurs

1
Ce monopartisme sera abandonné avec la chute du président Moussa Traoré en mars 1991 et la promulgation le 25
février 1992 de la Constitution de la 3e République.
2
Qui a cependant essuyé une tentative de coup d’Etat en 1962.
3
Un coup d’Etat a eu lieu en 1964. Il a fallu l’intervention de l’armée française pour réinstaller presque aussitôt le
président Léon M’Ba au pouvoir.
4
La même technique a été utilisée au Burkina Faso sous la Ie République (1960-1966).

235
les plus fidèles, de sanctionner les collaborateurs les moins
zélés, de tester l’audience et la capacité de mobilisation de ces
collaborateurs, de se débarrasser des moins populaires et,
finalement, de consolider les bases du pouvoir en place. Les
vainqueurs consolidaient leur statut de collaborateurs fidèles du
chef de l’Etat et entraient, du coup, dans le cercle étroit du
pouvoir, cependant que les vaincus en étaient exclus, lorsqu’ils
n’étaient pas récupérés et recyclés ailleurs dans des positions de
pouvoir plus ou moins stratégiques. En raison de ces enjeux, les
élections étaient âprement disputées sur le terrain. Des fraudes
ont même été relevées par les observateurs (bourrages d’urnes,
déplacements d’urnes, etc.). Mais ce système semi-compétitif
connaît des limites, les rivalités entre candidats étant
strictement encadrées par le monopole de la scène politique
exercé de facto par le PDCI-RDA en violation de l’article 7 de la
Constitution du 3 novembre 1960 qui consacrait le
multipartisme1. A cela il faut ajouter le patronage d’un
président charismatique envers lequel tout candidat devait faire
acte d’allégeance et l’impossibilité de présenter une alternative
au système ou à la politique en vigueur. Ces « élections pas
comme les autres » n’étaient donc pas dépourvues de
signification. Loin s’en faut. Elles n’avaient certes pas pour
objet d’offrir aux électeurs des alternatives politiques
fondamentales, mais donnaient aux élites dirigeantes « la
possibilité de mobiliser la population, de s’informer de ses
dispositions d’esprit et de prendre connaissance de l’état des
instances locales du parti»2. Ces élections, en d’autres termes,
jouaient essentiellement une fonction de légitimation interne et
externe.

B. LES SYSTEMES COMPETITIFS


1
« Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité
librement sous la condition de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, et les lois de
la République »
2
Klaus Ziemer, Le phénomène du parti unique, in Daniel Bach et Anthony A. Kirk-Greene, Etats et sociétés en
Afrique francophone, Paris, Economica, 1993, p.114.

236
Hormis le cas particulier des partis uniques qui sont
incompatibles avec la démocratie pluraliste, il faut distinguer,
en se fondant sur le nombre de partis, le bipartisme et le
multipartisme auxquels il faut adjoindre un système
intermédiaire.

1. Le bipartisme parfait ou rigide


Il y a bipartisme lorsqu’il n’y a que deux partis politiques à
jouer un rôle essentiel sur l’échiquier politique. Le bipartisme
est rigide (cas de la Grande-Bretagne) ou au contraire souple
(cas des Etats-Unis), selon qu’il existe ou non une discipline de
vote stricte au niveau des groupes parlementaires des deux
partis. Il est parfait lorsque les deux partis de tête totalisent au
moins 90% des voix, ou imparfait lorsqu’un tiers parti obtient
assez de voix pour perturber le jeu des deux grands partis qui
doivent se contenter de 75 à 80% des voix.
Pour M. Duverger, trois éléments fondamentaux permettent
de caractériser le bipartisme parfait :
La première caractéristique du bipartisme c’est d’assurer
automatiquement à l’un des deux partis la majorité absolue
des sièges à l’assemblée élue au suffrage universel direct,
laquelle permet la pratique du gouvernement de
législature, garantit la stabilité ministérielle et affermit
l’autorité de l’Etat. Ce premier avantage est obtenu à
condition que les deux partis à vocation majoritaire
totalisent entre 80 et 90% des suffrages exprimés. La
réunion de cette condition permet à l’un d’entre eux de
disposer, grâce au scrutin majoritaire uninominal à un tour,
de la majorité absolue des sièges à l’Assemblée.
La seconde caractéristique du bipartisme parfait c’est
d’assurer le plein emploi de la représentation des
électeurs : c’est son deuxième avantage. Lorsqu’en effet
les deux partis à vocation majoritaire totalisent 85 à 90%
des suffrages exprimés, la même proportion d’électeurs se

237
trouve représentée non seulement au Parlement, mais aussi
au gouvernement.
La troisième caractéristique du bipartisme parfait c’est
qu’en élisant le député de sa circonscription, l’électeur
anglais sait à l’avance en faveur de quel Premier ministre il
se prononce si son parti remporte les élections. Ce système
permet de faire l’économie d’une élection présidentielle
parallèle, mais aussi et surtout, assure automatiquement la
cohésion et la cohérence entre la majorité parlementaire
et la majorité gouvernementale.

Le bipartisme parfait est un système singulier aux pays de


culture anglosaxonne et n’a jamais pu être implanté
durablement ailleurs. Ce particularisme pourrait s’expliquer par
le fait que les deux partis ayant vocation à détenir la majorité
absolue des voix incarnent deux styles d’autorité et de projets
de société différents, mais aussi et surtout par le fait qu’ils
ambitionnent de gouverner alternativement seuls sans
bouleverser l’ordre social ; ce qui suppose l’existence d’un
véritable consensus traversant la société. Au contraire, le
multipartisme oblige tout parti qui accède au pouvoir à
gouverner avec d’autres et l’autorise à leur imputer ses échecs.
C’est à défaut de pouvoir implanter le parlementarisme biparti
de type anglais que certains constituants de l’Europe
continentale ont inventé le parlementarisme rationalisé. Ce qui
a favorisé la formation de la bipolarisation des partis et non le
bipartisme.

2. Le bipartisme imparfait
Le bipartisme imparfait existe à partir du moment où, en
marge des deux principaux partis, apparaît un troisième
partenaire capable de dérégler le système et de déterminer la
formation des coalitions soutenant le gouvernement. Une telle
hypothèse a déjà été corroborée en Grande Bretagne. Mais

238
l’archétype du bipartisme imparfait demeure l’Allemagne où un
tiers parti, le parti libéral (FDP), parvient généralement à
empêcher l’un des deux principaux partis, la CDU (Parti
Démocrate Chrétien) et le SPD (Parti Social-Démocrate) à
obtenir la majorité absolue des sièges au Bundestag, et à rendre
nécessaire sa participation au gouvernement avec l’un des deux
grands partis. Mais lors des élections générales de 1998 qui ont
permis l’alternance après 15 ans de règne du chancelier H. Kohl
de la CDU, le parti écologiste, les Verts, a supplanté le parti
libéral dans son rôle d’appoint, en s’alliant au SPD victorieux.
Il faut cependant souligner que les deux grands partis ont
déjà fait l’expérience du gouvernement de « grande coalition ».
C’est le cas actuellement avec le gouvernement présidée par la
première femme Chancelière Angela Merkel de la CDU, qui
accède au pouvoir le 10 octobre 2005.

3. Le multipartisme
Le multipartisme se caractérise essentiellement par la
diversité et la souplesse. Il est intégral lorsqu’il n’y a pas de
restriction à la création de nouveaux partis. Il est tempéré
lorsque la loi limite le nombre de partis selon des modalités
variables. Ce fut le cas au Sénégal et en Haute Volta dans les
années 70 où la loi instituait un tripartisme à fondement
idéologique dans le premier cas (libéralisme, socialisme,
marxisme), et le tripartisme constitué par les trois premiers
partis arrivés en tête lors des législatives.
A la fin des années 80, l’Afrique francophone va renouer
avec les systèmes compétitifs qu’elle avait abandonnés ou
bridés, dans le cadre de processus de libéralisation politique ou
de démocratisation. En effet, pressés de l’intérieur comme de
l’extérieur, les régimes autoritaires seront contraints de
consacrer la liberté d’association, le multipartisme, le droit à la
participation, le principe des élections concurrentielles comme
fondements d’une gouvernance démocratique exigée non

239
seulement par les puissances occidentales, parmi lesquelles la
France à travers le fameux discours de La Baule de 1990, mais
aussi par des citoyens de plus en plus organisés à travers les
partis d’opposition ou la société civile. Ce triomphe du
multipartisme et du droit de suffrage se manifestera à travers
l’adoption de nouvelles lois constitutionnelles, chartes des partis
politiques et lois électorales consacrant le suffrage universel,
égal et secret ainsi que le droit des partis politiques à concourir
à son expression1. Les nouvelles Constitutions se conforment
ainsi aux dispositions de plusieurs instruments juridiques
internationaux, au nombre desquels la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme de 1948 qui, en son article 21 alinéa 1 et
2, dispose que : « toute personne a le droit de prendre part à la
direction des affaires publiques de son pays, soit directement,
soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ; la
volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs
publics ; cette volonté doit s'exprimer par des élections
honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage
universel, égal et au vote secret ou suivant une procédure
assurant la liberté de vote »2. Il va en résulter l’émergence d’un
multipartisme intégral. Ainsi, au Bénin, il existe officiellement
plus d’une centaine de partis politiques. D’autres pays de la
sous-région comme le Mali ou le Burkina se rapprochent de ce
record. En réalité, bon nombre de ces formations politiques sont
faiblement institutionnalisées et n’ont qu’une existence
fantomatique, passée la période des élections. D’où leur
incapacité à jouer efficacement les principales fonctions
dévolues aux partis politiques, à savoir les fonctions
d’agrégation et d’articulation des intérêts, d’intégration sociale,
les fonctions programmatiques, voire d’expression du suffrage.

1
Voir par exemple l’article 6 de la Constitution du Bénin, l’article 33 de la Constitution du Burkina Faso, l’article 27
de la Constitution du Mali.
2
Ces principes sont repris par l’article 25 du pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques. Quant à
la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, elle consacre, elle aussi, le droit de participation à la
direction des affaires publiques, mais ne reconnaît pas expressément l'importance des élections périodiques, libres et
authentiques comme moyen d'assurer le respect des droits politiques.

240
Sur le plan théorique, Maurice Duverger affirme qu’au-delà
de trois partis politiques, la réalité du système partisan sera la
même, dans la mesure où lorsqu’il existe au moins trois partis de
gouvernement, il est rare que l’un d’entre eux puisse détenir la
majorité absolue des sièges à l’assemblée. Ce qui rend probable
la formation de gouvernement de coalition dont la cohérence est
variable.
Le multipartisme, surtout s’il est intégral, comporte de
nombreux inconvénients. D’abord il peut rendre difficile la
recherche d’une majorité parlementaire stable et cohérente
capable de soutenir fidèlement et durablement le
gouvernement. Ensuite lorsqu’il repose sur des petites
formations, il tend à pousser ces dernières à défendre des
positions particularistes, ce qui rend difficile l’agrégation des
intérêts. Enfin, le multipartisme intégral a l’inconvénient de
conduire à la dépossession des électeurs au profit des états-
majors des partis politiques qui prennent les décisions
essentielles en fonction des coalitions et des compromis qu’ils
ont passés.

§ 2 : Les classifications fondées sur la dimension des partis

La dimension des partis politiques est mesurée à partir du


nombre de leurs électeurs, plus exactement à partir du nombre
de sièges obtenus par chaque parti à l’assemblée élue au
suffrage universel. Cet outil de mesure est complété par le
nombre de suffrages exprimés à l’élection directe du Chef de
l’Etat lorsqu’il s’agit d’un régime présidentiel ou semi-
présidentiel.
Ainsi, par référence au nombre de sièges répartis, une
nouvelle typologie des systèmes de partis a été proposée,
distinguant le parti majoritaire, le parti dominant et le parti
minoritaire.

241
A. LES SYSTEMES DE PARTIS FONDES SUR L’EXISTENCE DE
PARTIS MAJORITAIRES
Les systèmes de partis dotés de partis à vocation
majoritaire sont ceux qui comprennent un ou deux partis
capables de recueillir la majorité absolue des sièges. On
distingue deux versions différentes :
la première variante suppose la compétition de deux partis
à vocation majoritaire, l’un ayant recueilli la majorité des
sièges est en situation de gouverner ; l’autre, confiné dans
l’opposition attend l’alternance pour le faire à son tour.
Cette version recoupe le système bipartite; mais ici c’est
davantage la dimension des partis qui compte beaucoup
plus que leur nombre ;
la seconde variante résulte du croisement de la dimension
des partis avec la présence de plus de deux partis : c’est
l’hypothèse du multipartisme combiné avec la présence
d’un parti majoritaire ; hypothèse qu’on trouve rarement
dans les démocraties occidentales.

B. LES SYSTEMES DE PARTIS CARACTERISES PAR LA


PRESENCE D’UN PARTI DOMINANT
Un parti dominant se définit par deux traits : il tend à
s’identifier au régime politique auquel il sert de soutien et, sous
réserve de recueillir au moins le tiers des suffrages exprimés, il
distance en nombre de sièges les autres partis de gouvernement
par un écart significatif et durable. Cette distance constitue
finalement le trait essentiel. Mais dans certains systèmes, le
parti dominant exerce en réalité une hégémonie qui rend
improbable à terme l’hypothèse d’une alternance. Un parti est
ultra dominant lorsqu’il dispose régulièrement, à lui seul, de la
majorité absolue des suffrages, alors qu’un parti dominant
franchit rarement ce seuil. De plus, le parti ultradominant a
tendance à abuser de sa position hégémonique et manifeste de
nettes tendances autoritaires.

242
Le parti dominant ou ultradominant tient généralement sa
position hégémonique de la multiplicité et du morcellement de
ses adversaires, alors que le parti unique tient sa position d’un
monopole et de l’interdiction des autres formations politiques.
Un parti dominant peut ne pas occuper le pouvoir si ses
adversaires se coalisent contre lui pour le mettre en échec.
Le système à parti dominant permet généralement
d’assurer une grande stabilité gouvernementale. Mais il n’en est
pas toujours ainsi. En effet, il existe certains partis dominants
qui, faute d’homogénéité, de discipline de vote du fait de la
prégnance des factions, contribuent à entretenir l’instabilité
gouvernementale. Mais l’inconvénient majeur du système de
parti dominant c’est de comporter un risque d’immobilisme.
Comme le dit un auteur, « à gouverner sans concurrence on
gouverne sans talent ». C’est ensuite de comporter un risque de
transfert de l’opposition politique sur d’autres sites, notamment
au niveau des groupes de pression ou des organisations de la
société civile. Enfin, son troisième inconvénient c’est de
comporter un risque de cassure du consensus du fait de la
marginalisation d’une part plus ou moins importante des forces
politiques et des opinions. Faute d’alternative constitutionnelle
crédible se développe une opposition hors système.

C. LES SYSTEMES DE PARTIS RESULTANT DE LA COALITION


DES PARTIS MINORITAIRES
Il existe des systèmes de partis qui ne comportent ni parti
majoritaire ni parti dominant, mais deux sortes de formations
politiques : des partis minoritaires de moyenne importance et
des petits partis. Le problème qui se pose est alors celui de la
constitution d’une coalition susceptible de former une majorité.

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