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1
Le droit public peut être défini comme « l’ensemble des règles juridiques selon lesquelles l’Etat agit et entretient
des rapports avec les individus et les autres Etats ». Il s’oppose au droit privé, qui peut être défini comme
« l’ensemble des règles juridiques selon lesquelles les particuliers, individuellement ou en groupes, entretiennent des
rapports ». Trois critères essentiels permettent d’opérer la distinction entre le droit public et le droit privé : les
critères formel, organique et matériel. Le critère formel renvoie au procédé d’édiction des actes juridiques, et permet
de distinguer l’acte unilatéral émis par une personne publique de l’acte conventionnel qui résulte d’un accord de
volontés dans un cadre contractuel par exemple. Le critère organique, qui repose sur la qualité des personnes en
cause, permet de déterminer la nature des rapports juridiques (rapports de droit public ou rapports de droit privé).
Quant au critère matériel, qui renvoie au contenu de l’acte, il permet de distinguer l’intérêt général de l’intérêt
particulier. Voir Charles Debbasch et autres, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Economica, 1983,
p.8.
2
François Terré, Introduction générale au droit, 4e édition, Paris, Dalloz, 1998, p.157.
1
constitutionnel, certains auteurs se réclament de l’école du
droit naturel, cependant que d’autres se réclament du
positivisme juridique.
2
gouvernants, même s'ils ne sont pas inscrits dans un texte
constitutionnel1.
1
Georges Burdeau et autres, Droit constitutionnel, 25e édition, Paris, LGDJ, 1997, p. 35-36.
2
Ibid., p.36.
3
Pour le positivisme juridique, l'objet de la science du droit
est le droit positif qu'il faut décrire. Pour cette doctrine, une
véritable science du droit se compose de propositions qui
décrivent des normes. Ces propositions sont vraies lorsqu'elles
décrivent des normes qui existent, et fausses dans le cas
contraire. La science du droit constitutionnel ne se réduit pas
cependant à une « description plate » consistant à reproduire la
norme en l'énonçant différemment. Il faut, en effet, savoir que
les normes constitutionnelles ne sont pas toujours accessibles au
sens, et qu'il faut souvent, à l'aide de propositions de droit,
comprendre, expliciter, dégager leurs significations. En d’autres
termes, la science du droit constitutionnel, comme toute
science du droit, a pour objet spécifique la Constitution et pour
fonction l'énonciation de propositions de droit, qui doivent
décrire les normes constitutionnelles, les expliciter, les situer
d’un point de vue formel et matériel, dans le cadre du système
juridique auquel elles appartiennent.
1
Cité par Jean-Louis Quermonne, L’appareil administratif de l’Etat, Paris, Le Seuil, 1991, p.20.
4
dilué dans la science politique avant de subir enfin une profonde
mutation.
5
leur signification juridique… [devenant ainsi des] figures de
survivance dans un milieu auquel elles sont impuissantes à
imposer leur loi »1. Un tel constat d’impuissance vaut pour
beaucoup d’Etats africains, en particulier pour le Burkina Faso,
même si on peut douter que les constitutions aient par le passé
réussi à s’ancrer dans les mœurs politiques, à en juger par la
fréquence des régimes non constitutionnels qui se sont succédés
dans ce pays.
6
qu’elle permet « d'atteindre la réalité là où le droit
constitutionnel [classique], n'offre à l'examen que des principes
livresques ou des règles dépourvues de toute signification
concrète »1. Dans cette perspective, il convient, dans l’analyse,
de prendre en compte les différents aspects sociologiques,
philosophiques, psychologiques, historiques des institutions
constitutionnelles, qui se situent au-delà du droit mais ne
peuvent être ignorés sous peine de passer à côté du réel. Le
recours aux méthodes de la science politique vise à décrypter les
« constructions sociales » de la réalité juridique et politique
ainsi que les mystifications, à dévoiler les luttes concurrentielles
pour la conquête et la conservation du pouvoir. Il s’agit,
« derrière l’apparente objectivité des institutions, [de
reconstituer] les processus et les conflits sociaux qui ont permis
la construction de l’institution, sa définition, ses usages, sa mise
en scène »2. Cette démarche vise ainsi « à mettre au jour les
réalités sociales cachées derrière la fausse objectivité du jeu
institutionnel, …mieux saisir les ‘usages et genèses d’une
institution’ »3. C’est dans ce contexte d’ailleurs que les
programmes des études de droit ont été modifiés en France pour
instituer des cours de “droit constitutionnel et institutions
politiques”. L'adjonction de cette dimension institutionnelle
n’avait pas pour but de remplacer le cours de droit
constitutionnel par un cours de science politique, mais de le
compléter, de l’approfondir en empruntant à la science
politique un certain nombre de méthodes d’analyse telles que
l’analyse stratégique et l’analyse systémique4. Cependant, ce
compromis n’était guère satisfaisant et n’a guère enrayé le
déclin du droit constitutionnel jusqu’au début des années 80.
1
Ibid.
2
Christian Bidégaray, Parler en politiste des institutions : enseigner le droit politique de la gouverne, in Pierre Favre
et Jean-Baptiste Legavre, dir., Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1998, p.139.
3
Ibid.
4
La première consiste à éclairer les actions des pouvoirs publics en les concevant comme des conduites organisées
en vue de fins précises, et en fonction de conduites réelles ou probables des autres pouvoirs publics. Quant à
l’analyse systémique, elle envisage le pouvoir comme un ensemble d’éléments en interactions tels que la
modification d’un élément entraîne la modification de l’ensemble du système.
7
En effet, pendant les dix ou quinze premières années de la
e
V République française instituée par la Constitution d’octobre
1958, le droit constitutionnel français a été qualifié de « droit
sans juge et droit non juridique »1. La jurisprudence et le
système normatif étaient en particulier négligés par les auteurs
en raison non seulement de la « sacralisation » de la loi mais
aussi du refus des contre-poids à la souveraineté nationale dont
le parlement était dépositaire. La « sacralisation » de la loi
votée par le parlement avait plusieurs conséquences : la loi avait
vocation à couvrir tout le champ normatif, son domaine ne
pouvait être limité ni par la Constitution ni par le règlement, et
constituait la norme la plus élevée de l’ordre juridique dès lors
qu’elle était votée dans les conditions fixées par la Constitution.
S’agissant du refus des contre-poids à la souveraineté, le Conseil
d’Etat pouvait affirmer en 1936 que « dans l’état actuel du droit
public français, le moyen tiré de ce qu’une loi serait contraire
aux lois constitutionnelles n’est pas de nature à être discuté
devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux »2, alors qu’aux
Etats-Unis, l’arrêt Marbury vs. Madison de 1803 avait déjà posé
les bases d’un contrôle de constitutionnalité des lois.
1
Voir Didier Maus, Où en est le droit constitutionnel ? Mélanges en l’honneur de Frank Moderne, Mouvement du
droit public. Du droit administratif au droit constitutionnel. Du droit français aux autres droits, Dalloz, 2004, p.691-
741.
2
Voir l’arrêt Arrighi du 6 novembre 1936.
8
comme le Burkina Faso le contentieux constitutionnel demeure
extrêmement faible et le juge constitutionnel demeure prudent
lorsqu’il tente de sortir du carcan dans lequel l’a enfermé le
constituant.
9
ceux-ci doivent être élus de manière démocratique, mais aussi
rendre compte dans la période comprise entre deux élections.
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pratique d’un sport en se contentant de lire le règlement de la
fédération qui le régit, autant il serait difficile d’apprécier
convenablement le déroulement d’un match sans la
connaissance de ces règles. De même, sans une lecture des
règles constitutionnelles on ne peut non plus comprendre
certains comportements des acteurs du jeu politique. Tout
comme l'enseignement du droit administratif est inconcevable
sans la jurisprudence administrative, il est nécessaire d'intégrer
dans l'étude du droit constitutionnel la jurisprudence
constitutionnelle, à travers le commentaire des arrêts ou
décisions de la justice constitutionnelle. Celle-ci peut être
étudiée selon une approche comparative. Il serait par exemple
intéressant de confronter la justice et la jurisprudence
constitutionnelles du Bénin ou d’autres pays africains (Afrique du
Sud par exemple) avec celles du Burkina Faso. L’intégration dans
l’étude des dispositions à caractère constitutionnel et décisions
juridictionnelles des instances communautaires qui commencent
à se multiplier (Cour de justice de l’UEMOA, de la CEDEAO, Cour
africaine des droits de l’homme et des peuples) peut également
s’avérer heuristique.
Mais il serait absurde de vouloir comprendre la vie politique
d’un pays au travers seulement de sa Constitution et de sa
sanction par les juges constitutionnels, surtout si une telle
sanction paraît hypothétique sinon inexistante. Comme l’affirme
Pierre Avril, « le droit constitutionnel souffre d’hémiplégie s’il
s’isole de la science politique. Et réciproquement »1. Pour le
politiste, le droit constitutionnel est avant tout le produit d’une
société et d’une histoire données. Il porte non seulement sur des
règles mais aussi sur leur esprit et les usages qu’en font les
acteurs, pour paraphraser le Général de Gaulle qui, dans sa
conférence de presse du 31 janvier 1964, affirmait qu’une
constitution était à la fois "un esprit, des institutions, et une
pratique". Comme l’affirme Mirkine-Guetzevitch, « ceux qui ne
1
Ibid.
11
voient dans le constitutionnel que le juridique, mettent en
doute l’existence même de la science politique. Or, si la
méconnaissance de règles juridiques est certes dangereuse, non
moins dangereux sont les abus, les excès, la rigidité de ce qu’on
peut appeler le ‘monisme juridique’»1. Le droit constitutionnel
ne saurait donc se réduire à la jurisprudence constitutionnelle
qui, au demeurant, n’échappe pas à des calculs stratégiques de
la part des acteurs. Le constitutionnaliste ne peut par
conséquent se borner à exposer les règles constitutionnelles. Il
doit aussi s’intéresser à la pratique, la façon dont celles-ci sont
mises en œuvre2.
1
Louis Favoreu et autres, p.20.
2
Ainsi, pour Christian Bidégaray, le droit constitutionnel doit s'appréhender comme « le droit politique de la
gouverne », c’est-à-dire un droit qui régit les rapports entre gouvernants et gouvernés (Christian Bidégaray, Parler en
politiste des institutions : enseigner le droit politique de la gouverne, in Pierre Favre et Jean-Baptiste Legavre, dir.,
Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1998, p.127 et ss). Ainsi défini, le droit constitutionnel implique
l'étude des pouvoirs constitutionnels (exécutif, législatif, juridictionnel, haute administration) à travers lesquels on
peut réfléchir aux effets de domination qui sont à la base de tout pouvoir, l'étude du mode de gouvernement de la
société à travers la question des difficultés et de l'efficacité du pilotage qui sont des questions au cœur de la
problématique de la gouvernance. Les régimes constitutionnels modernes, ainsi que le suggère Jean-Louis
Quermonne dans son manuel intitulé "Le gouvernement de la France sous la Vè République", peuvent s’appréhender
à travers la thématique du constitutionnalisme et de l’Etat de droit, de la séparation des pouvoirs et de l’émergence
de contre-pouvoirs, du principe majoritaire et des modes de gouvernement, des modes de scrutin et de la démocratie
élective, de la société civile, des partis politiques, des systèmes de partis, des tempéraments politiques droite/gauche,
de l’Etat et de l’administration publique.
3
Ainsi, au Burkina Faso le contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires n’est pas obligatoire mais seulement
facultatif, et le juge constitutionnel ne peut être saisi que par le Président du Faso, le premier ministre et le président
de l’Assemblée nationale, tous trois issus du même parti politique, et un cinquième des députés. Or, aucun parti
politique de l’opposition ne dispose de suffisamment de députés pour saisir le juge constitutionnel. Compte tenu des
divisions internes de l’opposition, une saisine conjointe demeure hypothétique. Le résultat est que la quasi-totalité
des lois ordinaires votées au Burkina Faso échappe en pratique au contrôle du juge constitutionnel.
12
souvent trop encadrée pour leur permettre de connaître de
toutes les atteintes à la Constitution. Qui plus est, le contexte
autoritaire dans lequel ils sont appelés à statuer les empêche
souvent de développer une jurisprudence audacieuse qui
pourrait leur coûter soit leur poste, soit leur vie. Ainsi, le droit
constitutionnel apparaît comme « un droit de la lettre », dans la
mesure où le juge ne contrôle pas l’esprit dans lequel la
constitution a été établie. Aussi les acteurs du jeu politique se
servent-ils des mécanismes et procédures constitutionnels
comme autant d’instruments dans leur lutte pour la conquête ou
la conservation du pouvoir. Ce qui fait dire que le droit
constitutionnel est un droit politique, qui « met à la disposition
des acteurs du jeu politique un arsenal de règles et de
procédures dans lequel chacun puise les instruments – on
pourrait dire les armes - aptes à renforcer sa position, à
‘marquer des points’, si possible, à faire triompher ses idées et
sa politique »1. Cependant, le droit constitutionnel ne saurait se
réduire à un ensemble de règles sans âme, sans signification
autre qu’instrumentale, surtout dans un régime politique qui se
veut démocratique. Dans un tel contexte en effet, les
gouvernants ne sauraient se prévaloir de leur légitimité politique
et de la confiance d’une majorité qualifiée de députés pour
instaurer une dictature au moyen de la loi : « si les règles sont
bien des instruments, ceux-ci ne peuvent être dissociés de leurs
fins. Le détournement des procédures n’est peut-être pas
contrôlé en droit constitutionnel ; il existe cependant. Les
progrès de l’Etat de droit doivent faire du respect de l’esprit et
des finalités du texte constitutionnel une exigence morale dont
le suffrage universel sera la sanction »2. Encore que le suffrage
universel peut lui-même faire l’objet de manipulations surtout
lorsque la majorité des électeurs est analphabète. C’est au nom
de cette conception purement instrumentale de la constitution
que de nombreux gouvernants africains manipulent les
1
Philippe Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, 12e édition, Paris, LGDJ, 2000, p.11
2
Ibid., p.13.
13
procédures constitutionnelles et règles électorales pour se
maintenir au pouvoir. Seule une approche débarrassée du carcan
du positivisme strict permettra aux juges constitutionnels de
poser des garde-fous à des régimes constitutionnels autoritaires.
1
La juridicité des institutions politiques s’explique par le fait que le droit est inhérent à l’institution. Les institutions,
comme l’a montré le doyen Hauriou, naissent, vivent et meurent juridiquement. Il en va de même des institutions
politiques, même si leur degré de juridicité est variable. Le droit lui-même peut être considéré comme une
« institution inerte ». En tant que « force instituée », il doit être mis en relation avec les « forces instituantes ». Dans
cette optique, les règles constitutionnelles doivent être appréhendées comme le produit d’un rapport de force appelé à
évoluer au gré des équilibres politiques. Jacques Chevallier, Droit constitutionnel et institutions politiques : les
mésaventures d’un couple fusionnel, in Mélanges Pierre Avril, La République, Montchrestien, 2001, p.195.
2
Ibid., p.199.
14
Le droit constitutionnel n’est pas seulement une science
juridique traversée par plusieurs courants de pensée. C’est aussi
un ensemble de normes constitutionnelles. Les normes étudiées
en droit constitutionnel sont ainsi qualifiées parce que
consacrées par la constitution, une notion susceptible d’être
définie au sens matériel ou au sens formel.
1
François Chevrette et Herbert Marx, Droit constitutionnel, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal,
1982, p.16 et s.
15
plus en plus divers et variés qui ne sont pas nécessairement liés
à l’exercice du pouvoir d’Etat1.
16
est donc révisé selon les procédés d’adoption d’une loi
ordinaire. A l’inverse, une norme peut être constitutionnelle
formellement sans l'être matériellement. Il n’existe pas
d’exemple précis en droit constitutionnel burkinabè. Mais il faut
rappeler qu’en France, la Caisse autonome d’amortissement a
été constitutionalisée en 1926 afin de rassurer les épargnants et
qu’en Suisse, la Constitution interdisait l'abattage des animaux
selon le rite juif1. Dans les deux cas, des matières qui n’ont
aucun lien direct avec l’exercice du pouvoir politique ou le
fonctionnement de l’Etat se retrouvaient dans le texte
constitutionnel, devenant ainsi des matières constitutionnelles
d’un point de vue formel. C’est dans ce sens que Montané de la
Roque pouvait affirmer : « il n’existe pas en soi un objet
constitutionnel. N’importe quoi peut faire partie de la
Constitution si le pouvoir constituant le veut »2. A l’inverse,
certaines matières constitutionnelles par nature (si l’on
considère leur objet) peuvent ne pas se retrouver dans la
Constitution formelle si telle est la volonté du constituant. Ainsi,
dans les traditions juridiques française et africaine de succession
française, les systèmes électoraux, une bonne partie du régime
juridique des partis politiques et du financement de la vie
politique ne sont pas régis par la Constitution formelle mais par
des lois ordinaires. De telles matières peuvent être pourtant
considérées comme constitutionnelles du point de vue matériel.
17
tendance a entraîné une extension du champ matériel du droit
constitutionnel. Celui-ci comprend désormais de nombreuses
matières régies et protégées au moins en partie par des normes
formellement constitutionnelles et dont la suprématie est
garantie par le contrôle de constitutionnalité opéré par des
juges constitutionnels.
1
Henri Brun et Guy Tremblay, Droit constitutionnel, Québec, Editions Yvon Blais, 2002, p.9.
18
Toutes ces périodes historiques n’ont pas la même
influence sur le droit constitutionnel formel du Burkina Faso. Il
n’en demeure pas moins qu’elles restent présentes dans
l’exercice même de l’autorité publique, en dépit du discours du
droit positif.
19
démantèlement de la colonie par le décret du 5 septembre 1932.
Le pays sera écartelé entre les colonies voisines (Soudan
français, Niger, Côte d'Ivoire) et sera transformé en réservoir de
main-d’œuvre. L'essentiel des infrastructures est démantelé, et
une grande partie du personnel administratif est affectée dans
les colonies voisines. Une telle situation va plonger le territoire
dans une profonde léthargie et s'avèrera un lourd handicap pour
le développement économique et social du territoire lorsque
celui-ci accèdera à l'indépendance.
20
présidées par un fonctionnaire entouré d’assesseurs coutumiers
choisis parmi les notables coutumiers. Ces tribunaux étaient
soumis au contrôle du gouverneur et du procureur général. Ces
tribunaux étaient organisés en premier, deuxième degré et en
tribunaux d’appel, rappelant ainsi la structure hiérarchique de
l’appareil judiciaire de l’Etat. L’ordre juridique colonial reposait
donc sur un droit en partie dérogatoire, sur l’inégalité et
l’arbitraire. Jusqu’en 1946, affirme Etienne Le Roy, le droit
applicable dans les territoires coloniaux français ne reposait pas
sur la loi votée par le parlement français, mais sur un décret
présidentiel pris sur proposition du ministre en charge des
colonies1. De plus, les populations locales étaient soumises au
code de l’indigénat, qui conférait aux autorités administratives
le pouvoir de « frapper les sujets de sanction pénale sans avoir à
en justifier devant une autorité judiciaire »2.
21
la République est proclamée, la Haute-Volta devenant Etat
membre de la communauté. Quelques mois plus tard, des
accords de transfert des compétences communes de la
communauté sont signés entre la France et le pays, le 11 juillet
1960, avant la proclamation de l’indépendance de la république
de Haute Volta le 5 août de la même année par Maurice
Yaméogo, qui venait de succéder au « père de l’indépendance »,
Ouezzin Coulibaly, décédé deux ans plus tôt.
22
Sur le plan constitutionnel, l'histoire politique post-
coloniale du Burkina Faso a été marquée jusqu’à la fin des
années 80 par une grande instabilité caractérisée par la
succession de régimes constitutionnels et de régimes non
constitutionnels. Le pays a ainsi connu seize ans de régimes
d'exception (1966-1970; 1974-1978; 1980-1982; 1982-1983; 1983-
1987; 1987-1990). En règle générale, les coups d’Etat militaires
sont suivis d’une proclamation qui tient lieu de « loi
fondamentale » du nouveau régime de fait. Lorsque celui-ci
succède à un régime constitutionnel, la Constitution en vigueur
est suspendue, le parlement et les partis politiques dissous par
le nouveau régime, qui s’approprie dès lors le pouvoir exécutif
et le pouvoir législatif qu’il exerce par ordonnance. Le nouveau
régime, pour faciliter sa légitimation internationale, prend soin
également de proclamer sa volonté de respecter les
engagements internationaux de l’Etat. En dehors des régimes
révolutionnaires qui entendaient instaurer un nouvel ordre
politique, idéologique et social nouveau, tous les régimes
d’exception qui se sont succédés au Burkina Faso ont promis de
revenir à une « vie constitutionnelle normale » selon
l’expression consacrée, après une période de transition. C’est
dire si l’idée de Constitution semble profondément ancrée dans
les mœurs politiques du Burkina Faso, même si l’instabilité
politique du pays reflète les à-coups du processus démocratique,
ainsi que la difficulté d’y consolider les institutions
constitutionnelles.
23
D’un point de vue formel, la notion de Constitution se
réfère à la place qu’elle occupe dans la hiérarchie des normes.
« Dans ce sens, une norme est dite constitutionnelle parce
qu’elle est au sommet de la hiérarchie juridique, que même la
loi du Parlement ne peut, sous peine d’invalidité, la changer et
qu’elle n’est modifiable que suivant une procédure le plus
souvent exigeante qui est la procédure d’amendement
constitutionnel »1. Mais le droit constitutionnel n’est pas
seulement alimenté par des « lois constitutionnelles » au sens
formel du terme. Il s’intéresse aussi aux règles constitutionnelles
d’un point de vue matériel, c’est-à-dire aux règles qui touchent
à l’organisation et au fonctionnement des institutions politiques,
à la distribution du pouvoir dans l’Etat et à la garantie des droits
fondamentaux.
Du point de vue de leur importance, on distingue les
sources principales des sources secondaires.
1. La Constitution
1
François Chevrette et Herbert Marx, op. cit. p.16 et s.
24
Dès son accession à l’indépendance, la Haute Volta se dote
d’une Constitution. Le 6 novembre 1960 en effet, un projet de
Constitution est adopté par l’Assemblée nationale avant d’être
approuvé le 27 novembre 1960 par référendum, puis promulgué
le 30 novembre de la même année. Mais le régime
constitutionnel de la Ie République s’effondre le 3 janvier 1966,
suite à un soulèvement populaire, en réaction aux dérives du
pouvoir. Après quatre ans de régime d’exception, les militaires
au pouvoir respectent leurs promesses de revenir à une vie
constitutionnelle normale. Ils font adopter par référendum le 14
juin 1970 un projet de constitution. La nouvelle loi
fondamentale, de facture libérale, rompt avec le caractère
présidentialiste de la Ie République et consacre un régime
parlementaire "rationalisé", avec un exécutif bicéphale. Mais le
régime parlementaire de la IIe République se brise en février
1974 sur l’autel des divisions de la classe politique et de
l’impatience des militaires, qui prennent goût au pouvoir. Après
plus de trois ans de régime d’exception, ceux-ci renouent avec
le processus démocratique en faisant adopter une nouvelle
constitution le 13 décembre 1977, qui institue la IIIe République.
Tirant les leçons de l’échec de la IIe République, celle-ci
consacre l’existence d’un exécutif bicéphale caractérisé par la
prééminence du Président de la République. Mais face aux
difficultés politiques, économiques et sociales du gouvernement,
les militaires vont, une fois encore, interrompre le processus
démocratique le 25 novembre 1980. Se succèdent alors une
cascade de régimes militaires qui, pendant plus d’une décennie,
vont maintenir le pays sous la férule des régimes d’exception et
plus particulièrement sous le régime révolutionnaire. A la
différence des autres régimes d’exception qui l’ont précédé, le
Conseil National de la Révolution n’envisageait guère de
« retourner à une vie constitutionnelle normale » selon
l’expression consacrée. Le régime qui se voulait éternel est
tragiquement renversé par le Front populaire le 15 octobre 1987.
25
Le nouveau régime, après avoir amorcé une timide ouverture
politique, finit par céder aux demandes internes et externes de
démocratisation.
26
formation en droit comparé, les juristes africains francophones
et probablement leurs homologues anglophones, continuent à
perpétuer la dépendance juridique entre les droits
constitutionnels africains et celui de l’ancienne puissance
coloniale. D’où ce manque d’originalité de la plupart des textes
constitutionnels africains et plus particulièrement du Burkina.
Qui plus est, de nombreux constituants des Etats africains
francophones n’ont retenu des « réalités africaines » que celles
qui confortaient la soif de pouvoir des nouveaux princes de
l’Etat moderne, oubliant que l’exercice du pouvoir dans les
sociétés étatiques africaines était enserré dans des mécanismes
d’imputabilité politique à travers lesquels les gouvernants
étaient tenus de rendre compte de leur gestion du pouvoir.
27
2. Les décisions du Conseil constitutionnel
1
Article 2848 du code civil québécois.
28
constitutionnels de revenir sur leurs décisions à la faveur d’une
nouvelle saisine, la modification de leur interprétation nécessite
l’intervention du parlement, qui pourra alors prendre leur
contre-pied en révisant la Constitution.
29
gouvernement adoptée par l’OUA à Alger en juillet 1999. Cette
décision n’a pas juridiquement une force contraignante mais
produit des conséquences politiques importantes. Certains chefs
d’Etat parvenus au pouvoir de manière irrégulière se sont ainsi
retrouvés isolés diplomatiquement et ont dû céder aux pressions
tendant à les obliger à renouer avec l’ordre constitutionnel
« normal »1. Au plan sous-régional, on peut citer, les directives
de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA)
relatives aux finances publiques2, qui ont nécessité l’adoption
d’une loi organique relative aux lois de finances par l’Assemblée
nationale du Burkina Faso, la Loi organique n°006/ 2003 du 24
janvier 2003. Mais c’est surtout la Communauté économique des
Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui s’est le plus illustré
dans l’adoption de dispositions de nature à influer sur l’ordre
constitutionnel des Etats membres. La CEDEAO a ainsi adopté le
protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de
règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité
signé à Lomé le 10 décembre 1999, et surtout le protocole sur la
démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole
relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement
des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité signé à
Dakar le 21 décembre 2001.
30
dans la région. Il comprend cinquante articles organisés en trois
chapitres relatifs aux principes et modalités de mise en oeuvre,
aux sanctions, aux dispositions générales et finales. Les principes
sont déclinés à travers huit sections thématiques suivantes :
31
pour tout militaire en activité de prétendre à un mandat
politique électif.
La laïcité de l’etat et sa neutralité totale dans le domaine
de la religion, le droit pour chaque citoyen de pratiquer
librement et dans le cadre des lois en vigueur la religion de
son choix en n’importe quel endroit du territoire national
mais aussi le droit pour l’etat de réglementer, dans le
respect des droits de la personne, les diverses religions et
d’intervenir en cas de troubles à l’ordre public.
Le caractère national de l’etat et de ses institutions et, en
conséquence, l’interdiction de décisions et d’actions
fondées ou ayant pour but une discrimination ethnique,
religieuse, raciale ou régionale.
La garantie des droits contenus dans la charte africaine des
droits de l’homme et des peuples et les instruments
internationaux.
La libre création des partis politiques et le libre exercice de
leurs activités dans le cadre des lois en vigueur ;
l’interdiction pour les partis de se constituer et d’exercer
des activités sur le fondement de considérations raciales,
ethniques, religieuses ou régionales ; leur libre
participation sans entrave ou discrimination à tout
processus électoral ; la garantie de la liberté d’opposition ;
la possibilité pour chaque etat de mettre en place un
système de financement des partis politiques, sur des
critères déterminés par la loi.
La liberté d’association, de réunion et de manifestation
pacifique.
La liberté de presse.
Le droit pour tout ancien chef d’etat de bénéficier d’un
statut spécial incluant la liberté de circulation, d’une
pension et d’avantages matériels convenant à son statut
d’ancien chef d’etat.
32
En matière électorale, le Protocole interdit dans son article
2 alinéa 1 de réformer la loi électorale de manière substantielle
sans le consentement d’une large majorité des acteurs
politiques, dans les six mois précédant les élections, et dispose
dans l’alinéa 2 du même article que les élections à tous les
niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la
constitution ou les lois électorales. Ces dispositions sont
justifiées par la volonté des auteurs du protocole de prévenir les
manipulations des règles électorales et des calendriers
électoraux auxquelles s’adonnent certains gouvernants de la
sous-région sous des prétextes divers1. Par ailleurs, le Protocole
consacre le rôle et la contribution de la CEDEAO à l’organisation
et au déroulement d’élections libres, honnêtes et transparentes,
et ceux de la société civile, invitée à s’investir dans la formation
et la sensibilisation des citoyens pour la tenue d’élections
paisibles, exemptes de violence ou de crise. Comme on peut le
constater la CEDEAO entend jouer un rôle majeur dans la
promotion et la consolidation de la démocratie en Afrique de
l’Ouest. Il reste à relever le défi, celui de la ratification du
protocole par un neuvième Etat pour son entrée en vigueur,
conformément à son article 49. A ce jour en effet, seuls huit
Etats ont ratifié le texte, parmi lesquels le Burkina Faso2. Mais le
fait que le protocole ne soit pas encore en vigueur légalement
n’a pas fait obstacle à l’application de plusieurs de ses
dispositions, notamment en ce qui concerne l’observation des
élections. S’agissant du Burkina Faso, le Conseil constitutionnel,
dans l’avis juridique No.2004-17/CC du 9 juillet 2004, a estimé
que les principes et règles posés par le protocole sont bien
conformes à ceux de la Constitution du 2 juin 1991, notamment
1
On se souvient par exemple qu’au Burkina Faso les élections municipales qui devaient se tenir en septembre 2005
ont été repoussées trois fois pour se tenir finalement le 23 avril 2006, le gouvernement invoquant le manque de
moyens budgétaires.
2
Il s’agit du Ghana (10/10/2002), du Mali (30/04/2003), de la Guinée (2004), de la Sierra Leone
(10/08/2004), du Burkina Faso (9/09/2004), du Sénégal (10/09/ 2004), du Bénin (4/02/2005), du Niger
(03/2005).
33
dans son préambule et dans son titre 1 et qu’ils constituent des
explicitations sur bien des aspects.
4. Les lois
34
substance en restreignant de manière abusive les droits et
libertés reconnus aux citoyens.
1
Par exemple, au Burkina Faso, à la faveur des législatives de mai 2002, un code de bonne conduite des partis
politiques et des médias a été élaboré par le Conseil supérieur de l’information (CSI) puis signé par les partis
politiques participant à la compétition électorale, mais aussi par les médias assurant la couverture médiatique de la
campagne électorale. Bien que ce code ne dispose pas en soi de valeur juridique contraignante à l’instar du code
électoral, il n’en a pas moins influencé le comportement des acteurs durant la campagne électorale.
35
libre, égal et secret, laissant à la loi électorale et aux textes
réglementaires le soin de préciser tous les détails1.
1
En règle générale, la loi électorale détermine :
le type d’administration électorale à créer (désignation, composition, attributions, fonctionnement, dépendance,
autonomie ou indépendance, permanence ou caractère temporaire, procédures opérationnelles, etc.)
le système électoral applicable (découpage électoral, magnitude des circonscriptions, c’est-à-dire le nombre de sièges
à pourvoir par circonscription, le mode de scrutin applicable selon la nature des élections, etc.) ;
les conditions d’exercice du droit de vote ;
le corps électoral, les procédures d’établissement, de révision, d’inscription et de contrôle des listes électorales ;
les règles de la campagne électorale ;
les opérations et procédures de vote ;
les procédures de dépouillement, de recensement et de proclamation des résultats ;
la nature des consultations électorales qu’elle régit (élections présidentielles, législatives, locales, référendums), ainsi
que les conditions d’éligibilité et les procédures de déclaration de candidature selon la nature des élections ;
le contentieux électoral ;
les dispositions pénales.
2
Henri brun et Guy Tremblay, op. Cit., p.44.
3
François Chevrette et Herbert Marx, Droit constitutionnel, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal,
1982, p.21.
36
constitutionnelles dominantes de l’époque »1. Fondées sur « des
précédents établis par les institutions mêmes du
2
gouvernement » , elles ne peuvent être appliquées par les
tribunaux dans la mesure où elles entrent généralement en
conflit avec les règles juridiques qu’ils sont tenus d’appliquer.
En clair, la convention constitutionnelle se caractérise par les
traits suivants3 :
sa position particulière, entre un usage ou une coutume et
une loi constitutionnelle, et plus précisément plus près de
la seconde que de la première
son caractère obligatoire pour ceux à qui elles s’adressent
la nature plus politique que juridique de la sanction de sa
violation
son intégration à la Constitution et au régime
constitutionnel.
Selon Henri Brun et Guy Tremblay, les conventions
constitutionnelles ont globalement pour fonction « d’assurer une
adaptation constante du droit aux faits, de la constitution
‘légale’ à la réalité empirique. Elles permettent l’évolution des
choses, tout en éliminant les difficultés que pose la modification
constitutionnelle formelle »4. Elles fixent ou modifient des
équilibres institutionnels en place tout en laissant la
Constitution intacte, le plus souvent avec l’accord tacite ou
explicite du juge constitutionnel. Relèvent ainsi des conventions
de la Constitution l’institution dans certains pays comme le
Bénin du poste de Premier ministre en 19965. Dans certains pays
comme le Canada, la reconnaissance d’un statut de l’opposition
1
Ibid., p.22.
2
Ibid., p.22.
3
Ibid., p.24.
4
Op. cit., p.49.
5
Ainsi, la Cour constitutionnelle du Bénin, dans sa décision n°96-440 du 4 octobre 1996, a estimé que la nomination
d’un Premier ministre, bien que non prévue par la Constitution béninoise, n’était pas anticonstitutionnelle dans la
mesure où la Constitution « n’impose au président de la République, chef du gouvernement, ni la structure ni la
dénomination et les attributions de ses membres », ajoutant que « les attributions confiées au premier ministre, à
savoir la coordination de l’action gouvernementale et les relations avec les institutions, ne font de lui que le premier
des ministres ; que la création, dans ces conditions, d’un poste de Premier ministre ne porte pas atteinte au régime
présidentiel choisi par le peuple béninois ».
37
relève de conventions constitutionnelles visant à perpétuer le
caractère démocratique du régime. Il s’agit ainsi de reconnaître
la légitimité de l’opposition, en lui reconnaissant le droit de
prendre le pouvoir si elle remporte les élections, alors que dans
certains pays africains, le pouvoir en place a tendance à tirer
profit de sa position pour affaiblir ou démanteler l’opposition.
Au Burkina, les exemples de conventions constitutionnelles sont
rares. On peut néanmoins citer la pratique consistant pour le
gouvernement et le parlement à fixer l’agenda parlementaire de
façon concertée alors que l’article 118 de la Constitution dispose
que c’est le gouvernement qui fixe l’ordre du jour de
l’Assemblée.
2. Les coutumes
38
la France. Paradoxalement, la puissance coloniale semble plus
respectueuse des coutumes africaines que les élites dirigeantes
africaines dans la mesure où elle avait consacré dans ses
territoires coloniaux le pluralisme juridique en admettant les
coutumes comme source de droit. Dans la France
métropolitaine, le système juridique reposait cependant sur le
monisme juridique. Cette conception juridique a servi de
fondement au dogme de l’unité de « la République une et
indivisible » appliquant un seul et même droit à l’ensemble de
ses citoyens. Ce dogme du droit constitutionnel français a été
largement repris dans l’espace africain francophone. C’est dans
cette perspective que le législateur, sous la période
révolutionnaire, a mis fin au pluralisme normatif en matière
familiale, afin de lui substituer « une législation civile unique
applicable à tous les Burkinabè ». De même, avec la réforme
agro-foncière de 1984-1985, les rapports fonciers ne sont plus
régis par les coutumes, mais exclusivement par le nouveau droit
agraire et foncier. Enfin, le pluralisme judiciaire a été
abandonné, avec la suppression des tribunaux coutumiers de 1er
et de 2e degré.
39
locaux. Cette situation est le reflet d’une donnée sociologique
incontournable, à savoir que les sociétés africaines sont des
sociétés en transition, caractérisées par « le passage inachevé
du précolonial au post-colonial ». Le triomphe du monisme
juridique n’est donc que de façade, les lois adoptées sous ce
sceau étant bien souvent sans rapport avec le monde réel,
entraînant parfois la dislocation du tissu social, l’exclusion de
fait et de droit de la majorité des populations du système
juridique étatique, et voire le discrédit général de ce système1.
3. La doctrine
1
Jeswald Salacuse cité par Jennifer A. Widner, Construire l’Etat de droit, Paris, Nouveaux Horizons, 2003, p.82.
2
Article 8 du décret du 4 août 1985 portant organisation et fonctionnement des tribunaux populaires.
40
A vrai dire, la doctrine ne constitue pas à proprement
parler une source formelle, mais seulement une source
d’inspiration pour les juges. En effet, la doctrine peut aider à
développer le droit, suggérer des pistes de solution aux juges
appelés à résoudre des problèmes devant lesquels les lois
demeurent silencieuses ou lacunaires. Il est rare que les juges
citent des auteurs, en particulier leurs contemporains, mais dans
certaines démocraties du Nord, on observe de plus en plus de
juges qui n’hésitent à citer des auteurs à l’appui de leurs
positions1. Toutefois, l’autorité de la doctrine demeure
essentiellement persuasive et subsidiaire2.
1
François Chevrette et Herbert Marx, op. cit., p.29.
2
Henri Brun et Guy Tremblay, op. cit., p.39.
41
TITRE 1: LES FONDEMENTS DU DROIT
CONSTITUTIONNEL : L’ETAT ET LE SYSTEME NORMATIF
42
CHAPITRE 1 : L’ETAT
43
Il est possible, à partir de l’approche politique, de proposer
une explication de la genèse de l’Etat moderne, aussi bien dans
l’espace occidental que dans l’espace africain.
44
individuelles, puissance et biens pour retrouver leur liberté et
égalité naturelles.
2. L’approche socio-historique
1
Histoire politique : permanence et rupture, 2 e éd.., Paris, L'Harmattan 1992.
2
Le lignage désigne le groupe descendant du même ancêtre connu c’est-à-dire mythique. Il comprend les enfants, les
alliés, les petits neveux et dépendants voire les esclaves dits domestiques intégrés à la famille au moins à partir de la
deuxième génération. Quant à l’ethnie, elle constitue l’ensemble des lignages dont l’identité culturelle est affirmée
par la reconnaissance d’un ancêtre mythique commun et se traduit par une forte communauté linguistique. L’ethnie
est une construction historique c’est-à-dire très largement évolutive.
45
Les relations politiques à proprement parler, lesquelles
impliquent la reconnaissance d’une autorité étatique
territoriale hiérarchisée.
Les relations de dépendance personnelle qui recouvrent ou
contrarient les deux précédentes par un réseau
d’obligations, soit horizontales, de lignage à lignage, ou de
village à village, soit verticales depuis le village jusqu’à
l’autorité supérieure, en passant ou non par des étapes
intermédiaires.
46
administratif et de spécialisation des tâches politiques. Talcott
Parsons soutient à ce propos que « l'apparition de l'Etat se
confond avec le processus de différenciation du système
politique par rapport aux autres systèmes sociaux et avec
l'ensemble des conséquences qui en dérivent, notamment
l'autonomisation, l'institutionnalisation et l'universalisation des
processus politiques ».1 Sur cette base se sont opérées la
constitution d'une identité politique des individus distincte de
leur identité religieuse (laïcisation) et l'affirmation du pouvoir
royal sur les ruines de la féodalité2. L'allégeance dynastique
cèdera plus tard sa place à celle de la Nation avec les
révolutions du XVIIIe siècle. On va également observer une
diversification des institutions politiques et administratives et
une plus grande « juridicisation » des rapports entre gouvernants
et gouvernés avec le développement de l’Etat de droit, de
l’administration légal-rationnelle. Avec la différenciation sociale
née de l'expansion économique observée à partir du XVIe siècle,
les classes bourgeoises dirigeantes sont contraintes à un partage
du pouvoir par les autres forces sociales. D’où la création
d'assemblées représentatives puis l’élargissement progressif du
droit de suffrage.
1
Bertrand Badie et Pierre Birnbaum, Sociologie de l’Etat, Paris, Grasset, 1979, p.54.
2
La féodalité est un système social, culturel, économique, politique qu’a connu l’Europe de l’Ouest du XIe à la fin
du XVe siècle. Ce système qui a cédé sa place à la monarchie territoriale constitue pour les marxistes le mode de
production qui a précédé le capitalisme. La féodalité repose sur « le primat des relations réelles d’homme à homme
au regard d’une chaîne de dépendances réciproques hiérarchisées. Les seigneurs reçoivent leur fief territorial d’un
suzerain – roi ou prince d’un rang supérieur – en contrepartie d’un engagement mutuel de secours, cependant que les
paysans sont censés souscrire avec eux un contrat tacite qui leur assure leur protection en échange de fournitures
matérielles et de prestations de service (y compris le service militaire…) ». Guy Hermet, Bertrand Badie et autres,
Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin, 2 e édition, 1996, p.11 et 112.
47
« bourgeoise » et constituerait un moyen de domination de la
première par la seconde. L’instauration du socialisme était
censée préparer l’avènement d’une société sans classes qui se
traduira par un dépérissement de l’appareil d’Etat. A la
domination de l’homme par l’homme se substituera
l’administration des choses1.
1
Mais on sait que cette prédiction ne s’est pas vérifiée, à la lumière de l’expérience des anciens pays socialistes du
bloc soviétique qui a implosé à la fin des années quatre-vingts. Mais de nombreux politiciens et forces politiques
continuent à rester fidèles à l’idéologie marxiste-léniniste.
2
Le patrimonialisme peut être défini comme un système dans lequel le détenteur du pouvoir gère l’espace public
comme un espace domestique. Il se caractérise donc essentiellement par la confusion des domaines public et privé.
3
Max Weber, Economie et société, T.1., Paris, Plon, 1971, p. 97.
48
1. L’imposition de l’Etat moderne en Afrique
1
Mais l’Etat précolonial africain comportait des limites, du point de vue de sa centralisation et de ses capacités
d’extraction d’un surplus, par rapport à l’Etat moderne qui a émergé en Europe.
2
Elikia M’Bokolo, dir., Afrique noire, Histoire et Civilisations, Tome 2, XIXe – XX e siècles, Paris, Hatier-AUPELF,
1992, p.13.
3
C’est à tort semble-t-il qu’on attribue à la conférence de Berlin qui s’est tenue du 15 novembre 1884 au 26 février
1885 le fait d’avoir procédé au partage de l’Afrique, qui a eu lieu dans les années 1890 et au début du XXe siècle. La
conférence en réalité avait été convoquée pour régler trois questions : celle de la liberté de commerce dans le bassin
du Congo, celle de la liberté de navigation sur les fleuves à vocation internationale tels que le Congo et le Niger,
celle des formalités à accomplir pour que les occupations ultérieures sur les côtes africaines soient considérées
comme effectives. Voir Elikia M’Bokolo, T2., op. cit., p.278
4
Gabriel Massa et Y. Georges Madiéga, dir., La Haute-Volta coloniale : témoignages, recherches, regards, Paris,
Karthala, 1995, p.13.
5
Dominique Darbon, L’administration, in Christian Coulon et Denis-Constant Martin, dir., Les Afriques politiques,
Paris, La Découverte, 1990, p.174.
49
s’effectuaient pas toujours dans le respect des communautés
sociales.
50
appliqué avant d’avoir été promulgué par les gouverneurs
généraux. Aucun délai ne leur étant imposé pour le faire, ces
derniers pouvaient, en fait, mettre en échec un texte
réglementaire en repoussant sa promulgation1 aux calendes
grecques.
51
Française (AOF) avec pour capitale Dakar, et l’Afrique
Équatoriale française (AEF) avec pour capitale Brazzaville. A la
base de la pyramide se trouvaient les gouverneurs des territoires
coloniaux, lesquels étaient quadrillés par des cercles dirigés par
des commandants qui étaient soit des officiers (territoires
militaires), soit des administrateurs civils (la pacification
achevée). Les cercles, circonscriptions administratives de base,
étaient quant à eux subdivisés en divisions ou postes. S’agissant
de la Grande Bretagne, elle a davantage recouru à une politique
d’administration indirecte conforme à sa tradition d’autonomie.
Cette politique reposait sur un postulat non assimilationniste qui
refuse d’imposer aux indigènes un modèle étranger, et se
propose de respecter leurs valeurs et coutumes.
1
Voir B. William Cohen, Empereurs sans sceptre, Paris, Berger-Levrault, 1973.
52
avènement. Il lui faudra lutter contre les chefferies
traditionnelles aussi susceptibles quant à leurs prérogatives que
l’étaient les féodaux d’antan : il devra affronter la concurrence
des pouvoirs religieux en évitant que la laïcisation de l’Etat
affaiblisse sa cohésion spirituelle ; il aura, le plus souvent, à
créer une nation… ; et il lui faudra surtout habituer les
gouvernés à l’abstraction du pouvoir »1.
2. La réappropriation de l’Etat
53
Ainsi, l’Etat hérité de la colonisation sera progressivement
réapproprié par les acteurs locaux. Comme le disent Bertrand
Badie et Guy Hermet, « toute "entrée" de structures politiques
exogènes se traduit par une adaptation - consciente ou non - de
ses traits aux données culturelles de la société importatrice »1.
Cette réappropriation du modèle d'Etat occidental s’opère sur le
triple plan de l'africanisation du personnel, de la réadaptation
(aménagements structurels) et de la réinterprétation
(transformations de significations). L'Etat importé a été donc
investi par les élites et acteurs sociaux africains selon leurs
propres intérêts, et réinterprété par ces derniers en fonction de
leurs représentations culturelles propres. « Tout ‘importé’ qu’il
fût, il a fait l’objet de processus complexes d’appropriation’ qui
lui ont rapidement conféré des fondements sociaux et culturels
propres »2. C’est pourquoi certains auteurs comme Jean-François
Bayart, estiment que loin d'être inadapté, cet Etat est enraciné
dans les sociétés du cru3, obligé de composer et de négocier des
compromis permanents avec les structures et forces sociales
pour assurer sa légitimité4.
1
Bertrand Badie et Guy Hermet, Politique comparée, Paris, PUF, 1990, p.240.
2
Jean-François Bayart, Le gouvernement du monde : une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004,
53.
3
Jean-François Bayart, L'État, in C.Coulon et D-C. Martin, dir., Les Afriques politiques, Paris, La Découverte, 1991,
p.218. Mais cette position n’est pas partagée par tous les auteurs. Ainsi, selon Bertrand Badie et Pierre Birnbaum, les
sociétés du tiers-monde, « étrangères à la culture européenne, et donc aux formules qui ont été à l'origine de l'État,
insérées dans un système économique principalement contrôlé du dehors, ayant presque toujours connu une
domination militaire et souvent coloniale […] ont abordé la construction étatique essentiellement par mimétisme, par
reprise plus ou moins forcée de modèles exogènes, issus des sociétés industrielles de l'Est et de l'Ouest,
artificiellement plaqués sur des structures économiques, sociales et politiques qui réclamaient probablement un autre
type d'organisation », Sociologie de l’Etat, Paris, Grasset, 1979, p.160.
4
Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer au poids politique dont disposent les autorités traditionnelles et
religieuses au Burkina Faso. Les régimes politiques qui ont tenté d’ignorer ce poids n’ont guère duré. Comme le dit
Jean-François Bayart, « l’Etat instauré par le colonisateur a d’emblée fait l’objet d’un double mouvement
d’appropriation de la part de ceux qu’il s’était soumis. D’une part, il a été investi par les acteurs sociaux
autochtones au mieux de ce qu’ils pensaient être leurs intérêts. De l’autre, il a été interprété par ceux-ci en fonction
de leurs représentations culturelles propres. De ce double point de vue, l’Etat contemporain en Afrique noire est
doté d’une historicité propre. Bien des traits de la vie politique au sud du Sahara attestent non son inadaptation,
comme on le dit trop facilement, mais au contraire son enracinement dans les sociétés du cru ». Jean-François
Bayart, L’Etat, in C. Coulon et D.C. Martin (dir.), Les Afriques politiques, Paris, La Découverte, 1991, p 213 et s.
54
§ 2 : L’approche juridique et institutionnelle de l’état
55
juridique relativement centralisé, immédiatement en relation
avec l’ordre international »1. Il présente un certain nombre
d’attributs juridiques. Mais sa reconnaissance préalable implique
la réunion de plusieurs éléments constitutifs.
1. Le pouvoir politique
56
légitimité de celui qui l’exerce2, ainsi que l’usage ou la menace
d’usage de la force par ce dernier commande l’obéissance. Il est
initial en ce que tout part des autorités publiques qui disposent
d’un pouvoir de décision, d’initiative et d’innovation supérieur à
celui dont pourraient disposer d’autres forces politiques. Il est
enfin global en ce qu’il s’applique à l’ensemble de la
communauté, à l’ensemble du territoire national. Dans l’Etat
moderne, le gouvernement dispose d’un pouvoir général de
réglementation et de contrainte sur les populations. Ainsi, l’Etat
peut définir des règles générales et impersonnelles s’imposant
aux individus et aux groupes à travers les lois votées par
l’Assemblée nationale ou les textes réglementaires adoptés par
l’autorité gouvernementale ou administrative. Pour en assurer le
respect, l’Etat a le pouvoir de recourir à la coercition grâce au
monopole de la contrainte physique légitime3 qui lui est
reconnu. En conséquence, aucun individu ou groupe ne peut
avoir une volonté qui s’oppose à celle de l’Etat, entretenir des
milices ou détenir des moyens de contraintes réservés à l’Etat.
1
Ibid., p.17.
2
Cette légitimité suppose que le détenteur du pouvoir a été désigné conformément aux procédures en vigueur et qu’il
est accepté par ceux qui lui doivent obéissance.
3
Pour être légitime, l’exercice du pouvoir de coercition doit être non seulement conforme aux textes qui le régissent,
mais aussi accepté par les gouvernés. Ce qui n’est pas toujours le cas, notamment dans les pays où l’Etat de droit
n’est pas encore assuré.
4
Georges Balandier, Anthropologie politique, 5 e édition, Quadrige, Paris, PUF, 2004, p.118 et s.
57
Comme l’affirme Karl Marx, « le pouvoir étatique et la religion
sont dans leur essence de nature semblable, même lorsque
l’Etat est séparé de l’Eglise et la combat. Cette parenté tient au
fait que l’Etat se situe (ou paraît se situer) au-delà de la vie
réelle, dans une sphère dont l’éloignement évoque celui de Dieu
ou des dieux »1. Dans les Etats africains post-coloniaux où la
sécularisation du pouvoir demeure un processus inachevé, le
sacré demeure une dimension essentielle du champ politique2.
Son usage peut s’inscrire dans une stratégie de conquête et de
légitimation du pouvoir politique, ou au contraire, dans une
stratégie de limitation ou de contestation de ce pouvoir. Le
pouvoir est aussi ambiguïté, en ce sens qu’il apparaît à la fois
comme nécessaire et contraignant, mais aussi limité en ce qu’il
repose sur le consentement, la légitimité et une certaine
réciprocité. S’il ne veut pas être contesté, il doit entretenir sa
légitimité en assurant à ses sujets, sécurité et prospérité.3.
1
Cité par Georges Balandier, Ibid, p.118 et s.
2
Voir Christian Coulon et Denis-Constant Martin, dir. Les Afriques politiques, Paris, La Découverte, 1990, p.103.
3
Georges Balandier, op. cit., p.47. C’est dans ce sens que R. Firth affirme que le pouvoir, qui est à la fois accepté et
contesté, ne peut gouverner exclusivement par la force. En effet, tout pouvoir « recherche et reçoit une part variable
d’adhésion des gouvernés : soit par apathie routinière, soit par incapacité à concevoir une alternative, soit par
acceptation de quelques valeurs communes estimées inconditionnelles. Mais de toute façon, les gouvernés imposent
des limites au pouvoir..., en recourant aux “institutions formelles” (conseils ou groupes d’anciens désignés par les
clans) et aux “mécanismes informels” (rumeurs ou évènements manifestant l’opinion publique ». Voir G. Balandier,
Ibid, p.49.
58
régime, stigmatisés comme étant des « ennemis du peuple »,
des « réactionnaires », des « contre-révolutionnaires » ou des
« apatrides ».
1
Voir Guy Hermet et als., Dictionnaire de la science politique et des institutions, Paris, Armand Colin, 1996, p.179
2
Ibid.
3
Ibid.
59
solidarités culturelles et linguistiques potentiellement tournées
vers l’extérieur de frontières étatiques arbitraires.
En vue de promouvoir l’intégration nationale, le Burkina Faso, à
l’instar des autres Etats africains francophones s’est rallié à la
conception moniste du droit. Ce choix a non seulement ruiné la
coutume comme mode d’organisation de la société mais aussi
favorisé une conception instrumentale du droit, considéré
désormais comme un moyen de promouvoir l’intégration
nationale. En réalité, la question du pluralisme juridique
apparaît comme l’une des clés de l’analyse de la construction et
de la consolidation démocratique en Afrique. Elle renvoie certes
à la question du droit applicable, mais aussi et surtout à la
question du sujet politique de la démocratie. Si la source de tout
pouvoir émane du juste consentement du peuple, on peut se
demander de quel peuple il s’agit : s’agit-il d’un peuple unique
et homogène parlant d’une seule voix ou au contraire d’un sujet
pluriel, composé de plusieurs entités dont les voix et les intérêts
sont multiples voire contradictoires ? Au nom de la « République
une et indivisible », le monisme a triomphé dans la plupart des
pays francophones. Mais ce dogme de l’unité est aujourd’hui
remis en cause sous les pressions des revendications des
populations en faveur davantage de liberté. En France, le
modèle moniste de la démocratie est ébranlé, avec la
mondialisation, la construction européenne et la
décentralisation, qui aboutissent à une fragmentation de la
souveraineté et à la reconnaissance d’une vision pluraliste du
peuple (kanak, européen, corse). La reconnaissance du principe
de la parité confirme cette métamorphose1. C’est dans ce
contexte que la question des quotas a fait irruption dans le
débat politico-juridique en Afrique. Au nom d’une certaine
conception de l’égalité sous-tendue par le dogme de l’unité, au
nom de l’indivisibilité du corps électoral par exemple, certains
1
Voir Luc Heuschling, La structure de la légitimité démocratique en droit français : entre monisme et pluralisme,
entre symbolique du sujet et ingénierie des pouvoirs, in Revue universelle des droits de l’Homme, Vol. 16 No.9-12
du 30 décembre 2004, p.342 et ss.
60
parlementaires soutenus par certains juristes s’opposent à la
mise en œuvre de mesures de discrimination positive qui
seraient anticonstitutionnelles, arguant que la ratification de la
convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination
à l’égard des femmes qui admet la possibilité de recourir à titre
transitoire à des mesures de quotas, ne constitue pas un
fondement juridique suffisant. Au contraire, au Niger, les juges
constitutionnels ont joué un rôle essentiel, constructif, non
seulement pour l’acceptation des lois instituant des quotas
(problème de la constitutionnalité) mais aussi pour le respect
des quotas (validation des listes de candidatures présentées par
les partis). Les juristes africains se trouvent donc confrontés à
un choix qui n’est guère difficile à opérer, faire du droit un
moyen d’accompagner les demandes de démocratisation ou
s’enferrer dans un conservatisme au nom d’une vision
manifestement décalée avec les réalités contemporaines.
61
incohérences entre les différents ordres juridiques ; d’autant
que les Etats peuvent utiliser différents critères pour l’octroi de
leur nationalité, le droit du sol (jus soli)1 ou le droit du sang (jus
sanguinis)2 ou combiner les deux à la fois.
1
Le critère du droit du sol implique d’accorder la nationalité à tout enfant né sur le territoire de l’Etat même
fortuitement.
2
Avec le critère du droit du sang, la nationalité de l’enfant découle de celle des parents, quel que soit son lieu de
naissance.
62
déclaration de nationalité est une troisième modalité. Ainsi,
l’enfant mineur né au Burkina Faso de parents étrangers peut
réclamer la nationalité burkinabè par déclaration s’il a, au
moment de sa déclaration, sa résidence au Burkina depuis au
moins cinq ans. L’acquisition par décision de l’autorité publique
constitue une dernière modalité. L’acquisition résulte
essentiellement de la naturalisation et de la réintégration et le
requérrant doit remplir aussi bien des conditions de forme que
de fond, définies par les articles 163 à 170 du code des
personnes et de la famille.
63
S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes
incompatibles avec la qualité de Burkinabè et
préjudiciables aux intérêts du Burkina Faso.
S’il a été condamné au Burkina ou à l’étranger à une peine
d’au moins cinq années d’emprisonnement pour un acte
qualifié crime par la loi burkinabè.
S’il a fait l’objet d’une condamnation égale ou supérieure à
trois mois d’emprisonnement soit pour infraction à la
réglementation des prix, soit pour fraude fiscale.
3. Le territoire
1
Henri Brun et Guy Tremblay, op. cit., p.127.
2
Ibid., p.128.
3
Voir par exemple le statut de l’Antarctique, continent du cercle polaire austral couvert de glace et inhabité en
dehors des stations scientifiques.
4
Par opposition à la notion de « frontière-zone », plus imprécise, qui s’applique au territoire des sociétés étatiques
traditionnelles.
64
Le territoire joue plusieurs fonctions : la première fonction
est d’assurer l’indépendance et la sécurité des populations qui
vivent dans les limites territoriales tracées par les frontières. La
deuxième fonction est de délimiter les compétences territoriales
de chaque Etat. La troisième est de déterminer les habitants qui
seront soumis à l’autorité du pouvoir étatique. Le territoire sert
donc à circonscrire la compétence personnelle de l’Etat.
65
D’un point de vue juridique, l’Etat présente deux
caractères essentiels : la personnalité morale et la souveraineté.
66
institutionnalisé. L’institutionnalisation du pouvoir, c’est donc le
processus par lequel le pouvoir tend à se dissocier de la
personne qui le détient pour se reporter sur une institution qui
lui sert de support, à savoir l’Etat1.
2. La souveraineté de l’Etat
1
L’institution, ce n’est pas seulement l’Etat. Il peut s’agir de personnes morales de droit public telles les collectivités
territoriales décentralisées, d’établissements publics, ou de personnes morales de droit privé, telles les sociétés, les
associations, etc.
2
Henri Brun et Guy Tremblay, op. Cit., p.63.
3
Bertrand Badie et als., Table ronde : la fin des souverainetés ?, in Revue politique et parlementaire n°1012, Mai-
Juin 2001,
67
aucun autre pouvoir : c’est le « droit de la souveraineté ». Pour
les juristes, la souveraineté interne reste avant tout une
compétence conférée par l’ordre juridique étatique. Selon J.
Laferrière, elle peut se définir comme « un pouvoir de droit
originaire et suprême »1. Cela signifie d’abord que l’Etat n’est
pas un phénomène seulement de force, mais aussi mû par une
idée de droit ; qu’ensuite, il ne tient son autorité que de lui-
même, et enfin qu’aucune autre autorité ne lui est supérieure.
Son pouvoir est donc non subordonné et indépendant. En
conséquence, l’Etat dispose d’un pouvoir d’auto-organisation et
a le pouvoir de poser librement des règles. C’est la seule
personne morale de droit public à disposer d’une « compétence
initiale » ou comme l’affirme le juriste allemand Jellinek, de
« la compétence de sa compétence »2, c’est-à-dire qu’il est le
seul à déterminer l’étendue et les limites de sa propre
compétence. La souveraineté interne de l’Etat est donc la
manifestation de la volonté de l’Etat, qui assume le monopole
d’un certain nombre d’attributs tels les pouvoirs de législation
et de réglementation, de justice, de police, de battre monnaie,
de lever et d’entretenir une armée, d’assurer une fonction
publique, de conférer la nationalité, etc.3
La théorie de la souveraineté comme pouvoir non subordonné a
reçu un certain nombre de critiques. Si l’Etat est souverain,
comment peut-il être soumis au droit ? Pour les uns, l’Etat est
soumis au droit en vertu d’une auto-limitation à laquelle il
consent lui-même. Pour les autres, les jusnaturalistes, l’Etat
serait limité par un droit naturel extérieur à l’Etat, préexistant,
constaté. Quoi qu’il en soit, une conception absolutiste de la
souveraineté serait dangereuse pour les libertés. Au nom de la
souveraineté, les violations des droits de l’homme les plus
graves ont été perpétrées. Dans un Etat de droit, l’Etat doit
1
Charles Debbasch et als., Droit constitutionnel et institutions politiques, 2è édition, Paris Economica, 1986, p.25.
2
Cité par Jean-Louis Quermonne, Les régimes politiques occidentaux, Paris, le Seuil, 2000, p.275.
3
Jean Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, 15e édition, Paris, Montchrestien, 1997, p.54.
68
accepter de se soumettre lui- même au droit ; autrement, ce
serait la porte ouverte à l’arbitraire et à l’autoritarisme.
1
Jean Gicquel, Ibid., p.53.
2
Cité par Pierre Dabezies, in Bertrand Badie et als., Table ronde : la fin des souverainetés ?, in Revue politique et
parlementaire n°1012, Mai-Juin 2001, p.14.
3
Louis Favoreu et als., Droit constitutionnel, 7e édition, Paris, Dalloz, 2004, p.35 et ss.
4
Le Burkina Faso peut conclure avec tout Etat africain des accords d’association ou de communauté impliquant un
abandon total ou partiel de souveraineté (article 146).
69
En droit constitutionnel, la souveraineté est avant tout une
compétence dans l’Etat ; ce qui renvoie à la question de la
distribution du pouvoir de production des normes et à la
question de l’opérationnalisation de la démocratie.
1
Voir Thomas Friedman, La Puce et l’olivier. Comprendre la mondialisation, Paris, Nouveaux Horizons, 2001.
70
Selon Charles Zorgbibe, « les grandes tendances qui
caractérisent le système international de l’après-guerre froide
semblent rendre obsolète le principe de l’Etat souverain »1. En
effet, l’Etat n’est plus le seul acteur de la scène internationale.
Presque partout dans le monde on observe une fragilisation des
Etats, confrontés à la montée en puissance d’autres acteurs : les
entreprises multinationales, les institutions internationales
(Banque Mondiale, Fonds Monétaire International, Organisation
Mondiale du Commerce, etc.) et supranationales (organismes
d’intégration régionale à caractère économique et politique),
mais aussi une société civile internationale (les organisations non
gouvernementales notamment) de plus en plus exigeante. A cela
s’ajoute la création des juridictions pénales internationales
(tribunaux pour l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, la Sierra Leone,
cour pénale internationale) et la reconnaissance par certains
pays comme la Belgique d’une compétence universelle aux
tribunaux nationaux2 qui entament le pouvoir régalien des Etats
de rendre justice. La souveraineté est donc affectée par deux
mouvements opposés, le partage3 et le contrôle des
souverainetés. La question de l’effectivité de la souveraineté de
l’Etat ne se pose pas seulement pour les pays pauvres. Même
pour les Etats les plus puissants, la souveraineté apparaît de plus
en plus comme un domaine partagé et non absolu, au point où
de nombreux auteurs s’interrogent sur la fin des souverainetés.
1
Bertrand Badie et als., Table ronde : la fin des souverainetés ?, in Revue politique et parlementaire n°1012, Mai-
Juin 2001, p.3.
2
Cette compétence universelle permet ainsi aux juridictions d’un Etat de poursuivre des étrangers appréhendés sur le
territoire de cet Etat, et soupçonné d’avoir commis à l’étranger l’un des crimes les plus graves (génocide, crime
contre l’humanité, tortures, etc.).
3
C’est le cas notamment avec l’Union européenne au profit de laquelle la quasi-totalité des Etats membres a renoncé
à son droit régalien de battre monnaie ou cédé une partie de son pouvoir normatif.
71
représentativité de la société civile internationale reste posée.
Ensuite, les firmes internationales malgré leur puissance sont
obligées de négocier avec les Etats où elles entendent
s’implanter. Enfin, les critères constitutifs de l’Etat ne sont pas
remis en question, même si la notion de frontière nationale joue
un rôle moindre, même si les gouvernements et les populations
semblent subir les conséquences de décisions prises ailleurs.
L’Etat reste encore le garant de l’ordre social, l’arbitre vers
lequel se tournent les citoyens. La notion de souveraineté
continue donc de faire sens.
72
la question du titulaire de la souveraineté et d’autre part sur la
question de son exercice.
§ 1 : Le titulaire de la souveraineté
1
Dans la Déclaration américaine sont proclamés des principes fondamentaux : « tous les hommes sont créés égaux ;
ils sont doués par le créateur de certains droits inaliénables… Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour
garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés ».
73
La théorie de la souveraineté nationale est d’origine
française. Elle a été formulée sous la Révolution française, qui a
transféré la souveraineté des mains du roi à celles de la nation.
Cette théorie repose sur le principe selon lequel la souveraineté
appartient à la nation personnifiée par l’Etat. Elle a été
consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 en son article 3 : « le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps,
nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane
expressément ». La nation est une entité abstraite distincte de
ceux qui la composent et dotée de volonté propre. Cette fiction
juridique permettra de justifier la mise à l’écart de la
« populace imbécile, privée de lumière et du bon sens » selon
l’expression d’Holbach1 dans l’expression de la volonté de la
Nation.
74
ne représentent pas l’électorat, mais la Nation. Ils n’ont
donc pas de comptes à rendre aux électeurs, mais à la
Nation. D’où l’interdiction du mandat impératif.
1
C’est-à-dire qu’elle est définitive, permanente et que le temps écoulé ne saurait éteindre la souveraineté.
75
C. L’imbrication des deux théories démocratiques de la
souveraineté
1
Ainsi, selon l’article 32 de la Constitution burkinabè, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce
dans les conditions prévues par la présente Constitution et par la loi ».
76
révision constitutionnelle (reconnu à au moins trente mille
citoyens selon l’article 161).
A. La démocratie directe
77
Dans un système de démocratie directe, le délégué n’est pas
censé représenter la collectivité étatique tout entière mais
seulement ceux qui l’ont désigné. Il dispose alors d’un mandat
impératif. Ce qui signifie qu’il doit rendre compte et peut
recevoir des directives. S’il perd la confiance de ses mandants, il
peut faire l’objet d’un rappel, c’est-à-dire voir son mandat
écourté.
B. La démocratie représentative
1
Jean-Louis Quermonne, op. cit., p.102.
2
Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, Champs, 1996, p.17.
78
Il exclut tout mandat impératif ; le représentant est libre
de ses décisions, les électeurs ne lui dictent pas de
programme, et il n’a aucun compte à leur rendre1 ;
Le mandat exercé par le représentant n’est pas individuel
mais collectif. Il est donné par la nation et non par une
fraction du peuple. Le député représente la nation tout
entière et non les électeurs de sa circonscription,
conformément à la théorie de la représentation.
La démocratie représentative peut s’accommoder du
suffrage universel et même direct2. Mais un régime représentatif
peut ne pas être démocratique. C’est le cas des régimes
censitaires.
1
L’interdiction du mandat impératif par l’article 85 de la Constitution burkinabè est l’un des arguments les plus
avancés pour justifier la liberté « d’aller et de venir » de certains députés burkinabè qui, à force de migrer de parti
politique en parti politique, de groupe parlementaire en groupe parlementaire, au gré de leurs intérêts personnels, ont
fini par donner naissance à un phénomène politique qui a pris de l’ampleur au cours de ces dernières années, le
« nomadisme politique ». La plupart des élus incriminés évoquent la corruption et la dictature de la direction du parti
politique, la « trahison » de la ligne politique et idéologique pour justifier leur défection. Malheureusement dans bien
de cas, « le nomadisme » s’explique par des querelles de leadership, la corruption des élus, ou leur volonté d’obtenir
des rétributions politiques à la hauteur de leurs ambitions. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que la plupart
des élus « nomades » se rapprochent du parti au pouvoir ou de la « mouvance présidentielle ». Compte tenu de ces
pratiques néfastes qui affaiblissent les partis politiques, généralement ceux de l’opposition, jettent le discrédit sur la
classe politique et favorisent l’abstentionnisme électoral, les électeurs ayant le sentiment d’avoir été trahis par des
députés et des conseillers municipaux élus sur la base de listes présentées par des partis politiques, on comprend que
dans certains pays le constituant ait posé des garde-fous à la liberté des élus. Ceux tentés de quitter leur parti
politique d’origine pour un autre seront déchus de leur mandat. C’est le cas au Niger où l’article 69 de la Constitution
du 18 juillet 1999 dispose que « …Pendant la législature, les députés ne peuvent pas démissionner des groupes
parlementaires dans lesquels ils sont inscrits soit à titre individuel, soit au titre de leurs partis politiques. Tout député
qui démissionne ou qui est exclu de son parti politique au cours de la législature, est remplacé à l’Assemblée
nationale par son suppléant ». A noter qu’au Burkina Faso, les tentatives des partis d’opposition visant à adopter de
telles dispositions se sont heurtées au refus du parti au pouvoir lors des concertations engagées au sein de la classe
politique en 2001 en vue de l’adoption de réformes politiques et institutionnelles dans le cadre du règlement de la
crise socio-politique consécutive à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo.
2
Pierre Pactet, Institutions politiques et droit constitutionnel, 22e édition, Paris, Armand Colin, 2003, p.89.
79
exécutif qu’ils contrôlent. Il en résulte une prééminence de
l’organe parlementaire qui, seul, peut se prévaloir de la
qualité de représentant du peuple.
Dans une deuxième variante, les électeurs désignent non
seulement les parlementaires mais aussi le chef de l’Etat ;
ce qui permet de contrebalancer la prééminence du
parlement.
Comme le soutient Bernard Manin, « le gouvernement
représentatif a été institué avec la claire conscience que les
représentants élus seraient et devaient être des citoyens
distingués, socialement distincts de ceux qui les élisaient »1. Une
telle conception aristocratique ou bourgeoise du pouvoir
comporte le risque d’éloigner à la longue les gouvernants des
gouvernés avec l’émergence d’une classe politique distincte du
peuple. Ce système représentatif nourrit une méfiance à l’égard
du peuple et permet de le tenir à l’écart des décisions en raison
de son incompétence supposée. Comme le reconnaît clairement
Montesquieu, “ le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il
doit confier quelque partie de son autorité ”. Mais pour ce qui
est de la gestion du pouvoir, il vaudrait mieux s’en remettre aux
représentants2. Une telle situation peut conduire à des dérives,
soit à la souveraineté parlementaire, lorsque les gouvernés sont
dépossédés de la souveraineté au profit des parlementaires qui
s’affranchissent de la volonté et du contrôle des électeurs ; soit
au « régime des partis » lorsque les parlementaires sont
dépossédés au profit des états-majors des partis politiques qui
exercent sur eux une forte emprise.
1
Bernard Manin, Les principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996, p.123.
2
Comme le rappelle Bernard Manin, la démocratie représentative n’était pas à l’origine, considérée par ses
thuriféraires comme une forme de gouvernement rendue nécessaire par l’impossibilité matérielle d’opérationnaliser
la démocratie directe dans de grands Etats. Ils y voyaient un système très différent, éminemment supérieur, et donc
préférable. Comme l’écrivait l’Américain James Madison, l’effet de la représentation est « d’épurer et d’élargir
l’esprit public en le faisant passer par l’intermédiaire d’un corps choisi de citoyens dont la sagesse est le mieux à
même de discerner le véritable intérêt du pays et dont le patriotisme et l’amour de la justice seront les moins
susceptibles de sacrifier cet intérêt à des considérations éphémères et partiales… Dans un tel système, il se peut fort
bien se produire que la volonté publique formulée par les représentants du peuple s’accorde mieux avec le bien
public que si elle était formulée par le peuple lui-même, rassemblé à cet effet » (cité par Bernard Manin, op. cit.,
p.13.
80
C. La démocratie semi directe
1
Avant sa promulgation, une loi peut être soumise au référendum, à la demande d’un certain nombre de citoyens
dont le chiffre est déterminé par la Constitution. Si la majorité des inscrits se prononce en faveur du veto, la loi fait
alors l’objet d’un retrait rétroactif.
2
On distingue en réalité deux variantes : l’initiative non formulée qui se présente sous la forme d’un simple vœu
soumis au parlement, et l’initiative formulée qui se présente sous la forme d’une proposition de loi entièrement
rédigée, qui sera soumise soit au parlement, soit directement au référendum.
3
Voir Charles Debbasch et als., op.cit., pp.50 et s.
81
Le référendum dit antérieur ou de consultation par lequel le parlement,
avant le vote d’une loi, sollicite l’opinion du peuple sans que cette
opinion ne le lie.
Le référendum postérieur, plus fréquent. On en distingue deux modalités:
le référendum de ratification, qui permet au peuple d’adopter
définitivement un texte de loi voté par le parlement, et le référendum
abrogatif, qui permet au peuple d’abroger partiellement ou totalement,
pour l’avenir, une loi votée par le parlement.
82
SECTION III : LA DISTRIBUTION HORIZONTALE DU POUVOIR AU SEIN DE
L’ETAT
1
Citons en particulier la révolution de 1215 qui débouche sur la « Magna Carta », la révolution de 1688 qui
débouche sur le « Bill of Rights ».
83
représentant la petite noblesse et les communes, qui se
transforment progressivement en parlement à partir du XIVe
siècle. Peu à peu émerge et s’affermit un régime représentatif
dans lequel les pouvoirs royaux sont limités par la garantie de la
séparation des pouvoirs, la reconnaissance des libertés
individuelles et des prérogatives du parlement. La séparation
des pouvoirs va par la suite faire l’objet d’une théorisation en
Angleterre puis en France. Plusieurs auteurs affirment que les
pouvoirs devraient être séparés pour assurer la liberté des
citoyens. Dans son essai sur le gouvernement civil publié en
1690, le philosophe anglais John Locke, tout en justifiant la
révolution anglaise de 1688, va développer l’idée d’un contrat
social et d’un droit à l’insurrection, et surtout, jeter les bases
théoriques de la séparation des pouvoirs. C’est ainsi que Locke
va préconiser la distribution du pouvoir politique entre un
pouvoir législatif, un pouvoir exécutif et un pouvoir
confédératif1.
84
Déclaration d’indépendance de 1776, s’attacher à rédiger en
1787 une Constitution qui consacre la séparation mais aussi la
collaboration des pouvoirs dans le cadre d’un système de
contrôle et de pression réciproque (« checks and balances »).
1
Georges Burdeau et als., Droit constitutionnel, 25e édition, Paris, LGDJ, 1997, p.103.
85
à l’une pour la mettre en état de résister à une autre ». Séparés,
les pouvoirs vont se limiter les uns les autres par ce que les
Américains appellent un système de “ freins et de contrepoids ”.
Une Constitution organisée autour de la séparation des pouvoirs
oblige donc ces pouvoirs à se limiter mécaniquement, « par la
force des choses », et non par le seul respect du texte
constitutionnel.
86
de droit. Le parlement peut se voir aussi confier tout ou partie
du pouvoir constituant institué, c’est-à-dire du pouvoir de
modifier la loi fondamentale par une loi constitutionnelle selon
des modalités variables prévues par le pouvoir constituant
originaire, c’est-à-dire par l’organe chargé d’établir une
nouvelle Constitution1. Le parlement a aussi le pouvoir de voter
le budget de la nation, d’établir des impôts, et de contrôler
l’action du gouvernement, notamment par des mécanismes de
contrôle informatif et de sanction. D’un point de vue
pédagogique, l’analyse de la mise en œuvre de cette fonction
relève principalement du droit constitutionnel, cependant que le
droit administratif s’intéresse principalement à la mise en
œuvre de la fonction exécutive qui, parfois, implique l’adoption
de règlements, c’est-à-dire de normes générales ne relevant pas
de la fonction législative.
La fonction exécutive est confiée au gouvernement qui, à
l’origine, était chargé de l’exécution des lois, à travers
l’élaboration de mesures d’application des lois (décrets, arrêtés,
circulaires). Mais les gouvernements se sont progressivement
départis de ce rôle subordonné d’exécution des lois pour devenir
le pouvoir dominant. Partout dans le monde on constate en effet
une nette primauté du pouvoir exécutif, devenu de moins en
moins l’exécutant des volontés du parlement, du fait de
l’accroissement de son rôle politique propre mais aussi de
l’appareil administratif placé sous son autorité, et qui
comprend, outre les services publics, les forces armées et de
police. Aujourd’hui, la fonction exécutive désigne l’ensemble
des activités des administrations et services publics. Elle
comprend le gouvernement, les autorités locales, les
établissements publics et les entités parapubliques à travers
lesquelles sont exécutées des missions de service public, et
1
La loi fondamentale peut ainsi être modifiée comme pour une loi ordinaire lorsqu’il s’agit d’une Constitution
souple ou être modifiée selon des procédures particulières, lourdes ou complexes lorsqu’il s’agit d’une Constitution
rigide.
87
inclut l’exercice des pouvoirs réglementaires qui s’apparentent à
un pouvoir quasi législatif.
1
Louis Favoreu et als., p.336.
88
pressions sur l’autre. Les implications pratiques d’une telle
indépendance mutuelle sont nombreuses : absence de pouvoir de
nomination ou de révocation des autorités composant un pouvoir
constitutionnel par les autorités composant un autre pouvoir,
interdiction de la responsabilité ministérielle, de la dissolution,
des contacts physiques, nécessité pour chaque pouvoir de
garantir son indépendance financière et d’assurer lui-même sa
propre sécurité.
89
Mieux, ceux-ci ne restent pas cantonnés dans le domaine qui
leur est assigné. Ce qui conduira des auteurs à dénoncer le
mythe de la séparation des pouvoirs1. En effet, comme l’écrit
Charles Eisenmann, « … le régime constitutionnel décrit dans
l’esprit des lois n’est point un régime de séparation des
autorités étatiques… Des trois autorités, deux – le parlement et
le gouvernement – ne sont ni maîtresses d’une fonction, ni
spécialisées dans une seule fonction ; la troisième – les tribunaux
-, si elle n’intervient dans l’exercice que d’une seule fonction,
ne l’exerce pas sans partage »2. Ainsi, dans de nombreux pays,
le gouvernement empiète sur les attributions du parlement,
grâce à son pouvoir réglementaire, qui lui permet de poser aussi
des règles générales et impersonnelles. De plus, le parlement
peut déléguer au gouvernement, pour un certain temps, le
pouvoir de prendre des ordonnances dans des matières relevant
de sa compétence. Le Parlement n’a donc pas le monopole
législatif. Il doit aussi compter avec le gouvernement qui est
aussi législateur, puisqu’il peut prendre des décisions de portée
générale dans le cadre de son pouvoir réglementaire (décrets,
arrêtés). Par ailleurs, le peuple peut lui-même se voir attribué
un pouvoir d’initiative législative ou adopter des lois par la voie
du référendum. Dans les régimes politiques contemporains, les
parlements eux-mêmes ont subi des transformations ; ils
décident moins qu’ils ne contrôlent, du moins dans les
démocraties occidentales. Compte tenu de la complexité des
problèmes et de leur technicité, ils s’en remettent bien souvent
aux gouvernements qui disposent des compétences nécessaires
dans l’administration. Aussi, les parlements se sont davantage
orientés vers le contrôle de l’action du gouvernement.
90
simple autorité, un appendice de l’appareil d’Etat, alors que
l’indépendance, la crédibilité du juge constituent la clé de voûte
de l’Etat de droit. Déjà, Alexis de Tocqueville avait noté que
« les Américains ont confié à leurs tribunaux un immense pouvoir
politique »1, se félicitant de ce qu’il n’en soit pas ainsi en
France. Dans de nombreux pays en effet, y compris dans les
démocraties occidentales, l’indépendance de la justice est
parfois remise en cause par les gouvernements2. Le parlement
peut par ailleurs empiéter sur la justice par le vote des lois
d’amnistie qui effacent les jugements et les peines prononcés
par la justice. En France, le statut relativement inférieur de
« l’autorité judiciaire » tient d’abord à la réaction des
constituants contre la manière dont les juges français ont exercé
leurs compétences. Accusés d’avoir commis des abus de pouvoirs
et des empiétements dans le domaine du pouvoir exécutif, les
juges se verront interdire par les lois des 16-24 Août 1790 de
connaître des actes de l’exécutif. Par extension, ils ne sauraient
connaître des actes du pouvoir législatif ou refuser de les
appliquer au motif qu’ils seraient contraires à la Constitution.
Rien de tel aux Etats-Unis où la Cour suprême, dans l’affaire
Marbury vs. Madison a posé les bases d’un contrôle de
constitutionnalité des lois. Ensuite, la seconde raison, d’ordre
théorique, tient à la conception spécifique du pouvoir judiciaire
développée par Montesquieu, qui affirmait que « des trois
puissances dont [il a parlé], celle de juger est en quelque sorte
nulle… Les jugements doivent l’être [fixes] à tel point, qu’ils ne
soient jamais qu’un texte précis de la loi. S’ils étaient une
1
Cité par Christian Bidégaray, Parler en politiste des institutions : enseigner le droit politique de la gouverne, in
Pierre Favre et Jean-Baptiste Legavre, dir., Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1998, p.131.
2
On peut définir l’indépendance de la justice comme « l’absence de toute soumission des juges dans l’exercice de
leur fonction juridictionnelle à des pouvoirs extérieurs ». C’est l’une des composantes essentielles de l’Etat de droit.
Le but de l’indépendance est de « garantir aux citoyens que [les magistrats] ne se prononceront qu’en leur âme et
conscience sans subir d’interventions pesant sur leurs jugements ». Les pressions n’émanent pas seulement des
pouvoirs politiques, mais aussi des groupes de pression divers (idéologique, politique, financier, etc. « La meilleure
justice est celle qui s’affirme dans la force du raisonnement, la hauteur de vue, l’absence de parti pris. Une justice
indépendante est avant tout une justice compétente au service de la loi et des citoyens ». Voir Charles Debbasch,
l’indépendance de la justice, in Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Au carrefour des droits, Paris, Dalloz,
2002, p.27 et ss.
91
opinion particulière du juge, on vivrait dans la société sans
savoir précisément les engagements que l’on y contracte »1. Par
conséquent, la jurisprudence ne saurait être une source de
droit. Ce qui, aujourd’hui n’est guère soutenable, dans la
mesure où il est admis que le juge a un rôle créateur de norme.
1
Denis Lévy, Les sources du droit constitutionnel, in mélanges en l’honneur de Benoît Jeanneau, Les mutations
contemporaines du droit public, Paris, Dalloz, 2002, p.210 et s.
2
Xavier Boissy, op. cit., p.31.
3
Ibid., p.35
92
pouvoirs, lorsque le gouvernement (qui dispose de
l’administration, de la police et de l’armée) est l’émanation
d’un parti majoritaire et surtout dominant. Dans cette optique,
le pouvoir reste concentré entre les mains de ce parti et de ses
dirigeants. Dans ces conditions, la notion de contre-pouvoir
revêt toute son importance. On peut la définir comme
l’ensemble de « tous les centres organisés de décisions, de
contrôle, d’intérêts ou d’influence qui, par leur seule existence
ou par leur action, quel que soit l’objectif poursuivi, ont pour
effet de limiter la puissance de l’appareil dirigeant de l’Etat »1.
Nécessaires dans tout régime politique pluraliste pour prévenir
ou dénoncer les abus et dérives des pouvoirs publics, ils doivent
cependant inscrire leurs actions dans le cadre de l’Etat de droit
pour ne pas eux-mêmes générer d’autres abus. On distingue
plusieurs types de contre-pouvoirs2 :
Les contre-pouvoirs institutionnels que sont les mécanismes
verticaux de distribution des pouvoirs (collectivités
territoriales instituées dans le cadre de la décentralisation,
distribution des pouvoirs entre l’Etat fédéral et les Etats
fédérés), qui complètent les mécanismes horizontaux
(distinction des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire)
institués dans le cadre de la mise en œuvre du principe de
la séparation des pouvoirs.
Les contre-pouvoirs politiques que sont notamment les
partis politiques, la presse écrite et les médias audiovisuels
lorsqu’ils sont pluralistes et indépendants vis-à-vis du
pouvoir en place.
Les contre-pouvoirs sociaux que sont les forces
économiques et sociales et groupes de pression divers
(associations et ONG, syndicats, autorités traditionnelles et
religieuses, etc.).
1
Pierre Pactet, op. cit., p.18.
2
Voir le chapitre sur les forces politiques.
93
Tous ces mécanismes permettent d’assurer une séparation
plus efficace des pouvoirs et d’atteindre les objectifs poursuivis
par la théorie de la séparation des pouvoirs : tels la
décentralisation, les médias pluralistes, indépendants et
crédibles, etc.
§ 1 : L’Etat unitaire
94
étatique, grâce à des relais périphériques intégrés dans la
structure bureaucratique ou seulement associés à la gestion
locale. Dans l’Etat unitaire, les citoyens sont soumis au même et
unique pouvoir. Un parlement unique légifère pour l’ensemble
des citoyens, qui sont soumis à l’autorité d’un seul
gouvernement et d’un droit unitaire.
1
B. Badie et P. Birnbaum, Sociologie de l’Etat, Paris, Grasset, 1979, pp.172 et ss.
95
1. La déconcentration
2. La décentralisation
96
décentralisation fonctionnelle ou par service). Les attributions
conférées aux autorités décentralisées sont fixées par la loi1 et
non par la Constitution, qui reconnaît seulement le principe de
la libre administration des collectivités locales. En conséquence,
le législateur peut par le vote d’une loi modifier les attributions
des autorités locales. Par ailleurs, l’exercice des attributions des
collectivités locales est soumis à un contrôle de tutelle,
beaucoup moins contraignant que le contrôle hiérarchique qui
s’exerce dans le cadre de la déconcentration.
Selon les pays et les époques, la décentralisation est plus
ou moins poussée. Dans certains pays, le processus de
décentralisation est si approfondi qu’il a donné naissance à des
régions autonomes dont le statut politique et administratif se
rapproche de celui des Etats fédérés.
A. La confédération
1
Au Burkina Faso, les textes d’orientation de la décentralisation s’articulaient autour de quatre textes législatifs :
- la loi n°040/98 du 3 août 1998 portant orientation de la décentralisation au Burkina Faso ;
- la loi n°41/98/AN du 6 août 1998 portant organisation du territoire
- la loi n°42/98/AN du 6 août 1998 portant organisation et fonctionnement des collectivités locales
- la loi n°43/98 du 6 août 1998 portant programmation de la mise en œuvre de la décentralisation.
Ces quatre lois ont par la suite fait l’objet de plusieurs relectures, puis d’une refonte totale avec l’adoption de la loi
n°55-2004 AN du 21 décembre 2004 portant code général des collectivités territoriales.
97
En général, les représentants de l’Etat se réunissent dans une
conférence qui élabore à l’unanimité en principe, des décisions
qui sont supposées prises par les Etats. Mais celles-ci ne peuvent
être appliquées sur le territoire d’un Etat qu’avec l’accord dudit
Etat. Chaque Etat conserve donc la plénitude de sa personnalité
et de sa souveraineté. Dans la pratique, soit la confédération se
dissout, soit elle évolue vers une fédération.
B. L’Etat fédéral
1. La notion de fédéralisme
98
Le fédéralisme est souvent adopté pour deux raisons
essentielles :
- Satisfaire les demandes d’autonomie interne, permettre
aux minorités de s’auto-administrer, sauvegarder les
identités, tout en maintenant un loyalisme vis-à-vis du
pouvoir central.
- Constituer un marché économique plus vaste ou une entité
politique et militaire plus puissante.
99
compétences entre eux et l’union, c’est-à-dire l’Etat central.
Sont inscrites dans la Constitution les garanties juridiques
concernant l’autonomie des Etats fédérés ainsi que les règles
garantissant que leur statut ne sera pas modifié unilatéralement
sans leur participation. En particulier, l’égalité entre les Etats
fédérés est garantie par la Constitution.
1
Ibid., p.38.
100
fédérés et à l’Etat fédéral d’intervenir dans le même domaine.
En cas de conflit le principe selon lequel le droit fédéral
s’impose au droit des Etats s’applique.
101
CHAPITRE 2 : LE CONSTITUTIONNALISME
102
SECTION I : LA CONSTITUTION
§1 : La notion de Constitution
1
Cité par Dominique Turpin, op. cit., p.111.
103
réalité imprécise et extensive, dans la mesure où elle range dans
la Constitution des aspects aussi variés que l’organisation de
l’Etat ou des pouvoirs publics, leurs attributions et rapports, les
droits de l’Homme et les libertés. On peut même y inclure
certains aspects qui, bien que touchant à la dévolution et à
l’exercice du pouvoir politique, sont formellement séparés de la
Constitution : le droit parlementaire, le droit électoral, le
régime juridique des partis politiques, etc.1.
104
de faire partie de la Constitution si telle est la volonté du
pouvoir constituant1.
105
principal avantage est de développer avec précision les règles
constitutionnelles. Quant à la Constitution coutumière, elle
comprend « l’ensemble des règles coutumières relatives, pour
un pays donné, à la dévolution et à l’exercice du pouvoir. Ces
règles coutumières reposent sur la répétition, sans discontinuité
véritable et pendant une certaine durée, de précédents
recueillant un très large consensus, pour ne pas dire
l’assentiment général »2. Les Constitutions coutumières ont
pratiquement disparu, les Etats modernes reposant dans leur
grande majorité sur des constitutions écrites. Il reste cependant
à savoir quel rôle la coutume pourrait jouer dans un Etat
disposant d’une Constitution écrite. Peut-on concevoir en marge
de celle-ci le développement de pratiques, d’usages ou de non-
usages constitutives de coutumes constitutionnelles ? La
question est controversée au niveau de la doctrine3. Dans
l’ensemble, celle-ci admet qu’aucune coutume ne saurait
modifier ou abroger une disposition constitutionnelle écrite qui
ne souffre d’aucune ambiguïté. Si elle existe, la coutume ne
peut qu’être supplétive ou interprétative4.
1
En France et en Pologne en 1791.
2
Pierre Pactet, op. cit., p.67.
3
Contre l’idée d’une coutume constitutionnelle, Esmein affirme que la Constitution « ne peut jamais être abrogée
que par une nouvelle loi constitutionnelle, rendue dans la forme voulue », cependant que Carré de Malberg affirme
« qu’il y a incompatibilité entre ces deux termes : Constitution et coutume… toutes les fois que les auteurs sont
réduits à invoquer la coutume, cela revient à dire que cet état de choses manque de base en droit ». Cités par
Dominique Turpin, Paris, PUF, 2003, p.107.
4
Au Burkina Faso, la coutume est une source de rang inférieur par rapport à la loi. La coutume peut être définie
comme une règle de droit issue d'un usage général et prolongé et de la croyance en l'existence d'une sanction à
l'observation de cet usage. L’existence d’une coutume suppose donc la réunion de deux éléments : d’une part des
précédents, des pratiques ou des usages répétitifs et d’autre part le sentiment d’obligation (c’est ce que les juristes
appellent « l’opinio juris »). Au Burkina, dans de nombreuses matières, les coutumes ont été abrogées (par exemple
en matière de relations familiales, en matière foncière), le législateur ayant fait l'option du "modernisme". Malgré
leur abrogation officielle, les coutumes ne cessent pas pour autant d'exister. Mais elles ne sauraient produire des
effets dans l'ordre juridique burkinabè. Il en va ainsi des coutumes dites contra legem, qui mettent en échec la loi en
y substituant une norme qui y est opposée. Dans l’hypothèse d'un conflit entre la loi et la coutume c'est la loi qui doit
prévaloir, même si elle aura du mal à s’affirmer sur le plan de son effectivité. Il existe toutefois des rapports plus
harmonieux entre coutumes et lois. Ainsi, les coutumes dites praeter legem, sont des coutumes qui comblent les
lacunes de la loi, lorsque celle-ci ne règle pas tous les problèmes. Quant aux coutumes secundum legem, elles
désignent les coutumes auxquelles la loi renvoie, le législateur s'en remettant aux usages consacrés par la coutume.
106
Les coutumes constitutionnelles ne doivent pas être
confondues avec les « conventions de la Constitution » même si
elles s’en approchent. Ces dernières sont en effet des « règles
non écrites et accords sur la marge discrétionnaire d’exercice
de leurs prérogatives par les acteurs constitutionnels, non
incompatibles avec le texte écrit mais sans valeur normative »1.
A titre illustratif pour le cas de la France, on pourra mentionner
certaines pratiques constitutionnelles, considérations d’ordre
politique ou personnel prises en compte par la doctrine pour
expliquer le fonctionnement concret du pouvoir sous la Ve
République. Ainsi, la prééminence du Président de la République
et subséquemment la dépendance du premier ministre ne valent
qu’en période de concordance des majorités présidentielle et
parlementaire. En période de « cohabitation », le gouvernement
et sa majorité parlementaire maîtrisent l’agenda et la
procédure parlementaire et, de ce fait, déterminent et
conduisent pour l’essentiel la politique de la nation. Dans ce
contexte, le Président de la République devient le chef de
l’opposition mais n’en conserve pas moins des pouvoirs propres
dans les domaines régaliens, le fonctionnement des pouvoirs
publics et la possibilité de s’exprimer2.
107
que la suprématie de la Constitution sur la loi reste théorique,
sans conséquence juridique pratique. Au contraire, une
Constitution rigide est celle dont la procédure de révision est
plus difficile à mettre en œuvre parce que obéissant à des
formes et procédures particulières différentes de celles requises
par une loi ordinaire1
En réalité, les Constitutions en vigueur sont plus ou moins
souples ou plus ou moins rigide. Tout est relatif, dans la mesure
elles peuvent être classées sur une échelle de rigidité ou de
souplesse. De plus, une Constitution a priori souple peut s’avérer
en pratique plus difficile à réviser qu’une Constitution
formellement rigide2. Et vice-versa. Ce sont donc les pratiques
de révision constitutionnelle qui peuvent déterminer la nature
exacte de la Constitution.
1
L’exigence d’une majorité « qualifiée », par exemple, ¾ de l’Assemblée pour le cas du Burkina Faso, d’une
ratification par les parlements des Etats fédérés pour le cas des Etats fédéraux, ou dans certains cas l’exigence d’un
référendum, la convocation d’une assemblée spéciale, etc. sont autant d’indices d’une Constitution rigide.
2
Ainsi, une Constitution a priori souple peut en pratique devenir rigide lorsqu’il est difficile de parvenir à un
consensus sur le principe ou le contenu de la révision faute de majorité stable ou d’accords entre partis politiques
représentés à l’Assemblée. Inversement, en Afrique, une Constitution a priori rigide peut devenir en pratique souple
s’il existe par exemple un parti majoritaire ou un parti unique de fait qui contrôle une majorité écrasante au
parlement à la dévotion du Président. Ce dernier pourra changer la Constitution selon son bon plaisir.
108
l’intention des pouvoirs publics sont aussi appelées
« Constitution programme ».
§ 2 : L’élaboration de la Constitution
109
A. La théorie du pouvoir constituant originaire
1
Ce fut le cas avec l’accession à l’indépendance des pays africains au début des années soixante.
2
Ce fut le cas en Haute-Volta avec les coups d’Etat qui mirent fin aux régimes de la Ie République en 1966, de la IIe
république en 1970, de la IIIe République en 1980. Il est même possible que l’élaboration d’une nouvelle constitution
intervienne à la suite de plusieurs coups d’Etat consécutifs à celui qui a mis fin au régime constitutionnel. Ce fut le
cas au Burkina Faso où trois coups d’Etat, en 1982, 1983 et 1987, ont suivi celui de 1980 qui a mis fin au régime de
la 3 e République.
3
On pense par exemple à la Constitution sud-africaine adoptée en 1994 après la fin du régime d’apartheid.
4
Louis Favoreu et als ;, p.99
110
En théorie, le pouvoir constituant originaire est souverain,
ce qui signifie que son exercice est inconditionné. L’organe
chargé d’établir la Constitution a donc des pouvoirs quasi
illimités pour l’établissement du nouvel ordre juridique et
politique, tant au niveau de la procédure interne qu’au niveau
du contenu de la Constitution. En pratique, c’est le pouvoir en
place qui établit l’organe chargé de rédiger la nouvelle
Constitution. Il peut donc lui fixer des limites, des directives ou
des orientations, et adopter des procédés plus ou moins
démocratiques ou autoritaires pour l’établissement de la
Constitution.
111
des apparences démocratiques. C’est le cas lorsqu’il est fait
appel au peuple pour ratifier par référendum ou « plébisciter »
une Constitution « octroyée » ou élaborée en dehors de lui ou de
ses représentants, par exemple à travers une commission
constitutionnelle comme celle mise en place au Burkina Faso par
le Front populaire en 1990. Le référendum constituant peut donc
être utilisé avec des procédés moins démocratiques. Le manque
de transparence entourant l’élaboration de la Constitution,
l’absence de participation et de contrôle populaires sur le
processus d’établissement de la Constitution sont révélateurs de
la nature autoritaire du pouvoir en place qui dépossède le
pouvoir constituant originaire ou exerce une forte emprise sur
lui.
112
les membres de l’assemblée constituante, peut orienter le
contenu de la Constitution, plutôt que d’être mis devant le fait
accompli. Le procédé est encore plus démocratique lorsque le
peuple intervient non seulement en amont mais aussi en aval du
processus d’établissement de la Constitution, c’est-à-dire
lorsque les procédés de l’assemblée constituante et du
référendum constituant sont combinés. C’est le cas lorsque le
projet de Constitution élaboré par l’assemblée constituante élue
est soumis à la sanction du peuple par référendum. C’est ce
procédé qui a été utilisé pour l’élaboration et l’adoption des
Constitutions française de 1946 et sud-africaine de 1994.
1
Par exemple au Burkina Faso le Titre XV de la Constitution de 1991.
2
On rappelle qu’une Constitution est qualifiée de rigide ou souple, selon que les procédures et règles de sa révision
sont difficiles ou plus aisées à mettre en œuvre.
113
Il existe plusieurs techniques de révision. Ainsi, en vue de
favoriser une révision mûrement réfléchie et empêcher qu’une
majorité conjoncturelle ne modifie la Constitution formelle,
celle-ci peut conditionner sa révision au respect d’un certain
délai1 : c’est la technique de la prolongation2. La Constitution
peut également imposer le respect d’un certain nombre de
procédures ou d’étapes au cours desquels des organes
spécifiques seraient appelés à intervenir. C’est le cas dans
certains pays comme la France avec la convocation des
assemblées parlementaires réunies en congrès ou la possibilité
de consulter directement le peuple par référendum. Enfin, une
autre technique de révision consistera à imposer la réunion
d’une majorité renforcée ou qualifiée pour la révision. La
combinaison de plusieurs de ces techniques de révision peut
conduire à l’établissement d’une Constitution assez rigide.
Au Burkina Faso, l’initiative de la révision de la Constitution
appartient concurremment au Président du Faso, aux membres
de l’Assemblée nationale à la majorité, au peuple lorsqu’une
fraction d’au moins trente mille (30 000) personnes ayant le
droit de vote, introduit devant l’Assemblée nationale une
pétition constituant une proposition rédigée et signée (article
161). Le projet de révision est, dans tous les cas, soumis au
préalable à l'appréciation de l'Assemblée nationale (article 163).
Le projet de texte est ensuite soumis au référendum. Il est
réputé avoir été adopté dès lors qu’il obtient la majorité des
suffrages exprimés. Le Président du Faso procède alors à sa
promulgation dans les conditions fixées par l’article 48 de la
Constitution. Toutefois, le projet de révision est adopté sans
recours au référendum s’il est approuvé à la majorité des trois
quarts (3/4) des membres de l’Assemblée nationale (article
164).
114
Si le pouvoir constituant originaire est souverain, peut-on
en dire autant du pouvoir constituant institué ? Selon l’article 28
de la Déclaration des droits de 1793, « un peuple a toujours le
droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une
génération ne peut assujettir à ses lois les générations
futures ». Or, la plupart des Constitutions en vigueur prévoient,
pour leur révision, des conditions de recevabilité qui lient le
pouvoir constituant dérivé. Certains auteurs en déduisent que ce
dernier ne peut échapper au contrôle du juge constitutionnel.
D’autres auteurs vont jusqu’à affirmer que du fait des exigences
du constitutionnalisme et de l’Etat de droit, un projet ou une
proposition de révision de la Constitution qui satisfait aux
conditions de recevabilité ne saurait être exempt de tout
contrôle par le juge constitutionnel, aussi bien du point de vue
des conditions de validité que du point de vue de son contenu
même. D’ailleurs, au Burkina Faso, le constituant a
expressément chargé le Conseil constitutionnel de veiller au
respect de la procédure de révision de la Constitution (article
154). Ce qui implique la possibilité d’une censure si la révision
n’est pas conforme à la Constitution. Compte tenu de la
différenciation hiérarchique qui existe entre les dispositions ou
principes constitutionnels, lesquels n’ont pas la même
importance - même si leur violation doit en principe faire l’objet
de sanction par le juge constitutionnel -, la doctrine considère
que les lois de révision constitutionnelle qui méconnaîtraient
certains principes fondamentaux résumant l’ordre
constitutionnel sont susceptibles d’annulation par le juge
constitutionnel. Il s’agit, en particulier, des principes
démocratiques, républicains, de la forme de l’Etat (unitaire,
fédéral), de l’Etat de droit, du libéralisme, de la séparation des
pouvoirs. Mieux, la Constitution elle-même peut contenir des
dispositions plus ou moins nombreuses interdisant de manière
115
absolue ou conditionnant certaines révisions1. Ainsi, la
Constitution burkinabè de juin 1991 établit une interdiction
absolue de révision de certaines matières. C’est dans ce sens
que l’article 165 dispose qu’aucun projet ou proposition de
révision de la Constitution n'est recevable lorsqu'il remet en
cause la nature et la forme républicaine de l'Etat, le système
multipartite, l'intégrité du territoire national. A ces interdictions
absolues s’ajoute une interdiction conditionnelle, celle
d’engager ou de poursuivre une révision de la Constitution dans
certaines circonstances, en l’espèce lorsqu’il est porté atteinte
à l’intégrité du territoire national (article 165 de la
Constitution). Au Niger, les matières insusceptibles de révision
constitutionnelle sont beaucoup plus étendues qu’au Burkina
Faso. A celles énumérées par le constituant burkinabè
s’ajoutent, aux termes de l’article 136 de la Constitution
nigérienne du 18 juillet 1999 :
Le principe de la séparation de l’Etat et de la religion.
Le mandat présidentiel (quinquennat renouvelable une
seule fois) ainsi que les conditions d’éligibilité du président
de la République et d’organisation de l’élection
présidentielle.
L’amnistie accordée aux auteurs des coups d’Etat militaires
des 27 janvier 1996 et 9 avril 1999.
116
question de la constitutionnalité de la loi de révision
constitutionnelle du 17 mars 2003, le Conseil constitutionnel a
ainsi décliné sa compétence pour contrôler une loi
constitutionnelle, aux motifs que :
117
constitutionnelle, arguant du fait qu’une proposition de révision
constitutionnelle risquait de rompre le consensus national
instauré par la Conférence nationale souveraine de 1990 s’est
opposée à ladite révision1.
1
Les députés béninois avaient adopté le 23 juin 2006 par 71 voix contre 12 une proposition de révision
constitutionnelle visant à proroger leur mandat d’une année supplémentaire. Saisie par plusieurs personnes opposées
à cette révision qui, si elle avait abouti, aurait été la première de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990
restée intangible depuis seize ans, la Cour a répondu dans les termes suivants : « Considérant que ce mandat de
quatre ans [des députés], qui est une situation constitutionnellement établie, est le résultat du consensus national
dégagé par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990 et consacré par la Constitution en son
Préambule qui affirme l’opposition fondamentale du peuple béninois à … la confiscation du pouvoir ; que même si
la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un Etat de
droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandant que
toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990,
notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle ; qu’en conséquence, les articles 1 et 2 de la Loi
constitutionnelle nº2006-13 adoptée par l’Assemblée Nationale le 23 juin 2006, sans respecter le principe à valeur
constitutionnelle ainsi rappelé, sont contraires à la Constitution ; et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres
moyens ; ».
118
A la différence de l’organe politique, l’organe
juridictionnel, lui, fonde ses décisions exclusivement sur des
motifs de droit. Suivant les pays, le contrôle juridictionnel est
exercé soit par les tribunaux ordinaires, soit par un organe
spécialement institué à cet effet. Dans le premier cas il s’agit du
modèle américain de justice constitutionnelle. Dans le second
cas il s’agit du modèle européen. Fruit d’une construction
théorique, ce dernier, appelé aussi « modèle kelsénien »1,
repose sur l’institution d’un organe centralisé, mi-juridictionnel,
mi-politique, situé hors de la hiérarchie judiciaire, spécialisé
dans le contentieux constitutionnel sans en avoir le monopole2.
A l’opposé, le modèle américain de contrôle de
constitutionnalité des lois est à l’origine une construction
jurisprudentielle et repose sur un contrôle décentralisé, de la
Cour suprême aux juridictions ordinaires.
1
Ce modèle est appelé ainsi parce qu’il a été théorisé à l’origine par le juriste autrichien Hans Kelsen.
2
En effet, le Conseil constitutionnel en France n’a pas le monopole des questions constitutionnelles. Les autres juges
peuvent également être des juges constitutionnels, c’est-à-dire qu’ils peuvent être conduits à apporter une réponse
juridique à des questions constitutionnelles qui se posent devant eux. Ainsi, le juge administratif et le juge judiciaire
peuvent en certaines occasions également interpréter la Constitution et sanctionner sa violation.
3
Louis Favoreu et als., op. cit., p.205.
119
Cette Cour est composée de neuf membres nommés à vie.
Ceux-ci peuvent cependant prendre leur retraite à partir de
soixante-cinq (65) ans et ne peuvent être destitués qu’au terme
de la procédure d’impeachment en cas de trahison, corruption
ou autres grands crimes ou délits. Les membres de la Cour
suprême sont nommés par le Président mais leur nomination doit
être confirmée par le Sénat, qui passe au peigne fin leurs vies
privée, publique et prises de positions. N’accèdent donc au
poste de juge à la Cour suprême que des personnalités
éminentes.
La Cour suprême statue a posteriori sur renvoi des
juridictions ordinaires ou sur saisine directe à propos de litiges
concrets qui mettent en question la constitutionnalité des lois.
Compte tenu de l’ampleur des requêtes, les dossiers sont filtrés
par un comité restreint qui ne retient que ceux dignes d’intérêt.
L’exception d’inconstitutionnalité constitue le principal procédé
permettent de déclencher le contrôle de constitutionnalité.
Cette procédure entraîne un contrôle incident à la faveur d’un
litige concret devant une juridiction ordinaire lorsqu’une partie
soulève l’inconstitutionnalité d’une loi qu’on veut lui appliquer
ou qu’il aurait enfreint. Mais il existe d’autres procédés, moins
fréquents :
120
Il existe de nombreux cas d’ouverture du contrôle de
constitutionnalité, parmi lesquels les cas de violation :
De la clause « due process of law », qui interdit de priver
quiconque « de sa vie, de sa liberté ou de sa propriété sans
une procédure légale régulière » ou « convenable ».
De la « rule of reasonableness » ou de la règle « balance of
convenience », qui impose aux pouvoirs publics d’assurer un
équilibre raisonnable entre les charges imposées aux
particuliers au nom de l’intérêt général et les avantages
qu’ils peuvent tirer de la vie en société.
De la « clause d’égalité », qui impose aux pouvoirs publics
d’assurer à tous une égale protection des lois.
121
mode de désignation des membres, les conditions de leur
désignation et leur statut.
S’agissant du premier critère, on constate que dans certains
pays comme la France, les membres sont choisis par des
autorités politiques. Dans d’autres pays comme l’Espagne ou
l’Italie, une partie des membres est désignée par des instances
juridictionnelles. En ce qui concerne les conditions requises pour
la désignation des membres, les autorités politiques en France
semblent disposer d’une très grande liberté de choix, cependant
qu’en Allemagne, en Espagne et en Italie, ne peuvent être
désignées que des personnes ayant une qualification juridique
(magistrats, avocats, et professeurs de droit). Enfin, l’existence
d’une véritable juridiction constitutionnelle implique que son
indépendance soit véritablement assurée aussi bien à l’égard des
pouvoirs publics qu’à l’égard des autres forces susceptibles de
faire pression sur elle. C’est pourquoi le statut de l’institution et
de ses membres est, selon les pays, plus ou moins proche de
celui des juridictions et des magistrats ordinaires. Le but visé est
d’assurer d’une part l’autonomie réglementaire, administrative
et financière de l’institution, et d’autre part la protection des
juges et leur indépendance à l’égard du politique. Dans cette
optique, les membres sont nommés pour un mandat plus ou
moins long (neuf ans en France, Italie, Espagne; douze ans en
Allemagne). Ils ne peuvent, sauf pour des motifs exceptionnels,
être démis de leurs fonctions. Souvent il est prévu qu’ils ne
peuvent être nommés une seconde fois. Naturellement, de
nombreuses incompatibilités sont prévues pour l’exercice de
leurs fonctions. Quant au président de l’institution, il est
désigné soit par ses pairs comme en Italie, soit par le parlement
comme en Allemagne, soit par le Chef de l’Etat comme en
France et aux Etats-Unis.
Au Burkina Faso un Conseil constitutionnel a été mis en
place le 9 décembre 2002, sur le modèle français, suite à la
révision constitutionnelle de 2000 qui a permis, en outre,
122
l’éclatement de la Cour suprême en trois juridictions supérieures
(Conseil d’Etat, Cour de cassation, Cour des comptes). Le
Conseil constitutionnel burkinabè diffère cependant de son
homologue français sur divers points, s’agissant notamment de
sa composition. Il est en effet composé d’un président sans
durée déterminée de mandat, de trois magistrats nommés par le
Président du Faso sur proposition du ministre chargé de la
Justice, de trois personnalités nommées par le Président du Faso
et de trois autres personnalités nommées par le Président de
l’Assemblée nationale. Les membres ont en principe un mandat
unique de neuf (9) ans sauf pour les premières nominations où le
renouvellement par tiers est prévu tous les trois ans.
1
Voir par exemple l’article 13 de la Constitution burkinabè de juin 1991 qui consacre la liberté de création des partis
politiques mais interdit les partis confessionnels, racistes, régionalistes ou tribalistes.
123
Selon les systèmes juridiques, le champ du contrôle est plus
ou moins étendu. Il peut englober tout ou partie des actes
suivants:
Les différentes catégories de lois au sens formel du terme,
à l’exception des lois référendaires1.
Les règlements et les actes individuels pris par le
gouvernement ou l'administration2.
Les décisions juridictionnelles lorsqu'elles sont contraires
aux principes constitutionnels soit quant au fond soit quant
à la procédure.
Les actes des personnes privées (contrats, testaments, etc.)
Lorsqu'ils contiennent des dispositions contraires aux
principes constitutionnels.
1
Le Conseil constitutionnel en France s'étant refusé, à l'occasion du référendum de 1962 qui a institué l'élection du
Président de la république au suffrage universel direct, à contrôler la constitutionnalité des lois référendaires au
motif qu'elles sont l'expression directe de la souveraineté du peuple.
2
En France, les juges administratifs peuvent contrôler la constitutionnalité des actes administratifs, sauf dans
l'hypothèse de la loi-écran, c'est-à-dire dans l'hypothèse où l'acte administratif est pris en application d'une loi, car les
juges administratifs ne peuvent censurer une loi.
124
La violation des normes de référence (bloc de
constitutionnalité), qui constitue la forme la plus répandue
d'inconstitutionnalité.
1. Le moment du contrôle
125
devant n’importe quel juge en lui demandant de ne pas faire
état de la loi incriminée pour la solution du litige. Mais la voie
d’exception n’aboutit pas à l’annulation de la loi
inconstitutionnelle. Bien que la Constitution burkinabè ne
prévoie pas une telle procédure, l’article 25 de la loi organique
nº11-2000/AN du 27 avril 2000 relative au Conseil constitutionnel
a institué le contrôle de constitutionnalité des lois par la voie
d’exception. Mais à ce jour, cette procédure n’a jamais été
utilisée.
126
4. renvoi à titre préjudiciel par une juridiction (dans l’hypothèse
de la voie d’exception, compte tenu du monopole de
l’interprétation constitutionnelle que l’article 152 de la
Constitution confère au Conseil constitutionnel) ;
5. saisine directe par un particulier (en matière électorale le
Conseil peut être saisi par tout candidat intéressé selon
l’article 154).
En règle générale, les juridictions constitutionnelles sont des
juges d’attribution et ne peuvent se saisir elles-mêmes; elles ne
peuvent donc être mises en mouvement que de l’extérieur.
3. La procédure
127
D. Les effets du contrôle
128
TITRE 2 : LA MISE EN ŒUVRE DU POUVOIR POLITIQUE
129
CHAPITRE I : LES REGIMES POLITIQUES
130
régimes républicains ; les régimes reposant sur une structure
unitaire de l’Etat de ceux reposant sur une structure fédérale.
Mais le critère essentiel de classification des régimes
démocratiques selon la théorie constitutionnelle classique
semble reposer sur l’aménagement du principe de majorité ou
sur le mode d’agencement des pouvoirs et des organes. Dans
cette perspective, on distingue trois types de systèmes
constitutionnels ou encore de régimes : les régimes
parlementaires, les régimes présidentiels et le régime
directorial.
Sur la base du principe de la séparation des pouvoirs, la
doctrine classique distingue aussi les régimes de séparation
souple des régimes de séparation rigide. Il s’agit respectivement
des régimes parlementaires et des régimes présidentiels, qui
constituent la principale alternative en matière de modèle de
régimes constitutionnels. On décrira ici les régimes de
séparation des pouvoirs et les régimes de confusion des pouvoirs
avant d’analyser la crise des régimes autoritaires africains.
131
Le régime présidentiel est caractérisé, en principe, par la
plénitude de chaque organe dans l’exercice de sa fonction.
L’exemple du régime politique des Etats-Unis d’Amérique en est
l’illustration parfaite.
A. Le président
B. Le parlement
132
responsabilité pénale au moyen de la procédure
d’impeachment).
Mais des mécanismes ont été institués pour obliger les deux
organes à collaborer :
le droit de veto conféré au président qui peut s’exercer de
deux manières :
soit par le veto explicite qui consiste pour le président,
en cours de session, à opposer son veto à un texte et à le
renvoyer dans les dix jours au Congrès avec un message
expliquant les motifs de son opposition ; dans ce cas, le
Congrès peut surmonter le veto présidentiel à la majorité
des deux tiers (2/3) des membres du Congrès, ce qui est
souvent difficile à obtenir ;
soit indirectement par le «veto de poche» (pocket veto).
En effet, si le projet de texte a été voté dans les dix
derniers jours de la session, en cas de veto, le président
n’est pas obligé de le retourner au Congrès. Il peut
« conserver dans sa poche » les lois qui ne rencontrent
pas son assentiment et la procédure devra être
entièrement reprise à la prochaine session.
la procédure de nomination à certaines fonctions dans les
administrations, faisant appel à l’approbation par le Sénat
(juges à la Cour suprême, ambassadeurs ou ratification des
traités) ;
l’initiative législative indirecte dont dispose le président,
qui peut l’exercer soit directement (par les messages qu’il
est tenu de faire parvenir périodiquement au Congrès) soit
indirectement en passant par des élus proches de lui pour
déposer des propositions de loi ou en joignant un texte de
projet de proposition de loi à son discours à la Nation,
suggérant ainsi que ce texte soit repris sous forme de
proposition de loi par ses partisans ;
la compétence partagée dans la déclaration et la conduite
de la guerre.
133
Contrairement à l’idée d’une séparation tranchée, le
fonctionnement régulier du régime présidentiel exige une
collaboration entre l’exécutif et le législatif. Cette collaboration
est facilitée aux Etats-Unis par l’absence d’opposition
idéologique entre les deux partis politiques qui alternent au
pouvoir et par un système partisan peu rigide.
1. L’exécutif
134
L’exécutif est bicéphale (président ou monarque et premier
ministre). Les rapports entre le chef de l’Etat et le premier
ministre peuvent être aménagés en faveur de l’un ou de l’autre,
par l’existence ou l’absence de responsabilité du premier
ministre devant le chef de l’Etat (parlementarisme dualiste ou
moniste). Le président ou le monarque joue un rôle honorifique
ou symbolique ce qui justifie son irresponsabilité politique. Il est
élu au suffrage indirect (par les parlementaires). C’est le
gouvernement, dirigé par le premier ministre qui exerce la
réalité, la plénitude du pouvoir exécutif. Il est investi par le
parlement.
2. Le Parlement
135
dissolution du parlement conféré à l’exécutif (au chef de l’Etat
ou au premier ministre). Mais ce critère, s’il paraît répandu,
n’existe pas dans certains régimes indiscutablement
parlementaires. C’est pourquoi il ne saurait être retenu comme
un critère essentiel du parlementarisme.
Il en va de même du principe de l’irresponsabilité et de
l’inviolabilité du chef de l’Etat. A l’origine, le parlementarisme
en Grande Bretagne était dualiste. Le gouvernement devait en
conséquence bénéficier à la fois de la confiance du chef de
l’Etat (le roi) et de celle du parlement. Mais progressivement, la
réalité du pouvoir exécutif va passer dans les mains du
gouvernement au détriment du roi. Celui-ci règne mais ne
gouverne pas ; si bien que rares sont les décisions imputables à
la reine d’Angleterre et non pas au premier ministre qui, en
réalité, lui inspire ses moindres paroles et gestes, y compris son
discours du trône. En contrepartie, le roi (la reine), en sa qualité
de chef de l’Etat bénéficie de l’inviolabilité, et ne peut être
considéré comme politiquement responsable.
De tous les critères proposés par la doctrine, le plus
important est celui de la responsabilité politique du
gouvernement devant le parlement. La doctrine considère en
effet dans son ensemble que le seul critère authentique du
parlementarisme est la responsabilité gouvernementale devant
une assemblée élue, critère qui suffit à définir le régime
parlementaire en tant que catégorie.
Le principe de la responsabilité, tout comme le principe de
l’irresponsabilité et de l’inviolabilité du chef de l’Etat, est le
résultat d’une évolution historique fondée à l’origine sur la
responsabilité pénale des ministres. Le roi étant inviolable, la
Chambre des communes (élue au suffrage universel) pouvait, en
contrepartie, accuser ses ministres devant la chambre des Lords
et les faire condamner. Pour échapper à ces lourdes sanctions,
les ministres ont pris l’habitude de démissionner avant d’être
136
accusés. D’où la transformation coutumière de la responsabilité
pénale en responsabilité politique.
Le mécanisme de la responsabilité est cependant réversible
et tend à instaurer un équilibre entre le gouvernement et le
parlement. S’il place le gouvernement sous la dépendance
étroite du parlement qui peut le contrôler, le censurer, le
gouvernement à l’inverse peut permettre à son chef, le premier
ministre, d’engager sa responsabilité, exerçant ainsi une sorte
de chantage vis-à-vis des députés. Si ces derniers ne votent pas
la confiance, alors le gouvernement peut dissoudre l’assemblée,
ce qui peut emmener certains députés à réfléchir deux fois
avant de tenir tête au gouvernement.
Le critère de la responsabilité politique présente un
caractère ambivalent, à la fois juridique et politique ; juridique
en ce sens que sa mise en jeu est régie par des textes ou
coutumes constitutionnelles, et produit des conséquences
d’ordre juridique ; politique, en ce sens que la responsabilité
politique peut être mise en cause au niveau des partis
politiques. En réalité, la responsabilité politique du
gouvernement devant l’assemblée est le plus souvent virtuelle,
parce qu’elle fait rarement l’objet d’une mise en jeu vouée à
l’aboutissement. En effet, en régime de cabinet à gouvernement
homogène ou stable, la responsabilité ne sera effectivement
mise en jeu que si la majorité disparaît en raison de
circonstances conjoncturelles ; et en régime de coalition, un
gouvernement démissionne le plus souvent lorsque la majorité
sur laquelle il repose se disloque, sans attendre la mise en jeu
de sa responsabilité devant le parlement. Ainsi dans les faits,
c’est en dehors des procédures formelles, notamment au niveau
des instances des partis membres de la coalition
gouvernementale, que la responsabilité politique se trouve mise
en jeu.
137
On distingue différents types de régimes parlementaires:
les régimes dualistes, monistes auxquels on peut ajouter les
régimes de dualisme rénové.
1. Le dualisme
2. Le monisme
1
Philippe Lauvaux, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF, 1990, p.148 et 149.
138
subordination de l’exécutif. Il va en résulter un gouvernement
« par délégation parlementaire » selon l’expression de Georges
Burdeau, se caractérisant par une grande instabilité, au
contraire du gouvernement de cabinet tel qu’il se pratique dans
le parlementarisme de type britannique. Ce parlementarisme à
la française va donner ainsi naissance à ce que certains auteurs
appellent le « régime d’assemblée », présenté comme une
variation du régime parlementaire.
3. Le dualisme rénové
139
monistes à l’instar de l’Australie. Quant aux seconds, ils
comprennent les régimes qualifiés par Jean-Claude Colliard de
régimes parlementaires « à correctif présidentiel », ou par
Maurice Duverger de « régimes semi-présidentiels ». Il s’agit de
régimes mixtes combinant des éléments du régime
parlementaire et ceux du régime présidentiel. Au premier, ils
empruntent la constitution d’un gouvernement collégial et
solidaire, responsable devant le parlement ; au second
l’institution d’un président élu au suffrage universel direct et
disposant de pouvoirs considérables. Le régime semi-présidentiel
n’est en réalité qu’une variante du régime parlementaire à
l’instar du parlementarisme dualiste. Dans l’hypothèse ordinaire
où le président de la République dispose d’une majorité
parlementaire qui le soutient « on ne saurait accepter qu’une
dyarchie existe au sommet » selon le Général de Gaulle. Pour
autant, cela ne signifie pas que le premier ministre, chef du
gouvernement ne dispose pas d’une marge d’autonomie vis-à-vis
du président de la République. Cette marge de manœuvre est
évidemment plus large dans l’hypothèse dite de cohabitation
entre un président de la République et un premier ministre issus
de majorités distinctes. Dans ce cas, le dualisme de l’exécutif
devient effectif.
Qu’ils soient monistes (cas de l’Allemagne) ou dualistes
rénovés (cas de la France), les régimes parlementaires peuvent
comporter des mécanismes dits de parlementarisme rationalisé.
A la différence du parlementarisme inorganisé, le
parlementarisme rationalisé repose sur des mécanismes qui
aménagent de manière minutieuse et détaillée les rapports
entre le gouvernement et le parlement ; d’où une grande
complexité.
SECTION II : LES REGIMES DE CONFUSION DES POUVOIRS
1
Benoît Jeanneau, Droit Constitutionnel et Institutions politiques, Paris, Dalloz, 1991, p120.
141
parlement. De surcroît, ce type de régime n’existe que dans des
pays en transition démocratique ou autoritaires, notamment en
Amérique latine et en Afrique.
L’autoritarisme est donc le trait dominant du
présidentialisme. En effet, le présidentialisme n’est pas
nécessairement lié à la primauté individuelle du chef de l’Etat,
il peut aussi être adopté pour répondre à une conjoncture
particulière ou sous l’influence d’une personnalité dominante
d’un parti unique.
142
liberté de démissionner et donc de faire pression sur l’assemblée
en posant la question de la confiance.
143
de régime1. Dans ce contexte, le mode d’accès au pouvoir est
souvent le coup d’Etat, qui n’est pas à confondre avec la
révolution qui, elle, provoque le changement de toute la
structure étatique. Au Burkina Faso, l’histoire politique post-
coloniale est jalonnée de coups d’Etat qui ont, à chaque fois,
installé au pouvoir des régimes autoritaires.
1
Voir Jean-François Médard, L’Etat néo-patrimonial en Afrique noire, in Jean-François Médard et als., Etats
d’Afrique : formations, mécanismes et crise, Paris, Karthala, 1991, p.323 et ss.
2
Hannah Arendt, Le système totalitaire, Paris, Le Seuil, 1972.
144
CHAPITRE II : LA DEMOCRATIE ELECTORALE
145
implications (§2). Enfin l'intérêt se focalisera sur le cas
particulier du Burkina Faso en explorant le passé et en tentant
de saisir le présent en la matière (§3).
146
universel, égal, et au vote secret ou suivant une procédure
assurant la liberté de vote »1 Ces dispositions de la Déclaration
universelle des droits de l’Homme de 1948, -Déclaration
constitutionnalisée par le préambule de la Constitution
burkinabè du 02 juin 1991-, constitue le fondement du droit de
suffrage qui se présente au Burkina Faso comme un droit à
valeur constitutionnelle.
Le droit de suffrage ou droit de vote revêt une double
signification. Il désigne non seulement le droit de vote, mais
aussi l’acte même de vote, c’est-à-dire «l’acte par lequel les
gouvernés procèdent à la désignation et à la légitimation de
leurs gouvernants et manifestent à leur demande leur
approbation ou désapprobation à l’égard des projets qu’ils leur
soumettent (référendum) »2. Pour Marie-Anne Cohendet, le droit
de vote se définit comme le « pouvoir reconnu aux citoyens de
participer, par leur suffrage, c’est-à-dire par l’expression de
leur voix, à la formation le plus souvent d’une décision politique
relative, soit à un représentant, par son élection ou sa
révocation, soit à un texte ou au principe d’adoption d’un texte,
par référendum ; ou, dans certains cas, à la formation d’un avis,
en cas de simple consultation »3. Outre ces fonctions explicites,
le suffrage remplit diverses fonctions implicites : légitimer les
gouvernants, réactiver le sentiment d’appartenance à la
communauté nationale, dresser le rapport de force entre les
divers partis et formations politiques en compétition, etc.4. En
effet, avec la reconnaissance d’un tel droit, le consentement et
la volonté du peuple deviennent la seule source de l’autorité
1
Ces principes sont repris par l’article 25 du pacte international de 1966 relatif aux droits civils et
politiques. Quant à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, elle consacre, elle aussi,
le droit de participation à la direction des affaires publiques, mais ne reconnaît pas expressément
l’importance des élections périodiques, libres et authentiques comme moyen d’assurer le respect des
droits politiques.
2
Olivier Duhamel et Yves Meny, dir., Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 1075.
3
M.-A Cohendet, Droit constitutionnel, Paris, Monchrestien, 2e édition, 2002, p.137.
4
Voir Guy HERMET et als. Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris Armand Colin, 2
e édition, 1996, p. 280 et suivantes. Pour J.-L Quermonne, l’élection remplit trois fonctions essentielles à savoir :
« désigner les gouvernants », « dresser l’état des tendances politiques » et « conférer ou retirer aux pouvoirs publics
leur légitimité ». Cf. J.-L Quermonne, Les régimes politiques occidentaux, Paris, Seuil, 1986, pp.164-165.,
147
légitime. Dès lors, l’élection s’impose comme le seul mode
acceptable de sélection des dirigeants, mais aussi et surtout
comme le seul moyen d’asseoir l’autorité de ces dirigeants sur la
volonté et le consentement des gouvernés.
Le droit de suffrage se présente donc comme un des
fondements juridiques essentiels de la démocratie. Il s’analyse
comme une prérogative reconnue au citoyen pour, d’une part,
par le biais de l’élection, de participer directement ou
indirectement au choix des gouvernants, et d’autre part, par
l’entremise du référendum, de se prononcer sur les grandes
questions touchant à la vie nationale. Il constitue un des
instruments essentiels de la démocratie parce qu’il doit, pour
être efficient, respecter et renforcer la liberté et l’égalité pour
garantir l’autonomie des citoyens. Cette efficience se mesure
surtout à l’aune de ses modalités d’expression, c’est-à-dire à
travers la détermination du corps électoral (A) et les
caractéristiques du vote (B).
1. La forme du suffrage
148
a) Suffrage universel ou restreint
1
G. Burdeau et al., Droit Constitutionnel, Paris, LGDJ, 1997, p.158.
2
Au Burkina Faso cela figure non seulement dans le préambule, mais à l'article 1er de la Constitution du 11 juin
1991.
3
Certains pays musulmans comme l'Arabie Saoudite, le Koweït ne reconnaissent pas toujours le droit de vote aux
femmes
4
Au XIXe siècle Mme de Stael tenait des propos qui aujourd’hui ferait scandale en affirmant : “ On a raison
d’exclure les femmes des affaires publiques et civiles ; rien n’est plus opposé à leur vocation naturelle que tout ce qui
leur donnerait des rapports de rivalité avec les hommes ; et la gloire elle-même ne saurait être pour une femme qu’un
deuil éclatant ” Cf Ph. Ardent, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 1993, p.294. La religion
n’était pas étrangère à cette prise de position puisqu’on trouvait une justification à la marginalisation de la femme
dans les saintes écritures. Ainsi dans la 1 ère épître de St Paul à Timothée : “ je ne permets pas à la femme d’enseigner
ou de prendre autorité sur l’homme ; elle doit garder le silence" Cf I Timothée, chapitre 2, verset 12.
5
A la seule différence qu'elles ne l'obtenaient qu'à l'âge de 30 ans, contre 21 ans pour les hommes. L'alignement sur
les hommes n'a été réalisé qu'en 1928.
149
Le suffrage restreint est celui qui est officiellement réservé
à un nombre limité de personnes en fonction de critères
subjectifs. Il en a été ainsi dans l’histoire de la presque totalité
des Etats qui ont progressivement établi la démocratie chez eux.
Il existe deux formes de suffrage restreint : le suffrage
censitaire et le suffrage capacitaire.
Le suffrage est dit censitaire quand on recourt à des
critères de fortune, de richesse, de revenu, de position ou de
statut social pour déterminer la composition du corps électoral.
La jouissance du droit de vote est conditionnée à l'acquittement
d'un impôt dénommé “ cens ”. Ne sont donc électeurs, dans ce
cas de figure, que les citoyens payant un minimum d'impôt fixé
par la loi électorale. La participation à la gestion des affaires de
la cité est ainsi conditionnée par la capacité contributive du
citoyen1.
Le suffrage est dit capacitaire quand la détermination du
corps électoral est assise sur critères fondés sur les capacités
intellectuelles ou le niveau de connaissances des électeurs. Il est
sous-tendu par l’idée que le droit de vote doit être reconnu non
seulement à des citoyens jouissant de la capacité électorale,
mais surtout à des citoyens libres et éclairés, justifiant d’un
certain niveau d’instruction et à même de choisir les
gouvernants avec discernement2.
1
L’application du cens électoral n’a été abandonnée qu’au 20ième siècle. En France cela date du décret du 5 mars
1948 alors qu’aux USA cela est encore plus récent puisque ce n’est que le 24 ième amendement de la Constitution du 5
février 1964 qui a supprimé les « poll-taxes » en vigueur dans certains Etats du Sud.
2
Aux Etats-Unis, par exemple, des « literacy test » (test d’instruction) étaient organisés pour juger de l’aptitude de
certaines personnes jouir du droit de suffrage. C’est encore le 24ie amendement qui les a supprimé. Dans les pays
sous-développés où le taux d’analphabétisme est très élevé, certains préconisent le recours au suffrage capacitaire
afin de donner un sens aux élections surtout si le mode de scrutin privilégie les programmes politiques des partis
(scrutin plurinominal ou de liste) que la personne du candidat (scrutin uninominal).Comme le note M. J. CADART
« le suffrage universel suppose malgré tout une éducation assez lente lorsque l'instruction primaire n'est pas
réellement générale et lorsque l'évolution économique est encore arriérée et l'organisation sociale très inégalitaire,
féodale ou même tribale. [Dans une telle situation] le suffrage universel risque de conduire à la confiscation de la
souveraineté du peuple par les oligarchies restreintes ou par certains chefs locaux ou nationaux. […] Le suffrage
capacitaire, judicieusement conçu, est alors plus libéral et permet de limiter ces graves inconvénients, à moins que
l'on utilise le suffrage universel indirect ». Cf. J. Cadart, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris,
Economica, 3ième édition, tome 1, 1990, p.234. Une telle idée est défendue au Burkina Faso par le professeur Laurent
Bado, entre autres.
150
b) Suffrage direct ou indirect
1
Article 204 de la loi n° 014-2001/AN du 03 juillet 2001 (J.O Spécial n°2 du 16 août 2001) portant Code électoral,
modifiée par les lois n°02-2002/AN du 23 janvier 2002 (J.O du 7 février 2002), n°013-2004/AN du 27 avril 2004
(J.O n°22 du 27 mai 2004) et 024-2005/AN du 25 mai 2005 (J.O n°27 du 7 juillet 2005).
2
Articles 37 pour les élections présidentielles et 80 pour ce qui concerne les élections législatives.
3
Articles 156, 204 et 238 du Code électoral.
151
toujours conditionnée à la fois dans sa jouissance (a) que dans
son exercice (b).
152
somme toute, ne remettent pas en cause le caractère universel
du suffrage.
1
Selon l’article 43 du Code électoral, ce corps électoral est élargi :
pour les élections nationales : aux étrangers naturalisé et ceux ayant acquis la nationalité burkinabè par
mariage ;
pour les élections locales : aux étrangers titulaires d’une pièce d’identité en cours de validité, ayant une
résidence effective de dix ans au moins au Burkina Faso, pouvant justifier d’un emploi et à jour de leurs
obligations fiscales
2
Selon l’article 44 du Code électoral, « ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales :
les individus condamnés pour crime ;
ceux qui sont en état de contumace ;
les incapables majeurs ;
ceux qui ont été déchus de leurs droits civiques et politiques.
153
Etre assujetti à une résidence obligatoire en raison de ses
fonctions ou profession1.
L’inscription sur la liste électorale est volontaire et
individuelle, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’inscription
automatique ou d’office. En revanche, nul ne peut être inscrit
sur plusieurs listes électorales, ni être inscrit plusieurs fois sur la
même liste2. Par ailleurs les individus condamnés pour crime,
ceux qui sont en état de contumace, les incapables majeurs et
les personnes déchues de leurs droits civiques et politiques ne
doivent pas être inscrits sur les listes électorales3. Même inscrit
sur une liste électorale, un individu peut être exclu du suffrage
s’il est frappé d’une incapacité électorale4, et en l’espèce,
d’une incapacité d’exercice. Cela vise à exclure du corps
politique les personnes qui se sont montrées indignes de la
qualité de citoyen, notamment les délinquants et les criminels
faisant l’objet d’une peine de prison5.
Encore faudrait-il que les documents d’identification qui
permettent d’inscrire les électeurs soient des documents fiables.
On peut en douter, au regard de la diversité des documents
d’identification autorisés par le code électoral6, diversité de
nature à ouvrir la porte à des abus, certains de ces documents
ne permettant pas d’identifier exactement les individus.
Les listes électorales sont établies par les soins de la
Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) par
village, secteur, arrondissement, commune rurale, commune
urbaine, ainsi que par province7. Le fichier électoral national est
constitué de l’ensemble des listes électorales provinciales qui
1
Article 48 du Code électoral
2
Article 46 du Code électoral.
3
Article 44 du Code électoral
4
Les incapacités électorales peuvent se traduire soit par la privation de la jouissance du droit de vote, soit par une
simple privation de l’exercice du droit de vote.
5
L’incapacité électorale correspond, le plus souvent, à une peine complémentaire décidée par le juge et qui prive un
citoyen condamné pénalement par ailleurs, de ses droit civiques (jusqu’à cinq ans en cas de délit, dix ans lorsqu’il
s’agit d’un crime).
6
Passeport, carte d’identité burkinabè, livret de famille, carte consulaire, carte militaire, acte de naissance ou
jugement supplétif, livret de pension.
7
Article 47 du Code électoral
154
récapitulent les listes électorales communales de chaque
province1. La liste électorale est permanente et elle sert pour
toutes les consultations électorales. Elle peut faire l’objet de
révision exceptionnelle avant chaque élection générale décidée
par décret pris en Conseil des ministres2.
a) L’égalité du vote
155
L’égalité dans le poids du vote commande l’application du
principe « une personne-une voix » et partant, l’exclusion de
certains types de suffrage tels que :
Le vote plural aussi appelé vote double ou multiple, qui
consiste à donner une ou des voix supplémentaires à
certaines catégories de citoyens en raison de leur situation
sociale, intellectuelle, financière, etc.2.
Le suffrage familial qui est une variante du vote plural et
qui consistait, dans certains pays3, à donner au père de
famille autant de voix qu’il avait d’enfants mineurs.
Le vote par collèges consistant en l’institution de plusieurs
collèges élisant le même nombre de députés alors que les
populations sont d’importance différente4.
C’est dire que l’égalité dans le poids du vote postule,
contrairement aux pratiques anciennes5, l’absence de toute
discrimination fondée sur l’argent, la catégorie sociale, le
niveau d’instruction, l’origine raciale ou la situation
matrimoniale.
Si les discriminations ci-dessus évoquées conduisent à la
négation d’un choix réel et du principe d’égalité, l’appréciation
est plus délicate en ce qui concerne le système de quotas qui
consiste à réserver un certain nombre de sièges à une catégorie
déterminée. Bien que considéré par le Conseil constitutionnel
français comme une atteinte au principe d’égalité entre hommes
« L'exercice de la citoyenneté dans un contexte colonial: le cas des deux Congo jusqu'en 1957 », in
Cahiers Marxistes (Bruxelles), janvier-février 1998, n°208, p. 51-62
1
Privation du droit de vote aux militaires sous la IIIème République française
2
Le conseil constitutionnel français a confirmé la prohibition du vote plural dans sa décision du 17 janvier 1979
relative à l’élection des membres des conseils de prud’hommes.
3
Espagne, Belgique, Pays du Maghreb.
4
Modalité en vigueur en Prusse jusqu’à la première guerre mondiale avec trois collèges d’un poids égal en sièges
dont le collège aristocratique élu par 3% de la population et le collège populaire désigné par 85% de la population.
5
Entre autres exemples on peut citer : relatif au pouvoir financier (dans la France de la Restauration, les électeurs
fortunés votaient deux fois) ; relatif à la catégorie sociale (dans l’Union Soviétique des années 1920, le vote d’un
ouvrier valait cinq votes paysans) ; relatif aux capacités intellectuelle (la majoration du vote des diplômés dans
l’Angleterre du XIXème siècle) ; relatif à la situation matrimoniale (en Belgique au début du XXème siècle, le chef de
famille disposait d’un nombre de voix correspondant à l’importance de sa famille).
156
et femmes1, la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 révisant les
articles 3 et 4 de la Constitution française ne l’a pas moins
institué à travers la notion de l’égal accès des femmes et des
hommes aux mandats électoraux et fonctions électives2. Le
système de quotas en faveur des femmes est aussi en vigueur au
Niger, sans que la Constitution nigérienne ait été révisée, depuis
l’adoption de la loi n°2000-008 du 7 juin 2000 instituant le
système de quota dans les fonctions électives, au gouvernement
et dans l’administration de l’Etat. Au terme de cette loi, chaque
liste de candidature aux différents postes électifs doit
comporter au moins 25% de femmes et 10% des postes acquis
doivent revenir aux femmes. En plus de cela, 25% des postes au
niveau du gouvernement, de l’administration territoriale, de
l’administration centrale et des autres instances supérieures non
électives doivent être acquis aux femmes3. Un tel système fondé
1
CC (fr), Décision n° 82-146 DC du 18novembre 1982, quotas par sexe et n° 98-407 DC du 14 janvier 1999,
Elections régionales. Suite à l’adoption de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, le Conseil constitutionnel
français dans sa Décision n° 2000-429 DC du 30 mai 2000 a affirmé dans les 7 ème et 8 ème considérant ce qui suit : CC
(fr), Décision n° 82-146 DC du 18novembre 1982, quotas par sexe et n° 98-407 DC du 14 janvier 1999, Elections
régionales. Suite à l’adoption de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, le conseil Constitutionnel français dans sa
Décision n° 2000-429 DC du 30 mai 2000 a affirmé dans les 7ème et 8ème considérant ce qui suit : « 7. Considérant, en
second lieu, qu'il ressort des dispositions du cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution, éclairées par les
travaux préparatoires de la loi constitutionnelle susvisée du 8 juillet 1999, que le constituant a entendu permettre au
législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et fonctions électives ; qu'à cette fin, il est désormais loisible au législateur d'adopter des dispositions
revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant ; qu'il lui appartient toutefois d'assurer la
conciliation entre les nouvelles dispositions constitutionnelles et les autres règles et principes de valeur
constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n'a pas entendu déroger ; 8. Considérant que les dispositions
critiquées de la loi déférée fixant des règles obligatoires relatives à la présence de candidats de chaque sexe dans la
composition des listes de candidats aux élections se déroulant au scrutin proportionnel entrent dans le champ des
mesures que le législateur peut désormais adopter en application des dispositions nouvelles de l'article 3 de la
Constitution ; qu'elles ne méconnaissent aucune des règles ni aucun des principes de valeur constitutionnelle
auxquels la loi constitutionnelle susvisée n'a pas entendu déroger ».
2
La loi constitutionnelle n°99-569 du 8 juillet 1999 dispose à son article 1er : »la loi favorise l’égal accès des femmes
et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (JORF n° 157 du 9 juillet 1999, p.10175). Dans ce
cadre, la loi n° 2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et fonctions élective (J.ORF n°131 du 7 Juin 2000 page 8560) impose la stricte parité dans toutes les
élections à la proportionnelle avec alternance homme-femme pour les élections à un tour (sénatoriales et
européennes) et une parité à groupe de six pour les élections à deux tour (municipales et régionales). Pour les
élections législatives, la loi sanctionne financièrement les formations politiques qui ne présentent pas un nombre égal
d’hommes et de femmes.
3
Le décret d’application n°2001-056/PRN/MDSP/PE du 28 février 2001 dispose à son article 2 : « pour les élections
législatives et locales, tout parti, groupement de partis politiques ou regroupement de candidats indépendants doit
inclure obligatoirement des candidats de l’un et de l’autre sexe de manière à obtenir lors de la proclamation des
résultats définitifs une proportion supérieure ou égale à 10% des candidats élus de l’un et de l’autre sexe ».
157
sur le principe de la dualité des normes1 plus connu sous
l’appellation de discrimination positive vise à élever la
dimension démocratique de la démocratie représentative.
b) La liberté du vote
158
certains Etats démocratiques dans lesquels le vote est
obligatoire1. Dans ce cas de figure où le vote, n'est pas un droit,
l’électeur a l’obligation de voter car il remplit une fonction
sociale, celle d'agir au nom de la communauté nationale tout
entière en exerçant ce rôle collectif essentiel. Le vote
obligatoire se fonde sur le principe de la souveraineté nationale.
Il est souvent utilisé pour éviter les abstentions.
Le suffrage ou vote doit être, en troisième et dernier lieu,
secret. Il en est ainsi quand il est organisé de manière à
permettre à l’individu de se déterminer en son âme et
conscience ; l’objectif est de préserver la liberté des électeurs,
d’où l’aménagement d’un isoloir. C’est tout le contraire du vote
public qui lui est organisé de manière à ce que les électeurs se
déterminent au vu et au su de tous (main levée, alignement,
etc.)2. Ce mode de vote comporte bien d’inconvénients dont,
entre autres, la corruption et l’intimidation3.
En définitive, on peut dire qu'aujourd'hui au Burkina Faso,
le suffrage est universel, direct ou indirect, égal, personnel,
secret et facultatif.
1
C’est le cas en Belgique, au Luxembourg, en Australie, aux Pays Bas, en Nouvelle Zélande, au Brésil et en
Argentine.
2
C’est un mode de vote qu’affectionnent les régimes révolutionnaires et qui a été pratiqué au Burkina Faso sous le
Conseil National de la Révolution (C.N.R) au pouvoir du 4 août 1983 au 15 octobre 1987.
3
“ Le vote public détruit finalement la liberté de l’électeur et, par conséquent, nie la démocratie au profit des
oligarchies ». Cf. J. Cadart, op.cit., p 244
159
Deux séries de questions méritent d’être examinées dans la
présente rubrique. Elles sont relatives au cadre spatial de la
compétition politique – le découpage électoral – d’une part (1),
et à l’encadrement juridique de la compétition politique – les
règles de la compétition politique – d’autre part (2).
1. Le découpage électoral
160
L’exigence de sincérité du scrutin commande que
l’honnêteté préside au découpage des circonscriptions. En la
matière, le critère démographique devrait prévaloir dans
l’attribution des sièges car la taille ou la magnitude d´une
circonscription électorale se réfère non pas à ses dimensions
physiques, mais plutôt au nombre de sièges qui lui sont attribués
A cet effet, la réalisation d’un découpage électoral loyal
commande le respect d’un certain nombre de principe à savoir :
La représentativité : les limites des circonscriptions
électorales doivent être définies de sorte à coïncider,
autant que possible, avec les communautés d'intérêt1 afin
que les électeurs aient l’opportunité d’élire les candidats
qu’ils pensent à même d’assurer une représentation
efficace2.
L’égalité de force électorale ou principe de l’équilibre
démographique : les limites des circonscriptions électorales
doivent être définies de sorte que les circonscriptions
soient égales en population. En effet, la création de
circonscriptions démographiquement inégales constitue une
violation du principe de l’égalité dans le poids du vote.
Ainsi, si le découpage conduit à ce qu’une circonscription
qui compte cent électeurs et une autre qui peuplée de
mille électeurs soient amenées désigner chacun un
représentant, la conséquence d’un tel déséquilibre sera de
donner aux électeurs de la première circonscription un
poids politique dix fois supérieur à ceux de la seconde.
L’égalité du vote des électeurs est une condition
importante de la représentation effective. Chaque
circonscription doit comporter un nombre à peu près égal
d’électeurs. Toutefois, cette égalité est relative puisque
des écarts par rapport à la moyenne du nombre d’électeurs
1
Exemples, divisions administratives, voisinages ethniques, des communautés naturelles délimitées par des
frontières physiques (telles que les îles).
2
En ce qu’il est susceptible de rendre service à la circonscription et de travailler à protéger ses intérêts.
161
par circonscription sont permis1. Au canada la loi électorale
fixe le seuil à 25% alors qu’en France, ce seuil est de 20%.
La précision : le tracé des limites des circonscriptions
électorales doit être le plus précis possible afin d’éviter
toute confusion lors des opérations électorales notamment
dans l’établissement des listes électorales et le
rattachement des bureaux de vote. Pour cela il doit
respecter scrupuleusement la continuité territoriale.
La périodicité : la délimitation des circonscriptions
électorales doit être périodiquement réexaminée en vue de
tenir compte des évolutions démographiques et des
mouvements de populations à l’intérieur de l’Etat2. Cette
préoccupation concerne plus les circonscriptions électorales
à scrutin uninominal qui doivent être périodiquement
redéfinies pour assurer des populations relativement
égales. Par contre les circonscriptions électorales de grande
taille n’ont pas besoin d’être redéfinies ; les sièges sont
simplement re-attribués d’une circonscription à l’autre
pour satisfaire aux critères d’égalité de la population.
L’esprit de participation et de service : la délimitation des
circonscriptions doit impliquer outre les services
1
Le principe de l’équilibre démographique dans le découpage des circonscriptions a été à plusieurs reprise réaffirmer
par le Conseil constitutionnel français dans plusieurs décisions. Dans les décisions n° 85-196 DC du 8 août 1985, et
n° 85-197 DC du 23 août 1985 relative à « L’évolution de la Nouvelle Calédonie, le juge constitutionnel français
observait qu’un organe délibérant d’une Assemblée se devait d’être élu « sur des bases essentiellement
démographiques ». Une année après, dans les décisions n° 86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986, Découpage électoral I
et n° 86-28 DC du 18 novembre 1986, Découpage électoral II, relatives aux découpage des circonscriptions
législatives, tout en affirmant que le principe de l’équilibre démographique devait présider au découpage des
circonscriptions, il le précisait en admettant « dans une mesure limitée » des écarts de population pour tenir compte
d’impératifs d’intérêt général mais en posant dans le même temps des limites dans lesquelles tout écart dans le
découpage supérieur à 20% dans un même département serait contraire à la Constitution. On retrouve la même
référence au principe de l’équilibre démographique par le Conseil d’Etat français pour ce qui concerne la
délimitation des cantons. Cf. CE (fr) 13 mars 1998, commune d’Armoy, Le Déaut, Amalric, Commune de Saint-
Louis et CE (fr) 6 janvier 1999, Lavaurs.
2
En Inde les limites sont censées être examinées après le recensement décennal pour refléter les
changements dans la population. En Allemagne, au début de chaque mandat parlementaire (tous les 4
ans), le président de l’Allemagne en conformité avec l’article 3 de la loi électorale allemande, nomme
une Commission des Régions Electorales (Wahlkreiskommission) indépendante. La tâche de cette
commission est de faire des rapports sur les changements dans la population et les développements
dans les régions électorales, et faire des recommandations sur comment redistribuer pour ajuster ces
changements.
162
administratifs et statistiques de l’etat et la commission
électorale, un large segment de la société politique, de la
société civile et des médias.
La réciprocité : la procédure de délimitation des
circonscriptions électorales doit être mise à l’abri des
majorités de circonstance. En cela, elle doit être non
partisane et obtenir l’adhésion du plus grand nombre. Elle
doit dans sa conception répondre aux vertus
d’indépendance et d’impartialité.
Si les principes de représentativité, d’équilibre
démographique et de réciprocité apparaissent comme les
cardinaux et les mieux acceptés, les autres ne sont pas moins
importants car ils contribuent à limiter l’expression des
intentions frauduleuses. C’est donc dire que loin d’être
secondaire, ils revêtent une importance capitale en raison des
risques de manipulations à même de fausser la sincérité du
scrutin. En la matière, plusieurs possibilités de manipulation
existent. La première et la plus grossière consiste, dès le départ,
à découper des circonscriptions inégales par le nombre
d’électeurs aboutissant au fait que certaines circonscriptions ont
trois à quatre fois plus d’électeurs que d’autres pour le même
nombre de sièges. La seconde consiste à délimiter les
circonscriptions sans tenir compte de la géographie mais en
favorisant des regroupements en raison du vote prévisible des
électeurs, cela afin de fabriquer une majorité1. La troisième
consiste à ne pas tenir compte des mouvements démographique
– exode rural notamment – en ne procédant pas périodiquement
au redécoupage des circonscriptions électorales ou à la
modification de la répartition des sièges en fonction du
recensement de la population ; ce qui aboutit à des
circonscriptions inégales du point de vue du rapport nombre
1
C’est à une telle manipulation qu’il faut rattacher le découpage électoral opéré sous la Ière République. Là où le
R.D.A était faible, la circonscription était rattachée à une autre où ce parti était fort. Ainsi Banfora, Diébougou,
Gaoua, Léo, Pô, Manga, Garango, Zabré formait une seule et même circonscription
163
d’élus-nombre d’électeurs1. La manipulation des élections par le
biais du découpage électoral est appelée « charcutage
électoral » ou « gerrymandering » du nom d’un ancien
gouverneur du Massachusetts (USA), Elbridge Gerry (1744-1814)
qui, en 1812, avait découpé les circonscriptions de son Etat afin
d’assurer une large victoire de ses partisans pourtant
numériquement moins nombreux que ses adversaires. C’est pour
éviter la survenue de telles atteintes à la sincérité du scrutin
qu’il est souvent mis en place un mécanisme de contrôle du
découpage électoral.
1
Cela conduit à avantager les circonscriptions vieillissantes par rapport aux circonscriptions en plein essor
démographique. Le refus de procéder au redécoupage tient au fait que la majorité au pouvoir sait par avance, compte
tenu des caractéristiques socio-économique de la population, qu’une redéfinition des limites de la circonscription ou
une re-attribution des sièges risquerait d’être favorable à l’opposition.
2
La Commission des Régions Electorales ou EDC est sélectionnée au début de chaque mandat
parlementaire. Le président du Bureau Fédéral des Statistiques est habituellement choisi pour présider
164
Uni où toutes les circonscriptions sont re-découpées tous les dix
ans sur la base de conclusions de commissaires indépendants.
Cette procédure institue une compétence liée à l’endroit du
parlement, dans la mesure où celui-ci est amené à décider dans
le cadre des options qui lui sont présentées. Telle n’est pas la
situation dans le deuxième cas de figure où la majorité
parlementaire conserve toutes ses prérogatives de décision avec
néanmoins la mise en place d’un contrôle de nature
juridictionnel confié, selon le type d’élection, soit au juge
constitutionnel, soit au juge administratif. C’est la situation qui
prévaut en France où le Conseil constitutionnel assure le
contrôle de la régularité du découpage électoral pour ce qui
concerne les élections législatives dans le cadre de ses
prérogatives en matière de contrôle de la constitutionnalité des
lois1. De même le Conseil d’Etat est investi du même pouvoir de
contrôle du découpage des cantons dans le cadre du contentieux
visant l’annulation des opérations électorales cantonales2.
Le Burkina Faso est à classer dans la seconde catégorie qui
situe le contrôle du découpage en aval. Bien qu’il n’y ait pas
encore eu de contentieux sur cette question – le découpage
suivant dans la plupart des cas les délimitations administratives –
165
il est tout de même possible d’affirmer l’existence d’un contrôle
a posteriori par l’entremise du contrôle de constitutionnalité des
lois ou du contrôle de légalité des règlements, le cas échéant.
Il ressort de ce qui précède que l’objectivité du découpage
électoral est essentielle pour la sincérité du scrutin. Celle-ci
dépend aussi de l’encadrement juridique de la compétition
électorale dans la mesure où cela peut comporter des effets sur
le résultat des élections.
a) La campagne électorale
1
Ph Parini, Régimes politiques contemporains, Paris, Masson, 1997, p.56.
166
compétition loyale entre candidats ou formations politiques
bénéficiant relativement des mêmes potentialités de victoire en
résorbant les inégalités matérielles de départ. En effet, les
principales causes de ces inégalités, contre lesquels il faut se
prémunir ou lutter sont l'argent et les faveurs du pouvoir,
l’intrusion des pouvoirs d’argent dans le jeu politique avec tous
les risques de corruption politique et de ploutocratie. C’est ce
qui explique que dans bon nombre de démocraties, pour
prévenir les inégalités trop criardes et lutter contre le
financement occulte des formations politiques, l’Etat soit
intervenu pour « moraliser la vie politique » en mettant en place
une réglementation stricte du financement de la vie politique en
général – en assurant un financement public aux partis politiques
– et des dépenses de campagne en particulier. Cela se traduit,
entre autres, par le plafonnement des dépenses de campagne, la
limitation voire l’interdiction des dons privés et le contrôle ex
post des comptes des partis politiques et des dépenses
électorales.
La législation française en la matière est symptomatique de
cette nouvelle tendance à la moralisation de la vie politique.
Depuis 1988, tout un arsenal juridique a été mis en place pour
prévenir la corruption et le trafic d’influence1. Dans ce cadre,
outre l’établissement d’un plafond maximal de dépenses avec
inéligibilité du candidat en cas de dépassement2, la législation
en vigueur encadre sévèrement le financement privé. Ainsi les
dons provenant des personnes morales sont strictement interdits
lors des campagnes électorales et même hors de ces périodes
depuis 1995. Quant aux dons provenant des personnes physiques,
ils sont limités à 4.600 euros durant les campagnes et à 7.500
euros hors campagne. En outre, la loi fait obligation aux
1
On peut citer entre autres les lois du 11 janvier 1988, du 15 janvier 1990, du 29 janvier 1993, loi organique du 19
janvier 1995. Sur la question on lira utilement l’ouvrage de L. Vilar et als Le financement des campagnes électorales,
Paris LGDJ, 1998, 191p. Dans le même ordre d’idées, la loi béninoise interdisant la distribution de gadgets lors des
campagnes électorales s’inscrit dans cette mouvance.
2
Le seuil varie selon l’élection considérée et le nombre d’habitants concerné. Cf. article L.52-11 du Code électoral
français.
167
candidats de ne recueillir leurs dons que par l’intermédiaire
d’un mandataire financier1.
Au Burkina Faso le dispositif actuellement en vigueur ne
respecte pas les principes d’égalité de chance et de
transparence financière. Certes l’encadrement du financement
des activités politiques et campagnes est légalement consacré2,
mais contrairement à l’intitulé de la loi, il ne concerne que le
financement public3. En effet, il n’y est aucunement fait cas ni
du financement privé, ni du plafonnement des dépenses de
campagne. Le souci d’équité dans les conditions de compétition
a totalement été perdu de vue au profit de la seule
préoccupation de l’équitable répartition des fonds publics.
L’égalité de chance n’est pas préservée – et les élections
présidentielles de 2005 l’ont amplement démontré – quand la
même somme, servie à deux candidats, constitue pour l’un le
principal de ses ressources de campagne et pour l’autre
l’accessoire. Il y a là une grave lacune à combler si l’on ne veut
éviter que les inégalités non tempérées ne viennent
compromettre la sincérité des scrutins.
La réglementation de la propagande électorale est
essentielle. En effet, les moyens d’information représentent
l’une des clés de la participation politique des citoyens au
pouvoir politique. La réglementation qui leur est applicable
permet ou pas le pluralisme et conditionne en dernière instance
la liberté de choix4. Or on s’accorde à dire qu’il y a démocratie
là où il y a débat, c’est-à-dire là où existe un contexte
1
Des dispositions similaires sont prévues dans les lois allemandes du 24 juillet 1967 et 22 juillet 1969 et dans la
Federal election compaign act des USA du 7 avril 1972.
2
Cf. Loi n°012-200 du 02 mai 2000 portant financement des activités des partis politiques et des campagnes
électorales, modifié par la loi n°12-2001 du 28 juin 2001. Cette loi est d’ailleurs très mal rédigée car entretenant une
ambiguïté quant à son champ d’application. Ainsi au chapitre I intitulé « Financement des coûts des campagnes
électorale » répond un chapitre II intitulé « Financement public des activités des partis hors campagne électorale ».
Ce qui laisse supposer que le premier chapitre englobe à la fois le financement public et le financement privé. Or la
lecture des dispositions contenues dans le chapitre I laisse entrevoir que le champ d’application de la loi est limitée
au financement public.
3
Toutes choses que confirme l’article 26 de la loi n°032-2001/AN du 29 novembre 2001 portant charte des partis et
formations politiques au Burkina.
4
Ph. Parini, op.cit., p.57.
168
permettant en toute liberté de contester, de critiquer et de
rejeter une opinion quelconque. Par conséquent, escamoter la
discussion et le débat contradictoire ou leur substituer la force
aveugle ou le monopole, est antidémocratique. Cette
philosophie qui doit présider à la réglementation de la
propagande électorale vise à protéger le pluralisme en assurant
l’égalité d’accès aux moyens d’information et en veillant à
éviter une manipulation frauduleuse de l’électorat.
Le code électoral burkinabè consacre plusieurs dispositions
à l’utilisation des moyens de propagande électorale. Ainsi, selon
l’article 69 du code électoral, l’affichage électoral doit
normalement n’avoir lieu qu’aux emplacements « spéciaux
réservé aux professions de foi, circulaire et affiches
électorales ». L’alinéa 2 du même article précise que « dans
chacun de ces emplacements spéciaux, une surface égale est
attribuée à chaque candidat ou chaque liste de candidats ». Ce
souci de préserver l’égalité entre les candidats transparaît dans
les dispositions relatives aux élections présidentielles et
législatives pour lesquelles l’article139 al.2 auquel renvoie
l’article 187 du code électoral dispose : « les panneaux
d’affichage sont attribué dans l’ordre de la liste des candidats
arrêté par le Conseil constitutionnel».
Concernant l’égal accès aux moyens d’information, le code
électoral le consacre dans plusieurs de ses dispositions. Il en est
ainsi à l’article 142 qui dispose que « les candidat à la
Présidence du Faso […] reçoivent un traitement égal dans
l’utilisation des moyens de propagande. » et à l’article 188 al.2
où il est affirmé que « le temps mis à la disposition des partis ou
formations politiques est équitablement réparti ». La gestion de
l’accès aux moyens d’information est confiée au Conseil
Supérieur de la Communication1 qui doit veiller à ce que le
principe d’égalité entre candidats, partis ou formations
politiques soit respecté dans les programmes d’information des
1
Antérieurement dénommé Conseil Supérieur de l’Information jusqu’à 2005 où il a été renommé Conseil Supérieur
de la Communication avec l’adoption de la loi n° 028-2005/AN du 14 juin 2005
169
organes de presse d’Etat en ce qui concerne la reproduction et
les commentaires des déclarations, écrits, activités des
candidats et la présentation de leur personne1. Tout cela sous
la supervision du Conseil constitutionnel qui peut intervenir « le
cas échéant, auprès des autorités compétentes pour que soient
prise toutes mesures susceptibles d’assurer cette égalité »2.
Si le souci d’honnêteté de l’information transparaît
clairement dans le code électoral, celui-ci reste évasif sur le
traitement à réserver aux médias privé3 et est totalement muet
pour ce qui concerne les sondages d’opinion. Des zones d’ombre
dus à la jeunesse du processus démocratique au Burkina Faso et
qui ne manqueront pas d’être très vite clarifiées compte tenu du
développement de la presse privée et de l’apparition
d’opérations de sondage d’opinion. Une réglementation qui
viendra renforcer la crédibilité du processus électoral visée à
travers l’institution d’un contrôle.
1
Cf. Articles 144 et 189 du Code électoral.
2
Article 138 du Code électoral.
3
Cf. article 140 du Code électoral.
4
Inscriptions multiples, procurations abusives, inscription des morts, etc.
170
l’utilisation d’une multiplicité de documents pour l’inscription
sur les listes électorales. La seconde catégorie de fraudes
s’opère pendant le scrutin et se réalise par l’entremise du
bourrage des urnes. La troisième catégorie de fraudes intervient
pendant ou à l’issue du dépouillement et consiste entre autres,
à substituer ou subtiliser des bulletins de vote, à modifier les
procès verbaux, au vol ou à la disparition des bulletins ou des
procès verbaux.
En vue d’empêcher et de sanctionner de telles pratiques, le
code électoral met en place un système de contrôle faisant
intervenir plusieurs acteurs. La volonté d’empêchement
s’exprime à plusieurs niveaux. Elle se manifeste, en premier
lieu, par la reconnaissance d’un droit de réclamation1 et de
recours2 à tout électeur en vue d’obtenir l’inscription ou la
radiation d’un électeur omis ou indûment inscrit. En second lieu,
elle est visible à travers le droit de contrôle accordé aux
candidats3 ainsi qu’aux partis et formations politiques par
l’article 77 al.1 en ces termes : « chaque parti ou formation
politique présentant des candidats a le droit de contrôler
l’ensemble des opérations électorales depuis l’ouverture des
bureaux de vote jusqu’à la proclamation des résultats dans ces
bureaux »4. En troisième lieu, cette volonté d’empêcher la
fraude est matérialisée par l’article 147 al.5 qui autorise la
présence d’observateurs indépendants. Enfin et en quatrième
lieu la présence de délégués du Conseil constitutionnel sur le
terrain5 munis du pouvoir de procéder « à tous contrôles et
vérifications utiles »6 témoigne du souci sinon d’éliminer, du
moins de limiter l’impact de la fraude ou des irrégularités sur les
résultats du scrutin.
1
Article 55 du Code électoral.
2
Article 56 du Code électoral.
3
Article 78 du Code électoral.
4
L’article 77 est complété par l’article 96 al.2 qui fait obligation au président du bureau de vote de « délivrer copie
signée des résultats affichés aux délégués des candidats des partis et formations politiques prenant part au scrutin ».
5
Article 146 al.1 er du Code électoral : « Pour veiller à la régularité des opérations électorales, le Président du conseil
constitutionnel nomme par ordonnance des délégués choisis parmi les membres de cette institution ».
6
Article 147 al.2 du Code électoral
171
Parce qu’elles faussent l’expression du choix des citoyens,
la fraude et les irrégularités lorsqu’elles surviennent doivent
être sanctionnées. En la matière, ce sont les juridictions
administratives (tribunaux administratifs et Conseil d’Etat) pour
les élections locales1 et le Conseil constitutionnel pour les
élections nationales (présidentielles et législatives)2 qui sont
investis de cette mission. Une fois saisis, ils peuvent sanctionner
les fraudes mais ce n'est pas systématique. En effet, le Code
électoral, en plusieurs de ses dispositions3, n’impose
l’annulation des élections comme sanction que si le juge
constate « des irrégularités graves, de nature à entacher la
sincérité du scrutin et à affecter le résultat d’ensemble de celui-
ci ». C’est donc dire que des atteintes aux règles définies par le
code électoral peuvent restées impunies si elles n'ont pas eu
pour conséquence de modifier les résultats. De telles
dispositions ne participent pas à la moralisation des
comportements politiques à l'occasion des campagnes
électorales et accréditent l’idée selon laquelle, la fraude fait
partie intégrante du jeu politique ; le tout étant de savoir s’en
servir intelligemment. Comme le note fort opportunément Ph.
Parini : « toutes ces conditions relatives au bon exercice du droit
de vote ne sont pas théoriques ; bien au contraire, elles
conditionnent la réalité de la souveraineté politique. En portant
atteinte à ces mécanismes, aussi simples que sains, un régime
évolue inéluctablement vers l’abus de pouvoir, puis la dictature.
L’intransigeance quant à leur strict respect est en revanche le
signe d’un régime politique majeur et libéral »4.
Les développements sur le cadre de la compétition
électorale n’épuisent pas l’étude des principes de
fonctionnement du système électorale. Reste à examiner les
1
Cf. Chapitre VII du Titre V du Code électoral (articles 259 à 264).
2
Cf. Chapitre V du Titre II du Code électoral (articles 149 à 153) et Cf. Chapitre VII du Titre III du Code électoral
(articles 193 à 202).
3
Articles 153, 198 et 263 du Code électoral.
4
Ph Parini, op.cit ;, p.60.
172
règles selon lesquelles les candidats seront départagés à l’issue
de la compétition. C’est là s’intéresser aux modes de scrutin.
1
J. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Economica, 10ième édition, 1989, p.169.
2
A côté des modes de scrutin dits classiques, il existe des systèmes électoraux mixtes qui combinent, à des degrés
divers, les modes classiques que sont le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle. En la matière on
dénombre trois variantes :
- les systèmes mixtes à dominante majoritaire ;
- les systèmes mixtes à dominante proportionnelle ;
- les systèmes mixtes équilibrés.
3
S. Agbantou, "Système électoral et démocratie", in La réforme du système électoral au Burkina Faso, op.cit., p.58.
173
Ou privilégie-t-on, par souci de pragmatisme, l’émerger une
volonté politique majoritaire à même de gouverner de
façon homogène ?1
Il en résulte que le choix du mode de scrutin revêt un
caractère nettement politique. Tout dépend de l'idée que l'on
s'en fait et très souvent des résultats que l'on en escompte ;
chaque parti est ainsi tenté de privilégier le mode de scrutin qui
correspond le mieux à ses conceptions mais aussi et surtout à ses
intérêt tactiques. Toutes choses qui expliquent les fréquents
changements de mode de scrutin. Ce caractère contingent
justifiant la non “ constitutionnalisation ”, du mode de scrutin
et le fait que son adoption soit souvent confiée au législateur.
Comme le souligne fort à propos J.L. Quermonne : « on conçoit,
dès lors, que le pouvoir politique ne puisse se désintéresser de la
recherche d’un mode de scrutin qui lui assure, sinon la
pérennité, du moins la longévité, et que l’opposition se
préoccupe de l’enjeu que représente pour elle toute réforme
électorale »2.
1. Clarification conceptuelle
1
E. Le Masson et J.P Oppenheim, op.cit. p.42
2
J.L. Quermonne, op.cit., p.178.
174
L’élection : c’est en démocratie le procédé de droit
commun pour la désignation ou la révocation des
gouvernants.
175
L'abstention : elle consiste à ne pas participer à une
élection ou à des opérations de référendum. Elle traduit
soit un désintérêt total pour la vie publique, soit un choix
politique actif consistant à ne pas se prononcer afin de
montrer son désaccord. Quand elle est la résultante d’un
mouvement organisé, on parle de boycott des élections.
L’importance de l’abstention lors de consultations
électorales pose la question de la légitimité du pouvoir
politique élu avec une faible participation
176
lors du dépouillement, il n’indique pas moins la volonté de
l’électeur de se démarquer du choix proposé par l’élection
ou le référendum.
1
En effet l’article 95 du Code électoral dispose : « Ne sont pas pris en compte dans les résultats des dépouillements
et sont considérés comme nuls :
les bulletins comportant plusieurs choix ;
les bulletins non paraphés conformément à l’article 76 ci-dessus ;
les bulletins sur lesquels les votants se sont fait connaître ;
les bulletins non réglementaires trouvés dans l’urne ;
les bulletins portant des signes intérieurs ou extérieurs de reconnaissance ;
les bulletins ne comportant aucun choix ; […] »
177
Les suffrages non exprimés : c’est l’ensemble des bulletins
blancs ou nuls. Il s’obtient en faisant la soustraction entre
le nombre de votants et celui des suffrages exprimés.
178
2. Les modalités des modes de scrutin.
179
certains partis par d’habiles transferts de territoires entre
circonscriptions voisines »1.
1
J. CADART, op.cit., p.249. cette pratique est aussi connue sous les dénominations de « gerrymander » ou
« gerrymandering » du nom d’un gouverneur du Massachusetts, Gerry, qui se rendit célèbre dans cet « art » de la
manipulation des circonscriptions électorales.
180
Selon que la volonté sera de faire prédominer la liberté de
choix de l'électeur ou la cohésion des partis politiques, on
recourra à l’un ou l’autre des systèmes.
Le scrutin plurinominal ou de liste (majoritaire ou à la
représentation proportionnelle), s'il n'a pas les défauts du scrutin
uninominal, n'éloigne pas moins, et parfois de façon excessive,
les élus des électeurs, puisqu'il conduit ces derniers à choisir
moins des hommes que des partis et des programmes politiques.
Il peut attenter voire annihiler la liberté des représentants qui
sont, la plupart du temps et parfois de manière abusive, soumis
au parti1.
181
b.1.a) Le scrutin majoritaire à un tour
182
uninominal ou de liste, la représentation proportionnelle, elle,
ne peut être que plurinominale.
1
Il importe de rappeler que le quotient électoral est le chiffre répartiteur dont l'application aux
suffrages exprimés permet d'attribuer les sièges. Il peut se déterminer de différentes façons selon qu’il
s’agit du quotient par circonscription, du quotient fixe ou nombre uniforme, du quotient national. Selon
que l’on applique le quotient par circonscription, le nombre uniforme, ou le quotient national, chaque
liste aura autant d’élus qu’elle contiendra de fois le quotient électoral.
2
On obtient les suffrages non exprimés en soustrayant du nombre des votants celui des suffrages exprimés. Ici nous
avons 76375 – 75000 = 1375.
184
Comme l’attribution des sièges se fait ici par circonscription, il
s’agit d’un quotient par circonscription. Il s’obtient par
application de la formule ci-dessous :
Q.E = Nombre de suffrages exprimés
Nombre de sièges à pourvoir
Soit : 75000 = 15000
5
* Attribution des sièges du quotient
Principe = Suffrage obtenu par la liste
Q.E
Application du principe
185
* Répartition des sièges des sièges non attribués au quotient
ou attribution des restes.
Cette répartition peut se faire selon deux méthodes : celle
des plus forts restes d'une part et celle de la plus forte moyenne
d'autre part.
12000 Liste C
Liste D
Liste B
Liste A
Liste A 2 sièges
Liste B 1 siège
Liste C 1 siège
Liste D 1 siège
186
par le nombre de ses sièges attribués au quotient (siège réel –
sR) augmenté d'une unité, c'est-à-dire de ce siège fictif (Siège
fictif – sF) . Le siège est attribué à la liste obtenant la plus forte
moyenne. On procède ensuite de la même manière pour chacun
des autres sièges non attribués au quotient. L'exemple
numérique précédent conduit ainsi aux résultats suivants :
1ère opération
Liste A 2 sR + 1 sF = 3 s moyenne = 35000 = 11666
3
Liste B 1 sR + 1 sF = 2 s moyenne = 21000 = 10500
2
Liste C 0 sR + 1 sF = 1 s moyenne = 12000 = 12000
1
Liste D 0 sR + 1 sF = 1 s moyenne = 7000 = 7000
1
Après cette première opération, le quatrième siège revient à la
liste C qui a la plus forte moyenne.
2ème opération
187
Liste C 1 siège
Liste D 0 siège
Exemple pratique
188
2ème opération : détermination du dénominateur commun
Le dénominateur commun s’obtient en classant les
quotients obtenus par ordre décroissant jusqu’à concurrence du
cinquième siège à pourvoir :
Récapitulatif
Liste A 3 sièges
Liste B 1 siège
Liste C 1 siège
Liste D 0 siège
189
b.2.b) La Représentation proportionnelle intégrale
* Au niveau local
Le pays divisé en circonscriptions élit d'abord une partie de
ses représentants, la plus grande, au quotient par
circonscription. Il en résulte que les sièges sont attribués dans
les circonscriptions aux candidats de chaque liste, selon le
système de la Représentation Proportionnelle Approchée.
* Au niveau national
Dans un premier temps, on arrête par avance le quotient
électoral. C’est donc un quotient fixe ou nombre uniforme.
Celui-ci est normalement fixé d'avance d'après le nombre
vraisemblable des suffrages exprimés dans l'ensemble du pays
(évalué d'après les résultats des derniers scrutins) et le nombre
des sièges à pourvoir.
Dans un second temps on procède à la répartition des
sièges. Pour ce faire, les restes inutilisés dans les
circonscriptions sont additionnés pour chaque parti au niveau
national : on attribue alors à chacun autant de sièges que ses
restes contiennent ce quotient fixe ou nombre uniforme. Les
sièges sont attribués par les partis aux candidats de leurs listes
nationales. Dans certains cas ils le sont aux candidats battus des
circonscriptions dans l'ordre de leurs échecs, c'est-à-dire de leurs
pourcentages.
190
Les scrutins mixtes peuvent s’analyser comme des
tentatives de compromis entre le scrutin majoritaire et le
scrutin proportionnel en tirant parti des avantages de ces deux
modes de scrutins tout en écartant les inconvénients de chacun
d’eux (voir. infra). L’objectif visé, en combinant des éléments
de scrutin majoritaire et de proportionnelle est d’assurer la
représentation des minorités tout en permettant à une majorité
nette de se dégager pour gouverner. Ces modes de scrutins
s’articulent dont autour de deux idées principales atténuer
l’effet de fragmentation de la représentation proportionnelle et
remédier aux injustices flagrantes du scrutin majoritaire.
Diverses formules existent qui ne peuvent toutes être exposé
ici1. On s’intéressera donc aux plus caractéristiques.
Une première formule, en vigueur en Italie, consiste à
pourvoir les ¾ des sièges de chaque chambre au scrutin
majoritaire et ¼ à la proportionnelle. Le système combine ainsi
l’élection de la grande partie des membres du parlement dans
des circonscriptions au scrutin majoritaire uninominal à un tour
et le reste des membres à la proportionnelle au plus fort reste
dans le cadre de 26 grandes circonscriptions régionales. Le
système adopté en 1993 vise à pallier l’absence de majorité dont
a longtemps souffert l’Italie.
Une seconde formule, en application en Allemagne et
appelée « représentation proportionnelle personnalisée »2,
aboutit à faire élire une moitié des membres du Bundestag au
scrutin uninominal majoritaire à un tour dans le cadre des 328
petites circonscriptions (ce sont les « mandats ou sièges
directs ») tandis que l’autre moitié est élue à la proportionnelle
(avec un seuil minimal de 5%) dans le cadre des Landers sur des
listes présentées par les partis politiques (ce sont les « mandats
ou sièges de liste »). Il en résulte donc que chaque électeur
dispose de 2 bulletins de vote. Avec le premier il vote dans l’une
1
On consultera utilement le document « Le monde des systèmes électoraux » in La conception des systèmes
électoraux : un manuel de International IDEA, disponible sur le site http// : www.idea.int/publications/esd/fr.cfm
2
Sur le système électoral allemand, voir : J.C Béguin, « système électoral allemand », Pouvoirs n°22, 1982 et
191
des 328 circonscriptions pour un candidat au scrutin majoritaire
et avec l’autre il vote dans un Land pour un parti politique à la
proportionnelle régionale puisque les bulletins sont centralisés
dans le cadre des Landers. La répartition de ces « mandats ou
sièges de liste » entre les partis politiques tient compte des
« mandats ou sièges directs » qu’ils ont obtenu. Ainsi « à l’issue
de l’opération de répartition, le total des mandats directs et des
mandats de liste de chacun des partis est égal à celui qui
résulterait de l’application de la représentation proportionnelle
à la plus forte moyenne calculée sur la base des seconds
bulletins. Si dans un Land un parti obtient plus de mandats
directs qu’il ne devrait avoir de sièges selon la proportionnelle,
il les conserve, mais le nombre total de députés du Land est
augmenté de manière à rétablir l’équilibre fondé sur la
proportionnelle »1. L’avantage de ce mode de scrutin à
dominante proportionnelle avec une dose de majoritaire est
qu’il « permet de concilier les avantages du scrutin majoritaire
(personnalisation de l’élection et rationalisation de la vie
politique) et ceux de la proportionnelle (le nombre d’élus
correspond à peu près à l’audience électorale et les formations
de taille moyenne peuvent être représentées) »2
Une troisième variante est constituée par le système
électoral irlandais dénommé système de Hare3 ou « Vote Unique
Transférable (VUT) » dans lequel chaque circonscription a
plusieurs députés à élire (au moins trois sièges à pourvoir) mais
il n’y a pas de scrutin de liste puisque les candidats se
présentent individuellement. L’électeur ne dispose que s’une
voix et il ne peut donner cette voix qu’à un seul candidat mais il
classe les candidats par préférence c’est-à-dire qu’il indique sur
son bulletin un second, un troisième ou un quatrième candidats –
selon le nombre de sièges à pourvoir dans la circonscription – à
qui son vote sera transféré si le candidat qu’il a placé en
1
B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel et science politique, 16ème édition, Paris, Armand Colin, 1999, p.208.
2
Ph. PARINI, op.cit., p.69.
3
Du nom de son concepteur l’Anglais Hare en 1857.
192
première position, en seconde ou en troisième position obtient
le quotient électoral qui lui permet d’être élu, ou au contraire
n’a pas obtenu assez de voix pour l’être. Pour attribuer les
sièges, on détermine d’abord le quotient électoral de la
circonscription puis par application de ce dernier aux premières
préférences, on déclare élu les candidats qui atteignent le
quotient. Les voix supplémentaires de ces élus de premier rang
sont alors réparties entre les candidats ayant été classés en
seconde position et ainsi de suite jusqu’à l’attribution de tous
les sièges. L’avantage majeur de ce système est de limiter
l’influence des partis politique et de laisser sa liberté de choix à
l’électeur. Mais il présente l’inconvénient d’aboutir à des
opérations de dépouillement long et fastidieux et le risque de
nourrir le clientélisme1.
Une dernière formule consiste à établir un seuil minimum
de voix au dessous duquel aucune représentation n’est accordée
(d’habitude entre 2 et 5%) tout en donnant une prime aux partis
totalisant un nombre important de voix2. Cette formule a cours
actuellement en France pour les élections municipales dans les
communes de plus de 3.500 habitants. Au premier tour si une
liste obtient la majorité absolue des suffrages exprimés, elle
gagne la moitié des sièges à pourvoir et l’autre moitié des sièges
est répartie à la représentation proportionnelle entre tous les
listes, y compris la liste majoritaire, ayant obtenus plus de 5%
des suffrages exprimés. Si aucune liste n’a obtenu la majorité
absolue, un second tour est organisé3.
Il s’agit maintenant, après avoir envisagé les techniques de
comptabilisation des votes – les modes de scrutin –, de se
pencher sur les conséquences qui découlent de leurs application.
1
Un candidat populaire pouvant faire élire sur son nom plusieurs de ses amis.
2
Cette formule de la » prime » aux partis totalisant un nombre important de voix a eu cours sous le IV ème République
française avec le système des « apparentements » qui donnait ainsi, dans le même département, la totalité des sièges
aux listes qui avaient préalablement signé un accord d’apparentement et qui obtenaient la majorité absolue des
suffrages.
3
Cf. Article L.262 du Code électoral français.
193
2. Les incidences des modes de scrutin
194
En ce sens, elle peut être comparée à une photographie de la
circonscription. Dans une telle formule, l'opposition acquiert
droit de cité.
Mais, par la chance de représentation qu’elle offre aux
petits partis, elle tend à en multiplier le nombre, de telle sorte
qu'à partir de la proportionnelle, il est plus difficile de
constituer des majorités cohérentes et stables. Elle favorise
ainsi la formation d’une Assemblée composite et dépourvue de
majorité et, par conséquent, accroît les risques d’instabilité
gouvernementale. En outre, elle ne permet pas de dégager une
véritable volonté nationale1. Elle conduit souvent à la
« partitocratie » c’est-à-dire le règne des appareils partisans (les
états majors des partis politiques) qui devenus omnipotents font
et défont les majorités et les alliances, décident des coalitions
et combinaisons et en dernière analyse se substituent au peuple
pour dégager une volonté nationale. Dans le cas d’un
émiettement de la représentation, elle peut même conduire à
une « dictature de la minorité » du fait des coalitions pour
asseoir majorité forcément faible et instable. « En privilégiant la
justice, elle nuit à l’efficacité »2
* Le scrutin à un tour.
1
Il importe de préciser qu’il s’agit de tendances, de risques. Les inconvénients ainsi énumérés peuvent être
neutralisés par le système partisan et notamment les rapports de force au sein de ce système. Le Burkina de la 4ième
République en est l’exemple illustratif car la RP n’a pas empêché l’émergence d’une volonté nationale incarnée par
un parti dominant (le CDP).
2
Ph PARINI, op.cit., p.67.
3
J. GICQUEL, op.cit., p.185.
195
C’est un scrutin brutal, voire extravagant car il amplifie
dans de très fortes proportions le succès du parti vainqueur et la
défaite des vaincus. Tant et si bien que le vainqueur empoche
tout. Selon une mathématique surprenante, 50,01 % des voix =
100% des sièges tandis que et 49,99 % = 0 siège. Ainsi une petite
différence de voix peut se traduire par une forte différence de
sièges au Parlement. C’est ce qu’on appelle « l’effet de swing »
Parce qu’il amplifie plus que tout autre la déformation de
l’image de l’opinion que peut donner l’élection, le scrutin
majoritaire à un tour est, volontiers, comparé à une sorte de
caricature.
Son avantage, par contre, c’est qu’il permet des majorités
soudés, homogènes, cohérentes loyales et stables tout au long
de la législature qu’on appelle « majorité de législature ». Ainsi
est éliminé tout système d’alliance ou de coalition. Par ailleurs
il facilite l’alternance puisqu’il condamne l’électeur à voter
immédiatement utile1.
1
Comme le souligne J. CADART : “ Ce régime électoral compense dans le temps ses injustices incontestées par
l’alternance au pouvoir deux grands partis. Il instaure un bipartisme très favorable à la stabilité gouvernementale et à
la démocratie : les majorités homogènes se succèdent en raréfiant les crises politiques et permettant aux électeurs de
choisir eux-même le parti victorieux, le gouvernement et son chef c’est-à-dire l’équipe dirigeante et le leader de ce
parti ainsi que le programme du parti ”, Cf. J. CADART, op.cit., p.255.
2
Du nom d’un député socialiste français du début du siècle XXème siècle.
196
une sous-représentation des extrêmes et une sur-représentation
des modérés.
Il résulte de ce qui précède que le scrutin majoritaire a
pour principal avantage de favoriser de larges mouvements
d’opinion, une volonté nationale et l’émergence d’une majorité
cohérente : de législature (scrutin à un tour) ; de gouvernement
(scrutin à deux tours). Son inconvénient majeur est d’amplifier
les écarts et par conséquent d’aggraver le risque d’écrasement
des minorités.
* Le scrutin à un tour.
Il tend à instaurer un système bipartite constitué de partis
à structure forte. Il constitue le moule de la vie britannique.
L'effet spectaculaire inhérent à ce procédé débouche sur le
bipartisme ou le « two party system »1 et ce à cause du vote
utile qui psychologiquement en découle. Il y a une sorte
d’imbrication ou d'osmose entre ce mode de scrutin et le
bipartisme.
198
la sous-tend est ainsi résumée par Stuart Mill : « Dans une
démocratie qui applique réellement le principe d’égalité,
chaque tendance doit être représentée d’une manière
proportionnelle. Une majorité d’électeur doit toujours avoir une
majorité de représentants, mais la minorité d’électeurs doit
avoir une minorité de représentants […]. Si cette condition n’est
pas remplie, il n’y a pas un gouvernement égal, mais un
gouvernement de privilège et d’inégalité »1. Avec la
représentation proportionnelle, l’exagération des majorités et la
sous-représentation des minorités sont supprimés ce d’autant
plus que l’électeur, libéré du vote utile peut exprimer ses vœux
en choisissant la tendance qui lui plaît le plus. La justice
mathématique des résultats traduit le rapport de forces sur
l’échiquier politique.
* Le scrutin à un tour
Il est une photographie déformée et contrastée de l’opinion
dans la mesure où il est un « scrutin couperet » : tout à la
majorité, rien à la minorité. Il ne reflète donc pas la réalité du
rapport des forces politiques.
1
G. BURDEAU et al., op.cit., pp.163-164.
2
G. BURDEAU et al., op.cit., p.161.
199
En conclusion sur les modes de scrutin, ces mots du Pr.
Vedel sonnent très justes : « La représentation proportionnelle
engendre un vocabulaire riche mais irréel ; le scrutin majoritaire
à deux tours un vocabulaire abondant mais négatif ; le scrutin
majoritaire à un tour un vocabulaire limité mais efficace ». Mais
les effets ainsi esquissés ne sont pas des axiomes
mathématiques. Ils indiquent de grandes tendances qui peuvent
être relativisées voir annihilées par certains facteurs. Ainsi
l’effet des modes de scrutin est fonction non seulement du
contexte politique, du régime politique, de la taille des
circonscriptions mais aussi des mentalités. L’exemple burkinabè
est là pour démontrer que la représentation proportionnelle au
plus fort reste peut aboutir à l’émergence d’un parti dominant1.
Une évocation qui indique la nécessité de s’intéresser aux
systèmes électoraux au Burkina Faso.
200
représentation proportionnelle a connu différentes variantes.
Ainsi pour saisir les différentes nuances on examinera tour à tour
les modes de scrutin appliqués sous les républiques antérieures à
la IVe République que sous cette dernière.
1. Sous la Ie République
1
Cette disposition venait remplacer celle contenue à l’article 15 de l’Ordonnance n°1/PRES du 15 mars 1959 selon
laquelle : « l’élection a lieu au scrutin de liste majoritaire à un tour sans vote préférentiel ni panachage et sans liste
incomplète. Toutefois, dans les circonscriptions de plus de 30.000 habitants, le scrutin sera proportionnel ”. Cette
disposition a ainsi permis le « charcutage électoral ». Là où le RDA était faible, la circonscription était rattachée à
une autre où ce parti était fort. Ainsi, entre autre exemple, Banfora, Diébougou, Gaoua, Léo, Pô, Manga, Garango,
Zabré, formaient une seule et même circonscription. Cela a permis au RDA de rafler 64 des 75 sièges à pourvoir
laissant au PRA 7 sièges et 4 au MDV.
2
Les quatre circonscriptions étaient les suivantes :
- circonscription du Centre, chef lieu Ouagadougou ;
- circonscription de l’Est, chef lieu Fada N’Gourma ;
- circonscription de la Volta Noire, chef Kougougou ;
- circonscription des Hauts Bassins, chef Bobo-Dioulasso.
201
L’application de ce mode de scrutin a conduit aux résultats
escomptés par ses initiateurs à savoir une sur-représentation de
la majorité et un écrasement de la minorité. Il n’est donc pas
étonnant que le RDA ait recueilli 99,77% des suffrages exprimés.
L’extravagance de ce score a par la suite été démontrée avec les
événements de janvier 1966.
202
onze (11). La répartition des 57 sièges à pourvoir à l’issue de
l’élection avait été la suivante ;
1. UDV-RDA : 37 sièges ;
2. PRA : 12 sièges ;
3. MLN : 6 sièges ;
4. UNI : 2 sièges1.
On constate que malgré le recours à la proportionnelle aux
plus forts restes, le RDA avait conservé et de loin la majorité
absolue des suffrages et donc des sièges.
1
Cela sur un échiquier politique qui comptait 9 partis. En plus les quatre sus-cités, il faut ajouter l’Union pour la
Nouvelle République Voltaïque (UNRV), le Indépendants (dissidents du RDA de Kaya, Koupéla et Ouahigouya), le
Parti du Regroupement National (PRN), le Groupe d’Action Populaire (GAP) et le Parti Travailliste Voltaïque
(PTV).
2
Article 28 de l’Ordonnance.
3
Cf. article 31 de l’Ordonnance. Le raisonnement fait pour la 2ième République est aussi applicable en l’espèce.
203
4. P.R.A : 6 sièges
5. U.N.I : 1 siège
6. M.I.P.R.A : 0 siège
7. G.A.P : 0 siège
On constate à lecture de ces résultats, un déclin du RDA qui
s’explique en partie par l’avènement de l’U.N.D.D de Maurice
YAMEOGO qui chassait sur les mêmes terres électorales que le
R.D.A.
Tels sont les antécédents au Burkina Faso en matière de
mode de scrutin. Qu’en est-il sous la IVième République.
1
Le premier Code électoral était constitué par la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 1991. Il sera remplacé
par l’Ordonnance n° 92-018/PRES du 25 mars 1992, elle-même abrogée par la Loi n° 003/97/ADP du 12 février
1997 à laquelle se substituera la Loi n°021/98/AN du 7 mai 1998 qui à son tour sera modifiée par la Loi n°
033/99/AN du 23 décembre 1999 puis interviendra la Loi n°004/2000/AN du 18 avril 2000 qui sera abrogée par la
Loi n° 014/2001/AN du 03 juillet 2001et enfin la Loi n° 002/2002/AN du 23 janvier 2002.
2
Loi n°004/2000/AN du 18 avril 2000 portant Code électoral, JOBF 25 mai 2000, p 3835 .
204
Il s’agit de la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 1991,
de l’Ordonnance n° 92-018/PRES du 25 mars 1992, de la Loi n°
003/97/ADP du 12 février 1997 et de la Loi n°021/98/AN du 7
mai 1998.
L’ensemble de ces textes à caractère législatif portant code
électoraux ont retenu comme mode de scrutin la Représentation
Proportionnelle à la plus forte moyenne. En la matière, la
formulation de l’article 109 de la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du
20 février 1991 a été reprise par les Codes successifs avec
simplement des aménagements de forme pour tenir compte du
changement de dénomination de l’organe législatif1. Cet article
disposait : « les députés à l’Assemblée des députés du peuple
sont élus au scrutin de liste provinciale au suffrage universel
direct, égal et secret, à la représentation proportionnelle avec
la répartition complémentaire suivant la règle de la plus forte
moyenne... ».
Hormis l’ordonnance n°92-018/PRES du 25 mars 1992, les
autres codes, bien qu’ayant retenu la proportionnelle à la plus
forte moyenne, ont, par la répartition du nombre de sièges à
pourvoir dans certaines circonscriptions (à savoir un (1) siège),
dénaturé le système puisque de fait cela conduisait à
transformer en un scrutin uninominal un scrutin normalement
plurinominal et la représentation proportionnelle prévue en un
scrutin majoritaire à un tour2. L’exemple illustratif ci-après
permet de saisir l’ampleur de cette modification.
205
Suffrages exprimés = 20.000
20.000 = 20.000.
1
Comme on peut le remarquer, le quotient électoral est égal
au nombre de suffrages exprimés. Il en résulte qu’aucune des
listes ne peut avoir de siège par application du quotient. Il faut
donc passer à la répartition selon la plus forte moyenne. Celle-ci
se présente de la manière suivante :
206
Avec l’application de la méthode d’Hondt, cela est encore plus
patent.
1
Articles 133 et 137 de la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 1991 ; articles 131 et 135 de l’Ordonnance n°
92-018/PRES du 25 mars 1992 ; articles 162 et166 de Loi n° 003/97/ADP du 12 février 1997 ; articles 162 et 166 de
la Loi n°021/98/AN du 7 mai 1998.
2
Les changements concernent le délai de constitution qui a été ramené de 120 jours à 60 jours depuis l’Ordonnance
de 1992.
207
dix sept (77) en 19911, cent sept (107) en 19922, cent onze (111)
en 1997 et 19983.
208
première vue et en prenant en compte le mode de découpage
électoral, on est tenté de dire qu’il s’agit là de l’application de
la proportionnelle intégrale. Mais l’absence d’un quotient fixe
ou nombre unique pour la répartition des sièges au niveau
national et surtout la prise en compte pour l’attribution des
sièges au plan national de l’ensemble des suffrages obtenus dans
les circonscriptions régionales et non des seuls restes non utilisés
incline à affirmer que nous sommes dans un cas de figure
relevant de la représentation proportionnelle approchée et non
de la proportionnelle intégrale.
Le but recherché à travers ces changements (adoption d’un
nouveau mode de scrutin et établissement d’un nouveau
découpage électoral) qui était, selon ses initiateurs, « d'offrir à
toutes les formations politiques le maximum d’opportunités
d’être représentées dans les organes délibérants » semble avoir
été atteint suite aux élections législatives du 5 mai 2002 en
considération du nombre de formations politiques représentées à
l’Assemblée nationale et du rapport de force entre la majorité
et l’opposition. Si ce mode de scrutin est en adéquation avec la
philosophie qui veut que le député soit le représentant de la
nation il encourt la critique d’éloigner le député de sa base
sociale et de gommer la relation « affective » entre ce dernier
et son électorat eu égard à l’élargissement de la circonscription
électorale. C’est peut-être une bonne chose pour asseoir une
juste compréhension du rôle et de la fonction de député et
éviter les dérives actuelles tendant à travestir la réalité en
faisant du député un assistant social.
209
2004 et n°024-2005/AN du 25 mai 2005. Il pose les règles
relatives aux élections présidentielle, législative, régionale et
municipale ainsi que celles concernant l’administration des
élections.
Outre les modifications touchant à la réorganisation de la
CENI, les changements s’affichent au quadruple plan du
découpage électoral, de la ventilation des sièges, du mode de
scrutin aux élections municipales et des modalités du suffrage
aux élections régionales.
Relativement au découpage électoral si deux catégories de
circonscription électorale sont retenues, la région est
abandonnée au profit de la province. En effet l’article 154 du
code électoral résultant des modifications de 2004 dispose : « Le
nombre de sièges à l’Assemblée nationale est fixé à cent onze.
Les députés sont élus à raison de quinze sur liste nationale et
quatre vingt seize sur liste provinciale… » Quant à l’article 155 il
précise que : « La circonscription électorale est constituée par le
ressort du territoire national, pour les députés de la liste
nationale et par le ressort de la province pour les députés élus
sur listes provinciales ». Selon la répartition des sièges figurant
en annexe du Code, il est prévu quarante cinq (45) provinces
avec un nombre de siège à pourvoir allant d’un (01)1, deux (02)2
à neuf (09)3 avec certaine provinces avec trois (03)4, quatre (04)5
et six (06) 6 sièges.
Concernant la ventilation des sièges, force est de constater
que le nombre de siège de la circonscription nationale a été
ramené de 21 à 15 sièges. Cela tient à l’augmentation du
nombre des circonscriptions du fait du retour à la province
comme ressort principal pour l’élection des députés. Mais
l’augmentation du nombre de circonscription sans augmentation
1
15 provinces
2
22 provinces
3
Une province, la province du Kadiogo contenant la capitale Ouagadougou
4
Deux provinces, les provinces d la Gnagna et du Passoré
5
Trois provinces, les provinces du Bulkiemdé, du Sanmatenga et du Yatenga
6
Une province, la province du Houet comprenant la deuxième ville, Bobo Dioulasso
210
du nombre des députés va de nouveau travestir le système dans
les circonscription où il n’y a qu’un siège à pourvoir en
transformant en en un scrutin uninominal un scrutin
normalement plurinominal et la représentation proportionnelle
au plus fort reste prévue en un scrutin majoritaire à un tour1.
Pour ce qui est du mode de scrutin, le changement ne
concerne que les élections municipales où le scrutin
proportionnel n’est plus au plus fort reste mais à la plus forte
moyenne ; ceci dans un souci d’assurer la cohésion des équipes
municipales.
Il ressort de ce qui précède qu’au Burkina Faso, le suffrage
universel est soit direct2 soit indirect3. Il est direct pour les
élections présidentielles, législatives et municipales, et indirect
pour les élections régionales, ce, depuis la révision de 2005 du
code électoral. En outre, le suffrage est individualiste4, secret5
et facultatif6 . Les multiples révisions du code électoral
autorisent à dire que le Burkina Faso est toujours à la recherche
de règles électorales à même d’asseoir durablement la
démocratie en construction. En tout état de cause, il faut
comprendre qu’aucun système électoral n’est parfait. Tout
système électoral doit trouver un juste équilibre entre divers
objectifs et diverses valeurs. Choisir un système électoral, c’est
choisir entre des valeurs concurrentielles : équité,
représentativité, égalité, responsabilité, efficacité, stabilité. A
1
Si par le passé le phénomène ne concernait que deux (2) provinces (le Kénédougou et l’Oudalan) sous l’empire de
la Zatu An VIII 0020/FP/PRES du 20 février 199, puis onze (11) sous le Code de 1997 est passé à dix (Bougouriba,
Komondjari, Kourwéogo, Léraba, Lorum, Nahouri, Noumbiel, Oudalan, Yagha, Ziro, Zandoma) ; ce chiffre est
aujourd’hui porté à quinze (15) par le Code de 2004 (Bougiriba, Komondjari, Kompienga, Kourwéoga, Léraba,
Loroum, Nahouri, Nayala, Noumbiel, Oudalan, Sissili, Tuy, Yagha, Ziro, Zandoma).
2
Le suffrage est dit direct quand les électeurs désignent eux-mêmes leurs représentants ; on dit qu’il est immédiat ou
immédiatisé.
3
Le suffrage est dit indirect quand les électeurs du premier degré donnent mandat à un certain nombre
d'entre eux d’élire leurs représentants ; on dit dans un tel cas de figure que le suffrage est médiat ou
médiatisé.
4
Le suffrage est dit individualiste quand il est organisé pour offrir un mode d’expression à chaque individu pris
isolément.
5
le vote est dit secret quand il est organisé de manière à permettre à l’individu de se déterminer en son âme et
conscience
6
Le vote est facultatif quand les électeurs ont la liberté de participer aux opérations électorales. Le vote est considéré
facultatif, car c'est un droit appartenant à chaque électeur; or, personne ne peut être obligé d'user de son droit.
211
ce titre certains paramètres ou critères peuvent être utilisés
pour évaluer la qualité d’un système électoral. Il s’agit de :
L’équité entre les partis politiques (les sièges obtenus
devraient être proportionnels aux voix obtenues).
La capacité du système électoral à représenter la société
dan toute sa complexité et sa diversité (minorités,
questions de genre).
La légitimité (les citoyens et citoyennes doivent percevoir
leur système électoral comme légitime.
L’intégration politique (le système électoral doit favoriser
une vie politique consensuelle et le respect de la diversité
des opinions).
La participation effective des électrices et électeurs (le
système électoral doit être facilement compréhensible pour
permettre à l’électorat de se déterminer en toute
connaissance de cause).
L’efficacité tant au niveau gouvernemental (stabilité de la
majorité), du parlement (présence d’une opposition
crédible et d’une véritable capacité de contrôle de l’action
gouvernementale) que des partis politiques (existence d’un
système de partis véritablement multipartite).
Mais au-delà des vertus du suffrage, la qualité de la
participation citoyenne est fonction de quatre facteurs
importants à savoir :
Le degré de citoyenneté.
La qualité de la société politique.
La qualité et la force de la société civile.
La qualité de l’organisation et de l’administration des
élections.
212
CHAPITRE III : LES FORCES POLITIQUES
213
débat politique, à la faveur des récents processus de
démocratisation dans le monde.
214
l'Etat pour souligner leurs rapports conflictuels. Ainsi, la société
civile "renverrait à une sorte d'intermédiaire, d’interface entre
l'Etat et les groupes fondamentaux, un entre-deux plus ou moins
en voie d'affirmation qui serait susceptible de contrer les
velléités hégémoniques des pouvoirs centraux"1. Jean-François
Bayart la définit comme la société par rapport à l’Etat, en tant
qu’elle est immédiatement aux prises avec l’Etat, ou encore le
processus de dé-totalisation du champ étatique par rapport au
processus contradictoire de totalisation mis en œuvre par le
pouvoir politique2. La société civile s’oppose à la société
politique, c’est-à-dire à l’ensemble des institutions publiques
(Etat et collectivités publiques). Elle n’est pas non plus à
confondre avec la société globale qui constitue l’ensemble social
plus vaste réalisant le niveau d’intégration le plus élevé3.
En Afrique, la société civile n’épouse pas les mêmes
contours que la société civile en Occident. Elle demeure
embryonnaire ou faible, en raison de la faiblesse des classes
moyennes consubstantielle à la faiblesse des processus de
différenciation des sphères politiques et économiques. Elle est
donc largement en construction et ne peut être bien comprise
qu'en termes historiques, c’est-à-dire en tant que résultat d’une
évolution historique. L’Etat post-colonial, nous dit Jean-François
Bayart, a été imposé par la colonisation et délibérément
construit contre la société civile4. Ainsi, « la recherche
hégémonique, sous-jacente à l’idéologie de la construction et
de l’unité nationales, implique un essai de tutelle globale et de
mise en forme de la société par l’Etat et par les groupes sociaux
qui postulent au statut de classe dominante »5. Sans
consolidation de la société civile, il ne saurait y avoir de
1
Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz, L’Afrique est partie : du désordre comme instrument politique, Paris,
Economica, 1999, p.31.
2
Jean-François Bayart, La revanche des sociétés africaines, in Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Comi
Toulabor, Le politique par le bas en Afrique noire : contribution à une problématique de la démocratie, Paris,
Karthala, p.70 et 71.
3
Jean-Louis Quermonne, Ibid. p.203.
4
Jean-François Bayart, La revanche des sociétés africaines, in Politique africaine n°11, septembre 1983, p.95-127.
5
Ibid.
215
consolidation démocratique. Mais la question de la nature de
cette société civile reste posée : doit-on limiter la société civile
aux seuls groupes qui ont une perspective démocratique ? Faut-il
y inclure les organisations ou entités traditionnelles et/ou
religieuses ? Ces querelles de définition ne doivent pas occulter
l’engagement citoyen et le rôle essentiel que différentes
organisations formelles ou informelles et leurs militants jouent
dans la promotion du développement local, des droits de
l’Homme ou de la démocratie, parfois au péril de leur vie.
2. La notion d’ethnie
217
certaines régions du monde, la forme la plus extrême de
l’ethnicité politique étant le génocide ou l’épuration ethnique.
1
Roger-Gérard Schwartzenberg, Sociologie Politique, 5e édition, Paris, Montchrestien, 1998, p.540.
218
intérêt à agir, intérêt qui peut être matériel ou purement moral
ou idéel., et enfin l’exercice de pressions.
3. Les fonctions
219
Les groupes de pression jouent de multiples fonctions1 :
Avant tout une fonction d’articulation des intérêts ; à
l’instar des partis politiques, ils contribuent au processus
par lequel les individus et les groupes formulent leurs
demandes auprès des décideurs politiques.
Une précieuse fonction de légitimation des mesures ou
politiques gouvernementales auprès de leurs adhérents.
Une fonction essentielle de socialisation de ces adhérents
en canalisant et en rationalisant les demandes en vue d’en
éliminer les excès ou la portée subversive.
Une fonction de communication politique par laquelle ils
apportent aux pouvoirs publics les ressources
informationnelles nécessaires à la prise de décisions
appropriées.
Une fonction d’intégration de certains groupes d’individus
ou sociaux, à l’instar de certaines formations de tendance
radicale qui jouent une fonction latente d’adaptation ou
d’ajustement au système, qui n’est ni comprise ni voulue.
Une fonction de substitution aux partis politiques
défaillants ou incapables d’exercer la fonction agrégative.
1
Ibid., p.568 et ss.
220
Il faut distinguer l’action des groupes de pression selon
qu’elle s’exerce sur le pouvoir politique, les partis politiques
ou l’opinion publique1.
Pour agir sur le pouvoir politique, les groupes de pression
peuvent recourir à des actions ouvertes ou occultes. L’action
ouverte repose sur l’information, ou la consultation ou même la
menace. L’action occulte peut être tout aussi comminatoire,
mais aussi et surtout procéder de relations privées, personnelles
ou reposer sur la corruption.
L’action des groupes de pression sur les partis politiques
diffère selon que les premiers sont ou non placés sous la
dépendance des seconds; lorsque les groupes de pression sont
sous la dépendance d’un parti, ils sont instrumentalisés par ce
parti, mais peuvent en retour se servir du parti pour diffuser ou
imposer leurs idées, défendre leurs intérêts ; lorsque c’est le
parti qui est sous la dépendance officielle ou occulte du groupe
de pression, il peut devenir l’instrument du groupe (cas du
Labour créé par des syndicats en Grande Bretagne). Parfois, des
rapports de collaboration sur un pied d’égalité peuvent
s’instaurer entre partis et groupes de pression.
Pour agir sur l’opinion publique, les groupes de pression
peuvent recourir à des moyens de contraintes (grève,
manifestations publiques ou troubles à l’ordre public) ou de
persuasion par la propagande ou l’information.
1
Ibid., p.572 et ss.
221
menées à ce jour pour se passer d’eux se sont soldées par des
échecs.
1
Daniel-Louis Seiler, Les partis politiques, 2e édition, Paris, Armand Colin, 2000, p.23.
222
gouvernementaux (par la voie des urnes en démocratie), bref à
exercer le pouvoir ;
De la même façon, le quatrième critère permet de
distinguer également les partis des groupes de pression ou des
simples clubs, ou même des groupuscules extrémistes qui ne
participent pas délibérément aux élections ou à la vie
parlementaire.
Ainsi, on peut donc définir les partis politiques comme
« des organisations durables, disposant d’une assise à la fois
nationale et locale, dont le but est de conquérir et d’exercer le
pouvoir politique en recherchant le soutien populaire » ou
encore des «organisations visant à mobiliser des individus dans
une action collective menée contre d’autres, pareillement
mobilisés, afin d’accéder, seuls ou en coalition, à l’exercice des
fonctions de gouvernement. Cette action collective et cette
prétention à conduire la marche des affaires publiques sont
justifiées par une conception particulière de l’intérêt général »1.
1
Daniel-Louis Seiler, Les partis politiques, op. cit., p.24.
223
efflorescence de partis politiques dont certains n’osent pas
encore dire leur nom… »1.
Les partis politiques sont apparus avec l’avènement du
suffrage universel entre le milieu du XIXè siècle et le début du
XXè siècle. Les premiers partis politiques ont été créés à partir
des groupes parlementaires ou des comités électoraux chargés
de conquérir l’électorat. Au début du XXè siècle se créent les
premiers partis politiques socialistes ou travaillistes. Dans
l’entre-deux guerres apparaissent des partis démocrates-
chrétiens.
S’agissant de l’origine des partis politiques, Maurice
Duverger a proposé de distinguer les partis de création
électorale des partis de création extérieure2. Pour lui, les
premiers partis politiques ont été créés à partir des groupes
parlementaires ou des comités électoraux chargés de conquérir
l’électorat. Avec l’accroissement du rôle des assemblées et
l’extension du droit de suffrage, les élus de même tendance ont
éprouvé le besoin de se concerter, d’où l’apparition des groupes
parlementaires, et de canaliser les suffrages des électeurs d’où
l’apparition des comités électoraux. C’est la jonction de ces
deux éléments qui a permis l’émergence des premières
formations politiques.
Les autres partis politiques ont été créés en dehors du
mécanisme électoral et parlementaire, en général par des
organisations préexistantes agissant en dehors du parlement et
des élections. Ainsi, plusieurs partis politiques ont été créés par
des syndicats de travailleurs, des groupements industriels et
financiers, ou professionnels divers, des groupements religieux,
etc.
En Afrique, la quasi totalité des partis politiques sont de
création extérieure aux mécanismes parlementaires et
électoraux. Les premières formations politiques sont apparues
1
Daniel-Louis Seiler, Les partis politiques en Occident : sociologie historique du phénomène partisan, Paris,
Ellipses, 2003, p. 15 et s.
2
Voir Maurice Duverger, Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1976.
224
notamment au lendemain de la seconde guerre mondiale, à la
faveur de la reconnaissance progressive du droit de suffrage aux
Africains. Ces formations politiques ont largement contribué aux
mouvements nationalistes et de décolonisation du continent.
L'exemple le plus frappant est sans conteste celui du
Rassemblement Démocratique Africain (RDA) créé à l'issue d'un
congrès historique qui s'est tenu à Bamako du 18 au 21 octobre
1946. Implanté dans tous les territoires de l'Afrique Occidentale
Française, le RDA se présentait à l'époque comme le premier
parti politique proprement africain. Mais à l'époque déjà, les
divergences politiques et idéologiques, les querelles de
leadership ainsi que les manœuvres du pouvoir (colonial)
tendant à diviser le mouvement nationaliste africain ont
provoqué l'apparition de plusieurs formations politiques sur les
scènes politiques locales émergeantes ; tant et si bien que c'est
dans un contexte de multipartisme intégral que la plupart des
territoires coloniaux ont accédé à l'indépendance au début des
années soixante.
Mais les nouvelles élites dirigeantes, sous prétexte d'assurer
l'intégration nationale et le développement économique vont
bannir, dans la plupart des nouveaux États, le pluralisme
politique et syndical ainsi que toute fonction d'opposition et
conférer un monopole de fait ou de droit à des "partis
monopolistes" ou “ partis uniques ”, que certains auteurs
européens refusent de considérer comme de véritables partis
dès lors qu'il n'existe plus de pluralisme politique.
Avec l’avènement des processus démocratiques au début
des années quatre vingt-dix en Afrique noire, des partis et
protopartis vont essaimer dans la plupart des États subsahariens.
Mais la question demeure de savoir s’il existe de véritables
partis politiques en Afrique. Combien parmi ces organisations
remplissent les critères classiques d’un parti politique énoncés
par la doctrine? En effet, bien souvent les partis politiques
apparaissent plutôt comme des instruments de personnalisation
225
du pouvoir, lorsqu’ils ne sont pas des partis de personnes. A
l’intérieur des grands partis existent plusieurs factions qui sont
des groupes plus ou moins informels qui se constituent autour
d’un leader, et qui luttent pour prendre le contrôle de la
direction du parti en vue de s’approprier le pouvoir d’Etat. Dans
certains cas, les partis politiques sont constitués sur des bases
ethniques, mettant en péril la fragile unité nationale.
Une démocratie forte et durable suppose le bon
fonctionnement de ses partis politiques. Les partis sont en effet
des acteurs essentiels parce qu’ils rassemblent des intérêts
divers, recrutent et présentent des candidats, et développent
des propositions de politiques concurrentes procurant au peuple
la possibilité de choisir. Dans une démocratie, rien ne peut se
substituer à une compétition ouverte entre partis politiques dans
le cadre d’élections.
Pourtant, en Afrique comme ailleurs dans le monde, les
partis politiques sont en proie à des crises, crises de popularité,
crises de confiance, déclin du nombre d’adhérents et, souvent,
incapacité à attirer ou mobiliser de nouvelles énergies,
intellectuelles ou organisationnelles. La faiblesse des partis
politiques met en danger les systèmes politiques démocratiques,
en particulier les démocraties émergeantes. Les partis politiques
doivent jouer un rôle particulièrement actif et ont une
responsabilité importante dans le processus de démocratisation.
Ils doivent lutter pour s’organiser et se financer dans le respect
des réglementations. Les partis sont supposés diriger,
représenter et éduquer leurs partisans, qui attendent des
dividendes rapides de la démocratie ainsi que des
comportements irréprochables de la part de leurs dirigeants. Les
partis, pour être efficaces et fiables, doivent relever de
nombreux défis, qui prennent leurs sources dans le contexte
politique et l’environnement légal dans lesquels ils évoluent,
ainsi que dans leurs systèmes de fonctionnement, de direction et
d’opération internes.
226
§ 3 : La typologie des partis politiques
Maurice Duverger a établi une classification binaire fondée
sur les partis de cadres d’une part et les partis de masse d’autre
part. Les partis de cadres qui sont des partis de notables
résultent de l’évolution qui a fédéré les comités électoraux à la
base et les groupes parlementaires au sommet au milieu du XIXe
siècle. Au contraire, les partis de masse qui sont des partis de la
seconde génération, sont des enfants du suffrage universel.
En se fondant sur l’analyse de la structure interne des
partis politiques, on peut distinguer trois cercles concentriques :
celui des militants qui « vivent pour le parti » et même
« vivent du parti » ;
celui des adhérents, qui paient leur cotisation et prennent
la carte du parti ;
celui des sympathisants et des électeurs qui assistent de
façon épisodique aux réunions ou votent en faveur du parti.
Plus la proportion d’adhérents par rapport aux électeurs est
grande, plus la proportion des militants par rapport aux
adhérents est forte, plus on se trouve en face d’un parti de
masse. Au contraire, plus la proportion des adhérents est faible
par rapport au nombre d’électeurs, plus on est en présence d’un
parti de cadre ou de notable.
Duverger va corriger ultérieurement sa typologie en
admettant l’existence d’un troisième type de parti à structure
particulière : le parti indirect dont l’archétype est le parti
travailliste britannique. En effet, le travailleur anglais en
adhérant à un syndicat, adhère du coup au parti travailliste, sauf
s’il manifeste une volonté contraire. Il existe certes des
adhérents directs mais leur proportion est faible par rapport aux
adhésions indirectes. Duverger complète sa théorie binaire en
distinguant également les partis à structure forte des partis à
structure souple, selon que la discipline interne au parti ou au
groupe parlementaire est forte ou non. Ainsi, les partis
227
travailliste et conservateur en Grande Bretagne sont des partis à
structure forte bien que le premier soit un parti de masse et le
second un parti de notables.
Mais certains auteurs ont critiqué la typologie
duvergérienne, qui ne rend pas compte par exemple du cas des
partis américains. C’est pourquoi certains auteurs ont proposé
un type de parti, à savoir le « parti attrape-tout » (« catch-all-
party »), qui est un parti inter-classes qui cherche à travers un
programme faiblement marqué idéologiquement à mobiliser le
maximum d’électeurs d’origine diverse.
228
confirmation de l’investiture des candidats. La sélection des
candidats constitue un enjeu d’autant plus important que cette
sélection équivaut pratiquement à leur élection selon leur
position sur la liste de candidatures et les chances de succès du
parti.
Une deuxième fonction des partis politiques est de
mobiliser des soutiens dans la perspective de la bataille
électorale : ressources financières, sens organisationnel, savoir-
faire particulier, marketing politique, etc. Sur ce point, les
partis sont dotés souvent d’atouts plus ou moins inégaux. En
Afrique, ce sont les partis au pouvoir qui disposent le plus
d’avantages par rapport aux partis d’opposition. Mais cela ne
suffit pas toujours pour gagner une élection.
Enfin, une troisième fonction consiste à choisir les
dirigeants nationaux en vue de la constitution d’un
gouvernement homogène ou de coalition. Dans cette
perspective, une lutte restreinte, parfois sourde, peut surgir
entre les caciques du parti, factions internes ou de plusieurs
partis en vue de la désignation de titulaires aux positions
stratégiques.
229
systèmes autoritaires, le débat dans les systèmes démocratiques
est public, nourri en permanence par des confrontations, joutes
oratoires ou polémiques. Ces prises de position ou de parole
contradictoires permettent d’orienter ou d’améliorer l’action
des gouvernants, d’éclairer l’opinion et de structurer le champ
politique en situant les différents acteurs politiques les uns par
rapport aux autres. Mais aussi et surtout, il permet de
disqualifier ou de faire l’économie de la violence politique ou
des affrontements physiques qui sont remplacés par des
affrontements discursifs ou joutes oratoires.
Dans le même sens, les partis politiques jouent une fonction
programmatique consistant à élaborer et « vendre » un
catalogue de principes, d’intentions et de propositions concrètes
en réponses à des attentes sociales et reposant sur leur projet
de société. Il est rare qu’une fois parvenu au gouvernement le
parti réussisse à mettre en œuvre tout son programme électoral
compte tenu des conditions d’exercice du pouvoir. L’élaboration
d’un programme comporte des effets symboliques majeurs : elle
permet d’attester de la crédibilité ou du sérieux du parti qui
estime avoir vocation à gouverner ; ensuite elle permet, d’un
point de vue pédagogique, de « socialiser » les militants ou le
grand public c’est-à-dire de les emmener à intérioriser, assimiler
les normes, valeurs et dispositions essentielles du projet de
société auxquelles le parti est attaché. Enfin, elle permet, d’un
point de vue stratégique, d’attirer différentes clientèles
électorales.
C. LA FONCTION DE SOCIALISATION
La socialisation désigne le processus d’insertion des
individus au sein d’une société donnée, donc l’intériorisation des
normes et valeurs propres à cette société. Dans sa dimension
politique, elle rend compte de la façon dont les individus
apprennent leurs rôles politiques. Par la diffusion de produits
discursifs variés reposant sur des valeurs et principes
230
fondamentaux, servant de référence commune, les partis
politiques contribuent à la socialisation de leurs membres,
sympathisants et électeurs. Ils suscitent l’émergence de
solidarités transversales par delà les différents clivages sociaux,
contribuant ainsi à l’intégration sociale ou nationale.
Par leur participation au jeu démocratique, par
l’acceptation des lois de la démocratie et de l’Etat de droit, les
partis politiques contribuent au renforcement de la citoyenneté,
à l’intériorisation des principes et valeurs démocratiques et à la
consolidation de la légitimité du système démocratique.
La fonction de socialisation des partis politiques peut
paraître paradoxale, du moins en Occident, quand on sait qu’ils
se situent les uns par rapport aux autres en faisant référence à
des doctrines, idéologies ou courants de pensées souvent
contradictoires, révélateurs de clivages sociaux profonds.
Les partis occidentaux sont en effet nés à la suite d’une
série de fractures sociales qui ont traversé l’histoire européenne
depuis le XIXe siècle :
Autour de la question de l’Etat (partis
centralisateurs/autonomistes).
Autour de la question des rapports religion/politique (partis
laïcs/confessionnels).
Autour de la révolution industrielle (partis
industrialistes/agrarians, indépendants ou paysans).
De la propriété des moyens de production industriels (partis
conservateurs/socialistes ou partis bourgeois/ouvriers).
Pour qu’on puisse parler de parti politique en Occident, il faut
qu’il y ait donc au moins deux formations opposées qui forment
un système de partis et transposent sur la scène politique les
grands conflits de la société civile. Mais par nécessité électorale,
les partis politiques occidentaux s’efforcent d’occulter les
clivages sociaux qu’ils représentent, de ratisser large, en vue
d’accéder au pouvoir, quitte à mettre en œuvre des politiques
231
favorables aux groupes sociaux censés constituer leur base
sociale.
232
éléments de ce système. C’est ainsi que l’auteur montre
comment le Parti communiste français (PCF) exerce ce qu’il
appelle « une fonction tribunitienne ». Ce parti, à l’instar des
tribuns de la plèbe à Rome, intègrerait de façon latente,
inattendue au système capitaliste et de « démocratie
bourgeoise » qu’il combat, les couches et classes défavorisées
qu’il représente et défend. Ce faisant, le PCF renforce
indirectement le système en lui permettant de fonctionner avec
les groupes défavorisés et mal intégrés et en canalisant leur
potentiel subversif au profit de revendications plus limitées,
compatibles avec la survie du système. Ce faisant, il contribue à
légitimer ce système.
1
Celle-ci prit fin en décembre 1989, suite à la conférence nationale souveraine de février - mars 1990 et à l’adoption
de la Constitution du 2 décembre 1990.
2
Par la suite, les régimes constitutionnels, qui alterneront avec les régimes issus de coups d’Etat militaires, vont
consacrer le multipartisme intégral ou le tripartisme. La Constitution de la 2 e République (1970-1974) et celle de la
4 e République en cours depuis 1991 ont consacré le multipartisme intégral alors que la Constitution de la 3e
République (1977-1980), elle, consacrait le tripartisme en ne reconnaissant que les trois premiers partis arrivés en
tête à l’issue des élections législatives de 1978, les autres partis étant dissous de droit.
234
unique de fait a émergé dès 1959 avec le ralliement de
l’opposition au parti au pouvoir, avant d’être officiellement
consacré sous la 2e République fin mars 19791. Au Sénégal, un
monopartisme de fait est instauré le 13 juin 1966 avec la fusion
du seul parti d’opposition légale (Parti du regroupement
africain) avec le parti au pouvoir (l’Union progressiste
sénégalaise). Il y sera mis fin le 26 mars 1974 avec la
reconnaissance du Parti démocratique sénégalais (PDS), la
consécration du tripartisme le 1er avril 1976, puis du
multipartisme intégral le 24 avril 1981. A l’exception du
Sénégal2, et, dans une moindre mesure le Gabon3, les autres
pays francophones ont par ailleurs connu des coups d’Etat
militaires qui ont souvent conduit à la suspension de la
Constitution et de l’exercice du suffrage. En Côte d’Ivoire, de
1960 à 1979, les élections législatives se déroulaient sur la base
d’une circonscription électorale unique, le territoire national.
Les candidats étaient soigneusement sélectionnés sur une liste
unique par le bureau politique du parti unique, le Parti
démocratique de Côte d’Ivoire/Rassemblement démocratique
africain (PDCI-RDA), sous la supervision du président de la
République. Cette liste pouvait, par la suite, faire l’objet de
ratification par le corps électoral convoqué à cet effet4. A partir
des années 80, le régime ivoirien va mettre en place un système
semi-compétitif. Cette fois-ci, le territoire national est divisé en
plusieurs circonscriptions électorales, mais c’est toujours le
ministère de l’Intérieur qui est chargé d’organiser les élections.
Plusieurs candidats pouvaient s’affronter pour les postes
électifs. Et bien qu’organisées dans le cadre du parti unique, les
élections représentaient un enjeu considérable pour les acteurs
politiques. Elles permettaient de récompenser les collaborateurs
1
Ce monopartisme sera abandonné avec la chute du président Moussa Traoré en mars 1991 et la promulgation le 25
février 1992 de la Constitution de la 3e République.
2
Qui a cependant essuyé une tentative de coup d’Etat en 1962.
3
Un coup d’Etat a eu lieu en 1964. Il a fallu l’intervention de l’armée française pour réinstaller presque aussitôt le
président Léon M’Ba au pouvoir.
4
La même technique a été utilisée au Burkina Faso sous la Ie République (1960-1966).
235
les plus fidèles, de sanctionner les collaborateurs les moins
zélés, de tester l’audience et la capacité de mobilisation de ces
collaborateurs, de se débarrasser des moins populaires et,
finalement, de consolider les bases du pouvoir en place. Les
vainqueurs consolidaient leur statut de collaborateurs fidèles du
chef de l’Etat et entraient, du coup, dans le cercle étroit du
pouvoir, cependant que les vaincus en étaient exclus, lorsqu’ils
n’étaient pas récupérés et recyclés ailleurs dans des positions de
pouvoir plus ou moins stratégiques. En raison de ces enjeux, les
élections étaient âprement disputées sur le terrain. Des fraudes
ont même été relevées par les observateurs (bourrages d’urnes,
déplacements d’urnes, etc.). Mais ce système semi-compétitif
connaît des limites, les rivalités entre candidats étant
strictement encadrées par le monopole de la scène politique
exercé de facto par le PDCI-RDA en violation de l’article 7 de la
Constitution du 3 novembre 1960 qui consacrait le
multipartisme1. A cela il faut ajouter le patronage d’un
président charismatique envers lequel tout candidat devait faire
acte d’allégeance et l’impossibilité de présenter une alternative
au système ou à la politique en vigueur. Ces « élections pas
comme les autres » n’étaient donc pas dépourvues de
signification. Loin s’en faut. Elles n’avaient certes pas pour
objet d’offrir aux électeurs des alternatives politiques
fondamentales, mais donnaient aux élites dirigeantes « la
possibilité de mobiliser la population, de s’informer de ses
dispositions d’esprit et de prendre connaissance de l’état des
instances locales du parti»2. Ces élections, en d’autres termes,
jouaient essentiellement une fonction de légitimation interne et
externe.
236
Hormis le cas particulier des partis uniques qui sont
incompatibles avec la démocratie pluraliste, il faut distinguer,
en se fondant sur le nombre de partis, le bipartisme et le
multipartisme auxquels il faut adjoindre un système
intermédiaire.
237
trouve représentée non seulement au Parlement, mais aussi
au gouvernement.
La troisième caractéristique du bipartisme parfait c’est
qu’en élisant le député de sa circonscription, l’électeur
anglais sait à l’avance en faveur de quel Premier ministre il
se prononce si son parti remporte les élections. Ce système
permet de faire l’économie d’une élection présidentielle
parallèle, mais aussi et surtout, assure automatiquement la
cohésion et la cohérence entre la majorité parlementaire
et la majorité gouvernementale.
2. Le bipartisme imparfait
Le bipartisme imparfait existe à partir du moment où, en
marge des deux principaux partis, apparaît un troisième
partenaire capable de dérégler le système et de déterminer la
formation des coalitions soutenant le gouvernement. Une telle
hypothèse a déjà été corroborée en Grande Bretagne. Mais
238
l’archétype du bipartisme imparfait demeure l’Allemagne où un
tiers parti, le parti libéral (FDP), parvient généralement à
empêcher l’un des deux principaux partis, la CDU (Parti
Démocrate Chrétien) et le SPD (Parti Social-Démocrate) à
obtenir la majorité absolue des sièges au Bundestag, et à rendre
nécessaire sa participation au gouvernement avec l’un des deux
grands partis. Mais lors des élections générales de 1998 qui ont
permis l’alternance après 15 ans de règne du chancelier H. Kohl
de la CDU, le parti écologiste, les Verts, a supplanté le parti
libéral dans son rôle d’appoint, en s’alliant au SPD victorieux.
Il faut cependant souligner que les deux grands partis ont
déjà fait l’expérience du gouvernement de « grande coalition ».
C’est le cas actuellement avec le gouvernement présidée par la
première femme Chancelière Angela Merkel de la CDU, qui
accède au pouvoir le 10 octobre 2005.
3. Le multipartisme
Le multipartisme se caractérise essentiellement par la
diversité et la souplesse. Il est intégral lorsqu’il n’y a pas de
restriction à la création de nouveaux partis. Il est tempéré
lorsque la loi limite le nombre de partis selon des modalités
variables. Ce fut le cas au Sénégal et en Haute Volta dans les
années 70 où la loi instituait un tripartisme à fondement
idéologique dans le premier cas (libéralisme, socialisme,
marxisme), et le tripartisme constitué par les trois premiers
partis arrivés en tête lors des législatives.
A la fin des années 80, l’Afrique francophone va renouer
avec les systèmes compétitifs qu’elle avait abandonnés ou
bridés, dans le cadre de processus de libéralisation politique ou
de démocratisation. En effet, pressés de l’intérieur comme de
l’extérieur, les régimes autoritaires seront contraints de
consacrer la liberté d’association, le multipartisme, le droit à la
participation, le principe des élections concurrentielles comme
fondements d’une gouvernance démocratique exigée non
239
seulement par les puissances occidentales, parmi lesquelles la
France à travers le fameux discours de La Baule de 1990, mais
aussi par des citoyens de plus en plus organisés à travers les
partis d’opposition ou la société civile. Ce triomphe du
multipartisme et du droit de suffrage se manifestera à travers
l’adoption de nouvelles lois constitutionnelles, chartes des partis
politiques et lois électorales consacrant le suffrage universel,
égal et secret ainsi que le droit des partis politiques à concourir
à son expression1. Les nouvelles Constitutions se conforment
ainsi aux dispositions de plusieurs instruments juridiques
internationaux, au nombre desquels la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme de 1948 qui, en son article 21 alinéa 1 et
2, dispose que : « toute personne a le droit de prendre part à la
direction des affaires publiques de son pays, soit directement,
soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ; la
volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs
publics ; cette volonté doit s'exprimer par des élections
honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage
universel, égal et au vote secret ou suivant une procédure
assurant la liberté de vote »2. Il va en résulter l’émergence d’un
multipartisme intégral. Ainsi, au Bénin, il existe officiellement
plus d’une centaine de partis politiques. D’autres pays de la
sous-région comme le Mali ou le Burkina se rapprochent de ce
record. En réalité, bon nombre de ces formations politiques sont
faiblement institutionnalisées et n’ont qu’une existence
fantomatique, passée la période des élections. D’où leur
incapacité à jouer efficacement les principales fonctions
dévolues aux partis politiques, à savoir les fonctions
d’agrégation et d’articulation des intérêts, d’intégration sociale,
les fonctions programmatiques, voire d’expression du suffrage.
1
Voir par exemple l’article 6 de la Constitution du Bénin, l’article 33 de la Constitution du Burkina Faso, l’article 27
de la Constitution du Mali.
2
Ces principes sont repris par l’article 25 du pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques. Quant à
la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, elle consacre, elle aussi, le droit de participation à la
direction des affaires publiques, mais ne reconnaît pas expressément l'importance des élections périodiques, libres et
authentiques comme moyen d'assurer le respect des droits politiques.
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Sur le plan théorique, Maurice Duverger affirme qu’au-delà
de trois partis politiques, la réalité du système partisan sera la
même, dans la mesure où lorsqu’il existe au moins trois partis de
gouvernement, il est rare que l’un d’entre eux puisse détenir la
majorité absolue des sièges à l’assemblée. Ce qui rend probable
la formation de gouvernement de coalition dont la cohérence est
variable.
Le multipartisme, surtout s’il est intégral, comporte de
nombreux inconvénients. D’abord il peut rendre difficile la
recherche d’une majorité parlementaire stable et cohérente
capable de soutenir fidèlement et durablement le
gouvernement. Ensuite lorsqu’il repose sur des petites
formations, il tend à pousser ces dernières à défendre des
positions particularistes, ce qui rend difficile l’agrégation des
intérêts. Enfin, le multipartisme intégral a l’inconvénient de
conduire à la dépossession des électeurs au profit des états-
majors des partis politiques qui prennent les décisions
essentielles en fonction des coalitions et des compromis qu’ils
ont passés.
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A. LES SYSTEMES DE PARTIS FONDES SUR L’EXISTENCE DE
PARTIS MAJORITAIRES
Les systèmes de partis dotés de partis à vocation
majoritaire sont ceux qui comprennent un ou deux partis
capables de recueillir la majorité absolue des sièges. On
distingue deux versions différentes :
la première variante suppose la compétition de deux partis
à vocation majoritaire, l’un ayant recueilli la majorité des
sièges est en situation de gouverner ; l’autre, confiné dans
l’opposition attend l’alternance pour le faire à son tour.
Cette version recoupe le système bipartite; mais ici c’est
davantage la dimension des partis qui compte beaucoup
plus que leur nombre ;
la seconde variante résulte du croisement de la dimension
des partis avec la présence de plus de deux partis : c’est
l’hypothèse du multipartisme combiné avec la présence
d’un parti majoritaire ; hypothèse qu’on trouve rarement
dans les démocraties occidentales.
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Le parti dominant ou ultradominant tient généralement sa
position hégémonique de la multiplicité et du morcellement de
ses adversaires, alors que le parti unique tient sa position d’un
monopole et de l’interdiction des autres formations politiques.
Un parti dominant peut ne pas occuper le pouvoir si ses
adversaires se coalisent contre lui pour le mettre en échec.
Le système à parti dominant permet généralement
d’assurer une grande stabilité gouvernementale. Mais il n’en est
pas toujours ainsi. En effet, il existe certains partis dominants
qui, faute d’homogénéité, de discipline de vote du fait de la
prégnance des factions, contribuent à entretenir l’instabilité
gouvernementale. Mais l’inconvénient majeur du système de
parti dominant c’est de comporter un risque d’immobilisme.
Comme le dit un auteur, « à gouverner sans concurrence on
gouverne sans talent ». C’est ensuite de comporter un risque de
transfert de l’opposition politique sur d’autres sites, notamment
au niveau des groupes de pression ou des organisations de la
société civile. Enfin, son troisième inconvénient c’est de
comporter un risque de cassure du consensus du fait de la
marginalisation d’une part plus ou moins importante des forces
politiques et des opinions. Faute d’alternative constitutionnelle
crédible se développe une opposition hors système.
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